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pogo car crash control

  • CHRONIQUES DE POURPRE 680 : KR'TNT ! 680 : ANDREW GABBARD / JERRON PAXTON / DIRTY DEEP / ROBYN HITCHCOCK / TOMMY TATE / MICHEL EMBARECK / POGO CAR CRASH CONTROL / HECATE'S BREATH / WINTERHAWK

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 680

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    06 / 03 / 2025

     

    ANDREW GABBARD / JERRON PAXTON

    DIRTY DEEP / ROBYN HITCHCOCK

    TOMMY TATE / MICHEL EMBARECK

      POGO CAR CRASH CONTROL

     HECATE’S BREATH / WINTERHAWK

      

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 680

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

     

    L’avenir du rock

    - Quand Gabbard dîne

    (Part Two)

             L’avenir du rock ronflait à poings fermés, quand soudain, un flot de lumière l’arracha à l’ombilic des limbes. Il se redressa dans son lit et se frotta les yeux.

             — C’est quoi c’bordel ?

             Le flot de lumière éclairait violemment la chambre. On se serait cru en plein jour. Le phénomène était d’autant plus bizarre qu’il s’accompagnait d’une sorte de sifflement pernicieux, comme un ultra son. L’avenir du rock ajusta son bonnet de nuit, enfila sa robe de chambre et chaussa ses mules. Il déverrouilla la porte d’entrée et sortit dans le jardin.

             — Arghhhhhh !

             Il dut rentrer en hâte, car la lumière l’aveuglait. Il mit ses lunettes de soleil et refit une tentative. Au bout d’un moment, il finit par distinguer une forme.

             — Ah bah ça alors !

             Il était tétanisé : une soucoupe volante stationnait dans son jardin ! Elle émettait une lumière blanche extrêmement crue. L’engin ressemblait à ces soucoupes rondes qu’on voit dans les films de science-fiction, avec des loupiotes qui clignotent tout autour. Mais il était tout petit. Il s’agissait sans doute d’un mono-space. Un martien en descendit par une petite échelle et trottina vers lui. L’avenir du rock n’avait encore jamais rencontré de martien, alors il ne savait pas quoi penser. Celui-ci n’avait pas l’air méchant, au contraire. Il était petit, gros, calvitié, avec une bonne bouille, des gros yeux clairs et des bonnes joues. Il portait une combinaison argentée trop serrée et tenait son casque en plexiglas sous le bras. Il tendit la main à l’avenir du rock qui la serra mécaniquement. Alors le martien lança d’une voix atrocement stridente :

             — Gabba Gabba Hey !

             À quoi l’avenir du rock rétorqua :

             — Non ! Gabbard Gabbard Hey !

     

             Le martien n’a pas l’air de connaître Andrew Gabbard, mais ce n’est pas grave, l’avenir du rock va arranger ça.

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             En réalité, ce Part Two est la suite de ‘Buffalo Bile Part One’, dont l’avenir du rock a déjà fait ses choux gras. Il est essentiel de rattacher l’actu d’Andrew Gabbard à ses racines, c’est-à-dire Buffalo Killers et Thee Shams, si on veut comprendre à quel point il est devenu l’un des movers & shakers prédominants de notre époque, au même titre de Daniel Romano et Kelley Stoltz.

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             Un nouvel album vient de paraître : Rumble & Rave On. Comme il y a un petit buzz autour de Terry Cole et son label Colemine dans Shindig!, alors on profite de l’occase pour en rajouter une petite louche et dire, que oui, ça buzze pour de bon, car l’album est vraiment excellent. Dès «Just Like Magic», Gab ramène du gras double. Il est assez in the face. Gab a du génie, qu’on se le dise ! Il perpétue le spirit du White Album. Il a encore du son à gogo avec «If I Could Show You», il ramène une pop épaisse et lumineuse, c’est une merveille, il chante comme une folle évaporée et impose un power mélodique absolu. Plus loin, il sonne comme Midlake avec «I’m Bound To Ride». Il ressuscite le génie mélodique de Tim Smith, pas de doute. Il fait aussi du glam avec «Mulberry Rock», il se prend pour Marc Bolan, il gratte son gras double d’heavy boogie rock. Gab est un mec qui cisèle des joyaux au milieu de nulle part. Franchement, t’en reviens pas d’entendre un mec aussi brillant. Il tape dans les registres de Brian Wilson, Todd Rundgren et John Lennon. Il revient à l’heavy boobie blues avec «Barstool Blues», puis avec «Again Again», il bascule dans le Gabbarding, c’est-à-dire dans l’élégance d’un riff magique. Encore une ouverture sur l’horizon avec «Donna Lou». Gab est un enchanteur, il faut le voir filer sa laine de lumière sur Donna Lou, il ne produit aucun effort, ça lui vient naturellement. On se laisse couler avec lui dans le bain de jouvence d’une Americana subtilement ragaillardie, Donna Lou ouuuh ouuuh ouuuh !  

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             Les Buffalo Killers sont de retour dans le rond de l’actu avec un album de lost cuts, Stay Tuff: Lost Cuts. C’est vraiment la meilleure des bonnes nouvelles. Les frères Gabbard sont sans doute les plus beaux héritiers des Beatles. La preuve ? «Don’t You Ever Think I Cry», ça semble sortir tout droit du White Album, même poids sociologique, même bourde atmosphérique de génie évanescent, ça monte dans l’excellence de Let It Be, on entend même les poux du roi George. Tu en as un autre au bout de la B, «So Close In Your Mind». Tout droit sorti du White Album. Deux autres merveilles : «Stand Back & Take A Good Look» et «Chicken Head Man». Avec le premier, les Gab brothers montrent qu’ils sont capables de la meilleure heavyness d’Amérique. Quant au Chicken Head Man, il est électrocuté à coups de power chords. Demented are go à gogo, et chanté du coin du menton. En B, ils font aussi de l’heavy groove à la Season Of The Witch avec «Heavy Makes You Happy (Sha Na Boom Boom Yeah)».       

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             Les racines des frères Gabbard remontent aux Shams, dont le premier album, Take Off, parut en 2001. En réalité, le seul Gabbard des Shams, c’est Zach. Bizarre que cet excellent album soit passé à l’ass, car il est d’une rare densité. Take Off propose de sacrés clins d’yeux, notamment aux Pretties et au proto-punk. Eh oui, les Shams ont cette envergure. L’hommage aux Pretties s’appelle «Get Out Of My Life Woman», cut d’Allen Toussaint tapé à l’Americana proto-punk. Zach se prend littéralement pour les Pretties, il est au cœur de la révolte et il ramène avec ses trois copains toutes les virevoltes du British Beat. Deux autres cuts trempent dans le proto-punk : «Rock’n’Roll» et ««Not Right Now». Pas de problème, les Shams n’ont pas honte de gratter leurs poux, ils font du vieux proto de babeyh à coups d’accords sourds. Deux cuts sales et définitifs, dignes des Tell-Tale Hearts et des Master’s Apprentices. Coup de génie avec «Scream My Name», wild gaga demented, tournicoté au sommet de la toupie. Les Shams disposent d’extraordinaires réserves de ressources naturelles. Zach fait encore des étincelles avec «I Get High» et «Walkaway». Quel shouter ! Il ramène un chant d’acier à la Van Morrison. Avec «In The City», ils sonnent comme Creedence, ce démon de Zach titille le génie de Fog, il agite les mêmes dynamiques. Cet album est monstrueux. Ah si Gildas pouvait entendre ça ! Quel hommage ! Et le Zach y va au in the city yeah !  Ils trempent vraiment dans tous les complots : voilà qu’ils rendent hommage à Bo avec «Don’t Cry For Me».

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             The Shams deviennent Thee Shams trois ans plus tard avec l’excellent Please Yourself et sa pochette coquine. Andrew rejoint son frère Zach dans cette fière équipe. Encore un album qui grouille de puces. Il y pleut des coups de génie comme vache qui pisse. Boom dès «On My Mind». On se croirait en Angleterre chez les early Who. C’est du big freakout d’Attack croisé avec les Them. Ils réinventent même le freakout des Creation et le beurre fou de Moonie, avec en guise de cerise sur le gâtö des chœurs déments. Et tout l’album va rester à ce niveau d’excellence. Tiens, encore un coup du sort : «Can’t Fight It», heavy descente au barbu, ils s’arrangent pour contourner les règles et là, ça dégueule admirablement, repris au vol par un killer solo flash vampirique digne de Murnau. Ils attaquent «You Want It» au relentless gaga. Stupéfiant ! C’est noyé de son et de wild raunch, un mélange de tout ce qu’on aime, embarqué au so you wake up in the morning. Toujours aussi wild, voilà «You’re So Cold», ils ne s’en sortiront pas, le gaga les poursuit et ça y va avec des solos lancés au yeah yeah! Ils virent psychotronic avec «Please Yourself», ils sont une sorte de downhome Them, du pur power d’explosion nucléaire, l’ultime démonstration de force. Le solo a l’air de percer un tunnel sous le Mont Blanc. Avec «She’s Been Around», ils sont comme les Manfred Mann d’Eel Pie Island. Encore une preuve de leur écrasant power : «If You Gotta Go», cover de Dylan, gorgée du chien de leur chienne, noyé d’harp et d’hargne, émulsé au supra-gratté de poux. Ils font des chœurs de fantômes dans «Come Down Again», c’est encore une fois plein comme un œuf et inspiré. Ils retapissent toute l’histoire du rock. Les voilà sur les traces des Beatles avec «Love Me All The Time». Ils ont la même approche de l’immaculée conception. On croit aussi entendre Oasis à l’âge d’or des stades vibrants. Pire encore : ils font très bien les Yardbirds, comme le montre «Want You So Bad», avec les coups d’harp et tout le bataclan, c’est exactement le même son, avec les frères Gabbard en prime. C’est Zach qui chante «Never Did Nothing». Il chante au big raw de gut, il est sûr de lui. Il ramone toutes les cheminées de l’Olympe.    

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             Dernier spasme de Thee Shams l’année suivante avec Sign The Line. L’album s’inscrit dans la veine des deux précédents. T’as vraiment intérêt à écouter «Not Gonna Make It», l’une des pires descentes au barbu d’Amérique, grattée à la maladive et gutsy a gogo. Invraisemblable ! Ils te plombent l’heavy rock. Quelle précocité ! À peine sautés du nid, les frères Gabbard avaient déjà du génie. Et ça continue avec «Something Happening» tapé au fantastique swagger des Gabbard Brothers, ils rockent l’Amérique à la pire spice, ils flirtent dangereusement avec la Stonesy. Et pour couronner cette triplette de Belleville, voilà «Everflowing Tune», ils plongent la mad psyché des Byrds dans l’huile bouillante et te claquent un beignet du rock genius. Leur son est imprégné jusqu’à l’os d’influences : Beatles, Byrds et tout ce qu’on aime. «Lonely One» pourrait très bien être du John Lennon époque Some Time In New York City, hard-nosed rock. «How I Feel» sonne comme la meilleure fournaise d’Amérique. C’est un déluge de son qui s’abat sur toi. Ils tapent en plein dans les Beatles avec «1-2-3-4». C’est incroyable comme ils ont su capter la magie Beatlemaniaque. Ils sont beaucoup trop pointus pour l’Amérique. En Europe, ils seraient considérés comme des dieux. «No Trust Fund Blues» est un petit chef-d’œuvre de seventies rock, ils y vont au this is my life, c’est assez poignant. Merveilleuse présence des frères Gabbard ! Ils seront toujours là pour toi, tu peux leur demander n’importe quoi. Tout tourne toujours à leur avantage, comme le montre encore «Love Grows and Grow». Ils combinent jusqu’au délire le power et le raffinement. Leurs retours de manivelle sont sublimes, et l’attaque de solo à l’encontre du rythme est un chef-d’œuvre d’étrangeté baudelairienne. Les Gabbard Brothers sont décidément trop brillants pour un pays de beaufs comme l’Amérique. Ils bourrent leur heavy rock d’influences britanniques.  

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             Andrew s’appelle Andy pour enregistrer son premier album solo en 2015, l’excellent Fluff. De toute façon, avec les Gabbard, c’est toujours excellent. Il donne le ton dès l’envoi : weird psychedelia anglaise. Il a le timbre qu’il faut pour ça : l’intrinsèque. C’est un album qui monte doucement mais sûrement, comme la marée. Andy gratte «Side B» à la foison de la ferveur, il moissonne les accords. Spectacle magnifique ! Tout est bringuebalé dans la carlingue de babord à tribord. Puis il passe à l’heavy boogie down avec «Home Suite», il replonge dans sa Beatlemania chérie, mais avec une optique américaine, c’est très «Glass Onion», bien tortillé du cul au chant, avec un gratté de poux affolant de nervosité. Avec Sam Coones et Robert Pollard, Andy Gabbard incarne la modernité du rock US. On reste dans l’énormité de la marée montante avec «Supernational», ce mec a la grâce pop des pieds ailés, il survole le monde comme le Todd of the pop, avec des éclairs de lubricité. Il se fond littéralement dans l’idée de la Beatlemania, dans le spirit du White Album. Il en est imprégné. C’est un bonheur que de l’entendre, une suprême dereliction. La marée monte encore avec «Lonely Girl» et un fabuleux vent d’accords lève les vagues, cette fois on entend des échos du Teenage Fanclub, c’est claqué d’accords de beignets, ça trempe dans la meilleure mélasse du paradis, Andy est un dieu du stade. Il enchaîne avec l’encore pire «LYSM», acronyme de Love You So Much, il reprend aux accords tranchants, il est le Gladiator du rock, le Russell Crowe de l’imparabilité des choses de la vie, il brille et il scintille, et là tu bénéficies du privilège d’entendre des accords biseautés, t’as le vrai truc, l’absolu du rock moderne, Andy connaît tous les secrets de la niaque profonde, il te fond dans son moule de bouchot, il fait une œuvre d’art à coups de retours de manivelle. Ah il faut entendre ce mic mac extravagant ! Il tape encore dans sa chapelle avec «Dreams I Can’t Remember», il gratte les accords de la pire ramasse. Big power pop de Fluff ! Tout est drivé au flow de flux sur ce Fluff. Il termine avec «ODS», un absolute beginner de fast pop trash. On a des bonus à la suite, quatre cuts enregistrés sur scène.  Live, c’est encore pire. Il oscille au bord du gouffre de Padirac. On note chez lui un goût certain pour la purée de non-retour. Il reprend son «Side B» et l’excellent «Home Suite», il y va le bougre, il te monte ça en neige de Todd, il vise le destroy oh boy. Andy Gabbard règne sur la terre comme au ciel.              

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              En 2021, il débarque sur Karma Chief, la filiale rock de Colemine, et enregistre l’excellent Homemade. Excellent toujours, excellent encore. Associer ‘Gabbard’ et ‘excellent’ finit par ressembler à un pléonasme. Cet album superbe est un redoutable hommage aux Beatles. Coup d’envoi avec un «Wake Up Brother» qui sonne comme un hit de George Harrison. Andrew t’embarque ça aussitôt à l’heavy Gabbard avec le gratté du roi George. Quelle fantastique assise ! Andrew est un homme qui sait honorer ses dieux. Il est en plein dans l’Harrison ! Tout aussi beatlemaniaque, voilà «Gettin High» - I just don’t feel wise/ Getting high - et avec «Mrs Fitz», tu te croirais sur Revolver. Pertinence et ambivalence sont les deux mamelles d’Andrew. C’est littéralement saturé d’intention, il reste dans l’extrême Beatlemania américanisée. T’as là le meilleur album des Beatles depuis Revolver, comme le montre encore l’heavy and melodic «Brand New Cut». Pour faire bonne mesure, voici un coup de génie : «Cherry Sun». Il chante ça du nez à l’extrême pointe de la Beatlemania, sa sunshine pop est délicieusement juste. Il a même un côté Ziggy dans «Grin Song», mais il se réchauffe très vite au feu de la Beatlemania. Il n’en finit plus d’épouser sa muse et chante «Red Bear» avec la voix de John Lennon. Il reste incroyablement proche de la vérité avec «Our Dream», qu’il chante à l’anglaise évaporée. Écouter cet album, c’est d’une certaine façon toucher Dieu du doigt. Quand il ne fait pas de Beatlemania, il fait de la Gabbardmania («Hot Routine») et il boucle avec un «Promises I’ve Made» purement beatlemaniaque. Il n’en démord pas. Il revient toujours au point de départ du rock moderne, les Beatles. C’est très spectaculaire, très coloré, très impliqué. 

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             L’année suivante, Andrew passe à la country avec Cedar City Sweetheart. Cette fois, il s’entiche de Gene Clark. La preuve ? «Lonesome Psychedelic Cowboy». Vraiment explicite ! Il se prend vraiment pour Geno. Andrew sonne exactement comme les Byrds. Il y va en confiance. L’énormité de l’album s’appelle «Surfboard City», il chante ça à la petite ramasse. Il tape la fast country flash avec «Redwood». Et ça passe comme une lettre à la poste. Il condense les clichés. Avec «Cloud Of Smoke», il sonne comme le Roi George, mais avec des grattes country. Andrew reste un sacré chanteur, comme le montre encore «Take Me Away From You». Il strutte sa country et l’illumine à coups de slide. Comme d’habitude, tout sur cet album est visité par la grâce. Il fait de la country comme s’il avait fait ça toute sa vie ! Il reste au sommet du lard avec «The Move» - You got to be real - Cet album sent bon la bonne franquette, la bonne ambiance avec de bons copains. Andrew joue encore le jeu country à fond avec «Cool Ranch». Comme sur la pochette, avec le stetson et les lunettes noires. C’est tout de même dingue ce passage des Beatles à Nashville, mais il garde l’esprit de la Beatlemania dans le chant, comme le fit d’ailleurs Geno avant lui. Alors il fait de la country dynamique, du Gram Parsons sous amphètes. Il termine avec un «Your Time’ll Come» qu’il tape sec et net. Pas de problème avec Andrew, il t’assène ça comme l’Arsène Lupin de la country d’Etretat et sort en beauté à coups de Stonesy.

    Signé : Cazengler, Andrew Gabardine

    The Shams. Take Off. Orange Recordings 2001

    Thee Shams. Please Yourself. Shake It Records 2004  

    Thee Shams. Sign The Line. Licorice Tree Records 2005

    Buffalo Killers. Stay Tuff: Lost Cuts. Alive Records 2022

    Andy Gabbard. Fluff. Alive Records 2015             

    Andrew Gabbard. Homemade. Karma Chief Records 2021

    Andrew Gabbard. Cedar City Sweetheart. Karma Chief Records 2022

    Andrew Gabbard. Rumble & Rave On. Karma Chief Records 2024

     

     

    Jerron n’est pas carré

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             Jerron Paxton incarne l’antithèse de Kingfish Ingram et du Chicago Blues. Il tape dans un registre beaucoup plus austère qui est celui du country-blues, c’est-à-dire d’un story-telling à l’ancienne, l’une des composantes essentielles de ce que les musicologues appellent l’Americana. Jerron Paxton chante des cuts vieux comme le monde black et s’accompagne tantôt d’une acou, tantôt d’un banjo, tantôt d’un petit piano électrique.

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    Dire que c’est un virtuose ne correspond pas à la réalité. Il est au-delà de la virtuosité, il est dans la passion gourmande d’une culture qui lui vient de ses aïeux, si tant est qu’on puisse qualifier les anciens esclaves d’aïeux. Les blancs ont fait en sorte que les esclaves noirs ne soient rien, alors quand on est rien, on n’a pas d’aïeux, on ne peut pas employer les mots qu’emploient les honnêtes descendants d’esclavagistes et de colons racistes, tous ces rednecks fiers de leurs photos anciennes, et de toutes ces belles propriétés qui jadis ont prospéré grâce au travail gratuit de plusieurs générations d’esclaves. Fuck it ! C’est important d’enfoncer le clou de temps en temps dans la gueule de tous ces rats blancs. Non seulement ils faisaient bosser les nègres à l’œil, mais en plus, ils les haïssaient au point de les fouetter et d’en pendre un de temps en temps, histoire de se payer un petit shoot d’adrénaline. Ce court rappel des réalités illustre le cauchemar américain. À l’opposé de tout ce merdier, Jerron Paxton incarne la grâce américaine. La seule et unique grâce américaine qui vaille.

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             On vite frappé par la qualité de sa présence, subjugué par l’éclat de ses trilles de rire, on est vite fasciné par ses coups d’onglet, ses gammes rustiques, son ramdam vieux comme Mathusalem et l’extraordinaire gourmandise avec laquelle chante, il module chaque syllabe comme Rodin modulait ses pâtés d’argile, il transforme le country-blues en matière organique, et sa diction est tellement bonne qu’on comprend quasiment tout. Quand il évoque l’Arkansas, il chauffe le mot, c’est-à-dire qu’il ne le prononce pas comme on le ferait - Arkansasss - non il le prononce Arkansô et indique au passage que c’est le pire endroit du monde, comme l’a fait avant lui J.B. Lenoir, avec le Mississippi. Jerron Paxton est un homme assez jeune, assez haut, on pourrait même le qualifier de force de la nature. Il semble doté d’un talent naturel qui lui permet de dérouler un set extrêmement dense sans jamais produire le moindre effort. Il dit s’inscrire dans la lignée de Mississippi John Hurt et d’ailleurs il raconte une belle anecdote : «There was noboy who didn’t love Mississippi John Hurt.» Il insiste beaucoup là-dessus : on l’aimait pour sa musique, mais aussi et surtout en tant qu’homme. Il raconte qu’ensuite on a transformé la pauvre cabane où il vivait en museum. Jerron fait bien claquer le mot museum. Objet de fierté. Et sur le même ton, sans le moindre accent tragique, il explique que «some redneck has burnt it down.» Et voilà le travail. Fin du museum. Et il attaque une chanson, car ainsi va la vie. Ces mecs-là ont chanté pour survivre. Comme d’autres avant lui, Jerron est un homme qui aime jouer pour les autres. Il fait de vrais numéros de cirque avec son harmo, comme d’autres avant lui dans les plantations. Et comme d’autres avant lui, il s’accorde à l’oreille.

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    Comme d’autres avant lui, il cherche des osselets dans son sac pour s’accompagner. Il redonne vie à une culture menacée d’extinction, il arrache le country-blues à l’oubli, il ressemble à une île perdue au beau milieu d’un océan de médiocrité, tu te demandes combien de temps vont tenir de tels artistes, car de toute évidence, son disk ne se vend pas. Jerron Paxton, c’est pas Indochine ou Brouce Springsteen ou Stong. Au merch, il en a peut-être vendu 5, et encore. Il paraît que c’est gratuit sur Amazon. Alors les gens n’achètent pas de disks. Les gens se croient malins. Tandis que pour un mec comme Jarron, un billet de vingt, c’est important. Il n’a vraiment pas l’air de rouler sur l’or. Mais tu perdrais ton temps à expliquer tout ça. Toute cette culture et ce qu’elle représente ne tient plus qu’à un fil. T’as l’impression très claire que tout se fait désormais à l’envers. Et que les gens n’entravent plus rien. Bon bref, tu vas trouver ce black à la fin et tu le remercies pour son power.   

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             Son album s’appelle Things Done Changed. Tu vas y retrouver son gros claqué de cordes et ses fabuleux coups d’harp. Tout y est bien sûr, mais ça n’a rien à voir avec le set en live. Il tape son «Little Zydeco» à coups d’harp et on l’entend taper du pied. Il est à l’aise dans tous les genres : country-blues, country-blues et country-blues. Il fouille l’harangue de «What’s Gonne Become Of Me» à outrance et gratte son banjo, tout est joué avec un tact fruité, il y a de la modernité dans sa tradition. Et bien sûr, tu as partout la passion gourmande. Il chante avec une diction ronde et chaude, à l’accent vivant et coloré. Fantastique artiste !

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             Dans sa grande magnanimité, Soul Bag lui consacre une petite double et lui tire un joli coup de chapô, affirmant que Jerron est «un artiste qui redonne ses lettres de noblesse au country blues.» Rien de plus juste. Dans le cas de Jerron, le mot ‘noblesse’ prend tout son sens. On apprend qu’il est né en 1989, ce qui nous évite la corvée de wiki. Donc, 35 ans, ça correspond bien à ce qu’on a vu. Par contre l’article le dit né à Los Angeles, alors que sur scène il parlait de la Louisiane. Il évoquait bien  sûr ses grands-parents. Comme on s’en doute, il est déjà surdoué tout petit, il joue de tout. Il a donc grandi à South Central, la banlieue black de Los Angeles. Il a 16 ans quand il est considéré comme aveugle, alors qu’il voit très bien. Il sait jouer de la gratte, du banjo, du violon, de l’harmo, mais ça ne lui suffit pas, il veut aussi apprendre l’ukulélé, l’accordéon, le piano, les osselets qu’on appelle aussi the bones. S’il avait plus de bras, il pourrait jouer de plusieurs instruments en même temps. Au piano, il fait du Fats Waller, nous dit Bill Steber. Quand il gratte ses poux, Jerron fait du Blind Lemon Jefferson, et quand il attrape son banjo, c’est pour nous faire de l’Uncle Dave Macon. Steber est sacrément bien documenté. Mais Jerron ne s’adresse pas qu’aux spécialistes. Il s’adresse à tous les autres. Jerron, nous dit Soul Bag, puise dans la culture black des années 20 et 30, principalement dans celle des minstrel shows, une tradition d’où vient aussi Rufus Thomas. Soul Bag cite un autre extrait d’interview de Jerron : «Vous savez pourquoi je n’aime pas le politiquement correct ? Parce que ça insulte l’intelligence de la personne.»

    Signé : Cazengler, Jerron comme une queue de pelle

    Jerron Paxton. Le 106. Rouen (76). 12 février 2025

    Jerron Paxton. Things Done Changed. Smithsonian Folkways Recordings 2024

    Jerron Paxton. Passeur de tradition. Soul Bag n°257 - Janvier février mars 2025

     

     

    Dirty Deep Water

     

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             Il avait l’air content l’autre soir, Victor Sbrovazzo, qu’on fasse tous main basse sur son petit book. On l’avait vu chauffer la salle avec Dirty Deep pour Kingfish Ingram et comme on était tous sortis avant la fin du set de Kingfish, on est allés papoter avec le petit Dirty Deep qui poireautait au merch.

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             Le book s’intitule A Wheel In The Grave. Ce petit format à l’italienne est en fait un carnet de route. Victor et son pote photographe ont traversé la France en moto, de Strasbourg à la Corse. C’est un trip à la Kerouac. On The Road again. 300 pages. Chaque double est montée avec une image en page de droite, et en face un texte léger d’allure désabusée. Le ton est juste, l’objet plaisant. Tu passes réellement un bon moment à le feuilleter. Zéro prétention. En exergue, Victor propose l’on the road again de Willie Nelson.

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             Comme il est devenu au fil du temps un vieux routier du circuit underground, et notamment Binic, il n’est pas surprenant de le voir citer les noms des bars dans lesquels il a joué en compagnie de James Leg et de Left Lane Cruiser. Sur scène, il fait d’ailleurs du pur Left Lane Cruiser. Il en a largement les moyens. Au détour d’une page, il vante les charmes du bar de l’U à Besançon, et du Swmap Fest qui a lieu à Thise. Joli nom, Thise. On voit l’image d’ici.

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    ( Jim Jones )

             Chaque étape du roadtrip est bien  documentée. Victor est un ancien one-man band, alors il sort sa gratte et son harp pour animer les apéros. Pas mal d’images charbonnent à cause du choix de papier. Le bouffant n’est guère propice aux ambiances lourdement chargées, et des images sont souvent illisibles. En plus ça a l’air d’être du numérique, un process qui n’est pas vraiment réputé pour sa finesse en matière de piqué d’image.

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             Et puis, encarté en trois de couve, il y a un EP 6 titres avec des copains et pas n’importe lesquels : Scott H. Biram, Left Lane Cruiser, James Leg (qui a vécu un peu à Strasbourg chez Victor), et puis Jim Jones, un vieux collègue des Nuits de l’Alligator. C’est d’ailleurs Jim Jones qui supervise Tillandsia, nous dit Victor. Et puis il y aussi Mark Porkshop qu’on avait un peu oublié, un vétéran de Binic, puisque ça remonte à 2011. Victor indique qu’il a tourné avec lui aux États-Unis en 2018.

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             On trouve de sacrées covers sur l’EP, à commencer par l’intouchable «Circumstances» de Captain Beefheart. Porkshop le touche, il tape en plein dans le mille du wooow yeahh, il te tape ça en mode Magic Band, Pork est un pur. Bifarx me sir ! Cet EP est une bombe, car à la suite, t’entends Jim Jones ex-plo-ser «Inside Looking Out», Jim Jones te monte ça au sommet de l’Ararat du scream définitif, Jim Jones est capable d’érupter comme le Krakatoa, il monte là-haut comme le fit jadis l’immense Eric Burdon et ça devient hallucinant de grandeur marmoréenne. Alors la foule ovationne Jim Jones : «Jim ! Jones ! Jim ! Jones ! Jim ! Jones !». Avec Left Lane Cruiser, Victor fait du Left Lane Cruiser. Il cruise tout ce qu’il peut dans le Left Lane avec un shoot de Muddy, un fast headed «Hearted Jealous Man» qui ne traîne pas en chemin. Avec Scott H Biram, Victor fracasse le «You’re Gonna Miss Me» de Roky. Ça joue aux braises ardentes, you didn’t realize, c’est littéralement stupéfiant d’énergie brute et de fournaise. Et ça monte encore d’un cran avec un «Catfish Blues Remix» heavy as hell, pus jus de deep blue sea, toute la mythologie du rock est là et en prime, ça rappe. Mais le summum de cet explosif EP est le «Going Down» de Freddy King, jadis explosé par Jeff Beck et Bobby Tench. Cette fois, c’est James Leg qui te fout le souk dans la médina. Le chant prend feu. Peu de diables savent ainsi cramer leur chant. Et derrière coule un déluge de going down. Pas de pire diable sur cette terre que James Leg, on l’a déjà vu à l’œuvre, mais là, il chante par-dessus la jambe. Leg est un leg. Stupéfiant !

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             Sur scène, les Dirty Deep assurent bien. Ils jouent en formation serrée, c’est-à-dire en power trio, et sont capables de chauffer une salle vite fait bien fait. Leur atout est le fast boogie blues de type Left Lane Cruiser, et le petit Victor, chapeauté de frais, mène bien le bal à coups d’harp et de poux cinglants. Deux cuts te claquent le beignet : bing !, «Black Coffee» (qu’on ne trouve hélas sur aucun album) et re-bing!, l’imbattable «Leave Me Alone», qu’ils envoient rouler juste avant la fin du set et qu’on retrouve sur l’album What’s Flowing In My Veins. Et là, tu prends ta carte au parti. Mine de rien, ils volent le show. Ils tapent le Cruiser boogie blues avec une véracité crue qui les honore et qui les fait entrer dans la cour des grands. Tu croyais ce domaine réservé aux Américains qui sortent des bois, eh bien, voilà les héritiers.

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    Le petit Victor et ses deux copains descendent en droite ligne d’Hasil Adkins et de tous ces fracass-kings d’American Psycho. C’est un bonheur que de les voir jouer sur scène. Avec Muddy Gurdy, ils font partie des rares Français à porter la bonne parole du real deal et du deep blue sea. Leur seul petit défaut serait de vouloir faire trop de participatif en cherchant à galvaniser le public comme on galvanise des troupes. La harangue est mauvaise conseillère, et en même temps, elle est de bonne guerre. Ils ont suffisamment de bons cuts pour ne pas être obligés d’avoir recours à l’harangue.

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             Tu retrouves «Leave Me Alone» sur What’s Flowing In My Veins. C’est en plein dans le mille de la Cruise. Quel blast ! Victor se jette à corps perdu dans la bataille et screame comme mille démons. C’est tellement wild que tu le réécoutes plusieurs fois d’affilée. Il a tout compris. On se croirait d’ailleurs sur un album de Left Lane Cruiser : même beat, même son, mêmes coups d’harp, mêmes paroles, même bottleneck, même volonté d’en découdre. Il ne manque rien. Ils font une belle cover de «Goin’ Down South», déjà entendue mille fois. Tout y est, les poux sont merveilleux. Le petit Victor a une bonne énergie. Ils attaquent «How I Ride» au bassmatic de combat, et ça joue tellement heavy qu’on se croirait chez Blue Cheer. Nouvelle rasade de raw avec «You Don’t Know». Sur cet album, tout est très carré, bien attaqué, bardé de barda. Le petit Victor chante à la régalade du raw, l’heavy boogie blues n’a aucun secret pour lui. Il regagne la sortie avec un real deal de Big Atmospherix, «Shine». Il sait se montrer intense et forcer sa voix. Pas de problème, son «Shine» passe comme une lettre à la poste.        

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             Comme Shotgun Wedding est un Beast de one-man band, tu restes un peu sur ta faim. T’as déjà entendu tous ces cuts mille et mille fois. Le Mr. E qui chante sur «Midnight Blues» est sans doute l’E de Left Lane. On salue au passage le «Let It Ride» attaqué au Dust My Blues, c’est de très bonne guerre, et en B, t’as le «John The Revelator» de Son House gratté en mode heavy vazy. Il gratte aussi son «She’s A Devil Inside» au gras double, ça percute bien, et il boucle son petit one-man bouclard avec un «When The Sun Comes Up» bien écrasé du champignon. 

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             T’es vite surpris par la qualité de Tillandsia, un Deaf Rock de 2018. Et ce dès «Sunday Church» : ils sont délicieusement sur-saturés de gras double. Ça s’étrangle dans la purée. Là, t’as du pur génie de sonic trash. Le petit Victor est le grand spécialiste du boogie du diable. Nouveau coup de génie avec «Strawberry Lips», boosté dès le deuxième tiers par un beat sourd de stand-up. Rien de tel qu’une stand-up pour pulser entre les reins du beat. Ce «Strawberry Lips» dévore bien le foie du real deal. Et c’est pas fini ! Ils nous refont le coup du power trio avec «Wild Animal». Ils font exploser le rock ! T’en reviens pas de voir dégringoler toute cette dégelée royale. Ils ont la même puissance dans le slowah («You’ve Got To Learn») et le petit Victor tape en plein dans la véracité avec les coups d’harp d’«Hipbreak». Il a tout l’écho de Little Walter. D’ailleurs, on devrait l’appeler Little Victor, ce serait un hommage. Les voilà qui tapent «Hangin’ On An Oak Tree» au hard beat de bass-drum. Ces trois deepy Deep sont des démons. Leur heavy blues-rock renvoie droit sur Blue Cheer. Nouveau coup de Trafalgar avec la jam totale de «By The River» et sa belle attaque de bassmatic, vite reprise par le beat du vieux «Fast Line Rider» de Johnny Winter, et ça se développe de manière ahurissante pour basculer dans l’enfer d’une jam nucléaire, avec un sax et un bassmatic de destruction massive. Du son comme s’il en pleuvait.    

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             Foreshots est un album beaucoup plus calme que les autres. On s’y régale de deux petites merveilles : «Downtown Train», doucement psychédélique, assez délicat, raffiné, orné à l’or fin violonique. Et puis en B, tu vas tomber sur «Pour Some Whiskey On My Heart», un paisible petit country blues qui sent bon la campagne. Rien qu’avec ces deux merveilles, Little Victor se hisse dans la cour des grands. La qualité de ses cuts n’en finit plus de t’impressionner. 

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             Trompe L’Œil est un album très diversifié. T’as du blast («Shoot First», ils explosent en plein vol, Little Victor défonce bien la rondelle des annales), t’as de l’énormité («Juke Joint Preaching», bien chargé de la barcasse, avec du guitarring à gogo) et t’as du simili Rachid Taha («Donoma», attaqué à la deep psychedelia orientalisante). Ils redeviennent le fantastique power trio que l’on sait avec «Hold On Me». Ah ils savent allumer la gueule d’un cut ! Leur «Broken Bones» d’ouverture de bal (et de set) tombe dans la marmite de l’heavy heavy, c’est noyé de son et d’harp. «Hipbreak III» vaut pour une petite tentative de swing. Ils se dispersent un peu, mais ce n’est pas si grave. Ils jouent leur «Never Too Late» au gras double, comme au temps du British Blues et de Savoy Brown. Et ils descendent au bord du fleuve pour gratter «Waiting For The Train». Très curieux paradoxe. Il godille et perd des plumes. C’est trop carte postale.

    Signé : Cazengler, dirty old man

    Dirty Deep. Le 106. Rouen (76). 1er février 2025  

    Dirty Deep. Shotgun Wedding. Beast Records 2014 

    Dirty Deep. What’s Flowing In My Veins. Beast Records 2016

    Dirty Deep. Tillandsia. Deaf Rock Records 2018  

    Dirty Deep. Foreshots. Deaf Rock Records 2020  

    Dirty Deep. Trompe L’Œil. Junk Food Records 2023

    Victor Sbrovazzo & Arnaud Diemer. A Wheel In The Grave. Mediapop Éditions 2021

     

     

    Robyn des bois

     - Part One

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             Robyn Hitchcock publie son autobio : 1967 - How I Got There And Why I Never Left - A Memoir. Enfin autobio, c’est vite dit. Il s’agit en fait de l’autobio de son année 1967. Il va peut-être publier les autobios des années suivantes. On ne fera pas partie de ceux qui vont cracher dessus, parce qu’on l’aime bien, Robyn des bois. On le suit depuis des lustres, depuis les Soft Boys, même s’il a une discographie à roulettes, de celles qui présentent un danger pour ton porte-monnaie. Et puis on l’a vu, Robyn des bois, dans un documentaire consacré à Syd Barrett, assis dans son jardin, chanter et gratter «Dominoes» à coups d’acou, donc pas de problème. Il est des nôtres. Comme le font tous ceux qui ont de la suite dans les idées, il sort en même temps le pendant musical de son book, un album de reprises : 1967: Variations In The Past. L’album illustre musicalement le book, et inversement, le book illustre littérairement l’album. C’est habile.

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             Le book n’est pas bien épais, mais remarquablement bien écrit. Choix typo, cabochons et main de papier remarquables. Côté style, Robyn des bois fait le choix de l’absolue non-volubilité. Il opte pour une forme de parcimonie bien tempérée. En 1967, il a 14 ans et se retrouve pensionnaire au Winchester College, dans le Sud de l’Angleterre.

             On ne va pas tourner longtemps autour du pot : quatre noms jaillissent du récit : Dylan, Beatles, Hendrix et Syd Barrett, des noms qu’on retrouve sur l’album, sauf Dylan.

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             Première rencontre avec Dylan via Highway 61 Revisited - La pochette me montre Dylan pour la première fois, assis, vêtu d’une chemise bleue, looking enigmatically out at life. He looks calmly furious, beneath a lacquer of indifference - Robyn des bois est fasciné par cette image - He looks wise. Wise and dangerous - L’album dit-il démarre with the song that has become my breakfast-time mantra, «Like A Rolling Stone» - Pour le jeune Robyn des bois en herbe, c’est l’Holy Grail. On a dû vivre exactement le même genre de révélation. La première approche de Dylan relevait alors d’un certain mysticisme. Puis quand Dylan disparaît de la circulation après son accident de moto, Robyn des bois se demande où il est passé, «where in the universe is Bob Dylan, l’homme qui a tout inventé ? Je ne le connais que depuis 18 mois, mais tout ce que j’écoute est lié à lui : Jimi Hendrix, David Bowie, Pink Floyd, et les groupes pop utilisent désormais les mots pareils aux siens, it’s all his doing. Et il a disparu.» Robyn des bois se demande s’il est encore en vie et ce qu’il fabrique. Et il ajoute ça, qui est confondant : «Il est clair à mes yeux que si quelqu’un connaît le sens de la vie, c’est bien Dylan. He has momentum, direction, intuition - wisdom.» Il est tellement fasciné par Dylan qu’il affirme, vers la fin, qu’il est désormais «50 per cent Winchester College, and 50 per cent Bob Dylan». C’est exactement ce qu’on ressentait à l’époque. Une sorte d’admiration qui flirtait avec la dévotion. Robyn des bois décide alors de devenir songwriter - «Like A Rolling Stone» hooks me, «Desolation Row» pulls me in, and «Visions Of Johanna»... more subtle, more engulfing, it becomes me.

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             Arrivent enfin des nouvelles de Dylan avec John Wesley Harding. Fin 1967, quatre pages avant la fin du book. Mais Robyn des bois n’est pas très content. Il trouve l’album «plat, beige and no much fun to listen to.» Il trouve les chansons trop courtes, «what’s going on? The exhilaration was gone, he was older and wiser.» Dylan se laisse pousser une petite barbe, il a épousé sa true love. Nobody nous dit Robyn des bois, n’osait dire qu’il n’aimait pas l’album, mais «John Wesley Harding didn’t spend half the time on the record player that Highway 61 or Blonde On Blonde did, and still do.» Voilà pour Dylan en 1967.

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             La même année, il découvre «Strawberry Fields Forever», let me take you down, il observe que les Beatles se développent très vite, nothing is real, et parce que ses copains d’école et lui se développent aussi rapidement, alors tout semble naturel. Mais il préfère reprendre «A Day In The Life» sur l’album. Oh boy ! Il tombe en plein John Lennon et c’est là qu’éclate le génie de John Lennon, l’un des géants du XXe siècle.

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             Pour saluer l’avènement d’Hendrix en 1967, Robyn des bois se souvient du bruit à la radio : «SKONK-SKREEK-SKRONK-SKREEK: WHA-DA-DA-FANG, DA-DA-DA-FANG, (sic) Purple Haze all in my brain/ lately things they don’t seem the same - Il se souvient d’avoir perdu ses esprits - I am a teenager on fire - Oh holy fuck, this is music to levitate to... - Sur 1967: Variations In The Past, il opte plutôt pour «The Burning Of The Midnight Lamp». C’est gratté sur deux acous et ça tombe bien sous le pli. Pur génie interprétatif. L’absence de wah ne choque pas.

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             Dans la collection de disques de son cousin, il est attiré par un 45 tours d’un groupe nommé Pink Floyd : «Arnold Layne», l’histoire d’un mec qui vole des fringues sur une corde à linge au clair de la lune et qui se retrouve au ballon pour ça. Comme le chanteur cite «Baby blue» dans ce cut étrange, Robyn des bois est intrigué. Le chanteur connaît sûrement Dylan. Puis il découvre que le chanteur s’appelle Syd Barrett et qu’il joue le guitar solo on the bottom string - I can identify with him - À l’automne de cette année-là, le premier album de Pink Floyd is in heavy rotation on the House Gramophone. L’époque veut ça. Les kids n’en finissent d’écouter des bons albums. Il en sort tous les jours.

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    Sur 1967: Variations In The Past, Robyn des bois reprend «See Emily Play». Cette fois, c’est pas Oh Boy, mais Oh Syd ! Rien de plus British que cette attaque. Il en fait une version opiniâtre, gonflée d’écho du temps, il te gratte ça à la Méricourt, il entre en osmose avec le vif argent de Syd. Cover lumineuse. On a là l’un des meilleurs hommages jamais rendus à Syd Barrett.

             Comme beaucoup de kids jetés vivants dans le tourbillon des sixties, Robyn des bois va identifier ses deux ennemis : le coiffeur et le policier - The barber is the natural enemy of freedom. Soon I will learn the same thing about the police force - Il n’est pas tendre non plus avec le système éducatif anglais, et plus particulièrement les pensionnats dont la principale fonction est selon lui de retarder les kids émotionnellement et de les lâcher ensuite dans la nature. Il porte aussi un jugement terrible sur l’infirmière Miss Duplock, une femme résignée, «lower-middle-class English; life has avoided her.» Pour les pensionnaires, elle n’a jamais été aimée - a meal that nobody wanted to eat - Ce qui l’amène bien sûr sur le terrain du sexe - Your cock is your motor - et comme il n’y a pas de gonzesses au collège,  alors il faut se débrouiller tout seul, il le dit avec des mots d’une pudeur extrême - To experiment with ourselves, and with each other - et rappelle que l’homosexualité est légalisée en Angleterre cette année-là.

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             Robyn des bois flashe aussi sur Incredible String Band - The cover alone of this new record, The 5000 Spirits Or The Layers Of The Onion, sums up everything I love about how 1967 is going so far. The saturated joy of it, the intricacy. Plus on observe cette pochette et plus tout semble se transformer en autre chose, ce qui pour moi définit la psychedelia - Il rend un bel hommage au Heron et à son copain Robin Williamson, «like Dylan, they seem to sense how sadness is the shadow of beauty.» Il note aussi la présence du nom de Joe Boyd sur la pochette - Whoever Joe Boyd is, he has to be a high-level groover - Il pense que l’Heron et Williamson sont comme Dylan, qu’ils comprennent le meaning of life. Il écoute The 5000 Spirits Or The Layers Of The Onion chaque jour. Sur 1967: Variations In The Past, il reprend «Way Back In The 1960s». C’est pas le meilleur choix. L’album se casse un peu la gueule avec ce Way Back.

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             Il aime bien aussi le «Daydream Believer» des Monkeees, même s’il découvre qu’ils ne sont pas hip - They are tennybopper pop fodder for the meatheads - Pour Robyn des bois, les gens qui n’écrivent pas leurs chansons ne sont pas intéressants. Il vise les Monkees, mais aussi Elvis et Sinatra, they’re just supper-club singers, music for uncles. Aussi se prive-t-il d’admirer les Monkees - So I can’t let myself enjoy them too much - Il est marrant, mais on est tous pareils, on fonctionne selon des gros a priori, et on s’interdit bien des choses. Donc pas de Monkees sur l’album.

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             D’autres bonnes surprises, comme par exemple ces trois covers géniales : «A Whiter Shade Of Pale», «Itchycoo Park» et «Waterloo Sunset». Avec le Procol, il remplit bien le spectre sonore. Il gratte le thème à coups d’acou, c’est magnifique de skip the light fandango, il dépose avec une grâce infinie le Whiter dans l’écrin de sa légende. Le fait de reprendre le thème d’orgue de Matthew Fisher à coups d’acou relève de la performance surnaturelle, Robyn des bois réactualise cette ancienne magie, cette maudite chanson qui nous fit tourner la tête alors qu’on hantait des corridors. Il te remet ce hit intemporel en perspective. C’est encore pire avec «Itchycoo Park». Quel démon ! Il te prend ça au chant de lumière à coups d’it’s all toooo beautiful, il en fait jaillir le suc, il te dépouille l’Itchycoo et l’enlumine ! Et puis il gratte le «Waterloo Sunset» à l’ongle sec, c’est pourri de feeling. Il envoie des coups de sha la la comme on en voit plus, il cristallise toute l’innocence des sixties. Il tape aussi des covers d’«I Can Hear The Grass Grow» et de «San Francisco (Be Sure To Wear Flowers In Your Hair)». C’est vrai que tous ces hits étaient imparables. Par contre, il se vautre avec «My White Bicycle» et le «No Face No Name No Number» de Traffic. Ces deux trucs n’ont jamais été des hits. Dommage. 

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             Dans l’épilogue, Robyn des bois réfléchit à l’évolution du rock anglais, voyant d’un mauvais œil les gatefold album sleeves masquer le fait que la musique devient de plus en plus médiocre et quand il commence à aller voir des groupes sur scène, il constate que les cheveux longs et les interminables solos de guitare are no substitute for inspiration. Pour lui, c’est la fin de la psychedelia expérimentale. Il partira plus tard s’installer à Cambridge et monter les Soft Boys. Il affirme être resté bloqué en 1967 - country rock, glam, funk, disco, reggae, and punk more or less passed me by  - et il conclut sur ça, qui vaut tout l’Or du Rhin : «Regardless, I’m grateful that the stopped clock of 1967 ticks on in me - it’s given me a job for life.»

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             Une petite rafale d’articles salue la parution du book, oh pas grand-chose, une page par ci, une page par là. Dans Uncut, Tom Pinnock parle de l’adolescence dans les sixties comme d’une «psychedelic transition», ce qui n’est pas idiot. À quoi Robyn des bois ajoute : «I happend to be feeling intense when Dylan went electric, and extremely intense when Revolver came out, and then I supernova’d along with Are You Experienced.» Robyn des bois est alors un pensionnaire de 14 ans au prestigieux Winchester College, Hampshire. Il dit pourquoi il est resté bloqué dans son collège en 1967 : «Je ne me suis jamais ajusté à la vie après ça. Winchester m’a ajusté à Winchester, et 1967 m’a ajusté à 1967. Pour moi, rien ne vaut la musique d’alors et rien n’a jamais égalé l’intensité de la vie dans ce collège et dans ce weird Gothic universe. Je vis à Londres aujourd’hui, mais je suis resté là-bas.»

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             Pour saluer la parution de 1967, Shindig! ne se casse pas la nénette et publie un extrait du book. Dans l’encadré qui accompagne l’extrait, Robyn des bois salue trois merveilles : «Waterloo Sunset» des Kinks («This song surges my heart to breaking point whenever I hear it or sing it.»), «See Emily Play» de Syd Barrett («He managed to distil the exhilaration of 1967 and some of that year’s melancholy awareness of how brief its eternal moment would be.»), et bien sûr «Are You Experienced» («This piece of music will rip you up your cardboard problems and set you free, baby»).

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             Pour saluer la parution de Shufflemania!, Tom Pinnock revient à la charge dans un vieil Uncut pour qualifier Robyn des bois de «singular psych folk troubadour». Mais l’audience with Robyn Hitchcock n’a pas grand intérêt, car il parle de ses chemises et de sa fascination pour Bryan Ferry. Une question porte sur Winchester College et il redit sa passion pour cette époque. Il cite l’exemple du gatefold de Trout Mask Replica, il dit que sa vie se résumait aux disques et à leurs pochettes, allant jusqu’à mémoriser le timing de l’album - Ant Man Bee 2:42 - Et il ajoute ça qui est déterminant : «I come out of a long line of gatefold sleeves, so yeah, it made me.» Une question porte bien sûr sur Syd qu’il n’a jamais rencontré, mais les chansons, dit-il ‘have a miraculous life of their own that nobody can replicate.»     

    Signé : Cazengler, Robynet

    Bobyn Hitchcock. 1967 - How I Got There And Why I Never Left - A Memoir. Constable 2024

    Robyn Hitchcock. 1967: Vartiations In The Past. Tiny Ghost Records 2024   

    An audience with Robyn Hitchcok. Uncut # 307 - December 2022

    The shadow of beauty. Shindig! # 153 - July 2024

    Tom Pinnock : The spirit of  ‘67. Uncut # 327 - July 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - Tate gallery

             Impossible de ne pas admirer Thomas Pote. Il incarnait l’un de ces conglomérats qui te marquent à vie. Un conglomérat ? Eh bien oui, un conglomérat ! Mais de quoi ? Un conglomérat de qualités. Quelles qualités ? On pourrait presque dire toutes les qualités. Ça ne veut rien dire ! Bon d’accord. Quand tu rencontres Thomas Pote pour la première fois, t’es frappé par sa beauté physique. Brun, assez haut, sourire carnassier, franc parler, bras tatoués, mais pas du tattoo de tarlouze, du vrai tattoo d’HLM. Une sorte de rocker de banlieue, un rayonnant, un creveur d’écran, un bouffeur d’espace, un déplaceur d’air, un félin, une force de la nature, un voyou doté d’une effarante élégance naturelle. Puis si t’as la chance de passer une nuit blanche à sa table en sifflant des packs de Kro, tu vas entrer de plain-pied dans l’immense surface de sa personnalité, il va te raconter des histoires de toutes sortes, des braquos et des voyages, des rencontres extraordinaires et des projets de groupes, des fêtes et des histoires de cul, il farcit chaque récit de références musicales ou cinématographiques, il te cite Sam Phillips et Martin Scorsese, il t’explique qu’il apprend à jouer du sax à cause des solos de Lee Allen sur les 45 tours de Little Richard, et pour financer l’achat de son sax, il te raconte qu’il a piqué une BM, qu’il l’a maquillée dans son garage et qu’il l’a revendue à son fourgue habituel. Tu veux voir le garage ? Alors il t’emmène le visiter, juste derrière la baraque, il ouvre les deux grands battants et te montre sa faramineuse collection d’outils accrochés aux murs, comme autant de trophées, puis il t’emmène dans le local voisin qui est le local de répète où viennent jouer tous les groupes locaux, il branche un générateur et lance une boîte à rythme, il se met torse nu, embouche son sax, et se met à jouer un cut hypno pendant dix minutes, «tu connais ?», fuck, il te fait du James White & The Blacks, il danse au milieu de la petite pièce, il fait son James Brown, et tu vois son torse et son dos couverts de tatouages baveux. Soudain, tu réalises que se trémousse devant toi l’une des plus grandes rockstars du monde moderne. Personne n’est au courant.

             

             Thomas Pote et Tommy Tate ont un point commun : la grâce naturelle. C’est la raison pour laquelle ils se croisent au coin d’un tunnel, inside the goldmine.

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             C’est grâce à Carl Davis que tu fais la connaissance de Tommy Tate. Carl Davis n’a fréquenté que des cakes, alors forcément t’es pas surpris quand tu mets le nez dans I’m So Satisfied. The Complete KoKo Recordings And More, un compile Kent parue en 2007. Tu reprends même ton souffle avant de plonger dans ce lagon d’argent. D’autant plus que Tony Rounce signe les liners.

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    ( Johnny Baylor )

             Tiens, te dis-tu, d’où sort ce Ko Ko Recordings ? Rounce te dit tout. Ko Ko est le label monté par Johnny Baylor, un heavy black dude embauché par Stax pour assurer la sécurité et s’occuper des débiteurs qui ont du mal à payer. Dans son Stax book, Robert Gordon brosse un portrait terrifiant de Baylor. Brrrrrrrrr. Good Fella en black. Baylor bosse pour Stax, mais il monte Ko Ko et n’a qu’un seul artiste sur son roster : Luther Ingram. Avec Tommy Tate, ça fait deux. Rounce compare Baylor à Don Robey (Duke/Peacock) et Morris Levy (Roulette). Tommy Tate indique pour sa part qu’avec Johnny Baylor, tu ne discutes pas les ordres - With Johnny, you just dit it, or else... - Rounce indique aussi que Tommy Tate et Luther Ingram ont participé à Wattstax. Mais les enregistrements des trois cuts de Tate sont tout pourris et apparemment, c’est perdu. Rounce aurait bien aimé les mettre sur sa compile.  

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             C’est assez bête à dire, mais cette compile grouille de puces. Tu connais une compile Kent qui ne grouille pas de puces ? Celle-ci est peut-être même un peu plus pire que les autres. Tommy Tate a une voix ET des compos, et t’es hooké aussitôt «School Of Life». Tu ne t’attends pas à une Soul d’une telle qualité. C’est une Soul extraordinairement développée. Pas compliqué : sur les 20 cuts, t’as 10 bombes. Tommy Tate propose une Soul libre, légère, d’une fantastique allure. Sur «I Remember», il sonne comme Wilson Pickett. Il est accompagné nous dit Rounce par The Movement, c’est-à-dire le backing-band d’Isaac le prophète. Et avec «If You Got To Love Somebody», il passe au big time de good time. Il travaille sa Soul au corps. Ici, tout est beau, tout est absolument parfait. Encore un hit pulvérisé avec «I’m So Satisfied». Tommy Tate est un chanteur incommensurable. Sa Soul te colle au train. Il fait du Stax avec «Revelations» et la basse sonne comme une corne de brume. Nouveau coup de Jarnac avec «I Ain’t Gonna Worry» gratté à l’angle biseauté. Tu croises rarement des black dudes aussi doués. Son scream est pur comme l’eau de roche. «More Power To You» sonne comme le slowah fatal. C’est d’une rare puissance. Encore de la modernité avec «If You Ain’t Man Enough». Ni Motown, ni Stax, c’est du black rock avec du big sound, et t’as la guitare de rêve en plus de la Soul parfaite. Il fait encore corps avec sa Soul dans «It’s A Bad Situation». Son heavy groove est ahurissant de classe. Il passe au hard funk avec «Hardtimes SOS». Il te rocke le funk. Il est bon dans tous les râteliers. Il mène rondement l’heavy r’n’b d’«It Ain’t No Laughing Matter», qu’il a co-écrit avec son pote Sir Mack Rice. Incroyable qualité d’ensemble, son et chant ! Il refait son Wilson Pickett dans «Just A Little Overcome» et boucle avec «I Don’t Want To Be Like My Daddy», un slowah de perdition explosive. On n’avait encore jamais vu ça. Effarant, éclatant et épuisant.

             Quand Stax a disparu, Baylor est revenu s’installer à New York. Mais Ko Ko a fini par couler et Tommy Tate est rentré chez lui à Jackson, Mississippi. Il n’a jamais cessé de composer et d’enregistrer. Rounce nous met bien l’eau à la bouche en révélant qu’il existe un stock de démos tellement énorme qu’on pourrait en faire 30 albums ! Mais rien n’est encore sorti. Te voilà encore avec une incroyable histoire sur les bras.

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             Hold On est un beau Malaco de 1979. Aw my Gawd, quel album ! Avec «Little Boy» et «All A Part Of Growing Up», Tommy Boy reste le Prince de la Good Time Music, car ces cuts sont frais, orientés sur l’avenir. Little Boy bénéficie du petit stomp de Malaco et Tommy Boy l’emmène au paradis. Le Growing Up est réellement du big time de Good Time, Tommy Boy est un meneur, il arrache son Growing Up du sol ! Et puis t’as tous ces coups de génie, tiens à commencer par «I’ve Been Inspired To Love You», il amène ça en mode fast r’n’b, mais Tommy Boy va vers le côté joyeux du r’n’b et il sait groover comme un dingue. Franchement t’en reviens pas de l’entendre groover son Growing Up à gogo. Encore un coup du sort avec «I Can’t Do Enough For You Baby», ce prince balance bien des hanches. Même chose avec «A Thousand Things To Say», cut de Soul merveilleusement allègre et moderne. Quelle tenue et quelle qualité, Oh Boy ! Le festival se poursuit avec «Hold On (To What You’ve Got)», horriblement groovy, et «Do You Think There’s A Chance», ce cut si subtil qui ne tient qu’à un fil, et qui résumerait bien l’art chantant de Tommy Boy : une Soul fine et racée. C’est tellement bien balancé que tu cries au loup. Tommy Boy aligne ses hits comme des planètes, pour le seul bonheur des becs fins. Il fait de la Soul de haute voltige. 

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             L’album sans titre de Tommy Tate sort en 1981 sur Juana, le label de Frederick Knight. Encore un album qui grouille de puces, notamment «Listen To The Children», Tommy Boy sait poser sa voix sur l’heavy Soul de Malaco. C’est excellent, profond et sincère, il monte son we got to listen au jazz de pah pah. C’est tout simplement génial. Pas loin de Marvin, avec un joli break de coups d’acou. En B, il tape le «This Train» de Frederick Knight, cut assez mystique qui sonne un peu comme le thème du Soul Train mythique de Don Cornelius. Tommy Boy groove son hard r’n’b et fait autorité. Quel fantastique shouter ! Power to the max ! Encore une petite merveille avec «On The Real Side». Il tartine merveilleusement sa heavy Soul. Tommy Boy est un puissant seigneur. On le voit aussi s’éloigner dans «I Just Don’t Know», il tape dans la Soul latérale d’I’m so lonely.

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             Sur Love Me Now, Tommy Boy tape une belle compo de Mack Rice, «Slow Rain (Fast Train)». Avec Mack Rice, ça groove toujours dans la couenne du lard. Tommy Boy est en quelque sorte le prince de la Good Time Music, comme le montrent «Midnight Holiday» (bien balancé et contrebalancé avec des chœurs de rêve de window pane) et ce «Tear This House Down» signé George Jackson, et Tommy Boy y va de bon cœur au tear this house down tonight.

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             Pas de chance pour Tommy Boy : All Or Nothing est plombé par le son années 80. Il se fait baiser par la prod. Il perd la Soul. Ce son est une calamité. Ça vire diskö-pop et ça devient vite imbuvable. Que vas-tu sauver là-dessus ? Rien. Il ne s’en sortira pas, même avec tout le feeling du monde. T’écoute car t’espère, mais ce sera en vain. Il fait une tentative de boogie avec «Walking Away». En vain. Un petit parfum d’exotica plane sur «This One’s». On accorde une dernière chance au disk raté du pauvre Tommy Boy. Quel gâchis !

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             Par contre, la compile Hold On - The Jackson Sessions Rare & Unreleased grouille de puces. T’as au moins dix coups de génie au cm2. Boom dès «Friend Of Mine». Tommy Boy fait son big Soul Brother, c’est solide. «Little Boy» sonne comme de la pop Soul d’élan vital. Toutes les compos sont ambitieuses. Tommy Boy sonne déjà comme une superstar. On se régale de sa grosse présence vocale sans «All A Part Of Growing Up», qu’on trouve sur Hold On. Puis arrivent d’autres coups de Jarnac, «I Can’t Do Enough For You Baby», tiré aussi d’Hold On, il a des chœurs de rêve pour ce slowah profond et humide, merveilleusement travaillé aux harmonies vocales, il part ensuite en mode gros popotin avec «A Thousand Things To Say». C’est d’une qualité hors du commun, il module à l’infini. Tommy Boy superstar ! Il peut faire son Wilson Pickett («Something To Believe In») et taper une hard Soul de rock gorgée d’excellence («You’re Not To Blame»). Sur «So Hard To Let A Good Thing Go», il est dans l’hard r’n’b, avec du bassmatic à gogo. Il te tient vraiment en haleine. Tout est très chanté, ultra chanté. Il finit en mode gospel avec «Something Good Going On». Tommy Boy est un crack, il tient bien son époque en main. Tous ces cuts sont effarants de qualité et derrière, t’as ce mec qui joue des espagnolades électriques. Reggie Young ?

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             Tu ne peux décemment pas te lasser de Tommy Tate. Dès qu’une nouvelle compile pointe le museau, tu sautes dessus. When Hearts Grow Old - Twenty previously Unissued Recordings From The Malaco Vaults date de 2008. On est en plein Malaco. Tommy Boy y fait de la Soul évolutive. Il t’installe dans le confort de la Soul. Avec «You’re Making My Dreams Come True», il va plus sur Barry White. Il se bat pied à pied avec tous ses cuts. Il a une belle dégelée royale de poux sur «Feel The Love» et il refait son Barry White avec «Lonely Lady». Il fait résonner la fibre White et ça te fend le cœur. Tu te régales de ce gros groove d’exception qu’est «Ain’t No Love For Sale». Il revient à son cher Barry White system avec «Lay Love Inside» et puis t’as ce «That’s Just A Woman’s Way» un peu dans la veine de «MacArthur Park», même dramaturgie mélodique. Il est encore fantastique sur «I Feel So Close To You», il enjolive cette Soul new wave, il la nourrit, il la chérit, dommage qu’elle soit si années 80. Mais Tommy does it right. 

    Signé : Cazengler, Tommy Tarte

    Tommy Tate. Hold On. Malaco Records 1979  

    Tommy Tate. Tommy Tate. Juana 1981

    Tommy Tate. Love Me Now. Urgent 1990 

    Tommy Tate. All Or Nothing. P-Vine Records 1992  

    Tommy Tate. I’m So Satisfied. The Complete KoKo Recordings And More. Kent Soul 2007 

    Tommy Tate. Hold On - The Jackson Sessions Rare & Unreleased. Soulscape Records 2008

    Tommy Tate. When Hearts Grow Old - Twenty Previously Unissued Recordings From The Malaco Vaults. Soulscape Records 2008

     

     

    *

    ROCK EN VRAC

    RENCONTRES AVEC DES CAÏDS DU ROCK

    ET DU ROMAN NOIR

    MICHEL EMBARECK

    (Les Editions Relatives / Février 2025)

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             Ne dites pas Embareck, dites Embarock. D’abord une préface. Pour mettre les chrockse au point. Il y a rock et rock. Le rock d’avant et le rock d’aujourd’hui. Celui d’aujourd’hui, il s’est dinosaurisé. Surtout en notre pays. L’est devenu un plantigrade balourd dont tout le monde se détourne. S’est transformé en une espèce en voie d’extinction. Survit dans les zoos, les enfants ont le droit de leur jeter des cacahuètes. De braves bêtes inoffensives, châtrées dès la naissance.  Elevées aux hormones qui annihilent leur métabolisme de prédateurs. Parfois surgissent par miracle, par génération spontanée, quelques méchants tyrannosaurus aux dents longues à vous croquer la planète. Sont circonscrits en d’étroites réserves, seuls de rares amateurs tentent de les remettre en liberté, mais les institutions médiatiques veillent…

             Méfiez-vous de l’expression rock en vrac. L’est sûr que vous avez l’impression que Michel Embareck vous embarrasse avec ces trois cents pages remplies jusqu’à la gueule qu’il décharge au tractrock-pelle sans préavis dans votre cervelle trop étroite  pour accueillir tant d’informations. Je vous rassure, elles sont dûment classées par ordre chronologique. Surtout au début. Je vous laisse sur votre faim pour la fin.

             Vite submergé. Ne le plaignez pas. Il l’a voulu. Une simple lettre et le voici dans la gueule du monstre. Dans la rédaction du magazine rock : Best. L’ennemi héréditaire de Rock & Folk. De fait les amateurs achetaient les deux. Nous présente la rédaction de l’intérieur. Une belle équipe. Un patron, Patrice Boutin, pas d’accord avec la ligne, mais qui laisse faire puisque l’affaire tourne et rapporte… Lorsqu’il aura  en 1983 la désagréable idée de mourir au volant de sa Ferrari, Christian Lebrun sera nommé rédacteur en chef… Embareck arrive pour les belles années, celle du dernier mouvement rock d’importance le Punk. Un mouvement parti de rien mais dont la renommée essaimera sur tous les continents… C’est le moment de retrouver Marc Zermati, il est aussi présent sur la toute dernière photo de la denière page, photographié en compagnie de Michel Embareck.

             Notre auteur est à Londres en 1977, et à Kingston en 1978. Ces pages jamaïcaines sont à lire. Vous pouvez me croire, je ne suis pas un grand fan du reggae. Chapitre suivant, soirée chez Gainsbourg qui vient d’enregistrer Aux Armes et Caetera…

             Certes Embareck a eu la chance de traverser ces années folles mais tous ces faits sont tellement connus que l’on aurait tendance à dire que parfois les hommes sont modelés par les évènements et que les individus se contentent de suivre le mouvement. Même si par advertance circonstantielle  ils interviennent tant soit peu sur leur déroulement. Pour moi le livre commence vraiment avec le chapitre sur Alberta Hunter. Née en 1895, morte en 1984. Nous ne sommes plus dans le rock en train de se faire, l’on quitte le serpent qui déplie ses derniers anneaux pour remonter dans la matrice originelle. Oui nous sommes loin du rock. Alberta est une chanteuse de jazz. Une légende. Vous trouverez facilement sur le net enregistrements et éléments biographiques. Embareck lui consacre trois pages, mais c’est un tournant essentiel dans l’ouvrage. Non, il ne fera que citer de temps à autre quelques grands noms du jazz. Mais là n’est pas le sujet. Il s’intéresse à plus profond. C’est là où il se révèle.

             Si je vous dis que le chapitre suivant est un hommage à Little Bob, vous risquez de ne pas trop comprendre, quel rapport avec Alberta et Little Bob. Entre le jazz et le rock français. Aucun. A première vue. Ni au second coup d’œil. Par contre si vous utilisez le troisième hypophysical tout s’éclaire : le blues, en le sens où le blues est un certain engagement pour la vie, pour le blues, pour le rock’n’roll, car tout se rejoint souterrainement dans la grande mouture du rhythm ‘n’blues.

             Voici AC / DC, les enregistrements certes, avant tout des gars accessibles au service de leur musique. Du coq à l’âne. Voici quelques pages consacrées à Lavilliers. Pas spécialement au chanteur. Au voyageur celui qui va au Brésil. Du coup Embareck se barre, il prend la route. Rennes avec Bo Diddley et sa guitare. Bourges (anecdotique). Memphis : le circuit Elvis mais surtout l’emplacement du studio Stax détruit. Nous voici dans le Rythm & Blues. Mais faut encore descendre dans la terre d’élection.

             Nouvelle-Orleans, c’est là qu’il touche à ce que l’on pourrait appeler l’essence impalpable du blues dans la présence de certaines rencontres… La musique certes mais aussi la musique des mots, remontée vers le Montana pour rencontrer la littérature, l’américaine, celle de James Crumley, celle de Solomon Lee Burke, de Jim Harrison… toutefois la littérature n’est-elle pas une mythification, ces écrivains américains ne sont-ils pas considérés en leur pays comme des secondes gâchettes, voire des troisièmes couteaux… Suivez la pensée filigrane, notre attachement au rok’n’roll ne serait-il pas une mythification personnelle ?

             Toute question mérite réflexion. Et surtout une réponse. Embareck n’est pas homme à se prendre la tête. Ne va pas nous pondre un essai de cent pages. Va quand même nous en filer quatre-vingt. A la manière de ces maîtres Zen qui vous envoie une grosse baffe en travers de la gueule pour répondre à votre à question : ‘’ Maître, qu’est-ce que la violence ?’’  L’est moins cruel, il vous offre une douzaine de petites nouvelles.

             Elles sont à lire. Sont comme les gaufres, se dévorent sans faim. De la littérature française qui parle de rock, de blues, d’Amérique et surtout d’êtres humains qui se coltinent dans leurs existences ces invariants. Ces phares baudelairiens. Ces filtres du vécu qui permettent de mieux vivre.  Ces forces de régénération qui ont disposé la Nouvelle-Orleans à survivre à tous les Kaltrina… Pour la petite histoire celle que je préfère : Le rock comme arme d’instruction massive. Normal le nom sacré de Gene Vincent y figure.

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             L’Embareck est un stratège, l’a gardé le meilleur pour la fin. De la même veine que les nouvelles. Mais en plus court. Douze chroniques parues dans le magazine Rolling Stones. Chacune consacrée à un artiste. Ne vous y trompez pas. Lisez-les comme douze autoportraits de Michel Embareck. Douze mythifications tel qu’en lui-même il se change.

             En plus ça fonctionne un peu comme les arcanes du tarot, chacun y trouvera la carte de son destin. Pour moi celle de Wayne Hancok, n’est-il pas qualifié de Fantôme de Gene. Craddock.

    Essayez à votre tour, si vous lisez ce livre de Michel Embareck, les amateurs de rock y découvriront toujours une image qui les représente. C’est ce que l’on appelle le grand Art.

    Damie Chad.

     

    *

             Dernièrement, voir notre livraison 670 du 19 / 12 / 2024, nous avions chroniqué le dernier clip de P3C, une première rafale avant la sortie de l’album Negative Skills mais voici un deuxième coup de semonce ce mois de février :

    SHALLOW TIME

    POGO CAR CRASH CONTROL

             Ce coup-ci pas de vidéo, en lot de consolation vous avez un Reels, moi qui suis le premier à m’éblouir et à rester en contemplation sur le moindre fragment de poterie mésopotamienne, j’avoue que ces vidéos minimalistes tiktokiennes me laissent assez froid. En plus les Pogo sont diablement à l’étroit dans ce  format cigarettes mentholées, même pas ultra-longues, qui se vendaient dans les années soixante.

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             Bref une image fixe et du son, ration de combat minimaliste. Si l’on rajoute que le Shallow Time ne bénéficie que d’un timing de même pas deux minutes et demie, l’on a l’impression d’être dans ces restaurants où le garçon se sent obligé de vous renseigner que le steack est juste sous la frite.

    Certes c’est bien balancé mais l’on n’a pas le temps de voir passer, du déchiré mélodique, l’on s’envole mais après on reste un peu au repos en apesanteur, en orbite stationnaire un peu trop près de la terre, remarquez c’est un peu le thème abordé, besoin d’un peu de calme avant de reprendre l’ascension, on a l’impression que ça tient grâce au vocal delirium tremens d’Olivier.

    Les Pogo se sont adjugés quelques mois pour souffler l’année dernière, z’étaient sur le speed depuis plusieurs années, semblent avoir choisi d’essayer d’autres rhumbs de tangage, l’on sent que ce n’est plus comme avant, mais l’on aimerait avoir l’album in integro pour voir si ce n’est plus comme après.

    Il y a toutefois une justice immanente sur cette terre, puisque samedi dernier (22 février) ils étaient en première partie de Jack White au Trianon.

    Vous avez une vidéo sur YT qui ne vaut pas le déplacement, le son est mauvais, un rythme un peu lourd, une salle peu réceptive.

    Damie Chad.

     

    *

             Certaines choses vous attirent plus que d’autres. Par exemple le rock’n’roll. Pour moi j’ajouterai deux forces d’aimantation irrésistibles, la poésie et la mythologie. Gréco-romaine de préférence, or voici que jetant un œil distrait sur les nouveautés rock de la semaine, deux noms s’inscrivent en lettres d’or dans mes pupilles aiguisées, une déesse et une poëtesse. En plus pas  des moindres !

    INNOCENCES

    HECATE’S BREATH

    ( Chaîne YT : Hecate’s Breath / Janvier 2025 )

    Les rockers aiment Hécate. N’est-elle pas la déesse de des Carrefours. Robert Johnson pourrait vous en parler. Il ne l’a pas reconnue lorsqu’elle s’est présentée à lui, il  l’a prise pour le Diable, peut-être avait-elle emprunté cette apparence satanique pour qu’il comprenne que désormais il jouerait de la guitare comme un Dieu… Vous connaissez le destin de Robert Johnson. On a tendance à qualifier les dieux grecs de bons ou de méchants. Ce qui est particulièrement stupide. Les Dieux ne sont ni bons ni méchants. Ce sont justes des concepts opératoires qui ne se définissent point selon nos chétives catégories humaines.

    Hécate s’inscrit dans la lignée de Nyx, engendrée par Kaos. Le Kaos est une énergie dévastatrice qui sort d’une fente, elle perd de sa force au fur et à mesure qu’elle se déploie dans le vide, les premiers êtres qui sont sculptés par cette déperdition sont de terribles entités incommensurables, Nyx est la première fille l’aînée de tous ceux et celles qui suivront. Cette énergie finit par se stabiliser en les cinq matières élémentales. Les Dieux olympiens sont les rejetons des éléments.

    Pour ceux qui s’étonneraient de cette introduction, je précise que Le Souffle d’Hécate nous avertit en trois mots  de sa vision du monde : Humanity is obsolete. Court mais éloquemment significatif. Le groupe a aussi défini sa musique comme ‘’desincarnate doom’’.

    Pour ce qui suit je ne saurais que vous renvoyez au film de Terence Davies, A Quiet Passion. Qui raconte la vie d’Emily Dickinson (1830 – 1886) qui vécut chez elle, entourée de sa famille, volontairement recluse en sa chambre, une expérience poétique à mettre en relation avec celle de Joe Bousquet (1897 – 1950). Sinon lire les poésies d’Emily Dickinson, près de deux mille poèmes, dont vous trouvez un parfait exemple sous la vidéo :

    Ah, Necromancy Sweet !

    Ah, Wizard Erudite !

    Teach me the Skill,

    That I instil the Pain

    Surgeons assuage in Vain

    Nor Herb of all the Plain

    Can Heal !

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    (Ah, Nécromancie douce ! Ah, Sorcier Erudit ! Enseigne-moi l'habileté, Pour que j'instille la douleur Que les chirurgiens apaisent en vain Aucune herbe de toute la plaine ne / peut guérir !)

             Vous aimeriez en savoir plus : voici la réponse que  Hecate’s Breath adresse à une auditrice : Au risque de vous décevoir, nous préférons rester à l'abri de la lumière. Ici, sinon ailleurs. Anonymat. Pas de profit. Juste de la musique. Et quelques lignes vocales enregistrées sur un Samsung dans une bergerie. Jusqu'à ce que l'inspiration s'estompe.

             Je vous laisse faire les relations induites par la proximité d’Hécate et Emily Dickinson. Un dernier indice : elles ont déjà produit ce que je n’ose appeler un album au titre évocateur : Danse Macabre.

    Elrika : vocals, guitars / S. : vocals, noise, guitars, acoustic guitars  / TJ : vocals, cello / B. : vocals / Mélinoé : noise.

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    L’instinct du rocker : j’ai vu ces noms de fleurs, j’ai flashé sur deux : Aster, en Grèce Asteras, qui désigne la voûte étoilée, est la mère directe d’Hécate, puis sur Iris. J’ai tout de suite pensé à L’Iris de Suse qui est le titre du tout dernier roman de Jean Giono, un de ses meilleurs, une histoire d’amour fou, mais une folie gionienne, je suis certain, les voix, les images que c’est un groupe filles qui se cache derrière cet anonymat. Avec Giono je fais fausse route mais quand je croise Aster et Iris, le net apporte d’étranges lumières. Je tombe sur la critique d’un roman paru en 2022 dont je n’ai jamais entendu parler, de Sarai Walker, il s’intitule The Sherry Robbers, vous pouvez le lire dans sa version française, 624 pages chez Totem, tilt pour le titre : Les voleurs d’Innocence. Voici le thème : Belinda a eu six filles, Aster, Rosalinde, Daphné, Hazel, Calla, Iris, elle leur a prédit qu’elles mourront si elles se marient, elles meurent chacune à leur tour, enfin presque… Je ne voudrais pas déflorer le sujet… Sur une critique j’apprends que c’est un bouquin sur la résilience des femmes, la bêtise de mes contemporaines m’effraie, ailleurs on me le présente comme un roman goth, ce qui est sûr c’est que Innocences de Hecate’s Breath  s’inspire de Sarai Walker.

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    B’s Visions : question subsidiaire est-ce le B de Belinda ou le B de celle qui participe au vocal dans le groupe ! : fonctionnement de la vidéo, chacun des neuf morceaux bénéficient d’une image fixe : un souffle, un murmure très doux, des notes éparses, une impression de mystère magnifiée par cette robe de mariée retenue sur un cintre par les pans du voile, la proéminence du corsage ne fait qu’accentuer l’absence de toute chair féminine. Lumière blanche de la fenêtre surexposée, chambre obscure de l’appartement.

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    Aster : ma seule étoile est-elle morte, en tout cas il y a du verre cassé partout sur le plancher, ces hurlements, ces cris de terreurs, crise exacerbée, pur roman gothique, la musique devient-elle bruit parce que la vie devient morte, funestes résonances, ici c’est l’Hécate lunaire qui brille de sa pâleur mortelle… La vie serait-elle aussi factice que cette fleur de tissu dont la tige plonge dans un bocal sans eau.

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    Rosalind : donner à une héroïne le prénom Shakespearien de Rosalinde ne laisse augurer rien de bon… pièce délabrée mais relativement propre, une belle rose posée sur la table de bois vous offre ses piquants et sa corolle que l’on imagine de pourpre, presque des sonorités trompétueuses, la batterie s’emballe, le vocal est-il interpellation intempestive, règlement de compte ou crise d’hystérie, baisse d’intensité, serait-ce le coït après l’explosion du désir, ce coup-ci Rosalind tonne comme si elle était un homme, un orlandien, venu des terres dangereuses du désir. Presque un miroir interchangeable.

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    Daphne : serait-ce le portrait de Dorian Gray fixé par des chaines et des clous pour qu’il ne vieillisse plus et reste en vie, ou une métaphore de la métamorphose de la nymphe Daphné en laurier pour échapper à l’amoureuse poursuite d’Apollon, ou alors faut-il croire que les coups de marteaux que l’on entend ne sont pas pour le Christ que l’on cloue sur la croix mais destinés à représenter le sacrifice des jeunes filles vouées à recevoir le clou du désir dans leur vagin. Grands coups de merlin, exaspération prédatrice du mâle en érection, jusqu’à l’éclosion finale, sous les coups de boutoir les vantaux cèdent, l’ennemi tel un serpent, se faufile dans la brèche.

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    The Headless Bride : sur la photo elle a sa robe de mariée mais elle a perdu sa tête, autour d’elle les yeux nombreux de ceux qui tournent leurs regards vers cette apparition fantomatique, la musique tremble sur elle-même, est-ce une allégorie du sort réservés aux épouses de Barbe-Bleue, des voix de revenantes maudissent-elles leurs sorts funestes, ou alors serait-ce la vision prophétique et symbolique  du sort réservé à ses filles qui accaparent la tête de Bélinda. Vacillements, klaxons.

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    Hazel : des clous d’acier et des branches comme en rapportent à la maison les enfants qui ont joué dehors. Des cris, des exclamations, tout ce qui a eu lieu et qui maintenant est terminé, la noisette est perforée et brisée par le casse-noisette, musique forte et lente pour spécifier que l’inéluctable a eu lieu. L’on n’échappe pas à son destin. Rien ne sert de tourner dans sa tête ce souvenir prégnant.

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    Calla : peu usité en France ce prénom signifie Fleur. Cette fleurette ne refleurira pas au printemps prochain. La musique est assez pesante pour que l’on comprenne le genre de désagréments qu’elle a subis, tout ce qu’elle a enduré, sur la table les clous sont toujours là, quant à la pomme du désir elle semble à avoir été dure à avaler.

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    Iris : on n’ira pas jusqu’à dire en voyant cette pièce bien rangée, bien propre, qu’ici tout n’est que calme luxe et volupté, tout au plus un havre de paix, un refuge, l’a fallu qu’Iris se batte très fort pour échapper à l’emprise de son destin, elle a fui, poursuivi par une horde de désirs non contenus, elle s’est battue, elle a vaincu, elle a tiré son épingle du jeu piégé, elle est partie, elle a fui sa famille, pour qu’une prophétie ne se réalise pas, ne suffit-il pas de refuser de l’entendre quand on la prononce à votre encontre, celle qui la recevra sera votre absence, un véritable chaos dans la tête lorsque vous vous échappez.

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    Wounded : toutes les portes de l’appartement sont ouvertes, une forme blanche se profile au fond du couloir, est-ce Iris qui revient pour s’affronter à son destin, le regarder dans les yeux, elle a changé d’identité, elle s’appelle Sylvia, de longues années ont passé mais l’histoire que vous avez fuie vous rattrape toujours, elle veut s’incarner en vous, n’est-elle pas vous, n’est-elle pas votre essence même, paroxysme, hurlements de terreur, l’horrible court après vous et s’accroche à votre robe, pensez-vous que vous échapperez à vous-même. Même si vous persistez à être vous-même selon votre volonté, n’êtes-vous pas blessée. A mort.

             Le souffle d’Hécate est particulièrement violent. Malgré la nudité vous êtes en présence d’un groupe de black metal. Particulièrement brutal.

    Charnellement éprouvant.

    Damie Chad.

     

    *

    Les guerres indiennes ne sont pas encore terminées. Il reste juste, une fois que les temps de la survie seront terminés, à remporter la victoire. L’épisode que nous allons suivre remonte à loin. Il aurait pu être oublié. Il s’en est fallu de peu. C’est en farfouillant dans une boutique de disques qu’en 2010 Joe Steinhardt fondateur du label Don Giovanni Records tombe sur le premier opus de Winterhawk qu’i trouve remarquable. En 2021 il rééditera les deux albums que le groupe avait enregistrés.

    ELECTRIC WARRIORS

    WINTERHAWK

    (Don Giovanni Records / Octobre 2021)

    (Mother Earth Records / 1979)

    Le groupe fut formé en Californie par  Nik Alexander, un activiste Creek qui voulait former un groupe de hard rock  indien. Il fut rejoint par Alfonso Kolb originaire du Rincon Indian Reservation près de San Diego. Il emmena aussi son cousin Frankie Joe

    Ils ne sont pas le premier groupe indien de rock, Redbone le plus connu de tous par chez nous se forma en 1969… Par contre le groupe Winterhawk qui sortit l’album Revival n’a rien à voir avec eux et sont originaires de Chicago.

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    Belle pochette, nos quatre silhouettes d’indiens se détachent pratiquement au sommet d’une crête - serait-ce une allusion à la grande masse de la cavalerie des lakotas qui  à Little Big Horn surgirent de derrière une colline à la grande surprise de Custer – elles donnent au premier regard l’illusion de guerriers armés de fusil, non ils ne brandissent que des guitares. Inoffensives ?

    Nik Alexander : lead vocals, lead and rhythm guitar, lyrics / Frankie Joe : rhythm guitar / Frank J. Diaz de Leon : bass guitar, backing vocals / Alfonso Kolb : drums.

    Prayer : comme un crépitement d’oiseau qui fouille du bec en ses propres plumes ébouriffées, en dessous une percussion indienne un peu sourde mais point trop, la voix fragile de Nick Kent élève une prière vers le ciel, l’envol majestueux vers le soleil dans l’embrasement des guitares, demande d’aide, le peuple rouge a oublié la voie guerrière de l’aigle et de l’esprit, après l’élan le rythme impassible des tambours se tait. Got To Save It :  la terre et l’eau t’int été données pour être préservées, la voix s’élève presque tremblante, mais la colère prend le dessus, les guitares s’envolent comme des remparts de flèches, appel à la guerre, l’homme blanc n’est pas nommé, mais ses machines éventrent la mère originelle, une ronde de hargne, une charge  de poneys, un appel, un constat, un devoir de retour à l’équilibre des forces naturelles, le morceau déboule comme une mer de bisons qui déferle sur l’immensité des plaines. Black Whiskey : presque une berceuse, une guitare pleure à gros flocons, Nik a pris sa voix tremblante, l’orchestration s’intensifie, l’histoire d’une des plus cruelles blessures du peuple indien, l’eau de feu qui embrume l’esprit, qui enserre l’individu dans ses serres d’acier. Le poison irradie le sang, une seule solution rentrer à la maison, se retrouver chez soi, dans sa pureté natale, dans sa fierté d’homme, libre de sa camisole de force dont il est le seul responsable. Dark Skin Lady : un son qui n’est pas loin de Steppenwolf, Nik hache ses mots comme s’il lançait des poignards, après l’appel à la spiritualité, après une revendication que notre modernité nomme écologique, après une dénonciation de l’alcool, Nik aborde une problématique différente, celle de l’engagement de l’individu en ses propres désirs charnels, un sujet délicat, le sexe en tant qu’acte de perdition indienne, l’attrait de la ville, les filles faciles, la réserve comme un lieu de protection, de resserrement du peuple indien sur son propre sang. Préserver la force de l’esprit, mais préserver aussi le sang rouge. The Wind : ce n’est pas la réponse qui se trouve dans le vent selon Hugues Aufray, la beauté sous-jacente des chantonnements féminins ne doit pas nous détourner, écoutez plutôt l’éventration des guitares, la réponse est en toi, en ta responsabilité, si tu vis dans ce monde de folie, c’est parce que tu l’as accepté, n’écoute pas les anges blancs, prête l’oreille à l’esprit rouge. Dépêche-toi, fais le bon choix, ne t’endette pas pour toujours.   Restaurant : drôle de titre, si peu indien, on aurait préféré pemmicam ! Que voulez-vous la chair est chaude et l’homme si faible, le morceau roule comme le torrent du désir dévale des montagnes, la guitare aigüe se roule dans le stupre, les squaws se donnent ou se refusent comme elles veulent. Que peuvent les grands principes généraux quand ils sont confrontés à la singularité des individus. Selfish Man : ce n’est pas un hasard si les guitares froissent le son comme une feuille de papier que l’on jette dans le feu pour qu’elle brûle, parfois le vocal avance à pas menus comme s’il marchait sur le sentier de la guerre, le morceau n’est pas une réflexion éthique sue l’égoïsme congénital de l’espèce humain, le selfish man est l’homme blanc, une manière de le dénoncer sans le nommer, de le nier, de ne pas reconnaître sa présence,   ils ont commencé par prendre les terres et ils finissent par la grande menace, celle de l’énergie nucléaire, qui finira par stériliser la Terre Mère.

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    Custer's Dyin' : un titre pour lever toute ambiguïté, d’ailleurs il commence par rouler la grosse pierre arrasante du hard rock, il faut bien proclamer la seule et grande bataille significative remportée par l’homme rouge sur le l’homme blanc, sur ce diable de Custer qui brûlait les villages de toile, et massacrait les femmes et les enfants quand les guerriers n’étaient pas là pour les défendre, bien sûr il finit par ces espèces de criailleries de bandes de sauvages qui le soir tournent autour du feu pour fêter leur victoire. Fight : la dernière charge, la voix du chef  qui résonne dans toutes les poitrines de l’homme rouge, récitatif guerrier de tous les combats menés, de toutes les défaites subies, de tous les désastres, mais ce n’est pas fini , le chant s’élève au cœur des collines perdues, ils arrivent parmi les cris, ils mènent la dernière charge, tous derrière Crazy Horse et Sitting Bull, le peuple rouge est encore là.

             Cet Electric Warrior est à écouter sans fin, tient bien son rang parmi les centaines d’albums de hard rock parus en son époque. Il n’a pas eu le succès qu’il méritait, vu son contenu l’on se doute qu’il n’a pas eu le privilège d’être placé en tête de liste de diffusion des radios américaines, un peu de rose pâle oui, beaucoup de rouge sang, non !

             Quelle résonance a-t-il eue dans les réserves et la population indiennes, je n’en sais rien, il ne mâche pas ses mots quant à la responsabilité de tout un chacun… Nous n’avons que le gouvernement que nous méritons…

    DOG SOLDIER

     WINTERHAWK

    (Don Giovanni Records / Octobre 2021)

    (Mother Earth Records / 1980)

            Une couve bien moins réussie que la précédente. Est-elle tirée d’une bande dessinée. Si non, elle en est tout de même fortement inspirée. La pose de l’indien courageux qui s’offre aux fusils est certes courageuse mais le sacrifice n’est peut-être pas la meilleure façon de continuer le combat…

    Nik Alexander : lead vocals, lead and rhythm guitar, lyrics / Doug Love : bass guitar, backing vocals / Jon Gibson : drums, backing vocals / Gordon Campbell : bells.

             De la formation originale ne reste que le leader Nik Alexander. Le groupe a joué en première partie de Johnny Winter et de Metallica, mais Alfonso Kolb raconte que les concerts qu’il a préférés sont les prestations données auprès des enfants des écoles dans les réserves.

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    Our Love Will Last : un son davantage rentre dedans, il semble que pour ce deuxième opus l’on ait cherché l’ouverture vers un public moins militant, ce premier morceau est un beau brûlot, une belle déclaration d’amour enflammée, pas typiquement indienne, pas teepeequement rouge, vu la couve l’on s’attendait à quelque chose de de plus, si j’ose dire, rentre-dedans.  Honey Lady : chœurs féminins en entrée, l’on ne lésine pas pour attirer l’attention, attention c’est sérieux déclaration de mariage en bonne et due forme, enlevé, mais du tout-venant sans originalité, décevant quand on compare à l’enregistrement précédent. Crazy : l’amour rend fou, c’est connu, permettez-moi de ne pas partager cette folie collective, c’est agréable, ça vous caresse les oreilles dans le sens du poil, mais vous vous dites que c’est totalement inutile, vous faites une prière au grand esprit pour que la suite ne soit pas si fleur bleue. Davantage rouge ce serait beaucoup mieux. Loser :  si j’en crois le titre le Wanka Tanka m’a entendu, l’a mis du bon ordre, pas tout à fait comme je l’aurais voulu, le gars est parti… dans un groupe de rock, cela n’est pas pour me déplaire, oui quand le chat n’est pas là les souris dansent, elle ne l’a pas attendue, elle a changé de crèmerie, maintenant il regrette, il pleure, il crie, la guitare perce son cœur, franchement je ne peux rien faire pour lui, je suis content que le morceau soit terminé. Lady Blue : une introduction qui sonne Beatles, bref le gars pleurniche, file à la niche mon vieux, maintenant l’on se croirait chez Cat Stevens au coin du feu en compagnie de Lady d’Arbanville, je ne savais pas que les Indiens avaient traversé l’Atlantique et étaient venus visiter nos châteaux. Custer, au secours, reviens vite remettre de l’ordre ! We're Still Here :  je dois avoir un sacré ticket avec Wanka Tanka, l’a envoyé mille charriots bâchés dans les réserves, Winterhawk est un phénix qui renaît de ses cendres, il reprend son histoire là où il l’avait arrêtée, nous sommes encore là, entre temps la situation ne s’est pas améliorée, l’alcool coule à flot dans le gosier des guerriers avachis, le peuple rouge ne boit pas, il se suicide. Réveil brutal à la gueule de bois. Warrior's Road :  n’en a pas laissé tomber son acoustique pour autant, l’est vrai que le bruit et la fureur ne sont pas de mise, voici l’histoire des défaites amères, le sang a coulé, le courage n’a pas suffi, la route du guerrier est longue et triste, les bisons sont morts depuis longtemps, il ne reste plus qu’un goût amer dans la bouche… We Are The People : le même chant triste, et la même colère, la même fierté d’être le peuple qui n’a pas renié ses promesses qui a accueilli sans haine ceux qui venaient de loin, en butte aux persécutions religieuses dans leur pays, ils se sont installés et ont apporté la guerre, les guitares lancent du feu, mais le dieu d’amour et de vérité dont ils se vantaient tant, ils l’ont trahi. Le peuple rouge ne porte pas de paroles fallacieuses. I Will Remember : chant indien, tambour profonds, voix étranglée, chant tribal, maintenant la voix sussurante, la promesse sacrée, pour les femmes et les enfants, ceux qui ne sont plus et ceux qui viendront, celle de se battre pour le peuple rouge, le crier bien fort, rafales de guitares cinglantes. Je pense qu’à l’origine le disque devait, aurait dû, s’arrêter là. Rock And Roll Soldier : le morceau un peu tarte à la crème, pas mauvais en lui-même, un peu facile, vite entendu, vite oublié, pas plus mauvais que des dizaines d’autres mais pas meilleurs non plus. l’est vrai qu’il fait l’effet d’une mouche velue posée sur un nappé de chantilly. Indubitablement il existe un rapport avec Loser, mais il semble qu’après la révolte indienne, une seule solution, non ce n’est pas la révolution, ni la lutte armée, voici l’échappatoire, un bon vieux rock’n’roll et tous les problèmes sont résolus.

             Doit exister une différence ontologique entre les warriors même électriques et les chiens soldats… Dog Soldiers est le disque de trop. Trop éloigné du premier. Totalement décousu. La moitié des titres semblent hors-circuit. L’on a épuisé les fonds de tiroir. Une disparité dommageable. Une espèce de reniement…

             Nik Alexander, a continué son combat, les habitudes générationnelles changent, les jeunes sont moins attirées par l’alcool, se tournent vers les nouveaux produits… Dans Rock’n’roll soldier il clame la supériorité du pure rock ‘n’ roll sur le punk. Il rejoindra pourtant le mouvement Straight Edge issu du punk qui s’est démarqué du punk hardcore et refuse tous produits, tabac, alcool, drogues diverses… Le coup du balancier, tout mouvement appuyé suscite des réactions contraires. Nous entrons en sociologie, nous nous éloignons des indiens…

             La hache de guerre n’est pas encore déterrée…

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 670 : KR'TNT ! 670 : THE DAMNED / LAWRENCE / JAKE CALYPSO / SHEL TALMY / RONNIE WALTER/ ROCKABILLY GENERATION NEWS/ TWO RUNNER / CLAUSTRA / POGO CAR CRASH CONTROL / CHARLES EAST / EDDY MITCHELL

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 670

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    19 / 12 / 2024

      

     THE DAMNED / LAWRENCE

    JAKE CALYPSO / SHEL TALMY / RONNIE WALTER

    ROCKABILLY GENERATION NEWS

    TWO RUNNER / CLAUSTRA  

    POGO CAR CRASH CONTROL / CHARLES EAST

     EDDY MITCHELL

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 670

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

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    Wizards & True Stars

     - Au bonheur des Damned

    (Part One)

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             Alors les Damned, c’était comment ? Power ! Élysée ! Captain ! Second Time Around ! Tempête ! Cap Horn ! Démâtage ! Wild as phoque ! Punk-rock ! Ni-Ni-Ni Neat ! Rat ! Bim ! Bam ! Boom ! New Rose ! I don’t know why/ I don’t know why ! Tonnerre de Brest ! It’s a Love Song ! Moule à gaufres ! In my face ! Flash-back ! 1977 ! I break my heart to please/ Eloise ! Te voilà fétu pour deux heures, les Damned te charrient et t’emportent. Depuis 1977, les Damned t’ont toujours charrié. Ils n’ont fait que ça. T’adores te faire charrier. T’es fait pour ça. La vie et puis la mort, le temps t’emporte, et les Damned sont un groupe purement métaphorique, ils ont le même pouvoir que ce temps qui t’emporte. Alors tu t’en délectes. Pire, tu te livres. Tu assumes parfaitement ton destin de fétu. C’est même une occasion en or de l’assumer. C’est très physique et en même temps très abstrait. En plus, t’as le spectacle. L’un des meilleurs spectacles de rock qui se puisse imaginer ici-bas. Tu le sais depuis Mont-de-Marsan, en 1977 : t’avais jamais rien vu d’aussi wild sur scène que les Damned à Mont-de-Marsan, Dave Vanian torse nu dans le cagnard, un vrai snake, et puis Captain et Rat et Brian James comme autant de rock stars sorties de nulle part, surtout Brian James. Et quasiment cinquante ans plus tard, ça recommence, avec exactement le même genre d’intensité sauvage. Le même genre de wild-as-fuckiness. C’est plus joli en anglais.

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             L’Élysée est rempli à ras-bord de vieux punks. Tu les entends raconter leurs souvenirs du temps jadis. Tu vois tous ces T-shirts des Damned. T’attends des heures et les voilà. Ovation. Double ovation. Triple ovation. Bordel, voilà les Damned ! T’écarquilles bien les yeux. Radadadadadam ! Ouverture des hostilités avec «Love Song». Oui, parfaitement, radadadadadam, Paul Gray gratte l’intro historique que grattait jadis Algy Ward with a coin, et l’énorme machine de guerre des Damned se met en route. L’Élysée tangue comme un trois-mâts pris dans la tempête du Cap Horn, ça ondule merveilleusement, tu commences à prendre des coups dans le dos. Ils enchaînent avec «Machine Gun Etiquette» et la foule en délire reprend le second time around avec Dave Vanian. Second time around ! Clameur monumentale ! Second time around ! On se croirait dans un film révolutionnaire d’Abel Gance, avec ces milliers de figurants alignés sur la falaise. T’as clairement l’impression de vivre un moment historique. Les Damned fédèrent le monde entier ! Alors tu brailles avec les autres ! Second time around ! Tu vis l’un des sommets de la clameur du rock anglais. T’en peux plus ! Tu te gaves du bonheur de la clameur. Tu bloques l’instant pour l’éternité en gueulant comme un veau ! Second time around ! Tous les fétus gueulent. Ça n’en finit plus de gueuler. Ça n’en finit plus de finit plus ! Encore ! Encore ! Second time around ! Mais les hits des Damned ne durent que trois minutes et tu vas bloquer que dalle. La tempête se calme soudainement et les Damned entrent dans le ventre mou du set. C’est une chance. Sans ce retour au calme, l’Élysée se serait écroulé.

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             Sur scène, t’as quasiment la mouture originale, ne manque que Brian James. Rat vient faire des ronds de jambe devant la foule avant d’aller s’installer derrière son kit. Il est assez haut et semble solide, même avec sa tête de pivert déplumé. Au fond t’as Monty Oxymoron, et dans un coin Paul Gray sur sa basse Rickenbacker. Devant, t’as Dave Vanian, tout en noir, gants noirs, lunettes noires, et comme tu le vois d’assez près, tu constates qu’il n’a pas pris une seule ride, rien, pas la moindre trace de vieillissement. Un vampire ? Va-t-en savoir ! Voix intacte. Dave Vanian reste l’un des meilleurs.

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    Et pour compléter ce fastueux panorama, t’as Captain. C’est lui le héros, un vrai clown et l’un des rois du killer solo flash, il tape tous ses plans sur une SG, comme le faisait jadis Brian James. Sous son béret rouge, il multiplie les grimaces, il lève la patte en l’air, il fait le clown, mais joue comme un dieu. Captain, c’est l’Haddock du rock, le clown suprême, ton meilleur ami, le punk-rock à deux pattes, le dernier des Mohicans, le claqueur de claquemures, l’extrême onction, le polichinelle de la Comedia des temps modernes, le Don Quichotte de la punka, l’impératif de l’imparfait, l’en-veux-tu-voilà plein les mains, le zébulon en large et en travers, l’espace intermédiaire, le réfectoire des références, l’apologie du rigorisme, le médiateur des médiators, le beret rouge sur Kolwezi, le Victor des Gogos, l’essuyeur d’emplâtres, l’allons voir si la New Rose est éclose, oui, amigo, Captain c’est tout ça et beaucoup plus encore, l’Achab des accablés, le blé des pauvres, le pote aux roses, le Rose-Croix du Golgotha, le quota des cote-parts, le partisan du parmesan, le zan du zazou, le zou-prolétariat du rock, l’eurock des 27, le set d’étable, ça n’en finirait plus, avec ce mec-là, et pendant ce temps, les Damned déroulent leur répertoire, ils réveillent un peu le Cap Horn avec «I Just Can’t Be Happy Today» qui n’est malheureusement pas au niveau des cuts du premier album tarte-à-la-crème, par contre, ils explosent «Eloise», ce magnifique hit de Paul & Barry Ryan que bizarrement les gens n’aiment pas trop, mais pour Dave Vanian, c’est l’occasion de réaliser un véritable exploit, car il faut aller la chercher, l’Eloise ! Et il la trouve, à la pointe de sa glotte de vampire. Ils vont boucler le set avec «Neat Neat Neat» et nous jeter à nouveau dans les remous du Cap Horn. Ils vont faire deux rappels. Le premier avec «Curtain Call» et bien sûr «New Rose», et là, c’est l’apocalypse selon Saint-Qui-tu-veux. Puis Captain va revenir et se demander, à voix haute, au micro, quel est le meilleur moyen de finir. «Smash It Up» ? Eh oui, Captain ! Smash it Up ! Ah il aime bien smasher son vieux Smash It Up. Ça lui rappelle sa jeunesse et nous la nôtre. Fin de la rigolade : les Damned se barrent. Fallait bien t’y attendre.

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             Captain revient au micro une première fois pour balancer ça : «Marci (sic) Marc Zermati, Little Bob, Stiff Records.» T’en a des frissons dans le dos. Puis il revient une deuxième fois pour rebalancer ça : «Hope we’ll live long enough to be back.» Old punk Captain prend soin de ses fans. Nous aussi on espère être encore en vie la prochaine fois.

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             Personnage tout aussi fascinant que Captain, Dave Vanian entre dans la cour des grands avec le Mojo Interview, rubrique habituellement réservée aux têtes de gondole. Il s’agit pour Dave Vanian, et donc les Damned, d’une sorte de consécration. Il précise très vite qu’il ne donne jamais d’interviews car il considère que la musique parle d’elle-même, et il ajoute que dans ce monde obsédé par la transparence, il préfère préserver sa privacy. Il rappelle ensuite l’épisode de la formation des Damned, après l’échec des Masters Of The Backside, projet qu’avait monté McLaren avec Chrissie Hynde. Rat lui présente Brian et c’est parti. Dave Vanian voit tout de suite que ce mec a quelque chose d’autre - I knew he had something different - Ce qui pour Vanian fait la force des Damned, c’est qu’ils étaient quatre fortes personnalités - As individuals they would have been stars in their own right - et il ajoute : «It reminded me of a wild jazz band.» Quatre fortes personnalités, ça ne vous rappelle rien ? John, Paul, George & Ringo. Ou encore Johnny, Jerry, Walter & Billy. Ou encore Alex, Chris, Andy & Jody. Vous voyez le genre ? Oui, les Damned c’est exactement le même concentré de génie que les Beatles, les Heartbreakers ou Big Star. Et quand Pat Gilbert lui demande pourquoi il a choisi de devenir un vampire, Vanian prend une pause avant de répondre - I’ve always preferred my own company - Et quand bien sûr Gilbert aborde l’aspect drunken hellraisers du duo Captain/Rat, Vanian répond sèchement que ça a bousillé pas mal d’opportunités - It was a bit stupid, basically overgrown schoolboys stuff - Alors que les autres sifflaient des pintes, Vanian préférait un verre de brandy. Et quand ils roulaient leurs clopes, Vanian fumait des cigarettes russes - I just preferred the taste - Mais en matière de chaos, Dave Vanian préférait laisser faire. Ou plutôt feignait de ne rien voir. Il rappelle que Captain et lui n’ont jamais socialised together, and still don’t, mais ils s’entendaient bien pour composer, comme le montre Machine Gun Etiquette. Au plan business, Dave Vanian rappelle qu’il n’a jamais gagné un rond avec Stiff. Il a seulement commencé à se faire du blé avec MCA, mais pas tant que ça - Je ne me plains pas, mais les gens croient qu’on est millionnaires, comme Billy Idol, mais ça n’a jamais été le cas, loin de là - Et pour lui, deux choses n’ont jamais changé avec les Damned : «It never gets any easier and it’s never as glamourous as it should be.» Il finit par faire cette confidence extraordinaire : «Ce qui m’a toujours motivé, c’est que savoir que les Damned avaient toujours a new good album à venir. I’m amazed we’d lasted that long. But I’m very proud of what we’ve done.»

    Signé : Cazengler, damé du pion

    The Damned. Élysée Montmartre. Paris XVIIIe. 1er décembre 2024

    Pat Gilbert : The Mojo Interview. Mojo #293 - April 2018

     

     

    Wizards & True Stars

    - Lawrence d’Arabie

    (Part Four)

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             Tiens ! Un book sur Lawrence d’Arabie ! Comment cela se fait-ce ? Qui peut avoir eu cette idée saugrenue ? L’idée vient du cerveau d’un certain Will Hodgkinson qui, pour parvenir à ses fins, a passé un an à sillonner les rues de Londres et de ses interminables banlieues avec Lawrence d’Arabie, qu’il qualifie, pour les besoins de la postérité, de Street-level Superstar. D’où le titre de ce book événementiel : Street-level Superstar - A Year With Lawrence.

             Force est d’entrer dans la danse des superlatifs car Hodgkinson a raison. On tient là l’une des dernières superstars d’Angleterre. Street-level, pour ne pas dire underground. On a déjà épluché tout Felt, tout Denim, tout Go-Kart Mozart, tout Mozart Estate dans les Parts One, Two Three, on ne va donc pas y revenir, même si l’envie brûle les lèvres de rappeler que certains de ces albums atteignent des sommets.

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             Lawrence d’Arabie s’est taillé un petit look sur mesure, à base de casquette à visière bleue, de grosses lunettes noires, et de mèches de cheveux filasses, ce qui d’une certaine façon le plastifie. Il est sans âge. Il fait ce que Ziggy fit avant lui : il s’auto-invente, il s’auto-fige, il devient iconique. Il est entré dans la peau de son personnage et il s’y tient. Il le maîtrise. Il l’incarne à la perfection. Il a les albums qui lui permettent de jouer ce jeu qui pour lui n’est pas un jeu. C’est toute sa vie. Il mérite pour ça un immense respect. Le plus immense. Il ne demande rien d’autre que d’être Lawrence d’Arabie et de briller au firmament de la grande pop anglaise. C’est donc avec un terrible bonheur qu’on entre dans ce book, car Lawrence d’Arabie s’y exprime au long de 300 pages agréables au toucher, admirablement composées dans un corps 12 bien aéré, la vie circule bien dans l’interlignage, et l’esprit règne en permanence, car rien de ce que dit Lawrence d’Arabie ne va te laisser indifférent. Quelques images rassemblées à la fin et imprimées sur le bouffant semblent vouloir résumer la trajectoire terrestre de l’icône. Les gris sont lavés à cause du bouffant, mais les images parlent. On va donc pouvoir se livrer une fois encore à cette petite manie des fièvres citatoires, mais n’est-ce pas là le plus sûr moyen de donner envie de lire ?

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             Au dos, t’as six hommages de personnalités (dont Jarvis Cocker, Bobby Gillespie, Miki Berenyi), et les deux plus intéressantes sont peut-être celle de Brett Anderson qui explique en trois lignes que Lawrence d’Arabie s’est toujours situé entre le succès et l’échec - Lawrence’s destiny was to be something uniquely in-between - et puis celle de Lawrence d’Arabie himself qui est un chef-d’œuvre d’auto-distanciation : «Will has finally written his masterpiece. Glad I could be of service.» Il sublime ainsi l’aspect plastique de son personnage. Il se prête à l’auteur pour que celui-ci fasse un bon book. Tiens, Will, voilà Lawrence d’Arabie, cadeau ! C’est pour toi, prends ! Will prend.

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             Il n’empêche que Will et son icône ont parfois des échanges comiques. Un jour Lawrence dit à Will que «d’écrire mon book me fera le plus grand bien», et Will est obligé de le recadrer en lui disant que ce n’est pas lui, Lawrence qui écrit : «I am.» Et il enfonce son clou dans la paume de l’icône : «You are the subject, I’m the writer.» Lawrence revient à la charge en posant toutefois ses conditions. Pas question de citer certaines anecdotes, par exemple celle de l’omelette au fromage. Il argumente : «Ce n’est pas ce que les fans veulent lire.» Quels fans ?, lui rétorque Will. Alors Lawrence répond «The fans around the world», et Will lui dit que l’omelette au fromage sera dans le book. Et là, t’a Lawrence qui lâche : «No omelette is going in my book.» Du Dada pur.

             Alors Will plonge dans l’icône et s’en donne à cœur-joie. Il commence par la situer dans notre pauvre époque : l’icône méprise Internet et les smartphones, l’icône ne se nourrit que de crackers, de tasses de thé et de liquorice (réglisse), l’icône ne peut pas vivre sans projet - To be without purpose is the worst thing I can think of - L’icône s’avoue dégoûtée par la vulgarité de la vie moderne. Parce qu’elle n’a jamais eu de hit, l’icône est encore obligée à 61 ans de faire gaffe à tout, c’est-à-dire de compter ses sous, comme le font beaucoup d’entre-nous.

             Encore plus épineux : l’aspect relationnel, il y a des femmes, bien sûr, mais l’idéal est de rencontrer someone with the same record collection, ce qui dans la vraie vie n’arrive jamais. L’icône dit aussi avoir été morbidly obssessed with The Exoercist à l’âge de 11 ans (le book, pas le film), d’autant qu’on racontait à l’époque que ce n’était pas une fiction.

             L’icône mène une vie monastique, à base de livres, de disques et de fringues - Books are the house bricks of my world. Records are the slate roof. Clothes are the soft furnishing - Il évoque sa dernière copine, the French girl. Il se dit presque soulagé de l’avoir vue partir - I said, «I’ll never be in a relationship ever again.» I never have. I like my own company. The sex part, you forget about it after a while. And I wasn’t, what do you call it, testosterone-heavy. I was a two-minute wonder. They’re not missing much - L’icône s’est asexuée - I’ve been asuxual ever since - Terminé, la gaudriole.

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             L’icône parle très bien de sa condition. Ses amis Peter Astor et Douglas Hart trouvent des jobs. Pas Lawrence d’Arabie. Il prend l’exemple de Knut Hamsun qui préférait mourir de faim et manger du papier plutôt que de décrocher un job - Si quelqu’un le voyait par exemple faire la plonge, ça aurait détruit sa crédibilité, et c’est comme ça que je fonctionne. Quoi qu’il arrive, je suis un compositeur et un musicien, et je ne peux pas faire autre chose - Et il conclut ainsi : «I cannot admit I’m not an artist.» C’est ça ou rien. Crever la dalle, pas de blé : aucun problème. L’icône s’assume.

             Autre chose. Le genre de petit détail qui en dit long : l’icône ne supporte pas les lézards. Quand il est invité à jouer à Glastonbury, on lui dit qu’il va devoir dormir sous une tente. Une tente ? Pas question ! Il s’insurge : «Where are the cottages for the stars?». On lui redit la tente. Alors Lawrence balance : «What if a lizard runs over my face?».

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             Côté influences, il n’est pas avare de merveilles - Il avait 12 ans quand il a vu en 1972 T. Rex jouer «Metal Guru» à Top Of The Pops et ça a changé quelque chose en lui. ‘From then on, I was T.Rex mad. Je crois que j’étais amoureux de Marc Bolan. C’est le moment où j’ai su ce que je voulais faire de ma vie.’ - L’icône trouve sa vocation. Il avoue aussi un petit faible pour «unsung geniuses like Chicory Tip and Lieutenant Pigeon.» Il salue aussi les Vibrators - They had the sound I liked: fast and angry - et bien sûr David Bowie. Puis il traverse cette époque où tous les groupes anglais (Weather Prophets, Primal Scream et les Mary Chain) voulaient être le Velvet Underground, «mais il n’y a qu’un seul Velvet Underground». Puis il flashe sur Nick Drake et notamment «River Man». Puis sur l’«I Threw It All Away» de Dylan qui se trouve sur Nashville Skyline, un cut qui lui montre qu’il est possible de composer une «love song with subtlety and originality.» Taxi Driver reste son film préféré - Harvey Keitel est le mac, et sa scène avec De Niro m’a fait pleurer parce que je n’avais jamais vu d’acting aussi intense avant. It is uncompromising.

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             Retour sur Felt, dont le premier album, Crumbling The Antiseptic Beauty date de 1982. L’icône en devenir avait mis trois ans à mûrir ce projet «in his teenage bedroom in the Birmingham village of Water Orton: Felt allait enregistrer 10 albums en 10 ans, en suivant un tight musical and visual aesthetic. This was to be an art band, avec des photos en noir et blanc de Lawrence et de ses co-conspirators affichant des moues profondes, un look qui s’accordait parfaitement avec cette musique hazy and dream-like dominée par le jeu fluide du guitariste Maurice Deebank, un virtuose discret que Lawrence avait découvert dans le village et qu’il voyait comme son passeport pour la gloire.» C’est admirablement bien résumé. L’icône en devenir se dit fière d’avoir découvert un génie dans son village - In a small village of a couple of thousand people, right on my doorstep was a genius. I was very lucky - Le problème, c’est qu’à l’époque, l’icône en devenir flashe sur Television. Pas Maurice - Maurice didn’t know Television, didn’t hear Television, didn’t like Television, wasn’t bothered about Television. He thought punk was ridiculous and he didn’t care about the subtleties of the fashions I was interested in - Et donc, dès le départ, il y des tensions dans Felt.  

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             Et puis Lawrence impose sa loi : par de grattes sunburst et uniquement des médiators blancs. Comme Maurice a une gratte sunburst, il doit la faire repeindre en noir. Puis l’icône en devenir va se transformer en tyran, s’inspirant, nous dit Will, de Kevin Rowland qui réveillait ses Dexys Midnight Runners à 6 h du mat pour aller faire du jogging. Pour recruter, l’icône en devenir hésite : prendre un bassman parce qu’il sait jouer ou parce qu’il est bien habillé ? En tournée, il interdit aux autres Felt de picoler, il leur impose de porter un uniforme et d’avoir des étuis de guitares rectangulaires. Il veut aussi fouiller les sacs de voyage, pour voir si les fringues sont conformes. Il veut surtout voyager à bord de «cool vintage cars.» - Being tyrannical on tour was the dream and God knows I tried, but they didn’t like it. Didn’t like it at all. And unfortunately, I didn’t have the money to buy their loyalty - Il avait aussi demandé à Tom Verlaine de produire Felt et Verlaine avait répondu non, car les chansons de Felt n’avaient à ses yeux ni début, ni middle, ni fin, «no light or shade, no arrangements.» Et bien sûr pas question de reformer Felt - Lou Reed a reformé le Velvet Underground, but I’m stronger than him - Et il a joute ceci qui est terrible : «Je pense que Lou Reed voulait reformer le Velvet Underground pour avoir son heure de gloire - his day in the sun - et en faisant ça, il a détruit la magie du groupe. I would never dismantle the magic of Felt.» Et Will surenchérit : «And he never has.» Fin de Felt. Tout ce qu’on peut faire à ce stade des opérations, c’est réécouter les albums. On ne perdra pas son temps.

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             L’icône va ensuite se jeter dans l’aventure Denim. L’icône dit qu’au temps de Denim elle était à la recherche d’un Londres qui n’existait plus, «Terence Stamp’s London in particular, avec des groupes comme Middle Of The Road, the Glitter Band - but not Gary Glitter - et Opportunity Knocks.» Elle ajoute plus loin : «On top of this, j’aimais les chansons courtes, quinze minutes sur chaque face de l’album. Put it all together and you are up with Denim.» Will corrobore tout ça en rappelant que Back In Denim, paru en 1992, était en avance de trois ans sur la Britpop. L’icône se dit aussi fière d’avoir fait cracker John Leckie, un producteur qui avait bossé avec tous les cracks, «John Lennon, Phil Spector, Mark E. Smith, and I was the one who drove him over the edge.» L’épisode Denim le plus hilarant est celui de Denim On Ice, inspiré d’un concert du «progressive keyboard wizard» Rick Wakeman en 1975 au Wembley Empire Pool, et intitulé ‘The Myths & Legends Of The Knights Of The Round Table On Ice’. Will nous donne quelques détails : «Un horn player rond comme une queue de pelle tenta de poursuivre Guinevere alors qu’elle glissait sur la piste, un combat entre deux chevaliers ne put avoir lieu parce qu’il en manquait un, des patineurs lancés dans des figures mythiques se cassaient la gueule sur la glace, et Wakeman fut tellement affecté par ce désastre qu’il en fit une crise cardiaque à l’âge de 25 ans.» 

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             Après Denim, voilà venu le temps de Go-Kart Mozart et de Mozart Estate qu’il qualifie de «world’s first B-sides band.» Comme pour Felt, il veut que ça reste «a band that doesn’t drink.» Le rider du groupe spécifie : «Only chocolate, Cadburys Daily Milk ideally, alongside raw cashew nuts, pistachios and confectionnery. No tea because nobody can make it to my specifications, and the band want 0 per cent beer. A can of Coke for me, pas la grande bouteille qu’on ne peut pas emmener partout. C’est très simple - le rider le plus simple in the UK, I reckon.»

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             On croise aussi un fantastique hommage à Peter Astor. L’icône le découvre au temps de the Loft - The Jasmine Minks jouaient : great name, awful band. The Loft jouaient en première partie : awful name, great band - Et il ajoute plus loin : «Peter Astor allait devenir une big star et il avait tout : the looks, the songs, the image. Mais il a commis une fatale erreur : il a splitté son groupe au mauvais moment. He wanted complete control, and when he got complete control, it wasn’t as good.» Il rend aussi hommage au book de Jim Carroll - Jim Carroll’s teenage New York teenage drug memoir The Basketball Diairies - «I’ve still got it. Very good book.»

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             Le cœur battant du book, c’est l’hommage à Vic Godard. Il s’agit d’une admiration qui remonte au «September 1976 punk special» du 100 Club quand les Subway Sect «rejetaient la mode punk en faveur du gris, et composaient des sharp songs inspirées du cinéma et de la littérature française.» - Vic Godard fournit alors à Lawrence le modèle de ce que pouvait être une vision pop - Et l’icône en devenir d’ajouter ceci qui est assez royal : «Number One Subway Sect Fan in Birmingham was my official title.» Vic va devenir the guiding light de Lawrence d’Arabie. Au point d’affirmer : «He’s the best songwriter who ever lived.» Au moins, comme ça, les choses sont claires. Et boom, l’icône emmène son portraitiste Will à Kew, où vit Vic. Vic n’a jamais quitté Kew. En 2006, il s’est installé dans le «bungalow» avec son père Harry qui a aujourd’hui 102 ans. On le voit en photo dans les gris lavés des pages de fin. Vic, Will et Lawrence entrent tous les trois dans la chambre du vieux qui croasse : «I remember you.» Puis il ajoute en pointant le doigt vers Lawrence : «You’re in that terrible band.» Attention, on est chez les cracks en Angleterre, et les échanges nous dépassent. Et Vic avoue à l’icône transie d’admiration qu’il ne peut plus donner de concerts, car il s’occupe d’Harry à plein temps - I’m here the whole time looking after him - Vic va dans la kitchen et met l’eau à bouillir pour faire un thé. Will se marre : «C’est bien la première fois que je vois Lawrence accepter une tasse de thé chez quelqu’un.» Et puis t’as ça qui va t’envoyer au tapis : Lawrence d’Arabie compare le jeune Vic à Antoine, «the naughty but philosophical boy hero of Truffaut’s The 400 Blows.» Pas mal. Bien vu ! Personne n’est plus punk qu’Antoine Doinel. Tu vois le punk courir à la fin des 400 Coups. Punk car innocent. Quelle connexion ! Lawrence/Truffaut/Godard ! Lawrence et Will ont tout compris. Et c’est pas fini : Vic dit à Lawrence éberlué que son inspiration lui est venue à l’époque d’une photo de Richard Hell et Tom Verlaine dans Interview magazine - Tom Verlaine is wearing a budgie jacket and Richard Hell has a ripped jumper. I hadn’t heard a note of their music - Quand Lawrence voit Subway Sect pour la première fois en décembre 1977 au Top Rank, «it was the greatest concert he had ever seen.» L’échange se poursuit et Will nous dit que Lawrence est tellement excité en présence de son héros qu’il passe son temps à l’interrompre - Tu portais des pantalons gris et un flash jumper. I still do that combination to this day - Et Vic commence à balancer des infos de choc. Il explique par exemple que son amitié avec le guitariste Rob Symmons s’est cimentée quand il a découvert que le gardien de l’immeuble où Symmons vivait à Putney n’était autre que le père de Marc Bolan. Puis il y a l’histoire du bras de fer avec la manager Bernie Rhodes qui leur dit de trouver un batteur avec les cheveux courts - Alors on a cherché le batteur qui avait les cheveux les plus longs - Will assiste à cet échange de rêve et nous propose de méditer sur ça : «Alors que Vic Gogard expliquait d’une voix claire et lente sa façon de voir les choses, il apparaissait clairement qu’il disposait d’une nature aussi contradictoire que celle de Lawrence. Le punk-rock l’avait défini, mais ses héros étaient Hoagy Carmichael, Johnny Mercer, Irving Berlin, Cole Porter... All the old names, as he called them.» Vic ajoute qu’il est allé voir chanter Frank Sinatra en 1977, «right in the middle of punk». Mais il dit aussi avoir flashé sur «Something In The Air» de Thunderclap Newman, et «Somethin’ Stupid» de Frank & Nancy Sinatra - Rod Stewart’s Every Picture Tells A Story was the first album I bought. I loved Rod Stewart... until he went really shit - Puis il avoue sa passion pour Guy de Maupassant - Notre bibliothèque municipale avait tous les scripts des films de Jean-Luc Godard et je les recopiais pour mes chansons - Après le split de Subway Sect, Vic dit que Bernie Rhodes le payait «£50 pour écrire dix chansons par semaine.» Mais il n’en est rien sorti - Meanwhile, I wanted to get as far away from punk as possible, so I went towards jazz and swing on Songs For Sale. My upbringing allowed me to do that - Évidemment, cet album est l’un des favoris de Lawrence d’Arabie - To me, Songs For Sale is unquestionably the best album of the 1980s. It has the best songs; the best music, the best ideas, the tightest band. It was on London records, which is great, because that’s the label Denim signed on - Puis il demande à Vic ce que signifie cette phrase dans «Moving Bed» : «I may fall asleep while composing a verse, I may set myself alight again.» Et Vic lui explique : «It’s about gear» - Will développe : «Vic spent much of the 1990s on heroin, cleaning up in 1989 after becoming a postman, although he had a relapse in the late ‘90 after his mother died.»

             C’est l’occasion ou jamais de sortir les Vic de l’étagère.

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             Vic porte un beau smoking sur la pochette de Songs For Sale. Ce crack du croon est parfaitement à l’aise dès «Hey Now (I’m In Love)», il fait du Sinatra à l’anglaise. Notez bien les noms des cracks qui swinguent derrière Vic Sinatra : Chris Brostock on bass et Sean McLusky au jazz drum. Vic appelle sa fine équipe The Subway Sect. Ils swinguent encore comme des démons sur «Crazy Crazy». Tu peux y aller les yeux fermés. Hommage à Tony Bennett avec «Mr Bennett». En B, t’as encore deux merveilles de swing : «Dilletante», bien swingué sous le boisseau, et «No Style», au bout de la B, plus bossa. Vic Sinatra roule bien sa bossa. T’as là un cut puissant et léger, avec le piano en roue libre.  

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             Paru en 1993, The End Of The Surray People est un fabuleux album. Vic Godard y rend un hommage qu’il faut bien qualifier de mythique à Johnny Thunders dans «Johnny Thunders», c’mon boys ! Il siffle ! On suppose que c’est Edwyn Collins qui gratte les poux de Johnny T. C’est du pur mythe d’I’m gonna quit this town forever/ Quit this town for good/ Just like Johnny Thunders, avec les chœurs des Dolls et le bassmatic mirobolant et ultra malveillant de Paul Baker, ou de Clare Kenny, le saura-t-on jamais ? L’autre grosse pointure de l’album, c’est Paul Cook qu’on entend mener l’instro «Inbalance» tambour battant et qu’on retrouve plus loin dans «The Pain Barrier». Ah le Cookie sait battre le beurre ! Avec «Some Mistake», Vic Godard tape une pop godardienne d’excellence suprême. Présence miraculeuse ! Encore deux coups de génie sur cet album : «Talent To Follow» et le morceau titre à la fin. Pur génie que ce Talent, avec son bassmatic élévateur et les gimmicks flamboyants, Godard allume comme un punk de la première heure et ça donne la meilleure pop d’Angleterre. Et puis ce morceau titre que tu va réécouter en boucle, car c’est l’Americana de London town, admirable de singalong, Vic Vodard chante ça d’un ton prodigieusement inspiré, c’est gratté à coups de slide mirifiques. Les épithètes font la fête car c’est un cut magique ! Pas étonnant que Lawrence ait flashé sur Godard.

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             Et puis t’as la poisse. Une street-level superstar sans la poisse, ça ne serait pas crédible. Il est sûr de son coup avec «Summer Smash». Mais au moment du lancement officiel du single, la Princesse Diana se tape un summer smash en vrai sous un tunnel parisien. Le lancement officiel du «Summer Smash» de Lawrence est annulé. «It was over», said Lawrence. What happened next? «I Had a mental collapse.»

             Un designer de mode nommé Rick Owens voulait monter le «Mount Rushmore of ageing rock» avec des «craggy-faced rock characters». Alors il en choisit quatre : «the communist fashion victim Ian Svenonious, Saul Adamczewski from the South London grots the Fat White Family, and Peter Perrett of the punk-era band the Only Ones, a man to match Lawrence with his apparent indestructability in the face of a less-than-healthy lifestyle.» Si Rick Owens avait monté ce plan dans les sixties, il aurait sûrement choisi Ace Kefford, Syd Barrett, Brian Jones et Vince Taylor.

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             Un autre projet qui fait la fierté de l’icône : elle participe à la compile Light In The Attic And Friends, avec une cover du «Low Life» de Public Image Limited, «turning John Lydon’s caustic eulogy to Sid Vicious into a punk singalong with added easy-listening pizzazz.» Alors on l’écoute. Comme c’est du Light In The Attic, c’est un bel objet, un double album richement illustré mais mal documenté (le texte sur Barbara Lynn ne mentionne même pas le nom d’Huey P. Meaux). Ce ne sont que des covers. Lawrence est en B avec Mozart Estate et une version glammy du «Low Life». Il se répand bien sur la terre d’Angleterre. L’autre grand bénéficiaire de cette opération n’est autre qu’Iggy Pop avec une cover de l’«I’m In Luck I Might Get Picked Up» de Betty Davis. L’Ig se jette corps et âme dans la purée. Il n’a jamais été aussi Stoogien. Deux autres champions hors catégorie sauvent le projet : Barbara Lynn et Acetone. Barbara tape une cover de «We’ll Understand» à la vieille voix, c’est une vraie merveille de délicatesse black. Il faut attendre l’excellent «Plain As Your Eyes Can See» par Acetone, en D, pour flasher abondamment : vraie atmosphère, c’est même carrément envoûtant, deep & groovy, lourd de conséquences, avec un solo liquide. Les covers de Rodriguez («Slip Away» par Charles Bradley), de Wendy Rene («After Laughter») et du «Sad Old Man» de Karen Dalton par Mark Lanegan ne marchent pas.

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             Will cerne admirablement bien la personnalité de ce personnage complexe qu’est Lawrence d’Arabie. Vers la fin du book, il tente ce très beau résumé : «C’était un homme qui gueulait après ses musiciens s’ils jouaient une fausse note (ou une note juste), et qui leur tapait gentiment sur l’épaule lorsqu’ils sortaient de scène. Il avait de la sympathie pour les fous, les pauvres et les addicts, mais il avait aussi une forme d’admiration pour les gens riches et célèbres. C’était un célibataire qui allait au lit en rêvant de Kate Moss, un ascète que les privations avaient presque tué, un homme obsédé par le contrôle qui ne voulait pas que j’utilise le mot ‘just’, mais qui contribuait tellement à son book. Le monde allait dans un sens et Lawrence dans un autre, et je ne pouvais m’empêcher de penser qu’il en serait toujours ainsi.» Will fait le portait un excentrique britannique. Et il résume encore mieux, à la dernière page : «Quel est le prix du rêve ? Pour le payer, Lawrence a sacrifié sa santé, sa famille, ses relations et sans doute sa santé mentale pour l’art, la gloire, la pop et une vision singulière. Maybe sacrifice is the wrong word, though.» Il se pourrait que ce soit la définition d’un artiste. «Lawrence était destiné à parcourir sa route tout seul. Cette route pouvait être à Beckenham, Welling, Waltham Cross, ou n’importe à quel endroit où nous sommes allés pendant l’année que nous avons passé ensemble, mais cette route n’a ni point de départ et point d’arrivée et il se pourrait bien que Lawrence continue de parcourir cette route jusqu’à la fin de sa vie.» C’est beaucoup mieux écrit en anglais, bien sûr. Ce book est tellement bien écrit, et le personnage de Lawrence tellement bien cerné, qu’on se promet de le relire.

    Signé : Cazengler, le rance

    Will Hodgkinson. Street-level Superstar - A Year With Lawrence. Nine Eight Books 2024

    Light In The Attic & Friends. Light In The Attic 2023

    Vic Godard & The Subway Sect. Songs For Sale. London Records 1981

    Vic Godard. The End Of The Surray People. Postcard Records 1993

     

     

    L’avenir du rock

     - Hit the road Jake

    (Part Three)

             En bon descendant du singe, l’avenir du Rock aura passé toute se vie de concept à singer. Il singeait différemment selon les années. À l’aube des années 70, il adorait porter un masque de truite puant et un chapeau de quaker en l’honneur de son chouchou préféré, Don Van Vliet. Il lui arrivait aussi de porter un costard blanc auréolé de transpiration coloniale en hommage à Luke la main froide et à Calimero, ses deux littérateurs préférés, aussitôt après Houellebecq dont il a cherché à imiter la coiffure sans jamais y parvenir. Il adorait aussi se mettre en trave pour aller faire la New York Doll au bois de Boulogne et se faire casser la gueule dans les fourrés par des loubards de la Porte de Vanves. Dans la vie, il faut toujours savoir pousser le bouchon, et l’avenir du rock n’a jamais été pingre en la matière. Au contraire. Il s’est mis à bouffer comme un porc et à porter des lunettes d’aviateur pour défendre la mémoire d’Elvis que tous les cons du monde s’ingéniaient à calomnier. Et comme ça ne servait à rien, il s’est acheté une paire de lunettes à monture écaille et un veston d’un beau bleu électrique pour singer le Buddy de «Reminiscing». Bon, c’est vrai, il ne serait jamais allé jusqu’au look Brian Setzer car il faut en avoir les moyens capillaires, alors il a préféré opter à cette époque pour la boîte de cirage, les lunettes noires et le petit chapeau pour faire l’Hooky, se balader avec un flingot et chanter «Boom Boom Boom Boom». Il a aussi fait l’Indien avec une plume dans le cul pour honorer la mémoire de Linky Link, mais aussi celle de Marvin Rainwater, et s’il porte une salopette bien crade, avec de la vraie bouse, c’est bien sûr en l’honneur de Carl Perkins. Ah les culs terreux de Tiptonville, dans le Tennessee ! Il a bien sûr appris à cracher sa chique comme Charlie Feathers, à se curer les dents avec un cran d’arrêt comme Sonny Boy Williamson et à se faire sucer la queue pendant qu’il chante comme Jimbo. S’il t’accepte dans son intimité, l’avenir du rock te confiera qu’il n’a d’yeux que pour le punk-rock, d’oreille que pour le wild gaga des Gories, de goût que pour le rockab 56, de passion que pour la Soul d’Hi, d’envie que pour l’Hill Country blues de Como, avec en prime un faible pour le Calypso.   

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             Ça pourrait être la danse, mais l’avenir du rock parle bien sûr de Jake Calypso. En plus c’est pratique, car c’est un Français. Une sorte de superstar pas très connue, qui à l’inverse des superstars trop connues, ne fait que des bons disks. Jake Calypso multiplie les projets. En voici une nouvelle rafale.

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             Le nouvel album des Nut Jumpers vient de sortir : Generation Rock N’ Roll. Dans un monde idéal, chacun devrait le rapatrier. Un monde idéal, ça voudrait dire des millions de fans de Jake à travers le monde et donc de millions de rapatriements. Alors Jake pourrait se payer un Graceland du côté de Béthune et faire ce qu’Elvis n’a pas réussi à faire : continuer d’enregistrer des albums de rockab sauvage. Du rockab sauvage, t’en as plein dans Generation Rock N’ Roll : «Back In Black», t’as le slap qui fouette couenne du lard, t’en as aussi dans le morceau titre et dans «Stop Drinkin’ Still Play Rock’n’Roll». Jake reste fidèle au pulsatif des origines, celui de Bill Black. Alors attention, t’as Helen Shadow qui prend le chant sur «Chickies». Wow, comme elle est bonne, comme est fabuleuse d’à-propos, elle sait couiner ses fins de phrases. Et t’as trois cuts qui sonnent comme du Buddy Holly : «I Ain’t Messing Around», «So Good So Good» et «Pearly Doll Got Married», tous les trois embarqués au paradis, avec belle tension rockab et le chant Buddy. Comme sur son Tribute à Buddy, Fool’s Paradise, Jake refait de l’heavy Buddy sur fond de deep slap, c’est une merveille ! Avec «Don’t Know Where I’m Going», il va plus sur l’Elvis de «My Baby Left Me». Il est dessus. Et puis t’as cette autre merveille de French rock, «A Plein Cœur». Il enfonce les cracks du genre. C’est vaillant, beau et demented. 

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             Le Music For Females du Wild Boogie Combo est dédié à Hasil Adkins. Alors attention, fini la rigolade. Démarrage en trombe avec «She’s Mine», wild-catism de base et de rigueur ! Jake pousse des cris de souris. Il s’y jette à corps perdu. Avec Lux Interior, Jake est le seul à avoir pigé le principe d’Hasil. «Tornado», c’est tout bêtement la tornade du bulldozer, l’heavy weirdy weird, avec tout l’éclat de Buddy Holly. Heavy on the beat ! C’est même quasi-primitf, claqué à l’écho des cavernes. Jake explore et explose toutes les possibilités du rockab. Il retombe en plein Hasil avec «Bip Bop Boom». Il prend aussi «Bertha Lou» en mode heavy, il lui écrase le beat, il bat largement Tav Falco à la course, sur ce coup-là. Puis il fait son Jerry Lee avec «High School Confidential», il t’explose ça à coups de bop-a-school-high - Honey get your boppin’ shoes - Il y met toute son énergie et ça devient spectaculaire. Et puis, t’as ce «Roll Roll Train» écœurant de classe, gratté à la sourde, classique mais tellement gorgé de spirit. Il passe au trash-punk avec «Bonie Moronie». Il se couronne Empereur du blasting blast. Retour au pulsatif rockab avec «Baby Won’t Come Out Tonight», le beat est tellement détaché que ça frise le purisme extrême, Jake te gratte l’oss du beat à la sourde et chante exactement comme Hasil Adkins. Il pousse ensuite Buddy dans la friteuse trash-punk pour une version endiablée de «Rave On». Il reprend tout à zéro. C’est effarant d’explosivité. Il a encore la main lourde sur «Susie Q» et revient à Hasil avec «Woodpecker Rock», il en halète de sauvagerie, ah-ah-ah-ah ! Et ça continue dans l’Hasil avec le mighty «Chicken Walk», wild blast de Virgine, c’mon baby ! T’as peu d’albums d’un tel niveau de sauvagerie dans l’histoire du rock. Jake nous fait ses adieux avec le blast de la lutte finale, «Tore Up». Wild as fucked-up fuck !

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             Un nouvel album du Wild Boogie Combo paraît en 2020 : Black Hills Country Blues, avec un terril sur la pochette, comme on en voit dans les environs de Béthune. Lumière crépusculaire. Image en noir et blanc. Ça ne peut être que du noir et blanc. Influences : Junior Kimbrough, Fred McDowell, Dr Ross et Tony Joe White. L’heavy rumble de «Magic Pill» tombe en plein dans ce spot d’influences. Jake tape toujours en plein dans le mille. Plus loin, il secoue bien le cocotier d’«Eggs & Bacon», avec un admirable drive de c’mon baby. Il tape encore son «Baby Hold Me» au Mississippi beat, celui de Fred McDowell, tempo élastique noyé d’harp, sauvage et domestiqué à la fois. Incomparable. Puis il trempe son «Black Days» dans la mouise des dirt roads, mmmmm I don’t know. De la fantastique allure encore avec «Saturday Night Boogie». Jake est le cake du wild boogie, ça ne s’appelle pas le Wild Boogie Combo pour rien. Et il tape bien sûr un coup de Gospel batch avec «I Pray For Him». Tout sonne juste sur cet album. Pur jus d’Americana.

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             C’est Jake le gardien du temple, comme le montre Rockabilly Star. Cette fois le combo s’appelle Jake Calypso & His Red Hot et tu te prends «Rockabilly By Plane» de plein fouet. Tu l’as tout de suite dans le baba, c’est du big fat bop de don’t wait at the station. L’autre power-coup de génie de l’album est le morceau titre. Jake a tout le swagger des géants du rockab US, encore une merveille d’authenticité boppy, avec un killer solo flash de Christophe Gillet, l’un des cracks du real deal. La troisième perle noire de cet album est l’extraordinaire «She Bops Around The Clock», c’est même l’un des hits les plus faramineux du rockab moderne, il a tout : le yah!, le killer solo flash et le drive de bop. Ses yah! sont tellement purs ! Il fait encore de l’Americana avec «Blue Moon Bill», il te groove le rootsy rootsah avec un tact infernal, il fait aussi du Buddy avec «21st Century Boy» et du wild-catism avec «Alone With My Cabs & Dogs», bbbbbbopp it to the core ! Les Red Hot perdent un peu le rockab avec «My Baby Is Gone», mais en attendant, ils restent de sérieux clients.

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             Nouveau projet avec The Memphis Blues Cream et un fabuleux album, 706 Union Avenue. Ça commence avec «Bear Cat», un hommage délirant à Rufus Thomas - Jump & meow with the band - Jake y atteint l’un de ses sommets de tongue in cheek. Il tape ensuite le «Tiger Man» de Joe Hill Louis, heavy boogie down de Sun magic. Il tape à la suite le «Red Hot» de Billy The Kid Emerson, que va populariser Billy Lee Riley. Jake lui redonne sa fonction boogie originelle. Hommage à Pat Hare avec «I’m Gonna Murder My Baby», cover déchirante avec Earl The Pearl Banks on guitar ! Ça grouille de viande en B, à commencer par «Last Time» de Woodrow Adams, un heavy boogie tapé au Memphis Beat avec les coups d’harp de Vince Johnson. On reste dans la légende avec le «Barber Shop Boogie» de Willie Nix : hommage suprême au Sun Sound, c’est plein comme un œuf, et Jake chante à l’édentée, comme un Blackos. Jake dit aussi que Junior Parker «opened the way for the rockabilly guitar style», c’est vrai qu’avec «Love My Baby», on est aux sources de «Mystery Train». Et boom, tu prends la cover du «Come Back Baby» de Dr Ross en pleine poire, car Jake te gratte ça en mode proto-punk. Quel mélange ! C’est unique au monde : le proto et le Memphis Beat. Jake y injecte toute sa niaque rockab. S’il avait pu rencontrer Uncle Sam, il lui aurait redonné le goût d’enregistrer, aucun doute là-dessus. Nouvel hommage de poids à Joe Hill Louis, «the first overdriven & distorded guitar sound». Boom ! «Boogie In The Park» ! Jake et ses potes le tapent au train, au beat fouetté, avec un incroyable pouvoir d’évocation. C’est exactement ce pouvoir qu’avait en tête Uncle Sam. Chaque cut est ici taillé dans un son différent. Jake leur redonne à tous une forte personnalité. Exactement ce que fit Sam Phillips en son temps.

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             Tu vas faire une bonne opération en te tapant One Take Jake 2009/2019 et son petit frère, Second Take Jake 2010/2019. Ces deux compiles te permettent de revisiter toute l’œuvre de Jake Calypso. Il attaque l’One Take Jake avec un «My Baby Rocks» chanté de l’intérieur du menton. Il fait aussi le chicken de Rosco Gordon dans «Call Me Baby», tiré de Father & Sons. Retour à cet extraordinaire album que fut Vance Mississippi, avec le morceau titre, monté sur un beat primitif de caisse en bois, chanté au redneck growl pur, et quand Archie Lee Hooker, le neveu d’Hooky, entre dans la danse, alors ça explose en mode Boogie Chillun. Tiré aussi de Father & Sons, voilà l’indéfectible «Indian Boppin’». Jake y va au fast heavy bop de Charlie, au wild-catism délibéré. Il croone à la lune avec «I Was A Fool About You» et repart en mode hard bop avec «I’m Fed Up» encore tiré de cet album d’une incroyable qualité que fut Father & Sons. «Plans Of Love» sonne tout simplement comme un hit inter-galactique. C’est l’apothéose du cool. Il égrène les villes du Sud dans «Rock’n’Roll Train» tiré de Grandaddy’s Grease et te claque «Cause You’re My Baby» en mode Jerry Lee. Il a ce genre de niaque. Il sait aussi taper le Cajun comme le montre «C’est Ça Qu’est Bon». Dans «Born & Die», il salue tous ses héros, George Jones, Charlie Feathers, et Carl Perkins. Voilà un inédit : «Save Your Soul», pur jus d’Amaricana, avec un yodell du Kentucky. Le bop est au rendez-vous de «Baby That You Fall», et en fin de parcours, on tombe sur cette merveille qu’est «Cotton Field Day» et qu’on retrouvera sur le Blues Never Lies de Lonely Jake. Pur shake de champ. Il connaît ça par cœur.

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             La suite de ta bonne opération s’appelle Second Take Jake 2010/2019. Tu peux y aller les yeux fermés, alors yallah ! Ça pleut des cats & dogs, «You Killing Me» (tiré de Downtown Memphis, Jake y rivalise de grandeur tutélaire avec les rois du croon), «Ciderella» (gratté à la sourde, encore tiré de l’extraordinaire Grandaddy’s Grease), «Gonna Bring You Back» (bien claqué du beignet, tiré aussi de Grandaddy’s), «I’m A Real Cool Cat» (un smash de hard bop tiré des Lockdown Sessions, c’est hallucinant de verdeur bop !), «Babe Babe Baby» (pur jus de Sun rockab), et avec «Tell Me Lou», tu te croirais sur un single Meteor ou Starday, tellement c’est criant de véracité rockab. Coup de génie bop encore avec «Hey Barber Barber», avec tout le deepy deep de Vance, Mississippi, et qui dira la fantastique allure de «Torrid Love» ? Et t’as encore un mirifique hommage à Elvis avec «That’s All Right». T’es en plein cœur de Downtown Memphis. Et à la fin, t’as cette perle noire d’«If I Had Me A Woman», pur rootsy rockab. On se régale aussi de «Passion & Fashion», tiré de Father & Sons, pur jus d’Americana dans l’esprit d’O Brother. Jake montre une singulière aptitude à sonner vrai.

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             Grand retour des Hot Chickens en 2022 avec le joliment titré It’s Time To Rock Again. Alors oui, ça rocke le boat chez les Chickens avec, tiens, pour commencer, une cover ventre à terre de «Surfin’ Bird». Pur destroy oh boy ! Encore pire que celle des Cramps, ils y vont au ba-ba ooouh mama ! Autre stab de trash : «Unchained Melody». Vraiment ultimate, ils tapent ça au garage-trash fondamental. Jake joue avec le chant comme le chat avec la souris. Et tout l’album est un peu comme ça, débridé. Tiens, ‘coute cet «It Surely Ain’t The Rolling Stones» d’ouverture de bal. C’est bien sonné des cloches. Jake et ses deux potes te tapent ça au wild gaga sauvage. Wild as f-f-f-f-f-f-f-f-fuck. Impossible de qualifier ça autrement. Wild as fucking fuck ! Puisqu’on parle du loup, le voilà : «F***k You», gratté à la Gloria-mania. Suivi d’un gros clin d’œil endiablé à Chucky Chuckah : «Repose Beethoven» - Repose Beethoven/ Dans ta dernière demeure ! - Schmoll n’aurait pas fait mieux. À quand un tribute à Chucky Chuckah, Jake ? L’autre cover de choc, c’est bien sûr «L’Hymne À l’Amour», Jake y va au Piaf de si tu m’aimes et au Piaf de je me fou-ouuuhhh du monde entier ! Et ils repiquent une crise de wild-catism avec «We Are A Rock’n’Roll Trio». C’est leur fonds de commerce. Pur rockab de just set up and go ! Et avec «Take On Me», t’as tout le power du surnuméraire, mais au débotté.

    Signé : Cazengler, Calypso dans le vide

    Nut Jumpers. Generation Rock N’ Roll. Rhythm Bomb Records 2024

    Wild Boogie Combo. Music For Females. Chickens Records 2010

    Wild Boogie Combo. Black Hills Country Blues. Around The Shack Records 2020

    Jake Calypso & His Red Hot. Rockabilly Star. Around The Shack Records 2021

    The Memphis Blues Cream. 706 Union Avenue. Around The Shack Records 2022

    Jake Calypso. One Take Jake 2009/2019. Rock Paradise 2018

    Jake Calypso. Second Take Jake 2010/2019. Rock Paradise 2021

    Hot Chickens. It’s Time To Rock Again. Rock Paradise 2022

     

     

    Wizards & True Stars

    - Talmy ça où ?

    (Part Three)

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             Bon d’accord, il n’était plus très jeune, mais ça cause tout de même un choc d’apprendre que Shel Talmy vient de casser sa pipe en bois. Plus très jeune, ça veut dire qu’il datait d’une autre époque, un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, celui des débuts des Kinks, des Who et des Easybeats, pour n’en citer que trois. Eh oui, amigo, ces groupes doivent tout à cet expat américain transplanté à Londres, et qui avait le génie du son. Ils ne sont pas des masses à pouvoir se prévaloir de ce genre de génie. Avec Shel Talmy, t’as Totor, Uncle Sam, Joe Meek, Kim Fowley, Jim Dickinson, Brian Wilson, Jack Nitzsche, Chips Moman, Gary S. Paxton, Norman Petty, Todd Rundgren, Gus Dudgeon, Huey P. Meaux, Shadow Morton, Norman Whitfield, Gary Usher, Charles Stepney, Liam Watson, Allen Toussaint, Cosimo Matassa, Carl Davis, et puis Andy Paley qui comme par hasard vient lui aussi de casser sa pipe en bois. On a déjà longuement célébré ici même les génies soniques respectifs d’Andy Paley (Inside the goldmine, en 2022) et de Shel Talmy (en 2017), aussi n’allons-nous pas remettre le couvert, car ce serait abuser, même si ces deux-là méritent qu’on radote à tire-larigot. Car tout ce qu’ils ont approché et produit relève du passage obligé.

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             Ce sont les gens d’Ace qui se sont principalement chargés d’œuvrer pour la postérité de Shel Talmy, avec une série de compiles majeures (Making Time - A Shel Talmy Production (2017), Planet Beat - From The Shel Talmy Vaults (2018) et Planet Mod - From The Shel Talmy Vaults (2018)

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             Les gens d’Ace en firent paraître une quatrième : Shel’s Girls - From The Planet Records Vaults. Que de son, my son et ça prend des allures mirobolantes avec Perpetual Langley et cette vieille pop sucrée de Belfast teenage très spectorienne. C’est elle la star des Shel’s Girls, on la retrouve avec «We Wanna Stay Home» - My name is Perpetual - elle chante son jerk de juke pour Shel, elle est épouvantable de sixties fever. Elle réapparaît avec «Two By Two», feverish as hell, elle chauffe sa pop avec un style qui vaut tout l’or du monde, c’est salué aux trompettes mariachi yeah yeah. Ça vaut bien les Detroit Cobras ! Elle boucle la compile avec «So Sad». Shel fait du big ambiant autour de cette star invraisemblable. The Orchids ? Tu crois entendre les Beach Boys. «OO-Chang-A-Lang» dispose de la même énergie balnéaire, et Shel fait une fois encore son Totor. On trouve plus loin deux autres cuts des Orchids, «Gonna Make Him Mine», un jerk de petite vertu, et «Stay At Home», chef-d’œuvre de pop craze qu’elles chantent ensemble. Jamais entendu parler de Van Lenton, et pourtant son «You Don’t Care» vaut le déplacement. Elle chante ça au petit chien de sa chienne. Margo & The Marvettes vont plus sur le garage avec «Say You Will». C’est atrocement électrique, avec des shoots hirsutes de freakbeat. Le guitariste s’appelle Trevor Burns. L’«A Ladies Man» de Colette & The Bandits est assez définitif d’un point de vue jukeboxique, et Liz Shelley chante «Make Me Your Baby» au sommet de son art avec un certain côté magique. On est encore en plein Spector sound, et avec son grain de voix, elle rajoute de la poudre de Perlimpinpin dans le son. Pure magie que ce «Songs Of Love» de Dani Sheridan. La prod de Shel y poursuit son petit bonhomme de chemin pendant le solo de trompette. Dani est une bonne. On va de merveille en merveille sur cette compile, il n’y aucun mauvais cut là-dedans, le «Surrender» de The Plain & Fancy sonne comme le jerk du diable et Sherri Weine chante son «Don’t Forget» à la folie.

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             L’idéal serait de se jeter ensuite sur The Best Of Planet Records - A Shel Talmy Production, une belle petite compile RPM parue en l’an 2000. Ne serait-ce que pour y retrouver les fabuleux Untamed avec le très Whoish «It’s Not True», un hit signé Pete Townshend. Seulement 5 singles, mais quel carnage ! Ils tapent en plein dans la cocarde, au big bash out, ça joue à la revoyure. Plus loin tu retrouves la même équipe sous le nom de Lindsay Muir’s Untamed, avec un «Daddy Long Legs» savamment enlevé. Passionnant et toujours cette prod impeccable de l’ami Talmy. Les autres grosses poissecailles de l’ami Talmy sont bien sûr les Creation qu’on retrouve ici avec l’heavy blast de «Biff Bang Pow», encore en plein dans la cocarde, complètement Whoish, fruit  du génie combiné d’Eddie Phillips et de l’ami Talmy qui a su capter tout le jus de ces démons. Le «Too Much Of A Woman» des Curduroys sonne comme un hymne Mod, et côté bonnes surprises, t’as le John Lee’s Groundhogs de Tony McPhee avec «I’ll Never Fall In Love Again», c’est tendu, bien cuivré, bien sec. Prod maximale ! Côté Shel’s Girls, tu retombes sur Dani Sheridan et «Guess I’m Dumb». Elle est tellement impubère qu’elle fout le souk dans la médina du Swinging London. On retrouve aussi bien sûr Perpetual Langley avec «We Wanna Stay Home», c’est elle la star du sucre candy, la reine de la pop du diable, car elle t’emmène en enfer. Plus loin, elle sonne comme les Supremes avec «Surrender», c’est dire si l’ami Talmy a le bras long. Les Orlons se croient aussi chez Motown avec «Spinning Top».

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             Dans les liners RPM (que signe Jon Mojo Mills), l’ami Talmy chante les louanges des Untamed : «I thought the Untamed were too far ahead of the market.» «It’s Not True» sera le troisième single Planet. À une époque, Detour vantait bien les mérites des Untamed. C’est vrai qu’It’s All True paru en 1999 est un album compilatoire attachant. On y retrouve l’«It’s Not True» signé Pete Townshend et paru sur Planet. S’ensuit «Fever», une pure giclée de Mod craze, enregistrée au De Lane Lea Studio de Dean Street, à Soho, en 1967, au cœur du Swinging London. Lindsay Muir y passe un killer solo flash pas piqué des hannetons. Muir est un mec qui a beaucoup d’allure et qui aime bien les cuts atmosphériques comme «Little Brown Baby». Il s’y investit à fond. En B, on croise une honnête mouture de «Land Of 1000 Dances» et un «Hush Your Mouth» un peu hush poppy nappé d’orgue sucré. Il faut attendre «Where She Gone» pour frémir un coup. Albert Lee y gratte ses poux. C’est du British Beat de Muir à cuire, il chante à la bonne arrache paradoxale, et Albert fout le feu, il claque du killer flash pur. On regagne la sortie avec «Cry On My Own» et le fantastique bassmatic de Ronnie Thomas. Les Untamed sortent en beauté. Ils groovent le British Beat et Muir chante comme un white nigger famélique. 

    Signé : Cazengler, Talmygondis

    Shel Talmy. Disparu le 13 novembre 2024

    Shel’s Girls. From The Planet Records Vaults. Ace Records 2019

    The Best Of Planet Records - A Shel Talmy Production. RPM Records 2000

    The Untamed. It’s All True. Circle Records 1999

     

     

    Inside the goldmine

     - Walker brother

             Son étoile n’a pas brillé longtemps, à peine quelques années, mais elle brilla si bien qu’elle brille encore dans le souvenir des habitants de cette petite ville. Grâce à Walbyt, ils connurent une période de grâce divine. Oui, la ville entière se découvrit une passion nouvelle pour les disques rares et la musique populaire. On faisait la queue le long du trottoir pour entrer dans la modeste échoppe de Walbyt. Derrière son comptoir, il jonglait avec les pochettes, vantait les mérites d’artistes inconnus et multipliait les remises, alors les gens achetaient, puis ils revenaient le lendemain pour dire qu’ils étaient contents de leur achat - Qu’avez-vous d’autre à nous proposer dans les 9 euros, monsieur Walbyt ? - Alors Walbyt filait dans sa réserve et réapparaissait avec une belle pochette dans chaque main. Un vrai gamin ! Il gesticulait sur ses petites jambes. Les gens adoraient le voir à l’œuvre. Walbyt était en plus d’un abord agréable, son embonpoint faisait plaisir à voir, il avait une bonne bouille, le cheveu rare et les yeux très clairs. Comme il voyait la file d’attente s’allonger à l’extérieur, il s’efforçait d’écourter les apologies : «Excusez-moi d’être aussi expéditif, mais les gens attendent pour entrer...», alors les clients le rassuraient - Non non, Monsieur Walbyt, c’est nous qui nous excusons de prendre sur votre temps - Ils payaient et partaient après avoir chaudement serré la main de Walbyt. Pauvre Walbyt, il n’avait même plus le temps d’aller faire son petit pipi, car déjà d’autres clients s’arrimaient au comptoir et l’interpellaient - Monsieur Walbyt, faites-vous des remises sur les soldes ? - Ah comme Walbyt adorait conseiller ses clients ! C’était presque une vocation religieuse. On le voyait avec des ailes dans le dos, comme Damiel dans Les Ailes Du Désir, des grandes ailes blanches, bien duveteuses. Ses mains blanches distribuaient les cartes de fidélité. Il semblait descendre mollement parmi les vivants pour se porter garant de leur bonheur, pour les conforter dans leur intelligence, pour les entraîner dans les voies impénétrables de la félicité, pour assurer leur salut culturel. Walbyt veillait à tout cela en même temps. Sa rigueur et sa conscience professionnelle faisaient de lui un Saint. Jamais aucun disquaire en France n’avait prodigué autant de bienfaits à des prix défiant toute concurrence.

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             Walbyt n’est pas le seul bienfaiteur de l’humanité. L’autre s’appelle Walker. Ronnie Walker. Espérons qu’un jour le Vatican les canonisera tous les deux. Walbyt et Walker font bien la paire. Ils sont hélas aussi peu connus l’un que l’autre. Walbyt a disparu corps et âme, quant à Walker, personne ne sait qu’il existe, excepté ceux qui écoutent les Masterpieces Of Modern Soul compilées par les cakes de Kent. Une fois que t’as déniché ce fabuleux Philadelphia Soul Brother qu’est Ronnie Walker, t’en dors plus la nuit.

             Il est bon de rappeler que Philadelphie fut dans les années 70 le paradis de la sweet Soul music. Parmi les gens qui accompagnent Ronnie Walker en 1968, on retrouve bien sûr Thom Bell et Leon Huff. 

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             Côté discographique, c’est la croix et la bannière. Il existe un album qui a pour étrange particularité d’être introuvable, et une poignée de singles réservés aux collectionneurs. Miraculeusement, il existe sur le marché une petite compile Philly intitulée Someday. Alors on la chope et on la dévore toute crue. Ronnie Walker sonne un peu comme Lee Fields, mais avec du sucre en plus. Il monte très haut quand il veut («Ain’t It Funny») et fait montre d’une extraordinaire présence, même avec un son pourri («I’m Singing Goodbye»). Il est comme noyé dans un son provincial, mais il épouse le serpent de la caducée. Il fait dirons-nous de l’excellent menu fretin. On sent le manque de moyens, il faut juste lui laisser un peu de temps. Ça commence à chauffer avec «You’re The One» et «Thanks To You». Il tape pas mal de cuts au chat perché bien gras et bien gorgeous. Ronnie Walker s’affirme très vite comme un immense Soul Brother. Son falsetto est comparable à celui de Smokey Robinson. Et voilà le coup de génie tant attendu : «Precious». Il se montre fantastiquement intrusif. Voilà ce qu’on appelle un absolute beginner. Il attaque «Everything Is Everything» en mode angélique, juste en dessous du boisseau de la Soul. C’est un malin, le Ronnie, il va sous les jupes de la Soul pour faire son sucre. Si ce n’est pas du génie, alors qu’est-ce que c’est ? Il se montre fabuleux d’ingénuité. Il te chante encore «It’s A Good Feeling» au chat perché sucré de rêve, sa petite glotte rose en palpite frénétiquement. Il tape dans le sucre supérieur, c’est ce qu’il faut retenir de lui. Il crée encore de l’enchantement avec «Now That You’re Gone», et porté par un bassmatic dévorant, il te drive tout ça out of this world. Cette bassline descendante est un chef-d’œuvre d’art contemporain. Il te ravit encore l’assemblée avec «Guess I’ll Never Understand». Ronnie Walker est un artiste brillant, il défonce bien la rondelle des annales. S’il ne s’appelait Ronnie Walker, il faudrait l’appeler Jo-l’insistant. Son chat perché est d’une puissance terrible. Pourquoi n’est-il pas devenu une superstar ? Bonne question. Il pose toujours sa voix avec du power, il réalise chaque fois une performance qu’il faut bien qualifier d’extraordinaire. Avec «In Search Of Love», il monte au chat suprême. Encore un coup de génie avec «Now There Is You». Quand on voit Ronnie Walker au dos de la boîboîte, on est frappé par sa ressemblance avec Lee Fields. «Can You Love A Poor Boy» est plus diskoïde, mais ça reste chanté à la voix d’ange de miséricorde. C’est même de la magie pure. Il crée sa magie rien qu’avec un chat, comme le font d’ailleurs Aaron Neville et Eddie Kendricks.     

    Signé : Cazengler, Ronnie Water (closet)

    Ronnie Walker. Someday. Philly Archives 2000

     

    *

             Insensé, tout ce bruit, comment peaufiner une kronic avec ce grabuge de cris discordants. Malgré les fenêtres à triple vitrage, je suis incapable de me concentrer. Je sais c’est la rançon de la gloire, toutes ces groupies, au minimum une vingtaine, assommant ! Les clameurs redoublent, des cris d’effroi, elles s’y mettent toutes à l’unisson ‘’ Damiiiiie ! Damiiiiiiie vite ! Damiiiiiiiiiiiiiie ! Viens vite ! Au secours !’’ Je suis un rocker, je ne saurais laisser des demoiselles en danger de mort. J’entrouvre la fenêtre :

    • Que se passe-t-il mes douces colombes !
    • Enfin Damie viens vite, on l’a repéré, il en veut à ton domicile !
    • Viens nous aider à le retenir, il se débat, il va s’enfuir !
    • Il est armé ! Il prépare un attentat contre toi !
    • On l’a reconnu, il porte une barbe, ses habits sont tachés de sang, c’est un Islamiste !
    • Pas de panique ! j’arrive !

    Je saute dans mes santiags, en peau de cobra prélevée sur la bête encore vivante, toute neuves, n’ai même pas eu le temps d’enlever le certificat d’authenticité international BPP  (Britifh Plastic Petroleum). Je rafle la batte de baseball toujours prête à l’emploi à côté de la porte d’entrée et me précipite vers mon fan club qui caquette à qui mieux mieux comme une volée de pintades en furie. Elles sont quinze entassées par terre en couches superposées mouvantes, je comprends elles se sont ruées sur le terroriste, du poids de leurs corps elles tentent de le retenir.

    • Charmantes oiselles, relevez-vous, je suis là, je me charge tout seul de cet olibrius, laissez-moi faire, c’est une affaire d’homme, vous ne craignez plus rien puisque je suis là !

    Elles s’écartent, dans la cohue qui se retire j’entrevois des taches sanglantes sur ses vêtements, diable l’affaire est sérieuse. Le gars parvient à se relever, ses yeux accrochent mon visage, c’est vrai qu’il a une barbe ! Mais elle est blanche !

             - Allons Damie c’est moi, ton facteur. Tu vois bien que je suis déguisé en Père Noël, une opération promotionnelle de la Poste !

             - Il ment, il porte une fausse barbe !

             - Il porte deux boîtes explosives dans sa main gauche !

             - Enfin ! ce sont les deux derniers numéros de la revue rock préférée de Damie !

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 32

    JANVIER – FEVRIER - MARS (2025)

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            C’est Noël ! Sergio nous gâte ! Quelles sont les revues qui de nos jours proposent encore un papier glacé aussi épais à ses lecteurs, idéal pour les photos !  Pour mieux comprendre mon enthousiasme aux quatorze pages   consacrées par Jean-Louis Rancurel au grand Schmall j’invite le lecteur à lire ma déception, voir la dernière chronique de cette livraison, dans laquelle je fais part de ma déconvenue quant à la biographie d’Eddy Mitchell qui vient de paraître. Peu de textes mais agrémentés de clichés rares ou inédits, cela suffit pour que l’on ressente la ferveur que dégageait le personnage d’Eddy à cette époque (1964 – 1980), que l’on prenne conscience de cet émoi que suscita parmi une frange assez large de la jeunesse de notre pays sa présence. Ce n'est pas l’Eddy qui nous déroule son plan de carrière dans son dernier bouquin, mais le fan de rock qui cherche à apprendre, à connaître, à savoir, ce n’est pas la fièvre de l’or mais la fièvre du rock… Merci à Jean-Louis Rancurel de nous faire partager ses moments de combat pour le rock’n’roll. Un témoin capital.

             L’on change d’idole mais pas d’histoire. Bye-bye Eddy, respect à Crazy Cavan. Julien Bollinger nous raconte une renaissance, celle du rock ‘n’roll en Angleterre, on le croyait mort et enterré, au mieux en train de croupir dans les oubliettes de l’immémoire, son souvenir oblitéré par le tsunami de la pop-music et le raz-de-marée de la disco… Cavan ralliera à lui les derniers fans retranchés dans le souvenir des années cinquante et soixante, il suscitera la déferlante rockabilly qui s’étendra sur une bonne partie de l’Europe… son exemple exhumera des cendres froides de l’oubli jusqu’à la première génération des pionniers américains.  Lorsque l’effet de mode cessera, l’on retrouvera Cavan, imperturbable, fidèle à lui-même, qui regroupera autour de lui un public de fidèles et d’inconditionnels, une mouvance dont l’aventure dure encore de nos jours. Rockabilly Generation est un parfait exemple de cette continuité.

             Autres exemples, le Kustom Festival & Tattoo de Parmains et le Rock’n’roll in Pleugeneuc, entre tradition et renouvellement, les générations se suivent et ne se ressemblent pas tout à fait, les photos de Sergio mais aussi ses  perspicaces chroniques. La scène est le lieu incandescent de l’incessante survie du rock’n’roll.

             Un autre pionnier, Jean-Claude Coulonge, un rescapé de l’époque du premier rock français, qui n’a jamais abdiqué qui a continué le combat, soixante-cinq années au service du rock’n’roll, à lui seul autant que trois légionnaires romains ! Pour fêter ses quatre-vingt ans il prépare un petit quelque chose, une grosse fête…

             Si vous êtes aussi maladroit de vos mains que moi, abstenez-vous des quatre pages consacrées à Laurent Manet. Vous serez jaloux. Vous explique comment il confectionne ses figurines rock, des objets d’art, mais que de travail, de patience et d’habileté… Un artiste. Un créateur.

             Du nouveau dans les dernières pages, je vous laisse découvrir. Elles m’ont permis de me rendre compte que j’avais fait l’impasse sur le book Histoire du Rock, (années cinquante) j’ai dû filer passer la commande chez mon libraire.

             Encore merci pour ce nouveau numéro à Sergio et à toute l’équipe, un travail de fond et d’avant-poste…

    Damie Chad

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  6 Euros + 4,30 de frais de port soit 10,30 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 38 Euros (Port Compris), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( Rajouter 1,10 € ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! 

    ROCKABILLY GENERATION

    CRAZY CAVAN’N’THE RYTHM ROCKERS

    HORS-SERIE # 6 / JANVIER 2025

     

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             Une courte intro de Julien Bollinger. Le rock c’est le son, la scène et les disques. C’est aussi l’image. L’image rock donne sens au son. Tout fait sens dans une image rock. Elles se regardent, elles s’imposent, elles se décryptent.

             Rockabilly a su créer un lien de confiance avec Crazy Cavan. Les premières pages dévoilent les photos de la famille Grogan, L’album de famille. Cavan gamin. Ses frères. Ses sœurs. Sa mère, son père. Ses enfants. Toute une vie. L’on regarde, l’on s’interroge. L’on essaie d’être davantage voyant que voyeur. Pénétrer dans le mystère des êtres. De ce qui adviendra. De ce qui est advenu. Pourquoi devient-on ce que l’on est. La part de la volonté, le jeu des hasards, le destin… La photo la plus émouvante, celle où Cavan n’est pas, il y en a plusieurs, mais là il ne pouvait vraiment pas, c’est sa stèle funéraire réceptionnée par les amis et les proches.

             L’on respire. L’on entre dans la grande Histoire, le groupe, la scène, les concerts en France sont privilégiés. Beaucoup de noir et blanc pleines-pages. Le look, la dégaine, la pose, le charisme. La magie rock’n’roll, l’individu s’identifie à son propre signe, à ce qu’il est en lui-même à ce qu’il représente pour les autres. Une histoire collective détenue par un seul, éparpillée en beaucoup d’autres.

             Les Rhythm Rockers mais aussi Breathless le groupe de Colin and Pat deux frères de Cavan… Chacun vole de ses propres ailes, mais toujours la famille. Dans la famille Grogan, voici le fils, Joe. Lui aussi sera musicien. Il répond à une longue interview. Parle de son père. Un homme simple. La semaine au travail, le weekend sur la route. Ce n’est que plus tard que Joe comprendra l’importance et l’aura de son père, dans les milieux du rockabilly européen. Une envergure qu’il n’avait pas devinée auprès de cet homme attaché à sa mère, à ses enfants, à son pub, à la famille. Rocker sur scène, père de famille à la maison…

             Indispensable. La vie d’un homme. D’un être humain qui ranima la flamme du rock’n’roll. Peut-être pas grand-chose. Beaucoup pour beaucoup. L’on mesure la vie d’un homme à ses actes, à ses réalisations.

             Un bel hommage. Emouvant.

    Damie Chad.

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    *

             Même pas besoin d’attendre le sapin, le Père Noël m’a envoyé un cadeau, en avance. Le malheureux n’a pas pu passer  par la cheminée, je n’en ai pas. L’a déposé sur YT, comme je ne suis pas un égoïste, je partage avec vous.

    LIVE ON GERM

    TWO RUNNER

    (Western AF / 03 / 12 / 2024)

             Western AF est basé à Laramie, modeste cité située au sud-est de la ville de Cheyenne, dans l’Etat du Wyoming qui signifie lieu de grande prairie, pas étonnant que le symbole de cet état  situé juste sous le Montana soit un bison.

    Profitons de cette modeste leçon de géographie pour adresser un hommage fraternel aux glorieuses tribus des Natives.   

             Western AF, lire Western As Fuck, engrange des armes pour le futur, leur but est simple : ils accumulent des vidéos d’enregistrements live de chanteurs actuels (country) pour les archives de l’Histoire.  C’est ainsi que l’on construit des bibliothèques d’Alexandrie sonores.  

    Paige Anderson : vocals, guitar / Paige McGinnis : fiddle, vocals / Sean Newman : bass.

    Enregistré au Gryphon Thater qui appartient au Laramie Plains Civic Center.

    Le théâtre du Griffon ne doit pas accueillir plus de trois cents personnes, il est vide, nos trois artistes sont sur scène face à nous, tournent le dos à l’absence du public. Le mieux est de les laisser jouer. Derrière la caméra et au mixage : Will Ross.

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    Helmet : morceau magique, ce pourrait être une ballade enlevée, mais sous les coups d’archets et la cabrioles vocales de Paige se glisse une sourde mélancolie, une indécision teintée de joie de vivre modulée par la fragmentation du monde, pour décor vous avez le soleil resplendissant, pour action une course échevelée de moto, rappelons-nous le goût prononcé de Paige pour la motocyclette, mais le désir amoureux est niché dans la tête, sous le heaume, c’est lui qui poursuit l’objet de Délie, qui le retient prisonnier et l’instant est beaucoup plus métaphysique que physique. Comment avec cette tresse de mots simples Paige peut-elle donner accès à la l’aperture du sentiment en même temps le moins indocile et le plus rétif, qui allie la fougue du pur-sang à la foudre consumante. Le trio guitare-violon-contrebasse possède l’amplitude sonore des quatuors de Bartok. Fortune : deuxième inédit : magnifique, un titre pour le fiddle-king, il ne se prive pas d’étendre le royaume de sa tristesse, basse et guitare scandent le rythme, la voix de Paige survole, tout ce qu’elle a tu dans le premier morceau elle le suggère dans celui-ci, presque rien, cet instant suprême que l’on ne vit qu’une fois, les flammes vous brûlent et vous annihilent, il ne vous reste plus qu’à vivre après cette bribe d’absolu… Wild dream : une reprise de leur album Modern Cowboy : Paige arrache les mots comme sa moto arrache la route, elle crie et l’orchestre s’envole, une demande en mariage, Paige possède cette faculté de transcender le bonheur en quelque chose d’impossible alors qu’il s’offre à vous, à croire que les rêves que l’on pourchasse sans fin sont plus beaux que ceux que l’on réalise, même Dylan n’est jamais parvenu à mettre tant d’immensité dans ses paroles.

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    Where did you go : plus de couleur, rien que du gris, du noir et du blanc, violoniste et bassiste ont posé leurs instruments, se tiennent derrière, fredonneront du bout des lèvres en toute humilité, seule Paige et sa guitare, et sa voix, un morceau glaçant, presque rien, il semble que Paige ne retienne pas plus la mort que l’amour. Une émotion d’une intensité redoutable. Certains écrivent que cette chanson leur fait peur. Paige est toujours tout contre nous, jamais avec nous. Enfermée dans une solitude de haute poésie.

             Quatre morceaux irradiants.

    Damie Chad.

     

    *

    Il est des prisons sans barreau, Claustra doit en être une puisque j’y reviens ! Voici donc Victor plus victorieux que jamais.

    LA PRISON DE CHAIR

    CLAUSTRA

    (Bandcamp / Décembre 2017)

    Depressive death metal. Si vous voulez. Regardez la couve. Moi je dirais plutôt animal death metal. Un carré noir traversé de rayons d’un vert glauque, au centre ce torse, une force qui va, trainées de sang, christique ou auto-flagellé, l’on ne peut dire, une tête de goret avec ce groin sans bouche qui  dépasse de la muselière, une force animale en action que nul obstacle ne saurait arrêter.

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    Forever gone : vous pouvez trouver le morceau accompagné d’une image, un homme solitaire sous son parapluie qui s’éloigne, il marche seul, entre deux rangées de maisons basses, le paysage pluvieux n’est que la transposition de son âme. L’on comprend que la rue qui s’étend devant lui ne mène nulle part, qu’elle se poursuit toute droite sans but vers un infini inachevé. Une intro de douceur et de mélancolie, une mélodie close sur elle-même, telle une bulle de rêve, que l’on désirerait éternelle mais dont on pressent qu’elle a éclaté depuis longtemps. Elle réapparaîtra au milieu du morceau ourlée d’un murmure quasi inaudible, mais ces deux fragmences d’éternité sont à chaque fois chassées par l’inéluctabilité du chagrin et de la rage. Une tourmente de batterie, une guitare tempétueuse et non pas une voix, une morsure sanguinolente qui emporte avec elle la chair et la souffrance. Les jours de bonheur sont partis, auraient-ils duré, les amants ne s’en seraient-ils pas éjectés d’eux-mêmes, car tout fini par s’effilocher, même le monde, d’ailleurs tu l’as emporté avec toi  qui t’en es retranchée. La prison de chair : si vous désirez savoir à quoi ressemble ce morceau c’est simple demandez à votre toubib une injection lente de cyanure, choisissez bien votre praticien , lui faut du doigté car votre agonie ne doit pas durer plus de six minutes, si vous croyez qu’au bout du tunnel vous aurez l’illuminescence terminale, non ce serait trop beau, l’on ne s’évade pas de soi-même, toute chair est une prison, la vôtre de laquelle vous êtes incapable de sortir, celle des autres qui vous empêchent de rentrer dans leur tour charnelle. Une horreur glacée que vous écoutez sans fin comme un candidat au suicide qui tresse minutieusement tous les jours la corde pour se pendre, et quand tout est au point, le cordon peu ombilical casse misérablement sous son poids. Vous êtes comme lui, obligé de recommencer encore une fois. Seul : n’oubliez pas les boules Quies, la guitare grince comme une corde de pendu dans un poème d’Emile Verhaeren, et la voix une charge monstrueuse de cavalerie  sabre au clair, la batterie tire à coups redoublés, tout compte fait c’est lorsque l’on est seul que ça fait le plus de bruit à l’intérieur de soi-même, appréciez tout de même au deuxième tiers de la catastrophe ce Tupolev qui s’écrase sur la piste d’atterrissage de votre jardin, âmes sensibles détournez les oreilles, l’eau du chagrin accumulé trouve toujours une pente pour s’écouler, ici vous avez deux déversoirs, la consolation du pauvre, tu ne souffriras plus cette terre, la consolation du riche, maintenant que tu n’es plus là tu es toute à moi. Relisez les poèmes d’Edgar Poe. Bleack fantazy : la fantaisie fut une des mamelles du Romantisme, la fascination de la mort s’avère le seul absolu à notre portée, ce n’est pas Clara Schumann qui joue du piano mais ça y ressemble, une voix creuse comme la tombe, avant que ne tombent les grandes décisions, pas besoin de lui tirer les vers du nez, la rage enroue sa voix, grande envolée vocale et instrumentale, l’on se rue comme un cheval dans la mort, les orages désirés ruissellent de tonnerre, Clara revient pour la coda. Ou le coma. Coup de feu, ou coup de théâtre. Hôpital : pas de bruit, instrumental, c’est à l’intérieur que ça se passe. Quand on rate son coup, rate-t-on sa vie. Bouffer des arpèges par les racines améliore-t-il vos chances de survie. Selfhatred : avez-vous déjà entendu un morceau qui se fracasse, la batterie y est pour beaucoup, la tête contre les parois translucide d’une tour d’ivoire. Vous n’êtes pas près de sortir vivant d’un tel opus. Pas mort pour autant non plus. L’est comme le serpent qui se mord la queue pour se donner l’illusion d’avoir la langue plus longue. C’est un peu fou, d’ailleurs le vocal chargé de hargne et de rage, est insensé. Rappelle un peu le symbole de Victor Segalen dans Equipée, cette pièce de monnaie que se disputent entre leurs dents le Dragon de l’Imaginaire et le tigre du Réel. Le problème ce ne sont pas les deux animaux, l’est sûr qu’ils symbolisent vous et vous-même, mais la nature de cette sapèque, de cet enjeu essentiel, ne serait-ce pas mort ? 

             Quand je vois le nombre ridicule de personnes qui en cinq ans ont écouté ce pur chef d’œuvre, je préfère me taire…

    Damie Chad.

     

    *

    Je m’excuse de vous annoncer une mauvaise nouvelle, comme s’il n’y avait pas assez de malheur en notre monde, il est urgent que notre pays  déclare la guerre à l’Angleterre et qu’au plus vite vous envahissions la perfide Albion !

    DON’T GET SORE

    POGO CAR CRASH CONTROL

    ( YT / Décembre 2024)

    Z’avaient pris des vacances. Méritées. Après cinq ans de folie. Le temps de reprendre pied en soi-même et de s’interroger sur le futur du groupe. Sur son évolution, l’on ne peut pas refaire ad vitam aeternam la même chose. La vie vous pousse dans le dos, elle a toujours un poignard de prêt à vous planter entre les omoplates. Souvenez-vous du logo du groupe. Bref, revenir c’est mourir un peu. C’est aussi renaître beaucoup. Sans illusion non plus. Il faut payer l’addition. Physiquement ça se voit, ils ont changé. Z’étaient des adolescents attardés poussés en graines quand ils ont dit stop. Z’ont maintenant le faciès de jeunes adultes. Sont moins beaux. Sont plus affirmés. On n’y peut rien, ils se doivent d’y pourvoir un max.

    Après le clap de fin, le clip de la faim. Celle des fans, les lions de l’arène dépités de ne pas avoir eu leur ration de chrétiens depuis des mois. L’est réalisé Antonin N’kruma (son nom serait-il un hommage au leader panafricain), photographe. Produit par Jon Markon qui si j’ai bien compris serait aussi le producteur de l’album à venir.

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    Avis aux amateurs le clip déchire. Très original. Pas les images. Tout ce que l’on attend d’un groupe de rock. Je vous laisse découvrir. Amusez-vous à reconnaître des réminiscences d’anciens clips. Non, tout réside dans la structuration du morceau, plutôt sa fracturation, le mot facturation conviendrait mieux car il colle beaucoup plus aux lyrics, l’est dommage qu’il soit un peu trop connoté au monde des échanges commerciaux qui n’est pas du tout évoqué in the opus.  Ce clip qui ne dure que trois minutes est un véritable triptyque, images, sons et sens. Ne sont pas présentés sur trois panneaux différents, sont tous réunis en un seul, une espèce de puzzle mélangé dans un sac plastique transparent, il ne sera pas ouvert, on ne vous laisse pas aligner sagement  les pièces sur une surface plane et intangible, on l’agite devant vos yeux et à vous de deviner ce qu’il représente. Les idiots, ils sont toujours utiles, affirmeront, c’est une simple histoire d’amour. Turlututut chapeau pointu, les poncifs sont nocifs. Non, c’est une mise en scène. De quoi, d’un renouvellement. Tout d’abord sonique. Finies les grandes charges et décharges électriques. Bien sûr vous avez votre ration d’avoine, mais le picotin ne se bâfre pas en trois coups de langue, vous êtes prié de le savourer, de le mâcher doucement pour en ressentir toute la volupté, sachez faire la différence entre la jouissance des brutes et l’extase des esthètes, idem pour les voix, ce n’est plus le cri rageur du révolté nihiliste prêt à tuer son père et sa mère, vecteurs indubitables de l’ordre sociétal, les voix sont traitées, l’on a envie de dire instrumentalisées, oui mais c’est vous qui êtes manipulé. Pogo Car Crash Control a changé. Pardon, Pogo Car Crash Control chante qu’il change. Tout continue, rien n’est plus pareil. Il vous Crash son passé – qui est aussi le vôtre – à la gueule, vous envoie  la limousine pour les Car-embolages, ne vous bilez pas pour les Pogo frénétiques tout est sur Control. Ne vous inquiétez pas ! Pour une fois dans le rock français les paroles – un mix d’anglais et de langue autochtone - taisent plus qu’elles ne disent tout en énonçant clairement leur propos. Le groupe a atteint une maturité d’écriture tridimensionnelle sans égale.

             OK, Damie, les Pogo ont encore marqué le calendrier du rock hexagonal  d’une pierre rouge, mais est-il vraiment nécessaire d’envahir l’Angleterre pour cela, franchement on ne voit pas trop le rapport. C’est fou, il y a des gens à qui il faut tout leur expliquer : à première écoute ça m’a sauté aux oreilles. J’ai immédiatement pensé au dernier album des Howlin’ Jaws, peut-être parce que j’avais relu l’après-midi dans le Hors-Série de R&F la chro de Jean-William Thoury, si pertinente, induisant l’idée qu’ils avaient acquis et décroché la timbale dorée du son anglais, inaccessible aux mangeurs de grenouilles que nous sommes. Pogo et Howlin sont deux groupes radicalement différents, mais les Pogo viennent eux aussi de franchir le Rubicon, le rubis sur cube, d’un rêve inaccessible. Ces maudits rosbifs sont en train de voler nos groupes…

    Damie Chad.

     

    *

    Il vient du sud de l’Afrique, pourtant il s’appelle East, est-il un peu givré parce qu’il a perdu le nord, en tout cas il est à l’Ouest, encore un de ces artistes inclassables à qui le rock’ n’roll ouvre grand ses portes et dont ils font un lieu d’exhibition. Un peu d’étymologie toutefois : l’occident est le côté de la mort.

    GHOULS

    CHARLES EAST

    (2018)

    Il vient d’Oudtshoorn, ville de 30 000 habitants d’Afrique du Sud, sans doute n’aurais-je pas noté ce détail insolite, elle est la capitale mondiale de l’autruche d’élevage, du coup la photo de la couve m’a immédiatement emmené à penser que la longue silhouette longiligne qui s’affiche s’apparentait quelque peu et symboliquement à ce volatile qui ne parvient à voler, tout comme notre chanteur accaparé par le malaise existentiel de vivre.

    Charles East : piano, vocals, synthé / Jo Ellis : drums, synthés.

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    Germane : le piano et la voix, la voix et le piano. Auxquels très vite viennent se sous-perposer  puis se superposer des bruits synthétiques de mauvais alois. Une voix un peu à la manière de Bowie dans la façon de la poser mais pas du tout postée sur le même timbre. Voix claire et perforante. Une longue introspection. Le gars traîne une tristesse à faire pleurer les pierres. Est-ce un hasard s’il parle d’ibis, titre d’un poème d’Ovide exilé qui vilipende Auguste responsable de sa relégation hellespontique, l’a l’art de tourner le couteau du chant sept fois dans sa plaie alors qu’il n’arrête pas une seconde  de se dénigrer. It’s hold my viscera : guitars Anthony Mikael Gunther : pas pumpin’ piano mais presque, Charles étire sa voix vers l’aigu, les percus tamponnent et notre héros, c’est le cas de le dire, mythifie sa malédictive attrition vitale, se décrit comme un Dieu pourchassé par la méchanceté des hommes, Saturne est à ses trousses, peut-être ses viscères finiront-elles dans un vase canope au creux obscur d’une pyramide. Délire de persécution ou de grandeur. L’autoportrait frise la folie. Heka : dans la série je m’éclate à l’hécatombe d’Hécate vous trouverez difficilement mieux, une galopade pianistique, magnificat introït, une percussion pressurisée, un vocal qui s’étire les cordes vocales, dites-vous que le killer s’est éveillé bien longtemps après l’aube, qu’il porte un couteau et qu’il ressemble fortement à notre héros ou à un dieu, lequel des deux portera le premier coup ?

    VENOM

    (Avril 2020)

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    Single. Le seul qui bénéficie d’une couve couleur créditée à Eva Bachman. Toutefois une mise en abime, photos de famille en noir et blanc, le père, la mère, ce sale gosse de Charlie, un bouquet de fleurs séchées de mariée ou déposé sur une tombe ? L’est agrémenté d’un beau crâne rigoleur de toutes ses dents.

    Charles East : piano, vocal, lyrics, musics / Jo Ellis : guitars.

    Venom : le venin, commence mal, le bruit d’un mort qui repousse le couvercle de son cercueil, attention on n’est pas là pour jouer au zombi macabre, soyez subtil, le cercueil c’est vous, celui qui en sort on ne sait pas, est-ce l’Homme ou le Dieu, totalement parano, il craint ses semblables, il préfèrerait être un dieu cruel, sûr que les deux postulations s’équivalent, vous avouerez que le choix est difficile, en tout cas ce qui est sûr c’est qu’il chante comme un Dieu l’a de ces envolées lyriques, vous parieriez qu’il lui pousse des ailes dans le dos, l’a des retombées, des dégringolades dans les escaliers des catacombes, il souffre, il crie, il se tait, le silence sépulcral l’appelle, reprise il sort de son tombeau, le soleil de la cruauté.

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    L’existe une vidéo, devrait retirer les bébêtes folkloriques : les vers, le hibou ; le scorpion, l’araignée, le  serpent et ne garder que son corps nu et ses longs cheveux noirs au bas du mur blanc et ses reptations comme un désir de retour dans la matrice originelle…

    DEAD BEAT DANCE

    (Août 2023)

     Je ne veux pas dire que la couve d’Emma Freysen n’est pas ressemblante, le problème c’est que les photos de Charles East dégagent un aspect beaucoup plus inquiétant, oui mais elle illustre une reprise de la bande-son du film The Return of the Living Dead. Comme quoi Charlie East a de la suite dans les idées noires.

    Charles East : piano, vocal, lyrics / Marisca Rain : guitars, bass.

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    Parfait pour la musique de votre enterrement, seuls resteront jusqu’au bout ceux qui vous aiment vraiment ou ceux qui sont sourds. Rien à voir avec l’original punkitoïde des Damned. Avec Charlie, la plaisanterie est finie. Z’avez l’impression de valser dans les bras de la Camarde. Un filet de voix hagard, z’aurez du mal à discerner s’il sort de sa tombe ou s’il s’y rend, parfait contraste avec le tamponnage de fête foraine. A la moitié du morceau il glapit comme si on l’enterrait vivant. Que voulez-vous l’erreur est humaine. L’horreur aussi.

    I’M YOUR CONSEQUENCE

    (Brucia Records / EP / Mars 2024)

    Pour la couve je supposons une photo issue de l’enregistrement de l’auto-réalisée vidéo Venom. Nu lové  contre le mur, pour le crâne du bouc, ne pensez pas à Belzebuth mais plutôt au mouton noir qu’Ulysse égorge pour que les morts viennent à lui.

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    I’m your consequence : une chanson d’amour, l’on sent qu’il a été pris en main par un label, l’orchestration a été étoffée, elle étouffe un peu la voix, pour l’amour fou vous repasserez, c’est l’amour à mort, à la mort de soi dans l’offrande de l’autre, le morceau se développe comme une flamme qui prend de l’ampleur, dévoration ambigüe, qui culmine sur le souffle rauque, rock and goth, de la bête du désir. Une espèce de psaume offert à l’impuissance humaine d’une communion non sacrificielle. Drain : la suite de l’aventure. La fuite. Nous n’avons que des lambeaux. Rythme processionnaire. Qui chasse ? Qui est le gibier. Une litanie de la mort. Intérieure. Qui vous ronge du dedans. Des voix, est-ce la mienne, est-ce celle de l’autre qui est moi, ou celle des autres qui ne sont pas moi. Une longue mélopée. Sacrificielle. Être l’officiant. Être la victime. En même temps. Dans chaque cas, une terrible solitude. Dans les deux cas en même temps, une absolution égoïste.

             Charles East vient de sortir sur Brucia son premier album Dislocated.

    Ecoutez-le, vous entendrez le ricanement chevalin de la Mort résonner à vos oreilles. Le piano, la voix, la Mort, c’est tout.

             Cela vous suffira amplement. Pour vivre.

    Damie Chad.

     

    *

             A treize ans je me suis fait traiter d’assassin par ma mère parce que j’écoutais Si tu n’étais pas mon frère, un des meilleurs morceaux de rock français, j’avoue que le son était à fond, que mon Mélovox crachait fort, que c’était (au moins) la vingtième fois que le repassais le morceau. J’admets que les paroles n’étaient pas des plus doucereuses, mais enfin ce n’était pas un appel au meurtre, de surcroit ce n’était pas moi le responsable, je n’avais rien fait, puisque je n’ai jamais eu de frère, ma mère aurait dû le savoir, comme de toute manière depuis soixante ans les délais de prescription sont caducs et que le coupable ne risque plus rien, je vous refile son nom :

    EDDY MITCHELL

    AUTOBIOGRAPHIE

    (Le Cherche Midi / Octobre 2004)

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              Bref une ambiance rock’n’roll ! Le hic haec hoc c’est que cette autobiographie n’est guère rock‘n’roll. Schmall nous fait le coup du vieux sage. Le problème ce n’est pas qu’il soit vieux c’est qu’il soit sage. Lui qui a déjà réservé sa place au cimetière de Saint-Tropez nous fait le coup de Valéry dans son Cimetière Marin, Ô récompense…qu’un long regard sur le calme des Dieux. Il précise même son épitaphe au cas vous auriez envie d’aller verser quelques larmes sur le marbre funèbre  ‘’ Ne pas déranger’’. Un véritable message ‘’fun-éraire’’.

             Mais reprenons au tout début. L’est né à Paris dans le neuvième, il nous épargne ses années vagissantes, les remplace par les meilleures pages de son bouquin. L’évoque le Paris disparu, celui qui nichait ses terrains vagues au bas des Fortifs aujourd’hui remplacées par le périph bitumeux et ses immeubles bétonnés. Architecturalement ce n’était pas Versailles, par contre c’est-là qu’il a reçu sa première leçon de vie, la plus importante, qui fonde votre personnalité. Administrée par personne en particulier mais par l’ensemble de la population bigarrée, toutes origines et nationalités confondues. Misère et entraide, maigres salaires et grosse joie de vivre. Eddy le raconte davantage en détail dans P’tit Claude un autre de ses livres paru en 1994. C’est dans ce terreau multinationaliste, rien à voir avec nos Multinationales, que naissent ses choix politiques, il le proclame haut et fort, il n’est pas un partisan du Front National. Pas un révolutionnaire non plus, il paye ses impôts, il vote et pour Sarko et pour Macron

             L’est comme Rimbaud, c’est la vie qu’il faut changer. L’a d’abord changé sa vie à lui, c’est déjà beaucoup, ne finira pas comme son frère directeur d’une agence au Crédit Lyonnais, ses déplorables aptitudes naturelles l’on empêché de devenir voyou, les intellectuels de gauche de nos jours le qualifieront de transfuge de classe, lui il n’éprouve aucune honte, aucun regret de sa réussite. N’est pas le genre de gars à se prendre la tête. Il n’a pas oublié d’où il vient, il rend  hommage à l’amour et à la sécurité affective que lui ont donné ses parents.

             Ses goûts s’affirment peu à peu, le cinéma, virus inoculé par son père et son grand-frère, la lecture grâce à son oncle qui ramène des livres de toutes sortes, jusqu’au choc fatal : Bill Haley. C’est le seul pionnier à qui il rend un véritable hommage. Ce qui aide à comprendre son évolution vers une musique plus cuivrée, big band et crooner. N’est pas un grand fan d’Elvis. Un beau portrait de Gene Vincent en personnage borderline. Une demi page et c’est tout. Je n’insiste pas car lui-même ne s’attarde pas.

             Idem pour Les Chaussettes noires, l’en parle certes, mais pas du tout de ce qui passe autour. L’émulsion pétillante des sixties vous ne la verrez pas. L’on ne peut même pas l’accuser de name dropping. Mitchell n’apporte aucune révélation fracassante, ceux qui le suivent depuis longtemps, connaissent le topo habituel déjà raconté - avec détails supplémentaires -au fil des années en de nombreuses interviewes… Il braque la caméra sur lui, et elle ne le quitte pas, ce n’est pas qu’il désire monopoliser l’attention, à tout bout de paragraphe il donne l’impression de vouloir terminer au plus vite. Aurait-il l’intention de nous découvrir des choses inédites ? Pas du tout.

             Quelques pages sur son voyage à Memphis et la venue des musiciens américains à Paris. Profitez-en bien car lorsque quelques années plus tard il retournera rocker à Nashville, il ne s’attardera point… La route de Memphis il la parcourt à trois cents milles à l’heure et pas une voiture de flics pour l’obliger à ralentir. S’étend davantage sur sa période creuse du début des années soixante-dix. Mea culpa, c’est ma faute, trop sûr de moi, j’avais tort… Nous ressort le même baratin depuis un demi-siècle.

             Z’ensuite, Mitchell devient ennuyant. Nous parle de sa carrière cinématographique. Deux ou trois anecdotes, même pas croustillantes, une longue liste de films, ceux qu’il a fait, ceux qu’il n’a pas faits, le tournage ici ou là avec celui-ci ou celle-là… Pour la musique, énorme disette. Nous glisse un paragraphe de temps en temps pour notifier l’enregistrement d’un album – la lecture de la pochette s’avèrera plus instructive – notifie quelques tournées, et puis c’est tout. Circulez, il n’y a rien à voir, rien à entendre.

             Se fait vieux le grand Schmall, n’a plus envie qu’on l’emmerde, devient cossard, remet au lendemain ce qu’il peut faire le jour même, il fume moins, y va mollo-mollo sur la bouteille, se cantonne aux bons crus, l’a rayé le bourbon et le crotale qui frétille dedans pour vous sauter à la gueule dès que vous sabrez la bouteille…

             Les plus belles pages sont consacrées à Johnny, notamment à la tournée des Vieilles Canailles, l’on sent l’amitié qui unissait les deux hommes… Johnny apparaît beaucoup plus rock’n’roll qu’Eddy, qui le reconnaît sans peine.

             Si vous voulez retrouver l’Eddy qu’on aime, vous avez une vidéo sur le net, très courte, prise pendant le Covid, il est chez lui et tente de répondre à quelques questions-bateau posées par téléphone, Eddy essaie de jouer le jeu, mais il reste un rocker dans sa maison, un cat, un vrai gros matou, qui s’en vient se faire caresser par son maître et s’interposer entre lui et la caméra, une dernière séance très rock’n’roll !

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 624 : KR'TNT 624 : WILLIE DIXON / PROTOMARTYR / BETTYE LAVETTE / THE MIRETTES / TAJ MAHAL / HOWLIN' JAWS / POGO CAR CRASH CONTROL /BANDSHEE / MOLLY MIDNIGHT VILLAINS / SOG CITY

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 624

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    14 / 12 / 2023

     

    WILLIE DIXON / PROTOMARTYR

    BETTYE LAVETTE / THE MIRETTES

    TAJ MAHAL / HOWLIN’ JAWS

      POGO CAR CRASH CONTROL / BANDSHEE

    MOLLY’S MIDNIGHT VILLAINS / SOG CITY

      

     

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    Wizards & True Stars

    - Le président Dixon

     

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             D’une grosse voix de fausset à voyelles édentées, Willie Dixon rappelle que le blues, c’est les racines, et que tout le reste, c’est les fruits : « The blues is the roots. Everything else is the fruit. »

             Big Dix, c’est le boss. Big Dix bosse sa basse et les bat tous. Big Dix, c’est la bête, le boss du bon beat, le bull du blues. Il est le seul à pouvoir dire qu’il EST le blues.

             Willie a douze ans quand il se fait choper dans une maison abandonnée en train de récupérer des tuyaux de cuivre pour les revendre. Ça se passe du côté de Vicksburg, dans le Mississippi, où il est né. Pouf, au ballon direct, Ball Ground Country Farm, l’une de ces petites taules rurales dont les blancs racistes avaient le secret, et où tous les pauvres nègres ramassés dans le secteur étaient condamnés à travailler gratuitement dans les champs. Comme au temps de l’esclavage qui était pourtant aboli aux États-Unis, depuis le vote du 13e amendement en 1865.

             Puis il se fait ramasser une deuxième fois pour vagabondage près de Clarksdale, Mississippi. On lui inflige une peine de trente jours. Trente jours de prison parce que tu traînes dans la rue, pas mal, non ? Au bout de ses trente jours, le petit Willie a le cran de dire au gardien : « Hey man, my 30 days I know they’re up now ! » (Hey toi, mes trente jours, je sais qu’ils sont faits !) Le gardien ? Plié de rire. Arff Arff ! « Personne ne s’en va d’ici au bout de trente jours ! T’es là jusqu’à la fin de tes jours ! » La gueule à Willie !

             — Hein ? Quoi ? Non, non, non, c’est pas possible !

             — Mais si mon gars. Si tu veux partir, pars, mais tu dois courir plus vite que les chiens et les balles de fusil.

             Le type ne raconte pas d’histoires. Ici, à la Harvey Allen County Farm, ils tirent dans le dos des nègres qui cavalent dans les champs. C’est leur distraction favorite. Vas-y niggah, on te laisse trente secondes d’avance. Vas-y, sauve-toi niggah, n’aie pas peur ! Le niggah détale, comme aux Jeux Olympiques de Mexico, il fait à peine quelques mètres - bang ! - qu’il a déjà pris une balle de calibre 72 dans le dos. Ils font aussi le coup avec des chiens. Ils choisissent un jeune nègre qui court vite. Tu vois les bois, niggah ? Si tu arrives là-bas, t’es libre ! Le jeune nègre affolé se carapate mais ces ordures lâchent une vingtaine de chiens qui rattrapent le pauvre gars et qui lui sautent dessus. Il essaie de se défendre, il hurle, mais ça ne dure pas longtemps. Quelques secondes. Les chiens le dévorent, comme les loups dévorent l’élan isolé. Les chiens reviennent couverts de sang et ces ordures disent aux autres nègres d’aller laver les chiens. Quoi ? Willie et les autres emmènent les chiens à la pompe. T’as déjà essayé de laver un Beauceron couvert de sang ? Willie et les autres se font mordre. Les chiens ne se laissent pas faire. Du haut de ses douze ans, Willie voit tout le bordel des blancs. Il sait qu’il va risquer sa peau en s’enfuyant, mais il ne peut pas rester dans cet enfer. Au bout de deux mois, il réussit à se planquer et à voler une mule. Il fait confiance à la mule pour remonter au Nord. Faut pas traîner dans les parages, parce que les autres ordures le recherchent pour le donner à manger aux chiens. C’est un miracle s’il arrive sain et sauf chez sa frangine à Chicago. Exactement la même histoire que celle d’Hound Dog Taylor. Le rock revient de loin. Big Dix fera ensuite un voyage en train jusqu’à New York.

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             Il raconte tout ça dans son autobio, I Am The Blues. On ne peut pas écouter la musique des bluesmen noirs du delta sans connaître la réalité de leurs conditions de vie, dans ce maudit Deep South d’avant-guerre. Ces gens-là étaient en danger de mort parce qu’ils avaient la peau noire. Les Rednecks exerçaient exactement le même genre de barbarie que les nazis. Ils tuaient par simple haine et leur cruauté ne connaissait pas de limites. Si Willie Dixon ne s’était pas évadé de la Harvey Allen County Farm, il y serait resté toute sa vie. Tu vois un peu le plan ? Les fermiers du coin y trouvaient de la main d’œuvre gratuite. C’était du tout bénef, comme on dit à la campagne. Et Big Dix raconte que Captain Crush s’amusait à fouetter les nègres à mort. Les lanières de son fouet avaient des nœuds. En dix coups, il tuait un nègre en lui mettant les vertèbres à nu. Captain Crush les prenait un par un. Les nègres hurlaient : « Pitié monsieur ! » mais Captain Crush était un sadique et ces atroces bâtards pullulaient dans les plantations et les petites taules blanches du Sud.

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             Voilà en gros les souvenirs d’enfance de Willie Dixon. Pas de sapins de Noël ni de jeudis à la piscine. On comprend qu’après tout ça, il valait mieux éviter de l’importuner. D’autant qu’il a vite appris à se battre, au point de devenir champion de boxe poids lourd dans l’Illinois. Il s’entraînait avec Joe Louis. Et puis un jour, il a découvert un truc qui ne lui plaisait pas, alors il a tout cassé dans le bureau de l’organisateur du championnat et ça a mis fin à sa carrière de boxeur. Big Dix a connu le même destin qu’Arthur Cravan et Champion Jack Dupree. Comme Wolf, il était une force de la nature : « When I fought the Golden Gloves, I didn’t have any training. I just knocked out every damn body and that was it ! » (Quand j’ai combattu pour les Golden Gloves, je n’avais aucun entraînement. Je tapais dans le tas et voilà.) Big Dix grimpait sur le ring et envoyait au tapis tous ceux qu’on lui présentait. Quelle rigolade !

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             Heureusement, Big Dix va s’investir dans la contrebasse, mais à sa façon, « I was one of the most flashy bass players around. » Il ne voulait pas se retrouver au fond de la scène, dans le rôle de l’accompagnateur qu’on n’entend pas. Il voulait passer devant, « Give me a solo ! When it comes my time, I want to be seen and heard ! » Il veut qu’on le voie et qu’on l’entende. Alors Big Dix devient le stand-up man le plus heavy de Chicago. Il s’achète les fringues qui vont avec. « Back then, we started wearing real loud colors - red and green, yellow and purple suits and sharp, you know. » Big Dix porte des costards rouges et verts - comme celui de Muddy Waters - jaunes et mauves. On imagine le résultat : une armoire à glace black de 180 kilos en costume rouge dans les années quarante ! Le premier blanc qui marche sur mes pompes en daim, je lui démonte la gueule. Fini de rigoler. Les nègres renversent la vapeur. Ils marchent dans la rue et ce sont les blancs syphilitiques et dégénérés qui changent de trottoir. Avec le blues, les Blacks deviennent les rois de monde. Ils l’étaient déjà à New York avec le jazz. Mais ils s’emparent de Chicago et préparent la plus grande révolution des temps modernes : celle du rock, évidemment. Big Dix, Wolf et Muddy vont absolument tout inventer. Et on entre fatalement dans le chapitre Chess.

             Sans Chess, Big Dix n’est pas grand-chose. Sans Big Dix, Chess n’est rien. Voilà ce qu’il faut retenir.

             En 1940, Big Dix refusa l’incorporation, parce que dans son pays on traitait mal les gens de sa race (my people, comme il dit). Il s’est retrouvé en tant qu’objecteur de conscience devant des juges en 1942 et l’armée a fini par lui foutre la paix. Black and proud bien avant les Black Panthers et les poings levés de Tommie Smith et de John Carlos aux Jeux Olympiques de Mexico en 1968. Quand Cassius Clay devenu Muhammad Ali sera appelé sous les drapeaux, il suivra l’exemple de Big Dix. Pas question d’aller au Vietnam combattre des gens qui ne m’ont rien fait. Votre fucking guerre, vous pouvez vous la carrer dans le cul !

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    ( Leonard & Phill Chess)

             Leonard Chess fait de Big Dix son bras droit. Et comme Big Dix c’est le Gargantua du blues et qu’il connaît tout le monde, qu’il écrit des classiques et qu’il peut accompagner à la stand-up n’importe quelle pointure, il devient le héros Chess. Il gère tous les poulains de l’écurie la plus prestigieuse de l’époque, Muddy et Wolf, mais aussi Little Walter, Willie Mabon, Eddie Boyd, Jimmy Witherspoon et Lowell Fulson. Il accompagne Chuck et Bo sur scène. Il est dans tous les coups fumants de la grande époque. Mais les fucking frères Chess ont un problème assez grave avec l’argent. Big Dix fait tout, il fait le ménage, il fait les paquets quand il faut expédier des disques, il répond au téléphone, il cale des séances, mais il ne voit pas un rond. « They promised to give me so much against my royalties and then every week I’d have to damn near fight or beg for the money. » Et voilà, le cirque continue. Ces rats de Chess lui promettent de l’argent, mais l’argent ne vient pas, et toutes les semaines, Big Dix se dit qu’il va devoir gueuler ou quémander pour récupérer un peu de ce blé qui n’est qu’une « avance sur ses royalties ». C’est dingue, cette mentalité. Et après, on va tresser des couronnes aux frères Chess. Le seul qui se soit refusé à le faire, justement, c’est Willie Dixon. Parce qu’il s’est bien fait rouler la gueule. À cause de leur mentalité pourrie, les frères Chess méritaient mille fois de prendre son poing dans la gueule. Muddy a toujours su qu’il se faisait plumer par ces deux rats, mais il était d’un tempérament plus doux, et de toute façon, il avait reçu l’éducation de la plantation qui fait qu’on accepte tout, au nom de la survie. C’est Big Dix qui va déclencher les procès.

             Willie, Lafayette Leake et Harold Ashby sont le premier backing-band de Chuck en tournée. Willie raconte que Chuck conduisait vite et chaque fois qu’ils s’arrêtaient pour manger un morceau, Chuck commandait du chili. C’est tout ce qu’ils pouvaient se payer. Et Bo ! Alors Bo reprenait à son compte la tradition des tambours africains qui servaient à transmettre des nouvelles de village en village. « The drums are speaking and he’ll tell you what the drums are saying. »   

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             Willie observait le cirque de Leonard le renard. Il le voyait traiter avec de pauvres nègres qui n’y connaissaient rien, et il appelait ça de l’escroquerie. Évidemment, Big Dix ne savait rien du principe de copyright et quand il a découvert le pot aux roses, les frères Chess avaient déjà empoché des millions de dollars grâce à ses chansons. Regardez les crédits sur les rondelles des disques. Vous y retrouvez souvent le nom de Dixon. Comme ces disques des Rolling Stones et de tous les autres se sont vendus à des millions d’exemplaires, ça représente des paquets de millions de dollars.

             Big Dix a douze enfants, sept avec Elenora, puis cinq avec Marie Booker.

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             En 1959, il enregistre son premier album solo avec Memphis Slim, Willie’s Blues. On trouve quelques merveilles sur ce disque. Notamment « Nervous » où l’on entend Big Dix bégayer et slapper. On va retrouver dans tout l’album le jump blues de ses racines, avec des morceaux bourrés de swing comme « Good Understanding » et où l’on entend Al Ashby souffler dans son vieux saxophone en étain. On sent que l’enthousiasme des vieux blacks de Clarksdale est intact. Dans la voix de Big Dix, il y a du gras et de la gourmandise. Dans « That’s My Baby », on l’entend tirer le chewing-gum de ses syllabes. Big Dix se fait roi de la langueur et on l’entend faire un festival de slap dans « Youth To You », il fait ses petits ta ta ta et remonte, tong tong tong, il met son slap bien devant et devient le slapman sublime de Chicago. Il fait même un solo de slap dans « Built For Comfort ». Mais la perle rare se trouve en fin de balda. « I Got A Razor » est un classique vaudou superbe pourri de feeling. Now look, voilà Big Dix le voyou. « Man, you know I ain’t never/ Lost no fight/ I’m way too fast for that cat. » (Mec, je n’ai jamais perdu un seul combat. Je suis bien trop rapide pour ce mec.) C’est un peu le boxeur qui parle. Et il enfonce son clou avec l’histoire du grizzly. « Now look ! If me and a grizzly’s havin’ a fight/ No ! Don’t you think the fight ain’t fair/ You talkin’ ‘bout helpin’ me ?/ You better help that grizzly bear. » (Maintenant, regarde. Si je me bats avec un ours, tu vas croire que le combat est perdu d’avance et tu vas chercher comment m’aider, mais tu ferais mieux d’aider cet ours.) Ce qui fait la force du cut, c’est la crédibilité de Big Dix. « Man, you know I’ve got a razor/ And can’t nobody win over me/ When I got a razor. » Personne ne peut battre Big Dix quand il a un rasoir. Prodigieux.

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             Songs Of Memphis Slim & Willie Dixon sort beaucoup plus tard, en 1968. On y retrouve nos deux géants favoris dans une série de classiques du type « Joggie Boogie », animé par le piano western de Slim et les triplettes d’un Big Dix qui sonne comme un gamin atteint d’une crise d’allégresse. « Stewball » sent les chants des champs. Ils tirent cette prodigieuse énergie des vieux bagnes agricoles et en font de l’art moderne. Voilà comment deux nègres sortis de nulle part font éclater la modernité - All day round the race track all day long, all day long - S’ensuivent les trois parties de « Kansas City », occasion pour Slim de saluer Jim Jackson, guitar player from Memphis Tennessee. Leur « Roll And Tumble » n’est autre que l’ancêtre du « Rollin’ And Trumblin’ » popularisé par Cream. Et on tombe à la suite sur un fabuleux « Chicago House Rent Party » chanté à deux voix sous la forme du dialogue qu’affectionne particulièrement Big Dix. Ils se mettent au défi de jouer des parties sidérantes, et Big Dix sort un solo - You like it like that ? - I don’t know man try it again - Et Big Dix repart en solo de plus belle. L’effarant « 44 Blues » raconte l’histoire d’un mec qui se balade armé d’un 44, et « Unlucky » boucle la marche en racontant l’histoire d’un mec qui n’a vraiment pas de chance - I didn’t go to school, do you know/ The school burned down - Le KKK avait pris la fâcheuse habitude de brûler les églises et les écoles.   

              Big Dix flashe sur JB Lenoir : « He was a helluva showman’s cause he had this long tiger-striped coat with tails. We used to call it a two-tailed Peter. » Big Dix est fasciné par la queue de pie zébrée de JB Lenoir, qu’il appelait un Peter à deux queues.

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             Il existe un extraordinaire album intitulé One Of These Mornings. Big Dix et JB discutent dans le salon d’un appartement. On entend un baby pleurer. Big Dix demande à JeeBee de lui présenter ses morceaux et notamment « I Feel So Good ». Pas de problème lui répond JeeBee d’une voix fluette et enjouée, et paf, il attaque son boogie-blues des enfers, et tout seul, il swingue autant qu’un garage-band, et même mieux. Big Dix s’esclaffe - awite ! awite ! et il tape du pied - ils chantent ensemble - I’m so glad I know what’s on your mind/ I’m so glad I know what’s on your mind - pureté de l’instant, deux des plus grands artistes de blues à l’unisson. Puis JeeBee prend « One Of These Mornings » très haut - I will be gone/ I’ll get my suitcase made/ and up the road I’ll find my hone - yeah yeah fait Big Dix. Puis JeeBee va chercher son baryton pour chanter « Mumble Low ». En B, le cirque continue. JeeBee monte sur son falsetto pour aller chercher « Mama Talk To You Daughter » et Big Dix fait ses commentaires - No more - et ils reprennent à deux - you don’t talk to your daughter - et  JeeBee prend un solo à l’arrache - oh boy ! fait Big Dix. Et quand JeeBee annonce qu’il va jouer « My Mama Told Me », Big Dix répond : I tink that it’s gonna be awite. JeeBee le prend très haut, chat perché et Big Dix fait Good ! man ! Puis JeeBee tape dans le dur avec « Alabama Blues » - I’ll never go back to Alabama/ Alabama’s not a place for me - l’un des chefs-d’œuvre du blues moderne.

             Lors d’une tournée en Israël, Big Dix monte sur un chameau, comme le fit Gustave Flaubert lors de son voyage en Égypte avec Maxime Du Camp. « Slim was going to take my picture on the camel and when you’re sitting on it and they raise up behind you first, you almost fall forward and when they raise up in front, you almost fall backward. Slim was all set with his camera to take my picture and he ain’t got the picture yet. Some other guy took the picture of me on the camel because Slim was laying out, laughing. » (Slim devait me prendre en photo sur le chameau. Quand il se lève, le chameau se lève d’abord de l’arrière, et tu bascules vers l’avant et tu tombes presque, puis il se lève de l’avant et tu bascules vers l’arrière, et pareil, t’as vraiment intérêt à te cramponner. Slim n’a pas pris de photo. C’est un autre type qui l’a prise. Slim était écroulé de rire par terre).

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             Slim et Big Dix ont enregistré ensemble un album miraculeux, The Blues Every Which Way. Ils ouvrent le bal avec « Choo Choo », pur blues de train et Big Dix fait ses petits ponts pa pa pa papapa. On entend bien ses gros doigts boudinés claquer le caoutchouc des cordes de Chicago. Il adore voyager sur les entrelacs, il multiplie les incartades. Il va dans le slap et Slim chante avec une pureté de ton qui te réchauffe le cœur. Ce sont deux géants, au propre comme au figuré. Sur « 4 O’clock Boogie », Big Dix joue comme un dieu, c’est presque du slap drum, il pounde ses notes avec une incroyable déférence, et ajoute des effets de tagada de temps à autre. Il faut l’entendre emmener son boogie ventre à terre. C’est Big Dix qui chante « Rub My Root » en battant le beat sur le caoutchouc. Il a cette voix de portefeuille crapaud, grasse et tendue, cette voix de gentil géant avec des syllabes mouillées qu’il trempe dans le feeling de Vicksburg. Il fait ses séries de pivert sur les ponts. Sa chanson parle de la racine John The Conqueror capable de résoudre tous les problèmes. Dans « C-Rocker », il fait son numéro de virtuose de la triplette démultipliée et il envoie un solo de slap épatant. Il donne ensuite quelques leçons de maintien aux slappeurs blancs, en montrant comment le slap remplace la batterie et peut tirer comme une loco le train du boogie. C’est Big Dix qu’on voit foncer à travers la plaine. Slim ne fait que le suivre ventre à terre. Quelle superbe virée ! Big Dix revient au chant avec « Home To Mama ». Pour tous les nègres, Mama est le phare dans la nuit, car les familles ont été ravagées par la haine des blancs dégénérés. Le blues de Big Dix fend l’âme. Il met autant de Soul dans son blues que Marvin Gaye met de blues dans sa Soul. Big Dix voit Mama in the cold cold ground. La tuberculose faisait pas mal de ravages chez les nègres. Aller voir un médecin ? Tu rigoles ?

             En B, c’est la suite du festival, avec « Shaky » (Big Dix bégaye quand une gonzesse approche, fabuleuse intensité jazzy), « After Hours » (piano blues de rêve, intense qualité auditive), « One More Time » (jump-blues subtil coulé dans l’ambiance, encore une preuve de l’existence de Dieu - Willie conte les exploits d’une jeune négresse qui ne veut jamais s’arrêter de danser), « John Henry » (boogie blues chanté à deux voix - deux géants de Chicago), et « Now Howdy » (dialogue de génie entre Slim et Big Dix - Hello Slim, Hello Dix - If you don’t know how to do/You better ask somebody).

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             Un autre album solo de Willie Dixon vaut le détour : I Am The Blues, paru en 1970. Il y chante neuf de ses classiques, dont « Back Door Man », où il se montre moins convainquant que Wolf. Il est beaucoup plus décontracté, et cette version arrive vingt ans après l’âge d’or chez Chess. Big Dix recherchait une atmosphère plus conviviale, n’hésitant pas à latiniser son beat et à faire jouer un guitariste de manière sporadique, avec un glissé de manche ici et là. Pas trop souvent. Il reprend l’« I Can’t Quit You Baby » que lui a pompé Led Zep pour en faire autre chose. Pas question de jouer à chat perché comme Robert Plant. Big Dix préfère ses syllabes mouillées. Il est chez lui, il fait ce qu’il veut, c’est son blues, alors on peut lui faire confiance, non ? Il ne fera pas n’importe quoi. Quand on a vécu ce qu’il a vécu, on ne fait jamais n’importe quoi. On voit la vie d’un autre œil. On profite des instants, on vit la vie et on chante le blues avec un aplomb qui synthétise tout cet art de la survie. La perle de ce disque est la version vaudou de « Spoonful », montée sur un beat terrific. Big Dix prend ça à la manière de Wolf. Il se glisse dans la nuit des temps. En B, il tape dans d’autres classiques comme « I Ain’t Superstitious », « You Shook Me » (froti-frotah des nuits chaudes de Harlem, c’est Big Dix l’inventeur, il reprend à son compte toute la luxure développée par les nègres dans les ténèbres de l’esclavage - même enchaînés, ils baisaient), « I’m Your Hoochie Coochie Man » (Big Dix y va de toute l’ampleur de son registre, il sait faire traîner son everybody) et « The Little Rooster » (où il tient le blues par la barbichette).

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             Autre très bel album solo, Catalyst, enregistré en 1974. Big Dix va de plus en plus sur le funk, l’époque veut ça. Il va à l’essentiel, et fait comme tous les vieux crabes, il balance sa leçon de morale - I don’t trust nobody/ When it comes to my girl - Dans « God’s Gift To Man », il fait de la philo - l’amour est plus précieux que l’argent et l’or - Il frise le gospel. Big Dix sait de quoi il parle. Il a rendu ses femmes heureuses. Et puis on tombe sur une version faramineuse de « My Babe », swinguée jusqu’à l’os du swing. En B, il reprend son « Wang Dang Doodle » en mode bien primitif. Avec lui, c’est toujours all night long. Pas question de dormir, poulette. Quoi, t’es fatiguée ? Hopla babe, wang dang doodle, babe ! Et ça groove entre tes reins. Il a même un cut qui s’appelle « When I Make Love » où il explique tout - I don’t drink, I don’t smoke/ And I bring it up - Le roi Big Dix explique aux petits culs blancs comment on s’y prend pour rendre une femme heureuse tout la nuit - All I do is just satisfy... - Et ça continue dans le haut de gamme avec « I Think I Got The Blues ». Il sait comment entrer dans le lard du big fat Chicago blues - I tink I’got da blues - Fameux.

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             Deux ans plus tard, il enregistre l’excellent What happened To My Blues. Il chante « Moon Cat » à la pure puissance, comme Wolf. Même calibre, même férocité d’accent et même façon de mordre dans la gorge du cut. Il tape ensuite dans le heavy blues pour le morceau titre. Il sait driver la carriole, pas de problème, et Lafayette Leake pianote avec tout le poids de sa légende, et il ramène du limon en plus. Avec « Got To Love You Baby », on a une sacrée belle pièce de niaque à la Big Dix. Il est superbe. On sent qu’il se battra jusqu’à la fin. C’est un niaqueur de boogie sans pareil. Comme Wolf, il niaque au-delà de toute expectative. En B, on tombe sur une monstruosité de Chicago : « Oh Hugh Baby ». C’est gorgé de swing et Big Dix nous jive le booty du boogah, babe ! Encore un boogie de poids avec « Put It All In There ». Quel carnassier ! Big Dix bouffe son boogie tout cru. Il boucle avec « Hey Hey Pretty Mama », encore un cut écrasant de poids. Il est bel et bien le seigneur du boogie, le Capone du binaire de Pretty Mama, le trésorier du cul, l’excellence d’ambassade, l’oriflamme des troops, il éclate dans l’azur des légendes du rock et du blues.

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             Il revient dans l’actualité en 1988 avec Hidden Charms. Il chante comme un ogre las de vivre. « I Don’t Trust Myself » est incroyable de présence. Il affirme ne croire en rien - ni en lui, ni la police, ni le priest, ni le plane. Rien ni personne. Dans « Jungle Swing », il renoue avec son africanité - Oh Abyssinia my home ! - Big Dix se réclame de ses ancêtres - Listen to the rhythm swinging/ The drummer come rumbling down - Effectivement, c’est Earl Palmer qui tape le jungle beat ! Il donne des leçons de morale dans « Don’t Mess With The Messer » - I’m gonna bug the bugger/ I’m gonna trick the tricker - et il conclut - You can’t mess with the messer/ The messer gonna mess with you - On devrait l’appeler Willie Diction, car il chante à l’exquisite. En B, il passe au gospel avec « Study War No More ». Il renoue avec l’allant du prêche évangéliste d’église en bois. Et il nous redonne une fantastique leçon de swing avec « Good Advice » - You see you guys & girls in school/ You better study your books and don’t be no fool - Encore une fantastique leçon de diction - And if you keep on bettin’/ Then you’re bound to win - Il termine avec « I Do The Job », un heavy blues à la Big Dix, forcément monstrueux - You may be quick and slide/ You may be fast and greasy/ But I take my time/ And I’m slow and esay - Ça sent bon le sexe.

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             Paru en 1989, Ginger Ale Afternoon est la bande originale d’un film. On retrouve Big Dix au chant sur quelques morceaux comme « I Don’t Trust Anybody » (où il rappelle qu’il n’aime pas qu’on tourne autour de sa poule), « I Just Want To Make Love To You » (I don’t want you to be no slave/ I don’t want you to wait for days) et « That’s My Baby », blues jazzy de round midnite qu’il chante à la syllabe mouillée de vieil hippopotame, histoire de rappeler qu’il est une bonne pâte.

             L’essentiel du slap de Willie Dixon se trouve dans les disques de ses compagnons d’infortune, chez Chess. Comme sa discographie est devenue un marécage de compilations de toutes sortes, il faut rester prudent et se diriger vers des valeurs sûres comme la Chess Box ou le Blues Dictionary qui se complémentent assez bien.

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             Grâce à la Willie Dixon Chess Box, on peut réécouter le swing dément de Little Walter avec « My Babe »  (compo de Big Dix inspirée du vieux « This Train » de Sister Rosetta Tharpe). Ce morceau est l’archétype du gros swing des familles. Quand Big Dix  chante, il faut dresser l’oreille. Il chante « Pain In My Heart » d’un ton fêlé qui évoque Esther Phillips. Il a cette petite diction du nègre du delta héritée de ses ancêtres. La Chess Box est une merveille qui permet de réécouter à la suite Muddy Waters, Wolf et Willie Mabon. Mais le plus intéressant de tous, c’est probablement Little Walter, dont le « Mellow Down Easy » tire un peu sur le vaudou. Little Walter sait y faire pour déclencher les passions intestines. C’est l’un des artistes les plus sauvages de Chicago, et pas seulement à cause des cicatrices qu’il porte sur tout le corps. Il souffle dans son harmo comme un dingue. C’est lui le dieu de l’harmo. Autre retour de manivelle avec Bo Diddley dont le « Pretty Thing » a présidé à l’éclosion de bien des vocations. C’est tellement sauvage qu’on comprend que Phil May ait flashé dessus. Tout y est, le dépouillé de la classe, le jungle beat qui tue les mouches, le primitif de la forêt qui vaut largement tous les murs de briques de l’East End. Le fait que Big Dix  soit mêlé à ces purs moments de magie n’est pas un hasard. Mais la merveille du disk 1, c’est « Walkin’ The Blues », reprise de Champion Jack Dupree, que Willie traite à la manière laid-back des gros durs de Chicago - Slow down, man/ Don’t run so fast/ That’s the way to relax ! - C’est absolument somptueux de classe dixy.

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             Le disk 2 démarre avec le punk à la petite cuillère, l’infernal Wolf, une cuillère de café, une cuillère de thé, non, il veut juste une cuillère d’amour, et Bo Diddley revient avec le sidérant « You Can’t Judge A Book » monté sur une partie de basse démoniaque, mais apparemment, ce n’est pas Big Dix  qui joue sur la version originale. Dans le livret, on a indiqué « bass unknown ». Et pourtant, c’est la basse qui fait la classe du cut. Bo le dingue ! Pur génie. Et après ça s’enchaîne avec du Wolf et du Muddy haut de gamme, on retrouve tous les hits qui ont traumatisé les jeunes Anglais, « I Ain’t Superstitious », « You Need Love », « Little Red Rooster », « Back Door Man », « Hidden Charm » avec un solo fantastique d’Hubert Sumlin, « You Shook Me », avec le travail rampant d’Earl Hooker et soudain, on tombe nez à nez avec Sonny Boy Williamson, l’homme qui avale son harmo. C’est une version démente de « Bring It On Home », avec un strumming digne des géants du rokab et un swing furibard. L’excellence de la merveille ! Derrière, Matt Murphy gratte ses poux. Pur génie, une fois de plus. Et bien entendu, Big Dix est mêlé à tout ça. Le disk 2 se termine avec Koko Taylor, que Big Dix essayait de lancer. Mais Koko a trop de chien, elle frise même la vulgarité, mais il faut essayer de l’accepter comme elle est, puisqu’elle est la protégée de Big Dix. Il chante en duo avec elle dans « Insane Asylum ». Pure merveille. Big Dix sait planter un décor. Ce qu’il fait sur ce morceau est purement extravagant. Koko en rajoute. Ils sont fabuleux. Rien que pour « Insane Asylum », ça vaut le coup de choper la Box.

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             En fait, Big Dix  a eu la chance d’accompagner tous ces interprètes qui comptent parmi les plus grands de l’histoire du rock : Wolf, Muddy, Buddy Guy, Etta James et tous les autres. Dans le Blues Dixionary, on trouve un autre choix de morceaux. On retrouve les ouuuh-ouuuh de Wolf dans « Howlin’ For My Darling », la démence de Buddy Guy dans « Broken Hearted Blues », la fabuleuse pétaudière d’Elmore James dans « Talk To Me Baby », l’arrachage de glotte d’Etta James dans « I Just Want To Make Love To You » et encore une fois, le monstrueux « Back Door Man » de Wolf. Et puis Little Walter décroche la timbale une fois de plus avec « As Long As I Have You », il fait lui aussi le punk avant l’heure, il pousse des ah-ouh et défraie brillamment la chronique.  

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    (Scott Cameron)

             Mais Big Dix sent qu’un truc lui reste coincé en travers de la gorge : les magouilles des frères Chess. Alors il ne lâche plus le morceau, même après la mort de Leonard le renard : « You think of all the time Muddy spent with Chess, he got a few bucks but nothing like the amount of money you’d think he’d have. » C’est Scott Cameron qui met le nez là-dedans lorsqu’il devient le manager de Muddy. Il accepte de mener l’enquête. Il trouve la faille dans le système Chess : ces rats versaient à Big Dix un salaire hebdomadaire en guise d’avance sur les royalties. Donc ils employaient l’auteur et lui versaient une somme ridicule, par rapport à ce que rapportaient les droits d’auteur. Et c’est grâce à cette faille immonde qu’ils ont gagné le procès contre Arc, la société montée par les frères Chess pour encaisser les droits.

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             C’est Horst Lippmann - organisateur de l’American Folk Blues Festival en Europe - qui va secouer le cocotier pour de bon. Horst avait réussi à entrer en contact avec Big Dix et à devenir son ami. Quand il a compris ce qui se passait à Chicago, il a accusé les frères Chess de pratiquer une nouvelle forme d’esclavage. Même leur avocat noir était d’accord avec ce que disait Horst. Big Dix qui assistait à la shoote a blêmi car c’était la première fois qu’il voyait un mec attaquer les frères Chess de front. Leonard le renard était à la fois un père et un exploiteur. Il incarnait le patron blanc des plantations. C’est Horst qui fit basculer la situation. Il rappelait qu’il avait affronté la Gestapo pendant la guerre, alors, les frères Chess ça le faisait bien marrer. « I must say the Chess brothers did a lot for the blues, but they did even more for their own money. That’s okay in a way - only when they do tricky things, then it becomes problematic. » (Je dois dire que les frères Chess ont beaucoup fait pour le blues, mais ils ont encore mieux fait pour leur compte personnel. D’un côté, c’est OK - mais quand ils trafiquent les choses à leur profit, ça devient un problème. »

             Le livre de Willie Dixon est donc l’histoire d’un règlement de comptes, et heureusement qu’il s’en est mêlé, car les frères Chess seraient rentrés dans la légende sans avoir de comptes à rendre, alors qu’ils se sont enrichis sur le dos de pauvres nègres.

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             Et pour finir, on peut aller jeter un œil sur le film de Charles Burnett, Devil’s Fire, volume 4 de la série sur le Blues produite par Martin Scorsese : on y voit Big Dix taper un solo de slap en dansant du cul. Et comme il a un cul énorme, tu es comme marqué à vie par cette séquence. Alors laisse tomber les punks : Big Dix, Bo et Wolf étaient les vrais punks.

    Signé : Cazengler, Willie Picton

    Willie Dixon & Memphis Slim. Catalyst. Every Wich Way. Verve 1960

    Willie Dixon & Memphis Slim. Willie’s Blues. Prestige Records 1960

    Willie Dixon & Memphis Slim. Songs Of Memphis Slim & Willie Dixon. Folkway Records 1968

    Willie Dixon. I Am The Blues. Columbia 1970

    Willie Dixon. Catalyst. Ovation Records 1974

    Willie Dixon. What Happened To My Blues. Ovation Records 1976

    Willie Dixon & JB Lenoir. One Of These Mornings. JSP Records 1986

    Willie Dixon. Hidden Charms. Capitol Records 1988

    Willie Dixon. Ginger Ale Afternoon. Varese Sarabande 1989

    Willie Dixon. Blues Dixionary. Volume 2. Roots 1993.

    Willie Dixon. The Chess Box. MCA Records 1988

    Willie Dixon & Don Snowden. I Am The Blues. The Willie Dixon Story. Da Capo Press 1989.

    Charles Burnett. Devil’s Fire. The Blues, A Musical Journey Vol 4. DVD 2004

     

     

    Protomartyr de la résistance

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             We’re Protomartyr from Michigan. Laconique, le gros. Pas trop de contact avec le public. Il s’appelle Joe Casey. Comme ses collègues, il se fout du look. Casey porte un costard noir et une chemise noire. Zéro frime. Rien à foutre. Le pire, c’est les pompes.

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    Ils portent tous des pompes atroces, surtout celui qui gratte ses poux juste devant. Le bassman itou. On appelait ça autrefois le look MJC. Mais d’une certaine façon, ça repose de voir des mecs monter sur scène sans vouloir frimer. Les Proto sont des anti-rockstars et du coup, ça les rend éminemment sympathiques. Ils sont là pour jouer. Ils tapent un set d’une rare densité, ça joue à deux grattes, ils donnent une idée de ce que peut donner la modernité dans le Michigan, et ça passe par la violence, mais il s’agit bien sûr d’une violence expressionniste que canalise l’art.

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    Joe Casey chante une canette de bière à la main. Il la fout de temps en temps dans sa poche. Il a une dimension énigmatique, car il ressemble plus à un employé de bureau qu’à un chanteur de rock. Il s’impose à la force du poignet. Pour un gros, il ne transpire pas trop, il luit un peu sous les projecteurs, mais il ne dégouline pas. Il semble complètement en osmose avec son chaos, il déroule son écheveau mécaniquement et passe le plus clair de son temps à beugler dans son micro. Il a une dimension purement gargantuesque.

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    On a parfois l’impression qu’il va avaler le micro, tellement il ouvre sa gueule de shouter apoplectique. Pourtant, il n’en fait pas un spectacle, il ne cherche pas à impressionner avec des regards de fou, il reste dans son climax sonique et palpite comme un gros cœur. S’il avait une gratte, on pourrait le comparer à Frank Black. Ils se contenter de haranguer sans fin. Ils démarrent bien sûr avec un «Make Way» tiré de leur dernier album Formal Growth In The Desert, et dans la foulée, on retrouve d’autres cuts très tourmentés tirés du même album, «3800 Tigers», «For Tomorrow», «Elimination Dances» et plus loin l’excellent «Polacrilex Kid». Et tout va exploser vers la fin avec «Pontiac 87» et «I Forgive You» tirés  de The Agent Intellect.

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     Les Proto montent leur sonic trash à deux grattes au plus haut niveau, celui de l’exultation transcendantale, celle qui entre par tous les pores de la peau. Les deux grattes trament une cisaille intense qui se brûle les ailes, il tapent un rock fusion icarien qui chamboule tellement l’imaginaire que le set finit par prendre une dimension mythologique : il plonge l’auditoire dans la stupeur, comme si l’immense corps carbonisé d’Icare allait tomber lourdement et tous nous écraser.

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             Indéniablement, les Protomartyr de la résistance ont un truc, et plus particulièrement Joe Casey. Il suffit de l’écouter dans «Polacrilex Kid», l’un des hauts lieux de Formal Growth In The Desert, pour s’en convaincre définitivement.

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    Il a les deux mamelles qui font foi, la vraie voix et la big energy. Il chante tous ses cuts à la force du poignet, il établit une dominance spécifique. On l’imagine aisément en seigneur de l’An Mil, avec ses bijoux primitifs et ses fourrures. «Fulfilment Center» sonne comme un belle énormité, balayée par des vents de this is heartbreaking. Les Proto jouent tout à l’envers, à rebrousse-poil. Mais leur vrai fonds de commerce, c’est le Big Atmospherix, tu vois arriver «For Tomorrow» sous des violentes averses de son, même des dégelées royales. Joe Casey tient bien sa voix, elle ne flanche pas. Son Tomorrow résiste bien, car c’est un cut puissant et solide. Avec «We Know The Rats», ils replongent dans leur univers qui est un bel univers. On sent chez eux un goût de l’ostentation, regardez comme je suis balèze, leurs grattés de poux sont d’une rare démence, ils se payent de beaux passages à vide de petite pop à la mode, mais c’est pour mieux rebondir, comme par exemple avec «3800 Tigers», le Casey se hisse au sommet du son. Il lui faut des compos. Ils tapent «The Author» à la cisaille atroce. Ils bricolent leur petit univers de monstres à trois doigts. Vient qui veut. Ils se drapent dans la pourpre impériale de leurs climats sonores.

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             No Passion All Technique restera de toute évidence le meilleur album des Proto. Ça grouille de coups de génie, dans cette marmite. Leur son ne pardonne pas. Ils proposent la version moderne de la fournaise de Michigan, dès l’ouverture de bal, l’«In My Room» te saute au pif, avec un vrai rush de dégelée royale et un final explosif. Cette splendeur irradiée tombe du ciel. Les Proto développent autant de chevaux vapeur que les Pixies. Même sens inné de la démesure. La rafale des coups de génie commence avec «Machinist Man» : power pur, gratté aux entrailles, ça gratte avec des étincelles, il s’appelle Greg Ahee. Les Proto jouent à la relance méphistophélique. Tu n’en es qu’au deuxième blaster et te voilà sidéré pour de vrai. Ils varient les formats, chaque cut est différent du précédent, ils s’enfoncent comme un train fou dans des tunnels et tout explose à nouveau avec «3 Swallows». Joe Casey impose sa présence avec le même aplomb de Mark E. Smith. Format pop sublime, les Proto tapent dans le très haut de gamme. Tout explose en permanence. Encore plus demented, voilà «Free Supper». Greg Ahee cisaille ses poux, ça sent le cramé, et ça reste d’une violence suprême. Suite de la rafale des cuts intemporels avec «Ypsilanti» embarqué ventre à terre, cisaillé aussi sec, ces mecs-là ne s’accordent aucun répit, et voilà l’histoire de Lazare, «How He Lived After He Died», toutes les textures sont richissimes, cousues d’or du Rhin, Greg Ahee joue l’essaim définitif, il n’existe rien d’aussi tendu. Tout aussi passionnant, voilà un «Feral Cats» punchy, avec un riff raff claqué du beignet, c’est complètement explosé au sonic trash, ces mecs-là ne rigolent pas, tout est voué aux gémonies de l’hégémonie michiganne, et boom les voilà dans The Fall avec «Wine Of Ape», mais en plus virulent. Comment est-ce possible ? 

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             Un chien méchant orne la pochette d’Under Color Of Official Right. Toutes leurs pochettes sont très dépenaillées : un gros visuel moderniste, quasiment pas d’infos et le track-listing au dos dans une typo savamment bringuebalante. Inutile de dire que c’est encore un wild album. Avec «Tarpeian Rock», ils sonnent comme The Fall. Greed bastards ! Joe Casey dénonce, comme le fit Mark E. Smith en son temps, même niaque décapante. Tu as clairement l’impression que les Proto te jettent leurs albums en travers de la gueule, c’est en tous les cas l’impression que laisse une première écoute de «Maidenhaed». Tu restes ou tu te casses, c’est simple. Ça vaut le coup de rester. Rassure-toi, ça explose très vite, tu as les grattes de Méricourt, c’est-à-dire Greg Ahee. Et soudain tu réalises que tu te trouvais au pied d’un American guitar slinger de génie. C’est lui autant que Joe Casey qui est l’âme de ce brillant Detroit band. Le cut sur lequel il fait des miracles s’appelle «What The Wall Said». C’est noyé de poux. Greg Ahee persévère inlassablement. Il vole le show en permanence. On observe encore une grande variété d’approches dans un genre connu pour son austérité, la Post. Mais les Proto en font une fontaine DC de jouvence. «Trust Me Billy» sent l’habit noir et soudain, ça explose avec «Pagans», explosé par une dynamique de dynamite power-pop. Encore du Fall de Detroit avec «Bad Advice». Ils n’en finissent plus de tomber dans The Fall. Ces mecs-là vénèrent assez The Fall pour entrer en osmose avec leur esprit. L’album se réveille encore plus loin avec «I Stare At Floors», ils enfoncent le clou de la Post dans la paume du qu’en dira-t-on, bim bam, on entend d’ici les coups de marteau et ce démon de Greg Ahee arrose tout ça d’essaims dangereux. Énorme pression ! Comme le montre encore «Come & See», ils disposent de ressources inépuisables, ils n’en finissent de renaître comme des phénix du rock de Detroit, c’est lumineux et gratté à l’entre-deux. Les structures des cuts sont toutes riches et passionnées. Il terminent avec l’explosif «I’ll Take That Applause». Les Proto ont le power. Ils jettent tout leur dévolu dans la balance et te voilà conquis comme une cité antique.  

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             Orné d’un dieu grec, The Agent Intellect est un fantastique album. C’est un 12/12, ce qui est rarissime. Sur trois cuts, ils sonnent comme The Fall : «Cowards Starve», «I Forgive You» et «Boyce Or Boice». Belle tension, belle pression, c’est plein de vie et de mort, terrific d’übervalles et d’ultra spurge. Joe Casey pose ses mots comme le fait Mark E. Smith. Ils changent de structure à chaque nouveau cut, concassage différent pour «I Forgive You», chant plus pressant, c’est même la harangue de MES, et il entre encore à la MES dans «Boyce Or Boice». Décidément, c’est une obsession. Globalement, les Proto sont des Fall du Michigan. Chacun de leurs albums grouille de vie et d’invention. Voilà le «Pontiac 87» qu’ils tapent sur scène, vite embarqué par Greg Ahee. C’est lui le génie des Proto. Il injecte du fiel dans le cul du Pontiac. Quelle violence ! Et puis tu as le «The Devil In His Youth» d’ouvertured de bal, entrée en matière royale, ils entrent au palais en explosant la porte, tu as tout le power du Detroit punk servi sur un plateau d’argent nommé Greg Ahee. Pur genius, conquérant, voilà un cut gangrené de poux purulents, explosivement beau, monté à la clameur. Joe Casey chante son «Uncle Mother’s» au caoutchouc de la titube, c’est encore en plein dans The Fall. Ils sont effarants d’anglicisme. Même dévolu de va-pas-bien. Ils ramonent jusqu’à l’overdose, avec la puissance d’une marche militaire, sabrée au cristal d’Ahee. Wild world encore avec «Dope Cloud». Wild wild world ! Tout le poids du Michigan, beau et puissant, ils jouent à l’inclination définitive, les climax renvoient au génie sonique des Mary Chain. Assaut différent encore pour «The Hermit». Celui-là est d’une rare brutalité. Joe Casey relance sans fin - I don’t think so ! - Encore du climax purulent avec «Clandestine Time». Ils ne vivent que pour la démesure. Tout le monde sut le pont pour «Why Does It Shake», Ahee et Casey sont les premiers, avec juste derrière eux le big beurre d’Alex Leonard. Ahee ahane bien sur la fin, il répand son sonic trash à l’infini. Ils taillent encore «Ellen» à la serpe de cavalcade. Pur Detroit Sound, extraordinaire vélocité, Casey la veloute à la folie, on retrouve des échos d’Adorable dans cette fournaise. Qualifions ça de Big Atmospherix noyé de virulences. Fausse fin et explosion finale. Ils bouclent avec un «Feast Of Stephen» brisé de la mâchoire dès l’accord d’intro. Ça joue à coups rebondis, avec des dissonances qui te font rêver. C’est hallucinant, tellement ce Feast est drivé et beau, carrossé pour traverser les siècles. 

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             Tu retrouves une espèce d’Isabelle Eberhardt sur la pochette de Relatives In Descent. Le coup de génie de l’album s’appelle «Windsor Hum», qu’ils reprennent d’ailleurs sur scène. Greg Ahee le gratte à l’entêtement. Le cut est hanté par un gimmick tétanique - Everything’s fine - Et ils explosent comme seuls les Pixies savent exploser. C’est saturé d’Everything’s fine. Terrific ! Le beurreman Alex Leonard fait des étincelles sur «Here Is The Thing». Il bat son beurre à la vie à la mort. Il bat sec, très sec, il est encore plus sec qu’un olivier oublié au fond du champ. Il faut bien dire que les quatre Proto de base sont des surdoués. Le deuxième guitariste qu’on a vu sur scène est juste un renfort. «Here Is The Thing» est encore du pur Fall sound. Greg Ahee joue le plus souvent en tir de barrage. Il arrose sans discrimination. On entend presque des accords du Velvet sur «My Children». Greg Ahee y injecte du Fall power. En pur Post, c’est très tiré par les cheveux, vite cavalé sur l’haricot. My children ! Voilà encore un «Caitriona» bien martyrisé. Ils ne sont pas Proto pour rien. Joe Casey chante ça à la sauvette relentless, comme un vieux renard du désert. Bon, c’est vrai que cet album n’a pas le cachet de No Passion All Technique, mais ils cachent la misère avec de soudains accès de fièvre. Ça reste saugrenu de virulence, les tempêtes soniques virevoltent, et l’admirable Joe Casey déclame ses vers décomposés au milieu du chaos. Tu restes en arrêt devant «Don’t Go To Anacita» : grosse attaque, beurre, chant, sonic trash, tu as là un bel avant-goût de l’apocalypse, et plus loin, ils te cisaillent «Male Plague» à la base. Joe Casey sort sa meilleure harangue en hommage à Mark E. Smith. Et pour finir, «Half Sister» te tombe dessus, comme une apocalypse molle. Si tu veux qualifier l’art des Proto d’un seul mot, c’est ‘splash’. Ça te tombe sur la gueule.  

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             Un âne orne la pochette d’Ultimate Success Today. Encore un wild & crazy Proto-disk. Ils donnent le ton dès «Day Without End» : hommage à The Fall. Deux coups de génie se planquent plus loin : «Tranquilizer» et «Modern Business Hymns». Joe Casey chante le premier aux clameurs du carnage. Sonic trash d’hallali atomique, fusion de guerre nucléaire et de barbarie antique. «Modern Business Hymns» explose encore plus, attaqué à la marche forcée, broyé de la cervelle, le Killer Casey danse sa ronde de nuit, il plonge Rembrandt dans les carnages de Goya, il place un couplet mélodique au cœur d’une apocalypse saturée d’ad nauseam. À force de violence sonique, les Proto deviennent héroïques. S’ensuit un «Bridge & Town» insidieux. Cut malsain, qui semble ramper au fond de la pièce. Rock cancrelat. Berk. Osseux. Dissonant. Ils renouent ensuite avec les apocalypses verticales d’Adorable. Effet d’ascenseur. Encore de la Michigan craze avec «Possessed By The Boys». Greg Ahee forever ! Encore plus violent et sans pitié, voilà «I Am You Now», et «The Aphorist» marche sur des charbons ardents. Encore une fois, l’album est très varié. Joe Casey chante tout au punch pur. Les Proto produisent énormément, ce sont des industriels de l’anguleux claustrophobique, tout est fracassé et recollé au sonic trash, alors ça tient et c’est même tout terrain. «Michigan Hammers» ? Comme son nom l’indique. Greg Ahee te claque ça à la clairette du Michigan. Incroyable brutalité du son ! Leurs Michigan Hammers sonnent comme la Post de Mondrian. Ils terminent avec «Worm In Heaven» qu’ils amènent comme un balladif de rêve éveillé - So it’s time to say goodbye - Les voilà dans une ambiance à la Radiohead, on reconnaît la progression d’«I’m A Creep». Joe Casey entre dans ses cuts comme un vrai pro, et avec ses Proto-potes, ils travaillent la matière du rock avec acharnement.  

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             Mis à part le concert et les albums, la rubrique ‘My life in music’ offre un bel éclairage. On la trouve à la dernière page d’Uncut et c’est Joe Casey qui s’y colle. Quand on voit son choix de disques, on comprend tout : pas de post-punk, mais Stevie Wonder, les Pogues et Ghostface Killah. Il rappelle que si tu nais à Detroit, on t’offre un album de Stevie Wonder à ta naissance, mais il reconnaît avoir compris le génie de Stevie Wonder plus tard dans la vie. Il parle même d’une career of masterpieces - To me, Stevie is the quintessential Detroit artist making something great out of what he’s been given - Il dit des Pogues qu’ils sont sa «biggest lyrical inspiration». Il rappelle qu’au lycée, il avait à choisir entre Nirvana et le rap, alors il a choisi le rap - Wu-Tang forever - et c’est par le rap qu’il est arrivé à son «later love for The Fall». Il rend aussi hommage à Tyvek, un groupe de Detroit pas très connu. C’est grâce à eux qu’il est devenu chanteur dans un groupe. Il cite l’album On Triple Beams, sorti sur In The Red la même année que le premier Proto. Bel hommage aussi à Ted Leo & The Pharmacists qu’il voit comme un mélange de «Thin Lizzy, mod, punk, The Pogues, ska and more». Puis voilà les deux cerises sur le gâtö : Rocket From The Tombs (The Day The Earth Met The Rocket From The Tombs) et The Country Teasers (Destroy All Human Life). Il démarre son apologie de Rocket ainsi : «Proof that the Midwest is the best.» Il se dit même fier de ce qui vient d’Ohio. Le Rocket le connecte à «Pere Ubu, The Dead Boys, Peter Laughner, it was all there.» Il se dit chanceux d’avoir vu la reformation de Rocket sur scène à Detroit, avec Richard Lloyd, «and it remains my favourite concert experience.» L’hommage aux Country Teasers permet de comprendre la grandeur d’un album comme No Passion All Technique. Pour Joe Casey, les Teasers allaient plus loin que Wire et The Fall - The Teasers are the real deal - Deux des cuts de Destroy All Human Life («Golden Apples» et «David Hope You Don’t Mind») sont «two of the best songs ever». Voilà ENFIN un fan des Country Teasers.

    Signé : Cazengler, Protozoaire

    Protomartyr. Le 106. Rouen (76). 28 octobre 2023

    Protomartyr. No Passion All Technique. Urinal Cake Records 2012

    Protomartyr. Under Color Of Official Right. Hardly Art 2014

    Protomartyr. The Agent Intellect. Hardly Art 2015

    Protomartyr. Relatives In Descent. Domino 2017

    Protomartyr. Ultimate Success Today. Domino 2020

    Protomartyr. Formal Growth In The Desert. Domino 2023

    John Casey : My life in music. Unct # 316 - September 2023

     

     

    L’avenir du rock

    - Bettye n’est pas une lavette

    (Part Two)

             L’avenir du rock lance régulièrement des invitations à dîner. Lorsque ses amis arrivent, ils commencent par papillonner dans le salon. Oh bah dis donc ! Oh bah ça alors ! Ils n’en finissent plus de s’extasier. Ils poussent des oh et des ah d’admiration, ils rivalisent de surenchère, ils chantent des louanges et des louanges à n’en plus finir, oh ben ça alors, fait l’un, oh bah dis donc, fait l’autre, ils n’arrêtent pas ! L’avenir du rock les implore de revenir au calme. En vain. Leurs pépiements ne font que redoubler. Oh bah dis donc ! Oh bah ça alors ! Ils frisent tellement l’hystérie collective qu’ils ne voient même pas la mine fermée de leur hôte. Il ne cache plus son agacement. «C’est la dernière fois que je les invite», se dit-il en grinçant des dents. Il tente une manœuvre de diversion en servant l’apéro. Mais ça repart de plus belle !  Oh bah dis donc ! Oh bah ça alors ! Les voilà qui s’extasient à la contemplation des verres. Oh bah dis donc ! Oh bah ça alors ! «Quel éclat !», fait l’un. «Quelle mirifique transparence !», fait l’autre. C’est exaspérant. Ils ne complimentent pas l’avenir du rock sur ses choix musicaux ou sur la splendeur de son état de santé, non, ils le complimentent sur la tenue de sa maison, sur la propreté des verres et des carrelages, sur la translucidité des baies vitrées donnant sur les toits de Paris, ils s’extasient sur la netteté parfaite des surfaces qu’aucun grain de poussière ne vient contredire, ils s’ébahissent de l’imposante maturité du cuir de cet immense Chesterfield, ils disent renoncer à trouver le moindre défaut, ils vont même jusqu’à prétendre qu’aucune araignée n’est possible dans cette vaste pièce si magnifiquement entretenue. Et comme ils savent se montrer taquins, ils balancent une petite vanne :

             — Dommage que tu ne sois pas un trave, avenir du rock, on t’aurait appelé la fée du logis et on t’aurait pincé les fesses...

             — Gardez vos ambivalences pour vous, messieurs les pâmés.

             — Nous diras-tu le secret de ton immaculée conception domestique ?

             — Bettye LaVette !

     

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             Si Bettye LaVette savait quel usage on fait des lavettes en France, elle changerait de nom. Bettye est une très jolie femme. Elle ne supporterait pas qu’on l’assimile à une petite serpillière, ou pire encore, à une lavette, c’est-à-dire une couille molle, pour dire les choses crûment. 

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             On chantait ses louanges récemment tout au long d’un Part One bien dodu, et on va les rechanter de plus belle pour saluer la parution de son nouvel album, le sobrement nommé LaVette!. C’est d’autant plus un big album qu’il est produit par le remplaçant de Charlie Watts dans les Rolling Stones, l’éminent Steve Jordan, gage à deux pattes de bon goût et de gros son. C’est lui qui est derrière les X-Pensive Winos de Keef Keef bourricot. Bettye nous cueille dès l’arrivée avec «See Through Me». Elle traîne encore quelques vieux restes de Tina, mais elle tente quand même d’exister pour elle-même. Elle a des accents intéressants de vieille Soul Sister, elle chante toujours un peu au bord du précipice. Elle adore nous faire peur et tituber dans le vent tiède du groove. Des Esseintes dirait d’elle qu’elle chante d’une voix d’éclat éteint. C’est très spécial. Elle est beaucoup plus abîmée qu’il n’y paraît et ça la rend encore plus désirable. Bettye est beaucoup d’essence baudelairienne qu’huysmanienne. Elle enchaîne avec un vrai coup de génie en forme d’avertissement : «Don’t Get Me Started». Elle sait driver le wild r’n’b à merveille. Elle est experte en termes de manipulation du hard on. Fabuleuse Bettye ! Stevie Winwood l’accompagne au B3 sur ce coup-là. C’est un groove puissant et roboratif. L’autre standout track de l’album s’appelle «Mad About It». Tu y retrouves la Bettye en lunettes noires et tu as le groove de Steve Jordan entre les reins. On peut même dire que ça groove au son d’Hi. Elle manœuvre ça dans les moiteurs, sous le boisseau. Elle sait rester très directive. Tiens puisqu’on parlait du loup d’Hi, voici le Rev. Charles Hodges au B3 sur «Sooner Or Later». Bettye a du beau monde derrière elle. Son Sooner est un heavy stuff, elle s’en étrangle de plaisir, c’est une virtuose du râle, elle sait jouer de sa glotte experte, elle règne sans partage sur Saba, aucun doute là-dessus. Elle chante encore son «Plan B» comme une vieille locataire neurasthénique, elle a cette voix acariâtre qui fait la grandeur du has-beendom. Chaque cut est pour elle l’occasion de ramener sa voix de vieille revienzy. Elle en joue éperdument. Sur «Concrete Mind», elle sonne comme une vieille casserole. Elle n’a jamais perdu ni son bric, ni son broc. Bettye est une délicieuse survivante, une fantastique followeuse of the faction. C’est la raison pour laquelle il faut la suivre à la trace. Son authenticité ne fait pas le moindre doute. Avec «Hard To Be Human», Steve Jordan lui tape un hard funk dans le dos. Elle retourne la situation à son avantage. Elle va très vite en besogne. Elle se prête bien au jeu du big fat funk de wild-a-gogo. Mais elle refait sa Tina avec «Not Gonna Waste My Love». C’est plus fort qu’elle. LaVette fait sa tinette. Elle n’est plus à ça près. Elle va tout gâcher en ne voulant plus rien gâcher. Va-t-en comprendre.

    Signé : Cazengler, pauvre lavette

    Bettye LaVette. LaVette! Jay-Vee Records 2023

     

     

    Inside the goldmine

     - Plein les Mirettes

             Contrairement à ce que laisse entendre son nom, Lady Minette n’avait rien de câlin. Oh ce n’était pas son genre ! Forte femme, Lady Minette ne s’intéressait qu’à l’intelligence des gens. Elle n’avait aucune indulgence pour les cons et les m’as-tu-vu. Elle œuvrait au sein d’organisations diverses, souvent d’extrême-gauche, et possédait plusieurs domaines aux alentours de Paris, dont un moulin célèbre pour ses soirées littéraires. Lorsqu’elle se trouvait à Paris, elle recevait ses amis pour dîner dans un appartement labyrinthique du quartier de la Gare de Lyon, puis à une autre époque, elle s’éprit de Belleville et y élut domicile. Elle ne recevait plus chez elle, mais dans les restos chinois du quartier dont elle connaissait les propriétaires. Son expertise des réseaux facilitait grandement les choses. Elle se disait femme de ressources. Elle appréciait beaucoup les Chinois, car ils savaient comme les Corses régler n’importe quel type de problème, du plus simple au plus épineux. Sans vouloir en dire trop, elle m’expliqua un soir, dans un resto de karaoké, que tout fonctionnait par échange de services. Comme elle connaissait des hauts fonctionnaires, des académiciens, des dirigeants de grandes entreprises, elle disposait d’un éventail de solutions qui valait largement celui que proposaient ses amis chinois. Lady Minette semblait sortir tout droit d’un roman du XIXe siècle, elle était sans doute la dernière descendante d’une longue lignée d’intrigantes. La seule différence, c’est qu’elle ne couchait pas avec ses contacts. Personne ne savait rien de sa vie privée. Elle portait le cheveu coupé court, à la garçonne. Au milieu de son visage parfaitement rond trônait un nez en trompette. On ne pouvait détacher le regard de ses yeux clairs, d’un bleu presque transparent. Elle incarnait à la fois le père et la mère qu’on rêvait d’avoir, alors que par nature et par idéologie, elle restait définitivement hermétique à tout ce fatras d’imbécillités. Il ne serait jamais venue à l’idée de Lady Minette d’enfanter. Mentorer, oui, mais certainement pas enfanter !

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             Lady Minette aurait adoré les Mirettes, ça ne fait aucun doute. Elle adorait par-dessus tout les gens de caractère et les Mirettes sont des Soul Sisters de caractère. Si veux t’en mettre plein les Mirettes, tu as trois possibilités : soit tu rapatries leurs deux albums parus à la fin des sixties, soit tu tapes dans les compiles Northern Soul et tu les croiseras, notamment dans Cream Of 60’s Soul. Si tu t’en fous plein les Mirettes, c’est à cause de Venetta Fields, qui fit partie - avec Robbie Montgomery et Jessie Smith - de la première vague d’Ikettes qui, après s’être mutinée, fut remplacée par une deuxième vague dans laquelle tu avais P.P. Arnold, Gloria Scott et Maxine Smith. Venetta fit ensuite partie des Blackberries, les trios de backing singers d’Humble Pie. Venetta Fields est une star, mais très peu de gens le savent.

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             Tu en prends vraiment pour ton grade quand tu écoutes In The Midnight Hour, un beau cartonné US paru en 1968. Tu as tout de suite les voix et les chœurs Motown, aussitôt le «Take Me For A Little While» d’ouverture de bon balda. Tu sais tout de suite que tu entres sur un big album et les sexy girls que tu vois au dos de la pochette vont te jerker la paillasse. Elles sont de-men-ted ! Elles montent vite en pression. Il faut entendre Venetta exploser «The Real Thing». La qualité de leur Soul est effarante. Elles tapent encore dans le mille avec «I’m A Whole New Thing» et si tu vas traîner en B, tu vas tomber sur une cover magistrale de «Keep On Running». Pas de basse fuzz, mais des Mirettes. Elle passent pas en-dessous du boisseau, avec une basse bien ronde et elle te dégomment ça vite fait, ah les garces ! Elles compensent l’absence de fuzz par de la niaque. Elles terminent par une belle version d’«In The Midnight Hour» à la Mirette immaculée. Venetta tape dans le tas. 

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             L’année suivante paraît un nouvel album, le supra-excellentissime Whirlpool. Le coup de génie se trouve au bout de la B des cochons et s’appelle «O Miss You Babe (How I Miss You)», un fantastique jerky jerk de Mironton Mirontaine, tu en prends plein la barbe, elles développent un énorme jive de r’n’b, c’est ce qu’on appelle le pur genius de since you’ve been gone, on ne peut pas échapper à ça, elles le montent bien au sucre et c’est propulsé par l’énorme beat local. Et pour sandwicher tout ça, tu as en ouverture de balda l’effarant «Sister Watch Yourself», un heayv popotin motorisé à la Motown, Sister, watch yourself !, c’est bien dans la ligne du party. Elles y vont les copines, et ça continue avec le heavy groove de «Somethin’s Wrong», suivi du morceau titre attaqué au hard Soul Sistering, alors la Venetta y va, elle te groove sa chipolata sous le boisseau du meilleur popotin, tu peux lui faire confiance, elle a fait ses armes dans les Ikettes, alors elle sait de quoi elle parle. C’est excellent, au-delà de toute expectitude. Pas la peine d’aller chercher ailleurs, tu as toute la Soul de tes rêves sur cet album. Elles bouclent ce véhément balda avec «At Last (I Found A Love)», classique et bien vu, oh si bien vu. Clarence Paul te produit ça comme un cake, et on peut ajouter, pour faire bonne mesure, que Marvin Gaye co-signe cette petite merveille de fort tempérament. C’est dingue comme les Mirettes sont bonnes ! Mais dingue ! On ne comprend pas qu’elles soient passées à l’ass, comme d’ailleurs Honey Cone et les Velvelettes, qui étaient le temps d’un hit les reines du monde. Les Mirettes repartent de plus belle en B avec l’effarant «Heart Full Of Gladness», encore un heavy popotin de type Motown, elles dégagent autant d’air qu’Aretha, et c’est pas peu dire, elles te roulent leur r’n’b dans la farine de Motown et elles te montent ça en neige au aaaahhhh d’Aretha. S’ensuit «Ain’t You Tryin’ To Cross Over», une petite Soul plus sucrée mais fabuleusement embarquée pour Cythère. On ne les quitte plus d’une semelle, elles ont le même genre de punch que les Sweet Inspiration de Cissy l’impératrice. Aw my Gawd, il faut les voir régner sur la terre comme au ciel. Encore un coup de baume au cœur avec «Stand By Your Man», un slow groove tellement Southern, qu’on le croirait sorti de Muscle Shoals, et c’est en plus chanté avec des accents d’Aretha, au petit sucre des backwoods confédérés, là où se planquent encore les bataillons de fantômes rebelles.

    Signé : Cazengler, miraud

    The Mirettes. In The Midnight Hour. Revue 1968

    The Mirettes. Whirlpool. UNI Records 1969

     

     

    Taj à tous les étages

     - Part Two

     

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             Printemps 68. Le disquaire caennais te met Taj entre les pattes. «Tiens ! Écoute ça !». Au lycée, on commence à s’agiter. Le copain Yves vend des cartes d’adhésion au fameux CAL, le Comité d’Action Lycéen. Comité radical de lutte armée. Et le copain Pierrot roule en BSA. Et l’autre copain Yves prend des cours de guitare classique dans le but de monter un groupe. Tout semble bouger en même temps, surtout la musique de ce blackos inconnu qu’on voit, sur la pochette, assis dans une chaise avec sa gratte, devant une belle maison en bois peint. La musique grouille, à l’image des oiseaux et des papillons qui volent autour du mystérieux Taj Mahal.

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             Il s’agissait du premier album de Taj Mahal sur CBS. Au dos de la pochette on trouvait les noms d’autres inconnus, Jesse Ed Davis et Ry Cooder. Il y avait aussi trois reprises d’un autre inconnu, Sleepy John Estes. À l’époque, on ne faisait pas le cake, on ne savait pas grand chose. On se contentait de découvrir. Par miracle, le disquaire était un bon. Taj Mahal ouvrait le bal avec un fantastique « Leaving Trunk » porté par une bassline extrêmement dynamique. Avec ce premier cut, Taj Mahal devint un héros. Il chantait au guttural joyeux et donnait de bons coups d’harp. Il enchaînait avec « Statesboro Blues », un fabuleux groove de blues à la limite du rock-gospel-country-funk-screamin’ jive, si tu vois ce que je veux dire. Un vrai son, goulayé à la cantonade - You know I love that woman/ The better woman I’ve ever seen - Encore une fantastique reprise de Sleepy John Este, « Everybody Got To Change Sometimes », une véritable horreur évolutive montée sur une bassline cavaleuse. Il faut saluer l’omniprésent James Thomas derrière sa basse. C’est un voyageur aussi infatigable qu’impénitent. Il cavale sur l’haricot de son manche. En B, Taj claque son « Dust My Broom » et revient à Sleepy avec « Diving Duck Blues ». Il finit cet album magistral avec un hommage à Robert Johnson, « The Celebrated Walking Blues ». Ry Cooder y joue de la mandoline et c’est très beau car Taj va chercher l’esprit du blues dans l’essence même de la pulpe.

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             La suite de ce petit chef-d’œuvre s’appelle The Natch’l Blues. La pochette anglaise est sidérante, avec un Taj cadré en gros plan : il porte ses lunettes noires, son chapeau de caballero et il tire sur sa clope. Black dandy, un brin hendrixien. Dandy de la frontière. Le son est beaucoup plus traditionnel, on l’entend gratter son banjo et envoyer des coups d’harp. Il faut attendre « I Ain’t Gonna Let Nobody Steal My Jellyroll » pour renouer avec la classe du premier album. On retrouve le raunchy, le plein-comme-un-œuf qui en faisait la grandeur. Il renoue avec l’excellence de l’appartenance. Taj avance en vainqueur. Il passe ensuite au heavy blues avec « Going Up To The Country Painting My Mailbox Blue ». Il y ajoute cette véracité qui nourrit la vraie histoire du rock. Taj privilégie le velouté du groove, l’ampleur du meilleur et le suif du swing. S’ensuit une autre pièce de groove extraordinaire, « Done Changed My Way Of Living ». Il offre là tout le rudiment du blues d’antan, le vieux butt-shaking des juke joints. En B, se planque une pure merveille de blues psyché : « The Cuckoo ». Taj ramène toute sa science du blues dans cette intervention radicale.

             Très vite, Taj Mahal va se heurter à un problème : les gens de l’industrie du disque lui demandent de se positionner : « Mr Mahal will you please get in the box ? », à quoi Taj répond : « No, thank you, it doesn’t fit me ! ».

             Alors, quand on tombe sous le charme de ses deux premiers albums, on décide de le suivre à la trace. Ce sera parfois difficile, car Taj Mahal va en effet passer sa vie à explorer las racines profondes du blues et taper dans les connections avec le gospel, le latino, le r’n’b, l’Africana et nous emmener faire un tour dans ce qu’il existe de plus primitif. Il finira même par s’habiller comme ses ancêtres, en vêtements africains. C’est un voyage étonnant à travers l’histoire du blues, au moins aussi étonnant que peut l’être la belle série des sept films consacrés eux aussi à l’histoire du blues, que produisit Martin Scorsese.

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             On a évoqué l’épisode Rising Sons dans un Part One. Pour Columbia, le split des Rising Sons n’était pas grave. L’essentiel était de conserver Taj Mahal sous contrat. Alors Taj va enfiler les albums comme des perles.

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              En 1969 paraît Giant Step/De Ole Folks At Home. Taj se dresse sur la colline, toujours habillé en dandy de la frontière, chapeau, foulard rouge et énorme boucle de ceinturon. Il reprend le « Take A Giant Step » de Rising Sons et gratte son banjo. Il revient au blues avec « Give Your Woman What She Wants » et il a diantrement raison, car c’est une petite fournaise. Il chauffe ça à coups d’harp. Il prend une version de « Good Morning Little Schoolgirl » très rootsy. Sans doute la version la plus intéressante qu’on ait entendue depuis des lustres. Puis il donne une petite leçon de boogie blues éclairé avec « You’re Gonna Need Somebody On Your Bond », vrai swing californien, un modèle du genre, effrayant de direction et de maîtrise. On trouve en B un petit groove à la ramasse qui s’appelle « Farther On Down The Road » et qui révèle une petite tendance paradisiaque. Taj Mahal est une sorte de magicien, son groove coule tout seul et il chante ça avec le pire feeling qui soit. On se régalera aussi du « Bacon Fat » embarqué par une bassline de dingue, Taj rigole - hé hé - il sait pourquoi il rit. Comme l’indique son titre, le deuxième disque de ce double album se situe plus au bord du fleuve. Taj gratte son banjo et échappe à tous les formats. Il s’amuse bien. Il fait un « Stagger Lee » à la sèche des bois et il nous claque ça sec. Il tape aussi « Cajun Tune » à coups d’harp, et au fil des cuts, il devient de plus en plus primitif. Taj va aux roots avec une classe insolente.

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             The Real Thing est le dernier album où il apparaît sous une allure afro-américaine. C’est un album live. Il y gratte encore du banjo, et avec « Fishin’ Blues », il revient aux sources. Taj sifflote le groove dans « Ain’t Gwinen To Whistle Dixie ». Le Fillmore tape des mains car c’est un bon gospel, et derrière Taj, ça cuivre sec. Avec « Sweet Mama Janisse », il explose le contrat. C’est un boogie-blues infernal qu’on retrouvera tout au long de sa carrière. Il y balance un solo de banjo et derrière, ça pulse aux trombones des gémonies et à la basse funk. Démence pure ! Taj fait jerker le Fillmore ! Avec « Big Kneed Gal », il attaque le blues de charme. Taj est un fin renard. Il crée les conditions de la magie en feulant le blues. Il attaque « Tom And Sally Drake » au banjo des Appalaches et revient ensuite à son vieux « Diving Duck Blues ». Il en tire un jus de rumble de r’n’b effarant. Il chante aussi « John Ain’t It Hard » avec le feeling du diable et derrière lui, ça souffle dans des tubas. Sur ce live, tout est extraordinaire d’invention et de densité. Quel artiste !

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           Quand tu ouvres la pochette d’Happy Just To Be Like I Am, tu vois Taj jouer de la flûte dans un champs moissonné. Ambiance de sol jaune et de ciel bleu. Le morceau titre de l’album est chargé de toutes les dynamiques internes que l’on peut imaginer. Taj fouille l’innovation. Il secoue son cut comme un cocotier, il tend ses syllabes et ça devient vivant comme un vivier. Ça grouille de vie. Incroyable mais vrai ! « Stealin’ » est un blues qu’il attaque au banjo. Il adore ce vieux banjo qui remonte comme un saumon à contre-courant du blues. Son blues est prodigieusement dégingandé. En fait, Taj Mahal invente un style de blues, une sorte de blues de cabane tajique qui reste incroyablement persuasif. Puis il passe à la flûte pour jouer « Oh Suzanna », une vraie merveille de boogie original. Il réinvente tout. Son boogie grouille de vie. Il œuvre comme un visionnaire. Taj Mahal cultive le même genre de génie que celui cultivé jadis par Ronnie Lane. « Eighteen Hammers » ? Oh yeah ! Il va chercher l’incroyable profondeur du delta dans les dix-huit hammers. Voilà du primitif définitif. Derrière lui, les autres jouent sur des casseroles. En B, on tombe sur un gros boogie soufflé aux tubas, « Tomorrow May Not Be Your Day ». On sent qu’ils sont nombreux, au moins quatre à souffler comme des brutes. Taj Mahal est un artiste complet. On n’en finira plus d’explorer son œuvre. Il reprend l’« Hey Gyp » de Donovan pour en faire « Chevrolet » et ça rebascule dans le génie. Harp ! Taj s’approche avec un côté suave, mais en réalité, c’est un puissant démon noir. Comme tous ses hits, « West Indian Reservation » a une coloration particulière, effrayante d’énergie et de modernité. Il ne lâche rien. Sa musique lui appartient. Il reste intense de bout en bout. Il joue « Back Spirit Boogie » au bottleneck de la rivière et il y va de bon cœur. Il fait claquer ses coups de slide pendant une éternité. Avec ce cut, il marque l’affirmation maîtrisée du boogie d’instro de fin de parcours. 

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             Sur la pochette de Recycling The Blues & Other Related Stuff, il est photographié en compagnie du vieux crapaud Mississipi John Hurt. Fantastique image de filiation. Taj gratte son banjo dans « Ricochet » et refait « Délivrance » à lui tout seul. Il fait aussi du gospel avec « A Free Song ». Il claque des mains et le public claque des mains. S’ensuit une énorme version de « Corinna » qu’il tape dans le haut de gamme interprétatif. Les Pointer Sisters l’accompagnent sur « Sweet Home Chicago » et ensemble ils produisent un blues de la meilleure qualité johnsonienne. Les Pointer Sisters l’accompagnent aussi sur « Texas Woman Blues ». Elles jettent du swing dans l’extraordinaire crunch de Taj. Pur génie, et Taj monte ses syllabes au chat perché pourri de feeling, alors on atteint des sommets. C’est même Taj qui joue de la stand-up !

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             Pas mal de merveilles aussi dans Sounder, et notamment « Needed Time », un gospel sacré de Lightnin’ Hopkins. Il va piocher au plus profond de sa condition humaine pour recréer l’Americana. Sur « Sounder Chase A Coon », il joue de l’harp et se perd dans l’antiquité. Il reprend ensuite « Needed Time » au banjo et murmure au bord du chemin. C’est effroyablement inspiré. Au fil de l’album, on le voit s’enfoncer dans un mélange d’antiquité et d’Americana. Il claque même une version de « Motherless Children » au bâton. Absolument dément. Avec « Jailhouse Blues », on est dans le très ancien, le très lent et le très fatigué. Il revient aussi aux chants des champs avec « Just Workin’ » - Lord early in the morning - Des filles charrient le groove et ça claque des mains. Avec « Two Spirits Revisited », on se croirait dans une fable antique de Pasolini, car Taj joue de la flûte grecque ancienne, il sonne comme un pâtre macédonien. Et avec « David Runs Again », il banjote comme un démon. Mais on sent qu’il se perd dans des mondes parallèles. Avec « David’s Dream », il retourne dans l’antiquité et s’y perd pour la postérité.

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             Le voilà donc complètement africanisé pour Ooooh So Good ‘N Blues. Les Pointer Sisters sont toujours là et l’accompagnent sur « Little Red Hen », pur gospel batch qui vire au gospel des champs, et Taj gratte son banjo par-dessus tout ça. S’il en est un qui respecte l’esprit du blues agricole, c’est bien Taj ! Il va chercher « Oh Mama Don’t You Know » au feulé du primitif. Il claque ses notes dans le néant de l’éternité. Les Pointer Sisters volent de nouveau à son secours dans « Frankie & Albert ». On se retrouve une fois encore dans le blues supérieur claqué à l’ongle sec. L’incroyable de toute cette histoire, c’est qu’un black réussisse à réinventer l’Americana. Taj gratte son dobro pour « Railroad Bill » et il devient le maître des Appalaches en boubou nigérian. Il fait danser les ours et les castors. Il tape une version incroyablement primitive de « Dust My Broom ». Il fallait oser. Taj gratte avec des séquelles. On se retrouve dans le wagon avec les hobos. Taj crée de vraies atmosphères, ce n’est pas un baratineur. Il sort le vrai truc. Il gratte comme un con, avec une sorte de rage épouvantable. C’est effarant de son sec d’affluence de la prescience. Puis il rend un hommage assez spectaculaire à Big Dix en reprenant « Built For Comfort » en boogie de stand-up. C’est comme on s’en doute bien ravageur. Et il boucle cet album sidérant avec « Teacup’s Jazzy Blues Tune » qu’il slappe, accompagné par les Pointer Sisters. Encore une fois, c’est digne de Pasolini, d’autant qu’il siffle. C’est très directement lié à l’antiquité de Saint-Germain-des-Prés, avec des clochettes et du do-bee-ya-bam. Superbe de fantômisation. Doo-bee ban dam bond ! Pur génie des catacombes. Il ne manque plus que Juliette Greco et Miles Davis.

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             Plus on avance dans l’univers de Taj Mahal et plus on comprend qu’on ne sortira pas indemne de ce voyage. Car voilà Mo’ Roots paru l’année suivante, encore un album fantastique. Il nous emmène aux Caraïbes avec « Black Jack Davey » le pirate. Le travail qu’il fait sur ce cut est exceptionnel : il tire ses syllabes dans les effluves des cocotiers et c’est battu aux tambours des îles. Admirable. La fête continue avec « Big Mama » et là Taj se fâche ! Il joue les gros bras et se prend pour Deep Purple. Il nous sort un gros groove pulsatif noyé d’orgue et des can you can you terriblement agressifs. Il fait un r’n’b de premier niveau. Soudain, il se met à jerker la cambuse comme une Soul Sister ! Puis il attaque « Cajun Watte » au piano - My negresse voulez-vous danser avec moâ voulez-vous danser hé hé - fantastique pièce de rêve cajun. Plus loin, il revient au r’n’b avec « Why Did You Have To Desert Me », encore un groove extraordinaire des îles. Taj chante en espagnol sur un groove dément. Il chante comme l’espion des pirates de la mouzica. C’est le beat des pirates ! Énergie et envergures sont les deux mamelles de l’espion des pirates, et le groove explose littéralement.

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             Une toile représentant des danseuses africaines orne la pochette de Music Keeps Me Together. Quelle énormité que ce morceau-titre ! On a là une pièce de groove africain coloré de sax free, avec en prime le timbre blanc de Taj Mahal - blanc au sens de la voix blanche, évidemment - Avec ce groove de flûte, on retrouve le mélange de Guinée et de Grèce antique, avec en plus du sax en fusion. Taj sublime l’énormité. « Aristrocracy » libère une énergie considérable. Il gratte ça au banjo de saloon. Et avec « Roll Turn Spin », il revient aux Caraïbes. Il se lance dans un beau groove antillais qu’il gratte à la dévastatrice. L’énergie des îles peut tout balayer. Il fait pas mal de reggae sur cet album et il faut attendre « Why And We Repeat Why And We Repeat » pour renouer avec le groove soufflé au sax. Embarquement pour le cosmos. On se retrouve dans la chair à saucisse d’un groove énorme. Ça jazze dans le jive. On voit rarement des grooves d’une telle violence et d’une telle jazz class. Côté gratte, c’est de la folie pure, il faut écouter Taj Mahal, car ses disques réservent pas mal de surprises. « Why And We Repeat Why And We Repeat » relève encore une fois du génie à l’état pur.

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             On le retrouve un an plus tard avec Satisfied ‘N Tickeld Too. Il a maintenant une tête d’Antillais. Il fait du reggae carribéen de haut niveau. Il chante d’une voix douce et colorée. Il nous sort un groove d’exotica qui flirte avec l’enchantement. Taj Mahal a le sens des choses dépareillées. Il ramène le rooster, rooster, rooster, c’est le roi du désarroi - I love you sweet mama - Sa chanson est fabuleusement fraîche et fruitée. Pas étonnant, puisque ça vient d’un artiste qui s’est écarté des feux de la rampe pour cultiver les racines. Il est tellement relaxé qu’il siffle. Il attaque ensuite « New E-Z Rider Blues » en posant ses conditions. Il va chercher du groove dans les chœurs des sisters. Fantastique explosion. Wow ! Nous voilà au cœur de la Soul californienne. Tous les albums de Taj Mahal sont des aventures extraordinaires. Avec « It Ain’t Nobody Business », il titille l’Americana - Champagne don’t drive me crazy/ Cocaine don’t make me lazy - Il fait un boogie business de bastringue digne des blancs. On revient au grand air des Caraïbes avec « Misty Morning Ride » et ça décolle. Taj donne de la voile. On file au vent des îles. C’est merveilleux car gratté à la vie à la mort. Avec « Easy To Love », on croirait entendre Earth Wind & Fire ! C’est du funk flûté de première main. Sacré Taj, il tourne tout à son avantage. Puis il dégringole « Old Time Song » à la désaille du blues. Taj le magicien revient aux percus pour « We Tune » et tout redevient joyeux et vivant. On a même de la pompe manouche !  

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             Attention à ce double album intitulé The Hidden Treasures Of Taj Mahal 1969-1973, car il renferme de la dynamite, et notamment un « Sweet Mama Janisse » enregistré en 1970 à Miami avec les Dixie Flyers qui étaient alors salariés par Jerry Wexler pour accompagner les artistes signés sur Atlantic. Cette version est littéralement explosive. Les Dixie jouent le groove de la cabane de Memphis, monté sur un riff préhistorique. C’est hallucinant de vermoulu. Il y a là-dedans tout le cajun, tout le rock et tout le banjo du monde, y compris le beat du diable. Taj en fait une pièce d’antho à Toto. Dans la même session, ils ont aussi enregistré « Yan-Nah Mamo-Loo » et on reste au cœur du rythme, on reste dans le cut de cot cot, c’est tellement énorme qu’on finit par raconter n’importe quoi. Taj souffle dans son harmo et Tommy McClure sort un drive de basse infernal. Quelle déballonnade ! Les Dixie Flyers font exploser le langage. Ils nous plongent dans les conditions ultimes du groove. Charlie Freeman gratte ses poux. Cette session est tellement bonne qu’elle efface complètement les autres rassemblées sur le premier disque. Le second disque est enregistré live au Royal Albert Hall. Taj ramène le bord du fleuve à Londres et gratte « John Ain’t It Hard » au banjo. C’est du pur « Love In vain ». Puis il reprend son fabuleux « Sweet Mama Janisse ». Jesse Ed Davis et d’autres mecs l’accompagnent. On retrouve l’histoire de cette woman qui come from Louisiana. C’est allumé dès l’intro. Voilà le hit du Taj. Alors il y va. Ils font aussi une version du « Diving Duck Blues » qui est sur le premier album. C’est sacrément troussé. Pas le temps de discuter, ces gens-là vont très vite.

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             Et puis Taj Mahal va égrener au fil des décennies une série d’albums pour le moins fascinants, comme par exemple Music Fuh Ya, paru en 1976. Il tape dans le vieux mythe du blues de train avec « Freight train ». Il envoie ses coups d’ahrmo sonner dans la nuit des temps. On sent que c’est gratté aux arpèges du diable. Aucun être humain ne sait jouer comme ça et les coups d’harmo instillent une certaine frayeur. Il passe au jumpy jumpah avec « Baby You’re My Destiny ». Ce coquin de Taj nous ramène à la Nouvelle Orleans. Il sait lancer les dés et provoquer le destin - Sugar & spice, you’re so nice - C’est terrible car pulsé à la pompe jazzy. La voix de Taj se pose là-dessus comme une cerise sur un gâtö. Wow ! Il part en virée jazz, mais pas le petit jazz du coin de la rue, non le jazz de Bob le baobab shooba dibah doo. Il enchaîne avec « Sailin’ Into Walker’s Cay », un merveilleux swing de groove du paradis des îles. De toute évidence, le but de Taj est de nous emmener là où il fait bon vivre. Puis il chante un groove universel intitulé « Truck Driver’s Two Step ». Oui, il chante ça à la purée de voix géniale. Il revient avec ses ahhh yeahhh et nous rappelle au passage qu’il est un grand sorcier.

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             Alors que les punks déferlent dans les rues de Londres, Taj enregistre la BO de Brothers. Ouverture terrible avec « Love Theme In The Key Of D ». On sent le Taj un peu édenté à la remorque du meilleur blues fruité d’Amérique. Un sax vient poivrer le cut. Terrible, car il traîne et se veut fantastique de tajerie épuisée sur les chemins de traverse - oh yeah sugar sweet - Taj joue le blues à sa façon. Ça donne un blues hanté par l’inspiration. Les gens devraient comprendre. Il faut apprendre à aimer Taj Mahal. Quand il chante « Brother’s Doin’ Time », il s’implique pour ses brothers les taulards. Puis il revient au groove de rêve avec « Night Rider ». Il joue ça à la Taj, forcément. Il en fait un groove joyeux et gorgé de bon jus - ooooooohhh - et c’est gratté aux guitares. Il revendique l’impossible liberté dans « Free The Brothers ». La liberté pour les esclaves ? Foutu d’avance ! Même lui, grand sorcier Taj Mahal, n’y comprend rien. Comment les nègres d’Afrique ont-ils pu accepter l’esclavage ? C’est tellement incompréhensible. Mais oui, tout simplement parce que les noirs sont supérieurs en tout : en danse, en rythme, en musique. Sauf en business, hélas. Ou tant mieux. Son « Centidos Dulce (Sweet Feelings) » regorge de jus d’exotica fantastico. Il termine cet album superbe avec « David & Angela ». Au bout d’un moment, Taj laisse tomber. Alors ça continue en instro. Il a raison de quitter le studio. Inutile de continuer à engraisser les blancs.

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             Evolution paraît la même année. Il attaque avec « Sing A Happy Song », un petit cut sautillant. Taj excelle dans la constance. On sent qu’il va bien. Il porte un chapeau blanc et une chemise hawaïenne. Il pose au dos de la pochette accroupi sur un rocher de l’île. Il connaît les bons coins. Pour « Queen Bee », il va chercher un son à cheval entre l’îlien et l’africain. Il s’amuse à brouiller les pistes pour mieux illuminer son groove. On tombe plus loin sur un énorme instro de groove intitulé «  Salsa De Laventille ». Il revient à ses racines avec « The Big Blues » - Lawd she’s fine as she can be/ She must like cherries hanging on a cherry tree - Taj Mahal est l’un des plus grands bluesmen de tous les temps - I love my babe/ better than I love myself - Il reprend tous les vieux poncifs du blues et leur redonne vie. Stupéfiant.

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             Dix ans plus tard, Taj refait surface avec Taj. Belle pochette avec un portait signé Robert Mapplethorpe. Il attaque avec du bon groove antillais, et un peu plus loin, il tape dans le groove musculeux avec « Do I Love Her ». Taj joue même les gros bras et tire sur ses syllabes pour les malaxer. Il leur fait rendre du jus. Comme c’est beau ! Son harmo revient même hanter le cut. Il parle de Muddy Waters, du blues de Chicago et il fait le Wolf en hululant. Fantistico ! Il connaît toutes les ficelles, ce qui pour un musicologue paraît logique. Il revient au groove des Caraïbes avec « Pillow Talk ». Il évoque une belle journée de bonheur - Oooh sugar baby - Taj sait rendre une femme heureuse. On entend un beau son de basse et un guitariste virtuose des îles, mais surtout cette voix cassée qui ensorcelle, la voix de Taj, reconnaissable entre toutes. Pure merveille et final à l’harmo. Taj Mahal a du génie. Et quand on écoute « Kasuai Kalypso », on songe à l’eau verte de la baie et à la frégate du Capitaine Flint qui s’y trouve ancrée.

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             Un an plus tard paraît Shake Sugaree, sous une pochette bleue et joyeuse. Dès le premier cut, « Fishin’ Blues », on sent l’air frais. Taj annonce le blues du pêcheur. Il joue au bord du fleuve sur sa vieille gratte gondolée. Il tricote et fait le talkin’ blues - C’mon down - Il connaît toutes les vieilles histoires à dormir debout. Avec « Light Rain », on a du pur jus de gros Taj. Il prend son cut sous le vent et gratte sa gratte africaine. Il crée les conditions d’un son profond, donc terrible. Ça vire à l’hypnotisme. Seuls les Africains savent fabriquer de l’hypnotique aussi raffiné. Il enchaîne avec « Quavi Quavi » - a song from Senegal/ from the fruit men - Bananes ! Melons ! Nous voilà en Afrique enchantée. Sur le morceau titre de l’album, il est accompagné par des gosses. L’enchantement se poursuit. En vaillant vainqueur, il joue le jeu du funk avec « Funky Bluesy ABC » et fait le con avec l’alphabet. Voilà encore un groove de niveau supérieur. Si on veut tomber de sa chaise, alors il fait écouter « Railroad Bill » - He was a character - Taj gratte ça en picking des enfers. Le dernier cut de l’album vaut lui aussi largement le détour : « Little Brown Dog ». Taj ramène le blues au bercail. C’est une tenace, un vrai bluesman de légende. Il s’éloigne en sifflant dès qu’il sent qu’on va l’embêter.

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             On trouve un cut génial sur Mule Bone  : « The Intermission Blues ». Eh oui, il incarne le blues primitif mieux que personne. Il le laisse macérer dans sa gorge et le pousse au uh-uh-uh, puis il se lâche. Taj Mahal reste un merveilleux swinger de blues qualitatif. En prime, il laisse filer un solo de rêve. On ne trouve ce genre de chose que chez Taj Mahal. Il transforme ses blues en merveilles absolues. Il sait driver le mythe. Il chante jazz avec des onomatopées er repart en solo de rêve. Personne ne songerait à chanter le blues ainsi. Il crée une véritable ambiance de jazz-blues transparente. Un rêve. Mais il adore aussi faire le con au bal du 14 juillet et danser avec le facteur Tati, c’est en tous cas ce qu’on entend dans « Song For A Banjo Dance ». Son boogie blues « But I Rode Some » part au tripe galop, bien content d’avoir mangé tant d’avoine. Avec « Hey Hey Blues », il plonge  les mains et son banjo dans le limon. Tous ces cuts restent incroyablement inspirés, surtout quand il les gratte au banjo. Il a toujours su réveiller les ardeurs du blues dans la fournaise des jours d’été. Et son « Shake That Thong » vaut pour une belle prise de bec. Les chœurs lui renvoient la belle haleine de phoque du honky tonk. Le dernier gros cut de cet album n’est autre que « Bound No ‘Th Blues », encore plus primitif que les autres. Ses interjections remontent à la nuit des temps. Son blues sonne comme un blues antique, mélodiquement envoûtant. L’ombre du temple plane sur ce disque magnifique.

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             Like Never Before est un album rattrapé par la mauvaise prod. Il faut attendre « Squat Hat Rabbit » pour retrouve le grand Taj libre, le Taj swingué aux castagnettes. Il crée là une sorte d’événement qui dépasse les abrutis de la prod. Taj leur montre qu’on ne peut ni le formater ni le commercialiser. Il échappe à toutes les cages et à toutes les chaînes. Il nous donne à savourer un joli jive et sur le tard du cut, il fait son Beefheart. Il balance aussi un jumpy jumpah à la mode de Kansas City avec « Big Legged Mamas Are Bad In Style ». Il reprend l’art des anciens. Puis c’est « Take A Giant Step ». Ouf ! Taj revient à ses racines et retrouve le dépouillé de l’Africana. Il erre seul au long du chemin de traverse. Fantastique. Il renoue avec la véracité du chant. Il respire par les trous de nez et chante avec détachement. Il se dégage du cut un énorme sentiment de solitude émerveillée - Take a giant step outside your mind - C’est d’une beauté poignante.

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             Encore un album dément avec Dancing The Blues paru en 1993. Célèbre pour ses nombreuses biographies (dont celles d’Etta, de Marvin, de Jerry Wexler et de Smokey,) David Ritz rédige les notes de pochette. Taj reprend « Hard Way » de T-Bone Walker. Pour Taj, T-Bone est le cat qui a inventé le « modern urban blues ». Taj se souvient de T-Bone et Lowell Fulson qui entrèrent un soir de 1968 au Whisky A Go Go. Eh oui les amis, il fut un temps où ces gens-là régnaient sur la terre comme au ciel. Il reprend ensuite « Going To The River » de Fats - part of the Afro American genius - Pour lui, ça sonne comme du Leadbelly. Il rend un fantastique hommage et c’est long comme un jour sans pain et pesant comme la barbe chargée d’or de Crésus. Attention, il invite Etta James à duetter avec lui sur « Mockingbird », un vieux hit d’Inez & Charlie Foxx. Taj rappelle au passage qu’il était amoureux d’Etta à l’âge de 13 ans - Etta was the mainline with Ma Rainey and Bessie Smith - Évidemment, c’est une version énorme, pétrie de génie humain. Etta tient tête à Taj avec une niaque fulgurante. Le pauvre Taj s’accroche comme il peut. Puis il rend hommage à Louis Jourdan avec « Blue Light Boogie » - Louis is the great master of the jump band genre. Also on of the most important precursors of rock n’ roll - Fantastico ! Et pour couronner le tout, Ian McLagan joue de l’orgue sur ce cut. Taj reprend ensuite « The Hoochie Coocha Coo » d’Hank Ballard - When I was a kid I must have worn out copies of that sucker ! I mean if this ain’t dancing the blues, nothing is - Mac est toujours là. C’est pulsé au sax et joué à la sauce de la Nouvelle Orleans. Quelle fantastique énergie ! Il rend ensuite hommage à Otis avec « Tha’t How Strong My Love Is ». On trouve plus loin deux autres perles rares : « Stranger In My Own Town » de Percy Mayfield, que Taj embarque au paradis. Il semble parfois ses situer au-delà de ce qu’on appelle vulgairement le génie. Il crée sa propre dimension. Puis il dédie « Sitting On Top Of The World » aus conducteurs de mules - That’s cause those hard headed mule drivers got to hear the beat chonking - et Taj fait claquer ses coups de dobro. 

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             Énorme album que ce Phantom Blues paru en 1996 ! Tout est bon là-dessus, il n’y a rien à jeter. Avec « Lovin’ In My Baby’s Eyes », Taj reste dans le vieux blues d’harmo sacrément chauffé au soleil et rootsy comme pas deux. Un véritable enchantement pour l’amateur de blues. Puis il embarque son « Cheatin’ On You » d’une manière incroyablement tonique. C’est bourré de swing jusqu’à la gueule. Et les énormités se succèdent, comme par exemple ce « The Hustle Is On », un jumpy doté de l’énergie du diable. On n’avait encore jamais entendu ça. Taj drive son cut à l’énergie maximaliste. Avec son orchestre de dingos, il lève l’enfer sur la terre. Les solos de piano et de sax pleuvent comme des boulets. C’est du pur élastomère de boogie. Absolument terrifiant. Puis Taj replonge sans le pire Deep blues qui soit avec « Here In The Dark ». L’invité s’appelle Clapton et il joue gras, l’animal. Voilà encore un cut hallucinant de puissance bluesy. Taj fait encore feu de tous bois avec « I Need Your Loving », un vieux classique explosif de jump blues et ça tourne à la monstruosité. Les filles envoient des chœurs terribles. Taj fait le con avec les cœurs d’artiche - Oh wo wo wo wo - Puis il tape dans l’« Ooh Poo Pah Doo » des Rivingtons et l’explose ! Taj explose tout. Il chante à la raclette de glotte. Il tape aussi dans Doc Pomus avec « Lonely Avenue ». Il connaît tous les bons coup d’Amérique. Il en fait un heavy blues stompé. Il enchaîne avec « Don’t Tell Me » et plonge dans le groove avec une audace qui l’honore - Don’t tell me baby - Il plonge carrément ses crocs dans le lard du vieux beat. Quelle démence ! Taj rivalise de grandeur groovy avec le Graham Bond ORGANization. Il continue d’enregistrer des albums extraordinaires. Nouveau tour de magie avec la fanfare de « What Am I Living For ». Puis il fait son Sam Cooke pour « We’re Gonna Make It » qu’il chauffe à blanc. Tu aimes le cajun ? Alors tu vas te régaler avec « Little Four Wind Blows », un hit de Fats qu’il remet en perspective. Il injecte une nouvelle énergie dans le cajun du diable. Il reste terrifiant de véracité, en toutes occasions.

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             Il nous refait le coup de l’album énorme avec Señor Blues. Taj porte son chapeau de cowboy et tient une National. Il gratte ses blues et chante à l’édentée. Il sort un « Irresistible You » salement swingué au big band. Pure tajerie ! Désormais, Taj Mahal s’impose comme le protecteur des arts et des lettres du blues. Le morceau titre sonne comme le groove des alizés. On sent planer un son de cuivres inconnus. C’est éclatant de classe jouissive. Il embarque son cut au jazz de grande marée. Les frissons montent, son cut se vit comme une aventure. Taj entre dans le groove avec une classe effarante. Il roule ses r de señor blues. Puis il nous entraîne dans un bastringue des années 20 pour « Sophisticated Mama ». Terrible. Certainement le pire ragtime de l’histoire. Tiens, voilà qu’il nous sort de sa manche un gros r’n’b : «  Oh Lord Things Are Getting Crazy Up In Here ». C’est joué à fond de train. Taj bousille l’overdrive. Un mec joue un solo de sax à 200 à l’heure. Lee Allen ne pourrait pas jouer aussi vite. S’ensuit une autre monstruosité, « I Miss You Baby », un heavy blues slappé et traversé par un solo de Wes Montgomery. Taj nous jazze ça à outrance. Puis il revient au groove juteux avec « You Racsal You ». Il plonge à nouveau dans l’historiologie du jump blues et envoie les chocolats. Rien d’aussi jouissif sur cette terre que ce jumpy jumpah joué à la stand-up. Retour au primitivisme à la Robert Johnson avec « Mind Your Own Business ». Il relaye ça au dixieland, alors on se prosterne devant tant de génie. Encore une pièce de choix : « 21st Century Gypsy Singin’ Lover Man ». Le blues de charme est l’une des spécialités de Taj Mahal. Ce mec fait des miracles depuis 40 ans et il continue - I’m like a fish in the water - Il accroche sa mélodie au firmament et il gratte sa National. On goûte la saveur de sa voix unique au monde. Voilà une énormité, du type de celles que l’on ne croise que très rarement. Tout est là, baby, dans la voix, dans le timbre, dans l’Africanité. Il finit ce disque avec deux hits de r’n’b dont une reprise tétanique de « Mr Pitiful ». Eh oui, Taj peut aussi chanter comme Wilson Pickett.

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             Par miracle, l’album suivant est peu moins génial. Ouf ! paru en 1998, Sacred Island sent bon les Caraïbes. Il suffit de voir Taj sur la pochette avec son chapeau blanc. Il chante « The Calypsonians » d’une voix graveleuse et il gratte savamment son banjo des îles. Franchement, on croirait entendre un vieux pirate qui a navigué sur tous les océans. Attention, la bête du disque s’appelle « Betty & Dupree ». Taj joue le blues des îles - Put your arms around me baby/ Like a circle around the sun - Une fois encore, il transforme ce blues en merveille absolue - Kiss me baby/ Right on my ruby lips - Jamais on ne trouvera ça ailleurs. Taj recycle les clichés du blues à l’infini, mais avec une chaleur et une coloration surnaturelles. Il n’est rien de plus inspiré en ce monde qu’un blues chanté par Tal Mahal. Autre merveille : « The New Hula Blues ». Il replonge une fois encore dans le lagon - You can call me on my cell phone/ But I’ll be out of reach - Il s’amuse bien et nous aussi  - Sweet mama sweet daddy/ Get the new hula blues - Et il hoquette à coups de menton.

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             Il enregistre Kulanjan l’année suivante avec Toumani Diabaté. Encore un album énorme. Avec « Queen Bee », il tape dans la pure Africana. Ramalou chante en duo avec lui et Toumani gratte son kora. Pure démence des racines. On bascule dans l’ère florentine de la culture africaine. Aw my God, c’est le vrai truc, la beauté d’avant le blues des plantations et des bagnes, ça coule de source. Pure magie blanche jouée par des noirs. Taj ne pourrait pas remonter plus loin dans la pureté des origines du blues. Le bord du fleuve, c’est l’Afrique. Ramalou est une fantastique chanteuse, elle apporte sa part d’animalité à la chanson. On goûte là une fois de plus au pur génie. Taj revient au groove avec « Ol Georgie Buck ». Il envoie la troupe. Ça tourne au stormer africain. Ils jouent avec des instruments préhistoriques. Ça yeah-yeah-yeahète dans l’Afrique d’avant les blancs. On entend le solo du démon des forêts, des claquements de mains. Taj fait danser ses ancêtres. Nouvelle éclate de kora avec « Kulanjan », le morceau titre, un vrai blues africain. On bascule dans une sorte de virtuosité indécente. Encore pire : « Guede Man Na », gratté à l’arrache d’une virtuosité qui échappe à toutes les normes. On reste au Mali et on échappe aux clichés. Les filles chantent comme dans un rêve africain. On entend deux koras. Voilà des virtuoses magnifiques. Grâce à Taj, on les entend jouer. Il reprend « Catfish Blues » et fait subir au cut de Muddy le traitement koranique. Ça devient terrible. On appelle ça un retour aux sources. Oui, car Muddy vient de là en droite ligne. C’est gratté à la régalade maximaliste. C’est d’un jouissif dont on n’a pas idée. Et ça continue ainsi jusqu’au bout du bout avec des exercices de virtuosité périlleux. Seul un musicologue averti comme Taj Mahal pouvait entreprendre un tel périple à travers le temps.

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             On retrouve Taj sur la pochette d’Hanapepe Dream avec une barbe blanche. Il ressemble désormais à un vieux nègre, mais il a la stature d’un héros. Encore un album fantastique, eh oui... C’est une idée à laquelle il faut bien s’habituer. Il attaqua avec un groove d’une violence terrible, « Great Big Beat ». Ça cogne au groove des îles - Oh daddy yo yo - Quelle puissance incroyable ! On aimerait bien croire qu’il s’agit là du beat des pirates. Il entre plus loin dans un balladif intitulé « Moonlight Lady » avec une incroyable pureté d’intention. C’est d’ailleurs ce qui le caractérise depuis le début. Il chante « Baby You’re My Destiny » avec la malice d’un vieux sorcier du blues. Entrer dans un album de Taj, c’est entrer dans la caverne d’Ali-Baba. « Baby You’re My Destiny » est une merveille, un cooky cook orchestré à la mode des années vingt, mais il utilise les ficelles d’un sorcier vaudou. Il shoo-bah-doo bah-boo-dee da-boo-bah-doote. Il tournicote ensuite une version antillaise de « Stagger Lee ». Comme c’est un standard, il en fait une version spéciale, type mambo pressé. Il nous entraîne au cœur de l’exotica avec « My Creole Belle » - My creole belle I love her well/ My darling baby my creole belle - Taj transforme ce classique des îles en pur chef-d’œuvre. Il en fait un hit de stomp. Surprise de taille avec une reprise d’« All Along The Watchtower ». Il se lance sur les traces de Jimi Hendrix - No reason to get excited - Il le prend au beat des îles - Yeah all along the watchtower/ Princess kept the view - Évidemment, Taj Mahal ne peur pas en faire autre chose qu’une version démente - And the wind began to howl hey - Nous voilà au cœur de la mythologie. Taj Mahal se dresse parmi les géants de la terre.  

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             Maestro date de 2008. God, quel album ! Il démarre sur une reprise de Slim Harpo, « Scratch My Back ». Le son explose les tympans. Magnifique d’intentionnalité. Mais le baston du son nuit à l’entame de l’original. Il joue « Dust Me Down » avec Ben Harper et ça tourne au r’n’b enflammé. Voilà un blues rock digne des grands du genre. Retour au blues traînard avec « Further On Down The Road ». Taj le gratte au banjo et ça devient affolant de classe. C’est le Taj qu’on adore entendre, sous la pluie chaude d’un été de blues. On entend des coups d’harp et Taj chante de sa belle voix intermédiaire. Retour de Tounami Diabaté pour « Zanzibar ». Angélique Kidjo fait aussi partie de l’aventure. Son énorme. Ça ruisselle de jus africain. Los Lobos accompagnent Taj sur « TV Mama » et ça vire heavy blues. George Porter des Meters accompagne Taj sur « I Can Make You Happy » et là, on ne rigole plus. Si tu aimes les très grands disques, c’est là que ça se passe. Ivan Neville nappe ça d’orgue, et Taj chante avec une certaine mauvaiseté, quasiment comme un punk. Pas compliqué : il sonne exactement comme Captain Beefheart. On le croirait accompagné par les Downliners Sect. Pur génie punk. Taj Mahal est un démon. Il ne se calmera jamais. Plus loin, il reprend le fantastique « Hello Josephine » de Fats et en fait une version surnaturelle. Il fait son Wolf dans « Strong Man Holler ». Il termine ce disque épuisant avec un hommage à Bo Diddley et à Big Dix : « Diddy Wah Diddy ». Version terrible, mais on préfère nettement celle de Captain Beefheart.

             Infatigable, Taj Mahal continue d’explorer les rootsy roots. Comme il le dit si bien lui même : « Even at my age, I’m always fiding something new ! »

    Signé : Cazengler, Mahal embouché

    Taj Mahal. Taj Mahal. Columbia 1968

    Taj Mahal. The Natch’l Blues. Columbia 1968

    Taj Mahal. Giant Step/De Ole Folks At Home. Columbia 1969

    Taj Mahal. The Real Thing. Columbia 1971

    Taj Mahal. Happy Just To Be Like I Am. Columbia 1972

    Taj Mahal. Recycling The Blues & Other Related Stuff. Columbia 1972

    Taj Mahal. Sounder. Columbia 1972

    Taj Mahal. Ooooh So Good ‘N Blues. Columbia 1973

    Taj Mahal. Mo’ Roots. Columbia 1974

    Taj Mahal. Music Keeps Me Together. Columbia 1975

    Taj Mahal. Satisfied ‘N Tickeld Too. Columbia 1976

    Taj Mahal. The Hidden Treasures Of Taj Mahal 1969-1973. Sony Music 2012

    Taj Mahal. Music Fuh Ya. Warner Bros. 1976

    Taj Mahal. Brothers. Warner Bros. 1977

    Taj Mahal. Evolution. Warner Bros. 1977

    Taj Mahal. Taj. Gramavision 1987

    Taj Mahal. Shake Sugaree. Music For Little People 1988

    Taj Mahal / Lyrics Langston Hughes. Mule Bone. Gramavision 1991

    Taj Mahal. Like Never Before. Private Music 1991

    Taj Mahal. Dancing The Blues. Private Music 1993

    Taj Mahal. Phantom Blues. RCA Victor 1996

    Taj Mahal. Senor Blues. Private Music 1997

    Taj Mahal. Sacred Island. Private Music 1998

    Taj Mahal. Kulanjan. Hannibal 1999

    Taj Mahal. Hanapepe Dream. Tone Cool Records 2001

    Taj Mahal. Maestro. Heads Up International 2008

    Classic Rock #203. November 2014. Rising Son by Rob Hugues

     

    *

    Vous êtes gâtés, deux groupes que nous aimons bien dans la même chronique, l’on fait attention à ne pas vous emmêler la comprenette, on parlera de chacun des deux séparément. Pour la préséance l’on n’a pas choisi l’ordre alphabétique même si ça en a l’air.  D'abord le plaisir, ensuitte la nostalgie.

    HOWLIN’ JAWS

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             Regardez jusqu’où se love notre magnanimité, nous sommes obligés de parler d’un de nos concurrents pour évoquer les Howlin’, pas de n’importe lequel, ce mois de décembre 2023 z’en sont à leur numéro 675, nous dépassent un peu, mais on les rattrape, pourtant ils ont commencé presque un demi-siècle avant nous, nous en sommes au 624, dans deux ans on les aura dans le rétro !

             Si vous ne les reconnaissez pas c’est que vous êtes total miros, les Howlin’Jaws en première de couverture, très rare, un honneur pour un groupe français !

             Pour la petite histoire rappelons qu’au mois de novembre notre Cat Zengler nous chroniquait, livraison 621, leur dernier concert dans la bonne ville de Rouen, z’ont toujours été chaud dans ce bled depuis qu’ils ont brûlé la petite Jeanne de Domrémy, non je vous rassure le Cat n’y est pour rien, par contre ensuite il vous explique pourquoi vous avez intérêt à vous procurer leur premier et trois derniers opus.

             Les esprits chagrins renâcleront, chicaner entre Novembre et Décembre c’est mesquin. Certes mais alors reportez-vous à notre livraison 85 du 11 février 2012, oui je sais, voici plus de dix ans, les Howlin’ en concert avec les Spykers et Nelson Carrera, juste dix ans d’avance.

             Nos lecteurs assidus en connaissent un bout des Jaws, nous avons assisté à plusieurs de leurs prestations, oui même celle où ils arboraient fièrement une hélice sur leur casquette, nous avons écouté leurs 45 tours, nous avons commenté quelques uns de leurs clips, et nous vous avons emmenés à l’Olympia, sur France-Inter, au théâtre lorsqu’ils assuraient la partition musicale d’Electre des Bas-Fonds de Simon Abkarian… alors franchement nous nous jetons sur l’article.

             Chance sont tombés sur Isabelle Chelley. Nous avons aussi écrit une belle chronique d’amour sur Isabelle Chelley, mais ceci est une autre histoire.

    Consciencieuse l’Isabelle, les a suivis partout, une véritable groupie, en plus ils n’arrêtent pas de se déshabiller, l’a assisté au tournage du clip de ‘’ Lost song’’, elle cause en connaisseuse de leur parcours, sans oublier de leur laisser la parole, elle ne chipote pas sur leur dernier disque, tiens ils se sont servis de l’Intelligence Artificielle pour la pochette, mais ils y ont appliqué une bonne intelligence neuronale. L’écrit bien Isabelle, vous pouvez la suivre jusqu’au bout du monde, elle vous emmènera jusqu’aux Howlin’Jaws.

    POGO CAR CRASH CONTROL

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             Sont pas fous dans Rock & Folk, à la suite des Jaws ils mettent à l’affiche cinquante groupes français. J’avouons qu’il y en a beaucoup dont on ignore superbement jusqu’à leur existence, je fais un test, j’ouvre au hasard page 65, Komodrag and the Mounodor et Mad Foxes, inconnus au bataillon, mais Johnny Mafia et les Lulies pas de problème on les a déjà vus. Ouf ! L’honneur est sauf !

             Avant de refermer je vérifie l’impossible, voir s’ils les auraient oubliés. Non, par contre un trop court entrefilet. Méritent beaucoup plus, mais ils ne font que confirmer ce qu’ils ont déjà annoncé le 26 octobre dernier sur leur FaceBook.

             Encore un concert à Calonne le 16 décembre pour clôturer l’année. Puis un autre le 30 / 01 / 24 à La Mécanique Ondulatoire, un autre le 31 au Supersonic et un ultime à la Maroquinerie le 03 / 02 /24. Et après ?

             Font un break. Sept années de bons et loyaux services au rock’n’roll, Un Ep, trois albums, et 700 concerts, le besoin de reprendre souffle s’est fait sentir. Il ne suffit pas de dire que le Pogo est un des meilleurs groupes de rock de France, il n’y a qu’un seul mot qui puisse les définir : la folie. Nous les avons suivis, concerts, disques, vidéos et projets parallèles, nous n’avons jamais rien regretté.

             Nous espérons qu’ils reviendront. Vite. Très vite. Le rock ‘n’roll n’est pas un plat qui se mange froid. Quoi qu’ils fassent nous les remercions pour toute cette joie qu’ils ont apportées à des milliers de fans.

             Il est des matins gris qui s’illuminaient lorsque subitement surgissait l’idée salvatrice : ‘’ Pas grave si le monde ne tourne pas rond tant que les Pogo Car Crash Control existent ! ’’

    Damie Chad.

            

    *

             J’avoue que je garde 24 heures sur 24, un neurone spécial led en éveil dans mon cerveau. Pas d’erreur, ce n’est pas pour que ma réflexion soit tout le temps éclairée, je ne parle pas de ces nouvelles lampes économiques que l’on a achetées pour remplacer les ampoules traditionnelles très chères et propagatrices d’une lumière ombreuse, non juste un signal d’alerte qui m’avertit dès que quelque part il est fait une allusion quelconque à Led Zeppelin.

             J’ai violemment sursauté lorsque j’ai aperçu cette pochette : carambar mou, si ce n’est pas une réplique du Led Zeppe III, c’est que je suis devenu complètement gâteux. Jugez-en par vous-même !

    BANDSHEE III

    BANDSHEE

    (Numérique Bandcamp - 30 / 11 / 2023)

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            Ne pensez pas à Siouxsie and the Banshees, elle et ils n’y sont pour rien. The Bandshees se présentent comme un retro stoner band from Louisville située au nord du Kentucky.  Sont quatre : Romana Bereneth : lead vocal, guitare / Stephen K. Phillips : guitar / MacCammon : bass / Chris Miller : drums.

    Black cat : je ne sais pas si vous voyez exactement ce que c’est que du rétro stoner, je peux facilement éclairer votre lanterne, c’est du foutu rock’n’roll, vous allez aimer je vous le jure, grosse guitare, batterie endiablée, éclats cordiques et surtout Romana, z’avez tout de suite envie d’être un chat noir et de lui manifester votre admiration en se frottant à ses jambes,  question lyrics elle doit être manichéiste, vous rencontrez et Jésus et le Diable, en ces moments vous comprenez pourquoi le drummer bouscule et bascule le monde de ses baguettes magistrales, elle chante comme une maîtresse femme, elle maîtrise sec et se joue de vous. L’a été traversée par les radiations du chat noir, elle vous en fait profiter. Un hit. Bad day : moins sauvage que le précédent, lorsque Romana ouvre la bouche de son vocal poisseux elle vous indique que vous êtes au mauvais endroit au mauvais moment,  tout de suite elle hausse la voix, attention aux balles perdues, derrière ils vous miment un mélodrame glauque, le genre de morceau dans lequel il vaut mieux ne pas s’aventurer, dès que vous faites un pas le serpent noir du doute se faufile sous vos pieds, ça fonctionne comme un polar gris, ça sent le linceul et le motel abandonné au bord de la route, film à suspense suffocant, heureusement que de temps en temps Romana hausse la voix, vous avez au moins l’impression d’être encore vivant. Parties musicales rutilantes. Sex on a grave : là c’est vraiment grave, ni l’éros ni le thanatos, c’est ce blues qui tangue entre les deux, cette guitare qui s’insinue en vous, cette batterie qui culbute vers le néant, cette basse qui résonne et happe, Romana vous pousse à vos dernières extrémités, elle minaude, elle hurle, elle énonce, elle répand le chaud et le froid, elle tord et elle mord les désirs les plus inavouables.

    Play loud ! Tout simplement un EP rock. De taille et d’estoc. Pour la petite histoire le rapport avec la pochette du Dirigeable n’est pas évident, est-ce vraiment important ?

             Si bon que l’on court vers le premier EP du groupe :

    CURSE OF THE BANDSHEE

    (CD via Bandcamp / Décembre 2022)

    Surprise. Changement d’ambiance, est-ce le même groupe : Romana Bereneth : lead vocal, guitare / Stephen K. Phillips : guitar / Nick Beach : drums / Beverly Reed : flûte, saxophone, vocals / Jason Groves : bass.

             Artwork aux antipodes du précédent. D’Ashley Sego. Une toile, un tantinet médiévale par le sujet représenté, une sorcière, toute de blanc vêtue brûlée vive, deux moines habillés de noir devant le bûcher deux autres personnages de noir vêtus, sont-ce des femmes, seraient-elles victimes de convulsions hystériques, danseraient-elles une danse sabbatique… Une seule certitude, celle dont le bas de la robe est attaqué par les flammes possède une longue chevelure qui n’est pas sans rappeler celle de Romana Bereneth. Romana a écrit les textes de cette malédiction de la sorcière.

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    Black Magic : musicalement l’on est très loin de l’Ep qui a suivi. Intro acoustique, bientôt suivie d’un background plus appuyé, mais cette flûte incessante qui accompagne tout du long le morceau comme une sinueuse langue de feu nous oblige à penser à certains opus progressive-rock à la Jethro Tull, mais rupture drummique et voix vindicative de Romana  nous éloignent de cette piste, dynamisme et harmonie certes, mais aussi  violence gothique souterraine et exacerbée. Il existe aussi une official vidéo de ce morceau qui met en scène avec une très grande fidélité les lyrics. L’entrée, lent cheminement au travers d’une forêt sans savoir où l’on va, est très réussie. Les sorcières sont belles et inquiétantes. L’ensemble ressemble à un début de film. A petit budget mais à grosse impression. Curse of the bansshee : ça démarre comme le précédent, la flute encore, toute une ambiance, la voix de Romana batifole sur la rythmique, étrange différence entre la noirceur des lyrics et ce vocal souverain qui semble se jouer de la situation jusqu’à ce que sa colère éclate, l’on ne sait plus si c’est la sorcière qui est maudite ou si c’est elle qui lance sa malédiction depuis la mort. Guitare apocalyptique en final. Vous avez écouté, vous pouvez voir aussi l’Official Lyrics Vidéo, particulièrement réussie, basée sur le même principe que la précédente, belles images explicites qui assombrissent davantage le mystère qu’elles ne le dissipent.  Diamonds on your prime : toujours cette entrée primesautière et puis ce ramdam sonore et la voix de Romana qui articule et plane au-dessus de la mêlée. Elle essaie d’avertir cette femme du danger, mais d’où parle-telle, a-telle déjà connu cette situation, ou possède-t-elle, pourquoi et comment, une connaissance supérieure, à moins que ce soit elle-même qui parle à elle-même, lyrics terriblement ambigus, par sa rectitude la musique semble les démentir, oh ! ce long pont qui enjambe un ruisseau d’eau pure, la voix de Romana, froide, déterminée, un couteau tranchant de blizzard sans concession. Si vous ressentez un malaise, c’est normal. Une vidéo esthétiquement très différente des deux premières, montées à partir d’images un peu ringardes de vieux films, pour que l’on s’aperçoive que toute existence est par nature vintage car soumise à l’apocalypse mortelle que nous détenons en nous, telle une bombe nucléaire qui n’attend que son heure programmée pour exploser.  Forgotten daughter : entrée fracassante, Romana souveraine, tiens cette manière de poser la voix en début de morceau évoque Led Zeppelin mais je vous avertis : pas de rêverie romantique, même pas romanantique, elle n’est pas une jeune fille naïve qui croyait que tout ce brillait était de l’or, elle est la suzeraine, elle a traversé l’épreuve de la mort, elle est morte, elle a survécu, elle parle d’ailleurs, elle parle de désir impossible, est-ce son corps qui se balance sous l’arbre au pendu. Fort. Poignant. Emouvant. Une vidéo créée par Romana, d’animation, un dessin animé à moitié métaphysique, Une méditation ontologique sur la nature de la femme et de la mortalité humaine. Très beau, très réussi, très original.  Woman 4 sale : (Jake Reber : bass, backing vocal) : un morceau rentre-dedans qui se rapproche de l’Ep qui suivra. Lyrics trop directement féministes, les femmes sont à vendre, Romana joue le rôle d’un formidable commissaire-priseur. Lyrics cousus de fil blanc, dénonciation de l’exploitation sexuelle de la femme, en arrière-fond marché d’esclaves, les quatre premiers titres parce qu’ils sont davantage mystérieux, parce qu’ils jouent sur la peur victimisante que les hommes ressentent face à l’inquiétante puissance sorciérique de l’être féminin forment un tout… Bien sûr une lyric video. Une pub, qui dure cinq minutes, vous ne pouvez détacher les yeux de l’écran, tellement c’est excitant, tout ce qu’il faut jusqu’au symbole freudien du robinet à sperme écumeux qui n’en finit plus de couler, rockabilly pin up en pleine action, encore une idée de Romana, plaisante comme tout, oui mais elle en dit plus sur notre monde avec la rutilance joyeuse de ces images que bien des penseurs attitrés de nos réseaux médiatiques…

             Curse of the Bandshee était un tout autre projet initial que Bandshee lll, que s’est-il passé au juste entre ces deux enregistrements ? Ou alors est-ce que Romana et Stephens sont les deux têtes pensantes et agissantes de Bandshee  qui ont pris pour le deuxième opus le titre III du troisième album de Led Zeppe pour signifier qu’ils n’entendent point se répéter à chaque nouvelle création. Que nous offriront-ils pour leur troisième album ? A quelle surprise devrions-nous nous attendre…

             Pour être tout à fait franc, sur leur site vous pouvez écouter une longue interview de près d’une heure, Romana rieuse comme une mouette, Stephen au look intello, juste un problème, je dois être rétif à l’accent du Kentucky, je n’ai rien compris !

             Quelques explications tout de même : à l’origine Bandsheee était un projet folk-rock, jusqu’à ce que Stephens s’aperçoive que Romana, bien qu’âgée d’une trentaine d’années ignorait tout de l’existence de Black Sabbath… et de tout ce qui s’en suivit. Bref Romana se convertit au doom ! Ceci explique cela, disait Victor Hugo, par exemple que le dernier morceau de Curse of the Bandshee soit une reprise de Lunar Funeral ( voir Kr’TNT ! 517 du 30 / 06 / 2021.

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             Sur le site de Bandshee vous pouvez aussi voir plusieurs vidéos du groupe sur scène. Je ne vous offre qu’une photo de Romana et de sa chevelure, attention, n’y montez pas, ce n’est pas Rapunzel que vous rejoindrez mais la sorcière Bandshee !

    Damie Chad.

     

    *

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    Nous croyions en avoir fini avec notre chronique sur Bandshee, certes nous nous étions dit que nous y retournerions mais pas si vite. Il y avait encore ce dessin, la plupart du temps sur Bandcamp les groupes mettent leurs photos, certains se contentent de leur logo, mais là ce dessin qui n’est pas sans évoquer la pochette de Bandshee III, est crédité, piste instagrammique, à Mollyoakus, qui nous renvoie à Molly Broadhurst pour finalement parvenir à :

    MOLLY’S MIDNIGHT VILLAINS

            Seriez-vous surpris si je vous dis que nous avons affaire à un groupe basé à Louisville dans le Kentucky. Se définissent en toute simplicité comme un groupe de folk sorcièrement alernatif.

             Ne sont que deux. Si vous les croisez dans la rue vous les remarquerez. Z’ont un look étudié. Se ressemblent tous les deux. Parfois vous aurez du mal à discerner lequel est le garçon, laquelle est la fille.  Des mécheux qui n’ont pour coiffure qu’une seule grosse mèche de cheveux qu’ils inclinent et tordent dans tous les sens, un peu comme ces clignoteurs turgescents des anciennes 203 pour les amateurs de vieilles voitures françaises, un véritable effet (de langue de) bœuf. Parfois ils s’amusent à la teindre en couleur flashy. Par contre s’habillent le plus souvent en noir.

             Molly Broadhurst : vocal, rhythm guitar / Tom Crowley : lead guitar.

     Z’ont manifestement choisi leur nom de scène : Molly l’imprécatrice ( pas mal pour une sorcière ) quant au patronyme Crowley de Tom, il rappellera à nos lecteurs les nombreuses traductions effectuées par Philippe Pissier des ouvrages d’Aleister Crowley ( pas plus tard que dans notre livraison 621 du 23 / 11 / 2023 ) que nous chroniquons systématiquement.

    OUTLAWS WITCHCRAFT

    (Vinyl / CD / Juin 2021)

    Pour le deuxième anniversaire de cet album, Molly a préparé un livre d’artiste comportant collages, paroles des chansons et sigils. Nous renvoyons, en ce qui concerne les sigils nos lecteurs à nos chroniques des deux premiers livres d’Austin Osman Spare (Anima Editions) traduits par Philippe Pissier.

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    In througt the mirror : bruits suspects, une acoustique qui descend ses gammes, instrumental pour l’ambiance, qui s’épaissit, qui s’assombrit lorsque retentit les effets de voix de Molly, on ne peut pas dire qu’elle cherche à l’éclaircir, juste poser un point noir sur une page blanche qu’elle transformera en une ligne initiatrice dans les titres suivants.  En moins de deux minutes vous êtes dans une réalité légèrement décalée. Doin’ fine : l’acoustique tricote dur, toute la magie dans le timbre de Molly, elle chante peut-être, nous dirions plutôt qu’elle parle toute seule, à elle-même et au reste du monde. Tout va bien. Enfin presque. Toute remuée à l’intérieur. Elle ne veut plus se souiller au contact de qui que ce soit. Elle a besoin de cette espèce de virginité qu’il faut entendre comme un refus de pactiser non pas avec l’autre, mais chose plus subtile avec la notion d’autre. Quelle opérativité peut-on avoir sur le monde si c’est lui qui entre en vous. Pour les parties extravagantes de guitare de Tom, vous serez comblé. Two cards reading : deux cartes à lire. Elles ne sont pas routières. Même si celles-ci annoncent aussi le chemin proche. Guitare éclatante mais presque en sourdine, Molly décrit ce qu’elle voit, une tempête monocorde dans sa voix, les lyrics ont la force d’un drame shakespearien, restons français pensons à cette tour abolie de Gérard de Nerval, par quel feu a-t-elle été détruite, et pourquoi le roi n’a-t-il pas deux fois vainqueur traversé l’Achéron. Superbe. Crawl back to the light : un semblant de groove compressé de la part de Tom, la voix de Molly aussi tranchante que la lame de guillotine, Tom s’enfuit dans un pickin’ espagnol, alors Molly hausse le ton toujours implacable, elle semble nous raconter une histoire à la Lovecraft mais de fait elle aborde un sujet bien plus grave celui de la survie par le nom, pensez à une formule magique, et aussi à Victor Segalen dans Briques et Tuiles ou Stèles, à ce nom qui doit être à tout prix conservé mais caché pour ne pas courir le risque de mourir définitivement si quelqu’un mal approprié s’en emparait. Takin’you into the moon : la guitare roucoule bellement, Molly prend sa voix de tourterelle la plus douce même si de temps en temps elle ne peut s’empêcher de s’envoler vers la lune ou le paradis, une chanson d’amour, la joie d’être à deux protégée du monde dominé grâce à cette armure de dualité qui nous enserre, nos sorciers deviendraient-ils humains trop humains, heureusement qu’il y a ce serpent qui vient bénir leur union, peut-être sont-ils comme la queue et la bouche du reptile qui se suffit à lui-même. A little like me : encore plus rond, encore plus doux, l’espoir de ne pas être comme les autres et de trouver enfin l’âme frère, les doigts de Tom babillent et émettent de jolies broderies sonores, elle pétille, sifflements pas ceux du serpent, Molly toute molle de promesses et de prophéties, elle n’est pas ce qu’elle semble être, mais qui est-elle au juste… Over the rooftops we go : la guitare claironne à l’espagnole, le ton de Molly a changé, l’interlude amoureux s’achèvera-t-il en queue de poisson… elle veut et elle ne veut plus, elle doute de l’autre, Tom joue au picador et au torero pour la maintenir en de bonnes dispositions, mais sa voix s’envole vers les hauteurs, elle ne sait pas, elle ne sait plus, elle sait qu’elle ne sait pas. La traversée des miroirs n’est pas une sereine aventure nous a avertis Jean Cocteau. Why are you so far away : Tom discret, il se contente de tisser une couverture qu’elle foule des pieds, il n’est pas venu, ce n’est que partie remise, nous dit-elle, elle a autre chose à faire, une fois qu’elle aura vaincu le temps, Tom fait flamber sa guitare, les promesses rendent les fous joyeux, il est curieux d’entendre comment sur ces trois derniers morceaux Molly n’utilise plus son timbre métallique si tranchant, son chant s’apparente un peu aux chanteuses de bluegrass. Peace with the Devil : beaux arpèges, une sorcière sans imprécations aux esprits et au Devil c’est déroutant, Molly récite ses litanies, elle aimerait faire la paix avec le diable, mais ces mots veulent-ils, peuvent-ils dire quelque chose, timbre glaçant, elle marche pieds nus sur le fil de l’épée. Vous qui êtes tombés, nous qui sommes tombés, qui nous a poussés. L’Un ou la Dualité ? October : un bruit comme de l’eau qui coule, puis une guitare crépitante comme un feu dans la cheminée, une ballade froide, la voix qui n’arrive pas à se réchauffer, l’indécision de ne plus savoir, d’être ailleurs, et de désir de savoir, et d’être là-bas, Tom nous fait le coup de la rockstar qui fait gémir sa guitare, l’extase ne suffira pas, même si la voix s’adoucit un moment, elle retourne à cette atonalité ambigüe, marque d’une terrible déréliction. Tiraillements douloureux entre deux plans de réalités.     

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    Sur disque c’est toujours bien, donc voici un enregistrement live de Doin’ fine enregistré à la Saint Cat’s Sound House :  une quinzaine de personnes confortablement installées en de moelleux fauteuils, n’était-ce la batterie inoccupée derrière les artistes on se croirait chez soi, intérieur bourgeois-bohème soupçon fin de siècle (non pas le précédent, l’autre avant), tous les deux debout, habillés de noir ce qui éclaircit encore plus la blancheur gothique de leur épiderme. Sur les avant-bras de Molly, ce ne sont point d’énormes sangsues à queues multiples qui boivent son sang mais des tatouages mastoc, l’’on pourrait écrire une thèse sur l’art dont elle s’en sert sur certaines vidéos du groupe, avez-vous remarqué que 99, 99 % des tatoués n’usent jamais de leurs décalcomanies, je suis sûr que les japonais doivent avoir un mot pour désigner cet art, ne nous égarons point revenons à Molly, à ses yeux que le fard étire, à sa voix imperturbable que rien ne saurait arrêter. Vous cingle le visage avec le mot fuck comme vous ne l’avez jamais entendu. Je me demande comment Tom peut voir sa guitare avec sa mèche qui oblitère son œil gauche, de temps en temps il la chasse pour jeter un regard inquiet sur Molly qui ne s’en aperçoit même pas. Elle a raison, c’est aussi net, précis et sans bavure que sur disque.

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    Wolf : Music Vidéo : quand vous dites pierre précieuse vous ne tenez pas cet artefact dans votre main mais vous employez des mots qui la désignent mais qui ne sont en rien ni une pierre ni précieux, c’est idem pour cette vidéo : les lyrics nous content une scène de lycanthropie, profitons-en pour saluer Marie de France, pas la moindre queue de loup ( même empaillé) dans le clip  simplement Tom et sa nana ( je n’ai pas pu résister à ce mauvais jeu de mots intraduisible), images en blanc et noir,  sauf la mèche de Molly teint d’une jolie couleur renardière, sont dans un bois, Molly se glisse entre et contre des rochers, une merveilleuse symphonie de gris, donc pas de mutation génétique ni loup sauvage, vous n’en avez aucun besoin, toute la force de la scène invisible est transcrite par l’impact du vocal, quelle chanteuse, quelle interprète ( quelle autrice aussi ), elle chante l’innommable, la cruelle innocence de cette bestialité sauvage est si durement exprimée que vous fermez les yeux pour ne pas la voir.

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    Two cards reading : Music Video :  sépia rituel.  Tous deux dans les bois. Immobiles en pleine nature. Cette fois elle a teint sa mèche du rose de l’aurore. Ils chantent tranquillou. De temps en temps une main dessine des sigils. Puis calligraphie des paroles sur une feuille blanche. Plus tard les sigils seront découpés et brûlés sur un autel, sous un œil pyramidal insensible. Rien de bien spectaculaire. Ce n’est pas la théâtralité du geste qui compte mais l’effet qu’il produira. Sur vous. Si vous en êtes digne.

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    Strange, strange friends : Lyrics Video : économie de moyens, trois dessins qui se battent en duel, n’en faut pas plus pour entrer dans l’ambiance, un corbeau, un chat noir, un squelette, vous n’espérez pas tout de même que l’on va vous faire revenir Edgar Poe uniquement pour votre petit plaisir. Concentrez-vous sur cette guitare sèche, entre nous soit dit si vous décrétez qu’elle est country vous n’aurez pas tout à fait tort, une scène de beuverie dans un estaminet quelconque. Un peu inquiétant tout de même, malgré l’humour si blues des paroles, d’ailleurs le costume rayé si ça ne vous dit rien, marchez jusqu’au prochain carrefour. C’est tout de même fou le nombre de morts qui circulent incognito parmi les vivants.  Une pincée d’humour dans la voix si naturelle de Molly. Ne cherchez pas ce qui occasionne ces frissons le long de votre colonne vertébrale.

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    Taking you up  into the moon : live From the Midnight Lair : décontracté, ils sont chez eux, dans leur terrier, elle est en jeans et en chemisier bleu, y a un boa sur le canapé, à son air sympa et débonnaire il ne fait pas peur. J’oubliais le troisième homme (ou femme, cochez la case que vous voulez), une tête de mort, c’est leur côté Et in Arcadia ego, et moi aussi en Arcadie si vous avez séché vos cours de latin. De toutes les manières, il ou elle est toujours avec vous, vous accompagne partout, jusque dans le cercueil. Ne soyons pas triste, c’est une chanson d’amour, spécialement écrite pour une personne particulière expliquent-ils sous la vidéo sur YT, sont gentils tout le monde peut s’y reconnaître affirment-ils. Elle a le sourire aux lèvres quand elle chante, difficile d’apercevoir celui de Tom, surveille sa guitare comme le lait sur le feu, j’ai choisi cette vidéo car l’on voit bien l’agile gymnastique giratoire de ses doigts.

             Nous reviendrons les visiter. Z’ont un son, un look, un univers, des idées, un concept qui n’appartiennent qu’à eux. Un deuxième album et des morceaux isolés. Le seul truc qui m’étonne c’est qu’ils ne soient pas davantage célèbres. Signe d’authenticité.

    Damie Chad.

     

     

    *

    Chic un groupe de Tolède, ninitas desnudas, puros espuantosos y toros de sangre y carne (c’est ainsi que les espagnols traduisent sex, drugs and  rock’n’roll) enfin la fiesta païenne, merci Damie. Ne me remerciez pas, nous ne partons pas en Espagne, mais dans la grande Amérique, dans l’Ohio pour être géographiquement précis.  Pas grave Damie, les Ricains le rock’n’roll ils connaissent. Z’oui mais là s’agit d’un truc non identifié, un gribouillis sonore informe et infâme… Toutes les chances que vous ne soyez pas épanouis après avoir subi ce tintouin (sans Milou)  inouï dans votre ouïe.

    THOROUGHBREDS

    SOG CITY

    Qui sont-ils : deux gars difficiles à identifier : Jason et Nick. Quoi qu’ils jouent on ne sait pas. Un indice sur le troisième homme qui doit être une femme puisque qualifié(e)) de l’adjectif beautifull, un(e) certain(e)) J. C. Griffin, inexplicablement son nom est suivi d’un instagram qui renvoie à un dessin animé canadien, Lake Bottom pour ceux qui connaissent, enfin Pat Peltier s’occupe du saxophone.

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    Lollygagger : attention ça va commencer, juste un détail que j’ai omis par inadvertance, ce n’est pas la musique qui est étonnante, vous savez avec les groupes noise il est nécessaire de s’attendre à tout, ce sont les lyrics, donc un truc inaudible mais sans plus, perso je trouve cela plutôt agréable, très vite les trois coups du destin, qui se répètent à la cadence d’une marche militaire, l’on sent qu’un évènement grave se prépare, erreur, il s’est déjà déroulé, z’avez intérêt à vous munir d’un stéthoscope pour saisir la voix, trop tard tant pis, pour vous, nous font le coup du riff poussif interminable, genre métro fantôme qui refuse obstinément de s’arrêter à la station où vous l’attendez, par deux fois six secondes le gargouillis incompréhensible vous donne un dernier indice incompréhensible. Dans l’esprit ça ressemble un peu, beaucoup, à la folie, aux Mamelles de Tirésias d’Apollinaire, pour les faits incontestables il y a un cadavre, est-ce lui qui parle entre ses dents agoniques ou un enquêteur qui en privé morigène dans sa barbe (évidemment rien n’indique qu’il soit barbu) si vous réfléchissez un peu trop vous finirez par décréter que ce sont les deux. Aurais-je le droit de vous faire confiance ?  Fool’ s Errand : c’est  complexe vous êtes perplexe, concrètement nous abordons la diagonale du fou, jeu dangereux, souvenez-vous de Nabokov, poum-poum ça repart, très vite c’est un peu cacophonique et même cacaphonique, au loin il y a un gars qui présente un numéro de cirque, apparemment un lion qui ayant bouffé son dompteur et ne sachant pas quoi faire se met avec ses grosses pattes à jouer du piano, y’a un musicien sur l’estrade qui se dit qu’il vaut mieux que ça se termine au plus vite avant que ça ne dégénère alors il vous fait de ces roulements avec sa grosses caisse comme s’il était Keith Moon. Faut bien foutre le cadavre dans un cercueil avant qu’il ne se mette à grandir comme dans une pièce de Ionesco. We trailed off on the middle name : pour comprendre se rappeler que l’américain moyen possède comme tout sénateur romain trois noms : hésitons, un télégraphe qui ne marche pas, une scie à découper, bref un bruit, de toutes les manières ça n’a aucune importance, c’est le moment du monologue dans l’acte III d’une pièce de Racine, le gars ne sait pas déclamer, normal un amerloque peuple jeune et barbare encore mal dégrossi ne peut posséder  les arcanes de cette culture européenne qui repose sur plus de vingt siècles de haute civilisation, en plus c’est peut être un cadavre ou un flic qui parle, ce qui ne vaut guère mieux, y en a tout de même un qui comprend qu’ils sont à la peine alors il appuie sur le bouton de la batterie et ça redémarre sec ( question rock les ricains sont au top ), l’on est au moment crucial, Oreste en tripatouillant ses papiers va-t-il endosser l’identité de Pyrrhus qu’il vient de tuer à moins que ça ne soit le contraire, en tout cas il y en a un dans la pièce à côté qui hurle, est-ce le trépassé ou le vivant, quels sont ces bruits qui carabossent sur sa mathématique bosse, avalanche sonore, folie extraordinaire, bon après la mania-crise, le mec se calme, il ahane comme un âne à qui sa maîtresse suce la queue. Valet parking : dans les thrillers vous avez la scène clef (de voiture), le meurtre dans le parking, nous y sommes, excusez le tintamarre avec toutes ces autos, en plus dans un disque de noise… c’est le moment du doute, le mec il est bien mort, ou a-t-il simplement mal aux dents, doit être chez le dentiste on lui oblitère la molaire car il vocifère, ou alors c’est une métaphore la clef que vous introduisez dans la serrure de la portière, peut-être ressent-elle cette ouverture comme un viol inqualifiable. Je sens que vous êtes perdn… Comment je le sais, facile la musique imite le bruit de vos méninges en cessation d’activité preuve que l’huile de votre intelligence ne les lubrifie plus. Depuis longtemps. Rodeo’s closet : ça y’est on passe à la scène des aveux, la rythmique imite l’agencement du mécano intellectuel qui se met en place. Bien sûr c’est le cadavre qui se confesse, vous pensez la scène confuse pourtant s’il y a un macchabée c’est tout de même de sa faute. Au bruit on devine que pour le faire parler le flic lui passe dessus avec sa voiture, lecteurs amicaux entendez-vous dans cette pièce lointaine rugir le moteur à perdre haleine. Thoroughbreds : vous avez tout compris, il n’y a plus de mystère, n’en profitent pas pour se taire, vous manquent encore quelques détails que généralement l’on omet dans les romans policiers. La question que l’on ne pense même pas à poser. Mais une fois qu’il est arrêté que devient le cadavre ? On ne peut pas le juger. Non on ne le laisse pas seul. Ayons quelque humanité, on se préoccupe de sa survie cadavérique. Y a un service pour cela. Vous n’avez pas compris qu’avec toutes sonorités funèbres, il vaudrait mieux laisser tomber, puisque vous voulez tout savoir : vous saurez tout. Thoroughbreds vous en donne plus. C’est tout simple pourtant : ce sont les mouches qui s’occupent de lui. Est-ce le saxophone de Pat Peltier qui s’en vient jouer le bourdonnement de la mouche enfouisseuse de larves et asticots divers ? Tiens les trois coups du destin reviennent. Qui joue du triangle ? Hop un gros riff monstrueux qui éclate comme ces cadavres que l’on enveloppe dans un grand sachet poubelle en plastique hermétiquech sans penser à  laisser des trous pour que les exhalaisons puissent s’échapper. Putain il y a de la viande d’allongé sur tous les murs, pire que quand vous avez chié dans le ventilateur. Dernier glouglou de cadavre. Cette fois-ci je crois qu’il est vraiment mort. Derniers tintements cristallins, quelque larmes (pas trop, on a quand même bien rigolé) qui tombent sur sa pierre tombale.

              L’ont enregistré à peu près, ce devait être, en quelque sorte vers 2019. Ils ne s’en rappellent plus trop. Sog signifie en bonne santé. Vous voyez ce qui vous arrivera si vous n’êtes pas soges.

             Moi, j’ai beaucoup aimé.

    On y reviendra, ont à leur actif tout un tas de monstruosités. Un complément d’enquête s’impose.

    Damie Chad.