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  • CHRONIQUES DE POURPRE 692 : KR'TNT ! 692 : ANTON NEWCOMBE / EARLY JAMES / PERE UBU / DUKE GARWOOD / ALBERT WASHINGTON / ALICIA F ! / APHONIC THRENODIC / HOFFA / GENE VINCENT

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 692

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    29 / 05 / 2025

     

     

    ANTON NEWCOMBE / EARLY JAMES /

    PERE UBU / DUKE GARWOOD /

    ALBERT WASHINGTON

    ALICIA F !  / APHONIC THRENODIC

    HOFFA / GENE VINCENT

      

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 692

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Massacre à la ronronneuse

    (Part Three)

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             Aux grandes histoires de chaos, de sex and drugs and rock’n’roll que sont celles des Stones, de Jerry Lee Lewis, des Stooges, des Pistols et des 13th Elevators, il faut désormais ajouter celle du Brian Jonestown Massacre, et plus précisément d’Anton Newcombe. Jesse Valencia (avec son livre Keep Musil Evil) et Ondi Timoner (avec son film Dig!) en témoignent de façon assez spectaculaire. Même trop spectaculaire dans le cas du film. Il n’en demeure pas moins que l’histoire du Brian Jonestown Massacre (qu’on va simplifier par BJM) est celle d’un joli bordel.

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             Au commencement était le verbe, celui de Brian Jones. Anton Newcombe ancre le groupe dans un esprit résolument sixties. D’ailleurs son tambourine man Joel Gion porte les superfly shades que porte Brian Jones dans le clip de «Jumping Jack Flash». Au commencement, tout le monde, y compris les Dandy Warhols, chante les louanges du BJM. À sa sortie en salle, Dig! fit sensation, même si on ne comprenait pas qu’Ondi Timoner ait pu tourner des kilomètres de rushes sur des groupes aussi peu excitants que les Dandy Warhols et le BJM, alors qu’elle disposait d’autres grosses poissecailles californiennes, du type early Lords Of Altamont ou Dwarves. Pendant une demi-heure on pataugeait dans une gadouille de bad movie, on croisait beaucoup trop de personnages aux identités incertaines. Avec Keep The Music Evil, Jesse Valencia passe un temps fou à réparer les dégâts en donnant des informations. D’ailleurs l’analyse descriptive du film occupe un bon tiers de son livre, c’est-à-dire une centaine de pages. Malgré tout cet amateurisme cinématographique, on reste en alerte, car non seulement les BJM ont du son, mais ils arborent les oripeaux qui firent la grandeur mythique de Brian Jones, énormes rouflaquettes, guitares Vox, tambourins, franges de cheveux, bug eye shades et sens aigu du psyché Satanic Majesties.

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             Très vite, Ondi Timoner centre son film sur Anton Newcombe, un brun aux cheveux raides qui écrit des centaines de chansons, qui joue de tous les instruments, qui ne pense qu’à la musique et qui frappe violemment ses musiciens quand ils font des fausses notes. Il est l’œil du cyclone. Grâce à la progression du film, on découvre peu à peu son envergure, ses drogues et ce chaos permanent qu’il s’ingénie à instaurer. Anton Newcombe n’a rien, pas d’argent, pas de maison. C’est un SDF. Le portrait est si bien fait qu’il chasse très vite les mauvais souvenirs qu’ont pu laisser ses albums. Il faut bien dire qu’on ne se relève pas la nuit pour écouter Strung Out In Heaven. On gardait le souvenir d’un rock sixties un peu mou du genou, alors qu’Alternative Press encensait le groupe. Dans le film, les extraits de concerts californiens sont extravagants. Anton Newcombe n’hésite pas à se présenter comme le next big thing. Sur scène, la ligne de front du BJM comprend trois guitaristes et Joel Gion au tambourin. Ils détiennent le pouvoir suprême. Leur son est raunchy. Attiré par le fromage, le business accourt au Viper Room de Los Angeles. Mais Anton opte pour cette forme de chaos ultime qu’on appelle le sabotage. Il vire ses guitaristes et Joel Gion qui avoue en rigolant avoir été déjà viré à 21 reprises. Pour Anton, c’est le chaos ou rien. Pas question de vendre son cul à ces majors qu’il hait profondément. No sell out. Il n’en finit plus de marteler «I’m not for sale !» Les gens d’Elektra étaient venus lui proposer un contrat d’un million de dollars. Il préfère saboter le show. C’est là où ce mec devient fascinant. 

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    Greg Shaw

             Par contre il s’entend bien avec Greg Shaw, le boss de Bomp!. Aux yeux de Shaw, Anton Newcombe est une sorte de prophète, pas un jerk. Anton accepte d’enregistrer son prochain disque sur Bomp!. En échange, Greg Shaw loue une maison à Los Angeles pour le groupe. C’est la fameuse Larga House qu’Ondi Timoner filme en long et en large. L’épisode Larga House renvoie aux grands mythes des maisons rock’n’roll : la villa des Stones à Villefranche-sur-Mer, la maison du MC5 à Ann Arbor, la ‘Woodland Hills house’ du Magic Band, sur Ensanada Drive. Ondi Timoner va rentrer dans cette maison avec sa caméra et ramener quelques-unes des plus grandes images de l’histoire du cinéma rock. Elle surprend Matt Hollywood au réveil : il s’empare immédiatement d’une guitare, avant même d’avoir bu un café. Pas de meubles. Pas d’hygiène. C’est une party-house. Des gens comme Harry Dean Stanton y traînent. C’est là que le BJM enregistre l’album Give It Back. Ces coqueluches de Capitol que sont les Dandy Warhols viennent même y faire une séance photo, histoire de s’encanailler. Voilà tout le paradoxe du film : les membres des deux groupes sont amis mais tout les sépare. Chaque fois qu’Anton Newcombe écrit une chanson, il écrase Courtney Taylor par son génie de songwriter. Les Dandy Warhols sont dans le carriérisme et le BJM dans le no sell out. Anton Newcombe a une classe que Courtney Taylor n’aura jamais. On l’entend clairement. On sait à quel point les albums des Dandy Warhols sont mauvais. Il faut voir Anton coiffé de sa toque en fourrure et les joues mangées par d’énormes rouflaquettes déambuler dans les rues de New York en patins à roulettes et se casser la gueule. Une vraie dégaine d’Elvis trash, vêtu de blanc et le visage dévoré par d’immenses lunettes à verres jaunes. Il veut entrer dans une fête où jouent les Dandy Warhols mais la grosse à la caisse le fait dégager. Bizarrement, Ondi Timoner insiste beaucoup sur les Dandy Warhols, et leur côté putassier, en montrant notamment des extraits des mauvais clips MTV. Leur musique frappe par son insignifiance. Ils tentent même de réinventer la Factory à Portland parce qu’ils ont le mot Warhol dans le nom de leur groupe. Ondi Timoner nous montrera aussi leurs mariages et on entendra même les membres du groupe dire qu’il vaut mieux avoir la tête sur les épaules pour pouvoir payer les factures. De toute évidence, le conformisme des Dandy Warhols sert à mettre en valeur le génie trash d’Anton Newcombe.

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             Le clou du film, c’est la tournée américaine du BJM, qu’Hector Valencia surnomme The Tragical Mystery Tour. Suivi par l’équipe de tournage, ils roulent à travers les USA à bord d’un van et donnent des concerts improbables. À Cleveland, ils jouent dans le local du parti communiste pour dix personnes. C’est le sommet du trash. Des mecs tapent sur les musiciens. Ils embarquent Joel Gion dans un coin pour le tabasser. Chaos total. Sur la route, Anton fume de l’herbe et de l’héro pour se maintenir éveillé et pouvoir continuer à conduire, sans permis, bien sûr. À Homer, en Georgie, ils tombent sur un contrôle. Permis ? Pas de permis et les  flics ventripotents trouvent de l’herbe dans le van. Ondi Timoner filme tout ça. Joel Gion se marre. Il ne fait que ça tout au long du film, se marrer. Anton Newcombe va au trou et Greg Shaw le fait sortir. Mais le groupe explose. Une fois de plus.

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             Quand TVT Records signe le groupe, on envoie Joel à la place d’Anton à New York. Le mec qui tente de manager le BJM a la trouille qu’Anton fasse tout foirer une fois de plus. Derrière ses grandes lunettes de Rolling Stone, Joel est plié de rire. Il signe les paperasses qu’on lui présente. Lors de la sortie du film en salle, tout le monde se marrait, comme s’il s’agissait d’un film comique. L’autre grande scène riveuse de clou du film est celle où Anton fait monter Courtney Taylor dans une bagnole pour lui faire écouter «Not If You Were The Last Dandy On Earth» sur l’auto-radio. Taylor est sidéré par le son du BJM. C’est Matt Hollywood qui chante ça. Comme Brian Wilson, Anton s’enferme dans son univers. Il passe à l’héro et plonge dans un maelström musical permanent, il compose et expérimente, enregistre des bandes et des bandes qu’il stocke dans des boîtes et qu’il oublie. C’est l’époque de Strung Out in Heaven, un album un peu ennuyeux qu’il faut cependant réécouter. Anton finit par virer tous les musiciens. Il repart en tournée avec sa sœur qui chante comme une casserole. Un mec du public l’insulte, alors Anton lui dit : «Approche, si t’es un homme !». Le mec approche et Anton shoote dans sa tête comme s’il shootait dans un ballon de foot. En pleine gueule ! C’est d’une rare violence. Les flics le coffrent pour agression. Chaos, suite et jamais fin. Enchaîné et enfermé dans une cage, Anton continue d’éructer. Il crache sur le music business et sur tous ces fucking assholes qui ruinent la musique.

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             De son côté, Jesse Valencia révèle dans son livre que les avis sur le film sont partagés. Tout n’est pas aussi automatique qu’on veut bien le croire. Ondi Timoner est persuadée d’avoir rendu un grand service au BJM : partout où passe le film, les gens achètent les disques du BJM - The record stores sell out - Mais Anton Newcombe ne partage pas du tout l’enthousiasme d’Ondi Timoner. Aussitôt après la sortie du film, Anton balançait ça sur le site du BJM : «Je m’investis beaucoup dans ma musique, je l’ai toujours fait et j’espère que le film est assez clair là-dessus. Mais quand j’ai vu le résultat final, c’est-à-dire le film tel qu’il est sorti, j’ai été choqué. Il résumait plusieurs années de travail acharné à une série de bagarres et d’incidents sortis de leur contexte, avec en plus des mensonges flagrants et des mauvaises interprétations des faits réels. J’espère que les gens qui verront ce film sauront quoi en penser.» Jeff Davies est du même avis. Il dit que ce fut très pénible les deux premières fois où il est allé voir le film en salle. Ça ne correspondait pas du tout à la réalité - It was so untrue - Davies dit qu’Ondi Timoner s’arrangeait pour filmer en cachette des plans de shooting up d’héro ou de baise - Elle te parlait et tu remarquais, à l’autre bout de la pièce, une caméra planquée sous un chapeau - Betsy Palmer qui faisait tout pour ramener le focus sur la musique et non sur les punch-up fut aussi déçue par le film : elle voulait que le film montre le processus créatif du BJM. Elle est furieuse, car le film s’achève avec la désintégration du groupe, alors qu’en réalité, le BJM continuait de tourner et de travailler. Ce dont se sont aperçus tous ceux qui continuaient d’acheter les albums. Les albums sonnaient plutôt bien.

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    Ondi Timoner

             Il n’empêche qu’en tant que cinéaste, Ondi Timoner s’en sort avec les honneurs. Quels que soient les avis, le film continue d’échauffer les cervelles, et c’est bon signe. Jesse Valencia avoue qu’il découvre de nouvelles choses à chaque fois qu’il revoit Dig! C’est parfaitement exact. On peut revoir ce film de loin en loin et on découvrira toujours de nouveaux détails, ou des choses mal interprétées auparavant. Aux yeux de Jesse Valencia, Dig! se situe au niveau des grands classiques du cinéma rock. Il cite comme exemples Don’t Look Back, Gimme Shelter et The Kids Are Alright. Il indique aussi qu’Ondi Timoner a dédié son film à Greg Shaw, rappelant au passage que le BJM fut le dernier groupe dont s’était occupé Shaw avant de casser sa pipe en bois - Shaw remained the BJM most faithful champion until his death in 2004 - C’est en 2005, lorsque le film est sorti sur DVD que le BJM est devenu culte. Les places de concerts s’arrachaient en deux heures. Voir le BJM à Paris était devenu impossible. Anton continuait pourtant de grogner : «Ce film raconte une histoire et cette histoire n’est pas vraie. J’ai été arnaqué. Je pense qu’elle aurait pu faire un grand film. Quel gâchis !» Furieuse, Ondi Timoner répond par interview interposée : «Il n’en finit plus de m’insulter. Je ne supporte plus d’entendre son faux accent anglais !»

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             Jesse Valencia indique qu’il est devenu fan du BJM en voyant le film, fasciné par la personnalité ‘abrasive et charismatique’ d’Anton. Alors il s’est mis à écouter les disques, à aller voir le groupe sur scène, puis il s’est lancé dans la rédaction d’un livre qui est en fait un pensum extraordinaire, une mine d’information sur le plus underground des groupes californiens. On peut considérer cet ouvrage comme l’œuvre d’un fan et la profondeur de sa perspicacité rejoint celle d’un Richie Unterberger. Tout est ruminé dans le moindre détail. Les notes de bas de pages ralentissent la lecture mais n’en finissent plus de ramener des détails à la surface d’un océan d’informations.

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    Joel Gion

             Joel Gion fait très vite son apparition dans le groupe en tant que God of Cool & party animal - I was really really into being fucked up back then - Joel affirme que personne ne pouvait l’égaler au petit jeu du fuck-it-up. À l’époque de la sortie du film en salle, nous étions nombreux à penser qu’il volait la vedette à Anton Newcombe. Le God of Cool se marrait quand Newcombe s’énervait.

             Valencia revient longuement sur l’héro qui selon lui a failli détruire le groupe. Un témoin raconte que the Larga House was a train wreck, c’est-à-dire le désastre d’un train qui a déraillé, avec un Anton qui ne se lave plus et qui ne change plus de vêtements. D’ailleurs, on le voit un peu allumé à un moment donné dans le film, avec des rouflaquettes qui ont doublé de volume. ‘Anton was pretty far gone’, ajoute Dawn Thomas. Valencia collecte aussi tous les récits d’incidents, allant un peu dans le même sens qu’Ondi Timoner : bon d’accord, il est bien gentil le rock psychédélique, mais les gens s’intéressent beaucoup plus aux scènes de violence. À lire le book de Valencia, on finit aussi par croire qu’Anton Newcombe passe son temps à se battre et à se fâcher avec les gens de son entourage. Des shootes éclatent quasiment à chaque page. Dans une scène que décrit minutieusement Valencia, on voit Anton pisser sur le blouson de Dave Deresinski, le premier manager du groupe.

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    Matt Hollywood

             Le livre ramène aussi quantité de détails sur le Tragical Mystery Tour. Les membres du BJM en ont tellement marre du despotisme d’Anton qu’ils profitent de son sommeil pour se tirer en douce avec le van et le matos. Mais un concert du BJM est booké à Austin, alors Anton monte seul sur scène et forcément le public gueule, ce qui le fout en pétard. Malgré tous ces revers de fortune, Anton réussit miraculeusement à maintenir le cap. Sa volonté dit un témoin lui permettait de surmonter tous les obstacles - It was the most superhuman feat I’ve ever seen - C’est là où il devient spectaculaire. Les gens le voient même comme une sorte de Raspoutine, charismatique, avec des zones d’ombre, presque un personnage de fiction. Il finit par ne plus porter que du blanc. Et dès qu’il signe un nouveau deal avec TVT, Anton achète des tas d’instruments : trois douze cordes, un Hammond B3, des guitares Vox, des sitars, un kit Pearl Ludwig et avec sa toque en fourrure, il se donne des airs de Charles Manson. Pendant qu’il dépense sans compter, Joel et Matt doivent se contenter de 20 $ par semaine. Pas de voiture. Ils sont coincés dans la maison d’Echo Park qu’Anton transforme en studio. Avec le temps, Joel est devenu fataliste : il a fini par comprendre qu’il ne gagnerait pas un rond dans le BJM. Anton récupère tout. Kate Fuqua qui séjourne un peu à Echo Park à l’époque raconte qu’Anton prenait tellement de drogues qu’il lui arrivait de perdre tout contrôle : il pouvait subitement bondir par-dessus la table pour sauter à la gorge d’un mec et tenter de l’étrangler. Mais Greg Shaw reste confiant : «Pourquoi auraient-ils réussi à tenir tant de temps pour finir par se détruire ? Impossible ! Ça voudrait dire qu’ils ressemblent à tous les autres groupes.»

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             Puis Anton s’installe dans une maison sur Lookout Mountain, à Laurel Canyon, une maison où avait vécu LeadBelly. On trouve aussi dans ce livre les petites frasques du record business, incarné ici par un nommé Dutcher qui pendant qu’Anton et Joel font la manche dans la rue pour gagner de quoi s’acheter à bouffer et des clopes, se paye un voyage de noces d’un mois en Europe avec sa femme Debbie. Dutcher dément, bien sûr. Il rétorque en accusant Anton d’avoir claqué tout le blé en dope. Parmi les gens qui gravitent autour d’Anton, on retrouve Bobby Hecksher et Peter Hayes. Bobby voudrait bien jouer avec le BJM, mais il arrive au moment où le groupe sombre dans la déprime, alors il va monter les Warlocks. Lors de cette même répète, Peter Hayes monte le Black Rebel Motorcycle Club. Quand un mec qui se croit malin demande à Anton s’il va aller voir le Black Rebel Motocycle Club sur scène, Anton lui répond que Peter Hayes a appris à jouer de la guitare avec lui - Know what I mean ?  I’m going to the pub to have a pint ! - Ces deux groupes doivent tout à Anton, notamment leur son et leur état d’esprit. Valencia dit aussi que Moon Duo s’inspire directement de ce son - That droning driving psychedelic rock sound.

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             Quand Anton perd tout, son groupe, son manager, son label, son père et son matériel, il redémarre à zéro avec l’EP Zero. On retrouve ces cuts sur l’album Bravery. Témoignage fascinant aussi que celui d’Ed Harcourt qui est accosté dans la rue par un maniaque aux yeux ronds comme des soucoupes : Anton lui demande de venir faire des voix sur un cut, il a besoin d’un British singer. La séance dure toute la nuit, Anton et Ed s’engueulent, et au matin Anton raccompagne Ed à son hôtel.

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             Valencia revient assez régulièrement sur le line-up du BJM, mais on a un peu de mal à suivre. Il semble tout de même qu’à une époque Anton ait réussi à stabiliser un line-up avec Don Allaire, Frankie Teardrop, Rob Campanella et Ricky Maymi. Mais les gens continuent de le voir comme un mec insupportable, jamais content, qui se plaint des éclairages et du son, qui engueule ses musiciens et qui insulte le public. Il annule encore des concerts, et se barre dès que les gens commencent à le huer. Il réalise à un moment qu’il tourne en rond aux États-Unis. Sick of America. Il s’est installé à New York et il sent que ça lui tire sur la couenne. Il ne veut plus non plus se voir rattaché à l’image que donne Dig! du BJM, l’image d’un groupe stupide, violent et drogué. Dès qu’un journaliste mentionne Dig! dans une interview, Anton se barre. C’est là qu’il décide de changer d’environnement. Direction l’Europe. En 2008, il s’installe à Berlin.

             Il commence par arrêter de boire. Pas facile - J’ai vite compris que j’allais crever si je continuais à boire, et ce n’était pas mon intention de finir comme ça. Pourtant j’adorais être pété du soir au matin, mais à la façon d’un cowboy, où comme le dit Sinatra, ‘La fête continue, let’s all drink Martinis forever.’ Ça n’avait pas grand-chose à voir avec le rock’n’roll - Mais même sobre, ses proches le perçoivent mal - Ce n’est pas qu’il ait changé, he was a sober dick, c’est-à-dire un con sobre. Pour son entourage, Anton est cinglé, qu’il soit à jeun, pété ou sous héro. C’est la même chose.

             Tout ceci n’en finit plus de jeter des éclairages sur l’œuvre d’Anton Newcombe, l’une des œuvres majeures du rock moderne. Un certain Alan Ranta déclare que le génie d’Anton Newcombe est palpable dans la période 93-03 du BJM. Pour lui, certains cuts figurent parmi ‘the finest experiences of rock’n’roll’.

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             Tiens on va faire un petit break et entrer dans le rond de l’actu : le BJM est à la Cigale, alors pas question de rater ça. Tu viens Jean-Yves ? Oui ! Anton Newcombe a pris du bide, et il planque ses cheveux blancs sous un grand chapeau. Il a deux guitaristes avec lui et le sosie de Brian Jones en bug eye shades à la basse. T’as toute la magie du BJM dès le «Maybe Make It Right» d’ouverture de set, mise en place impeccable, vitesse de croisière immédiate, et t’as ce «Vacuum Boots» qui suit et qui

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    sonne comme un hit des sixties. La bonne nouvelle est que Joel Gion est aussi là, et que, comme d’usage, il ne sert strictement à rien, il sourit et claque son tambourin sur les fantastiques heavy grooves californiens qui se succèdent. Il ne se passera rien de plus que tout ce que tu sais déjà du BJM, mais tu savoures chaque seconde de BJM, car tu sens vibrer les racines en toi, c’est un son qui te parle et que joue sous tes yeux l’une des dernières grandes rock stars. On lui passe très vite une Vox douze cordes. Quand il part en solo psychédélique, il se rapproche de son Brian Jones et ils font leur petit cirque au fond de la scène en tête à tête. Sacré Anton, même ventru, il

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    continue d’avoir de l’allure. Tous ces grooves se mettent merveilleusement en place. Il les chante un par un, il va en chercher des plus anciens comme le «Vacuum Boots» et des plus récents comme «Do Rainbows Have Ends». Il aménage des grandes zones de vague à l’âme entre chaque cut, et fait semblant de s’interroger sur la suite. Il semble être devenu extrêmement pacifique. Il ne distribue plus des coups de poing dans la gueule des gens comme avant. Dommage, ça avait du charme.

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    Ils font même monter sur scène le mec des Big Byrd qui jouait en première partie. Ce set est à la fois un événement et un non-événement. Diable comme la Cigale est belle, diable comme les parisiens aiment à surfer sur la tête des gens, diable comme la bière est bonne au bar après le set et diable comme les T-shirts à l’effigie de Brian Jones sont chers, mais comme ils sont beaux, diable comme la foule est dense et diable comme la scène est haute, diable comme les grooves te caressent la peau, et diable comme tu aimerais que le BJM joue jusqu’à la fin des temps, diable comme «When The Jokers Attack» a pu garder toute sa candeur virginale, diable comme tu te sens seul sur le trottoir à la sortie. Tu repars avec tes fantômes.

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    Signé : Cazengler, Newcon tout court

    Brian Jonestown Massacre. La Cigale. Paris XVIIIe. 20 mai 2025

    Jesse Valencia. Keep Music Evil. The Brian Jonestown Massacre Story. Jawbone Press 2019

    Ondi Timoner. Dig! DVD 2004

     

     

    L’avenir du rock

    - Early n’est pas en retard

             Histoire de rigoler un bon coup, l’avenir du rock va voir un psy.

             — Allongez-vous sur le divan, avenir du rock.

             Le psy s’assoit un peu en retrait. Il attend. Une longue minute passe. Puis deux...

             — Je vous écoute, avenir du rock...

             — Ah c’est à moi de parler ? Je croyais que vous alliez me poser des questions.

             — En vertu de mes principes éthologiques, je ne pose pas de questions. Ce serait prendre la place du père. Vous pourriez souffrir du complexe d’intrusion. Parlez-moi de vous...

             — J’ai tous les défauts. Je suis une vraie catastrophe...

             — Les défauts élaborent l’image spéculaire de vos qualités...

             L’avenir du rock ne pige rien à ce que raconte ce con, mais il poursuit:

             — Je suis égoïste, et même un gros porc d’égoïste, je suis malveillant, jaloux, tordu, raciste, avare, macho, envieux, pourri, colérique, paresseux, obsédé sexuel, libidineux, dépravé, frimeur, menteur, lâche, hypocrite, vous zavez pas idée, mytho et miso à un point qui me dépasse, et des fois je me demande si je suis pas homophobe, mais comme j’adore Ziggy Stardust, ça me rassure, vous voyez le truc ?    

             — Poursuivez, je vous prie...

             — Sais pas si l’orgueil est un défaut ou une qualité, mais on me l’a souvent reproché, notamment toutes mes ex. C’est pas fini ! Chuis un gros ringard, un bas du front têtu comme une bourrique, mais le plus grave, c’est le côté ténébreux, suis sournois comme une grosse araignée, superficiel comme un clerc de notaire...

             — Tout cela est assez banal. Quel est le pire défaut selon vous ? Celui que vous n’acceptez pas ?

             — Une ex m’a dit un jour, au moment du coït : « Tu pues de la gueule ! ».

             — Brossez-vous les dents. Pendant que votre ego peine à pousser son rocher sisyphien vers le sommet, votre alter ego couve les œufs d’or de vos qualités. Vous les connaissez certainement...

             — Une seule : la ponctualité ! Suis jamais en retard !

             — Comment vous représentez-vous cette représentation ?

             — Toujours early ! Early James, bien sûr !

     

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             Alors ça c’est une bonne surprise ! Un petit Alabama boy débarque en Normandie et vole le show. On peut dire qu’il a la main leste. Pouf, ni vu ni connu. Il joue en première partie et on se fait vraiment du souci pour les Lowland Brothers qui vont devoir jouer après lui. En une petite heure, il a mis le club dans sa poche.

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    On voit rarement des mecs aussi brillants. Artistiquement, il est complet. Voix et poux. Il gratte sa Tele comme un beau diable, il va chercher la craziness country, il tape des pointes de vitesse et peut rivaliser de fluidité avec James Burton et Larry Collins. Côté voix, il tape dans un baryton de type Nick Cave, mais en nettement plus fruité, plus élégiaque, plus technicolor. Early James est LE nouveau crack du boum-hue, il devrait faire des ravages chez les becs fins. Ses compos montent droit au cerveau, et quand il part en solo, il file droit sur l’horizon. Il gratte avec un onglet de pouce et tiguilite mille notes à la seconde, sans même jeter un œil sur son manche. Il tape dans tous les registres, le dirt boogie d’Alabama, l’heavy blues d’Alabama, le Southern Gothic d’Alabama, enfin tout ce qu’on peut bien imaginer. Il n’a pas l’air de connaître le mot limite. Par l’extrême beauté de ses compos, par la force de sa présence scénique et par sa technique de picking, il sort du lot. Sa dimension artistique est réelle. Early James est un géant.

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             Un géant sans doute timide, car il n’est pas d’un abord facile. Il enregistre sur le label de Dan Auerbach, mais il est d’accord sur le fait qu’Auerbach transforme le son des Blackos. S’il connaît Matt Patton ? Oui, bien sûr. Il évoque aussitôt les Drive-By-Truckers. Il vit dans ce monde-là, le nouveau monde des cracks du Deep South. Même s’ils sont blancs, ce n’est pas grave, l’essentiel est qu’ils perpétuent cette tradition issue de Muscle Shoals.

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             Sur scène, deux mecs des Lowland Brothers l’accompagnent : Max (basse) et Hugo (beurre). Pas de problèmes, ils jouent comme des vieux pros. L’Early tape surtout des cuts tirés du troisième album, Medium Raw, notamment «Steely Knives», enlevé en mode fast country, ou encore «Gravy Train» et «Tinfoil Hat» qu’il tape vers la fin du set et qu’il charge bien de la barcasse. Il articule tout ça avec les arpèges du diable. On se re-régale de ce «Gravy Train» qu’il emmène la gueule au vent. Encore des retrouvailles avec «Rag Doll» qu’il agrémente au gras de cabaret incertain, mais il arrondit les angles avec des variantes roundy. Il passe à l’heavy

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    country avec «I Could Just Die Right Now», il l’arrange à la traînasse du singing the blues, il reste à la fois intense et cool as fuck. Il passe à l’heavy doom d’Alabama avec «Dig To China», il peut descendre dans l’heavyness de la meilleure espèce, avec les vieux ressorts du seventies blasting. Il termine en mode heavy blues-rockalama avec «I Get This Problem», il claque son cloaque à la mode ancienne. Doté d’une présence vocale inexorable, il groove dans le dur d’Alabama, mama.

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             Ses albums sont là pour rappeler qu’Early james est un touche-à-tout de génie. Sur Strange Time To Be Alive, il peut faire le white nigger («Racing To A Red Light», heavy gloom d’Alabama qu’il place en cœur de set), il tape le Big Atmospherix au plus haut niveau («My Sweet Camelia», puissant dans les ténèbres), il fait aussi du cabaret d’Alabama («Pigsty», pur jus de round midnite), les Beautiful Songs n’ont aucun secret pour lui («Splenda Daddy» et «Wasted & Wanting», qu’il arrose de parfum des îles, avec un chant incroyablement raw to the bone). Il sait aussi taper un

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    duo d’enfer («Real Low Down Lonemome») avec Sierra Powell. Il profite d’ailleurs de l’occasion pour y claquer des espagnolades d’Alabama. Il regagne la sortie avec le captivant «Something For Nothing» - I just want something/ For nothing/ Some kind/ Of strange alchemy - Te voilà conquis.

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             On peut même remonter sa piste jusqu’au premier album, Singing For My Supper, un Nonesuch de 2020. Il se pourrait bien que ce soit son meilleur album. Il met une grosse machine en route dès «Blue Pill Blues». Il a tellement de son et tellement de gras dans le timbre. Il chante d’un timbre assez unique, gras et plat à la fois, un timbre colérique et puissant, très écrasé. Il se planque derrière son ombre. Il n’est ni Van The Man, ni Scott Walker, ni Tom Waits. C’est encore autre chose. Early James. Il craque bien le climat avec «Way Of The Dinosaur». Sa voix porte en profondeur. Il attaque toujours de bonne heure. Il crée des climats à la seule force de la voix. Il peut descendre dans des abysses jusque-là réservées à Lanegan. «Way Of The Dinosaur» sonne comme un sommet de la gloire. Il tape son «Easter Eggs» en mode country légère. C’est lumineux, bienvenu, accueilli à bras ouverts. Quel entrain et quelle ampleur ! Il en fait une valse à trois temps. Il passe à la grosse dramaturgie avec «It Doesn’t Matter Now». Il se jette à corps perdu dans la balance qui s’écroule. C’est toujours la même histoire : les balances ne sont pas faites pour ça. Il tient encore la dragée très haute avec une samba du diable, «Gone As A Ghost». Peu de gens sont capables d’aller chercher une telle puissance interprétative. Il crève le ciel !

    Signé : Cazengler, Early in the morning

    Early James. Le 106. Rouen (76). 16 mai 2025

    Early James. Singing For My Supper. Nonesuch 2020

    Early James. Strange Time To Be Alive. Easy Eye Sound 2022

    Early James. Medium Raw. Easy Eye Sound 2025

     

     

    Devil in the Garwood

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             Pas la peine de te raconter des histoires : tu vas voir jouer Duke Garwood uniquement parce qu’il a fréquenté Lanegan. Assister à son récital, c’est une façon de se rapprocher de Dieu, c’est-à-dire Lanegan. Mais si on l’aborde pour lui demander d’évoquer Dieu, Garwood botte en touche. Deux fois, une fois avant, et

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     une fois après le set. Garwood est comme Dieu, il n’en a rien à foutre. Rien à foutre de rien. Ni du temps, ni du public, ni des conventions. Il s’en fout comme de l’an 40. En une heure trente, il réussit à vider la salle. On n’avait pas vu ça depuis longtemps.

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    Pendant une heure trente, il s’accorde et se désaccorde, il enchaîne les cuts les plus désespérés qu’on ait pu entendre ici-bas depuis ceux du camp tsigane d’Auschwitz-Birkenau. Si tu veux te suicider, écoute Duke Garwood. Il cultive le désespoir extrême, celui des ceusses qui se paument dans le désert. Il s’égare dans l’immensité de son austérité. Il est le prince de la désolation. Il bat les Birthday Party à la course.

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    Il bat même le «Ballad Of The Dying Raven» de Dieu, c’est-à-dire Lanegan, à la course. Il bat aussi le «Dead In The Head» de Lydia Lunch à la course. Il bat Smog, Big Maybelle, tous les cracks du désespoir, et pourtant, tu ne t’en lasses pas. Quand croyant lui faire un compliment, tu lui dis qu’il sonne exactement comme Lanegan,

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    ça le bloque encore plus. Il se ferme comme une huître. Crack. T’en tireras rien. Que dalle. Pas un mot sur Dieu. Au fond qu’espérais-tu ? Allait-il te dire que Dieu était génial ? Allait-il te dire que Dieu avait créé le monde ? Allait-il te dire que Dieu n’était pas mort ?

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             Bon, à ce stade des opérations, il est important d’aller voir ce qui se passe dans les disks. On ramasse Rogues Gospel au merch de la désolation. Deux clébards sur la pochette. Ouaf ouaf ! Un batteur accompagne le Duke. C’est un big album. On croit tout simplement entendre Lanegan. Le Duke tape «Country Syrup» à la plaintive horizontale et retrouve les accents chauds de Lanegan. Même chose avec «Maharajah Blues», «Neon Rain Is Falling» et le morceau titre, qui sonnent comme des complaintes de nuit de pleine lune. Son hypno du désert est tellement riche qu’il en devient spongieux. On sent comme une résurgence des Screaming Trees dans «Neon Rain Is Falling». C’est exactement le même son. En B, il va chercher des infra-basses dans les ténèbres laneganiennes pour «Heavy Motor». Les enceintes vibrent  et menacent de rendre l’âme. Le Duke cultive la latence de la persévérance et ramène un sax oublieux dans «Whispering Truckers». Il regagne la sortie avec un «Lion On Ice» aussi paumé qu’un lion sur la banquise.

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             Comme on avait au temps de Lanegan ramassé tout ce qu’il avait enregistré, on retrouve Duke Garwood dans l’étagère. Pas grand-chose à dire de Black Pudding qu’il enregistrait voici 12 ans avec Dieu, c’est-à-dire Lanegan. On s’y ennuie un peu. La guitare de Garwood se perd dans le désert. La perdition est son fonds de commerce. On croirait entendre Ali Farka Touré en plus gris. Lanegan psalmodie. Il parle de Jésus, ce qui paraît logique vu qu’il s’agit de son fils. On tombe plus loin sur un «Mescalito» tapé en mode beat machine. Lanegan y évoque un autre fonds de commerce, le sien, qui est le sorrow. Les chansons, comme l’album, sonnent comme des causes perdues. Le désespoir qui y règne est d’une profondeur insondable. À force de dénuement, «Death Rides A White Horse» paraît beau. Avec «Cold Molly», Dieu se livre à un fantastique exercice de cold cold style. Il nous boppe son cold et avance en crabe sur une plage de sable noir. T’as l’image. 

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             Dieu & Duke remettent ça cinq ans plus tard avec With Animals. C’est bien planté du décor. Ils te font le désert sans eau. Dieu dans ses œuvres. Dieu quémande de l’amour dès «Save Me». Dieu fait du pur Lanegan avec «Feast To Famine», un heavy balladif de when you cut me/ I bleed. C’est bien épais et sans le moindre espoir. Au coin d’un couplet, Dieu te confie ceci : «You know I’m good for the damage.» On s’en serait douté. Cet album est gorgé d’une présence indicible. Dieu y va au I love you baby. Dieu fait le show, il psalmodie à la plaintive décharnée. Le Duke claque les notes d’«LA Blue» out of the blue. Tout est bien plombé sur cet album. Ça grince dans la tombe du rock et t’as même l’orgue de barbarie dans «Lonesome Infidel». C’est pire que tout, funèbre à l’extrême. Encore du classic Lanegan avec «One Way Glass». Ce fantastique chanteur de rock groove les profondeurs de son âme ténébreuse.

    Signé : Cazengler, Duke Gare du Nord

    Duke Garwood. Le Kalif. Rouen (76). 3 mai 2025

    Mark Lanegan & Duke Garwood. Black Pudding. Ipecac Recordings 2013

    Mark Lanegan & Duke Garwood. With Animals. Heavenly 2018

    Duke Garwood. Rogues Gospel. God Unknown Records 2022

     

     

    Wizards & True Stars

     - Ubu Roi

     (Part One)

     

             Le vieil Ubu David Thomas vient tout juste de casser sa pipe en bois, aussi allons-nous de ce pas lui dresser un autel funéraire et célébrer une messe païenne puisqu’il nous incombe d’honorer son honorifique mémoire. Pour ce faire, nous sortirons du formol un texte ubuesque paru dans les Cent Contes Rock. Ce texte fit d’une pierre deux coups, puisqu’il chantait les louanges du deuxième single de Pere Ubu («The Final Solution»), et celle du Grand Précurseur de tout devant l’éternel, le spécialiste des solutions imaginaires Alfred Jarry.

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    Principaux personnages :

    Crocus Behemoth : gros chanteur palotin

    Mère Ubu : protagoniste circonstanciée

    Tom Herman : premier guitariste

    Peter Laughner : second guitariste

    Tim Wright : bassiste court sur pattes

    Scott Krauss : tambour de guerre

    Dave Taylor : pilote de spoutnick

     

    Crocus Behemoth

    — Merdre !

    Mère Ubu

    — Oh ! En voilà du joli, Crocus Behemoth ! Qu’avez-vous donc à jurer comme un cocher anglais ?

    Crocus Behemoth

    — En tant que leader charismatique de Pere Ubu, je dois faire une déclaration universelle !

    Mère Ubu

    — Ici, à Cleveland ? Dans le trou du cul du monde moderne ?

    Crocus Behemoth

    — À Cleveland, à Varsovie ou à Pétaouchnock, cela reviendrait au même. De par ma chandelle verte, ce que j’ai à déclarer est de la plus haute importance ! Ôtez-vous de mon chemin car ma voix doit porter loin ! Qu’on fasse venir mes fidèles musiciens illico-presto !

    Tom Herman

    — Nous voici au grand complet, sire, prêts à vous servir jusqu’à notre dernière goutte de sueur.

    Crocus Behemoth

    — Accorde ta guitare et ferme ta boîte à camembert, vil guitariste ! Tu nous feras des commentaires lorsque je t’aurai sonné, est-ce bien compris, face de rat ? Il s’agit pour l’heure de s’adresser à la postérité et le monde attend que Crocus Behemoth fasse sa déclaration universelle.

    Mère Ubu

    — Et alors, gros sac à foutre, qu’as-tu donc à déclarer de si important, toi qui es plus con qu’une queue de curé ?

    Crocus Behemoth

    — Justement, Mère Ubu, j’y viens. Prenez garde qu’à coups de génie je ne vous fasse ravaler vos paroles. Orchestre, êtes-vous prêts à sonner l’hallali ?

    L’orchestre

    — Nous voilà fin prêts, sire. Nous épouserons les lignes harmonieuses du moindre de vos désirs et vous suivrons jusqu’aux cimes de votre génie, sans cordes ni piolets !

    Crocus Behemoth

    — Jetez plutôt vos métaphores à mes chiens, bande d’étraves. Je ne mange pas de ce pain-là ! Alors, hâtez-vous de vous mettre en ordre de bataille. Je veux un tempo lourd comme le pas d’un éléphant, et veillez à ce qu’il se charge des plus grandes menaces ! Que les peuples d’Aragon, de Pologne et du Michigan s’enfuient comme des volées de moineaux à notre arrivée...

     

    L’orchestre exécute les ordres du roi jean-foutre à la lettre. Tim Wright frappe sur ses cordes de basse, martelant un rythme digne des éléphants de Scipion l’Africain traversant les Alpes. Dom do-do dom... Dom do-do dom. Au bout de deux mesures, il est rejoint par la meute au grand complet. Ils entrent dans la danse et rudoient leurs instruments, les yeux fixés sur les pointes de leurs escarpins. Un spoutnick s’élève et traverse la salle du trône en zigouinant.

    Crocus Behemoth, d’une voix d’outre-tombe :

    — Les filles ne me touchent pas car je suis atteint d’une déviance...

    Crocus Behemoth lâche un pet atomique.

    Mère Ubu

    — C’est fort honnête à vous de bien vouloir reconnaître que vous êtes déviant, gros dégueulasse !

    Crocus Behemoth, sur le même registre :

    — Et vivre la nuit n’embellit pas mon teint...

    Crocus Behemoth lâche un second pet atomique.

    Mère Ubu

    — Ah quelle pestilence ! Plus je vous contemple et plus vous me faites l’effet d’un gigantesque navet puant !

    Crocus Behemoth, d’une voix hystérique :

    — D’après les symptômes, il s’agit d’une épidémie sociale...

    Mère Ubu

    — C’est vous, pachyderme au cul crotté, qui êtes une épidémie !

    Crocus Behemoth, d’une voix de bête traquée :

    — Le fait de s’amuser un peu n’a jamais été une insurrection !

    Mère Ubu

    — Vous allez nous faire pleurer avec vos jérémiades. Avez-vous d’autres couplets ?

    Crocus Behemoth, d’une voix mielleuse :

    — Ma mère m’a foutu à la porte jusqu’à ce que je trouve une culotte qui m’aille...

    Crocus Behemoth lâche un pet rachitique.

    Mère Ubu

    — Avec un cul pareil, vous avez dû en baver.

    Crocus Behemoth, sur le même registre :

    — Elle n’apprécie pas vraiment mon sens de l’humour...

    Mère Ubu

    — Vous êtes bien le seul que le grotesque n’effraie pas. Je vous plains amèrement.

    Crocus Behemoth, d’une voix de castrat à l’agonie :

    — Je suis tellement excité, je serai toujours perdant, on me jette de partout, je n’insiste pas...

    Mère Ubu

    — Bien fait pour vous. Vous mangez comme un porc. Regardez-vous dans un miroir !

    Crocus Behemoth, sentant la moutarde lui monter au nez :

    — J’ai pas besoin d’une cure d’amaigrissement ! Je veux une solution finale ! J’ai pas besoin d’une cure d’amaigrissement ! Je veux une solution finale !

     

    Une accalmie s’ensuit, embellie par des gazouillis d’oiseaux. Tim Herman joue un pont dada, grattant quelques subtiles variations destinées à tromper la vigilance de l’ennemi massé aux frontières.

    Crocus Behemoth, d’un ton guerrier :

    — Achetez-moi un ticket pour un voyage sonique...

    Crocus Behemoth lâche un pet embarrassé de tuberculeux.

    Mère Ubu

    — Alors bon voyage ! Nous allons de nouveau pouvoir respirer l’air pur !

    Crocus Behemoth, d’une voix de boucher :

    — Les guitares devraient sonner comme la destruction atomique...

    L’orchestre s’arrête. Une chape de plomb tombe sur la salle du trône.

    Crocus Behemoth, d’une voix nietzschéenne :

    — J’ai l’impression d’être victime de la sélection naturelle...

    Mère Ubu

    — Oh voilà qu’il recommence ! Mon cœur battait de joie à l’idée que ce numéro de cirque fût enfin terminé !

    Crocus Behemoth, d’une voix de paria épileptique :

    — Retrouvez-moi de l’autre côté, dans une autre direction !

    Mère Ubu

    — Bon débarras. Voilà enfin une bonne nouvelle pour le royaume !

    Crocus Behemoth, frisant l’apoplexie :

    — J’ai pas besoin d’une cure d’amaigrissement ! Je veux une solution finale ! J’ai pas besoin d’une cure d’amaigrissement ! I want a final solution !

     

    S’ensuit une nouvelle accalmie. Des gazouillis succèdent à l’épouvantable tintamarre de l’orchestre.

    L’orchestre

    — Ouuuh ouh-ouuuh !

    Crocus Behemoth

    — Solouchionne...

    L’orchestre

    — Ouuuh ouh-ouuuh !

    Crocus Behemoth

    — Solouchionne...

    L’orchestre

    — Ouuuh ouh-ouuuh !

    Crocus Behemoth

    — Solouchionne...

    L’orchestre

    — Ouuuh ouh-ouuuh !

    Crocus Behemoth

    — Solouchionne...

    Puis, mugissant comme un bœuf qu’on fait entrer de force à l’abattoir :

    — SOLOUCHIONNNNNNNNNE !

    Agité de spasmes, Crocus Behemoth lève le bras en l’air et fait le signe de la victoire.

     

    C’est le signal. Un officier sanglé dans un costume austro-hongrois présente à son roi une télécommande surmontée d’un gros bouton rouge. Crocus Behemoth assène un formidable coup de poing sur le bouton rouge. Une bombe à hydrogène explose quelque part au Japon. Le souffle de l’explosion fait trois fois le tour de la terre. Les cheveux des musiciens de l’orchestre s’envolent. Les radiations leur flétrissent la peau. Crocus Behemoth pointe son sceptre sur Tom Herman. Celui-ci s’incline respectueusement et attaque un solo de guitare qui s’envole majestueusement, wah-wahté avec raffinement. Le solo prend toujours plus de hauteur, atteignant les cimes de l’Olympe.

    Crocus Behemoth

    — Solouchionne !

    Tim Herman suit des chemins escarpés, repoussant toujours plus loin les limites de la splendeur, donnant à son solo des tournures proprement aventurières.

    Crocus Behemoth

    — Solouchionne !

     

    Tim Herman élève toujours sa mélodie dans les nues, menaçant à chaque instant d’échapper à l’entendement, et donc au roi. Les cimes de l’Olympe ne sont plus pour lui qu’un pâle souvenir.

    Crocus Behemoth

    — Solouchionne !

     

    Pourvu d’une nature céleste, Tim Herman maintient son solo en vie pendant d’interminables minutes, réinjectant sans cesse de la vie dans ses gammes éphémères.

    Crocus Behemoth

    — Solouchionne !

     

    Tim Herman déroule toujours son écheveau mirifique. Il devient une excroissance du royaume. Il étend sans cesse son empire. Il délie de fabuleuses lignes mélodiques qui montent au ciel et s’en viennent chatouiller les couilles de Dieu. Agréablement surpris, Dieu s’allonge sur son nuage et écarte les cuisses. Il retrousse sa jupe de coton immaculé. Oh ! Il croyait qu’il ne bandait plus. La musique s’arrête. Dieu débande. Il appelle un ange et ordonne qu’on lui amène ce terrien qui est l’égal de ses fils, les demi-dieux. L’ange qui est un peu con descend sur terre et remonte un an plus tard avec Peter Laughner.

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             Signé : Cazengler, Pere Abus

    David Thomas. Disparu le 23 avril 2025

    Pere Ubu. The Final Solution. Hearthan 1976

     

     

    Inside the goldmine

    - Washington d’ici

     

             Tous ceux qui le connaissaient le disaient érudit, mais Albite ne parlait jamais de rock. Il ne parlait que de ses mésaventures sentimentales. Enfin, sentimentales, c’est un bien grand mot. Albite était obsédé par le sexe. Il nous arrivait parfois de faire route ensemble, et c’était plus fort que lui : il monopolisait la conversation pour évoquer une à une ses conquêtes, ça n’en finissait pas, et il n’existait aucun moyen de l’interrompre pour le ramener dans le droit chemin. Il les décrivait une par une, les classait dans les chaudes et les pas chaudes, celles qui avaient du répondant et celles qui n’en avaient pas, il préférait celles «qui aimaient les hommes», comme la Toulousaine qui bien qu’étant chaude, lui donnait pas mal de fil à retordre.

             — Quel genre de fil ?

             — Elle veut pas que j’la sodomise !

             Avec ça, on était bien avancé, et il repartait de plus belle sur la Martiniquaise qui l’arrosait de sang de poulet avant la copulation, il passait ensuite directement à cette jeune femme juive qu’il avait traquée pendant des mois et qui avait fini par céder, mais il y eut un sacré problème.

             — Quel genre de problème ?

             — C’était une trans.

             Le pauvre Albite collectionnait les revers de fortune, mais ça ne l’empêchait pas de persévérer. Son appétit sexuel était tel qu’il n’existait aucune limite. Il lui fallait de la chair, fraîche ou pas fraîche, ça l’excitait rien que d’en parler :

             — Ah putain si tu voyais le cul qu’elle a !

             Il levait les bras au ciel, il clamait sa soif de toisons, son besoin maladif de palper des seins, il râlait son rut, il tanguait au cœur d’une violente tempête libidinale et atteignait une sorte d’extase organique. Lorsqu’il lâchait le volant, il fallait vite le rattraper, car la bagnole partait de travers. Il roulait à 160.  

     

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             Pendant qu’Albite collectionnait les conquêtes, Albert collectionnait les hits inconnus. On le sait grâce à une compile Ace qui s’appelle Blues & Soul Man.

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             Franchement, c’est un choc ! Albert Washington forever ! Cette compile est une bombe atomique ! Tu vois Albert sur la pochette avec sa veste de charlot et sa guitare et tu te dis : «No Way !». Hé bé, comme on dit à Toulouse, ton no way, tu peux te le carrer où tu penses, car Albert est une bête ! T’es hooké dès l’heavy blues de «Doggin’ Around». Avec «Tellin’ All Your Friends», il passe à l’heavy Soul noyée d’orgue. Albert insiste bien sur la qualité. Il gorge sa Soul de Soul. Il a le diable au corps, il est encore perçant et définitif avec «Rome CA»,  et affolant d’hot avec «You Get To Pay Your Dues». Albert est une diable, il groove la Soul du rock. Il sait chauffer le cul d’un cut, comme le montre encore «I’m The Man». Il a le power et l’argent du power. «Woman Love» sonne comme un heavy groove descendant, c’est d’une invraisemblable modernité, une vraie révélation, là t’as un groove incroyablement crépusculaire. On note encore l’incroyable qualité du solo de gras double de Lonnie Mack dans «Turn On The Bright Lights» - What a fool have I been - Albert est un surdoué, complètement inconnu au bataillon. Encore de la fantastique modernité avec «Hold Me Baby», tout est terrific, chez Albert et t’as en permanence ce que les Anglais appellent des killer guitars - Mack is at his manic best - Tu tombes plus loin sur «Crazy Legs Pt 1», fantastique dancing jive tapé au beat de syncope aventureux. Idem pour le Pt 2. Everybody ! Tu t’effares encore de l’incroyable audace du dancing beat de «Mischevious Ways». T’as toutes les mamelles que tu veux : la vélocité du beat et le gras du chant. Il réclame son heure de power dans «Hour Of Power». Il a tous les pouvoirs, surtout celui du power. Il sonne comme les Capitols et t’as Lonnie Mack dans la course. Retour à l’heavy blues avec «If You Need Me». Il chante ça d’une voix juvénile très pure, à la Sam Cooke. Ce fabuleux Soul Brother qu’est Albert Washington sait aussi faire du Sam Cooke ! 

             C’est un universitaire, le Dr Steven C Tracy, qui se tape les liners de la compile. Il raconte qu’il est allé voir Albert en 1996 à l’hosto universitaire de Cincinnati. Albert fait partie de la génération des années 30, et son éducation passe comme de bien entendu par le gospel. Puis il est attiré très jeune par le Deep South country blues - His main blues artist in them days wad Blind Boy Fuller, a performer of salacious blues to be sure - Et puis en 1949, nous dit l’universitaire, la famille Washington s’installe au Kentucky. Le père casse sa pipe en bois, écrasé sur un chantier, et Albert finit de grandir en se passionnant pour Sam Cooke et B.B. King. C’est là qu’il puise son inspiration pour gratter ses poux. Il flashe aussi sur Big Maybelle et Cab Calloway. Puis il va devenir the King of the Cincinnati blues scene. Il enregistre, mais ça ne marche pas. Il ne vit que grâce aux clubs. Les cuts rassemblés sur la compile Ace sont ceux enregistrés pour un petit label de Cincinnati, Fraternity Records d’Harry Carlson. L’un des artistes signés sur Fraternity n’est autre que Lonnie Mack, d’où la collusion.

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             On retrouve l’excellent Albert sur trois albums, à commencer par Sad And Lonely, un Eastbound de 1973 devenu culte. On comprend le comment du pourquoi dès «No Matter What The Cost May Be», un fast funk aventureux. C’est le funk le plus sauvage du coin. Ahurissante modernité ! C’est enregistré à Memphis, au studio TMI de Steve Cropper ! Il s’installe dans l’hard funk avec «You’re Messing Up My Mind», c’mon tell me, il veut savoir, listen yah ! C’est l’hard funk de rêve, sous-tendu à la vie à la mort. On retrouve l’hard funk dans «Mischievous». C’est là qu’il est bon. L’hard funk vipérin n’a aucun secret pour lui. Sinon, il fait un peu d’heavy blues («Wings Of A Dove»). Il perd un peu de hauteur, dommage mais il a des chœurs de rêve. Retour à l’heavy funk avec le morceau titre et ça bascule dans la pop de Soul. Il fait aussi du petit boogie de Memphis avec «I Can’t Stand It No More», mais il ne dégage rien de particulier. Il s’accroche une dernière fois avec «Do You Really Love Me» et ça se termine en giclée de belle Soul.

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             Il revient dans l’actu en 1992 avec Step it Up And Go. Bon c’est pas l’album du siècle, mais on sent la singularité d’Albert, notamment cette façon qu’il a de chanter d’une voix pincée. Il drive à merveille l’heavy boogie de «Things Are Getting Bad», et l’heavy blues d’«Hold On To A Good Woman» montre qu’il est très axé sur l’édentée. Il campe bien sur ses vieilles positions, il bêle plus qu’il ne chante, mais c’est pas mal. Ses cuts sont classiques mais beaux. Il swingue la good time music d’«Everything Seems Brand New», c’est une merveille de délicatesse. Quelle fantastique présence vocale ! Il chante d’une petite voix fine admirablement altérée, pas méchante pour deux sous. Il fait sa petite leçon de morale avec le slow boogie blues de «Leave Them Drugs Alone», if you wanna live a long time. Il chante son «You’re Too Late» au feeling pur et claque un coup de génie avec l’extraordinaire boogie down de «Keep On Walkin’». C’est le boogie archétypal d’Albert le crack. 

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             Sur A Brighter Day, t’as Harvey Brooks au bassmatic, alors attention ! Ça groove dès le morceau titre d’ouverture de bal. Albert chante aux dents de lapin. Il tape deux Heartbreaking Blues de choc, «You’re Gonna Lose The Best Man You’ve Ever Had» et «Standing There All Alone». Le premier est amené au riff d’I’m A Man et le deuxième sent bon la classe supérieure. Il revient à son cher boogie blues avec «I Walked A Long Way», c’est à la fois lourd de sens et lourd de conséquences, autrement dit heavy on the beat. Avec «Travelin’», il se glisse merveilleusement dans un shake de funk, puis il fait son ‘boire ou conduire’ avec «Don’t Drink & Drive». Globalement, il colle bien au terrain de l’heavy blues. Tout ce qu’il entreprend est assez fin. Albert est un orfèvre, un délicieux groover aux dents de lapin. Ah comme il affine ! 

    Signé : Cazengler, Washingtorve

    Albert Washington. Blues & Soul Man. Ace Records 1999

    Albert Washington. Sad And Lonely. Eastbound Records 1973.

    Albert Washington. Step it Up And Go. Iris Records 1992

    Albert Washington. A Brighter Day. Iris Records 1994

     

    *

             Laissez-moi rire avec la malédiction du deuxième opus. Le pauvre artefact incriminé n’y est pour rien. Par contre il existe deux sortes d’êtres humains, ceux qui se répètent, qui répépiègent à n’en plus finir, et ceux qui avancent sur leur chemin, tout droit, conscients que chaque pas les rapproche de leur propre fureur de vivre. Alicia Fiorucci fait partie de ceux-là. 

    SANS DETOUR

    ALICIA F !

    (La Face Cachée / Avril 2025)

             Super belle couve. Alicia s’offre à vous sans détour, telle une citadelle imprenable qui vous toise du haut de ses murailles. Une pose de guerrière aguerrie qui vous défie d’un regard sombre et compatissant, qui attend sans hâte que vous portiez le premier coup, sûre que vous ne vous y risquerez pas, que vous ferez comme si vous ne l’aviez pas vue. Une volonté inexpugnable chevillée à son corps et à son âme.

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             Alicia F (comme fulgurante) est au chant un peu le d’Artagnan des quatre mousquetaires avec qui elle ferraille sur les douze pistes noires et rouges du disque : Tony Marlow qui use de sa guitare comme d’une rapière meurtrière, Gérald Coulondre qui frappe fort à l’aide de sa masse d’arme ensanglantée, Amine Leroy qui propulse de sa contrebasse des carreaux mortels d’arbalète.

    Les assassins à ciel ouvert : avancent à pas couverts devrait-on avoir le temps d’écrire, mais la guitare froissée de Tony vous bouscule, Alicia lui emboîte le pas, avec un tel titre on augurait qu’elle prendrait un ton lugubre, ben non, l’est toute guillerette, pensez à ceux qui dansaient la Carmagnole durant la période révolutionnaire, l’insurrection n’est pas obligatoirement triste, dénoncer, remettre le cours des choses à l’endroit impulse un sentiment de libération et une vivacité débordante. Coulondre transforme sa batterie en feu d’artifice, Tony allume une chandelle romaine incandescente, le punk c’est comme Picasso, il a sa période bleu pétrole mais ici c’est la période rose délurée, qui domine, la joie de s’affranchir de ceux qui vous adressent des sourires cauteleux pour mieux vous asservir.  Abortion : le Marlou attaque à la hache d’abordage, les gars catapultent les chœurs et ça déboule grave, Alicia prend position pour la liberté d’avorter, pour le devoir de faire de son corps ce qu’elle veut, attention c’est une espèce d’éruption vésuvienne, un mini-opéra vénusien, contrechants wagnériens, imprécations gutturales, revendications en lettres de sang, Amine slappe à mort, Marlou et Gérald vous pondent à deux un solo comme vous n’en avez jamais entendu, Alicia vous a le dernier mot qu’elle dépose à la fin du morceau comme une couronne sur sa royauté de femme, Abortion ! La vie est une pute : un crachat punk, une intro de menuet, mais très vite ça remue un max, les gars vous dressent des guirlandes, car parfois il vaut mieux en rire qu’en pleurer, la vie n’est pas un conte de fées, faut prendre les choses comme elles viennent mal, les douces fraîcheurs mentholées se métamorphosent en senteurs mortifères, Alicia vous met le tréma sur le u de pute. Cielo drive love song : quand le présent n’est pas gai, que le futur ne promet pas une amélioration, une seule solution : se réfugier dans le passé, pourquoi croyez-vous que la guitare de Marlow sonne comme une cithare et que Gérald vous tamponne des rythmes festifs, même Amine rend sa contrebasse sautillante, et Alicia chante les jours heureux des sixties, en Californie, au temps des doux rêveurs, et des hippies inoffensifs… hélas ne gobez pas les mouches avec la chantilly du gâteau, Cielo Drive était l’adresse où Sharon Tate fut assassinée… Baltringue : ici pas de piège, franc et direct comme une décharge de chevrotines, un rock uppercut, Gérald frappe dur, le Marlou sonne le glas, l’Amine n’est pas réjoui, Alicia règle les comptes, pas de cadeau, l’emploie les mots qui tuent et le ton comminatoire qui chasse les nuisibles de son territoire. Teenager in grief : une rythmique country sympathique, Alicia vous prend sa voix de petite fille innocente, pourquoi les trois boys viennent tout gâcher en usant de leurs instruments comme d’une apocalypse, la forçant à casser sa voix et son rêve, parce que l’histoire qui commence bien, finit mal, ce n’est pas la peine de pleurnicher non plus, ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort, voilà pourquoi elle reprend son ton allègre. Méfiez-vous des apparences. Votre calvaire : intro surprenante, l’on ne sourit plus, l’on est dans une espèce de blues-noise qui vous écorche les oreilles, Alicia ne chante plus, elle parle, elle rappelle, elle accuse, elle crie, elle hurle, elle dénonce, elle condamne, les boys lui emboîtent le pas, maintenant elle chante et les instrus grincent et gémissent, Dieu jamais nommé puisqu’il n’existe pas - ce qui permet de circonscrire les coupables dans leur ignominie - est le paravent des bien-pensants à la morale étriquée. Le cache-sexe des grandes cruautés. Somptueux. Love is like a switchblade : elle s’en est pris à la vie, la voici qui s’occupe de l’amour. Elle décidé de crever les baudruches multicolores qui empêchent de voir la réalité. C’est sa manière à elle de verser de l’acide sur les caresses que l’on vous a prodiguées. La guitare du Marlou gronde comme un tigre, Alicia pousse des soupirs de jouissance, en plus elle vous chuchote tout fort ce qu’il faut savoir pour ne pas être dupe, ni des autres, ni de soi-même. Un bon rock prestement appuyé. Comme un coup de couteau. Charnelle détresse : encore un gars qui en prend pour son grade. Elle ne l’envoie pas dire. Mais elle prononce les mots qui blessent. Exploration de la misère sexuelle de nos contemporains. Les gars la suivent dans ses accusations. Lyrics assassins et musiciens qui tirent sans sommation. Joe Merrick : une trombe sonore dédiée à la souffrance de Joe Merrick surnommé Elephant Man, est-ce pour cela que les instruments cornaqués par le vocal de feu d’Alicia barrissent si fort, la colère contre l’humanité perpétuelle l’emporte sur la pitié aujourd’hui inopérante. Une vieille histoire, qui saigne encore. Trust no one : cette deuxième face se termine en feu d’artifice, rythmique punk renforcée par la fougue instrumentale. Un ballon de rugby entre les poteaux. Un single parfait. Non, je ne regrette rien : elle a gardé la reprise pour la fin, l’on aurait parié pour les Ramones, paf, c’est Piaf. Le genre de truc casse-gueule par excellence. L’a su s’y prendre. Pas d’emphase, pas de trémolo, juste l’énergie, une vague débordante qui emporte tout, et porte Alicia au pinacle.

             L’on sort de ce disque rincé. Dans chaque morceau gisent trois ou quatre trouvailles, ces petits trucs inattendus mais terriblement définitifs dès la première audition. L’on imagine mal ce qu’il y aurait pu avoir à leur place.

    Alicia n’a pas réalisé un bon disque de plus. Elle a édifié, avec ses trois acolytes  une pierre angulaire de la production rock actuelle. Un album magnifiquement structuré qui a toutes les chances d’être une référence pour les créateurs et les amateurs de demain.  Ses lyrics tantôt en anglais, tantôt en français, révèlent le monde intérieur d’Alicia, son implantation critique et combattante dans la vie.

    Damie Chad.

     

    *

             Il suffit de suivre les traces, elles parlent d’elles-mêmes, nul besoin d’embaucher une équipe de détectives, un soupçon de flair et c’est in the pocket, comme disent les anglais, d’ailleurs ils sont anglais, z’ont produit dix opus depuis 2013, les pochettes ne sont pas des indices mais de véritables preuves accablantes, inutile de vous les montrer les titres parlent d’eux-mêmes…When Death Comes Again / The Loneliest Walk / The All Consuming Void / Of Loss And Grief / Of poison and grief (Four Litanies For The Deceased) / When Death Comes / Of Graves, Of Worms and Epitaphs / Immortal in Death / First Funeral… bref avant que la grande faucheuse ne les emporte, nous nous pencherons sur le dernier album, tout frais sorti, peut-être d’un casier réfrigéré de la morgue…

    A SILENCE TOO OLD

    APHONIC THRENODIC

    ( Bandcamp / Mai 2025)

             A mon avis un groupe qui se déclare a-phonique mérite le détour. Quant à Thrénodic, les amateurs d’antiquité auront d’instinct reconnu la racine thrène qui désignait les chants composés en l’honneur des héros morts.

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             Quant à la couve d’apparence paisible, un vieux sage, endormi sur un épais et antique grimoire, serait-ce un ermite ou un druide, en tout cas maintenant il sait - il a reçu les réponses qu’il a cherchées en vain durant toute sa vie – qu’au bout de l’existence se trouve la mort. Sans doute s’en doutait-il, mais maintenant il ne doute plus. Que cet enseignement vous serve de leçon.

    Riccardo Veronese : guitars, bass, keys a appelé un vieux complice : JS Decline : drums, guitars solo. Tous d’eux ont l’habitude d’inviter un ou plusieurs artistes sur leurs réalisations : ce coup-ci ils ont choisi : Déhà : vocals.

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    Annabelle : ces notes répétées, sûr ce n’est pas du dodécaphonique, un conseil profitez-en car dès que Déhà pose sa voix, tout change, ce qui n’était qu’une douce musique d’ambiance se transforme en une confession malédictoire, d’autant plus que JS vous Decline le destin trompeur de toutes choses avec ces frappes battérialles qui vous emphatisent l’ambiance, désormais vous êtes obligés de suivre, un fleuve sonore, tout ce qu’il y a de moins aphonique, je vous rassure, vous emporte dans ses méandres majestueux, la voix se crispe, se charge d’angoisse, de peur, et de terribles résolutions, pourquoi cette note revient-elle toujours, le chagrin appelle-t-il l’amertume, débouche-t-il vers les plus farouches décisions, deuxième pose, une demi-seconde, le temps de lancer un regard vers le couteau que vous vous apprêtez à planter dans le dos de celle qui est partie, Déhà énonce des paroles terribles, il a repris sa voix douce et profonde, endormeuse, mais les mots roulent comme des cailloux de haine et des caillots de sang. Il ne sait plus ce qu’il dit mais il sait ce qu’il va faire. Il n’hésitera plus, toutes les divinités seront punies, désormais il sera le bras armé de l’enfer terrestre. Light the way : fracas de lumière noire, penser est une chose mais passer à l’acte est ce qui importe. Une fois le geste accompli, encore faut-il l’assumer, affronter sa folie, métamorphoser sa noirceur en sa propre lumière, c’est le chœur de Déhà qui résonne, il déclare la guerre à la terre entière, il s’élève au plus haut de l’horreur, mais ce n’est pas l’horreur qui compte mais ce surplus de plénitude que par son acte il a atteint, il grogne tel un ours furieux, les tambours de la suprématie scandent sa marche, il ne se presse pas, il écrase tout ce qui ne saurait résister, le rythme est lent mais intraitable, des accords de guitares sombrement doucereux, il marche au-delà du bien et du mal, les assassins et les innocents ne sont-ils pas le scotch à double-face de toute personnalité qui se mure en sa démesure, c’est en grandissant que l’on traverse les limites de la mort pour accéder à la vie. A silence too old : méditation funèbre, un synthé joue du cor, c’est beau comme de la musique classique, un requiem doom tout doux, la marche à l’intérieur de soi-même, le temps a passé, l’assassin a vieilli, son épée victorieuse pèse un peu, mais cela n’est rien, c’est l’esprit qui tourne en rond sur lui-même, un tour face au soleil, un tour face à la nuit, la folie n’est-elle pas une lumière aveuglante, le guerrier tournoie en lui-même, la liberté n’est-elle pas l’autre visage de la folie, tout tourne, la musique vous a une de ces ampleurs virevoltantes, encore cet arrêt méditatif et la reprise d’évidence, toutes ces pensées incapacitantes qui tournent depuis trop longtemps dans ma tête que la lame y mette terme, et si c’était Icare qui tuait le soleil et non le contraire. Further on : plus fort, plus loin, ne croire qu’en soi, ne serait-on qu’une illusion, montée éclatante, victorieuse, en bas, bien plus bas, le soleil agonise, juste croire en soi, avancer toujours plus loin, toujours plus haut, la voix clame et plane au-dessus des glaciers les plus altiers, maintenant le haut et le bas s’égalisent et je suis aussi un insecte rampant, pitoyable, agonisant, au plus bas du plus bas, la basse s’en donne à cœur joie, moment de contrition, instant de contraction, il me reste encore une arme à portée de ma main, ne pas s’avouer vaincu, rester son propre maître, celui qui a tranché ses dilemmes par un fer sanglant peut encore répéter son geste par un suicide froid et méthodique, échos féminins et emprise masculine sur soi-même. Apothéose. Oath of nothing : sombres cordes, dernier acte, ultime épreuve, la porte s’ouvre sur un sentier de glace, l’ennemi m’attend, c’est le dernier duel, celui qui risque de vous inoculer la mort, lourdeur des membres, du mal à soulever l’épée, il est plus fort que moi, je grogne comme un animal blessé qui ne s’avoue pas, qui ne s’avouera jamais vaincu, à quoi sert-il d’ailleurs de se battre, l’un gagnera, l’autre perdra, tous deux triompheront car l’on ne se bat que contre soi-même, ne suis-je pas mon pire ennemi, une plainte musicale pointue comme un dard de scorpion s’enfonce dans mon cœur, tout cela n’est qu’une fausse mort, qu’une fosse vie, désormais une paix funérale nous englobe, nous réunit, c’est pourquoi nous ne faisons plus qu’un avec nous-mêmes. Avec soi-même. C’est ainsi que l’on obtient une sorte d’accalmie, une espèce d’apaisement. Retentit comme un hymne à la joie musicale qui se termine par un cri venu de très loin, d’une scène fondatrice. Tne void of existence : chant de sirène, ou trémolo d’un ange qui viendrait me caresser, serait-ce Dante reçu sur les bords de l’Eden perdu par la Beatrix retrouvée, quelques notes de piano paradisiaque qui rêveraient d’une existence humaine, très humaine, ai-je donc tant vécu selon mon enfer, qu’il me reste encore la moitié de mon existence à revivre avec ce fantôme d’Annabelle désincarnée, enfermée telle une reine dans ma tête, je crie, je glapis comme le renard, je vomis comme le serpent, je siffle comme l’homme, honneur et repos à tous ceux qui sont morts, et si je criais, y aurait-il un ange rilkéen qui m’entendrait quelque part, tout en haut, tout en bas, tout en moi-même. Une spirale sonore qui repasserait toujours sur-elle-même mais toutefois à chaque fois en dehors d’elle-même. Comme une trace d’elle-même obligée de s’effacer pour réapparaître d’elle-même. L’on ne va jamais plus loin que soi-même.

             Poetic doom. Mais ne sommes-nous pas trop vieux pour entendre ce silence qui sourd de cette funèbre mélopée. Fin magistrale.

    Damie Chad.

     

    *

             Tout pour déplaire, une tronche d’intello sur la couve, pas belle avec ses lunettes, à la John Lennon qui lui refile un air idiot, oui mais le titre de l’album est un tantinet bizarre, toutefois un genre de phrase où il y a à boire et à manger. J’ai décrété que c’était des anglais, leur humour, leur nonsense, ben non des amerloques, du Michigan, capitale tout en haut des States, bordé par les Grands Lacs.

    WE KNOW WHERE THE BODY IS

    HOFFA

    (Bandcamp /Mai 2025)

             Retour sur la pochette. Elle mérite attention. Elle est de Jev et Alex Franks desquels j’ignore tout. Pas vraiment un beau gosse, on le devine mal dans sa peau. Impression que nous mettons en relation avec le titre : généralement l’on sent son corps quand il nous fait mal. D’ailleurs n’oublions pas le nom du groupe : le mal d’Hoffa est une inflammation du genou. Soyons franc, le gars a peut-être mal au genou, mais c’est surtout dans sa tête qu’il claudique. L’a des yeux jaunes, comme les chats, pourtant il n’est pas habité par la grâce féline, par contre si vous regardez les verres de ses besicles, vous apercevez ses obsessions. Au début je pensais à une fille, mais la silhouette pourrait aussi bien être celle d’un homme. En fait ce n’est pas une affaire de sexe, son problème numéro Un, c’est l’Autre. Au sens infernal de la misanthropie métaphysique sartrienne. L’on pourrait croire que le grand problème de l’Humanité soit la mort, perso j’opinerai plutôt pour la vie, la mort est un acte solitaire par lequel l’on se retrouve confronté avec soi-même, la vie vous force à vivre avec les autres, de près ou de loin, mais rarement seul. Or notre égo nous pousse à nous croire supérieurs aux autres…

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             Autre détail sur cette peinture : le titre de l’album qui suit la courbe des épaules de notre spécimen d’humanoïde patenté. A même la peau. Le tatouage est une habitude sociale amplement partagée ces dernières années, Paul Valéry ne disait-il pas que ce que l’homme avait de plus profond c’était sa peau.

    Andrew Martin : guitar, bass, vox / Hank Belcher : guitar, bass, vox / Pete Free : drums.

    Cockroaches : un titre qui n’est pas sans évoquer La Métamorphose de Franz Kafka, une certaine vision cafardeuse de notre espèce, si le ramage musical se rapporte à son état mental, notre hôte n’est pas revêtu de l’éclat du phénix de la bonne santé. Ne soyons pas surpris, Hoffa ne se présente-t-il pas par une phrase qui nous laisse une grande latitude d’interprétation : ‘’ Parfois nous faisons du punk, parfois du metal, parfois ni l’un ni l’autre’’. Pour les trente premières secondes ils ne mentent pas, un peu de bruit, une guitare toréador qui survole l’escarpolette balancée à toute vitesse et le gars qui s’égosille à crier toute sa haine, du punk de chez punk, l’on a envie de danser de tout casser, de se fracasser contre le mur du son, ( Saint Spector, priez pour nous), pour le metal qui normalement devrait suivre, ils font l’impasse, plongent tous habillés dans le ni l’un ni l’autre, direct le chaos, la folie, le gars déraille, l’instrumentation aussi, il craque, il pète la camisole de force du conditionnement social, l’envoie valdinguer sa petite vie bien proprette, il hurle comme King Kong quand il brise ses chaînes, il a envie de tuer, alors il tue, pousse des cris de serial killer, dommage que le disque ne soit pas en couleur, on le suivrait à la trace sanglante qu’il laisse derrière lui, mais que fait la police, elle arrive, elle vous conseille de vous mettre à l’abri, le killer peut tuer n’importe qui. Evidemment tous les rockers n’obéissent pas, ils ouvrent les fenêtres et descendent dans la rue, ne veulent pas perdre une miette de cette carbonisation intégrale. Le rock et la révolte ont toujours fait bon ménage. Nice carrot, but we already saw the stick : (la carotte et le bâton, pour une fois la langue française davantage concise et percussive que l’anglaise si pragmatique) : changement d’ambiance, fini la cavalcade, l’on se croirait à un concert des Pogues, l’amicale de la bonne franquette, bon dans sa tête ce n’est pas tout à fait pareil, l’est toujours habité par la haine, l’est dans un drôle d’endroit, les gentils flics ont dû l’emmener à l’asile, alors parfois il hurle dans une salle capitonnée, et les cinglés autour de lui chantent une chanson douce pour l’accueillir et lui faire comprendre qu’il est des leurs, qu’ils vont s’amuser comme des fous, sa mère vient le voir, les Beatles lui rendent visite, il habite au fond de l’océan, bien sûr il y a une guitare qui pond un solo comme un navire qui fait naufrage, et vous entendez la visserie de son cerveau qui grince et ne tourne plus rond… Homunculus : il fut un temps où dans l’asile, les fous se prenaient pour Napoléon, maintenant ce n’est plus tout à fait pareil, ils prophétisent, ils vous apportent la bonne nouvelle tout droit sortie de leur ciboulette détraquée, en plus il est modeste, il se décrit sans se prendre pour le bon Dieu, il pousse quelques hurlements à la Jim Morrison, l’orchestration essaie de calmer la bête musicale, faut tout de même comprendre ce qu’il annonce, lui qui modestement se présente comme un étron masturbatoire couvert de merde, il promet la société parfaite, elle s’occupe de vous, ne vous laisse même pas le temps de sortir du ventre de votre mère, l’enfançon grandira maladivement, son éducation fera de lui un esclave, l’a tout dit, il ne rajoute pas un mot, la musique essaie d’illustrer ce bonheur pressurisé et concentrationnaire, essayez d’imaginer les sons discordants qu’elle produit, pour vous mettre du baume au cœur, une voix d’infirmière sans âme vous rappelle les conditions optimales de votre bien-être. Pour bien goûter l’ironie du titre, l’Homonculus est une opération alchimique, ce petit homme symbolique désigne la matière déjà travaillée, en gestation d’elle-même qui finira par se transformer en pierre philosophale… Scylla : Scylla est le monstre marin et tentaculaire qui priva Ulysse de six de ses matelots… drôle d’idée de se prénommer Scylla, à moins que le groupe tienne à nous souffler dans l’oreille que les meilleures intentions débouchent parfois sur de terribles catastrophes, réduit à l’impuissance, la voix alentie par les cachets, la musique n'ose plus faire de bruit, juste quelques éclats lorsqu’il promet qu’une fois en possession de tous les pouvoirs, les gens heureux danseront dans les rues, le bonheur pour tous sera assuré, dans sa magnanimité il ira jusqu’à retirer le Christ de sa croix. Sacrilège ! Si la société n’a plus à offrir le rachat de l’âme humaine, pourquoi les hommes continueraient-ils à obéir… Est-ce pour cela que le directeur l’a affublé du nom de ce monstre hideux qu’est Scylla… Pink polo shirt neighbords : plus un mot, seulement sept minutes d’instrumentalité peu éclatante, un peu comme si des guitares souffraient d’asthme cordique qu’elles ne parvenaient plus à produire que des soubassements sonores incapables de la moindre vigueur, une espèce de sonorité taciturne, imaginons que les aliénés américains de haut niveau ou de grande profondeur abyssale ne puissent plus parler, ne plus émettre un son, la glotte bloquée, tétanisée, paralysée par des surdoses médicamenteuses, soient revêtus de camisole rose afin de souligner leur dangerosité… triste fin pour ceux qui avaient faim d’une autre vie…

             Hoffa nous livre un opus sur la réalité contemporaine. Un regard sans aménité mais d’une grande lucidité. Tout vous pousse à péter les plombs, mais l’on sait comment réparer les ampoules grillées. Il suffit de les mettre sur le mode opératoire ‘’ basse tension’’. Nous sommes tous des morts-vivants en attente. Réfléchissez avant qu’il ne soit trop tard.

             L’esprit en partance, le corps restera votre dernier refuge.

             Hoffa veut peut-être nous avertir  que c’est déjà trop tard. A écouter, même s’il n’y a plus d’urgence.

    Damie Chad.

     

    *

             Longtemps que je ne regarde plus mon DVD sur les prestations Town Hall Party de Gene Vincent. Le son est loin d’être parfait, par contre je vous encourage à la visionner si vous n’avez jamais vu des images flottantes, elles se baladent un peu à droite, beaucoup à gauche, montent vers le haut et descendent vers le bas, elles ressemblent à des poissons prisonniers dans un aquarium cherchant vainement une issue… J’étais très heureux le jour où j’ai déniché une vidéo au contenu similaire sur un autre label. Hélas les images étaient aussi flottantes que sur la précédente, elles ont continué leur danse de saint-Guy… J’ai accusé mon ordinateur. J’en ai acheté un tout neuf… qui m’a offert le même désolant spectacle…

    Or voici que depuis quelques mois paraissent sur You Tube de nouvelles vidéos sur Gene Vincent, j’ai pris mon courage à deux mains et me suis jeté sur les trois Town Hall Party présentées par la chaîne Beat Patrol, et à ma grande surprise les  images n’ont pas effectué leurs pérégrinations habituelles, elles sont restées sages comme des images !

    *

             Si Elvis Presley fut l’homme le plus photographié du vingtième siècle, ce ne fut pas le cas de Gene Vincent. De nos jours, si vous êtes au fond de la salle, vous ne voyez plus les artistes sur scène, vous les envisagez multipliés en petits formats autant de de fois qu’il y a de spectateurs (moins 1 = vous) en train de filmer le spectacle qu’ils ne regardent jamais plus, mais qu’ils gardent dans le cachot oublié de leurs insu-portables, lisez la chro du Cat Zengler, sur le Zénith des Viagra boys, livraison 690 du 15 / 05 / 2025… Les enregistrements des prestations scéniques de Gene Vincent sont rares… Elles sont le plus souvent confinées dans les archives des émissions télévisées.

    TOWN HALL PARTY STORY

             Nous sommes dans la préhistoire du rock’n’roll, William B Wagnon organise des concerts de country music, notamment de Bob Wills, dans la région de Sacramento. Il ne tarde pas à acquérir une salle de bal pouvant accueillir jusqu’à trois mille danseurs, in Compton proche de Los Angeles… La suite coule de source, posséder son propre orchestre capable aussi d’accompagner des chanteurs de passage, et danse la galère. Wagnon suit le modèle du Grand Ole Opry qui depuis 1925 offre une émission de radio hebdomadaire à tous  les amateurs de musique populaire… En 1951 Town Hall Party possède ainsi son émission radio. Et en 1953 son émission de télévision est diffusée par KTTV-TV sur Los Angeles. Town Hall Party à l’origine très Country et Western ne sera pas insensible au rockabilly, en 1957 elle programmera Gene Vincent, Eddie Cochran, The Collins Kids, Carl Perkins…

             La dernière session de Town Hall Party se déroula le 14 janvier 1951. Nous reviendrons à plusieurs reprises sur l’histoire, notamment sur le tout début de cette aventure aux nombreuses ramifications. Pour cette fois nous nous pencherons sur les trois apparitions de : Gene Vincent.

    *

    GENE VINCENT

    TOWN HALL PARTY (1)

    25 / 10 / 1958

            Si vous ne devez regarder une seule des trois sessions c’est celle-ci qu’il faut choisir, c’est elle qui possède le meilleur son - toutefois qualifié d’improbable – c’est la plus longue et surtout pour la présence de Johnny Meeks et Grady Owens, sans oublier Cliff Simmons au piano qui participa à certaines nuitées des premiers enregistrements Capitol. Clyde Pennington est à la batterie.

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             Quelques secondes sur le public sagement assis, la surprise vient de l’exiguïté de la scène, très étroite à tel point qu’il est difficile d’avoir tout le groupe dans le cadrage de la caméra. Pour l’instant elle est encombrée des membres de l’orchestre ‘’ officiel’’ du Town Hall. Tex Ritter au micro joue le Monsieur Loyal, il chante plus qu’il ne parle, ensuite il énumère le programme de la soirée, à ses côtés on reconnaît sous son chapeau de cowboy Joe Mathis le guitariste émérite. Ces deux premières minutes qui seront très écourtées sur les deux autres vidéos offrent une valeur documentaire sociologique inoubliable. Comme cela paraît daté !

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             Gene surgit et s’empare aussitôt du micro, à sa gauche Grady Owens et Johnny Meeks entament le ballet, il semble qu’ils tiennent en même temps les rôle de Clapper boys – il est vrai qu’a l’origine Grady maintenant à la basse a été embauché pour remplacer Tony Facenda – et celui de musiciens, se démènent, un ballet réglé au millimètre, bascules, déhanchements, pliures, et redressements se succèdent, ce qui n’empêche pas Johnny de mâcher placidement son chewing gum, au milieu de ce tourbillon Gene vêtu de noir mais la chemise sombre  engoncée dans un blouson clair, les yeux levés au ciel chante Be Bop A lula avec une étonnante ferveur décontractée, sur le pont mouvementé le piano de Simmons ricane méchamment pendant que Clyde semble chasser les mouches sur un capot de voiture à coups de marteaux. Tout de suite après un morceau de choix, le piano galope comme un dératé, Penning use de ses toms, mais l’intérêt d’High Blood Pressure réside en les vocalises, belle photo de famille, Grady, Gene, Johnny, leur trois têtes autour du

     

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     micro comme trois as de pique en folie, la voix de Gene rauque et sauvage à souhait, suit un Rip It Up dévastateur, les spectateurs les plus jeunes sont debout… déboule un  Dance to The Bop débité à grande vitesse, Gene et le piano  de Simmons font la course, tandis que Meeks vous pousse un solo cavalcade avec la même facilité avec laquelle vous tournez votre purée mousseline dans sa casserole sans vous en apercevoir. Gene annonce que la tournée s’arrêtera quelques jours pour subir une opération, sans s’attarder il annonce You Win Again, l’en profite pour citer une deuxième fois Jerry Lou, vous la joue un peu à la Platters, pas besoin de creuser profond pour trouver la palpitante veine noire  du rock’n’roll. Pour terminer le bouquet final, For Your Precious Love, une interprétation magique, quel chanteur, cette bluette sentimentale, toute douce, vous percute autant que les trois rocks endiablés du début.

    TOWN HALL PARTY (2)

    25 / 07/ 1959

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             Aïe ! Aïe ! Aïe ! un son déplorable ! Bye ! Bye ! les Blue Caps, Gene se produit avec le staff de service. Ce n’est pas qu’ils jouent comme des brêles, c’est qu’ils n’ont pas le feeling rock, heureusement qu’il y a Gene parce derrière ils jouent western swing, Jimmy Pruiitt active un piano peut-être pas civilisé mais pas assez sauvage, , le violon d’Harold Hersly reste inaudible, ce n’est pas de sa faute mais c’est dommage à l’origine Rocky Road Blues fleure bon le l’herbe bleue, quant à Rose Maphis, clapper girl d’office, elle applaudit poliment sans enthousiasme,  Hersly essaie de sauver Pretty Pearly avec son sax, mais le son calamiteux ruine ses efforts. Sur Be Bop A Lula la batterie de Pee Wee Adams est trop lourde, pour la première fois l’on a tout de même droit au jeu de jambe de Genes. Deuxième set : Gene revient en boîtant, il lance un  High School Confidential, boosté par l’exemple de Jerry Lou le piano se démène fort joliment, le guitariste sur Over The Rainbow serait-il Merle Travis, encore une fois Gene termine son set sur une douce mélodie. Sans nous décevoir.

    TOWN HALL PARTY (3)

    07 / 11 / 1959

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    Gene porte un tricot semblable à celui qu’il arbore sur la pochette du 45 tours français de Baby Blue, Jerry Merritt assure la lead, parfait pour nous découper les angles purs et cassants de Roll Over Beethoven, une nouvelle version d’Over the Rainbow,  la voix de Gene bien plus pure que sur la deuxième session, mais Jimmy appruiitt vraiment trop fort sur son piano il casse les ailes des oiseaux bleus qui volent au-dessus de l’arc-en-ciel… l’on se quittera sur un She She Little Sheila frétillant tel un poisson d’argent… Gene quitte la scène en boîtant.

    Damie Chad.

    (A suivre).

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 691 : KR'TNT ! 691 : BRUCE JOYNER / DEATH VALLEY GIRLS / JOHN LYDON / NUGGETS / SAPPHIRES / PANICK LTDC / ZAVTOR / JARS / ASKEL / POSTMORTAL

    KR’TNT !

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    LIVRAISON 691

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    22 / 05 / 2025

     

     

    BRUCE JOYNER / DEATH VALLEY GIRLS

    JOHN LYDON / NUGGETS 

     SAPPHIRES / PANICK LTDC

     ZATVOR / JARS / ASKEL / POSTMORTAL

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 691

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

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    Wizards & True Stars

     - Joyner de la guerre

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             Pauvre Bruce Joyner ! Il lui est arrivé toutes les misères dans son enfance : une copine d’école lui a fait avaler du speed et il s’est brûlé les cordes vocales, ensuite, il a perdu un œil dans une bagarre, puis il a été écrabouillé dans un accident. C’est pourquoi on l’a vu hanter les pochettes de disques avec une canne et un regard qui fout les chocottes. Et pour couronner le tout, il vient de casser sa pipe en bois dans la plus totale indifférence. Injure suprême. Nous allons de ce pas réparer cette grave injustice.

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             S’il est arrivé chez nous, en France, c’est un peu grâce à Bomp! qui fit paraître son premier mini-album, Dream Sequence en 1981. Ce fut un événement. Ses musiciens arboraient des looks rockab, et Bruce, assis sur une chaise, nous fixait d’un air bizarre. Ça partait sur un beat lourd comme le pas d’un éléphant. Avec «Gun Fighting Man», ils frisaient le Next Big Thing, car ils mixaient le Southern Gothic avec des cavalcades de guitares et d’échos lointains. Ils enchaînaient avec «Actions Reactions», une pop alerte parfumée de polka, une pop tordue, serrée, mal ligotée. On les sentait en quête de devenir, mais ils se noyaient dans leurs contradictions. Le hit se nichait de l’autre côté : «Suzzanne», un pur hit de rock’n’roll pulsé au beat tendu et vrillé par un solo congestionné. Bruce chantait, l’œil de verre fixé sur le néant. On les sentait capables d’exactions. Le groupe semblait se plaire dans une ambiance de déraison cryptique judicieusement contrôlée. Un parfum d’étrangeté malsaine s’installait.

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             L’année suivante parut The Unknowns. On lisait au dos de la pochette que le groupe ne jouait que sur des guitares Mosrite. Le premier cut te happait ! «Pull My Train» était une véritable révélation, avec son loco-beat méphistophélique et son refrain sous le boisseau. Bruce avait le diable dans le corps. L’infirme menait le balda des maudits. Avec «Crime Wave», il tentait de semer la terreur dans les esprits, mais sa compo manquait d’air. Il passait ensuite avec armes et bagages au boogaloo avec «The Streets», un cut bien travaillé au corps, secoué de ruptures de rythme et monté sur un beat rockab. Boogaloo encore avec «Riptide» - It’s deep it’s dark - mais trop de couleurs, trop d’éléments et trop d’ambition finissaient par neutraliser le cut. En B, il dévoilait sa passion pour Buddy avec une magistrale cover de «Rave On», montée sur un gros drive de basse. Il y chantait aussi l’horrible histoire du «Common Man» qui bosse dur pour sa femme qui lui prépare le souper du soir. Il terminait avec «Modern Man», qui était certainement l’hit du disk : cette belle pop lumineuse entrait dans la catégorie des valses modernes.

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             En 1983, il remontait un nouveau groupe, Bruce Joyner & The Plantations et enregistrait Way Down South. Avec l’éclair dans le ciel mauve de la pochette, il affichait clairement ses couleurs : le fameux Southern Gothic dont se gargarisent tous les pseudo-experts. Greg Shaw produisait l’album. Avec «Winds Of Change», il avouait sa préférence pour la pop pressée qui allait en fait devenir sa distance idéale. On assistait dans ce cut à un fantastique travail de relance et on découvrait aussi en Bruce un songwriter prolifique. Bien qu’installé à Los Angeles, il continuait de s’inspirer du vieux Southern Gothic, comme par exemple avec «Wastelands» - Moonshine stays safely hidden among the sweet Georgia pines - Dans chaque chanson, il racontait une vraie histoire, comme celle de la petite ville du Sud dans laquelle il avait grandi («On The Other Side Of The Track»). Avec «Dream Lovers», il rendait un nouvel hommage à Buddy, mais aussi à Roy Orbison, avec un réel brio. En B, il racontait l’histoire d’un mec poursuivi par des flics et des chiens («Out On A Limb») et il revenait à son héros Buddy avec «Until You Cross The Line», une pop qu’il enjouait de manière maximaliste. Il y conseillait de ne pas trop se plaindre, car d’autres gens ont des problèmes plus graves. Et il bouclait avec «It Takes A Woman To Make A Man Cry», une histoire qui finit mal, puisque le héros de la chanson se retrouve dans le couloir de la mort.

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             Un an plus tard, il enregistre Slave Of Emotion avec la même formation. On retrouve l’éclair du Southern Gothic sur la pochette et Bruce planque son œil de verre sous une mèche de cheveux. Il s’est tout de même fait broder une toile d’araignée sur l’épaule, histoire de rappeler son allégeance au boogaloo. Avec ses pop-songs soignées, il cherche l’ouverture en permanence. Il faut attendre «Bobby Ran Away» pour trouver un peu de viande - She walks down Sunset Boulevard - C’est joué sous le vent et doté d’un solo déroutant. Pur régal que le jeu de basse de Tom Woods ! En B, Bruce renoue avec le boogaloo dans «The Snakes A Coming Soon», crampsy en diable et hanté par un rire de malade - Ha ha ha ha ha - On tombe plus loin sur l’envoûtant «When The Moon Is Full». Attention, cette petite cavalcade nocturne a des allures cauchemardesques. Tous les cuts qu’il compose sont pleins comme des œufs, longs, nuancés et parfaitement enjoués.

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             Le dernier album de Bruce avec les Plantations paraît en 1986. Des alligators ornent la pochette. Swimming With Friends pourrait bien être son meilleur album, pour deux raisons. Un, «Voodoo Love», monté sur un beau Diddley Beat georgien, imparable et filoché à l’harmo. Deux, «Think It Over», qui sonne comme un hit de juke à la Buddy. D’autres jolies choses tendent les bras aux esprits curieux, à commencer par «The Darkside Of Your Brain», que Bruce chante avec une réelle autorité voodoo, et servi par un son de batterie extrêmement intrigant. S’ensuit un «Burning Mansions», bien atmosphérique, étendu sur la longueur et sans concession. Bruce joue encore la carte de la singularité prioritaire avec un «Deep Green Water» monté sur un beat étrange. Il n’offre aucune prise à la normalité. Il remplit pleinement le contrat qu’il a passé avec le diable. 

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             Il débarque chez New Rose en 1987 avec Hot Georgia Nights, un album qu’on voudrait mythique et qui ne l’est pas. Avec le morceau titre qui fait l’ouverture, il tente pourtant de créer la sensation - All the girls seem to smile/ Like alligators on the Nile - Son soft-rock pulsatif accroche mais ne tétanise pas. Avec «Sweet Southern Summertime», il fait de la pop malhabile qui vieillit mal. Pas sûr qu’en 2080, les kids écoutent ça. Bruce tente le tout pour le tout avec «The World Needs A Little More Love» joué aux accords dissonants et drivé par un petit riff maladif. En B, t’as un «Violence In His Religion» à prétention inquiétante et monté sur beat de boogaloo, mais l’ensemble de la B reste faiblard.

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             The Outtake Collection 1978-1988 paru en 1988 couvre toute la carrière de Bruce. Les premiers outtakes datent de la période Plantations. Pour la plupart, ce sont des cuts doux et fins, joués au jingle-jangle, troussés de frais, dont un «Lonely» qui sonne comme un hommage à Roy Orbison. Par contre, sur le disk 2 se nichent deux bombes datant de l’époque de son premier groupe, The Strokes. «Green And Yellow» est un classique psyché-boogaloo sauvagement inspiré. Et l’intro de «Gunfighting Man» sonne comme celle du «Gimme Shelter» des Stones. C’est un véritable hit, doté du meilleur des solos de gras double. On a là un bon son de basse qui remonte comme la marée. T’as un son monstrueux.

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             Nouvelle équipe en 1990. Bruce Joyner & The Tinglers enregistrent Beyond The Dark. On y retrouve les deux mamelles de Bruce, le boogaloo et Buddy. «Tingler» est boogaloo comme pas deux, car ça raconte l’histoire d’une créature qui sort du swamp et qui rampe sur le plancher - What’s that crawling across my floor/ What’s that scratchin at my door ? - Il raconte que si une chose vous touche l’épaule pendant que vous dormez et que vous croyez que c’est votre chère épouse, réveillez-vous vite fait - You better check to see if it’s a tingler/ Or crack it’s gonna take your life - Bruce nous raconte toute la légende des tinglers dans le détail. Pure merveille. Plus loin, il honore la mémoire de Buddy avec «Buddy» - I just want to be you Buddy - et il en rajoute une louche - If you’ll be my Peggy Sue - On retrouve toutes les dynamiques éclairées du grand Buddy. En A, Bruce attaque avec «Lost Visitor», un softy softah de mid-tempo très délicat, presque orbisonien. Avec «Mary Writes», il devient évident que Bruce se prend pour le Big O. Et il nous ressert une part de tarte à la guimauve avec «I’m Really Coming Down With Somethin’». Bruce Joyner reste un artiste singulier. Il excelle aussi bien dans le voodoo surf que dans l’art délicat du grand balladif. On retrouve dans la plupart de ses cuts des dynamiques spéciales et des éclairs mélodiques d’une grande originalité.

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             En 1991 sort un nouvel album des Unknowns sur New Rose : Southern Decay. Ça alors ! Toutes les composantes du son unknownien sont là, fidèles au rendez-vous, comme on le constate à l’écoute d’«Happy Day» : une pop qui échappe à tous les pièges, une pop sauvage et libre qui vit sa vie. Puis «Desert Nights» se déroule comme une pièce de pop incertaine qui va au hasard des chemins avec des night moves qui épatent - Only the small survive in the desert nights - Le «Love Train» qui suit est un hit de juke joué au stomp de Georgie. Bruce chante ça comme un possédé. Il sonne exactement comme Dave Dee Dozy Beaky Mick & Titch. Infernal ! Quelle énergie ! De l’autre côté se niche une autre merveille, «Flip Your Switch», pur jus de rocky road claqué aux accords de réverb - Lord the music makes me rock’n’roll - C’est incroyablement hanté. Il termine sa B avec une version de «Shakin’ All Over» qui lui va comme un gant de cuir noir. Les Unknowns jouent ça à l’accord rampant.

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             Un an plus tard paraît Sir Real. On y retrouve ce qu’on préfère chez Bruce, l’étrangeté, notamment sur un «Sex Beat» qui ne doit rien au Gun Club - Can you feel the sex pistol ? - C’est relayé aux mélopées démoniaques de traîne de tourbe. On suivrait ce mec jusque dans les endroits les plus reculés du comté. «Swamp Fox» vaut aussi pour sa belle dose d’étrangeté. C’est vraiment tout ce qu’on attend de lui. Il doit le savoir. Le hit de Sir Real s’appelle «Love Done Killed My Baby», c’est une sorte de Gloria brucien, un jerk joynerien d’un aplomb invraisemblable - I shot my baby yeah - Ce hit pue la délinquance et t’as le bassman qui prend un solo de basse au bas du manche. Monstrueux ! Le son troue la rondelle des annales. C’est définitivement malsain, joué dans les sous-bois, et t’as le Bruce qui en rajoute !

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             Preludes And Nocturnes paraît en 1993, toujours sur New Rose. Son meilleur album ? Va-t-en savoir. En tous les cas, Bruce t’embarque aussitôt avec «Rainy Grey Day», sur un beat salace et des textes toujours très fournis - Every evening as the sun is going down/ I can hear the voices from the shadows - S’ensuit «The Dragon Fly» travaillé à la nappe d’orgue et aux trompettes mariachi. Il dote ce balladif entreprenant d’un son étrange et peu courant. Avec «The World Needs A Little More Love», il prend la suite de Burt pour nous expliquer que notre monde a vraiment besoin de love et on croit entendre le «Should I Stay Or Should I Go» des Clash. C’est la même séquence. Avec «Night Surf», Bruce renoue avec son goût prononcé pour l’instro d’excellence carabinée. Plus loin, il tape «Cat’s Meow» à la note descendante. Il fait le chat qui rôde, et la guitare sonne comme celle de McGuinn au temps des Byrds : excellent et d’une grande modernité. On entre ensuite dans une série de morceaux terribles, avec un «Time Machine» solide et musculeux, travaillé à la flûte, et gorgé d’énergie secrète. Tu cries au loup ! Restons dans le fantastique avec «They Were Expandable», un cut en forme de règlement de compte - Goodbye backstabbers/ Find someone else/ You think you’re not an asshole/ But you should play one on TV - Quelle santé, et ça continue avec un «Emotional Side» terrifiant d’allure - Oh we’ve earned this love/ I’m sure you will agree - et il fait tomber cette phrase terrible comme un couperet - So treat each other with respect and humanity - Ne perdons pas de vue ce point essentiel : Bruce Joyner n’est pas un animal de foire, comme on l’a souvent entendu, mais un immense songwriter. Le problème est que les Français n’écoutent pas les paroles. Alors il ne reste que la canne. Ce seigneur des annales regagne la sortie avec «Dreaming Of OZ». Sur chaque album, Bruce Joyner tient son auditeur en haleine, de bout en bout, aussi bien par le son que par le contenu. C’est assez rare.

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             Retour en 2011 avec une nouvelle équipe constituée d’anciens, Bruce Joyner & The Reconstruction. L’album s’appelle Elements. Bruce porte des shades comme son héros Big O. Il attaque avec «Invisible Smile», une pièce de pop baroque qui voudrait convaincre, et il enchaîne avec un «Swamp Fox Foxy» plus funky et joliment envenimé d’hey hey hey. On sent le vieux pro qui roucoule goulûment ses descentes de refrains. Mais les choses sérieuses se nichent en B. Il revient à ses chères «Hot Georgia Nights» que ses amis de la Reconstruction éclatent à coups de paquets d’accords. Bruce renoue avec son sens aigu de l’expressivité à coups d’ho ho ho ! C’est extrêmement bon. On retrouve avec «Evil Smile» ce qu’on a toujours adoré chez lui, un son différent. Depuis le début, Bruce Joyner a cherché à bricoler ce son différent, mais ça ne marche pas à tous les coups. Il s’appuie ici sur un beau Diddley Beat, il retrouve sa dimension épique, celle qu’on apprécie particulièrement. C’est dans ce genre de cut ambitieux qu’il donne sa pleine mesure. Il finit sa B avec «Hard Machine», un cut noyé et les excellentes guitares juteuses de Don Fleming. Bruce se lance dans une belle énormité en forme d’heavy boogie. Voilà sa grande force : il surgit là où on ne l’attend pas et il semble filer comme un reptile à travers les couches de guitares éthérées.

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             Il garde quasiment la même équipe pour Bruce Joyner & Atomic Clock, et l’album The Devil Is Beating His Wife paru en 2014. Il attaque avec «Another Day», un beau mid-tempo incisif et revient ensuite à ses chers balladifs. Dans «Prairie Dog», on l’entend aboyer après les chevaux. Il court les plaines de Georgie, comme au bon vieux temps. En B, on tombe sur «Dreamland», un beau balladif puissant et entreprenant, gluant comme un hit - Shadows dancing in the fire/ You never walk alone - Bruce vous aura prévenu. S’ensuit le morceau titre de l’album, un farfouillis de coups de guitares, de chuchotements et de bouillonnements circulaires. Comme son copain Howard Phillips Lovecraft, Bruce ne s’intéresse qu’à une seule chose dans la vie, l’étrangeté de la concomitance.

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             Il refait surface en 2018 avec The Netherglades, histoire de se moquer gentiment des Everglades, et un album intéressant, Love And The Blood Vodou. Ça démarre très bien avec «Alligators», classic Joyner sound, très Southern Gothic. On sent une vraie présence, Joyner shake son shook à coups de babe babe. C’est extrêmement swampy. Et ça swampe encore plus avec un «Shadows» complètement hanté, ça bruite divinement sous le boisseau, les Netherglades tiennent le cap sur le marais, et ça grouille tellement de sonorités exotiques que ça devient extraordinairement jouissif. Eh oui, la surprise vient encore du damn cripple. Puis le soufflé retombe un peu, car ça se calme au niveau son. «The Sun Goes Down» sonne comme un balladif crépusculaire. Bruce nous chante «Guitars On The Dance Floor» à l’espagnolade. On sent qu’il joue avec le feu sacré. En B, il revient en force avec «She’s A Rocker», il tape ça à la clameur, on veut absolument y croire, voilà un cut illuminé par le cristal acéré d’une guitare sous-jacente, et ça donne un balladif entreprenant bien chargé de la barcasse. Il termine avec «Traction». Il y recrée enfin de la menace - You were looking for some action -  et ça se réveille dans un hospital bed. Alors il se met à dérailler de façon salutaire, on retrouve le grand Joyner de nos amours anciennes, faut-il qu’il t’en souvienne, il redore son blason et chevrote dans les flammes de l’enfer.

    Signé : Cazengler, pas la Joy(ner)

    Bruce Joyner. Disparu le 9 mars 2025

    The Unknowns. Dream Sequence. Bomp 1981

    The Unknowns. The Unknowns. Line Records 1982

    Bruce Joyner And The Plantations. Way Down South. Invasion Records 1983

    Bruce Joyner And The Plantations. Slave Of Emotion. Closer Records 1984

    Bruce Joyner And The Plantations. Swimming With Friends. Closer Records 1986

    Bruce Joyner. Hot Georgia Nights. New Rose Records 1987

    Bruce Joyner/The Unknowns. The Outtake Collection 1978-1988. Fan Club 1988

    Bruce Joyner And The Tinglers. Beyond The Dark. New Rose Records 1990

    The Unknowns. Southern Decay. New Rose Records 1991

    Bruce Joyner. Sir Real. New Rose Records 1992

    Bruce Joyner. Preludes And Nocturnes. New Rose Records 1993

    Bruce Joyner And The Reconstruction. Elements. Bang! Records 2011

    Bruce Joyner And Atomic Clock. The Devil Is Beating His Wife. Closer Records 2014

    Bruce Joyner And The Netherglades. Love And The Blood Vodou. Closer Records 2018

     

    L’avenir du rock

     - Love it to Death Valley Girls

             On sonne à la porte de l’avenir du rock. Il ouvre. Fuck ! La Mort ! Avec sa cape noire et sa grande faux. L’avenir du rock se marre :

             — I’m not dead, comme dirait Jim Dickinson !

             D’une terrifiante voix d’outre-tombe, la Mort rétorque :

             — Avenir du rock, je suis venu pour jouer à quitte ou double...

             Intrigué, l’avenir du rock fait entrer la Mort et lui propose un fauteuil.

             — Voulez-vous boire une petite rasade du pirate ?

             Ils boivent un coup et la Mort lui explique le jeu : pour gagner, il faut trouver mieux. Sinon, couic.

             — Si je dis Christian Death, que proposez-vous de mieux, avenir du rock ?

             — Pfffffffff... Death Of Samantha !

             — Si je dis Death In June ?

             — Pfffffffff... Vous avez vraiment mauvais goût... Je réponds «Slow Death» !

             — Si je dis Dead Can Dance ?

             — Pfffffffff... Pas étonnant qu’on ne vous aime pas. Je réponds Dead Moon !

             — Si je dis Dead Or ALive ?

             — Pfffffffff... Qu’est-ce que vous pouvez être ringard ! Je réponds «Death Party» !

             — Si je dis Grateful Dead ?

             — Pfffffffff... N’importe quoi ! Connaissez-vous le Death des frères Hackney, à Detroit ? Je peux vous prêter les albums, si vous voulez...

             — Vous foutez pas de ma gueule avenir du rock, vous pourriez le regretter amèrement... Reprenons. Si je vous dis The Queen Is Dead ?

             — Pfffffffff... Ah non, pas les Smith ! Avec vous, ça devient le carnaval des horreurs. Vous avez autant mauvais goût que vous avez mauvaise haleine. Si vous me sortez encore une connerie, je vous vire à coups de pieds dans le cul !

             — Shut the fuck up ! Si je dis Dead Kennedys ?

             — Pfffffffff... Allez, trois singles, au maximum, mais certainement pas les albums. Je réponds «Dead Man Curve» !

             — Si je dis Dead Boys ?

             — Pfffffffff... Décidément, vos questions sont aussi prévisibles que vous l’êtes. Je réponds Death Valley Girls. C’est tout de même autre chose !

     

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             Death Valley Girls en concert ? T’y vas en courant. Tyva surtout pour Larry Schemel, le guitar slinger providentiel, l’enchanteur de la Vallée de la Mort, le bonheur des dames. S’il est un guitar slinger que tu rêves de voir sur scène, c’est bien Larry Schemel. Pouf, t’arrives au club du Tétris, tu te mets bien devant l’ampli

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    guitare, et t’attends qu’il radine sa fraise. Oh la fraise ! C’est une petite gonzesse aux cheveux rouges qui se pointe à sa place. En plus, elle est vraiment mal fagotée : grosse robe noire, pompes atroces et un soutif en velours crème par-dessus son chemisier en dentelle noire. On savait que les Californiennes s’habillaient mal, mais là, les Valley Girls battent tous les records. La bassiste porte une grande robe bleu

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    clair ornée de grands trous et bien sûr, elle est à poil en dessous. T’as aussi une saxophoniste en petite tenue, avec des socquettes blanches et des pompes à semelles compensées. Les moins pires sont Rikki Styxx derrière sa batterie en robe de soie minimaliste, et Bonnie Bloomgarden en petite robe gothique, toujours avec son gros maquillage vert fluo sous les yeux. Et son charmant petit sucre craquant de candeur candy. Elles vont réussir à rocker le boat, même sans Larry Schemel, mais ce n’est tout de même pas le même son. La red-haired woman sonne un peu sec, alors que le grand Schemel sonnait gras. Derrière son petit clavier, Bonnie mène bien sa meute,

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    on ne reconnaît pas facilement les cuts. T’as très vite le «Watch The Sky» du dernier album, Island In The Sky, suivi du morceau titre d’Island, et vers la fin, tu retrouves «Magic Power», suivi du velvétien «Journey To Dog Star». On sent qu’elles ont perdu au change. Leur son ne doit plus rien au temps de Street Venom et Glow In The Dark. Elles jouent quand même le fiévreux «Death Valley Boogie» de Glow In The Dark, mais sans le killering de Larry machin. Elles sont passées à autre chose, un son bien ambiancier, avec ici et là des bonnes petites crises de Méricourt. C’est le duo red-haired woman/Rikki Styxx qui dynamite l’ensemble, elles s’abandonnent toutes les deux et font voler leurs chevelures, et il faut voir cette folle géniale de Rikki

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    penchée en avant sur la batterie comme un animal, avec cette rage qui n’appartient qu’aux gonzesses, elle bat un beurre bien lourd et bien tribal, et red-haired woman saute partout avec sa Jaguar blanche. Elles sont tellement balèzes toutes les deux qu’elles te font oublier ta déception de n’avoir pas vu Larry Schemel. Comme elles

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     exultent, alors tu finis par exulter. Ça fait vraiment du bien d’exulter par les temps qui courent. Oh et puis n’oublions pas le plus important : en plein cœur de set, elles tapent un truc que tu connais... Qu’est-ce que c’est ? Tu tends l’oreille... I had a dream/ Last night... Fuck ! «Fire & Brimstone» de Link Wray - There’s a light shinin’ on - Quoi de plus exultant ? 

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             Ça fait dix ans que tu suis les Death Valley Girls à la trace. Depuis leur premier album, Street Venom, avec lequel elles entraient en vainqueuses dans ta cité. Street Venom grouille de coups de génie, à commencer par «No Reason», avec son intro vinaigrée, et pouf, ça part au petit sucre, avec un bassmatic qui descend les escaliers. C’est littéralement saturé de classe : tout est beau, le killer solo de Larry Schemel et le bassmatic. Coup de génie encore avec le «Gettin’ Hard» de bout de balda, vraiment heavy, avec une saine balance du beat et un solo apocalyptique, gratté au pied à pied. D’autres merveilles te guettent en B, comme par exemple «Red Glare», du heavy Death, toujours all over the riff raff, Larry Schemel veille au grain du lapin blanc, il faut entendre ses descentes de poux. Il ravage encore «Paradise Blues», il wahte dans la vallée de la mort, c’est un démon psychédélique. On le retrouve juste derrière «Girlfriend» avec ses poux grattés à sec, ses descentes somptueuses et le wild killer solo flash chauffé à blanc. Il rôde encore dans «Arrow» comme un requin blanc, et rentre au gras double dans le chou de «Shadow», une autre merveille d’agitprop. Il fait sonner sa gratte comme un éléphant de combat, il gratte tout ce qu’il peut au cœur du chaos. Il revient encore dans l’«Electric High» du bout du monde, il couvre toute la Vallée de la Mort. 

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             Très bel album que ce Glow In The Dark. Elles ouvrent leur petit bal avec un morceau titre bien énervé. Elles sont bonnes et shakent leur shook à la bravado du chevroté. Belle clameur ! Elles se sentent très concernées par l’explosivité, elles blastent le son, et t’as un joli killer solo flash à la clé. Wow ! Sur cet album, tout est saturé de chant, elles font de la dégelée royale hérissée d’allant. Elles tapent aussi dans le jump it off de petite niaque pychopathique avec leur «Death Valley Boogie». C’est de bonne guerre. Elles noient leur «Seis Seis Seis» dans un gros pâté de réverb. Elles vont rechercher d’anciens climats datant des années de braise, mais le big atmospherix restera toujours le big atmospherix et on continuera de l’accueillir à bras ouverts. Même si elles retombent parfois dans la petite pop, on s’attache à cet album et pouf, ça repart avec «I’m A Man Too», chanté à l’ingénue libertine. Elles tapent dans le mur du son. Elles font du girly-group boom-boom in the wall of sound ! Bonnie devient folle et gueule à la cantonade, jusqu’au moment où un solo vient balayer les doutes. On a là le vrai truc, the girl group on fire. Elles jouent à la perfection leur petit jeu dangereux, comme le montre encore «Love Spell». C’est bien claqué du beignet. Elles enveniment la power pop et produisent l’une des meilleures clameurs qui soit ici-bas. Elles battent nettement Suzi Quatro et Cherrie Curie à la course. C’est complètement explosif ! Tiens encore une énormité avec «Summertime». Elles y développent une sorte de transe hypno, elles s’en vont se perdre dans les steppes du génie sonique, ça gueule par-dessus les toits, on croirait entendre une goule de la vingt-cinquième heure. Elles titillent l’after, elles clouent leur chouette sur la porte de l’église. Et tout ça se termine avec «Wait For You» que Bonnie chante à la pointe de la glotte. Un gimmick connu descend le cut d’une balle entre les deux yeux. Elle tape dans un vieux renvoi d’estomac et ça part à la revoyure, à la coule de la coule avec des notes qui fondent dans les flammes. Ça frit sur place. Inutile de réclamer ta monnaie.

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             Darkness Rains ? Big album ! Il t’avale aussitôt «More Dead». Elles sont dans le vrai, dans le wet féminin d’ultimate spinash, c’est clamé à la retenue de la fistule, elles sont magiques, pleines de fringance, comme ces petites gonzesses excédées qui tapent du pied par terre, et là tu as le pire solo de wah de l’univers connu des hommes, elles te collent au mur. Douze balles. Tu en redemandes. Suite de la triplette de Belleville avec «(One Less Thing) Before I Die», elles tapent dans un fabuleux wild wet trash punk, ça t’enfume la cervelle. Fin de la triplette avec «Disaster (Is What We’re After)», les Death Valley Girls sont certainement ce qui est arrivé de mieux à LA depuis longtemps. Elles sont mille fois pires que les Pandoras. Elle groovent le big lard d’anymore, elles se répandent sous le boisseau, alors que soufflent des vents de wah, c’est d’un niveau qui te démonte les clavicules, mon pauvre Salomon, et en plus elles ramènent le sax du MC5. Alors évidemment, après les trois coups d’éclat du début, on attend la suite. Elle arrive avec «Abre Camino». Elles tentent encore le diable avec ce groove d’exaction panaméricaine, elles ramènent la wah nucléaire et se couronnent reines du Big Atmospherix. Elles s’étranglent encore de power avec «Street Justice», avec encore cette gratte prédatrice en embuscade. Elles développent d’incroyables mélanges, avec ce velouté intime qui ramollit leur Motörheadisme rampant. Cet album sonne comme un slab de remise à plat. Tu sais qu’il faut suivre les Death Valley Girls. Elles fonctionnent avec des éclats supersoniques, le moindre cut te met en alerte. Tiens voilà qu’elles tapent dans l’hypno Velvet avec «TV In Jail On Mars». Elles se sentent concernées jusqu’à la fin, raison pour laquelle on les admire.  

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             Under The Spell Of Joy échappe à l’oubli grâce à deux coups de génie : «Hold My Hand» et le morceau titre. Le premier  sonne comme un shoot d’L.A. gaga, elles sont terribles. Le génie des Valley Girls consiste à savoir tout brasser. Cet «Hold My Hand» est fabuleusement beau. Elles enchaînent avec le morceau titre, à la fantastique énergie de commitment aléatoire. Elles ont ça dans la peau. Une espèce de gigantesque mélasse te tombe dessus, elles swinguent avec des os de squelette et touillent une mélasse héritée du Gun Club. C’est d’une rare puissance. Puis l’album s’affaisse un peu, avec du big mood ambiancier («The Universe»). Elles cherchent la rédemption et se noient dans un son d’écho et de sax. Elles perdent encore du poids avec «Little Things», mais Larry Schemel passe un killer solo qui sauve les meubles. Même chose avec «No Day Miracle Challenge». Schemel reste en embuscade.   

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             On sent une très nette baisse de régime dans Islands In The Sky, même si le sucre de Bonnie Bloomgarden résonne dans l’écho du temps. Elle sucre bien les fraises sur «California Mountain Shake». Puis elle remonte en selle aussi sec pour «Magic Power». Ça tagadate dans la plaine du Far West, comme dirait Yves Montand. Mais on a déjà entendu ça mille fois. Magic Power n’est pas si magic, after all. Les Girls campent toujours dans l’heavy sound, Bonnie chante all over, on l’aime bien, elle est assez pure, avec du gros buzz derrière, mais les compos ne sont pas des hits. Bonnie se bat avec son sucre, elle est héroïque dans «Sunday» et par certains côtés, elle redevient trop girlish, trop pubère. On dénote même un côté superficiel dans son approche, ce qui à la limite peut l’excuser. Au fil des cuts, on finit par les perdre, elles se prennent pour le Velvet d’«All Tomorrow’s Parties» dans «Journey To Dog Star», elles se fondent dans le groove mais ne savent pas comment s’en sortir. Elles se prennent pour le Ronettes avec «Say It Too», comme si elles tentaient leur dernière chance. Et là ça redevient génial. Elles se réveillent enfin avec la mad psyché de «Watch The Sky». Elles shakent la dérive des continents. Ça explose au moment opportun, elles tapent en plein dans le mille du Floyd de Syd.

    Signé : Cazengler, dead balai brosse

    Death Valley Girls. Le Tétris. Le Havre (76). 29 avril 2025

    Death Valley Girls. Street Venom. Burger Records 2014  

    Death Valley Girls. Glow In The Dark. Burger Records 2016    

    Death Valley Girls. Darkness Rains. Suicide Squeeze 2018   

    Death Valley Girls. Under The Spell Of Joy. Suicide Squeeze 2020   

    Death Valley Girls. Islands In The Sky. Suicide Squeeze 2023 

     

     

    Wizards & True Stars

     - Public Image Illimited

     (Part Three)

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             Quand John Lydon apparaît à la une de Record Collector, on se frotte les mains. Rien que de voir sa bobine, ça nous repose des horreurs qu’on voit dans d’autres canards, notamment les trois autres Pistols acoquinés avec Frank Carter. Il faut tout de même bien se rendre à l’évidence : des Pistols dans Johnny Rotten, ça n’a tout simplement aucun sens. Tu vois d’un côté les vieux, Matlock, Steve Jones et Paul Cook, et de l’autre le jeune, l’éternellement jeune John Lydon.

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             Bon d’accord, notre héros a pris du poids, mais il reste infiniment crédible. Il donne une interview depuis sa maison de Malibu, en Californie. C’est un événement : 14 pages ! Il commence par évoquer son deuil de Nora, au terme de 44 ans de vie commune, puis de John Rambo Stevens, son meilleur ami et manager. En deux heures d’interview, il fume un paquet de clopes.

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             Le thème de l’interview concerne le radio show de juillet 1977, The Punk And His Music : Tommy Vance recevait Johnny Rotten qui à la surprise générale programmait Captain Beefheart, Van Der Graaf Generator, Gary Glitter et des tas d’autres hippies. Avant d’entrer dans le détail de ses choix, il commence par rappeler qu’ado, il adorait Sweet, Slade, Marc Bolan et Elton John - My taste is extrememely broad and open-minded - Il est aussi fan de reggae et surtout de Dr Alimantado. Son favourite reggae band of all times, c’est The Abyssinians. Dans l’émission de Tommy Vance, il avait choisi de passer un cut de Neil Young, tiré d’On The Beach  - God yes, but it’s Zuma I really love - Et il te développe ça à sa façon, la meilleure qui soit, la rottinienne : «It’s always going to be one of my favourite albums for the way the guitar so emotionally almost falls apart.» C’est exactement ce qu’on ressentait à l’époque. Le son du fall apart ! Et il ajoute que Neil Young «is one of the greatest songwriters of all time. Him, Ray Davies, just absolutely amazing words.» Et inexplicablement, il ajoute le nom de Bryan Ferry, parce qu’il comprend ce que Ferry lui dit.

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             Alors Simon Goddard tente une petite provoc et insinuant que McLaren ne devait pas être très content d’entendre à la radio Johnny Rotten chanter les louanges d’un vieux hippie comme Neil Young.  Et ça marche ! Rotten se fout en rogne : «Well, you couldn’t understand what the manager was yakking on about. Because I’m the bloke writing these songs and you’re telling me that it should fit to a specific catalogue of ideas? Go fuck yourself!». Et il ajoute qu’on ne peut pas écrire des textes comme ceux de «God Save The Queen» sans avoir «an open mind and open ears». Et paf, il en profite pour rappeler que «the rest of the band were musically ignorant.» Et d’ajouter qu’il s’est fait un devoir de leur montrer des «other ways of directing thoughts and agendas.»

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             Puis Goddard repart sur d’autres choix du jeune Johnny Rotten : Nico et Tim Buckley. John Lydon en pince toujours pour le «Sweet Surrender» de Tim Buckley, «one of the world’s most lovingly sad sons.» Il est assez lucide pour savoir qu’il ne pourra jamais atteindre la note de Tim Buckley, aussi se contente-t-il de rester en adoration.

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             Rusé comme un renard, Goddard ramène John Lydon sur le terrain de l’enfance. Alors attention, c’est passionnant, car le père du kid Lydon «was a bit of a teddy boy, so sweet Gene Vincent has always been in my mind.» Puis ses parents sont devenus des Mods - My mum and dad wre well into the Kinks. You Really Got Me was SUCH an impressive record when I was a nipper - Goddard le branche ensuite sur les music papers. Berk ! - Didn’t touch the music press. Not really, up until the Pistols - Il ajoute : «It was boring to me. People talking about music? Bloody hell! I’d much rather listen.»

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             Ce démon de Goddard le branche sur Van Der Graaf Generator et Lydon remet les choses au carré, disant qu’il n’a jamais aimé le groupe, «but I did like Peter Hammill on his own.» Retour sur Nico, au temps où ses parents lui balançaient : «Oh my God Johnny, that woman can’t sing», ce qui le renforçait dans sa détermination à adorer Nico. Il en profite pour avouer qu’il adore la bad music, d’où le choix de «The Blimp», tiré de Trout Mask Replica, lors du radio show de 1977. Il rend aussi hommage à Alvin Stardust - Oh Alvin yes! I hate rock’n’roll imitators getting it wrong, but Alvin had fun - Branché sur Todd Rundgren, il avoue un faible pour Todd - the one where he’s got long hair, half blue on the cover - Il qualifie encore Something/Anything de wonderful. Il trouve génial que Todd attaque un classique et ne le finisse pas - I liked that attitude, like Mozart when he didn’t finish Requiem - Et Dylan ? Oh pas grand chose à part «Hurricane». Pour l’anecdote, il croyait que «Blowing In The Wind» was about farting. Prout dans le vent ?  

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             Joni Mitchell ? Il cite un ou deux albums et s’exclame : Who the hell needs them? Il dit l’avoir rencontrée en Jamaïque, «and I didn’t like her very much.» Puis on passe aux choses sérieuses avec les Pistols. Goddard lui demande s’il écoute Nevermind The Bollocks à la maison - Are you joking? All the time! (...) it’s a poweful, powerful piece of music we put there together - Et bam, il allume Steve Jones - Poor old Steve, he still can’t play Anarchy or Pretty Vacant properly - Il explique ensuite que personne ne peut re-chanter «No Feelings» - Poor Billy idol attempted it. Good luck, man! You sound like you’re mumbling after the third line - Auto-compliment final de John Lydon  pour Nevermind The Bollocks : «Wow! Bloody hell, young fella. You had something going here!».

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             Il pense d’ailleurs la même chose de Metal Box. Puis il rend hommage au Sanctuary de The Cult, à Dolly Parton, John Coltrane, Miles Davis, notamment Bitches Brew, «one of my all-time favourite albums» qu’il rapproche du Tago Mago de Can. Britpop? What do you mean? Goddard lui dit : Oasis. Yes I like those lads.

    Signé : Cazengler qui remPiL

    Simon Goddard : The punk and his music revisited. Record Collector # 568 - March 2025

     

     

    Nuggets back

     Gets back to where you once belonged

     

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             Si tu veux te rincer l’œil avec du vocabulaire rock, alors saute sur le Nuggets Redux du Rev Keith A Gordon. Avec son petit book (180 pages en gros caractères pour super-bigleux), le Rev rend hommage à l’un des fleurons de la rock culture : Nuggets, cette compile Elektra parue en 1972 et sous-titrée Original Artyfacts From The First Psychedelic Era 1965-1968. On s’en souvient comme si c’était hier : ce fut une petite révolution. 

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             Le Rev reprend les cuts un par un et les ré-épluche, en électrisant sa prose. Il commence par les Electric Prunes et «I Had Too Much To Dream Last Night», histoire de rappeler que Dave Hassinger les produisit et fut leur manager. Le Rev affûte sa plume et se lance à l’assaut : «Even by the exagerated standards of 1960s garage-pop, ‘Get Me To The World On Time’ boils over with hormonal lust, accentued by the sudden break into a pulverizating psychedelic Bo Diddley beat.» Il a raison, le bougre. Ça boil pour de vrai chez les Prunes. Steve Kraskow ajoute : «I consider the Electric Prunes vital, raw, dead-cool psych rockers. Armed with massive amounts of Vox effects pedals, amps, and instruments, they created a fuzz vibrato roar matched by none.» Et voilà le travail. Matched by none. Ça sonne. Rien de tel que la langue anglaise pour dire le rock.

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             Le Rev est moins loquace sur les Standells : «‘Dirty Water’ brought a brash, proto-punk sound to the airwaves, even if the band themselves were hardly rabble-rousers.» Môsieur le Rev émet des réserves. Vazy Rev, prends ta gratte et essaye de sonner comme Tony Valentino.

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             Il rend plus loin hommage aux Vagrants de Leslie West qui tapaient alors dans le «Respect» d’Aretha. Il dit que leur version est «tuff as nails.» Pour lui, ça reste un mystère que les Vagrants n’aient pas explosé aux États-Unis, d’autant ajoute-t-il que leur label Atco savait y commercialiser les petits culs blancs de type Cream, Buffalo Springfield et les vaillants Vanilla Fudge, eux aussi basés à Long Island.

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             On saute en B avec les Shadows Of Knight et «Oh Yeah». Le Rev essaye de décrire ce qui se passe dans ce chef-d’œuvre impérissable : il commence par dire que la cover n’a rien à voir avec l’original de Bo Diddley, «with the singer doing his best Howlin’ Wolf imitation, guitars stinging like a horde of angry hornets, and minimalist instrumentation jumping around the mix like a juke-joint echo.» Pour une fois le Rev se plante, car on entend surtout la voix de Jim Sohns qui, avec celles de Van The Man et de Dick Dodd (Standells) devient l’archétype du proto-punk. Dans la rubrique ‘Another view’ de fin de chapitre, Scott Smith (Ugly Things) amène une info de taille, en évoquant le deuxième album des Shadows Of Knight, Back Door Men : «Selon Jim Sohns, c’était un bon album, mais les producteurs n’ont jamais pu choper le son du groupe. Les Shadows Of Knight comptaient parmi the first real loud bands, et il était difficile de les enregistrer. They were raw and basic but unique.» Et t’as un autre avis, celui de Cub Koda (Brownsville Station) qui déclarait dans All Music Guide : «Equal parts Rolling Stones, Yardbirds, Who and snotty little Chicago-suburb bad boys, the Shadows Of Knigh could easily put the torch to Chess blues classics, which make up the majority of the songs included here.» (Cub évoque leur premier album, Gloria).

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             Tu tournes la page et tu vois le Rev sauter sur le «Pushing Too Hard» des Seeds. On sent bien que les Seeds sont ses chouchous, car il sort le Grand Jeu : «Saxon’s vocals ride upon waves  of everswelling, repeated instrumentation, the perfomance punched up with shards of glassine rhythm guitar, occasionally punctured by razor-sharp barb-wire guitar licks, random keyboard runs that fall like a hard rain onto the recording tape, and the drummer’s locomotive rhythms which push the singer and other instrumentalists almost to the breaking point.» Pour décrire le rock, il faut savoir sortir du vocabulaire, mais surtout trouver un rythme qui soit autant que possible organique. Le Rev s’en sort pas trop mal. Mais l’expert dans ce domaine reste bien sûr Nick Kent, suivi de près par Kris Needs, et en français, bien sûr, t’as Eve Sweet Punk Adrien. Le Rev reprend : «Saxon’s vocals outsneeers anything Mick Jagger ever thought of singing, Sky’s emotional distress leaping out your speakers like a saber-rattling golem.»  C’est un régal que de lire ça. Une sorte de couche de perfection par-dessus la perfection. Personne n’aurait pensé à faire le coup du saber-rattling golem

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              Le Rev saute ensuite sur les Remains et «Don’t Look Back». Il n’y va pas par quatre chemins : «De toute évidence les plus talentueux musiciens du roster de Nuggets, les Remains sont l’exemple classique du ‘too much too soon’». Le Rev rappelle que les Remains ouvraient pour les Beatles lors de leur dernière tournée américaine en 1966. Barry Tashian a même écrit ses mémoires, Ticket To Ride: The Extraordinary Diary of The Beatles’ Last Tour, un bon book sur lequel on va revenir prochainement. Dans une interview pour Bad Trip magazine, Barry Tashian déclarait : «On montait sur scène pour jouer 20 minutes, puis on accompagnait Bobby Hebb qui chantait ‘Sunny’. Puis The Cyrcle montaient sur scène, c’était un groupe. Puis on revenait sur scène accompagner les Ronettes pendant 20 minutes. Elles chantaient ‘Be My Baby’.» «Comme on était the opening band, ajoute Tashian, on avait quelque chose à prouver. Les Beatles n’avaient rien à prouver.»

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             Le Rev n’y va pas de main morte sur les 13th Floor : «A near-perfect multi-hued slab of psych-rock energy with choogling rhythms and wiry fretwork riding atop oddball sounds produced by Tommy Hall’s electric jug, singer Roky Erickson’s high-losnesome vocals pierce the jumbled, busy mix with no little heart and soul.» Rick Johnson se charge de la cerise sur le gâtö : «The 13th Floor Elevators are the world’s greatest unappreciated psychotic rock band, who terrorized their fellow Texans with some of the most controlled manic hostility known to rock music outside of the Velvet Underground and Syd Barrett’s Pink Ployd.» Bien vu, Rick ! Puis tas Jon Mojo Mills (Shindig!) qui ramène sa fraise : «Erickson’s girl-done-me-wrong put-down-lyric, catatonic cave man wail and incessant punk riffing was an odd bedfellow with Hall’s and Powell’s spiritual subject matter.» Et il ajoute ça en guise de chant du cygne : «Erickson’s largely folk-rock music approximations, laced with Stones and Kinks raunch, was straight outta the garage.»

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             Le Rev saute en C avec le «Psychotic Reaction» du Count Five : «It’s one of a handful of truly magical moments in rock’n’ roll history, and one of the garage rock explosions’ most memorable songs.» Il a raison le Rev. C’est l’un des sommets du genre. Il passe plus loin aux Amboy Dukes et «Baby Please Don’t Go», pour saluer l’«axe-wielder Theodore Anthony ‘Ted’ Nugent qui twangs ‘n’ bangs away on his trustry Gibson Byrdland, coaxing unatural sounds out of the instrument that sounded right at home in the heart of the psychedelic ‘60s.» Puis c’est au tour de Plastic Crimewave de saluer les Dukes en fin de chapitre : «The Amboy Dukes were a solid, heavy-ass acid rock group whose flashy gear & American flag abuse doubtlessly had an impact on the MC5.»

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             Le Rev va ensuite flasher like airplane lights sur Saggitarius et «My World fell Down», et plus précisément sur Gary Usher. Un Usher qui avait déjà proposé «My World Fell Down» à Chad & Jeremy, qui l’ont refusé. Pourtant, Gary Usher insistait pour dire que c’était un «sure-fine chart hit», mais en pure perte. Alors Gary Usher a décidé qu’il allait l’enregistrer lui-même. Pour ce faire, il recruta des gens du Wrecking Crew, à commencer par Glen Campbell (qui chante), plus Bruce Johnston et Terry Melcher qui font des harmonies vocales. Pardonnez du peu. Clive Davis qui était alors le boss de Columbia flasha sur The Astrology Album de Saggitarius et exigea que le groupe parte en tournée. Gary Usher se vit contraint de monter un groupe, car Saggitarius n’existait pas. Il recruta Curt Boettcher qu’il avait rencontré au temps de The Ballroom. Boettcher fascinait Gary Usher. C’est bien que le Rev s’attarde un peu sur ces gens-là, car ils sont aussi importants que Brian Wilson et les Beach Boys. Puis Boettcher va monter son «next cult-rock project», The Millenium. Il ramène en studio ses vieux copains, Sandy Salisbury, Lee Mallory, Joey Stec et Michael Fennelly et ils enregistrent en 1968 l’album Begin, co-produit par un autre crack-boom de l’époque, Keith Olsen - At the time, Begin was allegedly the most expansive album ever recorded for Columbia Records - Et comme Curt Boettcher refuse de partir en tournée, l’album floppe. Lui et Gary Usher seront redécouverts dans les années 1990 et salués comme «the chief architects of the 1960-era sushine pop sound.»

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             On reste dans le très haut de gamme de la pop avec Nazz et «Open My Eyes». Le Rev profite de son hommage à Todd pour rappeler que sur les 27 Nuggets bands, seuls trois d’entre-eux ont connu le «bigtime» : The Vagrants (Leslie West), The Amboy Dukes (Ted Nugent) et Nazz (Todd Rundgren). En fin de chapitre, Stephen Thomas Erlewine affirme qu’«Open My Eyes» twists the Who’s «I Can’t Explain» around until it winds up in Roy Wood territory.» Comme c’est bien vu !

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             Partout ailleurs, le Rev jongle avec les rock words, à grands coups de «full-blown psych-drenched psychosis», de «backwards burst of fuzztone tremolo guitar», de «supersonic bee swooping into your speakers», d’«ear-shattering vibrating jet guitar», de «steady drumbeat», de «rinky-dink organ riff», de «circular guitar riff», de «red-hot slabs o’ R&B-styled proto-rock cheap thrills», de «mind-blowing screeching distorded guitars». Et Richie Unterberger se fend de ça, à propos de l’«It’s A Happening» des Magic Mushrooms - one of the finest pieces of early psychedelic garage madness : «The rave-up verses threatened to go out of whack like a cuckoo clock unwiding for the last time.» Vazy, essaye de traduire ça ! 

    Signé : Cazengler, Nuqué

    Rev Keith A Gordon. Nuggets Redux. Excitable Press 2023

     

     

    Inside the goldmine

     - Les Sapphires s’affairent

             On aurait dit qu’elle brillait comme un saphir dans la nuit. Baby Fab avait un éclat particulier, une voix particulière, un corps particulier. Elle disposait d’un atout majeur : elle parlait comme Arletty dans Les Enfants Du Paradis et se coiffait comme une reine de la nuit des années vingt. Elle parlait d’une voix à la fois grave et chantante, avec de délicieux accents coquins. Un charme fou ! Elle attirait l’homme comme l’aimant attire la limaille de fer. Nous nous rencontrâmes dans une fête d’anniversaire, aux quarante ans d’un ami. On ne voyait qu’elle dans la salle. Elle portait une robe bleue, assez courte. Son casque de cheveux noirs luisait sous les spots et sa voix charriait des tombereaux de sensualité rocailleuse. Elle accepta de danser avec un sourire, et son corps collé au mien signifia la brutale évidence d’un consentement. Les romanciers appellent ça un coup de foudre réciproque. L’attirance semblait avoir traversé nos deux corps, et fondu nos âmes, dirait Verlaine. Lorsque la fête s’acheva au lever du jour, nous nous séparâmes. Nous nous revîmes quelques semaines plus tard, et la relation suivit son cours normal : découverte des corps, confessions sur l’oreiller, nous brûlions un peu les étapes, nous commencions à envisager le «vivre ensemble», mais c’était compliqué car, bien sûr, nous étions chacun de notre côté engagés dans des relations établies, le genre de relations qui ne se défont pas en cinq minutes. Alors en désespoir de cause, elle se mit à boire plus que de raison. Nous nous retrouvions chaque week-end, en Normandie, où elle vivait. J’arrivais de Paris les bras chargés de cadeaux et de fleurs. C’était un rituel immuable : on prenait l’apéro au salon, elle nous versait deux grands verres de scotch, puis deux autres, et encore deux autres, on passait ensuite à table, elle avait préparé comme chaque samedi un gigot aux petits pois, elle ne servait pas de vin, on entamait la deuxième bouteille de scotch et invariablement, le plat du gigot lui échappait des mains, elle s’écroulait sur la table, toute flasque. Ce fut un privilège que de marcher dans les petits pois pendant les trois ans que dura cette aventure malheureuse.  

     

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             À côté du saphir dans la nuit, il y a les Sapphires de la Soul. C’est dans la compile qu’Ace consacre à Boyce & Hart qu’on a découvert les Sapphires, notamment avec «Thank You For Loving Me», un vieux shoot de doo-wop, et une Soul Sister à la barre : le swing du paradis. Il n’existe qu’un seul album des Sapphires, paru sur Swan et devenu intouchable, alors on se rabat sur une compile Sequel, The Best Of The Sapphires, parue en 1994. Celle-là, il faut se lever de bonne heure pour la choper. On y retrouve bien sûr le «Thank You For Loving Me» évoqué plus haut, mais globalement, c’est une compile compliquée. Le premier tiers des cuts est tout simplement trop kitsch. La petite pop d’«Oh So Soon» est trop fouettée de la crème, enregistrée au château Lacoste. Carol Jackson est pourtant une reine de la nuit. George Gainer et Livingston l’accompagnent. Comme le groupe est basé à Philadelphie, il semble que le quatrième larron qu’on voit sur les early shots soit le jeune Kenny Gamble. Le producteur Jerry Ross fait appel au jeune Kenny pour composer et hop, les Sapphires s’envolent vers le succès. Carol Jackson fait bien la part des choses dans «I’ve Got Mine You Better Get Yours», mais il ne se passe rien. On attend monts et merveilles des Spahhires et soudain la compile se réveille avec «Wild Child», Carol Jackson est dessus, et ça jerke ! Dans ses liners, Rob Hugues parle d’un «upbeat Gamble-Ross number with a Motownesque burping baritone sax». Elle remet le couvert avec «Come On And Love Me», elle y va au grand revienzy et se montre très lancinante.

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             Puis Jerry Ross emmène les Sapphires enregistrer à New York, aux fameux Bell Sound Studios. On entre dans la zone chaude de la compile, les Sapphires font du Motown sound avec «Baby You’ve Got Me», et là, amigo, Carol Jackson explose tout Motown. Boom ! Elle a tout le power des Vandellas. Ils reviennent au doo-wop avec un «Thank You For Loving Me» signe Boyce & Hart et soudain ça repart en full Motown blown avec «Gotta Have Your Love», fantastique pulsation et joie de vivre ! Encore du pur Motown sound avec «Gee I’m Sorry Baby», plus languide, et un mélange de chœurs masculins et féminins. Mais quelle prod ! Avec «Evil One», Carol Jackson explose une fois de plus Motown. C’mon ! Ça vire Burt avec «How Could I Say Goodbye», c’est une mélodie de rêve qui te monte droit au cerveau. Nouveau coup de génie avec «Gonna Be A Big Thing», elle va droit dans le mur, au pur et dur, c’est cuisiné au tortillettes de pur genius. Carol Jackson affronte encore la clameur de Motown dans «You’ll Never Stop Me From Loving You», mais elle le fait avec une rémona indescriptible ! La sueur te coule dans le dos. Elle fout encore une claque dans la gueule de Motown avec «Slow Fizz». Complètement dément ! Et c’est rien de le dire. Pourquoi les Sapphires n’ont pas explosé ? Personne ne peut comprendre.  Rob Hugues pense que le groupe a splitté en 1968.

    Signé : Cazengler, Satyre.

    Sapphires. The Best Of The Sapphires. Sequel Records 1994

     

    *

             Pas de panique ! J’ai le code. Non ce n’est pas LRDC, (parfois LRDK) vous connaissez j’espère, une opération alchimique un peu dangereuse, en toutes lettres La Rosée du Chaos. Le vrai code c’est LTDC, ça y ressemble mais ça ne désigne pas le même phénomène. Je transcris, Les Troubadours du Chaos. Vous voyez ça se termine à l’identique. En plus vous avez une alliance de mots de même calibre, Rosée et Troubadours, deux termes poétiques, en tête de gondole et chaos touché-coulé en fin de partie. Quoique la mythologie grecque nous apprend que le Kaos n’est pas le point terminal vers lequel on se dirige mais celui originaire d’où l’on précède.

             La preuve c’est qu’ils sortent tout droit d’un drôle de chambard, made in France, du punk, z’étaient déjà là en 1981 et en plus ils viennent de sortir un clip, un hors-d’œuvre d’un bientôt, je ne peux pas décemment écrire futur c’est un vocable non-autorisé dans les dictionnaires de la punkitude, album.

    Donc, on écoute et on regarde :

    Christian Panik : chant / Micky Boys : drums / Toons : guitare / Tom : Bass.

    LOVE

    PANIK  LTDC

    (YT / Mai 2025)

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             L’on est un peu surpris de ces lettres vertes qui squattent tout l’espace, LOVE c’est un truc pour les hippies tout de même, remarquez heureusement qu’elles sont là parce qu’après on ne voit plus rien.  J’exagère un peu. C’est vrai qu’on ne voit rien, juste un chaos. D’images. Vous les refilent à toute vitesse, comme les grands arcanes du tarot. Ceux qui aiment se tenir à la rambarde (illusoire) du réel clameront, c’est un groupe de rock, j’en suis sûr, en plus la musique le confirme. Erreur sur toute la ligne. Un corps à corps. Une partie d’échecs, mais vous ne voyez que les grandes plaques noires de l’échiquier. Le blanc c’est tout le reste. Des visages en punchline, des fragments d’instruments, une baguette qui s’agite, ce n’est pas une vidéo, imaginez un corps-à-corps, une espèce de combat intérieur avec soi-même qui ne regarde personne, et pourtant cette voix claire et distincte qui vous crache à la gueule son amour pour on ne sait qui au juste, n’empêche que quand il hurle Love, Love, Love, c’est un aboiement de chien méchant et en filigrane vous entendez I wanna be your dog, en plus question écolo, vue la dose d’électricité que jettent les guitares ils ne font pas gaffe à leur émission de carbone dans la stratosphère, par contre vous avez les lyrics qui s’écrivent en blanc bien droits, bien lisibles, des banderoles de revendication comme dans les manifestations houleuses, Christian Panik chante ses blessures comme l’on exhibe devant sa porte ses ordures intérieures aussi pures que des guipures de princesse. Panik nique à mort. Piqûre d’uppercut. Un véritable crachat d’amour pur.

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             Quel plaisir de retrouver Panik en pleine forme. Le groupe a eu ses heures fastes. Il était présent au tout début du punk français. Un premier album sorti en 1983, souvent programmé sur les radios libres. Une autre époque. Il s’est débandé, s’est reconstitué à plusieurs reprises. Sous une forme ou une autre il est toujours resté présent. Des départs, des changements. Mais toujours l’esprit rock.

    Damie Chad.

     

    *

    Soyons comme Janus. Le rock regarde souvent du côté de l’Ouest, du soleil couchant, de l’Occident, de la mort symbolique, portons donc notre attention de l’autre côté, vers L’Est. Serait-ce la direction du soleil levant puisque l’Orient serait celui de l’aurore matutinale de la vie… A moins qu’il n’y ait un orient qui soit dénommé Nord, le royaume hyperboréen…

    *

             Le traducteur  me donne grille, barrière, pour le nom du groupe. Sympa il m’indique qu’en croate le mot signifie prison. Mon translateur a de la suite dans les idées. Viennent d’une ville dont vous avez entendu parler Koursk. Oui ils sont russes. Les rares groupes russes que j’ai chroniqués sont noirs de chez noir. Celui-ci l’est encore plus.

    cмерть подождет

    ZATVOR

    ( Addicted Label / Mai 2025)

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                    Comment interpréter cette couve : serait-ce la recherche de la quadrature de l’Homme. A moins que ce ne soit une icône diabolique. La photographie est attribuée à Roman Dorodnykh.

    Katya Sumina : vocals, lyrics, keys / Denis Kolesnikov : guitar / Anton Eremin : bass / Kirill Kiryukhin ; drums.

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    Хозяйка ритуальных услуг : Hôtesse des services funéraires : frémissement, dérèglements, grondements, accrochez-vous aux petites herbes et aux fougères géantes du Crétacé, la batterie s’essuie lourdement les pieds sur le tambour qui lui sert de paillasson, sommes-nous dans un hall d’assemblages d’avions ou dans l’antichambre de l’attente, si vous n’y prêtez pas gaffe vous passerez à côté des subtiles variations quasi imperceptibles, l’est vrai que dans cette noirceur qui vous tombe sur les épaules, la subtilité des choses risque de ne pas être la première urgence, la maîtresse des Services Rituels a pris la parole, une voix monocorde, z’avez l’impression qu’elle s’ennuie, qu’elle serait mieux ailleurs, c’est comme le poids du sonore background, de l’imperturbable blackground, attention elle s’anime, elle garde toutefois le même rythme inaltérable et toutefois elle vous emmène dans une ronde infernale, la voix devient chant, le chant se transforme en clameurs, se répercute en échos, en approfondissements, en sursauts, elle vous entraîne, elle vous prend par la main, elle vous guide, elle  vous conduit sous les voûtes souterraines du rêve, pourvu qu’elle ne ressemble pas à la vieille mémé de la photo, car sa voix se fait pressante, elle vous attire, elle vous fait des propositions honteuses vertigineuses, est-ce une succube, vous consentiriez à ce qu’elle aspire la moelle de vos os par le canal de l’urètre, est-elle l’aragne qui vous attire dans la toile venimeuse de ses cheveux, l’on ne sait pas, plus aucune nouvelle de vous. Охотник : Chasseur : le premier morceau, c’est un peu quitte ou double, celui-ci est doublement inquiétant. Le vocal vous emprisonne, vous transporte ailleurs, réverbération totale, vous ne savez plus où vous êtes mais le plus terrible c’est que l’on vous demande de choisir votre rôle, c’est un peu comme dans Jumanji, mais là vous décidez : où vous serez la victime ou vous êtes le chasseur, impossible de vous fier à la musique, la batterie défile sans fioriture comme si elle connaissait la fin du film et les guitares sont comme des coups de ciseaux qui taillent la pellicule en confetti afin que vous ne puissiez y trouver aucun indice, alors chasseur ou chassé, quel chassé-croisé, de toutes les manières que teniez le rôle de l’un ou de l’autre c’est la mort qui est l’enjeu et qui mène le jeu, le son se brouille, il perce et écrabouille vos oreilles, vous ne savez plus qui vous êtes, peut-être les deux à la fois, égorgé ou égorgeur où se trouve le problème, puisque déjà vous vous ne savez plus qui vous êtes, peut-être êtes-vous la mort que vous fuyez, ce qui est sûr c’est que l’engrenage des évènements ne plaide pas en votre faveur, la voix roucoule, serait-ce le générique de fin, le plus terrible n’est-il pas d’ignorer si vous êtes en vie ou déjà mort, preuve que depuis le premier jour de votre naissance l’on ne vous a jamais rien dit. Ni vérité. Ni mensonge. Car ce sont exactement la même chose, comme la mort et la vie. Смерть подождет : La mort peut attendre : maintenant vous êtes au parfum, vous êtes à terre, le chasseur va-t-il vous achever, musique un peu westernienne, les dernières minutes du scénario, la guitare s’en donne à cœur joie, elles tissent nos aragnes électriques des tentures crépusculaires, comme vous êtes salement blessé, Katia parle pour vous, pas de panique, vous êtes si près de la mort que la mort peut attendre, elle n’est pas pressée, le gros du boulot est déjà accompli. Votre pouls s’alentit, Kathia hausse la voix, vu votre faiblesse vous devez avoir du mal à la comprendre. Elle vous console en répétant ce qu’elle a déjà dit la mort peut attendre. La zique imite le convoi funéraire qui vient vous chercher, le train ne s’est arrêté qu’un bref instant, déjà il quitte la gare, la locomohâtive tire ses wagons, elle s’éloigne, elle vous emporte loin, très loin… trop loin…

             Non ce n’est pas marrant. Mais que de palpitance ! Vous êtes happé par ce rythme lent d’un monde qui ne change pas de place. Alors que tout va si vite. Maintenant vous avez le temps de comprendre pourquoi sur la photographie la vieille vous a un de ces regards effrayés. Elle vient d’ouvrir la porte à la mort. Mais je vous quitte, j’ai entendu frapper sur le vantail. Un visiteur qui vient vous voir. Je me sauve ! Bonne soirée.

     

    *

             Le fait de chroniquer le groupe russe précédent m’a donné l’idée de me rendre sur l’Instagram de JARS groupe russe dont ces dernières années nous avions passé en revue l’ensemble de la discographie et que nous avions vu à la Comedia à Montreuil… Au lendemain de la déclaration de guerre de la Russie à l’Ukraine, ils avaient rédigé un texte dans lequel ils exprimaient leur opposition à ce conflit. Quelques jours plus tard le court mot de protestation avait été retiré… Rien de nouveau sur leur bandcamp. J’ai déniché ailleurs quelques lignes. Les membres du groupe sont séparés en des pays étrangers. Nous leur souhaitons bonne chance. Z’avaient un beau slogan : Nous sommes Jars. Vous êtes pires que nous. Ils ne se trompaient pas. Le monde était, et est encore, pire qu’eux.

    Damie Chad.

     

    *

              Nous quittons la Russie mais nous n’allons pas bien loin. Nous traversons juste la frontière. Nous voici en Finlande. A Helsinki.

    SUNDERED

    ASKEL

    ( K7 / Iron Corpse / Avril 2025)

    Tout ce que je suis capable de dire : un quatuor. 

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             Une pochette qui ne s’offre pas au regard. Un carré noir au centre un double triangle d’un rouge opaque, vous avez envie d’y voir la forme stylisée d’une vulve, mais lorsque vous l’examinez, vous optez pour l’idée d’un interstice, que l’on n’a pas rebouché sûrement pour vous signifier que le peu que vous verrez n’est pas là pour être regardé… Plissez les yeux, en haut une rose noire munie d’une longue tige, elle transperce un rat mort replié sur lui-même… Serait-ce un remake de la crucifixion du Christ ? Si oui, quel sens  faut-il lui donner… et quelle interprétation en tirer…

    Conflagration : même si vous n’avez pas vu le titre vous comprenez que vous êtes sur une mauvaise pente, comme moi lorsque retentiront les trois coups de cymbale vous vous sentirez en pays connu et esquisserez le sourire de la chatte qui vient de retrouver vivants ses petits dans les tubulures obscures de la cale d’un cargo infestée de rats plus gros qu’elle, avant le ding-ding-ding ce n’était pas vraiment la joie mais juste après un tsunami sonore déferle sur vous et vous sentez que votre cerveau vacille, peut-être même s’est-il séparé de vous s’écrasant sur le plancher après avoir pulvérisé votre cloison nasale. Difficile de dire à quoi ça ressemble, d’après moi la même sensation d’horreur que vous auriez si un T-rex vomissait sur vous les débris sanglants des enfants d’une école maternelle dont les quartiers sanglants enduits de suc gastrique causeraient fort inopinément quelques  infectes auréoles sur votre chemise blanche toute propre. Un hachis parmentier ultra-sonore particulièrement agressif que vous ne manquerez pas de qualifier de bienfaisance protectrice si par malheur vous parvenez à saisir le sens des mots que barrissent mille éléphants furieux. Non Askel ne vous souhaite pas une bonne année. Le groupe prononce une terrible malédiction, à vous et au reste de la population terrestre, il appelle sur nous une apocalypse, un armageddon de soufre et de feu destiné à vous faire périr en de terribles souffrances. Vermin : un engin de chantier ratiboise vos dernières espérances, la batterie concasse vos synapses pour que vous compreniez qu’ils ne vous traitent pas de vermine. Souvenez-vous qu’à la fin du premier morceau vous êtes mort depuis longtemps. Ces bruits de scierie, ces moteurs concasseurs, ces mots passés dans une turbine aux lames aiguisées sont à interpréter comme une métaphore de ce qui reste après vous. Pas grand-chose, des rues désertées, des maisons éventrées, des gravats, des herbes mauvaises, une laideur immonde, une espèce de tumulus de décombres que   des milliers de machines s’acharnent à aplanir, à aplatir, à rayer de la surface de la terre, comme quand vous agitez le paillasson de votre chez vous pour le débarrasser de la vermine… Sun : un titre qui sent bon les vacances, ne vous y fiez pas, rien qu’au bruit de presse-purée uni-dimensionnel qui n’en finit pas de réduire la moindre de vos positives attitudes en charpie chiffonnée vous intuitez que vous n’entrez pas dans une période de festivités… pour bien comprendre faut rétablir l’ordre chronologiques des périodes, ce n’est pas très difficile, les deux premiers morceaux annoncent note futur proche, la catastrophe qui s’annonce, un peu beaucoup à la folie climatique et guerrière. Par rapport à ce sombre avenir, ce troisième morceau est à considérer comme une préquelle, dans l’EP elle est située après mais de fait elle se passe avant, une antériorité qui   se situe dans notre présent. Mais comment font-ils pour que chacun de ces trois morceaux soient de plus en plus horribles. Il suffit de regarder autour de nous pour comprendre que celui-ci sur l’échelle de Ritcher qui mesure la force des tremblements de terre qui va de 1 à 9  doit être qualifié de 142. A première vue, cela n’apparaît pas si horrible, regardez ces crétinoïdes que sont vos voisins, vos collègues de travail, vos enfants, votre conjoint, sont tous heureux de vivre, sont les instruments dociles d’un système sociétal qui nous mène à notre perte. Tous coupables assoiffés d’honneur, d’argent, même ceux qui sont morts ne sont pas innocents, tous forment les rouages d’une machine qui nous mène à notre propre extinction. Soniquement ce morceau pourrait être nommé la grande démentibulation de l’acceptation humaine à sa propre servitude. Font tout le bruit dont ils sont capables pour vous avertir, mais qui aimerait à écouter de si sombres descriptions vaticinatoires de sa présence au monde. L’est sûr que le stoner doom est une musique du désert. Machine gun : s’ils ne l’avaient pas mis en note je n’y aurais pas pensé,

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    mais ils s’en vantent, une reprise de Portishead, à les croire ils ont transformé la minimaliste sérénité de l’original en un chant funèbre industriel. J’ai bien quelques mauvaises habitudes, comme tout le monde, mais je ne me réveille pas toutes les nuits pour aller écouter Portishead. N’écoutant que ma légendaire honnêteté intellectuelle je me suis fadé tout un album de Portishead avec en prime quelques babioles annexes. Je n’en suis pas ressorti convaincu. Ce n’est pas que ce soit intrinsèquement mauvais, pas du tout mon genre, l’ensemble est un peu répétitif à mon goût. Z’ont peut-être pensé que pour que l’écoute de Sundered ne se traduise par une vague de suicides collectifs, il leur fallait un rayon optimiste de soleil pour redorer la pilule triphasique de cyanure qu’ils avaient concoctée. Alors qu’ils viennent d’éteindre tous les lumières, coupé l’électricité et plongé l’humanité toute entière dans une fatidique obscurité, sont allés chercher un minuscule lumignon chez Portishead. L’histoire d’un individu qui s’est trouvé un sauveur et qui au bout de quelque temps s’aperçoit que le seul vrai sauveur qui serait capable de le tirer de sa déréliction ce serait lui-même. Ce n’est d’ailleurs pas certain qu’il réussisse… Askel m’a un peu déçu, se sont contenté de reprendre la même structure battériale, quatre coups, un faux silence, quatre nouveaux coups, la même amplitude mais pas la même musicalité, le tout répété sans férir, certes ils cognent plus fort, au lieu d’une mélodie guitarique ils vous déversent par-dessus  des tonnes de détritus soniques du meilleur effet, bref un régal de camion-benne. Sont tellement contents d’eux-mêmes qu’ils ne peuvent plus s’arrêter… l’on regrette que le chant se soit tu, en effet la grande force d’Askel c’est ce vocal amphigourique digne des premiers titans. J’eusse préféré une nouvelle compo, mais en ce bas-monde on ne peut pas avoir tout ce que l’on veut, et l’Ep vaut le déplacement.

    Damie Chad.

     

    *

    Nous finissons cette trilogie consacrée au royaume de la dérive entrevue au Nord-Est, par ce que parodiant un titre d’Oscar Vladislas de Lubicz de Milosz nous appellerons un chef d’œuvre lyrique du Nord.

    PROFUNDIS OMNIS

    POSTMORTAL

    ( CD / Aesthetic Death Records / Mai 2025)

             Encore un groupe polonais. De Krakow pour ceux qui veulent tout savoir. Ils n’en sauront pas davantage car le groupe ne révèle pas l’identité de ses membres. Seule notification adjacente : ces morceaux ont été enregistrés en 2024 avant la ‘’ suspension’’ du groupe. La formation serait-elle morte…

             Généralement les groupes se définissent postmetal, celui-ci postmortal. Sachez entrevoir la différence. La couve n’est guère engageante, au début je devinai un cœur bouffi de graisse, en inspectant un peu plus longuement il m’a semblé qu’apparaissait une bouche dans un morceau de barbaque infâme, la bouche d’ombre s’est ensuite métamorphosée en œil, après inspection approfondie je me suis arrêté à une tête de macchabée encore reconnaissable mais déjà en état de putréfaction lymphatique. Pas très ragoûtant je le concède. Nous ne reprocherons pas à l’illustration de coller à son sujet.

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    Fallen : donc la mort, l’on s’attendrait à du vide, à ne rien entendre, mais comme des coups de balai, la batterie qui titube, un peu maladroitement, comme quelqu’un qui vient de recevoir un coup et qui finit par retrouver un semblant d’équilibre et qui s’en va claudiquant, dans sa tête cela se comprend, les morts ne marchent pas, il reprend conscience peu à peu, d’abord surviennent les souvenirs de ce qu’il a été, les bons et les mauvais, s’aperçoit qu’il tombé dans son propre piège, l’Enfer c’est soi-même, oui il est mort, sa voix n’est plus qu’un souffle d’angoisse, des stridences, une longue procession, il est mort, désormais il mangera des cadavres pour survivre, une basse de plus en plus grave et sourde, mais il avance dans sa tête, il lui faut comprendre, c’est un souffle vocalique mortel mais de plus en plus assuré qui prend sort voiture de la casse, maintenant il murmure, révélation des secrets les plus terribles, il est urgent qu’il devienne sa propre immémoire, qu’il ne soit plus sa propre remembrance,  la mort est un crime, peut-être est-on son propre assassin, il parle, il profère des paroles, il est sa propre damnation, ce qui a été subsistera toujours. Darkest desire : notes funèbres, un tantinet mélodramatiques, ce dont il prend conscience, ce secret, cet arcane majeur qu’il va révéler, c’est l’ultime profération qui s’adresse autant aux morts qu’aux vivants, luxure et intelligence sont les deux jambes de l’homme, qu’il soit mort ou survivant, le lucre, l’envie et le désir immodéré sont les vomitoires qui nous maintiennent en vie et en mort, ne regrettons rien, n’écoutons pas les impuissants  qui nous conseillent la retenue et la chasteté. Notre héros-zéro se tait seule la musique morbide prolonge son message, comme si l’indicible confirmait son dire. Decay of paradise : le paradis est la fleur du péché, autrement dit une pourriture, comme des chants d’anges aux ailes flétries, la paradis c’est la vie, et la mort son absence ou plutôt sa décoloration, la mort aspire à la mort pour ne plus être le regret de ce qu’elle a été, même l’intelligence pourrit, maintenant le mort mugit comme un loup enfoncé dans un univers stérile et désertique qui hurle à la mort du désir, la sagesse commune n’est plus que ruines avec conscience de ce terrible secret que ce n’est pas la mort qui est mauvaise, mais la vie qui se finit en la mort comme le fleuve se jette dans la mer. Et n’en continue pas moins à rester de l’eau telle qu’en elle-même, mais ajoutée de l’amertume du sel. Prophecy at the endless : encore des révélations, rythme de grande lenteur, la bouche d’ombre parle, il a connu la source du fleuve et la fin du cycle. Maintenant navigue-t-il vers la source lui qui est sûr d’être dans le flux de la fin, il a été poussière, il est retourné au fleuve égyptien au Nil qui n’est pas Nihil, l’eau clapote doucement, tout au bout règnera la fin intemporelle, la fin qui n’a pas de fin, car la fin de la fin n’est autre que le début. Tout se précipite  car quoi qu’il dise une fin qui ne finit pas n’est pas la fin. Queen of woe : après la prophétie, l’adresse à la mort, il ne s’agit plus de moriginer en dedans de soi mais de prendre la parole, de s’en prendre à la Reine, à la Mort, car les morts sont cannibales et veulent vous garder aux tréfonds d’eux-mêmes afin que le mort qui pense encore soit encore davantage mort, il a la pensée mais il veut en surplus le désir de l’autre qui ne peut être que le désir de la Mort, faire l’amour avec la Mort, ne faire plus qu’un avec elle, est-ce pour cela que la batterie bat comme un cœur qui s’affole et que la musique s’empresse, que le vocal devient presque caressant, puis que l’on assiste comme à une explosion de gratitude car être uni à la Mort n’est-ce pas participer à l’Être que l’on n’était plus. The master piece of the thing that once was but will never be : le chef-d’œuvre de ce qui fut une seule fois et qui ne sera jamais plus, les derniers mots égrenés selon une funèbre lenteur, des perles claires et un second rang de perles sombres, trois étapes, mais de qui parle-t-il, de sa propre naissance ou de celle du monde, de la création splendidement déclinée jusqu’à la perle de la chute, demandons-nous laquelle, sa propre mort, ou l’affaissement d’un cycle vers sa propre fin, serait-ce donc sa propre fin d’être-mort, ce qui équivaudrait à une renaissance.  Derniers coups d’une même note grave répétée tel un glas funèbre. La dernière perle noire se nomme oubli, la voie de garage éternelle, mais la notion de création n’exige-t-elle pas l’antéposition de l’oubli car s’il subsiste encore quelque chose d’un cycle précédent la création ne serait pas une véritable création.

             Répétons-le, un véritable chef-d’œuvre funèbre.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 690 : KR'TNT ! 690 : BIG SEARCH / VIAGRA BOYS / DEAN WAREHAM / ELVIS PRESLEY / WILBERT HARRISON / MATRAQUE / PSYCHIC WARS / JUDAS CONSPIRACY THEORY / BANK MYNA

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 690

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    15 / 05 / 2025

     

    BIG SEARCH / VIAGRA BOYS

    DEAN WAREHAM / ELVIS PRESLEY

    WILBERT HARRISON

    MATRAQUE / PSYCHIC WARS  

    JUDAS CONSPIRACY THEORY

    BANK MYNA

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 690

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    L’avenir du rock

     - In Big Search of space

             Que se passe-t-il quand un épouvantail rencontre un autre épouvantail ? Rien, bien sûr. Que pourrait-il se passer ? C’est presque un sujet pour le bac philo. C’est pourtant ce qui vient d’arriver à l’avenir du rock qui erre dans le désert depuis tellement longtemps qu’il ne compte plus les jours, ni les années d’ailleurs. Au point où il en est, ça ne sert plus à grand-chose. Il arrive au sommet d’une dune, et il aperçoit en bas un épouvantail à peu près dans le même état que lui. Desséché par le soleil, les vents de sable et la sous-alimentation. L’avenir du rock en est réduit à sucer ses dents qui tombent, mais il n’en reste plus beaucoup. Il les suce comme des bonbons, ça fait illusion. Comme il approche de l’autre épouvantail, il lui vient l’idée saugrenue d’aller lui mettre son poing dans la gueule et de récupérer ses dents pour se faire une petite réserve de bonbons. L’idée le galvanise. Un bon coup de poing dans la gueule et 32 bonbons d’un coup, de quoi tenir un sacré bout de temps. Alors il accélère le pas. Il se met à fantasmer sur les bonbons de la même façon qu’Henry Miller fantasmait sur les poulets rôtis au temps de Jours Tranquilles À Clichy. Alors que l’avenir du rock prend son élan, l’épouvantail ne bronche pas. Il reste complètement immobile. Il porte des lunettes noires. Un vent léger fouille ses mèches filasses de cheveux blonds. L’avenir du rock arrive droit sur lui et tente de lui coller son poing dans la gueule, mais l’épouvantail l’esquive adroitement et s’écrie :

             — What the fuck ?

             En représailles, l’épouvantail lui colle son poing en pleine gueule. Bing !

             L’avenir du rock perd ses dernières dents. Il s’agenouille péniblement pour les ramasser et les mettre dans sa poche.

             Embarrassé d’avoir été aussi con, il dit à l’épouvantail :

             — Bonbons à bibi !

             L’autre ne pige rien. Alors l’avenir du rock lui demande ce qu’il fout là, planté au milieu du désert.

             — Big Search.

             — Mitou, répond l’avenir du rock qui reprend sa marche, hébété.

     

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             L’épouvantail a un groupe qui s’appelle Big Search, et lui il s’appelle Matt Popieluch. Il ouvre en solo pour  Dean Wareham. Quand tu le vois arriver sur scène et hésiter, tu te dis que ça va être long. Il se plante en peu dans l’attaque de ses premiers cuts. Il s’excuse. Il faut peut-être mettre ça sur le compte du trac. Il est assez haut, plutôt maigre, pas coiffé, pas looké. L’anti-frime par excellence. Il gratte

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    une Strato et swingue d’un pied. Et puis il va tout doucement prendre le contrôle de ta cervelle, car ce Matt-là a tout simplement du génie. Il gratte de la pointe des doigts et sort un son de soft rock psychédélique absolument fabuleux, il tiguilite un space-out so far out qui te monte droit au cerveau, il fait tout simplement du Gene Clark avec un sens aigu du groove à la Croz. Te voilà complètement bluffé. Il joue les yeux fermés, avec le nez en l’air. Il s’absente totalement de la scène et voyage dans son monde. Tu vois les accords, tu les connais, et pourtant son jeu reste un mystère. Il sort un son de picking mais sans les onglets. Il propose de l’acid folk californien de très haut niveau qui n’est pas sans rappeler celui de F.J. McMahon. L’acid folk californien est le plus pur de tous, et ce mec Matt en propose la crème de la crème.

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             Le jeu va consister à retrouver cette magie sur ses albums. T’y vas sans grand espoir, car ce genre de performance n’a de sens et d’impact que sur scène. T’en ramasses deux au pif au merch, Role Reversal et Life Dollars. Tu compléteras un peu plus tard avec Slow Fascination.

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             Curieusement, Role Reversal a disparu de Discogs. Alors t’es bien content de l’avoir ramassé. Car tu y croises de sacrés cuts. Ce mec Matt propose une pop tendue à se rompre, tu n’y peux rien. Il vise la Cosmic Americana, avec des beaux arpèges et un sens aigu de la perdition. Et soudain, ça décolle avec «Distant Shore». Il fait du Midlake. Puissance atmosphérique extrême. Tu entres bien dans son jeu. Il devient étourdissant avec «Where Do You Room», il semble ivre de liberté et de vin mauvais, il fait de la pure Beatlemania, il joue avec le feu et sort un son d’une qualité étourdissante. Tu le prends au sérieux, t’es obligé. Il chante «Runaway» au doux du doux, sur des arpèges noyés d’écho, il se noie dans la beauté de sa pop. Ce mec Matt est très avancé dans l’extension du domaine de la lutte. Il termine cet album attachant avec «I’m Gonna Leave You», une grosse pop traînarde éclaboussée de lumière crépusculaire, une vraie bénédiction. Il cultive l’écrasée congénitale.

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             T’as au moins deux cuts qui renvoient sur Brian Wilson dans Life Dollars : «Distant Shore» de l’album précédent, et «I Feel Good». Là, oui, tu dis oui. La pop de Distant Shore fond comme beurre au soleil, avec des harmonies vocales démentes. Ce mec Matt a le sens des pointes extravagantes, t’en reviens pas de tomber sur un tel cut. Son Feel Good relève aussi de la pure beauté wilsonienne, il gratte ses arpèges dans l’embrasement d’un crépuscule californien. Il va aussi dans Croz. Il tire encore sa pop dans la lumière avec «Can’t Understand The News». Il propose de l’océanique californien. Tout est travaillé au big sound sur cet album révélatoire. Il revient à la pop de base avec «Don’t Change My Eyes». Il sait créer l’événement. Tu ne t’ennuies pas, même si tu ne cries pas au loup. Il y a du souffle dans cette pop de bon aloi. «Anna Don’t Go» est encore digne des Beatles et de Brian Wilson. Il bosse bien ses couches de son.

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             C’est sur Slow Fascination que tu vas retrouver le fabuleux slow groove psychédélique que gratouillait du bout des doigts le mec Matt l’autre soir au Petit Bain : fantastique pureté d’here we are never free at last. Il cultive la pureté extra-sensorielle avec une indicible grâce tactile. Il sort un son rare d’arpèges effleurés du bout des doigts. L’autre hit faramineux se planque en B et s’appelle «What To Say». C’est encore un balladif doucement désenchanté qu’il coule dans un mood de strange to meet someone I never knew. L’océanique est son truc. Avec «Till The Day Is Done», il se fond dans l’ouate de Smile. Il recrée à sa façon le smooth de Brian Wilson. Il va chercher du son sur tous ses cuts. Encore une belle dérive californienne en B avec «Windowpane» et il atteint encore le sommet du genre avec «Busy Getting Lost» - Time will come again when we meet as friends/ If I’m not scattered in the wind - Comme il l’a fait sur «What To Say», il chante encore «Good People Round» en lévitation. Le mec Matt adore chanter suspendu dans l’air. C’est un magicien.  

    Signé : Cazengler, Bonne Sœurch

    Matt Popieluch. Petit Bain. Paris XIIIe. 8 avril 2025

    Big Search. Role Reversal. 2014

    Big Search. Life Dollars. 30th Century Records 2016

    Big Search. Slow Fascination 30th Century Records 2019

     

     

    Le beat dressé des Viagra Boys

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             C’est pas plein quand t’arrives mais c’est plein quand ils arrivent sur scène. En peu de temps, les Viagra Boys ont su créer un buzz turgescent. Il faut bien dire qu’aujourd’hui, la valeur artistique d’un groupe n’est plus le critère de remplissage d’un Zénith. Les réputations se font autrement. Si tu campes sur tes vieilles positions, tu n’iras plus voir beaucoup de concerts. Même tes exigences de qualité sont complètement périmées, à l’image de ta bobine de vieux schnoque.  Par contre, si t’es curieux de savoir ce que certains nouveaux groupes ont dans la culotte, tu peux tenter le coup ici et là. C’est toujours moins pire que de regarder des conneries à la télé. Enfin, pour les ceusses qui regardent encore la fucking télé.  

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             C’est forcément un grand moment que de voir les Viagra Boys arriver sur scène. T’en as deux qui déboulent torse nu et couverts de tatouages : le chanteur Sebastian Murphy et le bassman Henrik Höckert. Murphy ventripote un peu. On ne regarde même pas les trois ou quatre autres. Les deux tattoo boys vont focaliser l’attention. Alors attention, ces Suédois jouent un rock de destruction massive, bien

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    lourdingue, bien défenestrateur. Tout est monté sur d’implacables drives de basse. C’est leur fonds de commerce. Sur scène, ils sonnent comme sur les albums, mais en mille fois pire, en mille fois plus atomique. Ils saturent l’espace de son, et pourtant t’as pas mal aux oreilles. Te voilà plongé dans une sorte d’heavy messe païenne, et dès le troisième cut, les remous de la foule t’écrasent sur la barrière. T’as intérêt à avoir des bras d’acier pour te dégager et retrouver ta respiration. Tu ne t’attendais pas à ça : les Viagra Boys plongent le Zénith dans le chaos, certainement le pire qui soit, le chaos des compressions, orchestré par un beat sourd comme un pot. Tu entres dans la dimension du pire. Tous les crowd-surfers de Paris sont là. Les gros balèzes de la sécu sont vite débordés. La pression de la foule est telle que la barrière menace de céder. Ça frise l’hors-de-contrôle. Les gros durs de la sécu qui ont tous des bras énormes s’arc-boutent sur la barrière qui penche de leur côté. Te voilà pris en sandwich. Tu essayes de résister à la pression. Elle s’accentue de plus en plus. T’as des tonnes dans le dos. Tu ne cherches même plus à identifier les Viagra cuts. De

     

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     toute façon, ils tapent des cuts que tu ne connais pas, car leur nouvel album - ompf, un coup dans le dos - vient de sortir, alors - ampf, les pieds d’un crowd-surfer dans la nuque, fuck, ça fait mal - T’as vraiment envie de te barrer. Impossible. T’es baisé. Fait comme un rat. Encore pire qu’au concert des Mary Chain quand t’avais ces amputés du cerceau qui sautaient sur place juste à côté. T’as toujours des mecs qui ne sont pas là pour écouter, mais pour sauter sur place. Tu reconnais au passage - oumpffff ! - cette merveille de power beat qu’est «Ain’t Nice». La tempête de coups s’aggrave. Des gobelets volent. Tu vois des gonzesses tatouées qui adorent ce chaos. Toi t’adores pas trop. Pour sûr, la fête est réussie, mais pour clichetonner, tintin. Impossible. La foule pousse et t’écrase la gueule dans la barrière, ouuuummpf ! Les coups, ça fait mal, comme dirait Johnny. T’essayes encore de suivre le show. Fuck ! Faut abandonner l’idée. T’as des milliers de personnes qui dansent et qui pogotent au Cap Horn. Hâte-toi de confier ta cage thoracique et tes vertèbres aux bons soins du destin.

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             Tu profites du passage à vide d’avant rappel pour tenter la sortie. Tu te frayes péniblement un chemin pour regagner le pied des gradins. Ouf ! Tu vas pouvoir observer le chaos de dos. Il n’est pas jojo, le chaos de dos. Quand les Viagra Boys reviennent sur scène, tu vois des milliers d’écrans au-dessus des milliers de têtes. Tout le monde filme la scène. C’est irréel de non-sens. Les gens filment n’importe quoi, car à cette distance, t’as rien, à part des silhouettes et de la fumée. Mais bon, ça filme. Ça alimente le grand fleuve numérique planétaire. Le chaos de l’inutilité définitive. Une sorte de fin de tout. Ces milliards d’informations s’engouffrent dans un Vortex dont personne ne connaît ni la taille ni le sens. Observer le spectacle du spectacle, c’est fascinant. Le chaos de l’inutilité définitive engloutit celui des Viagra Boys. Pire encore : le Vortex et ses milliers de petites bouches voraces en forme de smartphones engloutit le sens des choses. Les cervelles sont déjà au service des petites bouches voraces du Vortex, il n’y a donc plus rien à faire. Plus rien à dire. Il est déjà trop tard. Tu ne vas plus au concert de rock. Tu vas au concert du numérique.

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             Tu te retrouves un peu plus tard sur l’Avenue Jean Jaurès et pour retrouver tes marques, tu te poses la question : faut-il écouter le nouvel album des Viagra Boys ? T’es pas très chaud. Entre bif, baf et bof, tu choisis le bif.

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             Grand bien te prend de l’écouter car c’est un bon album. Tu sauves cinq cuts alors t’es bien content de pas t’être fait emmancher une fois de plus. Deux énormités, pour commencer, «The Bog Body» et «Pyramid Of Health», deux cuts bien décidés à en découdre, deux cuts bien rockés du fa fa fa. Deux cuts puissants mais sans surprise. Disons que ça reste dans la typologie du groupe. Sur «Waterboy», on sent bien l’Américain, okay !, Sebastien machin lance bien le truc, son Waterboys ne sera jamais un hit, mais ils tapent bien dans l’œil du cyclope. Okay ! Awite ! Et tu vois le bassman remonter à la surface avec «You n33 Me». Big bass attack. Fabuleux ramshackle. «Dirty Boyz» est un brin hypno, c’est même puissant, tu ne peux pas dire le contraire. Et tu leur donnes l’absolution pour «Best In Show Pt IV», car ils te tapent ça aux clap-hands, t’as là un fabuleux story-telling dévalé à fond de train, il raconte sa vie extrême avec le final sax, c’est digne d’Iggy dans throw them to the lions !, ça bascule dans la stoogerie à coups d’I need all the help I can get man et ils renchérissent à coups d’I need access to heaven. L’album emporte la partie avec le bassmatic du diable et ce beat de tatoués. On a déjà entendu ça ailleurs, mais t’y retrouves ton compte.

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             Dans Mojo, Andrew Perry leur consacre une page, histoire de les qualifier de «scurrilous, disruptive and frequently misunderstood band on the rise», c’est-à-dire un groupe grossier, perturbateur et incompris dont la cote monte. Perry ajoute que le groupe a des racines dans la scène hardcore suédoise, ce qui nous fait une belle jambe. C’est donc le bassman Henrik Höckert qui a «forcé» le speed-freak Sebastien Murphy, fraîchement arrivé de Californie en Suède, à chanter dans les Viagra Boys. La commère du village ajoute que Murphy bosse dans le salon de tatouage où bosse la poule d’Höckert, d’où le contact. Et Murphy qui n’est pas avare de conneries, indique que pour écrire ses textes, il se goinfre du caca d’Internet. On vit dans cette époque. Le plus difficile est de s’habituer à l’idée qu’on doit vivre dans cette époque. Parfois on croit qu’on va y parvenir, et d’autres fois on comprend que ce n’est pas possible. Cette époque n’a décidément rien de sexy.    

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             Tu veux en avoir le cœur net, alors t’écoutes d’autres albums. Quand t’écoutes Cave World, t’es pas très content. C’est plein de machines. «Baby Criminal» sonne comme une dégelée, mais une dégelée de machines. Ces mecs ratissent tout. Purée de machines. T’as tout de même un bassmatic. T’as pas le temps de souffler et tu te fais choper par l’hard drive de «Troglodyte». C’est du relentless d’hard drive. Ils foncent dans leur tas qui n’est pas le tien. Mais alors pas du tout. Tu fais des efforts pour rester sous le casque et c’est pas bon signe. Tu ne vois pas bien l’intérêt de leur tas. Ils repartent à ta conquête avec «Punk Rock Loser» et tu baves car t’entends un killer solo trash, pas flash. Ils tentent le coup de l’apocalypse avec «Creedy Crawlers», mais ils ne sont pas les Killing Joke. Ils n’ont pas les moyens de ça. T’arrives au 6 et t’es loin d’être convaincu. Tes informateurs t’ont prévenu : «C’est un groupe de scène, pas un groupe de disk.» Trop de machines sur cet album. Retour à la tentative d’apocalypse avec «Ain’t No Thief». Stomp de machines. C’est de la techno. Avec du power, mais techno quand même. Bif baf bof. «Big Boy» est sans doute leur meilleur cut - I need a big/ Big girl/ To keep me real - Bien heavy. Ils cherchent encore des noises à la noise avec «Return To Monks». Là ça devient anthemic. Ils cherchent la confrontation. Ils flirtent avec le grand art de destruction massive des Bury. Ils lâchent les chiens. Là, t’as du paganisme technocratique, une vraie chienlit de techno power en caisse de résonance. 

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             Il vaut mieux écouter Welfare Jazz. T’es tout de suite cueilli au menton par «Ain’t Nice». Ils te percutent de plein fouet, c’est un cut de destruction massive, ils misent tout sur le stomp et font le banco. La basse vole le show sur «Toad» et ça devient vite demented. Le bassman Henrik Höckert lance encore le train fou d’«Into The Sun», un nouveau stomp humanoïde. Les Boys sont des bons. Tout est monté sur un heavy drive de basse. Les canards boiteux n’ont qu’à bien se tenir. Encore un drive de basse sur «Creatures». Et puis t’as ce «6 Shooter» gratté à la gratte d’intro et rattrapé par le bassman fou, et ça sonne comme un instro urbain du plus bel effet. Ils tapent tout en heavy stuff mais ils éprouvent parfois des difficultés à convaincre («I Feel Alive»). Ça repart en mode trash punk avec «Girls & Boys» et ça percute les cacatois avec un sax in tow. La gonzesse qui vient duetter sur «In Spite Of Ourselves» s’appelle Amy Taylor. Elle est bien trash, la bourrique.

    Signé : Cazengler, viagras du bide

    Viagra Boys. Le Zénith. Paris XIXe. 25 avril 2025

    Viagra Boys. Welfare Jazz. Year001 2021

    Viagra Boys. Cave World. Year001 2022

    Viagra Boys. Viagr Aboys. Shrimptech Enterprises 2025

    Andrew Perry : Mojo Rising. Mojo #379 - June 2025

     

     

    L’avenir du rock

     - Wareham câline

     (Part Four)

             — Alors, avenir du toc, on se pique toujours de dadaïsme ?

    Dûment interloqué, l’avenir du rock se retourna :

             — Ah quelle surprise ! Tristan Tzaralebol ! Toujours aussi guilleret ?

             — Guilleret du cul, cher ami ! Du cul, du cul, ha ha ha ha !

             Les trilles du rire cristallin de Tristan Tzaralebol ricochèrent jusqu’au ciel d’un bleu parfaitement Klein. Il ré-ajusta son monocle et reprit : 

             — Dites-voir, avenir du rocambole, je fermente un poutche, oui, ne me regardez pas ainsi, un poutche, vous dis-je !, contre qui ?, mais contre le tyran André Béton-Armé. Nous envisageons fermement de couler l’André Béton-Armé dans un bloc de béton armé et d’aller l’immerger au fond du Détroit des Dardanelles, de sorte qu’aucun steamer, à voile ou à vapeur, aussi puissant fût-il, ne puisse l’hisser à la surface. Vous n’applaudissez donc pas ? ,avenir du ric et du rac ?, seriez-vous devenu complètement impavide ?

             Baisé comme un bleu, l’avenir du rock se mit à applaudir flasquement.

             — Rejoindrez-vous les rangs des conjurés, avenir du rocamadour ? 

             L’avenir du rock poussa un soupir long comme un jour sans rhum.

             — Pfffffffffff. Si vous insistez lourdement...

             Tzaralebol exhuma alors un carnet Moleskine des profondeurs de son manteau en vison ainsi qu’un crayon dont il humecta la mine de la pointe d’une langue frétillante :

             — Ainsi donc, avenir du roquefort, le sort en est jeté ! J’inscris de ce pas votre blaze à la suite d’une longue liste de conjurés... Oh oh oh, je vois à l’étincelle de votre regard que vous brûlez de connaître leurs noms... J’en mettrais ma saucisse à frire !

             — Oh j’en connais les noms, figurez-vous ! Mais je ne savais pas les exclus revanchards ! Et je ne vois pas Desnos ni Artaud le Momo manier la truelle ! Votre blague n’est pas drôle, Tzaralebol. Vous déclinez !

             — Cher avenir du rococo, vous m’avez percé à jour et vous m’en voyez réjoui, oui oui. Dînons pour fêter ce grand jour ! Car qui dort Dean Wareham, n’est-il pas vrai ?

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             Il devrait être très fier, Dean Wareham, de se retrouver coincé dans ce genre d’épisode dadaïste. Tout le monde ne bénéficie pas des faveurs de Dada, croyez-le bien !

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             Le real Dean refait surface car il vient de faire paraître un nouvel album solo : That’s The Price Of Loving Me. Qualifions cet album de très magnifique, si vous le voulez bien. C’est vraiment le moins qu’on puisse faire. Le real Dean nous accueille dans son giron avec deux Beautiful Songs de rang princier, «You Were The Ones I Had To Betray» et «Dear Pretty Baby» qui est en fait une cover de Mayo Thompson, qui, t’en souvient-il, fut l’âme câline de Red Crayola. Tu retrouves dans ces deux merveilles la classe inhérente du real Dean. Il cultive l’héritage du Lou. Le cut Mayo sonne un peu comme l’«It’s All Over Now Baby Blue» de Dylan, tu savoures cette fabuleuse musicalité et bien sûr, tu nages en plein rêve. Le real Dean installe bien l’ambiance de «We’re Not Finshed Yet», comme il l’a fait toute sa vie. Il est encore très Lou sur ce coup-là. On sent la fascination dans le timbre de sa voix. «Bourgeois Manqué» sonne comme un heavy groove de petite vertu, il te gratte ça à la clairette et tu te régales du bassmatic aérien de Britta. Puis une sorte de miracle se produit : le real Dean met les mains sur les hanches de «Yesterday’s Hero» et fait danser cette belle pop gondolée. Il monte sa pop très haut dans l’expectative, avec une économie de moyens complètement invraisemblable. C’est une autre façon de résumer son art. Puis il dépasse encore les bornes avec le morceau titre. Le real Dean est beaucoup trop balèze : il groove le smooth. Eh oui, t’as pas beaucoup de gens capables de groover le smooth. Puis il retourne bien en dessous du boisseau pour chantouiller «The Cloud Is Coming». T’as là une pop bien underground, bien confidentielle et bien inspirée par le génie de Lou Reed.  

    Signé : Cazengler, Whare-âne

    Dean Wareham. That’s The Price Of Loving Me. Carpark Records 2025

     

     

    Wizards & True Stars

    - Elvis & la vertu

    (Part Seven)

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             Comme Peter Guralnick, Robert Gordon s’est longuement penché sur Elvis. Avec Elvis : The King On The Road, il relate les débuts d’Elvis à sa manière, c’est-à-dire engageante.

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             Accompagné par les Starlite Wranglers (Scotty Moore et Bill Black), Elvis joue au Bon Air Club, on highway 70, à la sortie de la ville - Its clientele was tough, and on saturday night they were as friendly with Jack Daniels and Jim Beam as they were with Jesus on Sunday. Step outside and say that, mah frien’ - On les voit tous les trois en western shirts et grinning big et soudain, fini le look cowpokes. Le génie d’Elvis consiste à redevenir lui-même - And Elvis came out in the cool clothes that he had seen on the avenue of black Memphis culture, Beale Street - Arthur Crudup and Beale Street, voilà les racines du cool cat Elvis - Greasy hair and funny-fitting clothes - Sam Phillips contacte très vite The Grand Ole Opry, le show le plus populaire de tout le Deep South. En bon visionnaire, Uncle Sam y voyait le ‘national debut’ de son poulain. Ils prennent donc la bagnole d’Uncle Sam pour filer à Nashville et Bill attache sa stand-up sur le toit. Ils n’eurent le droit de jouer qu’une seule chanson dans l’‘Hank Snow segment’. Puis c’est le Louisiana Hayride, qui touche 28 états. Bob Luman voit Elvis débarquer sur scène en veston vert, pantalon rouge, chemise rose, and this sneer on his face. Le King claque un accord et casse deux cordes. Il n’a encore rien fait et les filles se mettent à hurler - And he started to move his hips real slow - C’est la naissance du rock’n’roll animal. Ce livre grand format est bardé d’images d’Elvis en double page, du noir et blanc trop beau pour être vrai, une sorte de double concentré de tomate du rock’n’roll, on entend la musique rien qu’en examinant méticuleusement les images, ce visage tellement parfait, ces cheveux grassement peignés, ces pompes et ces cravates blanches, tout ce rock’n’roll originel. L’une des images le montre en chemise et cravate blanches, les bras en croix, une petite ceinture dans des passants larges avec la boucle sur la droite, un détail qui n’a sans doute pas échappé à Mick Farren qui portait lui aussi sa boucle de ceinturon sur le côté. Les filles se jettent sur Elvis et lui arrachent les boutons de ses chemises comme s’il s’agissait de diamants. L’une d’elles passe même une annonce pour mettre un bouton de chemise en vente. Elle reçoit cent coups de fil et demande 600 dollars pour ce bouton qu’elle finit par conserver. Et quand il boucle son set avec «Hound Dog», Elvis déclenche systématiquement une émeute, au péril de sa vie. C’est fait pour.  Une fille raconte : «J’ai saisi sa main, il a souri et il m’a dit ‘Cut me loose’, alors je l’ai fait.» Elvis fait basculer des foules de 15 000 personnes dans l’hystérie. Une gamine de 16 ans parvient à grimper sur scène et se jette sur Elvis pendant qu’il chante «I Got A Woman». Elvis tombe en rigolant. Quand après on demande à la gamine pourquoi elle a fait ça , elle répond : «Je le veux, j’ai besoin de lui et je l’aime !». En 1956, Elvis fait rentrer vingt millions de dollars dans les caisses du Colonel. Sur les vingt, il en récupère trois. En 1957, il commence à porter son gold lame outfit, taillé par Nudie in Hollywood - Elvis was the proof of youth power - Grâce à lui, les jeunes devenaient les rois du monde, tout au moins d’un nouveau monde. En tournée, Scotty Moore et Bill Black touchent 200 dollars par semaine et ils reçoivent un bonus de 1 000 dollars à Noël. Ils trouvent que ça pue un peu l’arnaque, aussi envoient-ils tous les deux une lettre de démission. Elvis appelle Scotty pour lui demander de rester. Scotty demande alors une augmentation de 50 dollars plus 10 000 dollars cash pour payer ses dettes.

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             Et quand il revient de l’armée, Elvis est encore plus beau. Le bouquet bien sûr est le ‘68 Comeback. On comprend en voyant les images d’Elvis en 68 que Monsieur Jeffrey Evans ait choisi d’appeler son groupe ‘68 Comeback - Presley is one in a lifetime - Il redevient immédiatement le King - In rebellious black, a blood-red scarf and a guitar hanging around his neck - Les Anglais le veulent pour un show à Londres. Ils téléphonent au Colonel et lui proposent 28 000 dollars pour la semaine. Et que répond cette crapule ? «That’s fine for me. And now how much can you get for Elvis ?» C’est un fait : Elvis, c’est d’abord du business. Quand il accepte de jouer quatre semaines à Las Vegas, on prépare le merchandising : 150 000 photos couleur grand format dédicacées, 500 000 calendriers et 200 000 catalogues qui recensent les disques et les films d’Elvis. Les Sweet Inspirations l’accompagnent sur scène. Dans le public se trouvent Burt Bacharach et sa femme Angie Dickinson, Uncle Sam et ses fils Knox et Jerry qu’Elvis considère un peu comme des neveux. Vers la fin, Elvis déconnait bien sur scène : il s’en prenait à Glen Campbell, Tom Jones et à Engelbert Humperdinck. Il disait au public : «J’ai vendu plus de 200 millions de disques, j’ai 56 disques d’or. Je suis vraiment fier de tout ça. C’est plus que ce qu’ont fait les Beatles, les Stones et Tom Jones réunis, so pffft !» Belle façon de remettre les pendules à l’heure. Au-dessus d’Elvis, il n’y a plus rien.

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             The Presley Estate passe une deuxième commande à Robert Gordon : The Elvis Treasures, un grand format à l’italienne bourré de petits inserts et de répliques de reliques. Ce serait un gros gadget s’ils ne s’agissait pas d’Elvis. C’est quasiment du Graceland at home. Robert Gordon re-raconte certains épisodes qu’il raconte dans Elvis : The King On The Road, mais au lieu de soutenir son récit avec uniquement des photos en noir et blanc, il le fait cette fois avec des artefacts. On ouvre une petite enveloppe et on trouve un ticket pour le Slim Whitman Show en 1955, on ouvre une autre enveloppe et on trouve le fac-similé du contrat RCA adressé à Elvis et au Colonel, plus un reçu signé Elvis Presley pour la somme de 45 000 dollars, sur en-tête d’Hotel Peabody, à l’attention bien sûr du Colonel. Page après page, on voit se construire cette fascinante histoire qu’on connaît pourtant par cœur, mais qui ici prend un relief particulier. D’autres courriers RCA adressés à Elvis en 1956 suivent : signés Stephen H Sholes, ils recommandent des chansons à Elvis. On trouve plus loin une petite repro de l’affiche du film Jailhouse Rock et dans une enveloppe rouge se niche une belle carte postale : Elvis en uniforme souhaite des Holidays greetings to you all. Plus loin, c’est le fac-similé d’une longue lettre du Colonel adressée à Elvis, alors stationné à Badnauheim, Germany. Il ne l’appelle pas Elvis, mais Vernon. Plus loin, une très belle lettre d’Elvis à Anita Wood, à Memphis - My dearest darling little.

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             C’est en lisant sa prose qu’on réalise à quel point Robert Gordon adore Elvis. Il raconte par exemple qu’Elvis fit 31 prises d’«Hound Dog» au studio RCA de New York et qu’il sélectionna le dernière, the ferocious last one. Puis il revint à Memphis jouer au Baseball Park, performing as wildly as he liked et tenant à rappeler que s’il était devenu une star, c’était grâce aux gens de Memphis. En 1956, Elvis a déjà sept disques d’or et il débarque à Hollywood pour tourner son premier film. Et quand il part à l’armée, il voit ça comme un répit, confiant à un journaliste que l’armée ne peut pas être pire que le cirque qu’il vient de vivre pendant les deux dernières années.

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             En 1967, il enregistre How Great Thou Art, l’album de gospel swing dont il est le plus fier. Nouvel hommage à l’homme avec le ‘68 comeback : Robert Gordon indique qu’Elvis avait le trac, car il n’avait plus joué en public depuis des années, mais le show comme on le sait se déroula bien, et reste, nous dit Gordon, a high mark of Elvis’ warmth, humility and guenine talent as an entertainer. Oui, au fil des pages, Robert Gordon n’en finit plus de rappeler qu’Elvis est resté tout au long de sa vie un mec bien.

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             Redémarrage de carrière avec From Elvis In Memphis et «Suspiciuos Mind» enregistré à l’American Recordings de Memphis, chez Chips Moman, et retour sur scène à Vegas avec James Burton et les Sweet Inspirations. Back to the roots - In Vegas, he was a smash - C’est assez spectaculaire, nous dit Robert Gordon. Elvis savait que le public de Vegas pouvait être dur, mais il le mit sur le cul - He utterly wiped them out, the memories, the audience, everybody and everything - Elvis avait tout inventé et ça restait intact. Les boss de l’International Hotel devenaient dingues, tout ce succès, ils voulaient Elvis encore et encore - A million bucks a year !

    Signé : Cazengler, El tournevis

    Robert Gordon. The Elvis Treasures. Villard Books 2002

    Robert Gordon. Elvis : The King On The Road. Bounty Books 2005

     

     

    Inside the goldmine

    - Wilbert au grand pied

             Certains l’appelaient Bébert. Mais il préférait Robert. Il vendait des livres d’occasion à Bastille, du temps où il y avait encore un marché en fin de semaine et des concentrations de motos. Puis il alla faire les petits marchés de banlieue, vers le Kremlin-Bicêtre et Châtillon. Il réussit à maintenir sa camionnette en état de rouler assez longtemps. Il ouvrait une large fenêtre sur le côté et le rabat faisait office de comptoir. Il avait plus de gens venant le voir pour vendre que pour acheter. Et quelques habitués, qui parvenaient à se serrer la ceinture pour s’acheter le livre de poche d’occasion que leur conseillait Bébert. Il vendait ça une misère. Il parvenait néanmoins à vendre assez de bouquins pour payer l’essence et le loyer de son misérable cagibi, rue de Charenton. Comme il sautait souvent des repas, il maigrissait à vue d’œil, et à cet âge-là, la sous-alimentation ne pardonne pas. Il portait une casquette à carreaux très fatiguée et des lunettes de vue dont un verre était fêlé. Il avait bien sûr perdu toutes ses dents. Mais il continuait de lire, car il vivait dans la hantise de n’avoir rien à conseiller à ses habitués. C’est la seule chose qui le maintenait en vie. C’est pour eux qu’il descendait chaque week-end ses cartons, c’est pour eux qu’il chargeait sa camionnette. Il en bavait, car il n’était plus en état de porter des cartons de livres, même des petits cartons. Bébert était un sac d’os. Puis il lui fallait lancer le moteur et c’était un miracle quand il y parvenait, surtout en hiver. Il passait parfois une heure au volant, à essayer encore et encore. Il attendait entre chaque tentative, car il craignait de noyer le moteur. Mais lorsqu’il arrivait à son emplacement et qu’il payait le placier, il reprenait vie. Et puis un jour, l’emplacement resta vide. La semaine suivante aussi. Au bout de quelques semaines, on commença à s’inquiéter de ne plus voir Bébert et sa camionnette. L’un de ses habitués connaissait son adresse. Il s’y rendit. Il vit la camionnette garée devant le taudis. Personne au volant. La porte arrière n’était pas fermée à clé. L’habitué l’ouvrit et découvrit la momie de Bébert assise sur ses cartons, dans la posture d’un pharaon sur son trône, serrant contre sa poitrine un tue-mouche en guise de sceptre.  

     

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             Pendant que Bébert créait sa légende en se tuant à la tâche, Wilbert créait la sienne à la force du poignet. Dans un cas comme dans l’autre, les parcours furent assez rudes.

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             Kansas City, le premier album de Wilbert Harrison, date de 1965. Pas l’album du siècle, mais sa version de «Kansas City» rafle la mise, d’autant que Wild Jimmy Spruill rôde dans le lagon. L’autre coup de Jarnac est en B, c’est une cover de «CC Rider» grattée à la mandoline et jetée par-dessus la jambe. Normalement, si tu associes un féroce boogie man comme Wilbert avec Wild Jimmy Spruill, tu dois obtenir un bel album, ce qui est quasiment le cas. Wilbert au grand pied fait un bon choix de covers, comme le montre encore «Since I Fell For You», un classique de Buddy Johnson aussi repris par Laura Lee, Charlie Rich et Lenny Welsh. Wilbert tape un dance craze avec «The Horse» et y va au hey babe let’s do the horse right now.     

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             Sur Let’s Work Together, un Sue de 1969, Wilbert au grand pied tape l’heavy grrove du one-man band classique. Il a un son parfait sur le morceau titre. Ce sera sa marque de fabrique. Il passe à l’exotica avec «Tropical Shakedown», mais il est quasi-Velvet sur ce coup-là, on croit entendre les accords de «Sweet Jane». Il tape ensuite dans le «Blue Monday» de Fatsy. Wilbert a un style très pur, une bonne clarté dans sa démarche. Tout est solide sur cet album, et en même temps, il n’y a pas de quoi en faire un plat. Il tape plus loin dans le «What Am I Living For» de Chuck Willis. Bon, ça va bien cinq minutes. Il se frotte plus loin à «Stand By Me», et le conseil qu’on pourrait lui donner serait de laisser le Stand à Ben.

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             En 1971 paraît un album sans titre de Wilbert au grand pied. Ce Buddah sent bon la Nouvelle Orleans et grouille de bonnes puces, notamment deux covers de Fatsy, «Ain’t That A Shame» et «Blueberry Hill». Wilbert y met tout son cœur, mais il ne parvient pas à égaler Fatsy. En B, on se régale encore de «My Dream», un boogie blues classique. Allen Toussaint arrange les horns et Sehorn produit. On a donc un son très brut à la Sehorn. «Girls On Parade» est monté sur un Diddely beat et auréolé de voodoo, «Going To The River» plonge dans l’heavyness et la cover de «My Babe» est bien rockée au bassmatic.  

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             Sur Shoot You Full Of Love, Wilbert est tout seul. Il fait le one-man band. Il passe un fantastique solo déluré dans le morceau titre d’ouverture de balda. Encore une belle mouture délurée de «CC Rider», il la passe à la petite reverb d’alrite. Il passe des coups d’harp comme Dylan dans «Little Liza Jane» et ramène tout son rezonar dans «That’s All Right Baby», il dispose d’une reverb magnifique, il est en pleine modernité, en plein technicolor. En B, il gratte un peu de calypso («Down On The Corner») et tape une belle exotica des îles avec «Near To You». Il fouille dans les racines de sa psyché. Il termine avec un vieux clin d’œil à Guitar Slim («Things I Used To Do»), c’est bien appuyé, bien positionné dans l’écho du temps, il a même un orgue en contrepoint.

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             On retrouve Allen Toussaint sur l’excellent Soul Food Man. L’esprit règne sur l’heavy beat scintillant d’«I Really Love You». Le son n’est pas chargé, c’est même un peu spécial, comme désossé et enrichi avec tact. Pur jus d’Allen Toussaint. Avec «Mary Ann», Wilbert tape une belle calypso des îles, un mambo de hanches douces et parfumées. Il tape plus loin une belle cover du «Just Because» de Lloyd Price, puis il fait son affaire d’une compo à lui, «On Top Of Old Smokey». Quasi cajun ! En B, il passe au stomp de la Nouvelle Orleans avec «Coming Down With Love» et le titille au chat perché. C’est stupéfiant de qualité. Il fait encore un mélange heureux d’exotica, d’Africana et de Jimbalaya avec «Get It While You Can (Soul Food Man)», c’est magnifique de down on the bayou, tu as même un accordéon et des guitares Soukous. Il finit cet album de tous les saints avec «I’ll Never Trust Another Woman», un heavy blues bien soutenu au shuffle d’orgue. Allen Toussaint des saints ? Sans doute.

    Signé : Cazengler, Wilbert en berne

    Wilbert Harrison. Kansas City. Sphere Sound Records 1965   

    Wilbert Harrison. Let’s Work Together. Sue Records Inc. 1969  

    Wilbert Harrison. Wilbert Harrison. Buddah Records 1971  

    Wilbert Harrison. Shoot You Full Of Love. Juggernaut Records 1971

    Wilbert Harrison. Soul Food Man. Chelsea Records 1976

    *

             Se tromper n’est pas étonnant pour un éléphant Or je ne suis pas un éléphant. Pourtant je me suis trompé deux fois. Mais plus grave : j’ai commis, bis repetita non placent, exactement la même erreur que la semaine dernière. Tiens un groupe français, patriotique sursaut je chronique, ben non, y sont pas français. Un bon point : leur maison de disque est basée à  Vilnius en Lithuanie pays d’Oscar Vladislas de Lubicz Milosz si vous n’avez pas la chance de connaître ce zèbre de très haute lignée reportez-vous à notre livraison 689 de la semaine dernière, eux ils ne sont pas lithuaniens mais de Biélorussie. Historiquement les frontières de ces pays de l’Est de Europe ont subi de nombreuses variations. Quoi qu’il en soit, tout comme pour Aortes j’ai été victime d’un semblable coup de sang en entendant leur premier album :

    NATURE MORTE

    NATURE MORTE

    MATRAQUE

    ( K7, CD / Ashen Tree Records)

             L’artwork est de Marta Shcherbich. Elle réalise de très beaux portraits de jeunes gens, des vues que je dirais folkloriques de son pays, un pinceau tendre qui sait transcrire la beauté des choses et des êtres. Elle possède une veine plus sombre, certains visages sans corps sont porteurs d’étrangeté inquiétante et révélateurs de lourds mystères. Pour la couve elle a choisi une vanité, un crâne déposé sur le savoir poussiéreux de vieux libres, une guirlande de liserons, un papillon une timbale renversée d’où s’échappent des bracelets de corail rouge, sont-ce des gouttes de sang séché ou des perles de pierre philosophale s’effritant sous l’action des siècles.  Derrière, la roue éternelle du charriot temps immobile qui n’en finit pas de rouler sur elle-même.

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    Peu de renseignements sur ce groupe, essayez de deviner qui fait quoi : Vlad B. / Anton M / Evgeniy S. / Alexander G.

    Kola : (= roue) : une machine lourde et lente, impassible, vous ne pourrez pas l’arrêter, imaginez une locomotive traînant cent wagons derrière elle, parfois il vous semble qu’elle s’éloigne, c’est alors que vous réalisez que vous êtres dans un disque de noise-rock et vous entendez la bête immonde qui grogne, un ours géant et bientôt une voix communique avec vous, elle vous rappelle ces temps heureux où vous n’existiez pas où vous étiez bien au chaud comme dans un nid douillet, mais l’on vous a sorti de là pour vous jeter dans la vie, un lourd fardeau sur vos épaule, l’ours polaire gronde sur vos épaules, son haleine glacée vous souffle que ce n’est pas terminé que le poison de la vie vous sera à plusieurs reprises insufflé, et que ce venin finira par vous tuer, car la vie apporte la mort, tout compte fait cette angoisse vous permet d’atteindre lentement ( mais sûrement) le néant. Le rythme s’alentit car plus c’est long plus c’est insupportable. C’est presque le bonheur, des bribes de musique douce, des voix qui vous accuuillent, le bonheur du néant, vous avez rejoint l’œuf originel. Pustazelle : (= herbe) : vous êtes comme de l’herbe qui pousse dans les marais, qui naît, qui grandit, qui crève, qui pourrit, le processus prend son temps, le rythme ne s’accélère guère mais il devient davantage oppressant, les grognements sur vos talons, vous êtes dans un cycle vous n’y échapperez pas, bientôt tu renaîtras mais tu te désintègreras après cette efflorescence, la batterie te tape dessus à coups de cuillère à pot sur ta tête, sans doute existe-t-il une raison à ce processus continu, mais tu ne sauras jamais lequel au juste, tu n’as qu’attendre, attendre pour mourir, attendre pour naître, attendre pour attendre, vocal de folie ordinaire du lot de tout ce qui vit et retourne au néant. Une certaine amplitude sonore nous aide à comprendre que nous sommes les jouets d’un phénomène que nous ne pouvons intellectuellement cerner. Le train prend de la vitesse. Est-ce l’image du destin de l’humanité qui passe à la moulinette. Malimon : ( le mot existe en langues russe et biélorusse, mais aucun traducteur n’a voulu le traduire, un seul indice, peut-être faux, mali signifie petit.). Comme par hasard le morceau est très court, bruits divers, train, turbine, scie, avion qui vole, intermède noise, une espèce de rêve sonore est-ce la musique qui se prend pour du noise, ou le noise qui s’imagine être de la musique, sur la fin des grésillements électriques ou peut-être du papier déchiré. Perhaps, j’aime ce mot dont la terminaison vous happe, le bruit qu’entend un papillon lorsque ses ailes se brisent. Volya : (= volonté) : vous n’avez pas compris grand-chose alors on vous donne les explications, vocal hurlé et vomi, une véritable révélation, vous êtes comme une bille, une petite perle, arrêt brutal, l’on déverse un tiroir de millions de perles, l’une d’entre elles, souvenez-vous en, c’est vous, à vous de rouler dans le sens que vous voulez, prenez vos responsabilités, vous ne serez que ce que vous voulez être, il y a peut-être quelque chose qui vous enfile, pensez à l’image de la première Parque Atropos, ensuite c’est à vous à désobéir, à vous de rompre le fil et de vivre votre vie de perle libre, chacun se forge un chemin, un destin différent de tous les autres, la batterie cavale, barrez-vous, courez, personne ne vous rattrapera c’est vous qui inscrirez votre destin, qui lui ferez écrire ce que vous voulez, je ne dirais pas que la musique devient joyeuse mais qu’elle décrit votre propre inexorabilité, attention le rythme s’alentit, l’ours polaire de la mort vous rattrape-t-il ou alors peut-être que vous n’avez plus peur, que votre volition l’a transformé en chien fidèle qui galope à vos côtés, oui vous avez repris vos jambes à votre cou et vous courez vers vous-même… Crissements de freins Pry`py`nak : (= arrêt) : qui se poursuivent sur ce morceau. Comme ces trains qui marchent à deux kilomètres à l’heure et qui s’en vont – le temps vous paraît interminable, vous êtes pressé de descendre – s’arrêter tout doucement le long du quai. Encore un instant, le temps que les moteurs décroissent et stoppent enfin. Attention les portes sont ouvertes, mais tout redémarre à la vitesse d’une fusée, est-ce votre imagination qui cavale ou est-ce que c’est reparti pour un tour. Le saurez-vous seulement un jour. Et si le moment du départ et celui de l’arrivée n’en  formaient qu’un ?

             Certains vous diront que c’est beaucoup de bruit pour rien. C’est vrai que c’est noisy et que la vie ce n’est pas grand-chose, mais enfin en moins de trente-neuf minutes, Matraque et sa Nature Morte vous file un tour  gratuit sur l’interminable  grand-huit du  cycle de l’Eternel Retour. Vous ne trouverez pas mieux en moins de temps.

             Superbe.

    Damie Chad.

     

    *

            Certaines choses sont plus difficiles à comprendre que d’autres. Surtout que là il s’agit d’une conspiration. Vous imaginez le labyrinthe obscur qui se profile. Les comparses, le motif, le pourquoi et le comment. Mais-là c’est encore plus difficile, ce n’est pas à proprement parler une conspiration mais une théorie sur ladite conspiration. Preuve que jamais personne n’en a percé encore le sens puisque l’on propose une théorie. Pas de problème, quand l’on est  un fan de Dupin le détective en chambre d’Edgar  Allan Poe qui vous résout une énigme sans quitter son fauteuil, l’envie vous titille de vous pencher sur cette mystérieuse théorie au sujet d’une conspiration. Hélas, au troisième terme de ce mystère que vous supputiez insoluble vous haussez les épaules. Bullshit ! quoi la théorie de la conspiration de… Judas !

    Qu’en ai-je à faire, moi Damie le païen, que les chrétiens aillent se faire pendre où ils veulent, je vais illico sortir mes chiens, au moins j’aurais l’impression d’avoir agi pour le progrès de l’Humanité. J’allais envoyer   bouler lorsqu’un détail a retenu mon attention. Quoi, ce sont des Grecs, avec tous les Dieux qu’ils ont sur l’Olympe, faut qu’ils s’intéressent au dénommé Jean-Claude, cela demande réflexion. Qu’est-ce qu’ils nous disent au juste, ces bénis oui-oui, ces traîtres en puissance, ces renégats. Vous n’allez pas me croire : ils ne pipent pas un seul mot : vous servent un album instrumental. A vous de vous dépatouiller, en plus le titre de l’album n’est pas en grec mais en latin ! Font tout pour me décourager, ils vont voir de quel bois je me chauffe : du pin !

    AD SOLEM

    JUDAS CONSPIRACY THEORY

    (Bandcamp / Avril 2025)

    George Rouvalis & Thodoris Stefou : guitars / Thomas Kinopoulos-Wood : bass /  Andreas Karantoumanis : drums / George Rouvalis & Thodoris Stefou : Synths / George Rouvalis : Background Vocals on « Selenocentric ».

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    Premier indice : la couve, une véritable boule de cristal. Elle est d’Andreas Karatoumanis : je ne sais si toute sa manie est de se carapater, mais je n’ai trouvé aucun lien qui me conduisit  à Andreas. L’image peut paraître mystérieuse mais le titre Selenocentric nous aide à comprendre le blanc symbolique dans laquelle est présentée le phénomène astral de syzygie. Ici lunaire. Le cercle jaune représente le soleil, la masse ombreuse représente la terre.  La lune et la terre non parfaitement alignées avec la terre  sont selon leurs positions respectives en conjonction ou en opposition, déterminant ainsi les phases de pleine lune et de croissant de lune.

    Ritus Jani : Janus n’est pas le dieu romain le plus célèbre, il est pourtant l’un des plus importants. Les portes de son temple restaient ouvertes en temps de guerre. On ne les fermait que lorsque la paix survenait. Souvenez-vous de la Pax Romana, période de prospérité. Janus possède deux visages, l’un tourné vers l’avenir et l’autre vers le passé. Il est le dieu du temps conçu comme passage. Son culte est celui du commencement, il est célébré entre autres le premier jour des calendes qui est celui de la pleine lune. En effet la musique s’écoule paisiblement, telle l’eau clapotante du Tibre qui coulait pas loin du temple de Janus, parfois il semble que le nuage des guitares s’assombrit et que la ponctuation de la batterie se précipite, mais peu à peu les choses reprennent leur place et la sérénité revient, qu’est-ce que l’agitation humaine pour ce Dieu qui connaît toute l’histoire toute la provenance et tout le destin de l’humanité, ce ne sont pas quelques peccadilles politiques ou anicroches guerrières – les hommes appellent cela des bouleversements ou des calamités – qui seraient capables d’altérer la souveraineté de celui dont la grandeur égalait celle de Jupiter. Selenocentric : Notes grêles de synthé sympa, oui c’est Séléné la vestale, celle qui est amoureuse d’Endymion à qui Zeus a octroyé l’éternelle jeunesse et l’éternel sommeil, le rythme se précipite, la lune change de quartier voici Artémis à l’œil aussi aigu que ses flèches, impassible inatteignable, attention voici la dernière métamorphose, Hécate grinçante, la préférée des rockers, celle qui apporte le malheur, le danger et la mort, lune changeante, peu fiable au mystérieux sonore ironique, elle cligne de l’œil comme le dernier des hommes de Nietzsche, le morceau se finit en final éblouissant, aveuglant. Akatos : nous avons vu la lune sautillant, jouant à volte-faces, revoici exactement la même chose, la même rotation, mais pourquoi le son s’échoïfie-t-il et pourquoi cette sonorité mystérieuse, et pourquoi le morceau est-il si bref ? Quelle image davantage contrastée de l’éternité de son cycle immuable, inébranlable, akatoïque, qu’un court instant, qu’un fragment arraché à la totalité de la ronde des astres aurait-il été possible de donner pour figurer l’incommensurabilité infinie de la course des Dieux dont la régularité maintient l’ordre du cosmos hors de la béance du kaos… Syzygia : nous avons eu une courte vision de la divinité fondationnelle de l’ordre du monde, voici la même chose, entrevue non plus selon les Dieux, mais selon les faibles et friables créatures humaines, les astres influent sur les hommes, ils ne dirigent pas, ils inclinent, goûtez la lourdeur de ce mot sur votre nuque, leurs positions exceptionnelles sont les marques du destin, logiquement le morceau est assailli de sonorités menaçantes, bientôt davantage annonciatrices de sombres évènements, lorsque le son s’amplifie, qu’il tombe sur vous comme se lèvent les rideaux du théâtre du monde dont vous êtes parfois le héros heureux, souvent la victime. In transitu :encore un morceau très bref, comme des notes de piano qui résonnent dans l’immensité, le transit c’est le départ, l’arrachage, l’éloignement, la sublimation, l’on quitte la terre, l’on quitte la lune, ces déités inférieures ne nous retiennent plus, Platon vous expliquerait que votre âme part en voyage vers le royaume des Idées, Pleiades : sonorités cristallines, c’est le morceau le plus long, vous visitez la voûte céleste, tous les héros de la mythologie sont là, les Pléiades ne sont qu’une étape, une adieu symbolique, elles viennent à la fin des moissons, s’en vont et puis disparaissent, elles ne reviennent que lorsque vous devez labourez vos champs, vous abandonnez ce cycle sans cesse recommencé,  c’est alors que la musique se lève, une voile que le vent gonfle, un bref silence, puis pour signifier l’immensité du vide silencieux, les notes s’étirent preuve qu’elles ne peuvent occuper l’immensité de cette viduité et la remplir, vous êtes un point dans une vastitude que votre esprit ne saurait conceptualiser, la raison vous échappe, vous êtes dans un autre pays sans nom, sans frontière, sans fin, les guitares ahanent, seule la batterie s’entête pour raviver les énergies défaillantes et vous voici dans l’Aether : comme par hasard c’est le moment le plus rock’n’roll du disque, l’Ether est cet air plus pur, plus fin, un feu subtil qui embrase vos poumons, vous êtes dans la sphère des Dieux, la guitare klaxonne un peu comme les voitures dans les rues alors que votre pays vient de remporter la coupe du monde, évidemment c’est un état très supérieur, la lumière s’effrite autour de vous, vous êtes parvenu au plus près de l’orbe du soleil, beaucoup de bruit, presque cacophonique, vous n’êtes pas dans une contemplation mais dans une exultation sans chaîne. L’arrêt est brutal. Vous en avez déjà trop vu.

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             Voici la liste des mots que George Rouvalis est censé vous délivrer dans dès le deuxième morceau : Lumière, Etoile, Monde, Vie, Ether, Foi, Ciel, Arcane, apprenez-les comme un mantra, ou essayez de les transformer en casse-tête chinois en les emboîtant les uns dans les autres, ou alors relisez Le Jeu des Perles de Verre d’Hermann Hesse, faîtes-en tout ce que vous voulez, prenez des initiatives non de Zeus ! moi je m’en fous j’ai résolu le mystère de cette théorie de la conspiration de Judas. Nos grecs ont choisi leur nom par esprit de dérision. Qu’est-ce que cette théorie obligatoirement boiteuse de la conjuration de Judas comparée à l’instrument du dire mythologique de la Grèce Antique. Rien, un truc qui ne vaut même pas un pet de lapin.

             Un clin d’œil à Aristophane.

    Damie Chad.

     

    *

             Tout se passe se passe dans la tête ai-je l’habitude d’assurer. Dès que j’ai vu le nom du groupe, m’y suis jeté dessus tels ces pythons facétieux qui se laissent choir de la  plus haute des frondaisons sur l’innocent touriste qui hasarde un premier pas dans la forêt équatoriale. Cette technique à l’aveugle est dangereuse. Peut-être abusé par mes prédilections vais-je jouer le rôle de l’abruti de service qui va finir réduit en marmelade sanglante dans les anneaux du reptile. Tel est pris qui se croyait prédateur. Tant pis, fions-nous à l’instinct du rocker. Reconnaissons que le titre de l’album n’incite pas à l’optimisme.

    TAKERS

    PSYCHIC WARS

    (Bandcamp / Janvier 2025)

             Le groupe formé en 2021  a enregistré une dizaine de singles est basé à Collingswood. Modeste bourgade du New Jersey, état qui abrite toute une partie de la population de New York

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    La couve est de Jonathan Hodges. Je n’ai rien trouvé sur lui, par contre je peux vous certifier qu’il existe de par ce monde une pléthore de Jonathan Hodges. Parmi eux une inquiétante proportion, bien au-dessus de la moyenne, de frappés de la cafetière. Indices troublants qui ne préfigurent en rien de l’auteur de l’illustration. Cette main crispée sur une paroi infranchissable n’est pas sans rappeler la main qui a illustré la couverture de l’édition en Livre de Poche du roman Le Mur de Jean-Paul Sartre. Si vous êtes moi, si Sartre vous déplaît, je vous propose Le Mystère des Gants Verts d’Enid Blyton dans lequel la bande des mains vertes sortie tout droit de l’imagination d’un gamin loufoque ne tarde pas à se matérialiser…

    Une notule nous indique que les titres de cet EP sont inspirés du roman : Black Tongue Thief (Le voleur à la langue noire) de Christopher Buehlnam. Ce dernier, né en 1969, enfant adopté et surdoué s’est très vite passionné pour le Moyen-Âge. Il a créé une espèce de numéro de foire qu’il présente dans les festivals médiévistes. Il propose à un groupe de spectateurs de faire rôtir vivant un de leurs ennemis… Il a aussi écrit plusieurs romans dont l’un consacré au tragédien Christopher Marlowe. Sa pièce de théâtre Faust a marqué les esprits. S’il n’avait pas été tué lors d’une rixe quels autres chef-d’œuvre nous auraient-ils légués… son drame est digne de Shakespeare à tel point que certains ont imaginé que ces deux auteurs ne formaient qu’une seule et même personne.

    Ellei Johndro : vocals / Jon Hodges : guitar, vocals / Matt Hanemann : guitars / Derek Zglenski : bass / Travis Dewitt : drums, percussion

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    Takers : si vous n’avez pas lu le roman pas d’inquiétude, Psychic Wars vous propose une vidéo. Si elle est censée faire peur, c’est raté. Une ambiance carvanalesque qui vous donne envie de rire, tous les poncifs de l’horreur en carton-pâte accumulés en cascades. Un conseil, écoutez la version sans image, vous éviterez le lourd fabliau médiéval farcesque. D’ailleurs la musique n’est pas vraiment noire, la batterie joue un peu à la grosse caisse des fêtes foraines ce qui ne l’empêche d’abattre sa ration de besogne, les voix dédoublées ne sont pas tristes, seules les guitares se comportent comme un train fantôme qui fonce dans l’inconnu d’une nuit noire. Au beau final un beau remue-ménage entraînant. Disons que ça ressemble aux squelettes en sucre du jour des morts mexicains. Wandering thief : vaut mieux écouter en admirant la main essayant de griffer le béton du piège dans lequel vous êtes tombé, orchestralement c’est bien foutu avec ces cors que vous aimez entendre sonner le soir au fond des bois, les guitares crissent un peu, mais comme l’on vous raconte l’histoire du petit agneau innocent qui finit par se faire dévorer par le méchant loup, et que vous connaissez la récitation du Loup et de l’agneau de Jean de La Fontaine, vous entrevoyez très bien le massacre final, mais le drame ne vous fait plus peur, vous l’appréciez en esthète. Deadlegs : là c’est nettement plus sombre, les vocaux sonnent un peu Beatles mais comme les guitares hérissent leurs poils du dos à la manière cruelle d’un chat noir qui va croquer une souris blanche, la batterie  s’abat avec la lourdeur d’un couperet de guillotine,  vous comprenez que le chaudron de sorcière ne va pas tarder à bouillir et à déborder dévoilant d’infâmes condiments dignes des tribus cannibales, les paroles tournent au délire macabre, la veuve noire au haut de sa tour blanche, dévoile la tapisserie de la dame à la licorne égorgée et pour terminer le serpent au fond de la soupière suivant sa mauvaise habitude onaniste se mord la queue.  

             Très agréable à écouter un peu guignolesque, un peu guignolet sucré à la gaine acidulée, héroïc fantasy de bon aloi. Ces américains ont l’esprit anglais. Par contre les guerres psychiques ne sont plus ce qu’elles étaient. Je croyais découvrir les noirceurs de l’âme humaine et je me suis retrouvé en pleine fête foraine ! Pour ne pas dire en pleine joie de vivre.

    Damie Chad.

     

     

    *

             L’on n’est jamais trahi que par soi-même. J’en suis une preuve accablante. Suis en train de morigéner, suis en train de faire le tour des nouveautés, cherchant quelques tubulures qui sortent de l’ordinaire. Je ne trouve que du grandiose, le genre de carbure que dans ma tête dure de rocker je classe parmi les MCA. Rien à voir avec MCA (records) qui racheta Decca et plus tard Chess, laissons-cela, dans mes MCA  à moi, comprenez mon acronyme : Musique Classique Avortée, je range toutes ces formations issues du rock qui comme la grenouille de La Fontaine essaient de se faire plus grosses que la vache philharmonique. Bref ce soir, pas moyen de mettre la main sur le riff transcendantal  qui tue. Que des trucs emphatiques qui pètent plus haut que leur cul. Le mieux serait d’aller au dodo, je m’apprête à regagner ma couche royale quand  mon œil accroche un titre, tiens un ‘’océan de pensées’’, pas mal, ben non j’ai mal lu : ‘’pas’’ un océan de pensées, tiens ils n’ont pas tort, puisque d’après moi depuis Aristote notre triste Humanité a arrêté de penser. C’est qui ces zigotos ? avec un nom pareil, sûrement des anglais. Vérifions, zut des français. Jetons un coup d’œil, l’on ne peut laisser des compatriotes en rade toute la nuit. Bref c’est moi qui ai passé une nuit blanche. Et tout ça pour un trabuc que je classe parmi les MCA !

    EIMURIA

    BANK MYNA

    (Araki Records/ Avril 2025)

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    Un regard sur la couve : pas mal du tout. Ces visages à l’aspect de masques mortuaires, ces deux mains qui se saisissent de l’un d’entre eux comme pour l’extraire de sa couche de toiles goudronnées superposées et déchirées, à moins que le corps qui n’apparaît pas ait été enfermé dans le tronc cercueil d’un arbre évidé dont on viendrait de percer la couche des écorces protectrices… Quel étrange rituel ! Quel mystère profanateur dans ces manipulations modernistes d’exhumations de cadavres antiques retirés de la gangue des temps anciens qui avaient veillé à leur préservation. Quant aux trois autres masques sur le côté, seraient les chefs subalternes de domestiques sacrifiés pour accompagner leur maître au pays des lémures. Sont-ce des spectres que l’on serait en train d’éveiller dans le but qu’ils viennent hanter le monde des vivants, dans l’espoir de semer le trouble dans l’esprit des vivants dans le seul but de nous rappeler que les portes de corne et d’ivoire, chères à Gérard de Nerval, se peuvent emprunter dans les deux sens.

    L’étrangeté de cette couve nous pousse à visiter l’Instagram de sa créatrice. Ramona Zordini. D’Italie, autrement dit la coque politiquement organisationnelle  qui recouvre l’espace géographique originelle de l’antique romanité lémurienne. Ramona Zordini révolutionne la technique du cyanotype. Procédé inventé par John Frederick William Herschel (1792 – 1871). Un astronome qui braqua son intelligence sur les étoiles et n’oublia pas de regarder en arrière en offrant une traduction de l’Illiade d’Homère. Le cyanotype est un procédé photographique monochromique. Une espèce de cannibalisme. Posez sur une feuille de papier enduite de potassium une feuille d’arbre, après avoir soumis l’ensemble à un rayonnage ultraviolet, vous obtenez en blanc la forme de la feuille d’arbre reproduite sur  le fond désormais bleu ombreux de votre feuille de papier. Ramona Zordini joue sur les couleurs en adaptant à sa guise les temps d’exposition et différents produits chimiques. Nous invitons le lecteur à établir quelques analogies opératoires avec les procédés alchimiques. Une méditation adjacente sur le Traité des Couleurs de Goethe n’est pas interdite.

     ‘’Colorier’’ une feuille de papier ne suffit pas à Ramona Zordini. Elle cherche à atteindre la bi- et la tridimensionnalité cyanotypique. Par un jeu de superpositions de feuilles pré- ou post-découpées  elle recouvre la platitude initiale du cyanotype de diverses épaisseurs, à leur tour travaillées, dont les échancrures centrales donnent cette impression sarcophagique de relief protecteur et de de profondeur  béante si caractéristique de ses créations. Une œuvre artefactique qui contribue autant au voilement qu’au dévoilement. Merci Heidegger.

    Une heureuse surprise que cette découverte de Ramona Zorbini. Mais une forêt ne possède pas qu’un seul arbre. Deux lignes du court texte par lequel Bank Myna présente son album ‘’ spécialement inspiré par les vies et les productions artistiques de la poétesse Alejandra Pizarnik et de la sculptrice Camille Claudel’’  m’ont fait sursauter.

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    Résident à quinze kilomètres de Nogent-sur-Seine, charmante bourgade dans laquelle se déroule la première scène de L’éducation Sentimentale de Flaubert, de surcroît elle abrita la jeunesse de Paul Claudel et de sa sœur qu’il fit interner durant quarante ans avec interdiction de sculpter…, et aujourd’hui s’enorgueillit du Musée Camille Claudel, je ne peux ignorer ni la vie ni l’œuvre de  la sculptrice. Je me souviens notamment d’une manifestation nocturne pour imposer aux pouvoirs publics réticents en compagnie de plusieurs centaines d’habitants à l’édification de ce conservatoire…

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    Alejandra Pizarnik, le nom ne me disait rien de rien. Wikipedia me renseigne, poétesse argentine (1936-1972) trop jeune – ou pas assez - choisissez l’option qui vous convient, ne jouent que ceux qui ont dépassé trente-six ans et qui donc n’ont pas suivi son exemple en se suicidant. Tiens, elle a vécu à Paris entre 1960 et 1964 – ça sent le surréalisme – doit bien rester quelques traces. Elle y a rencontré André Pieyre de Mandiargues – voici des années que je me promets de chroniquer son roman La Motocyclette – il est vrai que ce poëte reste occulté par la noirceur de son propre soleil, Yves Bonnefoy, Antonin Artaud, Alejandra avait bon goût. Une vie écartelée entre mal-être, désirs d’une vie de décadence et exigence de solitude. Pratiquement toute son œuvre a été traduite en France. Notamment par Claude Esteban directeur de la revue Argile. C’est ainsi que je m’aperçois que je l’ai  obligatoirement lue puisque dans les seventies je me procurais cette belle revue de poésie, qui malheureusement ne prenait pas de risques, or la poésie sans risque… Je n’en ai aucun souvenir, pourtant les nombreux textes disponibles sur le net sont engageants.

    Constantin du Closel / Fabien Delmas / Maud Harribey / Daniel Machо́n.

             Phonétiquement le titre de l’album nous évoque les lémures, ne pas les voir en tant qu’apparitions, en tant que revenants, une espèce de reviviscence égrégorique de quelque ancienne présence, mais en tant que phénomène de désintégration de quelque chose qui palpite encore mais qui est en voie de désintégration. Selon le dictionnaire Eimuria désignerait un tison qui s’éteint doucement, une mort en quelque sorte illuminescente. 

    No ocean thougths : une porte que l’on referme dont les échos se répercutent sous une voûte d’ombre et s’évanouissent pour laisser place à la récitante, à la prêtresse qui chantonne en étirant les prophéties accomplies, car depuis le début des temps tout est déjà accompli depuis longtemps et les actes se répètent à l’infini puisqu’ils ont déjà été commis une fois, il n’est nul besoin d’y penser et d’y repenser mille fois, les pensées sont faites de mots et les mots ne sont que l’oubli des choses qui ont eu lieu, la musique se traîne en une majestueuse robe noire de mariée qui arrive en retard pour les noces déjà passées dont elle n’est plus que l’absence dépassée. Imaginez des fracas de violoncelles et des choses percussives qui tombent dans leur immobilité. Un majestueux prélude qui sonne tel un crépuscule. The shadowed body : quand il n’y a plus de pensée ou bien si peu qu’elle ne porte plus de signification, il reste encore à se livrer à l’occultation de son propre corps,  l’on pense à la manière radicale de cet enfant spartiate qui refusant son statut de prisonnier s’est fracassé la tête contre un mur pour périr en homme libre, mais ce n’est pas ici la solution envisagées, à la voie sèche de passation de pouvoir l’on a préféré la voie humide, plus longue et de grande patience, peut-être est-ce pour cela que malgré l’ambiance funèbre de base et les onze minutes du morceau, l’on ne s’ennuie pas, le trauma musical est empli de rebondissements, l’on négocie des courbes en progression constante, surtout pensons que la mort du corps est encore une geste érotique qui tourne à l’exaltation, à l’imprécation, à l’éjaculation orale dans le vide du non-être. Mortelle catharsis. The other faceless me : je serais tenté de proclamer que ce morceau serait intrinsèquement dédié à l’art cyanotypique de Ramona Sordini, ne serait-ce que par ce pinceau de lumière bleue sur l’écran noir de la vidéo qui bientôt irradie de sa pâleur bleuâtre le visage et le corps de la prêtresse qui danse. La caméra à bout pourtant sur des mains qui se croisent, combien sont-elles, une de deux, trois jusqu’à ce que le voile sombre s’entrouvre sur le corps de ballet, des sacrificatrices qui dansent et s’entrecroisent dans leur solitude, au loin une porte étroite permet de voir qu’au dehors que le monde est bleu mais pas du tout comme une orange, maintenant tout un peuple de présence danse, mais que cela signifie-t-il, une danse mortelle, certes mais surtout cette autre face de moi-même sans visage, ma sœur d’ombre que je porte en moi beaucoup plus qu’elle ne me soutient, et portant si séparée de tous les autres, de toutes les autres, une façon de nuptialité égotique de soi-même avec l’une des moitiés – oui mais laquelle – de soi-même, est-ce pour cela que maintenant elle est seule dans sa propre centralité, indifférente à cette surface adjacente du monde dans lequel elle se ait incapable d’évoluer, malgré ces gestes d’amour, ces étreintes, go indigo go !, l’absence de moi ne serait-il qu’une rupture de moi selon la moitié de moi manquante, un tournoiement spectral d’une pensée sans corps à moins que ce ne soit un  corps sans pensée… le lecteur qui aura eu la curiosité de lire quelques poèmes d’ Alejandra Pizarnik ne sera pas perdu dans cette évocation de ses thèmes poétiques prédilectifs. L’ensemble dure près de neuf minutes. Bank Myna se livre à une espèce d’art total qui allie : chant-musique, image-danse, et profération-poésie. Une espèce de mise en œuvre tridimensionnelle pour reprendre les volitions tridimensionnelles de Ramona Sordini. La mise en voix de Maud Harribi est exceptionnelle. La musique colle à elle comme la peau du serpent s’entrelace autour de votre chair. Burn at the edges :  nous parlons de la

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    peau du serpent, la voici dès la première seconde  de la vidéo. Orange aveuglant. Les peintres vous diront qu’il est la complémentaire du bleu. Tout comme l’éros et l’attrait de l’autre sont le complémentaire de la solitude de soi-même. L’on ira même jusqu’à employer le mot supplémentaire car si le supplément est souvent considéré comme un bon ajout, il peut être aussi dénigré comme un trop, qui peut altérer la plénitude du juste milieu, même si celui-ci est aussi l’autre côté de l’injuste moitié. N’importe, pour le moment le morceau est si jouissif, si joyeux, si éclatant, que l’on s’en réjouit, même si l’on n’ignore point  qu’en son centre se niche un abysse irréductible, une pointe de noir, une blessure aussi écarlate que le sang menstruel, ce soleil rougeoyant de la vie qui s’écoule dans la fosse noire creusée par Ulysse pour susciter la part morte des siens qui remontent des Enfers pour le mettre en garde de l’inéluctable qui l’attend. L’implorante : les cris intérieurs que Camille Claudel n’a peut-être pas poussés, peut-être parce qu’ils étaient la seule matière noire à sa secrète disposition qu’elle était capable de sculpter, cette plainte pathétique Bank Myna essaie de nous en offrir une équivalence musicale, d’ailleurs la musique, une variation du prélude, se taille un peu la part du lion, car ce qui ne peut se dire doit être tu, alors Maud reprend sa langue à deux mains et tire la lente et cruelle psalmodie que l’on imagine incessante et éternelle, mais que l’artiste attachée à sa survie, liée à son rouet muet file la parole infinie de sa plainte qu’elle garde au-dedans d’elle, comme son ultime richesse que personne ne pourra lui subtiliser.  Maud reprend l’antienne souterraine pour nous faire miroiter les souveraines sculptures qui n’ont pas fui de ses mains. Chuchotement invisible qu’elle reprend comme l’hymne à voix basse du désespoir de vivre privé de la moitié la plus importante de soi-même.

             Non, Bank Myna n’a pas trouvé le riff qui tue, mais leur Eimuria est tout aussi meurtrier.

    Damie Chad.