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  • CHRONIQUES DE POURPRE 666 : KR'TNT ! 666 : FOUR TOPS / TELESCOPES / MERCURY REV / A PLACE TO BURY STRANGERS / CREEPY JOHN THOMAS / CAGED WOLWES / CAIXÄO / BILL CRANE / SCARECROW

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 666

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    21 / 11 / 2024 

      

    FOUR TOPS / TELESCOPES

      MERCURY REV / A PLACE TO BURY STRANGERS

    CREEPY JOHN THOMAS / CAGED WOLWES

     CAIXÄO / BILL CRANE / SCARECROW

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 666

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    Wizards & True Stars

    - Top of the Tops

    (Part Two)

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             Quand en juillet dernier, Duke Fakir a cassé sa pipe en bois, nous avons profité des Estivaleries pour saluer sa mémoire et bricoler un simili Part One. Il est grand temps maintenant de célébrer son autobio parue en 2022 : I’ll Be There: My Life With The Four Tops. Curieusement, le book fut éreinté par un ou deux journalistes anglais. Le pauvre Duke Fakir n’a pas bénéficié des acclamations journalistiques dont avaient bénéficié par exemple Brian et Eddie Holland avec Come And Get These Memories: The Genius Of Holland-Dozier-Holland, Motown’s Incomparable Songwriters. Cet éreintement fut choquant. Voyons pourquoi.

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             Il apparaît très vite que Duke Fakir n’est pas l’écrivain que l’on croit. Mais fuck it, c’est un Topper ! Et ça lui donne tous les droits, surtout celui d’écrire ses mémoires. Le gros défaut des journalistes est qu’ils ne sont que des journalistes. Ni artistes, ni musiciens, ni légendes comme le fut par exemple Duke Fakir. Alors, les journalistes critiquent et du haut de leur non-existence, ils tuent des books dans l’œuf. De quel droit ? I’ll Be There: My Life With The Four Tops n’est évidemment pas un chef-d’œuvre littéraire, mais Duke a vécu l’aventure de l’intérieur et il se contente de raconter ses souvenirs, en toute humilité. Sa simplicité de ton le rend même émouvant, et crée une sorte de proximité. En étant son lecteur, tu deviens un peu son copain. La meilleure preuve de son humilité est cet extrait tiré du foreword, c’est-à-dire de l’avant-propos : «De mon point de vue, nous n’avons jamais rien contrôlé. Quelque chose de beaucoup plus important veillait sur nous. Au milieu du XXe siècle, les mondes s’entrechoquaient, les temps changeaient et les gens se montraient prêts pour un monde d’amour et de solidarité. C’est ce que la musique offrait. Les Four Tops firent partie de tout ça, et parce que nous étions ce que nous étions, quatre frères unis et connus pour nos harmonies vocales, nous étions ceux qui pouvaient chanter ce changement. Ma voix n’était pas celle qui était mise en avant, mais aucun d’entre-nous ne voulait toute la gloire. Nous n’étions pas le groupe le plus célèbre du monde, mais notre célébrité nous suffisait.» Voilà, c’est le ton du book : immensément humble.

             Et Duke ajoute sur la page d’en face : «On était quatre mecs très différents les uns des autres, mais on aimait tous la même chose, et c’est en quelque sorte toute l’histoire des Four Tops. Quatre mecs de Detroit qui avaient en commun une passion pour la musique et qui s’aimaient, et nous sommes restés ensemble beaucoup plus longtemps que n’importe quel autre groupe de cette période.» Puis il rappelle que d’une certaine façon, ils illustraient les quatre coins de monde : «Mon nom est Abdul Fakir, which is Muslim, Obie’s name is Renaldo Benson from the Spanish world, Levi Stubbs name is from the Jewish world, and Lawrence Payton is as English as you can get.»

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             Grâce à Duke, on comprend à quel point les groupes de blackos en bavaient pour arriver à percer. En amont des Four Tops, il y a dix bonnes années de galères. Duke a 13 ans quand il rencontre Levi Stubbs pour la première fois dans un club de Detroit, le Paradise. Il voit Levi monter sur scène. Levi n’a que 11 ans - Levi Stubbs who was definitely going to be a star - Levi est aussi le cousin de Jackie Wilson. Levi est baryton et Duke est ténor. Ils décident de monter un groupe ensemble, et un soir de fête, at a local graduation party, ils rencontrent Obie Benson et Lawrence Payton. Ils forment un quatuor qui s’appelle The Four Aims. Ils se spécialisent dans ce qu’on appelle the four-part harmonies. La bête du groupe, c’est Lawrence Payton, qui est fortement influencé par The Four Freshmen - the best at four-part harmonies back then - Il faut se souvenir que Brian Wilson idolâtrait lui aussi les Four Freshmen. Duke : «C’est la quatrième note qui fait la four-part harmony. Vous pouvez monter et descendre dans la mélodie and make four parts. Lawrence got that feeling from listening to string sessions, and he fashioned our voices after that.» Duke donne ici un éclairage considérable. Il ajoute : «Lawrence pouvait écouter un big band arrangement, peut-être six instruments, et après une seule écoute, il pouvait chanter ce que faisait chaque instrument. It was incredible. Il savait lire et écrire la musique, mais il nous chantait nos parties. Il chantait la mienne comme a trumpet part. Puis il chantait the second part qui était la sienne, puis the third part qui était celle de Levi. Au début, il n’y avait pas de lead sur les chansons. On chantait du four-part harmony straight through, similar to The Four Freshmen. Lawrence was a real genius, and we were gifted with an all-star team.»  

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             Les Four Aims zonent dans les clubs, et un soir, ils tombent sur un black qu’ils ne connaissaient pas : James Brown ! - Alors on est allés voir de plus près what this James Brown was all about - Duke et ses trois amis sont sciés - We were amazed. He was tearing up the house. Shit! It was phenomemal - C’est là qu’ils comprennent qu’ils doivent danser sur scène. Levi est le premier à réagir : «We can’t out funk him, we can’t out dance him, we can’t out roller him, but we can sing out this motherfucker. Alors on va juste se lever et chanter. C’est notre seule chance. On peut rajouter un peu de funk, mais on va aller sur scène, avec des airs débonnaires et chanter pour les ladies. C’est tout ce qu’on peut faire. That’s us». Eh oui, les Four Aims ont très bien compris que personne ne peut rivaliser avec ce démon de James Brown, surtout dans les early sixties. Levi Stubbs a compris que le seul moyen de réussir est d’être soi-même. «So we gonna go up there and sing.» Ces pages sont fantastiques car elles nous montrent l’état d’esprit des quatre petits blacks confronté à la réalité. Même quand tu chantes bien, ça ne suffit pas.

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             Eh oui, il faut des compos. Eh oui, il faut un management. Toujours la même histoire. Et puis, il faut un nom. Les voilà chez Chess pour enregistrer un premier single, «Kiss Me Baby». On leur dit que The Four Aims, ça ne va pas du tout. Pas beau. Et le directeur musical leur dit : «What about The Four Tops ?». Vendu. Duke : «The Four Tops were born in 1956 at Chess Records.» L’aventure Chess s’arrête aussitôt après. Puis, de 1961 à 1963, ils vont accompagner Billy Eckstine sur scène - Eckstine was once the rival of Frank Sinatra - Eckstine leur enseigne deux choses fondamentales : un, la paix de l’esprit n’existe pas dans le showbiz, et deux, après le succès, vient l’oubli, et il faut se préparer à ça. 

             Et on arrive au cœur battant du book : Motown. C’est Berry Gordy qui veut les Four Tops. Il les connaît, il sait ce qu’ils valent et il sait qu’il peut en faire des superstars, et c’est exactement ce qu’il va faire. Duke rentre bien dans le détail : les Four Tops passent dans un show télé new-yorkais, le Tonight Show. Gordy est chez lui à Detroit et les voit à la télé. Alors il dit à son A&R Mickey Stevenson d’aller les trouver pour leur proposer un deal. Mickey débarque à New York et vient voir les Four Tops : «Man, Berry wants you all. Sounds like he wants y’all bad.» Deux jours plus tard, les Toppers débarquent à Hitsville USA, on West Grand Boulevard. Berry Gordy les accueille avec un wonderful greeting. Il les fait asseoir et fait glisser un contrat sur le bureau en direction des Toppers - Here’s one of my contracts. It’s for six years - Gordy veut que les Toppers lisent et signent. Duke, qui est le porte-parole du groupe, dit qu’il veut emmener le contrat à la maison et le lire tranquillement avec ses amis. Gordy dit non - I never let my contracts out of my office. I don’t do that - Duke ne se déballonne pas, et il sait que ses amis Toppers vont le suivre : il dit à Gordy qu’il a quelques années d’expérience et qu’il a toujours pris le temps d’examiner les contrats - It’s business, you know - Mais Gordy l’envoie sur les roses : «Well I do business different ways. You sign it right here or not.» Duke tient bon. Il dit qu’il ne peut pas signer un contrat qu’il n’a pas examiné en détail. Gordy commence à sentir que les Toppers ne vont pas céder. Il demande s’ils vont consulter un avocat. Et Duke lui répond qu’ils vont le lire eux-mêmes et en discuter tranquillement tous les quatre. The Four Tops, man ! Gordy finit par donner son accord - Okay man. I don’t usually do this kind of shit. You can bring it back tomorrow - Duke nous fait partager là un épisode historique. T’es dans le bureau avec eux.

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             Le lendemain, il reviennent signer le contrat et demandent une avance. Gordy dit non : «Look, man, I don’t do that.» Mais il leur garantit une chose : des hits. «You’ll have hits at this record company.» Puis il sort 400 $ de sa poche et les file aux Toppers - Look, here’s the best I can do - Les Toppers attendaient mieux que ça, mais finalement, ils acceptent. Ils font confiance à Berry Gordy.

             Duke nous explique ensuite que chaque artiste chez Motown avait une relation particulière avec Berry Gordy. Duke dit que la sienne a toujours été positive. Gordy respecte les Four Tops car ils étaient un groupe accompli avant Motown - We already had a distinct sound and musical identity - Ils ne sont pas une découverte. Et Gordy a besoin de leur talent.

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             Ils enregistrent un premier album de standards américains et de classiques de Broadway, Breaking Through. Mais l’album ne sortira que 35 ans plus tard. Gordy ne le trouvait pas assez Motown. Il pensait à juste titre que l’album n’allait pas dans la bonne direction - It’s not just commercial enough - Alors il les présente à Holland-Dozier-Holland. Et là, boom !

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             Pour Duke, ce n’est pas seulement une collaboration musicale qui démarre : c’est une amitié. Il indique que le destin des Four Tops ne pouvait pas être en de meilleures mains. Gordy avait une vision des Four Tops qui allait plus loin que les jazz standards de Broadway. Il avait raison - We trusted him. It paid off, big time - Les Toppers traînent pas mal à Hitsville, ils deviennent potes avec les Temptations, les Supremes, les Miracles - Little Stevie Wonder was a cute young man, like a kid in a toyshop - Il conviendrait de croiser cette lecture avec celles des mémoires de Mickey Stevenson et des frères Holland. Les Toppers enregistrent leur premier hit Motown, «Baby I Need Your Loving». Mais les sous n’arrivent pas automatiquement. Ils devront poireauter deux ans pour voir débouler les chèques de royalties. Alors ils doivent reprendre les tournées pour vivre. Duke nous raconte les célèbres Motown’s package tours, avec des affiches qui te font baver. Bave, baby, bave !

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             Entre 1964 et 1967, le trio Holland-Dozier-Holland tourne à plein régime. Dix number one songs pour les Supremes, nous dit Duke. Les Toppers enregistrent généralement un hit en deux heures. Ce sont des pros. Ils alignent des hits planétaires comme «Reach Out I’ll Be There», «Bernadette», «Standing In The Shadows Of Love». Duke raconte aussi le clash entre Marvin et Gordy à propose de «What’s Going On». Gordy ne voulait pas de chansons engagées, et Marvin lui répondait que «What’s Going On» était ce que les gens voulaient entendre, et diable, comme il avait raison de tenir bon ! 

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             Duke rappelle aussi que les Toppers ont flashé sur le «MacArthur Park» de Jimmy Webb et qu’ils démarraient leur set avec - Nobody could sing it like Levi - C’est l’une des chansons qui a le plus touché Duke. Quand Levi a cassé sa pipe en bois, les Toppers ont arrêté de le chanter sur scène - Levi’s delivery was iconic - On trouve cette merveille insurrectionnelle sur l’album The Four Tops Now!. Ils tapent dans l’intapable de Richard Harris. Levi ne craint pas la mort, alors il y va sans hésiter et prend l’intapable en main. On a là une version swinguée et orchestrée. Levi va même jusqu’à la sur-winguer pour qu’elle décolle vite fait vers les étoiles. C’est beau à pleurer. Levi grimpe si haut qu’il donne le vertige. On assiste à de merveilleuses échappées de pur feeling. On trouve aussi un  hommage aux Beatles avec «The Fool On The Hill». Fabuleuse version, les Toppers la swinguent au velouté Tamla. Ça devient doux au toucher. Et on entend bien sûr l’immense James Jamerson derrière. Un autre coup de génie, c’est bien sûr «Don’t Bring Back Memories», une pop de good time music extrêmement colorée et bien chaude, un vrai patrimoine de l’humanité qui se danse au mieux de toutes les espérances. Oui, les Toppers ont du génie, tellement de génie qu’ils en ont à revendre. On trouve aussi un fabuleux cut de r’n’b intitulé «My Past Just Crossed My Future», bien emmené au beat de membres désarticulés. On s’effare de l’ambiguïté des orchestrations. Ils restent dans l’insolence de la classe avec «Little Green Apples». Quand les Toppers mettent leur énorme machine à swinguer en route, ça fait des étincelles. On les admirera jusqu’à la fin des temps.

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             Mais les jours heureux ne vont pas durer. Duke rappelle qu’avec l’arrivée des Jackson 5 en 1969, les groupes phares de Motown ont subi une sorte de déclassement. Les Tempts, les Miracles, les Toppers et Stevie Wonder n’étaient plus les chouchous. Pareil pour les Supremes lorsque Diana Ross est passée solo. Duke pense que ce sont les émeutes de 1967 à Detroit qui ont poussé Gordy à quitter la ville pour aller s’installer en Californie. Gordy essaye aussi de casser les Four Tops pour récupérer Levi, comme il a cassé les Supremes pour récupérer cette rosse de Diana Ross. Manque de pot, Levi est un Topper. Il ne trahit pas ses amis. Gordy essaye de l’appâter en lui proposant un rôle dans Lady Sings The Blues. Et Levi lui répond : «What about the Tops? What about my boys? Is there a part in it for them?» Et quand Gordy lui dit non, Levi annonce qu’il reprend l’avion et rentre à Detroit - We’re going home then - Fin de la discussion. Comme Gordy sidéré n’a pas bien compris, alors Levi lui balance ça dans la gueule : «It’s the four of us or nothing.» Et là, t’as le vrai truc, la raison d’être d’un groupe, l’intelligence du rock et de la Soul. Te voilà aux antipodes des rats et des beaufs.

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             Puis les Toppers se font virer de Motown par Ewart Abner, que Gordy a chargé de prendre la relève à Detroit : «We don’t need you guys anymore.» Les Toppers tombent des nues. Virés comme des chiens. Duke indique plus loin que Gordy n’était pas au courant de cette histoire. Bon, les Toppers sont sonnés, mais ils se reprennent et vont signer ailleurs. De toute façon, Motown ne signifie plus rien. Le trio Holland-Dozier-Holland s’est barré depuis belle lurette.  

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             Après Motown, les Toppers vont signer chez ABC/Dunhill, Casablanca et finalement Arista - It was the last record deal we ever had - Et après ça, Duke va évoquer en des pages merveilleuses ses amis Eddie Kendricks et David Ruffin, puis aligner les cassages de pipes en bois, Levi, Lawrence, et Obie, pour filament se retrouver le dernier, atrocement seul, perdu et malheureux, comme ça arrive à tous ceux qui survivent trop longtemps. Avec le temps du chagrin vient l’envie d’en finir.

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             Très beau livre. Merci Duke d’être ce que tu fus. Reach out !

    Signé : Cazengler, Four

    Duke Fakir. I’ll Be There: My Life With The Four Tops. Omnibus Press 2022

     

     

    L’avenir du rock

     - Le télescopage des Telescopes

     (Part One)

             — T’es pas cap !

             — Cap de quoi ?

             — T’es pas cap de délirer sur les Telescopes, avenir du rock...

             — Pourquoi veux-tu que je délire sur les Telescopes, mon pauvre ami. Ils sont parfaitement capables de délirer tout seuls. Ils n’ont pas besoin qu’on les aide !

             — M’en doutais que t’allais te déballonner, avenir de mes deux !

             — C’est absurde ! C’est comme si tu demandais à Brigitte Bardot si elle avait besoin de quelqu’un en Harley Davidson ! Ou à Cocteau de ne pas feindre d’être l’organisateur des mystères qui le dépassent. Te rends-tu compte de ton incurie ? Sans vouloir être méchant, te rends-tu compte du néant que tu incarnes ? Délirer sur les Telescopes ! Mais ça n’a pas de sens ! As-tu besoin de demander à Ziggy de jammer good avec Weird and Gilly ? Ou de rappeler à Johnny Yen de se pointer avec les bottles & drugs ! Ou à la mer de baigner les golfes clairs ?

             — Tu trouves toujours des combines pourries pour t’en sortir, avenir de ta race !

             — Mais non, j’essaye juste de t’expliquer ce qui me semble être une évidence. Mais c’est pas facile de parler avec un mec comme toi. Sous ta casquette, t’as les idées bien arrêtées. T’es pas quelqu’un de très sympa, en réalité. Il faut même faire un peu attention à ce qu’on te dit, car ta susceptibilité s’inscrit sur ton visage, ça a l’air de te crisper la gueule, et tu deviens vite agressif, ce qui rend l’échange caduque. Ta connerie télescope les escalopes, tu hausses le ton et tes spolémiques apparaissent en cinémascope, elles te radioscopent le kaléidoscope, alors t’es plus qu’un Ionescope interlope en partance pour Scopacabana, mon spote.

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             Bon calmons-nous et célébrons les Telescopes, c’est-à-dire Stephen Lawrie, qui, depuis son sous-marin, observe les convois des tendances qui traversent l’Atlantique, et qui, de temps en temps, leur balance une bonne torpille. Lawrie adore couler les tendances.

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             T’en reviens pas de te retrouver à deux mètres de lui, là, au fond de la cave. Pas la grande foule. Concert trop underground, sans doute. Tant pis pour les absents. Les Telescopes sont aujourd’hui ce qui se fait de mieux en matière de psyché anglais. Sur certains cuts, Lawrie sonne exactement comme Syd Barrett. Quand on le lui dit, après le concert, ça le fait bien marrer. C’est là où tu vois ses dents pourries. Stephen Lawrie, dernière vraie rockstar anglaise avec Peter Perrett, Lawrence d’Arabie et Jason Pierce ? C’est plus que fort probable. En tous les cas, concert demented. T’en savoures chaque seconde avec un bonheur indicible, tu t’enivres de ce son unique au monde. Là, t’as le real deal, pas une mauvaise resucée à la petite semaine, non, c’est la suite exacte d’«Arnold Layne», c’est le sommet du genre.

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    Ils sont cinq sur scène, dont deux Français, un blond à la guitare, là-bas au fond, et une petite gonzesse sur un mini-clavier, au-devant de la scène. T’as un super-rasta à la basse, complètement plongé dans le doom, un batteur anglais au croisement du psychout et de cromagnon, et puis, Stephen Lawrie derrière son micro, avec ses deux guitares et ses lunettes. Zéro frime, il gratte ses Si et ses Do et chante par intermittence, il est le capitaine du vaisseau, le gardien du phare (tel qu’il se décrit dans les liners de Radio Sessions 2016-2019), il est fantastiquement présent dans l’avenir, et fantastiquement ancré dans la tradition la plus pure, franchement, t’en reviens pas de voir un mec aussi légendaire se comporter comme si de rien n’était. Tu mets des mots comme tu peux sur les secondes de son qui défilent, mais tu sens bien qu’un puissant courant les emporte, alors tu laisses filer, tu te dis que tu te débrouilleras plus tard, et puis au fond, ça n’a aucune importance, tu vis ta vie, grâce à Lawrie, tu arraches encore au néant de la vie quotidienne quelques instants d’éternité, tu montes et tu descends avec eux, et t’as cette petite gonzesse qui groove avec le son, tu vois ses cheveux voler, elle groove fabuleusement, alors le real deal devient palpable, et quand ça monte en température avec cette bombe atomique qu’est «This Train Rolls Out», tu vis une sorte de petit moment d’extase, et tu te félicites sincèrement d’être resté en vie, rien que pour pouvoir assister à cette petite heure d’éternité. 

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             Les mighty Telescopes font leur grand retour dans le rond de l’actu avec Halo Moon. Pareil, tu peux y aller les yeux fermés. Tu y retrouves l’heavy «Shake It All Out» bien rempli à ras bord. Lawrie ne plaisante pas avec l’heavyness. Et en plus, il a le groupe parfait pour jouer ça dans la cave. Tu croises plus loin un «Nothing Matters» très Velvet, puisque gratté sur les accords d’«All Tomorrow’s Parties». Il a aussi des cuts plus poppy, comme ce «For The River Man» qui se laisse bercer, un peu étrange au demeurant. Il fait son coup de Syd avec «Along The Way» et un coup de samba Syd avec le morceau titre. Boing boing ! Par contre, «Lonesome Heart» déploie ses ailes : très beau, mélodique et gluant. Tu retrouves le boing boing dans «This Train Rolls On». C’est extrêmement déterminé à vaincre. On ne fait pas de tels boings inopinément. Mais la version live était nettement plus dévastatrice.  

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             Et comme si Halo Moon ne suffisait pas, ils sortent aussi cette année une fastueuse compile : Radio Sessions 2016-2019. Stephen Lawrie signe les liners. Donc on les lit. Il commence par dire que des gens voient les Telecopes comme un collectif, que d’autres gens, plus nostalgiques, imaginent que les Telescopes ont gardé le line-up d’origine, et que d’autres encore voient ça comme «a solo-career». D’une certaine façon, conclut Lawrie, tout cela est à la fois vrai et faux. Quand il se voit contraint d’en parler, Lawrie dit que «the Telescopes house had many rooms.» Formule ajoute-t-il qui lui convient bien, mais il observe que ça peut créer de la confusion chez certaines personnes. «For me, confusion isn’t a bad thing.» Et il développe, rappelant que tout naît de la confusion, que le chaos non seulement l’intéresse, mais l’excite. Après la métaphore de la maison, il opte pour celle du vaisseau. Il considère les Telescopes comme a vessel. Puis il développe encore en expliquant qu’il n’est que le gardien du phare, et que tout ce qui compte, after all, c’est le son qui sort des enceintes.

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             La cerise sur le gâtö des Radio Sessions 2016-2019 s’appelle «Something In My Brain». Ça joue au tribal impitoyable. Ils détiennent le pouvoir antique du psyché obscur, ils sonnent comme des êtres primitifs. John Lynche te bat ça dans la jungle du non-retour. Tu sens battre le cœur du rock que tu aimes bien. Te voilà Telescopé de plein fouet. Ils tapent dans le «Violence» du premier album, ils en font une mouture profonde et grasse. Ils prennent leur temps, rien ne les presse. Pas de rendez-vous avec la gloire, ils préfèrent traîner dans les ténèbres de l’underground. C’est très insidieux, leur groove gronde dans les ténèbres, ça frôle le saturnisme psychédélique, c’est interminablement heavy. Ils passent à la weird psychedelia avec «We See Magic And We Are Neutral Unnecessary», ils plongent au cœur du mythe psyché et développent un véritable apanage du genre. Ils tirent aussi «The Perfect Needle» de Taste : weird fuck-out avec un côté Velvet très cérémonial qui remonte à la surface. Encore de la belle tension heavy avec «Strange Waves», c’est riffé au raff, plus fort que le Roquefort, avec un développement explosif. Puissant, herculéen, zébré d’éclairs de sature, la voix de Lawrie se noie dans une mer de riffs démontée. Ils cultivent l’heavy frakout, le drone des saturations extrêmes.

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             Tu sors aussi de l’étagère deux maxis Creation ramassés somewhere someday, Everso et Celeste. Avec le morceau titre d’Everso, ils te plombent vite fait le maxi avec un heavy groove de fat shoegaze, très Bloody Valentine dans l’esprit.

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    Et Celeste sonne comme de la psychedelia britannique classique bien visitée par les vents du Nord.

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             Mine de rien, Taste est resté un classique, grâce à ses forts relents Stooges/Velvet/Mary Chain. Dès «I Fall She Screams», t’es dans les Stooges. Lawrie se jette dans les flammes de tout son poids d’I falllll ! Stooges encore avec «Suicide» en B, noyé d’accords et de folie. Rien de plus stoogy que ce Suicide commando. Velvet via «The Perfect Needle», plus cérémonieux, et digne des Tomorrow’s Parties. Mary Chain via «Suffercation», très bardé de barda, même méthode d’assaut que celle de William Reid. Ils passent au heavy doom avec «Violence», tout se fond dans la fusion du solo trash à la coule. Pur blaster que cet «Anticipation Nowhere» et encore de l’eavy stash de trash avec «Please Before You Go» et puis t’as cette épouvantable purée de «Silent Water». Ils ne t’auront rien épargné.

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             Tu retrouves «I Fall She Screams» sur une belle compile Bomp!, As Approved By The Committee. Tu y retrouves aussi «Flying», une exploration du cosmos et ça explose bien dans le ciel. Et puis t’as cette tonne de purée fumante, «Silent Water», et Lawrie marche dedans. Le gros intérêt de cette compile, ce sont les liners au dos. Lawrie raconte qu’il croisait à l’époque Jo Doran dans les mêmes concerts et c’est là qu’ils ont décidé de monter un groupe. Principales influences : le feedback, le Velvet et Suicide. Puis ils vont faire des premières parties de Spacemen 3 et de Primal Scream. Une formule résume bien les Telecopes : «Expect the unexpected.» La principale info des liners Bomp! concerne le quatrième album des Telecopes (#4), considéré comme leur finest work. Et on doit cette compile au Comitteee To Keep Music Evil, dont le membre fondateur n’est autre qu’Anton Newcombe. 

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             En 1992, les Telescopes sont toujours sur Creation pour un album sans titre et sans vagues. Ils y flirtent avec la Stonesy psychédélique des Satanic Majesties, disons une belle Stoney informelle, celle qui ne veut pas dire son nom. L’intention est louable. Cut après cut, on les voit chercher la petite bête, titiller la tontine, parfois c’est assez imbuvable («Spaceships»), le pauvre Lawrie n’a pas de voix, on se croirait à la MJC. Les Big Atmospherix sont bienvenus mais nullement déterminants. Ils s’arrangent toujours pour passer à côté. T’arrive au 6 («And») et t’as toujours rien dans ta besace. L’album se condamne de lui-même aux oubliettes. Et puis, alors que tu te préparais au renoncement, la marée monte soudainement avec l’indicible «Flying». Ce hit psychédélique monte et débouche sur le niveau supérieur, alors tu t’inclines et tu prêtes allégeance.

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             Avec Growing Eyes Becoming Strings, Stephen Lawrie renoue avec la grande tradition de la Mad Psychedelia. Il s’y montre même le maître incontestable avec «Vanishing Lines». Il crée son Wall of Sound psychédélique. Et ça repart en mode stomp d’extrême onction avec «(In The) Hidden Fields». Big power orbital, Lawrie visite les mêmes contrées qu’Hawkwind. T’es dedans. Fabuleux shoot de mad stomp et de power fondamental. L’autre mad hit de l’album s’appelle «Get Out Of Me». C’est la marée du siècle, ça s’étend même sur la terre entière, c’est à la fois spectaculaire et tentaculaire. Là, t’as le vrai truc. Avec «Dead Head Lights», il s’enfonce dans les sargasses de la mélasse. C’est assez évolutif et visité par des vents mauvais. Puis on le verra se répandre comme un gaz mauve sur toute la surface de «What You Love». Le bassmatic chevrote dans le son, comme s’il toussait. C’est d’un très haut niveau rampant.

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             Mine de rien, Experimental Health est un big album, ce qu’on appelle dans le code de la route un passage obligé. Stephen Lawrie y est le dernier descendant de la race des lignées. Il chante en mode confidentiel. Et soudain, la terre tremble : «When I Hear The Sound» sonne comme de l’heavy Spacemen 3, c’est du deep inside the heart, exactement la même engeance, Lawrie va sous le boisseau et travaille la chair du drone, il fait une marychiennerie qui balance entre tes reins malades, ça périclite dans une mer de honte, il opère un fantastique plongeon dans les bas-fonds du meilleur rock de l’univers, celui qui naît d’un cerveau anglais malade de psychout so far out. Back to the marychiennerie avec «Leave Nobody Behind», il s’y plonge jusqu’au cou et passe ensuite au wild as fucking fuck avec «45E». Il ne recule pas devant l’adversité : pur jus télescopique bien hypno, avec l’essaim. Album infernal, le chemin de croix se poursuit avec la mad psychedelia de «Wrong Dimension». Il enfonce son clou à coups de boutoir. Pur génie psyché ! Tu assistes au balancement du pendule mortel d’Edgar Allan Poe. «Repetitive Brain Injuries» ne va pas bien, c’est assez robotique. C’est l’hypno de Lawrie, alors tu lui fais confiance.  

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             Pour un Tapete de 2023, Of Tomorrow n’est pas mal du tout. Wow wow oui oui, comme diraient les London Cowboys. T’as au moins deux cuts inspirés du Velvet, «Everything Belongs» et «Down By The Sea». Lawrie est très porté sur l’hypno, c’est pour ça qu’on l’admire, comme on admirait le Velvet. Le psyché d’«Everything Belongs» est beau comme un cœur, avec des relents d’All Tomorrow’s Parties, relents que tu retrouves dans «Down By The Sea» : t’as le poids du gothic new-yorkais, tout le poids du Dakota et de Rosemary, ah comme l’ambiance peut être satanique, profonde et vipérine. Il tape encore en pleine marychiennerie avec «(The Other Side)», c’est bien stompé dans la couenne du beat, avec bien sûr un solo d’élan vital. Lawrie sait amener un coup de génie sonique. Mad psyché à la Lawrie avec «Butterfly», bien pesant, bien lesté de tout son poids. Encore un beat lourd de conséquences dans «When Do We Begin?». C’est admirablement maîtrisé, ça reste passionnant. On croit entendre Richard Hawley dans «Only Lovers Know» : beau mélopif romantique soutenu à l’orgue.

             La suite au prochain numéro.

    Signé : Cazengler, gros Telescon

    Telescopes. Le Trois Pièces. Rouen (76). 14 octobre 2024

    Telecopes. Taste. Cheree 1989

    Telecopes. Everso. Creation Records 1990

    Telecopes. Celeste. Creation Records 1991

    Telecopes. The Telecopes. Creation Records 1992

    The Telescopes. Growing Eyes Becoming Strings. Fuzzclub 2024

    Telecopes. Experimental Health. Weisskalt Records 2023

    The Telescopes. Of Tomorrow. Tapete Records 2023

    Telecopes. Radio Sessions 2016-2019. Tapete Records 2024

    The Telescopes. Halo Moon. Tapete Records 2024

    The Telescopes. As Approved By The Committee. Bomp! 2008

     

     

    Wizards & True Stars

     - Rev Party

     (Part Two)

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             Tu l’attendais comme le messie. Tu savais pourtant que son dernier album Born Horses n’était pas si bon. Tu savais qu’avec Born Horses, Jonathan Donahue avait hélas perdu le singalong du Deserter. Tu savais tout cela et pourtant tu t’es rendu sur le lieu de son passage. Car tu étais de nouveau en quête de cette ancienne mystique. Tu espérais reboire ses paroles et goûter au sucre de sa magie.

             Dans la queue, zéro copain. Il faisait déjà nuit et un mec est arrivé dans la rue avec des lunettes noires : Grasshopper, le petit complice de Jonathan Donahue. Sunglasses after dark. Seul un Américain à Paris pouvait se balader la nuit avec des lunettes noires. Fin du préambule.         

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             Jonathan Donahue arrive sur scène après les autres, coiffé d’une casquette de newsboy, vêtu d’une tunique trois-quart noire, d’une chemise blanche et d’un gilet noir, et chaussé de pompes à grosses boucles carrées en or. Soigné. Presque anglais. Dandy des Catskills. Un petit côté Fabrice Luchini dans la façon de s’émerveiller sur scène et de remercier le gentil public for coming out.

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    Et puis il attaque par l’une des phrases magiques du Deserter, Well goodbye southern spy/ I’ve come to love you in the light, le premier vers du mystérieux «Funny Bird», et là tu renoues avec l’ancienne mystique. Elle est intacte. Dans ce pur moment de magie pop, tu goûtes au sucre.

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             Le plus curieux de toute cette histoire, c’est que les 90 mn de set sont prises en sandwich entre deux hits intemporels, «Funny Bird» et «The Dark Is Rising» - épique envolée mélodique qui s’achève sur I always dreamed I’d love you/ I never dreamed I’d lose you/ In my dreams I’m always strong, qui est une sorte de fin en soi, sans doute l’un des sommets de la pop américaine, en tous les cas, c’est du niveau de ce qu’a fait Brian Wilson toute sa vie.

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    Jonathan Donahue hante ses cuts pour le bonheur de tous. Il a cette prestance qui fait la grandeur des magiciens. Vers la fin, il réussit aussi à coincer dans le set l’«Opus 40» qui vaut encore pour une envolée à la Brian Wilson. Il sort aussi d’All Is Dream l’excellent «Spiders & Flies». Finalement, t’es assez content, tu ne seras pas venu pour rien. Tu fais le plein de magie pop à la pompe Mercury.

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    Oh et puis ça, que t’as dans la peau et que s’appelle «Hole» - Time/ All the long red lines/ That take Control/ Of all the smoke like streams/ That flow into your dreams/ That big blue open sea - qu’il chante d’une voix si perchée et si pure, et que t’as dans la peau, car c’est mélodiquement parfait, avec un réel développement épique, bien reconstitué sur scène, les Rev ne sont pas si bêtes au fond, ils terminent avec quatre hits faramineux issus de la grand époque et quand Jonathan le magicien termine sur Bands/ Those funny little plans/ That never work quite right, t’es encore plus hooké qu’à la grande époque. La résonance en toi est infinie.

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             Au pire, tu vas sauver deux cuts sur Born Horses : «You Hammer My Heart» et «Everything I Thought I Had Lost». Avec l’Hammer, Jonathan plonge dans les profondeurs du rêve de Mercury, avec cette voix si sucrée d’empereur romain du XXe siècle. Tu te noies dans l’ambiance et tu coules en même temps qu’un solo de sax. Et ça te convient. Avec «Everything I Thought I Had Lost», il stagne encore dans un groove ambiancier, on sent même monter une marée de son, mais ce n’est pas la marée du siècle. Une trompette erre dans le delta du Mekong durassien, et ça peut devenir beau à force de power orchestral. C’est la carte que joue le Rev avec cet album : pas de catharsis mélodique, juste du pur power orchestral. Comme le montre encore le «Mood Swings» d’ouverture de bal. La trompette a détrône l’empereur Jonathan. C’est elle qui déborde d’ambition. Elle résonne dans l’écho du temps. C’est long, établi, très Bella Union. L’empereur Jonathan chante juste en dessous, comme s’il n’osait pas reprendre le pouvoir. Il murmure. Il fait encore de l’ambiancier d’anticipation avec «Ancient Love», mais il perdu sa couronne de Deserter.  Tout l’album est suspendu dans le vide, comme vrillé du bulbique. Ils ont perdu la mélodie, alors  ils la remplacent par de l’ambiance.  

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             Deux canards anglais sont montés au créneau pour essayer de sauver non pas le soldat Ryan, mais le soldat Donahue. Dans Uncut, le soldat Donahue dit que Grasshopper et lui sont comme Butch Cassidy & the Sundance kid, «We’re there for each other.» Ils sont basés tout près de Woodstock. Will Hermes voit arriver le soldat Dohanue sur une «1986 Suzuki» et ne peut s’empêcher de le comparer au Dylan qui pilotait sa Triumph T100 «on these same treacherous country backroads in 1966.» Hermes évoque aussi les mentors de Mercury Rev, Tony Conrad, qui fit partie du Dream Syndicate de LaMonte Young, et Robert Creeley, «the Black Mountain poet and master of minimalist compression.» Grasshopper a longtemps étudié avec Tony Conrad. Dans le coin, on trouve aussi le vieux studio Bearsville de Todd Rundgren, «across the parking lot». Et puis des traces de The Band, bien sûr. Hermes évoque aussi les nouveaux venus dans le groupe, la poule de Donahue, Marion Genser, et Jesse Chandler, un multi-intrumentiste qui joue aussi avec Midlake. En fait, le pauvre Hermes n’a pas grand chose à dire. Peut-être n’y a-t-il rien de plus à savoir que ce qu’on voit sur scène.

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             Dans Record Collector, Shaun Curran qualifie les Rev de «damaged psych-rock dreamers» et Deserter’s Song d’«orchestral rock masterpiece». C’est bien  le moins qu’il puisse dire. «Since then», poursuit le Curran, «there have been forays into country, electronica, krautrock, ambiant textures and Eno-esque soundscapes», et c’est bien là le problème. Les Rev n’ont pas su rééditer le double exploit de Deserter’s Song et d’All Is Dream. Le Curran creuse plus que l’Hermes dans l’analytique, et ça permet de comprendre un peu mieux la dérive d’un Rev qui selon le Curran, se rapproche de Miles Davis et de Chet Baker. C’est-à-dire l’ambiancier. C’est bien ce qu’on ressent, à l’écoute de Born Horses : l’ambiance a remplacé la mélodie. Ça pourrait être une tragédie, mais on va se calmer. Pour enfoncer son clou là où ça fait mal, le Curran ajoute que les «jazz elements» sont plus prononcés. Le mot de la fin revient au soldat Donahue : «We know we’re not jazz musicians. We’re not Delta blues musicians. I’m not sure we’re even rock musicians. But we love music.» Il dit s’intéresser de très près au «spirit of the atmosphere of some of those emotional jazz records, like Sketches Of Spain.» Il ne jure que par le spirit.  

    Signé : Cazengler, Mercuré raide

    Mercury Rev. La Maroquinerie. Paris XXe. 13 novembre 2024

    Mercury Rev. Born Horses. Bella Union 2024

    Will Hermes : The Hudson line. Uncut # 330 - October 2024

    Shaun Curran : Silver lining. Record Collector # 552 - October 2024

     

     

    L’avenir du rock

     - Bury me dead

             L’autre jour, l’avenir du rock assistait à l’enterrement de son petit frère, le passé du rock. Pour surmonter un vague malaise, il se contentait de penser qu’après tout ce n’était pas une grosse perte. L’avenir du rock se voyait contraint de penser n’importe quoi, à seule fin de colmater les brèches et empêcher sa cervelle de couler comme un navire. Il s’efforçait de penser à tout à rien. Dans les moments les plus obscurs, il ramenait toujours Aragon. Une sorte de réflexe. Notamment la strophe de Cézanne - Tout le monde n’est pas Cézanne/ Nous nous contenterons de peu/ L’on pleure et l’on rit comme on peut/ Dans cet univers de tisane - Puis il passait à la strophe suivante pour tomber sur le Breughel forain et l’ombre sur la muraille. Mais Aragon ne dure qu’un temps, et il fallait passer à autre chose. L’avenir du rock s’est alors mis à imaginer que le temps s’arrêtait. Et soudain il entendit ce silence assourdissant qui annonçait le retour d’Aragon. Excédé, l’avenir du rock siffla entre ses dents :

             — T’as qu’un temps, Louis !

             Pour ne pas voir le trou dans la terre, il se mit à scruter le ciel gris et à le soupçonner de lui cacher des choses. Ciel menteur, ciel pourri, en qui tout est... Sentant bien que sa pensée s’égarait, il redescendit sur terre pour regarder les autres gens sans les voir. Il vit aussi les innombrables vieilles tombes de vieux crabes disparus depuis longtemps, il ne savait plus quoi faire de son regard, et de toute façon, il était hors de question de voir le trou avec le petit frère au fond, car cette dimension du trou n’avait jamais existé dans leur cosmogonie, donc c’était exclu, irrecevable, contraire à leur polémologie, contraire à l’essence même de leur existence, la mort, oui, mais pas le trou. Jamais de la vie. Sors de là, passé du rock ! L’avenir du rock était en pleine surchauffe d’exhortation mentale lorsque qu’un olibrius plus haut que lui s’approcha de son oreille pour lui murmurer d’une voix sourde :

             — Vous voulez un mouchoir, avenir du rock ? Vous avez de la morve...

             L’avenir du rock s’essuya du revers de la manche.

             — C’est un rhume. Je ne vous connais pas, et je ne veux pas vous connaître. Le passé du rock a commis la pire erreur de sa vie : casser sa pipe en bois.

             — Vous pourriez montrer un peu de respect !

             — Non, c’est un étranger au fond d’un trou. A Place To Bury Strangers.

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             L’avenir du rock rue parfois dans les brancards pour les besoins de la cause, et pour aggraver son cas, il profite d’un enterrement pour enfoncer son petit clou dans la paume du jeu de paume. Rien de tel qu’une prise sur la réalité pour bâtir l’édifice d’un hommage.

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             Il est évident qu’à la parution de leur premier album sans titre, personne ne s’est méfié d’A Place To Bury Strangers. Cet album est l’extravagant prolongement du sonic trash des Mary Chain. Oliver Ackermann reprend les choses là où les a laissées William Reid, c’est-à-dire so far out. Pour bien comprendre ça, il faut entendre «Missing You». T’as aucune chance d’en réchapper. L’Acker se jette dans la bataille, il se soûle de marychiennerie. Tu commences par croire que c’est une coïncidence, qu’il est tombé comme ça par hasard sur les accords et la disto de William Reid, mais tu tombes plus loin sur «Another Step Away» et c’est encore en plein dans le Sidewalking. L’Acker pousse vraiment le bouchon de William Reid. Il te sature ça de surcharge pondérale atomique. Il va trop loin, beaucoup trop loin. Il cultive la fragrance du flagrant delight. Encore une marychiennerie archétypale avec «Ocean». C’est l’heavy beat de Glasgow transposé à New York City, c’est tellement criant de vérité véracitaire ! T’as là l’album que les Mary Chain n’ont jamais fait, c’en est même gênant pour eux. On plonge à nouveau au cœur de l’enfer des marychienneries avec «Never Going Down». L’Acker semble y cultiver des délices brûlants, il retape bien les atmosphères cataclysmiques. C’est l’exact prolongement du burn-out des frères Reid. C’est du real deal de corde Reid. Puis l’Acker fait sonner son «Sunbeam» comme un heavy hit paisible. Te voilà tanké pour l’éternité, enfin, ce qu’il en reste.

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             Attention à Exploding Head : ce double CD explose véritablement. Comme le dit si brillamment Tris McCall dans ses liners, «that sonic onslaught is part of the entertainment.» Il évoque un mélangé explosif de melodies, de feedback et de disto. C’est en fait l’apocalypse selon Saint-Qui-tu-veux. Ces mecs déboulent et tant pis pour les canards boiteux. Ils te saturent «In Your Heart» de power. Oliver Ackermann arrive encore à évoluer dans ce chaos saturé. Il tombe en pleine Marychiennerie avec «Lost Feeling». L’Acker lâche les chiens de l’enfer, ça dépasse les bornes, ça sort du cadre. Comment peut-on saturer un son à ce point ? Wild attack avec «Dead Beat». La basse broute la motte du chaos, tout est chauffé à blanc, ils jouent tout ce qu’ils ont dans le ventre. En plein processus de destruction massive, l’Acker chante «Smile When You Smile» par dessus le chaos. Tout est bombardé, ici, ça pilonne le tampani et il cède à une belle tendance hypno avec le morceau titre. Le disk 2 est nettement plus radical, via notamment cette prodigieuse cover de «Suffragette City». Heavy trash de Bury sur le dos de Bowie. Sans doute a-t-on là la cover la plus trash de tous les temps. Il te la blinde de power, la gorge à outrance, il en fait de l’ultraïque demented, du blaster dévoyé, le point ultime du Suffragettisme, encore une fois l’awsome t’assomme, et le redémarrage te colle au mur.

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    On trouve aussi six Marychienneries patentées sur ce disk 2, à commencer par «Girlfriend» et ce punch écœurant d’allure. Et puis comment ne pas saluer l’«Hit The Road» d’ouverture de bal, monté au max du mix, ultra-violent, c’est du Mary Chain à la puissance 1000, du Sidewalking over-blasté, c’est apocalyptique de marychiennerie. L’Acker se glisse encore sous le boisseau des Mary Chain avec «It’s A Fast Driving Up With A Place To Bury Strangers». C’est complètement saturé de violence sonique, les descentes dans l’infrabasse sont vertigineuses, ça te cisaille les tibias, ça t’empêche de respirer, ça t’écrase au fond du cendrier. «Alive» est encore plus blasté qu’à l’ordinaire. Cette tension organique est unique au monde. A-t-on déjà vu une dégelée aussi purpurine que celle de «Don’t Save Your Love» ? Jamais. L’Acker chante avec les hoquets de l’agonie du combattant, ahhh-ahhhh. «Take It All» est encore bien explosé du diaphragme. Astonishment garanti ! Marychiennerie dans l’âme. Ils t’explosent «The Light» d’entrée de jeu, avec du larsen et le beat des forges sous amphètes. Ils explosent encore l’art de William Reid en 1000 morceaux. Ça va trop loin, beaucoup trop loin. Ils restent en pleine Marychiennerie avec «Tried To Hide», avec un focus sur le non-retour.  

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             Le Worship de 2012 pourrait presque passer pour un Tribute aux Mary Chain. Premier exemple de marychiennerie avec le morceau titre, gorgé d’échos d’Upside Down et de Never Understand et de Sidewalking. Encore les pieds dans le plat de marychienneries avec «Revenge». Pur sonic genius. Oliver Ackermann ramène toute la chimie de destruction massive imaginée par William Reid. Encore de l’onslaught à la Mary Chain avec «And I’m Up», «Slide» et «Leaving Tomorrow». Il te crève l’œil du cyclope Reid. Et puis t’as l’«Alone» d’ouverture de bal qui te stompe le crâne, Bury me dead baby. Pas de retour possible. Avec «Mind Control», il fait monter une sauce de chaos mélodique. Apocalyptique ! Et ça part en marychiennerie monolithique, ils te creusent vite fait un tunnel sous le Mont Blanc, quelle puissance de forage ! Les poux brûlent et l’Acker te plaque les pires accords de chaos de l’univers connu des hommes. Par contre, «Dissolved» est plus spacieux, plus largué du côté de Major Tom. L’Acker envoie encore des sacrées rasades de nowhere land avec «Fear». C’est un homme de chaos, l’un des plus aboutis. Il surpasse les frères Reid. Il crée une réelle profondeur de la peur.

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             Ça pue encore la marychiennerie sur Transfixiation. «Fill The Void» a marché dedans. L’Acker y va à l’over-blast. D’ailleurs, tout l’album baigne dans l’over-blast. L’Acker sort un son dévergondé, sauvage et sans pitié. Il te tombe dessus à bras raccourcis. Avec «Deeper», il s’enfonce dans les profondeurs du Deepy Deep, ça friture de partout dans les minutes de sable mémoriel. Il se livre une fois encore à la destruction totale du rock. «We’ve Come So Far» tombe comme une chape de plomb. Ça bascule dans l’horreur des forges du Creusot, ça monte comme une marée d’acier, c’est à la fois violent, dense et inextricable. C’est le power définitif du non-retour. En fait, il n’existe pas de mots pour qualifier ça, alors on peut raconter n’importe quoi. «I’m So Clean» incarne le blast absolu, du Mary Chain à la puissance 1000. Ça te broute la motte, mais à un point terrifiant. L’Acker termine avec un «I Will Die» sur-saturé. Il atteint la limite du supportable.

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             Pinned sent encore bon la marychiennerie : dans «Act Your Age», la basse te broute la motte. Coup de génie avec «Frustrated Operator». Attaqué en mode new wave, mais avec une réelle profondeur de champ, c’est bien sabré des tibias, balayé par des vents mauvais, alors jette-toi à l’abri. Le beat est tellement profond que tu leur donnerais le bon dieu sans confession. «Never Coming Back» sonne comme du Mary Chain exproprié. Pas content. Revêche. Finit en ébullition. «Situation Changes» sonne un peu new wave. Dommage. Mais il y a de l’azur dans les ténèbres de l’Acker. 

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    Sur l’excellent Live At Levitation, on retrouve un symbole parfait de la marychiennerie, «Dragged In A Hole». Rien de plus Mary Chain que l’Hole d’«In A Hole». Tout est travaillé au chaos maximal sur cet album. L’Acker ne rigole pas, comme le montre encore cette fantastique volée de bois vert qu’est «Alone». Les Bury planent comme des mauvais esprits sur les Angevins du Levitation. Big bass rumble en ouverture de bal de de B pour «I Lived My Life To Stand In The Shadow Of Your Heart». Ils savent bien déblayer une barricade. Wooof ! L’Acker joue avec la révolution industrielle, il injecte le pouls d’Elephant Man, et les hélicos d’Apocalypse Now dans son sonic trash. C’est le pouls de la mort qui descend sur Angers. Il travaille l’océan d’«Ocean» à sa façon, avec les attaques en règle des spoutnicks délétères. Et puis voilà l’attaque de l’essaim avec «Have You Ever Been In Love». The Green Hornet craze ! Ils torturent le sonic trash pour lui faire avouer l’inavouable. C’est saturé de trash et l’Acker parvient encore à hisser le chant à la surface. il chante comme un shaman indien à fortes syllabes chargées de fumée, il éclaire la nuit et l’essaim rôde dans le cosmos angevin. Les Bury transforment le Levitation en messe païenne.

             Signé : Cazengler, complètement Bury

    A Place To Bury Strangers. A Place To Bury Strangers. Killer Pimp 2007

    A Place To Bury Strangers. Exploding Head. Mute 2009 

    A Place To Bury Strangers. Worship. Dead Oceans 2012

    A Place To Bury Strangers. Transfixiation. Dead Oceans 2015

    A Place To Bury Strangers. Pinned. Dead Oceans 2018 

    A Place To Bury Strangers. Live At Levitation. The Reverbation Appreciation Society 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - Creepy n’est pas une crêpe

             Creepo traînait régulièrement dans la boutique. Il trimbalait une dégaine un peu rockab, il se gominait les cheveux et s’habillait en noir. Disons qu’il avait plutôt fière allure, ce qui n’était vraiment pas le cas des autres habitués du bouclard. Et puis un soir, au moment de l’apéro, alors que nous étions rassemblés en petit comité autour du comptoir, il vint taper l’incruste dans une conversation à propos de Wild Billy Childish. Il avait l’air d’en connaître un rayon. Il parlait d’une voix de mec timide, ce qui contrastait avec son look. Les autres le laissaient parler, car d’une certaine façon, il faisait autorité sur le sujet, ce qui, dans cette ville maudite, était plutôt exceptionnel. Enfin un mec qui connaît bien Wild Billy Childish ! Il alimentait la conversation comme on alimente la chaudière d’une locomotive lancée à travers la plaine. Il connaissait parfaitement l’historique des groupes successifs du grand Billy, il remontait des Milkshakes jusqu’aux Singing Loins, en passant par Buff Medways, Thee Headcoats et Thee Mighty Caesars. Il insistait sur le Thee. Zeeeee ! Il finissait par devenir impressionnant. Il pouvait même aller jusqu’aux Delmonas et aux Headcoatees. Évidemment, les autres décrochaient, la conversation devenait trop pointue, Creepo entrait bien dans les détails, il parlait de Nurse Julie comme s’il la fréquentait tous les jours, affirmait qu’elle jouait de la basse mieux de Bob Garner dans les Creation, et il brodait à l’infini sur les talents conjugués de Wolf et de Russ Wilkins, de Graham Day et de Mickey Hampshire, et il repartait dans les méandres de Medway avec un luxe de détails qui finissait par donner le tournis, il n’arrêtait pas de dire «Faut qu’t’écoutes ça et ça !», et de te vanter les mérites d’albums tous plus extraordinaires les uns que les autres. Arriva l’heure de la fermeture, et alors que nous descendions la rue, Creepo demanda un numéro de téléphone. Pas de problème. Dans les semaines qui suivirent, il m’appela pour me vendre à peu près tous les albums dont il avait ce soir-là vanté les mérites. Il était une sorte de «disquaire en chambre», c’est-à-dire sans boutique, et d’une certaine façon le meilleur disquaire de France, et c’est pour cette raison que les autres disquaires le haïssaient. Une haine dont vous n’avez pas idée. 

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             De Creepo à Creepy, il n’y a qu’un pas. Alors franchissons-le allègrement. Ils sont aussi cryptiques l’un que l’autre. Ils en commun un certain charme, mais c’est dirons-nous un charme dont on fait vite le tour. Creepy et Creepo n’avaient qu’une seule idée en tête : vendre des disques. Rien d’autre. Absolument rien d’autre.

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             Tous les amateurs de proto-punk connaissent bien Creepy John Thomas. Il est devenu avec le temps une sorte de passage obligé. Comme son nom ne l’indique pas, Creepy a démarré de bonne heure en Australie, avec les Flies. Ils font partie de la scène de Melbourne. Mine de rien, les Flies ont réussi à intégrer en 1965 la tournée australienne des Stones et de Roy Orbison. Creepy le dit lui-même : the Flies n’ont guère d’intérêt, tame pop songs. Pas de proto. Quand Ronnie Burns quitte le groupe, les Flies battent de l’aile, et en 1967 Creepy quitte l’Australie pour s’installer à Dusseldorf. Sa copine est allemande. Puis il va à Londres monter un groupe. Il passe une annonce dans le Melody Maker et recrute deux petits mecs, Walt Monaghan et Brian Hillman. Le groupe s’appelle Rust et enregistre Come With Me en 1969.

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             Ils tapent dans le fast heavy British groove en vogue à l’époque. C’est un beau power trio avec du chant plein la bouche  et un peu de disto. Avec «Think Big» ils tentent un coup à la Seeds et Creepy fait bien son Saxon. Mais leur «Delusion» reste très en dessous de la moyenne, même si après le sermon de circonstance - You just get what you need/ To make up your mind - ils se payent une petite fuite en mode gaga. Ils font de la belle pop américaine avec «Find A Hideway», ils tapent dans le psych US et là ça marche. Creepy est bon, parce qu’il est convaincu. Typique de l’époque, «The Endless Struggle» est assez wild. Mais comme l’album ne sort qu’en Allemagne, il disparaît rapidement des radars.

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             Les deux Anglais rentrent au bercail et Creepy continue de ramer en Allemagne. Il rencontre Conny Plank à Cologne. Ils enregistrent des démos que Creepy présente chez RCA à Londres. Signé. Alors Creepy retourne bosser avec Conny à Cologne, et pour se booster la cervelle, il tape dans ce qu’il appelle the psychoactive substances, comme tout le monde à l’époque. Creepy indique qu’il tire son Creepy du «Creepy John» enregistré en 1963 par le country blues trio Koerner Ray & Glover, l’un des fleurons de l’Elektra des origines.

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             Ce premier album sans titre de Creepy John Thomas tient superbement bien la route. Vroom vroom, ils font une espèce de gros boogie de gros sabots avec un chant perlé de faux accents de Bolan/Deborah (Gut Runs Great Stone»). «You’ve Got To Hide» sonne comme le blues rock des enfers. Ils ont tellement de son qu’on en frémit. Creepy fait bien la bête de Gévaudan. Ils passent au proto-punk avec «Trippin’ Like A Dog & Rockin’ Like A Bitch». Il est bien harsh, le Creepy sur ce coup-là, ils tapent leur proto à coups d’acou, il fallait y penser. Encore deux belles surprises en B : «Green Eyed Lady», attaqué à la basse et noyé sous une salade de wild disto, avec une grosse présence de la substance. Et «Lay It Down On Me», attaqué à la dure. Creepy peut te cavaler sur l’haricot vite fait, il est assez extrémiste, pas de problème, il ne vit que pour l’énormité. Il a tous les kudos du killer Brit rock. Et ça se termine avec un «Moon And Eyes Song» bien explosé, comme si Creepy lui avait enfoncé un pétard de fuzz dans le cul.

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             Le groupe tourne en Angleterre, fricote avec l’Edgar Broughton Band, mais les ventes ne suivent pas. Alors Creepy retourne en Allemagne bosser avec Conny Plank. Le deuxième album s’appelle Brother Bat Bone, alors qu’il aurait dû s’appeler Brother Back Bone : Conny Plank avait mal compris le titre au téléphone. Bon bref, c’est un album engagé, stop the war, clame Creepy dans «Down In the Bottom». Puis ils reviennent à leur cher boogie avec le morceau titre. Creepy est assez intraitable en matière de boogie. Il faut que ça arrache - That’s my name - T’as même un solo de basse. Et voilà l’excellent «This Is My Body» qu’on retrouve sur la compile I’m A Freak Baby 3 - Hey hey to the judgment day - Rien à voir avec le proto-punk, on se fourre le doigt dans l’œil, avec cette histoire-là. C’est wild, bien sûr, mais trop arty pour du protozoaire. Creepy chante en plus comme une traînée du caniveau. Il tape encore sa petite chique de rock seventies avec «Standing In The Sunshine». On s’ennuie un peu, pour dire les choses franchement. Les kids s’imaginent qu’ils vont choper le rock du diable avec cet album qui vaut la peau des fesses, mais non, c’est très moyen. Ce groupe est un boogie band ordinaire. Ils n’ont qu’un seul horizon : le boogie.

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             Puis Creepy va bosser pendant deux ans avec l’Edgar Broughton Band. Il enregistre Bandages et Live Hits Harder avec eux. Puis, c’est la carrière solo, et deux albums avec Johnny & The Drivers.

    Signé : Cazengler, Creepy John Tomate

    Rust. Come With Me. Columbia 1969

    Creepy John Thomas. Creepy John Thomas. RCA Victor 1969

    Creepy John Thomas. Brother Bat Bone. Telefunken 1970

     

    *

    Quelle drôle d’idée que de se présenter comme des loups en cage. Que veulent-ils nous signifier. Que nous sommes tous enfermés dans une cage. Puisqu’ils sont autrichiens, ils ont sans doute lu Le Loup des Steppes d’Hermann Hesse, le titre est beau, davantage roboratif, toutefois Harry Haller, le héros de e roman, n’a-t-il pas un mal fou à s’extraire de lui-même… J’ai décidé d’aller voir, faut dire que dès que j’aperçois le mot ‘’tale’’ dans un titre, le nom d’Edgar Poe s’installe dans mon esprit, je me sens l’âme de Dupin et je me lance dans mon enquête.

    A DESERTS TALE

    CAGEG WOLWES

             (Tape Capitol Music / Novembre 2014)

             De prime abord la couve n’est guère attirante, au bout de quelques minutes l’image se révèle totémique, elle captive, elle vous retient prisonnier, elle est signée d’Agaric. Tapez sur Agaric eu, sur Illustrated Music vous verrez l’ensemble des couves qu’il a consacrées au groupe depuis sa création en 2017. Il aime bien animer, quel que soit le sujet abordé, mettre sans trop  enmouvement ses créations, juste un détail. Il ne cherche pas à produire mais à suivre, une véritable attention. L’on sent qu’il doit choisir  ses sujets.

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    Christian Sarko : vocals, bass / Manuel Vlasic / Branko Dzukic / Chris ‘’Cian’’ Simon.

    Dusk : ils se définissent comme un groupe de stoner-alternatif, très logiquement nous nous retrouvons dans un désert alors que le soir tombe. Si vous pensiez à un admirable coucher de soleil sur les dunes, remisez vos cartes postales dans les poubelles de l’espoir, l’instrumental dépasse à peine la minute, il tintinnabule d’une manière déplaisante, par-dessous la rythmique essaie de vous faire croire qu’elle se prend pour le tambour des sables, mais ce n’est pas très grave car quand la mort s’annonce votre esprit possède une moins un fondement métaphysique des plus cartésien, je pense que je vais mourir donc je vis,  par contre avec cette guitare déglinguée vous comprenez que ce qui vous attend n’est pas jojo, que vous allez morflez un max. Lost in the desert : ai-je déjà entendu une guitare tituber de cette manière, l’on reprend le film à son début, pas tout à fait, il y a un bon moment que vous marchez dans cette étendue aride, la chaleur est intense et votre cerveau entre en ébullition, pour un peu vous percevriez le clapotement de vos synapses bouillonnantes. Heureusement qu’un chant d’espoir se fait entendre, enfin si l’on écoute avec attention ce n’est pas si clair, par derrière vous avez un grésillement  comme… un vent de sable qui n’en finirait pas de souffler, pas à grande vitesse, pas une tornade, si constant qu’il en devient, fatiguant, pénible, angoissant, sans compter cette lenteur, même si vous vous dites que cette surface doit avoir une fin, vous clopinez un plus fort, bourdonnement dans les oreilles, interlude musical illimité, l’en devient pesant, démoralisant, la batterie alentit vos pas, la guitare de votre imagination vous pousse en avant, le chant s’essouffle, votre silhouette ressemble à celle d’un dromadaire  d’un dromadaire boiteux, parfois l’humour impose une borne  au découragement, tout de même vous  devez reconnaître que plus vous avancez, moins vous progressez, et si ce méhari n’était pas une pensée mais un véritable être vivant annonciateur de ce palais des mille et une nuits sis au milieu d’une oasis luxuriante, le vent forcit, il dissipe le mirage de sable de mon imagination, de mon désir de partir, la guitare comme un moteur d’avion qui vrille,  tout s’accélère, feu brûlant du soleil, ou vents torrides, je ne sais pas, je ne sais plus, je suis perdu, suis-je au-travers des dunes, ou dans le désert de mes rêves. Eleutheromania : aux grands maux les grandes idées. Certes c’est un peu compliqué, n’empêche que perdu en ce désert je ne me plains pas, n’est-ce pas le moment de me livrer à mon idée fixe, à cet amour immodéré de la liberté, que j’ai toujours recherché, guitares optimistes et excitantes, grondeuses de désirs libérés, je cours dans ma tête alors que je suis en plein milieu du désert, peut-être la prochaine enjambée sera-t-elle celle qui me libèrera de mon passé et me donnera accès à cet eldorado libertaire que j’ai toujours cherché en vain, la batterie alerte trottine, ne suis-je pas en train de quitter la carapace protectrice de mon vieux moi, ne suis-je pas en train de muer, de devenir le prince d’un royaume intérieur ou extérieur de toute beauté, de toutes possibilités ouvertes. Laguna : Une lagune est  la dernière chose que l’on s’attend à trouver dans un désert, est-ce pour cela que la batterie bat toute seule comme un cœur angoissé, et cette guitare qui n’ose pas faire de bruit, la voix traîne des pieds dans le marécage intérieur, elle n’est pas sûre d’elle-même mais elle est certaine de la réalité de son rêve,  pas vraiment joyeuse car elle sent que la dimension dans laquelle elle évolue n’est pas très éloignée de son propre passé, certes elle est dans le désert mais il suffit de vouloir vivre dans les intempéries du désert, de le considérer comme l’endroit de la liberté pour devenir libre, une sensation de liberté éthérée chiffonne mon âme et l’emporte comme un fétu de paille, je suis devenu le roi de mon univers, la musique éclate et rocke de tous les côtés, exaltation féérique.

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    The lost tale : le conte perdu, il est raconté le soir autour du feu, le Voyageur raconte, il parle, la musique imite le soir qui tombe et les mystères de la nuit, le Voyageur raconte d’où il vient, il parle de son royaume, sa voix est comme doublée comme si toutes les âmes du village répétaient le récit au fur et à mesure qu’il le prononçait, moment de grande persuasion, les esprits de son auditoire infusent, ils captent, ils comprennent, l’histoire est merveilleuse, eux-aussi ont envie de se rendre en ce pays aussi beau qu’un rêve, mais cela ne les rend pas joyeux, l’angoisse les saisit, l’intuition que le voyage qu’ils vont entreprendre ne sera pas de tout repos leur apprend qu’il leur faudra marcher longtemps, longtemps, et que les contrées sableuses qu’ils auront à traverser… ne sont-ils pas déjà en route alors qu’ils restent groupés autour du feu, leur village ne perd-il pas tout son charme, ils savent désormais que le mystérieux inconnu les attend et l’angoisse les étreint. Call of the void : Qui saurait résister à l’appel du vide, ils sont en marche, cahin-caha, chaque pas les éloigne de leur ancienne vie et les rapproche de ce royaume vers lequel ils se sont mis en route, mais peut-être dès le premier pas accompli en ont-ils franchi la frontière, ce n’est pas le paradis, mais un espace qui bruit de vide et d’appels,   Le Voyageur qui les guide n’a pas peur, il avance imperturbable et eux ne savent plus s’ils visitent un pays réel ou s’ils arpentent un rêve, qui peut-être ne leur appartient pas, long solo de guitare comme une barrière infranchissable de barbelés qui une fois franchie laisse place à une autre réseau de barbelés… où sont-ils, où vont-ils ?ils ne savent pas, l’eau de la peur inonde les caves de leur âme. Chaac : incroyable mais vrai, ils sont arrivés, ce n’était pas un mensonge, ils rient de leurs appréhensions, les guitares dansent, mais la voix reprend son conte, elle décrit la situation idyllique, cette vie de repos et de bonheur infinis, guitares et batteries sautent de joie… mais que se passe-t-il, qu’arrive-t-il, impalpable mais vrai, déjà ce n’est plus comme tout à l’heure, la musique ne joue plus, elle sonne le glas, la guitare se met au blues,  la pays de Chaac ne serait-il qu’une fausse promesse, qu’un bonheur illusoire, une fois que l’on a mordu l’écorce amère de de ce doux fruit sucré qu’est l’orange du rêve, sommes-nos condamnés à pâtir sans fin, à ne plus être libre à être soumis à des forces supérieures qui nous dominent, comme des hurlements de terreur, à moins que ce ne soit une tempête de sable qui engloutisse les rêves les plus fous et les plus éclatants sous les dunes de la réalité… musique et batteries recouvrent tout, la voix s’est tue, combien de royaumes perdus qui eurent la transparence rayonnante du rêve dorment pour toujours enfouies sous des millions et des millions de tonnes de sable. Dawn : l’histoire est terminée, un dernier instrumental pour reprendre nos esprits, est-ce down (au plus bas) ou dawn (aube renaissante) choisissez, le désert à moitié plein de réalité ou à moitié vide de rêve, soyez optimiste ou pessimiste, qu’il soit rêve ou réalité le désert vous permettra d’’être vous-même. Ce qui est sûr c’est que Dawn n’est que la reprise de Dusk, même les serpents du désert se mordent la queue, leur  motsure symbolise autant la barrière d’un lieu protecteu, que la viduité de la mort. Mais si l’on y pense le verre de la vie n’est-elle pas le verre à moitié vide de la mort, et le verre de la mort n’est-il pas le verre à moitié plein de la vie… 

             Ne vous perdez pas en ratiocinations infinies, imitez Harry Haller qui dans le dernier paragraphe du Loup des Steppes se promet qu’il va recommencer à vivre et ne pas rester enfermé dans sa propre cage…

             Quant à notre loup encagé, nos Caged Wolwes, notez ce pluriel qui signifie que leur conte s’adresse à tous, félicitons-les pour l’originalité de cet opus dans lequel les lyrics, très soignés, et la musique forment un tout indissociable.

    Damie Chad.

     

    *

    Il y a des trucs qui ne trompent pas plus qu’un éléphant car un éléphant peut être un véritable éléphant, néanmoins il vous trompe. Bref la nuit tous les éléphants sont gris. N’y avait que le nom du groupe, à sa consonnance j’en ai déduit qu’ils  étaient mexicains. C’était une erreur. Dans laquelle je me suis empêtrée. Un groupe avec un tel nom à résonnance mexicaine qui a signé sur le label Glory or Deatth Records ne pouvait être que du pays des Chicanos, l’on sait comment ce peuple aime la mort ! Refilent même des squelettes en sucre comme bonbons à leurs mioches ! Géographiquement je n’étais pas loin, ils sont du Brésil, mais ils doivent eux aussi partager une légère propension pour le rire qui tue car traduit en français leur nom signifie : Cercueil !

    ENTRE O VELHO TEMPO FUTURO

    CAIXÄO

    (Vinyl / Glory or Death Records / Janvier 2024)

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    Etrange pochette. Quel est cet étrange iceberg hexagonal incliné au bord de ce rivage déserté. Distingue-t-on vraiment une demi-douzaine de fourmis humaines en proie à une violente agitation. L’on ne peut s’empêcher à la première scène de 2001 Odyssée de l’espace, mais peut-être est-ce juste une illustration du titre de l’album, Entre le passé et le futur, ce bloc de glace titanesque en train de fondre représente-t-il notre passé en train de s’éloigner de nous sans que nous sachions encore quelle forme prendra notre avenir. La montagne engendrera-telle une souris, et si nous étions la montagne et si la mort était une souris…

    Le groupe est fondé en 2018 par Italo Rodrigo batteur de plusieurs groupes de metal. Il semble que le personnel ait beaucoup changé au cours de sessions qui se sont étalées entre 2021 et 2023.

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    Fungo : (champignon) : nous hallucinons, serions-nous retournés dans le passé, pas le nôtre, précisément celui du rock’n’roll, dans les années soixante, l’instrumental est farci au Farsifa, si ce n’est pas cette marque c’est donc sa sœur, la batterie est plus proche des années soixante-dix et la guitare se tient  entre les deux. L’on ne sait pas trop où l’on est, sûrement entre la vie et la mort. Bloodsteins : coup de blues si j’en crois l’intro mais le vocal nous détrompe, d’autant plus que la guitare nous fait le coup du hard-rock, l’orgue nous fait l’imitation du piano rockab avant de revenir à un jeu plus orthodoxal, ce n’est tout de même pas Steppenwolf, la guitare nous file un solo quinze nœuds avec vent arrière plein les voiles, l’on dirait une démonstration : tout ce que l’on est capable de faire, pour les paroles on n’y croit guère, le gars qui veut se retrouver et qui prend la route intérieure pour revEnir en lui, quant aux taches de sang l’on n’y croit guère… Je continue sur les routes. Revenir à l’intérieur. Fuir cet engrenage qui m’époustoufle. D’ici là je me retrouverai fermement avant que tout ne soit détruit par la machine et qu’il ne reste rien J’attends ta descente pour flairer les flaques d’hémoglobine sur le chemin. Lux extranha en Quixadà : (Etrange lumière de Quisada : ville du Brésil entourée de montagnes aux formes bizarres) : un instrumental drôlement bien foutu, petit frisson au début, mais ensuite l’orgue nous fait la démonstration du siècle, il siffle, il klaxonne, il file vers la stratosphère, sûr qu’il cherche à vous éblouir et qu’il y réussit. Vous avez envie de téléphnner à votre agence de voyage pour commander un séjour à Quixadà. Introspecçäo : (introspection) : la fièvre retombe à El Paso, si vous pensez partir pour une méditation métaphysique, Ce n’est pas tout à fait cela, vous voici dans les années soixante à la fête communale, tout le monde danse, sauf vous qui avez collectionné des dizaines de râteaux toute la soirée. In the shadow of the red sun : retour in the seventies, pas de temps à perdre, la rythmique assure, la guitare ne fume pas un pétard, n’y a que les paroles qui vous annoncent que la fin du monde est proche, que l’Humanité arrive à son terme, ce qu’il y a de terrible c’est que l’on n’y croit pas un instant, peut-être parce qu’il y a un décalage entre les lyrics qui nous parlent d’aujourd’hui et non d’avant-hier, surtout parce que la musique les annule. Aniversàrio del Màgico : (anniversaire du magicien) : z’ont enfin compris, reprennent leur blues rapide mais le vocal s’y colle dessus, ne cherche pas à nous avertir de la prochaine apocalypse, faut dire que la guitare distord la réalité, et qu’un petit remontant de pilules bleues aide el cantaor à se concentrer dans sa psyché éclatée. Mar ciano : (mer de cyan) : la mer est bleue, tendre et rose, elle vous berce à l’acoustique, votre tête qui a éclaté dans le morceau précédent a besoin de recoller le puzzle mental qui la squatte. Sur la fin, ils essaient de vous persuader qu’ils savent tout faire, l’est sûr que dans un instrumental il faut mettre les barrés un peu hauts. Talvez : (peut-être) : Au début vous avez l’impression qu’ils vous refont le précédent, l’ont colorié en rouge pompier, et sont des partisans du tout électrique, brusquement tout change, vous voici transportés sur la côte Ouest, west pacific, votre corps balancé est bercé par la plus belle des torpeurs, vous ne savez plus où vous êtes, mais vous n’avez jamais été aussi bien… Enquanto o mudo Jorra sangue : (quand du silence jaillit le sang) : intro un peu jazzy, ne craignez pas le sang, il y a longtemps que vous avez quitté votre corps, vous êtes parti si loin qu’au bout d’une minute la musique s’arrête, sans doute désormais vous vous suffisez à vous-même. Qu’auriez-vous besoin de quelque chose qui vous serait étranger… Candelabro ( Bonus) : vous avez tout de même un cadeau-bonux. Sur YT vous avez une visual vidéo qui vous permet de les voir en chair et en os. Pas trop non plus. La caméra est avant tout fixée sur les doigts des deux guitaristes et du bassiste. Attention, z’ont l’air sérieux comme des papes. Exercice convaincant. Sur les premières images se superpose le logo du groupe en forme de cercueil.

             Un groupe qui semble un peu à la recherche du son qu’ils ont déjà trouvé. Mais qui n’en reste pas convaincu. Peut-être parce que dans leur imaginaire ils se confrontent aux groupes mythiques d’une époque révolue. Leur façon à eux de retourner dans leur propre futur.

    Damie Chad.

            

    *

    Exilé volontaire en Thaïlande Bill Crane revisite le rock avec ses propres moyens : micro, boîte à rythmes, guitare. Le strict minimum. Mais un besoin vital. Le rock vous colle à la peau. Bien plus que la peau du serpent ne tient à sa chair sinueuse. On appelle cela l’heureuse malédiction des rockers.  Interdisez-vous d’en déduire qu’Eric Calassou alias Bill Crane serait un grand monomaniaque. Vous seriez en dessous de la réalité. A vrai dire c’est un multimaniac, il compose, il écrit, il déclame de la poésie, question arts plastiques il s’adonne à la photographie. J’avais d’ailleurs le projet de consacrer une chronique à ses dernières visions, mais il vient de sortir un album numérique de douze titres sur You Tube, et le rock’n’roll passe avant tout. Dura lex, se plaindront qui ne sont pas fans de cette musique, écoutons toutefois Cicéron qui ajoutait : sed lex !

    THE DREAMER

    BILL CRANE

             Une pochette qui utilise le même jeu de couleurs que le précédent Covers (voir KR’TNT ! 640 du 11 / 04 / 2024), un bleu outremer si près de l’outre-tombe crépusculaire cher à Chateaubriand et de ce mauve couleur des fleurs plastifiées des couronnes de cimetière. Faut dire que la cloison de verre carrelée ressemble à s’y méprendre à une grille de prison, quant au seul objet de la pièce qu’elle enclôt il s’avère être une boîte, au mieux à rêves par procuration, au pire un aspirateur mental. Vous possédez sûrement chez vous une de ces machines dangereuses. Ne culpabilisez pas, je suis en train de me servir de l’une d’entre elles pour rédiger cette chronique.

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     Mustang : dans le rock tout est question d’imagerie ou pour employer un terme moins encombrant de mythographies. Ne confondez pas avec les Mythologies de Roland Barthes penseur au ras des pâquerettes pour intelligences contemporaines anémiées. Le mot ‘’Mustang’’ claque comme un coup de feu. Beau nom pour un groupe de rock, en 1962 les Mustangs accompagnèrent Billy Bridge. Nous voici aux racines du rock français. Avant de continuer, munissons-nous de notre winchester pour partir à la chasse de Sarah Paling, égérie du Tea Party qui adorait massacrer depuis un hélicoptère les chevaux sauvages des immensités américaines. Le Mustang instrumental  de Bill Crane trotte gentiment, l’on ne sait pas où il nous emmène mais le morceau n’atteignant pas les deux minutes nous n’allons pas tarder à le savoir. C’non Everybody : si vous croyez être en pays connu, après un instrumental un peu à la Shadows, un hit suprême d’Eddie Cochran. Nous sommes donc au pays du rock’n’roll. Pas du tout. Va falloir affûter les notions de base. Exit le good old rock’n’roll des pionniers, nous sommes en une autre dimension que nous appellerons le méta-rock. Le méta-rock se situe avant ou après le rock. Il ne s’agit nullement d’une vision historiale, du genre après le punk nous avons eu droit au post punk. Non le méta-rock se situe dans votre esprit. C’est votre propre représentation du rock, tel que vous l’analysez, tel que vous le pensez, tel que vous le rêvez… Croiriez-vous que cet album soit nommé The Dreamer par hasard. Ce rock’n’roll intellectuel Bill Crane le sort de sa tête pour vous le décrire. Il pourrait le décrire en vers ou en prose, il pourrait le dessiner ou tenter de le transformer en esquisse photographique, ou l’expliciter lors d’une conférence, il joue le grand jeu, il vous le joue. Nous refait le coup du premier vingt-cinq centimètres de Vince Taylor Le rock c’est ça nous dit-il mais il nous est demandé de comprendre : Le rock ce n’est pas ça. Réfléchissez un minimum : si vous définissez un papillon en le décrivant  comme un insecte, vous n’êtes plus dans le papillon mais dans le monde des insectes. Bill Crane  vous propose l’interprétation de sa propre idée du rock. Le C’mon Everybody en traduction libre signifie : Venez tous faire la fête. Donc en début vous avez une fille – élément essentiel à toute party adolescente - qui parle, et le gars qui l’appelle. Il ne lui dit pas viens poupée, c’est sa voix qui lui sert d’appeau,  le serpent du désir se traîne sur le plancher, prend son temps, sait y faire pour parvenir à son but, tantôt il encourage, tantôt il fait semblant de supplier,  il sait fasciner, il sait se dérober, la musique se tortille gentiment, le reptile du vocal fait le beau, il se dresse, il obtient sa satisfaction. Guitare minimale, résultat maximal !  Turn on the radio : pour les premières générations rock, la radio a été le vecteur (peu vertueux) du rock, ici nous avons droit à l’hymne au transistor,  l’on pense au Rock’n’roll de Lou Reed, c’est aussi poisseux et pervers que le Velvet, Bill Crane insiste, ressemble à un sorcier indien qui marmonne des sentences incompréhensibles que tout le monde comprend, l’est un peu obsédé, la fille doit danser à tout prix, il en bêle tel un agneau qui cherche le pis de sa mère, la fin du morceau se transforme en une espèce de blues fantôme, l’est certain que personne ne pense à éteindre l’appareil, y a trop à faire. Driving on my car : vaut mieux tirer une fille dans une tire - préférez la décapotable à un poste à galène - le rocker joue au playboy, il sifflote, il module, sort le coup du fantôme, un peu de rire, un peu de fausse peur, pour qu’elle se serre tout contre lui, maintenant l’est trop occupé pour chanter, la musique se fait douce pour ne pas les déranger. The sound of sleep : le sommeil c’est bien mais c’est mieux quand on se réveille, est-ce pour cela que la guitare  sonne un tantinet plus fort que d’habitude et que Bill Crane imite un peu la voix ensorceleuse de Jim Morrison, la boîte à rythmes prend le relais tandis qu’il risque quelques chatouilles vocales, silence, on ne parle pas la bouche pleine. Opium blues : bleu cyanure. Merveilleux instrumental. Gouttes d’eau qui rebondissent dans les flaques du néant. Coïtés abso(b)lues.

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    The dreamer : le dreamer rêve en lui-même. Le dreamer dreame, ce n’est pas un drame. Juste un rêveur. Celui qui préfère ne pas toucher à la réalité des choses. La cueillaison du rêve n’est pas le rêve. Le rêveur parle, sa voix ne touche pas la musique, ce serait du rock, mais nous sommes en méta-rock, alors l’accompagnement joue pour lui, la musique poursuit son rêve. Aucun des deux n’a besoin de l’autre. Iles subtiles. Encore un garçon : délire. Histoire d’un couple, quand il y a un garçon pas besoin de chercher il y a aussi souvent  une fille, la musique gentillette, tout repose sur cette voix fuselée qui vous décrit la rencontre la plus habituelle comme si elle racontait une histoire d’extraterrestres…  Un rêve de dreamer qui métamorphose la réalité en fiction interstellaire. Blue dream : il est des choses qu’il vaut mieux vivre dans sa tête, longuement, musique lente, y a comme un violon qui chantonne, de petits grésillements parce que parfois on s’accroche à un rêve comme à un clou. Rien de grave. Shake shake shake : retour à la chaude réalité, shake, rattle and roll, n’y a jamais eu mieux sur cette terre, le méta-rock se confond un peu trop avec le rock. Don’t let me go : le rêve en chair et en os s’échapperait-il, se terminerait-il, Bill Crane chante comme un vrai rockeur, sa guitare n’ose pas une distorsion stridente, mais elle sonne si bien que l’on sent que ça ne la gênerait pas. Cowboy space : ce coup-ci l’histoire se termine pour de vrai, le garçon remonte dans sa soucoupe volante et retourne dans l’espace de ses rêves. Au bout d’un moment, son engin disparaît brusquement et l’instrumental stoppe.

             Un véritable space-opéra. Une face A : côté filles / Une face B : côté garçon. Cherchez le dindon de la farce.  Cet album est un véritable bijou. Tout en finesse. Une histoire décalcomanique du rock’n’roll, amusez-vous à retrouver les morceaux qu’évoque chaque titre, et faites-vous la remarque qu’avec cet opus Bill Crane est parvenu à échapper cette nostalgie-rock dans laquelle baignaient tous les précédents. Preuve qu’il a réussi à atteindre l’essence du rock’n’roll.

    Damie Chad.

     

    *

    J’aime les corbeaux. A priori je déteste ceux qui se vantent de les effrayer. Quoique la tâche me paraisse impossible, ne proviennent-ils pas des rivages immémoriaux et plutoniens, si je m’en rapporte à Edgar Poe, alors quand je vois qu’un groupe se prénomme Epouvantail, je hausse les épaules. D’abord ce n’est pas original, il existe une quinzaine de groupes qui ont choisi cette appellation. Je passe à autre chose, tiens des russes, cela pique ma curiosité, basés à Perm dans les monts Oural.

    SCARECROW

    III

    (Ritual Sound / 13-11-2024)

    Ce n’est pas leur premier disque. Celui-ci s’inscrit après Scarecrow, et II, numéroter ses propres opus sous-entend, telle est mon impression, soit que l’on est totalement dépourvu d’imagination, ou alors la solution que je leur attribue : que l’on prétend ériger une œuvre majeure. Parallèlement ils poursuivent un deuxième cycle, davantage dark side si l’on en juge d’après les titres : Noferatu, Ghost, Golem.

    Pochette : dunes orange, nuages orange, quelques cumulus noirâtres, au loin un astre pallide, serait-ce la lune ou le soleil qui se meurt à l’horizon. Dans cette immensité désertique orangée, une forme humaine minuscule, serait-ce lui l’épouvantail, non l’on imagine un individu, peut-être le dernier de notre espèce, la plus nuisible de toutes. Cette image : The Saffron Skies est attribuée à Igor Odincov.

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    Artemis : Vocals, Oud, Clarinet, Flute, Piano, Percussion / Max : Guitars / Elijah : Bass Guitar, Core Bass / Vadim : Drums, Percussion / + Orza :  Andrey : Percussion / Olga : Percussion.

    The safran Skies Overture : (vidéo 1) : on croirait entendre une ouverture symphonique, très vite l’ambiance change, l’on quitte les rives occidentales pour les sablières orientales, l’oud c’est fou, l’on est partis, à méharis, à cheval, à pied, imaginez tout ce que vous désirez, faites-vous votre film, partez à l’aventure, quittez votre morne existence soyez Alexandre dans le désert d’ Gédrosie ou Lawrence d’Arabie vers Akaba, ayez des rêves plus grands que vous, leurs cendres vous survivront.  The Hymn : (vidéo 2) : heavy metal en avant toute, Artémis entonne l’hymne de la grande partance, comment résister à ce timbre d’acier, il sait gémir à la manière de Robert Plant, sur ce genre d’exercice pas question de se planter, guitare oriflamme qui vole au vent, il a un nom de déesse, il le mérite, il ne vous encourage pas, il vous entraîne, que se lève la tempête rien ne l’arrête. Le monde sera à vous si vous suivez le soleil, si vous buvez sa force. Eastern nightmare : des bruits indistincts de foule, la basse d’Elijah titube, violents coups de vent d’oud, la voix d’Artémis n’est plus la même, douterait-il, le cauchemar que vous traversez aura-t-il besoin de vous, il ne cache pas la folie qui vous habite, sortilège, vous voici dans la ville, quelle est-elle, elle s’enroule autour de vous comme le serpent du charmeur, des arabesques de traîtrise vous assaillent, votre esprit vacille, vous ne savez plus où vous êtes, perdu en vous-même ou dans la ville du plaisir, ici tout est permis, des envolées et des retombées, l’or se change en plomb aussi vite que le plomb s’était mué en or, les tourbillons de l’instabilité mentale vous assaillent, êtes-vous dans un palais de marbre turgescent ou un agonisant dans les sables mouvants du désert, Artémis vous envoûte, vous le suivrez sur toutes les routes, vous croyez entendre la voix d’Oum Kalthoum.

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    The foe : (vidéo 3) : dans le cauchemar de votre marche, vous ne savez pas si vous avez rêvé de cette ville imprenable, maintenant vous savez, la musique lève les étendards de la guerre, pas de pitié, pas de quartier, que l’ennemi soit brave et se défende bien, chant de mort, de haine et de violence, Artémis vaticine et menace, il monte à l’assaut des murailles de pierre, la batterie rythme l’assaut, cavalcades de chevaux pour les razzias impitoyables, la ville tombe et succombe sous la trombe impitoyable. Rising sands : oud solitaire. Le soir tombe. C’est l’étape. Pas de repos, tout se passe dans les pensées. Les bras de l’épouvantail du heavy metal brasse le vent des souvenirs et le sable de la mémoire. Artémis lève la voix, elle semble prendre feu au brasier du froid du désert, elle ressuscite les fantômes dédaignés, tous ces palais, tous ces jardins que l’on a abandonnés, ce qui a été n’existe plus, le serpent de sa voix épouse l’amère réflexion des jours perdus à jamais, ce n'est pas la paix de l’âme… toutefois la halte bienfaitrice calme l’inquiétude des angoisses, une communion s’établit avec le vide du désert. Eternal ones : (vidéo 4) : le temps a passé. Les errants se sont arrêtés. Dans le silence de la nuit, le chant s’élève, l’instrumentation rase le sable du désert et l’herbe des oasis, ce n’est pas une prière adressée à un Dieu mais une élévation métaphysique, l’instant précis où l’on prend la mesure de ce que nous avons été et de ce que nous sommes.  Nous sommes des errants, la terre est infinie. Elle nous appelle autant que nous la désirons. Maintenant nous savons que nous sommes les fils de notre destin, et que notre destin est immortel. Depuis toujours l’éternité marche à nos côtés. The turtle : (vidéo 5) : darkness du heavy metal, la voix d’Artémis vient de loin, les hommes passent et trépassent, les tortues se contentent de ramper insensibles à nos misères comme à nos exploits, tout ce à quoi nous avons cru s’effondre, les générations se succèdent sans que rien ne change jamais… la batterie trépigne et répépiège, le reste de l’orchestre vient à son secours, le pendule du destin se met en branle. Rien ne l’a jamais stoppé, rien ne l’arrêtera. Ce morceau possède la force nihiliste de l’Eclésiaste. The saffron skies : si vous pensiez que l’on a atteint le fond du désespoir… s’élève maintenant le dernier cri, celui du survivant qui a cru que la vie lui survivrait, un blues poignant et agonique, l’Ultime ne laissera pas de descendant. Autour de son cadavre même pas une tortue qui passe… Que sont l’espace et le temps lorsque le mouvement est mort. Sublime Artémis au chant, admirablement servi par sa formation.

    Un véritable chef-d’œuvre de toute beauté.

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    Je suis beaucoup moins enthousiaste pour les vidéos, ils ont cru bien faire, ils ont voulu marquer le tout, parfois il est inutile d’en rajouter :

    Vidéo 1 : une suite musicale de quinze minutes à savourer. Les paysages et les décors sont parfaits, je préfère écouter la bande-son en fermant les yeux, quant à l’histoire mise en scène par les acteurs qui sont les musiciens, je la trouve un peu inepte, il manque un véritable réalisateur, vous avez le droit de ne pas être d’accord avec mon jugement.

    Vidéo 2 : Plaisir de voir les musiciens jouer, de temps en temps Artémis sur son cheval, s’amuse au guerrier avec une épée et un drapeau rouge frappé d’un corbeau noir. L’ensemble est agréable à voir.

    Vidéo 3 : le groupe en train de jouer, quelques secondes est projetée derrière la scène le blason guerrier de The Foe. Le reste du temps sur la gauche de l’écran s’affiche discrètement un fragment de l’image.

    Vidéo 4 : sans surprise, le morceau est mis en images, assez sobrement, point de scénario grandiloquent.

    Vidéo 5 : les musicos oui mais derrière eux, cette tortue géante en surimpression un peu lourdingue… Disons superfétatoire pour ne vexer personne. En filigrane aussi des images d’évènements et de guerres du siècle passé, serait-ce une manière d’inciter à considérer les turpitudes guerroyantes actuelles d’une manière un peu plus philosophique…

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 665 : KR'TNT ! 665 : JOEL GION / EMPTY FULL SPACE / SILVER LINES / MYSTERY LIGHTS / CLIFF NOBLES / DREAMLONGDEAD/ HORRENDOUS / BEE DEE KAY DRIVES THE U.F.O. ZZZ / JAMES BALDWIN / GENE VINCENT

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 665

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    14 / 11 / 2024

     

     JOEL GION / EMPTY FULL SPACE / SIVER LINES

    MYSTERY LIGHTS /  CLIFF NOBLES

     DREAMLONGDEAD / HORRENDOUS

    BEE DEE KAY DRIVES THE U.F.O. ZZZ 

    JAMES BALDWIN / GENE VINCENT

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 665

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - ExtenGion du domaine de la lutte

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             Joel Gion revient en force dans l’actu avec une grosse autobio, In The Jingle Jangle Jungle, sous-titrée Keeping Time With The Brian Jonestown Massacre. On saute dessus pour deux raisons évidentes : un, Joel Gion était devenu le chouchou de Jean-Yves (hello Jean-Yves !), et deux, Joel Gion est sans conteste le rocker le plus drôle de l’histoire du rock, c’est en tous les cas le souvenir qu’on a tous de sa presta dans Dig!, le magic movie d’Ondi Timoner, qu’on a tous a-do-ré. 

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             Et voilà qu’arrive ce pavé de 350 pages d’une rare densité, tant par les choix typo que par la qualité du style. Joel Gion est un fantastique écrivain. Il brosse bien sûr un portrait somptueux d’Anton Newcombe, et nous narre dans le détail l’histoire du psychedelic underground de San Francisco dans les années 1990. In The Jingle Jangle Jungle a tout du passage obligé. Au prix d’un billet de trente, c’est pas cher payé pour un passage obligé, autrement dit un classique d’art rock contemporain. Alors, on va te dire une fois encore : «Ahhhh mais c’est écrit en anglais», et tu vas devoir répondre une fois de plus : «Tu passes ta vie à écouter des trucs chantés en anglais, alors où est le problème ?» Au bout de 50 ans, on finit par se fatiguer d’avoir à rétorquer la même réponse. Les Anglais ont un joli mot pour qualifier cette tare typiquement française qui consiste à écouter des chansons sans comprendre les paroles : nonsense.

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             Un seul mot pour qualifier l’humour de Joel Gion : dévastateur. Un seul mot pour qualifier son style : rock électrique (au sens où l’entend Eve Sweet Punk Adrien). Un seul mot pour qualifier ce rock book : chef-d’œuvre. Ce qui donne en résumé : un chef-d’œuvre de rock électrique dévastateur, à ranger dans l’étagère du haut à côté des deux Nick Kent, des trois Andrew Loog Oldham, des trois Sweet Punk Adrien, des Mick Farren et des quelques autres régulièrement cités.

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             L’humour ! Joel se pointe dans une gare routière pour se rendre à Portland, et arrivé à la caisse, il se dit ça : «I’d always wanted to ask in my best Edward G. Robinson voice, ‘Shaay, shee, when’s the next bus up to Portland? Shee, meah.’» Il dit aussi qu’une nuit, il était tellement défoncé qu’il s’est endormi sur les marches d’une église et qu’il a été réveillé par la foule de churchgoers qui arrivaient pour la messe : il bloquait la porte. Revolution is not supposed to be easy, rappelle-t-il en bas de page. Dans un autre passage hilarant, Joel raconte qu’Anton lui propose de goûter le DMT - I take a hit. It kinda tastes like a tire. As I exhale the smoke away from me, a computer grid-like psychedelic world is released that comes toward me and surrounds the smoke from every direction, seemingly a melding of another dimension which I am also surruounded by - Bref, ça lui monte aussitôt au cerveau, il trippe comme un malade. Il tombe sur le dos et Anton lui replie les genoux en cadence sur la poitrine, comme pour sauver un noyé, «Out with the bad... in with the good... out with the bad...» Le trip tourne au gag. Pure ExtenGion. Et quand il dit qu’il n’apprécie pas trop la coke, il explique que c’est en fait «the key factor in why my brain still functions enough to even be writing all of this today.»

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             Joel est un remarquable styliste rock. Cette langue purement rock est celle qu’on recherche chaque fois qu’on attaque une autobio. Là, crack, c’est immédiat. Ça, par exemple : «What I did not see coming was that from that night forward I’d begun the bonkers, out-of-my-head journey that would eventually lead me to the mental state where playing the tambourine as a life-identity role made perfect sense.» Oui, Anton ne lui demande qu’une seule chose sur scène : jouer du tambourin. En quatre lignes, Joel résume tout l’épisode Brian Jonestown Massacre. C’est aussi l’époque du renouveau de l’underground à San Francisco, et il a une formule magique pour exprimer ça : «The underground rave scene is one of today’s major subcultures, and tonight its San Francisco Bay Area guard are currently holding ceremony on the outer edge of America.» C’est à la fois somptueux et vrai : on eut clairement l’impression à l’époque que le Brian Jonestown Massacre réinventait le rock, comme Loose Gravel, les Charlatans et les Groovies l’avaient fait auparavant. Ils ramenaient l’élément fondamental qui est l’excitation. Et il a les mots pour décrire ce qui se passe sur scène avec le groupe, et notamment Jeff Davies, truly a guitar player’s player : «His fingers began dancing a fast motion can-can up and down the fretboard doing this rockabilly country twang thing then suddenly spun around to show bare, ferocious garage-rock fangs. A fusion of both gorgeous melody and rotten trash that traded off and combined into metamorphosed melodies fluttering all around him like vampire butterflies.» Cette langue riche et imagée, tu la bois comme tu bois l’eau au sortir du désert. Car c’est bien de cela dont il s’agit : savoir dire les choses du rock, que ce soit dans le vécu ou dans l’écoute. Joel jongle à n’en plus finir avec des trucs de son invention, du style «pilled-out whiskey speed buzz-ball», des caravanes entières de mots valises, des mots qui parlent tout seuls, et si tu es traducteur, tu sais que c’est intraduisible. Aussi intraduisible que le sont dans des styles différents, Henry Miller, Bukowski et Milton Mezz Mezzrow. Pour décrire le coup de pied dans la gueule que lui envoie Matt Hollywood, Joel tape ça sur son clavier : «Instead, what happens is whacked-out whiskey-wasted Matt goes into such a football style wind-up kick that it even includes a run-up step and he kicks me right in the face as hard as he can.» Tout ça pour dire que Matt prend son élan et frappe dans la tête de Joel comme dans un ballon de football. On le voit d’ailleurs dans le Dig! movie, ça se bagarre pas mal dans le BJM. Anton a le coup de poing facile.

             Quand il monte défoncé dans le van, Joel s’écroule sur le siège passager, la gueule contre la vitre «and not even trying to hide the fact that I am fucked.» Il a aussi cette façon de décrire les parties et les backstages qui est assez unique - Backstage at La Luna, there’s all kinds of intoxicating options and after doing some rounds of the markeplace I pass on the coke, weed, ecstasy, acid and do a take-up on my old spirit chemical, speed - Et puis ça qui en dit long sur sa désinvolture naturelle : «Not to say Beatles boots are the most comfortable shoes out there, because they aren’t. But they’re not supposed to be; neither is life.» Ces traits d’esprit le situent admirablement bien. Il conserve une distance par rapport au manège du rock, même s’il passe le plus clair de son temps à se défoncer, mais l’esprit reprend toujours le dessus. Même quand il dégueule  - It was a thin but long healthy squirt fountain of fire-engine-red Kool-Aid barf. The sight of this gets me going again and I start convulsing like a cat with a hairball -  Et pourtant le fête continue, le groupe monte sur scène - The show is going rock solid and for me this is one of those unusual moments in life where all high expectations are fulfilled - Il sait dire l’intense bonheur d’être sur scène. Comme Will Carruthers au temps des Spacemen 3 et de Playing The Bass With Three Left Hands, il sait de quoi il parle.

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             L’héros du book, c’est bien sûr Anton Newcombe. Quand Joel voit Anton sur scène pour la première fois avec le BJM, c’est en 1991, en pleine vogue shoegaze anglaise : des groupes comme Ride et Lush jouent à San Francisco. Pour Joel, le BJM sonne comme les Spacemen 3, mais il se sert de ses influences pour en faire «his own new thing». Joel est aussitôt fasciné par Anton - There is an indescribable natural aura about him, a drugless zen of the kind that is up to the observer to find, because he himself seems to be uncounciuous of it. Like a cool vibe that comes with a house; it just is - C’est finement observé. Un mal dégrossi aurait dit d’Anton qu’il est «fucking great», et Joel préfère le «drugless zen of the kind that is up to the observer to find». C’est toute la différence entre un écrivain et un mal gégrossi. Joel raconte l’enregistrement du troisième album du BJM, Take It From The Man, et comment Anton apporte les dernières touches au «Sonic Big Bang» - One hour ago it didn’t exist. Now it does - C’est la façon qu’a Joel de résumer en une formule le génie sonique d’Anton Newcombe.

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             Joel quitte parfois le groupe, mais Anton est toujours content de le revoir - Il s’était fait couper les cheveux après la débâcle du Viper Room, et là, il revenait à son look Mod, portant un simple navy-blue pullover et un Levis blanc. Il me voit à travers la pièce et me fait un grand sourire. Time to get back to work - Ce book est aussi l’histoire d’une fantastique amitié entre Joel et Anton. Un Anton qui remet souvent les choses au carré. Joel le cite : «Je veux juste qu’on soit the best band we can be.» Et plus loin, il repart de plus belle : «The Beatles, Ha! Right ... Les Beatles jouaient dix sets par jour en Allemagne et ils sont devenus the best band on the planet. Est-ce que les autres membres du groupe sont prêts à ça ? Je me pose la question. J’en ai marre de perdre mon temps avec des mecs qui se plaignent que c’est dur.» Il ne faut pas perdre de vue qu’Anton est une locomotive. Sans locomotive, les groupes ne vont nulle part. C’est pour ça qu’à un moment, les BJM ne sont plus que deux : Anton et Joel - Dean, Matt, Peter, Brad and Jeff were all gone now for their individual reasons - Anton continue d’avancer, il se maque avec un nouveau manager, Michael Dutcher - He’s a big Allen Klein type fo guy who has perhaps watched Martin Scorsese’s mafia films too many times - Mais il a, nous dit Joel, «proper industry connections». C’est là qu’Anton commence à porter une toque en fourrure, «David Crosby hat», une tunique blanche, un Levis blanc «and Easy Rider style yellow-lensed glasses» qui lui donnent «that psych-business casual look that signifies preparedness fort the next level.» Et puis ça, qui en doit long sur la nature profonde d’Anton Newcome : «Traditionally, Anton a toujours donné le meilleur de lui-même lorsqu’il était acculé dans les cordes. Je n’ai jamais vu personne réussir à évoquer the best elements of the tried and true and yet dismantle and distill them down into a sound totally anew. This is what they mean by the real deal.» C’est un hommage superbe à la modernité d’Anton Newcombe. Tous ceux qui ont écouté les albums du BJM depuis Methodrone en 1995 jusqu’à The Future Is Your Past savent de quoi Joel parle.

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    ( Jerome Green aux maracas)

             On a bien sûr dans le book tout le détail des aventures du BJM. Joel est engagé comme joueur de tambourin. Il faut juste qu’il trouve «the key to timing», pas facile lorsqu’on boit du rhum et qu’on monte sur scène avec des lunettes noires. Il doit se caler sur les instruments et jouer «from the inside» - The goal was to learn to feel the inside, not to play it - Il s’amuse bien avec cette notion d’inside. Il se voit comme Gene Clark, a tambourine-player frontman. Il cite d’autres cracks du tambourin : Nico, Mark Volman, Davy Jones des Monkees, et bien sûr «the original ‘maraca man’ in rock», Jerome Green, qui accompagnait Bo Diddley. Bring it to Jerome !

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             À l’époque, Joel découvre les Mary Chain sur scène au Fillmore - Their album Stoned & Dethroned provided many of my summer anthems - Il trouve que les frères Reid «looked like tousled versions of a ‘66 dandified Dylan who’d joined The Velvet Underground.» Et il rend hommage à l’un des hits les plus ultraïques de l’histoire du rock : «William Reid’s very impressive all-in-one beer chug during the noise solo section in the yet-to-be released ‘I Hate Rock’n’Roll’.» Il rend aussi un hommage bizarre aux Dandy Warhols : «They were playing the best music I’d seen from people my own age since I first saw The Brian Jonestown Massacre at the Peacock Lounge four years ago.» Eh oui, le «four years ago» ne fait pas de cadeaux. Le BJM était et reste toujours en avance sur son temps. C’est exactement ce qu’on voit dans Dig!. Le Dig! movie ne parle que de ça.

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             Joel évoque aussi Oasis. Il aime bien le son d’Oasis, pas Anton qui trouve que ça sonne trop Tom Petty. Mais Joel en pince véritablement pour «Columbia». Joel tente de faire copain-copain avec Noel Gallag en lui proposant «the most righteous speed you are ever gonna do», mais Noel Gallag lui dit «No thanks. We only do coke» et lui referme la porte du tour bus au nez, le laissant comme deux ronds de flan. L’autre grand cake qu’on croise dans ce book, c’est bien sûr Greg Shaw, qui vient de sortir Thank God For Mental Illness avec Joel sur la pochette, «doing my best Christopher Lee as Dracula.» - Greg was hyper-intelligent, an absolute sage of the cool side of guitar-based music - Joel avoue aussi une petite obsession pour Easy Rider. Il croise parfois Peter Fonda, mais ça ne se passe pas très bien. Joel assiste à une projection de The Hired Hand et à la fin, il y a un débat avec Peter Fonda. Alors Joel lève le doigt et demande : «I was wondering if you could explain what you meant when you said ‘We blew it’ toward the end of Easy Rider.» Fonda ne répond pas et indique à la salle qu’il est venu pour parler de The Hired Hand. Ce qui est humiliant pour le fan Joel. Il y revient à la dernière page de l’autobio, quand Anton lui raconte qu’il s’est retrouvé dans la queue du Sunset Ralph Supermarket et que Fonda a levé le pouce en signe d’admiration pour la façon dont Anton et sa poule Tara étaient habillés, «he was just all smiling and nodding at us like ‘Yeahhhh’h, then put his thumb up because he knew we knew and he was totally diggin’ it, ya know?» Évidemment pour Joel, c’est un choc, mais il répond : «That’s soo cool!» Because that’s exactly what it was.

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             Sur scène, à côté d’Anton en Levis blanc et en pull bleu marine, il y a Dean Taylor, good-looking sur sa gratte. Sur scène, Joel est systématiquement out of his mind - The amount of valium pills I’d taken along with whiskey and beer plus the fresh-from-the-garage-lab snorts added up to an equation that now has me slightly hovering above the stage floor during our entire set - Et bien sûr, il n’est pas le seul a être complètement défoncé. Joel disparaît de la circulation pendant l’enregistrement de Their Satanic Majesties Second Request, le quatrième album du BJM. Il dit que l’album sonne comme «a modern experimental version of classic experimental sounds; It didn’t sound like any other band from back in the day and especially not now.» Et il ajoute, émerveillé : «I was listening to one of my favourite albums I’d never heard, encoding itself into me in real time.»

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             Trois albums coups sur coup, Their Satanic Majesties Second Request, Thank God et avec Mental Illness qui vient de sortir : il est temps de partir en tournée - It’s time to roll hard with it, and yet somehow because of the drugs I still find myself currently go-go dancing the line between realist of the for-realest and complete fuck-up - Joel va nous décrire ça dans le détail. Les tournées sont un désastre complet : pannes de van, salles vides, bagarres, pas de blé, désertions. Joel avoue avoir oublié des épisodes entiers - Because from here, I have a drunken memory blackout - Il évoque le show catastrophique du Viper Room, où Anton vire tous les musiciens et leur pète la gueule. Ça bascule dans le chaos «with the rest of the band crawling on the stage floor in dazed confusion before being physically thrown out the stage door by club security.» C’est du sabotage. T’as les gens d’Elektra dans la salle. Anton détruit tout. On voit la scène dans le Dig! movie.

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             Chaque fois qu’on revisionne le Dig! movie, il paraît toujours plus sombre, plus violent, un peu comme Performance. Ça démarre pourtant sur un flash de modernité avec le BJM sur scène en 1995, c’est très anglais, avec Joel/bug eyes/maracas/Jack Flash/Brian Jones. Pour un groupe américain, c’est fabuleux d’anglophilie. Les commentaires vont bon train : le BJM interprète the past et se projette into the future, c’est exactement ça. Mais c’est le groupe d’Anton. Pas de place pour les compos de Matt Hollywood qu’on voit chanter «Give It Back». Le chaos est omniprésent. Joel dit qu’il a déjà 21 départs officiels du groupe à son actif. Ondi filme aussi the Larga house. Pas de meubles. Tout par terre. Puis t’as la première tournée américaine, avec des salles vides (Cleveland), et à New York, Anton vire Dave, le manager. Il récupère un peu de blé et achète un van pour aller tourner dans le Sud. Ondi filme le contrôle de police à Homer, Georgia. Le film est affaibli par tous les plans des Dandy Warhols qui eux deviennent des stars en Europe, avec de moins bonnes chansons. On retrouve Anton à New York en Crosby hat et patins à roulettes, il se casse la gueule. Not If You Were The Last Dandy On Earth ! Ce film est décidément violent, peut-être trop cru. Pas de tout repos.

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             Qu’on se rassure, Anton et Joel vont se réconcilier. Mais Anton remplace Joel sur scène par Sophie, sa poule française. Joel sait qu’il est plus proche d’Anton qu’elle ne l’est, parce qu’il a appris à cultiver avec lui «a power of unspoken understanding, a state of not needing  to verbalize every angle of our points.» Joel se retrouve à Portland avec le couple. Ils partagent un matelas tous les trois dans un studio. Joel n’est pas très bien - I was broke, dirty and my feet permanently hurt, but I loved it - C’est sa façon de dire l’abnégation. Il a tout quitté pour le groupe, un groupe qui est à la ramasse financièrement. Il ne possède de rien, il n’a même pas les bonnes pompes, mais il fait partie du BJM, et c’est ça le plus important. En 1997, Anton, Sophie, Matt, Brad, Dave et Joel redescendent en Californie pour un nouveau départ. Greg Shaw leur a loué une baraque au 3261 Larga, en échange de leur prochain album. Il y a en plus Peter Hayes, futur Black Rebel Motorcycle Club. Ils se répartissent les chambres - Joel et Matt dans le salon, Brad dans une chambre, en face, Peter, Jeff est dans un placard, Anton et Sophie ont une chambre avec une salle de bain. Dave a pris la petite pièce attachée au garage. Pas de meubles, bien entendu. Alors Brad ramène une télé et Anton soupire : «Great, now all we need is a cement truck.» Le concept de la Larga house est le même que celui de la Woodland Hills house, sur Ensenada Drive, où Captain Beefheart a séquestré son Magic Band pendant 6 mois, pour enregistrer Trout Mask Replica.

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             Puis il y a ce drug bust sur la route, tel qu’on le voit dans le film. Dean et Brad quittent le groupe. Ondi a une place dans son SUV pour rentrer en Californie, alors Joel ne peut pas résister, il en marre des errances et des pannes du BJM, et il décide de rentrer au bercail. Ne restent plus que trois survivants : «Anton, Matt et Peter would soldier on like The Kingston Trio or something.» Mais au moment de faire les adieux, on lui fait remarquer qu’il est le seul à avoir son permis de conduire, alors il est baisé - Fuuuck... Just like in The Godfather III, man. ‘Just when I thought I was out, they pull me back in!’ - Ils repartent et le van tombe en rade - the engine throws a rod - Ils se garent derrière les poubelles d’une station-service pour éviter d’attirer l’attention - For the next three days, we are a bunch of Californian hippie rock weirdos hiding in a van behind a garbage dumpster at a gas station in Butts County, Georgia - Toutes les situations que décrit Joel ressemblent à des gags : toujours cette distance et cette fabuleuse auto-dérision. Avant de devenir les superstars que l’on sait, le BJM est un gang de losers - After the New York disaster, the North Carolina disaster, and both Georgia disasters, we are all commited now to the grand delusions of surviving this whole thing - Ils collectionnent les disasters. Peter Hayes quitte le groupe pour aller monter The Black Rebel Motorcycle Club. Puis les derniers survivants abandonnent Anton qu’ils surnomment the mustache en pleine nuit, prenant garde de ne pas le réveiller - Puis on s’éloigne dans la nuit. Anton se réveillera demain matin pour voir qu’il est tout seul pour finir les deux dernières semaines de la tournée. Je me dis que j’ai quitté le groupe pour de bon, I’m gone for good - L’histoire du BJM n’est que ça, une succession d’incidents, un chaos constant. Anton va d’ailleurs finir la tournée tout seul. Pas de problème.

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             Il va bien sûr récupérer Joel. Puis c’est l’album du succès, Strung Out In Heaven.  Joel est fasciné de voir Anton en studio - How did he come up with those lyrics so off the cuff? Ce n’était certainement pas la première fois que je le voyais agir ainsi, et je ne l’ai jamais vu avec un carnet de notes en séance d’enregistrement. That guitar solo really is a barn burner thought - Joel veut dire qu’Anton a tout en tête. Il a reconstitué tout le BJM avec Charles (bass), Billy (beurre) et Adam (guitar).

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             Après avoir quitté le BJM, Joel entame une carrière solo. Pas de doute, son Apple Bonkers est un coup de maître. Dès «Smile», t’es face à un gros déplacement d’accords Jonestowniens. C’est dynamique et bardé de bada californien, le meilleur, celui de San Francisco. Et t’as un certain Robert Campanella on fuzz lead ! Deux cuts te renvoient directement au Brian Jonestown Massacre : «Mirage» et «Don’t Let The Fuckers Bring You Down». Heavy riffs de base, pur barrage d’accords crépusculaires. Joel ne sait faire que ça : du groove jonestownien. Ce mec Gion est une bénédiction, il perpétue bien le spirit d’Anton Newcombe. Classe inébranlable ! Quant au «Sail On», c’est une pure marychiennerie, avec le chant descendant les marches de l’escalier. Somptueux ! Joel a le grain de voix de Jim Reid. Il déclenche encore l’enfer sur la terre avec «Radio Silence». Il a ça dans la peau. Il peut même virer glammy dans les couplets de «Two Daisies». On sent bien le mec libre.

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             Son deuxième album sans titre date de 2017. Il vaut le détour pour deux raisons principales : la Beautiful Song «Come To Light» et le coup de génie «Conjecture». La flûte, c’est son truc à Joel : ça groove sur un bassmatic allègre dans «Come To Light». Il vise une sorte de félicité. S’ensuit l’excellent «Conjecture». Sa pop psyché est une aubaine pour l’humanité, une bénédiction tombée du ciel. Il flûte encore sa pop dans «Partner», et il y va au «Someday I’m gonna die/ I’m alive.» Il crée bien son monde. En B, il chante son «December» dans l’écho de la proximité. Il sonne très Peter Perrett sur «Gone» et vire psyché sur «Mercury In Retrograde». Grosse machine, bien graissée au gras double. Il cultive son côté Peter Perrett.

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             Back to the magic carpet book. Joel rend un hommage fulgurant à Brian Jones : «Brian is clearly the master of ceremonies, having just personally elevated them from a blues cover band with a psychedelicized makeover introducing sitars, marimbas, flutes, harpsichords, Eastern bells, maracas, piano, and for this time, ‘Lady Jane’, the dulcimer. Brian’s hand is bandaged and broken, which adds to the rebel menace as he plays it with aggression despite the injury.»

    Signé : Cazengler, Joel Fion

    Joel Gion. Apple Bonkers. The Reverberation Appreciation Society 2014

    Joel Gion. Joel Gion. Beyond Beyond Is Beyond Records 2017

    Joel Gion. In The Jingle Jangle Jungle. White Rabbit 2024

    Ondi Timoner. Dig!. DVD 2004

     

     

    L’avenir du rock

     - Empty Full Space ritual

             Boule et Bill viennent d’entrer dans le bar. L’avenir du rock sent venir l’embrouille. Il sait que les deux compères vont l’entreprendre pour essayer de l’asticoter. Boule attaque :

             — Alors ça va bien, avenir du rock ? Toujours avec un verre à moitié plein ?

             Et Bill d’ajouter, sur un ton philosophique :

             — Ou à moitié vide...

             Ils savent très bien que l’avenir du rock déteste ce genre de conversation. 

             — C’est comme dans la vie, avenir du troc, tu vois plutôt le bon côté des choses ?

             Et Bill d’ajouter, sur un ton énigmatique :

             — Ou le mauvais côté des choses ?

             Comme l’avenir du rock ne réagit pas, Boule met la pression :

             — Avec la gueule que t’as, on ne sait jamais si t’es bien luné !

             Et Bill d’ajouter, sur un ton méphistophélique :

             — Ou mal luné...

             — Si t’es à voile ou à vapeur !

             Et Bill d’ajouter, sur un ton épistémologique :

             — Si t’es du lard ou du cochon...

             — Si t’es de gauche ou d’extrême-droite !

             — Si t’es con ou si t’es pas con...

             — Si tu préfères Dieu ou bien le diable !

             — Si t’es rond ou si t’es carré...

             L’avenir du rock attend qu’ils se fatiguent et qu’ils tombent en panne d’argumentation pour vider tranquillement son verre, le poser, payer et leur dire, d’un ton bien clair, pour qu’ils mémorisent correctement :

             — Empty Full, Boule... Pour répondre à ta première question...

             — Quoi ?

             — Emp-ty Full. Tu veux pas en plus que je te l’écrive ?

     

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             L’avenir du rock parle bien sûr d’Empty Full Space, un quintet psyché parisien qui comme Slift, a décidé unilatéralement de rafler la mise. Toute la mise.

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             Soirée psyché dans la cave. Trois groupes. Tu pourrais flasher sur les trois, mais tu vas te contenter de bien flasher sur le deuxième, les Parisiens d’Empty Full Space. Sont pas psyché au sens où on l’entend généralement, avec des grandes tignasses et des habits colorés. Sont pas concernés par les lois du look. Vraiment rien à cirer. Mais sont concernés par les lois de l’excellence, et là amigo, ils battent pas mal de monde à la course. Ce sont les rois du far-out so far out, les cracks du freakout psycho-psyché à l’anglaise, t’entends même les spoutnicks d’Hawkwind, ils développent des courants qui te parcourent de la tête aux pieds, qui t’éclatent ton Sénégal et ta copine de cheval, qui te lèvent des tempêtes épidermiques, ils savent déclencher l’immarcescibilité des choses, leur viande grouille de molécules multicolores, te voilà une fois encore confronté à la réalité d’un vrai son et, comme chaque fois que ça se produit, tu espères secrètement que ce concert va durer pour l’éternité. Les cinq Empty Full Space sont absolument brillants, les deux guitaristes savent mêler les poux qu’ils grattent pour lever la pâte, et t’as ce petit mec sur sa Jag bleue qui s’arc-boute de tout son corps sur son manche pour tailler un costard à la mad psychedelia, avec un punch et une audace incroyables.

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    Les deux guitaristes se répartissent bien les interventions, mais c’est le petit mec sur la Jag bleue qui vitupère le plus et qui remplit son cosmos d’urgences et de stridences. Il savent créer un climat et faire sauter la Sainte-Barbe, ils connaissent toutes les ficelles du genre et ne semblent jouer que pour le plaisir des amateurs. Comme tu ne connais pas les cuts, tu te laisses porter. Et ce son te parle, ils sont d’une crédibilité absolue, tout est bien : le Dikmik indien là-bas au fond, le blond au beurre qui bat tout ce qu’il peut avec brio, et puis t’as ce bassman dans son coin d’ombre qui joue ces grandes échappées dont Lemmy s’était fait une spécialité au temps d’Hawkwind.

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    Tu retrouves dans leur son tout ce qui fait la grandeur des Heads, des Wooden Shjips, de Loop, des Telecopes et du Brian Jonestown Massacre, tu retrouves les énergies de Bevis Frond et de Bardo Pond. Et bien sûr tout le fabuleux ramdam d’Hawkwind. C’est inespéré de voir des inconnus au bataillon aussi brillants.  

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             Leur album s’appelle From The Limbo et sort sur un label espagnol, Spinda Records, qui est aussi le label de Maragda, le trio barcelonais qui va jouer après eux. C’est un bel album de Mad Psychedelia, tu y plonges aussitôt, dès le morceau titre d’ouverture de balda. C’est le space rock du meilleur acabit d’Akaba. Quelle respiration ! Ils jouent leur son comme s’ils s’ébrouaient dans une fontaine de jouvence. C’est même criant de justesse, avec un bassmatic voyageur. Leur «Morphogene» est plus tendu, comme cavalé à travers la plaine, une vraie farandole extra-terrestre, très Barrett, ça se déroule merveilleusement, ils dépotent le nec plus ultra tout en cultivant la dimension du voyage. Et avec «The Wheel», on assiste à des plongées somptueuses qui rappellent les grandes heures du duc de Bury. Les zones s’alternent brillamment, ah comme ils adorent plonger dans leur jouvence ! Ils te font le coup du tir de barrage d’accords magiques. En B, ils tapent «Amnesia» à la grosse attaque psychédélique. Ça coule comme de l’eau de roche, intense et colorée de wah. On a aussi des jolis vents mauvais et un riff bien heavy, bien écrasé sous le talon. Le bassman est un voyageur impénitent, un cadreur qui sait se décadrer à bon escient, avec un son bien rond. Son bassmatic a bon dos. Et ce bel album se dirige vers la sortie avec «2C». C’est le riff de basse qui tire le cut vers le haut, c’est bien hypno, ça file droit dans l’œil du cyclope. Les grattes rentrent violemment dans la danse, alors ça explose. T’as le power et l’argent du power, c’est-à-dire le power d’Hawkwind. Les petits Full Space s’exportent dans le cosmos.

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             Les trois Maragda n’auraient peut-être pas dû jouer après un groupe aussi brillant qu’Empty Full Space. On passe d’un son plein à deux guitares à un son moins plein. Les Barcelonais ne sont que trois, et même s’ils jouent comme des beaux diables, on sent comme un déficit. Le bassman de Maragda multiplie les prouesses techniques et le guitariste gratte sa Tele avec insistance, mais c’est un peu comme s’il leur manquait une guitare pour remplir le son. Ça tient la route, forcément, mais ils virent plus prog que psyché, les structures sont plus alambiquées, le bassman développe une énergie considérable, mais il leur manque l’étincelle de la Saint-Barbe.

             Par contre, ils ont deux albums au merch. Ton petit doigt te dit que c’est meilleur sur disk que sur scène. Alors zyva.

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             Leur premier album sans titre date de 2021. Il s’y niche une belle énormité : «The Calling». Pas de psyshé là-dedans, mais les clameurs sont volontaires, on sent les Barcelonais propulsés vers l’avenir et le sommet en même temps. Leur Calling sonne comme un hymne, avec son bassmatic élastique, ses reprises explosives, son slinging protubérant, là oui, t’as tout l’écho du monde et le barbu devient fou avec son bassmatic tonitruant. Sinon, ils restent assez prog, avec une quête permanente d’ampleur. Même si patacam/patacam, t’es impressionné et en même temps, c’est n’importe quoi. On les sent déterminés à vaincre. Les Barcelonais ne rigolent pas. Pluie d’acier sur la Catalogne ! En studio, ils sonnent mille fois mieux que dans la cave. La Tele prend de l’ampleur. Leur «Beyond The Ruins» est assez dévastateur. Ils lèvent tous les trois une véritable tempête sonique. C’est assez inattendu de la part des Barcelonais. Ils privilégient les belles dynamiques. C’est sûr, ils n’ont aucun problème ni de vélocité ni de motivation.

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             Tyrants enfonce bien le clou de la différence entre le studio et la cave. Et en écoutant le disque, t’as pas l’inconvénient des épaves qui dansent devant toi avec des verres de bière à la main. L’album est résolument prog, avec des spoutnicks par-dessus le marché. Les Barcelonais adorent la cavalcade, rien ne saurait les arrêter dans leur élan. Tu tombes rapidement sur une pièce montée nommée «Endless». Ça pulse à la vie à la mort. Ils ramonent bien la cheminée, avec un son plein comme un œuf, c’est vraiment bien remonté des bretelles, il s’agit même d’un hit, les canards boiteux ont intérêt à se tirer vite fait. Ils savent aussi lancer un assaut, comme le montre «My Only Link». Et puis on se régale de «Sunset Room», un cut extrêmement bien articulé. Le beurre, l’argent du beurre et le barbu sont des orfèvres en la matière, ils savent tramer un son et la Tele n’a plus qu’à s’y prélasser. Ils travaillent essentiellement sur l’extension du domaine de la lutte. Ils font chanter la montagne dans «The Singing Mountain» et partent en voyage avec «Godspeed». Le barbu fait le show avec un bassmatic entreprenant, et ça se termine en mode gros prog barcelonais avec «Loose». C’est un groove ensorcelé et le guitariste gratte des solaces extraordinaires qui rayonnent sur toute la Méditerranée. 

    Signé : Cazengler, Empty tout court

    Empty Full Space. Le Trois Pièces. Rouen (76). 5 octobre 2024

    Maragda. Le Trois Pièces. Rouen (76). 5 octobre 2024

    Empty Full Space. From The Limbo. Spinda Records 2024

    Maragda. Maragda. Spinda Records 2021

    Maragda. Tyrants. Spinda Records 2024

    Concert Braincrushing

     

     

    L’avenir du rock

     - The Silver machine

             — Hey, avenir du rock, si on te dit Silver, tu réponds quoi ?

             — Bon alors Boule, tu commences à me courir sur l’haricot avec tes petits questionnaires rock à la mormoille.

             — T’es vraiment un gros con, avenir du rock, tu connais même pas «Silver Machine» !

             — Mon pauvre ami, tu ne sais même pas de quoi tu parles ! Tu sais ce que c’est la Silver Machine ?

             — Ben oui, l’emblème du space rock, la fusée argentée, aille tooke a raïde in the silvère machine !

             — T’es encore plus con que je ne pensais ! Ça n’a jamais été une fusée !

             — C’est quand même pas une merguez ?

             — Et pourquoi ne serait-ce pas une merguez ? Tu ne savais pas que les merguez volaient ? Comme les cons ? Demande à Michel Audiard.

             — T’as raison, avenir du rock, j’en ai vu une qui volait l’autre jour ! Zzzzzzzzzzz ! Elle fumait un peu et lâchait derrière elle des gouttes d’huile parfumée, c’était beau ! Zzzzzzzzzzz ! Incroyablement beau ! C’est parce que tu m’en parles que je t’en parle, avenir du rock. Sinon j’aurais jamais osé.

             — Quand l’as-tu vue ?

             — Bah, vendredi tu sais, le jour des élections-piège-à-cons ! Elle traversait la Seine, du côté du Pont Mirabeau...

             — Alors on a vu la même ! J’y étais aussi, je sortais du métro à Javel. C’était une merguez bien dorée ! Pas trop brûlée ? Dans l’esprit d’une toile de Magritte ?

             — Oui, même que ça m’a donné faim !

             — Incroyable ! Viens là mon p’tit Boule que je t’embrasse !

             Bon laissons-les s’embrasser. L’avenir du rock aurait très bien pu dire à Boule que la Silver Machine était en réalité la mobylette que conduisait Robert Calvert, au temps où comme Nik Turner, il vivait encore à Margate. Il aurait pu aussi évoquer d’autres Silver de choc, comme les Silver Apples, les Silver Jews, mais surtout les Silver Lines.

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             Viennent d’où ? Sais pas. Parlent des bouts de français. Bonnejoue, new som’ lé lin’ argentte. Doivent être mexicains. Comme ça au pif. Sont jeunes. Joli nom de groupe : The Silver Lines. Zéro frime. Doivent être pauvres. Au fond, t’as un gros au bassmatic, et derrière, un tatoué au beurre. Et devant deux kids, rois de la zéro-frime, petits cheveux bouclés, T-shirt blanc pour le chanteur, et petit pull blanc & Tele blanche pour le guitariste. La ramènent pas. Mais ça joue tout de suite.

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    Et là tu fais wham bam ! Premier cut, c’est dans la poche. Gros son. Le kid au chant fait son Johansen. Oui t’as bien lu, les mains sur les hanches et du pur Johansen, sans les escarpins et sans Johnny T, ils font ça à l’anglaise, il a toutes les mimiques, t’es tout de suite dans le haut niveau, mais avec des kids à peine sortis de l’adolescence, ils ont le power et là t’es pas près d’en revenir, car ils te rockent le boat à l’ancienne, le kid Johansen charge la barque et il est fantastiquement bien soutenu car le tatoué bat le beurre du diable, mais à l’anglaise, et le gros au bassmatic tient bon la rampe en grattant des figures sophistiquées d’une effarante efficacité. Ils ont tout bon, tout bien pigé, ils s’ancrent dans la Stonesy, les Dolls, les Only Ones et les Saints, et franchement, dans le genre, on n’avait pas entendu un groupe aussi bon depuis des lustres. Pureté d’intention extrême. Leur set est criant de véracité, tout repose sur la qualité des compos et la voix du kid Johansen. On est toujours surpris de voir surgir de nulle part un groupe aussi bien éduqué. Mais soudain, le kid craque et sort de scène. Le gros vient eu micro et parle d’hiccups, c’est-à-dire de hoquet. En fait, c’est une crise d’angoisse. Il va revenir une demi-heure plus tard et fracasser la boutica, sous un tonnerre d’applaudissements.

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             Personne au merch. Et à la fin de la deuxième partie du concert (Man Man), les Silver Lines ont disparu avec leur maigre merch de deux singles. Le mec du merch d’à côté nous dit qu’ils ont plié bagage car ils avaient trop honte. Incroyable ! Fuck it ! L’un des meilleurs groupes anglais actuels ! Tout part en fumée, les singles et l’occasion de papoter. Reste plus que le Bandcamp.

             Tu y retrouves leur dernier EP, And The Lord Don’t Think I Can Handle It, et tout leur côté flamboyant te saute à la gueule, dès «Roaches», pur jus de garage-punk d’attaque en règle avec du wanna change my sex, et de la bravado à gogo. T’as tout là-dedans, les riffs séculaires, t’es pas venu pour rien, c’mon now, il a la voix de rêve, tout le power du because it’s you, cette façon de poser le chant sur un back-up explosif et bien sûr t’as les incursions thunderiennes dans le flot du flux. Avec «Cocaine», ils déclenchent un petit enfer sur la terre, bien sous-tendu par une horrifique cocote riffique, ça vole vite en éclats. Alors tu vas à la pêche aux infos, et tu découvres que les Silver Lines sont de Birmingham et que les deux kids en blanc sont deux frères, Dan Ravenscroft au chant, et Joe aux poux. Bon maintenant, il faut attendre la suite. Ne cachons pas notre impatience.

    Signé : Cazengler, Silver Lie

    Silver Lines. Le 106. Rouen (76). 1er novembre 2024

    Silver Lines. And The Lord Don’t Think I Can Handle It. Not On Label 2024

     

     

    Magical Mystery Lights Tour

    - Part Two

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             Ça doit bien faire la troisième fois que les Mystery Lights ramènent leurs fraises en Normandie. Mike Brandon est toujours aussi charismatique, mais il semble avoir pris un petit coup de vieux. Avec sa 335, il avait des airs d’Alvin Lee. Maintenant, il tire plus sur le Jorma Kaukonen tardif. Mais sur scène, il reste fidèle à sa légende de marsupilami : il saute partout. Boinggg ! Boinggg ! Il incarne bien la fameuse insoutenable légèreté de l’être dont Kundera fit jadis ses choux gras. S’il existait une épreuve olympique du marsupilamisme, il n’est pas certain que Keith Streng arrive en tête. Brandon accompagne toutes ses montées de fièvre de bonds cathartiques, il sait aussi sauter en extension et faire des ciseaux dédoublés en saut croisé. Le jeté d’épaule aérien n’a aucun secret pour lui. Force est d’admettre qu’il est plus athlète que garagiste. Il fait partie de ceux que les Anglais qualifient de performers. Il est tellement intense qu’il en devient intègre.

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    Mike Brandon est à la fois un rude coco et un fier rocker. On lui donnerait le bon dieu sans confession, et ce, dès le «Mighty Fine And All Mine» d’ouverture de set qui fait aussi l’ouverture de balda de Purgatory, leur cinquième album. Le set s’intitule d’ailleurs le ‘TV Eye Record Release Show’. Ils tapent un gaga californien très psyché, à la fois classique et offensif. Luis Alfonso Solano gratte des poux bien gras sur sa SG, il sort un son incroyablement agressif de bronco apache sur le sentier de la guerre, il doit confondre la fougue et la foudre. On voit bien que ces mecs sont tombés dans la marmite Nuggets quand ils étaient petits, ils sont tellement brillants qu’ils revitalisent cette très ancienne tradition, et du coup, ce vieux gaga parcheminé reprend des couleurs, et même une sacrée allure. Alors on s’est demandé en conseil restreint s’il fallait amener les Mystery Lights dans la cour des grands, soit en leur confiant les clés de l’avenir du rock, soit en les bombardant directement Wizards & True Stars, et puis finalement, le comité a décidé de les laisser tranquilles, de ne pas les accabler d’honneurs, de leur épargner le miroir aux alouettes, le mieux est qu’ils poursuivent leur petit bonhomme de chemin, qu’ils régalent les citadins avec des bons concerts bien survoltés et des albums bayardiens, c’est-à-dire sans peur et sans reproche. Ah on peut dire que les Normands adorent le gaga sans peur et sans reproche, comme si ce gentil Bayard californien qu’est Mike Brandon trouvait un écho dans cette ville saturée de moyen-âge qui pue la pucelle cramée.

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             Comme ses prédécesseurs, Purgatory sort sur Wick Records qui est en fait un subsidiary de Daptone. Comme Colemine, Daptone prospère sur la Soul, mais ne ferme pas la porte au rock quand il est bon. Alors si Colemine crée Karma Chief pour accueillir GA-20, Say She She et les Gabbard Brothers, Daptone crée Wick pour accueillir les mighty Mystery Lights.
        Purgatory est un album de Californiens très à l’aise, qui savent lancer une attaque de clairette au débotté de sept lieues. Ils sonnent très sixties, très Nuggets, c’est même pas loin des Remains et de tous ces machins-là. Ce sont des accros. Les tricotages de grattes sont superbes sur «Sorry I Forgot Your Name». Bon, ce n’est pas l’album du siècle, mais il y a de beaux éclats. On sent l’élan pathétique de l’early Airplane dans «Can’t Sleep Throught The Silence» et «Cerebral» sonne un peu comme «The Trip» de Kim Fowley. T’as vraiment l’impression d’entendre un vieil album sixties aventureux. «Automatic Response» sonne comme un bijou rare, on croit entendre Television, ils sont en plein Marquee Moon

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             Television ? Justement ! Tu retrouves «Little Johnny Jewel Parts 1 & 2» dans cette double page de Shindig! où Mike Brandon salue les «10 cuts that inform new album Purgatory». Et il n’y vas pas avec le dos de la cuillère : «Smart, playful, jazzy, forward-thinking punk.» Il dit aussi que ce single sorti sur Ork en 1976 - et qu’on pouvait acheter chez Givaudan sur le Boulevard Saint-Germain - était «mind-blowing» «to us as teenagers.» Il cite aussi les Thrills de 1967, quatuor de blackettes qu’il ne faut pas confondre avec les Thrills irlandais. Brandon flashe sur «Underneath My Makeup», b-side d’un single Capitol qui vaut bien sûr la peau des fesses. Brandon parle de «mesmering back-up vocals» et salue «l’incredible vocal delivery» de Donna Lynton. Il rend aussi hommage au Fred Cole de Dead Moon via l’un de ses side-projects The Western Front : il tire «Looking Back At Me» d’un EP. Parmi les inconnus au bataillon qu’il cite, t’as Gandalf et Paul Martin. Retour aux superstars avec les Rationals et «Sunset» - This song screams «Detroit»! - Il vante encore les mérite du «vocal delivery» de Scott Morgan, puis il passe directement à Soft Machine et «Save Yourself» - British jazz-infused psych rock from Canterbury - Et il ajoute ça qui sonne comme une parole d’évangile selon Saint-Rock : «Soft Machine has the same psychotic pop feel that we love so much about Syd Barrett.» Brandon a tout compris. On lui serre la pince. Et puis les Monks, avec «I Hate You», qu’il reprend d’alleurs sur scène - Everything about this song is perfect - et il revante les mérites de l’«animated vocal delivery» de Gary Burger. Voilà pourquoi les Mystery Lights sont un groupe passionnant. Ils illustrent fort bien le vieil adage : qui écoute bien châtie bien.

    Signé : Cazengler, Mystery Larve

    Mystery Lights. Le 106. Rouen (76). 8 octobre 2024

    Mystery Lights. Purgatory. Wick Records 2024

    Hearts of darkness. Shindig! # 156 - October 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - La noblesse de Nobles

             Harry Normal portait bien son nom. Rien ne dépassait. Brun, cheveu tallé court, lunetté de frais, physique passe-partout mais pas désagréable, Normal, tout était Normal en lui, son expression, son discours, sa taille, son odeur, sa carrière, sa camaraderie, et même sa simili-bienveillance paraissait Normale. En réunion, il ouvrait un eMac Normal et chacune de ses interventions qu’on aurait qualifiée ailleurs de pertinente nous paraissait Normale. Sa Normalité nous rassurait. Elle constituait même l’un des atouts majeurs de notre petit conglomérat. Ce n’est pas facile d’être Normal, Harry Normal en sait quelque chose, on le devine en l’observant. On se pose même la question : aimerait-on être Normal, aussi Normal que lui, probablement pas, mais c’est certainement plus reposant que d’être anormal, c’est-à-dire anticonformiste. L’anticonformisme, c’est comme une chaudière, il faut l’alimenter, avec des excès en tous genres, des incidents et des accidents, des déviances et des défiances, des maux et des mots, c’est un chantier quotidien et harassant, alors que la vie d’Harry Normal doit être de tout repos, alors forcément ça donne à réfléchir. Mais la vraie question qu’il faut se poser est la suivante : peut-on apprendre à devenir Normal ? Comment se conformer à la Normalité ? Faire l’Harry Normal n’est pas un jeu, plus on y réfléchit et plus on comprend qu’il faut produire des efforts surhumains, comme par exemple tuer le désir, tuer l’envie, tuer la fantaisie, mettre sa libido en laisse et lui interdire d’aboyer, faire une croix sur les paradis artificiels, et sans doute le pire, entrer dans l’univers médiatique de la Normalité, avec une vraie sincérité, trouver Normal ce qu’Harry Normal trouve Normal, les nouvelles du monde, la vie économique et la vie sociale, oh et la vie politique, humer avec force l’inconscient collectif pour vibrer à l’unisson, non pas du saucisson, mais de la Normalité, et le reste devrait suivre, le choix des vêtements, le lunettage, la coupe de cheveux, le rasage quotidien, le professionnalisme de la Normalité, et petite cerise sur le gâtö, l’insoutenable légèreté du non-être, épitome de la délivrance.

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             Aucune noblesse chez Normal, mais on en trouve à la pelle chez Nobles. La noblesse, c’est la Soul. Zéro Soul chez Normal, mais de la Soul à gogo chez Nobles. L’un éclaire l’autre. Le jour et la nuit. Normal et ses ténèbres, Nobles et sa lumière. 

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             Cliff Nobles est lui aussi une star de la Northern Soul. C’est d’ailleurs dans ces compiles infernales qu’on croise sa piste. Pour creuser un peu, il existe une excellente compile, The Phil-LA Singles Collection 1968-1972, parue en 2008. Le noble Cliff prend sa Soul à la petite arrache de glotte obstinée et revancharde. «The More I Do For You Baby» ? Alors là oui. Cliff est un Soul Brother en mocassins blancs. Ça bascule très vite dans le génie avec «This Love Will Last», c’est amené avec allure sous un certain boisseau. Tu te retrouves soudainement en compagnie de l’un des rois de l’underground de la Northern Soul, ah il faut le voir revenir à la charge ! Il y va au oh-oh-oh. Même topo avec «Love Is All Right», véritable percée dans la nuit de Philadelphie. Aw comme Cliff est bon ! Il coule son groove dans le moule du r’n’b, et c’est arrosé de cuivres. Pression rythmique énorme ! Il faut le voir épouser ses nappes de cuivres. Peu de gens atteignent ce niveau de pétulance. Il tape ensuite «Judge Baby I’m Back» au scorch to the raw, il tape vraiment dans le dur du scorch, au sock it to me baby ! Plus loin, tu vas tomber sur l’instro du siècle : «The Horse». Échappée par le haut, wild heartbeat, c’est pulsé par les cuivres et la rythmique bass/drums est demented, l’une des plus demented dans le genre. Selon les liners non signés, «The Horse» fut un hit énorme à l’époque où les instros paradaient en tête des charts. Ce sont les Anglais qui ont écouté «Love Is All Right», qui se trouvait de l’autre côté du single. Et pouf, en 1968, c’est devenu un hit de Northern Soul. Mais le pauvre Cliff doit sa légende à un instro sur lequel il ne chante pas - A legendary accident in rock’n’roll history, nous disent les mystérieux liners. 

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             Le Pony The Horse paru en 1969 n’est pas l’album du siècle. Le noble Nobles nous propose un assortiment de slow grooves d’allure latente, épicés de remugles de mambo mambique. On sent parfois poindre des pointes de Blue Beat. On en pince légèrement pour le «Wonder Baby» de bout d’A, ce heavy groove de baseball bat très New Orleans noyé de sax et de bassmatic. Le noble Nobles sait tailler un costard. En B, il ramène des chœurs de gospel dans l’épais brouet de son «Rock And Roll Angel» - C’mon darlin’/ Stop teasin’ me - Et la fête continue avec un «Rock A While» chargé à l’extrême, digne de Cosimo, et traversé par des solos de sax. Ça jerke, mais à l’ancienne, comme au bon vieux temps des jukes en bois. 

    Singé : Cazengler, Cliff nubile

    Cliff Nobles. Pony The Horse. Moon Shot 1969

    Cliff Nobles. The Phil-LA Singles Collection 1968-1972. Jamie Records Co. 2008

     

    *

    Ils sont grecs. D’Athènes. Ils ont d’office toute ma sympathie. Ils ont une deuxième qualité : ce sont des cousins lointains mais germains, peut-être  s’ignorent-ils n’ayant jamais su qu’ils existaient, un continent les sépare, mais il y a une communauté d’esprit entre C.I.A. Hippie Mind Control (voir notre livraison 661 du 17 / 10 / 2024) et :

    DERELICT

    DREAMLONGDEAD

    (Novembre 2024)

    Tessos Palaiologou : guitar, vocals, piano / Yiannis Poussios : Vocals / Leonidas Vranas : bass / Manos Glakamoumakis : drums / Achilles Champilas : guitars, synths, keyboards.

             Leur premier opus date de 2013, ils n’ont sorti en leurs cinq premières années qu’une quinzaine de titres qui dépassent facilement les dix minutes. Ils se sont arrêtés durant quatre années et reviennent avec une nouvelle équipe et ce nouvel opus. Les trois vocables qui composent le nom du groupe, pourquoi coaguler et rétrécir ce qui est censé être long et durer longtemps, incitent à la réflexion, serait-ce pour signifier qu’il faut examiner cette coagulation telle une sorte de palindrome d’un genre nouveau qui devrait se lire et se dé-lire, selon une lecture se jouant des structures grammaticales différentes des langues française et anglaise, de gauche à droite ou de de droite à gauche, selon les deux sens, le juste et le faux, soit la mort d’un long rêve soit le rêve d’une longue mort. Oui je sais souvent je délire, inutile de vous mettre en état de déréliction.

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             Ils n’ont pas choisi n’importe qui pour la couve. Un ‘’Sans-titre’’ de l’artiste polonais Zdzislaw Beksinski (1929 - 2005), toutes ses œuvres portent ce même ‘’ titre’’, Beksinski ne montre pas des choses à voir, il traduit des états d’âmes, rien n’est plus concret que les représentations de ses tableaux mais il faut les regarder comme des objets métaphysiques à parts entières. Il m’étonne que ces architectures flamboyantes et ces fragmences minérales closes sur elles-mêmes ne soient pas davantage présentes sur les pochettes de Death metal. Suivez mon exemple : au jeu de qui perd gagne, j’ai perdu un temps fou dans la contemplation de ses œuvres.

    TAPHOS

    Mortuary : étrange, certains s’écrieront inconvenant, la pochette n’est pas vraiment gaie, Taphos sigifie tombe, le titre Mortuary n’est en rien cocasse, mais les premières mesures de ce morceau paraissent joyeuses, heureusement que des growlements intermittents nous rappellent la triste situation qui nous est présentée. Tout dépend du regard que l’on porte sur les choses, ici ce n’est pas la foule des morts qui se lamentent sur leurs tristes sorts, c’est le Dieu ploutocrate  de la mort qui fait ses comptes, l’est heureux, tout va bien, tout marche à merveille, il traque les morts et les emporte en son royaume, la chasse est bonne, chant de triomphe et fanfares victoriales, n’est-il pas le maître absolu, celui qui détraque à volonté les horloges de la vie, est-ce pour cela que la musique devient plus lourde, que la batterie tape à la cadence du couperet d’une guillotine, le monde des vivants et des morts lui obéit, il est celui qui préside non pas à la marche du monde, mais à sa dé-marche car les marches si elles s’escaladent se descendent aussi, générique de fin, monumental, il est bien plus qu’un Dieu, il est le principe entropique du monde, des choses, des êtres vivants, des hommes, de tout ce beau monde qui court inévitablement vers sa fin. Victoire finale. Carnage : Changement d’ambiance, après le triomphe, voici  la folle fête, l’ivresse du hallali, écoutez ces cordes de guitares qui courent vers les tombes, c’est l’heure du repas, que faire des morts entassés dans les chambres froides de la mort, la mort est la reine des zombies, elle se rue sur les cadavres afin de les dévorer, ne sont-ce point les morts qui se bouffent eux-mêmes, un grand bâfrage généralisé, le sabbat, la danse des morts, la nef des fous, l’épave des anthropophages, kermesse et flonflons l’on n’est jamais plus heureux que lorsque l’on a le ventre plein… mais quelles sont ces résonnances cordiques, exprimeraient-elles le vide du néant, la situation s’assombrit, final liturgique, quelle tristesse philosophique si l’on  pense, à tous ces morts qui se dévorent et s’entretuent, finale grandiloquent, la passion de la destruction n’est-elle pas la passion de  de l’auto-destruction mais sous une autre forme, la mort descend l’escalier sans fin de sa propre mort. Imaginez la scène du film que vous tourneriez si vous étiez réalisateur, DreamLongDead vous a préparé la bande-son. A bouffer le navet par les racines !

    ANTARTICA

    Erebus :  deuxième partie de l(opus, nous rentrons dans sa saison hivernale, notez la structure, deux instrumentaux entourent le morceau central, celui qui donne son nom à l’ensemble. Des instrumentaux parce qu’avant et après une catastrophe aucune parole ne saurait en prédire ou en mesurer l’étendue. Le morceau n’est pas très long pourquoi le serait-il, son  titre désigne le lieu le plus obscur du noir absolu, palpitement du néant, synthétiseurs d’église, tourbillons de cymbales, vous avancez dans le noir, bruit d’outils est-ici l’atelier où l’on fragmente les os à la scie égoïne, vous tournez en rond, il est impossible d’aller plus loin que sa propre mort, le bruit s’amenuise, seul le silence est grand nous a appris Alfred de Vigny. Derelict : après le cœur de la nuit, vous entrez dans le froid de la mort, froid et mort ne sont-ils pas d’ailleurs la même chose, vous voici au zéro absolu, le morceau le plus long, sans doute parce qu’il est impossible de le faire durer éternellement, vous marchez dans la neige jusqu’à mi-cuisse, un bel accompagnement pour une scène de film décrivant un groupe d’explorateurs épuisés, titubants, explorant l’hiver d’une planète sans retour, hurlements d’agonie, même les ours blancs ne supportent cette froidure, ils gisent sur le dos, ils agitent spasmodiquement leurs quatre pattes levées vers le ciel noir, les ultimes paroles, vous découvrez la vérité de la terre maintenant aussi vide qu’un frigidaire géant, vous allez disparaître, comme ont déjà cédé place  les différents âges des temps historiques, préhistoriques, et toutes les époques antérieures, notre planète colonisée par des civilisations extra-terrestres, elles aussi n’ont fait que tomber, elles ont disparu, vous n’êtes un jalon pas plus nécessaire, peut-être moins important  que tous ceux qui vous ont précédés, vous êtes pénétrés de ces anciennes présences, existerait-il une mémoire de la mort à laquelle seule la mort vous permet d’accéder, ne portez pas votre regard vers le passé, d’autres nous suivront, ils viendront, ils ne seront pas spécialement sympathiques. Terror :  des pas qui s’approchent, non ce n’est pas vous, ce ne sont pas non plus ceux qui vous ont précédé, la chose étrangère qui se rapproche est bien plus terrifiques que vos devanciers qui comme vous ont passé l’arme à gauche, des inoffensifs, mais la musique se froisse comme si quelqu’un posait ses doigts sur la bande-son de votre mort, que vous veut-il, qui est-il, comparé à lui, si ce n’est ce tic-tac inexorable de l’horloge la musique deviendrait presque humaine comme si elle était produite par un groupe de death metal, elle perd son éclat, sa force, elle s’estompe, ne subsiste_plus que le battement d’un cœur, ce ne peut être le vôtre puisque vous êtes mort. N’est-ce pas terrifiant ? Si vous étiez sagement assis dans un cinéma (première fois que je m’aperçois que ce mot commence, quel sinistre hasard, comme cimetière) vous trouveriez le suspense de cette scène insupportable.

    XENO

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    Anark : ce titre terminal est paru une quinzaine de jours avant l’opus en son entier. Il a bénéficié d’une couve personnelle de Chris Printezis, son Instagram ne dévoile presque rien, un style assez proche de la bande dessinée toutefois sont exposés trop peu de posts pour en juger, par contre si vous avez du mal à voir ce que présente le dessin, avec un peu d’observation vous y arriverez parfaitement tout seul, bon prince je vous refile la solution. Une représentation du Kaos. Un peu naïve, un peu Goldorak, je le concède, essayons cependant de comprendre un tantinet. Dans la mythologie grecque l’Erèbe est le fils du Kaos, qui se place donc antérieurement à son fils, et qui est même primordial. Ce n’est pas un personnage mais une énergie inextinguible issu d’une fente, au fur et à mesure qu’elle jaillit en créant l’espace, elle perd de sa force, d’elle naissent les puissances les plus terribles, notamment l’Ananké, le destin de ce qui doit être auquel tout le monde doit se soumettre, même les Dieux Olympiens qui surviennent pratiquement en bout de course, juste avant nous les hommes… Le voici, tout clinquant, tout resplendissant, il était là avant tout le monde, s’il y en a un qui est l’Alpha et l’Omega c’est bien lui, la puissance irisante des riffs nous le confirment, il s’adjuge très vite la parole pour se présenter, il était là avant que ne commence le temps, il est le créateur séminal et l’exterminateur final, il donne naissance aux mondes pour les détruire ultérieurement, il s’amuse comme un enfant avec un jeu de cubes, la batterie imite l’empilement de ces jouets cosmiques et les guitares traduisent le chamboulement de ces constructions qu’il envoie rouler d’un coup de main dans les abysses du néant, il hurle, la musique y va mollo, comme quand vous jugez qu’il est inutile de contrarier d’un bambin qui pique une crise de delirium tremens, il meugle comme un rhinocéros, d’un coup de pied il joue au foot avec les planètes puis au billard avec les astres, ne le traitez pas d’irresponsable, ne lui infligez pas l’infâmante appellation d’anarchiste, il est le prince agrégatif et l’empereur du désagrégatif, il est Anark, l’Anarque, non pas celui d’Ersnt Jünger humain top humain mais le Cosmique, cet être qui se suffit à lui-même, cette force incommensurable qui n’a besoin ni de personne ni de rien  même pas de sa cosmicité, pour un peu cela deviendrait comique, mais tremblez car il détient les clefs de la mort entre ses mains et il s’en sert comme d’un hochet capricieux. Contrairement à Dieu, Anark ne meurt pas.

             Je vous laisse sur cette bonne nouvelle. Et ce disque aussi gai que terrific !

    Damie Chad.

     

    *

             Il est des titres qui vous attirent plus que d’autres. Celui-ci suscite les souvenirs de ma jeunesse et de mon maître en philosophie le poëte Pham Cong Thien  qui m’apprit à manier les concepts ontologiques. Qui à l’âge de ses seize ans fut qualifié d’ ‘’enfant génial du Vietnam’’ par la presse de son pays

    ONTOLOGICAL MYSTERIUM

    HORRENDOUS

    (Season of the Mist / Août 2023)

             Viennent de Philadelphie, entre 2005 et 2018, ils ont commis quatre albums remarquables et remarqués, ont disparu durant cinq ans pour revenir avec ce chef-d’œuvre.

    Jamie Knox : drums / Matt Knox : guitars, vocals / Damian Herring : guitars, vocal / Alex Kulick : bass.

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             La couve est signée par Alexander L Brown, lui-même guitariste et designer. Si vous parcourez son Instagram sa prédilection pour le blanc et noir vous marquera, l’on s’étonne même de l’orange effulgence de cet artwork. L’on savait que Cerbère avait trois têtes, maintenant l’on se souviendra que la bouche d’ombre possède trois crânes, soudés entre eux, à tel point que l’on ignore s’il en subsiste une, deux ou trois. Une réalisation alchimique qui a su métamorphoser la mort noire en pierre philosophale. Tout en lui infligeant le rappel de la formalité de sa provenance. Art de feu et d’incendie.

    The blaze : guitares discordantes, cordes assourdissantes, chuchotements de l’ombre, clameurs lointaines, glissandi infinis, flammes finales, séquences musicales alternées en toute vitesse, il se bouscule  tant de phénomènes obscurs dans ce comprimé agglutiné en cent soixante secondes, qu’il est nécessaire d’écouter et de réécouter encore cette gélule d’épopée qui se déploie en sa propre effervescence, l’histoire d’une montée impie, d’un pari insensé de prendre son essor afin d’être plus que le soleil du  ciel, qui chaque soir tombe et se meurt. Chrysopoeia (The Archeology of Dawn) : l’histoire d’un transmutation aurifique, horrifique aussi si l’on en croit le profil barbelé de ce morceau, impossible de saisir le fil de cette pétaudière, trop riche, trop intense, imaginez que vous visitez le dédalle labyrinthique des mille salles du palais de Knossos en quinze secondes, ou que l’on vous fasse boire de l’or potable et que l’on vous demande d’expliquer doctement ce qui se passe dans le tube de votre œsophage au fur et à mesure que le liquide dévale vers l’estomac, ce serait impossible la seule personne capable de vous comprendre serait vous seul, vous traversez le feu pour vous en extirper, et vous voudriez vous en tirer sans mal et en sortir frais comme les doigts de la rose de l’aurore, le tourment de cette musique qui concasse votre esprit ne vous laisse aucune chance, quel ramdam phonique, consolez-vous c’est d’une beauté extatique, le groupe ne vous laisse pas tomber il vous tire vers le haut avec ses pinces coupantes, un solo de guitare vous cloue sur la paroi pour vous empêcher de tomber, parfois la voix se fait douce comme une caresse avant de se muer en crise épileptique. Non, vous ne sortez pas indemne, l’on ne revit ni la mort tni la naissance du soleil sans y laisser des plumes. C’est exactement cela que l’on appelle l’épreuve du feu. L’ordalie métaphysique. Pour qui te prends-tu, Achilles ne l’a pas réussi. Comme toi il avait une blessure secrète. Neon Leviathan : nous quittons les mythes pour nous confronter au monstre fascinant de l’organisation humaine, nous sommes en pays de connaissance, peut-être est-ce pour cela que malgré l’emballement final , le hennissement guitarique et le hachis battérial sommes-nous dans un morceau monstrueux de death metal qui ressemble davantage à une civière de métal et de laboratoire qu’à la mort, vous ne bougez pas, vous ne risquez rien, si ce n’est une amélioration, quel est ce galimatias qui vous indique que la  science moderne est capable de vous faire traverser, ô comme c’est beau, ô comme c’est lyrique, ô comme c’est exaltant de n’avoir rien à faire si ce n’est de subir une transmutation alchimique dont votre corp sera l’athanor, le réceptacle et le résultat, gloire à la médecine moderne et sa nouvelle race d’opération, la guitare vous caresse, levez-vous, une nouvelle ère vous attend. Après l’épreuve vous avez touché votre récompense, l’expérience vous a transformé. Aurora neoterica : instrumental, ici tout n’est que calme et volupté, même si Matt fait un peu de bruit sur son tambour, te voici comme un homme nouveau, prêt à entonner de nouveaux chants, aurore poétique, tout a changé, rien ne changera jamais plus, tu as franchi une nouvelle étape, tu es un humain augmenté, crois-tu que tu pourrais un jour accéder à un tel bien être. Preterition Hymn : le rêve continue, la musique se fait douce comme la peau d’un fruit, pourquoi hurles-tu avec cette voix éraillée, est-ce la joie qui te rend fou, oui tu as atteint un stade supérieur, les Dieux eux-mêmes t’aideront dans tes désirs, dans tes faiblesses, oui je suis comme Enoch qui dans la Bible et le Ciel marchait aux côtés de Dieu. Il existe une Official  Music Veo sur la chaîne Y T de Season of the Mist, étrangement la beauté des images n’oblitère en rien, et aide à mieux saisir, la complexité de ce morceau. Cult of Shaad’hoa : exaltation suprême, je suis un guerrier invincible, je le crie, je le hurle, mon cœur résonne comme la batterie folle d’un groupe de death metal, je cours, je file, je grimpe, je m’élance, je m’envole, rien ne m’arrête, les Dieux m’adorent, je percerai le dôme du ciel, je trouerai l’azur souverain, je mène le char du soleil, là où je veux, quand je veux, comme je le veux, je suis le feu vivant. Exeg(en)esis : le métal exulte, il se contente de marmonner dans sa barbe, va-t-il trop loin, pour qui se prend-il, est-il le maître d’une nouvelle genèse, les guitares angéliques le couvrent de leur éclat, il se projette dans le jardin dans le jardin d’Eden, manifestement il se croit tout permis, il recrée le monde en expliquant le processus de sa propre création. Ontological mysterium : il ose se prendre pour Dieu, il ordonne le monde, est-ce la folie, est-ce de l’inconscience, que craint-il n’est-il pas le plus fort, Dieu ne marche-t-il pas à ses côtés, il est la vie, les guitares chantent, les tambours s’emballent, s’en aperçoit-il, y fait-il seulement attention, non ce n’est pas Dieu qui va le punir, le mal, l’échec, la mort surgira de sa profusion vitale, trop d’arbres tuent les arbres, trop d’herbes écrasent l’herbe, le mystère ontologique s’énonce ainsi ce n’est pas la vie qui naît du néant de la mort, c’est la vie qui produit la mort, Dieu n’est-il pas mort du seul fait qu’il ait existé… tout cela n’est-il pas déjà consigné dans les anciens écrits. L’exubérance de ce morceau ne court-il pas à sa propre extinction. The death Knell Ringeth : pour qui Dieu sonne-t-il le glas ! Sirènes d’alarme, le morceau tremble sur ses bases. Tu as voulu parler à Dieu et maintenant c’est lui qui te cause, d’une voix menaçante, ne cherche pas je suis au-dedans de toi puisque tu as voulu te prendre pour moi. La comédie est finie. J’aboie comme le chacal du désert, ma colère est telle les épines du figuier stérile, que veux-tu, misérable créature, la musique obéit au doigt et à l’œil, elle galope à une vitesse excédentaire, elle te pousse vers ton destin, tu as surpassé les Dieux, tu t’es pris pour mon égal, mais d’un coup de cuillère à pot je t’expédie dans le lieu de ta punition éternelle, en enfer !

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             J’espère que cette fin morale servira de leçon à tous les lecteurs présomptueux de ce site. J’avoue qu’elle me déçoit quelque peu. Enfin beaucoup. Elle n’est pas à la hauteur du jeu coruscant des musiciens, le synopsis tombe à l’eau, il traîne ses sabots dans une vieille histoire. Je me demande si c’est un vieux fond idéologique plus ou moins inconscient des racines puritaines de la Grande Américaine… Un défaut ontologique de fabrication !

             Toutefois ne boudons pas notre plaisir, c’est un bel opus qu’il vaut mieux écouter sans trop chercher à le comprendre. Ils ont raté l’opération alchimique, nous pensions qu’ils avaient trouvé la couleur de la pierre philosophale, c’était celle des flammes de l’enfer. Errare humanum est.

    Damie Chad.

     

    *

             Chose promise, chose due. Nous avons vu le concert la semaine dernière, au 3 B de Troyes, nous chroniquons maintenant le disque que nous en avons ramené.

    BEE DEE KAY DRIVES THE U.F.O. ZZZ

    (Sound  Flat Records / SFR-45_065 / Juin 2024)

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             Un disque, un vrai, un simple avec une pochette en carton aussi épaisse qu’ un porte-avions, sont des modestes, ne se sont pas mis sur la pochette, à la place ont écrit leur nom en gros, style dazibao maoïste qui bouffe presque la moitié de la couve, à côté ils vous offrent leur cœur, seraient-ils des monstres qui n’en auraient qu’un pour cinq, doivent se le passer à tour de rôle pourquoi pas, après tout les trois Grées terribles divinités grecques primordiales peu sympathiques ne possédaient qu’un seul œil qu’elles se refilaient de l’une à l’autre selon les nécessités, en tout cas ils doivent y tenir, pour ne pas le perdre ils l’ont attaché à une grosse chaîne, ne sont pas gars très soigneux puisque l’attache du médaillon semble cassée. Par contre j’ai appris quelque chose : je croyais que les initiales U.F.O. qui en anglais sont celles de Unidentified Flying Object signifiaient en notre douce langue françoise Ovni, pas du tout, c’est du français pure (enfin presque) souche, qui veut dire : Unique Fuckin’ Obsession, ZZZ

    You move me baby : légère tambourinade, Terric ouvre le menuet, pardon le remué, Bee Dee Kay est pratiquement le premier à entrer dans la danse. Benny lance illico le hérisson de sa guitare dans la cheminée, vous êtes averti ça va chauffer, Fi-Cel fait tourner le moulin à café de son Upright bass, en quinze secondes ils ont atteint leur vitesse de croisière, si vous vous croyez en classe touriste sur le pont d’un paquebot, c’est foutu, l’on sentait comme des ratés dans le moteur, c’était Grand Siffley  qui rongeait les câbles des freins, une fois son sabotage terminé, c’est fini, les haricots sont cuits, le sax se met à pétarader comme une Torpedo, il ondule comme le col du cygne  qui s’apprête à pénétrer dans le vagin de Léda, vous l’entendez hurler, des grincements éraillés de bicyclette sortie du grenier dans lequel elle était remisée depuis un demi-siècle, après l’on ne sait plus, Bee Dee Kay proclame qu’il est un chanteur de rockabilly, c’est vrai, hélas il est traversé par une folie meurtrière, il hurle comme un loup qui cherche à bouffer la lune, phénomène contagieux, ses camarades ne se retiennent plus,  la guitare de Benny vrille un max,  le sax se prend pour un éplucheur à patates et vous entendez le nid de crotales qui nichaient dedans qui détestent se retrouver pelés de la tête à la queue, la section rythmique se prend pour un régiment d’assaut, si à la fin du morceau vous en ressortez indemnes, c’est que vous avez eu de la chance. Beaucoup plus que Bee Dee Jay qui se retrouve à l’asile à skis.

    Wake up honey : si elle a besoin d’être réveillée après le tintouin qu’ils viennent de faire c’est qu’elle est sourde ou qu’elle est morte. Démarrent en trombe, la voix de Bee Dee Jay tressaute sur les cahots, Benny joue aux castagnettes sur sa guitare, le général Grant souffle dans son sax pour sonner la charge il n’arrête pas de barrir tel un troupeau de mammouths, Terric et Fi-cell foncent droit devant, personne ne les devancera, quelques lancées de poudre explosive de Benny pour terminer en beauté (convulsive), z’ont donné tout ce qu’ils avaient, Dee Bee Jay qui n’avait rien à distribuer nous offre l’essence vocale et explosive du rock’n’roll.

             Qu’existe-t-il de plus jouissif en ce bas monde ?

             Rien.

    Damie Chad.

     

     

    *

             Dans la vitrine de ma libraire c’est tout mignon, tout joli. Un livre pour les gamins, l’on fait de satanées belles choses pour les têtes blondes, remarquez, six ans révolus elles n’ouvrent plus un livre. C’est de qui ? zut alors c’est du sérieux, un Baldwin que je ne connais pas, un inédit en plus !

    LITTLE MAN, LITTLE MAN

    UNE HISTOIRE D’ENFANCE

    JAMES BALDWIN

    Et YORAN CAZAC

    (Denoel / Août 2024)

             Les jeunes lecteurs de KR’TNT ! ont toutes les raisons de ne pas le connaître. C’est rassurant, ça prouve qu’ils n’appartiennent ni à la CIA, ni au FBI, ni à quelques officines de services secrets. Au milieu des années soixante James Baldwin était le numéro trois d’une sacrée liste, les deux autres n’étaient pas n’importe qui, jugez-en par vous-mêmes, Malcom X et Martin Luther King ! 1965 pour le premier, 1968 pour le deuxième, en 1970   James Baldwin qui n’avait aucune envie de se reposer dans un cimetière éprouva l’irrépressible et salvateur besoin de trouver refuge en France… Il y mourut (de mort naturelle) en 1987.

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             C’était un homme dangereux. Pour un nègre il avait des idées trop claires. Un écrivain, un intellectuel. Homosexuel et antiraciste. Ça fait beaucoup pour un seul homme. L’avait de drôles d’analyses, il pensait que le christianisme était un cadeau empoisonné que les blancs avaient donné aux noirs : il est inutile que les esclaves qui bossent dur et souffrent un maximum se révoltent, puisque Dieu leur réserve une éternité de paradis. Il pensait aussi, il explique longuement dans ses essais, que le racisme gangrénait et causait autant de mal, en enfermant et en isolant les individus dans leurs ressentiments, à l’Amérique blanche qu’à l’Amérique noire.  Il affirmait aussi que le problème n’était pas résolu à plus ou moins long terme la situation exploserait. La montée dans les années soixante de l’idéologie de l’emploi de la violence dans le Black Panther Party avait tendance à porter crédit à ses thèses…

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             Nous avons déjà chroniqué en ce blogue plusieurs livres de James Baldwin, celui-ci est un peu différent. C’est bien un livre pour les enfants. Très instructif pout les grands. C’est aussi un livre de commande. Un peu spéciale. Elle provient de son neveu Tejan qui du haut de ses quatre ans lui demande pourquoi il n’écrit pas un livre sur… Tejan. Baldwin lui promet qu’il le fera. Il tiendra parole. Le livre paraîtra en 1976 avec les illustrations de son ami Yoran Cazac. Vous trouverez dans les différentes préfaces et postfaces des principaux protagoniste, témoins et participants de cette histoire.

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             Ce n’est donc pas un véritable inédit, un de ces manuscrits trouvés au fond d’un tiroir puisque le volume fut édité en Amérique. Mais l’œuvre de Baldwin est si foisonnante, romans, essais, théâtres, articles, correspondances… que ce livre illustré a été quelque peu occulté dans la mémoire collective. Ce n’est sûrement pas un hasard s’il a été sorti de par chez nous durant la campagne présidentielle américaine…

             Que nous conte ce Little Man ? Pas grand-chose et beaucoup. Les dessins de Yoran Carzac occupent la plus grande partie des pages, pour la petite histoire Cazac n’avait jamais mis les pieds à Harlem, lieu où se déroule le récit. Il s’est laissé guidé par les propos de Baldwin, les photos familiales qu’il lui a remises et quelques documents photographiques glanés de-ci de-là.  Entre nous soit dit nonobstant le fait que tous les personnages sont noirs, les teintes claires des aquarelles et l’innocence qui émane de ces vues familières de la vie de trois enfants auraient très bien pu être utilisées pour raconter une enfance provençale…

             Le récit possède une unité de lieu et une unité de profondeur. Bien sûr TJ s’échappe de temps en temps de la rue dans laquelle il habite, mais elle demeure l’axe central de l’action. Donc trois gamins, TJ et son ballon, WT qui ne rate une occasion pour danser, et Blinky la grande sœur (huit ans) qui les suit partout, qui de fait est là pour les surveiller. Ou plutôt, sachez apprécier la différence pour les protéger. De quoi au juste. A part jouer au ballon, rendre service aux voisines, acheter quelques sous de bonbons, ils ne font pas grand-chose, ne dites pas qu’avec les voitures un accident est vite arrivé. Il surviendra comme il se doit, pas grand-chose pour nous, un tantinet traumatisant pour des gaminos, mais rien de grave.

             Baldwin n’en dit pas plus, tout est bien qui commence et qui finit bien. Baldwin révèle tout. La grande menace. La grande défense. Pire que le racisme, la grande misère, les gens ne meurent pas de faim, mais de leurs vies étriquées, éteintes, et de leurs corollaires la drogue et l’alcool, portraits saisissants de voisins engoncés dans les cul-de-sac de leurs existences flétries. Juste un regard d’enfant qui voit tout sans tout comprendre, aucun réquisitoire, aucun jugement, juste la sensation d’une réalité estompée par la naturelle ignorance de l’enfance, jusqu’à cette intervention de la police, prémonitoire en le sens où elle ressemble à une feuille de calcul prévisionnel Excel, Yoran Cazac nous la transpose en images de comics économiques ou de série télévisée en blanc et noir…

             Face à ce quotidien implacable, rien. Si un filet de sécurité invisible. Les enfants ne sont jamais seuls, les adultes avec leurs failles ne sont jamais loin, de même les enfants sans le savoir apportent une aide précieuse aux adultes dans leurs difficultés, la communauté possède ses remparts, elle encaisse les coups mais tout comme la présence des leucocytes dans le sang elle possède ses moyens de défense prêts à atténuer et à stériliser l’entrée pathogène des virus… Les globules blancs défendent les corps noirs, ils ne sont d’ailleurs jamais tout à fait noirs non plus, Baldwin explore les teintes, nous dirons qu’ils sont dorés. Aussi précieux que l’or.

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             Quelques pages à ras d’enfance, Baldwin ne dit rien, il montre tout. Mieux il démontre. Sans une once de moraline. Sans discours étayé. L’art d’un grand écrivain.

    Damie Chad.

     

    *

    Je ne pourrais pas vous donner la date exacte, je l’ai notée quelque part mais je ne la retrouve pas, bref c’était en octobre, le matin, et j’étais en train de beurrer les biscotes…

    GENE VINCENT, MOI, ET LES AUTRES

    RETOUR DANS LE PASSE

    … de mon petit déjeuner. Une occupation sacrée à laquelle je consacre toute mon attention, avec le même soin que je prendrais, moi le kroniqueur branleur et branlant, si j’étais en train de préparer une libation propitiatoire en l’honneur de Poseidon, l’ébranleur de la terre. En tout cas, Poseidon doit encore ronflouter doucement sur un doux lit d’algues parfumées, il ne moufte pas, la matinée s’annonce calme, le tchou-tchou bienveillant de la cafetière électrique berce en moi les derniers relents de sommeil, la radio marche mais je ne l’écoute pas. L’art de beurrer une biscote  exige soin, application, et concentration, c’est un peu le contraire de l’origami, la matière friable que vous tartinez ne doit aucun cas plier et rompre sous la pression du couteau, la radio cause toujours, l’on est sur France-Inter qui s’infiltre dans mon oreille distraite et Claude Askolovitch débute sa chronique en évoquant un enfant que ses parents endorment au son d’Elvis Presley et de GENE VINCENT, je sursaute, ma cafetière aussi, est-ce que le nom de ces deux américains lui a rappelé les westerns de son enfance, toujours est-il qu’illico elle se transforme en locomotive à vapeur lancée à plein régime, son tchou-tchou vaporeux s’est instantanément métamorphosé en grondements terrifiants, au tintamarre qui envahit la cuisine j’en déduis qu’elle est poursuivie par une bande de peaux-rouges criards ivres de sang et de fureur, eux-mêmes pris en chasse par le Septième de Cavalerie qui galope ventre à terre de toute la force de ses clairons… bref je ne parviens pas à saisir le nom de cet individu ni la suite de sa carrière.

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             Que le nom de Gene Vincent soit prononcé avant sept heures du matin demande une enquête. Qui est cet enfant béni des Dieux que ses parents ont élevé dans la plus stricte orthodoxie rock’n’rollienne, comment a-t-il évolué, serait-il aujourd’hui devenu un chanteur de rock… Au plus vite je récupère le podcast de l’émission sur le net. Je vous livre son nom : il s’agit de Djubaka, son nom est fièrement claironné sur les antennes de France Inter chaque fois qu’est diffusé un morceau de musique. Il est le directeur musical de la chaîne. Disons que je ne partage pas ses goûts, je fais souvent la grimace, bon au moins il aura servi une fois à quelque chose dans sa vie puisque grâce à lui le nom de Gene Vincent est prononcé sur France-Inter.

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             L’histoire aurait pu se terminer là, mais le Démon de la perversité cher à Edgar Poe m’a poussé à en savoir plus. Qu’apprends-je sur lui, outre ses goûts musicaux, il avoue toutefois qu’il aime la noise music mais qu’il  n’en programme point sur Inter parce que cela déconcerterait le public aux oreilles sages.  Entre parenthèses le gars n’a pas l’air idiot, l’a une allure de dandy, tous les goûts sont dans la nature (sans doute parce que la nature, marâtre impitoyable, n’a pas de goût, cette assertion demanderait une lecture attentive de L’Ethique de Spinoza), mais lorsque l’on cherche l’on s’expose à trouver ce que l’on ne cherchait pas. En l’occurrence je ne cache pas que je dois être le centre de l’univers, puisque ma recherche me ramène très rapidement à ma modeste personne. Avec sa compagne Anne, Djubaka animent aussi la luxueuse revue papier Hey ! Modern Art & Pop Culture, je file illico sur le site, je clique un peu au hasard sur le nom d’un artiste et je tombe sur le magazine culturel de la ville de Pamiers, diable mon ordi est fatigué, je reclique et retombe sur le magazine culturel de la ville de Pamiers et j’apprends que Paul Toupet participe du 11 octobre au 21 novembre 2024 à l’exposition Harmonie ou Le milieu des Mondes organisée dans Le Carmel.

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             Lieu que je connais bien, puisque je suis né à Pamiers et que mon collège, aujourd’hui détruit (qui abritait aussi en ses murs multi-centenaires une école primaire) faisait face à ce Carmel, longtemps abandonné… Bref je remercie Djubaka, Gene Vincent et les mille chemins ouverts du monde de m’avoir ramené chez moi. Sur les lieux de mon enfance.

    Damie Chad.

            

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 664 : KR'TNT ! 664 : TCHOTCHKE / DARTS / JACKIE DESHANNON / LIVERBIRDS / CHRIS CLARK / BEE DEE KAY DRIVES THE U.F.O. ZZZ + MARY / ASHEN / ACROSS THE DIVIDE / AUSTIN OSMAN SPARE

    KR’TNT ! 

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 664

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    07 / 11 / 2024

     

     

    TCHOTCHKE / DARTS / JACKIE DESHANNON

     LIVERBIRDS / CHRIS CLARK

    BEE DEE KAY DRIVES THE U.F.O. ZZZ + MARY

    ASHEN / ACROSS THE DIVIDE

    AUSTIN OSMAN SPARE

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 664

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock

     - Tchotchke de choc

             — Comment pouvons-nous te choquer, avenir du rock ?

             — Ça risque d’être très difficile...

             — Si on te traite de gros con, ça va bien te choquer, non ?

             — Pas le moins du monde. C’est un fait que j’assume avec fierté.

             — Alors si on te traite de petite bite, tu vas blêmir, non ?

             — Vous ne connaissez pas les privilèges de l’hermaphrodisme, bande d’ignares...

             — Ah tu vas le prendre vraiment très mal si on te traite de sale juif !

             — Pfffff, c’est d’une banalité qui frise l’indigence, ou pire encore, le manque d’imagination. Comment veux-tu que ça puisse me choquer ? Par contre, si tu me traites de sale nègre, là, oui, c’est intolérable.

             — Bon alors, on va te clouer le bec pour de bon en te traitant de sale beauf...

             — C’est effectivement ce qui peut arriver de pire à un être humain. Chaque fois que t’en croises un, t’es partagé entre deux façons de réagir : le dégoût ou la compassion. Les beaufs se reproduisent comme les rats, ça prolifère, t’en as partout, même dans ta famille et tes cercles rapprochés. Tu soulèves une pierre sur le bord du chemin et tu les vois grouiller. Spectacle dégoûtant ! Les beaufs c’est ça, mais si tu traites de beauf quelqu’un qui ne l’est pas, ça ne sert à rien. C’est une injure gratuite, qui fait autant d’effet qu’une balle à blanc. C’est un coup d’épée dans l’eau. Désolé d’avoir à vous dire ça, les amis, mais votre notion de choc est complètement dépassée. Aujourd’hui, on ne parle plus de choc mais de Tchotchke. Attention, amigos, ce n’est plus du tout la même chose. 

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             T’arrive devant la scène avec la gueule enfarinée. Trois petites gonzesses déboulent sur scène. Tu ne sais même pas comment elles s’appellent. Bof, une première partie des Lemon Twigs, ça devrait pas être trop mal.

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    Devant toi, la petite bassiste s’applique et ramène, par sa seule présence, toute la fraîcheur du monde dans le set. Là-haut, sur son estrade, la batteuse/chanteuse allume ses cuts un par un, et là-bas, de l’autre côté, la guitariste gratte sa Strat sans effet, elle reste en mode clairette. On l’aura compris : zéro frime.

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    Tout est dans les chansons. En fait, elles jouent une pop très dépouillée, mais au fil des cuts, tu sens comme le poids d’un envoûtement sur ta pauvre vieille cervelle. Tu comprendras mieux plus tard, quand tu apprendras qu’elles ont enregistré leur album chez les frères d’Addario, ce qui est un sacré gage de qualité. Il est parfois bon de ne rien savoir quand tu vois un groupe sur scène. Tu juges sur pièces. C’est bon ou c’est pas bon. Les Tchotchke, c’est bon, et même super-bon. Cut après cut, elles étendent leur empire et ça te monte vite au cerveau.

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    La batteuse s’appelle Anastasia Sanchez, elle navigue exactement au même niveau que Curt Boettcher, elle sait vriller son chant pour créer de la magie pop, notamment sur «Oh Sweetheart One», ce chef-d’œuvre de candy pop collante et dégoulinante de candeur, monté sur une structure d’une ahurissante simplicité.

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    Derrière son micro et ses fûts, Anastasia vrille des couplets d’une indicible beauté. Tu vas retrouver cet objet d’art pop indubitable sur leur album sans titre. L’autre merveille du set s’appelle «Dizzy», qui sonne comme une fabuleuse descente dans le lagon d’argent de la pop, ces trois gonzesses sont aussi ambitieuses que les Lemon Twigs, elles flirtent elles aussi avec le génie pop de Brian Wilson. Elles tapent plein de merveilles qui ne figurent même pas sur l’album, franchement, t’en reviens pas de toute cette qualité. T’as l’impression que le monde pop s’enfonce dans la médiocrité, et tout à coup, les Tchotchkettes et puis les Lemon Twigs te remettent les pendules à l’heure. Alors tu reprends espoir. Grâce à ces deux groupes, les Byrds, les Beatles et Brian Wilson restent d’actualité. Ils sont aussi précieux que l’air qu’on respire.

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             L’album sans titre des Tchotchke est une petite merveille, cela va sans dire. T’es tout de suite dans le haut de gamme avec «You’ll Remember Me», belle pop ambivalente, d’essence impérissable, elles disposent de cette faculté extraordinaire à savoir vriller le chant pop. C’est du Brill d’obédience vertigineuse, quasi spectorienne sur le bonus track. Anastasia chante comme une reine de Nubie blanche. On recroise ces deux coups de génie que sont «Dizzy» et «Oh Sweetheart One», mais tu vois aussi Anastasia swinguer «Come On Sean» à la pointe de la glotte, et sur «What Should I Do», tu entends les frères d’Addario. Ce fantastique cut de salubrité publique sonne comme un hit du Brill. On croise aussi ce «Don’t Hang Up On Me» joué sur scène, une pop d’essence cristalline et aérienne. Elles s’en donnent toutes les trois à cœur joie, franchement c’est un bonheur que de les voir sur scène chanter cette merveille d’exubérance. Et comme l’album est bien produit, tu retrouves tout le punch de la version scénique. Nouveau coup de Jarnac avec «Whish You Were A Girl» : fantastique shoot de Brill, ah on peut dire qu’elles Brill au firmament, Anastasia mène sa pop flamboyante qui explose en solaces d’excelsior au moindre refrain. Et avec «Longing Delights», tu retrouves toute la folie des Lemon Twigs dans cette apothéose de pop wilsonienne.

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    Signé : Cazengler, le poids des mots, le tchotchtk des fautes

    Tchotchke. BBC. Caen (14). 25 septembre 2024

    Tchotchke. Tchotchke. Tchotchke Records 2022

     

     

    She Darts it right

     - Part Three

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             Sur scène, les Darts restent imbattables. Incompressibles. Irréprochables. Indéfectibles. Inévitables. Immédiates. Inoculables. Infaillibles. Irrésistibles. Immatures. Infectueuses. Impondérables. Indémodables. Intarissables. Indubitables. Mais prenons garde, car à force de plasticité gaga, elles finiront par nous insupporter autant que les Fleshtones. Pas besoin de sortir de Saint-Cyr pour savoir que le gaga est un genre dramatiquement limité, surtout le gaga-dorgua, celui des Fuzztones et des Lords Of Altamont en particulier. Les gangs de gaga-dorgua passent leur vie à vouloir briser une routine qu’ils ne briseront jamais, car la routine est leur spécificité. La routine d’orgua est leur ADN. Seuls Question Mark & The Mysterians ont su briser le sort de la routine gaga-dorgua. Ils ont dû pour ce faire verser 96 larmes. Cry cry cry.

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             Un set des Darts s’avale d’un trait, pas de problème. Comme tous les sets, celui des Darts connaît des hauts et des bas, de beaux hauts dirons-nous, et des bas pas beaux. Jusques là, rien de nouveau. Fidèle à sa tradition, Nicole Laurenne multiplie les antics, à défaut d’être la reine du rodéo, elle est celle des cabrioles, elle bat même Jake Caveliere à la course, elle adore s’allonger au sol et faire tomber son Farfisa sur elle, elle adore empêcher sa guitariste de jouer en l’enlaçant comme un boa constrictor, elle adore sauter sur place, d’ailleurs, elle ne fait que ça, elle est très athlétique, incapable de rester calme plus de trois secondes. Elle observe bien le rituel du gaga-dorgua qui consiste à chasser les temps morts, tout doit sautiller en permanence, l’énergie doit couler à flots, ça doit pulser dans les tubulures, ça doit couiner dans les circuits. C’est drôle comme ce genre parvient à survivre, malgré ses limites. On continue d’aller voir ces groupes sur scène et, pire encore, on continue de ramasser les disks au merch. Cette manie pourrait s’apparenter à une bonne petite pathologie. T’es là, et dans les moments de grande intensité, tu te demandes pourquoi t’es là. T’en sais rien. Tu vois tout ça de l’extérieur. Tu ne peux pas faire semblant d’être le fan que tu n’es plus.

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    Alors tu observes, essayant désespérément de ne pas trouver le spectacle (dans son ensemble) grotesque. Quel sens ont les Darts aujourd’hui ? C’est en te posant ce genre de question que tu peux espérer y voir plus clair.

             Au pire, le set te fatigue. Au mieux, il te remonte un peu le moral. Dans l’in between, ça grouille de considérations :

             — Ouais, c’est bien de perpétuer la tradition.

             — Ouais, tant que des groupes comme les Darts monteront sur scène, le cœur du rock continuera de battre.

             — Ouais, elle en fait un peu trop, mais il vaut mieux en faire trop que pas assez.

             — Ouais, ça fait vingt ans qu’elle se maintient à niveau.

             — Ouais, elle est l’une des meilleures dans son genre, aussi bonne que la Flavia des Courettes et la Jackie des Jackets.

             — Ouais, les Darts, ça darde !

             — Ouais, c’est sûr qu’on va retourner les voir le mois prochain. Encore une bonne soirée en perspective ! Ouais ! Mille fois ouais !

             — Ouais, avec les Darts, c’est du zyva automatique. Tu ne te poses des questions qu’une fois arrivé sur place.

             Effectivement, tu te prends au mot et t’y retournes. Cette fois, dans ton spot préféré, au Petit Bain, là où ça rocke le boat pour de vrai. Quand elles déboulent sur scène, elles balaient le souvenir des deux premières parties, c’est tout de suite américain, c’est tout de suite en place, c’est tout de suite les Darts, c’est tout de suite wham bam, c’est tout de suite «Underground» et tout de suite suivi de «Graveyard», c’est tout de suite du 100 à l’heure, c’est tout de suite mal barré pour les canards boiteux, c’est tout de suite claqué du beignet, c’est tout de suite exactement la même set-list qu’à Rouen un mois auparavant, alors tu n’as plus qu’à te laisser porter, elles font tout le boulot, tu veux ta rasade ?

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    Elles te la servent sur le meilleur des plateaux d’argent, et t’as une salle bourrée de fans. Au moins ceux-là ont payé. Nicole Laurenne ressort tout son bataclan, la course sur place, le dos au sol avec le Farfisa sur le ventre, et toute la fantastique présence scénique dont elle est capable. Elle rampe pas mal, elle semble en donner encore plus aux Parisiens et puis c’est dit-elle le dernier set d’une tournée qui a commencé au mois d’avril. Le centième ! Elle devrait en avoir marre, mais elle y va. Elle est encore meilleure qu’avant, et le set des Darts prend du relief, le jeu de scène est bien rôdé, t’en veux pour ton billet ? Tiens-en voilà pour ton billet.

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    Ça rocke à outrance, les deux bras droits de Nicole Laurenne s’en donnent à cœur joie, elles voyagent pas mal sur scène, et derrière, la petite  Mary Rose aux cheveux verts bat un beurre de tous les diables, elle ne fait pas dans la dentelle. Nicole Laurenne communique bien avec le public, elle a fait des progrès en français. Et puis elle a cette façon de lancer les cuts qui tape chaque fois en plein dans le mille, la main droite sur le clavier et, face au public, elle court sur place en secouant les cheveux. Elle court très vite, on a même l’impression qu’elle accélère.

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    Et au bout d’une heure de bons et loyaux services, elles finiront de gaver les oies : t’auras exactement le même rappel qu’à Rouen, avec «Love Tsunami», «Shit Show» et «Liar». Ensuite ? Eh bien ensuite, tu sortiras de là sonné et ravi. T’auras vu trente-six chandelles et, last but not least, t’auras aussi vu le real deal des girl-groups contemporains. Et t’auras bien mérité un dernier tonic à la cantine.

             Et les disks dans tout ça ?

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             Avec Snake Oil, tu t’aperçois que Christina Nunez vole bien le show avec son fat bassmatic, notamment dans le morceau titre d’ouverture de bal. Les Darts sont folles : elles attaquent à la stoogerie avec un bassmatic pétaradé. Ah comme elle patate bien, la grosse Christina ! Elle est mixée à l’avant du son et ça lui donne de sacrées coudées franches. Les Darts adorent filer tout droit, comme le montre encore «Love Tsunami», et on assiste toujours au même déroulé. Nicole Laurenne compose tout, elle contrôle tout le monde des Darts. Même le merch, c’est elle. Elle tape son «Love Song» en mode Big Astmospherix assez hellish. Avec «Underground», on assiste à un fabuleux déroulé périphérique, elle rafle la mise à coups de put it down, elle adore faire exploser ses cuts, en studio comme sur scène. Avec elle, ça se remet en route vite fait. Elle tape son «Donne Moi Tout» en français. Dommage que le chant soit noyé dans la morasse. Les derniers fans de gaga-dorgua vont forcément bien se régaler avec cet album qui a pour principal mérite celui d’exister.  

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             Comme elles traversent une grosse crise de productivité, elles sortent un tout nouvel album : Boomerang. Pochette superbe, avec une sorte de graphisme crypté. Ambiance murs tagués du CBGB. Elles repartent de plus belle à la conquête du Mondo Bizarro, elles enfoncent bien leur clou dans la paume de la routine et attaquent au gros tatapoum. Il faut attendre «Pour Another» pour frémir sincèrement. Belle attaque de bassmatic invasif. Elles développent un fantastique heartbeat. Christina Nunez gratte un sacré thème, il faut bien admettre qu’elle est l’une des cracks du bassmatic moderne. Puis les Darts replongent dans leur fontaine de jouvence avec un «Liar» classique mais bienvenu, et ça explose plus loin avec «Photograph». C’est encore Christina qui attaque ça en coupe réglée. Pas de pitié pour les canards boiteux ! Darty for real ! Elle lâche encore un bassmatic de destruction massive sur «Hell Yeah». En fait, c’est elle, la grosse, la star des Darts. Belle énormité encore avec «Night». Toujours cette fantastique énergie pulsative, même dans les cuts lents. Le turbo processeur est de retour avec «Welcome To My Doldrums» : basse pouet pouet et drive d’orgua, véritable effusion d’effervescence, c’est brillant et dévastateur. Du coup, t’as hâte de les revoir sur scène. C’est comme si tu ne pouvais plus t’en passer.

    Signé : Cazengler, Dark

    Darts. Le 106. Rouen (76). 22 septembre 2024

    Darts. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 19 octobre 2024

    Darts. Snake Oil. Alternative Tentacles Records 2023

    Darts. Boomerang. Alternative Tentacles Records 2024

     

     

    Wizards & True Stars

     - Shine on De Shannon

     (Part One)

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             On va profiter d’une petite actu sur la belle Jackie DeShannon pour lui consacrer un Part One plus que bien mérité. S’il en est une qui entre de plain-pied dans la cour des Wizards & True Stars, c’est bien elle. Dans Record Collector, Lois Wilson indique que la belle Jackie atteint l’âge canonique de 83 balais et qu’elle se produit encore - Still performing - Elle a fait ça toute sa vie. Elle dit ne pas se souvenir d’un seul instant où elle ne composait pas, ou ne chantait pas.

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    (Sharon Sheeley & Eddie Cochran)

             Pas compliqué la vie : il suffit de devenir pote avec les Beatles quand ils font leur première tournée américaine en 1964. Puis t’as les Byrds et les Searchers qui reprennent tes compos. Alors ça devient easy. «When You Walk In The Room», c’est elle, et la naissance du folk-soul-rock de Laurel Canyon, c’est encore elle avec, justement l’album Laurel Canyon. C’est assez con à dire, mais il n’existe pas de blonde plus légendaire que la belle Jackie. Elle a aussi pas mal tapé dans Burt («What The World Needs Now Is Love»). Elle est très prématurée, elle se fait connaître à l’âge de 13 ans sous le nom de Sherry Lee, et à 16 ans sous le nom de Jackie Dee. En 1960, elle signe un publishing deal avec Liberty et devient pote avec Sharon Sheeley, la poule d’Eddie Cochran, qui a déjà pondu des hits pour Eddie et Ricky Nelson. Cot cot ! Elles bossent ensemble, Jackie fourbit la mélodie et elles tapent les lyrics ensemble. Mais son deal chez Liberty n’est pas bon. Ils veulent la voir composer, pas chanter. Elle parvient quand même à enregistrer un premier album en 1963. Elle y tape trois covers de Dylan. Elle voulait faire tout l’album avec des covers de Dylan, mais les mecs de Liberty n’ont pas voulu. Pourquoi ? Parce qu’ils n’ont rien pigé à Dylan. On y reviendra dans un Part Two, car cet album est un gros morceau. Elle raconte aussi qu’elle a dû se battre pour enregistrer le «Needles & Pins» de Sonny Bono et Jack Nitzsche - Liberty didn’t like that song either. They thought it was strange. But I put my foot down this time. I knew I had to do it - Eh oui, elle a eu raison de tenir bon. C’est l’un des plus beaux hits d’Amérique. 1963 ! Elle est déjà très en avance sur son temps. Le seul qui la comprenne, c’est Jack Nitzsche. Ensemble, ils écoutent Malher, Stockhausen, Wolf et Robert Johnson. Il n’y a pas de hasard, Balthazar. En 1963, les Searchers sont à Hambourg avec les Beatles et Cliff Bennett. Ils découvrent «Needles & Pins». Flash immédiat - We were awestruck by the song - La même année, ils tapent leur cover de «When You Walk In The Room». Pendant la fameuse tournée américaine des Beatles en 1964, le public hue les premières parties, même les Righteous Brothers. La seule qui tient le choc, c’est la belle Jackie.   

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             En 1965, elle rencontre Burt. Elle flashe sur «What The World Needs Now Is Love». Mais Burt ne veut pas lui filer la chanson. Pourquoi ? Parque que Dionne la lionne n’a pas voulu l’enregistrer - she turned it down - Pareil pour Timi Yuro qui l’a aussi refusée. Hal David insiste. Burt cède. Ce sera le hit que l’on sait. Et bien sûr, Dionne la lionne va se dépêcher de l’enregistrer.

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             En 1966, les Byrds accompagnent la belle Jackie quand elle enregistre «Splendor In The Grass». Croz : «Jackie was amazing. She was an inspiration and she was fun. She’s a one-off original.» Les Byrds tapent une belle compo de Jackie sur leur premier album, «Don’t Doubt Yourself Babe». C’est l’année où Los Angeles explose - So many clubs on Sunset. It was wonderful - C’est là qu’elle enregistre le fabuleux Laurel Canyon. Derrière elle, on retrouve Dr John au piano, Barry White dans les chœurs. Elle ouvre la voie pour Joni Mitchell et Carole King.

             Elle quitte Liberty en 1970, et Capitol lui bousille son Songs en 1971 (on y revient plus loin). Elle débarque ensuite sur Atlantic. Wexler l’envoie aussitôt à Memphis. Elle enregistre Jackie chez Chips. Autour de Chips, Arif Mardin, Tom Dowd et Wexler s’entassent dans la cabine. Les Memphis Boys assurent le backing de Jackie superstar. Pour les becs fins, Jackie navigue exactement au même niveau que Dusty in Memphis. Pareil, on y revient dans un Part Two.

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             Voilà-t-y pas qu’Ace réédite son album de covers de Ray Charles, Nothing Can Stop Me. Liberty Records Rareties 1960-1962 - I’m really proud of them - Elle explique qu’à l’époque elle savait tout faire, du Burt, du Ray Charles, du Needles, du Dylan, et son label voulait qu’elle reste dans un genre bien défini, alors qu’aujourd’hui, dit-elle, on demande aux artistes de se diversifier. Elle prend l’exemple de Rod The Mod - Back then, my diversity was a curse. But I was actually ahead of the curve.

             Alors oui, on saute sur Nothing Can Stop Me. Liberty Records Rareties 1960-1962. Elle est en effet très jeune sur la photo de pochette. Mais elle chante son Ray d’une voix rauque, presque black. Elle est très sauvage. Elle aurait pu taper du rockab. Avec «I Got A Sweetie», elle claque un gospel black de petite vertu. Par contre, elle force trop son «What’d I Say», elle y va au tell you mama de bonne bourre. Elle jette toute sa niaque dans la balance de «Georgia On My Mind» et devient fabuleuse d’à-propos dans «Hallelujah I Love Her So». Yes I know ! Elle s’en sort vraiment avec les honneurs. Comme toujours chez Ace, les bonus grouillent de puces. On la sent folle de Ray. On la voit twister près du juke sur «Stand Up & Testify» et son «Baby (When Ya Kiss Me)» est de très haut niveau, fast & battu sec, avec des violons. On est frappé par la qualité des interprétations et des orchestrations. Elle devient folle avec «That’s What Boys Are Made Of» et ça se termine avec l’heavy pop de «Don’t You Feel Sorry For Me», fantastique cut d’époque avec le solo de sax et les clap-hands.

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             Chez Ace, on ne fait jamais les choses à moitié. Nos amis anglais ont entrepris de compiler tous les singles de Jackie sur trois volumes. C’est très consistant, très passionnant et recommandé pour les longues soirées d’hiver. Le volume 1 couvre la période Liberty - qui était aussi le label de Bobby Vee, de Johnny Burnette et d’Eddie Cochran - de 1960 à 1963. Certains morceaux sortis du contexte des albums redeviennent des bombes, d’où l’intérêt de ce genre de compile. On note aussi que les premiers singles de Jackie sonnent comme ceux des Coasters et de Brenda Lee. Elle faisait sa gutturale des cavernes. Elle bricolait un rock de fille et elle se battait bien avec son micro. Elle a commencé à virer jerk avec « Ain’t That Love » qu’elle prenait d’une voix fêlée et qu’elle chantait comme une bête fauve. Elle révélait son animalité. Elle prit à partir de là l’habitude de se racler la gorge et de se faire passer pour une méchante. Elle enregistrait aussi pas mal de slows super-frotteurs qui ont dû favoriser l’éclosion du baby-boom américain. Avec « Needles And Pins », on entrait enfin dans le vif du sujet : elle devenait l’inventeuse de la pop moderne. Elle tirait ça d’une voix de meneuse qui cinquante après impressionne toujours autant. Elle montrait au passage sa passion pour le gospel avec « Oh Sweet Charriot » et balançait un hit de r’n’b digne des Supremes, « Till Ya Say You’ll Be Mine » qui explosait de vigueur éclatante. Et bien sûr on avait à la suite l’éclair de génie du Walk In the Room, avec ses tambourins et ses maracas, un point de repère dans l’histoire du rock.

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             Avec le volume 2, on monte en puissance. Il est à cheval sur Liberty et Imperial, et couvre la période qui va de 1964 à 1967. On y retrouve cette monstruosité punk, cette énormité de jerk de cave qu’est « It’s Love Baby ». Sur « Don’t Turn Your Back On Me », Jimmy page bat le riff. Complètement légendaire. « A Lifetime Of Loneliness » est une merveille de Burt mélodiquement parfaite. Riche car travaillée dans l’essence même du capiteux. Elle remonte au signal pour fracasser le plafond de verre. Cette fille là, mon vieux, elle est terrible ! On assiste à une montée d’intensité quasi-orgasmique. Puis elle chante « I Remember The Boy » à la cantonade. Elle montre sa puissance en tapant dans le haut de la mélodie. Elle s’y révèle la fabuleuse shouteuse qu’on va retrouver ensuite au fil des albums. C’est ferrailleux, solide. Elle dégouline de classe. Elle joue son folk-rock princier en montant dans les octaves et elle fait sauter tous les bouchons. Monstrueux. On retrouve le fabuleux « Come And Get Me » de Burt et « Splendor In The Grass », où les Byrds l’accompagnent. Avec tous ces singles extraordinaires, elle atteint son âge d’or. Ce volume est le plus dense des trois.

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             Le volume 3 couvre la période 1967-1970, jusqu’à la fin de son contrat avec Imperial. On la sent attirée par le son hollywoodien, car elle commence par sortir une série de singles trop produits (« Changin’ My Mind », « It’s All In The Game » et « I Keep Wanting You »). Avec « Me About You », on la voit embobiner la mélodie. Elle joue à la superstar hollywoodienne, elle mène sa barque et tout le monde se prosterne à ses pieds. Elle fait rêver l’Amérique blanche. « Effervescent Blue » est une pure merveille insolite chantée à la manière de Diana Ross. C’est d’une classe extrême. Elle s’y révèle l’égale des grandes shouteuses de jazz. Elle brise les mythes sur ses genoux. On retrouve le beautiful folk-rock de « Laurel Canyon » et ce furieux hit qu’est « What Is This », tout secoué de guitares. « Always Together » est une belle pièce lumineuse qu’elle éclaire de sa voix. Imbattable. C’est à ce genre de single qu’on voit la grandeur d’une interprète. Elle a une façon particulière de monter son feeling dans la lumière de l’harmonie. Encore une pure merveille avec « Keep Me In Mind », mid-tempo élégant et mélodique, prodigieusement inspiré et qu’elle amène à sa façon pour en faire une pop étrangement veloutée et artistement décolletée. On retrouve aussi l’éclat de « Brighton Hill » qu’elle passe au filtre hollywoodien. Elle ne s’arrête jamais. Elle enfile les hits comme des perles. Les gentils compileurs d’Ace ont aussi pensé à mettre l’effarant medley « You Keep Me Hanging On/Hurt So Bad », version ultime et mortelle randonnée, elle en fait de la charpie, comme le fit le Vanilla Fudge. Les trois derniers singles sont faramineux : « It’s So Nice » (hit soul), « Mediterranean Skies » (incroyablement moderne pour l’époque) et « Bird On the Wire ».

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             Dans sa collection « Songwriters », Ace a bien sûr pensé à bricoler un volume Jackie DeShannon qui s’intitule Break-A-Way. Ça commence avec la version endiablée de « Break-A-Way » d’Irma Thomas, qui est accompagnée par un batteur drôlement énervé. On tombe ensuite sur le « When You Walk In The Room » des Searchers qui fut l’un des groupes préférés de Mark E Smith. Idéal pour les soirées sixties. Hit parfait. Ces mecs-là avaient tout l’arsenal : l’énergie et les harmonies vocales. Cher reprend « Comme And Stay With Me ». Elle préfigure Chrissie Hynde. Cher est sublimement punkoïde, même si la chanson vire poppy avec des clochettes à tous les coins de rues. Cher était une vraie hargneuse. Elle connaissait tous les secrets du frisson. Mais on trouve aussi pas mal de déchets : les reprises des Fleetwoods, d’Helen Shapiro, de Dick Lory, de Brenda Lee, de Peter James et de Dobie Gray ne volent pas haut. « Carrying A Torch » par Wynona Carr vaut le détour, car c’est magistralement interprété. La valse des déchets se poursuit jusqu’à la reprise de « Splendor In The Grass » par les Boys et leur gros son gloomy, mais c’est facile, car la chanson est bonne. Les Boys sonnent comme des Byrds, mais ce sont des filles. On a là un pur joyau de Californian Hell. Fabuleuse reprise de « Should I Cry » par les Concords. Leur version est complètement dévoyée. S’ensuit un autre chef-d’œuvre, « Thank You Darling » repris par Rick Nelson, chanteur exceptionnel. Autre merveille : « Would You Come Back » par Eddie Hodges, traitée au laid-back alcoolisé du matin difficile et joliment ramassé dans le titubant. Une autre perle avec « Day Dreaming Of You » par les Fashionnettes, exercice de style admirable signé par un girl-group kitschy. C’est aux Byrds que revient l’insigne honneur de refermer le cortège avec une version exceptionnelle de « Don’t Doubt Yourself Babe » qu’ils traitent à la mode de l’apothéose. On en n’attendait pas moins des Byrds.          

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             Le volume 2 consacré à la songwriteuse vient de sortir : She Did It. The Songs Of Jackie DeShannon Volume 2. Comme le précédent, cet album dégage un petit parfum de dynamite. S’il en est une qui sait écrire des chansons, c’est bien Jackie. Les volumes Ace jettent une lumière crue sur les grands artistes. Elles sont un complément indispensable à la discographie de ces artistes, surtout dans le cas de Jackie. C’est à Dorothy Morrison que revient l’honneur de taper dans « Put A Little Love In Your Heart », un gros r’n’b monté sur la basse. Dorothy se montre digne des géantes de Stax. On retrouve un peu plus loin le grand Dave Berry et « I’ve Got My Tears To Remind Me », avec l’énergie du Swinging London. Pure merveille d’antiquaire. Brenda Lee tape dans « My Baby Likes Western Guys » et elle y va au guttural. Elle s’arrache tout, mais on salue la beauté du geste. On retrouve la grandeur des Ronettes pour « He Did It » vieux hit sixties sha-la-la-té et extrêmement juteux. Gros choc émotionnel avec Marianne Faithfull qui reprend « With You In Mind » au gothique moyenâgeux. Elle en fait même un peu trop et se prend pour Guenièvre. Par contre, les Righteous Brothers ne rigolent pas. Dans leurs pattes, « Burn On Love » devient une monstruosité, ils chauffent la tambouille et multiplient les renvois de voix au loin. Avec Jackie, on retrouve l’équation magique Spector/Righteous. Encore une merveille oubliée : « Each Time » par les Searchers. Fantastique écho. Ces mecs de Liverpool auraient mérité d’exploser comme les Beatles. Et puis on tombe sur la perle de l’album : « The Greener Side » par Tammy Grines. Véritable énormité, elle chante à la ramasse du dévolu. Pur génie. Tammy Grines est terrifiante de classe. Encore un génie avalé par l’oubli : PJ Proby. Il tape dans « The Other Side Of Town ». Il grimpe très vite dans les violonades. PJ est le roi indétrônable des stentors. Puis on tombe sur « Till You Say You’ll Be Mine » chanté par Olivia Newton John qui bénéficie d’une prod à la Spector. Incroyable mais vrai. La fête se poursuit avec « I Shook The World » par Bob B Sox & The Blue Jeans, pur r’n’b de grande cuvée, vrai hit de juke, mais ça on le savait depuis longtemps. Delaney Bramlett chante « You Have No Choice » tout seul comme un pauvre malheureux et Rita Coolidge vient nous rappeler avec « I Wanted It All » qu’elle fut l’une des grandes chanteuses américaines. Même chose avec les Carpenters et « Boat To Sail », pure merveille pop qu’il faudra bien un jour redécouvrir. C’est l’avantage des compiles bien foutues (comme les sont quasiment toutes les compiles Ace) : on voyage à travers l’histoire du rock et on fait de belles rencontres. Alors on se dit : Oh il faudra que je revienne ici. Et là !

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             Vient de paraître All The Love - The Lost Atlantic Recordings, des morceaux pilotés par Jerry Wexler et qui ne figurent pas sur les deux albums Atlantic de Jackie, Jackie et Your Baby Is A Lady. Elle attaque avec « When I’m Gone », un fantastique balladif sensible. Ne prenez pas Jackie à la légère, c’est une femme fantastique. Elle sait tenir un mid-tempo avec intégrité. Elle a autant de classe que Dylan. Elle sait driver un hit. Encore un beau balladif avec « Drift Away ». Et elle passe à la country-motion avec « All The Love That’s In You ». Elle chante un peu comme Vanessa Paradis, elle est marrante. En fait, elle cherche le petit hit de la joie et de la bonne humeur. Elle nous sort là le joli groove des jours heureux, chanté à la petite voix sucrée et c’est orchestré de main de maître, on peut faire confiance à Tom Dowd et Arif Mardin, l’A-team de Jerry Wexler. On sent aussi une fantastique aisance sur ce joli folk-rock qu’est « Grand Canyon Blues ». Avec « If You Like My Music, », Jackie fait autorité - My music ! - Elle tient à préciser les choses sur un gros fond de nappes d’orgue. On tombe plus loin sur « Spare Me A Little Of You », un fantastique balladif pulsé à coups d’acou. Puis elle reprend le fameux « Don’t Think Twice It’s Alright » de Dylan. Courage ma fille ! Tiens bon la rampe ! Jackie est très forte. S’ensuivent quatre bonus pour le moins exceptionnels : un « Sweet Sixteen » de fantastique allure, un « Flamingos Fly » d’incommensurable ampleur, un « Santa Fe » qui sonne exactement comme un groove de rêve et « The Wonder Of You » qui va ta laisser seul, définitivement seul.

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             Après le re-parution des Lost Atlantic Recordings, voici celle des Complete Capitol Recordings, une sorte de nouveau passage obligé. On y retrouve tout ce qui fait la grandeur de cette artiste, à commencer par l’immense « Stone Cold Soul », une compo signée Mark James. C’est l’époque où Jackie enregistre à Memphis, chez Chips Moman et il faut entendre cette country Soul prodigieusement inspirée. Reggie Young joue des déluges sur sa guitare et Tommy Cogbill multiplie ses triplettes de Belleville sur le manche de sa basse. On a là une pure énormité et cette folle de Jackie s’accroche au Stone à coups de yeah-eh-eh. Allez, on va dire qu’on a là la meilleure pop de tous les temps. Chips laissait entendre que ces sessions avec Jackie comptaient parmi ses préférées. Magnifique version du « Child Of Mine » signé Goffin & King. Elle chante au timbre sucré, quasi-nubile, et passe sans crier gare au timbre fêlé. Elle regorge de feeling et Reggie Young fait des prodiges sur son acou. Elle tape ensuite dans un cut d’Emmit Rhodes, « Love Till You Die » et renoue avec le génie dans « Seven Years From Yesterday », un shoot d’heavy pop de Soul of American, joué sous un certain boisseau, à la Bobbie Gentry. Elle chante sa Soul avec la foi du pâté de foi et ça donne le Memphis swamp. En réalité, elle fait ce qu’elle veut, sa voix lui permet toutes les audaces. Elle tape plus loin dans George Harrison avec « Isn’t It A Pity ». Elle reprend sa voix nubile pour clamer isn’t it a pity/ Isn’t it a shame, elle atteint des profondeurs réellement dramatiques. Le plus stupéfiant de toute cette histoire, c’est que l’ensemble des cuts enregistrés chez Chips ne vont pas plaire à Capitol. Hop, à la fosse ! Ils rejettent ce «Sweet Inspiration» pourtant signé Dan Penn & Spooner Oldham. C’est pourtant du pur Deep South genius - I need a sweet inspiration - C’est du gospel batch de Memphis, il ne manque plus que les Edwin Hawkins Singers. C’est Johnny Christopher, l’un des songwriters d’American, qui signe « Johnny Joe From California ». C’est un hit, et pourtant il finit lui aussi à la fosse. Le monde à l’envers ! D’autant qu’elle le pousse à fond. Il faut bien dire que tout est extrêmement produit, ici, Chips ne rigole pas avec l’American mood. « Now That The Desert Is Blooming » et « Sleeping With Love » sont d’authentiques modèles productivistes. Reggie Young gratte à l’arrière et c’est embarqué au big heavy Memphis sound. « Gabriel’s Mother’s Highway » est un cut d’Arlo Guthrie, elle embarque ça aux chœurs de gospel et passe à Van Morrison avec « And It Stoned Me », nouveau shoot de Memphis Sound sur le compte du Van. Chips en fait une fois encore une merveille productiviste. Mais comme tout cela ne plait pas à Capitol, elle doit enregistrer l’album Songs à Hollywood et là, ce n’est plus du tout le même son. On a quelque chose de beaucoup plus commercial. Le « West Virginia Mine » déjà enregistré à Memphis retombe sur Songs comme un soufflé. Un violon y remplace le piano de Bobby Emmons, c’est chanté au bazar de l’Hôtel de ville. Atroce. « Bad Water » sonne comme du rock US m’as-tu-vu à la Dolly Parton et dans « Ease Your Pain », Capitol balance des chœurs de gospel d’Hollywood, autant dire du Walt Disney. Ça n’a pas d’âme, pas de chien, pas de rien. L’album a tous les défauts du coup foireux : prod sèche, pas de grain, l’anti-Chips. Merci Capitol ! 

    Signé : Cazengler, Jacky Dechochotte

    Jackie DeShannon. You Won’t Forget Me. The Complete Imperial/Liberty Singles. Vol. 1. Ace 2009

    Jackie DeShannon. Come And Get Me. The Complete Imperial/Liberty Singles. Vol. 2. Ace 2011

    Jackie DeShannon. Keep Me In Mind. The Complete Imperial/Liberty Singles. Vol. 3. Ace 2012

    Break-A-Way. The Songs Of Jackie DeShannon. 1961-1967. Ace Records 2008

    She Did It. The Songs Of Jackie DeShannon Volume 2. Ace Records 2014

    Jackie DeShannon. All The Love - The Lost Atlantic Recordings. Real Gone Music 2015

    Jackie DeShannon. Stone Cold Soul - The Complete Capitol Recordings. Real Gone Music 2018

    Jackie DeShannon. Nothing Can Stop Me. Liberty Records Rareties 1960-1962. Ace Records 2024

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    Lois Wilson : Lady of the canyon. Record Collector # 558 - June 2024

     

     

    Bye Bye (Liver)birds

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             Pas le book du siècle ni le girls-group du siècle, pas non plus la compile du siècle ni les covers du siècle, mais bon, l’un dans l’autre, tu passes un bon moment avec les Liverbirds de Liverpool. Les deux survivantes du groupe, Mary McGlory (bass) & Sylvia Saunders (beurre) ont croisé leurs souvenirs pour pondre - cot cot - une autobio : The Liverbirds. Our Life In Britain’s First Female Rock’n’Roll Band. L’idéal est de croiser ces souvenirs croisés avec l’écoute d’une solide compile Big Beat des Liverbirds parue en 2010, From Merseyside To Hamburg - The Complete Star-Club Recordings.

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             La grande force du book est qu’il te ramène à l’aube de l’âge d’or du rock anglais, lorsque tout se passait à Liverpool et au Star-Club de Hambourg. Comme l’éditeur a dû leur demander d’entrer dans les détails, elles ne t’épargnent rien du contexte socio-économique du working-class system de Liverpool : les familles, les jobs des parents, l’eau courante/pas l’eau courante, les zécoles, les zozos et les zinzins des zazimuts. Mary et Sylvia sont intarissables. Ce n’est pas que tu t’ennuies, mais bon, t’es là pour le Star-Club et la Cavern. Mary s’y rend avec ses cousines Veronica et Rita, et qui-qu’elles voient sur scène ? Les Beatles ! Et t’as John Lennon qui annonce au micro : «This is another song that we wrote ourselves.» Et là Mary nous explique : «As the band ripped into ‘Please Please Me’, the audience went into a frenzy.» Alors les filles décident qu’elles veulent faire ça : jouer du rock sur scène. Elles vont trouver les Remo Four qui sont eux aussi au pied de la scène et leur demandent où ils achètent leurs instruments.

             On est en 1963. Sylvia a 16 ans. Elle se pointe chez le marchand Rushworth & Dreaper’s. Elle dit au vendeur qu’elle veut une batterie - I’d like a kit of drums - Elle flashe sur un kit noir et blanc. Le vendeur l’observe et lui demande comme elle va payer. «I’ll pay weekly.» Il lui demande son âge. Sixteen. Le mec lui dit qu’elle ne peut pas. Soit daddy soit mummy. Il lui file le formulaire. Sylvia rentre chez elle et colle le formulaire sous le nez de sa mère : «Mother, sign that.» La mère répond : «What now, Syl?». Et Syl ne se déballonne pas : «Me and Val are gonna form a group. We’re going to play rock’n’roll.» Et la mère fait : «Oh, all right.» T’es à Liverpool, amigo, chez des gens éclairés.

             Val, c’est Valerie Gell, la guitariste qui a cassé sa pipe en bois en 2016. L’autre guitariste, la blonde Pamela Birch a aussi cassé sa pipe en bois en 2009. Des quatre, Val est la plus douée : elle peut jouer les cuts des Shadows et le «Peter Gunn» de Mancini. Le groupe devait s’appeler les Squaws, puis elles ont choisi les Liverbirds qui sont des oiseaux d’acier fixés sur un bâtiment du front de mer. La légende dit que si les Liverbirds s’envolaient un jour, Liverpool disparaîtrait.

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             En 1963, tous les kids de Liverpool veulent monter des groupes. Le succès des Beatles fait des ravages dans toutes les couches de la société, surtout chez les plus pauvres - Même si vous veniez d’un milieu pauvre, vous pouviez avoir un vie différente - Elles bossent tant et si bien qu’elle finissant par jouer six fois à la Cavern. Elles n’aiment pas Lennon qui est un provocateur : il affirme que les filles ne savent pas jouer de guitare. John Wiggins, le copain de Sylvia, a un jour collé Lennon au mur parce qu’il avait été trop insultant. T’apprends des tas de petites choses comme celle-ci. Le regard des filles sur les Beatles est extrêmement intéressant.

             Mary doit lâcher son boulet chez Hunters, une usine à viande froide. Elle n’a pas le courage d’aller annoncer sa démission, aussi envoie-t-elle son père. Son père revient et lui annonce qu’elle a fait une grosse connerie, parce que le boss a dit qu’elle avait un bel avenir dans la viande froide. Mary est sciée : «A big future in cold meats?».

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             En novembre 1963, elles jouent au Co-op Ballroom de Nuneaton avec des débutants, les Rolling Stones. Le Jag a 20 piges. Les gosses bombardent la scène de petits pains fourrés à la crème. Les Stones parviennent à éviter les missiles, sauf Charlie coincé derrière sa batterie. Mary dit qu’il finit le show couvert de crème. C’est moins pire que d’être couvert de glaviots, after all.  Et grâce aux Stones, les Liverbirds passent de la Beatlemania à un son plus raunchy - a grittier, bluesy direction - Elles vont vraiment commencer à taper dans Bo et dans Chucky Chuckah. Elles jouent aussi au Club a’Gogo de Newcastle, dont les stars locales sont les Animals, pareil, avec du gritty plein les pattes. En février 1964, elles jouent avec un «new band called the Kinks». C’est Ray qui leur dit que Sheila, la cousine de Mary, n’est pas bonne, et il leur présente Pam, «wearing a black cap, striped jacket and Chelsea boots.» Pam la blonde, qui flirte avec Ray Davies, et qui remplace Sheila. Les Loverbirds sont enfin au complet : Sylvia, Mary, Val & Pam. Elles peuvent partir à la conquête du Star-Club.

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    ( Assis à son bureau Manfred Weissleder)

             Elles partent à Hambourg au moment où Brian Epstein s’intéresse à elles. Trop tard. Elles sont déjà dans le bateau. Pareil, Larry Page qui s’occupe des Kinks leur fait aussi une offre qu’elles déclinent. C’est le boss du Star-Club, Manfred Weissleder, qui va s’occuper d’elles.

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             Et là, on entre dans l’un des endroits les plus mythiques de l’histoire du rock. Sylvia et Mary regorgent de détails fascinants sur le Star-Club. Elles nous apprennent que les barmaids sont les stars du Star-Club. Si elles t’ont à la bonne, ça va marcher. Dans le cas contraire, tu peux renter en Angleterre. Si elles aiment un groupe, elles allument les lampions au-dessus du bar. Le premier soir, les Liverbirds se retrouvent sur scène devant 2 000 personnes ! C’est énorme ! Alors, elles mettent le paquet - It was like something ignited and the audience went wild - Comme à Liverpool. Ça explose dans la salle. Elles démarrent avec «Road Runner». Mary et Pam courent sur scène en jouant - Pam looked like a big glamourous cavewoman.

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             Tu retrouves ce «Road Runner» sur la compile. La cover est tout simplement fabuleuse, le son est sec et Sylvia bat un beurre terrific.

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    (Klauss Woorman en 2018)

             Et le sexe dans tout ça ? Sylvia est la première à en parler : «Même si Mary et moi avions fait le vœu de rester vierges jusqu’au mariage, on a vite changé d’idée et je fus la première à craquer. En décembre 1964, j’étais au pieu avec Klaus Voorman, my first love.»

             En matière de girl-bands, les seules concurrentes sont Goldie & The Gingerbreads, des Américaines. Elles sont restées un mois au Star-Club, en attendant leurs visas pour l’Angleterre, où elles étaient invitées par les Stones et les Animals qui les avaient vues à New York dans une party chez Warhol pour la superstar fashion icon Baby Jane Holzer. Mary indique cependant que Goldie & The Gingerbreads avaient un son trop «bombastic power pop» pour le Star-Club qui en pinçait plus pour le rock’n’roll. Les Allemands préféraient les Liverbirds.

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             C’est Manfred qui les emmène en studio enregistrer leur premier album. Il a monté son label pour promouvoir les groupes qu’il programme sur scène. L’album des Liverbirds (Star-Club Show 4) est le quatrième, après les Searchers, les Rattles et Lee Curtis & The All-Stars. Elles démarrent avec un premier single, une cover du «Shop Around» de Smokey, qu’on retrouve bien sûr sur la compile Big Beat. Elles tapent là dans l’œil du cyclope et y ramènent toute l’énergie des Pirates - Oh yeah you’d better shop around/ Yeah - Leur deuxième single est un gros clin d’œil à Bo, «Diddley Daddy», qu’elles font bien rampant - Yeah Bo Diddley/ He’s a gun slinger/ He rides again - Tu retrouves tous les cuts de Star-Club Show 4 sur la compile, à commencer par ce «Talking About You» de fantastique allure, avec du Merseybeat clair et net et sans bavure, et un fabuleux solo de clairette. Fantastique cover de «You Can’t Judge A Book By Looking At The Cover» : niaque incroyable, bassmatic dynamique à l’anglaise, et Pam au let’s go yeah ! Leur «Johnny B Goode» est assez imbattable, énergie du diable et section rythmique stupéfiante.

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             Leur deuxième album, More Of The Liverbirds, est encore plus impressionnant, car elles tapent dans des hits superbes : «For Your Love» des Yardbirds (belle crise de craze), «Around & Around» (irréprochable), «Peanut Butter» de Chubby Checker, hey c’mon now !, «Oh No Not My Baby» de Goffin & King (cover gorgée de feeling), «Heatwave» (elles font bien Martha), «Long Tall Shorty» de Don Covay (wild sound, ça vaut largement les Milkshakes), «He’s About A Mover» de Doug Sahm (en plein dans l’œil du cyclope texan), et puis tu croises aussi sur la compile une cover de «Before You Accuse Me», où elles sonnent comme des Américaines, avec tout le chien de Liverpool - Before you accuse me/ Take a look at yourself - Et si tu adores Bo, alors tu vas te régaler de «Bo Diddley Is A Lover». ça vaut tout Lord Rochester. Yeah yeah Pam Birch !

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             Sylvia couche aussi avec Bob Garner, qui joue avec Tony Sheridan et qui ira ensuite rejoindre les Creation. Elle aime bien Bob, mais comme elle dit, ils sont, elle et lui, so busy touring it didn’t last. Les Liverbirds se mettent à tourner dans l’Europe entière et deviennent des big stars. Elles sont au hit-parade allemand avec «Diddley Daddy» et «Peanut Butter». Pam la blonde chante tout ça merveilleusement. C’est aussi elle, nous dit Sylvia, qui insiste pour taper une cover d’«Heatwave». C’est encore l’époque où on a le droit de conduire bourré sur la route, et Johnny Kidd, nous dit Sylvia, aimait boire un coup et prendre le volant. Bing ! Car crash sur la route.  Johnny Kidd était une star énorme au Star-Club.

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             Elles voient aussi Jimi Hendrix jouer au Star-Club trois soirs de duite. Elles sentent que le son change, «moving from beat pop to psychedelic sounds.» Le rideau se lève sur un Jimi qui claque le premier accord de «Foxy Lady». C’est aussi le big time pour les drugs. Mary en voit à gogo backstage, des amphètes qui ne coûtent rien ou presque, «known as the Preludin and Captagon» et qu’on va surnommer les «Prellies», que les Stones appelaient aussi «Mother’s Little Helper». Elles retrouvent d’ailleurs les Stones à Dortmund, elles sont au bar de l’hôtel et Brian Jones qui arrive demande à Pam si elle a de la coke. C’est la tournée Between The Buttons. Pour Mary, ce souvenir est important, car c’est la dernière fois qu’elle voit Brian Jones vivant.

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             Puis le groupe va entamer son déclin. Il ne reste plus que Pam et Mary dans les Liverbirds quand elles partent au Japon. Chris et Dixie ont remplacé Val et Sylvia. Le dernier concert des Liverbirds a lieu en août 1968. Sylvia se souvient que les Liverbirds sont arrivées à Hambourg en 1964. Elles ne devaient rester que six semaines et elles sont restées quatre ans, pendant lesquels elles ont enregistré deux albums et fréquenté Chucky Chuckah, Jimi Hendrix, Johnny Kidd, the Remo Four, the Big Six, testé les drogues et le sexe. Quatre ans de paradis. Le Star-Club qui avait ouvert ses portes en 1962 les fermera 14 mois après la fin des Liverbirds, au jour de l’an 1969, «the very last day of the sixties.» Comme Sam Phillips et d’autres géants avant lui, Manfred Weissleder «had lost interest».

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             Bon alors, après, les Liverbirds font des gosses, enfin, celles qui sont mariées. Puis elles se reforment et on les qualifie d’«original punks». Elles participent à la Big Beat Party, à Hambourg, avec Gerry & The Peacemakers, les Troggs, Dave Dee Dozy Beaky Mick & Titch, Ian & The Zodiacs, Lee Curtis, les Pirates sans Johnny Kidd et Screaming Lord Sutch. C’est la formation originale des Liverbirds qui déboule sur scène, Val, Pam, Sylvia et Mary, avec Barbara pour filer un coup de main sur les solos.

             Puis Pam qui a toujours fumé 40 Dunhills par jour chope un petit cancer et casse sa pipe en bois au moment où on lui enlève un poumon. Val va ensuite valdinguer dans les décors. It’s only rock’n’roll. 

    Signé : Cazengler, livide bird

    Mary McGlory & Sylvia Saunders. The Liverbirds. Our Life In Britain’s First Female Rock’n’Roll Band. Faber & Faber 2024

    The Liverbirds. From Merseyside To Hamburg - The Complete Star-Club Recordings. Big Beat 2010

     

     

    Inside the goldmine

     - Quelle Clark !

             Baby Click dansait tout le temps. Même quand il n’y avait pas de musique, elle papotait en se dandinant d’un pied sur l’autre et en hochant la tête sur un rythme qu’elle était la seule à entendre. Au début, ça t’épatait, tu enviais son feeling. Wouah Baby Click tu danses le jerk au Palladium ! De toute évidence, elle était restée ancrée dans les sixties. En plein trip Teenie Weenie Boppie ! Ses fringues, ses expressions, ses sourires, ses enthousiasmes, sa ligne, tout était sixties. Pas un poil de graisse. Une vraie jerkeuse. Un corps magnifique. Pour elle, la vie consistait à jerker. Jamais un mot sur son histoire sentimentale. Rien sur son parcours professionnel. Devenue retraitée, elle était restée incroyablement désirable. Quelques mecs lui tournaient encore autour, mais ça la faisait rire de bon cœur, et hop, elle se mettait à danser et à claquer des doigts. Elle adorait quasiment tout : la Soul, le funk, le garage quand il était dansant, la pop, bien sûr, on l’a aussi vue danser sur des trucs compliqués, mais elle avait cette facilité qui lui permettait d’adapter les mouvements de ses jambes et de ses hanches à toutes sortes de déboires rythmiques, et plus tu la voyais hocher la tête sur le beat, plus tu l’admirais. Admirer une femme, c’est une façon déguisée de la désirer. Mais tu savais bien au fond que ça n’irait pas plus loin. Pourtant, c’est toujours elle qui revenait à la charge, qui proposait des plans, des voyages et des soirées, elle restait à l’affût de tout ce qui pouvait être intéressant, elle multipliait des situations de proximité, les bises d’adieu dans les parkings étaient parfois tendancieuses, et elle accepta même un jour de venir boire un verre à la maison au retour d’un trip parisien, mais au moment de basculer dans l’irréparable, elle demanda à écouter des choses qu’elle aimait à la folie, «T’as pas Sam & Dave ?». Alors on sortait le stock de Stax et ça repartait pour une heure ou deux de jerk endiablé, elle tombait la veste et jerkait toute seule jusqu’à l’aube. Puis elle te remerciait pour cette excellente soirée, faisant bien sonner l’«excellente», et rentrait chez elle. Une heure plus tard, tu recevais un SMS te disant qu’elle était bien rentrée, qu’elle avait passé une excellente soirée et qu’elle avait hâte de récidiver. De toutes les allumeuses connues au bataillon, Baby Click était sans conteste la plus merveilleuse.

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             C’est une façon comme une autre de prendre ses Click et ses Clark. Autant Baby Click est brune, autant Chris Clark est blonde. Alors on prend ses Clark mais pas ses Click, et on file chez Motown. Quoi ? Une blonde chez Motown ? Ça par exemple ! Eh oui, Chris Clark s’est pointée un beau jour de 1963 dans le bureau de Berry Gordy et lui a chanté on the spot une tonitruante mouture d’«All I Could Do Was Cry» d’Etta James. Troublé, Gordy l’a gardée. Mais avant d’essayer d’en faire une star, il va lui demander de bosser deux ans à la réception.

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             Quelques singles sur VIP et boom premier album sur Motown en 1967, l’excellent Soul Sounds. Il faut la voir taper «Love’s Gone Bad», un hit signé HDH, elle est dans le bain jusqu’au cou, wild as Motown fuck ! Elle tape plus loin dans l’«If You Should Walk Away» de Frank Wilson, elle te le drive dans les règles, pas de problème. Elle finit ce brillant balda avec une cover de «Got To Get You Into My Life», elle pique sa crise de Beatlemania à la belle attaque, mais elle n’a pas le raunch de McCartney. En B, elle tape dans Smokey avec «From Head To Toe», elle a tout, les clap-hands et la classe qui va avec. Dernier smash de l’album, un «Until You Love Someone» signé HDH. C’est tout de suite happy comme pas deux - You can’t be happy/ Until you love someone - Ah elle y va, la White Negress, comme on la surnomme en Angleterre.

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             Son deuxième album s’appelle CC Rides Again et sort en 1969 sur le label rock de Deke Richards, un jeune producteur blanc signé par Berry Gordy. Au dos, elle est grimpée sur un éléphant, une idée de Deke Richards. C’est un album de covers, dont la plus spectaculaire est celle d’«You’ve Made Me So Very Happy», l’hit de Brenda Holloway. Chris Clark n’a pas la niaque de Brenda, mais elle attaque au mieux de sa voix blanche de blanche - You treated me so kind - C’est sans doute l’une des plus belles chansons d’amour de tous les temps, avec celles de Piaf et d’Esther Phillips - I’m so glad you/ Came into my life - Et elle tartine avec passion - Thank you babe - Elle explose de bonheur. C’est le sommet du genre. Elle fait aussi une petite cover de «Spinning Wheel», elle n’a pas la niaque de David Clayton Thomas, mais elle s’y frotte bien, avec son bon feeling de blanche noircie. Et puis voilà la chanson magique, co-signée par Deke Richards et l’arrangeur Van De Pitte : «How About You». Chris Clark épouse la magie pop - Baby I love you/ How about you - C’est quasiment du Burt. Elle se vautre lamentablement avec «With A Little Help From My Friends», elle en fait de la petite pop, dommage, mais elle fait du «One» de Nilsson un jerk de fantastique allure. Elle écrase bien son champignon. Elle se frotte à ses risques et périls à l’«In The Ghetto» et tape son «Get Back» dans le fond de la casserole.  

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             Le petit conseil qu’on pourrait donner aux fans de Chris Clark serait de rapatrier The Motown Collection : on y trouve les deux albums Motown pré-cités, et une montagne de cuts inédits. Encore une fois, on saute en l’air quand on découvre la qualité d’inédits comme «Ask My Girl». Quoi ? C’est un véritable coup de génie pop groové chez Motown et signé HDH. C’est incompréhensible qu’un tel smash soit resté dans un tiroir. Et attends, c’est le premier d’une série de 25. Le compileur en a rempli un CD entier. Encore un pur hit Motown avec «Everything’s Good About You». Du HDH encore avec «Take Me In Your Arms (Rock A Little While)» et voilà un hit signé Mickey Stevenson, «In The Neighbourhood». C’est une blondasse qui te claque le beignet de Motown. Ambiance «Something To Remember» (Ray Charles) avec «I Just Can’t Forget Him», et elle repart à l’assaut des charts avec «If You Let Me Baby», tout est bon, sur ce CD d’inédits, Chris Clark finit par sonner comme une black, elle chante parfois d’une voix fêlée et joue un peu avec le feu, elle n’est jamais très loin de la vérité. Et pouf, voilà qu’elle tape «Crying In The Chapel», elle se prélasse dans l’excellence de la chapelle. Plus loin, elle défonce encore la rondelle des annales avec un «He’s Good For Me» bombardé au bassmatic Motown. Chris Clark monte sur tous les coups. «Bad Seed» et «Something’s Wrong» t’envoient directement au tapis, elle y va au wild r’n’b d’I got to lose. Elle bascule à n’en plus finir dans le génie r’n’b. Tout est alarmant de véracité, ici. Elle excelle, cut après cut. Une vraie sinécure. C’est tout de même dingue que Chris Clark ne soit pas devenue superstar ! On s’en étonnera encore dans 10 000 ans. 

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    Signé : Cazengler, Chris Clown

    Chris Clark. Soul Sounds. Motown 1967

    Chris Clark. CC Rides Again. Weed 1969 

    Chris Clark. The Motown Collection. Motown 2005

     

     

     

     

    *

    La teuf-teuf roule dans la nuit. Mais elle possède deux phares lumineux pour se guider, alors que moi les neurones de mon esprit pataugent dans la plus profonde des pénombres. Tout cela par la faute de Béatrice la patronne et son incroyable affiche, d’où a-t-elle sorti ce groupe au nom impossible, cela demande quelques éclaircissements, jugez-en par vous-même :

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    BEE DEE KAY DRIVES THE U.F.O. ZZZ & GUEST

    3 B / Troyes / 02 – 11 - 2024

            Pas grand-monde, j’arrive de bonne heure, la salle se remplit doucement mais sûrement, la curiosité du public est en attente, à première vue, un groupe de rockabilly comme les autres, la contrebasse, la batterie, et la guitare en témoignent, avec en plus, goutte d’eau qui fait déborder le vase, ce saxophone argenté sur son perchoir. Les quatre musiciens apparaissent, pas de panique, l’on va tout savoir.

    PREMIER SET

             Paniquons, pour du rockabilly c’est rudement fort, mais tellement bon. Un mur d’airain infranchissable. La guitare de Benny, d’habitude c’est lui qui règle (à merveille) le son des groupes qui passent au 3 B, est implacable, sèche, dure, genre no prisonners, derrière lui la baratte qui n’en rate pas une ne vous laisse aucune chance, quant à la up-right elle n’est pas à l’unisson, elle ne joue pas, elle pousse au crime. Jusque-là tout serait parfait. Mais nous allons vite apprendre qu’il existe un stade supérieur à la perfection. L’axe du mal existe, c’est le sax. Ce n’est pas un sax, c’est un sabre d’abordage, l’est le premier à se jeter sur l’ennemi, avez-vous déjà entendu un sax mugir avec cette force, mille cerfs en rut qui brament, il rauque et il rocke au-dessus de la normale, de l’anormal, dix mille gouttières de zinc qui s’effondrent, ce n’est pas l’appel de la forêt, c‘est le scalpel du diable, une tonitruance gargantuesque, un tel déluge sonique surhumain ne serait-il pas dû au changement climatique, la Bible s’est trompée, ce n’est pas la trompette du jugement dernier, c’est le saxophone de la mort irrémédiable pour tout le monde. En tout cas l’on adore et ce quatuor fastueux aussi, puisqu’ils enchaînent derechef un autre instrumental.

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             Je l’ai remarquée dès que j’ai eu franchi le seuil, dans sa robe noire, chevelure rousse et visage impassible, elle m’a tout de suite rappelé la sombre silhouette de Moïra, la moire noire du Destin, sur la couverture d’un ancien livre de poche du roman éponyme de Julien Green, et là tout s’éclaire, en quelques mots Benny nous met au parfum pour ce premier set ils accompagneront, c’est ici que l’identité du guest est enfin révélée : Mary. Apparemment Mary n’a peur de rien, elle se pose tout tranquillou devant le micro en avant de nos quatre gladiateurs surphoniques comme s’ils étaient un orchestre à cordes de musique de chambre.

             Ne sont pas des mufles mais ils ne mettent pas de pantoufles à leurs instrus, un peu  moins de clinquanteries mais un son si épais que nul couteau ne saurait couper. Ambiances sixties, privilégiez le rumble au slow frotti-frotta langoureux. Vous pensez que Mary va poser sa voix sur ce magma de feu. Point du tout, elle impose son vocal avec une facilité déconcertante, sans forcer, sans peine, cette aisance incroyable tient à la densité de ses émotions et de la passion qu’elle porte aux titres qu’elle interprète, on la sent habitée d’une ferveur secrète mais palpable, elle ne chante pas, elle voue un culte à ce répertoire fondateur. Pas de simagrées, elle ne cherche pas à amadouer le public, c’est à prendre ou à laisser. Et le public du 3 B, qui s’y connaît un tantinet, n’en laisse pas une miette, chaque morceau est ponctué de longs applaudissements et de vifs vivats. Elle s’en ira comme elle est venue, avec une simplicité, une humilité de diva qui a accompli sa tâche, qui s’est acquittée d’une dette envers la musique qu’elle aime.

             Les cadors du quatuor reprennent les rênes pour deux ou trois morceaux. Je ne m’attarderai pas, nous revenons longuement sur eux pour le set suivant. Par contre je vous demanderai avec la plus grande insistance d’interdire à vos enfants la lecture du paragraphe suivant.

    DEUXIEME SET

             Benny est revenu le premier. Il s’empare de sa guitare et s’évertue de répéter inlassablement une même note, une manière, pensions-nous naïvement, de rappeler au turbin ses trois copains attardés derrière le rideau des coulisses. Ils arrivent sans se presser et s’affairent en toute quiétude autour de leurs instruments.

             Le grand avec sa verte argentée et son saxo c’est Grant Seeflay, pas du genre à siffler la fin se la partie au plus vite, le mec assis au fond avec sa veste noire et son col blanc n’a pas l’air méchant se prénomme tout de même Terric ( vous êtes prévenu), accoudé sur sa contrebasse il porte le surnom d’un amie de Fantômette : Fi-Cell, z’oui mais c’est peut-être la corde pour vous pendre, bon ça y est ils rejoignent Benny de Jongh qui répète inlassablement la même note, attention, de plus en plus stridente, et les trois autres vous pondent en douceur et profondeur une purée de poix phonique des plus inquiétantes, l’ambiance se tend, si l’on y réfléchit un tant soit peu c’est un tantinet étrange, l’on se croirait dans un château en Ecosse perdu sur ce promontoire brumeux, près du lock Ness, les notes effilées comme un poignard maltais de Benny ressemblent de plus en plus à ce glas terrifiant qui résonne dans Le Mystère de Cloomber de Conan Doyle, c’est alors que l’Innommable se produit, une voix, non un borborygme dégoûtant d’Oran Outang dérangé surgit de nulle part, une espèce de grondement issu du gosier d’un lion préhistorique,  à mes côtés Jerry, mais oui vous connaissez le saxophoniste des Monarchs que nous avons vus au 3 B il n’y a pas si longtemps, ses yeux comme les miens, se portent sur les musicos, z’ont tous la boucle close et à des kilomètres du micro, en tout cas le monstre invisible insiste, sans doute un chat monstrueux de quinze mètres de haut, devant la peur d’une de ses petites filles une maman décide de rapatrier toute sa nichée à l’autre bout du café, elle n’a pas tort, c’est un truc à rattraper une jaunisse, d’autant plus qu’il semble s’instaurer une course entre les musicos et cette voix hideuse d’outre-tombe, ils ont beau augmenter le son, la bête immonde les couvre de ses tonitruances vomitoires, pire elle se rapproche, maintenant elle est tout près, les yeux de l’assistance se fixent sur le bas du rideau des coulisses, ils remuent salement, la bête nuisible et gévaudanique sort, elle se porte à quatre pattes sur le devant de la scène, je le reconnais c’était le mec à mes côtés qui mirait la prestation de Mary, l’a enfoncé le micro dans sa bouche, l’émet des barrissements d’éléphant en colère, il se relève, retire le micro de ses amygdales, et sourit à la foule. Ouf nous l’avons échappé belle. C’est donc lui Bee Dee Kay.

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             Intro fabuleuse, Jerry qui a vu des centaines de concert me confie à l’oreille, qu’il n’a jamais vu une telle entrée en matière. Digne d’Hasil Adkins, de  Screamin’ Jay Hawkins, de Lord Sutch, de tous les embrochés de la cafetière du rock’n’roll. Maintenant que le prologue est terminé si vous croyez que vous allez redescendre vers le rockabilly carré et sans bavure comme le buffet que votre grand-mère astique toutes les semaines, vous êtes dans l’erreur. Ce n’est plus du rockabilly, ce n’est pas du rock’n’roll, c’est la folie du rockabilly et la fureur du rock’n’roll. De l’after-rockak, de l’after-rock, nos quatre mousquetaires instrumentaux ne jouent pas, et Bee Dee Kay ne chante pas. Ils miment. Ne criez pas parodie, contentez-vous du paradis. Ils connaissent tous les plans à merveille, ils vous édifient des palais sonores hallucinatoires,  Dee Bee s’amuse, vous a des poses pharamineuses, une seconde il est John Kay et à la suivante David Bowie, le mâle et l’androgyne, la brute et le truand, il n’est pas le bon parce qu’il le meilleur, le voici Elvis et Gene Vincent, ce coup-ci il se vautre sur le comptoir tel un Lux Interior, chacun y aura reconnu ses propres figures tutélaires du rock’n’roll, vous vous croyez en plein délire, et plaf un geste, et tout s’écroule, Terric d’un seul break envoie en éclats the wall of sound, Fi-Cell s’introduit dans la brèche tel un bulldozer, le saxo de Grand Seeflay tousse comme un tuberculeux, la guitare de Benny se transforme en lance-flammes pour réduire en cendres les derniers déchets, l’on est au cœur de catastrophe, à un millimètre de l’anéantissement, et hop ça repart comme en quarante, comme si de rien n’était, quelle maîtrise, quelle virtuosité. Ah le sourire d’enfant de Bee Dee ! ce grand gaillard aux tempes argentées, il batifole, il s’amuse comme un gosse qui casse son train électrique pour le transformer en soucoupe volante U.F.O. ZZZ, nous transporte sur une autre planète, celle du rock’n’roll, la vraie, la délirante, la fracassante, l’upercutante, celle de l’éternelle jeunesse du débordement vital.

    TROISIEME SET

             Malgré l’heure tardive, nous aurons droit à un troisième set. Pas très long, le temps de revoir Mary nous offrant deux magistrale versions de Jezebel, et Funnel of love, le group prend son envol mais au troisième morceau Béatrice la patronne nous rappelle que sur la planète terre toutes les choses ont une fin. Hélas, les meilleures aussi.

             Lot de consolation j’ai récupéré leur unique 45 tours, nous reparlerons de Bee Dee Kay Drives the U.F.O. ZZZ dès la semaine prochaine !

    Damie Chad.

     

     

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             Depuis combien de temps suivons-nous Ashen ? Depuis toujours. Je ne vous donnerai pas de date, pour une fois vous serez privés de récapitulatifs. Il y a des groupes qui touchent à l’intemporel. Non pas parce qu’ils se prévalent d’obscurs mythes originels ou qu’ils s’en aillent cogner dans les obscures contrées du futur morturial dans le but inavoué que l’on puisse prendre connaissance de l’écho morcelé de leur choc intrusif dans l’inconnaissable, simplement parce qu’ils s’inscrivent dans le présent de la présence du monde dans lequel ils vivent, ou pour être plus exact, dans lequel ils tentent de survivre.

    SACRIFICE

    ASHEN (feat. ten56)

    (Out Of Line Music / Official Visualizer / Juin 2024)

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    Pour une fois nous n’avons pas droit à une de ces vidéos mystérieusement attirantes et déchirantes auxquelles le groupe nous a habitués. Pour autant l’on ne nous a pas jeté un os sans viande en pâture, nous offrent un riche faisceau de symboles qui nous inclinent à de clivantes rêveries.

    Un rouge que d’instinct l’on n’aime pas. Rouge cœur de taureau immolé en hécatombe sur l’autel propitiatoire. Les Dieux ont-ils accepté le sacrifice ? Sur ce fond voici un œuf. Un rouge éclatant. Triomphal. Ne serait-ce ces nervures cramoisies dont il est parcouru on reconnaîtrait en lui l’œuf d’Eros originel de la plus vielle mythologie grecque. Les lyrics qui apparaissent nous interdisent cette appropriation. C’est un œuf, certes, mais plein de son trop-plein, prêt à éclater. Ici il n’est point question d’ovule générationnelle, c’est œuf est une tête. Trop pleine, trop peine, prête à exploser. Cet œuf n’est pas neuf, il est mûr, il est arrivé à maturité, à son immaturité. C’est l’œuf de la folie, souvent il reste en nous stérile, il ne donne naissance à aucune créature, on l’oublie, on ignore qu’il repose dans le lit douillet de notre cervelle, dans laquelle éclosent nos pensées les plus sublimes. Il tourne sur lui-même dans son coquetier de bois, comme s’il était fier de lui, il nous dévoile toute son ovoïdité, comme si nous n’avions d’autres tâches à effectuer, si ce n’est de l’admirer.

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    Sans préavis, un deuxième symbole. La forme d’un avion furtif, une flèche d’indien, à moins que ce ne soit le trait empoisonné de Zénon d’Elée qui ne parvient jamais à sa cible, presque rassurant puisqu’il n’atteindra jamais la mort dont il ne nous transpercera pas, mais alors quelle est sa cible, à ce poignard effilé, à cette épée d’obsidienne, à ce sabre de samouraï destiné à porter le fatal coup du seppuku létal, lui aussi tourne sur lui-même, tel un missile qui cherche sa proie et s’obstine à calculer l’angle de la plus forte nuisance.

    Un troisième objet, à croire que l’on scrute les vitrines d’un musée. Celui-ci possède un piédestal de marbre sur lequel est ancré un avant-bras couronné d’une main, paume ouverte, levée vers le ciel, arborant à son poignet un collier de perles de bois. Entre ses doigts elle tient un objet, elle tourne sur elle-même, il est difficile de se le représenter, serait-ce dans le cercle de fer forgé la silhouette d’un cheval, qui porterait un cavalier, de petite taille, serait-ce Alexandre le Conquérant sur Bucéphale, non plutôt le cheval noir de l’attelage platonicien de notre intelligence,  la monture rétive qui refuse de marcher droit, qui cherche à nous faire dérailler, certes nous ne sommes pas un train, mais notre esprit est censé suivre les rails du logos … même si parfois en toute inconscience nous piquons droit vers la folie.

    Voilà, nous n’en verrons pas davantage. Nos trois symboles reviennent. Ne sont pas des marionnettes qui font trois petits tours et s’en vont, tournoient lentement d’une manière prémonitoirement menaçante, est-ce que le cheval d’orgueil  que nous avons aperçu une première fois fut une illusion d’optique, car maintenant nous reconnaissons entre les doigts un des cinq sigils affichés tout en haut de l’écran, seraient-ils appropriés aux cinq membres du groupe…

    Damie, si tu nous parlais un peu du son et de la song, c’est tout de même un peu important en musique, écoutez l’on raconte que lorsque Attila est sorti du ventre maternel, dans son poing fermé il tenait un caillot de sang, eh bien les gars ce morceau ressemble à ce caillot de sang que le fléau de Dieu avait arraché en passant aux entrailles de sa mère, il palpite, l’on sent que rien ne pourra arrêter son rythme insatiable, une barbaque qui refuse de s’éteindre, à cette différence près, ce n’est pas de la viande qui bat mais de la folie, de la folie pure.  

    Admirez la prouesse vocale de Clem, il ne chante pas, s’échappe de lui un gargouillement hideux de souffrance mentale, vous y croyez, vous le voyez recroquevillé sur lui-même, refermé en ses pensées délirantes comme une huitre schizophrène qui tenterait à tout prix de s’enfuir de sa coquille, il veut tout et n’importe quoi, le royaume souverain de sa solitude et le désir de s’exiler de lui-même auprès des autres qui le rejettent, à moins que ce ne soit lui qui  les expulse hors de sa misérable sphère d’appropriation du monde dont il refuse la présence. Quant à la musique vous ne l’entendez même pas, comment Ashen est-il parvenu à établir cette osmose visqueuse indissoluble entre vocal et instrumentation, à tel point que la musique chante et que la voix joue.  Salmigondis indiscernable, hachis indubitable, purée inépuisable, mais dès que ce bruit gloutouneux entre dans vos oreilles, il se transforme en nectar ouïtisque, il se produit une alchimie auditive qui métamorphose les stridences de la folie, les vacarmes expectorés par une âme malade, les ramonages hallucinatoires, en le chant des sirènes dont seuls de rares héros  homériques eurent  jouissance…

    Ne croyez pas vous en tirer à si bon compte, ce mal-être exprimé par Ashen ne vous concerne peut-être pas, mais il vous donne un aperçu de ce qui se passe dans la tête de la génération actuelle qui entre dans l’âge adulte. Le monde qui les attend est kaotique. Ils en ont la prescience, ils en expriment la dureté imminente, trop courageux pour refuser le suicide, il ne leur reste que cette notion d’auto-sacrifice qu’ils acceptent car ils ne veulent pas endosser le rôle de victimes sacrifiées. Le monde est fou, mais le seul refuge qui leur soit encore accessible, le dernier rempart dérélictoire qu’ils peuvent lui opposer s’avère être leur propre folie.

    Très fort.

    Damie Chad.

    *

    Encore un groupe que nous suivons depuis longtemps. En octobre 2022 nous avions regardé leur vidéo Unforgotten, en février 2023 ce fut le tour d’Eternal suivi d’Another Day au mois de septembre, voici le tour de :

     ACROSS THE DIVIDE

    AWAY

    (Avalone Studio / Août 2024)

    Rendons à César les lauriers qui lui reviennent. Alexandre Lhéritier est le responsable d’Avalone Studio, il s’est chargé de l’enregistrement du morceau.

    Pour les images il nous est spécifié : IA generated vidéo. Sans plus. Il serait intéressant de savoir quelle part de liberté l’Intelligence Humaine aura laissée à l’Intelligence Artificielle. A moins qu’il ne faille inverser les termes de la question.

    Le résultat est là : de belles images. Elles n’illustrent pas vraiment les paroles du morceau. Elles lui apportent même un plus que je qualifierai d’interprétation écologique du texte. A croire que le poids des mots est moins fort que le choc des images.

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    L’Intelligence Artificielle ne crée pas, elle produit. Entre nous, parmi les écrivains : peu créent et beaucoup produisent. Nous retrouvons le même pourcentage différentiel chez les peintres. Les premières soixante secondes sont splendides, vous ne savez pas où vous trouvez exactement, sont-ce des illustrations anglaises d’un livre d’enfants, sont-ce des images inspirées par les photos de la forêt de Mortefontaine chère à Gérard de Nerval, ou par des scènes du Seigneur des Anneaux, en tout cas notre Intelligence Artificielle connaît les bois de Watteau et toute la période romantique de la peinture occidentale… Nous aurions aimé qu’elle nous donne un aperçu de la manière dont nos descendants représenteront les arbres en l’an, barrez au choix la partie du mot qui ne vous convient pas, de dis/grâce 2524… Toutefois aurions-nous su entrevoir le futur en cette curiosité éloignée. Tout comme l’IA, nous procédons mais nous ne précédons pas.

    Que nous conte la chanson ?  Une histoire banale. Celle de tout le monde. Du gars qui aimerait être ailleurs. Non pas aux Amériques, de lui-même, de sa vie étriquée, de son impuissance à être ce qu’il voudrait être, libre et supérieur, non pas aux autres mais à lui-même. Beaucoup d’espoir, beaucoup de rêve, mais encore davantage de doute et de peur… il aimerait que quelqu’un le rejoigne mais il ne possède rien… A la vue des images en nous armant de cynisme nous demanderions s’il vit dans les bois…

    Des colères, des remontrances, des encouragements, les voix se succèdent, se répondent, s’entraident, se poussent en avant en un très bel oratorio. Symphonie vocale qui se marie magnifiquement au vert sombre des houppes, aux éclairs de feu orangé, aux instants impulsifs de notre vie ne sommes-nous pas des incendies dévastateurs sous les frondaisons de nos chairs intérieures. Tout homme n’est-il pas une forêt première qui brûle ?

    J’aurais aimé écrire le contraire, parce que la maudite technique bla-bla-bla, parce que la singulière grandeur de l’Homme bla-bla-bla, parce que bla-bla-bla, je vous donne trois heures et je ramasse les copies, mais non je dois le reconnaître, ici les images artificielles, les paroles et les musiques humaines se confortent mutuellement, elles s’allument de reflets réciproques, elles se chargent de mystères et s’interpénètrent de telles manières que seules et séparées elle perdraient de leur force persuasive et de leur aura magique.

    Across the divide nous surprend toujours.

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    Damie Chad.

     

    *

             Les choses ne sont jamais difficiles. Certaines d’entre elles s’avèrent subtiles. Nous pénètrerons donc en notre sujet par l’évocation d’un groupe de rock. Blondie ! Les trognes des lecteurs s’illuminent. Ah ! Deborah ! Désolé, mais je voulais parler de Chris Stein. Vous préférez Debbie, je comprends, toutefois Chris est un mec intéressant. Tiens saviez-vous que Chris possédait un tableau de Spare ? Non, vous voudriez des détails, alors plongez-vous dans :

    ŒUVRES

    AUSTIN OSMAN SPARE

    (Tome III)

    Editions Anima / Octobre 2024

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    Nous avions déjà  krotntniqué les tomes I et II, parus en 2017 et 2021, ce troisième opus, cornaqué par VINCENT CAPES, s’annonce fastueux par le grand nombre de reproductions de dessins et de peintures d’OSMAN SPARE, un régal pour les yeux et l’esprit. Nous évoquerons tour à tour mais en un ordre qui ne suivra pas celui du volume les traductions de textes de SPARE établies par PHILIPPE PISSIER, ainsi que l’ensemble des diverses contributions éclairantes qui permettent quelque peu d’entrevoir la portée opérative de l’œuvre de celui qui reste, avec Aleister Crowley, un des plus grands représentants de la Magie du vingtième siècle.

    Si vous n’éprouvez aucune accointance particulière avec la Magie, je vous conseille de débuter votre lecture par l’avant-dernier texte du volume.

    LES ANGES FOSSILES

    ALAN MOORE

             Les amateurs de bande dessinée et de Death Metal ont reconnu le célèbre auteur de From Hell. Né en 1953, Alan Moore n’en n’est pas moins relié à la personne d’Alexandre le Grand. Le lien qui les unit n’est pas tant l’admiration que notre dessinateur  porterait au Conquérant, la légende raconte que Philippe II de Macédoine ne serait pas son père, il serait né de l’étreinte de sa mère Olympias avec un de ses pythons – était-ce une énième métamorphose de Zeus - qui partageaient sa couche… Or Alan Moore s’est revendiqué adepte de Glykon, serpent mythique d’origine macédonienne adoré au deuxième siècle de notre ère par les romains. Voilà de quoi faire lever les yeux au ciel à bien des lecteurs qui auront vite fait de juger l’auteur de cet article, rédigé en 2002, comme un huluberlu, ne nous étonnons pas s’ils s’apprêtent à aborder le texte avec réticence.

             Ils seront surpris. Agréablement. Moore manie la verve avec autant de dextérité que le crayon. Il est aussi écrivain. Les pages qu’il consacre à la description des milieux occultes vous feront rire aux éclats. Le marteau d’Héphaïstos n’a aucun secret pour lui. L’a l’humour qui tue. Se refuse à prendre aux sérieux les agissements des occultistes modernes, les anges fossiles ce sont eux. Ne leur concède rien. Selon lui des magiciens de pacotille, engoncés dans l’imitation naphtalinatoire, s’avèrent totalement inopératifs.

             Après une telle charge, quel avenir pour la Magie. Moore ne se dérobe pas. La Magie ne saurait être ni une psychologie, ni une science. Ni autre chose. Sa seule chance de survie réside en un renouvellement de ses pratiques. Foin des rituels, remisez déguisements et tenues  au vestiaire, un peu d’inventivités et de création, chers mages ! La Magie doit être considérée comme un art majeur, musique, peinture, et celui le mieux approprié : la littérature. L’artiste n’est-il pas par essence celui qui suscite le désir… Vingt pages grand-format, d’une plénitude exceptionnelle.

    TABLEAUX D’UNE EXPOSITION

    DAVID TIBET

    (2002)

             Musicien, poëte, féru d’occultisme, David Tibet fut inspiré entre autres  aussi bien par Blue Öyster Cult, sans doute un indice qui explique pourquoi son groupe Current 93 fut un des pionniers de la musique industrielle que par The Incridible String Band d’où sa dérive, ce mot ici dépourvu d’intention péjorative, néo-folk.

             Ce texte est très court. David Tibet visite une exposition de tableaux de Spare. Sa préférence va au tableau représentant un petit garçon beau comme Apollon. J’ai l’habitude d’avertir les lecteurs de ce blogue, méfiez-vous d’Apollon. Non prévenu David Tibet tombe dans le piège. La couleur des yeux du petit garçon change à chacun de ses regards. Il faut donc aussi se méfier des peintures d’Austin Spare. Jusqu’à la mort.

    MIROIRS VIRTUELS EN TEMPS SOLIDE

    GENESIS BREYER P-ORRIDGE

    (1995)

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    Si Spare (1886-1956) peignit et écrivit, s’il fut un artiste pour reprendre le terme d’Alan Moore, il n’en fut pas moins un Mage. Dans cet article, P-Orridge analyse plusieurs œuvres de Spare, il ne se livre pas dans ses commentaires à une critique artistique, il n’examine les dessins qu’en dévoilant les desseins de leurs exécutions. En quoi ces œuvres sont-elles, au-delà de leur réussite graphique, des pratiques magiques ?  Spare ne cherche pas à agir sur les autres, ni pour les séduire, les influencer, s’attirer leur faveur, ou les maudire. La seule personne qui l’intéresse, c’est lui-même. Ses autoportraits en témoignent. Ce n’est pas qu’il veuille par stupide vanité se présenter sous ses plus beaux aspects. Soit il recherche les moments qui, notamment par la pratique de la magie sexuelle, lui ont permis d’atteindre des étapes de maîtrise fondamentale, soit il tente de parfaire par son dessin cette maîtrise magique en travaillant sur lui-même, en parvenant à atteindre des états de conscience de pleine puissance qui lui permette de s’affranchir de son incarnation historiale, pour pénétrer dans la dimension suivante. Certains collectionneurs ont éprouvé le besoin impératif de se débarrasser de dessins de Spare, car ils avaient l’impression d’une présence inquiétante dans ces feuilles de papier… Autosuggestion ?  Pensez à Honoré de Balzac, à Oscar Wilde, à Edgar Poe…  Puisque l’on parle de Maître Corbeau, pensons à cet opuscule de Ghemma Quiroga Galdo dans lequel elle tente de démontrer que l’auteur a tenté de rester en vie, de ne pas mourir, en inoculant son esprit, un peu comme l’on fait une transfusion sanguine, dans l’encre de ses livres…

    Tout cela est bien beau, oui mais après ? P-Orridge sort le grand jeu. N’oublions pas qu’il fut l’initiateur de Throbbing Christle, c’est un rockeur, et il le prouve. Nous voici dans une méditation métaphysique de haute intensité. L’on change de niveau. A partir de Jean Cocteau l’on effectue la traversée du miroir. Bien sûr d’un certain côté les tableaux sont comme des miroirs, le rôle est inversé, ce sont eux qui nous regardent. Oui, mais qu’y a-t-il dans un miroir. Non, ce n’est pas vous, le miroir ne reflète que l’espace. Celui qui lui fait face, celui qui est en lui, le miroir permet de faire la jonction entre l’intérieur et l’extérieur. C’est ce que l’on appelle la traversée des miroirs. Evidemment tout va de travers, nous avons oublié le troisième comparse, l’élément primordial. Non pas l’éther, le temps. Le temps ne serait-il pas, non pas une espèce unissive d’espace-temporel, mais une fragmentation d’atomes de temps qui dispersés tous azimuts ont pour fonction de structurer l’espace. Sans temps vous n’avez plus d’espace. Vous n’avez que du vide. Vous n’avez plus rien. Vous pouvez même vous amuser à affirmer que vous avez tout, que vous avez le plein, puisque vous accédez à la surface non-réfléchissante du miroir. Celui-ci est alors envisagé non selon sa fonction mais selon sa chosité. ( Je renvoie le lecteur intéressé à la lecture de Qu’est-ce qu’une chose de Martin Heidegger ). Si tant est qu’il existe encore un miroir. Le temps est la chose la plus concrète de toutes les choses qui existent et dans le monde intérieur (les idées nouméniques) et le monde extérieur (la matière phénoménale). Le temps ne passe pas. C’est lui qui permet le passage. Vu sous cet angle, vous avez là la possibilité de passer par la mort d’une incarnation à un état autre.

    AVENTURE DANS LES LIMBES

    1944 – 45

    AUSTIN OSMAN SPARE

            Une série de dessins de Spare que le lecteur aura intérêt à regarder longuement parallèlement aux tableaux commentés par P-Oridge. Pour notre part nous nous contenterons de réflexions générales quant à l’art de Spare. L’on évoque souvent Aubrey Beardsley lorsque l’on s’interroge sur Osman Spare. Beardsley le mignon, Spare le cru. Ce genre de synthétisation abrupte, je préfère d’autres parallèles. Par exemple ce qui rassemble et sépare Gustav Klimt d’Egon Schiele. Il ne s’agit pas d’opposer les tenants de l’Art pour l’Art aux partisans propédeutiques de l’Expressionisme. Simplement le constat que ces frères siamois artistiques diffèrent avant tout par la maniérisation érotique de la femme dont ces familles d’esprit usent. Et abusent, je rajoute ce verbe pour que les ligues féministes ne m’intentent pas un procès.

    SATYROS DUX

    1945

    AUSTIN OSMAN SPARE

             Une deuxième série de dessins de Spare. A peine-écrivez-vous le mot femme que les satyres se radinent. Et cette fois-ci pas n’importe lequel, le chef. Il faut le dire : c’est plus fort que Picasso. Nous ne nous focalisons pas sur le trait, tous les personnages mythologiques du Catalan, ne sont que des ornements. Sont dans les tableaux pour faire antique. Au même titre qu’un tronçon de colonne. Chez Spare, les personnages ne se donnent pas systématiquement la peine de se mettre nu. Sont généralement habillés. Ces vingt dessins sont à lire comme une bande dessinée. A chacun d’imaginer son scénario. L’essentiel ne réside pas là. Ce serait oublier el Pintor. C’est lui donne corps et sens à chaque vignette. Nous ne nous risquerons pas à une lecture personnelle. D’autant plus qu’en toute fin du volume, quelqu’un d’autre s’en charge.

    VISIONS DE DIONYSOS

    2011

    JOHN ZORN

             Le lecteur se rendra sur YT écouter The Satyr’s Play (Visions of Dionysus) Ode I, II, III, IV, V, VI, VII, VIII, IX, X composé en hommage à Austin Osman Spare. L’ensemble dépourvu de paroles ne m’a guère convaincu… John Zorn est un musicien d’avant-garde qui a beaucoup produit s’inspirant de toutes sortes de musiques populaires américaines du jazz au classique.

             Le texte est une espèce de poème-rituel divisé en huit séquences, vous le préfèrerez au disque, un peu disert, un peu répétitif, sans surprise… Des sonorités que je me permettrai de qualifier d’agrestes, en rien novatrices. Texte d’une autre texture, requérant plusieurs niveaux de lectures. Aussi bien sur la numérologie sacrée que diverses et rapides évocations, philosophiques, ésotériques, sophistiques… En quelque sorte il peut se lire comme une réponse aux volontés de dépoussiérages de l’occultisme traditionnel souhaité par Alan Moore.

    RITUEL DE LA VENUE DU JOUR

    AUSTIN OSMAN SPARE

             Avant tout l’on y sent l’influence évidente de Crowley, mais cette page ressemble à des notes écrites pour soi-même. Ce rituel malgré son imagerie égyptienne apparaît surtout non pas comme une invocation héliaque mais une adresse au soleil intérieur que chacun porte en soi.

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    DEDICACé A CELUI QUI VEUT

    ET A CELUI QUI DEMANDE

    (1951)

    AUSTIN OSMAN SPARE

             Encore un texte rédigé pour soi-même et en même temps un avertissement au disciple. Spare ne fait pas l’aumône au disciple éventuel. Il   abhorre cette race de clones. Peut-être est-ce pour cela que l’on relève quelques accents nietzschéens dans le dernier paragraphe. Zarathoustra en pleine forme.

    LE SABBAT DES SORCIERES

    (1951)

    AUSTIN OSMAN SPARE

             D’abord un texte de réflexion sur la nature du Sabbat. Rien à voir avec la Nuit de Walpurgis de Goethe. Le mot sabbat désigne l’acte sexuel pratiqué en tant que pratique magique. Ce à quoi elle permet d’atteindre. A lire les pages restantes l’on a l’impression que l’on se trouve devant des notes préparées pour un cours, Spare en professeur consciencieux qui réunit toutes les pièces afférentes au sujet afin de palier  toute demande hypothétique d’un étudiant ou d’une étudiante. L’on ne peut s’empêcher de penser qu’il ne croit pas vraiment en l’efficacité de son cours théorique. Il est nécessaire de s’affronter à la pratique.

    DU MENTAL  AU MENTAL

    ET COMMENT PAR UN SORCIER

    (1951)

    AUSTIN OSMAN SPARE

             Soyons héraclitéen : l’on ne se baigne jamais deux fois dans le fleuve de la pensée pour la simple raison que le fleuve de la pensée est partout, que l’on y est plongé en plein dedans, en plus il ne possède aucune rive… Pour une fois Spare se montre pédagogue. Il passe carrément aux applications techniques :  il vous démontre comment en deux ans vous pouvez devenir un as de la divination. Le courant de pensée de vos voisins se mêle à vos pensées. Un peu d’entraînement et un jeu de cinquante-deux cartes suffisent à répondre à toutes les questions d’un consultant inquiet pour son avenir. Cela n’a rien de magique au sens trivial du terme. Il suffit de le savoir et d’être conscient de ces confluences qui s’interpénètrent. Spare vous répète que c’est relativement facile… Les détails et les exemples qu’il fournit ne sont pas particulièrement stupides, mais vous quittez ces cinq pages en vous disant qu’il se contente de refiler le minimum, quelques encouragements, et puis vous êtes assez grand pour vous débrouiller par vous-même. Répétons-le, Spare n’est pas Crowley, il n’essaie pas de vous enseigner, de vous transformer, il respecte votre liberté. Le sorcier n’est pas un maître. Son but n’est pas d’instaurer envers vous un lien de domination ou de sujétion.

    AXIOMATA ou MICROLOGUS

    (1951)

    AUSTIN OSMAN SPARE

             D’abord remercions Philippe Pissier pour la clarté de  la traduction de ce texte fondamental. Mini-logos : mon œil (d’Horus – et même d’horreur tant vous êtes saisi par la force de ce texte), maximus logos je vous l’assure. Je ne sais pas si le grand Friedrich accepterait que ces sept pages de fragments numérotés soient ajoutées en appendice à une édition du Gai Savoir mais elles n’amoindriraient  en rien la pensée du solitaire d’Engadine. Tout y est : Dieu, l’Homme et même le Surhomme. Un exposé, un concentré de gaya scienzia explosif. A lire ce texte crucial – pensez à l’idée  qui fut clouée sur la croix – la continuité entre la pensée magique et la pensée philosophique devient une évidence. Un phénomène de trans-capillarité de deux traditions d’appréhension de l’être et de la chose, de l’être de la chose et de la chose de l’être. D’où l’importance du Mot qui transporte et l’Idée et la Chose. Ce texte est un miroir qui permet la traversée de la transparence de deux modes de pensée que l’on présente communément comme antagonistes et irréconciliables. Logos Pontifex !

    GALERIE

    (Dessins, Croquis, Aquarelles, Peintures)

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             Si les mots vous restent incompréhensiblement mystérieux regardez les dessins. Ce n’est pas un hasard si cette partie essentielle du volume est placée juste après le Micrologus. S’il est évident que chez Spare l’écriture cherche à éclaircir sa propre pensée et non à dispenser un enseignement, quel rôle a-t-il dévolu à l’exercice pictural, était-ce pour lui, vis-à-vis d’un public indélicat ou non auto-préparé, une manière d’obscurcir le but de ses entreprises, tant intimes qu’extimes, en leur offrant le trompe-l’œil ou le paravent de l’apparence première de ses opérations relatives aux choses magiques. Galerie présente plus de cent pages de dessins et de peintures effectués entre 1904 et 1956. S’il fallait résumer le travail magique de la peinture de Spare en deux mots, ce serait : nudité et portrait. Dans les deux cas, que ce soient les corps ou les têtes, il s’agit d’établir une projectivité pénétrative dans la chair ou l’esprit, de l’autre ou de soi-même, afin non pas de se les approprier mais en opérant un agrandissement de soi-même. Les dessins sont alors à considérer comme les écorces mortes de ce qui a eu lieu et pour les esprits avertis autant d’indices qui servent à concevoir et à comprendre.

             C’est fini… Non, ne faites pas les glavioteux, les treize pages de l’index des noms propres, elles ne sont pas fourrées en fin de volume, fourmillent de renseignements, si vous n’y apprenez rien, c’est que vous ne l’avez pas lu.

             Ce tome III est une petite merveille, vu la taille du mastodonte l’adjectif grande serait mieux approprié, quand on pense à Audrey Muller qui s’est chargée de la relecture, on la plaint, mais je crois que grâce à la présence de son chat roux (comme Osman Spare) à ses côtés on se dit qu’elle a bénéficié d’une véritable aide de sorcière.

             Ce livre n’est pas un livre de plus sur Spare, c’est un objet de première nécessité  pour apprendre à méditer, à réfléchir, à concevoir. Indispensable à ceux qui désirent être eux-mêmes. Et surtout plus qu’eux-mêmes.

    Damie Chad.