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vince taylor

  • CHRONIQUES DE POURPRE 602: KR'TNT 602: FRED KOLINSKI / LOS ANGELES NUGGETS / MARLOW RIDER / LEMON TWIGS / ARTHUR LEE / DON VARNER / VINCE TAYLOR /EVIL'S DOGS / MOONSHINE / XATUR / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 602

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    25 / 05 / 2023

     

    FRED KOLINSKI / LOS ANGELES NUGGETS

    MARLOW RIDER / LEMON TWIGS

    ARTHUR LEE / DON VARNER

    VINCE TAYLOR / EVIL’S DOGS 

    MOONSTONE / XATUR

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 602

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

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    Sur le site je n’aime guère placer une de mes chroniques avant celles du Cat Zengler, car c’est souvent pour annoncer une mauvaise nouvelle. Ce mardi 16 mai, Fred Kolinski nous a quittés. J’adorais sa pause hiératique, derrière les futs, ses longs cheveux blancs de Roi des Aulnes tombant sur ses épaules, un musicien d’un abord facile, d’une grande modestie, attentif aux autres, pas un grand bavard mais ses paroles étaient réfléchies… Je ne savais pas que ce quinze avril 2023 aux côtés d’Amine Leroy et de Tony Marlow, ce serait la dernière fois que le verrais, il avait assuré les deux sets du concert sans faillir.

    Je recopie ci-dessous les mots de Tony Marlow, nous annonçant la triste nouvelle :

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    ( Photo : Christian Montajol )

    C'est avec une infinie tristesse que j'ai appris la nouvelle du décès de mon ami  Fred Kolinski mardi après-midi. La brutalité et la rapidité de son départ m'ont choqué. Victime d'un AVC fin octobre 2022 il avait tenu absolument à rejouer rapidement plutôt que de se reposer et il est allé jusqu'au bout de la route, jusqu'à ce dernier concert le 29 avril où il a été contraint de raccrocher les baguettes. La batterie et la scène étaient toute sa vie...

    Génération 54, il part à seize ans au festival de l’Île de Whigt, fréquente le Golf-Drouot, rentre début 70 à l’école Agostini et vit dans une communauté de batteurs où il côtoie Christian Vander.

    Dans la France des années 70 pas facile de vivre de la musique qu'on aime...
    Il joue dans de nombreux groupes alternant rock, blues, country ou variété notamment The Bunch ( avec qui il accompagne Johnny Hallyday), James Lynch, Long chris, Yvette Horner, Nina Van Horn, Rockin Rebels, Chris Agullo, Franky Gumbo, Ervin Travis, et dernièrement Marlow Rider et Alicia F !

    Cela faisait six ans qu'on rejouait ensemble et sa grande science de "rythmicien" a beaucoup aidé dans l'élaboration des 3 albums que nous avons enregistrés avec  Seb le Bison. Il avait également une grande aptitude à élaborer des chœurs qui sonnent et son caractère égal et bienveillant créait une ambiance sympa et décontractée.

    Fred nous t’avons accompagné ces derniers mois pour que tu puisses réaliser tes dernières volontés de ton vivant : aller jusqu’au bout de la scène. 

    Repose en paix Fred, tu vas terriblement nous manquer.

    Tony Marlow.

     

     

    She had to leave Los Angeles

     

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             C’est bien sûr John Doe qui chante «She had to leave Los Angeles» dans le morceau titre du premier album d’X paru en 1980, Los Angeles. Excellent cut, comme chacun sait. La référence à l’X est juste prétexte à titrer l’hommage que nous allons rendre à une big box Rhino post-Bronson, Where the Action Is! Los Angeles Nuggets: 1965–1968. Car oui, what a big box !

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             L’L.A. box vient d’une certaine façon compléter la Frisco box épluchée ici en septembre dernier (Love Is The Song We Sing: San Francisco Nuggets 1965–1970), puisque les deux Rhino boxes couvent sensiblement la même période. Elles donnent une idée plus que juste de l’impact qu’eut la scène californienne sur l’histoire du rock, un impact qu’il faut bien qualifier de révolutionnaire. Les deux Rhino boxes mettent surtout en lumière les différences qui existent entre les deux scènes : celle de San Francisco privilégie l’exotisme, avec un son d’essence purement psyché et un singulier mélange de modernité et de brocante. Sans doute à cause d’Hollywood, la scène de Los Angeles s’ancre dans la notion d’usine à rêve, avec un son plus commercial, plus plastique, terriblement américain, le son des clubs du Sunset Strip et des go-go girls. D’où le choix graphique d’illustration en couve.

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             Bon alors tu ramènes ta big box chez toi, tu t’installes dans ton fauteuil, tu prévois du temps, et comme elle se présente comme un livre, tu l’ouvres pour commencer à lire. Glups ! T’as rien à lire, hormis les trois petites introductions, et à la fin, tu as quatre pages qui te présentent les clubs du Strip où bien sûr tu n’es jamais allé, donc ça ne sert pas à grand-chose. Mais rien sur les racines de la scène. Rien sur sa dimension culturelle. Et très vite tu comprends qu’il n’existe pas de racines, et que cette scène est à l’image d’Hollywood : une fiction parfaite, destinée au public américain, et accessoirement au reste du monde. Pas de littérature dans cette big box, tout simplement parce qu’il n’existe pas de littérature à Los Angeles. Andrew Sandoval et Alec Palao n’ont rien à dire, parce qu’il n’y a rien à dire sur Los Angeles. Sur les groupes, oui, mais pas sur la ville. La culture littéraire locale, c’est le cinéma. Les monstres sacrés ne sont pas Baudelaire, Apollinaire, Stendhal ou Edgar Poe, ils s’appellent Eric Von Stroheim, Gloria Swanson, Robert Mitchum, Jack Nicholson, Peter Fonda et Dennis Hopper. Les classiques littéraires s’appellent The Night Of The Hunter, Chinatown, Sunset Boulevard et Easy Rider. Certains objecteront qu’il existe des auteurs de polars, mais le polar reste un genre mineur, enfermé, comme la science-fiction, dans ses limitations. Bukowski ? Oui, il a fait illusion, à une époque, mais ses recueils de nouvelles parus au Sagittaire étaient massacrés par la traduction. Un Buk qui se décrit le matin assis en train de chier, c’est difficile à traduire. Il vaut mieux le laisser dans sa langue originale. Il fait partie, comme Pouchkine, des «intraduisibles», de la même façon que les Pistols font partie des «intouchables». Quand on joue dans un cover band, on ne touche pas aux Pistols. Quand on traduit, on ne touche pas à Bukowski.

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             Le film on va dire le plus ‘littéraire’ et le plus représentatif de cette artificialité est sans doute Chinatown. C’est même un coup de maître. Pendant presque deux heures, Polanski monte une intrigue en neige, c’est un travail de virtuose, tout est magnifié, les acteurs, les crépuscules, les environnements urbains, les voitures, et le soufflé retombe dans une scène finale d’une hallucinante vacuité, puisque la clé de l’énigme n’est autre que le fruit d’une relation incestueuse. Tout ça pour ça ? Avec Chinatown, Polanski exacerbait tout le kitsch de la culture hollywoodienne, et bien sûr, la montagne ne pouvait qu’accoucher d’une souris. Cadreur exceptionnel, comme le furent Pasolini et Godard, Polanski démontrait que Los Angeles était une ville plate.

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             En son temps, Philippe Garnier tentait chaque mois dans R&F d’explorer l’univers culturel de Los Angeles. Il s’y était d’ailleurs installé avec cette intention. Dans des pages extraordinairement denses, il célébrait des gloires locales et disait sa passion pour des films qui avaient une sacrée particularité : on ne pouvait pas les voir en De la, si on vivait en province. Cette culture devenait donc doublement opaque, avec le côté un peu maniaco agaçant de l’élitisme. La culture n’a de sens que lorsqu’elle est accessible à tous. Bon, ça s’est arrangé quand il commencé à parler des Cramps. Et lorsqu’il a mis Bryan Gregory en couverture de ses Coins Coupés. Un Gregory qu’on a revu ensuite peint sur la façade du Born Bad de la rue Keller. Ah quelle époque !

             Donc pas de littérature dans l’L.A. box. Si tu veux t’instruire, il vaut mieux lire un autre grand format, le Riot On Sunset Strip de Domenic Priore. On y reviendra prochainement.

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             Bien sûr, chacun des 100 cuts de l’L.A. box est documenté, comme sont documentés tous les cuts rassemblés par les gens d’Ace dans leurs mighty compiles. Un petit paragraphe pour chaque cut, après, c’est à toi de prendre ta pelle et d’aller creuser, si tu veux en savoir plus. i git !, mon gars. Au menu, tu retrouves bien sûr les grandes têtes de gondole, Byrds, Love, Beach Boys, Doors, Mothers Of Invention, mais aussi une multitude de groupes moins connus et aussi passionnants. Et puis tu as des groupes dont tu connais les noms, mais pas le son, alors c’est l’occasion de faire plus ample connaissance. C’est que ce qu’on appelle l’apanage des compiles. Pour pallier à la carence littéraire de sa big box, Sandoval a imaginé quatre chapitres, d’où les quatre CDs. Le premier s’intitule ‘On The Strip’. C’est là, sur Sunset Strip, que s’est joué le destin de tous ces groupes, comme se jouait un peu plus tôt le destin de très grands artistes à Greenwich Village, où encore, à la même époque, le destin des Frisco bands au Fillmore et à l’Avalon Ballroom. Ce sont les Standells qui donnent le top départ avec l’imparable «riot On Sunset Strip», suivis par les Byrds qui, comme l’indique l’ami Palao, ont démarré au Ciro’s, en 1965. «You Movin’» est une démo superbe qu’on retrouve sur Preflyte, un Movin’ illuminé par un solo à la McGuinn, c’est-à-dire magistral. S’ensuit «You’ll Be Following», early raunchy Love, joué à la pire niaque d’Arthur Lee. On reste dans les superstars en devenir avec Buffalo Springfield («Go And Say Goodbye») et surtout Captain Beefheart & The Magic Band avec l’ultra-abrasif «Zig Zag Wanderer», real deal de proto-punk, zig zag ha ! Early Doors encore, avec «Take It As It Comes», délicat, très L.A., c’est l’époque où Jimbo, trop léger, rebondit dans le son, il n’est pas encore devenu roi. Bon, Spirit, ça ne marche pas à tous les coups («Girl In Your Eye»), par contre, les Seeds s’en sortent mieux avec «Tripmaker», wild punk vénéneux, extraordinaire de watch out. L’«It’s Gotta Rain» de Sonny & Cher reste du heavy groove sans plus, et les Association de Jules Alexander tapent dans l’«One Too Many Mornings» de Dylan. C’est bardé de son et même assez stupéfiant. On retrouve avec un plaisir non feint l’Iron Butterfly de Doug Ingle et l’heavy revienzy de «Gentle As It My Seem», hard punk psychotic, come here woman ! Après, on descend dans l’underground avec par exemple les Leaves et «Dr. Stone», plus connus pour leur version cavalée d’«Hey Joe». Leur «Dr. Stone» est bardé de son et chevauche un Diddley beat. Jim Pons fait encore partie du groupe. Il ira ensuite rejoindre les Turtles. En De la, on a longtemps considéré les West Coast Pop Art Expérimental Band comme les rois de l’underground et rapatrié vite fait leurs trois premiers albums. Mais bon, attention... On y trouve à boire et à manger. «If You Want This Love» est un brin poppy-popette, frappé en plein cœur par un gros solo de bluegrass craze. Tu te régales aussi du Bobby Fuller Four et de «Baby My Heart», il y va de bon cœur le Bobby, il roule son solo dans une belle farine de disto. «Fender driven rock’n’roll», nous dit Palao, «Tex-Mex origins» + «high-energy Hollywood sound». Il faut se souvenir que Bobby Fuller faisait partie des chouchous de Billy Miller, chez Norton. Palao cite Bobby comme étant «one of the ‘60s pop’s brightest talents». On se prosterne jusqu’à terre devant The Palace Guard et «All Night Long», très psyché-Dylan/Byrds, rongé par des lèpres de jingle-jangle, hootchy hootchy coo all nite long ! Tiens voilà un gang de surdoués, The Rising Sons, avec Ry Cooder et Taj Mahal, produit par Terry Melcher, un Melcher qui leur demande de jouer une «supersonic version» de «Take A Giant Step» (Goffin & King) «with some pychedelic touches». Fabuleux shoot de big California flavour. On retrouve toute cette musicologie sur le faramineux dernier album de Ry Cooder & Taj Mahal, Get On Board. Tiens, encore une fantastique énormité avec Kaleidoscope et «Pulsating Dream». Palao les compare aux Rising Sons, «organic and eclectic». Il trouve même que les Kaleidoscope ont plus d’accointances avec la scène de San Francisco, mais ils savaient reconnaître les mérites d’une bonne chanson. Encore une grosse équipe avec Music Machine et «The People In Me». C’est une façon de dire qu’il n’y a que des grosses équipes dans cette ville plate. Palao dit d’eux qu’ils sont «one of the most powerful groups of the era». Il parle aussi de «brutal, sonic-intellectual punch», à propos de «Talk Talk». Et pouf, voilà The Sons Of Adam avec «Saturday’s Son», du bon wild as fuck comme on l’aime, plein de son et de Saturday, de roule ma poule, d’harmonies vocales et de power all over. Ces mecs, nous dit Palao, étaient «the talk of the town», avec «guitar God Randy Holden with Fender jag slung low, Ramones-style, tore off savages riffs with uncompromising style.» Arrivent à la suite les Peanut Butter Conspiracy avec «Eventually», une fast pop on the run. Ces mecs te claquent le Peanut vite fait. Extravagante énergie ! Et tout ceci n’est qu’un petit aperçu. La principale caractéristique de cette scène, c’est la qualité de l’abondance.

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             Ce que vient confirmer le disk/chapter two, ‘Beyond The City» : Palao va chercher les groupes à l’extérieur, jusqu’à San Fernando Valley, Riverside et Bakersfield, chez Gary S. Paxton. Boom dès Thee Midniters avec «Jump Jive & Harmonize», pur proto-punk de c’mon baby. Tu peux y aller les yeux fermés, chicano rock, «and Thee Midniters will forever rule supreme», s’extasie Palao. Et leurs albums rulent supreme à des prix intouchables. Heureusement, Norton s’est fendu d’une bonne petite compile, In Thee Midnite Hour. Arriba ! Ces Chicanos sont bien wild. On sent très vite chez eux une attirance pour le proto-punk de type Question Mark. «Jump Jive & Harmonize» est en A, et en bout d’A, tu as une autre pépite proto-punk, «Down Whittier Blvd», véritable chef-d’œuvre de tension et de function at the junction, c’mon baby cruise with me ! Encore du ramdam en B avec l’une des plus belles covers d’«Everybody Needs Somebody To Love». Thee Midniters sont les vrais punks de Californie. Encore un shoot de big punkish town avec «Never Knew I Had It So Bad». Leur «Empty Heart» a aussi beaucoup d’allure et puis, petite cerise sur le gâtö, on se croirait chez les early Stones avec «Hey Little Girl».  

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             Retour au chapter two, ‘Beyond The City». Tu y retrouves aussi The Light et The Bush, deux groupes arrachés à l’oubli par Mike Stax dans Ugly Things, beaucoup plus légers que les chicanos, mais bon, tu as une belle énergie et de la fuzz dans le «Back Up» des Light. Si tu aimes bien la fuzz qui coule dans la manche, alors écoute les Premiers et «Get On The Plane» et là, oui, c’est digne des Troggs, ils font du fake English. Ils ont tout pigé. Ce sont les Premiers de la classe. Palao ajoute que Larry Tamblyn leur donnait un coup de main. Sur ce disk 2, les têtes de gondole sont les Electric Runes («Hideaway» pas terrible), les Turtles («Grim Reaper Of Love» forcément bien foutu) et Kim Fowley avec «Underground Lady», «the original rock’n’roll Zelig», dit Palao qui, bien remonté, ajoute qu’«Underground Lady» «is perhaps his most authentically punkoid moment as an artist». C’est bizarre qu’il dise ça, car I’m Bad grouille de punkoid moments autrement plus punkoid. Tu retrouves aussi Emitt Rhodes avec The Merry-Go-Round et «Listen Listen», fantastique shoot de pop de classe internationale. Alors les Spats, c’est autre chose : «She Done Moved» sonne comme le pire gaga de Los Angeles. Ah les carnes ! Il faut entendre ça. Sans doute sont-ils la révélation du disk 2, en tous les cas, on en redemande. Palao dit d’eux qu’ils étaient Orange County superstars. Il parle même de «chock full of raunchy, blue-eyed R&B and bright British rock in the mode of their idols The Dave Clark Five.» Avec Ken & The Fourth Dimension et «See If I Care», tu restes dans le hot gaga de Los Angeles. Juste un single et à dégager. Le Ken en question est le fils de Lloyd Johnson, un associé de Gary S. Paxton à Bakersfield. Merci Rhino d’avoir sauvé ce single. L’«He’s Not There Anymore» des Chymes sonne comme du porn nubile. Nouvelle révélation avec Opus 1 et «Back Seat’ 38 Dodge», instro de back seat, tension maximale, un must have been car il n’existe qu’un seul single. Même destin que Ken & The Fourth Dimension. Nouvelle claque avec Things To Come et «Come Alive» : ça joue à la réverb volante. Quant à Limey & The Yanks, ils y vont au Diddley beat avec «Guaranteed Love». Il n’y a pas de sot métier. Le «Love’s The Thing» de The Romancers Aka The Smoke Rings vaut bien les Seeds. Palao parle d’un «classic slice of chaos» et ajoute que le cut qui devait être un balladif fut transformé par «the bersek guitar-slinging of Albert ‘Bobby’ Hernandez.» Encore du wild L.A. punk avec The Deepest Blue et «Pretty Little Thing». Ces mecs sont les rois du lard inconnu. Ils ont du son à n’en plus finir. Pas loin des Pretties, en tous les cas. Tu te prosternes aussi devant The Whatt Four et «You’re Wishin’ I Was Someone Else», un groupe produit par Gary S. Paxton. On y retrouve le troubleshouter Kenny Johnson, il te chante cette pop pyché à pleine voix. Terrific !  Assez punk around the corner, voilà le «That’s For Sure» des Mustangs, encore des rois du proto-punk local, aussi balèzes que les Standells. Le Merrell de Fapardokly (Merrell & The Exiles) n’est autre que Merrell Frankhauser, que Palao traite de «fascinating character». C’est vrai que ni Mu, ni son «Tomorrow’s Girl» ne laissent indifférent. Wild L.A. psychout ! Un rêve de son come true. La vitalité de cette scène et le grouillement des pointures finissent par donner le tournis. 

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             Le disk/chapter 3 s’intitule ‘The Studio Scene’. Allez hop, on attaque avec les têtes de gondole, Jan & Dean («Fan Tan» belle pop californienne et chœurs déments, tirée de Carnival Of Sound), P.F. Sloan («Halloween Mary» qui t’éclate bien la noix à la Dylanex, il récupère tous les clichés, même les coups d’harp, mais avec du génie, Palao ajoute que Sloan agissait avec «an unparalleled intensity») et The Mamas & The Papas («Somebody Groovy» chanté sous le boisseau du groove et forcément énorme, une vraie huitième merveille du monde). On retrouve aussi avec plaisir les Knickerbockers avec un «High On Love» assez dingoïde. L’occasion rêvée de ressortir l’album de l’étagère.

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             Lies est un vieux Challenge US qui date de l’époque des auction lists de Bomp !. Pochette classique des années de braise, et pop classique des mêmes années. Très poppy L.A. et très beatlemaniaque dans l’approche des harmonies vocales. Fabuleusement enregistré par Bruce Botnick et Dave Hassinger. Pas la moindre trace de gaga, mais big energy au long cours. Les Knickerbockers offrent un mélange réussi d’American energy et de Beatlemania. Ce mec chante vraiment comme John Lennon et le wild solo de «Just One Girl» vaut bien ceux du roi George. En B, on tombe sur un «Whistful Thinking» arrangé par Leon Russell, avec un petit effet Wall of Sound. Tonton Leon te violonne encore «You’ll Never Walk Alone» et «Your Kind Of Lovin’». On a toujours gardé un souvenir ému de cet album.

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             On ressort aussi l’album de Keith Allison, car l’«Action, Action, Action» est irrésistible, c’est même du proto-punk, Keith Allison sort les grosses guitares et il fait entrer dans son lard un bassmatic monstrueux. Il va accompagner Bobby Hart et Tommy Boyce avant de rejoindre les Raiders. Véritable coup de génie que ce «Tin Angel (Will You Ever Come Down)» d’Hearts And Flowers, avec des harmonies vocales explosées au sommet du lard. Palao parle de «symphonic psych-pop». Le producteur n’est autre que Nick Venet. Belle révélation encore que Dino, Desi & Billy et «The Rebel Kind», produit par Lee Hazlewood. Dino n’est autre que le fils de Dean Martin. Leur wild gaga est une merveille, mais Palao dit que ce fut un flop commercial. Il n’empêche que c’est une vraie énormité. La grosse claque vient aussi de The Full Treatment et «Just Can’t Wait», un duo composé de Buzz Clidfford et Dan Moore. Un seul single et adios amigos. Incroyable ! Nouvelle extase avec The Lamp Of Childhood et «No More Running Around» : heavy pop de haut rang, encore un groupe à singles immensément doué. Une sorte de supergroupe de stars obscures dont Palao se plaît à décortiquer les curriculums. Oh et puis l’incroyable prestance de The Moon et «Mothers And Fathers». Alors évidemment, dans ce contexte, les Monkees ne sont pas crédibles, surtout que Palao choisit un cut de l’album foireux, Pisces Aquatius Capricorn & Jones. Par contre, il salue bien bas Lee Hazlewood et son «Rainbow Woman». Il a raison. Encore du son avec The Yellow Balloon et «Yellow Balloon», fils spirituels des Beach Boys. Fantastique énergie ! Occasion en or de ressortir l’album de l’étagère.

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             Encore un gros cartonne US chopé sur l’auction list de Suzy Shaw. Magnifique album, on les voit tous les cinq sur la plage et dès «How Can I Be Down», tu as le heavy Beach Boys Sound, c’est-à-dire l’American power, un son unique et la splendeur des harmonies vocales. Ils tapent leur «Stained Glass Wildow» au pah pah pah et s’envolent littéralement avec «Baby Baby It’s You», c’est plein de vie, le mec qui les produit a tout pigé, c’est un chef d’œuvre d’allégresse, avec la pure beauté formelle du son. Puis en bout d’A, tu tombes sur le morceau titre, et là tu bascules dans la magie californienne, The Yellow Balloon s’envole une fois de plus – Yellow balloon/ On a lovely afternoon – La B est plus pop, on perd la plage, mais ça reste gorgé de lumière. Tout n’est qu’élan sur cet album, un élan pareil à nul autre, notamment dans «Can’t Get Enough Of Your Love» - I love you more & more – Ils terminent avec une «Junk Maker Shoppe» plus musculeux, mais ce sont les biscotos de la plage.  

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             Le disk/chapter 4 s’intitule ‘New Direction’. Allez hop, on y va ! Une belle série de têtes de gondole : Stephen Stills & Richie Furay et «Sit Down I Think I Love You», petite chanson de Stylish Stills. Dans ses heavy chords, il ramène de la psychedelia. Tu n’en finiras plus d’admirer ce mec-là. Palao parle du «genesis of the Buffalo Spingfield sound». Eh oui, il a encore raison. Palao a toujours raison. Il faut bien finir par l’admettre. Et puis voilà la plus belle, Jackie DeShannon & The Byrds et «Splendor In The Grass», fantastique dimension mythique californienne, on a là le génie combiné d’une chanteuse exceptionnelle et des Byrds. On parlait d’eux dans le disk 3 : Tommy Boyce & Bobby Hart. Ils sortent du bois avec «Words». Et puis tu as aussi Gene Clark et «Los Angeles». Ses amis l’appellent Geno, alors Geno est vraiment le roi de la psychedelia, il ramène tout le son du monde dans son psychout de jingle jangle. Son «Los Angeles» date du temps où il jouait avec Laramy Smith. Tête de gondole encore avec Tim Buckley et «Once Upon A Time», où l’on voit le Tim s’enfoncer dans le gaga d’L.A. à sa façon, qui est excellente. Oh et puis bien sûr les Beach Boys et «Heroes And Villians», le power définitif, le real deal du California sound. Autre géant de la scène locale, voici Rick Nelson et «Marshmellows Skies», il propose une pop psyché nappée de musique indienne et ça tourne au cliché. Retour au point de départ avec les Byrds et «Change Is Now», tiré de Notorious Byrds Brothers, enregistré après le départ de Geno et le saccage de Croz. Ce chapter 4 s’achève en beauté avec la magie pure de Sagittarius et «The Truth Is Not Real», l’ultimate de Gary Usher & Curt Boettcher, aussi ultimate que Brian Wilson, un Sagittarius suivi de Love et «You Set The Scene» : aussitôt la première note, tu sais que tu es à Los Angeles, un Arthur Lee nous dit Palao «qui repoussa les frontières du traditional pop songwriting» avec Forever Changes. Parmi les moins connus, tu as The Rose Garden et «Here’s Today», un groupe puissant qui a disparu sans laisser de traces. Geno les prit un moment à la bonne et leur fila des cuts. Encore plus impressionnant, voici Nino Tempo & April Stevens et «I Love How You Love Me», fast and heavy pop avec des cornemuses. Nino venait de flasher sur le son des Byrds et il trouvait que les bagpipes sonnaient comme la douze de McGuinn. Fabuleux power ! Nino  était un proche de Totor et l’un de ses arrangeurs, et sa frangine April Stevens vient tout juste de casser sa pipe en bois. L’autre bonne surprise vient de Randy Newman et son énorme «Last Night I Had A Dream». Bizarre, car les rares tentatives d’écoute de ses albums se sont soldées par des bâillements d’ennui. La vraie surprise vient de Del Shannon et d’«I Think I Love You» : De la tout le power du monde derrière lui, mais ce n’est pas bon. Trop insidieux ? Va-t-en savoir. Et puis tu as plein d’autres luminaries, ça grouille de partout : Nilsson, Peter Fonda, Van Dyke Parks, Danny Hutton qui fut le chauffeur de Kim Fowley, Barry McGuire, tous plus légendaires les uns que les autres. On n’en finirait pas.

    Signé : Cazengler, Angeless and less

    Where the Action Is ! Los Angeles Nuggets : 1965–1968. Rhino Box set 2009

    Yellow Balloon. The Yellow Balloon. Canterbury 1967

    Knickerbockers. Lies. Challenge 1966

    Thee Midniters. In Thee Midnite Hour !!!! Norton Records 2006

     

     

    Marlow le marlou - Part Four

     

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             Au lieu de s’appeler Second Ride, le deuxième album de Marlow Rider s’appelle Cryptogenèse, c’est-à-dire engendré dans l’underground. Non seulement le message est clair, mais l’album est bon. Oh pas révolutionnaire ! Le Marlou préfère le confort des ténèbres aux coups de chaud des feux de la rampe. Pas question d’aller lécher les bottes des satrapes médiatiques. Par les temps qui courent, l’indépendance artistique devient un luxe, et la richesse ne se mesure plus en sacs d’or, comme au temps jadis, mais en termes d’intégrité. On est artiste aujourd’hui comme on était pirate au XVIIIe siècle, par goût de la liberté absolue. Et ce n’est pas un hasard si le Marlou a flashé sur Johnny Kidd, et qu’aujourd’hui il chante «Libertad» ! - Libertad for all the people/ Libertad the only symbol - Pas facile de faire rimer people avec symbol, mais dans le feu de l’action, ça passe comme une lettre à la poste. Ça claque au vent. On sent nettement chez le Marlou le goût des abordages, la haine de l’Espagnol - c’est-à-dire la pire incarnation de la cupidité doublée de brutalité - On sent aussi chez lui le goût du partage de butin à parts égales, son break your chains résonne dans l’écho des siècles, son free your mind sonne comme le cri de ralliement des gueux de la terre pressés de quitter l’Europe des oppresseurs pour partir à la découverte du monde libre.

             Les spécialistes de son histoire s’accordent à dire que la flibuste fut la dernière utopie, d’où sa force symbolique. On ne l’approche pas inopinément, on ne joue pas avec. L’un des souvenirs d’expos les plus vivaces est celui d’une petite expo consacrée à la piraterie, au Musée de la Marine, qui se trouvait alors au Trocadero. L’expo visait un public jeune, mais il y régnait une atmosphère pesante et comme chargée d’histoire. On y avait reconstitué le pont d’une frégate. Le clou de l’expo était le faux journal de Louis-Adhémar-Timothée Le Golif, dit Borgnefesse. Coup de génie en forme de pied de nez, aux antipodes d’Hollywood, un Hollywood qui a réussi à transformer la flibuste en gadget avec les quatre ou cinq épisodes des Pirates des Caraïbes. Comme d’habitude, Hollywood est complètement à côté de la plaque, en dépit des efforts de Johnny Depp qui n’en finit plus d’avoir le cul entre deux chaises, c’est-à-dire la starisation hollywoodienne et le rock, dont il est issu. On finit par comprendre qu’avec le temps, les anciens concepts sont dévoyés, parce que les époques ont changé. C’est valable pour Sade et la flibuste. Les pirates africains qui attaquent aujourd’hui les cargos pour les rançonner n’ont pas le panache du Capitaine Flint, et le divin Marquis serait chagriné de voir dans quoi son apologie des plaisirs de la chair a basculé. Aw my gode ! Aujourd’hui, les héritiers spirituels de la flibuste sont les aventuriers. Le Marlou en est un. Donc, écoute-le quand il chante ses aventures.

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             Il fait le récit de ses aventures en B et lie ses six cuts avec un texte autobiographique bien foutu. Il raconte qu’il débarque en Corse à l’âge de 8 ans. Son père découvrant l’île la baptise «paradis terrestre», comme le fit sans doute jadis le Capitaine Flint en découvrant une île des Caraïbes. Vroaaar, le Marlou démarre sa moto pour lancer «Le Grand Voyage», le Grand Voyage qui l’amena enfant en Corse à bord du DC3 Dakota, «à 8 000 pieds d’altitude» et crack, il te claque un solo de jazz au cœur du Grand Voyage, épaulé par le round midnite d’Amine. Bienvenue dans la légende de Tony Marlow, à 8 000 pieds d’altitude. Il passe en mode heavy rockab pour saluer l’hôtel restaurant «Pielza Eden» de son ami Olivier Giudicelli. Mise en place impeccable, l’Eden est monté sur un big bop de slap, all right now, c’est la douceur de vivre, les redémarrages sont fantastiques, tout repose sur ce beat qui va et qui vient entre tes reins. Belle tombée de l’all right now et fuite éperdue de la jeunesse en roue libre. C’est sa vision moderne du monde libre.

             Il passe en mode Blue Cheer pour «De Bruit Et De Fureur», il a largement les moyens du heavy beat sixties. C’est dingue comme Amine s’adapte bien, son slap gronde dans le son, au moins autant que la basse de Dickie Peterson. Pour couronner le tout, le Marlou part en vrille à la Leigh Stephens. Il fond sur le cut comme l’aigle sur la belette. Il profite de cet épisode pour saluer son vieil ami Marc Zermati. Souviens-toi qu’Hakim Bey situe les origines de la piraterie sur les côtes algériennes. Puis le Marlou passe carrément au funky but chic avec «Eclectic» et le souvenirs des bals populaires en Corse - La nuit la danse c’est chic - Il parle de «voûte étoilée» et des «retours au petit matin éclairés par le soleil levant.» On l’avait déjà remarqué à l’époque du Rockabilly Troubadour, il y a du Charles Trenet en lui. Amine ramène encore de la viande dans «Comme Un Cran d’Arrêt», une java du Balajo. Ce démon d’Amine appartient à la caste des inexorables. Il sait chevaucher un dragon. Et le Marlou conclut son mini-récit autobiographique avec cette chute sibylline : «Ceci n’est que le début, la genèse se termine, l’histoire continue...»

             De l’autre côté, le Marlou redit sa passion pour Cream et Jimi Hendrix. Sa version de «Highway Chile» vaut le déplacement : juste après le riff iconique, il part en pompe manouche. Quel sens du parti pris ! Il te joue ça dans la roulotte du diable et chante sous le boisseau, avec le riff qui revient. Et pendant le solo, Amine ramène la pulsion rockab. C’est fascinant, plein de modernité, le Marlou improvise sur le thème hendrixien. Quel hommage spectaculaire ! Ça fait encore plus drôle d’entendre le slap derrière «Sunshine Of Your Love». Le pauvre Amine doit jouer au ralenti de downhome, ça ne doit pas être simple, pour un mec comme lui qu’on a vu bombarder sur scène. On l’entend pulser le heavy beat pendant que le Marlou graisse la patte de son solo. Et puis il allume la gueule du «Doctor Spike» avec un vieux riff des Stones, jetant les sixties dans une sorte d’embolie symbiotique. Tout le dark de cette époque tient dans ce riff. Brillant exploit.

             Les deux albums de Marlow Rider sont sortis sur Bullit, le petit label de Seb Le Bison, que les fans de Rikkha et de Cookingwithelvis connaissent bien. Deux groupes qui datent d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, lorsque le rock flirtait avec le cabaret et qu’on renouait à la nuit tombée avec les mystères de la rue de la Lune. 

    Signé : Cazengler, Tony marlourd

    Marlow Rider. Crytogenèse. Bullit Records 2023

     

     

    L’avenir du rock

     - Lemon incest (Part Two)

             On amène l’avenir du rock à l’hôpital. Son cas est désespéré. Il est atteint d’une crise de fou rire que rien ne peut calmer, ni les douches froides, ni les suppositoires, ni les perfus, ni les électrochocs. Il se marre, il n’en finit plus de se marrer. Et ça ne fait marrer personne. Le professeur Mort-du-rock et son équipe sont à son chevet, consternés. Ils n’ont encore jamais vu un cas pareil. L’éminent professeur ne cache d’ailleurs pas son agacement. Il a déjà fait doubler la dose de sédatif. Mais ça ne change rien. L’avenir du rock se pâme de rire et la vue de l’équipe soignante consternée ne fait qu’aggraver les choses. À travers ses larmes de rire, il distingue confusément cette grappe de gueules d’empeignes. C’est vrai que le spectacle ne laisserait personne indifférent. L’adjointe du professeur tente une approche psychologique :

             — Mais enfin, avenir du rock, si seulement vous nous disiez pourquoi vous riez tant, peut-être pourrions-nous en profiter ?

             La question est à la fois tellement perfide et tellement stupide que l’avenir du rock s’en étrangle de rire. Il tousse et il pète. Puis il repart de plus belle, lorsque le professeur l’approche pour lui tâter le pouls.

             — C’est très curieux. Le pouls est normal, la tension est normale, la température est normale. Mais enfin, de quoi peut-il donc bien s’agir ?

             Excédé, le professeur pince le bras de l’avenir du rock pour voir s’il réagit à la douleur. Ça ne fait qu’aggraver encore les choses.

             — Rhhhha ha ha ha ha ! Rhhhha ha ha ha ha !

             — Ce patient commence à m’exaspérer, mademoiselle Izabotte. Je vais devoir opérer les zygomatiques. Nous sectionnerons ici... et là, juste sous les oreilles, et nous injecterons trois poches de plasma pour figer les risorius. Nous ne pouvons tolérer l’irrationnel dans ce service, comprenez-vous ?

             Personne ne conteste la barbarie du verdict professoral. Toujours en pleine crise, rhhhha ha ha ha ha !, rhhhha ha ha ha ha !, l’avenir du rock sort du lit, se dirige vers la petite armoire où sont rangées ses affaires, fouille dans la poche de sa veste et en sort un CD. Il se tourne vers le professeur et lui balance le CD en pleine gueule.

             — The Lemon Twigs, professeur. Ils me rendent heureux alors je ris.

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             L’avenir du rock tombe souvent dans le dithyrambe de bas étage, mais cette fois, il s’agit d’autre chose : le voilà victime d’une overdose de réjouissance extatique. Dans son bel article, Sarah Gregory corrobore les faits : «The Lemon Twigs are the kind of band that make you glad to be alive.» Elle n’y va pas de main morte, elle dit carrément qu’ils te rendent heureux d’être en vie. Elle n’a pas tort. Elle ajoute : «Ils tirent leur inspiration de tous les genres classiques de la musique populaire pour créer un intoxicating and unique nostalgia-infused blend of melody and tilemess instumentation.» Voilà, c’est ce qui réjouit le cœur de l’avenir du rock. Il n’a jamais été aussi rayonnant. Car oui, le dernier album des Lemon Twigs est une bombe du paradis. 

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             Les Shindiggers ne font pas n’importent quoi : non seulement ils te tartinent six pages sur les Lemon Twigs dans le dernier numéro, traitement de faveur généralement réservé aux superstars, mais en plus, ils t’offrent leur dernier album, Everything Harmony en cadeau de réabonnement. C’est un peu comme si, en 1968, ils t’avaient offert le White Album ou Forever Changes.

             Sarah Gregory dit encore que les deux frères D’Addario puisent dans «the most harmonious of the 60s bands (the obvious ones).» Elle cite des noms, Bowie, Dolls. On citera les nôtres.  Elle revient aussi sur leur destin : tout tracé puisque Daddy D’Addario est musicien/compositeur. Petits, ils se gavent d’home videos, de concerts enregistrés, Beatles, Beach Boys, Monkees, Dave Clark Five. Ils n’échapperont donc pas à leur destin. Daddy D’Addario leur apprend à chanter avant qu’ils ne sachent marcher. Bambins, ils travaillent déjà avec Dad & Mum sur les harmonies vocales d’un hit des Beach Boys, «You Still Believe In Me». C’est la joyeuse singing family. Puis à cinq ans, Brian apprend à battre le beurre. Deux ans plus tard, il gratte une gratte et compose des chansons. Il n’a que sept ans ! Quand ses mains sont assez grandes, il apprend à jouer les barrés. Alors il progresse très vite. Son frère Michael aussi. Même parcours : beurre, gratte, compos. À 10 et 12 ans, ils sont complets. Ils jouent dans des groupes. Ils jamment les Beatles.

             Ils rentrent dans le circuit professionnel au cours des années 2010, influencés par les Flaming Lips et MGMT, mais surtout les psych-rock indie popsters Foxygen. Comme les frères D’Addario, Jonathan Rado a démarré très jeune, il adore les Stones et le Velvet et don’t give a fuck de ce que pensent les gens. Comme Rado, Brian et Michael restent fidèles à l’esprit des albums qui les intéressent, Surf’s Up ou le White Album. Brian : «On pensait que c’était impossible de faire des albums qui sonnaient comme Surf’s Up ou le White Album de nos jours, puis quand on a entendu Foxygen, on a compris qu’on pouvait essayer.» Brian et Michael vont se rapprocher de Rado et même enregistrer avec lui.

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             Quand ils enregistrent Do Hollywood, ils ont 15 et 17 ans. Ils jouent tous les instruments. Rado est même venu donner un coup de main et co-produire. En fait, les deux frères expérimentent beaucoup, ce qui a pu rendre leurs premiers albums un peu déroutants. Ils considèrent leur parcours discographique comme un learning process. Quand Songs For The General Public est paru, Iggy s’est inquiété : «It’s just a little too good.»

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             À la fin de leur 3-LP contract avec 4 AD, Brian et Michael ont signé avec un petit label new-yorkais, Captured Tracks. Alors voilà Everything Harmony, «another twist in the tale», comme le dit si bien Sarah Gregory. Elle y trouve des influences des Byrds, des Burritos et de Simon & Garfunkel. Chacun cherche son chat. Michael : «It’s more about the songs.» Et il ajoute, avec une sorte de modestie désarmante : «I think the songs are good, certainly the recordings couldn’t be any better, the arrangements couldn’t be any better.» Sarah Gregory flashe sur «Corner Of My Eye» qu’elle voit sonner comme un mélange de Simon & Garfunkel, de Beach Boys et de Carpenters. Elle y trouve aussi du «90s Byrds-revivalist guitar twang». «Corner Of My Eye» se développe comme une pop de rêve, une pop de rêve saturée de lumière à la Francis Scott Fitzgerald, tu retrouves cette magie de la pop, douce et tendre, comme savait la distiller en son temps Todd Rundgren, les deux frères D’Addario outrepassent les limites de la bienséance, ils swinguent l’ouate d’I saw you twice before, rien qu’avec ce chef-d’œuvre de délicatesse, tu te figes, comme un chien d’arrêt. Michael dit avoir écrit les paroles de «Born To Be Lonely» après avoir vu l’Opening Night de John Cassavetes. Encore un fil harmonique magique, c’est un bal de Laze d’une irréalité définitive, te voilà invité dans la Pâtisserie de la Reine Pédauque arrosée de chantilly, ils te font la Chocolaterie de Charlie Wonka à deux, ils t’explosent la valse à deux temps, te voilà entraîné dans une spectaculaire parade magnifiée aux harmonies vocales, il croisent Rundgren avec Brian Wilson, il recréent le vertige des descentes extravagantes de qui tu veux, tu as le choix entre Jimmy Webb, Tonton Leon ou encore Burt. Tu tiens l’avenir du rock entre tes mains, il faut entendre l’exercice de cette insistance douceâtre. Cette façon de tenter la valse du diable est unique dans l’histoire.   

             Dès le «When Winter Comes Around» d’ouverture de bal, tu sens que c’est du sérieux. Tu sens la mise en bouche. Ces deux branleurs ont compris le sens de la marche. Ils noient leur son de pop. Et tout l’album va rester à ce niveau. On les retrouve avec «In My Head» dans une Beatlemania évoluée, un ersatz de White Album, c’est de cette qualité. Une pop aux pieds ailés. Stupéfiant. Ils te distillent ça à petites giclées de heavy pop luminescente à la Rundgren, avec des claqués d’accords dignes de ceux des Byrds. Tu sens bien que tu écoutes l’un des très grands albums du XXIe siècle, ils t’explosent ça aux harmonies vocales, au lalala de rêve impur. Tu te retrouves au final avec un hit séculaire. Ils attaquent «Any Time Of Day» au chat perché tanscendental et tu passes à la trappe de Père Ubu, t’es baisé, et c’est tant mieux, ils te plongent dans une Philly Soul de blancs vrillée à l’unisson du saucisson. Pour avoir une idée du niveau d’excellence de cette merveille, tu dois bien sûr l’écouter, mais pas sur YouTube, il te faut le son. Tout ici est monté en neige d’harmonies vocales, comme si Brian Wilson les dirigeait dans le studio, comme si Tonton Leon jouait du piano et que Jimmy Webb conduisant la section de cordes. Tu as là tout le power de l’ultimate. Au dessus, il n’y a plus rien. «What You Were Doing» tombe comme une sentence. Ça sonne comme du Nazz de Twigs, aw quel power, les grattes claironnent comme celles de Big Star au temps d’Ardent et le chant enflamme l’horizon. Dans cette épreuve de force harmonique, c’est un peu comme si tu avais toute la vie devant toi. Ces deux frangins te dévorent le foie - To make you wonder/ What you were doing - C’est littéralement spectaculaire ! Quand arrive «What Happens To A Heart», tu sais qu’ils vont te bouffer tout cru, d’autant que c’est amené au petit chant d’incidence parégorique. Et schlouff, ça monte très vite, ils empruntent le vieux chemin de Damas de la pop parfaite. On a même l’impression qu’ils réinventent la pop, ils s’élèvent comme deux archanges dans les cendres de la cathédrale à coups de now I know what happens to a heart/ When all it ever done is hurt - C’est balayé par des rafales de violons. La prod est terrifique.

             Les guitares de «Ghost Run Free» te scintillent au coin de l’oreille. Ces deux kids réaniment l’éclat de la pop sixties, celle des Hollies et des Searchers, en passant par P.F. Sloan, Arthur Lee et les Beatles. C’est puissant, zébré d’éclairs, affolant de crudité, tu as des petites voix qui éclatent dans le bouquet d’harmonies vocales. Aw c’est bon, laisse tomber, ce sont des dieux. Brouet magique d’éclat septentrional. Avec le morceau titre, ils jouent la carte de la pop orchestrale à fond. C’est une bénédiction pour la cervelle que d’entendre ces deux kids à l’œuvre. Si tu aimes bien qu’on te flatte l’intellect, c’est l’album qu’il te faut. Brian et Michael D’Addario sont les vrais héritiers de Brian Wislon, ils te tortillent encore un «New To Me» qu’il faut bien qualifier de magique. Quel que soit l’endroit, sur cet album, leurs harmonies vocales atteignent au sublime.

    Signé : Cazengler, l’immonde twig

    Lemon Twigs. Everything Harmony. Captured Tracks 2023

    Sarah Gregory : Growing up in public. Shindig! # 138 - April 2023      

     

     

    Wizards & True Stars

    - Le roi Arthur (Part One)

     

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             Il existe plusieurs moyens d’entrer dans le monde magique du roi Arthur. On a même l’embarras du choix. Le moyen le plus radical consiste à écouter les albums de Love, une quinzaine d’albums qui s’étalent sur environ 40 ans, depuis le premier Love LP en 1966 jusqu’à son cassage de pipe en bois à Memphis en 2006 (Il était revenu dans sa ville natale pour monter un projet avec des mecs de Reigning Sound et Jack Yarber). L’autre moyen d’entrer dans ce monde magique est bien sûr la bio de John Einarson, Forever Changes: Arthur Lee And The Book Of Love - The Authorized Biography Of Arthur Lee. Einarson est aussi comme on l’a vu un grand spécialiste de Gene Clark. Un autre moyen tout aussi radical consiste à visionner The Forever Changes Concert, un film tourné à Londres en janvier 2003, un set fabuleux qu’on a pu voir au Trabendo en 2004 avec, en première partie, Sky Saxon et une mouture moderne des Seeds. The Forever Changes Concert est aussi considéré comme son dernier album.

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             Ce qui frappe le plus quand on voit le roi Arthur sur scène, c’est sa prestance. Elle te frappe aussitôt, à l’écran. Au Trabendo on le voyait de profil et le souvenir d’une grande élégance reste précis, comme si ça datait d’hier. On voit parfois de véritables incarnations de l’élégance sur scène, Chuck Berry, Peter Perrett et le roi Arthur en sont les trois plus beaux exemples. Élégance à l’anglaise pour Peter Perrett, pure élégance animale pour Chucky Chuckah et le roi Arthur : la façon de bouger, le port de tête, l’extrême décontraction des membres, tout était incroyablement naturel chez ces mecs-là. Dans le film, le roi Arthur est souvent cadré serré et ça laisse l’impression d’une présence massive, alors qu’en réalité, il est très fin. Et puis, tu as les chansons. Il attaque avec «Alone Again Or», accompagné par les petits mecs de Baby Lemonade, rebaptisés Love + une section de cordes et une section de cuivres. Alors c’est du plein pot, l’Alone et le roi Arthur te bercent dans la douceur d’une brise d’arpèges magiques. Il faut le voir danser avec sa strato blanche. Il gratte ses cordes à  la main, en vrai Memphis cat. Le jeune black blond s’appelle Mike Randle et c’est un virtuose. Le roi Arthur s’est toujours entouré de virtuoses : Jimi Hendrix, Bryan MacLean, Gary Rowles, Jay Donnellan et Johnny Echols. Il déroule les cuts de Forever Changes comme on déroule un tapis rouge. Il chante «Andmoreagain» à la florentine, à la pointe de sa finesse intellectuelle. Il y a du préraphaélite en lui, il est à la fois complexe, baroque, irréel et beau comme un dieu. Il gratte toute sa dentelle de Calais sur sa strato blanche. Mais ça reste excessivement sophistiqué, et en même temps, c’est du typical L.A. sound, «The Daily Planet» sonne comme un mélange naïf de Beatlemania et de psychedelia. Il ne faut jamais perdre de vue que tous ces mecs-là étaient fascinés par les Beatles, Gene Clark et le roi Arthur les premiers. Il est donc logique que le Planet soit un brin beatlemaniaque, mais en même temps impénétrable, comme une femme nue qui se refuserait au mâle entré dans son lit. On voit ensuite «The Red Telephone» plonger dans un lagon d’attente surannée, comme s’il imaginait suivre son cours, au long de méandres harmoniques brusquement interrompus. L’un de ses admirateurs raconte quelque part que le roi Arthur concevait mentalement tous ses arrangements et les chantait à David Angel qui les transcrivait pour les musiciens de l’orchestre. Dans son Red Telephone, le roi Arthur articule de petites abysses symphoniques, il modèle des modules clairvoyants qu’il allège au maximum pour les débarrasser des contraintes morales ou esthétiques. Par contre, «Maybe The People» sonne comme un hit, monté sur une fantastique structure mélodique. Alors pour Mike Randle, c’est du gâtö, il gratte à cœur joie sur sa belle gratte immaculée, il double toute la structure mélodique en solo et crée une sorte d’intemporalité. C’est ce stupéfiant mélange de ferveur mélodique et d’incongruité qui fait la grandeur de cet art. Le roi Arthur rechausse ses dark shades pour attaquer «Live And Let Live» - There’s a bluebird sitting on the branch/ I’m gonna take my pistol - L’Art tire sur les piafs et le jeune black blond joue comme Jay Donnellan, le héros de Four Sail qui reste le plus grand album de Love. Encore une fantastique modernité de ton dans «Bummer In The Summer» gratté aux accords de Gloria et transpercé par un solo country affolant de prévarication. Booo ! Et blast encore avec «You Set The Scene», à coups de same old smile.

             Dans l’interview qu’il donne pour les bonus, le roi Arthur rend hommage à son groupe - They’re so dedicated - Il rappelle que cette musique a déjà 35 ans d’âge. En bon fayot, on s’empresse d’ajouter qu’elle n’a pas pris une seule ride. Et puis on tombe sur des bonus demented : toujours accompagné par les ex-Baby Lemonade, le roi Arthur tape un wild «7 And 7 Is», ça joue à trois grattes, le jeune black blond sur sa demi-caisse blanche, le roi Arthur sur sa strat et Rusty Squeezebox sur une Ricken. Encore plus wild as fuck, voilà «My Little Red Book», on croit rêver, tournez manège, le roi Arthur l’attaque au tambourin, back to the Sunset Strip en 1965 ! Il te fait ensuite trois solos d’harp dans «Signed D.C.», enchaîne avec «Stephanie Knows Who», avec un solo d’acid freak d’early psycehedelia, et boom, «August» tombe du ciel, le pur genius de Four Sail, restitué dans toute son intégralité magique sur scène. Il existe un morceau caché, on tombe dessus par hasard : une version longue de «Singing Cowboy», l’autre monster-hit tiré de Four Sail. Le roi Arthur fait chanter la salle. Coming after you/ Oouuhh Oouuh !

             L’autre moyen d’entrer dans le monde magique du roi Arthur est une petite box jaune qui ne payait pas de mine quand on l’a trouvée, et qui, à l’usage, se révèle déterminante. Une sorte de passage obligé pour les dévots du roi Arthur : Arthur Lee And Love. Coming Through To You - The Live Recordings 1970-2004. Au niveau de l’intensité arthurienne, on ne peut guère espérer mieux.

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             La box ne paye pas de mine, parce qu’elle est petite. Ridiculement petite, pour un personnage de la taille du roi Arthur. William Stout signe le portrait du roi psychédélique qu’on appelait autrefois the hip prince of Sunset Strip. Quatre disks : ‘the 1970s’, ‘the 1990s’, ‘the 2000s’ et ‘A Fan’s View’. On trouve rarement dans le commerce une dynamite d’une telle puissance. On a beau connaître les albums par cœur, toutes des versions live te retournent comme une peau de lapin.

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    Rien qu’avec ‘The 1970s’, t’es gavé comme une oie, mmffff mmfffff, t’en peux plus. C’est l’époque Four Sail, avec quelques cuts tirés de Forever Changes. Frank Fayad, George Suranovich et Gary Rowles accompagnent le roi Arthur. Rowles vient de remplacer Jay Donnellan qu’Arthur a viré après une shoote verbale. Arthur est un roi qui ne supporte pas qu’on lui tienne tête. Et boom, tu tombes très vite sur une version hendrixienne du «Bummer In The Summer» tiré de Forever, Fayad et son bassmatic battent la campagne. Il est encore plus volubile que Noel Redding. Et kaboom, ils enchaînent avec «August», tiré de l’autre meilleur album de Love, Four Sail. Ils font du florentin psychédélique, Gary Rowles te le monte fabuleusement en neige et le roi Arthur se fond dans la magie sonique. Boom-kaboom avec l’énorme cover de «My Little Red Book», il embrasse la niaque de la pop aux nerfs d’acier, please come back, le roi Arthur se fond cette fois dans le génie de Burt, il y ramène toutes la rémona du gaga d’L.A., et ça explose ! Ce n’est pas de la dynamite mais plutôt de la nitro. Ça saute au moindre mouvement. On est complètement dépassé par l’éclat turgescent de cette mélasse mélodico-psychédélique, Fayad et Rowles n’en finissent plus de faire exploser la magie arthurienne, c’est un cas unique au monde. Le roi Arthur te cloue vite fait «Product Of The Times» à la porte de l’église. Puis il tire «Keep On Shining» de Four Sail pour le chanter à la bonne arrache. Il y va au keep on. Tu as beau connaître ce cut par cœur, la version live te subjugue. Le roi Arthur joue sur les deux tableaux : le scorch et le groove psychédélique. On reste dans la magie scintillante de Four Sail avec «Good Times», et puis avec «Stand Out», il revient à sa passion : l’hendrixité des choses. Tu prends la basse de Fayad en pleine gueule et le roi Arthur multiplie les chutes de chant hendrixien. Le disk 1 s’achève avec un «Always See Your Face» saturé de basse et tiré lui aussi de Four Sail. On peut parler de heavyness extraordinaire, de point culminant du rock psychédélique californien. Même encore plus que californien : c’est arthurien.  

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             Le disk 2, ‘the 1990s’, est beaucoup plus calme. Le roi Arthur gratte tout à coups d’acou, souvent seul. On l’entend même siffler comme un beau merle sur «Five String Serenade». Il fait une brillante démonstration de heavy blues avec «Passing By/Hoochie Coochie Man». Puis il revient à Forever avec «Alone Again Or», il en fait une version d’une nudité absolue, presque transparente. Il en rigole, tellement c’est bon. Tu te prélasses dans l’artistry océanique du roi Arthur. On le connaît par cœur, le «Signed D.C.», et pourtant on l’écoute attentivement - Sometimes/ I feel/ So lonely - Puis il passe au fast gaga d’L.A., accompagné par les Cheetahs, avec «A House Is Not A Motel». Ça sent bon le shoot purificateur. Il faut le voir développer sa chique. Version explosive de «Can’t Explain», claquée aux wild accords de clairette. C’est à la fin du disk 2 que les Baby Lemonade font leur première apparition, avec trois cuts : «Signed D.C.», «Orange Skies» et «7 & 7 Is». Big Sound, Mike Randle injecte un power diabolique dans l’«Orange Skies», bienvenue dans l’abîme de la mad psychedelia, c’est gorgé d’arpèges dissonants, l’«Orange Skies» prend feu sous tes yeux globuleux. Encore plus dévastateur : «7 & 7 Is», le roi Arthur se transforme en Attila, il fonce à travers les plaines, il n’a jamais été aussi barbare, aussi ivre de démesure, ça joue à la vitesse maximale, légèrement au-dessus du sol.

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             Ce sont donc les Baby Lemonade de Mike Randle qu’on retrouve sur le disk 3, ‘the 2000s’. Dans son petit texte de présentation, Randle indique qu’il a accompagné le roi Arthur pendant 13 ans, avec un set essentiellement axé sur Forever Changes. En gros, c’est le son qu’on a sur le Forever Changes Concert évoqué plus haut, et c’est explosif. Le roi Arthur rappelle qu’«Alone Again Or» est signé Bryan MacLean, «my original guitah player». Boom ! Power demented ! Écrasant. Version est enregistrée dans un festival au Danemark. Celle de «Live And Let Live» est encore plus wild. Ils tapent ça au pilon des forges, curieux mélange de gros biscotos et d’arpeggios florentins, avec le solo d’acid freakout de Mike Randle. Nouveau blast avec «You Set The Scene». Pop à la Lee, avec un thème mélodique imparable. Randle allume mais le thème persiste et signe. Randle cultive le suspensif - I see your picture/ It’s in the same old frame - À l’écoute de tout ça, on réalise qu’il s’agit d’une pop difficilement accessible pour le public européen. Pourquoi ? Trop L.A., trop Strip, trop urban American. Tout Forever passe à la casserole, «The Red Telephone», «Andmoreagain», «The Daily Planet», c’est une descente aux enfers de Forever. Ce disk 3 s’achève avec le medley «Everybody’s Gonna Die/Instant Karma». Une sorte de groove universaliste.

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             Et voilà le disk 4, ‘A Fan’s View’, sans doute le plus attachant des quatre, car on y entend Bryan MacLean sur les premiers cuts, notamment un «Mr Lee» enregistré au Whisky A Go-Go. Son bordélique, mais son. Ça donne une idée de ce qu’on a pu rater. Il faut les entendre taper «I’ll Get Lucky Some Sweet Day (My Name Is Arthur Lee)» au heavy blues hendrixien. Une autre équipe joue sur «Little Wing». Le guitariste qui fait l’Hendrix s’appelle Berton Averrie. Le roi Arthur y va de bon cœur. Retour des Baby Lemonade sur «The Everlasting First», le cut mythique qu’Arthur enregistra avec son ami Jimi Hendrix. Mike Randle s’en donne à cœur joie. Il est invincible, hendrixien jusqu’au bout des ongles. Puis le roi Arthur déclare : «This is my Five String Serenade». Il la joue pour elle, pour Dianne. Encore une magnifique extension du domaine de la lutte avec «Que Vida», et puis, tant qu’on y est, effarons-nous de la présence harmonique exceptionnelle de «Listen To My Song». On entend à la suite un inédit, «My Anthem». Puis, attention, ça bascule dans le chaos des choses sérieuses avec «Robert Montgomery», tiré de Four Sail, bien fracassé au distro-power par le petit black blond Mike Randle. C’est embarqué en enfer, Randle mêle sa bave de killah kill kill aux descentes de chant du roi Arthur, tu as là l’un des blasts les plus purs de l’histoire du rock, ils atteignent une sorte de sommet, avec le génie d’Arthur Lee mêlé au génie de Mike Randle. Encore de la pop pressée et visitée par la grâce avec «Rainbow In The Storm» et ça se termine avec une version explosive de «Singing Cowboy», c’est d’un maximalisme qui bat tous les records, le roi Arthur te porte ça à bouts de bras, il dispose d’un power sonique effarant, c’est un déluge de son - Check him out, mister Miske Randle, yeah ! - Apocalyptique d’ooouhh oouuhh, et sabré par des cuivres ! Ooouhh oouuhh !

    Signé : Cazengler, Lee de la société

    Arthur Lee And Love. Coming Through To You. Box RockBeat Records 2015

    Arthur Lee And Love. The Forever Changes Concert. DVD 2003

     

     

    Inside the goldmine

    - Varner de la guerre

     

             Varnor était un jour descendu des montagnes. Sans doute élevé par des bêtes, il ne se préoccupait nullement de ce qui nous préoccupe tous, à savoir un minimum de sociabilité. Les notions de civilité et de propreté corporelle lui semblaient totalement étrangères. Il ne comprenait pas qu’on pût le saluer en lui disant bonjour. On le connaissait parce que la municipalité lui avait confié un job de balayeur, alors il balayait les rues du quartier en poussant des grognements. Il offrait le spectacle d’une trogne particulièrement ingrate, son visage était aussi bosselé que celui d’un boxeur amateur et pour couronner le tout, une mauvaise barbe et une sorte d’eczéma lui rongeaient la peau. D’épaisses arcades abritaient un regard clair. Il était bien bâti et semblait de taille à affronter n’importe quel adversaire, même un ours. Il semblait fasciné par les livres. Dès qu’il en voyait un dépasser d’une poubelle, il le ramassait. Avec les années, les gens du quartier s’habituèrent à lui, certains engageaient avec lui des petites conversations, mais il bégayait atrocement. Manifestement, les gens l’effrayaient. On sentait qu’il restait en permanence aux abois, comme une bête sauvage. Et puis, un jour, sans le faire exprès, il bouscula un homme qui sortait du bistrot, au coin de la rue de Vaugirard. L’homme exigea des excuses. Varnor ne comprenait pas. L’homme s’énerva, prenant l’attitude de Varnor pour une bravade et lui donna un coup de poing dans l’épaule. Alors Varnor s’empara du manche de son balai à deux mains et frappa l’homme en plein visage. L’homme s’écroula et Varnor continua de le frapper, jusqu’à ce qu’il eût brisé son manche de balai. Des gens tentèrent de le ramener au calme, il recula de quelques pas, et reprit sa tournée. Le seul problème, c’est que l’homme à terre était connu dans le quartier pour son appartenance au milieu. Deux semaines plus tard, l’homme blessé réapparut dans le quartier accompagné de trois gorilles. Chacun d’eux brandissait une barre à mine. Ils se dirigèrent vers le square où chaque midi Varnor prenait sa pause, assis sur un banc, au milieu des pigeons. Il ne les vit pas arriver, car il examinait l’un de ces livres récupérés dans une poubelle. Les coups se mirent à pleuvoir mécaniquement, comme au temps du supplice de la roue. Varnor s’était écroulé, mais ils frappaient encore. Son visage ressemblait à de la confiture. Ils le laissèrent pour mort. Six mois plus tard, Varnor réapparut dans le quartier pour reprendre son job. Il était défiguré. Les gens accueillirent son retour chaleureusement. Il fut touché par cet accueil. Dans l’atroce mic-mac de son visage mal cicatrisé, sa bouche privée de dents ânonnait un «me-me-me-me-mer-ci» qui vous transperçait le cœur.

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             Pendant que Varnor se faisait démonter la gueule, Varner chantait dans un micro. Contrairement à ce que pourrait laisser supposer son prénom, Don Varner n’est pas un parrain de la mafia, il n’est qu’un de ces obscurs Soul Brothers prodigieusement doués qu’il faut aller arracher aux ténèbres d’un immense underground, celui de la Soul. C’est dans les compiles qu’on coince ce genre de mec, et en l’occurrence, dans l’une des meilleures compiles de Soul qui soit ici-bas, That Driving Beat - A Collection Of Rare Soul Recordings.

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             Don Varner est bien connu des collectionneurs de Northern Soul. Il existe fort heureusement une brave petite compile RPM qui permet aux non fortunés de l’écouter confortablement : Finally Got Over ! Deep Soul From The Classic Era. Sur les 23 cuts compilés, on ne compte pas moins de 10 bombes atomiques, à commencer par «The Sweetest Story», où Don Varner semble bouffer toute la Soul, c’est puissamment orchestré, il chante comme un dieu et nous sort une Soul de génie pur. Plus loin, il attaque «He Kept On Talking» à la façon de Fred Neil, au frileux d’aube de Greenwich Village, et ce démon de Don porte ce hit signé Swamp Dogg jusqu’au paradis de la Soul, c’est d’une sensiblerie explosive, il rentre dans le lard de la pop avec tout le poids du monde, comme au temps de Peter Handke. Il attaque la comp avec «More Power To Ya», du pur jus de raw r’n’b, il chante au meilleur rauque d’Amérique, il est exceptionnel. Et ça continue avec «Handshakin’», c’est un enragé, un prodigieux shaker d’handshakin’, il noie sa Soul dans le Gospel. Ce mec groove la Soul dans le mood, il est l’une des parfaites incarnations du Black Power. Pulsé par un shuffle d’orgue, il rocke «Down In Texas» au baby take me back home. Il chante à la surface d’«I Finally Got Over» avec une puissance paranormale. Son «Power Of Love» est digne des Tempts et il rivalise de raw avec Wilson Pickett dans «You Left The Water Running», Don fait son Dan, il tape dans le dur du Penn. Il a tous les atours d’une superstar. Il tape plus loin dans «Tear Stained Face» au pire beat d’insistance, il le prend de biais pour le rendre plus dansant et ça devient de la Nowhere Soul, c’’est-à-dire une Soul qui n’est ni Southern ni Northern mais une Soul du firmament. Il tape aussi dans le «Meet Me In Church» de Joe Tex, alors inutile d’ajouter que ça monte vite en température ! Il a derrière lui les meilleurs chœurs de Gospel batch et tout le power du Black Power. Avec «Keep On Doing What You’re Doing», il passe au heavy groove de big dude. Don Varner n’entre dans l’arène que pour vaincre, il fait un peu de funk à la Stevie Wonder et c’est balayé par un vent de funk électronique. Il termine avec une fantastique triplette de Belleville : «When It’s Over», «Laying In The Gap» et «You Poured Water On A Drowning Man». C’est Eddie Hinton qui signe «When It’s Over» et Don Varner le prend au tsiwat tsiwat des Flamingos. C’est un mec fiable, il y va si on lui demande d’y aller. Il revient à son cher Gospel avec «Laying In The Gap», c’est son dada, alors il part foutre le feu à l’église en bois, le feu sacré, bien entendu. Puis il claque le dernier cut au heavy beat et on rôtit de bonheur, comme une merguez étendue sur un grill de barboque, Don Varner nous fait le coup du r’n’b qui défonce bien la baraque. Big Don is hot as hell.

             Dans le booklet, David Cole nous rappelle que Don Varner vient de Birmigham, Alabama. Il monte un jour à Chicago et chante dans des tas de clubs, il fréquente Percy Mayfield, et finalement il redescend en Alabama où un mec réussit à le convaincre d’enregistrer un single. Don Varner enregistre «I Finally Got Over», son premier single, chez Rick Hall. Puis il enregistre encore des tas de cuts au Quinvy/Broadway Sound studio, à Sheffield, Alabama. Et qui produit ? Eddie Hinton ! C’est aussi Eddie Hinton qui choisit les cuts pour Don - He was the one that was making all of the choices - Et comme ça ne marche toujours pas, le pauvre Don finit par aller s’installer en Californie. Il va hanter le circuits des clubs pendant des années, puis travailler pendant 18 mois avec Johnny Otis. Mais globalement, Don Varner n’est jamais monté sur le piédestal qui lui revient. 

    Signé : Cazengler, Varner de la gare

    Don Varner. Finally Got Over ! Deep Soul From The Classic Era. RPM Records 2005

     

    *

    Il n’était pas un chanteur de rock, il était le rock‘n’roll !

     

    La formule est belle encore faudrait-il parvenir à définir l’essence du rock ‘n’roll, tant est que les choses aient une essence – les philosophes en discutent – peut-être ne sont-elles que ce qu’elles sont, une fugitive apparence dans le domaine mouvant du possible. Ce qu’elles ont été, selon elles-mêmes, selon l’empreinte qu’elles laissent dans le monde et l’esprit de ceux qui en furent témoins  et de ceux qui en prendront connaissance.

    La destinée de Vince Taylor peut être résumée en deux mots, gloire et déchéance. Les grecs usaient de deux autres vocables, l’acmé et le déclin. Le premier diptyque fleure bon le romantisme, le culte du héros peut dégénérer en une sensiblerie pleurnicharde, pour cette raison Nietzsche proscrivait l’attitude romantique à laquelle il reprochait une approbation implicite de la mort. La formule antique nous confronte à une vision plus pessimiste du destin inhérent à tout être humain. Elle nous oblige aussi à nous interroger sur la notion de grandeur efficiente de toute existence humaine.

    VINCE TAYLOR

    L’ARCHANGE NOIR DU ROCK

    (ROCKABILLY GENERATION / H. S. N° 3 / Mai 2023)

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    Ce numéro fera date pour les fans de Vince Taylor. Mais aussi pour des amateurs de rock curieux qui ont bien entendu parlé de Vince, hélas trop vaguement pour en avoir une idée précise, souvenons-nous que Vince a déserté notre planète, voici plus de trente ans en 1991. Voici quarante-huit pages bourrées de photos légendaires mais aussi de documents plus rares, superbement mis en page par Sergio Kahz, le directeur-fondateur de Rockabilly Generation News, magazine dont KR’TNT ! a chroniqué les vingt-cinq numéros et les deux premiers Hors-séries dédiées à Gene Vincent et à Crazy Cavan parus à ce jour.  

    Le texte en son intégralité est de Jacky Chalard. La vie de Vince est racontée chronologiquement. De petits encadrés apportent quelques renseignements complémentaires nécessaires pour ceux qui n’ont pas connu les années soixante. Jacky Chalard, créateur du label Big Beat, que l’on pourrait définir comme un activiste rock, est des plus autorisés pour évoquer la tumultueuse existence de Vince Taylor, il s’est battu, avec quelques autres, bec et ongles pour le remettre en scène. Cette odyssée cruelle et terrifiante quand on y pense est une des plus belles légendes de l’histoire du rock’n’roll français.

    Vince est né en Angleterre. Son existence ressemble un peu au dieu romain aux deux visages : Janus, c’est aux Etats-Unis où sa famille s’est installée pour fuir une vie miséreuse qu’il aura par l’intermédiaire de la télévision, grâce à Elvis, la révélation du rock’n’roll, comme bien des adolescents de son âge. Mais pour lui ce sera différent. Peut-être même ne s’en aperçoit-il pas et n’en prendra-t-il conscience que quelques années plus tard. On a souvent parlé du magnétisme de Vince Taylor, bien des filles en furent les heureuses bénéficiaires. Singer Elvis n’est pas difficile, mais aspirer d’un seul coup cette grâce magique de l’Hillbilly Cat ne fut donné qu’à Vince, Vince a tout pris à Elvis, non pas son bagage musical issu du blues et du country de l’Amérique profonde et populaire, mais sa manière d’être sur scène, sa gestuelle, sa félinité, il est des savoirs instinctifs qui ne s’apprennent pas, qui ne se transmettent pas, ils se volent. Aucun gendarme ne vous arrêtera, mais c’est comme si vous avez avalé une flamme à l’intérieur de vous. Attention le feu brûle.

    Revenu en Angleterre, Vince décidera de devenir chanteur de rock. Un bon boulot pour un jeune homme désœuvré qui ne sait pas trop quoi faire. Il enregistrera trois disques. Dont Brand New Cadillac, un des plus grands classiques du rock. Est-il trop sûr de lui, un peu fantasque, en tout cas ce qui est sûr qu’il ne se fait pas que des amis avec les pontes du rock, ceux qui signent les contrats, ceux qui planifient (à court terme) les carrières…

    L’Angleterre est trop petite ( ou trop grande) pour Vince, personne ne l’attend aux States, par contre la France est une terre vierge qui ne demande qu’à être ensemencée. Vince frappe à la porte du destin, il ne fait pas parti de Duffy Power And the Bobby Woodman Noise mais il s’embarque avec eux pour Paris. Force-t-on la chance ou se présente-t-elle toute dorée sur un plateau ? Vince se sent-il le dos au mur, a-t-il l’intuition que l’occasion ne se représentera pas de sitôt, se transcende-t-il ?

    En quelques mois Vince conquiert la France. Ses concerts éblouissants et explosifs lui ouvrent toutes les portes. Il n’est pas devenu une vedette, il est La vedette. La coqueluche de la caravelle-set nationale et l’idole des blousons noirs. Barclay lui fait enregistrer à la va-vite quelques classiques du rock, et les distribue sur le marché…

    Vince sera la première victime de son succès. On lui imputera – la presse se déchaîne – le cassage du Palais des Sports ( fin 61 ), a-t-il conscience que le spectacle Twist Appeal ( Avril-juillet 62 ) aux Folies Pigalle le coupe de son public et que son image est discrètement manipulée, qu’il n’est plus tout à fait Vince Taylor, mais le produit Vince Taylor, en juin 63 il ne participera pas à la Fête de la Nation, ce n’est pas lui qui clôturera la soirée mais Johnny Hallyday.

    Une fêlure qui ne cessera de s’agrandir. Pourquoi ? Une raison simple : Vince Taylor est un phénomène, ses concerts sont magnifiques, oui mais Vince ne vend pas de disques. Barclay a beaucoup investi, en pure perte, il pensait avoir déniché le rival qui supplanterait Johnny, mais rien ne s’est réalisé comme il l’espérait. Le jeune coq agressif ne s’est pas métamorphosé en poule aux œufs d’or.

    Il ne suffit pas d’un million de manifestants pour faire tomber un gouvernement. Reste encore des millions et des millions de gens qui restent insensibles à l’esprit de révolte. En 1960, la jeunesse française a changé la donne mais les vieux étaient beaucoup plus nombreux que cette énorme bande d’allumés. Peu à peu les choses se sont calmées… Autre constatation, la France n’est pas un pays rock, certes il existe une minorité qui a su accueillir nombre de groupes ou de chanteurs que les States et les Anglais avaient rejetés ( Vince Taylor en est le parfait exemple ), mais depuis les années 80 la plus large fraction du public s’est entichée d’autres genres. Ce qui n’est peut-être pas une mauvaise chose. Une certaine clandestinité affûte les passions et pousse à la création.

    La carrière de Vince se poursuivra cahin-caha encore durant deux ans. C’est en 1965 que la catastrophe survient. Dans une soirée en Angleterre Vince avale en grande quantité, sans savoir ce que c’est, des pilules qui se révèleront être du LSD, son esprit ne redescendra jamais tout à fait… Crise de mysticisme, internement psychiatrique, errances diverses. Vince Taylor n’est plus qu’un has-been.

    Pas tout à fait. L’aura de Vince ne s’efface pas. Son magnétisme agit toujours. L’éblouissance de ses premiers concerts en France n’est pas oubliée. C’est peut-être la plus belle partie du roman de son existence. Vince n’a qu’un seul ennemi, lui-même. Des amis veillent, se regroupent, tentent de relancer sa carrière. Quelques rares instants de lucidité, des concerts magnifiques et d’autres pathétiques, il faut lire ces pages, Jacky Chalard ne cache rien, étrangement Vince en sort grandi. Un fou, un schizophrène, un maboul, tout ce que vous voulez mais qui détient une espèce de sagesse, l’est un chat qui retombe toujours sur ses pattes, un funambule qui trébuche sur le fil de la réalité, un équilibriste entre deux univers, le sien et le nôtre. 

    Jusqu’au jour où il déclarera qu’il n’a plus envie d’être Vince Taylor.

    Depuis ce jour nous sommes orphelins.

    Damie Chad.

    Attention, ce numéro tiré à 200 exemplaires est destiné à devenir très vite un collector recherché. Magazine 12 € + 4 € (poste) / Chèque à l’ordre de Rockabilly Generation News à l’adresse : Rockabilly Generation News / 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois.

     

    *

    Depuis le Hound Dog d’Elvis Presley jusques au Black Dog de Led Zeppelin en passant par le I wanna be your dog des Stooges, j’en passe et des meilleurs, le chien a toujours été le meilleur ami du rock’n’roll. Voici qu’il nous en arrive toute une meute, des cerbères à trois têtes, ce qui ne gâte rien.

    The Evil’s Dogs a déjà donné plusieurs concerts, leur logo nous permet de pronostiquer quelques aboiements féroces et enragés et nous avertissent qu’ils ne sont pas des adeptes de la musique relaxante. Mettent les choses au point sur leur FB en se définissant comme ‘’ un groupe inspiré par la mythologie nordique et la rock music’’. Leur futur premier EP ne s’intitule-t-il d’ailleurs pas Tales Of The Ragnarok ! Ne nous promettent pas un chien de leur chienne, ils nous offrent en avant-première le premier chiot de leur première portée. Nous en sommes ravis. Pardon havis !

    HAVI

    THE EVIL’S DOGS

    ( Vidéo You Tube / Mai 2023 )

    Alex Lordwood : chant / Nico Petit : guitare / Agathe Bonford : basse / Michel Dutot : drums. Izo Diop : guest guitar ( From Trust ).

    Havi est un autre nom d’Odin que l’on pourrait traduire par le Sage ou l’Initié, nous le connaissons mieux sous le nom de Wotan sous lequel il apparaît dans le cycle de L’Anneau des Nibelungen, la tétralogie de Wagner dont le quatrième volet : Le Crépuscule Des Dieux correspond à La Mort des Dieux que conte le Ragnarök de la mythologie nordique. Le Seigneur des Anneaux de Tolkien est fortement inspiré des vieilles Eddas islandaises. Mais contrairement aux récits en vieux norrois les forces du mal de Sauron perdent la bataille finale, alors que dans le Ragnarok les chiens du mal détruisent le monde des Dieux dont Odin est le chef. 

    Les lyrics d’Havi sont d’une rare densité si on les compare à de nombreuses autres évocations du Ragnarok par divers groupes de metal. En huit strophes ils nous plongent au cœur de la légende, ils commencent par évoquer l’initiation d’Odin qui à la fontaine de Mymir sacrifie son œil pour acquérir le grand savoir dont les deux corbeaux qu’ils portent sur ses épaules sont les symboles actifs, pouvant voyager l’un dans le passé du monde, l’autre dans son avenir. Odin détient le terrible secret, les dieux immortels sont mortels, ils ne sont immortels que dans le temps de leur monde, quand celui-ci périt eux-aussi périssent. ‘’On peut mourir d’être immortel’’ a écrit Nietzsche. La fin du morceau se termine sur le rassemblement des forces qui vont opposer les troupes d’Odin aux chiens du mal. Evil’s Dogs en bon anglais.

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             Je ne sais qui a eu l’idée géniale de la vidéo. A priori d’une pauvreté affligeante, le logo du groupe sur un fond noir durant les quatre minutes du morceau, oui mais il y a ces nuages de fumée que le vent apporte et emporte, l’idée non pas de la fuite du temps mais de la fin des temps odiniques. Le tout est en totale osmose et signifiance avec la vélocité du morceau. Splendeur des guitares, une course sleipnirienne échevelée au bout du monde dont la batterie de Michel Dutot reproduit l’infatigable galopade. Sur ce nappé fugitif, Alex Lordwood ne dépose pas sa voix, l’a cette intuition de faire en sorte qu’elle prenne la place des images d’un film reléguant ainsi le background musical de ses camarades à l’indispensable bande-son sans laquelle elles perdraient leur intensité. Admirable procédé alchimique de fusion non pas des contraires mais de la multiplicité des mots en l’unité organique musicale. Le groupe échappe ainsi à une grandiloquence par trop naïvement tapageuse, le plus grave des dangers dont sont atteintes trop de production metallifères. J’ai dû écouter le morceau plus de soixante fois tant il est insaisissablement magique. Tout au fond le sombre pouvoir de la basse d’Agathe Bonford, aussi profonde que l’occulte puissance de Mymir la source primordiale, Michel Dutot totalement fondu dans le chant des guitares, vous initie de rapides décélérations qui permettent la respiration architecturale du morceau, Nico Petit et Izo Diop sont à la fête, mènent le bal des ardences définitives et des brillances absolues du rock’n’roll. Enfin boule de foudre sur l’incendie le dernier tiers du morceau, Alex Lordwood dont le silence atteint à une scaldique dimension, et la course folle des guitares parfaitement maîtrisées. 

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    Merveilleusement mis en place. Un chef-d’œuvre.

    Vivement l’EP !

    Damie Chad.

     

    *

    Tenons nos promesses dans notre livraison 601 nous présentions Seasons paru en décembre 2022, or en ce mois de mai 2023 Moonstone sort un nouvel opus de six titres dont nous annoncions que nous le chroniquerions dès sa sortie. Le groupe a déjà donné aux mois de mars et d’avril en avant-première deux des titres de cet album chaque fois agrémentés d’une couverture.

    Nul besoin d’être muni d’un diplôme es études picturales pour décréter que ces deux images et la troisième qui agrémente Growth sont issues de la même main. Nous les analyserons tour à tour en le moment de leurs présentations. Invitons toutefois le lecteur à se rendre sur le FB ou sur l’Instagram de Lizard Matilda. Artiste et tatoueuse. A visionner ses réalisations vous comprendrez pourquoi elle est demandée dans les plus grandes villes de Pologne mais aussi d’Allemagne, du Pays-bas, de Norvège… Des traits d’une grande finesse, des entrelacs d’une merveilleuse sveltesse, les courbes harmonieuses dont elle orne les flancs des jeunes filles rehaussent leur native beauté. Ce n’est pas la nature qui imite l’art, selon Baudelaire, mais le serpent où les fleurs qui s’incarnent dans le corps humain, qui se transmuent en chair tentante…

    GROWTH

    MOONSTONE

    (CD – Bandcamp / Mai 2023)

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    De la faucille de la lune perle une larme de sang, lymphe astrale qui nourrit l’arbre du monde. Une image d’équinoxe sur la roue du monde, instant d’équilibre durant lequel, l’hémisphère sombre et l’hémisphère clair se rencontrent sur les limites de la terre, le ciel est noir et les profondeurs de la terre blanches. L’Yggdrasil étale aussi bien ses racines célestes vers le ciel que ses branches vers les profondeurs terrestre. Il n’est qu’un symbole, celui de l’Homme, étendant en vain ses bras impuissants dans toutes les directions, et dont la nuit de l’âme sera, pour citer les derniers mots de Gérard de Nerval, ‘’ blanche et noire’’.

    Jan Maniewski : guitar, vocal / Volodymyr Lyashenko : guitar / Viktor Kozak : basse, vocal / Kacper Kubieri : drums.

    Harvest : une guitare, une voix, un accompagnement de batterie, une ballade qui s’éternise, qui monte une route en lacets, pas trop haut car si l’on croit que l’orchestration finira par devenir dominante c’est une erreur, le morceau n’atteint pas les trois minutes, la voix reste égale, les lyrics jurent avec le titre, la récolte n’est pas opulente, elle ne correspond pas à ce que le mot promet, un arbre, une lune de sang, le sentiment d’une infinie solitude… une invitation peu enthousiasmante.

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    Bloom : Très belle illustration, l’arbre enfermé dans la prison lunaire, mais aussi dans son propre cercle, de la houppe de ses racines et celle de sa frondaison, l’arbre est coupé en deux dans l’entaille du tronc scintille une boule de lumière :  quelques notes égrenées, des gouttes de basse plombées, une batterie qui poursuit son chemin, lourde mais lente, ce qui n’ empêche pas ses roulements de prendre toute la place, bientôt relayée par un chant à plusieurs, la floraison n’a pas été plus joyeuse que la récolte, les guitares effectuent une montée en impuissance, jusqu’à l’arrêt, l’on repart plus vite, la batterie mène le train, il s’est perdu mais il a retrouvé son chemin de solitude, le chant comme un tampon d’ouate sur la plaie de l’âme, des étincelles de guitare nous avertissent qu’il ne changera pas de route, qu’il ira jusqu’au bout, une amplitude triomphale qui s’achève en grincements… Sun : encore une fois le début du morceau n’est pas en accord avec l’éclat du titre, ou alors il s’agit d’un soleil noir, un astre de peine, vocal en prière de pèlerin, la batterie semble arracher les rochers du chemin pour dégager l’avancée, règne tout de même un sentiment de sérénité angoissée, l’on ne presse pas le pas, faut prendre le temps d’écouter ce morceau plusieurs fois, pour le jeu d’attouchements de la  batterie, une fois pour la noirceur submergeante de la basse, quelques notes claires signe de sortie du marasme, dégagement ensoleillé. Night : lourdeur rythmique de la batterie, passons-nous du côté de l’hémisphère sombre, le titre nous incite à l’affirmer, et pourtant des résonnances cordiques nous apportent un démenti et même lorsque la basse s’en mêle, il n’en est rien, les lyrics proférés avec emphase nous invitent à croire que tout n’est pas noir dans l’Homme, son esprit crée ce qu’il désire, une lente cavalcade instrumentale nous force à sourire. Lust : Déploiement d’une note sombre, il ne faut jamais perdre l’espoir du désespoir, tout change si vite, la musique s’appesantit et bourdonne comme un bourdon de mort, le chœur des pèlerins qui se sont fourvoyés nous avertit que tout est perdu, la basse prépondérante ne nous laisse aucune chance, un drame se joue à l’intérieur et à l’extérieur de soi, la solitude est mauvaise conseillère, pour moi, comme pour toi. Toute luxure est une blessure.

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    Emerald : intro acoustique, notes pleines et larges, d’autres plus claires et tranchante, un chant doux se greffe sur cet accompagnement, Moonstone déploie toute son instrumentation, le chant s’intensifie, arrivent des notes lourdes de plénitude et le morceau s’embraye tout seul, le monde peut paraître froid mais la vie palpite sous cette glace apparente, une guitare chante le bonheur de reprendre et de continuer le chemin. Verdure émeraude des arbres, l’arbre s’est fait forêt, le chemin n’est pas terminé, il ne s’arrêtera jamais. Sur l’image l’arbre solitaire est le cœur d’un soleil épanoui.

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             Avec GrowthMoonstone a franchi un cap, il  atteint sa maturité, tout est merveilleusement équilibré dans cet opus, faut écouter les interventions de chaque instrument, faut même les guetter car ils donnent l’impression d’arriver juste au moment où leur intervention est nécessaire, un peu comme si le groupe avait enlevé tout ce qui aurait été de trop et ajouté ce qui aurait manqué, le disque est clos sur lui-même comme un œuf, un peu comme s’ils avaient éliminé le hasard. Prodigieux.

    Damie Chad.

     

    *

    J’aime les choses étranges, surtout celles que je ne comprends pas, du moins porteuses d’une certaine opacité, avec Xatur je suis comblé, viennent de Medellin, en Colombie. Ne nous attardons pas sur la sinistre réputation de la ville. Rien que le nom du groupe permet de gamberger, vient-il du latin, il signifierait alors, ce qui est donné, ne pensez pas au prochain cadeau que vous allez recevoir, mais à ce qui va vous tomber sur la tête, au sort funeste qui vous attend, cette étymologie hypothétique a le mérite d’être en parfaite communion avec le titre de leur premier opus.

    Grande première sur Kr’tnt !, c’est la première fois que nous présentons un groupe revendiquant son appartenance au Dungeon Synth, un sous-courant du Black Metal, né au début des années 90 en Norvège. Synth pour électronique, donjon pour les univers cruels ou merveilleux que ce mot moyenâgeux peut évoquer dans les imaginations qui aiment à s’évader dans d’autres mondes aussi cruels ou merveilleux que le nôtre…

    SICKNESS, WAR, HUNGER AND DEATH

    XATUR

    ( Album numérique sur Bandcamp / Mars 2023 )

    Maladie, guerre, famine et mort, le lecteur qui va à la messe tous les dimanches matin aura sans peine reconnu les quatre cavaliers de l’Apocalypse dont en chaire les prêtres annoncent la venue imminente depuis deux mille ans… Certains affirmeront qu’ils viennent si souvent faire un petit tour parmi nous qu’ils ne sont peut-être que des émanations métaphoriques du côté obscur de la nature humaine…

    Une belle couve, noire et rouge, à l’arrière-plan une espèce de damier de ce qui pourrait être des loges d’opéra ou d’amphithéâtre romain, avec à l’avant-plan un somptueux heaume de chevalier, digne d’un prince, ne porte-t-il pas d’ailleurs une couronne royale.

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    Wherewolf : musique hiératique, fréquences sombres, bourdonnantes, grognements de loups-garous alternés par des chœurs de moines, essaient-ils de prendre l’ascendance les uns sur les autres, s’adressent-ils un défi avant de se s’entretuer, s’élèvent les harmoniques d’un plain-chant sinistre et envoûtant, surgissent au bout d’un long moment des roulades répétées de tambours tandis que plane comme l’ombre de l’aigle de la mort sur un champ de bataille, les tambourinades se succèdent à cadences répétées.  Déboule sans préavis l’obscure splendeur de Sol negro : du soleil noir, dont la brillance obscurcit le monde, une note cristalline répétée et bientôt tournoyante, ô combien inquiétante, quelque chose d’inéluctable, une flèche qui se plante dans votre chair, arrêt brutal, en éclair nous traverse l’idée que le premier morceau décrivait l’avancée pestilentielle de la maladie à pas feutrés et celui-ci l’inéluctable stridence conquérante de la guerre.  Force with fire : lenteur mélodramatique sonore, l’on entend comme des chuchotements ou un ramassis de voix indistinctes, silence interrompu par des éclats battériaux, clignotements de notes translucides qui n’empêchent guère le doux martellement des baguettes de continuer, picotement de grêle, des voix incompréhensibles se font entendre, bruit de perceuses, ronronnements d’un bruit doux, la brosse que vous passez sur votre ventre pour apaiser les élancements de votre faim. Relato : sonorités lugubres, bruits de voix comme provenant d’une radio dont le curseur ne serait pas fixé au bon endroit de la station que l’on voudrait saisir, draperies funèbres tombent du plafond, l’angoisse vous saisit, le speaker se fait entendre il est encore difficile de le comprendre, tout à la fin l’on discerne le terme d’achèvement… serait-ce la mort ? Kansaru- ( Bajo lo occulto ) : guitare acoustique, chant à voix basse qui contraste avec le rythme enlevé, elle nous parle de la difficulté de vivre et de demeurer sur cette planète, la conscience des gens obscurcie par la peur, la souffrance, la misère et l’ignorance…Kansaru est un terme hindou qui désigne le forgeron. L’on sait comment cette antique profession, qui maniait le fer et le feu, de par sa connaissance expérimentale des éléments   primordiaux, fut à l’origine de la réflexion ésotérique, mais en-deçà de cet aspect, mieux vaudrait retenir l’idée du martelage incessant par lequel le fer soumis à rude épreuve devient objet, un peu comme l’être humain assailli par d’imparables fléaux parvient à progresser.

             Cet EP dépasse pas à peine le quart d’heure, malgré cette brièveté il s’impose comme un objet musical, un peu à part, propice à de nombreuses méditations. Nous a donné envie de visiter leur première démo.

    STAR CHAOS

    ( Bandcamp / Janvier 2023)

    Couve en noir et blanc pas très visible, qu’est-ce que cette figure qui occupe la place centrale du tableau, une tête ? de chien ? de mort ? Une boiserie atour du trône d’un roi ? Il semble avoir été un peu conçu selon un procédé anamorphosique, retenons toutefois les deux personnages à la faux qui se font face, ne les regardez pas trop longuement car le dessin se diluera en plusieurs autres formes, sur le couronnement du cadre mirez les deux gueules pirhaniques. peu avenantes qui s’affrontent

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    Intro : ( Portal of Creation ) : ne se mouchent pas avec la manche pour qualifier leur intro de portail de la création ! Remarquons que cette intro dure plus de trois minutes, considérons-là autrement qu’un simple hors-d’œuvre musical. Comment nommer cela ? Un bruissement amplifié, une douceur épanouie, un déroulement d’étoffe ou mieux : d’un tapis ordalique, une invitation à suivre ce sentier sur lequel vos pas, pas plus que votre âme, ne laissent de trace. La formule ‘’un arrêt brutal’’ messied à sa description, disons que ça s’arrête parce que l’on est arrivé au bout du bout. Open wings of Dragon : cri, la musique afflue comme le sang s’écoule d’un cou tranché, harcèlements de cymbales, serait-ce Siegfried qui forgerait son épée, de grandes orgues laissent échapper des flots de morgue, le son augmente, une écaille du monstre luit au soleil à moins que ce ne soit l’éclat d’une arme blanche brandie avec joie. Lord of the all Times : orgue en accordéon mortuaire, batterie et cymbales dissociées, une trompe entonne un refrain qu’elle se hâtera de répéter, est-ce l’annonce victorieuse d’un désastre, celui de quelque chose qui serait prête à s’effondrer, pour nous dire que la voûte du ciel étoilée n’est pas éternelle malgré les apparences, que le Dieu du temps mourra à la fin des temps. Otro (Elemental ritual of death) : sifflement sériel, une plainte violonique s’installe et grandit par-dessous le glissement infini de l’orgue, tous deux concomitants comme la mort qui accompagne toujours la vie et chemine à son côté, inflexion musicale, une plongée vers la terre, il est un autre dieu que celui qui détient les clefs du temps, celui qui ouvre les portes de la mort. Sans doute ont-elles été ouvertes car l’on n’entend plus rien.

             Belle zique, mais ces démos semblent plus disparates que le deuxième opus. Xatur ne recherche ni les effets ni la performance. Il dépose sa musique comme un papillon noir se pose sur une rose. Ce qui la rend encore plus exquise.

    Damie Chad.

     

    *

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 26 ( Additif  ) :

    148

    Dans mon rétro je vois le Chef tout chétif dans son vaste imperméable, l’a l’air d’un petit retraité qui lors de la promenade du chien profite de l’aubaine d’un banc public pour reprendre souffle, assis sur ses genoux Molossito a tout du vieux chien souffreteux, de temps en temps il se soulève pour frotter de sa tête la barbiche blanche du maître qui le caresse, une scène attendrissante qui emmène une larme émue à l’œil des rares ménagères de plus de cinquante ans qui empruntent cette rue huppée, elles leur adressent un sourire affectueux en passant près de leur couple  pitoyable. De temps en temps le maître toussote et son chien lève sur lui un regard inquiet. Le Chef n’allume pas de Coronado.

    Je me rengonce dans mon siège, Molossa invisible aux yeux des passants les plus curieux, couchée sur la moquette noire de la voiture de luxe que je viens de voler, est tout ouïe, elle analyse le moindre bruit, je peux lui faire confiance, elle me préviendra à la moindre alerte, selon nos calculs minutieux nous en avons pour deux longues heures d’attente.

    Je cherche dans la poche intérieure de mon Perfecto, l’exemplaire personnel de l’étrange grimoire parcheminé que la Mort nous a glissé à chacun, nous donnant vingt-quatre heures pour y apposer notre paraphe. Je le connais par cœur mais je ne peux m’empêcher de le relire, je plisse les yeux car l’encre grise – de la cendre des morts qu’elle a tirée d’une urne toute fraîche, comprenez encore chaude, n’est pas facile à déchiffrer. Elle nous a prévenus, l’écriture anguleuse, gothique pour employer son propre terme, elle s’est excusée de la maladresse de doigts squelettiques engourdis par les rhumatismes est difficilement déchiffrable, je me hâte de vous en livrer le contenu.

    149

    Accordance entre Moi, Madame la Mort, souveraine du Royaume des Non-Vivants et :

    Monsieur Lechef, communément surnommé Chef, responsable du Service Secret du Rock’n’roll, et son subalterne Damie Chad subalternement appelé Agent Chad, qui se prend, on ne sait pas pourquoi, pour un Génie Supérieur de l’Humanité,

    Accordance : selon laquelle je m’engage à oublier de les appeler et de les laisser vivre indéfiniment selon leurs désirs.

    Accordance : selon laquelle ces deux accordants susnommés mettront à partir du moment de leur signature interruption à leurs pérégrinations dans tous les cimetières de France, et porteront du même coup arrêt immédiat à l’enquête qu’ils poursuivent sans trop savoir où ils vont et de quoi ils se mêlent.

    Accordance : qu’en cas de refus de signature je m’engage le délai de vingt-quatre heures dépassé de les faire passer de la vie à trépas sans plus de cérémonie.

    Nos trois signatures au bas de ce parchemin faisant foi de nos engagements et de notre acceptance.

    Madame La Mort                           L. Lechef                          Agent Chad

     

    P.Scriptum : ces accodances couvent aussi la survie  indéfinie ou la mort immédiate des deux corniauds  répondants aux noms de Molossa et Molossito.

    150

    De retour au bureau le Chef avait allumé un Coronado :

    • Agent Chad, je sens le coup fourré !
    • Moi itou Chef, j’ai même l’impression à lire cette proposition comminatoire, que l’on se moque non pas de nous, mais du rock’n’roll.
    • Agent Chad je partage votre avis. Toutefois, dans votre phrase il est un mot passe-partout qui attire mon attention !
    • Chef le mot rock’n’roll ne saurait être un vocable passe-partout, c’est un mot sacré, c’est…
    • Pas d’exaltation Agent Chad, nous n’avons qu’un seul jour pour dénouer cette affaire. J’espère que vous me ferez la grâce de ne pas faire allusion à la vieille querelle des grammairiens qui débattent depuis des siècles si l’on peut classer le pronom impersonnel ‘’ on’’ parmi la liste des pronoms personnels, un sujet passionnant certes, mais se lancer dans une telle querelle ne nous ferait en rien avancer dans nos déductions.
    • Si je comprends bien Chef, vous aimeriez savoir qui ou quel ensemble de personnes je désigne lorsque j’emploie ce pronom ‘’on’’.
    • Exactement Agent Chad j’attends votre proposition.
    • A vrai dire Chef, je l’ignore !
    • Agent Chad, à franchement parler je n’en sais pas plus que vous !

    Il y eut un long silence qui me parut interminable.

    160

    Le Chef allumait un cinquième Coronado lorsqu’il rompit le silence :

    • Agent Chad, avez-vous remarqué que dans son papyrus notre vieille copine la Mort n’emploie pas une seule fois le mot rock’n’roll !
    • Oui Chef, en plus lors de notre discussion elle nous a bien fait remarquer qu’elle n’éprouvait aucune animosité particulière contre cette musique qui lui était indifférente.
    • Suivez-moi bien Agent Chad, dans cette affaire une seule solution s’impose, La Mort n’a rien de spécial contre nous, bref nous ne l’intéressons aucunement.
    • Chef, si l’univers était une partie de billard, j’interpréterais votre dernière assertion ainsi : notre amie est la boule qui sert à on ne sait qui pour nous pousser, nous pauvre petite boule du rock’n’roll innocente hors du tapis et nous faire disparaître dans le trou.
    • Agent Chad, vous devriez abandonner l’écriture de vos mémoires et vous lancer dans la poésie, votre métaphore est d’une clairvoyance sans égale, je sais maintenant où nous devons frapper, quelques coups de téléphone bien placés et nous serons fin prêts. Je m’en occupe, pendant ce temps allez voler une voiture, nous en aurons besoin.

    161

    Le museau de Molossa se presse contre mon mollet ( le droit ). Devant moi la rue est déserte, je caresse la crosse de mon Rafalos dans ma poche et appuie le bouton qui débloque l’ouverture du coffre arrière. Un coup d’œil dans le rétro sur le Chef me rassure d’une main il caresse la tête de Molossito_ le chiot fait des progrès il a lui aussi senti l’imminence du danger, peut-être Molossa lui a-t-elle envoyé un message télépathique, toujours est-il que la seconde main du Chef farfouille dans la poche de son imperméable comme s’il cherchait un susucre pour son toutou adoré.

    Je les vois, ils sont trois, deux baraqués qui en encadrent un beaucoup plus chétif en costume cravate. Ils ne jettent même pas un coup d’œil sur ma voiture, il est vrai que les vitres teintées, même celle du parebrise, me rendent invisible. Je compte doucement : un…deux…trois…quatre…cinq ! sans bruit je pousse la portière, celui de gauche, une balle de mon Rafalos lui rentre dans l’occiput, au même moment le Chef a envoyé une bastos dans le front du second garde-du corps, j’ouvre le coffre et enfourne le premier cadavre dans la malle, son rafalos collé sur la tempe du survivant le Chef l’invite cérémonieusement à prendre place à ses côtés, le gars s’exécute sans moufter, le deuxième cadavre a rejoint son collègue, peut-être devrais-je dire son ex-collègue, je m’installe au volant et démarre sur les chapeaux de roue. A mes côtés sur le siège avant Molossito remue la queue de contentement, pour la première fois il a accompli sa mission sans faillir.

    Sur le siège arrière notre otage n’a pas l’air d’aimer les chiens.

    • Ces sales clebs ont donné l’alerte, siffle-t-il entre ses dents, j’en suis sûr!

    Attention ce zigue pâteux n’est pas idiot, même dans les pires situations il ne perd pas ses facultés de raisonnement.

    Moi par contre je n’aime pas que l’on traite mes chiens de sales clebs, le suis certain que cet écart de langage lui portera malheur.

    A suivre

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 257 : KR'TNT ! 377 : NEVILLE BROTHERS / VINCE TAYLOR / U-BILAM / NAKHT / WILD MIGHTY FREAKS / 2SISTERS / JAZZ MAGAZINE

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 377

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    07 / 06 / 2018

    NEVILLE BROTHERS / VINCE TAYLOR

    U-BILAM / NAKHT / WILD MIGHTY FREAKS

    2SISTERS / JAZZ MAGAZINE & CO

    Neville sainte - Part One

     

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    L’admirable Charles Neville vient tout juste de casser sa pipe en bois, au terme de soixante-dix ans d’une vie bien remplie : drogues, femmes, jazz et funk. Tous les amateurs de funk et de New Orleans Sound n’ont plus que leurs yeux pour pleurer, mais ce n’est pas leur genre. On le sait, ce que les gens de la Nouvelle Orleans appellent des Funerals sont d’abord des fêtes. On y chante et on y danse.

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    Charles est le premier des quatre Neville Brothers à s’en aller : Cyril, Art et Aaron lui survivent. Ces quatre brothers et leur oncle Big Chief Jolly jouent un rôle capital dans la légende de la Nouvelle Orleans. L’oncle Jolly paradait en tête des Wild Tchoupitoulas, Art monta les Meters dans les années quatre-vingt et Aaron a passé sa vie à chanter comme l’ange de miséricorde que filma jadis Wim Wenders. Quant à ce fantastique joueur de sax que fut Charles, il a préféré cultiver sa passion pour les drogues et la délinquance, ce qui lui a permis de visiter les ‘pens’ de l’époque, c’est-à-dire les pénitenciers, dont Angola, le plus terrifiant de tous. David Ritz consacre un livre aux Neville Brothers, mais il a l’intelligence de s’effacer, car ce que les quatre frères ont à raconter édifierait n’importe quel édifice. On observe un décalage vertigineux entre la saga des Neville et l’histoire de gens qui ont tenté de se faire passer pour des voyous, les Stones, par exemple. Tout au long de ce livre extrêmement dense, Art, Charles, Aaron et Cyril nous rappellent qu’un noir risquait encore sa peau pendant les années soixante et soixante-dix dans les rues de la Nouvelle Orleans - The cops were out for blood - et que tout le monde prenait des drogues dès l’adolescence.

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    Le principe de ce livre est simple : après quelques pages d’intro signées David Ritz, les quatre brothers racontent à tour de rôle leur histoire, c’est-à-dire l’histoire de leur quartier (Valence Street), de leur famille (leurs parents, leurs femmes et leurs innombrables enfants), de leurs amis (Larry Williams, Dr John et combien d’autres) et leurs aventures musicales, aussi bien sur la route qu’à la Nouvelle Orléans. Des quatre, celui qui crée la plus belle proximité, c’est Charles, l’intellectuel de la famille, fan de Charlie Parker et de Monk, car il raconte son histoire avec une poignante honnêteté. Il développe ses épisodes assez longuement et termine généralement sur une chute brutale en forme d’apothéose, comme s’il jouait un cut de Trane.

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    Quand il est gosse, son père l’emmène voir Charlie Parker, mais c’est complet. Charles reste à côté de la porte et écoute. Ce qu’il entend, pour lui, c’est la musique du futur - Bird was flying high - Il voit son père tendre l’oreille - My father had ears - Charles dit aussi que petit, il avait peur des blancs, surtout des paddy rollers qui patrouillaient la nuit pour terroriser les communautés noires. Charles a vu une bagnole de paddy rollers traîner un nègre attaché au pare-choc arrière. Petit, il a vu les night riders du Klan chevaucher et brûler des croix - Scary sights for a kid - Il évoque aussi les étudiants en médecine de Tulane, the gown men, qui rôdaient la nuit au volant de camionnettes blanches, en quête de corps pour leurs études. Une piqûre et puis pouf, terminé, plus jamais de nouvelles de vous - You’d never be heard from again -

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    Mais sur le chapitre du racisme, Cyril est le plus enragé des quatre : quand son frère fut envoyé cinq ans à Angola pour deux joints, Cyril considérait son frère comme un prisonnier politique, car pour lui, la guerre régnait à la Nouvelle Orléans. À ses yeux, les cops locaux se comportaient comme les unités spéciales de marines américains dans les villages du Vietnam - Search and destroy - Une nuit, Cyril et Aaron sont arrêtés par une patrouille. Aaron voit les flics frapper son frère, et comme il ne supporte pas ce spectacle, il réussit à choper l’arme d’un flic et annonce la couleur : «We all gonna die in this alley if you motherfuckers don’t back off.» Il met les flics en joue. Les cops reculent. Cyril dit à la page suivante que cette nuit-là, son frère lui a sauvé la vie. En gros, Aaron et Cyril expliquent que les cops avaient le droit de descendre des nègres dans la rue. Rien n’avait changé dans le Deep South depuis l’abolition de l’esclavage. Et quand on écoute ce qu’on appelle de la black (Soul, blues, r’n’b, funk, jazz, gospel ou doo-wop), il est essentiel de prendre ces éléments en considération. Dans les rues de leur ville, les Neville Brothers risquaient tout simplement leur peau parce qu’ils étaient noirs. Mais comme le rappelle Cyril, les gens de sa communauté parviennent quand même à célébrer la vie à travers la musique, quel que soit le genre, et ça fait toute leur force, pour ne pas dire leur supériorité. Des quatre frères, Cyril est le plus jeune et le plus enragé, politiquement. La guerre du Vietnam l’obsède parce qu’il ne comprend pas qu’on aille détruire des gens pour rien - Made no sense - Et ça le fout en pétard, exactement de la même façon que Mohammed Ali qui refusa d’aller se battre contre des gens qui ne lui avaient rien fait. Pour Cyril, les Vietnamiens subissent le même sort que les Indiens d’Amérique et les nègres. La conscience politique poussée à son extrême peut empêcher de vivre. That anger nearly cost my life.

    À l’âge de seize ans, Charles prend la route et débarque à Tampa en Floride. On est en 1953 et il accompagne un certain Gene Franklin qui chante comme B.B. King et qui se fait passer pour lui, ce qui est facile, car à l’époque, les gens ne savent pas à quoi peut ressembler B.B. King. Voilà Charles installé au Blue Room, un club qui est aussi une maison de passe. Il y voit des artistes extraordinaires, comme Iron Jaw, Mâchoire d’Acier, qui rappelle The Bullet, l’homme tronc hurleur que décrit Dickinson dans son recueil de souvenirs paru l’an dernier : Iron Jaw pouvait lever une table en la tenant entre ses dents. Il pouvait encore la lever si une fille s’asseyait dessus. Il croquait et avalait des bouteilles de coca, des ampoules, des punaises, mêmes des lames de rasoir. Puis il avalait du feu. Charles séjourne aussi à Memphis, au fameux Mitchell’s Hotel. Il y fume beaucoup d’herbe et jamme avec le ferocious bopper George Coleman qui ira un peu plus tard jouer avec Miles Davis. Charles se laisse porter par l’air du temps comme un fétu dans le courant. Il joue du sax en pur autodidacte, il s’envoie en l’air chaque jour, et quand il peut, il touche au fruit défendu, c’est-à-dire la femme blanche. Charles est beau, extrêmement beau : les putes blanches lui tombent dans les bras.

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    Aaron explique que tout commence à l’école : «On appelait l’herbe ‘muggles’ et peu de temps après, j’ai attaqué l’héro. Dans note coin, uptown, c’était vraiment facile d’en trouver. Charles avait commencé avant moi. Uncle Jolly vendait de l’herbe, mais il recommandait de ne pas y toucher. Charles disait la même chose. Mais je ne les écoutais pas. The first time I shot smak, I was in love.» Comme Charles et Cyril, Aaron va rester sa vie entière accro - Hooked to the boy who make slaves out of men - le boy étant le surnom de l’héro. Et comme Charles, Cyril, Dr John et d’autres, il réussira à décrocher au moment où il trouvera de quoi remplacer cette fausse plénitude. Comme chacun sait, le substitut ne peut être que d’ordre spirituel.

    En matière de sex and drugs and rock’n’roll, la part du lion revient à Charles. Il ne cache rien. Il s’installe à une époque avec Bobbie, une black savvy and superhip, qui vit la nuit et qui détient l’arme fatale : le contact avec Stalebread, le meilleur dealer de la Nouvelle Orleans. «Dans la hiérarchie de l’underground de la Nouvelle Orleans, les dealers se trouvaient au sommet.» Charles explique qu’on les respectait parce qu’ils reversaient leur blé dans la communauté - He was known as a bad dude who did good - Avec Bobbie, Charles découvre ce qu’il appelle the thrills, c’est-à-dire les sensations fortes - Aller de thrill en thrill devint my new way of life. Ce fut son moyen d’ignorer la peur.

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    Comme il ne travaille pas et que son sax ne lui permet pas de vivre, Charles cambriole des magasins. Il se fait poirer en sortant des télés d’une boutique et se retrouve au parish ‘pen’ de la Nouvelle Orleans. Six mois. Il y voit the Zuzu man, c’est-à-dire Dr John, vendre des crayons et des bougies. C’est là dans cette vieille taule que Charles devient ami avec Dr John - For life - Quand il sort, Charles et Bobbie décident d’aller faire un break à Memphis. Fin des années cinquante, Beale Street had that great music, that fast life and especially that cheap dope.

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    Charles fait pas mal d’allers et retours au trou, jusqu’au moment où ça tourne mal, puisqu’un juge l’envoie cinq ans à Angola pour deux joints - Considered a class-A narcotic as illegal as heroin - Les pages ‘Angola’ constituent le cœur de ce livre. C’est un véritable séjour en enfer. Le jour de la sentence, Charles voit son ami Melvin condamné à vie pour vente d’héro - Everyone was scared of Angola - Pour Cyril, Angola était ce qui pouvait arriver de pire dans la vie d’un nègre, the worst-case scenario : «The big, bad, dark state penitentiary stuck out there in north central Louisiana, where racism ran wild and convicts lost their minds and guards just for the hell of it tortured and killed» (ce pénitencier maudit installé au nord de la Louisiane, où régnait le racisme, où les condamnés perdaient la boule et où les gardes tuaient pour le plaisir). Ça, c’est la vue de l’extérieur. Charles donne une vue de l’intérieur. Angola était à son époque l’équivalent de ce qu’allaient être les camps nazis. Mais Charles commence par vivre ça avec philosophie : il savait qu’à force de jouer au con, ça allait mal tourner. Et comme il avait commencé à traîner un peu en enfer, il se disait : autant aller jusqu’au fond de l’enfer. So be it. Il s’y trouvait. Très vite, il apprend des règles de survie. Les gardes lui disent : «Si on te chope avec une lame en ta possession, tu prends deux ans de plus.» Et à côté, un vieux black lui dit : «Tiens prends cette lame. Il vaut mieux que ces bâtards de blancs te chopent avec plutôt qu’un prédateur te chope sans.» Charles écoute le conseil du vieux et prend la lame qu’on appelle black diamond. Il explique très vite que le danger vient souvent des autres condamnés, surtout ceux qui sont condamnés plusieurs fois à vie. Ils deviennent des prédateurs sexuels. Ils sont prêts à baiser n’importe quoi, surtout ceux qui ne savent pas se défendre. Charles sait que pour protéger son intégrité, il va devoir frapper le premier. Alors il frappe. Petit à petit il découvre le système d’Angola, particulièrement retors. L’ingéniosité de l’homme dans ce domaine n’a pas de limite, on le sait. Angola est en fait une très grosse ferme non subventionnée par l’État. Plusieurs kilomètres carrés. Les ressources proviennent des récoltes. Coton, canne à sucre. Ce sont des blancs qui gèrent ça, à cheval et armés, appelés the Free People, mais ils ne sont pas assez nombreux. Alors, ils nomment des blacks parmi les plus sanguinaires pour faire le boulot de ‘gardes’. Ils ont le droit de vie et de mort sur les condamnés qui travaillent. Les nazis vont utiliser le même procédé dans les camps. Le procédé remonte à Mathusalem.

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    Charles apprend vite à craindre the Free People, basically the descendants of slave owners, descendants des esclavagistes - Ils nous traitaient comme du bétail, et ils devaient même traiter leur bétail mieux que nous - Quand aux ‘gardes’, ils avaient l’autorisation de vous tuer si vous approchiez à moins de deux mètres d’eux - six feet - Et croyez-moi, personne ne disposait d’un mètre pour mesurer ça. You were at the mercy of mercyless men. Puis Charles raconte l’une des histoires les plus drôles de ce séjour en enfer : un beau jour, on l’amène avec toute une équipe sur un champ de coton. Le boss blanc sur son cheval blanc a deux sacoches : une pour son fusil et l’autre pour son manche de pioche. «On nous met en ligne, le boss donne un coup de sifflet et chacun avance dans son rang pour cueillir le coton. Sauf moi. Je n’ai jamais cueilli de coton, donc je ne sais pas comment faire. I don’t know shit. J’arrache des feuilles et soudain... WHACK ! Le boss me fend presque le crâne d’un coup de manche de pioche. Je tombe à genoux. ‘Dis-donc, négro’, me lance-t-il du haut de son cheval, t’as jamais cueilli de coton ?’ ‘No Boss, je n’ai jamais vu de putain de coton de toute ma vie.’ Je ne savais pas si j’allais avoir le temps d’apprendre avant que le boss ne me fende le crâne pour de bon. Un autre condamné me montra comment faire et pendant quatre-vingt dix jours horribles, j’ai cueilli le coton. J’entends encore la work song qu’on chantait dans les champs. À Angola, on appelait le travail ‘rolling’ - Early in the morning by the light of the moon/ I eat my breakfasyt with a rusty spoon/ Out to the cane field with the rising sun/ Just roll on, buddy, till the day is done/ Well I don’t mind rollin’ but, O Lord, we gotta roll so long/ Make me wish I was a baby in my mother’s arms» - C’est d’une beauté mélancolique hors normes.

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    Charles sort vivant d’Angola. C’était son seul objectif, sortir vivant. Il est interdit de séjour à la Nouvelle Orleans, mais on lui donne l’autorisation de revoir sa mère. En arrivant dans son quartier, il croise Stagger Stack Lee. Et avant d’aller revoir sa mère, il cède à sa vieille tentation - Went down the road and shot up with Stack - Il renoue avec sa chère héro. Une semaine après, il file à New York, où l’attend son agent de probation. Charles ne pense qu’à une seule chose : dreaming of thet potent heroin they sell in Harlem. Il vient de passer des années en enfer, mais la tentation est trop forte. Et comme le disait si justement Oscar Wilde, le meilleur moyen de résister à une tentation est d’y céder.

    Et c’est la révélation : dans Central Park, il tombe sur des hippies qui lui offrent des tas de trucs - À Angola, les conflits conduisaient droit à la mort, et à Central Park, c’est la générosité des hippies qui me tuait. Je sortais d’un monde de violence, d’uniformes et d’humiliations et découvrais un univers coloré, psychédélique et vibrant de liberté - C’est un choc et Charles le dit mieux que personne. Il essaie les nouvelles drogues qu’il ne connaît pas et notamment le LSD - No wonder I became a tripper - Mais ce n’est pas pour ça qu’il arrête l’héro : «Harlem était le paradis des junkies, ou plutôt, comme j’allais le découvrir, leur enfer. Je n’avais jamais vu autant d’héro de ma vie. En arrivant à New York, j’hésitais à acheter de la dope dans la rue. À la Nouvelle Orleans, on connaissait bien les fournisseurs. On savait ce qu’on achetait.» Et il n’en finit plus de resituer les choses par rapport à la peur, qui, grâce aux patrons blancs dégénérés, est entrée dans la peau des nègres depuis plusieurs siècles : «Alors qu’à la Nouvelle Orleans, la peur ne me quittait jamais, je me sentais chez moi à Harlem. Harlem comprenait mon obsession, Harlem me permettait d’être défoncé tous les jours et d’être bien, l’approvisionnement était inépuisable et on se sentait loin, mais vraiment très loin du monde réel.»

    Bien sûr, Charles ne perd jamais de vue la musique. Il accompagne à une époque Joe Tex, de passage à New York. Et qui joue du piano dans son groupe ? James Booker, l’une des légendes de la Nouvelle Orleans - who, like me, came to New York in search of better dope - Mais après de nouveaux ennuis avec la loi, l’agent de probation propose un choix à Charles : soit retourner au trou, soit décrocher. Il opte pour le décrochage. Il doit suivre un programme de méthadone. C’est un moyen de retrouver une vie normale, car calé sur la dose du matin, qu’il faut aller retirer dans une agence. À l’époque où il s’inscrit, ce programme est encore expérimental. On lui verse 800 $ par mois pour l’aider. Comme le gouvernement n’est pas sûr que ça marche, les candidats sont aidés financièrement. James Booker s’inscrit en même temps que Charles. Mais James est un virtuose de l’arnaque, et il s’inscrit dans trois centres en même temps. Il récupère donc trois chèques de 800 $ chaque mois. Et bien sûr, Charles en fait autant. Mais le programme de méthadone présente un gros défaut : si pour une raison ou une autre, on ne trouve pas de clinique ou d’agence quand on est en déplacement et qu’on rate sa dose, c’est l’enfer - The suffering is unimaginable - Et pour Charles, le résultat est le même : c’est une addiction. Il comprend qu’il faut passer à autre chose. Ça va lui prendre beaucoup de temps.

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    Le sauveur s’appelle Art, l’aîné des Neville Brothers. Des quatre, le plus discret. À l’origine des Meters. Un jour sa mère descend d’un bus et un camion qui ne l’a pas vu lui roule dessus. Art accourt à son chevet à l’hôpital, mais elle est explosée de l’intérieur. On ne peut rien faire pour la sauver. This is it, dit-elle. Puis elle ajoute avant de passer l’arme à gauche : «Keep them boys together.» Veille sur tes frères. C’est exactement ce que va faire Art : monter les Neville Brothers pour veiller sur eux.

    Au moment où Art parle dans le micro de David Ritz, les Neville Brothers existent depuis vingt-trois ans. Depuis leur premier concert au Bijou Theater de Dallas, en 1977. Et comme on le verra dans Neville sainte - Part Two, ils ont à leur actif une belle ribambelle d’albums extraordinaires.

    Signé : Cazengler, vil brother

    Charles Neville. Disparu le 26 avril 2018

    David Ritz, Charles, Aaron, Cyril, Art Neville. The Brothers. Da Capo Press 2000

     

    Neville sainte - Part Two

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    Grâce à Art qui depuis l’âge d’or des Meters a gardé des contacts dans le business, les Neville Brothers enregistrent leur premier album chez Capitol en 1978. Jack Nitzsche produit cet album sobrement intitulé The Neville Brothers. Dès «Dancing Jones», les Bros nous servent cette pop-funk de belle facture dont ils vont se faire une spécialité. Art, Charles, Cyril et Aaron chantent ensemble. On sent une tendance disköidale, mais l’ensemble se veut globalement pacifique. Ils jouent pas mal de cuts passe-partout, que Charles essaye de sauver en soufflant comme un dératé dans son sax. Il chaloupe les cuts à la manière de King Curtis. Les amateurs de grands horizons se régaleront d’«Audience For My Pain», un balladif qui s’étend bien au-delà du delta. On tombe en B sur «If It Takes All Night» et on reconnaît bien la patte d’Aaron, cet imparable séducteur. Un peu de New Orleans Sound avec «Vieux Carré Rouge», soulevé à la trompette de charmeur de serpent et puis «Ariane» sonne exactement comme la «Suzanne» du vieux Leonard qui lui aussi a cassé sa pipe en bois. Mais l’album ne marche pas.

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    C’est bette Middler qui crie au loup, après les avoir vu jouer au Tipitina. Elle réussit à convaincre Jerry Moss, le boss d’A&M Records. Il confie à Joel Dorn le soin de produire leur deuxième album, Fiyo On The Bayou, enregistré à New York. Le titre s’inspire d’un cut qu’Art jouaient déjà avec les Meters. Sur la pochette, un gator en flammes sort du marais. Et pouf, ils attaquent avec «Hey Pocky Way», un groove swampy bien cuivré. Il s’agit là d’un groove unique au monde, chargé d’une musicalité extraordinaire, le symbole de la foison à gogo, un groove organique visité par les esprits. Leo Noncentelli gratte le funk sur sa guitare de Meter. On retrouve Cissy Houston et sa fille Whitney dans «Fire On The Bayou». Elles font le background, mais avec toute la clameur du gospel batch. L’impitoyable Fathead Newman prend des solos de sax à tous les coins de rue. Il remplace Charles, car Joel Dorn voulait des session-men accomplis pour cet album. En B, Dr John vient donner un coup de main sur «Brother John/Iko Iko», un joli groove battu aux gros tambours de Congo Square. Fabuleux, car squelettique et inspiré. Voilà une jolie pièce d’exotica. Mac est aux percus. Mais on le retrouve au piano sur «Run Joe», un groove joyeux de la Nouvelle Orleans. Quelle fantastique ambiance ! Ça saxe le jive de juke, pas de doute. Une fois de plus, nous voici rendus au cœur du meilleur groove d’Amérique, moelleux et moite, subtil et doux. C’est presque aussi capiteux qu’un groove des Caraïbes.

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    Keef déclara dans le magazine Rolling Stone que Fiyo On The Bayou était le meilleur album de l’année. Mais l’album ne se vend pas plus que le premier. De 1981 à 1987, les Neville Brothers n’ont pas de contrat. Personne ne veut miser sur eux. Trop inclassables. Ce sont les Stones et le Grateful Dead qui vont les aider en les faisant jouer et en partageant leur public - The Stones helped us a lot - Les Neville Brothers sont aux anges, car les Stones et le Dead nagent dans un océan de dope - The big turning point was the Dead. We did a New Year’s show with them that rocked the planet.

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    Premier album live avec Neville-ization paru en 1984. Aaron tape un «Woman’s Gotta Have It» au feeling maximaliste. Quelle voix ! Ce mec sait groover la moelle du chant. Il reprend plus loin son vieux hit miraculeux, «Tell It Like It Is», l’un des fleurons de l’âge d’or, romantique et duveteux comme une peau d’adolescente. Encore du groove de charme épouvantable avec «Why You Wanna Hurt My Heart». On entend rarement des grooves aussi décontractés. En B, ils font une fantastique version de «Caravan», le classique de la Nubie antique. Charles joue le solo de sax et derrière lui, ça fourmille de percus extraordinaires. Ils enchaînent avec un hommage à Big Chief Jolly Landry, leur oncle, dont on voit la canne dans les mains des quatre frères.

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    Deuxième album live en 1992 avec Live At Tipitina’s II. Ils tapent dans un gros classique de la Nouvelle Orleans, «Rockin’ Pneumonia & The Bugie Way Flu» de Huey Piano Smith, dans «My Girl» de Smokey, et font un petit coup de gospel batch avec «Riverside». Aaron enfile son costume d’ange pour interpréter «All Over Again» et «Wildflower», mais cet album cède un peu trop aux sirènes des années quatre-vingt.

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    Ce live est ressorti sous le titre Volume Two, avec une set-list différente. Les Neville démarrent avec «Hey Pocky Way» monté sur le légendaire drumbeat que l’on sait, puisque c’est une cover des Meters. On sent la grosse machine à groover à l’œuvre. Les Neville sont comme des poissons dans l’eau du bayou, ils circulent entre les gators et Tony Joe White. Admirable pièce de jive. On trouve à la suite tous les vieux coucous, «Wishin’», «Rock’n’Roll Medley», «All Over Again» et un joli «Doo Wop Medley». L’empire des Neville s’étend aussi loin que porte le regard sur l’horizon du doo wop, hey hey hey. C’est une pure merveille. On peut faire confiance à l’ange Aaron. Les chœurs le suivent en enfer, ce chanteur est un don de Dieu. Avec «Wildflower», il descend dans le cercle magique du chant de rêve.

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    Alors n’ayons pas peur des mots, l’Uptown de 1992 est un album complètement foiré. On y entend du reggae à la mormoille et du synthé. On trouve un peu de good time music diskoïde dans «Shekanana» qui ouvre le bal de la B et par miracle, Aaron y ramène sa fraise d’ange de miséricorde. Ils reprennent un peu de poil de la bête avec «Old Habits Die Hard», un joli mid-tempo de charme, puis avec «Midnight Key», joué à l’énergie de la Nouvelle Orleans. La basse ronfle bien, mais les percus ont hélas un léger parfum diskoïde. Charles déteste cet album : «It was pretty fucking flat.» Il dit que le son de boîte a rythme et de synthé utilisé pour l’album était à ce moment-là déjà complètement dépassé.

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    Avec Yellow Moon paru en 1989, les pochettes commencent à virer au vaudou haïtien. Cette fois, le producteur s’appelle Daniel Lanois. Grâce à lui, ils reviennent aux sources, c’est-à-dire à l’Afrique, avec «My Blood» - Mother Africa - Ce groove des racines sonne comme une vraie bénédiction et s’orientalise même un petit peu. Lanois comprend parfaitement l’esprit musical des Neville Brothers. Ils jouent le groove des origines de l’humanité. Ils reviennent au calypso avec le morceau titre, un cut profond et comme visité par des sons libres comme l’air. Ils flirtent avec le vrai reggae, c’est-à-dire le reggae sourd. Ils tapent dans Link avec «Fire & Brimstone» et groovent le Wray de Wray en profondeur, sur un festival de basse signé Tony Hall. S’ensuit un hommage fabuleux à Sam Cooke avec «A Change Is Gonna Come». Aaron le chante de sa voix d’ange de miséricorde, et la magie s’installe pour quelques minutes. Ce chanteur extraordinaire peut aller swinguer des syllabes à l’octave. Ils finissent l’A en beauté avec une reprise de «With God On Our Side» du grand Bob. C’est d’une pureté inégalable. Le filet de voix d’Aaron scintille au firmament. Voilà pourquoi les Neville sont des géants. Ils créent de la magie. La B est hélas beaucoup moins dense. Ils l’attaquent avec «Wake Up», un groove qui file entre les genres et les époques. Au fond, on voit bien qu’ils n’appartiennent à aucune époque ni à aucune mode. Ils reviennent à Dylan avec «The Ballad Of Hollis Brown» et opèrent un merveilleux croisement des cultures. Quelle grande leçon de feeling !

    Cet album fut celui de la consécration puisque disque d’or - The motherfucker is still selling today, nous dit Charles. Art apprécie surtout le respect que leur témoignent Jerry Moss, Herb Alpert et Al Cafaro, après trente ans de bricolage avec des labels locaux clochardisés.

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    Pochette vaudou pour Brother’s Keeper paru l’année suivante. Il s’agit là de leur meilleur album, ne serait-ce que pour «Bird On A Wire», un nouveau moment de magie pure. Aaron y fait vibrer ses notes perchées. L’autre coup de génie de l’album est le morceau titre. Aaron part en voyage dans un infini de beauté pure et ça vire à la merveille mélodique chantée à l’unisson du saucisson. Encore un coup de génie avec «Sons & Daughters», une sorte de victoire de l’esprit sur la barbarie, c’est-à-dire de l’esprit noir sur la barbarie blanche - You can’t stop runnin’ water/ You can’t kill the fire that burns inside/ Don’t ignore our flesh and blood/ Don’t forsake our sons and daughters - Eh oui, ils ont raison, on ne peut pas empêcher l’eau de couler ni éteindre le feu qui brûle à l’intérieur de chacun, alors il faut bien prendre en considération la chair et le sang des noirs d’Amérique qui n’ont jamais demandé à traverser l’océan. C’est une chanson éminemment politique, bien sûr. Aaron y décrit en trois lignes la vie d’un jeune black condamné à 352 ans de prison pour un crime qu’il n’a pas commis, la taule d’Angola, les nuits sans sommeil, les champs de coton et de canne à sucre - Young man lands in jail for some crime he did not commit/ 352 years hard labor in Angola prison/ 352 years at hard labor/ Sleepless nights between sugar cane and cotton - Ils tapent aussi dans Link Wray en A avec «Fallin’ Rain» et se mettent au groove des Caraïbes avec «Steer Mr Right». On se pelotonne au creux du coude du fleuve. Aaron refait des étincelles de lumière avec «Fearless», il tape dans l’infiniment beau, c’est son dada. On ne se lasse pas de l’entendre chanter. On trouve aussi sur cet album visité par la grâce une belle reprise de «Mystery Train» traitée au groove de basse. Il s’agit là d’élégance à l’état le plus pur.

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    Fabuleuse pochette que celle de Family Groove : les photos des Brothers semblent dater du XIXe siècle. Ils attaquent avec une reprise du «Fly Like An Eagle» de Steve Miller, tapé en mode diskö-funk mais chanté avec le meilleur feeling d’Amérique. On passe aux choses sérieuses avec «Day To Day Thing», the real funk of New Orleans. Admirable, car chanté en duo avec des renvois. On sent le pouls du funk sous le vent, c’est tout le contraire du funk urbain, celui-ci se veut fruité, subtilement soutenu aux percus, à peine teinté de doo-wop et relevé par du xylo voodoo. Aaron prend «Take Me To Heart» de sa voix d’ange. C’est aussi pur qu’une balade océanique de Fred Neil. En B, on tombe sur le morceau titre, un groove funky admirable car joué au riffing réfractaire. Comme le cut refuse d’avancer, il se joue dans l’instant T du funk de base et ses veines se gonflent. Retour d’Aaron dans «True Love» pour une nouvelle échappée dans l’azur immaculé.

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    Tiens, encore un live avec Live On Planet Earth qui date de 1994. Quand on voit la pochette, on comprend que les Neville sont devenus une grosse machine. Dès «Shake Your Tambourine», on est saisi par l’énormité du son. Ils groovent à la vie à la mort, ça hurle et ça tambourine, on sent qu’on est arrivé à la Nouvelle Orleans. S’ensuit un fantastique «Voodoo» shaké aux congas de Cyril. Cet enfoiré sait créer un climat délétère. On est dans le meilleur groove du monde, n’ayons pas peur des mots. Charles souffle dans son sax. Aw my God, si vous parlez de groove, par pitié, mentionnez au moins le nom des Neville. Ils sont tout simplement fabuleux. Certainement l’un des meilleurs groupes de tous les temps. Encore du groove de rêve avec «The Dealer» et puis «Junk Man» arrive, monté sur une bassline de rêve, on croirait entendre des heavy dudes. Solo de sax signé Charles, le jazzman du gang. Cyril et Charles reviennent hanter «Brother Jake» et ils rappent un hommage aux femmes avec «Sister Rosa» - To my mother, my sister and strong women everywhere - Tony Hall, bassman de choc, emmène «Yellow Moon» au paradis du groove et on tombe un peu plus loin sur «Congo Square» - A place where American music was born, a place called Congo Square - Ils tapent ensuite dans Stephen Stills avec «Love The One You’re With» et enchaînent avec une autre reprise, «You Can’t Always Get What You Want». C’est assez réussi. Aaron chante aussi «Amazing Grace». Il règne dans sa version une émotion unique au monde - You’ve got the blessing - Sa voix se perd dans un halo de réverb boréale.

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    On retrouve tout le son de la Nouvelle Orleans dans Mitakuye Oyasin Oyasin/ All My Relations, paru en 1996 sous une belle pochette africaine. Ils attaquent avec «Love Spoken Here», bien sanglé au stomp des années 80, mais chanté par l’ange Aaron. C’est à la fois bon et cousu de fil blanc comme neige. «Holy Spirit» sonne comme un groove magique noyé d’orgue et de clap-hands. On voit le fleuve traverser la ville, c’est chanté au maximum des possibilités de la Soul, avec une puissance hors normes. Ils noient ensuite «Soul To Soul» dans le gospel batch. Ils sont puissants mais jamais ne se comporteront en seigneurs. «Whatever You Do» est trop syncopé pour être honnête. Ils visent le funk de l’être, avec les congratulations du style. Aaron revient sur le devant avec «Saved By The Grace Of Your Love» et tout redevient magique. Il éclate ses syllabes juste pour la beauté du geste. Il crée de la magie. Dès qu’il chante, le monde se met à vibrer. Charles part en solo de sax sur «Ain’t No Sunshine». Et bien sûr, Aaron éclate tout le cut au feeling pur.

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    On trouve deux véritables coups de génie sur Valence Street, mystérieux album paru en 1999. «Little Piece Of Heaven» sonne comme un calypso magique, vu qu’Aaron le chante. Fin, tremblé et diaphane. Trop beau pour être vrai. Cet homme fait des miracles, il peut transformer la pop en vin et le son en pain. L’autre coup de génie est la reprise d’«If I Had A Hammer», le vieux cut de Peter Seeger popularisé par Trini. Aaron explose le Trini, il en fait une merveille d’anticipation de Congo Square. Il transfigure complètement ce hit connu comme le loup blanc des steppes pour en faire un chef-d’œuvre complètement libre, il chante tout à l’éclate de syllabes rondes et mouillées. Il liquéfie le groove. Avec «Real Funk», ils passent au vrai funk de la Nouvelle Orleans. Funk it up, baby ! Funk it off, funk it down in the neighborhood, c’est extraordinaire de stand it up, ils développent leur funk à coups de wha-wha. Aaron revient éclairer le monde avec «Give Me A Reason». On ne peut pas se lasser de son tremblé de glotte. On parle ici de préraphaélisme, il navigue dans les lumières voilées d’Edward Burne-Jones. Notons aussi le retour des grandes énergies de la Nouvelle Orleans dans «Over Africa», pourtant joué aux violents accords blancs.

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    Le dernier album studio en date des Neville Brothers s’appelle Walkin’ In The Shadow Of Life. Joli titre, typique du coin. Le morceau titre sonne comme un hit funk, c’est une vraie partie de rentre-dedans. Ces gens-là savent se confronter aux réalités. Quel shook de shake ! Pas de meilleurs funksters que les Neville Brothers. Ils enchaînent deux autres cuts de funk, «Poppa Funk» et «Can’t Stop The Funk» et tapent dans les Tempts avec «Ball Of Confusion». Les brothers Neville se mesurent à la royauté, mais Aaron mène la meute, alors ça se passe bien. On peut même parler de prise de pouvoir. Quelle version, and the beat goes on ! Ils sont dessus et ramènent du son. Ils passent au heavy sound avec «Streets Are Callin’» - It’s your business - Aaron s’y colle à la voix fêlée. Quelle rigolade ! - It’s your business/ better holler holler - «Carry The Torch» sonne comme un énorme hit de diskö-funk joué à la descendante - This young man he ain’t no plans/ Skulls and bones is all he knows - Aaron et ses frères donnent des conseils - And carry the torch of love in your heart - Fantastique ! Aaron chante «Brothers» en contrepoint et jette à nouveau toute sa lumière sur le monde - Come and walk with me/ We’re in this crazy world together - On le suivrait jusqu’en enfer.

    Le monde enchanté d’Aaron solo fera donc l’objet d’une troisième partie en forme d’aller simple pour le paradis.

    Signé : Cazengler, vil Brother.

    Neville Brothers. The Neville Brothers. Capitol Records 1978

    Neville Brothers. Fiyo On The Bayou. A&M Records 1981

    Neville Brothers. Neville-ization. Back To Top Records 1984

    Neville Brothers. Nevillization II - Live At Tipitina’s. Essential 1987

    Neville Brothers. Uptown. EMI America 1987

    Neville Brothers. Yellow Moon. A&M Records 1989

    Neville Brothers. Brother’s Keeper. A&M Records 1990

    Neville Brothers. Family Groove. A&M Records 1992

    Neville Brothers. Live At Tipitina’s II. Stoney Plain 1992

    Neville Brothers. Live On Planet Earth. A&M Records 1994

    Neville Brothers. Mitakuye Oyasin Oyasin/ All My Relations. A&M Records 1996

    Neville Brothers. Valence Street. Columbia 1999

    Neville Brothers. Walkin’ In The Shadow Of Life. EMI 2004

    Sur l'illusse de gauche à droite : Art, Charles, Aaron et Cyril

     

    VINCE TAYLOR

    L'ANGE NOIR

    ARNAUD LE GOUËFFLEC / MARC MALèS

    GLENAT EDITIONS / MAI 2018

    neville brothers + david ritz,vince taylor,u-bilam,nakht,wild mighty freaks,jazz magazine & co

    RAPPEL

    Le dernier come-back de Vince Taylor de Jean-Michel Esperet ( in Kr'tnt !142 : 02 / 05 / 2013 ),

    Vie et mort de Vince Taylor de Fabrice Gaignault ( in Kr'tnt 188 : 08 / 05 / 2014 ),

    Vince Taylor n'existe pas de Maxime Schmitt et Giacomo Nanni ( in Kr'tnt ! : 25 /09 / 2014 ),

    Vince Taylor, Le perdant magnifique de Thierry Liesenfeld ( in Kr'tnt ! 246 : 11 / 09 / 2015 ),

    L'Être et le Néon de Jean-Michel Esperet ( in Kr'tnt ! 301 : 03 / 11 / 2016 )

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    Vince Taylor n'en finit pas d'interroger notre modernité. Etrange de voir comment ce personnage si scandaleux et si vilipendé en son temps suscite encore fascination et émerveillements un quart de siècle après sa disparition. En son époque il fut stigmatisé comme le chanteur des blousons noirs, autant dire le rebut glaireux de notre société, ces rebelles qui n'avaient pour étendard que l'étamine de leur cuir noir, animés d'une colère que l'on définissait d'incompréhensible, alors qu'elle n'était que la manifestation de l'éternelle renaissance de la hargne des bagaudes et des partageux de tous les siècles, des dépossédés de toujours, à qui en cette aube des sixties l'on se préparait à tendre le plus odieux des pièges, celui de la renonciation de vos potentialités en échange de l'acquisition de dérisoires brimborions, manufacturés par le soin diligent de votre labeur. Le serpent qui ne crache plus son venin, se mord la queue. De poisson. De poison. Consommation, mon amour. Pour le désir vous repasserez, nous ne l'avons plus en rayon. Pour longtemps. Rock'n'roll, musique de cette frustration.

    UNE BANDE DESSINEE

    Deuxième bande dessinée consacrée à Vince Taylor, en noir et blanc. Une esthétique qui semble s'imposer d'elle-même. Mais un noir trop mat, indistinct en quelque sorte, qui donne à mon goût trop de valeur à la viduité d'un blanc clinique. Peut-être Marc Malès a-t-il voulu davantage signifier la cruauté entomologique de l'insecte sur la table de dissection que désigner le clinquant hétéroclite des sixties. Je préfère de loin la glaucité torve des gris de Giacomo Nanni du Vince Taylor n'Existe Pas. Mais ceci n'engage que moi, même si les goûts et les couleurs se discutent très bien.

    ANTECEDENTS

    Romancier, scénariste Arnaud Le Gouellec est aussi un amateur de rock. Ce qui ne l'a pas empêché de s'intéresser dans l'album Le Chanteur Sans Nom, illustré par Olivier Balez, à la vie de Roland Saville chanteur de charme masqué qui fut proche d'Edith Piaf – nous ne sommes pas loin de Vince. Tous deux ont récidivé dans le J'aurai Ta Peau, Dominique A, le lien avec Vince me semblant des plus fragiles...

    BIO NON DEGRADABLE

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    La documentation sur Vince Taylor ( disques, photographies, films, articles de journaux, témoignages ) ne manque pas. A lire les premières pages, il semblerait qu'Arnaud Le Gouëllec ait fait le choix du récit chronologique, le bambin Brian s'amuse dans la cuisine près de maman. Ce qui est en même temps totalement vrai et complètement faux. Peut-être le problème s'est-il posé autrement dans la tête du scénariste, le long fleuve tranquille d'une vie mouvementée peut-il vraiment rendre compte de l'existence chaotique et tourbillonnante de Vince Taylor ! N'était-ce pas se confronter à un double déséquilibre, celui d'un début peu fulgurant, et d'une fin par trop triste, même si l'épisode acméen de bruit et de fureur au centre du bouquin ne manquerait pas de passionner le lecteur. Racine qui s'y connaissait quelque peu dans l'élaboration des tragédies n'a pas manqué de conclure son Andromaque par un épisode de folie dévastatrice...

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    Autre difficulté. Raconter équivaut à mentir. Puisque nous ne savons jamais ce qui se passe dans la tête des gens. Arnaud Gouëllec n'a pas hésité, entre par effraction dans le crâne de Vince. Arnaud tend le micro à Vince et le laisse déblatérer. A sa guise. Le premier mot de Vince est bien l'affirmation du '' Je''. A partir duquel le jeu de la vie peut commencer. Mais c'est comme sur le divan du psychanalyste, les idées se bousculent, les images se superposent, les souvenirs arrivent en rafales, tout s'emmêle et se mélange. Le petit Holden écoute religieusement son grand-frère qui raconte ses missions de pilote durant le Blitz à Londres que déjà Vince est dans sa légendaire tenue de cuir noir, sur scène, en France... Vous ne savez pas mais le rock, c'est comme quand le rêve s'entrechoque dans les électrochocs du réel.

    Les dieux de la Grèce antique nous l'ont appris, il ne saurait y avoir de cosmos apaisé sans l'antécédence d'un kaos génital. Les propos de Vince épousent un semblant d'ordre, le lecteur reconnaîtra les différences séquences, Londres sous la guerre, le départ pour l'Eldorado des States, les débuts anglais, la furia française, le long dérapage vers la mort. La Suisse finale hors de jeu tout de même.

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    Et le rock dans tout cela. L'est donné en prime. Décor essentiel et subsidiaire, si le rock c'est ça, le ça ( groddeckique ) n'est autre que la folie fragmentatrice et dichoatomique de se vouloir être ce que l'on n'est pas, et même ce que l'on est. Question de va-et-vient entre soi et les autres. Erotisme sauvage et à l'arrache. Arnaud Le Gouëllec recherche les causes premières. Le rock en tant que seul bruit qui puisse recouvrir la peur panique du petit Holden terrorisé sous les bombardements londoniens. Le petit Holden ne réussira pas son brevet de pilote, mais il deviendra le hérock de sa génération. Plus il se traîne sur les plancher de la scène, plus il vole haut dans sa tête. Sa gestuelle féline, un démarquage des acrobaties aériennes. Loopings et piqués du pauvre !

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    Sexe. Il serait difficile d'inscrire Vince Taylor parmi les précurseurs du féminisme. Pratique une sexualité brute. Revancharde nous explique Le Gouëllec, ces saletés de gamines qui se sont moqués de son peu de courage à sauter du plongeoir, n'en finiront pas de payer. Pas du genre à amadouer longuement la chatte des admiratrices avant de les pénétrer sans ménagement. Satisfaction primale du mâle. Vite fait, bien fait. Mal satisfaites. Un goût de goujat. Délicatesse porcine à balancer !

    Drugs. Sans insister. Des médicaments d'inconfort qui vous confirment dans vos addictions. A votre vie. Car tout est là. Certains s'accrochent davantage que d'autres. Toutes les dérives tayloriennes, toutes les traboules vincenales, proviennent d'un fétus germinatif niché dans la cervelle, une espèce de cancer qui n'arrête pas de grossir. L a certitude d'être un être exceptionnel, d'avoir un destin – le dernier mot du livre – suffit de savoir lire les signes, in hoc signo vinces, et de se laisser porter par les évènements.

    Un enthousiasme communicatif, une confiance absolue n'empêchent pas la peur. Vous prend et vous pend aux tripes. Comme la merde à l'anus. L'or noir du désir de l'envol conquérant vous pollue inexorablement l'existence. Vous vouliez soleil et vous appréhendez de n'être qu'une étoile filante. Vous vous mythifiez en ange noir du rock'n'roll et vous n'êtes que la chute d'Icare. Peter Brueghel l'Ancien vous avait averti, vous n'êtes que l'anti-pantomime exaltée et dérisoire de la médiocrité humaine.

    Vince Taylor, vous n'êtes qu'une image fracassée de la démesure hominienne à vouloir égaler la puissance des Dieux, c'est pour cela que je vous révère. Rock'n'roll !

    Damie Chad.

    01 / 06 / 2018 / SAVIGNY-LE-TEMPLE

    L'EMPREINTE

    DOWNLOAD PROJECT # 3

    U-BILAM / NAKHT

    WILD MIGHTY FREAKS

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    15 / 16 / 17 / 18 Juin 2018, la fièvre monte dans les milieux métal, hard-core et assimilés, le Download Paris Festival ouvre ses portes à Brétigny-sur-Orge avec Ozzy Osbourne, Marilyn Manson, Foo Fighters et Guns N' Roses en tête d'affiche et plus de soixante groupes derrière, dont Laura Cox Band et Pogo Car Crash Control pour n'en citer que deux que Kr'tnt ! aime bien . En attendant ont été programmées trois soirées Donwload Project gratuites destinées à présenter la scène locale, à rameuter les fans et à faire monter la pression... le 06 avril au Rack'am de Brétigny , le 6 mai au Plan de Ris-Orangis, et ce 01 juin à l'Empreinte, trois lieux de concerts qui depuis des années accueillent et produisent ces formations extrêmement bruyantes... Beaucoup de monde donc, ce soir, plus de trois cents personnes, attirées aussi par le tirage au sort de pass pour assister au festival...

    U-BILAM

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    Bulldozer. Rouleau compresseur. Sans concession. Impitoyable. Le metal dans toute sa lourdeur. Rythmique infernale. Un seul havre de paix dans ce tonnerre, un coup de caisse claire qui sonne comme un suicide, une fraction de seconde sauvée de l'écrasement du monde, mais ce n'est qu'une ruse machiavélique pour relancer la machine à détruire. Délire de triples croches comme grappins accrochés à la coque du dernier navire pour l'attirer au fond l'engloutir à tout jamais. Bilan très négatif quant à notre hypothétique survie terrestre quand vous entendez U-Bilam. La batterie comme un moteur à étouffements convulsifs. Propulse des ratées, des tassements, des entassements, des pulvérisations intermittentes de décombres, mais ce n'est pas le pire, comparé à ce qui suit c'est presque le bonheur. Les cymbales n'en finissent pas de tinter le froid de la mort, un glas cadavérique qui vous kriogénise avant que vous ayez eu le temps de respirer.

    Basse et guitare de chaque côté de la scène comme zombies d'outre-tombe pour vous attendre à la porte du cimetière. La première perpétue l'agonie primale, la deuxième la l'accentue, toutes les deux ensemble tuent. Eclairs froids et découpages glacés, pas la moindre mélodie, pas la moindre harmonisation, des notes qui s'abattent comme des couperets de guillotine, des arbres qui craquent, qui tombent, qui s'entassent sans préavis et s'empilent sans fin. L'acoustique du néant vous abasourdit. Tornades de nuages de cendres à l'horizon immédiat. U-Bilam ne lambine pas pour vous apporter le spectre de la désolation.

    C'est toujours dans les cas désespérés que certains en profitent pour faire pire que les autres. Une bête devant – ce n'est plus un homme – une force qui mugit. L'est le seul que l'avalanche sonore excite, se nourrit de catastrophes et il le clame sous les décombres. Hurle à la mort des étoiles qui s'éteignent une à une, entame une danse sauvage et frénétique, dans laquelle les deux cordistes le rejoignent, sautent de joie et piétinent allègrement vos dernières illusions. L'on entend les grognements et puis les grondements approbateurs de la foule dans la fosse aux lions sauvages qui commencent à se jeter les uns sur les autres. Car U-Bilam délivre une musique carnivore, qui pousse à la dévoration cannibalique, plus un gramme de chair, plus de nerf, juste l'empilement de squelettes de léviathans qui s'entrechoquent en un déluge vertébrique, pour signifier que plus rien n'existe si ce n'est le clapotement de l'univers qui se referme sur sa béance.

    Trente minutes, montre en main, ont suffi à nos quatre cavaliers de l'apocalypse, aidé en cette sombre tâche par de simples samples, pour assommer le monde comme un goret à l'abattoir. Anéantissement terminal. Brutal.

    NAKHT

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    Vous pensiez qu'il ne restait plus rien. Nakht est comme les pyramides d'Egypte. Immuable. Même l'éternité n'a pas de prise sur Nakht. Nakht a survécu. Pas pour rien qu'ils ont affiché le scarabée symbole d'immortalité comme logo en fond de scène. En rajoutent même deux moitiés en étendard flottant de chaque côté de la batterie derrière laquelle veille Damien qui tient ses baguettes croisées sur sa poitrine comme les insignes sacrés de pharaon. Silence sépulcral. Ce qui n'empêche pas la légion des damnés dans les abysses de s'agiter déjà. L'air se fait plus dense, lorsque le sample de l'intro s'élève majestueux tel la tête du cobra de l'uraeus gonflée de venin.

    Christopher et Pierre, nouveau guitariste, ont droit à leur piédestal sur lequel ils se juchent, prêts à déclencher la foudre. Brusquement le néant se fissure et le monde devient plus noir, la cataracte Nakht s'envole, en tournoiements de vautours, et Danny bondit sur scène. Encapuchonné dans une espèce de sombre pèlerine médiévale qui lui donne l'aspect de la Mort, sans sa faux, mais armé d'un micro ravageur.

    Est encore plus grand que d'habitude. Immense et gesticulateur, sa voix chargée de colère et de tonnerre. Ne cessera de hurler de tout le set. Dominateur et vindicatif. Incarnation magique de Seth l'épouvantable. Il apporte la couronne noire de la rage, la suffocation du dernier souffle et la gueule béante d'Apophis le bestial prêt à avaler le monde.

    Damien démonise sa batterie, il est le soufflet de la forge et le battement intarissable du volcan cracheur de feu. Nakht est un bain de flammes lustrales qui carbonisent les volontés de ses fidèles, transformés en pantins mus par les commandements de Danny qui se ruent à sa guise les uns contre les autres, s'emmêlent et s'entremêlent, s'affrontent, s'éparpillent et tourbillonnent. Certains saisis par une transe collective sont jetés ou hissés sur la scène, Danny leur tend un bras secourable, ils dansent autour de lui, et puis ne supportant plus la présence irradiante du Messager se laissent happer par l'ombre marchante de leur destinée et plongent du haut de l'estrade dans la foule mouvante de laquelle ils refusent toute aide, car ceux qui ont approché la fournaise de Nakht n'ont désormais besoin de personne.

    Des motifs orientaux se glissent tels des glapissements de chacals affamés dans les colonnes tumultueuses de la musique déferlante de Nakht. Toute supplique qu'on leur lancera ils l'avaleront, ne sont plus qu'un vestibule de désirs insatiables, descendront dans les abysses de votre âme et resteront à jamais enfermés dans la prison de votre esprit.

    Ce soir Nakht a-t-il été divin ou dément ? Nous ne le saurons jamais. S'est répandu comme une nuée sanglante de soufre noir. Une pluie d'émotions et de beauté. Une brisure haletante sans défaut. Un grand groupe. Splendide.

    WILD MIGHTY FREAKS

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    Après les deux tornades précédentes les Wild Mighty Freaks avaient intérêt à assurer. L'ont fait à leur manière. Troisième fois que je les vois, et trois apparitions différentes. Ne peuvent pas faire comme tout le monde. Commencent par rester dans les coulisses, dans le noir un grand écran blanc descend doucement et le clip de la tribu des monstres apparaît, un scénario improbable, mais ça remue salement, et la musique et les images. Une espèce de thriller incompréhensible, végétal et surréaliste,qui vous éclate le cerveau aussi sûrement qu'une capsule de LSD. Les cinq minutes de délire sont terminées. Noir total. Peut-être se passe-t-il quelque chose sur l'extrême-droite de la scène, mais je suis à l'extrême-gauche, maintenant l'est sûr qu'il y a une espèce de larve visqueuse qui rampe sur le plancher, la musique très forte, enfle, enfle, enfle, jusqu'à ce que dessus se greffe une voix splendide, moitié velours, moitié cactus, nous laissent encore dans l'expectative trois minutes et Crazy Joe entre enfin en scène micro en main. Une voix de maestro-caruso, un grain inimitable, Flex est à la guitare, Tonton à la batterie. La larve s'est enfin mise debout, s'occupe des samples. Juste le temps d'appuyer sur un bouton ou de pousser un curseur, prend le micro de temps en temps, l'est même douée mais ça ne dure pas trop longtemps. Comme s'il n'était pas du genre à abuser des bonnes choses. Le reste du temps que fait-elle ? Rien, elle déambule comme le balancier de la pendule. Le mec payé à ne rien faire. Mais il faut reconnaître qu'il le fait bien. Un cador. Une présence magistrale. Un look invraisemblable d'efféminé à queue de cheval qui ne se sépare jamais de son sac-à-dos, l'apparence d'un trans en partance pour on ne sait où, méfiez-vous, lorsqu'il tombera sa chemise il révèlera une musculature remarquable, toute l'ambiguïté provient de ce qu'il donne l'impression qu'il endosse son propre rôle qu'il est en train de se mimer lui-même, en fait c'est le seul musicos que je connaisse qui n'a pas besoin de jouer d'instrument, l'est son propre instrument, son corps lui suffit, il ne marche pas, il évolue, il ne se déplace pas, il danse sans prendre la peine d'esquisser un seul mouvement. Le gars qui marque des buts sans quitter le banc de touche.

    Avec un tel zozo-zèbre surdoué les trois autres n'ont pas le temps à jouer les batraciens qui se dorent la pilule sur une feuille de nénuphar. Déjà ne sont que deux musiciens. Magnifiquement secondés par des samples certes, qui apportent au son une ampleur négligeable, mais question metal-music vous avez intérêt à aligner l'argenterie. Flex s'y emploie avec brio. N'est pas là pour assumer la rythmique. Son truc à lui, c'est l'apparition grandiose de Zeus tonnant sur son nuage, aux moments essentiels de l'action, vous envoie des riffs monumentaux, mortels comme les flèches d'Apollon qui anéantirent le redoutable Python. Autant le Yao se faufile l'air de rien sur la scène, lui fait tout pour qu'on le remarque, se campe au beau milieu, lève haut sa guitare, attend une semi-seconde de trop, genre attention les gars ça va tomber et il vous lâche une ondée dévastatrice à vous arracher les synapses. Saute aussi un peu partout, mouline comme un dératé, bref vous ne pouvez pas l'oublier.

    Tonton – mais qui a pu donner un surnom aussi débonnaire à ce batteur à la frappe aussi dévastatrice ! L'est rivé à ses fûts, ne peut pas se permettre de grandes gesticulations, mais l'est le géant qui joue à la pétanque avec des icebergs. Tonitrue ample. Une frappe politique de celles qui bousculent l'establishment comme l'on dit. N'y est pas obligé mais apparemment ne sait pas faire autrement, éprouve la nécessité de couler un ou deux Titanic à chaque coup de heurtoir.

    Vous entrevoyez le topo. Le boy qui se tortille comme une torpille au ralenti d'un côté, les deux forcenés qui vous catapultent si fort direct dans les oreilles que votre cervelle se retourne comme une crêpe dans sa poêle, ne vous inquiétez pas Crazy Joe va vous la saupoudrez au venin de mamba noir, et hop vous n'avez plus qu'à l'avaler tout chaud, tout brûlant. Excusez-moi dans mon émotion, j'ai oublié la moitié du mot, ne lisez pas hop mais hip-hop. Car non ce dingue de Joe ne djente ni ne growle comme un métalleux de base payé au smic sans prime de risque. Il hip-hope au delà de tous les espoirs de la hype. Attention pas un blaireau de rappeur qui vous découpe les syllabes une par une pour vous les présenter à la façon des tranches de mortadelle sous cellophane. Toute la différence entre un qui chante et beaucoup d'autres qui ânonnent comme à la maternelle. A gorge déployée. L'a des cordages vocaux en bronze, des filins d'acier flexibles et tenaces avec lesquels il vous ligote sans préavis. L'est et le serpent et le charmeur. L'empoche la salle dans sa poche en un tour de langue.

    Les Wild Mighty Freaks font un triomphe. Plus que mérité. Une originalité certaine, metal tumultueux, hip-hop brillant, burlesque insidieux, z'ont plus plus d'une corde à l'arc de leur dé-lyre sonique. Superbe.

    Damie Chad.

    EVOLUTIONS OF MIND

    U-BILAM

    Z'ont apposé un sticker d'avertissement sur le plastique d'emballage, For fans of : Emmure – Attila – Whitechappel – Urbancore, vous voilà prévenus, si vous adorez Mozart et les petites musiques de nuit dites-vous que les légions des âges obscurs transbahutent une teinte de dark bien plus sombre.

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    Très belle pochette cartonnée, avec livret à l'intérieur est due à Etienne Hetzel et Océane Beci. Au dos un mur qui n'est pas sans rappeler celui du Pink Floyd ( curieuse référence ), mais d'un rouge pourpre, rideau de sang intérieur. Beau contraste avec la le bleu-nuit profonde du paysage de urbain dévasté qu'offre la couverture initiale. Belle image intérieure, feu de survie dans une ruelle déglinguée à l'image de notre monde.

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    Introduction : non précisée, mais qui servira de fil conducteur à cette évolution de l'esprit dont chaque morceau décrit une station. Une espèce de ritournelle grinçante qui vous met d'entrée mal à l'aise. Denied : La musique est beaucoup moins violente que le live. Pas mélodique mais lourdement obsédante. Mise un peu en arrière presque comme un contre-chant aux paroles, la primauté est donnée aux voix, des souffles d'ours inquiétants comme une menace mais qui ne sont que l'expression d'une profonde déréliction. Dialogue avec soi-même. Craintes et questions qui supposent dialogue intime et réponses. Guitares et batteries en sourdines prégnantes, le marécage des irrésolutions vous submerge. Une flambée de guitare sur la fin comme un fandango de désespoir. Anger : retour du motif en cavalcade cynique, la batterie écrase vos dernières espérances, une orchestration pesante qui ne couvre pas la voix qui crie, et le monde s'appesantit sur vous à la manière d'une camisole dont vous ne parviendrez jamais à vous dépêtrer. Un chuintement à l'oreille vous susurre que tout est fini, le leitmotiv se moque de vous, la voix grasseye de colère. Peine perdue. Se débattre tout de même. Expression : intro musicale obsédante à la manière des films expressionnistes allemands, les voix se rejoignent, celle vindicative qui dénonce et celle plus grave qui écrase tout. Se termine par un hachis final où chacun essaie de se reconstituer. Depression : beau comme une symphonie nihiliste, une prière métallique qui se subsume en cris de haine, un delirium vocal sans précédent, et une apothéose instrumentale crépusculaire, avec en dernier écho le rire cristallin et moqueur du motif introductif. Acceptance : le moment de l'acceptation. Souvent dans les scénarios des albums de metal l'on essaie d'offrir une fin sinon heureuse du moins empreinte d'une certaine sérénité. U-Bilam n'échappe pas à cette tentation. La modèrent toutefois par la puissance de la musique et la force du chant. Se méfient, ne sont pas naïfs.

    Tous ces morceaux n'en forment qu'un. Forment une composition, aux thèmes savamment entremêlés. Le groupe fait preuve d'une finesse que le fort impact de sa prestation scénique ne laissait pas présager. Deux belles découvertes pour un seul groupe.

    Damie Chad.

    GUNS N'COOKIES

    WILD MIGHTY FREAKS

    Pochette ouvrante et cartonnée qui permettent de se faire une idées des tenues de scène arbordées par Wild Mighty Freaks. Indication d'importance le groupe est en train d'enregistrer un album.

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    The last time : rien à voir avec le titre des Stones, aucun morceau de l'EP n'est une reprise. Le son est assagi par rapport à la prestation live. Guitare et batterie ne rugissent pas autant et la voix de Crazy Joe et celle de Yao sont certes aussi belles mais il leur manque cette sauvagerie qui les porte et les propulse si haut sur scène. Freaks : grognements de gorets en début, et ensuite un flow assez délirant en lui-même, et Yao qui pousse la mémée du hip-hop dans les orties ulcérantes des refrains de la chanson populaire à vocation faussement mélodramatique, beaucoup d'humour et d'ironie, Crazy Joe vous enroule les R comme vous n'oserez jamais. Des monstres qui ne font pas peur, mais rire. Ce qui est parfois plus déstabilisant. Empty skies : démarrage en douceur, tout repose sur l'articulation plastico-phonique de Crazy Joe. Yao vous dessinent des arcs-en-ciel aussi veloutés que des dessins d'enfants, mais Crazy nous indique que la montée n'est pas aussi paradisiaque que cela. La pente s'avère plus abrupte que prévue et un brin décevante. Derrière les musicos ne vous tapissent pas le décor en rose bonbon. High : des arpèges de piano et montée progressive. Avec des paliers pour reprendre sa respiration, aïe; aïe, high ! Crazy Joe laisse la place à des chœurs emphatiques, mille violons électriques derrière, silence. Plus un bruit. Jungle : comme des cancannements de canards dans le tissu instrumental, erreur d'interprétation, Crazy Joe est perdu dans la jungle. L'on a l'impression vu sa colère qu'il se heurte davantage aux hommes policés qu'aux animaux sauvages. Des envolées instrumentales qui ne sont pas sans évoquer les Carmina Burana de Carl Orff, pour mieux faire ressentir la solitude et la lamentation du héros solitaire égaré dans la forêt carnassière de ses contemporains aux dents longues. Get out my way : six minutes de folie freakienne, tout le monde s'en donne à coeur joie. L'auberge espagnole du défoulement. Le meilleur de chacun, le morceau est bâtie en patchwork de montagnes russes. Vous permet d'entrevoir ce qui se joue dans les Wild Mighty Freaks sur scène, la musique qui fronce des vagues de colère, la voix qui aboie et s'éépanouit, d'incessants retours au calme pour mieux préparer la tempête.

    Damie Chad.

    RUN BABY RUN

    2SISTERS

    Désolé mais ce n'est pas un groupe de lesbiennes énamourées. Le disque ne conviendra pas non plus à Tante Agathe. Vous le comprendrez aisément à l'écoute, la fenêtre de réception du tir est étroite. 2Sisters c'est du bruit. Je n'ai pas dit du noise, que votre tympan sache faire la différence. Du bruit en barre. Directement importé de la ville aux moteurs qui flambent. MC 5 et Stoges dans le rétro et en ligne de mire. Des sauvageons prêt à monter sur le trottoir pour vous écraser, parce que sur les passages piétons ce n'est pas marrant.

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    Down : une voix féminine empreinte de douceur et caressante et mignonne en introduction. Profitez-en bien, parce que c'est la dernière que vous entendrez avant longtemps. Porte bien son titre, vous le descendent à bout portant, ne prennent même pas le temps de lui faire signer le chèque pour qu'il s'acquitte de la TVA des cartouches. Une tuerie de guitares au vibromasseur dans les oreilles et une voix enragée qui ne se la laisse pas conter, un pont instrumental explosé une ultime tuerie et c'est fini. Heureusement, vous n'auriez pas survécu davantage. Remember : souviens-toi de ce riff, z'ont peur que vous ayez la comprenette dure alors ils vous le répètent à foison et sans complaisance. Vous hurlent dessus et vous torturent avec le pique feu d'une guitare qui larsenne à mort et qui vous troue le cœur. Autre endroit aussi, si vous préférez. C'mon and dance / What have u done to me : commencent par le cri primal que l'on pousse généralement le jour de sa mort lorsque vous pénétrez par erreur dans la cage aux tigres. Vous n'êtes plus de ce monde et à la sarabande qu'ils mènent autour de votre cadavre il vous semble qu'ils vous le reprochent et qu'ils en sont tout de même heureux. Don't go : quelques voix de harpies, vous auriez bien envie de mettre les voiles, mais les 2Sisters s'acharnent à vous retenir. L'est sûr qu'ils ont des arguments contondants et que vous vous attarderiez bien mais vous savez qu'il ne faut jamais abuser des vilaines choses. Qui sont les meilleures. Zombie girl : méfiez-vous des filles, d'où qu'elles viennent elles provoquent de ces montées d'adrénaline que vous ne parviendrez pas à vous arrêter de crier et que si vous continuez les guitares y laisseront deux à trois cordes. Run baby ! Run : la vengeance des mecs, prenez une gerce et poursuivez-là de riffs monstrueux et de ricanements insidieux. Parfait pendant qu'elle hurle et piaille vous pouvez vous livrer à votre instrumental favori, un peu à la Link Wray, mais attention aux cramps sur les doigts. So fine : si bon, que l'on ne ne se retient plus, à fond les ballons dans les ouragans, le rock à la orang-outan dégoûtant, n'y a rien de mieux. Imaginez les Ramones, mais en beaucoup mieux. Johnny : tiens pour une fois la voix est mise en avant, c'est comme le choléra, ça ne dure jamais assez longtemps, alors les guitares vous pondent un solo aussi long qu'un œuf de ptérodactyle. Let me go : jungle-beat en folie, crème empoisonnée de guitare, vocaux urgentés, personne ne sait où ils vont, mais sont plus que pressés. Vous donnerez une image au batteur. L'a été particulièrement teigneux. I wanna be me : proclamation philosophique, les slogans les plus courts et les riffs les plus compressés sont les meilleurs. Quelqu'un au fond du studio a dû marcher sur la patte d'une guitare parce qu'elle s'est plaint violemment. Joker : le riff qui tue. 49 secondes un véritable serpent minute. En plus il y a un inconscient qui rit bêtement sans mettre se rendre compte qu'il ne luis reste plus que onze secondes à vivre. Baby wants some R'N'R : les vérités élémentaires doivent être inculquées avec force et brutalité. C'est la seule manière pour que l'humanité comprenne que sans le rock'n'roll elle est perdue. Les 2Sisters excellent en cette saine pédagogie. Leave me be : tiens le morceau le plus long du disque. L'est difficile de déterminer entre la voix et la guitare celle qui crie le plus. Relancent le concours. Ex-aequrock toutes les deux. Un accessit à la cymbale du batteur qui frétille comme une rabote. Wake up : s'il y a encore un gars qu'il est besoin de réveiller après cette tornade, vous me permettrez de douter de l'humanité.

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    Si vous aimez le rock, ce disque est indispensable. Dans le cas contraire allez vous faire foutre !

    Damie Chad.

    JAZZ MAGAZINE & CO

    N° 705 / MAI 2018

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    Le titre m'a attiré : 1958 – 1968 De la folie du hard-bop à la révolte free, cela tombait bien, j'avais envie de lire quelque chose sur le free. J'ai déchanté à la maison. Z'avaient oublié de préciser le lieu : Paris. Zut moi qui croyais me retrouver à New York ! Remarquez ce n'est pas inintéressant, même marrant, les gars qui racontent leur rencontre avec le jazz et leurs premiers concerts in the capitaloso parisiano. Leurs difficultés à se procurer des informations, les galères de galettes introuvables, les rares émissions radio qui passaient leur musique préférée, tout à l'identique des rockers de l'époque, souvent branchés sur les mêmes stations, mais pas aux mêmes heures... un petit détour aux States avec Archie Shepp et ses visites à John Coltrane, et tout de suite après, l'on passe la frontière, dans le monde connu du rock, une double page sur l'année 1968 et la naissance de la Pop, et ensuite les chroniques de disques habituelles dans une revue musicale. De toutes les manières, ce n'est pas de cela dont je voulais parler.

    Elle pèse la revue me suis-je dit en la retirant du rayonnage et instinctivement je retourne le package, péril jaune en la demeure, les Rolling Stones me tirent la langue. A moi qui ne leur ai rien fait. Je reconnais l'arme du crime. L'avais eu entre les mains en ce dernier octobre de l'automne 17, le numéro Spécial Rolling Stones de Jazz Magazine, m'étais dit qu'ils devaient avoir des problèmes de trésorerie pour qu'une revue de jazz se permette un fascicule de 100 pages sur the greatest band of rock'n'roll on the earth. N'ont pas tout vendu apparemment, vous le refilent en prime pour deux euros de plus avec leur 705...

    neville brothers + david ritz,vince taylor,u-bilam,nakht,wild mighty freaks,jazz magazine & co

    Le numéro a été conçu par l'équipe de Muziq – rappelons que cette revue fut créée à l'instigation de Frédéric Goaty qui est secrétaire de la rédaction de Jazz Magazine. Mensuel apparu en 1954 et qui fusionna et absorba en son sein la revue Jazzman née 1992 en tant que supplément du Monde de la Musique émanation en l'an grâce 1978, du journal Le Monde et de l'hebdomadaire Télérama. Continuons à ouvrir les tiroirs, Télérama appartient aujourd'hui au groupe Le Monde après avoir longtemps fait partie de La Vie Catholique. Des gens qui a priori n'éprouvent aucune sympathie for the devil. Le groupe Le Monde qui a pris le contrôle des publications de La vie Catholique est détenu par Xavier Niel ( Free ) et Mathieu Pigasse ( Banque Lazard, Les inrockruptibles, Radio-Nova … )... Je vous laisse découvrir les ramifications de l'iceberg... Quand je pense que nous, pauvre vermisseau Kr'tnt, n'avons même pas un actionnaire et que nous sommes dans la main de notre hébergeur Talkspirit comme la mouche accrochée à sa toile d'araignée, et que Talkspirit provient de l'initiative de Philippe Pinault directeur financier de Natifix, je me dis que rien n'échappe aux tentacules de la pieuvre...

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 228 : KR'TNT 348 : STOOGES / BARNY & THE RHYTHM ALL STARS / VINCE TAYLOR / FRANCOIS REICHENBACH / JOHNNY HALLYDAY / MOUSTIQUE

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 348

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    16 / 11 / 2017

    STOOGES / BARNY & THE RHYTHM ALL STARS

    ROCKABILLY GENERATION / VINCE TAYLOR

    FRANCOIS REICHENBACH / JOHNNY HALLYDAY

    MOUSTIQUE

    Stoog by me - Part Two

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    Allons bon, encore un livre sur les Stooges ! On le sort de l’étagère. Il pèse une tonne, avec de la bonne vieille stoogerie à toutes les pages. On le feuillette et on le repose. On ne regarde même pas le prix. Vu le look du book, il coûte forcément une fortune. C’est vrai, Memphis Soul coûtait aussi une petite fortune, et on ne l’avait pas regretté. Oh et puis fuck it ! Allons fouiner ailleurs. Tiens, par exemple au rayon presse. Ah tous ces magazines de rock qui te tendent les bras en criant : «Prends-moi ! Prends-moi !». Quelle débauche d’images ! On se croirait devant les vitrines du quartier chaud à Amsterdam. On prend vite le large et comme le destin fait bien son boulot, on repasse devant la fameuse étagère, et hop, on met machinalement le grappin sur le book des Stooges, histoire de lester la cale du brigantin.

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    Le book s’appelle Total Chaos. Joli titre. Couverture parfaite. Quand on l’examine, deux choses frappent immédiatement. Un, la photo d’Iggy est à l’envers, le voilà accroché au plafond comme une chauve-souris. Deux, il dégage quelque chose d’à la fois cadavérique et christique. La peau sur les os, la bouche ouverte, un torse qui sort de l’ombre comme s’il ressortait vivant d’une tombe, un collier de chien remplace la couronne d’épines, ceci est mon sang, kiss my blood, par le sacrifice de mon corps, je rachète cash tous vos péchés, ceci est ma dope, I’ve been dirt, mais comme on est à Detroit et non en Palestine, Iggy s’empresse d’ajouter I don’t care, c’est-à-dire qu’il s’accorde un passe-droit, l’accès direct à l’amoralité, l’état de l’homme sans qualité, bien avant Robert Musil et tout le bordel des religions, bien avant que ne plane sur les cervelles en surchauffe l’ombre de Mircea Eliade, et on se prend à rêver d’une église moderne, avec ce livre posé debout sur l’autel et l’immense foule du dimanche matin qui psalmodierait «No fun, my babe no fun», à la suite de quoi le prêtre lancerait d’une voix forte et douce : «No fun to be alone», alors la foule répondrait «Walking all by myself», et le prêtre lèverait les bras au ciel puis il relancerait la ferveur des fidèles en clamant une nouvelle fois «No fun to be alone», et bien sûr, la foule ferait trembler les colonnes de la nef en tonnant «In love with nobody else !».

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    Dans sa préface, Jeff Gold nous explique qu’il a rassemblé 100 docs des Stooges et qu’il est allé voir Iggy chez lui à Miami. Car à la différence des autres livres consacrés aux Stooges, c’est Iggy qui mène le bal de celui-ci, et comme il fait partie des hommes les plus intelligents de cette terre, on entre un peu dans ce livre comme Fernandel dans la Caverne d’Ali-Baba. C’est bardé de citations de choc. Iggy s’exprime comme un messie : «Je ne voulais pas faire un break total avec la musique d’alors, je ne voulais pas me faire passer pour un musicien, je voulais seulement faire quelque chose de complètement nouveau. Comment ? The answer is it was done with drugs, attitude, youth, and a record collection.» On a là une définition parfaite du rock qu’on aime bien.

    On passe les épisodes Iguanas et Prime Movers qu’Iggy drum drum boy commente dans le détail - il se montre effarant de précision - et on finit par tomber sur la genèse des Stooges. Iggy raconte que Scott Asheton le harcelait pour qu’il lui apprenne à jouer de la batterie - He was just a beautiful kid who looked athletic and would stare at me and say ‘Would you teach me to play some drums ?’ - Iggy va répéter chez les frères Asheton. Il doit commencer par les réveiller, car ils ne se lèvent pas de bonne heure, puis il leur fait fumer un joint, car les frères Asheton ne répètent pas s’ils ne sont pas stoned. Alors voilà les early Stooges : Ron (bass), Scott (drums) et Iggy (keyboard). Ça donne Iggy + Ron the weird guy + Scott de stoned punk - That’s very accurate - Et puis Iggy comprend que Ron doit jouer de la guitare, et non de la basse. Et tout part de là, pendant une répète informelle - Ron jouait un riff hendrixien, bam bam, baa, de, doot-doot, daa, de, doot-doot, doo, exactly how it went - et Iggy se met à danser comme un Chiricahua, à faire le con. Le plus tordant de cette histoire, c’est la remarque de John Cale qui produit leur premier album. Il lance à Iggy : «They don’t play good unless you jump around», alors Iggy saute partout dans le studio pendant que les trois autres Stooges enregistrent les cuts de leur premier album. Iggy fait les voix dans un deuxième temps. Ça s’appelle la naissance d’un mythe. Dans une histoire comme celle des Stooges, le moindre détail revêt une importance considérable.

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    Les Stooges ? Au tout début, Ron n’y croit pas trop. Quant à Scott, il ne dit rien. Ni oui, ni non - He was always ready to drum if you could get him out of bed - Par contre, Iggy n’en finit plus d’y croire - We can do this ! - Il devient la loco des Stooges. Et paf ça part ! On tombe soudain sur une photo des Stooges dressés dans un champ de maïs. Double page. Direct en pleine poire. Iggy commente l’image en disant que les Stooges ressemblent à Nirvana, sauf que c’est en 1968, it’s the whole ethic, and not just the clothes but the whole attitude you know ? And the music - the music, the Asheton brothers - those two wonderful people lived their whole lives in a trance - Iggy fait l’apologie de la transe, bande-son de l’amoralité.

    Il brosse un stupéfiant portrait de Dave Alexander, ce petit mec qui souffre de problèmes de peau, qui boit parce qu’il n’arrive pas à baiser une seule gonzesse à cause de sa mauvaise peau, un petit mec qui adore Love, alors que Ron ne jure que par Jimi Hendrix et les Pretty Things - You could really hear that in the bass playing on Raw Power - Iggy ajoute que John Stax did wonderful walking bass lines. Iggy leur fait aussi écouter le Velvet, évidemment. Ils adorent aussi Stones, bien sûr. Plus tard, Scott ira plus sur Funkadelic, des blacks qui sont aussi à Detroit, ils les connaissent bien. De son côté, Iggy raffole de Jim Morrison et des Doors, et du MC5. Mais surtout de James Brown : il entend un jour «Papa’s Got A Brand New Bag» à la radio - Holy shit what the fuck is this ? - c’est ce qu’il veut faire dans Fun House - A little bit urban blues but a lot of James Brown in there - Et quand Iggy voit Jim Morrison faire n’importe quoi sur scène and still look great doing it, il comprend que ce type de bordel est à sa portée.

    Toutes les légendes se construisent à partir de menues broutilles, que ce soit en Palestine ou a Detroit, et les concours de circonstances historico-sociologiques font le reste du boulot. Tu marches dans le désert et tu wanna be your dog, tu marches sur l’eau et tu call mom on the telephone, tu reviens d’entre les morts et tu don’t care, tu portes le poids du monde et tu gonna have a real cool time, tout est dans tout, rien n’est dans rien, ainsi va cette vie dont nous ne savons finalement pas grand chose et qui va s’achever avant même que nous ayons compris quoi que ce soit. À peine le temps de danser le jerk des Stooges, et on replonge dans le néant dont on vient.

    Pourvu qu’on ait le temps de finir la lecture de ce livre palpitant ! On a beau connaître l’histoire par cœur, on s’y replonge, car Iggy parle et son timbre résonne. On l’a souvent dit ici et là, c’est le meilleur pote qu’on ait jamais eu, le seul en qui on peut avoir une totale confiance. Pas besoin de l’avoir rencontré. Sa seule présence suffit. Pourvu qu’il tienne encore un peu. On se souvient du départ de Gainsbarre. Celui d’Iggy serait encore plus douloureux.

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    Voilà que les Stooges entrent dans le godlike corporate world du show-business : Danny Fields les repère et les recommande à Jac Holzman d’Elektra qui se déplace en personne pour venir écouter trois chansons. Tope-là ! Il signe le groupe pour 5.000 $, et profite de son séjour à Detroit pour signer en plus le MC5 (15.000 $). Fabuleuse anecdote d’achats en gros. Sacré Jac, il fait une bonne affaire, à ce prix-là. Iggy trouve Jac intelligent, alors ça se passe bien. Les Stooges ont du blé, ils trouvent une bicoque sur Packard Road et la baptisent The Stooges Manor, ou Fun House, c’est comme on veut. Et paf, Ron comes up with two riffs that you could start staking a career on. I knew that at the time when I heard «Dog» and «Fun» - Oui, c’est Ron qui s’y colle, car Iggy est trop camé. Ron sort les deux riffs clés des Stooges, ceux de Wanna Be Your Dog et No Fun. Tout va ensuite très vite. Les voilà à New York en studio pour enregistrer leur premier album. Iggy profite de l’occasion pour rappeler qu’il règne une ambiance stoogy dans le studio : John Cale porte une cape de Dracula et Nico tricote - And the two of them it was really like the Munsters - Ça ne te rappelle rien ? Oui, c’est la même histoire que celle de l’enregistrement du premier album des Cramps à Memphis, dont se souvient Tav Falco - The Cramps approached studio recording as if it were a wild live show. Their antics in the studio were astonishing (Les Cramps jouaient en studio comme ils jouaient sur scène, avec la même sauvagerie. Les séances d’enregistrement furent spectaculaires) - Iggy précise un point fondamental : on fait un meilleur album avec un producteur qui est une personnalité plutôt qu’avec un technicien. Parmi les applications de ce théorème, on trouve Andy Warhol (Velvet), Nick Lowe (Damned), David Bowie (Lust For Life et The Idiot) et bien sûr Jim Dickinson.

    Alors forcément, quand on traîne du côté de la Palestine, on finit par tomber sur les pharaons. Quand il ne répète pas, Iggy va fouiner dans les livres d’art de la bibliothèque du coin. Le look des pharaons le fascine - The paraohs with no shirts and I thought ‘It just looks so classic !’ - Et pouf, le voilà torse nu sur scène. Il faut savoir se donner les moyens de sa stoogerie. Mais Iggy connaît aussi le Living Theatre, Nam June Park et John Cage, il est loin d’être l’abruti que l’on croit. Il sent germer les idées en lui, il sait qu’il va bientôt marcher sur les mains des fidèles. Ses apôtres Saint-Ron, Saint-Dave et Saint-Scott se gavent de came. Les Stooges écument les États-Unis d’Amérique et dix ans après Elvis, ils rallument tous les brasiers et réinventent le rock.

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    L’histoire s’emballe. Ils enregistrent Fun House à Los Angeles avec Don Galucci, et donc ils tournent, tournent, tournent, ils deviennent énormes - We were shit hot - Iggy prend de tout, coke, speed, LSD, héro - I would use that heroin to calm me down - et il devient accro - I became a complete drug maniac on and off from late 1970 through the end of ‘74 - et quand Saint-Dave commence à merdouiller sur scène, Iggy le vire comme un malpropre. C’est là que l’alchimie des Stooges se casse la gueule dans les escaliers - When you change a thing in a group like that, it destabilizes everything - Joe Strummer disait exactement la même chose après avoir viré Topper Headon. Les Stooges entament leur déclin, alors qu’ils sont partout dans la presse. Iggy tente de colmater les fuites dans la cale, il engage le dark Williamson, ce sale mec qu’on voit dans une spectaculaire photo des Stooges, assis par terre en slibard noir et en bottes. Il est encore plus stoogy qu’Iggy. Il a même une hépatite A - I’m sick man, don’t bother me - Iggy ne l’aime pas, mais Williamson lui montre des riffs, comme celui de «Penetration» - It had this moody violent vibe - Qu’en pense Iggy ? Ça lui va - We have syncopation a la Fun House, but more sophisticated - Iggy tente de sauver les Stooges car il sait qu’il a le meilleur groupe de rock d’Amérique.

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    Alors direction l’Angleterre. Iggy et ce Williamson, un vautour qui déteste tout et tout le monde, Bowie, les Anglais, tout - Is James malovelent ? I think so - Iggy le sait malveillant. Pas d’auditions à Londres comme on l’a raconté partout, à l’époque, Williamson propose d’appeler Saint-Scott. Iggy rétorque : Saint-Scott ne vient pas sans Saint-Ron. Bon alors okay. Oh la belle ambiance ! - Ron hated me and hated James, but not openly. Scott hated James and hated Ron sometimes in like a brotherly way - Et voilà que le street walking cheetah with a heart full of napalm écume Hyde Park, Iggy porte ces silver-leather pants et ce blouson Cheetah acheté au Kensington Market et il marche, marche, marche pour travailler ses idées - So that was the idea and the I’d always liked the song ‘Heart Full Of Soul’ by the Yardbirds - Et il n’en finit plus d’aimer la vie, le lust de la vie - I actually enjoy food, sex, intoxication, travel and freedom - Et tous ses ennuis, ajoute-t-il, viennent justement de ce mighty lust for life - Which is what I sing about - Il fait de cette fantastique amoralité un fonds de commerce, mais attention, c’est un fonds de commerce stoogien, unique au monde. La cohérence de son goût pour l’amoralité peut faire peur, mais il finit par l’imposer, aussi vrai que le diable règne sur cette terre et que les Stooges sonnent comme la plus grande preuve de l’existence d’un dieu des drogues, on appelle ça le Raw Power, et la presse saute dans le train en marche et s’empresse de titrer «Punk messiah of the teenage wasteland», pas mal, n’est-ce pas ? Mais les Stooges vont mourir - too much drugs, the end of it all - avant de renaître glorieusement. Alors, partout dans le monde, les foules vont aller se prosterner aux pieds des Stooges revenus d’entre les morts.

    Signé : Cazengler, Stoobidoo bidoo bidoo ahh

    Jeff Gold. Total Chaos. The Story Of The Stooges/As Told By Iggy Pop. Third Man Books 2016

    Encore une chose : quand on pose la question à Iggy : «Que doit-on retenir de l’histoire des Stooges ?», il répond ceci qui est le mot de la fin : «Well, I think it’s the eyes of a kid looking at the world» (C’est le regard d’un gamin sur le monde). «That’s what I would say. The feel of the group emanates from looking at everything from a childish perspective» (L’essence du groupe émane d’une vision enfantine du monde). «That’s what I would say. There are good things and bad things to come from that.»

    11 / 11 / 2017TROYES

    LE 3 B

    BARNY & THE RHYTHM ALL STARS

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    Paris-Troyes d'une seule traite. J'arrive juste à temps pour la balance de Barny & The Rhythm All Stars. Sont tatillons les gars, ne laissent rien au hasard. Démarrent au quart de tour, splendide sans se forcer, mais chinoisent, coupent les pousses de bambou en quatre comme Lao-Tseu sur le sentier infinitésimal du Tao, apparemment une mesure en rupture de ban dont l'absence ne se profile guère dans mon oreille. Ce qui est marrant c'est qu'ils semblent y prendre un plaisir fou. Ce qui est précis est précieux affirmait Paul Valéry, certes mais pour les rockers c'est encore mieux quand s'y mêle une pointe de sauvagerie... En tout cas, un excellent hors d'œuvre avant le concert, eux ils auront en prime la raclette que dame Béatrice leur a mitonnée...

    CONCERT

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    Pour des sauvages, commencent doucement, Barny collé au fond devant le rideau noir – une nouveauté – immobile, et le band qui entre sans se presser dans le riff de Claude Placet, monte systématiquement d'un demi-cran toutes les cinq secondes, avec cette régularité inquiétante de l'océan imperturbable qui grignote peu à peu les îlots sableux du Pacifique, mais eux ils vont plus vite, sont patients mais point trop, et dès avant la submersion finale, Barny surgit devant le micro, jeune et sauvage. L'est beau Barny, avec ses yeux noirs pleins de fougue et de gravité, la bandoulière de sa guitare à son nom incrusté de perles, et sa voix de foudre qui se pose en gerbe de feu tel l'alcyon sur les eaux tempétueuses. N'a pas fini son deuxième morceau que déjà une corde désemparée vole au vent. Rien de grave. N'en continue pas moins de frapper son instrument avec cette hargne méthodique et enivrante des outlaws qui mettent le feu à la prairie juste pour précipiter les cavalcades des tribus indiennes. Nous refera le même coup au troisième set, mais ne prendra même pas la peine de changer d'instrument, pas de souci à se faire avec les trois autres pistoleros à ses côtés.

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    Fred est à la contrebasse. Tout contre. L'est droit comme un I, cheveux peignés en arrière, l'a le look de ces serveurs de casino stylés dans les films d'espionnages, de ceux qui vous ramassent sur les tapis verts d'un coup élégant de raclette des milliers de dollars avec cette indifférence dégoûtée des philosophes revenus de toutes les turpitudes humaines, et qui se révèlent dès la première scène d'action la plus fine gâchette de la pellicule. Le croupier est amateur de belle croupe. Connaît la valeur des jetons ronds et des féminines rondeurs. Tient sa big mama fermement, dans sa jupe de bois cirée comme un cercueil, debout, plantée comme un arbre raide comme la justice, balancier immobile, axis mundi de la régularité temporelle. Visage imperturbable et main infiniment baladeuse sur le corsage du cordage. A peine la penche-t-il légèrement que sa volute vous surplombe comme tête menaçante de drakkar effilé qui remonte les fleuves à la recherche d'un village à piller et à incendier. Le rockab est une musique de prédateurs. La contrebasse est tour à tour moutonnement régulier des vagues, ou mouette rieuse qui rase les flots déchainées ivre de vent et de tempêté, la blanche Leucothéa qui s'en vient porter secours à Ulysse sur son radeau disloqué par les coups de boutoirs des lames neptuniennes. Ingratitude humaine, le contrebassiste semble suivre le mouvement, rameur obstiné rivé à son banc de nage, mais lorsque le guépard rockabillien se met en chasse, faut un doigté clitoridien pour épouser les félinités des successives cambrures de son échine, frôlements de velours quasi inaudibles dans les moments d'approches, lentes traînées insidieuses pour les reptations nécessaires aux positions d'affûts, staccati démultipliés pour les fulgurances de l'assaut ; slaps brutaux pour les morsures sanglantes des résolutions finales. Fred, l'impeccable imperturbable, suscite traduit et dessine de ses doigts agiles les scènes technicoloresques de nos imaginations les plus vives. Souligne les contours et avive la couleur amarante des flammes du rockab.

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    Stephane est à la batterie. J'avoue avoir été distrait lorsque Barny nous l'a présenté pour expliquer sa présence – une ravissante bout de chou de trois ans s'étant glissée tout devant la scène à mes mes côtés, Barny s'est d'ailleurs précipité, tombé à genoux pour lui permettre de gratouiller sa guitare – tranquille, pas inquiet, prend soin de vérifier sur sa set-list le prochain titre que Claude ou Barny lui annoncent, et il démarre aussitôt comme s'il accomplissait une formalité. C'est qu'avec les numéros de haute-voltige effectués par les deux trapézistes l'a intérêt à renvoyer le trapèze au dixième de seconde prêt. N'a pas droit à l'erreur. Alors il n'en fait pas. L'a une technique que je qualifierai de couvre-feu, s'agit de modérer brutalement les envolées à coups de cymbales comme si vous tentiez de regrouper les braises éparpillées dans la cheminée à mains nues. Pour mieux laisser s'échapper les flammes, plus hautes, plus vives, plus brûlantes, dès que le morceau en cours nécessite une de ces soudaines bouffées d'énergie dont en les violentes survenues réside l'essence du rockab. D'autant plus remarquable que parfois il improvise, résout les problèmes à la vitesse des ordinateurs qui vous posent les satellites en orbite avec cette tranquille assurance avec laquelle vous remplissez votre verre de liqueur ambrée.

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    Claude est à la lead. Ou plutôt la lead est enchaînée à Claude comme l'esclave soumise à son maître. L'en fait ce qu'il en veut. Une facilité déconcertante. Ne le citez pas en exemple à un guitariste débutant. L'aurait l'impression qu'en un peu moins de trois heures il maîtrisera facilement cet instrument rudimentaire. Vous passe les riffs les plus sauvages avec le tour de main inimitable de Tante Agathe qui repasse votre chemise. Sourire débonnaire et doigts incendiaires. L'air innocent du promeneur distrait qui sort de la pinède en flammes tout étonné des trois cents pompiers appelés en renfort pour éteindre l'incendie qu'il s'est fait un plaisir d'allumer, just for fun. Vous déclenche une catastrophe sonore chaque fois qu'il touche de son onglet une corde. Une espèce de tumulte sonique qui vous emporte au septième ciel, z'avez l'impression de voir Dieu en personne et des anges qui caressent le luth de sainte-Cécile pour en extraire des riffs de fou, mais non, ce n'est que Claude qui médite sereinement l'endroit exactement adéquat où il faut frapper la corde pour qu'elle se détende et libère une note dont l'intensité égalera la morsure du mamba noir ulcéré d'avoir été dérangé dans sa sieste.

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    On a passé l'équipage en revue. Reste le capitaine. Le plus jeune, le plus audacieux. D'abord la voix. Ou plutôt l'art de la poser. Où il faut. Quand il faut. Comme il faut. Avec en plus cette impression de n'agir que dans l'urgence, de s'en débarrasser à toute vitesse, d'avoir commencé trop tard et fini trop tôt, ou de la jeter avec cette désinvolture de grand seigneur comme des pièces de monnaie pour que le personnel s'amuse, du grand art, quoiqu'il fasse la constatation s'impose, c'était là et ainsi qu'il fallait faire. Barny a l'instinct du rockab, l'est habité par, possédé, l'est des moments où il ne s' appartient plus, des montées foudroyantes de speed-stress, n'est plus lui-même mais n'est pas un autre non plus, l'est simplement la musique qu'il est en train d'exsuder de son corps comme de son intimité la plus profonde, n'en voulons pour preuve que cette interprétation démentielle de Run Away dédié à son père Carl, faut dire que derrière les matelots ont hissé la voilure et que le combo file comme l'ouragan, surtout Stéphane avec ses reprises de batteries, ses trois coups de feu qui relancent la bordée de mitraille, un long morceau qui vous conte la libération de l'esprit qui s'envole à la rencontre de l'âme du monde, le cheval noir de l'attelage platonicien a pris le contrôle sur le blanc et vous conduit en une course folle dans l'excessivité exaltante du soleil, un des plus beaux moments que j'ai vécus, un instant d'infinitude folle, une intensité de toute beauté, jamais égalée, l'on ne sort pas indemne d'une telle interprétation, Barny se retire derrière le rideau noir, tel le roi lézard de Jim Morrison dans sa tente à la fin de la cérémonie, laissant l'orchestre improviser un instrumental.

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    Revient pour le troisième set. Comme si de rien n'était. Et l'on peut admirer sa prestance. Certes l'espace du 3 B ne permet pas de grands mouvements mais il nous régalera de ces poses stupéfiantes, instantanés de guitare bloquée en des immobilités hiératiques, morceaux à l'arrache et à l'emporte pièce qui vous dégoupillent la grenade du cerveau. Il se fait tard, la soirée se termine sur deux morceaux époustouflants de hargne rockab.

    Un des plus beaux concerts du 3 B ( et d'ailleurs) chargé d'une émotion à couper au cran d'arrêt.

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    Merci à Barny, au Rhythm All Stars, et à dame Béatrice.

    Damie Chad.

     ( Photos : FB : Fabien Hubert DjRocking Cats )

    YOUNG ' N' WILD

    Wild Records ( USA ) / 2016

     

    Barny Rodrigues Da Silva :vocals, acoustic guitar, / Claude Placet : electric guitar / Fred Bonifacio : upright bass / Pedro Pena : drums.

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    Belle pochette cartonnée avec à l'intérieur des mots simples et percutants qui marquent le passage de témoin de Carl à Barny, du père au fils, l'héritage pleinement relevé et assumé, car le wild rockabilly ne saurait mourir. Tant qu'il subsistera des amateurs pour perpétuer la légende et entretenir la flamme dévorante. Jusqu'à ce qu'elle nous ait tous consummés et qu'il ne reste personne pour s'intéresser à ces cendres froides d'un monde évanoui. Qui fut et qui aura été nôtre.

     

    Run away : l'adieu et l'hommage à Carl, parti trop tôt selon nous, mais selon la destinée qu'il s'est choisie en homme libre. Cordes acoustiques et la voix qui monte et s'interroge, l'élan d'une flamme que le vent couche mais n'éteint pas, se redresse et reprend de plus belle sur cette brève charge de tambour ulcérée, montagnes russes de la douleur et de l'acceptation, les chevaux les plus libres et les plus fous courent d'infinis galops dans les pâturages hauturiers. Magnifique. Une Partenza digne de Viélé-Griffin. Not ready : une deuxième composition de Barny, tous les ingrédients du rockab réunis et réussis, une guitare insistante, une basse grondante et une batterie impitoyable, une voix qui s'impose d'office, naturellement. Bluffant, déconcertant de facilité. I got the bull by the horns : faut toujours chercher la cocarde d'honneur entre les cornes du taureau. Si possible, un vieux vicieux qui a fait ses preuves, c'est ainsi que la jeunesse n'attend pas le nombre des années, Barny et ses stars vous massacrent ce redoutable bison de Johnny Horton de fort belle manière, une danse de scalp indienne comme l'on n'en fait que trop rarement dans nos contrées. I got the river : remettent tout de suite le couvert, un peu plus fort, un peu plus sauvage, la guitare de Claude s'électrifie comme une ligne à haute tension. Barny tient ferme sur la vache folle du rodéo et son vocal qui vous arrache des touffes d'herbes aussi grosses que des balles de foins. Help me to find out : ne s'agit pas de foncer comme une brute, faut encore oser au coeur des tempêtes le détachement moqueur et la voix qui s'amuse, sans oublier que derrière les intruments sont comme le lait sur le feu qui n'attendent qu'un moment d'inattention pour déborder et envahir le monde. Crazy beat : des partisans de la montée continue, vous voulez du sauvage, en voici, en voilà, à profusion, c'est à qui ira le plus vite, la voix ou la musique, passent la ligne d'arrivée à fond en oubliant de s'arrêter. Vous renversent la tribune d'honneur et s'adjugent la coupe d'or promise par les Dieux. Mary Sue : Vous croyiez avoir touché le paroxysme, eh ben non, vous font valser le jupon de la petite Mary par dessus les moulins de Don Quichotte. Vous lui essorent le sexe d'une bien belle manière. Je n'en dirai pas plus mais n'en pense pas moins. Vu les cris, ce doit être particulièrement voluptueux. I don't want to be like you : la voix traîne un peu sur la rythmique endiablée, la guitare en profite pour vous passer un riff dans les replis accordéonesques d'un reptile qui étire ses méandres venimeux. Au point où vous en êtes un peu plus de folie ne peut que vous rendre plus sage. Il faut soigner le mal par le mal. Brutale thérapie. Mais vous file la forme. Mad man : la deuxième et dernière reprise du disque, de Jimmy Wages, le pionnier improbable, l'a connu Elvis à Tupelo, l'a enregistré chez Sun avec Jerry Lee au clavier et Charlie Rich à la guitare. N'a rien vu sortir. Un peu trop sauvage, un peu en dehors des canons – lui qui pourtant tirait à boulets rouges. Plus qu'un symbole, un parti pris. L'enregistrent avec la folie nécessaire. Commencent comme en sourdine et finissent collés au plafond. Crazy about you : tant qu'à être fous, soyons-le jusqu'au bout. Barny traîne exprès sur les syllabes, broute à Charlie Feathers, la vie et l'amour ne sont qu'un jeu de jupe et de dupe. Ce n'est pas pour cela que l'on ne va plus s'amuser. Oh mama : du riff et de la voix. Pas besoin d'ajouter de la persillade sur la lave du volcan qui brûle votre maison. La basse de Fred halète comme un chien qui a couru après tous les chats du quartier, et la batterie de Pedro vous hache le filet de boeuf en purée mousseline. Young and wild : une promesse, un engagement. Tous les deux tenus. Démarrage tout en douceur, mais très vite Barny allume l'incendie, ce sont toujours les pyromanes qui s'égosillent le mieux pour appeler les pompiers. Le plaisir du vice. D'être jeune et sauvage. Dans sa tête. C'est là l'essentiel.

     

    Je me répète : un disque essentiel.

     

    I GOT THE RIVER / OH MAMMA

    ( RIP CARL )

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    Wild 57.

    Je le cite pour mémoire. Les deux morceaux sont sur le CD. Ce quarante cinq tours sorti quelques mois après la disparition de Carl avait fait le buzz dans le milieu rockab. C'était trop beau, trop inespéré pour être vrai.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Béatrice Berlot )

     

    ROCKABILLY GENERATION N°3

    Novembre – Décembre 2017

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    L'art de la revue est difficile et de longue haleine, tient en même temps du marathon et du cent mètres haies. Faut tenir la distance et paraître à allure métronomique. Sergio Kazh et son équipe ont décidément adopté le bon tempo, celui de la parution régulière et de l'intérêt accru à chaque numéro. Avant d'être une mine d'informations Rockabilly Generation est un bel objet, se feuillette par plaisir, typographie aérée, superbes photos, papier glacé. Plaisir de voir, désir de toucher sont au fondement de l'esthétique et de l'érotique de l'art de la revue. Pin up rockabilly !

    Ce numéro trois nous permet de voyager en Europe, compte-rendu du festival Get Rhythm Go Wild d'Ebelsbach en Allemagne et visite chez Rick & Ruby de The Tinstars, en Hollande. Toute la différence entre un reportage et l'accueil chaleureux dans une maison d'amis. L'on se sent bien, comme chez soi, dans ces pages, une conversation à bâtons rompus mais menée fort intelligemment qui se révèle pleine d'enseignements, Rick donne l'impression d'un guerrier rockabilly qui a atteint la maîtrise absolue de la zénitude. Grand article sur Hot Slap de Rouen qui retrace son histoire, quelques propos alléchants des Memphis Flyers, une rapide évocation d'Israël Proulx originaire du Canada, et une interview des Noisy Boys réalisée quelques minutes avant leur dernier concert... Rubriques habituelles, disques Be Bop Creek à l'honneur, concerts, courriers des lecteurs...

    Nous avons gardé pour la fin, l'hommage à Sonny Burgess placé en tête du fascicule. Honneur aux pionniers – la forêt d'arbres cannibales qui se cachent derrière le séquoia majestueux d'Elvis - sans qui rien ne serait arrivé mais dont l'histoire épouse les contours d'une génération sacrifiée...

    Attention, lecteurs faites vite, les numéros 1 et 2, sont épuisés et vu la qualité et la densité de ce 3, il risque de disparaître rapidement.

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 7 hameau Saint-Eloi / 35 290 Saint-Méen-Le Grand ), 36 pages, 3, 50 Euros + 3, 40 de frais de port pour 1 ou 2 numéros, abonnement 4 numéros : 25 Euros, chèque à Lecoultre Maryse 1A Avenue du Canal 91 700 Ste Geneviève-des-bois ou paiement Paypal maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro.

    VINCE TAYLOR

    SONORAMA N° 37 / FEVRIER 1962

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    Moins connu que le scopitone, la revue Sonorama. Revue papier et sonore. Chaque article s'étalait sur deux pages, mais la merveille résidait entre, le disque souple glissé entre les deux. Suffisait de poser la revue sur le tourne-disque pour écouter. Sonorama proposait plusieurs sujets d'actualité, mais quand on regarde les sommaires il est facile de se rendre compte que les chanteurs et dans une moindre mesure les artistes de cinéma étaient privilégiés. Entre octobre 1958 et juillet 1962, parurent 42 numéros. Les documents consacrés à Johnny Hallyday ont été réédités par Jukebox Magazine. Pour les curieux, les numéros se trouvent facilement sur les sites à des prix tournant entre 4 et 20 euros... A l'époque la revue était relativement chère ce qui explique son interruption. Le promoteur en était Louis Merlin fondateur d'Europe 1. L'est sûr que le succès de Salut Les Copains ( numéro 1 en juillet 1962 ) a dû lui couper le sifflet. Sonorama a toutefois bénéficié de signatures célèbres comme Jean Cocteau, Pierre Mac Orlan, Louise de Vilmorin...

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    Et de Vince Taylor, ce qui est nettement plus classe. Twenty Fligth Rock d'entrée, rien de tel pour vous mettre de bonne humeur, mais voici qu'une voix féminine se livre à une analyse psychologique de notre rocker (quasi)national N° 1. L'est comparé à Doctor Jekyll et Mister Hyde, à en croire notre demoiselle ( Jacqueline Joubert ) Vince le jour serait un garçon timide et bien élevé, mais hélas quand survient la nuit et qu'il est assailli par les démons du rock... l'ange de la destruction en personne, et hop on lui donne la parole avec surtout cette bonne idée de faire la traduction une fois qu'il a fini de parler et non pendant. Un peu gêné le Vince, tente de raccommoder la vaisselle brisée – c'est trop tard, l'on n'a pas le texte des deux pages de présentation mais l'on subodore que c'est juste après la mise à sac du Palais des Sports du 18 novembre 1961 – rejette la faute sur la centaine de voyous qu'il ne faut pas confondre avec l'ensemble des cinq mille participants, même si le rock comporte un arrière-fond de violence... passons... la speakerine laisse Bobby Clarke dérouler son solo, les guitares s'en donner à coeur joie et Vince déroule en intégralité un très bon Sweet Little Sixteen.

    Tout amateur de Vince écoutera avec plaisir. N'en sort point trop étrillé le Vince, maintenant je ne sais pas comment la majorité des lecteurs de Sonorama devaient recevoir le paquet cadeau quand on pense que le N° 1 proposait Le Soulier de Satin de Paul Claudel... Une étude statistico-sociologique s'impose !

    Damie Chad.

    A LA MEMOIRE DU ROCK

    ( V. Taylor, J. Hallyday, E. Mitchell )

    FRANCOIS REICHENBACH

    1962

    Cinéaste, François Reichenbach est un témoin important de la naissance du rock en France. L'a beaucoup filmé et archivé ( voir KR'TNT ! 312 du 19 / 01 / 2017 ) mais à part le long métrage sur Johnny Hallyday et ce court documentaire qui ne dépasse pas la douzaine de minutes peu d'images ont été montrées au public.

    Réalisé en 1962 ce film mélange entre autres des rushes du premier ( 24 février 1961 ), du deuxième ( 18 juin 1961 ) festival international de rock'n'roll au Palais des Sports de Paris. Notons que Vince Taylor était la tête d'affiche du troisième festival du 18 novembre 1961. La salle chavire avant qu'il ait pu rentrer en scène... La carrière de Vince ne s'en relèvera pas...

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    Fallait du courage pour oser montrer d'un oeil sympathique la furia rock'n'roll en pleine action, François Reichenbach ne se démonte pas et use de subterfuges socio-culturels qui le rangent parmi les manipulateurs d'opinion les plus remarquables. Réalise un agressif et insidieux mélange cinématographique : complaisance d'images-choc enveloppées dans une bande-son des plus séductrices.

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    Bruit de foule déchaînée et lecture en lettres blanches sur fond noir d'un extrait d'un article du 21 novembre 1961 de France-Soir. Assez prémonitoire quand on pense au joli mois de mai 1968, les échauffourées du 18 novembre 1961 ne sont que signes avant-coureurs d'une tempête plus dangereuse qui se profile à l'horizon. Brutal changement d'ambiance, une de magazine offrant un beau portrait de Johnny Hallyday alors que s'égrènent les premières notes du Quintette N° 1 de Luigi Boccherini. Le genre de musique que l'on retrouverait facilement en fond de lecture de La Chartreuse de Parme de Stendhal. Vous allez vous en fader encore quelques instants de ce satané Luigi durant les gros plans sur les visages d'une jeunesse qui se dirige vers les entrées du Palais des Sports. Sont beaux, sont jeunes, nos Rastignac du Rock, n'empêche qu'aujourd'hui ils dépassent les soixante-dix balais et que la réalité a dû raboter sérieusement ce désir de vivre qui les habitait... Du bruit et du noir. Des cris infinis dans lesquels surnage la musique des Chaussettes Noires. Vous ne les entreverrez qu'à peine, la caméra préfère ne pas quitter de son œil de verre ces jeunes fous qui dansent, remuent, crient, exultent... une vague de folie communicante, les Chaussettes têtes coupées pour mieux insister sur la désarticulation des corps et montrer que l'hystérie de la cohue généralisée n'appartient à personne et subitement dans la chienlit surgit le visage extatique de Vince Taylor, apparition dionysiaque, félin cerclé de cuir noir, essentiel, absolu, l'essence même du rock, une vision, une interpolation des plus artificielles puisque Vince n'a pas chanté – je dirais des plans de son spectacle à l'Olympia de décembre / Janvier 61 / 62 – puis par la grâce du montage retomber sur Hallyday qui fut la vedette incontestée et incontestable de la soirée du 24 février. Les images s'éclaircissent comme pour filmer un tour de chant des plus classiques, mais non, pour mieux désigner la descente des flics qui provoquent mouvement de reflux et sur la musique de Boccherini se dessine un étrange ballet de pandores qui marque la mesure de leurs matraques qu'ils abattent sur la tête de cette jeunesse en délire. La caméra se braque comme un fusil sur ces jeunes innocents et nous désigne les coupables qui continuent à danser, à tressauter, à s'agiter infiniment, visages épanouis, corps comme libérés de la pesanteur sociétale, comme si leurs soubresauts épousaient le rythme des violoncelles de Boccherini... manière de dire qu'au-delà des siècles musique de chambre ''classique'' et rock'n'roll sauvage ne sont que la même expression de la rage de vivre.

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    Si je devais donner un titre, ce serait : Tombeau pour Vince Taylor.

    Car les images de François Reichenbach ne sont pas loin de la perfection formelle des sonnets mallarméens.

    Damie Chad.

    Disponible sur Youtube. Tapez les quatre lignes de notre titre. La (re)lecture de Vince Taylor, le perdant magnifique de Thierry Liesenfeld s'avère indispensable pour les esprits curieux et les amoureux du rock.

    Ces deux articles ont été suscités par les posts de Vince Rogers sur son FB. Mine de combustible hautement radio-actif à ciel ouvert.

    JOHNNY

    LA DERNIERE DES LEGENDES

    CLAUDE FLEOUTER

    ( Robert Laffont / Septembre 1992 )

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    Rien que deux livres parus sur Johnny, ces 26 et 27 octobre dernier... J'ai remonté de mon garage – la pièce la plus rock de tout appartement respectable - celui-ci, sorti en septembre. 1992. Un quart de siècle s'est écoulé depuis sa parution. La dernière des légendes a décidément la vie dure. Aussi dure que du bois dont on fait les cercueils. Claude Fléouter n'est pas né de la dernière pluie non plus. L'a réalisé une trentaine de films et écrit une trentaine de bouquins. L'est aussi le fondateur des Victoires de la Musique et des Victoires de la Musique Classique. Je vous laisse seuls juges, n'ai jamais vu puisque que je ne possède pas chez moi cette boite à esclaves que d'aucuns s'entêtent à appeler télévision. L'on sent l'inconditionnel, qui a connu Johnny dans sa jeunesse. Sait de quoi il parle. L'a cette qualité rare, de ne pas se mettre en avant. Raconte Johnny, pas les aventures de Fléouter avec Johnny. A peine si l'on peut deviner sa silhouette dans les coins.

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    Pas d'anecdotes graveleuses. Ne se voile pas non plus les yeux devant les seins qui dépassent et les chattes qui miaulent de plaisir. Ne raconte pas. Dresse un portrait. Qui tient aussi bien de La Bruyère pour les scènes de genre, que de Pascal pour la contemplation des gouffres intérieurs. Pas d'effort de style, mais bien écrit. Un Johnny en noir et blanc. Beaucoup de gris, beaucoup de noir. Peu de blanc. Ce n'est pourtant pas la couleur qui manque. La saga hallydéenne en épouse les teintes les plus vives. De quoi faire le bonheur d'un coloriste. Cléouter ne s'en prive pas non plus, mais toute la quincaillerie rutilante il la laisse en arrière-plan. L'on ne compte plus les journalistes en mal de ressentiment qui ne se sont pas privés d'attacher de multicolores casseroles dans le dos de notre rocker national. L'on reconnaît les écrivaillons du ressentiment à leurs stylos qui bavent.

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    Cléouter décrit le rocker mais s'attache à l'homme. Commence par la douleur. Automne 1966. Johnny ne sera pas sur la scène de la Fête de l'Humanité. L'a craqué, tentative de suicide. Sur la brèche depuis trop de temps. Le succès n'est pas venu trop vite. Il est venu très vite. Bien sûr il y a eu les années de galère, mais cela c'est la ration quotidienne de l'artiste qui s'en vient chambouler le jeu de quille établi. N'ont pas duré trop longtemps et lorsque l'on a seize ans et dix-sept ans cela relève encore du jeu. Idem pour le public qui se colle à lui dès la première émission télé. Et qui ne le lâchera plus. Il est l'allumette qui met le feu à la bonbonne de poudre noire. La jeunesse se découvre en le regardant. Il est n'est pas qu'un simple miroir. Il est un modèle. Il est l'artificier. Tout lui sourit. La gloire, l'argent, les filles et le rock'n'roll. De 1960 à 1965, il est l'idole d'une génération. A peine est-il parti à l'armée, à peine s'est-il marié que tout se désagrège. La vague adolescente qui l'a porté reflue, et la nouvelle guigne déjà ailleurs. Se retrouve seul dans un monde nouveau. Son nom fait encore illusion, il est un symbole, ce n'est pas un hasard si les communistes lui offrent le plus grand podium de France. Mais Johnny n'est pas dupe. L'a vu de près la solitude égotiste de Dylan et celle extasiée d'Hendrix, il le sait, il le comprend, il sera seul jusqu'au bout.

    Quand l'aigle est blessé il ne revient pas chez les siens parce qu'il na pas de chez lui. Ou il crève ou il se métamorphose en phénix. Et Johnny revient. L'a retenu la nuit du désespoir dans sa poche avec un mouchoir dessus pour qu'elle ne ressorte comme le mauvais génie de la lampe. Côté soleil Johnny est imbattable. Fatigue tout le monde, inlassable, increvable, se couche pour ne plus se relever et se réveille le lendemain en pleine forme. Toujours des idées nouvelles, des lubies qu'il lui faut réaliser à la minute. Filles, voitures, musique, tout et tout de suite. Le prince flamboyant du rock'n'roll. Côté lunaire, c'est nettement moins drôle, un insomniaque – ce n'est pas qu'il est trop surexcité pour dormir, ce n'est pas qu'il ne peut pas, c'est qu'il ne veut pas se confronter à ces minutes d'abîme qui précèdent le sommeil, peur du rêve qui vire au cauchemar, peur inconsciente de la mort, de ne pas se réveiller, Johnny est un angoissé. Rayonnant dès qu'il met pied à terre. Mais l'angoisse l'habite, l'angoisse le ronge. Ne le quitte pas, même quand il allume le feu. Celui qui brûle la peau et qui consume le désir.

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    Certains mettront plus de temps que lui à comprendre que le rock est une course avec le devil. Même ceux qui se vantent de sympathiser avec lui. En 69 le concert d'Hyde Park en l'honneur de Brian Jones, si symboliquement pharamineux fût-il, n'était que cinq gars qui essayaient tant bien que mal de recoller les morceaux cassés de leur groupe. En 67, Johnny est au Palais des Sports, ne s'agit pas d'un énième tour de chant dont il sait fort bien s'acquitter, mais d'une mise en scène, d'un spectacle qui en donne plus. Faudra attendre la douche froide d'Altamont pour que les Stones comprennent qu'ils ont mangé le pain bleu du rock'n'roll, que désormais il va falloir voir plus grand, prouver au monde entier que c'est eux qui possèdent le plus gros zizi. Entre temps Johnny est revenu aux racines du rock, l'a son Johnny Circus, une folie entre le barnum originaire du Colonel Parker et la carriole des medecine show, mais revue façon cirque Pinder et Bouglionne. Une catastrophe financière mais il s'en relèvera plus grand, plus fort, le livre s'achève alors que la démesure hallydéenne se met en marche...

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    Je vous passe la tarte à la crème de l'enfant abandonné, Johnny n'est pas Cosette, l'a su se construire sur une situation de départ qui n'était pas jojo. C'est tout. Claude Fléouter ne cache rien, le bon comme le moins agréable, mais pas besoin de sécher vos larmes aux rideaux de la salle à manger. Nous dessine un Johnny timide, secret et sans doute le maître-mot : pudique. L'auteur a eu le trait sûr et perspicace. Un quart de siècle plus tard, Johnny ressemble à ce portrait initial. En vingt-cinq ans frasques et vicissitudes se sont accumulées. Les temps ont changé. Le monde a périclité. Johnny est toujours égal à lui-même. Nous avons pris un sacré coup d'usure. Ce livre antédiluvien de Claude Fléouter nous permet de vérifier qu'à l'intérieur Johnny n'a pas vieilli.

    Essayer de faire pareil. Alors on en reparlera.

    Damie Chad.

    MICHEL GREGOIRE DIT

    MOUSTIQUE

    UNE LEGENDE DU ROCK'N'ROLL

    ( Reportage inédit du 17 novembre 1989 / You Tube )

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    Ma chronique de l'album de Tony Marlow la semaine dernière m'a donné mauvaise conscience. L'on approche la trois-cent cinquantième livraison et Moustique n'a jamais été nommé qu'incidemment. Reste pourtant un pionnier du rock'n'roll français. On passe un peu vite sur lui, on l'écarte comme un moustique indésirable qui s'en vient butiner dans le pré-carré de votre peau. N'empêche qu'il est monté sur scène avec les plus grands, Jerry Lee Lewis, Gene Vincent et surtout Little Richard qui l'a revendiqué comme ami. Ce mini-reportage est à voir. Moustique dès le début y revendique fièrement ses origines prolétariennes, un gosse de Paris, fils de la misère, à jamais traumatisé par l'apparition du rock'n'roll à l'orée des années soixante. Son premier 45 tours enregistré chez Barclay, la firme qui avait à son catalogue Les Chaussettes Noires et Vince Taylor lui apporta la gloire, celle qui survit à tout. N'en emprunta pas pour autant la voie royale d'Eddy Mitchell, comme Vince malgré des raisons différentes, il connut les itinéraires de la déglingue, rejeté par la vague yé-yé sur le sable les plages du dédain et de la non-rentabilité économique. Un avenir aussi sombre que le fond noir de sa première pochette. N'était pas le genre de gars que l'on pouvait calibrer, comme l'énonçait son premier hit Je suis comme ça, la reprise de My Way d'Eddie Cochran, quinze ans avant Sid Vicious, l'avait la sale habitude de n'en faire qu'à sa tête. N'a pas fait long feu chez les requins du showbizz. Alors l'a tout fait, la prison, un stand d'objets africains aux Puces, l'a tenu deux restaurants, bref l'a survécu dans les eaux troubles de la vie. Irrémédiablement rocker jusqu'au bout des ongles. L'est toujours présent, personnage doté d'un optimisme inamovible et pathétique, la foi du rock'n'roll chevillée au corps, toujours prêt à monter sur scène pour répandre la mauvaise parole du early rock'n'roll, cette musique qui vous salit les mains dès que vous les trempez dans son moteur et vous brûle l'âme. Irrémédiablement. Dès la première écoute. Moustique est un survivant. Moustique est un rocker.

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    Damie Chad.