Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

CHRONIQUES DE POURPRE - Page 33

  • CHRONIQUES DE POURPRE 590: KR'TNT 590 : CROWS / JAC HOLZMAN / MARVA WHITNEY / DAN TRACEY / TELESTERION / ZINC ROOM / PATRICK EUDELINE / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 590

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    02 / 03 / 2023

      CROWS / JAC HOLZMAN

    MARVA WHITNEY / DAN TRACEY

     TELESTERION / ZINC ROOM

    PATRICK EUDELINE / ROCKAMBOLESQUES

    Sur ce site : livraisons 318 – 590

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock - Ice cream for Crows

     

             Quand il sent qu’il peut baisser sa garde, l’avenir du rock avoue volontiers qu’il n’a pas toujours eu la vie facile. N’importe qui à sa place s’épuiserait à vouloir défendre une idée aussi saugrenue que celle de l’avenir du rock, mais, n’étant qu’un concept, il doit impérativement se garder de trahir les idées qui fondent son existence, sinon il se périme. Pour mieux combattre ses hantises, il tente d’en faire ses alliées. Le temps qui passe ? On peut faire dire n’importe quoi au temps qui passe. L’avenir du rock n’aura aucun mal à se convaincre que le temps qui passe joue en sa faveur, et plus le temps passe, plus son architecture mentale se renforce. Et puis le rock n’est-il pas à l’image du cycle éternel de la nature, des groupes meurent et des groupes naissent, comme dans les images de Georges Rouquier ou d’Eisenstein, qui surent en leur temps filmer la renaissance de la vie au printemps ? Et puis n’est-il pas sain de dresser des autels pour célébrer tous ces cassages de pipes ? N’est-ce pas là l’occasion de montrer que le rock est un art qui transcende la notion même de mort ? Si on réfléchit cinq minutes, on constate que la mort n’est autre qu’une notion étriquée héritée des basses œuvres d’une Église Catholique qui détourna, comme le fit le Stalinisme, les notions fondamentales de partage et de renaissance pour mieux les trahir. Tant qu’il reste sur le terrain des idées, l’avenir du rock sait pouvoir tenir son cap et cultiver les prospectives. Par contre, il sait que le principal ennemi de l’universalisme spontanéïforme du rock, ce sont les médias et toutes ces couches numériques qui semblent vouloir promouvoir la médiocrité et, pire encore, semblent gagner jour après jour du terrain, pareilles à la gangrène qui ravage, dans un concert montant de pus et de puanteurs, le corps d’un matelot démembré lors de l’abordage. L’avenir du rock sait pertinemment que la qualité des grands artistes ne peut rien contre cette gangrène. Alors, il sait qu’il va devoir redoubler de vigilance et d’efforts. Assis près de sa fenêtre, il voit le spectre de la médiocrité numérique planer dans la nuit étoilée. Sous une grande cape noire, ce crâne de mort sourit de ses trente-deux dents semblables à trente-deux smartphones. Alors, bouleversé par le spectacle de cette horrible caricature, l’avenir du rock se dresse, brandit son verre de rhum et lance d’une voix forte : «Tant que j’aurai les Crows, t’auras pas ma peau !».

     

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             On ne dit pas les Crows, mais Crows. Ils ne sortent ni de la cuisse de Jupiter ni de celle de Captain Beefheart, ils sont tout simplement basés à Londres et comme tant d’autres - on peut citer Idles, Fontaine D.C., Yard Act - ils partent en quête du Graal. Tagada tagada. C’est bien que des petits mecs se prennent encore pour Lancelot du Lac. C’est bien que des petits mecs osent encore monter sur scène pour faire de l’art moderne. Crows s’apparente à cette vague post-punk que Gildas appelait la post et qu’il ne supportait pas. Il en va de même pour la plupart des amateurs de gaga. La messe de la post est dite depuis super-belle lurette, mais peu importe, la fête continue, enfin, si on peut parler de fête. Les gens de la post ne font généralement rien pour être aimables, ils optent pour un son agressif et insistent lourdement pour dire qu’ils ne vont pas bien. Ils poussent le bouchon du no future dans les orties, histoire de bien l’agacer, et dans leurs cervelles attaquées par des jus acides, le mot ‘mélodie’ résonne comme un blasphème.

    , crows, jac holzman, marva whitney, dan tracey, telesterion, zinc room, rockambolesques,

             Voilà que Crows débarque en Normandie. Tu sens tout de suite la présence des Anglais : scène dégagée, trois micros devant, Gibson Firebird noire et blanche. Même si ce n’est pas ton son, tu es tout de suite plongé dans le bain quand tu vois le guitariste arriver et envoyer sans crier gare ses première rasades de buzzsaw dévastateur. Il s’appelle Steve Goddard et il gratte comme un démon échappé de Boleskine House, il hante littéralement le son qu’il produit en continu. Il fait littéralement le show en s’auto-hantant. On a souvent vu des guitaristes faire le show dans des groupes pas très connus, mais celui-ci est un spécimen à part. Il reste extrêmement concentré, incroyablement actif, comme atteint d’hyperactivité convulsive, sous un air débonnaire de gros nounours, il perfore et il colmate en même temps, il orchestre des chapes de plomb et plombe ses chops, il déborde comme le lait sur le feu et il rabaisse le caquet du son avec l’inexorabilité d’un laminoir, il monte en neige et creuse des abîmes, il dessine des crêtes et repeint sauvagement l’horizon, on voit rarement des guitaristes créer autant de phénomènes astrophysiques en bougeant si peu les doigts, il fait même assez peu d’accords, il pince les deux cordes du milieu puis il monte et descend sur le manche, il crée des effets surprenants, il fond le son et glace l’atmosphère, il va d’un extrême à l’autre et grattant comme dix, car il n’arrête jamais son balayage infernal, les cordes de la Firebird tiennent bien le choc, car il  faut voir les dégelées qu’il leur administre, les rouées de coups qu’il leur inflige, la Firebird devrait porter plainte, c’est un jeu très physique, incroyablement brutal, un jeu cruel qui s’enracine dans le wild punk craze, voilà bien toute la magie des groupes anglais, on peut faire la fine bouche sur la post et dire d’un air évaporé, «Oh ce n’est pas ma câââme», il n’empêche que Steve Goddard te claque un sacré beignet. Tout le buzz de Crows repose sur ses épaules, il assume bien son rôle, il fait plaisir à voir, on se sent bien au pied d’un tel guitariste. Il gratte tout ce qu’il peut pendant une heure, il bâtit des cathédrales dans une nuit éclairée par les flammes, il jette des câbles pour aller funambuler au-dessus du néant, il fait son Jonas et s’arrache du ventre de la baleine, il s’évade de sa cage comme le fit Houdini, il défie le Kremlin comme l’osa Kundera, il frappe comme Thor sur son enclume, il boom-badabooome comme dix Grosses Berthas, il scie des forêts entières et avale sa progéniture, comme le fit Saturne en son temps.

    , crows, jac holzman, marva whitney, dan tracey, telesterion, zinc room, rockambolesques,

             Et puis tu as le chanteur, James Cox. Grand, brun, athlétique, il se donne des faux airs de va-pas-bien et plonge parfois son regard de fou dangereux dans ceux des gens du premier rang, histoire de les épouvanter, mais on voit bien qu’au fond il n’est pas méchant. D’ailleurs il remercie les gens d’être sortis par ce froid de canard. C’est drôle, ça nous rappelle une soirée au Nouveau Casino, en 2003, il devait y avoir tout au plus dans la salle dix personnes venues voir Brian Auger, qui lui aussi remerciait les gens d’avoir bougé leur cul au cœur d’un terrible hiver. James Cox chante parfois avec des faux airs de John Lydon, oh ce n’est pas qu’il n’en ait pas les moyens, mais ça le crédibilise d’essayer. En tous les cas, il a beaucoup de chance de pouvoir s’appuyer sur un Steve Goddard qui fait encore plus de ravages que tous les orgues de Staline déployés sur le front russe en 1943. 

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Leur premier album s’appelle Silver Tongues. Avec les groupes qu’on ne connaît pas, on craint toujours le décalage entre la scène et le studio.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

    L’usage veut qu’un groupe soit plus intense sur scène. On peut écouter Silver Tongues sans crainte : l’album est excellent. Ils démarrent sur le big atmosphérix du morceau titre et te replantent le décor du concert : l’heavy dump te tombe sur l’haricot, Steve Goddard déclenche l’enfer sur la terre, il explose le barrage contre le Pacifique, il noie le spectre de son à coups de Firebird. Ça sent bon le napalm. Ils font du big heavy abattage, du wild as fuck, tu ne peux pas résister à une telle marée. Leur truc, c’est l’invasion des continents. Goddard gorge chaque cut de son. En studio, Crows convainc autant que sur scène. Leur «Wednesday’s Child» est violemment bon, Goddard navigue dans la tempête, c’est extrêmement bien balancé. Belle énormité que ce «Hang Me High», Eole Goddard souffle des vents d’Ouest et pique ensuite une belle crise de heavyness avec «Crawling». Ces quatre petits mecs développent une rare ferveur de rockalama fa fa fa, les montées sont brutales et les descentes spectaculaires, c’est un mix surnaturel de big atmospherix et de dynamiques de Crows. Power absolu ! Leur intégrité impressionne. Ils passent leur temps à lever des tempêtes. Dans «Tired & Failed», Alex Cox est vite rejoint par la cavalerie. Il a un sens aigu de la harangue. Crows est un groupe magnifique, ces gens-là maîtrisent bien les grosses ambiances. Leur son se savoure, surtout les lampées incendiaires de Steve Goddard. Avec «First Light/False Face», on approche de la fin. C’est encore un cut heavy et vraiment bien foutu. Ils sont dans un son qui leur appartient, fabuleusement embarqué, absolument déterminant. Le petit dernier s’appelle «Dysphonia» et t’envoie valdinguer dans des horizons demented. Le son sature l’écho des tombes. Ils sont le futur du no future.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Leur deuxième album s’appelle Beware Believers et sort sous une pochette aussi ésotérique que celle du premier album. On croit voir des beaux motifs de tatouages, avec quelques clins d’œil surréalistes. L’album vaut de déplacement, même s’il n’est pas aussi intense que le précédent. Ils démarrent avec un «Closer Still» tapé au carré d’as et quasiment stoogy. Le beat est si dur qu’il rebondit, ici, on ne mégote pas avec la marchandise, c’est du stomp à l’anglaise et c’est pulvérisé en plein gloire. Mais dès le cut suivant, on note une profonde transformation du mix : James Cox est au-devant et Steve Goddard dans le fond. Alors ça vire post-punk. Steve Goddard n’aurait jamais dû accepter d’être répudié. On perd le jus primal de Crows, même si ça reste du Big Atmospherix. Steve Goddard se cantonne dans son rôle d’essaim d’acier et les dynamiques d’«Only Time» sont fabuleuses. Ils se débrouillent toujours pour tarpouiner un biz de cathédrale, mais le son est trop canalisé. Ils frisent même parfois le U2. On commence à zapper des cuts, ce qui est très mauvais signe. Le mix mise trop sur le chant, mais ce n’est pas le chant qui fait le son de Crows, on était bien placé pour le savoir, l’autre soir. Cette fois ils virent trop Joy Division, ça devient trop prévisible. «Room 156» sonne comme une catastrophe, ils perdent leur power, ils sont en panne au bord de la route. Il faut attendre «Meanwhile» pour renouer avec l’abattage. Ils sonnent même comme Oasis et ça explose enfin. On est là pour ça, pour les explosions. Le final somptueux de «Meanwhile» nous réconcilie avec la vie et ça repart de plus belle avec «Wild Eyed And Loathsome», pus jus de Big Atmospherix, les descentes t’enflamment l’imagination, ils font du wild turn around explosé à la jugulaire. Tu en prends encore plein la barbe avec «The Servant», on croit voir une horde barbare cavaler à travers la plaine, et ils atteignent enfin la démesure avec «Sad Lad». Quelle dégelée ! Tu assistes en direct à la chute de l’Empire Romain. Ce Sad Lad est tellement gorgé de son qu’il en devient vénéneux, le son te ronge, le son te rattlesnake le snook, t’es baisé, et l’autre fou de James Cox chante dans une mare de venin sonique, c’est du jamais vu, mais tu t’en fous, au point où tu en es, le jus de son te coule dessus, c’est une sensation atrocement bonne, atrocement permanente, Steve Goddard est un mage puissant, il transmute la Soul malade de Crows, il fait du pur Technicolor, sa guitare te crève le paradigme et tu bascules dans un au-delà du revienzy, tu ne sais même plus s’il fait bon vivre ou mourir, tu t’annihiles entre deux eaux qui sont probablement les eaux glauques de la dégénérescence.

    Signé : Cazengler, Crow con

    Crows. Le 106. Rouen (76). 9 février 2023

    Crows. Silver Tongues. Balley Records 2019

    Crows. Beware Believers. Bad Vibration Recordings 2022

     

     

    Jac of all trades- Part Two

     

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Dans son gros pavé - Becoming Elektra: The True Story of Jac Holzman’s Visionary Record Label - Mick Houghton rappelle que Jac Holzman consterna ses collaborateurs en ramenant les Stooges et le MC5 chez Elektra. Mais ils se racheta à leurs yeux en signant un gang de sessionmen qui allaient devenir Bread. Une façon comme une autre de passer d’un extrême à l’autre. Certains pourront reprocher à Jac une certaine forme de versatilité. Mais ce serait une erreur. Jac ne fait que revenir à ses préférences, la friendly pop et le gentle folk. Pour les Stooges et le MC5, il s’en remettait à Danny Fields. Il s’agissait d’une preuve de confiance, ce qui est tout à son honneur.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Jac avoue un faible pour David Gates et le premier album de Bread : «I loved the first album, but Crosby Stills & Nash had come out two weeks earlier and were all the rage. Au plus profond de moi, je savais que si on continuait de les enregistrer, the hit singles would emerge.» Jac n’était pas le seul à penser le plus grand bien de Bread. Lester Bangs nous dit l’Houghton comparait Bread aux Beatles, aux Byrds, aux Bee Gees et à Buffalo Springfield. Le premier album de Bread qui s’appelle Bread paraît donc en 1969. Pas de miche sur la pochette, ouf. Les boulangers viendront plus tard, au dos de la pochette du troisième album. En 1969, les Bread sont trois et le boss s’appelle David Gates, c’est lui le surdoué de service qu’a repéré Jac. Attention, il ne se passe pas grand-chose dans ce bel album Elektra. On ne sauve qu’un titre, «Could I» où Gates se prend pour les Beatles, il va chercher le fameux unisson du saucisson, c’est très anglais comme son, my son. On se croirait sur le White Album. On voudrait bien en pincer pour «Move Over», mais ça ne marche pas. Cette pop est trop pleine de bonnes intentions. Avec «It Don’t Matter To Me», Gates se prend vraiment pour John Lennon. C’est fin, très bien chanté, orchestré à outrance, bien ancré dans l’écho du temps. Il reste dans une ambiance de belle pop anglaise avec «Friends And Lovers», le groove sonne incroyablement juste, on pense encore aux Zombies ou aux Beatles car c’est d’une qualité et d’une ambition typiquement anglaises. Comme avec Michael Chapman, c’est en arrivant à la fin de l’album qu’on réalise à quel point c’est bien foutu.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             De la même façon que les autres albums de Bread, On The Waters n’est pas l’album du siècle. Il faut commencer par trier pour n’écouter que les compos du petit Gates, comme par exemple «Make It With You», belle giclée intimiste. De toute évidence, le petit Gates vise la pureté mélodique. Par contre, les cuts plus musclés ne sont pas bons. Berk. Le «Been Too Long On The Road» qui boucle le balda est assez fin, même quasi Buffalo Springfield. En B, on sauve «I Want You With Me», un balladif swingué qui sent bon le soleil. Ces mecs-là sont en bonne santé, bien bronzés, ils chantent au doux du doux.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Les Bread tournent au rythme d’un album par an et de deux merveilles par album. C’est déjà pas mal. Pour enregistrer Manna, ils sont quatre. La merveille s’appelle «Too Much Love», petit balladif de rêve. On peut même parler de pop lumineuse. Ils font aussi du gros rock américain de type Bachman Turner («Let Your Love Go») et ils sonneraient presque comme Steppenwolf sur «Take Comfort». Les harmonies vocales d’«He’s A Good Lad» sont celles d’«All You Need Is Love». En B, on voit le petit Gates flotter dans l’azur immaculé : il n’est jamais loin des Beatles, comme le montre encore «What A Change». Par contre, le trop musclé de «Truckin’» ne leur va pas du tout, mais alors pas du tout.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Guitar Man arrive en 1972 avec sa pochette friendly bien dessinée. Le petit Gates fait merveille dans le morceau titre avec son talent fin et discret à la Paul Simon, même approche de la douceur de vivre et du vieux précepte de Gide à propos de la chose regardée. Avec «Sweet Surrender», on voit bien que le petit Gates a un tour de main particulier. Il sait se rendre indispensable de temps en temps, il approche d’une mélodie avec l’air de rien et le charme opère sans qu’on ne lui ait rien demandé. Alors on fait comme le petit Gates le prescrit, on surrender. C’est en B qu’on retrouve son côté anglais avec «Yours For Life», cette belle façon de chanter perché dans l’harmonie. Il est bien le petit Gates. Pour être tout à fait franc, on ne l’écoute que par respect pour Jac.  

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Son plus gros hit se trouve sur Baby I’m-A Want You : «Everything I Own». Pure magie - I’ll give you everything I own/ Just to have you back again - Il la supplie de revenir au bercail. Jac avait raison de miser sur le petit Gates, car voilà de la grande pop américaine, sans doute le cut qu’il faut emmener sur l’île déserte - Just to touch once again - En B, il se montre plus ambitieux avec «Dream Lady», il ramène des vieux solos d’orgue et de guitare. Il termine avec un «Just Like Yesterday» ultra-violonné, puis un heavy boogie sans aucune originalité («I Don’t Love You»). C’est d’ailleurs l’originalité qui leur fait le plus défaut. Le petit Gates et ses amis sont très conventionnels. À cause de Jac, on attend d’eux des éclairs.   

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Zéro éclair sur Lost Without Your Love, leur ultime album Elektra. Le petit Gates est un séducteur, il chante son «Hooked On You» au fondant de chèvre chaud. Ces quatre mecs sont contents : au dos de la pochette, on les voit rigoler au soleil. Ce que confirme «She’s The Only One», une belle pop californienne pleine d’allure et de joie de vivre. Sur l’album, tout est traité sur le même modèle, celui de la romantica d’Elektra («Lost Without Your Love») ou de la pop ambitieuse («Fly Away»). En B, ils passent au boogie rock avec «Lay Your Money Down», ils se montrent capables de rockalama avec du son, ils flirtent à la fois avec Little Feat et les Status Quo. «The Chosen One» sent bon le confort moderne et la lumière californienne. Real good time music avec «Hold Tight», idéal pour un mec souriant comme le petit Gates.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Le succès de Bread nous dit Houghton pava le chemin vers Carly Simon et Harry Chapin dans les années 70, «two exceptionnal songwriters qui au plan stylistique, allaient  à contre-courant des tendances de l’époque et qui incarnaient le genre d’artistes doués et intelligents qu’Holzman attirait et admirait tant.»

             Phil Ochs fait partie lui aussi du vivier Elektra. Houghton s’étend longuement sur l’Ochs, le décrivant comme le rival de Dylan. Il fait parler Jac à ce propos : «Phil admirait l’extraordinaire imagination et les qualités d’écriture de Dylan et ça le mettait en colère de ne pas pouvoir l’égaler. Le plus ennuyeux c’est que Dylan n’éprouvait aucun sentiment de rivalité avec quiconque. Il se savait sur un nuage, loin au-dessus des mesquineries.» Pour l’Houghton, Phil Ochs était l’un des meilleurs songwriters du Village, «un vrai agitateur politique qui écrivait des chansons passionnées à propos des vrais gens et d’événements réels.»

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Le premier album qu’enregistre Phil Ochs en 1964 sur Elektra s’appelle All The News That’s Fit To Sing. Il est enragé, mais on s’aperçoit très vite qu’il n’est pas Dylan. Il gratte tout ce qu’il peut, c’est un bon artisan du protest. Il n’y a que ça qui l’intéresse, le protest. Mais comme chacun sait, le protest vieillit mal. Désolé, Phil, mais on s’ennuie comme des rats morts. De la même façon que Dylan, il rend hommage à Woody Guthrie avec «Power & The Glory» et «Bound For Glory». Quand il se calme, il tape des petites ritournelles comme «Celia», mais il n’a pas les mélodies. Il gratte ses poux tout seul et ne parvient pas à passionner. Vers la fin, il s’en prend au free world, Cuba et la CIA dans «Ballad Of William Worthy». C’est dans le combat contre l’injustice qu’il est le meilleur, par exemple avec «Too Many Martyrs» - His colour was his crime - Il évoque les lynchages

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Paru l’année suivante, I Ain’t Marching Anymore est un album nettement supérieur. Phil fait son protest à la force du poignet, le morceau titre d’ouverture de balda est brillant. Il finit par convaincre avec «That’s What I Want To Hear». Il fait encore autorité avec «Iron Lady», il surplombe son protest et bascule dans l’Americana avec «The Highwayman» - And the highwayman came riding - Phil devient le storyteller de tes rêves les plus inavouables - The highwayman came riding/ Riding - Il met toute son énergie dans «Links On The Chain» et ça devient énorme. Mais c’est avec l’extraordinaire «Here’s To The State Of Mississippi» qu’il entre dans la cour des très grands. C’est un réquisitoire contre l’état le plus raciste d’Amérique - Mississippi/ Find yourself another country to be part of - Il les prend un par un : the people of Mississippi (Oh, they smile and shrug their shoulders at the murder of a man), the schools of Mississippi (And every single classroom is a factory of despair), the cops of Mississippi (And behind their broken badges there are murderers and more), the judges of Mississippi (When the black man stands accused the trial is always short), the laws of Mississippi (Yes, corruption can be classic in the Mississippi way), the churches of Mississippi (Oh, the fallen face of Jesus is choking in the dust/ And heaven only knows in which God they can trust). Il rejoint Dylan au firmament de la chanson politique. Alors on félicite Jac d’avoir fait paraître un tel album.

             L’Houghton soulève un truc bizarre : dans le film que Scorsese consacre à Dylan, il n’est fait mention nulle part de Phil Ochs. Alors l’Houghton livre son interprétation : «Il est clair à mes yeux que Phil avait une réelle influence sur Bob. Sa rage et son courage sautaient aux yeux.» Van Dyke Parks voit en l’Ochs le vrai incorruptible : personne ne pouvait l’acheter - For me he was the pole star of the counter culture, because he was incorruptible and beyond purchase.

             Ses chansons ne baissèrent jamais en qualité, même si en 1967, il abandonna le folk pour enregistrer chez A&M quatre extraordinaires albums de pop iconoclaste et expérimentale, qui comme Ochs lui-même, n’étaient pas du tout adaptés au monde qui l’entourait.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             L’un des albums préférés de P.F. Sloan est celui que Phil Ochs enregistra en 1967, Pleasures Of The Harbor. La pochette est un peu foireuse, mais Sloan a raison, il y a des moments de grâce sur cet album. Pas de hit, mais des moments de grâce, c’est déjà pas mal. On s’amourache de la voix d’Ochs en écoutant «Flower Lady» : il part à la recherche du beau. Mais en même temps, il alambique un peu les choses. Son drame c’est de faire des chansons qui ne sont pas des hits, à la différence de Sloan et de Fred Neil, que Sloan cite aussi en référence. Sur «I’ve Had Her», l’Ochs a de faux accents de Donovan, et les flûtes s’en mêlent. Who needs an American Donavan ? L’album se réveille en fin de balda avec «Miranda» - She’s a Rudoph Valentino fan - et ses trompettes de dixieland, alors un doux parfum de nostalgie fait dresser l’oreille. La B offre ses petits moments de grâce avec «The Party» où l’on entend le thème de piano de «Smoke Gets In Your Eyes». Ça part en mode Ochs et ça devient captivant, avec une stand-up en contrepoint. Sloan a raison, on finit par se faire avoir. Le morceau titre ne fonctionne pas, malgré tous les violons du monde. L’Ochs termine avec «The Crucifixion», une chanson extrêmement ambitieuse, peut-être même trop ambitieuse. L’ambition est une discipline difficile. Il faut savoir s’en donner les moyens.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             On s’ennuie un peu sur Tape From California paru en 1968. Dommage, car la pochette est belle, mais Phil sonne trop bucolique, trop agneau innocent. Il reste pendant toute l’A dans son vieux schéma protest-song à la mormoille. Quand ce n’est pas ton son, ce n’est pas ton son. Son «Joe Hill» n’est même pas celui de Joan Baez, c’est du pur jus de folky-folkah. Et puis voilà le coup de génie en B : «When In Rome». Il tente le coup du Big Atmospherix en alternant les climats légers et les climats lourds de conséquences, il injecte enfin un pur jus de mélodie chant et il monte au sommet de son lard. Quel dommage que les autres compos ne soient pas de ce niveau. Le voilà grimpé au sommet de l’Ararat, il excelle dans l’élévation, il devient élégiaque et puissant - When in Rome/ Do as the Romans do - Il a même de faux accents dylanesques au plus fort du raz-de-marée. Le voilà donc sorti du format Protest. Ouf !

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             L’Houghton revient aussi longuement sur le fameux Greatest Hits de 1970 qui n’est pas un Greatest Hits. Sur la pochette, l’Ochs porte un costume lamé de Nudie, comme celui que portait Elvis. A&M met le paquet, car l’album est produit par Van Dyke Parks, avec en backing Clydie King et Merry Clayton. Superbe ambiance et ce dès «One Way Ticket Home». Phil fait un peu de country («My Kingdom For A Car») et de folk anglais («Boy In Ohio») puis en B du rock’n’roll avec des accents country («Basket In The Pool») et retour à la country pure avec «Chords Of Fame» qu’il chante avec une fière allure. «No More Song» est le cut prophétique, puisqu’il s’agit du dernier album de Phil Ochs qui va aller ensuite se pendre chez sa frangine.

             Autre figure de proue d’Elektra : Lonnie Mack, un peu absent de l’autobio de Jac mais salué comme il faut par l’Houghton dans son pavé. Russ Miller raconte qu’un soir Lonnie Mack s’est pointé chez lui avec deux albums sous le bras. Il dit à Russ : «Put your ears between those speakers and smoke one of these and don’t say anything.» Russ : «Le premier album était un album de Roberta Flack. I freaked. Le deuxième, un album du Nashville singer-songwriter Mickey Newbury qui m’a tellement bouleversé que j’ai pleuré.»

             Jac voyait Mack comme un artiste fascinant : «En l’enregistrant, on suivait une tradition, mais une tradition différente de celle qu’on avait suivie chez Elektra. Lonnie avait enregistré des singles pour the R&B and pop market et on a essayé d’en faire un album artist. He had a terrific voice, but people wanted to hear him play fast guitar.»

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Glad I’m In The Band est le premier des trois albums qu’il enregistre sur Elektra. Attention, c’est un gros disque ! Quelques énormités se nichent sur cet album, à commencer par «Why» que Lonnie chante au guttural, mais un guttural un peu spécial qui est celui de l’homme qui parvient à braire à force de souffrir. On sent chez lui le Soul brother blanc de haut rang, le même genre de carcasse que Greg Dulli. Il sait aller chercher le raclement de gorge impavide. Et puis c’est un guitariste vraiment hors du commun. Avec «Save Your Money», il nous sort une belle pièce de white r’n’b. On en arrive aux choses sérieuses avec «Too Much Trouble», un blues-rock monstrueux, monté sur un énorme bassmatic. Quand Lonnie part en solo, il peut atteindre les limites de la démence. Il joue comme un punk au doigt tremblant. En B, on retrouve une version de «Memphis». What a version, my friend ! Lonnie la ravage d’un solo en vrille. On comprend qu’il ait pu fasciner Duane Allman et Jeff Beck. Et voilà «Roberta», une grosse praline de boogie blues. Lonnie y balance un solo infernal. Il est probablement l’un des guitaristes les plus fulgurants de l’histoire du rock. Les autres cuts sont de la Soul blanche. Lonnie va chercher en lui les ressources pour pondre le meilleur le mélopif cuivré du Midwest.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Avec Whatever’s Right paru en 1969, on est au cœur du groove. Lonnie attaque avec un «Untouched By Human Love» embourbé dans le meilleur mud, avec des rafales de Flying V en fond de toile. C’est l’une des plus belles pioches de blues-rock américain. Tim Drummond joue un bassmatic de grand chef. Voilà un cut digne des grandes heures d’Albert King. Mack tape dans Bobby Womack et reprend «I Found A Love». Il adore chanter comme James Carr, à la glotte tremblée et la lippe tendue vers l’inaccessible étoile. Le cut est bon, car il est signé Bobby Fricotin. Et Lonnie envoie des gros coups de Flying V dans le gras du lard fumant. Il revient au boogie traditionnel avec « Share Your Love With Me ». Ça swingue ! Ah pour ça, on peut lui faire confiance. Et on entend les jolis chœurs des Sherlie Matthews Singers. Il prend un beau solo au timbre fêlé d’oxyde et nous offre un final hurlé à la yah yah. Fulgurant ! Il reprend aussi le fameux «Baby What You Want Me To Do» de Jimmy Reed avec une belle agressivité. Il envoie de jolies rincettes de distorse et chante comme le dieu du boogie, avec un brin de salive sur la glotte. En B, on tombe sur un «Mr Healthy Blues» digne de Roy Buchanan, un blues extraverti sevré de guitare et monté au bass boom de Tim Drummond. Mack envoie un solo languide qui s’en vient couler au long du twelve bar-bu avec une sacrée classe. Son blues est gorgé de son et de talent. Il fait aussi une version du «My Babe» de Big Dix et la farcit d’un solo de punk. Mack est le killer du Nevada. Il suffit de voir sa photo au dos de la pochette. Il fout un peu la trouille.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             On passe au bucolic avec The Hills Of Indiana paru en 1971. Lonnie se retire du circuit et reste assis contre un arbre pour observer sa vallée à longueur de journée. L’album se veut à la fois calme et beau. Le seul cut un peu remuant est le premier, «Asphalt Outlaw Hero», enregistré à Muscle Shoals et qui par son côté foisonnant et sa chaleur de fournaise semble porter la marque du diable. Les beaux cuts se nichent en B : «Rings», balladif groovy et lumineux, et puis «The Man In Me», balladif de haut vol qui sent bon l’intégrité. On sent à l’écoute du cut que Lonnie Mack n’est pas un baltringue. On note aussi la présence de Don Nix sur les deux derniers titres de la B : il joue du sax sur «All Good Things Will Come To Pass» et toute l’équipe de Muscle Shoals se regroupe derrière Lonnie. Don Nix chante le dernier cut, «Three Angels» qui est en fait une sorte de gospel blanc.

             Russ Miller rassemblait des musiciens, à Memphis et à Muscle Shoals, Don Nix et Martin Greene. L’Houghton nous raconte cet extraordinaire épisode : «Lonnie Mack devait diriger a funky music extravaganza, a knock-down version of Mad Dogs & Englishmen, but without the superstar razzmatazz. Dans le groupe, il y avait le groupe de Lonnie, a Muscle Shoals band, Don Nix, and Marlin and Jeanie Greene, all under the banner The Alabama State Troupers With The Mount Zion Choir & Band. Mack disparu six jours avant le commencement de la tournée. Miller réussit à le retrouver. Il s’était planqué dans une ferme, au fond d’une forêt du Kentucky. Mack refusait de faire la tournée. Dans un rêve, le diable l’avait menacé lui et sa famille, et en se réveillant il avait trouvé sa bible ouverte sur le passage : ‘Flee ye from Mount Zion.’ C’est Furry Lewis qui fut engagé pour le remplacer et le double album ‘Road Show - The Alabama State Troupers’ est paru sur Elektra.»  

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Don Nix monte les Alabama State Troupers avec Tarp Tarrant, le batteur qui a joué 13 ans pour Jerry Lee, Clayton Ivey aux keyboards, Wayne Perkins et Tippy Armstrong aux guitares. Il ajoute un deuxième batteur, Fred Prouty, qui jouait chez Rick Hall, et Brenda Patterson aux backing vocals - It was a hell of a band - Pour la photo, ils posent tous devant une église baptiste. Comme l’écriteau indiquait «The Mount Zion Middle Baptist Church», il baptise le groupe The Alabama State Troupers With The Mount Zion Band And Choir. Le double album paraît en 1972. Attention, ce n’est pas un album facile. Don Nix propose en effet un capiteux mélange de country blues et de gospel, qui sont pour lui les racines du Memphis Sound. On entend donc Furry Lewis sur une face entière. Ce vétéran du Beale Street Sound joue fin et claque des petits coups de bottleneck. On l’ovationne. L’homme est d’une extraordinaire gentillesse - Hank you - Il chante le blues traditionnel des années vingt - And I went to the gypsy/ To get my hambone done - et il se moque gentiment des racistes dans «I’m Black» - Some people don’t like that colour/ But I sure like mine - On se régale de cette leçon de country-blues et de cette diction à l’ancienne. En D, on tombe sur une série de boogies ‘sudistes’. On y entend ce démon de Tarp battre le beurre et Brenda Patterson chante dans les chœurs de Zion. C’est du gros boogie rock seventies surchargé de chœurs de Zion. On se croirait chez Leon Russell. Par contre, Don Nix commet une erreur : il met en avant Jeanie Greene pour chanter le gospel rock de «My Father’s House» et ça ne marche pas du tout, mais alors pas du tout. On sent les limites de la voix blanche. Jeanie n’a pas l’allant d’une Mavis. On trouve encore du gospel en B, notamment ce vieux classique repris par les Staples, «Will The Circle Be Unbroken». Don Nix respecte bien les fondamentaux du Memphis Sound System, malheureusement, c’est lui qui chante, et pour chanter le gospel batch, il vaut mieux disposer d’une vraie voix. Et quand Jeanie Greene reprend le lead dans «Mighty Time», même chose, elle se vautre. Il lui manque deux choses essentielles : le groove et la Soul. Brenda est un peu plus wild, comme on le constate à l’écoute de «Jesus On The Main Line». Elle s’énerve toute seule et cherche à incendier la plaine, mais tout le monde n’est pas Bonnie Bramlett. Voilà enfin un hit en B : «Yes I Do Understand», un gospel batch poppy joliment amené par la joyeuse assemblée. Excellent ! Et puis en C, Don Nix s’en va chevaucher dans la Sierra. S’ensuit un peu plus loin «Heavy Makes You Happy», un boogie-rock encore une fois digne de Tonton Leon. Ça sent bon la grosse équipe, le surnombre et les vétérans de toutes les guerres. Nix termine avec «Iuka», un gros boogie blues dans l’esprit de ce que faisait Johnny Winter. Nix y va au guttural. On se croirait presque sur Johnny Winter And Live.

             C’est Russ Miller qui amène Mickey Newbury chez Jac. Ben Fong-Torres le décrivit comme «the troubadour answer to Frank Sinatra’s late 50s Only the Lonely period». En 1970, pas mal de gens reprenaient les chansons de Mickey. L’Houghton cite Willie Nelson, Eddy Arnold, Don Gibson, Roy Orbison et Kenny Rogers & The First Edition. Bizarrement, il oublie les Box Tops. L’Houghton trouve la voix de Mickey aussi distinctive que celle de Tim Buckley. Aux yeux de Chips Moman, Mickey fait aussi partie des grands auteurs américains.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Ce que confirme Frisco Mabel Joy paru en 1971. Dès «An American Trilogy», Mickey rend hommage  à son cher Dixieland. Il chante à la pure éplorée sentimentale. Cet homme chante avec une extrême délicatesse, c’est ce qu’il faut retenir de lui. Avec «Mobile Blue», il va plus sur la country avec un fantastique exercice de railway station et de take me away. Beau shoot de country et de Lord I get home Mobile Blues today. En B, il tape dans le Dylanex avec «You’re Not My Same Sweet Baby» et il ajoute : «But I’m not the man/ That can change it for you.» Il a une façon de dire sweet baby lady qui a dû en faire fondre un paquet - I’ll just pack my bag & be silently gone - C’est l’un de ces chansons terribles sur l’incommunicabilité des choses de la vie. Il donne ensuite une fantastique ampleur mélodique à «Remember The Good» - For all the times I tried/ I wouldn’t change it if I could/ For all she meant to me/ I’ll remember the good - Brillant Mickey.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             La perle d’Heaven Help The Child paru en 1973 s’appelle «Song For Susan». Mickey pousse bien le bouchon de la beauté. On comprend que cet homme soit sur Elektra, un label d’exception. On peut aussi contempler l’envol du morceau titre, en ouverture de balda. Ce mec a autant de son et d’énergie mélodique que Jimmy Webb. Il propose en permanence une pop balladive d’une rare beauté, une sorte d’intimisme intense. Il ne semble vivre que pour le beau, qui est en fait un idéal. Il ne vise que l’excellence. Dans l’esprit, son «Sunshine» est assez proche de ce que propose Fred Neil sur MacDougal. Quand il fait de la country, comme c’est le cas avec «Why You Been Gone So Log» en ouverture de bal de B, il reste envoûtant, si diablement envoûtant. Mickey Newbury est l’un des géants de Nashville. Il construit la mélodie de «Coretella Clark» comme le ferait Paul Simon, il cherche un fil d’argent mélodique, c’est d’une grande pureté.  

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Pour la pochette d’I Came To Hear The Music, Mickey se fait une tête d’Abraham Lincoln.   On retrouve sur cet album enregistré à Nashville des rescapés d’American : Mike Leech et Bobby Emmons. Mickey fait du balladif country très romantique («You Only Love One (In A While)»). Il estime qu’on vit between the first tear & the last smile ou encore between the first step & the last mile, pour les besoins de la rime. Bon alors attention : toutes les compos de Mickey ne sont pas de bombes sexuelles. Il faut garder ça bien présent à l’esprit. Ça évite de se plaindre quand on est déçu par l’un de ses albums. On peut s’y ennuyer, il faut le savoir. Mais on comprend la logique de Jac. En B, Reggie Young vient allumer la gueule de «Dizzy Lizzy». Il joue en embuscade derrière les coups d’acou sauvages de Chip Young. Reggie fait un travail herculéen dans la matière du lard - And rock’n’roll was nothing/ But the blues with a beat - Mickey se fend plus loin d’une belle rengaine sur la mort de l’amour («Love Look (At Us Now)») - I no longer know what to say/ When I come around you - Et il termine sur un «1x1 Ain’t 2» embarqué à la fantastique énergie du country rock de Nashville.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Selon l’Houghton, Lovers enregistré en 1975 représente the pinnacle of Newbury’s recording career. L’homme sait chanter, on le voit très vite avec «Sail Away». Ce disque vaut the ride. On peut écouter chanter Mickey sans craindre ni l’ennui ni la mort. Avec «Lead On», il fait du gospel. Il implore Jesus like an orphan left to wonder/ Like a sailor lost in a storm. En B, on va pouvoir savourer la fantastique qualité de sa mélancolie dans «How’s The Weather». Il espère toujours s’installer un jour avec elle, même s’il vient d’apprendre qu’elle a un fils de 15 mois. Rien n’est plus beau que le sentimentalisme quand il est bien chanté. Il fait ensuite du pur jus de gospel country avec «If You Ever Get To Houston» et se dirige tout droit sur le hit de l’album : «You’ve Always Got The Blues». C’est monté sur une fantastique progression d’accords de old jazz jive et généreusement orchestré - So I’ll be here til midnight/ Looking for someone to lose - Il finit poliment son album avec «Goodnight». Son Goodnight est aussi beau que celui des Beatles - Goodnite my love/ Now close your sleepy eyes - Ce mec chante son heart off - And sail into the sky

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             L’autre grand poulain folky-folkah de Jac, c’est Tom Rush. Il a eu le temps de faire trois albums sur Elektra. Le premier, paru en 1965, est célèbre pour sa pochette : on y voit le jeune Tom tout droit sorti d’un roman de Kerouac. Si on voulait savoir à quoi ressemblait Neal Cassady, il suffit de jeter un œil à cette pochette emblématique. L’album en plus n’est pas mauvais. Produit par Paul Rothchild, le débusqueur du jeune Tom. Cet album est plein d’énergie, de coups d’acou et de coups d’harmo. Tom Rush gratte ses poux d’Americana et ça devient sérieux dès l’«If Your Man Gets Busted». Gros son, Tom Rush est plein de mess around, il aurait pu devenir un héros. Il distille avec «Do Re Mi» un violent parfum de cette deep Americana qui de toute évidence a fait craquer Jac. Ils tape aussi une version de «Milk Cow Blues», il chante ça au treat me this way et groove à coups d’acou. Il sort aussi un «Black Mountain Blues» assez heavy de can’t keep a man in jail. Il est quasiment invincible dans «Poor Man» et en B, ça bascule  dans la meilleure Americana qui soit, celle des voyages, il ramène des coups d’harp à la gare de Buffalo - From Buffalo down to Washington - Tout est extrêmement bien pulsé sur cet album. Il amène son «Jelly Roll Baker» au big heavy groove, il y va deep down in my soul. Tom Rush est très fort. Il annonce que «Panama Limited» is about a train - This is fast.  

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Sur son deuxième album Elektra, Take A Little Walk With Me, Tom Rush fait une killer kover de «Who Do You Love». Il la gratte à coups d’acou et ça tourne au big shake de come on baby/ Take a ride with me. Tom Rush la rushe sous le boisseau. Encore une merveille avec «Turn Your Money Green», pur jus du Tennessee - I’ve been down so long/ Looks like up to me - En fait, c’est quasiment un album de grosses reprises, un an ou deux avant que les Anglais du Bristish Blues ne s’y mettent. Avec sa cover de «You Can’t Tell A Book By The Cover», Tom Rush est le roi de la petite Americana. Il fait son beurre sur le dos de Big Dix et de Bo, et il a raison. Ce mec a un son, «Love’s Made A Fool Of You» est tout de suite seyant. Tom Rush groove autant qu’Elvis, il fait merveille à chaque étape. Il faut dire qu’Harvey Brooks joue de la basse sur cet album, ce qui peut expliquer le niveau supérieur de l’ensemble. L’«On The Road Again» n’est pas celui de Canned Heat, c’est un rock de Rush. Il tape aussi une cover de «Statesboro Blues» qui n’est même pas créditée. Il est encore parfait sur «Sugar Babe», vieux shoot de country blues - Sugar babe/ What’s the matter with you/ Sugar Babe/ It’s all over now - Il joue «Galveston Food» au knife style, il vise la pure authenticité du jive.  

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Son troisième Elektra LP s’appelle The Circle Game et sort en 1968. On est tout de suite frappé par ce ton chaud et viril. Il peut se montrer sexy avec le swagger de la frontière de «Something In The Way She Moves». Il sidère par la qualité de sa présence, ça joue au heavy psyché d’Americana - She’s with me now/ I feel fine - Superbe. Avec «No Regrets», il est tellement bon qu’il préfigure les Tindersticks - No regrets/ No tears/ Goodbye - Et il s’en va. Sa pop de New York City est excellente, ce que montre encore «Sunshine Sunshine». Il pourrait presque abuser de son power de big singer, comme le montre «The Glory Of Love». Il y fait un peu le cake. Il sauve le deep folk de «Shadow Dream Song» au chant inverti, ce mec est extrêmement balèze et il descend dans le heavy balladif du morceau titre au rythme d’un story-telling étendu dans la distance. Tom Rush dispose de ressources insoupçonnées. On peut parler de Gold Rush.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             En 1970, Elektra sort l’album des Voices Of East Harlem et Jac s’écrie : «Talk about energy !». Un chœur de vingt personnes - Ils étaient simples, gentils and overpowering. Right On To Be Free est effectivement un album énorme, qui dépasse le concept même du gospel album. On y trouve Chuck Rainey (bass) et Cornell Dupree (guitar), et quelle énergie, dès le morceau titre en ouverture de balda, beurre + congas = boom garanti. Ils font une version cavalante de «Proud Mary», pus jus de Black Power tapé aux congas de Congo Square et Chuck Rainey fait des ravages dans «Music In The Air». Power to the Power ! On se croirait sur Amazing Grace, l’album gospel d’Aretha. Ils attaquent la B avec une reprise du «For What It’s Worth» de Stephen Stills et Chuck Rainey te bombarde ça vite fait au bassmatic ! Anna Griffin embarque «No No No» au paradis du gospel batch, elle est dévorante. En fait, c’est la famille Griffin qui mène le bal et ça se termine avec un «Shaker Life» claqué aux clameurs de la plus belle des claquemures et joué aux congas du diable, avec un power qui justifie tous les excès de pouvoir, notamment la bienheureuse subversion du Black Power universel. Ouvre le gatedold et tu les vois chanter et danser. Cet album est l’un des sommets du lard total.

             Lorsqu’on arrive au terme du pavé de l’Houghton, on croise les derniers noms qui firent la réputation d’Elektra : Jobriath et Nuggets.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             L’Houghton rappelle que le premier album de Jobriath fut enregistré at Electric Lady Studios avec Eddie Kramer et que lors de sa parution en 1973, il y eut un media blitz, avec un immense panneau publicitaire à Times Square, même plan que pour les Doors à Los Angeles, lors de la parution de leur premier album.

             Ce premier album sans titre de Jobriath est un album un peu âpre qu’il faut approcher avec précaution, car il ne correspond à rien de connu, hormis Bowie, mais c’est encore autre chose que Bowie. Les compos de Jobriath sont beaucoup plus ambitieuses, mais il n’a pas de chansons du niveau des grandes chansons de Bowie. Dès «Take Me I’m Yours», il impose une belle présence vocale, il est même beaucoup plus outrageous que Bowie. Il attaque son «Be Still» à la pure décadence d’upon every corner. Il fait enfin un stomp de glam avec «Earthling», mais c’est un glam trop tarabiscoté, rien à voir avec «Jean Genie». Et il profite de «World Without End» pour faire un petit panorama historique des atrocités - Chrétiens, sorcières, juifs - Il électrise le son et fait son Spider. Il ouvre sa B avec «IMAMAN», c’est-à-dire I’m a man. Il est dans son monde, c’est très baroque, on pense bien sûr à Steve Harley & Cockney Rebel. Mais dès qu’il tape dans le starship de «Mornig Starship», il fait du Bowie. Il rend hommage à Bill Haley et Little Richard dans «Rock Of Ages» et voilà le travail.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             C’est sûr, il faut écouter Jobriath, car il fait du pur Ziggy, mais avec une voix plus ferme, plus mâle et du coup ça peut plaire énormément. On trouve de jolis classiques glam sur Creatures Of The Street, à commencer par un «Ooh La La» qui n’est pas celui des Faces, mais un cut de glam disons bien énervé. Même chose en B avec «Good Time» et «Sister Sue» : ils claquent tous les deux comme l’étendard de Jobriath, avec un certain goût de reviens-y. «Sister Sue» est même brillant, gratté à coups d’acou clairvoyante, il y a du beau monde derrière Jojo, ça swingue à outrance. «Listen Up» est très Bowie dans l’approche, très intéressant, bien ficelé, joué au dodécaphonisme. On retrouve des accents de «Life On Mars» dans «Gone Tomorrow». Pourquoi Bowie a percé et pas Jojo ? Ça reste un mystère, car franchement, tous les éléments du super-stardom sont rassemblés. Il fait une resucée d’«Ooh La La» pour finir et la sucre au glam funk. Magnifique artiste.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Pour Nuggets, Jac dit qu’il faisait confiance à Lenny Kaye. Il fut même surpris d’obtenir les licences aussi facilement, car tous ces cuts qui n’étaient pas si vieux faisaient déjà parie de l’archéologie. Ce qui intéressait surtout Lenny Kaye, c’est le lien qui existait entre ces groupes qui étaient alors devenus obscurs et le duo Stooges/MC5. Jac : «Seul Lenny Kaye a noté ce lien qui existait entre ces groupes et les Stooges et le MC5, who were fuelled by the same energy as classic garage bands.» Admirable façon de boucler la boucle. Pour savoir tout le bien qu’on pense de Nuggets, il faut se rendre à la rubrique ‘Mon Kaye Business’. On y épluche Nuggets en long, en large et en travers. Quant à cette grosse poissecaille de Tim Buckley, elle fait l’objet d’un part à part.      

    Signé : Cazengler, Jacques Holsmerle

    Mickey Newbury. Frisco Mabel Joy. Elektra 1971  

    Mickey Newbury. Heaven Help The Child. Elektra 1973  

    Mickey Newbury. I Came To Hear The Music. Elektra 1974

    Mickey Newbury. Lovers. Elektra 1975

    Tom Rush. Tom Rush. Elektra 1965                              

    Tom Rush. Take A Little Walk With Me. Elektra 1966  

    Tom Rush. The Circle Game. Elektra 1968 

    Bread. Bread. Elektra 1969 

    Bread. On The Waters. Elektra 1970

    Bread. Manna. Elektra 1971  

    Bread. Guitar Man. Elektra 1972   

    Bread. Baby I’m-A Want You. Elektra 1972  

    Bread. Lost Without Your Love. Elektra 1976  

    Phil Ochs. All The News That’s Fit To Sing. Elektra 1964

    Phil Ochs. I Ain’t Marching Anymore. Elektra 1965

    Phil Ochs. Pleasures Of The Harbor. A&M Records 1967

    Phil Ochs. Tape From California. A&M Records 1968

    Phil Ochs. Greatest Hits. A&M Records 1970

    Lonnie Mack. Glad I’m In The Band. Elektra 1969

    Lonnie Mack. Whatever’s Right. Elektra 1969

    Lonnie Mack. The Hills Of Indiana. Elektra 1971

    The Alabama State Troupers Road Show. Elektra 1972

    Voices Of East Harlem. Right On Be Free. Elektra 1970

    Jobriath. Jobriath. Elektra 1973

    Jobriath. Creatures Of The Street. Elektra 1974

    Nuggets (Original Artyfacts From The First Psychedelic Era 1965-1968). Elektra 1972

    Mick Houghton. Becoming Elektra: The True Story of Jac Holzman’s Visionary Record Label. Outline Press Ltd 2010

     

     

    Inside the goldmine

     - Marvallous Marva

     

             Baby Rose portait un chapeau curieux qui lui donnait un petit côté mutin, voire coquin. Ce chapeau couleur prune ressemblait aux chapeaux qu’arboraient les rois de France aussitôt après le moyen-âge, ces oripeaux aux allures de bombardes à sommets plats, façonnés en cônes renversés, ni trop massifs, ni trop hauts, seyants comme par la grâce de Dieu. On se laisse parfois aller à adorer les audaces que s’autorisent les femmes par coquetterie. Elle drapait sa haute maigreur dans un long manteau classique, presque baroque, qui rétablissait une sorte d’équilibre. Le tout constituait une silhouette d’une élégance probante. On ne pouvait rêver abord plus charmant. Baby Rose donnait facilement libre cours à sa belle volubilité de femme mure : «Je suis une femme de lumière !», s’exclamait-elle, trépidante. Un pur régal que de la voir à l’œuvre. Par chance, la conversation obliqua rapidement sur la littérature. Nous nous accordâmes des cavalcades éperdues à travers les steppes de nos immenses connaissances respectives, nous jubilions de concert. Effeuiller Baby Rose, voilà qui commençait à prendre la tournure d’une perspective pirandellienne. Puis, au beau milieu d’un moment de répit, elle avoua avec un naturel charmant et sans l’once d’une perfidie qu’elle écrivait des romans. Elle expliqua dans le détail qu’elle travaillait sur les trois volets d’une trilogie. Lui pressant doucement le poignet, je lui fis cette demande : «Aurez-vous la bonté de me les donner à lire ?». Elle rougit légèrement et ne fit aucune objection. Ses yeux étincelaient de reconnaissance. Elle concéda que ça lui réchauffait le cœur de trouver enfin quelqu’un à qui s’en remettre, littérairement parlant, se hâta-t-elle d’ajouter, craignant que son propos ne fût mal interprété. Comme le laissaient supposer ses rafales de commentaires, la lecture critique de cette trilogie allait être d’un ennui mortel. Elle disait s’être engagée dans une voie autobiographique qu’elle émaillait de renvois mythologiques. La Grèce antique n’avait aucun secret pour elle. Elle disait savoir soupeser les éléments et en décrire la portée tragique. Elle devint barbante. Elle proposa soudain d’aller faire un tour au bois. Elle appartenait à coup sûr à la catégorie des femmes athlétiques qui se font sauter contre des arbres, et comme ça caillait, il fallut couper court à cette incongruité et prétexter d’un rendez-vous à l’autre bout de Paris. Elle masqua courageusement sa déception. De toute évidence, elle se trouvait là pour les mêmes raisons : provoquer une situation de baise qui eût fourni matière à récit. Nous nous séparâmes sans acrimonie.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             À l’inverse de Baby Rose, Marva Whitney n’écrit pas de romans barbants, elle enregistre plutôt des albums somptueux. Comme Lynn Collins, Yvonne Fair, Martha High et Vicki Anderson, elle fait partie des Funky Sisters qui sont montées sur scène avec James Brown. The Marvallous Marva remplaça Vicki Anderson en 1968. Elle n’a enregistré que fort peu d’albums solo, mais tous valent sacrément le détour.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Son Live And Lowdown At The Apollo date de 1969. Elle y fait une superbe version de «Respect» en B. On devrait même parler d’une version historique. Elle le prend très haut, comme Aretha, avec tout le chien de sa petite chienne - R, E, S, Pi Ci Ti ! - Elle l’articule bien, au cas où le con à qui elle le destine n’aurait pas compris, et en prime, tu as un solo de sax incendiaire. Puis elle duette avec James Brown - You know what ? - Et il y va le JB, «You Got To Have A Job» - You know what ?/ You pay dime - Say it again ! En ouverture de balda, elle met les bouchées doubles avec «Things Got To Get Better Pt1» et plus loin, elle tape deux classiques du funk, «It’s My Thing» et «I Made A Mistake». Elle est hot la Marva, elle y va au yeah yeah yeah. À part chez Vicki Anderson, t’auras jamais ça ailleurs. C’est avec «It’s My Thing» qu’elle allume au plus haut degré, elle chante son hard funk très perché. Marva est la grande screameuse de funk devant l’éternel. 

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Paru en 1969, It’s My Thing est produit par James Brown. Alors en voiture Simone ! Big flash de funk dès le morceau titre. Marva, c’est JeeBee au féminin, exactement la même niaque - I can do/ Wat I wanna doooo - Hard funk, elle est dedans, elle s’en bouffe la rate, I can do what I wanna doooo ! Elle le fait en deux parties. Elle ravage encore les contrées avec «Things Got To Get Better», elle semble avoir mille fois plus d’énergie que les mecs, ça groove dans le dirt, elle est bouillante de burn-out, elle patauge dans le génie, il n’existe pas de meilleure allumeuse que Marva, elle tape dans le dur - Got to give it out/ Got to give it out ! - Pour «If You Love Me», elle va chercher le chant à l’extrême pointe du if you dooo now prove it baby et elle l’explose, son prove it baby. Elle tape encore dans le funk extrême avec «Unwind Yourself», c’est une injonction, elle ne cédera pas. JeeBee vient duetter avec elle sur «You Gor To Have A Job», ça sent bon l’odeur des flammes de l’enfer, fantastique enfer, le JeeBee est juste derrière elle, on a là le funk suprême. Mais comme toutes les championnes, elle fatigue, elle tape «I’m Tired I’m Tired I’m Tired» sur le groove de «Tighten Up». Autant dire que c’est explosif. Retour au hard funk avec les deux parties d’«I Made A Mistake Because It’s Only You». Elle travaille son funk au corps - You can do what you wanna doo/ Only you - Et ça continue comme ça jusqu’à la fin, pas de répit, elle fait sa Aretha dans le funk d’«He’s The One» et quand elle tape dans Burt avec «This Girl’s In Love With You», ça bascule dans la magie. Jamais rien vu d’aussi balèze que Marva tapant dans Burt. C’est tout de même l’un des hits du siècle passé. Et comme si tout cela ne suffisait pas, elle reduette avec JeeBee sur une version de «Sunny».

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             En 2006, paraît I Am What I Am, un album exotique de Marva Whitney With Osaka Monaurail. Exotique car enregistré au Japon et c’est un gigantesque album de funk. Non seulement le morceau titre ouvre le bal, mais en plus, il te saute dessus. Cet «I Am What I Am» vaut tout le JB, I am/ What I am, elle est au cœur du mythe funk, au cœur du mythe de la pulsion, funk it to me, elle le fait au sparse, avec des retours de trompettes, elle déchire le funk et retombe dans l’ouate du don’t feel good, elle pose ses notes, c’mon, I am/ What I am, le flux du sex de funk l’emporte, Marvallous Marva te sort le pire raw funk de l’univers. Elle continue d’éclater les noix du funk avec «Soul Sisters (Of The World Unite)», elle repart dans l’énormité, we got to get together, sur un beat de funk disparate, pur génie vocal, elle s’explose la rate, elle chante au top du beat, Marvallous Marva est une géante. Troisième coup de Jarnac avec «Give It Up Or Turn It Loose», hey ! C’est le JB beat ! Elle est JB au féminin, hold me tight, elle est tellement dans le hard funk qu’elle le transcende. Elle reste dans le JB avec «It’s Her Thing», fantastique pulsion d’Osaka, cet instro est une merveille, serti d’un vaillant solo de trompette. Tout est hot sur cet album, elle est fabuleusement douée pour les développements, comme le montre encore «(Let A Sister Come In And) Wrap Things Up», help me somebody ! Elle termine en mode Gospel batch avec «Peace In The Valley», elle dispose de l’assise, elle pose sa voix dans la main de Dieu miséricordieux, elle connaît tous les secrets du vieux Spiritual. Elle est accompagnée au piano, pas de chœurs, c’est très balèze. Comme Aretha dans l’Amazing Grace de Sidney Pollack, elle taille sa route à l’a-capella.

    Signé : Cazengler, Morveux Whitney

    Marva Whitney. Live And Lowdown At The Apollo. King Records 1969

    Marva Whitney. It’s My Thing. King Records 1969

    Marva Whitney With Osaka Monaurail. I Am What I

     

     

    Wizards & True Stars

    - Sur les traces de Dan Treacy (Part One)

     

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Dan Treacy ? Tu lui donnerais le bon dieu sans confession. Rien qu’à le voir, avec sa petite bouille d’éternel adolescent. Tant qu’on y est, on peut aussi donner le bon dieu sans confession à Benjamin Berton pour son livre, Dreamworld: The Fabulous Life Of Dan Treacy. Et plutôt deux fois qu’une, car non seulement l’auteur qui est français est traduit en anglais, mais il célèbre avec ce petit book miraculeux l’un des artistes les plus obscurs de l’Underground Britannique. Il n’est pas certain que les Television Personalities aient vendu beaucoup d’albums. Par contre, les ceusses qui les possèdent les considèrent comme les prunelles de leurs yeux. Sur l’étagère, tu ranges ces albums à côté de ceux de Syd Barrett, de Felt, de Kevin Ayers et de Robert Wyatt.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Ce n’est qu’à la fin du book qu’on réalise que Berton est français, lorsqu’il évoque le concert des TVP aux Mains d’Œuvre de Saint-Ouen. Mais son book est tellement bien foutu qu’il réussit à faire illusion. Illusion, voilà d’ailleurs le mot clé. Berton s’inspire tellement du surréalisme psychédélique de Dan Treacy qu’il transforme tout le début de son récit en fable surréaliste psychédélique. On se croirait dans Cent Contes Rock !

             On est en 1977 et Dan fait des livraisons pour sa mère qui tient un pressing du côté de King’s Road. Il passe bien sûr devant la boutique de McLaren qui s’appelait Sex et qui s’appelle désormais Seditionaries. Il connaît Jordan. Il va livrer des fringues chez Bob Marley qui vit dans une grande baraque à Chelsea, puis sa mère l’envoie trouver Peter Grant pour le compte duquel elle lave aussi des fringues. Normalement, Peter Grant devrait trouver un petit boulot pour Dan. D’ailleurs Mama Treacy indique que Mister Grant est un homme charmant et qu’elle lave les jeans de Jimmy Page depuis plus de dix ans. Elle ajoute qu’elle n’a jamais vu le diable sortir d’un caleçon de Jimmy Page - C’est d’ailleurs la seule chose qui ne soit pas sortie de ses caleçons, si vous voulez tout savoir, indique-t-elle en éclatant de rire. À quoi Daddy Treacy ajoute qu’il ne souhaite pas entendre la suite. Effectivement, le charmant Mister Grant donne un petit boulot à Dan : nettoyer la pièce où s’est déroulée l’une des messes noires de Jimmy Page, dans la mystérieuse pièce du fond, dans laquelle personne n’a le droit d’entrer. Berton bat Mick Wall au petit jeu du satanisme de Led Zep. Comme la scène se déroule dans les locaux de Swan Song Records, Jimmy Page déboule. Dan ne parvient pas à établir le contact avec ce personnage glacial. La légende veut qu’à l’entrée de Jimmy Page dans une pièce, la température chute brutalement.

             Puis Dan et ses amis qui rêvent de composer des tubes montent le projet de kidnapper Paul McCartney. Il se rendent chez lui, au 7 Cavendish Avenue. L’idée est de faire cuire son cœur et sa cervelle et de boire le jus pour récupérer son talent de compositeur. Ils ont même une autre idée : lui couper les mains pour se les greffer et tabler sur la mémoire de ces mains qui ont composé tant de jolies mélodies. Ils appellent ça la transsubstantiation. Pas de chance, ils arrivent le jour de la mort d’Elvis et McCartney fait une déclaration aux journalistes. Le projet tourne au fiasco. C’est alors que Dan dit à ses amis : Je sais où vit Syd Barrett. Voilà comment Berton nous introduit dans le jardin magique de Dan Treacy et de ses Television Personalities. Pouvait-on imaginer meilleure introduction ? Non.

             Autour de Dan Treacy gravitent de précieuses personnalités satellitaires : Ed Ball qu’on va retrouver dans The Times, fleuron de la London Mod scene, Jowe Head qui vient des Swell Maps, fleuron de la modernité, et Joe Foster qui jouera de la basse dans les TVPs avant d’aller co-créer Creation en 1983 avec Alan McGee. Foster, Ball et Head sont tous les trois des forces de la nature qui multiplient les projets et qui chacun à sa manière redore le blason de l’Underground Britannique. Berton nous dit aussi que Joe Foster travaille jour et nuit pour Creation. Il ne dort jamais, il tourne au speed. Il va payer le prix fort et disparaître quelques années avant de revenir avec Rev-Ola, un petit label spécialisé dans la réédition de disques cultes. Ed Ball prend ses distances avec Dan qui est trop lunatique pour monter ses propres projets. Il bossera lui aussi pour Creation. Quand Dan va commencer à perdre pied, Ed Ball volera à son secours.

             Après ses miraculeux chapitres d’intro, Berton entre dans le vif du sujet, les Television Personalities, comme s’il était rattrapé par la réalité. Il évoque un Daniel Treacy à la fois ambitieux et jamais prêt à sauter le pas. Après la parution de «Part Time Punks» et son retentissement, Ed dit à Dan qu’il faut passer à l’étape suivante et donner un concert, à quoi Dan répond que les TVPs sont un studio band. Ed veut avancer, mais ça n’intéresse pas Dan. En fait, Dan s’entend mieux avec Jowe Head qui joue alors de la basse dans Swell Maps : ils aiment tous les deux les voix fragiles, les personnages enfantins et le dilettantisme musical, ils deviennent malgré eux les papes du DIY movement. Ed finit par organiser un premier concert des TVPs, mais ce soir-là Dan disparaît. Mark Sheppard et Joe Foster doivent se débrouiller tout seuls sur scène. Jowe Head et Nikki Sudden volent à leur secours. 

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             TVDan commence à bricoler un univers très spécial, à base d’esthétique sixties, de pop art et d’une obsession pour les célébrités : David Hockney, Dali, Syd Barrett. Berton saute sur l’occasion pour lancer la ronde des références, toutes plus parlantes les unes que les autres : La Motocyclette, ce film adapté d’un roman érotique d’André Pieyre de Mandiargues, avec Marianne Faithfull et Alain Delon, Le Portrait de Dorian Gray, Le Grand Meaulnes d’Alain-Fournier qui est le point de conjonction évident, et Roy Liechtenstein, le pape du pop-art, chez qui TVDan va trouver le nom de son label : Whaam!. Quand Berton évoque la possibilité d’un biopic sur les TVPs, TVDan voit très bien Gary Oldman jouer son rôle, Christopher Walken jouer celui de Jowe Head et Anthony Perkins celui du Syb Barrett vieillissant.

             L’autre grand axe des TVPs est semble-t-il le désespoir non affiché. TVDan grandit dans l’Angleterre thatchérisée, une Angleterre dont la jeunesse est sacrifiée, avant même d’avoir commencé à entrer dans l’âge adulte. Inutile de vouloir résister, ajoute Berton. Mais bon, le groupe existe, cahin-caha. TVDan tourne avec une première équipe, puis une deuxième, et quand Jowe Head arrive, il stabilise le line-up pour dix ans. TVDan ne fait pas de set-lists. Les autres doivent se caler sur le premier accord. Ils font pas mal de covers et tapent abondamment dans les sixties : Pink Floyd, Kinks, Beatles, Who, Velvet, Creation, Stones, Seeds, Love, Jonathan Richman et Joe Meek, un Meek qui est l’un des chouchous de TVDan.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Très vite, on considère TVDan comme le Syd Barrett de sa génération, capable d’écrire de grandes chansons qui ne tiennent qu’à un fil. Étonnamment, ce phénomène purement britannique que sont les TVPs s’est trouvé un public en France, alors que leur son n’est pas forcément très accessible. Berton considère que leur premier album, And Don’t The Kids Just Love It paru en 1980, est le meilleur et le plus significatif. On retrouve sur la pochette Patrick McNee et Twiggy. Ce visuel culte orne aussi la couve du Berton book. Au dos de la pochette de l’album dansent les noms de Syd Barrett, de Pete Townshend et des Creation. TVDan, Ed Ball et Mark Sheppard nous claquent «World Of Pauline Lewis» comme un hit Mod, avec le riffage typique des early Who. Ils profitent de «Drag Of A Young Man» pour plonger dans l’underground, avec une mélodie jouée en note à note sur une guitare rachitique. TVDan sort son meilleur accent cockney pour chanter l’histoire de Geoffrey Ingram - Just like Geoffrey Ingram - qu’on verra aussi apparaître dans le Berton book comme un personnage doté de pouvoirs surnaturels. C’est en B qu’on trouve le pot aux roses, «I Know Where Syd Barrett Lives» - He was very famous/ once upon a time - TVDan fait du Barrett bien barré et crée sa légende - On the edge of the world - On entend des oiseaux chanter. Ils terminent sur une belle poussée de Mod fever avec «Look Back In Anger», mauvais cocktail de chant mal réveillé et d’accords explosifs. Sous le soleil Mod exactement.

             On voit l’univers de TVDan se dessiner petit à petit. Un jour, il monte sur scène, en première partie de David Gilmour, et tape un medley barrettien, «Set The Controls For The Heart Of The Sun/ The Gnome Song/ See Emily Play» qu’il chante d’une voix fausse et infantile. Puis il dit au public de sortir un papier et un crayon pour noter l’adresse et pouf, il attaque «I Know Where Syd Barrett Lives». L’adresse exacte à Cambridge est dans la chanson. Gilmour ne voudra pas de TVDan pour les autres concerts. Gilmour et TVDan ne vivent pas dans le même monde.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Les albums vont ponctuer la vie de TVDan, et donc le Berton book. On ne perd pas son temps à les écouter, loin de là. TVDan, Ed Ball et Mark Sheppard enregistrent Mummy Your Not Watching Me en 1982. «Adventure Playground» sonne comme un hymne Mod, emmené par le bassmatic féroce d’Ed. TVDan fait son Syd et claque du early Who sur sa Teardrop. Il noie d’écho son «Brian’s Magic Car» et y fait son Smith (le Mark E.). Il ramène des arpèges en lousdé et crée une sorte de délire fasciné par lui-même, une circonvolution débridée. Puis il revient à son obsession pour les célébrités avec «David Hockney Diaries», joli shoot d’heavy pop, mais sans l’eau bleue des piscines - I want to fly around the world in my own private plane/ I want to party every night so I can sleep all day - Facétieux, il s’amuse à sonner par instants comme Johnny Rotten. Il revient à la grosse énergie foutraque des early Who avec «Painting By Numbers». Il te gratte ça comme un Jean-foutre d’happy-go-lucky. C’est ce qui fait son charme. Retour à la belle pop dégingandée avec «If I Could Write Poetry», une espèce de bonne franquette montée sur un bassmatic épique, une pop effarante de prestance, livrée à l’écho du temps, comme surgie dans l’éclat d’un matin d’été à Chelsea.

             À la fréquentation de Daniel Treacy, il se produit un phénomène intéressant, une sorte de réaction en chaîne. Puisque TVDan jubile à enregistrer sa pop délurée, Berton jubile forcément à écrire son book, ça se sent, alors on le lit et du coup tout jubile dans la baraque. Consacrer du temps à dire tout le bien qu’on pense de TVDan est par conséquent une jubilation de tous les instants. On constate en plus que chaque album se comporte à la réécoute comme l’un des petits romans loufoques de Raymond Queneau jadis parus dans la collection l’Imaginaire (Les Enfants Du Limon, Odile, Saint Glin-Glin). Oserait-on aller jusqu’à dresser un parallèle entre TVDan et Queneau ? Oh c’est pas compliqué, il suffit de voir leurs bouilles respectives.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Pour saluer le troisième album du groupe, They Could Have Been Bigger Than The Beatles,  Berton bombarde les TVPs en tête de gondole du psyche-Mod revival, il parle d’une mixture de frivolity et de spirit of the times. Il n’y a aucune prétention dans le titre de l’album, c’est un pied de nez à la Treacy, fruit de son petit humour acidulé. L’album qui est en fait une compile est bourré à craquer de classiques, comme ce «David Hockney’s Diaries» tiré de l’album précédent. TVDan est un être cultivé, il bricole par conséquent des chansons cultivées. Ouverture de balda avec «Three Wishes», big shoot de far-out so far out. Il ressort son meilleur accent cockney pour marmonner «In A Perfumed Garden». «Kings And Country» sonne comme la BO d’un film d’espionnage, avec une belle prestance. TVDan barde ce hit d’accords éclatants et finit en mode «Eight Miles High», histoire de nous en boucher un coin. Retour au trip Mod avec «The Boy In The Paisley Shirt», petite pop soignée et minimaliste, doucement décadente, activée par de jolies montées au chant. En B, il rend deux fois hommage aux Creation, avec «Painter Man» et «Makin’ Time», deux covers inspirées et somptueuses à la fois. Il finit avec deux leçons de minimalisme : le minimalisme estudiantin (avec «Psychedelic Holiday», envoûtement garanti), et le minimalisme cockney, plus punk que punk (avec «14th Floor» - na na na I’ve really got to really go.)

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             C’est l’époque où Ed Ball prend ses distances et Joe Foster prend le groupe en charge. Il prend même carrément en charge l’aventure du quatrième album, The Painted World, qui a un parfum plus velvetien. «Stop And Smell The Roses» aurait pu se trouver sur l’un des trois albums du Velvet. D’ailleurs, quand on voit la pochette, on pense tout de suite au Velvet. C’est l’esthétique. Ils rendent aussi hommage à Dylan avec «A Sense Of Belonging», qui sonne comme un hit softy-softah. Hommage à Nico avec «Say You Won’t Cry». On croit aussi entendre les Byrds. En B, ils piquent une belle crise avec ce «You’ll Have To Scream Louder» monté sur le bassmatic entreprenant de Joe Foster. S’ensuivent des cuts incroyablement solides : «Happy All The Time», «Paradise Estate» et «Back To Vietnam» qui font de cet album l’une des pierres blanches de l’histoire du rock anglais. Berton indique que le titre de l’album est emprunté à Tom Wolfe qui dans son Painted World s’en prend à la superficialité de la critique d’art. Berton ajoute que cet album est le diamant noir des TVPs, un miracle d’équilibre et un monument d’instabilité. C’est fabuleusement bien ressenti : «Comme si Joe et Daniel avaient construit un château de cartes avec tout ce qui ronge la vie sociale : la solitude, le désordre mental, le manque d’affection, la guerre et l’écroulement du royaume.»

             Puis c’est au tour de Joe Foster de lâcher l’affaire. Les TVPs continuent en trio pendant un bon moment, avec Jeff Bloom au beurre et Jowe Head au bassmatic. Étant donné que Jowe Head est un vétéran de toutes les guerres, il peut improviser et chanter quand Dan disparaît, ce qui se produit régulièrement, lors des tournées. Berton recrée l’illusion des premiers chapitres psychédéliques avec l’épisode Nico. Il entre dans les détails et ça devient fascinant. L’épisode se déroule en mai 1982, les TVPs doivent jouer en première partie de Nico à Berlin. Rough Trade nous dit Berton a demandé aux Blues Orchids d’accompagner Nico sur scène. Alors les Blue Orchids, ce n’est pas n’importe qui : deux anciens Fall (Martin Bramah et Una Baines) et un groupe baptisé Blue Orchids par John Cooper Clarke qui allait, ajoute Berton, partager un peu plus tard la vie et la seringue de Nico sans pourtant, précise lui-même Clarke, partager son lit. Big Berton is on fire ! Il nous emmène en plein cœur d’un mythe, il relie le Velvet à Berlin en passant par Manchester. Berton décrit les Blue Orchids à table, au breakfast : «Ils ont été bien entraînés par Mark E. Smith. Il boivent de la bière au breakfast. Bramah est un peu plus âgé que Daniel, un an ou deux, mais ces mecs ont l’air parfaitement idiots. Ils ne savant pas qui est Nico. Ils demandent à Daniel : ‘C’est qui c’te gonzesse ? Jamais entendu parler d’elle.’» Bien sûr Berton profite de l’épisode pour retracer le parcours de Nico, on la voit au bras de Brian Jones, de Dylan, d’Andy Warhol et d’Alain Delon, puis on connaît la suite, l’idée de Warhol d’injecter du glamour dans les mordid songs du Velvet. Berton évoque aussi Lawrence, le leader de Felt, qui est souvent comparé à TVDan et qui comme lui, est un beau spécimen d’addict. Et comme TVDan, il n’est pas non plus affamé de succès. L’underground lui suffit.

             Sur son label Whaam!, TVDan fait la promo des Marine Girls, mais aussi des Pastels et de Doctor & The Medics. Berton évoque alors cette tendance pop de l’époque, la twee pop, dont les têtes de gondole sont les Marine Girls, les Young Marble Giants, The Field Mice, Belle & Sebastian et Beat Happening qui eux sont américains. Pourquoi twee pop ? En raison d’une certaine forme de naïveté affichée.

             Nouvel épisode spectaculaire : l’épisode Nirvana. On connaît les goûts de Kurt Cobain pour les légendes de l’underground : Meat Puppets et les Vaselines d’Eugene Kelly. Les TVPs en font aussi partie. Nirvana arrive en Angleterre pour une tournée et demande à ce que les TVPs jouent en première partie d’un concert à l’Astoria. Nirvana n’a pas encore explosé et TVDan ne sait rien du groupe. Berton s’amuse alors avec les spirales, celle de Nirvana qui va vers le haut et celle de TVDan qui va vers le bas. Mais si leurs spirales vont dans des directions opposées, Kurt et TVDan ont deux sacrés points communs : leur goût de l’indépendance artistique et l’addiction - Le destin de Treacy était déjà scellé, alors que Cobain se rapprochait chaque jour du sien, quittant l’inconfort de l’anonymat et du manque de reconnaissance pour une cage dorée et une surexposition mortelle - Oui, TVDan est déjà dans l’héro et Kurt drugs himself to oblivion. Mais comme le dit si bien Berton, les TVPs sur scène à l’Astoria, devant un public de gosses affamés de grunge, ça ne marche pas. On les siffle. Piss off ! Un mec leur crie «Fuck off» à quoi TVDan répond «Fuck off yourself !». Puis Berton nous emmène dans le backstage et là on voit Kurt qui vient féliciter TVDan. On assiste à une nouvelle scène magique : Kurt dit à Dan qu’il aime beaucoup sa version de «Seasons In The Sun». Il lui dit même que c’est sa chanson favorite. Une chanson de Terry Jack. Puis il demande à TVDan s’il connaît la B-side du single de Terry Jack. TVDan se marre : «Put The Bone In» ! et il commence à la chanter. Kurt est scié. Alors Berton ressort le Grand Jeu : «Une chance sur un million que deux personnes qui ne se connaissent pas puissent parler de la B-side du single d’un obscur artiste canadien, paru 17 ans auparavant.»  

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Comme TVDan a besoin de blé pour sa dope, il commence à sortir des albums un peu partout. Chocolate Art, le premier d’une longue série d’albums live, permet d’apprécier la bête sur pieds, comme on dit chez les maquignons. TVDan pousse la rachitisme dans ses retranchements et propose un rock tragiquement anémique. Les chœurs de chauve-souris qu’on entend dans «Kings And Country» font bien rigoler. Les versions de «Look Back In Anger» et de «La Grande Illusion» sont comme qui dirait décousues. Dès qu’il monte un peu haut, TVDan chante faux. Ils parviennent à faire sonner «When Emily Cries» comme un cut des Byrds. Il règne sur cet album un gros parfum d’anarchie. Mais rien à voir avec Ravachol.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Privilege est certainement leur album les plus connu. Jolie pop-song à caractère lumineux, «Paradise For The Blessed» fut un hit dans les années 80. TVDan soigne aussi les arrangements de «Conscience Tells Me No». Il revient à ses chères célébrités avec «Salvador Dali’s Garden Party», prétexte à un délire : il improvise avec des noms d’invités - Jack Nicholson was there, Mia Farrow was there, Woody Allen was there, Dennis Hopper was there, Peter Fonda was there, Debbie Harry was there - il s’amuse comme un petit fou. Il est possible que Philippe Katerine se soit inspiré de ça pour son Barbecue à l’Élysée, car on y retrouve des invités de TVDan - Il y avait Frank Sinatra Madonna et Jean XXIII Gershwin au piano/ Et Yoko Ono/ Il y avait Woody Allen/ Il y avait Eminem/ Elvis Presley/ Charles Trénet - Puis Katerine rentre chez lui pour, dit-il, faire caca. Katerine et TVDan même combat ? De toute évidence. Et puis TVDan nous balance un gros solo psyché dans «Sometimes I Think You Know Me», histoire de rappeler qu’il n’est pas un rocker à la mormoille. Berton s’extasie et parle d’extraordinary power and richness. Privilege sort sur Fire, le label de Clive Solomon, un fan transi des TVPs. Il les as vus une centaine de fois sur scène. Fire va même devenir l’un des labels de pointe de l’Underground Britannique avec des albums de Spacemen 3, Eugenius, Blue Aeroplanes et Mission Of Burma. 

             Alors évidemment, Berton ne pouvait pas rater une occasion pareille : la Garden Party de Salvador Dali ! Il découvre que cette Party s’inspire de la fameuse Surrealist Heads Ball organisée par les Rothschild, en décembre 1972 au Château de Ferrières, avec des tas de gens issus du monde des affaires, de l’aristocratie et du showbiz. Geoffrey Ingram montre une vidéo du Salvador Dali’s Garden Party à l’auteur, on y voit Dali, bien sûr, mais aussi Audrey Hepburn. L’ambiance menace de sombrer dans un mélange de satanisme et de high-class orgy, alors bien sûr, Berton saute encore sur l’occasion pour établir un lien avec le dernier film de Stanley Kubrick, Eyes Wide Shut. Il évoque aussi le Surrealist And Oneiric Ball donné en l’honneur de Dali et de Gala à New York en 1935. Berton qui est affreusement bien documenté donne tous les détails. Franchement, on ne perd pas son temps à bouquiner son book. On se sent même un peu moins con à la fin de la journée.

             Puis TVDan entame sa petite descente aux enfers, lorsque sa relation avec sa poulette Emilie Brown rend l’âme. Dans la foulée, il perd son label Dreamworld, et comme il n’a plus un rond pour payer son loyer, le voici à la rue. Il s’en va vivre dans un squat et qualifie cette nouvelle tranche de vie d’«alternative lifestyle»

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Il existe un autre album live, enregistré en France, Camping In France. Même esprit que Chocolate Art. On y retrouve quasiment les mêmes titres, «Kings And Country», «Three Wishes», «La Grande Illusion», «David Hockney’s Diaries», la reprise de «Painter Man», «Back To Vietnam», «Geoffrey Ingram» et une solide mouture de «Salvador Dali’s Garden Party». Ils finissent sur un superbe hommage aux Mary Chain, avec «Never Understand». Un passage obligé.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Puis TVDan monte d’un cran avec un double album, Closer To God et là on ne rigole plus. Dès l’intro on sent le très gros disque. «You Don’t Know How Lucky You Are» est de l’acid freakbeat au sens fort du terme, un coup de Syd mal luné, son aigu, goutte au nez, jamais content de rien, trop psyché-moutarde, gratté à sec. «Little Works Of Art» est une vraie petite pièce sensible, admirable de distance épisodique, digne des Pastels et typique des errements d’une fin de siècle. TVDan nous chante le mal du pays avec «Coming Home Soon» - To jacket potatoes/ and cheese on toast - Encore un cut frais et rose avec «Me And My Ideas» - Hope I die before I get a suntan, histoire de se moquer de Pete Townshend - Il tartine «Honey For Bears» d’une infinie mélancolie, histoire de rendre hommage aux Mary Chain. Ampleur garantie, pure vision latérale. TVDan n’en finit plus de surprendre. Il ramène son accent cockney pour «Goodnight Mr Spaceman» - I’ve taken three e’s/ But I still can dance like Bobby Gillespie - Il chante comme un dandy cockney bien fracassé - But I don’t care/ I always wear clean underwear/ I often feel like Edward Munch - «You Are Special And You Always Will Be» sonne comme un balladif des Mary Chain, avec un beau son de basse, et TVDan en profite pour rendre hommage à Leonard Cohen - Leonard Cohen knows what I mean/ I wish I had the beauty of his work - TVDan est un mélodiste hors pair. Il revient au trip Mod avec «Not For The Likes Of Us», une étrange histoire de Mod qui tourne mal et on tombe en fin de D sur une énormité stupéfiante : le morceau-titre de l’album qui fait référence à l’enfance de TVDan. Fabuleuse pièce de psyché anticlérical balayée par des vents d’accords aigus et de wah - Hurt the child/ Then show it love/ It’s just violence in a velvet glove - On sort de ce disque en s’ébrouant comme un cheval.

             Puis TVDan rencontre Alison Withers et entame avec elle une belle aventure romantique. Ils prennent un petit appart à Acton Town in West London et TVDan commence à se relaxer un peu. Il ralentit sa conso de dope et se limite à un peu de speed quand il doit monter sur scène. Alison fait de la photo et c’est à elle qu’on doit les plus beaux shoots des TVPs. L’idylle dure sept ou huit ans, entre 1988 et 1995. Ils passent leur temps avec de bons amis, Jowe Head et puis Ed Ball qui n’est jamais loin, nous dit Berton. TVDan et sa poulette n’ont pas de blé, alors ils restent souvent à la maison et se tapent des soirées TV. TVDan devient même végétarien - Il adore plaisanter et faire l’amour l’après-midi. C’est un homme timide, mais il explore le corps de sa compagne comme il explore son manche de guitare. Daniel est un homme intelligent - Mais on le sait, tout a une fin - Life is good, but not for long. Tout est bien dit chez Berton.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Comme un malheur n’arrive jamais seul, la relation entre Jowe Head et TVDan se détériore. C’est Liam Watson, le boss de Toe Rag, qui remplace Jowe dans le groupe. Il joue aussi de la batterie sur I Was A Mod Before You Was A Mod. Le morceau titre est une sorte de punk-rock Mod âpre et teigneux monté sur un drumbeat entreprenant. «Evan Doesn’t Ring Me Anywhere» sonne comme une belle pop à la revoyure, amenée au pousse-toi-de-là que-je-m’y-mette. C’est évidemment enregistré au Toe Rag Studio. Et puis voilà la perle : «Things Have Changed Since I Was A Girl». TVDan sort son bel accent cockney pour chanter cette pièce de glam-punk ahurissante, en compagnie de Sexton Ming. Ils font les cons ensemble. Watson bat le beurre dans son coin et TVDan claque des accords dans le fond. C’est le summum de la désaille - I hate my body I hate my legs - ils montent ça en neige et créent le frisson. TVDan appartient à la caste des inventifs. 

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Encore du live bien frais avec Paisley Shirts & Mini Skirts. Sur la pochette, une belle Anglaise shoote dans un ballon de foot. C’est l’enregistrement du tout premier concert du groupe en 1980. Toujours le même cirque à base de petite pop échevelée et maladive, qui sonne parfois comme du punk infantile. On comprend que Peely ait craqué, car c’est extrêmement inspiré et monté sur des brassées d’accords de clairette. Il n’existe rien de plus dépenaillé qu’un cut comme «I Remember Bridget Riley». De plus sensé qu’«Had To Happen». De plus trash que «Girl On A Motorcycle». Et on retrouve le hit qui les a fait connaître, «Part Time Punks» et qui sonne comme du Tav Falco.

             Tu as aussi un live enregistré au Japon, apparemment, Made In Japan qui fut alors considéré comme un collector. On retrouve leur côté pruneau d’Agen vermoulu, c’est-à-dire culte ridé, le style désossé et lunatique auquel TVDan nous habitue depuis le début. C’est un rock abandonné des dieux. Il faut entendre les chœurs archi-faux sur «Baby You’re Only As Good».

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Sur Don’t Cry Baby It’s Only A Movie, les TVPs rendent hommage aux Modern Lovers avec une cover de «Pablo Picasso». TVDan est un expert de l’étrange. Avec le morceau titre, il revient à ses romances chéries - I’ll be your Gary Grant/ You can be my Cleopatra - Le hit de l’album, c’est indéniablement «Sorry To Embarrass You», power pop acide à tendance freakbeat et soutenue par des guitares de grosse capacité et des chœurs monstrueusement désaillés. Sur chaque album des TVPs se niche une perle rare. TVDan est sans doute le seul en Angleterre à savoir montrer une élégance aussi foutraque. Il revient à Syd Barrett avec «My Very First Nervous Breakdown», un cut sacrément bien déréglé.

             Puis les TVPs repartent en tournée an Allemagne, avec Sexton Ming au beurre. Ming est une figure légendaire de l’Underground Britannique, cosignataire du Stuckist Manifesto, un mouvement en faveur de l’art figuratif, pas loin de l’art naïf, précise Berton. Comme Ming a besoin de blé, il dit à TVDan qu’il est batteur, alors qu’il ne l’est pas, et décroche le job pour la tournée allemande. Les concerts sont chaotiques, mais ça ne dérange personne. TVDan et Ming picolent jour et nuit, tequila et bière. Puis une sorte d’animosité s’installe entre eux et ils sont toujours à deux doigts de se taper dessus. C’est la fin des haricots. Quand dans une interview, TVDan dit qu’il est une sorte de Godfather of independant rock, Ming l’insulte et lui dit qu’il n’est rien. «Part Time Punks», et c’est tout. Rien d’autre. Alors TVDan lui saute dessus. Bing ! Bang ! Bong ! Tiens dans ta gueule ! Berton décrit la fin de la tournée comme une atroce débâcle : les trois TVPs toussent, dégueulent et crachent dans des seaux imaginaires.

             TVDan se retrouve au trou sur un bateau-prison, l’une de ces taules réservées aux voleurs de poules et à ceux qui arrivent en fin de peine. C’est la troisième fois qu’il est condamné et envoyé au ballon. En 2004, il démarre un journal en ligne et six mois après sa libération, il annonce le come-back sur scène des TVPs, avec Ed Ball on bass - The ressurrrection of the prince of twee pop.  

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             My Dark Places paraît en 2006 et secoue bien le cocotier. «Special Chair» sonne comme une bénédiction, avec une grosse guitare en pendulum derrière la voix de fausset du dandy Dan. Nouvelle fête à la déglingue avec «All The Young Children On Crack». Il sort un incroyable son de fuzz sur «Dream The Sweetest Dreams» et sans prévenir, il balance un stupéfiant romper Moddish : le morceau titre. Jerky-fuzz motion. Énorme ! Comme s’il réinventait le Mod craze et derrière lui, ça bat la chamade. TVDan montre une fois de plus son infernale supériorité. Retour de cockney Dan avec «They’ll Have To Catch Us First», un vrai pulsatif trompetté et bouillonnant d’énergie. TVDan chante dans l’auberge espagnole des dieux du stade. Encore de la pop énorme avec «She Can Stop Traffic», hit Mod télévisuel chanté à la dandy fashion, dans l’esprit de ce que font les Pastels. Nouvelle preuve de l’existence du Dieu Dan. Berton pense que l’album est à la fois un succès et un échec. Il voit TVDan fragilisé. Mais toujours extraordinairement sincère.  

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Paraît la même année un autre album étonnant : Are We Nearly There Yet ? Histoire de faire fuir les curieux, il démarre avec une comptine enfantine et plonge son monde dans une sorte de psyché demeuré. Il tape ensuite «The Peter Gabriel Song» à la petite ramasse. Il vise le far-out, loin des repères ordinaires. Il fait certainement ce qu’aurait fait Syd Barrett, si Syd avait continué à pondre ses œufs d’or. Étrange clin d’œil à Eminem avec «The Eminem Song» - I’ve been down on smack/ High on crack - il fait son rapper de l’East End avec un accent cockney voilé  - My name is DAN/ D/ A/ N - Puis il revient à ses premières amours avec «I Got Scared When I Don’t Know Where You Are», une jolie pop-song montée sur un bassmatic pouet-pouet et claquée à l’accord clair comme de l’eau de roche. TVDan cultive une science du son qui semble s’affiner d’album en album. Ce qu’il faut comprendre à travers ça, c’est qu’il ne fait jamais n’importe quoi. Il travaille le vieil esprit Moddish de l’ère psyché. Il recherche l’exotisme hypnotique. Ça reste un mélange surprenant d’inventivité et de m’en-foutisme éhonté. Nouvel hommage bizarre, cette fois à John Coltrane, puis retour aux Who avec «My Brightside» : ça sonne comme les Who en 1963. Effarant ! C’est pour ça qu’on adore TVDan. Il sait attaquer au débotté - Ah Mr Brightside ! - Avec un son amplifié à la fièvre jaune. TVDan, c’est les Who - I miss my Brightside - TVDan Treacy chante en cockney et écrase le calumet de la paix à coups de godillots. Il est LE punk. Full Time Punk.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Le dernier album en date des TVPs s’appelle A Memory Is Better Than Nothing. On est tout de suite frappé par l’ironie qui se dégage du titre de l’album. Ça doit faire maintenant trente-cinq ans que TVDan joue avec nos nerfs. C’est un album fantastique, la preuve par neuf que ce mec fait partie des géants du rock anglais, mais il ne faut jamais perdre de vue qu’il peut agacer par son amoralité corporatiste. Le morceau titre est une remarquable pièce d’acid pop. TVDan tape au cœur de la cocarde Mod, en plein Mod craze, avec un son trash unique au monde. Il est plus fort que le Roquefort. Ses amis envoient des chœurs à la volée, n’importe comment, mais l’ensemble tient vraiment bien la route. On pourrait qualifier ça d’intimisme punky. Il répète bêtement son leitmotiv et le cut s’arrête sans prévenir. Une façon comme une autre d’exprimer le vanité de tout. Un souvenir vaut mieux que rien du tout, répète-t-il. C’est ainsi qu’il voit la fin des haricots. Ce qui ne l’empêche pas de revenir avec un balladif superbe, «The Girl In The Hand Me Down Clothing». On sent le vétéran revenu de toutes les guerres. «She’s My Yoko» est aussi un balladif de rêve. Ce mec a du génie, n’ayons pas peur des mots. Il se montre à la fois traînard et puissant. Ça joue de l’orgue et ça gratte par derrière. TVDan met un peu de gravité dans son timbre - Yes or no she’s my Yoko/ Please don’t go you’re my Yoko - Puis il nous gratte un gros «Walk Towards The Light» à coups d’acou et fausse ensuite sa voix pour partir à la dérive avec «Funny He Never Married». On sera frappé par la profondeur d’«Except For Jennifer». Il chante dans son coin. L’écoute qui veut. Nouvelle bizarrerie avec «People Think That We’re Strange». TVDan s’amuse avec des machines. Il envoie son boogie des clochards. Mark E. Smith serait-il allé si loin dans la désaille ? Va-t-en savoir. TVDan a dix ans d’avance. Il le répète : les gens pensent qu’on est bizarres. Il en joue. Gros son, cut bien bordé. Pur genius. Il ressort son accent cockney pour «My New Tattoo» et fait sauter la sainte-barbe. Il est monstrueux de prestance gaga. Il claque l’East End gaga avec de gros effets de guitare. On prenait les TVPs pour les brêles, mais c’est nous les brêles, TVDan fait tout simplement la suite des Who et de Syd Barrett. TVDan is the beast ! Il passe un solo de déglingue pure dans le désastre d’un bassmatic abandonné, il erre dans son no man’s land. Dan Treacy résiste encore. Espérons qu’il ne renoncera jamais.

             Bon, c’est pas gagné. Berton indique que TVDan survit à trois overdoses qui ressemblent à des suicides ratés. Les TVPs montent une dernière fois sur scène en 2011. TVDan devait participer à un tribute à John Peel, mais apparemment il s’est fait démonter la gueule, Berton ne sait pas trop. Le voilà à l’hosto. Il est ratatiné, avec un caillot au cerveau qu’il faut opérer. Alors Berton imagine une dernière scène magique : Geoffrey Ingram emmène l’auteur rendre visite à TVDan, qui vit maintenant dans une maison médicalisée à la campagne. Pour Berton, c’est une occasion en or : «Si vous considérez qu’il vaut mieux être vivant que mort, alors force est d’admettre que la fin de vie de Daniel Treacy est à l’image de son œuvre, modeste, tragi-comique et tout sauf spectaculaire : l’obscur leader spirituel du rock indépendant condamné à une mort sinistre, suite à des problèmes de santé. Loin des yeux loin du cœur, le chanteur qui aimait tant disparaître finit oublié de tous.» Berton rend ici hommage à l’humour acidulé de TVDan. C’est un exploit littéraire qu’il faut saluer. Il fait même dérailler cette scène finale en concluant que le TVDan que l’emmène voir Geoffrey Ingram n’est pas le vrai TVDan. Après l’humour acidulé, le fantastique Shelleyien.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Il reste encore des choses à écouter, tiens comme ce Beautiful Despair enregistré en 1990 et publié en 2018, presque trente ans plus tard. Ne serait-ce que pour le morceau titre, délicieusement décadent et même désespéré. Du pur TVDan. Le cockney revient avec «Love Is A Four Letter Word», véritable TV shoot de heavy pop. Il s’y délecte à coups de nïce et de paradïse. Quel bel album, tout y est délicieusement délié, avec notamment l’«If You Fly Too High» qui semble sortir tout droit du White Album, et dédié à Alan McGee. Il faut aussi entendre TVDan gratter «Hard Luck Story Number 39» à l’acou de Dead End Street. TVDan chante sa pop sans aucun espoir. Jowe Head l’accompagne. En B, on tombe sur «Goodnight Mr Spaceman», une petite pop cockney chantée au mieux des possibilités. Encore une pure merveille de heavy pop avec «I Like That In A Girl». TVDan sait rendre la pop fascinante, il sait recréer le merry-go-round des sixties. Il fait aussi un grand numéro de funambule avec «Suppose You Think It’s Funny» qu’il chante à l’angle de la sérénade.

             Dans son fanzine Communication Blur, Alan McGee raconte comment Dan Treacy concevait un set des TVPs : 40 personnes sur scène qui, pendant que le groupe jouait, distribuaient des drogues, des bananes et du café au public, projetaient des films amateurs, peignaient des toiles, lisaient des poèmes et à la fin du set, TVDan sciait sa Rickenbacker en deux, comme le fit Tav Falco à Memphis.

    Signé : Cazengler, Television Penibility

    Benjamin Berton. Dreamworld: The Fabulous Life Of Dan Treacy. Ventil Verlag 2022

    Television Personalities. And Don’t The Kids Just Love It. Rough Trade 1980

    Television Personalities. Mummy Your Not Watching Me. Whaam! Records 1982

    Television Personalities. They Could Have Been Bigger Than The Beatles. Whaam! Records 1982

    Television Personalities. The Painted Word. Illuminated Records 1984

    Television Personalities. Chocolate Art. Pastell 1984

    Television Personalities. Privilege. Fire Records 1990

    Television Personalities. Camping In France. Overground Records 1991

    Television Personalities. Closer To God. Fire Records 1992

    Television Personalities. I Was A Mod Before You Was A Mod. Overground Records 1995

    Television Personalities. Paisley Shirts & Mini Skirts. Overground Records 1996

    Television Personalities. Don’t Cry Baby It’s Only A Movie. Damaged Goods. 1998

    Television Personalities. My Dark Places. Domino 2006

    Television Personalities. Are We Nearly There Yet ? Overground Records 2007

    Television Personalities. A Memory Is Better Than Nothing. Rocket Girl 2010

    Television Personalities. Beautiful Despair. Fire Records 2017

     

    *

    Dans notre chronique 561 du 26 / 07 / 2022 nous présentions le premier EP de Telesterion, nommé An ear of grain in silence reaped, or voici que le groupe projette pour les mois de mars et de septembre ( 2023 ) de faire paraître toute une série de titres dont les sorties successives correspondront aux dates antiques durant lesquelles les Mystères ( les petits et les grands ) d’Eleusis étaient célébrés. Nous en reparlerons, ces procédés de reviviscence des cultes antiques dans la Grèce moderne nous intéressent vivement. Ceux qui ont lu Le serpent à plumes de D. H. Lawrence seront à même de comprendre les implications opératoires de telles prédilections.

    En attendant la proximale réalisation de cette annonce, nous nous penchons avec intérêt sur les deux dernières productions de Telesterion parues en septembre et décembre 2022.   

    HOUSE OF LILIES

    TELETESRION

    ( Septembre 2022 )

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

    La pochette peut sembler anodine. Une fresque assez banale, un mur devant lequel se distinguent deux murets, l’on ne sait s’ils cernaient un bassin ou un parterre de fleurs. A moins qu’ils ne soient de simples bancs pour s’asseoir et discuter.  Ce qui est indiscutable c’est la présence des lys. Ce sont d’ailleurs eux qui ont donné son nom à la maison dont seule subsiste cette fresque et qui a été victime d’un incendie vers 1500 avant notre ère.  Elle est actuellement conservée au Musée Archéologique d’Héraklion.

    Ce seul nom fait frémir, Héraklion se situe en Crète et c’est sur son territoire que se trouvent les ruines d’un célèbre palais, celui de Knossos, détruit par une éruption volcanique, lieu mythique par excellence, quelques noms suffisent à raviver les mémoires défaillantes, Minos, Pasiphaé, Minotaure, Dédale, Icare… Nous en rajouterons deux, Thésée qui tua le Minotaure et put ressortir du labyrinthe dans lequel le monstre était enfermé grâce au peloton de ficelle qu’Ariane, fille du roi, lui avait procuré…

    Nous en savons maintenant assez pour tirer sur le fil de notre imagination et essayer de comprendre ce qui se passe dans les trois titres – ils forment un véritable triptyque – de cet opus.  Nous conseillons de lire d’abord les trois textes en orange, puis les trois textes en vert, et enfin les trois textes en bleu. Mais chacun fera ce qu’il voudra.  

    The mistress : un son qui évoque les nuages de poussières soulevées par l’explosion du volcan  du Santorin, comme si ce qui parvenait à nos oreilles venaient de loin, mais une fois passé cette sensation d’étouffement auditif, nous comprenons que ce qui se dévoile à nous relève d’un passé prestigieux, que nous sommes plongés en une histoire prodigieuse et qu’il faudra regarder sous la violence des coloris de cette grande geste qui nous est racontée pour en deviner le sens secret. Les trois figures féminines ne désignent qu’une seule et même personne. Chacun des titres évoquent un seul de ses aspects. Maîtresse, jeune fille, mère. Nous pouvons prononcer son nom Ariane. Elle est un peu la figure oubliée de la légende minoenne, pourtant elle en détient le principal mystère, très loin de toute anecdote. Elle est la maîtresse de Thésée qui l’abandonnera, mais Dionysos la recueillera pour sa beauté, Partagera-t-elle la vie du Dieu jusqu’à la fin sans fin de ses jours immortels, où sera-t-elle transpercée par une flèche mortelle tirée sur l’ordre de Dionysos par Artémis, la déesse des jeunes filles. The maiden : la même musique, normal puisque les trois morceaux racontent la même histoire, mais ici elle est plus violente, des clameurs de guetteurs, le chœur qui prophétise l’horreur, et un tsunami de batterie chevauche une vague monstrueuse dont les eaux furieuses déferlent sans fin, elles passent, elles détruisent, elles recouvrent tout, elles emportent les morts et les vivants, et le fléau cesse encore plus brutalement qu’il n’a commencé. Avons-nous seulement le temps de réfléchir, subjugués par une telle beauté. Jeune fille la force vitale de la jeunesse, la beauté, le sang, la fougue, les palpitations de la chair, le flot impétueux des désirs que rien ne retient, qui courent telles des cavales déchaînées ivres de liberté et d’accomplissement. Rien ne saurait s’opposer à cette fureur, hymne à la joie et à la vie. Seul un Dieu était digne de la beauté d’Ariane. L’a-t-elle rendu jaloux pour avoir été amoureuse de Thésée, que sont les lys blancs de la fresque confrontés aux lys rouges, la blancheur est-elle celle des ombres que nous devenons lorsque nous sommes morts, et le rouge évoque-t-il la lymphe triomphale et inaccessible des Dieux. The mother : sonorités tintantes d’une geste héroïque que l’on pressent grandiose, même si ici parmi ces tentures chorales assourdissantes et incompréhensibles l’on comprend que l’on atteint à une sorte de plénitude métamorphosale, distinguons un rythme processionnel mais tout se précipite une dernière fois avant que le son ne décroît lentement. De quoi s’agit-il au juste, Reprenons nos esprits. Une autre version conte qu’Ariane aura donné des enfants à Dionysos, mais si l’on regardait cette histoire par le petit bout de la lorgnette, si ce n’était pas Ariane qui était intéressante, si elle n’était qu’une réplique de Dionysos, car Dionysos aussi a connu la mort, n’a-t-il pas été déchiré par les géants, et n’est-ce pas Zeus qui a réuni les lambeaux de chair dispersées et donné l’immortalité en cadeau. Que nous disent ces belles histoires, que nous cachent-elles, comment les interpréter sinon en les lisant comme le secret même de l’immortalité, les Dieux ne sont que des figures conceptuelles, une mère meurt mais survit en ses enfants, comme la graine dans la terre qui se détruit elle-même en donnant naissance à une nouvelle plante. Nous retrouvons-là un des enseignements d’Eleusis. ( Voir notre chronique sur l’EP DE Telesterion dans notre livraison 561 )

     

    ECHOING PALACE

    TELESTERION

    (Décembre 2022 )

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

    Comme pour An ear of grain in silence reaped  l’on retrouve en couverture une séquence de la fresque de la villa des Mystères de Pompéi.

    Le titre nous renvoie au palais de Knossos, ils sont d’ailleurs d’une facture similaire mais la pochette nous présente deux jeunes femmes, et nul besoin d’être titulaire d’un master de mathématiques pour s’apercevoir qu’il n’y a que deux morceaux. Faisons comme si chacun des deux titres était une transcription musicale des pensées de ces deux êtres féminins.

    Il faudrait savoir mais nous ne le saurons jamais, ces portraits sont-ils des inventions de l’artiste où les deux dames de la maison ont-elles servi de modèles. A-t-on pensé à  comparer la fresque de la villa des Mystères avec les portraits du Fayoum, l’on répondra que ce sont deux moments historiaux qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre, toutefois ils possèdent un sacré trait d’union, la représentation des deux faces de toute existence : le recto de la vie, le verso de la mort. L’on a l’habitude de regarder les images comme des compositions qui voudraient signifier quelque chose de précis. Mais entrer dans les figurines et les écouter relève au gré des scientifiques, ce que nous ne sommes point, de la folie la plus absurde.

    Echoing palace : dès les premières sonorités une évidence s’impose  - il en sera de même pour le morceau suivant – l’instrumentation et les chœurs s’inscrivent dans la continuité lyrique des deux précédents, à une différence près, l’on dirait que la musique est ici plus renfermée sur elle-même, The house of lilies est une évocation extérieure du monde, ce qui ne nuit nullement à son aspect ésotérique,  nous entrons en quelque chose de plus intime, dans la pensée de la dame à sa toilette, certes si l’on se fait belle c’est que l’on envisage de séduire le monde extérieur, l’on se soucie du regard des autres, quels conseils chuchotent les chœurs de sa voix intérieure à l’oreille des désirs de notre belle dame. Vers qui escompte-t-elle tourner les appâts de sa beauté. Qui veut-elle séduire, à quel Immortel désire-t-elle s’offrir… Ne sommes-nous pas dans la villa des mystères… Quels sont les actes rituelliques de l’initiation suprême. Echoing palace 2 :  le ton est plus grave, nous changeons de sujet, la coquette cède la place à la penseuse, ne serait-ce pas la même personne, avant et après, entre ces deux moment s’est déroulé le rituel, celle qui attendait l’Innommable n’espère plus, peut-être même n’espère-t-elle plus rien, elle a vu, elle a su, elle a entendu, elle a connu elle pose un regard fatigué sur le monde, le temps de l’innocence et de la quête est terminée, son regard se voile d’une tristesse indicible, n’est-elle pas déjà de trop en ce monde, elle est là posée, telle une stèle épigraphique sur le chemin, beaucoup s’arrêteront, la regarderont, ne déchiffreront rien et passeront, alors qu’elle est la réponse à ceux qui cherchent, sur ce chemin, qui tourne sur lui-même comme le serpent qui se mord la queue pour rester dans son éternelle présence.

    Grandiose et splendide.

    Damie Chad.  

     

    *

    De temps en temps je tape Poe, ou Edgar Poe, ou Edgar Allan Poe, sur le net, je pêche au hasard ( Poebjectif ), avec Poe l’on ramène souvent quelque chose dans ses filets, cette fois-ci, un groupe de rock, deux membres résidant dans l’ouralienne région de Russie.

    Alexander I : bass guitar, steel sheets, spiral spring  / Kein Necro : samples, synthés.

    Entre l’un qui se voit un destin impérial, et l’autre qui a déjà rédigé sa nécro, nous sommes entre de bonnes mains, l’on ne s’attend peut-être pas à l’ange mais pour le moins au bizarre. Depuis 2003 Zinc Room a déjà produit onze albums. Celui-ci consacré à Poe est inclus dans une trilogie dont le premier volume porte sur Lovecraft, nous voici en bonne compagnie. Je n’en veux pour preuve que le titre d’une de leur précédente production : The house on the edge cemetery, simple mais terriblement efficace.

    Le principe de l’album est des plus simples, chacun des neuf titres évoque une nouvelle de Poe. Ne dites pas que la vôtre n’est pas là, ou pire quel bonheur ils ne l’ont pas oubliée, ce serait le signe que vous n’avez pas compris grand-chose à Poe. Chacune des nouvelles de Poe est le fragment d’un puzzle mental que l’on se doit d’assembler et de réassembler comme le jeu des perles de verre de Hermann Hesse.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

    La pochette du CD est très réussie, l’artwork est de Kein Necro, elle ne montre rien, elle suggère, chacun y verra ses propres phantasmes. Pour ceux qui n’aimeraient pas se regarder dans cet obscur objet de leurs désirs craintifs refoulés, Kein Neco est sympa, vous offre une seule image, claire, nette et précise ( presque ) dans une sombre forêt l’entrée d’un tombeau seigneurial  vous attend. Une image qui ne déparerait pas pour illustrer un conte de Stéphane Mallarmé ou de Villiers de l’Isle-Adam. Pensons à Igitur, ou à Véra.

    POE

     ZINC ROOM

    ( Dead Evil Production / 2020 )

     

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

    The murders in la rue Morgue : une nouvelle policière si l’on préfère, mais à lire comme un diagramme raisonné du fonctionnement du raisonnement humain. Relisons Monsieur Teste mais aussi Agathe ( Le manuscrit trouvé dans une  cervelle ) de Paul Valéry et intéressons-nous aux développements actuels de l’intelligence artificielle puis imaginons notre conteur en joueur d’échecs pour mesurer combien  Edgar Poe  avait de coups d’avance sur notre modernité… Coups de semonces hyper violents, l’horreur déboule à toute vitesse, un ruissellement d’énigmes tombe sur vous, des élingues sonores peut-être en imitation des  hurlements des victimes nous assaillent si vite que l’on comprend que personne ne pourrait arrêter cette férocité animale en pleine action… l’on arrive à une saturation sonore difficilement supportable, suivi d’un bruit de scies mécaniques sifflantes de l’esprit qui désincarcèrent le mystère jusqu’à ce qu’il n’en reste plus une once. The tell-tate heart : ( Le cœur révélateur ) : histoire fantastique de l’assassin qui se dénonce lui-même, existe-t-il une cloison entre folie et intelligence, ou alors n’est-on trahi que par soi-même, les petits esprits parleront de remords, j’évoquerai plutôt la chambre close du solipsisme : évidemment ils ont opté pour les battements du cœur, mais pas comme on l’attendrait, pas la pulsation régulière que rien ne saurait arrêter, non ça cliquette de tous les côtés, dans tous les sens, des idées qui s’entrechoquent dans une boîte crânienne, ce muscle cardiaque ne bat pas il galope, il ignore la ligne droite, il est ici et il est là, il est partout en même temps, le voici énorme, éléphantesque, il grandit, il grossit, il mange le monde, il dévore l’univers, il stridule, il éjacule à flots ininterrompus, les digues de la raison cessent, le cargo de la mort et le paquebot de la folie unissent leurs sirènes. The premature burial : pire que la peur de la mort, la peur d’être enterré vivant. Une des nouvelles les plus terribles de Poe, peut-être parce qu’elle se termine bien : note funèbre qui vous assaille et qui ne vous lâche plus, une espèce de mouche tsé-tsé définitive qui tourne dans votre tête, dont les ailes cymbaliques vous cisaillent les neurones, l’angoisse s’engouffre dans votre gorge, elle vous envahit,  agite  de soubresauts désespérés votre corps, serez-vous le seul à entendre vos borborygmes de pantin désarticulé   telle une marionnette malmenée par les cordes inexorables que le marionnettiste que vous êtes emmêle à déplaisir pour mieux vous ligoter pour l’éternité. Vous respirez lorsque le morceau se termine. Cataleptique ! The back cat : le même thème que Le cœur révélateur mais ici on assiste à tout le processus de la folie qui s’installe peu à peu et qu’il est impossible au narrateur de conjurer, l’alcool ne l’aide pas, avec en plus cette présence du chat(s) noir(s) symbole reproductif de l’Inévitable fatum : aux premiers tintements l’on se dit que le groupe ne s’est pas nommé la chambre de zinc par hasard, par la suite l’on est enfermé dans une cloche de plomb soumis à un bombardement d’irradiation atomiques, serions-nous le chat noir de Shroëdinner pris en otage dans une expérience de la dichotomie temporelle, stridence de miaulements recouverts par des déflagrations imparables, priez pour vos propres oreilles, le morceau dure dix minutes et si vous allez jusqu’au bout vous risquez d’en être marqué pour le restant de vos jours, s’il vous en reste, entendez le noise comme une noire araignée géante qui s’accroche de ses huit pattes velues comme une ventouse suceuse de votre sang, votre martyre ne s’achèvera donc jamais, la mort se colle et ne vous quitte plus. Effrayant. The oval portrait : ( 1842 ) :  à mettre en relation avec Le chef-d’œuvre inconnu d’Honoré de Balzac : au bas mot une histoire de vampirisme artistique, à son plus haut degré une réflexion de Poe sur sa propre existence : Moins de bruit, moins de boucan, le décor du conte s’y prêterait, mais non Zinc Room, ne nous laisse aucune échappatoire, du conte ils ne retiennent que sa plus intolérable noirceur, ont-ils compris que l’histoire n’est pas racontée jusqu’au bout, qu’elle se termine comme une décapitation, parce que si on essaie de la continuer logiquement ne  s’offrent à  nous que  l’hypothèse de suites plus cruelles les unes que les autres, ils ont ouvert la porte dérobée du gouffre et leur musique se retrouve du côté de la force ou de la farce la plus noire.  The pit and the pendulum : un des contes les plus célèbres de Poe, il est dommage que la fin soit bâclée en six lignes par l’intervention d’un deus ex machina salutaire, dans La torture par l’espérance Villiers de l’Isle-Adam a machiné un finale à la hauteur de l’angoisse suscitée par les vingt premières pages de Poe : tubulures caverneuses, les  ailes noires du pendule se précipitent lentement vers l’ignominique destin, la Mort s’amuse-t-elle avec une faux d’un nouveau genre, l’on entend le souffle de l’air déplacé par le corbeau de l’angoisse, nous voici dans le cortex rétracté du supplicié, jusques là Zinc Room reste dans l’harmonie imitative, l’on n’entend plus que le balancier qui descend imperturbablement, mais une fureur endémique se déploie, serait-ce l’incendie terminal. De toutes ces mises en musique des nouvelles de Poe celle-ci est la moins probante, trop près du texte dont elle ne semble proposer que la lecture de sa première moitié. The descent into the maelström : dans ce chef-d’œuvre absolu se mêlent deux thèmes consubstantiels au génie de Poe, une fascination de l’abîme qui confine à une curiosité prométhéenne métaphysique et la puissance démonique de l’esprit humain :  une terreur tourbillonnaire en une seconde nous voici sur l’esquif penché sur l’abîme, encore plus effrayants ces grondements qui semblent provenir du fin fond de l’abysse, mille trompes de vaisseaux engloutis qui résonnent comme si les râles de détresse étaient restés prisonniers de l’élément liquide, l’on tourne sans fin en une spirale prodigieuse, plus on se rapproche du centre plus le bruit s’amplifie, l’on se dit que ce morceau pourrait aussi bien servir pour la bande-son d’un film de science-fiction contant la mésaventure d’un vaisseau spatial aspiré par un trou noir, n’oublions pas toutefois que cette descente dans le maelström n’est que l’image poétique d’une descente au fond de l’esprit humain. Morella : réincarnation ou retour du même, ce conte soulève davantage de questions qu’il n’en résout, est-ce par hasard si dans ces lignes Poe révèle ses lectures de la branche philosophique du romantisme allemand, soyons curieux de la manière dont Zinc Room traduira la douce quiétude qui émane de ce court récit : joue sur les résonance et les échos d’une chose, imaginez celle que vous voulez qui se perpétue, renaissant de ses cendres à chaque millénaire et s’enfuyant vers l’immortalité, la musique est effrayante mais elle ne fait pas peur, elle attire, elle séduit, un marécage dans lequel vos rêves s’engluent lentement, sans doute parce que nous sommes pas assez affirmés pour mériter de renaître à nous-mêmes. The fall of the house of Usher : un must poesque. La proximité avec Balzac est probante, une communion d’esprit, tous deux ne furent-ils pas des lecteurs de Swedenborg,.. Ce conte repose sur la créance pythagoricienne en l’unité des trois règnes de la nature, ainsi il y aurait la possibilité d’une osmose opératoire entre le monde minéral et la bête humaine. Une idée chère à Poe, que la destinée individuelle s’inscrit pour certains êtres dans le destin d’une généalogie, contrairement à l’Igitur mallarméen dans cette nouvelle de Poe ce n’est pas le héros terminal qui clôt la geste généalogique mais les murs de pierre de la Maison Usher. Le lecteur se reportera aussi avec bénéfice au sonnet Vers dorés de Gérard de Nerval : commencent par la fin, par la chute, par l’effondrement de la maison Usher, se complaisent dans ce moment qui clôt la nouvelle, il est des images mentales ou sonores qu’il est bon de passer au ralenti pour mieux goûter à cette sensation de l’inexorable, cette chute ne la vivons-nous pas chaque jour puisque nos fondations les plus solides sont fissurées par cette mort insidieuse qui nous attend, et une fois mort ce n’est pas encore fini puisque notre corps subira aussi procédés de putréfactions et de disparition. Zinc Room édifie une espèce de sablier sonore que l’on écoute s’écouler et s’écrouler avec fascination, et nous rappelle que la Maison d’Usher n’est que notre miroir, et comme nous n’aimons pas nous regarder dans son eau glauque, le son nous transperce et nous envahit sans pitié.

    Cet opus est un chef-d’œuvre terrifiant. Digne d’Edgar Poe.

    Damie Chad

     

     

    ANOUSHKA

    PATRICK EUDEKINE

    ( Le Passage Editions / 2020 )

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

    Une belle couve signée d’Octave Anders. De loin dans ce lot de bouquins disparates je ne voyais qu’elle. M’attendais pas un livre sur le rock, qui plus est un roman de Patrick Eudeline. Je prends, avec Provins privé d’internet, et ses librairies dépourvues de livres, les soirées risquent d’être longues.

    Bref j’ai lu. Pas content, mais pas mécontent non plus. Un policier, suffit de se laisser porter par le récit, suit sa pente naturelle, ne vous file pas non plus l’impression d’être sur un bateau ivre. Pas de véritable affaire, le véritable sujet c’est le mouvement punk. Attention, musicalement c’est assez maigre, quelques titres de disques par-ci par-là et c’est tout. En plus l’on n’est ni à New York, ni à Londres. Juste à Paris. Rétrécissons la focale. Dans la mouvance punk, entre 1975 avant le début et 1982 après la fin. Toute une époque, mais un tout petit milieu.

    Y a deux héros. Simon qui raconte l’histoire à la première personne. De temps en temps il croise le second qui ne joue aucun rôle, qui ne participe même pas à l’action. Un certain Eudeline. En fait c’est lui le sujet du roman. Non il n’a pas la grosse tête, ne tire pas la couverture à lui. Simon lui sert de paravent. Lui permet de faire le bilan du mouvement. Négatif.

    N'y va pas de main morte. Ne parle pas du punk, mais des punks. Pas de tous. De ceux issus de la bourgeoisie aisée. Très aisée. Des fils et des filles de bonnes familles qui ont dérivé. Qui se sont affranchis de leurs parents, qui ont mis leur révolte dans la musique (un peu) et la dope ( beaucoup). Z’ont un sacré filet de sécurité derrière eux, certains s’en servent quand les gros ennuis surgissent… Ne les critiquons pas que ferions-nous à leur place si notre papa ou notre maman était plein aux as…

    Bon parlons d’Anoushka, c’est-elle l’héroïne, manque de chance elle a disparu. Tout le monde la cherche, même la police, sauf elle. Le lecteur la retrouve après la fin du bouquin. Dans l’épilogue. Littérairement c’est assez maladroit, assez mal construit. Dommage, car c’est la seule qui reste fidèle à ses principes. Un bien grand mot. Vit au jour le jour. Trouve toujours un plan de secours en réserve pour arriver au lendemain. Elle assure, sans foi, ni loi, ni toit. Elle se débrouille bien. Prête à tout et prête à rien. C’est ce dernier mot qui la résume le plus. Une nihiliste qui ne croit même pas au nihilisme. Comment cela finira-t-il, elle ne se pose même pas la question. Elle mord à pleines dents, ni dans la vie, ni dans le sexe, ni dans la drogue, mais dans le rien, dans le vide…

    Les lecteurs pointilleux feront remarquer que 1982 c’est un peu excessif pour le punk. Eudeline le sait très bien, l’explique comment le punk est remplacé par les jeunes gens modernes, mais il n’articule pas le pourquoi, à vous de trouver le point de jointure sociologique, l’est très simple lorsque l’on n’a pas dépassé le nihilisme il ne reste plus qu’à faire marche arrière et s’ériger au plus vite de nouvelles valeurs, c’est la seule manière de trouver une planche de salut dans le nihilisme, car le nihilisme c’est encore une valeur. Il en est des valeurs bourgeoises comme des valeurs prolétariennes.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 19 ( Rébarbatif  ) :

    96

    Les pas se rapprochent. Derrière la porte je suis prêt à toute éventualité, sur le palier une voix juvénile claironne :

              _ Damie ne me fais pas attendre !

    La porte s’ouvre impétueusement, je n’ai pas le temps d’esquisser le moindre geste qu’Alice se jette dans mes bras :

              _ Oh Dami chéri, je commençais à croire que tu m’avais oubliée !

    En un tour de main, elle m’entraîne sur le lit, je ne sais comment mais en quelque secondes je me retrouve aussi nu qu’un vermisseau, Alice la jouvencelle est serrée contre moi aussi dénudée qu’un vermicelle, sa bouche cherche mes lèvres… Je ne sais pas si vous avez souvent fait l’amour avec une morte, mais je peux témoigner qu’elles ont un sacré tempérament et je comprends que tous ces récits médiévaux relatant l’appétit insatiable des goules ne sont pas des historiettes inventées de toutes pièces destinées à impressionner un public illettré et crédule… La fougue de nos ébats ne m’a pas empêché d’entendre le bref aboiement d’un chien, est-ce Molossa ou Molossito, je l’ignore, l’avertissement est clair : l’ennemi arrive !

    Nous étions, Alice et moi, si enchevêtrés que j’ai du mal à me retirer d’une étreinte si fougueuse. De qui s’agit-il ? En tout cas à la violence avec laquelle on a ouvert et refermé la porte d’entrée de derrière, il est certain que l’on me cherche, le vacarme des marches montées à toute vitesse, n’augure rien de bon, je n’ai même pas le temps de me saisir de mon Rafalos que j’avais glissé sous l’oreiller.

     Je me suis déjà trouvé en meilleure posture, l’on est sûrement pressé de me trouer la peau. Je vous rassure, ce n’est pas à moi que l’on en veut. Un coup de pied dans la porte et une furie entre dans la chambre, se jette sur Alice et essaie de la tirer du lit par les cheveux. C’est Alice !

              _ Fous-moi le camp de là, sale trainée, il est à moi !

    Les deux Alice sont maintenant face à face, leurs yeux jettent des éclairs de haine, un tumultueux crêpage de chignons s’engage… Que faire ? J’avoue que j’hésite… Un nouvel aboiement m’avertit de prendre garde, un nouvel assaillant ! Juste à ce moment les deux Alice se jettent sur moi et chacune des deux me tire de son côté, j’essaie de saisir mon Rafalos mais il est tombé sous le lit, ce coup-ci c’est un taureau furieux qui a enfoncé la porte et qui se rue dans les escaliers, technique d’assaut commando ai-je le temps de penser, mes secondes sont comptées ! Un halètement bestial et la porte semble soufflée par une explosion, un hurlement à crever les tympans d’un sourd, le fameux krikitu destiné à paralyser les adversaires retentit, les deux filles métamorphosées en statue ne bougent plus.  

              _ Totalement folles toutes les deux, quand il y en a pour trois, il y en a aussi pour quatre !

    En un tour de main Carlos se déshabille et nous rejoint sur le lit, ce renfort inopiné me ragaillardit, comme dirait Ronsard nous nous livrâmes sans état d’âme aux plus folles folastries. Le quatuor d’Alexandrie de Lawrence Durrel est un très beau livre…

    Molossa et Molossito   nous ont-ils avertis ? Toujours est-il que tout à nos occupations du moment nous n’avons rien entendu. S’est-on glissé subrepticement dans la maison, les escaliers ont-ils été montés sur la pointe des pieds, je suis incapable de répondre à ces angoissantes questions. Pire nous n’avons même pas remarqué que quelqu’un était entré dans la chambre, nous en serions-nous même aperçu s’il n’avait donné de la voix…

              _ Me too !

    Et d’un bond léger le Chef, le très cher était nu et n’avait gardé que son Coronado, se joignit à nos jouissances. Comme quoi après le Quatuor d’Alexandrie il est de bon ton d’enchaîner sur Le quintette d’Avignon, du même Lawrence Durrell.

    97

    Le Chef alluma un Coronado :         

    • Certes hier après-midi nous avons passé une agréable journée, la tête nous a cependant un peu tourné, quand nous nous sommes repris il était dix heures du soir passées et l’enterrement de Lamart et Sureau était terminé depuis longtemps, nous avons s’il le faut laisser passer des éléments importants que nous aurions pu glaner, nous avons failli dans notre mission, un peu par votre faute agent Chad si vous n’aviez pas cédé à vos instincts les plus bas, nous ne serions pas dans l’impasse totale, il ne vous reste plus qu’à nous proposer un début de piste pour poursuivre notre enquête, je vous somme de me faire une proposition intéressante dans les quatre minutes qui viennent ! Top chrono !
    • Oui Chef, mais pourriez-vous préciser ce que nous cherchons !
    • Agent Chad je n’en sais fichtre rien, d’habitude je fume une dizaine de Coronados et la situation s’éclaire, mais là je suis au point mort. Tenez prenez un Coronado, cela vous aidera peut-être.

    J’ignore si le Coronado hormis le fait que je fus tout le reste de la journée agité de fortes quintes de toux y fut pour quelque chose mais toujours est-il qu’une idée que les esprits pondérés jugeront saugrenue s’imposa au turbo exponentiel de mon cerveau.

              _ Chef si nous échouons c’est que nous n’employons pas la bonne méthode, en gros nous essayons de suivre rationnellement des pistes qui ne nous emmènent nulle part, faisons le contraire, agissons irrationnellement et peut-être trouverons-nous quelque chose de tangible.

              _ Agent Chad, il n’y a aucun doute, le fait de me fréquenter vous rend de plus en plus intelligent, si vous fumiez quotidiennement une minimale quarantaine de Coronados, vous auriez quelque chance un de ces jours de me remplacer à la tête du service, mais ne perdons pas de temps à mettre votre idée en application.

    98

    Nous avions laissé après fortes recommandations de prudence Molossito et Molossa en faction sous la voiture que nous avions stationnée juste devant la porte d’entrée de l’immeuble dont nous empruntons les escaliers. Le Chef devant, moi derrière, mais tous deux la main sur notre Rafalos, nous étions dans un des pires endroits du dix-huitième. Nous nous arrêtâmes sur le palier du douzième étage devant une porte blindée, aucune sonnette nous nous apprêtions à frapper lorsqu’ une vois grésilla dans un interphone vraisemblablement planqué au plafond.

              _ Entrez messieurs, je vous attendais.

    L’endroit était minuscule, un placard à balais aménagé en local de réception. Mme Irma était assise sur un fauteuil, dans le peu de lumière nous ne distinguions vraiment que le bout incandescent de sa cigarette fichée dans un porte-cigarette de vingt-cinq centimètres de long. Nous prîmes place sur deux chaises de bois vermoulu.

    • Excusez la modestie de cet havre de méditation de haute perspicacité, messieurs je suis à votre service, que puis-je pour vous ?

    Le Chef alluma un Coronado :

              _ Pour moi personnellement rien, tout va bien mais mon ami souffre d’un mal insondable, avant de le laisser s’expliquer, je tiens à vous dire que si nous vous avions choisie, c’est pour la réputation flatteuse qui vous entoure, si l’on en croit l’article du Parisien Libéré de ce matin.

              _ Ah oui, l’article de Lamart et de Sureau, ils sont venus m’interviewer il y a huit jours, dire que maintenant ils sont morts, nous sommes vraiment peu de chose sur cette terre… Mais quel est au juste votre problème Monsieur.

               _ C’est étrange Madame, toutes les filles que je rencontre depuis un certain temps s’appellent Alice. Cette coïncidence est extraordinaire, j’éprouve une espèce de malaise, ne serais-je jamais aimé que par des Alice ?

               _ Qui peut dire l’avenir, Cher Monsieur, tendez-moi votre main afin que j’étudie ce problème, non pas celle-là, l’autre, pas celle-ci non plus.

              _ Hélas Madame je n’en possède que deux !

              _ Vous n’êtes pas très malin Monsieur, ça ne m’étonne pas que l’abondance du prénom Alice vous étonne, je parlais de la main qui tiendrait trois billets de cinq cents euros par exemple.

               _ Voici Madame excusez-moi, mais pour Alice…

               _ Un jeu d’enfant, tenez prenez cette feuille blanche, écrivez ALICE en grosses lettres majuscules.

               _ C’est fait, Madame la voici…

               _ Gardez-la, lisez-moi à haute voix tout ce que vous lisez dessus

              _ A LI CE et après que dois-je faire ?

              _ Je ne peux plus rien pour vous, Messieurs, je vous souhaite une bonne matinée.

    Je me levai de ma chaise rapidement, vexé et mortifié. Mais le Chef sortit son portefeuille et glissa dans la main de Mme Irma une grosse liasse de billets de cinq cent euros.

               _ Je vous remercie Madame, je vous prie d’excuser mon ami, ce n’est pas de sa faute, je pense qu’il souffre des premières atteintes de la maladie d’Alzheimer, il ne souvient même plus de ce qu’il a dit ce matin. Je vous souhaite une bonne journée Madame…

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 589: KR'TNT 589 : LUSH / THE CULT / LEE FIELDS / ELIZABETH KING / MUD / THUMOS / DOORS

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

    LIVRAISON 589

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    23 / 02 / 2023

    LUSH / THE CULT / LEE FIELDS

    ELIZABETH KING / MUD

    THUMOS   / DOORS

    Sur ce site : livraisons 318 – 589

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    The Miki way

     

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Quand on croisait Miki Berenyi dans les pages du NME ou du Melody Maker, on la prenait volontiers pour une Pakistanaise, une Paki comme on dit à Londres. Avec ses cheveux rouges et son heavy make-up, elle dégageait quelque chose d’extrêmement exotique. On ne faisait même pas l’effort de mémoriser son nom. De toute façon, le son de Lush - dont elle était la chanteuse - ne nous plaisait pas plus que ça. Lush et quelques autres groupes, comme Slowdive, My Bloody Valentine, Moose, Ride ou Chapterhouse, incarnèrent un courant musical, baptisé Shoegazing par la toute puissante presse anglaise de l’époque, un courant qu’on considère, à tort ou à raison, comme l’un des points bas de l’histoire du rock anglais. Un journaliste du Melody Maker qualifiait les shoegazers de STCI (The Scene That Celebrates Itself). Ces groupes proposaient en effet une pop ambiante extrêmement statique qui finissait par générer un bel ennui. Dans les concerts, on bâillait aux corneilles, surtout ceux qui plus jeunes, avaient tété les mamelles du real deal, c’est-à-dire Jerry Lee et les Stooges. On se retrouvait dans ces concerts à cause des buzz que lançaient les journalistes anglais. La crainte de rater le passage d’un bon groupe nous incitait parfois à faire n’importe quoi.

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Il s’est produit exactement la même chose qu’avec l’autobio de Stuart Braithwaite, le guitariste de Mogwai : dans la presse anglaise, un journaliste pond une chronique élogieuse de l’autobio de Miki Berenyi, et pouf, rapatriement. Cette fois, c’est la crainte de rater un bon book qui déclenche le passage à l’acte. Fingers Crossed: How Music Saved Me From Success arrive 48 h plus tard sous la forme d’un bel objet, bien dodu, sous une jaquette dans les tons pourpres qui s’harmonisent divinement bien avec l’écarlate des cheveux de Miki, un peu plus de 350 pages imprimées sur un bouffant plaisant, avec des choix typo de fonte et d’interligne qui rendent la lecture délicieusement agréable, et plouf, on y plonge. Plonger dans la lecture d’un book, c’est exactement la même chose que plonger dans l’eau du lagon d’argent : tu en éprouves un pur plaisir, tu goûtes à ce que Gide appelait autrefois Les Nourritures Terrestres - ce fantastique texte en prose en forme de chant d’amour, dans lequel il s’adresse à Nathanaël pour le former à la beauté du monde : «Que l’importance soit dans ton regard, non dans la chose regardée.» - Plonger dans un livre inconnu, c’est une façon de partir à la découverte d’un personnage, d’entendre une voix nouvelle, une façon de voir comment les autres vivent leur vie, voir aussi de quelle façon ils s’accomplissent ou se détruisent. Chaque vie se résume à un destin, parfois tout entier contenu dans un livre. C’est à la fois l’aspect dérisoire d’une vie, mais aussi sa grandeur, dès lors que l’auteur abandonne toute pudeur pour s’offrir aux regards extérieurs. Les grands livres sont parfois comparables à des courtisanes impudiques, celles qui te font bander.

    lush,the cult,lee fields,elizabeth king,mud,thumos,doors

             L’autobio de Miki présente les deux aspects : dérision et grandeur. L’absence totale de pudeur et un langage de punkette rebelle en font la grandeur. La deuxième partie qui est consacrée à l’histoire de Lush paraît par contre totalement dérisoire, car cette tranche de vie (cinq ans)  se résume à quelques souvenirs de concerts, de tournées et de sessions d’enregistrement. Miki se débat avec les anecdotes, essaye d’éviter les pièges du name dropping et tenter d’éclairer le mieux possible les lecteurs de son book qui sont de toute évidence les anciens fans de Lush.

             L’éclairage le plus important est celui qu’elle donne sur elle-même. Paki ? Pas du tout ! Père hongrois (Ivan) et mère japonaise (Yasuko). Comme Ivan est un womaniser, ce qu’on appelle ici un coureur de jupons, Yasuko se fait la cerise vite fait, et c’est là que Miki entre dans la période trash de sa vie de gamine. Ivan lui apprend très jeune à se débrouiller seule et à se défendre. Elle vit à Londres dans une baraque toute pourrie avec Ivan et la grand-mère hongroise Nora, qui est une malédiction. Miki explique sans détour qu’elle doit dormir avec Nora qui abuse d’elle. Elle apprendra un peu plus tard que Nora a aussi abusé d’Ivan - Coincées  dans notre lit, elle me lit des contes hongrois, mais elle s’endort au milieu des phrases et le livre de contes s’écroule sur la bouse de ses nibards étalés (on the cowpat spread of her breasts). Parfois, quand elle ronfle, j’observe sa bouche ouverte, qui est complètement édentée, et je crève d’envie d’y enfoncer mon poing jusqu’à ce qu’elle en crève - Miki hait Nora qui lui fait chaque soir sa toilette et qui passe un temps infini à lui tripoter l’entre-jambe. Nora hérite même du surnom de Noracula, «qui fait référence à ses origines transylvaniennes mais qui hélas ne couvre pas toute l’étendue de sa nature monstrueuse.» C’est vrai qu’en voyant la photo de Nora dans les pages du cahier central, on comprend tout : une vraie gueule d’empeigne. Et puis il n’y a pas que Nora. Il y a aussi Uncle Sam, un copain d’Ivan, qui dès qu’Ivan ou Nora ont le dos tourné, met la main au panier de Miki. La gamine ne dit rien. Elle croit que c’est normal. Jusqu’au jour où elle en a un peu marre des saloperies d’Uncle Sam et lui dit qu’elle va en toucher un mot à Dad. Alors Uncle Sam disparaît de la circulation.

             Miki finit par comprendre pourquoi Ivan éprouve tellement de difficultés à entretenir des relations suivies avec les femmes : «Fils unique abandonné par son père et abusé par sa mère, il n’avait aucune idée de ce que pouvait être une relation normale. Comme il savait qu’une relation sentimentale pouvait tourner court à chaque instant, il préférait la contrôler plutôt que d’en être la victime. Plutôt quitter que d’être quitté.» Quand il approche de la fin et que Miki lui demande ce qu’il préfère entre le crématoire et le trou au cimetière, Ivan est pris d’un fou rire. Il dit de mettre ses cendres dans un seau «and flush me down the toilet», c’est-à-dire tire la chasse. «What the fuck will I care ?» Il a raison Ivan, ça change quoi, quand on a cassé sa pipe en bois ? Miki ajoute qu’Ivan aimait trop la vie pour se soucier de la mort - It was only ever life - not its aftermath - that engaged him. Miki écrit remarquablement bien. Elle sait restituer l’épaisseur humaine de ses personnages.

             Elle écrit dans un style très direct, qu’on pourrait, pour simplifier les choses, qualifier de punk. Elle n’est pas genre à traîner en chemin. Chez elle, les bollocks et le fuck sont monnaie courante. Nevermind ! Elle perd vite patience avec les cons, ce qui la rend éminemment sympathique.

             Quand dans l’intro, elle évoque la notion de groupe, elle évoque aussi sa naïveté d’antan,  quand elle croyait qu’un groupe pouvait être une famille - I know that’s all bollocks - I know that now - mais à l’époque ça ressemblait à un rêve qui pouvait devenir réalité - Elle parle très bien de l’espoir que génère le fait de monter un groupe : «Le miracle de la musique, c’est de pouvoir fabriquer quelque chose à partir de rien. Assembler des notes, ajouter de la profondeur avec des paroles, insuffler la vie dans une chanson en la jouant avec un groupe, l’enregistrer, puis la partager avec un public, répandre toutes ces émotions et toute cette joie - tout cela étant issu d’une chambre, d’une guitare et d’une voix. Transformer la tristesse en bonheur, sortir de la solitude et du loserdom, s’évader d’une bad place et rejoindre un monde meilleur.» C’est sa façon de dire qu’elle y croyait dur comme fer, et comme cette confession apparaît dans le chapitre d’intro, alors on décide de la suivre et même plus, si affinités. On peut par exemple envisager de réécouter les quatre albums de Lush.

             Comme elle est ado à Londres, elle peut se goinfrer de concerts : 90 en 1983, 150 en 1984. Elle tient sa comptabilité dans un journal intime. Elle baise tant qu’elle peut, elle privilégie ce qu’elle appelle the sex without love - Can be enormous fun when liberated from the hope that it’s the beginning of something bigger. In other words, if you approach it like a man - Miki comprend vite que le sentimalisme n’est pas vraiment l’apanage des mecs, alors elle opte pour la liberté à tout va. Elle opte pour les plans cul, comme on dit aujourd’hui, c’est-à-dire les relations non suivies. Elle dit qu’elle possède «un radar pour repérer les mecs libres et elle ne peut pas l’éteindre». Elle cherche un mec «who’s only after a bit of fun. That way no one gets hurt.» Elle applique la philosophie d’Ivan.

             Sur son tableau de chasse figure Billy Childish, à l’époque des Milkshakes. Il a sept ans de plus qu’elle, mais elle s’accroche à lui, parce qu’il a un groupe, qu’il peint et qu’il écrit des poèmes - I fuck him in the staiwell of Clanricarde Gardens, waiting until my flatmates have gone to bed before sneaking him into my bedrom overnight - Ses phrases sonnent souvent comme des paroles de chanson. Miki est une écrivaine extrêmement rock’n’roll. Elle rend un ultime hommage à Billy avant de le perdre : «Still Billy is an artist, uncompromising in his determination to write the truth. His truth, at least, which I suppose is what’s expected of an artist.»

             Elle avoue aussi perdre patience rapidement - I am belligerent with people I can’t stomach - Elle a raison, c’est une façon de gagner du temps. 

             L’idée d’un groupe commence à germer dans la tête de Miki et dans celle de sa copine Emma. Elles branchent leurs deux guitares dans la stéréo d’Emma et elles se mettent à gratouiller leurs poux. Elles montent Lush avec Chris au beurre et Meriel au chant. C’est Emma qui trouve le nom du groupe. Lush veut dire luxuriant. Puis elles recrutent Steve Rippon pour jouer de la basse. Premier gig au Falcon, à Camden, en mars 1988. Puis Emma veut virer Meriel, trop statique sur scène, alors Miki se charge de la besogne. Lush n’a plus de chanteuse, alors Emma passe une annonce dans le Melody Maker, citant Blondie et de Hüsker Dü comme influences. Chou blanc. En désespoir de cause, Miki est promue chanteuse de Lush. Comme elle n’est pas à l’aise, elle s’envoie des verres de cidre avant de monter sur scène. À la fin du set, Emma la coince pour lui dire : «Don’t you EVER get pissed again before a gig!». Tout au long de son récit, Miki évoque cette relation extrêmement tendue avec Emma. Elles jouent dans le même groupe, mais ne sont pas copines. Emma ne veut pas de l’amitié que lui offre Miki.

             Lush fait un grand bond en avant en signant avec 4AD, contre l’avis d’Howard Cough, l’un des responsables du label qui traite Lush de «worst band I’ve ever seen». Mais Ivo le boss veut Lush et pouf c’est parti. À l’époque, 4AD est un label indé prestigieux. Dans son roster, on trouve les Pixies, Cocteau Twins, Throwing Muses et Bauhaus. John Peel invite Lush une fois, car leur cover d’Abba («Hey Hey Helen») l’amuse bien, mais ce sera la première et la dernière fois. Lush n’est pas la tasse de thé de Peely. Ça n’empêche pas Lush d’aller dérouler son petit parcours de groupe indé, juste avant l’éclosion de la fameuse vague Britpop. Quand Steve Rippon quitte le groupe, c’est Phil King qui le remplace temporairement. Un Phil King qui est déjà un vétéran de toutes les guerres puisqu’il a joué dans Felt, les Servants, Biff Bang Pow, et on le verra beaucoup plus tard à Paris jouer au Trianon avec les Mary Chain.

             Le principal épisode de la vie de Lush, c’est le Lollapalooza de 1991. Lush joue en première partie de Jane’s Addiction qui sont en tournée de promo - A year-long enormodrome tour - pour le double-platinum Ritual De Lo Habitual. Il y a en tout sept groupes à l’affiche de la tournée : Red Hot Chilli Pepers, Ministry, Ice Cube, Soundgarden, les Mary Chain et Pearl Jam. Les seules gonzesses dans le tas, c’est Lush. Elles se retrouvent dans un monde «that agreesively radiated muscle and testosterone», les Peppers et Ice Cube étant les pires. Miki en profite pour se régaler tous les soirs du set des mighty Mary Chain. Elle rend aussi un hommage virulent à Ministry - La seule réponse possible au set de Ministry, c’est l’awe-struck submission. The cacophony of industrial pounding, pile-driving guitars and Al Jourgensen scream-growling like Beelzebuth over nerve-shredding samples is like being crushed by the Apolcalypse - Sa description est criante de véracité. En plein milieu de la tournée, Miki voit débarquer Gibby Haynes, le chanteur des Butthole Surfers. Il vient duetter avec Ministry sur «Jesus Built My Hot Rod». Miki est fan des Botthole et de leur visceral chaos, mais elle n’arrive pas à engager la conversation avec Gibby - All I get for my effort is a yeah-whatever eye-roll and the cut-to-the-chase line: ‘How about we just go up to your hotel room - you can suck my cock while I lick your pussy - Fin de la conversation. Pour l’anecdote, Miki relate tous les excès d’Al Jourgensen dans les hôtels, il y en a deux pages pleines, c’est du mayhem à l’américaine avec des amplis qui passent pas la fenêtre et tout ce qu’on sait déjà. Elle raconte tout ça très bien. Miki est tellement défoncée qu’un soir, elle veut jouer au moshpit et se lance dans le public d’une scène beaucoup trop haute. Les gens s’écartent et elle se retrouve à l’hosto, miraculeusement vivante.

             Mais à Londres, des gens n’aiment pas Lush. Miki rapporte pas mal d’incidents. Un bloke s’adresse à elle : «Are you that bird out of Lush ?», elle opine du chef et le bloke lui dit : «Your band’s fucking shit.» Un autre lui demande un autographe, elle le signe, alors le mec fout le papier dans sa bouche, le mâche et le crache sur les godasses de Miki avec un air de dégoût.

             Une tournée américaine a lieu en 1996 avec Gin Blossoms et les Goo Goo Dolls.  C’est un plan monté par leur manager. Miki et Emma savent qu’elles vont au casse-pipe, car Lush n’est pas fait pour ce type d’affiche. Miki parle d’un complete mismatch. Le seul bon souvenir qu’elle conserve, c’est Imperial Teen - great band and old-school friendly - Elle raconte aussi que Ian Astbury monte sur scène chanter «Ciao!» avec Lush - Mais il y a un léger malentendu, pendant la répète, l’Astbu leur dit qu’«it’s a bit skiffle, isn’t it?», il croit que c’est une cover de l’«Eddie (Ciao Baby)» du Cult. Chris is laughing so hard he can barely play the drum - Elle traîne aussi à cette époque dans les parages de Primal Scream - Bobby Gillespie, high as a kit at some do, me fait taire en me mettant directement la main au panier et me fixe dans le blanc des yeux tout en se pourléchant les babines - Alors elle accepte ce type de comportement, puisque c’est un moyen d’être admise dans le sérail. Mais elle s’aperçoit très vite qu’elle n’est pas faite pour jouer la carefree 24-hour party person. Elle n’est pas de taille pour ce type d’exploit sportif. C’est l’époque de l’ecstasy et ses amis en font une consommation gargantuesque. Elle finit souvent la soirée assise dans un coin, «too far gone to move», incapable de bouger.

             Parmi les groupes qu’elle croise dans les tournées, elle flashe sur Babes In Toyland, «cathartic and compelling on stage, earthy and friendly off.» Miki ajoute qu’après leur set, les Babes picolent sec et tiennent mieux l’alcool que les mecs - they drink enveryone under the table - Et puis bien sûr, nous avons droit à un petit panorama de la scène indé, Miki nous sort les noms des Cranberries, de Belly et de Moose, un Moose qui d’ailleurs va devenir son compagnon et le père de ses deux gosses. Puis arrive la Britpop avec Suede, Blur, the Madchester bands - comme elle les appelle - Elastica, S*M*A*S*H, These Animal Men et Pulp. Au début, cette vague lui plaisait bien - a familiar and friendly environment where I feel comfortably at home - Puis le succès de Blur et d’Oasis change la donne, ces deux groupes cultivent «a new mood of swagger, flag-wavingly British in defiance to American ‘grunge’», le fameux Cool Britania. Miki va voir tous ces groupes sur scène et va même traîner dans tous ces backstages avec, énumère-t-elle, «Suede, Pulp, Oasis, Blur, Elastica, Echobelly, Boo Radleys, Salad, Powder, Menwear and all the rest of it. I can’t get away from these fucking bands. Britpop is happening.» D’autres anecdote encore : «Liam Gallagher circles me, wondering aloud when I’ll be ready to fuck him in the toilets.» Bien sûr, Miki s’offusque - Look, je sais que je ne suis pas Mary Poppins, mais ce n’est pas du flirt, c’est du harcèlement. Et derrière ça, il y a un truc dégueu : ça implique que suis demandeuse, pas lui - Comme elle porte des robes très courtes, elle est constamment sollicitée. Pour elle, c’est la façon qu’ont les mecs de vouloir dire : «Si tu veux avoir la paix, fringue-toi comme une bonne sœur.» Miki n’a qu’une réponse à ça : fuck it !

             Mais la Britpop dégénère assez vite. Miki voit cette scène hijacked by elitist dickheads. Elle finit par ne plus pouvoir supporter cette daube, ni les gens ni les groupes - So sorry for being a party pooper, c’est-à-dire une casseuse d’ambiance, je sais que bon nombre d’entre vous had a blast, but I fucking hate Britpop and I’m glad the whole sorry shit-list ended up imploding. I just wish it hadn’t done so munch damage white it lasted.  

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Lush on les a vu une fois, peut-être deux, avec les Pale Saints. Grands souvenirs des Pale Saints. Lush ? Pas grand-chose. Miki et ses cheveux rouges. Trop punk anglaise pour un Français. Leur premier album s’appelle Scar et paraît sur le tard en 1989. En fait, c’est un mini-album. Il vaut mieux éviter de le réécouter trente ans plus tard, car c’est un son qui vieillit atrocement mal. Miki amène son «Baby Talk» au fast heavy pop-punk mal chanté, ça se noie dans une sauce de sortilèges, toutes les histoires de Nora et d’Ivan rejaillissant dans ce mix de puberté poubelleuse. Avec «Though Forms», les filles de Lush prennent vraiment les gens pour des cons. Ce n’est pas du rock, c’est de la vapeur. Les voix se perdent dans la buée. Miki taille sa route avec «Bitter», elle gratte à la va-vite, mais c’est Chris qui sauve la mise, au beurre. La pauvre Miki ne chante pas très bien, ça se barre en solo d’infraction prostatique, elle parie sur l’énergie punk. On sent bien l’odeur du trash. Ça se termine avec «Etheriel», une petite pop d’ouate. Rien que du son pour du son. Des cuts qui n’en sont pas. Comme chez Mogwai. Même genre de néant paradoxal.

             À cause de sa dégaine provocante, Miki se fait pas mal choper aux douanes, lorsqu’elle descend d’avion. Elle dit avoir rencontré pas mal de douaniers «fermes mais polis, qui font simplement leur job. Mais j’ai aussi rencontré une sacrée ribambelle de power-abusing cunts et je leur réserve a front row of panoramic-view seats on the kamikaze flight into the mountainside of my vengeful imagination.» C’est bien dit, Miki. Mort aux vaches !

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Deux ans plus tard paraît Spooky. Ambiance très spooky, très pop anglaise d’époque, hétéro-éthérette, un «Nothing Natural» chanté à la féminine accrochée au plafond, mais pas de truc en plume, juste de l’ouate, un ruisseau d’ouate. Petit son indé ridicule, pubère et drainé, parfois plombé, pas beau, presque féministe. Elles amènent d’ailleurs «Ocean» au petit océan féministe, c’est gorgé de féminité au point que ça ne passe pas, chant trop Lushy, pénible, humide, ridiculous. So ridiculous ! Spooky peine à jouir. L’hyper-féminisme tue la pop dans l’œuf, même si «For Love» remonte le courant, wild as fuck. Joli titre que ce «Superblast». Les filles l’honorent, elles sortent le fast blow avec des voix d’écho et ça devient une pure merveille. Elles peuvent se montrer terrifiques, avec ces voix d’entre deux eaux, c’est l’apanage du Lush-moi-là, énorme tension, ça redevient presque sexuel tellement c’est humide et chaud. Et puis d’autres cuts naviguent dans les méduses, Miki et sa copine Emma traînent dans les eaux troubles de la mauvaise pop d’époque, de la fast pop gorgée d’indie scum, cocktail périlleux de grosses attaques et de voix de femmes. Ça finit par insupporter. Album produit par Robin Guthrie, ceci expliquant cela.

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Quand Split paraît en 1994, Miki sent bien que Lush est en décalage avec la scène grunge et Oasis - Split est trop fragile et introverti pour rivaliser avec les nouvelles tendances (out of step with the times) - Pourtant l’album est excellent, Miki t’embarque dès «Kiss Chase» avec du big heavy sound. On peut même parler de wall of sound, avec de somptueuses palanquées d’accords, il y a des grattes partout, all over the rainbow, le son vibre de toutes ses fibres. L’autre gros shoot de wall of sound s’appelle «Undertow», amené au bassmatic demented de Phil King, il télescope la gratte de Miki, ça taille à la serpe, le cut sonne comme la marée du siècle, Miki et Emma te plombent ça aux grattes des enfers, elles font un placard total de wall of sound. Et puis tu as une petite triplette de coups de génie, à commencer par le bien nommé «Blackout». Ah comme elles sont bonnes ! C’est explosif et allumé aux voix éthérées, et ce batteur dément qu’est Chris bat tout à la vie à la mort. Elles sont encore dans une énergie considérable pour «Hypocrite», Miki te court sur l’haricot, elle te pèle le jonc, elle te trashe tout l’UK, oh Miki, the wild chick ever ! Elle t’enflamme le British Beat, là tu halètes car elle te le fait avec la langue de feu, c’est du wild punk so far out, cet «Hypocrite» est tellement bon qu’on finit par dire n’importe quoi. Split un album fantastique dont on n’a pas idée tant qu’on ne l’a pas écouté. «Lovelife» est encore du big biz. La Miki, tu lui colles au cul, tu ne la lâches plus. Avec elle, l’incroyable se produit, c’est-à-dire la renaissance des grattes, les pluies de poux, les proliférations de tombées somptueuses, on la suit, la Miki, elle étale ses draps au grand jour. Encore un cut accueilli à bras ouverts : «The Invisible Man». Elle file sous le vent, elle taille sa route à la serpe. C’est un album qu’on écoute jusqu’à plus soif. Et puis tiens, voilà encore un sacré coup de génie : «Lit Up». Allumé direct. Trente-six chandelles. Encore un festival de big fat wild as fuck. Elle parvient à se hisser au sommet du lard fumant, elle te claque les meilleurs accords d’Angleterre, elle injecte un gros shoot d’overdrive, elle maîtrise le placage et finit par te hanter. Te voilà transformé en château d’Écosse. Merci Miki !

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Le quatrième et dernier album de Lush s’appelle Lovelife et c’est encore un very big album. Miki devient ta reine d’un soir. Gros son dès «Ladykillers» - My attempt at writing a hit - elle chante à la petite retorse, c’est très anglais, très inspiré, bien solidifié au ciment de voix de femmes. Elles injectent des couches de power en dessous du chant. Dans son book, Miki dit que «Ladykillers» «was my one concious effort to give the rabble what they seemed to be asking for.» Ça devient extrêmement impubère avec «500», presque Brill, tellement c’est sucré. Encore de la belle pop candy avec «I’ve Been Here Before». Cette pop est d’une qualité insolente. Miki chante à l’ingénue libertine. Tout est sexué à l’extrême sur cet album. Avec «Single Girl», elles sonnent comme les Pixies, même genre de ferveur, c’est très riche, gorgé de Gorgones. Attention, ce genre d’album devient vite tentaculaire : il te prend tout ton temps. Back to the wild side avec «Runaway». Elles savent lever des vagues de heavy pop, c’est une pure énormité, grattée serrée. Dans leur élan, elles tapent «The Childcatcher» en mode fast London pop, elles jouent au rebondi avec une belle féminité et une incroyable énergie. Le son est là, juste derrière et toujours ce chant impubère d’ingénue libertine. Elles referment la marche avec «Olympia» et une flûte de Pan. Ah quelle belle pop de Brill ! Elles savent guider le candy dans la vulve du Brill, c’est une vocation. Elles distillent des harmonies vocales d’une pureté extrême.

             Miki sent venir le déclin de Lush. La scène a changé depuis les grandes heures de Lollapalooza et de Jane’s Addiction. Pour le public américain, Lush était à l’époque un groupe exotique - an unfamiliar new band - Mais cinq ans ont passé. Pour elle, un macho element s’est installé, les Américains ne réagissent plus qu’aux groupes qui leur parlent et ils ne tolèrent plus de voir deux «sappy English girls qui ne font même pas l’effort d’être sexy». Cette dernière tournée américaine avec Mojave 3 est une catastrophe. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase et Emma annonce qu’elle jette l’éponge. Elle a très bien compris que le temps de Lush est révolu et que le groupe n’aura jamais de succès aux États-Unis. L’obsession des deux managers successifs à vouloir forcer le marché américain a fini par avoir la peau du groupe. Pour calmer le jeu, Emma indique que Lush peut continuer sans elle. Elle cite l’exemple de Suede qui a redémarré sans Bernard Butler. Mais Miki n’est pas d’accord : «No Emma, no Lush.»

             C’est la mort de Chris qui aura la peau du groupe. Chris déprime depuis que sa poule l’a quitté et il tente de retrouver le moral en allant se ressourcer chez ses parents à la campagne. C’est là, dans une grange, qu’on le retrouve pendu - Out of sight and hard to find - Son père, inquiet de ne pas le voir revenir de sa promenade, a fini par découvrir le corps de Chris pendu.

             La chute du book est vertigineuse. Miki n’en finit plus de dire que Chris était son préféré. Au commencement de Lush, ils ont vécu un moment ensemble et sont restés très proches après leur séparation - La famille de Chris espère que nous continuerons avec Lush, ils nous donnent leur bénédiction. Mais j’ai su à la seconde où j’ai appris la nouvelle de sa mort qu’il n’y avait aucun avenir. No future. Tout ce temps passé à supporter les crises d’Emma, tout simplement parce que j’avais besoin d’elle. Mais j’avais encore plus besoin de Chris. He was the happy soul of Lush et sans lui, ça n’a plus aucun sens.

             Miki n’est pas si vieille. Elle n’a que 56 ans. Et deux enfants. Elle termine là-dessus. Après la mort de Chris, la vie a repris ses droits. Merci Miki, enchanté d’avoir fait ta connaissance.

    Signé : Cazengler, Louche

    Lush. Scar. 4AD 1989

    Lush. Spooky. 4AD 1991

    Lush. Split. 4AD 1994

    Lush. Lovelife. 4AD 1996

    Miki Berenyi. Fingers Crossed: How Music Saved Me From Success. Nine Eight Books 2022

     

     

    Le feu au Cult - Part Two

     

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Quand Ian Astbury s’exprime dans la presse, on aurait tendance à ne pas trop le prendre au sérieux. Il vaut mieux le lire après l’avoir écouté, car c’est là qu’on commence à le prendre au sérieux. Ainsi, quand il déclare : «Individually we’ve been through a hell of a lot. It shines in our music», on comprend ce qu’il veut dire. The Cult est un groupe capable d’aligner une série d’albums extrêmement impressionnants, tous chargés de climats délétères et de démesure, quelque part entre Killing Joke et les Afghan Wigs. Deux autres points de repères : Rick Rubin les produit et l’Astbu est obsédé par le shamanisme des Indiens d’Amérique. Le décor est vite planté. On dit d’eux qu’ils transcendent les genres. Pour transcender les genres, il faut une voix et un son. Pas de problème. L’Astbu fournit la voix, Billy Duffy/Rick Rubin le son. «Towering guitar riffs» et «songs to match their bravado», nous dit Vive Le Rock. L’Astbu et Billy Duffy ont des racines : Southern Death Cult pour le premier et Theatre Of Hate pour le second.

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Ce sont les mecs de Crass qui orientent le jeune Astbu fraîchement débarqué en Angleterre sur les pratiques religieuses des Indiens d’Amérique. Il se souvient même du livre qu’on lui a prêté dans le squat de Crass : Black Elk Speaks, de John Neihardt, un ouvrage sur les rites sacrés des Sioux Ogala. Quant à Billy Duffy, il en pince pour les Gretsch White Falcon.  

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Paru en 1984, Dreamtime est un album qui ne marche pas. Déjà, la pochette fout la trouille. Le prêtre aux joues scarifiées te fixe d’un regard mauvais. Il manque sur cet album le souffle qu’on va trouver sur les albums suivants. C’est, disons-le, petitement produit. Rien n’explose dans Dreamtime. L’Astbu cherche le spirit des shamans dans «SpiritWalker», il a raison, il invoque le mythe du body spiritwalker, il chante tout ce qu’il peut, mais la prod n’est pas au rendez-vous, et le Cult sans prod, ça ne marche pas. Encore un cut de heavy singer avec «Butterflies» et il chante «Go West» comme s’il s’en foutait. Il attend des vagues de son qui ne viennent pas. Go West young man ! L’Astbu reste pourtant le seul maître à bord. Il pèse de tout son poids sur toutes les décisions - Everything - Tu te régales de l’écouter chanter, l’Astbu de tous les abus. Mon royaume pour un cheval de son ! Ils attaquent «Gimmick» à l’attaque, l’Astbu ne sait faire que ça dans la vie, attaquer. Alors il attaque. Pas de halte. Droit devant. Tagada tagada voilà l’Astbu. La force de l’album, c’est la pochette.

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             The Cult, c’est avant toute chose l’histoire d’une voix, celle d’Astbury. Sur Love qui date de 1985, «Nirvana» et le morceau titre sont là pour la révéler. One two three four ! Power-chordage all over et un Astbury qui remonte péniblement à la surface de cette mer de son. Sa voix fait partie de celles qu’on n’oublie pas. Il est élancé, fougueux, fumant. Un étalon ! Il va chercher ses effets là-haut sur la montagne. L’Astbu sait chanter. Le gros Cult amène «Love» au stomp de riff raff. De toute évidence, ces mecs en pincent pour la heavyness. Ils jouent dans les règles du gros lard et l’Astbu se bat avec le stomp. Reconnaissons qu’il existe un esprit Cult. S’ensuit un sombre «Brother Wolf». Il est vite dans le décor, l’Astbu. C’est un rôdeur né. Il se fond dans l’ombre, il rôde comme un dieu de l’antiquité. Voilà qu’il pleut des accords dans «Rain». Ça ne surprendra personne. L’Astbu arrive sous un parapluie pour chanter - I’ve been waiting for her - Il s’engage à fond, c’est une ultraïque de la posologie, un concerné de la 25e heure. Les coups de wah qu’on entend dans «Phoenix» sont ceux des Stooges. Ah oui, aussi incroyable que ça puisse paraître ! Tu as là toute la wah de Ron, ça rougeoie, ça joue dans la nuit ! Fire ! Fire ! C’est à partir de ce genre d’épisode que tu décides de suivre un groupe. Il ne faut pas croire ce que les canards de rock français ont pu raconter sur The Cult, qui n’a jamais été un groupe de hard rock. Non seulement les gens étiquettent, mais ils étiquettent mal. L’Astbu est un titan, il jette tout son poids dans la balance, il a le power et l’élégance. La basse est au-devant du mix dans «She Sells Sanctuary». L’Astbu chante de manière extrêmement agressive et pop en même temps. He can sing anything.

             Ils deviennent alors énormes et s’envolent pour une tournée mondiale de neuf mois. C’est à cette époque qu’ils entrent en contact avec Rick Rubin.    

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Sur Electric, tu trouveras l’imparable cover de «Born To Be Wild» qu’Astbu chante aux charbons ardents. Pur génie. L’Astbu se l’approprie, alors évidemment, Billy Duffy en rajoute, mais ce n’est pas du meilleur effet. La seule valeur ajoutée est le chant de motor running d’Astbu, il enfonce son clou in the highway à coups de marteau sacré, comme le ferait Thor. Alors Electric devient un très grand album. Encore un coup de Jarnac avec «Love Removal Machine» monté sur les accords de «Start Me Up». Ça donne un combat de titans, Jag versus l’Astbu, alors l’Astbu jette tout son corps dans le combat. C’est quand même gonflé de la part du gros Cult que d’aller pomper aussi ouvertement. Mais ça passe, vu qu’Astbu ramène du gusto à la tonne. Même chose dans le «Wildflower» d’ouverture de bal, il force la mesure aussitôt entré en lice, il chante d’une voix d’ouïe de poisse-caille agonisante et il devient tétanique. On reste dans l’énormité avec «Peace Dog», il sculpte son chant dans la glaise du sonic boom, il bosse avec ses pognes, il s’accroche à la matière avec une niaque extravagante, ya yah ! il est le power-shaker ultime, il ne sait faire qu’une seule chose : entrer dans le chou du lard avec tout le gusto de l’undergut. Et dès qu’il peut, il allume, comme le montre encore «Aphrodisiac Jacket», aocch ! C’est vite noyé de son, il chante sous un déluge d’accords terrifiques, cette fois Duffy vole le show, ses descentes d’arpèges sont un chef-d’œuvre, il faut suivre un groupe comme le gros Cult, car ils n’en finissent pas de réserver de bonnes surprises. Sur «Electric Ocean», l’Oh yeah d’Astbu est si pur qu’on l’accueille à bras ouverts, il cultive les clichés, mais il le fait vraiment bien. Leur «King Contrary Men» est un gros boogie-rock digne de Mountain qu’Astbu chante à fond de train, avec un Duffy en embuscade qui s’arrange toujours pour qu’on ne l’oublie pas. Duffy est un vrai renard dont le défaut serait d’être trop bavard. Ils terminent cet album superbe avec «Memphis Hip Shake» qu’Astbu ultra-chante. Il appuie sur la moindre syllabe, yeah-eh et donne des consignes : shake the world.

             Mais le groupe tire trop sur la ficelle. Billy Duffy décide de quitter Londres pour s’installer à Los Angeles et l’Astbu s’installe à Toronto. C’est là qu’ils vont enregistrer Sonic Temple avec Bob Rock, un producteur inexpérimenté.

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Avec cet album, le gros Cult continue son inexorable progression. Pas de coups de génie sur Sonic Temple, mais des belles énormités, à commencer par le «Sun King» d’ouverture de bal, avec un Astbu qui secoue le cocotier du rock dès son entrée en lice - I’m a sun king baby - Il sait de quoi il parle. L’Astbu ne recule devant aucun excès. Ils font du simili Led Zep avec le «Medecine Train» final. Duffy repart dans le vieux boxing day de big bad strut de Medecine Train et les chœurs font le train. La SNCF devrait prendre le «Medecine Train» comme gimmick pour les annonces dans les gares. Autre coup de semonce : le «Soldier Blue» de Buffy Sainte-Marie qu’ils stompent en mode Gary Glitter. Voilà Buffy au palace glam. Curieux mélange. Quoi que fasse le gros Cult, c’est toujours sur les rails, même si, comme c’est le cas avec «American Horse», on se demande si c’est du lard ou du cochon. Ils ont une notion du son qui nous dépasse complètement. L’Astbu monte bien «Sweet Soul Sister» en neige, mais c’est avec «Soul Asylum» qu’il rafle la mise. La heavyness est son pré carré, il amène ça au so many times et plonge dans un chaudron de sweet soul asylum. Ils tapent ensuite «New York City» avec Iggy en backing vocals, et «Automatic Blues» sonne exactement comme le «Rock’n’Roll» de Led Zep. Même jeu de dupes, avec toute la grandeur élégiaque qu’on peut imaginer.

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Malgré sa pochette un peu putassière à la U2, Ceremony est un bon album. On vendrait son père et sa mère pour «Heart Of Soul», c’est joué à la surface d’un gratté d’acou et la voix d’Astbu crawle comme le Crawling King Snake, ses écailles luisent dans l’ombre, il se développe dans l’ovaire du rock et devient tentaculaire. Cet homme est une bête fantastique, il chante sous un déluge d’accords, il t’accompagne dans la démesure jusqu’à la fin, il vise le non-retour de big city, tu as peu de choses dans l’histoire du rock qui vont aussi loin. «Full Tilt» vaut aussi le déplacement, ne serait-ce que pour son fabuleux claqué d’accords anglais, c’est même l’une des intros du siècle dernier, avec celles de la Stonesy. Le gros Cult vise en permanence l’éclat mythologique, avec l’Astbu qui tient fabuleusement bien la baraque. Encore une grosse dégelée de heavyness avec «Bangkok Rain». On voit rarement d’aussi belles heavynasseries, surtout lorsqu’elles sont serties d’un Astbu à l’éclate. Il monte toujours par-dessus, même quand c’est noyé de wah. On reste dans la heavyness avec le morceau titre d’ouverture de bal. L’Astbu avance dans le son avec des pieds d’éléphant. On pourrait qualifier ce qu’on entend ici de heavy boogie blues d’ultra rock, mais un heavy boogie blues d’ultra rock ravagé par des vinaigres de disto. Ça te sonne bien les cloches, en attendant. L’Astbu démarre son «Wild Hearted Son» aux chants de guerre indiens. Bel hommage, mais ça ne sert que de prétexte. Les blancs reprennent vite le pouvoir sur les rouges. Tu n’es pas chez Buffy, cette fois, tu es chez le gros Cult. L’Astbu qui est au-devant du mix hurle comme dix. On admire au passage les vents de folie. Dans «Earth Mojo», l’Astbu pousse des petits cris de bête, on le voit monter tout seul en température et pour corser l’affaire, Duffy passe un wild killer solo, alors l’Astbu peut encore pousser des petits cris de bête. Ah on peut dire que les deux font la paire ! Non seulement ils cultivent la démesure, mais ils sont incompressibles. Le destin des cuts se dénoue chaque fois dans un Big Atmospherix avec un Duffy qui pique des crises. Et bien sûr, l’Astbu veille à rester un chanteur hors normes. Il semble conduite l’«If» comme un attelage de char, yeahhh ! On le voit aussi écraser son champignon dans «Sweet Salvation». Comme il est ce qu’on appelle une force de la nature, il peut chanter torse nu au sommet de la montagne. C’est bien pire que de chanter par-dessus les toits. Il vise les vrais sommets, il court les aventures, il tartine tout ce qu’il peut, il est le grand tartineur devant l’éternel. Heavy as hell.

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             La pochette de The Cult paru en 1994 préfigure celle de Choice Of Weapon : figure barbare sur fond blanc. Cette fois, c’est un bouc à quatre cornes. L’album propose en outre un coup de génie et une stoogerie. Par quoi on commence ? La stoogerie ? Elle s’appelle «Be Free». C’est en plein dans l’œuf de Pâques, ce sont les accords de «TV Eye», l’Astbu arrive, sec comme un feu, il se jette à l’assaut comme un guerrier indien, et là tu as tout, la violence du chant et la violence du son, mais l’Astbu ramène en plus ses c’mon c’mon et tout son power barbare. Le coup de génie se trouve vers la fin : «Universal You». L’Astbu monte à l’extrême assaut, on ne peut pas imaginer pire assaut. Sonic genius ! Une vraie marée. Encore une vraie dégelée avec «Emperor’s New Horse», même choc esthétique avec le fabuleux confessionnal qu’est «Saints Are Down». Il redevient le chanteur énorme que l’on sait avec «Sacred Life» - Hey sister/ What is sacred in your life - Il est l’un de ces grands chanteurs qui se savent se confronter aux réalités. «Gone» sonne comme une pluie d’acier, c’est un son qui relève de l’extrême et l’Astbu rôde dans le chaos. C’est sa spécialité. Il tombe sur le râble de sa dégelée. Personne ne peut le battre à ce petit jeu. On le voit encore remonter à la surface de «Coming Down (Drug Tongue)», il surplombe sa propre profondeur, sa voix ouvre des gouffres et cette façon qu’il a de monter au sommet de l’Ararat n’est pas si banale. Il charge bien la barque de son «Black Sun», c’est d’une grande portée, mais pas un coup de génie. Le gros Cult tape parfois dans la prévisibilité sans nom des abysses lovecraftiennes et finit par sacrifier l’émotivité sur l’autel de la Trinité. Duffy pompe les accords de «Cold Turkey» pour «Joy» et retour aux choses sérieuses avec «Star». Quelque chose de monstrueux y prend forme et l’Astbu entre là-dedans au believe in freedom. Il est violemment bon et ça tourne vite à l’insurrection. Il shoote tellement que ça s’auto-télescope dans des chaos de guitares. 

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             L’Astbu et Billy Duffy finissent par se fâcher en 1995. Alors l’Astbu monte les Holy Barbarians et enregistre un seul album Cream. Rrrroooarrr, l’Astbu rugit de plus belle dès «Brother Fights». Si tu as besoin de son, il est là, à profusion. L’Astbu sera un rock’n’roll animal ou ne sera pas. C’est encore une fois du big rockalama extrêmement chanté, percuté d’accords dans l’enfer de l’excelsior. Le guitariste s’appelle Patrick Suggs. L’Astbu ramène tout le power de son autorité, il navigue au niveau des géants comme les Doors ou Led Zep. Et comme tous les géants, il s’accorde un havre de paix, le morceau titre, que Scuggs survole comme un vampire. Retour au power avec «Blind», dans un whirlwind de guitares, l’Astbu chante à l’héroïque homérique, il redevient considérable. Avec «Opium» il tape dans l’opium du peuple et son «Space Junkie» te tombe sur le râble, l’Astbu se montre lourd de conséquences, aw my Gawd comme c’est bon, il t’encadre l’énormité comme seul peut le faire un grand shouter, il est l’égal de Jimbo. Encore plus stupéfiant, voilà «You Are There» qu’il attaque à la force tranquille de François Mitterrand, il module sa mélodie sur le toit du monde, c’est un grimpeur, le cut devient magique tellement il est bien balancé, joué aux accords de rêve, cette fois l’Astbu rejoint les Screamin’ Trees de Dust, même vibe ! Avec un mec comme lui, il ne faut plus s’étonner de rien. Il termine avec une entreprise de démolition, «Bodhisattva», il monte à l’assaut car c’est un vainqueur et comme il n’a rien perdu de ses réflexes, il passe à travers les murailles.

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Puis il enregistre un album solo, Spirit/Light/Speed. On se doutait bien qu’il s’agissait d’un big album. L’Astbu ne sait faire que ça dans la vie. Des big albums. Il ramène tout de suite du son, dès «Back On Earth», il lance l’assaut très vite, c’est sa raison d’être. Il tape toujours dans le même registre : King Kong, c’est moi le plus fort ! Il est déjà all over tous les autres, rien qu’au chant. On entend des machines dans «High Time Amplifier», mais ça ne l’empêche pas de chanter au tranchant, il chante au génie pur, il passe en force, il en rajoute, il est là pour toi, et ça continue avec «Devil’ Mouth» et «Tonight (Illuminated)», c’est défoncé, alors tu es défoncé, ça devient logique, ça explose sans prévenir, il rôde dans le présent du rock, son ombre plane sur nous et puis voilà «The Witch (Sit Return)» attaqué au riff de fuzz, c’est un push, il peut te balancer le pire heavy fuzz box in the face, oh yeah yeah, voilà même le pire gaga Cult de l’univers. Le pire du pire. On se croirait à l’âge d’or du Cult. Il est chaque fois en plein dans le mille. Encore du fantastique power d’évocation avec «El Ché/Wild Like A Horse». Il monte là-haut sur la montagne, yeah you/ You’re wild as a horse, le chant s’enlace au guitaring, c’est exultant d’and you ! Te voilà encore avec un big album sur les bras.

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             L’Astbu et Billy Duffy se rabibochent en 1999 pour enregistrer un nouvel album : Beyond Good And Evil. Force est de constater qu’il s’agit une fois encore d’un very big album. Au moins deux coups de génie : «Take The Power» et «My Bridge Burn». Avec Power, ils se noient dans le son, tout est submergé de son, l’Astbu a encore des réflexes de niaque, il parvient à survivre à cet enfer, c’est allumé sous le feu, ce cut est au-delà de tout ce qu’on peut imaginer, avec un Astbu qui parvient à chanter au-dessus de cette immense fournaise. Il attaque «My Bridge Burn» de front. Voilà encore une fabuleuse dégelée, le son est comme gorgé de retours de manivelle et de coups de wah, les coups de manivelle sont ceux de Ron Asheton et Duffy part en maraude comme un requin, celui des Dents De La Mer. Tout est beau comme un incendie urbain sur cet album, tiens comme cet «Ashes & Ghosts», un vrai blast, cette façon qu’il a de hurler dans la tempête fait de l’Astbu un génie, il blaste de plein fouet le Wall of Sound. Puisqu’on en parle, on le retrouve dans «War (The Process)», le Wall of Sound t’écrabouille d’entrée de jeu et tu as là la pire bass fuzz de l’histoire du rock, avec en plus un Astbu qui screame dans la soupe, woh-oh-oh, les vagues de son te submergent, tout explose. The Cult ! Wall of Sound encore dans «Speed Of Light», bien tartiné à la main lourde, woof, ça s’abat sur toi comme un énorme cataplasme de son, ces mecs sont d’épouvantables diables cornus, ils truffent le chou du lard de tous raffinements de l’enfer et Duffy asticote le brasier à la wah. C’est d’une rare violence sonique. Et comme d’habitude, l’Astbu chante au-dessus de tout ce bordel. On a aussi un «Shape The Sky» surchargé de son, d’accords et de drumbeat, de chant et de ressac de chant, et balayé par les vents de Duffy. Avec «The Saint», l’Astbu tape dans l’heavy brutalité du son, ces mecs naviguent hors des normes, bien au-delà du bien et du mal, comme l’indique le titre de l’album. L’Astbu s’en va chanter à la pointe du Raz, tout est monté en mayo pourrie, tout ici tue les mouches. Leur «Rise» se raye des cadres à coups d’accords, ils continuent de flirter avec le pouvoir absolu. L’écoute en soi est une expérience, tout est démesuré, tout tangue dans la cambuse. Sur «Nico», l’Astbu chante un peu comme Bono, c’est pas terrible, mais soudain, le cut prend feu, oui, le feu au Cult - Hey Nico stay strong in this world/ My girl - Rien d’aussi grandiose - I watched your spirit fly/ Across the velvet sky - et ça plonge dans le straight to hell. Seul l’Astbu peut monter un coup pareil

             Comme leur relation avec Atlantic se détériore, l’Astbu reprend son vol, c’est-à-dire son indépendance et rejoint Kreiger et Manzarek dans Riders On The Storm. Mais le projet est vite ratatiné par la famille de Jimbo d’un côté, et John Densmore de l’autre.

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             C’est Youth de Killing Joke qui va produire Born Into This. Avec cet album, l’Astbu n’en finit plus d’évoluer. Il envoie des déluges dès le morceau titre, il chante au sommet des désastres, c’mon, il ne tient plus la rampe qui s’est écroulée avec l’immeuble, mais le son tient bien la rampe. L’Astbu ramène même des chœurs de Dolls pour faire bonne mesure. On reste dans la destruction avec l’un des trois coups de génie de l’album, «Sound Of Destruction». Il entre en lice avec une niaque unique au monde, il est wild as fuck, le wild king of the Cult, cette façon qu’il a d’awiter est vraiment unique. «Diamonds» ? Okay, c’est du big heavy rock inspiré - She got diamond here - Tout chez le gros Cult relève d’une puissance inexorable. L’Astbu rebondit dans la vie et se passe volontiers des commentaires. Encore un coup de génie avec «Citizens», pas de problème, puisque l’Astbu bénéficie de l’un des meilleurs sons de la galaxie. Il se goinfre de cette masse en fusion et chante comme un dieu. Prod exemplaire. L’Astbu ramène du power jusqu’au bout du Citizen. Et voilà «Dirty Little Rockstar» attaqué à la basse de Néandertal, t’es foutu d’avance. Puis il éclate un pauvre balladif, «Holy Mountain». Il l’éclate à la classe pure. Il chante son gut out. Comme l’indique son nom, «Illuminated» est joué aux accords lumineux. L’Astbu passe en overdrive et lance son shine on. Power absolu ! Avec «Savages», il transplante son art dans l’épaisseur du son. Born Into This s’adjoint un mini-LP quatre titres. Tu dois te débrouiller, car tu as zéro info, pas de track-list, pas de rien. L’Astbu refait des siennes avec «Stand Alone». Il se projette aussitôt au sommet des possibilités. Il balaye tout son spectre. On l’admire. Impossible de faire autrement. «War Pony Destroyer» est le son des heavy exécuteurs. On entend glisser les lames. Mais ce qui frappe le plus, c’est le gusto de l’Astbu. Il entraîne son cut à travers une mer de flammes. On trouve une nouvelle mouture d’«I Assasin» - Me & my darkness/ Alone oh-ohh - Il remonte à contre-courant du son malade, comme un baron de l’An Mil, il festoie seul à sa table, avec des clameurs qui font peur. Nouvelle version de «Sound Of Destruction» où il sonne comme Iggy, mais avec son propre style. Il monte vite dans l’excès - I don’t feel anymore - Il s’éclate bien dans les vagues et ce n’est qu’une démo ! On tombe ensuite sur la full version de «Savages», l’Astbu reste un shouter exceptionnel, un pusher de push, n’allez pas prendre le gros Cult pour un groupe de série B.

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Croisée du regard dans un bac de Gibert, la pochette de Choice Of Weapon ne laissait pas indifférent. Ce fut même le coup de foudre. Avec une pochette pareille, l’album ne pouvait être que bon. C’est un raisonnement qu’on a souvent tenu au fil du temps. Parfois ça marche, parfois ça ne marche pas. Dans ce cas, on peut dire que ça a marché. L’Astbu s’est déguisé en sachem indien, de ceux qui font vraiment peur et qu’on n’aurait pas aimé rencontrer au coin du bois à une certaine époque. Mais ce qui fait vraiment peur, c’est la suite de l’image à l’intérieur du gatefold : l’Astbu bandit un couteau de chasse indien. Ce n’est pas un opinel. D’ailleurs le cut d’ouverture de balda s’appelle «Honey For A Knife» et on sent tout de suite la présence de ce chanteur impressionnant. Il dispose d’une fantastique énergie du chant. Avec ce Knife, le Cult vise l’absolu cultissime, le power des tribus primitives d’Amérique. L’Astbu finit par avoir des faux accents de Screaming Trees. Il est le seul à pouvoir approcher cet art suprême. Il se bat pied à pied avec les vertiges, il vise l’immensément épique tout ici est porté par le chant. Avec «Life Death», il s’en va chanter là-haut sur la montagne, il en devient élégiaque. On entend encore les accords des Screaming Trees dans «For Animals». Incroyable consanguinité. Astbu chante le wild des prairies et des montagnes sauvages, il est le dernier mountain man de notre époque, comme le montre la pochette. Tout sur cet album est aussi épais qu’ambiancier, comme sculpté dans l’argile. C’est une masse. Avec «Lucifer» en B, l’Astbu durcit encore le tom, il va chercher des accents de plus en plus profonds, you are my Lucifer, il ne rigole plus, il nous entraîne dans des abîmes de perdition, on savait qu’il ne fallait pas lui faire confiance. «A Pale Horse» est une histoire de combat, you don’t stand a chance et il redevient l’un des plus grands hurleurs devant l’éternel avec «The Night In The City Forever». On trouve un deuxième disk dans le gatefold, c’est un EP quatre titres et le côté Screaming Trees revient avec «Every Man And A Woman Is A Star». S’ensuit le magnifique «Embers» et ses clameurs souveraines, c’est incroyablement drivé sous le heavy boisseau des légendes anciennes. Si on en pince pour la grandiloquence, alors le Cult est le groupe idéal. Il devient impressionnant à force de grandiloquence. Le côté élégiaque reprend le dessus avec «Siberia», ce qui paraît logique, vue l’étendue du territoire. 

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Attention à Hidden City. C’est l’un des plus brillants albums de ce début de XXIe siècle.  Tu prends n’importe quel cut au hasard et tu es content du voyage. Tiens, on va prendre par exemple «Deepley Ordered Chaos». Ces mecs te tombent tout de suite dessus et tu ne peux rien faire. Tu entres en saturation comme d’autres entrent en religion, le gros Cult ne fait plus du rock mais du concassage extraordinaire avec un Astbu coulé dans la craie, il pèse de tout son poids sur cette fantastique débauche de plâtras, les accords sont beaux comme des haches qui s’abattent, tu ne peux pas échapper à ce carrousel d’extrême violence, l’Astbu est partout dans le ciel, il sonne comme un fléau biblique et Duffy abat ses haches d’accords avec une régularité qui fout la trouille, cette façon qu’il a de filocher à travers le son est unique au monde, tu passes sous les fourches Caudines du gros Cult, alors tiens-toi bien ! Un autre exemple avec «Hinterland». Hey ! Il rentre dans le chou du lard comme une épée. C’est à la fois une épée et une explosion. Te voilà suspendu dans les arcanes du son, et l’Astbu chante comme un beau diable, il amène des dimensions qu’on croit connaître, mais non, il crée un monde, il prend son temps, il chante par en dessous et soudain il tape dans l’Hinterland et ça dégringole de partout, tu as là l’un des plus beaux shakages de l’univers, with you/ Forever with you, il s’exacerbe, c’est un cut plein d’épisodes, il remonte à la surface des nuées avec des remugles plein la bouche, ça explose dans une soupe infâme de solos morts-nés, dans un océan d’avanie larvaire, Duffy fait tout ce qu’il peut pour survivre, c’est overwhelming et terrific, l’Astbu continue de monter son with you dans l’Hinterland, son poignant with you my love, c’est du génie pur, vibré comme du béton dans la gueule de Moloch. Et puis tu as «Birds Of Paradise» et sa belle profondeur de champ, beaucoup d’espace, idéal pour un déclameur hugolien comme l’Astbu. Il répand son souffle, il pose son chant comme s’il posait ses conditions et ça devient l’enfer sur la terre. C’est parce qu’il chante le Paradise que ça devient génial. Des chœurs des Dolls accompagnent cette descente aux enfers du Paradise. On descend littéralement dans la cave du Cult, mais l’Astbu veut la lumière du Paradise, alors il explose comme Lucifer, c’est d’une beauté tétanique. Il incarne l’ange déchu et fait glisser les accords dans la lumière, et là-bas, au loin, les chœurs qu’on entend ne sont pas ceux des anges, mais ceux des Dolls. L’Astbu pose sa voix sur l’acier en fusion. Des arpèges le transpercent, on sent le souffle de sa voix au dessus du brasier et là tu as certainement l’un des plus beaux cuts de l’histoire du rock. L’Astbu crée l’émotion des précipices. Et le redémarrage est une merveille unique au monde. Rien qu’avec ces trois cuts («Hinterland», «Birds Of Paradise» et «Deepley Ordered Chaos»), on est gavé. Pourtant, on trouve d’autre briseurs de noix sur cet album, comme par exemple «No Love Lost». L’Astbu y est le Chanteur Contre Le Pacifique. C’est le seul mec à savoir le faire. Son power dépasse celui des mots, comme chez Duras. Il pleut du feu. Alors tu te prosternes. Le «Dark Energy» d’ouverture de bal est aussi un passage obligé, car wild as fuck, avec un Astbu debout sous une pluie d’accords. Comme il est avant toute chose un seigneur, il se relève dans les décombres, c’est son numéro préféré, il sait faire le phénix du rock, le voilà dressé au beau milieu des décombres pour chanter. Et puis tu as encore «Dance The Night», visité par la grâce barbare, ce démon d’Astbu bénéficie de toutes les largesses de l’apocalypse. C’est encore une fois noyé de son. Il monte toujours à la rencontre d’un cut comme un sous-marin, et le plus souvent, il le torpille, mais c’est pour son bien. Tu vas tomber de ta chaise en écoutant le heavy sludge de «GOAT» et avec «Lilies», tu verras l’Astbu monter son chant par dessus la muraille de Chine d’un Wall of Sound, c’est gorgé de climats, terriblement texturé, taillé dans l’albâtre sonique. Encore de l’inexorable avec «Heathens». Ça te frise les moustaches. Sa voix vibre, jusque dans le cœur de l’atome. On note que Bob Rock produit tous ces albums géniaux.  

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Sur Pure Cult. The Singles 1984-1995, on croise pas mal de vieilles connaissances, comme par exemple «Star», tiré de Choice Of Weapon et saturé de son, ou «Love Removal Machine», tiré d’Electric et saturé de Stonesy, ou encore «Heart Of Soul», tiré de Ceremony, ou encore «Wild Hearted Son», tiré lui aussi de Ceremony, et puis aussi «Sun King» dont on a déjà dit tout le bien qu’il faut en penser, au moment de Sonic Temple. L’Astbu propose en permanence un mélange de pleasant et d’unpleasant, il a des réflexes de wild rocker, comme Iggy Pop ou Roy Loney. Ce sont des gens qui savent chevaucher un wild beat. Le gros Cult sort du lot comme les Doors sortaient du lot, par la seule aura du chanteur. Ian Astbury est le prince des clameurs. Cette compile de Singles est très bien faite, elle permet de faire le tour du propriétaire et d’écrémer la crème de la crème. Le gros Cult mise tout sur le heavy sound. C’est un autre monde. Ils amènent «The Witch» à la basse fuzz. Une bénédiction !  L’Astbu explose «In The Clouds» au pur power d’hardcore king. Il se fond ensuite dans le bad ass groove de «Coming Down», c’est du sérieux et ça bascule une fois encore dans le limon de tes rêves inavouables. Il emmène «Wild Flower» au sommet du lard fumant, il monte vite sur ses grands chevaux et ça atteint une fois encore le sommet du lard fumant.

    Signé : Cazengler, peigne-Cult

    The Cult. Dreamtime. Beggars Banquet 1984

    The Cult. Love. Beggars Banquet 1985    

    The Cult. Electric. Beggars Banquet 1987   

    The Cult. Sonic Temple. Beggars Banquet 1989

    The Cult. Ceremony. Beggars Banquet 1991

    The Cult. The Cult. Beggars Banquet 1994  

    The Cult. Beyond Good And Evil. Atlantic 2001

    The Cult. Born Into This. Roadrunner Records 2007

    The Cult. Choice Of Weapon. Mystic Production 2012

    The Cult. Hidden City. Cooking Vinyl 2016  

    The Cult. Pure Cult. The Singles 1984-1995. Beggars Banquet 2000

    Holy Barbarians. Cream. Beggars Banquet 1996

    Ian Astbury. Spirit/Light/Speed. Beggars Banquet 1999

    Lee Powell & Duncan Seaman : All glory/ Electric. Vive Le Rock # 91 - 2022

     

     

    Wizards & True Stars

    - Battle Fields (Part Four)

     

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Il se pourrait fort bien que Lee Fields soit la dernière superstar de la Soul américaine, ce qu’Ahmet Ertegun appelait autrefois the original black American music. Dès que Lee Fields arrive sur scène, tu réalises qu’il est l’héritier direct de James Brown. Bootsy booty. Une vraie bête de Gévaudan. Chaque fois qu’il revient en France, il donne l’impression d’être encore plus vorace. Son secret ? Le wild as fuck, c’est-à-dire le raw de la Soul. Comme Sharon Jones, il concentre tous les pouvoirs, à commencer par le Black Power. Il vient en direct de l’I’m Black and I’m Proud, des poings levés de Tommie Smith et John Carlos à Mexico, du Doctor King et de Malcolm X, de Solomon et de Wicked Pickett, de Sly Stone et de Sam & Dave, du prophète Isaac et d’Aretha, il hérite de la spacio-génétique de Funkadelic, il dit et redit, pour les ceusses qui ne l’auraient pas encore compris, la grandeur du peuple noir, une grandeur qui passe par le pont des arts. La Soul est l’art nègre par excellence.

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Lee ramène tout le saint-frusquin : la revue, les pas de danse, l’hot sax, les boots, les screams, la sueur, le juju, le mojo, les Flames, le funk, le feel, le fool, le fame, le feu, l’Afro, Lee t’enlise, Lee te lie à lui, Lee te lilipute, Lee luit dans les spots, Lee boit le calice jusqu’à la lie, Lee creuse le lit de la Soul, Lee voit loin, Lee ne pâlit pas, Lee verse des larmes, Lee te donne la lune, Lee Lady Lay, Lee lime, Lee t’élit, Lee t’allume, Lee t’allonge, Lee t’ilote, et soudain, Lee te ramène aux réalités avec un numéro de funk digne des grandes heures de son mentor, Jaaaaaaaames Brown :

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

    il bloque le funk dans ses starting-blocks, le doigt sur la couture du pantalon, alors la gratte tinguelite et déclenche l’enfer du funk sur la terre avec «Money I$ King», Brother ! Il te harangue et te harponne - sad sad world where money is king - alors la nef des fous bascule dans l’enfer du paradis. What the hell ! Hey, t’auras jamais ça ailleurs. Il sort aussi le vieux «Standing By Your Side» d’Emma Jean pour rocker sa Soul, cette Soul progressiste qui te marche dessus comme une armée de l’antiquité lancée à la conquête des continents, c’est à ça et à vraiment ça qu’on mesure l’immense power de Lee Fields, c’est son côté mitterrandien, cette merveilleuse force tranquille black qui n’en finit plus de résonner sous ton crâne de mort, ça bat comme un pouls, ça bat comme un cœur.

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

    Le fameux heartbeat d’Eric Burdon, tu l’entendras chez Lee de la terre. Et tu ne t’en lasseras jamais. Encore un numéro de cirque avec «Two Jobs», tiré du nouvel album, il raconte son histoire et la revue se met en ordre de marche, c’mon babe, diable comme ces mecs sont bons, rien que des petits culs blancs, mais des bons, bassman hocheur de tête, gratteux sobre mais claquemureur, sax man wild and frantic, beurreman milord-l’arsouille, shuffleman à la Georgie Fame, et Lee ergote comme un funkster, han ! sa femme lui dit Lee ramène du blé et Lee tape two jobs, joli prétexte à groover cette nef qui valse dans les grasses Sargasses de la Soul, Lee égrène les heures d’o’clock, c’mon baby, si tu veux danser sur le beat, c’est là que ça se passe.

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

    Et puis, la cerise sur le gâtö, c’est bien sûr le coup du lapin : «Honey Dove» en rappel et là Lee te tue, mais tu meurs de bonheur, il revient en gilet jaune et tape dans le dur de sa Dove, l’un des plus grands hits des temps modernes - My baby love/ My honey dove - Lee la tire à l’infini, sa Dove - You’re hurting me honey/ Right down to the bone - il en rajoute des minutes et des minutes qui sonnent comme des minutes de Sable Mémoriel, il multiplie les faux adieux et n’en finit de demander à la foule si elle est heureuse, alors la foule rugit bien, Lee veut l’entendre encore rugir, alors la foule fait yeah yeah, Ooh, baby My baby love, tu en veux encore ?, tiens en voilà encore, il part mais ne part pas, il fait son cirque jusqu’au bout de ses forces, profite bien du bout de ses forces, car t’es pas près d’en voir d’autres des bouts de ses forces pareils, Lee t’en vas pas, mais il faut bien qu’elle aille au lit, notre True Star. Eh oui, mon gars, Lee a 72 balais. Vénérable. C’est pour ça qu’on le vénère. 

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Alors qu’on le croyait un peu usé par le temps, il refait la une de l’actu avec un album superbe, Sentimental Fool. D’où cette tournée de promo.

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

    Sur la pochette, il pose au milieu des cocotiers et il casse aussitôt la baraque avec «Save Your Tears For Someone New». Comme il vient de confier son destin à Daptone, il ne pouvait espérer de meilleur catchin’ up. Les Dap-Kings soignent Lee jusqu’au délire, le Save Your Tears sonne comme une merveille apocalyptique, c’est l’accumulation des forces qui rend le cut surnaturel : genius de Lee + genius de Daptone, ça donne de l’extraballe gorgée de power sous-jacent. L’autre coup de génie de l’album s’appelle «Without A Heart», un vrai shoot de Daptone shuffle. Lee grimpe à cheval et part à la conquête de l’Ouest. Il est rompu à tous les arts, surtout celui du wild as fuck. Les Dap-Kings drivent ça bien, tu as encore le génie de Lee Fields qui court sur la crête - Summer rain in my heart - Rien de plus expressif, de plus pressant, ça roule avec des percus de caboche et un extraordinaire relentless de shuffle d’orgue. Absolument demented ! Avec «Forever», il est tout de suite en selle, il va droit sur la Soul intense et moite. On est là pour ça et Lee Fields ne te déçoit jamais. Il faut aussi comprendre que cette heavy Soul ne parle pas à tout le monde. Son concert en Normandie n’affiche pas complet. Lee Fields fait de la heavy Soul, écrasée comme une prune sous le soleil exactement. Ça commence à groover sérieusement avec «Two Jobs», sur fond de shuffle d’orgue, et Lee ramène sa voix de James Brown, alors il t’éclate le Sénégal et tape un fantastique shoot de jive. Puis il te plonge dans le chaudron de la pire Soul de froti avec «Just Give Me Your Time». On n’avait pas vu un tel chaudron depuis le temps de «Please Please Please». Derrière, ça joue fabuleusement, aux notes déliées, don’t worry baby. Prod magique, comme d’habitude chez Daptone. Encore une merveille avec «The Door», les violons te happent, don’t leave me, c’est du big biz claqué derrière dans le mix. Ça se joue à un autre niveau, avec des couches supérieures et des effets de claquettes. Il fait encore merveille dans «Ordinary Lives», il fait du heavy Lee, il plante ses crocs dans la Soul, c’est un vrai scorcher, une fantastique présence, il incendie son crépuscule. Il passe au plus dansant avec «Your Face Before My Eyes», Lee est un vétéran, il sait mener un bal, il sait allumer la belle Soul de Daptone au plus haut point. Et puis cette fantastique aventure s’achève avec «Extraordinary Man», il fait sa prière, il n’est pas celui qu’elle croit, c’est bien plombé. Cet homme admirable se plie aux aléas du destin et c’est orchestré rubis sur l’ongle.

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Oh et puis le voilà en couve de Soul Bag. Et six pages à l’intérieur. Dans l’interview, il parle bien sûr de son retour chez Daptone, après la fin de son contrat chez Big Crown. Gabe Roth  ? Il le connaît depuis belle lurette et s’entend bien avec lui. Pas de problème. Lee explique que Gabe lui présente des chansons, et il choisit. Lee confirme que Sentimental Fool a été enregistré au nouveau studio Daptone de Riverside, en Californie. Il évoque bien sûr ses vieux souvenirs de l’early Daptone en 1996, il évoque aussi ses vieux amis Sharon Jones et Charles Bradley. Mais au fond Lee n’a pas grand-chose à dire. Ce n’est pas un baratineur.

    Signé : Cazengler, Lee figue, Lee raisin

    Lee Fields. Le 106. Rouen (76). Le 11 février 2023

    Lee Fields. Sentimental Fool. Daptone Records 2022

     

    L’avenir du rock - La reine Elizabeth

     

             Pour se changer les idées, l’avenir du rock décide d’aller faire un tour à dos de chameau dans la Vallée des Rois. Avec sa chéchia, son nez courbe, sa barbe miteuse et son accent arabe, le guide est tellement caricatural qu’il semble avoir été dessiné par Hergé. Il précède l’avenir du rock de quelques mètres, juché sur un petit âne dont il bourre les flancs de coups de talons pour le faire avancer.

             — Li glande pylamide qué tu chouffle, sahib, ci celle du BiBi Kingue !

             — Diable, elle est deux fois plus grosse que les autres !

             — Les plêtles d’Anoubis pas ligoler avé Bibi Kingue, sahib ! Lui guitaliste pléfélé du gland Osilis.

             — J’aurais jamais cru que les dieux avaient aussi bon goût. Et la plus petite, à côté ?

             — Ci la pylamide dé Fleddie Kingue, sahib ! Lui guitaliste pléfélé du gland Holus.

             — Franchement, Mohammed, cette Vallée des Rois est du meilleur goût ! J’imagine que la pyramide suivante qui ressemble à une grosse glace fondue est celle d’Albert King...

             — Blavo Sahib ! Ci bien la pylamide d’Albelle Kingue, lé loi de la blouse-loque ! Lété fondu passe qui lé le pléfélé du gland Lâ. Tlop chauffé la caboche, hi hi hi !

             — Et toutes ces petites pyramides qu’on voit alignées par derrière ?

             — Cille là, Sahib, ci la pylamide du gland Eal Kingue di la Nivelle Ourlian, et a coti, ti as la pylamide du gland Ben I-Kingue, les pléfélés d’Anoubis.

             — Et celle qui est en construction, là bas ?

             — Ci celle d’Ilizibite Kingue, mais les ouvliers sont lentlés au village.

             — Pourquoi donc ?

             — Y faut attendle qu’Ilizibite casse la pipe, Sahib ! Ilizibite elle chante encole dans son village. Si tou veux Sahib, yé peu te vendle son delnié alboumme. Ci pas cher !

     

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             L’avenir du rock n’en revient toujours pas d’avoir trouvé le nouvel album d’Elizabeth King dans le désert. Il l’a eu en plus pour pas cher.

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

    Il s’appelle I Got A Love, et sort sur Bible & Tire Recording Co., un label qu’on a salué ici-même voici quelques mois. Cette fois, la Reine Elizabeth opte pour une pochette psychédélique. On croit tenir dans les pattes un bootleg californien de Captain Beefheart, mais rassurons-nous, c’est bien elle, et elle attaque au fast heavy groove de Bible & Tire avec «What You Gotta Do». Si on aime le heavy gospel, on est servi. Elle enchaîne avec un pur r’n’b, «Stand By Me», elle te drive ça droit dans le mille, elle chante à la clameur du oh no de stand by me, le beat est d’une rare violence et ça bascule dans la folie cavalante. Il secoue les colonnes du temple. S’ensuit «I Got A Love», le truc de Jimbo Mathus, d’une rare intensité, ça sent bon la mainmise - Like a haunting stroll through the dark Memphis streets/ With a desperate cry of love and affection - Elle passe sans crier gare au gospel rock avec «I Need The Lord». Elle t’allume ça dans la lucarne au heavy gospel batching ball et Will Sexton gratte ses poux. On retrouve sur cet album la même équipe que sur l’album précédent, avec Sexton, tu as Mark Edgar Stuart (bass), George Stuppick (beurre) et Matt Ross-Spang, (second guitar). Le Master of Ceremony reste bien sûr Pastor Juan D. Shipp, personnage de légende dans le monde du gospel local. «My Robe» dégage bien les bronches, oh my robe ! , elle te monte ça vite fait en neige, oh my robe !, elle le danse dans l’entre-deux, aw, la classe de la Reine Elizabeth, elle le perpétue jusqu’à la fin des temps, oh my robe !, te voilà arrivé dans l’art sacré. Avec «I Know I’ve Been Changed» elle remercie Jésus de l’avoir changée. Et ça se termine en heavy loco de gospel des seventies avec «My Time Ain’t Long», une divine apocalypse. 

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Lors de leur passage en Normandie, les Como Mamas avaient tellement marqué les cervelles au fer rouge qu’on est resté sur le qui-vive. Dès que paraît un Bible & Tire Recording, on lui saute dessus. Tiens justement, en voilà un de taille : The D-Vine Spiritual Recordings. Les liners nous indiquent qu’Elizabeth King est restée 33 ans avec ses Gospel Souls et qu’elle a élevé 15 gosses. The D-Vine Spiritual Recordings est une compile de Memphis Gospel batch, mais à l’ancienne. Ça démarre avec un «I Heard The Voice» enregistré en 1972, fantastique alliage de sensibilité et de power qui fut, nous dit le producteur Juan D. Shipp, un gros succès. Il avait demandé à Elizabeth King de chanter comme si elle faisait l’amour à Dieu - Nobody could sing like the original - Puis comme sait si bien le faire le gospel, ça explose avec «Wait On The Lord». Le coup de génie de l’album s’appelle «Here Waiting». Elle allume la gueule du gospel et ça tourne à la magie pure, elle détient le power d’Aretha - I find in Him sweet rest - Elle explose le batch, le gang joue heavy et les Gospel Souls chantent à la criée avec tout le jus du doo wop. Elle profite de «Jesus Is My Captain» pour amener Jésus en feulant dans la nef des fous de l’église en bois. Elle chante ça sous le boisseau de l’autel, elle rampe un temps pour mieux rejaillir et éclater dans la rosace d’une cathédrale imaginaire. Quel boulot ! On est encore plus effaré par «I Found Him» : c’est la classe du gospel croon de Broadway in Memphis, elle se barre en heavy groove de gospel jazz - I found him to be my hellbound chaser/ I found him to be my midnight rider - Incroyable tension du batch. Tout est beau sur cet album miraculé. La reine Elizabeth fait de la Soul de gospel, elle chante à la vie à la mort, comme une lionne, elle est l’Aretha des pauvres, la Soul Queen de Memphis, même si on sait qu’Aretha est elle aussi originaire de Memphis. Elle fait du r’n’b primitivo-spirituel. 

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             En 2021, la reine Elizabeth est devenue une vieille dame quand elle enregistre Living In The Last Days. Elle n’a plus la même voix. L’album décolle avec «He Touched Me». Les Vaughn Sisters font les chœurs, c’est très fin, quasi-chirurgical, tellement précis, à l’ozone près. Elle enfile une série de gospels classiques (gospel d’orgue avec «Living In The Last Days», Memphis beat avec «Mighty Good God» et heavy shuffle avec «A Long Journey»). Puis ça se met à rocker avec «Reach Out And Touch», monté sur un beau bassmatic ballochard. Avec «Walk With Me», elle demande beaucoup à Lawd - Lawd be my friend/ Don’t leave me alone - Elle attaque «Cal On Him» à la Sam Cooke. La reine Elizabeth termine cet album attachant avec l’a capella de «Blessed Be The Name Of The Lord», la voilà pure et dure, et elle enchaîne sur le plus beau des hommages : «You’ve Got To Move», le vieux classique de Mississippi Fred McDowell. Mister Jag et tous les repreneurs, prenez des notes.  

    Signé : Cazengler, Elizabête comme ses pieds

    Elizabeth King. Living In The Last Days. Bible & Tire Recording Co. 2021

    Elizabeth King & The Gospel Souls. The D-Vine Spiritual Recordings. Bible & Tire Recording Co. 2019

    Elizabeth King. I Got A Love. Bible & Tire Recording Co. 2022

     

     

    Inside the goldmine

    - In the Mud for love

     

             Personne n’aurait pu dire ce que Mad avait au fond du crâne. Et ce n’est pas faute d’avoir essayé de comprendre. Pendant des années, nous avons chevauché ensemble, mais il demeurait impénétrable, même lorsqu’il affichait son prodigieux sourire de gamin. Il ne parlait jamais de lui, sauf pour indiquer qu’il avait toujours eu les cheveux blancs, depuis sa plus tendre enfance. Lors des bivouacs, il grattait sa guitare à la folie, il torturait à n’en plus finir des thèmes de flamenco et nous avions beau lui répéter qu’il fallait garder le silence pour des raisons de sécurité, rien n’y faisait. Il grattait deux fois plus fort. On devait nous entendre à des kilomètres à la ronde et c’est un miracle que les chasseurs de primes ne nous soient pas tombés dessus. Mad ne craignait pas la mort, il avait déjà traversé le miroir. Il semblait observer les vivants comme on observe des curiosités. On se méfait un peu de lui, car il pouvait avoir un côté très dangereux. On l’avait vu à l’œuvre dans des saloons, il provoquait des rixes pour un rien. Il ne sortait son six coups que pour tuer à coup sûr, et souvent pour des prétextes bénins, du genre un malencontreux échange de regard ou simplement une tête qui ne lui revenait pas. Un vrai crotale. Il valait mieux être son ami que son ennemi. Mais personne dans le gang n’était vraiment sûr de lui à cent pour cent. Il chevauchait avec nous, c’est tout. Nous avions besoin d’hommes de sa trempe pour monter des coups sur les villes de la frontière, et peu de gens osaient encore risquer leur peau pour un sac d’or. L’or n’intéressait même pas Mad. Il nous laissait sa part et retournait gratter sa gratte. Quand il ne grattait pas, il fabriquait de l’alcool de cactus. Il en trimballait toujours des bidons accrochés en travers de sa selle et nous en offrait de grandes lampées lorsqu’on fêtait la réussite d’un casse. Son alcool de cactus montait droit au cerveau et pouvait assommer un bœuf. Mad pouvait en boire de grandes lampées au goulot de son bidon et rester de marbre. Un matin, on s’est réveillés et Mad avait disparu. Avait-il seulement existé ?

     

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             De la même façon que Mad, Mud fait partie des compagnons de route qui sont aussi des anomalies, et c’est justement parce qu’ils sont des anomalies qu’on se souvient d’eux avec autant de précision. Dans le courant des early seventies, les champions du glam savaient défrayer la chronique, mais d’une certaine façon, Mud raflait la mise. Ils intriguaient. Leurs pochettes ne laissaient pas indifférent. Ils flirtaient avec le pastiche, comme d’ailleurs les Rubettes, mais ils excellaient dans un genre purement britannique : le hit glam. Dans Vive Le Rock, le bassman Ray Stiles raconte l’histoire de Mud. Oh, cette histoire n’apporte rien de plus que les autres histoires, elle est celle de tous les groupes anglais qui rament pendant des années, qui jouent dans le circuit des cabarets et qui décident un jour de passer pros. En 1968, ils vont tourner en Suède, ils enregistrent deux ou trois singles qui ne marchent pas et se retrouvent au point de départ. Mickie Most les repère, leur conseille de changer de nom, leur propose Hot Chocolate, une idée soufflée par John Lennon, et leur dit de revenir le voir quand ils auront cassé le contrat qui les lie à leur agence. Retour au point de départ. Tournées en Angleterre. Mais comme tout le monde parle de Mud, Mickie Most dresse l’oreille. Il les signe en 1973 et les met dans les pattes de Chinnichap, le duo de compositeurs maison qui bosse pour RAK et qui fournit des hits à Sweet et à Suzi Quatro. Et pouf c’est parti !

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             En 1974, Mud fait sensation avec Mud Rock, paru sur RAK. Les Mud boys démarrent avec un hit signé Chinnichap, «Rocket», bien glissé sous le boisseau. C’mon now ! Son de rêve. Ils tapent ensuite une double cover «Do You Love Me/Sha La La La Lee» dans une fantastique ambiance. Big glam sound encore avec «Running Bear», le plus beau son de glam de l’an de grâce 1974. On retrouve cette grâce glammy en B avec «Dyna-Mite/The Cat Crept In/Tiger Feet», un véritable chef-d’œuvre. Ray Stiles indique que Sweet n’a pas voulu de «Dyna-Mite». Le reste de l’album tourne bizarrement en eau de boudin. Mais bon, à l’époque, l’amateur de glam savait se satisfaire de trois hits. C’est au moment de l’enregistrement de ce premier album que les Mud boys se posent la question du look. Comme son oncle est un Ted, Ray Stiles propose le look Ted, mais Rob Davis l’arrange à son goût. Le résultat de leurs cogitations se trouve sur la pochette de Mud Rock.

             Ray Stiles précise en outre que dans le duo Chinnichap, Mike Chapman était le real deal. Il était en studio avec les groupes. Nicky Chinn était plus un hustler, il négociait des coups, notamment les passages à Top Of The Pops. «Nicky pour le business, Mike pour la musique, ils s’entendaient bien», nous dit Stiles.

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Il faudrait accrocher quelque part un écriteau disant : «Merci de ne pas prendre Mud pour des clowns». C’est en tous les cas ce qu’inspire l’écoute du Mud Rock Vol. 2 paru en 1975. «Living Doll» est du pur glam rock de Chinnichap. Ils tentent l’Elvisserie avec «One Night» et c’est du solide. Tout est solide chez Mud, le chant, le solo de Rob Davis. Ils font aussi une belle cover de «Tallahassee Lassie». Power pur ! C’est la prod RAK, bien rik et rak, c’mon baby ! Mais le chef-d’œuvre de l’album est la cover d’«Oh Boy» en B, une gospel cover de Buddy Holly, un suprême hommage, tapé à la perfection harmonique, when you’re with me Oh boy ! Ces gens-là sont des démons. Tous ceux qui ont entendu cette version d’«Oh Boy» à l’époque en sont restés marqués. Ils terminent avec une version kitschy kitschy de «Diana» et Rob Davis ulule dans le son avec des notes grasses et sirupeuses.

             Puis ils font une grosse connerie : il quittent RAK et Chinnichap, car Private Stock leur propose un gros paquet de blé. Quatre fois plus que Chinnichap, nous dit Ray Stiles.

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Leur premier album pour Private Stock s’appelle Use Your Imagination. En ce temps-là, on savait faire des pochettes. Ah il faut voir leurs dégaines dans leurs costards bleus, ce sont de vrais glamsters. Ils démarrent l’album sur le pur glam d’«R.U. Man Enough», c’est-à-dire «Are You Man Enough», mais il faut attendre «Hair Of The Dog» pour renouer avec le vrai glam anglais : énergie, chaleur des chœurs, tout est là. Et la pulsion du beurre ! Ils tentent aussi le diable avec «Don’t Knock It», ça reste altier, pas trop maniéré et joué avec maestria. Ils font aussi des pastiches de rock’n’roll, comme ce «43792» monté sur le riff de «Something Else». Avec l’«L’L’Lucy» qui ouvre le bal de la B, ils sonnent comme Ziggy. C’est encore une fois excellent, plein de jus, battu sec et net. C’est avec le morceau titre qu’ils créent la surprise : ils tapent dans un groove de pop de très haut niveau, ce groove de good time music semble tomber du ciel. Beau comme un cœur. Ils virent plus poppy avec «Under The Moon Of Love». Rien de surprenant car c’est signé Tommy Boyce. Si tu es assez fan de Mud pour aller rapatrier la Mud Box sortie chez Cherry Red, tu vas tomber sur des bonus extraordinaires : «My Love Is Your Love» (une étonnante smooth pop, et là Mud devient un groupe passionnant qui sait se fondre dans le fondu) et «Don’t You Know» (Pop de charme, pure magie).

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Depuis qu’ils ont quitté RAK, ils perdent de l’altitude. Ils rencontrent le même problème que les Monkees : en voulant leur indépendance, les Monkees se sont coupés de Don Kirshner et de Boyce & Hart, donc d’une source inépuisable de hits. It’s Better Than Working est un album nettement moins dense, et la pochette n’est pas du meilleur goût. Une sortie d’usine n’est pas un objet de plaisanterie. Tu trouveras un peu de glam en B avec «Note Of The Tiles», mais ils le jouent un peu trop vite et finalement, le compte n’y est pas. Puis ils basculent dans la putasserie avec «How Many Times» et «Don’t Talk To Me». Leurs atroces kitscheries n’ont aucun avenir. Dommage, car l’«It Don’t Mean A Thing» s’annonçait bien, aux frontières de la pop et du glam. C’est encore le son de l’Angleterre heureuse, juste avant Thatcher. Mais on remarque très vite une grave carence compositale. Ray Stiles & Rob Davis, ce n’est pas la même chose que Chinnichap. Ray Stiles & Rob Davis se lancent à l’assaut des charts et ça ne marche pas. Ils tentent de revenir au glam pur avec «Blagging Boogie Blues», mais ça bascule vite fait dans le fast n’importe quoi. Même remarque que précédemment : tu vas trouver dans les bonus de le Mud Box un «Time & Again» digne des Beatles de «Rocky Racoon». Et comme le dit si bien Phil Hendricks, Mud perd avec cet album ce sense of fun and bonhomie qui les caractérisait si bien, à quoi Les Gray ajoute : «I think we got too big for our boots. We were thinking we were Steely Dan.»

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Retour au glam sur Rock On avec deux cuts : «Who You Gonna Love» et en ouverture de bal de B, «Careless Love». C’est le heavy boogie down d’Angleterre, bien porté par un bassmatic chevrotant. Les Gray chante «Careless Love» au tremblé émotif, porté par l’excellent stomping ground de Mud, et Rob Davis tire son solo à quatre épingles, oh c’mon, le son est tellement parfait ! On retrouve le Mud qui pondait jadis des hits glam intemporels. Cet album pourrait bien être le grand retour de Rob Davis qui éclaire «Burn On Marlon» d’un solo luminescent et «Let Me Get (Close To You)» d’un solo d’urgence claquante. Le reste des cuts n’est pas très convaincant. Dommage qu’ils n’aient pas capitalisé sur leur stock de glam attitude. Ils terminent l’album avec un gros clin d’œil à Eddie Cochran : ils reviennent au rock’n’roll avec une belle version de «Cut Across Shorty». Ils devraient le faire plus souvent, ils amènent leurs couplets aux clap-hands, dans leur environnement glam et ça redevient étonnant. Côté Mud Box et bonus, on se doit de saluer «Let Me Out», un puissant instro. Avec Rob Davis, c’est forcément du tout cuit. Ils font aussi une cover du «Just Try (A Little Tenderness)» d’Otis, mais en mode glam, it’s over/ tonite, c’est très bon esprit.          

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

            Et puis voilà la chant du cygne : As You Like It, qui sort en 1979 avec une pochette voluptueusement illustrée. Ça part en mode diskö-pop avec «Dream Lover» et on est un peu triste, car Mud restait un groupe à fort potentiel. Ils se sont épuisés. On sauve «1-2 Love» sur cet album, qui bascule dans le glam après un mauvais départ. Ils font même du funk avec «As You Like It», puis du reggae avec «You’ll Like It», puis du gospel avec «So Fine». C’est toujours très solide au niveau son, et même assez beau. Ils font aussi de la pop incertaine avec «Right Between The Eyes». Ils sont parfaitement à l’aise dans tous les styles, puisqu’ils finissent l’album avec du doo-wah-doo-wah des fifties, une belle reprise du «Why Do Fools Fall In Love / Book Of Love» de Frankie Lymon. On salue une dernière fois Rob Davis et son «Roly Pin», planqué dans les bonus, car il crée autant de magie que Peter Green.

             Mud splitte en 1979. Les Gray monte Les Gray’s Mud, Rob Davis joue dans les Darts et Ray Stiles rejoint les Hollies en 1985.

    Signé : Cazengler, Mud alors !

    Mud. Mud Rock. RAK 1974

    Mud. Use Your Imagination. Private Stock 1975

    Mud .Mud Rock Vol. 2. RAK 1975  

    Mud. It’s Better Than Working. Private Stock 1976

    Mud. Rock On. RCA Victor 1978                    

    Mud. As You Like It. RCA Victor 1979 

    Mark McStea : Tiger feet. Vive Le Rock # 91 - 2022

     

    *

    Lorsque Thumos a annoncé vers la mi-juillet que son prochain opus serait Symposium, j’étais encore sous le choc esthétique de Course of the Empire, voir la chronique in Kr’tnt ! 562 du 07 / 07 2022, je n’ai pas eu le réflexe de ramener ce nouveau titre aux antérieures réalisations du groupe. A Course of Empire est une série de toiles du peintre américain Thomas Cole sur le sujet du destin de tout empire, il n’est pas interdit d’y voir une préfiguration pessimiste de la destinée des Etats-Unis… La version metallo-symphonique de l’œuvre de Thomas Cole opérée par Thumos peut ouvrir le champ à de similaires inquiétudes… J’ai passé tout l’été en me demandant à quel évènement, nommé Symposium, de l’histoire des States ce nouveau projet était consacré. Evidemment je m’étais enlisé dans une fausse piste. Je plaide coupable, je n’ai pour toute excuse que celui d’être français, car par chez nous il est très rare de nommer le Symposium selon son vocable original, il répond à un titre nettement plus évocateur : Le Banquet. Non pas le Beggars Banquet des Rolling Stones, mais de celui dont les abeilles de l’Hymette venaient butiner le miel de ses lèvres, j’ai nommé Le Banquet de Platon. En France tout le monde connaît ce titre sans même l’avoir lu, personne n’ignore, notre vieux fond gaulois attaché à la gaudriole aidant, que Le Banquet de Platon parle de l’amour. Evidemment c’est un agréable raccourci, peut-être convient-il avant d’écouter le Symposium de Thumos de nous attarder quelque peu sur le Symposium de Platon.

    LE BANQUET DE PLATON

    lush,the cult,lee fields,elizabeth king,mud,thumos,doors

    Rappelons que Thumos a attiré l’attention de moult amateurs de musique rock par son adaptation – nous reviendrons sur ce terme peu précis – de La République de Platon (voir notre chronique 541 du 10 / 02 / 2022 ). Ces deux dialogues sont dissemblables : comparé au Banquet, La République est beaucoup plus austère, elle évoque un sujet que l’on qualifiera de théorique et que l’on définira grossièrement par la question suivante : quelle sorte de gouvernement pour une Cité idéale ? Selon les catégories platoniciennes du juste et du bon Le Banquet s’intéresse au Beau, qui dit beau pense à beauté et qui dit beauté pense au désir et à l’amour. Tout lecteur se sent directement interpellé…alors que les ratiocinations sur le meilleur des régimes politiques suscite davantage de méfiance et de scepticisme, surtout par nos temps troublés…

    Un banquet était composé de deux parties, l’on mangeait dans la première, l’on buvait dans la seconde nommée Symposium. Le banquet dont il est question dans le dialogue de Platon est terminé depuis plusieurs années lorsque débute l’œuvre. Nous n’y assistons pas en direct si l’on nous passe l’expression. Mais il est resté célèbre non parce que la boisson et les libations aux Dieux se succédant il aurait dégénéré, disons en orgie romaine, mais pour les discours qui y avaient été prononcés. Rappelons que si nous vénérons les textes de la Grèce Antique, l’enseignement était avant tout oral. Le savoir était transmis directement du maître aux disciples. Par exemple beaucoup de textes d’Aristote qui nous sont parvenus sont à l’origine des cours dispensés en salle de classe ou en marchant, une fois la leçon terminée les élèves se retiraient et notaient les paroles du professeur. Ecouter et mémoriser était primordial. L’on ne s’étonnera donc pas qu’Apollodore le narrateur puisse de tête reproduire les longs discours, ou du moins l’essentiel, qui avaient été tenus par les principaux convives tels que les lui avaient révélés Aristodème qui lui avait assisté à ces agapes intellectuelles et duquel la justesse des propos furent plus tard confirmés à Apollodore par Socrate lui-même…

             Pour la petite histoire Apollodore fut un élève de Socrate, il tentera de convaincre Socrate de plaider coupable et de payer une amende dont il se portait caution. Xénophon raconte qu’Apollodore assista à la fameuse scène de Socrate buvant la cigüe mais qu’il fut incapable de retenir ses pleurs… preuve ô combien évidente qu’il n’avait pas encore intégré l’enseignement de son maître…

             Le banquet est donné par Agathon pour fêter sa victoire au concours dramatique en l’honneur des fêtes Lénéennes (fin janvier-début février) dédiés à Dionysos, à Athènes. Après le repas proprement dit vint le moment de boire. Les convives sont fatigués, la veille Agathon a déjà offert à ses amis et invités une grande fête très arrosée… la proposition d’Eryximaque de boire modérément mais d’égayer la soirée en demandant aux participants de prononcer chacun à leur tour un éloge au Dieu Eros est acceptée par tous. 

    Sept discours se succèderont durant cette soirée mémorable. Ce n’est pas un hasard si le Symposium de Thumos comporte huit morceaux.  Pour les personnages évoqués par Thumos nous utiliserons la transcription française de leur nom.

              Un dernier avertissement à l’auditeur qui ne lève pas la nuit pour relire quelques pages de Platon :  malgré le sujet nous ne sommes pas en présence d’un ouvrage joyeux, laissons de côté les représentations romaines du Dieu Eros sous les traits d’un enfant facétieux qui s’amuse à vous percer le cœur de ses flèches redoutables qui peuvent vous rendre heureux ou malheureux si votre amour est, ou n’est pas, exaucé par la personne vers qui se porte vos désirs… Que le lecteur ne soit donc pas surpris par la tonalité grave ou dramatique de cette œuvre.

    SYMPOSIUM

    THUMOS

    ( Snowwolf records / 14 – 02 – 23 )

    lush,the cult,lee fields,elizabeth king,mud,thumos,doors

    Thumos a découpé en huit parties le dialogue de Platon en suivant l’ordre de son déroulement chronologique, il faut avoir écouté l’œuvre en son entier pour en saisir l’unité organique, elle n’est pas composée de huit morceaux indépendants les uns des autres, elle est parcourue de la même tension qui ordonne l’enchaînement des discours successifs, l’on suit une gradation  qui par paliers emmène l’auditeur du plus simple au plus complexe, de l’évidence à l’idée, nous empruntons une courbe élémentale qui nous permet de gravir les échelons qui de la zone terrestre nous conduisent à l’espace éthéré. L’éther est le cinquième élément réservé aux Dieux, c’est son inconnaissance qui influe sur le destin des hommes et le transforme en déclin.  Le Banquet n'est compréhensible que si on le lit selon l’enseignement parménidien du double chemin, celui de la vérité et celui de l’erreur, pour employer des termes plus subtils celui de celui de l’être et celui du non-être. Sans doute Le Banquet doit-il être considéré comme la réponse de Platon à ce que l’on surnomme de nos jours le Traité du Non-être de Gorgias.

    lush,the cult,lee fields,elizabeth king,mud,thumos,doors

    Phaedrus :  ce n’est pas un hasard si Eryximaque a proposé de parler d’Eros, il ne cache pas que ce sujet intéresse au plus haut point Phèdre, celui-ci est un féru de mythologie, les Dieux l’interrogent, il fut toutefois accusé d’avoir participé aux mutilations des statues d’Hermès et à une parodie des Mystères d’Eleusis, toute l’ambiguïté grecque envers les Dieux dans cette dichotomie intellectuelle et comportementale, les Dieux fascinent et révulsent… Plus prosaïquement le procès qui fut intenté aux coupables de ces deux crimes religieux (relevant de la peine de mort) est aussi la résultante d’un féroce combat politique entre les clans politiques qui se disputent le pouvoir, mais ceci est une autre histoire entre démagogie et tyrannie… Mais que déclare Phèdre dans son discours :   il est important de faire l’éloge du dieu Eros proclame-t-il car il est un des premiers Dieux qui soient apparus, ce qui prouve qu’il est un dieu fondamental… Mais pour en revenir aux hommes Eros oblige l’amant et l’aimé à se bien conduire, comment commettre une action honteuse dont on aurait à rougir devant son aimé ou son amant. Eros oblige à se surpasser et même à mourir non pas spécialement pour sauver celui qui survivra mais pour démontrer aux yeux de tous que l’Eros vous a donné le courage de de vous sacrifier pour être exemplaire aux yeux du survivant. Ce raisonnement se comprend parfaitement si l’on se souvient que la société grecque antique provenait de tribus guerrières doriennes dont la guerre était la modalité sine qua non de leur existence. Choisissons deux exemples parmi ceux proposés par Phèdre : après sa mort les Dieux accueillent Achille dans l’île des Bienheureux, il ne s’est pas écroulé après la mort de Patrocle son aimé, non seulement il l’ a vengé en tuant Hector mais par la suite il  a continué à se battre contre les troyens, rien à voir avec Orphée le pleurnicheur qui descend aux Enfers pour qu’on lui rende son Eurydice chérie, les Dieux ne lui permettent pas de la ramener, honte suprême il sera plus tard tuer par des femelles en rut…   Ecoutons maintenant comment Thumos évoque ce discours : l’auditeur à l’âme naïve et fleur bleue sera surpris par la gravité de ce début, l’amour n’est pas un tendre sentiment, la violence de la batterie digne des coups d’épée sur les boucliers de bronze démontrent à l’excès que l’éros est une affaire d’hommes et des plus graves, le morceau dépasse à peine cinq minutes mais la charge lyrique s’amplifie à chaque seconde, pour rester sur une image antique nous avons l’impression d’être au premier rang d’une phalange qui cède et plie sous la poussée ennemie, l’instant crucial où tout, défaite out victoire, est encore possible mais demande un surcroît de courage et d’engagement total de son être. Ne pas confondre éros et amourette. Pausanius : nous savons peu de choses de Pausanias sinon qu’il connaissait Prodicos, sophiste réputé pour sa réflexion sur le langage dont Socrate aurait suivi les enseignements et qu’il fut l’amant d’Agathon celui qui offre le banquet : Ecoutons Pausanias : son discours pourrait être qualifié de plus réaliste, il ne prend pas à témoin les héros de la haute antiquité, il s’intéresse aux hommes de son temps. Il y a Eros et Eros tout comme il existe deux Aphrodites. L’une céleste et l’autre vulgaire. Ceux qui aiment les femmes relèvent de la seconde, ceux qui aiment les hommes pour la simple jouissance de leurs corps aussi. Ceux qui suivent l’Aphrodite céleste sont les amants et les aimés qui entretiennent des rapports non pour une simple jouissance physique mais pour se comporter vertueusement chacun selon son rôle défini par la société. Il entre dans les détails, l’aimé doit être jeune ( et passif ) l’amant plus âgé ( et actif ) , le premier ne cède que pour progresser dans sa manière d’être un bon citoyen, le deuxième pour que son désir ait une action pour ainsi dire pédagogique et sur l’ami et sur lui-même… le rapport aimé-amant ne doit pas ressembler à la domination qui soumet l’esclave à son propriétaire, car ces soumissions sont celles des sociétés barbares et des cités commandées par un tyran. L’arrière-plan politique des représentations amoureuses apparaît nettement dans ce discours. Ecoutons Thumos : le rythme se ralentit mais très vite l’ampleur sonore reprend son incessante intumescence, nous ne sommes plus dans une société guerrière mais dans une cité policée, les jeux de la guerre cèdent la place aux préceptes sociétaux, aux lois, aux règlements, aux usages, à la manière dont sont perçus les bonnes actions et les mauvais comportements, tout se complique, le déploiement de l’influx instrumental devient luxuriant, ce n’est plus les épées et la force qui prédominent mais les regards de tous qui sont peut-être encore plus pesants et inquisiteurs que le choc du bronze et de l’airain, subitement la pression disparaît comme si au total en y réfléchissant tout  ne dépendait que de notre seule bonne conduite individuelle, un simple leurre, une illusion chassée par le doute, ce serait trop facile, la musique devient plus forte, l’on ne plie plus sous la poussée de ses ennemis mais sous le poids de sa propre responsabilité écrasante. Eryximachus : médecin de son état, ami de Phèdre : Lisons l’ordonnance du docteur Eryximaque : commence par critiquer le discours de Pausanias par trop schématique et incomplet. Il n’y a pas d’un côté la bonne Aphrodite et de l’autre la mauvaise, en toutes choses, en toutes sciences, l’on retrouve un mélange des deux Aphrodites, l’art du médecin est de rétablir l’équilibre des contraires entre ce qui dans le corps est en bonne santé et ce qui est malade. L’art du musicien sera de rétablir l’équilibre entre ce qui est trop aigu et ce qui est trop grave. C’est cet équilibre réalisé qui est la marque de l’Eros. L’Eros est comme le remède universel capable de réguler toutes choses, les humaines comme les divines. Eryximaque parle en praticien mais il offre à l’éros la première place, celle de premier régulateur du monde. Comment les praticiens musicaux de Thumos vont-ils ils mettre en pratique l’ordonnance d’Eryximaque ? : en offrant à Eryximaque un background musical d’une plénitude extraordinaire, font comme si Aristote avait décrété que le moteur immobile qui met en mouvement le monde était la musique, Thumos touche en ce morceau au grandiose en le sens où tout est là et rient n’est en trop ni en moins, si ce n’était l’amplitude enthousiasmante de ce court morceau spécifiquement humaine l’on pourrait dire que l’on atteint au domaine souverain des Idées. Aristophanes : l’on ne présente pas ce bouffon prodigieux que fut Aristophane, il n’a jamais rien respecté dans ses comédies, pour ce qui nous concerne, ni Agathon qu’il ne se gênera pas dans ce même dialogue de traiter d’inverti, comprenons de mâle passif, ni Socrate dont dans Les Nuées il trace un portrait à charge corrosif… Pour une fois Aristophane ne nous fera pas rire, ses propos ont fait rêver bien des générations : Aristophane raconte ce que nous nommons le mythe de l’Androgyne. Ces êtres humains primitifs qui possédaient soit un sexe soit les deux sexes, mâle et femelle, que Zeus coupa en deux, si bien qu’au travers de nos amours nous recherchons la moitié perdue… Comment Thumos a-t-il transcrit ce mythe ? : remarquons d’abord que les propos d’Aristophane sont en totale contradiction avec ceux d’Eryximaque qui affirmait que l’on retrouvait en toutes choses la présence de l’Eros alors qu’Aristophane déplore son absence en le lieu que nous privilégions par excellence : nous-mêmes. L’on pourrait accroire que le morceau souffrirait d’une quelconque disparité, qu’il serait comme boiteux, c’est bien ce qui arrive en ses débuts, mais ce vide va prendre une ampleur si démesurée qu’il devient aussi important que la plénitude précédente, mais là où ça sonnait plein, ici ça résonne creux, la musique semble cheminer sur une jambe, tantôt elle court et se hâte comme si elle avait aperçu sa chère moitié pas très loin mais elle a beau presser le pas, gagner en assurance, la voici encore une fois qui claudique, cahin-caha, le son se tortille telle une torpille qui ne sait plus où aller, elle marche comme un clown désespéré, toutefois le désespoir n’est pas sans atteindre à  une certaine grandeur humaine.  

    lush,the cult,lee fields,elizabeth king,mud,thumos,doors

    ( Agathon )

    Agathon : aimé de Pausanias, élève de Prodicos et de Gorgias, sophiste envers lequel Socrate marque quelque déférence, chose rare chez lui, rappelons que c’est Agathon qui offre le banquet. Il passera les dernières années de sa vie à la cour du roi de Macédoine Archélaos, ce qui est le signe d’un engagement peu démocratique… Agathon parle moins des hommes que d’Eros : exactement de sa nature, c’est le Dieu le plus jeune, qui est venu après le règne de la Nécessité qui pendant longtemps soumit les Dieux à ses terribles lois qui engendrèrent conflits et violences entre les Dieux qui se disputèrent le pouvoir. Eros est le plus beau de tous, il fréquente les jeunes hommes qui sont à son image, il est le plus fort sans avoir besoin d’user de sa force,   il triomphe des hommes et des Dieux, il se glisse dans le cœur et l’esprit des hommes et des Dieux et aucun ne le chasse, tous l’accueillent avec plaisir. Il est le véritable guide des hommes. Autour de Thumos de transcrire le panégyrique d’Eros prononcé par Agathon : notes scintillantes de vives couleurs en introduction pour évoquer l’Eros d’Agathon, après les quatre premiers morceaux tempétueux pour la première fois Thumos nous livre un espace de grâce quasi virgilienne, mais cet instant de calme ne dure pas, la musique s’alourdit, certes elle reste éclatante mais elle se doit de montrer la puissance de ce Dieu hyper persuasif à qui personne ne songerait à s’opposer, un Dieu qui n’apporte que plaisir et volupté, ne le regrettons-nous pas lorsqu’il nous quitte, la musique se déploie telle une teinture de pourpre qui nous donne l’illusion d’être investi de la tranquillité et du rire des olympiens, en se glissant en nous, ne nous apporte-t-il pas l’intime conviction que nous vivons dans un monde de beauté et que nous tutoyons les Dieux, l’Eros est un songe que nous refusons de quitter. Thumos nous offre la plénitude du bonheur. Socrates : encre un que l’on ne présente pas. Le super héros qui a toujours raison, quoique vous ayez dit puisqu’il arrive à vous mettre en contradiction avec vous-même. Méfiez-vous s’il commence par vous couvrir de compliments. Ainsi commence Socrate : avouant qu’il est subjugué par la beauté du discours d’Agathon, lui trousse même un fameux compliment puisqu’il le compare aux paroles que prononce ou écrit habituellement Gorgias ( dont il admire l’aisance mais déteste la suffisance, ajoutons-nous).  Socrate ne se livre pas à proprement parler à un discours, il met en marche sa machine à concassage tous azimuts qu’il dirige contre Agathon. Par un jeu de questions-réponses habilement mené il le met en contradiction avec lui-même : Eros ne peut pas être amoureux de lui-même, donc Eros souffre de l’absence de ce qu’il est, de sa beauté et de sa bonté, donc Eros n’est ni bon ni beau. CQFD ! Gros challenge à relever pour Thumos : comme une dissonance en introduction et quelques chuintements de mauvais augure, coups de boutoirs de pelles mécaniques qui s’abattent sur des murs, écrasement total, avance incoercible de rouleaux compresseurs qui réduisent les débris en miettes, immédiatement suivis de tractopelles qui déblaient le terrain comme s’ils repoussaient des jouets d’enfants, mise en œuvre d’une puissance incoercible à laquelle rien ne saurait s’opposer, la musique baisse d’un cran le temps que les auditeurs prennent conscience de la victoire de Socrates sur la branlante faiblesse de tous ceux qui l’ont précédé. Les dernières notes comme le signe de désolation qui s’est emparé des adversaires convaincus de la supériorité éminente de leur adversaire.

    lush,the cult,lee fields,elizabeth king,mud,thumos,doors

    ( Socrate recevant l'enseignement de Diotime )

    Diotima : Socrate ne se vante guère de sa victoire, il ne sait pas (l’hypocrite) s’il sera capable de faire mieux que ceux qui l’ont précédé, il prononce tout de même son discours, mais ce n’est pas le sien, il avertit qu’il ne fera que rapporter un discours qu’il a entendu de la bouche d’une prêtresse de Mantinée qui se nomme Diotima. Evidemment   c’est la Diotima du Banquet qui donnera son nom à l’héroïne du roman Hyperion d’Hölderlin. (Voir notre chronique suivante sur Les Doors.). L’enseignement de Diotima : Diotima tire les conclusions de la démonstration de Socrate qu’elle partage, si Eros n’est ni beau, ni bon il n’est pas un Dieu car les Dieux sont naturellement beaux et bons, il n’est pas un homme, il n’est pas un Dieu, il est mortel et immortel, il est un Démon, ces êtres qui servent d’intercesseur entre les Dieux et les hommes. Eros est pauvre, laid, et peu savant, tel est-il, sans quoi il serait un Dieu, mais de par sa nature il recherche le beau qu’il ne possède pas et nous devons l’imiter. Si nous trouvons l’être aimé nous atteignons un faux bonheur puisque tout être est mortel. Si l’être que nous aimons est beau, il faut s’apercevoir que d’autres jeunes gens aussi sont beaux et comprendre que puisque ces jeunes mortels sont beaux nous nous devons de rechercher  la beauté en tant que telle, dont nos jeunes gens ne présentent que des reflets, nous devons chercher à tomber en contemplation amoureuse à l’intérieur de nous de l’idée de la Beauté… Il est un aspect du discours de Diotime que nous avons occulté, ce qui unit la création poétique à l’immortalité, nous laissons à Thumos le soin de se charger de cette tâche : ce n’est pas la musique des sphères qu’ils nous offrent, se placent  à la fin du discours de Diotime, ce moment absolu où toute tension est abolie, puisque l’Idée apparaît, nous ne voyons pas l’Idée mais ils décrivent la sensation de calme, de quiétude et d’extase libératoire qui vous saisit, ils ne dévoilent pas l’Idée mais la musique claironne brusquement, un éclat de feu inonde nos oreilles, nous n’avons jamais été aussi proches des Dieux.

    lush,the cult,lee fields,elizabeth king,mud,thumos,doors

    ( Entrée d'Alcibiade )

    ( Tableau d'Anselm Feuerbach : Le Banquet de Platon - 1873 )

    Alcibiades : si l’on omet les penseurs et les poëtes de la Grèce antique, les deux personnages historiaux les plus fascinants que les Grecs nous aient laissés sont Alexandre et Alcibiade. Ce dernier est moins connu du grand public, si les Dieux ont poussé Alexandre pour reprendre une citation célèbre sur la pente fatale de la victoire, ils ont jeté Alcibiade sur le toboggan du scandale. Il était beau, jeune et riche, tout lui souriait, il fut un stratège redoutable et sur terre et sur mer, mais il se joua des hommes, de sa patrie et des Dieux sans vergogne. Ne fut-il pas, entre autres, lui aussi impliqué dans le scandale de la mutilation des Hermès… Le voici qui débarque totalement ivre chez Agathon, heureux et horrifié de rencontrer Socrate, il n’hésite pas une seconde à se risquer dans un discours : il ne se lance pas dans un éloge à Eros mais à Socrate : Athènes compte de grands orateurs mais le seul qui retienne son attention c’est Socrate, il aime à l’entendre discuter, Socrate parle vrai et juste, Alcibiade reconnaît qu’au lieu d’avoir de grandes visées politiques il ferait mieux de rester assis à ses côtés pour suivre son enseignement. Alcibiade avoue qu’il est amoureux de Socrate et qu’il aurait volontiers été son aimé, à plusieurs reprises il aura tenté de faire en sorte que Socrate cède à ses avances (très) rapprochées, mais rien ne se passa comme il le voulut. Ces déconvenues érotiques ne l’empêchent pas de décrire l’imperturbable courage, la vaillance et la modestie de Socrate lors des campagnes militaires, et de souligner qu’il n’est pas différent sous les armes que dans les rues d’Athènes… L’on peut se demander si dans ce dernier titre Thumos se laissera séduire par la brillante franchise de d’Alcibiade ou par le panégyrique de Socrate : l’on est surpris par l’intensité sonore et la tension dramatique du morceau, les dernières pages du Banquet ne déparerait  pas dans une scène de comédie ( si Platon est un grand philosophe, il est aussi un littérateur émérite ), par ce final grandiose d’une force extraordinaire Thumos entend sans doute nous avertir de ne pas prendre Le Banquet pour une œuvre légère, mais une œuvre écrite au plus près de tout individu qui se sent envahir par une énergie et un désir si absolus que les Grecs ne pouvaient se résoudre à expliciter son surgissement en notre corps et notre esprit seulement par notre animalité primordiale, dont ils préféraient dire que seuls les Dieux en étaient les dispensateurs originels.

             L’on peut évidemment écouter Symposium en tant que simple œuvre musicale. Les amateurs de Metal n’en sortiront pas déçus. Loin de là ! Toutefois ce serait passé à côté du projet si particulier de Thumos. Stéphane Mallarmé, évoquant Richard Wagner, affirmait que la musique avait volé son bien à la poésie, commencerait-elle grâce à Thumos à voler son bien à la philosophie…

    Damie Chad.

     

     

    THE DOORS

    PHILIPPE MARGOTIN

    (H.S. Collection Rock & Folk N° 24 / Février 2023)

     

    lush,the cult,lee fields,elizabeth king,mud,thumos,doors

    Philippe Margotin s’est chargé à lui tout seul du Hors-Série Rock & Folk sur les Doors. L’a l’habitude, l’a déjà signé un gros tas de monographies aux grands noms, disons gros vendeurs du rock, en vrac : U2, Amy Winehouse, Rolling Stones, Muse, Radio Head, Police, AC/DC, Pink Floyd, Lennon, Elvis Presley, Clapton, et j’en passe… L’est aussi directeur de collections, notamment de ces gros pavés, La Totale, en compagnie de Jean-Michel Guesdon, qui propose l’intégrale des morceaux de Dylan, de Led Zeppelin, des Beatles, et autres monstres du même acabit… bref pas tout à fait un public de niche, plutôt de chenil… les chiens perdus sans collier du rock ‘n’roll, ce n’est pas son truc.

    Que penser de ce dernier opus, les admirateurs des Doors qui ne sont pas nés du dernier orage sur Los Angeles n’apprendront pas grand-chose, les néophytes y trouveront pitance roborative. Margotin fait preuve d’honnêteté intellectuelle, il produit un magazine, comme son titre l’indique, sur les Doors et non pas sur JIM MORRISON et les Doors. Bien sûr il ne néglige ni ne cache la personnalité hors-norme de Jim, mais il ne réduit pas ses partenaires à la portion congrue. Ils sont quatre en tout et il partage le gâteau en quatre. Il analyse les six albums studio du groupe, titre par titre, n’oublie personne, chacun est crédité et loué pour son apport. Donne même envie de réécouter tel ou tel titre pour se focaliser sur telle ou telle partie de l’instrumentation à laquelle l’on n’aura prêté qu’une maigre attention. Ne rate ainsi jamais pour relever dans le blues-rock fondamental qui forme le terreau des Doors les relents de jazz et de musique classique. L’on ne crée pas à partir de rien. Mais de tout ce qui a précédé. Imitation et rupture sont les deux mamelles de toute action créatrice.

    Son principal mérite est d’analyser l’œuvre du groupe, et principalement cet aspect : l’on a dû couper la moitié, j’exagère seulement le quart, de la forêt amazonienne pour produire le papier consacré au procès qui sera mené contre Jim pour exhibition de ses parties sexuelles lors du  concert du 1er mars 1969 à Miami… Margotin mégote un max, pas plus de trente lignes, car ce qui l’intéresse c’est juste la musique, car music is your only friend til the end… Idem, il donne en moins de cinquante lignes les deux versions de la mort de Jim sans embaucher un cabinet de détectives privés pour reconstituer la scène finale.

    lush,the cult,lee fields,elizabeth king,mud,thumos,doors

    Bien sûr Margotin replace la formation du groupe dans son contexte, les années soixante sont celles d’une explosion culturelle, les vieux codes issus du puritanisme chrétien qui régissaient les corps et les esprits volent en éclats, augmentation des consciences et libération sexuelle marchent de pair avec un désir anarchisant de liberté et le refus des violences institutionnelles et étatiques… Le rock‘n’roll est le principal véhicule de cette nouvelle sensibilité. Car davantage que d’autres pratiques artistiques c’est en lui et par lui que la jeunesse reconnaît l’expression signifiante de son mal-être intime et sociétal. N’en ratons pas pour autant l’occasion de parler de Jim Morrison.

    C’est dans ce chaudron en ébullition que va se jouer le destin de Jim Morrison. Il en est, de par sa place de meneur charismatique d’un des plus importants groupes de rock du moment, l’un des leaders reconnus. Il fait partie intégrante de cette réalité donnée, mais à l’intérieur de celle-ci il se sent totalement étranger. Il a tout compris, mais il se sait incapable d’y apporter la moindre remédiation. L’est comme un extra-terrestre qui du haut de sa soucoupe volante comprendrait les errements de l’espèce humaine, qui saurait comment les contradictions qui agitent ces animalcules pourraient être unifiées, mais qui doit d’abord se préoccuper de résoudre les siennes.

    Le problème de Jim Morrison c’est d’être une pièce essentielle de l’échiquier mais placée sur une mauvaise case. Il possède toutes les caractéristiques d’un musicien, et pas n’importe lequel, lui il joue de l’instrument le plus proche de l’être humain, tous les autres (violons, guitares, tubas, pianos…) ne sont que des béquilles, le sien est directement hanté sur sa chair : la voix.

    lush,the cult,lee fields,elizabeth king,mud,thumos,doors

    La voix détient cet étrange privilège d’être le vecteur du son et du sens du chant et dire, de la musique et de la poésie. Or Morrison le sait. Il ne provient pas de la musique mais de la poésie. C’est ainsi. C’est son histoire personnelle. Il n’y peut rien, puisqu’il s’est sciemment construit ainsi. Par les coïncidences du hasard affirmeront les uns, par sa propre nécessité intérieure. 

    Reste à savoir comment l’on considère Jim Morrison. Au pire un parolier particulièrement (très) doué au-dessus de la moyenne des producteurs de lyrics rock, mais pas davantage. D’ailleurs son œuvre ne donne-t-elle pas l’impression d’un vaste chantier inachevé ? Il suffit de lire l’Anthologie Jim Morrison parue en octobre 2021 pour en être persuadé.

    Philippe Margotin ne partage pas cet avis, il classe Morrison parmi l’un des poètes les plus importants de l’Amérique. Mais il ne dit pas pourquoi et en quoi.  La réponse à ses questions n’est pas des plus faciles et ne rentre pas dans le champ désigné par le titre du numéro. Essayons d’y voir plus clair.

    lush,the cult,lee fields,elizabeth king,mud,thumos,doors

    Un poëte américain ? La réponse est évidente. Oui Morrison évoque la réalité de l’Amérique de son époque, oui il s’inscrit dans la continuité de la Beat Generayion, mouvement poétique aux thèmes profondément américains, la route et la frontière, le premier n’étant que la résultante du second, la frontière ne peut aller plus loin que le Pacifique, désormais la route tourne en rond et se mord la queue, l’Amérique est devenue le lieu fermé de la contemplation de sa finitude. En quelque sorte le neuvième cercle de l’enfer de Dante.

    Nous n’avons pas choisi le terme platonicien de contemplation au hasard. Qui regarde au juste ? : celui qui regarde ou ce qui est regardé ? L’Idée, la forme regardée du spectacle du monde physique ou idéel, ne construit-elle pas la vision de celui qui regarde qui ne peut regarder que son propre miroir. Dont il est le reflet.

    Le monde de Morrison est strictement délimité, à un bout le sexe à l’autre bout la mort. Ces deux limites sont intangibles, aucune n’illimite l’autre. Ce ne sont que les deux points cardinaux des catégories qui cernent l’essence de tout ce qui est selon Aristote : production et destruction ou génération et corruption.

    Il existe des moments historiaux lors desquels ces abysses qui bordent toute présence au monde apparaissent plus prégnants… Les années soixante furent de ceux-ci. Certains individus le ressentent plus fortement que d’autres. En d’autres termes le monde n’est plus qu’un champ de ruines entre ce qui s’écroule et ce qui ne parvient pas à être. Vision des plus pessimistes que l’on retrouve par exemple en Europe chez Hölderlin qui nous laisse une œuvre en lambeaux et sa revendication désespérée à fonder ce qui demeure. Margotin insiste notamment sur l’aspect décalé de Morrison par rapport à son époque, à son public, à tous ceux qui se revendiquaient de lui sans rien comprendre à sa démarche.

    Or ce qui fonde ce qui demeure ne peut-être pour Hölderlin que le chant du poëte. Etudiant Hölderlin, Heidegger a longuement réfléchi sur ce qui empêche, hors de toute anecdote historiale, la poésie de remplir cette mission, que lui le philosophe attribuait à la pensée. Dont il reconnaît le même échec de toute tentative d’accomplissement fondamental. Il en vient à souhaiter la mise en place d’une pensée qui ne soit plus pensée mais qui emprunte les modalités de son Dire au Chant de la poésie. Cette position est réversible : le Chant de la poésie se doit d’emprunter les armes du Dire de la pensée. Notons que Morrison fut un grand lecteur de Nietzsche, dont le destin se joua selon la trilogie de la musique, de la poésie et de la pensée. Certes Morrison n’a jamais possédé l’armature intellectuelle de ces trois européens héritiers d’une longue réflexion vieille de plusieurs siècles dont ils ont su devenir les dépositaires. Mais il eut le pressentiment des falaises abîmales au-haut desquelles il se tenait. Il tenta de substituer au Chant et au Dire le Mythe et ainsi de dépasser ses propres contradictions. Penser selon les Dieux – Apollon ou Dionysos - est dangereux. Ce sont des concepts certes opératoires mais qui vous enferment en vos propres limitations. Au lieu de pérorer sur le groupe des 27, il conviendrait plutôt de regretter le temps qui a manqué à Jim Morrison.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 588 : KR'TNT 588 : DAVID CROSBY / WHITE STRIPES / ELVIS PRESLEY / THE CULT / OTIS LEAVIL / THE CONFUSIONAIRES / 4AM NEW YORK EXPERIMENT / CHAOTIC BOUNDS SYSTEMS / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 588

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    16 / 02 / 2023

    DAVID CROSBY / WHITE STRIPES

    THE CULT / ELVIS PRESLEY / OTIS LEAVIL

    THE CONFUSIONAIRES / 4AM NEW YORK EXPERIMENT 

    CHAOTIC BOUND SYSTEMS / ROCKAMBOLESQUES

    Sur ce site : livraisons 318 – 588

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Crosbibi Fricotin - Part Two

     

    , david crosby, white stripes, the cult, elvis presley, the confusionaires, 4am new york experiment, chaotic bound systems, rockambolesques,

             S’il est un personnage attachant dans l’histoire du rock, c’est bien David Crosby. Ça doit faire quarante ans qu’on est là à se dire : «Ahhh, comme il est doué, ce Croz !». Il a navigué dans l’histoire du rock à sa façon, sans heurts, entouré de belles femmes et équipé des meilleures drogues. On le retrouve sur des disques qui figurent parmi les grands classiques du rock américain : les premiers albums des Byrds, CS&N, mais aussi ses albums solo. Qui fera le tour du propriétaire s’apercevra qu’il n’y a quasiment pas de déchets dans cette impressionnante série d’albums. Croz est l’hédoniste des temps modernes, au sens où Oscar Wilde l’était en cette fin de XIXe siècle pourtant riche en personnalités extrêmement raffinées.

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

             Non seulement les quatre premiers disques des Byrds te rendaient dingue, à l’époque, mais ça prit des proportions encore plus spectaculaires avec le premier album de CS&N et surtout le premier album solo de Croz, If I Could Only Remember My Name, qui reste avec Electric Ladyland l’un des plus grands disques de rock psychédélique de tous les temps. Croz est un grand héros américain, au même titre que Captain Beefheart, J.B. Lenoir, Muddy Waters, Wolf et Jeffrey Lee Pierce. On en prend la mesure en lisant le premier volume de ses mémoires, Long Time Gone. On se délecte de ses récits de rocker et de navigateur, au gouvernail du Mayan, de son apologie des armes et des drogues, mais aussi du récit qu’il fait de ses incarcérations.

             Croz fournit le fil rouge de Long Time Gone, et des témoignages d’amis et de collaborateurs viennent étoffer le récit. Cet ouvrage est certainement l’un des plus passionnants et des plus honnêtes du genre. Au long des 500 pages que compte ce pavé, Croz dit tout de sa passion dévorante pour la dope et donne tous les détails de ses incarcérations successives. 

             Il est arrêté une première fois sur Sunset Boulevard alors qu’il fume une bonne pipe d’herbe au volant. Rangez-vous ! Le bourre ouvre le coffre et trouve un kilo d’herbe et un calibre chargé. Allez hop, au poste ! Croz dit qu’il n’est pas au courant du kilo et du calibre. Ça ne m’appartient pas ! On le relâche. Pendant quelques temps, Croz va jouer avec le feu, en circulant complètement défoncé dans ses voitures de sport et sur ses grosses motos. Il tourne à la freebase. Pour ceux que ça pourrait intéresser, il donne tout le détail de la façon dont on prépare une pipe et du rush que ça provoque. Un soir, sur l’autoroute de San Diego, il perd le contrôle de sa voiture. Les condés le ramassent, comme la première fois, avec tout le matos du parfait camé et un calibre chargé. Il passe la nuit au trou. Le lendemain matin, il est libéré sous caution. On commence à parler de l’affreux camé Crosby dans la presse. Il est arrêté une troisième fois en septembre 1982. La volaille de Culver City le chope à sa sortie de scène. Croz doit encore payer pour sortir des pattes des flics qui veulent sa peau. C’était courant à l’époque : les condés s’acharnaient sur les rock stars qui se rendaient vulnérables en se camant ouvertement. Pour financer sa freebase, Croz revend ses bagnoles (une Ferrari, deux Mercedes, une 6,9 litres et une 6,3 qu’il revend à un dealer pour une livre de coke et quatre mille dollars). Croz passe son temps à disparaître pour aller fumer sa pipe, même en avion, où c’est interdit - By that time, if I didn’t have my drugs, I couldn’t function - Stills excédé lui a jeté un soir un seau d’eau dans la gueule. Croz a réagi en lançant : «If Ray Charles can do it, I can do it. If Coltrane could do it, I can do it !». Croz et sa poule Jan prennent un avion à Kansas City. Ils se font poirer avec deux sacs suspects qui contiennent le matos habituel et les armes de Croz. Jan prend tout sur elle. Chef d’inculpation : piraterie aérienne. Ça commence à chauffer pour de bon. Elle s’en sort en acceptant de suivre un programme de probation. Un soir, alors qu’il roule en Harley, un flic arrête Croz et demande à voir ce que contient le fameux sac à dos qu’il trimballe partout avec lui. Il doit verser 5 000 dollars pour sortir du ballon. Et page après page, il raconte la descente aux enfers classique, les amis qui s’éloignent, les revenus qui se tarissent, la crasse qui s’installe dans la baraque et la transformation physique. Croz à l’époque est complètement bouffi. Jan est encore plus accro que lui. Elle n’est plus que l’ombre d’elle-même. On oblige Croz à se désintoxiquer, mais il fait le mur et prend la fuite. Puis les flics du Texas viennent le chercher à Greenwich Village. Croz écrit tellement bien ses mémoires que son récit fonctionne comme un film d’action. Ils tapent à la porte et disent bonjour. Croz se retrouve au ballon à Dallas et une fois de plus, il réussit à sortir sous caution. Retour à LA. Au bout de 14 ans de régime junk, Croz ressemble à un clochard. Comme sa liberté ne tient plus qu’à un fil, il prend une bagnole et file vers le Nord à la recherche du Mayan, dont il n’a plus de nouvelles depuis longtemps. Il espère lever l’ancre et prendre le large, vers le soleil. Mais il comprend que la rigolade est terminée. Il arrive pieds nus au bureau du FBI de Palm Beach pour se rendre. Et là commence l’extraordinaire récit de son incarcération. Il ne fera qu’une année de placard, mais il dit ne rien regretter de cette expérience. Et forcément, il est désintoxiqué d’office. C’est un Croz bouffi aux cheveux courts et sans moustache qui sortira du Texas Department of Corrections d’Huntsville en août 1986.

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

             Il brosse aussi des portraits spectaculaires des gens qu’il admire : John Coltrane (Croz raconte comment il s’est retrouvé avec deux amis - les trois seuls blancs - dans un club noir de Chicago, Coltrane est sur scène avec McCoy Tyner et Elvin Jones, ils prennent des solos à tour de rôle, Coltrane sort de scène, et Croz ne peut pas supporter l’intensité du solo d’Elvin Jones, alors il se réfugie aux gogues, il essaie de reprendre conscience, «when the door went wham and in walks John Coltrane, still playing at top intensity and volume, totally into it», oui, Trane entre et continue à jouer en solo, à fond - he blew me out so bad I slid down the wall - Croz s’écroule. Il pense que Trane ne l’a même pas vu - but he totally turned my mind to Jell-O at that point (Trane lui a réduit la cervelle en bouillie) - Portait de George Harrison - There are people that tell me I turned him on to Indian music (des gens disent que je l’ai branché sur la musique indienne). I know I was turning everybody I met on to Ravi Shankar because I thought Ravi Shankar and John Coltrane were the two greatest melodic creators on the planet and I think I was probably right (Croz poussait tous ceux qu’il rencontrait à écouter Ravi Shankar, car il pensait que lui et Trane étaient les deux plus grands mélodistes du monde) - Encore un sacré portrait, celui de Mama Cass. Elle et Croz étaient très proches et prenaient de l’héro ensemble - We used to get loaded with each other a lot. We loved London because there was pharmaceutical heroin availiable in drugstores (ils adoraient Londres où on pouvait se procurer de l’héro dans les drugstores) - Tiens et puis Joni Mitchell, découverte par Croz. «Guinnevere», qui se trouve sur le premier album de CS&N, est une balade létale dédiée à Joni Mitchell, dont il s’était amouraché et dont il avait produit le premier album avant de la céder à Graham Nash qui voulait absolument la baiser, comme il voulait baiser toutes les poules de ses amis. Joli portrait d’Ahmet Ertegun, le boss d’Atlantic - Sweet man that he is and gentleman that he is, Ahmet loves music - Ce gentleman aime vraiment la musique, ce qui pour Croz est assez rare dans l’industrie musicale. Il ajoute que John Hammond Sr est aussi une exception, puisqu’il a enregistré Billie Holiday ET Bob Dylan. Et puis, comme on l’imagine, il brosse aussi des portraits sensibles de Roger McGuinn, du Nash et de Jerry Garcia.

             Croz n’a pas fait les choses à moitié. Toute sa vie, il n’a fait que tendre vers l’excellence. On dispose de toutes les preuves.

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

             Les Byrds font partie d’une autre histoire, aussi va-t-on sauter en 1969, année de parution du miraculeux premier album de CS&N, trois larrons surdoués qui avaient décidé de chanter ensemble pour pousser le bouchons des harmonies à trois voix. Dans son book, Croz n’en finit plus de saluer l’immense talent de Stephen Stills. N’oublie pas que Jimi Hendrix voulait Stills comme bassiste dans son groupe. Quand on écoute ou qu’on réécoute «Suite Judy Blue Eyes», on se régale. C’est du très grand art. Non seulement Stephen Stills fait un festival au chant et à la gratte, mais il en fait un aussi au bassmatic. CS&N nous gratifient d’une fin de morceau absolument démente. Pour Nash et Croz, ce fut de toute évidence un privilège que de chanter sur un cut de Stills. Ahmet Ertegun qui les signa sur Atlantic comprit qu’ils étaient la crème de la crème du rock américain. «Marrakesh Express» est un hit du Nash - All on board on the Marrakesh express ! - Ce fut la musique des jours heureux, t’en souvient-il ? Puis c’est au tour de Croz d’entonner «Guinnevere». Pure magie. La beauté des personnages et la beauté du ciel, le destin leur souriait à pleines dents. En B, tu tombes sur le hit intemporel du trio, «Wooden Ship», co-signé Croz-Stills, l’archétype du rock psychédélique, monté sur une monstrueuse bassline et noyé de guitare liquide. Cut magique, encore une fois - Wooden ships on the water, very free and ea-sy - à bord d’un voilier, libre et riche, cette image allait préfigurer le style de vie de Croz. Ce cut semblait tellement en avance sur son époque. Et puis tu as «Long Time Gone», un groove infernal qui pose vraiment les bases du rock psychédélique, la mélopée court sur un tapis d’harmonies ensorcelantes. «Long Time Gone» va hanter une génération entière. Croz et ses amis ne craignaient plus rien. Ils avaient les chansons. Comme les Beatles. Ils accédaient directement au superstardom.

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

             Pour leur second album, Déjà Vu, ils ont incorporé Neil Young, déjà célébré par le public américain pour ses albums solos et vieux compagnon de route de Stills dans Buffalo Springfield. Neil Young arrive dans CSN&Y comme un cheveu dans la soupe. Sa «Country Girl» n’a rien à faire sur cet album, c’est du Neil Young, un style complètement différent. De son côté, le Nash continue de faire sa petite pop anglaise. Ce gros malin a réussi à refourguer «Teach Your Children» à ses copains qui ne disent rien, car ils sont gentils. Mais ça n’arrive évidemment pas à la cheville de «Wooden Ships» ni de «Long Time Gone». Heureusement, Croz veille au grain et ramène «Almost Cut My hair», encore un groove chargé de sens psyché. Il sait tirer sur certaines syllabes, juste ce qu’il faut de fabulosité. Croz est un formidable déchireur de ciels, un explorateur de paradis artificiels. Il donne du temps au temps du groove. L’autre pièce de choix qu’il ramène pour cet album, c’est le morceau titre. Il y recycle son admiration du «Love Supreme» de John Coltrane. Musicalement, Croz est nettement plus évolué que ses collègues. Il navigue à le recherche de passages vers d’autres océans. «Woodstock» est une compo de Joni Mitchell, qui reste un modèle d’harmonies vocales rockées au roll suprême. On l’entend dans le générique de Woodstock, un film qu’on peut revoir chaque année sans jamais s’ennuyer.

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

             Croz embarque tous ses copains du Bay area dans l’aventure de l’album rouge, If I Could Only Remember My Name. «Cowboy Movie», qui est monté sur le même genre de groove magique que «Long Time Gone», raconte l’histoire d’un gang de pilleurs de trains et d’une fausse Indienne. Les autres morceaux de l’album fleurent bon le mescal («Tamalpass High (At About 3)»), le mélopique enchanteur («Laughin’»), le très haut niveau - huit miles - («What Are The Names») et la pure mélodie, avec des voix qui pépillent dans la tiédeur des alizés («Song With No Words»). Croz cultive essentiellement une vision du monde très pure.

             Comme il s’entend bien avec son collègue Nash de Manchester, ils font des albums ensemble, sur le même principe que dans CS&N : chacun ramène sa gamelle.

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

             C’est là où il faut feuilleter les mémoires de Nash, parues récemment sous le titre Wild Tales - A Rock & Roll Life, car avant d’être un livre consacré à lui-même, c’est d’abord un livre consacré à Croz. À travers le Nash, on comprend que Croz est un être sur-dimensionné qui dévore tout ce qui l’entoure, et une demi-portion comme Nash ne fait évidemment pas le poids. Nash explique que Croz a façonné sa vie et sa carrière, dès leur première rencontre, chez Cass Elliot. Nash n’en finit plus de brosser et de rebrosser le portrait de Croz : «Il était irrévérencieux, amusant, brillant. C’était un hédoniste à l’état le plus pur. Il avait toujours la meilleure herbe, les plus belles femmes, et elles étaient toujours déshabillées. Quand il passait un coup de fil, une fille lui taillait une pipe.» Nash est fasciné par les exploits de Croz le camé. Il raconte comment Croz vend sa Mercedes à un dealer, puis quand Croz apprend que le dealer vient de faire une orverdose, il va récupérer les clés de sa bagnole sur le corps encore tiède du dealer pour aller revendre la Mercedes à un quelqu’un d’autre - Then he had the balls to resell the car to someone else. Like I said : freaky - Nash raconte qu’à la pire époque, Croz et Jan étaient couverts d’escarres, d’ampoules et de brûlures, car ils utilisaient un petit chalumeau pour chauffer leur pipe, même dans les avions où c’était formellement interdit. Nash se souvient d’avoir vu Croz dans une émission CNN en 1983. Il s’agissait d’un reportage et la caméra filmait la salle du tribunal où Croz était jugé pour usage de drogue. Croz s’était endormi et on l’entendait ronfler bruyamment, au grand dam du Président qui était scandalisé et qui parlait de félonie. Nash apprit ensuite que Croz était même allé fumer sa pipe dans les toilettes du tribunal. Alors bien sûr, en comparaison, les aventures de Nash ne font pas le poids. Ce pauvre Nash finit comme la grande majorité des gens pauvres qui deviennent riches : il devient très sensible aux honneurs, surtout quand il est décoré par la Reine d’Angleterre. Avant de refermer cette parenthèse, signalons tout de même qu’on trouve dans les mémoires de Nash de très belles pages sur la Cavern de Liverpool et les Beatles de 1963, sur Cass Elliot, sur Stephen Stills, Joni Mitchell, mais aussi des pages extrêmement embarrassantes où Nash essaye de justifier au mieux la façon dont il s’est comporté avec ses amis d’enfance, les Hollies. Il faut bien parler de trahison, comme dans le cas de Steve Marriott avec les Small Faces. Nash a beau dire que les Hollies n’étaient pas capables d’évoluer musicalement, on ne trahit pas des amis pour une raison aussi futile. Il est si mal à l’aise avec cet épisode qu’il se réjouit pendant des pages entières d’avoir pu se réconcilier avec Allan Clarke et les autres. Mais on sent une certaine forme de puanteur, un peu comme chez Dave Grohl qui lui aussi s’était spécialisé dans l’opportunisme pathologique, n’hésitant jamais à trahir un ami pour avancer. Et voilà, c’est toute la différence entre un mec comme Croz dont l’humanité reste indiscutable et un personnage comme Nash qui porte sur la figure l’ombre shakespearienne de sa félonie. C’est dans son livre. Lit qui peut.

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

             Premier album du duo Crosby & Nash en 1972. On fait très vite la différence entre les compos de Nash et celles de Croz. Nash ramène sa petite pop anglaise déracinée et souvent cousue de fil blanc. Croz ramène des compos extrêmement ambitieuses pour l’époque, comme «Whole Cloth», qui sonne comme un groove visionnaire - On what do you base yourself my friend ? Can you see around the bend ? - Digne de «Wooden Ships», avec un solo de Danny Kootch. On sent chez Croz l’ampleur océanique. Sur «Games», Croz laisse planer sa voix. En l’écoutant chanter, on a l’impression de voir un galion dériver dans le golfe du Mexique. On ne sait pas où il veut aller, mais il reste toujours à proximité d’un soleil radieux posé en équilibre sur l’horizon en flammes. Chez Croz, on retrouve invariablement cette vibration d’orange solaire. Encore une belle pièce de groove avec «The Wall Song». Il reste dans la suspension, dans le flic-floc antédiluvien. Jerry Garcia et Phil Lesh du Grateful Dead l’accompagnent, donnant au groove un parfum psychédélique extrêmement capiteux.

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

             Le deuxième album du duo, Wind On The Water, sort en 1975. Il s’ouvre sur une compo merveilleuse de Croz, «Carry Me», qui se solde par une spectaculaire explosion d’harmonies vocales. Nos deux asticots s’en donnent à cœur joie. Comme d’habitude, les compos de Nash sont sympa, mais elles restent très anglaises et ne peuvent en aucun cas rivaliser avec ce qui sort de la grosse tête de Croz. Comme par exemple «Bittersweet», une pièce proprement océanique - Oh I need the heat - fabuleux besoin de chaleur monté à l’octave de l’harmonique, un groove jazzé à la Croz et traversé de fulgurances. «Low Down Payment» est encore signé Croz, jazzé dans l’attaque et accidenté de brisures de rythme somptueuses - It’ a low down payment on this pillar/ Pillar of salt - Puissant et ambitieux - If the damn thing just had a heart/ If I had a heart - some kinda heart - Il va rester dans le même esprit pour «Homeward Through The Haze», une drug-song jazzée elle aussi et d’une rare élégance - Cause the blind are leading the blind/ And I am amazed at how they stumble/ Homeward Through The Haze - Il finit avec une chanson sur les baleines dont il parle assez longuement dans son livre.

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

             Leur troisième album s’appelle Whistling Down The Wire. Sur la pochette, ils ont l’air drôles. Croz est un peu joufflu, jovial, avec sa moustache en dents d’ours et ses petits yeux de navigateur. En Nash remontent tous les travers de l’Anglais pingre, avec le nez pointu surplombant un balai à chiottes jaunâtre et des petits yeux qui caractérisent si bien l’étriquement moral britannique dans toute son horreur. Tu as du pur Croz avec «Broken Bird», tu retrouves l’éther du premier album de CS&N, avec des nappes d’unisson emportées par le vent du soir, cette musique qui se voulait l’incarnation d’une certaine paix. Encore une mélodie en suspension avec «Time After Time». Croz emmène tout ça au loin. Avec «Dancer», ambitieux comme pas deux, on sent que Croz écoute Sun Ra, Trane et Ravi Shankar. On retrouve des coups de magie unissonique dans «Taken At All», et nos deux larrons s’entendent bien. Ils sont capables de créer un véritable univers chantant et sensible. Croz fait dans l’atonal pour «Foolish Man». Il navigue entre deux eaux, comme poussé et fiévreux. Il a le même genre de vision océanique que Dennis Wilson. Il manie le sous-rythme jazzy à la Charlie Mingus. On retrouve aussi certains accents élégiaques de «Cowboy Movie». Pur génie crépusculaire. Encore une belle dérive avec «Out Of The Darkness», ces mecs adorent se laisser emporter par les courants et se sécher au soleil. 

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

             Ils sortent un album live en plein boom punk, en 1977, et seuls les dedicated followers of the Croz-fashion vont aller écouter ça. Ils attaquent «Page 43» à contre-chant et suspendent ce groove aux lèvres argentées d’Ariane. Ici tout n’est que manière forte, excellence des ambiances, compulsion pré-établie de laid-back libératoire, tiédeur jalouse dans les branches d’un temps béni des dieux. Ces mecs savent jouer le groove à la perfection. Peu d’équivalents sur le marché, à part Paul Simon, et, dans un genre plus sombre, Mark Lanegan. On voit le groove de «Foolish Man» fuir vers l’horizon et la version de «Déjà Vu» se détache du rivage.

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

             Toujours en 1977, le trio légendaire se reforme pour sortir un album et Croz emmène ses deux collègues à bord du Mayan, comme on peut le voir sur la pochette. Excellent album, mais en 1977, on écoutait autre chose. Avec «Shadow Captain», ils repartent au grand large. On les sent au soleil. Les compos de Stills sont plus classiques, comme «See The Changes», mais on ne sent plus la niaque du premier album. Dans ce contexte, la pop de Manchester que ramène Nash passe de moins en moins bien. L’écart se creuse terriblement. «Fair Game» est un petit mambo du père Stills, bien raffiné, attaqué au chant d’unisson du saucisson. C’est le cut accrocheur par excellence - just relax enjoy the ride - et Stills place un solo acoustique assez dément. On retrouve la voix de rêve de Croz dans «Anything At All». C’est une fabuleuse glissade dans l’intimité de la suspension. Il faut suivre les compos de Stills à la trace, car elles sont souvent intéressantes, comme par exemple ce «Dark Star» qu’il joue lead à l’acoustique. Avec «Just A Song Before I Go», on est rassuré de voir que ce n’est pas Croz qui a trouvé un titre aussi con, mais Nash. Belle pièce que ce «Run From Tears», du pur Stills, avec des chorus perchés dignes du premier album du trio. Stills joue des trucs sévères sur sa guitare - Girl I’m Drowning - Admirable et racé. Croz nous fait le coup de la latence paranormale avec «In My Dreams», il mène la danse des songes. Croz est bel et bien l’âme du rock californien. Stills referme la marche avec un brillant «I Give You Give Blind», ce qui au total, nous fait un album remarquable.

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

             On croyait ces mecs finis, on les prenait pour des vieux schnocks de Woodstock. Il était même de bon ton de leur cracher dessus, à une certaine époque. Mais le train de nos insultes s’arrêtait à la gare de leur indifférence. Ils ont continué d’enregistrer des albums, dans la plus totale indifférence, tout au moins en Europe. Dans son book, Croz répète inlassablement qu’il parvenait toujours à générer du cash en concert, aux États-Unis. Beaucoup de cash. Ces mecs étaient devenus des super-stars de plein droit.

             Avec ou sans Neil Young, ils vont encore réussir à enregistrer quatre albums étalés sur vingt ans, sans compter la multitude d’albums solos enregistrés à droite et à gauche par les uns et les autres. Des quatre, le plus discret sera bien sûr Croz.

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

             Nouvelle équipée de CS&N en 1982 avec Daylight Again. Ce n’est pas l’album du siècle, mais quand on suit Croz à la trace, on écoute Daylight Again attentivement. Nash consacre une chanson à Croz qui va mal : «Into The Darkness» - Your face is ghostly pale - Croz répond avec une magnifique drug-song, «Delta». Ils attaquent tous les trois - Of fast running rivers of choice and chance - c’est de la pure magie suspensive. Ils sont vraiment très fort. Croz propose un horizon. C’est Stills qui pond et qui joue le morceau titre. Il ne le lâche pas. Il peut tout jouer. Il renoue avec la magie de Woodstock. Oui, car n’en déplaise aux ignares, il y a bien eu de la magie à Woodstock.

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

             Neil Young rejoint ses collègues pour l’album American Dream qui sort en 1988. Croz est sorti du ballon. Il est clean. On lui propose d’essayer des trucs, mais il dit non. Pas question de replonger. On retrouve sur cet album les compos classieuses de Stills, comme «Get It Made», très joli groove monté sur un beat soutenu. Croz ne ramène pas grand chose, juste deux morceaux, mais quels morceaux ! «Night Time For Generals» est une sorte de disco colérique que s’en viennent sauver les harmonies vocales. Et «Compass», encore une histoire de navigation. Croz raconte sa sortie des enfers - But like a compass seeking North/ There lives in me a still, sure, spirit part - Mais c’est Stills qui fait quasiment tout l’album, avec sa grosse guitare et ses riffs fatals. Il semble même qu’il se soit endurci en vieillissant.

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

             Et comme ça va beaucoup mieux, Croz se remet à enregistrer des albums solo. On le croyait grillé. C’est mal connaître l’animal. Il revient avec un album en forme de clin d’œil malicieux, Oh Yes I Can. Son «Drive My Car» n’a rien à voir avec celui des Beatles. C’est plutôt un gros beat des années 80. Il aménage des petites zones de paix crozbique mais le beat vire salement FM. Cut après cut, il s’enfonce dans un rock FM atroce, jusqu’à «Tracks In The Dust», où on retrouve le vrai groove d’antan, celui qui fit sa légende - I think we’re passing through here kind of fast/ Did you think those tracks in the dust would last ? - Réflexion philosophique sur le côté très éphémère des choses de la vie. Croz met ça en musique pour le bonheur de nos cervelles, et ce cut à lui seul sauve tout l’album. La B est un peu plus solide. Il revient à la magie des ambiances faussement immobiles avec «Lady Of The Harbour». On retrouve sa belle bravoure d’attaque groovy. Il évoque dans «Distances» les distances qui séparent les êtres - Till this distance came in our lives - Fabuleux. On a l’impression qu’il s’agit toujours du même groove à la dérive, mais non, c’est à chaque fois une pièce intrinsèque, très solennelle et unique. Il met en musique le sentiment du beau unique. Voilà comment on pourrait qualifier l’art de Croz. Les ceusses qui apprécient les belles chansons et les mélodies jazzo-groovy devraient écouter Croz et son «Flying Man». Non seulement, il est l’âme du rock californien, mais il se pourrait bien qu’il soit aussi l’âme de CS&N. Malgré le piège de la prod années 80, Croz s’en tire avec tous les honneurs. Rares sont les disques produits dans ces années-là qu’on peut encore écouter aujourd’hui.   

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

             CS&N sortent Live It Up en 1990. Pendant trois ou quatre titres, un gros malaise s’installe. Ils sonnent comme les Bee Gees période disco. Il faut attendre «Yours And Mine», co-signé par Croz et Nash pour retrouver la terre ferme. Croz raconte une histoire qui se déroule à Belfast et renoue avec le son original du trio. Le morceau qui sauve cet album s’appelle «Arrows», du pur Croz. Il tortille sa sauce à sa façon, avec un peu de gras dans le vrillé de la voix en suspension. Il reprend le large. Le morceau est destiné à tous ceux qui ne savent pas encore que Croz est un voyageur mythique, comme le fut Ulysse. Il traverse les mers inconnues à bord du Mayan. Il sauve encore un album par sa seule prestance de groover impénitent.   

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

             Nouvel album solo en 1993 : Thousand Roads. Belle bête. Jimmy Webb lui a composé «Too Young To Die» et on sent aussitôt l’ambition d’un projet merveilleusement décontracté - Sweet old racing car of mine/ Roarin’ down that broken line - C’est un fabuleux hommage à James Dean et à Steve McQueen - When I die I don’t want to go to heaven/ I just wanna drive my beautiful machine up North on some Semona County road/ With Jimmy Dean and Steve McQueen/ All the boys be singin’ singin’ - C’est de la légende à l’état pur et ça lui va comme un gant. Croz tape aussi une compo avec Joni, «Yvette In English», et c’est encore une fois de la magie pure. On a là la pure élégance de la sensibilité supérieure - Little bit of instant bliss - voix diaphanes, guitare jazz, pureté de l’instant. Voilà encore un groove du paradis signé nounours. Sur «Thousand Roads», c’est Andy Fairweather Low qui joue de la guitare. Pur Californian Hell ! - Threre’s a thousand roads up this mountain/ You can get lost in a minute if you try - Encore un coup de génie. Croz peut rocker quand bon lui semble. Voilà ce qu’il faut retenir de cette histoire. «Natalie» est une chanson d’amour de plus, mais quand ça tombe dans les pattes de Croz, alors ça devient énorme. Rien qu’avec la voix et la vision, il creuse l’écart qui le sépare des autres. Il ne s’intéresse qu’à la portée de sa vision et donc à l’immensité.

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

             It’s All Coming Back To Me Now fut enregistré au Whisky A GoGo en 1993. Croz ne proposait rien de moins que de jouer sur scène ses meilleurs cuts. C’est un disque un peu toxique. Croz y enfile ses cuts latents comme des perles. Il vient tout juste d’échapper à la mort. On vient de lui greffer un foie tout neuf, alors il peut poursuivre l’aventure de beauté commencée avec les Byrds et poursuivie avec ses amis Stills & Nash. On attend sa version de «Cowboy Movie» au virage. Le hit du siècle ? Va-t-en savoir. Il en joue la copie conforme - ahhhh yeah - on retrouve ces chutes de couplets extraordinaires. Croz torche son affaire avec une réelle grandeur d’âme. Avec des hits comme «Cowboy Movie», il est à l’abri. Il ne craint plus rien. Croz règne sur l’empire du groove en compagnie de Marvin Gaye et de Bobby Womack. On retrouve ce son classique de groove californien dans «Almost Cut My Hair». Il va chercher du gras dans le fond de son gosier. Il pose les conditions du groove majeur et c’est embarqué aux guitares. Et puis il tape dans ses plus grands hits, comme par exemple «Deja Vu». Graham Nash vient donner un coup de main - And now we’ll all get weird - Retour aux temps bénis du CS&N, avec une grosse dérive à travers le delta du néant et un solo de basse d’Hutch - oh yeah ! C’est une longue dérive primitive et on entend chanter les anges. Avec «Long Time Gone», Croz hisse l’étendard de la légende du rock américain. C’est du pur génie crozbique. Il passe immédiatement au délire des harmonies vocales et retrouve le secret des effarantes dynamiques intérieures. La beauté, c’est tout ce qu’on aime dans le rock, le choc des grooves et l’éclat des notes de guitares électriques, l’invraisemblable légèreté kunderienne des mélodies et l’oisophilie de l’autre, telle que la rêvait Edgar Allan Poe. «Wooden Ships» est encore un hit absolu. On voit se dessiner les coques des vaisseaux et scintiller les armures dans le crépuscule rosi-crozien. L’ami Croz et ses amis embarquent tout le monde dans une interminable version de dix minutes. On n’en demandait pas tant.

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

             Nos quatre vieux cocos retournent en studio en 1999 pour enregistrer Looking Forward. Un album qu’on écoute juste pour savoir où ils en sont, comme on l’a fait avec le dernier Rod The Mod ou encore le dernier Dr John. On retrouve le fameux chacun pour sa pomme qui a tellement affaibli les albums précédents. Stills va sur le funky joyeux, Neil Young va sur la gratte au coin du feu et chante comme une chèvre sénile, à l’ancienne mode, Nash retapisse sa petite pop de Manchester qui commence à sentir le moisi. Et Croz ? Oh, il ramène un heavy blues rocky bardé d’accords mortels qu’il semble avoir sorti de la vase d’un marécage psychédélique : «Stand And Be Counted». Renversant ! Comme le pépère Jack Bruce en Angleterre, le pépère Croz peut réveiller les morts. Stills continue d’envoyer ses giclées de vieux, et Neil Young endort les chaumières avec ses morceaux usés et rafistolés par des pièces aux genoux. Croz est gentil de les accueillir dans le studio. Ça dégage tout de suite avec «Dream For Him». On sent le Mayan sous les alizés. On sent le mec qui a navigué. On sent la voix et la crinière au vent. On sent les années de freebase. C’est une vraie compo, pas un gadget de vieux. C’est même un groove exemplaire. Voilà le truc : chez Croz, c’est l’exemplaire. Il a toujours cette voix et ce goût des vraies mélodies, ce goût d’un style qu’il a initié avec «Cowboy Movie». On retrouve même par instants des accents du thème de «Woodstock», c’est dire si l’excellence règne à bord de «Dream For Him». 

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

             Croz, nouvel album solo de Croz, paraît en 2014. La première écoute ressemble à un moment historique. Ce n’est pas tous les jours qu’on écoute un nouvel album de Croz. Comme tous les gens distingués, il sait se faire rare. «What’s Broken» est un joli groove panoramique ralenti. On retrouve ses vieilles tendances au trip. Pépère sait encore chanter. Avec «Time I Have», il fait allusion au mal dont on l’accuse - I’m looking to find some peace within me to embrace/ To encourage that smile to find my face/ Sometimes I’m winning - Il en profite pour adresser un clin d’œil à Martin Luther King - I have a dream/ A great man said/ Another man came and shot him in the head - Dans son book, Croz revient longuement sur les violences faites à John Lennon et à Sharon Tate et explique que depuis, il est toujours armé. Retour à la beauté pure avec «Hold On To Nothing», sensible et suspendu - Sunny days can fool you/ They can look wet with the rain - coup de trompette de Wynton Marsalis. Ce sera certainement le morceau qui va le plus coller au palais. Il revient au groove jazzy avec «Slice Of Time», intemporel et suspendu, doté d’un gros solo de cordes tirées. Avec son grand groove électrico-exceptionnel, «Set The Baggage Down» s’impose comme une pièce digne de CS&N. Fabuleux retour de manivelle. Sur la C se niche une autre merveille, «Dangerous Night», un somptueux balladif - I want to believe I can pass happy to my child/ But the truth gets lost and the system runs wild - Il faut profiter encore et encore du trésor de cette voix de légende. 

    Signé : Cazengler, David Grosbide

    Crosby, Stills & Nash. Crosby, Stills & Nash. Atlantic Records 1969

    Crosby, Stills, Nash & Young. Déjà Vu. Atlantic Records 1970

    David Crosby. If I Could Only Remeber My Name. Atlantic Records 1971

    Crosby & Nash. Crosby & Nash. Polydor 1972

    Crosby & Nash. Wind On The Water. Polydor 1975

    Crosby & Nash. Wistling Down The Wire. ABC Records 1976

    Crosby, Stills & Nash. CSN. Atlantic Records 1977

    Crosby & Nash. Live. Polydor 1977

    Crosby, Stills & Nash. Daylight Again. Atlantic Records 1982

    Crosby, Stills, Nash & Young. American Dream. Atlantic Records 1988

    David Crosby. Oh Yes I Can. A&M records 1989

    Crosby, Stills & Nash. Live It Up. Atlantic Records 1990

    David Crosby. Thousand Roads. Atlantic Records 1993

    David Crosby. It’s All Coming Back To Me Now. Atlantic Records 1994

    Crosby, Stills, Nash & Young. Looking Forward. Reprise 1999

    David Crosby. Croz. WEA 2014

    David Crosby & Carl Gottlieb. Long Time Gone - The Autobiography. 2007

    Graham Nash. Wild Tales - A Rock & Roll Life. Crown Publishing 2013

     

     

    Riot on Sunset Stripes

     

    , david crosby, white stripes, the cult, elvis presley, the confusionaires, 4am new york experiment, chaotic bound systems, rockambolesques,

             Comme tout le monde, on est allé en 2002 voir les White Stripes sur scène à l’Élysée. Comme tout le monde, on a écouté leurs deux premiers albums parce qu’ils sortaient sur le label de Long Gone John, Sympathy For The Record Industry. Comme tout le monde, on a ouvert les bras pour accueillir le phénomène des duos d’art-punk-fucked-up-blues, Bantam Rooster, Immortal Lee County Killers, Black Diamond Heavies, Left Lane Cruiser, Winnebago Deal et dans une moindre mesure, les Black Keys ou autres Kills à la petite mormoille. Les White Stripes en firent d’ailleurs partie et surent comme d’ailleurs les Black Keys tirer leur épingle du jeu et accéder au fucking mainstream qui allait les détruire.

    , david crosby, white stripes,  elvis presley, the cult,the confusionaires, 4am new york experiment, chaotic bound systems, rockambolesques,

             En plus de la couverture, Mojo leur accorde une vaste rétrospective. C’est donc l’occasion de remettre le nez dans l’histoire de ce duo qui avait fini par décevoir ses fans de la première heure. Ils n’étaient pas les premiers et ils ne seront pas les derniers. Dommage, car leur histoire commençait bien, puisque ça se passait à Detroit. Jack épouse Meg en 1996, mais Jack fait croire à tout le monde qu’ils sont frère et sœur. Si Jack dit ça, alors c’est vrai. Pourquoi ça ne serait pas vrai, puisque c’est vrai ? Jack qui s’appelle Gillis décide de s’appeler White, comme Meg. Pourquoi pas ? Après tout, il fait comme il veut. Puis il pond un concept : on s’habille en blanc (innocence), avec du rouge (colère) et on joue du punk-blues à deux. Meg n’a pas le droit de répéter. Elle doit rester imparfaite. Quand Long Gone John chope les deux premiers singles de Jack & Meg, il leur avance 3 000 $ pour enregistrer un premier album chez Jim Diamond, au Ghetto Recorders de Detroit.

    , david crosby, white stripes,  elvis presley, the cult,the confusionaires, 4am new york experiment, chaotic bound systems, rockambolesques,

    Et là, crack boom hu-hu ! Ils démarrent avec un «Jimmy The Explorer» chanté d’une voix de fiotte, on ne sait pas si c’est Jack ou Meg, mais ça sent la mini-jupe de cuisses humides. C’est le Stripes de bonne augure, complètement éclaté. Jack ressort sa voix de fiotte pour rendre hommage à Robert Johnson avec «Stop Breaking Down». Il traîne sa voix dans la purée. On se croirait à Memphis. Puis il travaille l’idée du son avec «The Big Three Killed My Baby», jusqu’au moment où on s’aperçoit que sa voix perchée n’est pas bonne. Il tente d’inventer un style («Suzy Lee»), c’est assez courageux et la pauvre Meg bat comme elle peut. Ça sent les bouts de ficelle («Cannon») et ils passent au stomp de Detroit avec «Astro» que Meg tatapoume à la vie à la mort. On les voit encore explorer le minimalisme gaga avec «When I Hear My Name», ils cultivent courageusement leur binarisme, on sent bien le côté expérimental de cet album. Jack ressort sa petite voix de fiotte pour «Screwdriver», il passe des riffs bien cinglants et s’offre un final extraordinaire. Ils sont plutôt bons dans le genre expéditif, comme le montre leur cover de «St James Infimary», mais c’est de l’expéditif à la Savorgnan de Brazza, il faut que ça braze.

    , david crosby, white stripes,  elvis presley, the cult,the confusionaires, 4am new york experiment, chaotic bound systems, rockambolesques,

             En 2000, Jack et Meg divorcent. Meg a quitté les White Stripes et Jack joue dans plein de groupes, the Go, the Hentchmen et avec l’excellent Dan John Miller dans 2-Star Tabernacle.  Mais le couple se reforme pour enregistrer un deuxième album, l’étrange De Stijl. On réalise avec stupeur que Jack n’a pas de voix. Il joue sur les effets. «Hello Operator» n’a rien dans la culotte. Il n’a aucune présence vocale sur «I’m Bound To Pack It Up». Dès qu’il force, il est mauvais. Retour au blues avec le «Death Letter» de Son House. Il joue ça au bottleneck, mais c’est mille fois mieux par Son House. L’album est catastrophique. Il est pourtant passé comme une lettre à la poste. «A Boy’s Best Friend» nous ramène à l’Élysée, on voyait bien à ce moment-là que c’était du vent. Et soudain, au moment où on ne s’y attend plus, ils piquent une crise avec «Let’s Build A Home». C’est un rumble des enfers et on regrette que tout l’album ne soit pas de ce niveau. Ils font une sorte de stomp enroulé à coups de cu’mon, oui, c’est la première fois qu’un mec fait cu’mon. Puis il fait les Pretties avec «Jumble Jumble», c’est du juvénile pur, bien délinquant. Jack White se réveille en fin d’album, il faut le savoir. Dernier shoot de Stripe avec «Why Can’t You Be Nice To Me», du gaga qu’il prend à la voix de fiotte, il est en plein dedans, hey !

    , david crosby, white stripes,  elvis presley, the cult,the confusionaires, 4am new york experiment, chaotic bound systems, rockambolesques,

             Alors ils se mettent à tourner et quand Meg voit le blé qu’elle ramasse, elle décide de rester dans le groupe. Et pouf ils deviennent the world’s hottest band ! Ils passent du cult underground au rock stardom et de là au pop-cultural phenomenon. Ils débarquent à Londres et deviennent célèbres en dix jours. Les médias les encensent : the future of rock’n’roll. Perchés au sommet de leur vague de célébrité, ils sortent leur troisième album, White Blood Cells, sur Sympathy. On y trouve un classique gaga, «Fell In Love With A Girl», mais le reste de l’album peine un peu à jouir. Jack se prend pour Free avec «Dead Leaves & Dirty Ground», mais il n’a pas la voix de Paul Rogers. Il se force à mal chanter. Comme d’habitude, il joue sur les effets. Il fait une Americana du pauvre avec «Hotel Yorba». Comme il devient une star, il ne se sent plus pisser. C’est en tous les cas ce qu’inspire l’écoute d’«I’m Finding It Harder To Be A Gentleman». Il fait du grandiloquent de carton-pâte. C’est tout de même incroyable que les White Stripes soient passés à la place des Gories. Mais ce sont les choix des gens du big biz qui visiblement ont misé sur l’image plus que sur le son, comme dans le cas des Bay City Rollers. En gros c’est la même histoire. On crée une mania et on vend des millions de disques, c’est le B-A-BA du biz, un chef-d’œuvre d’enculerie. Jack & Meg n’y sont pour rien. Dans «Expecting», Jack joue la carte du heavy blues-rock à coups de clever et de forever. La heavy pop de «The Same Boy You’ve Always Known» n’a aucune crédibilité. Et pourtant, c’est avec ça qu’il s’en sort le mieux. Sur ce coup-là, il est très anglais. Mais tout dépend de la façon dont on l’écoute. Il est évident qu’il crée son monde et en soi, c’est infiniment respectable. Mais on s’interroge sur la portée du phénomène : autant de retentissement alors que cette pop est d’une affligeante banalité. Sa voix ne passe pas sur «I Can’t Wait» et ça ne pardonne pas. Il peut ramener du son, ça ne sert à rien. Il cherche pourtant des noises à la noise jusqu’à la fin. Globalement, White Blood Cells est un album plein de sous-pentes et de renvois à des choses connues. Il faut l’écouter plusieurs fois. C’est très spécial. Pourquoi Jack White et pas Mick Collins ? White Blood Cells se vend à un million d’exemplaires. 

    , david crosby, white stripes,  elvis presley, the cult,the confusionaires, 4am new york experiment, chaotic bound systems, rockambolesques,

             Alors que leur côte n’en finit plus de flamber, ils enregistrent leur meilleur album Elephant. C’est vrai que «Seven Nation Army» sonne comme un hit, monté sur un stomp de basse, et toujours cette petite voix de fausset qui stigmatise si bien le manque de voix. Il pousse bien le bouchon avec «I Just Don’t Know What To Do With Myself». Il impressionne et joue la carte des rafales. C’est Meg qui chante «In The Cold Cold Night» et ils continuent de créer leur monde. Et puis voilà qu’avec «Ball & Biscuit», Jack the lad invente un genre nouveau : le gaga scorch innervé. Il joue au scorch de descente aux enfers. Sur ce coup-là, il est très fort. C’est un très bel album, riche en émotions. Jack revient à son cher stomp avec «The Hardest Button To Button», il gère ça bien et propose une qualité de stomp imparable. Nouvelle surprise avec «Hypnotize». Il s’y montre expert en riffing gaga, il y ramène tous les poncifs avec sa voix en embuscade. C’est battu à la folie et ça sonne comme une expédition sur le Nil. Encore un coup de Jarnac avec «Girl You Have No Faith In Medecine» : il y ramène un vieux riff de heavy boogie rock, il fait les Yardbirds les deux doigts dans le nez.

    , david crosby, white stripes,  elvis presley, the cult,the confusionaires, 4am new york experiment, chaotic bound systems, rockambolesques,

             Puis arrivent les ennuis : un punch-up avec le mec des Von Bondies, et voilà Jim Diamond qui réclame ses royalties sur les deux premiers albums. Jack ne peut plus aller traîner en ville. Il est tricard. Personne ne l’approche. Il est temps de quitter Detroit. Jack ne va pas bien. L’album Get Behind Me Satan s’en ressent considérablement. On le voit trafiquer ses combines dans «Blue Orchid». Il chante derrière sa disto comme s’il avait peur de sa voix. Le résultat n’est pas jojo. Des mecs diront oui le son, oui le riff, mais laisse tomber. Zéro présence. «The Nurse» sonne encore comme une arnaque. Au fil des cuts, il perd tout ce qui lui reste de crédibilité. Quelle tragédie. Il est à la mode mais il n’a pas de voix. Le pas-de-voix ne fait pas de cadeau. Si tu veux faire du rock en Amérique, appelle-toi Iggy, Lanegan, Jeffrey Lee ou Greg Dulli, sinon laisse tomber. Les cuts sont mauvais et mal chantés. Et ça empire encore avec «The Denial Twist». On ne sait comment elle fait, mais dans Mojo, Victoria Segal trouve des choses intéressantes à dire sur ce désastre.

    , david crosby, white stripes,  elvis presley, the cult,the confusionaires, 4am new york experiment, chaotic bound systems, rockambolesques,

             Jack se carapate vite fait et s’installe à Nashville, se marie et voit naître ses deux kids en 2006 et 2007. Mais les White Stripes sont toujours sous la pression du tiroir-caisse, ils doivent sortir un nouvel album qui va s’appeler Icky Thump. Jack continue à bricoler son pas-de-voix et opte cette fois pour des choses plus expérimentales. Il va même se prendre pour un groupe anglais dans «You Don’t Know What Love Is». Il réussit l’exploit de combiner l’intense à l’inutile dans «300MPH Torrential Outpour Blues». Il joue une fois de plus sur les effets. Il ramène du gaga à gogo dans «None Broke» et des cornemuses dans «Prickly Thorn But Sweetly Worn». On trouvera un peu de stomp un peu plus loin («Little Cream Soda») et il rallume la vieille flamme des White Stripes avec «Rag & Bone» et là ils sont franchement bons, cu’mon ! Mais les réalités reviennent au galop, dès «I’m Slowly Turning Into You». Sa voix ne passe pas quand il veut la forcer, pourtant ça s’écoute. Très bizarre. Il parvient à créer des ambiances avec son pas-de-voix, notamment dans «A Martyr For My Love For You», il chante dans son jus de glaire, il cherche les voies du seigneur sans savoir qu’elles sont impénétrables, mais après tout, il a raison, il s’en sort avec des effets de basse zone, il fait son small biz, alors forcément, on l’écoute car ça intrigue. En fait, il se prend souvent pour McCartney. Voilà son drame.

             Puis le groupe va cesser de jouer en public. Jack cite l’exemple de Beatles. Sauf qu’il n’a pas les chansons des Beatles. Et puis il a mis en route d’autres projets, The Dead Weather et les Raconteurs. C’est en 2011 qu’il annonce la fin des White Stripes.

    Signé : Cazengler, Moite Strip

    White Stripes. The White Stripes. Sympathy For The Record Industry 1999

    White Stripes. De Stijl. Sympathy For The Record Industry 2000

    White Stripes. White Blood Cells. Sympathy For The Record Industry 2001

    White Stripes. Elephant. V2 2003

    White Stripes. Get Behind Me Satan. V2 2005

    White Stripes. Icky Thump. Warner Bros. Records 2007

    Blood & Fire. Mojo # 326 - January 2021

     

     

    Wizards & True Stars

     - Elvis & la vertu (Part Three)

    , david crosby, white stripes, the cult, elvis presley, the confusionaires, 4am new york experiment, chaotic bound systems, rockambolesques,

            Le gros hic d’Elvis, le biopic de Baz Luhrmann consacré à Elvis, c’est que l’acteur censé faire l’Elvis ne ressemble pas du tout à Elvis. Et ça pose un sacré problème qui est celui de la crédibilité, surtout dans un cas pareil. Tout ce qui touche à Elvis relève du sacré, même si les parades de lookalikes à rouflaquettes l’ont un peu caricaturé après sa disparition. L’acteur du biopic s’appelle Austin Butler, et pour correspondre à toutes les époques, Luhrmann le fait maquiller. Mêmes les rouflaquettes de l’époque Vegas sont ridicules. Luhrmann aurait embauché un acteur chinois pour le rôle, le résultat eut été le même. Absence totale de crédibilité. Et ce ne sont pas les costards roses ni les Coupés de Ville qui vont sauver les meubles. Si on veut voir l’Elvis 56, autant voir les vraies images. Elvis est beau, Butler ne l’est pas. Quelque chose cloche dans les traits de son visage. Les yeux trop rapprochés, peut-être. Plus on le voit en gros plan et plus le malaise s’accroît. Ce biopic est encore plus catastrophique que le Great Balls Of Fire de Jim McBride, avec Dennis Quaid dans le rôle de Jerry Lee. À l’époque de sa sortie (1989), Jerry Lee déclarait publiquement qu’il haïssait ce film. Il avait raison de gronder, le killer, car il était tout sauf un clown. Le problème avec Elvis, c’est qu’Elvis n’est plus là pour trancher. Mais aurait-il tranché ? Le biopic n’en finit plus de montrer que le Colonel tranchait pour lui. Ce qui nous conduit naturellement à la conclusion qui s’impose : le personnage principal d’Elvis n’est pas Elvis mais le Colonel. Vieux, gros, cynique, détestable, supra-intelligent, Tom Hanks campe le rôle de sa vie. Il est l’incarnation du showbiz, c’est-à-dire du diable : il est aussi laid que le Louis Cyphre d’Angel Heart est beau, il est tellement réaliste qu’on pense aussi au Woland du Maître Et Marguerite. Tom Hanks est fabuleux de malignité, il n’ouvre la bouche que pour ricaner des paroles de sagesse évangélique - Without me there wouldn’t be no Elvis Presley - Quand on l’accuse d’avoir tué Elvis, de la même façon qu’on accusait Ponce Pilate d’avoir tué Jésus, Tom Hanks répond, comme d’ailleurs a dû le faire Ponce Pilate : «No, no, no I didn’t kill him. I made him.» Ce biopic est un véritable tour de passe-passe : Luhrmann se sert d’Elvis pour dire la grandeur de Tom Hanks. On en oublie presque le Colonel. Dans ce gigantesque foutoir hollywoodien, Tom Hanks est aussi génialement perverti par le personnage qu’il incarne que l’est Philip Seymour Hoffman, dans le rôle de Truman Capote dans In Cold Blood. Hanks est aussi génialement intense que le fut Albert Dieudonné dans le rôle du Napoléon d’Abel Gance. Les mauvaises langues prétendent que Dieudonné n’est jamais redescendu de son cheval.

    , david crosby, white stripes,  elvis presley, the cult,the confusionaires, 4am new york experiment, chaotic bound systems, rockambolesques,

             Ces biopics - même ratés - sont de fantastiques terrains de manœuvre pour l’esprit, lorsqu’il est cavaleur. On peut partir dans toutes les directions à la fois. Bien, pas bien, vrai, pas vrai, en fait on regarde et on juge, on regarde et on frémit, on regarde et on recoupe. On voit les petites arnaques une par une, les petits traficotages de la réalité, on devine la cuisine derrière toutes ces scènes qui sonnent plus faux les unes que les autres. Bien sûr, pour avoir une toute petite idée de la vérité, il faut avoir lu les trois tomes de la saga Guralnick, deux consacrés à Elvis (Last Train To Memphis: The Rise Of Elvis Presley et Careless Love: The Unmaking Of Elvis Presley) et le troisième à Sam Phillips (Sam Phillips: The Man Who Invented Rock ‘n’ Roll), un Uncle Sam qui d’ailleurs est complètement évincé du biopic. Les plans Sun sont réduits à portion congrue. Alors que Guralnick s’attarde longuement sur la nature singulièrement charismatique du personnage d’Elvis, le biopic la fait disparaître au profit d’un lissage bizarre : dans les scènes sentimentales, les gros plans sur le faux Elvis ne sont pas sans rappeler certains aspects de Johnny Depp. Bien sûr, un biopic ne peut pas tout dire, mais les entorses à la réalité sont souvent intolérables. Un exemple avec la scène qui se déroule en Allemagne, où Elvis fait son service militaire et où il rencontre Priscilla. Guralnick le confirme : ils passent leurs soirées ensemble, sous la simili-surveillance des parents de Priscilla. Bon, Elvis lui roule une grosse pelle et tout laisse croire qu’ils vont pouvoir tirer un coup vite fait. Mais non. Priscilla en crève d’envie mais, selon Guralnick, Elvis lui dit non. Il lui promet de la baiser le jour de leur mariage. Dans un an. Peut-être que dans un film où tout sonne faux, ce genre de répartie sonnerait faux, mais dans les pattes de Guralnick, ça sonne vrai, car l’Elvis qu’il campe dans ses tomes est extraordinairement bien construit. Guralnik s’attache principalement à la beauté intérieure du personnage. C’est ce qui rend ses trois tomes fascinants. Luhrmann passe complètement à côté de cet aspect fondamental du mythe : la bonté naturelle de l’homme Presley et son immense générosité. Il y avait quelque chose d’infiniment christique dans le Presley que nous restitue Guralnick.

             Grâce à ce biopic, le personnage Presley est dévoré une deuxième fois par les démons d’Hollywood. On appelle ça un destin tragique. Alors que tout en lui tendait vers une sorte de pureté artistique, Elvis s’est retrouvé noyé dans la vulgarité américaine. Le showbiz - et donc Tom Hanks - le métamorphosent en «cleancut all-American boy». Tom Hanks résume bien les trois étapes de la dégringolade de cet immense artiste : «1, Elvis the rebel. 2, Elvis the movie star. 3, Elvis the family entertainer.» Bien sûr, aux yeux de l’Américain moyen, cette carrière passe pour une réussite, car Elvis devient immensément riche, conformément au rêve américain. Mais aux yeux des idéalistes que sont les fans, c’est exactement le contraire. D’ailleurs dans le film, on voit des fans agglutinés devant le portail de Graceland qui brandissent des panneaux réclamant the old Elvis. Ils ne veulent pas de l’Elvis RCA, ils veulent l’Elvis Sun.

             Luhrmann ne l’a sans doute pas fait exprès, mais la vraie vedette de son film n’est peut-être pas Tom Hanks. Tom Hanks s’enracine dans la country d’Hank Snow, une sorte de guimauve parfaitement à l’image du beauf qu’est le blanc moyen et raciste de l’époque. Non, la vraie vedette du biopic est la musique noire. Ce sont les plans les plus réussis : ça commence avec Arthur Big Boy Crudup, on voit ce black punk gratter son black snake crawling et chanter «That’s Alright Mama» au chat perché délinquant. Puis attiré par la clameur du gospel, le jeune Elvis va sous la tente goûter au fruit défendu, la pomme du jardin d’Eden : la transe du gospel batch et là, mon gars, tu piges tout. Tout vient exactement de là, du raw gospel fever, de l’explosion du peuple noir qui sous la tente recycle le fabuleux héritage rythmique des tribus d’Afrique, et ce sont les racines du rock’n’roll. Elvis et Jerry Lee viennent de cet endroit précis. Pas d’Hank Snow, mais du gospel africain. Elvis semble récupérer tout le black power, Luhrmann fait de cette scène une espèce de séance d’initiation, un rituel de magie noire. C’est ce Black Power que ramène Elvis au Louisiana Hayride lorsqu’il tape une version démente de «Baby Let’s Play House» - I wanna play house with you - Luhrmann cadre le jeu de jambes, mais c’est un jeu de jambes emprunté aux blacks. Et pouf, ça enchaîne sur Big Mama Thornton au Handy Club, à l’étage, sur Beale Street, avec «Hound Dog». On voit aussi le jeune B.B. King essayer de remettre Elvis dans le droit chemin, le chemin artistique. Mais ce sont les ligues morales qui vont recadrer Elvis the Rebel, clean up your act, terminé Elvis the Pelvis, on l’oblige à chanter «Hound Dog» à la téloche face à un basset, injure suprême, et pendant qu’on dresse Elvis pour en faire un bon toutou bien docile, Luhrmann ramène Little Richard avec un «Tutti Frutti» explosif et, pire encore, Sister Rosetta Tharpe, et là c’est inespéré, car on voit la vraie pionnière du rock avec son «Strange Things Happening Every Day», wow, et elle te claque un solo d’acou incroyablement sauvage. Ce sont ces grands artistes noirs qui sauvent les meubles du biopic. Un peu plus tard, on va entendre Mahalia Jackson à la radio, et même la voir chanter. Aw my Gawd, on l’avait presque oubliée, celle-là ! Luhrmann se plante plus loin en montrant un Fats Domino qui ne ressemble pas du tout à Fatsy, mais bon, c’est pas grave. Il n’est plus à un détail près.

             Quand Elvis revient de son service militaire en Allemagne, Tom Hanks l’envoie directement à Hollywood. Bon, comme chacun sait, les films d’Elvis ne marchent pas, c’est d’autant plus tragique qu’il rêvait de prendre la suite de James Dean. Mais Tom Hanks veille au grain, au cleancut all-American Boy marié et père de famille. Les sous rentrent, mais l’étoile de la star s’éteint. Jusqu’au jour où Elvis rencontre Steve Binder et Bones Howe. Binder est connu pour avoir réalisé le T.A.M.I. Show, avec notamment les Stones, James Brown, les Beach Boys, Chuck Berry, Jan & Dean, les Supremes et des tas d’autres. Binder n’est pas chaud pour faire un TV Show avec Elvis. Trop has-been. D’ailleurs Elvis demande à Binder ce qu’il pense de sa carrière, et Binder lui répond le fameux «It’s in the toilet, Elvis». Elvis apprécie sa franchise et accepte d’écouter ses conseils. Binder réussit à le convaincre de revenir aux sources, à Elvis the Rebel, alors que Tom Hanks veut un Christmas Show avec Elvis en Père Noël au coin de la cheminée. Alors, Elvis et Binder montent le coup en douce. Contre toute attente, Elvis the Pelvis se pointe en cuir noir devant les caméras et tape un «Heartbreak Hotel» somptueusement sensuel. Tom Hanks est furax. Binder réussit même à faire revenir l’excellent Scotty Moore que Tom Hanks avait réussi à virer. C’est donc le fameux ‘68 Comeback qu’on a tous adoré. Puis Binder & Howe font miroiter à Elvis les avantages d’une tournée mondiale, le grand retour du King, mais Tom Hanks dit non, invoquant les dangers du monde extérieur - Security ! Security ! - Rusé comme un renard, Tom Hanks monte un coup fumant : il se fait hospitaliser à Vegas. Inquiet pour sa santé, Elvis vient le voir. Il tombe dans le panneau. Tom Hanks lui montre alors son avenir par la fenêtre de la chambre d’hosto : le fameux International Hotel. Encore baisé, l’Elvis. Mais il accepte, il veut les Sweet Inspirations de Cissy Houston, et les meilleurs musiciens, dont James Burton. Tom Hanks garde donc le contrôle sur le business - Taking care of business - Nous sommes désormais chez les blancs. Elvis s’habille en blanc. À part des Sweet Inspirations, on ne voit plus aucune bobine de black dans le secteur. Elvis roule des pelles à toutes les blanches du public. La scène est très belle, presque évangélique. Mais encore une fois, les vraies images de Vegas sont nettement meilleures. Car même à Vegas, Elvis reste très beau. Et puis il a des chansons, «Suspicious Minds» (merchi Chips), «Polk Salad Annie» (merci Tony Joe). Tom Hanks joue la carte Vegas à fond, il éponge ses dettes de jeu abyssales et met sa poule aux œufs d’or sous le contrôle pharmaceutique du fameux Dr Nick. Il en profite pour éradiquer définitivement toute idée de tournée mondiale - International tour out of the question - Tu veux voir le monde, Elvis ? Alors le monde entier voit Elvis, via satellite.

             Elvis croit pouvoir virer le Colonel. You’re fired ! On ne vire pas le diable. Le Colonel dresse la liste de tout ce que lui doit Elvis, il a tout noté : au total, ça fait huit millions de dollars. Plane même la menace d’une saisie sur Graceland. Comme Elvis est ruiné, il se voit contraint d’honorer son contrat faustien avec le diable Hanks. Mais comme on est dans une mauvaise comédie dramatique hollywoodienne, cet aspect est mou du genou. Murnau en fait complètement autre chose, il suffit de voir son Faust.

             La fin du biopic est pitoyable. C’est presque une métaphore de la dégringolade artistique d’Elvis. Luhrmann réussit même à nous faire un Elvis bouffi, assis au piano, sur scène à Vegas. Ce n’était pas utile. On attend Luhrmann au virage pour le cassage de pipe en bois. Va-t-il oser ? Miraculeusement, il réussit à éviter la fameuse scène finale des gogues. Ouf ! Luhrmann s’en sort avec un dernier tour de passe-passe en forme de parabole : «Elvis has left the building.»

    Signé : Cazengler, Elvicelard

    Baz Luhrmann. Elvis. DVD 2022

     

     

    L’avenir du rock –

    Le feu au Cult (Part One)

     

             Il fait nuit. L’avenir du rock roule en ville et s’arrête au feu rouge. Personne ? Il avance. Il n’a pas vu les condés planqués sur le côté. L’un d’eux s’approche.

             — Coupez le moteur ! Papiers du véhicule !

             L’avenir du rock sort les papelards.

             — Vous avez brûlé un feu. Avez-vous consommé de l’alcool ?

             — Ah ben non !

             Le condé va chercher un ballon dans la voiture de patrouille :

             — Vous allez souffler là-dedans.

             — Pfffffffffffffffff !

             — Plus fort !

             — PFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFF !

             L’avenir du rock se retrouve au poste. Il a trois grammes dans le sang. Il a dû laisser sa bagnole au carrefour. Le gradé de service dresse un procès-verbal, avant de l’envoyer en cellule de dégrisement.

             — Nom, prénom, date de naissance !

             — Avenir du rock !

             — Pas de prénom ?

             — Non, et pas de date de naissance, puisque je suis un concept.

             — Vous vous foutez pas d’ma gueule, ça pourrait vous coûter cher, insulte à représentant de l’ordre dans l’exercice de sa fonction, ça va chercher six mois, alors tenez-vous à carreau. Nom et prénom des parents !

             — Disons que mon père spirituel s’appelle Sam Phillips, l’Homme qui inventa le rock’n’roll, et ma mère, disons Bernadette Soubirou, la Femme qui inventa les hallucinations.

             — Quelle est votre adresse actuelle ?

             — Dead End Street, juste derrière Itchycoo Park.

             — Quelle est votre appartenance politique ?

             — J’ai une carte d’adhérant au MAV, c’est tout.

             — Jamais entendu parler du MAV ! C’est quoi, un parti de gauche ? Un syndicat ?

             — Oh c’est un petit groupuscule culturel pas très connu. MAV veut dire Mort Aux Vaches. Meuuhhhh, vous voyez ce que je veux dire ?

             — Quelle est votre appartenance religieuse ?

             — The Cult !

    , david crosby, white stripes, the cult, elvis presley, the confusionaires, 4am new york experiment, chaotic bound systems, rockambolesques,

             Si le condé était un peu moins con, l’avenir du rock lui aurait offert le dernier album du Cult qu’il avait dans sa poche, mais il a préféré s’abstenir, car au fond, il sait que les cons ne méritent pas de jouir des bienfaits d’un culte aussi prestigieux.

             Belle pochette que celle du nouveau Cult, Under The Midnight Sun : tu vois un serpent préhistorique onduler symboliquement sous la demi-lune d’un astre d’or. Pochette merveilleusement graphique. Seul le serpent est verni, pour qu’il brille sous tous les angles. Rien qu’à contempler cette pochette parfaite, on sait que le Cult ne va pas mégoter sur les surprises.

    , david crosby, white stripes,  elvis presley, the cult,the confusionaires, 4am new york experiment, chaotic bound systems, rockambolesques,

             Le premier choc se produit avec le «Mirror» d’ouverture de balda : trop de son ! La voix de l’Astbu se noie dans le son. Bad bad bad prod, tout chevrote. Il faut comprendre que ça fait partie du jeu. L’Astbu n’a qu’une seule idée en tête : pousser le bouchon dans le bush. Et ça continue de saturer la saturnale dans «A Cut Inside». Ils y vont au va-t-en savoir du qu’en dira-t-on, sans doute est-ce là un subterfuge pour cacher une certaine misère compositale, il faut bien dire que les compos ne sont pas au rendez-vous. L’Astbu est l’un des grands ultimates du rock, il lui faut des compos. Sans compo, il se désagrège, comme un vampire surpris par le lever du jour. Mais rassure-toi, l’Astbu veille toujours à chanter à la surface des apocalypses.

             Les dévots du Cult devront attendre «Give Me Mercy» pour frémir des deux naseaux. Grosse attaque. Bienvenue dans le Cult. L’Astbu t’emmène jusqu’à l’autel, c’mon, il est le prêtre du Cult et il va t’égorger pour célébrer les dieux du rock. La puissance du Cult n’a jamais disparu, elle sourdait sous la surface, comme une langue de feu, et soudain, le son te saute à la gorge, Billy Duffy envoie des accords de cristal dans le ciel rouge, aw my Gawd quelle pâmoison, il joue son va-tout à la vie à la mort, il pleut du feu, le Cult n’a jamais autant brillé, il pleut des tonnes d’accords et ça monte en neige jusqu’à la fin des haricots. L’Astbu est l’un des derniers prêtres capables d’apaiser le courroux des dieux. Et ça continue avec «Outer Heaven», l’Atsbu remonte au somment de son Ararat, il y domine le son, il y domine le monde, le temps de provoquer une nouvelle apocalypse et c’est terrific, tu sens qu’il te tombe sur le râble, c’est un rock très physique, presque un combat au corps à corps, tu luttes en toi pour le plaisir de lutter, tu reçois les coups et tu tends la joue pour en recevoir d’autres.

             Billy Duffy vole le show dans «Vendetta X», il joue aux accords de contre-plaqué pendant que l’Atsbu trafique sa menace et bascule dans un abîme de tristesse. Alors Billy décide de remonter à la surface du son et, aussi étrange que ça puisse paraître, le ciel s’ouvre. Billy consolide l’ouverture avec des accords de contrefort. On n’avait encore jamais vu un bricolage pareil. Avec «Knife Through The Butterfly Head», l’Astbu plonge dans le mythe du Cult. Il chante comme un dieu, c’est-à-dire comme Jimbo, il se hisse au sommet du summer et tu montes avec lui, tu le vois forcer tous les passages, l’Astbu est le singer absolu, il chante à pleine gorge, c’est d’une puissance de crève-cœur, tout ici est joué à l’extrême heavyness, la pire de toutes. Ils terminent cet album qu’il faut bien qualifier de faramineux avec le morceau titre, en forme de panorama de Midnight Sun. C’est tout simplement du Technicolor, mais pas n’importe quel Technicolor, celui du Cult est un Technicolor d’effarance de la pertinence. L’Astbu ne vise que l’extrême Technicolor.

    Signé : Cazengler, tête dans le Cul

    Cult. Under The Midnight Sun. Blackhill Records 2022 

     

     

    Inside the goldmine

    - Evil Leavill

     

             Qui pourrait en vouloir à Piotr d’être ce qu’il est ? Personne, bien évidemment. Des gens qu’on connaît depuis cinquante ans continuent parfois de nous surprendre. Comme s’il voulait brouiller les pistes, le Piotr qu’on croyait gentil et affable sait parfaitement se montrer odieux, surtout quand il fond sur ces proies faciles que sont les serveuses et les serveurs de restaurant. L’un de ses sports favoris consiste à plonger une salle entière dans le malaise, en humiliant à voix haute les gens qui le servent à table. À cause de sa passion pour Bibi Fricotin ou Jo Zette & Jocko, on a longtemps considéré Piotr comme un petit garçon enfermé dans le corps d’un adulte. Nouvelle erreur d’appréciation ! Dans des réunions de travail très techniques, on l’a vu se conduire comme le plus avancé des adultes présents autour de la table, pouvant croiser le fer avec des spécialistes sur les plans juridiques et financiers, et prenant encore une fois un malin plaisir à crucifier en public le malheureux qui ose discuter son point de vue. Dans l’arène, Piotr devenait le gladiateur invincible, une sorte de Russell Crowe devenu chauve, et comme il avait accumulé plus de connaissances que n’en possédaient tous les gens réunis autour de la table, alors il frappait chaque fois à coup sûr, et pour contraster avec la barbarie de ses coups, il usait d’un ton lénifiant, comme celui qu’utilise Marlon Brando dans The Godfather. Les professionnels qui connaissaient Piotr le craignaient. Les femmes le craignaient encore plus. Piotr les collectionnait comme des papillons, il les choisissait comme on les choisit aujourd’hui, sur les ventes de bétail en ligne. Lorsqu’il est à table, il participe distraitement à la conversation tout en faisant ses courses sur son smartphone, likant à la chaîne et chattant avec toutes ces chattes en vente, se vantant avec son étrange sourire presbytérien «de les baiser vite fait sur le capot de sa bagnole». C’est probablement parce qu’il brouille adroitement les pistes et qu’il maîtrise l’art de plonger ses amis dans la consternation qu’on ne s’ennuie jamais en sa compagnie. 

     

    , david crosby, white stripes,  elvis presley, the cult,the confusionaires, 4am new york experiment, chaotic bound systems, rockambolesques,

             Piotr n’est pas le seul à savoir plonger les gens dans la consternation. Otis Leavill peut lui aussi se vanter de cet apanage. Si tu veux qu’Otis Leavvill te plonge dans la consternation, c’est facile : il existe une compile qu’il partage avec deux co-locataires, Billy Butler et Major Lance : The Class Of Mayfield High. C’est ce qu’on appelle dans les milieux autorisés une compile magique, car en plus des douze cuts magiques d’Otis Leavill, tu peux entendre ces deux seigneurs de la Soul que sont Billy Butler et Major Lance. Tu sors de là gavé comme une oie. N’ayons pas peur des grands mots : Otis Leavill est un magicien, il fait danser la Soul sur la pointe de sa glotte. C’est lui l’Evil Leavill qui donne les cartes de la Soul. «I Love You» est un coup de génie retentissant. Il chante d’une voix d’ange de miséricorde et ramène une spiritualité charnelle dans sa Soul. On le voit aussi filer à vive allure sur le fast drive de «Why Why Why». Il est si bon qu’il dépasse toutes les attentes, on se croirait chez les Beach Boys, tellement c’est beau, puissant et chanté aux harmonies. Il fait encore battre le petit cœur de la Soul avec «Glad I Met You», il chante tout à la rose éclose, il est le Soul Brother de tous tes rêves inavouables. Il chante «Love Uprising» à l’uprise et provoque un vrai carnage paradisiaque avec «I’m So Jealous». Il transforme tout ce qu’il touche en or du Rhin. Sa Soul brille de mille feux. C’est Otis Leavill qu’il te faut. Cette façon qu’il a d’ânonner sa jalousie est unique au mode. Il chapeaute son «There’s Nothing Better» d’une belle Soul de good time, il chante tout d’une voix aussi grasse qu’une huître fécondée.

    , david crosby, white stripes,  elvis presley, the cult,the confusionaires, 4am new york experiment, chaotic bound systems, rockambolesques,

             Dans son booklet, Bill Dahl indique que le fantôme de Curtis Mayfield plane sérieusement sur cette compile magique, d’où le titre, Mayfield High. L’autre clé magique de cette compile magique, c’est bien sûr Carl Davis, le producteur de génie et boss local des labels Brunswick et Dakar. Billy Butler et Major Lance font aussi partie de l’écurie Carl Davis. Grâce à lui, Brunswick/Dakar va devenir l’un des Soul outlets les plus importants de l’époque, rivalisant avec Motown et Stax. Dahl n’oublie pas de rappeler que dans les early sixties, les stars de Brunswick sont Jackie Wilson et Buddy Holly. Et l’impeccable Tyrone Davis, que Carl Davis rendra célèbre.

             Avant d’arriver chez Brunswick/Dakar, Carl Davis bossait pour OKeh et c’est là qu’il commença à lancer la carrière de Major Lance. C’est Curtis Mayfield qui composait pour Lance. Curtis Mayfield était le Smokey Robinson de la scène locale. Selon Dahl, Major Lance incarna mieux que quiconque the innocent charm of Chicago Soul. Dahl rappelle aussi que Major Lance et Otis Leavill ont grandi ensemble à Chicago. Ils sont devenus tous les deux d’excellents danseurs. Ils pouvaient aussi boxer. D’ailleurs, Major Lance se fera disqualifier pour avoir mordu son adversaire. C’est lui qui amène son ami d’enfance Otis Leavill chez Carl Davis. Dans un élan nostalgique, Otis Leavill se souvient de l’âge d’or Brunswick/Dakar sur Michigan Avenue : «We had a family. We had a hell of a family. Carl was the father. He was the head of the family and he kept us all in line.» Major Lance n’a que 6 cuts sur la compile, dont le célèbre «Follow The Leader», fantastique shaking de dance-floor et d’écho du temps d’avant. Major forever ! L’autre hit intemporel est le fameux «Do The Tighten Up». Major Lance est LE jerkeur de choc. Il crée aussi une fantastique tension avec «Sweeter As The Day Goes By». Il parvient à faire des étincelles dans un groove de charme ! Major Lance est bourré de Soul genius. Il dispose à la fois de l’omniscience et du Black Power. Puis il fonce dans la nuit de la Northern Soul, yeah, avec «Shadows Of Memory», il est tendu à l’extrême, il est là sur scène avec sa banane de black, épaulé par des chœurs de Motown. Major Lance est un héros.

             Le troisième larron de la compile n’est pas un enfant de chœur. Billy Butler est lui aussi un crack et dès «Help Yourself», tu danses le jerk avec Billy the crack. C’est énorme ! Ce Billy-là a le diable au corps. Il fait encore du raw r’n’b de sweet darling avec «Sweet Darling» et comme les Four Tops, il va chercher la Bernadette avec «Come Over To My Side». Il déploie les mêmes réserves d’excellence que Levi Stubbs. Billy semble flotter au dessus de la ville, il chante «Careless Heart» avec une maturité de vampire, il est tellement au dessus de la mêlée qu’on finit par s’en émouvoir. Et voilà qu’il tape dans les Tempts avec «I’ll Bet You», il dispose de tous les pouvoirs, il sort une Soul sauvage et bien claquée. Il est absolument parfait. Encore un hit de power pur avec «Burning Torch Of Love», il règne sans partage sur le groove de heavy r’n’b, quelle blague ! T’en rigoles tellement c’est bon. Tu ne bats pas Billy Butler à la course.  

    Signé Cazengler, Otis Débill

    Billy Butler / Major Lance / Otis Leavill. The Class Of Mayfield High. Westside 1999

     

     

    ROCKABILLY RULES ! ( 10 )

    N’oubliez jamais que toutes les règles sont faites pour être contournées, dépassées, chamboulées, piétinées, car l’important avant tout c’est d’avoir un cœur fidèle et rebelle !

    *

    Le titre de leur album m’a plu. Westernization, voilà qui dénote une certaine réflexion sur le rock ‘n’roll, mais vous n’en saurez pas plus, moi non plus, il ne sortira qu’au mois d’avril. Alors en attendant écoutons leur premier opus car…

    IT’S TIME TO MAKE A MESS WITH…

    THE CONFUSIONAIRES

    ( 2018 )

    Encore un groupe du Canada, nous en profitons pour saluer Marie Desjardins, d’Edmonton capitale de la province d’Alberta, à elle seule plus grande que la France.

    Sont trois : Fat Dave Johnson : guitare et vocal / Jayson  Aschenmonster :  upright bass & vocal / Adam Staric : drums.

    La pochette laisserait à penser qu’ils sont un groupe de rockabilly garage.

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

    You know, I’m right : paroles glaçantes, vocal imperturbable, tout va bien, bonne rythmique rock’n’roll, mais pour l’esprit l’on est plus près du country que du rockabilly, vous avez la upright qui monte au septième enfer, une barate qui cogne et une guitare guirlande qui se glisse partout comme un serpent affamé, non ce n’est pas une histoire entre un gars et une fille. Teach me how to write a sad song : une petite merveille, je parle de la musique, s’y donne à fond très sixties, c’est tellement beau qu’ils rallongent l’intro avant d’allonger le vocal. Ce n’est pas qu’il n’est pas bon, c’est qu’il très bon, mais question paroles, ce n’est pas vraiment une philosophie enthousiasmante de la vie, pour une petite histoire d’amour qui a mal tourné, ils vous filent le moral à zéro pour toute la soirée. Pourtant cette voix vindicative est si prenante. Make a little mess : ils ont vraiment le secret des intros qui vous clouent sur place, pour le reste question idée ça commence comme Samedi soir de Johnny Hallyday, mais la guitare est là pour vous prévenir que la soirée annoncée finira mal, et ils y vont franco à toute vitesse, souriez ce n’est pas un drame non plus, et puis qu’importe le grabuge puisque c’est beau. Everybody’s talking ( but nobody’s talking to me ) : un peu de blues, très foncé, n’a jamais fait de mal à personne, ce coup-ci il est très froncé rock’n’roll, z’ont le punch, n'écoutez pas trop les lyrics, vous fileront le cafard, ces gars-là ils ont le perfecto ( je ne sais pas s’ils en portent) très métaphysique, en douze lignes de lyrics ils vous définissent le statut du rebelle révolté à la vitesse d’un TGV, avec en prime une critique sociale d’une grande cruauté. El fango : pour une fois ils sont gentils, pas de paroles pour vous saper le moral, par contre vous serez atteints par les affres de la jalousie, comment font-ils pour jouer si bien, une batterie qui cavale comme si elle était toute seule, une big mama qui lui emboîte le pas parce qu’à deux c’est toujours mieux, et là-dessus vous avez la guitare qui dépose des splendeurs, vous n’entendez plus qu’elle, c’est injuste car les deux autres marnent un max, mais c’est ainsi, superbus comme disent les autocaristes. 1000 songs : c’est idiot, si vous vous écoutez vous n’irez jamais plus loin que l’intro, ce serait une erreur, d’abord la voix comme si elle venait de la salle-de-bain du studio, ce qui permet de prendre son pied sur Les giclées électriques de la six-cordes ou de ne pas croire que c’est elle qui imite le piano jazz, une chanson d’amour, oui mais d’amour pour la guitare. 1958 Chevrolet Del-Ray : avec un tel titre nous allons pouvoir réaliser notre fantasme rockabilly N° 1 sur la banquette arrière, ben non ce sera pour la prochaine fois, z’ont l’art de dégonfler les clichés, vous croyez rouler à 120 miles à l’heure, le rythme est trop flegmatique, un truc encore pire que Sur la route de Memphis du grand Schmoll, une guitare qui égrène les notes comme des épines de cactus, vous rêvez de foudre rockabilly et vous entendez le monde cruel de la country. Save your apologies for when you get caught : un shoot d’instrumental pour vous refiler le moral, de la tonitruance qui confine à de la maltraitance auditive pour ceux qui n’aiment pas vivre à fond la caisse. De champagne ! Walking is much too slow : c’est terrible un groupe de rock qui sonne fort et bien avec des lyrics à la hauteur du son, en plus vous prennent toujours à dépourvu, à contrepoil, vous mènent par le bout du nez là où ils veulent, du grand art, et ne sont pas beaucoup sur le marché à se permettre de tels régals. 6120 : tous les amateurs de Cochran connaissent ce chiffre, pour les paroles pensez à Elle est terrible d’Hallyday + la fin de Génération perdue, sinon ne pensez à rien, écoutez, c’est du rock’n’roll qui parle de rock’n’roll ! Immanquable. Ford Fairlane : (n’avais pas tort quand je parlais de Rockab garage) : en voiture, une balade avec la fille que l’on aime, la poésie du camionneur, une fin à l’emporte-pièce, une guitare qui vous grimpe au septième ciel et des mots qui disent plus qu’ils ne le voudraient. Pour le son une espèce de convoi à la Peckinpah. Mais funéraire. Where I am when I close my arms : encore une de ces intros qui vous mettent du baume au cœur et que vous laissez venir à vous pour le plaisir de vous sentir bien sur cette terre, ensuite vous fermez les yeux et vous suivez les ondées de cette guitare, y a tout de même cette petite musique en sous-main, une pointe de rêvasserie nostalgique, qui vous apporte la gousse d’ail de cynisme nécessaire pour survivre à vous-même. 1000 shots of whiskey : un tintamarre batérial de tribu de cannibales en chasse, ils se dirigent vers vous, pas de panique ils ont seulement soif, vous les rejoignez, z’avez intérêt à courir vite car le solo de guitare ne vous attend pas, soirée biture, pas besoin de piqûre de rappel, conseil identique aux précédents, n’écoutez pas trop les paroles vous risquez d’en ressortir l’oreille pâteuse. Pour le mal de crâne il est fourni gratis avec l’extro. Trop c’est trop !

             Je ressors de ce disque ébloui. Enfin du nouveau dans le monde du rockabilly !

    Damie Chad.

     

     

    *

    Pour une fois ce n’est pas la couve de l’opus qui m’a attiré, ni le nom du groupe. Mais les tags qui l’accompagnaient. Des mots qui pour citer les Beatles ne vont pas très bien ensemble, trois exactement : celui du milieu ‘’ doom’’ ne me pose aucun problème, pas de péril en la doomeure, ce sont les deux autres, celui qui arrive en queue de peloton, ‘’acoustic’’, oui ça existe à portion homéopathique, enfin passons, mais le premier en file de tête du peloton ne cadre pas trop de bicyclette avec doom, jugez-en par vous-mêmes : ‘’jazz’’. Que peut-il sortir d’un tel accouplement digne de Lautréamont, peut-être un monstre hideux, peut-être un mélange sans saveur, peut-être une pure merveille… Là, n’est pas la question. Qui voudra prendre la peine d’écouter entendra. 

    Quant à moi j’aime à découvrir. Je suis curieux de nature. Les marges m’attirent. J’essaie un tant soit peu de suivre les nouveautés, pas pour me tenir au courant, mais la meilleure part d’un combat, soit-il rock ou tout autre, réside en le fait d’être toujours aux avant-postes, sur la brèche de ce qui craque, de ce qui crocke, là où s’ouvrent des perspectives soient-elles déroutantes, exaspérantes, attrayantes, inquiétantes, mortifiantes…

    THE 4AM NEWYORK EXPERIMENT

    (Chargement libre sur Bandcamp / Juin 2023)

    Aucun renseignement sur ce projet et ses promoteurs même si le premier EP est présent sur de nombreuses plateformes de streaming. Au début j’ai benoitement cru qu’ils étaient de la Big Apple, viennent de Zagreb, capitale de la Croatie.

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

    Du moins c’est ce qui est marqué. Quand on cherche on trouve. Pas obligatoirement ce que l’on cherche, mais certaines fausses pistes sont révélatrices. De quoi ? Pour le cas qui nous intéresse d’une certaine noirceur, d’une certaine doomeur si nous utilisons un vocabulaire plus précis.  Commençons par le seul indice à notre disposition. La couve pour ainsi dire digitale du disque non objectivé. Pas très claire. Qu’y voit-on ? Un visage de trois-quarts, vraisemblablement ( ? ) d’une personne noire, pas en entier : le nez, un œil, le front, pas de bouche, quelques cheveux sur notre droite, à la place de ceux-ci, une photographie, trois voies d’autoroute (ou de route), deux lampadaires, cinq voitures, phares allumés, c’est la nuit. L’artwork est crédité. Masha Raymers. Instagram, FB, Pexels une photographe ukrainienne, de Lviv, beaucoup de portraits féminins qui suggèrent le désir plutôt qu’ils ne le dévoilent, de belles œuvres d’un érotisme chaste et ardent, qui mériteraient une chronique, mais cette fois nous en élirons une seule photo, une route, un lampadaire éclairant un passage clouté, une voiture phares allumés, une fille dans l’ombre qui marche sur le bas-côté. Nous vous laissons seuls juges.

    Poursuivons notre route ombreuse, sur YT, une merveilleuse occasion de vérifier l’adage selon lequel le retour du même n’est pas le même. Certaines vidéos sur YT sont postées par plusieurs personnes différentes. C’est le cas de celles qui nous intéresse. Pour les vidéos musicales, neuf fois sur dix, l’on retrouve la couve du disque. Tiens sur celle-ci, lui a été substituée une photo de nuit. Une rue étroite, aux voitures l’on date des années cinquante, des silhouettes qui marchent, seules sont visibles les trois grosses lettres du mot Bar. Ambiance film de truands. Qui l’a envoyé ? Jazz Noir Music. Etrange.

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

    Qui se ressemble s’attire. Se repousse aussi parfois. Qui est ce Jazz Noir Music ? Suffit de cliquer. Vous pouvez même vous abonner à sa chaîne. Le site n’est pas vieux. Quelques semaines, vous avez une vingtaine de vidéos à regarder. Non Jazz Noir Music n’est ni un groupe, ni un one man band. Un amateur de jazz. Pas vraiment d’Ellington, de Mingus, de Miles – il les aime peut-être – sa prédilection se porte sur un certain style de jazz, le jazz noir, non pas la couleur de peau des musiciens, mais un jazz d’ambiance noire, il propose donc plusieurs artistes apparentés à cette classification. Votre œil exercé de détective privé ne manquera pas de s’attarder sur certains titres, par exemple, Quarantine Doom Jazz vol 4 (Signora Ward Records). Le jazz noir est donc un style de jazz, aussi appelé Ambient Jazz, ou Dark Jazz, ou Doom Jazz, un jazz aux limites du post-metal, de l’électro, de l’ambient, du punk hardcore… Maintenant vous ne remarquez pas la mention : Rubriques intéressantes, pour l’unique raison qu’elle est écrite en russe. Si vous cherchez encore, vous retrouverez sur la plate-forme Boosty notre Jazz Noir Music sous-titré Meditation and Darkness qui débute par le texte suivant :

    ‘’ Tristesse, horreur, solitude, nostalgie, tranquillité et paix, c’est toute la somme d’images qui sont en cohérences avec l’esprit du Dark Jazz.

    Et si vous vous retrouvez dans un splendide isolement un vendredi soir, et que de la fenêtre vous pouvez voir les rues sombres de la ville à l’agitation éternelle, n’oubliez pas d’allumer les compilations présentées ici sur n'oubliez pas d'allumer les compositions présentées ici sur boosty et sur ma chaîne. Un verre de whisky complétera cet agréable passe-temps.’’

    Les enregistrements proposés sont agrémentés de documents iconographiques divers qui tous (photographies, bandes dessinées, cinéma) relèvent de l’esthétique des films noirs des années cinquante. Un dernier petit détail : si vous désirez soutenir financièrement vous pouvez verser la somme que vous voudrez, vous repèrerez facilement l’endroit : les modalités sont en caractères cyrilliques.

    Comme par hasard sous la vidéo que nous allons écouter est recopiée cette phrase   : ‘’ Quelle différence cela fait-il de savoir comment s’appelle l’endroit que vous quittez pour toujours.’’ empruntée au roman La mariée était en noir de William Irish. Un détail qui déjà classe cet auteur de polars : il reçut le Prix Edgar Allan Poe du Meilleur Scénario. L’ombre noire du corbeau ne plane pas au-dessus de n’importe qui.

    Darker than dark : orage dans le lointain, coups de cymbales répétitifs, si monotones, si monochromes que vous n’entendez qu’eux, heureusement que le grondement sonore et continu en arrière-plan prend le dessus car cette clinquance cymbalique est trop frustrante pour être qualifiée d’image sonore de l’inéluctable, une espèce de sifflement un peu semblable aux productions de l’onde Martenot s’avère beaucoup plus important. Ambiance toutefois plus grise que noire, petit jour blême même, le morceau manque d’une cohérence syntaxique puisqu’à un moment il ne se passe plus rien, le son a beau s’amplifier le sentiment d’oppression s’amenuise, se dilue, certes il flotte autour de vous en nappes de brouillard mais ne vous effraie plus depuis longtemps. Et puis il s’arrête brusquement, sans rime ni raison, serait-on tenté de dire. Slowly : plus solennel, plus prenant, ici l’épaisseur du son prédomine, hélas toujours cette cymbale même pas énervante, tout juste enquiquinante, elle vous empêche d’apprécier les sonorités mélodiques, peut-être l’expérimentation consiste-t-elle en cela, à vous mettre les bâtons dans les roues afin que vous ne focalisiez point votre attention sur  la beauté de la musique peut-être pour vous rappeler que c’est ainsi dans la vraie vie, qu’il y a toujours un petit détail qui gâche tout, que l’extase recherchée est un ange aux ailes brisées qui claudique salement, vous n’éprouvez plus de pitié pour lui, d’ailleurs il a compris, il s’éloigne doucement et vous l’avez déjà oublié alors qu’on l’entend encore. Entre nous soit dit, pas très jazz, pas très doom et pas très acoustique. Grosse déception !

    *

    Je n’aime pas être déçu, aussi ai-je choisi sur la chaîne de Jazz Noir Music,  une vidéo dont le graphisme m’a attiré, rien de novateur, mais un beau coup de crayon qui vous pose un univers en une simple image. Elle porte la mention de Madness Returns, de fait il s’agit d’un morceau intitulé Der Gegensatz ( = l’opposé ) sur le premier album de :

    CHAOTIC BOUND SYSTEMS

    One man band, en l’occurrence Andrey Kein, d’Ykaterinburg, une des plus grandes villes de Russie située sur le versant asiatique de l’Oural. L’est impliqué dans de multiples projets : Sol Mortuus, Carved Image of Emptiness, Church Howlin Dog,  Zinc Room, Prognostic Zero

    Le nom de Chaotic Bound Systems est en lui-même une ouverture au rêve. Notons la justesse de l’appellation marquée par la présence du S terminal. Il ne s’agit pas d’un unique ‘’système’’ qui serait chaotique. En ce cas-là le participe passé ‘’Bound’’ n’aurait aucun sens. A quoi d’ailleurs serait lié un système chaotique ? Ce S marque bien qu’Andrey Kein nous parle d’interdépendance universelle. Un système est dit chaotique lorsque l’on ne connaît pas sa position initiale. Celle-ci explique qu’à certains moments le système nous semble dériver étrangement, en fait si nous connaissions parfaitement les données premières de son implantation dans le monde son évolution nous paraîtrait des plus logiques car répondant à un développement commandé, ordonné ( osons le mot) déterminé par sa vectorité initiale. Autrement dit nous qualifions un système de chaotique parce que nous ignorons les modalités de son écoulement temporel. Si nous ne savions pas qu’une graine est programmée pour germer, que sa nature est ainsi, nous apposerions l’étiquette chaotique sur ce phénomène de germination puisque nous ne comprendrions pas pourquoi tout à coup la graine cesse d’être graine pour devenir plante. Nous aurions l’impression qu’elle serait devenue mystérieusement folle ou délirante.

    Pourquoi ne parvenons-nous pas à connaître les conditions exactes de sa naturité initiale, parce qu’aucun système n’est jamais seul – l’on ne peut imaginer un système doté de la pureté formelle de l’Idée platonicienne -  sa propre naissance est déterminée par d’autres systèmes concomitants pour la simple raison que le monde est un ensemble de systèmes entrecroisés avec d’autres systèmes, par écho successifs avec tous les autres systèmes. Valéry n'a-t-il pas dit qu’une goutte de vin suffit à teinter toute la mer ?

    En résumé, le comportement anarchique d’un système est conditionné par l’ensemble de tous les systèmes. La néguentropie ( activation de l’énergie ) se métamorphose en entropie ( désactivation énergétique ), en d’autres termes le désordre chaotique énergétique se stabilise en stabilité ordonnatrice entropique, pour redevenir désordre énergétique sous l’action d’un autre système. 

    En quoi cela concerne-t-il la musique, évidemment vous pouvez répéter du début à la fin du morceau le même riff, le même rythme. Dans ces cas-là vous êtes dans un système clos autosuffisant et ordonné. Dans ces cas-là la plupart du temps les musiciens rajoutent quelques variations épidermiques… Le musicien est alors un système qui influe sur un autre système. Dans le jazz la part de l’improvisation est prépondérante. Pour des raisons commerciales les maisons de disques ont longtemps imposé à leurs artistes de reprendre des airs connus ( voire des chansonnettes ) afin que le titre attirât le client, c’est en jouant, en élastiquant, la structure du morceau, en la passant sur la table de Procuste des différents modes musicaux afin de l’étirer, de la compresser, de la désarticuler, que l’artiste imprimait sa propre marque, bouleversant le système de la chanson  afin de l’ordonner selon la systématisation de sa propre sensibilité.

    Pendant longtemps, la musique a évolué selon des règles constitutionnelles mathématiques, avec l’apparition du free, les jazzmen ont introduit des éléments ‘’ extérieurs’’ aux possibilités mathématiques, l’on n’a pas manqué de les critiquer en leur reprochant de faire n’importe quoi. Ce qui parfois pouvait être vrai, mais c’était oublier que faire n’importe quoi c’est aussi tout simplement faire quelque chose, en modifiant un système donné… L’apparition du bruitisme au début du vingtième siècle, puis du noise, puis des techniques életro et électro-acoustiques a encore changé la donne d’appropriation culturelle de cette ‘’ nouvelle’’ musique par le public. Elle n’est pas aussi sans poser d’interrogation aux musiciens et créateurs.

    Si actuellement surgissent à foison des one man bands, c’est certes parce que les avancées techniques le permettent, c’est certes aussi pour des raisons strictement économiques – exactement à un autre niveau la même problématique des Blue Caps de Gene Vincent abandonnant la contrebasse pour la guitare basse électrique ô combien plus facile à caser dans une seule voiture lors des tournées -  mais surtout parce que l’artiste se retrouve seul face à sa propre musique, débarrassé des interventions ( qu’elles soient heureuses ou malheureuses ) de leurs pairs. L’artiste se sent ainsi davantage maître de sa création, il élimine l’action que l’on pourrait assimiler à l’apport hasardeux ( positif ou négatifs) d’autres systèmes  déstabilisateurs. Imaginez un torero voulant se mesurer seul face au taureau et à la mort refusant l’aide des picadors, des banderillos et de ses aides…

    A notre connaissance Chaotic Bound Systems a réalisé deux albums, No Light ( 2018 ) et Dissonanz ( 2020 ) et un Ep : Dust Demons ( 2022 ). Tous trois : Evil Dead Productions. Distribution : Diabolic Spectrum Records.

    Andrey Kein : sax ténor, saxphon (flûte de bambou), piano, guitare, percussions, bruits de violoncelle.

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

    De Gegensatz : ( L’opposé ) : un saxophone qui résonne comme la sirène d’un cargo perdu au milieu de l’océan, cette musique est forte car elle est ponctuée de silence, les notes et les bruits surviennent en un isolement glacial, cette trompe qui mugit et se tait pour laisser la place à d’autres sons, Chaotic Bound Systems ne cherche pas à créer un vortex de sons qui déboulent sur vous pour vous entraîner sans rémission, l’on sent la composition, un esprit qui tente de circonscrire par le son et des sifflements un espace musical qui soit avant tout mental, un tout indissoluble qui contiendrait tous les possibles organiques de son déploiement. L’on est beaucoup plus près du jazz que du noise, les instrus ont l’air de s’affoler, d’essayer de se surpasser pour prouver la nécessité de leur présence, d’expirer, de crever la bouche ouverte afin de magnifier le passage de ce qu’ils ont été dans leur propre présence évaporée afin que leur disparition vibratoire n’ait pas été une anecdote sans signifiance mais la marque même de leur nécessité dans son absence révélatrice, un peu le côté obscur de la force qui ne déclare jamais forclos. Lorsque le morceau s’arrête, rien n’est terminé, vous reste l’impression d’être rassasié, d’avoir entrevu quelque chose de plus grand que vous et surtout totalement étranger à la nature de votre propre êtralité. Quelque chose qui soit à l’opposé de votre intégrité rejetée dans les zones interlopes du néant.

             Jazz Noir Music en offre une autre lecture. Celle d’une bande-dessinée dont il a détaché quelques cases qu’il expose assez longuement, le temps que chacun se crée son propre scénario, un morceau d’histoire glauque, un assassin qui poursuit sa vengeance… En noir et blanc.  Noir, très noir.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    david crosby,white stripes,the cult,elvis presley,the confusionaires,4am new york experiment,chaotic bound systems,rockambolesques

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 18 ( Château d’If  ) :

    92

    Le Chef ouvrit la porte d’un grand coup de pied. Pendant que je me précipitai dans le bureau il s’arrêta pour allumer un Coronado. Je faillis buter sur le corps d’Alice évanouie sur la moquette, je la relevai et la tenant serrée contre moi je lui prodiguais un rapide lèvres à lèvres qui rapidement lui permit de reprendre ses esprits :

             _ Oh Damie ! c’est affreux !

             _ Mais non, Alice vous êtes toujours aussi belle, je vous le promets !

             _ Agent Chad, modérez l’exaltation de votre âme lamartinienne, recouvrez le sens de la réalité, cette ravissante enfant a raison, ce n’est pas beau à voir, mais alors pas du tout !

    Je portais mon regard sur le bureau où étaient assis Sureau et Lamart. Assis n’est pas le bon mot, ils étaient carrément affalés sur leur table de travail. Ce n’était pas le plus terrible. En moi-même je louai la sagesse du Chef qui avait allumé un Espuantoso avant de rentrer. Comparée à l’horrible puanteur qui se dégageai des corps des deux journalistes, la fumée dégagée faisait office d’une agréable et printanière fragrance de chèvrefeuille. Non seulement Lamart et Sureau étaient morts mais ce n’était pas le plus grave, ils présentaient un état de décomposition avancée, par les trous de leurs vêtements l’on apercevait un infect grouillements de vers, les fameux helminthes, si chers à Baudelaire, accomplissaient leur travail. Seuls les cabotos ne semblaient pas trouver l’odeur désagréable, ils humaient avec délectation les deux cadavres.

              _ Avec l’agitation qui règne dans le hall personne n’a visiblement entendu le cri d’Alice, Agent vous refermerez avec soin la porte, que l’odeur ne se répande pas avant que nous ne nous soyons éclipsés.

    Choquée Alice ne voulut reprendre sa place à l’accueil :

              _ J’aurais trop peur de dormir seule ce soir, je reste avec vous Damie !

              _ Oui Alice, vous avez raison, je vous emmène avec moi à Provins, n’ayez crainte avec les féroces gardiens que sont Molossito et Molossa, rien de désagréable ne pourra vous arriver.

    93

    Nous arrivâmes un peu tard - il était près de midi - au local. Molossa et Molossito ayant squatté toute une partie du couvre-lit, il ne resta que peu de place pour Alice et moi, trop serrés à la manière des sardines à l’huile en boîte nous avions assez mal dormi. Le Chef était d’excellente humeur. Il me tendit aussitôt un exemplaire du Parisien Libéré :

             _ Lisez-moi ce torchon, Agent Chad, cela ne vaut pas la prose veloutée de vos Mémoires d’un GSH, mais cette première page fort instructive vaut le détour. Pendant ce temps je me permettrai d’allumer un Coronado, la journée risque d’être fort belle !

    LE PARISIEN LIBERE

    UNE TRAGIQUE ET DOUBLE DISPARITION

    Nous avons le regret d’annoncer une terrible nouvelle à nos lecteurs : Martin Sureau et Olivier Lamart, nos deux meilleurs journalistes sont décédés hier soir en des circonstances cruelles. Il était l’heure d’envoyer le journal à l’imprimerie et nos deux amis, contrairement à leurs habitudes n’avaient pas encore livré leur article. Il se faisait tard, nous envoyâmes une secrétaire à leur bureau afin de récupérer au plus vite leur travail. Hélas, ils étaient bien assis à leur table de travail, mais ils étaient morts tous les deux. Le Samu est arrivé en des temps record, le diagnostic est tombé très vite, tous deux avaient été terrassés par un arrêt cardiaque au travail. Le cas n’est pas si rare nous a déclaré un statisticien. Des gens soumis à un même stress peuvent succomber au même instant s’ils sont de la même famille, or Le Parisien Libéré est une grande famille et nos deux confrères travaillaient ensemble depuis tant d’années qu’ils étaient comme des frères.

    Nous leur rendrons un grand hommage dès lundi prochain dans notre journal. Les lecteurs se rappelleront que nos deux infatigables reporters étaient présents dans la forêt de Laigues lorsqu’un fulgurant variant du Covid a anéanti plus de deux cents de nos policiers.   Les analyses effectuées par prudence sur leurs prélèvements sanguins apportent la preuve indubitable de leur non-contamination, mais les autorités ont été formelles ils seront portés en terre au plus vite, dès demain après-midi, aujourd’hui pour ceux qui viennent d’acheter ce numéro, nous donnons rendez-vous aux lecteurs qui voudraient leur rendre un dernier hommage, au cimetière de Savigny ( Seine & Marne).

    Communiqué de la Rédaction.

    94

    Dans la voiture le Chef distribue les rôles :

    • Carlos, il nous avait rejoint au local dès que l’article du Parisien Libéré en devanture d’un kiosque à journaux lui avait sauté aux yeux, il y aura du monde, avec Alice vous rejoindrez la masse des anonymes en queue de peloton, personnellement je me mêlerai à la foule des officiels, dans l’œil de l’ouragan, agent Chad, avec vos deux cabotos vous seriez trop vite repérés, vous suivrez la piste indienne.
    • Mais que faut-il faire et de qui doit-on se méfier au juste, je ne comprends pas grand-chose, minaude Alice.

    Elle est toute belle mais méconnaissable, grosses lunettes noires qui lui mangent la moitié du visage, une robe bon marché et une veste en laine, genre de défroque tricotée par les grand-mères attentionnées déforment sa silhouette. N’empêche que Carlos est aux petits soins avec elle. Galamment le Chef lui répond :

              _ Charmante enfant, en toute logique dans un cimetière l’on ne craint que la mort, c’est pourtant elle que nous devons chercher !

              _ N’ayez crainte Alice, je vous défendrai, lui souffle Carlos au creux de l’oreille, j’ai toujours trois ou quatre Rafalos sur moi, un geste élémentaire de prudence terriblement efficace.

    Alice ne sait pas trop ce que c’est qu’un Rafalos mais la voix de Carlos la rassure. Après les avoir déposés devant l’entrée, j’arrête la voiture assez loin de la grille. J’entrouvre la porte pour laisser passer les molosses, ils ont compris, ils se faufilent entre et sous les véhicules en stationnement, personne ne les aperçoit, il doit bien avoir plusieurs centaines d’individus qui se dirigent vers le lieu de l’inhumation... Je ne me soucie plus d’eux, je sais que si j’ai besoin d’eux, ils seront à mes côtés. Chiens fidèles mais féroces.

    95

    La cérémonie a commencé depuis un petit moment. Le cimetière est plein comme un de ces œufs de pâques remplis de friture en chocolat que m’offrait ma maman quand j’étais petit. De mon poste d’observation je vois tout. Je ne pouvais pas trouver mieux que la fenêtre de la chambre d’Alice, la lycéenne (essayez de comprendre ou de relire les épisodes précédents), forcer la porte de derrière a été un jeu d’enfant. La tombe de Lamart et de Sureau, une simple fosse, est ouverte, les deux cercueils sont recouverts de gerbes de fleurs, les discours se succèdent, je reconnais le Chef au panache de fumée qui s’élève de son Coronado, depuis trois-quarts d’heure les discours se succèdent, je remarque que la famille est absente, à part un vieux grand-père atteint de démence sénile qui s’agite comme s’il était aussi un adepte de la maladie de Parkinson, quatre gardes du corps s’emploient tant bien que mal à le faire tenir tranquille,  derrière les officiels sont tassés les lecteurs du quotidien, je repère Alice alanguie dans les bras de Carlos. La cérémonie est un peu ennuyante, elle dure et s’éternise…

    J’entrouvre la fenêtre pour saisir quelques mots des allocutions qui sont prononcées à l’aide d’un micro, une brise légère les emporte en une direction opposée et les rend inaudibles. Je tressaille, un aboiement bref et étouffé m’avertit que quelqu’un approche. De quel côté ? Quinze secondes plus tard une espèce de léger couinement le suit. Je reconnais le timbre aigu de Molossito, donc le premier plus grave provient de Molossa. Braves chiens, jamais ils ne se seraient manifestés deux fois s’il n’y avait qu’une seule personne. Pas d’erreur c’est un double danger qui me menace. Deux ennemis se dirigent vers moi. Je me colle au mur, de telle manière que je serai derrière la porte de la chambre si quelqu’un la pousse… Deux minutes de silence absolu. Un léger grattement derrière la maison. Qu’est-ce au juste ? Maintenant j’en suis sûr quelqu’un monte les escaliers en prenant soin de ne pas faire craquer les marches…

    A suivre…