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  • CHRONIQUES DE POURPRE 648 : KR'TNT 648 : RUSS WILKINS / NO JAZZ QUARTET /MAX DECHARNE / WAYNE KRAMER / GEORGE SOULE / GHOST HIGHWAY / DOOM DRAGON RISING / ORPHEAN PASSAGE / THUMOS

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 648

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    06 / 06 / 2024 

     

    RUSS WILKINS / NO JAZZ QUARTET

    MAX DECHARNé / WAYNE KRAMER

    GEORGE SOULE /  GHOST HIGHWAY

     DOOM DRAGON RISING /  ORPHEAN PASSAGE

      THUMOS

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 648

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Russ the Boss 

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             Il existe deux boss dans l’histoire du rock et des wizards : Ross the Boss des Dictators, et Russ the Boss de Lord Rochester, mais aussi d’une palanquée d’autres groupes dont on va causer dans la foulée. Depuis cinquante ans, Russ the Boss Wilkins est l’une des têtes de gondole proéminentes de l’underground britannique, au même titre que Wild Billy Childish, Graham Day, Bruce Brand, Mickey Hampshire, Hipbone Slim, Dan Melchior et Sexton Ming. On retrouve la trace du Russ dans les Pop Rivets, les Milkshakes, le Len Bright Combo, les Delmonas, les Wildebeests, Lord Rochester et dans une multitude d’autres projets. Chaque fois, les disks sont bons, c’est important de le signaler. Les ceusses qui le savent y vont les yeux fermés.

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             Son anti-carrière remonte à 1979. Il était déjà dans la big rock action avec Wild Billy Childish et les Pop Rivets, et un tonitruant premier album baptisé Greatest Hits. Bruce Brand fait aussi ses débuts de légende vivante, car il y bat le beurre, il faut l’entendre battre la chamade de «Fun In The UK». Te voilà au parfum. On entend le Billy s’étrangler de rage dans «Bacon». Il fait du punk primitif, si mal dégrossi qu’on dirait du Dada. Ah quel joli développé de Méricourt ! On sent bien les racines du British beat dans leur punkitude affichée. S’ensuit un gorgeous clin d’œil aux Mods avec «Lambrettavespascoota», gratté à l’hard ska de Brixton, il est complètement fou le Billy, complètement fracassé de la ciboulette. Il s’énerve encore plus avec «Kray Twins», il chante comme une petite fiotte enragée, il est à la fois marrant et impressionnant. À l’aube des temps, les Pop Rivets sont superbes, Billy the kid part bien en vrille sur le bassmatic de Russ the Boss. Avec «Commercial», ils sonnent comme les Buzzcocks, avec la même énergie et le même bassmatic cavaleur. C’est Russ the Boss qui tape le «Disco Fever» en mode «Death Party». Quelle dégelée ! Les Pop Rivets sont effarants de grandeur tutélaire. Billy fait encore sa sale teigne sur «To Start - To Hesitate - To Stop» et Russ the Boss roule sa poule au bassmatic délirant. On entend parfois Billy crier comme un condamné, et ils bouclent cette brillante affaire avec le wild gaga punk de «Pins & Needles». Ils sortent le grand jeu, c’est-à-dire le fast stomp. Merveilleuse énergie des maillots de corps et des peaux adolescentes.

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             On trouve trois covers diaboliques sur l’Empty Sounds From Anarchy Ranch des Pop Rivets : «You Really Got Me», «Wild Thing» et «What’cha Gonna Do About It». Ça chauffe pour de vrai, c’est trashé jusqu’à l’oss de l’ass, il tapent les Small Faces, les Kinks et les Troggs à l’arrache-pied et sur le What’cha, on entend la bassline voyageuse de Russ the Boss. Le reste de l’album va plus sur la grosse dégelée de Medway Punk’s Not Dead, et «Skip Off School» est un real deal de real slab. Heureusement tout n’est pas si bon, ça permet de reposer les oreilles. Avec «Anarchy Ranch», ils font de la wild Americana de Medway. 

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             Le Live In Germany ‘79 est un bel Hangman de 1990. Tu éprouves une certaine fierté à le posséder, comme d’ailleurs tous les Hangman. Ce Live est plus un document sociologique qu’un album live, au sens où on l’entend généralement. Ce n’est ni le Band Of Gyspsys ni le Rockin’ The Fillmore, c’est un doc live un peu âpre, enregistré avec les moyens du bord à Hambourg et à Dusseldorf, en septembre 1979. Les Pop Rivets sont quatre, Wild Billy Childish chante, Bruce Brand gratte ses poux, Big Russ bassmatique, et Little Russ bat le beurre. Au dos, Jack Ketch déclare que ce Live «is an important document in the history of medways premier punk group». Alors ils foncent dans le tas et aussitôt après un «Hippy Shake» mal dégrossi, ils tapent un «Kray Twins» punk as hell. On entend Big Russ monter au front avec son bassmatic sur le ska d’«Hipocrite» et Billy pique sa crise avec la cover du «Watcha Gonna Do» des Small Faces. En B, ils sortent leur vieux «Fun In The UK», le fast punk de «Beatle Boot» vite torché à la torchère, et ils enchaînent avec l’«ATVM Ferry»» d’Alternative TV de Part Time Punks, puis «Steppin’ Sone», cover idéale pour des sales punks. Ils se vautrent ensuite en reprenant le «Jet Boy» de Plastic Bertrand. Ce sera la seule faute de goût dans les immenses carrières de Wild Billy Childish et de Big Russ Wilkins. 

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             En 1982 Russ the Boss se retrouve dans les Milkshakes, une sorte de super-groupe avant la lettre. Pardonnez du peu : Wild Billy Childish, Bruce Brand, Mickey Hampshire et Russ the Boss. Si ce n’est pas un super-groupe, alors qu’est-ce que c’est ? Ils vont enregistrer une petite palanquée d’albums, avec en moyenne trois pépites sur chacun d’eux, ce qui reste une moyenne honorable. Fourteen Rhythm & Beat Greats est un Big Beat de 1982. Belle pochette classique, beau son classique, beau choix de cuts classiques. On en retiendra trois : «Seven Days», «No One Else» et «Red Monkey». «Seven Days», oui, car monté sur les accords des early Kinks, Milky Power avec l’aw qui annonce se solo de la désaille définitive, du pur Mickey Hampshire. Exploit qu’il réédite avec un «Exactly Like You» bien bombé du torse. «No One Else», oui, car bombasté dès l’intro par Big Russ, le demolition man. Fantastique pulsateur devant l’éternel ! Et «Red Monkey», oui, car clin d’œil à Link Wray avec un son de basse délibérément outrageous. Du Wray de Wray.

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             En gros, les Milkshakes sonnent comme les early Beatles et les early Kinks. C’est à la fois leur crédo et leur seuil de référence. Sur After School Sessions, «Shimmy Shake» sonne exactement comme du l’early shimmy des Beatles. Fantastique mimétisme ! Même chose avec «You Can Only Lose» en B, pur early shimmy shake de Beatlemania. Avec «Tell Me Child», ils font le dirty gaga Kinky, Mickey Hampshire gratte les poux de Dave Davies. C’est tellement ultra-dirty que ça mord sur les Pretties. Le reste est plus classique, plus Milkshaky. On entend bien le bassmatic de Russ the Boss dans «I Can Tell», ils diversifient énormément, et Bruce Brand sublime l’instro cavaleur «El Salvador». Ils terminent avec un «Cadillac» plein de jus, battu sec, taillé au cordeau, fourvoyé, mais un peu prévisible. On leur pardonne. 

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             Retour aux Kinks sur The Milkshakes In Germany avec «I’ll Find Another». Pure Kinky motion ‘65 et killer solo trash à la Dave Davies. Merci Mickey ! Retour aussi à l’early Beatlemania échevelée avec «She’s The Kind Of Girl». C’est exactement la même énergie. Ils bouclent leur balda avec «Comes Along Midnight», plus stompy, plus dirty, pas loin des Pretties, mais des Pretties en colère, sonné des cloches au scream et transpercé d’un killer solo trash de Mickey Hampshire ! Si on écoute cet album, c’est uniquement pour rester en bonne compagnie. Ils font encore des étincelles en B avec «I Need Lovin’», un heavy groove milkshaky hanté par un solo de traînasse. Même au ralenti, ils sont éclatants de punkitude sixties. Ils bouclent ce teutonique Germany avec un «Sometimes I Wantcha (For Your Money)» très beatlemaniaque dans l’idée, mais avec une pincée de wild gaga punk. Billy the kid chante vraiment comme John Lennon.

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             Encore une belle pochette classique pour ce 20 Rock & Roll Hits Of The 50’s And 60’s, un Big Beat de 1984 qui te frétille entre les doigts. Il fait même honneur à ton étagère. Big Russ et toute la bande commencent par rendre hommage aux Beatles avec une version en plein dans le mille d’«Hippy Hippy Shake». S’il est un groupe qui a bien pigé le génie des Beatles, c’est eux. Ils trient leurs covers sur le volet et enchaînent avec le «Rip It Up» de Little Richard, mais sans la voix. C’est du tout cuit pour cette bête de Gévaudan qu’est Bruce Brand. Sur cet album, tout est drivé sec par Russ et battu net par Bruce. Ils rendent hommage à Gene Vincent avec une cover claironnante de «Say Mama», et plus loin de «Jezebel», et restent dans le giron des génies de l’humanité avec Buddy Holly et une version de «Peggy Sue» qui leur va comme un gant. Numéro dément de Bruce au beurre. Si tu veux entendre un grand batteur anglais, c’est là. Ils tapent aussi l’imbattable «Jaguar & The Thunderbird» de Chucky Chuckah et en dépotent une version ahurissante d’ampleur et d’élan. T’es vraiment content d’être là, devant ta petite platine de branleur. En B, ils claquent un «Something Else» bien senti, looka here ! C’est gratté dans le sens du poil, tu peux leur faire confiance. Leur «Who Do You Love» est un peu trop bordélique, mal lancé. Ils perdent en route le Bo du Bo. Par contre, ils transforment l’«Hidden Charms» de Wolf en wild protozozo, et ils bouclent la boucle avec une version complètement allumée d’un cut déjà allumé, «I Wanna Be Your Man», qui, t’en souvient-t-il, fut le premier single des Stones, cadeau de John & Paul.

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             Belle pochette que celle de Nothing Can Stop These Men, paru en 1984. Si tu veux voir un vrai super-groupe en photo, c’est là que ça se passe. Attaque de plein fouet avec «You Got Me Girl», heavy gaga britannique, terriblement dirty, traîne-savate et mal intentionné. Bruce Brand vole le show dans «She’s No Good To Me», ce big shoot de gaga buté et bas du front, mais c’est en B que se joue le destin de l’album, avec «The Grim Reaper», un instro digne des Cramps. Puis ils rendent hommage à Johnny Kidd avec «Everywhere I Look». On y entend aussi des échos du «Brand New Cadillac» de Vince Taylor. Puis ils renouent avec la Beatlemania dans «I’m The One For You», poppy en diable, chanté à l’accent clinquant couronné d’harmonies vocales et de claqué de Ricken. Pur magie ! «You’ve Been Lyin’» sent aussi très bon le «Brand New Cadillac» - You’ve been lyin’/ Lyin’ to me - Hard Nut ! 

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             Sous-titré The Legendary Missing 9th album, The Milkshakes’ Revenge paraît en 1987. La bande fut volée au soir de l’enregistrement, nous dit Hasty Bananas au dos de la pochette. Et elle réapparut tout aussi mystérieusement. Tant mieux pour nous, car on peut écouter ce smash d’heavy rumble qu’est «Let Me Love You», une espèce de coup de génie à la Johnny Kidd. Ils enchaînent avec une belle cover d’«I Want You», l’immémorial hit des Troggs, et en B, ils tapent une autre prestigieuse cover, «Pipeline», mais elle n’est pas aussi flamboyante que celle de Johnny Thunders sur So Alone. Wild Billy Childish pique sa crise de gaga-punk des Batignolles avec «She Tells Me She Loves Me», et puis avec «Every Girl I Meet», les Milkshakes font une petite tentative   de putsch rockab. Ils bouclent avec une cover du «Baby What’s Wrong» de Jimmy Reed, qui dans les pattes des Milkshakes devient un heavy stomp gaga mené de main de maître.

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             Wild Billy Childish et Big Russ se retrouvent sur Laughing Gravy, un 25 cm paru en 1987. Pochette bois gravé, sortie des ateliers du graveur Childish. Il n’existe rien de plus underground que ce type d’album. Même à l’époque, il fallait sortir un billet pour l’avoir. Ils attaquent avec une cover du «Baby What You Want Me To Do» de Jimmy Reed. Ils tapent tout l’album aux poux très secs. Ça sonne comme s’ils se désaccordaient en jouant. Leur volonté d’anti-m’as-tu-vu n’en finit plus de s’afficher, cut après cut. Ils tapent le «Black Girl» de Leadbelly à la corne de brume, ou à l’orgue de barbarie, c’est comme tu veux. Ils sont marrants, tous les deux, on les voit sautiller derrière «Little Bettina», ils grattent comme des sagouins. Pas question d’être numéro un au hit-parade ! Fuck it ! En B, ces deux cats du Kent tapent un heavy boogie downhome de Rochester, «I Need Lovin’». Fabuleuse clameur.

             Ce sont les Milkshakes qui accompagnent les Delmonas sur leurs quatre albums. On y reviendra dans un chapitre à part entière.

             Ce n’est pas un hasard, Balthasar, si on retrouve Russ the Boss dans les deux albums du Len Bright Combo, Len Bright Combo By The Len Bright Combo, et Combo Time, parus tous les deux en 1986 sur le mythique label Ambassador.

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             Magnifique album que ce Len Bright Combo By The Len Bright Combo. Trio en forme de formule magique : Wreckless Eric, Russ the Boss et Bruce Brand. On y trouve deux clins d’yeux à Syd Barrett : «Selina Through The Windshield» et «Lureland». Pour Selina, l’Eric ramène un brillant panache de psyché, et il place un gros solo trash de dérive abdominale. C’est éclatant, pur jus de Piper, il explose The Gates Of Dawn. Fantastique résurgence ! «Lureland» est aussi très Barrett, même complètement barré de la Barrett. Le coup de génie est le cut d’ouverture de balda : «You’re Gonna Screw My Head Off». Très British, éclatant, développé, surprenant, imparable. Une solace de psychout so far out. En B, on tombe sur «Sophie (The Dream Of Edmund Hirondelle Barnes)». Il faut leur reconnaître une certaine grandeur, une belle affirmation, une volonté réelle d’éclater le Sénégal d’Angleterre. Que de son, my son ! «The Del Barnes Sound», nous dit-on au dos de la pochette. Tout aussi puissant, voici «The Golden Hour Of Farry Secombe», un cut qui va se fracasser dans le mur du son. Et ce magnifique album s’achève avec «Shirt Without A Heart», un power de tous les instants monté sur une pure structure pop, l’Eric bâtit son petit Wall of Sound avec une troublante efficacité. Il monte son cut en neige prodigieuse.

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             Le deuxième Len Bright Combo sort la même année, en 1986 et s’appelle Combo Time.  Il s’ouvre sur l’assez puissant «Comedy Time». L’Eric charge bien sa barcasse de comedy time. Son «Pleasant Valley Wednesday» n’a rien à voir avec les Monkees, mais ça dérape dans la Méricourt de Big Russ. Comme on l’a vu sur le premier Combo, l’Eric sait créer les conditions du foutoir psychédélique, c’est en tous les cas ce que montre une fois de plus «Swimming Against The Tide Of Reason». Il dispose d’une pente naturelle à l’esbrouffe, il sait finir en beauté. Il dispose bien sûr du personnel idéal pour ça. «The House Burned Down» sonne comme un petit boogie décidé à en découdre. Alors il en découd. Une fois encore, nous trois amis chargent bien la barcasse et ça grimpe très vite en température. C’est vraiment excellent, toujours inspiré, soutenu aux chœurs de lads. Comme si Syd avait mangé des épinards. En B, ils partent en monde «Lust For Life» pour «The Awakening Of Edmund Hirondelle Barnes». Assez gonflé. Pur Russ power ! Bruce Brand vole le show avec «Club 18-30», un petit ramshakle original et l’album se termine en beauté avec «Ticking In My Corner», un heavy country blues de Medway, c’est brillant, joué au bord du fleuve. On exulte en écoutant le bright downhome blues du Combo. Méchante allure ! L’Eric est un crack, un vrai boum-hue-hue. Il explose le country blues, il en fait une montagne de pâté de foi, et il y jette toute sa petite niaque.   

             En 1996, Russ the Boss monte les Wildebeests avec John Gibbs (qui a joué avec Hipbone Slim et les Masonics) et Lenny Helsing au beurre.

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             Dimbo Party sort sur le label d’Hipbone Slim, Alopecia Records, en 1997. Donc gage de qualité. Russ the Boss annonce la couleur dès «Trust In Me», heavy shoot de gaga-punk britannique, juteux, frais comme un gardon et lourd de sens. On sent que ces trois mecs prennent du plaisir à shaker le shook. Avec «Come On now», ils passent au classic Beatles jive de l’aube des temps, puis ils claquent «Hey Cassandra» au swing de Gévaudan, Big Russ fout le feu à la ville pendant que Gibbs claque un bassmatic monumental. Wild Wildebeests jive ! Ils attaquent leur B de plein fouet avec «You Were Wrong», c’est du Chucky à l’anglaise, claqué au riff hésitant, typique des Pretties, et Gibbs perpétue le grand art du bassmatic à la John Stax. Diable, comme ces trois mecs vénèrent les Pretties ! Ils swingent encore comme des démons sur «Mind Blender» et «BMC», et bouclent cet album qu’il faut bien qualifier de chaud-devant avec «Bubblegum Fuzz». Ils s’y entendent en dégelées royales. Joli shoot de wild as Beests !

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             Pas étonnant que Go Wilde In The Countrye soit paru sur Sympathy For The Record Industry. C’est un wild album qui grouille de puces, une sorte d’apanage du power trio underground pur, et ça claque derrière les oreilles dès «I Need You» en mode Trogglodynamite, c’est-à-dire bouillon de culture gaga-punk. Ils embarquent «Frogboy» au one two three, au fast on the run. Comme ils chantent en anglais, on s’exprime en anglais, pour essayer d’être un peu cohérent. Dans la vie, un peu de cohérence ne fait jamais de mal. Russ et ses sbires vont vite en besogne et te remontent la sauce avec des chœurs de Dolls. Plus loin, ils attaquent «Standing Alone» en Kinky motion, bel hommage au génie punk de Dave Davies, Russ et ses Beests ont le power, ils claquent le Kinky KO. Ils regrattent les accords des Kinks de 65 dans «This Is My Year» et Russ the Boss passe un violent killer solo. Ils tapent une très violente cover de «Parchman Farm». C’est complètement punked-out, ils gèrent bien le calme avant la tempête. Ils sont les Wildebeests de Gévaudan. Pour couronner le tout, voilà une belle dégelée psyché, «Couldn’t You Say You Were Wrong», avec une incroyable profondeur de champ, ils font du Syd Barrett sous amphètes, ça spurge dans la stratosphère, ils explosent tout, c’est un violent shoot de Mad Psyché évangélique, ça traverse les siècles et le blindage des coffres, ça t’explose la bulbosphère, et le Russ n’en finit plus de charger la barcasse du diable.

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             Il est possible que le perruqué qui orne la pochette d’Annie Get Your Gnu soit le mec des Snobs, un combo britannique des sixties qu’on croise sur les meilleures compiles Mods, notamment Searching In The Wilderness. Annie Get Your Gnu est ce qu’on appelle un album endiablé. Boom dès «Your Mind». Boom car explosif ! Quasi protozoaire, affreusement claqué du beignet par Russ the Boss. Killer solo, bien sûr. Une fois de plus, les Beests de Gévaudan dévorent les abscisses et les ordonnées du rock anglais. Le petit stomp d’«I Can’t Change» sonne très Beatles au Star Club de Hambourg et puis avec «No No No», ils font du simili 13th Floor Elevators, avec une cruche électrique. Bel hommage ! Retour en fanfare à Dave Davies avec «Til Sun Up». En plein dans le mille du Really Got Me. Russ the Boss n’en finit plus d’être fasciné par ce son, comme au temps des Milkshakes. Retour au Really Got Me en B avec «Lucinda», ce sont exactement les mêmes accords, aw Lucinda/ Luncinda/ Why don’t you set me free - Russ passe un killer solo flash aussi beau et définitif que celui de Dave Davies. Plus loin, ils tapent une cover inexpected, l’«I Did You No Wrong» des Pistols. Bien sûr, ils n’ont pas la voix, mais le feu sacré est là, et bien là. Ils finissent en beauté avec «Who’s Sorry Now», un superbe shoot de gaga jeté par dessus la jambe, avec les chœurs des Who, c’est brillant, braillé au who’s sorry now.

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             L’une des spécialités des Wildebeests est de démarrer les albums avec le dirty punk le plus sale et le plus méchant. The Gnus Of Gnavarone n’échappe pas à la règle. Russ the Boss explose «You Lied To Me» avec un wild killer solo trash. Dans le genre, il est aussi bon que Mickey Hamshire. Le hard boogie de «Nothing’s Gonna Change Me» est encore un pur coup de génie bestial. «Face» est encore bien chargé du bulbique et chanté au raw gut de just to see your face. Tout le reste de la viande est parqué en B, boom dès «Why Don’t You Come Home», attaqué en mode Pretties, aussi wild que «Don’t Bring Me Down», c’est exactement la même niaque de morve délinquante et le même fondu de killer killah. Ils tapent chaque fois en plein dans le mille, comme le montre encore la belle pop psyché de «That Man». Tout est brillant, chez ces mecs-là. «Save My Soul» sonne comme un hit des Creation. Ils ont ce profil d’ultra-freakbeat. Russ the Boss boucle avec «You Can Get Together Again», monté sur un heavy stomp de base et de rigueur, et noyé de killer killah  à la Big Russ, c’est une aubaine pour les oreilles.

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             Comme son père spirituel Nuggets, Gnuggets est un double album, et même un sacré double album, le genre de double album auquel personne ne peut résister. Russ the Boss et ses deux amis ont rassemblé tous les singles des Wildebeests, et ça rock the boat ! Douze bombes sur les 4 faces, dont d’incroyables covers, comme le «Gorilla Got Me» de Jesse Hector, le «She Lives In A Time Of Her Own» du 13th Floor, le «Mongoloid» de Devo que Big Russ gratte à la cisaille, le «Public Image» de PIL attaqué à la basse de Jah, Hallo ! Hallo!, le «Down In The Bottom» de Big Dix avec les fantastiques descentes au barbu de John Gibbs, l’«I Feel Alright» des Stooges tapé au bassmatic des Trogglodynamics, le «Just Like Me» de Paul Revere & The Raiders qu’ils font sonner comme du Dave Davies, l’«I’m Rowed Out» des Eyes, classic gaga-punk de l’âge d’or gratté encore une fois à la Dave Davies, le «Mellow Down Easy» et l’«Hidden Charms» de Big Dix, groové en profondeur pour le premier et transpercé par un killer solo flash pour le second, et puis tu as encore le «Please Go Home» des Stones, l’«All Aboard» de Chucky Chuckah, le «Don’t Gimme No Lip» de Dave Berry, quasi protozoaire, joué à la main lourde de l’heavy stomp. Tu vas aussi retrouver l’effarant «Parchman Farm» proto-punkish de Mose Allison, l’«I Wanna Be Loved» des Heartbreakers, suprême hommage, le «Commanche» de Link Wray, «You Lie», un hit obscur des Lynx, digne des Downliners, et en fin de D, on tombe sur des compos à eux, comme «One + One», heavy slab de gaga sauvage, «1996», solide et wild, gratté à la vie à la mort, et «Pointless» pur jus de Stonesy, pas loin de l’«Under-Assistant West Coast Promotion Man». 

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             En 1987, Russ the Boss s’associe avec Sexton Ming pour monter les Mindreaders. Boom direct avec Ban The Mindreaders. C’est l’un des grands albums inconnus de l’Underground Britannique. Ils démarrent avec un «We’re Gonna Have» wild as fuck, qui est une cover du «We’re Gonna Have A Real Good Time Together». C’est claqué si sec ! En B, ils restent dans les parages du Velvet avec une cover du «She Cracked» des Modern Lovers. Nouvel hommage de taille avec le «Love Comes In Spurts» de Richard Hell. Explosif ! Sur «Anna», Russ the Boss passe un solo à deux notes, comme Pete Shelley le fit dans «Boredom», au temps  béni de Spiral Scratch. Ces trois mecs sont supérieurs en tout. Même niaque que celle des Cheater Slicks. Encore un terrific gaga blaster avec «Girl I Kill You». Tu as là la disto la plus sale d’Angleterre. Pure giclée de protozoaire ! Puis il tapent dans le saint des saints avec l’«Are You Experienced» de l’ami Jimi. Alors, aussi incroyable que celui puisse paraître, ils l’explosent ! Ils osent exploser l’hendrixité des choses ! Russ the Boss est coutumier de ce genre d’exploit. C’est à lui qu’on doit la grandeur du premier album de Len Bright Combo. Il faut aussi saluer l’«I Don’t Care» planqué en B et pulsé aux chœurs de fiottes. 

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             Un deuxième album des Mindreaders a fait surface récemment sur Spinout Nuggets. Il s’appelle Continuation et bénéficie d’une belle pochette voodoo. Apparemment, le trio a survécu, comme l’indique Vic Templar au dos de la pochette. Tant mieux pour nous, pauvres pêcheurs, car voilà (encore) un album béni des dieux du rock anglais, et ça te saute à la gueule dès l’hard gaga boueux bien cracra d’«It’s Bagtime», c’est même carrément Beefheartien, un vrai coup de génie underground. Tu t’en remets difficilement. Plus loin, ils passent à l’experiment avec «Fractures Of Your Face», un cut processionnaire qui ondule sous la lune, mais ils opèrent un retour aux brutalités avec «Take You Slow», ça chante à la meute de chasse avec le sax d’X Ray Spex. Incroyable power de la modernité ! Ça paraît logique avec des gens comme Sexton Ming et Russ the Boss. En B, tu as un beau câdö qui t’attend : une triplette de Belleville avec «I’m Alright Jack», «She’s My Sausage Girl» et «M2 Bridge 67». Alors, punk rawk d’Edimburg avec le Jack, rawk beefheartien avec la Sausage Girl, c’est même pire que du Beefheart, complètement demented, excédé, avide de confrontation, et puis voilà l’M2, un fascinant balladif monté en neige. Ils basculent dans l’excellence ambiancière. On n’en attendait pas moins d’eux. 

    Signé : Cazengler, Russtique

    Pop Rivets. Greatest Hits. Hipocrite Music 1979

    Pop Rivets. Empty Sounds From Anarchy Ranch. Hipocrite Music 1979

    Pop Rivets. Live In Germany ‘79. Hangman Records 1990

    Milkshakes. Fourteen Rhythm & Beat Greats. Big Beat Records 1982

    Milkshakes. After School Sessions. Upright Records 1982

    Milkshakes. The Milkshakes In Germany. Upright Records 1983

    Milkshakes. 20 Rock & Roll Hits Of The 50’s And 60’s. Big Beat Records 1984

    Milkshakes. Nothing Can Stop These Men. Milkshake Records 1984

    Milkshakes. The Milksakes Revenge. Hangman Records 1987

    Wild Billy Childish + Big Russ Wilkins. Laughing Gravy. Empire Records 1987

    Len Bright Combo By The Len Bright Combo. Empire Records 1986

    Len Bright Combo. Combo Time. Ambassador 1986

    The Wildebeests. Dimbo Party. Alopecia Records 1997

    The Wildebeests. Go Wilde In The Countrye. Sympathy For The Record Industry 1997

    The Wildebeests. Annie Get Your Gnu. Screaming Apple 2006

    The Wildebeests. The Gnus Of Gnavarone. Dirty Water Records 2009

    The Wildebeests. Gnuggets. Dirty Water Records 2010

    Mindreaders. Ban The Mindreaders. Empire Records 1987

    Mindreaders. Continuation. Spinout Nuggets 2021

     

     

    L’avenir du rock

     - Quartet gagnant

             S’il est un reproche que l’avenir du rock ne supporte pas, c’est qu’on le traite de positiviste. Il éprouve pour le positivisme une profonde aversion. Ça le fait gerber, rien que d’y penser. Pire que le mal de mer. Pire que de voir une grosse rombière réactionnaire déguster des biscottes de foie gras dans un fucking réveillon. Des exemples comme celui-là, il en a d’autres, ça pullule, chaque fois que l’avenir du rock s’approche de secteurs comme la politique, la religion ou les médias, il frise l’overdose de gerbe rien que d’y penser. Alors il s’en éloigne rapidement. Par contre, si tu le branches sur le négativisme, alors tu vas voir sa bobine s’illuminer. Rien de tel que le négativisme ! Sa tournure préférée reste le fameux No Future, l’hymne des jours pas heureux, ceux qu’il préfère. C’est justement le paradoxe du No Future qui fascine tant l’avenir du rock. Pourquoi ? Parce qu’avec sa formule, Johnny Rotten renoue avec la véracité véracitaire de l’utopie anarchiste. Des cakes comme Zo d’Axa clamaient au XIXe siècle qu’elle était l’avenir du genre humain. Johnny et Zo font bicher l’avenir du rock. Il adore aussi la formule No Way Out, elle dit tout ce qu’il y a à savoir d’une impasse. Rien de tel qu’une bonne impasse pour te retrouver au pied du mur. Pour te sentir bien baisé. Que tu t’en sortes ou pas n’est pas le problème, de toute façon, ta vie est un no way out, il ne faut jamais perdre ça de vue. L’avenir du rock éprouve encore un faible pour le No Sell Out, c’est-à-dire la caste des groupes qui ne vendent pas leur cul. En son temps, le NME avait publié un spécial No Sell Out dont la tête de gondole était Fugazi, et dont la meilleure incarnation reste Wild Billy Childish. Quand l’avenir du rock observe la voûte étoilée, il se régale du spectacle de cette belle constellation : Zo d’Axa, Johnny Rotten et Wild Billy Childish, auxquels il ne manque pas d’ajouter les mighty No Jazz Quartet, nouveaux tenants de l’aboutissant.    

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             Toujours un bonheur que de retrouver sur scène l’ex-Holy Curse et ex-Keith Richards Overdose, Sonic Polo. On l’a vu en 2015 au Havre avec l’excellente Overdose (dont on a dit ici tout le bien qu’il fallait en penser), et des tas de fois au temps où les Holy Curse ouvraient pour tous les groupes gaga anglo-américains qui déboulaient à Paris. Jamais en tête d’affiche, alors ça finissait par devenir scandaleux, car les Holy Curse battaient pas mal de têtes d’affiches à la course. Les mighty Holy Curse avaient deux armes secrètes : Sonic Polo sur sa Tele bleue, et au chant, un brillant gaillard qui aurait pu remplacer Chris Bailey dans les Saints, pas de problème. Dans ce monde idéal dont on parle souvent, les Holy Curse auraient dû exploser.  

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             Sonic Polo reprend tout à zéro avec No Jazz Quartet, alors on va les voir sur scène.  C’est le genre de résurrection sur laquelle on ne crache pas. On en attend même des miracles. Le décorum de la Boule Noire s’y prête bien, puisqu’ils apparaissent dans la fumée. Le Quartet émerge du fog, deux grattes à l’avant et James McClellan tape tout de suite dans le dur en faisant son Captain Beefheart, ou son Tex Perkins, si tu préfères, il growle son «Lost Trail» à s’en esquinter la glotte et nous voilà partis à l’aventure, dans la meilleure des compagnies. Le Quartet joue en formation serrée, les deux grattes croisent le fer en permanence, Sonic Polo et Captain James nouent des accords bilatéraux dilapidés sur le champ, ils développent des combinaisons toxiques, ils trafiquent d’atroces sortilèges, ils tissent des trames insidieuses et plongent la pauvre vieille Boule Noire dans un ténébreux chaos de no way out, mais sans en rajouter des caisses, ce qui est admirable. Comme s’ils parvenaient à tenir leur chaos en laisse. Ils cultivent les Fleurs du Mal d’un rock à la fois ancien et moderne, on revoit ce qu’on a déjà vu cent fois, et en même temps, ils shakent l’orgone accumulator comme des cracks. Tu revois Sonic Polo sur scène et t’es dans la machine à remonter le temps, mais tu le vois mettre le grappin sur le matérialisme dialectique du rock, sa façon de dire : «c’est là, maintenant !». Quand il est bon, le rock te fait vivre l’instant présent mieux que toute autre forme d’art. Ce sont tous les instants présents ajoutés les uns aux autres qui constituent l’avenir du rock. Cut après cut, le Quartet bâtit sa version de l’avenir du rock. Tu peux y aller les yeux fermés.

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             Sonic Polo prend le chant sur «Thermondynamic Love», un cut qui cavale à travers la plaine. Hot as hell. On sent le punk en lui et bien sûr ça explose en plein vol. Ils adorent tramer leurs complots dans l’ombre, comme le montre «The Flower On The Wall». Mais toujours pas de hit. Ce n’est pas leur propos. Le vent noir souffle sur «The Dark Wind», alors ils duettent dans les vapeurs de l’enfer du boulevard, ils se payent des petites crises de hurlette de Hurlevent et claquent des accords mort-nés. Sonic Polo annonce un cut du prochain album, «Ramshackle», puis Captain James revient s’arracher la glotte sur «The Last Man On Earth». Ils n’en finissent plus de chercher des noises à la noise, ils repartent de plus belle avec «And Then I Saw The Bird» enchaîné avec «Three Kinds Of Snakes», heavy boogie et heavy sludge, il y va de bon cœur le Captain James. Full blow ! Ils atteignent le sommet du bottom, ils noient cette merveille dans le son des grattes. «Three Kinds Of Snakes» est le tenant de l’aboutissant. Sonic Polo glisse un tournevis dans ses cordes pour attaquer «Good Riddance». Ça sonne un peu comme du Horsepower, mais avec du doom en plus. 

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             L’occasion est trop belle de plonger à nouveau dans Holy Curse. Tu devrais commencer toutes affaires cessantes par Take It As It Comes, un mighty Turborock de 2011. En plus ce fut un cadeau, lors d’une convention, au Havre. Quel album !

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    Ça t’emporte la bouche dès «Johnny’s Day (It Wasn’t)». D’habitude, c’est bardé de barda, mais là, c’est saturé de barda. Mad Eric pose son chant sur la marmite, c’est bien Detroit dans l’esprit, avec les solos en intraveineuse. Ça joue à ras-bord, t’as un solo compressé, enragé et ballonné et tu vois l’Eric remonter sur le dragon. Demented ! Le «Died Ugly» qui suit est encore plus saturé, ça bascule en plein dans les Saints. T’es pas sorti de l’auberge avec ces mecs-là ! Ils héritent de toute la grandeur de l’heavy sound et des ponts flottants de l’invasion barbare. Sonic Polo te tombe sur le râble en permanence. Sa fournaise est ambulatoire. Il devrait faire école. Pur sonic genius, ses notes flottent dans la fournaise. Il invente le sonic trash flottant. Puis sa gratte devient une gratte vampire dans «Man With The Heavy Hand». Il plane sur le cut. Oh l’incroyable qualité de la menace ! Il entre par la fenêtre et joue le jeu de l’heavy load. Mad Eric re-vole ensuite le show avec «The Bellbirds Song», une espèce de rentre-dedans digne des Saints : tu y croises du take me down et un killer solo trash.

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             Paru en 1999, Hereafter vaut sacrément le détour. Tu y retrouves tout ce que tu aimes : le riff raff bien posé à plat et la voix d’autorité. Ils sont déjà les rois de la dégelée. Avec eux, t’auras jamais froid en hiver. Ils rendent très vite hommage aux Saints avec «Recurrence». Après des petits arpèges de brouillage de piste, ils repartent à l’harsh fondamental, ils n’en finissent plus d’étaler leur miel brûlant sur la tartine, ils partent en mode Saints à coups de giclées de dégelée. Plus loin, ils vont encore sonner comme les Saints dans «Dehumanized» (sic) et «Insane Alive», ils y vont à coups d’and the world is going wild, primal Sainty blow, ils te claquent ça au non retour de no way out. «Dehumanized» est chargé de tout le pathos d’Eternally Yours. Quant à «Insane Alive», ça te renvoie en cœur de «Nights In Venice», dans cette culmination de l’enfer sur la terre, les poux s’en donnent à cœur joie, ça gratte à la folie, t’en vois pas tous les jours des poux aussi tentaculaires, aussi profite-zen, et les Curse n’en finissent plus de relancer leur banco, ça bascule dans une fournaise qui doit autant aux Saints qu’aux Stooges. Tout l’album est bourré à craquer, notamment ce «Terra Incognita» qui plonge Moctezuma dans le pire climax qui se puise imaginer, et dans «Days Like Minutes», ils te font le coup de l’invasion des killer solos flash. Deux dans le même cut ! C’est une bénédiction. Et puis voilà le coup de génie qui arrive sans prévenir : «It’s In My Nature», avec sa belle entrée en lice d’I need you to love me, alors ça gratte à la cocote sévère, ça monte en neige et ça bascule dans une ahurissante stoogerie, avec un final soloté à la vie à la mort. Sonic Polo ne joue pas encore dans Holy Curse. Il arrive sur l’album suivant.

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             Ils enregistrent Bluer Than Red chez Lucas Trouble. C’est le bim bam boom garanti. L’album est noyé d’ultra-sound et l’Eric pose bien son chant sur la pétaudière de deux grattes. Dans «(Give Yourself Up To) Rock’n’Roll», ça tortille d’un côté et ça cisaille de l’autre, ça ondule en permanence a bord du gouffre de la stoogerie. Il y est question de save your soul. Mais le kick some ass with rock’n’roll n’est pas du meilleur goût. Ils reviennent dans le giron des Saints avec «Long Gone». Il y va l’Eric Bailey, il tape en plein dans le mille du mythe brisbanais, il remonte le courant comme un saumon de Brisbane. Sur «Las Vegas On Sea», il pose bien les éléments, yeah yeah, et sous lui, ça bouillonne dans la marmite du Kaiser. Mad Etic chante comme le Seigneur des Annales au-dessus du fleuve de lave. Ils plongent l’«Enough» vivant dans la friteuse, c’est un cut qui va craquer sous la dent et le Kaiser pousse bien la sature dans les orties. «I Feel Free» te tombe dessus comme une grosse tarte à la crème. Ils inventent le concept du pathos saturé de sature. Ils battent tous les records, même ceux d’In The Red. Si tu écoutes ça sous le casque, t’as les oreilles en chou-fleur et c’est très bien. Ça continue de monter en température avec «Rivers Of Blood», look out mama ! On entend à peine Mad Eric dans la fournaise. Les attaques de double chorus sont uniques au monde. Ils battent les Stooges à la course. Mais le pire est à venir et il s’appelle «Superfortress». Ça sent bon l’enfer sur la terre, t’es dans Rosemary’s Baby avec le son de Motörhead. Le cut rôtit littéralement en broche, et toi avec, et qui tourne la broche ? Satan Polo et ses tiguilis. Et soudain, ça bascule dans le neuvième cercle du so messed up I want to be, oui, ils sont cette capacité d’exploser le face to face de «Wanna Be Your Dog», quel hommage et quel tenant tenace de l’aboutissant, aw c’mon, ça devient une fournaise exemplaire et ça part en vrille de wah absolutiste, now I’m ready to close my mind, il est devenu fou le Mad Eric, il est ready to feel the pain, ils font tout simplement une cover géniale de l’un des plus gros hits de tous les temps. 

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             L’autre Turborock s’appelle Feed The Dogs et date de 2007. Trois prods différentes : une du Kaiser sur deux cuts, une en Australie sur deux cut aussi, et le reste chez Jim Diamond au Ghetto Recorders de Detroit. Maintenant, Polo est tout seul, mais il joue comme dix. Il est enragé sur «Bye Bye Preacherman», il transperce le blindage du preacherman. Puis il passe «Cash Machine» au vitriol. Les Curse bouclent leur balda avec un heavy «Shit Happens» noyé d’oh shit happens. Suite de la viande en B avec «The Music & The Noise», ils renouent cette fois avec leur chère apocalypse, c’est un hommage claironnant au power - Set the stage on fire/ I say power ! - Mad Eric s’en étrangle. Mais le pire est à venir avec «Universal Children», encore plus magnifique d’heavyness et traversé d’incursions méphistophéliques. Sonic Polo est le plus sonic de tous. Ici, il perce un tunnel sous le Mont-Blanc, il faut le voir entrer en quinconce dans cette couenne fumante, épaulé par Gary Ratmunsen on «psychedelic guitar».  

             Et voilà la cerise sur le gâtö : l’autobio de Sonic Polo, Nous Étions De Jeunes Punks Innocents. Un récit sans prétention, qu’on pourrait presque qualifier de candide, parfaitement à l’image de l’auteur qu’on sent extrêmement timide, au point qu’il faut tendre l’oreille pour capter ce qu’il dit. Il l’écrit d’ailleurs dans son book : «Sitôt que le nombre de mes interlocuteurs dépasse le nombre de deux ou trois, ma voix ne porte plus s’éteignant comme une petite flamme.»

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             Ce récit couvre un parcours qui va d’une ZUP d’Aix-en-Provence jusqu’à la scène alternative parisienne et le ‘Pari Bar Rock’ des années 80, récit drivé par une passion dévorante pour le punk-rock, notamment les Ruts et Stiff Little Fingers. Son groupe s’appelait Spoiler. Le book s’avale d’un trait, Polo écrit comme s’il te racontait l’histoire. Il restitue à sa façon la nostalgie des jours heureux, il restitue admirablement bien le contexte ZUP de ses origines modestes, et rend hommage à tous ses potos, ceux du groupe et les autres. Il écrit dans un style alerte - L’après-midi arrivait enfin et nous filions plein ouest, la poignée dans le coin, à travers les champs et les vignes de la route de Galice - Et comme il est à la fois motard et rocker, il se fend de cette petite chute : «Je lâchai le guidon de la Suzuki pour le manche de la Rickenbacker.» Ça passe comme une lettre à la poste. Il prend un soin particulier à évoquer le parcours initiatique qui est celui de la création d’un premier groupe de rock. C’est dans une vie un moment aussi vital que celui que tu partages avec ta première gonzesse.

             Oh et puis cet humour ravageur ! Quand il attaque un chapitre «road-trip» dans les basses Alpes, il dit au lecteur que s’il n’aime ni les road-trips ni la montagne, il peut sauter le chapitre. Ce serait dommage de le sauter, car on y trouve l’épisode du saucisson qui est hilarant. Ils roulent en moto et campent la nuit. Et crack, «je ne sais plus lequel d’entre-nous avait eu la brillante idée d’acheter un saucisson, mais toujours est-il que personne n’avait de couteau.» Et il explique à la suite qu’ils passèrent la soirée à charcuter le saucisson avec «un tournevis cruciforme». On voit la gueule du saucisson d’ici. Encore plus drôle : ça se passe avant Spoiler, Polo roule en vélo et va chez un copain de classe nanti, à Puyricard, au nord d’Aix. Ses parents viennent de lui payer trois albums, un vrai luxe intérieur ! Le copain commence par faire écouter à Polo Never Mind The Bollocks, il lui fait écouter trente secondes d’«Holidays In The Sun», puis un bout de «Bodies», et «déclarait que ouais, c’est pas mal mais bof, ça cassait pas trois pattes à un canard, y avait même pas de solos...» Ce mec qui est son «meilleur copain de classe» lui annonce ensuite qu’il va lui faire écouter «le blues le plus abominable et le plus nul qu’il ait jamais entendu», et ajoute «que ce groupe atroce avait même osé, ô sacrilège, baptiser son blues ‘L.A. Blues’». C’est bien sûr Fun House des Stooges. Bravo le meilleur copain de classe ! Mais Polo a tendu l’oreille. Il rentre chez lui sur son «vélo à double-plateau», «chargé du feu stoogien».

             Quand il devient punk avec ses amis, il raconte comment lui et sa petite bande débarquent sur le cours Mirabeau, «la plus belle avenue du monde», en perfecto, «jeans noirs feu au plancher, soquettes blanches et creepers rouges, bracelets de force comme ce con de Sid Vicious.» Le «con de Sid Vicious» revient souvent dans le récit. Polo n’aime pas les cons et il a raison. Plus tard à Paris, il joue dans un bar avec un groupe qui s’appelle The Satanic Majesties. Mais ces mec-là n’adressent pas la parole aux Spoilers. Polo n’en revient pas, «même pas bonjour, pas un regard, nada.» Bien fringués, à la mode. Du coup, à la page suivante, Polo les re-qualifie de «majestés sataniques ta mère». Par contre, il rend hommage à Little Bob et à Dominique Laboubée. 

             Il rend aussi deux très beaux hommages, le premier à Marc Zermati, qui entre un jour dans son bouclard Sonic Machine pour lui proposer des disques. Pour rigoler, Polo dit prendre le risque de perdre «la moitié de ses lecteurs» en citant Marc Z et Philippe Debris, boss de Closer, tous deux «sujets à controverse», mais non seulement il cite, mais il salue bien bas : «Deux caractères bien trempés». Il termine le court paragraphe Marc Z en disant être resté en bons termes avec lui. Hommage encore aux Cowboys From Outerspace et à Michel Basly «grand, mince, genre dandy, gominé, sapé comme un lord, le regard inquisiteur, les oreilles légèrement décollées, le nez aquilin.» - Les fantastiques Cowboys From Outerspace que tout l’univers nous envie, eh oui, quoi de plus vrai. Les Cowboys sont avec les Dum Dum Boys, Weird Omen et Holy Curse ce qui est arrivé de mieux à la France des vingt dernières années. Polo raconte aussi comment il est allé acheter sa Ricken 480 à Marseille. Épisode capital de son parcours initiatique. Il raconte aussi le désastre des studios français et des ingés-son qui ne pigent rien et qui lissent le son des groupes. Pour sa première expérience, Polo raconte que les Spoiler entrent en studio avec Stiff Little Finger en tête et ressortent gros-Jean-comme-devant «lisses comme les Spandau Ballet du quartier Mazarin.» Il dit avoir été dégoûté «pour de longues années.» Tous ceux qui ont fait des groupes en France ont été confrontés au même problème : tu tombes sur un mec qui n’écoute pas les mêmes disques que les tiens, alors t’es baisé. Il trafique ton son. Tu te fais baiser, une fois, deux fois, parfois trois fois. Alors tu finis par piger : le jeu consiste à trouver LE mec qui écoute les mêmes disques. Ça peut être Lucas Trouble ou Lo’Spider.

             À la fin de son récit, Polo monte à Paris en moto et débarque au Parking 2000, à Crimée, dont le quatrième sous-sol est aménagé en studios de répète. 200 ou 300 groupes y répètent. Pour dormir, Polo et son pote louent une piaule miteuse dans un hôtel de passe de la rue Rambuteau. Les autres ont trouvé une piaule rue Ordener. On se croirait dans Les Illusions Perdues ! Polo de Rubempré monte à Paris. Mais Polo est bien plus balèze que Lucien : il n’est pas dévoré par l’ambition et il ne lui viendrait jamais à l’idée de frimer. Alors on attend la suite avec impatience.    

             Signé : Cazengler, Quartête de veau

    No Jazz Quartet. La Boule Noire. Paris XVIIIe. 12 mai 2024

    No Jazz Quartet. You’re Gonna Leave The Building Soon. Closer Records 2023

    Holy Curse. Hereafter. Whiz Recordings 1999

    Holy Curse. Bluer Than Red. Nova Express 2004

    Holy Curse. Feed The Dogs. Turborock Records 2007

    Holy Curse. Take It As It Comes. Turborock Records 2011

    Paul Milhaud. Nous Étions De Jeunes Punks Innocents. The Melmac 2024

     

     

    Max le ferrailleur

     - Part Three

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             À la suite d’A Rocket In My Pocket et de Teddy Boys, l’idéal serait de lire King’s Road: The Rise And Fall Of The Hippest Street In The World. Paru en 2005 et tout juste réédité, King’s Road constitue le troisième volet de ce qu’on pourrait appeler la trilogie rock de Max Décharné. Alors attention, ce n’est pas un rock book à proprement parler. Comme dans Teddy Boys, Max le ferrailleur brasse large, il documente à outrance, se prête aux fièvres citatoires, il creuse profondément pour aller explorer les racines du thème, il fait la R&D du rock, c’est-à-dire qu’il en examine scientifiquement le contexte socio-culturel, il se livre à un authentique travail de recherche, comme le fit en son temps Mick Farren avec son Black Leather Jacket book et son Speed Speed Speedfreak book. La parenté crève les yeux. Mais Max le ferrailleur pousse son bouchon encore plus loin. C’est d’une certaine façon l’hommage d’un géant à un autre géant.

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             Pour le fan de rock ordinaire, King’s Road en 1976, ça voulait dire sortir du métro à Sloane Square et remonter jusqu’au 430 pour voir Sex, le bouclard de McLaren. Pour Max le ferrailleur, King’s Road ne commence pas avec Sloane Square, mais avec Charles II, un roi d’Angleterre, qui au XVIIe siècle, fit aménager l’artère pour son usage personnel, d’où le nom. Puis ça va passer par la mode, le théâtre, la littérature et le cinéma, Max fait tout avancer en même temps, et pour donner du poids à ses investigations, il fait intervenir des témoins de choc : Mick Farren, John Peel, Ted Carroll, Wreckless Eric et quelques autres. Il est essentiel à ce stade des opérations de savoir que King’s Road n’est pas un book uniquement consacré aux Sex Pistols. Mary Quant, John Osborne et Andrew Loog Oldham y volent le show.

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             Tu t’engages dans un book dense : 350 pages composées dans un corps de texte minimaliste, du 9 ou du 10, justifié serré, quasi impénétrable, t’as intérêt à ajuster tes binocles, il règne dès l’intro une tension terrible, Max te transmet sa passion dévorante, comme s’il te contaminait. Pour gérer ce prodigieux fleuve de connaissances, il avance chronologiquement, année par année. Il est obligé, sinon ce serait le chaos. Il épluche tous les canards d’époque, les quotidiens, les revues, les magazines, tout, absolument tout, il relit toutes les critiques de cinéma, de théâtre et de littérature, ça grouille d’infos, c’est Fantasia et ses balais, pas chez les ploucs mais chez les punks, il va chercher le Bazaar de Mary Quant dans la presse spécialisée, il situe le top départ de la modernité anglaise à la fin de 1954, lorsqu’arrivent «le rock’n’roll, la télé commerciale, Look Back In Anger et l’ouverture de Bazaar au 138a» - The revolution starts here - Et en 1955, apparaissent les premiers Teds - These people looked seriously sharp. Ce n’est pas pour rien que l’un des premiers surnoms d’Elvis était The Memphis Flash - Les Teds sont là bien avant le rock’n’roll, mais les médias s’intéressent à eux lorsqu’éclate la révolution, c’est-à-dire le rock’n’roll. Max profite de son détour chez les Teds pour rappeler qu’en 1971, au moment où McLaren ouvre sa boutique Let It Rock sur King’s Road, ils sont allés accueillir Gene Vinvent à Heathrow. Autour de Mary Quant traîne aussi Andrew Loog Oldham. S’il veut bosser pour elle, c’est tout bonnement parce qu’elle incarne à ses yeux la pop qui fait le lien entre le rock’n’roll des années 50 et le rock des Beatles - He wanted to be where the action was, and as far as he was concerned, in 1960 that meant Bazaar, 138a King’s Road - Quand au bout de six mois il démissionne, c’est pour aller un peu plus tard manager les Rolling Stones.

             Un certain John Stephens vient aussi loucher sur la vitrine de Bazaar. Il va transformer un peu plus tard une back alley nommée Carnaby Street en phénomène de mode à portée encore plus internationale, ce que Max appelle a worldwide brand. Ces choses-là sonnent toujours mieux en anglais.

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             Sur King’s Road déboule tout le gratin dauphinois de l’époque, ceux que Max appelle «les acteurs du changement in popular music, film, fashion, photography, drama and art of the day» - people like Stanley Kubrick, David Hockney, Marianne Faithfull, Michael Caine, Syd Barrett, Twiggy, David Bowie, Julie Christie, Samuel Beckett, Francis Bacon, Keith Richards, Siouxie Sioux, John Lennon, David Hemmings, Billie Holiday, Quentin Crisp, Jimi Hendrix and John Lydon - Dick Bogarde et James Fox descendent King’s Road jusqu’à Royal Avenue, où Joseph Losey tourne The Servant. Fondamentalement, King’s Road est l’endroit où les Stones et les Pistols ont démarré, où les mini-jupes sont apparues et où, nous dit Max, traînent encore les fantômes de John Osborne, Mary Quant, Brian Jones, Marc Bolan et Sid Vicious - People are still looking for them and their kind down the King’s Road.

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             King’s Road voit aussi passer les modes. À la fin des sixties, Mick Farren n’ose plus mettre ses fringues de guérillero, power-to-the-people, c’est terminé - Everybody got a bit bored with Che Guevara, you know? - car voilà qu’arrivent l’année suivante Marc Bolan et le glam. Puis Alex et ses Droogs déboulent, suivi de Jack Carter, celui de Get Carter. Bolan s’habille chez Granny Takes A Trip, au 488 King’s Road, ou chez Alkasura, au 304 de la même rue. Flash clothes. On en trouvait aussi au Kensington Market. En 1975, Nils Stevenson, futur tour manager des Pistols, vend des fringues de Teds à Beaufort Market, à deux pas de King’s Road, et devient pote avec McLaren et Vivienne Westwood - Punk rock was a high-speed collision just waiting to happen - Et puis voilà qu’arrive 1976, un chapitre qu’introduit brillamment Max le ferrailleur : «Nineteen seventy-six, like 1956 and 1966 fut l’année qui remit the King’s Road à la une de tous les journaux. Vingt ans auparavant, la cause de tout ce fuss était the Angry Young Men, la fois d’après, il s’agissait de Mary Quant, Granny’s et tout la mythologie du Swinging London. Cette fois, il s’agissait d’Anarchy In The UK.» Et Max titre son chapitre : ‘It’s the buzz, cock.’ Johnny Rotten parade dans les canards avec ce gros titre : «Don’t look over your shoulder, but the Sex Pistols are coming.» Fantastique ! Wild as fuck. L’effet est bien plus radical qu’au temps des Rolling Stones. Les Pistols foutent vraiment la trouille à l’Anglais moyen. Et ça atteint l’apothéose avec la fameuse formule : «Actually, we’re not into music, we’re into chaos.» L’essence même du rock.

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             Quand tu te ballades dans Chelsea, tu as l’impression que les rues sont lisses et qu’elles n’ont pas vraiment d’histoire, à la différence des rues de Paris dont tous les quartiers te renvoient à des épisodes de l’histoire littéraire, politique ou artistique. Max t’ouvre les yeux. Dans les années 70, les kids français n’ont qu’une idée partielle de l’histoire des rues de Londres. Ça se limite à quelques endroits comme Portobello, Chelsea, Wardour Street, South Kensington ou Camden, car c’est directement lié aux clubs et aux disquaires. Max te rappelle qu’à deux pas de King’s Road se trouve Edith Grove où ont vécu les early Stones en 1962, et à deux pas de Gunter Grove où John Lydon s’est acheté une baraque au temps de P.I.L. Fait historique encore : Max rappelle que Dan Treacy et Ed Ball des Television Personalities ont enregistré «Where’s Bill Grundy Now» au 355 King’s Road, à deux pas du bouclard de McLaren qui s’appelle alors Seditionaries.

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             Ah il en parle de McLaren ! Avant Sex et Seditionaries, McLaren débaptise son bouclard Let It Rock et le rebaptise Too Fast To Live Too Young To Die en hommage à James Dean. Avant de s’appeler McLaren, il s’appelait encore Malcolm Edwards et fut comme des tas d’autres kids anglais fasciné par le show des Crickets au Finsbury Park Astoria en 1958. Max rappelle encore qu’en Angleterre, Gene Vincent was God et Billy Fury venait aussitôt après - something like the second coming - De la même manière que Luke la Main Froide, Max le ferrailleur est fasciné par Gene Vincent, qu’il qualifie d’«one of the greatest of them all», un Gene qui débarque en Angleterre en 1959 avec «a killer double-sided rock single called «Wild Cat/Right Here On Earth» et qui s’acoquine avec Jack Good, le producteur d’Oh Boy et de Six-Five Special. C’est Good qui conseille à Gene de porter du cuir noir de la tête aux pieds pour apparaître dans son nouveau show, Boy Meets Girls. Voilà le genre de détail dont grouille le Max book.

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             Ted Carroll vend des rockab singles dans son Rock On market stall, qui va devenir un vrai lieu de pèlerinage. C’est lui nous dit Max qui alimente McLaren en singles rares. On entre chez Sex pour acheter des fringues mais aussi pour écouter les singles qui se trouvent dans le juke-box. Puis quand les Pistols explosent en Angleterre, McLaren louche plus sur Andrew Loog Oldham, le Colonel Parker et Larry Parnes que sur Sam Phillips : il veut des gros moyens, pas d’artisanat mythique à la mormoille. Pas question de faire du Sun Records. Alors que dans leur grande majorité, les groupes punk optent pour l’artisanat. Simple question d’éthique. C’est toute la différence entre les Buzzcocks et les Clash, entre les Damned et les Jam. Moyens du bord d’un côté pour Spiral Scratch et «New Rose», gros billets de l’autre pour des résultats nettement moins percutants. L’exception reste bien sûr Nevermind The Bollocks, l’un des albums parfaits de l’histoire du rock anglais. McLaren achève sa trajectoire avec The Great Rock’n’Roll Swindle, réussissant l’exploit de raconter l’histoire des Pistols sans jamais montrer John Lydon, ce qui à l’époque en a éberlué plus d’un, à commencer par Max. Selon lui, McLaren ne voyait aucun intérêt dans les Pistols, le film chante plutôt les louanges de sa stratégie médiatique, alors que «John Lydon was one of the most charismatic and gueninely inspired frontmen in the history of popular music». De toute évidence, Max pèse ses mots.

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             Oh et puis cet humour ravageur. Il évoque le Blow Up d’Antonioni, sorti en 1967 et le soupçonne d’avoir cassé la baraque non pas à cause des Yardbirds ou de l’intrigue policière, mais grâce au cul de Jane Birkin - It was the first mainstream film in Britain to show a glimpse of pubic hair - C’est plutôt ça qui attirait les foules, comme d’ailleurs le big pubic hair de Stacia dans les concerts d’Hawkwind. Les kids venaient d’abord pour se rincer l’œil. Max rapporte une autre anecdote hilarante : Johnny Rotten et Sid Vicious se firent virer de leur appart à Chelsea parce que McLaren avait «oublié» de payer le loyer - No one said the revolution would be easy.   

             Au fil des pages, Max fait quelques recommandations, notamment l’Introducing Eddie & The Falcons de Wizzard, mais aussi The Diary Of A Rock’n’Roll Star de Ian Hunter (One of the most entertaining insider accounts of the business), mais le gros du troupeau des recommandations se trouve bien sûr dans A Rocket In My Pocket.

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             Dans Ugly Things, Mike Stax a tellement adoré lire King’s Road qu’il propose une interview fleuve de quatre pages de Max le ferrailleur. Ugly Things est taillé pour ça, pour faire la route.  T’es prié de croire qu’avec Stax, c’est toujours passionnant. Et bien sûr Stax demande à Max : Why the King’s Road ? Alors Max dit à Stax qu’au début des années 80, il vivait à Battersea, de l’autre côté du pont de Chelsea, dont l’artère principale est King’s Road, alors il s’y baladait, et comme il n’avait pas de blé - on the dole - il léchait les vitrines. L’idée du book lui est venue en 2004 quand il a réalisé que «two of the best bands from England - the Stones and the Pistols - both started their careers down at the tatty end of the King’s Road.» Puis il explique qu’il s’est appuyé sur les tonnes de stuff accumulées pendant des années. La première édition de King’s Road date de 2005 - celle dont on parle plus haut - et depuis, il l’a updatée pour en faire un gros patapouf - It’s now useful for a hand-to-hand combat: si tu balances the new 520-page sur la tête d’un mec, il y a peu de chance pour qu’il se relève - Max le ferrailleur adore rigoler. Il adore aussi les bibles. Il ne fait pas dans la dentelle, ce qui semble logique pour un ferrailleur. 520 pages ! Bon courage, les gars ! Max revient à ses recherches et explique qu’il est entré en contact avec des tas de gens, à l’époque, et qu’il a lu TOUS les canards, d’OZ à Zigzag en passant par le NME et tout le saint-frusquin, mais ça ne s’arrête pas là : il a hanté les bibliothèques à Londres et à Berlin et a lu TOUT, Time, Newsweek, tous les canards des ‘50s, ‘60s and ‘70s, TOUT, TOUT, TOUT et le reste, comme on disait autrefois dans Salut Les Copains. Il a traqué tout ce qui évoquait Chelsea & the King’s Road, et en plus il a écouté tous les disques et vu tous les films - Le book aurait pu être cinq fois plus gros, mais je serais encore en train de l’écrire - On savait son humour ravageur, mais là, il bat tous les records. Il est fier d’avoir pu interviewer Mary Quant, avec laquelle il a fini par sympathiser. Max dit à Stax avoir reçu une lettre manuscrite d’elle après la parution du book, lui avouant qu’elle en avait apprécié la lecture, «which made my day».

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             L’épisode John Peel est hilarant : Peely invite Max chez lui, à Peel Acres, à la campagne. Peely vient récupérer Max à la gare. Il conduit une «strange experimental car», dont le tableau de bord ressemble à celui d’un vaisseau spatial, et dont les boutons et les clignotants restent un mystère aussi bien pour Max que pour Peely. Alors Peely lui explique qu’on lui a prêté cette «strange experimental car» pour quelques semaines, ce qui l’amuse beaucoup. Il en existe quelques une et Stong paraît-il en conduit aussi une. Après manger, Peely emmène Max dans sa pièce à disques et lui fait écouter une démo des Misunderstood enregistrée au Gold Star dans les sixties, et comme chacun sait, Peely avait flashé sur eux alors qu’il séjournait aux États-Unis et leur avait proposé de s’installer à Londres, pour six mois, chez sa mère, qui ajoute-t-il, ne lui a jamais pardonné - Five big Californian lads in a small flat in Notting Hill - Peely rivalise d’humour ravageur avec Max. Un Max qui rencontre aussi Christopher Lee, qui, dit-il, est encore plus grand que lui qui fait déjà quasiment deux mètres de haut. Christopher Lee indique à Max qu’à l’époque où il s’est installé dans le coin de King’s Road, Boris Karloff habitait sur le même square.

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             Max revient sur les racines du punk-rock à Londres : Dr. Feelgood (1975, first band I ever saw live) et le premier album des Ramones en 1976. Il cite aussi les racines glam, avec Slade, T Rex et Mott, tous ces groupes qu’écoutaient les punk-rockers quand ils avaient 12 ans, puis Iggy & The Stooges qui vivaient just off the King’s Road while recording Raw Power in London. Il cite aussi les Dolls at Biba’s. Max flashe aussi sur le concert des Ramones au jour de l’an 1977, avec Generation X et les Rezillos à la même affiche. Mais quand la semaine suivante, il achète le NME avec les Ramones à la une, il est écœuré par l’article de Tony Parsons qui ose descendre les Ramones. Alors le NME perd tout crédit à ses yeux. Comment ont-ils osé ? 

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             La fin de King’s Road est un peu tristounette. On arrive au bout du book comme on arrivait jadis au bout de King’s Road pour découvrir qu’il n’y avait plus rien à voir. World’s End. Alors pour se remonter le moral, on va se taper avec un Part Four un petit panorama des Flaming Stars, un groupe que Philippe encensait en 1996, et il était bien le seul à le faire en France. Ça se passait dans le N°8 de Dig It!. Il interviewait Max le ferrailleur. Lequel rend hommage à ses deux guitaristes, l’ex-Sting-Rays Mark Hosking et l’ex-Headcoats Johnny Johnson. Max évoque aussi sa passion pour les films Hammer et les acteurs comme Christopher Lee ou Peter Cushing, ainsi que sa passion pour les romans noirs des années 30 et 40 et «les affiches de films peintes par des gens comme Tom Chantrell». D’où les pochettes d’albums des Flaming Stars. Les deux stars citées dans l’interview sont David Allen Coe et Guy Clark. Pas mal, non ? Philippe termine sa double avec une belle apologie du real deal, sa façon de dire : choisis ton camp, camarade.

    Signé : Cazengler, Max la limace

    Max Décharné. King’s Road: The Rise And Fall Of The Hippest Street In The World. Weidenfeld & Nicolson  2005

    Philippe Migrenne. The Flaming Stars. Dig It! # 8 - Hiver 1996

    Mike Stax : An interview with Max Décharné. Ugly Things # 64 - Winter 2023

     

     

    Kramer tune

     (Part Four)

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             Et voilà qu’une page d’histoire se tourne : Dennis ‘Machine Gun’ Thompson vient de casser sa pipe en bois, refermant ainsi le chapitre MC5. Finito. MC5 ? Kapout. Est-ce une coïncidence, toujours est-il qu’au même moment, dans le numéro de mai de Mojo, Bob Mehr consacrait huit pages au MC5. Une sorte de dernier spasme, avec en double d’ouverture, la fameuse photo bien connue d’un Five dégoulinant de sueur, prise dans un backstage quelconque. C’est de cette séance que sort l’image qui orne la pochette de Back In The USA.  Ils sont à la fois superbes et très laids.

             Mehr va se baser sur l’autobio de Wyane Kramer (The Hard Stuff: Dope, Crime, The MC5, And My Life Of Impossibilities) et opter pour un angle un peu bizarre : la rédemption qui suit la résurrection du guitariste, dans les années 90. C’est vrai que cette histoire est troublante et qu’elle vaut bien 8 pages.

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             Mehr fait tout simplement de Wayne Kramer un héros, un homme profondément soucieux des autres et qui croit aux nouveaux départs. C’est assez con à dire, mais ça s’entend dans sa façon de jouer. Kramer est un mec franc du collier. Il croit en l’intégrité. Avec de l’intégrité, on peut tout faire. Mehr cite John Sinclair : «Wayne was just a beautiful cat.» Tout est dit. Don Was ajoute qu’on pouvait tout savoir de Kramer en jouant simplement avec lui.

             Puis Mehr revient sur la formation du typical Midwest garage outfit MC5, «with matching hairdos and suits», vite propulsés par ce qu’il appelle «the twin influences of mind-expanding drugs and avant-jazz.» Car c’est bien là que se niche le génie du MC5, dans cette façon d’aller explorer les frontières. Kramer cherche tout de suite à se différencier. Chuck Berry fast and loud ? En disto ? Et je vais où après ? - And when I heard John Coltrane and Sun Ra and Albert Ayler, I said, Oh, that’s where you go frome there. You leave the key and the beat behind and go into a kinetic, more purely sonic dimension, where you’re trying to reproduce human emotion in sound - Ce que font couramment les crack du free : reproduire l’émotion dans leur son. Comme l’a fait Jeffrey Lee Pierce avec «(The Creator Has A) Masterplan» de Pharoah Sanders.

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             John Sinclair file un sacré coup de main dans cette évolution. Sinclair flashe surtout sur «Black To Comm», le dernier cut que claque le Five sur scène. Sinclair devient leur manager. Le MC5 veut alors devenir le plus grande groupe de rock américain. Sinclair : «They were better than  any band I’ve ever seen.» Un autre cake flashe sur eux : Danny Fields, qui bosse pour le compte de Jac Holzman, boss d’Elektra. Comme Jac fait du blé avec les Doors, il cherche d’autres groupes de rock et Danny lui ramène le MC5 ET les Stooges. Danny n’en revient pas de voir Wayne Kramer danser sur scène, au Grande Ballroom de Detroit : «He was a real guitar dancer - like Fred & Ginger, him and his guitar.» Et Kramer lui recommande bien sûr les Stooges, ce qui émeut profondément Danny - In every way he was a classy guy - Et cette façon ajoute Danny qu’il avait de sourire quand tu lui adressais la parole et d’être curieux des gens. Les témoignages sont tous confondants. Ils jettent une sacrée lumière sur l’autobio. John Sinclair, Bob Mehr et Danny Fields font de Wayne Kramer un être lumineux et explorateur de frontières. Ça ne te rappelle rien ? Elvis 54, bien sûr.

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             La suite de l’histoire du MC5, on la connaît par cœur. Kick Out The Jams Motherfuckers retiré des ventes suite au «Fuck Hudson» que publie le Five dans la presse, Danny Fields et le Five virés d’Elektra, le Five qui se retrouve sur Atlantic mais dans les pattes de John Laudau, un Landau qui veut transformer le Five en machine à fric et donc virer le «political shit and the avant-garde shit», alors comme John Sinclair veut maintenir le lien entre le Five et son White Panther Party, il est viré. Et c’est la fin des haricots. Back In The USA et High Time ne se vendent pas. Glou glou. Michael David et Dennis Thompson quittent le navire. Wayne Kramer tente de sauver le groupe, il monte un nouveau line-up, mais en même temps, il a le museau dans la dope. Il s’écroule comme un château de cartes - J’ai alors perdu le moyen de gagner ma vie. J’ai perdu mes amis, mon statut social, mon avenir. Je ne savais pas quoi faire pour survivre. Alors ça m’a semblé plus facile de me défoncer - Il sombre dans la délinquance, «into a mafia-backed drug operation» et atterrit au ballon - In a way, I was destined to prison - C’était son destin, yo ! Cinq piges. Ça va, c’est pas trop violent. Ça se fait sur une jambe, comme on dit.

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             Et c’est au ballon que sa vie va basculer, au bon sens du terme, avec une rencontre, celle de Red Rodney, un trompettiste blanc qui avait accompagné Charlie Parker. Wayne se reconstruit grâce à Red, il retrouve une identité - I was the white boy with the wah-wah - C’est le cœur battant de l’autobio. Wayne n’est plus un gangster, mais un mec dont les taulaurds apprécient la musique. Au même moment, le punk-rock explose en Angleterre. Wayne est considéré comme godfather du punk-rock, au même titre qu’Iggy. Libéré, il se retrouve embarqué dans l’épisode Gang War avec Johnny Thunders, mais il sait que ça ne peut pas marcher - You can’t be in business with active addicts, they have other priorities - Dommage. Il fait ensuite équipe avec Don Was dans Was (Not Was). Il joue sur leur premier album. On en reparle.

             Pour vivre, Wayne devient charpentier, il s’installe en Floride, puis à Nashville. Lorsque Rob Tyner casse sa pipe en bois en 1991, Wayne se réveille en sursaut. Il réunit les autres Five  pour jouer un tribute à Rob à Detroit. Puis deux ans après, Fred Sonic Smith casse lui aussi sa pipe en bois. C’est le déclic : Wayne se dit qu’il lui reste 20 ou 30 ans à vivre, alors «I better get to work making music». Et boom, il se réinstalle à Los Angeles et enregistre The Hard Stuff. Il entame sa résurrection.

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             Puis il va se consacrer à la postérité du MC5 - I started the band, et même si je n’ai pas su le contrôler, it was my baby - En 2002 sort un docu (The Hard Stuff: Dope, Crime, The MC5, And My Life Of Impossibilities) qui disparaît aussi sec, suite à une embrouille entre Wayne et les réalisateurs. Pas grave, Wayne reprend son bâton de pèlerin : il débarque à Londres au 100 Club et invite sur scène la crème de la crème du gratin dauphinois : Lemmy, Dave Vanian, Ian Astbury. Puis c’est la tournée de DTK/MC5, c’est-à-dire Davis/Thomson/Kramer, les trois survivants, avec Mark Arm au chant. Arm est fasciné par Wayne : «Wayne was great at getting people who were sympathetic.» Et il cite les noms de Lisa Kekaula et Dick Manitoba. Mais il y a des tensions parmi les survivants, ce qui attriste Wayne. Et puis voilà que Michael Davis casse sa pipe en bois en 2012. Fin du DTK. Alors Wayne monte Jail Guitar Doors USA, une association destinée à aider les taulards à s’en sortir via la guitare. Wayne fournit les grattes et les cours. Il visite des centaines de taules. Le voilà en mission. Et ça monte encore d’un cran dans la résurrection avec la naissance de son fils Francis en 2013. Il a 65 balais. Il sait maintenant pourquoi il ne s’est pas auto-détruit. Et en 2018, il sort l’autobio que salue son vieux mentor John Sinclair : «His autobiography was a tremendous work of art.» Pour les 50 ans du MC5, il monte le MC50 qu’on a pu voir à Paris, à l’Élysée, avec le mec de Zen Guerilla au chant. Puis il remonte un nouveau MC5 avec Brad Brooks (chant), Winston Watson (beurre) et Vicki Randle (bassmatic), pour enregistrer le quatrième album du MC5, cinquante ans après High Time. Il doit - ou devait - s’appeler Heavy Lifting. Mehr ne dit pas s’il va sortir un jour. C’est Bob Ezrin qui devait le produire. On y entend aussi paraît-il Vernon Reid de Living Colour, Dennis Thompson, Tom Morello et Don Was. Wayne nous dit Ezrin tentait avec cet album de re-capturer le spirit du Five. Alors on va se gratter l’os du genou en attendant des nouvelles d’Heavy Lifting. Était prévu avec la sortie d’Heavy Lifting une tournée mondiale et un nouveau book sur le Five, sous forme d’oral history. Pareil, on attend Godot. Wayne commençait à faire la promo dans la presse quand un petit cancer du pancréas l’a envoyé au tapis. Comme la vie, le MC5 ne tient qu’à un fil.

    Signé : Cazengler, MCFayot

    Dennis Thompson. Disparu le 9 mai 2024

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    Bob Mehr : It wasn’t enough to play Kick Out The Jams, you had to live it. Mojo # 366 - May 2024

     

     

    Inside the goldmine

    - George Soul

             Il portait le même nom qu’un célèbre tableur, Excel, l’outil préféré des esprits calculateurs et des forts en thème. Excel n’était pas calculateur, ni fort en thème, il avait d’autres défauts mais aussi des qualités. On pouvait par exemple lui faire confiance. Sauf si un disque rare traînait dans les parages. Posséder, telle était son obsession. La seule vue d’un gros cartonné US le rendait malade. Vraiment malade. Il transpirait et peinait à calmer sa respiration. Il subissait une sorte de pulsion libidinale. Chez certains hommes, la vue d’une belle paire de seins ou d’une toison ardente peut provoquer de violents troubles comportementaux : mains moites, grosse érection, passage à l’état bestial. Mais rares sont ceux qui perdent la tête à la seule vue d’une pochette de disque. De ce point de vue, Excel était un spécimen très rare, une véritable aubaine pour les scientifiques qui travaillent sur les pulsions et les dangers afférents. Alors bien sûr, nous ne trouvâmes rien de mieux pour nous distraire que de jouer à le mettre en transe. Le jeu consistait à sortir d’un sac quelques beaux cartonnés US et à les montrer rapidement. Ce jour-là, on exhiba sous ses yeux ronds comme des soucoupes quelques petites merveilles : Bettye Swann sur Capitol, l’Open Mind, Birtha, les Godz sur ESP. Excel demanda d’une voix blanche quel était leur prix. Bien sûr, ils n’étaient pas à vendre. Comme il approchait les mains, on l’acheva d’une seule phrase : «Bas les pattes ! On ne touche qu’avec les yeux !». On aurait dit que la foudre l’avait frappé et qu’un filet de fumée s’échappait de ses oreilles. Il réfléchissait comme on réfléchit dans les moments de panique pour trouver une solution, et avant qu’il n’ait pu dire un seul mot, les disques disparurent au fond du sac, anéantissant définitivement tout espoir en lui. Comme il était incapable de renoncer, il sortit son porte-monnaie et le fouilla fébrilement. Bien sûr, Excel n’avait pas un rond, à peine quelques pièces. Le spectacle fut si désolant qu’un des disques ressortit du sac. «Tiens, cadeau !». Il tenait le Birtha dans ses mains tremblantes et pleurait toutes les larmes de son corps. On n’avait encore jamais vu un homme chialer comme ça.

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             Les albums de George Soule n’auraient eu aucun effet sur Excel, car ce sont des CDs. Même pas la peine de lui dire à quel point George Soule est un bon, qu’il fait partie du noyau atomique de Malaco et qu’il groove comme un cake, à partir du moment où Take A Ride n’est pas un gros cartonné US, ça ne l’intéresse pas. Ah comme les gens peuvent être parfois bizarres !

             George Soule a trois cuts sur la petite compile Soulscape, Chuck Brooks, Joe Wilson, George Soule - Malaco Soul Brothers, dont bien sûr le fameux «Talkin’ About Love» révélatoire qui figure en bonne place dans la box Malaco. Il y tape le heavy romp de Malaco. Avec «That’s Why I’m A Man», il y va, c’est du sérieux. Comme Nino Ferrer, il voudrait être noir, il cherche la blackitude, avec une certaine réussite. 

             George Soule est l’artiste complet : il compose, bat le beurre et produit. Il a bossé pendant quarante ans avec d’énormes pointures comme Mavis Staples, Z.Z. Hill, Bobby Womack et Candi Staton. Il vit à Nashville, mais il se réinstalle à Jackson au moment où Wolf Stevenson et Tommy Couche démarrent Malaco. On pourrait presque le comparer à Dan Penn : même genre d’envergure, même qualité des compos et même passion pour la musique noire. Il a 8 ans quand son père lui offre un drum kit, puis il prend des cours de piano. Ado, il flashe sur Ray Charles et Etta James. Puis il flashe sur l’Otis Blue d’Otis. Plus tard il aura la chance de faire des backing pour Etta James, grâce à Jerry Wexler. C’est Jimmy Johnson à Muscle Shoals qui présente George à Jerry Wexler, en 1969. Wexler cherche des démos pour Judy Clay et ça tombe bien, George en a plein. Wexler les écoute. Des gens comme Wilson Pickett, Esther Phillips et Percy Sledge vont taper ses compos. 

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             La compile Let Me Be A Man sort sur Soulscape, un bon équivalent de Kent/Ace. Dans ses liners, John Ridley n’y va pas de main morte : «George Soule, the essence of Country Soul.» Toutes ces démos sont enregistrées à Muscle Shoals, on retrouve le fat thumping de Muscle Shoals dès «Walking On Water Over Our Heads», heavy r’n’b de Southern punch, George est un vrai white nigger, un authentique imparable. On réalise très vite qu’il est aussi est un compositeur de génie, «So Glad You Happened To Me» sonne comme un hit interplanétaire, il atteint les couches supérieures du lard fumant. «You Can’t Stop A Man In Love» bat tous les records d’énergie compositale, c’est extravagant de puissance, il atteint des sommets insoupçonnés. Wilson Pickett adorait ce Can’t Stop, mais bon, il a enregistré autre chose. George chante «Better Make Use Of What You Got» à la glotte tracassée et il lâche ensuite une bombe : «Catch Me I’m Falling», qui sera un hit pour Esther Phillips. Encore du solide groove d’excelsior avec «Let It Come Naturally». Tout est extrêmement balèze sur cette compile. Jeune, George ressemble à un jeune black. Il reste très intense dans sa façon de chanter, très déjeté de l’épaule, si black d’esprit, si dévoué à la Soul. Comme les Tempts, il entre avec «Sitting On Top Of The World» dans le territoire sacré de la Soul. «It’s Just A Matter Of Time» est exceptionnel de grandeur. Il pulse sa good time music au firmament. Il sonne comme une superstar. Il compose «Shoes» avec Don Convay pour Brook Benton. «I Can’t Stop It» est solide sur ses pattes, un vrai hit de r’n’b, même chose avec «24 Hours A Day», derrière George, ça joue énormément. Et pour finir, voilà «Poor Boy Blue», un heavy groove d’excelsior. George est un bon. Sa Soul est pure. 

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             Il enregistre Take A Ride en 2006. Dans ses liners, Nial Briggs le compare à Dan Penn, Spooner Oldham, Bobby Womack et George Jackson. En studio, on retrouve Greg Cartwright. Inutile de dire qu’avec ce Take A Ride, tu te retrouves une fois de plus avec un big album entre les pattes. Et ça ne traîne pas, George fait son white niggah d’entrée de jeu avec «Something Went Right», il va chercher le smooth de Malaco, c’est une véritable bombe de Soul et de spirit. George chante une Soul de crack, son «I’ll Be Your Everything» est un deepy deep d’extrême onction, il est just perfect, en plein dans l’œil de Coco Bel-œil le cyclone. Greg Cartwright gratte bien ses poux dans le morceau titre. C’est claqué tellement sec que ce take a ride entre dans la légende de l’apanage, le groove de Malaco te groove les mots, il y va le George, c’est du solide, et ce démon de Cartwright gratte à tire-larigot. George tape bien sûr son vieux «Shoes», co-écrit jadis avec Don Covay. Ce mec a tout bon, c’est bien saqué du raw, bien monté au smooth de groove. Mooove with the grooove, n’oublie jamais ça. Le Cartwright passe à la wah sur «Find The Time» qui sonne comme un groove gluant de Leon Ware. George fait encore son white niggah dans «My World Tumbles Down», il vise en permanence l’excelsior du Soul System. Son «Bent Over Backwards» sonne comme du James Carr, et dans «Come On Over», les chœurs font come on over / there’s a party going on. Cet album superbe gagne la sortie avec «A Man Can’t Be A Man». George a du son jusqu’au bout des ongles.

             Il est aussi mêlé à une sombre histoire : les compiles Casual. Sombre parce que complètement underground. On en connaît trois : Country Got Soul, volumes One & Two et le Testifying de The Country Soul Revue. Dans les trois cas, tu peux y aller les yeux fermés, car George y côtoie la crème de la crème du gratin dauphinois, Donnie Fritts, Dan Penn, Bobbie Gentry, Eddie Hinton, Tony Joe White, Jim Ford, Bonnie Bramlett et des tas d’autres luminaries. C’est de toute évidence le moyen le plus sûr de situer le niveau de George Soule : parmi les géants.

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             Il n’a qu’un seul cut sur Country Got Soul (Volume One) : «Get Involved». Il est à l’aise, black jusqu’au bout de la nuit, avec du heavy R&B. Sinon, cette compile grouille de puces. Avec des lascars comme Dan Penn et Donnie Fritts, c’est pas étonnant. Le Penn, tu le retrouves avec «If Love Was Money». Il sort le grand big badaboum et la voix d’ange blanc, c’est explosif de Soul, le Penn se coule dans toutes les couches de température, il pose ses couplets à plat et choisit l’éruption pour signifier sa passion de la Soul, c’est ultra-cuivré, il joue avec tes nerfs, Dan te dame le pion. Il ne Penn pas à jouir. Eddie Hinton te sonne les cloches avec «Come Running Back To You», et Donnie Fritts te groove l’oss de l’ass avec «Short End Of The Stick». C’est de la heavy frite de Fritts - They let me know/ I was at the short end of the stick/ yeah - On reste chez les poids lourds avec Tony Joe White et «Did Somebody Make A Fool Out Of You», bien gratté sous le boisseau vermoulu, et avec Travis Wammack et «You Better Move On», joli shoot de Memphis Soul-pop. Big one encore avec Delaney & Bonnie et «We Can Love», summum de la Soul blanche, et quand Bonnie entre dans la danse, alors ça groove au-delà des espérances du Cap de Bonne Espérance. Coup de génie encore avec Razzy Bailey et «I Hate Hate». Il fait tout simplement «Tighteen Up». Oh et puis voilà Jim Ford avec «I’m Gonna Make You Love Me». Tu ne peux pas résister à un tel battage. C’est lui le cake de service. Oh et puis ce démon de Bobby Hatfield sonne comme un black avec «The Feeling Is Right». Fantastique swinger !

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             Tu prends les mêmes et tu recommences avec Country Got Soul (Volume Two). Même si George Soule n’y est pas, tu l’écoutes quand même. Parce que Dan Penn & Chuck Prophet avec «Heavy Duty» (haut de gamme imputrescible, heavy groove d’Alabama avec un Prophet in tow qui gratte ses poux de Tele). Parce que Bonnie Bramlett et «Your Kind Of Kindness» (la reine du rodéo, la vraie, chant d’Ikette blanche). Parce que Bobbie Gentry et «Fancy» (l’autre reine du rodéo). Parce que Donnie Fritts et «Muscle Shoals» (il fait la vraie country Soul et en tombe à la renverse - There must be something in the air down there/ To make ‘em play like that - hommage sidérant aux Swampers). Parce que Jim Ford et Harlan County» (c’est lui la superstar. Power immédiat). Parce que Sandra Rhodes et «Sewed Love And Reaped The Heartache» (elle est bien dans l’esprit du Casual, la petite Sandra, elle est bien cuivrée et soutenue par des chœurs astucieux). Parce que Larry Jon Wilson et «Ohoopee River Bottomland» (il fait du Tony Joe avec une voix plus grave, c’est assez magique). Parce qu’Eric Quincy Tate et «Stonehead Blues» (les Dixie Flyers jouent sur ce cut demented tiré de leur premier album sur Cotillon).

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             Tu reprends les mêmes et tu recommences avec The Country Soul Revue et Testifying. George y fait trois apparitions, d’abord avec «Jaguar Man» (fantastique groove de white nigger), «I’m Only Human» (encore une échappée de Soul merveilleusement belle) et «It’s Over». On recroise aussi l’excellent Larry Jon Wilson avec «Friday Night Fight At Al’s» (il va chercher le baryton qui claque). Dan Penn a deux cuts : «Chicago Afterwhile» et «Best Of My Life» (tu sais tout de suite que ça va te couler dans la manche. Dan est un doux). Deux cuts aussi pour Donnie Fritts, «Adios Amigo’s» (il fait honneur aux apanages) et «Sumpin’ Funkin’ Goin’ On» (funky booty de la frite, il groove comme un cake). Deux cuts aussi pour Tony Joe White, «Who You Gonna Hoo Doo Now», imparable, et «Drifter», qui sauve bien l’honneur des blancs du Deep South. La palme revient à Bonnie Bramlett avec «Where’s Eddie». Bonnie est aux ladies d’Amérique ce que Lanegan est aux lads : la plus grande shouteuse. Elle explose la country Soul et l’Amérique toute entière. Elle s’en va swinguer au sommet de son Ararat de power pur. Wow Lady Bonnina, lying on the bed/ Listen to the music playing in your head !

    Signé : Cazengler, tu nous soûles

    George Soule. Let Me Be A Man. Soulscape Records 2011 

    George Soule. Take A Ride. Zane Productions 2006

    Chuck Brooks, Joe Wilson, George Soule. Malaco Soul Brothers. Soulscape 2006

    Country Got Soul (Volume One). Casual Records 2003

    Country Got Soul (Volume Two). Casual Records 2003

    The Country Soul Revue. Testifying. Casual Records 2004

     

    *

    Attention le retour de Ghost Highway ! Pas un groupe comme les autres pour notre blogue. Et pour beaucoup de fans de la première heure. Dès notre  première livraison du  01 / 05 / 2009 consacrée à Old School et Burning Dust, Jull et Zio qui furent le noyau initial de Ghost Highway étaient présents…   Avec Alain nous assistâmes à un des tout premiers concerts de Ghost Highway au Saint-Sauveur de Ballainvilliers ( livraison 26 du 11 / 11 / 2010) formation initiale, Zio, Jull , Arno, Phil… Epoque lointaine, le rockab français est en train de vivre un second âge d’or, Ghost Highway va incarner cette renaissance, il y a le groupe certes, mais aussi la constitution d’un groupe de followers qui suit la formation dans toutes ses pérégrinations rock’n’rollesques, peu de formations en notre pays peuvent se vanter d’avoir suscité un tel mouvement, l’on suit Ghost Highway avec ferveur, car intuitivement l’on comprend que c’est une chance inespérée de survie pour le rock’n’roll en notre pays…

    Les groupes de rock sont souvent des formations cristallisatoires évaporatrices, la vie ne fait pas de cadeau, après de nombreux concerts dont un à l’Olympia en première partie d’Imelda May et deux albums le rêve s’effilochera et se terminera… laissant un goût amer dans l’âme des fans… et l’espoir insensé d’une reformation… Ces deux dernières années il y eut des rumeurs diverses, des envies, des rencontres… jusqu’à cette reformation en laquelle personne ne croyait mais que tout le monde espérait, notons l’amicale contribution de Rockabilly Generation  l’ indispensable magazine de Sergio Kazh … A la vieille garde Arno, Jull and Phil s’est ajoutée la contrebasse de Brayan

    Pour Noël, nous trouverons au pied du sapin un nouvel album de Ghost Highway, c’est bien mais c’est loin. Devant la demande pressante et l’impatience généralisée, le groupe a improvisé  une session acoustique que nous nous empressons de découvrir.

    ACOUSTIC SESSION

    GHOST HIGHWAY

    (ASO1 / 1Records Production Ghost HighwayMai 2024)

    Arno : vocal, rhythm guitar / Phil : drums / Brayan : double bass / Jull : vocal, lead guitar.

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                    Seulement sept titres. Des reprises, les surprises novatrices seront sur l’album, retour vers le passé, dans une ère que l’on pourrait nommer le proto-rock’n’roll, tous les ingrédients du rock’n’roll  sont là, en ordre dispersé,  la génération des pionniers ne tardera pas à surgir pour se saisir de toutes ces racines et les rassembler…

    Blackberry wine : j’en connais une version par Big Sandy and his Fly-rite boys, une espèce de hillbilly-jazz peu convaincant,  lorsque était paru le premier numéro de Rockabilly Generation avec Big Sandy, ne te force pas avait décrété Alain, comme je te connais Damie jamais tu n’aimeras Big Sandy, par contre là ça claque sec, l’on est projeté en une fraction de seconde en une autre dimension, les Ghosts délimitent l’espace mental de la giboulée hillbillyenne, faut avoir l’oreille partout, trois pincées d’une guitare grêle, le vocal déboule, puis s’amuse au cheval à bascule, l’est pas tout seul, toutes dix les secondes retombe la pincée de grêle, ne vous laissez pas distraire, la basse trottine comme les sabots d’un zèbre têtu, le drummin tombe pile atomique, et tous ces moments délicieux dans lesquels les guitares se lancent dans des djangleries époustouflantes, de temps en temps ricochent des cartouches de chœurs, et le morceau défile si vite que vous êtes obligé de réécouter pour comprendre les tours fulgurants de pase-passe. Cherokee boogie :  en règle générale la prudence vous conseille de vous abstenir quand vous n’avez pas Moon Mullican dans le studio pour assurer le piano - vous l’excuserez, l’avait une bonne excuse pour ne pas être présent, lui qui est né en 1909 est mort en 1967, ce morceau est sorti en 1951, sachez que Jerry Lee Lewis a toujours revendiqué ce toqueur fou aux confluences hillbilly-country-boogie comme l’une de ses principales inspirations - oui mais ils s’appellent Ghost Highway et rien ne leur fait peur, au tout début vous avez un subtil frottis vaginal de big mama et c’est parti pour la danse de Saint Guy, vous refilent cette douce quiétude, cet impressionnant sentiment de sécurité qui vous saisit alors que votre chauffeur s’est endormi au volant et que vous lui faites confiance, rien ne pourra vous arriver, les Ghosts assurent sans problème, z’ont dû capter l’âme du Mullican pour jouer avec tant de tact rythmique, le bateau tangue rapide mais tout  en douceur, tout est en place, rien de trop, rien de moins, l’univers est en ordre, un vocal qui ressemble à l’arôme qui s’élève tel un rêve de votre tasse de café au petit matin… Motus et perfecto comme disent les rockers qui n’aiment pas être dérangés lorsqu’ils ont atteint le nirvana. Burning love : combien de fois n’ai-je pas été victime de cette fièvre ardente lorsque sur scène Ghost Highway reprenait  cet hymne al amor caliente d’Elvis, oui mais là ils n’ont pas pensé à régler la douloureuse d’EDF, du coup ils le font à l’énergie écologique,  se débrouillent mieux que mieux, un vocal très preleysien qui emporte le morceau comme le chien se saisit du gigot en laissant l’os pour les invités, alors on se régale à écouter les accoups de guitares, ces sursauts de flammes hautes qui se greffent sur les tamponnements imperturbables de Phil et Brayan, méfiez-vous de ces deux-là si vous les suivez ils vous mèneront jusqu’au bout du monde, pour aller ça ira, mais retrouverez-vous le chemin pour revenir… Ne restera de vous que des cendres. Big river : Johnny Cash avec Luther Perkins et Marshall Grant dans la Mecque créatrice du rock’n’roll le Studio Sun de Memphis, les Ghosts faites gaffe, ne s’agit pas de frapper fort mais de frapper juste, que Brayan ne débraye jamais et que le Phil file au métronome, pour les fioritures de guitare confiance à Jull, quant à Arno voix de croquemort N° 4, walkez the line du début à la fin, sinon l’on vous enferme à Folsom à perpète ! Inutile de vous cotiser pour leur apporter des oranges, je confirme s’en tirent comme des chefs indiens devant Custer, sont libres même qu’ils n’ont pas eu une caution à fournir, tellement c’est bon.

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    Good rockin’ tonight : tiens un second Presley, l’on ne prête qu’aux riches, s’il vous plaît une piécette d’argent pour Roy Brown qui écrivit et enregistra le morceau et une autre d’or pur  pour Wynonie Harris qui le magnifia, ma pauvre Dame comment ces nègres dégénérés ont-ils pu produire de tels chef d’œuvres, que voulez-vous mon bon Monsieur, tout le monde peut faire des erreurs, même notre Seigneur, l’on était chez Sun au morceau précédent mais l’on a encore un pied dans le studio de Sam Phillips pour cette interprétation, les Ghost jouent banco bronco, se la donnent à cœur joie, chacun nous montre ce qu’il sait faire dans son coin et ils y prennent un sacré plaisir, festival instrumental dans les interstices du vocal. Cold cold heart : une voix qui tire-bouchonne mais chaque fois qu’il ouvre la bouteille de son vocal Hank Williams vous loge une balle en plein cœur, un chanteur de country, une vie de rock’n’roll star, les Ghosts ne s’y sont pas trompés le plus dur ce n’est pas l’accompagnement, mais la voix, s’y mettent en chœur, n’ont pas le chevrotement inimitable de l’agneau pris dans les barbelés mais en s’entraidant ils parviennent sans problème à apitoyer les jeunes filles au cœur tendre. Gone Gone Gone : Carl Perkins le puriste du rockabilly, en bon américain sorti de sa cambrouse il vous donne l’impression de chanter en mâchouillant son chewing gum, jamais vous n’arriverez à prononcer gone gone gone avec ce ton de chaton perdu qui miaule, oui mais à la fin il vous met le feu à la grange et la ferme brûle, les Ghosts vous le prennent un peu plus haut, un peu à la Good Rockin’ , mettent la gomme gomme gomme sur le gone, gone, gone, y vont à l’arrache-rock, question zigmuc vous avez de petites broderies guitariques  au caramel salé qui valent le détour. Vous le déclinent en octogone.

             A déguster sans modération. Sept petites merveilles, sept pépites sonores pour nous rappeler rockabilly for ever !

    Damie Chad.

     

    *

    Fujiyama Mama, vous connaissez ? Bien sûr Damie, de Wanda Jakson. Très bien, vous savez au moins un mot de japonais, je peux donc vous emmener au pays du Soleil Levant  et de La Fureur du Dragon ! Heu, Damie, Bruce Lee n’était pas particulièrement japonais. Essayez d’intuiter un peu les gars, ce n’est pas Bruce Lee qui nous intéresse mais le dragon !

    DOOM DRAGON RISING

    (Split / Doom Fujiyama / Mai 2004)

    Doom Fuliyama est un label japonais. Z’ont déjà sorti quatre albums anthologiques, sobrement intitulés Doom Fujiyiama  Volumes 1, 2, 3, 4, ornés de pochettes en noir et blanc, style manga économique produit à la chaîne qui ne vous incite guère à vous porter acheteur de la marchandise. Au bout de deux ans le staff s’est réuni et a décidé de changer son sabre de samouraï d’épaule, l’album dix titres est remplacé par un EP quatre titres, mais une pochette qui pète le feu et qui en jette un maximum, ce n’est pas le Réveil de Godzilla mais l’Eveil du Dragon du Doom, tout de suite vous sentez interpelé par les forces du mal :

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    Attention, trois groupes, par ordre alphabétique : Abiuro, Green Tripe et Heteropsy.

    GREEN TRIPE  ouvre le bal avec : Bong surfing : bruits de voitures, voix off filigranée et la sorcière aux dents vertes vous sourit de toutes les dents de ses guitares, la basse en écho à la lead, le titre n’est pas mal choisi, l’est vrai que l’on est dans une espèce de surfin’ doom assez inédit, et puis y a le dégueulis du vocal qui vous saute au visage et vous embourbe les oreilles, une coulée diarrhétique qui vous empuante les tympans mais que c’est bon, et boumg plus personne, seule la basse vous fait une espèce de salto arrière assez incongru, mais le gars au micro se recolle à sa parole pourrie et c’est reparti pour une longue giclée d’imprécations purulentes, le mec dégueule toutes ses tripes sur vos pieds et vous pataugez là-dedans avec la joie d’un canard heureux de retrouver sa mare natale, les rêves ne durent qu’un temps, basse et batterie se taillent une petite bavette entre eux, cela vous permet de vous rendre compte de tout ce qui vous manque sans ce vocal, maintenant ils se concoctent un petit solo à trois, puis ils arrêtent. Pourquoi continueraient-ils à vivre puisque la voix  s’est tue ? ABIURO s’adjuge la part du dragon, deux titres. Masaki Ikuta : guitare, vocal / Yuki Tanaka : basse / Yap : drums.  Inherited : Encore une fois, tout dans la voix, serait-ce un truc typiquement japonais, en tout cas on n’écoute qu’elle, un bon accompagnement, mais lorsque vous ouvrez une huitre c’est la perle qui est dedans qui vous intéresse, mais là aussi vous avez la basse qui vient faire son numéro de trapèze volant, qui ne dure pas trop longtemps car la voix revient en grondant. Ce n’est pas de sa faute, le gars vient de se faire buter et son âme s’envole comme un papillon. Du typique qui pique cent pour cent nippon. Miasma : une facture heavy-metal davantage classique, la voix baisse d’un ton, sludge en berne, la guitare la recouvre quelque peu, des paroles un peu plus philosophiques, dans ce monde de stupre et de vices  la luminosité d’une âme trop pure rend la nuit encore plus noire, la batterie s’abat comme si l’innocence était un moucheron qu’il faut à tout prix écraser, imaginez la gentille petite âme animaliste qui souffre beaucoup. N’ayez pas peur, son chagrin est évacué en moins de trente secondes. HETEROPSY : Old friends : les cymbales giclent, la batterie tonitrue et le vocal hurle à mort, la réunion des vieux amis n’a pas l’air de se dérouler fraternellement, la guitare grince, la chasse d’eau des WC glougloute fort méchamment, la voix imite l’ogre des contes d’enfants sages, ce n’est pas tout à fait le chaos, disons le bordel pour rester poli, l’on dirait que les musicos jouent à se démarquer l’un de l’autre, et clac changement de film, ce n’est le slow de l’été mais celui de l’automne avec ses arpèges larmoyants qui vous rappellent que tout finit un jour ou l’autre, tiens le climat change encore ce coup-ci c’est le général hiver qui lance un ouragan dévastateur, portez vos mains à vos oreilles pour les protéger du méchant loup qui vous les arracherait avec plaisir. Il a réussi le bruit que votre cerveau perçoit c’est le torrent du sang qui coule de vos oreilles à gros flocons. Vous ne sentez plus rien, normal vous êtes mort. Ce n’est pas grave, le morceau est fini.

             La couleur du heavy-metal, le bruit du heavy-metal, avec cette petite différence anthropologique qui change la donne : la texture de l’élocution japonaise, même quand ils chantent en anglais, sonne différemment, z’ont au fond de leur gorge un gravier gargouilleux qui n’appartient qu’à eux, un truc atrocement suave qui l’emporte sur bien des tortures auditives occidentales. Si Octave Mirbeau était encore en vie il n’aurait pas hésité à l’inclure dans une version augmentée de son Jardin des Supplices. Ce qui est étrange c’est qu’ils semblent davantage rechercher une singularité instrumentale qu’une cohésion d’ensemble.

             Quand le dragon s’éveillera, le soleil deviendra rouge…

    Damie Chad.

     

    *

    Orphée est un des tout premiers héros grecs, mais là où la plupart d’entre eux s’honorèrent par leur vaillance physique et leurs exploits guerriers, ses seules armes furent la poésie et la musique. Son chant lui permit d’entrouvrir les portes d’ivoire et de corne de la mort et du rêve… Qu’un groupe de dark metal se soit paré de son nom ne pouvait me laisser indifférent, écoutons donc ces cadences funéraires…

    APART

    ORPHEAN PASSAGE

    (Album Digital / Bandcamp / 30- 04 -2024)

    Groupe originaire de Cape Town, Le Cap, capitale de l’Afrique du Sud. Plusieurs de ses membres font aussi partie d’autres groupes dark metal.

    Julien Bedford : basse / François Meyer : drums / Malcolm McArb : guitars / Patrick Davidson : guitars / Nicole Potgieter : claviers / Ryan Higgo : chant.

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    Belle couve : paysage d’eau et de brume, éléments inconsistants, que vous ne pouvez saisir ou retenir dans votre main, de même structure que les rêves et la mort… Seraient-ce les rives désolées du Styx, dans beaucoup de mythologies, notamment arthurienne, il suffit de traverser une étendue d’eau pour entrer dans le royaume immémorial de la mort…

    Prelude : ne passez pas rapidement sur cette ouverture, elle donne le la, le ton, d’une infinie tristesse, d’une langueur souveraine, d’une procession funéraire, non pas celle que l’on fait en suivant un cercueil ou en allumant un bûcher, celle que l’on parcourt à l’intérieur de soi, car la mort réside aussi bien dans les corps inanimés des cadavres que dans les pensées des vivants. A tout instant, demandez-vous si vous êtes celui qui regarde le miroir ou celui qui est dans le miroir. Adomed in midnight : souvenez-vous du titre de l’album, qui est à part, qui est séparé, cette voix bourrue, refermée sur elle-même, vous doutiez-vous avant d’être parvenu au bout du morceau que c’était elle toute seule qui prendrait en charge le muet dialogue des amants qui ne se parlent pas, mais qui parlent à l’autre depuis l’intérieur de l’autre, car le fait d’être dans l’autre est la preuve irrémédiable de cette séparation éternelle, éternelle en le sens où depuis le minuit lugubre où des lèvres se sont posées de chaque côté du miroir, tous deux ne font que reculer sans fin dans la présent de la présence de leur absence, à tel point qu’il se tait pour nous prouver que la musique continue toute seule dans une solitude effroyablement insupportable, alors il reprend la parole car il vaut mieux dire l’absence que laisser l’absence triompher. Le chant qui tue la mort n’est-il pas aussi criminel que la mort. Situation bloquée, fardeau de la culpabilité. Une dernière noté étranglée, point final qui ne veut pas finir, sur le clavier silencieux de cet oratorio magnifique.  Bereft in requiem : il est question d’inspiration, celle qui vient des Dieux, celle qui transforme la fiancée crépusculaire en un long mensonge, la musique grogne, le riff se boursouffle et il grogne comme un loup que la colère de son impuissance énerve, guitares  en piqué qui tombent, rasent et arrasent la cime des arbres, maintenant il dit ce qu’il ne faut pas dire que la mort n’est rien, que le temps est tout, car la mort peut mourir mais le temps perdu est semblable au temps gagné, tous deux sont sas repos, car le temps qui s’arrête dure encore. Ashen veil : voile de cendres, de rêves, de souvenirs emmêlés, un chemin, un long chemin de vie dans un passé qui ne veut pas mourir, qui les a conduits dans la mort, celle de l’un et celle de l’autre, car celui qui meurt tue aussi l’autre, marche crépusculaire, la batterie écrase les mottes de terre, celles du chemin et celles de la tombe, la voix se fait profonde, plus profonde qu’une fosse mortuaire, car si elle ne contient qu’un cadavre elle s’est refermée sur deux corps vivants.  The scarlet mirror : attention puisque je ne peux te donner la vie tu peux me donner la mort, il suffit de briser le miroir, qu’il devienne écarlate, cramoisi de mon sang, en saisir un éclat et se taillader les veines, l’échange du premier sang sur tes lèvres exsangues comme un premier baiser charnel, mais le miroir aux eaux glacées  retient les vols du cygne qui ne fuiront pas, il ne chantera pas son chant le plus beau au moment de mourir puisqu’il est déjà mort, le chant empli de ressentiment est aussi beau que le texte, le morceau se termine sur une musique qui s’éloigne aussi funeste que le finale de Lohengrin. Eclipse : ce n’est pas Lohengrin qui s’éloigne, c’est le rêve qui ne veut pas mourir, il suffit de s’attendre, jusqu’à la fin des temps, jusqu’à la fin des Dieux, jusqu’à la fin de la mort, car si la mort est la fin de tout elle est aussi sa propre fin, la musique le susurre longtemps jusqu’à ce que le chant s’élève, elle a préparé un tapis rouge pour accueillir le Poème afin qu’il s’unisse à la Poésie, ce n’est pas l’éclipse du soleil noir mais celle du temps effacé par l’atemporalité du Rêve, keyboard en marche nuptiale.

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    Wreaths for the wretched : retour à la réalité, pitié pour les misérables condamnés à vivre, le tempo adopte une ampleur inégalée, face à la réalité seule la révolte, inutile et perverse, est nécessaire, si l’homme est mortel qu’il devienne un Dieu, qu’il redonne vie à l’enfant dans le corps qui l’a porté, tout est excusable, tout est permis, puisque ceux qui sont sur les tombes sont aussi malheureux que ceux qui sont dessous. Tous coupables puisque tous innocents. Her wounds can’t be seen : dessus comme dessous, à l’intérieur comme à l’extérieur, gratter la terre du souvenir et gratter celle de la tombe jusqu’à pénétrer en ses souvenirs, jusqu’à savoir et comprendre les fragiles barrières opposées à la mort, souvenir du vivre et remembrances mortelles sont de même indissoluble matière, une même structure entrelacées dans les aitres de laquelle chacun se ménage ses minuscules refuges, ses petits mensonges, toute cette pacotille de déréliction pour faire semblant de contrecarrer l’inéluctable irréparable. La rage aux cœurs l’affrontement est inévitable. Keket : elle est la Perséphone égyptienne, celle qui permet de mesurer l’immensité de l’éternité lorsque le cadran solaire privé de soleil ne peut plus indiquer  la course du retour de l’astre solaire, si tu ne peux pas tuer la mort, il reste encore une possibilité, celle d’être la mort elle-même, se joindre à elle pour être elle, ne plus être séparé, que les chairs séparées comme celles déchirées de l’enfant Dionysos qui lui ont permis d’accéder à l’immortalité, ne dites pas que c’est impossible, puisque une fois que vous êtes mort vous ne pouvez plus mourir. Pourquoi ce clavier ou cette guitare sonnent-ils comme un tocsin, un glas funèbre et joyeux qui annonce que la mort est morte.

             L’on ne peut être qu’émerveillé par une telle réussite. Un groupe qui dès son premier enregistrement accouche d’un tel chef-d’œuvre est promis à un grand avenir. Tout est parfait dans ce disque, un lamento musical redondant qui n’est jamais répétitif mais qui vous englobe dans une espèce de suaire protecteur, un chanteur qui ne cherche jamais l’emphase et ne tente à aucun moment d’attirer l’attention sur sa voix, omniprésent mais d’une humilité évocatoire dont seuls sont capables les plus grands, de somptueux lyrics et une pochette ouverte aux aléas des rêves de ceux qui la regarderont, plus l’ombre lumineuse de la mort… Si vous trouvez mieux, prévenez-moi.

    Damie Chad.

             En attendant leur chaîne YT offre nombreuses vidéos de ce premier album enregistrées en public…

     

    *

    Le hasard fait bien les choses  mais peut-être vaudrait-il mieux incriminer les Dieux de l’ancienne Hellade. Nous venions d’achever notre chronique précédente lorsque dans le courrier je remarque, avec quelque retard, un envoi de Bandcamp signalant sur une compilation Metal la présence d’un morceau inédit de Thumos destiné à la face B De leur prochain album. Donc après le précédent Passage d’Orphée nous  voici en présence d’un dialogue de Platon relatif à la nature de la poésie.

    ION

    THUMOS

    ( Mind Over Metal VOL 1

    Cave Dweller Metal / Mai 2024)

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    Goethe, le grand Goethe, mettait en doute l’attribution d’Ion, dialogue qualifié de jeunesse, à Platon. Il est inutile de nous lancer dans une polémique stérile, qu’il soit ou pas de Platon, ce dialogue consacré à l’essence de la Poésie, évoque évidemment le personnage d’Orphée même s’il est loin d’en être la référence principale.

    Notons que Thumos prévient qu’il a déjà donné en exclusivité à une précédente anthologie de Cave Dweller Metal, un précédent morceau de cette face B de leur prochain opus, Lachès que nous avons chroniqué dans notre livraison 636 du 14 / 03 / 2024. Sans vouloir préjuger du contenu du futur disque nous rappelons que Lachès est un dialogue de Platon mené par Socrate qui discute avec deux généraux athéniens d’éducation, de courage, et de guerre…  Mais il est temps de nous pencher sur l’œuvre ionique pour tenter de comprendre la lecture musicale que Thumos opère de cet ouvrage.

    Une première constatation sur laquelle je ne m’étendrai pas, dans   Platon. Œuvres Complètes de l’édition (de référence pour la France) dirigée par Luc Brisson, parue chez Flammarion en 2008 Ion est séparé de Lachès par l’ensemble des treize Lettres d’authenticité douteuse, preuve que le travail que Thumos effectue sur Platon est animé d’une certaine logique. Et même d’une logique certaine. Logos en grec.

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    Dans ION Socrate interpelle Ion le rhapsode, qui se vante d’être le meilleur de tous les rhapsodes spécialisés dans la récitation des poèmes d’Homère et le meilleur de tous les commentateurs de l’illustre aède… Il déclare qu’il ne sait pas pourquoi cette supériorité ne vient pas de sa propre personne mais de la Muse, comprendre de la Divinité qui a inspiré Homère. Socrate explique que l’inspiration agit comme un aimant qui transmet  son aimantation à un anneau de fer (Homère) qui à son tour la communique à un autre anneau de fer (Ion) qui à son tour la confère à un autre anneau de fer que représente le public subjugué par la beauté du texte homérique… Ion ne peut que remercier Socrate de son explication qui fait de lui un réceptacle et un transmetteur du souffle divin.

    Je me permets de vous adresser un petit conseil, si par hasard vous rencontriez Socrate, avec ce diable d’homme l’on ne sait jamais, et qu’il reconnaît en vous d’inestimables qualités, méfiez-vous, il ne va pas tarder à reprendre de l’hémisphère gauche de son cerveau ce dont son hémisphère droit vous a gratifié. Certes les récitations de notre rhapsode sont empreintes de beauté, mais sont-elles justes ? D’ailleurs les Lettres sont précédées d’un minuscule dialogue qui n’est manifestement pas de Platon, même s’il lui a été attribué, intitulé Sur le Juste

    Ainsi si Ion récite un passage dans lequel Homère parle de course de char, qui sera le plus à même de juger de la justesse de ce passage : un guerrier meneur de char ou Ion lui-même ? Le malheureux est obligé de répondre que les critiques ou les éloges d’un cocher professionnel seront supérieures à ses propres jugements. Socrate s’amuse à plusieurs reprises à faire admettre à Ion qu’il laissera systématiquement l’avantage à un ‘’spécialiste’’ suite à l’examen de plusieurs situation décrites par Homère. Une manière pour Socrate de sous-entendre que si déjà Homère a commis quelques erreurs dans ses descriptions, notre poëte et à fortiori un rhapsode qui récite ses textes, n’ont qu’imparfaitement retransmis l’inspiration divine. 

    Socrate laisse une petite chance à Ion : y aurait-il seulement un sujet sur lequel il serait  à même de posséder une compétence qui le mettrait à égalité avec les ‘’ spécialistes’’ de la question. A la grande surprise des lecteurs Ion revendique une totale adéquation entre son jugement des choses militaires et le savoir des plus grands stratèges. Se reportant aux  évocations des nombreux combats et multiples batailles qu’Homère décrit dans l’Illiade et l’Odyssée, Socrate se demande pourquoi Ion n’a pas été choisi par la cité athénienne pour diriger ses troupes lors des guerres qu’elle a l’habitude de mener…   Quand Ion se rend ridicule en décrétant que l’art du Rhapsode est égal à l’art du Stratège, Socrate enfonce le clou en affirmant que si Ion ne veut pas être un menteur, il vaut mieux  le considérer comme un homme divin  puisqu’il transmet par son art les poèmes d’Homère qui fut un homme divin puisque inspiré par la Muse…

    Certes le lecteur moderne goûtera le sel de l’ironie socratique mais il pourra aussi s’interroger sur l’étrange proximité établie par Ion (et Platon) de la poésie avec la guerre.  Comme si le schème de l’aimantation des anneaux de fer pouvait se résumer ainsi : les Dieux / la Poésie / la Guerre / les Hommes… Une juste vision très agonique (et nietzschéenne) de la Grèce Antique…

    ION : le morceau ne dépasse pas les quatre minutes, une orchestration que je qualifierais de serrée, un peu comme quand vous fermez avec force votre bouche pour réfréner une envie de rire incoercible, un rythme joyeux, nous sommes loin de cette idée de gravité et de sérieux que suscite communément le nom de Platon, peut-être faut-il discerner, trahie par la basse et les roulements de la batterie, l’indication que ce qui est en jeu dans ce recueil serait beaucoup plus sérieux que ne le laisserait accroire cette sensation de légèreté dégagée par la première moitié de ce titre, ne survient-il pas d’ailleurs une accélération drummique comme pour rappeler que l’on parle des Dieux, mais que signifie cette disparition sonore au profit d’un bourdonnement de mouche dont on ne sait si elle monte vers les demeures olympiennes ou descend vers l’incohérence théorique des êtres humains. Brutale amplification instrumentale, le rythme ralentit pour reprendre aussitôt, une effusion lyrique transparaît sans doute pour nous mettre en mémoire que le rire est aussi l’apanage des Immortels. Une espèce de coup de gong final, la plaisanterie humaine aurait-elle duré trop longtemps ?

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 641: KR'TNT 641 : MUDDY WATERS / SLIFT / EDDIE AND ERNIE / RICH JONES / BILL CALLAHAN / CLAUDE PIRON / THUMOS / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 641

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    18 / 04 / 2024

     

    MUDDY WATERS / SLIFT / EDDIE AND ERNIE

    RICH JONES / BILL CALLAHAN

    CLAUDE PIRON /  THUMOS 

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 641

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    Wizards & True Stars

     - M le Muddy

     

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             Vous pouvez entrer dans l’histoire extraordinaire de Muddy Waters de cinq façons différentes (il en existe certainement bien d’autres, mais pour des raisons pratiques, on se limitera à cinq).

             La première façon d’entrer dans cette vie extraordinaire, c’est par le film de Marc Levin, Godfathers & Sons, sixième épisode de la série de films consacrés au blues, sous l’égide de Martin Scorsese. On y voit Marshall Chess raconter sa vie, depuis son enfance à Chicago jusqu’à l’époque où il vint en Angleterre s’occuper des affaires de Rolling Stones.

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             Marshall est le fils de Leonard le renard. Comme Muddy était toujours fourré dans les pattes  de son père, Marshall a fini par bien le connaître. Voilà comment dans le film (et dans le livre de Robert Gordon - Can’t Be Satisfied - The Life and Times of Muddy Waters) il raconte sa première rencontre avec Muddy Waters : « Je jouais dans le jardin et une grosse voiture s’est garée devant la maison. Le type en est descendu. Il portait un costume brillant vert chartreuse. Puis je vis ses chaussures, elles étaient faites en vraie peau de vache, blanche, avec des taches noires et brunes. J’ai levé la tête et j’ai vu son chapeau à larges bords. J’étais trop petit pour savoir ce qu’était un bluesman. Ça aurait pu être un extra-terrestre. Il avança tranquillement, baissa les yeux sur moi et dit : ‘Tu dois être le fils de Chess. Est-ce que ton daddy est là ?’ » 

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             Tout petit, Marshall le veinard fut plongé dans le monde du blues et des bluesmen noirs de Chicago. C’est la raison pour laquelle il peut se permettre de dire « Le blues, c’est mon ADN ! », comme il fait devant la caméra de Levin. Dans ce film fascinant, Marshall évoque deux grands albums de Muddy Waters : Electric Mud et Fathers And Sons.

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             Electric Mud est la seconde façon d’entrer dans l’histoire de Muddy Waters, car c’est un album d’une modernité fascinante et qui date de l’époque où Marshall, devenu adulte, voulut relancer la carrière des vieux bluemen qui étaient en perte de vitesse. En 1968, les temps étaient durs pour les vétérans du blues. Les disques de blues ne se vendaient plus. Le public américain préférait les groupes de la scène psychédélique californienne, comme l’Airplane, les Byrds, le Dead, Country Joe, Janis et toute la bande. Marshall décida de réagir en créant une filiale de Chess Records - Cadet Concept - et en sortant deux albums de blues psychédélique, l’un avec Muddy Waters, et l’autre avec Wolf (mais apparemment, ni l’un ni l’autre n’ont aimé ces disques - Wolf détestait cet album. On lisait, composé en gros caractères sur la pochette : « This is Howlin’ Wolf new album. He doesn’t like it » et quelque part dans une interview, Muddy traite Electric Mud de « dog shit »). Paradoxalement, ces deux albums remirent à l’époque nos vieux pépères dans le circuit. 

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             Quand on ouvre le gatefold d’Electric Mud, on tombe sur l’une des photos du siècle : Muddy en robe blanche de prêtre, pieds nus dans des sandales en cuir, coiffé d’une extravagante pompadour et tenant une gratte électrique. L’album est à l’avenant, dérangeant, stupéfiant, lourd de conséquences et marqueur de mémoire au fer rouge.

             OK, alors Muddy tapa dans le groove des origines et fit du bourbeux incendiaire. La version de « Let’s Spend The Night Together » qui se trouve là-dessus est une véritable merveille, une sorte de retour à l’envoyeur (les Stones) mais il les passe à la moulinette et sa guitare jute de jus de bout en bout. Le son qui en coule est un son de rêve. « She’s All Right » est un pur jus de blues hendrixien bourbeux en diable et doté d’un bassmatic furibard. C’est l’archétype du blues punk bourbeux à l’affût, le blues bulbax de fait, le blues boulbique à la Taras - Said awite, said awite - Mélasse de rêve, celle qu’on voit couler sur les cuisses du destin, celle qui réchauffe le cœur, celle qui rétablit la suprématie voodoo de la race noire. C’est un alarmisme de fait qui pulse le sang noir des anciens dieux. Muddy plonge l’Afrique dans la friteuse psyché. Imparable et martial. Oh yeahhh ! « I’m A Man » - Everything’s gonna be allright this morning ! - Retour aux sources du Muddy Nil. Voilà le groove le plus épais du monde - I’m a rollin’ stone, I’m a hoochie coochie man - Muddy est le roi des origines. Il est le Mannish Boy de l’éternelle jeunesse du blues des blacks de la bonne bourre. « Herbert Harpers Free Press » est encore plus entreprenant et plus psyché, funkoïde et frappant. Grosse lessive de Chicago Blues à l’ancienne, celle qu’on fait bouillir sur un feu de bois. « Tom Cat » va sur une coloration plus jazz, mais free, joli groove de fin des temps flûté à l’acide et il termine avec « Same Thing » qu’il farcit de grosses guitares dévastatrices. Heavy à souhait, soutenu par des chorus agressifs. Rien de plus coloré que cette énormité cavalante, ce trésor d’ordure liquide, cette avance putréfiée. Muddy chante avec une telle grandeur qu’on se prosterne jusqu’à terre.

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             Un autre album du même acabit suivit de peu : After The Rain. Voilà une nouvelle dose de psyché blues incendiaire. Ouverture de balda avec ce chef-d’œuvre d’heavy blues psychédélique qu’est « I Am The Blues ». Il a le meilleur son de Chicago. Il enchaîne avec un autre heavy blues chanté à la bravado, « Ramblin’ Mind », encore du psyché de haut vol. Son « Rumblin’ And Tumblin’ » bringuebale et il traite « Bottom Of The Sea » à l’admirabilité des choses. On sent le cut qui se déroute, comme livré au hasard. Quelle ivresse ! En B, il traite « Blues And Trouble » au groove décousu. Muddy semble respirer. Le Cadet Concept lui va comme un gant. Le hit du disk pourrait bien être « Screamin’ And Cryin’ » que Muddy avale tout cru. Il n’est jamais aussi bon que lorsqu’il fait l’ogre.

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             Troisième façon d’entrer dans l’histoire extraordinaire de Muddy Waters : par Johnny Winter, et donc on saute à la décennie suivante. En 1977, Johnny Winter relança une nouvelle fois la carrière de Muddy avec ce fabuleux album qu’est Hard Again, façon ironique pour Muddy qui est alors un vieux pépère de dire qu’il bande encore. Le premier morceau de l’album est une version ahurissante de « Mannish Boy ». C’est le mélange le plus explosif qui soit : le raw de Muddy et la hargne de Johnny. On entend la clameur du studio, c’est du legendary stuff, yeah ! Woooow ! Il règne dans le studio de Dan Hartmann une grosse ambiance junky-jivy de juke joint d’enfer. Magie pure. Voilà le delta de la folie et les forces invisibles des pierres qui roulent et qui n’amassent pas mousse. Que vienne enfin le règne des albinos et des hoochie coochie men ! Il est important de préciser que Muddy Waters était l’idole d’un Johnny Winter qui, las du rock’n’roll et de ses excès, voulait revenir à ses premières amours, le blues, et Muddy Waters. C’est donc un disque de fan qu’on a dans les pattes, comme l’était d’ailleurs Electric Mud. Petite précision : Johnny n’aimais pas Electric Mud, ni d’ailleurs les frères Chess qu’il accusait de s’être enrichis sur le dos de Muddy et de quelques autres.

             La fête continue sur Hard Again avec « Bus Driver », où James Cotton envoie sa belle purée d’harmo. Derrière, le foutre gicle. Muddy, c’est le sexe pur, l’énergie primitive. Grosse ambiance renversée et gondolée, magnifique non-sens ultime de la bouillie du blues orchestrée par le grand maître albinos de l’univers intermédiaire. « Crosseyed Cat » sera monté sur un riff accrocheur et un drumming solide et bien sec comme Johnny les aime.

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             Dans la foulée, Johnny produit I’m Ready, toujours sur Blue Sky, le label monté par Steve Paul pour Johnny Winter, Edgar Winter et Rick Derringer. On retrouve la grosse énergie du blues, la belle épaisseur d’équipe. Ils ont là pour abattre de la mesure avec tout le génie bluesique et mathématique des multiples de douze. Pour Johnny et Muddy, c’est du gâteau. Ils jouent les mêmes vieux coucous depuis la nuit des temps, alors pour eux tout va bien.

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             Le troisième album de Muddy produit par Johnny s’appelle King Bee. On y trouve une version bien déterminée du fameux classique de Slim Harpo. Tout est dit. Muddy reste le maître des ruches. Dès qu’il voit une cuisse, il envoie son crawling king snake s’y glisser. « Forever Lonely » est une fabuleuse pièce de heavy blues. Muddy adore tripoter le good ole heavy blues du delta. Ça lui rappelle le jour où il est monté dans le train à Clarksdale pour se rendre à Chicago, là où l’attendait son destin. « Champagne & Reefer » reste dans le style du heavy blues et ressemble à tous les autres heavy blues, c’en est même troublant. Mais ce n’est pas grave. « Well I’ll stay with my reefer, don’t show me no cocaine. » L’autre merveille de ce disque s’appelle « My Eyes Keep Me In Trouble », joliment wintérisée à la guitare. Johnny suit le chant avec de belles variantes décoratives du meilleur effet. On ne trouvera certainement pas ça ailleurs.  

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             Quatrième façon d’entrer dans l’histoire extraordinaire de Muddy Waters : par « Rolling Stone » enregistré au studio Chess de Chicago en 1950. Muddy est tout seul avec Big Crawford à la contrebasse - I weeesh I was a catfish - C’est l’invention du mythe. Muddy Waters est le punk originel. Toute l’histoire du rock vient de là en direct. Et pas seulement les Rolling Stones qui sont nés de ce morceau. Tous les groupes de heavy blues anglais viennent de là, tous sans exception. Avec « Rolling Stone », Muddy le punk du delta avait écrit les tables de la loi et montré le chemin à toute une génération de musiciens, qui n’auront de cesse de recréer cette sauvagerie sans JAMAIS y parvenir. Pour chanter comme ça, mon gars, il faut avoir grandi dans le Deep South où ta vie ne valait pas un clou si t’avais la peau noire. T’étais moins que rien, et les patrons blancs te fouettaient au sang pour se divertir. Muddy et Wolf sont les seuls vrais punks de l’histoire du rock. Il faut arrêter de nous bassiner avec cette cloche de Sid Vicious. À cinq ans, Sid Vicious n’était certainement pas dans un champ de coton, de l’aube jusqu’à la tombée de la nuit.

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             En 1950, tout était déjà en place, chez Muddy. Il suffit d’écouter sa version de « Rollin’ And Tumblin’ » enregistrée le même jour que « Rolling Stone ». Avec le renfort de Little Walter, autre personnage mythique, ils tapent un effarant shuffle qui s’appelle « Evans Shuffle ». Big Crawford tient le slap métronomique. Pour l’anecdote, c’est ce rat de Leonard le renard qu’on entend taper sur un tom bass dans « She Moves Me ». Il est souvent à côté, mais Muddy qui a grandi dans une plantation ne dit rien, car Chess, c’est le patron blanc, celui qui donne le « furnish ». T’as besoin de quelque chose, mon gars ? Tiens voilà cinq dollars. Leonard le renard ne faisait pas signer de contrat. La parole suffisait. Ceux qui avaient besoin d’argent allaient lui en demander. Mais ils n’avaient aucune idée du blé que Chess se faisait sur les ventes. Leonard le renard se défendait en disant que les affaires étaient dures et qu’il prenait des risques chaque fois qu’il sortait un nouveau disque : « Je fais de l’argent sur le dos des nègres et je veux le dépenser sur eux. » L’anecdote concernant le lancement de Chucky Chuckah  est édifiante et même dangereuse pour le mythe Chess, car elle fait apparaître une évidence : les frères Chess n’étaient rien de plus que des boutiquiers polonais arrivés en Amérique pour se faire du blé. Chucky Chuckah  doit tout à Muddy, mais certainement pas à Leonard le renard. C’est Muddy qui envoya le jeune Chucky Chuckah chez Chess - Yeah, vas voir Leonard Chess, yeah Chess Records, c’est à l’angle de Cottage et de la 47e rue - Dans son livre, Robert Gordon montre à quel point le pauvre Leonard pouvait être nul : « Le blues était le fonds de commerce de Leonard. Il savait qu’un single de blues allait se vendre à 20 000 ou 50 000 exemplaires, ce qui lui permettait de financer la suite. ‘Fuck the hits !’ avait-il coutume de dire. Mais avec Chuck Berry, ce n’était plus la même histoire ». Chucky Chuckah enregistra chez Chess une première démo d’« Ida Red » qui devint « Maybellene », mais Leonard le renard restait sceptique. Muddy : « Quand je suis arrivé le lendemain matin, Leonard ne comprenait toujours pas l’intérêt d’un morceau comme ‘Maybellene’. Je lui ai dit de sortir ce disque, car il y avait quelque chose de nouveau là-dedans. » Leonard suivit le conseil de Muddy et « Maybellene » s’est vendu à quelques millions d’exemplaires. Leonard le renard était un drôle de coco. Il traitait tout le monde de motherfucker. C’était sa façon de saluer les gens. Chez Chess, ceux qui n’insultaient pas les autres n’étaient pas pris au sérieux. Muddy se sentit tout de suite à l’aise avec ça, car le patron blanc de la plantation où il avait grandi et s’était «épanoui», le colonel Stovall, se comportait de la même manière.

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             Quand Leonard le renard a cassé sa pipe en bois, Muddy a déclaré : « On s’est rencontrés en 46, et on était devenus très proches. Je pense que s’il vivait encore, je lui dirais ce que je vais dire maintenant : il m’a fait et je l’ai fait. Aussi je perds un bon ami. »

             Wolf, Muddy et Willie Dixon mettront des années et des années à récupérer une partie de ce qui leur était dû. Ils durent intenter des procès contre ce qui restait de l’empire Chess pour récupérer leur blé. Tous ces morceaux qui avaient rapporté des millions de dollars étaient signés McKinley Morganfield - nom de Muddy à l’état civil - et c’est Arc, la société d’édition créée par les frères Chess à New York, qui avait empoché la pluie d’or. Ce sont les frères Chess qui sont devenus millionnaires, pas Muddy, ni Willie. L’histoire de Chess est à la fois une histoire mythique et un véritable scandale. Le seul qui soit resté intraitable sur la question des royalties, c’était Willie Dixon, sans doute parce qu’il avait vu la mort de plus près, étant gosse, dans le Deep South. Quand il en a eu marre de se faire plumer, il est allé voir un avocat. Avant lui, jamais un nègre n’aurait osé s’attaquer au patron blanc. Willie Dixon avait beaucoup de courage.

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             En 1951, Muddy préfigurait Jimi Hendrix avec « Still A Fool ». Muddy fut bel et bien l’inventeur du rock à travers le blues, comme le fut Sister Rosetta Tharpe à travers le gospel. Dans ce classique, on sent la vraie niaque des noirs du Sud, et Muddy chante comme un dieu. Il faut aussi écouter la version originale de « Baby Please Don’t Go », enregistrée en 1953 et rendue célèbre par les Them de Van Morrison. C’est l’origine des sources fondamentales - down in New Orleans I love you so - il faut voir Elgin battre le beurre du diable. « Standing Around Crying » est d’une lenteur inexorable. Certainement le blues le plus lent de l’histoire. Little Walter souffle comme un dingue dans son harmo et Otis Spann frappe comme un sourd sur ses touches de clavier. Mais tout cela n’est rien à côté de la version originale de « Mannish Boy ». On est en 1955, Little Walter, Willie Dixon, le guitariste Jimmy Rogers et le batteur Francis Clay accompagnent Muddy. Ils font littéralement sauter la baraque. C’est le pur génie du delta. Pur sexe. Pure arrogance primitive. On entend des hurlements salvateurs - I’m a rolling stone ! - tu parles Mick ! Et ce sont ces cinq petits Anglais qui sont devenus milliardaires à la place de Muddy ! Sur « Trouble No More », Willie dandine son gros cul et slappe comme un démon. Et cette version de « Rock Me » ! La source du heavy rock, le rock me all night long, le vrai truc - Muddy peut baiser toute la nuit. C’est l’époque où Pat Hare joue de la guitare dans le groupe de Muddy, mais on ne l’entend pas. Dommage, car il traîne une réputation de sauvage de disto king. Tav Falco le cite à trois reprises dans son roman sur Memphis. Par contre, on entend Earl Hooker sur quelques morceaux et là on ne rigole plus. Il joue comme un diable sur « You Shook Me » et fait de merveilleuses incursions dans un « You Need Love » joliment nappé d’orgue. Au fil des ans, Muddy change souvent de guitariste. On retrouve à une certaine époque un certain Luther Tucker qui joue les virtuoses effarants avec un jeu pétrifié à la Stan Webb. On se régalera aussi d’une version plus tardive, toujours sur Chess, de « Good Morning Little Schoolgirl », un morceau tellement repris par les groupes anglais qu’on ne pouvait plus le supporter. Un conseil, écoutez la version originale, swinguée et slappée à la bonne franquette par Willie Dixon. Dans la bouche gourmande de Muddy, la little schoolgirl c’est autre chose, car Muddy, ne l’oublions pas, est un chaud lapin, il adore la cuisse de poulette. Même marié avec Geneva avec des gosses à la maison, il a plusieurs fiancées et des gosses avec elles, et sa chance, c’est que Geneva l’accepte. Visiblement, les blacks sont moins cons que les blancs. Eux savaient d’où ils venaient, et être en vie devait déjà leur sembler miraculeux. Ils n’imaginaient même pas qu’ils auraient un jour une vraie maison en pierres, pas en planches, une voiture et un frigidaire. L’extrême pauvreté, ça rend généralement humble. Cette femme noire Geneva a eu l’intelligence de comprendre que son pauvre miraculé de mari avait besoin de fréquenter d’autres femmes et elle a su l’accepter. Muddy emmenait ses fiancées en tournée, mais une fois la tournée terminée, il rentrait toujours à la maison. Geneva connaissait l’existence de tous les enfants que Muddy avait faits à droite et à gauche. Elle fut toujours à la hauteur de la situation, elle recevait royalement les amis de Muddy et chaque fois, elle leur préparait un festin. C’est elle qui est morte la première, atteinte d’un cancer, et c’est l’une des rares fois où on a vu Muddy pleurer.

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             L’histoire de Muddy Waters n’est pas seulement l’histoire d’un père fondateur du blues électrique, c’est aussi et surtout l’histoire d’un être humain hors du commun qui inspirait autour de lui certainement autant de respect qu’en inspirait Babou Gandhi à ses proches, dans son ashram. Muddy avait acheté une grande maison, et il y logeait spontanément tous les gens qu’il pouvait y loger, des rescapés du Deep South comme lui. Parce qu’ils avaient vécu l’enfer dans leur enfance, ces gens étaient d’une générosité qui nous dépasse complètement.

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             Comme la discrographie de Muddy Waters est aussi impénétrable que la forêt primitive de ses ancêtres, le conseil qu’on pourrait vous donner serait de choper la Chess Box. C’est un bon compromis. Trois disques proposent un choix de morceaux de Muddy par étapes (1947-1953, la plus riche, 1945-1962 et 1963-1972). C’est un très bel objet au format d’un LP, et dedans, on trouve un beau livre avec de grandes photos en noir et blanc du géant Muddy Waters.

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             Blues fantôme à la Skip James, « She’s All Right » ne se trouve pas sur ce coffret, dommage, car c’est l’occasion d’entendre le légendaire Elgin à l’œuvre sur ses fûts.

             Cinquième façon d’entrer dans l’histoire extraordinaire de Muddy Waters : par le livre de Robert Gordon : Can’t Be Satisfied. The Life And Times Of Muddy Waters. Ce Gordon n’a rien à voir avec l’autre Robert Gordon, le chanteur. Par contre, il est aussi l’auteur d’It Came From Memphis qui est LE livre à lire en priorité si on s’intéresse à Sam Phillips et au Memphis sound.

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             Can’t Be Satisfied grouille d’anecdotes hilarantes, comme le font aussi les bios de Wolf et de Bo Diddley. En voici une : Muddy jouait dans un club de Chicago, au Smitty’s Corner, et des blancs sont entrés dans ce club généralement réservé aux noirs. James Cotton raconte que Muddy était inquiet parce qu’il croyait voir débouler des agents du fisc, alors qu’en réalité, il s’agissait de Paul Butterfield, de Nick Gravenites et d’Elvin Bishop, trois banc-becs pétris d’admiration pour l’immense Muddy Waters.

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             Robert Gordon donne longuement la parole à Muddy, dans son book, et on se régale de l’entendre, sur des tas de sujets variés, comme par exemple le monde du blues à Chicago. Muddy ne perd jamais de vue ses origines : « Je joue le blues des champs de coton, du maïs et du poisson frit. B.B. et Albert jouent un autre blues, un blues de classe supérieure. » À la fin de sa vie, il rigolait quand les journalistes lui parlaient de son succès : « Je n’ai jamais été une célébrité et j’en serai jamais une. Je ne suis que Muddy Waters de Clarksdale, dans le Mississippi. C’est moi qui allais au bureau de Stovall. » Il avait voyagé à travers le monde et il continuait de s’identifier au bureau de la plantation de Stovall, où on lui donnait un peu d’argent pour le coton qu’il avait ramassé. Il faisait comme son père, sa mère, ses frères, ses sœurs, ses cousins, depuis plusieurs générations. Il cueillait le coton sur la terre d’un autre. Pour rien. Et comme tous les gosses de sa condition, il a commencé tôt. À cinq ans, il apportait de l’eau aux cueilleurs qui en réclamaient. Puis à 8 ans, on lui a donné un sac pour le remplir de coton. Quitter la plantation ? « Les personnes âgées comme ma grand-mère ne croyaient pas qu’on pouvait survivre ailleurs, dans une grande ville. Si vous allez dans une grande ville, vous allez mourir de faim. Mais on mourait déjà de faim à la plantation. »

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             Comme la plupart des gosses des plantations, Muddy est imprégné de blues. « Tous les gosses fabriquaient leurs guitares. J’avais fait la mienne avec une boîte et un bout de bois pour le manche. Je ne pouvais pas faire grand-chose avec, mais c’est comme ça qu’on apprend. » Muddy vénérait Charlie Patton, Robert Johnson et surtout Son House qui frappait comme un dingue sur sa guitare en acier et qui avait une présence extraordinaire. Muddy avait 14 ans quand il vit Son House pour la première fois. Le premier guitariste que Muddy vit jouer sur un ampli, ce fut Robert Lockwood. Il faut savoir que Lockwood avait appris à jouer avec Robert Johnson en 1927.

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             Muddy décide de prendre son destin en main. Il a de la famille à Chicago, il a déjà fait un disque avec Lomax pour la bibliothèque du Congrès et il ne veut plus passer son temps à travailler dans les champs pour le compte d’un patron blanc. Il prend le train à Clarskdale. C’est un voyage de 16 heures, avec une étape à Memphis, jusqu’à Chicago. Il se fait héberger, et trouve immédiatement du travail, dans une usine de papeterie. Il n’en revenait pas de gagner autant d’argent : « Dieu tout puissant, tout cet argent ! J’ai cueilli le coton pendant toutes une année et j’ai gagné moins de cent dollars ! »

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    ( Muddy Waters à Chicago : portrait tableau de Miki  de Goodaboom)

             Puis il entame sa carrière de bluesman et enregistre des disques dans le studio de Leonard le renard. Il se produit dans les clubs de blues de Chicago et devient vite une grosse vedette locale. Il faut savoir que dans les années 50 et 60, les groupes de blues comme celui de Muddy Waters jouaient toute la nuit dans les clubs. Ils faisaient plusieurs sets (comme Vigon au Méridien qui enchaîne trois sets d’une heure) et donc ils buvaient comme des trous, pour pouvoir tenir le coup. Muddy commença à pisser le sang par le nez, il avait trop de tension et le médecin le mit en garde : soit il arrêtait l’alcool, soit il cassait sa pipe en bois. Muddy passa naturellement au champagne : « Champagne au petit déjeuner, au repas de midi, au repas de soir et champagne avant d’aller au lit. » Muddy s’amusait comme un gosse dans le monde pourri des blancs.

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             Robert Gordon nous relate dans le détail le fameux épisode qui se déroule dans les toilettes exiguës du Zanzibar : l’énorme Willie Dixon remplit tout l’espace. Il présente l’« Hoochie Coochie Man » qu’il vient de composer à Muddy qui est coincé entre l’évier et le porte-serviette. Encore plus drôle, on  assiste plusieurs fois à des parties de bras de fer en Muddy et Wolf, les deux héros légendaires de Chicago. Quand il débarque à Chicago en 1954, Wolf vient habiter chez Muddy. Wolf avait fait tout le trajet depuis le Sud au volant de son pick-up, fier comme Artaban. Mais Wolf était aussi un type terriblement jaloux. Muddy : « Je sais que les gens croyaient qu’on se détestait. Mais ce n’était pas vrai. Wolf voulait être le meilleur mais je n’avais pas du tout l’intention de le laisser devenir le meilleur. » D’où une petite rivalité. Même si Muddy savait qu’il ne faisait pas le poids face à Wolf. Il repompait les trucs de Wolf, comme par exemple la cannette de coca dans la braguette. Le coup le plus dur qu’il réussit à porter à Wolf fut de soudoyer Hubert Sumlin, le guitariste de Wolf. Il lui envoya un émissaire chargé de lui proposer de tripler son salaire s’il venait jouer dans son orchestre. Hubert accepta et vint jouer chez Muddy mais ça ne se passa pas très bien. Il y eut une bagarre avec Muddy et Otis Spann tenta de le frapper à coups de chaîne. Hubert passa un coup de fil à Wolf qui accepta son retour. Puis Wolf alla trouver Muddy chez lui pour lui dire dans le blanc des yeux : « La prochaine fois que tu me fais ce coup, mec, je vous tue tous les deux. » Qu’on se rassure, Hubert et Muddy sont redevenus amis un an plus tard. Ça faisait partie du petit jeu entre Wolf et Muddy.

             C’est Chris Barber qui fera venir Muddy en Europe et qui le rendra légendaire en Angleterre. Mais Muddy jouait beaucoup trop fort sur scène et le gens étaient choqués. Ils croyaient entendre du blues et Muddy mettait son ampli à fond. Les « funny » people d’Angleterre l’amusaient beaucoup, mais pour la tournée suivante, il tint compte des remarques et gratta des coups d’acou.

             On trouve mille autres détails passionnants dans ce livre. C’est une lecture vivement conseillée, très revigorante, dès lors qu’on s’intéresse au real deal. Petite cerise sur la gâtö : Robert Gordon met en avant cette épaisseur humaine qui fait hélas cruellement défaut aux pitres qui ornent les couvertures de certains magazines de rock.

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             Et puis il faut écouter Fathers And Sons. Muddy s’entoure d’une belle équipe de vétérans de toutes les guerres : Mike Bloomfield, Paul Butterfield, Duck Dunn, et puis Sam Lay au beurre. Ce double album flirte parfois avec l’ennui, car on y retrouve tout ce qui un temps rendait le blues si prévisible, qu’il soit embarqué au rythme du boogie ou joué dans les règles du déchirement. « Mean Disposition » est l’archétype du blues bloomydifié. Mike le soigne aux petits oignons. Pas de surprise. On retrouve cette emphase démonstrative qui fit tellement de mal au blues dans les années soixante-dix. On reste en territoire connu et ça rassure. Muddy fait autorité. Sur « Blow Wild Blow », Bloomy va chercher des notes grasses, comme d’autres fouillent la terre du groin à la recherche des truffes. Dans « Forty Days & Forty Night », Butter donne des coups d’harp de possédé. Mais on reste dans l’heavy blues classique et sans surprise. On notera l’extraordinaire prestation de Buddy Miles dans « I Got My Mojo Working Pt 2 ».

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             Il ne te reste plus qu’à choisir l’une des cinq façons d’entrer dans l’histoire extraordinaire de Muddy Waters. Cet homme fait partie des grands héros du XXe siècle, au même titre que Nelson Mandela, Captain Beefheart, Sam Phillips, Joe Meek, Totor, Francis Picabia et Marcel Duchamp, et il vaut toujours mieux aller se réchauffer dans le giron d’un génie plutôt que de rester planté là à attendre Godot.

    Signé : Cazengler, pouet-pouet muddy

    Muddy Waters. Electric Mud. Cadet Concept Records 1968

    Muddy Waters. After The Rain. Cadet Concept Records 1969

    Muddy Waters. Father And Sons. Chess 1969

    Muddy Waters. Hard Again. Blue Sky 1977

    Muddy Waters. I’m Ready. Blue Sky 1978

    Muddy Waters. King Bee. Blue Sky 1981

    Muddy Waters. Unrealeased In The West. Moon Records 1989

    Muddy Waters. The Chess Box. MCA Records 1989

    Muddy Waters. On Chess Vol. 2 - 1951-1959. Vogue 1984

    Robert Gordon. Can’t Be Satisfied. The Life And Times Of Muddy Waters. Back Bay Books 2002

    Marc Levin. Godfathers And Sons. A Musical Journey Vol 6. DVD 2004

     

     

    Quels sont ces serpents qui Slift sur nos têtes

     - Part Two

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             Slift ? C’est simple. Il s’agit tout simplement de l’automatisme psychique de la purée en dehors de toute chorale concrète ou élastique. Slift ? C’est le va-t-en-guerre des boutons de la fleur au nombril. Slift ? C’est Moloch sous LSD, Saturne en 3D panoramique, Hadès télescopé par des stroboscopes.

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    Slift ? C’est une marmite géante de cassoulet intrinsèque en ébullition. Slift, ça t’emmène et ça oublie de te ramener. Slift c’est un aller simple pour où tu veux, tu peux même choisir ta destination, droit dans un platane ou quelque part dans l’enfer de ta cosmogénie. Slift, ça va vite, t’as à peine le temps de réfléchir, alors réfléchis pas, ça ne sert à rien. Slift, tu perds tes marques et c’est tant mieux, les marques, c’est comme la réflexion, ça ne sert à rien. Slift te lave de tous tes péchés, Slift te redore le plastron, Slift t’exclut des partis, Slift recommande ton âme à Dieu, Slift t’erre dans le désert, Slift te déterre de ta tombe, Slift t’enterre dans tes tares, Slift met un terme à ton bail, Slift t’atterre sur la lune, Slift t’attire dans son thème, Slift t’applique son tarif, après tu peux t’amuser à cataloguer, vazy, psychout so far out du mois d’août, heavy psych qui fait pschittt, drôle de drone ou downhome doom de der, comme la der des der, vazy, catalogue, mais tu vois bien que ça ne sert à rien,

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     Slift échappe à tous les bocaux, Slift glisse entre les doigts des étiqueteurs, Slift file comme une anguille grasse vers le soleil d’un ovaire psychédélique, Slift enfante des cuts en forme de solaces irrémédiables, Slift réinvente le paganisme salvateur des temps modernes, tu ne verras pas de groupe plus faramineux sur scène cette année, pas de groupe plus psychotropiquement libre, pas de groupe plus étalon-sauvage, pas de groupe plus écumant, pas de groupe plus tchernobilien.

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    Pas de superstar plus christique que Jean Fossat, dont la carcasse déjetée traverse l’espace et les siècles du set, arraché et recloué sur sa croix en permanence, Fossat est ivre de liberté et de grandeur, il abandonne son corps et s’y rejette, s’extrait et se projette, l’élance et s’abat, il étreint sa SG blanche comme une sainte relique, il est là et soudain, il n’est plus là, comme d’ailleurs sa musique, elle part, revient et repart, et en chemin, le psychout so far out de Slift croise Jean Fossart éperdu de sainte barbarie, trempé d’anarchie, tendu à se rompre et fouetté par des bourrasques de bassmatic et de beurre, oui, car tout est définitivement torrentiel sur cette scène, tout est joué à

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    l’outrance de la protubérance, sans le moindre respect des mesures ou des lois physiques. Slift t’offre un spectacle hors de temps et hors du rock, comme l’aurait sans doute fait un groupe de rock dans l’antiquité, pour peu qu’il en eût existé, mais ça, on ne se le saura jamais, par contre, on peut l’imaginer, et l’idée que Slift eût pu jouer dans une vie antérieure à la cour du roi Nabuchodonosor, au beau milieu d’une orgie de sexe et de sacrifices rituels, oui, ça tomberait presque sous le sens. Une façon de dire que Slift est trop énorme pour une époque comme la nôtre, une époque qu’il est impossible de prendre au sérieux. Alors on situe Slift dans un contexte plus adapté. Druillet aurait pu dessiner une pochette pour Slift et Flaubert n’aurait pas hésité un seul instant à chanter les louanges de Slift dans Salammbô. Avec des racines qui semblent plonger dans l’imaginaire de l’antiquité et un univers lyrique gorgé de sci-fi spatio-temporelle, Slift campe une fabuleuse incarnation de l’avenir du rock. L’occasion est trop belle de saluer Gildas qui d’une certaine façon fit leur découverte sur la petite scène du Ravelin, à Toulouse. Il ne se fourrait pas le doigt dans l’œil lorsqu’il en disait le plus grand bien dans son mighty Dig It! Radio Show. Et dans son livre, Confessions Of A Garage Cat, il déclare : «Ils sont à fond. Ils vont vraiment devenir énormes. Leur dernier album est un double, avec des morceaux très longs. Ils sont capables d’avoir 40 dates à la suite sans un day off.»

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             Après, tu as les disks. On a épluché Ummon dans un Part One quelque part en 2021. Il existe d’autres belles galettes de blé noir, à commencer par La Planète Inexplorée, découverte en 2018. L’album est reparu sous forme de double album avec l’EP Space Is The Key. Heavy dès «Dominator» et départ en vrille de prog, oh-oooh, c’est du pur jus de Swampland, de l’épique épique et colégram bardé d’écho et d’évasions excuriatrices. Ça pulse à Tooloose ! Et le festin de son continue avec un «Sword» bien secoué du bananier. Tout l’immeuble de Swampland résonne de beat fondamental. Nouvelle surprise avec ce «Sound In My Head» quasi-hendrixien, bien posé sur son assise. Il y va le Fossat, il hendrixifie la ville rose. Nos trois larrons enfilent les auréoles et claquent un boléro boréal. Et puis voilà le hit interplanétaire en B, «The Sleeve», avec des développements spectaculaires lancés au wooouhhhhh de rodéo, et ça se déclenche à la moindre étincelle. C’est pulsé par la loco du beurre. Sur sa SG virginale, Jean Fossat passe par tous les stades de la Méricourt sonique, comme le montre le morceau titre. Il rase motte et il outer space dans les étoiles, wahte dans les platanes et vrille sa trame d’émulsion purpurine. Il va dans tous les coins du drone, il est ric et rock, il sature ses saturnales et repart en diligence au fouette cocher dans la sierra. Ce spectaculaire rocker est un fier voyageur, il annonce l’apocalypse d’un coup de verset, revient dire la bonne aventure et repart dans une direction absurdement opposée, et derrière lui bat le cœur du cassoulet intrinsèque en ébullition. Alors, sa belle voix de Christ efflanqué s’accroche à la voûte de la cathédrale comme une chauve-souris repue de sang virginal.

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             «Heavy Load» lance le carnage de La Planète Inexplorée. Ça part en trombe de tagada proggy, c’est même du proggo-punk, avec le Fossat qui hurle dans le fond du minuscule local de Swampland ! Pure giclée d’heavy psych-out, avec une belle tension hypno à la Can et du revienzy de bassmatic. Tout est gorgé d’énergie barbare sur cet album, il faut les voir reprendre au vol leur «Doppler Ganger» avec des volées de bois vert et de fuzz toulousaine. Pour boucler cet effarant balda, ils filent ventre à terre avec «Ant Skull». Le «Frearless Eye» qui ouvre le bal de la B est plus pop, mais visité par la grâce. Il règne en permanence dans cet album un fort parfum de modernité. Les dynamiques de «Trapezohedron» sont encore une fois imparables, portées par le fantastique shuffle de beurre et tu vois ce bassmatic affamé qui maraude dans le lagon.    

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             Sur ce fabuleux double album que sont les Levitation Sessions, on recroise tous les hits qui font la légende de Slift, à commencer par la wild ride d’«Heavy Load». Jean Fossat va hurler ça au sommet du lard fumant, ils développent exactement la même énergie que Can, avec la hurlette en prime. On recroise aussi la plupart des cuts d’Ummon, dont le morceau titre - là ils mettent le paquet sur le blow - et «It’s Coming», qui sonne comme du pur Can. On croit entendre Damo et Jaki. L’«Hyperion» qui ouvre le bal de la C sort aussi d’Ummon. Quelle niaque ! En matière d’heavy psych so far-out, on ne peut guère faire mieux. Ils développent un power simple, mais considérable. L’«Altitude Lake» sort aussi d’Ummon. On y entend les power chords de la fin du monde. La B sort aussi tout droit de la pétaudière d’Ummon, avec «Thousand Helmets Of Gold» cavalé ventre à terre, fabuleux psyché psycho de basse fosse, et «Citadel On A Satellite». Ah ils sont bien barrés dans leur monde. Ils voyagent énormément. Les cuts sont longs, ça favorise les explorations. En D, on retrouve l’excellent «Lions Tigers & Bears» qui fait encore la joie d’Ummon. C’est vite embarqué en enfer. Jean Fossat et ses collègues ne traînent pas en chemin. Ça pulse dans les artères, avec un bassmatic brouteur de motte. Quelle allure ! Ah il faut voir ça ! Le thème musical sonne comme un hit pop. Ils jouent en trombe,  avec un bassmatic qui amène un second souffle. Ils arrivent au-dessus de Babaluma, qui est un peu leur cœur de métier. Ils tiennent bien la pression dans la durée et puis ça bascule inévitablement dans l’apocalypse. Les trois Toulousains sont les rois de l’attaque viscérale. 

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             Leur dernier album s’appelle Ilion. Encore un double album. C’est Ilion qu’ils jouaient sur scène, l’autre soir. Proggy as hell, mais moins de son qu’à Swampland. Plus lisse, plus monacal. Chanté dans la crypte. Jean Fossat chante comme un apostat pestiféré emmuré dans une crypte. On perd les dynamiques magiques du premier album. On perd «The Sleeve». Quand on entre en B dans «The Words Have Never Been Heard», on comprend que sans le support visuel de la scène, ça ne marche pas. On perd tout le raw de Swampland qui faisait leur force. Et ça continue de tartiner avec «Confluence». Appelle ça l’Ilion et l’Odyssée et tu ne seras pas loin du compte. Ils continuent d’explorer des zones inexplorées, avec l’énergie et le courage qu’il faut aux découvreurs pour accomplir ce genre de mission, que ce soit sur terre, dans l’espace ou dans l’imaginaire. Avec leur «Confluence», ils nous replongent dans les errances de Yes et c’est pas terrible, mais Jean Fossat se fend en bout de B d’un solo apocalyptique qui le lave de tout péché. En C, il s’enfoncent encore  plus loin dans le cérémonial liturgique. Pour entrer là-dedans, il faut se retrousser les manches. On sort définitivement de Swampland et on se dirige tout droit sur Telerama. Et encore, on se demande ce que les Telerameurs vont pouvoir piger à ça. Hey Slift, you’ve lost that lovin’ feelin’. Avec «Uruk», il ne se passe rien de plus que ce que tu sais déjà. C’est un brin mélodie en sous-sol avec un final explosif. La D continue de s’enfoncer dans le cérémonial liturgique. Décidément, c’est une manie. Si on est encore là, c’est uniquement par curiosité. Ils sont entrés dans l’église psychédélique et c’est très bien. Au moins, ils iront au paradis. Les trames interminables qu’ils tissent défilent comme une bande passante, ça joue pour jouer, ils n’ont pas d’autre raison d’être que de jouer et de dérouler sans fin. Tu es content d’être resté jusqu’au bout, car tu assistes éberlué à un final hallucinant en forme de cascade de lumière.

             Tout ceci est bien sûr dédié à Gildas, et à un autre grand laudateur de Slift, my friend Pat Caramba.

    Signé : Cazengler, Shit

    Slift. Le 106. Rouen (76). 16 mars 2024

    Slift. La Planète Inexplorée. Howlin’ Bananas Records 2018

    Slift. Levitation Sessions. The Reverberation Appreciation Society 2022

    Slift. Ilion. Sub Pop 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - Hé dis, Eddie, Ernie nie ?

             Rien qu’à le voir, tu lui aurais donné le bon Dieu sans confession. Devenu adulte, Japee conservait dans le regard toute la candeur de son enfance. La qualité du regard est un signe qui ne trompe pas. Et plus tu apprends à le connaître, plus tu t’émerveilles. Le moindre de ses actes, la moindre de ses paroles, le moindre de ses avis entre en cohérence avec l’idée que tu fais de lui. Il fait partie de ces êtres qui avancent dans la vie comme des funambules au-dessus du vide et qui ont la grâce de ne commettre aucun faux pas. Le savoir-vivre naturel peut fasciner. On l’observe souvent dans les romans, notamment chez Proust ou encore chez Drieu, mais assez rarement dans la vie. Si l’occasion se présente, la première chose qu’on fait est de guetter le faux pas, le mot de travers, car on se dit au fond de soi que la perfection n’est pas de ce monde, il va forcément commettre une petite erreur, ce serait même rassurant. Eh bien non. Japee a décidé de ne pas faillir. Il donne à réfléchir. On pourrait presque le jalouser, mais on se connaît trop bien, et de toute façon, les questions de moralité ne sont plus à l’ordre du jour. Il faut donc se résoudre à observer et guetter le faux pas qui ne viendra sans doute jamais. Pour ne pas compliquer les choses, on espace les rencontres. Ce serait tout de même embêtant de voir la perfection se banaliser. Et si tout cela n’était qu’une vue de l’esprit, une fabrication de l’imaginaire ? Ne fabrique-t-on pas inopinément des modèles ? Ne transfère-t-on pas chez d’autres les traits de caractère qui nous font si cruellement défaut ? Et si Japee n’était au fond qu’un imposteur ? Et s’il n’était qu’un personnage de sa composition, un habile manipulateur ? L’idée s’évanouit aussitôt qu’il apparaît en chair et en os. Il est d’un naturel désarmant. Aucune rouerie n’est possible dans ce visage mis à nu, il parle en riant et tout redevient clair comme de l’eau de roche. Alors il ne reste plus qu’à savourer ces moments de félicité. Comme c’est agaçant d’avoir à penser qu’en cet instant la vie reprend son sens. 

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             Japee, Eddie, Ernie ? C’est du pareil au même. Japee ne chante pas, c’est la seule différence avec Eddie & Ernie. Oh et puis la couleur de peau. Japee est un petit cul blanc, mais ça n’enlève rien à ses qualités, oh la la, pas du tout.

             Personne ne peut résister à la photo d’Eddie & Ernie qui orne la devanture de cette fabuleuse compile Kent parue en 2002, Lost Friends. Personne ! Ils sont plus beaux que Little Richard, plus anguleux qu’Ike Turner, plus pompadourés qu’Esquerita, on sent un mélange de grâce et d’animalité qui bat tous les records. En plus ils chantent bien. C’est à David Godin que revient l’honneur de signer les liners. Même s’ils sont composés dans un corps 4 ou 5 qui t’explose les yeux, tu es content de pouvoir lire son baratin.

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             Ils s’appellent Edgar (Eddie) Campbell et Ernest (Ernie) Johnson. Godin les situe à Lubbock, Texas (Ernie) et Phoenix, Arizona (Eddie). Eddie rencontre Ernie à Phoenix et ils se mettent à duetter ensemble. Hadley Murrell prend le duo en charge et le booke à l’Apollo. En 1966, ils entrent en studio avec Richard Gottehrer pour enregistrer 4 titres. Voilà en gros ce que nous raconte Godin. En fait, il n’a pas grand-chose à nous raconter. Puis Eddie & Ernie finissent par se décourager, alors ils quittent New York pour rentrer à Phoenix, où ils sont tous les deux installés. Eddie est un romantique, sa femme lui manque terriblement. Ernie est un alcoolique qui va se choper une petite cirrhose.

             Premier coup de semonce avec «You Make My Life A Sunny Day», cette fantastique décharge d’heavy Soul, tu as là le big heavy Soul System, c’est à cet endroit précis que l’heavy Soul prend le pas sur le genius. Eddie & Ernie allument au sommet du lard, c’est à la fois puissant et irréversible, ils s’écroulent tous les deux dans des gerbes. Pire encore : «Doggone». Godin est lui aussi sidéré par le power d’Eddie & Ernie : «This is Eddie & Ernie at the very height of their powers and on top of the world. It can make you feel that way too. A true ‘Golden Era’ treasure.» Ils tapent en effet dans l’hot as hell du r’n’b, il n’existe rien de plus puissant, à part Wilson Pickett. S’ensuit l’«Outcast» repris par les Animals sur Animalism - Hey hey hey I’m just an outcast, ces deux blackos te foutent le feu à la compile, il tapent l’heavy popotin du diable, et c’est orchestré à outrance. Rien qu’avec ces trois hits fondamentaux («You Make My Life A Sunny Day», «Doggone» et «Outcast»), t’es repu, et en plus, t’es au paradis. Oh tu peux ajouter «We Try Harder». On se croirait chez Stax, tellement ça percute dans le haut de l’occiput. Ces deux diables chantent ensemble, comme Sam & Dave, et t’explosent tout. Et ce n’est pas fini. On pourrait même dire que ça ne fait que commencer ! Tu tombes plus loin sur la fabuleuse clameur de «Standing At The Crossroads», ils déboulent avec cette énormité digne de Mad Dogs & Englishmen, et c’est divinement explosé aux chœurs de génie. Godin : «A track that is so good it’s breathtaking, and it is worth many times the cost of this whole CD. So there!». Le poêle Godin est encore plus barré que nous. Il est incapable de retenir son enthousiasme. Ils font un duo d’enfer avec «Woman What Do You Do Wrong», ils sont encore plus raw que Sam & Dave, comme si c’était possible ! Et c’est arrosé de sax prévalent, tout éclate au Sénégal, ici, le r’n’b, les grattes, les nappes de cuivres, so baby I’m gonna ask one more time ! Ils enchaînent cette merveille avec une cover de «Lay Lady Lay». Joli clin d’œil à Dylan, ils t’embarquent ça vite fait à l’aw yeah. Ils te tartinent ça en mode fast r’n’b. Quelle rigolade ! - Stay lady stay/ Stay with your man for a while - Ils te bouffent Dylan tout cru ! C’est encore une fois explosif. Ils transforment ce hit en shoot de hard r’n’b. Le poêle Godin raconte qu’il est à l’origine de l’idée de cette cover. Il était alors en contact avec le manager d’Eddie & Ernie, car il sortait des singles sur son label Right On!. Eddie & Ernie étaient en panne de chansons, et comme Godin avait flashé sur l’hommage qu’avait rendu Esther Phillips à Dylan avec «Tonight I’ll Be Staying Here With You», il leur proposa de taper «Lady Lady Lay». Et ça repart de plus belle avec «The Groove She Put Me In», puis «You Turn Me On». Avec Eddie & Ernie, c’est l’enfer sur la terre ! Ils tapent à la suite l’immémorial hit d’Aaron, «Tell It Like It Is», ils travaillent cette merveille à deux voix, ils la biseautent, c’est façonné à l’angle des cuivres, avec tout le balancement dont sont capables ces deux prodigieux requins en sequins, il faut les voir fondre leur Tell Me dans les nappes de cuivres. Et puis tu les vois se diriger vers la sortie avec «It’s A Weak Man That Cries», un heavy groove de fabuleuse occurrence, ils groovent dans l’air de leur temps, à l’unisson de leur saucisson, avec un guitar slinger en embuscade derrière les lignes ennemies, mais le poêle Godin ne nous dit pas qui c’est. Petit cachotier !

    Signé : Cazengler, Ernie discale

    Eddie & Ernie. Lost Friends. Kent Soul 2002

     

     

    L’avenir du rock

     - Rich comme Crésus

     (Part One)

             Contrairement à ce qu’on croit, l’avenir du rock ne roule par sur l’or. Il est même aux abois, c’est-à-dire aux portes de la précarité. Bon, il n’en arrive pas encore au stade où on reprise ses chaussettes, mais il fait gaffe aux dépenses. Il appelle ça des coups de freins. Coup de frein sur la bouffe, coup de frein sur les fringues, et surtout coup de frein sur les vacances. Mais pas de coups de freins sur les lignes budgétaires prioritaires, c’est-à-dire les disques et les concerts. Bon et puis il y a le sac de sport, c’est-à-dire la caisse noire, qui finance les putes et les produits. Il faut bien maintenir un minimum d’équilibre, surtout quand on est un concept aussi à cheval sur l’étiquette. Et finalement tout se passe bien. L’avenir du rock s’est comme qui dirait désurbanisé, plus besoin d’aller foutre les pieds dans ces boutiques de m’as-tu-vus et de claquer des fortunes dans le paraître. Plus besoin d’aller faire le coq dans la basse-cour. De lointains souvenirs de vacances lui restent coincés en travers de la gorge. Quel ennui ! S’allonger sur une plage et y rester des heures illustre parfaitement à ses yeux le comble de l’ennui le plus mortel. L’avenir du rock se demande encore à quoi sert de se faire bronzer. Il préfère le soleil du Brill et les horizons des Byrds, ceux qui nourrissent ton imagination, alors que de voir des grosses rombières réactionnaires déambuler en maillot de bain, ça te la tue, l’imagination. L’avenir du rock conserve encore assez de lucidité pour se savoir coincé dans les rigueurs de son concept, mais il préfère ça mille fois à la brutalité et à la laideur atroce de la réalité du monde extérieur. Depuis des siècles, les artistes font de l’art pour lutter contre cette réalité, mais elle gagne sans cesse du terrain, on assiste même à l’accélération d’une dégradation générale depuis l’avènement du numérique. Alors l’avenir du rock rentre dans son cocon conceptuel, et quand on lui demande si ça va, il répond, bien sûr, puisqu’il est Rich comme Crésus.

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             Le Rich que cite l’avenir du rock ne s’appelle pas Crésus, mais Jones. Rich Jones, ce qui revient au même. Rich est riche d’une brillante carrière de guitar slinger.

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             Dans Vive Le Rock, Phil Singleton lui rend enfin hommage. Le Canadien Rich Jones est l’homme à tout faire du grittiest punk/glam rock. Depuis vingt ans, il écume les planches en compagnie d’une kyrielle d’«icons of the genre» : Michael Monroe, Ginger Wildheart, Tom Spencer (Loyalties & Yo-Yo’s) et bien sûr les Black Halos dont le nouvel album vient de paraître : How The Darkness Doubled.

             Né à Coventry, Rich a grandi à Toronto. Ado, il s’intéresse au metal puis bascule dans les Dolls, les Dead Boys, les Ramones et les Heartbreakers. Le punk new-yorkais va devenir son cœur de métier.  Au début des années 90, il s’installe à Vancouver et démarre les Black Halos. Au même moment, juste de l’autre côté de la frontière, about two hours away, le grunge explose à Seattle. Les Black Halos vont tenir la route jusqu’au début des années 2000. Ils tournent sans arrêt, mais n’ont pas de blé - it was $5 a day - Rich n’est pas riche, alors il quitte les Black Halos et part jouer avec Amen à Los Angeles. Et puis en 2016, un tourneur espagnol propose un gros billet aux Black Halos pour se reformer et venir jouer en Espagne. Ils sont tellement contents de rejouer ensemble qu’ils décident ensuite d’enregistrer un nouvel album, How The Darkness Doubled, dont le titre est tiré d’un cut de Marquee Moon

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             Pourquoi écoute-t-on How The Darkness Doubled en 2022 ? Parce que d’une certaine façon, Rich et ses Halos alimentent la chaudière. Avec cet album, on n’apprend rien de plus que ce qu’on sait déjà, mais il est difficile de résister au souffle d’une cut comme «Tenement Kids». Billy Hopeless chante comme s’il dégueulait. C’est le même beeeerrrk. Les solos sont beaux, ce sont de vraies gerbes. Les Black Halos restent violemment en place, il remontent sur leur merry-go-round d’antan, même son, même esprit, même niaque tight. On observe même une tentative de mélodie, et globalement, ça reste assez conquérant. Ils pompent goulûment le «Teenage Kicks» des Undertones pour couler le bronze de «Forget Me Not», c’est exactement le même swagger au couplet chant, mais qui va aller le leur reprocher ? Ils sont très en forme, pour des vieux gaga-punksters. En B, ils se moquent de leurs copains avec «All Of My friends Are Like Drugs», et ils se transforment en énorme machine de guerre moyenâgeuse pour «Frankie Came Home». Ils restent bien dans la ligne du parti, avec des chœurs de lads. Le bassmatic de John Kerns dévore tout. Ils bouclent cet album héroïquement classique avec «A Positive Note», belle explosion gaga-punk, extrêmement mélodique, soutenue aux chœurs et battue à la diable.

             Phil Singleton a lui aussi remarqué que Rich comme Crésus avait assidûment fréquenté Tom Spencer, qui, après avoir fait des étincelles avec les Yo-Yo’s puis les Loyalties, en fait maintenant avec la reformation des Professionals. Tom demande à Rich comme Crésus de rejoindre la tournée des Professionals en 2021. Rich dit à Phil qu’il est fier d’avoir pu jouer avec Cookie. Rich précise ensuite que Tom et lui sont potes depuis les années 90, époque où les Black Halos ont joué en même temps que les Yo-Yo’s aux Kerrang! Awards à Londres. Quand Rich est venu s’installer à Londres, Tom lui a demandé de rejoindre les Yo-Yo’s. On l’entend donc sur le deuxième album des Yo-Yo’s dont on va s’occuper dans un Part Two. Rich ajoute que Tom et lui jouent ensemble depuis vingt ans. Pour l’anecdote, Rich raconte qu’ils ont monté ensemble les Loyalties pour aller faire un concert à Venise, sur un bateau.

             En 2012, Rich rejoint Sorry & The Sinatras. Il s’entend bien avec Scott Sorry, ils étaient ensemble dans Amen, we were looking for trouble. Puis l’expérience s’est arrêtée brutalement : «We did some stuff with the Sinatras but unfortunately his personal life stopped him from doing music for a long time.» Il est extrêmement pudique sur cette histoire. Et puis tout un tas d’autres projets, Rich grouille de projets. Il accompagne aussi Ginger sur l’Albion album, juste avant de rejoindre Michael Monroe en 2013. C’est Ginger en quittant le groupe de Michael Monroe qui recommande Rich. Il enregistre Horns & Halos avec Michael Monroe, mais il ne part pas en tournée avec eux car il a trop de casseroles sur le feu. On le retrouve ensuite sur les albums suivants. Rich ajoute qu’il a co-écrit les cuts de l’album solo de Sami Yaffa, The Innermost Journey To Your Outermost Mind. Tu trouveras tous les détails dans un Part Two. 

    Signé : Cazengler, ric et rac  

    Black Halos. How The Darkness Doubled. Stomp Records 2022

    Phil Singleton : Strike it Rich. Vive Le Rock # 92 - 2022

     

     

    Smog on the water

     - Part Three

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             En 2007, Smog devient Bill Callahan avec Woke On A Whaleheart. Au fil des albums, on aura l’impression constante de voir son énorme talent éclore.

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    Il attaque «From The River To The Ocean» à l’accent tranchant barytoné. C’est du pur Bill et il sait en jouer. Il a une voix et des ouvertures, alors c’est facile d’aller enregistrer des albums d’indie rock troublant. Il enchaîne avec «Footprints», un joli shoot de good time Callahan. Il a des chœurs de filles derrière lui, c’est vraiment plein d’esprit. Plus loin, il sature son «Sycamore» pour en faire une sorte de musicologie tourbillonnaire d’une extrême pugnacité. Bill est l’un des très grands artistes de notre époque. Il allie la pression extraordinaire des arpèges et une voix radieuse. Comme s’il envoyait des giclées de lumière dans le ciel. Fabuleuse présence encore avec «The Wheel». Il fait son La Fontaine dans «Day», disant qu’il faut écouter les animaux et les légumes. C’est aussi du Dylan à l’envers : il donne une leçon de choses. Mais il ne sera jamais Bob Dylan. Il arrive trop tard. Le temps des cerises est passé. Bill bourre sa dinde. C’est de bonne guerre. On l’aime bien, alors on le suit. 

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             Pour ses pochettes, il choisit désormais de belles toiles bucoliques, comme s’il recherchait la paix intérieure. La pochette de Sometimes I Wish We Were An Eagle nous montre des chevaux dans un pré. C’est bien de l’avoir au format vinyle, car on peut l’accrocher au mur pour décorer la pièce. On trouve trois pures merveilles sur l’album, à commencer par le «Jim Cain» d’ouverture de balda - Remember the good things - «The Wind & The Dove» vaut aussi le détour, c’est chanté au grain coloré de Callahan, et vertigineux de descentes de Dove. Il termine l’A avec l’excellent «Too Many Birds» - Too many birds in the tree - assez nonchalant, suivi au violon - If you could/ only/ stop/ your/ heart/ beat/ for/ one/ heartbeat - L’album est visité par la grâce. Il s’achève avec un «Faith/Void» monté sur les accords de «Walk On The Wide Side» - It’s time/ To put gun away - Il groove son time au ah ah de time, il a une façon de monter son couplet en neige qui est une pure merveille, il le fait déboucher sur un paysage orchestral de rêve, pas loin de ce que fait Lou Reed avec le tilili tiptilili, and the colored girls go, Bill le fait avec deux fois rien, avec seulement it’s time/ To put gun away, et il monte encore une quatrième fois, alors quel coup de génie ! 

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             Pour Apocalypse, il choisit une montagne. Il vise la pacification bucolique, comme le montre aussi «Baby’s Breath». Il ne fait que du petit intimisme de la vallée. Il s’amuse bien avec sa guitare et ses gentils amis. Il crée son petit monde en permanence comme le montre encore «America» - America/ You’re so grand and golden - Il y rend hommage à Kristofferson, Mickey Newbury et Cash. En B, il vise encore l’apaisement avec «Free’s» - I’m standing in a field/ A field of questions - Il nananate sa descente de couplet, il est parfaitement à l’aise - And the free/ They belong to me.

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             Encore une belle montagne sur la pochette de Dream River. Il reste dans son laid-back de velours tiède et dans l’extrême pureté avec son «Small Plane» - I really am a lucky man/ Flying this small plane - Il est en fait beaucoup plus mélodique qu’au temps de Smog. «Spring» sonne comme un slow groove de the spring is you. Il repart en plus belle en B avec «Ride My Arrow». Il a une façon géniale de rouler son ride my arrow dans la farine. Bill Callahan est un chanteur magnifique. Encore une très belle ambiance dans «Summer Painter». Il est suivi dans les prés enchantés par une flûte bucolique.

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             Comme son nom ne l’indique pas, Have Fun With God est un album de dub, ou plus exactement, une version dub de l’album précédent, Dream River. Le baryton est idéal pour le dub, il attaque «Thank Dub» au dumb dub, il plonge dans l’entre-deux du rien du tout, il tape le dub de l’espace, au point que sa voix s’y perd, comme celle de Major Tom. Tout n’est pas bon, sur ce dub disk. Il faut attendre «Small Dub» pour frétiller. Son petit biz crée la confusion : il fond son baryton dans le gras du dub. C’est encore plus pertinent avec «Summer Dub». Il surmonte son dub le temps qu’il faut. À travers cet exercice de style, il vise bien sûr la modernité. Il ramène pour ça les composantes indispensables : l’énergie et l’incongru. Tu as donc le beurre et l’argent du beurre. Dans «Call I Dub», on le sent par contre dépassé par les événements. Il perd la trace, il flotte, all day. Le groove le charrie comme une âme en peine. C’est d’un effet très spectral, très fantôme d’Écosse en Jamaïque. Encore plus étrange, voilà «Ride My Dub», il descend des escaliers dans les profondeurs du son, il va à la cave du dub. Et son dub n’a plus rien du dub, ça redevient du Bill. Son biz finit par le rendre prévisible. Mais comme il a beaucoup de chance, il se rattrape au vol, ride my/ ride my. Il s’amuse encore à pousser le concept du dub dans «Transforming Dub».  et il revient à son road is dangerous avec «High In The Mid-40s Dub». Impressionnant.

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             Shepherd In A Sheepskin Vest pourrait bien être l’un des meilleurs albums de Bill Smog. Il est en tous les cas chaudement recommandé. Pochette superbe, dessin d’inspiration onirique et rac, et très vite, on tombe sur une authentique Beautiful Song, «Writing». Il approche chacune de ses chansons avec un respect terrifiant, il chante en retrait, il recule dans sa magnificence, il va chercher des résonances on the mountain, il s’interroge, il se demande où sont passées les choses. Avec «The Ballad Of The Hulk», il fait vibrer le sucre de son baryton, il t’éclate doucement l’intimisme au maybe I should know. Il entre encore dans le chou du doux avec «Morning Is My Godmother» - Morning is my godmother/ Loving me like no other - Il semble à certains moments que son excellence nous dépasse. Il cultive ses mélodies à la ramasse de la traînasse. Son baryton devient lumineux sur «Son Of The Sea». Il y berce son fisherman. Avec l’élégie funèbre de «Circles», il sonne comme Nick Drake. Il atteint le sommet de l’apanage du baryton avec «Tugboats & Tumblebleeds», il joue sur toutes les facettes de son diamant noir, c’est-à-dire son baryton - And you/ You’re my tugboat too  !

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             Grand retour de notre barytoneur préféré avec Gold Record en 2020. Dès «Pigeons», il se prend pour Johnny Cash. Même Lanegan ne descend pas aussi loin dans le deepy deep. Bill Smog tape dans le gras du lard, il en abuse, c’est son fonds de commerce. Lanegan en faisait une œuvre d’art. Bill Smog en fait du Callahan. «Another Song» jette l’ancre dans le baryton. Bill Smog fait même du heavy baryton. Il fait son enchanteur poilu au coin du feu. «35» sonne comme un heavy drive de no way-out, et c’est avec «Protest Song» qu’on retourne dans les profondeurs, dans l’abîme d’aw my Gawd, ça s’éclaire au step aside son/ Somebody must die, il gratte dans la darkness extrême. Il en fait un chant de sorcier. Fascinant ! Tout aussi génial, voici «The Mackenzies». Bill Smog revient comme si de rien n’était. Il crée une magie ambiante assez extraordinaire, il te retourne son album comme une crêpe, tu reviens dans la cabane du sorcier, il te chante son cut du fond d’un baryton hitchcockien, it’s okay, son ! Avec «Breakfast», il n’a jamais été aussi heavy - Breakfast is my favourite meal of the day - Puis il rend hommage à Ry Cooder - Ry Cooder/ Is a real straight shooter - Quel hommage - Aw mister Guitah ! Cette belle parabole se termine avec «As I Wander». Bill Smog y crée du rêve. Avec une telle voix, c’est facile. Il y a de la magie de sorcier en lui. Il chante à la moelle maximale, dans l’essence du magic trick, il est là dans l’ombre, avec son baryton à la main, merveilleux sorcier, viril et si sensuel.

    Signé : Cazengler, Bill Callagland

    Bill Callahan. Woke On A Whaleheart. Drag City 2007

    Bill Callahan. Sometimes I Wish We Were An Eagle. Drag City 2009

    Bill Callahan. Apocalypse. Drag City 2011

    Bill Callahan. Dream River. Drag City 2013

    Bill Callahan. Have Fun With God. Drag City 2014

    Bill Callahan. Shepherd In A Sheepskin Vest. Drag City 2019

    Bill Callahan. Gold Record. Drag City 2020

     

    *

    Routes Of Rock. Les grands esprits se rencontrent toujours. La preuve : le magazine Rockabilly Generation News (N° 29) présente une interview et de superbes photos de Jean-Louis Rancurel consacrée à Danny Boy, je chronique illico dans la livraison 639, piqué par la tarentule de la curiosité et de la veuve noire du regret de cette carrière trop tôt arrêtée notre Cat Zengler préféré, ne cherchez pas les autres il est unique, nous fait un petit topo (livraison 640) sur les morceaux enregistrés par Danny Boy, alors que j’étais en train de méditer une chro sur les premières apparitions discographiques de Danny Boy, sous le nom de Claude Piron. Elle n’est pas restée dans les annales du rock’n’roll français, elle lui a pourtant valu le titre de premier rocker français. La place est prise, vous n’y accèderez jamais.

    CLAUDE PIRON

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    (Ducretet Thompson /460 V 418 / Mai 1958)

    Ce n’est pas encore la beauté des pochettes des super 45 tours des années 60 que le monde entier ( celui des collectionneurs) nous envie, n’empêche que son fond monochromique bleu n’est pas du tout désagréable, et notre Piron avec son nœud de cravate relâché et son col de chemise dégrafé devait apparaître follement débraillé à l’époque, pour vous en convaincre regardez les photos des surréalistes, l’a un abord des plus cool, l’a dû faire craquer plus d’une minette à l’époque, mais voici venu le temps de l’écoute. Je n’ai rien trouvé de bien précis sur Jany Guiraud et son Orchestre, non ce n’est pas un groupe de rock, au mieux imaginons une formation swing.

    Mon cœur bat : il ne bat pas à cent à l’heure, notre pionnier du rock commence par un slow qui ne casse pas les manivelles. Une belle voix, le meilleur c’est encore les cinq secondes d’intro avec la trompette qui fait whoua-whoua ( orthogaphe revendiquée par Molossa) et l’extro avec ses espèces de coups de cloches xylophoniques. C’est un original de George Aber, bientôt il sera le parolier attitré des yéyé, A coups de dents : beaucoup mieux en rythme, pas rock, mais jazz, des paroles du genre j’ai beaucoup vécu vous pouvez m’en croire, sur la fin il déploie une envie de jeune loup, c’est mieux. Pas non plus la hargne d’un blouson noir. Un coup de chapeau à Jany Guiraud, non ce n’est pas Ellington, mais ça s’écoute avec grand plaisir. George Aber est encore aux lyrics. Allez ! Allez : la preuve qu’il est bon, notre Cat Zengler sur sa chro d’une réédition de Danny Logan et ses pénitents lui applique l’adjectif  magnifique. Le jukebox est en panne : une version bien supérieure à l’original de Castel et Casti parue en 1958, faut dire que la voix de Claude Piron et l’orchestre de Jany Guiraud sont bien au-dessus de nos deux amuseurs.

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    (Ducretet Thompson /460 V 429 / Septembre 1958)

    Une pochette en régression, par rapport à la première elle paraît assagie, Piron semble avoir été mis au coin. Fais le beau mec coco, et ferme-là. Seul le fond rouge attire la vue.

    Viens ! : toujours  Jany Guiraud, le jazz band semble beaucoup plus rock que la voix de Piron, sans anicroche elle n’accroche pas, chante trop bien mais trop souveraine, il chante sur l’orchestre mais pas avec, mais il y a le sax et le batteur qui s’en donnent à cœur joie, étrangement le morceau sonne plus rock que l’original des Kalin’Twins plus près du jazz. Très en avance sur les productions des early french sixties, l’est vrai que l’on n’en pas est pas loin. Le docteur miracle : adaptation de Witch Doctor de David Seville and the Chipmunks, le genre de morceau rigolo pour ne pas dire stupide à la Itsi Bikini, Piron s’y jette dessus goulument, sa version est aussi bonne que l’originale en plus on comprend les paroles, non ce n’est pas du Flaubert, mais l’on apprécie encore plus. Hé ! Youla : encore un truc à la mords-moi-le-nœud, cette fois Piron articule les paroles sur la musique, l’orchestre balance à fond, est-ce du rock, est-ce du cha-cha, on s’en fout, on s’amuse, on s’éclate. D’où reviens-tu Billy Boy : une belle adaptation d’un traditionnel, le Piron vous la balance rondement, ça roule et ça tourne-boule, décidément ce deuxième disque de Claude Piron est un petit miracle, certes l’on est loin des Chaussettes Noires et des Chats Sauvages, et trop près des pitreries de Boris Vian et d’Henri Salvador, toutefois en huit morceaux l’on peut s’apercevoir du chemin parcouru. 

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    (Ducretet Thompson /460 V 453 / Mars 1959)

    Quelle pochette ! Pantalon de cuir moulant en premier plan, suggestion : rock ‘n’roll Animal, l’on ne peut pas s’empêcher de penser à Vince Taylor. Autre changement, Jany Guiraud est remplacé par Claude Vasori beaucoup plus connu sous le nom de Caravelli (et son Orchestre). Une de ses créations sera reprise par Frank Sinatra.

    La chanson de Tom Pouce : une niaiserie, Piron prend sa plus petite voix, hélas on le reconnaît, aucune magie fantaisiste n’émane de ce qui voudrait imiter la loufoquerie des nursery’ rhymes, une scie inepte qui ne mord pas dans le bois tendre de l’enfance. Incroyable mais vrai, la mélodie est signée de Peggy Lee. Plus grand : je n’ai pas voulu sur le morceau précédent charger la barque en critiquant l’accompagnement de Caravelli, mais là avec cette lavasse de jazz de prisunic, l’on regrette amèrement Jany Guiraud et son orchestre. Pirock ? : vous voulez rire, Pirogue variété échouée sur une lagune dépourvue du moindre crocodile. Dans la vie : je me suis accroché pour écouter jusqu’au bout. Piron dialogue avec les chœurs, les zamzelles sont enjouées mais l’ensemble sonne vieux, la Caravelli passe, les chiens trépassent. Oui mais plus tard : mais que pourrais-je écrire sur cette bluette insipide ? Rien. Quel contraste avec le précédent avec le disque précédent !

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    (Ducretet Thompson /460 V 459 / 1959)

    Sur la pochette Claude Piron a une mèche qui essaie de ressembler à l’accroche-cœur de Bill Haley, je ne pense pas que ce soit voulu, juste un petit côté négligé pour plaire aux filles qu’il regarde en souriant les manches retroussées et les avant-bras poilus.

    Mon amour oublié : attention à la base c’est des Teddy Bears, groupe monté de toute pièces par Phil Spector, au sommet arasé Claude Piron remplace Annette Kleinbard et ce qui au départ n’est pas un des plus étincelants  bijoux spectoriens devient une mièvrerie insupportable. Préférez la version live de Johnny qui n’est pas une merveille inoubliable non plus. Rock et guitare : le problème c’est qu’il n’y a pas de guitare mais Caravelli et ses boys imitent un peu le Fever de Peggy Lee en intro, se la jouent big band, heureusement que sur la fin les musicos se la donnent un peu. Et même beaucoup. Sing,Sing Sing : Piron a enfin compris que la voix doit danser comme le torero devant le taureau de l’orchestre qui déboule sur lui pour le tuer. Pour une fois le Caravelli a la niaque et joue le jeu des banderilles jusqu’au bout. Le big band bande. Faut dire que c’est une reprise de Louis Prima. Cha-cha-choo-choo : Aïe ! Aïe ! Aïe ! Un mambo qui ment beaucoup, du typique qui ne pique pas. Z’ont oublié d’électrifier la ligne du petit train, quant à la locomotive Piron elle fait ce qu’elle peut pour tirer les wagonnets surchargés de paroles insipides. Dans la série je pose zérok et je ne retiens rien ce microsillon est au haut de la pile.

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    (Ducretet Thompson /460 V 468 / 1959)

    Claude Piron transformé en Rastignac, pose en vainqueur sur les toits de Paris une mise en scène qui manque au Père Goriot de Balzac.

    Carina : l’on s’en doutait malgré l’entrée Big Band l’on tombe vite dans une espanolade très à la mode dans les années cinquante, beau boulot de la section cuivres, un solo de trompette hélas jivaroïsé, des paroles que les féministes d’aujourd’hui pourraient revendiquer, la belle voix de Claude qui surfe sur l’orchestre comme l’écume sur le haut de la vague. Je voudrais retrouver son pardon : une adaptation de Neil Sedaka, Piron aux lyrics, le titre un peu cucu la praline, mais le morceau a de la gueule avec son magnifique solo de trompette digne d’un western, mais non c’est une espèce de gospel-slow improbable, Piron s’en tire comme un chef, fallait oser une prière à la Sainte Vierge. Au final un miracle et une trompette crépusculaire. (On retrouve de temps en temps un vieux fond chrétien dans les lyrics de notre chanteur). Le monde change : l’on ne réussit pas à tous les coups, une énième bluette sans envergure, traduite de l’espagnol, peut-être vérité au-delà des Pyrénées, une erreur de ce côté-ci. Les cheveux roux : se la joue crooner, ni l’orchestre ni Piron n’ont l’air convaincu par cette chevelure bien peu baudelairienne, tiens l’adaptation est de Vline et Buggy qui travailleront pas mal avec Dick Rivers. Vline disparaîtra en 1962. Désormais sa sœur signera : Vline Buggy. Longtemps j’ai cru à une seule personne jusqu’à la lecture d’un article dans la très regretté Jukebox Magazine.

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    (Ducretet Thompson /460 V 481 / Mai 1960)

    Dernier disque sous le nom de Claude Piron. Nous quitte sur une pochette rock, assis sous des micros, une cigarettes à la main. J’ai bien peur que si ce disque soit réédité à l’identique un jour, la fautive cibiche soit remplacée par une fleur ou un morceau de ficelle. Pensez à notre saine jeunesse !

    Marion : question paroles c’est un peu l’antithèse de Carina, l’orchestre tout doux, des chœurs qui jouent les papillons, une chanson tendre, un original français, certes mais Piron malgré son application ne la rend pas inoubliable. Oh Carol : ni Chuck Berry, ni Rolling Stone, mais Neil Sedaka, Claude s’en tire bien, joue à merveille le romantique fatigué par une fille qui se donne trop vite, thème un peu scabreux, à l’époque la sexualité c’est un pas en avant et deux en arrière. C’est mignon, mais l’amour n’est-il pas un plat tonique. Tilt : tilt and twist, dansons devant le jukebox, pour le flot de guitares vous vous contenterez d’un joli solo de trompette, entraînant. Mais à la fin le flipper fait tilt. Mon amour tu me blesses : encore un de ces slows mid-tempo dont apparemment l’on raffola dans les années soixante… Rien de bien original, Piron a participé à la composition, preuve qu’il n’était pas rétif à ce genre qui a pris un sacré coup de vieux.

             Au total, je suis déçu, je pense   que Ducretet et Thompson ont dû freiner de quatre fers le dynamisme de leur chanteur… Faudra le déclic Hallyday pour balayer les miasmes de la variétoche française. Un gros regret : si au moins il avait pu garder la formation de Jany Guiraud, Caravelli a tendance à arrondir les angles de ses arrangements.      

             Pourquoi  Danny Boy spécialement, longtemps j’ai cru que c’était pour faire américain, puis  ayant entendu Johnny Cash chanter sur son album Orang Special Blossom un morceau intitulé Danny Boy, par des dizaines et des dizaine d’artistes  j’ai fini par apprendre que c’est un air que chantait un joueur de violon aveugle en Irlande dans la rue de Limerick auprès duquel une certaine Jane Ross collecta les notes mais oublia de noter le nom du violoneux… La scène se passait en 1851… en 1912 dans le Colorado une certaine Margaret Weatherly l’entend jouer par des immigrants irlandais, elle note la mélodie et l’envoie en Angleterre à son frère Frederick, compositeur qui avait écrit déjà sur une autre de ses mélodies un texte intitulé Danny Boy, le motif est simple et complexe : Danny Boy quand tu reviendras viens réciter une prière sur ma tombe mais qui est mort au juste : Danny Boy ou la personne qui l’attend… Fred Weatherly mettra ses paroles sur l’air envoyé par sa sœur, publié en 1913 le morceau devient un succès mondial… L’air de Danny Boy est aussi connu sous le nom de Londonderry Air.

             Pourquoi change-t-il de nom ? Est-ce la volonté de sa nouvelle maison de disques Ricordi, sise en  Italie, à l’origine il s’agit d’une maison d’édition dont le fils de l’éditeur deviendra compositeur de musique, la maison éditera des partitions, en 1959 le monde culturel bouge, Ricordi fonde Dishi Ricordi en 1959, ils ont senti le vent, leur premier catalogue sonore. Aujourd’hui il me semble que la maison est retournée à ses premières amours : musique classique.

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    A trente-trois ans, Danny Boy jettera l’éponge et reprendra son boulot de poissonnier. Vous avez sur You Tube une vidéo très courte : Interview de Danny Boy, pionnier du rock en France, redevenu poissonnier qui fait mal au cœur, Danny Claude débite ses poissons, il sourit, il reconnaît que la reconversion a été dure, une femme deux enfants, la vraie vie affirmeront certains, je crains qu’il ne soit pas d’accord avec eux.

    Danny reviendra en 2004. Sur la vidéo : Danny Boy ‘’ Au Revoir les Amis’’ de Claude Routhiau le voici sur scène en 2007 à l’Olympia, l’on assiste aux coulisses, aux répètes, à des extraits du film  De la difficulté d’être infidèle, il interprète deux morceaux : C’est tout comme et Danny Boy, l’a les cheveux blancs et un peu grossi, n’a plus la pétulance de sa jeunesse mais il se débrouille bien. Le genre de truc qui ne vous rajeunit pas.

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    Pour les nostalgiques regardez : Hommage à Danny Boy au Cirque Pinder. En 1962 Danny Boy et ses Pénitents donnent plus de trois cents représentations avec le Cirque Pinder, rock et cirque deux arts consanguins. Le 4 décembre 2009 il revient chanter, accompagné par le groupe Guitar' Express en hommage à Roger Lanzac, créateur de l’émission tél& La piste aux étoiles. Du beau monde, Moustique, Vic Laurens, Hector, Joe Zitoune…

    Danny Boy né en 1936, un an après Presley, disparaît au mois d’août 2020, l’aura vécu puis perdu son rêve pour finir par le rattraper, ce qui n’est pas donné à tout le monde.

    Damie Chad.

     

     

    THUMOS / COMMUNIQUE

    ( Fond noir : communiqué de Thumos / Fond bleu notre commentaire)

    Thumos est un groupe de metal instrumental et même d’instrumetal. Nous venons de forger ce mot qui nous semble méritoire. Ce n’est pas un jeu de mot valise pour rappeler bêtement que Thumos est un groupe de metal instrumental, étymologiquement parlant il se doit d’être divisé en trois fractions : instru / meta / l. L’élément ‘’ meta’’ est à prendre comme l’élément grec ‘’meta’’ qui signifie ‘’après’’ et qui a servi à forger le mot grec metaphysis, métaphysique en français, inventé pour désigner l’ensemble des écrits d’Aristote qui traitaient de sujets relatifs à la physique mais qui portaient davantage sur des notions idéelles que sur la concrétude des règnes minéral, botanique, animal… Paul Valéry définissait la poésie comme l’alliance du son (musicalité des mots) et du sens.  Thumos ne s’exprime que par le son. Mais qu’y a-t-il après le son ? Normalement devrait sourdre du sens. Comment ? De quelle manière peut-on l’appréhender ? Certes un son violent peut signifier la colère ou la tempête, et un son tout doux la tendresse, le calme et la tranquillité, mais jugez de la difficulté des compositeurs lorsqu’ une œuvre essentiellement instrumentale se présente comme une évocation d’un dialogue de Platon…

    Nous avons parfois des faux départs en adaptant ces dialogues platoniciens en musique instrumentale. Nous avons toujours su que l’Atlantide serait délicate, car parmi tout ce dont Platon parlait, c’est la seule histoire que tout le monde connaît depuis des millénaires. Il a été adapté d’innombrables fois sur différents supports et même s’il est largement accepté comme étant entièrement inventé, cela n’a jamais empêché les gens de le rechercher pendant des milliers d’années.

    Il est une difficulté particulière, souligne Thumos, lorsque l’on décide d’adapter en musique certains dialogues de Platon, tout le monde a entendu parler de l’Atlantise, cette île mirifique, sur laquelle chacun a comme Platon sa petite idée sur le sujet…  Thumos se propose ainsi d’indiquer quelques nouvelles pistes de réflexions et d’écoutes de certains de ses disques.

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    Notre EP 2023 « Musica Universalis » n’est pas seulement basé sur Johannes Kepler mais aussi une version alternative du dialogue Timaeus. Timée aborde de nombreuses idées scientifiques que Kepler développera plus tard dans certaines de ses œuvres les plus connues telles que Mysterium Cosmographicum, Astronomia Nova et Harmonices Mundi. Et bien sûr, le titre bonus Anima Mundi est l'âme du monde dont Platon parlait dans le Timée.

    Nous avons évoqué dans notre livraison 611 du 14 / 09 / 2023 Musica Universalis, cette notion de version alternative du Timée nous agrée. C’est un des dialogues les plus difficiles, la réputation n’est pas usurpée, de Platon. Si la rencontre Kepler-Platon était un match de foot, nous ne saurions les départager quant à leur niveau de difficulté, autant de buts pour les deux camps et balle au centre. Si Kepler procède de Platon, notre philosophe procède de Pythagore et celui-ci des nombres. Eclaircissons notre abrupte formule : pour l’inspirateur de Platon toute chose procède d’un nombre, disons qu’une chose donnée n’est que la manifestation d’un nombre. Platon nous dira que toute chose est la manifestation d’une idée. Une idée n’étant qu’une forme la tentation est grande de rechercher dans les choses essentielles et élémentales, non pas le nombre dont elles sont l’expression, non pas l’idée (que seule l’âme humaine peut contempler après la mort du corps dans lequel elle était enfermée) mais la forme géométrique que l’esprit peut appréhender mentalement, dessiner et même construire, par exemple avec du bois pour la représenter. Ainsi dans les petites classes l’on vous apprend à construire à l’aide d’une feuille et un tube de colle un cube. Maintenant amusez-vous à construire un isocaèdre qui possède vingt faces, vous vous rendrez compte que les douze sommets de votre isocaèdre touchent à la paroi de la sphère dans lequel vous l’enfermerez. Or Kepler a travaillé sur les planètes sphériques qui tournent autour du soleil à des vitesses différentes. Son travail a consisté à vous expliquer mathématiquement pourquoi… Vous vous dites que tout cela est plutôt complexe et que vous n’arriverez jamais à comprendre la logique de ces démarches. Platon vous rassure, il existe de par le monde une espèce de réseau intelligible qui englobe toute chose qu’il appelle l’âme du monde. Si votre esprit parvient à appréhender un des ‘’ filaments subtils’’ de ce réseau vous n’avez plus qu’à suivre… Il ne vous reste plus qu’à lire le Timée.

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    Notre EP 2021 « Nothing Further Beyond » est une description ancienne de ce que l’on croyait se trouver au-delà du détroit de Gibraltar, alias les piliers d’Hercule. Seulement de l'eau. Cependant, il a également été décrit comme étant l'emplacement général de l'Atlantide. Le titre Nothing Further Beyond ainsi que les deux premiers titres The Ecumene (le monde habitable connu) et The Pillars sont tous des clins d'œil à l'Atlantide. Dans l’ensemble, c’était une première version du dialogue Critias.

    Nous avons pour notre part chroniqué Nothing Further Beyond, ainsi que tous les enregistrements précédents de Thumos et ceux opérés sous le nom de Mono No Aware dans notre livraison 542 du 17 / 02 / 2022. Nous avions bien sûr noté la référence à Atlantis, mais n’avions pas compris explicitement compris qu’il s’agissait d’une première tentative de transcription du Critias. Il s’agit évidemment d’une réflexion sur les limites du monde telles que pouvaient les appréhender un grec du cinquième siècle. Cette notion de limite a obsédé l’antiquité, n’oublions pas la notion de limes consubstantielle à l’étendue de l’Imperium Romanum. Mais je voudrais attirer l’attention sur un auteur espagnol Javier Negrete, il a d’ailleurs écrit (comme par hasard) un roman non traduit en français Atlantida, mais je vous recommande s deux autres de ses livres consacrés au personnage d’Alexandre le Grand, question de repoussage des limites l’élève d’Aristote  fut un spécialiste.  Le premier roman Alexandre et les aigles de Rome ne nous intéresse guère pour notre sujet, quoique si on y pense… par contre le deuxième Le Mythe d’Er, rappelons que la République de Platon se termine sur l’exposition et le développement de ce mythe, est à lire en relation avec ce dialogue et notamment le dernier morceau de Nothing Further Beyond intitulé The Great Best. Le mythe d’Er traite du dernier voyage d’Alexandre Le Grand. Ces deux romans sont publiés aux éditions de L’Atalante. Avec ce dernier mot nous touchons à un autre mythe aussi fascinant que la Cité d’Atlantis, celui de l’Arcadie…

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    Le morceau intitulé He Spake Thus de « Tyrants at the Forum » de 2023 est une citation de la fin de Critias. Cela aurait conduit soit à la conclusion de Critias, soit éventuellement à l'hypothétique dialogue d'Hermocrate.

    Nous avons chroniqué Tyrants at the Forum dans notre livraison 611 du 14 / 09 / 2023. Le thème est beaucoup plus facile à comprendre. De la géométrie dans l’espace nous déclinons sur le plan politique. Atlantis est-elle tombée à cause par la faute de ses dirigeants…Pour Platon une Cité ne peut s’écrouler que par l’impéritie de ses élites. Ou la volonté des Dieux, mais ceci est une autre affaire. Il est nécessaire de comprendre que lorsque Platon cherche à définir les lois d’une République idéale, il pense avant tout à Athènes. Chacun balaie devant sa porte, Thumos n’évoque la fin d’Atlantis ou d’Athènes, mais ne parle que de leur pays souvent défini comme  la plus grande démocratie du monde. Selon Thumos, les Etats Unis sont de plus moins en moins démocratiques et de plus en plus mal dirigés…

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    Pour aller plus loin en 2022, lorsque nous avons discuté pour la première fois avec notre ami spaceseer d’une collaboration, l’idée initiale était de couvrir l’histoire de l’Atlantide. À un moment donné, l'idée s'est transformée en The Course of Empire et a pris une direction légèrement différente, mais l'expérience globale de cet album collaboratif est toujours essentiellement la même histoire que celle d'Atlantis. L'ascension et la chute d'une puissance mondiale.

    Nous avons chroniqué The Course Of Empire dans notre livraison 563 du 25 / 08 / 2022. Peut-être certains de nos lecteurs sont-ils d’irrémédiables optimistes, les USA traversent une mauvaise période mais cette crise passagère s’arrêtera et tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes pensent-ils. Thumos ne partage pas cet optimisme indécrottable. Sont au contraire d’un pessimisme absolu. Les USA ne sont pas entrés en une simple récession, la situation est beaucoup plus grave, le pays aborde la pente d’un déclin civilisationnel, si vous n’y croyez pas remémorez-vous la fin de l’Imperium Romanum...

    Voyez où peut conduire la lecture de Platon, ne versez pas des larmes de crocodile sur la grande Amérique, pensez plutôt au destin de la petite Europe…

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

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    Le cortège s’ébranle doucement. Plus de deux cents micros et caméras de télévision sont tendus vers Géraldine Loup, j’avoue que j’ignore tout d’elle, dans la bousculade je parviens à saisir la question d’un journaliste :

             _ Géraldine, vous avez tourné dix-huit films et tous les dix-huit ont été au numéro 1 au Box-Office, pour le suivant vous comptez faire mieux ?

             _ Oui bien sûr, je pense que le prochain se classera tout devant, en position Zéro !

    Elle n’a pas l’air bête la manzelle, une fûtée, j’aimerais bien la voir de près, les photos des magazines sont souvent menteuses, elles vous transforment un laideron en princesse. Je me suis déjà rapproché un maximum, je suis dans le deuxième cercle, mais un double rempart de gardes du corps reste infranchissable. Dans ma poche, j’ai la main sur mon Rafalos, j’ai calculé que si j’en abattais quatre, j’aurais assez de place pour me glisser auprès d’elle. Oui je sais c’est risqué, et aléatoire car une fois tout près d’elle me regardera-t-elle seulement. J’entends les lecteurs qui crient : ‘’  N’y va pas Damie, reste avec nous, n’oublie pas que la mort marche à tes côtés !’’ . L’est sympathique le lectorat mais si je n’y vais pas il sera le premier déçu si je ne parviens pas à accomplir le plan Z ! J’essaie de garder la tête froide et de supputer mon taux de réussite, je finis par conclure : même avec une seule chance sur mille il faut le tenter.

    Ne me traitez ni de tête brûlée si je fonce, ni de poule mouillée si je n’ose pas. les cabotos décident de trancher dans le vif de ce dilemme cornélien, Molossa appuie deux fois sur mon mollet. Je comprends qu’ils vont passer à l’action, je défais leur laisse je n’ai pas longtemps à attendre. Molossa plante sauvagement dans le bas de la jambe de la première armoire à glace. Fait Aïe ! Aïe ! AïE ! tout le monde s’en fout car bien plus aigüe, et plus forte qu’une sirène d’usine la voix plaintive de Molossito perce le tumulte : Tchik ! Tchik ! Tchik ! l’a dû être acteur de cinéma dans une autre vie, il s’est lestement faufilé entre les pieds d’un barbouze et traîne la patte comme si le gars lui avait écrasé les coussinets. Il couine, il pleure, des voix s’élèvent :

             _ La pauvre bête ! Blessée par cette grosse brute ! Il l’a fait exprès !

    Le groupe scandalisé a cessé d’avancer, Géraldine Loup tend la main, la foule devient muette comme un banc de carpes dans le grand bassin du parc du Château de Fontainebleau, pas très loin de la Cour des Adieux :

             _ Un petit loup estropié ! c’est terrible mettez le pays en alerte rouge ! mais où est le propriétaire !

    Lorsque je me présente Molossito a déjà posé sa tête sur le décolleté de l’actrice. Eblouissante, mille fois plus que sur la couve du magazine Elle, je le reconnais : avec Molossito ou pas, cette fille a du chien ! Molossa s’accroche à la robe de Géraldine en geignant.

             _ La pauvre maman qui avait perdu son fils, ah c’est instinct maternel ! Ils sont adorables !

    J’en profite pour m’immiscer dans la conversation :

             _ J’avoue qu’ils sont gentils, un peu imprudents aussi, ils voulaient à tout prix vous voir, ils vous aiment tant, normal vous êtes si intelligente et si humaine, quand je pense que vous perdez du temps avec ces deux ostrogoths !

             _ C’est rigolo le surnom que vous employez !

    La glace est rompue, nous discutons à tout vat, sans faire attention au remue-ménage autour de nous…

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    Bavardant sans cesse nous arrivons toujours à pied, devant le Ritz, nous partîmes cinq-cents et maintenant par des renforts successifs nous sommes bien cinq mille. D’un geste de la main, une nouvelle fois Géraldine obtient le silence la foule :

             _ Je tiens à remercier le peuple de Paris qui m’a si gentiment reçu. Je vais vous quitter, hélas, je suis un peu fatiguée je vous l’avoue, des deux mains elle envoie des bisous, tenez Monsieur je vous rends votre trésor !

    Elle n’a même pas le temps de décoller de son décolleté Molossito qu’il se met à pousser des cris de détresse à fendre une porte de prison.

             _ Je crois qu’il a soif, venez avec moi Monsieur nous allons lui donner à boire, le pauvre petit !

    Pour la remercier Molossito lui lèche le haut du sein. Je trouve qu’il exagère !

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    Je peux en témoigner Géraldine Loup aime les animaux. Les chiens ont bu dans deux coupes de cristal, mais elle a décidé qu’ils avaient faim, depuis l’interphone de sa suite elle a demandé qu’on leur porte deux énormes cuissots de biche. Les canidés les ont dévorés jusqu’à l’os qu’ils n’ont même pas la force de croquer. S’endorment tous les deux les quatre pattes en l’air, sur la moquette aussi épaisse que l’herbe bleue du Kentucky.

             _ Vous ne pouvez pas partir maintenant, ils seraient malheureux si par hasard vous n’étiez pas là demain matin à leur réveil. Je vous invite dans ma chambre. Savez-vous Damie que vous êtes le premier homme qui m’ait dit que j’étais intelligente, et puis dès que je vous ai vu, votre costume, votre coiffure, vos rolex, j’ai compris que vous étiez celui que je cherchais depuis toujours.

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    J’acquiesce, mais au fond de moi j’hésite je dois être près du Z du plan Z et la mort marche à mes côtés. Un sophisme rassurant balaie mes appréhensions, tant que nous serons couchés elle ne pourra pas marcher à mes côtés. J’aviserai demain matin.

    Géraldine fut délicieuse, une véritable louve. Pour ma part j’ai tâché d’être à la hauteur, sans forfanterie je puis dire qu’elle a apprécié mon pénis elbow, de ma Durandal j’ai fendu à plusieurs reprises, neuf fois comme Victor Hugo le soir de ses noces, le rocher friable de son sexe.

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    A peine avions-nous franchi le seuil du Ritz une meute de journalistes se jeta sur nous, une triple haie de gardes du corps dut s’interposer. En passant devant un kiosque à journaux je fus stupéfait toutes les unes affichaient en gros notre photo surmontée de gros titres style : GERALDINE TROUVE L’AMOUR A PARIS…

    Molossito lui avait retrouvé sa place sur le sein de Géraldine… Je ne savais pas au juste où nous allions mais cela m’importait peu. Premièrement j’étais aux côtés de Géraldine ce qui ne me gênait pas, mais de l’autre côté la mort marchait à mes côtés. Le nez de Molossa ne quittait plus mon jarret.  Je n’étais peut-être pas à le lettre Z, mais certainement au Y. Des passants criaient bonjour, sortaient leur portable pour immortaliser l’instant. Il y avait un truc qui me turlupinait, je cherchai dans ma tête, mais je ne trouvais rien. Si un détail. Les gardes du corps avaient changé. Nous entouraient de près, ne nous laissaient pas d’espace, une équipe de bras cassés qui manque d’entregent et d’habitude.

    70

    La voix de Géraldine me tira de mes réflexions :

             _ Damie, tu as senti cette odeur bizarre, c’est quoi ?

    Je sursautai :

             _ Rien, rien, tu sais les poubelles à Paris… Ce n’est rien, ne t’inquiète pas !

    Molossito avait relevé sa tête. Il avait reconnu le délicat fumet du Coronado. Molossa grogna. Vite mon Rafalos ! Je glissai la main dans ma poche, il n’y était plus. Un des gardes du corps se rapprocha et me glissa à l’oreille :

             _ Ne le cherchez pas, c’est moi qui l’ai !

    Ce furent ces dernières paroles, une balle du Chef lui explosa la tête, Molossa récupéra le Rafalos dans la poche de son cadavre qui était tombé à terre, je me plaçais en protection devant Géraldine, le Chef était juste derrière elle. La fusillade ne dura pas plus de trois minutes. Journalistes et fans de Géraldine disparurent, la vingtaine de gardes du corps qui avaient sorti leur pétoire n’étaient pas des as, des demi-sel résuma plus tard le Chef alors qu’il comptait la vingtaine de morts entassés sur la chaussée. Nous n’étions plus que trois, Géraldine pleurait nerveusement entre mes bras.

             _ Chef, je crois bien que nous sommes arrivés au bout du plan Z !

             _ Agent Chad arrêtez de dire n’importe quoi !

             _ Enfin Chef, nous avons gagné !

             _ Agent Chad je vous ai prévenu que la mort marchait à vos côtés, or je ne la vois pas, cette histoire est loin d’être terminée !

    A suivre…

            

  • CHRONIQUES DE POURPRE 636: KR'TNT 636 : DICTATORS / WEIRD OMEN / BOB DYLAN / DAVE ANTRELL / JIM WILSON / RAWDOG / AVATAR / THUMOS / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 636

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    14 / 03 / 2024

     

    DICTATORS / WEIRD OMEN / BOB DYLAN

    DAVE ANTRELL / JIM WILSON

    RAWDOG / AVATAR / THUMOS  

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 636

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

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    Sous le joug des Dictators

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             C’est dans l’orbituary d’Uncut, en février dernier, qu’on est tombé sur quatre lignes annonçant la disparition de Scott Kempner. Qui ça ? Balancé comme ça, au débotté, c’est un nom qui ne parlera pas à tout le monde. Sauf aux fans des Dictators. Si tu retournes la pochette de Go Girl Crazy, tu verras Scott Top Ten Kempner allongé à poil sur son lit, même chose pour Stu Boy King. Par contre, Andy Shernoff et Ross The Boss FUNicello sont habillés. On parle toujours du premier album des Ramones, mais on oublie chaque fois de citer le Go Girl Crazy des Dictators paru un an avant, un album qui est le véritable précurseur de la scène punk new-yorkaise. «The Next Big Thing» est le premier hymne punk new-yorkais. Nous allons donc rendre hommage à ce groupe extraordinaire et à Scott Kempner. Pour info, Ross The Boss et Andy Shernoff continuent de tourner et d’enregistrer avec les Dictators, enfin, ce qu’il en reste, cinquante ans après.

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             Pas compliqué : les Dictators sont arrivés au bon moment. En 1972, les Beatles avaient jeté l’éponge et les Stones venaient d’enregistrer «Exile», leur dernier grand album. Les Who et les Kinks allaient entamer une sorte de déclin, mais aux États-Unis, ça bardait avec les Flamin’ Groovies, les Stooges et le MC5. Les Dictators s’inscrivirent dans cette mouvance. Andy Shernoff commença par publier un fanzine, Teenage Wasteland Gazzet, puis comme beaucoup de kids de sa génération, il se mit à la recherche d’autres kids pour monter un groupe. C’est aussi bête que ça. Des millions de kids ont tenté leur chance dans les années 60 et 70. Si Andy est aujourd’hui auréolé de légende, c’est tout simplement parce qu’il savait écrire des chansons et qu’il avait su dénicher les bons partenaires. Cette histoire ne vous rappelle rien ? John Lydon avait lui aussi déniché LE bon guitariste et LE bon batteur. En prime, il savait lui aussi écrire des chansons. On appelle ça l’alchimie d’un groupe. Ça tient souvent à très peu de choses.

             Comme les Pistols un peu plus tard, les Dictators eurent à affronter le mépris et parfois la haine d’un public qui ne comprenait par leur démarche. Ross The Boss s’en foutait et il jouait. À sa façon, il jouait les traits d’union entre la culture rock classique américaine et la modernité des Dictators. Andy Shernoff se réclamait à la fois du MC5 et de Brian Wilson, un modèle que reprendront aussi les Ramones. 

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             C’est aussi Ross qui trouva, pour un loyer de 200 $, la fameuse maison isolée de Kerhonkson où s’installa le groupe. Il n’y avait rien ni personne à dix kilomètres à la ronde. Comme ils n’avaient pas un rond, les Dictators allaient voler leur bouffe dans un super-marché. Richard Blum qui était un pote à eux travaillait à la Poste. Il venait le week-end faire la cuisine pour ses copains. Richard qui était un personnage haut en couleurs inspirait énormément Andy.  Jusqu’au jour où Richard devint Handsome Dick Manitoba, un nom inventé par Andy dans «Tits To You» - Manitoba était le surnom d’un détective dur à cuire, Handsome venait de Handsome Jimmy Valiant et Dick de Richard.

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             Et puis un jour leur copain Richard Meltzer ramena le fameux Sandy Pearlman à Kerhonkson pour lui faire écouter le groupe. Wow ! Sandy Pearlman qui était déjà le manager de Blue Oyster Cult allait par la suite devenir celui des Dictators.

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             Toute la genèse des Dictators est racontée par Scott Kempner à l’intérieur de la pochette d’Everyday Is Saturday, un double album rétrospectif édité par Norton en 2007. Comme toujours chez Norton, ce disk est incroyablement bien documenté. En effet, Scott Kempner - qui se faisait appeler Top Ten sur la pochette de leur premier album - y raconte dans le détail l’histoire du groupe. Il explique que Richard Blum était le living breathing manisfesto des chansons d’Andy Shernoff - There is only one Richard Blum - On retrouve sur Everyday Is Saturday tous ces hits qui vont faire la grandeur des Dictators, «Weekend» (avec son riff pompé chez Buddy Holly), «Master Race Rock» (jolie partie de campagne bien tartinée du foie et cornichonnée aux gimmicks), «California Sun» (qui date de 1973), «What It Is», «Stay With Me» (hit parfait poursuivi par un riff dévastateur) et un «I Just Want To Have Something To Do» très proche des Ramones. 

             Kempner rappelle aussi que pour leur premier concert, les Dictators jouèrent en première partie des Stooges et de Blue Oyster Cult dans un collège du Maryland, devant 7000 personnes.

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             Quand Go Girl Crazy est arrivé en France en 1975, on a fait chapeau bas. Car quel album ! «The Next Big Thing» qui fait l’ouverture est l’un des grands hits intemporels de l’histoire du rock - I used to shiver in the wings/ But then I was young/ I used to shiver in the wings/ Until I found my own tongue - Disons qu’on a chanté ça autant de fois que le maybe call mum on the telephone des Stooges ou l’And that man that comes on the radio with nothing to say des Stones, ou encore l’I’m a tip-top daddy and I’m gonna have my way de Charlie Feathers, ou encore l’I’m taking myself to the dirty part of town/Where all my troubles/ Can’t/ Be/ Found des Mary Chain. Oui, toutes ces flasheries mémorielles zèbrent la nuit des temps et ça court-jute dans la fricassée. Mais attention, sur la B de Go Girl Crazy, quatre énormes hits guettent le chercheur de truffes. Et pas des moindres. Les Dictators jouent «California Sun» à l’écho des duelling guitars - And I boogaloo - Et on assiste à une merveilleuse montée en puissance sur fond de beat tribal - When I’m having fun in the California sun - S’ensuit un «Two Tub Man» bien senti. Handsome Dick Manitoba fait une intro spectaculaire - The thunder of Manitoba ! - Si on cherche le punk new-yorkais, c’est là et surtout pas chez les Dead Boys. Autre bombe : «Weekend», pièce d’ultra-power pop noyée de guitares et bardée d’apothéoses de chœurs de la la la élégiaques. Ils bouclent ce disque mémorable avec le fameux «(I Live For) Cars And Girls» bien glammy dans l’esprit et trempé d’envolées dignes des Beach Boys. Les compos d’Andy Shernoff sont déjà classiques et supérieures à la fois.

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             Deux ans plus tard paraît Manifest Destiny, un album mal vu car en 1977 tout le monde veut du punk, et les Dictators font autre chose que du punk, comme d’ailleurs Television, Blondie et tous les autres. «Heartache» est une vraie pépite de power pop. Andy Shernoff a même pensé à rapatrier les pah pah pah des Who. Encore une fantastique tranche de pop palpitante à la Shernoff avec «Sleepin’ With The TV On». Ce mec a véritablement un don, il sait ficeler les beaux hits underground. Le «Disease» qui suit sonne comme un opéra des Kinks, avec un vieux parfum glammy. Ross The Boss ramène la dimension épique et prend un vieux solo à la Ritchie Blackmore. Alors le rythme s’emballe pour le meilleur et pour le pire. Mais il est bien certain que le public ne pouvait pas leur pardonner une telle incartade. Quoi ? Des Américains qui se prennent pour un groupe anglais des seventies ? On trouve en B une autre trace de cette tendance. En effet, «Stepping Out» sonne comme l’un des cuts du premier album de Sabbath. Les Dictators ont une légère tendance à flirter avec le heavy-prog anglais des Contes de Canterbury, avec des guitares qui jaillissent du fond du lac. Pour Ross, c’est du gâteau, il prend de beaux solos de prog en quinconce à la Buchanan de l’Essex et même du Middlesex. Il était évident que cet album n’allait pas plaire. Et pourtant, Ross the Boss jette tout son poids dans la balance. On le sent âpre au gain dans «Young Fast Fantastic» et ils finissent cet album troublant avec une reprise bien sentie de «Search And Destroy». On retrouve le son des Dictators, la turbo-machine du rock new-yorkais. C’est du pur jus de glu de détroitisation forestière. Les Dictators ont tout : les bras, les jambes et les cervelles en feu. Ross balaye le vieux standard d’Iggy au lance-flammes. Il est dix mille plus violent que Williamson.

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             L’un des plus gros hits des Dictators se niche sur Bloodbrothers, paru un an plus tard. Personne ne peut résister à l’appel de «Baby Let’s Twist». Pourquoi ? Parce que monté sur des accords de Next Big Thing, et la fantastique allure reste leur mesure. Les Dictators disposent d’une faculté assez rare : celle de savoir exploser au grand jour. Le grand art d’Andy Shernoff est de savoir composer des hits qui hittent le top. Même chose pour «The Minnesota Strip» embarqué au heavy gimmick funicellique d’ambiance universelle. Ross The Boss sait créer l’événement, il tape dans la violence de la pertinence, et c’est poundé à l’heavyness impénitente. On a encore un hit avec «Stay With Me», valeureuse envolée de pop rock typique des années de braise new-yorkaise. L’«I Stand Tall» qui ouvre le bal de la B des cochons somme glammy. Andy Shernoff nous le stompe à l’élégie de Pompée le pompeux. Ils bouclent l’album avec une fantastique reprise des Groovies, «Slow Death». Nos amis dictatoriaux savent groover un vieux classique incantatoire.

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             Il faudra attendre vingt ans avant de pouvoir se remettre un disque des Dictators sous la dent. Quand D.F.F.D parut en 2001, tout le monde croyait le groupe disparu. Eh non, la charogne bougeait encore. Et quelle charogne ! Cet album grouille de hits, à commencer par le fabuleux «Who Will Save Rock’n’Roll» - My generation is not on starvation - Voilà encore un hymne dictatorial d’envergure planétaire, n’ayons pas peur des grands mots. Même chose avec «What’s Up With That». En voilà encore un qui sonne comme un hit d’entrée de jeu. C’est joué au maximum des possibilités, avec ce mélange très spécial de pop et de sur-puissance qui n’appartient qu’aux Dictators. «It’s Alright» est aussi un cut visité par le requin Ross. Il sait entrer dans le lagon. Ross the Boss est l’un des plus grands guitaristes de l’histoire du rock américain, qu’on se le dise ! On retrouve en B un nouveau clin d’œil aux Anglais avec «Avenue A», car on y entend des petits chœurs à la Clash - oh-oooh-ooh - au coin de la rue. Pour Ross le démon, c’est du gâteau. Ils tapent ensuite dans le gaga sauvage avec «The Savage Beat», mais ils rajoutent une pointe de pop dans le refrain. Merveilleuse surprise que ce «Jim Gordon Blues» joué aux gros arpèges psychédéliques. Encore un coup de génie signé Andy Shernoff et Ross the Boss. On est bien obligé de parler ici de génie car tout est incroyablement mélodique. On a le gras de la guitare, l’élégance de la prestance, la persistance de la préséance et l’omniscience de l’évidence. 

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             Ce n’est pas compliqué : tout est bon sur Viva Dictators paru en 2005. On ne trouve malheureusement que des hits sur cet album. Les Dictators jouent live à New York City et ça fait quelques étincelles. Handsome Dick Manitoba essaye de chanter comme Johnny Rotten sur «New York New York», alors on rigole. C’est avec «Avenue A» qu’on voit à quel point les Dictators veulent sonner comme des punks anglais. Andy Shernoff embarque ça au gros drive de basse et les chœurs rappellent ceux des pauvres Clash. Heureusement, ils enchaînent avec «Baby Let’s Twist» claqué à l’accord d’intronisation. C’est digne du Really Got Me des Kinks, on a le même tarpouinage définitif, des accords qui te clouent la papillon à la lune ou le cœur du vampire au solstice d’été, baby let’s twist, c’est monstrueux de génie pop. Merci Andy ! Ce cut ronfle comme le moteur de la BMW que Tav conduit dans Uriana Descending ! Vroaaarrrrhhhh ! Même chose avec «Weekend». Ce cut est beaucoup trop puissant pour être honnête. Andy Shernoff signe encore ici un hit planétaire. Ross tape ça aux accords acidulés. C’est puissant comme la Rover de Roberte et ça claque comme l’étendard zoulou planté au sommet du Kilimandjaro. On tombe plus loin sur l’inénarrable «Next Big Thing», le hit ultime par excellence. Ross nous roule ça sous l’aisselle du chord, et Manitoba le bouffe tout cru, argfffhh ! Ça monte, ça monte et ça coule sur les doigts. Pareil pour ce beau «Minnesota Strip» amené par des riffs de messie, mais si. Quelle énergie ! Typical Shernoff ! Ils enfilent les hits comme des perles, puisque voici «Who Will Save Rock’n’roll», chanté au débrayage maximaliste. Ross fout le feu à la plaine entière. C’est encore la preuve de l’existence d’un dieu des dictateurs. Croyez-le bien, c’est un hit flamboyant, digne de toutes les grands heures du rock anglais. Puis ils nous claquent «What’s Up With That» à l’accord souverain - Eh oh oh oh ! - Ils savent taper dans les meilleurs power-chords de propulsion nucléaire. C’est la power-pop dont on rêve chaque jour que Dieu fait. Ross n’en finit plus de claquer ses beignets. «I Am Right» est un pur cut de batteur, c’est le royaume au grand Patterson, et Stay» tape au très haut niveau composital. C’est pris à la gorge du punk, mais c’est aussitôt étoilé par du gimmickage de power-pop. Alors bien sûr, Ross le génie explose au firmament des guitar gods. Ils finissent ce disque ahurissant avec deux vieux coucous tirés du premier album, «Two Tub Man», stomper des enfers de train fantôme, et «I Live For Cars And Girls», chanté au glammy gloom par Andy the beast. Ouhhh-ouuh-ouuh ! On se croirait chez les Beach Boys. C’est vraiment le meilleur compliment qu’on puisse leur adresser.

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             En 1981 est sorti sur ROIR un album live des Dictators élégamment intitulé Fuck ‘Em If They Can’t Take A Joke. On y retrouve les gros classiques comme «The Next Big Thing», «Weekend» et «Minnesota Strip», mais ce sont les deux belles reprises du Vevet et des Stooges qui font le charme de cet album. Ils tapent une fantastique reprise de «What Goes On». Andy chante et Ross se fend d’un solo somptueux. Dans «Search And Destroy», Ross n’a absolument aucun mal à faire son Williamson. D’autant qu’il est soutenu par une belle rythmique pulsative. Wow, quelle reprise ! Pas de meilleur hommage à Iggy & the Stooges.

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             Scott Kempner a enregistré deux albums solo. Le premier, Tenement Angel, date de 1992. Il a une tête de collégien sur la pochette. Il attaque au deep boogie rock de New York City avec «You Move Me», c’est excellent et on lui donne immédiatement l’absolution. Il enchaîne avec un «Bad Intent» du même acabit, mais en même temps, pas de surprise. Le Scott ne tient que grâce à sa réputation de Dictator. Et voilà le big bad rock d’«ICU» gratté à la cocote malade, au dirty groove urbain, ICU pour I See You. Ça accroche terriblement. Mais on sent qu’il s’épuise au fil des cuts, il ne parvient pas à maintenir l’attention de son auditoire, et il faut attendre «Lonesome Train» pour retrouver le grand Scott. Il coule un Bronx, et passe un solo lumineux comme pas deux. Puis il va continuer son petit bonhomme de chemin avec «Precious Thing» le bien senti et un «Livin’ With Her Livin’ With Me» très bon enfant, presque Moon-Martinesque. Rien de plus que ce que tu sais déjà. Il fait parfois son Springsteen («Do You Believe Me») et c’est pas terrible. Disons que c’est le mauvais côté du New York City Sound. On préfète - et de loin - le côté Dolls et Velvet. Son «(Just Like) Romeo & Juliet»  sonne comme du Southside Johnny, bien cuivré de frais. C’est très convenu, très bien foutu, si étrangement prévisible et si terriblement NYC. Il termine avec «I Wanna Be Yours», du classic stuff cousu de fil blanc. On perd le Dictator. C’est atroce. On se croirait à une fête de mariage.  

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             En 2008, il sortait Saving Grace, un album très new-yorkais, chargé de gros balladifs dictatoriaux et de power pop à propulsion nucléaire («Baby’s Room»). Le hit de l’album pourrait bien être «The Secret Everybody Knows», plutôt bien bombardé du beat, on sent le vieux Dictator chez Scott, il sait pondre un heavy rock superbement balancé, envenimé par un wild solo trash. C’est encore le solo qui enlumine «Blame Me», un balladif sauvage entrepris par un solo au long cours d’une belle intégrité de gras double. Le Scott est un merveilleux artiste. Il se croit au Brill avec «Love Out Of Time», il en a les épaules. «Stolen Kisses» est plus rocky road, avec une grosse intro en disto, le Scott y va, son claqué d’accords est typiquement new-yorkais. Retour au Brill avec «Heartbeat Of Time» assez puissant et romantique. Puis il passe au heavy Brill à la Dion avec «Here Come My Love», limite grosse compo. Le Scott a du répondant. S’ensuit la belle power pop bien propre sur elle de «Between A Memory & A Dream» et ses clairons de belles grattes dans l’écho urbain. Il boucle tout ça avec «Shadows Of Love». C’est un album qu’il faut saluer bien bas.  Scott Kempner vit son rêve, il gratte des poux d’une rare intensité, il casse du sucre sur le dos de la mélodie et lui sucre bien les fraises, il lui court bien sur l’haricot, c’est un potentat du pot aux roses, il savonne ses pentes, il sucre sa dragée haute, il n’en finit plus d’étinceler comme un sou neuf. Sacré Scott, il ne lâchera jamais sa rampe. 

             En 2015, on se faisait une joie d’aller voir jouer les Dictators au Trabendo, mais le destin qui sait parfois se montrer si cruel en décida autrement, puisque la date prévue faisait quasiment suite au désastre du Bataclan, et le concert fut purement et simplement annulé. Dans le même ordre d’idée, le concert du quarantième anniversaire de Motörhead au Zénith fut lui aussi interdit par les zautorités de la mormoille. Une sorte de chape maudite venait de s’abattre sur Paname. À travers les masses nuageuses d’un soir de novembre, on voyait se dresser dans le ciel la silhouette décharnée de la grande faucheuse. La seule vision de son sourire macabre et du muet claquement de ses haillons donnait déjà la chair de poule, mais l’éclat lugubre de sa lame de faux achevait de nous glacer les sangs.

    Signé : Cazengler, dictatorve

    Dictators. Go Girl Crazy. Epic 1975

    Dictators. Manifest Destiny. Asylum Records 1977

    Dictators. Bloodbrothers. Asylum Records 1978

    Dictators. Fuck ‘Em If They Can’t Take A Joke. ROIR 1981

    Dictators. D.F.F.D. Dictators Multimedia 2001

    Dictators. Viva Dictators. Dictators Multimedia 2005

    Dictators. Everyday Is Saturday. Norton Records 2007

    Scott Kempner. Tenement Angel. Razor & Tie 1992

    Scott Kempner. Saving Grace. 00.02.59 2008

     

     

    L’avenir du rock

     - Et spiritus sanctus, Omen

    (Part Two)

             Lorsqu’il était petit, l’avenir du rock vivait dans un bel immeuble construit en grandes pierres de couleur claire. L’abbé de l’église voisine y faisait du porte-à-porte, exhortant les ménagères en bigoudis à lui confier leurs rejetons pour des cours de catéchisme. Ces cours présentaient deux défauts aggravants : ils se déroulaient d’une part le jeudi-après midi et privaient donc l’avenir du rock de ces escapades dans les terrains vagues dont il était si friand, et d’autre part, la lecture d’épais chapitres de la Bible tuait dans l’œuf toute forme d’attention. Grâce à cette lecture, l’avenir du rock reçut sa première notion d’ennui mortel, ce qui par la suite allait lui rendre bien des services. Le sort des cours de catéchisme fut bientôt réglé et l’avenir du rock fit un retour triomphal dans les terrains vagues. Il continua d’y cultiver une passion naissante pour la trashitude. Mais l’abbé n’en resta pas là. Il devait être payé à la commission par le Vatican, car il revint à la charge et grimpa quatre à quatre les étages du bel immeuble construit en grandes pierres de couleur claire et exhorta de plus belle la ménagère en bigoudis. Cette fois, il abandonna la pédagogie biblique pour miser sur un sujet plus brûlant, l’enfer qui menaçait sa progéniture si elle ne se rendait pas chaque dimanche matin à la messe de dix heures. La situation présentait encore deux défauts aggravants : la messe coupait court à toute velléité de grasse matinée, et d’autre part, il fallait enfiler ces horribles «habits du dimanche» qui faisaient beaucoup rire les passants dans la rue. Cette disgrâce rendit bien service à l’avenir du rock, car c’est là qu’il reçut sa première notion de look. Il comprit clairement qu’il y avait look et look, surtout le look à éviter. Contraint et forcé, il se rendit donc à la messe dominicale. Il s’enfonça sous la voûte de pierre d’une vieille église penchée, trempa la main dans le bénitier et eût toutes les peines du monde à surmonter sa stupéfaction lorsqu’il atteignit la nef. Un spectacle ahurissant l’y attendait. Dressé derrière un autel, un chanoine barbu aux yeux jaunes palabrait dans un dialecte inconnu. Étendue sur l’autel se trouvait une femme nue très poilue, si trash que l’avenir du rock sentit poindre au fond de sa culotte du dimanche une petite érection pré-pubère. Le chanoine Docre célébrait sa messe dans un épais tourbillon de fumées noires, tout son aréopage d’enfants de cœur toussait, et lorsqu’il leva les bras au ciel, l’assemblée brailla comme un seul homme, et spiritus sanctus, Omen !

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             Rien de plus Weird que ce souvenir de messe noire. Weird Omen ! En plein dedans. Sur scène, leur messe atteint une dimension qu’il faut bien qualifier d’huysmansienne. Aussi vrai qu’Huysmans fut en son temps considéré comme l’avenir du genre littéraire, nul doute que Weird Omen incarne celui du rock. C’est une évidence qui crève les yeux.

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             Pourquoi ? Parce que. Parce que power trio sax/poux/beurre, parce qu’accès direct à la modernité sauvage, parce que tu as tout Roland Kirk et tout le Steve MacKay des Stooges de «1970» dans la menace sourde de «1250», parce qu’aussi des relentless relents du «Starship» de Sun Ra pulsé par le MC5 lors d’une nuit d’apocalypse au Grande Ballroom de Detroit en 1969, parce que ces bien belles attaques frontales tiennent la dragée haute à tes principes éculés par tant d’abus, parce que «Shake Shake» te shake l’hip et le cocotier en même temps,

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    parce que le nouveau batteur Dam-o-maD bat le beurre des enfers et chante un «Runaway» qui va te hanter des jours entiers comme une sorte de «Sister Ray» avec sa fin apocalyptique emmenée en mode wild roller coaster par Fred le bien nommé, parce qu’un Sister Ray en fute de cuir noir ne gratte pas de fuzz mais des poux de clairette tout en twistant d’une seule rotule, ce qui contrebalance la folie Méricourt d’un Fred Kirk tentaculaire,

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    parce que «Jungle Stomp» tressauté dans les charbons ardents et roté au Kirking d’assaut frontal, parce que tu ne trouveras jamais tout ça chez les autres, tu trouveras autre chose bien sûr, mais pas ce mic mac de mish mash épouvantablement jouissif, si merveilleusement en plein dans le mille, parce que l’Omen crée une mad frenzy qui dépasse le langage, parce que Sister Ray demande qu’on lui foute la paix avec «Leave Me Alone» et une insistance purement velvetienne,

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    parce que l’insistance est, comme l’hypno du Velvet, la clé du problème, l’accès aux nues, le Graal du sonic trash, parce qu’encore mille raisons, parce qu’il savent atteindre un au-delà des genres connus, parce qu’ils poussent grand-mère gaga-punk dans les orties, parce qu’ils sortent du rang et qu’on a toujours adoré voir des gens sortir du rang, parce qu’ils écrasent les clichés gaga au fond du cendrier, parce qu’ils ne respectent rien excepté le lard fumant, parce qu’ils sont incapables de tourner en rond, parce qu’ils prennent la suite des Stooges et du Velvet sans jamais les imiter, parce qu’ils voient le son comme une transe et rien d’autre, parce qu’il savent l’apprêter pour mieux l’imploser, parce qu’ils créent leur monde et c’est un monde où tu te sens en sécurité, parce que tu respires un air brûlant.

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             Leur dernier album sans titre est un festin pantagruélique de son, bim badaboum dès le «Lost Again» d’ouverture de balda, classic Omen, superbe développement, ils s’auto-montent en neige à grosses giclées de relentless. Ils visent clairement l’apocalypse.

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    On assiste ensuite à un curieux phénomène : «No Brainer» prend feu et le chant l’éteint provisoirement. Nous ne sommes pas au bout de nos surprises car voilà le brûlant «Shake Shake», une stoogerie intense jouée au fond de la chaudière. L’Omen ne fait rien comme les autres. Globalement, ils excellent en matière de tenue de route et de vents brûlants. Tout est monté sur le même tempo de relentless absolu, et en visant l’apocalypse, ils se propulsent tous les trois vers l’avenir. Le rock de l’Omen brûle comme un feu sacré, terriblement stoogy dans l’âme. On retrouve en B ce beat rebondi et la propulsion nucléaire dès «Frustration». Ils caressent l’absolu du doom avec «IXO» et le saxent jusqu’à l’oss de l’ass. Tous leurs départs sonnent comme des appels à l’émeute. Ils ne s’en lassent pas, et nous non plus. Ils terminent avec «Leave Me Alone», un heavy groove de baryton à tonton et ça gratte des poux à la pelle, ça ramène du punch à la tonne, l’Omen ne baisse jamais les bras et ça part en raw gut from the undergut.

    Signé : Cazengler, Weird hymen

    Weird Omen. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 27 février 2024

    Weird Omen. Weird Omen. Get Hip Recordings 2023

     

     

    Wizards & True Stars

    - Dylan en dit long

    (Part Six)

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             Bob Dylan et Martin Scorsese sont maintenant des vieux crabes. Scorsese a 80 balais et Dylan 81. Mais ce sont eux qui créent l’événement avec la parution en 2019 de Rolling Thunder Revue: A Bob Dylan Story. Pour eux, créer l’événement n’a rien de nouveau : ils ont fait ça toute leur vie. Il n’existe pas beaucoup de gens qui pourraient prétendre en faire autant. Scorsese n’en finit plus de dire qu’avant d’être le réalisateur de génie que l’on sait, il est avant toute chose fan de rock. L’énergie de ses films, y compris ceux consacrés à la mafia new-yorkaise, vient du rock. Bon, ça lui arrive de se vautrer, par exemple avec The Last Waltz ou Shine A Light, mais personne d’autre à part lui n’aurait osé balancer l’«I Ain’t Superstitious» du Jeff Beck Group dans Casino ou «Jumping Jack Flash» et les Ronettes dans Mean Streets.

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             Le team Dylan/Scorsese n’en est pas à son coup d’essai. No Direction Home: Bob Dylan est un classique du cinéma rock. Dylan y raconte ses débuts à Greenwich Village. Avec Rolling Thunder Revue: A Bob Dylan Story, Scorsese tape dans une autre époque, 1975, date de la fameuse tournée, et il restaure pour les besoins de son film celui qu’a tourné à l’époque un certain Stefan Van Dorp. Scorsese l’interviewe dans le film. Comme tout le monde, Van Dorp a pris un sacré coup de vieux, et il a son franc parler. Il n’est pas forcément aimable. Mais on s’en fout, on n’est pas là pour les amabilités. On est là pour Dylan qui, à l’âge de 34 ans, a déjà tout vu, tout lu, tout vécu, mais il lui faut encore inventer, comme il le dit si bien, face à la caméra de Scorsese, en 2005 : «Life is about creating yourself. And creating things.» Dylan est sans doute la plus pure incarnation de cette vérité. Alors pour continuer d’avancer, il a l’idée d’une Revue, The Rolling Thunder Review, Allen Ginsberg parle d’un «medecine show of old». Dylan voit plus «a kind of jugband». Pouf, il rassemble des musiciens pour monter une tournée informelle qui bien sûr sera déficitaire, trop de monde dans les deux bus pour des petites salles, mais Dylan y croit, il va même jusqu’à se transformer physiquement : il se farde de visage de blanc, comme un personnage de la Comedia Dell’Arte et se coiffe d’un chapeau fleuri. Dans le fard, Scorsese voit plus le Baptiste des Enfants Du Paradis, dont il incruste une scène dans le film, la scène où Baptiste debout devant un miroir en pied barre d’une croix blanche son reflet. Scorsese sait cuisiner les mythes.

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             Dylan conduit l’un des deux bus. Il part à la découverte de l’Amérique insolite, on the road with non pas the Memphis Blues Again, mais with the Rolling Thunder Review. Et le Thunder qu’il transporte avec lui porte un nom : Mick Ronson. Dylan a chopé le thunder de Ziggy Stardust et sur scène, Ronno fait des étincelles. Tous les plans scéniques sont extraordinaires, à commencer par une version explosive d’«Isis» - Isis/ Oh Isis/ You’re a mystical child/ What drives me to you is what drives me insane - On retrouve le hellraiser, le Dylan punk d’Highway 61, croisé avec le grand glamster d’Angleterre - I still can remember the way that you smiled/ On the fifth day of May in the drizzlin’ rain - Alors bien sûr, ce n’est pas un hasard si «Isis» se retrouve dans la première partie du film. Le thème du film, c’est l’énergie. C’est tout ce qui intéresse Dylan. Quand quarante ans plus tard, Scorsese lui demande ce qu’il retient de cette tournée, Dylan qui vieillit magnifiquement bien lui répond qu’il ne sait pas - What all that Rolling Thunder is all about ? I don’t have a clue - Alors Scorsese lui demande comment ça tient, et Dylan lui répond : «Energy». Scorsese ajoute : «Isis, this is the power. This is how it works.»

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             Sur scène, Dylan a du monde : Roger McGuinn qu’on voit vers la fin, Joan Baez qui vient duetter, une violoniste, Scarlet Riviera, on voit aussi des plans magiques de Ramblin’ Jack Elliott qui, pour Dylan, est plus un sailor qu’un singer. Sam Shepard fait aussi partie de l’aventure, en tant qu’observateur, Dylan dit qu’il a «a special clue of the underground». Le groupe fait une version assez demented d’«It Takes A Lot To Laugh It Takes A Train To Cry». Dylan tape aussi une version fleuve d’«Hard Rain’s Gonna Fall», rien n’a changé depuis l’âge d’or de ces chansons, on voit Dylan extrêmement concentré et en même temps très expressif, le fard blanc et le khôl autour des yeux n’y changent rien. Entre deux plans de Van Dorp, Dylan brosse pour Scorsese des petits portraits de ses invités, tiens comme Ronnie Hawkins, ou encore Allen Ginsberg - Il avait déjà obtenu du succès en tant que poète - Dylan précise pour ceux qui ne le savent pas que devenir poète à succès n’est pas évident, surtout à notre époque - Dylan continue avec Ginsberg - «He said : «The best minds of my generation destroyed by madness.» Very few poets have done that. Robert Frost, maybe : «But I have promises to keep/ And miles to go before I sleep.» And Whitman said : «I’m large. I contain multitudes.» - Dylan aurait aussi pu nous aussi sortir le fameux «Rage rage against the dying of the light» de Dylan Thomas, d’où vient d’ailleurs son nom. Mais il n’a peut-être pas osé. Ou trouvé ça trop facile. Il ajoute dans la foulée que les temps ont bien changé, the times they are a changin’ - Les poètes d’aujourd’hui don’t reach into the public counciousness that way. Aujourd’hui, les gens se rappellent de paroles de chansons, «Your cheatin’ heart will make me weep.» - Et il cite encore deux ou trois exemples. Scorsese filme Dylan et Ginsberg sur la tombe de Jack Kerouac. Dylan : «On The Road... He was talking about the road of life.» Il rend plus loin un hommage suprême à Joan Baez : «Joan Baez could sing anything. By a matter of fact I could hear her voice while sleeping.»

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             Et puis on assiste à une autre scène magique : «The Lonesome Death Of Hattie Carroll» sur scène. Joan Baez lui dit que c’est sa plus belle chanson. Dylan est en colère quand il la chante. Hattie Carroll est une servante black battue à mort par un blanc qui ne fut condamné qu’à six mois de ballon, alors ça fout Dylan en rogne. Et puis tiens, encore une autre scène magique et là tu serres la pince de Scorsese car tous les artistes qu’il nous montre sont des artistes exceptionnels : Joni Mitchell, accompagnée par Dylan et McGuinn dans une version de «Coyote» - No regrets, coyote/ We just come from such different sets of circumstance - Elle attaque au jazz vocal pur et c’est envoûtant. Dylan reste impassible. Il gratte avec elle, et derrière McGuinn gratte lui aussi comme un con. Van Dorp fait même un gros plan sur les ongles sales de Joni Mitchell. 

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             Et puis l’an passé, Dylan publiait son deuxième book, The Philosophy Of Modern Song. Un book attendu comme le messie. Ah la gueule du messie ! Premier gros défaut : le book paraît au moment des fêtes de Noël. Dylan gros cadeau tombé au beau milieu des agapes de foie gras et d’huîtres de la beaufitude ? Magnifique mauvais plan. La pire des associations. Dylan objet de consommation. En proie à une forme extrême de dégoût, on attendra six mois pour rapatrier l’objet et chasser les odeurs. Deuxième gros défaut : il n’y a rien de Modern dans ta Philosophy, Horatio Dylan. On va dire pourquoi.

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             Dommage, car le book se présente comme un bon régal. Format quasi-carré, pagination bien dodue de 300 pages, un ensemble graphiquement parfait, doté d’une iconographie tellement riche qu’elle donne un peu le vertige, surtout quand on est du métier. Le graphiste a soigné toutes ses doubles, il obtient de chaque image le rendement maximum, et traite les pages de texte à l’ancienne, avec des éléments décoratifs typo classiques qui rappellent ceux qu’on utilisait autrefois dans le Rolling Stone américain, qui était alors un modèle du genre. Les graphistes américains avaient compris que rock et typo faisaient bon ménage. Le designer du Dylan book s’appelle Coco Shinomiya, par contre, les images ne sont pas légendées. Coco obtient de certaines images un rendement extraordinaire (Roy Orbison, Little Walter, par exemple) et fait glisser le Dylan book dans la cour des grands, celle des livres d’art. Il utilise en plus un couché mat qui n’est pas très propice aux effets puisqu’il les apaise, ce qui rend la performance d’autant plus fulgurante. Et cette fois, le book n’est pas imprimé en Chine mais à Glasgow. 

             Un book, c’est comme un disk : ça s’examine, contenu comme contenant. On passait jadis du temps sur les pochettes d’albums à en extirper le moindre détail, comme on passe encore du temps aujourd’hui à estimer le grammage d’un bouffant ou à identifier la fonte d’un corps de texte. Les différences entre un Garamond et un Times sont infimes, mais en même temps déterminantes, puisque le Times fut dessiné pour la presse et le Garamond pour l’édition classique. Gallimard n’utilise que du Garamond. Pour le Dylan book, Coco Machin utilise aussi le Garamond. C’est une fonte qui joue avec ton œil. Même une petite édition de poche Folio, ça s’examine, car tu as un graphiste qui a fait des choix typo et d’illustration de couve pour rendre ta lecture agréable, il veille à ce que la qualité du contenant soit à la hauteur de celle du contenu.

             Trêve de balivernes. Bon tu baves en attaquant la lecture du Dylan book et très vite, tu commences à renâcler. Dylan travaille une notion de la modernité qui est la sienne, et peut-être pas la tienne. Il plante son décor dans des temps très anciens, et conçoit la modernité comme le principe novateur qui a permis de décoincer l’Amérique des années 50. Pour illustrer son concept, il choisit tous les vieux imparables, Hank Williams, Little Richard, Little Walter, Dion, Jimmy Reed et d’autres, complètement inconnus et qui ne peuvent plus intéresser les gens d’aujourd’hui. Dylan fait de l’histoire, ce que Kim Fowley appelait l’archéologie du rock, alors c’est foutu, car ça ne peut plus intéresser les kids. Dylan est un vieux bonhomme, il ne voit même plus l’avenir du rock. Il s’appuie sur ses valeurs sûres. C’est toute la différence avec Gildas, qui au seuil de la mort, clamait haut et fort qu’il y aurait encore des groupes avec des guitares, et il citait des noms. Pas de problème, il avait tout compris : place aux jeunes. Chez Dylan, c’est plutôt place aux squelettes. Même pas envie d’aller écouter les trucs dont il vante laborieusement les mérites. Il précède quasiment chaque texte d’un délire qui n’accroche jamais, et on se demande ce que ça a pu donner en français : c’est déjà imbuvable dans la forme originelle, alors on imagine ce que ça donne, une fois passé par les fourches caudines de la traduction, qu’on appelle aussi ici les abattoirs. Chlack, allez hop, ch’t’en débite une épaule, ch’t’en taille une cuisse, t’es payé à la carcasse, alors tu débites. Enfin bref, Dylan a pris un coup de vieux, il s’enfonce dans les ténèbres, comme tous les érudits, une fois passé le cap des 80 balais. Dans la cervelle, ça fait flic floc, et c’est normal. The Philosophy Of Modern Song se situe aux antipodes de Chronicles, un chef-d’œuvre lu et relu, ce qui rend la déception d’autant plus criante.

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             On attendait de Dylan qu’il nous parle des gens, et non pas de ce qu’il ressent en écoutant leurs disks. Bon, on ne va pas trop charger la barcasse, car le vieux Bob a encore des éclairs de génie, surtout quand il rend hommage à Hank Williams. Il se permet un petit aparté sur les temps modernes : «C’est le problème avec un tas de truc aujourd’hui : maintenant tout est engorgé, on est tous gavés comme des oies. Toutes les chansons n’ont qu’un seul thème, il n’y a plus de nuance ou de mystère. Alors les chansons ne font plus rêver les gens, les rêves suffoquent dans cet environnement privé d’air.» Bien vu, Bob. Discours de vieux, mais bien senti. Il poursuit sur sa lancée. Attention, poussez-vous, le voilà qui arrive : «Et ce ne sont pas seulement les chansons - les films, les émissions de télé, même les fringues et la bouffe, tout est soigneusement marketé. Sur chaque ligne du menu, tu as douze adjectifs, chacun d’eux étudié pour taper dans le mille de ton sociopolitical-humanitarian-snobby-foodie consumer spot.» Il pique une méchante crise et il a raison, car c’est exactement ce qui se passe. On nous gave comme des oies en permanence, dès qu’on est «connecté». Big Brother is watching you. Et le vieux Bob repart sur l’Hank : «There’s really nobody that comes close to Hank Williams.» Le problème c’est qu’on le savait déjà. Mais dit par Dylan, c’est mieux - Si vous songez aux standards qu’il a enregistrés, et il n’y en a pas des tonnes, he made them his own - Il sait dire pourquoi l’Hank a du génie : «La simplicité de cette chanson (Your Cheatin’ Heart) est la clé. Mais c’est aussi la force tranquille d’un chanteur comme Hank. La chanson semble lente parce qu’Hank ne laisse pas l’orchestre le dominer. La tension qui existe entre le near-polka rhythm et la tristesse dans la voix d’Hank mène le bal.» Il profite du passage à l’Hank pour rendre hommage à Willie Nelson, «le seul qui pourrait être vu dans le voisinage d’Hank.»

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             Son hommage à Little Walter vaut aussi le déplacement : «Il est aussi connu comme étant l’«electric blues harmonica originator, the master craftman and the prime mover.» Le vieux Bob ajoute que Little Walter s’appropriait les idées des autres pour en faire les siennes, et il cite l’exemple de «My Babe» qui existe depuis longtemps sous la forme du gospel song «This Train» - Walter a changé les paroles and made a classic performance out of it - Le vieux Bob retrouve sa grandeur d’antan en développant : «‘Key To The Highway’ est un update d’une chanson de Big Bill Broonzy. The key to the highway is a key to the cosmos, et la chanson entre et sort de ce royaume. La clé est celle qui permet de sortir de la ville. Elle devient de plus en plus petite dans le rétroviseur, une cité que vous êtes content de quitter à jamais. Quand Walter chante ‘I’m going back to the border where I’m better known’, il y croit dur comme fer. Il en a assez de Michigan Avenue et de Lakeshore Drive et de the Sears Tower. Little Walter ne se faisait pas appeler the back Door Man et il ne s’intéressait pas aux gamines de 19 ans. De tous les artistes signés sur Chess, il a dû être le seul qui ait eu véritablement de la substance. He could make anybody sound great. Il était évident qu’il n’allait pas vivre vieux.» Et là, on retrouve le Dylan génial du Theme Time Radio Hour, lorsqu’il brossait les portraits tragiques des géants du blues et du rock.

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             Il revient aussi sur le «Feel So Good» de Sonny Burgess pour donner l’une de ces leçons de culture rock dont il a le secret : «C’est un disque extrême, plus black que black, plus white que white. Il n’existait pas de nom pour ça dans les fifties, aussi personne ne savait comme vendre ces trucs-là, jusqu’au moment où le disc jockey de Cleveland Alan Freed inventa le terme ‘rock and roll’, inspiré d’une poignée d‘earlier risqué records’. Black and white country boogie and rhythm and blues, des deux côtés de la barrière, utilisant le même terme en forme d’euphémisme à peine voilé pour la copulation. Inutile de dire qu’avec ce terme, la vente de cette musique en fut grandement facilitée.» Puis le vieux Bob fait entrer les drogues dans le rock and roll, il évoque les drogues légales qui ne répondaient plus à la demande - Si tu te demandes comment une nation peut s’écrouler, regarde les dealers. Drug dealers in every city with bull’s-eyes on their backs, daring anybody to shoot them - On perd le Sonny et il y revient heureusement à la page suivante - Savoir si Sonny Burgess a lui-même composé «Feel So Good», ou si Sam Phillips a recyclé un cut de Little Junior Parker, comme il l’avait fait pour Elvis avec «Mystery Train», c’est un point de détail qui a disparu dans les sables du temps (lost to the sands of time). Sonny Burgess avait derrière lui a sweaty, sinewy band qui jouait derrière un grillage de poulailler soir après soir dans une série d’off-the-highway bucket-of-blood joints - Et il ajoute, magnanime : «This is the sound that made America great.» Il dit ça, car ailleurs il explique pourquoi l’America n’est plus great du tout. Mais alors plus du tout. C’est peut-être ici qu’il refonde sa notion de modernité : quand tous ces artistes dont il parle ont émergé, ils ont déniaisé ce pays peuplé de blancs cupides et racistes. Le rock’n’roll et le blues étaient alors d’une effarante modernité, celle qui allait révolutionner le monde et les vies des gens de notre génération. En avançant dans la lecture du Dylan book, la lumière se fait.

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             Fantastique portrait de Jimmy Reed avec sa guitare blanche et son gros costard. Big Boss Man ! «Jimmy Reed, the essence of electric simplicity.» Au-dessus de cette phrase, Coco Machin met l’image de Don Corleone. Le vieux Bob tire l’overdrive : «Tu peux jouer des centaines de variations du twelve-bar blues et Jimmy Reed devait toutes les connaître. Aucune de ses chansons ne touchait le sol. Elles bougent en permanence. Il était le plus country des blues artists des fifties. Il était habile et laid-back. Pas de béton des villes sous les pieds. He’s all country.» Et il ajoute plus loin : «No Chicago blues, rien de sophistiqué, léger comme une plume, il vole dans l’air et roule sur le sol. Dans le rock ans roll, le roll appartient à Jimmy Reed.» Et pour dire encore à quel point Jimmy Reed est un cas unique, le vieux Bob ajoute : «Aussi grand qu’il soit, Little Walter serait complètement déplacé sur un disk de Jimmy Reed. Pareil pour Jimi Hendrix. Et ce serait encore plus dur pour Keith Richards d’y trouver un truc à faire.» 

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             On se doutait bien que Bob allait saluer Dion. Il résume son parcours en une belle formule et rappelle qu’il a enregistré ces derniers temps un album the blues, «réalisant un de ses plus vieux rêves en devenant some kind of elder legend, a bluesman from another delta.» Comme tous les fans de Dion, le vieux Bob est frappé par la qualité de sa voix, «a breathtaking bit of vocal harmony» - et quand la voix de Dion éclate dans le pont, elle capture un moment de shimmering persistence of memory avec un éclat tel que les mots ne sont plus d’aucun secours - Et c’est là où le vieux Bob enquille son registre philosophique avec un brio purement dylanesque : «La musique s’inscrit dans le temps, mais elle est aussi intemporelle. On en fait des souvenirs, mais elle incarne aussi la mémoire. Quelle que soit la façon dont on la voit, la musique se construit dans le temps comme une sculpture se construit dans l’espace. Lorsqu’on vit avec elle, la musique transcende le temps, de la même façon que la réincarnation transcende la vie, en la vivant encore et encore.» La résonance de ces cinq lignes est d’autant plus énorme que ce sont les dernières lignes d’un book qu’on aurait voulu plus explosif, plus définitif. On s’est tout bêtement gouré de modernité. Celle du vieux Bob est bien plus fine que la nôtre. On s’est bien mis le doigt dans l’œil. Pendant toute sa vie, le vieux Bob t’a un peu forcé à réfléchir. Tu n’allais pas jerker sur ses chansons, tu tendais l’oreille pour essayer d’entendre le message. Et ce book tellement détesté au premier abord finit par s’imposer à son tour. Interroge-toi sur la notion de modernité. Mieux que ça : questionne tes propres notions. Le vieux Bob t’enseigne un truc de plus : tu découvres que tes notions sont figées, et le plus souvent ringardes. T’es plus dans l’coup papa, t’es plus dans l’coup, comme le chantait si gaiement Richard Anthony. Ce n’est pas le vieux Bob qui est largué, c’est toi. Mais au moins, tu secoues ton cocotier.

             Alors tu y reviens. Tu vas piocher dans John Trudell et boom, tu tombes en plein dans la dimension tragique du vieux Bob - Dans un square de Mankato, Minnesota, on peut voir une plaque commémorative indiquant que 40 Santee Dakota Indians ont été pendus dans les années 1870 - Le vieux Bob sort cette histoire pour rappeler que John Trudell est un Santee Dakota Indian. Attends, c’est pas fini - À la fin des années soixante-dix, John a conduit un cortège de tribus indiennes sur les marches du Capitole. Le lendemain, la caravane dans laquelle il vivait on the Duck Valley Reservation du Nebraska a été incendiée. On avait mis un cadenas sur la porte. La femme de John qui était enceinte, ses trois enfants et sa belle-mère ont brûlé vifs. Ceux qui ont foutu le feu n’ont jamais été inquiétés. Ça vous donne une idée du gouffre dans lequel John allait puiser pour écrire ses chansons - Le vieux Bob conseille de creuser un peu sur John Trudell - Il le mérite. Et quand tu l’as fait, creuse dans sa musique. L’idéal est de commencer avec AKA Grafitti Man, rempli de direct performances de John accompagné par son Oklahoma Soul brother Jesse Ed Davis.

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             AKA Grafitti Man est un album de rock classique américain, magnifique de power sourd. Quand on écoute «Rockin’ The Res», on comprend que le vieux Bob ait craqué. John Trudell chante sous le boisseau, à l’intestine, comme un Lanegan apache. Il s’y connaît en termes de «Restless Situation». Sacré veux Bob, quand il évoque le Trud, il sait de quoi il parle. Jesse Ed Davis joue à l’indienne sur «Baby Boom Ché». Comme le Trud fait autorité, ses cuts s’imposent invariablement. Avec «Bombs Over Baghdad», le Trud te prévient du danger. Mais c’est avec «Rich Man’s War» qu’il rafle la mise. Fantastique heavy boogie blues déclamatoire ! Il entre en littérature. On le voit à la suite chanter «Somebody’s Kid» avec une réelle profondeur de champ. Il est très à l’aise dans tous les domaines, y compris le heavy blues de «Never Never Blues». Dans «Beauty In A Fade», il croise l’indien avec le blues et y tartine un talk-over de telling story man. Édifiant !

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             Bob recommande aussi Bone Days. L’album est un peu plus indien, le Trud fait chanter un Grand Sachem dès «Crazy Horse» - We hear what you say - Même combat que celui de Buffy Sainte-Marie - One earth/ One mother - Chanson politique, plaidoyer pour un retour aux valeurs indiennes - We are the savage generation - Il a raison, le Trud, the people lose their minds. Il ramène encore de l’indien dans le morceau titre, avec en plus des percus, c’est fin et terriblement indien, le Trud est fabuleux de prescience, il partage son boisseau avec toi et fait chanter un Grand Sachem. Sinon, il reprend son bâton de pèlerin d’US rocker mais il reste en permanence tenté par les chants indiens sur des mid-tempos. Il chante son «Undercurrent» avec la voix d’un homme épuisé par la vie et les injustices, et une petite gonzesse vient duetter avec lui. Il emmène le dirty boogie de «Carry The Stone» sur le sentier de la guerre, il joue gras et ramène son Grand Sachem dans le gras du bide, avec des vieux relents de Stonesy. Il attaque encore son «Lucky Motel» au chant indien, avec en plus un sitar. Quel mic mac ! Il a cette manie géniale de chanter dans le groove, en mode story-telling. Et le Grand Sachem revient une dernière fois hanter «Doesn’t Hurt Anymore».

             Pour conclure sur John Trudell, Bob se fend d’un petit paragraphe éclairant : «Si l’on y réfléchit bien, la seule chose qu’on a tous en commun, c’est la souffrance, et seulement la souffrance. On vit tous des deuils, qu’on soit riche ou pauvre. Il ne s’agit plus des biens ni des privilèges, il s’agit de l’âme et du cœur, mais il y a des gens qui n’ont ni âme ni cœur. Ils n’ont pas de repère sur le bord du fleuve, pour leur indiquer la vitesse à laquelle ils avancent et vers quoi ils se dirigent. Et l’aspect le plus triste de cette histoire, c’est qu’ils n’iront jamais écouter John Trudell.»

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             Bob n’est au fond pas si vieux que ça. Dans son hommage à Warren Zevon, il salue Ry Cooder, car c’est Ry qu’on entend sur «Dirty Life And Times» - Ry Cooder is a man with a mission. Il n’existait pas de carte quand il cherchait la connexion between Blind Lemon Jefferson and Blind Alfred Reed, the place where conjunto met the gutbucket blues, où même un béquillard peut faire le duck walk. Ry lived and breathed it, apprenant au pied des maîtres et transportant le savoir comme des graines de région en région. Il a amélioré chaque disk sur lequel il a joué et beaucoup de ceux sur lesquels il n’a pas joué - En lisant ces quelques lignes, Ry Cooder a dû être drôlement ému. Bob rend aussi un hommage extraordinaire au Dead, un groupe qu’on ne peut comprendre que si on est américain : «Puis il y a Bob Weir. Un rythmique pas du tout orthodoxe. Il a son propre style, pas si différent de celui de Joni Mitchell, mais dans un autre genre. Il joue d’étranges accords augmentés et des demi-accords à des intervalles imprévisibles qui s’accordent bien avec le jeu de Jerry Garcia, qui joue comme Charlie Christian et Doc Watson en même temps.» Bob situe les concerts du Dead «in Pirate Alley on the Barbary Coast, right there by the San Francisco Bay.»

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             Il s’entiche aussi des Fugs rappelant, et il n’a pas tort, qu’acheter les albums des Fugs «c’était comme d’acheter ceux de Sun Ra» : «You had no idea what you would get.» Certains albums nous dit Bob sonnaient bien, «avec des gens qui démarraient et qui s’arrêtaient en même temps», et sur un autre album, on aurait dit qu’ils étaient enregistrés «avec une boîte de tomates en conserve accrochée au bout d’un manche à balai.» Il ajoute que les liners étaient parfois en Esperanto, te mettant au défi d’y comprendre quoi que ce soit. Bob salue leur «CIA Man» - live and slick and weird and primitive - Il rappelle dans la foulée que les Fugs tirent leur nom du roman de Norman Mailer, The Naked And The Dead, paru en 1948. La censure obligea Mailer à remplacer le mot Fuck par Fug, et les Fugs viennent de là. Bob se marre car les Fugs voulaient s’appeler les Fucks, mais ils ont opté comme Mailer pour la voie de la raison.

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             L’écrivain Bob profite d’un hommage au «Poison Love» de Johnnie And Jack pour deviser sur l’amour : «‘Poison Love’ is illicit love. Contrairement à ce que pense la plupart des gens, payer pour le sexe, c’est la meilleure affaire qu’on puisse faire. Les relations complexes coûtent beaucoup plus cher. Il vaut mieux aller chez les putes, ce n’est pas l’amour parfait, mais il y a beaucoup moins de problèmes. Vous n’irez pas chanter ‘poison love’. En payant pour baiser, vous avez ce que vous cherchez (si vous avez de la chance) et vous repartez indemne. Rien ne vous atteindra. Comme ils disent an Australie, pas de soucis. Poison love, c’est ce qu’il y a de pire. Ça peut vous tuer. Des tas de gens ne peuvent pas vivre sans une dose quotidienne de poison love.»

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             Petit hommage à Sam Phillips via le «Take Me From The Garden Of Evil» de Jimmy Wages. Bob ne sait pas qui joue de la guitare, c’est peut-être Luther Perkins - This is a Sam Phillips record. Raw and fearless as anything Sam ever recorded - Et plus loin, Bob dit que «Take Me From The Garden Of Evil» «might be the first and only gospel rockabilly record. This is evil as the dictator, evil ruling the land, call it what you will. Jimmy sees the world for what it is. This is no peace in the valley.» Quand Bob s’enflamme, le book prend feu. Il n’existe de Jimmy Wages rien de plus qu’une poignée de singles, un sur Sun et deux sur Norton. Merci Bob !

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              Dans un hommage à Webb Pierce, il brosse un sacré portait de Nudie : «Puis Nuta devint Nudie et quitta New York pour s’installer à Hollywood, où il fabriqua des costumes de danseuses sertis de pierreries de pacotille, puis tailla pour les hillbilly stars des costards de lumière qui électrifièrent les fans de Nashville à Bakersfield. Il broda des wagons sur Porter Wagoner et des toiles d’araignées sur Webb Pierce. Il couvrit Hank Williams de notes de musique et Elvis Presley de lamé or.» Et voilà qu’arrive Gram Parsons - Vous n’imaginez pas à quel point Nudie fut ravi de voir arriver Gram Parson, stoned au cannabis et rigolard, le représentant d’une génération qui croyait avoir inventé l’usage des drogues. Gram commanda un Nudie suit à thème. Des gens qui se situaient à la droite d’«Okie from Muskogee» furent surpris que Nudie accepte de faire ce costard, mais il avait un côté pratique, et comme ses dollars étaient aussi verts que son cannabis, Gram eut son costard. Bob the story-teller a encore frappé. 

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             L’hommage à Ricky Nelson est particulièrement balèze - Rick was part of a generation that had Buddy Holly, Little Richard, Chuck Berry, Gene Vincent, Fats Domino, and others, that made people from all nations, including commie countries, fall in love with America - Et le plus impressionnant de tous les portraits est sans doute celui qu’il fait de Townes Van Zandt, un Texan maniaco-dépressif soigné à l’insuline et aux électrochocs - Les traitements ont détruit une partie de sa mémoire, ce qui donne certainement à ses chansons such a skeletal detached feel - Alors Bob fonce dans la nuit : « Les rêves d’Elvis Presley furent remplacés par une passion pour les chansons plus tristes d’Hank Williams. Il erra et il but. Le Texas grouillait de musiciens qu’il fallait voir. Guy Clark, Gatemouth Brown, Jerry Jeff Walker, Butch Hancock, Doc Watson, Lightnin’ Hopkins, Mickey Newbury, et Willie Nelson. Newbury l’amena à Nashville, où il le présenta à Cowboy Jack Clement, un homme qui connaissait les comportements extrêmes, puisqu’il avait produit Jerry Lee Lewis. C’est ainsi que débuta un prolifique, tumultueux et finalement désastreux chapitre dans le vie de Townes, qui s’acheva dans des procédures, des accusations et des bandes effacées. L’un des moyens de mesurer la grandeur d’un compositeur est de voir qui sont ses interprètes. Townes has some of the best - Neil Young, John Prine, Norah Jones, Gillian Welch, Robert Plant, Garth Brooks, Emmylou Harris, and hundreds of others.» Et bien sûr, comme tous les ouvrages en forme de galerie de portraits, celui-ci gagne à être lu et relu. 

    Signé : Cazengler, Bob Divan

    Bob Dylan. The Philosophy Of Modern Song. Simon & Schuster 2022

    Martin Scorsese. Rolling Thunder Review: A Bob Dylan Story. DVD

    John Trudell. AKA Grafitti Man. Rykodisc 1986

    John Trudell. Bone Days. Deamon Records 2001

     

     

    Inside the goldmine

     - Antrell du désir

             Pas facile de savoir ce que Nave avait au fond de crâne. Ceux qui le connaissaient un peu cédaient à la facilité en disant de lui qu’il battait le nave. Jolie manière de dire qu’ils ne savaient rien de celui qui ne savait rien, ou qui ne voulait rien savoir. Il n’existe pas de rôle plus difficile à jouer au quotidien. Ne rien vouloir savoir ni entendre et conserver en même temps un semblant de sociabilité ? Essayez et vous verrez bien. La réserve est le plus souvent une disposition naturelle. Quand on l’observe chez quelqu’un, on l’apprécie. On l’interprète même comme une forme d’intelligence. Elle nous repose du caractère extraverti des commères du village, qui sont le plus souvent des gens assommants et d’une bêtise hallucinante. C’est l’une des raisons pour lesquelles on recherchait la compagnie de Nave, il nous reposait du chaos environnant, même s’il restait une sorte de soupçon quant à l’automatisme psychique de sa réserve. Non seulement il ne voulait rien savoir mais le moindre début d’aveu le mettait mal à l’aise. Il s’empressait d’écourter, disant qu’il ne voulait pas entendre la suite, surtout si l’aveu se faisait sous le sceau du secret.

             — Mais Nave, tu as peur de quoi ?

             — Si je tombe dans les pattes de la Gestapo, je ne dirai rien, puisque je ne sais rien. Tu comprends ?

             — Mais Nave, si tu tombes dans leurs pattes, pauvre imbécile, tu vas quand même mourir...

             — Oui, je sais bien, mais au moins je vais mourir héroïquement, pas comme une balance.

             — Et si tu tombes dans les pattes du KGB ?

             — Je subirai l’épreuve du sérum de vérité et là, ils verront bien que je ne sais rien. Donc je ne risque rien.

             — Tu as tout prévu...

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             Pendant que Nave bat le nave, Dave bave. Dave rêve d’un avenir de popstar. Comme des millions de kids à travers le monde, en 1970. C’est sur une compile Garpax qu’on a découvert l’existence de Dave Antrell. Quand on le voit en gros plan sur la pochette de son unique album solo, il n’est pas jojo, avec sa petite moustache et son bouc miteux, mais on change d’avis quand on l’entend chanter «Lost A Dream».

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    Avec ses faux accents de Donovan, il aurait pu devenir énorme. En tous les cas, «Lost A Dream» sonne comme un hit obscur. On se régale aussi du beau climat de Beatlemania qui y règne. Ce cut catchy est en deux parties. Curieusement, les deux cuts figurant sur la compile Happy Lovin’ Time (Sunshine Pop From The Garpax Vaults) n’apparaissent pas sur l’album. Le «Straight From A Rainbow» qui ouvre le balda aurait pu lui aussi devenir un hit, car voilà de l’excellente pop californienne. On se croirait chez les Monkees. Tout le gratin du Gold Star est derrière lui : Hal Blaine (beurre), Carol Kaye et Joe Osborne (bass), Al Casey (guitar), avec en plus tous les cuivres et tous les violons dont peut rêver une popstar en devenir. C’est très upbeat, très enjoué. Beaucoup d’allure. Encore un album et un artiste qu’il faut arracher à l’oubli. Il repart à l’assaut des charts avec «Midnight Sunshine», une pop énergétique. Antrell du désir se donne les moyens, mais il restera inconnu au bataillon. Forcément, son album est sorti sur un label obscur : Amaret. Et puis au fil des cuts, on se heurte aux aléas du monde pop : parfois c’est bon, parfois ça ne l’est pas. Mais avec Antrell du désir, c’est toujours bien foutu. Il devient plus ambitieux en B avec «The Clock Strikes Twelve». Franchement, il navigue au même niveau que Jimmy Webb. Il va chercher des subtilités dans les harmonies vocales et veille à ce que tout soit judicieusement orchestré. Rappelons qu’il compose tous ses cuts. Encore de la belle pop d’élan vital avec «Children Of The Sun». Ce n’est pas celui des Misundestood. Antrell du désir s’élance du haut de la falaise pour bondir dans l’azur immaculé. C’est un vrai jaillisseur, digne de Wim Wenders. Il sait parfaitement bien jouer la carte de l’élévation, comme le montre encore «Sunser», mais il n’y a rien de révolutionnaire chez lui, juste de la grande ampleur. Il termine ce bel album avec «I’m Taking No Chances», très upbeat, straight to my nerves, il est bien décidé à jerker sa pop, il le fait avec l’exigence d’un grand compositeur. Dommage qu’il en soit resté là. Il aurait dû persévérer, même s’il n’a pas une tête de popstar.

    Signé : Cazengler, Dave Entrave (que dalle)

    Dave Antrell. Dave Antrell. Amaret 1970

     

    Wilson les cloches

    - Part Two

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             Pour bien prendre la mesure du génie sonique de Jim Wilson, il est essentiel d’aller fureter dans la ribambelle d’albums qu’il a enregistrés avec Mother Superior, puis avec Henry Rollins. On parle ici d’une œuvre, qu’il faut ramener au niveau des celles de Wayne Kramer/MC5 et des Pixies. Pendant dix ans, Jim Wilson fit des étincelles en mode power trio avec Mother Superior, puis en l’an 2000, il accepta d’entrer au service du capitaine de flibuste Henry Rollins : grand bien lui fit, car après nous avoir cassé les oreilles avec Black Flag, Henry Rollins revint à de meilleurs sentiments au contact de l’inflammable Jim Wilson. Les clameurs d’abordage du Rollins Band allaient éclairer les années 2000.

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             Retour en 1993, quand paraît le premier album de Mother Superior, Right In A Row. Le jeune Jim nous avertit dès «Shake This Fever» : il est déjà le roi de la heavyness, et ses deux bras droits, Marcus Black et Jason Mackenroth sont déjà très affûtés. Soutenu par une section rythmique prodigieusement alerte, le jeune Jim ramène toute la viande du monde. La photo du trio qu’on trouve dans la boîboîte nous les montre tous les trois, ados américains avec des jeans en lambeaux et des cheveux longs. À les voir, on ne croirait jamais qu’ils puissent sortir un son pareil. Le ton est donc donné avec «Shake This Fever» et le bal des surprises ne fait que débuter. Mother Superior est le power trio à l’état le plus pur, et en plus, le jeune Jim chante pour de vrai. Pendant qu’il tartine son gras double, ses deux bras droits jouent un squelette d’heavy blues. Ils sont MILLE fois meilleurs que Cream. Le jeune Jim attaque «Goin’ Up In Smoke» et dévore le Smoke aussi sec. Il gratte une disto dévastatrice, il remplit le spectre, il crée du vertige en permanence, il s’installe au sommet du smart, il bâtit un mur du son et prend feu lorsqu’il part en solo. Pur sonic genius ! Il tape ensuite «Body & Mind» en mode Season Of The Witch, c’est dire l’ampleur de sa vision conceptuelle, et enchaîne avec «Shitkicker» qu’il prend au chat perché. Il chante ça à bout de souffle et battrait presque les Zizi Top à la course. Le jeune Jim ne casse pas la baraque, il la fracasse. Le voilà parti en mode heavy balladif avec «Stop Putting Me Down». Il le pousse bien dans les orties, et sur le tard du cut, il part en maraude. C’est un pisteur apache, rien n’échappe à son tomahawk. Il faut aussi le voir attaquer «No Doubt (In My Mind)» à l’anglaise. On croit entendre Paul Rodgers. C’est exactement la même langue-tentacule qui entre dans la vulve du son. Heavy Soul de heavy rock. Et il repart en mode heavy blues avec «PW Blues» à la grosse entente cordiale - I got a woman yeah/ She’s never satisfied - Il traite le vieux thème en profondeur - She never do no good - Il se plaint d’elle et plonge dans les abysses du blues. Il n’en finit plus de plonger. Le spectacle qu’il offre est extraordinaire. Il termine cet album effarant de qualité avec un «Strange Combination» gratté à coups d’acou en mode Led Zep III. Puis il se fâche et lâche ses légions de démons, histoire de tailler le cut en pièces aux accords anguleux d’atonalité. Et pour finir, il te recrache comme un noyau. 

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             Avec sa pochette ratée, Kaleidoscope n’inspire pas confiance. Sauf que boum badaboum, il t’envoie vite fait au tapis. Jim Wilson positionne dès «Got To Move» son Kaleidoscope dans le heavy rock blues des seventies - Now dig this ! - Alors tu dig. Tu te dépêches pour ne pas rater la parole d’évangile. Jim Wilson joue son heavy blow off à la façon de Mountain. Il réunit tous les poncifs. C’est un champion du full blown. Le coup de génie se trouve à la fin : «You Think It’s A Challenge». Il y fait du heavy Jim, il saute sur les remparts, il te wash out tout le heavy blues rock, il ramène tout le gras double des seventies. Cette pure merveille devient aussi précieuse que la prunelle de tes yeux. Encore de la heavyness avec «Must Be A Curse». De toute façon, tu le suis partout. Avec son gotta move on down the line, il bascule dans sa chère heavyness et gueule à s’en arracher les ovaires. Son «When I’m Alone I Feel Like Cryin’» est quasi-hendrixien. Tu crois rêver. Avec «Girl On My Mind», il passe au petit gratté de slowah, mais il te fait un heavy slowah de force 10. Il excelle à exprimer ses sentiments. Il sait aussi cavaler ventre à terre comme le montre «Count Me Out». C’est l’apanage du Jim : il sait faire sonner un sugar lips. Il en a la bave aux lèvres, et en prime, il te passe un killer solo flash. Il s’amuse bien avec son rock’n’roll blast. Cet album est une véritable aventure.

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             Les ceusses qui ont chopé Deep à l’époque sont des gros veinards, car maintenant, l’album vaut la peau des fesses. Very big album, produit par Henry Rollins. Bienvenue au pays de l’heavyness, et ce dès «DTMMYFG?». Alors on se demande ce que veut dire ce mystérieux acronyme. Jim Wilson pose simplement la question : Did The Music Make You Feel Good? Depuis l’origine des temps, Jim Wilson a le génie de la mise en bouche. Il sait poser les conditions de l’heavyness électrique. Tout aussi heavy as hell, voilà «Superman». Il accompagne toutes ses descentes en enfer de fabuleux camaïeux de notes et s’en vient planter son solo dans le cœur du cut. Personne ne peut aller plus loin que Jim Wilson dans l’exercice de cette fonction. Il manie l’heavyness à merveille, c’est sa came. Le solo coule tellement de source qu’il semble sortir de lui. Mine de rien, tu te retrouves là dans l’un des meilleurs albums de cette époque. Puis il pique une crise de speed avec son morceau titre, sa barbichette prend feu, le cut fonce comme un train fantôme devenu fou, c’est exceptionnel de wild drive. Avec «Fascinated», il ne perd pas de temps : il descend aussi sec au barbu. Ce mec est un desperado, il a déjà le chapeau et la barbichette à moitié cramée. Puis ils va sortir sa triplette de Belleville, trois coups de génie enchaînés : «What I Heard Today», «Crawling Back» et «Crazy Love». Il plonge directement dans sa bassine d’huile bouillante pour What I Heard. Personne ne l’a poussé. Il adore faire le beignet. Il prend l’heavyness complètement à contre-emploi. Il en devient génial. Il fait de l’Hugo sonique face à l’océan. Voilà sa mesure. Comment se fait-il que si peu de gens aient vu qu’il avait autant de génie ? Son What I Heard balance dans le ressac, Jim Wilson titube dans les décombres, il abrase tout aux vents de sable, il chante à contre-courant du contre-courant, c’est très spécial, très Wilson, il est l’Hugo de l’heavy rock, dressé face aux tempêtes de Guernesey. Il repart à l’assaut des éléments avec «Crawling Back», non seulement tu t’agenouilles devant lui, mais tu dresses l’oreille pour ne pas en perdre une seule miette, il chante à la pointe du beat, c’est stupéfiant, il t’emballe ça à la violence subterranéenne du don’t. Et restes dans son jardin magique avec «Crazy Love». Mais le jardin prend feu, c’mon ! et ça monte en pression à mesure qu’il ramène tout le son du monde.

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             Encore une pochette ratée pour l’album sans titre, Mother Superior, paru en 2001 et produit par son boss Henry Rollins. Tu aimes le blast ? Alors écoute «Zero’s Back In Town». C’est bombardé de son, cadenassé dans l’hardcore de no way out. Ça joue à la vie à la mort, avec un petit côté démonstratif, il faut bien l’admettre. Mais ça reste violemment bon. Ils tapent dans l’extraordinairement bon avec «Pretty Girls». Jim Wilson paye ses dues à Sabbath et aux autres cakes de l’heavyness des seventies. Il allume la gueule du mythe. Le «Whore» d’ouverture de bal est une belle énormité. Jim Wilson embarque sa whore pour la Cythère des enfers, avec un killer solo flash à la clé. Wow, quelle dégelée ! Nouvelle dégelée avec «Worthless Thing». Jim Wilson a un sens aigu de l’invasion. Il t’envahit vite fait. Il parie sur le stomp et rafle la mise. Il mixe la cavalcade avec le killer solo d’arrêt mortel et le wild as fuck. Autant dire que ça mousse. Il faut aussi le voir claquer son «Fell For You Like A Child» sous le couvert d’un certain boisseau.

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             Côté pochettes, ça s’améliore brutalement avec celle de Sin. C’est le plan des fameuses pochettes rouges (Slade Alive et le Grand Funk de Grand Funk Railroad). Au plan musical, Sin est un tout petit peu moins dense que les albums précédents. On croise une «Jaded Little Princess» montée sur les accords du «Sweet Jane» de Lou Reed. C’est exactement la même ambiance, le même swagger de boulevard. L’autre morceau phare de Sin est un heavy blues, «Spinnin», une belle descente au barbu. Jim Wilson n’oublie pas la règle d’or de Clovis Trouille : sous la robe de bure palpite le plus pur des barbus. Jim Wilson transforme son heavy blues en chute du Niagara, c’est un vrai déluge de son. Il fait du Superior supérieur avec «Strange Change». Wayne Kramer traite Jim Wilson de «missing link between Little Richard and a 100 Watt Marshall Amp». «Strange Change» est de l’heavy jus de jouvence avec une wah en contrepoint. Sur cet album, tout est une fois de plus drivé à la gratte. Il joue encore sa carte de heavy dude avec «Ain’t Afraid Of Dying», il chauffe sa baraque aux éclats subliminaux et passe avec «Fool Around» au big balladif. Il arrose toute la stratosphère de son, il devient presque black à force de romantisme downhome. Jim Wilson a du génie. Globalement, tous ses cuts ont de la tenue. Il chante bien et il sait placer ses riffs. Il n’engendre que de la délectation. Il faut le voir dans «Rocks» exploiter des rythmiques de bon aloi ! Il n’en finit plus d’injecter de l’heavy load dans ses cuts. Il termine avec l’excellent «Fade Out Wounded Animal» - I’m a wounded animal/ I’ve a bleeding heart.

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             Wayne Kramer produit 13 Violets. Il faut donc s’attendre à un festin de son. Et à des coups de génie, comme par exemple «*****» joué aux power-chords de marche arrière, pas de pire marche arrière que celle-ci, et tu as un refrain de chœurs de renvois, un vrai piétinement de Bérézina, une hérésie du rock moderne. Ça continue avec «Queen Of The Dead» et là, ça cavale au sommet du genre, ce démon de  Jim Wilson te taille un hit sur mesure - She’s all I want/ Queen of the dead - Il te plaque ça avec une candeur démente, comme si de rien n’était. Encore une belle énormité avec le morceau titre, noyé de power, même la voix se noie dans le remugle, ça gouille de dynamiques, ils sont passés à autre chose. Si tu tends l’oreille, tu entendras aussi des accents de Cream. Et voilà la triplette de Belleville : «Turbulence», «Fuel The Fire» et «Did You See It». Tu prends la dégelée de «Turbulence» en pleine poire, avec Jim Wilson, ça ne rigole pas, il envoie la disto maximale en éclatant de rire, ha ha ha, puis il attaque son «Fuel The Fire» à l’anglaise classique et pose là-dessus un chant très anglais, en mode heavy blues rock, puis il dégomme son «Did You See It» à coups d’accords à contre-temps. Ce sont les accords des Creation. Tout est bardé de barda, pur sonic trash ! Jim Wilson a de l’envergure. Il sait aussi caresser la comète du groove de Soul, comme le montre «Everything Is Alright». Pour ce faire, il ramène des cuivres. Il est tellement surprenant qu’il échappe à tous les radars. Il construit son œuvre. On devrait le décorer pour ça. Il met ses idée en scène. Ses idées valent de l’or. Avec «Kicked Around», il vise la cavalcade par dessus l’horizon. Rien que ça.

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             Moanin’ est probablement le meilleur album de Mother Superior. Ils n’arrêtent pas. Tu as au moins trois coups de génie, là-dedans, et une Stoogerie. Tiens on va commencer par elle : «A Hole», tout un programme ! Lancé comme une attaque, mais avec les riffs des Stooges. Et Jim Wilson plonge dans le fleuve de lave, c’est du big Motha fondu dans les Stooges. Extraordinaire ! Il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie. Il fait à la fin de l’album une version démente de «Jack The Ripper». Quelle avalanche ! Tu n’as pas le temps de t’enfuir. Ça prend des allures folles à la Asheton. Jim Wilson est un génie du mal. Pas de pire fournaise. Coup de génie encore avec «This Song Remains Me Of You», Jim Wilson fout le feu dans l’intro, il t’explose cette belle love song en bouquet d’harmonies doublé d’un heavy shuffle de gaga demented. Alors il part en vrille et te démolit tout le jeu de quilles. Encore une fois, il te tombe dessus et tu n’as même pas le temps de dire Omen. Killer Jim Wilson ! Il finit en solo d’apocalypse et t’aplatit pour de bon avec un solo de wah qui n’en finit pas. Cette fois, tu te jures que tu n’y mettras plus les pieds. Mais trop tard, car voilà «Get That Girl», vite expédié en enfer, en mode Basement Five - Watch out ! - Il te dégueule dessus, ce power trio détient tous les tenants des aboutissants. Jim Wilson se situe à l’extrême limite de la saturation. Et voilà «Little Mother Sister» qui va annoncer la suite. Jim Wilson en profite pour lâcher une armée de démons sur la terre, avec un solo qui s’étrangle de rage. Son «Fork In The Road» est complètement dévastateur, et soudain, on réalise que Jim Wilson porte la barbichette du diable. Il passe au Punk’s Not Dead avec «So Over You». Listen ! Ils te fondent dessus comme des démons échappés d’un bréviaire, c’est plein de vie et de fantastique énergie, away sail away, il lui demande de dégager vite fait. Même sa cocote pue l’enfer, comme le montre «Erase Her». Il lâche des nuages de soufre, il concentre tous les maux de la terre, ses solos sont des modèles de tisonnage, Jim Wilson et une bête de l’Apocalypse, il pue à la fois la Stoogerie et la chair brûlée, et encore une fois, il claque un solo digne de ceux de Ron Asheton.

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             Three Headed Dog est un bon album, même s’il est un peu moins dense que la brute immonde qui le précède. Jim Wilson annonce la couleur d’entrée de jeu avec «(I’m) Obsessed». C’est comme qui dirait réglé d’avance : il va te chauffer la cambuse pour l’hiver. C’est un roi des fournaises. Il ne jure que par les pelletées de braise et ses descentes au barbu restent spectaculaires. Avec «False Again», il fait du Fast Eddie Clarke, il joue à la surface des flammes. Il amène «Shady Lady» comme une marée du siècle. Ses power-chords deviennent historiques. Il ralentit un peu le mouvement avec «Today That Day», il tape un heavy slowah comme le fait si bien Reigning Sound. Jim Wilson a tout le power du monde au creux de ses mains. Il redevient un démon pour «Panic Attack». Il fait de l’heavy punk de Motha, très buté, stop/start, et ils repartent au Goddamnit. Son seul vice est de vouloir t’emmener chaque fois en enfer. Mais c’est pour ton bien. Jim Wilson est aussi un chanteur puissant : il distille le poison de son power à petites doses dans le fond de sa gorge, comme le montre «Sleep». On se rend malade à force de fréquenter des artistes aussi doués. Il tape son «Left For Dead» à l’énormité prévalente, il le noie dans la purée. Spectacle dégoûtant. Il termine avec un «Standing Still» d’une déroutante qualité artistique.

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             Grande, le dernier album en date de Mother Superior, est paru en 2008 sur un petit label toulousain, Kicking Records. Grande bénéficie d’une très belle pochette, bien dans l’axe Mère Supérieure des surréalistes. Il s’agit d’une collection of Mother Superior songs old, new borrowed and blues, comme l’indique le dos de la pochette. Le coup de génie de l’album est la cover d’«Happiness Is A Warm Gun», chef-d’œuvre lennonien tiré du White Album. Jim Wilson cocote bien sa purée d’I need a fix/ Cause I’m going down. Il surgit comme un saumon dans le Mother Superior jumped the gun, puis il se fait sécher au soleil d’Happiness - And I feel my finger on your trigger/ I know nobody can do me no harm - C’est bien que des grands artistes comme Jim Wilson puissent rendre hommage à John Lennon - Well don’t you know that happiness is a warm gun momma ? - Ceci dit, on trouve pas mal de petites énormités sur cet album bien né, comme par exemple «Five Stars», puissant, joué en retenue, avec un riff alourdi qui affale au longeant par bâbord. «Brain Child» va plus sur l’heavy doom, un empire que Jim Wilson aime à bâtir, mais on n’en voit guère l’intérêt, comme dirait Martin Guerre. Le «Meltdown» qui ouvre le bon bal de B sent bon la Stonesy, mais aussi Free, dans l’idée du riff.

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             Et puis tu as toute la période Rollins Band, qui démarre en l’an 2000 avec l’épuisant Get Some Go Again. Tout n’est que blast, luxe et volupté sur cet album. Ça grouille de puces. Hommage stupéfiant aux Groovies de «Teenage Head» avec «Monster». Jim Wilson descend en mode heavy Leigh Stephens dans les Groovies de Roy Loney et ça donne un sommet un lard fumant. Rollins chante jusqu’au bout de ses forces et Jim Wislon cloue le cut au ciel lors d’un sacrifice d’une effroyable noirceur. De toute façon, tu comprends dès «Illumination» que le ciel va te tomber sur la tête. Rollins raconte qu’il traverse des yellow deserts et pose son yeah, c’est un féroce screamer, et bam !, Jim Wilson part en vrille de no way out. Bienvenue du paradis du sonic blast ! Ici tout prend feu sans qu’on sache pourquoi. Rollins scande son morceau titre - Get some/ Get some - et l’attaque de plein fouet. Il chante vraiment comme un capitaine de flibuste, ce n’est pas une vue de l’esprit. Il chante à l’abordage, il monte à l’assaut du rock, c’est très physique, et Jim Wilson lève des tempêtes. Ils tapent «Thinking Cap» au heavy beat tribal et ça ressemble très vite à une invasion, yeah, la menace est là, dans la voix de Rollins, il chevauche en tête, sur un petit cheval, c’est lui Attila, menton rouge de sang. Tant de power te fait rêver. Ah ah, Rollins se marre. Et tu vois «Change It Up» s’écrouler aux accords de trombose, ils tapent dans toutes les configurations - Life’s so Short ! - Nouvel assaut avec «I Go Day Glo», Rollins shoute tout à la force du poignet et enfonce ses Oh Yeah Oh Yeah comme des clous dans des paumes. S’ensuit un hommage cinglant à Lizzy avec une cover d’«Are You Ready». Et ça continue de brûler jusqu’à la fin, les accords de Jim Wilson éclosent comme des Fleurs du Mal dans «On The Day», «You Let Yourself Down» explose à coup d’all nite long, Jim Wilson noie «Brother Interior» dans les poux et Jason Mackenroth bat le beurre du diable dans «Hotter & Hotter». Il arrive un moment où ta cervelle jette l’éponge. Trop c’est trop.

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             Attention, il existe une version enhanced de Get Some Go Again : sur le CD2, tu as quatre killer cuts et des vidéos. Franchement, ça vaut le détour, même si on vient de faire une petite overdose avec le CD1. On se régale de la grosse cocote cra-cra de Jim Wilson sur «Side By Side». Il t’installe au cœur de la heavyness et part en sale vrille dégueulasse. Il refait le coup dans «100 Miles» avec un killer solo flash qui restera dans les annales. Et voilà le clou du spectacle : une version live de «What Have I Got», montée en épingle d’Ararat dans un déluge apocalyptique. En bon pirate tatoué et barbare, Rollins stone fait son monster basher - What Have I got?/ Nothing much at all.

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             Un autre double CD paraît 5 ans plus tard sur le label d’Henry le pirate, 2.13.61 Records : Get Some Go Again Sessions. Sur la pochette on peut lire : Henry Rollins & Mother Superior. On a pendant des années considéré ce double CD comme l’un des plus explosifs de l’histoire des explosions. On y retrouve bien sûr tous les hits de Get Some Go Again, mais bruts de décoffrage. On a l’impression d’écouter l’album de blast définitif. Il faut entendre Rollins stone attaque «Monster» au I’m a monster, entendre la chape de plomb d’un «Illumination» heavy as hell, avec un Rollins stone qui hurle tout ce qu’il peut, l’encore plus brutal «Thinking Cap», gratté dans le chaos d’une fournaise extrême, c’est gorgé de power avec un Jim Wilson qui rôde dans le chaos, et puis tu retrouves le «Change It Up» tapé au blast de funk, gratté aux accords de fer blanc, des accords qu’on n’entendra jamais ailleurs. Sur la version d’«Are You Ready», tu as Scott Gorham qui vient foutre le feu à Lizzy. C’est son métier. Et ça devient encore plus mythique avec «Hotter & Hotter» car Wayne Kramer entre dans la danse, il est l’œil du cyclone, ça en fait deux avec Jim Wilson, c’est battu à la Mother par ce fou de Jason Mackenroth. C’est lui le propulseur nucléaire. Et ça monte encore d’un cran avec «LA Money Train» - So Jason are you ready ? - Yeah ! Wayne Kramer reste dans la danse et Rollins stone lance son talking blues - All aboard - Ça gratte aux funky guitars. Pur genius d’Henry Rollins qui en fait est un spécialiste du talking blues. Ah il faut avoir écouté ça au moins une fois dans sa vie - Yeah I get so tired of all the drama - C’est un texte fleuve qu’il swingue à la force du poignet - Sometimes I think it’s all over/ No more Coltrane/ No more Duke/ No more Monk, Jimi, Otis, Aretha, Daisy, or Sly/ And no one seems to stop and wonder why/ And I turn on the radio and it makes me wanna cry/ Because I know it’s never gonna come around again/ And it makes me cry because I know that there’s so many people who’ll never get to hear Mahalia Jackson, Mississippi Fred McDowell, Lightning, Lemmon, Curtis, Marvin, and the Reverend Al Green - Il se plaint de la médiocrité qui s’est abattue sur la terre - The airways are clogged and it’s not looking good/ In fact it’s looking pretty mediocre out there/ But I digress - «LA Money Train» est l’un des très grands chefs-d’œuvre de l’histoire du rock américain, tous mots bien pesés. C’est la raison pour laquelle il faut choper les Get Some Go Again Sessions. Après, ça continue avec «Side By Side» et sa grosse cocote, cut palpitant de power occulte à la Sabbath, avec un Jim Wilson qui part en rase-motte délétère, suivi de «100 Miles» heavy as hell d’I want your blood. Impossible de faire plus heavy. Rollins stone étale son power dans la purée de Mother. Jim Wilson atteint encore à la démesure avec «Summer Nights», il reste ce guitar hero si prodigue de beauté et de violence. Ils attaquent le disk 2  avec «Yellow Blues», idéal pour ces Bêtes de l’Apocalypse que sont Rollins stone et Mother. Puis ils plongent «Don’t Let This Be» dans un bouillon d’heavyness. Ils sont au sommet du genre. Ils aplatissent tout le rock, le beat avance à pas d’éléphants. Plus heavy, ça n’existe pas. Rollins stone hurle dans la cave de l’Inquisition. Ça fout la trouille. Et tout se barre en sucette dans «Coma». C’est du grand art dégénéré. Rollins stone pousse les hurlements d’un loup qui serait devenu fou. Jim Wilson te tombe encore dessus avec «Hold On». Il continue de dérouler la pire heavyness d’Amérique - You must hold on/ Cold nights/ Long nights - On croise encore une version d’«Illumination», ce heavy groove urbain tailladé d’incursions massives, enfin bref, ça ne s’arrête pas. Ils bourrent le mou du rock jusqu’au bout.

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             Le Nice qui sort en 2001 est ce qu’on appelle ici une abomination. Un album explosé d’entrée de jeu avec un «One Shot» digne du MC5, avec en plus tout le poids de Rollins stone dans la balance - You take one shot - et Jim Wilson plonge aussitôt le cut vivant dans la bassine d’huile bouillante. Tu as là l’un des sommets du rock américain. Un de plus. Pas compliqué : tu as trois coups de génie enchaînés, «One Shot», «Up For It» et «Gone Into The Zero». Ah le power inexorable d’«Up For it», une vraie dégelée royale de stay up for it et ça se répand all over avec «Gone Inside The Zero», Rollins stone se jette dedans, c’est de plus en plus explosif, il n’existe rien de plus dense ici bas. Rollins stone installe encore la suprématie de l’heavyness avec un «Hello» qu’il scande, hello darkness ! Il passe au rap avec «Your Number Is One», il va chercher des vibes sous le boisseau, et soudain il surgit, one ! One !, et le saumon Jim Wilson gratte dans l’arc en ciel des légendes celtiques. Il faut aussi saluer les dynamiques acrobatiques de Marcus Blake et de Jason Mackenroth. Des lèpres d’heavyness ravagent «Stop Look Listen» et Maxayn Lewis vient faire des chœurs dans «I Want So Much More». Pur power de Rollins stone - I want get some ! - Trompette ! Demented ! Encore de l’heavyness maximaliste avec «Hangin’ Around», Rollins stone écrase bien le champignon d’oh yeah, il ramène tout l’oh yeah qu’il peut dans la soupe aux choux de la mère supérieure. Tu vois Jim Wilson se faufiler comme une couleuvre de printemps dans les moiteurs de l’épaisseur et soudain, ça prend feu ! Avec Wayne Kramer, il est le géant incontestable du wild sonic fire. Encore plus heavy, comme si c’était possible, voici «Going Out Strange», ça culmine jusqu’au vertige. Le vertige, c’est leur fonds de commerce. Ça cloue dans les paumes à coups redoublés. Et ça s’arrête enfin avec «Let That Devil Out» monté sur un groove de jazz bass de Marcus Blake. Furia del diablo. Blake te monte ça en épingle demented.

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             A Nicer Shade Of Red paraît aussi sur 2.13.61 Records, le label de Rollins stone. Ce sont des albums difficiles à trouver. Dans la distribution des rôles, Rollins n’est pas crédité vox mais throat. Départ en trombe avec «Too Much Rock & Roll». Jim Wilson te travaille ça au tison ardent et Rollins stone lance l’assaut à coup d’Oh yeah. C’est vite plié à coups de clameurs extravagantes. Retour aux affaires sérieuses avec «Marcus Has The Evil In Him». C’est l’enfer sur la terre, ils creusent des tunnels dans ta cervelle. Jim Wilson zèbre tout ça d’éclairs, comme Zorro. On reste dans les affaires sérieuses avec un «Nowhere To Be But Inside» battu à la vie à la mort. Rollins stone mène son bal à l’énergie pure et Jim Wilson en rajoute. «10X» est heavily evil ou evily heavy, c’est comme tu veux. Punks’ not dead avec «Always The Same» - You/ Dont/ Like me/ It’s always the same - Assaut magnifique de punkitude américaine, l’une des rares qui soit éligible, d’autant que Rollins stone te la monte en neige et que Jim Wilson te l’explose au killer solo flash. Qui saura dire la grandeur de Mother Superior ? «Raped» sonne un brin hardcoreux, à cause du titre, sans doute. Idéal pour la bande son d’Irréversible - Fuck you/ Fuck me - Le Rollins y met toute sa gomme de gommeux californien. Puis ils tapent une cover d’«Ain’t it Fun» des Dead Boys, Jim Wilson y fout le feu, c’est plus fort que lui. Puis il renoue avec sa dimension antique dans «You Lost Me», cris d’éléphants de combat et clameurs de boucherie, c’est lui Jim Wilson qui fait l’éléphant. Rendu fou par les centaines de flèches fichées dans sa peau, il piétine tout. On peut dire que Rollins stone a de la veine d’avoir ces trois mecs-là derrière lui. On retrouve l’excellent «Your Number Is One» en version longue. Les Mother sont très complets : Jason-beurre du diable, Marcus-God bassmatic et Jim Wilson-défi permanent aux dieux de l’Olympe. Ils tapent le cœur de cut aux percus et Rollins scande son one one the only one. Tu es vraiment content d’être là. C’est encore Marcus Blake qui claque l’intro de «Such A Drag» et Jim Wilson se farcit le shuffle d’orgue - Sometimes it’s such a drag - et ça vire talking blues de Rollins stone le héros. 

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             Encore un 2.13.61 Record qui vaut le détour : The Only Way To Know For Sure. Car ce sont des versions live de toutes abominations pré-citées. Tu retrouves «Up For It» que Jim Wilson lance au riff insistant et ça devient addictif. On se retrouve au sommet du genre, comme avec les Screaming Trees. Sur «What’s The Matter», Jason Mackenroth bat comme un démon abandonné du diable. Rollins stone annonce ensuite «Tearing» - This song is called Tearing Me Apart yeahhhhh ! - et il se jette à l’eau comme Tarzan sur Jane. Pour une raison X, «Illumination» n’atteint pas le niveau de la version studio et ça repart ventre à terre avec «Hotter & Hotter». Rollins stone ne parvient pas à créer sa magie, c’est Jim Wilson qui vole le show. Il flotte comme un vampire au dessus de la fournaise. S’ensuit la fantastique dégelée d’I’m A monster. Ça devient enfin très sexy. Puis ça explose avec «Stop Look Listen», ça joue dru, à la pluie de feu, ils te collent au mur. Ces mecs n’en finissent plus de gagner les régions supérieures de la fournaise intégrale. Encore un appel à l’émeute avec «All I Want», Rollins stone grimpe sur la barricade, please please ! Puis il rentre à coups d’hello dans le chou de son vieux «Hello». Nouvel assaut avec «One Shot», Rollins stone semble chanter avec une meute de loups, ça bombarde encore plus qu’au temps du Bomber de Motörhead. Explosif ! Et ça grimpe en apothéose avec «Going Out Strange». Rollins stone chevauche un dragon, avec toute la heavyness du monde derrière lui - I don’t care going out strange - Big man Rollins assomme ses cuts d’un coup de poing, comme l’ancêtre de Jerry Lee qui assommait un bœuf d’un seul coup de poing et que décrit Nick Tosches dans Hellfire. L’autre image qui saute aux yeux : Rollins stone jaillit des torrents comme un saumon pourri et tatoué. Puis Jim Wilson tape «Thinking Cap» aux accords des Stooges sous un boisseau de plomb - You’ve got soul/ If you don’t/ You wouldn’t be in there - Acclamations ! Rollins stone fait un prêche demented puis il tape sur la tête du beat de «Get Some Go Again». Il est probablement la pire brute d’Amérique. Riff raff de no way out et ce dingue de Jim Wilson refout de feu. Ils terminent cette virée infernale avec un «Your Number Is One» qu’annone Rollins stone et bien sûr, c’est claqué du beignet, on voit ce saumon géant tatoué tituber dans les fumées du groove. 

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             Alors attention, c’est encore un enhanced CD, et le disk 2 est encore pire que l’1. Rollins stone l’attaque avec «Gone Inside The Zero» - Shut your mouth now cause it’s gonna be a little bit introspective - C’est du hardcore, le pire, atrocement violent, puis ils embrayent le destroy oh boy de «Nowhere To Go But Inside», Jim Wilson is on fire et les deux fous derrière fourbissent le pilon des forges. Ils enchaînent deux covers fatales, l’«Are You Ready» de Lizzy et le «Do It» des Fairies. Rollins stone lâche sa meute. Il explose la rondelle de Lizzy en mille morceaux. Ah ces Américains, ils ne respectent rien ! Power demented pour Do It, ultime hommage apocalyptique. Ils bouffent les Fairies tout crus. Il n’existe pas de pire power que celui de «You Don’t Need». Les Mother sont les Demeter du rock, les mères de la terre, et avec le Rollins stone, ils règnent sans partage sur la terre comme au ciel. Rollins stone réclame encore du rab avec «I Want So Much More». Il est aux abois. On l’admire pour sa violence verbale. Cet album relève du surnaturel, le mélange des deux powers (Mother + Rollins) échappe aux normes. On frise encore l’overdose avec «Always The Same», tout flambe jusqu’à l’horizon, les villes et les plaines, puis «We Walk Alone» s’en va rôtir dans les flammes de l’enfer, Rollins stone se hisse au sommet du genre et tout finit par s’écrouler dans les flammes avec «Marcus Has The Evil With Him», trop heavy beaucoup heavy, les cocotes se mêlent et Rollins pousse. C’est atroce.  

    Signé : Cazengler, Mother Inferior

    Mother Superior. Right In A Row. Not On Label 1993

    Mother Superior. Kaleidoscope. Top Beat 1997

    Mother Superior. Deep. Top Beat 1998

    Mother Superior. Mother Superior. Triple X Records 2001

    Mother Superior. Sin. Muscle Tone Records Inc. 2002

    Mother Superior. 13 Violets. Top Beat 2004

    Mother Superior. Moanin’. Bad Reputation 2005

    Mother Superior. Three Headed Dog. Rosa Records 2007

    Mother Superior. Grande. Kicking Records 2008

    Rollins Band. Get Some Go Again. DreamWorks Records 2000 

    Rollins Band. A Nicer Shade Of Red. 2.13.61 Records 2001

    Rollins Band. Nice. Steamhammer 2001

    Rollins Band. The Only Way To Know For Sure. 2.13.61 Records 2002 

    Henry Rollins & Mother Superior. Get Some Go Again Sessions. 2.13.61 Records 2005

     

    *

             Y a des chiens plus méchants que d’autres, celui-ci jouit d’une étrange particularité, qui l’eût cru, il est cru. Les esprits rationnels affirmeront que tous les chiens sont crus à moins que vous ne les fassiez cuire. Oui mais j’insiste celui-ci est particulier, il possède deux têtes. Ne criez pas que je raconte n’importe quoi, c’est un chien dans l’air du temps, il respecte la mixité sociale, une tête féminine, une tête masculine. Si vous ne me croyez pas relisez la chronique 382 du 15 janvier 2019, pas en entier il suffit de se rapporter à celle qui s’intitule :

    RAWDOG

              Un concert à La Comedia, avant que l’ordre moral libéral – comme ces deux mots riment très bien ensemble - ne réussisse à faire fermer cet antre de liberté, bref z’étaient deux sur scène, une fille-un gars, j’avais beaucoup aimé, or ils viennent de sortir une vidéo, que voulez-vous quand la meute aboie, l’on se rameute pour voir :

    FILE MOI TON GUN

    (Vidéo Clip Officiel)

    z23436filegun.jpg

             La zique balance sec. Les images sont vacancières. On joue au ping-pong. Non le tueur n’est pas loin, oui il est tout près. Dès qu’il se montre, on s’amuse comme des gosses. Balançoire et trampoline. Un véritable jardin d’enfants. La traque commence. Le jeu du chat et de la souris. Se prennent pour des agents secrets (doivent lire Rockambolesques toutes les semaines). Je vous laisse découvrir la fin. En plus il y en a deux. Soyons logique si Rawdog a deux têtes pourquoi n’aurait-il pas deux arrière-trains. La dernière est la plus marrante. Plus le générique est long, plus il est bon. La première est beaucoup plus subtile. Pose les questions embarrassantes, quand on joue n’est-ce pas pour de vrai ? D’ailleurs le vrai est-il exactement le contraire du faux, à moins que ce ne soit le faux qui ne soit que l’autre face du vrai. Les psychanalystes vous demanderont si le désir a besoin d’être assouvi pour être désir. Le désir de mort peut-il survivre ? Tiens, ils l’ont sorti le premier Mars. Le mois de la guerre. Les stratèges en chambre déclareront que ce clip pose les bonnes questions. Et que contrairement à eux ils apportent la bonne réponse.

             Un an et demi qu’ils n’avaient rien sorti. Par curiosité l’on est allé grapiller par-ci par-là d’autres vidéos.

    BLURRED

    (Vidéo Clip Officiel)

    z23437blurred.jpg

             Attention changement d’ambiance, c’est le morceau qui a donné son titre à leur premier album sorti en 2014. Belle couve, m’évoque le texte   Sur le théâtre de marionnettes d’Heinrich Von Kleist, nous en reparlerons dans une future livraison dans laquelle on se penchera sur l’album. Le dico me propose de traduire Blurred par flou, le mieux serait de transformer cet adjectif en participe passé, Floué me semble rendre mieux l’atmosphère qui se dégage de cette vidéo. Normalement sur scène Audrey joue de la batterie et Mike de la guitare. Ceux qui auront aimé File moi ton gun risque d’être désorientés, certes c’est carré, bien ficelé, mais comparé à Blurred, c’est un peu comme si vous passez des Bijoux de la Castafiore d’Hergé à La Chartreuse de Parme de Stendhal. Déjà exit la couleur, elle cède la place au noir et au blanc. Il vaudrait mieux dire au rouge.

             Encore une fois c’est subtil. Mais pas de la même manière. Ici on ne s’amuse plus. En plein drame. Rien de pharamineux ou d’extraordinaire. Deux êtres qui se quittent. Rien de plus banal. Tout reste dans le non-dit. Faut se fixer sur les détails, une branche d’arbre qui gouttège, des bibelots enveloppés dans du verre ou du plastique, des poupées enfermés dans leur cages, et le piano qui résonne qui s’accapare l’espace sonore et mental, Audrey martèle les touches, voudrait-elle enterrer son mal qu’elle ne s’y prendrait pas autrement, c’est d’ailleurs ce qu’elle fera quand elle enfouira la hache de paix et de guerre symboliques dans le sol, ils sont encore deux mais ils suivent  des chemins parallèles qui ne se rencontreront plus jamais, qui s’écartent définitivement, lui effondré dans un fauteuil, l’atmosphère est lourde, il joue de la guitare comme d’un violoncelle, funèbre. Deux instruments, deux manières d’exprimer le désespoir.

             J’ai dit subtil et j’ai dit : non-dit. Prenez le temps de regarder cette vidéo. Toutes les cinq secondes arrêtez l’image et examinez attentivement. Faut remercier Elise Colette et Laura Icart pour la réalisation. Une merveille de minutie. De précision. Remerciez-moi pour cet intermède. J’espère que vous en avez profité pour écouter la voix d’Audrey. Elle doit ressembler à celle d’Eurydice. No happy end, il n’y aura pas d’Orphée. Même pas pour la retenir. On ne se bat pas contre l’inéluctable. Nous sommes dans l’attente. Elle viendra. Elle a toujours son apparence de tranchant de guillotine.

             Quatre minutes et vingt-cinq secondes, une fenêtre ouverte sur le bord de l’éternité.

             C’est aussi beau que certaines élégies de Nico.

    LES BRUTES

    (Clip Vidéo)

    (Enregistré et filmé en live le mardi 29 avril

    2018 A Mains d’œuvres Saint-Ouen 95)

             Le titre sortira sur leur EP Julia en mars 2019. Belle couve. Sont dos à dos. Le corps marqué de traces sanglantes. Un EP très politique. Niveau sociétal et mondial. Rien à voir la vidéo qui précède. De véritables caméléons, au bon sens du terme. Possèdent une large palette. D’inspiration et d’expression.

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             Plus noir que noir. Live ici ne signifie pas en public. Pas besoin de stopper l’image pour admirer les détails. Juste le minimum : Audrey à la batterie, Mike à la guitare. Superbe prise de vue, sont ensemble mais si vous le désirez, vous pouvez n’en regarder qu’un des deux.  Un vieux larsen des familles qui traîne et c’est parti. Audrey est époustouflante, elle frappe, elle cogne, le son tournoie comme une valse qui ne saurait plus s’arrêter. Remet une pièce dans le jukebox avant qu’il ne s’arrête, jette de l’essence sur l’incendie. Je suis surpris, j’ai commencé par lire les paroles données sur la vidéo, elles sont en français, m’étais dit un truc pour Audrey, un bidule sur les bonnes femmes maltraitées, crac, tant pis pour moi c’est Mike qui envoie les lyrics, ce n’est pas qu’il chante mal mais le meilleur est à venir, une fois qu’il envoyé le texte dans les cordes du ring, se donnent tous les deux à fond, ça caracole dans le rock’n’roll, ils ouraganent à mort avec ces demi-secondes d’arrêt, genre, ne faudrait pas croire que l’on ne maîtrise pas, un délice, l’on se croirait dans le jardin d’Octave Mirbeau, tellement ça fait du bien. Z’ont joué comme des brutes mais avec la finesse des ballerines.

             Faut remercier toute l’équipe qui a participé à cette splendeur.

    SUR LA ROUTE

    (Clip Officiel)

    Un titre issu de leur EP Riding The Monster, chevaucher le tigre aurait dit Julius Evola, sorti en novembre 2022. Une super belle couve. Très arty. Qui ressemble à presque rien. Remettez l’image dans le bon sens et vous aurez une bonne photo. Avec le clic pour l’incliner sur la droite, ce n’est plus la même chose. L’impression d’une chute irréversible. Le monster à monter n’est pas commode à maîtriser.

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    Se débrouillent pour toujours pour avoir ces clips originaux. Ce coup-ci ils ont trafiqué. Une paire de ciseaux et un vieux film, The carnival of souls, de Herk Harvey. Suffit de taper sur internet pour le voir en version intégrale et originale.

    Rien qu’au titre on sait qu’on est en Amérique. Rien à voir avec le roman de Kerouac. L’ambiance est beaucoup plus trouble. Les lyrics ne racontent pas le film. Z’ont pratiqué la technique des OGM, vous prenez une plante et vous lui transplanter des gènes adaptatifs particuliers d’un autre végétal qui la rendront plus solides.  Ici vous avez les images du film et la musique. A la limite une vulgaire bande-son chargée de faire passer le film d’une manière plus appétissante. Le ketchup dont vous arrosez le chou-fleur qui sans lui serait bien fade. Attention, il ne faudrait pas le chou-fleur vous rende le ketchup agréable. L’est vrai que les images sont magnifiques et qu’elles captent l’attention. C’est alors que Rawdog sort son arme secrète. Envoûtante. Elle se fond en vous, porter plainte pour manipulation mentale, vous pourriez le tenter, aux States, pas par chez nous. Vous êtes déjà sur le clip et vous n’avez rien remarqué, quels mauvais détectives vous feriez, le chien cru vous a roulé dans la farine, vous faut un moment pour que vous réalisiez, non ce n’est pas Audrey qui est responsable, c’est sa voix, vous voyez les images, mais maintenant elles ne correspondent plus à l’histoire originelle, elles vous guident, vous ne savez pas où, pourtant c’est infiniment simple, sur la route, vous la suivriez jusqu’au bout du monde, vous être prêts à vous taper  six allers retours sur la 666  rien que pour le plaisir d’entendre ce chant de sirène… Hélas, Rawdog interrompt votre enchantement, et ils vous refilent, ils vous l’écrivent en gros, ils débranchent la musique, une scène du film pour vous arracher à vos rêveries, elles auraient pu comme dans le chef d’œuvre de Herk Harvey vous faire passer de l’autre côté. Je ne crois pas que vous auriez aimé.

    Rawdog vaut le détour. Grunge, punk, pop, vous aurez du mal à les cataloguer. Un groupe différent des autres. Créatif.

    Damie Chad.

     

    *

                    La pochette m’a arraché la vue. Ce n’est pas une nouveauté, l’est mis en ligne en ce début de mois de mars 2024 par Symphonic Black Music Promotion. Un vieux groupe, plus de trente ans. Des Belges. Le metal regorge d’univers perdus, mais un groupe de metal oublié n’est-il pas aussi un univers perdu, une de ces anciennes lointaines planètes oubliées qui n’ont été qu’une étape ensevelie dans les légendes de la conquête des mondes des rêves nervaliens… aliens… aliens… aliens… répète l’écho des mémoires endormies…

    MEMORIAM DRACONIS

    AVATAR

    (Wood Nymph Records / 1996)

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    Vous ne l’avez jamais vu, vous ne le connaissez pas, vous voulez rire ou vous moquer du monde, il en a plus de deux cent cinquante à son actif, entre 1994 et 2024. Vous ne me croyez pas, faites un tour (attention ce sera long) sur son site ou sur discogs il suffit de taper son nom et bonjour le défilé de pochettes d’albums metallisés, rien qu’en parcourant rapidement j’en ai déjà repéré quelque unes qui étaient déjà passées sous mes yeux et dont je n’ai encore à ce jour jamais écouter les vinyles ou les CD qu’elles renferment. Kris Verwimp, une fois n’est pas coutume pour changer un peu, je vous refile une photo d’une de ses expos, j’aurais pu choisir un mur tapissé de ses artworks, j’ai privilégié le public, des amateurs d’art et de rock.

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    Pour la couve je vous laisse choisir entre les deux interprétations suivantes : l’image est une représentation de la chute de Rome, tout le monde sera d’accord là-dessus. Pour cadrer avec le sujet de l’opus, l’on veut bien croire que le Chef barbare muni d’une longue épée soit une représentation de Dracon, le problème ce sont ses guerriers. Faute de genre, ce sont des guerrières qui mettent à mal les derniers légionnaires qui tentent vainement de s’opposer… Nos ligues féministes ne manqueront pas de nous expliquer qu’en s’emparant de la capitale de l’Empire nos Amazones mettent fin des siècles de domination phallocratique symbolisé par le pouvoir romain.

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    Les adversaires de cette première thèse affirmeront au contraire que si Dracon puissance du Mal absolu est aidé dans ses conquêtes par des hordes féminines, c’est que rien de bon ne saurait arriver par la femme, qu’elles sont définitivement vouées de par leur nature intrinsèque à servir les forces du Mal…

    Hyberia : bass / Anjelen : guitar / Izaroth : synthétiseur / Azadaimon : percu / Occulta : vocals, guitar.

    …Memoriam draconis - Intro : notes claviériques, comme du vent soufflé sur les traces de pas de ce fameux Dracon qui ne serait plus qu’une ombre légendaire, un souvenir rongé par les dents usées du temps, est-ce pour l’effacer ou la ressusciter. Il semblerait que cette intro musicale se refuse à une vision grandiose, un peu comme le travail des archéologues qui travaillent sur un chantier de fouilles d’exhumation d’une civilisation anéantie en grattant précautionneusement le sol avec une petite cuillère. Par quel miracle pourrait-on faire tout un monde disparu dans une cuiller à dessert… Mists of evil : orages, pluie soutenue, guitare acoustique, sans préavis, le metal fond sur vous, soutenue par la voix djentée du Serpent, mais qui parle, ne serait-ce pas le Draco lui-même qui marcherait sur ses propres traces, par où passe-t-il, si l’Empereur Julien a pris le chemin des onagres,  Draco a choisi la voix nébuleuse des songes encartés dans les esprits humains, la route est incertaine, de larges pans de synthétiseur s’amusent à brouiller les pistes, un seul refuge pour Draco, rentrer en lui-même, en ses propres souvenirs, en sa propre existence qu’il a laissée derrière lui, n’est-il pas le Serpent à tête de loup qui ondoyait au-devant des troupes barbares qui combattirent Rome, et les légions ne s’emparèrent-elles pas de cet insigne, qu'elles arborèrent fièrement, Draco partout, Draco sur tous les versants, écoutez le basculement pirouettique de la batterie qui ne sait plus de quel côté se tourner, le synthé bat de l’aile frénétiquement, au plus profond de la plaie, arracher les moindres fibres de toute sollicitude humaine, il venait de la lumière élyséenne, la déesse du Ciel l’a trahi, il s’est débattu contre elle, contre lui-même il s’est libéré. A most excellent charm in solemn endurance : le Serpent connaît l’ancienne formule blasphématoire assyrienne du refus des biens terrestres, il crache son mépris, il s’inocule son propre venin, il récite la sentence définitive qui le coupe du monde, le synthé pleure, la batterie délire, les guitares sont en déroute, l’irrémédiable est accompli, pas de retour possible en arrière, il a franchi la ligne qui le sépare des hommes, l’est empli d’une autre plénitude. Petite musique de nuit. Profonde. The eternal nothingness : grondement de chœurs mortuaires, annonciation des âges noirs, la batterie lance l’assaut, le Serpent donne de la voix, il précède les armées conquérantes qui s’abattent sur l’humanité, le fléau du destin moissonne les hommes, épopée d’égorgements et de sang, rideaux de désespérances, les synthés tissent les linceuls du désespoir, la course se précipite, une cavalcade de plus et l’on tombera dans l’abîme, si vous êtes de la race humaine, vous avez du souci à vous faire, des envolées angéliques chantent le confiteor de votre malheur, l’ennemi pousse déjà ses chevaux sur le tapis de pourpre de vos cadavres, le serpent ondoie parmi les vents du carnage. Le malheur de tous fait le bonheur du Serpent. Il exulte. Il triomphe.

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    Seduced by necromancy : juste une imprécation, le monde est mort, mais des voyageurs traversent le désert de cendre, ils cherchent le pays situé de l’autre côté des étoiles, ce sont les thuriféraires en quête du royaume de Cthulthu. Peu d’appelés, encore moins d’élus. Seule la poésie par la voix du poème pouvait rendre compte de cette frontière. Emperors of the night : le Serpent exulte, il danse, il est entré dans le pays qu’il recherchait, il a obtenu réparation, il est devenu immortel, il est un empereur de la nuit, un dieu du mal, la batterie hache menu la tête des innocents, les claviers tissent des tentures rutilantes, joie tous azimuts, bal du masque de la mort rouge, la cruauté est le seul délice qu’il s’autorise, il ne parle plus, il ne déclame plus il vomit, grandes orgues des requiems éternels à épandre sur toute la surface du monde. Sands of scheol : tonnerre, le serpent crache, il prend l’un et il prend l’autre, car si l’un est : il est aussi l’autre, Draco se compare à lui comme un Serpent rampant dans la poussière de l’Enfer, la batterie totalement folle, les orgues derrière en renfort, plus un poème lu, une voix off, pour décrire l’intérieur et l’extérieur, le microcosme et le macrocosme, le créateur et la créature. Le moment du doute et du Dieu unique. Mais si le Dieu est un, il est aussi faiblesse et cela amoindrit sa puissance. Hymn to the ancient ones : notes grêles et graciles accompagnent les éructations du Serpent, avant le Dieu unique, il y en eu d’autres, les grands anciens, le Serpent les nomme, non ils ne sont pas lovecraftiens, ils résidaient en Mésopotamie, rappelons-nous que dans l’épopée de Gilgamesh c’est le Serpent qui mange la plante d’immortalité empêchant ainsi le héros de devenir immortel. Serait-ce la revanche du Serpent. D’ailleurs le Serpent n’est-il pas le fils de Tiamat la déesse du chaos originel. Reviendrions-nous au début de l’histoire, ne serait-ce pas elle qui aurait trahi Draco. Le Serpent se mord-il la queue… Star castle : le Serpent éructe, sont-ce ses derniers mots, parle-t-il de lui-même à la troisième personne, tant sa propre grandeur le dépasse, tonnerre processiorial, enfouissement au fond des profondeurs, le Serpent est mort et enterré, il parle encore, n’est-il pas devenu dieu en se trempant dans le bain maternel originel, naissance d’un nouveau culte, farandole musicale, la batterie batifole et les synthés font des boucles comme des enfants qui soufflent des bulles avec  leurs jouets, le Serpent ne parle plus, sa puissance n’a plus besoin de sa parole pour accéder à l’être. Il réclame le seul impôt qu’on lui doit, dévotion et adoration. Alors il frétille d’aise dans son tombeau. La batterie scelle les sceaux inviolables de son enfermement en lui-même. The mines of Moria – Outro : autant les deux minutes de l’intro furent courtes, autant l’outro instrumentale frise les dix-sept minutes. Avatar vous donne le temps de réfléchir et de méditer. Heure de gloire pour les synthés qui obscurcissent le ciel. Avatar a-t-il eu la prescience que ce serait leur premier et dernier album, des chœurs s’embrasent, ont-ils voulu tout mettre, tout dire, un sacré mélange mythologique, z’ont fourré tout le frigo dans le sandwich, histoire, littérature, rappelons que Moira est une cité tolkiénique de la Terre du Milieu qui deviendra l’apanage de Sauron, entremêlements de mythes primordiaux orientaux, grand espace de silence, n’arrêtez pas, ce n’est pas fini, ce n’est pas un blanc ou une erreur technique, ce coup-ci ils ont sorti les violons et l’on est en plein musique classique, z’ont soigné le générique, comme des notes de clarinettes, parodions Alfred de Vigny, rappelons-nous que le Serpent a une tête de loup, c’est pour cela qu’il est aussi un loup pour les hommes, seul le silence des Dieux est grand.

             Souvenez-vous du Serpent. Soyez sûrs qu’il ne vous oubliera pas.

    Avatar a enregistré un deuxième album Millenia qui ne fut jamais finalisé, le groupe se sépara en 2000.  Les bandes sont sorties en 2011. En 2004 est paru un EP (démo) quatre titres intitulé The Avatar, par le groupe The Avatar revendiquant une filiation avec notre Avatar. Réuni en 2000 The Avatar ne dura guère…

    Il est difficile de classer Avatar, pas vraiment heavy, pas du tout progressif. Le projet a vraisemblablement été monté trop vite, trop d’idées, pas assez de maîtrise. Dommage ce groupe promettait. Nous paraît comme une corne d’abondance, ouverte à tous et aujourd’hui négligée. Remercions Symphonic Black Music Promotion d’avoir attiré notre attention.

    Damie Chad.

     

    *

    SNOW WOLF Records vient d’éditer un disque titré : Salvation : a Fundraiser for ESMA and the animals of Egypt. ESMA est l’équivalent de notre Société Protectrice des Animaux. Tous les fonds récoltés seront intégralement versés à cette association égyptienne.

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    Trente groupes ont participé à cette bonne action. Parmi eux THUMOS.

    LACHES

    THUMOS

    (SWR / Bandcamp / 01-03 – 2024)

    Comme nous aimons les bêtes en général et Thumos en particulier nous avons voulu voir et écouter. C’est voir qui nous a posé le plus de problème, laches nous ne connaissons pas ce mot anglais, peut-être ont-ils emprunté un vocable français pour stigmatiser la lâcheté des gens qui abandonnent leur chiens ou leurs chats avant de partir en vacances. OK, mais pourquoi n’ont-ils pas posé l’accent circonflexe sur le ‘’a’’, n’ont pourtant pas l’air d’être idiots chez Thumos, doit y avoir anguille sous roche. Eureka, ai-je dit en sortant de ma baignoire dans laquelle j’étais entré afin de trouver la solution de cette insoluble énigme. La langue anglaise ne possède pas d’accent, suffit d’en rajouter un sur le ‘’e’’, je suis sûr qu’il y a du Platon dans cette embrouille. J’ai donc ressorti, je l’avais rangé après ma chronique sur Atlantis de Thumos mon volume des Œuvres Complètes de Platon sous la direction de Luc Brisson, pas de problème le Lachès œuvre de jeunesse de Platon n’attend que moi.

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             Au moins me dis-je, Platon et moi avons un lien commun, tous deux nous étions jeunes, lui quand il a écrit son dialogue et moi quand je l’ai lu. Justement, je n’ai aucun souvenir de ce que ce dialogue traitât de la cause animale… D’où relecture. Le moins que l’on puisse dire est que l’on ne s’appauvrit pas en lisant Platon. Socrate, Nicias et Lachès, ces deux derniers  sont des généraux athéniens renommés discutent d’éducation. Est-il bon que les jeunes garçons s’entraînent à la guerre. Assurément affirme Nicias. Lachès répond que les maîtres d’armes ne sont pas toujours les meilleurs sur le champ de bataille. Mais qu’est-ce que le courage ? C’est simplement tenir son rang dans la mêlée décrète fermement Lachès. Oui, mais la tactique militaire ne nous enseigne-telle pas que parfois il faut savoir reculer pour mieux contre-attaquer par la suite rétorque Socrate. Et cela ça s’apprend, ajoute-t-il, le tigre ou tout autre animal sauvage dangereux qui vous bondit dessus est-il courageux, ou simplement conscient de la supériorité de sa force ? En fait le tigre est téméraire car il ignore tout de vos armements. Le tigre est aussi naïf qu’un mioche de six ans qui croit pouvoir arrêter un soldat… L’on ne parle plus d’animaux dans la suite du dialogue. L’on y voit surtout Socrate se contredire pour le plaisir d’ébranler un adversaire qui se sert d’arguments qu’il tient d’une précédente rencontre avec… Socrate.

             Lachès : Ça tonitrue et ça fanfaronne quelque peu au début, ensuite l’on a l’impression d’une partie de quille chacun des protagonistes essayant de renverser à coups de boules bien placées celles qui appartiennent à ses contradicteurs. Arrêt. Lachès le valeureux repart bille en tête, l’exemple du parfait militaire pour qui les choses sont simples. Mais en face de lui Nicias sûr de lui ne rompt pas le combat, l’est certain qu’avec l’aile de la cavalerie socratique qui ne manquera pas de se porter à son secours l’ennemi se débandera, les chevaux de Socrate avancent à pas feutrés ça y est ils tombent sur les arrières de l’ennemi et commencent à fracasser quelques crânes qui n’ont pas fait preuve d’assez d’intelligence et de savoir…  Le sujet est sérieux, l’on y parle de guerre, mais Thumos et Platon s’amusent à cette joute oratoire, ce ne sont que paroles en l’air sans conséquence, la guerre c’est plus sérieux que ces jeux de rôles. Thumos a su exprimer l’intense jubilation de cette Grèce antique qui ne se payait pas de mots car consciente d’utiliser de la fausse monnaie.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

     

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    Un taxi m’a déposé au bas du local. J’ai essayé de faire la bise à Joséphine pour la remercier de cette attention, elle s’est dérobée, je n’ai fait que mon devoir s’est-elle défendue… Je l’eusse préféré moins professionnelle. Les filles sont des êtres incompréhensibles. Tout compte fait je préfère les chiens. J’ai raison, à peine le chauffeur s’est-il arrêté Molossa et Molossito ont bondi de joie, elles m’attendaient sur le trottoir. Je monte les escaliers entouré de leurs aboiements.

    Le Chef m’accueille avec un grand sourire :

             _ Agent Chad pour fêter votre retour, exceptionnellement j’allume un Coronado, asseyez-vous vite, une dure matinée nous attend. Faites taire ces chiens, je n’aurais pas dû les inviter hier soir au restaurant pour leurs efficaces interventions durant votre promenade. Ils se prennent pour des cadors, toutefois je dois reconnaître que notre deuxième vague d’assaut s’est comportée avec bravoure comme nous l’attendions. J’ai demandé à l’Elysée de les inscrire à la prochaine promotion du Mérite National. Nous ne sommes pas en odeur de sainteté apparemment en haut-lieu, l’on m’a répondu qu’ils aimeraient mieux les inscrire dans un chenil de la SPA ! Mais je cause, je cause, nous n’avons pas de temps à perdre, nous avons rendez-vous, allez me voler une voiture sur le champ.

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    Je conduis doucement, une question me taraude, l’accueil du Chef m’a paru étrange, l’a beaucoup parlé, comme s’il avait voulu m’empêcher de formuler une question, je la pose :

             _ Chef vous avez raison, les chiens se sont magnifiquement compotés, par contre la troisième vague d’assaut, je n’ose pas dire qu’elle a brillé par son absence, mais je ne vous ai pas beaucoup vu !

             _ Agent Chad, ne vous fiez pas aux apparences, je peux vous certifier que sans mon action vous seriez actuellement mort. Je vous le prouverai d’ici quelques minutes, tournez à gauche s’il vous plaît, au bout de l’avenue ce sera la troisième à droite. J’ai juste le temps d’allumer un Coronado !

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    Une rue étroite, aux façades grises. Le Chef m’ordonne de me garer près d’une vitrine poussiéreuse. Sur la porte d’entrée trois lettres gravées sur une plaque de marbre MIT. Nous suivons un couloir miteux. Les chiens reniflent avec inquiétude. Nous voici dans un bureau. Nous n’avons pas fait trois pas à l’intérieur que l’agent d’accueil se porte avec vivacité à notre rencontre.

             _ Messieurs, je suppose les membres du SSR, nous vous attendions avec impatience. Voulez-vous me suivre. Je vais vous conduire jusqu’au bureau du Professeur Longhair, il est actuellement en conversation téléphonique avec la Maison Blanche.

    De l’extérieur la maison ne payait pas de mine, maintenant elle paraît immense, plus nous progressons dans les nombreux couloirs, plus l’on avance je m’aperçois que l’impression de vétusté crasseuse de l’entrée cède la place à un luxe que je qualifierai d’insolent. Nous croisons beaucoup de monde, sont tous et toutes accrochés à leur portable dans lequel ils chuchotent avec circonspection. Drôle d’ambiance.

             _ Veuillez vous donner la peine d’entrée s’il vous plaît, non ne les empêchez pas de descendre de ces fauteuils, sur les quatre deux leur sont réservés. Ils l’ont bien mérité, je vous laisse le Professor Longhair arrive dans deux minutes.

    L’attente se prolonge un peu, le Chef en profite pour allumer un Coronado. Molossa et Molisso étendus de tout leur long dans les larges banquettes de cuir dorment profondément. Une porte face à nous s’entrouvre, le Professor Longhair entre engoncé dans une longue blouse blanche :

             _ Joséphine !

             _ Calmez-vous Agent Chad, ce n’est pas Joséphine, mais le professeur Longhair, du MIT, le Massachussetts Institute of Technologie, je précise qu’elle a l’oreille du Président des USA et de la CIA, c’est par l’entremise de cette dernière que j’ai réussi à la contacter, elle est reconnue par l’élite de la communauté scientifique du monde entier.

             _ Je ne comprends pas Chef, vous sous-entendez que lorsque je l’ai aperçue hier dans sa ravissante mini-jupe rouge, elle n’était pas là par hasard ?

             _ Non, cher Monsieur Chad, je vous attendais, plutôt nous vous attendions, moi bien sûr mais aussi les deux malabars sur le trottoir d’en face, bien sûr aussi le faux camion de pompiers, ah ! les agents de la CIA se sont amusés comme des fous à brûler les feux rouges grâce à leurs sirènes…

             _Vous voulez dire que c’était un coup monté, que vous êtes joué de moi pour je ne sais quelle raison stupide.

    Le Professor Longhair lève la main pour arrêter mon flot de paroles, elle me sourit, son sourire ressemble à sa mini-jupe rouge, mais son visage redevient sérieux.

             _ Cher Chef, allumez-donc un Coronado nous allons aborder les choses sérieuses.

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             _ Damie, vous permettez que je vous appelle Damie, vous êtes un homme exceptionnel, dans tout le territoire des Etats-Unis, sur trois-cent quarante millions d’habitants, je n’en connais que sept, huit en comptant très large, aussi doués que vous.

    Dans ma tête je me dis qu’un voyage aux States s’impose, un Rafalos dans chaque poche, je retrouverai ces sur-doués et les abattrai sur le champ, je ne suis pas d’un naturel jaloux mais je n’aime pas l’idée que Joséphine ait déjà remarqué ces huit individus, j’éliminerai tous ces rivaux potentiels sans pitié… Professor Longhair me voici !

             _ Voyez-vous Damie ce dont votre Chef nous a averti a suscité notre attention mais…

             _ Chef, je ne comprends rien, que leur avez-vous raconté ?

             _ Rien de bien inquiétant, Damie je vous rassure. Des gens victimes d’hallucinations il en existe plusieurs millions dans le monde. Peut-être sommes-nous tous, moi comprise, victimes de tels troubles à des degrés plus ou moins graves, tenez ceux qui vont systématiquement au cinéma tous les jours et qui se croient cinéphiles manifestent peut-être tout simplement le désir inconscient de devenir une star internationale du cinéma, comme vous Damie.

             _ Sachez que je déteste le cinéma et que je n’y vais jamais !

             _ Ce n’était qu’un exemple Damie, votre point faible, ce n’est pas le cinéma, vous avez encore un esprit jeune, presque enfantin, vous aimeriez avoir le pouvoir de traverser les murs, alors vous imaginez que des gens traversent les murs et comme vous êtes jaloux vous les accusez de tous les maux !

    Ulcéré, Je me tourne vers le Chef :

    _ Enfin Chef dites quelque chose, le gars que l’on a abattu dans le mur, l’on a bien retiré son cadavre de la muraille, et les meurtres du restaurant, et les bandits qui nous avaient pris en chasse, vous les avez bien trucidés, dites-le, témoignez en ma faveur !

    _ Justement Damie c’est ce qui fait de vous un cas exceptionnel, même nous dans la grande Amérique nous avons été incapables d’en dénicher un, nous avons dépensé des millions de dollars, épluché toutes les archives du FBI, quelques illuminés, quelques simulateurs oui, une personne intelligente comme vous, jamais !

    _ Chef, témoignez en ma faveur, j’en ai assez d’entendre les élucubrations du professor Longhair !

    Le Chef en profite pour allumer un Coronado :

             _ Agent Chad, je ne vous cache pas dans toutes nos aventures, depuis le début il est un détail qui m’a paru étrange : ce sont vos chiens que l’on a retrouvés sur le palier, pourquoi les Briseurs de Murailles, ne les ont-ils pas tués, au lieu de nous les rendre. J’ai longuement médité, j’ai mené ma propre enquête, en vain jusqu’à ce que je tombe dans la Revue Science sur un article du Professor Longhair, elle y développait d’étranges théories, j’ai pris contact avec elle, pour votre bien Damie !

             _ Oui Damie, j’ai émis dans cet article qu’un jour l’on devrait, si mes hypothèses étaient justes découvrir quelqu’un comme vous. Vos hallucinations, vos imaginations d’individus qui traversent les murs, je m’en moque, mais vous avez franchi une barrière, fait sauter un verrou spirituel, vous avez un tel désir de la possibilité de traverser les murs, que vous persuadez, des individus, que vous ne connaissez pas, dont vous ignorez jusqu’à leurs existences à monter une association de briseurs de murailles, et votre force mentale est si forte qu’ils deviennent capables de traverser les murs, cher Damie vous êtes ce que l’on pourrait appeler un Génie Supérieur de l’Humanité !

    A suivre…