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fred kolinski

  • CHRONIQUES DE POURPRE 602: KR'TNT 602: FRED KOLINSKI / LOS ANGELES NUGGETS / MARLOW RIDER / LEMON TWIGS / ARTHUR LEE / DON VARNER / VINCE TAYLOR /EVIL'S DOGS / MOONSHINE / XATUR / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 602

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    25 / 05 / 2023

     

    FRED KOLINSKI / LOS ANGELES NUGGETS

    MARLOW RIDER / LEMON TWIGS

    ARTHUR LEE / DON VARNER

    VINCE TAYLOR / EVIL’S DOGS 

    MOONSTONE / XATUR

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 602

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

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    Sur le site je n’aime guère placer une de mes chroniques avant celles du Cat Zengler, car c’est souvent pour annoncer une mauvaise nouvelle. Ce mardi 16 mai, Fred Kolinski nous a quittés. J’adorais sa pause hiératique, derrière les futs, ses longs cheveux blancs de Roi des Aulnes tombant sur ses épaules, un musicien d’un abord facile, d’une grande modestie, attentif aux autres, pas un grand bavard mais ses paroles étaient réfléchies… Je ne savais pas que ce quinze avril 2023 aux côtés d’Amine Leroy et de Tony Marlow, ce serait la dernière fois que le verrais, il avait assuré les deux sets du concert sans faillir.

    Je recopie ci-dessous les mots de Tony Marlow, nous annonçant la triste nouvelle :

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    ( Photo : Christian Montajol )

    C'est avec une infinie tristesse que j'ai appris la nouvelle du décès de mon ami  Fred Kolinski mardi après-midi. La brutalité et la rapidité de son départ m'ont choqué. Victime d'un AVC fin octobre 2022 il avait tenu absolument à rejouer rapidement plutôt que de se reposer et il est allé jusqu'au bout de la route, jusqu'à ce dernier concert le 29 avril où il a été contraint de raccrocher les baguettes. La batterie et la scène étaient toute sa vie...

    Génération 54, il part à seize ans au festival de l’Île de Whigt, fréquente le Golf-Drouot, rentre début 70 à l’école Agostini et vit dans une communauté de batteurs où il côtoie Christian Vander.

    Dans la France des années 70 pas facile de vivre de la musique qu'on aime...
    Il joue dans de nombreux groupes alternant rock, blues, country ou variété notamment The Bunch ( avec qui il accompagne Johnny Hallyday), James Lynch, Long chris, Yvette Horner, Nina Van Horn, Rockin Rebels, Chris Agullo, Franky Gumbo, Ervin Travis, et dernièrement Marlow Rider et Alicia F !

    Cela faisait six ans qu'on rejouait ensemble et sa grande science de "rythmicien" a beaucoup aidé dans l'élaboration des 3 albums que nous avons enregistrés avec  Seb le Bison. Il avait également une grande aptitude à élaborer des chœurs qui sonnent et son caractère égal et bienveillant créait une ambiance sympa et décontractée.

    Fred nous t’avons accompagné ces derniers mois pour que tu puisses réaliser tes dernières volontés de ton vivant : aller jusqu’au bout de la scène. 

    Repose en paix Fred, tu vas terriblement nous manquer.

    Tony Marlow.

     

     

    She had to leave Los Angeles

     

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             C’est bien sûr John Doe qui chante «She had to leave Los Angeles» dans le morceau titre du premier album d’X paru en 1980, Los Angeles. Excellent cut, comme chacun sait. La référence à l’X est juste prétexte à titrer l’hommage que nous allons rendre à une big box Rhino post-Bronson, Where the Action Is! Los Angeles Nuggets: 1965–1968. Car oui, what a big box !

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             L’L.A. box vient d’une certaine façon compléter la Frisco box épluchée ici en septembre dernier (Love Is The Song We Sing: San Francisco Nuggets 1965–1970), puisque les deux Rhino boxes couvent sensiblement la même période. Elles donnent une idée plus que juste de l’impact qu’eut la scène californienne sur l’histoire du rock, un impact qu’il faut bien qualifier de révolutionnaire. Les deux Rhino boxes mettent surtout en lumière les différences qui existent entre les deux scènes : celle de San Francisco privilégie l’exotisme, avec un son d’essence purement psyché et un singulier mélange de modernité et de brocante. Sans doute à cause d’Hollywood, la scène de Los Angeles s’ancre dans la notion d’usine à rêve, avec un son plus commercial, plus plastique, terriblement américain, le son des clubs du Sunset Strip et des go-go girls. D’où le choix graphique d’illustration en couve.

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             Bon alors tu ramènes ta big box chez toi, tu t’installes dans ton fauteuil, tu prévois du temps, et comme elle se présente comme un livre, tu l’ouvres pour commencer à lire. Glups ! T’as rien à lire, hormis les trois petites introductions, et à la fin, tu as quatre pages qui te présentent les clubs du Strip où bien sûr tu n’es jamais allé, donc ça ne sert pas à grand-chose. Mais rien sur les racines de la scène. Rien sur sa dimension culturelle. Et très vite tu comprends qu’il n’existe pas de racines, et que cette scène est à l’image d’Hollywood : une fiction parfaite, destinée au public américain, et accessoirement au reste du monde. Pas de littérature dans cette big box, tout simplement parce qu’il n’existe pas de littérature à Los Angeles. Andrew Sandoval et Alec Palao n’ont rien à dire, parce qu’il n’y a rien à dire sur Los Angeles. Sur les groupes, oui, mais pas sur la ville. La culture littéraire locale, c’est le cinéma. Les monstres sacrés ne sont pas Baudelaire, Apollinaire, Stendhal ou Edgar Poe, ils s’appellent Eric Von Stroheim, Gloria Swanson, Robert Mitchum, Jack Nicholson, Peter Fonda et Dennis Hopper. Les classiques littéraires s’appellent The Night Of The Hunter, Chinatown, Sunset Boulevard et Easy Rider. Certains objecteront qu’il existe des auteurs de polars, mais le polar reste un genre mineur, enfermé, comme la science-fiction, dans ses limitations. Bukowski ? Oui, il a fait illusion, à une époque, mais ses recueils de nouvelles parus au Sagittaire étaient massacrés par la traduction. Un Buk qui se décrit le matin assis en train de chier, c’est difficile à traduire. Il vaut mieux le laisser dans sa langue originale. Il fait partie, comme Pouchkine, des «intraduisibles», de la même façon que les Pistols font partie des «intouchables». Quand on joue dans un cover band, on ne touche pas aux Pistols. Quand on traduit, on ne touche pas à Bukowski.

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             Le film on va dire le plus ‘littéraire’ et le plus représentatif de cette artificialité est sans doute Chinatown. C’est même un coup de maître. Pendant presque deux heures, Polanski monte une intrigue en neige, c’est un travail de virtuose, tout est magnifié, les acteurs, les crépuscules, les environnements urbains, les voitures, et le soufflé retombe dans une scène finale d’une hallucinante vacuité, puisque la clé de l’énigme n’est autre que le fruit d’une relation incestueuse. Tout ça pour ça ? Avec Chinatown, Polanski exacerbait tout le kitsch de la culture hollywoodienne, et bien sûr, la montagne ne pouvait qu’accoucher d’une souris. Cadreur exceptionnel, comme le furent Pasolini et Godard, Polanski démontrait que Los Angeles était une ville plate.

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             En son temps, Philippe Garnier tentait chaque mois dans R&F d’explorer l’univers culturel de Los Angeles. Il s’y était d’ailleurs installé avec cette intention. Dans des pages extraordinairement denses, il célébrait des gloires locales et disait sa passion pour des films qui avaient une sacrée particularité : on ne pouvait pas les voir en De la, si on vivait en province. Cette culture devenait donc doublement opaque, avec le côté un peu maniaco agaçant de l’élitisme. La culture n’a de sens que lorsqu’elle est accessible à tous. Bon, ça s’est arrangé quand il commencé à parler des Cramps. Et lorsqu’il a mis Bryan Gregory en couverture de ses Coins Coupés. Un Gregory qu’on a revu ensuite peint sur la façade du Born Bad de la rue Keller. Ah quelle époque !

             Donc pas de littérature dans l’L.A. box. Si tu veux t’instruire, il vaut mieux lire un autre grand format, le Riot On Sunset Strip de Domenic Priore. On y reviendra prochainement.

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             Bien sûr, chacun des 100 cuts de l’L.A. box est documenté, comme sont documentés tous les cuts rassemblés par les gens d’Ace dans leurs mighty compiles. Un petit paragraphe pour chaque cut, après, c’est à toi de prendre ta pelle et d’aller creuser, si tu veux en savoir plus. i git !, mon gars. Au menu, tu retrouves bien sûr les grandes têtes de gondole, Byrds, Love, Beach Boys, Doors, Mothers Of Invention, mais aussi une multitude de groupes moins connus et aussi passionnants. Et puis tu as des groupes dont tu connais les noms, mais pas le son, alors c’est l’occasion de faire plus ample connaissance. C’est que ce qu’on appelle l’apanage des compiles. Pour pallier à la carence littéraire de sa big box, Sandoval a imaginé quatre chapitres, d’où les quatre CDs. Le premier s’intitule ‘On The Strip’. C’est là, sur Sunset Strip, que s’est joué le destin de tous ces groupes, comme se jouait un peu plus tôt le destin de très grands artistes à Greenwich Village, où encore, à la même époque, le destin des Frisco bands au Fillmore et à l’Avalon Ballroom. Ce sont les Standells qui donnent le top départ avec l’imparable «riot On Sunset Strip», suivis par les Byrds qui, comme l’indique l’ami Palao, ont démarré au Ciro’s, en 1965. «You Movin’» est une démo superbe qu’on retrouve sur Preflyte, un Movin’ illuminé par un solo à la McGuinn, c’est-à-dire magistral. S’ensuit «You’ll Be Following», early raunchy Love, joué à la pire niaque d’Arthur Lee. On reste dans les superstars en devenir avec Buffalo Springfield («Go And Say Goodbye») et surtout Captain Beefheart & The Magic Band avec l’ultra-abrasif «Zig Zag Wanderer», real deal de proto-punk, zig zag ha ! Early Doors encore, avec «Take It As It Comes», délicat, très L.A., c’est l’époque où Jimbo, trop léger, rebondit dans le son, il n’est pas encore devenu roi. Bon, Spirit, ça ne marche pas à tous les coups («Girl In Your Eye»), par contre, les Seeds s’en sortent mieux avec «Tripmaker», wild punk vénéneux, extraordinaire de watch out. L’«It’s Gotta Rain» de Sonny & Cher reste du heavy groove sans plus, et les Association de Jules Alexander tapent dans l’«One Too Many Mornings» de Dylan. C’est bardé de son et même assez stupéfiant. On retrouve avec un plaisir non feint l’Iron Butterfly de Doug Ingle et l’heavy revienzy de «Gentle As It My Seem», hard punk psychotic, come here woman ! Après, on descend dans l’underground avec par exemple les Leaves et «Dr. Stone», plus connus pour leur version cavalée d’«Hey Joe». Leur «Dr. Stone» est bardé de son et chevauche un Diddley beat. Jim Pons fait encore partie du groupe. Il ira ensuite rejoindre les Turtles. En De la, on a longtemps considéré les West Coast Pop Art Expérimental Band comme les rois de l’underground et rapatrié vite fait leurs trois premiers albums. Mais bon, attention... On y trouve à boire et à manger. «If You Want This Love» est un brin poppy-popette, frappé en plein cœur par un gros solo de bluegrass craze. Tu te régales aussi du Bobby Fuller Four et de «Baby My Heart», il y va de bon cœur le Bobby, il roule son solo dans une belle farine de disto. «Fender driven rock’n’roll», nous dit Palao, «Tex-Mex origins» + «high-energy Hollywood sound». Il faut se souvenir que Bobby Fuller faisait partie des chouchous de Billy Miller, chez Norton. Palao cite Bobby comme étant «one of the ‘60s pop’s brightest talents». On se prosterne jusqu’à terre devant The Palace Guard et «All Night Long», très psyché-Dylan/Byrds, rongé par des lèpres de jingle-jangle, hootchy hootchy coo all nite long ! Tiens voilà un gang de surdoués, The Rising Sons, avec Ry Cooder et Taj Mahal, produit par Terry Melcher, un Melcher qui leur demande de jouer une «supersonic version» de «Take A Giant Step» (Goffin & King) «with some pychedelic touches». Fabuleux shoot de big California flavour. On retrouve toute cette musicologie sur le faramineux dernier album de Ry Cooder & Taj Mahal, Get On Board. Tiens, encore une fantastique énormité avec Kaleidoscope et «Pulsating Dream». Palao les compare aux Rising Sons, «organic and eclectic». Il trouve même que les Kaleidoscope ont plus d’accointances avec la scène de San Francisco, mais ils savaient reconnaître les mérites d’une bonne chanson. Encore une grosse équipe avec Music Machine et «The People In Me». C’est une façon de dire qu’il n’y a que des grosses équipes dans cette ville plate. Palao dit d’eux qu’ils sont «one of the most powerful groups of the era». Il parle aussi de «brutal, sonic-intellectual punch», à propos de «Talk Talk». Et pouf, voilà The Sons Of Adam avec «Saturday’s Son», du bon wild as fuck comme on l’aime, plein de son et de Saturday, de roule ma poule, d’harmonies vocales et de power all over. Ces mecs, nous dit Palao, étaient «the talk of the town», avec «guitar God Randy Holden with Fender jag slung low, Ramones-style, tore off savages riffs with uncompromising style.» Arrivent à la suite les Peanut Butter Conspiracy avec «Eventually», une fast pop on the run. Ces mecs te claquent le Peanut vite fait. Extravagante énergie ! Et tout ceci n’est qu’un petit aperçu. La principale caractéristique de cette scène, c’est la qualité de l’abondance.

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             Ce que vient confirmer le disk/chapter two, ‘Beyond The City» : Palao va chercher les groupes à l’extérieur, jusqu’à San Fernando Valley, Riverside et Bakersfield, chez Gary S. Paxton. Boom dès Thee Midniters avec «Jump Jive & Harmonize», pur proto-punk de c’mon baby. Tu peux y aller les yeux fermés, chicano rock, «and Thee Midniters will forever rule supreme», s’extasie Palao. Et leurs albums rulent supreme à des prix intouchables. Heureusement, Norton s’est fendu d’une bonne petite compile, In Thee Midnite Hour. Arriba ! Ces Chicanos sont bien wild. On sent très vite chez eux une attirance pour le proto-punk de type Question Mark. «Jump Jive & Harmonize» est en A, et en bout d’A, tu as une autre pépite proto-punk, «Down Whittier Blvd», véritable chef-d’œuvre de tension et de function at the junction, c’mon baby cruise with me ! Encore du ramdam en B avec l’une des plus belles covers d’«Everybody Needs Somebody To Love». Thee Midniters sont les vrais punks de Californie. Encore un shoot de big punkish town avec «Never Knew I Had It So Bad». Leur «Empty Heart» a aussi beaucoup d’allure et puis, petite cerise sur le gâtö, on se croirait chez les early Stones avec «Hey Little Girl».  

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             Retour au chapter two, ‘Beyond The City». Tu y retrouves aussi The Light et The Bush, deux groupes arrachés à l’oubli par Mike Stax dans Ugly Things, beaucoup plus légers que les chicanos, mais bon, tu as une belle énergie et de la fuzz dans le «Back Up» des Light. Si tu aimes bien la fuzz qui coule dans la manche, alors écoute les Premiers et «Get On The Plane» et là, oui, c’est digne des Troggs, ils font du fake English. Ils ont tout pigé. Ce sont les Premiers de la classe. Palao ajoute que Larry Tamblyn leur donnait un coup de main. Sur ce disk 2, les têtes de gondole sont les Electric Runes («Hideaway» pas terrible), les Turtles («Grim Reaper Of Love» forcément bien foutu) et Kim Fowley avec «Underground Lady», «the original rock’n’roll Zelig», dit Palao qui, bien remonté, ajoute qu’«Underground Lady» «is perhaps his most authentically punkoid moment as an artist». C’est bizarre qu’il dise ça, car I’m Bad grouille de punkoid moments autrement plus punkoid. Tu retrouves aussi Emitt Rhodes avec The Merry-Go-Round et «Listen Listen», fantastique shoot de pop de classe internationale. Alors les Spats, c’est autre chose : «She Done Moved» sonne comme le pire gaga de Los Angeles. Ah les carnes ! Il faut entendre ça. Sans doute sont-ils la révélation du disk 2, en tous les cas, on en redemande. Palao dit d’eux qu’ils étaient Orange County superstars. Il parle même de «chock full of raunchy, blue-eyed R&B and bright British rock in the mode of their idols The Dave Clark Five.» Avec Ken & The Fourth Dimension et «See If I Care», tu restes dans le hot gaga de Los Angeles. Juste un single et à dégager. Le Ken en question est le fils de Lloyd Johnson, un associé de Gary S. Paxton à Bakersfield. Merci Rhino d’avoir sauvé ce single. L’«He’s Not There Anymore» des Chymes sonne comme du porn nubile. Nouvelle révélation avec Opus 1 et «Back Seat’ 38 Dodge», instro de back seat, tension maximale, un must have been car il n’existe qu’un seul single. Même destin que Ken & The Fourth Dimension. Nouvelle claque avec Things To Come et «Come Alive» : ça joue à la réverb volante. Quant à Limey & The Yanks, ils y vont au Diddley beat avec «Guaranteed Love». Il n’y a pas de sot métier. Le «Love’s The Thing» de The Romancers Aka The Smoke Rings vaut bien les Seeds. Palao parle d’un «classic slice of chaos» et ajoute que le cut qui devait être un balladif fut transformé par «the bersek guitar-slinging of Albert ‘Bobby’ Hernandez.» Encore du wild L.A. punk avec The Deepest Blue et «Pretty Little Thing». Ces mecs sont les rois du lard inconnu. Ils ont du son à n’en plus finir. Pas loin des Pretties, en tous les cas. Tu te prosternes aussi devant The Whatt Four et «You’re Wishin’ I Was Someone Else», un groupe produit par Gary S. Paxton. On y retrouve le troubleshouter Kenny Johnson, il te chante cette pop pyché à pleine voix. Terrific !  Assez punk around the corner, voilà le «That’s For Sure» des Mustangs, encore des rois du proto-punk local, aussi balèzes que les Standells. Le Merrell de Fapardokly (Merrell & The Exiles) n’est autre que Merrell Frankhauser, que Palao traite de «fascinating character». C’est vrai que ni Mu, ni son «Tomorrow’s Girl» ne laissent indifférent. Wild L.A. psychout ! Un rêve de son come true. La vitalité de cette scène et le grouillement des pointures finissent par donner le tournis. 

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             Le disk/chapter 3 s’intitule ‘The Studio Scene’. Allez hop, on attaque avec les têtes de gondole, Jan & Dean («Fan Tan» belle pop californienne et chœurs déments, tirée de Carnival Of Sound), P.F. Sloan («Halloween Mary» qui t’éclate bien la noix à la Dylanex, il récupère tous les clichés, même les coups d’harp, mais avec du génie, Palao ajoute que Sloan agissait avec «an unparalleled intensity») et The Mamas & The Papas («Somebody Groovy» chanté sous le boisseau du groove et forcément énorme, une vraie huitième merveille du monde). On retrouve aussi avec plaisir les Knickerbockers avec un «High On Love» assez dingoïde. L’occasion rêvée de ressortir l’album de l’étagère.

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             Lies est un vieux Challenge US qui date de l’époque des auction lists de Bomp !. Pochette classique des années de braise, et pop classique des mêmes années. Très poppy L.A. et très beatlemaniaque dans l’approche des harmonies vocales. Fabuleusement enregistré par Bruce Botnick et Dave Hassinger. Pas la moindre trace de gaga, mais big energy au long cours. Les Knickerbockers offrent un mélange réussi d’American energy et de Beatlemania. Ce mec chante vraiment comme John Lennon et le wild solo de «Just One Girl» vaut bien ceux du roi George. En B, on tombe sur un «Whistful Thinking» arrangé par Leon Russell, avec un petit effet Wall of Sound. Tonton Leon te violonne encore «You’ll Never Walk Alone» et «Your Kind Of Lovin’». On a toujours gardé un souvenir ému de cet album.

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             On ressort aussi l’album de Keith Allison, car l’«Action, Action, Action» est irrésistible, c’est même du proto-punk, Keith Allison sort les grosses guitares et il fait entrer dans son lard un bassmatic monstrueux. Il va accompagner Bobby Hart et Tommy Boyce avant de rejoindre les Raiders. Véritable coup de génie que ce «Tin Angel (Will You Ever Come Down)» d’Hearts And Flowers, avec des harmonies vocales explosées au sommet du lard. Palao parle de «symphonic psych-pop». Le producteur n’est autre que Nick Venet. Belle révélation encore que Dino, Desi & Billy et «The Rebel Kind», produit par Lee Hazlewood. Dino n’est autre que le fils de Dean Martin. Leur wild gaga est une merveille, mais Palao dit que ce fut un flop commercial. Il n’empêche que c’est une vraie énormité. La grosse claque vient aussi de The Full Treatment et «Just Can’t Wait», un duo composé de Buzz Clidfford et Dan Moore. Un seul single et adios amigos. Incroyable ! Nouvelle extase avec The Lamp Of Childhood et «No More Running Around» : heavy pop de haut rang, encore un groupe à singles immensément doué. Une sorte de supergroupe de stars obscures dont Palao se plaît à décortiquer les curriculums. Oh et puis l’incroyable prestance de The Moon et «Mothers And Fathers». Alors évidemment, dans ce contexte, les Monkees ne sont pas crédibles, surtout que Palao choisit un cut de l’album foireux, Pisces Aquatius Capricorn & Jones. Par contre, il salue bien bas Lee Hazlewood et son «Rainbow Woman». Il a raison. Encore du son avec The Yellow Balloon et «Yellow Balloon», fils spirituels des Beach Boys. Fantastique énergie ! Occasion en or de ressortir l’album de l’étagère.

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             Encore un gros cartonne US chopé sur l’auction list de Suzy Shaw. Magnifique album, on les voit tous les cinq sur la plage et dès «How Can I Be Down», tu as le heavy Beach Boys Sound, c’est-à-dire l’American power, un son unique et la splendeur des harmonies vocales. Ils tapent leur «Stained Glass Wildow» au pah pah pah et s’envolent littéralement avec «Baby Baby It’s You», c’est plein de vie, le mec qui les produit a tout pigé, c’est un chef d’œuvre d’allégresse, avec la pure beauté formelle du son. Puis en bout d’A, tu tombes sur le morceau titre, et là tu bascules dans la magie californienne, The Yellow Balloon s’envole une fois de plus – Yellow balloon/ On a lovely afternoon – La B est plus pop, on perd la plage, mais ça reste gorgé de lumière. Tout n’est qu’élan sur cet album, un élan pareil à nul autre, notamment dans «Can’t Get Enough Of Your Love» - I love you more & more – Ils terminent avec une «Junk Maker Shoppe» plus musculeux, mais ce sont les biscotos de la plage.  

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             Le disk/chapter 4 s’intitule ‘New Direction’. Allez hop, on y va ! Une belle série de têtes de gondole : Stephen Stills & Richie Furay et «Sit Down I Think I Love You», petite chanson de Stylish Stills. Dans ses heavy chords, il ramène de la psychedelia. Tu n’en finiras plus d’admirer ce mec-là. Palao parle du «genesis of the Buffalo Spingfield sound». Eh oui, il a encore raison. Palao a toujours raison. Il faut bien finir par l’admettre. Et puis voilà la plus belle, Jackie DeShannon & The Byrds et «Splendor In The Grass», fantastique dimension mythique californienne, on a là le génie combiné d’une chanteuse exceptionnelle et des Byrds. On parlait d’eux dans le disk 3 : Tommy Boyce & Bobby Hart. Ils sortent du bois avec «Words». Et puis tu as aussi Gene Clark et «Los Angeles». Ses amis l’appellent Geno, alors Geno est vraiment le roi de la psychedelia, il ramène tout le son du monde dans son psychout de jingle jangle. Son «Los Angeles» date du temps où il jouait avec Laramy Smith. Tête de gondole encore avec Tim Buckley et «Once Upon A Time», où l’on voit le Tim s’enfoncer dans le gaga d’L.A. à sa façon, qui est excellente. Oh et puis bien sûr les Beach Boys et «Heroes And Villians», le power définitif, le real deal du California sound. Autre géant de la scène locale, voici Rick Nelson et «Marshmellows Skies», il propose une pop psyché nappée de musique indienne et ça tourne au cliché. Retour au point de départ avec les Byrds et «Change Is Now», tiré de Notorious Byrds Brothers, enregistré après le départ de Geno et le saccage de Croz. Ce chapter 4 s’achève en beauté avec la magie pure de Sagittarius et «The Truth Is Not Real», l’ultimate de Gary Usher & Curt Boettcher, aussi ultimate que Brian Wilson, un Sagittarius suivi de Love et «You Set The Scene» : aussitôt la première note, tu sais que tu es à Los Angeles, un Arthur Lee nous dit Palao «qui repoussa les frontières du traditional pop songwriting» avec Forever Changes. Parmi les moins connus, tu as The Rose Garden et «Here’s Today», un groupe puissant qui a disparu sans laisser de traces. Geno les prit un moment à la bonne et leur fila des cuts. Encore plus impressionnant, voici Nino Tempo & April Stevens et «I Love How You Love Me», fast and heavy pop avec des cornemuses. Nino venait de flasher sur le son des Byrds et il trouvait que les bagpipes sonnaient comme la douze de McGuinn. Fabuleux power ! Nino  était un proche de Totor et l’un de ses arrangeurs, et sa frangine April Stevens vient tout juste de casser sa pipe en bois. L’autre bonne surprise vient de Randy Newman et son énorme «Last Night I Had A Dream». Bizarre, car les rares tentatives d’écoute de ses albums se sont soldées par des bâillements d’ennui. La vraie surprise vient de Del Shannon et d’«I Think I Love You» : De la tout le power du monde derrière lui, mais ce n’est pas bon. Trop insidieux ? Va-t-en savoir. Et puis tu as plein d’autres luminaries, ça grouille de partout : Nilsson, Peter Fonda, Van Dyke Parks, Danny Hutton qui fut le chauffeur de Kim Fowley, Barry McGuire, tous plus légendaires les uns que les autres. On n’en finirait pas.

    Signé : Cazengler, Angeless and less

    Where the Action Is ! Los Angeles Nuggets : 1965–1968. Rhino Box set 2009

    Yellow Balloon. The Yellow Balloon. Canterbury 1967

    Knickerbockers. Lies. Challenge 1966

    Thee Midniters. In Thee Midnite Hour !!!! Norton Records 2006

     

     

    Marlow le marlou - Part Four

     

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             Au lieu de s’appeler Second Ride, le deuxième album de Marlow Rider s’appelle Cryptogenèse, c’est-à-dire engendré dans l’underground. Non seulement le message est clair, mais l’album est bon. Oh pas révolutionnaire ! Le Marlou préfère le confort des ténèbres aux coups de chaud des feux de la rampe. Pas question d’aller lécher les bottes des satrapes médiatiques. Par les temps qui courent, l’indépendance artistique devient un luxe, et la richesse ne se mesure plus en sacs d’or, comme au temps jadis, mais en termes d’intégrité. On est artiste aujourd’hui comme on était pirate au XVIIIe siècle, par goût de la liberté absolue. Et ce n’est pas un hasard si le Marlou a flashé sur Johnny Kidd, et qu’aujourd’hui il chante «Libertad» ! - Libertad for all the people/ Libertad the only symbol - Pas facile de faire rimer people avec symbol, mais dans le feu de l’action, ça passe comme une lettre à la poste. Ça claque au vent. On sent nettement chez le Marlou le goût des abordages, la haine de l’Espagnol - c’est-à-dire la pire incarnation de la cupidité doublée de brutalité - On sent aussi chez lui le goût du partage de butin à parts égales, son break your chains résonne dans l’écho des siècles, son free your mind sonne comme le cri de ralliement des gueux de la terre pressés de quitter l’Europe des oppresseurs pour partir à la découverte du monde libre.

             Les spécialistes de son histoire s’accordent à dire que la flibuste fut la dernière utopie, d’où sa force symbolique. On ne l’approche pas inopinément, on ne joue pas avec. L’un des souvenirs d’expos les plus vivaces est celui d’une petite expo consacrée à la piraterie, au Musée de la Marine, qui se trouvait alors au Trocadero. L’expo visait un public jeune, mais il y régnait une atmosphère pesante et comme chargée d’histoire. On y avait reconstitué le pont d’une frégate. Le clou de l’expo était le faux journal de Louis-Adhémar-Timothée Le Golif, dit Borgnefesse. Coup de génie en forme de pied de nez, aux antipodes d’Hollywood, un Hollywood qui a réussi à transformer la flibuste en gadget avec les quatre ou cinq épisodes des Pirates des Caraïbes. Comme d’habitude, Hollywood est complètement à côté de la plaque, en dépit des efforts de Johnny Depp qui n’en finit plus d’avoir le cul entre deux chaises, c’est-à-dire la starisation hollywoodienne et le rock, dont il est issu. On finit par comprendre qu’avec le temps, les anciens concepts sont dévoyés, parce que les époques ont changé. C’est valable pour Sade et la flibuste. Les pirates africains qui attaquent aujourd’hui les cargos pour les rançonner n’ont pas le panache du Capitaine Flint, et le divin Marquis serait chagriné de voir dans quoi son apologie des plaisirs de la chair a basculé. Aw my gode ! Aujourd’hui, les héritiers spirituels de la flibuste sont les aventuriers. Le Marlou en est un. Donc, écoute-le quand il chante ses aventures.

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             Il fait le récit de ses aventures en B et lie ses six cuts avec un texte autobiographique bien foutu. Il raconte qu’il débarque en Corse à l’âge de 8 ans. Son père découvrant l’île la baptise «paradis terrestre», comme le fit sans doute jadis le Capitaine Flint en découvrant une île des Caraïbes. Vroaaar, le Marlou démarre sa moto pour lancer «Le Grand Voyage», le Grand Voyage qui l’amena enfant en Corse à bord du DC3 Dakota, «à 8 000 pieds d’altitude» et crack, il te claque un solo de jazz au cœur du Grand Voyage, épaulé par le round midnite d’Amine. Bienvenue dans la légende de Tony Marlow, à 8 000 pieds d’altitude. Il passe en mode heavy rockab pour saluer l’hôtel restaurant «Pielza Eden» de son ami Olivier Giudicelli. Mise en place impeccable, l’Eden est monté sur un big bop de slap, all right now, c’est la douceur de vivre, les redémarrages sont fantastiques, tout repose sur ce beat qui va et qui vient entre tes reins. Belle tombée de l’all right now et fuite éperdue de la jeunesse en roue libre. C’est sa vision moderne du monde libre.

             Il passe en mode Blue Cheer pour «De Bruit Et De Fureur», il a largement les moyens du heavy beat sixties. C’est dingue comme Amine s’adapte bien, son slap gronde dans le son, au moins autant que la basse de Dickie Peterson. Pour couronner le tout, le Marlou part en vrille à la Leigh Stephens. Il fond sur le cut comme l’aigle sur la belette. Il profite de cet épisode pour saluer son vieil ami Marc Zermati. Souviens-toi qu’Hakim Bey situe les origines de la piraterie sur les côtes algériennes. Puis le Marlou passe carrément au funky but chic avec «Eclectic» et le souvenirs des bals populaires en Corse - La nuit la danse c’est chic - Il parle de «voûte étoilée» et des «retours au petit matin éclairés par le soleil levant.» On l’avait déjà remarqué à l’époque du Rockabilly Troubadour, il y a du Charles Trenet en lui. Amine ramène encore de la viande dans «Comme Un Cran d’Arrêt», une java du Balajo. Ce démon d’Amine appartient à la caste des inexorables. Il sait chevaucher un dragon. Et le Marlou conclut son mini-récit autobiographique avec cette chute sibylline : «Ceci n’est que le début, la genèse se termine, l’histoire continue...»

             De l’autre côté, le Marlou redit sa passion pour Cream et Jimi Hendrix. Sa version de «Highway Chile» vaut le déplacement : juste après le riff iconique, il part en pompe manouche. Quel sens du parti pris ! Il te joue ça dans la roulotte du diable et chante sous le boisseau, avec le riff qui revient. Et pendant le solo, Amine ramène la pulsion rockab. C’est fascinant, plein de modernité, le Marlou improvise sur le thème hendrixien. Quel hommage spectaculaire ! Ça fait encore plus drôle d’entendre le slap derrière «Sunshine Of Your Love». Le pauvre Amine doit jouer au ralenti de downhome, ça ne doit pas être simple, pour un mec comme lui qu’on a vu bombarder sur scène. On l’entend pulser le heavy beat pendant que le Marlou graisse la patte de son solo. Et puis il allume la gueule du «Doctor Spike» avec un vieux riff des Stones, jetant les sixties dans une sorte d’embolie symbiotique. Tout le dark de cette époque tient dans ce riff. Brillant exploit.

             Les deux albums de Marlow Rider sont sortis sur Bullit, le petit label de Seb Le Bison, que les fans de Rikkha et de Cookingwithelvis connaissent bien. Deux groupes qui datent d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, lorsque le rock flirtait avec le cabaret et qu’on renouait à la nuit tombée avec les mystères de la rue de la Lune. 

    Signé : Cazengler, Tony marlourd

    Marlow Rider. Crytogenèse. Bullit Records 2023

     

     

    L’avenir du rock

     - Lemon incest (Part Two)

             On amène l’avenir du rock à l’hôpital. Son cas est désespéré. Il est atteint d’une crise de fou rire que rien ne peut calmer, ni les douches froides, ni les suppositoires, ni les perfus, ni les électrochocs. Il se marre, il n’en finit plus de se marrer. Et ça ne fait marrer personne. Le professeur Mort-du-rock et son équipe sont à son chevet, consternés. Ils n’ont encore jamais vu un cas pareil. L’éminent professeur ne cache d’ailleurs pas son agacement. Il a déjà fait doubler la dose de sédatif. Mais ça ne change rien. L’avenir du rock se pâme de rire et la vue de l’équipe soignante consternée ne fait qu’aggraver les choses. À travers ses larmes de rire, il distingue confusément cette grappe de gueules d’empeignes. C’est vrai que le spectacle ne laisserait personne indifférent. L’adjointe du professeur tente une approche psychologique :

             — Mais enfin, avenir du rock, si seulement vous nous disiez pourquoi vous riez tant, peut-être pourrions-nous en profiter ?

             La question est à la fois tellement perfide et tellement stupide que l’avenir du rock s’en étrangle de rire. Il tousse et il pète. Puis il repart de plus belle, lorsque le professeur l’approche pour lui tâter le pouls.

             — C’est très curieux. Le pouls est normal, la tension est normale, la température est normale. Mais enfin, de quoi peut-il donc bien s’agir ?

             Excédé, le professeur pince le bras de l’avenir du rock pour voir s’il réagit à la douleur. Ça ne fait qu’aggraver encore les choses.

             — Rhhhha ha ha ha ha ! Rhhhha ha ha ha ha !

             — Ce patient commence à m’exaspérer, mademoiselle Izabotte. Je vais devoir opérer les zygomatiques. Nous sectionnerons ici... et là, juste sous les oreilles, et nous injecterons trois poches de plasma pour figer les risorius. Nous ne pouvons tolérer l’irrationnel dans ce service, comprenez-vous ?

             Personne ne conteste la barbarie du verdict professoral. Toujours en pleine crise, rhhhha ha ha ha ha !, rhhhha ha ha ha ha !, l’avenir du rock sort du lit, se dirige vers la petite armoire où sont rangées ses affaires, fouille dans la poche de sa veste et en sort un CD. Il se tourne vers le professeur et lui balance le CD en pleine gueule.

             — The Lemon Twigs, professeur. Ils me rendent heureux alors je ris.

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             L’avenir du rock tombe souvent dans le dithyrambe de bas étage, mais cette fois, il s’agit d’autre chose : le voilà victime d’une overdose de réjouissance extatique. Dans son bel article, Sarah Gregory corrobore les faits : «The Lemon Twigs are the kind of band that make you glad to be alive.» Elle n’y va pas de main morte, elle dit carrément qu’ils te rendent heureux d’être en vie. Elle n’a pas tort. Elle ajoute : «Ils tirent leur inspiration de tous les genres classiques de la musique populaire pour créer un intoxicating and unique nostalgia-infused blend of melody and tilemess instumentation.» Voilà, c’est ce qui réjouit le cœur de l’avenir du rock. Il n’a jamais été aussi rayonnant. Car oui, le dernier album des Lemon Twigs est une bombe du paradis. 

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             Les Shindiggers ne font pas n’importent quoi : non seulement ils te tartinent six pages sur les Lemon Twigs dans le dernier numéro, traitement de faveur généralement réservé aux superstars, mais en plus, ils t’offrent leur dernier album, Everything Harmony en cadeau de réabonnement. C’est un peu comme si, en 1968, ils t’avaient offert le White Album ou Forever Changes.

             Sarah Gregory dit encore que les deux frères D’Addario puisent dans «the most harmonious of the 60s bands (the obvious ones).» Elle cite des noms, Bowie, Dolls. On citera les nôtres.  Elle revient aussi sur leur destin : tout tracé puisque Daddy D’Addario est musicien/compositeur. Petits, ils se gavent d’home videos, de concerts enregistrés, Beatles, Beach Boys, Monkees, Dave Clark Five. Ils n’échapperont donc pas à leur destin. Daddy D’Addario leur apprend à chanter avant qu’ils ne sachent marcher. Bambins, ils travaillent déjà avec Dad & Mum sur les harmonies vocales d’un hit des Beach Boys, «You Still Believe In Me». C’est la joyeuse singing family. Puis à cinq ans, Brian apprend à battre le beurre. Deux ans plus tard, il gratte une gratte et compose des chansons. Il n’a que sept ans ! Quand ses mains sont assez grandes, il apprend à jouer les barrés. Alors il progresse très vite. Son frère Michael aussi. Même parcours : beurre, gratte, compos. À 10 et 12 ans, ils sont complets. Ils jouent dans des groupes. Ils jamment les Beatles.

             Ils rentrent dans le circuit professionnel au cours des années 2010, influencés par les Flaming Lips et MGMT, mais surtout les psych-rock indie popsters Foxygen. Comme les frères D’Addario, Jonathan Rado a démarré très jeune, il adore les Stones et le Velvet et don’t give a fuck de ce que pensent les gens. Comme Rado, Brian et Michael restent fidèles à l’esprit des albums qui les intéressent, Surf’s Up ou le White Album. Brian : «On pensait que c’était impossible de faire des albums qui sonnaient comme Surf’s Up ou le White Album de nos jours, puis quand on a entendu Foxygen, on a compris qu’on pouvait essayer.» Brian et Michael vont se rapprocher de Rado et même enregistrer avec lui.

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             Quand ils enregistrent Do Hollywood, ils ont 15 et 17 ans. Ils jouent tous les instruments. Rado est même venu donner un coup de main et co-produire. En fait, les deux frères expérimentent beaucoup, ce qui a pu rendre leurs premiers albums un peu déroutants. Ils considèrent leur parcours discographique comme un learning process. Quand Songs For The General Public est paru, Iggy s’est inquiété : «It’s just a little too good.»

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             À la fin de leur 3-LP contract avec 4 AD, Brian et Michael ont signé avec un petit label new-yorkais, Captured Tracks. Alors voilà Everything Harmony, «another twist in the tale», comme le dit si bien Sarah Gregory. Elle y trouve des influences des Byrds, des Burritos et de Simon & Garfunkel. Chacun cherche son chat. Michael : «It’s more about the songs.» Et il ajoute, avec une sorte de modestie désarmante : «I think the songs are good, certainly the recordings couldn’t be any better, the arrangements couldn’t be any better.» Sarah Gregory flashe sur «Corner Of My Eye» qu’elle voit sonner comme un mélange de Simon & Garfunkel, de Beach Boys et de Carpenters. Elle y trouve aussi du «90s Byrds-revivalist guitar twang». «Corner Of My Eye» se développe comme une pop de rêve, une pop de rêve saturée de lumière à la Francis Scott Fitzgerald, tu retrouves cette magie de la pop, douce et tendre, comme savait la distiller en son temps Todd Rundgren, les deux frères D’Addario outrepassent les limites de la bienséance, ils swinguent l’ouate d’I saw you twice before, rien qu’avec ce chef-d’œuvre de délicatesse, tu te figes, comme un chien d’arrêt. Michael dit avoir écrit les paroles de «Born To Be Lonely» après avoir vu l’Opening Night de John Cassavetes. Encore un fil harmonique magique, c’est un bal de Laze d’une irréalité définitive, te voilà invité dans la Pâtisserie de la Reine Pédauque arrosée de chantilly, ils te font la Chocolaterie de Charlie Wonka à deux, ils t’explosent la valse à deux temps, te voilà entraîné dans une spectaculaire parade magnifiée aux harmonies vocales, il croisent Rundgren avec Brian Wilson, il recréent le vertige des descentes extravagantes de qui tu veux, tu as le choix entre Jimmy Webb, Tonton Leon ou encore Burt. Tu tiens l’avenir du rock entre tes mains, il faut entendre l’exercice de cette insistance douceâtre. Cette façon de tenter la valse du diable est unique dans l’histoire.   

             Dès le «When Winter Comes Around» d’ouverture de bal, tu sens que c’est du sérieux. Tu sens la mise en bouche. Ces deux branleurs ont compris le sens de la marche. Ils noient leur son de pop. Et tout l’album va rester à ce niveau. On les retrouve avec «In My Head» dans une Beatlemania évoluée, un ersatz de White Album, c’est de cette qualité. Une pop aux pieds ailés. Stupéfiant. Ils te distillent ça à petites giclées de heavy pop luminescente à la Rundgren, avec des claqués d’accords dignes de ceux des Byrds. Tu sens bien que tu écoutes l’un des très grands albums du XXIe siècle, ils t’explosent ça aux harmonies vocales, au lalala de rêve impur. Tu te retrouves au final avec un hit séculaire. Ils attaquent «Any Time Of Day» au chat perché tanscendental et tu passes à la trappe de Père Ubu, t’es baisé, et c’est tant mieux, ils te plongent dans une Philly Soul de blancs vrillée à l’unisson du saucisson. Pour avoir une idée du niveau d’excellence de cette merveille, tu dois bien sûr l’écouter, mais pas sur YouTube, il te faut le son. Tout ici est monté en neige d’harmonies vocales, comme si Brian Wilson les dirigeait dans le studio, comme si Tonton Leon jouait du piano et que Jimmy Webb conduisant la section de cordes. Tu as là tout le power de l’ultimate. Au dessus, il n’y a plus rien. «What You Were Doing» tombe comme une sentence. Ça sonne comme du Nazz de Twigs, aw quel power, les grattes claironnent comme celles de Big Star au temps d’Ardent et le chant enflamme l’horizon. Dans cette épreuve de force harmonique, c’est un peu comme si tu avais toute la vie devant toi. Ces deux frangins te dévorent le foie - To make you wonder/ What you were doing - C’est littéralement spectaculaire ! Quand arrive «What Happens To A Heart», tu sais qu’ils vont te bouffer tout cru, d’autant que c’est amené au petit chant d’incidence parégorique. Et schlouff, ça monte très vite, ils empruntent le vieux chemin de Damas de la pop parfaite. On a même l’impression qu’ils réinventent la pop, ils s’élèvent comme deux archanges dans les cendres de la cathédrale à coups de now I know what happens to a heart/ When all it ever done is hurt - C’est balayé par des rafales de violons. La prod est terrifique.

             Les guitares de «Ghost Run Free» te scintillent au coin de l’oreille. Ces deux kids réaniment l’éclat de la pop sixties, celle des Hollies et des Searchers, en passant par P.F. Sloan, Arthur Lee et les Beatles. C’est puissant, zébré d’éclairs, affolant de crudité, tu as des petites voix qui éclatent dans le bouquet d’harmonies vocales. Aw c’est bon, laisse tomber, ce sont des dieux. Brouet magique d’éclat septentrional. Avec le morceau titre, ils jouent la carte de la pop orchestrale à fond. C’est une bénédiction pour la cervelle que d’entendre ces deux kids à l’œuvre. Si tu aimes bien qu’on te flatte l’intellect, c’est l’album qu’il te faut. Brian et Michael D’Addario sont les vrais héritiers de Brian Wislon, ils te tortillent encore un «New To Me» qu’il faut bien qualifier de magique. Quel que soit l’endroit, sur cet album, leurs harmonies vocales atteignent au sublime.

    Signé : Cazengler, l’immonde twig

    Lemon Twigs. Everything Harmony. Captured Tracks 2023

    Sarah Gregory : Growing up in public. Shindig! # 138 - April 2023      

     

     

    Wizards & True Stars

    - Le roi Arthur (Part One)

     

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             Il existe plusieurs moyens d’entrer dans le monde magique du roi Arthur. On a même l’embarras du choix. Le moyen le plus radical consiste à écouter les albums de Love, une quinzaine d’albums qui s’étalent sur environ 40 ans, depuis le premier Love LP en 1966 jusqu’à son cassage de pipe en bois à Memphis en 2006 (Il était revenu dans sa ville natale pour monter un projet avec des mecs de Reigning Sound et Jack Yarber). L’autre moyen d’entrer dans ce monde magique est bien sûr la bio de John Einarson, Forever Changes: Arthur Lee And The Book Of Love - The Authorized Biography Of Arthur Lee. Einarson est aussi comme on l’a vu un grand spécialiste de Gene Clark. Un autre moyen tout aussi radical consiste à visionner The Forever Changes Concert, un film tourné à Londres en janvier 2003, un set fabuleux qu’on a pu voir au Trabendo en 2004 avec, en première partie, Sky Saxon et une mouture moderne des Seeds. The Forever Changes Concert est aussi considéré comme son dernier album.

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             Ce qui frappe le plus quand on voit le roi Arthur sur scène, c’est sa prestance. Elle te frappe aussitôt, à l’écran. Au Trabendo on le voyait de profil et le souvenir d’une grande élégance reste précis, comme si ça datait d’hier. On voit parfois de véritables incarnations de l’élégance sur scène, Chuck Berry, Peter Perrett et le roi Arthur en sont les trois plus beaux exemples. Élégance à l’anglaise pour Peter Perrett, pure élégance animale pour Chucky Chuckah et le roi Arthur : la façon de bouger, le port de tête, l’extrême décontraction des membres, tout était incroyablement naturel chez ces mecs-là. Dans le film, le roi Arthur est souvent cadré serré et ça laisse l’impression d’une présence massive, alors qu’en réalité, il est très fin. Et puis, tu as les chansons. Il attaque avec «Alone Again Or», accompagné par les petits mecs de Baby Lemonade, rebaptisés Love + une section de cordes et une section de cuivres. Alors c’est du plein pot, l’Alone et le roi Arthur te bercent dans la douceur d’une brise d’arpèges magiques. Il faut le voir danser avec sa strato blanche. Il gratte ses cordes à  la main, en vrai Memphis cat. Le jeune black blond s’appelle Mike Randle et c’est un virtuose. Le roi Arthur s’est toujours entouré de virtuoses : Jimi Hendrix, Bryan MacLean, Gary Rowles, Jay Donnellan et Johnny Echols. Il déroule les cuts de Forever Changes comme on déroule un tapis rouge. Il chante «Andmoreagain» à la florentine, à la pointe de sa finesse intellectuelle. Il y a du préraphaélite en lui, il est à la fois complexe, baroque, irréel et beau comme un dieu. Il gratte toute sa dentelle de Calais sur sa strato blanche. Mais ça reste excessivement sophistiqué, et en même temps, c’est du typical L.A. sound, «The Daily Planet» sonne comme un mélange naïf de Beatlemania et de psychedelia. Il ne faut jamais perdre de vue que tous ces mecs-là étaient fascinés par les Beatles, Gene Clark et le roi Arthur les premiers. Il est donc logique que le Planet soit un brin beatlemaniaque, mais en même temps impénétrable, comme une femme nue qui se refuserait au mâle entré dans son lit. On voit ensuite «The Red Telephone» plonger dans un lagon d’attente surannée, comme s’il imaginait suivre son cours, au long de méandres harmoniques brusquement interrompus. L’un de ses admirateurs raconte quelque part que le roi Arthur concevait mentalement tous ses arrangements et les chantait à David Angel qui les transcrivait pour les musiciens de l’orchestre. Dans son Red Telephone, le roi Arthur articule de petites abysses symphoniques, il modèle des modules clairvoyants qu’il allège au maximum pour les débarrasser des contraintes morales ou esthétiques. Par contre, «Maybe The People» sonne comme un hit, monté sur une fantastique structure mélodique. Alors pour Mike Randle, c’est du gâtö, il gratte à cœur joie sur sa belle gratte immaculée, il double toute la structure mélodique en solo et crée une sorte d’intemporalité. C’est ce stupéfiant mélange de ferveur mélodique et d’incongruité qui fait la grandeur de cet art. Le roi Arthur rechausse ses dark shades pour attaquer «Live And Let Live» - There’s a bluebird sitting on the branch/ I’m gonna take my pistol - L’Art tire sur les piafs et le jeune black blond joue comme Jay Donnellan, le héros de Four Sail qui reste le plus grand album de Love. Encore une fantastique modernité de ton dans «Bummer In The Summer» gratté aux accords de Gloria et transpercé par un solo country affolant de prévarication. Booo ! Et blast encore avec «You Set The Scene», à coups de same old smile.

             Dans l’interview qu’il donne pour les bonus, le roi Arthur rend hommage à son groupe - They’re so dedicated - Il rappelle que cette musique a déjà 35 ans d’âge. En bon fayot, on s’empresse d’ajouter qu’elle n’a pas pris une seule ride. Et puis on tombe sur des bonus demented : toujours accompagné par les ex-Baby Lemonade, le roi Arthur tape un wild «7 And 7 Is», ça joue à trois grattes, le jeune black blond sur sa demi-caisse blanche, le roi Arthur sur sa strat et Rusty Squeezebox sur une Ricken. Encore plus wild as fuck, voilà «My Little Red Book», on croit rêver, tournez manège, le roi Arthur l’attaque au tambourin, back to the Sunset Strip en 1965 ! Il te fait ensuite trois solos d’harp dans «Signed D.C.», enchaîne avec «Stephanie Knows Who», avec un solo d’acid freak d’early psycehedelia, et boom, «August» tombe du ciel, le pur genius de Four Sail, restitué dans toute son intégralité magique sur scène. Il existe un morceau caché, on tombe dessus par hasard : une version longue de «Singing Cowboy», l’autre monster-hit tiré de Four Sail. Le roi Arthur fait chanter la salle. Coming after you/ Oouuhh Oouuh !

             L’autre moyen d’entrer dans le monde magique du roi Arthur est une petite box jaune qui ne payait pas de mine quand on l’a trouvée, et qui, à l’usage, se révèle déterminante. Une sorte de passage obligé pour les dévots du roi Arthur : Arthur Lee And Love. Coming Through To You - The Live Recordings 1970-2004. Au niveau de l’intensité arthurienne, on ne peut guère espérer mieux.

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             La box ne paye pas de mine, parce qu’elle est petite. Ridiculement petite, pour un personnage de la taille du roi Arthur. William Stout signe le portrait du roi psychédélique qu’on appelait autrefois the hip prince of Sunset Strip. Quatre disks : ‘the 1970s’, ‘the 1990s’, ‘the 2000s’ et ‘A Fan’s View’. On trouve rarement dans le commerce une dynamite d’une telle puissance. On a beau connaître les albums par cœur, toutes des versions live te retournent comme une peau de lapin.

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    Rien qu’avec ‘The 1970s’, t’es gavé comme une oie, mmffff mmfffff, t’en peux plus. C’est l’époque Four Sail, avec quelques cuts tirés de Forever Changes. Frank Fayad, George Suranovich et Gary Rowles accompagnent le roi Arthur. Rowles vient de remplacer Jay Donnellan qu’Arthur a viré après une shoote verbale. Arthur est un roi qui ne supporte pas qu’on lui tienne tête. Et boom, tu tombes très vite sur une version hendrixienne du «Bummer In The Summer» tiré de Forever, Fayad et son bassmatic battent la campagne. Il est encore plus volubile que Noel Redding. Et kaboom, ils enchaînent avec «August», tiré de l’autre meilleur album de Love, Four Sail. Ils font du florentin psychédélique, Gary Rowles te le monte fabuleusement en neige et le roi Arthur se fond dans la magie sonique. Boom-kaboom avec l’énorme cover de «My Little Red Book», il embrasse la niaque de la pop aux nerfs d’acier, please come back, le roi Arthur se fond cette fois dans le génie de Burt, il y ramène toutes la rémona du gaga d’L.A., et ça explose ! Ce n’est pas de la dynamite mais plutôt de la nitro. Ça saute au moindre mouvement. On est complètement dépassé par l’éclat turgescent de cette mélasse mélodico-psychédélique, Fayad et Rowles n’en finissent plus de faire exploser la magie arthurienne, c’est un cas unique au monde. Le roi Arthur te cloue vite fait «Product Of The Times» à la porte de l’église. Puis il tire «Keep On Shining» de Four Sail pour le chanter à la bonne arrache. Il y va au keep on. Tu as beau connaître ce cut par cœur, la version live te subjugue. Le roi Arthur joue sur les deux tableaux : le scorch et le groove psychédélique. On reste dans la magie scintillante de Four Sail avec «Good Times», et puis avec «Stand Out», il revient à sa passion : l’hendrixité des choses. Tu prends la basse de Fayad en pleine gueule et le roi Arthur multiplie les chutes de chant hendrixien. Le disk 1 s’achève avec un «Always See Your Face» saturé de basse et tiré lui aussi de Four Sail. On peut parler de heavyness extraordinaire, de point culminant du rock psychédélique californien. Même encore plus que californien : c’est arthurien.  

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             Le disk 2, ‘the 1990s’, est beaucoup plus calme. Le roi Arthur gratte tout à coups d’acou, souvent seul. On l’entend même siffler comme un beau merle sur «Five String Serenade». Il fait une brillante démonstration de heavy blues avec «Passing By/Hoochie Coochie Man». Puis il revient à Forever avec «Alone Again Or», il en fait une version d’une nudité absolue, presque transparente. Il en rigole, tellement c’est bon. Tu te prélasses dans l’artistry océanique du roi Arthur. On le connaît par cœur, le «Signed D.C.», et pourtant on l’écoute attentivement - Sometimes/ I feel/ So lonely - Puis il passe au fast gaga d’L.A., accompagné par les Cheetahs, avec «A House Is Not A Motel». Ça sent bon le shoot purificateur. Il faut le voir développer sa chique. Version explosive de «Can’t Explain», claquée aux wild accords de clairette. C’est à la fin du disk 2 que les Baby Lemonade font leur première apparition, avec trois cuts : «Signed D.C.», «Orange Skies» et «7 & 7 Is». Big Sound, Mike Randle injecte un power diabolique dans l’«Orange Skies», bienvenue dans l’abîme de la mad psychedelia, c’est gorgé d’arpèges dissonants, l’«Orange Skies» prend feu sous tes yeux globuleux. Encore plus dévastateur : «7 & 7 Is», le roi Arthur se transforme en Attila, il fonce à travers les plaines, il n’a jamais été aussi barbare, aussi ivre de démesure, ça joue à la vitesse maximale, légèrement au-dessus du sol.

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             Ce sont donc les Baby Lemonade de Mike Randle qu’on retrouve sur le disk 3, ‘the 2000s’. Dans son petit texte de présentation, Randle indique qu’il a accompagné le roi Arthur pendant 13 ans, avec un set essentiellement axé sur Forever Changes. En gros, c’est le son qu’on a sur le Forever Changes Concert évoqué plus haut, et c’est explosif. Le roi Arthur rappelle qu’«Alone Again Or» est signé Bryan MacLean, «my original guitah player». Boom ! Power demented ! Écrasant. Version est enregistrée dans un festival au Danemark. Celle de «Live And Let Live» est encore plus wild. Ils tapent ça au pilon des forges, curieux mélange de gros biscotos et d’arpeggios florentins, avec le solo d’acid freakout de Mike Randle. Nouveau blast avec «You Set The Scene». Pop à la Lee, avec un thème mélodique imparable. Randle allume mais le thème persiste et signe. Randle cultive le suspensif - I see your picture/ It’s in the same old frame - À l’écoute de tout ça, on réalise qu’il s’agit d’une pop difficilement accessible pour le public européen. Pourquoi ? Trop L.A., trop Strip, trop urban American. Tout Forever passe à la casserole, «The Red Telephone», «Andmoreagain», «The Daily Planet», c’est une descente aux enfers de Forever. Ce disk 3 s’achève avec le medley «Everybody’s Gonna Die/Instant Karma». Une sorte de groove universaliste.

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             Et voilà le disk 4, ‘A Fan’s View’, sans doute le plus attachant des quatre, car on y entend Bryan MacLean sur les premiers cuts, notamment un «Mr Lee» enregistré au Whisky A Go-Go. Son bordélique, mais son. Ça donne une idée de ce qu’on a pu rater. Il faut les entendre taper «I’ll Get Lucky Some Sweet Day (My Name Is Arthur Lee)» au heavy blues hendrixien. Une autre équipe joue sur «Little Wing». Le guitariste qui fait l’Hendrix s’appelle Berton Averrie. Le roi Arthur y va de bon cœur. Retour des Baby Lemonade sur «The Everlasting First», le cut mythique qu’Arthur enregistra avec son ami Jimi Hendrix. Mike Randle s’en donne à cœur joie. Il est invincible, hendrixien jusqu’au bout des ongles. Puis le roi Arthur déclare : «This is my Five String Serenade». Il la joue pour elle, pour Dianne. Encore une magnifique extension du domaine de la lutte avec «Que Vida», et puis, tant qu’on y est, effarons-nous de la présence harmonique exceptionnelle de «Listen To My Song». On entend à la suite un inédit, «My Anthem». Puis, attention, ça bascule dans le chaos des choses sérieuses avec «Robert Montgomery», tiré de Four Sail, bien fracassé au distro-power par le petit black blond Mike Randle. C’est embarqué en enfer, Randle mêle sa bave de killah kill kill aux descentes de chant du roi Arthur, tu as là l’un des blasts les plus purs de l’histoire du rock, ils atteignent une sorte de sommet, avec le génie d’Arthur Lee mêlé au génie de Mike Randle. Encore de la pop pressée et visitée par la grâce avec «Rainbow In The Storm» et ça se termine avec une version explosive de «Singing Cowboy», c’est d’un maximalisme qui bat tous les records, le roi Arthur te porte ça à bouts de bras, il dispose d’un power sonique effarant, c’est un déluge de son - Check him out, mister Miske Randle, yeah ! - Apocalyptique d’ooouhh oouuhh, et sabré par des cuivres ! Ooouhh oouuhh !

    Signé : Cazengler, Lee de la société

    Arthur Lee And Love. Coming Through To You. Box RockBeat Records 2015

    Arthur Lee And Love. The Forever Changes Concert. DVD 2003

     

     

    Inside the goldmine

    - Varner de la guerre

     

             Varnor était un jour descendu des montagnes. Sans doute élevé par des bêtes, il ne se préoccupait nullement de ce qui nous préoccupe tous, à savoir un minimum de sociabilité. Les notions de civilité et de propreté corporelle lui semblaient totalement étrangères. Il ne comprenait pas qu’on pût le saluer en lui disant bonjour. On le connaissait parce que la municipalité lui avait confié un job de balayeur, alors il balayait les rues du quartier en poussant des grognements. Il offrait le spectacle d’une trogne particulièrement ingrate, son visage était aussi bosselé que celui d’un boxeur amateur et pour couronner le tout, une mauvaise barbe et une sorte d’eczéma lui rongeaient la peau. D’épaisses arcades abritaient un regard clair. Il était bien bâti et semblait de taille à affronter n’importe quel adversaire, même un ours. Il semblait fasciné par les livres. Dès qu’il en voyait un dépasser d’une poubelle, il le ramassait. Avec les années, les gens du quartier s’habituèrent à lui, certains engageaient avec lui des petites conversations, mais il bégayait atrocement. Manifestement, les gens l’effrayaient. On sentait qu’il restait en permanence aux abois, comme une bête sauvage. Et puis, un jour, sans le faire exprès, il bouscula un homme qui sortait du bistrot, au coin de la rue de Vaugirard. L’homme exigea des excuses. Varnor ne comprenait pas. L’homme s’énerva, prenant l’attitude de Varnor pour une bravade et lui donna un coup de poing dans l’épaule. Alors Varnor s’empara du manche de son balai à deux mains et frappa l’homme en plein visage. L’homme s’écroula et Varnor continua de le frapper, jusqu’à ce qu’il eût brisé son manche de balai. Des gens tentèrent de le ramener au calme, il recula de quelques pas, et reprit sa tournée. Le seul problème, c’est que l’homme à terre était connu dans le quartier pour son appartenance au milieu. Deux semaines plus tard, l’homme blessé réapparut dans le quartier accompagné de trois gorilles. Chacun d’eux brandissait une barre à mine. Ils se dirigèrent vers le square où chaque midi Varnor prenait sa pause, assis sur un banc, au milieu des pigeons. Il ne les vit pas arriver, car il examinait l’un de ces livres récupérés dans une poubelle. Les coups se mirent à pleuvoir mécaniquement, comme au temps du supplice de la roue. Varnor s’était écroulé, mais ils frappaient encore. Son visage ressemblait à de la confiture. Ils le laissèrent pour mort. Six mois plus tard, Varnor réapparut dans le quartier pour reprendre son job. Il était défiguré. Les gens accueillirent son retour chaleureusement. Il fut touché par cet accueil. Dans l’atroce mic-mac de son visage mal cicatrisé, sa bouche privée de dents ânonnait un «me-me-me-me-mer-ci» qui vous transperçait le cœur.

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             Pendant que Varnor se faisait démonter la gueule, Varner chantait dans un micro. Contrairement à ce que pourrait laisser supposer son prénom, Don Varner n’est pas un parrain de la mafia, il n’est qu’un de ces obscurs Soul Brothers prodigieusement doués qu’il faut aller arracher aux ténèbres d’un immense underground, celui de la Soul. C’est dans les compiles qu’on coince ce genre de mec, et en l’occurrence, dans l’une des meilleures compiles de Soul qui soit ici-bas, That Driving Beat - A Collection Of Rare Soul Recordings.

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             Don Varner est bien connu des collectionneurs de Northern Soul. Il existe fort heureusement une brave petite compile RPM qui permet aux non fortunés de l’écouter confortablement : Finally Got Over ! Deep Soul From The Classic Era. Sur les 23 cuts compilés, on ne compte pas moins de 10 bombes atomiques, à commencer par «The Sweetest Story», où Don Varner semble bouffer toute la Soul, c’est puissamment orchestré, il chante comme un dieu et nous sort une Soul de génie pur. Plus loin, il attaque «He Kept On Talking» à la façon de Fred Neil, au frileux d’aube de Greenwich Village, et ce démon de Don porte ce hit signé Swamp Dogg jusqu’au paradis de la Soul, c’est d’une sensiblerie explosive, il rentre dans le lard de la pop avec tout le poids du monde, comme au temps de Peter Handke. Il attaque la comp avec «More Power To Ya», du pur jus de raw r’n’b, il chante au meilleur rauque d’Amérique, il est exceptionnel. Et ça continue avec «Handshakin’», c’est un enragé, un prodigieux shaker d’handshakin’, il noie sa Soul dans le Gospel. Ce mec groove la Soul dans le mood, il est l’une des parfaites incarnations du Black Power. Pulsé par un shuffle d’orgue, il rocke «Down In Texas» au baby take me back home. Il chante à la surface d’«I Finally Got Over» avec une puissance paranormale. Son «Power Of Love» est digne des Tempts et il rivalise de raw avec Wilson Pickett dans «You Left The Water Running», Don fait son Dan, il tape dans le dur du Penn. Il a tous les atours d’une superstar. Il tape plus loin dans «Tear Stained Face» au pire beat d’insistance, il le prend de biais pour le rendre plus dansant et ça devient de la Nowhere Soul, c’’est-à-dire une Soul qui n’est ni Southern ni Northern mais une Soul du firmament. Il tape aussi dans le «Meet Me In Church» de Joe Tex, alors inutile d’ajouter que ça monte vite en température ! Il a derrière lui les meilleurs chœurs de Gospel batch et tout le power du Black Power. Avec «Keep On Doing What You’re Doing», il passe au heavy groove de big dude. Don Varner n’entre dans l’arène que pour vaincre, il fait un peu de funk à la Stevie Wonder et c’est balayé par un vent de funk électronique. Il termine avec une fantastique triplette de Belleville : «When It’s Over», «Laying In The Gap» et «You Poured Water On A Drowning Man». C’est Eddie Hinton qui signe «When It’s Over» et Don Varner le prend au tsiwat tsiwat des Flamingos. C’est un mec fiable, il y va si on lui demande d’y aller. Il revient à son cher Gospel avec «Laying In The Gap», c’est son dada, alors il part foutre le feu à l’église en bois, le feu sacré, bien entendu. Puis il claque le dernier cut au heavy beat et on rôtit de bonheur, comme une merguez étendue sur un grill de barboque, Don Varner nous fait le coup du r’n’b qui défonce bien la baraque. Big Don is hot as hell.

             Dans le booklet, David Cole nous rappelle que Don Varner vient de Birmigham, Alabama. Il monte un jour à Chicago et chante dans des tas de clubs, il fréquente Percy Mayfield, et finalement il redescend en Alabama où un mec réussit à le convaincre d’enregistrer un single. Don Varner enregistre «I Finally Got Over», son premier single, chez Rick Hall. Puis il enregistre encore des tas de cuts au Quinvy/Broadway Sound studio, à Sheffield, Alabama. Et qui produit ? Eddie Hinton ! C’est aussi Eddie Hinton qui choisit les cuts pour Don - He was the one that was making all of the choices - Et comme ça ne marche toujours pas, le pauvre Don finit par aller s’installer en Californie. Il va hanter le circuits des clubs pendant des années, puis travailler pendant 18 mois avec Johnny Otis. Mais globalement, Don Varner n’est jamais monté sur le piédestal qui lui revient. 

    Signé : Cazengler, Varner de la gare

    Don Varner. Finally Got Over ! Deep Soul From The Classic Era. RPM Records 2005

     

    *

    Il n’était pas un chanteur de rock, il était le rock‘n’roll !

     

    La formule est belle encore faudrait-il parvenir à définir l’essence du rock ‘n’roll, tant est que les choses aient une essence – les philosophes en discutent – peut-être ne sont-elles que ce qu’elles sont, une fugitive apparence dans le domaine mouvant du possible. Ce qu’elles ont été, selon elles-mêmes, selon l’empreinte qu’elles laissent dans le monde et l’esprit de ceux qui en furent témoins  et de ceux qui en prendront connaissance.

    La destinée de Vince Taylor peut être résumée en deux mots, gloire et déchéance. Les grecs usaient de deux autres vocables, l’acmé et le déclin. Le premier diptyque fleure bon le romantisme, le culte du héros peut dégénérer en une sensiblerie pleurnicharde, pour cette raison Nietzsche proscrivait l’attitude romantique à laquelle il reprochait une approbation implicite de la mort. La formule antique nous confronte à une vision plus pessimiste du destin inhérent à tout être humain. Elle nous oblige aussi à nous interroger sur la notion de grandeur efficiente de toute existence humaine.

    VINCE TAYLOR

    L’ARCHANGE NOIR DU ROCK

    (ROCKABILLY GENERATION / H. S. N° 3 / Mai 2023)

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    Ce numéro fera date pour les fans de Vince Taylor. Mais aussi pour des amateurs de rock curieux qui ont bien entendu parlé de Vince, hélas trop vaguement pour en avoir une idée précise, souvenons-nous que Vince a déserté notre planète, voici plus de trente ans en 1991. Voici quarante-huit pages bourrées de photos légendaires mais aussi de documents plus rares, superbement mis en page par Sergio Kahz, le directeur-fondateur de Rockabilly Generation News, magazine dont KR’TNT ! a chroniqué les vingt-cinq numéros et les deux premiers Hors-séries dédiées à Gene Vincent et à Crazy Cavan parus à ce jour.  

    Le texte en son intégralité est de Jacky Chalard. La vie de Vince est racontée chronologiquement. De petits encadrés apportent quelques renseignements complémentaires nécessaires pour ceux qui n’ont pas connu les années soixante. Jacky Chalard, créateur du label Big Beat, que l’on pourrait définir comme un activiste rock, est des plus autorisés pour évoquer la tumultueuse existence de Vince Taylor, il s’est battu, avec quelques autres, bec et ongles pour le remettre en scène. Cette odyssée cruelle et terrifiante quand on y pense est une des plus belles légendes de l’histoire du rock’n’roll français.

    Vince est né en Angleterre. Son existence ressemble un peu au dieu romain aux deux visages : Janus, c’est aux Etats-Unis où sa famille s’est installée pour fuir une vie miséreuse qu’il aura par l’intermédiaire de la télévision, grâce à Elvis, la révélation du rock’n’roll, comme bien des adolescents de son âge. Mais pour lui ce sera différent. Peut-être même ne s’en aperçoit-il pas et n’en prendra-t-il conscience que quelques années plus tard. On a souvent parlé du magnétisme de Vince Taylor, bien des filles en furent les heureuses bénéficiaires. Singer Elvis n’est pas difficile, mais aspirer d’un seul coup cette grâce magique de l’Hillbilly Cat ne fut donné qu’à Vince, Vince a tout pris à Elvis, non pas son bagage musical issu du blues et du country de l’Amérique profonde et populaire, mais sa manière d’être sur scène, sa gestuelle, sa félinité, il est des savoirs instinctifs qui ne s’apprennent pas, qui ne se transmettent pas, ils se volent. Aucun gendarme ne vous arrêtera, mais c’est comme si vous avez avalé une flamme à l’intérieur de vous. Attention le feu brûle.

    Revenu en Angleterre, Vince décidera de devenir chanteur de rock. Un bon boulot pour un jeune homme désœuvré qui ne sait pas trop quoi faire. Il enregistrera trois disques. Dont Brand New Cadillac, un des plus grands classiques du rock. Est-il trop sûr de lui, un peu fantasque, en tout cas ce qui est sûr qu’il ne se fait pas que des amis avec les pontes du rock, ceux qui signent les contrats, ceux qui planifient (à court terme) les carrières…

    L’Angleterre est trop petite ( ou trop grande) pour Vince, personne ne l’attend aux States, par contre la France est une terre vierge qui ne demande qu’à être ensemencée. Vince frappe à la porte du destin, il ne fait pas parti de Duffy Power And the Bobby Woodman Noise mais il s’embarque avec eux pour Paris. Force-t-on la chance ou se présente-t-elle toute dorée sur un plateau ? Vince se sent-il le dos au mur, a-t-il l’intuition que l’occasion ne se représentera pas de sitôt, se transcende-t-il ?

    En quelques mois Vince conquiert la France. Ses concerts éblouissants et explosifs lui ouvrent toutes les portes. Il n’est pas devenu une vedette, il est La vedette. La coqueluche de la caravelle-set nationale et l’idole des blousons noirs. Barclay lui fait enregistrer à la va-vite quelques classiques du rock, et les distribue sur le marché…

    Vince sera la première victime de son succès. On lui imputera – la presse se déchaîne – le cassage du Palais des Sports ( fin 61 ), a-t-il conscience que le spectacle Twist Appeal ( Avril-juillet 62 ) aux Folies Pigalle le coupe de son public et que son image est discrètement manipulée, qu’il n’est plus tout à fait Vince Taylor, mais le produit Vince Taylor, en juin 63 il ne participera pas à la Fête de la Nation, ce n’est pas lui qui clôturera la soirée mais Johnny Hallyday.

    Une fêlure qui ne cessera de s’agrandir. Pourquoi ? Une raison simple : Vince Taylor est un phénomène, ses concerts sont magnifiques, oui mais Vince ne vend pas de disques. Barclay a beaucoup investi, en pure perte, il pensait avoir déniché le rival qui supplanterait Johnny, mais rien ne s’est réalisé comme il l’espérait. Le jeune coq agressif ne s’est pas métamorphosé en poule aux œufs d’or.

    Il ne suffit pas d’un million de manifestants pour faire tomber un gouvernement. Reste encore des millions et des millions de gens qui restent insensibles à l’esprit de révolte. En 1960, la jeunesse française a changé la donne mais les vieux étaient beaucoup plus nombreux que cette énorme bande d’allumés. Peu à peu les choses se sont calmées… Autre constatation, la France n’est pas un pays rock, certes il existe une minorité qui a su accueillir nombre de groupes ou de chanteurs que les States et les Anglais avaient rejetés ( Vince Taylor en est le parfait exemple ), mais depuis les années 80 la plus large fraction du public s’est entichée d’autres genres. Ce qui n’est peut-être pas une mauvaise chose. Une certaine clandestinité affûte les passions et pousse à la création.

    La carrière de Vince se poursuivra cahin-caha encore durant deux ans. C’est en 1965 que la catastrophe survient. Dans une soirée en Angleterre Vince avale en grande quantité, sans savoir ce que c’est, des pilules qui se révèleront être du LSD, son esprit ne redescendra jamais tout à fait… Crise de mysticisme, internement psychiatrique, errances diverses. Vince Taylor n’est plus qu’un has-been.

    Pas tout à fait. L’aura de Vince ne s’efface pas. Son magnétisme agit toujours. L’éblouissance de ses premiers concerts en France n’est pas oubliée. C’est peut-être la plus belle partie du roman de son existence. Vince n’a qu’un seul ennemi, lui-même. Des amis veillent, se regroupent, tentent de relancer sa carrière. Quelques rares instants de lucidité, des concerts magnifiques et d’autres pathétiques, il faut lire ces pages, Jacky Chalard ne cache rien, étrangement Vince en sort grandi. Un fou, un schizophrène, un maboul, tout ce que vous voulez mais qui détient une espèce de sagesse, l’est un chat qui retombe toujours sur ses pattes, un funambule qui trébuche sur le fil de la réalité, un équilibriste entre deux univers, le sien et le nôtre. 

    Jusqu’au jour où il déclarera qu’il n’a plus envie d’être Vince Taylor.

    Depuis ce jour nous sommes orphelins.

    Damie Chad.

    Attention, ce numéro tiré à 200 exemplaires est destiné à devenir très vite un collector recherché. Magazine 12 € + 4 € (poste) / Chèque à l’ordre de Rockabilly Generation News à l’adresse : Rockabilly Generation News / 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois.

     

    *

    Depuis le Hound Dog d’Elvis Presley jusques au Black Dog de Led Zeppelin en passant par le I wanna be your dog des Stooges, j’en passe et des meilleurs, le chien a toujours été le meilleur ami du rock’n’roll. Voici qu’il nous en arrive toute une meute, des cerbères à trois têtes, ce qui ne gâte rien.

    The Evil’s Dogs a déjà donné plusieurs concerts, leur logo nous permet de pronostiquer quelques aboiements féroces et enragés et nous avertissent qu’ils ne sont pas des adeptes de la musique relaxante. Mettent les choses au point sur leur FB en se définissant comme ‘’ un groupe inspiré par la mythologie nordique et la rock music’’. Leur futur premier EP ne s’intitule-t-il d’ailleurs pas Tales Of The Ragnarok ! Ne nous promettent pas un chien de leur chienne, ils nous offrent en avant-première le premier chiot de leur première portée. Nous en sommes ravis. Pardon havis !

    HAVI

    THE EVIL’S DOGS

    ( Vidéo You Tube / Mai 2023 )

    Alex Lordwood : chant / Nico Petit : guitare / Agathe Bonford : basse / Michel Dutot : drums. Izo Diop : guest guitar ( From Trust ).

    Havi est un autre nom d’Odin que l’on pourrait traduire par le Sage ou l’Initié, nous le connaissons mieux sous le nom de Wotan sous lequel il apparaît dans le cycle de L’Anneau des Nibelungen, la tétralogie de Wagner dont le quatrième volet : Le Crépuscule Des Dieux correspond à La Mort des Dieux que conte le Ragnarök de la mythologie nordique. Le Seigneur des Anneaux de Tolkien est fortement inspiré des vieilles Eddas islandaises. Mais contrairement aux récits en vieux norrois les forces du mal de Sauron perdent la bataille finale, alors que dans le Ragnarok les chiens du mal détruisent le monde des Dieux dont Odin est le chef. 

    Les lyrics d’Havi sont d’une rare densité si on les compare à de nombreuses autres évocations du Ragnarok par divers groupes de metal. En huit strophes ils nous plongent au cœur de la légende, ils commencent par évoquer l’initiation d’Odin qui à la fontaine de Mymir sacrifie son œil pour acquérir le grand savoir dont les deux corbeaux qu’ils portent sur ses épaules sont les symboles actifs, pouvant voyager l’un dans le passé du monde, l’autre dans son avenir. Odin détient le terrible secret, les dieux immortels sont mortels, ils ne sont immortels que dans le temps de leur monde, quand celui-ci périt eux-aussi périssent. ‘’On peut mourir d’être immortel’’ a écrit Nietzsche. La fin du morceau se termine sur le rassemblement des forces qui vont opposer les troupes d’Odin aux chiens du mal. Evil’s Dogs en bon anglais.

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             Je ne sais qui a eu l’idée géniale de la vidéo. A priori d’une pauvreté affligeante, le logo du groupe sur un fond noir durant les quatre minutes du morceau, oui mais il y a ces nuages de fumée que le vent apporte et emporte, l’idée non pas de la fuite du temps mais de la fin des temps odiniques. Le tout est en totale osmose et signifiance avec la vélocité du morceau. Splendeur des guitares, une course sleipnirienne échevelée au bout du monde dont la batterie de Michel Dutot reproduit l’infatigable galopade. Sur ce nappé fugitif, Alex Lordwood ne dépose pas sa voix, l’a cette intuition de faire en sorte qu’elle prenne la place des images d’un film reléguant ainsi le background musical de ses camarades à l’indispensable bande-son sans laquelle elles perdraient leur intensité. Admirable procédé alchimique de fusion non pas des contraires mais de la multiplicité des mots en l’unité organique musicale. Le groupe échappe ainsi à une grandiloquence par trop naïvement tapageuse, le plus grave des dangers dont sont atteintes trop de production metallifères. J’ai dû écouter le morceau plus de soixante fois tant il est insaisissablement magique. Tout au fond le sombre pouvoir de la basse d’Agathe Bonford, aussi profonde que l’occulte puissance de Mymir la source primordiale, Michel Dutot totalement fondu dans le chant des guitares, vous initie de rapides décélérations qui permettent la respiration architecturale du morceau, Nico Petit et Izo Diop sont à la fête, mènent le bal des ardences définitives et des brillances absolues du rock’n’roll. Enfin boule de foudre sur l’incendie le dernier tiers du morceau, Alex Lordwood dont le silence atteint à une scaldique dimension, et la course folle des guitares parfaitement maîtrisées. 

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    Merveilleusement mis en place. Un chef-d’œuvre.

    Vivement l’EP !

    Damie Chad.

     

    *

    Tenons nos promesses dans notre livraison 601 nous présentions Seasons paru en décembre 2022, or en ce mois de mai 2023 Moonstone sort un nouvel opus de six titres dont nous annoncions que nous le chroniquerions dès sa sortie. Le groupe a déjà donné aux mois de mars et d’avril en avant-première deux des titres de cet album chaque fois agrémentés d’une couverture.

    Nul besoin d’être muni d’un diplôme es études picturales pour décréter que ces deux images et la troisième qui agrémente Growth sont issues de la même main. Nous les analyserons tour à tour en le moment de leurs présentations. Invitons toutefois le lecteur à se rendre sur le FB ou sur l’Instagram de Lizard Matilda. Artiste et tatoueuse. A visionner ses réalisations vous comprendrez pourquoi elle est demandée dans les plus grandes villes de Pologne mais aussi d’Allemagne, du Pays-bas, de Norvège… Des traits d’une grande finesse, des entrelacs d’une merveilleuse sveltesse, les courbes harmonieuses dont elle orne les flancs des jeunes filles rehaussent leur native beauté. Ce n’est pas la nature qui imite l’art, selon Baudelaire, mais le serpent où les fleurs qui s’incarnent dans le corps humain, qui se transmuent en chair tentante…

    GROWTH

    MOONSTONE

    (CD – Bandcamp / Mai 2023)

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    De la faucille de la lune perle une larme de sang, lymphe astrale qui nourrit l’arbre du monde. Une image d’équinoxe sur la roue du monde, instant d’équilibre durant lequel, l’hémisphère sombre et l’hémisphère clair se rencontrent sur les limites de la terre, le ciel est noir et les profondeurs de la terre blanches. L’Yggdrasil étale aussi bien ses racines célestes vers le ciel que ses branches vers les profondeurs terrestre. Il n’est qu’un symbole, celui de l’Homme, étendant en vain ses bras impuissants dans toutes les directions, et dont la nuit de l’âme sera, pour citer les derniers mots de Gérard de Nerval, ‘’ blanche et noire’’.

    Jan Maniewski : guitar, vocal / Volodymyr Lyashenko : guitar / Viktor Kozak : basse, vocal / Kacper Kubieri : drums.

    Harvest : une guitare, une voix, un accompagnement de batterie, une ballade qui s’éternise, qui monte une route en lacets, pas trop haut car si l’on croit que l’orchestration finira par devenir dominante c’est une erreur, le morceau n’atteint pas les trois minutes, la voix reste égale, les lyrics jurent avec le titre, la récolte n’est pas opulente, elle ne correspond pas à ce que le mot promet, un arbre, une lune de sang, le sentiment d’une infinie solitude… une invitation peu enthousiasmante.

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    Bloom : Très belle illustration, l’arbre enfermé dans la prison lunaire, mais aussi dans son propre cercle, de la houppe de ses racines et celle de sa frondaison, l’arbre est coupé en deux dans l’entaille du tronc scintille une boule de lumière :  quelques notes égrenées, des gouttes de basse plombées, une batterie qui poursuit son chemin, lourde mais lente, ce qui n’ empêche pas ses roulements de prendre toute la place, bientôt relayée par un chant à plusieurs, la floraison n’a pas été plus joyeuse que la récolte, les guitares effectuent une montée en impuissance, jusqu’à l’arrêt, l’on repart plus vite, la batterie mène le train, il s’est perdu mais il a retrouvé son chemin de solitude, le chant comme un tampon d’ouate sur la plaie de l’âme, des étincelles de guitare nous avertissent qu’il ne changera pas de route, qu’il ira jusqu’au bout, une amplitude triomphale qui s’achève en grincements… Sun : encore une fois le début du morceau n’est pas en accord avec l’éclat du titre, ou alors il s’agit d’un soleil noir, un astre de peine, vocal en prière de pèlerin, la batterie semble arracher les rochers du chemin pour dégager l’avancée, règne tout de même un sentiment de sérénité angoissée, l’on ne presse pas le pas, faut prendre le temps d’écouter ce morceau plusieurs fois, pour le jeu d’attouchements de la  batterie, une fois pour la noirceur submergeante de la basse, quelques notes claires signe de sortie du marasme, dégagement ensoleillé. Night : lourdeur rythmique de la batterie, passons-nous du côté de l’hémisphère sombre, le titre nous incite à l’affirmer, et pourtant des résonnances cordiques nous apportent un démenti et même lorsque la basse s’en mêle, il n’en est rien, les lyrics proférés avec emphase nous invitent à croire que tout n’est pas noir dans l’Homme, son esprit crée ce qu’il désire, une lente cavalcade instrumentale nous force à sourire. Lust : Déploiement d’une note sombre, il ne faut jamais perdre l’espoir du désespoir, tout change si vite, la musique s’appesantit et bourdonne comme un bourdon de mort, le chœur des pèlerins qui se sont fourvoyés nous avertit que tout est perdu, la basse prépondérante ne nous laisse aucune chance, un drame se joue à l’intérieur et à l’extérieur de soi, la solitude est mauvaise conseillère, pour moi, comme pour toi. Toute luxure est une blessure.

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    Emerald : intro acoustique, notes pleines et larges, d’autres plus claires et tranchante, un chant doux se greffe sur cet accompagnement, Moonstone déploie toute son instrumentation, le chant s’intensifie, arrivent des notes lourdes de plénitude et le morceau s’embraye tout seul, le monde peut paraître froid mais la vie palpite sous cette glace apparente, une guitare chante le bonheur de reprendre et de continuer le chemin. Verdure émeraude des arbres, l’arbre s’est fait forêt, le chemin n’est pas terminé, il ne s’arrêtera jamais. Sur l’image l’arbre solitaire est le cœur d’un soleil épanoui.

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             Avec GrowthMoonstone a franchi un cap, il  atteint sa maturité, tout est merveilleusement équilibré dans cet opus, faut écouter les interventions de chaque instrument, faut même les guetter car ils donnent l’impression d’arriver juste au moment où leur intervention est nécessaire, un peu comme si le groupe avait enlevé tout ce qui aurait été de trop et ajouté ce qui aurait manqué, le disque est clos sur lui-même comme un œuf, un peu comme s’ils avaient éliminé le hasard. Prodigieux.

    Damie Chad.

     

    *

    J’aime les choses étranges, surtout celles que je ne comprends pas, du moins porteuses d’une certaine opacité, avec Xatur je suis comblé, viennent de Medellin, en Colombie. Ne nous attardons pas sur la sinistre réputation de la ville. Rien que le nom du groupe permet de gamberger, vient-il du latin, il signifierait alors, ce qui est donné, ne pensez pas au prochain cadeau que vous allez recevoir, mais à ce qui va vous tomber sur la tête, au sort funeste qui vous attend, cette étymologie hypothétique a le mérite d’être en parfaite communion avec le titre de leur premier opus.

    Grande première sur Kr’tnt !, c’est la première fois que nous présentons un groupe revendiquant son appartenance au Dungeon Synth, un sous-courant du Black Metal, né au début des années 90 en Norvège. Synth pour électronique, donjon pour les univers cruels ou merveilleux que ce mot moyenâgeux peut évoquer dans les imaginations qui aiment à s’évader dans d’autres mondes aussi cruels ou merveilleux que le nôtre…

    SICKNESS, WAR, HUNGER AND DEATH

    XATUR

    ( Album numérique sur Bandcamp / Mars 2023 )

    Maladie, guerre, famine et mort, le lecteur qui va à la messe tous les dimanches matin aura sans peine reconnu les quatre cavaliers de l’Apocalypse dont en chaire les prêtres annoncent la venue imminente depuis deux mille ans… Certains affirmeront qu’ils viennent si souvent faire un petit tour parmi nous qu’ils ne sont peut-être que des émanations métaphoriques du côté obscur de la nature humaine…

    Une belle couve, noire et rouge, à l’arrière-plan une espèce de damier de ce qui pourrait être des loges d’opéra ou d’amphithéâtre romain, avec à l’avant-plan un somptueux heaume de chevalier, digne d’un prince, ne porte-t-il pas d’ailleurs une couronne royale.

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    Wherewolf : musique hiératique, fréquences sombres, bourdonnantes, grognements de loups-garous alternés par des chœurs de moines, essaient-ils de prendre l’ascendance les uns sur les autres, s’adressent-ils un défi avant de se s’entretuer, s’élèvent les harmoniques d’un plain-chant sinistre et envoûtant, surgissent au bout d’un long moment des roulades répétées de tambours tandis que plane comme l’ombre de l’aigle de la mort sur un champ de bataille, les tambourinades se succèdent à cadences répétées.  Déboule sans préavis l’obscure splendeur de Sol negro : du soleil noir, dont la brillance obscurcit le monde, une note cristalline répétée et bientôt tournoyante, ô combien inquiétante, quelque chose d’inéluctable, une flèche qui se plante dans votre chair, arrêt brutal, en éclair nous traverse l’idée que le premier morceau décrivait l’avancée pestilentielle de la maladie à pas feutrés et celui-ci l’inéluctable stridence conquérante de la guerre.  Force with fire : lenteur mélodramatique sonore, l’on entend comme des chuchotements ou un ramassis de voix indistinctes, silence interrompu par des éclats battériaux, clignotements de notes translucides qui n’empêchent guère le doux martellement des baguettes de continuer, picotement de grêle, des voix incompréhensibles se font entendre, bruit de perceuses, ronronnements d’un bruit doux, la brosse que vous passez sur votre ventre pour apaiser les élancements de votre faim. Relato : sonorités lugubres, bruits de voix comme provenant d’une radio dont le curseur ne serait pas fixé au bon endroit de la station que l’on voudrait saisir, draperies funèbres tombent du plafond, l’angoisse vous saisit, le speaker se fait entendre il est encore difficile de le comprendre, tout à la fin l’on discerne le terme d’achèvement… serait-ce la mort ? Kansaru- ( Bajo lo occulto ) : guitare acoustique, chant à voix basse qui contraste avec le rythme enlevé, elle nous parle de la difficulté de vivre et de demeurer sur cette planète, la conscience des gens obscurcie par la peur, la souffrance, la misère et l’ignorance…Kansaru est un terme hindou qui désigne le forgeron. L’on sait comment cette antique profession, qui maniait le fer et le feu, de par sa connaissance expérimentale des éléments   primordiaux, fut à l’origine de la réflexion ésotérique, mais en-deçà de cet aspect, mieux vaudrait retenir l’idée du martelage incessant par lequel le fer soumis à rude épreuve devient objet, un peu comme l’être humain assailli par d’imparables fléaux parvient à progresser.

             Cet EP dépasse pas à peine le quart d’heure, malgré cette brièveté il s’impose comme un objet musical, un peu à part, propice à de nombreuses méditations. Nous a donné envie de visiter leur première démo.

    STAR CHAOS

    ( Bandcamp / Janvier 2023)

    Couve en noir et blanc pas très visible, qu’est-ce que cette figure qui occupe la place centrale du tableau, une tête ? de chien ? de mort ? Une boiserie atour du trône d’un roi ? Il semble avoir été un peu conçu selon un procédé anamorphosique, retenons toutefois les deux personnages à la faux qui se font face, ne les regardez pas trop longuement car le dessin se diluera en plusieurs autres formes, sur le couronnement du cadre mirez les deux gueules pirhaniques. peu avenantes qui s’affrontent

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    Intro : ( Portal of Creation ) : ne se mouchent pas avec la manche pour qualifier leur intro de portail de la création ! Remarquons que cette intro dure plus de trois minutes, considérons-là autrement qu’un simple hors-d’œuvre musical. Comment nommer cela ? Un bruissement amplifié, une douceur épanouie, un déroulement d’étoffe ou mieux : d’un tapis ordalique, une invitation à suivre ce sentier sur lequel vos pas, pas plus que votre âme, ne laissent de trace. La formule ‘’un arrêt brutal’’ messied à sa description, disons que ça s’arrête parce que l’on est arrivé au bout du bout. Open wings of Dragon : cri, la musique afflue comme le sang s’écoule d’un cou tranché, harcèlements de cymbales, serait-ce Siegfried qui forgerait son épée, de grandes orgues laissent échapper des flots de morgue, le son augmente, une écaille du monstre luit au soleil à moins que ce ne soit l’éclat d’une arme blanche brandie avec joie. Lord of the all Times : orgue en accordéon mortuaire, batterie et cymbales dissociées, une trompe entonne un refrain qu’elle se hâtera de répéter, est-ce l’annonce victorieuse d’un désastre, celui de quelque chose qui serait prête à s’effondrer, pour nous dire que la voûte du ciel étoilée n’est pas éternelle malgré les apparences, que le Dieu du temps mourra à la fin des temps. Otro (Elemental ritual of death) : sifflement sériel, une plainte violonique s’installe et grandit par-dessous le glissement infini de l’orgue, tous deux concomitants comme la mort qui accompagne toujours la vie et chemine à son côté, inflexion musicale, une plongée vers la terre, il est un autre dieu que celui qui détient les clefs du temps, celui qui ouvre les portes de la mort. Sans doute ont-elles été ouvertes car l’on n’entend plus rien.

             Belle zique, mais ces démos semblent plus disparates que le deuxième opus. Xatur ne recherche ni les effets ni la performance. Il dépose sa musique comme un papillon noir se pose sur une rose. Ce qui la rend encore plus exquise.

    Damie Chad.

     

    *

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 26 ( Additif  ) :

    148

    Dans mon rétro je vois le Chef tout chétif dans son vaste imperméable, l’a l’air d’un petit retraité qui lors de la promenade du chien profite de l’aubaine d’un banc public pour reprendre souffle, assis sur ses genoux Molossito a tout du vieux chien souffreteux, de temps en temps il se soulève pour frotter de sa tête la barbiche blanche du maître qui le caresse, une scène attendrissante qui emmène une larme émue à l’œil des rares ménagères de plus de cinquante ans qui empruntent cette rue huppée, elles leur adressent un sourire affectueux en passant près de leur couple  pitoyable. De temps en temps le maître toussote et son chien lève sur lui un regard inquiet. Le Chef n’allume pas de Coronado.

    Je me rengonce dans mon siège, Molossa invisible aux yeux des passants les plus curieux, couchée sur la moquette noire de la voiture de luxe que je viens de voler, est tout ouïe, elle analyse le moindre bruit, je peux lui faire confiance, elle me préviendra à la moindre alerte, selon nos calculs minutieux nous en avons pour deux longues heures d’attente.

    Je cherche dans la poche intérieure de mon Perfecto, l’exemplaire personnel de l’étrange grimoire parcheminé que la Mort nous a glissé à chacun, nous donnant vingt-quatre heures pour y apposer notre paraphe. Je le connais par cœur mais je ne peux m’empêcher de le relire, je plisse les yeux car l’encre grise – de la cendre des morts qu’elle a tirée d’une urne toute fraîche, comprenez encore chaude, n’est pas facile à déchiffrer. Elle nous a prévenus, l’écriture anguleuse, gothique pour employer son propre terme, elle s’est excusée de la maladresse de doigts squelettiques engourdis par les rhumatismes est difficilement déchiffrable, je me hâte de vous en livrer le contenu.

    149

    Accordance entre Moi, Madame la Mort, souveraine du Royaume des Non-Vivants et :

    Monsieur Lechef, communément surnommé Chef, responsable du Service Secret du Rock’n’roll, et son subalterne Damie Chad subalternement appelé Agent Chad, qui se prend, on ne sait pas pourquoi, pour un Génie Supérieur de l’Humanité,

    Accordance : selon laquelle je m’engage à oublier de les appeler et de les laisser vivre indéfiniment selon leurs désirs.

    Accordance : selon laquelle ces deux accordants susnommés mettront à partir du moment de leur signature interruption à leurs pérégrinations dans tous les cimetières de France, et porteront du même coup arrêt immédiat à l’enquête qu’ils poursuivent sans trop savoir où ils vont et de quoi ils se mêlent.

    Accordance : qu’en cas de refus de signature je m’engage le délai de vingt-quatre heures dépassé de les faire passer de la vie à trépas sans plus de cérémonie.

    Nos trois signatures au bas de ce parchemin faisant foi de nos engagements et de notre acceptance.

    Madame La Mort                           L. Lechef                          Agent Chad

     

    P.Scriptum : ces accodances couvent aussi la survie  indéfinie ou la mort immédiate des deux corniauds  répondants aux noms de Molossa et Molossito.

    150

    De retour au bureau le Chef avait allumé un Coronado :

    • Agent Chad, je sens le coup fourré !
    • Moi itou Chef, j’ai même l’impression à lire cette proposition comminatoire, que l’on se moque non pas de nous, mais du rock’n’roll.
    • Agent Chad je partage votre avis. Toutefois, dans votre phrase il est un mot passe-partout qui attire mon attention !
    • Chef le mot rock’n’roll ne saurait être un vocable passe-partout, c’est un mot sacré, c’est…
    • Pas d’exaltation Agent Chad, nous n’avons qu’un seul jour pour dénouer cette affaire. J’espère que vous me ferez la grâce de ne pas faire allusion à la vieille querelle des grammairiens qui débattent depuis des siècles si l’on peut classer le pronom impersonnel ‘’ on’’ parmi la liste des pronoms personnels, un sujet passionnant certes, mais se lancer dans une telle querelle ne nous ferait en rien avancer dans nos déductions.
    • Si je comprends bien Chef, vous aimeriez savoir qui ou quel ensemble de personnes je désigne lorsque j’emploie ce pronom ‘’on’’.
    • Exactement Agent Chad j’attends votre proposition.
    • A vrai dire Chef, je l’ignore !
    • Agent Chad, à franchement parler je n’en sais pas plus que vous !

    Il y eut un long silence qui me parut interminable.

    160

    Le Chef allumait un cinquième Coronado lorsqu’il rompit le silence :

    • Agent Chad, avez-vous remarqué que dans son papyrus notre vieille copine la Mort n’emploie pas une seule fois le mot rock’n’roll !
    • Oui Chef, en plus lors de notre discussion elle nous a bien fait remarquer qu’elle n’éprouvait aucune animosité particulière contre cette musique qui lui était indifférente.
    • Suivez-moi bien Agent Chad, dans cette affaire une seule solution s’impose, La Mort n’a rien de spécial contre nous, bref nous ne l’intéressons aucunement.
    • Chef, si l’univers était une partie de billard, j’interpréterais votre dernière assertion ainsi : notre amie est la boule qui sert à on ne sait qui pour nous pousser, nous pauvre petite boule du rock’n’roll innocente hors du tapis et nous faire disparaître dans le trou.
    • Agent Chad, vous devriez abandonner l’écriture de vos mémoires et vous lancer dans la poésie, votre métaphore est d’une clairvoyance sans égale, je sais maintenant où nous devons frapper, quelques coups de téléphone bien placés et nous serons fin prêts. Je m’en occupe, pendant ce temps allez voler une voiture, nous en aurons besoin.

    161

    Le museau de Molossa se presse contre mon mollet ( le droit ). Devant moi la rue est déserte, je caresse la crosse de mon Rafalos dans ma poche et appuie le bouton qui débloque l’ouverture du coffre arrière. Un coup d’œil dans le rétro sur le Chef me rassure d’une main il caresse la tête de Molossito_ le chiot fait des progrès il a lui aussi senti l’imminence du danger, peut-être Molossa lui a-t-elle envoyé un message télépathique, toujours est-il que la seconde main du Chef farfouille dans la poche de son imperméable comme s’il cherchait un susucre pour son toutou adoré.

    Je les vois, ils sont trois, deux baraqués qui en encadrent un beaucoup plus chétif en costume cravate. Ils ne jettent même pas un coup d’œil sur ma voiture, il est vrai que les vitres teintées, même celle du parebrise, me rendent invisible. Je compte doucement : un…deux…trois…quatre…cinq ! sans bruit je pousse la portière, celui de gauche, une balle de mon Rafalos lui rentre dans l’occiput, au même moment le Chef a envoyé une bastos dans le front du second garde-du corps, j’ouvre le coffre et enfourne le premier cadavre dans la malle, son rafalos collé sur la tempe du survivant le Chef l’invite cérémonieusement à prendre place à ses côtés, le gars s’exécute sans moufter, le deuxième cadavre a rejoint son collègue, peut-être devrais-je dire son ex-collègue, je m’installe au volant et démarre sur les chapeaux de roue. A mes côtés sur le siège avant Molossito remue la queue de contentement, pour la première fois il a accompli sa mission sans faillir.

    Sur le siège arrière notre otage n’a pas l’air d’aimer les chiens.

    • Ces sales clebs ont donné l’alerte, siffle-t-il entre ses dents, j’en suis sûr!

    Attention ce zigue pâteux n’est pas idiot, même dans les pires situations il ne perd pas ses facultés de raisonnement.

    Moi par contre je n’aime pas que l’on traite mes chiens de sales clebs, le suis certain que cet écart de langage lui portera malheur.

    A suivre