Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

pogo car crash control

  • CHRONIQUES DE POURPRE 558 : KR'TNT 558 : DAPTONE / MAIDA VALE / BLACK MAMBA / CLYDIE KING / DIDIER BOURLON / STERCORUM HUMANITATIS TRANSLATIO / POGO CAR CRASH CONTROL

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

    LIVRAISON 558

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    09 / 06 / 2022

    DAPTONE / MAIDA VALE / BLACK MAMBA

    CLYDIE KING / DIDIER BOURLON    

    STERCORUM HUMANITATIS TRANSLATIO

    POGO CAR CRASH CONTROL

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 558

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

      http://krtnt.hautetfort.com/

     Daptone en fait des tonnes - Part Two

     

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

             Si tu veux entrer pour de vrai dans l’éthique Daptone, tu ne peux pas faire l’économie d’un retour aux sources, c’est-à-dire écouter les disques qui ont ému aux larmes le jeune Gabe Roth. Dans son ouvrage (It Ain’t Retro: Daptone Records & The 21st Century Soul Revolution), Jessica Lipsky cite trois compiles en référence : James Brown’s Funky People, Brainfreeze et Funky 16 Corners, alors que dans le sien (Long Slow Train: The Soul Music Of Sharon Jones And The Dap-Kings), Donald Brackett cite plutôt Stax.

             Commençons si tu veux bien par les compiles que cite Jessica Lipsky.

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

             On comprend que le jeune Gabe se soit prosterné jusqu’à terre devant James Brown’s Funky People. Cette compile est tout simplement à l’image de James Brown : de la dynamite. Les quatre cuts de Lyn Collins vont te faire tomber de ta chaise, à commencer par «Think (About It)», elle est aussi balèze qu’Aretha, en plus funky, c’est gorgé de Brown stuff. Comme son mentor, elle fonce dans le tas avec «Mama Feelgood», c’est joué à l’efflanquerie du meilleur funk d’Amérique, elle pousse bien le bouchon, on a des poussières de sax dans du cul du cut, elle mène le bal du diable à coups de let me hear you speaking. James Brown duette avec elle sur «Rock Me Again & Again & Again & Again» - play time ! - James Brown geint dans le background, alors elle y va, il danse derrière son micro, il geint comme un roi. Lyn Collins est une lionne et James Brown le vrai roi d’Amérique. Oui, car les blacks sont au-delà de tout. Elle duette encore avec James Brown sur «Take Me Just As I Am», elle fait «take me» et James Brown ajoute «as I am», mais il le fait à la James Brown, avec du génie, alors que derrière gronde le funk. Et puis il y a aussi Maceo & The Macks avec «Parrty (Part 1)», fantastique festin de funk, ces mecs jouent de tout leur soûl, ils jouent dans tous les coins. Et voilà un autre proche de James Brown, Fred Wesley qu’on eut la chance de voir jouer au Méridien. Accompagné par les JBs, il vole dans les plumes d’«If You Get It The First Time etc etc». Fred souffle dans son trombone et James Brown reste dans les parages. Swing monumental, c’est bourré de jus et d’interventions interactives. C’est Fred qui referme la marche avec «Same Beat», au son d’inclusion et claqué au mieux du same beat. Fred Westley fait aussi le train avec «(It’s Not The Express) It’s Just The JBs Monaurail», heavy beat des enfers. On voit aussi les JBs s’adonner à toutes sortes de pirouettes apoplectiques. Et puis à un moment James Brown rend hommage à son vieil ami Fred Westley : «To me happiness is Fred Westley playing his horn.» Compile magique.

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

             Et puis voilà les deux autres compiles référentielles : Brainfreeze et Funky 16 Corners. La première est une grosse arnaque. Tout est enchaîné et samplé, on entend des bouts de choses admirables, Reuben Bell, Albert King, Mack Rice, mais les deux imbéciles qui compilent ça scratchent par-dessus, ils massacrent des cuts énormes, nous voilà au sommet de la vague des non-artistes, Rufus Thomas survit dans les décombres, mais pas longtemps car les deux DJ finissent par le démembrer, c’est atroce et ils lui collent des coups de scratch dans la gueule. Comment osent-ils ? Allez scratcher Stong et Slosh, mais pas Rufus Thomas !     

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

         Funky 16 Corners est une compile infiniment plus respectueuse des artistes compilés. Et quels artistes ! Ce sont tous d’obscurs funksters, pas d’albums, rien que des singles sur des labels obscurs, et ça part en trombe avec Ernie & The Top Notes, et le fameux «Dap Walk» qui selon Jessica Lipsky est à l’origine du choix de Daptone comme nom de label. On y entend la bassline de «Tighten Up». C’est le bassmatic le plus virtuose de l’histoire du funk et un solo de sax arrive comme la cerise sur le gâtö. Tout est bon là-dessus, le heavy groove de Bad Medecine se laisse savourer avec délectation («Trespasser») et Spider Morrison gère son affaire de main de maître («Beautiful Day»). The Highlighters Band highlighte la B avec le morceau titre de la compile, un funk à la James Brown, ah ! Do it again !. Et les Rhythm Machine font aussi du James Brown avec «The Kick», pur jus de funk de get on quick et d’in the back, you’re still on the track, aye ! Aussi heavy on the groove, voilà Carleen & The Groovers et «Can We Rap», superbe ersatz de James Brown. En C, les Go Real Artists passent au funk africain avec «What About You (In The World Today)». Ça duette et ça rappe au milieu du beat et des percus. Nouvelle giclée de Tighten Up avec le «Tighten Up Tighter» de Billy Ball & The Upsetters featuring Roosevelt Matthews. Ah on parlait du loup ? Le voilà, avec son fabuleux drive de basse, encore plus féroce que celui d’Archie Bell & the Drells. En D, on ira savourer le slow groove du paradis imaginé par The Wonder Glass featuring Billy Wooten et «In The Rain». Cut de rêve avec du timpani et un soft shuffle d’orgue.

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

             A-t-on vraiment besoin d’aller ouvrir un deuxième Daptone book ? Celui de Jessica Lipsky cité en amont semblait avoir brillamment fait le tour du propriétaire. Il en existe un autre, paru antérieurement et signé Donald Brackett (Long Slow Train: The Soul Music Of Sharon Jones And The Dap-Kings), très attirant par sa couverture. On y voit en effet Sharon Jones danser sur scène dans sa robe voodoo. La photo doit dater de l’époque des chimios car elle n’a plus de cheveux. Diable comme elle est belle ! Bon, le problème de Brackett, c’est qu’il analyse une musique qui s’en passerait bien. Ses pages sont parfois aussi ardues que les cols du Haut Atlas, qu’on franchit au prix d’efforts surhumains. C’est un peu comme si Roland Barthes expliquait les tenants et les aboutissants du Live At The Apollo, ou comme si Serge Daney dessinait un parallèle entre Jean-Pierre Melville et Sex Machine dans les Cahiers. Disons que c’est une autre façon d’interpréter les choses, mais il ne faut pas oublier qu’on gagne toujours à entrer dans le jeu des formulations qui ne nous correspondent pas.

             Pour définir le funk, Brackett passe un braquet et fait parler Fred Westley : «Si tu as une syncopated bass line, a strong heavy backbeat from the drummer, a counter line from the guitar or the keyboard et quelqu’un qui soul-sing on top of that in a gospel style, alors tu as du funk.» Brackett parle du funk en termes d’authentic action et d’artistic urgency, de ‘70s black culture et comme cerise sur son gâtö, il rappelle qu’en 1974, James Brown se proclamait The Minister of New Super Heavy Funk, une tradition que Sharon Jones reprenait à son compte se jetant sur scène in true juju fashion. Aux yeux de Brackett, Sharon Jones et les Dap-Kings ne cherchaient pas seulement à récupérer le sound of ‘60s Memphis, mais plutôt le soul of ‘60s Memphis. Pour lui, les racines sont chez Stax et chez James Brown. Et dans son délire, il va encore plus loin, affirmant que le juju fashion de Sharon Jones vient directement du Sénégal ou de Yoruba, c’est-à-dire le Nigeria, alors il farcit sa dinde avec tout ce qui lui passe par la tête, les chants d’esclaves sur les bateaux, les chants des cueilleurs de coton, les chants de gospel dans les églises en bois, les blues licks dans les urban clubs, the soul bounce des dance floors, le funky groove des sweaty arenas, pour lui, le funk remonte directement aux origines et soudain tout s’éclaire quand il affirme que la Black music n’a jamais cessé d’évoluer, depuis les premiers chants d’esclaves jusqu’aux street-corner raps. Il cite Rickey   Vincent : «The mission has been the same to tell it like it is.» Brackett ajoute que le gospel prend aussi racine dans un cauchemar : the social nightmare of being black in the American southern states. L’incroyable de cette histoire est que le Black Power a réussi à prendre le dessus - gospel, blues, jazz, rhythm & blues, rock’n’roll, soul, funk and later hip-hop, in one of the most creative explosions of self-expression in history - C’est bien de le redire encore une fois. Brackett remonte à l’assaut du ciel en nous rappelant que le mot gospel signifie «good news», mais la vraie bonne nouvelle dit-il, c’est que le gospel est devenu le blues, le blues en fusionnant avec le gospel est devenu la Soul, la Soul est devenue le funk en fusionnant avec le rock, et le funk est devenu Sharon Jones’ middle name. Le «good news» du gospel est devenu le «feel good» de la Soul. 

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

             S’il cite Stax, c’est sans doute à cause du raw, l’essence commune avec le funk. Et là il donne la parole à Steve Cropper, mieux placé que nul autre pour en parler : «On a appelé ce qu’on faisait le Stax sound ou le Memphis sound. Ce n’était ni le Chicago sound, ni le New York sound, encore moins le Detroit sound, c’était un southern sound, a below the Bible belt sound. Un son vertueux et nasty à la fois, qui était à nos yeux l’illustration parfaite de la vie elle-même.» Et puis un mec vient nous rappeler ce qu’on sait déjà : Motown avait baptisé son pavillon Hitsville U.S.A., et Stax le sien Soulsville U.S.A. C’est Isaac Hayes qui exprime peut-être le mieux le raw de Stax : «I’m a Soul man, got what I got the hard way.» Brackett aime bien cette notion de hard way. Il faut en baver pour être raw. Travailler dur, hard work, Miz Axton doit hypothéquer sa maison pour financer l’achat d’un premier Ampex, et bien sûr, Gabe Roth va démarrer exactement avec le même Ampex, «the very same kind of analog tape format, the holy grail for Daptone Records cinquante ans plus tard». Dès le départ, Gabe Roth milite pour le raw, c’est-à-dire le manque de moyens. Il enregistre avec des micros à 5 $ - To use whatever you have and just rely on the performance of the musicians and on your own ears - Brackett appelle ça ‘the money can’t buy you sound’ school of thought. Roth préfère le son des disques d’Irma Thomas ou d’Ann Peebles à celui de Steely Dan (que Brackett s’empresse de qualifier de plenty perfect by the way).

             Brackett nous explique à longueur de pages que Sharon Jones ne s’est jamais éloignée un seul instant de l’esprit du gospel. Comme d’ailleurs James Brown : «Really I never left it. Or it never left me. Il se peut que le public ne le sache pas, but the Sex Machine first did it to death for the Lord. I want to, I can testify. Le Gospel m’a sauvé la vie, même si je n’ai pas chanté beaucoup à l’église. J’ai chanté le gospel en prison.»

             Comme l’avait fait Aretha avec Amazing Grace, Sharon Jones voulait enregistrer un album de gospel, mais la vie en a décidé autrement. En guise de consolation, Gabe Roth dit que Sharon Jones a chanté le gospel toute sa vie.

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

             Le Brackett book rend un bel hommage à Sharon Jones et à ses six décades de raw, untutored, ramshakle, rambunctious and infectuous life energy. C’est effectivement ce qui frappe le plus quand on la voit sur scène : l’énergie. Mais il insiste aussi sur son caractère entier. Quand elle arrive sur scène sans perruque, comme le montre la photo de couverture du book, elle s’en explique : «I’m just going to go with it. That’s what soul music is all about.» On est comme on est. Brackett pense aussi que Sharon tient de James Brown par sa façon de repousser les limites, pas seulement les siennes, mais aussi les nôtres, our own perceived pleasure limits. Le pauvre Brackett est tellement subjugué par Sharon Jones qu’il lance une hypothèse audacieuse : elle serait, comme le fut James Brown, possédée, non par le diable, mais par Dieu, qu’il appelle the Creator : «Tous ceux qui ont vu James brown ou Sharon Jones at the Apollo savent que SOMETHING has taken over.» C’est la première fois qu’on fait allusion à ce type de possession. Du coup Brackett voulait titrer son book Gospel Fury, après avoir joué un temps avec une autre idée : The Gospel According to Sharon, mais en Anglais, c’est une formule qui peut passer pour irrévérencieuse. Il précise alors sa pensée et cite Paul Oliver pour amener l’idée du Soul gospel, dont les pionniers furent les Soul Stirrers de Sam Cooke, puis Aretha : «Alors qu’il est religieux par essence, le Soul gospel was marked by its raw, often sexually charged display of emotion.» À quoi Brackett ajoute : «Sounds like the perfect description of Jones to me.» Alors Sharon peut aller faire tournoyer son small stocky body à travers la scène, like a ceremonial voodoo doll. Pour Brackett, c’est la preuve qu’une tradition originaire de Yoruba a traversé l’Atlantique aux heures sombres de la traite des noirs. Brackett redit que Sharon est possédée par le spirit et il n’ose pas parler de paganisme, alors que c’est précisément de cela dont il s’agit. Ce mélange de possession et de Stax sound est aux yeux de Brackett unique dans l’histoire de la musique populaire. Pour la simple raison que Sharon Jones et les Dap-Kings n’imitaient personne. Gabe Roth veillait à se distinguer de la néo-Soul qui faisait rage au moment où Daptone est apparu. Pas question d’aller utiliser les fucking outils digitaux pour enregistrer. Roth voulait aussi reprendre l’idée des Soul Revues célèbres dans les sixties - There’s a sense of showmanship in that, an excitement that you don’t see in a lot of shows nowadays - Il a raison, le Roth, la grandeur a disparu, hormis les Dap-Kings, on ne voyait plus beaucoup de Revues sur scène ces vingt dernières années. Avec des moyens beaucoup plus modestes, King Khan & His Shrine ont réussi à maintenir la tradition. Idem pour les Buttshakers qui refont surface.    

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

             Brackett revient aussi sur la qualité de la relation qui existait entre Gabe Roth et Sharon Jones. Il savait l’apprécier comme elle était. Son acolyte Sugarman décrit Sharon en trois lignes : «Une femme de cinquante ans avec une sacrée poignée de main, une can-do attitude and a little extra padding around the waist», ce qui fait qu’on l’acceptait comme elle était, «on her own terms for the first time in a long time.» Pour les journalistes qui l’interviewaient, Sharon Jones était a reporter’s dream : locace, spontanée, drôle, familière et toujours cette sacrée poignée de main !

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

             Brackett triangule Sharon Jones avec James Brown et Sister Rosetta Tharpe, qui dès 1944, «was already twanging out adrenalin-charged steel guitar gospel riffs.» Les Dap-Kings sont donc les héritiers de cette tradition qui s’enracine dans le gospel et qui passe par James Brown, Sister Rosetta Tharpe et Stax. Gabe Roth : «Ma principale inspiration, si on considère ce que j’ai fait musicalement pendant toutes ces années, c’est Stax. Il n’existait rien de comparable à Stax avant que ça n’existe. Et depuis que Stax a disparu, rien de comparable n’est apparu. Motown was a factory but Stax was a family.» Comme on l’a vu, le concept de family est au cœur de l’étique rothienne. Mieux encore : les Dap-Kings ne sont pas tous noirs, ils sont nous dit Brackett «a wild mixture of white, black, Italian, South American, jewish, south, north east and west.» «La distillation la plus pure dit-il de ce qu’est l’Amérique, un brassage spirituel.» Pour illustrer son propos, il ressort les vieux parallèles cousus de fil blanc, Daptone et Stax/Royal Recording in Memphis, the Muscle Shoals Sound Studios in Sheffield, Alabama, or Malaco’s studio in Jackson, Mississippi - Sa chute est marrante : «This isn’t nostalgia, folks, it’s realism.»    

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

             Comme le fait Jessica Lipsky dans son book, Brackett fouille un peu du côté des «autres», ceux que le phénomène Daptone a révélés : Black Joe Lewis & The Honeybears, St. Paul & The Broken Bones, Eli Paperboy Reed, Alabama Shakes, Mayer Hawthorne et Leon Bridges. Il cite aussi les noms de Lyn Collins, Marva Whitney, LaVern Baker et Ruby Johnson, comme étant des simili-Sharon, mais s’empresse-t-il d’ajouter, Sharon a toujours été Sharon, right from the beginning.

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

             Vers la fin de son book, Brackett demande à Gabe Roth si les Dap-Kings ont encore un avenir après la disparition de Sharon Jones. La réponse ne se fait pas attendre : «On sait très bien qu’on ne rejouera plus à un tel niveau. On ne peut pas espérer mieux que d’accompagner Sharon Jones sur scène.» Maintenant, il ne te reste plus qu’à écouter les albums. Tiens par exemple, les deux compiles Daptone, Daptone Gold et Daptone Gold Vol. II. Elles sont extrêmement représentatives de l’esprit Daptone. Pour ceux qui n’ont ni la place ni les moyens d’entasser tous les albums parus sur Daptone, elles sont idéales. Après l’intro de Binky Griptite, Sharon Jones ouvre le bal de Daptone Gold avec le hard funk d’«I’m Not Gonna Cry», tiré de Soul Time. Les Dap-Kings déroulent le tapis rouge du hard funk et Sharon lui donne vie. Avec tous ces escaliers de cuivres, on se croirait à l’âge d’or. Elle revient plus loin avec «How Long Do I Have To Wait», plus bon chic bon genre, on danse au bar de la plage, ooouh baby, elle s’amuse bien, la mémère dans son truc en plume. Plus sérieux, voilà «Got A Thing On My Mind», un r’n’b à la Sharon, avec un Gabe qui cavale dans le son. Pas de plus belle lampée de lampiste et cette façon qu’a le Gabe de remonter en escaliers dans le flux du bassmatic. Sharon Jones revient encore sucer la pulpe de la Soul avec «Make It Good To Me», mais cette fois le bassmatic est trop présent, ça devient un système déplaisant. C’est elle qui boucle le bouclard en duo avec Lee Fields sur «Stranded In Your Love». Lee Fields tape à sa porte : They stole my car ! Elle ne veut pas lui ouvrir. Now I’m stranded in/ Your love et Lee Fields en rajoute. Sharon repart au front à la glotte perchée, elle est indestructible et Lee Fields la relaye, ils fondent enfin leurs voix dans les circonstances, ils duettent jusqu’au bout de la nuit de cristal, ils sont effarants. L’autre tête de gondole de Daptone c’est bien sûr Noami Shelton qui ramène tout son pâté de foi dans «What Have You Done». C’est incroyable comme Gabe Roth a su la mettre en valeur. C’est balayé par un vent de chœurs. Retour de Lee Fields avec «Could Have Been». Ce fantastique shouter explose bien la Soul, encore plus sûrement que Percy Sledge. Il revient plus loin accompagné par Sugarman avec «Stand Up». Il est le meilleur avec James Brown. Le quatrième larron c’est bien sûr Charles Bradley qui fout le feu avec «The World (Is Goin’ Up In Flames)». Grand dévoreur d’espaces. Et puis tu as tous les groupes instro, les copains de Gabe Rothe, The Budos Band, Antibalas, The Menahan Street Band et The Sugarman Three, dont les exégètes de Daptone disent le plus grand bien, mais attention, ce ne sont que des gros albums d’instros, extrêmement difficiles à écouter à sec, mais par contre idéaux pour mettre de l’ambiance à l’apéro. Avec Daptone Gold, tu en as pour ton argent. Idem avec Daptone Gold Vol. II.

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

             Tu y verras Sharon Jones & The Dap-Kings ouvrir le bal avec «Better Things», big Sister Jones le fait à la dure, elle éclate la Soul au Sénégal, au chant d’éclat. Plus loin, on la retrouve avec l’«Inspiration Information» de Shuggie Otis, l’une des covers du siècle, puis avec «Retreat» qu’elle chante le dos au mur, elle est certainement la dernière des grandes Soul Sisters des temps modernes, elle grimpe là-haut sur la montagne pour atteindre le somment du lard, il faut la voir exploser le chant. Elle fait encore un coup d’éclat avec «I Learned The Hard Way», elle s’installe au cœur du groove de Daptone, parfaite et perçante, pour une leçon de good time groove. Voilà pour les coups de génie. Mais il y en a d’autres, notamment ceux de Noami Shelton & The Gospel Queens. Avec «Sinner», Noami Shelton sort les accents profonds de James Brown, elle ramène tout le deepy deep de la Soul, elle fond comme beurre en broche, là tu as le black genius à l’état le plus pur, épais, au ras des pâquerettes, avec tout l’indicible power du gospel choir. On la retrouve vers la fin avec un inédit, une cover de «You Gotta Move» qu’elle shake avec un gusto assez rare, elle est dans l’extrême du groove de tell you what the Lawd, avec la voix d’une Witch Queen of New Orleans. Le troisième larron dans cette folle aventure c’est bien sûr Charles Bradley qui fait avec «Strictly Reserved» son discours du 18 juin, fantastique scorcher, il effare en répandant sa bonne parole. Il revient vers la fin avec un inédit, «Luv Jones», heavy on the beat, merveilleux Charles, son groove défie toutes concurrence, il se veut tentateur, oh-oh-oh et travaille son Luv au plus profond du Daptone groove. Les Dapettes Shaun & Starr sont là, elles aussi, avec «Look Closer», ainsi que les Como Mamas avec «Out Of The Wilderness», un autre inédit, bienvenue sur la terre ferme avec les Como, aw yeah, il faut voir comme elles allument ! Et puis il y a tous les groupes instro de la bande à Daptone, Antibalas, Menahan Street Band, The Budos Band et bien sûr The Sugarman Three, tous pleins de son et d’énergie, notamment Sugarman et son shuffle, mais c’est un son qui n’intéresse que Gabe. Ce sont les Dap-Kings qui referment la marche avec «Thunderclap», ces petits blancs qui se prennent pour des noirs s’octroient une partie de plaisir, mais on sent bien qu’il leur manque un petit quelque chose. Ils n’ont ni la niaque des Bar-Kays ni celle des Famous Flames, même s’ils groovent comme des diables.     

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

               Bien sûr qu’il faut écouter l’album de Lee Fields paru sur Desco, l’ancêtre de Daptone. L’objet s’appelle Let’s Get A Groove On et date de 1998. C’est du hard funk génial, wow, «Let’s Get A Groove On» ! Et ça continue avec «Watch That Man», big heavy funk de Lee, digne de James Brown, avec des chœurs de funk qui font «That’s watch that man/ The man !». En B, il s’en va faire du pur James Brown avec «Put It On Me», ah ! Il halète bien, oh ! Il chante au gut de l’undergut. Et puis voilà le coup de génie tant attendu, «Steam Train», chargé jusqu’à la gueule de groove de funk, bassmatiqué jusqu’à l’os du jambon, avec du solo de sax à gogo.

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

             Le Gimme The Paw des Soul Providers Featuring Lee Fields s’appelle aussi Soul Tequila. C’est l’époque où Phillip Lehman et Gabe Roth montent leur label Desco et lancent Lee Fields. On y retrouve le «Steam Train» de l’album précédent. C’est l’un des plus beaux classiques de hard funk, parce qu’excessif et balèze, pulsé à la JB, ouh ! Lee Fields fait le train en funk ou le funk du train, c’est comme tu veux, ouh ! JB n’y aurait pas pensé, Mister iron man ! Go on some steam ! Avec un solo de trompette à la Maceo. Lee Fields est de retour sur «Switchblade», il est brillant le petit Lee. Ça gratte le funk comme chez JB, et les Soul Providers fourbissent en plus le bassmatic et les cuivres du funky strut - That’s what they call me - Et la fille fait «Switchblade» ! La fille, c’est Sharon Jones. Les blackos comme le petit Lee savent rouler dans les entre-deux, un blanc ne sait pas, Lee sait, et Sharon se fond dans le groove avec lui. Le petit Lee revient à la charge dans «The Landlord», pulsé par une bassline des enfers signée Gabe. Sinon, les autres cuts sont des instros. «Soul Tequila» est un hommage au «Soul Finger» des Bar-Kays. Dans «Gimme The Paw», il dit : «Ho ! Gimme the paw !» Le chien donne la patte et il lui donne un gâtö. Crouch crouch. «Good boy !». C’est un big instro de backstreet. Tout est tellement américain dans ce son que les mots français paraissent indésirables. Le «Who Knows» n’est pas celui du Band Of Gypsys mais un Who Knows d’anticipation urbaine, joué aux trompettes de Jéricho. Le petit Lee revient foutre le souk dans la médina avec «Mr Kesselman Pt1», il y va au big heavy funk de talking back, les Soul Providers jouent vite, alors le petit Lee doit se magner pour rester on the top of the beat, you know, ah ! Oh ! Il se plie si bien aux exigences. 

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

             Le Back To Black d’Amy Winehouse est tout bêtement un album génial. Est-ce la présence des Dap-Kings qui le rend aussi génial ? N’exagérons tout de même pas. Amy Winehouse dispose exactement du même génie vocal que Billie Holiday, ce sens du deep swing épidermique. Ça groove dès «You Know I’m No Good», Amy chante à contre-courant du groove, elle ramène du sexe dans le groove des Dap-Kings. Elle chante ensuite «Me & Mr Jones» comme une reine. Impressionnant ! Elle jette sa voix dans le flux du groove, hey hey Mr Jones, elle a véritablement du génie, elle swingue jusqu’à la dernière goutte de son. Le beat skabeat de «Just Friends» l’embarque et elle sort sa voix de rêve. Le morceau titre est bien sûr le hit de cet album qui grouille de hits. Elle chante son Back à la niaque fatidique, et quant on a dit ça, on n’a rien dit. Elle se situe à l’instant précis du génie, elle se tient là, au coin du hit avec des textes d’Amy Amy plein la bouche de lèvres peintes. Avec «Wake Up Alone», elle passe au heavy slowah. Elle le négocie au meilleur chant d’Amy, elle est tout bonnement énorme, les Dap-Kings chauffent bien la soupe. Elle ramène encore une flavor inespérée avec «Some Unholy War». Cette flavor est unique au monde. Elle termine cet album faramineux avec la heavy Soul-funk d’«He Can Only Hold Her», pour les Dap-Kings c’est encore du gâtö, ils jouent le jeu jusqu’au vertige et Amy se prélasse dans la postérité avec ses tatouages et des sous-tifs, son look de Ronnette et ses petites guiboles. Fantastique poulette.

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

             C’est vrai que Gabe Roth était gonflé de sortir son Como Now - The Voices Of Panola Co., Mississippi en 2008. Le diable sait comme le gospel peut parfois paraître austère, même s’il est à l’origine de tout, ce qu’a bien compris Gabe Roth. C’est même un coup de génie que d’avoir enregistré ces artistes. On a déjà dit ici tout le bien qu’on pensait des Como Mamas. Elles ont deux albums sur Daptone et elles nous tapent ici un «Trouble In My Heart» terrifique, Mary Moore crache son Gospel batch au ciel, elles chantent toutes les trois a capella, c’est furieux et complètement wild. On plonge en pleine Americana avec The John Edwards Singers et «It’s Alright». Ils tapent l’antique groove chrétien, le vieux y va à la folie, c’est un détonnant mélange de raw et d’eau claire. Brother & Sister Walker ont deux cuts sur la compile : «If It Wasn’t For The Lord», incroyablement rootsy - I called Gee - et «Help Me To Carry On» qu’ils chantent à la plaintive de Jésus. The Jones Sisters raflent la mise avec «Talk With Jesus», c’est extrêmement africain dans les harmonies vocales, ça sent bon les forêts profondes, leur a capella est extrêmement pur. Irene Stevenson monte elle aussi au ciel avec «If It Had Not Been For Jesus» et elle revient plus loin avec «Li’ Old Church House», elle rassemble son souffle pour repartir à l’assaut du ciel, c’est très impressionnant d’écouter tous ces blacks chanter à sec, sans orchestration. Laisse tomber tes chanteuses à la mode. Écoute plutôt Irene Stevenson. Retour des Como Mamas avec «Send Me I’ll Go». Elles sont les plus décidées à vaincre et à l’élever dans le ciel, même si elles sont trop grosses.

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

             Soul Of A Woman est le dernier album qu’enregistre Sharon Jones avant de casser sa pipe en bois. Elle l’attaque avec un très bel heavy groove, «Matter Of Time», bien soutenu aux chœurs d’oh yeah, avec les petites tortillettes de Binky Griptite et le dark bassmatic de Gabe. Personne ne peut battre une équipe pareille. Il est important de préciser que ce n’est pas le meilleur album de Sharon Jones, elle semble s’être calmée pour passer à la good time music («Come And Be A Winner») et à la petite exotica du coin de la rue («Rumours», idéal pour danser au bar de la plage)Sharon Jones se diversifie. Calypso Babe ! Elle attaque sa B avec un groove dap-kinien, «Searching For A New Day» et retrouve une sorte d’équilibre naturel. Elle plonge plus loin dans le groove de velours avec «Girl», tout le son est là, fidèle au poste, notamment le bassmatic de velours intense signé Gabe Roth. Elle boucle l’affaire avec «Call On God» et se met à sonner comme Aretha. C’est un fantastique hit de Soul joué à l’orgue d’église. Elle s’y montre terrifique.

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

             Deuxième album posthume de Sharon Jones : Just Dropped In (To See What Condition My Rendition Was In). En fait, Gabe Roth s’arrange très bien avec sa conscience. Impossible de le traiter de charognard, car l’album est excellent. Les covers sont triées sur le volet, comme par exemple l’«Inspiration Information» de Shuggie Otis, déjà présent sur Soul Time. Pas de plus bel hommage au Mozart du groove. Elle ramène le gratin dauphinois des Dap-Kings dans l’orbite groovytale, elle se fond comme à son habitude dans l’excellence et vise l’apothéose du groove. Alors c’est un régal et on est franchement ravi d’avoir cet album dans les pattes. Elle reprend aussi le «Take Me With U» de Prince, c’est gratté au petit funk avec des chœurs somptueux, yeah-eh, comme toujours avec les Dapettes. Elle tape aussi le «Rescue Me» de Fontella Bass, «This Land Is Your Land» de Woody Guthrie, tiré de Naturally, pour en faire un heavy r’n’b politisé, et le «Giving Up» de Van McCoy qui fut un hit pour Gladys Knight, Sharon va le chercher très haut, c’est un cut un peu trop tarabiscoté, mais elle l’allume. Il faut aussi la voir allumer le morceau titre, jadis popularisé par Kenny Rodgers, mais qui est en fait une compo signé Mickey Newbury. Elle ne se contente pas de l’allumer, elle l’explose. Elle tape aussi dans Smokey avec «Here I Am Baby» et elle passe au violent shoot de r’n’b avec «What Have You Done For Me Lately». Les Dap-Kings swinguent ça à la revoyure, pas de problème. Avec «In The Bush», tout ce petit monde revient au fast funk des origines. Sharon fait valser la cambuse.

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

             Si tu veux compléter le tableau, alors tu peux voir le film de Barbara Kopple, Miss Sharon Jones. On le trouve sur DVD, mais attention, il n’est pas sous-titré en français. C’est la première chose. Deuxième chose, le film raconte le combat de Sharon Jones contre le cancer. Barbara Kopple attaque le tournage en 2013, lorsque Sharon apprend la mauvaise nouvelle. Elle commence par se faire raser le crâne et puis elle essaye des perruques. On va ensuite faire un tour à Bushwick, au fameux studio Daptone. Oh la gueule de Gabe ! Et Sharon se marre : «White boys doing Soul music!» Elle danse de voodoo avec le joueur de trompette et Neal Sugarman déclare :  «She’s my sister. So many years on the road.» Oui, ça crée des liens. Et sur scène, c’est infernal. Puis Sharon nous emmène faire un tour à Augusta, en Georgie, son patelin d’origine. Visite au musée James Brown et donc hommage d’une géante à un géant. On la voit aussi pêcher en fumant le cigare. Les passages les plus intéressants sont bien sûr les extraits de concert : elle bouge comme Aretha, petit corps, mais quel rythme ! Elle nous emmène aussi faire un tour à l’église, dans le Queens, et ça donne la meilleure scène du film, Sharon en transe de gospel batch, le crâne rasé, avec ses lunettes, elle entre littéralement en transe et finit par être épuisée, alors elle s’assoit. Entre deux stages à l’hosto, elle répète à Bushwick avec les Dap-Kings - The show must go on - En février 2014, elle remonte sur scène à New York, chauve et en robe rouge et pique l’une de ces crises de voodoo qui ont fait sa légende. Elle bouge à l’Africaine. Elle ramène en elle tout le raw du Black Power, celui de James Brown, d’Aretha et de Sam & Dave.

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

             Dans son book (It Ain’t Retro: Daptone Records & The 21st Century Soul Revolution), Jessica Lipsky nous mettait la puce à l’oreille, indiquant que Gabe Roth lançait un nouveau label nommé Penrose. Alors comme la curiosité est un vilain défaut qu’on adore cultiver, on est allé voir ça de plus près. Il existe dans le commerce une première compile, Penrose Showcase Vol. 1, vendue avec un slipmat, c’est-à-dire le tapis rond qu’on pose sur la platine pour montrer qu’on est branché. L’album n’est pas donné, mais il s’agit de Gabe, alors on ne va pas commencer à chipoter. Toutefois, une mise en garde s’impose : avec Penrose, on perd deux des dimensions qui ont fait la renommée de Daptone, le funk et le raw r’n’b. Il reste la Soul de charme, celle qu’on appelle la Soul de satin jaune chantée à la voix d’ange de miséricorde. On voit donc défiler les nouveaux poulains de Gabe, Thee Sacred Souls (Soul de charme), Los Yesterdays (idéal pour le bar de la plage, agréable et bien ensoleillé, ils font une petite Soulette des faubourgs, fine et tendancieuse),  le plus intéressant étant sans doute Jason Joshua avec son parfum reggae très toxique. The Altons sont irréprochables, tout est bien en place, le mec chante comme Aaron Neville, pas de problème, ne te fais pas de souci pour son avenir, il sort la voix de la tentation. Celle qui accroche vraiment s’appelle Vicky Tafoya, avec «My Vow Is You» : ampleur spectaculaire. En B, Thee Sinseers font de la heavy Sloul de nuits chaudes de Harlem. En fait tous ces groupes ont le même son et vont dans le même sens. Vicky Tafoya revient avec «Forever». Il semble que Gabe ait trouvé sa nouvelle star.

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

             Parmi les dizaines de groupes que Jessica Lipsky cite en référence, on est allé piocher les Black Pumas. Avec un nom pareil, on se dit qu’on va vite tomber de sa chaise. Les Pumas, c’est un peu comme les Panthères, comme Wilson Pickett, des animaux féroces et racés. Manque de pot, ces Pumas-là sont des Pumas en peluche. Ils sont deux, Eric Burton et Adrian Quesada, on voit leurs jambes photographiées à l’intérieur du gatefold. Encore une fois, l’album n’est pas donné, mais on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs, n’est-il pas vrai ? Ils semblent en outre bénéficier d’un gros buzz, étant donné le prix où se vendent leurs albums. Mais on est vite déçu par cette Soul surfaite. Pour rester charitable, disons qu’il s’agit d’une néo-Soul qualitative, mais sans funk. Rien que du satin jaune conçu pour les radios en ligne. On s’y ennuie comme un rat mort. Ils ramènent en cours d’A un «Fire» plus classique, presque groovy, mais pas de quoi se prosterner jusqu’à terre. 

    Signé : Cazengler, Inadaptone

    James Brown’s Funky People. Polydor 1986

    Brainfreeze. Sisty7 Recordings 1999                

    Funky 16 Corners. Stones Throw Records 2001

    Lee Fields. Let’s Get A Groove On. Desco Records 1998

    The Soul Providers Featuring Lee Fields. Gimme The Paw. Pure Records 1996

    Amy Whinehouse. Back To Black. Island Records Group 2006

    Como Now. The Voices Of Panola Co., Mississippi. Daptone Records 2008

    Penrose Showcase Vol. 1. Penrose 2021

    Black Pumas. Black Pumas. ATO Records 2019

    Sharon Jones. Soul Of A Woman. Daptone Records 2017

    Sharon Jones. Just Dropped In (To See What Condition My Rendition Was In). Daptone Records 2020

    Daptone Gold. Daptone 2009

    Daptone Gold Vol. II. Daptone 2015

    Barbara Kopple. Miss Sharon Jones. DVD Starz Digital Media

    Donald Brackett. Long Slow Train: The Soul Music Of Sharon Jones And The Dap-Kings. Backbeat 2018

     

    L’avenir du rock –

     MaidaVale live in style in Maida Vale

             L’avenir du rock déteste les interviews, mais il ne peut pas résister à l’invitation que lui lance Pierre Doc, animateur de la célèbre émission littéraire Le Lit Magnétique. Après le fameux générique des trompettes, Pierre Doc lance d’une voix de stentor :

             — Bienvenue, Avanie du rock !

             — Merci de votre convocation, cher Pierre qui Doc dîne.

             — Vous tournez à quoi, Averti du rock, à la gazoline ou au suppôt de Satan ?

             — J’en pince pour le crabe tambour, cher Pierre Doc deline.

             — Si je vous dis Médi, qu’allez-vous nous supputer, Avenini peau d’chien du rock ?

             — Vous me prenez au dépourvu, cher Pierre Dis Doc mon vieux ! Je cale.

             — Quoi, je cale ? Vous rigolez ?

             — Médi je cale.

             — Réponse refusée ! Indigne de vous. Pas très carré pour un Aviron du rock. Chiez-nous donc un os à moelle !

             — Bon d’accord, je n’osais pas, mais à vous voir si Furax, je vous réponds Ben Barkette.

             — Vous frisez l’inacceptable. C’est la dernière fois que je vous invite au Lit Magnétique, Aveniras des pâquerettes. Il vous reste une chance de sauver votre honneur. Si je vous dis Modi, que répondez-vous ?

             — Gliani d’Eve ni d’Adam !

             — Ah, vous n’avez donc aucune moralité, Avili du rock, vous ne pensez qu’au cul ! Et si je vous dis Méda, que répondez-vous ?

             — Méda Vauban !

             — Refusé !

             — Alors Méda Vale, vieux schnoque !

             — Vale populaire ?

             — Non, Vale que Vale, vieux cornichon !

     

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

             L’avenir du rock ne sort pas Maida Vale de sa manche par hasard. Trois bonnes raisons. Un, c’est dans ce quartier de Londres que se trouvent les studios de la BBC où les invités de John Peel enregistraient les fameuses Peel Sessions. Deux, chaque matin sous la douche, l’avenir du rock chante «I Live In Style In Maida Vale», un vieux hit de Jesse Hector. Trois, c’est le nom qu’ont choisi quatre petites Suédoises pour leur groupe. MaidaVale ! Non seulement c’est un choix qui les honore, mais en plus elles se montrent à la hauteur du mythe. Et quand on a dit ça, on n’a rien dit.

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

             Pas facile pour elles, car elles se retrouvent en première partie. Elles n’ont pas beaucoup de place sur scène, car derrière elles est installé le matériel d’Earthless. Mais bon, elles vont se débrouiller. Elles paraissent un peu intimidées lorsqu’elles commencent à jouer.

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

    La petite chanteuse gratte sa gratte derrière son micro. Elle est habillée en noir. Tout semble reposer sur ses épaules car elle doit planter le décor. Là-bas, au fond, une grande brune met en route un bassmatic qui pendant 45 minutes va servir de poumon à MaidaVale, et quel poumon ! En duo avec la batteuse, bien sûr. Et puis à l’autre bout de la scène, se trouve la petite guitariste, une blondinette qui porte un T-shirt Brian Jonestown Massacre et qui gratte une belle strato blanche toute neuve.

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

    Elle est extrêmement concentrée, elle sort un son sec comme un olivier calabrais et lorsqu’elle monte sur l’une de ses nombreuses pédales d’effets, elle est splendide avec ses petites cannes et son feu de plancher tout pendouillant de coton blanc. Cut après cut, elles vont conquérir les cœurs comme jadis Alexandre prenait les cités, avec un brio et une énergie confondants, on voit rarement des groupes inconnus au bataillon provoquer un tel émoi, wow, ça danse dans la salle, tout le monde monte à bord de l’hypno de MaidaVale et du coup la petite chanteuse devient folle avec son tambourin, même chose pour la bassiste qui joue en secouant la tête, on voit les deux chevelures voler en tous sens.

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

    C’est un merveilleux spectacle d’art total, le cœur vivant du rock, lorsque l’image et le son génèrent l’idée de la perfection. Elles l’incarnent avec une stupéfiante élégance, les cuts durent le temps qu’il leur faut pour que l’effet soit total. Et quand en papotant avec la bassiste, on apprend que son groupe préféré est Can, alors tout devient clair. Elles sont exactement dans l’énergie hypnotique qui fit la grandeur de Can, mais avec un truc en plus, le côté féminin que rien ne peut remplacer. À la même question, la chanteuse répond Joy Division. Donc rien de surprenant. On vérifie le vieil adage : les bons groupes écoutent les bons disques.

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

             Leur set se compose essentiellement des cuts de leur deuxième album, Madness Is Too Pure. On y trouve trois petits chefs-d’œuvre de mad psyché, «Oh Hysteria», «Dark Clouds» et «Another Dimension». Avec le premier, elles tapent dans le gros répondant d’hypno, c’est wild et frais, ça joue au space-rock d’hysteria, fantastique hommage aux rois de la mad psyché que sont the Heads et Monster Magnet. Dans «Dark Clouds», la petite guitariste qui s’appelle Sofia ramène des effets surnaturels, mais c’est Linn qui crée la sensation avec son bassmatic invulnérable. Elle sort un son qu’on pourrait qualifier de présence bienveillante. Elle recrée une tension considérable dans «Another Dimension», alors la petite guitariste peut multiplier les exactions et partir en vrille, ses arrières sont couverts par la fan de Can qui produit le backbeat, c’est même assez dément, tu ne vois pas ça tous les jours. Elles amènent le «Dead Lock» d’ouverture de bal au wild drive de MaidaVale. Elles se situent très exactement dans l’excellence du wild drive, c’est exactement ce qu’on voit sur scène. Four girls dans l’exercice de la fonction suprême. Elles flabbergastent, elles tapent en plein dans le panoramique du tournesol psychédélique et finissent en mode violente altercation. Avec «Cold Mind», elles sont encore dans l’expression du power, un power qu’on accueille à bras ouverts, elles y puisent le beat, elles atteignent un rare niveau d’inexorabilité des choses, le riff de basse embarque tout ça pour Cythère. Elles font encore du big biz avec un «Spaktrum» monté sur une bassline de kraut. C’est un album énorme, bourré d’ambiances et de Vale que Vale, tu entres dans leur jeu comme dans du beurre. Avec «She Is Gone», la petite guitariste amène de la disto. Elles sont folles et immensément douées. Elles s’arrangent toujours pour repartir de plus belle. 

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

             Il existe un premier album de MaidaVale paru en 2016 : Tales Of The Wicked West. On se le met en bouche avec deux belles énormités, «(If You Want The Smoke) Be The Fire» et «Dirty War». Elles attaquent le Smoke au heavy blues rock à la Blue Cheer, avec la voix de la petite Matilda bien posée au devant du mix. Leur truc, c’est le déclenchement. Elles adorent lancer les hostilités. Elles s’appuient pour ça sur l’énormité du son et une parfaite maîtrise des dynamiques. Elles ont une façon de relancer avec le balancement qui fait beaucoup d’effet. Dans «Dirty War», Matilda pose bien les conditions - Another bomb/ In another far off land - C’est vite explosé, la petite Matilda n’a rien d’un Motörhead mais elle jette tout son gusto dans la balance et éclate la noix de son cut avec tout le chien de sa petite chienne. C’est très impressionnant. Elles amènent «Standby Swing» à la heavy dégelée de mad psyché, c’est leur pré carré. La petite Matilda y explose son chant. La bonne nouvelle c’est que l’album renferme un coup de génie : «Find What You Love And Let It Kill You». Heavy as hell, Linn Bassmatic reprend le pouvoir, elle refait le poumon d’acier de MaidaVale, et la petite Matilda rentre dans le chou du chant, elle le fait avec un courage qui l’honore - I should have seen it coming - Linn Bassmatic dévore tout. Elles sont géniales toutes les quatre, elles fabriquent leur univers et ça fonctionne - No one never understood - Solo disto et bassmatic dévorant, que demande le peuple ? Il faut aussi les voir propulser «Colour Blind» dans la stratosphère. La petite Matilda chante tout ce qu’elle peut. Dans «The Greatest Story Ever Told», elle se bat avec ses visions et cette coquine de Sofia passe un solo de wah effarant de vicissitudes.

    Signé : Cazengler, Merda Vale

    MaidaVale. Le 106. Rouen (76). Le 10 mai 2022

    MaidaVale. Tales Of The Wicked West. The Sign Records 2016

    MaidaVale. Madness Is Too Pure. The Sign Records 2018

     

     

    Le mambo des Mambas

     

    , daptone, maida vale, black mamba, clydie king, didier bourlon, stercorum humanitatis translatio, pogo car crash control,

             Black Mamba ? This is Bud... Elle Driver fait les présentations, elle est tellement désolée, Black Mamba vient de mordre Bud trois fois au visage alors qu’il farfouillait dans cette belle valise rouge qui contient un million de dollars. Elle Driver explique à Bud qui agonise que Black Mamba is a fascinating creature, elle lui lit les notes qu’elle a prises sur Internet, in Africa the saying goes, elle tourne une page de son petit carnet, in the bush an elephant can kill you, a leopard can kill you and a black mamba can kill you, but only with the mamba is death sure, et pour que Bud apprécie son passage de vie à trépas, elle lui donne tous les détails physiologiques d’une morsure au visage ou au torse qui entraîne la mort dans les vingt minutes et la nature «gargantuesque» du poison injecté. Ah il est mal barré le pauvre Michael Madsen, un si magnifique acteur, étalé sur le plancher de l’une de ces caravanes de forains américains qu’on appelle des trailers (hello Iggy). Tarentino utilise tous les géants du cinéma américain à contre-emploi, il envoie Micheal Madsen rouler inélégamment au sol d’une caravane, il beaufise de Niro dans Jackie Brown, il transforme Bruce Willis en clown tragique dans Pulp Fiction et Keith Carradine se fait rouler comme un bleu dans Kill Bill. Une fois qu’il a mordu Bud, le Black Mamba file en un éclair se planquer sous un meuble, mais on a tout le temps de le voir filer, c’est-à-dire qu’on en conserve l’image. On le reverra encore plus brièvement dans la scène suivante : The Bride vient d’arracher le dernier œil d’Elle Driver et pour sortir du trailer, elle passe devant lui. On le voit se dresser et siffler comme une vipère en colère, ksssssssssss !, il en est même comique. Plus vrai que faux, du pur jus de poudre aux yeux. Tarentino est le roi des clins d’yeux hilarants. Tu vois ça et tu te marres. En même temps, la scène est ambiguë, car le nom de code de The Bride est Black Mamba, membre du Deadly Viper Assassination Squad, c’est donc le salut d’un Black Mamba (ksssssssssss !) à une consœur émérite. Quand on dit que Tarentino réinvente l’écriture cinématographique, ce n’est pas une vue de l’esprit. Au-delà de toutes les références cinéphiliques dont grouillent ses films, il existe une infinitude de «plans» biseautés qui fonctionnent comme les tiroirs secrets d’un meuble ancien et qui donnent à ses scénarios une sorte de vie parallèle. On sait que cette pratique du dédoublement de la réalité existe chez certains écrivains (Apollinaire ou Houellebecq pour n’en citer que deux, et bien sûr Conan Doyle qui en a fait son fonds de commerce), mais elle existe aussi chez Tarentino. Il a su donner à chacun de ses films une double vie, celle linéaire de l’histoire et celle plus fascinante des intrications scénaristiques qu’on ne perçoit qu’au énième visionnage, si bien sûr on a pris la précaution de rapatrier les DVD. Dans le cas de Tarentino, le revisionnage est essentiel, comme il l’est dans le cas de Truffaut ou de Godard si l’on souhaite apprécier les dialogues qui sont de la pure littérature contemporaine, mais enracinée dans les auteurs classiques, Truffaut étant essentiellement un cinéaste du XIXe siècle, alors que Godard est du pur jus de la nrf. On revoit ces films comme on relit. Les détails qui font rire chez Tarentino ne sont jamais au premier degré. On en cite parfois en référence dans les dîners bien arrosés, comme lorsqu’on cite les réparties d’Audiard dans Les Tontons Flingueurs, mais quand on les recroise au moment du revisionnage, on est chaque fois frappé par l’inventivité des ressorts qui amènent ces détails, dans des scènes le plus souvent violentes, qui sont elles aussi des petits chefs-d’œuvre, car montées comme des ballets. Le souffle de Tarentino porte un nom : modernité. Il est l’Apollinaire des temps modernes. Là où d’autres s’arrêtent, pour disons plus d’efficacité, au linéaire scénaristique, Tarentino injecte sa touche qui est celle d’un homme entré en religion et sa religion s’appelle le récici, c’est-à-dire le récit cinématographique, celui qui permet de jouer avec les éclairs. Les dynamiques du bon cinéma sont de la dynamite. Quand on connaît les aventures de Tintin comme le fond de sa poche, on fait automatiquement le rapprochement entre ces deux intelligences. Comme Hergé, Tarentino n’est jamais à court d’idées, jamais à court de possibilités, il sait pousser une histoire dans ses retranchements, il sait créer l’impossible et le rendre crédible, on se demande par exemple comment va faire The Bride (Black Mamba) pour sortir d’un cercueil enterré plusieurs mètres sous terre ? Pai Mei lui a enseigné les arts martiaux, c’est-à-dire l’art de vaincre la matière, alors elle brise le bois du couvercle et remonte à la surface en se glissant comme un Black Mamba dans une terre fraîchement remuée, ça marche. On admire cet exploit à double détente, à cœur vaillant rien d’impossible ! Pai Mei lui a aussi enseigné l’art d’exploser d’un coup précis des cinq doigts le cœur de son ennemi, un coup fatal qu’elle va utiliser pour tuer Bill (Kill Bill) lors du combat final qui se déroule dans cette belle demeure de rêve au Mexique. Chaque plan est riche, il faut tout bien regarder, ça peut aller jusqu’à l’arrêt sur image, comme lorsqu’on tombe sur un paragraphe trop riche qu’il faut relire pour être bien certain de n’avoir pas rêvé. Les véhicules, les dessins de cartes, les vêtements, les décors urbains, les sandwiches que prépare Bill avec son grand couteau, tout joue un rôle précis, comme dans chacune des cases d’un album de Tintin. On sait qu’Hergé documentait ses récits jusqu’au vertige et ça ne fonctionnait qu’à cette condition. Le Trésor De Rackham Le Rouge est sans doute le plus bel hommage à la piraterie qui soit, aussitôt après le canular des Cahiers de Louis-Adhémar-Timothée Le Golif, dit Borgnefesse, Capitaine De La Flibuste, et bien sûr l’Ancre De Miséricorde de MacOrlan qui d’une certaine façon est aussi un canular car l’aventure se passe à terre et non en mer, dans l’ombre des ruelles du port de Brest, à la recherche du petit Radet. Tarentino s’inscrit très exactement dans cette mouvance, celle de Rackham-Haddrock (hello Damie), de Borgnefesse (hello Damien) et du petit Radet, dans cette farandole d’aventures qui fait le sel de la terre et qui remet l’imagination au pouvoir, le vrai pouvoir, pas celui des élections-piège-à-cons.      

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

             Et puis tu as aussi les Black Mambas de Los Angeles, un quatuor débarqué en Normandie par un beau soir du joli mois de mai. Plutôt que de mettre l’imagination au pouvoir, ils préfèrent y installer le gaga-punk. C’est un choix qui ne les déshonore pas, bien au contraire, car par les temps qui courent, il faut un certain gusto sous la ceinture pour aller jouer du gaga-punk au fond d’une cave. C’est bien parce que le gaga-punk n’intéresse plus grand monde qu’ils le jouent. Pas par esprit de contrariété, ça n’a pas l’air d’être leur genre, mais par simple conviction, et une conviction d’autant plus indicible qu’elle est angelinote, c’est-à-dire une conviction dont les tenants et les aboutissants nous échappent, comme d’ailleurs nous échappent tous les aspects on va dire sociologiques de la culture américaine. Ceci dit, quand on parle de rock, et plus précisément de gaga-punk, la conviction est l’un des éléments fondamentaux. Sans conviction, ça ne peut pas fonctionner.

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

    Alors les voilà nos Black Mambas au fond de la cave, ksssssssss !, prêts à mordre : un Chicano au chant avec le crâne rasé de Taras Bulba, un autre Chicano barbu en posture de guitar killer, un genre de Marco Ferreri appliqué à semer le désordre dans les esprits, grand moulineur devant l’éternel, une petite chick tatouée en forme de rock’n’roll animal au bassmatic volubile, et un kid avec des airs de rockstar anglaise derrière ses fûts, portant un T-shirt Slaughter & The Dogs, témoignage poignant d’un goût certain.

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

    Et ça part sans prévenir, avant que les gens n’arrivent, et ça file tout droit, comme le veulent les usages du gaga-punk, un genre limité par nature, qui ne repose que sur la volonté de foncer sans crier gare, un genre qu’il faut alimenter comme on alimente une chaudière, Jean Gabin et sa pelle à charbon, la gueule noircie par la suie, les coups de sirène qui font mal aux oreilles, c’est ça le gaga-punk, il faut que ça fonce à travers la nuit et sous les tunnels, il faut que ça tatapoume et le kid derrière ses fûts tatapoume comme une grosse horloge, pas celle que photographient les touristes en panne d’imagination à Rouen, mais la grosse horloge de Buster Keaton dont les aiguilles tournent à l’envers.

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

    C’est du vrai gaga-punk, celui qui ne respecte pas les limitations de vitesse, ils ont raison, les Black Mambas, les lois sont faites pour être transgressées, sinon à quoi serviraient-elles ? Pendant qu’on se pose la question, ils continuent de foncer, en fait, c’est tout ce qu’ils savent faire, d’une part, et c’est tout ce qui les intéresse, d’autre part. Le Chicano barbu mouline à Moulinsart (hello Hergé), il fait le show dans son recoin d’ombre, il multiplie les riffs et les raffs, injecte des retours de manivelles dans son cocotage, il zèbre ses ruines de gammes d’éclairs, il joue très visuellement, levant sa gratte comme le fit Wayne Kramer au temps béni du MC5 et auto-détruit ses riffs et ses raffs en voulant faire du Williamson, il gratte pour dix et finit par voler le show. De toute évidence, Tarentino aurait adoré ce concert. 

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

    Signé : Cazengler, Black Merda 

    Black Mambas. Le Trois Pièces. Rouen (76). Le 23 mai 2022

     

     

    Inside the goldmine - Clydie donc !

     

             Cloudy vécut une enfance heureuse jusqu’au jour où sa mère abandonna le domicile conjugal. Les infidélités du père avaient épuisé sa patience. Elle partit s’installer aussi loin que possible et fit ce qu’elle put pour surmonter son chagrin, car bien sûr elle dut abandonner Cloudy et son frère aîné. Son départ plongea Cloudy dans le silence. Il s’éteignit, tout simplement. Il continuait d’aller au collège, mais éteint. Il cuisinait, mais éteint. Les filles ne l’intéressaient pas. La musique ne l’intéressait pas. Il ouvrait les yeux sur le monde qui l’entourait, mais ne le voyait pas. Il écoutait mais n’entendait pas. Il vivait sans vivre, selon un rythme d’apparence normale, et personne, c’est-à-dire son frère et son père, ne s’inquiétait. Son père absent du lundi au samedi ne pensait qu’à son chiffre d’affaires et à ses conquêtes féminines. Quant à son frère aîné, il cédait à tous les caprices de sa libido, profitant de cette liberté inespérée. Personne, c’est-à-dire son frère ou son père, n’aurait pu décrire les gestes ou les paroles de Cloudy. Ils en oublièrent jusqu’au son de sa voix. Cloudy ne s’est jamais plaint. Il n’avait pas besoin de parler puisqu’on ne lui demandait jamais rien. Il n’était pas absent puisqu’il était là. Il prenait place à table, mangeait puis sans mot dire allait laver la vaisselle, et tout le monde, c’est-à-dire son frère et son père, trouvait ça normal. Une fois la vaisselle lavée, essuyée et rangée, Cloudy regagnait sa chambre et se couchait. Dormait-il ? Personne, c’est-à-dire son frère et son père, n’aurait pu le dire. Cloudy traversa ainsi les semaines, puis les mois, et les mois devinrent des années, il vécut ensuite à droite et à gauche dans des foyers étudiants, s’accommodant de chambres minuscules, se contentant de ressources avoisinant le néant, se nourrissant de peu, plongeant toujours plus profondément dans le silence. Il finit par s’absenter de lui-même, c’est-à-dire qu’il quitta son apparence, comme sa mère avait quitté le domicile conjugal, et il s’éloigna. Sans mot dire.   

     

    , daptone, maida vale, black mamba, clydie king, didier bourlon, stercorum humanitatis translatio, pogo car crash control,

             Alors Cloudy et Clydie sont dans un bateau. Cloudy tombe à l’eau. Que reste-t-il ? Clydie. Il se pourrait que Clydie King ait mené le même combat que Cloudy : comment réussir à exister ? Clydie a sans doute eu plus de chance que Cloudy, même si ses albums sont difficiles à choper. Elle fait parties des petites blackettes immensément douées issue de la grande mouvance des choristes de Revues, notamment les Ikettes, mais aussi les Raelets, dans lesquelles on retrouve Minnie Riperton, Merry Clayton, Edna Wright, Mable John et Clydie. Mais ce n’est pas tout ! Clydie forma les fameuses Blackberries avec l’ex-Ikette Venetta Fields et ce sont elles qu’on entend sur l’excellent Eat It d’Humble Pie, enregistré pendant la tournée américaine de 1973. Elle passera quasiment toute sa carrière à faire des chœurs pour les grands de ce monde, mais elle parviendra à enregistrer quelques albums et à exister en tant que Clydie King.

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

             Clydie King sort son premier album solo en 1970 : Direct Me. Fort bel album. En B, elle fait sa Diana Ross avec «‘Bout Love», dans une ambiance très Motown. Elle propose un mélange assez unique de sugar et de Soul. On se régale encore de «There’s A Long Road Ahead», un slow groove à cheval sur la Soul et le rock. Elle chante fabuleusement bien, elle claque le petit chien de sa chienne. Avec «You Need Love Like I Do», elle passe à une ambiance plus funky, elle tient bien la pression du chant. Le morceau titre qui ouvre le bal d’A est un fantastique shoot de r’n’b avec un nommé Bob West on bass. Elle chante ça avec toute la hargne dont elle est capable. Tous ses cuts sont bien bâtis, bien interprétés, «Ain’t My Stuff Good Enough» est un slow groove d’une grande solidité. Ah elle est balèze, la petite Clydie ! Elle passe au fast ride avec un «Never Like This Before» bien fouetté des peaux de fesses, elle reste dans sa pop de Soul, ce qui la distingue des autres Soul Sisters.

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

             Paru en 1976, Brown Sugar n’est pas l’album du siècle. Clydie chante au sucre de Sugar, une espèce de petite pop presque Motown. Il vise la suprématie des Supremes avec «Moonlight And Tamming You», et met un peu de lait dans le sucre. Elle se cantonne à la petite Soul bien foutue, elle s’inscrit dans la volonté de Dieu, elle frise le Delaney & Bonnie avec «If You Like My Music», c’est assez direct et même plutôt excellent. Mais elle reste un peu trop le cul entre deux chaises, pop et rock seventies. La viande se trouve en B avec «Loneliness», elle tape dans la Ross de Motown, elle adore la Soul dansante, son sucre est superbe, son «Loneliness» est le hit des jours heureux. Elle fait un peu plus loin une cover bizarre du «Dance To The Music» de Sly, beaucoup plus groovy que l’original, mais pas inintéressante. Elle gère bien la situation, elle chante aux nerfs d’acier, keep on dancin’, et même en biseau. Elle termine avec un shoot de gospel batch intitulé «Weep For Me» qui surprend par sa belle allure.

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

             Attention : Rushing To Meet You et Steal Your Love Away proposent les mêmes cuts. Il vaut mieux rapatrier le premier car la pochette est plus jolie. Dès «Rushing To Meet You», Clydie est rattrapée par son passé d’Ikette. Elle tape un rock de Soul digne de celui d’Ike, très soutenu au beat et aux chœurs, tendu à se rompre. Teeny Hodges joue sur cet album. Avec «Punish Me», Clydie va sur une belle Soul classique. Elle danse comme la reine de Saba. Et puis elle nous fait craquer avec «Our Love Is Special», un hit de good time music, la Soul des jours heureux. Rien qu’avec ces trois cuts, Clydie King rafle la mise. En B elle chante son «Woman» à l’insistance catégorielle, elle chevauche bien son dragon, elle est très au faite du lard fumant. Encore un balladif d’ambiance certaine avec «Morning Sun». Elle fait tout le boulot au chant et finit par envoûter les clefs de voûte.

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

             Pour les fans de Clydie et tous les becs fins amateurs de Soul Sisters vénérables, The Imperial & Minit Years est un passage obligé, d’autant que ça démarre avec la doublette fatale «The Thrill Is Gone» (une merveille de spectorisation des choses, Clydie y fait sa Ronnie) et «If Your Were My Man» qu’elle tape au pur Motown Sound. Elle le traite à la petite voix mijaurée, mais my God quelle classe ! Elle mixe Motown & Spector. Elle fonce droit sur le Motown Sound avec «My Love Grows Deeper», elle y ravage le dance floor, elle jerke la Soul, c’est du pur black genius, elle a tout l’écho de Motown derrière elle. On retrouve cet éclat dans «Ready Willing & Able», elle y va de bon cœur, elle ramène une énergie incomparable. Elle refait du pur Motown avec «I’ll Never Stop Loving You», mais toute seule , elle est balèze. Elle bat tout Motown à la course. Elle est encore surréelle de Motown craze avec «He Always Comes Back To Me». Sur «I’m Glad I’m A Woman» elle sonne exactement comme Bobbie Gentry et elle lui rend ensuite hommage avec une cover d’«Ode To Billie Joe», rythmée à la caisse claire. Ses grooves de r’n’b sont assez magiques, comme le montre encore «The Way I Love My Man», elle monte au sommet pour créer une diversion. Et puis tiens, encore une merveille de wild r’n’b avec «You Can’t Make Me Love You».

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

             David Cole et Bob Fisher nous brossent un vaillant portrait de Clydie, née au Texas, mais ayant grandi à Los Angeles. Elle démarre à 14 ans avec les Bihari Brothers (un single), puis avec Art Rupe chez Specialty (deux singles produits par Sonny Bono). Puis Quincy Jones la conduit à signer chez Imperial et elle passe aux choses sérieuses avec «The Thrill Is Gone» et «If You Were My Man» deux cuts signés Jerry Riopelle. Clydie dit qu’elle a toujours aimé Phil Spector - He was the most attractive man - Et puis en 1966, elle entre dans les Raelets, avec Gwendolyn Berry, Merry Clayton et Lilian Fort qui nous dit Clydie sont the original Raelets, aussitôt après le départ de Margie Hendryx. Et puis en 1968, quand Ray Charles vire Gwendolyn, les Raelets démissionnent. Clydie évoque ensuite le fameux Dylan’s Gospel sorti sur Ode Records, puis la formation des Blackberries avec l’ex-Ikette Venetta Fields et Shirley Matthews, qui vont accompagner Humble Pie, comme déjà dit. Clydie fait des backings derrière pas mal de gens, B.B. King, Joe Cocker, les Stones, Nancy Sinatra et, dans les années 80, elle fricote avec Dylan. Elle vit avec lui en Angleterre et on la retrouve sur Saved. Elle dit qu’il existe au moins un album entier d’inédits d’elle avec Dylan. 

    Signé : Cazengler, King Kon

    Clydie King. Direct Me. Lizard 1970

    Clydie King. Brown Sugar. Chelsea Records 1976

    Clydie King. Rushing To Meet You. Tiger Lily Records 1976

    Clydie King. Steal Your Love Away. Baby Grand 1977

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

    Clydie King. The Imperial & Minit Years. Stateside 2007

     

    *

    - Ouvrez la bouche, s’il vous plaît !

    - Oui Doctor Chad !

    - Dites 333 !

    - 333 ! livraison Kr’Tnt, du 14 juin 2017, avec King Riders, excusez-moi Doctor Chad, ça m’est venu tout seul, ce n’est pas grave j’espère ?

    - Hélas si, je n’ai pas l’habitude de cacher la vérité à mes patients, vous souffrez d’une bourlonite aigüe, et carabinée si j’en juge votre état !

    - Je sens que je vais avoir droit à l’opération de la dernière chance !

    - Non, c’est une terrible maladie, il n’existe pas d’intervention possible, l’extraction est faisable mais nécessite l’ablation conjointe du cœur et du cerveau, ce qui est gênant pour la survie du malade !

    - Je vais donc mourir bientôt !

    - Pas d’affolement, il vous reste trois jours, soixante-douze heures si vous préférez.

    - Je suis donc condamné, Doctor Chad, je vous en supplie, sauvez-moi !

    - Vous avez de la chance de tomber sur moi, l’ordre des médecins me tient à l’œil mais j’ai une méthode peu orthodoxe qui a fait ses preuves, un médicament miracle basé sur le principe de la thérapie de l’ultra-choc syndromique…

    - Doctor Chad, est-ce douloureux ?

    - Pas du tout, au contraire un traitement très efficace, mais dans ce monde on n’a rien sans rien, c’est excessivement et scandaleusement onéreux, vous devrez me signer un chèque de 3431 Euros et cinquante-sept centimes, je vous avertis non remboursables par la sécurité sociale.

    - Doctor Chad, je vous dois la vie, tenez votre chèque !

    - Bien, je clique sur l’ordonnance, vous trouverez le médicament dans toutes les bonnes pharmacrocks, surtout la bonne ville de Douai car ils sont doués, tenez-lisez !

    - Merci, Merci, Doctor Chad, rien qu’à voir les deux premières lignes je me sens déjà mieux !

    *

    Pour ceux qui mettraient en doute les méthodes curatives du Doctor Chad, voici quelques informations complémentaires. Le samedi 10 juin 2017 nous assistions au 3B de Troyes au concert de King Riders dans lequel Didier Bourlon officiait à la guitare, nous sommes repartis du 3 B avec dans notre poche (la gauche) un CD de Didier Bourlon : Where’s my home de Dr Bourlon and Mr Jack ( Jeronimus Production / 2011 ). Un étonnant et sacrément bon album de rock’n’roll blues existentiel que nous vous recommandons, et voici que vient de sortir un nouvel opus de Didier Bourlon que nous nous hâtons d’écouter.  

    SUPER TARE DU ROCK !

    DIDIER BOURLON

    Didier Bourlon fait partie de cette génération traumatisée par le rock ‘n’ roll. L’a voué sa vie à cette musique du diable. L’a tout vécu, les coups qui font mal et ceux qui vous refilent l’énergie. La pochette de l’album résume toute une existence de combat rock, guitare en bandoulière, clope au bec et bras levés en signe de victoire.

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

    Pour la petite histoire vous retrouverez la guitare de Didier Bourlon sur les trois premiers disques des Hot Chickens, l’a d’ailleurs été dernièrement invité par Hervé Loison pour le prochain disque des Torrides Poulets. Citez tous les noms de tous les groupes dans lesquels il a trainé sa gratte à train d’enfer serait trop long, nous ne retiendrons que Roadrunner, Les Red Cabs, Dan Cash and the Road rockers…  

    Fan des Stones, des Yardbirds, d’Alvin Lee, de Merle Travis, de Cliff Gallup, de bien d’autres aussi mais cela suffit à dessiner un paysage qui plonge ses racines dans le blues, le country, les sixties et le rock ‘n’roll…

    Vous avez compris le personnage, un Super Taré du Rock ‘n’ roll !

    Super tare du rock : country flegmatique, avec cette voix un brin nasillarde, cette guitare qui coule comme un rayon de miel dans la gorge d’un grizzly l’on se croirait à Memphis, ben non, le gars est de chez nous et se paie le luxe de chanter en notre doux et bel idiome, l’a saisi l’essence de ce vocal triomphalement désabusé dont seuls  les amerloques de là-bas sont capables, l’est pas au top mais on l’invite à la buvette, toute une philosophie que certains jugeront un peu courte, on les plaint, n’ont pas l’esprit outlaw, lui il n’aime pas le pognon mais est un spécialiste du rock ‘n’roll, c’est ce que l’on appelle un homme libre, en plus l’a une guitare émerveillante. Made in France : après la coolitude country, la décontraction rock ‘n’ roll, au cas où vous n’auriez pas compris Bourlon continue à visser les boulons de son auto-définition biographique, se décrit tel qu’il est, et dans les yeux des autres, et dans sa vie, le tempo trottine allègrement, l’en profite pour balancer quelques vacheries qui ne ratent pas leur cible, l’a l’humour pointu et incisif. Un petit solo pour remettre les pendules des frimeurs à l’heure, doigté et subtilité en prime, pour la rythmique vous en resterez estoned, il revendique ce qu’il est, un gars qui vit comme il l’a choisi, loin des clichés et du chiquet. Le blues dans la peau : vous vous attendez à un  blues, fausse piste, c’est du rhythm ‘n’ blues, ah, ces éclats de cuivres, des coups portés au plexus,  le truc classique la copine qui se tire, pas de quoi en faire un fromage même si c’est un peu rockefort, en tout cas une bonne excuse pour pondre un super morceau, cette alliance guitare-cuivres est une magnifique trouvaille, un savoir-faire incontestable, une démonstration déconcertante. Dans les troquets : un univers que Kr’tnt connaît bien, les concerts dans les bars, mais vu du côté du musicien, pas de plainte, pas de colère, un destin librement accepté, un chien et une guitare, et cette frénésie de jouer jusqu’à la fin de la nuit et les fausses promesse de l’aube, en première ligne, collé à l’essence même du rock ‘n’roll, l’allonge les syllabes pour bien montrer qu’il faut aller aussi jusqu’au bout de soi, héros anonyme du rock ‘n’ roll, star pour quelques passionnés. Mais cela il ne le dit pas, n’a pas la grosse tête, mais un jeu décisif sur les cordes. Le feu occulte : changement de ton, Bourlon ne parle plus de lui, mais du monde, l’élargit son propos, sur un groove insidieusement pénardos, pas de panique ne se lance pas dans un exposé géopolitique de la planète, se cantonne au plus près de nous, à la relation garçon-fille, hululement féminin et guitare pointilleuse plus d’humour que d’amour, jeux de mots et d’autres choses, vocal pince-sans-rire. I don’t know : la suite de la précédente, comme tout ne peut pas être dit nous avons droit à un instrumental, la guitare espace ses notes, l’on n’est pas pressé, faut savoir prendre son temps et faire durer le plaisir, une voix féminine nous berce par intermittence, carré blanc, interlude.

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

    Au vintage tattoo bar : retour aux choses sérieuses, si cela ne vous plaît pas, vous pouvez rentrer chez vous, ambiance bar, morceau sans fin, un peu comme une halte au paradis, Bourlon s’y trouve bien (nous aussi) entre habitués, alors il ne se presse pas, la guitare  bourdonne comme une mouche sur la vitre  qui surtout ne veut pas s’enfuir si d’aventure on lui ouvre la fenêtre. Ma régénération : la même chose, sur une rythmique un tout petit plus appuyée, règle son compte avec la société, pas de grandes phrases, juste affirmer ce que l’on est, refuse de céder aux sirènes censées régenter notre vie, peut-être le bonheur réside-t-il en l’idée que tout ce carcan finira un jour par s’effondrer. La guitare rit de toutes ses cordes, ne vous tire pas la langue mais c’est tout juste. Révolution : Bourlon hausse la voix, pas très violemment mais très moqueusement, ni dieu, ni maître, ni chef de bureau, non ce n’est pas encore ce qui passe aujourd’hui mais Didier nous le présente comme un futur très proche, le rock ‘n’roll arrive à petits pas, le temps des médiocrités humaines tire à sa fin, faites gaffe. Chanson d’amour : slow sixties, Bourlon parle (tout fort) à l’oreille de sa meuf, compliments, promesses, aveux, s’il continue il va la demander en mariage, mais non, c’était tout doux, subitement c’est tout aigre, la romance est finie. Didier Bourlon n’est pas le dernier à rire de la comédie humaine. Besoin de vous : ça balance bien, la musique et les vacheries, pas pour les adeptes convainculs du féminisme, Bourlon ne parle pas la langue de bois, un malappris, un voyou ? Non un rocker. Sabine et Amandine : Bourlon prend sa voix de canard dépité, un régal, raconte sa mésaventure, n’en perd pas pour autant son feeling sur sa guitare, souriez, soyez satisfaits ( mais pas remboursés ), sachez apprécier son humour. En extraballdeux morceaux : : Les papillons noirs : attention ces lépidoptères sont beaucoup plus noirs que ceux de Gainsbourg, cette version n’en est pas moins un bijou, les paroles ont changé de mythologie, celle des blousons noirs, bonnes salaisons de guitare, une chanson douce-amère sur les rêves qui ne veulent pas mourir. Que je suis malheureux : ne nous quittons pas sur une note trop triste, la dure vie du guitariste qui rentre chez lui où personne ne l’attend. Pas de quoi écrire un drame shakespearien. Come on, rock ‘n’ roll !

    Didier Bourlon nous offre un excellent album de rock. Français, avions-nous envie d’ajouter, toutefois certains risqueraient de prêter à cet adjectif une consonnance péjorative, ce qui ne correspond en rien à nos intentions. Surtout pas une collection de morceaux disparates. D’abord parce que la guitare les relie par ses notes en points de suspension libérées de la force de gravité, surtout parce qu’il réussit par ses lyrics à dresser le constat de toute une vie dévolue au rock ‘n’ roll, déterminé à en payer toutes les conséquences car assumée avec une indicible fierté.

    Damie Chad.

     

    *

    Dans notre livraison 472 du O9 / 07 / 2020 nous hissions l’étamine noire de Nasty Nest la compil Comedia de treize groupes qui venait de sortir après le premier confinement. Dans notre livraison du 486 du 26 / 11 / 2020 Nous annoncions la naissance de l’Association insuRECsound, d’obédience libertaire un deuxième confinement a quelque peu retardé l’envol des projets que l’éclosion de Nasty Nest avait suscité, voici enfin la sortie du deuxième vinyle tant attendu.

    STERCORUM HUMANITATIS TRANSLATIO

    ( INSURECSOUND)

    Carton noir. Dans un cercle central de longue-vue se détache un fouillis coloré, les connaisseurs ont tôt fait d’identifier cet étrange navire, c’est La Nef des Fous, celle de Jérôme Bosch, mais revisitée par la luxuriance peinturlurée de Martin Peronard.

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

    Pas d’embrouille dans le symbole, si par son tableau Bosch posait une critique de la dégénérescence des mœurs de ses contemporains (et peut-être d’une partie du clergé) il n’en appelait pas moins à un redressement moral. L’Histoire nous a appris que ce genre d’appel est vite récupéré par les affidés du Pouvoir qui saisissent l’occasion de cette émergence critico-idéologique pour la dénaturer soit en créant une nouvelle oppression – les maîtres changent, les esclaves restent - soit pour raffermir le vieux monde – le discours change, les esclaves restent… Notons que cette dernière alternative par les temps qui courent se révèle être la plus fréquente…

    Ici le concept est différent. L’équipage de cette Nef des Fous n’est pas sans accointance avec la naissance de l’utopie pirate. L’on ne compte que sur la réunion d’individus décidés à se battre contre toute manipulation pour assurer leur épanouissement personnel et collectif dans un monde dégagé de toute structure oppressive.

    La pochette se déplie en trois volets. En haut à gauche, reléguée dans un coin, la nef des fous est accostée et désertée, l’équipage n’est pas loin, vaque à ses occupations, Martin Peronard a peint un triptyque continu de l’occupation humaine. Dans le mot occupation voyez la négation du mot travail, ici c’est une foule heureuse qui s’adonne à ses passions, est-ce un hasard, beaucoup de musique et de joie, chacun œuvre selon ses préférences, l’entraide naît spontanément des comportements individuels.

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

    Ce n’est qu’un rêve, une projection. Un livret noir nous rattache à la réalité. Chacun des 18 groupes a droit à deux pages, l’une de présentation, sur l’autre le texte du morceau. Le lecteur dira que pour le moment la réalité est bien organisée. Z’oui mais vous avez deux textes introductifs qui éclairent le propos du sujet. Le monde va mal, vous n’êtes pas sans l’ignorer. Le pire c’est que de-ci de-là les tentatives de révolte plus ou moins violentes ou symboliques qui se développent ne parviennent pas faire sauter le bouchon du contrôle social policier et culturel qui obstrue la cheminée du volcan.  Ce Stercorum Humanitatis Translatio – Transfert des Rebuts de l’Humanité pour ceux qui ont refusé d’apprendre les déclinaisons latines – évoque une fuite métaphorique dans la création d’une île paradisiaque. Illusoire, certes. Mais l’art du billard nous a appris que les boules s’entrechoquent et se poussent les unes les autres. Un peu comme dans la théorie des catastrophes une pratique idéelle aussi fragile que l’aile d’un papillon peut déclencher un tsunami révolutionnaire en un endroit quelconque du monde. Ne nous étonnons pas si cette compilation met en relation des groupes issus de nombreux pays. Une étincelle peut mettre le feu à toute la plaine. Encore faut-il entrechoquer les silex.

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

    Excluded : Abajo a la Izquerdia : ne sont pas de droite, la gauche qu’ils veulent abattre c’est la molle, la libérale, la social-démocrate, ne viennent pas du Mexique par hasard, sont des partisans de l’expérience zapatiste,  ( du Chiapas pas de Frank Zappa pour ceux qui n’entrevoient le monde qu’avec des filtres rock ‘n’ roll  ), punk politique d’évidence, vocal vomissure, une voix parlée plus compréhensiblement didactique prend de temps en temps le relais, derrière l’ instrumentation ressemble à de la mauvaise herbe qui pousse drue et se moque des engrais coercitifs. Korso Gomes : La edad del progreso : proviennent de la mouvance punk argentine, musique un tantinet plus élaborée, la voix pose les bonnes questions, celles qui par leur pertinence contiennent la  réponse juste. Dénonciation sans fard du capitalisme, sur une rythmique dans laquelle résonnent des échos de fandango. Rat Eyes : 20 megaton : les rats sont partout même en Russie, sirènes d’alerte sur batterie martiale et puis déboule l’horreur lourde de l’apocalypse nucléaire, la voix est accusatrice, comment un seul homme peut-il détruire une partie de la planète, la réponse qu’ils ne donnent pas est évidente, parce que vous lui avez laissé le pouvoir, l’œil du rat voit plus clair que des millions d’autres, une constatation fulgurante. Anti-Clockwise : Break down the barriers : coucou les cocoricos, ce sont de braves petits gars bien de chez nous ( Kr’tnt a déjà assisté à leur concert ) chantent en anglais, à fond de train un peu pistolien qui vous met en joue et vous pousse au cul de l’action, vous nomment une par une toutes les barrières qu’il est nécessaire d’abattre maintenant pour que l’on puisse espérer un vrai futur dans la française république. W. A. B. : Human bastards : estan de tras de los montes pirenaicos, leur nom White and Black signifie qu’ils détestent les nuances, se considèrent comme une entreprise de démolition, mais à quoi bon détruire les murs si vous ne tuez pas les enfoirés qui les habitent, vous bazardent illico le riff pour que vous vous enfonciez cette constatation élémentaire dans le cerveau, voix haineuse et déterminée sur des roulements de batterie ultra-rapides. Silly Walk : Too old to die young : ( les avons déjà chroniqués en Kr’tnt ), des français un peu introspectifs quant aux paroles jetées à la diable  sur musique violente, elles posent la question métaphysique essentielle, ni celle de la mort, ni celle de la vie, celle de la survie, de cette énergie qui vous contraint à refuser l’usure du temps. Thématique rock ‘n’ roll essentielle. Il importe de ne pas se renier. Kurt 137: Camarade humain : z’étaient déjà là du temps d’OTH, ont connu diverses reformations… l’accompagnement défile à toute vitesse, au vocal ils manient l’ironie, l’on aurait pu prévoir un hymne révolutionnaire, sont sans pitié sur la crédulité humaine, pourtant nous on croit à leur morceau. Pourtant ils exagèrent, ne sous-entendent-ils pas que des réfugiés meurent en Méditerranée. Quelles fake news ! Popspish Potom : Koro Eto Ebët : de Novgorod, après l’ironie voltairienne le fatalisme russe, qu’avons-nous à faire avec tout ce que l’on nous offre, oui qu’avons-nous à en faire répètent en boucle les chœurs tandis que le vocaliste vous entonne avec dégoût et colère l’énumération du monde, non ce n’est pas un héros, cède, comme vous, facilement pour une jolie fille et un accès direct VIP. Cockbox : Say no to plastic : viennent de Finlande, cochent toutes les bonnes cases, anti-sexistes, anti-fa et pro-écologistes, pas de surprise une fille égosille l’urgence de l’exploitation, un peu monotone tout de même, l’on sent davantage le positionnement que l’authenticité.

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

    Jars : Meth : Kr’tnt apprécie au plus haut point Jars, leur mur de son sans faille et des paroles aux angles non arrondis, préparez-vous à acheter un cadeau pour le bébé, un flic est né, Jars vous explique les mutations intellectuelles nécessaires à cet auto-engendrement. Tout est dans la tête, choisissez les bons éléments. D.N.O. : Loutky : origine : Tchéquie, musique serrée et voix de gorge djentée, déclarent leur haine envers le système sans ambages, ne sont pas des marionnettes, la musique se précipite comme si elle était prisonnière d’une force incoercible. Peut-être le meilleur morceau de l’opus grâce à sa perfection formelle.  SNüBBED : Nothing new : du nouveau dans le disque : des Irlandais d’Irlande, à part ça rien de neuf dans le monde, vous l’annoncent à la moulinette électrique suractivée, pisse et merde, deux mots suffisent à définir votre existence. Sans pitié. Excellent. Là où il y a l’être il y a de la merde disait Antonin Artaud. Self Control : Exploit time : nos cousins du Canada nous enjoignent de vivre fort, le temps est à nos trousses, il est urgent de céder à nos passions, la bande-son en formule 1, ne faiblissez pas sur l’accélérateur, après l’heure ce ne sera trop tard, exploitez votre temps à donfe, n’en laissez la concession à personne. Missiles of October : Don’t Panik :  nous ont impressionnés en concert à la Comedia étaient venus tout exprès de Belgique pour nous ouvrir grand les oreilles, on les retrouve égaux à eux-mêmes, titanesques. Leurs missiles font mouche à tous les coups, pas de surprise, les êtres humains englués dans leur médiocrité ne changent pas. Prince Albert : Société transhumaine : des mecs bien, ils citent kr’tnt dans leur présentation, crèchent dans la capitale reine du monde, pas le genre de gars à ressasser le présent, ont les yeux tournés vers le futur, des outre-punk en quelque sorte, y a un problème, notre avenir transhumaniste ne semblent pas gai, on leur pardonne car le morceau si désespéré soit-il est le plus novateur de la galette. Bikini Death Race : Fuck off and die : musique électronic – certains vivent avec leur siècle – une voix féminine s’adresse à nous, nous dit nos quatre vérités (celles qui malheureusement ne sont pas bonnes à écouter ) mais on ne le leur reprochera pas, car c’est drôlement bien foutu.  Moscow : System disposal : trompent leurs ennemis, ne sont pas moscovites mais des italiens, n’ont pas jugé utile de mettre leurs lyrics, c’est vrai qu’ils font beaucoup de bruit, un noise rock des plus confortables, transcendent leurs instruments – beaucoup les assourdissent - dans la pâte sonore, vous entendez ce morceau et vous allez voir sur bandcamp le reste de leur production. Preuve que c’est bon. Les Critters : Sans retour : combien de fois les avons-nous vus à la Comedia, on les retrouve avec plaisir, foncent dans la psychotique brume sur le bitume, vous montez sur le siège arrière et vous criez ‘’ plus vite, plus fort’’ et ils accélèrent. Quoi de plus excitant !

             Hardis moussaillons, montez à bord sans tarder et rejoignez cet équipage de passagers clandestins, vous découvrirez les différents archipels du punk et du hardcore international. Tous les naufrages, toutes les robinsonnades, tous les abordages sont permis, avec un peu de chance vous ne retournerez plus dans ce monde glauque et fétide dont on voudrait nous faire croire qu’il est notre patrie naturelle !

    Pas trop d’optimisme non plus, nous terminons sur une note grise de tristesse et noire de colère. Au doux mois durant lequel il importe de ne pas se découvrir d’un fil, ce 12 avril 2022, une benne à ordures, oui cela s’est passé durant le quinquennat actuel de la mairie de gauche de Montreuil, s’est arrêtée à 9H 30 devant LA COMEDIA et tout le contenu du local est parti à la poubelle… Depuis plusieurs années les autorités ne voyaient pas ce lieu de liberté musicale tenu par Rachid d’un bon œil, elles ont fini par le fermer… Le phénix finit toujours de renaître de ses cendres.

    Damie Chad.

     

     

    *

    Premier EP de Pogo Car Crash Control : Crève ( aspect Pogo ) un titre jubilatoire que l’on reçoit en pleine poire comme un crachat, nul besoin de rédiger une thèse de troisième cycle pour en comprendre la signification, fureur adolescente, cela leur passera affirmaient les esprits pondérés, c’était en l’an de grâce 2016, en 2018 Déprime hostile (aspect Car )débarque dans les bacs, ahah ! on vous l’avait bien dit celui qui se révolte et se maintient dans cette attitude stérile se heurte à l’hostilité du monde et se recroqueville sur lui-même à la manière d’une huitre plongée dans un puits de pétrole, malgré les avertissements des intelligences modérées le Pogo s’est obstiné, le résultat ne s’est pas fait attendre, en 2020 paraît Tête blême ( aspect Crash ) comment voulez-vous que ces entêtés ( bientôt étêtés ) puissent arborer  un sain bronzage de winner s’ils continuent à s’enfoncer dans leur rage incandescente, vont finir par crever – c’est celui qui le dit qui le fait - prophétisent les étroites cervelles, parions que ce sera leur dernier étron. Mais les Pogo sont toujours là, ont survécu au confinement, ils éditent en ce joli mois de mai (fais ce qu’il te plaît) leur quatrième opus.

             Lorsque vous cliquez sur le FB de Pogo Car Cras Control, un petit i informatif se préoccupe de vous : Voulez-vous vraiment continuer ? Cette recherche contient peut-être du contenu graphique ou violent pouvant heurter la sensibilité de certaines personnes. Combien précautionneux, pusillanime, hypocrite, et castrateur est devenu notre univers ! Les Pogo sont out de l’ouate, le titre de leur nouvel album est sur la bonne fréquence, celle d’un monde de plus en plus violent.  

    FREQUENCE VIOLENCE

    POGO CAR CRASH CONTROL

    ( Panenka Music / 27 – 05 – 2022 )

    Si tu ne vas pas à la montagne, la montagne vient à toi affirmaient les sages chinois, la pochette de Fréquence Violente est l’illustration parfaite de cet adage sinophile imbibée de la subtile pensée de Lao Tseu.  Hélas parfois   la rencontre se révèle plus brutale qu’espérée. Je vous rassure ce n’est ni un accident, ni un meurtre, ni un suicide, tout simplement les trois en même temps. Trinquons à notre santé ! Vous avez l’image choc, intéressons-nous à la musique chic.

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

    Simon Péchinot : guitar / Lola Frichet : bass / Louis Péchinot : drums / Olivier Pernot : vocal.

     

    Tourne pas rond : une intro de fin du monde, La chute de L’empire Romain et Armagueddon en même temps,  cela ne présage rien de bon, au minimum l’extinction de la race humaine, un obus malveillant descendu des étoiles se dirige vers notre planète, pas de panique cette magistrale ouverture se jette en un groove beaucoup moins grandiose, ce n’est pas le monde qui fonce vers le mur, c’est juste un seul être humain qui ne va pas bien dans sa tête,  le vocal d’Olivier nous projette en peine psychose, pauvre gars l’a le cerveau qui se disloque, un conte de la folie ordinaire chaotique, mais c’est comme sur les voitures ce sont les enjoliveurs qui exaltent la chaorrosserie, les Pogo en rajoutent, vous avez des sommités de sonités qui tressent des arabesques un peu partout, ça fuse et ça ne se refuse pas, les Pogo misent sur l’esthétique du désastre, qu’importe la fin si elle est belle. Traitement mémoire : vous croyiez que tout est perdu, notre société possède un remède pour tous les maux, suffit d’un petit traitement spécial pour vous remettre les idées en ordre, après la maladie l’alexipharmaque, un morceau glaçant, la folie n’est pas qu’à l’intérieur de vous, celle-ci n’est que le reflet du carcan sociétal, une espèce d’autocritique masochiste, il n’est de pire esclavage que celui qui s’enchaîne lui-même. Morceau morcelé, les Pogo ne se lancent plus dans les raids de la colère collective, z’ont tous les ingrédients, mais les découpent, ne les mixent pas, les utilisent chacun à leur tour, les disposent avec soin, les valorisent, jouent sur les contrastes, cherchent l’effet en devenant les maîtres de ses causes. Imposent un nouveau traitement à leur habitude. Cristaux liquides : que disions-nous, nouveau son, je ne sais pourquoi mais l’intro m’évoque La belle saison des Dogs, inouï les Pogo nous offrent une balade, pire une chanson d’amour aussi triste que la mort, n’ayez crainte de temps en temps vous avez des grésils de guitare de pogoïte aigüe, écoutez plutôt les paroles, ne sont-elles pas comme la suite lyophilisée des précédentes. Reste sage : sur le clip cette piste est présentée comme la suite logique du précédent, l’on retrouve les Pogo violents tels qu’on les aime, mais le délire est contenu, segmenté, avec de temps en temps cet éloignement sonique qui surfe comme une image floue qui essaie de se former dans le cortex des derniers humanoïdes. Ne sortez pas votre mouchoir pour pleurnicher en cachette, l’humour mortel des Pogo est ravageur. ( Ne manquez pas de visionner la vidéo couplée à Cristaux liquides ). Fréquence violence : à fond les ballons crevés, hypothèse folle, le mouvement ne serait-il qu’une image de l’immobilité, d’ailleurs à mi-morceau, vous avez une halte-pipi pour repartir certes, et à la fin qui s’éloigne z’avez l’impression d’une guitare country en roue libre, toujours ce désir de fragmenter le cours de l’histoire de la rage, le Pogo joue sur les ralentis et les arrêts sur image. Le texte est justement la carte postale de la société du spectacle dont nous sommes les acteurs sans le savoir. Passe-moi le bébé : intro : la guitare nous nargue, et la rythmique char d’assaut se met en place, il est temps de remarquer que sur cet album la voix est posée devant et les grandes chasses à courre derrière, passe-moi le groove, et voici que tout glisse sur le verglas, encore une fois les Pogo ne s’endorment pas sur le riff, vous le servent à tous les parfums, s’écartent de la doxa garagiste, nous la font à la styliste, la performance et le flashy. Renouvellent la gamme. Extro bruiteuse. 

    daptone,maida vale,black mamba,clydie king,didier bourlon,stercorum humanitatis translatio,pogo car crash control

    Me parlez pas : un peu de larsen pour jouer l’arsène qui s’introduit dans une fête, les sociologues parleront du mal-être de la jeunesse, les moralistes emploieront le concept de dégénérescence, chez Kr’tnt l’on aime tout simplement,  les Pogo vous donnent les deux faces de la party, celle vécue et celle réceptionnée par le gars qui l’expérimente, d’où ces allers-retours entre le speed-trashy et régulièrement l’éloignement, le décollement de la réalité, l’instrumentation devenant élastique, le temps s’allonge jusqu’à ce break de guitare acoustique qui remet la balle au centre aux trois-quarts du morceau. Ville prison : musicalement le frère jumeau du précédent, les effets encore plus accentués, notamment sur le vocal victime de diverses manipulations, étiré comme une bulle de chewing-gum, réduit à une élémentaire élocution, concassé, hurlé, réverbéré, idem pour les instrus qui nous en montrent de toutes les couleurs, jusqu’au bourdonnement final. La ville c’est comme la vie, une prison dont presque personne ne veut sortir. Dans la série mon malaise est mon doudou, les Pogo ont pondu une berceuse de notre temps, qui part dans tous les sens et qui vous tiendra éveillé tout le restant de votre existence.  Recommence à zéro : tiens, ils ont mis un second slow sur le disc, soyons juste l’emprunte bien de temps en temps la base harmonique de Cristaux liquides, mais ça décolle souvent à la vitesse d’une fusée intergalactique, nous voici transportés en quelques secondes à des années-lumière en une espèce de blues psychédélique qui aurait brisé les chaînes de sa structuration habituelle. Très fort. ( Sorti ce trente mai  sous forme d’une double-vidéo avec Tourne pas rond,  tout l’humour déjanté des Pogo s’y retrouve ).Tu peux pas gagner : dans le genre ne faites pas l’amour, faites la guerre le morceau avance sur des chenilles implacables, toute allusion à l’actualité ne saurait être fortuite, brouillements de radars, ferblanteries blindées, départs de missiles, les Pogo ont toute la panoplie sonore, capharnaïque et pandémonique, qui se termine par un funèbre te deum, vocal-objurgation, rage impuissante et compréhensive. Rien ne sert de se voiler la face. Si les Pogo font du bruit c’est que leur musique annonce le futur de notre monde. Aluminium : après l’âge du fer, celui de l’aluminium – pas très mignon – tempo violent et inhumain, Olivier hurle à se briser les cordes vocales, le futur technologique s’éloigne de la bête humaine, les supplications n’y pourront rien les hybrides ne savent plus qui ils sont, fin brutale, ce monde qui vient est inéluctable. (Le morceau a été édité sous forme d’une vidéo au mois de septembre 21, surprenante quand on songe aux délires habituels du groupe, rien à voir avec celles qui l’ont précédée et suivie, un fond gris uniforme, deux avant-bras aluminés sur un fond noir qui se rapprochent mais ne parviennent pas se prendre la main, se touchent du bout du doigt mais reculent aussitôt comme les cornes rétractiles de l’escargot.  Faudrait-il y voir une interprétation moderne et dérélictoire de La création d’Adam de MichelAnge… ) Criminel potentiel : martelage groovy, le vocal scandé sous forme de slogans accusatoires. Les brodequins de fer de l’arraisonnement de l’homme par la civilisation technologique en gestation. La musique marche au pas, elle n’oublie pas de vous tirer la langue pour vous faire la nique, les Pogo ne nous peignent pas l’avenir en rose. Ne vous plaignez pas de ce bouquet d’épineux aux piqûres empoisonnées qu’ils viennent de nous tendre. ( Existe en simple couplé avec Aluminium qui induit l’emballage. )

             Un opus de grande qualité. Les Pogo se sont renouvelés sans se trahir. Chaque morceau est une petite merveille emplie d’essais et de trouvailles. Superbe boulot de Francis Caste au son et au mixage, d’une précision exemplaire, l’a su regrouper les instruments et les rendre indissociables, l’a forgé un alliage de haute plasticité, l’a mis au point la grammaire phonique des prochaines productions de Pogo Car Car Control. Fréquence violence ( aspect Control ).

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 553 : KR'TNT 553 : DAVID A. LESS / DOWNLINERS SECT / FLEET FOXES / SEWERGROOVES / DEOS / ERIC CALASSOU / POGO CAR CRASH CONTROL

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 553

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    05 / 05 / 2022

     

    DAVID A. LESS / DOWNLINERS SECT

    FLEET FOXES / SEWERGROOVES

    DEOS / ERIC CALASSOU

    POGO CAR CRASH CONTROL

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 553

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

    Less is more

    Z18148BOOK.jpg

             Tiens, c’est bizarre, personne n’a parlé de Memphis Mayhem: A Story Of The Music That Shook Up The World, le petit book de David A. Less. Ni Record Coll, ni Shindig!, ni Uncut, ni Vive Le Rock, ni Mojo. Personne ! C’est en écoutant l’album live d’Alex Chilton accompagné par Hi Rythm (On The Loose) qu’on a découvert son existence. What ? A Memphis Mayhem ? Rapatriement d’urgence. Pinpon pinpon les pompiers !

    z18144davidaless.gif

             On attend un Stanley Booth ou un Robert Gordon. C’est un petit gros qui radine sa fraise. Oh il a une bonne bouille, pas de problème. Sur l’illusse, on le voit serrer la pogne de Ben Cauley. Comme ses collègues Booth et Gordon, Less se passionne pour Memphis et va trouver les gens pour les interviewer. Le seul problème, c’est que tu n’apprendras rien de plus que ce que tu sais déjà : Ben Cauley raconte comment il est le seul survivant des Bar-Kays après que l’avion d’Otis soit tombé dans le lac Monona, Howard Grimes raconte qu’il voit arriver Al Green chez lui avec une valise pleine de billets par un soir de tempête, l’exécution du Dr King au Lorraine Motel, Stax, Chips, Uncle Sam, Dan Penn, Willie Mitchell, Dickinson, ils sont tous là, il n’en manque pas un seul. Qui peut le moins peut le plus, Less is more. Comme il sait que tout a été épluché en long en large et en travers, il a opté pour un autre angle. Il s’est posé la question de savoir ce qui pouvait bien faire la spécificité du Memphis Beat, en dehors des artistes. Son petit book est le résultat de sa cogitation.  

    z18175affiche.jpg

             Pour lui, le Memphis Beat est le résultat d’une équation qui mixte des professeurs d’école, des églises, une radio, un disquaire, quelques clubs et deux ou trois studios d’enregistrement. La mythologie de Memphis ne s’arrête pas à Elvis, Jerry Lee, Big Star, Isaac Hayes, Ann Peebles et Al Green. Elle prend racine dans le jazz et le gospel et prend forme grâce à Sun, Stax, Hi, American, Ardent, Red Hot & Blue, Poplar Tunes, Club Handy et The Plantation Inn. Une conjonction magique qu’on retrouve aussi bien sûr dans l’histoire de Londres, de Detroit, de la Nouvelle Orleans, de New York et bien sûr de Los Angeles, dont on a longuement parlé la semaine dernière. Et comme tous ces endroits, Memphis a sa spécificité et c’est d’elle dont nous parle l’ami Less.

    Z18190DAVIS.jpg

             Less situe en partie les racines du Memphis beat dans les quartiers noirs et bien sûr les écoles noires. Dans l’entre-deux guerres, la ségrégation règne à Memphis, on ne mélange pas les torchons avec les serviettes. Ça convient très bien aux Blacks qui n’ont pas à fréquenter les petits blancs dégénérés. Ils jouent de la musique entre eux. Lee pense que les Bar-Kays représentent la fin de cette tradition d’orchestres noirs des quartiers noirs, souvent en concurrence sur des bases non pas de jalousie haineuse comme chez les blancs, mais d’excellence artistique. Less cite l’exemple de la rivalité qui existe entre Dub Jenkins & His Playmates et The Chickasaw Syncopators qui représentent deux écoles noires, Manassas et Booker T. Washington (attention, rien à voir avec le Booker T. des MGs). Tout vient de là, de ces deux écoles. ET des professeurs de musique, qui y jouent le rôle qu’ont joué les fameux professeurs de piano dans les quartier pauvres de la Nouvelle Orleans. Ce sont les mêmes vieux crabes qui repèrent des talents et qui forment les gosses pour qu’ils deviennent des pros. Lee rencontre le vieux Dub Jenkins, un saxophoniste vétéran de toutes les guerres. Ne perdons pas de vue que les gens de cette génération viennent du jazz. OU du gospel. Une fois formés, les jeunes blacks vont faire carrière à New York, qui est alors, dans les années 40, la capitale mondiale du jazz. Less cite l’exemple de Jimmie Lunceford. L’un des personnages clés de la scène de Memphis, Floyd Newman, a fait ses études à Booker T. Washington. Newman donnera ensuite sa chance à Isaac Hayes. Andrew Love qui va faire partie des mythiques Memphis Horns vient lui aussi de Booker T. Washington. Less nous rappelle au passage qu’Andrew Love joue sur 83 disques d’or. Ça veut dire ce que ça veut dire. Les Memphis Horns jouaient pour tout le monde à Memphis, pour Stax, bien sûr, mais aussi pour Chips chez American et Willie Mitchell chez Hi.

             Less est allé jusqu’à retrouver les noms des fameux professeurs, le plus important étant selon lui Professor McDaniel à Manassas, auquel succédera Matt Garett. Parmi les élèves les plus illustres sortis des pattes de ces professeurs, Less cite Booker T. Jones, Maurice White qu’on va retrouver dans Earth Wind & Fire et bien sûr l’immense Isaac Hayes.

             Après les écoles, Less attaque les clubs et nous raconte que des gamins blancs comme Mose Allison ou Steve Cropper traînaient dans les parages du Club Handy sur Beale Street. Ils écoutaient la musique de l’extérieur, car bien sûr, ils n’avaient pas le droit d’entrer.

    Z18189HANDY.png

             Côté blanc, il se passe en gros la même chose que dans les quartiers noirs. Cropper, Duck Dunn et Don Nix font connaissance à Sherwood Elementary, où ils sont scolarisés. Ils commencent à jouer ensemble en 1955, l’année où Uncle Sam vend le contrat d’Elvis à RCA. Les trois blanc-becs vont former les Mar-Keys avec un autre gosse qui se débrouille bien avec sa guitare, Charlie Freeman, qu’on va retrouver plus tard dans les Dixie Flyers. Un jour, un autre gamin vient trouver Cropper pour lui dire qu’il aimerait bien jouer dans son groupe. Cropper lui répond qu’il ne cherche personne en particulier. Cropper lui demande toutefois de quel instrument il joue. L’autre dit qu’il joue du saxophone. Alors Cropper lui dit qu’il n’a pas besoin d’un joueur de sax. Il lui demande toutefois depuis combien de temps il en joue. L’autre répond trois mois. Et il ajoute aussi sec que son oncle et sa mère ont un studio d’enregistrement. Cropper tend l’oreille. Hein ? Quoi ? Le joueur de sax s’appelle Packy Axton, le fils de Miz Axton. Comme le studio intéresse Cropper, il engage aussitôt Packy. Bon prince, et même assez débonnaire, Cropper ajoute : «But man, he turned out to be one of the best saxophone players for soul and feel.»

    Z18180LASTNIGHT.jpg

             Cropper revient aussi sur l’histoire de «Last Night», le premier hit des Mar-Kays qu’on attribue à Chips. Selon lui, c’est l’organiste Jerry Lee Smoochy Smith qui a amené le riff en studio. Less ajoute que le crédit comprend cinq noms : Packy, Chips, Smoochy et deux vétérans du Plantation Inn, Floyd Newman et Gilbert Caples. «Last Night» sera le premier hit de Stax et le mètre-étalon, avec «Green Onions», du Memphis Beat.

             Un Memphis Beat que Less tente d’expliquer, au plan technique. Certains musiciens jouent on top of the beat, c’est-à-dire sur le beat. D’autres jouent un peu en retard, later on the beat. Charlie Watts avait remarqué que les Stones jouaient légèrement later on the beat. La zone de confort pour les musiciens s’appelle the pocket. Selon Less, les musiciens noirs de Memphis trouvent leur pocket later on the beat. Less cite d’autres exemples, notamment «Twist & Shout», que les Beatles jouent on the beat et les Isley Brothers further back and relaxed. Avec «Walking The Dog», les Stones sont behind the beat. Selon Less, la version de Rufus Thomas est la parfaite illustration du Memphis Beat. Les MGs le jouent encore plus behind the beat que n’osaient le faire les Stones. On dit qu’Al Jackson rattrapait miraculeusement les cuts qui menaçaient de s’écrouler dans le chaos, notamment l’«In The Midnight Hour» de Wilson Pickett. Less cite encore l’exemple d’Abbey Road, l’album des Beatles que les MGs ont repris. Ils jouent «Come Together» laid back in the beat alors que les Beatles le jouent on top of the beat. C’est une notion qui a l’air cucul comme ça, mais qui est essentielle. Ça se joue au centième de seconde, seuls les musiciens sentent la différence. Tu es dessus ou tu n’es pas dessus. Si tu apprends à jouer un riff de Soul sur une basse avec un pro, il va t’écouter le jouer pendant une heure. Il fera non de la tête jusqu’au moment où tu sauras le jouer correctement. Et à ce moment-là, tu comprendras ce que veut dire savoir jouer un riff de basse just behind the beat. Il faut te le figurer et là tu sauras le jouer.

    Z18181GUS.jpg

             Less évoque les musiciens de jazz, mais aussi les vieux bluesmen noirs comme Gus Cannon. C’est Dickinson qui raconte l’histoire de Gus à Less. Gus bosse comme jardinier pour un patron blanc. Quand Gus dit qu’il a dans le passé enregistré des disques pour RCA, le patron blanc lui répond : «Yeah Gus, sure. Cut the grass.» Dickinson avoue avoir vu chez Gus, encadré au mur, un certificat BMI pour «Walk Right In» vendu à un million d’exemplaires. Less ne parle pas beaucoup de Dickinson dans son book, c’est dommage. On est surtout là pour ça. Mais on grapille quand même des petites infos, notamment le fait que Dickinson entretenait une relation cordiale avec Lenny Waronker, le président de Warner Bros. On apprend aussi que le nom de Mud Boy & The Neutrons est une fantaisie inventée par Ry Cooder dans le cours d’une conversation, et l’entendant, Dickinson lui demande s’il peut l’utiliser. La statuette qu’on voit sur le premier album de Mud Boy est une œuvre de John McIntire réalisée avec de l’argile extraite du fleuve Mississippi. Less nous dit ce qu’on sait déjà de Mud Boy, que l’album est sorti en France sur New Rose (merci New Rose) et que le groupe s’est arrêté avec la mort violente de Lee Baker.

    Z18188SISTER.jpg

             Avec les écoles noires, l’autre racine du Memphis Beat c’est bien sûr l’église et le gospel. Less évoque des grands bluesmen devenus révérends, comme Robert Wilkins ou encore Gary Davis. Et bien sûr Al Green qui ouvre à Memphis son fameux Full Gospel Tabernacle Church. Less remonte jusqu’à la formation du COGIC (Church Of God In Christ) en 1907 et indique que Sister Rosetta Tharpe en fit partie. Less la cite car elle est née à Cotton Plant, à 100 bornes de Memphis et à 19 ans, elle épouse le pasteur Thomas Tharpe. C’est elle qui révolutionne le son du gospel avec sa guitare électrique et sa disto. C’est elle qui ramène le gospel dans les salles de spectacles et qui impressionne Elvis, Little Richard, Jerry Lee et Cash.

    Z18182CLEMENT.jpg

             Quand Less interviewe Jack Clement qui comme chacun sait bossa pas mal pour Uncle Sam, il lui pose une drôle de question : «Savez-vous quand Sam est devenu fou ?». Oui, Jack sait. Il indique que c’est arrivé après sa dépression et les électrochocs. Less trouve la réponse pertinente, car, dit-il, il fallait être fou pour inventer le rock’n’roll. Ça tombe sous le sens. Inventé par un fou, le rock’n’roll allait donc rendre les gens complètement fous. Il s’amuse bien, notre pépère Less. Un vrai boute-en-train. Il serait même capable de nous sortir des bonnes blagues, du style «Sais-tu ce qui sépare l’homme du singe ?».

    Z18183DEWEY.jpg

             Après les écoles noires et le gospel, il attaque la radio avec un autre personnage clé, Daddy-O-Dewey Phillips et son fameux Red Hot & Blue radio show qui a lancé Elvis. Less indique que le show de Daddy-O-Dewey n’était pas seulement sur les ondes, il était aussi dans le studio, car ses admirateurs venaient le voir faire le clown derrière sa vitre. C’est lui qui a fait découvrir le blues et le rhythm & blues à toute une génération de Memphis kids. À cette époque, Ahmet Ertegun et Jerry Wexler faisaient la tournée des radio-DJs pour placer les singles Atlantic. Ahmet Ertegun : «On faisait la tournée. À l’époque, il n’y avait pas trop de disc jockeys, un ou deux dans chaque ville, à raison de deux ou trois villes par état. Alors vous faites le voyage. Vous apportez les disques à ces gens-là. » Ils débarquent donc dans le studio de Daddy-O-Dewey qui les fait asseoir et qui déclare en direct : «Je reçois à l’instant un couple de voleurs de disques originaires de New York. Ils ne savent pas que Leonard Chess est passé la semaine dernière et qu’il a tout barboté.» Ahmet demande alors si Leonard a déjà chanté au micro l’une des chansons qu’il vend sur Chess. Daddy-O-Dewey dit que non. Alors Ahmet lui dit qu’à la différence de Leonard le renard, il connaît toutes les chansons qui sortent sur Atlantic et qu’il pourrait les chanter. Et qu’il peut aussi chanter l’une des chansons de Leonard. Ah bon ? Et pouf, il chante «Hoochie Coochie Man». Daddy-O-Dewey est plié de rire. Il en tombe de sa chaise nous dit Less qui nous fait assister à cette rencontre qui est celle de deux titans de l’histoire du rock. Comme Daddy-O-Dewey devient une sommité, on lui propose d’animer un show télé, Pop Shop. Il a pour co-animateur un étudiant en art nommé Harry Fritzius qui se balade dans le studio avec un masque de gorille. L’émission dégénère si vite qu’elle est supprimée. 

    Z18184POPLAR.jpg

             Et puis voilà le disquaire, le fameux Poplar Tunes de Joe Cuoghi et John Novarese, tous deux issus de la petite communauté ritale de Memphis. Cuoghi commence par vouloir faire le commerce de bananes, mais quand il reçoit son premier container de bananes et qu’il l’ouvre, des milliers de tarentules s’en échappent. Alors il laisse tomber les bananes pour se lancer dans la vente de disques. Ça s’appelle Poplar Tunes parce que le magaze, comme dirait Laurent, est situé sur Poplar Avenue. Poplar Tunes va tenir 75 ans, bien après que les poètes Cuoghi et Novarese aient disparu. Dans les années 50, ces mecs-là inventent le métier de disquaire. Après la fermeture du magaze, ils organisent des soirées spéciales avec Daddy-O-Dewey, Bob Neal, Sam Phillips et des gens de passage comme Ahmet Ertegun et Jerry Wexler. Elvis vient tous les jours chez Poplar, au moment de sa pause repas du midi, pour écouter des disques. C’est là qu’il fréquente Bob Neal qui sera son premier manager. Cuoghi et Novarese embauchent Frank Berretta pour tenir le magaze, alors ils peuvent se consacrer au développement de leur petit biz. Ils commencent par s’associer avec un gros distributeur de juke-boxes, ce qui est pour eux le meilleur moyen de placer des disques. En 1957, ils démarrent un label, Hi, avec des mecs qui ont traîné chez Sun, Homer Ray Harris, Quinton Claunch et Bill Cantrell. Au même moment, Lester Bihari, l’un des quatre Bihari Brothers, s’installe à Memphis pour lancer Meteor. Et un employé de banque amateur de country lance Satellite Records. C’est Jim Stewart et Satellite va devenir Stax.

    Z18185ELVIS.jpg

             Cuoghi et ses trois associés montent Hi pour lancer un certain Carl McVoy. Quand les Beatles débarquent aux États-Unis en 1964 pour leur première tournée, ils demandent que le Bill Black Combo joue en première partie. Mais Bill Black n’est plus dans le groupe à cause du pet au casque qui va l’emporter l’année suivante. Reggie Young fait partie du Combo et il aura la chance de fréquenter John, Paul, George and Ringo. Young dit que sur scène, le Combo était bombardé de détritus par la foule qui ne voulait pas d’eux. Eh oui, le Bill Black Combo jouait une série d’instrumentaux. Ils servaient ensuite de backing-band aux Righteous Brothers, à Jackie DeShannon et aux Exciters. Les Beatles arrivaient après. Comme Satellite et Sun, Hi était un label destiné à promouvoir des artistes blancs et du rock’n’roll. C’est Packy Axton qui ramène des blackos chez Satellite qui devient Stax, et de son côté, Uncle Sam avait compris qu’il n’irait nulle part avec les blackos et qu’il lui fallait des blancs qui chantent comme des noirs.

    Z18186MITCHELL.jpg

             C’est après la disparition de Cuoghi en 1970 qu’Hi va devenir un label de Soul. Ray Harris démissionne de sa fonction de président et vend ses parts d’Hi à Willie Mitchell. L’avocat Nick Pesce devient président et Willie vice-président. Willie commence à orienter le label vers la Soul. Ce trompettiste/arrangeur est depuis longtemps le leader d’une big band célèbre dans la région. En 1964, il a commencé à former Teenie Hodges qui vient d’une famille de 11 enfants, dont trois paires de jumeaux. Comme Reggie Young et Bobby Emmons qui bossaient pour Hi se sont fâchés à cause d’un problème de fric et sont partis bosser avec Chips chez American, Willie  met en place le house-band de ses rêves avec les trois frères Hodges, les batteurs Howard Grimes et Al Jackon et son gendre Archie Turner aux keyboards. 

             Et puis le Memphis Beat va s’écrouler comme un château de cartes. Stax est coulé par les fucking banquiers en 1975, Hi est vendu à Cream Records en 1977 et Chips ferme American à Memphis pour aller tenter le diable à Atlanta.

    Z18187ARDENT.jpeg

             Less termine sa tournée des popotes avec le studio Ardent et John Fry. Le premier studio Ardent est sur National Street. Dickinson et Terry Manning bossent alors pour Fry. En 1971, John Fry ouvre un Ardent plus moderne sur Madison Avenue. Il bosse énormément pour Stax qui est alors submergé et reçoit des clients de prestige comme Led Zep, Zizi Top, Tonton Leon, Cheap Trick qui a toujours la trique et Journey. Less sort son mouchoir pour nous rappeler que John Fry a cassé sa pipe en bois en 2014, mais apparemment, sa femme Betty Fry a pris la relève.

    Z18187TAV.jpg

             En guise de cerise sur le gâtö, Less nous sert Tav et ses Unapproachable Panther Burns. Visiblement il adore cette histoire de paysans du Mississippi qui en eurent marre de voir une panthère noire bouffer leur bétail et qui réussirent à la coincer dans un champ de canne à sucre. Ils mirent le feu et on entendit les hurlements de la panthère brûlée vive. Less dit que ses cris étaient nerve-racking, c’est-à-dire éprouvants pour les nerfs, comme l’est - c’est Less qui le dit, pas nous - la musique de Tav Falco - Panther Burns shows were often nerve-racking - Pour apporter de l’eau à son petit moulin, Less explique que Tav recrutait des gens qui ne savaient pas jouer de leur instrument et qui n’avaient aucune aspiration commerciale. Le seul qui savait jouer dans les Panther Burns, c’est Alex Chilton, qui lui était encore plus fasciné par le suicide commercial, tellement les pratiques du music biz l’écœuraient. Hilare, Less ajoute que Tav grattait une gratte horribly out of tune. On sait aussi pour l’avoir vu maintes fois scène que Tav adore chanter faux, surtout «Goldfinger». Mais c’est ce qui fait son charme, n’est-il pas vrai ? En tous les cas, merci à David Less de nous avoir emmenés faire un tour à Memphis et de finir avec un invité aussi attachant que Tav Falco. Au lieu de regarder des conneries à la télé, lisez son livre. Ça ne vous prendra que quelques heures.

    Signé : Cazengler, David lèche (cul)

    David A. Less. Memphis Mayhem: A Story Of The Music That Shook Up The World. ECW Press 2020

     

    Sect shop

     

    z18145downliners.gif

             C’est en octobre 2004 qu’on les vit à Paris pour la dernière fois. Ils jouaient à la Maroquiqui et comme on était en avance, on les vit arriver au bar du restau, en haut.

             Don Craine et Keith Grant en chair et en os ! Cheveux blancs, mais pas chauves. Quelle prestance ! On reconnaissait immédiatement les rockers anglais, même ceux du troisième âge. Don Craine était haut comme trois pommes. Il n’avait pas l’air d’être un mec facile. Mais celui qui dégageait le plus, c’était bien sûr Keith Grant, le grand bassman à tête de Lord Anglais. On ne voyait que lui, sur les pochettes des Downliners Sect, avec son air empreint d’un ennui distingué. Il avait les cheveux blancs comme neige et coupés en épis comme ceux du Rod The Mod de la grande époque. Vraiment ce qu’on appelle une gueule. Il portait un jean noir clouté comme celui d’un bandito mexicano et des chaînes brillaient sur ses grosses boots noires. Tout en lui n’était que luxe, calme et rock’n’roll. Il était resté dans le bain, aucun doute là-dessus. Pur nock’n’roll animal.

             Sur scène, ce fut malheureusement une autre histoire. Du cousu de fil blanc. Tous les classiques du r’n’b y passaient. Keith Grant monopolisait le micro. Don Craine ne chantait que très rarement et grattait ses poux avec un conformisme sidérant. Rien n’échappait à l’ornière des douze mesures. Keith Grant jouait un bassmatic très caoutchouteux, la main posée à plat sur les quatre cordes. Ils tapèrent pourtant une fantastique version de «Little Egypt», mais la salle se vidait. Les papys n’arrivaient pas à stopper l’hémorragie. En l’espace de deux ou trois morceaux, la salle s’était vidée. Les Downliners jouèrent le tout pour le tout en envoyant la reprise d’un morceau qu’aucun groupe de rock n’avait jamais osé reprendre, le fameux «Hey Hey Hey Hey» de Little Richard, l’un des brûlots explosifs qu’il enregistra en 1958 sur Specialty. Keith Grant le prit au chant avec une merveilleuse aisance et traîna héroïquement ses vieux companeros vers le sommet de l’Olympe.

             Ce soir-là, les Downliners ont fini leur show devant une poignée d’inconditionnels, avec un tel professionnalisme enragé que les bras nous en catacombaient.    

             On ressort ces vieux souvenirs pour rendre un dernier hommage à Don Craine qui vient de casser sa vieille pipe en bois. Après la fin des Downliners et des Pretties, on peut dire qu’il ne reste plus grand-chose. Ainsi va la vie. Tu nais, tu vis et tu meurs. Les Downliners ont en plus rayonné.      

    z18149sect.jpg

             S’il est un groupe culte en Angleterre, c’est bien Downliners Sect. Don Craine a trouvé le nom sur un B-side de Jerry Lee. Ils naviguaient exactement au même niveau que les Pretties. Mêmes influences : Bo Diddley et Jimmy Reed ! Il suffit d’écouter leur explosif premier album, The Sect, paru en 1964. Don Craine y porte déjà le headcoat qui va faire sa légende et que portera dix ans plus tard Wild Billy Childish en guise d’hommage. Dès «Hurt By Love», on est embarqué dans le meilleur gaga sixties, le plus raw qui soit avec celui des Pretties - I say yeah yeah - Pur jus de gaga râpeux de gruyère râpé de rat d’égout. Puis Keith Grant nasille «One Ugly Child» et invente le gaga de nez gras. Plus loin, on tombe sur une bombe nommée «Our Little Rendezvous». Keith le wild cat y fait un numéro sauvage et pulse à fond son bassmatic, alors que Terry Gibson tape un solo rusé comme un renard. Ils font aussi une version parfaitement sauvage de «Too Much Monkey Business». Chez les Downliners, on sait jerker le shake, baby. Ces mecs ont le génie du son. Ils terminent cette face effarante avec un appel à la secte, «Sect Appeal», magnifique clin d’œil à Bo, l’apanage du Bo punk. Rien d’aussi sauvage dans l’histoire du rock ric et rac ! Ils vont à la B comme d’autres vont aux putes et tapent un «Baby What’s On Your Mind» emprunté à Jimmy Reed. C’est admirable de yeah-yeah-yeahterie. Puis Keith mène le bal des «Cops & Robbers» du grand Bo. Plus loin ils re-dépassent le bornes avec «Bloodhound» - I’m a bloodhound baby and I won’t give up - Fantastique dégelée de punkitude ! Retour à la sauvagerie avec «I Wanna Put A Tiger In Your Tank», pur jus de gaga noyé d’harmo et véritable apanage du chant de nez. Voilà le grand bristish beat ! Ils referment ce fumant chapitre avec un «Be A Sect Maniac» à la Bo.

             Charly a réédité cet album dans les années 70 en rajoutant «Little Egypt» sur l’A.      

    z18150country.jpg

              Par contre, leur second album fut une déception. Paru l’année suivante, The Country Sect portait bien son nom, car nos amis y proposaient une curieuse série d’hillbilly songs. S’ils cherchaient à dérouter l’auditoire, c’était réussi. Bravo ! En plein dans le mille ! Don Craine y chantait deux ou trois balladifs kitschy d’une voix de stentor gominé. «I Got Mine» fut choisi comme single and it promptly sank like a stone, comme le dit si bien Mike Stax dans Ugly Things

    z18151rocksect.jpg

             The Rock Sect’s In paru en 1966 est l’un des albums classiques du grand gaga britannique. Il faut les voir taper dans l’«Hey Hey Hey Hey» de Little Richard ! Ah les brutes, ils osent ! C’est joué à l’élastique du British beat, comme à la Maroquiqui. Ils en font même autre chose. «Outside» est un joli shoot de wild gaga digne des Pretties et on passe aux choses extrêmement sérieuses avec un «Comin’ Here Baby» effarant de prescience garagiste, on a là le pur esprit de cave sixties, avec un break au centre, une idée que vont repomper les Deviants. L’autre bombe de l’album s’appelle «Why Don’t You Smile Now». Ils font du Lou Reed avant le Velvet. C’est du pur jus de gaga psyché infesté de fuzz rampante. Toute l’esprit de la Sect se concentre dans ce cut malade. S’ensuit un «Don’t Lie To Me» franchement digne des Pretties. Une dernière bombe pour finir : «I’m Looking For A Woman». C’est du Bo bardé de reverb. L’essence du son emporte les langueurs monotones et Keith Grant fait un véritable festival avec sa basse.  

             Fin de la première époque. Les Downliners vont resurgir dix ans plus tard pour un nouvel épisode.

    Z18156SHOW.jpg

             Showbiz paraît en 1979. L’album sonne comme un disque de pub-rock. On y trouve du boogie rock anglais bien sonné («Let’s Ride»), du rock seventies («Break Up», le wild gaga est parti faire un tour à la campagne), du rock joué à la cloche, comme chez Atomic Rooster («Out Of School»), et du vrai pub-rock à l’ancienne («Play My Guitar»). On trouve de l’autre côté une petite merveille nostalgique, «Richmond Rhythm & Blues» - Take a trip to the Station Hotel with me baby - C’est chauffé à l’harmo et assez fulgurant.

    z18154suave.jpg

             Paru en 1991, The Birth Of Suave pourrait bien être l’un des grands disques classiques du British beat, au moins pour quatre raisons. Un, «Everything I’ve Got To Give» qui est du pur jus de gaga avantageux, relancé à chaque coin de rue. Deux, «Outisde» - You left me outside ! - pièce unique de wild gaga. Trois, «One Ugly Child» avec son admirable chant de nez de petite frappe, vraiment digne des Pretties et vrillé d’un solo de fuzz. Quatre, «Sect Appeal», joué au Diddley beat parfait, yeah avec ses gros glissés de basse et sa monstrueuse présence. On peut ajouter une cinquième raison, qui est la raison d’état, celle de la fuzz, avec en B «Why You Don’t Smile Now», absolument noyé de fuzz, spectaculaire de putréfaction garagiste. Arrrgghhh ! Ils finissent avec le «What’s Wrong» de Jimmy Reed et ils l’explosent. Ils jouent comme des sales petites frappes invétérées.

    z18155savage.jpg

             La même année paraît Savage Return. On y trouve un «Piccadily Run» digne de Bo, explosif et solide à la fois, prodigieux clin d’œil à Saint-Bo. Ah ces Anglais, comme ils ont pu idolâtrer Bo Diddley ! Le cut mythique de l’album s’appelle «Eel Pie Memories», Keith Grant évoque les bons souvenirs et les black boots - Sounds looking good - Venant de la Sect, c’est une offrande suprême - Music in the trees - Ils font aussi une version spectaculairement bonne de «Down The Road Apiece». Keith cherche à imiter Chuck, en chantant ça sous le boisseau. On retrouve du beau monde sur «Bad Penny» : Eddie Phillips (Creation) et Jim McCarty (Yardbirds). Ils font de la pure Stonesy, avec des chœurs de vainqueurs. Et quand Eddie Phillips part en solo, il redevient le plus grand guitariste d’Angleterre. Tout le reste de l’album est solide, bien foutu, du son, rien que du son. On en boufferait à s’en faire péter la panse. Ils tapent aussi dans le meilleur gaga d’Angleterre avec un «Talking About You» bien sonné des cloches. Matthew Fisher joue du piano sur la reprise de «Bye Bye Johnny» : rien de neuf sous le soleil de Papa Satan.

    z18153showbiz.jpg

             Showbiz paraît en 1998. Sur la pochette, on voit nos amis de la Sect entassés sur un side-car. Ils font un «Wild Time» presque glammy dans l’approche. On sent que nos amis s’amusent bien. Mais on sent aussi les pros. L’affaire se corse avec «Mismanagement», plus punky et même visité par un killer solo. C’est admirable de sectarisme et digne des Vibrators. On retrouve l’excellent «Richmond Rhythm & Blues» - Take a trip to the Station Hotel with me/ The Rolling Stones they’re gonna burn the house - Fantastique énergie ! On a le même genre de densité que chez Third World War, et leur inventivité passe par du boogie carnassier. Il tapent plus loin «Showbiz» à la cocote punk et c’est plombé au stomp de beat sectaire. Encore un cut solide truffé de solos. Oh ils font un break énorme et on voit la machine repartir au cocotage des enfers. Nous voilà aux confins de Motörhead. La frénésie règne et ça repart inlassablement. On a là une vraie dynamique de vainqueurs. Ils jouent plus loin «Out Of School» à la cloche de glam. Ils sont d’une incroyable véracité véracitaire, et ça suit à l’harmo, c’mon ! Quand on commence à écouter «Playing My Guitar», on ne se méfie pas, car ça sonne un peu comme «Johnny B. Goode». Mais Keith Grant joue ses gammes avec la lancinance d’un bagnard et ça tourne à l’énormité - My guitar/ My guitar ! - Keith Grant sait chanter un hit, on le sait depuis des lustres. Les Downliners nous sortent là un autre punk-rock à la Vibrators, incroyablement bien foutu !        

    z18157dangerous.jpg

             Que dire de Dangerous Ground sinon que c’est encore un disque énorme ? En plus, l’ami Art Wood a peint la pochette. Les Downliners proposent pas moins de cinq bombes sur ce disque, à commencer par «Keep On Rocking», une énormité cavalante. On sent les Anglais bien formés à Richmond. Ils sonnent comme les Pirates. Voilà ce qu’on appeler a high octane blend of r’n’b.  Ils rendent hommage à Bo avec «Escape From Hong Kong» et «In The Pit». Puis on tombe sur la bombe suivante qui est en fait le morceau titre, un gaga-cut bien plié au bombast d’ambiance rampante. S’ensuit une autre bombe intitulée «Lucy’s Bar Room». Del Dwyer fait un véritable festival, il chauffe le cut à blanc. Il arrose cette somptueuse rythmique de guitar licks éclatants. Encore deux belles bombes pour finir : «Quicksand» et «Deamon Lover». «Quicksand» pourrait sortir du Crusade de Mayall. Les Downliners vont chercher le guttural pour honorer ce boogie blues d’excellence définitive. Tu vas aussi te régaler de «Deamon Lover», fantastique shoot de rocky road pulsé au beat anglais et plein de son. Pur jus de rave-up. Ces mecs ont du génie.

    z18152fu2.jpg

             Certains veinards auront réussi à mettre la grappin sur l’album des F.U.2. (Fuck You Too) intitulé Punk Rock. On retrouve nos amis Don Craine et Keith Grant sur la pochette, en compagnie du batteur policier Stewart Copeland, de deux autres mecs et d’une épingle à nourrice. L’album est surprenant de qualité et on pense encore aux Vibrators. Ils tapent «Playing My Guitar» qu’on va retrouver sur Showwbiz et comme on sait à qui on a affaire, un cut comme «Tax Exile» prend tout de suite du relief. Ils traînent avec eux des vieux restes de british beat et on entend même un harmo. Pure merveille que ce «Manic Depression» monté sur le riff du «Really Got Me» de Dave Davies. Ils ressortent les vieilles recettes miracles. Ils font du sixties punk, ce qu’ils ont toujours fait, d’ailleurs - Drop your dress/ Show your Breasts/ Change your adress - La B est encore plus sauvage. Ils tapent «Stars In The Streets» au gaga-maxima - Looking for trouble - Ils retournent le punk à leur avantage. Il faut entendre ce «Move Around» joué au tambourin. C’est quasiment stompé et magnifique de santé sectaire. Rien à voir avec le mauvais punk anglais. Keith Grant fait une belle intro de basse pour «Rock Club (Down The Roxy)» et ils partent aux échanges de voix, comme les Buzzcocks de Spiral - Yeah I’m going over there/ Do you wanna dance/ Do you wanna dance - Ils jouent à la cloche le fantastique «Out Of School», un cut qu’on va aussi retrouver sur Showbiz. Ils terminent avec «Fuck You Too», une magnifique fin de non recevoir.

    z18158maniac.jpg

             Be A Sect Maniac est une très belle compile. On profite d’ailleurs de la photo qui orne la pochette de leur quatrième album paru en Suède, Downliners Sect. On y voit Ketih Grant porter l’un de ces incroyables taille-basse à carreaux qu’on portait alors. Pas mal de déchets sur cette compile, mais on se régale de «Baby What’s Wrong», avec son gros son de cave saturé de basse et amené à la violence gaga maximaliste. C’est le son des Pretties, mais chanté à la dépouillarde dégénérée. Ils swinguent ça à l’ancienne avec du poil à gratter dans le chant. Une autre merveille se niche de l’autre côté : «Glendora». C’est le gaga des primates, et des filles font les chœurs. C’est épais et salement bien produit à l’écho du temps. La perle se trouve au bout de la B : c’est le reprise de «Roll Over Beethoven». Ils en font un cut punk monté sur une basse en dominantes haletantes. Pur génie.

    z18159singsong.jpg

             Le maxi The Sect Sing Sick Songs offre un intérêt purement anecdotique, car Don Craine et Keith Grant optent pour la parodie, avec notamment «Leader Of The Sect» - Is she really going out with the leader of the sect ?/ I don’t know already - Il faut souvenir que l’humour de la Sect est ravageur. Et dans «Midnight Hour», on entend un solo de piano magique.

    z18160burning.jpg

             Par contre, le maxi Burning Snow édité sur un petit label espagnol n’a rien d’anecdotique, ne serait-ce que parce que Mike Stax rédige des liner notes. Il a raison de le redire : on parle de Jagger/Richards, de May/Taylor, il faut aussi parler de Grant/Craine ! Ce maxi est un enregistrement live qui explose avec «Before You Accuse Me». Quel fantastique hommage à Bo ! Keith Grant joue sa bassline bien devant. Oh la perfe ! Il swingue comme un dieu du rock anglais - Before you accuse me/ Take a look at yourself - Ils tapent ensuite dans Jimmy Reed avec «Baby What’s Wrong». C’est leur son, c’est le son du pur British Beat dans tout son éclat. De l’autre côté, Keith Grant chante «I’m A Lover Not A Fighter» à la pure méchanceté. Il sait encore jiver un vieux classique. Ils tapent aussi dans «Dust My Broom». On a là une vraie version de rêve gorgée de jus, d’incidence, de rage gaga et e puissance motrice. S’ensuit un «One Ugly Child» glorieux et vainqueur. Les Downliners sont de fatidiques blasteurs de vieux beat anglais. Ils terminent avec Bo et un «Nursery Rhymes» noyé de slide. La bassline roule sous la peau du beat tendu vers l’avenir. C’est hélas ruiné par un solo de batterie. Mais bien sûr, on leur pardonne cette faute de goût.

    Signé : Cazengler, Saucisson Sect

    Don Craine. Disparu le 24 février 2022

    Downliners Sect. The Sect. Columbia 1964       

    Downliners Sect. The Country Sect. Columbia 1965

    Downliners Sect. The Rock Sect’s In. Columbia 1966       

    F.U.2. Punk Rock. Les Tréteaux International 1977

    Downliners Sect. Showbiz. Sky Records 1979

    Downliners Sect. The Birth of Suave. Hangman Records 1991

    Downliners Sect. Savage Return. Promised Land 1991

    Downliners Sect. Showbiz. Indigo Recordings 1998       

    Downliners Sect. Dangerous Ground. SteadyBoy Records 2011

    Downliners Sect. Be A Sect Maniac. Line Records 1982

    Downliners Sect. The Sect Sing Sick Songs. Line Records 1983

    Downliners Sect. Burning Snow. Penniman Records 2000

     

     

     L’avenir du rock - Foxes on the run

    z18146fleetfoxes.gif

             Tous les ans, l’avenir du rock envoie un chèque à la Société Protectrice des Animaux. Il signe de son nom et mentionne au dos, de sa belle écriture violette : de la part d’un bienfaiteur. Aussi loin qu’il s’en souvienne, l’avenir du rock a toujours adoré les animaux, il fut un temps où il chantait «Call Me Animal» chaque matin sous la douche. Il porte encore ce collier de chien qui remonte à son adolescence, son vieux côté Wanna Be Your Dog. Ouaf ouaf ! Son animal préféré ? Sans doute le singe. Il adore se gratter les puces et manger des bananes en l’honneur de «Monkey’s Gone To Heaven» ou du fringuant «Monkey Man» des Stones. Ah il adore aussi imiter les oies lorsqu’il marche dans la rue, cot cot cot, en mémoire de Mitch Ryder et de son fameux «Long Neck Goose». Mais ce qu’il adore par-dessus tout, c’est montrer sa petite queue de rat à ses fiancées en chantant le vieux «Rat Crawl» de Third World War. L’avenir du rock est un sacré boute-en-train. Il lui arrive aussi de grimper dans un arbre pour aller y croasser, non pas en hommage à La Fontaine comme on pourrait le penser, mais en l’honneur de Captain Beefheart, avec les premiers couplets d’«Ice Cream For Crow». Si tu le vois se rouler dans la boue, c’est parce qu’il vénère les cochons, comme Pussy Galore au temps de «Pig Sweat». Dans le domaine animalier, l’avenir du rock est intarissable, il pourrait bzz-bzzzer autour du pot de miel et se proclamer King Bee, esquisser le Chicken Walk en souvenir d’Hazil Adkins, hurler à la lune comme Wolf et s’approcher à pas de loups d’un poulailler pour s’ y introduire comme un renard, en souvenir du «Fox On The Run» de Sweet, ou peut-être même en l’honneur des Fleet Foxes, allez savoir.

    z18164fleetfox.jpg

             Le premier album des Fleet Foxes date de 2008 et n’a pas de titre. Robin Pecknold et ses amis créent leur buzz à coups d’acou et à la petite voix blanche. Le son grouille d’échos superbes et un solo de guitare s’en va résonner dans l’ombilic des limbes. Voilà en gros comment on pourrait résumer l’art subtil de Fleet Foxes. Ajoutons à cela qu’ils savent se montrer très inventifs et développer une belle énergie. Le pire, c’est qu’on se régale. Il semble que Robin des bois veuille réinventer l’Americana, c’est en tous les cas ce que tendrait à prouver «Ragged World», cut puissant et magnanime, plein d’allant et d’allure, d’avant et d’après, comme chatouillé par des petits arpèges tendancieux. On irait même jusqu’à dire qu’on entend l’Americana du futur, celle qui débouche sur le grand large, ou le grand néant, c’est comme tu veux. En magasin, ils ont aussi la power pop de « Quiet Houses ». Ils y vont franco de port, ils sont sérieux, comme devaient l’être les femmes de chambre en 1850. Le point fort de l’album s’appelle «Your Protector». Ils ramènent pour l’occasion du Wall of Sound. La compo se fait désirer, mais c’est l’intention qui compte. On s’éprendra aussi d’«He Doesn’t Know Why». Pourquoi ? Parce que noyé de son. Robin des bois sait travailler son mythe. Il joue la carte poignante du there’s nothing I can do et du nothing I can say. Ça marche à tous les coups. Robin des bois est un mec très intéressant, très protéiforme, il fait tout avec un esprit d’à propos, il module bien ses wah wah et ses oh oh oh. Sans doute est-ce pour lui une façon de se faire respecter. Il fait son truc à la sensiblerie, comme le montre «Oliver James», un cut qui éclot à l’aube des temps. 

    z18162blues.jpg

             Si tu en pinces pour les ambiances, Helplessness Blues est l’album idéal. Rien que pour «Grown Ocean», qui se trouve vers la fin. Voilà un cut qui s’anime soudainement, on ne sait pas pourquoi, et ça vire pop racée et toxique. Le mec est bon, il développe une pop puissante, une pop qui respire à pleins poumons. Robin des bois est un mec très christique, tout le monde s’agenouille devant lui, il est à la fois très mélodique et très plombé. Il fait tomber des herses du paradis dans «Montezuma», c’est un son très spirituel. Il tape aussi dans l’exotica à la con («Bedouin Dress») et fait appel aux flûtes du désert, après tu te débrouilles comme tu peux avec cette espèce de son bon esprit, bien enveloppé. Disons que c’est autre chose. Dans le digi, tu as un gros poster qui se déplie, au cas où tu t’ennuierais. Mais le poster ne sert à rien, comme d’ailleurs certains cuts de cet album, zéro shuffle, pas d’émotion dans «Sum Sala Rum», mais Robin des bois veille à chauffer ses cuts et ça le rend intéressant. «The Plains/Bitter Dancer» sonne comme du CS&N, Robin des bois cherche la petite bête. En fait, il ne fait qu’explorer les voies impénétrables. Il gratte ses coups d’acou dans «Helplessness Blues» et concasse son chant. Du coup l’album devient une aventure. Il étend encore son empire avec «Lorelai», il n’a peur de rien, sa pop tient bien au corps, c’est même le psyché des temps modernes, bucolique et puissant. Peut-être faut-il commencer à s’habituer à  l’idée que le psyché mute ? Une idée que caresse aussi Kevin Parker, de Tame Impala. «Someone You’d Admire» est aussi très ouvert sur l’horizon, Robin des bois tartine ses coups d’acou, mais il peut aussi devenir trop aventureux et générer de ci de là des petites zones d’ennui. «The Shrine/An Argument» est l’archétype du cut qui ne sert à rien. Globalement, les Fleet Foxes explorent des nouveaux continents, mais si tu les suis, c’est à tes risques et périls.

    z18165uncut.jpg

             En 2017, Stephen Deusner nous tartinait six pages de Fleet Fowes dans Uncut. C’est vrai qu’à l’époque, les Foxes faisaient encore le buzz. Deusner annonçait l’arrivée de Crack-Up, un album radicalement différent des précédents. Pas de chansons, cette fois, mais des ambiances, de longs passages instrumentaux, le meilleur moyen de perdre ce qui faisait le charme du groupe, le West-Coast folk-rock d’antan. Le problème c’est que Deunser n’a rien d’intéressant à nous raconter à propos du groupe : pas l’alcool, pas d’overdose d’hero, pas de rien. Robin des bois parle beaucoup de son nombril. Ah on peut dire qu’il l’adore. Deusner dit aussi que Robin des bois a radicalement changé de look en six ans : terminé la barbe de mountain-man et le shaggy hair, Robin des bois porte désormais le cheveu court, il semble se mettre en quête de spiritualité ou de sagesse philosophique. Comme il était végétarien depuis l’adolescence, il ne se sentait pas très bien et pouf, il s’est remis à manger de la viande puis à faire du vélo, du jogging et du surf.

    z18163crack.jpg

             On sauve un cut sur Crack-Up : «Third Of May/Odaigahara», qui sonne comme une pop d’avenir du rock, tellement les dynamiques sont élégiaques. C’est comme soulevé par la vague. On sent une ambition démesurée typique de Brian Wilson ou de Jimmy Webb. On se régale aussi d’«On Another Ocean (January/June)». C’est du tiercé gagnant, avec un final en chou-fleur, c’est fin, souterrain, attaché à l’attachement, ça coule comme un fleuve d’or au crépuscule, une aventure sur le Mekong, une fin en soie, un impératif respiratoire, Brian Wilson n’est pas bien loin. «I Should See Memphis» fait aussi dresser l’oreille, car souterrain, gratté par en dessous, tendu à se rompre, c’est évident, les Foxes ont un truc, un sens de la pop orchestrée, ambitieuse et profonde, dans le genre ‘réconcilions-nous avec l’univers’, il n’est pas si méchant que ça, l’univers. Et pourtant, l’album se prend les pieds dans le tapis avec le premier cut, «I Am All That I Need/Arroyo Seco/Thumbprint Scar» : aucune grâce, comme s’ils prenaient les gens pour des cons. C’est pas très gentil de leur part. On envisage même de les virer du lecteur. «Cassius» sonne aussi comme une belle arnaque. Il faudrait les dénoncer, mais ça ne se fait pas. Ce début d’album est assez catastrophique, ils profitent d’un buzz et n’ont rien à proposer : pas de mélodie, pas de son, malgré des efforts qu’on devine désespérés. Ça se réveille un peu avec «Naiads Cassadies», très Midlake, et «Kept Woman», très ambiancier, avec des zones de lumière. Voilà l’histoire : l’album va décoller, mais il faut se montrer charitable et patient. Plus loin, ils proposent un «Mearcstapa» assez balèzoïdal.

    z18164shore.jpg

             Le quatrième album des renards paraît en 2020 et s’appelle Shore, comme un shore, c’est-à-dire un rivage. Robin des bois  y ramène sa pop au fil de l’eau. En fait il cherche le secret de la pop qui bande au printemps, c’est en tous les cas ce que «Sunblind» laisse entendre. Il se prend un peu pour le sauveur de la pop, mais il ne sauve pas grand-chose, en vérité. Il faut quand même se montrer tolérant et lui reconnaître une certaine ampleur. Il cultive bien la dérive. Certains cuts ne mènent nulle part. Les Foxes se situent dans un son très sophistiqué qui manque parfois tragiquement de magie. Encore une fois, certains cuts frisent la petite arnaque. Il faut attendre le milieu du Shore, «A Long Way To The Past», pour trouver la viande. C’est une pop de Foxes à laquelle personne n’est encore habitué. Robin des bois se jette dans «Maestranza» comme on se jetait autrefois dans la bataille. Il vise ouvertement l’élégiaque épique. S’ensuit un «Young Man’s Game» énorme. Il pose de nouvelles règles. Désormais c’est comme ça. Il fait du heavy Foxes, il brouille les pistes, mais de manière éblouissante. Globalement, il réussit à créer des ambiances assez spectaculaires. Comme on dit quand on voit un magicien : il y a un truc ! Il amène son «Going-To-The-Sun Road» au grand air, il vise le Todd, l’excellence de la pop atmosphérique. Il est tellement bon qu’il finit par émouvoir et là t’es baisé, car c’est beau. Son truc, c’est la beauté. Son défaut est peut-être d’avoir trop de son et de cultiver les incartades.

    Signé : Cazengler, faux fleet

    Fleet Foxes. Fleet Foxes. Sub Pop 2008

    Fleet Foxes. Helplessness Blues. Sub Pop 2011

    Fleet Foxes. Crack-Up. Nonesuch 2017

    Fleet Foxes. Shore. Anti- 2020

    Stephen Deusner : Crazy Like a fox. Uncut # 241 - June 2017

     

     

    Inside the goldmine

    - Le groove sévère des Sewergrooves

     

             La superficialité qu’on observe chez certaines personnes peut parfois intriguer. On ne sait jamais si elle masque une grande timidité ou une absence tragique d’intelligence. Jiminus semblait cependant fort bien s’en accommoder. Derrière un sourire candide se planquait l’être le plus énigmatique qu’il fût possible de fréquenter. Il n’émettait jamais aucun avis, sauf des avis d’une banalité désarmante, du style «c’est super». Il ne parlait jamais des autres, se refusant le droit de juger, sauf les Rolling Stones, qu’il ne supportait pas. Musique de vieux, disait-il. Il parlait encore moins de lui, au point qu’il semblait avoir banni de son vocabulaire le ‘moi’ et le ‘je’. Raison pour laquelle on appréciait sa compagnie qui nous reposait des rois du moi-je, mais d’une certaine façon, c’était comme de passer d’un extrême à l’autre, ce qui générait au final le même genre de malaise. Et plus on l’observait, plus le mystère s’épaississait, sans qu’il ne donnât à aucun moment l’impression d’en être l’instigateur. Le seul point sur lequel il pouvait se montrer exigent, c’était la technique. Cet autodidacte jouait à l’oreille et avait pendant plusieurs décennies tellement formé sa main gauche au manche qu’elle ressemblait à une sorte de grosse tenaille de chair. Même quand il ne jouait pas, sa main semblait pincer des cordes. Et pour lui, le pincé de corde était une religion, la seule dont il semblait se réclamer. Lorsque qu’il entendait un ré mal pincé, il arrêtait le groupe pour faire reprendre, ce qui peut paraître déplacé quand on joue du trash-punk. Mais à ses yeux, le trash-punk devait rester précis et bien joué. Comme cette exigence était chez lui la seule trace visible d’humanité, on s’y pliait tous. On allait même jusqu’à jouer des fausses notes pour la voir se manifester. Nous comprîmes alors qu’en le mettant en colère, on verrait peut-être surgir sa vraie nature. Lors d’une répète particulièrement intense, nous multipliâmes les couacs, les retards aux breaks et les foirages de fins. Le stratagème fonctionna plus que nous ne l’espérions. La colère le transforma physiquement. Son visage commença par jaunir, puis son menton s’allongea, sa peau se rida comme celle d’une vieille sténo-dactylo, ses lèvres gonflèrent, son sourire se transforma en grimace atroce, les cheveux qu’il avait rares se mirent à pousser. La colère transforme parfois les physionomies mais qui aurait pu imaginer pareille mutation ? Sous nos yeux ronds de stupeur, il devint un ignoble sosie de Jagger, le personnage qu’il haïssait le plus au monde.

    z18147sewergrooves.gif

            Dommage qu’il n’ait pas pensé à se transformer en Kurt Dräckes, le chanteur des Sewergrooves. Dräckes est quand même plus joli que Jagger. Mais bon, on se transforme comme on peut, c’est la loi des fables, comme dirait La Fontaine.

    z18166songs.jpg

             Le premier album des Sewergrooves date de 1999 et s’appelle Songs FromThe Sewer. On les sent très influencés par les Detroiters de Sonic’s RendezVous. «Yesterday Zest» est du pur jus de Tele incisif, même plombé de chant et même progression d’accords pressés. Ils mêlent à ça leur énergie viking, on sent qu’ils en pincent pour les Detroit stormers. Nouvelle dégelée avec «Do It Again». Ah quelle belle attaque : «Do me a favour !». Ils sont pleins aux as et pratiquent la science mécanique du heavy beat. Leur «Frame Up» est heavy comme un coup de hache viking. On retrouve ce rock viking joué en tension à l’ouverture du bal de B avec «I Don’t Know», ils jouent à pleins tubes et collectionnent les envolées spectaculaires. Comme le font les Sonic’s RendezVous, ils bâtissent la plupart des cuts sur une carcasse d’accords cinglants joués en contrefort d’un pounding soutenu.

    z18168delight.jpg

             Paru l’année suivante, Guided By Delight pourrait bien être leur meilleur album. Ils attaquent avec un «Living In Another World» monté sur un authentique pounding sewergroovy. «Do It Like You» sonne comme un hit des Sonic’s RendezVous, avec cette belle inflammation de la mandibule, oui, on croit entendre Scott Morgan ! Ces mecs sont tellement pleins de son et d’allure qu’ils plombent tous leurs cuts aux accords de plomb. Et tout explose en B, avec «Paralysed», belle dégelée emmenée ventre à terre. A-t-on déjà vu une dégelée filer ventre à terre ? Non, et pourtant ça existe. C’est une spécialité des Sewergrooves. «Like Never Before» sonne comme une horreur dévorée de l’intérieur, avec des accords en forme de coups de crocs, c’est d’une hargne peu commune, avec un solo qui coule comme de la morve sur le break. Ils jouent sur les accords de «Down In The Street». Retour aux Sonic’s RendezVous avec «Shoot Em Up», ça étincelle dans l’éclat des coups de taille, c’est un son d’estoc. Avec son intro d’une rare violence, «Break The Chain» sonne comme l’invasion des barbares. Voilà un cut fantastiquement emmené par des dynamiques barbares jusque là inconnues. Ils brisent les reins du cut et le relancent pour repartir de plus belle. A-t-on déjà vu une telle violence ? Non.

    z18169revelation.jpg

             Paru en 2002, Revelation Time est un album d’un excellent rapport qualité/prix : 7 gros cuts sur 13, c’est rare pour un gaga-disk. Ils sont tout de suite d’actualité avec «Five Times More», ils ramonent la cheminée d’Odin à une fantastique allure, ces démons savent y faire. On peut faire confiance à Kurt, il nous remplit tout ça de wah. Kurt est un hard nut, un besogneux qui ne lâche pas l’affaire, oh no no no no. Ça repart de plus belle un peu plus loin avec «Anything For You», Kurt ressort ses vieux accords de Sonic’s RendezVous et c’est tout à son honneur. Il ramène toute l’ampleur du Detroit Sound. Puis il tape «It’s My Century» dans l’éclat du seventies Sound. Il adore construire des cathédrales. Sur «The Jug», Kurt shake sa chique comme un dieu, c’est bien amené et sans remords. Ces Suédois font du Sewer jusqu’à plus soif. Encore du blast Viking avec «16 Thousand Satellites». Tu ouvres le leaflet et tu as la photo des Sewer en Stooges. Avec «Ain’t Coming Home» ils basculent dans le chaos de génie Viking. Ils terminent avec «Hey Sister (I’m Out Of Here)», Kurt se jette dans toutes les combines, il est de tous les coups de ruckus et finit en apoplexie de power chords. Pure énormité. Une de plus.

    z18170saturday.jpg

             Saturday Night Tonight We’re Gonna Have Some Fun laisse un peu l’amateur sur sa faim, même si le «Boogie Woamn» d’ouverture de bal laisse espérer quelques belles espérances, car c’est amené au gratté ultimate de boogie tonite - Saturday nite/ Gonna have some fun - mais ça tourne vite au cousu de fil blanc scandinave. Awite ! Tonite ! Il faut attendre «Up The Line» pour retrouver ces bombardements qu’on aime bien. Ils tapent ça à perdre haleine. Quant au reste, c’est du sans surprise, ils nous resservent le fast gaga-punk scandinave plongé dans l’huile bouillante et on voit rapidement apparaître une belle carence compositale. Malgré les cocotes, ils n’ont rien dans la culotte, disons qu’ils jouent un rock très athlétique bien rattrapé au vol. Ils tapent «I Really Love You» au fast drive, ils filent à 100 à l’heure et se montrent assez radicaux avec les radis. Ils commettent en gros les mêmes erreurs que les Hellacopters qui ont fini par nous indisposer avec leur surenchère. Ils terminent avec «No Time For Resignation» et deviennent les cracks de l’ambiance invétérée. Ils se répandent longuement dans l’excellence et collent bien au terrain qui nous intéresse.  

    z18171constant.jpg

             Malgré sa belle pochette, Constant Reminder déçoit. Le son est devenu plus lisse. Ça joue à deux guitares. Ils vont chercher les vieilles cocotes sourdes. Mais la prod est plus soignée, on entend les chœurs se fondre dans le son. Le son est nettement moins flamboyant que sur Guided By Delight. Ils visent un autre degré d’impact, un confort plus moelleux, avec ce fondu de chœurs dans le son. Mais aucun cut n’accroche véritablement. Ils ont cependant le goût des belles intros, comme celle d’«I’m On The Run» - You must be joking ! - Et Kurt y va, c’est excellent - I’m like a loaded gun/ And now I’m on the run - Il chante ça à la belle arrache. En B on retrouve un joli shoot de ventre à terre («Look Again»), bien fluide et monté sur un thème poppy étrangement bon. Nouveau shoot de ventre à terre avec «On Fire». Ils adorent up-temper dans la pampa, mais rien n’est plus difficile que de vouloir faire des miracles en permanence.

    z18172receiver.jpg

             Bien bel album que ce Rock ‘N’ Roll Receiver paru en 2006. On retrouve les Vikings de la légende avec «She’s A Punk (Just For One Day)», le genre de cut qui te met le dos au mur. Radical et sans appel. Les Sewer tapent comme des dingues dans la mythologie Viking, ils chantent à l’excédée, c’est d’une rare violence, ils tirent tout leur crédit de cette violence. Pas de répit, pas de remords, pas de rien. Ce mec Kurt chante à s’en arracher les ovaires, il tombe sur le râble de son cut avec une niaque unique au monde. On le retrouve aux commandes de «Remember Everything», pulsé par des grattés olympiques, ça joue à la violence frustre de vieux Vikings, ceux qui savaient affûter des haches et courir ventre à terre après les paysans normands terrorisés. C’est une énergie particulière rattrapée au poil de menton et battue à la diable. Même traitement pour «Wrote This Song For You», Kurt explose la rondelle en chou-fleur du Song for you, il joue à coups redoublés, c’est exacerbé à outrance, il est sincère, il a vraiment écrit cette Song for you. Pas mal de cuts ne fonctionnent pas, comme par exemple le morceau titre, trop de surenchère et de ooooh de relance. Par contre, ils restent les rois de la montée en température. Disons qu’ils se spécialisent dans le burn-out, comme leurs collègues Hellacopters. Ils ne connaissent que ça, l’odeur de cramé. Ils terminent cet album solide avec «I Sold My Soul To Rock’n’Roll So Help Me Save Me Lord», un stomp qu’il faut bien qualifier de faramineux, car expéditif et convaincu d’avance, c’est le stomp des Vikings, ouvert à tous les excès de violence et on assiste à de fantastiques rebondissements.

    z18173station.jpg

             Paru en 2011, Trouble Station est un sacré coco d’album. Ils renouent avec le Sonic’s RendezVous dès «Oh Trouble», Kurt chante au tremblé de chat perché comme le fit Scott Morgan en son temps. Il maîtrise admirablement ses dérapages contrôlés, même sens de l’emballage et des progressions d’accords sous pression. Encore un joli démarrage avec «Burning Desire». Ils sont excellents dans les départs arrêtés et toujours cette profusion de son et d’énergie, cette curieuse musicalité Viking. Kurt nous refait le coup du départ en solo bien sous-tendu par le pounding des copains. Ils ont une vraie dimension, comme le montre encore «He’s The Destroyer», un cut bien insistant, bien martelé, bien sewervé, belle clameur et belles guitares. Ils ne manquent décidément pas de charisme. En B, ils attaquent «One Of Those Tings» aux accords du MC5. Kurt chante en chef de meute et derrière ça blaste comme au temps du Grande Ballroom. Kurt prend une partie du solo de Wayne Kramer dans «Looking At You», mais sans la montée au note à note. Ils restent dans cette fabuleuse énergie héritée de l’âge d’or de Detroit avec «Touch Of Sympathy». Les accords resplendissent dans l’éclat des violences suburbaines, fabuleux cachet du pounding et killer solo, on a tout ce qu’on peut espérer. Le clairon qu’on entend à l’orée de «Keep Moving» est celui des Stooges.

    z18174idden.jpg

             Comme on l’a vu, les Sewergrooves sont les rois de la dégelée, ce que vient encore confirmer No Hidden Tracks, un modeste CD paru à la sauvette en 2012. Ils chantent leur «Trouble» à l’excédée caractérielle et c’est couronné de succès. S’ensuit un «Easy To Pretend» monté à l’harmonie sur fond de beat sévère. Ils avancent à la manière dure, Biribi, baby. Les montées au chant sont des montées inexorables. Chez eux, c’est un peu gaga-punk all the way, notamment dans «Don’t Mess With The Standards». Ils basent tout sur le trop-plein d’énergie. Ils pavent le chemin vers «Ending My Days» de mauvaises intentions, ouvrant la voie à une grosse attaque de proto-punk désordonnée et hirsute. Ils coulent un gros bronze fumant, ils mélangent tout, le chant, les accords, le beat. Ils proposent aussi trois covers : «Smith & Wesson Blues», «I’ve Never Known This Til Now» et «Where The Wolfbane Blows». Le Smith & Wesson est un cut du Tek, et comme d’habitude, c’est pas bon, les Sewergrooves jouent ça au fast-off. L’«I’ve Never Known This Til Now» passe mieux, car c’est du Roky et ils ramènent tout le son dont la Suède est capable, ils tombent dans les délicieux travers texans, ils nettoient ça aux arpèges de vinaigre, c’est un paradis dont les bonnes sœurs n’ont pas idée, l’acid freak paradise, et ça explose. Le Wolfbane est bien sûr celui des Nomads, ils jouent ça au tire-bouchon dans la mélasse de fuzz scandinave et le solo entre comme un ver dans le fruit du jardin d’Eden. Admirable. Tiens, encore une belle échappée belle avec «Tonight Tonight». Ces mecs ont bien choisi leur camp, il visent le swedish trash-gaga punk qu’ils radoucissent aux accents de power-pop.

    z18167threetime.jpg

             Pour finir, on peut se rincer l’oreille avec ce mini-album paru sur Estrus en 1999, Three Time Losers. «Whole Again» pourrait figurer sur l’un des albums du MC5, tellement c’est bien échevelé. «Dead Letter River» est plus classique, mais ce beau solo d’intraveineuse furtif et mortifère te plaira beaucoup. C’est un son de rouille et de vinaigre, pur jus de Kurt Dräckes. Il faut préciser que ces cuts sont enregistrés chez Tomas Skogsberg, l’homme qui a mis en boîte le mythique album de Supershit 666. En B, «Could’ve Been Dead» reste bien tenu en laisse, chanté d’une voix d’agonisant, c’est encore une fois excellent, très motivé. Et ça continue comme ça jusqu’au bout, avec un son classique et typique de ces années de revival gaga. 

    Signé : Cazengler, Sewergrave

    Sewergrooves. Songs FromThe Sewer. Low Impact Records 1999

    Sewergrooves. Three Time Losers. Estrus Records 1999

    Sewergrooves. Guided By Delight. Low Impact Records 2000

    Sewergrooves. Revelation Time. Low Impact Records 2002

    Sewergrooves. Saturday Night Tonight We’re Gonna Have Some Fun. Sounds Of Subterrania 2002

    Sewergrooves. Constant Reminder. Wild Kingdom 2004

    Sewergrooves. Rock ‘N’ Roll Receiver. Wild Kingdom 2006

    Sewergrooves. Trouble Station. Sounds Of Subterrania 2011

    Sewergrooves. No Hidden Tracks. Pitshark Records 2012

     

    *

    L’on parle beaucoup d’Europe ces jours-ci, Europe par-ci, Europe par-là, à en croire les uns elle est la source de tous nos malheurs, selon d’autres la promesse de tous nos bonheurs, ces genres de discours me fatiguent, il n’y a jamais eu qu’une Europe, encore ne s’appelait-elle pas ainsi, en ces temps-là elle dépassait nos frontières étriquées, je suis de ceux pour qui il n’y a jamais eu, et pour qui il n’y a, et il n’y aura que l’Imperium Romanum, comme tous les rêves il ne meurt jamais. Ceci dit écoutons un peu de musique. Car parfois, les Dieux nous font signe.

    david a. less,downliners sect,fleet foxes,sewergrooves, deos, éric calassou, pogo car crash control,

    Justement les voici. Pas tout à fait eux, mais Deos, un groupe de metal basé à Annecy, formé en 2014 qui vient d’achever une tournée ( France et Belgique ) qui les a emmenés le 27 avril dernier au Bacchus de Château-Thierry, c’est en voyant sur le FB de Sabine Meunier que j’ai appris leur existence et que je les avais manqués – j’ai une bonne excuse j’étais dans l’antique Narbonaise. Ce 27 Mai 2022 sortira sur Wormholedeath & Announce le troisième album de DEOS intitulé Furor Bellis, occasion rêvée de réécouter les deux premiers.

    DEOS

    Jack Graved : vocals, bass / Fabio Battistella : guitar / François Giraud : guitar / Loïc Depauwe : drums / Harsh : keyboards 

    GHOSTS OF THE EMPIRE

    ( Septembre 2015 )

    david a. less,downliners sect,fleet foxes,sewergrooves, deos, éric calassou, pogo car crash control,

    Overture : note funèbre prolongée sur laquelle s’articulent des tintements de glaives, ce n’est pas pour rien que Deos fait souvent suivre son nom de Legio, nous sommes loin de la Rome décadente, guitares martelantes qui avancent avec la lourdeur des légionnaires chargés de leur barda qui s’en vont étendre les frontières de l’Empire. Le morceau est court mais l’on sent que rien ne les arrêtera. Lupa mater : les fils de la louve entonnent le péan de la victoire, une course échevelée, au pas de charge, rumeurs de gorges en feu, ralentir, guitares et batterie reprennent souffle, cymbales balayées de glaives, la basse gronde, nuées d’orage lâchées sur le monde, attaquent en meutes. Song for courage : battre le fer tant qu’il est chaud, que ton cœur soit une forge dans laquelle tu tremperas tes armes, la meilleure des épées est celle qui bat dans ta poitrine… en contrepoint les larmes de la mort humidifient tes haillons de pourpre, les uns contre les autres, que la haine et l’envie du combat s’exaltent hors de ta gorge, c’est ainsi que résonnent les chants de la victoire, dans cette avancée terrible vers la gloire ou le néant. Attention l’en existe une version live sur YT qui permet de voir le groupe en action, habillé à la romaine, quoique le chanteur avec ses cheveux longs a un côté barbare non déplaisant, le son paraît davantage hypnotique que sur le disque.  Warfield : c’est sur le champ de bataille que se joue le sort de Rome, excitation et puis le calme et le silence juste avant l’assaut, chacun vers son destin, les grognements gloutons de Pluton au fond des enfers, la cavalcade de Mars, à tes côtés ou contre toi, aie confiance, les Dieux s’ils ne décident pas pour toi tranchent en faveur de Rome, elle est la fleur immortelle qui se nourrit de ta fierté et que tu arroses de ton sang, debout et en avant, une trace sanglante te suit jusqu’au bout du monde, une fois le combat engagée, l’appréhension de la peur n’a jamais existé, tu cours, tu fonces, tu enfonces, tu disloques, tu perces, tu tues, sans frémir, sans haine et sans reproche, exultation finale, tu lèves haut l’aigle de Rome sur des monceaux de cadavres. Souviens-toi, malheur aux vaincus ! Pompeii : roulements torrentueux, vocal comme un nuage noir qui obscurcit le jour, pierres et cendres tombent de partout, rythme implacable, nul n’échappera à son destin, la colère ou l’indifférence des Dieux est sans appel, éruption, rythme hachoir qui s’abat sur les malheureux humains, vocal cruel, impuissance des hommes, fin brutale. Cet album ne raconte pas l’histoire de Rome, chaque morceau est à écouter comme une carte postale que les morts de l’Empire nous enverraient depuis les Enfers, une simple image dérobée à un film de plusieurs siècles, c’est à l’auditeur d’interpréter les quelques mots non effacés et de les intégrer à son propre rêve. Britania : c’est aux limites du monde septentrional, en Bretagne, notre Angleterre, que les légions rencontrèrent une résistance désespérée, une fois celle-ci difficilement vaincue, elles s’aperçurent qu’elles n’avaient encore rien vu, les pictes furent intraitables, il fallut tout au nord du pays dresser un mur fortifié qui coupa l’île en deux afin de les contenir et de les isoler. Deos nous livre de bout en bout un chant tumultueux de victoire, désormais Rome était en sécurité. Imperator : un morceau à la gloire de Jules César. Musique écrasante, l’Imperator par excellence se dresse devant nous et Deos conte sa magnificence, son efficience, ses victoires, cet esprit de décision et son intelligence politique qui fit la différence. La batterie aussi lourde que les brodequins de ses légionnaires et le rythme aussi rapide que les déplacements de ses troupes. Mimesis : à voir le titre l’on ne s’attendrait pas à un tel déferlement, quelle est cette mimesis, est-ce celle de Jules César imitant les actions des principaux hégémons grecs, ou celle des membres de Deos s’interrogeant sur la manière dont leur art métallique se doit de donner une forme signifiante de la réalité de l’Histoire de Rome, n’oublions pas que César fut aussi homme de lettres et connaissait Aristote et Platon, mais pendant que nous nous interrogions la musique se calme, l’intensité est maintenant dans le vocal, les mots et les notes sont-ils des atomes parcellaires chargés de la puissance romaine. A notre avis, le plus beau morceau de l’album. Veni vidi vici : célèbre formule auto-glorificatrice de César, le morceau s’inscrit dans ces cavalcades victorieuses qui parsèment l’album. L’on est au plus près de l’action, dans le corps à corps, dans ces glaives que l’on assène sur les corps des ennemis. Incessant cliquètements des épées. Ce que tu veux, tu dois aller le chercher. Britania : ( Acoustic version ) : c’est un plaisir subtil auquel nombre de groupes de metal aime à sacrifier, ne sont pas que des brutes assoiffées de sang, alors ils coupent l’électricité et ils envoient l’acoustique, ici c’est assez réussi car la voix de Jack n’en paraît que davantage chargée de violence.

    IN NOMINE ROMAE

    ( Septembbre 2017 / Buil2Kill Records )

    Une couve qui ne fait pas de quartier. Comparée à celle-ci, celle de Ghosts of  the Empire, malgré son crâne ricanant et le bois de la table qui n’est pas sans évoquer les planches dont on assemble les cercueils est une évocation de la joie de vivre, soyons raisonnable, elle ressemble à une méditation sur la vanité de toute entreprise humaine. Nous ne sommes plus sous la tente d’un Imperator face à la carte qu’il vient d’étudier avant de livrer bataille, l’on peut ainsi envisager la guerre sous son aspect stratégique, voire intellectuel, vue de loin, elle n’est qu’une idée, la voici ici dans toute son horreur, le glaive taché de sang, la main de la future victime, et surtout cette détermination, ce désir de tuer sans pitié, sans culpabilité, un rictus de jouissance aux lèvres… Au cas où vous n’auriez pas compris, c’est écrit en toutes lettres, au nom de Rome. Pour ceux qui font la collection des images pieuses, un trailer de trente-cinq secondes vous présente de manière très peplumique le disque.

    david a. less,downliners sect,fleet foxes,sewergrooves, deos, éric calassou, pogo car crash control,

    Armatura dei coragiosi : (armure du brave, n’oubliez pas que l’italien descend en droite ligne du latin) : qui dit italien dit opéra, l’on a droit à un super générique avec cuivres et grands mouvements d’enthousiasme. Pas très long, mais l’on pressent que sur son deuxième opus Deos a mis de la couleur dans son noir et blanc initial.  Pro Iovis Pro Mars : pour Jupiter dieu de la puissance et pour Mars le belliqueux. Entrée monumentale, se mettre sous l’égide de ces deux ouraniens c’est déjà se proposer un destin exceptionnel. Une partition lyrique mouvementée qui vous emporte, entrecoupée de vocaux, vous ne savez si c’est un homme ou un dieu qui marmonne, vous comprenez que c’est important. Caput Mundi : le monde ne possède qu’une tête, elle s’appelle Rome, c’est elle qui commande, qui décide, qui ordonne, ce qui a été invoqué au morceau précédent arrive et déboule sur vous, à toute vitesse, mais vous sentez la lourdeur de son passage, rien ne saurait lui résister. Des voix s’élèvent, il importe peu qu’elles acquiescent ou qu’elles soient mécontentes, le sens de l’Histoire peut parfois s’écrire en lettres de sang. Sapere aude : ose savoir, entrerions-nous dans le domaine de la sagesse, si le morceau commence doucement le rythme s’accélère, le plus important n'est-il pas de savoir oser, de dépasser les limites étroites qui vous emprisonnent et qui sont faites pour être repoussées… Oderint dum metuant : célèbre formule de Caligula, qu’ils me haïssent pourvu qu’ils me craignent, la sagesse n’est-elle pas le péristyle de la folie, les frontières ne sont-elles pas aussi au-dedans de soi, l’humain serait-il le microcosme du macrocosme, cris et assouvissements, roulements égarés de tambour, ne suis-je pas à moi tout seul Rome et le monde. Tragédie intime. Memento mori : lors de son triomphe, un général vainqueur défilait dans son char sous les acclamations du peuple, l’esclave qui tenait une couronne de lauriers sur sa tête lui murmurait souviens-toi que tu n’es qu’un homme promis à la mort… il est si facile d’outrepasser son humanité, de sentir en ses veines couler la puissance des immortels, Rome ne vous monte-t-elle pas à la tête. Le rythme est si rapide que rien ne semble pouvoir l’arrêter, ni dans le monde, ni dans vos méninges. Cincinnatus : une voix raconte l’histoire de Cincinnatus, que l’on vient chercher en son champ afin de lui accorder les pleins pouvoirs de la dictature, en seize jours il défait l’ennemi, et rejoint sa charrue s’abstenant de tout honneur. Même rythme triomphal, mais ce coup-ci ce n’est pas pour célébrer la folie humaine mais la vertu romaine, Si elle peut s’imposer au monde elle peut aussi vous donner des fondations mentales inébranlables. Ainsi vous devenez l’assise de Rome la plus sûre. Laudatio funebris : éloge funèbre, intro musicale magnifique, fermez les yeux, vous voyez le film, le mourant qui agonise, l’appel aux survivants, une scène grandiose avec chœurs et orchestration quasi-symphonique. Imperial et impérieux. Honneur à ceux qui ont assez de caractère pour accepter de mourir pour Rome. Rendre à Rome ce qu’elle vous a donné. Mylae : navire glissant sur l’onde amère, Rome risque gros, inexpérimentée sur mer elle livre combat à la redoutable flotte carthaginoise, scène de film, la batterie martèle la cadence aux rameurs, ahanements et impulsions décisives, choeurs de matelots, Mylae fut la première victoire navale de Rome. Post tenebras lux : voix de basse claironnant la victoire de Rome, lumière après les ténèbres. Cunctator : ce surnom de temporisateur fut donné à Fabius Maximus qui refusa de livrer combat à Hannibal qui marchait sur Rome, non par peur mais par prudence. Après deux défaites écrasantes l’Histoire lui donna raison. Bourdonnement d’abeille qui se heurte contre une paroi de verre, les contraires se rejoignent pour mieux s’opposer, rythmique martelée, il faut parfois savoir se résoudre à renoncer à ses habitudes de victoire pour triompher. Aut vincere aut mori : les mots d’abord, l’on a tendance à réduire Rome à son histoire, ses monuments, sa légende, c’est oublier avant tout qu’elle fut une volonté synthétisée en de courtes formules dispensatrices d’une énergie folle, c’est cette volition du vouloir vivre que tente d’exprimer ce morceau. La musique sort des paroles comme le fruit est engendrée par la fleur, ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort a dit Nietzsche, ce qui vous tue aussi pensaient les romains. Un des meilleurs titres de l’album, une espèce de cantate métallique baignée de la foudre des Dieux.  Delenda Carthago : grandiose, l’obsession romaine, vaincre ou périr, détruire ou être détruit, le disque se termine en apothéose musicale, les dieux ont enfoui Pompéi sous une pluie de cendre, Rome a eu raison de Carthage. Un point partout. Egalité. Incendie au centre. Vae Victis.

    Cet album, paru en 2017, empli de violence mélodique n’est pas sans résonnance avec l’actualité. Il faut l’écouter et le méditer. Rome n’en finit pas d’apporter des réponses aux questions que l’on n’ose pas se poser.

    Damie Chad.

     

     

    SNOW COUNTRY

    ERIC CALASSOU / RAUL  GALVAN

    ( YT / 25 – 04 - 2022 )

    david a. less,downliners sect,fleet foxes,sewergrooves, deos, éric calassou, pogo car crash control,

    Tiens, pendant mon absence quelqu’un a posté un truc de country sur mon FB, je ne voudrais pas critiquer avant d’avoir entendu mais l’image ressemble plus à un paysage japonais qu’à une vue des Appalaches, pas étonnant c’est d’Eric Calassou. Les kr’tntreaders lèvent l’oreille, le Calassou on connaît sur le site, ses photos et surtout son groupe, Bill Crane, style rockabilly dissident si vous voulez une étiquette, mais quoi qu’il fait au pays du Soleil Levant ? Rien du tout, pour la simple et bonne raison qu’il s’est installé en Thaïlande.

    J’avoue mon ignorance, j’ignorais jusqu’à l’existence de Raul Galvan, j’ai découvert en écoutant la vidéo, facile à reconnaître même si on ne le voit pas, l’est le seul à jouer. De la guitare classique. Quant à l’Eric – un gars doué, il chante, il joue, il photographe, il peint, il écrit – il n’en touche pas une, s’est contenté de composer, ne l’avait jamais dit mais je me suis aperçu en zieutant les vidéos que Raul Galvan interprète deux autres de ses compositions Valse et In the mood for love. Raul Galvan n’est pas un rocker, s’inscrit dans une autre tradition, celle de Villa-Lobos pour le situer un peu.

    Eric Calassou a composé Snow Country après la lecture de Pays de Neige de Yasunari Kawabata, voici quelques années la lecture de ce court roman de l’écrivain japonais m’a laissé un peu froid. Nous sommes à l’opposé du style manga, tout est dans la subtilité ce qui n’est pas un mal en soi, mais me suis senti étranger à l’atmosphère idéologique trop datée à mon goût de ce récit écrit en 1935, perso je préfère les manieurs de sabre à la Mishima, mais ceci est une autre histoire.

    Quel beau son de guitare, ce Galvan, sait faire résonner ses cordes à la perfection, pas besoin de trois tonnes d’amplis pour donner de l’épaisseur, z’avez envie de vous y enfermer dedans comme un escargot dans sa coquille. Vous donne l’impression d’être un flocon de neige qui se pose sur une branche de cerisier. Réalise un autre exploit, écoutez bien, vous n’entendrez pas le silence, juste la musique, l’on dirait qu’il a collé les notes entre elles, l’obtient cet effet par la résonnance des cordes qui comble les vides. Le mieux est d’écouter sans regarder les images qui se suivent sur la vidéo. Elles sont un peu superfétatoires même si la dernière nous montre la photo de Matsuein l’onsen Geisha qui a inspiré le roman.

    Plus difficile, reste à cerner le mode et le monde du compositeur. Un instant d’âme ou de rêve dévasté. Un pays de neige qui n’appartient qu’à lui, dont il a effacé les traces pour que l’on ne puisse l’y rejoindre. Un Calassou sous le sceau du secret.

    Damie Chad.

     

     

    CRISTAUX LIQUIDES / RESTE SAGE

    POGO CAR CRASH CONTROL

    ( Clip Officiel ) 

    david a. less,downliners sect,fleet foxes,sewergrooves, deos, éric calassou, pogo car crash control,

    Encore une trentaine de jours et paraîtra Fréquence Hostile, le nouvel album de Pogo Car Crash Control. En avant-première le 12 avril, z’ont été gentils, nous ont refilé deux des titres, Cristaux liquides et Reste sage. Sur You Tube avec la photo de la couve de l’album. Mais ce n’est pas de cela dont je veux parler, mais de la parution, trois jours plus tard, du clip officiel qui met en scène les deux morceaux.

    En fait je ne veux même pas en parler, juste signaler sa présence. Y aurait beaucoup à dire sur l’évolution du son, mais là n’est pas le sujet. Ce clip est une petite merveille de mise en scène. Aucun crédit ne permet de l’attribuer à son  / ses  concepteurs, c’est dommage l’auraient mérité. Les premiers clips du groupe ont amplement fait connaître les P3C à ceux qui n’avaient pas encore eu la chance de les voir sur scène. Mais là l’on passe à une dimension supérieure. Les plans s’enchaînent d’une manière diabolique. N’hésitez pas à arrêter la vidéo pour vérifier le moindre détail, nous avons affaire à un montage de haute précision, ce qui n’empêche pas de retrouver l’esthétique chère aux Pogo, ce kitch lourdement grossier et nécessairement subtil qui pourfend les représentations sociétales de la vie convenable.

    Les Pogo nous livrent un film de six minutes. Ne leur en faut pas plus pour dynamiter les situations archétypales sur lesquelles sont fondées les réactions humaines. Touchent là à l’essence iconoclastique du rock ‘n’roll. Les images que nous adorons et que nous renvoyons au monde ne sont pas faites pour nous ressembler mais pour déchirer nos existences. Si nous sommes des êtres pour la mort, de quelle mort s’agit-il ? Celle que nous vivons tous les jours, ou celle que nous regardons sur nos écrans. Et surtout, quelle est celle qui tue le plus ?

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 477 : KR'TNT ! 477 : TAMI LYNN / RICHARD HELL / E-RUINS / PORNO GRAPHIC MESSIAH / DROP DEAD / SLEAZY TOWN / FRANTIC MACHINE / POGO CAR CRASH CONTROL / HUBERT SELBY JUNIOR

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 477

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    24 / 09 / 20

     

    TAMI LYNN / RICHARD HELL

    E-RUINS / PORNO GRAPHIC MESSIAH

    DROP DEAD / SLEAZY TOWN

    FRANTIC MACHINE / POGO CAR CRASH CONTROL

    HUBERT SELBY JUNIOR

    HUBERT SELBY JUNIOR

    Tami dans le mille

    z10337tamulyn.gif

    Tami quoi ? Hein ? Qui t’as dit ? Tamiline ? C’est quoi c’machin ?

    Ça a l’air drôle dit comme ça, mais cette conversion a vraiment eu lieu. Ce qui n’a rien d’étrange au fond, car qui connaît Tami Lynn ? Elle vient de casser sa petite pipe en bois dans la plus parfaite indifférence, après avoir vécu une vie de Soul Sister qui n’intéressait pas grand monde au fond, sauf les amateurs de blackettes en peu wild, celles qui savaient transformer, par leur seule présence, une pochette d’album en chef-d’œuvre de Soul érotique. Marsha Hunt, Tami Lynn et Betty Davis ne portent rien sous leurs robes, il suffit de voir les pochettes. Black sex power. Aretha aimait la bite et faisait des gosses à 13 ans. Non seulement toutes ces Soul Sisters aimaient le cul mais elles chantaient comme des reines.

    Z10349PHOTOTAMI.jpg

    Il n’existe pas de littérature sur Tami Lynn. Il faut se débrouiller avec les petits os que donne comme d’habitude à ronger wikipédia et que rabâchent d’autres gens sur d’autres sites, un ragoût à base de New Orleans, d’AFO et d’afro, de Jerry Wexler et de Bert Berns, d’Exile On Main Street et de Northern Soul. Il suffit d’aller taper Tami dans le mille. Tout y est.

    Mais tous les fans de Doctor John avaient repéré le nom de Tami sur les pochettes, comme on avait repéré ceux de Merry Clayton, de Madeline Bell ou de Doris Troy, quand ils étaient cités. Par chance, tout le monde n’appliquait pas la politique de Berry Gordy qui ne voulait aucun nom sur les pochettes de Motown. On ne savait même pas comment s’appelaient les Four Tops et encore moins les noms des musiciens qui les accompagnaient.

    z10348love....jpg

    Il n’existe qu’un seul album de Tami Lynn, Love Is Here And Now You’re Gone, paru en 1971, sous une pochette superbe. Tami a exactement le même power graphique que Jimi Hendrix. C’est pas seulement dû à la coiffure, c’est ce qu’elle dégage, une sorte d’animalité. Comme le disait si justement Baudelaire, le beau est toujours bizarre. Par contre, l’album floppe un peu. Déniché à Londres durant les mid-seventies, il occasionna ce qu’il faut bien appeler une amère déception. On espérait une version black de Sharon Tandy mais il s’agissait d’une sorte de comédie musicale. Il fallait attendre «Monologue - The Next Time» pour recevoir une belle giclée de r’n’b dans l’œil. Ça chauffait un peu plus en B. Il ne faut jamais perdre de vue le fait que Tami fait partie des artistes découvertes par Bert Berns, auquel on a déjà consacré deux éloges bien dodus sur KRTNT. Tami chante une compo de Bert, l’excellent «I’m Gonna Run Away From You». C’est du bon Bert au grand pied, très poppy et bien produit. Même imparable. On a là un hit de juke bien équilibré, bien fouillé aux percus, cuivré, violonné et monté sur un drive de basse pépère - I’m gonna run away from you ouh-ouh - Autre merveille : un «Never No More» pulsé par un bassman brouteur de notes rebondies. Tami opte pour la discrétion et avec l’élégance d’une Soul Sister valeureuse et modeste à la fois.

    Z10350LIBERTY.jpg

    Et comme sa consœur new-orléanette Betty Harris, Tami refait surface en 1992 après un long silence. L’album s’appelle Tamiya Lynn, un bel album de groove. Dès «Hip New Moon», on entre dans la vraie artisterie. Derrière elle, un mec joue de la guitare espagnole et Tami chante à la pointe du laid-back. Le mec s’appelle John Goodsall. Ça joue dans le cœur du groove, un groove extraordinaire de latence et la voix flotte à la surface. Elle revient au groove vers la fin de l’album avec «Jazz A Rainy Day And You». Son groove est chaud comme le Gulf Stream, elle chante à la glotte fêlée d’Africaine éprise d’infini, ouh-hoh I’m fifteen years, comme Nina Simone, elle jazze le groove du jour le plus long. Avec «Silk», elle passe à la pop et vend son cul. Elle chante comme si elle se plaignait, mais elle se montre fabuleusement tenace - He calls me silk - On la voit aussi chanter «Somewhere Backof The Moon» à la glotte d’ébonite, elle dispose d’une marge terrible, elle peut gérer son monde du haut de la montagne, elle chante à l’écho éteint et bien sûr, on songe à Nina Simone, une fois encore. De la même façon que Scott Walker, elle demande à respirer dans la scansion. C’est presque un album ambitieux, peut-être même trop évolué. Avec «To Be Your Lady» elle devient bandante. Restons méfiants. Elle tombe dans des trucs assez épiques. Avec ce genre de gonzesse, il faut rester sur ses gardes. Et voilà qu’elle se vautre avec «After All». Pourquoi ? Parce qu’elle chante comme une blanche. Et c’est pas terrible. Tami, reviens à tes racines ! Rien de pire qu’une black qui veut se faire passer pour une blanche. Elle termine avec un «Love Is» fantastiquement barré. Elle en perd le contrôle.

    Signé : Cazengler, Taminable

    Tami Lynn. Disparue le 26 juin 2020

    Tami Lynn. Love Is Here And Now You’re Gone. Mojo 1971

    Tamiya Lynn. Liberty 1982

     

    Hell je ne veux qu’Hell

    - Part One

    Z10366tamylyn.gif

    Sans vouloir jouer les Raymond la Science, le petit conseil qu’on pourrait donner aux férus de punk new-yorkais et même de punk tout court serait de se jeter sur l’autobio de Richard Hell, I Dreamed I Was A Very Clean Tramp. L’ouvrage date de 2013 et il vaut tout le jus qu’on n’imagine même pas. Pour plusieurs raisons objectives. Un, Richard Hell compte parmi les grands auteurs américains contemporains. C’est d’ailleurs son fonds de commerce, loin devant la musique qui ne fut dans sa vie qu’un épisode. Clean Tramp détaille cet épisode qui couvre en gros les années soixante-dix et la genèse du mouvement punk. Deux, Richard Hell traite d’un sujet qui n’est accessible qu’aux esprits on va dire lettrés : la vision. Sans vision, pas de punk, c’est aussi bête que ça. On pourrait dire la même chose d’Iggy Pop : sans vision, pas de Stooges. Ou encore de Sam Phillips : sans vision, pas d’Elvis ni de Jerry Lee. Quelques personnages clés ont fait l’histoire du rock. À ceux déjà mentionnés, on peut ajouter les noms d’Andrew Loog Oldham, de Phil Spector, de Tommy Hall, de Shel Talmy ou encore de Mickie Most. Richard Hell entre de plein droit dans cette catégorie. Trois, Richard Hell fait les bons choix : en matière de cinéma ou d’esthétique, mais il sait aussi s’entourer : Tom Verlaine, Lester Bangs, Peter Laughner, Nick Kent, Dee Dee Ramone, Johnny Thunders, Terry Ork et surtout Robert Quine. Tout ceci est prétexte à ce qu’on appelait autrefois une magistrale galerie de portraits. Seul un authentique écrivain doté d’une vision peut brosser une telle galerie de portraits. L’ouvrage pèse par sa cohérence et renvoie à ceux des grands mémorialistes du début du XXe siècle, Léautaud et Guillaume Apollinaire en tête. Certaines pages du Clean Tramp valent, par leurs qualités évocatrices, l’excellence du style et l’acuité du regard, celles du Journal Littéraire de Paul Léautaud.

    z10352book.jpg

    Au fil des pages de Clean Tramp, on découvre un homme sombre et pauvre, passionné de poésie. C’est encore l’époque des machines à écrire et de ce qu’on appelait autrefois les ‘manuscrits’, ces pages de textes qu’il fallait besogner au tac-a-tac-a-tac. En ce temps-là, écrire n’était pas une sinécure, mais plutôt un travail de fourmi, avec toute la dimension obsessionnelle que cela implique. Hell tape son premier roman, The Voidoid, sous l’influence des Chants de Maldoror, en écoutant en boucle le Live At The Apollo de James Brown et le premier album des Who, My Generation - J’en tapai une version propre, en utilisant un ruban neuf, un papier chiffon de luxe, et en optant pour un interlignage simple et des grandes marges de sorte que chaque page prenait l’apparence d’un rectangle de glyphes entouré de larges blancs, pour ressembler à l’édition New Directions des Chants de Maldoror - Et pourquoi Maldoror, allez-vous demander. Parce qu’Hell trouve l’ouvrage «tellement extrême, aussi drôle que choquant». Et il ajoute : «Plus que tout autre ouvrage, Maldoror m’a inspiré en me montrant les possibilités de l’écriture et la façon dont on contourne les conventions pour exprimer directement une vision brute.»

    tami lynn,richard hell,e-ruins,porno graphic messiah,drop dead,sleazy town,frantic machine,pogo car crash control,hubert selby junior

    Comme tout écrivain qui se respecte, Hell nourrit deux passions consanguines : le sexe et les drogues. La musique ne viendra qu’en corollaire. Une façon comme une autre de dire qu’en s’intéressant au punk Hell, on en revient fatalement à l’écrivain Hell. «Love Comes In Spurts» n’est fait que de ça : de sex and drugs d’écrivain. Lorsqu’il évoque son enfance, Hell raconte qu’il a glissé son doigt dans un premier vagin «à l’âge 13 ou 14 ans», et il ajoute à la page suivante qu’il se sent assez américain pour préférer le «sex dirty». Il est comme Steve Jones, il déteste le sexe romantique dans des draps propres. Quand beaucoup plus tard il découvrira l’héro puis la coke, il fera des apologies extraordinaires de ces deux aphrodisiaques - La coke secoue le système nerveux comme un orgasme qui peut durer dix à vingt minutes. L’héro s’apparente aussi au sexe, mais ça se rapproche plus de la pâmoison post-coïtale - Et il enfonce son pieu - et non son clou - en déclarant : «Sous coke, mon cerveau et ma queue ne font qu’un.» Alors il téléphone à des gonzesses pour leur demander de venir passer un moment avec lui. Il aime par dessus tout observer dans le détail ce qu’il appelle leur naked between-legs, c’est-à-dire leur vagin. Elles sont toujours d’accord, pour deux raisons, ajoute-t-il : mon pouvoir de persuasion et ma coke. Après la séance de sniffe, elle s’allonge sur le matelas, écarte les jambes et Hell s’installe au plus près avec un calepin et un crayon pour dessiner ce qu’il voit. Mais il lui arrive aussi de vouloir rester seul. Alors il se fout à poil devant le haut miroir de sa piaule et se dessine de la main droite pendant qu’il se branle de la main gauche - It seemed self-evidently the erotic pinnacle - Eh oui, dit-il, de toute évidence, «qui sait mieux que soi-même qu’on n’aime rien tant que soi.» Hell enfile les conquêtes comme des perles et nous brosse chaque fois un portrait à larges touches, comme s’il peignait au couteau, à la manière de Vlamink. Roberta Bailey, Sabel Starr et Lizzy Descloux font partie du tableau de chasse. Sous une photo de Lizzy aux seins nus, on peut lire : «Lizzy was the inspiration». Elle inspire Hell pour son premier roman Go Now et la chanson «(I Could Live With You) In Another World».

    tami lynn,richard hell,e-ruins,porno graphic messiah,drop dead,sleazy town,frantic machine,pogo car crash control,hubert selby junior

    Il démarre assez tôt avec les drogues. En terminale, the twelfth grade - I liked drugs though. J’aimais l’effet instantané et le plaisir physique que procuraient les drogues narcotiques ou psychédéliques, et plus tard, les stimulants - Au lycée il prend des champignons, du THC et de l’acide. Il réussit même à faire une overdose de THC - Une fois un concentré poudreux de THC est arrivé sur le marché et il était très fort. Je l’ai sniffé - Quand avec Tom Verlaine et à cause de leur passion commune pour William Burroughs, ils commencent à s’intéresser à l’héro, ils font une première expérience qui les rend malades. Ça va calmer définitivement Verlaine, mais pas Hell qui va continuer en compagnie de Terry Ork. Un Ork qui aimait bien recevoir ses amis dans son loft et qui leur proposait des séances de shoot mutuel. Hell appelle ça paradise on earth. Il assume parfaitement son junk - I was doing junk pretty often by then, but I still fell deluxe - Il se sent parfaitement adulte, puisqu’il se pique et qu’il ne dépend de personne, il assume son destin - Running my own destiny, out from under - Et il ajoute ceci qui claque : «It was more independant than any other choice I’d ever made.» (C’était le choix le plus indépendant qu’il ait jamais fait). Pour Hell, l’héro reste liée au sexe, c’est une simple dimension de la vie de bohème - The heroin was a reward for our status as outsider artists. C’était innocent et paisible. À cette époque - Pour Hell ce qui compte, c’est l’accès total au corps d’une femme, just as complete and uncomplicated as well. Les drogues qu’on partage avec les gonzesses permettent ça. Au moment où il rejoint les Heartbreakers en 1977, il consomme une à deux doses par jour. Mais il précise qu’il a composé «Blank Generation» avant de passer au junk. La druggy mentality est son état d’esprit naturel.

    tami lynn,richard hell,e-ruins,porno graphic messiah,drop dead,sleazy town,frantic machine,pogo car crash control,hubert selby junior

    Ayant depuis belle lurette pris de la distance avec ce mode de vie, Hell peut en parler savamment : «Je conserve de très bons souvenirs de ma narcotic life. C’est un mode de vie assez extrême, qui s’apparente à une forme de combat. Ça ne peut être compris que par ceux qui l’ont vécu. Je ne souhaite à personne de vivre l’expérience d’une addiction, mais il y a dans ce mode de vie quelque chose de glorieux, d’une certaine manière, in a sad way.» Et il développe : «L’addiction, c’est la solitude. Ça commence par du plaisir puis en quelques années ça dégénère pour devenir une obsession compulsive, plus psychologique que physique.» Hell explique alors qu’on se coupe de tous et de toutes, y compris de soi-même et qu’on craint par dessus tout d’être à nouveau confronté à l’horreur de la vie réelle - the horror of real life - Il termine en avouant qu’il a eu beaucoup de chance de pouvoir décrocher, with help. «J’ai eu de la chance de pouvoir vivre le temps qu’il fallait pour décrocher.»

    tami lynn,richard hell,e-ruins,porno graphic messiah,drop dead,sleazy town,frantic machine,pogo car crash control,hubert selby junior

    Et puis voilà les gens. Ado, Hell fait une fugue avec Tom Verlaine et se découvre une passion pour la liberté : «Ces quelques jours de fugue sur la route avec Tom m’ont permis d’éprouver le sentiment que je préfère par dessus tout : sortir de moi pour aller dans un autre monde.» Il précise qu’on peut éprouver ça avec une drogue ou une passion amoureuse, mais pour lui rien ne vaut l’acte de tout quitter : son identité et les responsabilités qui vont avec, son histoire et ses liens de parenté. C’est la façon la plus pure d’éprouver le prodigieux sentiment de liberté. Voilà ce qu’un écrivain peut nous dire. En son temps, Rimbaud fit exactement la même chose. Liberté à tout crin. Inventer le punk-rock ne sera pour Hell qu’un jeu d’enfant.

    tami lynn,richard hell,e-ruins,porno graphic messiah,drop dead,sleazy town,frantic machine,pogo car crash control,hubert selby junior

    Autre présence de poids dans la genèse d’Hell : New York - Le lendemain du jour de Noël 1966, je quittai la maison définitivement en prenant un bus pour New York - Et là débute la valse des petits boulots de survie. L’écrivain Hell s’en donne à cœur joie. Son copain Tom vient le rejoindre un peu plus tard, en 1971, et ils commencent à bricoler des chansons ensemble. C’est là que démarre leur étrange relation - We even didn’t like each other - Mais au fond, Hell sent bien que ce genre de travers est d’une grande banalité chez les egotistical ambitious young artists. Hell se découvre aussi une passion pour l’esthétique des fringues. Il adore s’habiller comme les early Rolling Stones ou Dylan Thomas. S’il porte un cuir, ce n’est pas un cuir de biker mais un cuir de flicard américain qu’il achète au surplus de la police. Il trouve les Ray-Bans ringardes, il préfère Ivy League gone depraved or early Andy Warhol. Oui, Hell donne des leçons de style et ça n’a l’air de rien comme ça, mais toute l’esthétique punk va en découler. Il se lie aussi avec Barbara Troiani qui fabriquait des fringues pour les Dolls. Elle lui fait un costume en peau de requin mauve à la Wilson Pickett, et c’est cette verste qu’il tient ouverte sur la pochette de son premier album avec les Voidoids. Il rappelle que toutes ces fringues ne coûtaient pas grand chose, et c’était le but. Pas question d’aller singer la jet-set des superstars d’alors qui pourrissaient l’esprit du rock. Pour Hell, ce qui compte dans le rock, c’est ce qu’il appelle ses langages : les fringues et les coupes de cheveux. C’est comme ça qu’il en arrive à ce look de cheveux hérissé qui servira de modèle à tout le mouvement, à commencer par les Pistols : «Dans l’histoire du rock, deux coupes prévalaient, le ducktail d’Elvis et le bowl cut des Beatles.» Alors il s’est demandé ce qu’il y avait de commun et ce qui les a rendues si populaires. D’un côté, le ducktail va devenir le modèle des chauffeurs de poids lourds, des bootleggers et des petits voyous de quartier. De l’autre, le bowl cut symbolise à la fois l’innocence et la transgression. Hell comprend qu’il doit inventer autre chose et voilà : il s’inspire de Rimbaud, d’Artaud et de Jean-Pierre Léaud. Il conseille aux autres membres de Television de s’habiller comme lui chez Hudson au rayon vêtements de travail : pas cher, seulement 50 $, beau look et fantastically comfortable. Pour lui, il est essentiel que les groupes portent les mêmes vêtements à la ville comme à la scène. Pas de show business act - Ce que je voulais avant tout, c’était ramener la vraie vie dans le rock’n’roll - Nous y voilà. Enfin ! Vous comprendrez cependant la nécessité des préalables : un artiste de rock ne tombe jamais du ciel, pas plus qu’il ne sort d’un chou-fleur. Des éléments culturels président généralement à sa destinée.

    tami lynn,richard hell,e-ruins,porno graphic messiah,drop dead,sleazy town,frantic machine,pogo car crash control,hubert selby junior

    En 1972, Hell et Verlaine comprennent confusément qu’il est temps de monter un groupe. Ils voient les Dolls et Patti Smith sur scène. Aux yeux d’Hell, les Dolls sont théâtraux et maîtrisent à la perfection l’auto-dérision. Hell comprend que ce phénomène typique de downtown New York ne supportera pas d’être transplanté ailleurs. Il voit aussi à travers les Dolls le potentiel créatif du rock dans tous les domaines : chant, fringues, coupes de cheveux, noms, affiches, interviews. Il lui faut juste apprendre à jouer d’un instrument. Tom lui conseille la basse, plus facile. Hell démarre avec une Danelectro d’occase à 50 $. Ils écrivent tous les deux chansons, alors chacun chante les siennes. Hell trouve un nom pour le groupe : the Neon Boys. Hell est fan des Dolls, d’Iggy, de Slade et de T. Rex. Première dissension : Verlaine n’aime pas les Dolls. Il préfère les Modern Lovers. Hell préfère les Dolls car ils sont plus excitants. Verlaine les trouve trop approximatifs. Verlaine n’est pas à l’aise avec la flamboyance. Ils passent une annonce pour recruter un autre guitariste : deux candidats se pointent : Doug Colvin qui va devenir un peu plus tard Dee Dee Ramone et Chris Stein qui va monter Blondie. Ni l’un ni l’autre ne font l’affaire.

    tami lynn,richard hell,e-ruins,porno graphic messiah,drop dead,sleazy town,frantic machine,pogo car crash control,hubert selby junior

    Hell et Verlaine travaillent tous les deux chez Cinemabilia, une librairie spécialisée dans le cinéma, où travaillent Victor Bockris et Terry Ork. Ork est un spécialiste de la Nouvelle Vague et de Godard. Il s’intéresse aussi au projet des deux arpètes Hell et Verlaine. Ork a déjà une sale réputation. Il aurait monté un trafic de sérigraphies de Warhol avec Gerard Malanga, l’assistant du peintre. Ork propose de manager les Neon Boys qui sont devenus Television, mais Hell s’aperçoit très vite qu’il ne fait pas le poids, contrairement à McLaren qui a des idées qu’Hell juge brillantes.

    tami lynn,richard hell,e-ruins,porno graphic messiah,drop dead,sleazy town,frantic machine,pogo car crash control,hubert selby junior

    Hell donne des Dolls une brillante analyse en affirmant qu’ils étaient beaucoup trop crus, sloppy, débraillés et radicaux pour exister ailleurs qu’à New York. Puis il explique que les Dolls se sont vautrés car ils incarnaient trop les valeurs du classic-blues-based rock’n’roll, du glam quasi-efféminé, alors que Television part dans une autre direction, celle du rejet total des valeurs hippies, du statut de star pour en inventer d’autres basées sur l’aliénation, le dégoût et la colère, des valeurs qu’illustrent des chansons comme «Blank Generation» et «Love Comes In Spurts». McLaren qui voit se former le personnage d’Hell en mesure immédiatement le potentiel et lui propose de l’aide. Mais Hell ne veut recevoir d’aide de personne - I wanted to be on my own.

    tami lynn,richard hell,e-ruins,porno graphic messiah,drop dead,sleazy town,frantic machine,pogo car crash control,hubert selby junior

    Pour dire les choses clairement, Hell et Verlaine se trouvent très exactement à l’origine de la scène punk new-yorkaise. Hell observe les gens autour de lui et ne fait pas de cadeaux. Il admire la Patti Smith des débuts, lorsqu’elle monte sur scène réciter des textes, juste accompagnée par Lenny Kaye. Elle est assez possédée et peut improviser en rythme, like a bebop soloist or an action painter. Mais alors qu’elle vit encore avec Allen Lanier de Blue Öyster Cult, elle entame une relation avec Verlaine qui pourrit la leur, celle d’Hell et de Verlaine. Au fil du temps, elle va baisser considérablement dans l’estime d’Hell : «Elle était plus charismatique que moi, bien meilleure sur scène et elle attirait bien plus de monde, mais elle était aussi full of shit à bien des égards, elle se conduisait comme une diva hypocrite et vénéneuse, et son groupe était assez médiocre.»

    tami lynn,richard hell,e-ruins,porno graphic messiah,drop dead,sleazy town,frantic machine,pogo car crash control,hubert selby junior

    Bon, récapitulons : 1972, il est temps de monter un groupe. On s’appelle the Neon Boys et on apprend à jouer. Ah, il faut trouver des noms ! Richard Meyers opte pour Richard Hell. Il cherche un nom pour Tom Miller. Un French poet. Gautier ? Pas mal, mais non, trop compliqué à prononcer. Tom propose Verlaine. Banco ! Television, c’est mieux que Neon Boys, non ? Banco ! C’est le processus de formation du groupe qui passionne Hell. Il se projette dans un personnage, comme l’a fait Bowie, mais Hell précise qu’il n’aime pas Bowie. Il le trouve trop ‘artificiel’. Hell veut faire quelque chose de radicalement différent, et c’est ce qui va coincer avec Verlaine qui voit les choses différemment. Côté effectifs, les choses avancent : Verlaine fait venir à New York un batteur de sa connaissance, Billy Ficca, et Terry Ork qui s’intéresse au projet leur présente Richard Lloyd qu’Hell ne semble pas vraiment apprécier. Maintenant il faut trouver un endroit où jouer : ils découvrent le CBGB. Quand Hell, Verlaine et Ork viennent lui proposer de jouer gratuitement, Hilly Kristal accepte. Quelle aubaine ! Il vient tout juste d’acheter le bar. Hell s’empresse d’ajouter que d’autres versions de ‘la découverte’ du CBGB circulent, en particulier celle de Lloyd. À partir du 31 mars 1974, Television joue chaque dimanche soir au CBGB. Parmi les groupes qui commencent à venir y jouer, c’est Patti Smith qui attire le plus de monde. Personne ne prend les Ramones au sérieux, ils passent pour un groupe de bubblegum, des Stooges on surfboards, un gag, pire encore, un gadget. Les gens ne prennent pas non plus Blondie au sérieux. On n’allait voir Blondie que pour se rincer l’œil, car la petite chanteuse était sexy. Bien sûr, s’empresse de conclure Hell, Blondie et les Ramones seront les groupes qui connaîtront le plus grand succès.

    tami lynn,richard hell,e-ruins,porno graphic messiah,drop dead,sleazy town,frantic machine,pogo car crash control,hubert selby junior

    Hell misait énormément sur cette première mouture de Television, au printemps 1974. Elle n’avait rien à voir avec le Television du premier album paru en 1977 : ils portaient alors du cuir noir et des chemises rafistolées avec des épingles à nourrice, des lunettes noires et des cheveux taillés court, ils jouaient un trumbling clatter of renegade scrap, et pour les gens qui les voyaient jouer, ça équivalait à un violent réveil en sursaut - We were stunning - Hell est sûr que les gens n’en revenaient pas de voir un groupe aussi sauvage que l’early Television. Mais ça ne plaît pas à Verlaine. Il trouve le groupe mauvais, alors qu’Hell est aux anges. Sur le coup, Hell ne comprend pas, puis il se met à haïr Verlaine pour ça. Hell sait que le groupe a ce côté ragged qu’avaient les Stooges, le Velvet et les Dolls. Pour lui, c’est ce qu’il y a de plus important. Il adore le son qu’ont les Stones sur «Who’s Driving Your Plane» ou «19th Nervous Breakdown», ou même Smokey Robinson & the Miracles dans «Going To A Go-Go» qu’on croirait, dit-il ‘enregistré dans une ruelle’. Mais Verlaine a une autre idée du son en tête, ces cristal-clear crisp sweet-guitar suites, et bien sûr, il voit le son du groupe subordonné à sa guitare. Seules comptent sa façon de jouer et ses compos. Le reste ne l’intéresse pas. Comme il est écrivain, Hell rédige un article pour présenter Television. Il le destine à la presse, mais ça ne paraît pas. Il fait de Verlaine ‘the Mr. America of skulls’, de Llyod ‘a perfect male whore pretty boy face’ et de lui-même un ‘bass player in black boots baggy suit and sunglasses’ qui danse comme James Brown et qui saute en l’air. Il termine son portait littéraire de Television ainsi : «Pas mal de gens dont je faisais partie pensaient que Television était le meilleur groupe du monde. Alors je suis rentré chez moi, j’ai commencé à écrire un roman et puis j’ai demandé à ma sœur de me tailler une pipe.» Avec le recul, Hell pense avoir un peu mordu le trait avec cet article, mais à l’époque c’était normal. Son intention était de créer un précédent dans la façon de percevoir un groupe. Démarche purement littéraire et bien sûr nullement journalistique. Hell est persuadé qu’à l’époque Television incarne le futur du rock et que le CBGB est devenu le centre du monde. Et il a parfaitement raison. Mais en 1975, Verlaine commence à faire le ménage. Il ne veut plus des chansons d’Hell sur scène et ne veut plus le voir faire le con en sautant partout pendant qu’il chante. Verlaine veut monopoliser l’attention du public. En mars 1975, Hell quitte le groupe et une semaine plus tard, il reçoit un coup de fil de Johnny Thunders. Ce dernier vient de quitter les Dolls et demande à Hell s’il veut bien venir jouer de la basse dans les Heartbreakers avec lui et Jerry.

    tami lynn,richard hell,e-ruins,porno graphic messiah,drop dead,sleazy town,frantic machine,pogo car crash control,hubert selby junior

    Ça tombe bien : Hell veut faire du rock frantic et mal dégrossi. Mais il ignorait que Johnny s’intéressait assez à lui pour lui demander de faire partie de son groupe. Ça le flatte énormément. En prime, Johnny est le guitariste le plus excitant de son époque. Autre chose que Verlaine ! Ils forment un trio et ça fonctionne très bien. Chacun ses chansons. Jerry et Johnny sont easygoing, and the group had a great sound and style. Hell s’aperçoit que les chansons de Johnny sont plus simples et bien plus efficaces que les siennes. Hell tente de marier ses ambitions intellectuelles et ce qu’il appelle son ‘lost-boy affect’ avec le ‘defiant junkie prowling’ de Johnny. Hell apprécie sincèrement Johnny qu’il qualifie de genuinely smart. Mais au bout d’un moment, Hell s’aperçoit qu’il est coincé dans les Heartbreakers. Il aspire à autre chose qu’à «Pirate Love». Comme Verlaine, il a besoin d’être le boss dans le groupe, aussi quitte-t-il les Heartbreakers en 1976.

    z10345bomp.jpg

    Il reste heureusement un témoignage de cette équipée sauvage d’Hell avec les Heartbreakers : What Goes Around, paru sur BOMP en 1991. Ah l’équipe de rêve : Thunders, Nolan, Hell et Lure. Ils démarrent avec «Goin’ Steady» et tout est déjà là - Goin’ steady/ I’m ready - Nolan tape ça à la cloche de bois et Hell chante à la petite désaille new-yorkaise. Ils n’ont pas besoin d’Oscar Wilde pour faire de la décadence. Ils ont déjà l’envergure. Ils établissent déjà leur domination sur le monde occidental. L‘énormité du set est la version de «You Gotta Lose» qu’on croise plus loin. Ils sonnent comme des graines de violence. Hell sait déjà ce qu’il veut. Il chante in the face, il impose une vision, une Soul de rock. Pur Hell du Kentucky. Belle reprise de «Stepping Stone». Ils s’amusent bien avec les Monkees et sortent une version légèrement décadente. «Pirate Love» est déjà là, dans une version préhistorique assez démente. Par contre «Flight» fait mal aux oreilles. Ils s’amusent dans la cour de récré. Johnny sort aussi son «So Alone» et le joue aux vrais chorus new-yorkais. En fait, tout était déjà là en 1975. Ils terminent leur set avec un «Blank Generation» qu’ils portent au sommet de la décadence avec des chœurs de Dolls, puis «I Wanna Be Loved» qui réapparaîtra avec les Heartbreakers.

    tami lynn,richard hell,e-ruins,porno graphic messiah,drop dead,sleazy town,frantic machine,pogo car crash control,hubert selby junior

    Dee Dee Ramone fait partie des gens qu’Hell apprécie beaucoup. Un Dee Dee dit-il qui aurait tant voulu être un Heartbreaker. Il aurait tant voulu jouer dans un happy-go-lucky bad-boys band qui attirait toutes les fun girls. Mais en 1975, Dee Dee semblait heureux de jouer dans les Ramones. Pour Hell, Dee Dee incarnait l’essence même de ce rock’n’roll qui allait devenir le punk-rock. Ce street kid talentueux allait même écrire la plupart des classiques des Ramones. Il gardait une certaine innocence, même s’il vendait son cul pour du blé. Hell le sentait doté d’une très forte personnalité, ‘that funny dizzy dumb style’ qui était aussi une carapace - Il déconnait tellement délibérément qu’il a fini par ne plus être qu’un déconneur. Il s’est pris au jeu - Voilà comment peut sonner l’hommage d’un écrivain : il fait du street kid Dee Dee un fantastique transmuté. Autre sujet d’intérêt : Peter Laughner, adepte de l’auto-destruction, excellent guitariste, enraciné dans le Velvet et les groupes du CBGB. Hell salue la passion de Laughner pour Sylvia Plath et Baudelaire. Avant de calancher en 1977 d’une pancréatite, il avait eu le temps d’enregistrer quelques magistrales covers du style «Wild Horses», «Pale Blue Eyes» et «Summertime Blues». Lorsqu’il travaille comme reporter pour Spin, Hell séjourne quelques jours à Cleveland pour rencontrer des témoins et écrire sur Laughner. Il se rend sur sa tombe et il se sent soudain assailli par un torrent de pensées : «J’étais trop fatigué pour essayer d’y voir clair. Parvenu au pinacle de cet assaut, épuisé par ce déluge d’informations émotionnelles, et sans même réaliser ce que je faisais, je crachai sur sa tombe.» Comme Houellebecq, Hell cultive l’art de la chute en fin de paragraphe. Ça marche à tous les coups, mais il n’est pas donné à tout le monde de réussir un coup pareil.

    tami lynn,richard hell,e-ruins,porno graphic messiah,drop dead,sleazy town,frantic machine,pogo car crash control,hubert selby junior

    Hell aura aussi l’occasion de fréquenter Nick Kent lors d’un séjour à Londres. Perfide, Hell lui reproche d’avoir prétendu en savoir plus sur les groupes que les groupes n’en savaient sur eux-mêmes. Hell appelle ça la ‘certitude du journaliste’ - À la fin de mon séjour à Londres, j’ai passé du temps avec Nick Kent. C’était un journaliste rock un peu trop fasciné par Keith Richards. Il portait du mascara pour l’imiter. Ce personnage haut et maigre arborait une crinière de cheveux noirs, un nez crochu et un menton fuyant. Il portait toujours le même futal de cuir, même s’il avait un trou au cul et qu’on voyait ses couilles. C’était un junkie - Puis Hell explique qu’avec le temps, le style de Kent s’est considérablement appauvri, mais au moment de leur rencontre, Kent savait où se trouvaient les drogues, «aussi sommes-nous entrés ensemble dans de nombreuses maisons glacées de Londres pour y monter dans les étages.»

    tami lynn,richard hell,e-ruins,porno graphic messiah,drop dead,sleazy town,frantic machine,pogo car crash control,hubert selby junior

    Après avoir quitté les Heartbreakers, Hell reprend tout à zéro avec Robert Quine qui bosse aussi chez Cinemabilia. Au début Hell le trouve ‘pretty demoralized’ et s’aperçoit qu’il est demoralized en permanence. Le seul truc qui semble l’intéresser, c’est jouer de la guitare. Vu qu’il a plus de trente ans et qu’il est chauve, Hell pense qu’aucun groupe ne voudrait de lui. Selon Hell, Quine n’aurait jamais pardonné à Lenny Kaye ses remarques déplacées concernant sa calvitie. Si Hell s’intéresse tant à Quine, c’est simple : Quine adore le raw rock’n’roll. Il écoute Jimmy Reed, Link Wray, Ike Turner, Fats Domino, les Everly Brothers, Bo Didddley, Richie Valens, Buddy Holly et Little Richard. Très peu de choses post-Beatles, excepté le Velvet, les Stooges, Jeff Beck, Roger McGuinn, Hendrix, Roy Buchanan et Harvey Mandel. Il adore aussi le premier album des 13th Floor Elevators, mais contrairement à Hell, il n’aime pas les albums des Ramones et des Pistols. Il s’intéresse de près à James Burton, au jeu de basse de Joe Osborne dans le Wrecking Crew et à celui de John McVie dans Fleetwood Mac, ou encore au style de Grant Green. Autre point commun avec Hell : la littérature. Quine adore Burroughs et Nabokov. Il possède des éditions originales, ce qui impressionne durablement Hell. Quine adore aussi les films de Samuel Fuller, de Hugo Haas et The Three Stooges. Hell ajoute que Quine marchait comme un personnage de Robert Crumb, les épaules voûtées et le regard inquiet. Il portait des lunettes noires d’opticien. «Il arborait un visage rond et anonyme qui le vieillissait. Il voulait passer inaperçu. Je l’ai interrogé une fois à ce sujet, en lui demandant s’il possédait une voiture et quand il a dit oui, je lui répondu qu’elle devait être marron ou grise. ‘Elle est marron !’» Avec l’aide de Quine, Hell monte les Voidoids. Ils recrutent Ivan Julian et le batteur Marc Bell qui ira ensuite rejoindre les Ramones. Comme les Voidoids deviennent la nouvelle coqueluche du CBGB, Sire les signe. Mais dès le début de la relation avec le record business, ça coince. Hell ne peut pas les supporter, ni Seymour Stein ni Gottehrer - The record business notoriously is one of the sleaziest there is - Hell cite même un auteur, Frederic Dannem, qui après enquête dit du record business qu’il est le moins éthique de tous. Mais bon, ils enregistrent un premier album en 1977.

    z10342generatio.jpg

    Et là on entre dans le vif du sujet. Hell n’y va pas par quatre chemins : «I think Quine was the best rock and roll guitar soloist ever.» Selon, Hell, Quine mixait l’art et l’émotion comme nul autre au monde. Hell se désole aussi ne n’avoir enregistré que deux albums avec Quine. Il ajoute que les solistes intéressants ne courent pas les rues. Hell cite les noms de Mickey Baker, James Burton, Grady Martin, Link Wray, Jeff Beck, Jimi Hendrix, Lou Reed, ‘peut-être’ Jimmy Page, ‘peut-être’ Chuck Berry, ‘peut-être’ Tom Verlaine et Richard Thompson, par contre, il considère que Keith Richards et Pete Townshend sont des guitaristes rythmiques. Mais il précise que personne n’a su mixer le feeling et la créativité aussi bien que Quine. Pour Hell, le style de Quine relève du génie - Quine is the gap between skillful creative brillance and genius. Quine was a genius guitar player - En plus Quine adore la noise et bousculer les conventions. Pour Hell, Quine est le grand guitariste antisocial. Par la profondeur de son feeling, Quine se rapproche toujours selon Hell de Miles Davis et de Charlie Parker. Plus loin, Hell en rajoute une couche en expliquant que les enregistrements des Voidoids ‘se mettent vraiment à vivre quand Quine part en solo’. Il ne croit pas si bien dire, il suffit d’écouter le premier album de Richard Hell & The Voidoids, Blank Generation, paru en 1977, pour en avoir le cœur net. On entend clairement Quine partir à l’aventure dans «Love Comes In Spurts». C’est tout l’intérêt du Spurt. La godille de Quine. Le Quine dans le jeu de quilles. Le Quine qui couine à rebrousse poil. Et ça en dit long sur le génie d’Hell qui a compris ça à l’époque. Quine rebat la campagne dans «Liars» - Oh oh oh oh - Sacrée mélasse d’énergie considérable, Hell chante à outrance, pas de voix, rien que de l’outrance. Quine et lui font bien la paire. Quine rentre partout les deux doigts dans le nez. Le solo qu’il prend dans «Betrayal Takes Two» restera un modèle du genre jusqu’à la fin des temps. Les Voidoids sortent un son extrêmement osé, anti-commercial au possible, qui n’a aucune chance de plaire. Non seulement ils précèdent le post-punk d’une bonne année, mais ils l’inventent. Tout reste échevelé, pour ne pas dire tiré par les cheveux. Le «Blank Generation» qui ouvre le bal de la B vaut pour un classique entre les classiques. Hell incarne si parfaitement son concept de blankitude qu’on s’en effare. Quine part en solo de quinconce et va même le claquer aux accords de discorde et les Voidoids rajoutent dans la soupe les chœurs des Dolls ! Très spectaculaire ! Quine tord le cou de «Walk On The Water» avec l’un de ces solos de dépenaille dont il a le secret. Aw baby Aw, comme dit Hell dans «Another World». Quine fait le show avec son funk mutant.

    z10340time.jpg

    Sire envoie les Voidoids tourner en Angleterre en première partie des Clash. La tristesse de l’environnement urbain britannique choque Hell. Il ne supporte pas non plus la pluie de crachats qui accueille le groupe chaque soir sur scène. Il soupçonne Patti Smith d’avoir lancé la mode, car elle a cette détestable manie de cracher sur scène. Pour avoir une petite idée de ce que donnaient les Voidoids sur scène, il faut écouter Time, un double album rétrospectif paru en 2002. C’est de la dynamite. Hell sait très bien ce qu’il fait en exhumant ces extraits de concert : sur scène son groupe renvoyait tous les punks anglais au vestiaire. On a longtemps cru les Voidoids sophistiqués, voire maniérés. Mais non, sur scène, ils battent tous les records de sauvagerie. Le disk 2 de Time propose un concert enregistré au Music Machine à Londres en 1977 et ça part en trombe avec une version demented de «Love Comes In Spurts», une vraie machine, plus rien à voir avec la mouture studio. Stupéfiant de power et de vélocité. Marc Bell bat comme un dingue et Quine crache les flammes de l’enfer. S’ensuit un «Liars Beware» assez cavalé, ouh ouh ! Explosif ! Ces mecs jouent à fond, Quine, et Ivan Jullian propulsent un Hell surexcité. Les départs de Quine pour l’enfer sont exceptionnels. Ils tapent «You Gotta Lose» à l’inferno dantesque. C’est tout simplement défenestré du corbitex. Quine n’en finit plus d’envoyer des giclées suprêmes. C’est un bonheur que d’entendre jouer ce guitariste. Voilà une version apocalyptique de «Walking On The Water». Les Anglais ne pouvaient pas comprendre un tel phénomène. On entend rarement des accords claqués avec autant de rage. Quine plonge «Blank Generation» dans la confusion. Il joue le pire punk-rock de tous les temps. C’est cette version live qu’il faut écouter. Ils enchaînent avec une reprise de «Wanna Be Your Dog». Hell plonge dans le bonheur en poussant des cris de malade. Quine part en maraude. C’est l’une des meilleures versions jamais enregistrées. S’ensuivent quatre autres titres enregistrés l’année suivante au CBGB. On entend Quine faire des siennes dans «The Kid With The Replaceable Head». Version explosive, look out ! Avec «Don’t Die», Quine taille sa route dans la suburban jungle. C’est inespéré de power. Quine rôde dans les flammes. On entend Costello chanter comme une fiotte dans «You Gotta Lose» et ils terminent avec un joli clin d’œil aux Stones : «Shattered». C’est encore l’époque où il est de bon ton de reprendre un cut pas trop connu des Stones. Le disk 1 propose des épisodes successifs, à commencer par quatre titres avec les Heartbreakers. Hell veut absolument imposer sa marque dans les Dolls avec «Love Come In Spurts», alors Johnny et Jerry le laissent faire. Par contre, ils passent aux choses sérieuses avec «Chinese Rocks». Nous voilà dans le monde réel, ça pulse à la vie à la mort, full bloom 1975. Rien ne pouvait alors égaler le rock new-yorkais. C’est bombardé de son, complètement explosé. Toute la puissance des Heartbreakers est déjà là, comme le montre aussi «Can’t Keep My Eyes On You». Johnny le joue jusqu’à l’os et il fait le show en multipliant les interventions. On passe aux Voidoids avec «I’m Your Man». Quine casse le code en jouant killer. C’est lui qui distribue les cartes. Il joue comme un dieu. Nouvelle équipe en 1979. Quine et Ivan Julian ont survécu. Ils craquent le funk de «Crack Of Down». Hell chante mal et refuse toute concession. Il porte sur ses épaules toute la responsabilité du punk-rock new-yorkais. «Ignore That Door» anticipe Dim Stars, yah yah ! Quine fait encore la loi dans «Time». Sans Quine, pas d’Hell, c’est aussi simple que ça. Avec «Going Going Gone», Hell remonte des courants incertains, il n’a pas de voix, mais il évolue. Quine fout encore le feu dans «Funhunt». C’est une autre équipe qui reprend «I Can Only Give You Everything». Rendez-vous en enfer, ce qui est idéal pour un mec comme Hell. C’est la version ultime, poussée dans le mur. Well you, uh uh, il bouffe tous les mots et chante à la perfection jusqu’au bout du bout. Puis Quine disparaît dans les quatre derniers cuts enregistrés en 1984. No way.

    tami lynn,richard hell,e-ruins,porno graphic messiah,drop dead,sleazy town,frantic machine,pogo car crash control,hubert selby junior

    En 1976, Chris Stein glissa sous le nez d’Hell un canard de rock européen. «Hey Richard, tu devrais jeter un coup d’œil à ça ! Ces quatre mecs ont exactement le même look que toi.» Le groupe s’appelait The Sex Pistols. ‘Good name’ rétorqua Hell qui se pencha pour tomber sur le nom de McLaren. Ha ha ha ! Hell éclata de rire. «Malcolm m’aimait vraiment beaucoup !» En effet, il vit dans cet article tout ce qu’il avait inventé : les cheveux taillés à la serpe, les fringues déchirées et les épingles à nourrice. Hell se sentit flatté - It was flattering. It was funny - Il comprit clairement que McLaren avait recyclé ses idées et ça avait marché. Alors Hell s’intéressa de plus près à Johnny Rotten et à ce qu’il déclarait dans les interviews, notamment le fait qu’il voulait détruire le rock’n’roll. Hell en exulte encore - That was fucking incomparable - D’autant que de son côté, il faisait exactement la même chose avec «Blank Generation», mais il se savait plus laid-back, plus dans le sarcasme et le ricanement que les Pistols de «Pretty Vacant». Hell se sentit alors très inférieur à Rotten qui n’était qu’énergie et extraversion, qui galvanisait les kids, alors qu’Hell n’était qu’un junkie renfrogné et désespéré. «Il s’adressait au monde entier, alors que je ne m’adressais qu’à moi-même. Je croyais être un visionnaire dont les idées allaient tout changer, ou tout au moins représenter cette nouvelle génération, mais je savais en même temps que ce n’était pas plausible. Combien de kids allaient vouloir se taxer de blank, c’est-à-dire de vide ? Le concept d’anarchy était assez négatif, mais bien plus marrant.» Hell ajoute ceci plus loin, encore plus déterminant : «Il n’y avait jamais eu de chanson vantant l’anarchie ou annonçant qu’il n’y avait pas d’avenir. Johnny Rotten chantait et faisait des trucs que les kids n’auraient jamais cru possibles et ils l’adoraient pour ça.» Hell finit par enterrer les Pistols avec tout le respect qui leur est dû : «Pendant les deux ans et demi de leur existence, les Pistols furent parfaits. Ils surent rester imprévisibles et novateurs. Tous les groupes un peu ambitieux ont dû revoir leur copie face à cet exemple.»

    tami lynn,richard hell,e-ruins,porno graphic messiah,drop dead,sleazy town,frantic machine,pogo car crash control,hubert selby junior

    Il faut rattacher à ces louanges aux Pistols à l’hommage qu’Hell rend au rock : «Le rock n’est qu’une affaire de grâce naturelle, de style et d’instinct. Il faut ajouter à tout ceci la beauté physique de la jeunesse. Pas besoin de bien savoir jouer de la guitare ou de bien chanter, il faut juste avoir le truc - just have to have it - être capable d’identifier ce truc et de le choper. Être jeune, c’est déjà la moitié du truc. Être jeune, ça veut dire jouir de la puissance de la sexualité, d’une sensibilité qui atteint au romantisme du désir sexuel, ça veut dire éprouver de la colère à l’égard des adultes condescendants et un dégoût profond pour tous ces mensonges qu’ils peuvent débiter. C’est aussi un refus de toute forme de contrôle et un besoin profond de fun.» Selon Hell, «le rock est l’art adolescent par excellence et ne nécessite pas spécialement de compétences. Le rock est une essence accessible à ceux qui n’ont rien.» Seul un écrivain peut aller aussi loin dans la pureté d’intention. Il revient ailleurs sur ce thème lorsqu’il explique à quel point le rock peut transformer quelqu’un : «C’était intéressant de voir à quel point le rock peut rendre une personne attirante. Je n’avais jamais été attirant, auparavant. J’ai amélioré mon look parce que je savais ce que je faisais, j’utilisais mon entrée dans le monde du rock pour me réinventer. Mais c’était surtout le rock qui rendait les gens attirants.»

    tami lynn,richard hell,e-ruins,porno graphic messiah,drop dead,sleazy town,frantic machine,pogo car crash control,hubert selby junior

    Hell règle aussi ses comptes avec cette légende voulant que le punk soit un peu débile et vide de contenu. Il commence par s’en prendre violemment aux journalistes anglais Tony Parsons et Julie Burchill qui se moquaient des Américains lettrés - Mocking books is OK. Les books, c’est un hobby, une passion, comme tout le reste. Dieu sait qu’on s’est moqué des Anglais. Leur passion semble être la patate. Ils n’aiment peut-être pas les livres, mais ils adorent la patate. Fried potato sandwich - Et là, il remet le turbo de l’écrivain : «Pour moi, il y avait une contradiction inhérente au rock. D’un côté je voulais jouer du rock parce que c’était sauvage et physique, et de l’autre côté je voulais me servir de ma cervelle pour dire autant de choses que possible, et de la manière la plus intéressante qui fut. Je n’étais pas une espèce de snob intello - je rappelle que j’ai quitté la fac intentionnellement - mais en même temps je n’avais pas honte de mon goût pour les livres et pour la réflexion. Il faut aussi savoir que l’Amérique est foncièrement anti-intellectuelle. Alors j’ai mis un point d’honneur à citer Gertrude Stein, Nietzsche et Nerval dans les interviews. Je voulais réconcilier le côté physique du rock avec l’aspect intellectuel, et je voulais que ça soit bien clair.»

    tami lynn,richard hell,e-ruins,porno graphic messiah,drop dead,sleazy town,frantic machine,pogo car crash control,hubert selby junior

    Hell choisit un angle sociologique extrêmement pertinent pour expliquer comment un phénomène tel que la vague punk new-yorkaise a pu voir le jour : «Au début des années soixante-dix, les gens de mon âge ont subi la Guerre du Vietnam, le naufrage prévisible de la flower generation, l’étalage public de la corruption et la vénalité des politiciens, l’horreur du patriotisme, le déluge des drogues, la marée d’informations orchestrée par les médias. Tout cela pouvait très bien vous rendre stupide et au passage, emporter vos illusions, mais ça laissait en vous un vide tellement énorme que l’option de se réinventer pouvait très bien venir à l’esprit.»

    z10342destiny.jpg

    Cinq ans plus tard, Hell et Quine remontent les Voidoids pour enregistrer un deuxième album, Destiny Street. Hell le trouve nettement supérieur au premier. «The Kid With The Replaceable Head» et «You Gotta Move» brouillent un peu les pistes, surtout le Move monté sur un riff catastrophiquement déclassé. Les choses se corsent avec «Lowest Common Denominator», bien défilé à la parade. Quine fait ses ravages et explose le cut en plein ciel. Il mène aussi le bal dans «Downtown At Dawn». Ça reste un bonheur que de l’entendre jouer. Il sort de sa cage et fuit vers des ailleurs. C’est sur cet album qu’on trouve la version studio d’«I Can Only Give You Everything». Hell y croise la violence du rock anglais avec celle du New York Sound, il saute en l’air, il chante faux et c’est excellent. Tout l’esprit est là. Superbe surenchère avec un Quine dans l’ombre. Hell fait tituber ses syllabes, and I try and I try. Puis on le voit ignorer la porte dans «Ignore That Door», mais il le fait à coups de chœurs de Dolls, bien aidé par ce démon de Quine. Ils terminent avec le morceau titre que Quine prend en mode funky. Hell rappe dans le gras. Pendant qu’Hell rappe, Quine rôde.

    z10336spurt.jpg

    On retrouve toutes les merveilles de Richard Hell dans deux compiles, le fameux R.I.P. paru sur ROIR en 1984 et qui constitue le disk 1 de Time, et Spurts -The Richard Hell Story paru chez Rhino en 2005. Spurts vaut le détour car Hell y propose des inédits. Il attaque avec deux enregistrements des Neon Boys (pré-Television), «Love Comes In Spurts» et «That’s All I Know». Il n’a pas de voix mais un sacré swagger. On comprend que McLaren ait flashé sur lui. On retrouve ensuite les Heartbreakers («Chinese Rocks»), les Voidoids, puis Dim Stars et l’ombre tutélaire de Don Flemming. Hell propose ensuite un inédit, «Shall Be Coming (For Dennis Cooper)» assez africain. C’est Ivan Julian qui joue de la guitare. Il plonge le cut dans la purée des origines, on croit entendre des barrissements d’éléphants.

    z10341newsongs.jpg

    Il existe enfin en EP sobrement intitulé 3 New Songs sur lequel on trouve le fameux «The Night Is Coming On» de Dim Stars. Don Flemming est dans le coup et ça s’entend. Hell joue de la basse et c’est battu aux quatre vents. C’est une version terrifique. S’ensuit un «Baby Huey» joué à la menace d’un Max tapi dans l’ombre du groove urbain. Hell amène ça comme «The Night Is Coming On», avec le même genre de petits réflexes.

    Clean Tramp s’achève avec la fin de la carrière musicale d’Hell. Il boucle ainsi : «Vous savez que c’est le temps et non les séquences qui nous régit et qu’il est impossible d’écrire le temps non séquencé sauf peut-être en poésie. Je ne voulais pas raconter la vie d’une personne à travers le temps, mais le temps à travers la vie d’une personne.»

    z10346dimstar.jpg

    Il ne reviendra dans le rond du projecteur qu’en 1992 pour l’excellent Dim Stars, un album bourré de fulgure. C’est là où un mec comme Hell fait la différence : il apparaît peu mais il apparaît bien. L’album est tout simplement génial, c’est même l’un des grands classiques du rock moderne américain. En plus d’Hell on y trouve Thurston Moore, Robert Quine et surtout Don Flemming dont il faudra un jour saluer le génie sonique. Dès «She Wants To Die», on tombe dans la marmite des pires distos d’Amérique, ça gicle et ça stride dans tous les coins. Hell ramène des chœurs de Dolls dans «All My Witches Come True», c’est dire s’il est bon, en plus d’être enragé. Puis il règle ses comptes avec Marty Thau dans «Memo To Marty» - You make your living cheating/ The kids who keep you eating - Hell déclenche l’enfer sur la terre, fuck you ! Marty Thau ! Red Star ! Et ça repart de plus belle avec cet hommage à Wolf, «Natchez Burning». Hell ne craint pas d’affronter le blues de Wolf. Il le chante avec sa voix de kid urbain - Mississippi town - et derrière, on entend Quine couiner. Encore une fabuleux coup d’Everytime I walk/ On down the street avec «Stop Breaking Down», ça gratte au sec de stop breaking down, dans une ambiance hallucinante, Hell fait sa folle avec Quine dans son dos. Avec ceux des Knoxville Girls, cet album compte parmi les fleurons du mordern rock américain. Tiens, encore un coup de génie avec «Baby Huey» - Baby do you want to dance - Et les dynamiques se mettent en route, Hell sait lancer l’enfer d’Hell - Here comes Baby Huey down the dusty silent road - Hell tranche - Everything looks old - Cet album n’en finit plus l’exploser et le vent d’Ouest chasse le champignon atomique vers le firmament. Il faut voir aussi comme ils amènent bien «The Night Is Coming On» au petit gratté de guitares. The moove is in full bloom. Et si on a un penchant pour les barbus, alors voilà le funk de Quine : «Downtown At Dawn». Hell sait. Quine est là. Quine claque son cut. Back to the Dim Stars groove avec «Weird Forest», Hell gère ça avec des chœurs de potes et il passe à la teigne de groove avec «Rip Off». Jad Fair joue du sax, wow Jad is good ! Ils terminent avec le «Dim Star Theme» - We’re a star/ But white & dim - Hell sait que la plaisanterie ne va pas durer, alors il fout une pression énorme, cos I just don’t know, et déclenche l’extrême violence unilatérale.

    Signé : Cazengler, Hell de poulet

    Richard Hell & The Voidoids. Blank Generation. Sire 1977

    Richard Hell & The Voidoids. Destiny Street. Red Star Records 1982

    Heartbreakers. What Goes Around. BOMP! 1991

    Dim Stars. ST. Caroline Records 1992

    tami lynn,richard hell,e-ruins,porno graphic messiah,drop dead,sleazy town,frantic machine,pogo car crash control,hubert selby junior

    Richard Hell. R.I.P. ROIR 1984

    Richard Hell. 3 New Songs. Overground 1992

    Richard Hell. Time. Matador 2002

    Richard Hell. Spurts. The Richard Hell Story. Rhino Records 2005

    Richard Hell. I Dreamed I Was A Very Clean Tramp. Harper Collins Publishers 2013

    19 / 09 / 2020

    LA FERTE-SOUS-JOUARRE

    FERTOIS ROCK FEST vOL. 2

    E-RUINS / PORNO GRAPHIC MESSIAH 

    DROP DEAD / SLEAZY TOWN  

    FRANTIC MACHINE

    tami lynn,richard hell,e-ruins,porno graphic messiah,drop dead,sleazy town,frantic machine,pogo car crash control,hubert selby junior

    FAUX DEPART

    Dans la teuf-teuf nous sursautons. Face à l'affiche sur le grillage, en plein centre de La Ferté-sous-Jouarre, le festival ! N'ont pas peur du bruit les Fertois ! Sûr que l'on n'entend rien, mais les concerts débutent à 16 h 30. Sur notre gauche, une immense allée de 300 mètres de long plantée de marabouts, de loin on ne visualise pas le contenu des étalages mais il est urgent de se garer, sans gêne la teuf-teuf immobilise sans préavis la file de droite, coupe impromptu celle de gauche et s'adjuge l'unique place de stationnement. La fin veut les moyens. L'on court à l'accueil face à l'entrée. Le doute cartésien nous effleure, à chaque foulée cela ressemble de moins moins à un regroupement de rockers et de métalleux, nous avons raison, juste la Journée des Associations, sont gentils nous assurent qu'ils ont un max d'activités hyper-intéressantes à nous proposer, c'est sympa mais nous répondons que nous n'aimons que le rock'n'roll !

    VERITABLE ARRIVEE

    En périphérie de la ville, sur les bords de Marne, route des Deux Rivières, avec une telle dénomination l'on se croirait au Canada, doit y avoir une aciérie dans les parages, l'on entend le bruit du marteau-pilon qui méthodiquement emboutit des lingots de ferrailles fondues. Pas de panique bruitito-écologique, c'est E-Ruins qui démarre le bal. Nous en reparlons dans un instant.

    tami lynn,richard hell,e-ruins,porno graphic messiah,drop dead,sleazy town,frantic machine,pogo car crash control,hubert selby junior

    Quelques lignes idylliques avant de plonger dans l'enfer. Yoann Moret est à l'accueil, derrière sa haute stature et sa barbe de sapeur napoléonien l'on peut admirer le boulot accompli par Les Cultivores Fertois, z'ont tout pigé, de l'espace, de l'ombre, des prix bas de plafond, une belle scène, des sourires, et une efficacité organisationnelle sans faille, pour le programme vous accordez confiance et vous vous faites petit parce que vous avez déjà raté deux groupes Lexa pas tout seul et Barrakuda qui ont ouvert le bal à 12 heures.

    E-RUINS

    tami lynn,richard hell,e-ruins,porno graphic messiah,drop dead,sleazy town,frantic machine,pogo car crash control,hubert selby junior

    E-Ruins, ce ne sont pas celles de Pompéi, toutefois une petit détour par la mythologie vous permettra de mieux saisir cette musique. Dans son épopée Les Argonautiques Apollonios de Rhodes nous conte le passage des Cyanées. Il s'agit pour le navire de nos valeureux argonautes de passer entre deux roches de couleur bleue – à tel point qu'elles se confondent avec la mer – et ( détail émouvant ) mouvantes. Ce n'est pas seulement qu'elles bougent, c'est qu'elles prennent un malin plaisir à se rapprocher au moment précis où un navire tente de passer entre elles. Je vous laisse découvrir par vous-mêmes comment nos téméraires explorateurs réussiront à surmonter cet écueil implacable. J'aimerais simplement que durant tout le set des E-Ruins vous entriez en contact avec l'âme de ces deux roches assassines et divines. Que vous essayiez de ressentir la jouissance sauvage et destructive qui les anime, cet appétit de déchirances qui les pousse à broyer entre leurs mâchoires de basalte et les coques démantibulées des bateaux et les os brisés des matelots.

    tami lynn,richard hell,e-ruins,porno graphic messiah,drop dead,sleazy town,frantic machine,pogo car crash control,hubert selby junior

    Si vous pensez que le E de E-Ruins signifie Electronic comme dans E-Mail, cherchez quelque chose de moins impalpable, de moins virtuel, tapez plutôt dans le plus concret, dans le plus granitique, plutôt Vulcain qu'Eole. Mais Eric conviendrait très bien. Capitaine Fracasse aussi. Ce gars ne fait pas de la batterie, il l'azimute, il l'uppercute, il la tarabuste, qu'il latte de coups de pieds sauvages la grosse caisse ou qu'il cingle et déglingue une cymbale, c'est du pareil au même, vous donne l'impression de pousser d'un coup sec une montagne, d'un choc elle se déplace de cent cinquante mètres, n'a pas le temps de se reposer sur sa base qu'elle est déjà transbahutée ailleurs. Pourrait se contenter de ce tour de force d'Hercule de foire, se charge aussi de proclamer haut et fort que tout ce remue-ménage est de sa faute, au cas où vous n'auriez rien remarqué, vous pousse en place de chaque ahan une clameur de rhinocéros en rut apercevant sa femelle à l'autre bout de la savane, effet dévastateur, grondement continu, de ceux qui précèdent les éruptions volcaniques.

    tami lynn,richard hell,e-ruins,porno graphic messiah,drop dead,sleazy town,frantic machine,pogo car crash control,hubert selby junior

    Si le simple spectateur éprouve l'impression d'être poussé dans ses derniers retranchements, d'être collé contre un mur et d'être fusillé un nombre de fois illimitées, il en est trois qui semblent être complètement immunisés contre ce covid sonore à la puissance 20. Même qu'apparemment ils en rajoutent, chacun à sa manière. Mais tous un peu dans le même style. Nous ne faisons que suivre le mouvement, hélas, souvent ils le devancent, lui facilitent le chemin, verglacent la pente. Rien de plus sérieux que Lino sur sa guitare. Lui ce qu'il aime c'est placer des gravillons dans les endroits inadéquats qui conduisent les éboulis hors de leur pente naturelle espérée. Possèdent deux techniques préférées. Celle de ses deux mains qui se déplacent le long du manche. Deux crabes qui s'avancent latéralement l'un vers l'autre, celui qui monte, celui qui descend, envisagent-ils un combat mortel ou une copulation monstrueuse, nous n'en savons jamais rien, s'arrêtent sans préavis après les préliminaires, surgissent alors des notes cisaillantes qui giclent et crissent dans vos tympans si fort que vous fermez instinctivement les yeux, quand vous les rouvrez Lino est déjà positionné pour la chasse à la palombe. La Nasa étudie actuellement la question : quelle poussée minimale suffit à dévier la chute d'un astéroïde qui file droit vers notre globe terrestre ? Elle devrait jeter un œil sur le savoir-faire de Lino, impossible de vous expliquer comment il réussit, mais alors que l'avalanche éricienne déboule sur vous, il se débrouille pour y injecter une pincée de cordes vitriolée qui brouille sa trajectoire, infléchit sa rudesse et lui permet de revêtir une brillance des plus esthétiques. Car ce qui est triste ce n'est pas de mourir, ce qui est nécessaire c'est de mourir en beauté.

    tami lynn,richard hell,e-ruins,porno graphic messiah,drop dead,sleazy town,frantic machine,pogo car crash control,hubert selby junior

    Toute puissance possède ses agents secrets qui connaissent ses projets à long terme et s'escriment à préparer le terrain dans l'ombre. Kevin et Teddy appartiennent à cette mouvance. Vous ne voyez qu'eux, vous n'entendez qu'eux, mais vous ne comprenez rien. Kevin s'est posé en plein centre, bien en évidence, si la scène n'était si profonde il éclipserait Eric, look d'un étudiant appliqué en train de résoudre un insoluble problème d'équations différentielles, vous vous sentez trop petit et vous avez peur de le déranger, ne passez pas outre, l'a les doigts qui bougent trop pour un bassiste lambda, le gars vous tresse des cordes de catapulte, des élastiques de fronde géante, afin que le boulet d'Eric acquière un supplément de vitesse ajoutée et vous démantibule le buffet, encore plus vite, encore plus fort.

    tami lynn,richard hell,e-ruins,porno graphic messiah,drop dead,sleazy town,frantic machine,pogo car crash control,hubert selby junior

    Teddy bataille sec de son côté. Un sacré agent double. Discret mais efficace sur les deux tableaux. Augmenter la force de frappe selon Kévin, et selon Lino aider aux dérivations tangencielles particulièrement nuisibles au repos des oreilles de l'auditeur. Remarquons que plus d'un approuve cette esthétique démoniaque. Certains n'hésiteront pas à évoquer un projet mûrement concerté. Cette thèse complotiste possède de nombreux adeptes. Je partage cette idée que l'avalanche sonore du groupe n'est en rien due à un hasard magnifique mais au contraire est parfaitement maîtrisée et fait partie d'un vaste plan d'ensemble de l'accroissement kaotique du monde. Un truc totalement dans mes cordes nous dirait Teddy, mais nous développerons ce point de vue lors d'un autre concert d'E-Ruins. Un set impeccable et implacable qui reçut les acclamations enthousiastes du public. La soirée commençait bien.

    PORNO GRAPHIC MESSIAH

    tami lynn,richard hell,e-ruins,porno graphic messiah,drop dead,sleazy town,frantic machine,pogo car crash control,hubert selby junior

    Les groupes se suivent et ne se ressemblent pas. Changement de climat. Après le trash metal, voici le metal indus. Très belles étiquettes qui cachent davantage qu'elles ne signifient. Vaut mieux se fier à ses mirettes. Un beau cliché. Quatre jeunes hommes chics. Portent un masque blanc. Non ce n'est pas pour le covid. Pour la classe et la distinction. N'en sont pas pour autant des visages pâles. Des guerriers, avec les signes noirs et rouges de la guerre peints. ScarS est au centre. Il joue de la guitare. Il parle dans le micro. S'adresse au public, un coup de griffe, une caresse de coussinet. Il bonimente. Il sait se vendre. Lui et son groupe. Des cheveux jaunes qui ne sont pas sans évoquer Andy Warhol. Mais la comparaison lui paraîtra sans doute obsolète. Ce n'est pas que son idéologie soit radicalement différente de celle du maître de La Factory. C'est simplement que c'est trop vieux. Que ce genre de référence n'éveille aucun souvenir dans la jeunesse à laquelle il s'adresse. Qu'il vise dans son collimateur.

    Un bon coup de balai ne fait jamais de mal. Même  dans le rock'n'roll. Surtout  dans le rock'n'roll. Quand je les vois figés dans leur mutantisme, chacun à sa place, je pense à Bowie, mais sans doute est-ce trop ancien, tout au plus condescendra-t-il à admettre Marilyn Manson. Bye bye le vieux monde ! Encore faut-il que le nouveau soit à la hauteur. Tout ce qui précède n'est qu'oiseuse pavane pour un infant défunt. C'est à la forge que l'on juge le forgeron.

    Et c'est parti. Et ce n'est pas mal du tout. Soyons méchants, ils ne font rien, laissent les machines faire le boulot. Merci les samplers. Soyons justes. Faut programmer les machines et savoir les utiliser. Pour sûr, elles marchent toutes seules. Mais il leur manque quelque chose. La touche humaine. The human touch. Et il y en a trois qui se chargent de cela. Les guitares. Toutes les trente secondes elles coqueluchent un riff imparable et l'on n'entend plus qu'elles. Bientôt vous n'attendez plus que leurs interventions. Le trio bouge de concert, les masques blancs impulsent les mouvements, ils vous apparaissent comme ces tutus de gaze de danseuses qui lors des siècles passés captivaient à l'opéra, les regards des beaux messieurs pervers vers les jolis jeux de jambes. La force du rock reste sex appeal.

    tami lynn,richard hell,e-ruins,porno graphic messiah,drop dead,sleazy town,frantic machine,pogo car crash control,hubert selby junior

    Voyons clair. La voix de ScarS est semblable à ces scarifications que s'imposent les adolescents mal dans leurs peaux. Aujourd'hui elles ont tendance à être remplacées par des tatouages, mais ceci est une autre histoire. ScarS a l'art de poser sa voix en un fragile équilibre indubitable, chute à chaque seconde, ne tombe jamais. Certains posent pour être pris en photo, lui il repose en sa voix selfique, comme elle est trop vaste pour lui, il convie l'assistance à le rejoindre sur le cliché. Et tout le monde donne son accord, car il y en a pour tous les goûts, une invraisemblance patchworkienne, cinquante nuances de timbres, du metal vicieux au hip-hop le plus tendancieux. Les couleurs criardes de notre monde défilent au pas cadencé sur le jeu de l'oie de nos modernes représentations.

    tami lynn,richard hell,e-ruins,porno graphic messiah,drop dead,sleazy town,frantic machine,pogo car crash control,hubert selby junior

    Soyons emphatiques. Tout cela ne serait rien s'il n'était pas là pour régenter le monde dans sa main. Qui il ? Le batteur. L'est comme le pharaon qui détenait entre ses mains croisées le fléau d'Osiris pour frapper les récalcitrants et le sceptre de la puissance pour mener les hommes stupides à la manière du chasseur de rats d'Hamelin. Lui ses baguettes fétiches il les manie pour ainsi dire mentalement. L'esprit commande aux muscles qui ne sont que des exécutants zélés. Il ne bat pas la mesure, il décompte la démesure. Jamais vu une frappe aussi intellectuelle, forte certes mais sa magie réside en son infaillibilité. Le gars construit. Un espace abstrait qui emprisonne tout le monde, la musique, les musiciens, l'assistance et les machines qu'il transcende sans effort.

    Porno Graphic Messiah emporte toutes les préventions. Messie à la petite semaine qui se contente d'énoncer le spectacle du monde duquel nous sommes les sujets actifs, passifs, consentants. Pornographie généralisée de notre eschatologie quotidienne, le groupe séduit parce qu'il nous tend le miroir de notre artificialité et que nous sommes dans l'incapacité de ne pas être dupes du néant de nos existences. Il nous donne l'impression de tout comprendre alors que nous poussons le balai qui ramasse les dernières miettes de nos révoltes évanouies. Grosse impression sur le public.

    Rock intelligent. Très intelligent.

    ( Photos : FB : Charlene Eledeb )

    DROP DEAD

    tami lynn,richard hell,e-ruins,porno graphic messiah,drop dead,sleazy town,frantic machine,pogo car crash control,hubert selby junior

    Retour vers le passé. Encore plus passionnant que le futur qui se dessine. Quatuor hard. Cordes + tambours. Du classique. Deux grands gars à la longue chevelure bien soignée. Assurent comme des bêtes. C'est bien fait, impeccable, beau comme du rock FM. Pouvez vous endormir au volant, pied au plancher, votre camion n'en continuera pas moins à filer sur la highway sans problème. Et demain matin vous serez le premier à être déchargé. Votre patron vous filera une prime. Votre avenir dans l'entreprise est assuré. Voilà, ça c'étaient les trois premiers morceaux. Irréprochables. Cachent bien leurs jeux nos deux lascars. Rien ne nous laissait présager que l'on était parti pour un scénario à la Convoi de Sam Peckinpah.

    Chacun son rôle. Pour Rob : chant et guitare solo, pour Gus : rythmique, leur devoir est tout tracé, ne jamais s'arrêter, ne jamais ralentir, ne jamais freiner, ne pas hésiter ne serait-ce qu'un demi-millionième de seconde sur une bifurcation, mépriser souverainement tout ce qui ressemble à un feu rouge ou à un policier qui persiste à croire que son devoir est de faire appliquer la loi même si un truck devait lui passer sur le corps. Des mecs solides, vous respecteront la feuille de route sans omette une seule consigne de tout le set.

    Le problème c'est que le mécano qui s'occupe de la batterie et du moteur est un génie de la mécanique. Que dis-je un Dieu. L'est parvenu à faire obéir les pistons et les soupapes à la loi du mouvement perpétuel à progression constante. C'est comme une mise au carré systématique. Au début vous ne vous apercevez de rien 2 au carré = 4, 4 au carré = 16, mais 16 au carré c'est énormément plus, un décollage vertical, vous entrevoyez la montée en puissance. L'est sûr que le gars astique molto vivace, comparé aux deux premier l'air un peu malingre, un gamin. Avec une casquette, méfiance. Ne faiblit pas, ne mollit pas, ne ralentit pas. Ne pédale pas dans la choucroute. Ni dans le chicken fries si vous voulez rester fidèle à la métaphore américaine. Bref un vicieux, un savant fou accroché à son idée fixe, un mec qui devrait être abattu sur place sans rémission, mais il ne quitte pas la protection du châssis du moteur depuis lequel il opère. De plus comme vous commencez à comprendre que la cargaison est composée d'un millier de cartons de cent cartouches de dynamite chacun, vous décrétez qu'il vaut mieux réfléchir avant d'agir. Imaginez que de surcroît par le plus grand des hasards il y ait un passager clandestin totalement allumé.

    tami lynn,richard hell,e-ruins,porno graphic messiah,drop dead,sleazy town,frantic machine,pogo car crash control,hubert selby junior

    Vous manquez de chance. Justement il y en a un. Un certain Lukk. Pareil que les autres, n'a pas bougé d'une oreille. Sur les trois premiers morceaux. A tel point que vous pensiez que cette deuxième guitare elle ne servait à rien. Que l'on pourrait la supprimer, et faire des économies. Catastrophe, les fourmis lui sont montées dans les jambes, l'a commencé à bouger, à rendre visite au copain, genre sympa, et si on se tapait un petite démonstration à deux face à face en se dandinant comme des gorilles prêts à se lancer des noix de coco sur le coin du museau, puis l'a trouvé sa victime favorite, hello le gamin tapi derrière le radiateur, tiens je t'envoie un riff hoqueteur qui arrête l'arrivée de la gazoline, ou alors je t'injecte dans la pompe un litre de kérosène pur, un truc qui te booste le carbu de bien belle manière ! Pas de problème l'hurluberlu qui croit me foutre la berlue, j'épanouis le gicleur, sens les good vibes qui arrivent, si tu pouvais m'envoyer la même chose mais enflammée, ce ne serait pas mal.

    Et les deux autres, vous croyez qu'ils leur ont crié de faire gaffe et d'arrêter de s'amuser, z'ont continué comme si de rien n'était, en marche arrière sur la bande d'arrêt d'urgence ou en hot-rod sur le terreplein central. Pas d'affolement my guys, it's just hard 'n' heavy rock'n'roll but we like it, z'ont maintenu le cap de leurs compos parfaites, les pieds sur le volant en se calant un rail de cocaïne sur le tableau de bord. En route pour la croisière de la mort sans retour. Gloire aux heartbreakers !

    Et le public transporté dans cette bétaillère hardo-métaliffère, il a adoré, l'en est venu de partout qui se levaient de leurs tables de dégustation pour participer à cette grandiose cavalcade. Un trip hard-metal comme l'on n'en fait plus. Quand ils ont coupé le moteur, grande ovation, sont descendus du plateau sous des acclamations respectueuses.

    SLEAZY TOWN

    tami lynn,richard hell,e-ruins,porno graphic messiah,drop dead,sleazy town,frantic machine,pogo car crash control,hubert selby junior

    Serait peut-être temps de passer au rock'n'roll. Celui que l'on adore. Celui que l'on préfère. Genre band de pirates qui écument les sept mers sur un vieux brick pourri récupéré dans un cimetière de bateaux de zombies affamés. Z'oui, superbe idée, mais il faut un capitaine, un vrai Flint, qui mène l'abordage sabre au clair. En rock'n'roll, cela s'appelle un chanteur. Ne rouspétez pas en assurant qu'il y en a au minimum un en chaque groupe. Vous avez tort. La plupart du temps ils ont un gars qui chante. Sacrée différence. Souvent il exerce aussi un autre métier, il joue d'un instrument. Comme vous qui vous imaginez être un screamer parce que vous poussez la tyrolienne en faisant la vaisselle.

    Bref Andy surgit sur le devant de la scène et vous ne le quittez pas des yeux. L'a ce que les autres n'ont pas : une voix. Qui fuse quand il s'en sert. Tout le temps. D'un bout à l'autre du show. Puissante, et il a intérêt parce que derrière il a trois bretteurs de première classe qui n'entendent pas le laisser se reposer. Une guitare qui cherche le riff comme l'assassin trouve sa victime, une basse élastique aux rebonds fantastiques, et une batterie qui ricoche follement, l'ensemble sonne joliment, entre Aerosmith et Mötley Crüe pour vous mettre les deux points sur les bonnes voyelles. Vous situer géographiquement. Bref ça slashe et ça glame sans répit.

    Qui dira la solitude du chanteur de fond devant le cratère d'un combo volcanique qui crache à chaque seconde des quartiers de roches d'or pur ! L'a intérêt à se montrer à la hauteur et à imposer sur les rocs brûlants le poinçon d'un maître joailler. Andy comme une fleur, ces asters très rares qui poussent sur les parois glacées des hauts sommets. L'en veut, ne sait pas se taire, dans les six secondes qui séparent deux morceaux il vous lance quelques infos, mais il est pressé de retourner dans le torrent de lave brûlante. Et hop il replonge dedans, se rend maître de la matière en fusion et vous la mène où il veut.

    tami lynn,richard hell,e-ruins,porno graphic messiah,drop dead,sleazy town,frantic machine,pogo car crash control,hubert selby junior

    Ne faiblit jamais, fibres vocales en tungstène amélioré, toujours la même force, la même densité, le même allant. Se bat avec le pied du micro, puis le prend en main, tourne, virevolte, vient sur le devant de la scène, et encore cette voix qui recouvre tout, qui engloutit le monde et tout ce qui reste autour. Presque injuste pour les pourvoyeurs derrière, faut faire un effort pour leur prêter attention, J. J. Jaxe n'a pas la guitare qui jazzouille platement, un style bref, concis, une morsure de crotale pour chaque note, des éclairs de venin étincelants, une clinquance qui claque à la manière d'un coup de feu, toujours sur le qui-vive, ne louche jamais vers la facilité des effets bouts de ficelle, fonds de tiroirs, resucées mille foi entendues, il invente, il crée. Même topo pour Julian, vous sert la limonade – un superbe Whiskey Vomit - sur un plateau au moment précis où vous vous apercevez que vous allez avoir soif, avec cette classe du serveur stylé qui repart le soir avec la Ferrari du patron et la plus belle des serveuses, le Julian ne joue pas de la batterie, il urge le morceau, vous pousse le troupeau au pique-bœuf et l'ensemble cavale à fond de train, mis en ordre pour la corrida. Léo est comme ses deux acolytes, au service du rock'n'roll, pas question que la basse reste dans le wagon de queue du speed-train, l'on a besoin d'elle pour arrondir les courbes et négocier les virages en épingles à cheveux, lorsque tout chancelle et vertigine, doit être là, le point d'appui qui permet d'amortir le choc et de relancer la machine. Souquent dur, et devant Andy prend son pied. L'adore les morceaux qui foncent style Riding on the hell track ou sur la fin du concert le Photograph de Deff Leppard, dont ils offrent une version magistrale, et aussi les ballades à la sudiste Set my heart on you par exemple, qui ne sont que les vieux slows des années cinquante survoltés et passés à la chaise électrique. Attention à l'empreinte carbone !

    Terminent sur 5 grams of Redhead, mais en ont livré des tonnes durant tout le set. Eblouissant.

    FRANTIC MACHINE

    tami lynn,richard hell,e-ruins,porno graphic messiah,drop dead,sleazy town,frantic machine,pogo car crash control,hubert selby junior

    The last but not the least. Z'ont eu tous les malheurs de la terre. A leur place vous auriez crié grâce. S'en sont tirés comme des chefs. Un feu d'artifice final. Non seulement ils ont vaincu l'adversité mais ils ont convaincu le public. Qui dit Frantic, dit Machine. Justement elles se sont révoltées comme dans un bouquin de science-fiction à la Asimov. Au début, on n'y a vu que du feu, en fait on s'est bien rendu compte qu'ils couraient après le sample. Mais devant. Terminaient deux secondes avant. Une miette, mais faisaient des gestes comme le dompteur qui au dernier moment rattrape in extrémis la queue du tigre décidé à croquer un ou deux spectateurs. L'on ne s'en plaignait pas parce qu'ils semblaient avoir un beau son de guitares. Question insidieuse : mais qui appartenait à qui ? Etait-ce la machine ou les doigts des musicos. Voudrais pas avoir l'air d'un syndicaliste, mais le jour où les machines joueront mieux que les hommes, les musiciens ne knockeront plus aux heaven's gates mais à la porte du chomedû... En attendant, c'est le clic qui jouait à l'arlésienne dans les écouteurs du batteur, allez-vous mettre en conformité avec le rythme avec ce genre de plaisanterie.

    Seb le chanteur a pris la terrible décision. Pas question de se faire embêter par des trucs automatiques, comme dans les grandes batailles, quand la cavalerie n'est pas là vous attaquez avec l'infanterie. Puisque ce n'était pas simple avec les samples, leur ont coupé le jus et mis hors-circuit. Et z'ont foncé bille en tête avec leurs seuls instruments. Reconnaissons-le, avec les samples déréglés ce n'était pas mal du tout, mais là ce fut extraordinaire.

    tami lynn,richard hell,e-ruins,porno graphic messiah,drop dead,sleazy town,frantic machine,pogo car crash control,hubert selby junior

    D'abord le Seb l'a une voix qui porte ( de l'enfer ), l'est extraordinairement à l'aise, vous assène les lyriques à la vitesse d'un moulin à prières tibétain un jour de tornade, les articule comme un forgeron qui effile la lame d'une épée, vous ne savez pas trop de quoi il parle mais quand il les prononce tout de suite vous vous sentez en confiance. Sa guitare est extraordinaire, je ne sais comment elle est réglée, mais elle tonitrue sans aucunement grasseyer, une espèce de feulement infini de tigre géant doté d'un gosier métallique, elle gronde comme l'orage.

    tami lynn,richard hell,e-ruins,porno graphic messiah,drop dead,sleazy town,frantic machine,pogo car crash control,hubert selby junior

    Celle de Seb aussi. Oui parce qu'il y a deux Seb. Qui tient une guitare aussi. Un ton légèrement au-dessous, une meuleuse à disque de quinze mètres de diamètres capable d'entailler un tunnel dans le flanc d'une montagne. Dès que Seb plaque un accord, Seb l'imite légèrement plus crissant, légèrement plus crispant, la roue du dentiste qui s'attaque à votre molaire.

    tami lynn,richard hell,e-ruins,porno graphic messiah,drop dead,sleazy town,frantic machine,pogo car crash control,hubert selby junior

    Celui-ci étrangement ne s'appelle pas Seb. Mais Laurent surnommé Blitz. Bizarrement c'est le bassiste qui marque moins la rythmique, l'est partisan de bousculades de bruits bizarres, des entrechoquements de wagons qui déraillent. Fournisseur d'inattendu. Le mec capable de vous faire entendre de l'inaudible. Des sons étranges venus d'ailleurs. De sa cervelle torturée. En prime non content de jouer de la basse il est un as du dessin. Vous en causerai davantage dans la livraison 478, j'ai une chro toute prête dans mes cartons.

    tami lynn,richard hell,e-ruins,porno graphic messiah,drop dead,sleazy town,frantic machine,pogo car crash control,hubert selby junior

    Un dernier Seb, le troisième, pour un premier concert. L'a eu toutes les avanies, les machines déréglées, la charleston en carafe, les retours qui jouaient au boomerang perdu. Quiconque aurait démissionné. Ben non, il a continué dans la tourmente, l'a donné le rythme et maintenu la troupe au pas de gymnastique sous les armes. Le public lui a été plus que reconnaissant. Les Frantic nous ont trastégé un tabac incroyable, une effroyable machine de guerre, avec le sourire. Sont terribles, trashy, invulnérables.

    Longuement ovationnés. Sont obligés de reprendre un titre devant la demande générale.

    ( Photos sur scène : FB : Charlene Eledeb )

    RETOUR

    Plus de trois cents personnes, beaucoup de locaux. Les fans parisiens qui n'auront pas regardé leurs annonces de concert l'auront regretté. Un grand merci à Yoann Moret et à toute l'équipe organisationnelle. Aux groupes aussi, les locaux d'E-Ruins, les Porno Graphic Messiah de Nice, les Drop Dead de Sens, les Sleazy Town de Paris, les Frantic Machine de la capitale, le metal français a de beaux jours devant lui. Pas un grain de rouille.

    Damie Chad.

    ( Autres photos : FB des artistes )

     

     

    QU'EST-CE-QUI NE VA PAS ?

    ( Clip Officiel )

    POGO CAR CRASH CONTROL

    ( Réalisé par JULIUS

    PTPFG Production )

    Z10330CLIP1.jpg

    Pogo Car Crash Control est un de ces groupes ( rares ) que l'on prend autant de plaisir à voir qu'à entendre. Je ne parle pas de leurs prestations scéniques ébouriffantes et sbeulbullbuzziques, mais de leurs images. Toutefois, je ne m'intéresserai pas en cette chronique à la pochette de leur nouveau disque Tête Blême qui sort ce 18 septembre 2020 et dont le titre Qu'est-ce qui ne va pas ? est extrait. Faut vivre avec son siècle, il y a déjà longtemps que les images bougent... Depuis le tout début de leur carrière les Pogo offrent régulièrement des cadeaux animés à leurs fans, des clips particulièrement déjantés qui sont si attendus et appréciés qu'ils sont considérés comme des jalons importants de leurs productions. Des clips tout le monde en fait à tel point que dans la plupart des cas ils se ressemblent tous. Ceux des Pogo possèdent cette particularité de respecter la règle des correspondances baudelairiennes, musique, paroles et images se doivent de procéder en leurs noces synesthésiques d'un même esprit, homologué P3C.

    Ce coup-ci Baptiste Groazil a laissé la place à Julius Gondry pour la réalisation. Pas tout à fait un inconnu, le frère du rappeur Biffty et le fils de François Gondry qui émargea dans Ludwig Von 88. PTPFG ( Patapouf Group ) est un collectif d'artistes-techniciens ou de techniciens-artistes d'explorations imagées formelles... N'empêche que Julius a su capter l'esprit P3C, tout en assurant le changement dans la continuité et peut-être même le changement dans la continuité.

    Tout pour les yeux. Du rose criard, du vert citron, du bleu détergent et du mauve pustuleux, A la queue leu leu Simon tout seul avec sa guitare, Lola et sa basse surmultipliée comme les pains du petit Jésus, et Louis qui nous fait la règle de trois à la batterie. Jusque là tout va mal, ordre logique du kaos crash, c'est alors que vous prenez en pleine poire la tête d'Olivier qui vous interprète ce que vous n'avez jamais pu encore entendre, le fameux cri de Munch, sans voir le tableau. On ne peut pas tout avoir dans la vie, oui même dans un clip du Pogo. Lot de consolation, vous pouvez regarder la télé. En plus vous êtes installé devant avec le look d'Iggy quand il était encore adolescent boutonneux. C'est là que le serpent se mord la queue. Vous matez un clip dans lequel un gars est en train de mater le clip que vous matez. Réussite et mat ! Le coup de la toile du peintre en train de peindre le tableau de son auto-portrait, ici c'est le fan qui admire ses idoles. Une espèce de perversion narcissique auto-contagieuse. Rien ne va, ni dans sa tête, un pédopsychiatre doltolien vous aidera à déchiffrer : la sucette de bébé qu'il mâchouille, les gluantes friandises dont il se goinfre, le sourire extatique qui béait de ses lèvres, tout bébé, quand il avait fini de téter le sein de sa mère. Passons sur les fréquences de déglutition pizzaïque, gardons nos mirettes pour les flashs colorés qui nous montrent le groupe en pleine action sur des fonds réséda malade ou fraise avarié. Voir c'est bien, toucher c'est mieux. Disait l'apôtre Mathieu. Imposition des mains sur l'écran, puis profitant de l'aubaine du visage épileptique d'Olivier sur l'écran, le fan tente de lui faire, afin de lui prouver un amour inconditionnel, le coup du baiser au lépreux. C'est ici que les rôles s'inversent. Qui devient dingue, le fan, l'idole, l'image ? Qui fait de l'œil et de la langue à quel autre ? Pourquoi le désir de la représentation ne deviendrait-il pas la représentation du désir, embrassez un boa sur la bouche il vous engloutira. Moment d'extase mystique, les images se déforment et deviennent laiteuses, trop c'est trop, la peur de l'engloutissement accapare le fan, mais n'est n'est-il pas devenu l'idole elle-même, le serpent qui s'enroule autour de l'olivier, l'un et l'autre platoniciens ne se confondent-ils pas, images épileptiques, et la tête d'Olivier qui surgit du poste telle une proue vindicative de drakkar, à moins que ce ne soit le chef d'une statue votive qui s'en prend au pèlerin qui vient l'encenser. Idolâtre l'idole et tu vénèreras le Diable ! Tant pis qu'importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse. Communion au-delà du bien et du mal. Frères headbangers pour toujours. Coup de flip. Descente de trip. Incommunicabilité de la technique. Fin amère.

    Reprenez vos esprits, c'est fini. Oui déjà ! Les meilleurs choses ont une fin, même les clips des pogogrammateurs. Quelque chose ne va pas bien en vous. Une vidéo-rigolote qui vous met mal à l'aise. Qui interroge votre statut de fan de rock. Merci à Julius qui n'a pas oublié le logo des Pogo, au tout début. Le couteau dégoulinant de sang que brandit une main assassine. Mais quel César a-t-il assassiné ? L'idole phantsmatique ou le fan fils de la plèbe? Les deux peut-être. Humour à double-tranchant philosophique. Décidément tout va mal ! Où que vous soyez des deux côtés du poignard.

    Damie Chad

    Z10332.jpg

    Javais terminé, j'étais content, et paf ce matin à l'aube, à l'heure où blanchit la campagne, une deuxième vidéo issu de l'album Tête blême. Je mens, j'en blêmis de honte, l'est en ligne depuis le 15 juillet. C'était pour voir si vous suiviez les PCCC.

     

    LE CIEL EST COUVERT

    POGO CAR CRASH CONTROL

    ( Clip )

    Z13132++.jpg

    N'y a pas que le ciel qui est couvert, le clip est dans la brume. Un fog qui colle. En plus l'image tremble. Pas d'affolement. C'est fait exprès. Ce clip est moins bricolé que le précédent mais tout aussi efficace. Ne commencez pas par râler, car vous avez droit à un supplément gratuit non imposable, les lyrics sont en surimpression sur l'image, même que parfois ils l'accaparent, sont beaux d'une brillance gothique de cimeterres effilés éclaboussés de reflets de lune, un truc à ne plus sortir la nuit que revêtu d'une armure. Bref vous avez sur ce clip pour qui n'est pas sourd et sait lire ce que Valéry désignait comme les ingrédients indispensables de la plus haute poésie, le son et le sens. Soyons juste, les lyrics de Le ciel est couvert n'offrent pas le velours incisif des décasyllabes du Cimetière marin de l'auteur de Charmes, mais ils sont tout aussi mortels. C'est que voyez-vous quand on est mort, on est mort, mais le plus terrible c'est d'être encore vivant et de se voir vieillir.

    Il y a encore pire, c'est de s'apercevoir alors que l'on est encore jeune que toutes nos béatitudes existentielles ( plaisirs, colères, révoltes ) – Pascal les nommait les divertissements - ne sont que des mensonges auxquels on ne croira jamais. Les Pogo prennent le contrepied de l'idéologie punk, ce n'est pas vrai qu'il n'y a plus de futur, au contraire il est inévitable puisqu'il n'est que la répétition de ce que nous savons depuis toujours. La réitération perpétuelle d'un éternel présent maussade et inéluctable. Le genre de truc à se tirer une balle dans la tête alors que l'on est encore dans le ventre de sa mère. Que dis-je, que l'on est juste un spermatozoïde vibrionnant dans le liquide spermatique en coagulation.

    Une terrible vérité. Peut-être est-ce pour cela qu'ils sont tous les quatre en train de trembler d'horreur à chacune de leur apparition dans le clip. D'ailleurs vous délivrent le message à toute vitesse, à fond de train, ne s'attardent pas, le morceau dure à peine deux minutes seize secondes de malheur. Par contre sont honnêtes, l'Olivier vous décalque les olives neuronales de bien belle façon, vous hurle la terrible et insupportable vérité à faire porter plainte à vos voisins pour cruauté mentale. Question bélier musical, mettent toute la gomme. Trois coups de boutoirs ponctués de deux breaks de batterie, ce sont les vantaux de votre raison qui craquent et volent en éclats. Ne vous font pas la révélation en leasing de trois ans, ne lésinent pas sur la mayonnaise.

    Le plus terrible c'est qu'ils ratent totalement leur coup. Une catastrophe, vous devriez être au trente-sixième dessous, désemparés, désarçonnés, toutes vos illusions perdues, dégoûtés de vivre, en train de choisir votre cercueil sur catalogue google, ben non, vous avez un pêchon extraordinaire, écoutez ce morceau et vous aurez l'impression de voir se lever l'Aurore prophétisée par Nietzsche. Une médecine de shamen rock qui vous permet de surmonter le nihilisme. Que voudriez-vous de plus ?

    Damie Chad.

    LA GEÔLE

    HUBERT SELBY JR

    ( Club Franais du Livre / 1972 )

    z10324bookgeôle.jpg

    Paru en 1964, Last Exit To Brooklin, le premier roman d'Hubert Selby Junior subit les passions et les foudres de la censure américaine et européenne... merveilleux tremplin publicitaire, en quelques mois il s'en vendit sept cent cinquante mille exemplaires... Avec le temps l'intérêt de la France pour ce livre ne s'est pas démenti, traduit pour la première fois en 1972, une deuxième traduction en a été proposée en 2014.

    Le deuxième roman de Selby La Geôle a sur le champ conquis l'unanimité des critiques, édité par chez nous lui aussi en 1972, à peine un an après sa publication aux USA, et réédité en 2004, par contre à la grande surprise de Selby le public n'a pas suivi. Notre romancier était convaincu de livrer un véritable chef-d'œuvre, cet insuccès notoire ne l'aida pas pas à surmonter son malaise existentiel. Etrange de voir le nombre d'écrivains américains atteint d'états dépressifs. Selby a trouvé ses remèdes, héroïne et alcool...

    z10327portraitdeselby.jpg

    Il est vrai que La geôle est un chef-d'œuvre. Un véritable tour de force. Mais fort déconcertant. Un livre pour écrivains. Si vous ouvrez le Last exit to Brooklin, vous aimez, vous détestez, mais au minimum vous vous confrontez à une ( et mêmes plusieurs ) histoire, cela grouille de vie, de violence et de sexe. Tout pour rendre un lecteur heureux.

    Je vous entends ricaner, encore un truc de plus sur les prisons américaines, les matons vicieux et racistes, le couloir de la mort, les clans, les caïds, les trafics, vous connaissez tout cela, vous l'avez déjà lu mille fois. Si vous avez par hasard envie d'une mille et unième fois, je vous recommande les poèmes d'Erich Von Neff, mais surtout pas La Geôle. C'est que dans le bouquin, il n'y a rien de tout cela. Aucun de ces ingrédients. Vous salivez, vous flairez l'originalité, la super entourloupe... alors je reprends en essayant d'être plus précis : il n'y a rien. Point à la ligne. Essayez d'écrire un bouquin de trois cents pages dans lequel il ne se passe rien.

    Bien sûr, il y a le minimum vital : un prisonnier. Pas plus. Des gardiens fantomatiques. Une unique cellule. Un réfectoire mais il ne serait pas mentionné que vous ne le verriez pas moins. Pour la Riot in cellblok number nine vous visionnez plutôt un film des Blues Brothers. Donc un prisonnier. N'a pas de nom. Ni de tête. Encore ce dernier détail est-il une interprétation. Pourquoi est-il encagé notre masque de fer très spécial, pour rien. Ça, c'est lui qui le dit. Vous n'êtes pas obligés de le croire. De toutes les manières vous n'en saurez rien. Que fait-il ? Rien, il reste la plupart du temps couché sur son lit.

    z10326la geole.jpg

    Vous avez visité l'extérieur du personnage. Reste à pénétrer à l'intérieur. Plein comme un œuf, le mec il barjote grave, il délire, tout se passe dans sa tête, pas l'univers entier, sa haine, sa vie, ses rêves, ses phantasmes, ses explications. Au début vous lui ouvrez les portes de votre bon cœur, les flics l'ont arrêté sans aucune raison. Aux USA les pigs ont les menottes faciles, vous comprenez que le gars les hait un max, qu'il se déclare innocente victime, qu'il en tire une analyse politique: les flics sont tous des fachistes... L'actualité corrobore ce livre qui date d'un demi-siècle.

    Selby ne devait pas trop les aimer non plus, pas un mot pour défendre les valeureux gardiens de l'ordre, ces héros bienfaisants, ces sauveurs de la démocratie. Non, mais le malaise s'installe en vous. C'est à cause de ce que raconte le gars. Son enfance. Si semblable à la vôtre. Il aime sa maman, il ne fait jamais de bêtise. Ou alors ce n'est pas de sa faute. C'est celle des copains, des concours de circonstances extraordinaires qui font que... Heureusement sa maman le croit, ou fait semblant, le serre dans ses bras et embrasse son petit chéri... La donne ne change guère quand il grandit, le livre porno à l'école primaire vous l'avez déjà fait, la fille que les ados serrent de près dans un petit coin sombre avant de se faire serrer à leur tour par les flics, mais ce n'est pas eux... vous aussi vous y avez échappé... vous connaissez le refrain, faute à moitié avouée complètement pardonnée...

    z10325lageole.jpg

    Passons aux choses sérieuses. Qui dit prison, dit justice. Voici notre prisonnier qui a réussi à fédérer autour de son cas presse et avocats, convoqué devant la Commission Spéciale du Sénat pour lancer une enquête sur les violences policières... C'est fou ce que l'on peut s'imaginer au fond d'une cellule... Ce coup-ci ce sont les deux policiers qui l'ont appréhendé qui subissent un démoniaque et tatillon interrogatoire devant un tribunal, notre prisonnier est le plaignant mais de temps en temps il mène les débats... il n'y a de mal à se faire du bien, quel hasard c'est lui qui est chargé de les punir, ne s'en prive pas, les scènes glaçantes de torture vous le rendent moins sympathique, il est vrai qu'ils ont commis un viol ignoble sur une jeune femme, ne vous épargne aucun détail, à tel point que vous en venez à vous demander s'il n'est pas en train de vous tuyauter en long et en large sur tout ce qu'il aurait aimé faire subir à une jeune femme lorsqu'il était libre... d'autant plus qu'il décrit l'insatisfaction ressentie à la fin des très longues scènes masturbatoires avec sa copine dans la pénombre protectrice du cinéma...

    Le livre se finit-il mal ? Pas vraiment. Le prisonnier recroquevillé sur lui-même se balance sans fin sur son lit... Ouf ! C'est terminé ! Vous l'abandonnez sans regret à son triste sort. Même innocent il est trop pénible. Vous fatigue. Vous assomme. Qu'il se débrouille comme il peut pour sortir de là. Ne regardez pas de trop près vos semblables. Qu'est-ce que la nature humaine ? Ne sont-ils pas des monstres ? Des tueurs en série ? Des assassins ? Des vicieux ? Des pervers ?

    z10329photoselby.jpg

    Super bien écrit, un prodige, pas étonnant que le public ne se soit pas rué dessus, il existe des instincts de survie collectifs :

    '' T'as lu le deuxième Selby ?

    • Laisse tomber, ennuyant au possible, impossible de savoir où il veut aller, doit être siphonné ce type, bouffé par un sentiment d'auto-culpabilité incompressible, un truc de malade mental, qui te fout les chocottes et qui t'empêchera de dormir toute la nuit, tu peux me croire, autant Brooklin c'était fort, cruel, amoral, déglingué, tout ce que tu veux, mais au moins c'était vivant, celui-là c'est l'anti-chambre de la mort, pas celle du héros, la tienne ! Un conseil n'y touche pas !

    • Tu sais que tu me donnes envie !

    • M'étonne pas de toi, Damie ! Quand j'y pense t'es un mec aussi curieux que le personnage central, pas de conseil à te donner mon pote, mais tu devrais peut-être prendre rendez-vous chez un psy, franchement ça te ferait du bien, je suis sûr que tu te sentirais mieux après. J'ai une bonne adresse de psychanalyste, attends je te la refile, tu pourras me remercier, une sacrée chance de m'avoir comme ami !

    Damie Chad.