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  • CHRONIQUES DE POURPRE 664 : KR'TNT ! 664 : TCHOTCHKE / DARTS / JACKIE DESHANNON / LIVERBIRDS / CHRIS CLARK / BEE DEE KAY DRIVES THE U.F.O. ZZZ + MARY / ASHEN / ACROSS THE DIVIDE / AUSTIN OSMAN SPARE

    KR’TNT ! 

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 664

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    07 / 11 / 2024

     

     

    TCHOTCHKE / DARTS / JACKIE DESHANNON

     LIVERBIRDS / CHRIS CLARK

    BEE DEE KAY DRIVES THE U.F.O. ZZZ + MARY

    ASHEN / ACROSS THE DIVIDE

    AUSTIN OSMAN SPARE

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 664

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock

     - Tchotchke de choc

             — Comment pouvons-nous te choquer, avenir du rock ?

             — Ça risque d’être très difficile...

             — Si on te traite de gros con, ça va bien te choquer, non ?

             — Pas le moins du monde. C’est un fait que j’assume avec fierté.

             — Alors si on te traite de petite bite, tu vas blêmir, non ?

             — Vous ne connaissez pas les privilèges de l’hermaphrodisme, bande d’ignares...

             — Ah tu vas le prendre vraiment très mal si on te traite de sale juif !

             — Pfffff, c’est d’une banalité qui frise l’indigence, ou pire encore, le manque d’imagination. Comment veux-tu que ça puisse me choquer ? Par contre, si tu me traites de sale nègre, là, oui, c’est intolérable.

             — Bon alors, on va te clouer le bec pour de bon en te traitant de sale beauf...

             — C’est effectivement ce qui peut arriver de pire à un être humain. Chaque fois que t’en croises un, t’es partagé entre deux façons de réagir : le dégoût ou la compassion. Les beaufs se reproduisent comme les rats, ça prolifère, t’en as partout, même dans ta famille et tes cercles rapprochés. Tu soulèves une pierre sur le bord du chemin et tu les vois grouiller. Spectacle dégoûtant ! Les beaufs c’est ça, mais si tu traites de beauf quelqu’un qui ne l’est pas, ça ne sert à rien. C’est une injure gratuite, qui fait autant d’effet qu’une balle à blanc. C’est un coup d’épée dans l’eau. Désolé d’avoir à vous dire ça, les amis, mais votre notion de choc est complètement dépassée. Aujourd’hui, on ne parle plus de choc mais de Tchotchke. Attention, amigos, ce n’est plus du tout la même chose. 

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             T’arrive devant la scène avec la gueule enfarinée. Trois petites gonzesses déboulent sur scène. Tu ne sais même pas comment elles s’appellent. Bof, une première partie des Lemon Twigs, ça devrait pas être trop mal.

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    Devant toi, la petite bassiste s’applique et ramène, par sa seule présence, toute la fraîcheur du monde dans le set. Là-haut, sur son estrade, la batteuse/chanteuse allume ses cuts un par un, et là-bas, de l’autre côté, la guitariste gratte sa Strat sans effet, elle reste en mode clairette. On l’aura compris : zéro frime.

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    Tout est dans les chansons. En fait, elles jouent une pop très dépouillée, mais au fil des cuts, tu sens comme le poids d’un envoûtement sur ta pauvre vieille cervelle. Tu comprendras mieux plus tard, quand tu apprendras qu’elles ont enregistré leur album chez les frères d’Addario, ce qui est un sacré gage de qualité. Il est parfois bon de ne rien savoir quand tu vois un groupe sur scène. Tu juges sur pièces. C’est bon ou c’est pas bon. Les Tchotchke, c’est bon, et même super-bon. Cut après cut, elles étendent leur empire et ça te monte vite au cerveau.

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    La batteuse s’appelle Anastasia Sanchez, elle navigue exactement au même niveau que Curt Boettcher, elle sait vriller son chant pour créer de la magie pop, notamment sur «Oh Sweetheart One», ce chef-d’œuvre de candy pop collante et dégoulinante de candeur, monté sur une structure d’une ahurissante simplicité.

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    Derrière son micro et ses fûts, Anastasia vrille des couplets d’une indicible beauté. Tu vas retrouver cet objet d’art pop indubitable sur leur album sans titre. L’autre merveille du set s’appelle «Dizzy», qui sonne comme une fabuleuse descente dans le lagon d’argent de la pop, ces trois gonzesses sont aussi ambitieuses que les Lemon Twigs, elles flirtent elles aussi avec le génie pop de Brian Wilson. Elles tapent plein de merveilles qui ne figurent même pas sur l’album, franchement, t’en reviens pas de toute cette qualité. T’as l’impression que le monde pop s’enfonce dans la médiocrité, et tout à coup, les Tchotchkettes et puis les Lemon Twigs te remettent les pendules à l’heure. Alors tu reprends espoir. Grâce à ces deux groupes, les Byrds, les Beatles et Brian Wilson restent d’actualité. Ils sont aussi précieux que l’air qu’on respire.

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             L’album sans titre des Tchotchke est une petite merveille, cela va sans dire. T’es tout de suite dans le haut de gamme avec «You’ll Remember Me», belle pop ambivalente, d’essence impérissable, elles disposent de cette faculté extraordinaire à savoir vriller le chant pop. C’est du Brill d’obédience vertigineuse, quasi spectorienne sur le bonus track. Anastasia chante comme une reine de Nubie blanche. On recroise ces deux coups de génie que sont «Dizzy» et «Oh Sweetheart One», mais tu vois aussi Anastasia swinguer «Come On Sean» à la pointe de la glotte, et sur «What Should I Do», tu entends les frères d’Addario. Ce fantastique cut de salubrité publique sonne comme un hit du Brill. On croise aussi ce «Don’t Hang Up On Me» joué sur scène, une pop d’essence cristalline et aérienne. Elles s’en donnent toutes les trois à cœur joie, franchement c’est un bonheur que de les voir sur scène chanter cette merveille d’exubérance. Et comme l’album est bien produit, tu retrouves tout le punch de la version scénique. Nouveau coup de Jarnac avec «Whish You Were A Girl» : fantastique shoot de Brill, ah on peut dire qu’elles Brill au firmament, Anastasia mène sa pop flamboyante qui explose en solaces d’excelsior au moindre refrain. Et avec «Longing Delights», tu retrouves toute la folie des Lemon Twigs dans cette apothéose de pop wilsonienne.

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    Signé : Cazengler, le poids des mots, le tchotchtk des fautes

    Tchotchke. BBC. Caen (14). 25 septembre 2024

    Tchotchke. Tchotchke. Tchotchke Records 2022

     

     

    She Darts it right

     - Part Three

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             Sur scène, les Darts restent imbattables. Incompressibles. Irréprochables. Indéfectibles. Inévitables. Immédiates. Inoculables. Infaillibles. Irrésistibles. Immatures. Infectueuses. Impondérables. Indémodables. Intarissables. Indubitables. Mais prenons garde, car à force de plasticité gaga, elles finiront par nous insupporter autant que les Fleshtones. Pas besoin de sortir de Saint-Cyr pour savoir que le gaga est un genre dramatiquement limité, surtout le gaga-dorgua, celui des Fuzztones et des Lords Of Altamont en particulier. Les gangs de gaga-dorgua passent leur vie à vouloir briser une routine qu’ils ne briseront jamais, car la routine est leur spécificité. La routine d’orgua est leur ADN. Seuls Question Mark & The Mysterians ont su briser le sort de la routine gaga-dorgua. Ils ont dû pour ce faire verser 96 larmes. Cry cry cry.

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             Un set des Darts s’avale d’un trait, pas de problème. Comme tous les sets, celui des Darts connaît des hauts et des bas, de beaux hauts dirons-nous, et des bas pas beaux. Jusques là, rien de nouveau. Fidèle à sa tradition, Nicole Laurenne multiplie les antics, à défaut d’être la reine du rodéo, elle est celle des cabrioles, elle bat même Jake Caveliere à la course, elle adore s’allonger au sol et faire tomber son Farfisa sur elle, elle adore empêcher sa guitariste de jouer en l’enlaçant comme un boa constrictor, elle adore sauter sur place, d’ailleurs, elle ne fait que ça, elle est très athlétique, incapable de rester calme plus de trois secondes. Elle observe bien le rituel du gaga-dorgua qui consiste à chasser les temps morts, tout doit sautiller en permanence, l’énergie doit couler à flots, ça doit pulser dans les tubulures, ça doit couiner dans les circuits. C’est drôle comme ce genre parvient à survivre, malgré ses limites. On continue d’aller voir ces groupes sur scène et, pire encore, on continue de ramasser les disks au merch. Cette manie pourrait s’apparenter à une bonne petite pathologie. T’es là, et dans les moments de grande intensité, tu te demandes pourquoi t’es là. T’en sais rien. Tu vois tout ça de l’extérieur. Tu ne peux pas faire semblant d’être le fan que tu n’es plus.

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    Alors tu observes, essayant désespérément de ne pas trouver le spectacle (dans son ensemble) grotesque. Quel sens ont les Darts aujourd’hui ? C’est en te posant ce genre de question que tu peux espérer y voir plus clair.

             Au pire, le set te fatigue. Au mieux, il te remonte un peu le moral. Dans l’in between, ça grouille de considérations :

             — Ouais, c’est bien de perpétuer la tradition.

             — Ouais, tant que des groupes comme les Darts monteront sur scène, le cœur du rock continuera de battre.

             — Ouais, elle en fait un peu trop, mais il vaut mieux en faire trop que pas assez.

             — Ouais, ça fait vingt ans qu’elle se maintient à niveau.

             — Ouais, elle est l’une des meilleures dans son genre, aussi bonne que la Flavia des Courettes et la Jackie des Jackets.

             — Ouais, les Darts, ça darde !

             — Ouais, c’est sûr qu’on va retourner les voir le mois prochain. Encore une bonne soirée en perspective ! Ouais ! Mille fois ouais !

             — Ouais, avec les Darts, c’est du zyva automatique. Tu ne te poses des questions qu’une fois arrivé sur place.

             Effectivement, tu te prends au mot et t’y retournes. Cette fois, dans ton spot préféré, au Petit Bain, là où ça rocke le boat pour de vrai. Quand elles déboulent sur scène, elles balaient le souvenir des deux premières parties, c’est tout de suite américain, c’est tout de suite en place, c’est tout de suite les Darts, c’est tout de suite wham bam, c’est tout de suite «Underground» et tout de suite suivi de «Graveyard», c’est tout de suite du 100 à l’heure, c’est tout de suite mal barré pour les canards boiteux, c’est tout de suite claqué du beignet, c’est tout de suite exactement la même set-list qu’à Rouen un mois auparavant, alors tu n’as plus qu’à te laisser porter, elles font tout le boulot, tu veux ta rasade ?

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    Elles te la servent sur le meilleur des plateaux d’argent, et t’as une salle bourrée de fans. Au moins ceux-là ont payé. Nicole Laurenne ressort tout son bataclan, la course sur place, le dos au sol avec le Farfisa sur le ventre, et toute la fantastique présence scénique dont elle est capable. Elle rampe pas mal, elle semble en donner encore plus aux Parisiens et puis c’est dit-elle le dernier set d’une tournée qui a commencé au mois d’avril. Le centième ! Elle devrait en avoir marre, mais elle y va. Elle est encore meilleure qu’avant, et le set des Darts prend du relief, le jeu de scène est bien rôdé, t’en veux pour ton billet ? Tiens-en voilà pour ton billet.

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    Ça rocke à outrance, les deux bras droits de Nicole Laurenne s’en donnent à cœur joie, elles voyagent pas mal sur scène, et derrière, la petite  Mary Rose aux cheveux verts bat un beurre de tous les diables, elle ne fait pas dans la dentelle. Nicole Laurenne communique bien avec le public, elle a fait des progrès en français. Et puis elle a cette façon de lancer les cuts qui tape chaque fois en plein dans le mille, la main droite sur le clavier et, face au public, elle court sur place en secouant les cheveux. Elle court très vite, on a même l’impression qu’elle accélère.

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    Et au bout d’une heure de bons et loyaux services, elles finiront de gaver les oies : t’auras exactement le même rappel qu’à Rouen, avec «Love Tsunami», «Shit Show» et «Liar». Ensuite ? Eh bien ensuite, tu sortiras de là sonné et ravi. T’auras vu trente-six chandelles et, last but not least, t’auras aussi vu le real deal des girl-groups contemporains. Et t’auras bien mérité un dernier tonic à la cantine.

             Et les disks dans tout ça ?

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             Avec Snake Oil, tu t’aperçois que Christina Nunez vole bien le show avec son fat bassmatic, notamment dans le morceau titre d’ouverture de bal. Les Darts sont folles : elles attaquent à la stoogerie avec un bassmatic pétaradé. Ah comme elle patate bien, la grosse Christina ! Elle est mixée à l’avant du son et ça lui donne de sacrées coudées franches. Les Darts adorent filer tout droit, comme le montre encore «Love Tsunami», et on assiste toujours au même déroulé. Nicole Laurenne compose tout, elle contrôle tout le monde des Darts. Même le merch, c’est elle. Elle tape son «Love Song» en mode Big Astmospherix assez hellish. Avec «Underground», on assiste à un fabuleux déroulé périphérique, elle rafle la mise à coups de put it down, elle adore faire exploser ses cuts, en studio comme sur scène. Avec elle, ça se remet en route vite fait. Elle tape son «Donne Moi Tout» en français. Dommage que le chant soit noyé dans la morasse. Les derniers fans de gaga-dorgua vont forcément bien se régaler avec cet album qui a pour principal mérite celui d’exister.  

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             Comme elles traversent une grosse crise de productivité, elles sortent un tout nouvel album : Boomerang. Pochette superbe, avec une sorte de graphisme crypté. Ambiance murs tagués du CBGB. Elles repartent de plus belle à la conquête du Mondo Bizarro, elles enfoncent bien leur clou dans la paume de la routine et attaquent au gros tatapoum. Il faut attendre «Pour Another» pour frémir sincèrement. Belle attaque de bassmatic invasif. Elles développent un fantastique heartbeat. Christina Nunez gratte un sacré thème, il faut bien admettre qu’elle est l’une des cracks du bassmatic moderne. Puis les Darts replongent dans leur fontaine de jouvence avec un «Liar» classique mais bienvenu, et ça explose plus loin avec «Photograph». C’est encore Christina qui attaque ça en coupe réglée. Pas de pitié pour les canards boiteux ! Darty for real ! Elle lâche encore un bassmatic de destruction massive sur «Hell Yeah». En fait, c’est elle, la grosse, la star des Darts. Belle énormité encore avec «Night». Toujours cette fantastique énergie pulsative, même dans les cuts lents. Le turbo processeur est de retour avec «Welcome To My Doldrums» : basse pouet pouet et drive d’orgua, véritable effusion d’effervescence, c’est brillant et dévastateur. Du coup, t’as hâte de les revoir sur scène. C’est comme si tu ne pouvais plus t’en passer.

    Signé : Cazengler, Dark

    Darts. Le 106. Rouen (76). 22 septembre 2024

    Darts. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 19 octobre 2024

    Darts. Snake Oil. Alternative Tentacles Records 2023

    Darts. Boomerang. Alternative Tentacles Records 2024

     

     

    Wizards & True Stars

     - Shine on De Shannon

     (Part One)

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             On va profiter d’une petite actu sur la belle Jackie DeShannon pour lui consacrer un Part One plus que bien mérité. S’il en est une qui entre de plain-pied dans la cour des Wizards & True Stars, c’est bien elle. Dans Record Collector, Lois Wilson indique que la belle Jackie atteint l’âge canonique de 83 balais et qu’elle se produit encore - Still performing - Elle a fait ça toute sa vie. Elle dit ne pas se souvenir d’un seul instant où elle ne composait pas, ou ne chantait pas.

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    (Sharon Sheeley & Eddie Cochran)

             Pas compliqué la vie : il suffit de devenir pote avec les Beatles quand ils font leur première tournée américaine en 1964. Puis t’as les Byrds et les Searchers qui reprennent tes compos. Alors ça devient easy. «When You Walk In The Room», c’est elle, et la naissance du folk-soul-rock de Laurel Canyon, c’est encore elle avec, justement l’album Laurel Canyon. C’est assez con à dire, mais il n’existe pas de blonde plus légendaire que la belle Jackie. Elle a aussi pas mal tapé dans Burt («What The World Needs Now Is Love»). Elle est très prématurée, elle se fait connaître à l’âge de 13 ans sous le nom de Sherry Lee, et à 16 ans sous le nom de Jackie Dee. En 1960, elle signe un publishing deal avec Liberty et devient pote avec Sharon Sheeley, la poule d’Eddie Cochran, qui a déjà pondu des hits pour Eddie et Ricky Nelson. Cot cot ! Elles bossent ensemble, Jackie fourbit la mélodie et elles tapent les lyrics ensemble. Mais son deal chez Liberty n’est pas bon. Ils veulent la voir composer, pas chanter. Elle parvient quand même à enregistrer un premier album en 1963. Elle y tape trois covers de Dylan. Elle voulait faire tout l’album avec des covers de Dylan, mais les mecs de Liberty n’ont pas voulu. Pourquoi ? Parce qu’ils n’ont rien pigé à Dylan. On y reviendra dans un Part Two, car cet album est un gros morceau. Elle raconte aussi qu’elle a dû se battre pour enregistrer le «Needles & Pins» de Sonny Bono et Jack Nitzsche - Liberty didn’t like that song either. They thought it was strange. But I put my foot down this time. I knew I had to do it - Eh oui, elle a eu raison de tenir bon. C’est l’un des plus beaux hits d’Amérique. 1963 ! Elle est déjà très en avance sur son temps. Le seul qui la comprenne, c’est Jack Nitzsche. Ensemble, ils écoutent Malher, Stockhausen, Wolf et Robert Johnson. Il n’y a pas de hasard, Balthazar. En 1963, les Searchers sont à Hambourg avec les Beatles et Cliff Bennett. Ils découvrent «Needles & Pins». Flash immédiat - We were awestruck by the song - La même année, ils tapent leur cover de «When You Walk In The Room». Pendant la fameuse tournée américaine des Beatles en 1964, le public hue les premières parties, même les Righteous Brothers. La seule qui tient le choc, c’est la belle Jackie.   

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             En 1965, elle rencontre Burt. Elle flashe sur «What The World Needs Now Is Love». Mais Burt ne veut pas lui filer la chanson. Pourquoi ? Parque que Dionne la lionne n’a pas voulu l’enregistrer - she turned it down - Pareil pour Timi Yuro qui l’a aussi refusée. Hal David insiste. Burt cède. Ce sera le hit que l’on sait. Et bien sûr, Dionne la lionne va se dépêcher de l’enregistrer.

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             En 1966, les Byrds accompagnent la belle Jackie quand elle enregistre «Splendor In The Grass». Croz : «Jackie was amazing. She was an inspiration and she was fun. She’s a one-off original.» Les Byrds tapent une belle compo de Jackie sur leur premier album, «Don’t Doubt Yourself Babe». C’est l’année où Los Angeles explose - So many clubs on Sunset. It was wonderful - C’est là qu’elle enregistre le fabuleux Laurel Canyon. Derrière elle, on retrouve Dr John au piano, Barry White dans les chœurs. Elle ouvre la voie pour Joni Mitchell et Carole King.

             Elle quitte Liberty en 1970, et Capitol lui bousille son Songs en 1971 (on y revient plus loin). Elle débarque ensuite sur Atlantic. Wexler l’envoie aussitôt à Memphis. Elle enregistre Jackie chez Chips. Autour de Chips, Arif Mardin, Tom Dowd et Wexler s’entassent dans la cabine. Les Memphis Boys assurent le backing de Jackie superstar. Pour les becs fins, Jackie navigue exactement au même niveau que Dusty in Memphis. Pareil, on y revient dans un Part Two.

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             Voilà-t-y pas qu’Ace réédite son album de covers de Ray Charles, Nothing Can Stop Me. Liberty Records Rareties 1960-1962 - I’m really proud of them - Elle explique qu’à l’époque elle savait tout faire, du Burt, du Ray Charles, du Needles, du Dylan, et son label voulait qu’elle reste dans un genre bien défini, alors qu’aujourd’hui, dit-elle, on demande aux artistes de se diversifier. Elle prend l’exemple de Rod The Mod - Back then, my diversity was a curse. But I was actually ahead of the curve.

             Alors oui, on saute sur Nothing Can Stop Me. Liberty Records Rareties 1960-1962. Elle est en effet très jeune sur la photo de pochette. Mais elle chante son Ray d’une voix rauque, presque black. Elle est très sauvage. Elle aurait pu taper du rockab. Avec «I Got A Sweetie», elle claque un gospel black de petite vertu. Par contre, elle force trop son «What’d I Say», elle y va au tell you mama de bonne bourre. Elle jette toute sa niaque dans la balance de «Georgia On My Mind» et devient fabuleuse d’à-propos dans «Hallelujah I Love Her So». Yes I know ! Elle s’en sort vraiment avec les honneurs. Comme toujours chez Ace, les bonus grouillent de puces. On la sent folle de Ray. On la voit twister près du juke sur «Stand Up & Testify» et son «Baby (When Ya Kiss Me)» est de très haut niveau, fast & battu sec, avec des violons. On est frappé par la qualité des interprétations et des orchestrations. Elle devient folle avec «That’s What Boys Are Made Of» et ça se termine avec l’heavy pop de «Don’t You Feel Sorry For Me», fantastique cut d’époque avec le solo de sax et les clap-hands.

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             Chez Ace, on ne fait jamais les choses à moitié. Nos amis anglais ont entrepris de compiler tous les singles de Jackie sur trois volumes. C’est très consistant, très passionnant et recommandé pour les longues soirées d’hiver. Le volume 1 couvre la période Liberty - qui était aussi le label de Bobby Vee, de Johnny Burnette et d’Eddie Cochran - de 1960 à 1963. Certains morceaux sortis du contexte des albums redeviennent des bombes, d’où l’intérêt de ce genre de compile. On note aussi que les premiers singles de Jackie sonnent comme ceux des Coasters et de Brenda Lee. Elle faisait sa gutturale des cavernes. Elle bricolait un rock de fille et elle se battait bien avec son micro. Elle a commencé à virer jerk avec « Ain’t That Love » qu’elle prenait d’une voix fêlée et qu’elle chantait comme une bête fauve. Elle révélait son animalité. Elle prit à partir de là l’habitude de se racler la gorge et de se faire passer pour une méchante. Elle enregistrait aussi pas mal de slows super-frotteurs qui ont dû favoriser l’éclosion du baby-boom américain. Avec « Needles And Pins », on entrait enfin dans le vif du sujet : elle devenait l’inventeuse de la pop moderne. Elle tirait ça d’une voix de meneuse qui cinquante après impressionne toujours autant. Elle montrait au passage sa passion pour le gospel avec « Oh Sweet Charriot » et balançait un hit de r’n’b digne des Supremes, « Till Ya Say You’ll Be Mine » qui explosait de vigueur éclatante. Et bien sûr on avait à la suite l’éclair de génie du Walk In the Room, avec ses tambourins et ses maracas, un point de repère dans l’histoire du rock.

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             Avec le volume 2, on monte en puissance. Il est à cheval sur Liberty et Imperial, et couvre la période qui va de 1964 à 1967. On y retrouve cette monstruosité punk, cette énormité de jerk de cave qu’est « It’s Love Baby ». Sur « Don’t Turn Your Back On Me », Jimmy page bat le riff. Complètement légendaire. « A Lifetime Of Loneliness » est une merveille de Burt mélodiquement parfaite. Riche car travaillée dans l’essence même du capiteux. Elle remonte au signal pour fracasser le plafond de verre. Cette fille là, mon vieux, elle est terrible ! On assiste à une montée d’intensité quasi-orgasmique. Puis elle chante « I Remember The Boy » à la cantonade. Elle montre sa puissance en tapant dans le haut de la mélodie. Elle s’y révèle la fabuleuse shouteuse qu’on va retrouver ensuite au fil des albums. C’est ferrailleux, solide. Elle dégouline de classe. Elle joue son folk-rock princier en montant dans les octaves et elle fait sauter tous les bouchons. Monstrueux. On retrouve le fabuleux « Come And Get Me » de Burt et « Splendor In The Grass », où les Byrds l’accompagnent. Avec tous ces singles extraordinaires, elle atteint son âge d’or. Ce volume est le plus dense des trois.

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             Le volume 3 couvre la période 1967-1970, jusqu’à la fin de son contrat avec Imperial. On la sent attirée par le son hollywoodien, car elle commence par sortir une série de singles trop produits (« Changin’ My Mind », « It’s All In The Game » et « I Keep Wanting You »). Avec « Me About You », on la voit embobiner la mélodie. Elle joue à la superstar hollywoodienne, elle mène sa barque et tout le monde se prosterne à ses pieds. Elle fait rêver l’Amérique blanche. « Effervescent Blue » est une pure merveille insolite chantée à la manière de Diana Ross. C’est d’une classe extrême. Elle s’y révèle l’égale des grandes shouteuses de jazz. Elle brise les mythes sur ses genoux. On retrouve le beautiful folk-rock de « Laurel Canyon » et ce furieux hit qu’est « What Is This », tout secoué de guitares. « Always Together » est une belle pièce lumineuse qu’elle éclaire de sa voix. Imbattable. C’est à ce genre de single qu’on voit la grandeur d’une interprète. Elle a une façon particulière de monter son feeling dans la lumière de l’harmonie. Encore une pure merveille avec « Keep Me In Mind », mid-tempo élégant et mélodique, prodigieusement inspiré et qu’elle amène à sa façon pour en faire une pop étrangement veloutée et artistement décolletée. On retrouve aussi l’éclat de « Brighton Hill » qu’elle passe au filtre hollywoodien. Elle ne s’arrête jamais. Elle enfile les hits comme des perles. Les gentils compileurs d’Ace ont aussi pensé à mettre l’effarant medley « You Keep Me Hanging On/Hurt So Bad », version ultime et mortelle randonnée, elle en fait de la charpie, comme le fit le Vanilla Fudge. Les trois derniers singles sont faramineux : « It’s So Nice » (hit soul), « Mediterranean Skies » (incroyablement moderne pour l’époque) et « Bird On the Wire ».

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             Dans sa collection « Songwriters », Ace a bien sûr pensé à bricoler un volume Jackie DeShannon qui s’intitule Break-A-Way. Ça commence avec la version endiablée de « Break-A-Way » d’Irma Thomas, qui est accompagnée par un batteur drôlement énervé. On tombe ensuite sur le « When You Walk In The Room » des Searchers qui fut l’un des groupes préférés de Mark E Smith. Idéal pour les soirées sixties. Hit parfait. Ces mecs-là avaient tout l’arsenal : l’énergie et les harmonies vocales. Cher reprend « Comme And Stay With Me ». Elle préfigure Chrissie Hynde. Cher est sublimement punkoïde, même si la chanson vire poppy avec des clochettes à tous les coins de rues. Cher était une vraie hargneuse. Elle connaissait tous les secrets du frisson. Mais on trouve aussi pas mal de déchets : les reprises des Fleetwoods, d’Helen Shapiro, de Dick Lory, de Brenda Lee, de Peter James et de Dobie Gray ne volent pas haut. « Carrying A Torch » par Wynona Carr vaut le détour, car c’est magistralement interprété. La valse des déchets se poursuit jusqu’à la reprise de « Splendor In The Grass » par les Boys et leur gros son gloomy, mais c’est facile, car la chanson est bonne. Les Boys sonnent comme des Byrds, mais ce sont des filles. On a là un pur joyau de Californian Hell. Fabuleuse reprise de « Should I Cry » par les Concords. Leur version est complètement dévoyée. S’ensuit un autre chef-d’œuvre, « Thank You Darling » repris par Rick Nelson, chanteur exceptionnel. Autre merveille : « Would You Come Back » par Eddie Hodges, traitée au laid-back alcoolisé du matin difficile et joliment ramassé dans le titubant. Une autre perle avec « Day Dreaming Of You » par les Fashionnettes, exercice de style admirable signé par un girl-group kitschy. C’est aux Byrds que revient l’insigne honneur de refermer le cortège avec une version exceptionnelle de « Don’t Doubt Yourself Babe » qu’ils traitent à la mode de l’apothéose. On en n’attendait pas moins des Byrds.          

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             Le volume 2 consacré à la songwriteuse vient de sortir : She Did It. The Songs Of Jackie DeShannon Volume 2. Comme le précédent, cet album dégage un petit parfum de dynamite. S’il en est une qui sait écrire des chansons, c’est bien Jackie. Les volumes Ace jettent une lumière crue sur les grands artistes. Elles sont un complément indispensable à la discographie de ces artistes, surtout dans le cas de Jackie. C’est à Dorothy Morrison que revient l’honneur de taper dans « Put A Little Love In Your Heart », un gros r’n’b monté sur la basse. Dorothy se montre digne des géantes de Stax. On retrouve un peu plus loin le grand Dave Berry et « I’ve Got My Tears To Remind Me », avec l’énergie du Swinging London. Pure merveille d’antiquaire. Brenda Lee tape dans « My Baby Likes Western Guys » et elle y va au guttural. Elle s’arrache tout, mais on salue la beauté du geste. On retrouve la grandeur des Ronettes pour « He Did It » vieux hit sixties sha-la-la-té et extrêmement juteux. Gros choc émotionnel avec Marianne Faithfull qui reprend « With You In Mind » au gothique moyenâgeux. Elle en fait même un peu trop et se prend pour Guenièvre. Par contre, les Righteous Brothers ne rigolent pas. Dans leurs pattes, « Burn On Love » devient une monstruosité, ils chauffent la tambouille et multiplient les renvois de voix au loin. Avec Jackie, on retrouve l’équation magique Spector/Righteous. Encore une merveille oubliée : « Each Time » par les Searchers. Fantastique écho. Ces mecs de Liverpool auraient mérité d’exploser comme les Beatles. Et puis on tombe sur la perle de l’album : « The Greener Side » par Tammy Grines. Véritable énormité, elle chante à la ramasse du dévolu. Pur génie. Tammy Grines est terrifiante de classe. Encore un génie avalé par l’oubli : PJ Proby. Il tape dans « The Other Side Of Town ». Il grimpe très vite dans les violonades. PJ est le roi indétrônable des stentors. Puis on tombe sur « Till You Say You’ll Be Mine » chanté par Olivia Newton John qui bénéficie d’une prod à la Spector. Incroyable mais vrai. La fête se poursuit avec « I Shook The World » par Bob B Sox & The Blue Jeans, pur r’n’b de grande cuvée, vrai hit de juke, mais ça on le savait depuis longtemps. Delaney Bramlett chante « You Have No Choice » tout seul comme un pauvre malheureux et Rita Coolidge vient nous rappeler avec « I Wanted It All » qu’elle fut l’une des grandes chanteuses américaines. Même chose avec les Carpenters et « Boat To Sail », pure merveille pop qu’il faudra bien un jour redécouvrir. C’est l’avantage des compiles bien foutues (comme les sont quasiment toutes les compiles Ace) : on voyage à travers l’histoire du rock et on fait de belles rencontres. Alors on se dit : Oh il faudra que je revienne ici. Et là !

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             Vient de paraître All The Love - The Lost Atlantic Recordings, des morceaux pilotés par Jerry Wexler et qui ne figurent pas sur les deux albums Atlantic de Jackie, Jackie et Your Baby Is A Lady. Elle attaque avec « When I’m Gone », un fantastique balladif sensible. Ne prenez pas Jackie à la légère, c’est une femme fantastique. Elle sait tenir un mid-tempo avec intégrité. Elle a autant de classe que Dylan. Elle sait driver un hit. Encore un beau balladif avec « Drift Away ». Et elle passe à la country-motion avec « All The Love That’s In You ». Elle chante un peu comme Vanessa Paradis, elle est marrante. En fait, elle cherche le petit hit de la joie et de la bonne humeur. Elle nous sort là le joli groove des jours heureux, chanté à la petite voix sucrée et c’est orchestré de main de maître, on peut faire confiance à Tom Dowd et Arif Mardin, l’A-team de Jerry Wexler. On sent aussi une fantastique aisance sur ce joli folk-rock qu’est « Grand Canyon Blues ». Avec « If You Like My Music, », Jackie fait autorité - My music ! - Elle tient à préciser les choses sur un gros fond de nappes d’orgue. On tombe plus loin sur « Spare Me A Little Of You », un fantastique balladif pulsé à coups d’acou. Puis elle reprend le fameux « Don’t Think Twice It’s Alright » de Dylan. Courage ma fille ! Tiens bon la rampe ! Jackie est très forte. S’ensuivent quatre bonus pour le moins exceptionnels : un « Sweet Sixteen » de fantastique allure, un « Flamingos Fly » d’incommensurable ampleur, un « Santa Fe » qui sonne exactement comme un groove de rêve et « The Wonder Of You » qui va ta laisser seul, définitivement seul.

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             Après le re-parution des Lost Atlantic Recordings, voici celle des Complete Capitol Recordings, une sorte de nouveau passage obligé. On y retrouve tout ce qui fait la grandeur de cette artiste, à commencer par l’immense « Stone Cold Soul », une compo signée Mark James. C’est l’époque où Jackie enregistre à Memphis, chez Chips Moman et il faut entendre cette country Soul prodigieusement inspirée. Reggie Young joue des déluges sur sa guitare et Tommy Cogbill multiplie ses triplettes de Belleville sur le manche de sa basse. On a là une pure énormité et cette folle de Jackie s’accroche au Stone à coups de yeah-eh-eh. Allez, on va dire qu’on a là la meilleure pop de tous les temps. Chips laissait entendre que ces sessions avec Jackie comptaient parmi ses préférées. Magnifique version du « Child Of Mine » signé Goffin & King. Elle chante au timbre sucré, quasi-nubile, et passe sans crier gare au timbre fêlé. Elle regorge de feeling et Reggie Young fait des prodiges sur son acou. Elle tape ensuite dans un cut d’Emmit Rhodes, « Love Till You Die » et renoue avec le génie dans « Seven Years From Yesterday », un shoot d’heavy pop de Soul of American, joué sous un certain boisseau, à la Bobbie Gentry. Elle chante sa Soul avec la foi du pâté de foi et ça donne le Memphis swamp. En réalité, elle fait ce qu’elle veut, sa voix lui permet toutes les audaces. Elle tape plus loin dans George Harrison avec « Isn’t It A Pity ». Elle reprend sa voix nubile pour clamer isn’t it a pity/ Isn’t it a shame, elle atteint des profondeurs réellement dramatiques. Le plus stupéfiant de toute cette histoire, c’est que l’ensemble des cuts enregistrés chez Chips ne vont pas plaire à Capitol. Hop, à la fosse ! Ils rejettent ce «Sweet Inspiration» pourtant signé Dan Penn & Spooner Oldham. C’est pourtant du pur Deep South genius - I need a sweet inspiration - C’est du gospel batch de Memphis, il ne manque plus que les Edwin Hawkins Singers. C’est Johnny Christopher, l’un des songwriters d’American, qui signe « Johnny Joe From California ». C’est un hit, et pourtant il finit lui aussi à la fosse. Le monde à l’envers ! D’autant qu’elle le pousse à fond. Il faut bien dire que tout est extrêmement produit, ici, Chips ne rigole pas avec l’American mood. « Now That The Desert Is Blooming » et « Sleeping With Love » sont d’authentiques modèles productivistes. Reggie Young gratte à l’arrière et c’est embarqué au big heavy Memphis sound. « Gabriel’s Mother’s Highway » est un cut d’Arlo Guthrie, elle embarque ça aux chœurs de gospel et passe à Van Morrison avec « And It Stoned Me », nouveau shoot de Memphis Sound sur le compte du Van. Chips en fait une fois encore une merveille productiviste. Mais comme tout cela ne plait pas à Capitol, elle doit enregistrer l’album Songs à Hollywood et là, ce n’est plus du tout le même son. On a quelque chose de beaucoup plus commercial. Le « West Virginia Mine » déjà enregistré à Memphis retombe sur Songs comme un soufflé. Un violon y remplace le piano de Bobby Emmons, c’est chanté au bazar de l’Hôtel de ville. Atroce. « Bad Water » sonne comme du rock US m’as-tu-vu à la Dolly Parton et dans « Ease Your Pain », Capitol balance des chœurs de gospel d’Hollywood, autant dire du Walt Disney. Ça n’a pas d’âme, pas de chien, pas de rien. L’album a tous les défauts du coup foireux : prod sèche, pas de grain, l’anti-Chips. Merci Capitol ! 

    Signé : Cazengler, Jacky Dechochotte

    Jackie DeShannon. You Won’t Forget Me. The Complete Imperial/Liberty Singles. Vol. 1. Ace 2009

    Jackie DeShannon. Come And Get Me. The Complete Imperial/Liberty Singles. Vol. 2. Ace 2011

    Jackie DeShannon. Keep Me In Mind. The Complete Imperial/Liberty Singles. Vol. 3. Ace 2012

    Break-A-Way. The Songs Of Jackie DeShannon. 1961-1967. Ace Records 2008

    She Did It. The Songs Of Jackie DeShannon Volume 2. Ace Records 2014

    Jackie DeShannon. All The Love - The Lost Atlantic Recordings. Real Gone Music 2015

    Jackie DeShannon. Stone Cold Soul - The Complete Capitol Recordings. Real Gone Music 2018

    Jackie DeShannon. Nothing Can Stop Me. Liberty Records Rareties 1960-1962. Ace Records 2024

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    Lois Wilson : Lady of the canyon. Record Collector # 558 - June 2024

     

     

    Bye Bye (Liver)birds

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             Pas le book du siècle ni le girls-group du siècle, pas non plus la compile du siècle ni les covers du siècle, mais bon, l’un dans l’autre, tu passes un bon moment avec les Liverbirds de Liverpool. Les deux survivantes du groupe, Mary McGlory (bass) & Sylvia Saunders (beurre) ont croisé leurs souvenirs pour pondre - cot cot - une autobio : The Liverbirds. Our Life In Britain’s First Female Rock’n’Roll Band. L’idéal est de croiser ces souvenirs croisés avec l’écoute d’une solide compile Big Beat des Liverbirds parue en 2010, From Merseyside To Hamburg - The Complete Star-Club Recordings.

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             La grande force du book est qu’il te ramène à l’aube de l’âge d’or du rock anglais, lorsque tout se passait à Liverpool et au Star-Club de Hambourg. Comme l’éditeur a dû leur demander d’entrer dans les détails, elles ne t’épargnent rien du contexte socio-économique du working-class system de Liverpool : les familles, les jobs des parents, l’eau courante/pas l’eau courante, les zécoles, les zozos et les zinzins des zazimuts. Mary et Sylvia sont intarissables. Ce n’est pas que tu t’ennuies, mais bon, t’es là pour le Star-Club et la Cavern. Mary s’y rend avec ses cousines Veronica et Rita, et qui-qu’elles voient sur scène ? Les Beatles ! Et t’as John Lennon qui annonce au micro : «This is another song that we wrote ourselves.» Et là Mary nous explique : «As the band ripped into ‘Please Please Me’, the audience went into a frenzy.» Alors les filles décident qu’elles veulent faire ça : jouer du rock sur scène. Elles vont trouver les Remo Four qui sont eux aussi au pied de la scène et leur demandent où ils achètent leurs instruments.

             On est en 1963. Sylvia a 16 ans. Elle se pointe chez le marchand Rushworth & Dreaper’s. Elle dit au vendeur qu’elle veut une batterie - I’d like a kit of drums - Elle flashe sur un kit noir et blanc. Le vendeur l’observe et lui demande comme elle va payer. «I’ll pay weekly.» Il lui demande son âge. Sixteen. Le mec lui dit qu’elle ne peut pas. Soit daddy soit mummy. Il lui file le formulaire. Sylvia rentre chez elle et colle le formulaire sous le nez de sa mère : «Mother, sign that.» La mère répond : «What now, Syl?». Et Syl ne se déballonne pas : «Me and Val are gonna form a group. We’re going to play rock’n’roll.» Et la mère fait : «Oh, all right.» T’es à Liverpool, amigo, chez des gens éclairés.

             Val, c’est Valerie Gell, la guitariste qui a cassé sa pipe en bois en 2016. L’autre guitariste, la blonde Pamela Birch a aussi cassé sa pipe en bois en 2009. Des quatre, Val est la plus douée : elle peut jouer les cuts des Shadows et le «Peter Gunn» de Mancini. Le groupe devait s’appeler les Squaws, puis elles ont choisi les Liverbirds qui sont des oiseaux d’acier fixés sur un bâtiment du front de mer. La légende dit que si les Liverbirds s’envolaient un jour, Liverpool disparaîtrait.

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             En 1963, tous les kids de Liverpool veulent monter des groupes. Le succès des Beatles fait des ravages dans toutes les couches de la société, surtout chez les plus pauvres - Même si vous veniez d’un milieu pauvre, vous pouviez avoir un vie différente - Elles bossent tant et si bien qu’elle finissant par jouer six fois à la Cavern. Elles n’aiment pas Lennon qui est un provocateur : il affirme que les filles ne savent pas jouer de guitare. John Wiggins, le copain de Sylvia, a un jour collé Lennon au mur parce qu’il avait été trop insultant. T’apprends des tas de petites choses comme celle-ci. Le regard des filles sur les Beatles est extrêmement intéressant.

             Mary doit lâcher son boulet chez Hunters, une usine à viande froide. Elle n’a pas le courage d’aller annoncer sa démission, aussi envoie-t-elle son père. Son père revient et lui annonce qu’elle a fait une grosse connerie, parce que le boss a dit qu’elle avait un bel avenir dans la viande froide. Mary est sciée : «A big future in cold meats?».

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             En novembre 1963, elles jouent au Co-op Ballroom de Nuneaton avec des débutants, les Rolling Stones. Le Jag a 20 piges. Les gosses bombardent la scène de petits pains fourrés à la crème. Les Stones parviennent à éviter les missiles, sauf Charlie coincé derrière sa batterie. Mary dit qu’il finit le show couvert de crème. C’est moins pire que d’être couvert de glaviots, after all.  Et grâce aux Stones, les Liverbirds passent de la Beatlemania à un son plus raunchy - a grittier, bluesy direction - Elles vont vraiment commencer à taper dans Bo et dans Chucky Chuckah. Elles jouent aussi au Club a’Gogo de Newcastle, dont les stars locales sont les Animals, pareil, avec du gritty plein les pattes. En février 1964, elles jouent avec un «new band called the Kinks». C’est Ray qui leur dit que Sheila, la cousine de Mary, n’est pas bonne, et il leur présente Pam, «wearing a black cap, striped jacket and Chelsea boots.» Pam la blonde, qui flirte avec Ray Davies, et qui remplace Sheila. Les Loverbirds sont enfin au complet : Sylvia, Mary, Val & Pam. Elles peuvent partir à la conquête du Star-Club.

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    ( Assis à son bureau Manfred Weissleder)

             Elles partent à Hambourg au moment où Brian Epstein s’intéresse à elles. Trop tard. Elles sont déjà dans le bateau. Pareil, Larry Page qui s’occupe des Kinks leur fait aussi une offre qu’elles déclinent. C’est le boss du Star-Club, Manfred Weissleder, qui va s’occuper d’elles.

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             Et là, on entre dans l’un des endroits les plus mythiques de l’histoire du rock. Sylvia et Mary regorgent de détails fascinants sur le Star-Club. Elles nous apprennent que les barmaids sont les stars du Star-Club. Si elles t’ont à la bonne, ça va marcher. Dans le cas contraire, tu peux renter en Angleterre. Si elles aiment un groupe, elles allument les lampions au-dessus du bar. Le premier soir, les Liverbirds se retrouvent sur scène devant 2 000 personnes ! C’est énorme ! Alors, elles mettent le paquet - It was like something ignited and the audience went wild - Comme à Liverpool. Ça explose dans la salle. Elles démarrent avec «Road Runner». Mary et Pam courent sur scène en jouant - Pam looked like a big glamourous cavewoman.

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             Tu retrouves ce «Road Runner» sur la compile. La cover est tout simplement fabuleuse, le son est sec et Sylvia bat un beurre terrific.

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    (Klauss Woorman en 2018)

             Et le sexe dans tout ça ? Sylvia est la première à en parler : «Même si Mary et moi avions fait le vœu de rester vierges jusqu’au mariage, on a vite changé d’idée et je fus la première à craquer. En décembre 1964, j’étais au pieu avec Klaus Voorman, my first love.»

             En matière de girl-bands, les seules concurrentes sont Goldie & The Gingerbreads, des Américaines. Elles sont restées un mois au Star-Club, en attendant leurs visas pour l’Angleterre, où elles étaient invitées par les Stones et les Animals qui les avaient vues à New York dans une party chez Warhol pour la superstar fashion icon Baby Jane Holzer. Mary indique cependant que Goldie & The Gingerbreads avaient un son trop «bombastic power pop» pour le Star-Club qui en pinçait plus pour le rock’n’roll. Les Allemands préféraient les Liverbirds.

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             C’est Manfred qui les emmène en studio enregistrer leur premier album. Il a monté son label pour promouvoir les groupes qu’il programme sur scène. L’album des Liverbirds (Star-Club Show 4) est le quatrième, après les Searchers, les Rattles et Lee Curtis & The All-Stars. Elles démarrent avec un premier single, une cover du «Shop Around» de Smokey, qu’on retrouve bien sûr sur la compile Big Beat. Elles tapent là dans l’œil du cyclope et y ramènent toute l’énergie des Pirates - Oh yeah you’d better shop around/ Yeah - Leur deuxième single est un gros clin d’œil à Bo, «Diddley Daddy», qu’elles font bien rampant - Yeah Bo Diddley/ He’s a gun slinger/ He rides again - Tu retrouves tous les cuts de Star-Club Show 4 sur la compile, à commencer par ce «Talking About You» de fantastique allure, avec du Merseybeat clair et net et sans bavure, et un fabuleux solo de clairette. Fantastique cover de «You Can’t Judge A Book By Looking At The Cover» : niaque incroyable, bassmatic dynamique à l’anglaise, et Pam au let’s go yeah ! Leur «Johnny B Goode» est assez imbattable, énergie du diable et section rythmique stupéfiante.

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             Leur deuxième album, More Of The Liverbirds, est encore plus impressionnant, car elles tapent dans des hits superbes : «For Your Love» des Yardbirds (belle crise de craze), «Around & Around» (irréprochable), «Peanut Butter» de Chubby Checker, hey c’mon now !, «Oh No Not My Baby» de Goffin & King (cover gorgée de feeling), «Heatwave» (elles font bien Martha), «Long Tall Shorty» de Don Covay (wild sound, ça vaut largement les Milkshakes), «He’s About A Mover» de Doug Sahm (en plein dans l’œil du cyclope texan), et puis tu croises aussi sur la compile une cover de «Before You Accuse Me», où elles sonnent comme des Américaines, avec tout le chien de Liverpool - Before you accuse me/ Take a look at yourself - Et si tu adores Bo, alors tu vas te régaler de «Bo Diddley Is A Lover». ça vaut tout Lord Rochester. Yeah yeah Pam Birch !

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             Sylvia couche aussi avec Bob Garner, qui joue avec Tony Sheridan et qui ira ensuite rejoindre les Creation. Elle aime bien Bob, mais comme elle dit, ils sont, elle et lui, so busy touring it didn’t last. Les Liverbirds se mettent à tourner dans l’Europe entière et deviennent des big stars. Elles sont au hit-parade allemand avec «Diddley Daddy» et «Peanut Butter». Pam la blonde chante tout ça merveilleusement. C’est aussi elle, nous dit Sylvia, qui insiste pour taper une cover d’«Heatwave». C’est encore l’époque où on a le droit de conduire bourré sur la route, et Johnny Kidd, nous dit Sylvia, aimait boire un coup et prendre le volant. Bing ! Car crash sur la route.  Johnny Kidd était une star énorme au Star-Club.

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             Elles voient aussi Jimi Hendrix jouer au Star-Club trois soirs de duite. Elles sentent que le son change, «moving from beat pop to psychedelic sounds.» Le rideau se lève sur un Jimi qui claque le premier accord de «Foxy Lady». C’est aussi le big time pour les drugs. Mary en voit à gogo backstage, des amphètes qui ne coûtent rien ou presque, «known as the Preludin and Captagon» et qu’on va surnommer les «Prellies», que les Stones appelaient aussi «Mother’s Little Helper». Elles retrouvent d’ailleurs les Stones à Dortmund, elles sont au bar de l’hôtel et Brian Jones qui arrive demande à Pam si elle a de la coke. C’est la tournée Between The Buttons. Pour Mary, ce souvenir est important, car c’est la dernière fois qu’elle voit Brian Jones vivant.

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             Puis le groupe va entamer son déclin. Il ne reste plus que Pam et Mary dans les Liverbirds quand elles partent au Japon. Chris et Dixie ont remplacé Val et Sylvia. Le dernier concert des Liverbirds a lieu en août 1968. Sylvia se souvient que les Liverbirds sont arrivées à Hambourg en 1964. Elles ne devaient rester que six semaines et elles sont restées quatre ans, pendant lesquels elles ont enregistré deux albums et fréquenté Chucky Chuckah, Jimi Hendrix, Johnny Kidd, the Remo Four, the Big Six, testé les drogues et le sexe. Quatre ans de paradis. Le Star-Club qui avait ouvert ses portes en 1962 les fermera 14 mois après la fin des Liverbirds, au jour de l’an 1969, «the very last day of the sixties.» Comme Sam Phillips et d’autres géants avant lui, Manfred Weissleder «had lost interest».

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             Bon alors, après, les Liverbirds font des gosses, enfin, celles qui sont mariées. Puis elles se reforment et on les qualifie d’«original punks». Elles participent à la Big Beat Party, à Hambourg, avec Gerry & The Peacemakers, les Troggs, Dave Dee Dozy Beaky Mick & Titch, Ian & The Zodiacs, Lee Curtis, les Pirates sans Johnny Kidd et Screaming Lord Sutch. C’est la formation originale des Liverbirds qui déboule sur scène, Val, Pam, Sylvia et Mary, avec Barbara pour filer un coup de main sur les solos.

             Puis Pam qui a toujours fumé 40 Dunhills par jour chope un petit cancer et casse sa pipe en bois au moment où on lui enlève un poumon. Val va ensuite valdinguer dans les décors. It’s only rock’n’roll. 

    Signé : Cazengler, livide bird

    Mary McGlory & Sylvia Saunders. The Liverbirds. Our Life In Britain’s First Female Rock’n’Roll Band. Faber & Faber 2024

    The Liverbirds. From Merseyside To Hamburg - The Complete Star-Club Recordings. Big Beat 2010

     

     

    Inside the goldmine

     - Quelle Clark !

             Baby Click dansait tout le temps. Même quand il n’y avait pas de musique, elle papotait en se dandinant d’un pied sur l’autre et en hochant la tête sur un rythme qu’elle était la seule à entendre. Au début, ça t’épatait, tu enviais son feeling. Wouah Baby Click tu danses le jerk au Palladium ! De toute évidence, elle était restée ancrée dans les sixties. En plein trip Teenie Weenie Boppie ! Ses fringues, ses expressions, ses sourires, ses enthousiasmes, sa ligne, tout était sixties. Pas un poil de graisse. Une vraie jerkeuse. Un corps magnifique. Pour elle, la vie consistait à jerker. Jamais un mot sur son histoire sentimentale. Rien sur son parcours professionnel. Devenue retraitée, elle était restée incroyablement désirable. Quelques mecs lui tournaient encore autour, mais ça la faisait rire de bon cœur, et hop, elle se mettait à danser et à claquer des doigts. Elle adorait quasiment tout : la Soul, le funk, le garage quand il était dansant, la pop, bien sûr, on l’a aussi vue danser sur des trucs compliqués, mais elle avait cette facilité qui lui permettait d’adapter les mouvements de ses jambes et de ses hanches à toutes sortes de déboires rythmiques, et plus tu la voyais hocher la tête sur le beat, plus tu l’admirais. Admirer une femme, c’est une façon déguisée de la désirer. Mais tu savais bien au fond que ça n’irait pas plus loin. Pourtant, c’est toujours elle qui revenait à la charge, qui proposait des plans, des voyages et des soirées, elle restait à l’affût de tout ce qui pouvait être intéressant, elle multipliait des situations de proximité, les bises d’adieu dans les parkings étaient parfois tendancieuses, et elle accepta même un jour de venir boire un verre à la maison au retour d’un trip parisien, mais au moment de basculer dans l’irréparable, elle demanda à écouter des choses qu’elle aimait à la folie, «T’as pas Sam & Dave ?». Alors on sortait le stock de Stax et ça repartait pour une heure ou deux de jerk endiablé, elle tombait la veste et jerkait toute seule jusqu’à l’aube. Puis elle te remerciait pour cette excellente soirée, faisant bien sonner l’«excellente», et rentrait chez elle. Une heure plus tard, tu recevais un SMS te disant qu’elle était bien rentrée, qu’elle avait passé une excellente soirée et qu’elle avait hâte de récidiver. De toutes les allumeuses connues au bataillon, Baby Click était sans conteste la plus merveilleuse.

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             C’est une façon comme une autre de prendre ses Click et ses Clark. Autant Baby Click est brune, autant Chris Clark est blonde. Alors on prend ses Clark mais pas ses Click, et on file chez Motown. Quoi ? Une blonde chez Motown ? Ça par exemple ! Eh oui, Chris Clark s’est pointée un beau jour de 1963 dans le bureau de Berry Gordy et lui a chanté on the spot une tonitruante mouture d’«All I Could Do Was Cry» d’Etta James. Troublé, Gordy l’a gardée. Mais avant d’essayer d’en faire une star, il va lui demander de bosser deux ans à la réception.

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             Quelques singles sur VIP et boom premier album sur Motown en 1967, l’excellent Soul Sounds. Il faut la voir taper «Love’s Gone Bad», un hit signé HDH, elle est dans le bain jusqu’au cou, wild as Motown fuck ! Elle tape plus loin dans l’«If You Should Walk Away» de Frank Wilson, elle te le drive dans les règles, pas de problème. Elle finit ce brillant balda avec une cover de «Got To Get You Into My Life», elle pique sa crise de Beatlemania à la belle attaque, mais elle n’a pas le raunch de McCartney. En B, elle tape dans Smokey avec «From Head To Toe», elle a tout, les clap-hands et la classe qui va avec. Dernier smash de l’album, un «Until You Love Someone» signé HDH. C’est tout de suite happy comme pas deux - You can’t be happy/ Until you love someone - Ah elle y va, la White Negress, comme on la surnomme en Angleterre.

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             Son deuxième album s’appelle CC Rides Again et sort en 1969 sur le label rock de Deke Richards, un jeune producteur blanc signé par Berry Gordy. Au dos, elle est grimpée sur un éléphant, une idée de Deke Richards. C’est un album de covers, dont la plus spectaculaire est celle d’«You’ve Made Me So Very Happy», l’hit de Brenda Holloway. Chris Clark n’a pas la niaque de Brenda, mais elle attaque au mieux de sa voix blanche de blanche - You treated me so kind - C’est sans doute l’une des plus belles chansons d’amour de tous les temps, avec celles de Piaf et d’Esther Phillips - I’m so glad you/ Came into my life - Et elle tartine avec passion - Thank you babe - Elle explose de bonheur. C’est le sommet du genre. Elle fait aussi une petite cover de «Spinning Wheel», elle n’a pas la niaque de David Clayton Thomas, mais elle s’y frotte bien, avec son bon feeling de blanche noircie. Et puis voilà la chanson magique, co-signée par Deke Richards et l’arrangeur Van De Pitte : «How About You». Chris Clark épouse la magie pop - Baby I love you/ How about you - C’est quasiment du Burt. Elle se vautre lamentablement avec «With A Little Help From My Friends», elle en fait de la petite pop, dommage, mais elle fait du «One» de Nilsson un jerk de fantastique allure. Elle écrase bien son champignon. Elle se frotte à ses risques et périls à l’«In The Ghetto» et tape son «Get Back» dans le fond de la casserole.  

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             Le petit conseil qu’on pourrait donner aux fans de Chris Clark serait de rapatrier The Motown Collection : on y trouve les deux albums Motown pré-cités, et une montagne de cuts inédits. Encore une fois, on saute en l’air quand on découvre la qualité d’inédits comme «Ask My Girl». Quoi ? C’est un véritable coup de génie pop groové chez Motown et signé HDH. C’est incompréhensible qu’un tel smash soit resté dans un tiroir. Et attends, c’est le premier d’une série de 25. Le compileur en a rempli un CD entier. Encore un pur hit Motown avec «Everything’s Good About You». Du HDH encore avec «Take Me In Your Arms (Rock A Little While)» et voilà un hit signé Mickey Stevenson, «In The Neighbourhood». C’est une blondasse qui te claque le beignet de Motown. Ambiance «Something To Remember» (Ray Charles) avec «I Just Can’t Forget Him», et elle repart à l’assaut des charts avec «If You Let Me Baby», tout est bon, sur ce CD d’inédits, Chris Clark finit par sonner comme une black, elle chante parfois d’une voix fêlée et joue un peu avec le feu, elle n’est jamais très loin de la vérité. Et pouf, voilà qu’elle tape «Crying In The Chapel», elle se prélasse dans l’excellence de la chapelle. Plus loin, elle défonce encore la rondelle des annales avec un «He’s Good For Me» bombardé au bassmatic Motown. Chris Clark monte sur tous les coups. «Bad Seed» et «Something’s Wrong» t’envoient directement au tapis, elle y va au wild r’n’b d’I got to lose. Elle bascule à n’en plus finir dans le génie r’n’b. Tout est alarmant de véracité, ici. Elle excelle, cut après cut. Une vraie sinécure. C’est tout de même dingue que Chris Clark ne soit pas devenue superstar ! On s’en étonnera encore dans 10 000 ans. 

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    Signé : Cazengler, Chris Clown

    Chris Clark. Soul Sounds. Motown 1967

    Chris Clark. CC Rides Again. Weed 1969 

    Chris Clark. The Motown Collection. Motown 2005

     

     

     

     

    *

    La teuf-teuf roule dans la nuit. Mais elle possède deux phares lumineux pour se guider, alors que moi les neurones de mon esprit pataugent dans la plus profonde des pénombres. Tout cela par la faute de Béatrice la patronne et son incroyable affiche, d’où a-t-elle sorti ce groupe au nom impossible, cela demande quelques éclaircissements, jugez-en par vous-même :

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    BEE DEE KAY DRIVES THE U.F.O. ZZZ & GUEST

    3 B / Troyes / 02 – 11 - 2024

            Pas grand-monde, j’arrive de bonne heure, la salle se remplit doucement mais sûrement, la curiosité du public est en attente, à première vue, un groupe de rockabilly comme les autres, la contrebasse, la batterie, et la guitare en témoignent, avec en plus, goutte d’eau qui fait déborder le vase, ce saxophone argenté sur son perchoir. Les quatre musiciens apparaissent, pas de panique, l’on va tout savoir.

    PREMIER SET

             Paniquons, pour du rockabilly c’est rudement fort, mais tellement bon. Un mur d’airain infranchissable. La guitare de Benny, d’habitude c’est lui qui règle (à merveille) le son des groupes qui passent au 3 B, est implacable, sèche, dure, genre no prisonners, derrière lui la baratte qui n’en rate pas une ne vous laisse aucune chance, quant à la up-right elle n’est pas à l’unisson, elle ne joue pas, elle pousse au crime. Jusque-là tout serait parfait. Mais nous allons vite apprendre qu’il existe un stade supérieur à la perfection. L’axe du mal existe, c’est le sax. Ce n’est pas un sax, c’est un sabre d’abordage, l’est le premier à se jeter sur l’ennemi, avez-vous déjà entendu un sax mugir avec cette force, mille cerfs en rut qui brament, il rauque et il rocke au-dessus de la normale, de l’anormal, dix mille gouttières de zinc qui s’effondrent, ce n’est pas l’appel de la forêt, c‘est le scalpel du diable, une tonitruance gargantuesque, un tel déluge sonique surhumain ne serait-il pas dû au changement climatique, la Bible s’est trompée, ce n’est pas la trompette du jugement dernier, c’est le saxophone de la mort irrémédiable pour tout le monde. En tout cas l’on adore et ce quatuor fastueux aussi, puisqu’ils enchaînent derechef un autre instrumental.

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             Je l’ai remarquée dès que j’ai eu franchi le seuil, dans sa robe noire, chevelure rousse et visage impassible, elle m’a tout de suite rappelé la sombre silhouette de Moïra, la moire noire du Destin, sur la couverture d’un ancien livre de poche du roman éponyme de Julien Green, et là tout s’éclaire, en quelques mots Benny nous met au parfum pour ce premier set ils accompagneront, c’est ici que l’identité du guest est enfin révélée : Mary. Apparemment Mary n’a peur de rien, elle se pose tout tranquillou devant le micro en avant de nos quatre gladiateurs surphoniques comme s’ils étaient un orchestre à cordes de musique de chambre.

             Ne sont pas des mufles mais ils ne mettent pas de pantoufles à leurs instrus, un peu  moins de clinquanteries mais un son si épais que nul couteau ne saurait couper. Ambiances sixties, privilégiez le rumble au slow frotti-frotta langoureux. Vous pensez que Mary va poser sa voix sur ce magma de feu. Point du tout, elle impose son vocal avec une facilité déconcertante, sans forcer, sans peine, cette aisance incroyable tient à la densité de ses émotions et de la passion qu’elle porte aux titres qu’elle interprète, on la sent habitée d’une ferveur secrète mais palpable, elle ne chante pas, elle voue un culte à ce répertoire fondateur. Pas de simagrées, elle ne cherche pas à amadouer le public, c’est à prendre ou à laisser. Et le public du 3 B, qui s’y connaît un tantinet, n’en laisse pas une miette, chaque morceau est ponctué de longs applaudissements et de vifs vivats. Elle s’en ira comme elle est venue, avec une simplicité, une humilité de diva qui a accompli sa tâche, qui s’est acquittée d’une dette envers la musique qu’elle aime.

             Les cadors du quatuor reprennent les rênes pour deux ou trois morceaux. Je ne m’attarderai pas, nous revenons longuement sur eux pour le set suivant. Par contre je vous demanderai avec la plus grande insistance d’interdire à vos enfants la lecture du paragraphe suivant.

    DEUXIEME SET

             Benny est revenu le premier. Il s’empare de sa guitare et s’évertue de répéter inlassablement une même note, une manière, pensions-nous naïvement, de rappeler au turbin ses trois copains attardés derrière le rideau des coulisses. Ils arrivent sans se presser et s’affairent en toute quiétude autour de leurs instruments.

             Le grand avec sa verte argentée et son saxo c’est Grant Seeflay, pas du genre à siffler la fin se la partie au plus vite, le mec assis au fond avec sa veste noire et son col blanc n’a pas l’air méchant se prénomme tout de même Terric ( vous êtes prévenu), accoudé sur sa contrebasse il porte le surnom d’un amie de Fantômette : Fi-Cell, z’oui mais c’est peut-être la corde pour vous pendre, bon ça y est ils rejoignent Benny de Jongh qui répète inlassablement la même note, attention, de plus en plus stridente, et les trois autres vous pondent en douceur et profondeur une purée de poix phonique des plus inquiétantes, l’ambiance se tend, si l’on y réfléchit un tant soit peu c’est un tantinet étrange, l’on se croirait dans un château en Ecosse perdu sur ce promontoire brumeux, près du lock Ness, les notes effilées comme un poignard maltais de Benny ressemblent de plus en plus à ce glas terrifiant qui résonne dans Le Mystère de Cloomber de Conan Doyle, c’est alors que l’Innommable se produit, une voix, non un borborygme dégoûtant d’Oran Outang dérangé surgit de nulle part, une espèce de grondement issu du gosier d’un lion préhistorique,  à mes côtés Jerry, mais oui vous connaissez le saxophoniste des Monarchs que nous avons vus au 3 B il n’y a pas si longtemps, ses yeux comme les miens, se portent sur les musicos, z’ont tous la boucle close et à des kilomètres du micro, en tout cas le monstre invisible insiste, sans doute un chat monstrueux de quinze mètres de haut, devant la peur d’une de ses petites filles une maman décide de rapatrier toute sa nichée à l’autre bout du café, elle n’a pas tort, c’est un truc à rattraper une jaunisse, d’autant plus qu’il semble s’instaurer une course entre les musicos et cette voix hideuse d’outre-tombe, ils ont beau augmenter le son, la bête immonde les couvre de ses tonitruances vomitoires, pire elle se rapproche, maintenant elle est tout près, les yeux de l’assistance se fixent sur le bas du rideau des coulisses, ils remuent salement, la bête nuisible et gévaudanique sort, elle se porte à quatre pattes sur le devant de la scène, je le reconnais c’était le mec à mes côtés qui mirait la prestation de Mary, l’a enfoncé le micro dans sa bouche, l’émet des barrissements d’éléphant en colère, il se relève, retire le micro de ses amygdales, et sourit à la foule. Ouf nous l’avons échappé belle. C’est donc lui Bee Dee Kay.

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             Intro fabuleuse, Jerry qui a vu des centaines de concert me confie à l’oreille, qu’il n’a jamais vu une telle entrée en matière. Digne d’Hasil Adkins, de  Screamin’ Jay Hawkins, de Lord Sutch, de tous les embrochés de la cafetière du rock’n’roll. Maintenant que le prologue est terminé si vous croyez que vous allez redescendre vers le rockabilly carré et sans bavure comme le buffet que votre grand-mère astique toutes les semaines, vous êtes dans l’erreur. Ce n’est plus du rockabilly, ce n’est pas du rock’n’roll, c’est la folie du rockabilly et la fureur du rock’n’roll. De l’after-rockak, de l’after-rock, nos quatre mousquetaires instrumentaux ne jouent pas, et Bee Dee Kay ne chante pas. Ils miment. Ne criez pas parodie, contentez-vous du paradis. Ils connaissent tous les plans à merveille, ils vous édifient des palais sonores hallucinatoires,  Dee Bee s’amuse, vous a des poses pharamineuses, une seconde il est John Kay et à la suivante David Bowie, le mâle et l’androgyne, la brute et le truand, il n’est pas le bon parce qu’il le meilleur, le voici Elvis et Gene Vincent, ce coup-ci il se vautre sur le comptoir tel un Lux Interior, chacun y aura reconnu ses propres figures tutélaires du rock’n’roll, vous vous croyez en plein délire, et plaf un geste, et tout s’écroule, Terric d’un seul break envoie en éclats the wall of sound, Fi-Cell s’introduit dans la brèche tel un bulldozer, le saxo de Grand Seeflay tousse comme un tuberculeux, la guitare de Benny se transforme en lance-flammes pour réduire en cendres les derniers déchets, l’on est au cœur de catastrophe, à un millimètre de l’anéantissement, et hop ça repart comme en quarante, comme si de rien n’était, quelle maîtrise, quelle virtuosité. Ah le sourire d’enfant de Bee Dee ! ce grand gaillard aux tempes argentées, il batifole, il s’amuse comme un gosse qui casse son train électrique pour le transformer en soucoupe volante U.F.O. ZZZ, nous transporte sur une autre planète, celle du rock’n’roll, la vraie, la délirante, la fracassante, l’upercutante, celle de l’éternelle jeunesse du débordement vital.

    TROISIEME SET

             Malgré l’heure tardive, nous aurons droit à un troisième set. Pas très long, le temps de revoir Mary nous offrant deux magistrale versions de Jezebel, et Funnel of love, le group prend son envol mais au troisième morceau Béatrice la patronne nous rappelle que sur la planète terre toutes les choses ont une fin. Hélas, les meilleures aussi.

             Lot de consolation j’ai récupéré leur unique 45 tours, nous reparlerons de Bee Dee Kay Drives the U.F.O. ZZZ dès la semaine prochaine !

    Damie Chad.

     

     

    *

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             Depuis combien de temps suivons-nous Ashen ? Depuis toujours. Je ne vous donnerai pas de date, pour une fois vous serez privés de récapitulatifs. Il y a des groupes qui touchent à l’intemporel. Non pas parce qu’ils se prévalent d’obscurs mythes originels ou qu’ils s’en aillent cogner dans les obscures contrées du futur morturial dans le but inavoué que l’on puisse prendre connaissance de l’écho morcelé de leur choc intrusif dans l’inconnaissable, simplement parce qu’ils s’inscrivent dans le présent de la présence du monde dans lequel ils vivent, ou pour être plus exact, dans lequel ils tentent de survivre.

    SACRIFICE

    ASHEN (feat. ten56)

    (Out Of Line Music / Official Visualizer / Juin 2024)

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    Pour une fois nous n’avons pas droit à une de ces vidéos mystérieusement attirantes et déchirantes auxquelles le groupe nous a habitués. Pour autant l’on ne nous a pas jeté un os sans viande en pâture, nous offrent un riche faisceau de symboles qui nous inclinent à de clivantes rêveries.

    Un rouge que d’instinct l’on n’aime pas. Rouge cœur de taureau immolé en hécatombe sur l’autel propitiatoire. Les Dieux ont-ils accepté le sacrifice ? Sur ce fond voici un œuf. Un rouge éclatant. Triomphal. Ne serait-ce ces nervures cramoisies dont il est parcouru on reconnaîtrait en lui l’œuf d’Eros originel de la plus vielle mythologie grecque. Les lyrics qui apparaissent nous interdisent cette appropriation. C’est un œuf, certes, mais plein de son trop-plein, prêt à éclater. Ici il n’est point question d’ovule générationnelle, c’est œuf est une tête. Trop pleine, trop peine, prête à exploser. Cet œuf n’est pas neuf, il est mûr, il est arrivé à maturité, à son immaturité. C’est l’œuf de la folie, souvent il reste en nous stérile, il ne donne naissance à aucune créature, on l’oublie, on ignore qu’il repose dans le lit douillet de notre cervelle, dans laquelle éclosent nos pensées les plus sublimes. Il tourne sur lui-même dans son coquetier de bois, comme s’il était fier de lui, il nous dévoile toute son ovoïdité, comme si nous n’avions d’autres tâches à effectuer, si ce n’est de l’admirer.

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    Sans préavis, un deuxième symbole. La forme d’un avion furtif, une flèche d’indien, à moins que ce ne soit le trait empoisonné de Zénon d’Elée qui ne parvient jamais à sa cible, presque rassurant puisqu’il n’atteindra jamais la mort dont il ne nous transpercera pas, mais alors quelle est sa cible, à ce poignard effilé, à cette épée d’obsidienne, à ce sabre de samouraï destiné à porter le fatal coup du seppuku létal, lui aussi tourne sur lui-même, tel un missile qui cherche sa proie et s’obstine à calculer l’angle de la plus forte nuisance.

    Un troisième objet, à croire que l’on scrute les vitrines d’un musée. Celui-ci possède un piédestal de marbre sur lequel est ancré un avant-bras couronné d’une main, paume ouverte, levée vers le ciel, arborant à son poignet un collier de perles de bois. Entre ses doigts elle tient un objet, elle tourne sur elle-même, il est difficile de se le représenter, serait-ce dans le cercle de fer forgé la silhouette d’un cheval, qui porterait un cavalier, de petite taille, serait-ce Alexandre le Conquérant sur Bucéphale, non plutôt le cheval noir de l’attelage platonicien de notre intelligence,  la monture rétive qui refuse de marcher droit, qui cherche à nous faire dérailler, certes nous ne sommes pas un train, mais notre esprit est censé suivre les rails du logos … même si parfois en toute inconscience nous piquons droit vers la folie.

    Voilà, nous n’en verrons pas davantage. Nos trois symboles reviennent. Ne sont pas des marionnettes qui font trois petits tours et s’en vont, tournoient lentement d’une manière prémonitoirement menaçante, est-ce que le cheval d’orgueil  que nous avons aperçu une première fois fut une illusion d’optique, car maintenant nous reconnaissons entre les doigts un des cinq sigils affichés tout en haut de l’écran, seraient-ils appropriés aux cinq membres du groupe…

    Damie, si tu nous parlais un peu du son et de la song, c’est tout de même un peu important en musique, écoutez l’on raconte que lorsque Attila est sorti du ventre maternel, dans son poing fermé il tenait un caillot de sang, eh bien les gars ce morceau ressemble à ce caillot de sang que le fléau de Dieu avait arraché en passant aux entrailles de sa mère, il palpite, l’on sent que rien ne pourra arrêter son rythme insatiable, une barbaque qui refuse de s’éteindre, à cette différence près, ce n’est pas de la viande qui bat mais de la folie, de la folie pure.  

    Admirez la prouesse vocale de Clem, il ne chante pas, s’échappe de lui un gargouillement hideux de souffrance mentale, vous y croyez, vous le voyez recroquevillé sur lui-même, refermé en ses pensées délirantes comme une huitre schizophrène qui tenterait à tout prix de s’enfuir de sa coquille, il veut tout et n’importe quoi, le royaume souverain de sa solitude et le désir de s’exiler de lui-même auprès des autres qui le rejettent, à moins que ce ne soit lui qui  les expulse hors de sa misérable sphère d’appropriation du monde dont il refuse la présence. Quant à la musique vous ne l’entendez même pas, comment Ashen est-il parvenu à établir cette osmose visqueuse indissoluble entre vocal et instrumentation, à tel point que la musique chante et que la voix joue.  Salmigondis indiscernable, hachis indubitable, purée inépuisable, mais dès que ce bruit gloutouneux entre dans vos oreilles, il se transforme en nectar ouïtisque, il se produit une alchimie auditive qui métamorphose les stridences de la folie, les vacarmes expectorés par une âme malade, les ramonages hallucinatoires, en le chant des sirènes dont seuls de rares héros  homériques eurent  jouissance…

    Ne croyez pas vous en tirer à si bon compte, ce mal-être exprimé par Ashen ne vous concerne peut-être pas, mais il vous donne un aperçu de ce qui se passe dans la tête de la génération actuelle qui entre dans l’âge adulte. Le monde qui les attend est kaotique. Ils en ont la prescience, ils en expriment la dureté imminente, trop courageux pour refuser le suicide, il ne leur reste que cette notion d’auto-sacrifice qu’ils acceptent car ils ne veulent pas endosser le rôle de victimes sacrifiées. Le monde est fou, mais le seul refuge qui leur soit encore accessible, le dernier rempart dérélictoire qu’ils peuvent lui opposer s’avère être leur propre folie.

    Très fort.

    Damie Chad.

    *

    Encore un groupe que nous suivons depuis longtemps. En octobre 2022 nous avions regardé leur vidéo Unforgotten, en février 2023 ce fut le tour d’Eternal suivi d’Another Day au mois de septembre, voici le tour de :

     ACROSS THE DIVIDE

    AWAY

    (Avalone Studio / Août 2024)

    Rendons à César les lauriers qui lui reviennent. Alexandre Lhéritier est le responsable d’Avalone Studio, il s’est chargé de l’enregistrement du morceau.

    Pour les images il nous est spécifié : IA generated vidéo. Sans plus. Il serait intéressant de savoir quelle part de liberté l’Intelligence Humaine aura laissée à l’Intelligence Artificielle. A moins qu’il ne faille inverser les termes de la question.

    Le résultat est là : de belles images. Elles n’illustrent pas vraiment les paroles du morceau. Elles lui apportent même un plus que je qualifierai d’interprétation écologique du texte. A croire que le poids des mots est moins fort que le choc des images.

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    L’Intelligence Artificielle ne crée pas, elle produit. Entre nous, parmi les écrivains : peu créent et beaucoup produisent. Nous retrouvons le même pourcentage différentiel chez les peintres. Les premières soixante secondes sont splendides, vous ne savez pas où vous trouvez exactement, sont-ce des illustrations anglaises d’un livre d’enfants, sont-ce des images inspirées par les photos de la forêt de Mortefontaine chère à Gérard de Nerval, ou par des scènes du Seigneur des Anneaux, en tout cas notre Intelligence Artificielle connaît les bois de Watteau et toute la période romantique de la peinture occidentale… Nous aurions aimé qu’elle nous donne un aperçu de la manière dont nos descendants représenteront les arbres en l’an, barrez au choix la partie du mot qui ne vous convient pas, de dis/grâce 2524… Toutefois aurions-nous su entrevoir le futur en cette curiosité éloignée. Tout comme l’IA, nous procédons mais nous ne précédons pas.

    Que nous conte la chanson ?  Une histoire banale. Celle de tout le monde. Du gars qui aimerait être ailleurs. Non pas aux Amériques, de lui-même, de sa vie étriquée, de son impuissance à être ce qu’il voudrait être, libre et supérieur, non pas aux autres mais à lui-même. Beaucoup d’espoir, beaucoup de rêve, mais encore davantage de doute et de peur… il aimerait que quelqu’un le rejoigne mais il ne possède rien… A la vue des images en nous armant de cynisme nous demanderions s’il vit dans les bois…

    Des colères, des remontrances, des encouragements, les voix se succèdent, se répondent, s’entraident, se poussent en avant en un très bel oratorio. Symphonie vocale qui se marie magnifiquement au vert sombre des houppes, aux éclairs de feu orangé, aux instants impulsifs de notre vie ne sommes-nous pas des incendies dévastateurs sous les frondaisons de nos chairs intérieures. Tout homme n’est-il pas une forêt première qui brûle ?

    J’aurais aimé écrire le contraire, parce que la maudite technique bla-bla-bla, parce que la singulière grandeur de l’Homme bla-bla-bla, parce que bla-bla-bla, je vous donne trois heures et je ramasse les copies, mais non je dois le reconnaître, ici les images artificielles, les paroles et les musiques humaines se confortent mutuellement, elles s’allument de reflets réciproques, elles se chargent de mystères et s’interpénètrent de telles manières que seules et séparées elle perdraient de leur force persuasive et de leur aura magique.

    Across the divide nous surprend toujours.

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    Damie Chad.

     

    *

             Les choses ne sont jamais difficiles. Certaines d’entre elles s’avèrent subtiles. Nous pénètrerons donc en notre sujet par l’évocation d’un groupe de rock. Blondie ! Les trognes des lecteurs s’illuminent. Ah ! Deborah ! Désolé, mais je voulais parler de Chris Stein. Vous préférez Debbie, je comprends, toutefois Chris est un mec intéressant. Tiens saviez-vous que Chris possédait un tableau de Spare ? Non, vous voudriez des détails, alors plongez-vous dans :

    ŒUVRES

    AUSTIN OSMAN SPARE

    (Tome III)

    Editions Anima / Octobre 2024

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    Nous avions déjà  krotntniqué les tomes I et II, parus en 2017 et 2021, ce troisième opus, cornaqué par VINCENT CAPES, s’annonce fastueux par le grand nombre de reproductions de dessins et de peintures d’OSMAN SPARE, un régal pour les yeux et l’esprit. Nous évoquerons tour à tour mais en un ordre qui ne suivra pas celui du volume les traductions de textes de SPARE établies par PHILIPPE PISSIER, ainsi que l’ensemble des diverses contributions éclairantes qui permettent quelque peu d’entrevoir la portée opérative de l’œuvre de celui qui reste, avec Aleister Crowley, un des plus grands représentants de la Magie du vingtième siècle.

    Si vous n’éprouvez aucune accointance particulière avec la Magie, je vous conseille de débuter votre lecture par l’avant-dernier texte du volume.

    LES ANGES FOSSILES

    ALAN MOORE

             Les amateurs de bande dessinée et de Death Metal ont reconnu le célèbre auteur de From Hell. Né en 1953, Alan Moore n’en n’est pas moins relié à la personne d’Alexandre le Grand. Le lien qui les unit n’est pas tant l’admiration que notre dessinateur  porterait au Conquérant, la légende raconte que Philippe II de Macédoine ne serait pas son père, il serait né de l’étreinte de sa mère Olympias avec un de ses pythons – était-ce une énième métamorphose de Zeus - qui partageaient sa couche… Or Alan Moore s’est revendiqué adepte de Glykon, serpent mythique d’origine macédonienne adoré au deuxième siècle de notre ère par les romains. Voilà de quoi faire lever les yeux au ciel à bien des lecteurs qui auront vite fait de juger l’auteur de cet article, rédigé en 2002, comme un huluberlu, ne nous étonnons pas s’ils s’apprêtent à aborder le texte avec réticence.

             Ils seront surpris. Agréablement. Moore manie la verve avec autant de dextérité que le crayon. Il est aussi écrivain. Les pages qu’il consacre à la description des milieux occultes vous feront rire aux éclats. Le marteau d’Héphaïstos n’a aucun secret pour lui. L’a l’humour qui tue. Se refuse à prendre aux sérieux les agissements des occultistes modernes, les anges fossiles ce sont eux. Ne leur concède rien. Selon lui des magiciens de pacotille, engoncés dans l’imitation naphtalinatoire, s’avèrent totalement inopératifs.

             Après une telle charge, quel avenir pour la Magie. Moore ne se dérobe pas. La Magie ne saurait être ni une psychologie, ni une science. Ni autre chose. Sa seule chance de survie réside en un renouvellement de ses pratiques. Foin des rituels, remisez déguisements et tenues  au vestiaire, un peu d’inventivités et de création, chers mages ! La Magie doit être considérée comme un art majeur, musique, peinture, et celui le mieux approprié : la littérature. L’artiste n’est-il pas par essence celui qui suscite le désir… Vingt pages grand-format, d’une plénitude exceptionnelle.

    TABLEAUX D’UNE EXPOSITION

    DAVID TIBET

    (2002)

             Musicien, poëte, féru d’occultisme, David Tibet fut inspiré entre autres  aussi bien par Blue Öyster Cult, sans doute un indice qui explique pourquoi son groupe Current 93 fut un des pionniers de la musique industrielle que par The Incridible String Band d’où sa dérive, ce mot ici dépourvu d’intention péjorative, néo-folk.

             Ce texte est très court. David Tibet visite une exposition de tableaux de Spare. Sa préférence va au tableau représentant un petit garçon beau comme Apollon. J’ai l’habitude d’avertir les lecteurs de ce blogue, méfiez-vous d’Apollon. Non prévenu David Tibet tombe dans le piège. La couleur des yeux du petit garçon change à chacun de ses regards. Il faut donc aussi se méfier des peintures d’Austin Spare. Jusqu’à la mort.

    MIROIRS VIRTUELS EN TEMPS SOLIDE

    GENESIS BREYER P-ORRIDGE

    (1995)

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    Si Spare (1886-1956) peignit et écrivit, s’il fut un artiste pour reprendre le terme d’Alan Moore, il n’en fut pas moins un Mage. Dans cet article, P-Orridge analyse plusieurs œuvres de Spare, il ne se livre pas dans ses commentaires à une critique artistique, il n’examine les dessins qu’en dévoilant les desseins de leurs exécutions. En quoi ces œuvres sont-elles, au-delà de leur réussite graphique, des pratiques magiques ?  Spare ne cherche pas à agir sur les autres, ni pour les séduire, les influencer, s’attirer leur faveur, ou les maudire. La seule personne qui l’intéresse, c’est lui-même. Ses autoportraits en témoignent. Ce n’est pas qu’il veuille par stupide vanité se présenter sous ses plus beaux aspects. Soit il recherche les moments qui, notamment par la pratique de la magie sexuelle, lui ont permis d’atteindre des étapes de maîtrise fondamentale, soit il tente de parfaire par son dessin cette maîtrise magique en travaillant sur lui-même, en parvenant à atteindre des états de conscience de pleine puissance qui lui permette de s’affranchir de son incarnation historiale, pour pénétrer dans la dimension suivante. Certains collectionneurs ont éprouvé le besoin impératif de se débarrasser de dessins de Spare, car ils avaient l’impression d’une présence inquiétante dans ces feuilles de papier… Autosuggestion ?  Pensez à Honoré de Balzac, à Oscar Wilde, à Edgar Poe…  Puisque l’on parle de Maître Corbeau, pensons à cet opuscule de Ghemma Quiroga Galdo dans lequel elle tente de démontrer que l’auteur a tenté de rester en vie, de ne pas mourir, en inoculant son esprit, un peu comme l’on fait une transfusion sanguine, dans l’encre de ses livres…

    Tout cela est bien beau, oui mais après ? P-Orridge sort le grand jeu. N’oublions pas qu’il fut l’initiateur de Throbbing Christle, c’est un rockeur, et il le prouve. Nous voici dans une méditation métaphysique de haute intensité. L’on change de niveau. A partir de Jean Cocteau l’on effectue la traversée du miroir. Bien sûr d’un certain côté les tableaux sont comme des miroirs, le rôle est inversé, ce sont eux qui nous regardent. Oui, mais qu’y a-t-il dans un miroir. Non, ce n’est pas vous, le miroir ne reflète que l’espace. Celui qui lui fait face, celui qui est en lui, le miroir permet de faire la jonction entre l’intérieur et l’extérieur. C’est ce que l’on appelle la traversée des miroirs. Evidemment tout va de travers, nous avons oublié le troisième comparse, l’élément primordial. Non pas l’éther, le temps. Le temps ne serait-il pas, non pas une espèce unissive d’espace-temporel, mais une fragmentation d’atomes de temps qui dispersés tous azimuts ont pour fonction de structurer l’espace. Sans temps vous n’avez plus d’espace. Vous n’avez que du vide. Vous n’avez plus rien. Vous pouvez même vous amuser à affirmer que vous avez tout, que vous avez le plein, puisque vous accédez à la surface non-réfléchissante du miroir. Celui-ci est alors envisagé non selon sa fonction mais selon sa chosité. ( Je renvoie le lecteur intéressé à la lecture de Qu’est-ce qu’une chose de Martin Heidegger ). Si tant est qu’il existe encore un miroir. Le temps est la chose la plus concrète de toutes les choses qui existent et dans le monde intérieur (les idées nouméniques) et le monde extérieur (la matière phénoménale). Le temps ne passe pas. C’est lui qui permet le passage. Vu sous cet angle, vous avez là la possibilité de passer par la mort d’une incarnation à un état autre.

    AVENTURE DANS LES LIMBES

    1944 – 45

    AUSTIN OSMAN SPARE

            Une série de dessins de Spare que le lecteur aura intérêt à regarder longuement parallèlement aux tableaux commentés par P-Oridge. Pour notre part nous nous contenterons de réflexions générales quant à l’art de Spare. L’on évoque souvent Aubrey Beardsley lorsque l’on s’interroge sur Osman Spare. Beardsley le mignon, Spare le cru. Ce genre de synthétisation abrupte, je préfère d’autres parallèles. Par exemple ce qui rassemble et sépare Gustav Klimt d’Egon Schiele. Il ne s’agit pas d’opposer les tenants de l’Art pour l’Art aux partisans propédeutiques de l’Expressionisme. Simplement le constat que ces frères siamois artistiques diffèrent avant tout par la maniérisation érotique de la femme dont ces familles d’esprit usent. Et abusent, je rajoute ce verbe pour que les ligues féministes ne m’intentent pas un procès.

    SATYROS DUX

    1945

    AUSTIN OSMAN SPARE

             Une deuxième série de dessins de Spare. A peine-écrivez-vous le mot femme que les satyres se radinent. Et cette fois-ci pas n’importe lequel, le chef. Il faut le dire : c’est plus fort que Picasso. Nous ne nous focalisons pas sur le trait, tous les personnages mythologiques du Catalan, ne sont que des ornements. Sont dans les tableaux pour faire antique. Au même titre qu’un tronçon de colonne. Chez Spare, les personnages ne se donnent pas systématiquement la peine de se mettre nu. Sont généralement habillés. Ces vingt dessins sont à lire comme une bande dessinée. A chacun d’imaginer son scénario. L’essentiel ne réside pas là. Ce serait oublier el Pintor. C’est lui donne corps et sens à chaque vignette. Nous ne nous risquerons pas à une lecture personnelle. D’autant plus qu’en toute fin du volume, quelqu’un d’autre s’en charge.

    VISIONS DE DIONYSOS

    2011

    JOHN ZORN

             Le lecteur se rendra sur YT écouter The Satyr’s Play (Visions of Dionysus) Ode I, II, III, IV, V, VI, VII, VIII, IX, X composé en hommage à Austin Osman Spare. L’ensemble dépourvu de paroles ne m’a guère convaincu… John Zorn est un musicien d’avant-garde qui a beaucoup produit s’inspirant de toutes sortes de musiques populaires américaines du jazz au classique.

             Le texte est une espèce de poème-rituel divisé en huit séquences, vous le préfèrerez au disque, un peu disert, un peu répétitif, sans surprise… Des sonorités que je me permettrai de qualifier d’agrestes, en rien novatrices. Texte d’une autre texture, requérant plusieurs niveaux de lectures. Aussi bien sur la numérologie sacrée que diverses et rapides évocations, philosophiques, ésotériques, sophistiques… En quelque sorte il peut se lire comme une réponse aux volontés de dépoussiérages de l’occultisme traditionnel souhaité par Alan Moore.

    RITUEL DE LA VENUE DU JOUR

    AUSTIN OSMAN SPARE

             Avant tout l’on y sent l’influence évidente de Crowley, mais cette page ressemble à des notes écrites pour soi-même. Ce rituel malgré son imagerie égyptienne apparaît surtout non pas comme une invocation héliaque mais une adresse au soleil intérieur que chacun porte en soi.

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    DEDICACé A CELUI QUI VEUT

    ET A CELUI QUI DEMANDE

    (1951)

    AUSTIN OSMAN SPARE

             Encore un texte rédigé pour soi-même et en même temps un avertissement au disciple. Spare ne fait pas l’aumône au disciple éventuel. Il   abhorre cette race de clones. Peut-être est-ce pour cela que l’on relève quelques accents nietzschéens dans le dernier paragraphe. Zarathoustra en pleine forme.

    LE SABBAT DES SORCIERES

    (1951)

    AUSTIN OSMAN SPARE

             D’abord un texte de réflexion sur la nature du Sabbat. Rien à voir avec la Nuit de Walpurgis de Goethe. Le mot sabbat désigne l’acte sexuel pratiqué en tant que pratique magique. Ce à quoi elle permet d’atteindre. A lire les pages restantes l’on a l’impression que l’on se trouve devant des notes préparées pour un cours, Spare en professeur consciencieux qui réunit toutes les pièces afférentes au sujet afin de palier  toute demande hypothétique d’un étudiant ou d’une étudiante. L’on ne peut s’empêcher de penser qu’il ne croit pas vraiment en l’efficacité de son cours théorique. Il est nécessaire de s’affronter à la pratique.

    DU MENTAL  AU MENTAL

    ET COMMENT PAR UN SORCIER

    (1951)

    AUSTIN OSMAN SPARE

             Soyons héraclitéen : l’on ne se baigne jamais deux fois dans le fleuve de la pensée pour la simple raison que le fleuve de la pensée est partout, que l’on y est plongé en plein dedans, en plus il ne possède aucune rive… Pour une fois Spare se montre pédagogue. Il passe carrément aux applications techniques :  il vous démontre comment en deux ans vous pouvez devenir un as de la divination. Le courant de pensée de vos voisins se mêle à vos pensées. Un peu d’entraînement et un jeu de cinquante-deux cartes suffisent à répondre à toutes les questions d’un consultant inquiet pour son avenir. Cela n’a rien de magique au sens trivial du terme. Il suffit de le savoir et d’être conscient de ces confluences qui s’interpénètrent. Spare vous répète que c’est relativement facile… Les détails et les exemples qu’il fournit ne sont pas particulièrement stupides, mais vous quittez ces cinq pages en vous disant qu’il se contente de refiler le minimum, quelques encouragements, et puis vous êtes assez grand pour vous débrouiller par vous-même. Répétons-le, Spare n’est pas Crowley, il n’essaie pas de vous enseigner, de vous transformer, il respecte votre liberté. Le sorcier n’est pas un maître. Son but n’est pas d’instaurer envers vous un lien de domination ou de sujétion.

    AXIOMATA ou MICROLOGUS

    (1951)

    AUSTIN OSMAN SPARE

             D’abord remercions Philippe Pissier pour la clarté de  la traduction de ce texte fondamental. Mini-logos : mon œil (d’Horus – et même d’horreur tant vous êtes saisi par la force de ce texte), maximus logos je vous l’assure. Je ne sais pas si le grand Friedrich accepterait que ces sept pages de fragments numérotés soient ajoutées en appendice à une édition du Gai Savoir mais elles n’amoindriraient  en rien la pensée du solitaire d’Engadine. Tout y est : Dieu, l’Homme et même le Surhomme. Un exposé, un concentré de gaya scienzia explosif. A lire ce texte crucial – pensez à l’idée  qui fut clouée sur la croix – la continuité entre la pensée magique et la pensée philosophique devient une évidence. Un phénomène de trans-capillarité de deux traditions d’appréhension de l’être et de la chose, de l’être de la chose et de la chose de l’être. D’où l’importance du Mot qui transporte et l’Idée et la Chose. Ce texte est un miroir qui permet la traversée de la transparence de deux modes de pensée que l’on présente communément comme antagonistes et irréconciliables. Logos Pontifex !

    GALERIE

    (Dessins, Croquis, Aquarelles, Peintures)

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             Si les mots vous restent incompréhensiblement mystérieux regardez les dessins. Ce n’est pas un hasard si cette partie essentielle du volume est placée juste après le Micrologus. S’il est évident que chez Spare l’écriture cherche à éclaircir sa propre pensée et non à dispenser un enseignement, quel rôle a-t-il dévolu à l’exercice pictural, était-ce pour lui, vis-à-vis d’un public indélicat ou non auto-préparé, une manière d’obscurcir le but de ses entreprises, tant intimes qu’extimes, en leur offrant le trompe-l’œil ou le paravent de l’apparence première de ses opérations relatives aux choses magiques. Galerie présente plus de cent pages de dessins et de peintures effectués entre 1904 et 1956. S’il fallait résumer le travail magique de la peinture de Spare en deux mots, ce serait : nudité et portrait. Dans les deux cas, que ce soient les corps ou les têtes, il s’agit d’établir une projectivité pénétrative dans la chair ou l’esprit, de l’autre ou de soi-même, afin non pas de se les approprier mais en opérant un agrandissement de soi-même. Les dessins sont alors à considérer comme les écorces mortes de ce qui a eu lieu et pour les esprits avertis autant d’indices qui servent à concevoir et à comprendre.

             C’est fini… Non, ne faites pas les glavioteux, les treize pages de l’index des noms propres, elles ne sont pas fourrées en fin de volume, fourmillent de renseignements, si vous n’y apprenez rien, c’est que vous ne l’avez pas lu.

             Ce tome III est une petite merveille, vu la taille du mastodonte l’adjectif grande serait mieux approprié, quand on pense à Audrey Muller qui s’est chargée de la relecture, on la plaint, mais je crois que grâce à la présence de son chat roux (comme Osman Spare) à ses côtés on se dit qu’elle a bénéficié d’une véritable aide de sorcière.

             Ce livre n’est pas un livre de plus sur Spare, c’est un objet de première nécessité  pour apprendre à méditer, à réfléchir, à concevoir. Indispensable à ceux qui désirent être eux-mêmes. Et surtout plus qu’eux-mêmes.

    Damie Chad.