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brian jones

  • CHRONIQUES DE POURPRE 600: KR'TNT 600 : SUBWAY COWBOYS / BRIAN JONES / TODD RUNDGREN / SYDNEY JOE QUALLS / GENE CLARK / MARLOW RIDER / RED EYED CULT / GERALD WITTOCK / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 600

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    11 / 05 / 2023

      

    SUBWAY COWBOYS / BRIAN JONES

    TODD RUNDGREN / SYDNEY JOE QUALLS

    GENE CLARK / MARLOW RIDER

    RED EYED CULT / GERALD WITTOCK   

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 600

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

      

    L’avenir du rock

    - Cowboys movie

     

             L’avenir du rock a fini par en avoir marre des montages du Colorado. Il ne pouvait plus faire un pas sans tomber sur Jeremiah Johnson. Ne nous méprenons pas : l’avenir du rock n’a rien contre Jeremiah Johnson qui est un chic type, par contre, il hait profondément la routine. Donc, il chevauche vers le Sud, en chantonnant I’m a poor lonesome cowboy. Il traverse plusieurs frontières sans encombre, et un beau matin, il croise une fine équipe.

             — Oh ça par exemple !

             L’avenir du rock n’en croit pas ses yeux : Croz, Young Billy, Eli et Fat Albert !

             — Comme je suis content de te croiser, Croz ! If I Could Only Remember My Name n’en finit plus de m’en boucher un coin.

             — On peut te le déboucher, avenir du rock...

             — Et ton «Cowboy Movie» me move le groove. Je l’ai d’ailleurs recommandé à Jeremiah Johnson. 

             — Merci du renvoi d’ascenseur, avenir du rock.

             Croz se gratte le menton. Il a rarement vu un mec aussi con que l’avenir du rock.

             — Bon, c’est pas tout ça, avenir du rock, mais on a ces démons de Pinkerton aux trousses. La poussière que tu vois là-bas au fond de la vallée, c’est celle de leurs chevaux. On vient de piller un train et on file rejoindre notre planque dans la montagne.   

             — Oh je connais la chanson ! Avant de mourir, vous pourriez peut-être me renseigner ?

             — Magne-toi !

             — J’envisage d’aller enquêter pour le compte du blog de mon ami Damie Chad sur les préjudices causés aux ouvriers noirs dans les champs de coton et dans les champs de canne à sucre, des préjudices qui sont, comme vous le savez tous les quatre, d’ordre à la fois physique et mental, ils recouvrent toute la biosphère médicale et psychiatrique, ça va des plaies aux mains jusqu’au mal de dos, en passant par les traumatismes liberticides, les conséquences des relations sexuelles non consenties, les entorses aux réglementations prud’homales, le non-paiement des heures supplémentaires, et le pire, ces bols de haricots qu’on leur distribue une fois par jour en leur faisant croire que ce sont des points de retraite, tu te rends compte, Croz ? Ces champs de coton du Deep South constituent un domaine d’études unique au monde, un vivier scientifique d’une dimension pharaonique ! Alors peut-être pourriez-vous m’aider en m’indiquant la direction de la case de l’Honk Tom...

             — Honky qui ?

     

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             Laissons l’avenir du rock se dépatouiller avec Croz et son équipe de féroces desperados, et allons en retrouver une autre, celle des Subway Cowboys, les princes de l’honky-tonk. Ils pourraient très bien sortir eux aussi du «Cowboy Movie» de Croz. Bien qu’ils soient français, ils ont assez fière allure. Le chanteur Will a d’ailleurs des faux airs de Young Billy. Plutôt que d’avoir la gâchette facile et l’index psychotique, disons qu’il a une belle présence scénique et un gratté de poux orthodoxe.

             C’est en 2018 qu’on a chopé les Subway Cowboys sur scène pour la première fois, en première partie de Tony Marlow. Leur set estomaqua tous les macaques ! Une sorte de révélation. On les croyait américains ! Ils reviennent cinq ans plus tard estomaquer le maquis normand, en première partie de Pokey LaFarge. Si tu aimes bien te faire estomaquer, c’est le moment ou jamais. Wow, il faut voir ces mecs tailler leur route sur scène ! Ils t’honky-tonkent l’honkologie d’entrée de jeu.

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    Même si t’es pas fan d’honky-tonk, tu tombes sous le charme du grand cowboy tout sec qui chante et qui gratte ses poux orthodoxes. Sous son chapeau de cowboy gothique, il trimballe des faux airs de Rufus. Sa salopette et sa chemise à carreau renforcent cette impression de maigreur puritaine, car il semble sortir tout droit d’une photo de colons texans du XIXe siècle. Country ? Nashville ? Non pas vraiment. Son truc, c’est plutôt l’honky-tonk. Il évoque souvent la Louisiane. La disposition scénique des Subway Cowboys a évolué.

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    La section rythmique d’antan a disparu. Un kid absolument brillant claque le beignet du bop à la stand-up. Et de l’autre côté, un mec t’enkode l’honky-tonk à grands coups de pedal steel. Le soliste qui jouait au centre la dernière fois est maintenant sur le côté, mais toujours aussi prodigue de fulgurances.

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    Il devrait s’appeler Jo l’éclair, pas Fabien. Il bat James Burton à la course. Toutes ses incursions sont fatidiques. Il entre chaque fois à point nommé et ne vit que pour le cisaillé de gamme intra-communautaire. Il biseaute ses solos pour les rendre plus agressifs. Et Rufus enfile les cuts comme des perles, impassible sous le porch de son vaste Stetson, il déroule sa prestigieuse Americana avec un aplomb qui fait autorité. Il pousse le côté colon assez loin car il émane de lui une réelle austérité, ce n’est pas dans sa nature ni de rigoler ni de se rouler par terre, mais quand il annonce ses deux reprises d’Hank III, alors on se prosterne jusqu’à terre, car celui-là, il faut aller le chercher. Apparemment, le petit fils d’Hank Williams se serait retiré du circuit, en proie à une sévère dépression. On est ravi, car Rufus nous donne des nouvelles fraîches. Ils tapent une autre cover de choix, le «Get Rhythm» du Cash, ils le tiennent par la barbichette du tacatac des Memphis Three. Ils tapent aussi en début de set l’«I’m Movin’ On» rendu célèbre par un autre cowboy gothique, Johnny Horton.

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    Et ce n’est pas fini : au beau milieu du set, Rufus demande à Dédé de monter sur scène pour bopper une cover de «Lonesome Train» à la stand-up. Pur moment de rockab ! Tu nages en plein rêve. Les wild cats sont de sortie.  

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             Leur premier album date de 2015 et s’appelle comme par hasard Honk Tonk Time. Cet album de reprises grouille de bonnes surprises, à commencer par l’«Honky Tonk Blues» d’Hank Williams. Will le prend au chant d’éplorée, c’est criant de véracité. Le «Big River» du Cash ouvre la bal des Cowboys. Ils y affichent une réelle volonté de clairette, donc solo de Tele clair comme de l’eau de roche. Ils tapent aussi dans David Allen Coe avec «Take This Job And Shove It», ils en font une cover heavy as hell, nappée de béton. Ces mecs tapent dans l’éclat des légendes mirifiques. Tiens, voilà le «Get Rhythm» qu’ils jouent sur scène. Version bien sèche à la Rufus. Ils la tamponnent dans le coquillard. Autre cover de choix : le «Walking The Floor Over You» d’Ernest Tubb. Ils la cavalent ventre à terre, avec dans la course un solo de Tele stellaire. Ils adorent s’illuminer au paradis de la country de fête foraine. Tournez manèges ! Ils sont en plein dedans, avec des violons qui te graissent la patte. Ces mecs ont forcément une belle collection de disks. Encore de l’Hank avec «Ramblin’ Man». Will lui tord le cou et yodelle sa valse à trois temps. C’est très impressionnant. Ils font aussi de la grosse country palpitante avec le «Tonight The Bottle Let Me Down» du beau Merle. Nouveau coup de Jarnac avec leur vison du «White Lightnin’», cut chouchou de Gene Vincent. Les Cowboys s’aventurent dans le Lightnin’ avec leur petit gusto de derrière les fagots, c’est gratté sec à la française mais chanté avec esprit. Et comme il n’est de bonne compagnie qui ne se quitte, Fabien se tape la part du lion sur le «Rawhide» de fin de bal.

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             Drôle d’album que ce Possum’s Good For You. Pochette détestable mais contenu adorable. Pourquoi ont-ils été chercher cette photo dégueulasse ? On y voit deux gros porcs en blouses tachées posant fièrement sous un étalage de gros rats crevés. Les rats sont en fait des opossums, que les Américains appellent des possums. L’idéal aurait été que cet album sorte sur Fat Possum. Et le morceau titre de l’album est à l’image de la pochette : raté. Mais le reste de l’album est génial. Ils attaquent avec un fantastique «Goin’ My Way» propulsé par la stand-up. Stupéfiante tenue de route, le Will te chante ça au downhome de derrière les fagots du bush, et ça te donne un brouet demented infesté d’incursions intestines du fabulous Fab. Il faut le voir touiller le heavy mud ! On trouve plus loin un autre classique rockab, «I Tell It Like It Is». Encore plus demented are go. C’est d’une rare puissance. Le Will te chante ça à la folie Méricourt, il chevauche le wild craze, et le slap te ravale la façade. L’autre coup de génie de l’album s’appelle «Back In The Wind». Ils le tapent au power blast, dans l’esprit d’un supra-wild «Please Don’t Touch», fabulous Fab le gave d’une cisaille gravissime et ce démon de Will la chante à la pleureuse de Millet. Ils font aussi de la fast country de cowboys avec «Time To Take A Break», ils sont terrifics, gorgés de véracité, avec du violon de saloon et un beurre de baratte de rêve. Le Will est encore plus crédible sur «Blind Man», assis au bord du fleuve, il observe les libellules. Tous les cuts sont extrêmement bien produits, ils ont du gros son et le Will est all over. Il sait asseoir son autorité. Tu as parfois l’impression d’entendre chanter une superstar, ce qu’il est en réalité. Il sait poser sa voix, comme le font Dorsey Burnette ou David Allen Coe. Les Cowboys embarquent le soft rockab «Sixteen Tons» sous le boisseau. Extraordinaire qualité du boisseau ! En prime, tu as un solo de jazz. C’est assez extravagant de distinction. Fabulous Fab y va au wild as fuck sur «Guitar Boogie», c’est un cake, alors pas de problème. Et voilà la cerise sur le gâtö : «Got Into A Fight Last Night». le Will devient fou. Il fait l’Hasil Adkins. Il te démolit tout, la légende, les colonnes du temple, tout !  Merveilleux coup de chapeau d’un géant à un autre géant.   

    Signé : Cazengler, gros conboy

    Subway Cowboys. Le 106. Rouen (76). 28 avril 2023

    Subway Cowboys. Honk Tonk Time. L’Autre Studio 2015

    Subway Cowboys. Possum’s Good For You. Celebration Days Records 2017

     

     

    Il faut sauver le soldat Brian

    (Part Three)

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             Le sauveur du soldat Brian s’appelle Paul Trynka. Dans un book en tous points remarquable, Sympathy For The Devil - The Birth Of The Rolling Stones And The Death Of Brian Jones, Trynka célèbre le génie de cet homme, d’une façon éblouissante, comme s’il développait une loi mathématique censée établir une vérité qui crève pourtant les yeux. Zorro Trynka surgit hors de la nuit des books, court vers l’aventure au galop et vole au secours du pauvre Brian Jones, humilié et détruit méthodiquement par ceux qu’il appelait ses brothers, les Stones. Le Trynka book est un book qu’il faut mettre dans les pattes de tous les fans des Stones, pour commencer, mais aussi dans les pattes de tous les fans de (bon) rock, et bien sûr, dans celles de tous les fans de tragédie. Car quelle tragédie ! L’histoire est épouvantable. On n’aimait pas trop le Jag auparavant, mais là, sous la plume de Zorro Trynka, il devient encore pire que ce qu’on pouvait imaginer.

             Tu as deux façons de lire le Trynka book : soit tu t’effares du génie de Brian Jones, tel que le matérialise Trynka, soit tu te tortilles les mains de chagrin à suivre toutes les étapes du démantèlement de Brian Jones. Le coup de grâce fut l’embauche de Mick Taylor. Quelle abomination !

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             C’est d’une certaine façon le portrait d’un gentil géant que brosse Trynka, alors qu’il titre son book Sympathy For The Devil. On croit lire le portrait d’un diable, mais le diable, ce n’est pas lui, ce sont les autres. Trynka tripote les zones d’ombre avec une certaine habileté, oh bien sûr, Brian Jones n’est pas un saint, mais à plusieurs reprises, dans sa vie, il se fait jeter, et ce sera son talon d’Achille. En 1960, les lycéens et les lycéennes de Cheltenham lui tournent le dos. En décembre de la même année, il se fait virer de chez lui par ses parents qui partent en vacances de Noël et qui laissent sa valise sur le perron. Le voilà devenu outcast. Dans un premier temps, il va réussir à en faire une force. Mais le coup de grâce sera le fameux épisode de Marrakech, quand Jag, Keef et Anita se barrent en douce, l’abandonnant à l’hôtel sans un rond.   

             Attaquons le versant ensoleillé du mythe : tout au long des 350 pages de son mighty book, Trynka rétablit l’écrasante suprématie de Brian Jones. On en sort conforté, car ça correspond exactement à ce qu’on pensait de lui en 1965, quand on le voyait sur les pochettes d’albums et dans les pages des magazines. On ne voyait que lui. Les autres n’existaient pas. Le génie de Trynka est d’avoir su rétablir cette fameuse vérité qui crève les yeux. Dans ces conversations nocturnes que nous avions avec Jean-Yves, il disait souvent : «J’aime bien Brian Jones.» C’était en quelque sorte notre point de ralliement.

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             Dès qu’il s’installe à Londres en 1961, Brian s’impose. Paul Jones qui le fréquente dit qu’il ne connaissait personne qui jouait aussi bien que lui - No one, not Alexis for that matter - Trynka pense que Brian Jones, qui se faisait alors appeler Elmo Lewis, fut un pionnier - Perhaps the very first British musician to pick up on the potency of Johnson’s myth and music - Eh oui, Dylan parle lui aussi de Robert Johnson dans Chronicles, comme d’une influence de base, et Trynka se marre bien quand il dit qu’à la même époque «Mick Jagger was enchanting mums in the front rooms of Dartfod singing songs by Buddy Holly.» Trynka amène alors son premier postulat : «Brian Jones n’était pas seulement responsable de l’inspiration musicale des Rolling Stones, mais aussi de leur dark magic. He was the Stone with something of the dark about him.» La formule est magnifique. Trynka est un auteur littéraire. Un Zola dont le Dreyfus serait Brian Jones. Littérature toujours : en 1961, Brian Jones lisait déjà le Marquis de Sade, qui se vendait encore sous le comptoir. Sade et Robert Johnson ? Merveilleux point de départ. Dark magic. Bientôt sex & drugs & rock’n’roll. Brian Jones en sera la plus parfaite incarnation.

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             C’est en mars 1962, à Ealing, que le Jag, Keef et Dick Taylor voient Brian Jones sur scène pour la première fois. Brian est sur scène avec Paul Jones qui s’appelle encore P.P. Pond. Ça ne s’invente pas. Brian est déjà très en avance sur son temps, il a étudié Robert Johnson, Elmore James et Muddy Waters - Powerful and arcane knowledge in the spring of 1962 - Un knowledge que les Stones vont continuer d’exploiter pendant soixante ans. Qu’est-ce qu’on dit, les Stones ? Merci Brian Jones ! Mais ils sont tellement jaloux de Brian Jones qu’ils ne le remercieront jamais. Au contraire. Ils vont lui mettre la tête sous l’eau. Façon de parler. Marianne Faithfull dit dans son autobio que la mort de Brian a permis à Keef «de devenir Brian». Dick Taylor rappelle de son côté que le fameux Open G tuning vient de Brian Jones - Keef le regardait jouer en Open tuning et donc il savait. Je ne sais pas pourquoi il raconte qu’il tient ça de Ry Cooder. It’s strange.    

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             Bon, c’est bien Brian Jones qui monte les Stones et qui recrute les quatre autres. Ce n’est pas le Père Noël, comme le croient certains. Pour monter son groupe, Brian commence par embaucher le Jag, mais il ne veut pas des deux Dartford boys dans son groupe. Alexis Korner qui a pris Brian Jones sous son aile lui dit de ne pas prendre les deux. Prémonition ? Non simple logique : Alexis sait que Brian va perdre le contrôle dans son groupe s’il prend les deux. Mais le Jag pose sa petite condition à la mormoille : si Keef ne vient pas, alors il ne vient pas non plus. Bon d’accord, Brian est gentil, il prend les deux. Puis il recrute Dick Taylor et le batteur Tony Chapman, en passant une annonce dans le Melody Maker. Donc les Stones, C’EST Brian Jones. Il a une vision. Il ne définit pas que le son, il définit aussi ce que Trynka appelle the vibe, l’esprit. Dick Taylor sait que Brian Jones voit clair - He was more worldly-wise than us, most definitely - Le groupe s’appelle encore the Brian Jones Blues Band, puis Brian leur propose d’appeler le groupe The Rolling Stones, un nom qu’il tire comme chacun sait du «Mannish Boy» de Muddy. Premier gig en 1962, et Trynka y va fort : «It marked the beginning of an irrevocable change in popular culture.» Cleo Sylvestre ajoute que c’était «very exciting and very raw.»

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             Brian et Keef bossent alors constamment ensemble, working up their sound. Ils sont aussi les deux premiers à renoncer à la vie normale : ni études, ni day job. Ils s’installent au 102 Edith Grove, à Chelsea. Ils ont quelques albums sous la main, un Robert Johnson, Muddy At Newport, le fameux Best Of Muddy Waters, Chuck Berry et Jimmy Reed - That was the basic diet, grommelle Keef.

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             Andrew Loog Oldham bosse déjà avec les Stones quand ils enregistrent «I Wanna Be Your Man». Mais il ne participe pas à la session et c’est Brian qui supervise, qui double la voix du Jag et qui envoie des rasades de «slashing electric slide all over the track» - Wanna Be Your Man is a mess but touched by genius - Oldham est encore absent quand une nuit Brian vient rebosser sur les cuts du premier album - Brian brancha sa nouvelle Gretsch vert pâle dans son AC30, ready to make it sound better, just a bit funkier, just a bit dirtier - Brian remplaçait une piste jouée par Keef, puis une piste de basse. Trynka ne rentre pas plus dans les détails, c’est dommage, mais on garde l’image de Brian avec sa Gretsch vert pâle - His concentration was intense - Apparemment Brian n’était jamais content - Brian invented the Stones, hot-wired their music, out of this sense of dissatisfaction - Can’t get no satisfaction ?      

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             Brian nous dit Trynka se shampouine les cheveux tous les jours, il soigne son perfect golden halo et l’associe à un white polo neck. On voulait tous des cols roulés blancs à l’époque, à cause de Brian Jones. Trynka en profite pour rappeler que Brian est devenu le modèle de centaines de garage bands across the USA. Lors du TAMI show, il invente un autre concept visuel : il joue en tournant le dos au public. Toni Basil flashe sur lui : «This blond hair, bright red sideburns, those green eyes and he dressed flamboyantly. And wow, he was really a knockout.» Oui, on le sait bien qu’il est un knockout, mais on aime bien l’entendre dire. Lors d’une interview pour le TV show Shindig!, Jimmy O’Neill interviewe le Jag et soudain Brian intervient pour dire qu’il est temps de la fermer car Howlin’ Wolf arrive sur scène. Brian qualifie Wolf de hero et va s’asseoir à ses pieds pendant qu’il chante - Si un épisode incarne the life work of Brian Jones, c’est celui-ci, dans toute sa pureté et son côté sexy - Un autre personnage de légende est invité à l’émission, mais Brian ne le connaît pas. Alors il approche de son manager Dick Waterman et lui demande qui est ce venerable gentleman. Quand il entend prononcer le nom de Son House, Brian s’extasie : «Ah the man who knew Robert Johsnon and Charley Patton.» Cette anecdote situe bien le niveau de Brian Jones à l’époque, il navigue au même niveau de John Fahey et Al Wilson qui eux aussi étaient fascinés par les vieux crabes du blues.

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    ( Brian + Stash )

             Trynka n’en finit plus de dire à quel point Brian Jones est spécial - The protoype of a sixties rock star : languide, softly spoken, presque efféminé, a charming blond choirboy with something  of the night about him - C’est extrêmement bien écrit et d’une infinie justesse. Presque trop beau pour être vrai. Trynka va encore plus loin dans l’approche psychologique. Plutôt que de le voir associé à Satan, il préfère le voir associé à une divinité plus subtile, le dieu Pan, dieu de la fertilité, mi-homme mi-chèvre - The rock’n’roll spirit comes from Pan, affirme Stash, le fils de Balthus et proche/très proche de Brian Jones - Pan fut diabolisé par le christianisme, mais en réalité, c’était un dieu bienveillant. C’est l’une des clés du mythe de Brian Jones. Il est victime d’une grave erreur d’appréciation. Sade et Oscar Wilde furent aussi diabolisés de leur vivant, alors qu’à leur façon, ils étaient aussi des «divinités» bienveillantes. «Ce sont les passions et les obsessions de Brian Jones qui vont définir les Rolling Stones», affirme Trynka. «Sa fascination pour le chaos, les forces des ténèbres et la lascivité allait imprégner l’image et la musique du groupe. Mick and Keith allaient suivre son exemple. Dancing with the devil would come at high cost.» Encore faut-il savoir danser avec le diable.

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             En 1966, Brian devient la tête de gondole des Stones - a new figurehead - Il devient the peacock at the cutting edge of dressing and drugging, the two major innovations of 1966 - C’est vrai qu’on ne voit plus que lui. Et quand la psychedelia arrive, le Jag est complètement out of place. Brian teste toutes les drogues, il vit dans son époque, alors que Jag en a la trouille, nous dit Marianne Faithfull, écroulée de rire : «Mick wasn’t the rebel». Elle n’ose pas dire comme le fera Keef un peu plus tard qu’il est une petite bite, mais ça revient au même. Quand les Beatles enregistrent Revolver, c’est Brian qu’ils invitent aux sessions, certainement pas les autres. Gene Clark s’entend lui aussi très avec Brian. Ils bricolent ensemble une première mouture d’«Eight Miles High», en 1965. McGuinn osera dire après la mort de Gene Clark qu’il est le véritable auteur de ce cut. Non mais franchement ! Des fois les gens exagèrent ! C’est Brian qui transforme «Under My Thumb» en cut magique, en ajoutant tout simplement le marimba, sous l’œil éberlué de Jack Nitzsche, lorsque les Stones enregistrent Aftermath au studio RCA de Los Angeles. Eddie Kramer n’en finit plus de s’extasier sur le génie de Brian Jones : «I always considered Brian the most gifted of the Stones, musically speaking.» Bill Wyman en rigole encore : «Well, sans le marimba, ce n’est pas une chanson, pas vrai ?» Et puis il y a le dulcimer sur «Lady Jane». Encore un coup de génie. On se souvient plus des ambiances de ces deux hits que du chant médiocre du Jag. C’est Brian qui compose la mélodie de «Paint It Black». Brian ne joue plus de guitare et fait de la magie.

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             Trynka lève un autre lièvre : la recherche obsessionnelle du plaisir charnel. Chez Brian elle est de nature «divine» - C’était un être indomptable qui ne pouvait pas devenir, comme Mick (Jagger) un carriériste conventionnel - Anita et Brian forment le nouveau centre de gravité des Stones. Apparemment, c’est Anita qui le pousse à s’habiller de façon de plus en plus flamboyante, alors Brian qui est bien sûr narcissique se prête au jeu - The Arabian pashas, the nazi uniforms - oui, on a toutes ces images-là en mémoire. Brian ne s’arrête pas aux drogues psychédéliques, «it was velvet and William Morris prints, and frilly shirts.» Tara Brown, héritier de l’empire Guinness, participe aux acid sessions de Brian et Anita. Quand Dylan vient donner son show historique à l’Albert Hall, Brian et Stash vont le retrouver au Mayfair Hotel. Ils sont choqués nous dit Trynka de voir autant de gens se shooter à l’héro en public. Et là, Stash lâche l’info du siècle : «Aucun doute, Dylan fut pendant un certain temps obsédé par le fondateur des Stones. Comme le disait aussi Nico qui avait couché avec les deux hommes, ‘Dylan voulait être Brian Jones, pas un folk singer.’» Les souvenirs de virées nocturnes sont légion dans ce book grouillant de vie, par exemple celle qui nous fait monter dans la petite auto de Dana Gillepsie en compagnie de Brian, Anita et Stash qui vont finir la nuit chez Christopher Gibbs, un Gibbs qui les accueille en leur offrant un verre : «drink this» - I think it was liquid mescaline - Ou encore cette nuit surnaturelle à Paris, avec Stash, Anita, Françoise Hardy, Zouzou dont on trouve le détail dans la très belle bio d’Anita, She’s a Rainbow: The Extraordinary Life Of Anita Pallenberg, un bio qui fut saluée bien bas ici-même en 2021.

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             Arrivé à ce stade, on frise l’overdose. Mais on continue, car l’étoile de Brian Jones brille de plus en plus ardemment. Trynka revient bien sûr sur l’amitié qui liait Brian à Jimi Hendrix. Puis on attaque le chapitre Courtfield Road - one of london’s most legendary rock star pads, overlooking, précise l’auteur, Gloucester Road tube station - Et pour la tournée anglaise, Brian se pointe sur scène en veste de velours, avec une Gibson Firebird, la guitare qui va tous nous faire rêver, au moins autant que la Gretsch orange d’Eddie Cochran.

             Quand en 1967, Anita va en Allemagne tourner Mord und Totschlag pour Volker Schlöndorff, Brian l’accompagne. Il demande à Schlöndorff s’il peut composer la B.O. du film. Schlöndorff lui dit qu’il aimerait bien, mais il n’a pas de budget. Alors Brian lui propose de le faire gratuitement - Well I’ll do it for free - Schlöndorff est fasciné par Brian - Amazing. He was a Shelley-style character, a dandy - et il ajoute qu’il était l’incarnation de la créativité. Un dieu Pan ? Eh oui, la créativité, c’est exactement la même chose que la fertilité.

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             Le temps passe et nous voilà rendus au fameux trip vers le Maroc, à bord de la Blue Lena, la Bentley de Keef conduite par Tom Keylock. Brian et Anita voyagent en compagnie de Keef. Un Keef toujours un peu jaloux de Brian qui reste l’âme du groupe. Un Keef qui vit depuis le début dans l’ombre de Brian Jones. Un Brian Jones qui reste meilleur en tout. Trynka propose un nouvel exemple de cette supériorité : l’enregistrement de «We Love You». C’est Brian qui joue du Mellotron, nous dit George Chkiantz, l’ingé-son d’Olympic. Il rappelle que les Beatles l’ont utilisé sur «Strawberry Fields Forever» et que le Mellotron d’Olympic était très primitif, très compliqué à manier - Playing it took a special kind of genius - Et voilà ! C’est pas Trynka qui le dit, c’est Chkiantz ! Et c’est bien que Trynka cite Chkiantz. On a l’impression qu’ils réparent une grave injustice. Trynka évoque encore un bel épisode : Brian marchant dans les rues de Greenwich Village, New York, avec à son bras Nedra Talley des Ronettes, et affrontant les injures racistes - He’d laugh, give them the finger and keep walking, unconcerned - Il n’y a pas que les racistes, nous dit Trynka, qui vont haïr Brian Jones : les pires seront les stups anglais et les tabloids. Les Stups vont essayer de le coincer 7 fois. Pourquoi cette haine viscérale ? Jeff Dexter a la réponse : «He was a dandy». On se souvient de ce qui est arrivé à Oscar Wilde.

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    ( Brian + Eric Burdon )

             Quand McCartney l’invite à Abbey Road pour une session d’enregistrement, Brian se pointe avec un saxo et joue sur «You Know My Name (Look Up The Number)», cut expérimental qu’on trouve en B-side de «Let It Be». Puis Brian s’envole pour San Francisco. Il voyage sous acide en compagnie d’Eric Burdon, et arrivé sur place, il retrouve Nico, his old femme fatale. Keith Altham : «He was happy, walking around in lace frills and finery, a long flowing robe like he was Queen Boudicca of the pop festival. Considerably out of it, making dreamy little comments... he was good at dreamy little comments.» Merveilleuse description. Comme s’il décrivait un ange. C’est Brian qui présente son ami Jimi sur scène au festival de Monterey. Une séquence historique de plus. Trynka ajoute : «And Jimi was like Brian - he would try anything.» Jimi restera l’un des plus fidèles amis de Brian, c’est important de le souligner. À San Francisco, Brian rencontre aussi le mandrax. Stash : «That was a disaster».

             Brian retourne au Maroc avec Glyn Jones pour enregistrer la transe des Gwana à Marrahech. Son idée est d’emmener ensuite les bandes à New-York pour overdubber des musiciens de r’n’b - It was a visionary concept - Mais Brian est trop défoncé et Glyn Johns se barre. On retrouve ensuite Brian dans le clip de «Jumping Jack Flash» - Sporting bug-eye alien specs, silver lipstick and an ice blue Telecaster, Brian dominated the visuals - Eh oui, Trynka a raison, la messe est dite ! Quand on voit les autres Stones, on rigole, car ils sont ridicules. Et puis Godard et One + One, Brian the fugitive ghost, isolé dans son box, avec une acou qu’on n’entend même pas.

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             Retour au Maroc, cette fois Brian se met en quête des Pipes of Pan from Joujouka. Il fait équipe avec Hamri, Brion Gysin et George Chkiantz. Il s’agit là de l’épisode le plus fascinant de la vie de Brian Jones. Ils vont assister au Bou Jeloud ceremony, «the most potent example of the harnessing of ancient forces.» Ils quittent Tanger à bord de deux bagnoles. La première personne qui écoutera les bandes enregistrées à Joujouka sera William Burroughs qui vénérait lui aussi la musique des Ahl Serif musicians. Elektra se montrera intéressé par le Joujouka album, mais Allen Klein qui supervise le biz des Stones bloque le projet. Brian voulait rajouter des guitars on top et faire chanter Cleo Sylvestre. Ça ne sortira qu’en 1971, soit deux ans après sa disparition.

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             D’autres gens rendent hommage à Brian Jones : Taj Mahal («My favourite sound of the Stones was when Brian had his hand on the tiller»), ou encore Ginger Baker («Brian Jones was the main man in the Stones, Jagger got everything from him»). Et Trynka en remet une couche : «He formed the band, he named the band, he taught Keith Richards Open G tuning, and he taught Mick Jagger how to bring a girl to orgasm.» Et vers la fin, ils sort sa botte de Nevers : il indique que la disparition de Brian Jones est perturbante, puisqu’elle a initié des théories sulfureuses, «mais aussi un révisionnisme initié par Mick Jagger, Keith Richards, Andrew Loog Oldham et d’autres, visant à réduire considérablement l’importance de l’un des musiciens les plus révolutionnaires du XXe siècle.»

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             Le mot révisionnisme est un euphémisme dans le cas de Brian Jones. Trynka n’en finit plus de rappeler à quel point les Stones ont été odieux avec le pauvre soldat Brian. Comme l’observe Jack Nitzsche, «peace and love were in short supply in the Stones camp.» Pas de pitié pour les canards boiteux, sauf que Brian Jones n’est ni un canard, ni un boiteux. Il est l’âme des Stones et les autres en crèvent de jalousie. Sauf peut-être Bill, lui aussi victime de malveillance, comme le rappelle Trynka. Et là on attaque la face cachée de la lune. Très tôt, Trynka positionne le Jag comme un rival de Brian Jones. Il en fait une histoire de mâles dominants. C’est très anglais comme approche. The top-dog syndrome. Jagger commence par baiser Pat Andrews, la poule de Brian, qui est absent. Puis Jag développe un goût prononcé pour la ruse. Keith Altham explique que Brian n’était vraiment pas doué pour la ruse - Brian wasn’t good at being bad. Mick was - Et voilà, le décor est planté. Le top-dog sera le Jag. Brian va s’écrouler comme un château de cartes. Avant de se débarrasser de Brian, le Jag va se débarrasser d’Andrew Loog Oldham. Comment ? En lui réclamant un tiers du gâteau Immediate et Oldham lui répond : «You’re fucking joking?». Oldham commet l’erreur de sa vie, dit Tony Calder, son associé. Un Oldham qui est aussi membre actif du démembrement de Brian Ravaillac. Comme le rappelle Trynka, Oldham dégrade systématiquement Brian dans ses trois volumes de mémoires. Oldham n’a qu’une seule stratégie managériale : pousser le Jag, il n’a donc pas besoin de Brian Jones. Il faut le virer. Mais il faut commencer par virer Giorgio Gomelski, le premier à s’occuper des Stones, puis Eric Easton, premier associé d’Oldham. C’est une épouvantable série d’éliminations. On se croirait dans la mafia. Oldham et Brian Jones ont pourtant plusieurs points commun, l’ambition et le narcissisme, plus une certaine fascination pour les gangsters. Puis il faut se débarrasser de Stu, le pianiste. Pas de look - Stu was one Stone too many, with a face that didn’t fit - Oldham vend du sexe avec les Stones et Stu n’a pas la gueule de l’emploi. Trynka utilise une jolie formule pour décrire l’épisode : «Avec le sacking of Ian Stewart, c’était la troisième fois que le serpent entrait dans the Rolling Stones’ little Garden of Eden, mais cette fois, le sacking était plus violent que ceux de Gomelsky et Glyn Johns.» Oldham est un génie du marketing : le but de la manœuvre est de mettre en place le team Jagger/Richards pour rivaliser avec le team Lennon/McCartney.

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    ( Brian + Andrew Loog Holdham)

             La première crevasse au sein du gang que forment les Stones à l’origine apparaît avec les 5 livres en plus que Brian reçoit de la part d’Eric Easton, comme une sorte de bonus. Five pounds. Eric Easton a pris Brian à la bonne. Oldham va retourner cette affaire ridicule à son avantage. Trynka indique que le déclin de Brian Jones commence avec ce pauvre billet de cinq livres. Les autres Stones le regardent désormais de travers. Fin du friendship des origines. Brian va devoir affronter la Jagger/Oldham/Richards troika. Après Edith Grove, la troïka s’installe à Mapesbury Road. Sans Brian, bien sûr qu’Oldham surnomme ‘the cunt in the barrio’. La haine s’installe, la pire : la viscérale.

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             C’est Phil May qui raconte la première attaque que lance la troïka contre Brian. Les Stones enregistrent «Red Little Rooster» et quand Brian arrive au studio, les autres sont déjà partis, laissant une note : «enregistre ci et ça». Brian est consterné. Phil May est choqué par la malveillance du Jag et la brutalité d’Oldham. Comment ont-ils pu faire une chose pareille ? Dawn Mollow assiste à des shootes : quand Keef s’énerve, il balance des objets et ça peut faire très mal. Phil May : «Loogie for me was a bastard. Very good for them but a real bastard. Brutal. Jagger and Oldham were the absolute masters of the ruthless approach.» Jagger et Richards arrivent au pouvoir en 1965 avec «The Last Time». Tony Calder indique qu’il existe des acetates de compos de Brian et quand il en fait écouter un à Oldham, celui-ci répond : «Fuck off !» - And of course Mick wasn’t interested in singing it. They were cruel. Cruel fuckers - Les compos de Brian sont donc systématiquement rejetées. On met pour l’instant cette haine sur le compte du billet de cinq livres. Phil May dit aussi que la troïka a tout fait pour démembrer Bill Wyman, mais Bill a su faire le dos rond et fermer sa gueule. La pression est terrible. Lors d’une tournée américaine, Brian choisit tout simplement de disparaître. Le mec qui l’héberge à New York connaît bien les Stones. Il sait que Brian n’a aucune chance. Ross dit en outre qu’Andrew a empoisonné la relation de Brian avec Mick & Keef et qu’il n’y a aucune chance de réconciliation. Phil May voit bien que Brian vit en dehors des Stones - There was the band, the Stones, and there was Brian on the outside - Les Stones sont devenus un affreux panier de crabes. Le Jag a longuement étudié Brian pour pouvoir se passer de lui, puis il a étudié Oldham et appris à annoncer des décisions avec brutalité. Capital encore le témoignage de Marianne Faithfull qui a vu le Jag diaboliser Brian, puis Oldham, et elle est ensuite passée à la casserole.

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             Oldham n’a d’yeux que pour le Jag et son suprême talent, nous dit Trynka, est de savoir le manipuler. C’est la tendance, à l’époque, rappelle encore Trynka, il prend l’exemple des Animals qui ont connu le même genre de bordel, rivalités internes, une mort mystérieuse et des sommes énormes volatilisées. Il précise toutefois que the Stones story is bigger, «sans doute à cause de ce manager qui voulait contrôler toute la scène anglaise, pas seulement un groupe et dont le génie consistait à savoir arnaquer un arnaqueur.» C’est Oldham qui fait entrer le loup Allen Klein dans la bergerie. Les décisions se prennent à quatre (Klein/ Oldham/ Jagger/ Richards), on informe les autres après coup, et accessoirement on vire Eric Easton qui du coup ne sert plus à rien. Lors de la quatrième tournée américaine des Stones, Brian préfère passer son temps en compagnie de Dylan plutôt qu’avec les autres Stones. Au moins, comme ça, les choses sont claires. Sur la côte Ouest, Brian passe son temps en petit comité avec Jack Nitzsche, Toni Basil et d’autres membres de la jet set californienne, ce qui ne fait qu’envenimer les choses au sein des Stones. En 1965, le personnage hip des Stones, c’est toujours Brian. C’est lui qui prend les drogues - Brian inhaled, the others didn’t. They were tourists - Jack Nitzsche adore Brian - He’s the real Rolling Stone. (...) The adventurer - C’est pendant les sessions d’Aftermath que Jack Nitzsche découvre à quel point Brian est maltraité par les autres - Comme Phil May, Chris Hutchins et Dave Thompson avant lui, la brutalité au sein des Stones le choquait - En studio, ils font refaire plusieurs fois une piste d’harmonica à Brian, il finit par avoir du sang sur les lèvres, à force de souffler, et ils n’ont même pas lancé l’enregistrement, dit Denny Bruce, l’ingé-son. Bien sûr, Brian aurait dû quitter les Stones. En choisissant de rester, il s’exposait, nous dit Trynka, à de cruels sévices, mais de ce combat, il tirait une musique of quite extraordinary sweetness.

             Leur jeu favori consiste à faire venir Brian en studio pour lui dire au bout de cinq heures qu’ils n’ont pas besoin de lui. Alors Brian les supplie de le laisser jouer, «n’importe quoi, même des bongos». Marianne assiste à cette boucherie : «this was a man being destroyed and humiliated.» Dawn Mollow se souvient que Keef s’en prenait à Brian en permanence - It was often plain, bloody nasty - Marianne, Sam Cutler et Jack Nitzsche ne font que le répéter : ils agissaient de sang froid : «totally, utterly cold.» Jack Nitzsche : «They could be real nasty.» Brian paye pour un billet de cinq livres et les 12 gigs qu’il a manqués sur un total de 930. En 1967, nous dit encore Trynka, Brian ne se plaint à personne, ni en public ni en privé.

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             Ce ne sont pas les Stones qui auront la peau de Brian Jones : ce sont les stups qui vont le harceler. Au moment où les procès font de Keef un héros, les mêmes procès brisent la résistance du pauvre soldat Brian. Quand au moment des procès, Oldham va se planquer en Californie, Klein prend le contrôle des Stones. Quand Brian plaide coupable à son premier procès, Keef et le Jag se mettent à le haïr encore plus, comme si c’était possible. L’apothéose de cette haine sera l’abandon de Brian à Marrakech et pour bien enfoncer le clou, Keef lui barbote Anita. Brian est complètement détruit par cette trahison. Il ne pensait pas que des gens qu’il considérait comme des brothers iraient jusqu’à le traiter ainsi. Cette histoire est épouvantable. Même Shakespeare ne serait pas descendu aussi bas dans l’abjection et le dark - Abandonné. No money. Just stuck in a hotel, on his own, dit Stash. Pour Trynka, ce geste est the embodiment of their nastiness, il parle bien sûr de la mauvaiseté du Jag et de Keef. Pire encore : le Jag et Keef sentent qu’ils doivent évoluer et Brian Jones les empêche d’avancer. Ils commencent par le considérer comme nul et non avenu, comme s’il n’existait pas - You don’t exist - À la fin de la session de «Sister Morphine», le Jag va trouver Brian qui est écroulé dans un coin et lui dit : «Just go home Brian.» Puis ils enregistrent «Honky Tonk Woman» avec Mick Taylor, et le 8 juin 1969, ils vont trouver Brian chez lui à Cotchford Farm pour lui annoncer qu’il est viré. Trynka précise qu’ils emmènent Charlie Watts avec eux, au cas où il y aurait du grabuge. D’après Trynka, Brian se sent enfin soulagé. Mais quelqu’un dit ailleurs qu’après leur départ, Brian s’est mis à chialer. Alexis Korner et sa femme Bobbie viendront ensuite à Cotchford Farm tenter de le réconforter, en l’aidant à monter un nouveau projet. Trynka fait d’Alexis Korner un prodigieux personnage, un ange de miséricorde à la Wenders. Encore une bonne raison de lire ce book. Il y a aussi du Alexandre Dumas chez Trynka : de grands personnages apparaissent à point nommé.

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    ( Phil May )

             Brian Jones a vécu ses cinq années de Rolling Stone entouré comme on l’a vu des personnalités les plus fascinantes de son époque, Jimi Hendrix, Phil May (Brian vit un temps à Chester Street, chez les Pretties, un groupe qu’Oldham haïssait, car il les voyait comme des concurrents), Jack Nitzsche (lui aussi protecteur de Brian), Brion Gysin, Alexis Korner, et puis Paul Jones, auquel Brian enseigne le secret du ‘cross-harp’ à l’harmonica - a fifth up from its nominal key - Brian, nous dit Trynka, partage volontiers ses secrets, et Paul Jones ajoute : «It was like he’s opened doors to an unseen kingdom.» Et puis Chris Barber qui avait accompagné Muddy en 1959, un Barber qui tente le coup du blues électrique avec Alexis Korner, l’ange protecteur de Brian, un Korner qui a découvert le blues grâce à Leadbelly. Korner est le premier à prendre Brian au sérieux - Alexis realized that Brian was utterly devoted to the cause, dit John Keen - C’est l’époque magique d’Elmo Lewis à laquelle on revient toujours, et en 1962, les gens s’extasiaient de voir jouer le jeune Brian - How the hell did he get to be so good ? - Elmo Williams, premier spécialiste britannique de Robert Johnson, Trynka ressort l’histoire du pacte avec le diable, une histoire qui ne pouvait que plaire au jeune Brian, et puis il en profite pour tracer un parallèle, avec le coup de la short existence, eh oui, ni Brian ni son père spirituel Robert Johnson n’ont fait de vieux os. Dark Magic. On pourrait délirer à l’infini sur ce thème, alors que la réalité doit être beaucoup plus prosaïque. Mais bien sûr, on préfère nettement la version délirante des choses. Fuck the reality !

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             Et puis Nico, plus haute que Brian, et qui lui dit qu’elle adore se faire enculer - I like it the Turkish way: my father was Turkish - Elle s’entend bien avec Brian qu’elle trouve décadent et lui aussi bien versé in the dark sexual arts, un Brian qui présente Nico à Andy Warhol, c’est la fameuse photo mythique en noir et blanc qu’on voyait à l’expo Velvet à la Villette, Nico au bras de Brian Jones, une image qui revient comme un leitmotiv. Tu compares cette image à la pochette de Black & Blue et tu vois tout de suite où est le problème : les Stones n’ont plus d’image. Elle est partie avec Nico à la Villette. Ce jour-là, Nico donne comme carte de visite à Andy Warhol silver screen son single enregistré sur Immediate, et ce sera son ticket d’entrée dans le Velvet. Nico n’en finira plus de chanter les louanges de Brian Jones : «He gave the best sex. Better than Jim Morrison.» Ah les femmes ! Elles nous rendront marteau, chantaient l’Au Bonheur des Dames. Trynka nous les présente toutes : en 1958, Brian a 16 ans et fait un gosse à Hope, gosse adopté évidemment, puis en 1959, il engrosse sa copine Valerie Corbett à laquelle il est attaché, son fils Barry David est lui aussi adopté, puis une femme mariée lui donne une fille, Belinda, et c’est Pat Andrews qui lui donne un quatrième enfant, Julian Mark Anthony, il va ensuite collectionner les conquêtes, Linda Lawrence qui a 16 ans et qui met au monde en 1964 son cinquième enfant, Julian, puis Dawn Molloy qui met au monde son sixième enfant et qui le fait adopter, puis Zouzou Salut les Copains qui vient vivre à Londres chez le zazou Brian au 7 Elm Park Lane, puis c’est Anita qu’il rencontre comme dit plus haut lors d’une nuit magique à Paris, puis Suki Potier, qui ressemble étrangement à Anita, et la dernière «officielle» sera Anna Wohlin avec laquelle Brian semblait heureux à Cotchford Farm. Trynka évoque aussi les deux putes berbères tatouées de Marrakesh avec lesquelles il prévoyait de faire une partie carrée avec Anita, mais Anita ne voulait pas.

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             Trynka referme le chapitre Brian Jones avec l’histoire de la piscine macabre : trente pages de témoignages, les proches, les pas proches, les flicards, les suspects, un vrai bordel, et bien sûr la mort du fondateur des Rolling Stones n’a jamais été élucidée. Au fond, tout le monde s’en fout. Sauf Marianne Faithfull qui, apprenant la funeste nouvelle, a avalé un flacon entier de barbituriques pour se foutre en l’air. Bon, il faut savoir que les suicides ne marchent pas à tous les coups. Et plus on essaye, moins ça marche. Le suicide est sans aucun doute réservé aux professionnels.

    Signé : Cazengler, pas brillant

    Paul Trynka. Symapathy For The Devil. The Birth Of The Rolling Stones And The Death Of Brian Jones. Bantam Press 2014

     

     

    Todd of the pop

    - Part Two

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             Difficile d’accepter l’idée que nos chouchous vieillissent. Eh oui, Todd Rundgren A Wizard A True Star atteint l’âge canonique de 71 ans. Comme Dylan et quelques autres, Todd Rundgren laisse derrière lui ce qu’on appelle a body of work, c’est-à-dire une œuvre gigantesque. Attention, aller zigzaguer dans cette œuvre peut donner le vertige. L’ami Todd ne fait jamais les choses à moitié.

             Il part du bon pied puisqu’ado, il tombe sous le charme des Beatles. Ce n’est pas seulement le son qui le fascine, c’est surtout le phénomène de groupe que les Beatles incarnent : trouver deux ou trois mecs dans les parages, bricoler quelques chansons et démarrer un groupe. Il adore aussi le Paul Butterfield Blues Band, puis passe à Burt Bacharach et à Laura Nyro. Lois Wilson rappelle que Laura Nyro voulait Todd comme band leader, mais celui-ci ne se sentait pas prêt à endosser une telle responsabilité. Il était en outre tenu par ses engagements envers ses collègues de Nazz.

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    Puis Rundgren attaque le sujet central du contexte Wizardien : les drogues. Il explique tout simplement qu’elles faisaient partie de son processus créatif. Il prend du ritalin pour Something/Anything. Ça lui donne de l’énergie pour passer la journée entière au studio et rentrer chez lui pour continuer à composer - The songs were coming quickly - Avec A Wizard A True Star, it got psychedelic. Il prend de la mescaline. C’est là qu’il décide de construire son studio pour expérimenter en toute liberté, seul et sans aucune contrainte de temps.

             En fait, Rundgren ne se soucie pas trop de sa carrière solo, il vit bien de son job de producteur. Il est même très demandé, à partir du moment où Albert Grossman s’occupe de lui. Il sauve le Straight Up de Badfinger menacé de naufrage après que Geoff Emerick et George Harrison aient jeté l’éponge. Puis il devient très riche grâce à Meat Loaf et entre dans la légende avec le premier album des New York Dolls. Pas question de leur donner des consignes, ils ne savent jouer que d’une seule manière. Il voit que Johansen se prend pour Jagger et Johnny Thunders pour Keef. Il va aussi produire le fameux War Babies de Hall & Oates.

             Quand on veut le comparer à Bowie, Rundgren s’en défend. Selon lui, Bowie conçoit la musique comme l’univers sonore d’un personnage imaginaire, il en fait une sorte de concept artistique. Rundgren utilise la musique comme un facteur d’introspection. Self-discovery.    

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             Il monte Nazz («The Nazz Are Blue», hommage aux Yardbirds) en 1968 avec trois autres playboys, Carson Van Olson on bass, Thom Mooney en drums et le plus charmant, Stewkey Antoni on keys. Ils enregistrent un premier album sobrement titré Nazz. L’album sort sur Screen Gem Columbia, une filiale d’Atlantic. Tout ce qu’on peut en dire, c’est wow. Alors Wow ! «Open My Eyes» fait partie des hits qui ont survécu depuis 1968. Eh oui, Todd est déjà dans la modernité du son avec ce shoot de Nazz, son rock entre dans les annales comme dans du beurre, il balance de l’écho et des clap-hands et revitalise toute l’industrie américaine. Avec ses réflexes à la Brian Wilson, on voit qu’il sait tempérer. Voilà un hit gorgé de magie sucrée et de prestance, claqué des mains, Todd croise Dancing In The Streets avec The Beat Goes On et le Rain des Beatles. Il enchaîne avec un «Back Of Your Mind» tout aussi énorme, joué dans les règles de l’art du son d’alors. Todd part même en solo de gras double et sonne toutes les cloches à la volée. Il est précoce et affreusement doué, il place un killer solo flash sur les accords de la menace. En 1968, c’est inédit. Il revient au sommet du lard fumant avec «Hello It’s Me», une pop d’antho à Toto, la pop du Todd des origines. The Todd of the pop. Une pop dont on s’approche les mains tremblantes. Une pop envahissante, incroyablement puissante. C’est un phénomène inespéré pour l’époque. Il boucle l’A avec «Wilwood Blues», un heavy boogie prévisible, mais Todd décide de le saccager, alors il taille sa route à la machette dans la jungle. Il devient stupéfiant de polyvalence et nous fait le coup du big Todd. Il repart de plus belle en B avec «If That’s The Way You Feel», un cut de pop prog très ambitieux à la Brian Wilson, très évolutif et plutôt inattendu sur un early Nazz. On y entend des chœurs de miel. Et puis voilà le coup de génie : «When I Get My Plane». On le sentait venir. Nazz sonne ici comme un énorme concept, Todd se sert du Plane pour lancer ses idées révolutionnaires. Il ne veut pas de petits hits au hit-parade, il veut du big heavy Todd. Alors il sonne comme les Beatles. Il pousse la magie des chœurs d’artichauts loin devant, c’est pulsé à l’énergie d’un collectif beatlemaniaque. Du coup, l’album sonne comme une aventure extravagante. S’ensuit un «Lemming Song» assez déterminé à vaincre. Aucun obstacle, le drive de basse emmène la charge. Todd s’octroie déjà toutes les fantaisies. Quel album ! Si jeune, il est déjà pourvoyeur d’excellence.

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             L’année suivante, ils récidivent avec Nazz Nazz. L’histoire de l’album est intéressante. Rundgren venait de découvrir Eli And The Thirteenth Confession de Laura Nyro et voulait aller sur ce genre de son plus travaillé, alors que Stewkey et Thom Mooney voulaient rester dans la veine Beatles/Yardbirds du premier album. Rundgren voulait faire un double album et les autres un album simple. Tension et dissension. Atlantic se range dans le camp de Stewkey et de Thom Mooney, et sort le Nazz Nazz qu’on connaît. Mais quel album ! On est frappé dès «Forget All About It», une belle pop traversée par une descente de chant vertigineuse. Descente aux enfers du paradis. On sent déjà le virtuose des coups tordus. Rundgren est un chaud lapin beatlemaniaque. Il passe en plus un solo bien décalqué dans la trame du speed dating. Quelle énergie et quel éclat ! Avec son admirable brouet de heavy rumble et de fructification d’harmonies vocales astronomiques, «Rain Rider» renvoie directement à Rubber Soul. Plus loin ce démon de Rundgren pousse encore la pop dans ses retranchements avec «Under The Ice». Puissant et épais, chanté à l’éclat de voix, d’une extraordinaire modernité. Des milliers de groupes ont par la suite cherché à sonner comme Nazz sans jamais y parvenir. Ajoutons que Nazz est certainement le seul groupe américain capable de rivaliser avec les Beatles. Ils attaquent la B avec le powerfull «Hang On Paul», pur jus de beatlemania new-yorkaise, en plein dans les fourches caudines de Drive My Car. Quel souffle ! Ils travaillent l’art suprême de la précipitation excessive et du chat perché up-tempique, et Rundgren passe un killer solo flash. «Kiddie Boy» reste dans la même veine, c’est le boogie nazzy de prédilection - Kiddie boy/ Kiddie boy/ Don’t kid around with me - Même sens du boogie supérieur que Chicken Shack. Encore une belle énormité avec «A Beautiful Song», un cut bourré de dynamiques, de shuffle d’orgue et de panache guitaristique. Sur une red Sanctuary parue en 2006, on trouve des bonus et quels bonus ! «Sydney Lunchbox» sonne comme un hit des Small Faces et ils tapent «Magic Me» au heavy Nazz. Ils taillent la route avec un côté Blue Cheer et ça sonne comme une admirable décharge de la brigade légère. Ils amènent «Kicks» au Magic Carpet Ride. «Not Wrong Long» sonne bien les cloches - I’m not wrong long ! - c’est de la pop explosive qui saute par paliers en fonction du régime. Ça se termine avec une version heavy d’«Under The Ice», c’est battu à la diable et projeté de plein fouet dans le mur du son. On croit entendre les Beatles des enfers.

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             Il faut éviter le Nazz III édité l’année suivante par Atlantic sans le consentement du groupe, enfin de ce qu’il en restait, car Rundgren et Van Olson avaient quitté Nazz au moment où paraissait l’album. Selon des sources bien informées, on a viré la voix de Rundgren sur les vieilles bandes pour la remplacer par celle de Stewkey.

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     Si on veut entendre la voix de Rundgren, il faut rapatrier The Fungo Bat Sessions rééditées en 2006. Après tous les cuts de Nazz III privés de Rundgren («Kicks», Magic Me», «Losen Up» monté sur le riff de «Tighten Up», «Christopher Columbus» rocké à la force du poignet et «You Are My Window», véritable énormité que chante Rundgren), on passe aux bonus Fungo avec encore un «Magic Me» indomptable et une guitare qui roule sous la peau du beat. Rundgren joue comme Jimi Hendrix, à l’incidence. Tous les cuts sont à tomber de sa chaise, «No Wrong Long» et «Meridian Leeward», un groove des Caraïbes. Rundgren chante «Letters Don’t Count» et tout redevient de la magie pure : «Only One Winner», c’est tout simplement the Todd of the pop, puis voilà le renversant«It’s Not That Easy» et ce coup de génie terminal qu’est «Forget All About It».

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             Pour éviter tous les problèmes rencontrés dans Nazz, Rundgren décide se simplifier la vie et de naviguer en solitaire. Il se lance dans une carrière solo. Il construit un studio secret qui va devenir un mythe et attaque en 1970 l’enregistrement d’albums qui vont forger sa légende. Le premier s’appelle Runt. Il attaque cet album extrêmement sous-estimé avec un «Broke Down & Busted» monté sur le riff du «Cowboy Movie» de Croz. Il l’équipe de ponts plus pop et imagine un développement plus rebondi, ce qui ne l’empêche pas de replonger dans l’épaisseur du groove. Il peut même aller chercher l’hendrixité des choses lorsqu’il se prête au vieux rituel soloïque. On retrouvera ce riff un peu plus tard dans «Number One Common Lowest Denominator». Avec Nazz, Rundgren montrait qu’il savait déjà travailler la lumière. Ça se confirme avec «We Gotta Get You A Woman». Il allume son cut tant au chant qu’aux arrangements. Il fabrique de la vraie pop américaine, comme Jimmy Webb et Brian Wilson. Retour au pur Nazz Sound avec «Who’s That Man». Rundgren pulse littéralement le beat par dessus les toits, il propose ici une pop rutilante et nerveuse. Il se livre à un fantastique exercice de contre-chant. Il règne sur son empire à coups de who’s that man ! Nouveau coup de Jarnac rundgrenien avec «Devil’s Bite». Il chante ça à la désaille beatlemaniaque. Il fait dérailler sa voix en plein Bite. Il dispose réellement de tout l’arsenal : le génie vocal, la talent de compositeur, le jeu de guitare et le look de rock star. Il n’a donc besoin de personne en Harley Davidson. Il se livre en B à l’un de ses futurs dadas, le medley, avec «Babby Let’s Swing/The Last Thing You Said/Don’t Tie My Hands». Il en fait une confiture magique. Les trois cuts sonnent comme du Rundgren pur, délicats et fruités, mélodiques et de grande amplitude. Rundgren fait ce qu’ont fait les Beatles en Angleterre : il sublime la pop. Il termine avec un beau carnage : «Birthday Carol», un instro ultra-tonique et il solote ça avec une niaque épouvantable, il semble jouer contre vents et marées, c’est un voltigeur de première ligne. Il s’arrête soudain et repart en mode mélopif douceâtre. Quel album !

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             Encore un coup d’avorton (runt) avec Runt - The Ballad Of Todd Rundgren paru l’année suivante. Sur la pochette, Rundgren joue assis à son piano avec la corde au cou. C’est ici qu’on fait connaissance avec deux autres personnages à dimension mythique, Hunt & Tony Sales, qu’on retrouvera plus tard dans Tin Machine. Le point fort de l’album se trouve au bout de la B et s’appelle «Parole». Back to the big heavy rock - Put down that phone and listen/ Baby how can you be so unkind - Les frères Sales jouent leurs asses off, comme on dit là-bas - Put down that gun/ And listen/ If you shoot/ It would be such a waste - Que ce violence dans cette essence ! Dès «Long Following Robe», on sent une énergie pop extraordinaire. On sent le mec prêt à conquérir le monde. Il casse encore la baraque avec sa guitare vrilleuse dans «Bleeding». Et puis on sent monter l’influence de Laura Nyro dans des cuts plus tranquilles comme «A Long Time A Long Way To Go» ou «Hope I’m Around». «Boat On The Charles» groove bien le Runt. Globalement  Rundgren propose une pop très ambitieuse qui ne cherche pas à vendre son cul. 

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             En 1972, Rundgren passe aux choses très sérieuses avec Something Anything. Ce double album propose pas moins de trois coups de génie, à commencer par «I Saw The Light». Ça ne te rappelle rien ? Mais oui, les jours heureux, only you, only you/ And a feeling hit me oh so strong about you et cet enfoiré s’envole avec cause I saw the light in your eyes. C’est tout simplement l’expression lumineuse et chaude du génie de Todd Rundgren. Le deuxième moment fort se trouve en C et s’appelle «Couldn’t I Just Tell You». Il attaque ça au guttural beatlemaniaque. Belle harmonie entre sa niaque new-yorkaise et cette voix de sucre anglais. Wow, ce hear me out/ Why don’t you lend me an ear et cette façon de remonter les bretelles de son I wanna talk to you. Comme Brian Wilson, Todd Rundgren nous emmène au paradis. Et puis comment ne pas tomber de sa chaise à l’écoute de «Little Red Lights» ? Il surjoue sa heavyness couche sur couche au fondu de voix d’electro-sonic trash, et soudain, il écrase le champignon, alors les little red lights filent de partout. C’est hendrixien dans l’âme, digne de «Crosstown Traffic». Il rend aussi un hommage extatique à Wolfman Jack avec le titre du même nom - Hey baby you’re on a subliminal trip to nowhere/ You better set your trip together before you step here with us - Il fait un hit de r’n’b sixties mixé au drive - I may miss your loving while on my back/ But you can’t escape from Wolfman Jack - Il finit l’A avec deux merveilles de pop épique ultra-orchestrée, «It Takes Two To Tango» et «Sweeter Memories», cette pop extraordinairement ambitieuse dont il va nous sevrer dans les années à venir - Keep the goog leave the bad/ Take a few of theses sewwrter memories - Assez pur, dans le genre océanique. En B, «Saving Grace» sonne comme un hit - I think I’m gonna love it - et il revient au heavy mood en C avec «Black Maria». Il ramène les power chords et tout le pathos. Sa voix coule comme du miel, c’est une merveille d’osmose de la comatose. Il nous fait les harmonies vocales du «Swlabr» de Cream. En D, «Hello It’s Me» sonne comme un hit, mais on va plus sur «Some Folks Is Even Whiter Than Me», un solide groove de pop rock visité par un sax free. Ce diable de Rundgren va chercher le guttural des cavernes. Il termine avec «Slut», un heavy rock de see that girl, doté de chœurs fantastiques - She may be a slut/ But she looks good to me ! - Diable, comme on a pu adorer cet album à sa parution.

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             Et plus encore le suivant, A Wizard A True Star, paru un an plus tard et annoncé par Creem comme le messie. Album culte dont on a dit dans un Part One tout le bien qu’il fallait en penser. Dans l’étagère, tu ranges A Wizard A True Star à côté de Pet Sounds, d’Electric Ladyland, d’L.A. Woman, du White Album, de Blonde On Blonde, de Forever Changes et de Gene Clark With Ths Gosdin Brothers.

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             En 1974, Todd revient à la une de l’actu avec un nouveau double album sobrement titré Todd. Pour lustrer plus encore le blason de sa légende, il s’est teint les cheveux de toutes les couleurs. Quelle pochette ! Quelle gueule de rock star ! Il propose toujours une pop ambitieuse très orchestrée («I Think You Know») et très fantaisiste, pour ne pas dire très libre («Drunken Blue Rooster»), ce qui, à l’époque, dérouta tous les moutons de Panurge. Pour rester dans le filon du Zen Archer, il proposait «The Last Ride», une pop océanique qui s’étend jusqu’à l’horizon et qui ne se connaît pas de limite. Mais c’est avec «Everybody’s Going To Heaven» qu’il crée l’événement. Il replonge une fois encore dans la heavyness hendrixifiée et les vapeurs mauves du Crosstown Traffic. En C, il inscrit «No.1 Lowest Common Denominator» dans les tables de la loi, comme s’il réinventait la heavyness. C’est un chef-d’œuvre de coulage de bronze - I wanna be your No.1 lowest common denominator - Il sort des sons très crosstown, une fois de plus. Il reste dans le meilleur heavy blast de forty second street avec «Heavy Metal Kids». Il part en solo de fulgure et bat tous les records d’admirabilité des choses. Franchement, les clameurs extrêmes n’ont aucun secret pour lui.

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             Quel album bizarre, cet Initiation qui date de 1975. Bizarre car coupé en deux : la B est du pur prog d’Utopia, alors laisse tomber, et l’A, du pur Rundgren, alors laisse surtout pas tomber, au moins pour ces trois cuts que sont «Real Man», «The Death Of Rock And Roll» et le morceau titre. «Real Man», c’est de la pop de Todd et même de Wizard, même ampleur, même élan, même distinction. Pour «The Death Of Rock And Roll», il ressort les mêmes ficelles de caleçon, il sait se fâcher et jouer le heavy rock US mieux que personne. Quant au morceau titre, il nous récompense d’avoir chopé l’album, car c’est the Todd of the pop, du génie de bon cœur, il fonce dans le tas, avec un son exaltant, très fourni. Du pur Rundgren.

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             On considère aussi Faithfull comme l’un des grands classiques rundgreniens. Il y propose une A bourrée de covers et une B à lui. Son choix de covers le ramène au sources du mythe rundgrenien : Yardbirds, Beatles, Beach Boys, Dylan et... Hendrix, bien sûr, surtout Hendrix avec une version monumentale d’«If Six Was Nine». Il le prend d’ailleurs d’un peu haut, comme s’il voulait y shooter un peu de violence new-yorkaise. On le sent fasciné par Hendrix, il va chercher l’hendrixité des choses dans son monde, il joue des figures de style aériennes, il revient inlassablement flotter dans des vents d’écho. Résultat stupéfiant. Il paye son écot à Dylan avec «Most Likely You Go Your Way» et aux Beatles avec «Rain» qu’il agrémente de chœurs doux à la volée. Sa version de «Good Vibrations» est du pur copy cat. Comment pourrait-il en être autrement ? Il n’amène rien de plus que ce qui existe déjà dans la version originale. Il se montre juste l’égal de son dieu. Pour saluer les Yardbirds, il plonge dans un bain d’«Happening Ten Years Ago» avec des guitares qui gently weep. Admirable clin d’œil d’un kid américain au psyché de l’âge d’or britannique. Et quand il part en solo, il part en solo. Rundgren joue toujours pour de vrai. En fait, avec cette A, il tape dans les pires intouchables de l’histoire du rock, et «Strawberry Fields Forever» en fait partie. À part Todd Rundgren, personne n’a jamais osé s’attaquer à ça, ni à «Good Vibrations». Mais sa version est très américaine, il manque forcément le doigté de John Lennon. Il démarre sa B avec «Black And White», un heavy rock psyché - Guess you can believe anything - C’est énorme, chargé du meilleur son qui se puisse espérer ici bas. Non, franchement, on se saurait espérer mieux dans le genre. Avec «Love Of The Common Man», il propose son habituel mix de heavyness et de pop lumineuse. Comme les Beatles sur le White Album, Rundgren se livre à quelques exercices de style du type «When I Pray», assez africain d’esprit. D’ailleurs la pochette de Faithfull est aussi blanche que celle du White Album. Il faut aussi se souvenir que ces quelques excentricités pouvaient à l’époque ruiner un album. Cette face ne pouvait évidemment pas marcher à l’époque. Trop poppy, «The Verb To Love» ne passait pas. Il termine sa B sur un épisode assez glammy, «Boogie (Hamburger Hell)». Il sait tout faire, même glammer comme un gang de droogs.

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             Retour de la rock star sur la pochette de Hermit Of Mink Hollow paru en 1978. Le stand-out cut se l’album se trouve en fin de B et s’appelle «Out Of Control». Il porte bien son nom, hot damn ! C’est monté sur un big heavy riff. Rundgren l’a déjà montré : il sait allumer un cut au riffing et aux descentes de chant qui vont se fondre dans le chorus de guitare. Oh, il faut le voir partir en maraude de solo gras. Admirable corker ! Il emmène son hot shit au bout du bout et s’en vient lui hurler dessus. Il appelle l’A the easy side et la B the difficult side. Côté easy, on trouve «All The Children Sing», une pop très symphonique bâtie autour de ponts complexes qu’il jette par-dessus des vallées de synthèse. Tout reste très allégorique, chez Rundgren, il ne lâche jamais la grappe de sa vigne. Il s’adresse ici à tous les mecs de la terre, the Chinaman, wise and old, the Eskimo, brave and cold, the Jew in the holy hand, the Arab in his caravan, the African, strong ans proud, the Redneck, good and loud. Bravo ! Ce sont des paroles qu’on a presque envie d’apprendre par cœur. Il reste avec «Can We Still Be Friends» dans cette pop dont il a le secret, une pop connue de lui seul, très libre, très ouvragée, un monde en soi. Il rappelle aussi sur la pochette intérieure qu’il joue tous les instruments. Avec «Hurting For You», il explore de nouvelles contrées lysergiques et pianote dans l’ouate des chœurs. Il reste dans la pop élancée en B avec «You Cried Wolf». À force de crier au loup, comme on dit !

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             Healing paraît l’année de l’élection de François Miterrand. Il commence à expérimenter avec ses keys et ses boxes, comme il va le faire avec Utopia. Disons que l’album ne fonctionne pas. On s’y ennuie, et c’est la première fois qu’une telle chose se produit.

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             Sur The Ever Popular Tortured Artist Effect paru l’année suivante, Rundgren rend hommage aux Small Faces avec une version exemplaire de «Tin Soldier». Il monte sur ses grands chevaux pour imiter la bravado de Stevie Marriott. Il est mille fois dessus, il va même chercher le chat perché du vieux Stevie. Les autres bouts de viande se trouvent en A, à commencer par «Hideaway», belle pop avantageuse chargée de toute l’ambition rundgrenienne. Il revient inlassablement à cette pop énergétique pleine d’allant et tendue vers un avenir certain. On pourrait dire la même chose d’«Influenza», pop radieuse et clavecinée derrière les oreilles, jouée au mieux des possibilités du genre. Il fait des re-re sur sa voix, c’est un artiste complet - I can feel my will slip away/ Under your influenza - Quelle musicalité ! Puis avec «There Goes Your Baybay», il n’en revient pas de voir sa baby partir - Now I can’t believe it’s happened to me ! - En B, il tape «Drive» au son des Byrds, il est capable de ce genre de coup d’éclat. D’ailleurs, les Byrds étaient étrangement absents de Faithfull. Défaut réparé.

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             Encore un fascinant album : A Capella, paru en 1985. Rundgren tape dans le gospel avec «Hodja». On le sait depuis le début, s’il est bien un mec qui n’a besoin de personne en Harley Davidson, c’est bien Todd Rundgren. Le voilà lancé dans le jump de doo-wop, il fait son Blind Boy Of Alabama aux clap-hands, Hodja make me spin/ I want to dance ‘til I forget who I am - Puis il sort de sa manche une Beautiful Song intitulée «Lost Horizon». Il s’accompagne à la basse et swingue sa pop dans les altitudes - Maybe someday/ I’ll sing with you - Admirable, Todd Rundgren montre qu’il sait encore faire des miracles. Il monte son «Blue Orpheus» d’ouverture de bal sur un beat electro, mais ça captive. Curieux mélange de pop épique et de beat electro primitif. Il chante «Pretenders To Care» a capella, sur ses propres chœurs et son doom de doo-wop. Ce mec est très complet, trop diraient même certains. Il mélange les gens dans sa pop d’adolescent attardé. En B, il revient au pop world avec «Something Fall Back On Me», cut épique et lumineux dans la meilleure veine de Something Anything. Il règne sans partage sur son empire des sens. Avec «Miracle In The Bazaar», il fait le muezzin dans la medina et avec «Lockjaw», il fait l’ogre qui rôde dans la forêt noire. Il chante le magnifique «Honest Work» a capella - My family is lost to me/ They could not bear the hurt/ To see the state their boy is in/ For lack of honest work - C’est très poignant. Il termine avec «Mighty Love», un doo-wop en solitaire avec un boom boom derrière son chant étoffé de chœurs. Très bel album.

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             Encore un coup d’éclat avec Nearly Human paru quatre ans plus tard. Bobby Womack vient duetter avec Todd sur «The Want Of A Nail». Du coup ça prend une fantastique allure de white Soul à la Womack. Rundgren mêle sa bave de Philly Soul à celle du petit Bobby. Quelle belle paire, the white dandy and the black dandy together, c’est quelque chose ! Autre invité de marque : Prairie Prince, qu’on entend en B battre le beurre sur «Feel It». On a là une atmosphère à la Marvin, violonnée et travaillée au groove incertain. Rundgren mène bien sa barque de white Soul somptueuse et charnue. Retour à la grande puissance pop avec «I Love The Life», chœurs énormes avec un Todd on fire sur sa guitare. Les chœurs sonnent comme des bouquets d’excellence, il finit en apothéose de gospel batch. Stupéfiant ! C’est encore une fois un album exceptionnel. Rundgren revient à sa blue-eyed Soul avec «The Waiting Game», il tarabiscote à la Laura Nyro, c’est forcément bien vu et fantastiquement soutenu aux backing vocals. S’il fallait définir Rundgren en seul mot, ça pourrait bien être le mot éther. Avec «Unloved Children», il revient à ses chers solos incendiaires. Il faut le voir se glisser dans le heavy groove. Il nous gratifie aussi avec «Can’t Stop Running» d’un final explosif, tout y est, les chœurs, le solo, la folie douce. Il reprend son bâton de pèlerin avec «Fidelity» pour aller prêcher la blue-eyed Soul. Admirable sens du déroulé paradisiaque. Cet album s’inscrit dans la lignée des grands albums rundgreniens d’antan. Et puis voilà qu’avec «Hawking», il rejoint l’infini océanique du Zen Archer. Que peut-on espérer de mieux ?

             Suite des aventures du Wizard dans un Part Three.

    Signé : Cazengler, Todd Rengaine

    Nazz. Nazz. SGC 1968

    Nazz. Nazz Nazz. SGC 1969

    Nazz. III Including The Fungo Beat Sessions. Sanctuary Records 2006

    Todd Rundgren. Runt. Bearsville Records 1970

    Todd Rundgren. Runt. The Ballad Of Todd Rundgren. Bearsville Records 1971 

    Todd Rundgren. Something Anything. Bearsville Records 1972

    Todd Rundgren. A Wizard A True Star. Bearsville Records 1973

    Todd Rundgren. Todd. Bearsville Records 1974

    Todd Rundgren. Initiation. Bearsville Records 1975

    Todd Rundgren. Faithfull. Bearsville Records 1976

    Todd Rundgren. Hermit Of Mink Hollow. Bearsville Records 1978

    Todd Rundgren. Healing. Bearsville Records 1981

    Todd Rundgren. The Ever Popular Tortured Artist Effect. Bearsville Records 1982

    Todd Rundgren. A Capella. Warner Bros Records 1985

    Todd Rundgren. Nearly Human. Warner Bros Records 1989

    Lois Wilson : Drugs worked for me. Record Collector # 491 - April 2019

     

     

    Inside the goldmine

    - Qualls qu’il fasse

     

             On l’appelait OPQ parce qu’il se situait entre le KLM(N) de sa KTM et le RST de son air resté. Resté où ? Là-bas. Ne cherchez pas à comprendre. OPQ avait du cul, c’est-à-dire de la chance. Il pouvait barboter n’importe quoi sans jamais se faire poirer. Il comptait même en faire un métier, mais il était aussi père de famille, alors il dût accepter l’idée de prendre un job. Comme tout le monde, il devait payer son loyer et ses impôts. Mais dès qu’il avait un moment de libre, il donnait libre cours à sa cleptomanie. Comme on bossait ensemble, on y allait ensemble. Il repérait une boutique. Le jeu consistait à sortir deux objets identiques, les plus gros possibles. Le voir à l’œuvre était un spectacle hallucinant. Il sortait une main blanche de la poche de son imperméable et vif comme l’éclair, il subtilisait l’objet convoité. Il agissait sans jamais se retourner, comme s’il avait un œil à l’arrière du crâne. Il suffisait de l’observer et d’agir au même moment pour comprendre qu’on ne risquait rien. OPQ fonctionnait à l’instinct animal. Il savait exactement quand il fallait agir, au dixième de seconde près. Sa cleptomanie était un don, au même titre que l’oreille musicale pour un instrumentiste. Il analysait rapidement les ambiances, il ignorait les risques. C’est même une notion qui le faisait bien rire. Le risque ? Mais ça n’existe pas ! Ça n’existe que dans ta tête ! Il s’intéressait aux objets coûteux, objets de déco chez les designers, objets anciens chez les antiquaires, bouteilles de parfum chez les grands parfumeurs, et bien sûr grands crus chez les cavistes. Pas de bijoux, à cause des caméras. La condition était que ces objets fussent en double. Et puis bien sûr les disques. OPQ en avait rempli une armoire normande et se vantait de n’en avoir acheté aucun. Ça illustrait bien le rendement de la petite industrie. Sa femme sentait bon, sa maison était joliment décorée, ses enfants jouaient avec des jouets anciens qui valaient une petite fortune et il arrosait chaque repas d’un grand cru sélectionné avec un soin maniaque. Il y avait quelque chose de princier dans la voyoucratie d’OPQ. On aurait pu le surnommer Arsène Lupin.

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             Il existe un autre Arsène Lupin, mais c’est un Arsène Lupin de la Soul : Sidney Joe Qualls. C’est grâce à Sam Dees qu’on a fait sa connaissance : il figure sur la compile Ace One In A Million (The Songs Of Sam Dees). Un Sidney qui s’écrit aussi Sydney, ça dépend des labels. En plus de la connexion Sam Dees, tu as la connexion Carl Davis, le boss de Brunswick et de Dakar à Chicago, l’un des producteurs les plus brillants des années 70.

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           C’est d’ailleurs sur Dakar qu’est paru en 1974 le premier album de Sidney Joe Qualls, I Enjoy Loving You. Mise en bouche avec le groove du morceau titre, un groove de charme excédentaire. Qualls chante comme un dieu noir, il est le Marvin de Chicago. Il épouse parfaitement les formes du groove de Carl Davis. C’est sur cet album qu’on trouves les compos de Sam Dees, «Shut Your Mouth» (r’n’b classique chanté au doux du ton) et «Run To Me» en B, attaqué à la Marvin. Qualls le crack est dans de bonnes mains avec Sam Dees. Il groove l’une des meilleures sources de Soul du monde. Il tape aussi dans Gamble & Huff avec «If You Don’t Know Me By Now». Qualls tape là dans le nec plus ultraïque de l’upper state. Il tape plus loin dans une groove signé Carl Davis, «The Next Time I Fall In Love». C’est d’une magnanimité sans nom, une magnitude digne d’Anna Magnani. Il érige l’édifice d’une ineffable Soul sophistiquée. Il faut le voir feuler l’«I’m Being Held Hostage». Les blacks sont souvent des chanteurs de chèvre chaud. Et puis voilà le coup de génie de l’album : «When The Lilies Grow». Qualls fait danser ses hautes notes dans les tourbillons du bonheur, au yeah-ehh-ehh. Il boucle son balda avec l’excellent «Can’t Get Enough Of  Your Love», il reste pour ça dans le mood de groove urbain, Qualls a le doux gai de Marvin Gaye et le pied ailé de Leroy Hutson.

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             Un deuxième album paraît en 1978, le goûteux So Sexy. Dès le morceau titre d’ouverture de balda, le génie Soul de Qualls te saute au kiki, c’est-à-dire à la gorge, sur un heavy diskö beat ! Le cat Qualls chante comme un crack. Mais attention, ce n’est pas un album diskö, car avec «Let The Woman Know», Qualls passe à la Soul dansante très haut de gamme, les trois blackettes qui font les chœurs derrière Qualls sont superbes. Et puis il faut voir les violons de Marvin saluer «I Don’t Do This», ce mec Qualls est bon, il se prélasse dans l’oooh baby you’re so sweet. Comme c’est supervisé par Carl Davis, on a un chef d’œuvre de Soul moderne, dans l’esprit de Freddie Scott. En B, Qualls tape dans le funk avec «Good Ol’ Funky Music». On se croirait chez Parliament, babbehhh ! - I like funky music ehh ehh - il groove ça au big Qualls kick. Il fait du Richie Havens avec «Bad Risk», c’est puissant et mâtiné de violons, bien porté par le chant, les arrangements battent tous les records d’élégance. On trouve encore des grands éclats de Soul moderne dans «Where Have You Been», ça nous renvoie aux grands albums que Freda Payne enregistra avec Lamont Dozier et les frères Holland. Qualls finit ce bel album avec «I Could Be So Good For You», en mode Soul d’élégance suprême. Il groove son pré carré et monte au chat perché pour l’éclairer. Encore un album dont on espère ne jamais voir la fin. 

    Signé : Cazengler, Sidney crochu

    Sidney Joe Qualls. I Enjoy Loving You. Daker Records 1974 

    Sidney Joe Qualls. So Sexy. 20th Century Fox Records 1978 

     

     

    Wizards & True Stars

    - Last train to Clark’s ville (Part One)

     

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             Avec les Byrds, c’est un peu comme avec les Beatles, tu as tes chouchous. Sans doute George et John d’un côté, Croz et Gene Clark de l’autre. Chacun des quatre est une true star à part entière, et en même temps, ils ne sont rien les uns sans les autres. Pas de Byrds sans Gene Clark ni Croz. Bon d’accord, tu as les autres derrière, Jim McGuinn qui se rebaptise Roger, va-t-en savoir pourquoi, et puis la section rythmique Michael Clarke/Chris Hillman, mais on voit bien qu’après les départs de Gene Clark et de Croz, les Byrds sont retombés comme un soufflé, ce qui veut bien dire ce que ça veut dire.

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             Si les quatre chouchous sont réunis ici, ce n’est pas un hasard, Balthazar. Ils sont tous les quatre des musiciens et des compositeurs exceptionnels. Tape dans les albums solo de Lennon et de Croz, et tu verras qu’il n’y a quasiment rien à jeter. Chez George, c’est du pareil au même : All Things Must Pass est un joyau de la couronne d’Angleterre, l’un de ces albums parfaits que savaient enregistrer les grands artistes des années 70. Et puis tu as Gene Clark, dans un style post-Byrds beaucoup plus austère, mais tellement fascinant. Plus tu l’écoutes, plus tu comprends que les Byrds, c’est Gene Clark, sans vouloir manquer de respect à Croz. Gene Clark composait énormément et les autres Byrds le jalousaient un peu, car c’est lui qui empochait le gros des royalties.

             Il existe cinq façons d’entrer sur le continent Clark pour l’explorer : un, via les trois premiers albums des Byrds + Preflyte. Deux : via la bio de John Einarson, Mr. Tambourine Man - The Life And Legacy Of The Byrds’ Gene Clark. Trois : via les big bio des Byrds qui fait référence, celle de Johnny Rogan, Byrds - Requiem for the Timeless en deux volumes. Quatre : via la carrière solo de Gene Clark. Et cinq, via une compile Ace qui vient de paraître : You Showed Me - The Songs Of Gene Clark. Cette compile est la façon la plus légère d’entrer sur le continent Clark. Bizarrement, ce n’est pas John Einarson qui mène le bal du booklet, comme il le fait dans quasiment toutes les rééditions de Gene Clark, mais Kris Needs.

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             Égal à lui-même, Needs écrit avec une passion d’écolier transi. Il a déjà réussi à convaincre tous ses lecteurs de ramasser l’intégralité des albums de Sun Ra et de Funkadelic. Le voilà qui récidive avec Gene Clark qui pour lui est «one of the last century greatest voices, charismatic performers and supernaturally talented songwriters.» On le sait depuis longtemps, Needs ne lésine pas sur l’emphase et tant qu’il s’agit de très grands artistes, ça nous convient parfaitement. Qu’il en rajoute un peu, c’est normal, puisque c’est dans sa nature. Il s’excite tout seul en écrivant et il a raison. L’enthousiasme est toujours le bienvenu, même si on retrouve ici et là sa fâcheuse tendance à se placer au centre du récit. On aurait presque envie d’être un esclave debout près de lui sur le char qui traverse la ville pour lui murmurer à l’oreille : «N’oublie pas Needs que tu n’es pas Clark.» Comme beaucoup de gens passionnés de rock, il semble vouloir se grandir à travers ses dévotions. C’est un phénomène courant. C’est un peu la même chose que de dire au Professor avant d’entrer dans le studio du radio show : «Souviens-toi que tu n’es pas là pour parler de toi, mais des Cramps.» Bien sûr, il ne pourra pas s’empêcher de parler de lui. La dévotion passe parfois par le nombril.

             Il n’empêche que Needs s’y prend habilement pour bricoler sa compile : il fait un choix osé de covers et d’interprètes pas trop connus, ce qui occasionne quelques belles surprises, notamment le «Some Misunderstanding» de l’electronic gospel duo Soulsavers featuring Mark Lanegan. On avait cru bon de faire l’économie de cet album. Grave erreur car Lanegan + Gene Clark, ça donne un cocktail explosif. Needs parle de «towering emotional devastation» qui atteint un pic de no-retour avec «We all need a fix», en écho avec l’ineffable autobio de Lanegan, Sing Backwards And Weep. Needs en profite pour faire l’apologie de l’album Broken, dont est tiré le so spectral «Some Misunderstanding», spectral, oh yeah, avec un Lanegan blanc comme un cierge tapi au fond du spectre, et ça monte à l’éclate, ça se transforme en une aubaine pour le genre humain. On a là une sorte de conjonction inespérée : Lanegan + Gene Clark. Rien de tel qu’un interprète surnaturel pour mettre en valeur la grandeur élégiaque d’une compo. L’histoire du rock fourmille d’exemples de conjonctions inespérées : Totor/Righteous Brothers, Jerry Ragovoy/Dusty chérie, Burt/Dionne la lionne, HDH/Marvin Gaye, Isaac & Porter/Sam & Dave, et la liste continue. Cette liste constitue l’une des dimensions magiques de l’histoire du rock.

             Autre conjonction inespérée : Death In Vegas/Paul Weller avec une cover de «So You Say You Lost Your Baby», tiré du premier album solo de Gene Clark avec les Gosdin Brothers. C’est toujours très carré avec l’electro beat de Death In Vegas, mais cette fois ils tapent dans la compo du diable. Weller chante. What a mélange ! Ce fabuleux rock californien décolle comme un gros vaisseau spatial. C’est là que le compositeur Clark devient immense. À travers ce choix, Needs nous dit que Gene Clark traverse toutes les époques - It’s a mark of the eternel resonance of Gene songwriting - On connaît le faible de Needs pour l’electronic dance music. Dans son autobio, il nous soûlait avec ça. Alors il récidive et entre dans le détail de Death In Vegas, revient sur les fameuses Continuo Sessions, featuring Iggy et Baby Gillespie, puis sur Scorpio Rising, featuring Liam Gallag, Hope Sandoval et Weller, d’où est tiré ce véritable coup de génie qu’est la cover de «So You Say You Lost Your Baby».

             Tu sens nettement qu’une grosse énergie sous-tend tous les cuts de cette compile. Tiens on va prendre l’exemple des power pop kings Velvet Crush de Rhode Island. Ils tapent une fabuleuse cover d’«Elevator Opratator», chef d’œuvre lui aussi tiré de Gene Clark With The Gosdin Brothers. Nec de nec. Pas de choix plus juste que celui-ci. À travers ses choix, Needs revisite l’envol du Byrd solo. Alors bien sûr, on n’échappe pas aux Groovies qui ramènent leur fraise avec «She Don’t Care About Time», un cut qui aurait dû figurer sur Turn Turn Turn, le deuxième album des Byrds. Needs : «Perhaps my favorite Gene Clark song.» Mais la cover des Groovies n’est pas terrible, un peu confuse. Ils se prennent les pieds dans le tapis volant. On ne voit pas bien l’intérêt. On a d’ailleurs eu le même problème avec les Barracudas qui s’’épuisaient en vain à vouloir sonner comme les Byrds. Mais qui avait besoin de nouveaux Byrds à Londres ? Il valait mieux écouter les trois premiers albums des Byrds parus sur Columbia. Needs en profite pour rappeler que les Groovies «took their homaging of 60s Byrds, Beatles and Stones to nuclear levels at the height of ‘77 punk, in smart suits.» Cyril Jordan qui fréquentait les Byrds à leurs débuts n’en démord pas : pour lui, c’était de la magie, et c’est pourquoi il reprenait leurs cuts. Needs raconte aussi l’histoire des fameuses Gold Star Tapes : l’un des rêves de Cyril Jordan était d’enregistrer avec Totor et quand le projet est arrivé sur le bureau de Seymour Stein, il a préféré envoyer les Ramones chez Totor. C’est Marc Zermati qui a repris le projet au Gold Star et qui a proposé de le financer. Mais il n’avait pas de blé. Il est rentré en France avec un acétate et a réussi à sortir ses Gold Star Tapes. C’est bien que Needs salue Marc.

             «Eight Miles High» fut la seule compo de Gene Clark sur Fifth Dimension, le troisième album des Byrds. Curieusement, Needs a choisi la cover de Roxy Music. Weird choice car c’est une version diskö-funk, alors qu’«Eight Miles High» est avec «Arnold Layne» l’un des hymnes de la psychedelia. Le son est très anglais, on voit tout de suite la surface de vente et ce m’as-tu-vu de Ferry fait du glam de Byrds, c’est atrocement détourné, complètement pourri. Là, Needs se vautre en beauté. En même temps, c’est bien de savoir que des gens aussi en vue que Roxy peuvent faire n’importe quoi.

             Retour aux choses sérieuses avec «Echoes», un autre hit intemporel tiré lui aussi de Gene Clark With The Gosdin Brothers. «Echoes» est l’un des hits les plus faramineux de cet immense artiste. Needs s’étend d’ailleurs longuement sur cet album qui vaut largement les trois premiers Byrds, il rappelle tout de même que Tonton Leon, Glen Campbell, Jerry Cole, Van Dyke Parks et Clarence White sont dans le studio. Avec en plus Doug Dillard qui fera équipe avec Gene Clark aussitôt après, et dans les backing, tu as bien sûr Vern et Rex Gosdin dont les albums sont chaudement recommandés. C’est à Starry Eyed And Laughing que revient l’honneur de taper l’«Echoes» et miraculeusement, ils parviennent à restituer la magie de l’original. Needs qualifie ce groupe anglais des seventies de Byrds maniacs. Il rappelle aussi que le nom du groupe sort de «Chimes Of Freedom» et que Pete Frame, le boss de Needs chez Zigzag, les manageait. Et pour couronner le tout, le chanteur Terry Poole gratte une douze Rickenbacker.

             L’autre bonne pioche du compileur Needs, c’est The Rose Garden avec l’énorme «Till Today». N’oublions pas qu’il existe un EP inédit, The Rose Garden EP, qu’on trouve sur Gene Clark Sings For You, une red Omnivore de 2018. Ils font avec «Till Today» une belle descente de heavy country avec un fabuleux sens de l’entre-deux. Après celles des Groovies, de Roxy Music et de Juice Newton, c’est la première cover sérieuse de la compile.  

             Needs rappelle aussi que The Fantastic Expedition Of Dillard & Clark enregistré à l’époque où il fréquente The Rose Garden est un timeless triumph, «crystallising burgeonning country-rock and planting bluging seeds for Americana with its folk-rock-bluegrass-country amalgam.» Hélas, en 1968, le bluegrass ne se vend pas. Les Flying Burritos Brothers feront aussi les frais de ce constat. Ils sont là, les Burritos, avec «Tried So Hard», merveilleux shoot de country volante et bien sûr, on pense à Jean-Yves qui, dès 1969, vénérait déjà The Gilded Palace Of Sin.

             Pour Needs, le cut le plus fascinating de la compile est «Train Leaves Here This Morning» par Kai Clark, le fils de Gene, tiré d’un tribute album inaccessible. Kai ramène en effet la heavy country de son père. Par contre, on croise pas mal de plantards : Juice Newton («I Feel A Whole Lot Better» trop glacé), Thin White Rope («I Knew I’d Want You», si loin du compte), Linda Ronstadt (elle non, jamais de la vie, pauvre femme atroce et vulgaire), Pure Prairie League («Kansas City Spouthern», petit bivouac sur le cadavre de Gene Clark, aucune considération, fuck it), The Mother Hips («Why Not You Baby», encore une bande de m’as-tu-vu qui se croient tout permis) et puis tu as la reformation des Byrds et un «Full Circle» forcément énorme. Avec Gene Clark c’est tout l’un ou tout l’autre. En fait tout dépend des interprètes. Il est vraiment très spécial.

    Signé : Cazengler, tête à clarques

    You Showed Me. The Songs Of Gene Clark. Ace Records 2022

     

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         - La livraison 599 est parue avec trois jours d’avance, because j’étais en déplacement sur la route 6…

    • On the road 66 et tu ne nous as pas emmenés avec toi, Damie tu mérites soixante-six fois la mort !
    • Pas d’affolement les gars, je n’étais pas sur la soixante -six mais sur la 6…
    • Sur la 666, celle de la bête crowleyenne, invité par Jimmy Page au manoir Boleskine, Damie nous te maudissons jusqu’à la six-cent-soixante-sixième génération !
    • Doucement les gars, y a longtemps que Jimmy a tourné la page Boleskine, de toutes les façons je n’ai emprunté ni la 66, ni la 666, mais la 606 !
    • La 606, on ne connaît pas, une route pour les blaireaux comme toi, tu sais où tu peux te la mettre ta 606…
    • Bon puisque ça ne vous intéresse pas, je ne vous raconterai pas qui j’ai vu, y avait plein de rockers, une super nana, un concert de rock et…
    • Damie, arrête de nous faire languir, nous sommes tout ouïe pour ce truc inouï !
    • La route 606, comme vous l’ignorez, ne passe pas très loin de Provins et mène à Sens, donc je l’emprunte, au bout d’une quarantaine de kilomètres je sors de la route 606 et trois cents mètres plus loin je m’arrête pile sur la route 606.
    • Damie tu affabules si tu sors de la route 606 comment peux-tu t’arrêter sur la route 606.
    • C’est qu’il y a route 606 et route 606, la première est une route tout ce qu’il y a de plus route, pour ceux qui veulent tout savoir, il y a même une route 606 A et une route 606 B, mais moi je ne m’arrête ni sur la A ni sur la B, mais sur la route 606.
    • Damie, tu n’es pas un peu fatigué, tu devrais surtout arrêter le moonshine !
    • Essayez de comprendre, la Route 606 est bien une route, mais Route 606 est le nom d’un restaurant qui ne se trouve pas sur la Route 606 !

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    Route 606, vous ne pouvez pas ne pas le voir, c’est écrit en gros sur la façade noire. Un diner est-il spécifié. Pas besoin de s’inquiéter pour stationner. Dans dix ans ce sera autre chose. Nous sommes à la sortie de Sens, sur une zone d’activité en construction. Le resto en pointe et sur sa gauche une large rue toute droite sur laquelle s’alignent des locaux d’entreprises tout neuf. Aujourd’hui un désert. Demain une fourmilière. Ainsi va le monde. Mal.

    En tout cas ça sent la barbaque et le rocker. Normal, des flibustiers en perfecto s’activent autour d’un barbecue, tout de suite l’on se sent comme chez soi. Un bar et une grande salle à manger et boire durant le concert. Au mur la décoration appropriée au lieu, motos, fifty, rock’n’roll. Je ne m’attarde pas, juste une exception pour le coin de l’estrade à musicos. Une tapisserie de couvertures de livres dont une qui me fait chaud au cœur, la couverture de René Leys de Victor Segalen. Un de mes héros. Poëte, romancier, essayiste, médecin, marin, explorateur, sinologue, éditeur, peintre… Bretagne, Tahiti, Chine, né en 1878, mort en 1919, l’exote par excellence qui a exploré le monde pour mieux se retrouver en lui-même. Etranger qui passait.

    Cerise sur le gâteau, je retrouve Duduche, Franck et Christophe, la fine équipe du 3 B ! Le cheval de Troyes !

    MARLOW RIDER

    ROUTE 606

    ( Sens - 22 / 04 / 2023 )

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    ( Dessin : Patrick Cazengler )

    Si tu ne vas pas à Marlow, Marlow ira à toi. Un trio rock, tout comme tout triangle, possède trois angles. Ce soir l’angle de tête est relégué dans l’encoignure occupée par Fred Kolinski, un peu fiévreux mais toujours cette pose hiératique de roi du monde, aux cheveux transparents de sagesse imperturbable, qui sur ses tambours orchestre la mécanique des fluides qui relient les hommes entre eux, et les coups de semonce du destin qui les écrasent sur les vitres de leurs existences toujours trop brèves. 

    Un autre roi, Amine Leroy, si Fred est le monarque de la clarté ponctuante, Amine nonobstant sa chemise colorée est celui de l’ombre, yeux noirs, chevelure sombre, contrebasse fuligineuse que les autocollants colorés ne parviennent pas à égayer, Amine joue depuis l’intérieur de lui-même, l’est en dialogue constant avec sa big mama, entendez par là qu’elle parle pour lui, tout ce qu’il a à dire il le tait, elle est son medium, son interface, c’est elle qui s’exprime, parfois tous deux restent pratiquement immobiles, seuls les doigts d’Amine s’animent, souvent un vent de folie semble l’animaliser, la big mama reste stable tel l’axe incliné du monde qui ne bouge pas mais Amine se lance dans de courtes danses, son corps se détend en de brusques mouvements, se change en karatéka portant ses coups de pieds à des ennemis invisibles, dans ces moments son instrument émet des grondements intumescents qui déferlent sur le monde en onde sonores, en noirs serpents étrangleurs qui pénètrent et s’enroulent au plus profond de votre cœur.  

    Marlow le marlou, l’Argow, le pirate dont la guitare parle un argot électrique, de ce trio alchimique il est malgré son costume noir la pointe de feu, l’étamine rouge de l’incandescence. Dès le deuxième morceau, Sunshine of your love, traduisons par soleil rouge de lave, de Cream et crime, le diapason, le diapoison de la soirée est donné, joueront principalement les titres de First Ride mais aussi pratiquement la totalité de Cryptogenèse sorti depuis seulement deux jours au moment où j’écris ces lignes. Autrement dit un régal sonore, un défi car comment un trio de rockabilly peut-il subvenir au volume de cette musique psychédélique qui joue sur l’ampleur auditive. Cela nécessite maîtrise et débordement, chacune de toutes les notes doivent être comme des gemmes ciselées, mais l’ensemble doit se transmuer en tonnerre flamboyant. Le bruit subsume mais ne doit jamais couvrir la fureur de l’attaque instrumentale. Marlow a deux guitares, tout comme Zeus détenait la foudre et l’éclair, l’impact et la beauté. Notamment celle du geste, cette élégance qui fait qu’un grand guitariste est aussi un danseur, que si ses doigts s’affairent – ils semblent rivés sur les cordes dont il essaie sans cesse de se désengluer de l’attirance quasi-maléfique qu’elles exercent sur ses phalanges - de se son corps il dessine des courbes et glisse dans l’espace. Et puis la voix, la septième corde de la guitare, tour à tour la colombe qui prend son envol mais le plus souvent l’aigle qui fond sur sa proie, voire le vautour qui guette votre mort extatique. Marlow plane haut en toute tranquillité, Fred est toujours au rendez-vous des ponctuations effervescentes et Amine s’enflamme à volonté tel ces brandons que l’on lance par défi vers la voûte de la nuit pour y ajouter une étoile filante.

    Je vous ai promis une jolie fille, vous l’attendez, vous la connaissez, Alicia F, ce F comme une faucille à double tranchant, elle ne fera qu’une apparition, mais ô combien éblouissante, la femme faite désir, voix tranchante et attitude hiératiquement aguicheuse, la jouissance du rock à l’état pur, le jeu du don et du refus, en trois minutes elle a tout donné, en trois secondes elle s’est éclipsée, elle a tout repris.

    Nous n’avons pas tout perdu puisque nos trois Marlow Riders continueront à nous régaler. Le public exigera et obtiendra plusieurs rappels, je n’en dirai pas plus. Une soirée démons et merveilles.

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    ( Clap de fin : Tony, Franck, Alicia )

    Damie Chad.

     

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    Le nom du groupe a opéré comme un clin d’œil, marrant ça rappelle Blue Öyster Cult, j’ai lu la phrase dessous, se revendiquent de Black Sabbath, entre nous pas très original pour un groupe de doom ou de stoner, ah ! ce n’était pas un hasard, juste une synchronicité, citent le Culte de l’Huitre bleue aussi, z’ont déjà décroché un bon point, et puis encore  Mountain, ces gens-là me plaisent de plus en plus, et cette pochette qui rappelle Steppenwoolf, trois de mes groupes préférés, pas d’hésitation, écoute immédiate.

    UNIT 61

    RED EYED CULT

    ( Album digital / Bandcamp / 20 – 04-2023)

    Trio originaire de Norwich, du comté de Norfolk, cette étrange bosse de dromadaire située sur la façade est de l’Angleterre, composé de Lewis Doran, de Max Lungley et de John Franks. Peu de renseignements sur ces trois zèbres qui se présentent comme Cerbère, le chien à trois têtes aux yeux vitreux et aux naseaux fumants, gardien de la porte des Enfers. L’album a été enregistré au Bomb Store Studio qu’ils métaphorisent comme une installation de stockage de bombes nucléaires ultra-secrète.

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    Belle pochette, le lecteur se rapportera au Monster de Steppenwolf, recto et verso, pour méditer sur les intéressantes analogies. Un chaudron de sorcière en ébullition, un infâme clapotis de têtes de morts débordant, une armée de morts-vivants, ravage dégoûtant surmonté d’une hideuse figure, les yeux rouges sont encore au-dessus, affligés d’un strabisme divergent, un œuf poché, cassé, éclaté de lumière jaune pour l’un et l’autre menaçant tel un faisceau de DCA à la recherche d’une proie.

    Mithrandir : si vous n’aimez pas le rock ce titre est pour vous, je ne parle que des deux premières secondes, cette voix rassurante de prof de mathématiques qui vous explique l’immense joie que vous retirerez à résoudre une équation du dix-septième degré, après quoi je vous conseille de vaquer à d’autres occupations, sinon vous risquez d’avoir peur, reconnaissons que cette espèce ronronnement vomitoire de glaviot purulent n’est guère engageant, terrain glissant, une faille riffique s’écroule sur vous, aussi lourde qu’une montagne pesante, aggravée par le craquèlement de cette voix rugueuse dont vous n’attendrez aucune pitié, un torrent de cailloux qui descend lentement creusant un sillon sanglant dans votre âme piétinée en mille lambeaux, une beauté grandiose, un paysage sonore qui vous englobe dans son immensité, une basse lourde, une batterie sans cœur qui forge la cadence de quelque chose d’obscur qui avance, une force dévastatrice qui semble progresser à la vitesse d’une tortue, longue plainte d’agonie d’une guitare dont les doigts déroulent les tripes cordiques, la machine se remet en route, bulldozer historial en marche-arrière que rien n’arrêtera, s’il n’est pas de futur il est des passés cauchemardesques dont on reste prisonnier, sommes-nous du côté de Sauron ou de Mithrandir ? un des autres noms de Gandalf, l’arène de l’anneau vient de se refermer sur nous. Up in smoke : toute cette musique me tourne la tête, tout dépend de moi, ce qui vous écrase, qui pèse si fort sur votre corps peut devenir aussi léger qu’une plume, la voix n’est qu’un râle, mais imprécative, c’est le temps de la volte-face métaphysique celle qui égalise le haut et le bas, qui arase le bien et le mal, guitare victorieuse tourne la meule de la présence du monde, il suffit de transformer la dure réalité en douceur rêveuse, écoute la voix du serpent qui mue et qui depuis ton gosier tinte agréablement à ton oreille, dans le jeu de rôle du monde c’est toi qui lances et pipes les dés, chant de triomphe existentiel de paradis artificiel, ce morceau dévoile la splendeur miroitante du cosmos, tu n’étais rien, tu deviens tout. Le monde est à tes pieds, tu en jouis, et il explose comme un ballon de fumée extatique. Grögg : l’autre côté du rêve, le cauchemar, une voix de reptile, la musique pèse des tonnes, le cauchemar n’est pas horrible, il est lié à la plus grande compréhension du monde à laquelle tu es parvenu, la batterie abat les colonnes des faux-semblants, au fur et à mesure que tu avances les couloirs du retour s’effondrent. L’ennemi marche derrière toi, il est si près qu’il n’est peut-être que l’ombre de toi-même qui te suit, dont il faudrait te débarrasser, froissements paroxysmiques de basse, la guitare miaule de détresse, elle s’enfonce en toi comme pointes de poignards, les morts te coursent, peut-être es-tu déjà mort ou alors simplement une image de la mort qui te poursuit. Ambiance dramatique, tu as envie de crier tel un héros de Shakespeare mon royaume pour un cheval mais tu sais que le royaume est monté sur le cheval qui fonce sur toi. Hammerhands : que forge la basse sur l’enclume battériale, le rythme s’accroît, il se rapidise, s’accélère méthodiquement, et la guitare gagne en ampleur, tu ne peux compter que sur toi-même, les coups du destin hachent menu les remontrances que tu adresses au dieu que tu n’es pas, la musique est si lourde qu’elle éventre les tombes de ceux qui sont morts, tu glapis comme le renard qui arrache sa patte des mâchoires d’acier qui la retiennent prisonnière, maintenant tu claudiques dans la réalité du monde, une seule échappatoire, te perdre dans les fourrés du rêve, saisis-toi du marteau philosophique et détruis tous les cauchemars qui clapotent et croassent dans ton âme, ces grenouilles méandreuses de bénitier marécageux que tu écrases se muent en une superbe symphonie, tu es devenu le chef d’orchestre de ta propre délivrance, est-ce la batterie qui se teinte de folie, ou est-ce l’allégresse qui t’habite qui klaxonne dans ta tête, des sons que n’as jamais entendus jusqu’à lors, tu te tais et tu écoutes. Tu as raison ce morceau tient du prodige. Snowcome : percussions tapissées en accélération, changement de dimension, tu ne rampes plus sur la réalité du monde, tu voles dans le vril du rêve, tes cris exaltés percent la voûte des cieux, guitare et batterie déversent une averse de neige, tu hurles comme le loup, ta gueule effroyable lance des mots-tempêtes, tu es si loin, hors de toi et hors du monde, la musique devient un serpent charivarique qui se mord la queue comme s’il gobait l’œuf initial de l’origine érosique du monde. La guitare flamboie, telle une constellation ouranienne qui prendrait feu et purifierait le charbon calciné de ta cervelle en un monstrueux diamant cristallin dont chaque facette reflèterait des myriades d’univers. Et survient le riff final, tempête d’écume tsunamique, dieu merci ce n’est que du rock’n’roll. But we like it.

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             Le flair du rocker a encore frappé. Les amateurs d’ heavy doom stonerien ne regretteront pas le détour. Red Eyed Cult n’a pas à rougir des ses influences. Le groupe à suivre.

    Damie Chad.

     

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    Une belle enveloppe dans la boîte à lettres. Un envoi de Guilaine Depis, attachée de presse (La Balustrade). Un livre paru aux Editions The Melmac Cat. Cat est un mot qui cliquette agréablement aux oreilles des rockers. Sur le tract d’envoi, il est spécifié que le bouquin s’inscrit dans un nouveau courant littéraire le ‘’ pop roman’’.

    Le terme roman ne pose point de problème, celui de pop me hérisse quelque peu. Depuis quelques années la merchandisation de la littérature tend à creuser un fossé entre littérature dite ‘’élitiste’’ et la pop culture. Alors que dans les années soixante ce dernier terme désignait une volonté séditieuse d’ouvrir le champ littéraire et musical à des expérimentations éloignées des corsetages académiques, de nos jours le mot pop tend à désigner des œuvres facilement accessibles, pour ne pas dire subalternes, destinées à un public de masse. Ceci dit, ne nous fions pas aux étiquettes.

    1M976

    GERALD WITTOCK

    ( The Melmac Cat / Avril 2023 )

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    Gérald Wittock n’est pas tout à fait un inconnu. Une succincte biographie au dos de la couverture nous apprend qu’il est le descendant direct de Lucien Bonaparte. C’était le fils aîné de sa mère Letizia qui le préféra toujours à Napoléon. Ce détail historial n’est pas donné au hasard. Notre auteur a déjà publié plusieurs romans, notamment La Mutation, qui évoque un monde où les femmes ont pris le pouvoir… l’a aussi fait de la musique, notamment un disque (quatre semaines N°1 en Angleterre) Make Luv sous le nom de Room 5

    Couverture pop colorée, un mix manga-Warhol, de Bolo, agréable à regarder, attention un livre musical, chaque chapitre possède son QR code qui renvoie à une vidéo, le choix musical commence bien avec Riders on the storm des Doors, la suite est moins alléchante puisque l’on y trouve jusqu’à Sheila & B. Devotion. Il y a à boire et à ne pas manger dans cette playlist… Que voulez-vous, question Q avec ou sans R les rockers n’aiment que Suzie Q.

    Un livre gigogne. Ne serait-ce que cet avertissement de l’éditeur, suivie d’une fausse préface d’un ami, remplacée par une fausse interview de l’auteur, un véritable miroir aux alouettes ce roman. Peut-être avant de commencer notre analyse devrions-nous le résumer en quelques lignes afin de ne pas perdre le lecteur. Que se passe-t-il donc dans ce roman ? Toute question simple exige une réponse aussi simple. La voici donc : rien, il ne s’y passe rien du tout. Attention, je n’ai pas dit qu’il ne nous offre que deux cents pages blanches. Encore qu’en fin de volume Gérald Wittock termine ses remerciements par un grand merci à Malevitch et à son carré noir, ce qui tout de suite obscurcit le sujet. Après quoi il ajoute une petite phrase assassine : La littérature défie la censure. Une invitation à lire entre les lignes.

    Mais de quoi parle-t-il au juste s’impatientent les lecteurs. Le tract de présentation ne donne pas dans la nuance : annonce tout de go : Thématique de l’autisme. Reste qu’il y a autisme et autisme. Faut-il entendre ce mot comme l’affection dont nombre d’adolescents sont atteints depuis quelques années, ou le comprendre comme une métaphore descriptive du fonctionnement de notre société.

    Le roman se déroule à New York au milieu des années-soixante-dix. S’il se passait à Tokyo, au lieu d’user du vocable autiste on emploierait le mot hikikomori, ces adolescents japonais qui s’enferment dans leur chambre à lire des mangas et à jouer aux jeux-vidéo. Mais nous sommes à New York ce qui n’empêche pas Gérald Wittock d’user de l’esthétique du théâtre français classique. Du dix-septième siècle. Un seul lieu : un appartement. Et encore notre héros 1M976 n’a pas le droit de rentrer dans la chambre de sa mère ( voir Letizia ). Ce n’est pas grave, puisque toute l’action se déroule dans un lieu exigu. Pire que les toilettes. Dans sa tête.

    Est-ce que Gérald Wittock triche avec la règle de l’unité de temps. Nous avons envie de répondre oui. Nous avons envie de répondre non. Ce n’est pas que nous hésiterions. Nous conseillons nos lecteurs à relire les pages dans lesquelles Paul Valéry rapporte son entretient avec Albert Einstein, tous deux discutent de la notion d’élasticité du temps. C’est un peu comme un élastique : plus vous l’étirez, plus il s’allonge, et pourtant c’est toujours le même élastique. Une fois que vous aurez fini le livre vous aurez tout votre temps pour réfléchir sur la durée effective du récit.

    J’ai peur d’effrayer le lecteur, je le rassure tout de suite, aucun temps mort, l’action n’est jamais linéaire, elle comporte de nombreux hauts et de multiples bas. Gérald Wittock est un homme de son temps, si dans Racine et Corneille, Néron et Chimène entrent et sortent stupidement comme tout un chacun par une porte, le roman est pourvu d’un ascenseur. Qui monte et qui descend. Sans jamais faillir. Une fois que vous aurez fini le livre, vous aurez tout votre temps pour savoir si, ou pour savoir combien de fois, 1m976 emprunte l’ascenseur.

    Tout ce qui précède procède du cadre conceptuel de ce livre. Si je m’y suis tant soit peu étendu, c’est qu’happé par l’action, entraîné par l’enchaînement des évènements vous risquez comme le poisson prisonnier de son aquarium aux flancs transparents de ne pas vous apercevoir des murs de la prison mentale qui vous claustrophobisent. Soyez vigilants, les indices les plus anodins sont les plus ambigus.

    C’est que Gérald Wittock possède un esprit particulièrement retors. Excusez-moi, je me suis trompé d’adverbe, je voulais dire doublement retors. D’abord il se sert d’un truc qui marche toujours. Il vous raconte une histoire loufoque tout en vous assurant que rien n’est plus sérieux que son récit, vous met juste le nez dans le caca de votre époque en vous contant des choses effroyables qui, dieu merci, ne se passent pas par chez nous. Vous êtes prêt à lui épingler sur le veston la Légion d’Honneur du Mec bien, le Mérite Agricole du Citoyen Conscient, la Croix de Guerre de défenseur de la Femme et même de l’Homme. Jusque là tout va bien. La livre est terminé. Eh bien non, Gérald Wittock ne mégote pas, vous rajoute un épilogue. Au cas où vous auriez tout compris, il vous instille le doute. Le ver rongeur. Vous refile le coup de l’explication psychanalytique, autrement dit le coup du miroir qui vous reflète pour que vous réfléchissiez mieux.

    Si vous n’avez pas tout compris, je (tout comme l’auteur) ne peux plus rien pour vous.

    Ah ! si, pourquoi le héros possède-t-il ce nom bizarre, pas la peine que je vous en fasse une tartine, c’est très bien expliqué dans les toutes premières pages.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

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    Death, Sex and Rock’n’roll !

    EPISODE 26 ( Festif  ) :

    140

    Nous sommes revenus sur nos pas. Les chiens avaient cessé d’aboyer, mais n’en gardaient pas moins les yeux fixés sur la tombe d’Alice. Il y eut une longue minute de silence. Rien de suspect n’apparut à nos yeux. Un grognement sourd monta de la gorge des cabotos. Le Chef alluma un Coronado :

    • Je parie une palette de mille coffrets de Coronados que nous n’allons pas tarder à avoir des nouvelles d’une ancienne amie, je suis sûr qu’elle ne nous oublie pas !

    Nous attendîmes plus d’une heure dans le silence et la froidure du petit matin. Molossa arrêta de grogner et posa sa truffe sur mon mollet. Le danger se précisait. Molossito se posta derrière moi, le poil hérissé, les yeux emplis de terreur. Carlos sortit son Rafalos, je regardai dans la direction où se fixait son regard. Il n’y avait rien. Presque rien. Si ce n’est comme une irisation rosée, deux points pratiquement indiscernables. Je songeai à deux pétales de rose d’une pâleur extrême, un reflet évanescent d’on ne savait quoi, une trace furtive appelée à disparaître. Je compris, les yeux rouges de la Mort étaient braqués sur nous. Contrairement à ce que je pensais ils restèrent aussi pâles, il fallut encore une demi-heure avant qu’une silhouette assise sur la tombe d’Alice soit visible. Les contours restaient flous, donnaient l’impression de ces filigranes que cachent à l’intérieur de leur trame certains papiers de luxe dans les livres d’art. Bientôt il n’y eut plus de doute, c’était Elle. Nous entendîmes un ricanement de mauvais augure

    • Si Monsieur Carlos se donnait la peine de remiser dans la poche de son veston, son joujou inutile, peut-être aurions-nous alors l’occasion d’entamer une discussion intéressante.

    Je n’étais pas d’accord. Je me souvenais des désagréments que nos Rafalos avaient causé à la grande pourvoyeuse des cimetières lorsque nous avions le Chef et moi, réussi à l’aveugler en tirant sur ses yeux. Elle dut deviner mes pensées, car elle esquissa un léger sourire sarcastique :

    • J’ai été très gentille la dernière fois, mais si je ferme les yeux vous ne saurez plus où viser !

    Carlos soupira et rengaina son arme.

    • Pour des vivants je concède que vous soyez bien plus courageux que la plupart de vos contemporains. Des teigneux, qui s’accrochent à moi comme les tiques sur les chiens.

    Molossa et Molossito visiblement vexés ne purent se retenir d’aboyer furieusement. J’eus un mal fou à les faire taire.

    141

    Le Chef en profita pour allumer un Coronado :

          _ Sans doute pourrions-nous maintenant utiliser cette accalmie canine pour bavarder en toute tranquillité, j’avoue que votre remarque sur notre courage m’a fait plaisir et…

    • Ce n’était que le début de ma phrase brutalement interrompue par vos corniauds, certes je reconnais votre courage, toutefois votre bêtise crasse me suffoque. Je prends un exemple parmi tant d’autres : vous n’arrêtez pas de courir après moi, je vaque tranquillement dans mes cimetières, ce sont des lieux calmes, j’aime m’étendre sur une tombe et chauffer mes vieux os au granit que le soleil inonde de ses rayons, et plouf vous vous radinez sans préavis et vous faites n’importe quoi, vous ouvrez les cercueils, ou comme tout à l’heure vous vous amusez à tuer les morts à qui je laisse quelques instants de délassements hors de leur dernière demeure, pire encore vous vous permettez de lutiner les jeunes mortes dès que l’occasion se présente !
    • Que voulez-vous Madame, la vie est si ennuyeuse il faut bien s’amuser comme l’on peut…
    • Vous le Grand Chef je vous avertis qu’une fois mort il est strictement interdit de fumer, votre futur risque de vous paraître très long !
    • Ah Madame, vous me rassurez, j’avais peur que peu à peu mon cercueil ne se transformât en cendrier, je me sens donc obligé de devenir, que dis-je, de rester immortel !

    Je crus qu’elle allait se jeter sur le Chef pour le faire passer de vie à trépas dans la seconde qui suivit. Mais non elle se retint à grand-peine si j’en juge par le flamboiement subit de ses globes oculaires, elle respira un grand coup et reprit la parole d’une voix mielleuse :

    • Il y a une chose que je ne comprends pas, vous le Chef du Service Secret du Rock’n’roll, vous avez eu au début de votre enquête l’intuition que ce que vous cherchiez dans le Père Lachaise était en relation avec la survie du rock ‘n’ roll, je veux bien le croire, mais alors pourquoi vous entêter à courir après les morts qui ne craignent plus rien au lieu de focaliser votre enquête sur le danger qui guette le rock ‘n’roll.

    Le Chef sourit placidement, il prit le temps d’allumer un Coronado avant de répondre :

    • Je tiens Madame à vous remercier pour cette judicieuse remarque, toutefois je me permettrais de vous rappeler que si l’on éprouve du mal à se saisir du chat, l’attraper par le bout de sa queue est parfois la solution de dernier recours. Comment empêcher le rock ‘n’roll de mourir si ce n’est en s’en prenant à la mort elle-même.

    142

    La Mort voulut répondre mais elle ne le put. Au mot Chat, Molossa et Molossito avaient éclaté en aboiements féroces. La scène qui s’en suivit la rendit folle de jalousie. Les deux chiens oublièrent tout à fait sa présence. Ils crurent qu’un infâme greffier parcourait le cimetière, aussi se jetèrent-ils à sa poursuite. Leur fallut une heure et demie pour s’assurer qu’aucun spécimen de la race féline ne hantait le jardin édénique du repos éternel. Lorsqu’ils revinrent se coucher à mes pieds, Molossito tout excité, extrêmement satisfait de n’avoir trouvé aucun rejeton de de leur ennemi héréditaire, pour imprimer à jamais le sceau royal de la présence canine sur les lieux leva la patte sur les brodequins de la Mort qui furent ainsi copieusement baptisés de cette ondée libératoire.

    J’ai tout de suite eu l’intuition qu’elle allait s’en prendre à moi. Je n’étais point dans le registre de l’erreur :

    • Quant à vous Agent Chad, qui osez intituler vos souvenirs Mémoires d’un Génie supérieur de l’Humanité, vous êtes comme votre chien, vous ne vous sentez plus pisser, vous avez juré de me tuer, moi La Mort, rien que ça, tout cela pour l’amour d’une gourgandine de bas-étage qui refilait les chamallows de sa patronne à vos deux clebs pouilleux qui sont pourtant tous les deux, même si on les prend un par un, plus intelligents que cette stupide péronnelle qui ouvrait ses yeux de merlans frits chaque fois qu’elle vous apercevait, une idiote même pas ravissante, vous devriez me remercier de l’avoir supprimée de votre déplorable existence, vous me devez une fière chandelle, jeune crétin d’humanoïde, il y a longtemps que je vous aurais trucidé si je n’avais pas compris qu’à peine mort vous iriez tout heureux vous étendre dans le cercueil de cette stupide mijaurée pour lui réciter durant toute l’éternité au creux de son oreille l’Annabel Lee d’Edgar Allan Poe jusqu’à la fin de l’éternité !

    Vous me connaissez. Je suis un garçon placide qui n’a jamais fait de mal à une mouche. Mais là c’était trop. Les circonstances ne m’ont pas aidé. Alors qu’elle finissait sa tirade, les grilles du cimetière s’ouvrirent. Il était neuf heures du matin, un peu tôt pour un enterrement à mon goût, mais un fourgon mortuaire suivi d’une cinquantaine de personnes pénétra dans l’allée principale. Qu’il y ait des gens vivants sur cette planète alors que mon Alice à moi, ma douce et tendre amie était sous la terre me parut comme une terrible injustice que je décidai sur le champ de réparer. Je saisis mon Rafalos, et commençai à tirer sur le cercueil que les croque-morts descendaient du véhicule, j’ai cru que ce geste anodin me calmerait, il n’en fut rien, tous ces vivants qui poussaient des cris perçants et m’insultaient m’exaspérèrent, ils n’auraient pas dû, je ne fis pas de quartier, je les tuais tous jusqu’au dernier, femmes, enfants, vieillards, hommes valides, sans pitié et sans regret. Carlos et Alice tentèrent de m’arrêter – le Chef en profita pour allumer un Coronado – mais j’étais possédé, un guerrier, un berserker qui sur les drakkars vikings pris d’une fureur sacrée n’hésitait pas à morde les boucliers, même la Mort essaya de s’interposer, en vain. Elle criait comme une folle :

    • Tu me donnes trop de travail !

    Le Chef prit la décision de nous exfiltrer du cimetière, la Mort resta à la grille, elle brandit une faux menaçante :

    • Vous me le paierez !

    Nous nous éloignâmes au plus vite…

    A suivre…

     

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    LIVRAISON 599

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    FB : KR’TNT KR’TNT

    04 / 05 / 2023

     

    BLACK MUSIC IN BRITAIN IN SIXTIES

    THEE SACRED SOULS / BRIAN JONES

    T BECKER TRIO / RUBY ANDREWS

    GROMAIN MACHIN / NEW NOISE

    THE DEVICE / CHANT OF THE GODDESS

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 599

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    Paint it black

     

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             L’autre jour, en faisant les courses au supermarché, on est tombé sur une belle box couleur crème au rayon des produits frais : Gotta Get A Good Thing Goin’ (Black Music In Britain In The Sixties). Miam miam ! On se doutait bien qu’avec cette box couleur crème miam miam, on allait rôtir en enfer.

             Bon, va en profiter pour ouvrir un petite parenthèse : il y a deux sortes de gens sur cette terre, ceux qui détestent rôtir en enfer (pour des raisons qui leur appartiennent) et ceux qui adorent ça. Les premiers mènent généralement des existences bien conventionnelles et ne prennent jamais aucun risque, les seconds font exactement le contraire. 

             Cette box couleur crème miam miam est tellement bien foutue qu’on la croirait conçue par Eddie Piller. Mais c’est un certain John Reed qui gère le truc, et Fitzroy Facey se charge du préambule.

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             Il s’agit évidemment d’une box hautement sociologique. D’autant plus sociologique que Fitzroy Facey est jamaïcain. Il raconte que son oncle Bert Facey sillonnait certains quartiers de Londres à bord d’un van équipé en sound system pour animer les fêtes des communautés. Car bien sûr, toute la black music d’Angleterre se trouvait confinée dans les communautés. Les gens de couleur n’étaient pas très bien vus chez les blancs. Chacun dans son coin - Black people did not have equality - Tout va changer pendant les mid-sixties avec l’avènement de la Soul qui va selon Fitzroy «bridger the UK racial gap», c’est-à-dire lancer un pont de la rivière Kwai par dessus l’abîme du racisme. Il adore aussi employer l’expression «cross pollenisation». Il a raison de penser que l’intégration des communautés noires a pu se faire, tout au moins en Angleterre, grâce à la Soul et à des musiciens comme Fela Kuti ou Prince Buster. En 1962, Owen Gray tourne en Angleterre accompagné par un orchestre blanc. Parmi les pionniers, il cite aussi Ray King venu des Grenadines. Premier groupe inter-racial d’Angleterre : the Foundations, et puis on a Blue Mint avec Madeline Bell. Fitzroy cite aussi les stars issues du métissage, du «bi-racial generation of White, Carribbean and African heritage», «Dame Cleo Laine» (père jamaïcain) et «Dame Shirley Bassey» (père nigérien). Oh et puis Kenny Lynch dont le père vient des Barbades. Et tout explose en Angleterre quand Dusty chérie présente the Sound of Motown à la télé.

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             Et badaboom, voilà les Mods qui écoutent «Motown and Stax Soul, R’n’b, ska and Blue Beat, with elements of cool, straight ahead jazz.» C’est un autre héros, David Godin, qui du fond de sa boutique Soul City Records, lance le concept de Northern Soul, un concept qui va mettre pas mal de kids sur la paille. Fitzroy définit vite fait la Northern Soul : «uptempo records, différents des balladifs et des funkier sounds en vogue à l’époque.» Autre caractéristique de la Northern : elle fait un carton chez les working-class kids du Nord de l’Angleterre et d’Écosse. Et donc grâce à Stax et à Motown, la Soul est entrée dans le mainstream. En Europe, on déroule le tapis rouge aux blackos. Les portes s’ouvrent, voilà les Equals, Jimmy James & The Vagabonds, une vraie déferlante.

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             Fitzroy tape ensuite dans le cœur du sujet : la musique jamaïcaine des années 50 qui se métamorphose en ska, en rocksteady et en reggae. Il ne laisse rien au hasard. Il prépare l’auditeur à un sacré trip, puisque voilà le prog africain de Cymande, de The Real Thing et d’Osibisa, «a uniquely British take on Afro Carribbean music, Funk and Soul, blended with elements of rock and jazz.» Il a raison de s’émerveiller, Fitzroy - I am a 1960s UK born Jamaican Windrush second-generation child and it is incredible to have witnessed the journey and success of Black British music from its infancy to adulthood and to marvel at its worlswide recognition - C’est en plus écrit avec des mots très simples qu’un Français peut comprendre sans trop se gratter la tête.

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             Quatre disks dans la box crème miam-miam. Autant dire quatre nids de puces épouvantables. Même quand on est habitué aux big boxes, on se sent cette fois très vite dépassé par la qualité de ce trié sur le volet, par l’extraordinaire profusion de découvertes, avec ces 120 cuts, tu frises en permanence l’overdose, alors consomme avec modération, si d’aventure il te vient l’idée saugrenue de mettre le nez là-dedans.

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    Le disk 1 est bourré à craquer de stars démentes, tiens, tu as les Flirtations, trois blackettes débarquées à Londres pour faire fortune et elles te font du heavy Motown avec «Nothing But A Heartache». Tu peux y aller, c’est du Motown exacerbé d’Angleterre, avec une prod terrifique. Les sœurs Earnestine et Shirley Pearce, plus Viola Vi Billup arrivent de Caroline du Sud. Du Motown à l’anglaise, tu crois rêver. Alors pince-toi ! Carl Douglas ? C’est un forcené ! Avec «Serving A Sentence For Life», ce Jamaïcain demented te fait du wild scuzz de Pye et d’Acid Jazz. Et puis, tu as les trois Jimmy, Jimmy Thomas, Jimmy James & The Vagabonds et Jimmy Cliff. Ils te cassent ta pauvre baraque quand ils veulent, le Cliff avec la fantastique allure de la heavy pop de «Waterfall», le Thomas avec le groove aquatique de «Spingtime» et le James avec le pur Motown blast de «This Heart Of Mine». L’autre gros pyromane de la scène anglaise, c’est Geno Washington et son Ram Jam Band, avec le groove de clap-hands «Michael». On croise plus loin Cleo Laine avec «Did You Pass Me By», elle est très théâtrale, très Cleo de 5 à 7, très impliquée dans sa subversion.

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    Mais c’est Madeline Bell qui va te sonner le cloches pour de bon avec «Picture Me Gone», elle s’en va exploser la pop par-dessus les toits, c’est le summum du London black voodoo. La révélation de ce disk 1, c’est Ebony Keyes avec «If You Knew», et sa fantastique attaque à la Edwin Hawkins Singers, il vient de Trinitad et tombe à bras raccourcis sur le groove. Merveilleux Ebony, une vraie présence, pas de carrière, il est tellement persistant qu’il te réchauffe le cœur. Sugar Simone est un mec atrocement doué, un roi du style, une proie de choix pour les rapaces, il te chante «Take It Easy» d’une voix de diable circonspect. Quant à Kim D, elle n’a que 17 ans et donne une parfaite idée de la vitalité de la scène black anglaise. Elle est la reine du sucre nubile, la reine des compiles, il faut écouter «The Real Thing» si on ne veut pas mourir idiot. On la retrouve partout sur les compiles Pye Girls d’Ace et les compiles Northern Soul. Back to Motown avec The Brothers Grimm et «Looky Looky», c’est bardé de big sound, de chœurs, d’écho et de what I got. Énorme ! Looky looky what I got ! Et ça continue avec Lucas & The Mike Cotton Sound et «Ain’t Love Good Ain’t Love Proud». Ce black à la voix cassée s’appelle Bruce McPherson Ludo Lucas, il sonne comme une superstar et mérite les ovations.

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    Le problème encore une fois, c’est que tout est bon sur cette compile, voilà les Fantastics, des New-Yorkais débarqués en Angleterre pour doo-wopper «Ask The Lonely». Ils se sont fait passer pour les Temptations mais ont fini par rester The Fantastics. Avec «Gonna Work Out Fine», Owen Gray tape dans Ike. C’est un reggae man avec une palanquée d’albums et son Darling est cool as fuck. Kenny Lynch y va au doux du menton avec «Movin’ Away». Ce vieux crooner est infiniment crédible, infiniment juste. Kenny Bernard, on le connaît bien, grâce à Acid Jazz. Son truc c’est le wild shuffle de «What Love Brings». Et pour finir, saluons ce cake épouvantable qu’est le Guyana-born Ram John Holder avec «Yes I Do». C’est un persistant qui sait persister : d’abord fronting an early line-up of the Ram Jam Band puis en enregistrant deux albums devenus quasiment mythiques.

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             Les têtes de gondole du disk 2 sont les Foundations et Marsha Hunt. Marsha tape dans le wang dang doodle de «Walk On Gilded Splinters», elle te recrée toute la fournaise voodoo entre ses cuisses, et les Foundations te refont les Mystères de Londres d’Eugene Sue avec «New Direction», on assiste à une fantastique évolution du domaine de l’anticipation, ça file à travers London Town. Il est essentiel de rappeler que les Foundations et les Equals furent les deux premier multi-racial bands en Angleterre. Côté révélations, ce disk 2 ne mégote pas. Ça commence avec John Fitch & Associates et «Stoned Out Of It», un wild r’n’b typique du wild as fuck des jukes de Camden, rien sur ce mec-là, un single et bye bye. Et puis voilà ces allumeuses de Flamma Sherman et «Move Me», quatre frangines, comme les Ramones. C’est une bombe atomique ! Leur «Move Me» te monte droit au cerveau. Le mec de This ‘N’ That se prend pour Slade avec «Get Down With It/I Can’t Get No Satisfaction». Il est assez inflammatoire ! Deux singles et puis plus rien. Disparu ! Il te screame le Satisfaction à outrance. T’es vraiment content de ta box crème miam miam. Ray Gates y va au heavy jerk avec «Have You Ever Had The Blues», et tu danses avec la main pliée à l’ancienne. Irrésistible, car c’est du stomp.

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    Pire encore, voilà Paula & The Jetliners et «I Know Some Day», elle y va au petit sucre et derrière, ça bat la chamade. Le sucre + le beat, ça ne pardonne pas. Deux singles et puis bye bye. Véritable coup de génie. Après, il te reste pas mal de jolies choses, comme par exemple Norma Lee et «Hurt», une fantastique déclaration d’intention, elle sait chevaucher un dragon. Les Curdoroys qu’on croise ici ne sont pas ceux que l’on croit, c’est-à-dire les Mods blancs : «Too Much Of A Woman» fut enregistré par Shel Talmy sur son label Planet et Tony Wilson est le black des Soul Brothers. Il est bon. Autre petite merveille : B.B. James And Derv et «Kiss Me, Kiss Me». Elle est terrifiante et Derv la ramène au it feels good. Derv, c’est bien sûr le Derv des Equals. Cette compile n’en finit plus de taper dans le très haut de gamme de la Northern Soul. Ah il faut aussi saluer Jack Hammer et «What Greater Love». Jack y va bien pépère, il est sûr d’y arriver, et c’est orchestré à outrance. Et voilà un gros pépère, J.J. Jackson avec «But It’s Alright», il pulse son groove d’it’s alright. Quant à Errol Dixon, c’est le diable, un puissant seigneur des ténèbres, une star du night-clubbing : son «I Don’t Want» réveillerait les morts du Chemin des Dames. Et puis on le sait, Freddie Mack s’est échappé de l’asile. Avec «Sock It To ‘Em, J.B.», il bat tous les records d’insanité.

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             C’est à quatre pattes qui tu entres dans le disk 3. Il est plus orienté Blue Beat et reggae. Mais tu as deux cuts qui vont t’envoyer directement au tapis : l’«African Velvet» de Black Velvet et le «Pony Ride» de Winston & Pat. L’«African Velvet» est du heavy London beat, une bombe de black bombass, un supra-power noyé d’orgue et de reggae beat. Quand tu écoutes le «Pony Ride» de Winston & Pat, tu comprends que c’est la black la plus libre et la plus intense d’Angleterre. Ce groove est une merveille absolue. C’est le génie des quartiers, c’est coulé dans le beat reggae, groové dans l’âme de la Soul. Nouveau coup de génie avec Ambrose Campbell et sa cover d’«Hey Jude». Là tu donnerais ton père et ta mère en échange de ce single. On reste dans le reggae béni des dieux avec The Classics et «Worried Over Me», heavy beat exotique de London Town, power à tous les étages, bassmatic + shuffle d’orgue, classe extraordinaire ! 

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    Tiens voilà le Blue Beat de rêve avec The Rudies et «Boss Sound». En plein dedans ! Belle énergie d’Hi Boss ! Avec Boss ! Boss!, tu es en Angleterre. C’est ce qu’on appelle The Pure Brit Sound. Encore du wild Blue Beat avec Laurel & Girlie et «Scandal In Brixton Market», c’est la même énergie que celle du r’n’b, ce mec y va à la vie à la mort. Avec «Jezebel», Pat Rhoden nous fait du fast Blue Beat avec un solo de trompette. Tous ces cuts sont exotiques et affreusement bons. Cette box crème miam miam est l’une des meilleures illustrations culturelles de la société anglaise moderne.

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             C’est Shirley Bassey qui ouvre le bal du Quat’ Zart avec «Sunshine». Shirley est l’une des géantes de cette terre, inutile de le rappeler. Côté énormités, on est bien servi avec Joy Marshall et «Heartache Hurry On By», elle est terrifique, cette New-Yorkaise débarquée à Londres en 1961 te monte ça en neige de Wall of Sound. Aussi bonne, voilà Mabel Hillery et «Rock Me Daddy» qui te rocke le daddy et tout le reste vite fait. Encore du Wall of Sound avec Peanut et «I’m Waiting For The Day», sans doute l’une des anomalies du système : cette cover des Beach Boys par Katie Kissoon aurait dû exploser à la face du monde.

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    Le Davy Jones de «Love Bug» n’est pas celui qu’on croit. Il s’agit là d’un Dutchman de r’n’b, c’est un authentique allumeur. Pure merveille encore que le «Liggin’» du Joe Harriott Quintet, assez jazz, full of swing. On salue la cover du «Green Onions» de Shake Keane, powerful instro d’anticipation, avec un solo de guitare et un solo de trompette. On reste dans le big brawl de big band avec The New Orleans Knights et «Enjoy Yourself» : fantastique énergie, encore plus New Orleans que la Nouvelle Orleans. C’est même explosif. Tiens voilà du doo-wop avec The Southlanders et «Imitation Of Love», c’est une œuvre d’art, décidément la box crème miam miam te bourre comme un dinde. Tu es littéralement noyé de son, dans une diversité extraordinaire, avec un souci constant de qualité artistique maximaliste. L’«I Ain’t Mad At You» d’Howie Casey & The Seniors est battu sec à la bonne franquette du pub d’en face. C’est le fast Blue Beat, une frénésie à la fois réelle et universelle. Tu n’as pas besoin d’être érudit pour entrer dans cette musique. Elle te prend littéralement dans ses bras. Avec une nouvelle série de hits Blue Beat, on replonge dans cette exotica des quartiers de Londres. Emile Ford & The Big Six et «Hold Me Thrill Me Kiss Me» t’invitent à la fête, c’est probablement la musique la plus conviviale de toutes, et cette façon qu’ont les Big Six de fouetter les notes d’orgue ! Oh Emile Ford ! Énorme carrière et éclats de cuivres. Blue Beat magic. Avec Ricky Wayne With The Fabulous Flee-Rackers et «Chicka’roo», c’est une nouvelle descente au barbu, Ricky colle bien au palais, un vrai Dupont d’Isigny, le solo de sax te décolle du sol et tu te débrouilles avec le chicka’roo. Et voilà une occasion en or, comme dirait ton marchand de voitures : Ray Ellington et «The Rhythm Of The World». Il y va à la glotte de vétéran, il est là depuis le début, avec une vraie voix et la box crème miam miam te donne l’occasion de découvrir ce chanteur extraordinaire. Le «Soon You’ll Be Gone» du Ray King Soul Band te pousse dans le dos, avec une énorme énergie tropicale. Ray King était déjà là en 1968. Tu ne vas plus de cut en cut, mais de rêve de cut en cut de rêve. Tiens voilà une folle : Winifred Atwell et «Bossa Nova Boogie». Elle dévore le boogie et le woogite entre ses dents.

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    Trois vieux crabes traînent sur le Quat’ :  Champion Jack Dupree avec «Get Your Head Happy», Otis Spann avec «Keep Your Hand Out Of My Pocket» et Screamin’ Jay Hawkins avec «All Night». C’est Tony McPhee qui fournit le fourniment à Champion Jack Dupree, Otis Spann fait le show lui aussi, pas de problème, quant à Screamin’ Jay, il te propose de danser le mambo du diable - I really love you baby - Bon, cette compile crème miam miam est encore plus épuisante que la voisine d’en dessous qui est nymphomane. On se plaint, mais on y retourne.

    Signé : Cazengler, Gotta Get A Godmiché Goin’

    Gotta Get A Good Thing Goin’ (Black Music In Britain In The Sixties). Cherry Red Box 2022

     

     

    Sacrés Sacred !

     

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             On avait découvert Thee Sacred Souls en 2021 sur une belle compile chicos, Penrose Showcase Vol. 1. Penrose ? Mais non, pas Roland ! C’est le nouveau label que vient de lancer Gabe Roth, vingt ans après Daptone. Il y présente ses nouveaux poulains, Los Yesterdays, Jason Joshua, Vicky Tafoya, Thee Sinseers et bien sûr Thee Sacred Souls, tous des tenants et des aboutissants de la Soul de charme, mais une Soul de charme poussée au fond de ses retranchements, loin des yeux près du cœur, une Soul de charme encore plus volatile que celles des Intruders et des géants de la Philly Soul, une Soul pour laquelle il vaut mieux être bien équipé, notamment d’un ciré breton et du chapeau jaune qui va avec, car il y pleut des larmes, des torrents de larmes. Toute cette Soul est construite sur le chagrin d’amour, sur le cœur qui saigne, sur l’inaccessible étoile des neiges/ mon cœur amoureux, sur le forever my love à la béchamel, c’est une véritable industrie, un laminoir à tombeaux ouverts, un Bessemer Tinguely, un chagrinage sidérurgique en mouvement perpétuel, il pleut plus de larmes que n’en peut concevoir ta philosophie, Horatio, et pourtant, cette école de la Soul a la peau dure, elle a son public, ses prêtres et ses demi-dieux hermaphrodites à la peau noire. Des Esseintes aurait adoré cette école du raffinement. Rendue légendaire par Gamble & Huff, la Philly Soul est une forme d’art à part entière, des gens la haïssent et d’autres la vénèrent. On la hait mécaniquement, de la même façon qu’on hait les gens sans souvent savoir exactement pourquoi on les hait. C’est le principe même de la haine. Elle est malheureusement une forme d’énergie, sans doute la principale forme d’énergie chez beaucoup de gens. On peut prendre des exemples au hasard, tiens, les Rednecks, par exemple, avec leur drapeau confédéré, ou encore l’Allemagne des années 30, avec sa fierté haineuse. Tiens, la collaboration et l’ombre du fascisme moderne qui continue de planer sur notre beau pays de beaufs. Alors c’est peut-être pour ça qu’il faut écouter Thee Sacred Souls, parce que beaucoup de gens vont les haïr.

             Éperdu de langueur, tremblant d’impatience, bavant de désir, brûlant de fièvres exotiques, travaillé par des intuitions mal placées, on s’est tout de suite jeté sur le premier album sans titre, et dès qu’ils ont été annoncés au programme du Soulodrome local, on s’est jeté en tout bien tout honneur sur la pauvre caissière de la billetterie pour lui avouer qu’elle rendrait un homme heureux, rien qu’en lui vendant un billet pour le concert de Thee Sacred Souls.

             — Zi ?

             — Oui, vous prononcez Zi, mais vous tapez t, h, e, e.

             — Sacred comme sacrède ?

             — Oui, et pi Soul comme Soul. Y mettent un s. Mais ça fait Soul.

             Elle devait bien sûr en faire exprès de traîner en longueur. Pour faire durer le plaisir, comme on dit. Par chance, le concert n’est pas complet. Il ne pourrait d’ailleurs pas être complet. Pour des raisons indiquées plus haut. Tant mieux. On va pouvoir respirer un peu dans la petite salle. Et comme d’usage, on arrive un peu à l’avance pour prendre la température. Oh une petite queue ! Ça papote. En voilà une qui dit dans son smartphone à sa copine qu’elle vient à cause du mot Soul, mais elle avoue ne rien savoir du groupe. Le mot Soul attire toujours les curieux. Puis un géant à barbichette s’approche et engage la conversation :

             — Ah c’est drôle, on va voir les mêmes concerts !

             Il parle d’un ton jovial, et hop c’est parti pour une demi-heure de poireau. Il faut vite saisir la perche qu’il tend :

             — C’est vrai, t’as raison, on croise toujours un peu les mêmes gens. Du temps où je vivais encore à Paris, on voyait toujours les mêmes gens au premier rang dans les concerts de rock et de Soul, alors on finissait par papoter, et puis on allait siffler une mousse après le concert, juste avant le dernier métro. Mais avec le temps, on voit moins de monde. T’as beaucoup de gens qui regardent les concerts sur YouTube. C’est idéal pour avoir une idée complètement fausse du concert.

             — Bien aimé les Travelots machin chose l’aut’ soir...

             — Non, c’est pas ça. Har-lem Go-spel Tra-ve-lers !

             — Ah oui, c’est ça ! Ah la vache ! Z’étaient rudement bons !

             — C’est pas compliqué : t’avais les Temptations sur scène. Tant mieux pour ceux qui étaient là et tant pis pour ceux qui ont raté ça.

             — Et ce soir, c’est du même tonneau ?

             — Rien à voir. J’ai écouté l’album. C’est de la Soul de charme. Ça risque d’être compliqué sur scène. Tu connais la Philly Soul ?

             — Oh oui ! J’lis Soul Bag.

             — Alors tu sais ce qu’est la Soul de charme. L’Ange Gabriel à la peau noire. Le vrai mysticisme. Aux antipodes des balivernes du catéchisme. Les gens qu’aiment pas ça parlent de sirop. Alors tu leur réponds harmonies vocales. Voies impénétrables.

             — La Soul ça marche pas très bien en France.

             — Tous les grands amateurs de Soul sont en Angleterre. Tu sais bien qu’un coup de dés jamais n’abolira le hasard. 

             On a fini par entrer. Heureusement, car on aurait pu y passer la nuit. C’est toujours le risque lorsqu’on tombe sur un bavard passionné.

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             Par sécurité, on a réécouté l’album juste avant le concert, pour mesurer le risque d’ennui. On sait pertinemment que certains groupes ne sont pas faits pour la scène. La sophistication et la scène n’ont jamais fait bon ménage. Le black qu’on voit sur la pochette entouré de deux blancs s’appelle Josh Lane. C’est un petit rasta qui doit peser trente kilos et qui bouge sur scène avec une grâce infinie. Il danse comme un rasta, avec ce balancement si particulier qui semble un peu décalé, juste derrière le beat, mais on réalise à force de l’observer que c’est ce décalage qui fait tout le charme de son pas de danse. On pense bien sûr à l’insoutenable concept de Kundera, la légèreté de l’être. Le petit rasta chante d’une voix de miel et ses dents battent tous les records de blancheur. Il y a quelque chose d’impénétrable en lui.

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             De la même façon que l’album, le set met du temps à décoller. Josh Lane et ses deux choristes se goinfrent de heavy froti. Ils font une heavy Soul de revienzy, du well done de gluant supérieur. Apparemment, le petit rasta et les deux blancs à moustaches - le beurreman Alex Garcia et le bassman Sal Samano - constituent le noyau dur du groupe. En fait, on pourrait presque accuser Samano de voler le show.

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    Il est planté au fond de la scène, mais il joue des drives de basse extraordinaires, il joue des deux doigts de la main droite et des quatre de la main gauche sur le manche, il enchaîne des figures de style très techniques et injecte une énergie considérable dans cette Soul sentimentale. Il porte des tatouages sur les doigts et un fantastique scorpion lui orne le cou. Un keyman barbu et un guitariste à cheveux longs complètent cette fine équipe. «Trade Of Hearts» sonne comme un fabuleux shoot de Soul descendante. Une pluie chaude s’abat sur la salle, le set s’enlise dans une délicieuse Soul liquide. Mais en même temps, c’est très direct, pas de pas de côté. Josh Lane peut monter au chat perché, comme dans «Weak For Love», mais il le fait  avec une certaine classe intrinsèque.

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             On comprend que Gabe Roth ait flashé sur eux. «Future Lover» est un cut de Soul effective. Le petit rasta sait driver sa chique. On le croit fragile, comme ça, mais il mène admirablement bien sa barque. Il plonge dans le deepy deep avec «For Now», classique et doux à la fois. Il rassemble chaque fois les deux extrêmes, c’est sa force. Il adore descendre dans la foule et chanter avec les gens. Ces mecs sont finalement capables de voler au ras des pâquerettes, avec une audace vampirique. Tiens voilà deux coups de génie, «Once You Know» et «Happy And Well». L’Once est très Philly, il tinte dans l’écho du temps d’avant, tout au moins sur l’album.

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    Comme c’est monté sur un groove élastique, ça devient une merveille incomparable. On tombe tellement à court de mots qu’on ne peut que s’extasier. Tu te fais encore happer par l’«Happy And Well», c’est d’une qualité extrême, une Soul fine et enlevée, mais lourde de sens, il faut aimer ces fondus de voix qui finissent par te fendre le cœur - Don’t need money/ Or fancy things/ I just need my baby - C’est la vision Daptonienne de la Soul moderne.

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    Signé : Cazengler, sacrée soupe

    Thee Sacred Souls. Le 106. Rouen (76). 10 avril 2023

    Thee Sacred Souls. Thee Sacred Souls. Daptone 2022

     

     

    Wizards & True Stars

    - Il faut sauver le soldat Brian (Part Two)

     

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             Quand on admire Brian Jones, la dernière chose à faire est de visionner Rolling Stone: Life And Death Of Brian Jones, un docu signé Danny Garcia. Pourquoi ? Parce que.

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             Le problème avec les docus, c’est que les sujets des docus ont des têtes de docus. Dans ce docu, Brian Jones a une tête de docu. Quand on a la gueule de bois, on dit qu’on a la tête dans le cul. Là c’est pire : on parle d’une tête de docu. Oh bien sûr, on le voit sourire, on le voit jeune sur un bateau, on le voit sortir du tribunal enveloppé dans un manteau afghan, on le voit descendre d’un avion sur un aéroport américain, on le voit même sur scène gratter sa gratte, mais il a tout le temps une tête de docu. Ce n’est pas celle qu’on connaît. La paille des cheveux, la diction impeccable lorsqu’il répond aux journalistes dans les conférences de presse, tout ça reste du docu, comme si les images sortaient d’un journal télévisé, cette institution qui est, comme chacun sait, l’un des fléaux des XXe et XXIe siècles. Le docu ne nous montre pas le Brian Jones des Rolling Stones, mais le Brian Jones d’Antenne 2.

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             Alors d’où vient le malaise ? Principalement du manque de distanciation. Brian Jones est l’objet d’un culte qui remonte à l’adolescence. L’époque de la tête de culte. Oh ça ne reposait pas sur grand-chose, quelques images et quelques chansons : une photo de Brian Jones et Françoise Hardy dans Salut Les Copains, la pochette de Big Hits (High Tide And Green Grass), où il porte un pantalon rouge, le fish-eye d’«Have You Seen Your Mother Baby Standing In The Shadow» où il porte le fameux costard bleu marine à rayures jaunes et rouges, ou encore Brian Jones assis aux pieds d’Howlin’ Wolf dans une émission de télé américaine, et puis bien sûr les pochettes de December’s Children et de Between The Buttons. Ces quelques images se mariaient merveilleusement bien à «Ruby Tuesday», au sitar de «Paint It Black», aux accents sauvages d’«I’m A King Bee» et à tout ce qui faisait la grandeur des early Stones, le groupe de Brian Jones. Jusqu’à ce clip mirifique de «Jumping Jack Flash» où on l’aperçoit un instant fardé de vert et portant des lunettes de Mars Attack, et là mon gars, ce n’est plus une tête de docu, mais le real deal, Brian Jones, LE Rolling Stone, le plus beau camé d’Angleterre, le punk avant les punks, la plus pure incarnation du rock anglais. Mais tu ne verras pas la tête de culte de Jack Flash dans le docu. Si tu veux la voir, tu la trouveras sur Internet.

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             Ces quelques images et ces quelques chansons constituent la base du culte. C’est l’imaginaire qui ajoute tout le reste. Les fans cultivent des visions comme d’autre cultivent les betteraves. On remplit facilement des heures de visions psychédéliques en écoutant les albums de l’âge d’or des Rolling Stones. On se fout de savoir si Brian Jones allait mal, comme voudraient le montrer certaines images du Rock’n’Roll Circus ou pire encore, celles du One + One de Jean-Luc Godard. Brian Jones reste envers et contre tout le guitariste des Rolling Stones, et aucun docu ne pourra jamais remettre cette réalité en cause. Pas de Rolling Stones sans Brian Jones. Des gens viennent heureusement le rappeler dans cette resucée de journal télévisé.

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             Dès le début du docu, on sent que ça va mal tourner : un avion survole la fameuse Cotchford Farm d’Hartfield, dans le Sussex, où s’était réfugié Brian pour lécher ses plaies. Et que voit-on ? La piscine ! On ne voit qu’elle ! La piscine de la mort devient le personnage principal du docu. Les témoins parlent plus de la piscine de la mort que de Brian Jones. La piscine ! La piscine ! Franchement, a-t-on idée de construite une piscine en Angleterre, un pays aussi peu ensoleillé ? Et crack, le docu fonce tête baissée dans le piège : l’enquête policière. Crack, journal télévisé. Crack, les journalistes. Crack, on l’a-t-y buté ou on l’a-t-y pas buté ? Crack le Thorogood. Crack le gros chauve qui enquête et qui se prend pour Rouletabille. Crack, la police qu’a-pas-fait-son-boulot. Crack, les unes des journaux. Crack un dossier de 500 pages cinquante ans plus tard. Crack, c’est-pas-une-mort-accidentelle. Quelle catastrophe ! Tout le monde s’en fout de savoir si Thorogood lui a démonté la gueule, ça date de cinquante ans. Avec cette histoire d’enquête à la mormoille, c’est un peu comme si le docu se tirait une balle de magnum 357 dans le pied. 

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             Ce qui sauve le soldat Brian, c’est d’avoir su tirer sa révérence à 27 ans. Dans le contexte des têtes de cultes, ça prend tout son sens. Depuis 1969, il n’a pas bougé. Il n’a pas grossi comme Elvis, il ne s’est pas racorni comme Keef, il est resté intact, comme d’ailleurs son ami Jimi Hendrix. C’est le privilège des têtes de culte : ils échappent à la réalité pour entrer dans un domaine beaucoup intéressant qui est celui de l’imaginaire. Il passe de l’état d’irréprochable à celui d’intouchable. L’iconique ta mère. Le secret des têtes de culte : mourir jeune. Le seul qui échappe à cette règle d’or, c’est Dylan. Scorsese le filme dans Rolling Thunder Review: A Bob Dylan Story et ce vieil homme au regard clair reste incroyablement fascinant.

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             On aurait dû confier le docu à Jean-Christophe Averty : il aurait passé à la moulinette toute la première époque Cheltenham/ Jazz/ Clarinette/ Trois enfants illégitimes à 19 ans/ Ealing West London en 1962/ Elmore James/ Elmo Williams/ Alexis Korner/ Dick Taylor, un Dick Taylor qui d’une certaine façon sauve les meubles du docu en témoignant pour rappeler qu’il jouait de la basse avec Brian Jones en 1962 et qu’il a quitté les Rolling Stones parce qu’il voulait jouer de la gratte. Mais il rappelle au passage que tout passait par Brian Jones. Tout ! Admirablement bien conservé, le Dick Taylor. On voit aussi Phil May, pur rock’n’animal. Mais l’idée est là : l’absolute beginner, c’est Brian Jones. Averty aurait fait sonner sa voix dans l’écho du temps : «It’s my band ! It’s my band !». Mais ce n’est pas l’avis d’Andrew Loog Oldham qui décide avec Mick & Keef de changer l’orientation musicale du groupe. L’écho peut bien répéter «It’s my band ! It’s my band !», il est trop tard. Zouzou dans le métro qui est à l’époque la zézètte de Brian zozote elle aussi pour dire que son zozo chéri chialait tous les soirs - Brian was side-lined - Ça veut dire mis de côté. Son ego en prend un coup, un sacré coup. Le genre de coup dont on ne se relève pas. Alors il boit comme un trou. Ça aide à faire passer la douleur. Mais comme il reste malgré tout un esprit moderne, il veille à apporter des contributions musicales de choix.

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             Averty aurait passé à la moulinette la deuxième époque, celle du rôtissage en enfer : Anita/ Courtfield Road/ Copain Keef qui squatte/ Satanic Majesties qui floppe/ Redland bust/ Sauve-qui-peut-les-rats au Maroc dans la Bentley de Keef/ Brian déposé à l’hosto d’Albi-pas-de-Toulouse/ Keef qui barbote Anita/ Brian abandonné à Marrakech avec la note d’hôtel. Et Averty aurait sans doute fait un gros plan sur la note d’hôtel, puis sur la bobine de Brian avec les yeux ronds qui bien sûr n’avait pas un rond. Tête de cocu. Diable cornu. Une élégante façon de montrer que même cocu, il est culte. D’ailleurs Averty n’en est pas à son coup d’essai : il a déjà fait Ubu Cocu. Il est fort cet Averty qui en vaut deux. Et bien sûr en fond sonore, il envoie les flûtes de Joujouka. Personne n’aurait pu empêcher Averty de faire joujou avec Joujouka. Taka faire joujou, Jean-Christophe, t’as carte blanche !   

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             Il aurait bien sûr refusé de passer la troisième époque à la moulinette. Pas question de toucher à ça, berk, le premier bust de Courtfield Road, la condamnation à 19 mois de ballon, l’appel, et la probation de trois ans ! Quoi, mettre un Rolling Stone sous contrôle judiciaire ? Quelle blague ! Même si Averty raffole du grotesque, l’idée-même de ce verdict ne passe pas. Revêtu de son costume de Grand Satrape du Collège de Pataphysique, Averty aurait alors opté pour une stratégie viscéralement opposée : il aurait déguisé Brian Jones en Sapeur Camembert pour l’emmener prendre l’apéro chez Alfred Jarry, qui vit alors dans ce «demi-étage» que décrit si bien Guillaume Apollinaire dans les Contemporains Pittoresques. Arrivé là, le Sapeur Brian Jones aurait poussé un soupir d’aise ubuesque en posant son cul de tête de culte sur un pouf marocain, et pour divertir l’hôte Alfred, Averty aurait demandé au Sapeur Brian Camembert de livrer ses Impressions d’Afrique et de palper les Mamelles de Tirésias, avant de trinquer goulûment, car il n’est, comme aimait à le dire Gildas, de bonne compagnie qui ne se cuite.

    Signé : Cazengler, pas brillant

    Danny Garcia. Rolling Stone: Life And Death Of Brian Jones. DVD 2020

     

     

    L’avenir du rock

     - Better and Becker

     

             L’avenir du rock a quelques copains. Il n’en abuse pas. Pourquoi ? Parce que. S’il est une tare que l’avenir du rock ne supporte pas, c’est bien l’inconstance. Alors pour éviter ça, il limite drastiquement le copinage. Il sait bien qu’au fond les gens font comme ils peuvent, avec leurs petits bras et leurs petites jambes, mais quand même, la constance ne demande pas de gros efforts intellectuels. L’un des copains qui gravitent encore dans son orbite est journaliste. Ils se voient de temps et temps et passent la nuit à bavacher et à picoler. Ils profitent bien sûr de l’occasion pour mettre à rude épreuve leur respect mutuel et tester l’élasticité de leurs tolérances respectives.

             — Dis donc, avenir du rock, au risque de te déplaire, je trouve que tu as un nom trop global, complètement ringard...

             — C’est un simple concept, rien de plus. L’important c’est qu’on parle d’avenir. En même temps, je sais bien que des mecs comme toi trouveront toujours à redire.

             — Quoi des mecs comme moi ?

             — Tu sais très bien ce que je veux dire... Tu fais partie de ceux qui fouillent du groin le fumier de leur médiocrité, comme dirait notre cher Léon Bloy. Parlons plutôt d’avenir, si tu veux bien.

             — Ah il est beau l’avenir ! Non mais t’as vu ta gueule ? Et puis ton rock, c’est devenu une musique de vioques, regarde les Stones et tous les autres vieux crabes à la ramasse, comment veux-tu que les kids se reconnaissent dans ce désastre ? Tu devrais t’appeler l’avanie du rock !

             — Ton manque de discernement m’inquiète. Permets-moi de le mettre sur le compte de l’alcool. Tu sais bien qu’il n’y a pas que les Stones, tu as une actualité grouillante de vie avec des centaines de groupes passionnants, dans tous les genres. Et puis si le mot rock t’ennuie, que proposes-tu ? L’avenir du punk ? Tu vois bien que ça n’est pas possible. L’avenir de la Soul ? Pas possible non plus puisqu’intemporelle. L’avenir de quoi, à ton avis ? L’avenir des haricots mexicains ?

             — Ah oui, alors là, ça aurait de la gueule ! Ou encore l’avenir des rillettes du Mans ! Tiens, appelle-toi l’avenir des week-ends à Maubeuge, au moins ça te fera marrer et comme ça, t’auras l’air moins constipé !

             — J’ai encore mieux : l’avenir du rockabilly !

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             Contrairement aux apparences, l’avenir du rock est très sérieux quand il dit ça. Le rockab est un peu comme la Soul, intemporel et donc intouchable, mais il y a un petit canard qui œuvre activement pour mettre en lumière une réalité : la scène rockab n’a jamais été aussi vivace ! Il suffit de feuilleter Rockabilly Generation pour prendre la mesure de cette vivacité. Donc oui, le rockab a tout l’avenir devant lui.

             Vivace, oui, et particulièrement la scène rockab normande. C’est toujours un bonheur que de croiser les Hot Slap dont on a salué ici en décembre 2018 le fantastique deuxième album Lookin’ For The Good Thing et les extravagants départs en solo de Martin, ces véritables killer attacks que vient télescoper Dédé de plein fouet avec un fulgurant tacatac de stand-up psychotique. Tu crois entendre James Kirkland et James Burton, le dream team de l’early Bob Luman, avant que Ricky Nelson ne le lui barbote. Rien qu’avec des albums de cette qualité, le rockab a de beaux jours devant lui. Et puis voilà que surgit des limbes de Rockabilly Generation une autre équipe : T Becker Trio. Pareil, des Normands, et le guitariste n’est autre que Didier, un vétéran de toutes les guerres qu’on a vu écumer les scènes normandes depuis vingt ou trente ans, la plus récente équipée fut celle du Blue Tears Trio. Le T Becker Trio a déjà deux albums sur Crazy Times Records, le label de Pierre Maman, l’un des derniers grands disquaires en France, qu’on croise chaque année à Béthune, gros fan de Vince Taylor et de Gene Vincent. Jake Calypso a aussi un single sur Crazy Times, c’est dire la qualité du bec fin.    

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             Le premier album du T Becker Trio date de l’an passé et s’appelle The Best Is Yet To Come, avec sur la pochette des petites gonzesses qui tombent dans les pommes. Les fans de rockab peuvent y aller les yeux fermés : l’album sonne comme un passage obligé, dès «I’ll Do It On My Way», ils te jouent ça dans les règles du wild lard, ils t’exacerbent vite fait le beat, ce mec Tof au chant est génial, c’est slappé de frais et tu as le gratté de poux qui va avec. Incroyable swagger !  Le solo de clairette est une merveille. L’autre coup de Trafalgar s’appelle «Rockabilly Is A State Of Mind», une vraie profession de pâté de foi, ils tapent dans le dur du mythe, et là, on peut parler de coup de génie, tout le power du rockab est là, en plein dans le mille, pression terrible avec le solo du Did à la surface, et donc tu nages dans le bonheur. Avec ce premier album, tu navigues au meilleur niveau : voice superbe + gratté superbe et le slap qui va et qui vient entre tes reins, rien de plus vital que cette véracité du beat. Encore une belle énormité avec «Can’t Get You Out Of My Head», une cavalcade effrénée, et juste avant, un «Boogie Beat» bien amené au petit gratté de poux, alors le Tof peut le prendre au boogie boo. Avec «Come Close To Me», ils appréhendent le bop avec magnificence, et le gratté de poux arrondit bien les angles. Retour des wild cats avec un «Biggest Mistake I’ve Made» slappé de frais et embarqué en mode fast and furious. C’est du frenzy pur de wild craze de cats on fire : solo de classe intercontinentale et pulsion rockab ultimate. «Can’t Love You Anymore» est un cut de guitar man, et avec «Why» ils repartent ventre à terre. Wow, c’est du wild ride de tell me why, le Did est là en embuscade, il tombe à bras raccourcis sur les cowboys et les indiens, il revient pour une deuxième embuscade et finit le travail.  

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             Leur Second Round vient tout juste de paraître. Il semble un tout petit peu moins intense que le premier round mais tu te prosternes quand même devant «Bop Bop Bop». Le Tof te le bop-bop-boppe à la Gene Vincent, de quoi rendre fou Damie Chad. Tu te retrouves une fois de plus dans le vrai du bop, un bop si pur qu’il confine au génie, avec à la clé un solo d’antho à Toto. Les wild cats sortent les griffes avec deux bombes : «Why Does She Never Look At Me» et surtout «Tell Me», le slap y ramone la cheminée du wild strut. C’est pas beau à voir ! Façon de dire la violence de l’attaque à sec du slap. Wild as fuck, comme on dit en Angleterre, et coiffé par un solo échappé de la basse-cour. Belle pièce fumante aussi que ce «Gone She’s Gone» d’ouverture de bal, suivi d’un «I Wanna Bop» bien enraciné dans le rockab de 56, c’est claqué sévère, le slap est pur, tout est beau sur cet album. Grosse énergie. C’est vraiment digne des grandes heures de Carl Perkins. «Cloud 9» est encore un cut de Guitar Man, le Did accompagne toutes les retombées avec des doigts de fée. Pareil avec «Litttle Queen», où il noie le cut d’arpèges en dentelle de Calais et «Luckiest Guy», flanqué d’un solo joué à la clairette éclairée. Pour finir, saluons «Me & My Baby» claqué du beignet dans les règles du lard. Ils sont invulnérables. Tout est là : l’esprit, le son, la dentelle de Calais, le slap et tu as le solo de rêve de fête foraine. Le temps d’un cut, les trois Becker sont les rois du monde.           

    Signé : Cazengler, le Beck(er) dans l’eau

    T Becker Trio. The Best Is Yet To Come. Crazy Times Records 2022

    T Becker Trio. Second Round. Crazy Times Records 2023

    Rockabilly Generation n° 25 - Avril Mai Juin 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - Andrews Sister

     

             Andrus n’était pas ce qu’on aurait pu appeler un ami. Nous nous trouvions de part et d’autre de cette frontière qui sépare le patron de l’employé. On sentait chez lui une tendance à vouloir sympathiser, mais pas question de céder aux tentations, même après deux ou trois verres de champagne. D’ailleurs, dans cette agence, tout était prétexte à ouvrir des bouteilles de champagne. Dès qu’un visiteur s’annonçait, on préparait le seau et les flûtes. Reprendre l’activité après avoir descendu deux bouteilles n’est pas toujours chose facile. Dans certains contextes, ça peut donner des ailes, mais lorsqu’on bosse pour le compte d’un mec comme Andrus, on se coupe les ailes. Il était d’une corpulence bizarre, assez court sur pattes, une espèce de freluquet devenu homme d’affaires, le regard extrêmement clair derrière des lunettes à la mode, souvent sapé comme un ministre, avec une pochette assortie à la cravate, et une façon agaçante de hacher menu son discours. Chaque après-midi, il se volatilisait. Au retour de la pause déjeuner, il avait disparu. Il démarrait très tôt le matin et bouclait sa journée à 13 h. Les visiteurs étaient pour la plupart des décisionnaires de grands comptes. Andrus les recevait d’abord dans son bureau et comme toutes les cloisons étaient vitrées, on voyait ce qui se passait. Andrus faisait glisser sur le bureau une enveloppe vers son interlocuteur qui s’empressait de l’enfouir dans une poche intérieure. L’activité n’était qu’une façade et bien sûr, il avait fallu signer une clause de confidentialité. Interdiction absolue de divulguer quoi que ce fut. Et puis un matin, vers 8 h 30, peu après l’ouverture, on sonna à la porte. Andrus débloqua la porte, crrrrrrr, et une petite équipe de types pas très aimables fit irruption. Police ! Ils demandèrent à Andrus s’il était bien Andrus, et, avec cette arrogance de jeune coq qui le caractérisait, Andrus leur demanda ce qu’ils voulaient et s’ils avaient un mandat, à quoi ils répondirent que tout était en règle et qu’on l’arrêtait sur ordre d’un juge d’instruction pour détournement de fonds publics et association de malfaiteurs, accusation qu’Andrus réfuta vertement, alors les flics tentèrent de l’immobiliser pour lui passer les menottes, mais Andrus fit l’anguille, il leur échappa et s’empara d’une bouteille vide pour frapper ses agresseurs à la volée, et pif et paf, il frappait à tours de bras, le sang giclait sur les cloisons vitrées, mais les flics étaient trop nombreux, et quand Andrus appela son employé à l’aide, il reçut la réponse qu’il méritait : «Fuck you !».

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              Espérons que la vie d’Andrews est moins agitée que celle d’Andrus. C’est dans une belle compile Northern Soul Weekender qu’on fit la connaissance de Ruby Andrews, magnifique Soul Sister de Chicago. Ruby Andrews ? C’est du rubis sur l’ongle.

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             Son premier album s’appelle Everybody Saw You et date de 1970. Alors accroche-toi car elle ouvre son balda avec un sacré coup de génie : le morceau titre. Elle se situe d’emblée dans un entre-deux du Soul System, ça joue au doux du riff raff, à la patte d’hermine. On tombe une fois de plus sur une tenante de l’aboutissant. Dommage que les cuts suivants soient plus classiques, comme cet «Help Yourself Lover», soutenu aux chœurs et aux orchestrations Motown. Elle reste très classique avec «You Made A Believer Out Of Me», épaulée par des chœurs d’hommes superbes, ils font tuluhhh tuluhhh et Ruby monte au créneau avec une fière allure. Elle attaque sa B avec «Casanova 70», au bang bang I’m gonna shoot you down. Elle maîtrise absolument toutes les situations de la Soul, c’est la raison pour laquelle il faut la suivre à la trace. Elle pratique aussi le groove de r’n’b traîne-savate, comme le montre «Can You Get Away» et pour «Since I Found Out», elle ramène des chœurs de filles superbes. Comme elles sont fidèles au poste, Ruby peut bramer à la lune, ce qu’elle fait merveilleusement bien. Elle termine cet excellent album avec le gros popotin de «Tit For Tat», elle le prend au Stax de Tat, elle y va, la mémère, ça joue au so heavy beat.   

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             Un deuxième album date de 1972, Black Ruby. La pochette en ferait presque un album mythique, car tout le mystère de la Soul y plane. Le seul coup de génie qu’on y trouve s’appelle «You Ole Boo Boo You», un fantastique groove de boo boo you, une énormité rampante, c’est même le r’n’b du momentum roulé dans une farine de wah bien grasse. Elle boucle sa bonne B avec une cover funkoïde d’«Hound Dog», très spéciale, très ravagée de l’intérieur, elle la shoute à la dure, avec une réelle férocité, une vraie panthère noire, elle fait siffler sa glotte, ah, quelle sale petite garce, elle bouffe Big Mama Thornton toute crue. C’est avec «(I Want To Be) Whatever It Takes To Please You» qu’elle annonce la couleur : raw r’n’b avec une sensibilité funk. L’album est enregistré à l’Universal Studio de Memphis. C’est solide et savamment orchestré, sacrément bien foutu, insistant, enflammé par des chœurs de raw babes. Ruby Andrews vise la Soul combative et ambitieuse, une Soul très dévouée et axée sur l’avenir. Elle tape «You Made A Believer Out Of Me» au wild & frantic drive de guitare funk. Elle attaque sa B avec un r’n’b à l’ancienne, «Good ‘N’ Plenty», fantastiquement contrebalancé, soooo good, comme le chuinte Ruby sur l’ongle, all rubies are not red ! Fantastique ! Elle fait aussi de l’élégiaque avec «Just Lovin’ You», sweet baby yeah, elle monte sur tous les coups, elle ramène tout le chien de sa petite chienne. Encore une preuve de l’existence d’un dieu de la Soul avec «My Love Is Comin’ Down». Soul alambiquée de biquette alanguie.   

    Signé : Cazengler, Rebut Andrews 

    Ruby Andrews. Everybody Saw You. Zodiac Records 1970  

    Ruby Andrews. Black Ruby. Zodiac Records 1972 

     

    *

    Il est des nouvelles qui vous cueillent au petit matin et vous laissent un goût amer dans la bouche. Gromain Machin n’est plus. Comment, pourquoi, à l’heure où j’écris ces mots je n’en sais rien. Montreuil Cité Rock et Capitale de l’humour acerbement désabusé ne rit plus.

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    Voici une kronik qui parut dans la livraison 409 du 07 / 03 / 2019 /, sur une œuvre à deux mains, dont une grosse, car plus on est de fous plus on rit.

    FLÂÂÂSH

    BENJO SAN & GROMAIN MACHIN

    ( www.labrulerietatoo.com / 2019 )

             Désolé ce n'est pas un livre sur les bienfaits de l'héroïne. Ni une chronique sur Flash le roman de Charles Duchaussois qui en 1970 fit triper toute une génération de lycéens. Ce Flâââsh-ci participe d'un innocente manie partagée par de nombreux contemporains. Celle du tatouage. Par chez nous elle est restée pendant très longtemps l'apanage des mauvais garçons, se cantonnait le plus souvent à quelques signes symboliques, le quinconce des cinq points d'enfermé entre quatre murs pour les prisonniers par exemple, au milieu des années soixante-dix les groupes proto-rockabilly l'adoptèrent sou forme de dessins colorés tout aussi déclaratifs, la tête de loup ou de renard transpercée d'un poignard et d'un commentaire vindicatif style Vaincu mais pas Soumis... Aujourd'hui cette pratique s'est largement répandue, l'est même devenue une mode bobo. L'on est parfois surpris en dénudant une jeune fille de bonne famille. Que voulez-vous, dans la société du spectacle même le fait de s'encanailler ne dépasse pas le niveau de l'image.

             Ce n'est pas tout à fait un guide style tout ce que vous devez savoir sur le tatouage en dix leçons, plutôt un mix qui allie tatouage et bande dessinée. La rencontre paraît naturelle, c'est pourtant la première fois, à ma connaissance, qu'elle est mise en scène. Par la même occasion le bouquin renvoie à une mode qui envahit voici deux ou trois ans les étalages des distributeurs de journaux. Celle des albums de coloriage. Pour adultes. Le même procédé que pour les gamins, les contours d'un dessin que l'on se doit de colorier. Evidemment on y a trouvé d'autres enjeux que les infâmes barbouillages des têtes blondes, on ne les a pas affublés du nom péjoratif et subalterne de bariolages mais on les a présentés comme des albums anti-stress. Un bon coup publicitaire, qui consistait à appliquer l'esthétique du mandala à une occupation jusque-là dévolue aux mioches. L'on en a vendu quelques centaines de milliers d'exemplaires et puis le public s'est lassé...

             Benjo et Gromain se sont partagés le boulot, ne perdez pas votre temps avec la généreuse idée de l'entraide mutuelle, vous savez dans la vie moins on en fait... je   soupçonne ces deux lascars d'être des adeptes du Droit à la Paresse de Paul Lafargue, se refilent le bébé à la moindre échéance. N'ont peut-être pas tort, car le résultat est désopilant. Ce qu'il y a de terrible avec les tatoueurs lorsque vous vous promenez dans une convention tatoo c'est qu'ils ont tous d'immenses classeurs à vous proposer. Sont remplis de dessins – les fameux flashs – qu'ils se proposent de vous inoculer sous l'épiderme. Au bout d'une centaine, la tête vous tourne, vous ne savez plus où la donner – de toutes les manières personne n'en veut, preuve qu'elle ne vaut pas grand-chose – c'est comme quand Tante Agathe voulait changer la tapisserie du salon, et que vous feuilletiez les lourds registres des spécimens du tapissier, non celui-ci il est trop cela, et celui-là il est trop ceci...

             Le Benjo San est un fin psychologue, l'a compris que le choix d'un tatou c'est comme la rencontre amoureuse, tout se passe dans les premiers instants, sans quoi vous aurez beau ramer pendant dix ans l'affaire ne sera jamais conclue, alors l'a demandé un coup de main à son pote Gromain Machin. Ecoute mec, on partage, cinquante-cinquante, toi tu baratines et moi je refourgue en bout de course les icônes. Alors le Gromain de sa petite menotte il s'est attelé à la seule chose qu'il sait si bien faire dans sa vie : une bande dessinée, vous met le Benjo San en scène dans son atelier de tatoueur - je ne voudrais pas me mêler de ce qui ne me regarde pas mais si j'étais Benjo, j'aurais mis une petite note pour avertir le futur client qu'il ne ressemble en rien à cet Hamster Jovial dénudé et désopilant, sans quoi terminé les clientes futures – et puis au fur et à mesure des désidérata de la clientèle, le Benjo il vous exhibe selon la thématique proposée quelques flâââshiques suggestions idoines. Homme libre toujours tu chériras la mer, ne faut pas contrarier les poëtes, alors sur cette thématique baudelairienne voici les fins voiliers et les portraits de pirate.

             Arrêtez de rêver, le libéralisme triomphant de ces dernières années  nous l'a appris, rien ne vaut la sous-traitance surtout quand c'est le client qui s'en charge, si voulez que la mer soit bleue et la barbe du capitaine rousse, prenez votre boîte à feutres et fiez-vous à votre sensibilité artistique, le Gromain vous file le cercle chromatique en coin de page pour vous rappeler qu'il existe des couleurs froides comme des serpents et d'autres chaudes comme des crêpes à la framboisine.

             Fini l'océan sauvage, l'est rempli de plastique, alors pour oublier, au client suivant l'on se rabat sur les petits oiseaux et les animaux tout mignonitos, j'ai l'impression que le tandem San-Machin bat un peu de l'aile romantique, car chacun dans son style rivalise en mauvais goût, je sais bien que ce dernier ne se discute pas plus que les couleurs, mais voici justement que quelques pages plus loin – je saute les têtes de mort qui pourraient renseigner le lecteur sur sa destinée finale – nous abordons la colorisation de la rose, question épineuse, si vous tartinez les pétales en monochrome, l'on ne voit plus rien, retour illico au circulo chromatoc, dans la vie tout est question de nuance et de doigté.

             Le plus dur est à venir. Deux horreurs monstrueuses. Benjo San et Gromain Machin à colorier. Deux vieillards putrides présentés en nourrisson. Deux images aussi obsédantes qu'une nouvelle de Lovecraft. Deux visions symboliques de la décrépitude de notre société qui ne s'effaceront plus jamais du vitrail de votre conscience. En plus ne manquent pas de toupet puisqu'ils nous suggèrent de les embellir. Après tout chacun est libre de choisir son suicide.

             Mais ce n'est pas tout. Pour une fois voici un livre qui conjugue beauté grimaçante et utilité pécuniaire. Pouvez aussi vous en servir comme album de découpage. Vous détachez, sans la déchirer, faites gaffe nom de Zeus, l'image que vous aimeriez vous faire tatouer une partie de votre corps ( je n'ose imaginer laquelle ) charnue ou rétractile, et vous courez à l'enseigne de La Brûlerie, le bourreau Benjo San fera son office. C'est le moment de nous quitter sur une poignée de Gromain Machin.

    Damie Chad.

     

    *

    New Noise N° 26 est dans les kiosques depuis ce 21 avril, je vais vous parler du Numéro 25. Traîne sur mon bureau depuis le mois de Février, mais j’ai oublié. Je n’aurais pas dû. J’ai failli. Mea culpa. Les esprits caustiques feront remarquer que je n’avais pas chroniqué non plus, ni le 24, ni le 23, ni le 22… Je n’ose plus regarder mon éphéméride, voici plusieurs années que, soyons plus bref, je n’ai livré d’élucubrations noisiques qu’une seule fois depuis l’existence de KR’TNT, soit exactement en quatorze ans, normal on y parlait d’Edgar Poe.

    C’est que New Noise a traversé une mauvaise passe. Et peut-être-même devrais mettre le verbe précédent au présent. Les ventes du numéro 62 avaient été catastrophiques, sans préavis, n’ont vu rien vu venir, la 63 n’a guère été meilleure, et la 64 s’est désagréablement révélé inférieure au 63. Pour le 65, les chiffres ne seront connus que dans une dizaine de jours. Pour le moment New Noise ne tient l’eau que grâce aux abonnés, aux nouveaux abonnés, aux réabonnements de lecteurs qui n’ont pas envie de perdre leur magazine… La clef n’a jamais été aussi près de la porte.

    En mai 2020, le numéro 401 de Jukebox Magazine n’a pas été envoyé à l’imprimerie… Y aurait-il une crise éditoriale, de lecteurs, générationnelle, un manque de ressources financières… L’est vrai que quatre-vingt-dix neufs virgule quatre-vingt-dix-neuf pour cent des artistes présentés par ces deux magazines si différents, d’arrière ou d’avant-garde, n’ont aucune chance de se retrouver dans la play-list de France Inter.

    NEW NOISE N° 65

    (Février-Mars 2023)

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    L’on voit ce que l’on entend. Noise (généralement on ne mentionne pas New, pratiquement caché sur les deux couvertures au choix) l’on imagine un fanzine destroy, des mises en page apocalyptiques, des aberrations typographiques, des pages mal agrafées, une couverture flottante, des éditos au bazooka, des titres lance-flamme, des textes sous-forme de déclaration de guerre, d’ultimatums injurieux, de revendications à bout-portant, le genre de délicieuse lecture qui vous agresse plus qu’elle ne vous informe.

    Cherchez l’erreur. Même chez votre kiosquier, la couverture de Noise en impose autant que la façade de la cathédrale de Reims, un grand format de cent trente pages au dos carré. Sur le coup vous vous demandez si ce n’est pas une revue sur les engins de travaux public sponsoriséé par Caterpillar. Non c’est une revue de rock vous assure le préposé tapi derrière son bureau, l’est tranquille vu le format vous ne risquez pas de la glisser incognito dans votre poche. Vous l’ouvrez, votre étonnement croît. C’est quoi ce bordel ! c’est aussi propre que les jardins à la française de Le Nôtre, parterre au cordeau, et allées ratissées.

    Diable c’est du sérieux, pour les photos affriolantes et les couleurs criardes faudra faire votre deuil. Z’y vont à l’économie parcimonieuse de subsistance. Par contre ils se rattrapent sur les textes. En colonnes serrées de fourmi noires. Pas une lettre qui dépasse. Noir sur blanc. En petits caractères. Pour moins de douze euros vous emportez un Folio de trois cents pages. Une revue musicale certes mais qui cherche à vous faire réfléchir, qui ne se contente pas de recopier les communiqués de presse, ils farfouillent, ils s’interrogent, ils présentent, ils interviewent, comprenez qu’ils ne posent pas des questions-bateaux qui coulent dès qu’on les pose sur l’eau conversationnelle du délayage conventionnel.

    Un objet qui ne se lit pas à l’emporte-pièce, qui se savoure, qui a le goût du revenez-y, qui vous réserve bien des surprises. Par exemple, j’ouvre au hasard, Oiseau-Tempête, je connais une revue de poésie qui se distribuait dans les manifs entre deux charges de CRS voici quelques années, faudra que je retrouve mes numéros, ben non, je fais fausse route, c’est un groupe, d’ailleurs ça s’écrit Oiseaux-Tempête. Premier opus en 2013, ils présentent le dernier : What on earth, ( Que Diable) : Sub Rosa & Nahal Recordings, je suis allé écouter, une musique post-rock je dirai vide de bruit et de fureur mais emplie d’éclats et de luminosités tranchantes, pour un futur à qui, pour reprendre leurs propres mots, on n’a pas laissé la chance d’exister… Bref une découverte.

    Pour ceux qui aiment les musiques davantage étiquetées je file sur l’interview de Tom Angelripper le bassiste de SODOM groupe allemand de Black Metal qui se vantait de jouer plus fort que Venom et plus vite que Metallica… revisite sa discographie sans état d’âme avec lucidité, l’on sent la fierté de ce fils et petit-fils de mineur, qui a su se battre pour imposer sa marque de fabrique prolétarienne dans le monde musical dans lequel il évoluait. 

    Après ce titre, l’impressionnante revue des nouveaux albums. Plouf mon œil est attiré par une zone grise. Une bonne nouvelle. Et une mauvaise. Le premier album de Cosse est paru. Nous parlions de Cosse au printemps dernier dans nos colonnes, pour une raison bien simple, Lola Frichet, la bassiste de Pogo Car Crash Control y jouait aussi de la basse. Grand écart stylistique, faire partie d’un groupe rock destroy et en même temps d’un combo que nous qualifierons, pour faire vite, de progressif. D’après le topo de Clément Dubosco, It turns pale est très bon, nous n’en doutons pas, mais Lola accaparée par l’auréole grandissante de Pogo quitte Cosse. Pas de souci à se faire pour Lola, prise dans le tourbillon féministe suscitée par l’inscription More women on stage au dos de sa basse.

    Sur les deux Pages suivantes, huit albums chroniqués, trois me disent quelque chose, Psychotic Monks, Might, Deadboys, ces derniers mois je les ai écoutés soigneusement pour finalement en chroniquer d’autres, de même pour Eternal Youth, par contre pour La Mort appelle tous les vivants de Barabbas je ne suis pas le seul à l’avoir remarqué.

    Nous terminerons par l’interview, qui d’ailleurs clôt le volume, d’Yvan Robin. Un gars qui a mal tourné. Le destin aux ailes de fer. L’était bien parti. Chanté trois titres d’Elmer Food Beat devant toute la classe en CE1, il ne s’améliore pas au collège, un avenir radieux s’ouvre devant lui, il formera un groupe, Les GENS, de la vague Louise Attaque et Têtes Raides… L’arrête tout à vingt-cinq piges. Les otites qu’il avait eues tout petit le rattrapent. Il ne supporte plus le son un tout petit peu trop fort… Comme ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort, il sera écrivain. N’ai jamais lu un de ses livres. Il en parle bien. Assez rock’n’roll dans l’esprit. Donne envie de les parcourir. Perso je préfère Aristote mais c’est une autre histoire. En plus parmi la musique qu’il écoute : Pogo Car Crash Control.

    En exagérant j’ai causé de quinze pages sur les cent trente de la revue. Ce qu’il vous faut retenir : Noise parle de musique post-rock, post-punk, post-metal, post-cyberg, post-électro, post-noise, pos-post-tout ce que vous voudrez, s’intéressent aux gens qui comme Baudelaire cherchent du nouveau dans la musique, sont aux limites de tout ceux qui s’interrogent et sont en rupture du vieux monde, des vieilles habitudes de penser.

    Qu’une telle revue disparaisse serait une grande perte.

    Damie Chad.

     

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    J’ai d’abord cru que le groupe s’appelait East et que The Device était le titre de l’album, avec la pochette représentant un vieil immeuble que j’imaginais squatté dans un quartier chaud de New York, ou de Los Angeles ou de Detroit, c’est en examinant de près la photographie que je me suis dit que le building était promis à la démolition, en agrandissant l’image mon cerveau a fait clic, fausse route nous sommes en Ukraine…

    EAST

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    THE DEVICE

    ( K7 / Bandcamp / Mars 2023 )

    Ces trois titres ont été enregistrés en un jour en Pologne en 2021 en des temps beaucoup plus tranquilles. L’opus est dédié à tous les easteners d’Europe.

    Work : sifflements, concassage, rythme lent, appuyé, vocal traînant et porteur d’une colère sourde, l’impression d’une machine autour de laquelle s’agitent des hommes uniformes, unidimensionnels, une broyeuse d’énergie sans âme et sans regret, vocal interjectionnel de cris harassés, l’on ressent la  lassitude, la fatigue qui abîme et corrompt les corps, en arrière-plan la critique de la mécanisation du travail humain par lequel l’homme devient un individu aliéné dans une société qui n’a besoin que d’une main d’œuvre soumise, la cadence s’accélère et bientôt l’on entend les vociférations des contremaîtres qui s’en prennent à ceux qui ne suivent pas le rythme imposé. La musique cède la place au bruit, toute expression humaine devient inaudible, les dernières clameurs sont anéanties par l’impitoyable ramonage mécanique. Crawl : il ne suffit pas de travailler, il faut encore ramper, le bruit n’est pas exceptionnellement fort, une espèce de tondeuse géante qui arase toute volonté de résistance, l’on modélise les individus, on leur apprend à se taire, à écouter et à exécuter les ordres, l’expression des pleurs, des peurs, des angoisses est interdite, silence dans les rangs, accepter et se soumettre, surtout se taire, le bruit de la tondeuse idéologique faiblit, elle n’a plus rien à recouvrir. Front : le même rythme que sur le premier morceau, mais l’atmosphère a changé, le plomb de la résignation se métamorphose en or d’insoumission et de révolte. Sous la chape, dans chaque esprit naît la possibilité d’une autre existence, d’un autre monde, une guitare chante en sourdine, la batterie tapote cahin-caha, la marche sera longue et dure, mais une chose est sûre, forger les marteaux de la colère qui briseront les chaînes de l’esclavage moderne économique et idéologique exigera du temps et des souffrances. Parfois l’on a envie, de se laisser faire, d’abandonner, mais non, la lutte est la seule solution possible. Travailler, ramper, faire face. Silence. Un chant de lutte s’élève dans le lointain. Easteners de tous les pays, unissez-vous !

    Il s’agit uniquement de la face A de la K7. La face B propose trois autres titres : Unsleeping-Unsleeping / Aproc-BCD / Raqal – The beauty of a bad trip. + deux poèmes sur papier, un en ukrainien, un en polonais. Si vous voulez les écouter, il faut commander la cassette ( 10 € ). La somme récoltée sera envoyée en Ukraine. Une autre collecte est organisée afin d’acheter des drones Punisher réutilisables pour la 60ième Brigade Mécanisée.

    Il s’agit donc d’un disque engagé. Ceci peut déplaire. Ceci peut plaire. Cela soulève bien des réflexions politiques et métapolitiques mais aussi sur l’essence de l’art. The Device que l’on pourrait traduire par l’Appareillage ou Le Dispositif se présente en une courte définition : The Cult of an ancient hydrophonic artefact. Veulent-ils signifier que leur action musicale répercute l’air ambient des époques qui la suscitent…

    Damie Chad.

     

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    Viennent de Sao Paulo, du Brésil comme personne ne l’ignore. Le groupe Chant of the Goddess existe depuis 2014 et Martial Laws of discordia est leur deuxième opus. Il est formé de :

    Renan Angelo : guitars, vocals / Vinicius Biz : bass / Guilherme Cillo : drums.

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    Avant de l’écouter. Demandons-nous de quelle déesse se revendique le groupe. La première idée qui nous vient à l’esprit est celle de la déesse primordiale, celle dont les hommes préhistoriens nous ont laissé de nombreuses représentations sous forme de figurines à grosses fesses et gros seins. Robert Graves (1895 – 1995) s’est essayé dans ses Mythes Grecs et La Déesse blanche de retrouver la trace de cette déesse originelle dans les mythologies occidentales, la manière dont elle fut supplantée par les Dieux de la deuxième génération dont la naissance correspond à des invasions d tribus guerrières et ses résurgences plus ou moins voilées dans les figures de nouvelles déesses, épouses, filles, mères, sœurs des Dieux.

    L’iconographie de leur premier opus nous montre bien une jeune et belle femme accoudée sur un cippe devant un chant de ruines antiques. Toutefois la longue chevelure et le style du dessin évoqueraient plutôt l’esthétique préraphaéliste ou symboliste.  Quant à celle de l’œuvre qui nous préoccupe elle nous semble entachée d’un style que nous qualifierons de néo-médiéval très prisé durant le dix-neuvième siècle. Elle représente juste le buste d’une jeune femme qui dirige contre sa poitrine la longue lame de laquelle s’échappe une goutte de sang.

    MARTIAL LAWS OF DISCORDIA

    CHANT OF THE GODDESS

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    ( Bandcamp / Avril 2023 )

    Cold as loneliness : premier choc aux premières notes, le mot discordia induit une idée de violence, le rythme est trop lent, pas assez échevelé, sans ruptures, sans entrechocs pour donner l’impression d’une fureur guerroyante, certes les passages chantés creusent comme des ornières dans le lourd chemin processionnaire du fond musical, cette impression est confortée par les échos choeurifiés des voix, les guitares se brisent et s’éteignent, la batterie et la basse avancent à pas mesurés, ne résonnent plus bientôt que des frissons de basse qui se meurent. Qui se plaint tout le long du morceau, quelle est cette reine découronnée, si découragée que l’on n’ose point utiliser le terme de déesse, à qui s’adresse-t-elle, sa solitude glacée ne ressemble-t-elle pas à la mort, que lui reprochent ses fidèles, comment pourraient-ils se mettre à sa place. Beaucoup d’amertume et de justification à mots couverts. Quel est le sens du mot péché… In the name of… : le titre est incomplet, le voici restauré en sa plénitude : In the name of hatred, distress, delusion and discord : la même musique mais plus appuyée, plus intense avec ces haines de guitares, cette batterie en détresse qui bat un autre rythme et cette voix qui hurle comme un loup au fond des bois, miaulements de fureurs et de détresse, une vague sonore déferle sur nous, la voix désigne et accuse, l’on a beau vivre dans le mensonge de l’illusion, la réalité vous rattrape toujours à l’instar de cette ligne mélodique qui s’enflamme sur la crête des montagnes dont les versants se séparent et se différencient, la discorde gîte entre les âmes, l’esprit, les croyances, tout le reste n’est que brouillard de mots. La chaîne musicale se casse, elle avance de rupture en rupture, les guitares crient l’irréalité de toute pensée morale. About the brevity of life : le morceau le plus bref, instrumental, quels mots pourraient illustrer cette évidence de la brièveté de la vie, juste des résonnances cordiques, chacun tirera de cette indiscutabilité phénoménale le sens qu’il lui donnera. Les mots modèlent l’argile de la réalité mais ne changent en rien sa nature. Enjoy this sin : son écrasant, la voix se métamorphose en roulement d’orage, doit-on comprendre que le tonnerre dit son fait à la terre en la frappant de la foudre. Il est temps de dire ce que l’on est, de revendiquer ses actes, que certains nommeront péché, la déesse a perdu sa virginité et les fidèles ont été précipités dans le veuvage de leur royaume idéel et illusoire. Maintenant tout est dit, plus besoin de faire la grosse voix, ces tintements de cymbales permettent à chacun de reprendre ses esprits, de se conforter dans sa propre vision, qu’elle soit vraie ou fausse. La musique vous ploie la tête, le poids de vos idées vous courbent le corps bien plus que vos actes. Flamboiements de guitares. Apothéose. ( Ce titre a été publié en avant-première sur Bandcamp en décembre 2022 agrémenté d’une couve informe dans laquelle il nous a paru judicieux d’apercevoir un fœtus nageant dans le liquide amniotique ). Dam : pourquoi cette adaptation de System of a down, les quatre premiers titres se suffisent à eux-mêmes, il est vrai que ce morceau indique bien la filiation sonore du groupe et ne jure en rien avec la tonalité de ce qui précède une reprise pratiquement à l’identique, hommagiale. Nommer ses propres maîtres dont généalogiquement l’on procède est la plus grande des qualités humaines.

             Cette chronique n’est qu’une proposition de lecture. Cet opus est assez riche pour en offrie d’autres.

    Damie Chad.

     

     ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    Services secrets du rock 'n' roll

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    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 25 ( Canif  ) :

    135

    Le Chef alluma un Coronado :

    • Je résume : première vague d’assaut, Agent Chad, Molossa et Molossito, deuxième vague d’assaut Carlos et Alice, elle n’intervient que si l’Agent Chad envoie Molossa pour les avertir, troisième vague d’assaut, moi-même en personne, je n’interviens que si Molossito vient me chercher. Avez-vous tous compris ?

    Tous nous hochâmes la tête, Molossa et Molossito firent entendre un ouah ! vindicatif, nous pourrons compter sur eux.

    • Attention, je le répète, l’attaque commencera demain matin à quatre heures. Les préparatifs d’endormissement de l’ennemi dureront toute la journée. Evidemment, dès la première seconde nous serons repérés. Je dis mieux : ils nous attendent. Ne vous faites pas d’illusion, nous reprenons la vieille tactique d’Alexandre sur les rives de l’Hydaspe, parader au vu et au su de tous devant l’ennemi, pour nous ruer au dernier moment sur l’objectif, à trois heures cinquante-huit, nous devons tous être à nos postes prêts à intervenir. Départ de la maison à 11 heures pile.

    136

    Le début de la mission se révéla très agréable pour Carlos et Alice. Ils jouèrent à la perfection le couple d’amoureux. Commencèrent en début d’après-midi par louer une chambre à la seule auberge restaurant du village, descendirent vers seize heures demander si possible un petit encas roboratif pour chasser la faim qui les tenaillait et la lassitude de leurs muscles, faveur qui leur fut immédiatement accordée lorsque Carlos appuya sa demande exceptionnelle de trois billets de cinq cents euros négligemment posés sur le comptoir. En quelques secondes la maison leur fut acquise. Vers dix-sept heures ils s’accordèrent une petite promenade digestive, remontèrent dans leur chambre, redescendirent à vingt heures pour une dernière collation suivie d’un repos mérité. A trois heures du matin, selon leur désir un petit déjeuner leur fut porté au lit, à trois heures et demie, ils quittèrent l’auberge sous les embrassades du patron et du personnel ébahis par la prodigalité de ses clients qui distribuaient à tout bout de champ des billets de cinq cent euros comme la neige éparpille ses flocons… A trois heures cinquante-huit précises nos valeureux combattants étaient à leur poste.

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    La journée du maire fut davantage pénible. A quatorze heures  un individu au visage peu avenant s’introduisit dans son bureau. Il n’eut même pas le temps d’ouvrir la bouche qu’une carte d’Inspecteur Administratif du Ministère des Finances lui fut présentée sans aménité. Il pâlit comme un linge, mais déjà le gars peu commode le prévint qu’il venait vérifier la comptabilité de la commune des cinq années précédentes et de se dépêcher au plus vite de lui amener les registres afférents et un cendrier. Lorsqu’il revint le gars avait pris sa place, l’épaisse fumée d’un cigare lui provoqua un début de nausée, son interlocuteur se montra insatiable, il éplucha page par page tous les dossiers un par un, vérifiant sur sa calculette la moindre addition, l’interrogeant d’un air soupçonneux sur le plus petit détail :

               _ Sur cette adduction d’eau les boulons de quarante n’auraient-ils pas pu être remplacés par du 38 comme dans toutes les communes du voisinage ? Je ne sais pas comment ils vont admettre ce genre de facétie là-haut, notre élite de technocrates je préfère vous prévenir ne sont pas des rigolos, veillent au centime près sur les finances de l’Etat.

    A trois heures et quart du matin, le gars referma le dernier dossier, alluma un énième Coronado et au moment où il refermait la porte :

    • Vous avez de la chance, il se fait tard, je n’ai pas le temps de rédiger un rapport, faites attention, les boulons de 40, j’aurais pu vous intenter un procès pour prévarication, ne recommencez pas.

    A trois heures cinquante-huit tapantes le Chef était à son poste.

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    J’avais tourné toute la journée à la lisière de la commune, à travers champs muni d’un filet à papillons et de mes deux chiens.  Dès que j’apercevais un agriculteur sur son tracteur je lui faisais signe d’arrêter, je m’excusais de l’interrompre en plein travail et lui demandai s’il n’aurait pas aperçu par hasard des concentrations exceptionnelles de Corylidae, papillon inoffensif mais sur lequel l’augmentation de l’empreinte carbone et le changement climatique provoquaient de multiples mutations notamment sur sa chenille qui jusque-là inoffensive se transformait en une espèce de fourmi ravageuse qui se nourrissait indistinctement de graines, de feuilles, de fruits, de tubercules, elle risquait de provoquer d’ici une dizaine d’années la ruine des exploitations agricoles et une famine endémique sur toute l’Europe. Le pauvre paysan affolé remontait sur son engin en me promettant de téléphoner immédiatement au Ministère de l’Agriculture et au Muséum d’Histoire Naturelle de Paris dès qu’il apercevrait des proliférations inquiétantes de papillons, quelles que soient leur espèce, leur couleur, leur forme, leur grandeur…

    A quatre heures du matin je poussai la grille du cimetière. Etait-ce un hasard si elle était entrouverte… Molossa se porta sur ma gauche et Molossito sur ma droite, en quelques secondes je ne les vis plus, mais je savais qu’ils étaient là et leur présence me rassurait.

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    Dans la lumière blême du petit matin il régnait un silence de mort. Je frissonnais. Je passais sans m’attarder sur le demi-cercle des tombes des jeunes profanateurs que nous avions au début de notre aventure froidement envoyés rejoindre leurs ancêtres pour les empêcher de commettre leur vil forfait. Je m’arrêtais devant la tombe d’Alice, elle était dépouillée de toute ornementation. J’aurais pu, j’aurais dû, couper cette après-midi un bouquet de fleurs de champs, je ne l’avais pas fait, j’étais sûr qu’Alice aurait aimé cette offrande. Pourquoi avais-je oublié, n’étais-je pas indigne de l’amour qu’elle m’avait portée… Le museau de Molossa vint se poser contre ma jambe, je compris qu’elle ne m’avertissait pas d’un danger mais qu’elle tenait à me témoigner de son chagrin. Quelque part j’entendis un chouinement, Molossito à sa façon me faisait part de sa tristesse. Braves bêtes, Alice les adorait. Je m’abîmais dans mes pensées…

    • Agent Chad !
    • Damie !
    • Damie !

    Les trois interjections me réveillèrent. Je sursautai, le cimetière était envahi de silhouettes menaçantes, déjà les Rafalos du Chef et de Carlos entraient en action, Alice se précipitait vers moi, elle me tira violemment derrière une croix, Molossa et Molossito grognant de toutes dents me protégeaient d’un groupe d’ombres qui se dirigeaient vers moi :

    • Tire Damie, remets-toi, sors ton Rafalos !

    Je ne repris totalement conscience que lorsque je sentis la crosse de mon arme dans la main, je réalisai le spectacle hideux qui m’entourait, tous les morts du cimetière étaient sortis de leurs tombes, les vieux, les jeunes, les femmes, les enfants, devaient être au moins près de quatre cents autour de nous. De certains anciens tombeaux il s’en échappait encore, heureusement leurs gestes étaient encore maladroits, leurs mouvements plutôt lents les empêchaient de se ruer sur nous. Une épouvantable odeur de putréfaction avancée envahissait nos narines. Molossa et Molossito avaient disparu.

    Le Chef et Carlos nous avaient rejoint. Nous formâmes un triangle. Alice assise à même le sol derrière nous rechargeait les Rafalos que nous lui jetions dès que nos chargeurs étaient vides. La bataille se termina à l’aube. Le cimetière était jonché de morts-vivants que nous avions occis sans rémission une deuxième fois… Je courais comme un fou parmi les cadavres en putréfaction, les saisissant à pleines mains, retournant leurs corps pour vérifier si l’un d’entre eux n’était pas Alice. Mes camarades me laissaient faire. Plus tard ils me dirent que le rictus de la démence balafrait mon visage. Je criais Alice ! Alice ! Pris d’une rage insensée je butais à coup de pied les têtes des cadavres les envoyant rouler dans tous les sens. Ma rage inassouvie me poussa à démembrer les macchabées un par un éparpillant bras et jambes aux alentours. Je ne m’arrêtais que lorsque je fus certain qu’Alice ne se trouvait pas dans ses débris mortuaires.

    Un grand silence succéda à mes cris. Nous eûmes tous pendant quelques secondes l’impression que le monde flottait dans nos yeux. Maintenant tout était calme. Les cadavres avaient disparu. L’on aurait dit qu’il ne s’était rien passé. Le Chef alluma un Coronado :

    • Je pense que nous pouvons rentrer.

    Nous passions la grille du cimetière. Des aboiements rageurs retentirent. Molossa et Molossito ! Je compris que pendant que nous exterminions la légion des morts, les braves chiens avaient monté la garde auprès de la tombe d’Alice. Refusaient-ils de la quitter on nous avertissaient-ils d’un nouveau danger.

    A suivre…

     

     

  • CHRONIQUE DE POURPRE 372 : KR'TNT ! 392 : BITERS / RADIO BIRDMAN / HOT CHICKENS / BRIAN JONES / ROMAIN SLOCOMBE / ROCKAMBOLESQUES (6 )

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 392

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    08 / 11 / 2018

     

    BITERS / RADIO BIRDMAN / HOT CHICKENS

    BRIAN JONES / ROMAIN SLOCOMBE

    ROCKAMBOLESQUES ( 6 )

     

    Biters, please

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    Les Biters d’Atlanta posent un petit problème : ils sont trop beaux pour être vrais. Comme lorsqu’on dit ‘trop polis pour être honnêtes’. Sortez le poster inséré dans la pochette de leur premier album, Electric Blood : vous y verrez quatre créatures de rêve, tatouées, avec des bracelets, des perfectos, de vraies tignasses et même des croix de fer. Ils reprennent le flambeau du look rock’n’roll là où des groupes comme les Hellacopters et les Wildhearts l’avaient laissé.

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    Les Biters semblent remplis de cette arrogance que peut générer le sentiment d’avoir un look parfait. Alors, on écoute l’album, et c’est le commencement de la déconfiture. Dès «Low Lives In Hi-Definition», on sent le vieux cousu amidonné, le mille fois déjà entendu, le coup de Biter dans l’eau. Même s’ils amènent «Heart Fulla Rock ‘N’ Roll» au gros stomp, ils se ridiculisent avec le solo. Ils auraient une fâcheuse tendance à vouloir sonner comme Queen. On sent nettement des influences suspectes, un brin symphoniques, un peu troubles. Pour ne pas dire putassières. On s’apprête à glisser l’album dans sa pochette et à chercher qui va bien être assez con pour vouloir le racheter, mais par acquis de conscience, on écoute le début de la B, car le cut s’appelle «The Kids Ain’t Alright», ce qui vaut pour un clin d’œil aux Who. Et pouf ! Voilà que ça se met à sonner comme un hit ! Ces mecs sont tout de même incroyables : ils démarrent avec une A imbuvable et se réveillent en B avec un hit, alors qu’on venait de sceller le destin de l’album. Du coup, regain d’intérêt ! S’ensuit «Space Age Wasteland» qui sonne carrément glam. Pour un peu, on croirait entendre Bowie chanter - So c’mon - Ils y vont franco de port ! Et ça continue de monter en puissance avec «Loose From The Noose», amené au vieux riff de type Bad Co. Ils recyclent toutes les vieilles ficelles de caleçon, mais voilà un excellent coup de glam-rock arrogant, ça sonne, c’est malaxé et bien ponctué d’oh yeah. Tuk Smith pose bien le Loose et le Noose, des consonances auxquelles on est resté sensible depuis «Born To Lose». Encore une pièce remarquable avec «Time To Bleed», emmené par un riffing infernal qui est bien sûr celui de «Biff Bang Pow». Incroyable ! Quelle séquence ! L’ensemble vire un peu melodic rock mais les retours du rush des Creation sont spectaculaires. Tasty move, Tuk !

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    Dans son numéro 236 de juin 2017, Classic Rock consacre une belle double aux Biters dans sa rubrique Live ! Les Biters sont présentés comme les bastard offspring de Cheap Trick and Joan Jett. Ils boivent du Cloven Hoof spiced rum. Mais pour Tuk Smith la vie est dure : «Rock’n’roll is harder than it’s ever been. I’m making zero money on this tour. I’m on five bucks per diem. And I’ve never splept less in my life than on this tour.» Il ajoute que le manque de sommeil le rend irritable. Il raconte aussi qu’il a arrêté les narcotics voici dix ans, le matin où il s’est réveillé à côté du cadavre de Travis Criscola, guitariste des Cute Lepers, qui venait de faire une petite overdose - I don’t think that whole lifestyle is glamourous now - Tuk Smith ne supporte plus les clichés rock’n’roll. Par contre, il avoue adorer le glam des seventies et pouf, il cite Sweet, Slade, T. Rex. Il porte un badge d’Hector, un obscur dutchband qu’on trouve sur les très bonnes compiles glam - I want to bring the old grooves back - L’intention est louable - Having an image is fine, but I want to be known for killer tunes - Dave Everley qui les voit jouer sur scène au London Roundhouse dit qu’ils sound terrific et qu’ils look great. Et avec Smith, they have the most charismatic frontman out there right now. Mais il a beau être charismatique, Tuk a du mal à groover le public anglais. C’est sans doute pour ça qu’il pense que ça devient très dur de vouloir faire du rock’n’roll.

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    Oh, alors un petit conseil en passant : si vous aimez la bonne power-pop musculeuse et sensée, chopez donc le 5 titres sorti sur Pop The Balloon : on y voit nos quatre Biters en noir sur un fond blanc. Les cinq titres sont spectaculairement bons. Dès «Ain’t No Dreamer», on décolle comme si on se trouvait à bord d’un avion supersonique : extraordinaire pulsation d’exaction partisane. Ces quatre Atlantais développent l’un des plus puissants couples moteurs d’Amérique. Et si ne n’est pas un hit, alors qu’est-ce donc ? Et ça continue avec «So Cheap So Deadly», plus glam encore. Ils disposent d’une fantastique hauteur de vue - You got a hold on me - Et voilà «Anymore», l’absalon du power-poppisme, ces mecs sont les teenages operators d’envolée maximaliste, ils ne vivent que pour lâcher des bombes. C’est tellement bien foutu qu’on se retrouve le bec dans l’eau, comme s’il n’y avait rien à dire. Les Biters se débrouillent très bien tout seuls, ils n’ont besoin de personne en Harley Davidson. Et jusqu’au bout du bout.

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    Pop the Balloon fit paraître en 2010 un autre single des Atlantais, le fameux «Hang Around». Pourquoi fameux, direz-vous. Parce qu’il est chouette, Owl. On a là une heavy pop de belle teneur et joliment enlevée. De l’autre côté, «Beat Me Up» sonne comme du grand Cheap Trick - Kiss me bailleby - C’est admirablement balancé dans le mille et frais comme un gardon d’Atlanta. Si tant est que.

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    Leur dernier album vient de paraître. Tout amateur de glam se doit de sauter sur The Future Ain’t What It Used To Be. On n’y compte pas moins de quatre classiques glam, à commencer par l’implacable «Stone Cold Love». Pur jus T. Rexien. Ils sont en plein dedans, ils pompent, c’est sûr, mais ils ont raison. Les Biters se montrent terrifiants d’ubiquité. On reste dans l’excellence glammy avec «Callin’ You Home», joué à la petite pétaudière de sinécure. C’est fou comme les Atlantais savent river le clou du glam. Ils jouent ça au beat de la sature saturnienne et balancent des why did you go qui résonnent autant que l’antique Hellraiser. Voilà du glam d’or pur. Ça continue avec «Gypsy Rose», monté sur un drumbeat de glam définitif. Les Biters effarent. Les voilà hantés par Marc Bolan. Le son ! Le satin ! Les platform boots ! Et un solo d’une énergie fondamentale les élève largement au dessus de la moyenne. «No Stranger To Heartache» reste dans la même veine inespérée. Cette fois ils tapent dans le stomp et vont même jusqu’à l’exploser aux accords de gras de glam double, comme s’ils tapaient dans une réserve de ressources inexplorées et qu’ils redoublaient d’audace. Tout est joué dans une absolue frénésie. On trouve sur cet excellent album des choses plus classiques comme «Hollywood». Ils vont musarder sur l’Hollywood Boulevard de Ray Davies et y développent leur business. Si bien que leur Hollywood prend une tournure grandiose. Leur album regorge de son et de good moves. Le «Let It Roll» d’ouverture de bal vaut aussi le détour. Il est tellement chargé de son que tout vibre. Ils tapent là dans la démesure du m’as-tu-vu de la cisaille de power-pop explosive. La confiture dégouline de partout. Ils s’énervent tellement qu’ils démultiplient les c’mon. «Don’t Turn This Good Heart Bad» sonne comme un cut d’action directe des seventies, un hit de juke saturé de power-pop. Les Biters sonnent comme de puissants seigneurs. Ils incendient «Vulture City» d’entrée de jeu. Le cut tourbillonne dans de violentes envolées de son. Les Biters ne plaisantent pas avec la marchandise. Qu’on se le dise.

    Signé : Cazengler, Biter San Pellegringo

    Biters. Hang Around With. Pop The Balloon 2010

    Biter. Biters. Pop The Balloon 2012

    Biters. Electric Blood. Earache Records 2015

    Biters. The Future Ain’t What It Used To Be. Earache Records 2017

    Classic Rock # 236 - Rubrique Live. June 2017

     

    Ça chauffe sur Radio Birdman - Part Two

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    Retour en force des Australiens en Normandie, yes the Birdmen flew au grand complet, pareils à une équipe de vétérans de toutes les guerres, jeu serré, big aussie beat, over under sideways down, mâchoires carrées, mines sombres, big drops de sueur, auss and boots, le rock en découd, ça lamine et ça harponne, enfin bref, les Birdmen ne sont pas là pour rigoler. Ils n’en finissent plus de jouer leur carte du mieux disant, il rockent la rockalama comme au temps de leur jeunesse aussi enfuie que Mesrine d’un QHS, ils tarpouinent le mur du son à coups redoublés, blow sur blow, ils enfilent leurs no-hits comme des perles, à défaut d’enfiler la voisine, mais c’est vrai qu’à cinq, ce n’est pas facile. Rock de vieux ? Ha ha ha, comme dit l’apôtre de Clochemerle. Non rock de Birdmen, tout bêtement, sans concession, bien rentre-dedans, bien plaqué d’accords crispés, bien rond sur la crête de sa bassline, ça joue à l’amputée et au moignon, ça bombaste à l’aussie whapalaboom et les kids adorent ça, il faut voir comme ils adorent ça, ils ont toujours adoré ça, et tant que les Birdmen voleront, les kids et les vieux adoreront les voir voler. Ça remonte le moral de les voir adorer ça. Du coup on adore ça encore plus. Jusqu’à l’ivresse. Birdman sur scène, ça veut dire concert idéal. Pas le Graal, comme Jason Pierce ou les Pretties, mais shoot assuré, ‘ah oui monsieur, shoot garanti 100%’ comme dirait le vendeur badgé à l’œil torve, pas de problème, ces vieux renards du bush australien tiennent l’heure de set comme on tient un bastion, ils blasticotent leur blast en caoutchouc, ils kickent leur cake à la crème, ils tournicotent leur tournicoton avec la force qu’enseigne l’expérience, et what an Experience, Jimi, puisqu’elle s’étend sur presque cinquante ans. Si les grognards rescapés de la retraite de Russie avaient monté un groupe à leur retour en ville, ils auraient sonné exactement comme les Birdmen.

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    Quand ils arrivent sur scène, les Birdmen semblent sortir ratacuits du four du Darfour, comme s’ils venaient d’échapper de justesse aux féroces guerriers du Mahdi. Ils pourraient aussi sortir épuisés des marais de Floride, comme le fameux Captain Wyatt que traquaient les Séminoles. Rob Younger et ses amis incarnent l’héroïsme d’un rock qui survit à toutes les avanies et framboises, c’est-à-dire les mamelles du destin : les traversées du désert, les stratégies de marketing et leurs fruits bâtardisés qu’on appelle poliment les changements de modes, les pannes d’inspiration qui sont encore plus détestables que les pannes d’essence, ils ont survécu à tout ça miraculeusement, qui aurait dit en 1974 que ce groupe allait jouer en Normandie en 2018, plus de quarante ans après ? Personne, excepté les gens doués de voyance extra-lucide. Et pourtant, si on réfléchit une seconde, une seule seconde, on voit apparaître le commencement d’un début de logique : si les Birdmen existent encore, sans doute est-ce parce qu’ils plongent leurs racines dans les Stooges et c’est d’ailleurs avec «TV Eye» qu’ils tirent leur révérence avant de souhaiter bonne nuit à la compagnie. Et quelle version, my God ! Tek qui n’est pas du toc joue le riff avec une niaque de pilote qui ne craint pas la mort, il joue au plus près de la niaque ashetonienne, l’une des plus révolutionnaires de l’histoire du rock électrique, celle que dont jadis Eve Sweet Punk Adrien chantait les louanges, on ne refait pas un monde qui est déjà fait, la légende retourne à la légende comme le serpent se mord la queue, tant il est vrai que le grand tourbillon d’énergie cosmique qui tourne autour de la terre s’appelle les Stooges, et tant qu’il y aura les Stooges, il y aura de la vie, ainsi vont les fleuves et les temps, ainsi coule la lave dans les Lys de la vallée et Felix Tek ashetonne de l’une à l’autre, d’Henriette de Mortsauve-qui-peut à Lady Dudley Moore and Moore,

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    Rob râle du see that cat comme s’il en pleuvait, Rob rote du Down on her back à la glotte insalubre, Rob ramène du rab, Rob rame dans l’enfer rouge de nos nuits blanches, Rob rolls down the line, Rob rocks it hard, Rob rôde dans la stoogerie comme un requin en maraude, Rob roule le raw dans la farine, Rob rides it easy, pendant trois minutes, il shake le meilleur shook de tous les temps, Rob rime avec zob, Rob risque ses périls, Rob règne au ras des pâquerettes, Rob rend l’âme, Rob rue dans les rencards, Rob rit jaune caus’ she got a TV Eye on me, on en finirait plus avec Rob et les Stooges, il faut faire gaffe, pendant trois minutes, ils nous font croire que tout peut recommencer, que rien n’a changé depuis 1970, attention, méfiance, ne cédez pas au chant des sirènes, attachez-vous au mât. Quand retombent les cendres sur la morne plaine, on constate que les Birdmen ont redoré le blason de la crédibilité, et cette flèche tirée dans l’œil du cyclone TV leur vaut en plus de l’adoration une sorte d’admiration de bouche bée, médaille beaucoup plus difficile à décerner.

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    Plus en amont, on les vit taper dans les Doors, et ça, c’est réservé à une élite qui n’existe pas. À part les Doors, personne ne peut jouer les hits des Doors. Personne sauf les Birdmen, run with me, toute la tension magique de «Not To Touch The Earth» renaît elle aussi de ses cendres, les Birdmen plongent dans le maelstrom kurt-weillien d’incantation du wake up girl, c’est vrai que de Jim Morrison aux Stooges, il n’y a qu’un pas qui se franchit avec une allégresse qu’on tient pour païenne. Comme celles des Stooges, les chansons des Doors se consument, elles brûlent vives, léchées par les mêmes flammes infamantes et se caramélisent jusqu’à la dernière goutte de son, oui, l’évidence crève les yeux, les mêmes démons hantent Jim Morrison et les Stooges, ils cultivent tous le même jusqu’au-boutisme, celui qui traverse les siècles en laissant des traces vives dans la mémoire des hommes. Rien qu’avec cette paire d’hommages, Radio Birdman décroche son ticket to ride, mais comme Rob reste d’une modestie à faire pâlir d’envie George Brummell, le groupe retournera down under retrouver son nid en Australie, dans le confort un peu humide de l’underground.

    Autour des Stooges et des Doors, les Birdmen tartinent les contreforts avec des vieux no-hits à eux de type «Hand Of Law», «Zeno Beach» ou encore ce brand «New Race». Ils créent encore la sensation avec une cover du grand et beau «Shot By Both Sides». Mais dans tous les cas, Rob Younger se veut plus Younger que jamais, il nie sa réalité de vieux pépère et passe directement à l’action, avec une énergie qui en impose, au moins à tous ceux qui se confrontent au même problème : rock et limite d’âge. Quand faut-il sauter du train ? Pas question pour Rob de sauter du train. Il avoisine les 70 mais il avoine la gueule du rock, pas comme un bas du front, mais comme un gentil mec profondément convaincu de la faisabilité des choses. On appelle ça l’intelligence du rock. Tu tiens debout, tu aimes ça, alors chante le rock électrique, mon gars. Rien n’est plus vital aujourd’hui que de voir Rob Younger danser sur scène.

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    Jonathan Sequeira vient de réaliser Descent Into The Maelstrom, un brillant docu sur l’histoire des Birdmen. Et là tout s’éclaire. Le maelström n’est pas ce qu’on imagine, une spirale de sex, drugs and rock’n’roll, non ce qui a détruit le groupe, c’est l’ego de Deniz Tek. Voilà ce que révèle ce docu extrêmement poignant, d’une honnêteté qui fait honneur à tous les témoins de cette pénible histoire. Dommage, car ils partaient du bon pied, Rob Younger se maquillait et travaillait un look à la Neal Smith (le batteur d’Alice Cooper), Pip Hoyle portait un béret comme Eno, Warwick Gilbert dessinait le logo et de très belles affiches, et Ron Keeley battait admirablement le beurre. Quant à Deniz Tek, Michigan boy fraîchement débarqué en Australie pour finir ses études de médecine, il composait des no-hits. Premier faux pas des Birdmen : une petite médisance sur les Saints, qui eux composaient des hits. Tek ne les apprécie pas «sur le plan personnel», et le malheureux Pip ose dire : «Nos capacités et aspirations musicales étaient au dessus de ce que faisaient les Saints», et là, on sent que se pose un gros problème, car s’il est bien un groupe auquel personne n’oserait se comparer, c’est précisément les Saints. Le malaise s’accroît encore lorsqu’apparaît la track-list du premier album des Birdmen : on lit ‘D. Tek’ à toutes les lignes, comme on lisait le nom de Don Nix partout sur l’album de Moloch, ce qui faisait bien rigoler les gens de Memphis. Craaak... Une première crevasse apparaît dans ce groupe qui se prenait pour une famille : d’un côté Rob et Tek, de l’autre, the brotherhood : Ron Keeley, Warwick Gilbert et Chris Masuak. Ces trois-là ne sont jamais consultés, on ne leur demande pas leur avis. Comme dans Blondie, quand Stein et Debbie Harry mettaient les autres devant le fait accompli. Puis un autre Stein, le Seymour de Sire, vient en Australie signer les Saints, mais il flashe sur Birdman et les envoie tourner en Angleterre. Se croyant malin, le manager du groupe détériore encore l’ambiance en tentant de pousser Rob et Tek devant, laissant les autres dans l’ombre. Il fait exactement ce que fit qu’Andrew Loog Oldham avec les Stones, en poussant Jagger & Richards en avant. Du coup l’ambiance se délite. Bon prince, Ron Keeley déclare : «That wasn’t a clever management.» Conditions de tournée habituelles : le van, pas un rond, la fatigue et l’impossibilité de se parler - It just kind of fell apart - Ça tourne en eau de boudin. Ils vont à Monmouth chez Dave Edmunds enregistrer leur deuxième album, Living Eyes, que Chris Masuak appelle Living Ass. Ron, Warwick et lui se plaignent d’être exclus du process créatif. Tek écrit tout, Tek produit tout, Tek gère tout, Tek par ci, Tek par là. On imagine aisément ce que ces pauvres gens ont dû endurer. Warwick : «I think Living Eyes is all shit. C’est le truc de Tek.» C’est vrai que l’album paru beaucoup plus tard est d’une spectaculaire médiocrité. Le groupe se sépare. Personne ne se dit au revoir.

    Et pouf, vingt ans plus tard, en 1996, on leur fait un pont d’or pour se reformer, and all the shit starts again, nous dit Warwick en rigolant, Tek veut tout diriger, tout composer, tout produire. Warwick n’en peut plus, il dit à Ron qu’il arrête les frais, Ron I’m out of it ! C’est là que Jim Dickson, le bassman des New Christs, entre dans Birdman. Puis après un mauvais show, Ron Keeley est viré comme un chien. Devant la caméra, Rob déclare : «Non, c’est pas moi qui l’ai viré...» et il ajoute, très embarrassé : «But I was part of the decision.» Big, very big malaise. Comment ose-t-on se comporter ainsi avec un vieil ami ? Alors Ron reprend la parole : «Je me tenais au bord de la falaise et on m’a poussé dans le dos.» Il ajoute que cet épisode atroce continue de le hanter. Sur sa lancée, Tek continue d’épurer les rangs en éradiquant le brotherhood : il envoie un mail à Chris Masuak pour lui indiquer qu’il est viré. UN MAIL ! Oui, de nos jours, on vire les gens par mail. Chris prend ça avec une certaine forme de philosophie : «Je suis plutôt content de ne plus jouer dans ce groupe avec ces gens. They just don’t play good enough for me.» C’est à Ron Keeley que revient le mot de la fin. Il indique que Tek a battu tous les records, dans le domaine. Puis, avec sa touchante bonhomie, Ron précise qu’il ne lui adressera plus jamais la parole.

    Signé : Cazengler, rabiot beurre-man

    Radio Birdman. Le 106. Rouen (76). 20 octobre 2018

    Jonathan Sequeira. Descent Into The Maelstrom. DVD 2018

    TROYES – 02 / 11 / 2018

    LE 3 B

    HOT CHICKENS

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    L'on se retrouve à une dizaine pour pousser la porte du 3 B. Ça n'en finira pas d'arriver, un flot ininterrompu, le carré des habitués et une flopée de nouveaux. Quelques uns un peu par hasard mais la majorité poussée par le qu'en dira-t-on, la rumeur d'un certain Jake Calypso le mois dernier à la Chapelle Argence, qui aurait averti qu'il serait au 3 B le premier vendredi de novembre. Ce soir c'est la patronne Béatrice Berlot qui offre une fricassée de poulets brûlants, ne poussez pas il y en aura pour tout le monde. Trois services, trois sévices rock'n'roll, propagés dans de la porcelaine de prix. Cassée. Pour ceux qui ne le sauraient pas Jake Calypso et Hot Chickens, ne sont que deux fragments identiques, et donc différents, d'un même miroir magique. Une fois que vous vous êtes miré dans l'un vous n'avez plus qu'une envie vous admirer dans l'autre.

    HOT CHICKENS

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    Hervé Loison tire sa Paint it Black sur le plancher. La grosse dondon toute noire, se laisse faire. Résignée, encore une promise à une glorieuse mort sur le champ d'honneur du rock'n'roll... Christophe Gillet s'installe sur un des tabourets du bar, un arbre qui a traversé la route lui a fragilisé la cheville, n'ayez crainte les doigts sont indemnes...

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    Thierry Sellier compte du regard les éléments de sa batterie, cinq pas un de plus, amplement suffisants pour déclencher les orages. L'est un peu sorcier indien Thierry, avec trois fois rien il vous emmène au cœur de l'apocalypse. Le gars qui vous arrête une division blindée avec un fusil à fléchettes. Devrait être nommé ministre de l'économie. Vous lui refileriez le déficit, il vous enrichirait le peuple à alimenter la chaudière du chauffage central avec des billets de cinq cent euros. Sans effet de manche, sans aucune forfanterie, sans une once de stress, sans la moindre théâtrale grandiloquence – méfions-nous toutefois ce petit sourire mi-goguenard, mi-méphistophélique qui erre sur ces lèvres – il abat une ou deux baguettes sur un ou deux de ces fûts, du genre puisque c'est à mon tour de jouer, faisons-le à la cool sans me prendre la tête. Le problème c'est qu'il explose la vôtre.

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    Un vicieux, pas un adepte du coup qui assomme le bœuf, il sait le faire, mais c'est un pervers, l'a une prédilection pour le dérapage infini, à la grêle il préfère le grésil, à la franchise nette la glissade fracturale. L'a l'art du bop. Vous ne savez jamais par quel trou le renard sortira de son terrier, vous matez désespérément les orifices, par un malheureux contretemps incongru et incompréhensible l'est déjà en train de saigner la volaille dans le poulailler. Evidemment vous vous en doutez il y a un autre larron dans la foire. Le profil du sage. L'air attentif. Y a de quoi.

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    Devant lui le Loison piaille sans vergogne, et derrière lui le Thierry ondule le carton, alors par la force des choses le Christophe se charge du grand écart, vous réunit les flots divergents du même courant, l'est le maître des eaux du déluge. Ne se contente pas de construire un pont entre les deux rives. Ce serait-là du boulot de mauvais ouvrier qui colmate les voies d'eau à l'aide de planches trouées agencées avec du chewing-gum usagé. Use d'une autre méthode. Personnelle. Sur le qui-vive perpétuel. Prend la barre et ne la lâche pas d'une seconde. Navigue au plus près de la tempête loisonesque, un truc à y perdre ses plumes et ses voiles, mais non, vire lof sur lof, prêt à toutes les éventualités, veille au grain qui va éclater et quand le voilier est prêt du mou il déclenche de nouvelles ardences. A tribord surveille de près Hervé, mais à bâbord il lui faut veiller sur Thierry qui est comme le lait sur le feu. Prêt à déborder au moment où l'on s'y attend le moins. Dans ce cas-là le Gillet de sauvetage vous largue de ses tonitruances à vous en fendre les tympans, tire au canon, des deux bordées, de la proue à la poupe, mais quand les deux autres bretteurs filent tout droit, il laisse aller le navire sur son aire, à toute vitesse, dans les cas extrêmes, avant les grandes dérives et déchirures éruptives, pour ahaner le suspense et le rythme Christophe fouette de ses cordes le dos de la chiourme, tout le monde comprend que l'on s'approche des récifs rugissants, et à l'instant fatidique où la coque va se briser sur les dents de pierre de l'océan, il vous abat un ouragan à vous démâter les cerveaux en perdition.

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    Pour ceux qui ne supporteraient pas le mal de mer, nous emploierons une métaphore d'un autre genre culinaire. Imaginez l'eau bouillonnante portée à cent degrés dans la marmite de Tante Agathe. Cette espèce de chaos liquide tumultueux, qui obéit à de subtiles architectures secrètes, correspond au tohu-bohu ordonné de Thierry Sellier et Christophe Gillet, contrairement à ce que prescrivent les recettes traditionnelles, ce n'est pas l'instant idéal d'y faire fondre avec douceur, patience et consomption un bouillon cube déshydraté. Tout le contraire, plongez-y un animal vivant, style cachalot colérique, on n'en a pas toujours un sous la main, donc n'importe quel volatile fera l'affaire, de préférence toutefois nous vous encourageons à prendre un Loison sauvage survitaminé, de l'ordre des Hervédés énervés. Les filles, je vous en prie, cessez vos jérémiades hypocrites, et évitez de traiter les rockers de brutes au cœur d'assassin. Je peux témoigner, vous n'avez pas cessé une seconde de toute la soirée de vous trémousser comme des dératées, et je me refuse  à évoquer vos yeux de merlans frits énamourés braqués sur le trio convulsif. Je me permets de vous rappeler qu'il ne faut pas moins de trois cuissons – en terme idoine on emploie le mot set – pour venir à bout d'une telle bestiole, et surtout que le Loisonus Hervibus – ainsi disent les savants – est réputé pour être increvable. A la fin de la préparation, certes il n'est pas frais comme gardon, mais chaud comme la poule qui sort du pot. Vous comprenez ainsi pourquoi les américains nomment ce plat Hot Chickens.

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    Bref le Loison plongé dans l'eau à ébullition est aussi à l'aise dans cette atmosphère incandescente qu'un rocker devant une chope de bière fraîche un jour de canicule, même qu'au début Thierry et Christophe la mettent en sourdine pour l'écouter chanter, car il module, il roucoule doucement telle une palombe sur la plus haute branche de l'arbre, puis il minaude, joue la diva, vous trille les notes en vocalise, et patatras, d'un seul coup le monde s'écroule, l'est pris d'un délirium tremens prononcé, se roule sur sa big mama, lui tire une corde, cruellement à croire qu'il veut arracher les cheveux de sa copine dans la cour de récréation. Un grand partageur, pas un égoïste, nous invite à l'imiter, et c'est le jeu question réponse du holler-blues revisité en version joyeusement participative. Le numéro du perroquet, le maître se met devant vous et vous répétez après lui, un vieux réflexe qui marche à tous les coups, derrière Christophe fait semblant de marcher à pas de loup sur des élastiques et Thierry passe du coton hydrophile sur sa caisse claire, genre tireur d'élite qui graisse soigneusement son fusil à lunette avant de l'épauler et de vous mettre en joue, vous connaissez la fin, sans préavis ils se jettent sur vous et vous croquent comme le petit Chaperon Rouge.

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    Z'ont aussi des produits de plus haut standing. Hervé s'amuse à l'écrivain qui se cite lui-même, interprète du Jake Calypso, nous aurons droit à un Memphis Downtown épique, Gillet aux choeurs spasmodiques, le downtown frappé à la manière de ces pièces de monnaie qui sonnent lugubrement dans les entrailles sans âme des machines à sous. Les pionniers seront particulièrement mis à l'honneur, un Rave On ravageur une véritable bataille d'oreillers au lit, du Little Richard dégoisé à l'infini, le combo rock dans toute sa splendeur, un Keep-A-Knockin' brillant de mille feux tel l'embrasement du temple d'Ephèse pour annoncer au monde antique effrayé la naissance d'Alexandre le Grand, et puis surtout ils ont boppé like they play Gene. Une espèce de descente d'organes irrémédiable sur la batterie de Thierry, une succession de pontages coronariens sur la guitare de Christophe, tous deux chirurgiens diaboliques, et Loison glissant le bistouri de sa voix dans les tripes congestionnées du rock'n'roll. Des fulgurances de tremblés de guitare sur l'anatole étoilée de Baby Blue, et une rapidité de frappe d'une exactitude extraordinaire sur Say Mama que tout le monde reprend à tue-tête. Une espèce de transe chamanique avec Hervé qui relance du charbon dans la locomotive folle. L'on ne change pas une équipe qui change. La dream team de notre trio rock'n'roll passe aussitôt au Rock'n'roll Trio de Johnny Burnette dont elle interprète sans faillir trois – n'oubliez pas que nous sommes à Troyes - tempêtes souveraines, notamment un All By Myself digne de l'Anthologie Palatine. Remarquez que Fabien à la sono leur a concocté une réverbe digne du studio Sun, pour le rockabilly sauvages de nos poulets frits, c'est une aubaine qui ne se rate pas.

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    A ce moment-là, le délire règne en maître depuis longtemps dans la salle, Hervé à remisé sa big mama dans un coin, trop de monde autour des musiciens, l'a échangé contre sa basse électrique, n'empêche que l'espace que l'assistance lui concède est bien trop étroit pour se livrer à sa gymnastique habituelle, puisque l'horizontalité terrestre lui est interdite, il s'élèvera selon l'altitude ouranienne. Pour le troisième set Christophe survolté joue debout, Hervé s'empare du tabouret, se juge dessus en équilibre précaire, micro et basse en main, il aimerait aller encore plus haut, mais ses cheveux touchent au plafond, alors il cogne sa tête sur les lattes plastiques transversales, les déforme quelque peu, pris d'une rage de berserker il saute à terre se roule sur le plancher et cogne à plusieurs reprises sa tête sur le sol, s'écroule sur la batterie, imperturbable Thierry continue à battre l'infatigable tic-tac de la fin du monde...

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    Sont trempés, mouillés, éreintés, cassés comme des Héros revenant de la guerre de Troyes, embrassés, caressés, palpés, papouillés, remerciés, comme des Dieux qui ont permis la victoire. Dehors l'on n'en finit pas d'épiloguer... Une soirée dont on reparlera longtemps dans les chaumières. Merci à Béatrice la patronne !

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    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Eric Duchene )

    BRIAN JONES

    TRAGEDIE DU FONDATEUR DES ROLLING STONES

    JEREMY REED

    ( Talents Publishing / 2008 )

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    Brian Jones. Le brillant jaune. L'on ne voyait que lui sur les pochettes des Stones. Arborait une moue dédaigneuse, une mine mystérieuse, du genre, circulez il n'y a rien à voir, vous ne m'intéressez nullement. Oui mais les Stones, alors les EP's on se les passait et se les repassait, les boys on les reluquait un par un, et il faut le dire, je ne citerai pas de noms, il y en avait deux qui étaient franchement laids, les deux autres normaux, même que Jagger avait ce sourire idiot qui plaît aux filles – oui, on était jaloux – mais les quatre mousquetaires pouvaient se rhabiller dès que l'on dévisageait les photos, avec ses cheveux blonds, Brian était le mouton noir du lot, celui que l'on zieute en premier, les autre zigotos éclipsés, lui la face illuminante de la lune, les autres le côté même pas sombre, dont on ignore jusqu'à l'existence. On se demandait même ce qu'il faisait dans le groupe. Le gars inclassable, on sentait que l'on ne pouvait pas le reléguer au poste ridicule de guitariste rythmique derrière ce grand riffeur de Keith, d'instinct on comprenait que le rôle de second couteau n'était pas pour lui. C'est au fur et à mesure que les disques se succédaient que l'on a compris qu'il était comme ces troupes d'élite trop précieuses pour être stupidement exposées, que l'on n'engage au combat que lorsque leur présence est indispensable pour créer la victoire. Le spécialiste, celui que l'on appelait en dernier ressort ou plutôt qui se pointait sans préavis pour vous déballer la dernière invention dont personne n'avait jamais encore entendu parler. C'est quoi ce son ? C'est rien, c'est le dulcimer de Brian Jones, et celui-là qui fait mal aux oreilles ? Mais tu n'y connais rien, c'est le sitar de Brian Jones.

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    On en avait conclu que le Brian Jones c'était le couteau suisse des Rolling. Le voisin du dessus à qui vous téléphonez quand vous avez le robinet qui fuit. Au début, on ne savait même pas que c'était lui qui avait créé les Stones. D'emblée on avait décidé que c'était le Jagg, avec sa large bouche, c'était lui le patron. Devait savoir ouvrir sa grande gueule. Le Brian, même pas l'éminence grise, la jaune si vous voulez. Manque de chance, quand on a commencé à tout piger, d'étranges bruits ne cessaient de circuler, le Brian assommé par les drogues, un zombie qui n'arrivait même plus à se saper. Le dernier des journalistes rock qui se pointait à Londres ne manquait pas de raconter qu'il avait croisé Brian Jones complètement stoned, dans un état comateux, guirlandé comme un arbre de Noël... en plus le mec pas malin, Keith et Mick arrêtés par surprise par les flics, un scandale, l'on avait envie de prendre un fusil et de descendre dans la rue, mais quand deux jours plus tard, les pigs sont allés chez Brian, l'abruti, l'aurait pu s'en douter, l'aurait pu évacuer la came, un enfant de trois ans aurait compris... Quand les Stones l'ont débarqué du groupe, l'on n'était pas franchement contents, un peu comme quand le dentiste vous arrache une dent de sagesse, l'on y tenait tout de même à ce chicot pourrave, et aussi un sentiment d'innocence perdue, la sensation d'agissements pas très propres dans les coulisses, et puis une very big question primait : qui le remplacera ?

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    Jeremy Reed ne mange pas de ce pain-là. Certes dans la traduction française l'éditeur s'est débrouillé pour glisser dans le sous-titre la formule magique ( Rolling Stones ) celle qui fait vendre, mais le titre anglais est autrement évocateur, Brian Jones, The Last Decadent. Certes dans la bibliographie reedienne vous trouvez des ouvrages sur Scott Walker, Lou Reed, et le Brian Jones, mais c'est avant tout un littéraire. L'est arrivé au rock'n'roll par la poésie, l'a emprunté le chemin des similitudes, l'a tout de suite saisi le rapport entre le rock'n'roll et des gabarits comme Arthur Rimbaud, Lautréamont ou Jean Genet, tous les rockers ne sont pas obligatoirement dans un groupe de rock. Même qu'il y en avait déjà depuis des siècles que le rock n'existait pas encore.

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    Ceux qui s'attendent à tout savoir sur l'apport musical de Brian Jones aux Rolling Stones seront déçus. Jeremy Reed nous parle de Brian Jones, mais pas du tout expressément des Stones – de toutes les façons vous connaissez la saga dans ses moindres détails depuis longtemps – certes sans les Stones, Brian Jones n'existerait pas, mais il faut comprendre que le succès des Stones a agi comme un démultiplicateur sur l'âme de Brian. Le livre n'est pas à strictement parler une biographie de Brian Jones mais une étude de sa psyché. Que le lecteur ne s'étonne pas que dans le premier chapitre Jeremy s'attarde sur la personnalité de quelques empereurs romains, Héliogabale, Caligula, Néron. Le pouvoir absolu qu'ils détenaient leur a permis de vivre leurs phantasmes à fond. En pleine conscience. Z'ont joui sans entraves. L'ont payé cher, sous le couteau de leur propre garde, par exemple. Il est inutile de les condamner, ces figures historiques sont des loupes grossissantes qui nous permettent d'entrevoir ce que nous ferions placés en une même situation. Car ne nous faisons aucune illusion, nous ne sommes ni pires, ni meilleurs qu'eux. La gloire, l'adulation, l'argent ont permis à Brian Jones de vivre selon sa nature profonde. Certes l'idole d'or n'était pas un empereur romain, mais elle a eu l'opportunité de réaliser ses rêves et ses cauchemars selon un niveau très supérieur au péquin de base.

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    Un père rigoureux, un enfant rebelle. Vif, charmant, intelligent, doué, en ses débuts mais à l'adolescence tout part en vrille. Brian rejette tout en bloc. Il fera ce qu'il voudra. Tant pis si cela ne plaît pas aux autres. Des autres d'ailleurs, il s'en fout et contrefout. Turlupine à seize ans une copine enceinte, mais n'envisage point de réparer. Ce ne sera pas la dernière. Consomme et jette. Que la mijaurée se console comme elle veut et torche les fesses du bambino. Ce sera sa ligne de conduite. Affaire ancienne qui ne m'intéresse pas. J'ai autre chose à m'occuper. Pas joli-joli ? C'est ainsi, le grand jaunâtre fonctionne de cette manière, c'est du narcissisme pur, même pas pervers. L'est un Artiste, priorité absolue à son œuvre. Mon entourage humain relégué au dix-septième plan. Ses parents ne le supporteront plus, trouvera la porte fermée et ses valises devant.

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    Une terrible blessure narcissique qui ne fait que confirmer ce qu'il avait pressenti depuis toujours. L'était un cygne blanc engendré par des canards boiteux. Ne finira pas SDF, mais Rolling Stones. L'a l'arrogance naturelle. Supérieur ( pas du tout inconnu ) à tout le monde. L'a obligatoirement toujours raison. Au début c'est parfait, sa personnalité colle comme un gant à la morgue affichée par le groupe. Qu'on se le dise les Stones ne sont pas de gentils garçons. Le problème c'est Andrew Loog Oldham, Jagger et Richards, les trois zigotos aux dents longues voient plus loin, ne veulent pas répéter sempiternellement le blues tutélaire, veulent toucher un public encore plus vaste. Plus pop, plus rock. Brian met la main à la pâte mais suit en traînant la patte. Se sent dépossédé de la machine qu'il a créée.

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    L'alcool, la drogue l'aident à tenir, l'isolent aussi dans sa tour d'ivoire. L'a d'autres problèmes. Par exemple, n'a jamais aimé  la cohue des concerts, trop de violence, trop de vulgarité. Possède une sensibilité d'esthète. Un pur artiste baudelairien qui rêve de luxe, de calme, et de tranquillité. Sur scène ses tenues épousent la chatoyance du costume des toreros mais il éprouve l'impression très désagréable d'être le taureau promis à la mort... Et puis les filles surtout. Les consomme en grand nombre. Je te baise, je te jette. A part que plus le temps passe, plus ça dérape, les excitants modèrent ses envies, l'impuissance le guette. Mais c'est encore plus compliqué. Dans une fille il recherche son double, faut qu'elle soit blonde comme lui, mais peut-on se baiser soi-même, n'est-ce pas une sorte d'inceste métaphysique, n'est-ce pas s'abîmer soi-même lorsque l'on porte sexuellement atteinte à ce corps qui vous ressemble ? Brian se débat avec le mythe de l'androgynie. Jeremy Reed pousse l'analyse un peu plus loin. Brian baise les filles pour ne pas s'avouer son homosexualité, parfois il passe le gué, peut-être même avec Jagger, parfois non. Tout cela se passe dans la tête de Brian, mais dehors ce n'est guère mieux.

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    Les tenues vestimentaires de Brian sont extravagantes. Assortit les couleurs sauvagement. Sur scène, et dans la vie. Brian se met en danger, ce ne sont pas seulement des recherches costumières hors du commun, une tendance profonde saute aux yeux de ceux qui le croisent. Brian ne recherche pas l'excentricité, il se déguise pour s'habiller en fille. Une dizaine d'années plus tard Bowie jouera avec cette ambiguïté, mais au milieu des années soixante, les esprits frustes ne se gênent pour déclarer que Brian est un sale pédé, une tapette. Pour le moment il vit dans un milieu protégé...

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    Les amantes de Brian racontent qu'en fin de compte il ne se passe grand-chose dans les moments de tendresse. Donc peu de sexe, et absence de cerise sur le gâteau à pâte molle, aucune compensation : pas du tout de tendresse. Brian est trop prisonnier de lui-même pour entrer en communication avec autrui... La seule qu'il ait aimée s'avèrera être Anita Pallenberg. Emploient leur temps à se crier dessus. Crise perpétuelle. Elle finira par se maquer avec Keith... Le couple androgynique se rompt en deux et la moitié indispensable se détache de lui, non sans une cruelle perversité.

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    Pour Brian rien ne va plus. Se sent trahi par Keith et pas besoin d'être devin pour prévoir l'éjection finale. Sera viré en mars 1969 exactement. Pas de chance, c'est sur lui que les policiers s'acharnent puisque c'est le plus fragile. Les perquisitions n'arrêtent pas. Vit dans l'angoisse perpétuelle, tout se délite autour de lui. Perd toute confiance en lui-même, n'osait plus depuis longtemps présenter les morceaux qu'il composait...

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    Finit par arrêter les produits par peur de se retrouver en prison, se rattrape sur les sédatifs et l'alcool, mais l'est prêt à renaître, une super-groupe Jones-Lennon-Hendrix est envisagé... Le monde lui fait peur. Ne demanderait qu'à rester calfeutré chez lui, mais il n'est plus chez lui, des ouvriers se sont installés à demeure soi-disant pour quelques travaux qui n'en finissent plus, se fait voler, moquer et insulter, cela se termine mal, il est retrouvé mort dans sa piscine. Jeremy Reed assure et démontre que cette noyade est un assassinat. Témoignages des amis et déclarations des témoins et des acteurs de cette soirée funeste ne sont pas pris en compte par les policiers. Un bon Stone est un Stone mort. Avertissement sans frais à la jeunesse occidentale très remuante  en ces années de tumulte soixante-huitard. Un autre monde n'est pas possible.

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    Des effets de Brian tout a disparu. La maison a été pillée, ses collections d'antiquités envolées, ses vêtements ont été brûlés, ses instruments démolis, les bandes magnétiques probablement détruites car un demi-siècle plus tard aucun disque, aucun enregistrement sous tout autre support n'est encore réapparu. La mort de Brian n'a pas suffi, l'on a cherché à effacer ses traces, à détruire tout ce qu'il aimait, tout ce qu'il était. Une haine sans égale. Y aurait-il eu des commanditaires ? Jeremy Reed ne pose pas la question. La suggère. Sans aucune envie de s'y arrêter.

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    Reed ne se contente pas de l'aride exposé des faits. Elève le personnage de Brian Jones à la hauteur du mythe. Le compare souvent, citations à l'appui, à Oscar Wilde, ceux qui essaient de vivre loin du troupeau encourent la vindicte de leurs contemporains. Si Brian Jones ne s'est pratiquement exprimé que par la musique, Wilde avait les mots acerbes pour décrire le processus de destruction opérée par la société à l'encontre des personnalités rétives. Notre auteur puise d'autres exemples dans la littérature, évoque la théorie du bouc émissaire, et n'hésite pas à transformer le calvaire de Brian Jones en destin d'Orphée déchiré par les Ménades, peint son assassinat opéré par de frustes brutes affolées par le doute que l'homosexualité désignatoire de Brian soit à l'image de leurs propres désirs les plus profonds, comme une castration symbolique, rendant de ce fait le phantasme de l'androgynie définitivement irréalisable. La perfection n'est pas de ce monde.

    Un beau livre. Très littéraire. Une analyse de la notion de décadence qui ouvre des perspectives peu connues – pour nous les petits froggies - sur la littérature anglaise.

    Damie Chad.

    L'INFANTE DU ROCK

    ROMAIN SLOCOMBE

    ( Parigramme / Octobre 2009 )

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    Slocombe, c'est le genre de mec qui mâche des concombres en marchant sur les décombres de notre société. Déjà très jeune il tirait au Bazooka aux côtés de Kiki Picasso et de Philippe Manoeuvre. L'a des passe-temps agréables, il capture les jeunes japonaises au lasso, vous les ficelle à la manière des saucissons auvergnats et les prend en photo. Certains prétendent qu'il bande des cinés, et qu'il écrit des livres comme l'on va à confesse – vous noterez combien ce mot censé vous emmener à la contrition chrétienne contient les deux raies encastrables des deux plus ignominieux péchés de la chair - juste pour y jeter la gourme de son siècle. Bizarrement la première fois que j'ai lu un livre de Slocombe c'était un livre d'enfant de ma fille. Preuve qu'il doit rester une parcelle d'innocence dans son âme aussi noire que notre monde.

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    L'infante ( du rock ) c'est un peu l'arlésienne du récit. On ne la voit guère. L'encombre surtout le labyrinthe phantasmatique des désirs et des regrets du dénommé Glucose, le héros du livre. N'est pas au mieux lorsque le bouquin débute. Idem pour le terminus. All the good is gone et sa grande présence au monde est derrière lui. Depuis longtemps. Depuis vingt ans. L'a essayé une fois de renaître à lui-même, l'est parti au Japon, l'est revenu, peut-être que l'on ne vit qu'une fois après tout. Ensuite, juste une question de survie. Habite à Paris, publie des bouquins. Connaît encore du beau monde, mais l'on sent qu'il est un pré-hasbeen. Les heures de gloire et les années folles sont passées. L'a été le parolier des Mona Toys, dans les années quatre-vingts – perso je dirais que c'est un mélange de Lilli Drop, Taxi Girl, Rita Mitsouko, même si les Jouets de Mona paraissent plus sauvages – évidemment l'histoire se termine mal, drugs, rock and split... en plus Mona est retrouvée en très mauvais état. Assassinée. N'y a pas qu'une fille dans le roman, Glucose possède aussi un ami, Takao, un japonais qui l'initie aux combines du blanchiment d'argent. Un jeu dangereux.

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    Slocombe vous raconte tout ça. Déteste la ligne droite. Le chemin le plus court n'est pas le plus agréable. Le livre fonctionne à coups de flashbacks, un véritable dédale. Parfois il est écrit à la première personne, parfois à la troisième. Glucose court après sa jeunesse, et Mona dont il se murmure qu'elle est encore vivante. Dont il a été aussi l'amoureux transi. Peut-être aurait-il mieux fait de ne pas réveiller tous ses vieux souvenirs, à moins que ce soit le passé qui revienne demander des comptes...

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    Ce qui est sûr c'est qu'une fois que vous avez feuilleté le chapter one, vous tueriez votre mère pour savoir la fin. Salement bien combinée. Vous oblige à reconsidérer l'histoire depuis le début, ce n'est pas qu'un détail vous aurait échappé, c'est qu'il faut s'interroger sur la signification du bouquin. L'est un peu exigeant le Slocombe, en échange L'Infante du Rock vous fournit tout ce dont vous avez besoin pour vous pourlécher les babines : scènes choc, visions arty, des morts, du sexe, du sang, du fric, des silhouettes célèbres du tout-eighties-Paris-Rock, de la folie, du gore, de la littérature interlope, une dose de mélancolie, de la déprime, de la peur, du suspense...

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    Les critiques disent que c'est un roman policier, sous prétexte qu'il est publié dans la collection Noir 7.5. Romain Slocombe donne surtout l'impression d'avoir voulu écrire non pas sa biographie mais sa létagraphie. S'est aperçu que la relation de notre effacement du monde est le seul aspect de notre vie dont nous laissons, de gré ou de force, les autres se charger. Elle nous échappe, Slocombe a voulu remédier à cet état de fait. L'aurait pu se tirer une balle dans la tête, mais c'est une solution de facilité. S'est épargné aussi la vulgarité du testament, s'est comporté en grand seigneur, s'est construit un magnifique tombeau, le roman de sa vie rêvée, le relevé de tous les petits jolis cailloux qu'il a semés tout le long du chemin de ses opportunités existentielles, mais surtout l'orchestration magistrale de ce sentiment d'incomplétude qui nous poursuit depuis le premier jour où nous avons pris conscience que notre naissance au monde était aussi un cadeau mortel.

    Très beau roman. Très rock'n'roll. Un rockman gris.

    Damie Chad.

    ROCKAMBOLESQUES

    FEUILLETON HEBDOMADAIRE

    ( … le lecteur y découvrira les héros des précédentes Chroniques Vulveuses

    prêts à tout afin d'assurer la survie du rock'n'roll

    en butte à de sombres menaces... )

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    EPISODE 6 : SUR LA PISTE DU RENARD

    ( Splendido amoroso ) )

    Nous sommes entrés dans la cuisine. Le spectacle n'était guère ragoûtant. Cruchette expliqua :

      • J'allais plonger les frites dans la bassine, lorsque j'ai entendu du bruit du côté du vide-ordures, j'ai cru que c'était des rats qui remontaient le conduit, j'ai soulevé le couvercle, quelle horreur quand je l'ai aperçu, je n'ai même pas réfléchi, je lui ai versé l'huile bouillante sur la tête et maintenant il est mort, quelle calamité ! Dire que j'ai tué un homme !

    Sûr qu'il était bien mort, en un dernier effort le gars avait tenté de sortir du vide-ordures, mais la grande faucheuse l'en avait empêché, son torse dépassait, ses deux mains étaient crispées sur le rebord, l'était pas beau à voir, une atroce grimace de douleur dessinait un rictus démoniaque sur son visage, le plus hideux c'était ses yeux bleus grand-ouverts qui vous regardaient d'un air absent, tranchaient véritablement sur la peau de son visage rougie et desquamée par le liquide brûlant. Le Chef le repoussa dédaigneusement d'un grand coup de pied, l'on entendit son corps qui glissa durant quinze secondes dans le tuyau et très distinctement le splash terminal lorsqu'il s'écrasa tout en bas dans le local poubelle.

      • Pas de panique, ni de regret Cruchette, je l'ai reconnu, l'était de garde devant le bureau du Président lorsque j'ai été convoqué à l'Elysée pour la reformation du SSR, venait manifestement nous espionner, non seulement vous l'avez éliminé froidement, si j'ose dire, mais vous avez commis un véritable crime éthique, regardez, c'est écrit sur le bidon que vous avez versé dans la friteuse ''Pure huile d'olive vierge / Commerce Bio Ethique''.

      • Je me sens mieux, j'ai même une petite faim au fond de l'estomac, moi qui avais tellement envie de de manger des frites, tant pis, nous ouvrirons une boîte de conserve !

      • Que non Cruchette, vous avez besoin d'un petit remontant après de telles émotions, je vous invite au restaurant, vous et Molossa, je ne vois pas pourquoi cet innocent animal serait privé de ses trois habituels bifteks du soir sous prétexte que son maître doit se mettre immédiatement au boulot et nous présenter au retour un plan de récupération de la troisième cassette. Exécution immédiate !

      • Chef, vous êtes chou !

    UNE SOIREE BIEN REMPLIE

    La porte se referma et je restai seul. Pas pour très longtemps. Dix-sept secondes ne s'étaient pas écoulées lorsque le téléphone sonna.

      • Allo, je suis contente d'entendre votre voix Damie, c'est Claudine, je me suis rappelé d'un détail sûrement important pour votre enquête, la troisième copine son nom et son prénom m'échappent encore, pour la simple et bonne raison qu'elle se faisait appeler Darky. Mais ce n'est pas pour cela que je vous téléphone... Damie, depuis que je vous ai vu je ne peux plus dormir, je pense constamment à vous, vous n'imaginerez jamais ce que je fais le soir entre mes draps, je...

      • Les détails sont inutiles charmante Claudine, je connais tout cela, j'avoue humblement que toutes les filles que je rencontre subissent l'étrange attirance de mon magnétisme et...

      • Je m'en doute Damie, mais moi c'est différent, si vous le permettez je saute dans ma voiture, j'aimerais en discuter avec vous, ce soir même, Provins-Paris en une heure je peux être auprès de vous...

      • Excellente initiative Claudine, je me sens un peu délaissé ce soir, jusqu'à ma petite chienne qui est partie au restaurant et...

      • Damie, j'arrive, cette nuit I wana be your dog !

      • Je vous attends, Claudine.

    La soirée s'annonçait sous les meilleurs auspices. Ne me restait plus qu'à mettre au point le plan d'accès à la troisième cassette. Je ne doutais pas que mon intelligence phénoménale ne me trouvât en soixante minutes la solution. Je commençai par m'installer au bureau à la place du Chef, en la position du cowboy nonchalant communément surnommée les-pieds-sur-la-table, je poussai le vice jusqu'à puiser dans la réserve du Chef, rien à dire un Coronado au bec vous file un merveilleux portrait d'aventurier, restait maintenant à amorcer le fonctionnement de ma matière grise. Quels sont les faits bruts indubitables en notre possession, passons-les en revue, ce surnom de Darky, noir en langue bien de chez nous, procédons avec ordre et méthode, par association d'idées, nous sommes en France, à quels éléments pourrions-nous associer ce mot noir dans le rock français, qui sautent aux neurones immédiatement... je n'en vois que deux, le Noir c'est Noir de Johnny Hallyday, et Les Papillons Noirs de Bijou. J'exhalais paresseusement une bouffée de fumée de mon Coronado, passons au deuxième élément, Crocodile tuée un couteau plantée entre les omoplates, quand je pense que si elle avait survécu elle aussi aurait succombé à mon charme... ne nous égarons pas, Claudine en vie grâce à notre décisive intervention, j'aspirai la brûlante fumée de Coronado, si nous n'étions pas intervenus, elle serait morte, on l'aurait retrouvée le long poignard de l'ostrogoth planté entre ses épaules, épinglée comme un... papillon, non de Dieu tout s'éclaire, enfin une piste ! Le Chef lui-même n'a pas été capable d'un tel rapprochement déductif !

    C'est à ce moment-là que l'on frappa impatiemment à la porte. C'était Claudine, toute belle dans sa mini-jupe, j'admirai l'air ingénu avec lequel elle tenait sa petite culotte rose à la main.

      • Charmante parmi les charmantes, un aigle se lève dans mon cœur, remettez votre culotte, effacez cette moue de déception de votre mignon minois, ce soir je vous offre ce dont vous n'avez jamais osé rêver Claudine, rien de moins que la grande aventure !

      • Damie, je suis prête, je vous suivrai jusqu'au bout du monde !

    Elle ne croyait pas si bien bien dire.

    L'AVENTURE

      • Ecoutez-moi bien Claudine, nous allons jouer à un jeu rigolo, la chasse au renard. Tout à l'heure nous avons trouvé un espion dans le vide-ordures. Il est sûr qu'ils nous observent. Votre arrivée est une aubaine inestimable. S'ils ne nous voient pas ressortir, ils penseront à une partie de jambes en l'air. Nous laisserons la lumière allumée et nous descendrons les escaliers dans le noir. Au troisième étage nous emprunterons un deuxième escalier de service qui descend tout droit dans le sous-sol. J'ai repéré un passage pour les câbles électriques qui nous emmènera de l'autre côté de la rue dans l'immeuble d'en face. Nous aviserons alors.

    Cette première partie du plan s'est déroulée comme sur des roulettes. Plutôt agréable, le corps tremblant d'émotion de Claudine ventousé contre le mien. En chemin je ne vous cache pas que nous avons tendrement échangé quelques secrets que nous n'avions encore jamais révélés à quiconque :

      • Oh, ça sent mauvais ici !

      • Normal, nous traversons le local poubelle, chut !

      • Pouah ! C'est dégoûtant, j'ai marché sur un truc tout mou et gluant, un yaourt périmé je crois !

      • Mais non Claudine, c'est juste un cadavre !

      • Ah ! je préfère, je ne sais pas si vous êtes comme moi mais j'ai horreur des yoglourts bulgares avariés !

      • Moi aussi Claudine, ça me coupe l'appétit !

    Lorsque nous sommes parvenus dans le hall de l'immeuble d'en face, la chance nous a souri. Du monde entrait et sortait sans arrêt. Qui aurait pu se méfier de ce couple d'amoureux tendrement enlacés qui longeait le trottoir en direction de la teuf-teuf ! Le fidèle véhicule nous attendait sagement. Mais elle n'était pas seule. Deux grosses berlines noires l'encadraient. Derrière les vitres teintées l'on devinait dans chacune d'elle quatre gros malabars... L'on est tranquillement passés à côté en se bécotant à qui mieux-mieux. Par chance Claudine n'avait pas trouvé une place de stationnement dans la rue du SSR. S'était tapée un bon kilomètre de marche à pieds pour me rendre visite. On a récupéré son véhicule et l'on est allé se garer discrètement derrière une camionnette. De là nous apercevions les deux grosses limousines noires. Deux heures s'écoulèrent dans une attente interminable. Soudain, les deux voitures noires s'ébranlèrent. Devaient être convaincus que nous passerions la nuit au lit. La chasse au renard commençait...

    Les suivre n'était guère difficile. Elles roulaient assez lentement, nous faisions attention à ce que d'autre véhicules vinssent s'intercaler entre elles et nous. Très vite nous acquîmes la conviction qu'elles empruntaient les rues un peu à hasard, un coup à droite, un coup à gauche, un coup à droite, un coup à gauche, sans fin...

      • Damie tu es sûr qu'ils ne nous ont pas repérés ?

      • Non si c'était le cas, elles se seraient débrouillées pour nous encadrer, une devant, une derrière, c'est leur tactique

      • Mais enfin Damie, on dirait qu'ils ne s'éloignent pas trop de là où ils sont, je n'y comprends rien.

      • Vous êtes une fine observatrice Claudinette, vous avez parfaitement raison, ils restent toujours dans les mêmes parages.

      • Mais pourquoi mon Damissou chéri ?

      • Ils attendent le feu vert.

      • Damie ne dis pas n'importe quoi, il n'y a pratiquement pas de feux dans cette zone !

      • Vous vous méprenez Claudine, ils attendent qu'on leur communique le top départ de leur intervention.

      • Damie la vie avec toi est vraiment palpitante ! Mais je me demande vers quel endroit ils se dirigent.

      • Ça c'est facile, j'y parierai un million de dollars contre votre petite culotte, !

      • Damie, ne me fais pas languir, voici ma petite culotte, dis-moi où ils vont !

      • A Montreuil.

      • Pourquoi à Montreuil, comment le sais-tu ?

      • Une évidence Claudine, Montreuil, la cité rock'n'roll !

    Quelques minutes plus tard nous tournions dans le dédale des ruelles du bas-Montreuil, nous redoublâmes de précaution, après la zone pavillonnaire, nous abordâmes un no man's land, ambiance glauque et morbide... ils roulaient si lentement que nous dûmes abandonner la voiture. Nous les suivions de loin, nous coupions au travers de terrains en friches pour ne pas les perdre. Nous étions derrière une palissade lorsque les portes de voitures claquèrent. Par le trou d'une planche pourrie je glissai un œil dans le gouffre d'ombre devant nous.

      • Que vois-tu Damie ? me susurra Claudine dans le creux de l'oreille

      • Sont tous les huit, en groupe, au bout de la rue, j'aperçois la devanture d'un hôtel borgne, tout près, il y une espèce de mendiant enroulé dans des couvertures, avec un chien, ils passent devant lui, il y en a un qui lui lance quelque chose, une pièce sans doute, le mendigot leur fait un signe, ils rentrent dans l'hôtel. Claudine, c'est l'occasion idéale, vous restez sagement ici, je vais m'approcher, dans un premier temps j'élimine le mendiant, c'est le guetteur, dans un second je les piège dans leurs terrier !

      • Damie, tu es un héros !

    Je n'étais plus qu'une ombre dans la nuit. Sans bruit je m'avançais vers la sentinelle. L'idiot relâchait sa surveillance, il regardait du côté de la porte par où était entré le commando. Le chien dormait. J'étais assez prêt pour apercevoir ses longues oreilles de bâtard pustulées. Je n'étais plus qu'à cinq mètres, j'assurais mon poignard dans la main, je me répétais la scène mentalement, un coup de dague sur le cabot et dans le quart de seconde qui suit saisir le gars par derrière et lui trancher la carotide d'un coup sec, un, deux, trois, je bondis tel un tigre sur mes proies, mais je n'eus pas le temps de réaliser mon exploit, alors que tel l'aigle qui s'abat du haut du ciel sur la marmotte innocente...

      • Agent Chad, il vous en a fallu du temps pour arriver !

    Dans le même moment Molossa remua la queue et se débarrassa de ses longues oreilles de carton.

    ( à suivre )