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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 33

  • CHRONIQUES DE POURPRE 570 : KR'TNT 570 : BCUC / MONKEES / LOOP / SAM THE CHAM / ROCKABILLY GENERATION NEWS / ROBERT PLANT & ALISON KRAUSS / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 570

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    13 / 10 / 2022

     

     BCUC / MONKEES

    LOOP / SAM THE SHAM

    ROCKABILLY GENERATION NEWS

    ROBERT PLANT & ALISON KRAUSS 

    ROCKAMBOLESQUES

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 570

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

                    Baby come BCUC

     

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             Bon alors le plus simple serait de parler d’un grand choc. BCUC sur scène. BCUC pour Bantu Continua Uhuru Consciousness. Sept blacks de Soweto, ghetto martyr d’Afrique du Sud, pour les ceusses qui ne sauraient par où est Soweto. Oui, sept, désolé, il en manque sur l’illusse. Il s’est mis sur le côté. Voulait pas être dans l’image. Trois micros sur le devant de la scène et derrière, deux grosses caisses montées à la verticale sur des pieds en ferraille, plus un jeu de congas et un ampli basse. Ça sent déjà bon les tambours africains, avant même qu’ils n’arrivent.

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    Les voilà, trois devant et quatre derrière et tout de suite ça explose, ça t’explose directement entre les reins, directement sous le crâne, directement dans l’inconscient, car c’est le beat primitif, d’où vient toute la vie sur cette terre. Elle ne vient certainement pas de Mozart ni de Bach, elle vient des profondeurs de la vie, car avant d’être «civilisés», tous les peuples de la terre étaient primitifs et tu comprends ça immédiatement, car ça te parle, ça te raconte l’histoire du monde et de tes vraies racines. Tu n’appartiens pas à la civilisation occidentale, non, tu viens du beat des Africains et tu le ressens au plus profond de toi même, ton corps bouge sans que tu ne lui aies rien demandé, ça va très vite, dans l’instant, même pas one two three, comme dans le rock de Bill Haley, c’est là, bam-bam-bam-bam, en continu, bam-bam-bam-bam, à cent à l’heure et tu les vois danser, les trois qui sont devant,

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    ils vont te montrer comment on fait de la musique, bam-bam-bam-bam, la plus explosive de toutes, c’est un fleuve de vie qui charrie tout en même temps, le gospel, le rock, le boogie, le jump, le rap, le blues, le metal, le mental, le méthane, tout ce qui te passe par la tête, tout vient de là, c’est d’une évidence brutale, sans les Africains, le monde moderne n’aurait jamais existé, jamais t’aurais eu Sister Rosetta Tharpe, Chucky Chuckah, Jimi, Sly, Bo, pour ne parler que des plus importants, même Jerry Lee vient de Soweto, car sur scène le chanteur est encore plus crazy que Jerry Lee, plus demented qu’Elvis 54, plus wild que Wilson Pickett, il vaut dix Sam & Dave, il va si loin qu’on en a le souffle coupé pour lui, il est physique, ultime, c’est encore bien au-delà du wild as fuck des pauvres petits blancs qui se croient les rois du monde avec leurs petites guitares électriques, pousse-toi, whitey, c’est mon tour, il s’appelle Zithulele ‘Jovi’ Zabani Nkosi, pas la peine d’essayer de retenir son nom, c’est impossible, alors contente-toi de Jovi

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    et de le regarder chanter et danser la musique sauvage de tes origines, elle te rend fier d’être noir même si tu es blanc, mais ce sentiment d’appartenance est réel, tu as sous les yeux une authentique superstar, il fait partie de ceux qui lutteront jusqu’à la mort pour la grandeur du Black Power qui redevient soudainement une réalité, une suprême vengeance après quatre ou cinq siècles d’esclavagisme et d’apartheid, désolé, mais on y revient forcément, avec son génie scénique, Jovi balaye d’un coup toutes les injustices et réinstalle le pouvoir des tambours sur le trône qu’il n’aurait jamais dû quitter, alors il y va ce démon noir, il danse des deux pieds en même temps, il mime une espèce de gratté de guitare, il fait des pas de Zoulou dance, il s’essuie la figure d’un coup de paume et il te screame la grandeur de la négritude par-dessus les toits, c’est explosif, une sorte de mélange démentoïde de Fela Kuti et de free jazz sans trompettes, juste le précipité du beat, et derrière le black en short fait des miracles aux congas, ses deux copains battent la cadence du beat des forêts impénétrables sur leurs caisses et l’incroyable bassman tisse de l’africanité sur une basse à cinq cordes, c’est un rêve qui devient réalité, tu n’en perds pas une seule miette,

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    car des gens comme ça, tu n’en croiseras pas tous les jours dans ton fucking quotidien de whitey, Jovi n’en finit plus d’exploser sur ses pieds, il est petit, plutôt râblé, les bras tatoués, une barbe rase, il a une sale manie de vouloir faire des prêches entre les très longs cuts, mais dès qu’il repart sur l’Afro-beat demented, alors on remercie Dieu d’avoir créé le peuple noir, et puis à sa gauche, tu as un autre personnage extraordinaire, une blackette au visage d’ange dont tu tombes amoureux, une sorte de madone de Soweto coiffée d’un petit bonnet de laine, qui shake son tambourin et qui reste dans la folie du beat sans produire le moindre effort, elle s’appelle Kgomotso Neo Mokone, pareil, laisse tomber, n’essaye pas de mémoriser son nom, appelle-la la madone des no-sleepings, elle se fond admirablement dans l’extraordinaire fournaise de l’Afro-beat, qui redouble de violence dès qu’il redémarre et c’est toujours à cent à l’heure, mais c’est un cent à l’heure africain, qui n’a strictement rien à voir avec le pauvre cent à l’heure du rock, c’est un cent à l’heure qui sonne juste et qui t’excite, là tu dis, oui, c’est exactement ça, ce n’est ni de la frime ni du surfait comme c’est trop souvent le cas dans le metal, c’est le cent à l’heure organique que ton corps traduit immédiatement par des balancements que tu ne lui connaissais pas, tu comprends soudain ce qui se passe dans les villages lorsque battent les tambours, tout le monde danse et chante, c’est automatique, et c’est exactement ce que nous servent les BCUC sur un plateau d’argent, le beat universel que chacun comprend, en dehors de toute contrainte morale ou esthétique,

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    le vrai surréalisme, le surréalisme des racines universelles, pas celui du tyran André Breton, non, on parle du vrai monde, de la vraie musique, des vrais artistes et de l’incroyable simplicité, voire nudité, de tout ça. Ce sont des inconnus qui te révèlent à toi-même, qui t’ouvrent les yeux sur une réalité que tu croyais bien connaître, oui bien sûr Elvis, Bo, Jerry Lee, Wilson Pickett, les Como Mamas et tous les autres, mais ils doivent tout aux tambours africains, tels que les battent les démons de BCUC.

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             Tu es tellement fier de leur serrer la main à la fin du set. Tu vas ramasser leurs albums. Soweto Never Sleeps ! Bizarrement, leurs albums sont enregistrés en France. Tu en as un qui s’appelle Emakhosini. Seulement trois cuts. Tu ouvres et tu vois Jovi et la madone des no-sleepings en photo sur scène dans un nuage de fumée. «Moya» t’embarque pour 19 minutes sur un bassmatic africain, et le beat monte vite, bien sûr pas aussi nettement que sur scène, sous le casque c’est plus encaissé, plus studio, ça sourd comme une source, mais la conscience du beat des forêts profondes remonte en toi, pour un peu, tu te croirais aussi africain que ces mecs-là, mais impossible de s’ôter de la tête l’idée qu’ils te reconnectent aux origines de la vie. En même temps, c’est très progressif, comme l’évolution des espèces, et ça se passe comme dans le concert, tu as le sentiment que le sort du monde est intiment lié à l’Afrique, que tout vient de là, la vie, l’intelligence des corps, le rythme, l’idée remonte vite et se précise, les BCUC ont des choses à dire, surtout en Afrique du Sud, une aberration géopolitique tenue par une poignée de blancs cupides et cruels, mais ça donne Sowetao et l’un des plus brillants groupes d’Afro-beat des temps modernes, BCUC, come BCUC baby, c’est plein de vie et de colère intense, personne ne peut imaginer à quel point les blacks d’Afrique du Sud ont été fucked-up, et pourtant, ils sont le berceau de l’humanité, alors laisse tomber ta bible et l’Hosanna et tout ce bordel. C’est long 16 minutes, mais on ne s’ennuie pas, même si on perd le dance craze de Jovi le héros, ils font leur biz, chacun son tour, ils t’embarquent de toute façon, et soudain, le beat revient, fast and furious, ils sèment le vent et récoltent la tempête. Maintenant, c’est eux qui balayent tout après avoir été balayés. Quand ils calment le jeu, c’est pour mieux exploser. Le bassman lance tous les cuts au petit riff insistant d’Africana évolutive. Son thème revient dans le chant avec les échos de la madone des no-sleepings et très vite le beat reprend le pouvoir, il charrie toutes les insurrections de l’histoire, toutes les révoltes d’esclaves, tous les puits de mines et le travail forcé, ils rebouffent le foie des blancs qui les opprimaient et les tambours résonnent au plus profond de l’inconscient collectif. Ils sont au-delà de tous les genres.

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             Tu as un autre album qui s’appelle The Healing, c’est-à-dire la guérison, mais ça démarre avec «The Journey With Mr Van Der Merwe» qui n’augure rien de bon, car c’est un nom d’oppresseur Africaner, c’est amené au gimmick de basse africaine et soudain l’Afro-beat arrive, une marée, avec la voix de la madone des no-sleepings, les autres chauffent encore ça aux chœurs, ça te court bien sur l’haricot et bien sûr Jovi chante son gut out, il accuse Van Dr Merwe of having thought a new rule et les tambours combattent, c’est puissant, le beat charrie les cris des suppliciés, Jovi hurle sous les coups, ça va vite la mort dans les pattes des blancs, Jovi hurle comme une bête, c’est tout de même autre chose que le petit punk-rock des pauvres blancs, avec leur musique, le blacks se battent pour leur vie, ce n’est pas la même chose, voici que sonne l’heure de la victoire pour le peuple Zoulou, l’intelligence vaincra toujours l’oppression, surtout l’intelligence des blacks qui est musicale, le Black Power est de retour dans toute la force de son authenticité, les tambours te tapent dans la tête, les congas de Congo Square, fantastique cavalcade à travers le temps et l’histoire, là tu as tout ce que tu dois savoir à propos de la barbarie des blancs et de la grandeur sublime du peuple noir, et Jovi relance toujours le grondement des tambours, ces redémarrages au wild beat sont des bénédictions pour la compréhension, tu crois que c’est fini et ça continue, ils barbouillent des fresques comme des Black Fellinis de l’Africanité. La madone des no-sleepings croise les thèmes infectueux du bassman king, Jovi danse des deux pieds, quelle débinade ! C’est l’apanage des apanages, Jovi fout le feu. On retrouve Femi Kuti dans «Sikhulekile» et le fast beat revient, plus violent que jamais, une fournaise d’enfer vert, la madone des no-sleepings tente de calmer le jeu mais ça repart toujours de plus belle. Africa !

    Signé : Cazengler, vieux BOUC

    BCUC. Le 106. Rouen (76). 30 septembre 2022

    BCUC. Emakhosini. Buda Music 2018

    BCUC. The Healing. Buda Music 2019

     

     

    C’est parti Monkee Kee - Part Three

     

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             En dehors des albums, des films et des autobios, il existe encore bien d’autres manières d’entrer dans la légende des Monkees. Il faut pour cela étendre le cercle des recherches, en se rapprochant par exemple de personnages qui ont joué un rôle éminent dans la genèse de cette légende, des gens comme Bobby Hart (Boyce & Hart) et Harold Bronson (Rhino Records) qui ont eux aussi tartiné des autobios passionnantes.

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             Celle de Bobby Hart s’appelle Psychedelic Bubble Gum. Il est essentiel de rappeler que Boyce & Hart ont composé le premier hit des Monkees, «Last Train To Clarksville». Hart raconte merveilleusement bien son histoire. Jeune Arizonien débarqué en Californie, il se passionne pour Roy Orbison, Carl Perkins, Sanford Clark and all the rockabilly guys, puis Fats Domino et LaVern Baker. Il s’éprend aussi du gospel, du Professor Alex Bradford et de Sister Rosetta Tharpe. Il parle d’un «feeling of connection between the black music artists and me».  Puis un jour, dans un studio, Hart rencontre Tommy Boyce : «Il m’a seulement fallu quelques instants dans le studio pour comprendre que Tommy Boyce était un personnage singulier, spontané et extraverti, et en même temps très cool. Il avait l’assurance d’une rock star et il dégageait un charme irrépressible. Il avait un beau sourire et une poignée de main ferme, mais il y avait aussi en lui une certaine suffisance qui pour quatre laid-back kids venus d’Arizona était difficile à accepter.» En 1960, le jeune Hart s’installe donc à Hollywood pour faire carrière dans la musique. Il compose et il doit commencer à démarcher. Il obtient un rendez-vous avec Lester Sill. Il attend d’être reçu et engage la conversation avec un autre candidat qui dit s’appeler Phil Spector. Hart le connaît car il a vu son nom sur le disque des Teddy Bears. Totor dit à Hart qu’il a quitté le lycée depuis deux ans et qu’il veut aller à New York pour faire de la production. Totor est appelé dans le bureau de Sills, et Hart laisse entendre que ce jour-là, on l’a oublié.

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             Comme ça ne marche pas à Hollywood, Boyce & Hart tentent leur chance à New York.  Ils bossent pour Don Costa, au Brill, at 1650 Broadway. Ils commencent à composer ensemble, Boyce écrit les paroles et Hart la musique - On avait un respect mutuel pour nos compétences, mais on voulait travailler ensemble parce que c’était bien plus amusant de le faire ensemble - Boyce parle dans son autobio (How To Write A Hit Song And Sell It) d’un «pleasant and workable partnership». Le premier hit qu’ils décrochent en 1964 est «Come A Little Closer» pour Jay & The Americans. Mais Hart ne parvient pas à vivre de ses compos. Pour manger et payer ses charges, il doit prendre la route et jouer dans des clubs.

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             Hart évoque aussi des gens qui furent célèbres avant l’avènement des Beatles : Brian Hyland, Lou Christie et surtout Del Shannon qui fut une star en 1961 avec «Runaway», et qui eut les Beatles en première partie d’une tournée anglaise. Hart fait aussi partie des Surfaris, un groupe dans lequel John Maus joue de la guitare et Scott Engel de la basse. Hart raconte une tournée galère en 1963 dans le Middlewest avec les deux futurs Walker Borthers. Accident de voiture, puis deux corbillards achetés dans le même garage qui tombent en panne sur la route, une histoire similaire à celle de la dernière tournée de Buddy Holly. Hart se retrouve aussi en studio, avec Little Anthony & The Imperials. Il voit Anthony Gourdine sing his heart out, produit par Teddy Randazzo. Hart compose deux cuts pour Little Anthony : «Reputation» et «Never Again», sur l’album Goin’ Out Of My Head.  

             Hart ne se sent pas vraiment chez lui à New York : «Les bruyants corridors de béton et d’acier n’avaient rien de commun avec le paisible Oak Creek Canyon de mon enfance, et je ne me suis jamais senti chez moi à New York. Mais à l’été 1963, une chose était claire dans mon esprit : j’étais exactement là où je devais être. Je sentais le souffle chaud du succès prendre de la vitesse.» Plus loin, il fait encore le point, et il a une façon extrêmement intéressante de le faire : «Je passais mes soirées dans une ville où je ne connaissais personne. Je marchais tout seul dans les rues enneigées avant d’aller me coucher dans la chambre minuscule que j’occupais au Chesterfield. Le contraste avec Vegas où j’avais joué était d’ordre poétique, et ça m’a certainement aidé à garder la tête froide et à maîtriser mon ego. J’étais le plus souvent seul, sauf quand on composait avec Tommy, et j’étais déconnecté de la terre et aussi peut-être de mon esprit.» 

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             Hart fait aussi un portrait de George Goldner, nabab de l’industrie musicale new-yorkaise des fifties, un Goldner qui en pince pour Susan, la copine de Tommy Boyce. Elle lui dit qu’elle ne veut pas quitter Tommy, mais Goldner n’est pas homme à accepter un refus. Il finit toujours par obtenir ce qu’il veut. Il appelle Don Kirshner, «the man with the golden ear» qui vient de décrocher le jackpot en entrant chez Screen Gems Television, une filiale de Columbia. Il demande donc un service à son copain Donnie : «Écoute Donnie, j’ai besoin d’un coup de main. Il y a ce kid nommé Tommy Boyce qui a écrit quelques hits. Offre lui 100 bucks a week et signe-le. Je paierai l’avance moi-même. Je veux qu’il quitte la ville. Envoie-le dans ton West Coast office.» Bien sûr, comme le précise Hart, ni Tommy ni lui n’étaient au courant de la manigance de Goldner. Tommy aime Susan, mais son rêve est de faire carrière dans la musique and music was is life. Tommy dit à Susan qu’il accepte l’offre de Don Kirshner. Il est bon se savoir que les voies des Monkees sont parfois impénétrables.

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             Boyce part donc s’installer à Hollywood. Puis il appelle Hart pour lui dire de venir le rejoindre et de signer avec Screen Gems. Boyce lui promet de lui obtenir le même contrat que le sien, 100 bucks a week, à l’époque c’est une fortune - We’ll write some hits - Cette autobio est en fait une apologie de l’amitié. Il existe entre ces deux mecs le même genre de relation privilégiée qui a pu exister par exemple entre Mark Volman et Howard Kayland, ou entre Richard Foos et Harold Bronson : un lien à toute épreuve, un modèle du genre. Hart accepte et franchit à son tour les portes des West Coast offices of Screen Gems-Columbia Music at 7033 Sunset. Il est accueilli par Lester Sill qui se souvient très bien de lui et du rendez-vous manqué quatre ans plus tôt. Hart apprécie beaucoup Sill, a warm, encouraging father figure to me as he was to Tommy. Il les invite tous les deux à venir passer le week-end dans sa belle maison de Palm Springs. Sill attend de Boyce & Hart qu’ils pondent des hits, comme avait commencé de le faire Boyce avec «Peaches & Cream» pour les Ikettes. Le soir, Boyce & Hart vont traîner au Whiskey et sont frappés par les shockingly new sounds d’Arthur Lee & Love et de Jim Morrison & the Doors - We were excited and inspired by them - Du coup, ils dopent leur pop et composent «I’m Not Your Stepping Stone», «She» et «Words», des cuts qu’enregistrent The Leaves, The Boston Tea Party et Paul Revere & The Raiders. Pour enregistrer leurs démos, Boyce & Hart font appel à Keith Allison - «Guitar Keith» was a nautral heavy rock player who could lay down some incredible Stones-style riffs when we needed them - Allison fera ensuite partie des Raiders.

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             C’est le moment ou jamais d’écouter son album solo, In Action, paru en 1967. Wow quel album ! C’est produit par Gary Usher, autant dire qu’on entre dans le saint des saints du mythe californien. Ouverture de balda avec «Louise» et l’extraordinaire aisance poppy-gaga. Keith Allison joue fabuleusement bien sa carte de légende vivante. On trouve chez lui tout le raunch du proto-punk californien. Il fait une mouture d’«Im A Believer». Tout de suite du son. Fantastique allure, il injecte un sacré punch à son believer. Il tape dans Donovan avec «Colours» et y ramène une fantastique flavour country. Ça repart de plus belle en B avec «Good Thing». Pour le raunch, ce mec est bon, il chante avec un punch hors normes, une qualité qu’il a en commun avec Jackie Lomax. Il devient roi du californian gaga avec «Action Action Action», même niaque que celle des Raiders dont il va d’ailleurs faire partie. Il termine avec «Do It», au do it yeah, bien servi par un solo d’orgue. C’est puissant et bien produit, avec des harmonies vocales de do it yeah subliminales. 

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             Le cœur battant de l’Hart book, ce sont bien sûr les Monkees. C’est pour ça qu’on est là. Screen Gems demande à Boyce & Hart de composer un thème pour la série TV des Monkees - On a passé énormément de temps à nous préparer pour tirer le meilleur avantage de ce qu’on considérait comme notre plus belle opportunité : produire les disques d’un potential hit group with the power of television behind them - Le groupe n’est pas encore formé. Une annonce paraît dans The Hollywood Reporter et le Daily Variety : «Madeness!! Auditions. Folk and roll musicians-singers for acting roles in new TV series. Running parts for 4 insane boys, age 17-21.» On connaît l’histoire des 400 candidats, détaillée dans ‘C’est parti Monkee Kee - Part Two’. Hart brosse alors quatre portraits sommaires des heureux élus : Micky Dolenz - An effervescent comic actor with a gift for improvisation - et plus loin il ajoute : «D’une certaine façon, son côté énergique me rappelait Tommy, mais la personnalité de Micky was far more frantic and far less complicated.» Puis voilà Davy Jones (qu’Hart écrit David), «unquestionably a charmer with a great smile. Sa personnalité combinait un mélange d’impertinence brillante et de politesse à l’Anglaise.» Peter Tork était beaucoup plus réservé, mais Hart le trouve intelligent et ils avaient en commun des racines dans la scène new-yorkaise, Brill pour Hart et folk pour Tork. Et puis voilà Mike Nesmith qui aux yeux d’Hart s’impose comme leader du groupe. Hart essaye d’engager le dialogue avec Papa Nez, mais il se heurte à un mur. Hart ne cherche pas à forcer le passage, il sait que Papa Nez envisage déjà de prendre le contrôle musical des Monkees - À ses yeux, Tommy et moi devions apparaître comme deux sbires de l’establishment qui entravaient son chemin - Hart ne se trompe pas, car Papa Nez finira par avoir la peau de Don Kirshner et donc de Boyce & Hart. En 1966, le label Colgems Records est monté spécialement pour les Monkees et Kirshner devient le music supervisor du TV show. Rappelons que Boyce & Hart sont payés par Lester Sill et Screen Gems, pas par Kirshner, un Kirshner qui débarque enfin à Los Angeles. Il convoque Boyce & Hart pour remettre les choses au carré : «Bon c’est vrai que vous avez composé des hits, mais pour un projet de cette ampleur, we need record producers that have a proven track record.» Kirshner a raison, Boyce & Hart ne sont pas des producteurs. Tommy rétorque : «But Donnie, this is our project !». Kirshner ne veut rien entendre. Composer est une chose, produire en est une autre. Il sait de quoi il parle car il connaît très bien Totor et tous les grands producteurs new-yorkais. Sorry guys. Boyce & Hart sont catastrophés. Toute cette préparation pour rien !

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             Boyce & Hart ont déjà composé le fameux «Theme From The Monkees». Kirshner envoie la démo chez Mickie Most qui à l’époque cultive la réputation d’un magicien du son, mais cette fois, ça ne marche pas. Kirshner est déçu par le résultat. Il confie alors le projet à Snuff Garrett, un producteur en vogue sur la West Coast qui a produit Sonny & Cher, Bobby Vee, Johnny Burnette, mais le résultat ne plait pas non plus à Kirshner. Il trouve que ça sonne comme du Gary Lewis & the Playboys. On lui dit en plus qu’en studio, ça s’est très mal passé entre Garrett et les Monkees. Alors il fait venir Carole King et Gerry Goffin à Los Angeles, mais ça se passe mal en studio, car les quatre Monkees font pleurer Carole King qui rentre aussitôt à New York. C’est là que Boyce a une idée : rassembler quelques musiciens au Rainbow Studio et faire venir Kirshner pour qu’il entende trois cuts dont une version explosive de «Theme From The Monkees». Au premier accord, Kirshner s’emballe ! - These sound like hits ! Go ahead and book the studio, guys, you’re going to be producing the Monkees !

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             Quand en 1966, Boyce & Hart produisent les Monkees au RCA Studios on the corner of Ivar Street and Sunset Boulevard, Andrew Loog Oldham produit les Stones au studio B. Dave Hassinger bosse alors avec les Monkees et c’est lui qui enregistre «Last Train To Clarksville». Boyce & Hart ont monté un house-band avec Gerry McGee, Larry Taylor (futur Canned Heat), Billy Lewis, Louis Shelton et Wayne Erwin. Boyce gratte parfois une acou et Hart joue un peu d’orgue. Du coup, leur vie change et on les respecte en tant qu’auteurs, car ils composent quelques hits pour les Monkees : Clarksville, «She» et Stepping Stone, mais aussi des hits pour d’autres gens, notamment Paul Revere & The Raiders. Le conte de fées s’arrête brutalement : Papa Nez organise une conférence de presse où il révèle au monde entier que les Monkees ne jouent pas sur leurs disques. Papa Nez déclare la guerre : il veut récupérer le contrôle artistique des Monkees. Il veut surtout composer et récupérer sa part du gâtö, car le blé va dans les poches de Kirshner, qui accumule les droits. Il faut bien comprendre qu’à l’époque, le Monkees business représente des millions de dollars. Papa Nez fait partie des gens qui ont horreur de se faire plumer à vif. Il déteste le «Theme From The Monkees» - The Beatles would never sing about themselves like that, Hey hey hey we’re the Beatles ? C’mon on, give me a break ! - Début 1967, les Monkees enchaînent les hits, après Clarksville c’est «I’m A Believer» (signé Neil Diamond), avec Stepping Stone en B-side. Ils commencent à tourner et à remplir des stades, mais ils reçoivent toujours un salaire hebdomadaire de 400 $. La goutte d’eau qui fait déborder le vase ! (Hart dit «adding insult to injury»), c’est la parution du deuxième album : «Most of the group had never heard most of the music on it.» More Of The Monkees est en effet paru sans l’accord des Monkees, pendant qu’ils étaient en tournée, un coup de biz signé Kirshner. Un Kirshner qui revient à Los Angeles pour tenter de calmer ses poules aux œufs d’or avec des gros chèques de royalties, mais c’est là que Papa Nez fout son poing dans le mur, disant à Kirshner : «That could’ve been your face, cunt !». En février 1967, Kirshner est démis de ses fonctions chez Colgems Records et Lester Sill est nommé en remplacement. Hart sent que le vent tourne : «It has long been my personal feeling that this was the beginning of the end for the Monkees.» Eh oui, c’est Kirshner qui a fait d’eux des superstars. Les Monkees ne s’en relèveront pas. Papa Nez a gagné la guerre. Boyce & Hart glissent encore trois cuts dans Headquarters, troisième album des Monkees et le premier qu’ils enregistrent eux-mêmes, mais c’est un album foiré. Boyce & Hart composent un dernier hit pour eux, «Valleri», mais après ça, les Monkees ne sont plus jamais entrés dans le Top Ten - They got what they wanted, but they had lost what they had.

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             Après avoir été virés de Screen Gems, Boyce & Hart entament une carrière solo. Leur premier album s’appelle Test Patterns car comme le dit si bien Hart, ils ont besoin de savoir qui ils sont et comment ils sonnent. C’est Derek Taylor, l’ex press-officer des Beatles, qui signe les liners de l’album. Taylor leur recommande de se coiffer comme les Beatles, et Boyce & Hart ressemblent à Sonny Bono, Keith Allison et aux Byrds. Paru en 1967, Test Patterns n’est pas très bon. On sent un léger déficit composital. Ils aimeraient bien rééditer l’exploit de Clarksville, mais c’est difficile. Ils font un peu de r’n’b avec «In The Night» et empruntent un gimmick à Stax. Ils finissent l’A avec la soft pop de «For Baby». Ils sont plus à l’aise dans le susurré et les petits coups d’acou qui étincellent au soleil de la Californie. Ils retrouvent un brin de Clarksville en B avec «Sometimes She’s A Little Girl», c’est bien amené par cet excellent guitariste nommé Louis Shelton.

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             Ils retentent le coup l’année suivante avec I Wonder What She’s Doing Tonite. Le titre de l’album illustre bien la hantise des cocus. Ils se rapprochent de Clarksville avec «Teardrop City» et ils frisent le hit avec cette merveille qu’est «Love Every Day». Cette pop de chat perché est tout simplement fascinante. Ils s’auto-présentent ensuite dans «Two For The Price Of One» - My man Bobby Hart, the son of a gun - Ça swingue ! Ils sont bons au petit jeu du deux pour le prix d’un. Un autre hit se cache en B : «Goodbye Baby (I Don’t Want To See You Cry)». On y sent planer un léger parfum de Beatlemania, en tous les cas les harmonies vocales font bien tourner la tête. C’est quasiment «All You Need Is Love», même genre de puissance pop avec des cuivres et des belles harmonies vocales. Derek Taylor écrit au dos : «There is a fullness & vigor which is special.» Et vers la fin, on tombe inopinément sur l’énorme «Population», pur jus de rockalama.   

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             Paru la même année, leur troisième et dernier album s’appelle It’s All Happening On The Inside. Curieusement, ils font du gospel de haut rang avec «Maybe Somebody Heard» suivi du morceau titre. On sent une belle ardeur spirituelle et une profonde déférence. C’est impressionnant car explosif. Leur gospel est bourré de son, ils secouent bien les colonnes du temple et Louie Shelton embroche le morceau titre avec un fantastique solo. Leur «Abracadabra» est lui aussi gorgé de son et voilà qu’ils bouclent l’A avec une mouture de «Jumping Jack Flash» que Louie Shelton s’empresse d’embrocher, cette fois avec un solo liquide d’une insolence insupportable. Boyce & Hart adorent enfoncer leur clou. Ils prennent leur temps. En B, ils ne font pas de vagues, il restent dans le cadre d’une pop d’époque. Shelton placarde ses heavy shords sur «Strawberry Girl» et tape une cisaille effroyable dans «Thanks For Sunday». La pop de Boyce & Hart est bien foutue, mais tous ces cuts ne sont pas des hits. «My Baby Loves Sad Songs» est même un peu gnangnan. Ils tapent dans Motown avec une cover de «Standing In The Shadows Of Love» et cette fois c’est Joe Osborne qui vole le show avec son bassmatic de vieux pro, pendant que Boyce & Hart se prennent pour les Four Tops. Ils terminent sur un petit jerk, «Alice Long». Idéal pour les Monkees, bien monté à l’upbeat, avec des petites zones de douceur sucrée. C’est là qu’ils excellent. Ils adorent jerker tous les deux autour d’un juke. Des vrais gamins. C’est pour ça qu’on les adore. Et qu’on les respecte.

             Quand Tommy Boyce annonce qu’il quitte le business, c’est la fin du monde pour le pauvre Hart, qui du coup se retrouve tout seul chez lui à Hollywood - No music, no TV, and the phone never rang. Alors que les ombres des arbres se dessinaient sur le sol et les murs, je ressassais les mêmes pensées, over and over. Je suis resté dans le même état pendant trois ans. J’avais heurté de plein fouet un train lancé à pleine vitesse et j’étais encore debout par la seule force de l’inertie. Ma vie qui jusques là avait été un tourbillon s’étaient brutalement arrêtée, comme si quelqu’un avait freiné brutalement. Quelqu’un l’avait fait. C’était Tommy Boyce.»

             On découvre au fil des pages que Hart est un homme très porté sur la méditation. Au début, on ne fait pas attention, car on est là pour les Monkees, mais par son côté introspectif, Hart dégage quelque chose de très fort. Vers la fin de son autobio, il décrit une scène très spéciale : il reçoit sa seconde épouse Claudia. Elle a quitté Hart, mais elle vient lui demander de l’aide - Je l’ai tenue dans mes bras pendant un moment et j’ai attendu que sa respiration se calme. «Pourquoi ne vas-tu pas dans la salle de méditation pour observer ta respiration ?» «Que veux-tu dire par observer ?» «Ne cherche pas à la contrôler, contente-toi de l’observer, comme si tu observais la respiration d’une autre personne. Ça ralentira ton esprit et tu pourras te concentrer sur une seule pensée à la fois.» - Elle monte dans la salle qui est à l’étage et Hart prie pour elle. Dix minutes plus tard, elle ouvre la porte et semble sereine. Elle ne veut pas parler - «Un papier et un crayon», murmure-t-elle. Elle passa les dix minutes suivantes à rédiger ses pensées. Quand elle eut fini, elle me tendit les feuillets, me regarda droit dans les yeux et murmura a soft thank you. Puis elle me serra dans ses bras pour le dire adieu et partit. J’entendis la voiture descendre la rue. Alors je me lis à lire les feuillets qu’elle m’avait glissé dans les mains. Ça commençait par : «Hart, tu savais. Tu as toujours su.»

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             Beaucoup plus tard, Boyce & Hart vont repartir en tournée avec Micky Dolenz et Davy Jones. Ils demandent à Keith Allison de monter un backing-band pour partir en tournée. Ils enregistrent même un album. Paru en 1976, l’album sans titre de Dolenz Jones Boyce & Hart est très curieux, car il ne s’y passe pas grand-chose. On ne l’écoute que par curiosité. Et surtout parce qu’on prend Boyce & Hart très au sérieux. On est tout de suite agacé par la petite voix sucrée de Davy Jones sur «Right Now». L’ensemble des cuts de cet album s’ancre dans une petite pop très Monkiki. On se croirait chez Walt Disney. La seule pop song parfaite du balda n’est pas signée Boyce & Hart, mais Pomus/Shuman : «Teenager In Love». Fantastique atmosphère de Brill, baby, avec les chœurs d’ahooo. En B, Boyce & Hart sauvent les meubles avec «You Didn’t Feel That Way Last Night». Ils renouent enfin avec leur vieux filon. C’est excellent, dans la veine des early Monkees. On les voit ensuite repartir à la conquête des charts avec «I Remember The Feeling», une belle giclée de pop. 

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             On trouve un chapitre ‘Monkees’ dans l’autobio d’Harold Bronson, The Rhino Records Story: Revenge Of The Music Nerds. Rien de vraiment neuf dans ce chapitre, juste le point de vue d’un fan éclairé : «Les Monkees ont bénéficié de grandes compos, des bons producteurs, de temps de studio illimité et des meilleurs musiciens disponibles. Cet ensemble a donné de très bons disques qui n’ont rien perdu de leur intérêt quelques décennies plus tard.» Jeff Barry fut frappé par la voix de Micky Dolenz, pendant l’enregistrement d’«Im A Believer» : «Il chante d’une façon très différente des autres. Pour la plupart des chanteurs, les mots véhiculent les notes, mais comme Micky est un acteur, il ajoute une qualité dramatique au chant.» Bronson indique aussi que Peter Tork voulait jouer dans un groupe et tourner. Quand il a réalisé que ce ne serait pas possible avec les Monkees, il est parti. Il nous redit aussi ce qu’on savait de la générosité de Tork : les gens en ont abusé, Tork avait une maison de 14 pièces qui avait appartenu à la TV star Wally Cox. Quand Tork s’est retrouvé à sec, il a vendu sa maison à Stephen Stills. Les rapports entre les Monkees étaient assez complexes. Quand Bronson l’interviewe, Papa Nez rend hommage à Tork, à son intelligence et à ses qualités de musicien, mais il avoue en même temps ne pas l’aimer du tout. Il avoue dans la foulée ne pas aimer non plus sa mère et indique à Bronson que les Monkees ont enregistré 40 cuts qui ne sont jamais sortis. Ça ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd. Rhino va se hâter d’exhumer tout ça. Bronson revient aussi sur Head. L’histoire du projet l’amuse beaucoup, notamment le week-end enfumé à l’Ojai Valley Inn avec Jack Nicholson qui est invité à participer au brainstorm, un Nicholson qui dira après coup à Bob Rafelson : «Ces mecs sont dingues, ils se prennent pour Marlon Brando.» Le titre initial du film était Changes, mais comme un autre film titré Changes existait, ils ont opté pour Head, un mot de slang utilisé par les fumeurs de marijuana, qui est un shortcut de pothead. Le scénario est conçu comme un acid trip avec des effets de solarisation primitive sur certaines scènes. Bronson ajoute que des scènes sont inspirées de Body And Soul (boxing scenes) et de Lawrence d’Arabie (desert scenes). Tout le détail d’Head se trouve dans le book de Peter Mills. The Monkees, Head And The 60s, évoqué dans ‘C’est Parti Monkee Kee - Part Two’.

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             Avec son Hey Hey We’re The Monkees, Harold Bronson a frappé un grand coup. On peut même parler de coup de génie. Son Monkee book est un grand format richement illustré et plutôt que de nous rabâcher une fois de plus l’histoire des Monkees, il leur a donné la parole. Ce sont eux et d’autres témoins qui racontent leur histoire, c’est en quelque sorte une oral history, et dans les pattes d’Harold, ça prend une certaine allure. Les images sont soignées, les choix typo aussi, on a un texte très interligné géré par un type qui connaît toutes les ficelles de la mise en page et des gris typographiques. Chaque double flatte bien l’œil. Globalement, tu n’apprendras rien de plus que ce tu sais déjà sur les Monkees, mais c’est dit le plus souvent d’une manière différente. Davy Jones revient par exemple sur les origines du groupe lorsque Ward Sylvester et lui écumaient les clubs de Los Angeles à la recherche des futurs Monkees. Un soir, ils voient Sonny & Cher et les Byrds sur scène. Ils traversent la rue et voient Little Stevie Wonder. Puis ils voient Love et Davy Jones dit qu’il flashe sur le guitar player (Bryan MacLean), «a tall, good-looking blond guy we thought would be good for the show.» Quand ils voient the Modern Folk Quartet, ils pensent que Jerry Yester ferait aussi un bon candidat. Davy Jones avoue plus loin qu’il avait la trouille de Peter Tork : «Peter était dans un autre monde : water beds, riz complet, Hare Krishna. Il me foutait la trouille. Je ne voulais pas aller chez lui. J’avais peur de tomber dans une orgie ou un repaire de camés. J’étais encore très naïf à l’époque. Même Bobby Hart et Tommy Boyce me foutaient la trouille.» Bobby Hart rappelle qu’ils avaient composé Tommy et lui «Stepping Stone» pour Paul Revere & The Raiders, mais ils n’en voulurent pas - C’est la chanson la plus rock qu’on ait faite pour les Monkees. Ils finissaient leurs concerts avec. Quand c’est devenu un hit pour les Monkees, Paul Revere & The Raiders l’ont enregistré, ainsi que des tas d’autres groupes dans le pays. L’une des versions les plus dures fut celle des Sex Pistols dans les années soixante-dix - Micky Dolenz relate à sa façon la genèse du groupe : «Peter et Mike jouent très bien de la guitare et Davy était pressenti comme leader, avec des maracas et un tambourin. Alors je suis devenu le batteur. Je n’avais jamais joué de batterie. J’ai dit : ‘Fine !’ Dix ans auparavant, on m’avait dit : ‘Tu est un kid dans un cirque au début du siècle. Voilà ton éléphant !’. Ça ne me posait aucun problème.» Harold donne aussi la parole à Don Kirshner : «J’ai supervisé les deux premiers albums des Monkees qui ont tous les deux été numéros 1. La chanson que je préférais était ‘I’m A Believer’ parce que Neil Diamond voulait la garder pour lui et j’ai eu un mal fou à la lui arracher. Je pense que c’est la meilleure chanson qu’il ait écrite. C’est aussi ma chanson préférée car elle a catapulté les Monkees à un autre niveau. Chaque fille et chaque garçon d’Amérique voulait faire partie du Monkee phenomenon.» Eh oui, il a raison Donnie, on ne fait rien sans les chansons. Quand Michael Nesmith déclare la guerre d’indépendance, il obtient la tête de Kirshner. C’est ici, dans ce book, qu’on a enfin l’explication : les Monkees vont pleurer auprès de Bob Rafelson et Bert Schneider, leurs protecteurs, et comme le père de Bert est président de la Columbia, pouf, il obtient la tête de Donnie qui dégage - We want to get rid of Donnie Kirshner - Fatale erreur. Du coup, Hart & Boyce ont aussi dégagé. Peter Tork rappelle que la pression était insupportable - It is beyond the capacity of anybody to absorb. C’est une chose pour un banquier que de faire des milliers de dollars chaque année. C’en est une autre que de faire un million et demi de dollars en deux ans, après avoir vécu avec 50 dollars par semaine - Ce book fourmille de petits détails tous plus intéressants les uns que les autres. Comme par exemple cette amitié qu’a nouée Papa Nez avec John Lennon. Il a une façon très particulière de la raconter : «J’étais fan des Beatles. Quand je suis devenu une star de la télé, j’ai cru que j’allais pouvoir rencontrer facilement les gens que je voulais rencontrer. L’un d’eux était John Lennon. Je suis allé en Angleterre et je lui ai envoyé un télégramme qui disait : ‘Je suis descendu à cet hôtel et j’aimerais beaucoup vous rencontrer.’ Et j’ai signé : ‘God is Love. Mike Nesmith.’ À l’époque, c’était très radical d’employer l’expression ‘God is Love’. Il m’a appelé à l’hôtel et m’a dit qu’il m’envoyait une voiture. Il me proposait de m’héberger. Ce fut le commencement de cette relation d’amitié. Elle a duré longtemps. Quand j’allais à Londres, je l’appelais et quand il venait ici, il m’appelait.» Plus tard, quand Papa Nez évoque les concerts de reformation des Monkees, il se dit surpris de voir la réaction du public. Il ne comprend toujours pas pourquoi les gens deviennent fous - Vous allez voir les Eagles, ce groupe techniquement parfait, et les gens ne deviennent pas fous. Mais un concert des Monkees, c’est comme un concert du Grateful Dead, people go nutso. Je ne sais pas pourquoi. Mais c’est agréable d’être sur scène.    

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             Attention à l’album solo de Peter Tork paru en 1994, Stranger Things Have Happened. C’est un album raté. Non seulement le pauvre Peter n’a pas de voix, mais il s’englue dans une prod années 80. Il n’a aucune chance. Dommage, car la pochette est très graphique. On s’attendait à un album assez fin, mais c’est pire que tout. Il nous fait de la peine avec sa tentative de country rock («Giant Step»). Il réussit à chanter faux sur «Gettin’ In», et pourtant ça s’écoute jusqu’au bout, par respect pour le souvenir des Monkees. Il ramène son banjo dans «Higher & Higher». 

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             Si tu en pinces pour ce chanteur extraordinaire qu’est Micky Dolenz, alors il faut écouter son album de reprises de Carole King, King For A Day, paru en 2010. Dès «Don’t Bring Me Down», il claque la pop Soul de Carole par dessus les toits, d’ailleurs, il en fait un truc en plume et se débarrasse du pathos des Animals. Avec Carole King, on peut parler de big American songbook et pour un chanteur aussi génial que Micky Dolenz, c’est du gâtö. Et voilà «Hey Girl», composé par Goffin & King pour Freddie Scott. Dolenz s’y fond pour en faire un truc tentaculaire et ça devient génial quand il grimpe de douze octaves. Dolenz tape aussi une belle version d’«Up On The Roof», un hit des Drifters repris en France par Richard Anthony. Dolenz y danse des hanches sur fond d’espagnolades. «Take Good Care Of My Baby» est un vieux hit de Bobby Vee et Dolenz se glisse sous les jupes de cette fast petite pop, il est marrant, très candide, avec une belle voix de gorge. On le sent vénal. Il aime bien la vie. «Will You Love Me Tomorrow» fut un hit pour les Four Seasons mais aussi pour les Shirelles, aw yeah. Dolenz plonge dans la belle pop new-yorkaise, mais il en fait trop, il pourlèche la cuisse de Carole, ça tourne à la douche de Brill, avec des castagnettes. Par contre, il redevient génial avec «Sweet Seasons», un élégant heavy groove. Encore un vieux hit de Bobby Vee avec «Go Away Little Girl», on est plein Midnight Cowboy, ce démon de Dolenz cultive l’art suprême des vibes, il se rapproche de Fred Neil. Il duette avec Bill Medley sur «Just Once In My Life», il se prend pour Bobby Hatfield, ils sont complètement fous tous les deux de s’attaquer à ça ! Bill Medley prend la main. The voice ! Si tu en pinces pour la grande pop, elle est là. Bill Medley sonne exactement comme un géant qui s’écroule dans le lagon d’argent.  

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             En 2017, Micky Dolenz sort un album live, Out Of Nowhere. Il y reprend tous ses vieux hits et la fête commence avec «Last Train To Clarksville» - But tonite we are here to have a ball - Fantastique bash boom de Boyce & Hart avec tout le power de Micky Dolenz - I’ll meet you at the station/ Aw no no no - Encore une fois, Dolenz fait partie des plus grands shouters de son temps. Il calme aussitôt le jeu avec une reprise du «Sometime In The Morning» de Carole King - One of the best songwriters we ever had - Merveilleux chanteur, on se fait avoir. Dolenz aime la beauté, c’est pour ça qu’on l’aime. Il enchaîne avec «DW Washburn» - Leiber & Stoller, this is one by them - Dolenz est un génie de l’entertainment. Il passe toujours en force. Et la folie reprend avec «A Little Bit Me A Little Bit You» - from Mister Neil Diamond, dit-il - C’est du groove de Monkee-motion, ses bits volent partout, il nous ramène dans la légende et il enfonce son clou avec «(I’m Not Your) Stepping Stone». Il tape aussi dans l’«Hey Bulldog» des Beatles en mode instro d’anticipation et enchaîne avec un «Porpoise Song» encore plus beatlemaniaque que la beatlemania, Dolenz essaye d’émuler l’émulable. Il passe au round midnite avec «Since I Fell For You», il plonge dans the slow magic et chante comme un dieu. Il termine le set avec la triplette de Belleville : «Daydream Believer», «Pleasant Valley Sunday» et «I’m A Believer». Il fonce dans le fondement des Monkees et on sent tout le pouvoir de la nostagie. Le «Pleasant Valley Sunday» est explosif, on est là au somment de la pop de Brill et Dolenz la magnifie, il pose sa voix sur le sommet du lard et termine avec le groove parfait du Believer, Dolenz s’amuse bien avec le saw her face, c’est  l’un des hits définitifs des sixties, le then I saw her face marche à tous les coups.   

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             On attendait monts et merveilles de ce Dolenz Sings Nesmith paru l’an passé. Dans une courte présentation, Micky Dolenz indique que l’album est produit par le fils de Papa Nez, Christian Nesmith. On a dit dans un récent ‘C’est parti Monkee Kee - Part Two’ tout le bien qu’on pensait des chansons de Papa Nez et tout le bien qu’on pensait de la voix de Micky Dolenz, et par conséquent, l’association des deux ne pouvait que taper dans le mille. Ce n’est hélas pas le cas. On sauve toutefois trois merveilles de cet album en forme d’occasion manquée, à commencer par «Different Drum». Dolenz ne pouvait pas se planter avec ça, d’autant qu’il y ramène toute sa puissance vocale. «Different Drum», c’est la pop californienne à son meilleur niveau et là, Dolenz atteint le sommet. L’autre merveille, c’est «Tomorrow And Me», la mélodie ne tient qu’à un fil, comme souvent chez Papa Nez. On pourrait d’ailleurs qualifier son génie composital ainsi. Oh-ooooh, ça tombe et ça se relève pour s’envoler. Avec «Only Bound», on se croirait sur Revolver. Dolenz sonne comme les Beatles à Abbey Road en 1966. Une splendeur noyée d’excellence. Dolenz reste un chanteur considérable. On a aussi une belle version de «Little Red Rider», bien pulsée et jouée en force, un «Circle Sky» qui hélas retombe à plat alors que Papa Nez le chantait si bien dans Head. Dolenz tape aussi une version de «Propinquity (I’ve Just Begun To Care)» allumée à coups de banjos et la version du «Grand Ennui» qui referme la marche retombe elle aussi à plat, alors que Papa Nez en faisait un chef d’œuvre sur Nevada Fighter, avec The First National Band.        

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             Impossible de faire l’impasse sur The Songs Of Tommy Boyce & Bobby Hart, une compile Ace parue en 2012. Boyce & Hart font partie à 100 % du mythe des Monkees et cette compile grouille de coups de génie, à commencer avec Sir Raleigh & The Cupons et «Tomorrow’s Gonna Be Another Day». Tu as un mec qui chante comme un dieu et derrière ça gratte à la légendarité cavaleuse, alors ça donne du straight raw punk. Le dieu s’appelle Dewey Martin, batteur/chanteur qu’on va ensuite retrouver dans Buffalo Springfield, et la gratte de la légendarité cavaleuse est celle de Johnny Meeks, alors pardonnez du peu. Sir Raleigh & The Cupons n’ont enregistré que six singles, pas d’album. Encore une révélation avec The Regents et «Words», une belle pop américaine explosée aux harmonies vocales, et rendue vertigineuse par des descentes de break superbes. Nouveau coup de Jarnac avec The Sapphires et «Thank You For Loving Me», vieux shoot de doo-wop avec une Soul Sister à la barre, c’est le swing du paradis. Coup de génie bien sûr avec l’imparable «(Theme From) The Monkees» - Hey hey hey we’re the Monkees - Boyce & Hart ne sont pas en reste, comme le montre leur «I Wonder What She’s Doing Tonight», une vraie explosion de pop qui date de 1967, enregistrée juste après leur éviction du projet Monkee Kee. Nouvelle révélation avec le «Action Action Action» de Keith Allison, encore de l’explosif monté aux gémonies, avec du killer solo flash derrière, l’absolute pop-punk d’Amérique. Keith Allison allait ensuite rejoindre Paul Revere & The Raiders. On trouve aussi une version assez délirante d’«(I’m Not Your) Stepping Stone» par The Flies. C’est là où Ace frappe fort, en allant déterrer de telles merveilles. C’est le pire Stepping Stone de tous les temps. On croise aussi les Standells qui explosent vite fait «Last Train To Clarksville» et les Ikettes qui ne font qu’une bouchée d’«(He’s Gonna Be) Fine Fine Fine». Ça s’agite bien autour de Del Shannon sur «She», de toute façon, avec Del, c’est toujours énorme. Shangri-Las, pas de problème, il pleut du Brill avec «The Dum Dyum Ditty» et Sandra Gee fout le souk dans la médina avec «I Can’t Get Him», elle est fantastique de sucre, no no no, il faut voir comme elle y va ! Et voilà les merveilleux Little Anthony & The Imperials, avec «Hurt So Bad», il est à la fois impérieux et sucré, fantastique shouter ! Plus loin tu as Fats Domino qui embarque «Be My Guest» à la volée et bien sûr Paul Revere & The Raiders qui attaquent «Action» comme les Beach Boys le feraient, au dance dance dance

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             Pour couronner le tout, on peut aller faire au tour au Troubadour et assister à l’un des derniers sets du grand Papa Nez. L’album s’appelle donc Live At The Troubadour. Comme c’est enregistré en 2018, Papa Nez a 76 balais. Pas de problème ! Dès «Nevada Fighter», il nous embarque dans sa rockalama de flavour country. Pete Finney joue la pedal steel. On est surpris par le power de ce First National Band reconstitué pour l’occasion. Tout est chanté à la clameur des chœurs juvéniles et fileté à la steel. «The Crippled Lion» sonne comme un soft country rock fantastiquement élancé et il boucle cette bien belle A avec «Joanne», une Beautiful Song d’office. Ah il faut le voir lâcher ses syllabes dans l’écrin rouge de son génie. Ce double live est l’occasion d’écouter une dernière fois toutes ces chansons extraordinairement bien foutues. Papa Nez est un géant du rock américain, mais en toute modestie. Il ne s’impose que par la qualité d’une vision et des compos qui la servent. Et voilà qu’arrive «Rio», fantastique shoot d’exotica, ça devient puissamment beau, comme le «Brazil» d’Antonio Carlos Jobim, avec en prime un solo de steel en pleine exotica, il faut le faire ! C’est en C qu’on va retrouver l’imparable «Different Drum» et sa fantastique attaque. Papa Nez va chercher sa mélodie très haut, d’une voix de vieil homme émerveillé par la beauté du ciel. On entend encore des descentes d’acou magiques dans «Papa Gene’s Blues». La salle chante avec lui. Puis loin il part en délire de yodell avec «Keys To The Car». Il y va comme une folle, comme a known felon in drags, dirait Dickinson. C’est en D que les Athéniens s’atteignirent avec «Some Of Shelly’s Blues», balladif céleste. Papa Nez est un démon, un très vieux démon. Et puis l’apothéose arrive avec «Thanx For The Ride». La pureté de cette expression mélodique n’a d’égale que celle de Fred Neil. Papa Nez descend profondément dans des accents à la Gary Brooker et avec le fourvoiement de la steel, ça donne un résultat saisissant, bien appuyé au beurre de Different Drum. Aw quel artiste ! Avec cette échappée belle, Papa Nez entre dans la postérité. Il rejoint ses pairs au firmament, Brian Wislon, John Lennnon et Fred Neil. 

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             Pour terminer en beauté avec Papa Nez, voici Cosmic Partners. Paru en 2019, cet album de Michael Nesmith With Red Rhodes fut enregistré en 1973. Ce sont les fameuses McCabe’s Tapes. Dès «Tomorrow And Me», on est plongé dans un son plein et primitif. Nous voilà en plein heavy Papa Nez, autant dire que c’est fabuleux. Sa mélodie country monte directement au cerveau et il chante ça au vibré de glotte. Pur genius. Tous les cuts sont chargés de son, violons et guitares et toute l’Americana chère au cœur de Papa Nez le héros. Plus loin, ils va chercher la mélodie extrême avec «Some Of Shelly’s Blues». On grimpe directement au paradis, Papa Nez et Fred Neil même combat ! Il n’existe rien de plus parfait que ce son avec Red Rhodes dans les parages. Ils sont accompagnés par Colin Cameron (bass) et Danny Lane (beurre). Papa Nez fait bien rigoler le public avec ses blagues. Il fait de la heavy Mexicana avec «Poinciana» qu’il charge de toute la passion des fruits de sa passion et bien sûr, la dominante reste country. Mais quelle effervescence ! C’est avec «Joanne» qu’il rafle la mise, une country song illuminée de l’intérieur. Il la remonte à contre-courant et ça devient énorme, il taille Joanne à sa mesure qui est celle de la cosmic Americana, il fait de la Soul country-pop de rêve. Il la chante avec du cœur au ventre, «Joanne» est sans doute l’une des plus belles chansons du genre. 

    Signé : Cazengler et monkee, c’est du poulet ?

    Keith Allison. In Action. Columbia 1967

    Boyce & Hart. Test Patterns. A&M Records 1967

    Boyce & Hart. I Wonder What She’s Doing Tonite. A&M Records 1968 

    Boyce & Hart. It’s All Happening On The Inside. A&M Records 1968

    Dolenz Jones Boyce & Hart. Dolenz Jones Boyce & Hart. Capitol 1976 

    Peter Tork. Stranger Things Have Happened. Beachwood Records 1994 

    Micky Dolenz. King For A Day. Gigatone Records 2010  

    Micky Dolenz. Out Of Nowhere. 7A Records 2017 

    Micky Dolenz. Dolenz Sings Nesmith. 7A Records 2021 

    The Songs Of Tommy Boyce & Bobby Hart. Ace Records 2012

    Michael Nesmith. Live At The Troubadour. 7A Records 2018

    Michael Nesmith With Red Rhodes. Cosmic Partners. 7A Records 2019

    Harold Bronson. Hey Hey We’re The Monkees. General Publishing Group 1996 

    Harold Bronson. The Rhino Records Story: Revenge Of The Music Nerds. Select Books Inc 2013 

    Bobby Hart. Psychedelic Bubble Gum. Select Books Inc 2015

     

     

    L’avenir du rock - Faut pas louper Loop

     

             Rien n’amuse plus l’avenir du rock que de voir un diable sortir de sa boîte. Il soulève le couvercle, le diable surgit ! Schbooiiiiinng ! Alors l’avenir du rock pouffe de rire. Un vrai gamin. Il renfloue le diable au fond de la boîte, referme le couvercle, respire un grand coup et l’ouvre à nouveau. Schbooiiiiinng ! Heureusement, personne n’assiste à ce spectacle désolant. Schbooiiiiinng ! Ha ha ha ! Ça peut durer toute la journée. Schbooiiiiinng ! Ha ha ha ! Il est complètement taré ! Taré ? Montrons-nous très prudents avec les jugements à l’emporte-pièce, car c’est la meilleure façon de se vautrer systématiquement. Réfléchissons cinq minutes. Son éclat de rire n’est pas celui d’un beauf qui regarde une émission comique le samedi soir à la télé. Son ha ha ha est un ha ha ha mythologique. Pourquoi ? Parce que l’avenir du rock se prend de toute évidence pour Pandore. Il ouvre sa boîte, comme Pandore ouvrit sa jarre, non pour libérer tous les maux de la terre - la guerre, la vieillesse, la maladie, la famine, la folie, le vice et la passion - mais pour libérer les bienfaits du rock, qui, comme chacun sait, sont patronnés par le diable. Schbooiiiiinng ! L’avenir du rock est l’un des derniers à veiller sur le bien-être du genre humain, il tente même au passage d’absoudre cette pauvre Pandore qui fut critiquée pendant des siècles, c’est dire à quel point l’avenir du rock sait se montrer magnanime. Schbooiiiiinng ! Et si on lui accorde encore un peu d’attention, on fera un autre constat intéressant. Son schbooiiiiinng ! est à double détente : la première, comme on l’a vu, renvoie au diable qui gouverne ce monde, et la deuxième symbolise le retour inopiné des grands disparus. Schbooiiiiinng ! Ils surgissent du passé comme des diables hors d’une boîte alors que personne ne les attendait plus ! Illustrons cette théorie bondissante avec Loop.

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             Loop fut l’un des grands power trios de l’ère quaternaire du rock anglais. À la fin des années quatre-vingt, ils ramenaient du vertige sonique dans un rock anglais mal en point et infesté de machines. Avec Spacemen 3 et les Mary Chain, Loop entra en lice pour sauver l’honneur du rock anglais. D’où notre reconnaissance éternelle.

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             Shindig! déroule le tapis rouge à Robert Hampson pour saluer la parution d’un looping sonique, Sonancy. Ben Graham chapôte son texte à coups d’heavy-drone psych Loop et de first new album in 32 years. Hampson attaque avec la politique, il dit sa rage de voir l’Angleterre sombrer dans le n’importe quoi, «and that buffoon that we got in power now.» Il craint aussi que les choses ne se dégradent - I dunno if it’s gonna get any better. I’m not sure - Il évoque les romans de science-fiction qui deviennent réalité - I don’t have a very positive view of what’s going on at the moment - Graham qui connaît bien ses classiques situe Loop dans la heavy psychedelia, «fusing the motorik pulse of Can to the feedback-flecked nihilism of White Light White heat-era Velvet Underground and Hawkwind’s urban space-rock, adding a dash of the Stooges and MC5’s Detroit drive.» Bien vu Graham ! Hampson a remonté Loop une première fois en 2013 pour All Tomorrow’s Parties, puis il vient de remonter le groupe avec trois nouvelles recrues : Hugo Morgan (bass) et Wayne Maskell (beurre), deux membres de The Head, et un second guitariste, Dan Boyd. Hampson ajoute un détail capital : à cause du lockdown et de fucking Pandemic, l’album est enregistré en télétravail, chacun dans son petit coin. Hampson affirme qu’ils ont réussi à retourner la situation à leur avantage : pas de stress, chacun prend son temps et complète sa petite pi-piste. Hampson va encore plus loin en affirmant que chacun trouve plus facilement sa petite pla-place within the tra-track. Hampson cite le 154 de Wire comme modèle - I love Wire. They’re one of my favourite bands ever.     

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             Ah quel incroyable album que ce Sonancy ! Les Loop n’ont pas baissé d’un seul iota. Ils ramènent cette fois un son plus sec, plus wired. Robert Hampson charge bien la barque d’«Eolina». il fait passer sa psychedelia saturée de son par de nouvelles fourches caudines. Ce mec n’a pas de voix, mais il se débrouille comme un cake pour créer des climats. Il joue en mode traîne-savate aggravé dans «Isochrone», mais il ne le fait pas à moitié, c’est de la vraie savate. Puis il se met en rogne avec un «Halo» d’une vigueur insoupçonnable, joué clair et net dans les règles du ring de l’hypno. C’est là où le niveau de l’album monte d’un cran. Le beurre et le bassmatic exacerbé installent une belle tension hypnotique dans «Fermion». Ces mecs règnent sans partage sur leur petit empire, l’un des derniers empires britanniques. Il faut saluer l’excellence de Robert Hampson. Il maintient son cap droit sur le far out-so far out. On entend les power chords rebondir dans «Axion», encore un cut solide et imparable. Aw my Gawd, ce mec a le power. Il chante derrière les power chords comme si de rien n’était. La disto fait son retour en force dans «Aurora», il descend le son à la cisaille de la ferraille, ce sont les mêmes grooves qu’avant, mais avec un son révolutionnaire. Robert Hampson a du génie, mais à un point que tu n’imagines pas. Il recrée la fusion de l’atome sur sa guitare, alors forcément ça te perfore la cervelle, il rebondit mollement dans le son, il est là pour te rappeler à tes devoirs, notamment celui de tripper. Tu as tout, la cisaille et la furie. Fucking genius !

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             Leur premier album s’appelait Heaven’s End. Paru 1987, il fut salué par un bec fin dans le NME et donc rapatrié vite fait. Ah il ne fallait pas louper Loop ! La première chose qu’on remarquait était la dédicace : «Dedicated to Arthur Lee & Stanley Kubrick.» Et boom ça démarrait avec «Soundhead», une big sonic attack, un vrai déluge de feu orchestré par de violentes crises de wah, un excelsior léché par les flammes et pulsé par un beat têtu comme une mule berbère. Ils semblaient vouloir se spécialiser dans les plongées vertigineuses. Bienvenue au cœur de la mad psyché ! Avec «Forever», on voyait accourir tous les poncifs au rendez-vous, notamment les dissonances de «The Black Angel’s Death Song». Welcome in paradise ! Indépendamment du Velvet, leur fonds de commerce restait la mad psyshé, avec ce morceau titre en fin de B qui sonnait comme un bouillon de culture, un vrai chaudron de sorcière, et ce beat organique semblait chargé de toutes les vieilles insanités du Velvet, mais démultipliées. Ça repartait de plus belle avec «Too Real To Feel», avec des nappes voraces qui se jetaient sur la moindre particule d’espace et de temps pour la contaminer, la tuméfier puis l’engloutir. Loop était un trio atrocement cruel. Tous ces cuts étaient comme visités par des vents terribles de wah du Nord. Ils adressaient «Head On» aux bons soins d’un heavy doom et injuriaient une fois de plus les lois de la gravité. Ces gens-là n’en finissaient plus d’envenimer l’espace sonore. Ils terminaient cet album stupéfiant avec un nouveau clin d’œil appuyé au Veleet, «Carry Me», tellement inspiré qu’il dépassait l’entendement. Ils brûlaient toutes les étapes de la décompression et nous asservissaient le cervelet.

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             Une Loop Box japonaise parue en 1991 nous resservait Heaven’s End et proposait un autre album, The World In Your Eyes. Et une belle stoogerie pour commencer, l’implacable «16 Dreams» monté sur les accords d’un «No Fun» de caisse crevée et battu à la petite vérole. On retrouve à la suite le fameux «Head On» d’Heaven’s Head, claqué all over. Leur ténacité est historique. Quant à «Burning World», il s’agit plutôt d’un cut assez profond, au sens de la plongée. Here they go, les gogos. Comme les grosses caravanes, ça se meut lentement. Avec «Rocket USA», on a la cover la plus weird de l’histoire des covers. Ils entrent de plein fouet dans le Suicide. S’ils font du Suicide, c’est pour de vrai. Avec un son assez antique, il y a de la sourdine Salammbô dans l’air. Mais c’est bô. Leur «Spinning» est garanti sur facture, et «Deep Hit» nous ramène dans les bras du Velvet, avec exactement le même sens de la modernité funèbre. Le son est compressé dans la disto avec des effets de réverb poussées au max de la menace, comme dans le Death Song de l’Angel. Ils font aussi du Mary Chain avec «I’ll Take You There», on ne leur en demandait pas tant. En fait, les Loop retapissent tout le spectre de la légendarité infectueuse. Puis ils se réfugient dans leur forteresse de son avec «Burning Prisma». C’est amené par un beau thème de basse et vite rudoyé par la disto royale de Moloch Loop, grand destructeur de tympans devant l’éternel. Ces mecs connaissent l’art de dériver au long cours. C’est bien de pouvoir les suivre jusqu’à l’endroit où le ciel rejoint la mer. Ils font passer leur drive de mad psyché pour de l’éternité, alors on s’incline. Et toute cette belle débauche s’achève avec un «Pinning (Spun Out)» bien déterminé à vaincre. Chez eux, c’est une manie. On retrouve les trois notes de Will Carruthers dans la fournaise, ce joli riff de basse glissé dans l’excelsior du burnout. C’est terriblement loopy, ils cultivent la magnificence du disto-trip métronomique, l’amateur de real deal se retrouve au paradis, le thème de basse cogne bien dans le crâne, on se croit même sous acide quand on écoute ça, here we go down the line. Des langues de wah te lèchent les jambes alors que l’hypno t’emporte au pays des mille soleils. Dig ?

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             Et si Fade Out était l’un des grands albums classiques du rock anglais ? On se pose la question dès «Black Sun» car voilà le son d’un groupe qui est dans son son, my son. Un bon son. On les félicite. Bravo, bien joué les gars ! «Black Sun» est la porte ouverte à tous les excès, surtout ceux du heavy sound. Ils te pulsent ça dans les couches supérieures de la législature du heavy power. Pas de pire drug-song que «Black Sun». Ça dégueule de drogues. Deux coups de génie tiennent l’album en sandwich : «This Is Where You End» et «Got To Get It Over». On pourrait qualifier le premier de fabuleux shake d’all over, car les Loop jouent dans le lard fumant de la matière. N’oublions pas que nous sommes au royaume de la mad psyché et que toutes les audaces sont permises. Les solos entrent comme des éléphants dans un jeu de quille. Qu’y a-t-il de plus puissant ici bas ? Rien. Encore plus de son dans «Got To Get It Over», car cette fois ils jouent à la vie à la mort, c’est-à-dire au riffing maximaliste. Robert Hampson emmène son groupe en enfer, c’est exactement ce qui se déroule sous nos yeux. L’autre monster bash s’appelle «Pulse», ça réverbe dans tous les coins. «Pulse», c’est une forteresse assiégée par de violentes guitares. Une fois l’assaut lancé, les guitares se disputent la dépouille du Pulse, c’est un horrible spectacle, on ne peut pas aller plus loin dans l’expression de la violence sonique, Loop y va les deux pieds devant et les doigts dans le nez. «Fever Knife» est mille fois supérieur à tout ce qu’a pu faire Primal Scream. Tout fond dans la marmite, c’est très spectaculaire, ils ont une notion exacte du power de la mad psyché, ils sonnent comme une armée de barbares pouilleux qui descend vers Rome, ils sont glorieux et rien ne peut les arrêter. Alors tu te consumes de passion pour Loop. On voit Robert Hampson dégommer «Torched» vite fait. Il est bien plus puissant que Randy Holden. On avait encore jamais entendu une guitare aussi agressive et au fond du fond, on entend les accords des Stooges, alors ça donne un cut encore une fois hors du commun, c’est un son qui perce les blindages et ça revient par vagues de killer solos flash. Les ceusses qui ont eu la bonne idée de rapatrier la réédition Reactor en 2008 peuvent prolonger le plaisir avec un deuxième CD bourré de retakes, notamment celle de «Black Sun» joué en feedback pur. Ah la rigolade ! Ça joue dans les cordes. Ils attaquent une autre version de «Torched» à la note de béquille et basculent dans la pire des Stoogeries. On voit même les accords des Stooges remonter à la surface de la soupe aux choux. C’est véritablement hanté. Peu de gens savent jouer comme ça en Angleterre. On entend le riffing du diable dans «Got To Get It Over» et «This Is Where You End» s’embrase dès l’intro. Ils jouent «Pulse» chez John Peel. Tout est gravé dans la matière du lard de la manière, tout est ravagé de lèpres de réverb. On reste en Peel Session avec «This Is Where You End», encore une toison d’or de mad psyché. Tu bois la wah dans le crâne de ton ennemi. La tension est maximale. Ils attaquent «Collision» au maximum overdrive. C’est exactement ça, collision time, la clameur est comme éclairée par les coups de wah, ils joue à la moule frite du moule frais, c’est du pur dream come true. Ces mecs s’écroulent sur leurs pédales. Ça réverberate dans tous les coins. Personne ne sort indemne d’un tel trip.  

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             Leur troisième album s’appelle A Gilded Eternity. Il date de 1989. Robert Hampson continue d’y jouer avec le feu, c’est-à-dire la grande insistance psychédélique, mais il opte pour le punch, comme si Syd Barrett au lieu de se goinfrer d’acide s’était goinfré d’amphétamines. Hampson sort ce son anglais, tellement anglais qu’il semble s’inscrire dans les plis de la peau de la reine d’Angleterre. Il charge à outrance son «Afterglow» de cisaille, il cultive le petit chaos, celui qu’on met en cage, oh il cherche même à saper le moral de la cisaille, il taillade comme Laurent Tailhade, non pas les Imbéciles & Gredins, mais les layers de la mad psychedelia. Et c’est avec «The Nail Will Burn» qu’il entre sur le rocky road, Hampson contient sa colère, on le sent tendu, incapable de pacifier ses instincts, il s’exacerbe à vue d’œil. Il joue âprement et sans remords, et chante d’une voix de mec inconsistant. Ah on peut dire que les nappes sont belles, on voit déferler des nappes de wah monstrueuses. Ça bascule dans la stoogerie car les nappes de wah renvoient directement à celles de Ron Asheton. C’est une wah qui est là pour te détruire et te faire renaître. «The Nail Will Burn» est un cut chaud et rouge. Loop joue «Blood» dans l’incertitude de la drug elevation, un thème te revient vaguement à l’esprit alors que tu titubes vers la lumière, c’est du pur jus de far-out-so-far-out, tu as les échos, tu les connais, tu tends vaguement l’oreille vers ces rappels déconnectés et tu trouves que le ciel est ce soir d’une couleur étrange. Oh et puis ce silence dans la rue ! Avec «Breathe Into Me», les Loop des steppes passent à la wild exaction parégorique, les guitares dansent le jerk au bar de la plage, Hampson chante en dansant d’un pied sur l’autre, il sème le souk dans l’auberge espagnole, un âne amène du son et se roule dans la farine avec les Mary Chain. Oui, on voit tout ça dans «Breathe Into Me». Et la wah vient vite te moucher.

     

             On fait une bonne opération lorsqu’on rapatrie les rééditions Reactor, car sur le disk 2 se trouvent toutes les Peel Sessions de Loop. Ici, on a trois cuts de Guilded Eternity, «Afterglow», «From Centrer To Wave» et un «Sunburst» qui n’est pas sur l’album. Comme toujours, le son des Peel Sessions est supérieur au son de l’album. Loop joue l’«Afterglow» à la cisaille d’investigate, ils produisent les plus puissantes émanations d’hématomes. Ils travaillent ensuite la texture rugueuse de «From Centre To Wave» en grattant une gale de son à l’ongle noir, les bactéries soniques prolifèrent, l’organisme microbien finit par te manger la cervelle, mais tu pourras te consoler si tu estimes qu’au fond ta cervelle ne te sert pas à grand-chose. Et puis voilà «Sunburst» qui coule sous nos yeux, car les moules ont bouffé la coque, phénomène classique. On trouve une autre session à la suite, the House in the woods session avec «Arc-Lite» (plus alerte et même émancipé), «Breath Into Me» (Hommage aux Mary Chain avec l’écho des cavernes), «Vapour» (nouvelle prétention à la stoogerie) et «The Nail Will Burn» qui comme déjà dit, fait son chemin dans les esprits en brûlant tout sur son passage.

                       Signé : Cazengler, loupé

    Loop. Heaven’s End. Head 1987

    Loop. Fade Out. Chapter 22 1988

    Loop. A Gilded Eternity. Situation Two 1989

    Loop. Sonancy. Cooking Vinyl 2022

    Loop. Box. Alfa International 1991

    Ben Graham : Anger is an energy. Shindig! # 125 - March 2022

      

    Inside the goldmine - No shame for Sam the Sham

     

             Curieusement, son père l’avait appelé Sam. Il voulait un faire-part de naissance représentant le cosmonaute Sam dans l’espace, relié au vaisseau par un cordon ombilical. Sam était donc prédestiné à être largué, comme nous tous, d’ailleurs. Les parents n’étaient pas un modèle d’équilibre. Le père cultivait son goût pour le trash en buvant comme un trou, et la mère, en plus d’être la reine des connes, bossait à la DRH de la Poste, dans une direction régionale. Et elle fit ce que font toutes les reines des connes, elle obtint la garde de Sam et se délocalisa aussi sec, laissant le père privé de Sam flotter dans un bain d’alcool, pour reprendre une expression chère à Marguerite Duras. Le père revit Sam quelques années plus tard, sur une plage à Marseille où il obtint l’autorisation de le voir pendant une heure, mais sous haute surveillance. Il offrit à Sam une petite moto qui ressemblait à un jouet mais qui en fait était équipée d’un vrai moteur, il montra à Sam comment passer les vitesses et mettre les gaz, et Sam disparût dans une pétarade extraordinaire, roulant sur des gonzesses qui se faisaient bronzer. Les deux cerbères du service social se lancèrent à sa poursuite, pendant que le père, ivre d’alcool et pris de fou rire s’écroulait dans le sable. Sam échappa à ses poursuivants et disparut dans l’espace. Planet Earth is blue/ And there’s nothing I can do. Le père fut inquiété, mais lorsqu’il brisa une vitrine d’un coup de poing, se blessant gravement, on le laissa enfin tranquille. Les années passèrent. Le père fit ce que chacun fait dans ces cas-là : il refondit une famille. Nous étions donc restés en contact et nous donnions de nos nouvelles respectives de loin en loin. Bien sûr, le sujet de Sam était tabou, mais le père lâchait ici et là quelques infos qui devaient rester secrètes. Sam voyageait dans l’espace et cultivait un goût certain pour la clandestinité et la violence. Il fit en fait ce que son père avait rêvé de faire toute sa vie, aller risquer sa peau dans les zones de conflit. Ce soir-là, le père me dit d’une voix chantante que Sam venait enfin d’arriver à la frontière syrienne.

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             Un autre Sam hante les mémoires, Sam Samudio, plus connu sous le nom de Sam The Sham. Il fut l’un des premiers à défrayer la chronique du Memphis beat en roulant dans un corbillard entouré de musiciens coiffés de turbans. Grâce à Stan Kesler, Sam fit des étincelles et «Wooly Bully» fut un hit planétaire en 1965.

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    Le premier album de Sam The Sham & The Pharaos s’appelle aussi Wooly Bully et date de la même année. Si on cherche le Memphis Beat, il est là, dès l’effarant morceau titre d’ouverture de balda. Au dos, le linerman écrit : «He went to convert unbelievers to the Soul-stirring mysteries of his concept of the Memphis sound.» «The Memphis Beat» est comme son nom l’indique en plein dans le mille. Avec «Every Woman I Know», Sam the crack nous fait un groove de cry ‘bout an automobile. Il attaque sa B avec une reprise du «Shotgun» de Junior Walker, les Pharaohs en ont les moyens. Leur «Sorry ‘Bout That» est le précurseur du «Roxette» de Dr Feelgood, ce sont exactement les mêmes accords. Sam the Crack tape aussi dans Johnny Guitar Watson avec «Gangster Of Love», il prend ça au hip black slang avec l’accent des bas-fonds de Watts. Puis ça bascule dans le Tex-Mex avec «Mary Lee», tout est parfait sur cet album, même la cover de «Long Tall Sally» et son killer solo flash. Sam boucle la bouche en cœur avec «Juimonos», un chef-d’œuvre de Tex-Mex flavor.  

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             On trouve encore de belles bricoles sur Their Second Album paru en 1965, comme par exemple une cover fantastique du «Love Potion # 9» des Coasters. Ce fantastique interprète qu’est Sam conduit Leiber & Stoller au firmament des covers. Autre coup de Trafalgar : «Cause I Love You», pur jus de Memphis gaga à gogo. Ces mecs étaient tellement en place ! Et Stan Kesler les produisait aux petits oignons. On reste dans le pumping d’orgue pour «Medecine Man» et on danse à la danceteria. Ils font aussi en ouverture de bal de B une solide cover de «Got My Mojo Working» et rendent pour finir un bel hommage à Bo avec «I’m Your Hoochie Coochie Man». Sam chante ça à l’accent mal famé - Everybody knows that man - Sam a tout, le black cat bone et le mojo too.

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             Changement de ton avec The Sam The Sham Revue paru l’année suivante. Sam est bien gentil, il met les photos des gens qui l’accompagnent au dos de la pochette, sans indiquer leurs noms. On craque très vite pour ce «Struttin’» embarqué au bass sound de Stan Kesler. Son qu’on retrouve dans «Leave My Kitten Alone». Fantastique présence des notes rondes, on comprend mieux d’où vient la passion des basses de Jim Dickinson. Sur cet album, Sam est accompagné de trois choristes blanches et de quatre musiciens. C’est ce que les Américains appellent une Revue. Sur «My Day’s Gonna Come», il chante avec de faux accents de Dr John. Mais les cuts frisent ensuite le comedy act («The Cockfight», «Let It Eat»). Sam bascule ensuite dans le ridicule avec une petite pop commerciale («Love Me Like Before») et on donc perd le Memphis Beat.

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             Tous les albums de Sam The Sham & The Pharaos sont produits par Stan Kesler. On revient au cœur du Memphis Beat avec On Tour. Ils attaquent d’ailleurs avec une cover du «Red Hot» de Billy Lee Riley, c’est l’endroit précis où le rockab se transforme en wild gaga. Ils récidivent en B avec «Ring Dang Doo», joué au heavy Memphis beat. Tout l’album baigne dans la qualité, Sam va plus sur le Tex-Mex avec «Save The Last Dance For Me» et revient au gaga avec «Let’s Talk It Over». Encore une merveille d’art local avec cette cover de «Mystery Train». Sam pousse bien le bouchon du train train. C’est même très puissant. Ils finissent avec «Uncle Willie», un fantastique shoot de gaga punk. Ces mecs sont des convaincus, ils taillent leur son dans le Memphis Beat des origines.

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             Sur Li’l Red Riding Hood, on trouve une fantastique cover d’«Hanky Panky» - My baby does the hanky panky - Ils tapent ça au gros popotin de Memphis. Ah la verdeur de ce beat ! Avec «Deputy Dog», on voit le bassmatic remonter à la surface du mix. Sam a du pot d’avoir Stan au mix. Max de bass ! On retrouve ce beat phénoménal dans «Green’ich Grendel» et une fuzz vient cueillir «Sweet Talk» au menton. Stan met le beat en devanture et le raw de Sam n’en est que plus raw. Ils font une belle resucée de Wooly Bully en B avec «Pharoah A Go Go», et voilà le travail.

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             En 1967, Sam enregistre son premier album solo, Ten Of Pencacles. On s’y régale d’une reprise de «Stand By Me». Sam en fait une version tendue, jouée au Memphis Beat. Il reste l’admirable interprète que l’on sait. Il fait un peu son Dylan avec «I Passed It By», c’est bien foutu, il chante à la pince à linge et il boucle son balda avec un «It’s So Strange» monté sur un groove de basse à la «Tighten Up» d’Archie Bell & the Drells. C’est encore une fois bien foutu et battu si sec que ça vire fast boogie rock de Memphis. Stan Kesler signe toujours la prod et il monte la basse au devant du mix du fabuleux «Stagger Lee» qui ouvre le bal de la B. Sam revient à son cher Tex-Mex Sound avec «If You Try To Take My Baby». Il chante à l’accent tranchant et derrière, on croit entendre Augie Meyers. 

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             Le meilleur album de Sam est sans doute celui qu’il a enregistré sous son propre nom, Sam Samudio, accompagné par Jim Dickinson et les Dixie Flyers. Album énorme que ce Sam Hard And Heavy sorti sur Atlantic en 1971. Le coup de génie de l’album s’appelle «I Know It’s Too Late/Starchild», un long jamming au cours duquel les Dixie font feu de tout bois. On sent les surdoués de Memphis. Ils jouent à la folie Méricourt, au shuffle urbain ponctué de cuivres, et ça se transforme vite en embellie considérable, avec un Tommy McClure qui dévore tout au bassmatic et un Charlie Freeman qui vient tout emballer à la fin. C’est encore McClure qui allume le «Homework» d’ouverture de balda. Incroyable vitalité du son ! S’ensuit «Relativity», un énorme shoot de big heavy Memphis beat. On retrouve les Dixie au sommet du lard fumant. Ils tapent en B dans le chef-d’œuvre de Big Bill Broonzy, «Key To The Highway». C’est porté par la section rythmique et Sam chante son bout de gras. Ils passent au fast boogie avec «15’ At ASC», fantastique unicité des clés de la cité, ils jouent comme les cinq doigts de la main. Ils terminent cet album superbe avec une reprise d’Hooky, «Goin’ Upstairs», un groove de boogie down bien secoué de la paillasse, joué au fouetté de peau de fesse, juste en dessous du boisseau. Les Dixie sont les rois du rock US, c’est d’une qualité qui interlock le lockdown. Aucun groupe ne sonne comme les Dixie Flyers.

    Signé : Cazengler, arrête ton Sam the char

    Sam The Sham & The Pharaos. Wooly Bully. MGM Records 1965

    Sam The Sham & The Pharaos. Their Second Album. MGM Records 1965

    Sam The Sham & The Pharaos. The Sam The Sham Revue. MGM Records 1966

    Sam The Sham & The Pharaos. On Tour. MGM Records 1965

    Sam The Sham & The Pharaos. Li’l Red Riding Hood. MGM Records 1966

    Sam The Sham. Ten Of Pencacles. MGM Records 1967

    Sam Samudio. Sam Hard And Heavy. Atlantic 1971

     

     

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 23

    OCTOBRE - NOVEMBRE – DECEMBRE

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    Etrange, étrange, deviendrai-je fou ou atteint d’un méchant stigmate visuel. Au hasard je pique sur l’étagère un ancien numéro de RGN, le number nine, parfait : même type de couverture, sur celui-ci le portrait de Johnny Fox, les titres sur la gauche et un fond marron, sur le nouveau, portrait de Gary Allen, titres sur la gauche et fond vieil or. Maquettes identiques. Pourtant l’impression d’une différence de longueur de trois centimètres. Je vérifie, tout au plus un millimètre supplémentaire pour le nouveau numéro… Zé bu dit le zébu !

    Les articles de Greg Cattez sur les pionniers sont toujours intéressants, mais là sur Bill Haley il s’est surpassé. Rock around the clock tout le monde connaît, mais Greg insiste sur les débuts, avant que l’horloge du rock ‘n’ roll ne se mette à sonner. Ne pas croire que le big Bill est juste un gars malin qui a pompé le rhythm and blues des noirs, s’en est inspiré bien sûr, mais ses racines remontent très précisément à Hank Williams qu’il a rencontré, tout le début de sa carrière il la passe dans la tenue de cowboy du chanteur country de l’époque, un peu à la Gene Autry ou à la Roy Roger… Bill est crazy mais pas foldingue, se rend compte qu’il ne sera jamais le grand countryman qu’il rêvait d’être. Pédale un peu dans la choucroute de sa tête pendant quelque temps. En 1952, il franchit le Rubicon. Adapte Rock the joint à sa manière. Autrement dit, il livre à un public blanc un morceau de musique noire un peu trop échevelée…  Succès confirmé en 1953 avec Crazy Man, et enregistre en 1954 le pharamineux Rock around the clock… L’aiguille de la pendule du rock carillonne à tue-tête et réveille le monde endormi. Passons sur les années fastes. Les belles histoires se doivent de terminer tragiquement pour être encore plus belles… Avec le temps le vieux rock est devenu une musique vieillotte. Il faudra attendre quelques années avant que la comète du rock ne revienne enflammer le monde, Bill entre en dépression, l’alcool ne l’aidera pas à remonter la pente, une tumeur (ça s’appelle ainsi parce que tu meurs ) au cerveau s’en mêle… 1981, end of the rocky road blues. Le beau portrait de Greg Cattez est agrémenté de photos qui valent le détour.

    Ne quittons pas les pionniers, dans la rubrique L’Echo du Mag, Claude Francisci consacre une page à Elvis en passe de devenir le mythe du vingtième siècle… Si la couverture signale la réédition CD de Rainy Day Sunshine, (Bluelight Records) démos enregistrées en 1969 afin de démarcher les maisons de disques, faut attendre le bas de la page 42 pour voir la repro de la couve, juste à côté du dernier CD des Hot Chickens.

    Avant Bill qu’y avait-il ? Julien Bollinger soulève un coin du rideau. Evoque Charley Patton, né en 1881, un des fondateurs du blues, au temps où celui-ci se confondait encore avec ce qui deviendrait la country, peut-être la première star, un sang-mêlé, guitariste, chanteur rebelle, meurt assassiné, une voix unique, reconnaissable entre toutes, j’ai l’habitude de dire que celui qui n’a jamais entendu Charley Patton ne comprendra jamais rien au rock’n’roll.

    Dix pages sur les Sureshots, sans compter le poster central. En France quand on prononce le mot Sureshots, les réactions principales sont : super groupe de Rockabilly et Mimile. Si les Sureshots viennent d’Angleterre Mimile est leur premier fan français. Les a fait venir par chez nous dès 1986. L’est d’ailleurs remercié à la fin de l’article de Sergio Kahz pour les documents fournis. Gary Allen, chanteur et guitariste du groupe ne manque pas de l’évoquer. Gary Allen, quarante ans de métier se présente comme un homme tranquille. N’esquive aucune facette du groupe, les débuts, les changements, l’honneur d’accompagner sur scène des tas de pionniers, les sets un peu dingues et leur goût pour l’alcool. Un homme jovial aussi qui aime les gens, les ambiances chaudes, communiquer avec le public, on le sent à l’aise sûr(eshots) de lui, de tout ce qu’il a accompli mais qui ne se fait aucune illusion, un jour tout cela se terminera, la vie est ainsi. La chronique du dixième Rockabilly Festival de La Chapelle-en-Serval relate justement un concert des Sureshots, loin d’être leur meilleur, poursuivi par la poisse, mais comme il est dit ‘’ ce n’était pas un concert ennuyeux’’. Plein d’autres groupes, mais vous pouvez acheter la revue aussi.

    Du beau monde au White Night # 2, notamment avec les Rebel Howl groupe formé au pied-levé pour palier le désistement de deux autres formations. Le rockabilly est un phénix qui sait toujours renaître de ses cendres… Folle ambiance dans cette nuit blanche. Au Vintage Day’s 2022 vous retrouverez Ady and The Hop Pickers et les Drifting sailors… prenez-en plein les yeux avec les photos de Sergio Kazh…

    Une petite nouveauté, deux pages, une pour Steve Aynsley, l’autre pour les Hoodoo Tones, afin de signaler la sortie de leur nouvel album, manière efficace de tirer un rapide bilan de leur carrière et de présenter leurs récentes réalisations.

    Un numéro particulièrement agréable à lire, très vivant, donne l’impression d’assister à un panorama du rockabilly depuis ses origines jusqu’à aujourd’hui.   Rockabilly Generation News reste fidèle à lui-même, en s’améliorant à chaque livraison. Merci à Sergio et à son équipe.

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  5,50 Euros + 4,00 de frais de port soit 9,50 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 37, 12 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents !

     

    *

    Si le premier album de Robert Plant et Alison Kraus ( voir livraison 566 du 08 / 09 / 2022 ) s’était envolé à un million d’exemplaires, le deuxième paru quatorze années après a péniblement atteint les 60 000 ventes, cette décote est vraisemblablement due aux nouvelles manières dématérialisées d’écoute de la musique et n’entame en rien la confiance que nous accordons à nos deux artistes.

    RAISE THE ROOF

    ROBERT PLANT ALISON KRAUSS

    ( Rounder Records / Novembre 2021 )

     

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    La pochette américaine n’est pas au top, style prisunic, disons qu’il en faut pour tous les goûts. L’en existe une autre édition de luxe ‘’ Red Artwork’’ que je préfèrerais mais pas au point de me jeter du haut du toit. En bon français lamartinien l’on traduirait Raise the roof par monter au pinacle… Chez les amerlocs l’expression signifie soulever le toit ou, goûtez le jeu de mot pour un disque aux soyeuses sonorités, faire du vacarme, disons atteindre le sommet.

    T-Bone Burnett : production, guitares, mellotron /  Marc Ribot : guitares, banjo, dobro / Denis Crouch :   Jay Bellerose : batterie, percussions / Stuart Duncan : banjo / Bill Frizel : guitares / David Hidalgo : guitares, jarana / Viktor Krauss : contrebasse, mellotron / Colin Linden : dobro / Buddy Miller : mandoline, guitare / Russ Pahl : pedal steel guitar, basse, guitare / Jeff Taylor : accordéon, dolceola ( cithare à clavier ), marxophone ( cithare sans frette à marteaux métalliques ), piano / Lucinda Williams : background vocals.

    Quattro : reprise du groupe, un peu trop middle the road à mon goût, Calexico fondé en 1995 : Alison et Plant en duo, ils ont laissé en rade le petit côté espagnolade de l’original, ce qui confère au morceau une nouvelle dimension, un peu variétoche tout de même, pas besoin d’être grand-clerc en musicologie pour s’apercevoir que c’est le band au son velouté par derrière qui évite les récifs du naufrage. The price of love : déjà un morceau des Everly Brothers sur Raising sand, comment résister aux Everly lorsque l’on est un duo surtout à une petite merveille avec son harmonica qui rissole comme la friture dans l’huile : bye bye l’harmonica, Robert se fait tout petit, laisse Alison et sa voix féérique mener la barque, n’intervient qu’en force d’appoint sur le refrain, ont doublé la longueur de l’original, on ne s’en plaint pas, les musicos y vont tout doux, prennent leur temps sur l’introduction et le final. A peine au deuxième titre que l’on se rend compte que l’on n’a pas affaire avec un duo mais à un trio, Alison, Robert et l’orchestre qui tisse de fines toiles d’araignées    transparentes, n’y prêtez pas trop l’oreille elles sont gluantes, de véritables attrape-rêves. Go your way : complainte de la femme délaissée encore amoureuse qui n’a même plus la force d’en vouloir à celui qui est partie écrite et chantée par Anne Briggs. L’on peut résumer l’apport d’Anne Briggs au folk britannique par trois noms de groupes : Pentangle, Fairport Convention, Led Zeppelin : ce n’est pas Alison qui chante mais Robert, le cri de souffrance d’Anne Briggs se transforme en une doucereuse chansonnette tristounette, on aurait aimé entendre Alison, la plainte de Briggs est belle mais n’est pas exempte de monotonie, les gens en bonne santé sont vite fatigués par les esprits chagrineux, gageons qu’Alison aurait su jouer sur les harmoniques de la douleur. Trouble with my lover : l’on ne répètera jamais assez comme le pianiste de la New Orleans Allen Toussaint a apporté à la musique américaine : défi cette fois-ci relevé par Alison, Allen Toussaint avait confié la chanson  Betty Harris the lost queen of New Orleans Soul ( voir chronique du Cat Zengler in livraison 520 du 09 / 09 / 2021 ) autant dire que l’original groove merveilleusement, avec sa voix de petite blanche Alison montre qu’elle sait groover autant une grande noire, sans avoir besoin de la carpette volante de l’orchestration rhythm ‘n’ blues, un léger rythme percussif, elle marche sur la pointe des pieds sur le tapis d’amarante qui mène au trône royal et Robert Plant se contente sur le refrain d’imprimer de douces ondulations sur la traîne de mousseline. Searchin’ for my love : un des morceaux préférés de Robert Plant, voir in Kr’tnt 565 du 08 /  09 / 2022 : se débrouille bien le plantigrade, l’a le black feeling, maintenant l’a deux belles aides sur le refrain, le vocal musardin d’Alison et l’intervention de Lucinda Williams, irrémédiablement elle file au morceau une intonation américaine que le petit Robert se hâte de reprendre, z’ensuite nous refait le coup des slowacks des blackos, une fille ( ou un garçon ) vous quitte et vous avez l’impression que l’on est en train de vivre l’extinction de l’Humanité. Can’t let go :  un morceau du chanteur et songwriter Randy Weeks dont la reprise par Lucinda Williams ( album Car Wheels on a gravel road ) fut un de ses grands succès : l’a de la classe la Lucinda, alors s’y mettent à deux, pour une fois la guitare en fait trop, trop au-dessus du dénuement de l’accompagnement de Lucinda, nos deux ostrogoths semblent murmurer, l’on ne ressent pas dans leur phrasé la détermination lucide de Lucinda, heureusement qu’elle intervient un peu dans le refrain pour remonter la sauce, quant à Plant, l’est une souris qui rentre dans son trou à pas prudent pour ne pas réveiller le chat qui s’est endormi devant.  It don’t bother me : Bert Jansch fut un temps le compagnon d’Anne Briggs, il forma Pentangle et influença Jimmy Page… :  le même gratouillis de guitare durant cinq minutes, l’on s’en moque Bert chante et la mer monte et descend, l’élément vous trimballe à sa guise, vous vous sentez tout petit…  Jay Ballerose passe devant la guitare et c’est mieux ainsi, Alison mène la barque, les musicos font gaffe à la gaffe, la voix s’est transformée en écume, un coup elle vous fouette le visage, un coup elle caresse, elle s’étire comme une brume qui voile la réalité du monde, vous voici perdu dans l’immensité de votre solitude.  You led me to the wrong d’Ola Belle Reed, née en 1916, chanteuse américaine de bluegrass, et joueuse de banjo, paroles de pécheresse repentante christo-masochiste : autant la version d’Ola Belle Reed est des plus dépouillées autant celle de Robert Plant – encore une fois l’on aurait attendu Alison – est des plus romantisées, le violon mange le banjo, chez Ola l’on croirait entendre la lecture d’un article dans un journal local, ici nous avons droit à une dramaturgie romantique, ce n’est pas de sa faute, notre héros est accablé par le destin. On le plaindrait presque. La version d’Ola glacée comme un convoi funèbre sous un ciel de neige fait froid dans le dos. Last kind worst blues : un des six morceaux enregistrés en 1930 ( Paramount ) par Geeshie Wiley, elle aurait commencé à chanter vers 1920, après 1933 l’on ne sait plus rien de sa vie  sinon qu’elle serait morte en 1950, elle reste une figure fantomatique du delta blues… : quel contraste, après la couleur blanche du désespoir la couleur noire du blues, côté des Appalaches la misère intellectuelle des pensées conservatrices mutilantes, on the other side of the rural south la misère noire de la pauvreté, un texte d’une cruauté inouïe, un peu de basse et la voix pure d’Alison, différente mais respectueuse de la pureté et de la rugosité de l’original. Ce morceau et le précédent sont à comprendre comme un profond hommage à la musique populaire américaine. High and lonesome : un original signé Plant et T-bone Burnett : toute la mythologie country de derrière les fagots du blues, plus toute la modernité des poncifs rock, Robert Plant se fait plaisir, chante comme un seigneur, nous ressort des intonations qui rappellent les miaulements feutrés du Zeppelin et derrière les musicos s’amusent comme de fous, donnent de la gomme tout en restant dans les limites ambiancières de l’album. Going where the lonely go : l’on ne présente pas Merle Haggard, mauvais garçon et grand chanteur de country, ne cherchez pas l’erreur :  après l’imitation – n’oubliez pas que sans imitation la création n’existerait pas – l’originel, belle voix romantique, Merle l’homme qui a beaucoup vécu ne la force jamais, pas besoin le timbre suffit, pour les larmes la pedal steel guitar s’en charge, un sax sur la fin, est-ce là que Lou Reed est allé chercher la finition ( et pourquoi pas l’idée ) de Walk on the wild side,  maintenant passons au duplicata, cette fois l’on attend Robert et c’est Alison, oui avec sa voix  de jeune fille honnête et pure, ou de femme vertueuse si vous préférez, elle interprète ce que Me Too dénoncerait comme un hymne machiste hyper genré, elle y met tant de cœur que ce que l’on entend c’est le désespoir de la solitude humaine qui s’en vient cogner à notre oreille comme la mouche sur la vitre. Somebody was watching over me : de Brenda Burns chantée par Maria Muldaur interprète américaine de blues et de country : Maria nous offre un gospel variétoche pour les fidèles que recrache le Seigneur ceux qui boivent de l’eau tiède, Plant qui dans son existence a toujours préféré les alcool forts à l’eau bénite, sera peut-être agréé par le Seigneur, pas tout à fait pour nous, certes il s’en tire bien, merci à Lucinda pour les chœurs, mais enfin il aurait pu choisir mieux. My heart would know : ( Bonus track ) : un album country sans un morceau d’ Hank Williams serait-il un véritable album… Hankie nous surprendra toujours, avec sa voix de crocodile enroué qui a mal aux dents il remporte toujours le pompon sur le manège des préférences, Alison s’y colle, l’est comme le gamin qui chante petit papa noël devant le sapin, bien sûr ce n’est pas tout à fait l’air mais sa ferveur vous touche en plein cœur. Bon, le grand frère Robert qui le soutient dans les refrains, il est un peu de trop, on ne le lui dira pas. You can’t rule me : ( Bonus track ) : après le roi voici une de ses reines, Lucinda Williams, présente dans les sessions :  Quand vous l’avez écouté par Lucinda vous vous demandez ce que l’on pourrait ajouter ou changer dans son interprétation, une vipère qui se dresse en sifflant pour vous signifier d’aller ailleurs voir si elle n’y est pas. Un harmonica et Robert Plant qui roule des épaules comme dans un western, Alison le seconde discrètement, quant aux boys derrière ils assurent la bande-son de la pellicule, un peu d’incertitude relance le suspense, on aimerait bien un duel final mais ce n’est pas prévu au programme.

             Deux titres un peu patchouli-patchoula, mais un album qui s’écoute avec plaisir.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                                         

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    EPISODE ( INTERACTIF ) 1 :

                                                              1

             -   Chef ! Chef !

    • Agent Chad cessez de m’importuner dans mes recherches !
    • Avec plaisir Chef, si je pouvais savoir qui vous recherchez je pourrais peut-être vous aider !
    • Agent Chad, si je le savais moi-même je l’aurais déjà trouvé !

    Sur ce, le Coronado du Chef laisse échapper deux volumineux nuages grisâtres, en accord parfait avec la brume automnale, je ne peux m’empêcher de penser que le Chef est un grand artiste, il sait marier les fumigènes qui s’enfuient de ses Coronados avec les couleurs du paysage. Tout à l’heure alors que nous parcourions une allée jonchée de feuilles mortes, ses cumulus avaient pris une légère coloration bistre en totale adéquation avec les teintes rousses des frondaisons que le vent aigre de la veille avait jetées à terre…   Huit jours que nous arpentions méthodiquement le cimetière du Père Lachaise, avec station obligatoire devant chaque tombe. Le Chef ne profère aucune parole, il lit attentivement chaque inscription, puis sans mot dire il passe à la suivante.

    Au début Molossito s’amusait, il levait la patte sur les dalles funéraires et les aspergeait de quelques gouttes d’urine territoriale, maintenant il suivait - ces promenades commençaient très tôt le matin et se finissaient très tard le soir - la tête basse, la douce quiétude du local lui manquait. Molossa, sa mère adoptive, gardait l’œil vigilant, elle marchait derrière nous, de temps en temps elle s’arrêtait et d’une oreille attentive elle guettait je ne sais quel bruit furtif, mais jamais encore son museau ne s’était posé sur le bas de ma jambe pour m’avertir d’un quelconque danger. Le Chef s’arrêta brusquement :

    • Agent Chad, j’ai conscience que ces longues journées sont fastidieuses, croyez-moi, je préfèrerais être à mon bureau en fumant paisiblement une dizaine de Coronados, toutefois je vous rappelle que nous sommes ici pour défendre le rock ‘n’roll. Agent Chad ouvrez l’œil, sous nos pas un terrible volcan s’apprête à entrer en éruption, où, quand, comment, je l’ignore, je le pressens, les signes parlent d’eux-mêmes. Avez-vous remarqué qu’aucun souffle vent n’est perceptible, pourtant vérifiez la fumée de mon Coronado, elle penche légèrement vers la droite, ce phénomène n’est pas normal et terriblement inquiétant. Je vous le répète, soyez sur vos gardes, d’une seconde à l’autre tout peut arriver !  

    Pourtant rien de particulier ne survint et le Chef ordonna de rentrer au local.

    2

    Que le lecteur ne s’inquiète pas. La vie d’agent secret du rock ‘n’ roll offre aussi de doux moments de compensation. Le lendemain matin, le Chef m’attendait tout souriant, il alluma longuement un Coronado avant de m’adresser la parole :

    • Agent Chad, huit jours que nous tournons en rond dans ce satané cimetière, nous changeons de stratégie. Prenez cette lettre soigneusement cachetée et portez-là à la patronne du Drugstore du coin de la rue. Si quelqu’un tente de vous couper le chemin, abattez-le tout de suite, sans rémission, sans pitié. Femme, enfant, vieillard, qu’importe, nous sommes pressés, le rock ‘n’roll n’attend pas ! Exécution immédiate.

    Enfin de l’action ! Les chiens excités couraient de tous côté attendant que j’ouvrisse la porte. Nous dévalâmes les quatorze étages à toute vitesse. Cinq minutes plus tard nous franchissions l’entrée du magasin à fond de train !

    • Vite Alice, c’est un pli urgent pour votre patronne !
    • Oh ! Monsieur Damie, quel plaisir de vous voir ! Hélas le mari de la patronne est à l’hôpital, elle m’a confié les clefs et m’a demandé de la remplacer ! Je vais décacheter la missive de Monsieur LeChef et voir de quoi il en retourne ! En attendant partagez à Molossa et Molossito ce bocal de fraises tagada, ils les adorent !
    • Alice vous êtes une merveille !
    • Monsieur Damie, vous exagérez !
    • Non, non Alice, vous êtes le soleil de l’univers !
    • Monsieur Damie, ne vous moquez pas de moi, je ne suis qu’une petite vendeuse de Point Presse, mais tenez je glisse dans cette poche cartonnée ce que Monsieur LeChef veut que vous lui rameniez, il exige que le paquet soit hermétiquement clos par une bande de ruban adhésif, personne ne doit savoir de ce dont il s’agit, même pas vous Monsieur Damie, Monsieur LeChef est un cachotier, je suis sûre que c’est un cadeau pour vous, si j’avais su que vous ne l’aviez pas lu, je vous l’aurais offert !
    • Alice, j’en aurais fait mon livre de chevet jusqu’à la fin de ma vie, et dans mon testament j’aurais demandé qu’il soit glissé dans mon cercueil, ainsi durant toute l’éternité je ne me serais jamais ennuyé, j’aurais connu le bonheur de penser à vous !
    • Monsieur Damie, c’est trop beau ce que vous dites, prenez le paquet et partez vite car j’ai envie de vous embrasser.

    Nous sortîmes du magasin tout guillerets, les chiens l’estomac au ras du bitume. Nous n’avions pas parcouru une centaine de mètres que Molossa posa son museau sur mon mollet. Je me retournai, deux armoires à glace au patibulaire physique de catcheur se dirigeaient d’un pas rapide vers moi.

    3

    Ils n’étaient plus qu’à une quinzaine de mètres. Les malheureux, ils n’avaient donc pas compris pourquoi ma main gauche restait à l’intérieur de la poche de ma veste. Sans préavis, je tirai. Deux coups, une bastos dans le buffet de chacun des deux. Ma maman m’a toujours appris qu’il ne fallait pas faire de jaloux.  L’impact les cloua sur place, ils reculèrent d’un ou deux pas, mais à mon grand étonnement ils ne s’écroulèrent pas, pire ils éclatèrent d’un rire bête :

    • Alors agent secret à la manque tu n’as jamais entendu parler de gilet pare-balle ! Quand on est malin on vise la tête !

    Ce fut leur dernière parole. J’obtempérai à leur suggestion. Certes la terrible botte de Nevers, si chère à l’agent Cat Zengler, ne se pratique plus, ni au fleuret, ni à la rapière, mais deux balles entre les deux yeux au-dessus du nez s’avèrent tout aussi radicales.

    • Bon Dieu quelle horreur il a fallu que je sois arrière-grand-mère pour assister à un tel crime !

    Du monde commençait à s’amasser autour de la vieille commère :

             -  Reculez-tous, éloignez-vous de ces deux cadavres, ils sont porteurs d’un nouveau variant du Covid contre lequel les vaccins sont inefficaces, très transmissible et mortel. Je suis de la Police, le gouvernement nous a chargés d’abattre au plus vite les porteurs de ce nouveau virus, nous avons trois jours, sans quoi la pandémie sera plus terrible que la grippe espagnole...

    Je n’avais pas fini ma tirade que la rue s’était vidée…

    4

    Le Chef alluma un Coronado, il laissa se consumer la longue allumette sans rien dire, puis exhala une bouffée malodorante :

    • Agent Chad ne prenez pas cette moue dégoûtée, regardez les chiens adorent, ils hument l’air avec frénésie et remuent la queue avec entrain, c’est un Chacalito N° 4, il dégage un délicat fumet de charogne j’en conviens, les filles n’y résistent pas, vous devriez essayer avec cette jeune vendeuse, Alice si mes renseignements sont bons, mais laissons cela, il est temps de tenir un conseil de guerre afin d’analyser la situation. L’heure est grave.
    • Oui Chef, une semaine de cimetière et deux morts ce matin !
    • Ne mélangeons pas tout, cher Agent Chad, je pense que nous sommes en présence de trois affaires distinctes.
    • Trois ! Chef !
    • Oui, la guerre des trois aura bien lieu. Débarrassons-nous de l’incident de ce matin, rien à voir avec le paquet que vous m’avez ramené. Non, un coup foireux de l’Elysée, ils n’ont pas digéré la mort de l’ancien président. Nous n’y sommes pour rien, toute la faute en incombe à Molossito, ( Voir l’enquête précédente ) toutefois comme notre molosse est inscrit sur les tablettes officielles comme agent du SSR ils aimeraient se débarrasser de nous. Bref nous aurons de temps en temps à faire avec ces inopportunes piqûres de moustique, nous savons les traiter. Nevers more comme coassait le corbeau de Poe.
    • Chef, vous avez vraisemblablement raison, je vous suis dans vos raisonnements, mais…

    Le Chef, me fit signe de me taire, il allumait un Coronado, opération délicate qui exige silence et concentration.

    • Pour les deux autres affaires, je n’ai rien de très concret à vous offrir. Toutefois je suis intimement persuadé qu’elles sont toute deux liées au devenir du rock ‘n’ roll…
    • Oui Chef le fameux flair du rocker…
    • Pas du tout, l’adverbe ‘’intimement’’ traduisez-le par personnellement. Agent Chad ces deux affaires sont liées à ma vie personnelle. Elles sortent des missions intrinsèques du SSR. Agent Chad, vous ne m’offenserez pas si vous refusez de vous joindre à ces deux enquêtes. Il n’y a rien à y gagner, blood, sweat ans tears pour résumer parfaitement l’avenir.
    • Chef, entre nous deux c’est à la vie à la mort !
    • Ce sera plutôt à la mort qu’à la vie !
    • Ouah ! Ouah ! Ouah !
    • Agent Chad, je crois que nous venons de recevoir le renfort de deux fins limiers ! C’est bien, vous êtes libres jusqu’à demain matin huit heures, profitez de cette dernière soirée de liberté. Pour ma part je vais me livrer à une étude attentive de l’ouvrage que vous m’avez rapporté.

    Je rassemblais quelques affaires avant de quitter le service. Rien de très précis, j’avais juste envie de connaître le titre du livre que le Chef étudiait. Je fus stupéfait, c’était : Les contes de ma mère l’Oye de Charles Perrault.

                                                              5

    Les chiens aboient joyeusement autour d’Alice qui se précipite pour leur un ouvrir un bocal de chamallows :                      

    • Monsieur Damie, vous êtes bien matinal, il est à peine neuf heures et demie !
    • Hélas Alice, un jour sans soleil, je pars en mission pour une petite semaine, n’en soufflez mot à personne
    • Monsieur Damie, ne craignez rien, je serai muette comme une tombe ! Mais je vais m’ennuyer, tenez déjà une petite larme glisse sur ma joue, n’ayez crainte Monsieur Damie, je vous attendrai sagement, et le soir je rêverai de vous.
    • Alice je reviendrai au plus vite, souriez, laissez-moi vous regarder que j’emporte l’image de la beauté avec moi, pour qu’elle m’accompagne tout le temps de cette absence, elle me ramènera vers vous comme l’étoile qui brille ramène le bateau au port !

    6

    A peine la porte du magasin franchie j’étais redevenu le loup solitaire qui traque sa proie sans pitié, le tueur sans âme et sans conscience, droit au but, quel que soit le prix à payer. Je me rendis à la bibliothèque du quartier. La cheftaine assise sur son bureau n’eut pas le temps de remarquer la présence non désirée des deux cabots, en échange du billet de cinq cents euros que je lui glissais en douce, sa main se referma sur cet inoffensif rectangle de papier et d’un sourire reconnaissant elle m’indiqua du doigt un petit recoin muni d’un ordinateur où personne ne viendrait me déranger. Les chiens s’assoupirent. J’avais tiré Les contes de ma mère l’oye de Charles Perrault que le Chef m’avait tendu dès mon arrivée au local :

    • Agent Chad, lisez-le, vous en savez assez pour établir les connexions nécessaires, suivez la piste jusqu’au bout. Où vous mènera-t-elle je l’ignore. Faites attention, cette affaire est dangereuse, je le pressens. Je vous ai préparé un peu d’artillerie, une épaisse liasse de biftons à gros calibre, quelques rations de survie et même trois Coronados dans leurs tubes de plomb qui résistent aux radiations atomiques, prenez ce sac, gardez-le près de vous, n’oubliez pas que vous et vos chiens serez seuls face à un danger qui ne porte de nom et que je nommerai donc l’Innomable. Agent Chad dès que vous aurez mis un pied hors de ce local, la longue traque commencera, n’ayez aucune illusion, vous serez le chasseur et le gibier.

    Les sens en éveil je quittai la paisible bibliothèque, la lecture de Charles Perrault avait été fructueuse, quelques clics sur Wikipedia avaient confirmé mes déductions. Mes chiens sur mes talons, le bouton du bas de ma chemise déboutonné, la main prête à saisir la crosse d’un des bijoux préférés du Chef – un Rafalos 713 capable de percer les blindages d’une auto-mitrailleuse – passé à même la peau sous ma ceinture, l’air de rien, je sifflotais Don’t step on my blue suede shoes

    7

    Cher lecteur, j’ai le regret de vous annoncer que l’Episode 1 de Death, sex and rock’n’roll s’achève. La suite la semaine prochaine dans notre livraison 571. Je sens votre déception. Toutefois c’est épisode n’est pas interactif pour rien. Au moment où il se termine, vous en savez autant que moi pour comprendre comment je vais procéder. Lisez les Contes de Perrault, activez vos méninges, vérifiez vos déductions sur le net… Le premier qui aura trouvé la solution recevra une fraise Tagada mâchouillée par Molossito. Toutefois prenez garde à votre santé mentale et physique.

    A suivre

  • CHRONIQUES DE POURPRE 569 : KR'TNT 569 : TONY STRATTON SMITH / RIPLEY JOHNSON / LEN PRICE 3 / PATRICE HOLLOWAY / EDDIE COCHRAN / SPUNYBOYS / ACROSS THE DIVIDE / ALEXANDRE MATHIS

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 569

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    06 / 10 / 2022

     

     TONY STRATTON SMITH / RIPLEY JOHNSON

    LEN PRICE 3 / PATRICE HOLLOWAY

     EDDIE COCHRAN / SPUNYBOYS

    ACROSS THE DIVIDE / ALEXANDRE MATHIS

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 569

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    Strat O’sphère

     

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             Strat ? C’est ainsi qu’on surnomme Tony Stratton Smith dans le book extrêmement bien documenté de Chris Groom, Strat! The Charismatic Life & Times Of Tony Stratton Smith. Strat fit partie des fameux gay men qui présidaient aux destinées du showbiz britannique, au temps du Swingin’ London, les plus connus étant Brian Epstein, Robert Stigwood, Larry Parnes et Simon Napier-Bell. Mais il y a aussi Ken Pitt (David Bowie), Billy Gaff (Rod Stewart), Vic Billings (Dusty Springfield) et bien sûr Kit Lambert, co-manager des Who. Simon Napier-Bell : «Most of the best managers were gay.» Il ajoute : «Les gay managers semblaient être les meilleurs. La plupart d’entre-eux jouaient un double jeu, à la fois dans leur monde et le monde extérieur. Les Jewish managers était aussi excellents, la plupart d’entre-eux ayant joué le double jeu depuis leur enfance à l’école.»  

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             Avant d’entrer dans le showbiz, Strat fut journaliste sportif. C’était du temps des Brésiliens, de Pelé, des grands clubs anglais et de Bobby Charlton. Comme beaucoup d’entrepreneurs installés à Londres dans les early sixties, Strat flaira très vite le jackpot et se mit à manager des groupes et, pour avoir les mains libres, il monta dans la foulée son propre label, The Famous Charisma label. Comme Jac Holzman à la même époque à New York, Strat se spécialisa dans un son qui correspondait directement à ses goûts. Charisma fut donc un label de prog dont Van Der Graaf Generator, Lindisfarne et Genesis étaient les figures de proue. De son côté, Holzman tapait dans le folk un peu planplan et les musiques traditionnelles, mais il avait su se moderniser en signant les Doors, Love, les Stooges et MC5. Strat ne s’est jamais modernisé. Les Britanniques sont beaucoup plus traditionalistes.

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             C’est donc un book qui s’adresse principalement aux fans de prog : ça va de Phil Collins (pour le pire) à Peter Hammill (pour le meilleur) en passant par The Nice et les Bonzos. Ce n’est pas une raison pour jeter ce book par la fenêtre, car Groom fait un véritable travail d’investigation et nous fait entrer au cœur du London biz, à l’époque la plus fascinante. Il brosse surtout un portrait saisissant d’un homme haut en couleurs, qui installa ses bureaux à Soho et qui passait le plus clair de son temps dans les bars du coin, fréquentant, comme le dit Peter Grabriel, «the painters, the writers, the gangsters, all the Soho royalty.» Son quartier général était un endroit nommé La Chasse, au 100, Wardour Street, un club privé qui se trouvait à l’étage, au-dessus d’une boutique de paris. Strat y picolait et y gérait son biz. Et c’est au 2i’s Coffee Bar, sur Old Compton Street, que Strat reçoit son baptême du feu. Il se retrouve un soir avec deux ou trois cents personnes «in this awful cellar, payant pour le privilège de s’asseoir in this sweat-box for three hours.» Groom qui est bien documenté rappelle qu’à la fin des années 50, le 2i’s Coffee Bar était considéré comme the birthplace of British rock’n’roll et Mickie Most y bossait, working the cola machine. Comme Strat est gay, il fait gaffe. C’est encore un délit à cette époque que d’être gay. Sa vie privée reste donc secrète. Il ne s’affiche avec personne et comme tous les gens plongés dans le secret, il est parfaitement incapable d’entretenir une relation suivie. Aucun de ses proches ne se souvient de l’avoir vu avec un partenaire. Simon Napier-Bell dit de Strat que sa vie tournait autour des «fine wines, racehorses and rent boys.» Groom insinue que Strat louchait sur un groupe uniquement parce qu’il tombait amoureux de l’un de ses membres. Il cite l’exemple de Keith Ellis, dans les Koobas. Jack Barrie, le boss de La Chasse, le confirme : «I think Strat was madly in love with him.»  

             Cathy McKnight se souvient de l’homme Strat : «Strat was a large man, d’âge indéterminé, (presque) toujours très bien habillé, avec des yeux pétillants et un rire étrange qui ponctuait son discours à intervalles irréguliers. Je n’ai jamais pu le situer.» Elle ajoute un peu plus loin : «Ses principaux traits de caractère semblaient entrer en contradiction les uns avec les autres, était-il un génie ou un charlatan, un esprit original ou un escroc intellectuel de premier ordre ? Strat était de toute évidence un visionnaire, et si parfois certaines de ses visions le conduisaient dans une impasse, ses stratégies étaient le plus souvent d’un bon rapport.» Strat adorait faire la grasse matinée, aussi arrivait-il au bureau à midi, puis il allait déjeuner à 13 h, revenait au bureau à 16 h et sortait toute la nuit. Peter Jenner : «Great geezer, Old-school. Very sharp.» Il donnait aussi des rendez-vous dans un pub de Wardour Street qui s’appelait The Ship, entre 12 h et 12 h 30, nous dit Steve Weltman - My dear boy, I think we should have a meeting in The Ship - Et ça commençait par une pinte de Guinness pour faire passer la gueule de bois.

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             L’une des premières rencontres que fait Strat est celle de Brian Epstein. Ils se rencontrent à Amsterdam où Epstein organise une tournée des Beatles. Il demande à Start de ghost-writer son autobio, le fameux A Cellarful Of Noise. Mais comme Strat qui est alors écrivain bosse déjà sur un autre projet, il donne son accord mais demande six mois de délai. Quoi ? Six mois ? Epstein explose. Il veut ça tout de suite. Alors il va engager Derek Taylor. Strat est cependant ravi d’avoir rencontré Epstein : «J’ai appris beaucoup de Brian, notamment le fait que le rôle du manager est un rôle créatif. Il croit créer les conditions dans lesquelles les artistes vont pouvoir évoluer. Ce qui demande un talent et une discipline qui vont plus loin que celles des juristes et des comptables. J’aimerais croire que je suis devenu l’un de ces managers.»

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             Strat va démarrer sa carrière de manager avec des artistes extrêmement intéressants : Beryl Marsden, les Koobas et les Mark Four. Pour lancer Beryl, il bosse avec le producteur Ivor Raymonde et sort un premier single en 1965, «Who You Gonna Hurt». Mais la relation est tendue entre Beryl et Strat : elle lui reproche de ne pas assez s’occuper d’elle. Ce sont les Gunnell Brothers qui la récupèrent en 1966 et qui la mettent dans un groupe fraîchement assemblé, The Shotgun Express, un groupe dans lequel on retrouve Rod The Mod, l’organiste Peter Bardens, Peter Green, Dave Ambrose on bass et Mick Fleetwood au beurre. Les Gunnell Brothers vont aussi lancer Georgie Fame.

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             Il existe une belle compile de Beryl Marsden, Changes - The Story Of Beryl Marsden, parue en 2012 sur RPM, qui fut l’un des grands labels anglais de rééditions. Cette compile est une vraie caverne d’Ali-Baba. Cette petite gonzesse de Liverpool chante au sucre candy et comme toujours chez Strat, c’est très produit. Au fil des cuts, on voit sa voix s’affermir et quand elle attaque «Love Is Going To Happen To Me», elle devient en quelque sorte définitive. C’est un peu ce qui va la caractériser : le côté ferme et définitif. Elle chauffe admirablement «Who You Gonna Hurt», un slowah super-frotteur, ah la garce, comme elle frotte, et avec «Gonna Make Him My Baby», elle pique sa crise Motown. C’est elle la reine de Liverpool. Ce cut est un vrai coup de génie. La fête se poursuit avec «Music Talk», elle groove sa Soul blanche around the world, comme Martha Reeves, elle devient Beryl en la demeure, avec une mélodie qui est celle d’«Ode To Billie Joe». Elle tape à la suite dans le «Break A Way» de Jackie DeShannon. Wow, quelle heavy pop ! Elle revient à Motown avec le «Let’s Go Somewhere» d’Eddie Holland et tout explose avec le Shotgun Express et deux cuts ultra-chantés et ultra-orchestrés, «I Could Feel The Whole World Turn Round» et «Funny Cause Neither Could I». Elle braille avec Rod The Mod à l’unisson du saucisson, c’est excellent ! Elle traverse ensuite une période atroce de son à synthés et revient à la raison avec le «Baby It’s You» de Burt, au shalala, elle redevient la reine de la nuit, elle chante au vrai grain de voix. Et ça repart de plus belle avec le «Will You Love Me Tomorrow» de Goffin & King, elle est gonflée de s’attaquer à cette merveille, mais elle dispose de l’atout majeur : la voix. Tu n’es pas au bout de tes surprises, car voilà qu’elle monte au créneau avec sa niaque et sa compo : «Everything I Need». Et là tu te prosternes, car elle est vraiment bonne, elle est pleine de Soul blanche, de swing, et de présence à la puissance mille, un peu comme Lulu. Elle revient à sa vielle pop avec «Too Late», yeah yeah yeah, pur jus de Brill, encore une compo à elle. Beryl en la demeure finit par subjuguer. Elle rentre bien dans le chou de «Changes», elle est de plus en plus admirable. Ah quelle fantastique petite gonzesse ! Elle termine avec le «I’ll Be There» de Bobby Darin, elle tape ce slowah à la voix mure, Beryl en la demeure n’est pas une amatrice, elle peut chanter au creux du big stardom, elle en a le gut de l’undergut et la présence vocale. Elle atteint un niveau de niaque assez rare. On imagine qu’étant de Liverpool, elle est tombée dedans quand elle était petite. 

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             Puis Strat manage les Koobas, un groupe originaire de Liverpool. Pour les lancer, il demande à l’Américaine Nancy Carol Lewis de dessiner des pantalons à fleurs, ce qu’il appelle the kooba trews. Les Koobas partent en tournée avec les Beatles et Nancy les maquille chaque soir dans les loges. Groom rappelle au passage qu’à l’époque les Beatles se maquillaient eux aussi. On est en décembre 1965 pour une tournée de dix jours. En-dessous des Beatles, on trouve à l’affiche les Moody Blues, Beryl Marsden, Steve Aldo et les Koobas. Le backing-band pour Beryl et Aldo s’appelle The Paramounts qui vont devenir Procol Harum. Et puis comme l’album des Koobas ne se vend pas, le groupe se désagrège.

             Normal que l’album sans titre des Koobas ne se vende pas : il est mauvais. Dommage car belle pochette. D’autant plus dommage que ça démarre sur «Royston Rose», un joli shoot de British psych, ça joue énormément à l’intérieur du son avec une basse qui rue dans les brancards. Et ensuite, ça bascule dans le mauvais Pepper, une sorte de pop proggy, beaucoup trop évolutive. Ça ne peut pas marcher, sauf chez les bouffeurs de prog. Dommage que tout ne soit pas monté sur le modèle de «Royston Rose». La B est encore plus catastrophique. Ils visent l’épique pur sans en avoir les moyens. Ils tapent une reprise d’«A Little Piece Of My Heart», mais ils n’ont pas les étincelles de Janis. Ils méritent cependant une médaille pour services rendus à la nation.

             Strat repart de plus belle avec The Mark Four qui deviendront dans la foulée The Creation. C’est Robert Stigwood et s’occupait d’eux et Strat accepte de les reprendre à condition qu’ils changent de bassman et il propose Bob Garner, qui a joué dans les Merseybeats et dans le groupe de Tony Sheridan. Le groupe accepte et Strat leur propose de bosser avec son ami Shel Talmy - the hot independant record producer of the day - qui vient tout juste de lancer les Who et les Kinks. Alors attention, on ne rigole plus. Kenny Pickett se souvient très bien de Strat : «J’ai été présenté à ce mec avec un double-barrelled name, une poignée de main sympa mais un peu molle, qui parlait avec un public school accent issued from a rather weak mouth, dressed in a crumpled blue suit and just about the most unlikely rock’n’roll manager I could have wished for. Et puis, il y avait son regard fixé à distance, son air intellectuel et ses joues brillantes, il tenait délicatement sa cigarette entre des doigts d’une grande finesse, on aurait dit un Oscar Wilde accessory, il riait de bon cœur (he would laugh his laugh) et pendant une seconde, je crois que j’ai adoré me bourrer la gueule en compagnie du mec qui venait d’empocher notre cachet pour Ready Steady Go!».

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             Groom nous dit aussi que Shel Talmy ne supportait pas Kit Lambert, par contre, il appréciait Strat, l’un des rares music industry people avec lequel il s’entendait bien - The Creation could have been superstars, mais je n’arrivais pas à les maintenir ensemble et à les empêcher de se séparer tout le temps. Rétrospectivement, je regrette de n’avoir pas travaillé un peu plus pour Tony, parce que c’était un grand personnage et un label boss atypique. On est devenus de bons amis et on a passé de bonnes soirées, car nous pouvions parler de tout et de rien. Il avait beaucoup d’humour, c’était un smart guy et un homme très cultivé, dans beaucoup de domaines, mais il se piquait la ruche de temps en temps. Pour être manager, tu dois être un asshole, tu dois te mettre au niveau du groupe, devenir tordu et tout le cirque. Mais il y avait des exceptions. Je pense qu’Epstein en était une. Le seul mec qui à mes yeux était un good band manager, c’est Tony Stratton Smith. Je l’appréciais beaucoup.»

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             Si tu veux entendre les Mark Four, tu dois choper Creation Theory, un Edsel Box Set paru en 2017 : trois CDs et un DVD. Les Mark Four se trouvent sur le CD 1. Tu as huit cuts. En 1964, ils swinguaient bien, leur cover de «Rock Around The Clock» passe comme une lettre à la poste. Il faut aussi entendre le solo qu’Eddie Phillips passe dans «Crazy Country Hop». What a Hop, my friend ! Tout est trémoloté jusqu’à l’ass de l’oss. Et voilà un hit digne des Who : «Work All Day», joué au riff vengeur. Ils font aussi du Dylan («Going Down Fast») avec une pince à linge sur le nez. Incroyable mais vrai. Ils adorent le Dylan électrique de l’âge d’or. Puis après, ça passe aux Creation et aux versions mono des gros hits : «Making Time», «Painter Man», «Biff Bang Pow», «Nightmares», «Cool Jerk» et tout le reste. Le génie sonique des Creation dépasse tout ce qu’on peut imaginer.

             C’est avec The Nice et les Bonzos que Strat va décoller. Mais il a besoin d’aide pour manager tout ça. Alors, il embauche Gail Colson qui va devenir son bras droit. Groom dit qu’ils sont le recto et le verso du same coin, c’est-à-dire de la même pièce de monnaie. Ils dépendent l’un de l’autre, «lui impétueux, avec ses principes, et une pratique quasi infantile du job d’impresario, elle, la sympathique et prudente business manager qui, d’une certaine façon, réussissait à transformer l’excessive intégrité de Strat en profit.»

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             C’est Lee Jackson, le bassman/chanteur des Nice qui insiste pour que Strat vienne les voir jouer. Il y va et c’est le coup de foudre - I became emotionally involved - Au départ, c’est Andrew Loog Oldham qui avait monté The Nice pour accompagner P.P. Arnold. Quand Strat les rencontre en 1968, ils ont déjà enregistré deux albums pour Immediate, dont l’excellent The Thoughts Of Emerlist Davjack sur lequel joue Davey O’List, un Davey qu’on ne voit jamais orthographié de la même façon : Chris Welsh l’écrit Davy et Discogs David. Quand Strat rencontre le groupe, O’List n’est plus là et il n’est pas remplacé. Viré à cause de son erratic behaviour. On suppute que lors d’un séjour à Los Angeles, David Crosby a spiked his drink avec du LSD, mais en même temps, il était souvent en retard pour les concerts, et même parfois absent. Il doit donc dégager. Le groupe demande à Strat de provoquer une réunion pour annoncer la bonne nouvelle à O’List. The sack. Keith Emerson prend ensuite la barre et The Nice devient un trio. Grâce à Strat, ils ont la chance de pouvoir tourner aux États-Unis, mais ils y perdent de l’argent. Groom estime la perte à $15.000, suite au vol de la caisse à Boston et à des annulations de dates. Groom indique aussi que pendant la tournée, Strat a essayé de signer Captain Beefheart. Malgré le déficit, Strat prend les choses du bon côté : il considère ce déficit comme un investissement. De retour à Londres, il monte le coup du siècle : The Nice with The London Symphony Orchestra. Pour lui, c’est la même chose que d’inciter les Koobas à prendre des leçons de comédie ou d’encourager les Creation à faire de l’Action Art sur scène, «c’est une façon pour très excitante d’avancer». Groom rapporte aussi une anecdote succulente : Chris Blackwell voit un jour Strat sortir d’un terminal d’aéroport. Il marche en tête et derrière, le groupe suit, comme une couvée de poussins derrière la mère poule, alors ça amuse Lee Jackson qui déclare : «Great, that’s gonna be your name from now on... Mother!».  

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             C’est le bouillonnement d’énergie qui caractérise The Thoughts of Emerlist Davjack. Les Nice sortent un son assez typique du London 67, un power indéniable. Ils sont radicalement psychédéliques. C’est vrai que Lee Jackson ne chante pas très bien. Le morceau titre est assez puissant et en même temps inutile, comme bon nombre de cuts de prog. C’est avec «Bonnie K» qu’ils foutent le souk dans la médina. Keith Emerson chauffe sa Bonnie à l’orgue et on entend de magistrales interventions de ce grand guitariste qu’est l’O’List. Il sort un son bien gras, il part en goguette et va croiser le shuffle d’Emerson. C’est un son tellement énorme qu’il en devient américain. Emerson entre dans son domaine avec «Rondo», il lance ici une première incursion dans le domaine du classique, comme va le faire Dave Edmunds avec «Sabre Dance» et Love Sculpture. C’est de la haute voltige. En B, ils reviennent en force avec «War And Peace». Ils développent déjà un sens aigu des instrus à rallonges. Ils sont parfaitement au clair de notaire. Shuffle d’orgue et coups d’O’List qui gratte comme un malade en contrepoint. Pour un virtuose comme O’List, c’est du gâtö. Ils terminent avec «The Cry Of Eugene» chanté à plusieurs voix dans toutes les oreilles, et des flûtes se baladent derrière ton cul histoire de te mettre devant tes responsabilités, c’est assez pénible et ils touchent vite le fond en ramenant des trompettes à la mormoille. O’List veut revenir à la charge pour sauver Eugene, mais c’est trop tard, son heavy sound est noyé dans cette pop prétentieuse et privée d’avenir qui va devenir le prog, cette prétention malsaine à vouloir sonner comme des géants alors qu’ils n’ont sont pas.

             Après les deux albums Immediate, The Nice va enregistrer trois albums sur Charisma. Mais Keith Emerson n’a pas l’intention de continuer avec ce groupe. Il pense que Lee Jackson n’est pas très bon au chant. Il propose à Duncan Browne de le remplacer, sans succès. Puis il rencontre Greg Lake (King Crimson) et Carl Palmer, le jeune et beau batteur d’Atomic Rooster que Strat connaît bien. Avec l’avènement d’ELP, c’est pour Strat la fin du Nice épisode.

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             Comme déjà dit, Strat manage à la même époque une autre équipe haute en couleurs, les Bonzos qui jusque-là étaient managés par Gerry Bron, le boss de Bronze. Pour Bron, ce fut un soulagement que de les perdre : «Ça devenait pénible de les manager et Tony leur disait qu’il pouvait faire ce que je ne pouvais pas : crack American wide open for them.» Il a essayé mais ça n’a pas vraiment marché. Bron pense que s’ils avaient été moins neurotic et plus patients, ils auraient pu devenir one of the biggest acts of all time. Il a raison le Bron, les Bonzos ne mégotaient pas sur la qualité. Ils font leur première tournée américaine en avril 1969 : pas de budget. Vivian Stanshall : «One dollar a day, that’s a burger and a beer - just. But Strat contrived to introduce me to dry Martinis at the Algonquin, Dorothy Parker, Benchleys, Kaufman. We were in New York, for Christ’s sake! It would be improper if we did not. Tony Stratton Smith was a gentleman and an adventurer. He was a very rare man.»

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             En 1970, Strat lance son label Charisma et choisit comme logo The Mad Hatter de Sir John Tenniel, une illustration qu’on trouve dans Alice in Wonderland de Lewis Carroll. Le «Sympathy» de Rare Bird est le premier disk paru sur Charisma, un hit mondial, suivi peu de temps après par l’album des nouveaux clients du manager Strat, Van Der Graaf Generator. Ils deviennent ses chouchous. Strat est persuadé que Peter Hammill «is one of the best lyric writers in the world.» Il le trouve aussi anti-music : «Chaque fois qu’il devient accessible, il fuit et se réfugie dans un royaume impénétrable.»

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             En montant Charisma, Strat a trois modèles en tête : Epstein, Oldham et Lambert : «He had a fine mind, Kit Lambert. C’était un homme très cultivé, a man with tremendous interest in all the visual arts, as well as music. C’était un charmeur très persuasif et les gens les plus durs lui mangeaient dans la main.» Par contre, Strat a du mal avec Andrew Loog Oldham, même s’il le prend comme modèle : «On n’apprenait pas grand-chose d’Andrew, he was one on his own. Son comportement infantile a brisé sa carrière. Ce côté infantile rendait toute négociation compliquée. Avec un vrai businessman, une vision claire et des gens honnêtes pour la mettre en œuvre, Immediate serait encore là aujourd’hui, parce qu’Andrew avait des idées. Il avait un flair énorme, mais il était irresponsable.»

             Les premières grosses ventes de Charisma sont le Five Bridges de The Nice, puis Lindisfarne, Audience et Genesis, suivis de près par le premier album de Van Der Graaf sur Charisma, 15 000 exemplaires en 9 mois. L’or coule à flots chez Charisma !

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             The Least We Can Do Is To Wave To Each Other paraît donc en février 1970. On est aussitôt saisi par le Big Atmospherix de «Darkness» et le sax de David Jackson. Balayé par des vents, Peter Hammill s’accroche à sa falaise, les autres derrière jouent comme ils peuvent, ah, on peut dire que le vent souffle sur Van Der Graaf. On sent qu’ils rêvent de big time. S’ensuit un «Refugees» assez pur, chanté à la Robert Wyatt, Hammill développe un incroyable morphisme dans l’art du Soft. Il devient tout simplement Robert, il dispose du même pouvoir extraordinaire de seigneur de pacotille. Son royaume est l’harmonie, la fantastique ampleur. C’est avec cet album qu’on découvre Peter Hammill, l’homme qui chante dans le punch du son, on le voit encore tailler sa route avec «White Hammer», il chante à la posture, comme un dandy de l’Ancien Régime, c’est un homme qui sait ce qu’il veut, il génère des délires et les drive de main de maître. La prog de Van Der Graaf est sans doute la seule qui ne soit pas ennuyeuse. C’est même une prog qui s’écoute passionnément. Sans doute est-ce la faute à Voltaire. En attendant, ils savent pelleter le charbon dans la chaudière et ce démon de David Jackson l’allume au free extrémiste, il est le crack de la bande, il passe un solo de pur free, il te coule vite fait une apocalypse d’hippie en casquette de cuir. Et ça repart de plus belle en B avec un «Whatever Would Robert Have Said» amené à la fournaise de vazy-mon-gars. C’est un univers totalement à part, ça chante à l’unisson du saucisson, Hammill est le roi du saucisson, il scande à l’Anglaise avec des accents qui préfigurent Johnny Rotten. Ils font aussi des petits coups bucoliques du genre «Out Of My Book», c’est très campagne britannique, avec la flûte de Jackson. Puis Hammill remonte sur la falaise affronter les éléments avec «After The Flood», il adore déclamer dans la tempête, c’est son péché mignon. Leur prog est pleine de surprises, ils passent d’un climat à l’autre sans coup férir et ce démon de Jackson passe un solo de flûte si violent qu’il en crache dans son bec. 

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             H To He Who Am The Only One paraît la même année, au mois de décembre. On y trouve une petite merveille, «House With No Door» qu’Hammill chante avec un tact infini, là-haut sur son chat perché. On retrouve aussi les grandes heures de Van Der Graaf dans «Killer», monté sur des accords connus, et bien harassé par le sax, un sax qui laboure les terres du Comte Zaroff. Mais ça n’est pas un hit car ça dure huit minutes, durée prohibitive. Ce sont les us et coutumes de l’époque. Encore du pur jus de Van Der Graaf avec «The Emperor In His War Room», prog à tous les étages en montant chez Graaf, chant de hargne, loopings d’orgue et de sax dans tous les coins, l’ensemble est assez épique. Hammill semble chevaucher. Il devient évident que Johnny Rotten s’est inspiré de sa façon de chanter. Hammill développe une réelle démesure. Et cette façon qu’il a de roucouler au cœur des tempêtes le rend délicieusement hugolien. Il peut aussi devenir féroce («Lost»), secoué par les ressacs de sax. Il y a des remous dans la soupe aux vermicelles ! En fait, la prog est une quête insensée. Une sorte de désert où on cherche l’humidité. Tous ces grands musiciens oublient tous de boire. Ils sont imbus. Comme le dit si bien le sage, qui a bu est imbu. Alors Hammill s’élance, il est très athlétique. Comme le précédent, cet album est très visité par l’esprit du son. Son y es-tu ? Oui grand-mère ! Alors je vais te manger... Comme le loup qui mange pour rien, Van Der Graff développe du son pour rien. Mais Strat adore ça. Tu as même des gens qui vont trouver ça très bien.

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             Avec Pawn Hearts, les Graaf continuent de cultiver leurs paradoxes. C’est de la prog, avec tout le décousu que cela suppose, mais chantée par Peter Hammill. Alors tu prends ton mal en patience. Tu écoutes. Ça reste une prog chargée de climats, très anglaise, très saine et très respectée, mais il faut bien dire que ça part dans tous les sens («Lemmings») et ça dure onze minutes. À l’époque, on ramassait ces albums pour une bouchée de pain, dans les second hand shops de Goldborne Road. Hammill reprend le pouvoir avec «Man Erg» et redevient l’un des grands shouters d’Angleterre. Il chante au plus juste, il peut même chanter comme un dieu dans les dédales de la prog, il peut devenir miraculeux et trancher dans le vif avec une autorité qui terrifie. Un seul cut en B qui est une suite : «A Plague Of Lighthouse Keepers». Tout le monde craignait les suites à l’époque, car elles ruinaient des faces d’albums, comme par exemple la B de Shine On Brightly. Les Van Der Graaf posent les conditions de la prog avec une certaine prestance, il faut bien l’admettre. Hammill fait l’héroïque, il se fait passer pour un seigneur de l’An Mil et pouf c’est parti pour 25 minutes. Ils passent par tous les états de l’échantillonnage, ils n’ont besoin de personne en Harley Davidson. Les passages sont parfois moyenâgeux et puis ça part en peu dans tous les sens, ça devient l’expression d’un délire que personne ne peut suivre, il faut être sous emprise pour l’écouter. À jeun, c’est imbuvable. David Jackson sauve les meubles avec une crise de free, le son se colore, à l’image de leur délire graphique de photos mauves. On ressort circonspect de cet album et on décide d’en rester là.

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             Mais Strat connaît aussi des échecs. Le premier exemple est Spreadeagle qu’il essaye de lancer en 1972, avec The Peace Of Paper, pourtant produit par Shel Talmy. Sur la pochette brûle un parchemin. Tu ne te relèveras pas la nuit pour écouter cet album mais les bassistes du monde entier devraient écouter «Brothers In The Sunshine», un cut bardé de son que l’omnipotence du bassmatic rend captivant. Tu es chez Shel et cha s’entend, surtout dans «Piece Of Paper», où Andy Blackford passe un solo d’une rare élégance. Le «Nightingale» qui ouvre le bal de la B rappelle un peu Stan Webb : bonne énergie. Spreadeagle est un groupe passé inaperçu, mais avec du son. L’autre point fort de l’album s’appelle «Eagles». Cette fois, ils ne sont pas loin des Who, ce qui n’a rien de surprenant, vu qu’on est chez Shel. Côté dynamiques, ils ont tout bon.

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             L’autre flop de Strat, c’est Capability Brown. Ils sont six sur scène et chantent tous. Tony Fergusson et Kenny Rowe faisaient partie d’Harmony Grass. Groom indique aussi que Rowe avait joué with Steve Marriott’s Moments. Alors on sort From Scratch de l’étagère. Pas le genre d’album qui laissait un grand souvenir. En gros, Capability Brown sonne comme CS&N, mais aussi comme les Beatles, ce qui explique qu’ils aient échappé aux purges. Ces mecs visent effectivement une certaine clameur harmonique. C’est à la fois très épique et très beau. Ils ont exactement le même déroulé que CS&N avec «Do You Believe», avec le gratté d’acou et les harmonies sous le boisseau. Mais c’est encore plus flagrant avec «Soul Survivor» en bout de B, c’est du pur jus de CS&N, ils s’appuient sur un heavy gras double à l’Anglaise pour partir en dérive dans le mékong de CS&N, on se croirait dans «Judy Blue Eyes Suite», c’est très déterminé à vaincre, ça défonce tous les barrages de police, ça fonce vers la lumière au pah pah pah, ils évoquent même les ancient seas de Croz. «Garden» est tellement pur qu’on pense au «Day In The Life» des Beatles. Même chose avec «Red Man», en B, ça sent bon la Beatlemania. Leur «No Range» est encore bardé de son. On comprend que Strat ait tout misé sur eux. Ces mecs disposent de ressources insoupçonnées, comme le montre encore «Liar», ça grouille de petites guitares incendiaires et de bouquets d’harmonies vocales à la CS&N. Ils ont tout de même un peu de sang américain dans les veines. Bizarre que Capability Brown n’ai pas explosé en Angleterre. C’est du haut niveau. 

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             Leur deuxième album s’appelle Voice et paraît l’année suivante. Même constat : c’est du solide, on les voit à l’intérieur du gatefold, ils chantent tous les six et produisent comme le montre «I Am And So Are You» un fantastique brouet charismatique. On sent nettement les influences californiennes. «Sad Am I» est just perfect. Mais ça se gâte en B avec ce que les Anglais appellent une suite, un long cut à épisodes qui vire prog. On perd la chanson, on perd la Californie.

             Les artistes s’accordent à dire que Strat est une vraie mère poule. Il accompagne les groupes en tournée et partage souvent des chambres avec des musiciens, qui soit dit en passant, se plaignent un peu de l’entendre ronfler. Strat a du respect pour les artistes qu’il prend sous son aile, ce qui est assez rare dans l’industrie du disk, nous dit Groom. Il cite trois exemple de gens respectueux : Ahmet Ertegun, David Geffen et Jimmy Iovine, et dans le circuit indépendant, Dave Robinson de Stiff. Parmi les gros loupés de Strat, il y a Queen. Il n’a pas su faire une offre assez importante.

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             Sur Charisma, on trouve aussi le fameux album raté de Leigh Stephens, And A Cast of Thousands. Sur la pochette, il est photographié sur la péniche dans laquelle il vivait à l’époque. Mais Stephens n’était pas très content du son de l’album : «Je n’aurais jamais dû enregistrer cet album. C’était trop tôt après Blue Cheer et je n’avais aucune visibilité. C’est Keith Emerson qui m’a présenté à Strat. Il avait entendu une de mes démos et l’avait bien aimée. Strat was a good guy. Il s’est parfaitement bien conduit avec moi mais un mec d’Island Studios a niqué le son de mon album, on a dû remixer et ça a explosé le budget, puis on a perdu les bandes.»

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             Bon alors après, on entre dans des eaux moins intéressantes : Genesis et Lindisfarne qui sont devenus les vaches à lait de Charisma. Strat a réinvesti la pluie d’or de Lindisfarne pour lancer Genesis. Puis il lance String Driven Thing que va produire Shel Talmy. En 1972, Strat louche sur les Dolls qui débarquent à Londres. Sur les rangs, il y a aussi Kit Lambert et son label Track. Lambert réussit à inviter les Dolls à dîner aussitôt après le fameux Wembley show avec les Faces. Strat rencontre plusieurs fois Marty Thau, le manager des Dolls, installé dans une suite du Dorchester. Richard Branson traîne aussi dans les parages. Mais Thau décide que Charisma ne peut pas convenir aux Dolls. Et quand Billy Murcia casse sa pipe en bois dans une baignoire, les Dolls retournent chez eux la queue entre les jambes, sans contrat ni batteur.

             Strat passe pas mal d’accords avec les Américains. Il parvient à passer un bon deal avec Neil Bogart qui bosse chez Buddah. Bogart cherche à développer le marché prog aux États-Unis, après avoir réussi à s’implanter dans le black marketplace en signant des deals avec Custom (Curtis Mayfield), Hot Wax (Holland/Dozier/Holland) et T-Neck (Isley Brothers).

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             Comme Strat est avant toute chose un écrivain, il monte une filiale de Charisma, Charisma Books. Il publie des poèmes de Peter Hammill, un recueil d’interviews de Peter Frame et l’autobio d’Oscar Zeta Acosta qui a servi de modèle au Dr Gonzo d’Hunter S. Thompson. Pour développer Charisma Books, Strat s’associe avec Leonard Cohen, mais ça ne débouche pas. En 1973, Strat s’associe avec Lee Gopthal (Trojan) pour monter le label Mooncrest. Strat rachète aussi le prestigieux fanzine Zigzag en 1972, et en 1975, ne parvenant à le revendre, il en fait cadeau à Peter Frame qui en était le rédacteur en chef : «He handed it back to me, lock, stock and barrel, together with all the copyrights. Free of charge.» C’est dire si Strat est un homme désintéressé. En 1974, il avait organisé un benefit concert à Londres et parmi les invités se trouvait Michael Nesmith. Un Nesmith qu’on retrouve comme producteur de Bert Jansch. Strat vient tout juste de le signer sur Charisma. L’album s’appelle L.A. Turnaround. Groom indique qu’on considère cet album comme le sommet de sa carrière - not far from being the perfect album, dit un critic du Melody Maker - Strat est lui-même expansif : «This is probably one of the five best albums Charisma has ever released.» Jansch va enregistrer quatre albums pour Charisma.

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             Sur L.A. Turnaround, le vieux Bert gratte ses poux dans le crépuscule des dieux de la campagne anglaise. C’est très spécial, un brin fané, pas très bien chanté, mais hyper-joué. Il claque énormément de notes. Pour l’amateur de gratté de poux, c’est un bonheur, d’autant qu’il en gratte douze à la dizaine. Cut après cut, il ramène toute sa science de folky folkah, on est en plein dans la soupière. Son «Travelling Man» reste du gratté de premier choix. Pas de surprise. Ce genre d’album repose le problème qu’on avait avec Jac : on se demande pourquoi Strat craque sur Bert. C’est un son très conventionnel, un son anglais orienté sur l’Amérique. Taj Mahal et Micheal Chapman font ça mille fois mieux. «Stone Monkey» sonne comme de l’Americana qui ne fonctionne pas. L’album a le cul lourd et ne parvient pas à se lever. Quelque chose ne fonctionne pas. Quand on arrive à «Of Love & Lullaby», Bert n’a conquis aucune cité. Il repart en mode vaincu avec «Needle Of Death». Il semble se battre pour du vent. De toute évidence, Bert n’est pas une superstar. Il tente de sauver son album avec «The Blacksmith», mais sa voix n’est pas sûre. Et le son n’y est pas. C’est très compliqué. Pas facile la vie. N’est pas génie qui veut. Bert Jansch est un fantastique guitariste mais ce n’est pas ça qui fait les grands albums. 

             Strat signe aussi Hawkwind et Astounding Sound Astounding Music sort sur Charisma en 1976, suivi l’année suivante de Quark Strangeness And Charm, deux albums qui vont forcer le respect des punks, notamment Johnny Rotten.

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             Il est bon de rappeler qu’on trouve une énormité sur chaque album d’Hawkwind. Celle d’Astounding Sound Astounding Music s’appelle «Kero Crawler». Hard rocking d’Hawk, ils renouent avec le proto-punk et ramènent toute leur niaque de buskers. Petite cerise sur le gâtö : Nik Turner passe un solo de sax ravageur. On retrouve le grand Nik dans «The Aubergine That Ate The Rangoon», un instro un peu free. «Kadu Flyer» est plus pop, mais ça se termine en trip orientaliste digne des carnets de voyage d’Eugène Delacroix. Et puis il faut écouter et réécouter le «Reefer Madness» d’ouverture de balda. Quelle énergie ! Hawkwind n’a jamais fait défaut de ce point de vue. Brock ramène toujours des heavy chords, un beat soutenu et Nik Turner part en vrille derrière le stole my stash.

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              Les deux énormités qui se nichent sur Quark Strangeness And Charm sont «Spirit Of The Age» et le morceau titre qui ouvre le bal de la B des cochons. Encore une belle dégelée que ce morceau titre, il sonne exactement comme le «Waiting For The Man» du Velvet, c’est tout de même incroyable qu’ils réussissent à créer l’illusion ! Chanté par Robert Calvert, «Spirit Of The Age» est un petit chef-d’œuvre hypnotique. C’est une grande mouture d’Hawk qui la joue : Brock + Simon House + Adrian Shaw et Simon King. Ça pulse ! Andrian Shaw voyage pas mal dans le son. Bassman remarquable qu’on retrouve chez Bevis Frond. Encore une belle échappée belle avec «Damnation Alley». Brock conduit sa meute et Andrian Shaw brode des drives dans le dur du mood. Avec «Hassan I Sahba», ils affichent clairement leur volonté d’orientalisme purulent. Ce subtil poison attaque les gênes du groove.

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             En 1979, Strat donne aussi le feu vert à Nik Turner pour P.X.R.5. L’énormité de cet excellent album s’appelle «Death Trap» et ouvre le balda. On retrouve Robert Calvert au chant. Ces mecs ont le diable au corps. Ils cultivent leur vieille veine proto-punk. Calvert est un enragé. Retour à l’hypno avec «Uncle Sam’s On Mars» et ils font une tentative d’infini océanique avec «Infinity». Dave Brock est capable de ce genre de miracle. En ouverture du bal de B, Calvert tape «Robot», un cut joliment épique qui convient parfaitement à cet excentrique. Il semble vouloir guider Hawk vers des terres inconnues, il se tient droit et fier dans l’azur immaculé.

             Puis en 1985, Strat vend Charisma à Richard Branson et à son fast-growing Virgin Group.  Comme tous les label-boss, Strat finit par en avoir un peu marre de tout ce cirque. Il finira par casser sa pipe en bois en 1987. Groom nous donne tous les détails : Strat vomit du sang, se retrouve à l’hosto avec deux cancers, foie et pancréas. Les chirurgiens ne peuvent pas le réparer.

    Signé : Cazengler, Tony Stracon

    Chris Groom. Strat! The Charismatic Life & Times Of Tony Stratton Smith. Wymer Publishing 2021

    Beryl Marsden. Changes: The Story Of Beryl Marsden. RPM Records 2012

    Koobas. Koobas. Columbia 1969

    Creation. Creation Theory. Edsel Box Set 2017

    The Nice. The Thoughts of Emerlist Davjack. Immediate 1967

    Van Der Graaf Generator. The Least We Can Do Is To Wave To Each Other. Charisma 1970 

    Van Der Graaf Generator. H To He Who Am The Only One. Charisma 1970

    Van Der Graaf Generator. Pawn Hearts. Charisma 1971

    Capability Brown. From Scratch. Charisma 1972

    Capability Brown. Voice. Charisma 1973

    Spreadeagle. The Piece Of Paper. Charisma 1972

    Bert Jansch. L.A. Turnaround. Charisma 1974

    Hawkwind. Astounding Sound Astounding Music. Charisma 1976

    Hawkwind. Quark Strangeness And Charm. Charisma 1977

    Hawkwind. P.X.R.5. Charisma

     

     

    Ripley it again, Sam - Part Two

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             C’est par hasard, chez un disquaire parisien du IXe arrondissement, qu’on fit la connaissance de Ripley Johnson. «‘Coute ça !» lança JP. Il posa le vinyle sur sa platine et le son se mit aussitôt à envahir la vieille boutique comme l’eau envahit la cale d’un vaisseau torpillé. Il me colla ensuite la pochette arty dans les pattes. Wooden Shjips ?

             — Connais pas... Quel drôle de nom de groupe... Wooden Shjips...

             — C’est l’un des groupes de Ripley Johnson, un psyché de San Francisco. Tu ne connais pas Moon Duo ?

             — Seulement de nom, mais depuis le ballon de baudruche des White Stripes, je me méfie un peu des duos à la mode.

             — Mais ça n’a rien à voir avec les White Stripes ! Tu devrais écouter Moon Duo, ils ont un son qui pourrait te plaire.

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             L’album de Wooden Shjips que passait JP dans son bouclard s’appelle Shjips In The Night. Live In San Francisco June 8 2018. Album somptueux. Pochette somptueuse. Ce Live in San Francisco sonne comme un classique lysergique, pour reprendre le jargon des mangeurs de champignons. Les Shjips appliquent la formule de base du bon psyché : un riff obsédant doublé d’une voix douce et d’un sens du ventre à terre bien pondéré. Alors ils sont capables de proposer la meilleure des mad psychedelias. La preuve ? «For So Long», où ils se montrent bien plus disciplinés que les Spacemen 3, mais ils n’en sont pas moins triés sur le volet. Voilà une hypno de rêve, bien montée sur le bassmatic. «Ruins» semble basé sur l’impavide pulsation de «Set The Controls For The Heart Of The Sun». Les cuts se veulent néanmoins courts et cavaleurs, bien structurés dans leur délire, aidés en cela par une rythmique fiable et même à toute épreuve. Le real deal de la mad psychedelia se trouve en B, avec «Staring At The Sun». On croirait entendre un cut de titube des Spacemen 3 : même ambiance de nonchalance vacillante. Et ça continue avec «Flight». Ils passent en mode heavyness psychotropique de bon augure, qu’ils ornent de jolis entrelacs de guitares et de langues fourchues. Ils jouent aussi «Death’s Not Your Friend» dans les règles du lard de la matière, ils se situent dans le fin du fin de la musicalité psychédélique et exploitent toutes les essences connues. Chaque note sonne juste, ils ne font jamais le moindre faux pas. Même le Death de fin de non-recevoir épate au plus haut point, c’est un Death qui épaterait n’importe quelle galerie, bien emmené, cœur vaillant rien d’impossible, menton en avant et regard rivé sur l’horizon, fantastique démarche d’avantisme, aucune hésitation, ces gens jouent cartes sur table, c’est une aubaine pour l’humanité, une façon d’échapper aux bourres du réalisme virologique.

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             Du coup, on est parti à la découverte de Wooden Shjips, un groupe monté en 2007 par Ripley Johnson avec trois camarades. Ils enregistrent un premier album sans titre qui ouvre une nouvelle voie vers le Graal de la Mad Psychedelia, avec notamment un «Losin’ Time» amené au heavy riffing gaga et bien ramoné au hérisson de Shjips. C’est même visité par les anges et ça vire très vite mad psyché. Absolute wonder de wonderer ! Ces mecs bouffent tout le gras sur le dos des grands, ils sonnent à la fois comme les Spacemen 3 et le Velvet, mais avec du velouté. L’autre voie impénétrable est un «Shine Like Suns» tartiné au long cours et monté en neige. Ils enclenchent le répétitif et au moment où on va décrocher, ça bascule dans l’enfer d’une authentique Mad Psyché-so-far-out. Absolute beginner d’extrême onction ! L’autre grosse influence de Ripley, c’est Can, bien sûr, comme le montre le petit beat hypno de «We Ask You To Ride». Ripley baigne dans son bouillon de culture, il file au trippy trippy petit bikini. «Lucy’s Ride» est encore un coup de ride à la Can, avec cet accord gratté à la surface de la planète et un Ripley qui vient chanter à l’étranglée. C’est très psychédélique, bien étalé dans le temps, l’ambiance reste crédible. Il va ensuite tartiner de la réverb sur un beat hypno pour les beaux yeux de «Blue Sky Bands». C’est très typé. Dans Uncut, Ripley nous explique qu’il jouait sur un «riculously loud Fender Quad Reverb amp. I wanted to get the super-oversatured fuzz sound».    

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             Deux ans plus tard, Ripley et ses amis récidivent avec Dos. Belle pochette et belle surprise avec une petite stoogerie intitulée «Aquarian Time». Ces gens-là savent donner du temps au temps, pas de problème, ils récupèrent les accords des Stooges et en voiture Simone ! Il se payent ce luxe effarant, ils naviguent un peu à la surface des Stooges, comme les Specamen 3. Ripley se prend pour Ron Asheton, mais il se contente de l’ambiance, juste de l’ambiance, sans la violence du chant. Les Shjips continuent de jouer des cuts longs et évolutifs, Ripley fait du stoner avec ostentation, il joue toujours avec les meilleures intentions. Joli shoot d’hypno que ce «For So Long». La guitare psyché entre bien dans le lard du beat, Ripley fait son biz à l’intérieur du groove. «Down By The Sea» est aussi monté sur un beat hypno de dix minutes. Tout est subtil et parfaitement maîtrisé, amené à l’insistance de la persistance, idéal pour un Shjipper comme Ripley. Il tortille bien sa nouille à travers les nappes de psychedelia subliminales, tellement subliminales qu’elles attaquent le système nerveux. C’est une invitation au suicide, ou à l’envolée, comme tu veux. Ripley mène encore bien sa barque avec un «Fallin’» qu’il pousse dans l’excès avec un petit orgue, ça tient bien la route, l’hypno est si pur qu’on pense au Velvet, c’est d’une finesse qui nous dépasse, qui se déplace dans le temps, un bonheur pour l’oreille aventureuse. Ripley entre dans la caste des géants des temps modernes, ses longs cuts sonnent comme des bénédictions.

             Quand Wooden Shjips commence à percer et qu’on leur propose des tournées en Europe, Ripley et ses amis déclinent les offres. Trop compliqué. Ils ne sont ni prêts à tourner ni vraiment organisés pour ça.

             Ripley vit avec une pianiste nommée Sanae Yamadain et un jour, il lui propose de monter un duo : Moon Duo - What if we start a band, just the two of us ? - À  deux, c’est beaucoup plus facile de s’organiser pour voyager. Une seule chambre d’hôtel, le matos dans le coffre, c’est très économique. En plus, ils sont fans de Suicide, des Silver Apples, Cluster et Royal Trux. Alors c’est facile. Ripley dit à Sanae : «Tu seras Martin Rev et je serai Alan Vega but with a guitar.»

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             Leur premier album s’appelle Escape et sort en 2010. Bel album, une fois de plus. Ils annoncent la couleur dès «Motorcycle I Love You», un big hypno sans échappatoire, avec un chant perdu derrière le rideau de son. On se fout de ce qu’il raconte. Ce sont les guitares qui règnent sur cet empire. Ripley est très Can et très mystérieux à la fois. Tout ce qu’on peut dire de lui c’est qu’il est le crack de l’hypno carnassier. Il tape en plein dans le mille, il développe une belle énergie exploratoire, ses solos courent sous le plafond, un peu phosphorescents, il mixe l’hypno avec la mad psyché et louvoie dans les méandres de la wah continentale, c’est assez toxique, on croit fumer un gros joint d’herbe. Avec «In The Trees», il passe au mix de destruction massive et de mad psyché. Tout est là : le poids des éléphants et les mouvements ralentis des phalanges antiques, un anglais appellerait ça du fat mad doggy scam. Tout repose sur la heavyness du tribal et Ripley déploie ses grandes ailes noires pour aller tournoyer dans le ciel rouge. Sa copine Sanae ramène de l’orgue dans «Stumbling 22nd St», mais c’est un riff d’orgue têtu comme un âne. Leurs cuts se prêtent à tous les subterfuges et ça vire très vite à la grosse attaque de marche forcée. Grimpé sur la crête du son, Ripley joue la cisaille à la folie. Power absolu ! «Escape» est tellement saturé de son que le casque saute. C’est un son ultra-masterisé qui explose la martingale et qui démantèle les clavicules de Salomon, qui Paracesse la paragenèse de Genovese, Ripley abandonne ses responsabilités, il scie l’arbre de sa branche, il va au-devant des dernières pauvres petites attentes, oh tu n’as pas idée de ce bordel. Moon Duo est une particule de mad doggy scam qui entre dans ta cervelle pour la bouffer, schloufff, schloufff, à belles dents.  

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             L’année suivante, ils enregistrent Mazes. Ripley avoue l’avoir enregistré sur Pro Tools, mais il est allé mixer l’album à Berlin avec deux Finnish guys qui ont un studio nommé Kaiku. Par contre, aucune information sur l’album. Il faut se débrouiller avec le son. Ça démarre avec «Seer», un big drive hypnotique, dans l’esprit de ce que font les Spacemen 3 et Lionel Limiñana. L’ultra-drone psychédélique. Ripley et Lionel seraient dit-on les derniers mages de l’univers. L’album grouille de références, on a déjà entendu «Scars» ailleurs. Ripley écoute trop d’albums, il démultiplie les flashes. Retour de la violence avec un «Fallout» riffé à la cotte de mailles. La disto sonne comme un cor de chasse, c’est aussi beau que du Velvet égaré dans les égouts. Le côté éclatant des guitares voilées rappelle les Boos, il a une façon spéciale de rogner dans le rognon du son et puis, comme ça, l’air de rien, il te joue le plus beau solo psyché des temps modernes. Nouveau coup de génie avec un «When You Cut» riffé dans le gras de l’idée. Il ramène des clap-hands à la volée et envoie son solo comme un punch in the face. Ripley est le killer flasheur ultime du monde psychédélique, il rajoute des bruits de casserole dans sa soupe aux choux, c’est complètement demented, ses solos tranchent la viande, il avance clic clic comme un train mécanique. Peu de gens sont capables de jouer le train au milieu des flammes. Il repart en maraude avec l’hypno rapide de «Run Around». Tout est solide sur cet album. Ripley pourrait donner des cours à tous les autres. Il sait mettre le feu aux plaines et cultiver les excès chers à Oscar Wilde.

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             Paru l’année suivante, Circles s’ouvre sur un coup de génie : «Sleepwalker». Tu es aussitôt embarqué, pas la peine de discuter. Ce mec-là t’arracherait le pain de la bouche, c’est un seigneur de la guerre du riff. Si tu entres chez lui, t’es baisé. Par de pire énormité groovytale, c’est une dégelée ultra-shamanique qui rivalise avec celles des Spacemen 3, tu as là tout le bataclan du no way out. L’énergie des Spacemen 3 rôde encore dans «I Can See» et surtout dans le morceau titre, même excédent endémique, c’est violent et bon à la fois, travaillé dans l’épaisseur du son. Et ça continue avec un «I Been Gone» digne des grandes heures du Velvet, assez pur dans l’approche de la déraison, Riplay vise en permanence l’excellence psychédélique. Ce mec n’est pas là pour s’amuser, mais pour te bombarder de son, il installe l’hypno de «Dance Pt 3» et pouf il part en tangente avec un solo de power destroy oh boy. Ah il y va le barbu, il va même singer Suicide avec «Free Action», il a un sens inné de l’hypno et avec son Dance, il rend certainement l’un des plus beaux hommages à Alan Vega. Il développe une énergie stroboscopique d’all nite long. On ne se lasse pas de cette violence bienveillante. Riplay it again Sam ! Son «Trails» sonne comme un shoot de Brian Jonestown Massacre, c’est-à-dire un heavy groove psychédélique, avec une pulsion in the flesh, il œuvre au nom de sacré, cet album est un oasis dans le désert. Il termine avec «Rolling Out», une embellie psychédélique qu’il embrasse à pleine bouche.     

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             Pochette surréaliste pour Shadow Of The Sun. L’album paraît en 2015. Livret réduit à portion congrue : juste un recto-verso avec des infos minimales. Si t’es pas content, la porte c’est par là. Ripley nous présente deux de ses plus grosses influences : les Stooges et le Velvet. Stooges avec l’effarant «Wilding». Au moins les choses sont claires. Il joue les accords des Stooges et lance des vagues de turbulence à la surface des riffs de Ron Asheton. C’est un hommage, pas d’inquiétude, Ripley ne se permettrait pas d’insulter le plus grand guitariste de tous les temps. Bien au contraire. Avec Ripley, c’est simple : un Stooge sinon rien. Velvet avec «Slow Down Low». Il reprend les accords de «Waiting For The Man». Pas de pire hommage ! À part Pat Fish et les Subsonics, personne ne peut Velveter aussi bien que Ripley. Il fait preuve d’une stupéfiante endurance et finit par barrer en couille de drouille sur un backing digne de John Cale. Par contre, on entend beaucoup de machines sur cet album. L’étau des machines new wave peut détruire l’espoir, comme le montrent «Ice» et «Animal». On finirait presque par le détester, le Ripley,  avec ses boîtes à rythme et ses boîtes à conneries. La new wave tue la mad psyché dans l’œuf. Dommage, car «Free The Skull» est un chef-d’œuvre de mad psyché, il redevient le grand seigneur du dégueulis convulsif, il vire complètement Spacemen 3.

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             Comme il a trop de cuts en réserve et qu’il veut pas faire un double album, alors il propose deux volumes d’Occult Architecture. Occult Architecture Vol. 1 sort en 2017. C’est selon Ripley l’album sombre, qui d’ailleurs démarre sur «The Death Set», petit chef-d’œuvre d’hypno élastique, ça joue dans la nuit sans craindre la panne. Tous les groupes qui ont des outils font ça, mais Ripley le fait mieux, avec esprit. C’est le principe de l’heavy psycho. Ce sont les machines qui amènent «Cold Fear», elles tuent encore une fois le psyché dans l’œuf mais Ripley ramène des guitares trash suspensives. C’est son côté génie du son et ça vire automatiquement hypno, mais hypno de drug scene. Il ramène encore beaucoup de son dans «Cross Town Fade». Ripley et Sanae jouent à deux comme s’ils étaient six. Trop de son, beaucoup trop de son, c’est gorgé d’éclats de violence. Ripley en veut, il est assez ultime dans sa détermination. Retour à la mad psyché avec «Cult Of Moloch», il envoie sa wah tourbillonner dans le ciel noir comme un ptérodactyle, il crée des visions dans l’épaisseur du son, il applique toutes ses vieilles recettes alchimiques, avec le chant à la renverse sous un ciel de plastique mauve, des solos en forme de lombrics géants, des échos encore plus éloignés que l’horizon, c’est hors du temps, et les retours de beat sont des chefs-d’œuvre d’articulation. Il termine avec «Fast Ride». Ripley ne traîne pas en chemin. Il adore balancer des bassines d’huile bouillante sur la gueule de sa fiancée qui se tient au pied du donjon, aw comme il est dur, gueule-t-elle, il m’a défigurée ! Quel goujat ! Oui, Ripley a autre chose à faire dans la vie que de courtiser les connes, il file droit dans son monde imputrescible de wah puante et de beat druggy et ça sent bon la dope dans tout ce bordel hypnotique, il tartine encore un solo de no way out, il est le seul maître à bord.

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             Occult Architecture Vol. 2 est donc l’album lumineux. «New Dawn» ouvre le bal et met du temps à se relever. Et ça part en mode Spacemen, beat hypno, un accord, mode pilote automatique et chant à la renverse. Ripley est capable de te faire tripper à jeun. C’est gratuit, en plus, pas la peine d’aller chercher ta fiole chez Sade. Ripley joue à l’excelsior de la dérive, il vise l’excellence de la partance. Mais après, ça se gâte : la new wave est de retour. Ripley sauve «Sevens» avec un solo final qui est une œuvre d’art. Il revient à sa chère mad psyché avec «Lost In Light». Même envergure que celle des Spacemen, même quête de pureté. Il joue à la main moite avec des descentes de chant bouffées aux mythes. Avec «Crystal World», il sait où il va. Il est bien le seul. Nous on suit, comme des cons. Ah il va par là ? Alors on va par là. C’est assez simple. Il faut juste suivre Ripley sinon t’es paumé.

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             Le dernier album en date de Moon Duo s’appelle Stars Are The Light. Belle pochette psychédélique. Ripley veut bosser avec Sonic Boom qu’il connaît bien. On dit dans la presse anglaise que Sanae Yamadain et Sonic Boom font des miracles avec leurs synthés sur cet album. C’est tout le contraire, l’album est très décevant, même si le groove de «Flying» te cueille au menton. Mais après ça se gâte car Sanae chante dans des effets à la petite mormoille new wave de Rocamadour. Cet album refuse de fonctionner malgré le groove de basse de «Fall (In Your Love)». Ils semblent un peu trop rigides, comme s’ils avaient un manche à balai dans le cul. Il y a trop d’effets sur cet album, pas assez de guitares. Quelques vieux relents de mad psyché remontent de «Lost Heads», mais les voix se perdent dans l’écho des machines. Il faut parfois savoir accepter de perdre son temps en sachant pertinemment qu’il ne va rien se passer de plus que ce qu’on sait déjà. Ils font du groove de carte postale avec «Eternal Shore», c’est bien agencé, très dedicated, on a du mal à l’avaler mais on l’écoute. Puis le coup du lapin arrive avec «Eye 2 Eye» : trop de machines, c’est insupportable, prétentieux et sans espoir. Ripley va chercher le Velvet pour boucler avec «Fever Night» mais on s’est emmerdé pendant une heure, alors désolé Ripley, ça ne passe pas, d’autant que le son n’est pas bon. Trop d’effets, trop de mormoille.  

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              Retour à Wooden Shjips. Si West est un si bel album, le mérite en revient à Sonic Boom qui le mastérise. Boom dès «Black Snake Rise», belle hypno saturée de son, toujours le même modèle, Ripley ne varie guère les plaisirs. Il propose une hypno crépusculaire enchantée. Avec «Crossing», il fait du Spacemen 3, il bascule dans la magie latente, dans ce demi-monde des drogues hallucinogènes et de descentes de basse épisodiques, Ripley revient au corporel, au groove organique, il propose une fantastique approche du ralentissement de tous les sens avec un son qui scintille au coin du bois de Brocéliande. Ce sont les écarts de la basse qui font le power du délire. Cette musique sent bon la dope. Puis ça repart en mode heavy as hell avec «Home», c’est même du subliminal infernal, une spatiale effervescence d’effarance concomitante, Ripley gère son enfer, il étend son empire, il annexe la mad psyché, tout est bardé de beat et ça bascule dans le purple heart of the inner world. Une merveille ! Il continue d’avancer dans West avec un planétarium d’effets de wild guitars («Flight»), hey baby low, tu danses dans la nuit orangée d’Holland Park. Il amène «Rising» au fast rising de shshhh. Ces mecs savent faire éclore la rose. Une fois de plus, la basse traverse sans regarder ni à droite ni çà gauche, comme chez les Spacemen 3, et pour être précis dans cette purée, il faut être extrêmement doué. Les lignes de basse croisent dans un lagon de réverb, pareils à de prodigieux requins psychédéliques, Ripley chante comme si on venait de lui arracher une jambe, il joue bien le jeu de l’agonie avec tous les bouillons qu’on imagine dans l’émeraude du lagon, aw ma patte, aw ma patte elle est partie, sa voix s’éloigne sous l’alizé du paradis, alors que le requin psychédélique se barre au large avec sa jambe.

             Parlant de West, Ripley dit qu’à l’époque il restait assez proche de ses influences : «Neil Young, les Stones, The Band, le Dead, Zep, the Faces, whatever.»

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             Back To Land est sans doute le meilleur album de Wooden Shjips, en tous les cas celui qu’on n’hésiterait pas à recommander, même à son pire ennemi. Parce que sur les 8 cuts de l’album, on ne compte pas moins de 6 merveilles, à commencer par le «Back To Land» d’ouverture de bal, un cut qui t’embarque aussitôt. Alors embarquement immédiat, comme chez les Spacemen 3, et le chant synthétise la meilleure psyché défoncée du monde. C’est l’hypno de tes rêves les plus humides. Autre prodige hypnotique : «In The Roses», embarqué cette fois au fast ride et chanté à l’évaporée. La force de Ripley consiste à tenir le beat pendant cinq minutes sans faiblir. Il attaque «Other Stars» au va-pas-bien des Spacemen 3, il joue un acid trip perforateur, au revoir et à bientôt. Tu ne trouveras rien d’aussi pur ailleurs. Ripley et ses amis amènent aussi «Ruins» à la véracité de l’hypno psychédélique. Personne ne peut résister à ça. C’est du grand art, joué à sec et mis en perspective. Le «Ghouls» qui suit est assez touffu, quasi Hawkwind, balayé par des vents de sable, Ripley reprend les tornades d’Hawkwind à son compte et passe un killer solo. Encore une belle envolée belle avec «Servants», ça louvoie une fois de plus dans les méandres de la meilleure psychedelia de San Francisco. Pour finir, Ripley amène «Everybody Knows» au sommet du lard fumant. Il ouvre un incroyable chapitre de possibilités. Il pose son chant au sommet d’une montagne de son, ce mec a du génie, il joue à l’ordonnée, c’est un visionnaire, un Brian Wilson psychédélique, il dégringole sa psyché au Soul charme de chant chaud, avec un solo furtif en ligne de mire, mais calé dans la mélodie, c’est dire si, messie mais si, c’est encore une stupéfiante prestation digne des Spacemen 3.

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             Quand Phil Istine demande à Ripley quelles sont les influences de Back To Land, Ripley parle de primitive psychedelic music and minimalist music. Et pouf il te sort le nom de Träd Gräs Och Stenar et des autres groupes suédois qui constituent le Pärson Sound. Il parle de primitive tribal jam stuff, qu’il préfère au Velvet - The direct opposite of prog, music that almost anyone could play - Pour lui, la dimension de l’hypno est essentielle, this universal primal thing that everyone could relate to - Ripley rappelle que dans son premier groupe, personne ne savait jouer d’un instrument. It grew from there - Fantastique ! Ripley rappelle aussi que vendre des albums n’a jamais été le but principal du groupe. Ce qui compte pour lui, c’est jouer pour les gens. Alors Istine lui demande ce qu’est le but principal du groupe. Ripley : «The records are the most important thing.» Il indique qu’il est amateur de vinyles et de découvertes - Making a good record with some shelf is always the most important thing to me.

             On sent une petite baisse de tension dans le V paru en 2018. Ripley joue du petit strapontin d’hypno, il tâte son «Eclipse» à l’orée de la vulve, c’est un tactile, il continue de vouloir jouer envers et contre tout. On sent surtout qu’il ne pense qu’à une chose : s’amuser. Il fait ensuite du replay de Ripley, il lance des petits grooves hypnotiques et les laisse se débrouiller tout seuls. Ça devient assez pépère. On a même parfois l’impression qu’il prend les gens pour des cons, mais bon, ça n’est pas si grave, au fond. Il faut attendre «Staring At The Sun» pour renouer avec la viande. Cette fois, Ripley nous propose une Marychiennerie, c’est en plein dedans, quelle vague de son ! Il se prend pour William Reid. Ripley sait tout faire, c’est un magicien. Il termine avec un «Golden Flower» puissant et séditieux qu’il allume à la voix à peine éclose sur un drive de basse indus, et il conclut avec «Ride On», une nouvelle Marychiennerie superbe et sans espoir, jouée à la dérive abdominale, qu’il orne d’un solo sculptural.

             Après l’enregistrement de V, Ripley se demande s’il fera un autre album avec Wooden Shjips. Il n’en sait rien. But never say never. Maybe we’ll all live to 120 - you know you gotta do something with your time.               

    Signé : Cazengler, Ri-plaie

    Moon Duo. Escape. Woodsit 2010 

    Moon Duo. Mazes. Sacred Bones Records 2011     

    Moon Duo. Circles. Sacred Bones Records 2012     

    Moon Duo. Shadow Of The Sun. Sacred Bones Records 2015

    Moon Duo. Occult Architecture Vol. 1. Sacred Bones Records 2017  

    Moon Duo. Occult Architecture Vol. 2. Sacred Bones Records 2017

    Moon Duo. Stars Are The Light. Sacred Bones Records 2019

    Wooden Shjips. ST. Holy Mountain 2007

    Wooden Shjips. Dos. Holy Mountain 2009

    Wooden Shjips. West. Thrill Jockey 2011

    Wooden Shjips. Back To Land. Thrill Jockey 2013

    Wooden Shjips. V. Thrill Jockey 2018

    Wooden Shjips. Shjips In The Night. Live In San Francisco June 8 2018. Silver Current Records 2019

    Phil Istine : Wooden Shjips. Shindig! # 39 - 2014 – Reverberate

     

     

    L’avenir du rock - Pure Len vierge

     

             L’avenir du rock s’amuse beaucoup avec les raccourcis. En voilà un au hasard, histoire d’illustrer notre propos : Mod, mouton, confort. Dans l’épouvantable labyrinthe qui lui sert de cervelle, l’avenir du rock trouve des liens pour asseoir ses petites mythologies : la laine du mouton, Shetland de préférence, revoie directement à l’idée de confort intellectuel et donc à Mod. Mod/mouton/confort, c’est en plein dans le mille de la cocarde. Rien n’est plus Mod que de porter un Shetland bien chaud dans les rues venteuses de London town, même quand on n’habite pas London town. C’est le principe qui compte. Tous les Mods le savent. Mod ça commence sur ton paillasson, tu ne fais pas entrer n’importe quoi ni n’importe qui chez toi. Et si Mod constituait le dernier rempart contre la vulgarité des télévisions et des magazines français ? L’avenir du rock aime caresser cette idée, pas seulement pour la faire jouir et l’entendre miauler au clair de la lune, mais aussi pour en tirer une essence métaphysique invisible à l’œil nu, cette essence que depuis plus de cinquante ans, quelques dandys londoniens diffusent au compte-goutte sous le manteau. L’autre soir, à l’heure de l’apéro, l’avenir du rock trinquait avec un collègue, et pour animer la conversation, il lui dévoila son raccourci Mod/mouton/confort. Le collègue prit son air le plus intelligent pour afficher son désaveu et proposer un rectificatif : Mod/parka/scooter, arguant de l’invincible principe de l’immédiateté des choses. Frappé par l’insondable bêtise de son interlocuteur, l’avenir du rock avala son Pastis de travers. Fallait-il argumenter pour dire qu’un scoot n’a rien à voir avec le confort, et pourquoi pas Stong et tous les clichés à la mormoille, tant qu’on y est ? L’avenir du rock espérait engager un dialogue intéressant, mais il lui fallut couper court en payant une rincette cul sec et en prétextant un rendez-vous pour s’ôter des yeux le spectacle de cette trogne immonde. Comme tout le monde, l’avenir du rock déteste qu’on vienne lui manger la Len sur le dos, d’autant que des coups comme ça, il s’en paye 3 à la douzaine. Ce qui le conduit tout naturellement à faire évoluer son raccourci en Mod/Len Price 3/confort, pour l’offrir aux fidèles lecteurs des Chroniques de Pourpre.    

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             The Len Price 3 est un trio du Kent, hélas trop peu connu. Pour un groupe aussi underground, décrocher un 10/10 dans les pages de chroniques de disques, ça doit être une sorte de consécration suprême. Surtout que les journalistes anglais sont assez avares de 10/10. Il faut vraiment que l’album soit miraculeux pour qu’ils se décident à lui allouer un 10/10. L’événement est d’autant plus remarquable qu’il se déroule dans les pages de l’un des derniers grands magazines de rock anglais, le fringuant Vive le Rock qui paraît tous les deux mois et qui propose un choix d’articles assez hauts de gamme sur des gens qu’on ne voit pas forcément ailleurs, comme les Damned, les DeRellas, les Wildhearts ou encore les Afghan Whigs. Ces groupes furent un peu l’apanage de Kerrang! à une autre époque, mais aujourd’hui, ils se font rares dans les pages des autres titans de la presse rock anglaise.

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             Dans sa chronique magique, Dick Porter démarre ainsi : «You can’t go wrong with the Len Price 3». Effectivement, on ne prend aucun risque en achetant un album de ce trio du Kent, leurs quatre albums sont bourrés de ce que Dick Porter qualifie de «dynamite garage rock» et cite en référence les Who, les Small Faces et les Move. Pas mal, non ? Puis il balance les inévitables «savage guitar breaks» et «outstanding songs». L’album que salue Dick Porter s’appelle Nobody Knows. Avec sur la pochette, les vestes à grosses rayures de nos trois brillants amis : Glenn Pace (lead), Neil Fromow (drums) et Steve Huggins (bass). Alors, effectivement, on entre dans ce disque comme on entre au paradis du gaga-Mod britannique, tel que l’ont défini les Prisonners ou les Masonics. Le morceau titre de l’album est une sorte d’ultime avertissement : tu veux du smoking gaga ? Eh bien, en voilà ! C’est riffé à la Downliners Sect avec les chœurs des Who et arrosé d’un killer solo à la Dave Davies. Ce qui nous donne en gros une synthèse de ce qui peut exister de mieux dans le domaine. Les chœurs tripotent la biscotte. Ils te riffent «Swing Like A Monkey» à la manière des Kinks, avec une belle progression d’accords et des chœurs latents. On se croirait sur Pye en 1965. Petite explosivité vite rassemblée sous le manteau pour «My Grandad Jim». Pur jus Whoish. On retrouve bien l’échevelé du riffing de Pete Townshend et l’admirable folie des chœurs, le tout couronné d’un solo de Whitechapell killer. Encore plus stupéfiant, voilà «Lonely», un hit digne des Beatles, comme si cela était encore possible ! Retour à l’extrême puissance avec «Words Won’t Care». Glenn Pace attaque comme Ray Davies - Girl ! I got so much to tell ya - Et ça bascule dans la violence - Cu Cu Cu C’mon - et il essaye de faire son Daltrey. Ils sont tous les trois au cœur de l’épaisseur du beat anglais, c’est un petit moins typé que les Kinks, ça tire plutôt sur les Headcoats, car on retrouve la folie de «Troubled Mind». Ils font ensuite ce qu’ils appellent une reprise du morceau titre et concluent avec la perle de cet album indomptable, «The London Institute». Glenn Pace s’en prend aux bocaux qui contiennent des fœtus et il obtient l’appui de l’artillerie lourde. Ça donne la meilleure power-pop d’Angleterre. Ils finissent par exploser au firmament d’un psyché hendrixien hallucinant - In the name of the science - On sort scié de cet album.

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             Le gros problème avec The Len Price 3, c’est que chaque album dépasse les espérances bien connues du Cap de Bonne Expectitude. Comme son nom l’indique, Chinese Burn brûle. Ils tapent dans les Kinks dès «Christian In The Desert», mais avec l’énergie des Hammersmith Gorillas - I’m a christian in the secret baby/ For you ! - S’ensuit le morceau titre qui explose littéralement. C’est battu à la Keith Moon, claqué à la Ricken et chanté à l’aune de l’éternelle jeunesse. Les pauvres Jam auraient dû prendre des notes. Tout est explosif sur cet album. Power-pop démentoïde avec «The Last Hotel», c’est d’une qualité qui va bien au-delà de la possibilité d’une île : ils sonnent comme des Byrds survoltés et dotés de l’énergie des Afghan Whigs. Ils sont beaucoup trop puissants. Ces mecs ont tout le power du monde. Ce n’est que le balda et ils alignent déjà quatre hits planétaires. Nouveau coup de Jarnac avec un «Swine Fever» cisaillé à vif - Go !, et ça part en solo. Il faut voir l’extrême sévérité du son. Ils font aussi de la Mod pop avec «Amsterdam», le hit que tout le monde attend. Ils renouent avec le Childish punk en envoyant «Chatham Town Spawns Devils» ad patres. Ils font des breaks orchestraux avec les trois instrus, histoire de nous stupéfier un peu plus. On rencontre un album comme celui-là une fois tous les dix ans, et encore. Retour à l’explosivité des choses avec «Shirley Crabtree» et aux Who avec un «She’s Lost Control», gorgé de chœurs têtus et de poison toxique. On descend aux enfers des Who, c’est bien martelé, les chœurs partent au coup de cymbale et t’aplatiront comme une crêpe si tu te mets en travers. «Midway Eye» infeste l’Angleterre. The Len Price 3 sont un fléau, l’un des meilleurs fléaux de l’histoire du rock anglais.  

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             L’album suivant s’appelle Rentacrowd. Un bon conseil, ne l’écoute pas, car tu vas encore tomber de ta chaise. Dès le premier cut, ils sonnent comme les Who de 1964. L’évidence troue le cul. Ils ont retrouvé le secret de l’énergie des early Who avec des chœurs de tapettes et des tours de windmill. C’est exactement la même pétaudière, le même jus de chaussette et le même carnage. On croyait les Who inimitables. Grave erreur. Aussitôt après arrive un hit Mod, «If I Ain’t Got You», bien serré dans son petit pantalon, avec sa petite coiffure, son énergie de Purple Heart, c’est le hit Mod de rêve, la cocarde dans l’œil, l’enfilade des annales et les montées d’une basse devenue folle. Voilà sans doute le trio le plus explosif de l’histoire du rock anglais. Les gens ne se doutent de rien. «Sailor’s Sweetheart» est un morceau beaucoup trop excité. Il faudrait pouvoir calmer ces mecs, mais comment faire ? Ils sont tellement intenses. Si on les écoute au casque, on bave comme une limace. Surtout qu’il y a des notes de basse en suspension, et généralement, ça ne pardonne pas. Ils restent dans l’univers magique des Who avec «Doctor Gee», encore un hit poignant de génie intrinsèque. Neil Fromow bat ça à la volée. «Girl Like You» ? Directement inspiré des early Kinks. C’est d’une violence ! Au-delà de tout ce que tu peux imaginer. Ils sont encore plus sauvages que les trogglodytes. On reste dans l’énormité cavalante avec «With Your Love», digne du musée de cire de Madame Tussaud. Apanage du beat sauvage. Ils vont même jusqu’à faire swinguer le beat, ils fracassent le langage, ils explosent le format étriqué du rock. Ils nous entraînent dans leur monde qui est celui du vrai rock. Ils jouent tous leurs cuts avec un entrain confondant. Tout est furieux, solide comme l’acier et indéniable. Ils sauvent le British Beat de la mort. «No Good» ? Révolutionnaire. Plus énorme que l’énormité. C’est un punch-up claqué violent. Ce groupe est-il humain ? Ils nous gavent de chœurs de fous et solos traînants. On retrouve les accords de Dave Davies dans «Cold 500». Encore un truc violent, sec et sans bavure. Ah les vaches ! Ils ont tout compris. Ils font tout exploser, même les Kinks. Solo à la Dave, glou-glou surprenant de véracité métabolique. Et ça continue comme ça jusqu’à la fin, avec «She’s Not Really There» (rien à voir avec les Zombies, c’est du wild gaga qui monte par la jambe du pantalon) ou «Turn It Around» (encore une resucée des Kinks twistée du bassin, véritable bestiau de juke, idéal pour faire onduler le plancher).  

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             Pictures fut aussi un album particulièrement décoiffant. Du genre de ceux qu’on ne croise qu’une fois tous les dix ans, comme les trois autres albums du groupe, d’ailleurs. Allez, c’est pas compliqué, sur treize titres, dix sont des bombes atomiques. Ils passent des Who aux Kinks sans crier gare, avec ce génie du son qu’on croyait disparu depuis les derniers exploits d’Hipbone Slim & the Kneetremblers. Ça commence à chauffer dès «Pictures», car on se croirait sur le premier EP des Who enregistré par Shel Talmy, tellement ils ont le son. C’est un festival de claque et de jute mélodique, de tension et de panache - Down at the club/ The cut price drink is flowing - fantastique ambiance dévastatrice. Mais qui a besoin de nouveaux Who aujourd’hui ? Nous, surtout quand on entend «Keep Your Eyes On Me», on ne se pose plus de questions. Voilà une nouvelle pièce de choix bourrée d’éclats d’harmonies vocales typiques des Who de «I’m A Boy». Fabuleuse ambiance insouciante et jouissive, claquée au son de la Rickenbacker, c’est fait pour danser et transpirer à grosse gouttes, comme au bon vieux temps des cerises. Encore du freakbeat teigneux avec «I Don’t Believe You», bardé de chœurs à la Troggs. Nous voilà en plein trip Mod - If there’s a God, then you’re going to hell - encore une histoire de règlement de compte et de manque de confiance. «Girl Who Became A Machine» s’appuie sur une progression d’accords digne des Kinks et ce n’est pas rien de le dire. Même son. Ils savent taper dans tous les grands sons des sixties. Solo magnifique de teigne, on a là du garage de rêve, imparable, secoué, tenu, battu sec et bardé de bouquets de chœurs spectaculaires. Belle pièce de power-pop avec «After You’re Gone», exemplaire et gonflée aux vents d’Ouest. Ils sonnent encore comme les Kinks dans «Mr Grey», timbre et son, esprit et désespoir. Ça finit par un suicide, évidemment. B toute aussi explosive, avec «Nothing Like You», un garage déterminé, écraseur de champignon, freakbeat écœurant d’exemplarité, avec des petits breaks et un solo dévasté de fuzz qui rampe hagard pendant quelques secondes. Toujours les Kinks avec «If You Live Round Here» où Glenn Pace raconte l’histoire d’un quartier - And I don’t think it’s right beating up a stranger on a saturday night - il prend son plus bel accent cockney pour dire qu’en effet, ce n’est pas terrible de casser la gueule à un étranger qui traîne dans le quartier le samedi soir puis il ajoute - You think you’re better than the population/ Don’t get ideas so above your station - il dit qu’en effet, ça ne vole pas très haut, dans le quartier. Ils reviennent à la folie des Who avec «You Tell Lies» et des lalalas de rêve. Les Who avaient déjà un Lies, bon eh bien voilà, ils en ont un autre, tout aussi brillant, avec un solo de fuzz d’antho à Toto. Pulsif, malingre et malveillant, c’est ainsi qu’on pourrait situer cette abomination qu’est «Man Who Used To Be», avec ses refrains sucrés, son drive musclé, voilà encore un raver de compétition, une bombe garage qui tombe du ciel. Parfaite démonstration de l’over-puissance du power trio, l’imparabilité du trident vainqueur. Claque directe dans le beignet avec «Under The Thumb», un gros binaire de choc - You make me cry cry cry - encore un hit de juke qu’il faudrait citer à l’ordre du mérite. C’est tout simplement un classique effarant et couvert d’harmo. Brillant album. 

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             Retour en force avec Kentish Longtails. Eau et gaz à tous les étages, ça pisse et ça pète en montant chez Kate. Coup de génie en B avec «Ride On Cottails», slab de heavy gaga kentish, monstrueux de big pumping. Encore mieux : «Lisa Baker», excellente Mod pop chantée à la cockney motion, avec des chœurs de Who. Admirable d’archétypisme - Dancing in your underwear/ Lisa baker you’re not right - S’ensuit un «Paint Your Picture Well» power-poppy, joué à l’énergie des reins, somptueux, vainqueur, tellement anglo-luminous. On reste dans la solide power-pop avec «If You See What I See», ils nous savonnent bien la pente et chauffent leur cœur de cut à blanc. On a là l’une de ces montées de sève qui peuvent rendre un homme heureux. Avec «Man In The Woods», ils nous racontent l’histoire triste du mec qui vit dans les bois. Les gosses lui crachent dessus, les bulldozers arrivent, alors il n’a plus de cabane, ni d’avenir. Le «Childish Words» qui ouvre le bal de l’A est un règlement de comptes à OK Corral avec Billy Childish - We don’t need approval from the likes of you - Quand on écoute «Sucking The Life Out Of Me», on comprend que The Len Price 3 est l’un des meilleurs groupes anglais actuels. L’autre grosse bombe s’appelle «Nothing I Want». Ils nous stompent ça avec des oh-oh dignes des Who. Mais ils sonnent aussi comme les Clash du premier album, c’est exactement la même énergie. Ils dénoncent le système pourri - I’d like to take your stuff/ Ram it down yout throat/ With your plasma screen telly/ And your UKIP vote.

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             Leur nouvel album vient de paraître : Ipdipdo. Introuvable chez les marchands habituels. Comme Jacques les avait chroniqués au temps de Dig It!, je lui en parle et le lendemain, il me transmet les fichiers de l’album. Elle est pas belle la vie ? Dès «Chav Squad», on est prévenu : agression Moddish et chœurs Whoish, te voilà de retour à la Mecque des Mods, avec un riff qui te pousse bien au cul, l’énergie des early Who est intacte, on peut dire que ces trois petits mecs s’en portent garants. Le festival se poursuit avec «She Came From Out Of The Sun» qui pourrait aussi sortir d’un album des early Who, refrain magique, texture sonique unique au monde, ça sent bon la brique rouge et la gasoline alley, le working class et la grisaille emblématique. Ils ne sont plus très nombreux à porter ce flambeau : Graham Day, Jarvis Humby, Len Price 3, Galileo 7, mais ça pourrait suffire. Fantastique attaque d’accords en réverb pour «Bag Of Bones», gros clin d’œil aux Prisoners, ça riffe dans l’os du Bag of Bones, c’est tellement beau et classique qu’on croit rêver, ça veut dire en clair qu’on peut encore jouer le wild Mod rock aujourd’hui, pourvu bien sûr qu’on soit inspiré, et en prime, un killer solo flash te transperce le cœur. Ils en passent un autre dans «Billy The Quid» qui va plus sur les Jam. Le chant reste bien fidèle au poste, un brin cokney, ces mecs dégagent un enthousiasme contagieux. Mélangé à une certaine fureur, ça donne le Mod Sound britannique. Tous les cuts sont impeccablement taillés pour la route, chacun d’eux est serti d’un killer solo d’antho à Toto, ces trois petits mecs ne font pas les choses à moitié. Back to ‘64 avec «Charlie», attaqué au Dave Davies’ riffing. Tu descend à la cave et leur come down te cueille au menton, avec le wouahh qui amène le killer solo. Tout ça pue la sueur des amphètes et les pustules adolescentes. Ces mecs n’en finissent plus d’aligner des mini-hits qui comme les mini-tortues n’ont aucune chance d’atteindre l’eau. Les Len Price 3 semblent condamnés aux ténèbres de l’underground et à la dématérialisation, alors qu’ils jouent comme des princes. Encore une intro d’accords géniale pour «Bad Vibe Machine», avec en prime des coups d’harmo, back to some residency at the Marquee, oh yeah, ils jouent sur leur tapis volant et traversent l’histoire de London town avec une classe épouvantable, oh yeah, she makes me feel bad ! Comment s’appelait ce roi de France qui hurla au cœur de la bataille : «Mon royaume pour un Super Marine !».

    Signé : Cazengler, petite Len

    Len Price 3. Chinese Burn. Laughin Outlaw Records 2005

    Len Price 3. Rentacrowd. Wicked Cool Records 2007

    Len Price 3. Pictures. Wicked Cool Records 2010

    Len Price 3. Nobody Knows. JLM Recordings 2013

    Len Price 3. Kentish Longtails. JLM Recordings 2017

    Len Price 3. Ipdipdo. Strood Recording Company 2021

     

     

    Inside the goldmine - Patrice n’est pas triste

     

             Nous avions le même âge et étions dans la même classe. Il était brun, lui aussi, mais il était fils unique. Il habitait là-haut, du côté de la Route de la Délivrande, dans une maison très ancienne. De grandes dalles pavaient le chemin qui menait aux marches du perron, et lorsqu’on entrait à l’intérieur, une singulière odeur de gâteau de tapioca nous flattait les narines. Il parlait d’une voix étrangement grave pour un gosse de son âge, ce qui lui conférait une sorte d’autorité. Et puis un jour où nous nous étions donné rendez-vous à l’angle des Galeries Lafayette, il apparût vêtu d’un long manteau noir, ces manteaux qui descendaient jusqu’aux chevilles et qui cette année-là étaient à la mode. Ils valaient horriblement cher. Il semblait déjà maîtriser son destin, sans doute épaulé par des parents qui voyaient en lui un être exceptionnel. De tous les gosses qu’on fréquentait à cette époque, il était le plus «avancé». À l’âge adulte, on appelle ça du charisme. Il dégageait véritablement quelque chose, ce n’était pas uniquement lié à une question de moyens. Il savait comment parler aux filles. Nous prîmes la direction du Grand Cours pour aller faire un tour de camors, l’endroit idéal pour, disait-il, «lever des petites gonzesses». Nous achetâmes des jetons pour faire un tour de repérage. Il désigna du doigt les deux petites blondes de l’autre côté de la piste et il lança le camor qui prit de la vitesse. Zzzzzzzz.... Boooong ! Nous percutâmes de plein fouet le flanc du camor des filles qui éclatèrent de rire. Ça voulait dire ce que ça voulait dire. Elles nous avaient forcément repérés. Elles furent d’accord pour aller faire un tour dans le petit bois derrière le Grand Cours. Elles n’avaient d’yeux que pour lui. Elles s’appelaient Brigitte et Martine. Elles portaient des jupes très courtes et se coiffaient comme France Gall. Il leur passa le bras sur les épaules et ils pressèrent le pas. Ils finirent par disparaître tous les trois dans un chemin. Le lendemain, nous nous retrouvâmes à l’entrée du collège. Comme nous nous entendions bien, il prit les devants. Il me devait une explication. Il avoua qu’il draguait toujours deux filles à la fois et voyant que je ne comprenais pas, il ajouta qu’il avait deux queues. Il s’appelait Patrice.

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             Bien sûr, Patrice Holloway n’a rien à voir avec l’étrange Patrice évoqué ci-dessus. Patrice Holloway n’est pas un Patrice, mais une Patrice, elle n’est pas blanche mais black et, petite cerise sur le gâtö, c’est la frangine de Brenda Holloway. Les gens de Kent qui comme on le sait font toujours très bien les choses ont mis en circulation l’une de ces bonnes vieilles compiles dont ils ont le secret : Love & Desire: The Patrice Holloway Anthology. On trouve des photos de Patrice dans le booklet. Diable comme elle est belle, avec ses yeux en amandes. Dennis Garvey nous rappelle qu’elle n’a jamais eu de hit, qu’elle n’a jamais enregistré d’album et qu’elle fut contrainte de se retirer du biz alors qu’elle avait un peu plus de 20 ans. Comme d’habitude ce sont les fans anglais de Northern Soul qui l’ont arrachée à l’oubli.

             Sa frangine Brenda est plus connue car elle fut repérée par Motown et signée sur ce qui était alors le plus prestigieux label Soul d’Amérique. Dans les early sixties, les deux sœurs font aussi pas mal de backings pour Sam Cooke. Brenda n’en finit plus de dire à quel point sa sœur est belle, elle est The girl, dit-elle, elle flirte avec Muhammad Ali puis à 13 ans, elle devient la girlfriend du 12-Year-Old Genius Stevie Wonder. Ils se roulent des tas de pelles devant tout le monde - They were a hot item - Patrice enregistre en 1963 «(He Is) The Boy Of My Dreams» pour un sous-label de Motown, V.I.P., cut génial qu’on retrouve d’ailleurs sur la compile Kent. La similitude entre the pre-pubescent Stevie et la pré-pubère Patrice est stupéfiante. Ils n’ont que 12 et 13 ans ! Garvey suppose que le single a été retiré des ventes à cause du côté sulfureux de leur relation. En 1966, Patrice est signée par Capitol, elle démarre une carrière solo à l’âge de 15 ans ! C’est là qu’elle enregistre «Love And Desire» et «Ecstasy». C’est David Axelrod qui produit «Stay With Your Own Kind», une histoire d’amour inter-racial. Mais bon, Capitol fout le paquet sur Lou Rawls et donc Patrice ne perce pas. Elle continue de faire des backings de choc avec sa frangine, notamment derrière Joe Cocker sur «With A Little Help From My Friends». Patrice se fait pas mal de blé avec les sessions et se paye deux Corvettes Stringray. Berry Gordy l’admire pas seulement pour sa voix, mais surtout pour ses qualités de businesswoman. Elle gère merveilleusement bien ses deals. Elle participe à des sessions de backings légendaires, de type «Someday We’ll Be Together» pour Diana Ross & the Supremes, avec Merry Clayton, Clydie King et Venetta Fields, pardonnez du peu.

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             On la retrouve aussi dans les chœurs de Brothers & Sisters pour le fameux Dylan’s Gospel produit par Lou Adler, avec la ribambelle habituelle : Edna Wright d’Honey Cone, Merry Clayton, Clydie King et toutes les autres. C’est un album qu’on recommande chaudement aux amateurs de gospel rock, car certaines covers de Dylan y sont spectaculaires, à commencer par celle de «Mr Tambourine Man» : les filles ramènent tout le power du gospel batch dans le Tambourine. Elles font aussi une version spectaculaire d’«All Along The Watchtower», ooh it’s getting so late, ça marche à tous les coups, c’est un groove d’orgue qui embarque cette merveille crépusculaire, outside in the distance. En B, les reprises de «Chimes Of Freedom» et de «My Back Pages» comptent parmi les sommets du gospel : tout y est, l’énergie et la mélodie, c’est chanté au lead de Soul Sister. L’album se termine sur une magic cover de «Just Like A Woman» et là ça devient biblical, c’est chanté au sommet du lard total, ça éclate en geysers d’harmonies vocales, des mecs relancent et les filles deviennent folles de bonheur sacré.

             On entend aussi Patrice dans Josie & The Pussycats, mais la productrice du show ne voulait pas de black à l’écran. On voit trois blanches. Il n’empêche que Patrice chante.  

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             Inutile de préciser que cette compile Kent grouille de pépites. Patrice est épaisse, elle respire la Soul et son «Stolen Hours» est calé au stolen hours, elle est éperdue de grâce black, il faut la voir se jeter sur son stolen, fabuleuse Patrice ! C’est une Soul de rêve, une Soul tentatrice, oh no no no no, une Soul jouissive qui monte droit au cerveau. Patrice règne sans partage sur son petit monde, elle est de toutes les bordées. Elle fait essentiellement du Motown, elle se coule dans le moule, elle est en plein dedans, même à Los Angeles en 1966. Le morceau titre est du pur Motown, même chose pour les cuts suivants, elle met bien la pression, elle pousse au push, elle accuse bien le coup, elle est pleine d’allant et d’allure, son «Stay With Your Own Kind» sonne comme un hit entreprenant. Avec «Evidence», elle fait sa Aretha, c’est bien envoyé, by your face, oh yeah, ces petites blackettes t’envoient rôtir en enfer, c’est un hit monstrueux. Elle fait du stomp de r’n’b avec «The Touch Of Venus» et tape dans Smokey avec «Those DJ Shows» et «For The Love Of Mike». Là, c’est du Detroit 65, solo de sax et heavy Motown beat. Extraordinaire essence de la prestance ! Elle sait monter un cut en neige, pas de problème. Ça continue de monter en température avec «Come Into My Palace». Brenda et Patrice duettent. On imagine la gueule du Palace ! Un vrai paradis pour bite en rut, elle est assez saute-au-paf, yeah, assez surboum surchauffée, c’mon, c’mon, elle ne chante pas si bien au fond, mais fuck, c’est Patrice, la frangine de Brenda. Elle fait sa Supreme avec «All That’s Good», elle se prend pour la Ross, elle a raison car elle ondule bien sous sa robe noire, crazy about it, quel shoot de groove ! Elle se prête à tous les jeux, elle saute à dada, elle est d’une transparence à toute épreuve. Pour «Tall Boy», elle bénéficie du son de Marvin Gaye tapé au sommet du lard Motown, on a là une vraie pépite de Tall Boy, elle crève le plafond Motown et la fête se poursuit avec «Flippity Flop» et ses clap-hands, c’est encore une fois en plein Motown Sound. Attention, ce n’est pas fini, elle repart de plus belle avec «The Go Gang», un heavy shuffle plein de jus, elle sait se montrer ultimate. Les trois derniers cuts sont des petites merveilles, à commencer par ce «Face In The Crowd» qui se situe à la croisée de deux mythes, Motown et les Shangri-Las. Quel mélange ! Elle est en plein milieu, le cul entre deux chaises, Brill d’un côté et Motown de l’autre, c’est un mélange stupéfiant et assez rare, on croit vraiment entendre les Shangri-Las. Avec «Surf Stomp», elle éclate dans l’écho du temps, c’mon c’mon do the surf stomp, encore une fois c’est propulsé à l’énergie Soul, Patrice est une géante. Et le festin se termine avec «(He Is) The Boy Of My Dreams», on croit qu’elle se calme au prix d’un grand coup de frein, plus rien à voir avec la folle du Surf Stomp, mais en fait elle repart de plus belle, sans voix, à l’énergie pure, elle monte à l’assaut du cut final, elle est déchirante, délirante, awfully great, cette petite reine du scream stupéfie.

    Signé : Cazengler, Patrice Hollovrac

    The Brothers And Sisters. Dylan’s Gospel. Ode Records 1969

    Patrice Holloway. Love & Desire: The Patrice Holloway Anthology. Kent Soul 2011

     

     

    EDDIE COCHRAN

    ROCK A TOUS LES ETAGES

    THIERRY LIESENFELD

    ( Saphyr 2013 /Avril 2022 )

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             C’est donc écrit en notre langue françoise qu’est paru le livre définitif sur Eddie Cochran. Les fans américains et anglais doivent en pâlir de jalousie, c’est ainsi. Nous sommes dans la logique des choses, les fans français ont depuis toujours rendu un culte aux pionniers du rock.  D’autant plus vif et inconditionnel que dans les années soixante les renseignements et les disques étaient rares et que la barrière de l’anglais ajoutait une aura de trouble et de mystère. Les fondations des mythes sont souvent coulées dans le béton de ce que Joe Bousquet nommait l’inconnaissance. Pour les dieux du rock, comme pour les dieux de l’Olympe.

             Un grand merci à Thierry Liesenfeld pour cette œuvre de longue patience.  Nous avait déjà comblé avec son Vince Taylor, le perdant magnifique paru en 2015, un ouvrage essentiel pour tous ceux qui s’intéressent à l’ange noir du rock ‘n’ roll. Rappelons que Thierry Liesenfeld a aussi consacré des monographies aux Chaussettes noires, aux Chats Sauvages, à Cliff Richard et aux Beatles. Voici un programmes de saines lectures pour les amateurs des premières et deuxièmes heures du rock ‘n’ roll européen.

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             Mais Eddie Cochran. Disparu à un âge où la plupart des musiciens et des chanteurs n’en sont qu’aux prémices de leur œuvre. A tel point que Liberty, sa maison de disques, n’a entrevu la potentialité de sa personnalité que dans les derniers mois de son existence. N’accusons point les autres même s’ils ont commis des erreurs, le principal fautif en est peut-être l’intéressé lui-même.

             Les circonstances ne l’ont pas aidé, il est parfois difficile de pressentir le vent de l’Histoire, surtout s’il souffle sous forme d’une petite brise. En 1953 le rock ‘n’ roll n’existe pas encore même si son jumeau adultérin le rhythm ‘n’ blues des noirs est déjà bien installé. Cochran né en 1938, gratouille sa guitare. L’est pourvu  d’une forte volonté, très vite dans sa tête son avenir se dessine : il sera musicien ou rien. Cherche et trouve toutes les occasions de jouer autour de lui. Fréquentent des musiciens plus âgés que lui, se rend très vite compte de leurs qualités et de ses propres manques. En deux années il améliore son jeu d’une manière prodigieuse. L’a compris l’essentiel : l’a de petites mains certains accords, certaines positions lui sont difficilement accessibles, il ne se plaint pas, il ne se désespère pas, ce qu’il ne peut pas faire comme le commun des musicos il le fera à sa manière. Sans être tout à fait conscient il développe non pas une nouvelle manière de jouer mais un son bien à lui, différent des autres guitaristes. A dix-sept ans ceux qui jouent avec lui entendent sa différence, il n’en tire aucune gloire, il n’aura jamais la grosse tête, restera toujours accueillant, les témoignages concordent un gars ouvert, sympathique, fourmillant d’idées. 

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             Cela ne suffit pas faire de vous un des pionniers du rock. Encore est-il nécessaire de prendre la bonne route. Le problème c’est que le seul chemin qui s’offre à lui n’est pas le bon. Amateur d’armes à feu depuis son enfance, passionné de western, une culture musicale de base acquise en écoutant la radio, tout concourt en lui pour être un adepte de country. C’est déjà mieux que la chansonnette.  Sa carrière débute avec les Cochran  Brothers. Ne sont que deux lascars, ne sont pas frères, mais possèdent le même nom de famille. De concert en concert il apprend le métier. Accompagneront même Lefty Frizzel un des rois du country de l’époque bien oublié aujourd’hui par chez nous. Rencontreront un autre personnage beaucoup moins célèbre mais qui infléchira la destinée d’Eddie, Jerry Capehart, lui-même chanteur, prêt à endosser tous les rôles, tourneur, producteur, rien ne lui fait peur…

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             En 1956 éclate la bombe Elvis Presley. Ce n’est pas un inconnu. Les Cochran Brothers ont eu vent de ses premiers disques chez Sun, c’est le moment des grandes décisions, ne serait-ce pas une bonne idée de mettre un peu de rock ‘n’roll dans leur country. Ils essaient, Cochran veut continuer dans cette voie, son compère Hank refuse, se séparent en bons amis… Eddie jouit d’une notoriété de bon guitariste, ce qui lui permet de devenir un familier des studio Gold Star de Los Angeles.

             Une bonne rampe de lancement, quelque peu gâchée par le talent d’Eddie. L’adore jouer, ne dit jamais non pour participer à une session. Caméléon tous styles. Possède cette faculté de rentrer en osmose avec le projet de l’artiste, il l’aide de son mieux, apporte des idées, ne mégote pas sur sa guitare. N’est pas un monomaniaque, s’intéresse à toutes les musiques, country, blues, jazz, rock, et même classique… Un gars que sa passion rend utile, très utile, trop utile. Quand on a un tel numéro dans un studio, on ne le laisse pas partir, il y a toujours du boulot pour lui. A tel point que le temps lui manque pour sa création personnelle…

             Mais lui ne le voit pas comme cela, bidouille tout à son aise, rêve d’enregistrer un disque composé uniquement d’instrumentaux, n’est pas pressé l’attend son heure… Capehart parvient à lui dégoter un contrat chez Liberty. On a toujours besoin d’un musicien doué pour relever le disque d’un confrère de l’écurie. A part cela, l’on ne sait pas trop quoi faire de lui. Pas de plan de carrière. Le mieux c’est d’aller au plus simple, lui dégoter un hit. N’importe quoi, mais un hit. Ce sera Sittin’ in the balcony. Un truc mièvre et sans aucun intérêt. Oui mais un succès !

             Eddie lui-même en est satisfait. Pas du morceau, mais de sa popularité. C’est l’époque où il déclare qu’il veut devenir célèbre. Par tous les moyens. La musique d’accord, le cinéma aussi. N’a-t-il pas fait une apparition ( courte mais remarquée ) dans The girl can’t help hit et tenu un petit rôle dans Cotton picker ! Pas de panique ce n’est pas le triomphe des films d’Elvis Presley…

             1957, c’est la grande tournée en Australie avec Gene Vincent et Little Richard. Un succès, pour la première fois Eddie est emporté par l’ouragan du rock ‘n’ roll. Après cette tournée rien ne sera plus comme avant. Les filles, l’alcool, Eddie connaissait déjà mais ces concerts de folie portés à leur incandescence par Little Richard ont dû agir comme un électro choc.

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             Entre 1958 et 1959, Eddie donne trois titres qui sont au fondement du rock, Summertime Blues, C’mon Everybody et Something Else. Bien sûr il a enregistré quelques autres merveilles, mais ces trois morceaux à eux seuls reconstruisent le rock ‘n’roll. Les trois pyramides qui éclipsent tous les autres monuments.

    Eddie en fut-il lui-même conscient ? Une réponse de normand s’avère nécessaire. Oui et non. Non, parce qu’il ne savait pas comment dans les décennies suivantes cette trilogie allait influencer le devenir du rock ‘n’ roll. Oui, parce qu’il est désormais convaincu de sa valeur. Il sait que désormais il a rejoint le club très fermé des très grands.

             Nous sommes déjà au début de l’année fatidique. La tournée en Angleterre avec Gene Vincent. Si Gene est la face sombre, maléfique et inquiétante du rock ‘n’ roll, Eddie en est la figure de proue rayonnante. Les musicos britishs sont estomaqués par sa virtuosité, Eddie les fait progresser, il montre, il explique, il ne cache rien, an excellent rock ‘n’roll teacher. L’éclosion du rock britannique lui doit beaucoup…

             Vient de fêter son anniversaire, l’avenir s’ouvre devant lui, la mort l’attend au tournant…

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             Ce que je viens de résumer hâtivement Thierry Liesenfeld le raconte en détails. Certes le livre ne recèle aucune révélation fracassante. Les faits rapportés parlent d’eux-mêmes. L’art de les avoir collationnés avec une minutieuse précision chronologique permet d’appréhender le parcours d’Eddie d’une nouvelle manière. Si Cochran n’avait pas été si brutalement interrompu par la grande faucheuse, longtemps j’ai redouté qu’il se soit engagé à son corps défendant dans une impasse à la Elvis, qu’il se soit fourvoyé dans une carrière engluée dans la guimauve… Ce livre écarte le cauchemar. Cochran avait compris qu’en cinq tumultueuses années le rock avait changé, qu’il était une musique en perpétuel mouvement. Et qu’il était à la pointe de cette mutation. Cochran n'était pas un devin, le présent nous confronte à la grande inconnue du présent proche, où que nous portions nos yeux le futur est opaque. Pour nous Cochran est un grand chanteur de rock, lui se voyait plutôt comme un musicien en devenir. Entre l’image évidente et la réalité insaisissable il existe un espace aussi mince qu’un feuillet de cigarette, autrement dit un gouffre insondable. Ce qui est sûr c’est qu’Eddie avait hâte de retrouver la Californie – la tournée avait été harassante – le soleil et la bonne bouffe du pays des hamburgers lui manquaient, besoin d’un peu de repos aussi, et vraisemblablement des heures de réflexion et de création en studio. L’escale américaine prévue était de courte durée, la tournée anglaise devait reprendre au bout de quelques jours… Eddie était à cheval entre la désaffection de l’Amérique envers un rock sauvage et l’engouement de l’Angleterre pour le grand tumulte en gestation, sur la ligne de partage des eaux…  Aurait-il fait cet album de blues fortement électrifié dont il avait le projet, l’on peut rêver que les Rolling Stones l’auraient écouté… Et ce spectacle dans les night-clubs dont nous ignorons tout que je mets en parallèle   avec Twist-Appeal,  mis en scène par Nicolas Bataille que  Vince Taylor a réalisé aux Folies-Pigalle après la grande bourrasque de son explosive apparition en France…   Arrêtons mes élucubrations…

             Juste quelques mots sur l’impact photographique de l’opus, superbement mis en pages, bourrés de documents. Un livre à voir, à avoir.

    Damie Chad.

     

    *

    Plus de nouvelles d’Across the divide depuis deux ans, depuis la sortie de Disarray que nous avions chroniqué ( voir livraison 497 du 11 / 02 / 2021 ) et que nous avions beaucoup apprécié. Le fameux flair du rocker voici quatre jours a tilté dans mon cerveau. Depuis deux ans leurs posts sur FB se faisaient rares. Dans la série allons au bois voir si le loup y était, il y était, avec l’annonce d’un nouveau clip pour le premier octobre. Ce n’est pas tout, en début d’après-midi ils annoncent qu’ils sont en concert ce même samedi soir. Ne pouvaient-ils pas prévenir avant, les aurais revus avec plaisir, mais là impossible ! Faute de grive nous contenterons d’un merle. Noir.

    UNFORGOTTEN

    ACROSS THE DIVIDE

    ( Anubis Production / 01 – 10 – 2022 )

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            Du noir plus que noir. Âmes sensibles abstenez-vous. Eau trouble et herbes glauques. Tout un climat en deux secondes. Une forme blanche indiscernable sur le gazon nocturne : Ils l’ont donnée à la fangeuse mort, le vers de Shakespeare annonçant la mort d’Ophélie résonne en votre tête. Ensuite nous n’avons droit qu’à des fragments d’une triste histoire qui se reconstitue toute seule entrecoupés d’images sauvages des membres du groupe en train de jouer. Rapt d’enfant et survie mortuaire des parents. Circulez, il n’y a plus rien à voir. Mais ces flashs de baguettes brandies comme des haches d’assassin, ces cris vomis au micro, ces corps sciés sur les guitares, éclairs de haine, éclats de désespoir vous entaillent le cortex. La tragédie descend l’escalier, la mort vous pend au bout du nez. Clip funèbre pour faire-part de deuil. Il suffit de le regarder une fois. Il est inoubliable.

             Danny Louzon est aux commandes. Plus tout à fait un clip, une scène de film, un clinéma. Deux acteurs Raymond Olry et Sandra Vandroux plus le groupe : Charles Bogan, Regan McGowan, Axel Biodore, Maxime Weber, Alexandre Lhéritier.  

    Damie Chad.

     

     

    SPUNYBOYS

    Les Spunyboys ne font jamais rien comme les autres. C’est en 2013 qu’est sorti leur premier album Rock’n’roll legacy, ensuite plus rien. Pas une crise aigüe de flemmardise, n’ont pas arrêté de tourner un peu partout en France, en Belgique, aux Nederlands, en Finlande etc… des sets incandescents, ont dépassé depuis belle lurette les mille concerts, qui les classent parmi les meilleurs groupes de rockabilly d’Europe. Voici quelques années avant un concert à Fontainebleau ils discutaient d’un hypothétique EP consacré à George Jones   qui n’est jamais arrivé. En 2020, ils ont frappé un grand coup deux albums en même temps, les fans s’impatientaient, promettaient même un troisième ‘’live’’. Ce n’est pas le matériel qui doit leur manquer ! Il est plus que temps, sur ce coup Kr’tnt n’est pas à la pointe de l’actualité, de chroniquer les deux petites merveilles suivantes :

    JUST A LITTLE BEAT

    ( 2020 / Not on label )

    Belle couve jaune, fait un peu pochette de groupe de surf ( j’va me faire traiter de tous les noms d’oiseaux, m’en fous, je suis un phénix je renais de mes cendres. ) signée de Jake Smithies  ( des Dead Mans Uke, contrebasse et ukelel, exactly a resonator uke ), en haut l’adorable bébête qu’ils ont pris pour emblème. Les sept titres suivis de la mention RL sont des reprises de Rock ‘n’roll Legacy.

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    Losing at your own game : très hillbilly, voix voilée de Rémi, little beat dansant de Guillaume, retenez le solo d’Eddie, il poinçonne les tickets dans le métro comme au bon vieux temps. Don’t ring the bell : RL : le démarrage en trombe que l’on attendait pour ouvrir les hostilités arrive en deuxième position, encore est-il urgent de moduler, la cloche que l’on se devait de ne pas agiter était déjà sur leur premier album, une auto-reprise, moins rentre dedans – ils étaient jeunes et fous, maintenant ils n’ont plus rien à prouver, simplement nous montrer comment ils ont gagné en subtilité, ils polissaient au marteau en sont au stade de la lime à ongles,  un régal de les écouter. Tout n’est que luxe et volupté, pour le calme et la langueur baudelairienne, c’est totalement raté. Honey hides the bottle : RL : sur leur original l’on entendait la bouteille se fracasser sur le crâne de ladite honey, maintenant le morceau a un peu perdu ses assonances Bil Haleyenne, l’est davantage country jump, le meilleur passage c’est quand la voix de Rémi saute par-dessus la baguette de Guillaume, très beau duo de steeple-chase. Better to home : Ah le solo d’Eddie sur le contrepoint de la batterie, la meilleure scène du western, prenons le temps de noter que le mix a pris soin pour cette galette chocolatée de mettre la voix de Rémi devant, et les instrus qui brodent le fastueux décor derrière. Trouble in town : RL : changement d’ambiance, jusqu’à maintenant les morceaux sonnaient white rock, et là sans équivoque un beau démarquage ravageur à la Little Richard, Eddie poinçonne en bleu et la basse de Rémi est seule à rappeler les moutonnements rock’n’rolll de Send me some lovin’. Car un soupçon vaporeux de douceur ne gâte en rien la folie du monde.  Glad to be home : RL : ça sonne Sun, le truc où tout est en place et où rien ne manque. La batterie de Guillaume nous rappelle qu’il ne faut pas non plus s’endormir sur les lauriers du passé.  I’m an one-woman man : tiens le fantôme de Johnny Horton refait surface. Prennent leur plaisir, comment comprendre une telle déclaration si ce n’est pour de l’antiphrase, pour le plus gros mensonge qu’un homme puisse proférer, alors ils vous l’interprètent au clin d’œil de l’ironie, moque and roll !

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    Another farewell : y a des adieux moins chagrineux que d’autres, celui-ci au triple galop vous ne le regretterez pas, la voix de Rémy traîne comme un millepatte qui n’en finit pas de se déchausser, en plus il tripote sa contrebasse comme un clitoris en caoutchouc, Guillaume cogne son tam-tam sans perdre de temps, Eddie a troqué sa guitare contre une sarbacane, il envoie les notes une à une et fait mouche sur les mouches tsé-tsé qui volètent dans votre œsophage. That’s all right : une hérésie plus dangereuse que les Cathares, quoi le nom de Mickie Most le producteur des Animals et du Jeff Beck’group sur la pochette d’un disque de rockabilly !  Oui Mickie a eu sa période rock de 1959 à 1964, mais enfin il ne faut pas exagérer, reconnaissons toutefois que le morceau qu’il chantait avec les Gear n’est pas sans évoquer Brand New Cadillac de Vince Taylor, que vont donc nous proposer nos héros ? Ben, ils restent près de Mickie et de Vince, un régal pour Eddie de mettre ses pattes dans les pas de Joe Moretti et de Jimmy Page session man de service. Rockabilly legacy : RL : morceau éponyme de leur premier album, un titre qui fleure bon les Teddy Boys, un festival, nous l’interprètent à la Buddy Holly qui aurait avalé un cougar. Et qui ainsi n’aurait pas permis aux Beatles de mettre de l’eau dans le bourbon du rock’n’roll.  How low can you feel : RL : dans la série Country Legacy Jimmie Skinner, l’a eu son heure de gloire dans les années cinquante, un peu oublié maintenant, preuve que les Spuny farfouillent dans le coffre aux trésors américains, nos boys ont laissé de côté le banjo, un super exercice de style pour Eddie, et le fiddle bluegrass, Guillaume a bazardé l’accent nasillard des ploucs du pays de l’herbe bleue, ils nous refilent une version carabinée, entre nous je préfère Skinner. Peaches and cream : après Little Richard carrément un titre de Larry Williams.  Ce n’est pas l’avalanche de Dizzy Miss Lizzy ou de Slow down, disons un rhythm and blues plus roots,  vous le font très rock’n’roll, évidemment ils n’ont pas de saxophone, mais Guillaume a une de ses pêches sur sa batterie et les couches de crème de la guitare ont une belle épaisseur. Bop for your life : RL : le Bop est aux Teds ce que la crinière est au lion, se déchaînent sur le morceau, l’agitent salement, vous le fragmentent en mille éclats de verre qui brillent au soleil. Dommage que ce soit si court !

    MOONSHINE

     ( 2020 )

             Couve d’un bleu pénombre. Un peu vignette de bande dessinée. Si sur Just a little beat on apercevait tout au fond la silhouette du Capitole, sur celle-ci Big Ben squatte la première place. Ce CD serait-il plus axé Britain Sound. Quittons-nous le soleil de l’american South pour le fog londonien ? En tout cas Rémi affiche le ricanement démoniaque de Jack L’éventreur prêt à bondir sur sa victime, ce petit chef d’œuvre d’humour bleuâtre est aussi signé de Jacke Smithies.

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    Natural born lover : bonjour le changement de son, davantage compact, et employons un adjectif qui ne veut rien dire, musical. Oui ça klaxonne british, une basse plus grasse, une batterie moins furie, une guitare moins barbare, moins bop, plus pop. None of my business : reviennent à quelque chose de plus dur, Guillaume descend les escaliers avec des sabots de bois vert, Rémi jette ses mots à la fronde, Eddie se permet des tremblotements de guitare aussi périlleux qu’un numéro au grand trapèze sans filet. I hear Little Rock calling : chanteur country Ferlin Husky n’a pas subi l’appel du rock ‘n’ roll mais la nostalgie de Little Rock sa ville natale. Que vont nous faire nos trois héros de ce mid-tempo mignonitou, vont-ils se mélanger les pédal-steel guitars ? Ne renient pas leurs modèles, peut-être lors de leurs nombreuses tournées éprouvent-ils l’envie de retourner chez eux, accélèrent un tout petit peu le tempo, s’ils ont repris le chant en tir groupé du début, Rémi a abandonné le passage guimauve-voix-parlé-j-ai-beaucoup-vécu un peu has been, son vocal tire le morceau comme la locomotive ses wagons. Sweet loneliness : tristesse punchy, ça pue l’anglois, le rosbeef saignant, un peu loin du rockab, très groovy, très moderne, Rémi à cheval sur la vapeur et les instrus qui bougent les bielles, ressemble un peu à Watcha gonna do de Little Richard mais en beaucoup moins cool, z’ont dû bouffer de la barbaque avariée. Muy bien, comme disent les Espagnols lorsque le taureau rend l’âme dans l’arène. Moonshine : les cats amoureux miaulent joliment sur les toits les soirs de pleine lune, même qu’ils titubent un peu quand ils ont bu un coup de trop, agréable balade mid-tempo qui ne casse pas les manivelles, mais l’on reprendrait un petit verre avec plaisir. Lights out : retour dans la mouvance de Little Richard avec le morceau le plus connu de Jerry Byrne, avec un très beau passage sur lequel il hache ses mots comme sur Long Tall Sally, il ne faut pas le divulguer mais leur version à l’identique est meilleure que celle de Jerry Byrne, pourquoi ? Parce qu’elle est davantage rock ‘n’roll. Si nous étions Président de la République nous décorerions Guillaume pour sa performance battériale. Too young to cry : un titre à la Elvis, heureusement que Rémi a une voix plus anguleuse que le King, il sauve le morceau, le background derrière est bien propre, bien joli, bien ficelé, parfois les trucs mal emmaillotés  sont meilleurs. Well come back : dès qu’un titre commence par Well pensez à Little Richard, votre boussole indiquera la bonne direction, une belle réussite, très raw, un baston comme on les aime, aurait pu être enregistré dans le studio de Cosimo Matassa, à la grande époque.  Got get drink : une déjante country avec violon de l’amiral Nelson, Willie pour les intimes, Rémi s’en sort comme un chef, n’empêche que la guitare rupestre d’Eddie n’arrive pas à la cheville du violon pousse-au-crime et tire-bouchon joué par un ange déchu. N’écoutez pas l’original, la version des Spuny vaut le détour.

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    Get wild for my child : à l’énoncé du titre l’on a compris que l’on ne va pas s’ennuyer, un harmonica comme un sifflet de locomotive et l’on est parti pour la rivière sans retour, ça cahote dans tous les sens et ça remue comme dans un western italien. De la belle ouvrage, un shuffle suffocant ! El camino real : une ballade country de Lee Dresser chanteur des Krazy Kats, le camino real, le chemin royal est une route qui part de San Diego au fin fond du fond de la Californie et qui remonte au nord en passant par Monterey, San Francisco, Los Angeles… autant la version de Dresser se la joue majestueuse autant celle des Spuny a mis un tigre dans son moteur, un beau challenge pour Remi qui s’en tire comme un chef. Nowhere : une belle surprise, les garçons tourbillonnants démontrent qu’ils sont aussi à l’aise dans le hillbilly que dans le rockab. Rock around the clock : faut aller la chercher la version de Rock round the clock  de Li’l Millet enregistrée en 1956. En plus à mon goût elle ne vaut pas celle du gros Bill, l’est vrai que celle des Comets est un peu plus cuivrée que celle de Li’l Milet qui possède tout de même un bon sax, entre nous soit dit la version des Spuny n’emporte pas l’adhésion, un peu trop disparate. Peter Borough : beaucoup plus convaincant, ils remuent salement les cocotiers, arrivent à ce miracle que si vous incluez le titre dans une playlist pure original rockab vous ne verrez pas la différence. C’est cela les Spuny, ils ne copient pas, ils recréent. Le morceau précédent c’est quand ils cherchent, ne trouvent pas toujours mais ils accumulent des expériences, ils sèment des graines ( de violence) qui éclosent plus tard ?

    Gone with the wind : encore une gageure, comment reprend ce morceau de Wayne Rainey qui puise ses racines dans l’early hillbilly, no problem, Remi vous pousse le yodel comme un cowboy galopant après un long horn rebelle sans être une seule seconde ridicule. Ce n’est pas de l’imitation, retrouve l’esprit. Deux bonus tracks : Natural born lover : (+ Don Cavalli ) : et Get wild wih my child : ( + Thibaut Chopin ) : sympathiques, très agréables mais n’apportent rien de révolutionnaire à l’ensemble.

             Ayons un stupide comportement binaire : lequel des deux préférer ? Just a little beat est davantage monolithique, Moonshine davantage inégal mais ô combien plus aventureux avec d’exceptionnelles réussites. Ces deux opus permettent d’entendre les Spunyboys d’une autre manière. En public l’extraordinaire force de la batterie et les interventions fracassantes de la guitare monopolisent l’attention, elles égalisent un peu le chant de Rémi d’autant plus que ses acrobaties sur, autour, avec, sa contrebasse attirent l’œil. Ces deux CD’s sont l’occasion de vérifier combien nous avons un chanteur exceptionnellement doué qui ne recule devant aucune difficulté. Les Spunyboys sont un groupe incomparable.

    Damie Chad.

     

     

    LSD 67

    ALEXANDRE MATHIS

    ( Serge Safran / Août 2012 )

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    J’ai trois fenêtres à ma chambre

    L’amour, la mer, la mort

    Sang vif, vert calme, violet

     Ainsi débutait le poème Hiéroglyphes de Charles Cros, inventeur du phonographe ( le paradis des rockers ) et du procédé de la photographie couleur… les fenêtres d’Alexandre Mathis s’ouvrent sur d’autres domaines, Paris, la littérature, le cinéma. Ces trois domaines forment un nœud inextricablement lié, mais les couleurs dominantes en sont le noir et blanc cinématographique.

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    Alexandre Mathis a composé quelques livres et tourné quelques films expérimentaux. Il n’est guère connu du grand public. Avant de nous plonger dans ce LSD 67, il convient de poser deux jalons d’importance.

    Le premier est un roman policier, Maryan l’amour dans le béton. Paru en 1999. Un ovni littéraire. Grand format, police minuscule, 661 pages. Ce n’est rien, l’important c’est le choc, un peu ce qu’ont dû ressentir les premiers lecteurs de Céline à la lecture de Voyage au bout de la nuit. Là, pas besoin de voyager, propulsés au bout du bout de la nuit dès la première page. Alexandre Mathis s’est enfermé durant dix ans dans un minuscule studio pour l’écrire. Une ascèse littéraire, rien à voir avec celle de bourgeois bougon de Flaubert, le feu ne brûle pas dans la cheminée, c’est notre monde qui part en lambeaux de fumée noire et sale. Ce livre ne se résume pas, un tsunami déboule sur le lecteur et c’est tout. Bonne chance. La fin ? Elle est comme le serpent à deux têtes, autant dire qu’il se mord la queue sans clore définitivement le cercle. Une fois que vous l’avez lu, un porte-avions navigue dans votre tête, il cogne fort et jusqu’au dernier moment de votre vie vous avez peur qu’un jour il ne vous défonce l’os pariétal de votre crâne pour s’échapper de votre médiocrité congénitale. Les rockers apprécieront la bande-son : Jeffrey Lee Pierce, Gene Vincent, Johnny Thunders, Sex Pistols, Cramps… Un livre qui fait peur. La preuve : en avez-vous entendu parler ?

    La deuxième monstruosité est aussi un roman : Les condors de Montfaucon (2004 ). 620 pages, un sous-marin, un cachalot abyssal bourré d’ogives nucléaires. Porteur de mort en suspens. Visitons-le d’une manière innocente. Paris s’offre à nous. Les rues sordides, les vieux quartiers. Non pas pour les examiner mais pour se rappeler les vieux cinémas qui n’existent plus ou qui sont fermés en attendant le jour de leur destruction. Se rappeler qu’à tel endroit, l’on a vu tel film. Mathis ne nous épargne aucun détail. Où, quand, comment, avec qui, en quelles circonstances… Paris s’oublie, il se modifie, il change, la population n’est plus la même. Nostalgie ? Sûrement. Mais vous lisez alors le livre avec le petit bout de la lorgnette. Vous cédez à l’attrait du pittoresque. Ne confondez pas avec La dernière séance d’Eddy Mitchell. Alexandre Mathis n’expédie pas la bagatelle en une chansonnette de trois minutes. Un gros livre, foisonnant de milliers de détails. Parfois agrémentés de photographies de l’auteur. Maintenant attention où vous mettez les pas, vous errez dans le Paris des années cinquante et tout à coup vous avez franchi une limite, le gibet de Montfaucon se dresse devant vous avec ses dizaines de pendus. Zone dangereuse. Êtes-vous entré par effraction dans un fissure de l’espace-temps, à moins que les choses ne restent figées dans leur éternelle présence… Un livre, terrible, sombre, sur l’impermanence du passé de l’être humain qui n’ose se raccrocher aux herbes mandragoriennes qui poussent aux pieds des gibets.

    Et donc ce dernier livre de la trilogie, ce LSD 67, cinq cents pages, paru en 2013. Nous voici à Paris dans les limites étroites du Quartier Latin. Non ce n’est pas un livre qui parle de drogue. Simplement de cette première génération de jeunes filles et de jeunes gens qui entre 1966 et 1968 ont décidé de vivre. Selon leurs désirs. Un signe de ralliement : les cheveux longs. Insupportables pour le commun de leurs contemporains ankilosés dans leurs certitudes d’emmurés vivants volontaires. Eux ne cherchent qu’à s’échapper le plus loin possible de ces existences quadrillées. Ont trouvé leur porte de sortie qui leur permet de passer de l’autre côté de cet univers carcéral qu’ils refusent. N’emploient pas des mots pompeux, ne tiennent pas le discours attendu sur les portes de la perception. Ils utilisent des mots simples. La défonce, en point c’est tout. Ne théorisent pas. Ils l’expérimentent à toute heure du jour. Et de la nuit.

    Alexandre Mathis ne cache rien, montre tout. Les extases et les angoisses. Les effets, tant au niveau social – ne travaillent pas, sempiternellement à court d’argent - qu’au niveau psychique. Une attitude nietzschéenne, au-delà du bien et du mal, aucune moraline. Une vie dangereuse, dorment souvent dehors, les flics, les larcins, les trafics, les règlements de compte, chacun se débrouille à sa manière. Nous suivons un petit groupe, qui n’arrête pas de se croiser et de séparer, le hasard les réunit, leurs envies du moment les disjoignent. Ne rejettent pas la faute sur la société ou sur le système, assument leur choix de vie.

    N'arrêtent pas d’errer, il faut marcher pour ne pas céder aux vertiges des produits, Mathis ne peut enfiler une rue sans préciser d’où elle part, où elle s’arrête, de nommer les artères ou les ruelles qui la coupent, les cafés, les bars, les librairies, les pharmacies, les boutiques qui la bordent. Cette manière de procéder n’est pas sans produire un effet de vertige, on repasse souvent par les mêmes lieux, l’on est entraîné malgré soi sur un gigantesque échiquier sur lequel se déroule une partie qui ne s’achève jamais… Hervé le Narrateur a tout essayé, ses préférences vont à l’opium, mais il est une autre addiction dont il est totalement dépendant : les cinémas et les films. Lui faut ses quatre films par jour pour être heureux. Saute de séance en séance

    Ce roman est une ode au cinéma. Mathis est atteint de boulimie, il veut voir tout ce qu’il n’a pas vu, il lit le moindre article serait-ce un entrefilet de deux lignes, de n’importe quelle revue de n’importe quel journal… Peu à peu il se forge non pas son propre jugement mais sa propre vision du cinéma, il commence à placer quelques articles par ci par là…

    Le livre s’arrête parce qu’il faut bien qu’il finisse. LSD 67 se termine au mois de mars 1968. Pas un hasard. L’auteur n’explique rien. Il faut comprendre. Mai 68 marque une rupture. La drogue se démocratise. Rien à voir avec cette expérience primale d’un groupe de quelques centaines de personnes qui ont vécu ces deux années d’expérimentation innocentes. Après cette date débute l’ère de consommation de masse. Le lecteur fûté réalisera que la même dégénérescence a frappé la production cinématographique…

    Le roman ne possède pas d’intrigue. L’est constitué de textes d’une à dix pages. Les personnages vont et viennent, Le lecteur les suit. En ressort une incroyable sensation de liberté. Et de respect mutuel entre les protagonistes, ne se font pas de cadeaux non plus, mais chacun tient trop à son indépendance pour anéantir celle de ses collatéraux.

    Ok, Damie, on a vu the drugs but what about sex and rock’n’roll ? Pour le rock, tout ce qui s’écoutait à l’époque des Them à Jimi Hendrix, du Grateful Dead aux Beatles.  Pretty Things et consorts. N’y en a qu’un Chico qui soutient mordicus la cause des pionniers, Gene Vincent, Eddie Cochran, Buddy Holly, Elvis, Bo Diddley, Vince Taylor…

    J’en viens à ce qui vous titille au-dessous de la ceinture. Les filles sont présentes, Dora, Liliane, Cybèle… libres dans leur tête et leur corps, compagnes d’une nuit, par intermittences, pour une saison, rien de fixe, les produits amenuisent les jalousies… mais ce n’est pas le plus important, certaines disparaissent, ont-elles quitté le milieu, sont-elles mortes, et ne sont-elles pas plus présentes une fois mortes… Rien n’est dit, tout est en filigrane. Les conversations ne s’attardent guère, elles passent vite à un autre sujet… si elles étaient des intercesseuses, les véritables portes vers la mort, est-il vraiment utile de se précipiter pour les ouvrir… Maryann Lamour est-elle vraiment dans le béton, Lili dans le noir n’est-il pas le sous-titre de Les condors de Montfaucon, Alexandre Mathis n’a-t-il pas écrit un roman titré Edgar Poe ( dernières heures mornes ) et tourné un film intitulé Lady Usher’s diary inspiré de La chute de la maison Usher de l’auteur du Corbeau ? Omettons ce chat noir qui semble hanter La rue du chat qui pêche et s’attarder un peu trop souvent dans le cerveau de Sandrine…

    Enfin sous le pseudonyme transparent de Herbert P. Mathese, Alexandre Mathis n’a-t-il pas consacré un livre de 472 pages au cinéaste érotique José Benazeraf  An 2002, la caméra irréductible

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 568 : KR'TNT 568 : LAMONT DOZIER / HOODOO GURUS / CLARENCE FROGMAN HENRY / RIPLEY JOHNSON / SPACESEER / NIKI GRAVINO / FICTION ABOUT FICTION / PIERRE LEHOULIER

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 568

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    29 / 09 / 2022

    LAMONT DOZIER / HOODOO GURUS

    CLARENCE FROGMAN HENRY / RIPLEY JOHNSON

    SPACESEER / NIKI GRAVINO

     FICTION ABOUT FICTION / PIERRE LEHOULIER

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 568

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Un Dozier complet

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                C’est sur l’Olympe du rock que résident les couples de dieux des temps modernes : Lennon/McCartney, Bacharach/David, Hayes/Porter, Barry/Greenwich, Goffin/King, Mann/Weil, oh et puis tu as aussi un trio, certainement le plus brillant de tous, Holland/Dozier/Holland.

             Nous nous trouvions l’autre jour à Poitiers pour saluer la mémoire de Gildas et dans le cours d’une conversation privative, le Professor me glissa dans l’oreille une bien funeste nouvelle : Lamont Dozier avait cassé sa pipe en bois.

             — Hein ?

             — Ben si. Tu savais pas ?

             — Ben non.

             Il était bien sûr inutile d’ajouter qu’on ne peut pas tout savoir. Par contre, l’occasion est trop belle de saluer la mémoire de cet homme qui avec les frères Holland a su rendre Motown et ses artistes célèbres dans le monde entier, en composant des hits qui en soixante ans n’ont pas pris une seule ride. Lamont eut le temps de publier en 2019 son autobio, How Sweet It Is: A Songwriter’s Reflections On Music, Motown And The Mystery Of The Muse. C’est un ouvrage passionnant qui complémente celui des frères Holland (Come And Get These Memories, paru la même année, et qu’on a longuement épluché ici en décembre dernier - ‘Holland & Holland of thousand dances’).

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             Lamont casse son book en deux : Motown et l’after-Motown, c’est-à-dire Invictus/Hot Wax et la carrière solo dont on va reparler tout à l’heure. Il amène des tonnes d’informations précises qui éclairent considérablement cette histoire d’une richesse infinie. Il pimente son récit de ce qu’il appelle des réflexions sur l’art de composer (The mystery of the muse), d’énormes paragraphes composés en bold, mais il ne sort que des évidences. On y apprend rien. Pourquoi ? Parce que rien n’est plus évident qu’un hit. Alors gloser sur l’évidence des évidences, on comprend bien que ça ne mène nulle part. Il est gentil, Lamont, il essaye de donner des conseils, mais ce type de talent ne s’enseigne pas. Dans son autobio, Burt Bacharach ne tombe pas dans ce type de panneau, ni d’ailleurs les frères Holland. Noël Godin aurait certainement traité Lamont de pompeux cornichon.

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             Par contre, ça devient intéressant quand Lamont explique que dans le trio Holland/Dozier/Holland, il est l’homme des idées. Il donne un exemple dans le premier chapitre : il est dans un motel, en train de tromper sa copine du moment avec une autre poule, et justement la copine du moment tape à la porte de la chambre. Lamont a juste le temps de faire sortir celle qu’il vient de baiser par la fenêtre de la salle de bains et il fait entrer la furie. Elle est sûre que Lamont la trompe, alors elle est folle de rage. Pour la calmer, Lamont lui lance : «Baby please stop ! Just stop ! In the name of love.» Et soudain, dans le cœur de l’action, alors que la copine en furie vient d’attraper la lampe de chevet pour lui fracasser le crâne, Lamont dit : «Wow, quel beau titre pour une chanson !». Et la copine émerveillée lâche la lampe de chevet et se rend à l’évidence. Oui quel beau titre ! Ce sont les Supremes qui vont en hériter. Heureusement, Lamont ne nous raconte pas la genèse de tous ses hits car il en y en a des centaines, répartis entre les Supremes, les Four Tops, Martha & the Vandellas, Marvin Gaye, les Miracles, les Marvelettes et Jr Walker & The All Stars. À l’époque où il écrit ses mémoires, Lamont est encore fasciné par le phénomène Holland/Dozier/Holland, qu’on va appeler HDH, pour gagner de la place : «Ça m’épate encore de voir tout qu’on a réussi à faire tous les trois, Eddie, Brian et moi, en si peu de temps. C’est comme si nous avions été programmés pour nous retrouver tous les trois au même endroit pour créer quelque chose de spécial. C’était beaucoup trop profond et trop spirituel pour n’être qu’une simple coïncidence.» Lamont en est persuadé : ce qu’il appelle la Muse, c’est-à-dire Dieu, a présidé au destin du trio.

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             Comme la plupart des autobios, celle-ci suit le fil chronologique. Lamont nous raconte son enfance à Detroit, avec une mama poule et un daddy drunk. Mais c’est le daddy qui trouve le prénom de Lamont, dans un feuilleton radiophonique, The Shadow - Who knows what evil lurks in the heart of men? The Shadow knows -  et dont le personnage principal s’appelle Lamont Cranston. À Hutchins Junior High School, Lamont fréquente déjà des futures stars de Motown comme Marv Johnson, qui sera le premier artiste signé par Berry Gordy, juste avant la création de Motown. Il connaît aussi Freda Payne, et Otis Williams qui deviendra superstar avec les Temptations. Il connaît Aretha qu’il va voir chanter à l’église. Toutes les stars sont déjà là. Il voit démarrer un groupe appelé The Matadors, «fronted by a teenager who called himself Smokey Robinson». Berry Gordy signe aussi la sœur de Little Willie John, Mabel John, qui devient la première artiste féminine de Tamla. Lamont se présente un beau jour à Berry Gordy avec son groupe, The Romeos. En 1960, Gordy devient indépendant avec Motown et lance Mary Wells. Le «Shop Around» des Miracles est le premier hit à se vendre à un million d’exemplaires, avec le «Please Mr Postman» des Marvelettes. Gwen Gordy revend son label Anna à son frère Berry et se marie avec Harvey Fuqua. Marvin Gaye se marie avec Anna Gordy, l’autre sœur de Berry et entre à son tour dans la famille. Lamont explique comment Berry Gordy finit par tout engloutir. Gordy affine sa vision qui est celle de Motown. Il finit par embaucher Lamont. Alors Lamont se pointe un beau matin à Hitsville USA et comme tous les autres, il passe à la pointeuse. Gordy qui avait travaillé chez Lincoln-Mercury trouvait l’idée de la pointeuse géniale. Il instaure des horaires : 9 h/18 h. Si la journée de travail déborde dans la soirée, on peut pointer plus tard le lendemain matin. Puis Lamont passe par le bureau de Gordy. Il faut signer la paperasse. Tiens, tu signes là. Et là. Bien sûr, pas question de sortir une copie du contrat pour la montrer à un avocat. De toute façon, Lamont n’a pas les moyens de se payer un avocat. Il signe tout ce que lui présente Gordy. Sans discuter.

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             Lamont est embauché comme compositeur/arrangeur/producteur. Il commence par bosser avec Brian Holland. Son frère Eddie était là depuis le début, il chantait les démos que Gordy, sa sœur Gwen et Billy Davis présentaient à Jackie Wilson. Puis Gordy a commencé à produire Eddie en 1958. Lamont nous raconte les vraies racines de Motown. En 1962, Eddie a un hit avec «Jamie», une compo signée Mickey Stevenson et Barrett Strong. Lamont indique que c’est le premier hit Motown avec des violons, un son qui allait devenir le template de Motown par la suite. Eddie aime chanter, mais il déteste monter sur scène à cause du trac. Il préfère rester à la maison. Alors ils se mettent à travailler tous les trois : Brian bosse sur la musique, Lamont sur la musique et les paroles, il insiste bien pour dire qu’il amène le concept, et Eddie complète les paroles. Et leur petite industrie se met en route, a factory within a factory, mais ils veillent à maintenir un haut niveau de qualité. Lamont rappelle aussi qu’Eddie a bossé comme un dingue pour devenir un bon parolier. Brian et Lamont finissent le master pendant qu’Eddie peaufine ses paroles - Brian was all music, Eddie was all lyrics and I was the idea man who bridged both - C’est le secret de leur succès, nous dit Lamont. Ils décrochent leur premier hit en composant «Come And Get These Memories» pour Martha & The Vandellas. Martha était la secrétaire de Mickey Stevenson qui avait peur de la perdre en tant que secrétaire, s’il la laissait entrer en studio.

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             Un jour de canicule, Lamont retrousse ses manches et s’exclame «What a heat wave !». Pouf ça devient un hit pour Martha. Premier numéro 1 dans les charts pour HDH. Ils vivent quasiment tous les trois dans une petite pièce, et ils sont boostés par l’arrivée des royalty checks - For over one hundred thousand dollars - Là, on ne rigole plus. Alors la cadence s’accentue. Les poules pondent des œufs d’or, cot cot cot, et Berry passe avec son panier. Encore ! Encore ! Cot cot cot ! Lamont nous raconte aussi les réunions du «quality control» chaque vendredi, avec des staffers, des producers et quelques administratifs qui étaient là pour donner un avis non musical. Berry pense qu’ils représentent le consommateur ordinaire. Le quality control écoute tout ce qui a été enregistré dans la semaine par les différentes équipes et décide de ce qui part en fabrication. Lamont indique en outre qu’il ne s’agissait pas de démos mais de full-blown recordings. Billie Jean Brown conduit ces réunions et fait un pré-tri. Mais il lui arrive de se vautrer. Quand HDH enregistrent «Jimmy Mack» avec Martha & the Vandellas en 1964, Billie Jean Brown ne trouve pas ça terrible et ne le propose pas au quality control. C’est «Dancing In The Street», composé par Mickey Stevenson, Marvin Gaye et Ivory Jo Hunter qui passe. Quand plus tard, Gordy exige d’entendre tous les enregistrements en stock de Martha & the Vandella, Billie Jean finit par ressortir «Jimmy Mack». Alors Gordy défonce la table d’un coup de poing : «Depuis combien de temps c’est sur l’étagère ? C’est un hit !». Quand il découvre que ça prend la poussière depuis deux ans et demi, il pique une crise terrible. «Je veux que ça sorte la semaine prochaine !». Lamont est content de voir enfin son «Jimmy Mack» sortir des ténèbres. Ce sera le dernier hit de Martha & The Vandellas.

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             Lamont évoque aussi Mary Wells qui fit la grave erreur de quitter Motown, croyant trouver mieux ailleurs, et puis voilà Marvin Gaye est qui est arrivé chez Motown en même temps que Lamont et qui voulait être le black Sinatra, certainement pas un chanteur de r’n’b. Il aimait aussi battre le beurre dans les sessions. Lamont raconte dans le détail la session d’enregistrement d’«How Sweet It Is (To Be Loved By You)» avec Marvin qui fait sa mauvaise tête parce que le registre est trop haut pour sa voix, et qui finit par enregistrer cette merveille in one take - Ce que vous entendez sur le disque is Marvin’s one take, après avoir entendu la chanson seulement deux fois. Since the key was high, he slid into his falsetto which sounded beautiful - Lamont rend aussi hommage aux Funk Brothers qui viennent chaque jour en studio sans savoir s’ils vont travailler avec HDH, Norman Whitfield, Smokey ou quelqu’un d’autre. Pas besoin d’expliquer les choses longtemps à des mecs comme Benny Benjamin ou James Jamerson, nous dit Lamont - They knew how the song should feel, and it was all about that feel - Emporté par son élan, il ajoute : «Quand on parle de musiciens, these guys were some of the best there’s ever been.» Lamont rappelle que le studio, le fameux snake pit, était petit. Il ne pouvait contenir que huit joueurs d’instruments à cordes. Dans une autre pièce, il y avait les cuivres - On était tous entassés dans ce petit espace, but we were making magic - En plus, ils enregistrent sur un quatre pistes, alors t’as qu’à voir !

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             Puis Gordy demande à HDH de mettre le paquet sur les Supremes. Elles n’ont pas de hits. On les appelle les no-hits Supremes. Au départ, elles sont là tous les jours, mais Gordy ne veut pas signer des lycéennes. Il finit par craquer en 1961. Il va être le seul à miser sur les Supremes. Il sait qu’elles vont exploser. Mais il leur faut des hits. HDH leur composent «Where Did Our Love Go», their first number one in the pop chart. Soudain nous dit Lamont, The Supremes were the biggest act on the label. Tout s’emballe. Lamont constate que tous les hits du Top 10 américain sont signés soit Lennon/McCartney, soit HDH. Puis Gordy fout la pression sur tout le monde : il envoie une circulaire dans tous les services de Motown pour exiger que toutes les productions de Motown ne soient plus que des Top 10 products on any artist et puisque les Supremes sont the biggest act on the label, elles n’enregistreront plus que des number-one records. Lamont sent monter la pression. Comment tenir à ce rythme infernal ?

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             Ah mais c’est pas tout ! Il faut aussi lancer les Four Tops. Lamont connaît bien Levi Stubbs, Duke Fakir, Obie Benson et Lawrence Payton. Encore des héros sortis des HLM de Detroit. En 1966, alors qu’ils enregistrent «You Can’t Hurry Love» et «You Keep Me Hanging On» avec les Supremes, HDH entrent en studio avec les Four Tops pour enregistrer «Reach Out I’ll Be There» - To me, that’s a song that perfectly captures what HDH was all about - C’est le sommet du lard, le vertigineux sommet du lard de HDH. Lamont dit aussi qu’ils ont passé toute  l’année 1965 au sommet des hit-parades. Fatiguant mais excitant, ajoute-t-il. Il n’existe pas de concurrence entre Smokey Robinson, Mickey Stevenson, Norman Whitfield et HDH, tout le monde avance dans le même sens, the Sound of Young America. Tout le monde bosse, Gordy ne veut ni drogues ni alcool at Hitsville USA. Brian ne boit que du lait, Eddie boit un petit peu de pinard, mais pas trop - Nous n’avions pas le temps de déconner avec les drogues, et je voulais garder les idées claires. Tu venais chez Motown pour bosser, pas pour picoler et faire la fête - Mais Lamont se lamente car la pression est terrible. Il faut des hits, encore et encore, tous les jours. Cot cot cot !

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             En 1967, l’état d’esprit commence à changer : les Miracles deviennent Smokey Robinson & The Miracles, Martha & The Vandellas deviennent Martha Reeves & the Vandellas et les Supremes Diana Ross & The Supremes. Gordy mise à fond sur Diana et ne fait pas de cadeaux, ni à Mary Wilson et encore moins à Florence Ballard qu’il va réussir à virer. Lamont redit son admiration pour Smokey, mais aussi pour Ashford & Simpson. En 1967, HDH ont composé et produit plus de la moitié des hits qui ont rendu Motown célèbre dans le monde entier. Et c’est là que commencent les ennuis. Quand Gordy nomme Eddie A&R de Motown, il provoque le départ de Mickey Stevenson qui était l’A&R historique. D’ailleurs l’autobio de Mickey Stevenson vient de paraître. On en reparle.

             Lamont sent qu’il ne reçoit pas la rétribution correspondant à ce qu’il amène avec HDH à Motown. En plus, Brian et Eddie passent de plus en plus de temps aux courses de chevaux et Lamont se lamente de se retrouver seul en studio pour bosser. Il le vit mal. Comme l’ont raconté Eddie et Brian dans leur autobio, HDH se mettent en grève et en 1968. Gordy les traîne en justice pour rupture de contrat. Il demande quatre millions de dollars de dommages et intérêts. Cette belle histoire finit au tribunal. Quelle misère !

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             Il n’empêche qu’HDH retrouvent leur liberté. Ils montent Invictus. Le boss, c’est Eddie. Des trois, il est celui qui a le sens des affaires et ce qu’il faut de chien pour les brasser. Ils partent tous les trois d’un poème de William Ernest Henley, «Invictus», qui se termine ainsi : «I am the master of my fate/ I am the captain of my soul.» Ils s’installent à Detroit et récupèrent d’autres victimes de Berry Gordy, comme par exemple Ronald Dunbar et d’autres «Motown refugees» comme Jeffrey Bowen qu’ils nomment A&R. Pour retrouver leur âge d’or, HDH ont besoin de dénicher de nouvelles Supremes et de nouveaux Four Tops. Les nouvelles Supremes sont Honey Cone, le groupe d’Edna Wright, qui est la sœur de Darlene Love. Il est important que préciser qu’Edna a fait partie des Raelettes de Ray Charles. Puis ils lancent The Glass House et Freda Payne, dont on a dit ici même, en décembre dernier, tout le bien qu’on pouvait en penser. Jeffrey Bowen a pour mission de trouver l’équivalent des Four Tops, alors il amène The Chairmen Of The Board, un groupe de surdoués rassemblés autour de General Johnson, qui va jouer lui aussi un rôle capital dans l’aventure Invictus. L’un des autres personnages clés de cette épopée, c’est bien sûr McKinley Jackson, leader des Politicians, et qui devient arrangeur/producteur maison chez Invictus/Hot Wax.

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             Malgré les succès du trio HDH et des deux labels, Lamont n’est pas heureux. Il sent qu’il passe trop de temps dans son bureau et pas assez en studio. Il sent aussi qu’il ne voit plus les choses de la même façon qu’Eddie et Brian. Quand Al Green propose son nouvel album à Invictus, Eddie passe la main. Lamont est choqué. Parliament sort son premier album Osmium sur Invictus, mais pour une raison x, ça ne marche pas. George Clinton finit par se fâcher avec Invictus. C’est là qu’il signe sur Casablanca avec le succès que l’on sait - L’un des groupes que George Clinton a beaucoup influencé sont The Ohio Players. That’s another group that we passed on - Lamont est effondré : «Je me suis souvent demandé ce que serait devenu Invictus si on avait eu Al Green, Parliament et les Ohio Players, quand on avait la chance de pouvoir les signer.» Et donc Lamont se casse pour attaquer une carrière solo.

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             Sacrée pochette que celle de son premier album solo, Out Here On My Own : Lamont s’y pavane en chemise et fute de cuir caramel, avec un air mauvais. Mais c’est au dos que ça se corse, car il tient debout, torse nu et te toise. Et tout ça n’est rien en comparaison de ce coup de génie qui s’appelle «Breaking Out All Over» ! Lamont swingue sa Soul comme un black gladiator, no no babe ! Il swingue ça aux petites guitares funk et ça s’envole avec les violons de Marvin. Pur Black Power ! Voilà qu’éclate une fois de plus au grand jour le génie de Lamont. Il nous fait même le coup de la petite accalmie flûtée avant que n’éclate le bouquet final. Real big Doz ! L’autre coup de Jarnac se trouve en B et s’appelle «Take Off Your Make Up». La beauté de l’intro est d’une grande virulence, c’est une Soul fouettée aux violons et chantée à la mode haletée pour éclater encore une fois au grand jour. Lamont est un seigneur des annales. C’est là que s’exprime le génie d’un art nègre qu’on appelle la Soul. Lamont crée de la beauté par vagues, dès qu’il lui demande d’enlever son make-up, oh cette façon d’attaquer le take off est tout simplement spectaculaire. Lamont est à l’avant-garde de l’art nègre, il polit son Take off magnifiquement. Il take son Take off au paradis des Soul Brothers et le thème orchestral emporte la fin du cut. Rien d’aussi puissamment beau sur cette terre. Autre merveille inexorable : «Fish Ain’t Bitin’». Ah il faut voir la classe du gratté de guitare en fond de ce groove de Soul superbe. Lamont sait gérer un son, il l’a déjà prouvé, mais il fait encore des étincelles. Solide romp aussi que ce «Don’t Want Nobody Between Us». Il bouffe sa Soul toute crue comme s’il était les quatre Four Tops à lui tout seul. Il chante son «Let Me Make Love To You» jusqu’à l’os du crotch, sans rémission ni regrets, Doz does it right. Le Politician McKinley Jackson signe toutes les compos. Lamont finit cet album fantastique avec le morceau titre, cut de Soul digne des Tempts, orchestré à la Motown, il chante ça à la force du poignet. Puissant Doz ! 

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             Au moment où sort son premier album solo, Brian et Eddie font paraître The New Lamont Dozier Album - Love And Beauty. C’est une compilation des singles enregistrés par Lamont pendant sa période Invictus. Lamont et Eddie recréent à leur façon la magie Motown. On ne compte pas moins de quatre vraies énormités sur cet album, à commencer par ce «Don’t Leave Me» chanté sous le boisseau, véritable cut de r’n’b racé et primitif. Cette teigne vaut bien celle de Stax. Encore un hit de Doz avec «New Breed Kinda Woman», real Motown magic. Il met tout le paquet dans cette affaire. En B il passe au heavy funk avec «I’m Gonna Hi-Jack You». On se croirait chez Sly Stone, même sens de l’énormité du beat. Encore du heavy beat avec «Super Woman». On est en plein cœur du Black Power. Lamont monte sur ses grands chevaux, il sait rocker le butt d’un cut de Soul ! Il ne faut pas faire l’impasse sur «Why Can’t We Be Lovers», cette belle partie de groove urbain. C’est du Dozier complet, il fait entrer des infra-sons dans des accords inconnus. Avec «Don’t Stop Playing Our Song», il propose des orchestrations sibyllines et très originales en même temps. Chez Invictus, on fait de la recherche et du développement. On ne dira jamais assez à quel point le groove de Doz peut être élégant, c’est en tous les cas ce que montre «The Picture Will Never Change». Chez Doz, ça ne violonne jamais pour des prunes. Les nappes servent leur seigneur et maître comme seules les nappes bien inféodées savent le faire. Il termine ce brillant album avec «Let’s Get Together». Il s’y révèle une fois de plus aussi profond qu’un puits de son, do baby doo !

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             Black Bach est donc son deuxième album solo. Doz deviendrait-il prétentieux en installant son buste sculpté sur la pochette ? Il explique en fait qu’un joueur de sax au temps de Motown lui avait dit que les accords qu’il jouait au piano sonnaient comme ceux de Bach - Bach was the father of harmony et j’étais effaré par le temps qu’il avait mis à maîtriser son art. La plupart de ces compositeurs sont morts pauvres, mais ils s’en foutaient. They weren’t looking for a buck, they were just obsessed with music - Il calme très vite le jeu avec «Put Out My Fire», un groove suprême à la Marvin, bien soutenu aux percus. C’est la magie du groove qui opère - Somebody help me and rescue me - Lamont se lamente et appelle à l’aide en chaloupant des hanches, burn it up ! Ce Bach album n’est pas aussi dense que le précédent, on erre de cut en cut comme une âme en peine. Avec «All Cried Out», on voit bien que Lamont sait se lamenter sans se démonter. En B, il propose avec «Thank You For The Dream» une belle tranche de Soul entreprenante. Il maintient bien le niveau de ses ambitions compositales. Il revient au groove de Soul de maître avec «I Wanna Be With You» et l’absolue véracité d’un big black dude. 

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             Et puis le voilà en smoking sur la pochette de Right There. Doz cultive un sens aigu de l’image. C’est vrai qu’on s’habitue à son physique enfantin. Il démarre l’album avec une reprise de son vieux hit «It’s The Same Old Song». Il en fait une version pépère, doucement groovée et qui prend bien son temps. Puis il s’en va groover le morceau titre dans la masse. Il le fait avec la délicatesse d’un page florentin. Il fait son Al Green. Ça sonne évidemment comme un hit de Soul. Il conforte sa stature de roi du groove avec «Groovin’ On A Natural High». Il groove en douceur et en profondeur. Ça se corse en B avec «Good Eye», un heavy romp de Soul. Doz mène sa barque, il shake à la diction pure de Motown move - Good good loving/ She kissed me - Doz duette avec un mec, sûrement James Reddick, qui comme McKinley Jackson, est un compositeur et arrangeur de génie. Retour au groove de rêve avec «With A Little Bit Of Mending», véritable merveille irrépressible et terriblement mélancolique. C’est juteux et pur comme de l’eau de roche, bien monté sur beat des reins. On se doute bien que James Jamerson se trouve derrière cette entourloupe. Encore un groove de dream come true avec «Ain’t Never Loved Nobody». James Reddick qui est derrière intervient toujours à propos, avec une voix plus grave.  

             Pendant cette période, il produit pas mal de grands artistes : il cite les noms de Z.Z. Hill (Keep On Loving You), Margie Joseph (Hear The Words Feel The Feeling), Ben E. King et Aretha (Sweet Passion). Il enregistre un autre album pour ABC, Prophecy, mais l’album n’est jamais sorti. ABC ne l’aimait pas, et comme son contrat arrivait à terme, Doz s’est barré pour aller chez Warner Bros. 

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             Il débarque donc chez Warner Bros en 1977 pour enregistrer l’excellent Peddin’ Music On The Side. Il faut aller directement en B écouter «Going Back To My Roots» car c’est l’un de ces coups de génie dont on se souvient sa vie entière. On croit entendre Alexandrie Alexandra sauf que Doz le prend à la méchante énergie. Il ramène des éléments de Brazil et d’Africa dans son brouet fabuleux et adresse un clin d’œil à Carlos Jobim. On entend même des tambours africains. Pour «Family», il ressort ses orchestrations extrêmes et vise le big Broadway brawl. En A, il propose un solide romp de Soul avec «Sight For Sure Eyes», hello mama ! C’est bardé de son, bien au-delà des espérances du Cap de Bonne Expectitude. On a même un solo de xylo, monté sur un heavy beat dressé vers l’avenir. Puis il enlumine «What Am I Gonna Do ‘Bout You» à la flûte antique. Doz ne lâche pas son steak. Même si «Break The Ice» paraît plus classique, on y voit des choses assez marrantes, comme cette basse à la Miss You qui remonte le courant des intermèdes. Doz se bat comme un lion avec chaque cut. Il faut le voir se jeter sur un balladif comme «Tear Down The Walls» ! Quel champion !  

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             Considérons Bittersweet comme son dernier grand album classique. Il s’y voue au funk corps et âme, comme le montre «Boogie Business». Real Black Power ! Solide partie de funk en rase campagne, ça cuivre à gogo et Doz enfonce son funky clou à coups redoublés. Fabuleux aplomb ! Il ne s’en laisse pas compter. Doz ne lésine pas sur la dose. Baisser les bras n’est pas son genre. Chez les Dozier, on sait dozer. Il revient à son cher heavy groove avec «True Love Is Bittersweet». C’est bardé de son, amplement orchestré, tiré à quatre épingles. Doz est un milord. Par contre, son «Love Me To The Max» flirte avec la diskö putassière, mais bon, Lamont ne se lamente pas, il dansera jusqu’à l’aube. En B, il nous refait le coup du hard-nailed funk avec «We’re Just Here To Feel Good». Real Black Power une fois encore. Il fait aussi passer son «I Got I All With You» en force. Il sait se montrer irrépressible, même avec les slowahs gluants. Tiens, allez, encore un petit shoot de funk avec «Let Your Love Run Free». Il mène ça à la force du poignet.   

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             Bon alors après ça se gâte, dès 1981, avec Lamont. Il se déguise en yatchman de diskö boat sur la pochette. Mais il n’a plus les moyens de sa légende. Il se plie aux impératifs du marché et on passe complètement à travers sa diskö passe-partout. Dommage. On assiste à une vraie chute d’inspiration. Il préfère piloter son diskö boat à la mormoille. Il réussirait presque à sauver cet album avec «Locked Into You». 

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             La même année paraît Working On You, sous une pochette racoleuse. Si on écoute cet album, c’est uniquement par sympathie. Le seul cut sauvable de l’album est «(You Got Me) Wired Up», un groove sexuel très sucré. Notre héros se transforme en pâtissier lubrique. Vas-y Doz ! On est avec toi !

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             Il reste dans la diskö pour Bigger Than Life, paru deux ans plus tard. Le pauvre Doz bouffe à tous les râteliers. Désolé Doz, on se lamente car ce n’est pas du bon Lamont. Il réussit presque à recréer l’illusion en B avec «Scarlett O’ Hara» et groove adroitement sa diskö funk dans «Nowhere To Go But Up». Il y retrouve sa légèreté légendaire. Et pouf, voilà un hit : «Second Wind», fantastique shoot de good time music. Ouf ! Il emmène sa Soul valser par dessus les toits avec un power extraordinaire.  

             Dans le début des années 80, le trio HDH se reforme et produit l’album du grand retour de Four Tops, Back Where I Belong.

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             La pochette d’Inside Seduction fait craindre le pire, et même si «Feeling Each Other Out» pue le synthé, Doz réussit à y injecter un énorme shoot de Soul. Mais trop de cuts puent le filler et la mauvaise diskö. De ce point de vue, l’A est une véritable catastrophe. Il redresse un peu la barre en B avec «The Quiet’s Too Loud», qui sonne presque comme un hit et ««Attitude Up» sonnerait bien comme la diskö des jours heureux. Il faut attendre le dernier cut qui s’appelle «Pure Heaven» pour s’étrangler en criant au génie. Avec un mec comme Doz, la heavy diskö, c’est forcément bon. Il sait groover sa chienne de vie, c’est excellent, plein de tout l’allant d’Allah. Wow, quel big shoot de Black Power !

             Mais la suite de sa carrière solo dégénère. Il grenouille avec le mec de Simply Red, Clapton et Phil Collins. N’allons pas salir le beau blog de Damie Chad avec des cochonneries.

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             Comme on le sait, Lamont Dozier n’est pas né de la dernière pluie. Alors pour finir en beauté, il décide de recycler tous ses vieux hits, et là, attention aux yeux ! Il existe trois albums qui sont des bombes atomiques ! Le premier s’appelle An American Original - I recorded a bunch of HDH classics from the heyday, but I presented them the way many of them were originally conceived: as slow lovehorn ballads. C’est la façon dont ils sonnaient avant que Brian et moi ne les accélérions pour les rendre plus radio friendly - Il s’accompagne au piano pour chanter «Where Did Our Love Go», et il tisse un fil mélodique effroyablement beau, une deep Soul de cœur broyé, you came to my life/ So tenderly, il y va au ooh baby, il groove sa Soul à la lenteur fondamentale, ooh baby, c’est déchirant de don’t leave me, il est même encore plus puissant que Burt ou Al Green, il incarne l’âme de la Soul et quand on a dit ça, on a rien dit. Tout n’est pas aussi spectaculaire que ce remake de «Where Did Our Love Go», il faut attendre «Baby I Need Your Lovin’» pour frémir à nouveau, il chante son vieux hit au heavy grrove, épaulé par les percus, il s’accompagne au piano et il écrase bien son champignon. Il fait ensuite une version Caraïbes de «Baby Love», il groove ça en profondeur. Encore un coup de génie avec le retake de «Can’t Help Myself (Sugar Pie Honey Bunch)», ça swingue, mon gars, t’as pas idée. Il taille encore sa toute avec «How Sweet It Is (To Be Loved By You)», thank you baby, c’est en quelque sorte le summum du satin jaune. Il faut aussi le voir couler «(Love Is Like A) Heatwave» dans un moule de gospel batch, il te plonge dans le swing le plus pur de tous les temps, tu as le génie de Lamont à l’heatwave beating in my heart ! Il chante aussi son «Stop In The Name Of Love» avec une voix de supplicié de l’Inquisition, think it over, puis il plonge dans l’océanique avec «My World Is Empty Without You», il devient l’Hugo de la Soul, pas de barbe blanche mais du génie visionnaire à revendre, il s’accroche à sa falaise de marbre.

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             Sur Reflections Of Lamont Dozier, il reprend encore ses vieux hits, histoire de rappeler au monde entier qu’il a du génie. Sa version de «Where Did Our Love Go» a quelque chose de mythique. Il revisite toute l’histoire de Motown - Please don’t leave me/ All by myself - Il le prend plus heavy. Il fait ce que bon lui semble, vu qu’il est le roi de Motown, le pourvoyeur de hits. C’est bien qu’un mec comme lui se réapproprie ses hits. Il est bien plus puissant que les Supremes. Il en fait une version éplorée et pure. Il tape à la suite dans l’«Heatwave» qu’il écrivit pour Martha & The Vandellas. Il prend ça au heavy groove, c’est épais et sacrément explosif. Il chante à foison et un solo de sax arrive comme un retour de manivelle. Il revisite aussi «Baby I Need Your Lovin’». Il y ramène des congas et du piano pour en faire un groove sublime. La chanson est là. Il en fait une version magique, une œuvre d’art terrible et définitive. On peut dire la même chose de «Baby Love». Il en sort aussi une version démente, ça sonne encore plus comme un hit qu’avant. Toutes ses reprises sont monstrueuses. Il monte encore dans les crans du génie avec «I Can’t Help Myself», il ramone les Supremes et ramène toute la puissance du peuple noir. Il faut aussi entendre sa version de «Reach Out I’ll Be There». Il tape ça à la sur-puissance. Il règne sur son empire. Il s’appelle Lamont Demento. Il laboure ses terres. La basse chevrote tellement elle est bonne. D’autres merveilles guettent l’imprudent visiteur, comme par exemple «I Hear A Symphony» joué au heavy drone d’infra-basse. Belle entourloupe, en tous les cas. Motown lui doit tout et tout particulièrement les Supremes, ne l’oublions pas. Il fait aussi une version extrêmement ralentie de «Stop In The Name Of Love». Lamont récupère toutes ses billes pour en faire des trucs à lui, plus poitrinaires, plus inspiratoires, moins dans le Ross de la rosse, et comme la mélodie est là, alors ça fonctionne à merveille. La démonstration plaide par elle-même. Il tape aussi dans «How Sweet It Is (To Be Loved By You)». C’est un hit qui s’entend dès les premières mesures. C’est à ça qu’on mesure la hauteur des géants.

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             Le troisième, Reimagination, date de 2018. Même principe que les deux albums précédents, mais cette fois, il invite des gens. Ça commence mal car il invite Graham Nash pour le «Supremes Medley». Lamont chante très laid-back et s’accompagne au piano. Il prend «How Sweet it Is (To Be Loved By You)» en heavy barrellhouse, avec Gregory Porter qui fait le tenant de l’aboutissant. Force est de constater une fois encore que les compos sont impeccables. Et soudain, le génie de Lamont Dozier ré-éclate à l’Ararat avec «Reach Out I’ll Be There» qui fut dit-il conçu comme a gospel song. Il ramène de la confusion comme Dylan dans «All Along The Watchtower», il le prend très laid-back et au piano, il fait monter les harmonies vocales, reach out, vas-y mon gars, reach out for me ! On réalise à ce moment-là que Lamont navigue exactement au même niveau que Dylan et John Lennon, voilà c’est pas bien compliqué à comprendre. Lamont Dozier, c’est aussi Jimmy Webb en black. Il est tentaculaire. Une blanche nommée Ann Womack vient doubler sur le refrain de «Baby I Need Your Lovin’». Pas forcément une bonne idée. Ce hit appartient de droit au peuple noir. La blanche fait mal aux oreilles. Il tape ensuite une «Bernadette» à l’espagnolade. Il est sur tous les fronts, le Lamont d’Ararat. Il travaille son génie au corps. Il développe de l’espagnolade. Il déploie à l’infini. En prime, on entend chanter l’un des plus grands compositeurs d’Amérique. Il duette avec Cliff Richard sur «This Old Heart Of Mine (Is Weak For You)», c’est presque pop, pianoté au tip top, fuck, les voix se marient bien, Cliff Richard ramène tout son star system. Lamont invite encore une blanche nommée Jo Harman dans l’hommage aux Vandellas, «(Love Is Like A) Heatwave/Nowhere To Run». C’est drôle qu’il flashe sur les petites blondasses. Option jazz ferver cette fois, stand-up and snap. Lamont swingue d’entrée de jeu, il a ça dans la peau, mais la voix blanche gâche tout. C’est atroce comme elle gueule. Les choix de Lamont sont parfois incompréhensibles. Il aurait dû prendre une petite black pour lui donner une chance, pas ce genre de blondasse à la mode. Ça ne peut pas marcher. Voici enfin un invité de marque : Todd Rundgren. Il chante solo «In My Lonely Room». C’est un puriste, du même niveau que Lamont. Avec la guitare de Rundgren, ça devient incendiaire. L’invité suivant est encore un blanc, Marc Cohn, un mec assez énervé qui tape «Take Me In Your Arms (Rock Me A Little While)» au fast blues-punk. Il gratte ça à tort et à travers, c’est très bordélique. Bizarre que Lamont ait pu tolérer ça. Ce mec est un fouteur de souk. Retour à la terre ferme et aux duos d’enfer avec Rumer et «You Keep Me Hangin’ On». Ça change tout - Set me free/ Why don’t you babe - Rumer met du temps à se pointer, elle fait ooouh dans le refrain. On ne l’entend pas beaucoup, dommage. Elle aurait pu bouffer Lamont tout cru. Il enchaîne avec la chanson de l’avenir, «I Can’t Help Myself (Sugar Pie Honey Bunch)», il l’entonne et s’accompagne au piano, il claque dans le ciel comme l’étendard du peuple noir, il chante l’espoir inébranlable, il allume l’horizon avec son piano au nobody else, attention, c’est une chanson qui peut te broyer le cœur. Il termine avec une nouvelle resucée de «Reach Out». Ses notes de piano se perdent dans l’éternité, aw baby, reach for me, I’ll be there, il prend encore cette blanche Jo Harman pour duetter, il commet toujours la même erreur, il fait entrer des blanches et des blancs qui vont faire leur beurre sur le dos des noirs, en plus elle chante mal, son I’ll be zere fait mal aux zoreilles des zazous de Zanzibar, c’est une catastrophe tellement elle gueule. Bizarre que Lamont ne s’en aperçoive pas.

    Signé : Cazengler, Lamontable Dozier

    Lamont Dozier. Disparu le 8 août 2022

    Lamont Dozier. Out Here On My Own. ABC Records 1973 

    Lamont Dozier. Black Bach. ABC Records 1974 

    Lamont Dozier. The New Lamont Dozier Album - Love And Beauty. Invictus 1974

    Lamont Dozier. Right There. Warner Bros. Records 1976  

    Lamont Dozier. Peddin’ Music On The Side. Warner Bros. Records 1977  

    Lamont Dozier. Bittersweet. Warner Bros. Records 1978  

    Lamont Dozier. Lamont. M&M Records 1981

    Lamont Dozier. Working On You. Columbia 1981

    Lamont Dozier. Bigger Than Life. Demon Records 1983 

    Lamont Dozier. Inside Seduction. Atlantic 1991

    Lamont Dozier. Reflections Of Lamont Dozier. Jam Right/Zebra 2004 

    Lamont Dozier. Reimagination. V2 2018

    Lamont Dozier. An American Original. Hithouse Records

    Lamont Dozier. How Sweet It Is: A Songwriter’s Reflections On Music, Motown And The Mystery Of The Muse. BMG Books 20

     

     

    Hoodoo you love ? - Part Two

     

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             N’allez pas prendre Dave Faulkner pour une brêle. Non seulement ce serait une grave erreur, mais pire encore, une faute de goût. Depuis quarante ans, Dave Faulkner et ses Hoodoo Gurus remplissent leurs albums de brillants cuts de rock, de pop et de punk. Dave Faulkner se dit fou non pas du chocolat Lanvin, mais des belles guitares, il dit adorer le gros son, l’anthemic et le panache.

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             Phil Suggitt lui déroule le tapis rouge dans Shindig! : six pages ! Complètement inespéré, surtout pour un groupe qui n’a jamais été vraiment pris au sérieux. Pour situer le premier album Stoneage Romeos (paru en 1984), Suggitt tape dans la fourmilière référentielle : «‘60s garage-rock, Cramps rockabilly, ‘70s punk and glam-rock.» Avec sa frange, le batteur James Baker (ex-Scientists) semble en effet sortir d’une pochette des Shadows Of Knight. Les Gurus adorent Charlie Feathers, et tous les tenants et les aboutissants du glam, Suzi Quatro, Glitter and Bowie. Suggitt ajoute à ça une small dose of country et une huge dose of pop, et en guise de cerise sur le gâtö, il déclare : «Le grand talent de Dave Faulkner était de mélanger la trash culture et les kitsch influences avec des strong melodies and irresistible hooks.»

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             Il a raison, Suggitt, l’album accroche. C’est «Dig It Up» qui renvoie aux Cramps. Les Gurus sont même en plein dedans, ils tapent dans la mythologie, dans le heavy rumble de backdrop, avec les dégradés de guitare. Via «Death Ship», ils vont plus sur le Gun Club. Ils n’ont pas le son, mais ils ont la niaque. On peut même parler de super-power punch. «(Let’s All) Turn On» s’inscrit dans une belle tradition gaga-punk. Faulkner surmonte tous les obstacles. Ce n’est pas le cut du siècle, mais le son est là. Par contre, «Leibani» est un petit chef-d’œuvre de glam, ils sont en plein dedans, oh oh my love. Ils remontent sur le ring pour «In The Echo Chamber». Ils cherchent les voies du Seigneur, on sent chez eux une vocation réelle et une certaine poussée. Ils plongent dans ce son d’époque encore une fois avec «I Was A Kamikaze Pilot», Faulkner pousse un yeah yeah yeah. C’est bien vu, avec un son qui prend feu. Aucun espoir de retour à la raison.

             En fait, l’histoire des Hoodoo Gurus, comme d’ailleurs la plupart des histoires de groupes, est une non-histoire. Il ne s’y passe rien. Les seuls éléments notables sont les albums. On appelle ça une histoire lisse. Comme le fut celle d’Auguste Renoir, si on la compare à celle de Gauguin : d’un côté, il ne reste que l’arthrose et l’œuvre, et de l’autre, il reste l’Homme et l’œuvre. En matière de rock, on a d’un côté les histoires parfaitement lisses (Hoodoo Gurus, Echo & the Bunnymen, the Association, pour ne citer que trois exemples) et de l’autre les vraies histoires (Lanegan, Keith Richards, Jimbo, pour n’en citer que trois autres). Le rock sans sex & drugs, c’est un peu comme un jour sans rhum.

             Après leur premier album, les Gurus virent James Baker, leur Shadow Of Knight. Ils le remplacent par un nommé Mark Kingsmill. C’est Faulkner qui compose tout. Il dit stocker ses idées de chansons sur une cassette, et aujourd’hui, sur son smartphone. Et le groupe se met à tourner partout dans le monde. On les voit même sur MTV. Ils tissent des liens avec des lookalike comme les Fleshtones, les Groovies, Redd Kross et les Bangles.

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             Sur le Mars Needs Guitars paru en 1985, on croise un «Poison Pen» qui a des faux airs de Gun Club, avec de sacrés coups d’harp. La plupart des cuts sont bien emballés, fast & fine, Faulkner refait son Jeffrey Lee sur «In The Wild», ventre à terre, à travers les plaines. Ils revient à son cher gaga sixties avec «Like Wow Wipeout», clin d’œil à Nuggets et départ en solo pompé sur celui de «Psychotic Reaction». Bel hommage. En B, «The Other Side Of Paradise» retombe un peu dans les travers du poppisme populaire, ou du populisme poppy, c’est comme tu veux. Faulkner se tire de ce mauvais pas en ramenant du tribal de trogglodytes dans son morceau titre. Comme il le veut bien raw, c’est bien raw.

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             Faulkner garde un mauvais souvenir de Mark Opitz, le producteur de Blow Your Cool. «Soul-less ‘80s sound», dit-il avec amertume. En plus, il traînent le label Big Time en justice pour unpaid royalties, pratique courante à cette époque. Mais en fait, Blow Your Cool est un excellent album, même si l’«Out That Door» d’ouverture de balda se prend les pieds dans le tapis avec l’écho sur la batterie, c’est-à-dire la prod des années 80. On se croirait chez U2 ! Plus loin, «Good Times» se montre plus décidé à vaincre. Faulkner ne lésine pas cette fois, il ramène du heavy beat dans une belle clameur de pop. S’ensuit un excellent pâté de pathos, «I Was The One». Il s’en va chanter là-haut sur la montagne. Il boucle son balda avec «Where Nowhere Is», excellent shoot de punk’s not dead, battu à la diable par Kingsmill et monté sur le meilleur riff de revienzy de l’Aussie punk. Ça repart de plus belle en B avec «In The Middle Of The Land», énorme clin d’œil au gaga sixties. En plein dans l’esprit Nuggets. Faulkner impose sa marque partout. Nouvelle énormité avec «On My Street», wild gaga faulknérien, bien claqué du beignet, pas né de la dernière pluie, l’anti-oie blanche par excellence, Faulkner est le roi de la clameur, un apôtre de l’énormité, un couleur de bronze surnaturel, un prédestiné au Grand Œuvre, une poule aux œufs d’or, un exacteur d’exactions, un shaker-mover qui ne connaît pas la peur. Il finit en ramenant les accords de «Gloria» dans «Party Machine». C’est très bien vu, tout y est, le festin de groove, les coups d’harp, le heartbeat, les chœurs vaillants-rien-d’impossible et les poussées de fièvre.

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             Petit à petit, ils optent pour la power-pop et un son plus noisy, mais le noisy ne passe pas à la radio. Faulkner dit qu’il faudra attendre Nirvana et le grunge pour que ce noisy sound soit accepté partout. Il se fait donc passer pour un précurseur et personne n’ira le lui reprocher. Magnum Cum Louder arrive donc en 1989 comme le messie. Vas-y Faulkner ! Tu es le meilleur ! «Come Anytime» est ce qu’on appelle communément un cut bien vu. It’s okay. Tu peux faire confiance à Faulkner. Ce mec pulse toute la power pop qu’il peut. Il est même l’un des modèles du genre. Mais ce sont les deux clins d’yeux aux Saints qui font la grandeur pharaonique de cet album : «Another World» et «Death In The Afternoon». Faulkner y frise le Chris Bailey, son approche du big pop-rock Sainty est parfaite, et avec «Death In The Afternoon», il vise le même pôle Nord du heavy rock underground Sainty avec des accents profonds et le même sens immaculé de l’immaculate, le poids du power est le même, avec les accords et le chant intraitables. Faulkner & Bailey même combat ! Faulkner écrase ses syllabes comme le fait Chris Bailey. Ce n’est pas fini. L’autre sommet de l’album est la triplette «Hallucination», «All The Way» et «Baby Can Dance». Faulkner fourbit bien le fourbi d’Hallucination. Il chevauche son cut et ne le lâche plus. C’est d’une rare puissance. Il drive «All The Way» à la force du poignet, il soigne sa persistance à coups d’Hey hey hey, il lance bien son all the way. «Baby Can Dance» est plus poppy mais accueilli à bras ouverts. Tout ce qui vient de Dave Faulkner est pain béni. Il profite de la moindre occasion pour créer la sensation, alors suivons ce mec à la trace. Il repart à la conquête du monde avec le fast drive d’«I Don’t Know Anything». Il y va de bon cœur, il fait plaisir à voir. Tout est très lesté chez lui. Il ramène de l’énergie dans tous ses cuts, même ceux qui ne payent pas de mine comme «Where That’s Hit». Il pique une petite crise de Punk’s not dead avec «Glamour Puss», c’est assez effarant, et Brad Shepherd passe un joli solo de wah.

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             Faulkner est fou non pas de la chocolaterie de Charlie, mais de son son qui selon lui fluctue entre «guitars-to-11 hard-rock punk and a more melodic pop and psychedelic approach.» Suggitt opine du chef : «Some of their best tunes combine both elements, blending punchy rock with a heathy dose of pop.» Ce que tendrait à prouver l’excellent Kinky qui date de 1991. Faulkner s’y fend de deux Beautiful Songs, «Castles In The Air» et «Desiree». C’est un aspect composital qu’il n’avait pas encore développé. Il pose bien sa voix sur le joli groove de «Castles In The Air». Il se situe dans les harmonies à la Fred Neil, même univers de pureté mélodique, du coup, on dresse l’oreille. C’est d’un niveau qui impose le respect. Même chose avec «Desiree». Sa pop lumineuse fait merveille. Le hit de l’album s’appelle «100 Miles Away». Faulkner y fait du Dylanex et il est infiniment crédible. Ce mec est bon, il est dans sa vision, il sait mener un cut à la victoire, c’est extrêmement puissant. Si tu aimes bien la viande, alors écoute Kinky, mon kiki. Les Gurus font même du Mod rock avec «Something’s Coming». On se croirait au 100 Club in London Town, aw yeah, ils cultivent leur prescience de la présence, avec un faramineux shake de shook. Ils sont tendus et brillants, c’est le Mod rock dont rêvent tous les Mods anglais. Mark Kingsmill embarque «Head In The Sand» dans l’enfer du beurre. Il joue à fond la caisse, alors les Gurus basculent dans le camp des dingos, mais tu n’auras rien de plus que ce que tu entends. Encore une bonne surprise avec «Miss Freelove 69». Chaque cut est travaillé au corps, ils puisent dans les ressources du pop-rock au maximum des possibilités. Effet saisissant car on voit très peu de groupes capables de sauver tous leurs cuts. Avec tout son répondant et son allant, Faulkner devient une rockstar. Il a de bons accents vocaux, il éclate le chant au silice de la solace. Faulkner ne fait jamais les choses à moitié, comme le montre encore «Too Much Fun». Ils terminent en force avec «Dressed In Black». Ils ne reculent devant aucun excès de rock électrique.

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             Attention à Crank. Very big album ! Ils enchaînent deux coups de génie avec «You Open My Eyes» et «Hypocrite Blues». Ce sont des hits inter-galactiques, Faulkner tape «You Open My Eyes» avec tout le power des Small Faces. Il fait du heavy psyché gorgé de jus et de son, il est all over the rolling over. Ses claqués d’accords sont des modèles du genre. Avec «Hypocrite Blues», il passe au heavy stomp de blues rock. Il fonce, il ne prend pas le temps de réfléchir, Faulkner est un fonceur - I know what I mean - Il fait du raise from hell et nous envoie tous rissoler dans la friteuse. Il passe par tous les stades du heavy sleaze, c’est monté sur les accords de Louie Louie, mais avec énormément de viande. Il repique une belle crise de glam avec «Less Than A Feeling», c’est même du heavy glam, Faulkner va fureter partout, il ne vit que pour le full time rock’n’roll et c’est couronné de succès. Quelle stupéfiante assise ! Les Gurus sont même capables de lancer un «Gospel Train» dans la nuit. Ils ont ce genre de réflexe extraordinaire. Les Gurus méritent qu’on se prosterne à leurs pieds. Tout ce qu’ils proposent est bon, bien balancé et inspiré. Faulkner n’en finit plus de repartir à l’assaut avec «Quo Vadis», il impose sa niaque, tu peux l’écouter les yeux fermés, surtout avec «Form A Circle». Il passe en force avec son fast gaga-rock bien remonté des bretelles. Il n’en finit plus de créer son monde, il est partout dans le son. Fin d’album pour le moins spectaculaire avec l’enchaînement de «Judgment Day» et «The Mountain». Faulkner est une sorte de magicien aussie. Il ramène de la Cosmic Americana dans son Judgment Day, alors on le prend encore plus au sérieux. Il termine au Hoodoo heavy rock avec «The Mountain», les Gurus déplacent les montagnes, c’est bien connu. Quel power ! Si on en pince pour les énormités, il faut écouter ça.    

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             En 1996, Faulkner avoue avoir du mal à fournir. Comme Alphonse Daudet, il doit ramener de l’eau à son moulin et il n’y parvient plus. Pourtant il réussit à enregistrer Blue Cave. Suggitt trouve que Blue Cave retombe comme un soufflé. Bon, alors, on va tous se cotiser pour offrir à Suggitt une boîte de coton-tiges. Il se pourrait que Blue Cave soit l’un des meilleurs albums des Gurus. Dès «Big Deal», t’es baisé - Here we go ! lance Faulkner - Heavy Guru stuff. Les Gurus te passent dessus comme une charge de cavalerie, c’est quasi-Stoogy. Pas de meilleur son, surtout de la façon dont c’est amené, les Gurus jouent la carte de la purée, ils ratiboisent tout. Faulkner explose le son par-dessus les toits, on entend rarement de telles dégelées, c’est la patate de Cézanne, Faulkner dégouline de génie, il suffit d’entendre les petits allumages collatéraux, c’est un real deal digne de celui des Stooges, du pur génie sonique, pas de plus belle purée dans la stratosphère, Faulkner percute tous les plans et milite pour l’apocalypse. On ne comprend pas, comment des gens peuvent encore aujourd’hui allumer autant ? Aucun groupe anglais ne sonnait alors comme les Gurus, hormis les Hypnotics de Ray Hanson. Faulkner est le nouveau messie, mais si. Il enchaîne cette horreur avec un «Down On Me» qu’il chante à l’extrême désespérance. Les accords sont emportés par le vent. On trouve encore deux clins d’yeux aux Saints ici : «Always Something» et «Son Of A Gun». Même power, même sens aigu de l’Aussie onslaught, même power de la loco à travers la nuit des Saints de glace - Always something/ It’s never ending baby - Ah il fait bien son Bailey. Pas de doute, les Hoodoo doo be dootent. «Son Of A Gun» est encore plus Sainty que le Saint des Saints, Faulkner pose l’accent tranchant au devant du palabre. Même classe de géant qui s’écroule dans le lagon d’argent - Look at what you’ve done - Tu ne bats pas Faulkner à la course. Il a appris à jouer du tranchant de sa voix, donc il peut modeler son argile au vitam de l’eternam. Retour à la power pop avec «Waking Up Tired». Faulkner a tous les dons, y compris celui d’allumer la meilleure power pop d’Australie. Il faut le voir plonger dedans ! Et c’est visité par des vents de guitares extraordinaires. Tu as du son partout, sur cet album. Avec «Please Yourself», il ouvre le barrage contre le Pacifique pour que ça se déverse. C’est un déluge de son et d’événements extraordinaires. Faulkner ne se limite pas à deux lignes vite torchées. Il évolue dans l’autre dimension, celle des géants, celle qui nous intéresse au plus haut point. Cette façon d’exploser est assez unique au monde. Peu de gens savent le faire aussi bien.

             Comme il sent son puits à sec, Faulkner annonce en 1998 la fin des Gurus - I really thought I’d written myself out - Il dit approcher la quarantaine et admet volontiers que le rock est un truc de jeunes. Bon, c’est quand même un beau parcours, mon gars : 17 ans et neuf bons albums. C’est un palmarès que beaucoup de groupes t’envieraient. Alors ne fais pas ton modeste.

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             Faulkner prend ensuite des vacances prolongées. Lorsqu’il regrimpe sur scène pour jouer dans une fête, il trouve ça si excitant qu’il décide en 2002 de remonter le groupe avec un autre nom, The Persian Rugs. Ils enregistrent un album qui va sonner comme Nuggets, douze cuts avec des sons différents. Leur modèle est surtout l’album des Dukes Of Stratosphear. Faulkner est très fier d’ajouter que les Sonics ont repris son «Be My Woman». C’est vrai que «Be A Woman» sonne comme un hit infectueux. C’est fantastiquement amené au riff tordu, avec une belle volonté d’en découdre. L’ingéniosité de Faulkner règne sans partage sur ce fabuleux shoot de freakbeat so far out, il ne vit que pour ça, le so far out. Comme son nom l’indique, «Kind Of Fool» est bien énervé. Faulkner fait son aussi punk, il a ce qu’il faut de niaque pour maintenir sa crédibilité à flot. «I Want Your Love» pourrait très bien se trouver sur un album des Electric Prunes, ils ne font pas ça pour des prunes. Mais en même temps, ça reste très cousu de fil blanc, avec la petite dominante du riff de fuzz et l’écho du temps. Tu as même le solo que tu mérites, si tu ne vis que pour le gaga. Il faut les voir s’énerver avec «Bad News». Ils sont tellement déterminés à vaincre qu’ils flirtent avec le stomp. Leur radicalisme leur épargne les tourments de la routine gaga. Pas facile de couler du bronze gaga pendant trente ans. S’il est un genre limité sur cette terre, c’est bien celui-ci. Faulkner tente d’y apporter sa touche, on sent à la fois ses efforts et son enthousiasme, c’est très spécial. Il te demande de tendre l’autre joue avec «(Turn) The Other Cheek». Trop pop, et puis de toute façon, n’est pas Gandhi qui veut. Retour de la fuzz avec «1992», mais au service d’une virée un brin new wave mal chantée, à prétention psyché, qui sonne comme une concession. Dommage, car un solo flamboyant le traverse de part en part. «Nickels & Dimes» est vraiment digne de Nuggets, avec ses petits coups d’orgue, ses accords gaga et ses chœurs impliqués. Faulkner tient bien ses promesses. Il annonce un Nuggets album, il te fait un Nuggets album et pouf voilà le killer solo fash qui te fait rêver. Il va plus sur le proto-punk avec «Come Back Little Sheba», c’est excellent, on arrête de chipoter quand on entend ça, Faulkner remet tout au carré, il ramène les énergies fondamentales, il reprend le gaga au point de départ, à coups de come back, ça sonne délicieusement juste, avec encore une fois le killer solo à la clé. Tu ne perds jamais ton temps avec ce mec-là. Il tape dans le rampant avec «Cornered», il continue de bien capter l’attention et mine de rien, ça devient un big album, ce qui explique qu’il soit recherché. Wow, chaque fois, il place un killer solo qui est un modèle du genre. Ils attaquent «Miss Manners» avec les accords de «Psychotic Reaction», histoire de bien enraciner le Turkish Delight. Ils sont décidément irréprochables. Ils auraient pu faire Nuggets à eux tout seuls. Puis ils embarquent leur «Stop It» ventre à terre, fantastique bravado d’hot on heels, encore un modèle du genre, aux limites de la folie Méricourt. 

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             Et pouf, Faulkner remonte les Gurus en 2003. Ils enregistrent leur come-back album Mach Schau, avec Kim Salmon à la prod. Cette fois, le modèle c’est Presence de Led Zep. Faulkner veut a hard-rocking record. Premier coup de génie avec «Domino», amené au deep gaga. Le pire, c’est que c’est excellent, un vrai pâté de wild gaga. Faulkner rend le gaga complètement fou, il en fait un pataquès, il le carbonise, c’est encore un coup à tomber de sa chaise. Alors si tu n’es pas encore tombé de ta chaise, tu vas le faire avec «The Mighty Have Fallen». L’album devient légendaire, Faulkner t’embarque au paradis, à coups d’accords vintage, c’est l’expression du pur génie de la power pop. On trouve pas mal de gros coups de punk’s not dead ici, en particulier «Song Of The Year». Les Gurus sont devenus les champions du monde, ils sont bien plus puissants que les Anglais à ce petit jeu, leur punk est imbattable. C’est du power punk. L’autre shoot de power punk s’appelle «# 17». Puissant et inspiré. «Sour Grapes» qui ouvre le bal est un classique gaga embarqué vite fait en enfer. Faulkner dégage bien les bronches, aw yeah ! Il chante son gut out. «The Good Son» nous rappelle qu’on est une fois de plus sur un big album bardé de son et d’intentions. Faulkner tire sa heavy psyché par les cheveux. Encore une belle violence de la clameur dans «This One Is For The Ladies». Ils jettent de pleines pelletées de charbon dans la chaudière de leur power pop et ça décolle très vite. Si tu veux voir des locos s’envoler, alors il faut écouter Faulkner. C’est un spécialiste. On le voit d’ailleurs exploser en plein vol avec «Girls On Top». Il ne tape que dans le déterminant. Faulkner est un homme passionnant. «Dead Sea» vient encore le montrer : vraie présence vocale, densité du son. Comme Chris Bailey, il sait ce qu’il veut. Il fait encore son diable Vauvert dans «Monkey’s Wedding» et fout une pression terrible sur «White Night». Il conclut avec «Chop», explosé aux heavy chords. Ce mec ne t’accorde aucun répit.

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             Pour situer Purity Of Essence, premier album de reformation paru en 2010, on pourrait parler de rafale d’énormités. Dès «Crackin’ Up», ça tape dans le dur, comme dirait un maçon portugais. Faulkner émaille son cut de fast chords de pop punk, c’est magnifique, ça grouille de vie, c’est noyé de son et comme d’usage avec Faulkner, d’un son qui reste le meilleur son. Tout aussi ravageur, voici «Burnt Orange», plus punk, ce vieux démon de Faulkner se livre à des excès, il en a les moyens. Il chante son punk du coin du nez et ramène de la folie sonique à la pelle. Il se lance continuellement à la conquête des cœurs. Ça tourne au heavy blast visité par ce fou de Brad Shepherd. Encore du fast punk avec «What’s In It For Me», il y va de bon cœur, le Faulkny Faulknah ! Allez les gars, on y va, ils font même des chœurs des Dolls ! Après les énormités, c’est-à-dire les entrées, voici les coups de génie, c’est-à-dire le plat principal : «I Hope You’re Happy» et «1968». Il passe au wild gaga pour Happy, il développe son big drive de knock on wood/ I wanna be understood. Il termine en mode cant I get a witness. Quant à «1968», c’est juste avant «1969», donc pas étonnant qu’on y retrouve les accords des Sttoges et les clap-hands, mélangés aux accords de «Dropout Boogie» - It’s never too late - Une autre merveille : «Why So Sad», drivé au shuffle d’orgue, So why so sad/ Little girl, Faulkner ne recule devant aucun obstacle, c’est l’apanage des vainqueurs, il finit en puissance mille de belle apothéose. Stupéfiant ! Il tape son «Let Me In» au marteau piqueur et il fait de la fake Americana avec «Somebody Take Me Home». Toute l’ampleur du saloon électrique est là, il tape dans le heavy rocky road de balladif graveleux, il sait tout faire, même le whisky bottle d’Americana. Quand il fait du fake, il ne fait pas semblant. Il ne fait pas semblant non plus d’enregistrer des grands albums. 

             En guise de chute, Suggitt déclare : «Les Gurus n’ont jamais vraiment connu la gloire, ils se sont contentés de choses plus simples comme d’écrire et de jouer de great songs with style, wit and verve.»

    Signé : Cazengler, Hoodoo gouré

    Hoodoo Gurus. Stoneage Romeos. Big Time 1984

    Hoodoo Gurus. Mars Needs Guitars. Big Time 1985

    Hoodoo Gurus. Blow Your Cool. Big Time 1987

    Hoodoo Gurus. Magnum Cum Louder. RCA Victor 1989

    Hoodoo Gurus. Kinky. RCA Victor 1991

    Hoodoo Gurus. Crank. RCA Victor 1994

    Hoodoo Gurus. Blue Cave. Mushroom 1996

    Hoodoo Gurus. Mach Schau. Capitol Records 2004

    Hoodoo Gurus. Purity Of Essence. Sony Music 2010

    Persian Rugs. Turkish Delight. Capitol Records 2003

    Phil Suggitt : Wherefore are thou Romeos ? Shindig! # 125 - March 2022

     

     

    Inside the goldmine - Young Frogman blues

     

             Notre rencontre dans un bouge mal famé n’augurait rien de bon, et pourtant elle évolua d’une façon aussi extraordinaire qu’imprévisible. Cet aventurier qu’on appellera D (Di) avait roulé sa bosse dans le monde entier et ce dès le plus jeune âge. Fils d’un officier militaire britannique, il connaissait la Jamaïque, Aden et Nairobi pour y avoir vécu, et d’autres endroits encore plus exotiques. Il s’inscrivait dans la lignée des Robert-Louis Stevenson, des Jack London et autres Herman Melville, des noms auxquels il faudrait ajouter bien sûr ceux d’Henry de Monfreid, Joseph Kessel et Blaise Cendrars. Il avait tapé sur sa Remington un premier recueil de souvenirs, il vénérait Kurt Schwitters au point d’avoir transformé son appartement de Charing Cross Road en Merzbau et bien sûr, il avait fait du cinéma dans les early sixties : du cinéma commercial pour des clients américains, un cinéma qui ne portait pas encore le nom de ‘pub’. Un jour, alors que nous fumions une clope au soleil, D prit la liberté de lancer un projet : «Let’s make a movie !». Quarante ans après, cette phrase résonne encore dans l’écho du temps. Nous travaillâmes six mois d’affilée sur le story-board d’un scénario qui germait en lui et que je dessinais, jour après jour. Le film racontait les pérégrinations d’un peintre d’art contemporain, qui était un sosie d’Elvis, dans le Swingin’ London des art galleries. D se fondait tout entier dans le personnage du peintre et tissait l’intrigue à partir de dialogues qu’il voulait dignes des réparties d’Oscar Wilde. Il théâtralisait à l’Anglaise et veillait obsessionnellement à la musicalité de la langue. Un vrai Lord Henry, sa prosologie grouillait d’aphorismes et dans sa magnanimité, il me fit endosser le rôle du Frogman qui parle en broken English et dont les Londoners se moquent dès qu’il ouvre la bouche, ce qui correspondait bien à la réalité. Nous avions deux cents pages au format raisin et il prit un jour l’avion à destination de New York où, disait-il, se trouvait un executive producer de sa connaissance qui allait financer le projet. Bien sûr, le projet resta à l’état de projet car le vol British Airways disparut ce jour-là dans l’Atlantique et chaque nuit, le fantôme de D prenait la liberté d’une petite visite pour venir scander d’une voix grave un truc du genre : «Be yourself Frogman, everyone else is already taken.»

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             Il existe par contre un Frogman célèbre, le fameux Clarence Frogman Henry. Tony Rounce rappelle dans le booklet d’une compile Ace qu’on évoque plus loin que la carrière de ce Frogman s’étend sur sept décennies. C’est le succès de Fatsy en 1946 qui le pousse à vouloir faire carrière et aussitôt après la fin de l’école, il entre dans les Toppers de Bobby Mitchell. En 1953, il entre pour la première fois dans le studio de Cosimo Matassa pour jouer du trombone.

             En 1961, Mike Fenton a onze ans et il découvre Frogman dans le hit-parade du NME. Cinquante ans plus tard, il va le rencontrer à la Nouvelle Orleans. Frogman lui raconte qu’il a appris le piano à l’âge de huit ans - It was Miss Jones on Columbus & Clairborne, she taught me the fundamentals of the piano. I taught myself my style, though - I wanted to be like Fats Domino - Ado et vivant à Algiers, Frogman traîne dans les barrooms et se régale de voir jouer Professor Longhair. Après qu’il se soit fait virer des Toppers, Frogman monte son propre groupe et une nuit, il joue un riff au piano - I hit this riff on the piano and I just built on the riff with words about people that ain’t got no home and then the chicken ain’t got..., the fox..., the frog. I kinda made it up on the spot and the crowd went crazy - C’est bien sûr «Ain’t Got No Home» et c’est Paul Gayten qui envoie cette démo à Leonard le renard qui prévoyait de venir à la Nouvelle Orleans rencontrer Bobby Charles. Frog enregistre son hit chez Cosimo et Leonard le renard le signe sur Chess. 

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             Son premier album You Always Hurt The One You Love ne sort pas sur Chess mais sur le sous-label Argo, en 1961, et c’est Robert Guildry, c’est-à-dire Bobby Charles, qui donne un coup de main à la prod. Comme c’est un blanc qu’on voit sur la pochette (assis sur le banc) les gens croient qu Frogman est blanc. En 1957, «Ain’t Got No Home» est un hit. C’est lui qui boucle le balda, Frogman tape le vrai jive de la Nouvelle Orleans, un son unique au monde. Il nous fait même une imitation de Shirley & Lee. Encore un vrai jump de Frog avec «Oh Why», monté sur un énorme drive de basse. Il tape aussi le «Live It Right» d’Allen Toussaint au piano de barrellhouse. En B, le tempo monte en grade sur «Little Suzy» et Frogman nous fait la grâce d’un slow groove de charme chaud avec «Just My Baby & Me». Même combat que Fatsy, et il termine avec «Oh Mickey», un fast & furious jive de la Nouvelle Orleans. Wow, ça swingue chez Frog !

             Frogman évoque son ami Bobby Charles : «Bobby was my best friend, had a voice like a soul brother, was what you’d call an hermit, lived out in the swamps. I think he grew up around blacks out in the Bayou.» Frogman se fait assez de blé pour acheter une maison à Algiers où il peut installer sa famille. Fenton dit que la maison grouille aussi de grenouilles en céramique, en plastique, toutes sortes d’objets que lui envoient ses fans. Des centaines de grenouilles. Il tourne en Angleterre en 1962 avec Tony Orlando, Bobby Vee et les Springfields dans lesquels chante une Dusty chérie encore inconnue. Puis c’est la British Invasion. Frogman se produit en première partie des Beatles au Canada et aux États-Unis. C’est Bob Astor qui le met à l’affiche de la tournée, avec Jackie DeShannon et le Bill Black Combo. Quand Fenton demande à Frogman ses impressions sur l’Angleterre, c’est la rigolade : «Went up to the Palace and man, them Guards, they just don’t move!» Et il ajoute : «The English sure did like their tea-time.»

             Quand le contrat Chess arrive à terme, Bob Astor emmène Frogman voir Huey P. Meaux. Les singles de Frogman vont sortir sur Parrot Records (sous-label de London in the US qui distribue the British Decca - Zombies, Them, etc.). Rounce suppose que Meaux présidait aux sessions d’enregistrement, humant la présence du Huey Meaux’s unmistakable Acadian twang. Rounce indique aussi que Bobby Charles composait énormément pour Frogman, d’où la country flavor de certains cuts.

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             On trouve trois très belles covers sur Is Alive And Well Living In New Orleans : «Mohair Sam», «Blueberry Hill» et «Let The Good Times Roll». Frog prend le Mohair au heavy r’n’b de la Nouvelle Orleans. Le bassman s’appelle Erving S. Charles et il groove comme mille diables. Puis Frog tape dans le Blueberry Hill avec la même chaleur humaine que Fatsy. C’est une merveille de sweet melody et d’épaisseur humaine. Superbe hommage. Il rend en B hommage à Shirley & Lee avec le fameux «Let The Good Times Roll», il imite la voix de Shirley, c’est lui qui fait la petite délurée. Il continue de faire le con avec «Little Green Frog», il croasse comme une grenouille. C’est digne de Mr Quintron, il est sur le mode de «Mr Personality», il croasse dans le bayou. Genial Froggy ! L’album est très solide, il faut le voir le Frog attaquer sa B avec le «Just Because» de Lloyd Price. Fantastique connexion, superbe entente, aussi bénéfique que l’entente Frog/Fatsy. Encore de la fantastique allure avec «Tear Drops» - Every time it rains/ I think of you - Et bien sûr ça le rend triste. Le slow blues de «Red Sails In The Sunset» lui va aussi à ravir. Il est dans cette énergie extraordinaire. Il chante encore son «Send Me Some Lovin’» à la perfection. Quel fantastique Soul Brother ! Et c’est visité par un sax de la Nouvelle Orleans.   

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             Si on veut goûter la modernité de Frogman, il faut écouter cet excellent album :The Legendary Clarence Frogman Henry. Il s’y montre aussi moderne que Fatsy et Lloyd Price. Sa cover de «When A Man Loves A Woman» est fascinante. Quelle classe ! Il chante au grain de voix cassé, il a de la black mélancolie plein la bouche, quel fabuleux artiste ! Il tape «Take It On Here» au pur jus de Fatsy, il chante avec une faramineuse aisance et croone comme un gator. Et pouf, il reprend «The In Crowd» de Ramsey Lewis, un hit rendu célèbre par Bryan Ferry. Frogman le prend par les hanches et le chante au yeah-eh. En mâchant sa diction, il fait de l’art moderne. Il croone encore comme un dieu du bayou avec «For Your Love». Il est l’un des géants de son temps, avec Fatsy. Il attaque son bal de B avec «Ain’t No Pleasin’ You», il t’embobine en deux temps trois mouvements. Il chante comme un fier Frogman. Il fait un groove de pop à l’ancienne avec «Gonna Sit Down And Write Myself A Letter» et tape son «Just A Matter Of Time» à la pureté évangélique. C’est le même fil mélodique que «Sometime After Awhile».  

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             En 2015, Ace pondait une belle compile de Frogman, Baby Ain’t That Love - Texas & Tennessee Sessions 1964-1974. Il l’attaque avec l’irrépressible «Ain’t Got No Home». Il fait tout le boulot. C’est assez explosif pour l’époque, il tape dans tous les registres, Shirley & Lee, le gator. C’est le big jumpy jumpah de la Nouvelle Orleans. Il fait aussi une cover superbe du «Sea Cruise» de Frankie Ford. Sa cover est même un peu étrange, oh oui baby, elle flirte avec la calypso, et même le ska. Rounce nous explique que Meaux avait acheté des backing tracks en Jamaïque et qu’il a collé la voix de Frogman dessus. Rounce ajoute que Meaux a sorti des milliers de singles en vingt ans et qu’il est impossible d’en faire l’historique. Par contre, Frogman est toujours au rendez-vous. Comme Fatsy, il est là pour l’entertainment. Petite merveille que de «Cajun Honey» - Mon cher ami/ In the South of Louisiana - c’est extrêmement pointu, il est en plein dedans. Avec «Cheatin’ Traces», il monte en puissance comme Fatsy, même force tranquille, il chante à la virgule du big black power. Il est toujours sur le trente-et-un du son. Il monte encore d’un cran avec «I Can’t Take Another Heartache», c’est quasiment du Motown avec des chœurs de filles, il est excellent, il chante comme un cake, il monte bien en neige. Il touche à tous les genres, le voilà barré en mode country avec «Hummin’ A Heartache» et «That’s When I Guessed». Avec «We’ll Take Our Last Walk Tonight», il passe à un son plus moderne, plus country-rock, à coups d’acou et d’harp. D’après Rounce, c’est du recyclage de Doug Sahm. «We’ll Take Our Last Walk Tonight» et ce fantastique shout de country Soul qu’est «In The Jailhouse Now» - Oh oh yeah - figurent sur le premier album du Sir Douglas Quintet paru en 1965. «In The Jailhouse Now» est signé Jimmie Rogers, the founding father of country music. Frogman est un chanteur passionnant. Comme Fatsy, il a une vraie chaleur de ton. Il tape son «Mathilda» à la bonne franquette.

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             Comme toutes les compiles Crazy Cajun Recordings, celle consacrée à Frogman est de la dynamite. I Like That Alligator Baby démarre avec sa version de «Sea Cruise», ce fabuleux classique de nothing to lose. Huey P. Meaux does it right. Pure génie de froggy motion avec «Cheatin’ Traces», Frog fait son Fatsy, Frog est lui aussi un seigneur de la guerre, l’un des géants de cette terre. L’autre coup de génie, c’est le fameux «I Can’t Take Another Heartache», il fait un mix de Texas Meaux et de Motown avec des filles aux chœurs, pur chef-d’œuvre de feely Frog, il chante ça au sommet du lard fumant. Et puis on retrouve ce heavy dirty blues, «A Certain Girl», ah oui, can I tell uhh, l’expression du génie vocal, fantastique artiste, il travaille la diction du blues, rien ne vaut Frog au heavy blues de Meaux. D’autres merveilles refont surface comme «Lovin’ Cajun Style», mon cher amiiii, c’est une énergie à part entière - Well the do ré miii - Tout est pourri de son chez Meaux. On entend même les guitares du Swingin’ London dans «We’ll Take Our Last Walk Tonight» et il fait son Wilson Pickett dans «Socka-Diddley Alabama», c’mon Jojo !

    Signé : Cazengler, Clarence Frogmare aux canards

    Clarence Frogman Henry. You Always Hurt The One You Love. Argo 1961 

    Clarence Frogman Henry. Is Alive And Well Living In New Orleans. Roulette 1970  

    Clarence Frogman Henry. The Legendary Clarence Frogman Henry. Silvertone 1983

    Clarence Frogman Henry. I Like That Alligator Baby. The Crazy Cajun Recordings 1999  

    Clarence Frogman Henry. Baby Ain’t That Love. Texas & Tennessee Sessions 1964-1974. Ace 2015

     

     

    L’avenir du rock - Ripley it again, Sam (Part One)

     

             De la même façon que la môme Piaf, l’avenir du rock voit la vie en rose. Non pas qu’il soit entré dans son cœur une part de bonheur dont il connaît la cause, il s’agit plutôt d’une disposition naturelle. Il n’a rien contre le romantisme puisqu’il offre toujours des dead flowers à ses amis lorsqu’ils se marient, mais en même temps, il n’apprécie pas qu’on lui offre des roses, pour faire écho au Paralytic Tonight de son vieil ami Chris Bailey. Si l’avenir du rock voit la vie en rose, c’est surtout grâce à Elvis qui se pointa en 1954 chez Scotty Moore sapé en Elvis : chemise et pompes blanches, pantalon rose avec une bande noire sur la hauteur du côté. L’avenir du rock adore aussi transformer légèrement la «Red Cadillac And A Red Moustache» de Warren Smith en «Pink Cadillac And A Red Moustache», car il préfère voir cette vieille Cadillac qu’il vénère en rose. Des roses encore sur les Nudie suits des Flying Burrito Bros et de Papa Nez, le révolté du Bounty des Monkees, encore un vénérable chouchou, mais il va s’émouvoir de la même façon devant un beau tattoo de rose où, pire encore, devant un bouquet signé Fantin-Latour, l’un des coloristes les plus explosifs de son temps. Amateur de rose, l’avenir du rock se souvient d’avoir violemment frémi à l’écoute du Pink Moon de Nick Drake et d’avoir admiré le Pink Flag de Wire lorsqu’il claquait encore au vent. Il n’aimait le Frijid Pink que pour son Pink et le Pink Floyd que pour son Syd, certainement pas l’after-Syd, pouah, ah non, pas question ! S’il ne reste qu’un rose, ce sera celui des Pink Fairies, l’avenir du rock est catégorique sur ce point. Il se souvient d’avoir longtemps vu la vie en New Rose, au temps où la rue Sarrazin grouillait de Memphis cats et de Saints. Il aimait beaucoup les Roses du temps où elle étaient Savage ou bien Black, comme celle de Thin Lizzy, encore un tenant de l’aboutissant. Et lorsque Wayne Kramer attaquait «Ramblin’ Rose» au Grande Ballroom, le monde entier twistait sous l’œil égrillard de l’avenir du rock. D’ailleurs, il peut continuer de jubiler, car comme dirait Dave Vanian, there’s a new rose in town : Rose City Band !

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             Après avoir défrayé la chronique de la Mad Psychedelia avec Wooden Shjips et Moon Duo, l’ineffable Ripley Johnson entreprend de la redéfrayer avec un nouveau projet : Rose City Band - his psychedelic motorik-choogle project - et un premier album sans titre paru en 2019. Il annonce tout de go qu’il est passé à autre chose, à ce qu’il appelle le «private press hippie country-rock, stuff like Kenny Knight and Jim Sullivan and Kathy Heideman, the ‘70s cosmic country stuff and all of the good time summer records». Il cite aussi Creedence, Van Morrison et Lucinda Williams, «stuff that has a more country feel. I call it porch music. Tu t’assois sous ton porch et tu écoutes Eat A Peach or something». Voilà pour les influences qui l’ont conduit à Rose City Band. Il cite aussi le Dead et Mighty Baby.

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    L’album parait coupé en deux : country-rock en A, avec du balladif de country-rock joué en profondeur («Rip City»), de la pop un peu psyché, d’une belle lenteur cadencée («Me And Willie») et une B absolument somptueuse.  «Rivers Of Mind» donne le ton. Cet up-tempo phagocyté passe en mode hypno rudement bien agencé. Une belle corrélation s’établit sur l’échantillon représentatif. On l’adore le Ripley quand il replay it again Sam. Pour honorer «Fear Song», il gratte ses vieux accords de revienzy et crée un fantastique espace de négociation ! Wow, ce sont des accords sixties de sixtine enchaînés en allers et retours et c’est là, très précisément, qu’il bascule dans le spiritus sanctus. Le son coule comme du miel dans la vallée des plaisirs. Ce mec dispose d’un atout majeur qui s’appelle le sonic genius, il soupèse bien les boules de gomme du mystère. Une fois de plus, il flirte avec l’élégie mavérique du Velvet.

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             Summerlong date de 2020. Le vieux Ripley n’est pas avare d’énormités puisqu’il en propose trois, à commencer par l’«Only Lonely» d’ouverture de bal. Il te claque ça au heavy country-rock, il goinfre sa pulpe de son de magie, ce vieux grigou est un éclairagiste de génie. Pas de pire Americana que celle-ci. Beat entêté et vision panoramique, voilà ses deux vieilles mamelles. Il ramène du solo de clairette alors qu’on ne lui demandait rien. Le vieux Ripley est comme ça. Il fait uniquement ce qu’il a envie de faire, si t’es pas content, c’est pareil. Il ramène du gratté de derrière les fagots et il chante comme un vieux dieu barbu. Sa country-pop est littéralement visitée par la grâce. T’auras jamais ça ailleurs. Il attaque «Morning Light» au pur Cosmic, son country-rock sent bon la renaissance. Le vieux Ripley chevauche un étalon, il file vers l’horizon avec des coups de steel. Il est splendide, il file comme Hopalong Cassady. On le perd de vue. No way out encore avec «Reno Shuffle». On les voit jouer de dos, ils avancent au heavy beat. Ripley va ensuite chercher son «Empty Bottles» au fond du désert, c’est courageux de la part d’un vieux débris comme lui, mais bon, il y va. Il repart à la conquête du monde avec «Real Long Gone». Il n’est pas du genre à baisser les bras. Il part en mode heavy boogie et crois-le bien, c’est d’une élégance à toute épreuve. Le vieux Ripley te claque le meilleur boogie de Nashville. Méchante énergie ! Ça joue à la ferveur d’un country-rock devenu fou. Et puis voilà «Wee Hours» taillé au cordeau dans un groove classique. Il développe des clameurs extrêmes, ses descentes de guitare sont toujours miraculeuses, il maintient l’éclat de son quicksilver flash jusqu’au bout de ce bel album.

             Il avoue travailler à l’ancienne : «Quand j’ai une idée, je l’enregistre sur mon téléphone.» Avec la tête qu’il a, ça ne surprendra personne (qu’il travaille à l’ancienne).

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             Paru l’année suivante, Earth Trip n’est pas un summer record. Ripley avoue avoir été perturbé par cet enfoiré de Pandemic. Alors il fait un winter record, caus’ it was kind of a downer time. C’est un album shamanique car Ripley révèle que la nature lui parlait pendant les confinements : «Hey things are not alright.» Ripley est inquiet, car il lui semble que la plupart des humains n’entendent pas ce message. Rien ne va plus, lui dit la nature.

             Comme il se dit obsédé par la pedal steel, on l’entend partout sur Earth Trip, surtout dans «Rambling With The Days». Il est à fond dedans, il vise la pureté de l’horizon, ce qu’on traduit musicalement par Cosmic Americana. Le vieux Ripley est un fantastique débusqueur de cactus. Il laisse semble-t-il tomber l’hypno et le Velvet. Si on ouvre le digi, on le voit se promener au bord de la rivière sans retour. Il devient bucolique, notre vieux pépère. Avec «In The Rain», il joue la vieille country-pop d’un mec qui serait revenu de tout. Ça manque un peu de magie, mais il reste le maître du jeu. Pour combien de temps ? Il laisse tomber la mad psyché pour aller à la pêche, une façon comme une autre d’économiser ses forces pour l’avenir. S’il chante ça, c’est qu’il doit chanter ça. Mais il chante d’une voix pure, d’une voix de jeune homme. Il a su garder son ingénuité. Et puis comme toujours, il va nous surprendre avec «Dawn Patrol», un cut qui sonne comme un remugle de Stonesy. On croyait l’hypno disparu, mais c’est trop ancré en lui, il y revient. Il joue son Dawn Patrol à la note heavy, à la Croz, à la note de chacal d’If I Could Only Remember My Name, il dérive dans les tons rouges de haze de craze, le vieux Ripley recrée ça bien, sans mot dire, il rend hommage à la drug culture en s’abandonnant à une dérive subliminale. Pur acid trip. Rien qu’avec ça, tu es dans l’avenir du rock. 

    Signé : Cazengler, Pipelette Johnson

    Rose City Band. Jam Sandwich Records 2019

    Rose City Band. Summerlong. Thrill Jockey 2020

    Rose City Band. Earth Trip. Thrill Jockey 2021

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    Ripley Johnson : Album by Album. Uncut # 292 - September 2021

     

     

    SPACESEER

                    N’aurais jamais rédigé une chronique sur  Spaceseer si son nom n’avait pas été crédité par Thumos pour son importante participation à la réalisation de The course of Empire voir notre livraison 559 du 07 juillet 2022. Thumos et Spaceseer n’ont pas bossé ensemble dans le même studio, l’Amérique est grande et des milliers de kilomètres les séparent, Thumos envoyait ses premières pistes, Spaceseer y ajoutait son grain de sel, et Thumos travaillait à partir de cet apport. Une navette incessante s’est ainsi établie durant des mois, l’auditeur peut juger du résultat sur le bandcamp de Thumos. Ou de Spaceseer. 

             Définir Spaceseer n’est pas chose aisée, ses créations sont innombrables et abordent des horizons soniques très différents. Ce n’est pas un groupe mais un homme seul, parfois accompagné, ce qui ne l’empêche pas de se greffer sur des projets différents. Le plus simple est de le laisser se décrire, l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même. Attention, accrochez-vous aux petites herbes avant de le classer dans la catégorie des doux rêveurs. Spaceseer signifie voyant de l’espace, nous comprendrons mieux si nous traduisions par écouteur de l’espace. Spaceseer entend d’étranges ou du moins inhabituelles choses. Des fragments d’histoires venues de très loin, de galaxies et de périodes temporelles lointaines, il essaie de les traduire en musique. Se voit un peu comme un transmetteur d’évènements qui se sont déroulés en des lieux qui ne s’inscrivent pas dans les cadres de notre sphère conceptuelle purement humaine.

             Ainsi le monde dont il parle il le nomme The Body, il est habité par trois sortes d’êtres, le peuple Kylii, les Fleurs qui marchent, le peuple des Fulgen les sortilèges silencieux, et les Colosses du Dieu Electrique Kharyatt. Oui il est fou. Aussi fou que Tolkien et son Seigneur des anneaux, aussi captivant que Lovecraft et le mystérieux cycle de Cthulhu. Souvent les humanoïdes se contentent de rêver selon des récits fondateurs enseignés dans les écoles, beaucoup moins se permettent d’inventer leurs propres mondes et leurs propres mythologies. Weird scenes inside the gold mine chantait Jim Morrison, vous ne savez pas tout ce que vous trouverez dans les galeries de votre cerveau si seulement vous commenciez à les explorer.

             En plus de noter par écrit ces divagations  ( nous employons ce vocable en son sens mallarméen qui signifie pensée abstruse pour beaucoup ), Spaceseer les traduit en musique. Une démarche qui n’est pas sans rappeler les enluminures – dans la même veine songez aux Illuminations rimbaldiennes - vivement coloriées dont William Blake entourait ses Chants d’Innocence et d’Expérience, car il ne faut point l’oublier que ce qui vient de l’intérieur provient aussi de l’extérieur et vice-versa. Oui, c’est vicieux et versatile. Evidemment comme par hasard Spaceseer illustre ses œuvres et écrit des textes – à entendre comme les chapitres épars d’un vaste roman, a work in progress peut-être aussi foisonnants que le cycle du graal, qui sont comme autant de portes d’entrées de son œuvre musicale.

             Nous avons choisi pour cette première approche d’écouter un extrait du cycle The Body.

    THE CLIMB OF CELASTRA CAMPSIS

    ( 564  AT / février 2022 ) 

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    Cet épisode se suffit à lui-même et est paru quelques mois avant The Course of Empire. L’histoire en elle-même est une légende, celle de Celastra Campsis une femme Kylii qui après de longues observations a conclu que le volcan endormi qui se dresse pas très loin de ses champs est un colosse espion endormi du dieu Kharyatt, elle s’en est aperçu en devinant dans les pentes de la montagne la silhouette d’un ancien guerrier Kylii momifié dans la glaise du cône volcanique vraisemblablement tué en des temps immémoriaux par une émission de fumée empoisonnée... Maintenant le colosse est plongé dans un profond sommeil, et elle parvient à lui transpercer le cerveau d’un coup de lance en la lançant dans le cratère. Les faits rapportés sont symboliques, ils doivent être interprétés à un niveau supérieur. Cette femme courageuse qui monte sur le volcan n’est qu’une transposition enfantine du principe vital du peuple-fleur Kylii, car les fleurs poussent en s’exauçant vers le haut, vers le soleil de leur existence. Notons que Goethe professait en ses travaux naturalistes la même idée d’une exaltation végétale, d’un mouvement primordial vers le haut qu’il définissait comme le principe même de toute végétalisation. Deux plans dans cette histoire, l’un empli de naïveté outrancière et fabuleuse, l’autre de subtiles et savantes réflexions sur la nature des choses. L’image grossièrement colorée, et la toile d’araignée translucide de l’explication intellectuelle. De la représentation du monde par la pensée. Nous ne sommes pas loin d’une démarche platonicienne, le mythe de la caverne n’est pas une grotte de pierres concrètes.  Le tout est de savoir comment Spaceseer va musicalement procéder.  

    Spaceseer : Christopher Robert Andreasen : bass guitar  / modular analog & synths / drum programing

    Bruits imperceptibles, des semblants de pas, serait-ce Celastra sur les premières pentes de son ascension, surtout ce bourdonnement transpercé de quelques chuintements, en progression continue mais lente très lente, tintements ferblanctiques, légère très légère accélération du fredonnement, ne serait-il pas en train d’atteindre une certaine volatilité, tremblements, l’aventure deviendrait-elle davantage périlleuse… Toujours ce bruit de cloche de vache sur les alpages, le bruissement chantonne, ni très haut, ni très fort, quelques écrasements de simili cymbales, l’on ne peut pas dire que Spaceseer joue sur une dramatisation excessive, si ce n’est comme des ondées de douceur et comme un pépiement d’oiseau qui se confond bientôt en une espèce de grincement qui va s’amenuisant. Jusqu’à l’inaudible. Rien ne se serait donc passé ? Nous attendions une geste tonitruante et nous n’avons eu que l’ombre d’une idée déployée à l’image d’un rouleau de matière plastique que l’on déroule sur une Table. Ronde dont les héros seraient revêtus de l’inconsistance du rêve.

    Laissons infuser dans notre esprit. Une autre fois nous pousserons une autre porte du labyrinthe, sans savoir où elle nous mènera. N’empêche que ce matin moi qui hier soir voulais terminer cette chronique là je reste sur ma faim, alors je décide de m’aventurer à pousser l’huis qui précède la parution The Climb of Celastra Campsis.

    FERAL MOON

    ( Décembre 2021 )

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    Encore une étrange histoire. La couve reste un tantinet énigmatique. A première vue des arbres. A la réflexion l’illustration ne déparerait pour accompagner un conte de ma mère l’Oye de Charles Perrault, par exemple la scène du Petit Poucet perdu avec ses frères dans le bois qui les mènera jusqu’à la maison de l’ogre. Ce qui retient l’attention ce sont ces espèces de gribouillis que l’on pourrait facilement prendre pour des entremêlements de ronces. Fixez-les, des formes semi-fantastiques s’en dégagent, d’apparence à peu près humaines ou animales.

    Evidemment nous sommes loin du conte. Encore un invraisemblable récit. Nous sommes en l’ère 307, rien à voir avec notre antiquité, au temps anciens de Kylii, des paroles d’une prêtresse bannie ont été retrouvées dans les arbres. Non elles n’ont pas été gravées sur l’écorce, c’est les arbres qui en ont gardé la mémoire, vous ne le savez peut-être pas mais les arbres parlent et chantent, il suffit de savoir les enregistrer. Ce que l’élite savante appelée Qyo de la nation Kylii est capable de faire.

    La chose peut vous sembler extravagante, mais le romancier Henri Bosco mort en 1976 aborde des thèmes similaires au travers d’une dizaine de romans qui forment l’épine dorsale de son œuvre. Il est vrai que Bosco était particulièrement sensible aux réseaux mystérieux que la mort et les morts entretiennent avec le rêve et les rêves des vivants. Bosco fut un être que nous qualifierons de pondéré, mais légèrement plus attentif que la moyenne de ses contemporains à la réalité tremblante des apparences. Rien de la folie nervalienne chez lui, même si les deux œuvres se répondent, pas un voyant, mais un voyeur, un guetteur d’ombre et d’ombres.

    Feral Moon ( Lune sauvage ) rapporte les paroles de la prêtresse incomprise en son temps et dont on aimerait réhabiliter la mémoire. Comme par hasard la prêtresse nous livre son nom : Nerva. Rappelons que Nerval prétendait descendre de l’Empereur romain Nerva. Que Nerval signifie Noir val ce qui est la moindre des choses lorsque l’on a longtemps vécu dans la forêt de Mortefontaine. Pour ajouter un peu de noirceur blafarde à ce qui précède, signalons que les œuvres de Bosco et de Nerval communiquent entre elles par ce que l’on pourrait nommer un puits d’ombre lunaire. N’en jetons plus, il est temps de nous mettre à l’écoute.

    Spaceseer : Christopher Robert Andreasen : bass, synths, drum programing  / Nathan Curtis Richardson : guitar  / Raven Jezzannah : vocal.

             Un bruissement venu de loin, accompagnement parfait pour un film de science-fiction dont les premières images profileraient les formes d’une escouade de soucoupes volantes se dirigeant vers la terre. A rebours de cette ambiance la voix de Raven Jezzannel lit paisiblement le premier couplet des paroles de la prêtresse. Un peu d’objectivité ne nuit pas à la nuit. Ce n’est pas la voix de la Nerva la sorcière désespérée   qui retentit à nos oreilles, ni les paroles prononcées en leur langage par les arbres – souvenez-vous du chêne sacré dont le prêtresses grecques de Dodone interprétaient le bruissement des feuilles pour rapporter les désidérata de Zeus – nous entendons l’objective lecture d’une speakerine radiophonique dépourvue de tout affect lisant le bulletin météo… le background musical se muerait-il en harmonie imitative, sont-ce des tuyères lointaines d’engins interplanétaires, ou les murmures indistincts de frottements de feuilles agitées par une brise légère, ou la tentation de traduire en sons cette fissure dans le temps qui permet au passé de surgir dans l’actualité du présent… L’on se perd dans des tintements de porcelaines sur le marbre mouillé de l’évier, des bruits pour évoquer le silence d’une confession prononcée à voix basse et peut-être même à l’intérieur de soi, car les arbres entendent peut-être aussi les paroles de nos pensées, l’intensité du son ne varie pas même s’il devient clameur en nos oreilles, Nerva a cédé à la tentation, elle a perdu la foi en la cause Kylii, ce sont des larmes qui coulent maintenant, des stridences nous percent les oreilles, elles ne sont pas si fortes que cela, mais toute chose dépend de l’importance qu’on lui apporte, pensez à la note unique de John Cage sans cesse identique à elle-même mais sur laquelle votre écoute brode d’infinies variations, le morceau ne se termine pas vraiment, il s’éloigne, il s’absente de vous, il retourne de là d’où il est venu. La musique est inutile puisque Nerva n’est plus là, elle est morte une deuxième fois, la première c’était quand elle avait perdu la foi, étrange initiation où il faut mourir deux fois pour ne pas renaître.

             Feral Moon est beaucoup plus ambitieux que The Climb of Celestra Campsis. Ce dernier raconte et interprète une histoire, Feral Moon est une méditation sur le temps, sur sa fugacité qui fonde l’éternité du présent qui donne sens à l’acte de vivre. L’important ce n’est pas que la mémoire de Nerva sera réhabilitée, mais qu’elle est réhabilitée parce qu’elle-même s’était réhabilitée par rapport à elle-même.

             L’on ne se surnomme pas Raven Jezzannah par hasard. Symboliquement le corbeau est le messager qui unit le monde des morts au monde des vivants… celui dont le regard plonge dans le passé et dont les yeux se tournent vers l’avenir. L’éternel témoin de la vie et de la mort

    Damie Chad.

     

    *

            De retour de vacances je vous présentais un roman, Le vibrato mundi de Didier Lauterborn, j’avais privilégié l’axe théorique et métaphysique dans ma chronique de cet ouvrage qui se lit comme un roman d’aventures physiques et mentales, certains ont pu la trouver ardue, voici que Didier Lauterborn m’envoie deux CDs de Niki Gravino, dont il a écrit les paroles. La beauté du chant et la simplicité des lyrics obligée par le l’étroit format employé permettront peut-être mieux de saisir en partie la vision du monde de Didier Lauterborn.  

    WITH NIGHT VISION YOU CAN DRAW YOUR LIFE

    NIKI GRAVINO / DIDIER LAUTERBORN

    Niki Gravino : music & vocals / Mark Vella : Drums / Didier Lauterborn : words.

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    ( Niki Gravino sur votre gauche, Didier Lauterborn sur votre droite )

    NIGHT VISION

    Voice of infinity : comme des mains sur une caisse claire, une entrée en matière, de celle qui se dissout dans la béance de sa présence, un piétinement venu de loin qui n’en continue pas moins son chemin, quelques pincées de guitare et une voix qui s’affirme, toute la différence entre le son et le silence, entre l’écho et l’espace, Niki Gravino nous conte son histoire qui est aussi la nôtre, cette route issue du néant, et le chant, intumescence d’insignifiance, se gonfle de l’ampleur de sa solitude, telle une voile qui s’empare de l’horizon, se mue en péan triomphal dont les éclats se croisent et se télescopent dans un sentiment d’exultation infinie. Void in the crowd : une rythmique lourde, une guitare qui couine et sonne comme la souris du doute, le vide est-il en vous ou au-dehors de vous, la foule est-elle en vous ou au-dehors, subitement la voix de Gravino s’imprègne d’une puissance ouranienne irrésistible, il est une force qui va, que rien ne saurait arrêter, il n’est que lui, mais son moi soutient le monde sur ses épaules, un chant de toute beauté qui touche aux étoiles et comble les abysses. Cat on the moon : pratiquement un retour à la case départ, batterie à coups de truelle, existe-t-il une frontière entre le rêve et la réalité, entre la solitude et la divinité, le chat est-il assis sur la lune ou erre-t-il dans votre tête, la voix s’étire, la guitare fait le gros dos, envol et hésitation, tapis volant d’arpèges orientaux, voyage lysergique à l’intérieur de soi sécrété à partir des ergots de vos peurs, la voix glisse sur le monde comme l’archet sur le violon du monde. A moins que je ne sois le rêve du monde, le morceau se finit à la manière d’une berceuse pour vous réveiller de votre sommeil. Quand on leur montre le chat, beaucoup n’aperçoivent que la lune. Day owl : grésillements, gloussements de hibou, ballade country, les oiseaux nichent dans la vile, ils déposent les œufs de l’avenir dans votre tête, voix creusée d’incompréhension tant qu’elle ne pose pas les bonnes questions, car poser les questions c’est déjà donner les réponses, ne laissez pas agoniser les ombres du rêve sur l’asphalte, la voix s’envole, elle devient nuée d’oiseaux qui s’exhaussent vers le soleil, ne croyez qu’en vous. Fireworks : frottements d’où émerge un rythme et la voix de Gravino qui danse et flambe par-dessus,  l’ envie de mettre le feu aux nuages et aux orages, une basse ronchonne, et tout éclate en feux d’artifice impétueux, foutre le feu partout et en soi, écrire son nom en lettres brûlantes, qu’elles résonnent dans les antres et les aîtres de l’univers, chandelles romaines rutilantes, la vie est un carnaval infini. Victoire. Sunset melody : toujours ce martèlement du coureur qui poursuit sa course bien plus loin que l’arrivée, plus besoin de monter la voix plus haut que les montagnes, il suffit de posséder la pleine conscience d’être soi, d’oublier sa misérable petite histoire pour se grandir, pour devenir le géant dont la tête au zénith de l’univers devient le soleil du monde, se confond avec l’infinité primordiale qui est votre propre négation sur laquelle repose le trône de votre moi, aussi sombre que la nuit, aussi obscur que la mort d’où vous provenez. Cette assurance sera désormais votre force.

             Je n’avais jamais entendu parler de Niki Gravino jusqu’ à l’écoute de ce premier CD. Quelle voix, quel talent et quel savoir-faire, peu de moyens, peu d’instruments, un peu d’écho et de réverbe et vous avez l’impression d’être dans un opéra. Difficile de définir un style, quelque part entre Sinatra et ce que vous voulez…  Puisqu’il vient de Malte, disons du country maltais même si l’on n’entend aucune résurgence méditerranéenne, disons que ça sonne assez américain dans l’ampleur et la ténuité sonores, certains se récrieront, osons alors atlantique ou plutôt atlantidéen, une étrange beauté venue d’un ailleurs inqualifiable.

    DRAW YOUR LIFE

    Draw your life : musique intérieure, voix ténue, le grand voyage est terminé, vous avez traversé l’infinité jusqu’à parvenir au centre de vous-même, le morceau a commencé tout doux, il gonfle devient lyrique, la vague déferle encore une fois, elle vient de loin, elle traverse les âges de la vie, elle s’écoule paisiblement pour mieux se parer des couleurs criardes du rêve, une montée sans trêve, il ne s’agit pas d’un assaut vers l’Olympe, car la sérénité des dieux vous est désormais acquise, dessinez votre vie, écrivez-là, vivez-la.  Continuity : ( Trumpet : Adrian Brincat ) : nostalgie country envers son propre futur, s’évader de soi pour continuer à être soi, ne pas savoir où aller en soi-même, le monde n’est ni trop grand, ni trop petit, je l’englobe à moi tout seul, il est moins compliqué que moi-même et je vis en moi-même, dans quel western me suis-je embarqué, où est l’ennemi, quel est ce silence que je n’entends pas, comment pourrais-je sortir de moi-même, désespoir absolu de n’être que soi. Lonely Walker : bastringue de la solitude, il pleut de la tristesse, seul dans la foule enchaînée, me voici dans ma jungle intérieure, un cauchemar sautillant, et l’on fait des claquettes, le morceau se déroule à Broadway, la vie n’est-elle pas aussi ennuyeuse qu’une comédie musicale. Surtout lorsque l’on a que soi à aimer. Tiens un peu de jazz n’a jamais tué personne d’autant plus que le monde est mort en moi depuis longtemps, ce doit être le final, voici les chœurs et la descente triomphale de l’escalier, promeneur solitaire sur les bords du torrent de la vie. Des gouttes de pluie vivifiante cinglent mon visage. Combien de films me suis-je tourné dans ma tête ! Je suis l’homme qui s’amuse tout seul. Anonymous : un pas de plus dans l’enfer de soi-même. Descente interminable. Musique tremblotante. Des clous que l’on enfonce d’un marteau maladroit et qui relèvent la tête. Seul contre tous. Passer en revue toutes les possibilités. Contourner le système, s’évader, ne plus être interchangeable, trouver sa place, briser le moule, décider de prendre le taureau par les cornes, être le grain de sable qui rngendrera le grand vacillement. Metamorphosis of the cockroach : ( Trumpet : Adrian Brincat ) : blues du blanc, j’ai le cafard et je suis un cafard, notes perdues de piano, l’heure passe et je n’ai pas réussi ma métamorphose en véritable être humain, se heurter à la vitre transparente de la réalité, s’envoler, devenir libre, dire adieu à Monsieur Kafka, à Monsieur Caca, métamorphose réussie.  Mon intuition était bonne, très américain, pas les grands espaces, pas les plaines infinies, les scènes étroites, l’entertainment prodigieux d’un Gershiwn, comédie humaine musicale. Red skull and Mr Hide : ( Nina Gravino : other voice ) : l’histoire arrive à sa fin, une voix la présente en quelques mots sur quelques gouttes de guitares, la musique tourne doucement comme un manège qui court sur son aire et que l’on ne veut pas quitter car l’instant trop agréable distille un sentiment d’éternité, la voix savoure cette ivresse douce d’avoir quitté les vieux oripeaux du passé pour revêtir le costume du bonheur de vivre pleinement soi. Œuvre au rouge accomplie.

             Deux disques pour raconter deux fois la même histoire, mais située à des niveaux différents. L’illustration des deux galettes induit à penser que celle de Night Visions - un harfang des neiges fond droit devant dans la pénombre de la nuit parmi les derniers nuages traversés par les ultimes rayons d’un soleil couchant - n’est pas sans évoquer ce qu’en alchimie l’on prénomme, la voie sèche, la plus rapide, la plus dangereuse, la voie de feu qui condense en très peu de temps les états de mutations successives de la matière soumise à de fortes irradiations internes. Le fleuve d’un bleu impétueux, de la deuxième galette, bouillonnant sur lui-même, qui coule entre deux bandes de terre semble être une figuration picturale de la voie humide, plus longue, non dépourvue de dangers mais qui statistiquement promet un score de réussite beaucoup plus élevé… Dans les deux cas ce qui est visé ce n’est pas la pierre philosophale mais l’amélioration psychique de l’Adepte au travail.

             De tels cheminements ne sont pas absents des albums de Metal. Dans sa jeunesse Niki Gravino a participé dès 1984 à deux groupes de metal, Biblical infamy et Covenant. Il abandonnera ce style pour s’adonner… au chant Chrétien, Malte son pays natal est une île très christianophile, lorsque l’on titille le Diable Dieu n’est jamais loin, cette volte-face subite est caractéristique de la personnalité de Gravino, un homme qui n’a pas peur de s’engager dans le but de faire coïncider ses tourments intérieurs avec sa vie quotidienne. Il retournera non pas à Lucifer mais au rock’n’roll. En 2004 paraît son premier EP, Vitamins and Eyecreams, rock-pop-gothic difficile à cataloguer, la première performance publique et théâtralisée du disque suscitera bien des controverses, Malte est un pays hyper-conservateur, l’évocation de la force et de la face obscures de l’être humain ne fut pas au goût de tout le monde… En 2007 sortira The politics of double beds avec The vile bodies musiciens déjà présents sur le premier EP, ce sera le début d’une reconnaissance nationale ardemment désirée. Gravino a crée son propre studio, il produit de nombreux artistes et enchaîne les concerts avec son groupe baptisé The laughing shadows… Tout va très bien… sauf Gravino qui se sent à l’étroit dans sa réussite.

             Dans les dix dernières années Gravino a subi d’importantes mues, le voici d’abord avec une nouvelle formation que l’on pourrait qualifier d’intervention légère The cosmic erotic,  en 2019 Gravino est devenu Mjaw, c’est ainsi que  les chats maltais disent miaou, sur l’album Diski Ghall-Hmir musique et comédie, un côté one-man-show, politiquement incorrect et un peu rentre-dedans… en 2022 c’est la sortie du double CD, The night vision can draw your life, lyrics de Didier Lauberton… Bref un artiste en mouvement.

    Damie Chad.

     

            

                        News from : FICTION ABOUT FICTION

     

    Dans notre livraison 475 du 10 / 09 / 2020 nous chroniquions l’album Kingdom of Kidding, un opus baroque qui sort des sentiers battus, de Fiction About Fiction. Un groupe restreint puisqu’il ne comporte que deux membres, Diane Aberdam et Emilien Prost. Travaillent à leur rythme, produisent local pour emprunter une expression fort à la mode ces derniers temps. Un peu au compte-goutte, de temps en temps ils postent sur leur fb un morceau qu’ils viennent d’achever avant de présenter l’œuvre finalisée.

    Monkeys sera leur deuxième album. En cours d’achèvement, en sont à la réalisation de la pochette. Viennent de dévoiler un premier morceau Sick of it visible sur You Tube. L’idée de départ est assez simple : se mettre dans la tête d’un singe enfermé dans une cage. Peut-être parce qu’ils aiment les animaux, peut-être parce que nous les hommes sommes aussi enfermés dans des cages de toutes sortes, mentales et médiatiques par exemple.

    L’artwork est vraisemblablement dû à Diane Aberdam qui non contente de jouer de la basse, de participer à plusieurs groupes,  dessine, peint et maîtrise quelques techniques de repro supplémentaires, bref une adepte du do it yourself…

    SICK OF IT

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     Etrange morceau, court et rapide, qui donne l’impression de contenir une multiplicité de séquences, même si l’on acquiert l’idée dès les premières quinze secondes, ne serait-ce que par l’énergie vocale déployée, qu’il court non pas à sa fin mais à sa perte.  Une espèce de cauchemar dont on ne sort que par le néant. Très psyché, rehaussé par ses superpositions de voix en guise de faux-chœurs, une fuite en avant vers un avant qui ne reviendra plus. Des reprises inéluctables, cris et hurlements, une batterie qui mène la chasse à elle-même, et tout s’écroule dans l’urgence de son propre inachèvement. Parfaite réussite. On attend la suite avec impatience.

    Damie Chad.

     

    *

             J’ai connu Pierre Lehoulier avant de le connaître. Cette phrase peut paraître déconcertante, toutefois il en est ainsi. Je l’ai ignoré durant des années. Jusqu’à ce qu’un post sur le Fb de Crashbirds me l’apprennent. Pour les lecteurs distraits je précise que Pierre Lehoulier et Delphine Viane sont les deux inséparables ( lire méchants cui-cuis ) qui forment le groupe dirty-blues-and-rock’n’roll des Crashbirds. A maintes reprises KR’TNT a chroniqué concerts et albums de cette formation. Nous apprécions leur musique et leur imagerie due à Pierre Lehoulier, ainsi nous nous sommes intéressés aux flyers de leurs concerts, à différents clips, et aux mémorables aventures de Super Gros Con parues en Bande dessinée. Jusques là nous sommes dans l’orthodoxie Rock ‘n’ Roll la plus pure. Mais voici que Crashbirds Asso – ils ont monté cette association loi 1901 pour que le fisc ne puisse récupérer les millions de dollars que leurs enregistrements leur rapportent chaque semaine – annonce en quatre tomes la réédition intégrale des aventures de Fripouille et Malicette éditées ente 1999 et 2003 aux Editions Bayard.

             Voici l’objet entre mes mains. Une œuvre conjointe co-signée par Pierre Lehoulier ( scénario ) et Françoise Naudinat ( dessin ). Je ne connais point cette dernière. Une rapide recherche me mène sur le blog de Rattila. Une lumière scintille dans mon vaste cerveau. Rattila, mais les dernières vidéos des Crashbirds réalisées durant la mirifique période covidique ne sont-elles pas créditées pour leur animation à Rattila Picture ! Tout concorde !

             Les planches de nos deux héros agrémentaient la publication mensuelle de J’aime lire, mensuel destiné à un lectorat de 7 à 9 ans, que je lisais avec ma fille en un temps où le nom de Pierre Lehoulier n’éveillait en moi aucune rock-and-rollesque palpitation. Ce paragraphe pour avertir les lecteurs amateurs de l’esprit acerbe et l’humour décapant radicalement critique de l’auteur de Super Gros Con ne le trouveront pas dans cette publication destinée à la jeunesse.

    FRIPOUILLE ET MALICETTE / Saison 1

    ( Crashbirds Asso / Septembre 2022 )

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             Fripouille est un jeune garçon, il serait un gendre idéal pour votre progéniture, nonobstant cette sale manie de ne pouvoir se séparer de son animal de compagnie, une chauve-souris ( beurk-beurk ) qu’il tient en laisse. Sans quoi nous lui reconnaissons de viriles qualités de réflexion et de prudence. N’est pas non plus dépourvu de qualités manuelles, l’est un bricolo inventif. Sa vie d’honnête citoyen se serait écoulée calmement s’il ne s’était pas inféodé à une créature féminine peu fréquentable. ô combien de garçons partis pour une vie sereine ont succombé sous le charme venimeux de ces êtres nuisibles communément appelées filles !

             Saperlipopette elle s’appelle Malicette, n’a de beau que son chapeau biscornu de sorcière. Vous le sentez venir, elle n’est pas douée, elle rate la plupart de ses tours qui se retournent contre elle. Du coup elle s’expose, elle et son fidèle Fripouille, à de cocasses déboires. Respirez, il ne faut pas traumatiser les jeunes lecteurs, tout se termine bien, les situations les plus tarabiscotées se dénouent sans trop de mal et nos trois impétrants finissent toujours par retomber sur leurs pattes (d’araignées noires et velues ) et pour Mirza – ne me dites pas que vous ne l’avez pas vue - sur ses ailes de chauve-souris.

             Tous trois habitent un vieux donjon médiéval à tour crénelée et échauguettes pointues quelque part entre le marais maudit et la lande fétide. Le genre d’endroit que vous fuiriez au plus vite. D’ailleurs il existe des ‘’ portes’’ qui permettent à nos pionniers de l’espérance maléfiques de voyager dans le temps.

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    Inutile de les emprunter pour vous évader, vous n’y parviendrez pas, un charme magique vous retiendra, les vignettes colorées de Françoise Naudinat, ne sont ni des images pieuses ni les bons points que vous rameniez de l’école, marchent à l’attrape-touriste-lectorophile, l’hôtel où vous êtes descendu n’a pas d’étoile ni de piscine mais il offre tout ce que vous désirez car il connaît vos points limites minimaux de satisfaction, elles fonctionnent comme de petits tableaux, pour chaque scénette formalisée elles présentent tous les éléments indispensables à la mise en scène évoquée, jouent sur les archétypes de nos représentations,  tout est vrai car tout est comme on se le représente, moins ce ne serait pas assez et davantage beaucoup trop. S’opère une espèce d’équilibre entre le dessin et notre contentement intime, rehaussé par le jeu des couleurs, très rarement flashy, elles ne vous arrachent pas l’œil mais le ravissent à satiété. Pour vous le rendre à l’image suivante.

    Humour bête, pas méchant, malin. Entre Concombre masqué et Fantômette. La patte de Pierre Lehoulier est partout, vous adorerez. Si non, vous avez mal vieilli.

    Damie Chad.