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  • CHRONIQUES DE POURPRE 678 : KR'TNT ! 678 : KELLY FINNIGAN / ANDY PALEY / STEVE DIGGLE / GARY CLARK / HAROLD BURRAGE / BANDSHEE / CARACH ANGREN / RIVER SCHOOK

    KR’TNT ! 

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 678

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    20 / 02 / 2025 

     

    KELLY FINNIGAN / ANDY PALEY

    STEVE DIGGLE / GARY CLARK

    HAROLD BURRAGE / BANDSHEE 

    CARACH ANGREN / RIVER SCHOOK

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 678

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock

     - Finnigan’s wake

     (Part Two)

             Bon, soyons clair. L’avenir du rock se fout complètement du sort du Général Mitchoum, ce vieux crabe qui se planque depuis 80 ans derrière un bloc en béton, qui croit que la guerre continue et que les boches tiennent toujours le blockhaus, en haut de la dune, juste au-dessus. Quand il est en panne d’idée pour introduire sa modeste chronique hebdomadaire, l’avenir du rock prend sa petite automobile et file droit sur la plage du débarquement où se planque toujours le vieux Général Mitchoum. Au moins, il sert encore à ça. Ah le vieux crabe n’est pas beau à voir : plus de dents, une barbe d’un blanc très sale et une gueule de pruneau ridé sous le casque rouillé. Et l’odeur ! Une vraie odeur de putois, celle des clochards. Il reste planqué derrière son bloc de béton. Comme il chie partout, le coin ressemble plus au jardin municipal du Blanc-Mesnil qu’à une plage du Calvados. On entend plus les mouches voler que les balles siffler. L’avenir du rock a l’impression de traverser un champ de mines. Il arrive près du Général et le trouve secoué de hoquets.

             — Ma parole, vous êtes en train de chialer, mon Général ? Le moral est enfin en baisse ?

             — Bouh-ouh-ouh ! Bouh-ouh-ouh !

             Puis il s’approche de l’oreille de l’avenir du rock et murmure :

             — Je fais semblant, dickhead, je mène la guerre psychologique... Quand les boches vont se pointer pour me réconforter, je vais les descendre à coups de bazookaka !

             — Quel bazookaka ?

             — C’ui-là, t’es miraud ou quoi ?, le bazookaka !, murmure-t-il en montrant ses crottes.

             — Zêtes complètement givré, mon Général.

             Il rechiale de plus belle :

             — Bouh-ouh-ouh ! Bouh-ouh-ouh !

             Puis il s’approche de l’oreille de l’avenir du rock et murmure :

             — Y me croient fini, ces fuckers...

             — Non, pas fini, vieux crabe, Finnigan !

      

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             C’est vrai qu’avec Finnigan, on n’en finit plus, et c’est tant mieux. On passe de la plage du débarquement à la Maroquinerie. Il est là, le vieux Kelly, sous sa casquette d’hustler de Chicago, assis derrière ses deux claviers superposés.

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    Pendant 90 minutes, il va distiller cette Soul blanche qui fait groover les Parisiens. Il a son public, la salle est bien remplie. Il établit facilement le contact avec les gens, il parle comme un artiste Américain, c’est-à-dire qu’il vante les mérites de l’amour et ce genre de conneries que les gens aiment bien entendre. Il a derrière lui Jimmy James, un vieux routier de la scène funky de Seattle, deux choristes, un black au beurre qui ressemble à s’y méprendre à Willie Mitchell, un bassman très jeune et très dansant, et deux braves mecs aux cuivres. C’est quasiment la revue. Tout le monde danse d’un pied sur l’autre, y compris les gens dans la fosse.

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    Kelly Finnigan claque ses hits à la régalade, «His Love Ain’t Real», «Every Time It Rains», il pleut de la Soul blanche comme vache qui pisse, et t’as ce «Count Me Out» tiré d’A Lover Was Born, son dernier album. Finnigan’s Wake a pris du poids depuis la dernière fois, non pas qu’il ait doublé de volume, mais il a perdu sa ligne de jeune premier irlando-californien. En 2020, on était resté sur l’idée d’un concert magique. Celui-ci ne produit pas le même effet, ni d’ailleurs son dernier album. Tout le monde n’est pas Al Green. Rien n’est plus difficile que de rester au sommet d’une genre.

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             Soul Bag qualifie A Lover Was Born de «petit bijou de soul éruptive». C’est vrai qu’on y croise trois coups de génie, «Get A Hold Of Yourself», «Love (Your Pain Goes Deep)» et «Chosen Few». Surtout le fast groove de «Chosen Few», Finnigan’s Wake t’arrache ça du sol ! Quelle belle niaque d’attaque frontale ! Il reste en suspension avec «Love (Your Pain Goes Deep)». Il sait claquer un beignet ! Pur genius de développement unilatéral. «Get A Hold Of Yourself» est plus dansant. On voit bien qu’il ne vit que pour la chauffe, il a des chœurs de filles et les descentes sont démentes, alors il fait sa panthère noire. Finnigan’s Wake chante comme un dieu, il crève bien l’écran à l’accent perçant. Il fait une fantastique Soul de crucifixion divine avec «Be Your Own Shelter». Il te cloue ça au pilori. Mais tu te demandes si ça peut tenir en concert. En studio, il fait du Finnigan’s Wake urbain et intense, mais en concert, ça ne peut pas marcher. Il est en permanence dans l’éplorée congénitale. Tu te poses vraiment la question : que va-t-il se passer ? Rien. Il ne fait que de l’heavy Soul chauffée à blanc. Le satin jaune, c’est sa came. «Count Me Out» incarne bien cette Soul qui danse d’un pied sur l’autre, comme quand tu danses un slowah et que tu sens palpiter un ventre contre le tien.  

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             Dans l’interview qu’il accorde à Soul Bag, Finnigan’s Wake explique qu’A Lover Was Born est orienté gospel, que le titre de l’album est emprunté à Lee Dorsey, et qu’il a été enregistré avec Sergio Rios, et les musiciens qu’on a vus sur scène, Jimmy James et le jeune bassman Max Ramey. La seule cover de l’album est le «Love (Your Pain Goes Deep)» de William Jackson. Côté références, il cite James Brown et Kool & The Gang, «notamment leur premier album». Il ajoute dans la foulée le nom d’Isaac le Prophète et cite ces bombes que sont Hot Buttered Soul et Black Moses.     

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             Que ce soit avec les avec les Monophonics, les Destruments ou en solo, Kelly Finnigan n’a enregistré que des albums extraordinaires. Voici deux ans, il enregistrait pour Colemine un Christmas album, A Joyful Sound. On la dit, mais on va le répéter : Finnigan’s Wake chante comme un dieu, dès «Heartbreak For Christmas», il est dans le full power d’I wonder why. Il n’a aucun respect pour cette pauvre Soul : il l’explose. Il se fond dans l’excellence, il n’existe pas de pire fondeur de fondu que cet homme-là. Ce qu’il te tartine est exceptionnel. Il tape «Just One Kiss» au sommet du lard fumant, sa Soul semble pouvoir balayer le souvenir de Motown, c’est dire son pouvoir. Finnigan’s Wake est un héros mythologique, au sens où l’entend James Joyce, comme le fut Marvin Gaye avant lui. Ou bien encore Al Green. Il est du même niveau. Encore un miracle de Colemine avec «The Miracle Is Here». Et puis on a la meilleure Soul blanche d’Amérique avec «The Only Present Is Me», il développe des volutes de génie vocal, il remet chaque fois sa couronne en jeu. Il rapatrie la grandeur du gospel batch dans «Santa’s Watching You» et en fait une voodoo Christmas song. Puis il se fond comme beurre en broche dans «Merry Christmas To You». Magie pure.

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              La même année, il enregistre It’s Only Us avec les Monophonics. Le hit de cet énorme album s’appelle «Last One Standing». Les Monophonics fondent littéralement dans l’excellence du son. Ils fonctionnent avec de la pureté d’intention, des nappes de violons et un Kelly qui accourt à la rescousse de la secousse. Ce mec a beaucoup d’à-propos. Le cut est battu en brèche au heavy beat de Soul et ce démon de Va-doucement-Kelly l’explose plutôt deux fois qu’une. Personne ne peut battre les Monophonics à la course à l’échalote. Va-doucement-Kelly en rajoute des couches à l’infini et cette énormité prend des allures aventureuses. Tous les cuts de l’album sont exceptionnels. Il faut le voir plomber sa Soul dans «Day By Day». Il drive une heavy Soul intempestive, c’est une Soul qui ne baisse jamais les bras. Dans «All In The Family», il se conduit comme le roi des magiciens, il chante sa Soul au coin du bois, comme s’il cherchait une alternative. Rien ne peut l’arrêter dans son élan. Il fait même une sorte de Soul vengeresse. D’ailleurs, dès le «Chances» d’ouverture de bal, on comprend que c’est un big album. Kelly Finnigan se fond dans le mood au sucré de voix. C’est tendu à se rompre. Il est partout dans le son, il hante sa Soul d’écho. Il fait de l’océanique avec «Tunnel Vision» et s’en va se fondre dans l’heavy Soul musculeuse d’«It’s Only Us». Quel titanesque tartineur ! Il connaît tous les secrets de l’élasticité. Le seul reproche qu’on pourrait lui faire serait une légère tendance à se répéter. «Run For Your Life» est monté sur un heavy drive de basse et bénéficie d’un son qui renvoie au prog anglais. C’est osé car ratatiné, sur-dosé, et la mule ne dit rien, chargée comme elle est.

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             On finit par s’user à chanter les louanges d’artistes aussi brillants que Kelly Finnigan. Au point qu’on se demande parfois si les mots sont dignes de ces artistes. Peut-être faut-il tout reprendre à zéro et réapprendre à exprimer ce qu’on éprouve en écoutant des gens pareils ? Peut-être faut-il se contenter de les écouter et en rester là ?

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    En attendant, les Monophonics refont surface avec Sage Motel. Arrghhh, quel album ! Kelly Finnigan tape dans le dur dès le morceau titre, il est encore plus Green qu’Al Green, plus black que Black is Black, il entourloupe l’absolutisme, son ampleur va vite à te dépasser, c’est du locked in de haute constitution, un véritable tour de magie. Et quand t’as dit ça, t’as rien dit. Il chante aux abois supérieurs, il te dicte sa loi de la Soul, il chante au petit haché, mais attention, pas n’importe quel petit haché : un petit haché unique au monde. Il danse le tango du vertige avec sa Soul, il la serre dans ses bras et la cambre au bord du gouffre, il accompagne «Let That Sink In» au chant d’interrogation, exactement comme le fait Jonathan Donahue dans Mercury Rev, au même doux d’excellence surnaturelle, Kelly Finnigan se transforme en Merlin l’enchanteur, il chante «The Shape Of My Teardrops» à la chaleur de la nuit, à la pointe de sa glotte rose et humide, il reste incredibly crédible jusqu’au bout des ongles, il emprunte les voies impénétrables de la Soul du diable, et là mon gars, tu entres dans le domaine du fantastique. Puis tu verras cet artiste tomber à bras raccourcis sur le râble de «Broken Boundaries», il y laboure son pré carré, il en fait une piste aux étoiles pour y accueillir «Love You Better», il y révèle le génie de l’homme blanc qui aimait trop les noirs, il est atteint du même mal viscéral que Dan Penn, il ne vit que pour la fièvre jaune de la Soul blanche, il affirme encore son emprise avec «Never Stop Saying These Words», il se veut impitoyablement bon, il chante au geste large, comme Hugo face à l’océan, il est de la même trempe, celle d’un Guernesey sous les paquets de mer, il connaît le secret alchimique de l’ampleur catégorielle, il déverse des grâces considérables, tu cherchais un héros ? Tiens, en voilà un ! Il se peint le visage pour «Warpaints» et repart à l’assaut du ciel, en tant que fantastique artiste, il se montre capable de colères de Zeus, il mélange les vagues d’assaut aux belles avances, il va là où le vent sème la Soul, il touille sa petite Soul blanche à la pointe du tisonnier, sa glotte est en effervescence, on la voit rayonner dans la nuit, on croyait acheter l’album d’un Soul Brother à la peau blanche, mais il faut déchanter car c’est l’album d’un dieu, alors on se prosterne à ses pieds.  

    Signé : Cazengler, Kelly Finigland

    Kelly Finnigan. La Maroquinerie. Paris XXe. 4 février 2025

    Monophonics. It’s Only Us. Colemine Records 2020

    Kelly Finnigan. A Joyful Sound. Colemine Records 2020

    Monophonics. Sage Motel. Colemine Records 2022

    Kelly Finnigan. A Lover Was Born. Colemine Records 2024

    Kelly Finnigan forge, affûte et cisèle. Soul Bag n°257 - Janvier février mars 2025

     

     

    Wizards & True Stars

     - Paley royal

    (Part Two)

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             Andy Paley ? On l’a déjà croisé ici, inside the goldmine, quelque part en 2022. Et tous ceux qui ont eu dans les pattes le Young Blood de Jerry Lee savent qui est Andy Paley. Les fans de Brian Wilson aussi. Et puis on a tous acheté l’album des Sidewinders en 1972, fascinés que nous étions par cette pochette du groupe photographié dans le grand hall du Chelsea Hotel, avec bien sûr Andy Paley au premier plan. Et puis il y a les albums des Paley Brothers dont on a dit inside the goldmine tout le bien qu’il fallait en penser.

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             Andy Paley vient de nous fausser compagnie, mais on peut le retrouver grâce à un article bien dodu de Stephen B. Armstrong, dans l’Ugly Things paru quelques mois avant son cassage de pipe en bois. C’est le texte définitif sur la légende des Paley Brothers, celui qu’il faut lire. Extrêmement bien documenté, comme d’ailleurs tout ce qui paraît dans Ugly Things.

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             La légende des Paley Brothers prend racine dans le Boston et le New York des seventies. Lenny Kaye qui les voit sur scène au Max’s Kansas City les qualifie de «perfect pop group». Jonathan est le cadet, et Andy l’aîné de trois ans. Le premier groupe d’Andy s’appelle Catfish Black, vite rebaptisé Sidewinders, et Lenny Kaye qui bosse comme A&R pour Elektra demande à son boss Jac Holzman de les signer. Mais c’est RCA qui les signe. Lenny Kaye les produit. Hélas l’album des Sidewinders ne se vend pas et le groupe part en sucette. Le buzz de Creem n’aura pas fait long feu.

             Puis Jonathan et Andy se payent une virée à Los Angeles, et par chance, ils rencontrent Brian Wilson et les autres Beach Boys. Un Brian Wilson qui est dans une mauvaise passe. Brian et Andy se retrouveront vingt ans plus tard pour enregistrer ensemble. Les Paley Brothers rentrent à New York. Jonathan auditionne pour les Heartbreakers, mais Jerry Nolan ne veut pas de lui. Fin de l’audition. 

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             Les Paley Brothers enregistrent des démos et envoient des cassettes à droite et à gauche. Seymour Stein flashe sur la qualité des démos et les signe sur Sire. Il les branche sur le producteur Jimmy Iovine, qui avait été l’assistant de Totor sur l’enregistrement du Rock’nRoll de John Lennon. Ils enregistrent leur premier single sur Sire, «Ecstasy». On reste dans l’ambiance légendaire avec l’enregistrement de leur premier album. Ils envisagent de faire appel à Jack Nitzsche, mais ça n’aboutit pas. Alors ils se tournent vers Earle Mankey qui vient de produire le 15 Big Ones des Beach Boys. Team de rêve ! Ils s’entendent bien tous les trois, Earle, Andy et Jonathan. Earle a installé son studio chez lui, un studio que connaît très bien Pat Todd, d’ailleurs. Ils enregistrent en novembre 1977. Ils font une cover du «Come On Let’s Go» de Ritchie Valens avec les Ramones qui sont à ce moment-là à Los Angeles. Hélas, The Paley Bothers ne se vend pas. Trop pop ? Va-t-en savoir.

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             Puis Totor prend contact avec eux. Il passe un coup de fil à 3 heures du mat. Andy croit que c’est une blague de Lenny Kaye. Mais non, c’est bien Totor : il a entendu le premier single des Paley Brothers et il aimerait bosser avec eux. Totor leur demande de bosser une compo à lui et Jeff Barry, «Baby Let’s Stick Together», que Dion a déjà enregistrée sur Born To Be With You. Andy et Jonathan répètent le cut chez Totor, on la Collina Drive in Beverley Hills. Ils répètent pendant des heures. Un jour, Darlene Love vient faire des chœurs. Assis derrière son Lowery organ, Totor teste des variations et des tempos différents. Puis ils vont enregistrer chez Gold Star avec le Wrecking Crew. Mais tous ces cuts ne verront pas le jour. Stein est trop occupé avec ses Talking Heads, ses Pretenders, ses Ramones et sa Madonna. Il n’avait d’ailleurs peut-être pas l’intention de sortir un deuxième album des Paley Brothers. À ce niveau de no way out, ça s’appelle la guigne.

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             Andy fait le bouche-trou chez Patti Smith, dans les Real Kids et chez Jonathan Richman, pardonnez du peu. De son côté, Jonathan joue dans les Nervous Eaters, puis part naviguer à travers le monde. En 1988, Stein signe Brian Wilson sur Sire. Il demande à Andy de superviser ce premier album solo sans titre. Alors Andy compose avec Brian. Non seulement il co-écrit, mais il co-produit, il co-joue et il co-chante. Andy et Jonathan sont tellement proches de Brian qu’ils sont invités à son deuxième mariage en 1995. Andy continue de produire des groupes dans les années 90 : Mighty Lemon Drops, et NRBQ. 

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             La légende des Paley Brothers connaît un dernier spasme en 2013 quand paraît The Paley Brothers: The Complete Recordings. Comme son nom l’indique, The Complete Recordings rassemble tout, y compris des cuts enregistrés par Totor. Jonathan bosse aussi sur le biopic de Brian Wilson, Love & Mercy. Mais comme on sait, ce biopic pourri ne rend pas hommage au rôle qu’a joué Andy dans le redémarrage de Brian Wilson. Et pour conclure ce vaillant article, Jonathan affirme qu’il reste des tonnes d’inédits. Alors on attend en bavant.           

    Signé : Cazengler, Andy palette

    Andy Paley. Disparu le 20 novembre 2024

    Stephen B. Armstrong : Magic power - A history of the Paley Brothers. Ugly Things # 65 - Spring 2024

     

     

    Diggle it, Steve ?

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             Steve Diggle vient de re-publier son autobio. Après The Buzzcocks: Harmony In My Head - Steve Diggle’s Rock’n’Roll Odyssey publié en 2017, il revient à la charge avec Autonomy: Portrait Of A Buzzcock, un bon book, troussé à la hussarde comme un hit des Buzzcocks, un book vibrant de franc parler et de slang mancunien. Encore une fois, c’est un bonheur que d’échapper à la traduction, car c’est le Diggy Boy qui te parle en direct, avec ses vrais mots, et non de vagues interprétations, qui estropient trop souvent l’essence d’une langue rock. Tu ne traduis pas les paroles d’un cut des Stooges, et encore moins celles d’un cut de Bob Dylan. Pareil pour les rock books. Pas touche. T’apprends bien à nager pour ne pas couler. Alors tu peux apprendre à lire l’anglais pour nager comme les dauphins savent nager (dixit David Bowie dans «Heroes»). Just for one day.

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             Tiens on va prendre un exemple. Diggy Boy dit : «It was just friends talking down the pub.» Tu vas le traduire facilement dans ta tête, tu vois bien l’image. Mais si on te paye pour le traduire par écrit, tu fait quoi ? «C’était juste des copains causant au pub.» Tu vois bien que ça ne sonne pas pareil. Down the pub, ça sonne comme le down in the street des Stooges, t’as l’image immédiatement, il y a du rock dans la formulation. Plus loin Diggy Boy dit: «Just a bunch of lads out having a laugh», que tu traduirais par : «Juste une bande de mecs de sortie qui se marrent bien.» Mais ce n’est pas le même son. C’est plus pauvre. Il y a tout le rock anglais dans la formulation «bunch of lads out». C’est un régal que de lire Diggy Boy. Quand il décide de rejoindre un groupe, il le dit à sa façon : «If I was going to be in a band, I needed to start getting serious about the guitar. Which meant I had to learn to play one properly.» C’est le kid devenu adulte qui parle, avec sa logique de kid. Alors à l’époque, il connaît un «hippie named Lance». Pour le situer physiquement, Diggy Boy ajoute qu’il s’habillait comme s’il partait pour - ou s’il revenait - de Woodstock, «the kafkan, the droopy moustache, the whole ‘hey man’ bit.» Diggy Boy swingue sa langue. T’as un vrai rock book dans les pattes. Il se fout d’être écrivain, il rocke le book. Il te re-raconte l’histoire des Buzzcocks que tu connais par cœur, mais cette fois, il te la raconte de l’intérieur : la vraie histoire, par le cofondateur, avec les vrais mots. Et Diggy Boy n’est pas un frimeur. Quand il n’aime pas les gens, notamment les punks qui viennent foutre le souk dans les concerts, il les traite de «farm animals». Quand il va boire une pinte au pub round the corner, il utilise cette formule : «Neck a few pints.» Quand il parle des danseuses du Moulin Rouge, il parle de «can can girls flashing their bloomers.» Et ça qui vaut tout l’or du monde : «Working class but doing OK». Il parle de sa famille working-class qui s’en sort plutôt bien. Ça flashe à toutes les pages. 

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             Comme Jim & William Reid et tous les autres cracks du boom-hue, Diggy Boy a des roots impeccables : flash sur «Love Me Do» à 7 ans, via la radio - Talk about being born in the right place at the right time -  Page suivante, il ajoute ça : «I got bitten by rock’n’roll and became Steve Diggle.» Son premier amour, ce sont les Beatles - Mam bought me my first record from the market, their Twist And Shout EP with the cover of them jumping up in the air - Puis il a un autre musical shock treatment avec le «dah-nah-nah nah-nah» d’«You Really Got Me», puis c’est le grand «KA-BOOOM!» comme il dit, avec «My Generation» - It was like Hiroshima going off between my ears - Ado, il vire Mod - I had the music. I had the clothes, but most important of all I had the scooter - Il démarre avec un Lambretta TV 175, puis, il passe au LI 150, celui de Jimmy dans Quadrophenia.

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             Bien sûr, les Buzzcocks sont le sujet principal du book. Diggy Boy annonce la couleur dès la page 2 : «It was always me and Pete.» Pendant 42 ans. Aussi, quand Pete disparaît, il est désemparé. Son chagrin est immense - We could laugh like Laurel  & Hardy, argue like Steptoe & Son et drink like a couple of Oliver Reeds - Always me and Pete. Il l’écrit trois fois dans la même page. Il raconte qu’il apprend la mort de Pete par téléphone - Pete’s dead. One phone call, two words, one second. BANG! Et tout ce qui avait fait ma vie depuis 42 ans est parti en fumée - Et comme tous les gens qui se retrouvent soudainement seuls, il se dit : «What the fuck am I going to do now?».

             Puis il replonge dans le passé et attaque superbement son premier chapitre ainsi : «If Jesus was born in Bethlehem, punk was born in Manchester.» Et plus loin, il en rajoute une couche : «My generation, the punk generation, was the chosen one.» Plus loin dans le récit, il évoque «the holy trinity of UK punk rock» : Pistols, Clash, Buzzcocks. Et voilà, la messe est presque dite.

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             Diggy Boy raconte un épisode marrant : fin 1976, les Buzzcocks emmènent McLaren, Steve Jones et Joe Strummer dans un pub working-class de Manchester qui s’appelle Tommy Ducks , «which blew their minds» : les tables sont des cercueils et des culottes de femmes jaunies par la fumée des cigarettes sont clouées au plafond - The Pistols, Clash and Buzzcocks sat together, pints on the coffin lid, under all these dirty panties.

             Nous voilà donc entrés dans l’histoire des Buzzcocks, l’une des histoires de groupes anglais les plus intéressantes. Diggy Boy dit à son dad qu’il aimerait bien avoir une gratte et son père qui conduit des poids lourds lui en ramène une. Oh mais c’est une basse ! Pas grave. Diggy Boy apprend à gratter la basse. Puis il commence par le commencement, il répond à une annonce dans le Manchester Evening News : «Bassist wanted». Il appelle aussi sec le numéro et dit au mec qu’il a composé des chansons et qu’il aimerait faire un groupe dans le genre des Who - short, sharp three-minute shocks and then smash our guitars - Le mec rigole et Diggy Boy lui file un rencart le soir même, «half seven outside the Free Trade Hall.» - My date was my destiny. Friday, 4 june 1976 - Il a raison, Diggy Boy, d’évoquer le destin.

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             Il arrive à l’heure au rencart et commence à poireauter. Le mec n’arrive pas. «Ils sont à l’intérieur !». La voix vient de derrière. Diggy Boy se retourne et voit arriver un branleur aux cheveux rouges entièrement vêtu de cuir noir. Diggy Boy ne pige pas : «Sorry?». Alors le branleur lui dit : «The Sex Pistols. They’re in there.» Diggy Boy lui dit qu’il est bassiste et qu’il attend this bloke to start a band. Et le branleur lui répond que son rencart est déjà là. Ah bon ? Ils entrent tous les deux. Ils arrivent au petit desk où il faut payer fifty pence pour assister au concert. Et le branleur dit au caissier : «Je l’ai trouvé dehors. C’est ton new bass player.»

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             Évidemment, le caissier n’est pas le rencart de Diggy Boy. C’est Pete Shelley, et le branleur en cuir noir, c’est McLaren. Pete Shelley cherche un bassman, alors le hasard fait bien les choses et McLaren lui en trouve un dans la rue. Diggy Boy est entré dans les Buzzcocks comme ça, grâce à un curieux concours de circonstances. Bien sûr, Diggy Boy n’a jamais vu le mec avec lequel il avait rencart. Ensuite, il découvre les Pistols sur scène et fait la connaissance de l’autre cheville ouvrière des Buzzcocks, Howard Devoto. Pete et Devoto partagent alors une passion commune pour le Velvet, Bowie, Captain Beefheart et Roxy Music. Ils ont décidé d’appeler leur groupe Buzzcocks. Le nom plaît à Diggy Boy  - It’s the buzz, cock! - Dans la salle du Free Trade Hall, Mark E Smith, Peter Hook et Morrisey sont là pour voir jouer les Pistols - From the moment they slouched on stage, they were seismic.

             Puis les Buzzcocks commencent à répéter dans la piaule de Devoto, à Salford. Ils se branchent tous les trois sur un ampli - Pretty fucking awful, if I’m honest. And yet there was something there - C’est encore une fois le moment magique de l’histoire d’un groupe : sa formation et ses balbutiements. Diggy Boy : «A chemistry, an energy, an urgency.» En trois mots, il résume tout l’art des Buzzcocks. 

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             Puis il apprend à connaître ses nouveaux amis - Howard was both a conspicious intellectual and a bit of a wry Noël Coward - Il a plus d’affinités avec Pete - he was more pub like I was - En plus, Pete a de l’humour, «whereas I’m not sure Howard did.» Diggy Boy lui reproche de prendre la vie top au sérieux. Howard cogite trop - There was a lot going on upstairs, but maybe too much, like he’s read one Samuel Beckett play too many - Diggy Boy s’amuse bien avec son anglais à l’emporte-pièce de Manchester. C’est brillant, vivant, imagé, chaque fois en plein dans le mille. C’est Pete le real deal, un Pete qui écoute le Velvet, Bowie, Eno, «the artsy set» et qui, à la différence de Diggy Boy, ne s’intéresse pas trop aux Stones et à Led Zep. Pete est un scientifique. C’est là que Diggy Boy tente un parallèle bizarre avec le couple Ingres/Delacroix. Il fait son Raymond la science : «Ingres était le grand artiste, le golden boy que tout le monde adorait, alors que Delacroix était le bad lad qui s’attirait des ennuis en voulant être trop expressif. So Pete was Ingres and I was Delacroix. He had the refinement, I had the feeling.»

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             Puis il leur faut un batteur. Ce sera l’«incredible John Maher». «The best ever to come out of Manchester.» - The perfect drummer for Buzzcocks - Il a 16 ans. Et puis un jour, en répète, Pete jette sa gratte au sol. Elle se casse en deux, juste au-dessus des micros. Proprement, comme le top off a boiled egg, dit Diggy Boy - It looked very punk rock - Et Pete va jouer sur sa demi-gratte.

             Diggy Boy découvre encore un truc : Pete est bi. Il explique à Diggy Boy incrédule : «I enjoy the best of both worlds.» Diggy Boy voit son pote Pete comme un typical Bowie kid, pas comme un gay. Et puis il s’en fout. Pete est aussi un mec assez réservé - He wasn’t an easy person to work out - Alors Diggy Boy aborde la question que tout le monde se pose : a-t-il essayé de poser la main sur mon genou ? - Which he did, once or twice - Et il ajoute ça qui en dit long sur la qualité de leur relation : «I never took it seriously, and I’m not sure he did either. My attitude, as I told him, was I knew I was straight, so not for me, thanks, but you do what makes you happy.» Alors Pete le titille en lui demandant comment il sait que ce n’est pas pour lui s’il n’a pas essayé, à quoi Diggy Boy répond du haut de sa masculinité : «Well I’ve not jumped off a cliff either.» Donc la chose est dite. On en reste là. «Our friendship was too important.» Eh oui, 42 ans, c’est pas rien. Tous les ceusses qui ont la chance de vivre  des expériences de groupes aussi longues savent à quel point le friendship est la clé de tout. Monter un groupe n’est pas chose facile. Le malheur vient souvent du fait que t’accordes ta confiance à de funestes tocards, d’incroyables branleurs. Pete et Diggy Boy ont eu beaucoup de chance. Ce sont deux mecs intelligents. C’est toute la différence. L’intelligence compte pour beaucoup dans une rock story.

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             Voilà une nouvelle preuve de cette intelligence : «Buzzcocks has somethning else because we didn’t have a model. You can hear it. We were trying to find ourselves, using our limitations to our advantage and creating something new.» Voilà le power des Buzzcocks. Il parle de la «beautiful simplicity to those early songs.» Eh oui, «Boredom» et l’EP Spiral Scratch sont arrivés comme une révélation en janvier 1977. Pete joue sur sa «cheap broken guitar from Woolies» et passe un solo sur deux notes. Punk rock ! La messe est dite. Diggy Boy en profite pour faire l’éloge de la simplicité et citer Tchekhov et Rothko. Il dit aussi que Joy Division vient tout droit de «Time’s Up» - the minimal guitar, the root note bass, the rolling drums, the urgent vocals, it’s all there - Il rappelle un peu plus loin que Joy Division a tout pompé sur Buzzcocks - Not only dit Joy Division nick their sound off early Buzzcocks, they also nicked our bloody rehearsal place - Diggy Boy est ravi des lyrics d’Howard - Shocking and funny at the same time. Buzzcocks had not only the best songs, but the best jokes.

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    ( Paul Verlaine et la fée verte)

             Et c’est parti. Diggy Boy évoque la dope - So cheap speed was our drug, Me as Pete’s, as well as the odd pill - et paf !, il refait son Raymond la Science : «Like the French existentialists getting high on absinthe and writing poetry, we’d get wired on speed, then go and play our version of poetry. B’dum b’dum!» Sauf que ce ne sont pas les existentialistes qui se shootaient la cafetière à l’absinthe, mais la bande d’avant.

             Aussitôt après la parution de Spiral Scratch, Howard annonce qu’il quitte le groupe. Quoi ? EH? - Utter disbelief - Pete répond immédiatement qu’il continue - OK we’ll carry on - Diggy Boy est d’accord. Il avoue qu’il l’aurait bien «kissed Pete Shelley» sur ce coup-là. Buzzcocks mk1 a duré 6 mois. Seulement 10 gigs. Pete met une annonce chez Virgin Records : «Wanted: bass player». Et voilà Garth. C’est un géant. Il aime siffler une pinte - Garth loved a drink - Même trop. Diggy Boy picole avec lui - The object of the evening was total mental annihilation, and me and Garth were spectacularly good at it - Mais le problème de Garth c’est qu’il devient très agressif quand il en a un coup dans la gueule. Pire encore : «The drunk Pete Shelley could be an absolute nightmare.» Drunk Garth + drunk Pete : Diggy Boy parle d’une bombe à retardement. Garth et Pete papotent et soudain, ils roulent tous les deux à terre et échangent des coups.

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             Andrew Lauder signe les Buzzcocks à l’été 1977 sur United Artist. Elvis vient de casser sa pipe en bois. Diggy Boy : «The King is dead - long live Buzzcocks.» Le groupe tourne, le label paye l’hôtel et la bouffe, mais ils n’ont pas un rond en poche - You’re still cash poor - On leur paye aussi du matos. Diggy Boy s’offre une 1959 Gibson Les Paul Junior, bright yellow. Le mec qui la lui vend at the Orange shop on Shaftesbury Avenue lui dit qu’elle appartenait à Tony Hicks des Hollies. Le label ne leur file pas un rond mais prend en charge tous les frais, alors Pete et Diggy Boy se découvrent une passion pour le champagne, mais pas n’importe quel champ’ : le Moët & Chandon. C’est pour eux une façon de coûter cher en tournée, aux frais d’United Artists. Quand on leur présente un champ’ d’une autre marque, ils le refusent, ils en font un jeu : «Listen mate. No Moët - no show-ay. No Chandon - no band on.» C’est leur slogan. Four bottles each. Ils en descendent une avant de jouer, et ils en emmènent une autre une scène. Ils descendent les autres après le set avec leurs invités - Fancy some champagne, darling? - En France, un tourneur leur amène du Taittinger. No way. Le tourneur n’en revient pas. «Are you serious ?». Diggy Boy rétorque : «Fucking deadly. No Chandon - no band on.» Ah la gueule du tourneur ! Ah la rigolade !

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             Puis ils changent de bassman. Arrive Steve Garvey. Mais Pete et Diggy Boy sont toujours l’âme du groupe. C’est là qu’ils enregistrent «What Do I Get». Diggy Boy appelle ça Buzzcocks’ New Testament. The Gospel according to Pete Shelley - «Time’s Up», Spiral Scratch, even «Orgasm Addict» was strictly Old Testament - Le groupe se met à tourner intensivement - We both embraced hedonism and instensity of the lifestyle full-on, straight from the pages of Hammer of Gods - Ils sniffent comme des brutes - The same when it came to sex - Ils baisent tout ce qui passe à leur portée. Mais ce que Diggy Boy apprécie plus encore than any sex and drugs, c’est d’être «in the back of a cab, on my way to a recording studio.» «That defined the freedom of rock’n’roll.»   

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             Bon après t’as les trois albums. On en pense ce qu’on veut. Les Buzzcocks sont surtout un groupe de singles. Dans les concerts, le public repend l’oh oh de «What Do I Get». Puis Pete commence à faire la gueule. Il n’est pas heureux. Il évoque sa relation compliquée avec un certain Francis dans «Ever Fallen In Love (With Someone You Shouldn’t)». Et puis il y a la pression des tournées et des albums. Too much too soon. Pour Diggy Boy, la meilleure compo de Pete est «ESP» - For me, «ESP» is Buzzcocks defined. Melody meets avant-garde - Et puis ça commence à changer en 1978 : Pete se retrouve seul en couve des magazines. Diggy Boy voit ça d’un mauvais œil - We were a band, but he was the star. God help him, he was famous - Il dit même son chagrin pour Pete, car il ne pouvait rien lui arriver de pire. Pete n’était pas fait pour la gloriole. Il était le mec le plus mal habillé de Londres - The cleverer you are, the worse fame is - C’est pour ça que Dylan et Lou Reed haïssaient les journalistes. La gloriole convient bien aux mal dégrossis que Diggy Boy appelle «thick people» - But if you’re the sensitive Pete Shelley, it (fame) fucks you with your entire sense of self - Et il ajoute ça qui est d’une extrême perspicacité : «Pete was in danger of being smashed on the rocks.» Diggy Boy dit mieux s’en sortir - I took the rough with the smooth. The rough, when it came, being pretty fucking rough at the best of times - C’est merveilleusement bien dit.

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             Les groupes qui ont survécu au punk - us included - ont évolué musicalement, mais, nous dit Diggy Boy, pas le public. C’est l’apogée du pogo et du glaviotage. Puis Pete compose «Everybody’s Happy Nowadays» - just a few chords with his hight vocal melody on top - Eh oui, c’est une façon de définir le grand art de Pete Shelley. Encore un hit intemporel. Cinquante ans plus tard, «Everybody’s Happy Nowadays» te fout encore des frissons.

             Puis Pete se referme comme une huître - He didn’t enjoy it anymore - Diggy Boy parle de «negative frame of mind». C’est l’époque du troisième album, que Diggy Boy appelle the yellow album et qu’il déteste. C’est vrai que l’album est tout pourri. «Cold and brutal», dit Diggy Boy. Il parle aussi de «dismal sobs from the psychiatrist couch».

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             De la même façon que le Wynner nous racontait le cauchemar de l’enregistrement de Medecine Show (le deuxième Dream Syndicate), Diggy Boy nous raconte l’enregistrement du troisième Buzzcocks avec Martin Hammett, un Hammett qu’ils connaissent bien, car c’est lui qui a produit Spiral Scratch. Et là, Diggy Boy se régale avec la notion d’alchemist - Hammett really could be an alchemist. But he was first and foremost a chemist. As in the kind who cooks up crystal meth - En fait Hammett prend de tout à longueur de temps, breakfast, lunch and dinner - Si on croyait vraiment qu’on avait pris trop de drogues pendant la tournée américaine, it was nothing compared to a month in the studio with Hammett - Diggy Boy se marre comme un bossu : «My take on it was, naïvely perhaps, that we’d entered some new Sgt. Pepper phase.» On faisait entrer les drogues dans le studio, nous dit Diggy Boy, ça a marché pour les Beatles, alors pourquoi pas nous ? - Maybe our own «I Am The Walrus» was just around the corner? - Big mistake. Il donne l’explication  : «La différence était que les Beatles pouvaient se défoncer autant qu’ils voulaient parce qu’ils avaient le sobre George Martin derrière la console to sort them out. We had the actual fucking Eggman.» Diggy Boy ne se souvient plus combien de semaines a duré ce cirque. It felt like years. Tout ce dont il se souvient, c’est qu’ils sont allés dans quatre studios différents pour enregistrer seulement six cuts. Chaque fois la même routine. Un dealer livre l’herbe. Il ne se passe rien. Puis un autre livre la coke. Il ne se passe toujours rien. Puis un troisième livre l’acide. Rien. Pete et Diggy Boy sont tellement défoncés qu’ils se mettent à chanter le «Sun Arise» de Rolf Harris. Sur «Are Everything», ils s’amusent à chanter avec des voix de canards. Ils trouvent très bien, à l’époque. Puis Pete arrête de venir au studio. Diggy Boy se retrouve seul - It was just me, Hammett, drugs, porn and peanut butter.

             C’est là que Pete splitte le groupe. L’avocat de Pete envoie à Diggy Boy et aux deux autres une lettre officielle. Terminarès. Diggy Boy est en colère : «Spineless cunt.» Il reproche à Pete sa lâcheté - To not have the bottle to tell us to our faces - Avec le recul, sa colère se transforme en tristesse. L’aventure n’a pas duré 5 ans. Il a rencontré Pete en juin 1976 et il reçoit la fucking letter en mars 1981 - Juste au moment où the Thatcher government annonce les chiffres en hausse du chômage : 2 400 000 out of work - Et Diggy Boy ajoute ça  : «Make that 2,400,001.» Un de plus.

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             Diggy Boy est un mec éminemment sympathique. On le sent quand il arrive sur scène, il fait signe aux gens et leur sourit - Je parle à tout le monde. I live in Real Street, not in Fame Street. Je prends encore le bus et le métro. Après le concert avec Iggy Pop au Crystal Palace en 2023, je suis rentré en Overground. I’ve never been a member of the Groucho Club or any ot that elitist bollocks, because it is exactly that. Bollocks. I am a pub man and always have been - Sur scène, il a toujours été sur le côté, jamais au centre. Il n’a jamais été celui que les journalistes interviewent.

             Après le split des Buzzcocks, il monte Flag Of Convenience. Il aime bien le nom : aucune appartenance. Pavillon de complaisance - The F.O.C. blueprint was somewhere between early Roxy Music and the Plastic Ono Band, quite arty, quite heavy.   

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             Northwest Skyline, le premier Flag, est son préféré. Mais ce n’est pas un très bon album. Tu sauves deux cuts, le morceau titre (monté sur des accords gaga, belle tension, mais trop éparpillé), et «Should I Ever Go Deaf», plus rebondi, avec des chœurs des Dolls. Le cut est frais comme un gardon de Manchester. Diggy Boy taille sa petite route et fait claquer son pavillon de convenience. Mais le reste des cuts ne paye pas de mine, c’est parfois linéaire («The Destructor») et parfois new wave («The Greatest Sin», petite concession à la mode, dommage).   

             Comme chacun sait, il y aura une reformation des Buzzcocks. Pete débarque sur un radio show et Andy Kershaw lui demande si les rumeurs de reformation sont fondées. Alors Pete répond : «There’s rumours about the Beatles too. We’re just waiting for Steve to get shot.» Et Diggy Boy d’ajouter : «Not one of his better jokes.»

             La rumeur se concrétise avec un concert de F.O.C. à Pigalle. Diggy Boy arrive devant la salle et tombe sur un gigantesque poster : BUZZCOCKS F.O.C. À quoi Diggy Boy ajoute, en saut de ligne et en ital : «Merde». Il demande des comptes au promoteur qui lui répond : «You’re Steve from ze Buzzcocks». Il fait comme William Reid dans son autobio, il se moque de l’accent des Français. Le pire, c’est que le promoteur avait raison : il y a la queue pour le concert. Puis c’est la reformation pour une tournée américaine. Après 8 ans de hiatus. Ils se retrouvent enfin. Pete : «Fancy a beer ?» Comme si rien n’avait changé. Et Diggy Boy de philosopher : «These days band reunions are big business because nostalgia is a big business.» Et d’ajouter ceci qui confirme nos propres soupçons : «Probably because today’s music is so useless everyone’s listening to the music of the past.» Et paf, en plein dans le mille. La daube contemporaine ! Diggy Boy ne rate pas une si belle occasion.

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             Du coup, Pete et Diggy Boy sont les vieux, ils ont trente balais, en pleine Britpop, au milieu des Stone Roses, de Nirvana et d’Oasis. Et en 1993, ils enregistrent leur quatrième album, Trade Test Transmissions, avec Tony Barber et Phil Barker, qui vont stabiliser le groupe pendant 10 ans. Ils vont tourner en première partie de Nirvana. Diggy Boy admire Nirvana - They had it all. Balls, attitude and killer tunes - Pete se marie avec une Japonaise, Miniko, qui met leur fils au monde. Mais Miniko n’aime pas Diggy Boy. Ni d’ailleurs la suivante et la dernière épouse de Pete, Greta. Puis quand Pete atteint les soixante balais, il commence à grossir et porte la barbe. Quant à lui, Diggy Boy se dit bien conservé. Il mange des betteraves, «my elixir of life».

             Puis il évoque les disparus, Martin Hammett, Joe Strummer, McLaren, Martin Rushent, Ian Curtis et Kurt Cobain - Yet here I was a daft old 68-year-old mourning about a broken rib, having miraculously outlived the lot of them. Fate really is a picky bastard.

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             Tu vas avoir une drôle de surprise si tu entres dans la discographie solo de Diggy Boy. Ses compos ne sont pas aussi brillantes que celles de Pete Shelley, mais elles restent d’un très bon niveau. La preuve se trouve déjà dans Some Reality, un album paru en l’an 2000. Boom dès le morceau titre, un vrai blow-out de blast. Diggy Boy groove l’heavyness de Manchester. Cut heavy, mélodique et prodigieusement inspiré. Il tape en plus un killer solo flash d’antho à Toto. Diggy Boy sonne comme une superstar ! De cut en cut, il va affermir sa présence et montrer sa constance. Il repart au fast on fire avec «Time Of Your Life». C’est l’une de ses vitesses de croisière. Et boom encore avec «Blowing Hot». Grosse intro. Puis il gère le beat à l’élastique. C’est d’une puissance assez rare, il passe un killer solo en suspension. Tu trouves tout chez Diggy Boy. Une vraie Samaritaine. Deux killer solos liquides ! L’album reste d’une tenue impeccable avec «Three Sheets To The Wind». Diggy Boy est une bête magnifique, ses solos claironnent. Même quand il redevient poppy poppah, tu ne te moques pas. Et quand il redevient classique avec «Something In Your Mind», il module sa voix et fait sonner son hey ! Il vire reggae de Manchester avec «Heavy Hammer». Il module bien ses make you right yeah ! Et ça continue avec un «All Around Your Face» bien gorgé de barcasse. Il bourre bien son mou, il a du power plein les pognes et il passe encore un killer solo trash de Manchester. Diggy Boy, c’est le même plan que Keef : second couteau mais capable de super coups de génie. Compos magnifiques et qualités subjuguantes d’interprétation. Diggy Boy est un artiste passionnant. Ce serait une grave erreur que de le prendre à la légère.

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             Il sort en 2005 un superbe album solo : Serious Contender. C’est vraiment du serious, Diggy Boy n’est pas homme à plaisanter. T’as vraiment intérêt à l’écouter, il jette tout son poids, toute sa hargne et toute son allure dans la balance. Quel beautiful power trio : Chris Remington on bass et Eamonn Sheely au beurre. Diggy Boy emmène son équipe à l’assaut du ciel, il tente bien le coup. Il ne sera jamais les Buzzcocks, alors il fait autre chose et ça sonne plutôt bien. «See Through You» sonne comme un hit intercontinental. Diggy Boy multiplie les dégelées de Mod rock et les envolées mélodiques, il sait tenir son rang de scooter boy. Il balance un nouveau monster blast avec «Round & Round» qui démarre comme «Search & Destroy». Il y va à l’upside down, Diggy Boy est capable des pires stoogeries. C’est très spectaculaire, surtout le wild killer solo flash. Il retape dans le dur plus loin avec «If I Never Get To Heaven». C’est son truc : le stomp de Manchester - If I never get to heaven/ I know it’s gonna be alright - Retour à la stoogerie avec «Jet Fighter». Il est encore en plein «Search & Destroy». Il arrive ensuite comme le messie avec l’intro bourrée de gras double de «Shake The System». Il développe de la grandeur à la seule force des gimmicks. C’est du Diggle pur ! Gras double extraordinaire !

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             Tu ne perds pas ton temps à écouter Inner Space Times, un album solo de Diggy Boy paru en 2016. «The Weatherman Said» sonne comme un hit, notre Diggy Boy y va à coups d’awite ! Ce sont les accords d’Anarchy et ça sonne comme du nec plus ultra. En B, t’as aussi le morceau titre qui flirte avec l’hypno. Ça passe parce que c’est Diggy Boy. Il aime bien les cuts hypno qui filent sous le vent. Le Kraut est aussi sa came de vieux Manc. Diggy Boy créée bien son monde et Chris Remington fourbit bien le bassmatic hypnotic. Le «Bang Apocalypse» qu’on croise dans le balda est assez plan-plan, mais comme on aime bien Diggy Boy, ça passe. Il se paye un bel up-tempo avec «Kaleidoscope Girl», il sait tailler sa route, ne te fais pas de souci pour lui. Il revient au big rock de Manchester avec «Bullet In Your Heart», monté sur le bassmatic élastique de Chris Remington. Excellent !   

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             En 2010, Diggy Boy revient dans l’actu sous le nom de Steve Diggle & The Revolution Of Sound avec un fantastique album : Air Conditioning. Fantastique oui car «Yeah Man Yeah». Il se fâche et ça monte tout de suite au niveau supérieur du rock anglais, Diggy Boy fout le feu avec ses solos urbains, il fait du Detroit in London, il en connaît un rayon. T’as encore la fantastique allure d’«Hey Maria» qu’il attaque au buzzsaw et il se joue dessus pendant le solo. Nouvelle énormité avec «Planet Star». Diggy Boy est en forme, il gratte tout ce qu’il peut, il gratte sec et c’est fameux. Il sait s’élancer à l’aventure, c’est la raison pour laquelle on l’adore. Et puis tu vas tomber sur l’excellent «Victory Road» - Down to Victory Road - C’est du real deal, un heavy balladif du plus bel effet. Diggy Boy tient bien son Victory Road en laisse. Magnifico ! Quel bel album ! Il a du son et de l’énergie. Il claque son beignet à tire-larigot. Il sort un son très anglais. Le «Changing Of Your Guard» n’est pas le «Changing Of The Guard» de Dylan qu’avait repris le gros Black au moment des Catholics. C’est du Diggy sound, oh-oh. Rien n’est plus British que Diggy Boy. Il claironne bien son killer solo flash in the flesh. Quel fabuleux power-rock ! Diggy Boy est un artiste classique.

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             Il existe un Best Of Steve Diggle & Flag of Convenience. Bizarrement, il ne fonctionne pas trop bien, car principalement axé sur la new wave. Diggy Boy fait sa petite new wave et c’est agaçant. On sauve cependant quatre cuts, à commencer par l’«Here Comes The Fire Brigade» qui sonne comme l’early punk des Buzzcocks. Il tape en plein dans l’archétype et c’est brillant. Quelle belle attaque ! On entend des chœurs lointains et de vagues accents à la Johnny Rotten. «Exiles» pourrait aussi sortir de la grande époque des Buzzcocks. Diggy Boy y va à coups d’I want you to take your chance. Avec «Who Is Innocent», il refait exactement le «Re-Make Re-Model» de Roxy, avec les coups de sax d’Andy McKay et les Oh Oh du Ferry boat. Il fait même les breaks d’instros. Diggy Boy sait claquer un hit pop, comme le montre «Can’t Stop The World». Le reste du Best Of n’a pas grand intérêt. Trop new wave, comme déjà dit. Dès que son pote Pete n’est pas là, ça peut devenir compliqué. Diggy Boy ramène un peu de jingle jangle dans «Pictures In My Mind», ça prouve qu’il a écouté les Byrds. 

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             Diggy Boy fait la une du # 109 de Vive Le Rock. C’est bien mérité. Il ne jure que par le groupe des cinq : Pistols, Clash, Damned, Jam and us, Buzzcocks. Forget le reste. Il re-raconte son enfance à Manchester et ses premiers émois musicaux, notamment «Love Me Do» des Beatles.  Puis ado, il devient un scooter boy car il louche sur le look, lots of mirrors, l’union jack painted dans le dos du parka et Tamla. Puis il raconte qu’à 20 ans il veut jouer un groupe et répond à la fameuse annonce qui l’amène devant le Free Trade Hall. Il attend son rendez-vous qui ne vient pas, et à sa place arrive McLaren qui organise le concert des Pistols. Quand Diggy Boy dit qu’il est bassiste, McLaren lui dit de le suivre et lui présente Pete Shelley qui justement cherche un bassiste. L’hasard qui fait bien les choses. Puis Pete Shelley lui présente Howard Devoto qui fait la lumière du concert, et patati et patata. Diggy Boy re-raconte toute l’histoire dans le détail, comme dans son autobio. Il revient sur Spiral Scratch et Devoto qui quitte le groupe - Howard was an odd bloke - et pouf, Buzzcocks passe à la vitesse supérieure. L’article est dodu, 8 pages, mais il est bien certain que la distance d’un book convient mieux à cette histoire qui est celle d’un groupe brillant.

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             Dans Uncut, il répond aux questions des fans, par exemple quelle fut sa première guitare ? «A Spanish guitar for five quid.» Il dit aussi qu’il prépare un nouvel album, Attitude Adjustment. Et quand un mec lui demande si Peter Shelley lui manque, Diggy Boy se met en pétard : «Que crois-tu que je vais répondre ? Que je m’en bats l’œil ? Alors, oui, il me manque. Mon père aussi me manque.» Alors Diggy Boy dit qu’il faut continuer. Move on.

    Signé : Cazengler, Diggueule (de travers)

    Flag Of Convenience. Northwest Skyline. M.C.M. Records 1987    

    Steve Diggle & Flag Of Convenience. The Best Of S D & Flag of Convenience. Anagram Records 1994

    Steve Diggle. Some Reality. 3.30 Records 2000

    Steve Diggle. Serious Contender. EMI 2005

    Steve Diggle & The Revolution Of Sound. Air Conditioning. 3 30 records 2010 

    Steve Diggle. Inner Space Times. 3 30 records 2016   

    Steve Diggle. Autonomy: Portrait of a Buzzcock. Omnibus Press 2024

    An audience with Steve Diggle. Uncut # 329 - September 2024

    Greg Cartwright : Get on your own. Vive Le Rock # 109 - 2024

     

     

    Gare à Gary Clark Jr !

     - Part Two

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             Deux ans avant le double album Live salué dans le Part One, Gary Clark Jr avait lancé sa curée avec Blak And Blu.

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    Ce double album est l’un des plus beaux disks de blues du XXIe siècle, tous mots bien pesés. Gary Guitar God commence par bigner «Ain’t Messin’ Round» au pilon des Ardennes. Il te tarpouille ça au compost biologique. Il cherche sa voie dans sa purée et tisonne les entrailles de son blues avec un solo infernal. Il use et abuse de la wah. Il te plonge dans son enfer. Son blues rock explose à l’aune d’un esprit visionnaire. Il voit forcément quelque chose, pour jouer comme ça. Il passe un solo de concasse effarant. Il fait ce qu’il veut de tes oreilles. Ses dégelées de notes te pétrifient l’âme. Il enchaîne avec «When My Train Pulls In», deuxième coup de Trafalgar de Blak And Blu. Heavy blues de rêve - Can’t take it no more - Génie indéniable. Sa purée tourne à la démence. Il joue le blues des temps modernes, mais avec un goût prononcé pour le vertige. Il solote à la folie et renoue avec la démesure hendrixienne. Autre coup de génie, «Numb», riffé à l’étranglée. Il le réveille, comme on réveille un mort dans la tranchée - Well I’m numb - C’est imbattable. Il passe un solo de désaille intoxiquée. «You Saved Me» sonne comme dégelée rebondie. Il tape ça en mode groove magique, et l’explose à coups de retours de manivelle. On n’avait jamais entendu un truc pareil. Bon c’est vrai, on ne connaît pas grand chose, en règle générale. T’as aussi «Glitter And Gold», cette belle rasade de stoner dévastateur. Gary fait son metal core et charge le son à l’échalote. Beaucoup trop puissant pour être honnête. Il rend un hommage beaucoup trop spectaculaire son maître Jimi Hendrix avec «Third Stone From The Sun/If You Love Me Like You Say». Il le gratte à la racine du code. Puissante hendrixification des choses ! Il claque ça aux accords de résonance de l’after-Swingin’. Il plonge dans le passé du son et cherche à renouer avec l’œil du cyclone hendrixien. C’mon ! L’If You Love Me sonne comme une récréation au beau milieu d’un ébat orgasmique d’essence cosmique, et Gary revient au thème hendrixien dans l’épaisseur du son. C’est encore un géant qu’on entend œuvrer dans «Please Come Home». Il gratte avec une puissance d’exaction extravagante et chante en mode Soul efféminée. Soudain, il explose sa mélasse avec un solo excuriateur, il lâche des colonnes infernales qui vont se noyer dans le son. Avec «Bright Lights», il grimpe au sommet de son Ararat. C’est un blues-rock de rêve, bien baveux, brûlant et caverneux, pulsé au meilleur beat du monde, et le solo s’écoule comme un fleuve de lave. Gary nettoie tout ça à la wah et retaille au glougloutage. Il n’existe rien de pire dans l’histoire du blues. Il hendrixifie jusqu’à l’oss de l’ass, il monte à la pointe du progrès et souligne son Gimme all along à coup de notes perchées. Foocking genius !

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             Tout a commencé avec The Bright Lights EP. Dès «Bright Lights», on est frappé par l’énormité du son. Gary va chercher une sorte d’au-delà du son. Il injecte du sonic blues dans le cul du cut. Ce mec pourrait bien être le dieu Pan du blues moderne. Il anéantit les frontières. Il invente une mélasse ultime. Il nettoie les artères et les oreilles, c’est un seigneur de l’Otrante, il pulvérise les bornes de la mormoille, il shoote son sonic blues avec une insolence digne de celle de Buddy Guy, il plonge dans des abîmes et resurgit comme un dauphin just for one day. Il tape «Don’t Owe You A Thang» en mode boogie et y passe un solo dévastateur. Il est fou à lier. Il tuméfie le blues, on finit par ne plus savoir quoi dire tellement Gary outrepasse les contingences, c’est un démon. Il ré-invente tout simplement le boogie blast d’Hound Dog Taylor. 

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             Encore un très bel album : The Story Of Sonny Boy Slim. Joli coup de génie que ce «Stay» qui se planque en B - Every time I see you/ I lose my mind - Le son est à la hauteur des intentions. Le refrain flotte - I lose my mind - C’est joué aux accords de corne de brume avec des queues de cerises soniques. Il fait aussi du gospel avec «Church». Il vise la communion - Gallon drunk/ And I’m stoned/ I’m all alone - Il faut aussi écouter attentivement «The Grinder», cette belle dramaturgie fouillée par un solo de gras double. Gary est un cathartique, un vaillant dévastateur. Il sait aussi s’efféminer pour taper un balladif. La preuve : «Our Love» - You’re the one I’m thinking of - Avec «Wings», en ouverture du bal de B, il sonne comme PM Down (dont le chanteur vient de disparaître). Et puis avec «Can’t Stop», il fait du funk à la Prince. Plus rien à voir avec le blues. C’est peut-être ça qui fait sa force. On voit se dessiner la carrure d’un grand aventurier, un Joseph Kessel/Corto Maltese du blues. Il finit avec un cut de Soul de très haut rang, «Down To Ride». Merveilleux artiste.

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             Encore un passage obligé : Live/ North America 2016. Dès le «Grinder» d’ouverture, ça grinde ! Gary joue en sur-saturation. Il réveille tous les vieux démons du limon et part en vrille d’échappée maximaliste. Il a derrière lui une équipe de stoner bhaam boys de choc, King Zapata, John Bradley et Jerry, le roi du beurre fou. Voilà le blues qu’on a envie d’entendre, gras et sourd. On a là la pire heavyness qui se puisse imaginer. Et ça continue avec «The Healing», complètement éclaté dans la purée de pois verts brûlante. Gary déverse ses vagues de son, tout est complètement noyé, ça vise en permanence le ralenti du doom fatal. Ça reste délicieusement hendrixien. Il chante «Our Love» aussi perché qu’Howard Tate. Il reste dans la Soul pour «Cold Blooded». Gary va à la Soul comme d’autres vont aux putes, le manche à la main. Fantastique Soul Brother ! Il revient au meilleur blues de l’univers avec «When My Train Pulls In». On n’avait rien entendu d’aussi pur et d’aussi puissant depuis «Red House». Ce Train est bardé de re-démarrages en côte. Gary Clark Jr va trop loin, beaucoup trop loin. «Down To Ride» renvoie aux beaux jours du Band Of Gypsys. Seul un black peut chauffer une scène aussi radicalement. Encore un cut béni des dieux : «You Saved Me». Le son remonte par les jambes du pantalon. Le solo te bouffe le foie. Gary Clark Jr joue toutes ses cartes avec un brio extraordinaire. Il tape une belle reprise de Jimmy Reed, «Honest I Do». Il gratte ses dégoulinades avec aménité. Il claque même des retours d’Elmore James. Il a de l’électricité plein les doigts. Il redonne de l’éclat au blues, il est terrifiant de prestance. «Numb» explose tout le système des attentes, on se noie dans cet océan de perfection, et on replonge dans les vagues avec ce nouveau roi de l’heavy blues. Il a tout, le son, la classe, la wah, les coups de cymbales, le gras double, c’est exceptionnel, infernal de véracité concupiscente, et, belle cerise sur le gâtö, il ramène dans son jeu tout l’éclat hendrixien.

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             Il revient aux affaires avec This Land, un album grouillant de surprises bien grasses. Il ne perd pas de temps et va tout de suite noyer «What About Us» dans le son, une espèce de mélange de gospel bathing et de déluge sonique. Gary Clark Jr fusionne les genres pour produire l’une des meilleurs heavyness des temps modernes. Il prend «Feed The Babies» avec un certain côté James Brown - Listen listen - et vire Marvin au chat perché doucéreux, c’est stupéfiant d’éclat vitrifié, une vraie bedaine d’aubaines, le mother est celui de Marvin, on a là un véritable shoot de blended Soul électrique. Il passe au heavy doom de grand cru avec «Pearl Cadillac». Il tombe des trombes de son. Gary Clark chante au chat perché d’aventura. Il entre dans la zone grasse de l’album avec un «When I’m Gone» travaillé dans la purée, il peut chanter au rauque comme un jeune James Brown, il s’immerge littéralement dans la légende du son. Voilà un slow groove admirable, explosé de catharsis sonique. «The Guitar Man» sonne comme une petite Soul de dragueur, mais bon, c’est superbe, pulsé dans la couenne du beat, joué à l’intrinsèque, il vise le suspensif et sort de l’ambiancier de rêve, le groove des jours heureux. Tout ça nous conduit naturellement au coup de génie : «Low Down Rolling Stone», il tape entre les yeux du blues, il vise l’heavy doom ultime du blues apoplectique. Il le frappe de plein fouet. Il claque ses accords au-dessus du vide, il sort un son qui te plie en deux, très hendrixien d’esprit mais pulsé à la Clarky motion. Ce mec a du génie, tant pis si on radote. C’est encore l’un des plus beaux albums du XXIe siècle. Plus loin, ils nous explose «Don’t Wait Till Tomorrow» au large, c’est bardé de son à tous les étages en montant chez Clark. Il peut jouer dans la pire des mélasses, pas de problème. D’autres cuts valent le détour, à commencer par «I Got My Eyes On You», gros patapouf sonique qui ne demande qu’à s’écrouler dans le lagon d’argent, histoire de bien horrifier Hosukai. «I Walk Alone» sonne comme l’avenir du son.Gary Clark charge sa barcasse au maximum des possibilités. Il sait aussi riffer comme le Led Zep de «Communication Breakdown», comme le montre «Gotta Get Into Something». Il y bat tous les records de vivacité et passe en mode demented. Good Lord !

    Signé : Cazengler, tête à Clark

    Gary Clark Jr. The Bright Light EP. Warner Bros. Records 2011

    Gary Clark Jr. Black And Blu. Warner Bros. Records 2012  

    Gary Clark Jr. The Story Of Sonny Boy Slim. Warner Bros. Records 2015

    Gary Clark Jr. Live/ North America 2016. Warner Bros 2017

    Gary Clark Jr. This Land. Warner Bros. Records 2019

     

     

    Inside the goldmine

    - Ô  Burrage Ô désespoir !

             Buro ne pouvait finir que dans un bureau. Il était ce qu’on appelle un prédestiné. C’est là, dans un bureau d’études que nous sommes devenus copains. Buro était un petit mec assez vif. Il avait le cheveu très noir, presque corbeau, un pif proéminent et des yeux en amande qui rattrapaient tout. Il aimait rigoler un bon coup, ce qui scella notre alliance. Il avait réussi à se payer une Simca toute neuve, et il vivait dans un appartement moderne. Il avait épousé une Portugaise et parlait plus de la nature fournie de sa toison que de ses qualités intellectuelles. «Ah la chatte d’Anita !», disait-il en soupirant d’aise. Il ne lésinait pas sur les détails. On s’occupait comme on pouvait au long des heures interminables que nous passions dans ce bureau d’études. 9 h-17 h avec une pause d’une demi-heure. Alors pour tromper l’ennui, Buro eut l’idée de «piéger» des collègues. La première victime était ce sosie de Bourvil qui bossait à la table voisine. Le plan consistait à le faire lever de son tabouret pendant une minute, le temps que Buro vide sous son cul un tube entier de super-glu. Pouf, Bourvil s’est rassis. Crack, il a senti un truc. Trop tard. Il a paniqué et a tenté d’arracher le tabouret de son cul. Il s’est alors mis à pousser des cris d’orfraie. Tout le monde dans le bureau s’est mis à rigoler : il marchait dans l’allée en traînant le tabouret derrière lui. Il sortit du bureau et alla se réfugier dans les gogues. Une autre fois, Buro eut une idée encore plus saugrenue : enfoncer une patate dans le pot d’échappement de Bourvil. Nous nous planquâmes dans un fourré pour assister à la scène. Bourvil tenta de faire démarrer sa bagnole, mais bien sûr, ça toussait et ça calait. Alors Buro eût une autre idée. Il sortit une longue mèche de la poche de sa veste et alla vers la bagnole de Bourvil à quatre pattes pour ne pas être vu. Il ouvrit le bouchon du réservoir à essence, y plongea la mèche et l’alluma avec un briquet. Il revint à quatre pattes et murmura :

             — Attends, tu vas voir...

             Soudain la bagnole explosa. Bourvil n’eut pas le temps de sortir. On était tous les deux pliés de rire.

     

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             Heureusement, Burrage n’était pas aussi retors que Buro. Pour avoir fréquenté les deux, disons que la préférence allait tout de même à Burrage. Recommandé par Jean-Yves dans l’un de ses ultimes SMS, Harold Burrage fait partie de ce qu’on appelle ici les «découvertes tardives». Burrage fut l’une des figures de proue de la Chicago Soul, avec un penchant très affirmé pour le black rock’n’roll.

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             Fantastique album que ce Pioneer Of Chicago Soul. Harold Burrage se montre à la hauteur de sa réputation avec «More Power To You», raw r’n’b de Chicago, suivi de «You Mean The World To Me», un heavy groove dégoulinant de classe et de cuivres. Il chante vraiment par-dessus les toits. Les coups de génie se planquent en B. Tu en as deux qui vont te faire lever la nuit pour les réécouter : «Got To Find A Way» et «How You Fix Your Mouth». Harold fait un festival. Il passe chaque fois en force. Son r’n’b n’est ni Motown, ni Stax, c’est du Chicago Soul. Toute la B est submergée de power. All over. Ces mecs jouent superbement et notre héros Harold tient bien la rampe. «How You Fix Your Mouth» sonne comme un hit tentaculaire, il t’éclate ça au hot hot ! Il reste puissant jusqu’au bout des ongles avec «You Make Me So Happy». Il laboure sa Soul en profondeur. Fabuleux artiste !

             Comme c’est un P-Vine japonais, l’album est bien documenté : Otis Clay raconte ses souvenirs d’Harold Burrage au début des sixties : «Harold was kind of a father figure to all of us down there in those days.» Otis Clay le rencontre une première fois en 1962, puis en 1964, il le voit chaque jour au One/Der/Ful, un studio de Chicago où tout le monde se connaît et s’apprécie. Clay insiste beaucoup là-dessus. Il dit aussi que le son de Chicago - a mix of R&B and blues - a pu influencer Memphis. Pour lui, Harold Burrage était respecté par tous, y compris les jazz cats, mais aussi «les Du-Tones, Johnny Sayles, Tyrone Davis and myself.»

             «Harold really knew how to get into a song», ajoute Clay - He was a pretty good piano player - Andre Williams fait aussi partie des beaux jours de One/Der/Ful. Clay révèle qu’Harold a cassé sa pipe en bois en 1966, et qu’à partir de là, tout s’est écroulé, surtout One/Der/Ful - Je me dis souvent que s’il avait vécu, si Sam Cooke avait vécu, si Otis Redding avait vécu, ce music business ne serait pas aussi pourri qu’il l’est aujourd’hui

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             Label aussi pointu que P-Vine, Westside semble s’être fait une spécialité de la Soul de Chicago, comme le montre sa passion pour Walter Jackson et Carl Davis. Westside propose aussi une belle compile d’Harold Burrage : Messed Up! The Cobra Recordings 1956-58. Le vieil Harold affiche clairement une prédilection pour le jump de petite vertu, ce qui explique le fait qu’il n’ait jamais vu la lumière du jour et qu’il soit resté dans les ténèbres de l’underground. Comme des centaines d’autres, il a tenté sa chance. Coiffé, costard blanc, il tente le coup de rock’n’roll et son «Hot Dog & A Bottle Of Pop» est plutôt bon. Magic Sam y gratte ses poux et Big Dix y malaxe son bassmatix. Ça swingue à la Méricourt. Il passe aux choses sérieuses avec un «Messed Up» signé Big Dix, il prend le rock’n’roll à la black et le fait au talent innervé de messed up/ Cause I’m losing my mind, et boom, tu as un solo de sax d’Harold Ashby dans la foulée. Jody Williams gratte ses poux sur ce stormer. Il enchaîne avec un autre heavy jump, il chevauche le beat à travers la plaine. Il reste dans le black rock avec des petits accents rockab sur «Betty Jean» et devient un real wild black cat avec «I Don’t Care Who Knows», encore un cut signé Big Dix. Excellent et joliment balancé ! 

    Signé : Cazengler, Harold Fourrage

    Harold Burrage. Pioneer Of Chicago Soul. P-Vine Special 1979

    Harold Burrage. Messed Up! The Cobra Recordings 1956-58. Westside 2001

     

    *

             Dans notre livraison 624 du 14 / 12 / 2023 nous présentions l’album Bandshee III. Notre curiosité avait été attirée par la couve de l’opus largement inspirée du Led Zeppelin III . Remontant dans la discographie du groupe nous n’avions pas été étonné par l’aspect folkly de son précédent album Curse of the Bandshee, Led Zeppe n’a jamais été très éloigné de Fairport Convention... Même si deux premiers disques semblaient appartenir à un monde musical très différent, qu’en sera-t-il de la nouvelle production de Bandshee ?

    THE LONG ROAD

    BANDSHEE

    (Janvier 2025)

             Avant de commencer expliquons le changement musical de la formation. Souvent femme varie nous dit le proverbe, au détour d’une conversation Romana avoue qu’elle ne connaissait pas Black Sabbath. Inutile de se moquer d’elle, tout un chacun est un puits d’ignorances s’il compare son maigre bagage à la multiplicité de l’univers. Sur l’injonction de ses camarades, curieuse elle écoute et découvre ainsi une nouvelle zone d’investigation sonore. La voici conquise. Le troisième opus du groupe se teintera ainsi de sonorités plus heavy…

             Le projet de ce qui deviendra The Long Road date de 2021. L’idée était de réaliser un album inspiré du Seigneur des Anneaux et du Zeppelin IV. Pas original mais pas stupiditos non plus. Z’ont déjà composé des tas de morceaux remplis d’elfes et de licornes, un peu fleur bleue quand on y pense.

    Est-ce le sombre univers de Black Sabbath qui les force à ouvrir les yeux sur le monde qui les entoure. Il est sûr que dans nos entourages l’on ne rencontre pas tous les jours des ladies qui veulent s’acheter des escalators qui les conduiraient tout droit au paradis. Changement de préoccupation, la longue route les conduit tout droit dans la réalité sociale de notre époque. Qui n’est pas belle…

             Le groupe est basé à Louisville, grande cité sur l’Ohio qui sépare le Kentucky de l’Indiana.

    Romana Bereneth : lead vocals, guitar, bass clarinet, wizard staff /  Stephen K. Phillips : guitar, bastard sword / Mac McCammon : electric bass, upright bass, backing vocals, battle axe / Chris Miller : drums, war hammer.

             La couve est de Cody Campbell and Paige Campbell. Sur l’Instagram de Cody vous pouvez visiter sa collection de costumes. Pas vraiment BCBG, sortent tout droit de l’imagination de Cody et des âges obscurs. Tels qu’on les rêve et les cauchemarde. Nos quatre musiciens dans leurs accoutrements partent en guerre contre notre monde cruel, souhaitons-leur une prompte victoire. Et du courage ! L’imagerie est très folkly, très fantasy, presque donchiquotesque, un peu étonnante pour un groupe heavy, preuve que Bandshee ne renonce pas à ses origines.

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    Two Timer : la voix de Romana s’élève, bourdonnement riffique immédiat, l’influence zeplinienne vous saute aux oreilles, n’empêche qu’ils parviennent à se tirer du buisson d’épines de l’imitation, vraisemblablement grâce à la batterie qui en bonne âme s’écarte de Bonham, dans les sous-sols la basse se fraie un chemin souterrain qu’il convient de ne pas négliger. Romana règle ses comptes, ceux des habitants du globe terrestre qui jouent la vie en tandem, tout un chacun essayant de pédaler à rebours de son coéquipier, comment voulez-vous que la planète aille bien s’il est impossible de jouer franc-jeu entre deux partenaires. Il est des moments remarquables ceux où Romana vous prend un ton insidieux qui la rend perversement délicieuse. Doom and gloom : n’ayez pas peur même si de nombreux groupes de doom ont un titre similaire dans leur discographie, comment ne pas résister à la conjonction phonique et poétique de ces deux vocables, très vite l’on tombe dans le concours du riff le plus lourd du monde, Bandshee ont relevé le défi de l’originalité, nous offrent le doom solaire, celui qui éclaire la nuit pour vous montrer combien elle est sombre, certes Romana vous jette du sel sur les plaies de la folie et du fric-roi, mais nos quatre mousquetaires s’aventurent dans une œuvre d’intervention musicale inventive, bien sûr au début vous êtes au chaud dans la confortable doudoune du doom, mais bientôt tout s’effrite, se délite, se dynamite, et vous vous retrouvez perdu en train d’errer dans une rôtissoire infernale, sûr que ça ne tourne pas rond, que les guitares s’aiguisent et agonisent, que la batterie se bat contre elle-même, que la basse vacille sur ses bases, gloome gluant dont vous aurez du mal à vos dépêtrer tellement sa gangue de goudron vous  protège de l’horreur du monde. 19 Lashes : retour au blues fondamental, mais un blues de haine et de colère. Romana ne met pas des gants blancs sur son larynx, elle miaule comme un lynx enragé, et les boys derrière vous foutent le feu au riff, sont méchants, violents, impitoyables me font penser à la colonne infernale de Quantrill dans Blueberry, c’est que l’on ne s’oppose pas au tigre du capitalisme avec des armes de papier, quel ramdam mes amis ce n’est pas un hasard si cet album se classe parmi les meilleures nouveautés du mois de janvier. Peut-être pas assez novateur pour renverser le monde de de la musique, mais assez malin pour glisser un pied dans la porte, ils sont en train de  réinventer la poudre. The Long Road : une autre manière de dire le blues, le vieux, l’innommable, le primal, l’originel, des mots pour dire et ne pas dire, simplement suggérer, n’oubliez pas que le Diable vous attend à tous les carrefours par lesquels vous omettez de passer, c’est ainsi que le blues devient rock pour mieux se faire entendre et venir révéler à vos oreilles vos inconséquences, il est des choses qui se chuchotent, qui se transmettent ainsi aux générations futures, la longue route est celle du phénix brûlé qui renaît infiniment de ses cendres porteur d’un feu destructeur. S’unir. Se battre. Superbe morceau. Heavy on Main : la suite du précédent, en plus désespéré, mais à utiliser comme un levier pour faire rouler la grosse pierre – cette métaphore pour vous inviter à écouter Street Fighting Man  des Rolling Stones, musicalement pas grand-chose à voir, mais vous pousser à méditer sur l’injonction séminale du blues et la société du spectacle du rock’n’roll – un blues poisseux, une reptation de serpent qui s’approche de l’Ennemi,  un blues pour vous réveiller le matin, pas pour vous tirer du sommeil mais vous faire comprendre que le rêve dans lequel vous vivez est un cauchemar, aucune pirouette intellectuelle ne vous aidera lorsque l’on vous tirera dessus quand vous manifesterez. Confrontation directe obligatoire. Un appel aux armes. Disque ô combien courageux !

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    Witch Wizard : apparemment l’on quitte le blues pour la magie ensorceleuse de l’instrumentation rock. Romana hurle, elle en appelle au pouvoir magique des sorciers.  Veut-elle se réfugier dans les fantasmagories mythiques du Seigneur des Anneaux, elle ne dit rien, elle ne chante plus, elle utilise sa langue de vipère pour susurrer à vos oreilles qu’il ne faut pas se fier aux fausses solutions, certes sur la couve elle porte un magnifique galurin de sorcière mais aussi un bâton de mort. Encore un morceau courageux qui se démarque de la plupart des groupes de doom. Shadow : Nick Teale : guest vocal : une chanson douce pour des réalités dures. Mais peut-être est-il inutile de crier, il suffit de raconter, presque une ballade pour endormir les petits enfants. Pas de chance, un coup violent ébranle la porte des maisons, l’Ombre s’approche, elle porte des noms charmants sans équivoque : guerres, crimes, répressions, massacres, je vous laisse continuer la suite, comme quoi les sorciers n’ont pas pu arrêter la terrible réalité, n’empêche que sur la fin du morceau Romana se transforme en pythonisse, elle suggère fortement, elle prédit, elle assure que toute tentative de révolte contre l’ordre mondial établi vous conduira inéluctablement à la mort. Avalanche : écoutez cette chanson sans connaître le reste du disque, risque de vous faire accroire que le sujet porte sur les dangers du ski hors-piste. Les esprits finauds se douteront de son aspect métaphorique. Après la catastrophe, après la défaite. Avertissement. N’attendez pas plus longtemps, sinon vous serez surpris et emportés par la tourmente de la répression. Il règne sur le début de ce morceau une voix crépusculaire, l’esprit de la révolte qui survit sur les pics glacés de la défaite. L’éruption de colère sur la fin n’est pas obligatoirement un signe de renouveau. Tout ne serait-il pas déjà définitivement perdu… Bonus Track : 19 Lashes for Deluxe Mother Truckers : même morceau que plus haut.

             Quelle surprise que ce disque ! Patauge un peu des pataugas dans les bassins endormis du  blues et du rock. Quel courage de l’ouvrir tout grand comme cela. Presque de l’effronterie. Sans concession. Quand on pense que sur leur tout premier album Diamonds, Bandshee reprenait La vie en rose ! Faut dire qu’avec sa voix Romana peut tout se permettre sans être jamais ridicule.

             Long is the Road nous réconcilie avec la vision d’un rock’n’roll vecteur de lucidités orageuses et d’encouragements à de sauvages sécessions.  Très mauvais ferments, assureront ceux qui nous tiennent en esclavage.

    Damie Chad.

            

    *

             Si vous aimez les vidéo-danse de Michael Jackson je regrette de vous signaler que la chronique qui suit n’est pas pour vous. Par contre si vous êtes prêts à ouvrir en grand votre fenêtre au corbeau qui s’en vient tapoter à la vitre, je vous préviens que s’il se pose sur le buste pallide de Pallas relégué au sommet de votre armoire, vous avez toutes les chances de le retrouver dégoulinant de sang.

    THIS IS NO FAIRYTALE

    CARACH ANGREN

    (Season of Mist / 2015)

             Je n’ai jamais rencontré de Néerlandais qui m’ait mordu, toutefois ceux-ci se prénomment Mâchoires d’Acier, les prochaines fois je ferai attention.

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             De loin la couve représente deux mains qui se rejoignent, ce n’est pas la Chapelle Sixtine mais s’insinue en vous l’idée d’une certaine fraternité entre les hommes, un peu étonnant pour un groupe de metal, lorsque l’on chausse ses lorgnons votre erreur d’interprétation vous saute aux yeux. Un détail d’importance, ce ne sont pas deux mains d’adultes, l’une est manifestement celle d’un enfant. Celle de la grande personne semble pleine de bonbons, ajustez votre regard, le contenu n’est guère enthousiasmant, ne distingue-t-on pas comme d’inquiétants vers dans cette paume ouverte aux ongles longs comme une serres d’aigles…

    Namtar : drums, percussion / Seregor : guitars, vocals / Ardck : keyboards, orchestration, violin (3).

    Chapitre 1 : Once upon a Time : prélude, on se croirait à l’opéra, musique classique, violons, dès que le poivre noir du violoncelle versé à larges rasades monopolise la bande-son l’on  intuite que l’on se dirige vers un drame, sur la fin du morceau l’envolée de voix féminines ne vous rassurent pas, l’optimisme n’est pas de mise.

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    Chapitre 2 : There’s no place like home : ce coup-ci c’est l’orchestre symphonique qui ouvre la séance, sur lequel se greffent des charges de guitares effarantes, l’orchestra ne se laisse pas intimider malgré les roulements des tambours de Namtar, il ne consentira à mettre la sourdine dans la boîte que lorsque Seregor à la voix de stentor survient, ne chante pas en canon, l’est pourtant rempli jusqu’à la gueule, Namtar nous offre la charge d’un régiment de cosaques, la musique classique se rajoute sur le charivari, à croire que ça ne plait pas à Seregor, le vocal explose, tous aux abris, il hurle comme un démon, la folie gîte sur ses cordes vocales, l’orchestrum se croit à bataille de Borodino, quand c’est fini vous recomptez vos oreilles. Pour la cervelle inutile, elle est réduite en poudre. Vous avez eu le son, en prime nous vous offrons l’image, la vidéo sortie par Season of Mist en avant-première pour avertir les fans de l’imminence de l’album : elle est signée, illustration, animation and visual par concept  par Costin Chioreanu, je vous engage à la regarder, une BD mouvante que je qualifierais de style réalisro-soviétique abstracto-expressionniste, elle vaut le déplacement oculaire. Ne quittez pas, Kr’tnt vous en donne plus : après la musique, après le son, voici le texte. Ne nous remerciez pas nous aurions préféré ne pas savoir lire. Changement d’étage : l’intro annonçait le drame, nous sombrons dans le mélodrame. Margot devra sortir non pas son mouchoir pour pleurer dans sa chaumière mais son drap de lit + sa housse de couette. Tous les poncifs de la sensiblerie moderne : le père violent, la mère droguée, les enfants innocents, plus le piment du viol et de la pédophilie… Les images, que vous appréciez ou pas, sont fortes, le texte prête à rire. Trop c’est trop. Dommage : phoniquement c’est réussi. Un peu boursoufflé, totalement baroque, monstrueux même, hélas la montagne accouche d’une souris verte.

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    Chapitre 3 : When Crows Tich on Windows : musicalement c’est une splendeur, orchestration classique, groupe de rock et l’égrégore vocal de Seregor, vous ne trouverez rien de plus beau, une réussite parfaite tous les groupes de Black Metal peuvent aller se rhabiller. Mais ce n’est rien comparé à la vidéo. Vous avez le droit de préférer les cours collectifs de dancing-gymnastic de Michael Jackson, ce genre de tectonic du riche ne déplace pas les plaques, par contre si vous désirez une leçon d’écriture cinématographique, celle-ci touche au génie, si vous voulez tout savoir sur comment on raconte une histoire, mirez et admirez, suis tombé dessus par hasard, le ballet hyper expressionniste du début, ensuite il n’y a plus qu’à suivre, le nom du réalisateur n’est pas donné, mais question mise en scène et montage ( il vaudrait mieux dire démontage) c’est un maître, lui il ne raconte pas, il suggère, vous transcrit le récit larmoyant ( la mère frappée sauvagement, les enfants s’enfuient, le père les rattrape) en une espèce de capharnaüm labyrinthique qui n’a plus besoin du sens des paroles, juste les vociférations ouïques seregoriennes se suffisent, Valéry  jouait du sens et du son, ici l’on joue avec l’image et le sens, quant à la prestation de Seregor elle tient autant de Byron que du Monsieur loyal du Cirque. Nous sommes ici face à une recomposition orphique d’un texte d’une très grande pauvreté d’imagination et d’une énorme maladresse d’écriture. Une transcendance. Hyperbole, dirait Mallarmé.

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    Chapitre 4 : Two Flies flew into a Black Sugar Coweb : de fait la partition, quel autre terme employer, développe toute son orchestration, fascinante quand on essaie de suivre la reprise tant musicale qu’instrumentale de l’agencement des thèmes, ce disque s’avère être une espèce de tentative d’œuvre totale, dommage que le livret soit si détestable, voici dix ans l’opus a été mal accueilli par la critique qui n’a pas compris la portée du projet. Ainsi dans ce quatrième morceau apparaît la reprise du Conte Hansel et Gretel – la mère s’est suicidée, les enfants se sont enfuis dans les bois, ils s’endorment dans une ancienne aire de jeux pour bambins, apparition  d’un clown maléfique sorti tout droit de Ça le roman de Stephen King. Nous sommes sur une route parallèle à celle de Wagner, la mythologie nordique est remplacée par le trésor des contes populaires de l’enfance conjugué avec l’attrait de notre modernité pour l’horrible et le fantastique. Mais que serait Wagner sans les mises en scène de ses opéras, Season of Mist ne possède pas les moyens du prince Ludwig de Bavière qui finança le théâtre de Bayreuth, autres temps, autres mœurs, Carach Angren a tenté de remplacer les dispendieuses représentations par des arts de notre époque relativement économiques, le clip, ici à cheval entre art cinématographique et bande dessinée. C’est ainsi que nous voyons réapparaître Costin Chioreanu et sa mise en image des épisodes racontés dans ce quatrième morceau, un peu moins réaliste socialiste que dans le premier et surtout avec de très belles idées de mise en scène des cheminements du récit qui ne cherche pas tant à illustrer qu’à faire comprendre aux spectateurs ce que ressentent les enfants.  Je me demande si Costin Chioreanu, musicien metalleux par lui-même, graphiste-producteur qui a beaucoup travaillé avec des groupes metal, n’a pas participé à ce projet justement par la possibilité d’une œuvre d’envergure trans-art qu’il offrait. Chapitre 5 : Dreamin a Nightmare in Eden : Seregor se serre la gorge, il raconte l’histoire, elle commence comme celle du Petit Poucet pour se terminer par celle d’Hansel et Gretel mais pour des enfants d’aujourd’hui qui sont habitués à suivre des séries de tueurs en série sur la télé des parents, oui Seregor est gore, quant à la musique elle grince, elle joue avec le bois du violon, elle imite des bruits inquiétants, elle crée une atmosphère de terreur et de suspense, Seregor y va très fort. Quand sa voix devient douce, le pire est à craindre. Chapitre 6 : Possessed by a Craft of Witchery : ce n’est pas l’histoire des trois petits cochons qui finissent tout cuits tout rôtis dans la marmite dans laquelle le loup les a plongés mais pire. Quel tintamarre musical, ce n’est pas le basson qui imite la voix du Grand-père dans Pierre et le Loup de Prokofiev raconté par David Bowie de sa voix précieuse, c’est le rock qui martèle, bye-bye la musique classique ici c’est la musique chaotique, la musique cloatique, pauvre piano d’Ardek, n’a pas dû résister à la séance, Eregor grogne et rogne, quelle histoire conte-t-il au juste, celle du sacrifice d’Hansel, ou celle de nos propres dédoublements car nous inventons toujours des explications pour nous disculper de nos errements, comme ce clown qui se croit commandé par une sorcière, dans le morceau précédent l’oiseau blanc ne s’est-il pas transformé en oiseau noir, un peu le contraire de nous qui sommes noirs et pervers au-dehors et tout blanc au-dedans… Ne souffrons-nous pas, ne nous réjouissons-pas, n’abuse-t-on pas de cette dichotomique duplicité, de cette double schizophrénie, commençons-nous à comprendre enfin le sens symbolique de ce texte… Chapitre 7 : Killed and Saved by the Devil : violents violons, le comble de l’horrible, Hansel découpé en morceaux, sa soeur obligée de creuser sa fosse funéraire, d’éponger le sang, et de dévorer son cœur, d’ailleurs la musique vous a de ces hauts de cœurs à vous donner envie de dégobiller, Seregor dans les serres du texte, se transforme-t-il lui-même en bourreau, est-il habité par l’esprit du clown qui manipule son cerveau comme un marionnettiste qui tirerait sur ses cordes vocales, ô insensé qui crois que je ne suis pas toi, ne serait-il pas l’exutoire de nos rêves que nous n’avons jamais osé accomplir, un révélateur de notre propre ADN par ses crimes perpétrés pour nous, à moins que ce ne soit par nous, car chose pensée n’est-elle pas de fait accomplie, le désir de l’acte n’est-il pas égal à l’acte réalisé. Tous criminels. Tous clowns heureux de nos turpitudes.  Chapitre 8 : The With perished in flames : belle intro classique vite balayée par l’irruption de Seregor, serions-nous à un instant crucial, tout dans l’orchestration nous pousse à le croire, comme une attente, un suspense entre les lyrics, l’on se croirait dans un film quand l’action surgit lorsque le prédateur se laisse tomber sur sa proie, tout se précipite, c’est la proie qui se révolte, qui renverse la situation, l’est aidée par la brutalité du clown qui renverse la lampe à pétrole et périt dans les flammes, Gretel s’enfuit en courant, affolée elle fonce droit sur un arbre.  Chapitre 9 : Tragedy Ever After : Qui cache la forêt du rêve. Le précédent morceau aurait pu être un magnifique final, il n’en est rien, la course échevelée de Gretel se poursuit. Pourquoi d’après vous sous les mains tendues l’une vers l’autre sur la couve, ô cette poignée de main prédatrice, n’avons-nous pas remarqué le contour d’un cercle  auquel nous n’avons accordé aucune attention, n’est-ce pas la preuve circulaire que le malheur ne finit jamais que l’être humain est enfermé dans la circularité éternelle de chaque instant, Greta se réveille dans son lit, tout ce qui a précédé n’était qu’un cauchemar, enfin presque, le père referme la porte, le rythme s’alentit, cruel retour à la réalité, est-ce la première fois, revient-il systématiquement toutes les nuits, sommes-nous dans de la psychanalyse de bas-étage pérorante qui enseignerait que l’inconscient s’empare du rêve pour signifier l’immondicité du vécu, ou au contraire le groupe veut-il témoigner de ce que l’inconscient n’est qu’un leurre théorique, une espèce de pansement médicamenteux faussement explicatif, un pseudo- voilement pudique guéritif de ce qui a eu lieu. Pour toujours. Dans l’éternité de l’instant. Bref que l’inconscient n’existe pas. Il n’est que l’autre mot du désir. Sempiternellement coercitif. Le squatteur de la maison de l’être dirait Heidegger. Nous quittons alors les circonstances de l’opérativité sociale pour la démesure mythificatrice de la solitude humaine. Le morceau ne s’arrête pas. Pour des raisons économiques et par confort d’écoute, le son est baissé et finit par s’évanouir. Mais il n’y a pas de véritable fin, il marche sereinement vers une fin qui n’arrivera jamais puisqu’il suit le tracé de son propre cercle.

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             Je crains que le quatrième opus de Carach Angren n’ait été mal compris lors de son initiale réception. C’est un peu de leur faute. Le texte s’englue un peu trop vite dans une rédaction genre ‘’ vous ne trouverez pas de version du conte d’Hansel et Gretel plus horrible que chez nous’’ occultant ainsi le questionnement métaphysique qui le sous-tend. Il est sûr qu’il touche à des thématiques brûlantes, au siècle précédent l’on aurait parlé de phénoménologie du meurtre, de phénoménologie du viol, de phénoménologie de l’horreur… une espèce d’objectivisation radicale de ces phénomènes  insupportables à la majorité des citoyens. Edgar Poe lui-même n’a pas osé, il a abordé tous ces sujets mais les a précautionneusement rangés sous le vocable de ‘’contes’’. En affirmant qu’il n’y a pas de conte heureux Carach Angren s’est engagé dans une voie dangereuse. Ils ont emprunté les gros sabots de l’écriture. Poe est davantage subtil. Il laisse apparaître l’arrière-plan métaphysique de ses réflexions. Il offre deux chemins d’accès à ses contes. Lorsque l’un (ou l’autre) devient trop insupportable à son lecteur, de lui-même il emprunte le deuxième tracé d’accès, qui sert ainsi de voie de dégagement, voire d’issue de secours.

             Ce que Carach Angren a totalement raté dans les lyrics, il l’a totalement réussi dans sa virtuosité à mêler passage ‘’metal’’ et passage ‘’classique’’. Certes ils ne sont pas les premiers : le black metal symphonique est un courant à part entière illustré par de nombreux groupes. Mais ils sont parvenus à produire le premier album de metalphysique, les corbeaux ne viennent pas par hasard frapper aux fenêtres fermées du songe et de la réalité.

             Essayez de ne pas rester dehors devant les lourds vantaux obstinément clos.

             Les contes ne sont pas toujours des histoires à dormir debout. Imitez Poucet, n’oubliez pas les petits cailloux, une fois dedans il n’est pas facile d’en sortir.

    Damie Chad.

     

    *

     J’ai pas choisi, j’ai pas fait exprès, mais il y a des filles qui vous attirent au-delà de tout. J’ai cliqué sur Western AF  pour voir les dernières vidéos. Y en a une qui s’est présentée immédiatement. J’ai regardé distraitement, un gars avec une voiture et une guitare. Le grain de la voix m’a attiré.  J’ai daigné poser mes yeux, pauvre Damie, la mort te guette si tu n’arrives pas à faire la différence entre une fille et un garçon, en plus j’ai saisi quelques mots des paroles, fallait que j’aille voir.

    NIGHTINGALE

    RIVER SHOOK

    (Western AF / 11 / 02 – 2025)

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             Le choc. Cette voix. Cette manière de jouer la guitare sans donner l’impression d’y toucher. La forêt, le pick up, la chaise, la guitare, la fille, facile à identifier. Mais il y a autre chose. Une connaissance de la vie, une sagesse expérimentale, une fatigue, une désillusion de quelqu’un qui a beaucoup vécu, qui ne renonce pas non plus. Je suis son balancement, je suis serpent fasciné par sa proie, l’évidence me déchire en un éclair, j’ai employé le terme de connaissance, pas n’importe laquelle, une connaissance poétique du monde et de l’expérience. Je me précipite sur les lyrics. Une terrible solitude. Je remarque la boucle d’oreille en croix renversée, et ces affreux tatouages verdâtres sur ses avant-bras, typiques des filles américaines. Je reviens à elle, à cette tristesse désabusée qu’elle utilise à la manière d’un cheval de guerre pour parcourir ces chemins intérieurs et ceux du monde qui ne mènent à rien, sinon à des rencontres authentiquement illusoires.

             Me faut en savoir davantage. Sur son Instagram je retombe sur Mike des Western AF qui présente un fragment du même morceau. Je remarque que Paige Anderson de Two Runner a liké. Il ne saurait y avoir de hasard. Seulement des points de recoupement dans le désert.

    Damie Chad.

             J’ai cherché à savoir. River Shcook n’est pas une inconnue. Elle a fondé voici dix ans un groupe Sarah Schook and The Disarmers qui compte aujourd’hui quatre albums mais je ne m’attarderai pas sur cette première époque (en fait c’est la deuxième, je vous expliquerai) mais à ce nouveau projet River Shook. Ne doutez pas de ma santé mentale puisque je commence par une vidéo de Sarah Shook and the Disarmers.

    GOOD AS GOLD

    SARAH SCHOOK AND THE DISARMERS   

    (Lyric Video / Avril 2018)

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             Franchement je ne me relèverai pas cette nuit pour aller visionner cette vidéo une nouvelle fois. Certes l’on n’y voit pas plus Sarah Schook que River Shook, mais les images qui l’accompagnent, tirées d’un vieux film des années cinquante, si elles correspondent relativement bien avec le sujet de la chanson, ont beaucoup vieilli. Par contre musicalement ça ne correspond en rien à la manière de chanter de River. Surtout que je viens de lire que Sarah et ses Désamours sont un groupe un peu country-rock, un peu outlaw. Disons que là c’est du country pas beaucoup borderline. L’est vrai que si les images vieillottes ne se prêtent pas aux subtilités, les lyrics si on les écoute avec soin, malgré leur entrain de cowboy d’opérette sont des plus ambigus, mais je l’ai remarqué parce qu’avant j’avais regardé la vidéo suivante. Enfin la suivante de la suivante.

    GOOD AS GOLD

    SARAH SCHOOK AND THE DISARMERS 

    (Audiotree Live / Chicago)

            Audiotree est une chaîne qui présente de jeunes groupes mais aussi des moins jeunes, captés dans l’intimité d’une salle dépourvue de public. Le groupe, rien que le groupe.

             Je ne résiste pas à vous traduire le bandeau de présentation sous la vidéo, difficile de faire mieux en peu de mots : Sarah Shook & the Disarmers est un groupe country-punk qui a signé chez Bloodshot Records en 2017. Leurs airs narquois et sans apologie racontent les expériences de Shook avec des relations merdiques, des nuits passées à s'abîmer à la fermeture des bars et des dialogues intra-personnels auto-dérisoires.

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             Country-punk je veux bien, ne vous attendez pas à des coupes à l’iroquois, disons que pour un large public country conservateur  les cheveux longs mal peignés de Sarah doivent choquer. Contrebasse, pedal Steel, batterie, guitare, je fais vite nous reviendrons sur cette série de six morceaux. Cette version débarrassée des images est bien plus roots, je n’ai pas dit raw, que la précédente. Cette fille a du chien. Entre chien fou et chien perdu sans collier. Le chant est relativement doux, elle ne force pas sa voix, les musicos lui construisent un joli coffret de bois précieux, mais l’on sent que quelque part elle s’en fout, elle est avec eux, mais aussi ailleurs toute seule en elle-même, elle se retient d’aboyer, peut-être pense-t-elle que certains pourraient l’interpréter comme une faiblesse. Toutefois inabordable.

             Sur sa chaîne personnelle il n’y a que trois vidéos. Vous avez déjà deviné le titre que nous allons écouter, le premier posté il y a tout juste un mois.

    GOOD AS GOLD

    RIVER SHOOK

             Ne ratez pas le début, elle ne chante même pas quarante secondes, toute belle, toute fragile, de magnifiques yeux bleus, un seul couplet, mais tout est dit, cette nudité de la voix et ce hoquet répété, presque rien, une montagne d’effets, un yodel ultra minimaliste qui trahit en même temps toute l’incertitude humaine et la persistance farouche à vouloir être tant mal que bien.  

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             Ensuite elle vous regarde. Ce n’est pas fini. Non elle ne chantera plus. Sur France Culture l’on baptise tout ce qui suit d’une pompeuse expression : une master-class ! River Shhook se livre. Rien de bien croustillant. Une personne qu’elle a aimée. Celle-là ou une autre, est-ce vraiment important… Ce qui est vécu est vécu. L’important c’est ce que l’on en fait. Comment on l’amalgame en soi, ne serait-ce que pour tirer un trait définitif dessus. Certains diront, il vaut mieux ne plus trop s’y intéresser et laisser faire le temps. Il est une autre façon d’agir. S’affronter à la chose non pas celle qui a été vécue mais celle que l’on va soumettre au travail poétique. Un porche, une guitare, un stylo, un calepin, le but n’est pas de magnifier  ou de cracher. Il ne s’agit pas non plus de créer le musée de ses émois intimes. La poésie ne transforme pas ce qui a été vécu, elle vous permet à vous métamorphoser. L’on n’écrit pas pour se recueillir en soi-même mais pour devenir davantage soi-même. Tout ce que dit Rilke dans ses Lettres à un Jeune Poète, River le redit, avec ses mots à elle, très simples, ses sourires, ses mimiques, ses émotions... pour approfondir le cours de la rivière sauvage qu’elle est, et qui coule déjà plus loin.

    Damie Chad.

      

  • CHRONIQUES DE POURPRE 677 : KR'TNT ! 677 : MARIANNE FAITHFULL / BEL AIR LIP BOMBS / LAS ROBERTAS / GARY CLARK Jr / BRENT RADEMAKER / BIG MAYBELLE / ROCKAB' BOYS / MAD ACT / DOMINO LEWIS / ETHBAAL / ERSZEBETH / WAYS

    KR’TNT ! 

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 677

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    13 / 02 / 2025 

     

    MARIANNE FAITHFULL / BEL AIR LIP BOMBS

     LAS ROBERTAS / GARY CLARK Jr

    BRENT RADEMAKER / BIG MAYBELLE

    ROCKAB’S BOYS / MAD ACT

    DOMINO LEWIS / ETHBAAL

    ERSZEBETH / WAYS

      

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 677

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Dieu que Marianne était jolie

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             Dieu ! Que Marianne était jolie/ Quand elle marchait dans les rues de Paris. Avec sa très belle chanson, Michel Delpech évoquait-il inconsciemment la silhouette de Marianne Faithfull ? Allez savoir... Et comme Marianne vient tout juste de nous quitter, alors retrouvons-la.

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             Nous avons beaucoup de chance, car elle a bien documenté sa vie. Ses deux ouvrages autobiographiques, Faithfull et Memories Dreams and Reflections révèlent en prime un authentique souffle littéraire. Voilà deux books qu’on dévore goulûment, sans aucune retenue. Indépendamment des portraits dont on se régale, c’est de son admirable esprit caustique dont on se goinfre le plus. Du genre : « François, being French, is born ironic and he makes jokes that he has to then repeat and explain, because I don’t really understand irony. » (Étant français, François est né ironique et il fait des blagues qu’il doit répéter et expliquer car je ne comprends pas l’ironie). Somptueux ! Oh elle en rajoute, car c’est important : « In England, sarcasm is the order of the day. It’s not irony, it’s toxic wit. It’s cruelty, basically, and a very important part of English life, especially upper-class English life and intellectuel English life, and it can be very funny as long as it doesn’t come on you ! » (En Angleterre, le sarcasme est à l’ordre du jour. Il ne s’agit pas d’ironie, mais d’esprit toxique, de cruauté. Ça fait partie de la vie anglaise, et plus spécialement dans les couches sociales privilégiées et le monde intellectuel, et ça peut être extrêmement drôle dès lors que vous n’en n’êtes pas la cible). Elle parle beaucoup dans son recueil de pensées de son expérience de junkie et fait le point d’une façon extraordinaire : « There’s two things I’ve always thought are interesting: the Romantic image of the artist and its association with the self-inflicted plunge into the abyss of drugs and wretched excess. Which I now happen to think is utter crap. Maybe it worked for De Quincey and Cocteau, and it sounds good when you’re fifteen, but ultimately I think it’s incredebly immature. It’s practically infantile. If you’re a working artist, you haven’t got time for that shit. (Deux choses que j’ai toujours trouvées intéressantes : l’image romantique de l’artiste et sa plongée dans un abîme de drogues et d’excès. Maintenant je trouve ça suprêmement stupide. Ça convenait probablement à De Quincey et à Cocteau, et ça peut paraître intéressant quand on a quinze ans, mais je trouve ça profondément immature, même infantile. Si vous êtes un véritable artiste, vous n’avez pas de temps pour ça). Elle finit son passage en saluant Flaubert qui prônait une vie saine et Marlon Brando dans Apocalypse Now qui atteint le fond de l’illusion romantique. It’s a supreme form of narcissism.

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             Elle fait aussi l’éloge de Juliette Greco qui fut son idole. Marianne a particulièrement adoré son idylle avec Miles Davis - A real Giacometti with a face of great beauty, comme le décrivait Juliette (Un pur Giacometti avec un visage d’une grande beauté). Marianne cite souvent Oscar Wilde, évoque les Stones - It was really a hard scene to be in - et surtout Brian Jones qui souffrait de ne pas pouvoir écrire de chansons - Je l’ai vu marmonner quelques mots sur un riff de blues et jeter sa guitare par terre, frustré de ne pas y arriver.

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             Les passages les plus denses du recueil de réflexions concernent bien sûr l’hero. Marianne : «  Chaque fois qu’on veut fuir ce monde, voilà ce qu’on fait : on sort, on devient junkie et on vit dans la rue. Bien sûr, ce que je ne savais pas, c’est que l’hero n’est pas un jeu. L’hero, c’est ce qui vous rapproche le plus de la mort alors que vous êtes en vie. Quand j’ai décidé de fuir ce monde, j’ai cru que j’allais pouvoir disparaître et revenir quand je le voulais. Je ne savais pas qu’il allait me falloir deux ans pour devenir une junkie accomplie et quinze ans pour me débarrasser de l’hero, vous voyez. » Dans la même page, elle raconte le souvenir d’une discussion avec Bill, c’est-à-dire William Burroughs. Elle avait repéré une ligne dans Naked Lunch : « Junk is not like alcohol or weed, a means to increased enjoyment of life. Junk is not a kick. It is a way of life. » Bill indiquait que l’hero n’était pas un gadget, mais un style de vie. Et il reprocha à Marianne d’avoir pris cette phrase trop à cœur : « But my dear, I was just stating the facts. I’m not in the business of giving advice. » (Mais ma chère, je ne faisais que relater les faits. Je ne suis pas là pour donner des conseils). Et Bill ajoute : « The big mistake Keith Richards made was that he thought it would make him immortal. Heroin doesn’t make you immortal, it only makes you improbable. » (La grosse erreur que fit Keith Richards fut de croire que l’hero allait le rendre immortel. L’hero ne rend pas immortel, mais seulement improbable). Deux écrivains dans le même livre, c’est une bonne affaire.

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              Marianne est sans pitié pour cette faune qui s’est substituée à ce qu’on appelait autrefois la bohème : « Il a fallu cent ans aux poètes symbolistes, aux peintres buveurs d’absinthe et aux dilettantes talentueux pour créer la bohème et tout juste vingt à des pseudo hipsters pour tout détruire et tout ramener au niveau d’une pub pour des jeans à la mode. » 

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             L’autobio de Marianne est certainement l’un des livres les plus réussis et donc indispensables de la littérature rock. On revisite l’histoire des Stones à travers son regard acéré. Elle réinstalle Brian Jones sur son piédestal. Elle décrit le couple Brian Jones /Anita Pallenberg sous acide à l’Albert Hall comme deux créatures fantastiques enveloppées de plumes, d’écharpes en soie et comme sorties d’un conte de Charles Perrault. À l’époque, Marianne allait souvent à Courtfield Road chez Brian et Anita qui, dit-elle, ressemblaient à two beautiful children qui auraient hérité d’un palais décrépit. « Brian avait des manières très stylées et parlait d’une voix très douce. Il était extrêmement intelligent et s’animait dès lors qu’on lui parlait de choses qui l’intéressaient, comme les trains, les films d’Ingmar Bergman et tout ce qui était magique. » Dans les Stones, Brian avait déjà beaucoup d’avance sur les autres. Alors que Mick et Keith apprenaient à devenir des sex objects, Brian avait déjà deux enfants non reconnus. Il avait aussi un talon d’Achille : il était neurasthénique et hypersensible. Le moindre choc pouvait le foutre en l’air. Grâce à l’acide, cette prédisposition s’aggrava. Sa parano se transforma selon Marianne en full-blown persecution mania. C’est tout de même Brian qui composa « Ruby Tuesday » et son déclin commença, sans que personne ne cherchât à en comprendre les raisons. If you couldn’t get your shit together you didn’t deserve to be there (Si tu ne parvenais pas à faire front, tu ne méritais pas ta place dans les Stones). Voilà en gros la morale de cette histoire.

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             Marianne évoque ses derniers souvenirs de Brian lors d’un séjour à Tanger. Il termina le séjour à l’hôpital avec un bras cassé, car en voulant frapper Anita, il avait frappé de châssis en alu de la fenêtre. Puis tout prit une tournure extrêmement dramatique avec sa mort. « Sa mort me toucha profondément, parce que peut-être je m’identifiais beaucoup à lui. » - He  was the emblematic victim of the sixties, of rock, of drugs, of Mick and Keith. His fate could easily have been mine - Eh, oui, Marianne sait très bien qu’elle aurait pu y passer elle aussi si elle n’avait pas quitté les Stones à temps. Elle conclut en évoquant le Brian Jones angélique qui se métamorphosa en une sorte de dieu Pan bouffi, le visage tordu par une grimace de stupeur permanente. Les conséquences de la mort de Brian sur les Stones allaient être considérables. It had a devastating effect on all of us. Les morts s’en vont, mais les vivants sont damnés, rappelle Marianne. Anita commença à rôtir en enfer, rongée par les remords, et Keith devint Brian, il endossa l’image du falling down, stoned junkie qui titube en permanence au bord de l’abîme. « Mais Keith étant Keith, il était d’une autre nature. Même s’il imita le comportement auto-destructeur de Brian, il ne tomba jamais en ruine. »

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             Magnifique coup de projecteur sur l’intimité des Stones ! Mais le chapitre Keith est encore plus consistant. « Là où Brian était doux, malléable, instable, tout en Keith était anguleux, compact, distinct. Il avait un visage aillé à la serpe, un regard d’éclaireur indien qui voyait tout. Il semblait être ce cavalier mystérieux sorti de nulle part, fascinant, sinistre, déroutant, comme maudit. Il était en outre très bien habillé, capable d’auto-dérision et savait se montrer sardonique. » C’est là où Marianne commence à évoquer la vraie aristocratie de cette époque, celle de Stones. Et elle sait de quoi elle parle, étant elle-même issue de la vieille aristocratie. Elle tombe évidemment amoureuse de Keith, et ils passent une nuit ensemble - It was a wonderful night of sex - Et elle ajoute que ce fut la meilleure nuit de sa vie. Bien sûr, Jagger n’en sut rien et elle put compter sur la discrétion de Keith. La nouvelle ne vit le jour qu’avec la parution de cette autobio. Mais Marianne pense à juste titre qu’elle n’était pas assez glamourous pour Keith. C’est là où il lui révéla que Jagger en pinçait pour elle.

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             On en arrive fatalement à l’épisode de la descente de police à Redlands, à cette légende créée de toutes pièces par les médias, comme quoi Marianne aurait été surprise par les flics avec une barre Mars enfoncée dans le vagin. Bien sûr, elle s’insurge contre ces conneries. Les deux faits marquants de cet épisode sont d’une toute autre nature. C’est en effet le début de la légende de Keith qui au procès, dans le box des accusés, tient tête aux juges avec une belle arrogance et chope trois ans ferme. L’autre fait marquant est la lâcheté d’Andrew Loog Oldham qui, terrorisé, se réfugia à San Francisco pendant toute la durée de cette sombre affaire, ce qui causa la rupture avec Mick et Keith qui pensaient à juste titre avoir été abandonnés (Andrew participa en fait à l’organisation du festival de Monterey avec Lou Adler).

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             Marianne rappelle aussi que Keith enregistrait toutes les lignes de basse pour les Stones. « La seule raison pour laquelle ils avaient Bill Wyman dans le groupe est qu’ils avaient besoin d’un bassiste en tournée. » Elle indique au passage que Let It Bleed est son album des Stones préféré. Tout fan des Stones doit lire le paragraphe qu’elle consacre à cet album. Même chose pour le paragraphe qu’elle consacre à Between The Buttons : the whole album is incredibly vituperative and misogynistic. C’est un éclairage qui balaie toutes les pâles tentatives des rock-critics.

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             Par contre, elle ne dit rien de très spectaculaire à propos de Jagger, hormis le fait qu’elle l’ait quitté car dépendre d’un homme riche ne lui convenait pas. Mais le pire, c’est qu’elle ne l’aimait plus. Elle dit avoir eu de l’empathie pour lui, ce qui n’est pas très charitable. Elle lui fit lire Le Maître Et Marguerite de Mikhaïl Boulgakov, d’où « Sympathy For The Devil ». Elle rappelle aussi qu’à l’âge d’or des Stones, Jagger sur scène était le dancing God, le Dionysus des Stones. 

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             En dehors des Stones, Marianne brosse quelques portraits de premier choix, à commencer par celui d’Andrew Loog Oldham - « Il appelait tout le monde darling, surtout les hommes (...) Andrew était excessif en tout, il dégageait un parfum de menace, de brutalité, quelque chose de terriblement tranchant. » Elle ajoute plus loin qu’à l’époque il se fardait les paupières, ce qui lui donnait un air efféminé, mais ça le rendait encore plus fascinant. Elle parle des Kinks comme d’un groupe gothique, silencieux et inquiétant - Ils ne parlaient jamais. Ils semblaient terrifiés par les autres. Ils se haïssaient les uns les autres, et Marianne ajoute qu’ils traînaient avec eux leurs dysfonctionnements familiaux. Elle se retrouva aussi à l’époque de ses débuts en tournée avec Roy Orbison qui comme toutes les stars américaines, s’octroyait un droit de cuissage systématique sur les petites Anglaises. Le grand Roy apparut un soir à la porte de la chambre d’hôtel de Marianne en boots de cow-boys et lunettes noires - Black shades, vest, polo, tie - «  Il était large, étrange, avec un air triste, il ressemblait à une taupe qui chaussait les boots de Tony Lama. » Roy lui indiqua le numéro de sa chambre et tourna les talons.

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             Elle fait partie des gens qui ont côtoyé Dylan au Savoy Hotel en 1965 - God himself, the hippest person on earth - Elle fait un éloge spectaculaire de Bob - The impeccable motley tailoring, the Spanish boots, the Rimbaud coif, the druggy shades, all that bit I adored. I just found him so daunting: he was a very strange man (Un style de fringues hétéroclite impeccable, les Spanish boots, la coiffure de Rimbaud, les lunettes noires de camé, j’adorais tout ça. Il m’intimidait. C’était un homme très spécial). Et plus loin elle récidive : « Dylan était la voix de Dieu. Mais des tas d’autres gens étaient aussi la voix de Dieu. La première fois que j’ai entendu Aretha, elle était la voix de Dieu. La première fois que j’ai entendu Otis, il était la voix de Dieu. Percy Sledge était la voix de Dieu. Et ils le sont encore, mais ce fut la voix de Dylan qui sortit du buisson ardent. » Une relation va s’établir entre eux, mais à l’époque, Marianne est enceinte et Dylan reviendra vers elle beaucoup plus tard, car bien sûr il la convoitait.

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    Marianne Faithfull dans Lucifer Rising, film de Kenneth Anger

             Encore des portraits stupéfiants, comme celui du fameux Jean De Breteuil qui craignait pour sa vie car il avait fourni le smack qui avait tué Jim Morrison - a small-time heroin dealer in big trouble - ou encore Kenneth Anger, que Marianne roule dans sa farine. Puis Tim Hardin, complètement défoncé jour et nuit on the infamous Brompton mixture - un cocktail d’hero et de coke - It kept him nicely scrambled - et en le voyant dans cet état, Marianne avoue que même si les drogues l’intéressaient, elle ne voulut jamais toucher à celle-là après avoir vu dans quel état elle mettait Gregory Corso et Tim Hardin.  

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             Mais bien sûr, c’est le portait que Marianne brosse d’elle-même qui rend ce livre indispensable. Elle explique à plusieurs reprises sa nature profonde : elle croit toujours que les choses vont s’arranger d’elles-mêmes. Donc, elle ne sait rien de la notion de risque. C’est une forme de candeur exceptionnelle. Question sexe, elle est admirable : Anyway a good fuck just doesn’t do it for me. I need a lot more than that - Oui, Marianne ne se satisfait pas d’un coup de baise. Il lui faut autre chose. Quand elle découvre que Jagger la trompe avec des groupies américaines, elle met un point d’honneur à ne pas réagir - «  Je n’ai jamais rien dit. Se rendre malade à cause des petites coucheries ici et là, c’était alors très démodé et très classe moyenne. » Et quand Jagger voulut la contraindre à l’accompagner dans les dîners mondains, Marianne avalait une poignée de Mandrax et s’écroulait la gueule dans son assiette en plein repas - I took five Mandrax and passed out in the soup - Magnifique, n’est-ce pas ? Après le passed-out-in-the-soup incident, comme elle l’appelle, Jagger cessa de la forcer à l’accompagner. En plus elle ne supportait pas ces gens de la haute, c’était l’enfer - Making small talk with humorless mindless bores was my idea of hell - (Babiner avec ces gens sans esprit, sans humour et mortellement ennuyeux, pour moi c’était l’enfer). Elle ajoute que c’était LEUR enfer et elle préférait trouver un enfer à elle, thank you very much, and I did.

             Marianne se montre impitoyablement intelligente et caustique. Quand elle quitte Jagger et donc les Stones, elle sait qu’elle fait ce qu’elle doit faire, which was to walk before they make me run. Marianne va aller de mec en mec et de drogue en drogue - The whole scene was complete insanity - Puis elle va attaquer la période qu’elle appelle the wall : elle vit dans la rue et pense sérieusement à devenir invisible. C’est une obsession. Une junkie invisible. Elle veut fuir son passé de Baroness’s Daughter, de Pop Star Angel et de Rock Star’s Girlfriend.

             Après bien des années de dérive, Marianne revient à une forme de raison : « Prendre soin de soi et bien agir tout le temps, c’est affreusement niais. Mais sur l’autre voie, il n’existe qu’une seule conclusion, qui est la mort. » Elle revient constamment à l’hero pour expliquer qu’elle ne voulait qu’une chose : ne pas endurer la souffrance morale - I wanted this painlessness all the time - Elle pense donc que la drogue en elle-même n’est pas le propos. Et voilà. Quand on a compris ça, on a tout compris. 

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             Après avoir englouti les deux livres de Marianne, l’idéal serait bien sûr de pouvoir feuilleter A Life Of Records, un très bel album qui retrace en images cette vie exceptionnelle. Comme le dit Salman Rushdie dans sa préface, « c’est une belle histoire, pas vraiment un conte de fées, mais une histoire que William Blake aurait aimé écrire. Il savait lui aussi de quoi était fait le chemin qui va de l’innocence à l’expérience. » Le principe de cet album est simple : Marianne fait un choix d’images et écrit autour pour les commenter. Et ça démarre bien sûr avec les photos d’enfance, de son père Glynn Faithfull, agent secret de l’Intelligence Service pendant la Seconde Guerre Mondiale, et de sa mère Eva Sacher Masoch, petite-nièce de Leopold von Sacher-Masoch, auteur de l’ouvrage La Vénus À La Fourrure. Puis on entre dans les early sixties avec tous ces beaux portraits de la petite blonde de type Mademoiselle Âge Tendre, dont un signé David Bailey. On tombe plus loin sur les images de la romantica avec Jagger, tout ça est très sixties. On trouve juste une toute petite image avec Brian Jones - With Brian near the end - Plus loin, portrait de Marianne par Cecil Beaton - Photograph of me very smacked out - Oui, Marianne n’a pas l’air fraîche, mais quelle classe ! Ce qui frappe le plus quand on revoit les portraits des années soixante-dix, c’est la beauté fascinante de cette femme et principalement son regard. Puis le bal des célébrités, Bowie, Linda & Paul, Iggy et encore une petite image de fête où apparaît Brian Jones barbu, Serge Gainsbourg, the greatest gentleman I ever knew, Ava Gardner, Robert Mitchum, Roman Polanski et Allen Ginsberg. Pas mal, pour une ex-fan des sixties, petite baby doll.

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             Un beau portrait de Marianne ornait la pochette de son premier album, judicieusement titré Marianne Faithfull. En 1965, on fantasmait sur les blondes coiffées comme elle, ou comme Stone, de Stone & Charden. Mais cet album ne fait pas partie de ceux qui iront sur l’île déserte. Loin de là. Marianne tape pourtant dans des compos de Jackie DeShannon et de Burt, deux des plus gros auteurs de l’époque, mais sa voix trop enjôleuse, trop guenièvrée - au sens de la Table Ronde et de l’Holy Grail - ne passe pas. Elle chante du haut d’une glotte sensible qui fait pitié. Sa version du « Down Town » rendu célèbre par Petula ne convainc pas non plus. Elle tape aussi dans le fameux « In My Time Of Sorrow » composé par Jackie DeShannon et Jimmy Page lors de leur amourette londonienne, mais non, on ne peut rien en tirer. C’est la reprise puissante et dynamique d’« I’m A Loser » des Beatles qui sauve ce premier jet. Dommage que tout l’album ne soit pas au niveau de cette pop aérodynamique.

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             Paraît aussi en 1965 Come My Way, un album horriblement folky folkah, comme savent si bien les faire les Anglais. Elle fait sa strange avec « Jaberwoe » et chante « Portland Town » à sa fenêtre, comme la reine qui attend le retour de son époux parti aux Croisades. Oh Marianne peut chanter comme Joan Baez, c’est sûr, mais on bâille aux corneilles. Avec « Down In The Salley Garden », elle prend les gens pour des cons. Sacrée Marianne, elle n’en finit plus d’exprimer ce qui n’est pas le blues. Elle tente de sauver l’album en reprenant le « Black Girl » de Leadbelly, mais elle le massacre. On est trop habitué à la version originale pour tolérer l’intolérable.

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             Son troisième album Go Away From My World paraît la même année. Elle chante toujours d’une voix haute. On sent chez elle les étranges dispositions d’une jeune fille en fleur. Avec « Yesterday », elle tape dans le gros tapable, le gros cousu de fil blanc. Son filet de voix coule comme la semence odorante dans la vallée des plaisirs. Mais on la sent aussi attirée par le médiéval qui fut en Angleterre une véritable calamité. Marianne adore se poster à la fenêtre du donjon pour guetter le retour du preux chevalier Lancelot. On ne risque pas de danser le jerk avec elle. Avec un cut comme « Last Thing On My Mind », elle reste dans le balladif folky-folklo et elle semble s’y complaire. On songe à Sandy Denny et aux futaies tremblantes de Fairport Convention. Arrive enfin un beat en B, avec « Summer Night ». Ouf ! On la croyait perdue. Mais non, elle chante à l’entrain d’un beau mid-tempo londonien. Elle retrouve sa posture d’enchanteuse pour « Mary Ann ». Elle y sonne un peu comme Joan Baez. Il faut admettre que sa chanson est terriblement belle, et même carrément lumineuse. On entend rarement des voix aussi pures, aussi faut-il en profiter. Elle tape dans le beau « Scarborough Fair » de Paul Simon. Les immenses classiques lui vont comme un gant. Marianne est la Guenièvre des temps modernes. Son filet de voix court à travers les bois profonds de Sherwood.

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             Elle est toujours dans sa période folky-folkah lorsqu’elle enregistre North Country Maid en 1966. Elle re-folkyse « Scarborough Fair » qui semble fait pour ça et prend « Cockleshells » d’une petite voix plaintive, accompagnée à l’arpège prudent. Elle chante certains cuts avec la générosité de Joan Baez, avec la même féminité plantureuse. Elle prend « Sally Free And Easy » à la manière d’une folkeuse éperdue et moite, mais beaucoup de chansons nous ramènent au Moyen-Age. Elle finit l’album avec un « Wild Mountain Thyme » extrêmement mélodique qui remonte le moral des troupes.

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             Marianne porte une cravate Elvis sur la pochette de Love In A Mist paru l’année suivante. Comme on se trouve au cœur du Swingin’ London, elle attaque avec une reprise de « Yesterday », puis elle frise le psyché avec « You Can’t Go Where The Roses Go ». Il faut attendre « Don’t Make Promises You Can’t Keep » pour trouver de la viande. Elle jerke bien son cut et un petit solo glougloute de façon intrigante. Elle tente une reprise de « Ne Me Quitte Pas », celui des Parapluies de Cherbourg, pas celui de Brel. Elle est moins pénible que Jane, car elle ne joue pas avec l’accent anglais. En B, elle tape dans « Reasons To Believe » et rend un bel hommage à Rod The Mod. Elle enchaîne avec « Coquillage », l’histoire d’un coquillage ramené d’un long voyage par son bien-aimé. C’est d’une grande tenue mélodique. Elle finit avec un troublant « I Have A Love » qu’elle chante avec une certaine forme de pureté angélique. Elle peut se montrer incroyable, au sens de l’incroyabilité des choses, oui.

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             Lorsqu’elle enregistre Dreamin’ My Dreams en 1976, on constate que sa voix commence à s’altérer. Le morceau titre qui ouvre le bal évoque la valse à deux temps de l’époque des Habsbourg. C’est aussi avec cet album qu’elle commence à se prendre pour une chanteuse de country américaine. Elle tape dans une fabuleuse compo de Waylon Jennings, « This Time » et en fait une belle pop anglaise ambitieuse comme pas deux, hautaine, cuivrée et bien chantée. Autre belle pièce : « Wrong Road Again ». Voilà ce qu’il faut bien appeler une jolie pop de hit-parade montée sur un beat ballochard terriblement efficace. Ça passe pour deux raisons : un, c’est bien chanté et deux c’est terriblement joyeux. Bravo Marianne ! En B, elle tape dans une grosse compo de Jackie DeShannon, « Vanilla O’Lay ». Entre blondes, on s’entraide. Sa mouture se veut fantastique et de belle allure. Marianne dispose d’une voix parfaite qui porte bien. Elle nous livre là un folk-rock d’une élégance affirmée.  

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             Deux ans plus tard sort Faithless. Marianne explique dans son autobio que les morceaux de l’album font partie de l’album précédent, mais la maison de disques fit croire qu’il s’agissait d’un nouvel album. Une fois de plus, son visage en gros plan orne la pochette. On retrouve sur cet album des morceaux de Dreamin’ My Dreams, notamment « Vanilla O’Lay », « Dreamin’ My Dreams » et « This Time ». Alors on se re-régale de « Vanilla O’Lay », beau tempo, belle voix, beau soleil, la rue est chaude, la vie sourit. Marianne abandonne le gothique pour respirer le bon air de la vie. On note que cet album prend une direction country radicale. Elle fait une cover de Bob Dylan, « I’ll Be Your Baby Tonight » et en profite pour partir à la dérive. On retrouve aussi de très jolies choses comme « Wrong Road Again », mais bon, globalement, ça reste gentillet.

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             Broken English reste son album le plus connu et certainement le mieux vendu, car il est gorgé de hits, ces hits qu’on entendait dans les radios FM des années 80 de sinistre mémoire. Le morceau titre et « The Ballad Of Lucy Jordan » sont connus comme le loup blanc des steppes, aussi n’allons-nous pas en rajouter. Idem pour sa version de « Working Class Hero ». On se régale de « Brain Drain », monté sur un joli groove de basse. La bassitude règne en ce beau monde bleuté. « Guilt » nous révèle le penchant désespérément gothique de cette pauvre Marianne. L’avantage est qu’on reconnaîtrait sa voix entre mille. Son timbre n’échappe pas à l’insularité.

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             On retrouve son portrait en gros plan pour la pochette de Dangerous Acquaintances. Elle est d’une beauté tétanisante, avec des petites mèches sur les yeux. Malheureusement, l’album subit les ravages de la prod des années 80. Elle se bat pour ne pas se faire avoir. On trouve en B un balladif d’envergure, « Truth Bitter Truth », cut magnifique - Who dit it ?/ Do I care - cut hanté qu’on réécoute indéfiniment. L’autre beau cut de l’album s’intitule « Easy In The City », troussé à l’anglaise, sur le ton du boogie. Décidément, Marianne résiste bien à la médiocrité des années 80. Son cut se veut solide et bien chanté.

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             Deux ans plus tard paraît A Childs Adventure. Plus de portrait en gros plan, cette fois. Un peintre a badigeonné la pochette. L’ombre de Marianne apparaît en fond. Elle ouvre le bal avec le fantastique « Times Square », un balladif de rêve - Take a walk around Time Square/ With a pistol in my suitcase/ And my eyes on the TV - Admirable car déployé à New York. L’autre très gros cut de l’album se niche de l’autre côté : « Ireland ». Elle rend un hommage magnifico à l’Irlande - The people who can laugh and drink/ And see things you have not seen - Et elle envoie les cornemuses dans le refrain - Ireland Ireland/ When will you be free - Quelle aisance ! On sent bien qu’elle est la seule en Angleterre à pouvoir sortir des cuts aussi monumentaux. Elle termine ce bel album avec un cut bien sombre, « She’s Got A Problem ». Elle sait plomber un ciel - When I take my last ride/ Down the big dipper slide/ Will I care will it matter/ If the world should say/ She had a problem - Assez déchirant. Oui, she had a problem.

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             Étrange album que ce Strange Weather paru en 1987. Un portait pensif de Marianne orne la pochette. Cet album est dédié à Howie, le camé bostonien avec lequel elle vécut un peu et qui finit par se jeter d’une fenêtre du 36e étage. Elle tape dans Kurt Weill avec « Boulevard Of Broken Dreams ». Elle nous régale avec « Yesterdays », un fantastique mélopif nocturne plein d’allant décadent et absolument superbe de perdition et de mélancolie. Doctor John accompagne Marianne sur « Love Life And Money ». Bienvenue au Casino Royale ! Et voilà que Robert Quine fait une apparition sur « I’ll Keep It With Me ». Du coup, le morceau se veut suspensif et Mariannne chante avec un feeling terriblement brisé. On retrouve nos deux invités de marque sur « Hello Stranger », compo signée Doc Pomus/Mac Rebennack. Marianne chante ça sous le boisseau du groove et nous entraîne dans le doux parfum de l’intimisme. Elle tape aussi dans « As Tears Go By ». On croirait que ce vieux hit fut écrit pour elle, car ça sonne comme du sur-mesure. Elle termine avec une fascinante confession, « A Stranger On Earth », qu’elle prend une fois de plus au feeling brisé. Unique au monde - Now I’ll be living the best I can/ Even since my life began.

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             Paru en 1990, Blazing Away est une sorte de Best Of live. Dr John accompagne Marianne au piano. Le hit de l’album est « Times Square », fantastique balladif chanté à la tripe. Elle fait aussi deux clins d’yeux aux Stones, d’abord avec « Sister Morphine » - qu’elle a composé, mais les Stones se sont attribué le crédit - Oui, l’here I lie in my hospital bed qu’on a tous chanté à l’époque, et ce cut a dans la voix de Marianne beaucoup plus de profondeur - Oh you see I’m not that strong - Elle semble souffrir pour de bon. Puis « As Tears Go By », où Garth Hudson l’accompagne à l’accordéon. On se croirait dans un bordel d’Amsterdam. On atteint là le summum de la décadence. Elle rend aussi hommage à John Lennon avec « Working Class Hero ». Elle attaque l’album avec « Les Prisons Du Roi », dans une atmosphère à la Walt Disney et elle chante en français - Messire dites-moi pourquoi ont-ils fait ça/ Est-il vrai qu’il ne viendra plus jamais ? - Avec « Why’d Ya Do It », elle mène le bal des vampires. Fantastique énergie ! C’est explosé aux trompettes. Le morceau titre tient les muqueuses en éveil. Elle chante d’une voix humide et belle, d’une voix de rouge à lèvres. Elle est somptueuse de féminité. On se sent de mieux en mieux en sa compagnie.

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             Elle revient aux affaires cinq ans plus tard avec A Secret Life et du sex dans « Love In The Afternoon », joué au vieux groove de basse. Elle allume bien. Le soir tombe - Let’s make love again/ We got time - Elle protège son partenaire - Don’t fall in love with me - Elle s’inscrit si bien dans la réalité - Thanks for loving me - Extraordinaire présence. Quelle femme ! L’autre merveille de cet album s’intitule « Bored By Dreams ». Elle lâche des trucs terribles - Toujours dire la vérité/ Quand je suis lasse des rêves - Et elle passe plus loin une formule terrible - After a certain age/ Evening works with injury - Tout aussi étonnant, voici « Losing », un fantastique règlement de comptes - Fighting hard and losing - Elle veut dormir, il rêve et il perd. L’autre merveille de cet album, c’est « She », merveilleusement chanté, un sommet de l’art vocal féminin. Elle est accompagnée à la mandoline des gondoliers. Pour une fois, c’est doux et non torturé.

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             Un an plus tard paraît 20th Century Blues, un album de chansons allemandes signées Kurt Weil. Elle y fait une reprise superbe de « Mack The Knife », chanson d’espoir bâtie sur une ode à la mort - Who’s the man cruisin’ in the corner - Elle atteint là une dimension mythologique. On trouve aussi sur ce disque « Alabama Song » - Show me the way to the next whisky bar - jadis repris par Jimbo, « Want To Buy Some Illusions », jadis repris par Marlene, « Boulevard Of Broken Dreams » - And Gigolo and Gigolette/ Wake up to find their eyes are wet/ With tears that tell of broken dreams - Elle est obsédée par les broken dreams, ça se voit. Elle est parfaite dans le rôle de Gigolo et Gigolette. Elle fait une magnifique version de « Complainte De La Seine » - Au fond de la Seine il y a de l’or/ Des bateaux rouillés des bijoux des armes - Elle fait aussi une fantastique version de « Mon Ami My Friend » - My Madeleine of Paris/ She was a nurse she’s now a prostitute - et elle prend « Falling In Love Again » au charme pur - I’m too much sentimental/ Perhaps it’s occidental - et puis forcément, elle tape dans le fabuleux « Surabaya Johnny » - You said a lot Johnny/ A big lie Johnny - Mais elle l’aime encore - My God I still love you so - Voilà certainement l’un des plus grands albums de Marianne. 

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             On retrouve des chansons de Kurt Weil sur The Seven Deadly Sins, notamment « Alabama Song », où elle fait sa décadente supérieure. Sur tout l’album, elle chante à l’ambivalence d’une langue étrangement fourchue, enfin qui fourche - Love is tough - Elle sait de quoi elle parle. Elle vaut bien tout Fassbinder et tout le Cabaret de Bob Fosse.

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             Rich Kid Blues est un album de reprises qui parut en 1999, après avoir failli disparaître. Marianne l’enregistra dans les années soixante-dix, à l’époque où les singers-songwriters étaient encore à la mode, quand soudain apparut le glam. Comme son producteur était aussi celui de Gary Glitter, l’album fut jeté aux oubliettes. Joli portrait de Marianne sur la pochette : « La photo me montre comme j’étais à cette époque, pâle, maigre et malade. Je ressemblais à la mort. » Avec le recul, elle trouve sa voix très faible, it’s the voice of somebody incredibly high, probably on the edge of death, oui Marianne était à l’époque complètement défoncée, pas loin de la mort. Johnny Thunders sounds like that, ajoute-t-elle. Elle rend deux hommages vibrants à Dylan : une reprise de « Visions Of Johanna », lumineuse et bien dans l’esprit de la version originale, et « It Takes A Lot To Laugh It Takes A Train To Cry », purement fantastique. Le morceau titre est un hit de Terry Reid qu’elle prend à la glotte funèbre et aux syllabes tremblées. Elle chante « Sad Lisa » dans la posture d’une statue de sel et revient à son fucking Moyen-Age. Puis elle rate complètement sa version d’« It’s All Over Now Baby Blue ». Elle ne parvient pas à transcender le Phil Ochs de « Chords Of Fame » et elle revient se réfugier dans les bras de George Harrison avec « Beware The Darkness », mais elle est trop ralentie pour égaler la finesse de George. Elle fait sonner le « Mud Slide Slim » de James Taylor comme du Bobbie Gentry. Au moins, elle s’y retrouve, elle renoue avec le vieux groove d’acceptation.

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             Vagabond Ways is quite a dark record - which is my speciality as I do dark quite well ! - Oui, elle s’y connaît en dark. Marianne attaque cet album sombre avec le morceau titre - Oh doctor please ! I drink and take drugs/ I love sex and I move around a lot - C’est une vraie Rolling Stone, n’est-ce pas ? Elle enchaîne avec un truc co-écrit avec Roger Waters, « Incarceration Of A Flower Child ». Elle entre dans le grand appareil avec une voix de hanteuse patentée - In the haze of good dope & cheap wine - Elle enchaîne avec un « File It Under Fun From The Past » où elle sonne comme Nico, très sculpturale. On tombe plus loin sur un « Marathon Kiss » excellent - Chemichals flying/ Oh I love this - On a là une fabuleuse virée de romantique friquée - I cross the floor and I am high and I am rich/ When I’m under your lips and your fingertips - Fabuleux. On a encore des paroles fantastiques dans « For Wanting You » (Bernie Taupin), qu’elle place avec délectation - We do things because we must/ The law of love and lust/ Come together just like oil on flame - Et là, on s’éprend véritablement de la façon dont elle manie la diction. Elle chante en effet avec un style tellement distingué qu’il semble unique. Dans « Tower Of Song » (Leonard Cohen), elle parle à Hank Williams - Hank Williams hasn’t answered yet/ But I can hear him coughing all night long/ Oh, a hundred floors above me/ In the Tower of Song - De l’admirabilité des choses, vraiment.

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             Nous voilà rendus en 2002 pour l’arrivée de Kissin Time et de sa pochette ornée d’une peinture abstraite. Elle indique dans ses souvenirs que c’est l’album le plus rétro-sixties qu’elle ait fait. Le fameux « Sex With Strangers » fait l’ouverture. Voilà de la bonne electro - It’s time for sex with strangers - Cut de sex club. Elle chante « The Pleasure Song » d’une voix de mère maquerelle et reste dans l’electro, certainement la meilleure du coin. Et voilà l’hit de l’album, « I’m On Fire ». Billy Corgan l’accompagne - And love did come/ In such disguise/ That I could hardly recognize - Marianne monte au sommet de son art décadent et ça devient énorme - High heels allure ideal and not much fear - Elle raconte sa vie de femme blessée et c’est franchement extraordinaire. Elle rend aussi un hommage bouleversant à Nico avec « Song For Nico », accompagnée par Dave Stewart à la basse - And will Delon be still a cunt - Oh, encore une énormité avec « Slidin’ Through Life On Charm » - If Marianne was born a man/ She’d show you all/ Away to piss your life against the wall - Elle est accompagnée par Jarvis Cocker - I never got my royalties oh no - Pur génie d’élévation. Paroles démentes. Elle termine avec une reprise d’un vieux hit de Goffin & King, « Something Good » et le transforme en hymne des Modernists. Elle en fait de la magie pure, oh oh, avec Billy Corgan. Cet album compte parmi les très grands disques de rock anglais.

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             Deux ans plus tard sort Before The Poison. On y trouve deux belles énormités, à commencer par « My Friends Have », du gros rock anglais gratté à la dure par la copine PJ Harvey - Yeah you’re all fiends of mine - Marianne ensorcelle. On reconnaît bien le gratté à vide de PJ. L’autre énormité s’intitule « Desperanto ». Il s’agit d’une grosse opération de Soul funk ultra compressé. Elle chante à la surface de la sur-pression. Ça lui va comme un gant. Nick Cave produit le cut. On tape là dans une sorte d’extrémisme - It’s in your heart and everywhere - Nick Cave gueule dans les chœurs. On a un pounding énorme - Everybody loves my baby ! - C’est carrément noyé dans le stomp du son. Oh il faut aussi écouter le morceau titre qui dégage un fort sentiment de malaise. PJ gonfle les voiles de ce cut trop atmosphérique et on s’y perd. On assiste à une succession d’explosions, mais la PJ, elle adore ça. Quant à « Crazy Love », Marianne l’a basé sur Les Enfants du Paradis. Un DVD accompagne le disque. On y voit l’extrait d’un concert de Marianne à Hollywood. Elle porte un pantalon et une veste de smoking. Elle chante six chansons dont l’inévitable « Broken English » qu’on a trop entendu à la radio. Sur scène, Marianne commet une petite faute : elle ôte son veston. La voilà en chemiser blanc sans manches, les bras nus. Et c’est pas beau, même quand on l’idolâtre.

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             Paru en 2008, Easy Come Easy Go est un double album augmenté d’un docu. Le docu est nettement plus intéressant que le concert filmé à Hollywood. C’est un film de Mondino et Marianne commente quelques chansons de ce nouvel album de reprises. Elle démarre avec l’excellente reprise du « Ooh Baby Baby » de Smokey Robinson, puis elle explique pourquoi elle a craqué pour des chansons comme « Down From Dover » (Dolly Parton), « Sing Me Back Home » (Merle Haggard) et là elle raconte une petite anecdote. Elle demanda à Keith s’il voulait bien l’aider pour cette chanson, et elle reçut un fax de lui disant : « I’ll do it for you if you do it for me ». Et Marianne ajoute : « Which is Sing Me Back Home, and I wrote back saying : Of course I will. You can depend on that. I’ll do anything for you ». Keith est probablement le mec qu’elle a le plus aimé dans sa vie. On la voit aussi chanter « Solitude » en hommage à Billie Holiday et « Somewhere » de Bernstein sur lequel vient duetter Jarvis Cocker. Le producteur ajoute : « Every emotion is in the song ! ». Si on aime bien Marianne Faithfull, il est recommandé de voir ce film, car on voit la chanteuse à l’œuvre en studio, et ça ne trompe pas. Elle est tout simplement géniale.

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             Retour au double album : trois merveilles absolues se nichent sur le disk 1. « Hold On Hold On » arrive avec un son énorme - In the end I was the mean girl/ Or somebody in between girl - Elle chante à fond et Sean Lennon l’accompagne à la guitare. « Children Of Stone » sonne comme un mélopif de désespoir embrumé. Elle est parfaite dans ce rôle - Our chemicals devotions in the night - Il règne là une fantastique ambiance décadente - Crown of creation bring me into light - Elle évoque l’intensité des hallucinations. Ses syllabes traînent en chemin, chargées du poids de la connaissance. Avec « In Germany Before The War », elle revient à son vieil amour, Kurt Weil. Mais elle regrimpe dans les hauteurs avec « Oooh Baby Baby », accompagnée par Antony. Oh la précision du chant ! C’est bien le hit Soul que reprenait Todd Rundgren dans A Wizard A True Star - I did you wrong/ My heart went out to play/ And in the game I lost you/ What A PRICE TO PAY ! Ouuuuuh-ouuuuh baby baby - et ça se muscle à outrance. Elle revient avec un couplet tellement démentoïde qu’elle surpasse la version du Wizard. Eh oui, ça peut sembler bizarre, mais c’est pourtant vrai. Le disk 2 est aussi intense. Elle y reprend le « Somewhere » de Leonard Bernstein en duo avec un Jarvis Cocker qui réprime ses ardeurs avec beaucoup de courage. Marianne chante aussi « Salvation » avec du fatalisme plein la bouche. Elle demande : Do you feel alive ? Puis elle prend « Black Coffee » au bar blues de la 25e heure. Elle fait ensuite une reprise de Judee Sill, « The Phoenix », folky endiablé, et des filles font de chœurs admirables. Avec « Dear God Please Help Me », elle fait une prière d’église et c’est gratté par un certain Marc Ribot. Elle termine avec « Flandyke Shore », et de la décadence britannique plein la voix - Never to return to England no more - Extravagant !

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             Sur la pochette de l’album Horses And High Heels, on peut voir un beau cheval trotter dans les vagues du paradis. Nous voilà avec un double album sur les bras et une palanquée d’invités prestigieux. En plus, Marianne propose un incroyable choix de chansons. Elle sonne maintenant comme Nico. Elle attaque avec une compo de Mark Lanegan, « The Stations » et plante le décor : nous voilà transplantés en plein Southern Gothic. S’ensuit un cut co-écrit avec Voulzy, « Why Did You Have To Part », et ça vire forcément poppy. Elle redresse la barre avec un « No Reason » signé Jackie Lomax. Wayne Kramer vient gratter ses poux sur cette belle pop inspirée par les trous de nez. Le Meter George Porter bassmatique avec la classe que l’on sait. Wonderful Marianne, la voilà revenue dans les conditions optimales et exclusives. Elle attaque sa B avec « Prussian Blue », un balladif avantageux extrêmement bienvenu qui la gante si bien. Elle se repose sur l’ampleur de ce balladif noyé d’orgue Hammond et elle injecte là-dedans toute la nonchalance dont elle est capable. S’ensuit « Love Song », une compo de Lesley Duncan qui, comme bon nombre de compos de Lesley Duncan, refuse obstinément de décoller. En C, elle tape dans Allen Toussaint avec une reprise de « Back In Baby’s Arms » et Doctor John l’accompagne. On note aussi la présence de Lou Reed. Alors voilà, on se régale du joli groove de la Nouvelle Orleans avec des chœurs de rêve. Admirabilité garantie et sincérité du groove de basse endémique.

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             Un magnifique portrait de Marianne enfumée orne la pochette de Give My Love To London. Il est certain qu’à présent Jagger doit regretter de l’avoir perdue. Car Marianne est restée une très belle femme. On trouve deux énormités sur cet album. Tout d’abord le morceau titre, de très haut niveau structuraliste. C’est le genre de disque dont on ne pourrait pas se passer, d’autant que Steve Earle, Warren Ellis et Mick Jones font partie de l’aventure. On assiste avec ce cut à un fantastique paradigme musical - Paradise to hall boy - C’est du pur jus de décadence stompé à la bonne franquette. L’autre gros cut est la cover du vieux hit des Everly Brothers, « The Price Of Love ». Elle en sort une version pleine d’allant et bien chargée de la barcasse. Voilà ce qu’on appelle une vraie prod. On croise aussi d’autres belles choses sur cet album, comme « Sparrows Will Sing », doté d’une ambiance épaisse et garanti pur jus. Elle fait ramper sa voix de duègne. Elle a connu tous les règnes et elle éclate au sommet des remparts. Elle chante avec l’éclat des vieilles aristocrates qui ont tout vécu, et elle en a largement les moyens. C’est quasiment spectorien. Elle en use et elle en abuse. Jim Sclavunos vient jouer sur « True Lies » et Marianne tape dans Nick Cave avec un « Late Victorian Holocaust » lugubre, historique et chargé des tourbillons de la peste. Et puis il faut écouter « Going Home ». Pourquoi ? Parce que Brian Eno transforme ce cut en envoûtement. Elle termine avec « I Get Along Without You Very Well ». Elle règle ses comptes de vétérante du Swingin’ London. Ça commence à dater et à puer la décadence, la vraie, celle des choses et du temps.

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             L’album No Exit paraît en 2016. Il s’agit d’un album live proposant une belle sélection de cuts, dont une magnifique reprise du « The Price Of Love » des Everly. C’est joliment instrumenté, tapé au son lourd et sourd, et chanté à la Faithfull, avec toute la décadence qu’on peut imaginer. En B, on trouvera une belle version de « Sister Morphine », avec le doctor who has no face et elle lui lance : I’m just trying to score, comme elle l’a fait toute sa vie. Un certain Rob McIvey passe un joli solo. Il crée une dépression atmosphérique qui avale tout le son ainsi que toute la légende. Puis Marianne retourne se vautrer dans le lugubre pathos de Nick Cave avec « Late Victorian Holocaust » et elle reprend ce bon vieux « Sparrows Will Sing » de Roger Waters qu’elle semble tellement apprécier.

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             Nouveau coup de Trafalgar avec le livre-album Negative Capability. Chaque texte de chanson est illustré d’une photo. Marianne porte du rouge à lèvres sur la pochette et brandit une canne à pommeau d’or. Elle propose ici un bel ensemble de reprises, à commencer par l’« As Tears Go By » d’antan. La photo qui accompagne le texte est celle d’un mur auquel se trouvé punaisé le portrait de William Burroughs. Comme ses amis ont insisté pour qu’elle rechante ça, elle y shoote la meilleure dose de décadence qu’on ait entendue depuis Kevin Ayers. Alors c’est forcément mythique. Il y a même quelque chose de juvénile dans cette vieille glotte flappie. Autre cover de choc, l’« It’s All Over Now Baby Blue ». Elle est sans doute l’une des mieux placées pour saluer le génie du jeune Bob Dylan. Elle en bouffe la moindre syllabe, elle crunche le chocolat de la légende. C’est assez magnifique, elle va chercher son empty-handed painter from your streets si bas. Warren Ellis joue du violon. Qui peut résister à un coup pareil ? D’ailleurs, ça ne viendrait à l’idée de personne. Elle monte encore d’un cran dans la mythologie avec « They Come At Night » co-écrit avec Mark Lanegan. Elle se mêle de politique et d’heavy sludge, avec des bombs exploding in Paris Terror in Paris/ The future is here - Elle fait régner sa terreur, it’s not a game, et développe une étrange puissance. Venant d’une mémère, ça peut déconcerter, car elle entre dans la violence du délinquant suprême, Lanegan, et élève considérablement le niveau du genre. Avec « Don’t Go », elle revient à ses rêveries avinées de fond du lit, elle chante ça à la glotte éteinte. Seule une lady comme elle peut se permettre de chanter à la glotte éteinte. Elle supplie un amant de ne pas partir. C’est d’une désespérance ultime - But please don’t go baby/ Don’t go too soon - Mais curieusement, les cuts écrits avec Ed Harcourt ne fonctionnent pas. Elle chante « No Moon In Paris » avec une diction de baleine échouée, elle fait ce qu’elle peut pour sauver le cut, mais elle sait très bien la différence qui existe entre l’hit et le no-hit. Il est vrai qu’aux portes de la mort, cette différence n’a plus guère d’importance. Elle fait son job et raconte qu’elle a vu the moon in Brazil and in Morroco. Mais il n’existe pas de moon in Paris. Elle tape aussi dans le « Loniest Person » des Pretties. Voilà qui va en fasciner plus d’un. Elle l’attaque d’ailleurs avec une ferveur très britannique, mais ça ne marche pas. Oh il faut aussi l’entendre chanter « Misunderstanding » d’une voix d’outre-tombe - Misunderstanding is my name - Elle va jusqu’aux portes de la mort et jette dans la balance toute sa mélancolie de fin de vie - Only you have such allure - Il faut voir comment elle prononce son alliore. Elle chante le « The Gypsy Faerie Queen » de Nick Cave d’une voix éclairée de l’intérieur. Warren Ellis fait de beaux backings derrière le voile de mélancolie. Puis on la voit peser de tout son poids dans « It’s My Own Particular Way ». La chose monte comme la marée - It’s taken me a long time to learn/ It took my whole life so far - Elle tire des conclusions aristocratiques, elle veut qu’on lui envoie quelqu’un qui l’aime, comme le demandait Percy Mayfield. On entend des chœurs de goules - In my own particular way/ Capable of living in my own particular way - Warren Ellis s’en vient profiler « Born To Live » à la flûte et nous plonge dans une antiquité de no way out à la Marcel Schwob. Elle plaque ses syllabes au sol, elle cloue ses chouettes sur les portes des églises et la beauté glisse enfin dans la tombe. Si on aime la décadence, alors il faut écouter « Witches Song », elle y ramène la décadence dans l’essence du génome - Let the great one know what it is we want - C’est effarant de no way out, elle plane sur la terre comme l’ombre du vampire, c’est long et lourd, joué au violon de la mort qui tâche - If there’s to be a mariage/ Beneath/ Con/ Tempt - Amen.

             Quelle vie extraordinaire que celle de Marianne Faithfull ! Dans son autobio, elle rappelle qu’elle préfère nettement les amants cultivés. Lorsqu’elle passe sa nuit avec Keith, elle lui demande ce qu’il pense de l’Holy Grail - What do you think ever happened to the Holy Grail ? - Et Keith lui répond - Christ, Marianne, are you still tripping ? - Quelques décennies plus tard, quand Marianne entre en rehab et décroche pour de bon de l’alcool et des drogues, elle appelle Keith pour lui annoncer la bonne nouvelle. Il y a un petit blanc au téléphone et Keith répond - Ah, Marianne, but what about the Holy Grail ? »

             Qu’on ne s’étonne pas si la légende du rock reste le domaine réservé des gens supérieurement intelligents. D’ailleurs Marianne termine son autobio en donnant la recette du poulet à l’ail et au citron.

    Signé : Cazengler, fesse-full

    Marianne faithfull. Disparue le 30 janvier 2025

    Marianne Faithfull. Marianne Faithfull. Decca 1965

    Marianne Faithfull. Come My Way. Decca 1965  

    Marianne Faithfull. Go Away From My World. London Records 1965

    Marianne Faithfull. North Country Maid. Decca 1966

    Marianne Faithfull. Love In A Mist. Decca 1967

    Marianne Faithfull. Dreamin’ My Dreams. NEMS 1976 

    Marianne Faithfull. Faithless. Eurosdic 1978  

    Marianne Faithfull. Broken English. Island Records 1979

    Marianne Faithfull. Dangerous Acquaintances. Island Records 1981

    Marianne Faithfull. A Childs Adventure. Island Records 1983

    Marianne Faithfull. Strange Weather. Island Records 1987

    Marianne Faithfull. Blazing Away. Island Records 1990

    Marianne Faithfull. A Secret Life. Island Records 1995

    Marianne Faithfull. 20th Century Blues. RCA Victor 1996

    Marianne Faithfull. The Seven Deadly Sins. RCA Victor 1998

    Marianne Faithfull. Rich Kid Blues. Diablo Records 1999

    Marianne Faithfull. Vagabond Ways. Instinct Records 1999

    Marianne Faithfull. Kissin Time. Hut Recordings 2002

    Marianne Faithfull. Before The Poison. Naive 2004

    Marianne Faithfull. Easy Come Easy Go. Naive 2008

    Marianne Faithfull. Horses And High Heels. Naive 2011

    Marianne Faithfull. Give My Love To London. Naive 2014

    Marianne Faithfull. No Exit. Veryrecords 2016

    Marianne Faithfull. Negative Capability. Panta Rei 2018

    Marianne Faithfull. Memories Dreams and Reflections. Harper Perennial 2007

    Marianne Faithfull. Marianne. Penguin Books 1995

    Marianne Faithfull. A Life On Record. Rizzoli International Publications

     

     

    L’avenir du rock

    - Dans le Belair du temps, mais rien sur Robertas

             Avec son air con et sa vue basse, l’avenir du rock n’inspire rien de bon chez ses concitoyens. C’est sa façon de brouiller les pistes. Personne ne se doute qu’il est un grand collectionneur. Oh il n’a pas les moyens de collectionner les toiles de maître ou les disques rares, il se contente de collectionner les oxymores et les paradoxes. Ça ne coûte rien, ça ne mange pas de pain et ça ne prend pas de place. En somme, la collection idéale. Si l’avenir du rock t’a à la bonne et qu’il t’invite à boire le thé, il profitera certainement de l’occasion pour te présenter les fleurons de sa collection. À commencer bien sûr par ‘le silence étourdissant’, suivi du fameux ‘soleil noir’ qu’on croise parfois dans le rock, mais il en invente aussi, par exemple ‘l’avis de la mort’ dont il est très fier. Il va aussi transformer le clair obscur en ‘obscur clerc de nos terres’ et ‘l’effroi voluptueux’ de Flaubert en ‘beffroi voluptueux’. Il fait claquer ses syllabes comme le fait l’immense Fabrice Luchini lorsqu’il déclame les vers de Victor Hugo. L’avenir du rock croque un biscuit, croutch, et reprend sa course folle. Il aime bien le ‘doux-amer’ mais lui préfère ‘la mer douce’, et il n’hésite pas à transformer le ‘violent paradis’ de Rimbaud en ‘violet paradigme’.

             — Comment ça ?, s’étonne-t-on... 

             L’avenir du rock trempe son biscuit et rétorque sèchement :

             — A-t-on déjà vu un paradigme violet ? Ça n’existe pas ! Pas plus que la mer douce. Pas besoin de sortir de Saint-Cyr pour savoir qu’elle est salée, foutrebleu !

             Et il repart de plus belle avec les ‘fleurs du mâle’, il s’étouffe à moitié avec ses biscuits, il crache par terre, rrrrrr spllllshhh, et en levant soudainement les bras au ciel, il arrose le plafond de thé...

             — Et ça, les ‘splendeurs impavides’, pas mal hein ? Les ‘fabuleux désastres’ ! Les ‘monstrueuses petitesses’ ! Mais le joyau de ma collection, c’est un paradoxe qui vaut bien le paradoxe de Zénon que m’expliqua jadis mon ami Damie... Écoutez bien : le paradoxe de Belair Lip Bombs et Las Robertas... Je vais de ce pas vous l’expliquer. 

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             Le phénomène est assez rare pour qu’on s’y penche : deux groupes à l’affiche, The Belair Lip Bombs en première partie, et Las Robertas ensuite. Les Belair du temps volent le show, mais leur album ne vole pas haut, et Las Robertas tournent en rond sur scène alors qu’un de leurs albums te claque bien le beignet. Double renversement de situation. L’avenir du rock raffole de ce genre de paradoxe : des groupes sont bien meilleurs sur scène qu’en studio et inversement. Rentrons dans les détails.

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             Les Belair du temps nous viennent de Melbourne et sortent à peine de l’adolescence. Une petite gonzesse gratte et chante (Maisie petite souris) et à sa droite, un riffeur intrinsèque gratte des poux virulents (Mike Bradvica). Il sort un son extrêmement agressif sur sa Jaguar. La viande du groupe, c’est lui. And what a viande ! Il est de l’école des Santiago et des franc-tireurs, il joue tout en embuscade avec une morgue ahurissante. C’est un bonheur que de voir ce petit Aussie gratter ses poux. Il ne couvre pas le son, mais il le nourrit de l’intérieur, il rocke le boat des Belair du temps. Bon tu mets un peu de temps à entrer dans leur danse.

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    C’est toujours un peu la même chose, lorsque tu découvres un groupe, tu cherches tes marques pendant que le groupe cherche les siennes. Comme en plus ils sont très jeunes, tu ne leur accordes pas tout de suite le crédit qu’ils méritent, tu juges et parfois tu condamnes, le proc qui est en toi prend le dessus, et t’as du mal à lui faire fermer sa gueule, car qui es-tu donc pour oser juger ? Pour oser condamner ? Mais le fond du problème n’est pas là. T’as vu des milliers de groupes sur scène et tu préfères ceux qui t’embarquent dès les premiers cuts. Mais il y aussi ceux qui finissent par t’avoir en beauté et les Belair du temps, c’est exactement ça : ils finissent par t’avoir, leur set monte en température et ils entrent en toi comme jadis Alexandre entrait en ville conquise, et là tu les ovationnes, car leur final est spectaculairement bon, premier clou «Say My Name» et deuxième clou «Don’t Let Them Tell You It’s Fair».

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    Maisie petite souris rocke le boat elle aussi, jambes écartées, tournée vers Brad le killer qui n’en finit plus de gratter ses poux incroyablement toxiques. Ils ont tout compris. Son, compos, présence, influences, il ne manque rien. Le monde leur appartient. C’est l’image qu’ils vont laisser.  

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             Bon alors, l’album ! Parlons-en ! Il s’appelle Lush Life et il porte bien son titre, vu qu’on les voit tous les quatre en bonne santé et frais comme des gardons sur la pochette. Dès «Say My Name», Mike Bradvica ramène sa petite niaque de poux à la Joey Santiago, et Maisie petite souris chante d’une voix plus ferme que sur scène. C’est Brad qui fait la pluie et le beau temps dans le Belair du temps. Mais ça va très vite se dégrader, avec «Gimme Gimme» qui sonne très Talking Heads. Dommage. D’autres cuts suivent et ne fonctionnent pas. Cette pop est trop typée indie, t’as déjà entendu ça 10 000 fois. Rien à en tirer. Ils bouclent leur balda avec un «Easy On The Heart» d’étudiant attardé. Ils ont 10 000 fois plus de punch sur scène. On espérait retrouver ce punch sur l’album. Tintin ! La prod est complètement foireuse. Molle du genou. Encore un album massacré par un pseudo-producteur qui n’a rien compris au groupe. Ça repart en B avec «Look The Part». La voix de Maisie petite souris finit par agacer. Ça coince. Elle se prend trop au sérieux. Elle vise la voix de femme mûre. En studio, ils perdent tout leur suc pixique, toutes leurs inflexions, toute l’agressivité du jeu de Brad. On ne l’entend même plus, alors que sur scène, il est fabuleusement proéminent. «Things That You Did» est encore très poppy et pourtant presque beau, comme chargé d’espoir, avec un goût certain pour l’azur. Ils terminent avec «Lucky Nine» et une certaine bravado, puis un «Suck It In» assez punchy. Ce sont les pics du set. 

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             Et voilà le contre-exemple : Las Robertas, une fière équipe basée à Costa-Rica. Deux petites gonzesses au-devant de la scène, un hippie dévolu qui gratte sa douze, un autre gratouilleur de l’autre côté, un bon beurre et un excellent bassmatiqueur. Il joue au fond, mais il est assez proéminent. Ils ont un son plus psyché, qu’on ira situer du côté des petits Jesus et du Brian Jonestown Massacre dont ils reprennent le «Fingertips». Mais ça ne décolle pas. On entendra même des gens dire au sortir que «c’est toujours un peu le même morceau».

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    Effectivement, la belle brune qui s’appelle Mercedes Oller gratte toujours les mêmes accords, les ré, les mi, les la de «Darklands» et d’«Happy When It Rains» et les tempos veillent à ne jamais s’emballer. Las Robertas cultivent le doux ronron psychédélique, et en concert, c’est extrêmement dangereux. Il faut s’appeler Stephen Lawrie ou Anton Newcombe ou encore William Reid pour réussir à créer du schlouffff avec du schlaffff. Rien n’est plus difficile. Les cuts sont lourds et il faut savoir les arracher du sol. L’hippie dévolu fait des miracles sur sa douze, mais ça ne suffit pas. On a encore dans l’oreille le punch des Belair du temps, et on aimerait bien voir Las Robertas rocker le boat, mais ce n’est pas leur propos.

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    Ils ne démordent pas de leur vitesse de croisière. Ils créent leur monde, mais ils ne créent pas de magie. Ils ne génèrent pas d’enthousiasme. T’as déjà entendu 10 000 groupes sonner comme Las Robertas et ils n’assouviront pas ta faim de nouveauté. Leur son est beau, mais tragiquement classique. Tu dois faire contre mauvaise fortune bon cœur. Quand tu commences à recourir à ce genre de petites formules à la mormoille, c’est mauvais signe.

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             Alors le lendemain, t’écoutes l’album que t’as ramassé au merch, Waves Of The New. Et là, boom ! Tu tombes de ta chaise. Tu te relèves. Le jour et la nuit ! Explosif en studio, et ronronnant sur scène. L’antithèse des Belair du temps. Te voilà avec un big album dans les pattes. Wow Michele ma belle !  These are words that go together well. Sur Waves Of The New, ils ont 10 000 fois plus de son qu’ils n’en ont sur scène. C’est ultra-chargé de la barcasse, «Not Enough» sonne comme une bonne aubaine sonique. Michelle ma belle est bien dans le mood. Mais c’est Sonya Carmona qui vole le show à la basse pouet pouet sur «Flower Child». Tout est bien tendu sur le fil. Pas d’hit mais du son. Ça te cale bien l’estomac. Sonya Carmona fait encore des siennes sur «Sun Haze». Elle déroule tout le bazar. C’est pas très loin des Breeders, côté chant. Les cocotes de Cotas-Rica sont magnificotes. Cet album est le parfait contre-exemple de celui des Belair du temps. Et pouf, Sonya Carmona attaque «The Feel» à la basse fuzz ! Et elle claque un solo de basse, eh oui, amigo, ils tentent le coup, comme le fit Chopper Franklin dans les Cramps. Fantastiques dynamiques de rêve ! Elle refait un carton sur «I Wanna Be Like You». Sonya Carmona monte son bassmatic en neige, re-claque un solo de basse et te laisse comme deux ronds de flan.

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             Comme t’as flashé sur Sonya Carmona, tu rapatries l’album suivant, Love Is The Answer. Pas de pot, elle a disparu. Par contre, tu retrouves la formation vue sur scène ET toute la fâcheuse indolence du set. Michelle ma belle et ses amis recyclent tout le shoegaze des années d’ennui. Ça tartine par-dessus la jambe. Tous les clichés y passent. Ça ne marchait pas sur scène et ça ne marche pas non plus sur disque. Love Is The Answer : c’est le jour et la nuit avec Waves Of The New qui est un album merveilleusement tonique, comme dit plus haut. Tu ne vois pas bien l’intérêt d’une resucée de shoegaze. C’est du shoegaze d’après la bataille. Souviens-toi, tu fuyais tous ces Slowdive et tous ces Chapterhouse comme la peste et voilà qu’on te les ramène. Trop lymphatique. Le shoegaze induit la lymphe. Michelle ma belle voudrait bien être Hope Sandoval, mais elle n’est pas Hope. L’album se réveille en B avec le bien nommé «Awakening», c’est presque de l’Oasis sans le Liam. Ils exploitent la niche à fond. On sauve «Windows», bien chargé de la barcasse par le hippie dévolu, c’est lui qui ramène tout le jus et ça finit par s’enrouler comme du Mary Chain féminisé. L’hippie y ramène énormément de poux du meilleur effet psyché. 

    Signé : Cazengler, paradoc-sale

    The Belair Lip Bombs. Le 106. Rouen (76). 28 janvier 2025

    Las Robertas. Le 106. Rouen (76). 28 janvier 2025

    Las Robertas. Waves Of The New. Buendia Records 2017

    Las Robertas. Love Is The Answer. Kanine Records 2022

    The Belair Lip Bombs. Lush Life. Cousin Will Records 2023

     

     

    L’avenir du rock

     - Gare à Gary Clark Jr.

    (Part One)

             La vie conjugale n’est pas toujours la panacée de la sinécure. L’avenir du rock n’est pas le premier ni le dernier à en faire l’amer constat. «Ah la garce», murmure-t-il dès qu’elle a le dos tourné. «Elle fait tout pour me pourrir la vie !». Pour commencer, elle déteste le rock, alors pour un mec comme l’avenir du rock, ça pose un sacré problème. S’il s’appelait l’avenir de Jean-Jacques Goldman, ou l’avenir de Claude François, ça pourrait coller, car ce sont ses idoles, à l’autre conne, mais quand elle entend du rock dans le salon, elle devient encore plus laide qu’elle n’est dans la réalité. La haine lui déforme le visage. Ses cheveux blonds deviennent électriques, elle se met à fumer sa roulée comme un maçon polonais et lance du insultes du genre : «Ah les kins font pas des kas !». Quand ils vont ensemble chez un disquaire, elle fait exprès d’acheter un 45 tours de Johnny Hallyday pour lui foutre la honte. Quand il réussit à la traîner dans un concert, elle va draguer un Johnny Casquette et sort fumer des clopes avec lui. Au moment de partir, l’avenir du rock tente de la récupérer pour la ramener au bercail, mais elle se planque derrière son Johnny Casquette et lui crie : «Pètezy sa gueule à c’bâtard !». Alors pour éviter de se faire péter la gueule, l’avenir du rock bat en retraite et rentre tout seul au bercail. Elle arrive le lendemain dans la matinée avec un œil au beurre noir et le chemisier déchiré. Quand l’avenir du rock lui propose un café et lui demande si ça va alors que de toute évidence ça ne va pas, elle rétorque d’une voix mauvaise : «M’ont violée tous les quat’, ces bâtards ! Ché a cause de toi, tout ça !». Avec l’esprit paternaliste qui le caractérise si bien, l’avenir du rock pourrait lui répondre un truc mérité du genre : «Ça te fait les pieds», mais il préfère s’abstenir, ce n’est pas la peine de rajouter une couche de pâté sur le pâté de pathos. Quand il finit ENFIN par comprendre que rien de très intéressant ne pourra sortir de cette aventure sentimentale, il opte pour la délocalisation, et ramasse ses cliques et ses Clark.

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             Même si Gary Clark Jr est l’homme de tous les avenirs, son nouvel album JPEG Raw ne l’est pas. Il tente pourtant le coup du boogie des temps modernes avec le morceau titre, il va chercher sa pitance ailleurs, d’où la modernité de la démarche.

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    Quasi Jazzmatazz. Sample de Monk ! Et le «Maktub» d’ouverture de bal est écrasé de son, comme chez Ayron Jones. Ça aplatit bien la purée. Il applique le principe du new black heavy rock : on écrase le son au fond du cendrier, et ça donne une impression générale très favorable. Il fait un duo d’enfer avec Valerie June sur «Don’t Start». Elle est folle, la Valerie. Gary duette avec elle dans la clameur des incendies. Il refait un duo d’enfer sur «What About The Children» avec Stevie Wonder. Ça vire big heavy duo d’enfer mythologique, ils chantent à la clairevoie et c’est d’une effarante modernité. Les montées à deux voix sont un chef-d’œuvre d’ingéniosité. Gary duette encore avec Keyon Harold sur «Alone Together». La trompette de Miles, c’est lui, le Keyon. Gary chante comme Marvin. Il se laisse couler dans le génie vocal. T’as tellement de son que le casque chevrote comme une baleine harponnée. Puis on va perdre l’heavy blues avec les autres cuts qui basculent soit dans le rap («This Is Who We Are»), soit dans le jazz («To The End Of The Earth»). Et puis tu as trop de son («Hearts In Retrograde»). George Clinton intervient sur «Funk Witch U», un deep groove de blackitude éperdue. L’heavy groove emporte toute la fin de l’album. Un album qu’il faut bien qualifier de difficile. 

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             Déçu par ce nouvel album ? Oui, si on le compare au Live paru en 2014 qui était un album parfait. Si tu veux plonger dans la deep blue sea et retrouver les women fishing after me de Muddy, alors écouter ce Live de Gary Clark Jr. Il ramène tout simplement la démesure du blues électrique, mais de façon hendrixienne. Dès «Catfish», il tarpouille le plus gros brouet de blues électrique qu’on ait entendu ici-bas depuis «Red House». C’est du gras double. C’est du heavy blues viscéral, le blues-rock de la mélasse maximaliste. Gary Clark déclenche des avalanches de son. Il y a là tout ce qu’on aime dans l’approche hendrixienne du blues électrique. L’experienced de la démesure et l’attaque barbare du bas de manche - Fishing after me yeah - comme au temps du grand Muddy. Gary joue ses couplets à la pointe du feeling, avec une voix de basse qui se fluidifie dans l’énorme masse en suspension. C’est l’absalon de l’absolu, et il repart à la note blanche dans le brasier en liquéfaction. Il harcèle son heavy groove cataclysmique à coups de notes de bas de manche. Cette abomination marque la cervelle au fer rouge. Attention, ce n’est pas fini ! Il remet le couvert avec «Next Door Neighbor Blues», groové jusqu’à l’os, coulant, lourd, dans le schéma classique du petit stomp bien tapé au bass-drum des seventies. Tout le son de la création semble s’être rassemblé sur l’Ararat du blues moderne. Autre merveille : «When My Train Pulls In», blues rock bien amené au tapis vert des indicibles victoires. Gary pousse ses vocaux et grimpe dans l’enfer d’un solo ultraïque. Il hendrixifie le son à outrance. Le touffu du blues rock exacerbe les oreilles. L’autre chef-d’œuvre de ce disque s’appelle «Numb». Il prend ça à l’hendrixité maximale et crée une sorte d’absolu de la mélasse. C’est le pire heavy blues qu’on puisse imaginer. Il joue dans la chair du blues, in the flesh, dans l’immortalité de l’esprit du blues. Il l’élève et le descend à la cave en même temps. JPEG Raw n’a rien à voir avec tout cela. Alors on s’interroge. Dix ans sont passés entre les deux albums. Mais on ne peut pas appeler ça une évolution. Il semble que Brittany Howard ait pris le même chemin, après les fulgurants albums d’Alabama Shakes : vers un son plus noisy et moins sexy, une sorte de dérive technologique.

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             Gary Clark Jr est en couverture de Soul Bag. Belles images. Le chapô nous rappelle que Gary Clark est un black d’Austin de 40 balais. L’interview est mal barrée, car Gary annonce qu’il voulait «faire un grand album dont il serait fier», avec JPEG Raw Tu parles d’un grand album ! Il raconte qu’il a enregistré en partie à Los Angeles avec Stevie Wonder et George Clinton. Et paf, il lâche le morceau : il a produit lui-même et appris à se servir de ProTools, donc c’est cuit. Adieu la «deep blue sea» et les «women fishing after me». Il dit aussi avoir écouté beaucoup de jazz, Coltrane, Monk, Johnny Hartman, et quand on lui demande s’il s’éloigne du blues, il répond non, alors qu’il devrait répondre oui. Il dit surtout qu’il ne veut pas stagner. C’est le problème du Chicago blues. Alors, confronté à la stagnation, Gary cherche sa voie. Il cherche à «surprendre le public.» On ne peut pas dire que ce soit réussi. Dommage. On dira pourquoi sans un Part Two. Ses grands albums appartiennent désormais au passé. Mais aux yeux de l’avenir du rock, Gary Clark Jr reste le roi du Raw.

    Signé : Cazengler, tête à Clark

    Gary Clark Jr. JPEG Raw. Warner Records 2024

    Gary Clark Jr. Live. Warner Bros. Records 2014

    Gary Clark Jr. avance sans œillères. Soul Bag n°254 - Avril Mai Juin 2024

     

     

    L’avenir du rock

     - Biche ô my Beachwood

     (Part Two)

             — Tu sais pas qui j’ai vu l’autre jour ?

             — Non...

             — L’avenir du rock !

             — Ah bon...

             — Et tu sais quoi ?

             — Non...

             — L’était en maillot de bain !

             — Ah bon ?

             — Tu vas pas me croire !

             — Vazy...

             — On aurait dit un pachyderme monté sur des pattes d’autruche ! Tu vois un peu le travail ?

             — Non...

             — Comme le gros dégueulasse de Reiser, dans un calbut à fleurs, la peau blanche, avec des coups de soleil, le genre de mec qui va jamais se baigner, tu vois ce que je veux dire ?

             — Pas trop...

             — Le mec qu’est gaulé comme un beauf de la cité, avec la moustache, le double menton et le bide qui déborde, atroce !

             — On finit tous un peu comme ça, sauf quand on est cancéreux...

             — Ouais, mais les cancéreux vont pas se baigner à la plage !

             — Tu sais bien que la réalité ne pardonne pas une seule erreur à la théorie !

             — Tu cherches à m’enfumer ou quoi ?

             — Mais non, je te dis simplement qu’il ne faut pas voir la réalité telle qu’elle est...

             — Ah ça te plaît pas que je traite l’avenir du rock de gros beauf, c’est ça, hein ?

             — Pas du tout. La réalité n’est qu’un point de vue, tu le sais bien. Tu l’as vu sur quelle plage ?

             — Beachwood !

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             Eh oui, si l’avenir du rock va se baigner, ça ne peut être qu’à Beachwood. Mine de rien, Beachwood Sparks est devenu l’un des endroits les plus courus du monde moderne. D’ailleurs, un nouvel album vient de paraître : Across The River Of Stars.

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    Dans Shindig!, Jon Mojo Mills en fait tout un foin. Mais malgré un bel élan et du son à gogo, l’album ne sort pas des clous. On s’effare aisément de «Torn In Two», cet heavy rumble de pop californienne, gratté à la merveillasse des sargasses, fébrile d’éclat populaire et hanté par un killer solo flash interstellaire, oui, ce «Torn In Two» te met en bouche, mais la suite peine à te convaincre, «Gentle Samurai» reste de la pop bon chic bon genre, avec des chœurs qui évoquent bien sûr les Byrds. Avec «Gem», ils font de la poppy poppah de fallait pah, ils sont capables du pire comme du meilleur. Mais les textures restent belles et intenses. Across The River Of Stars ne sera pas l’album du siècle. Trop calm & collected. Ils retentent le coup à chaque fois, mais ça ne marche pas, tu passes à travers «High Noon», «Wild Swans» groove sous un certain boisseau, mais tu ne ressens rien de particulier. C’est même un peu faiblard. Difficile de cacher l’amère déception.

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             Brent Rademaker avait pourtant annoncé la fin de Beachwood Sparks. C’est donc l’album de la renaissance, attendu comme le messie. Mills le cuisine sur son amitié avec Chris Robinson, alors Brent raconte qu’au début Robinson lui foutait la trouille et puis, il lui faisait fumer du pot, alors Brent était tout le temps stoned - He was a rock star to me (one of the last) - Ils partageaient une passion pour The Church et les Bunnymen, Aerosmith et The Cure - He really likes Faith - Et dans son élan, Brent ajoute : «Like yourself and your readers, he’s a real rock’n’roll freak and a huge FAN.» Il a bien sûr tourné avec les Black Crowes - 10/10 on the experience scale - Mills indique aussi qu’Across The River Of Stars a été enregistré chez John Dwyer, at Discount Mirror Studios, et produit par Chris Robinson. Brent n’en finit plus de le remercier de son aide. Ça finit par devenir bizarre. Il a un petit côté Brian Wilson : tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. 

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             Dans Uncut, Stephen Deusner revient longuement sur le phénomène Beachwwood et ses «anthems of cosmic love». Il tend son micro à trois des Beachwood originaux : Farmer Dave Sher, Christopher Gunst et Brent Rademaker. Pour situer le groupe, Deusner sort cette belle formule : «Beachwood Sparks have always embodied both a sound (country rock, fringe psych) and an ethos (chill, open-hearted, alive to the chaos of the universe) inherited from The Flying Burritos Brothers, The Byrds, The Electric Flag and The Buffalo Springfield.» Rademaker ajoute que les Beachwood pouvaient jouer «in honkytonks as well as biker bars.» Puis après les deux albums qui vont établir leur réputation (Beachwood Sparks et Once We Were Trees) Neal Casal et Josh Schwartz vont casser leurs pipes en bois. Rademaker rappelle encore que le succès est arrivé brutalement : le groupe signe sur Sub Pop, « at a time when there was no-one else on the label singing harmony. We recorded  at J Mascis’s house. We toured with the Black Crowes and the Shins. It got a little overwhelming.»

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             Brent Rademaker tire aussi les ficelles de GospelbeacH, comme on l’a vu dans le Part One. Leur nouvel album Wiggle Your Fingers grouille littéralement de puces. On croise rarement des albums de cette qualité. Ils proposent une big fat power-pop californienne, un pop d’azur marmoréen, et crois-le bien, «Nothing But A Fool» tortille bien du cul. Brent is the king of the BeacH. Te voilà conquis jusqu’au cou. Vraiment conquis. Conquis pour de vrai. Et ça continue avec «Losin’ Patience», nouveau stab de power-pop saturée de power. Pas compliqué : t’as Brent Rademaker en Californie et Marc Valentine en Angleterre. Ils se partagent le monde de la power-pop. Leur son est saturé de lumière, d’énergie, de bonheur et de joie. Cet album est visité par la grâce, à un point inimaginable. Brent joue parfois avec la pop comme le chat avec la souris («Second Chance»), et flirte avec la Beatlemania dans «You’re The Only One», et ça ré-explose au firmament avec «The Dropouts». Blow out ! Les GospelbeacH restent dans l’excelsior catégoriel avec «York Blvd», et son refrain monté sur un riff descendant, et puis ça atteint des niveaux inusités avec un passage à l’acte dans le suspensif. Tu crois rêver quand arrive «The End». Brent allume sa pop avec une classe sidérante. Il engage sa parole comme le feraient Gene Clark ou Chris Robinson. Des violons gonflent les voiles, et en prime, on te gratte des poux fluorescents. C’est d’une grandeur insensée. Brent Rademaker et ses amis repoussent les limites du genre. Ils redorent le blason d’une pop qu’on croyait éculée par tant d’abus.

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             Si Brent est si brave, c’est parce qu’il écoute des bons disks. Il n’y a pas de secret. Si t’écoutes de la daube, t’iras nulle part. Dans Shindig!, Brent choisit d’illustrer son parcours en choisissant 10 cuts, tiens on va commencer par le dernier, «Four White Men In A Black Car» de Mozart Estate, c’est-à-dire Lawrence d’Arabie. Bizarrement, Brent ne parle pas de Lawrence mais de son pote Joe Harvey-Whyte qui joue de la pedal steel sur ce cut. Il cite aussi «Ha Ha I’m Drowning» des Teardrop Explodes, et parle d’un «psyche love masterpiece». Il rend un hommage particulier à un groupe inconnu au bataillon, Let’s Active - Love inspired 60s oddness - et il conclut son petit paragraphe ainsi : «Mitch Easter is God.» Alors tu prends ta pelle et te pioche et tu vas creuser. Il aime bien Generation X, aussi («The Prince Of Kenny Silver Parts One And Two») - My punk-rock guitar hero Derwood Andrews - Bon, il cite aussi The Cure et Linda Ronstadt, et qualifie le No One’s Rose de Josephine Network de «best country-pop album of 2023». Il rend aussi un hommage stupéfiant à David Werner - His stellar LPs Whizz Kid, Imagination Quota and self-titled David Werner - Pareil, tyva ou tyvapas. La décision t’appartient. C’est d’ailleurs tout ce qui t’appartient.

    Signé : Cazengler, son of a Gospelbitch

    GospelbeacH. Wiggle Your Fingers. Curation Records 2024

    Beachwood Sparks. Across The River Of Stars. Curation Records 2024

    Brent Rademaker : Pointing the finger. Shindig! # 149 - March 2024

    Jon Mojo Mills : Gentle samurais. Shindig! # 152 - June 2024

    Stephen Deusner : Younger than yesterday. Uncut # 329 - September 2024

     

     

    Inside the goldmine

    - Maybelle belle belle comme le jour

     

             Dans cette tribu, ils avaient pour manie de re-baptiser tout le monde. Une Isabelle devenait Bébelle ou Zaza, tout dépendait des disponibilités. Si Bébelle et Zaza était déjà attribués, alors on optait pour Zabette ou Zézette, fallait pas chercher à comprendre pourquoi. Donc t’avais la Bébelle de service. Ah on peut dire qu’elle sortait du lot. Ce qui frappait le plus chez elle, ce n’est pas la générosité de sa poitrine, mais le timbre de sa voix. Elle parlait d’un ton excessivement grave, on croyait entendre Tom Waits, mais un Tom Waits avec des cheveux blonds et des lèvres gourmandes. Elle intriguait plus qu’elle ne charmait. T’étais pas loin de penser qu’avec elle, ça ne devait pas être triste au lit, car une voix comme celle-là dans les moments forts, ça devait fouetter l’imagination. Pour compléter le panorama, la Bébelle en question te plantait son regard d’yeux clairs dans le tien. Elle avait une façon de te fixer qui finissait par te déstabiliser, du style : «Joue pas trop avec moi.» En plus, elle se maquillait comme une pute et portait ces chandails punk à grandes mailles qu’on appelle des see-through et tu te rinçais bien l’œil, car ses seins magnifiques dardaient vers l’avenir, ornés de larges mamelons presque violets. Les jaloux disaient d’elle qu’elle collectionnait les aventures et qu’à chaque fête, c’est-à-dire quasiment tous les soirs, elle emmenait un mec différent faire un tour dans les buissons, derrière la baraque, mais en réalité, elle restait scrupuleusement fidèle à son mec, une sorte de bûcheron en chemise à carreaux. De toutes les fêtardes rassemblées dans la salle commune, elle était celle qui picolait le plus. Et lorsque jaillissait l’idée d’aller finir la fête ailleurs, elle prenait le volant de son gros break et embarquait une tripotée de fêtards aussi rôtis qu’elle. Il devait être quatre heures du mat, cette nuit-là, nous traversions la ville et Bébelle ne s’arrêtait aux feux rouges que pour sortir de la bagnole et danser le jerk. L’autoradio était à fond. Alors on sortait danser avec elle dans le carrefour. Soudain, une bagnole surgit de l’avenue perpendiculaire et, voulant prendre son virage à la corde, le chauffard percuta Bébelle de plein fouet. Elle fit un joli vol plané et alla heurter une pompe à essence. Splofff ! Crâne ouvert. Dans un cas comme celui-là, t’as deux ou trois scénarios possibles. Soit tout le monde prend la fuite avant l’arrivée des condés. Soit tout le monde reste pour voir l’âme de Bébelle s’envoler. Soit tout le monde continue de danser le jerk dans le carrefour. Que croyez-vous que nous fîmes ? C’est pourtant facile à deviner.

             Pendant que Bébelle monte au paradis des fêtards, Big Maybelle crée son paradis sur terre. Elle n’a pas besoin qu’un chauffard la percute, c’est elle qui te percute. Dis-toi bien amigo que tu ne sortiras pas indemne de la fréquentation intense de Big Maybelle !

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             L’un de ses plus fervents admirateurs dit de Big Maybelle qu’elle «made timeless music of the  Soul». Tiens, curieusement, elle est originaire de Jackson, Tennessee. Elle s’appelle Little Mabel Louise Smith et dès 8 ans, elle fait un carton dans le circuit local du gospel. C’est le grand Dave Clark qui la découvre. Dave Clark ? Mais oui, celui qui a démarré chez Chess et terminé sa carrière de découvreur/producteur chez Malaco. Dès les années 40, elle est dans le circuit avec ses blistering vocals, with honking tenor saxes and big-beat rhythm sections. L’âge d’or du jump. 15 ans après avoir été découverte pat Dave Clark, elle est redécouverte par Fred Mendelsohn. C’est lui qui transforme Mabel Smith en Big Maybelle et la fait enregistrer sur OKeh, à New York, en 1952. Puis quand OKeh se casse la gueule, Mendelsohn la ramène chez Savoy. Pour la petite histoire, Big Maybelle sniffe de l’hero et tout son blé y passe. Un jour, elle vient pleurnicher dans les bras de son ami Joe Louis, «oh Joe, mah grandma is dead down South et je n’ai pas les sous pour payer le billet de train», alors Joe sort son rouleau de billet et lui compte 200 dollars.

             — Is it enough, Maybelle ?

             — Oh oui, merci Joe.

             Quelques semaines plus tard, elle recroise Joe et lui refait le coup de la grandma, et Joe lui recompte 200 dollars. C’est Ralph Cooper, MC de l’Apollo de Harlem, qui raconte l’anecdote dans son autobio. Il ajoute que Maybelle lui a fait le coup 12 fois, mais Joe est comme ça - He was that kind of person.

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             Laisse tomber, si tu veux rapatrier les deux premiers albums de Big Maybelle sur Savoy, Big Maybelle Sings et Blues Candy & Big Maybelle, parus tous les deux en 1958 : ils sont intouchables. Par contre, si tu veux vraiment les écouter, tu peux choper une belle compile Jasmine, The Savoy Years - The Album Collection. Non seulement tu as ces deux albums déments avec un son gonflé aux hormones, mais en plus, tu as des bonus extraordinaires, comme dirait Charles Trenet lorsqu’il parle du Jardin. Big Maybelle ne t’arrache pas les cuts du sol, non, elle les éviscère. Elle leur ravale la façade. Elle leur écrase le champignon. Elle explose son «All Of Me» en 1958 ! Les punks devraient en prendre de la graine. Big Maybelle est la reine de l’arrache. C’est Gargantua au féminin. Avec «Say It Isn’t So», elle te berce dans ses gros bras. T’as toujours rêvé d’avoir une mère comme Big Maybelle, chaude et puissante. Puis elle se trémousse le popotin, la grosse, avec «Rock House», elle te rocke la house vite fait, puis elle va te faire Billie Holiday avec «Jim». Encore un tour de passe-passe avec «It’s A Sin To Tell A Lie», qu’elle chante avec la glotte à l’envers, comme une jazz shouteuse, elle est sur le front en permanence, tu croises rarement des albums de cette densité. Elle attaque l’«I Don’t Want To Cry» dans les graves, elle en a marre de chialer, don’t wanna cry anymore, elle a raison, il faut arrêter les conneries, wow darling, I tried, elle a tout essayé avec ce connard. Elle attaque Blues Candy & Big Maybelle avec «Pitiful», un heavy blues, comme son nom l’indique, doté d’un superbe gratté de poux. Et puis voilà «Candy», l’un de ses plus gros hits. Elle y pèse de tout son poids, elle le développe au poumon d’acier, c’est un chef-d’œuvre de ravalement. Big Maybelle est magnifique, c’est l’une des plus belles shouteuses de son temps. Elle charge bien la chaudière de «That’s A Pretty Good Love», baby c’mon home et un mec courageux lui donne la réplique. Elle tape un «Mean To Me» gluant et heavy - Can’t you see/ What’s you/ Mean to me - Puis avec «Tell Me Who», elle danse sur le jump de charleston, et derrière, elle a tout le son du monde, les cuivres et le beurre du diable. Les mecs de Jasmine ont collé à la suite le Christmas 45 et on la voit répandre la paix sur la terre avec «Silent Night». Elle y injecte tout le souffle du gospel. Elle te groove ensuite le «White Christmas» au round midnite, avec des minauderies extravagantes. Tu ne peux pas rester de marbre face à ce phénomène. Sur le disk 2, tu vas trouver The Blues - Mamie Webster Sings W.C. Handy, un gros tas de classiques un peu ennuyeux. Il faut attendre «Harlem Blues» pour palpiter un coup - From the most exclusive/ To the honky tonk - Et on passe au soundtrack de Jazz On A Summer Day, et là, on ne rigole plus, car boom dès «Let’s Roll It», elle te rocke le jump au gut ! Stupéfiant ! Elle arrache tout au passage, elle se fout la glotte au plafond, elle hurle comme la pire punk de l’univers, elle carbure à l’énergie fondamentale. Elle brûle comme Brel dans «Cherry» et elle redevient magnifique de power screamy dans «One Hour». Elle te groove ensuite le «Baby Please Don’t Go» vite fait, au back to New Orleans/ You know I love you, elle rocke, pas comme Van the Man, mais sérieusement. Les Jasmine ont ajouté à la suite The Last Savoy Sessions. Elle chante «Going Home Baby» comme un bulldozer, elle déplace des montagnes. Les sept cuts sont assez faramineux, elle les prend de biais, comme toujours, avec toute la chaleur poignante de sa big féminité.

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             Ah t’es content d’avoir dans les pattes What More Can A Woman Do?, ce beau cartonné Brunswick qui date de 1962. Soixante ans d’âge ! On est tout de suite frappé par son énorme présence vocale. Elle est là, immédiatement. Grain de voix puissant et profond. Elle vient du jazz. Mais à l’époque, l’heure est encore à la romantica new-yorkaise. Il faut attendre l’heavy blues de «Cry» pour crier au loup, elle prend ça au chaud des entrailles de son envergure. Elle est la fille cachée de Gargantua, sa façon de rigoler (eh eh eh eh) est révélatrice de cette filiation. «Candy» nous montre encore à quel point elle est puissante. Elle chante avec une force herculéenne. Sans doute a-t-elle la glotte la plus musclée du monde. En B, elle s’en va groover «How Deep Is The Ocean» à la surface de l’océan. Elle est superbe, face à l’immensité. Elle ramène de faux accents de Billie Holiday dans «I’ll Close My Eyes» - I’ll close my eyes/ And see you with my heart - Superbe complainte crépusculaire. Elle fait encore des étincelles dans «I Still Care», une harangue de Broadway, elle shoute «Tell him !» et les chœurs font «I still care !».

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             De jolies choses dans The Soul Of Big Maybelle, un vieux Scepter de 1965, tiens, par exemple l’«I Cried For Love», un heavy groove de jazz qu’elle doo-woppe à la Billie Holiday. Quelle niaque de jazz ! - And now it’s your turn to cry for me - Chacun son tour. Elle reste dans le registre des larmes avec «I Won’t Cry Anymore», encore plus languide, elle descend carrément au barbu du deepy deep. Chez elle, tout reste à la fois puissant et velouté. Big Maybelle est très classe, très Soul jazz. Big voice et prodigue d’effets. C’est pour ça qu’on est là. En B, tu as encore un jazz blues urbain haut de gamme, «Don’t Let The Sun Catch You Cryin’». Aw comme elle sait taper dans le mille ! Dernière merveille de l’album : «That’s All», un heavy groove maybellin, elle charge si bien sa barque qu’elle s’en étrangle. Quel power !

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             Il faut voir Saga Of The Good Life & Hard Times comme l’un des plus grands albums de l’histoire de la musique noire. C’est un Rojac de 1966 qui propose très exactement six coups de génie. Tu entres dans «How It Lies» comme dans le lagon d’argent du Black Power : Big Maybelle pose ses conditions. Elle s’y connaît en conditions à l’arrache, elle te fait ça à l’endroit et à l’envers. Elle démolit tout ce qu’elle veut. Elle et Wolf sont les vrais punks. Avec «It’s Been Raining», elle tape un fantastique blues de Soul, la voilà chez Motown, mais à la dure. Elle réussit l’exploit d’exploser Motown, elle le fracasse comme le pirate fracasse le crâne de l’Espagnol. Elle termine ce balda sidérant avec «What Difference A Day Makes», un standard rendu célèbre par Esther Phillips. Mais elle est encore pire qu’Esther. Big Maybelle flotte dans l’air. Elle descend pour gronder de volupté. C’est graissé à la patte de stand-up - For me yes yes - Elle est là, elle soupire dans ton cou - When there’s a rainbow before me - Elle minaude avec une fantastique profondeur de ton. Elle attaque sa B avec l’effarant «Why Was I Born» - Tell me why I am living/ What do I/ What do I get - Elle se plaint de vivre pour des clopinettes dans le plus dark heavy blues de what can I hope for. Puis elle sort de l’existentiel pour revenir aux petites peines de cœur et de tell me why do I cry/ Cause you never hear me, alors elle se rend à l’évidence : What can I do/ I’m just a poor fool. C’est vrai qu’avec la perruque qu’elle porte sur la pochette, ça n’arrange rien. Nouveau coup de génie avec «Love Careless Love», le groove des squelettes, une merveille progressive grattée au bord de gratte et tu as un solo de gras double, c’est exactement le son que sort le Spencer Davis Group dans le «Dust My Blues» du French EP Gimme Some Loving. Le beat fantôme de «Love Careless Love» traversera les siècles. Sur «Maybelle Sings The Blues», elle est suivie à la gratte de blues, elle te l’arrache du sol à l’it’s alrite, elle est folle, elle arrache tout. Elle termine cet album en partance pour l’île déserte avec «The Bitter Earth», elle éclate encore le chant et le Bitter, un sax vient lui caresser la perruque, elle vibre. Magnifique Mama.   

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             Paru 1966, Got A Brand New Bag est un album de reprises. Elle ne se casse pas la nénette, elle tape dans tous les gros coucous d’époque, à commencer par «96 Tears», elle se marre, ah ah, elle y va au cry cry cry, elle fait délicieusement autorité et pouf, elle enchaîne avec «Mellow Yellow», un autre merveilleuse cover chargée d’histoire. Bon alors attention, tout n’est pas bon. En B, elle ramène du punk dans l’«I Can’t Control Myself» des Troggs et elle bourre le mou de «Black Is Black» avec du Black Power. Elle lui jazze la terrine.

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             Comme son nom l’indique, The Gospel Soul Of Big Maybelle est un album de gospel batch. Mais les chœurs sonnent un peu blanc, dommage. Big Maybelle est aussi balèze que Sister Rosetta Tharpe sur «Old Time Religion». Elle jette tout son poids dans la balance et écrase la balance. Elle chante ensuite «Everytime I Feel The Spirit» au gusto pur. Elle s’en arrache la peau de la glotte. En B, tu as encore deux bombes de batch, «Do Lord» et «He’s Got The Whole World In His Hands». Elle est stupéfiante, tu as même un solo de sax sur Do Lord. Elle développe tellement de puissance qu’elle se détache du peloton.  

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             Très beau double album : The Last Of Big Maybelle. On pourrait même parler d’un double album indispensable à toute étagère digne de ce nom. Il apparaît clairement qu’elle est aussi punk que Wolf. Elle passe son «See See Rider» en force, mais c’est en B que ça monte violemment d’un cran, avec «Blame It On Your Love». Elle chante à coups de remontées gastriques, comme Screamin’ Jay, et elle passe au heavy groove avec un «Long Long Journey» monté sur un big bassmatic.Tout est big chez Big Maybelle. En C, elle fait sa Otis à la puissance 1000 sur «Old Love Never Dies», et redevient magique avec «What A Difference A Day Makes». Rien de plus mythique que ce hit d’Esther Phillips. Big Maybelle ne le chante pas, elle l’enrobe. Puis on la voit monter son «Gloomy Sunday» en neige. En D, elle atteint le sommet du désespoir avec «Why Was I Born? - Why/ Why am I living?/ What do I get? - Elle part en mode big mambo avec «Careless Love», et comme si tout cela ne suffisait pas, elle fait sa wild punk dans «Maybelle Sings The Blues» à coups d’its awite baby/ have mercy/ have mercy baby ! Plus punk, ça n’existe pas. Laisse tomber les Stranglers.

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             On trouve du très gros ramdam sur The Complete OKeh Sessions 1952-55. C’est sur OKeh que Big Maybelle a démarré en 1952. Elle est déjà énorme à ses débuts, une Leslie West à la puissance 1000. Elle fait du bon jump avec «So Good To Be My Baby», elle te fait à la fois le r’n’b et le rockab, elle te fait la terre entière, elle te bouffe la rate. Ce genre de compile est une aventure, elle passe du heavy blues au heavy boogie sans crier gare, elle fait du all over en permanence. Elle écrase sa chique à l’extrême avec «Rain Down Rain». Elle est trop parfaite. Elle crée du malaise. Elle fait son heavy blues de jealous woman avec «Please Stay Away From My Sam» et elle attaque «Send For Me» à l’arrache primitive de gospel. Elle groove son «I Got A Feelin’» au ras des pâquerettes et «You’ll Never Know» au round midnite. Elle est presque sucrée dans sa graisse. Elle ramène une guitare électrique dans «No More Trouble Out Of Me», elle tartine bien sa paillasse de heavy blues, elle lui ramone la cheminée puis écrase toute la baraque en s’asseyant dessus. Elle tape ensuite «My Big Mistake» au heavy blues des enfers, elle tombe dans la marmite, et comme avec la cheminée, elle te la ramone. Elle n’en finit plus de cueillir ses cuts au menton, de les ramoner, de les secouer pour leur faire cracher des aveux, Big Maybelle est une heavy dudesse, elle est la reine du cry like a baby dans «I’m Getting Long Alright». Elle passe au heavy blues demented avec «Hair Dressin’ Women», elle fout une pression terrible, elle semble groover au fond de la nuit des temps. Ooh-ooh, voilà qu’elle chante «Don’t Love Poor Me» comme une punk atroce, et elle se couronne reine du gut avec «Ain’t To Be Played With». Méfie-toi, Big Maybelle ne te lâchera pas, elle va te shaker le cocotier.     

     Signé : Cazengler, Big Poubelle      

    Big Maybelle. What More Can A Woman Do? Brunswick 1962

    Big Maybelle. The Soul Of Big Maybelle. Scepter Records 1965

    Big Maybelle. Saga Of The Good Life & Hard Times. Rojac Records 1966  

    Big Maybelle. Got A Brand New Bag. Rojac Records 1966 (= The Pure Soul Of B Maybelle)

    Big Maybelle. The Gospel Soul Of Big Maybelle. Brunswick 1968 

    Big Maybelle. The Last Of Big Maybelle. Paramount Records 1973

    Big Maybelle. The Complete OKeh Sessions 1952-55     

    Big Maybelle. The Savoy Years. The Album Collection. Jasmine Records

     

     

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                Un peu de rockab n’a jamais fait de mal à personne, beaucoup encore moins, justement un groupe de rockab à Troyes, le moteur de la teuf-teuf rugit déjà, même pas la peine de me renseigner, confiance absolue à Béatrice la patronne du 3 B, elle n’a pas l’habitude de choisir des demi-sel, bolide intrépide ma rapide  Torpedo speede et cartonne sans aucun souci pour mon empreinte carbone.

    Je me croyais en avance, en ces jours de chandeleur le Bar est plein comme un œuf de Pâques, Billie m’offre une place à sa table, désignant l’arrière-salle il ajoute, ils sont arrivés, ils mangent, regarde le premier gars c’est Olivier des Black Prints. Je souris, la soirée s’annonce chaude.

    THE ROCKAB’ S BOYS

    3B 

    (TROYES - O8 / 02 / 2025)

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    ( 3 Photos de Régis Laine)

              Les voici, ils s’installent. Franky derrière sa batterie, non il n’est pas debout, juché sur un siège en hauteur  il domine le monde, l’a l’air d’un juge de paix qui dans les westerns s’apprête à asséner sans remords une kyrielle de condamnations à mort.  Cris s’est saisi de son immense contrebasse, noire comme la mort, auréolée de flammes orangées, est-ce pour rappeler qu’ils viennent de Rouen, ville où les Anglais brûlèrent Jeanne d’Arc, ou pour vous avertir que le rockab est une musique infernale qui pète le feu… Le troisième boy, s’installe au micro, il caresse d’un air entendu sa Gretsch étendard d’un orange cochranéen, sûr qu’il va nous montrer de quel bois d’Olivier il se chauffe.

             Olivier annonce deux premiers morceaux qu’il jouait lorsqu’il avait quinze ans, surprenants, oui c’est du rockab mais mâtiné d’une sous-rythmique que je qualifierais de jazz. Elasticité électrique, nos deux cordistes échangent moult regards, se mettent pour ainsi dire au diapason, prennent leurs marques pour que les deux instruments s’ouvrent l’un à l’autre, s’interpénètrent, s’insèrent tout en laissant assez d’espace libre pour se faire mutuellement écho. Le Buddy Holly qui suit démontre à l’excès que ces deux acolytes fonctionnent comme une superbe rythmique.

             Contrairement à la logique des choses, Franky ne pointe pas au chômage. L’est un peu comme ces intervenants subsidiaires qui dans un show s’adjugent la première place. Franky ne suit pas la musique, il la modèle et la module à sa guise, à tout instant il résout les problèmes, il conclut le raisonnement musical, par ses interventions incessantes il influe sur le déroulé du morceau, il n’accompagne pas, il surprend, il fuse, il ruse, il est la buse qui plane et se laisse choir brutalement sur sa proie qu’il terrasse avant de regagner son perchoir. Ni vu, ni connu. Mais entendu.

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             Olivier vous chamboule la tête. Tout sourire, sympathique, cool, placide, décontract, dommage qu’à la place des doigts il ait des serpents inquiétants. Un véritable sorcier. Ne vous laisse jamais en paix. Faut suivre. Pas le genre de gars à s’endormir sur le riff. Ou à s’allonger selon un solo. Un inventif. L’est toujours là où vous ne l’attendez pas, pas le temps de s’ennuyer, pas de pause-café, étourdissant, toutes les trois secondes il façonne de nouvelles sonorités, un festival, vous avez envie de crier grâce, un peu de répit que je me délecte, non il vous entraîne ailleurs, car ailleurs c’est toujours meilleur, question sonique, vous avez eu du grave, voici de l’aigre, après les rondeurs somptueuses voilà des triangulations anguleuses, après trois notes de promptitude, un soupçon de rectitude, un éclat de béatitude, deux onces de concrétude, à chaque incessante mutation  vous acquiescez.

             Cris, sans chuchotement, l’a la main lourde, n’en fait pas tout un plat, du plat de la main il assène sa méthode assassine, il accueille les notes de la Gretsch avec gratitude, il les englobe, leur ménage une petite chambre d’écho pour qu’elles soient bien au chaud, qu’elles mûrissent sans crainte malgré le bombardement intensif dont il sature l’ossature phonique du trio, entre Cris et Olivier, c’est un échange perpétuel, pas de frontière, pas de droits de douane, une osmose d’ecchymoses sonores, à eux deux ils n’en forment qu’un, avec Franky l’amplificateur, le prestidigitateur, nous avons affaire à un redoutable trio, un pour tous, tous pour le rockab.

             Mais que serait le rokab sans chanteur. Olivier doit connaître tout le répertoire rockab en son entièreté. Chante comme il joue. Comme si c’était facile. Le chant rockab ne demande pas réflexion, il exige inflexion. Tel mot un demi-quart de ton au-dessus ou au-dessous et c’est la catastrophe, l’abomination. Gymnastique vocale inflexible. Ça ne s’apprend pas, c’est instinctif. Constitutif de l’essence du rockab. Olivier maîtrise. Un enchantement.  Sans forfanterie. Vous place les mots les uns à la suite des autres avec une telle plasticité que le texte, même si vous ne le comprenez pas, prend sens. Vous avez l’impression qu’il remet le monde à sa juste place. La seconde. Au centre le rockab. Autour le monde.

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             Trois sets. Trois bijoux. Trois merveilles. Les danseurs n’ont droit qu’à un étroit sentier bien encombré. Pour le lindy hop, ce n’est pas l’idéal, qu’importe, le rythme oblige jeux d’appel et trémoussements. Le troisième set fut incendiaire. Très pionniers, la Big Mama de Cris se taille la part du lion, vous voyez littéralement le son et sa démarche de crabe à se déplacer jusqu’au vingtième étage. Le set devrait être terminé depuis longtemps, mais les petites dernières se succèdent… La fièvre monte à El Paso…

             Merci les Rockab’s Boys !

    COMIN’ HOME

             Un dernier merci à Béatrice la patronne pour cette soirée. Je pousse le bouton de l’autoradio : pile une émission sur Gérard de Nerval ! Rockabilly et poésie, je ne connais pas mieux.

    Damie Chad.

     

     

    *

             Et si la musique n’avait aucune importance ? Ou plutôt si la musique n’avait d’importance que par rapport à son acte ? L’acte musical précède-t-il la musique ? Qu’est-ce que la musique ? Qu’est-ce qu’un acte ? Questions vertigineuses, questions métaphysiques ? Que généralement on évite de se poser. J’avoue que mon esprit alambiqué aime à se pencher sur le vortex maelsrömesque de ces interrogations qui vous happent et vous obnubilent sans fin.

             Jugez donc ma surprise lorsque j’ai vu le nom de ce groupe.

    MAD ACT

            J’avoue que j’ai eu un mouvement de recul lorsque m’est apparu le logo du groupe. D’Alice Villiers. Un peu étonnant qu’il soit d’elle, il ne colle pas trop avec son Instagram qui nous la ferait classer parmi les graphistes post-conceptuels, quoique qu’il vaudrait mieux l’étiqueter graphiste pré-idéennee. Toute la différence entre un concept et une idée. Entre l’opérativité et la fixité. Bref ce logo ne m’a pas plu, un graphisme que je qualifierais de bande-dessinée ou pire d’art hippie résiduel. Qui insiste trop sur la folie joyeuse et gomme l’aspect actal.

             Il est d’étranges coïncidences : l’on ne peut penser à la notion d’acte sans que ne scintille dans notre esprit  le poème Un coup de dés jamais n’abolira le hasard de Stéphane Mallarmé frère d’armes poétiques de Villiers de l’Isle Adam, qui l’initia à l’ontologie hegelienne, or voici que le lapin d’Alice, ici Villiers, s’en vient trotter dans les antres labyrinthiques de notre cervelle.  Quel hasard !

             Groupe d’Amiens - je n’ai jamais mis les pieds dans cette cité quoique j’y sois enterré dans sa cathédrale, vous avez bien lu, je vous raconterai cette histoire qui risque de vous faire peur une autre fois si vous êtes sage – l’existe depuis 2010.

    L’aurait sorti en 2013 un EP, CD trois titres, intitulé : Our Hands Above Your Mind, dont je n’ai trouvé aucune trace, dont le titre me semble affirmer que l’effectivité de l’acte est supérieure à la pensée, encore faudrait-il savoir qui pense et si la pensée est justement en train de penser la pensée de l’acte.

    Arrêtons de penser, passons aux actes :

    STAND BY / ON

    (Novembre 2019)

    François Peltier : bass / Félix Fauquembergue : drums /  Gaëtan Lejeune : guitars.

             Achète-toi des lunettes Damie ce n’est pas la Twin Tower, ni une ville en ruine, regarde la grosse caisse devant, rassure-toi, les amplis sont derrière, le matos est un peu décrépit et la nature reprend ses droits, serait-ce pour signifier que le rock est mort, que l’on a déjà déposé des fleurs sur sa tombe… Remarque que le cimetière a l’air en mauvais état, pas entretenu depuis longtemps, peut-être Damie  es-tu le chroniqueur d‘un  passé révolu, cette couve n’est guère optimiste…

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    Stand by : pas de panique, l’on est prêt pour un nouvel essai, écoutez-moi cette guitare qui se prépare pour le nouveau départ, elle fuse et les deux autres derrière accrochent les wagons, la loco ronronne, la basse huile les essieux et la batterie vous  branle le feu de belle manière, la chaudière clapote et entre en ébullition, tout va bien, le mécano et les passagers poussent des clameurs de joie, sur le quai les spectateurs clament leur impatience, l’inauguration de la nouvelle ligne libère exubérance et exaltation, pédale douce, l’on calme les esprits, rêvons à ce qui va advenir, le train est immobile mais dans une autre dimension l’on suppute le prochain voyage, la foule scande et meugle comme des vaches en folie, c’est prêt, on va y aller, l’on n’est pas encore parti mais c’est tout comme, l’on lâche de gros nuage de vapeur, pas possible l’on n’a pas encore démarré mais tout se précipite, les roues patinent sur les rails et frémissent, trois, deux, un… On : super l’on a même droit à une vidéo, je vous avertis pour les grands espaces c’est foutu, manifestement l’on zone en ville, une grande porte noire qui s’ouvre et l’on pénètre dans un vestibule, la guitare tremblotte et lorsque l’on emprunte l’escalier l’on croit que l’on est tombé dans la vieille demeure peuplée de goules et de fantômes des récits fantastiques, sifflements désagréables, déjà l’on ne sait plus où l’on est dans la réalité ou sur un écran de télévision sans image, la folie nous guette-t-elle, apparemment nous sommes sortis de la télé, elle est posée sur son pied comme un flamant rose, non pas dans un étang mais sur un plancher marqueté d’aspect vieillot, mais au moins nous sommes chez nous, avec un vrai groupe de rock qui filoche à bonne vitesse, une vraie répète en chair et en os d’hommes vivants, z’ont des cheveux longs, une guitare zigzagante découpée à la hache, une basse noire comme la nuit, et un batteur en chemise à carreaux de bûcheron, n’y a plus qu’à écouter, de temps en temps l’image clignote, l’on s’en fout, l’on est bien, murs orangés et plantes vertes,  vous tiennent le rythme en longe et lui font décrire de jolies figures, rien de spécifiquement fou, mais la guitare hennit et la batterie galope, la basse vous tempère l’allure, l’on repart doucement mais puissamment, aurais-je la berlue Félix s’est dédoublé, le coup des bébés siamois collés dos-à-dos, maintenant sont six, si, si, la zique s’étrangise et se gondole en de souples et sifflantes sonorités, serions-nous dans une maison en T hantée, des bruissements venus d’ailleurs, la guit clapote, l’imite sans fard la grenouille sur son nénuphar, serions-nous chez les lotophages, non un bon riff nous ramène dans le monde du rock, vous le déplient et l’étirent sans vergogne comme une poupée gigogne, attention, subito, ne sont plus que deux, expresso n’est plus que seul, bongo plus personne, la musique continue, la caméra nous pousse hors de la pièce, nous presse dans les escaliers, l’on est déjà dehors, la grande porte noire se referme. Le son s’arrête.

             L’on a attendu le rock, et le rock est venu. Comme toujours. Comme jamais plus. Quoi d’autre. En quoi cet acte musical serait-il infinitésimal. En quoi cet acte musical serait-il magistral. Rien de pharamineux, rien de pharaminable non plus. Nous voici dans l’expectative. Eux aussi peut-être. Sont restés six années sans donner de nouvelles. Le temps de méditer sur la portée de leur acte ? Précipitons-nous sur leur nouvel opus !

    PARTY OFF

    (Janvier 2025)

             Couve de Léo Girard. Nous montre l’essentiel : le groupe en pleine action. Surmultipliée. L’image est trimultipliée, preuve par neuf qu’il s’agit bien d’un trio. Dans la continuité, pour la lumière orangée et les manipulations photographiques de la vidéo On.

    Remettent-ils une pièce dans le jukebox ? La partie est-elle terminée ? Alors qu’elle continue ! A moins que ce ne soit une ultime tentative. Un closure ? Une coda définitive ?

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    Crash : un ange aux ailes cassées. Serait-ce la réponse que nous attendions quand on entend cette espèce de reptation d’un serpent à la colonne vertébrale brisée. Ou bien le doute destructeur quant à l’utilité ou même l’inutilité d’une telle reprise, non ils essaient de reprendre un riff et de le traiter comme se doit d’être traité un riff, mais non claudique vite, par la suite ce ne sont que des essais infructueux, une batterie éparpillante qui ne veut pas lâcher le morceau, les deux autres qui à leur tour essaient de rafistoler le rafiot, mais quand ça ne veut pas, ça ne veut pas, le morceau s’arrête au bout de six minutes, comme s’il était stupide de s’acharner.  Sleep : se sont mis en sommeil, n’empêche que la guitare ronflotte très agréablement, à croire qu’ils ont décidé de faire de beaux rêves, l’éclaircie ouateuse ne dure pas, le pas de l’âne récalcitrant ahane dur, donne l’impression de ne pas savoir ce qu’il veut, alors ils tricotent le riff à la manivelle, c’est reparti comme en 14, l’on ne tarde pas à ne plus se précipiter, la batterie creuse des tranchées, quelques feux d’artifice indécis, l’on monte à l’assaut sans trop y croire, l’on trébuche sur les pierres et le son se déglingue, il grince, il rouille, hardi les gars encore un coup, la guitare gémit comme si elle avait mal aux pieds, la batterie vous réveille à coups de panards dans le cul, le rêve vire au cauchemar, le grand dérèglement, pas le grand n’importe quoi car l’on essaie d’avancer à fond de train maintenant, la fleur au fusil, le persil au menton, l’on sent que l’on tient le bon bout, que l’on va s’en tirer sans trop de mal, déjà l’on ralentit, un avion qui se pose sur la piste, pas d’à-coups sur le fuselage, l’on se réveille tout en douceur. Doom Party : faute de grive, l’on se contentera de doom, un peu maigrelet en ses débuts, un peu maigrichonnet, un peu terre à terre, un doom sans dôme, un doom qui ne fait pas le gros dos, un doom qui se traîne, un doom qui n’y croit plus, perd sa vigueur, obligé d’allumer son moteur de secours afin de repartir, l’a gagné en vivacité mais de fait la guitare broute le grillage, elle n’a plus de riff à manipuler, alors elle essaie de faire du bruit, la batterie secoue la cascade, faut oser le dire ce n’est plus du doom mais ce n’est pas encore du noise, peut-être du faux indus, le dos cassé, tout fourbu, un grincement qui expire avec difficulté, un sifflement qui s’atténue, qui s’exténue. Call of the Void : c’est reparti, le titre n’est point engageant, où cela va-t-il se terminer, un millepatte qui ne prend pas son pied, une batterie qui chopine, une guitare qui essaie de vous entraîner dans la ronde, faudra attendre un bon moment avant que le trio ne trouve sa cohésion, pas de fol espoir, aucune envolée lyrique, enfin le moteur ronronne, pourvu que ça dure, c’est ça le plus dur de pondre un riff, car n’est-ce pas le riff qui engendre le groupe, mais non ça stoppe, ça s’ébranle avec difficulté, est-ce le moment de sortir les questions essentielles de se demander pourquoi l’on continue à faire de la musique, à bourdonner comme la machine à coudre asthmatique de Tante Ursule,  même si l’on sait que notre production indus-trielle ou pas n’a aucune efficience sur le monde. Un dernier couac, serait-ce un cri de désespoir, un stop angoissé, une fin de non-recevoir à soi-même.

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             L’est sûr que ce n’est plus le call of the wild, ni même l’appel de la forêt, l’attrait du vide, est-ce pour tirer un trait et ne plus y revenir dessus. Ou dessous. L’avenir nous le dira. Ce qui est certain c’est que dans ces deux Ep de Mad Act se joue un drame métaphysique. L’Homme est-il implanté dans le monde comme n’importe quel brin d’herbe, comme n’importe quel grain de sable…

             La réponse qu’apporte Mad Act ne nous satisfait pas. Nous qui faisions le coquet elle nous rabat le caquet. Et même si elle est conforme à la réalité des choses en quoi peut-elle provoquer une éclaircie dans le néant de l’existence. Mallarmé davantage radical nous annonce dès le début de son poème qu’il est aussi inutile de lancer les dés que de ne pas les lancer. Même si en bout de compte l’Univers émet un signe. Mais à qui l’adresse-t-il ? A l’art ? à l’acte ? à l’arcte ?

             Nous souhaitons toutefois que Mad Acte agite encore le cornet.

             Sait-on jamais si quelque chose est !

    Damie Chad.

     

    *

             Je me croyais dans les grands espaces, je ne sais où exactement mais aux Etats-Unis, ben non me voici en pleine ville, pas d’erreur je suis à Paris, mirez la Tour Eiffel, je dois être tombé dans un trou de l’espace-temps, je ne le regrette pas, elle est superbement jolie la fille qui conduit la visite, elle cause anglais, certes mais mon flair de rocker, à sa dégaine, à son sourire me   dit que c’est une française, d’ailleurs l’entendre  prononcer le mot ‘’arrondissement’’ sans la moindre british accentuation me le confirme.

    C’est dommage, je me dois de la quitter, j’ai résolu de chroniquer la dernière vidéo parue sur le compte Western AF.  La chance me sourit, je ne me suis pas trompé, je suis bien sur WAF, et voici la première frenchy chanteuse qu’ils accueillent. Je peux donc rester en compagnie de :

    DOMINO LEWIS

             Je ne la connaissais pas, pourtant elle est passée au Supersonic, j’ai le droit de savoir, le vieil adage ne ment pas : j’ai cherché, j’ai trouvé.

             Loin d’être une débutante. Elle a changé de nom mais pas de style. Elle a  débuté sous le nom de Fame Jane, une passionnée de folk et de country. Elle avait six ans  quand sa famille s’est installée sur la côte Ouest des Usa. D’où la perfection naturelle de son accent. Je suppose qu’elle est revenue faire ses études à Paris. J’ai l’impression qu’elle a délaissé ses bouquins de cours au profit de sa guitare. Compositrice, parolière, musicienne, une voix limpide une source pure que rien ne saurait altérer, que voulez-vous certaines personnes sont favorisées par les Dieux.  

    DO IT ALL

    (Janvier 2025)

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              Des yeux de miel, est-ce pour cela que cette vidéo est un camaïeu d’or, une classe indubitable, mais l’on sent qu’elle ne cherche pas à en jeter plein la vue, elle se contente d’être elle-même, perchée sur la plus haute tour de sa forteresse intérieure, des paroles à l’unisson de ses oripeaux de panthère dorée, une douce mélodie qui coule et des lyrics en autoportrait au couteau, le désir d’étreindre le monde pour mieux l’éteindre, se mêler au feu et à la cendre, tout prendre, ne jamais fuir, laisser s’enfuir, rester seule, non pas selon une stérile solitude mais dans l’unicité de sa lucidité. Une sérénité incisive. Une oriflamme blonde dressée dans le monde, un phare dont la lumière guide les navires, ou les drosse sur les récifs.

    LIVE AT EL ALAMEIN

    FAME JANE

    (Paris / Juillet 2022)

    Fame Jane : music, lyrics, guitar, vocal / Ben Poilvé : pedal steel guitar.

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    Vous avez deux couves. Sur Bandcamp : tête de nos deux artistes dessinées, la mise en place un tantinet maladroite, celle sur You Tube : déjà davantage étudiée, une photo de Fame Jane, un peu à l’ancienne, genre pochette de disques des années cinquante ou rééditions des artistes folk dans les sixties.

    Never No One Will Grow up (for you) :  la steel guitar nous envoûte, quelle tristesse, quelle sagesse, quelle leçon de vie, la voix plus près de celle de Joan Baez que sur le morceau précédent, ce qui choque ce sont les lyrics, quelle aisance d’écriture, les amerloques ne font pas mieux, quelques mots simples, tout est dit, ce qui est prononcé mais aussi ce qui est tu, surtout ce que l’on se doit de saisir car ils ramènent à votre propre expérience, Jane les envoie comme des flèches, toutes blessent, la dernière vous rend plus fort.

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    Little Jeannie : il pleut des larmes, balade sur les mers salées intérieures, la steel pique aux yeux et au cœur, Jane cause des autres et d’avant pour parler d’elle-même et du présent. Sérénité et sincérité malgré les orages non désirés qui grondent. Applaudissements fervents et respectueux sur la fin du morceau.

             Ecoutez Fame Jane, écoutez Domino Lewis. Vous aurez l’impression de découvrir l’Amérique pour la première fois.

    Damie Chad.

     

    *

             Le culte de Ba’al remonte au néolithique. Ne subsiste de lui dans les images d’Epinal de l’imaginaire culturel moderne que la pratique de l’offrande du premier-né que les sectateurs, de Ba’al Hammon déclinaison carthaginoise  du dieu, se devaient d’emmener au temple afin que les prêtres le jetassent vivant dans la fournaise sacrée entretenue en l’honneur de  l’insatiable divinité… 

             Ba’al fait partie de ce que l’on appelle les dieux de l’orage, les éclairs, la foudre, le tonnerre, la violence, nous avons-là des éléments tonitruants qui ne peuvent qu’attirer les groupes de Metal…

    ABSOLUTALY TERRIFYING INSULT

    ETHBAAL

    (Bandcamp / Janvier 2025)

             Ethbaal nous vient de Wroclaw importante cité située au sud-ouest de la Pologne. Il a déjà sorti deux albums Wailling of the Fuzzslaves en 2019 et Repent or End up Suffering en 2021. Les pochettes valent le détour… disons qu’elles nous présentent une vision du christianisme peu attirante…

             Dieu d’amour ou dieu terrible, il faut choisir. Le nom d’Ethbaal ne désigne pas un dieu mais le un roi (918 – 897 av JC) qui régna sur la cité de Sidon de 918. Les royaumes de Sidon et d’Israël, entretinrent d’étroits rapports. Pas tout à fait francs du collier même si Ethbaal donna en mariage sa fille Jézabel à Achab roi d’Israël. Ils ne partageaient pas le même dieu. Ba’al pour Ethbaal, Yahweh pour Achab. Ce qui est marrant, façon de parler, c’est que Ba’al qui exigeait une obéissance absolue de ses fidèles fut un peu le parèdre de l’idée d’un Dieu Unique qui  finit par s’incarner en Yahweh… Si l’on fouille un peu l’on s’aperçoit que Ethbaal était en sa jeunesse prêtre de la déesse d’Astarté et qu’à l’origine Yahweh était une déesse féminine…  

             En digne fille de son père, Jézabel favorisa en Israël le culte de Baal, ce que les prêtres de Yahweh n’apprécièrent guère, ils stigmatisèrent son inconduite, elle finit défenestrée et son cadavre fut livrée aux chiens. Je vous laisse trois minutes pour écouter la version de Jezebel par Gene Vincent.

    Sylwester Szlaga : bass, vocal  / Maciej Kilanowski : drums / Marcin Jankowski  : guitar, vocal / Michał Bobrowicz : guitar.

             Vision apocalyptique de la couve, ce qui attend les pécheurs n’est guère réjouissant… gravez-vous ces scènes de carnage dans la tête au fer rouge. De cheval.

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    Wealkling’ Declaration : battre sa coulpe, l’expression s’accorde à merveille avec le rythme de ce morceau. Mille fois retourner son propre couteau dans sa propre plaie, surtout pas un suicide à la Mishisma, nous sommes loin de l’éthique du samouraï, l’on ressent une délectation morose à s’auto-accuser, à reconnaître toute ses fautes, est-ce pour faire durer le plaisir sadomasochiste que la cadence s’alentit, le vocal agonise longuement, lui qui faisait la grosse voix que l’on emprunte pour imiter le loup qui dans quelques réparties dévorera le chaperon rouge… pas d’erreur nous ne sommes pas sous le joug de Ba’al c’est un chrétien qui se repent… ce n’est pas pour rien que les romains ont très vite accusé le christianisme d’être la religion des faibles… La batterie vous frappe sur les épaules dans le seul but que vous agenouilliez au plus vite. Disgusting Freedom : le contrechant, dire le contraire de ce que l’on pense, l’âme partagée en deux, une ligne mélodique de non acceptation, un salmigondis vocal effroyable chargé de colère, encore faudrait-il savoir vers qui elle se dirige, des espaces de respirations et des reprises ulcérantes accusatrices, quel rôle joues-tu, celui du prêtre, celui du repentant qui ne peut s’empêcher de lorgner vers une liberté sauvage. De quel côté de la lame te retrouveras-tu… Martyr’s Sanity : le dialogue reprend, les deux voix se croisent, elles se répondent mais s’écoutent-elles vraiment, en vérité l’un n’a trouvé que du mensonge dans les enseignements du divin, et l’autre aucune vérité dans ce retranchement entêté de cette lumière offerte.  La mort ne serait-elle pas la seule pureté accessible à tout un chacun. For those who repent : morceau pivot et culminant. Qui a tort ? Qui a raison ? Poser la question ainsi n’est-ce pas désigner un chemin, affirmer qu’il n’y a qu’un seul chemin ou bien… ou bien… les vocaux atteignent leurs amplitudes, la réussite ou l’échec, le réprouvé se défend, le réprouvant s’enferme dans sa croyance, dialogue de sourd. Doom was the path I wass Entwined : discuter, ergoter ne sert à rien. Le background musical est agité d’un sombre chaos rompant, passage à l’acte de la révolte, ne plus avoir peur de commettre le sacrilège, de briser les idoles, être soi ou rester inféodé à une promesse que l’on s’est faite à soi-même, n’est-ce pas la même chose, le chemin est toujours le même, quel que soit le bout par lequel on commence ou celui par lequel on termine, drame total, qu’il soit intime ou extime. Sarabande meurtrière. Ou tuer Dieu ou se tuer soi-même, n’est-ce pas la même chose et la chose même. Absolutely terrifying insult : morceau du renoncement puisque tout choix est un renoncement. Même rythme insultant qu’au début de l’opus, et chacun peut endosser le rôle de l’autre, dans les deux cas un chemin à parcourir à l’envers, un reniement envers soi-même ou envers la vie. L’un insulte Dieu et l’autre la Vie. Un chemin ne diverge-t-il pas de lui-même puisqu’il part d’un côté et se dirige de l’autre côté en même temps. Scars of Atonement : les stigmates christiques ne sont-ils pas la marque du péché humain, les deux bouts du chemin ne se rejoignent-ils pas pour former un cercle qui marque l’oubli de la croix. Scarifications indélébiles des âmes qui ont emprunté ce chemin de croix qui est aussi le chemin sans croix. Dieu, quel qu’il soit, est fardeau, autant pour celui qui le pose sur ses épaules que pour celui qui s’en décharge. Dieu est une flétrissure.

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             L’opus est plus dense qu’il n’y paraît. Je ne sais pas si mon interprétation touche juste. Toutefois elle ne saurait être mauvaise.

             A écouter.

    Damie Chad.

     

    *

             Ans notre livraison 668 du 05 / 12 / 2024 nous chroniquions La Fin de Satan, immense  poème de Victor Hugo mis en voix et en musique par L’œuvre au Noir.  Or vient de paraître une vidéo sur You tube qui risque de  surprendre les amateurs de rock.

    DER TÖD UND DAS MÄDCHEN

    ERSZEBETH

             Il s’agit bien de la même Erszebeth qui prête sa voix à La Fin de Satan. Quant à La Jeune Fille et la Mort, vous ne rêvez pas c’est bien de Schubert. Nos lecteurs ne seront pas surpris, n’avions-nous pas déjà rencontré Erszebeth interprétant avec Stupor Mentis, Promotheus Unbound de Percy Bysshe Shelley et Darkness de Lord Byron. Nombreuses sont les passerelles entre le romantisme et le rock’n’roll. Une même fièvre, une même révolte. A tel point que l’on pourrait parler de rockmantisme. Un autre chemin relie ces deux mouvements, celui de la littérature gothique. Le courant gothique rock qui se manifesta à la fin du vingtième siècle n’est qu’une résurgence du roman gothique anglais… La fascination pour les fantômes, la mort, les héros démoniaques issus de l’ombre ou du rêve aspirent à des musiques teintées d’outrance et de noirceur… Erszebeth s’est inscrite dans ce courant musical polymorphe que nous qualifierons d’underground, des sonorités extrêmes, des tensions éprouvantes, des instrumentations étranges qui se retrouvent à l’intersection des courants new thing, dada, électronic, bruitiste, concret, sériel, indus, metal… Pour faire simple des musiques que la majorité des gens n’écoutent pas et dont ils n’imaginent pas l’existence… Pour être convulsive la beauté reste toujours la beauté.

             Ceux qui visiteront la  discographie d’Erszebeth se rendront compte qu’elle n’hésite jamais, quelle que soit la forme aventureuse à laquelle elle se voue. Elle ose tout. Même la musique classique.

             Nous sommes ici au cœur du romantisme allemand, un simple lied de Schubert dont il reprendra plus tard les motifs pour composer un Quatuor à cordes qui portera le même nom. Rappelons que Schubert génie créateur et bouillonnant s’éteindra à l’âge de trente et un an…

             Le musicien a mis en musique un poème de Matthias Claudius (1740 – 1815), qui n’est pas un des plus grands qu’ait produit l’Allemagne de Goethe et d’Hölderlin. Il ne comporte que huit vers, la Jeune Fille repousse la Mort, mais la Mort la prend dans ses bras pour l’endormir… En langue allemande le mot mort est masculin, ce qui teinte le poème d’un certain érotisme…

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             Il vous faudra l’écouter plusieurs fois, c’est si court, Mallarmé n’a-t-il pas qualifié la mort d’un peu profond ruisseau traversé… c’est si beau aussi, Erszebeth possède une voix qui bercerait les rêves, ceux que vous ferez une fois que vous serez mort et que votre cerveau fonctionnera encore… un souffle doux de louve insufflant à ses petits pelotonnés contre elle le désir de la vie sauvage, une bougie que l’on souffle pour mieux pénétrer dans la noirceur illuminescente de la nuit protectrice, apaisante…

             Confrontation ultime avec soi-même.

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             De toute beauté. Et ces percus ! lorsque la mort est toute proche, elle ne marche pas à pas feutrés !

    Damie Chad.

            

    *

    Une fois n’est pas coutume je vous emmène au cinéma, toutefois âmes sensibles abstenez-vous, la séance n’est pas très longue mais vertigineuse.

    FORGIVENESS

    WAYS

    (YT / Official Music Video / Janvier 2025)

             Dans notre livraison 672 du 09 / 01 / 2025 nous évoquions Ways groupe français qui commence à se faire remarquer à l’étranger. Commentant la photographie d’Anthony Lossmann de la couve de leur EP cinq titres Are We Sill Alive ? j’invitais les lecteurs à faire un tour sur son Instagram qui présente de multiples et sublimes prises de vues de jolies filles. Or le film que nous allons regarder a été écrit et réalisé par Anthony Lossmann. Un film de quatre minutes, oui !

             Forgiveness ouvre Are Wee Still Alive ? L’on pourrait annoncer que les paroles sont un jeu d’obscures clartés, qu’elles taisent plus qu’elles ne disent tout en disant plus qu’elles ne taisent, je préfère les décrire comme ces bouches mystérieuses et attirantes de gouffres existentiels dont vous devinez que l’on ne sort pas indemne de leurs explorations. Ces lyrics parcimonieux et insaisissables s’accrochent à vous tels des serpents obnubilatoires, ils ouvrent le champ à toutes les interprétations, pas n’importe lesquelles, des espèces de plaques de fixation effrayantes et révélatrices des implications de vos désirs. L’on ne descend pas dans son propre labyrinthe sans se rencontrer sous sa propre apparence minautorienne. A vos risques et périls. L’on n’est pas vainqueur à tous les coups. Mais c’est déjà beaucoup de s’en sortir, mort ou vif. Anthonny Lossmann se livre peut-être dans cette vidéo beaucoup plus que Ways.

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             Un film, deux séquences étroitement emmêlées, toutes deux participant à part égale à l’action. Un groupe qui joue. Un drame intime. Des vidéos qui montre un groupe qui joue, de temps en temps coupé par des images choc, il en existe des centaines. Celle-ci est différente. Le groupe joue sa musique incidemment, principalement il joue son rôle. Son idée et son message aussi. Si les choses signifient quelque chose il est nécessaire de savoir quelle chose elles signifient. Anthony Lossmann ne se cache pas derrière ses images, ni Ways derrière ses mots, tous deux dessinent une trajectoire, celle de la flèche mortelle de votre désir et de ses conséquences.

             De la vidéo je ne retiendrai que le début et la fin. Cette idée folle de faire jouer le groupe en pleine nature. Rien d’original certes. Mais les prises de vue et le son sont si violents que vous êtes projeté dans un film de Rambo se coulant dans l’enfer de la jungle vietnamienne… vous savez que vous êtes au paroxysme de l’action, puis à la fin, le silence et le coassement des grenouilles, ce coup-ci c’est La Créature sortie des Marais…

             En conclusion, je rapporterai la phrase d’une amie, prononcée il a plus de quarante ans lors d’une discussion sur le cinéma : ‘’ Je déteste les films français dans lesquels un couple se déchire dans un deux-pièces-cuisine ! ’’. Ways et Anthony Lossmann ont su éviter cet écueil.

             Epoustoufflant.

    Damie Chad.  

  • CHRONIQUES DE POURPRE 676 : KR'TNT ! 676 : SAM MOORE / NICK WHEELDON / GLORIA JONES / OLIVIER ROCABOIS / QUINN DeVEAUX / TWO RUNNER / BARSHASKETH / A TERRE

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 676

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    06 / 02 / 2025 

     

     SAM MOORE / NICK WHEELDON

    GLORIA JONES / OLIVIER ROCABOIS

    QUINN DeVEAUX / TWO RUNNER

      BARSHASKETH / A TERRE

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 676

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - The Moore I see you

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             L’heure est venue d’honorer la mémoire de Sam Moore qui vient tout juste de casser sa pipe en bois. Alors jerkons.

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             Dans un petit livre intitulé Sam And Dave - An Oral History, Sam Moore nous raconte dans le détail l’extraordinaire aventure de Sam & Dave, le duo de plus hot, le plus excitant et le plus radical de l’histoire de la Soul music. Sam se livre à un long monologue et ne nous épargne aucun détail sur son penchant pour le vice, les femmes et les drogues. On comprend mieux d’où vient l’extraordinaire énergie de Sam & Dave. Si Sam avait été un sirupeux ou un béni oui-oui, Sam & Dave n’auraient jamais explosé les charts de la manière que l’on sait. Dans une courte préface, Dave Marsh nous fait l’éloge de Sam, un homme à la fois marrant, perspicace, charmant, the casual epitome of Soul, l’interlocuteur le plus intense qu’un journaliste puisse espérer interviewer. Marsh salue aussi la franchise d’un Sam qui ne fait pas l’impasse sur ce qu’il appelle the dark  dimensions.  Il y a en effet un part de dark en chaque homme, et chez Sam, c’est une double, voire une triple part.

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             Sam grandit en Floride et dès l’adolescence, il se tape toutes les gonzesses du quartier - Elles me donnaient toutes quelque chose. L’une me donnait de l’argent, l’autre de la bouffe. Barbara me laissait monter gratuitement dans le bus. Une autre m’a donné un bracelet avec le nom qu’on m’avait donné gravé à l’intérieur : Daddy Love - Et voilà, c’est parti pour une carrière de mac. Sam va pimper comme une bête. N’oublions que l’histoire de la Soul et des souteneurs est très liée. Sam s’intéresse aussi à la musique, et à Sam Cooke en particulier. C’est l’époque où Sam Cooke sillonnait encore les États-Unis avec les Soul Stirrers. Quand ils arrivent à Miami, Sam Cooke a quitté le groupe. Sam Moore entend dire qu’O.V. Wrigh et James Carr ont postulé pour son remplacement, mais c’est Johnnie Taylor qui chope le job. Sam découvre aussi Jackie Wilson dont le jeu de scène le fascine. Il voit surtout les femmes se jeter sur lui pour l’embrasser et il se dit : «Goddamn, that’s what I want to do !»

             Sam joue pas mal avec le feu en baisant les poules des autres, et un jour un mec le canarde dans la cuisse. Trois balles. Il se retrouve à l’hosto. Et il continue d’envoyer ses copines au tapin. Si elles se plaignent, il leur tient ce genre de discours :

             — Si tu vas au ballon, qui va te sortir de là ?

             — You Daddy Love !

             — Si t’as faim, qui te donne à bouffer ?

             — You Daddy Love !

             — Si t’as besoin de voir le docteur, qui te paye le docteur ?

             — You Daddy Love !

             — Comment je peux te payer tout ça, bitch ?

             — C’est vrai, Daddy, garde tout le blé.

             Pimping.

             Sam finit par se retrouver au trou, au pénitencier de Raiford, en Floride. Il y tire dix-huit mois. Comme Chucky Chuckah et Little Willie John, Sam n’est pas un enfant de chœur. C’est la notion de base, si on veut comprendre le phénomène Sam & Dave. Pas de Sam & Dave sans délinquance.

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             En 1961, Sam entame une carrière de chanteur et se produit au King Of Hearts, un club de Miami. Et puis un soir, voilà que se présente au concours amateur un certain Dave Prater. Le premier mot que Sam prononce pour le présenter, c’est ‘country’, autrement dit plouc - Dave portait une chemise blanche, un pantalon blanc et des tennis. De la poussière se dégageait de ses vêtements et je trouvais ça étrange. Je ne savais pas à l’époque qu’il travaillait dans une boulangerie. Je pensais qu’il se poudrait. Il laissait des traces en marchant. Il portait une pompadour. Un chiffon dépassait de la poche arrière de son pantalon - Ils commencent à chanter ensemble et tapent dans les cuts de Cooke, de Gary US Bonds, de Ray Charles et dans le «Dedicated To The One I Love» des Five Royales - A lot of people don’t understand : Dave and I never harmonized. Sam and Dave was call-and-response - Et Sam ajoute : «Dave was just a ccountry boy from Ocilla, Georgia. Lui et son frère sont venus à Miami quand il devait avoir dix-huit ans pour chanter dans un groupe de gospel. (...) He really was just a clean-cut country boy. Sur scène, il répliquait tout ce que je faisais.» Et ça commence à marcher pour eux, au point que Roulette les signe. Les voilà tous les deux à New York, ils débarquent dans les bureaux de Roulette et tombent sur une grosse altercation. Dinah Washington lance à quelqu’un :

             — You just can kiss my black ass !

             Puis Sam voit sortir Morris Levy du bureau, ‘the big old son of a bitch’ qui répond d’une voix grave à Dinah :

             — Fuck you !

             Ils s’insultent. Puis arrive Frankie Lymon qui a besoin de blé.

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             Un mec de Roulette nommé Henry Wynn envoie Sam & Dave tourner sur le fameux Chitlin’ circuit, ils ouvrent pour Jackie Wilson, les Drifters, Fats Domino, Gene Chandler, Mitty Collier, Patti Labelle & the Bluebelles et Gorgeous George. Puis un jour, Joe Medlin dit à Sam : «Look, Morris don’t know what to do with you motherfuckers. We don’t know where to place you.» Il conseille à Sam d’aller trouver Morris pour lui demander de rompre le contrat. Sam rentre à Miami et trouve l’adresse de la maison de vacances de Morris Levy. Ils s’y rendent tous les deux, sans rendez-vous et terrorisés. Morris Levy se dit : « Si ces deux clowns sont assez tarés pour venir chez moi, je ferais mieux d’écouter ce qu’ils ont à dire.»

             — Vous voulez quoi ?

             — On est sur votre label, et on ne vend pas beaucoup...

             Morris Levy ne les connaît pas, mais il les situe quand Sam cite le titre du single qu’ils ont enregistré pour Roulette.

             — Oh, you that Sam & Dave !

             — Yes sir !

             — Vous voulez quoi ?

             — On voudrait récupérer notre contrat.

             — Yeah ?

             — Yes sir.

             Alors il va au téléphone, appelle une secrétaire qui lui amène une mallette, il fouille et sort un document.

             — Je vais vous dire ce que je vais faire. Vous avez l’air de braves kids. Vous êtes parfaitement stupides, mais vous avez l’air gentils. Bon, je déchire ça. Oublions cette histoire.

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             Et c’est là que Jerry Wexler entre en scène. Il fait savoir à Sam qu’il veut les rencontrer. I don’t know no Jerry Wexler. Sam & Dave prennent Willy Bo Anderson comme manager - He could think fast. He talked fast. And he smelled like a rat - Sam & Dave signent le contrat Atlantic et récupèrent 5 000 $ et un taux de royalties fixé à 3%. Ils filent chacun 500 $ à Bo et le virent dans la foulée. Mais Bo les poursuit en justice. Atlantic envoie Sam & Dave à Memphis et c’est là que démarre véritablement leur histoire : en 1965, avec deux tickets de bus. Arrivés à Memphis, ils prennent un taxi pour McLemore. Sur le trottoir, Packy Axton et David Porter les attendent. Ils papotent pendant cinq minutes et Sam voit arriver dans la rue un drôle de zig : «Il portait une chemise jaune à fleurs, un pantalon vert chartreuse, des chaussettes roses et des mocassins blancs en paille. Son pantalon était en feu de plancher car on voyait bien les chaussettes roses. Puis je levai la tête et vis qu’il avait le crâne rasé. Il ne devait pas avoir plus de vingt ans. Je n’avais encore jamais vu un mec pareil !» Il s’agit bien sûr d’Isaac le Prophète. Par contre, David Porter est agent d’assurance. Il travaille aussi comme caissier à l’épicerie voisine. C’est trop pour Sam qui veut rentrer chez lui. Il a l’impression d’être arrivé dans les Orzacks et pire encore, il apprend que le guy with the weird clothes est leur producteur ! What ? En fait, Sam ne sait rien de Stax. On lui a juste donné un ticket de bus. Ils entrent aussitôt après dans le fameux studio de McLemore et commencent à travailler. Il connaît le nom de Booker T car il a entendu «Green Onions» à la radio, mais il ne sait rien des autres. Jim Stewart leur annonce que David et Isaac ont composé quelques chansons pour eux, «so let’s see if we can get going, get it started !» Isaac fait avec Sam de la direction artistique : «No Sam, I don’t want  you to do that, because if you sing right there you’re gonna go flat.» Et il insiste pour que Sam aille chercher la note : «Go get it !» Isaac et David Porter font tout simplement du sur-mesure avec Sam & Dave. C’est miraculeux. On connaît le résultat. Sam fait aussi l’éloge d’Al Jackson, a genius, like a metronome. Al joue sur une batterie minimaliste. Une caisse claire à hauteur des genoux, un tom basse et une cymbale.

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             Ils démarrent leur trilogie Stax avec l’imbattable Hold On I’m Comin’ paru en 1966. Avec cet album, ils nous installent au cœur du mythe. Comme ceux d’Otis ou de Wilson Pickett, les hits de Sam & Dave ont bâti la légende. L’album s’ouvre sur l’intemporel «Hold On I’m Coming», le plus sexuel des hits. C’est un modèle parfait de r’n’b monté sur un mid-tempo, l’art suprême, le plus difficile à jouer. Ce hit restera un hit jusqu’à la fin des temps. Et ça continue avec «I Take What I Want», pur jus de juke. Real Stax sound, baby. Encore un shout de Soul avec «Ease Me», excellent car mené à la rythmique caracolante. De l’autre côté, on tombe sur «It’s A Wonder», une lointaine redite d’Hold On. On retrouve le strutting des cuivres et les voix qui se perdent dans un canal. Dommage que la production soit tellement minimaliste. L’autre hit majeur de cet album est l’effarant «You Don’t Know Like I Know» sur lequel tous les kids dansaient, un pur hit du temps d’alors avec ses coups de trompette en travers du chemin et Sam & Dave au fond du studio. Quelle staxerie ! 

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             Sam rappelle qu’il a déjà trente ans quand il décroche son premier hit, en 1965. Alors que Little Willie John en avait quinze quand il devint une star. Sam admire Joe Tex, non seulement en tant que performer, mais surtout comme spiritual man. Il qualifie Jerry Butler de class act et devient pote avec son buddy Otis. Mais ceux qu’il place encore au-dessus sont bien sûr Sam Cooke, Jackie Wilson et Little Willie John. Sam voit que Jackie porte des chaussures sans lacets. Il fait la même chose. Il se souvient aussi de Little Willie John à l’Apollo de Harlem, this little short son of a bitch - Willie used to sing his soul out. I know he wanted to be Frank Sinatra - Parce qu’il arrive sur scène avec un petit chapeau et une chemise ouverte et cravatée - He liked that ganster part - He wanted to be great and bad - C’est Little Willy John qui initie Sam à la coke dans les gogues du bar voisin de l’Apollo, chez Wilt’s.

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             Paru la même année, Double Dynamite propose aussi son petit lot d’énormités. «You Got Me Hummin’» est l’un des meilleurs heavy grooves de l’histoire des heavy grooves. C’est un modèle de menace rampante, avec son beat lourd et tout ce gras ! Avec «Soothe Me», Sam & Dave tapent dans la joie et la bonne humeur. C’est du Sam Cooke alors forcément on se rapproche du gospel batch. Le «Just Can’t Get Enough» qui suit vire plus poppy. Chez Stax, dès qu’on sort des pattes d’Isaac et de David, on prend des risques. En B, il tapent dans Dan Penn et Spooner Oldham avec «I’m Your Puppet», un balladif supérieur. On sent là une sorte de magie compositale. Et puis on revient plus loin au boogie blues avec le fantastique «Home At Last», admirablement groové aux cuivres. Au chant, Sam & Dave défient les lois de la physique. Saisissant ! Ils bouclent ce bel album avec «Use Me», une sorte de fin de non recevoir Staxy. C’est du raunch de raw, du râle de raide chanté à la double glotte en feu. Ils chantent comme des dieux.

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             Soul Men paraît l’année suivante. On les voit jerker sur la pochette. Leur truc, c’est d’abord la scène. Avec «Soul Man» qui ouvre le bal, on entend Duck Dunn jouer en sauterie et Steve Cropper gratter à la régalade. Ces gens groovent à la folie. Ils sortent la meilleure Soul du monde. Ils font plus loin une reprise de Gilbert Bécaud avec «Let It Be Me», mais l’ensemble du balda reste assez calme. De l’autre côté se niche «Don’t Knock It», une petite Soul de tempo indéterminé, mi-figue mi-raisin, rythmée à coups de trompettes. Il faut attendre «The Good Runs The Bad Way» pour renouer avec le diabolisme. C’est tout simplement monté en neige sur le haut d’un beat étonnamment squelettique et ça donne un résultat spectaculaire.

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             Mis à part le morceau titre de l’album I Thank You qui fit danser tous les petits culs blancs devant les jukes en 1968, se nichent deux véritables énormités sur cet album, à commencer par «You Don’t Know What You Mean To Me», un compo de Soul joyeuse signée Eddie Floyd. On ne se lasse pas de la réécouter. L’autre coup de Jarnac se trouve de l’autre côté. Il s’agit bien évidemment de «Talk To The Man», un belle pièce de Soul alambiquée et orchestrée jusqu’à plus soif. Cette fantastique pièce de Soul pounding se finit en apothéose. Oh on trouve d’autres bons cuts sur cet album, mais chez Sam & Dave le bon est banal. Tout simplement parce qu’ils sont accompagnés par Steve Cropper et Duck Dunn.  

             Sam est assez amer sur Memphis : «Memphis étant Memphis, ces gens ont obtenu de nous ce qu’ils voulaient. Mais on est toujours restés à part. On était tolérés. Nous étions pourtant the biggest act on the label. Quand plus tard ils ont rasé le bâtiment, ils ont mis une plaque commémorative. Sam & Dave qui avaient enregistré chez Stax étaient les seuls noms qui ne figuraient pas sur la plaque. Ils étaient capables de ça.»

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             Sam explique aussi qu’il aimait beaucoup Dave au début, he was a raw talent, a diamond in the rough. Mais en même temps, il contrôle le duo. Les autres artistes se moquent de Dave car ils le trouvent trop country. Dès qu’il quitte la pièce, tout le monde éclate de rire.

             Sam revient vivre à New York et reprend sa routine de maquereau. Il dispose de deux appartements et de trois filles qu’il met au tapin. Il fait aménager les appartements par les filles, les vire et en trouve d’autres. Dave boit comme un trou et Sam prend de la coke et de l’héro. Pendant un certain temps, il réussit à contrôler son business. Mais c’est de plus en plus difficile de contrôler les filles avec la dope plein la cervelle. «I had all that dope in my head and I’m starting to burn out.» Sam est entré dans le circuit de la mafia d’Harlem - I got to deal with the boys. You understand me ? - Il devient junkie, my drug habit became real bad - I’m talking about real bad. Puis j’ai rencontré some of the gentlemen’s friends. Saying, ‘If you want to act like Superman, we can help you fly’, I was held out the window many times. I was beat with a telephone book many times - Quand il est en tournée, il arrive en ville et il doit trouver that boy (la coke c’est the girl, et l’héro the boy). Il baise des nuits entières, appellent les filles the borad - Oh I’m ready and it was all night, me and the borad - Personne ne peut inciter à Sam à se calmer. Who’s gonna tell Sam Moore ? - Dave est devenu Junkie. Il fait exactement ce que fait Sam - Because everything he see me do, you understand, Dave is gonna do it (...) So if he sees me on drugs, he’s gonna emulate, because I’m Mr. Cool. A year after me, Dave started on the hard stuff.

             C’est en 1970 que Dave tire sur sa deuxième femme, Judy Gilbert - Dave shot judy in the face - Elle survit, mais Sam dit à Dave qu’il continuera de chanter avec lui mais il ne lui adressera plus jamais la parole - I’ll sing with you but I shall not ever, ever again speak to you - Et Dave lui répond : «Well, I don’t give a fuck. It wasn’t none of your business. You ain’t got nothing to do with it, so fuck you.» Pendant les douze années suivantes, Sam n’adressa pas la parole à Dave. Sauf quand ils se partagent la dope. Mais ils ont des loges séparées. Pour sauver sa peau, Dave a dû épouser Judy pour qu’elle ne porte pas plainte contre lui.

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             Le grand retour de Sam & Dave se fait en 1974 avec l’extraordinaire album Back At’ Cha, produit par Steve Cropper. Ça commence pourtant pas très bien puisque «Come Into My Life» flirte avec le reggae, mais attention aux yeux, car «Whan My Love Hand Come Down» est un hit propulsé à la percute de Dunn. Il fait une sorte de festival itinérant, il n’arrête pas, il fait tout à la percute de Soul blast. Donald Duck Dunn est l’un des rois du bassmatic. «A Little Bit Of Good» sonne comme un hit joyeux des Four Tops. Sam & Dave ont su conserver toute leur niaque. Steve Cropper joue ça en funky motion. Il faut voir la classe de la motion. Mais les grosses pièces sont en B. «Shoo Rah Shoo Rah» renoue avec le génie Stax, c’est chanté au meilleur jus de duo d’enfer, c’est admirable de soulitude. Ils sont dessus comme aux premiers jours. S’ensuit un coup de poids lourd intitulé «Queen Of The Ghetto». Ils attaquent ça au heavy r’n’b. Ça claque comme l’étendard de la blackitude. La paire retrouve son incroyable ampleur et Crop place ici et là des riffs particulièrement malsains. «Blinded By Love» reste dans la même veine, shout de r’n’b incroyablement solide et soutenu par l’une des meilleurs sections rythmiques du monde. Sam & Dave chantent chacun leur tour, avec du chien à revendre. Ils retrouvent leur beat de prédilection avec «Give It What You Can», un beat farci de ponts en roue libre, joué au funk, bardé de coups de trompettes et Duck vient tout naturellement infecter le groove à coups de riffs de basse malsains.

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             Curieux album que ce Sweet & Funky Gold paru en 1978. Sam & Dave y ont ré-enregistré tous leurs hits, mais avec une autre section rythmique et surtout une basse bien en avant dans le mix. Du coup, on a un son plus massif qu’avec Stax. La version d’«Hold On I’m Coming» roule pour nous, avec ses trompettes en sourdine et sa grosse basse qui dégage le passage. Même chose avec «I Thank You», un son rudement plus gras, bien pulsé par le pounding de basse. C’est un parti-pris extraordinairement juste. Rien de tel qu’une grosse basse voyageuse, comme celle de James Jamerson. De l’autre côté, on tombe sur des versions énormes de «Soul Sister Brown Sugar», véritable pétaudière, «Can’t You Find Another Way», avec une basse incroyablement agressive aux premier rang et qui fait rêver, et «Soul Man», bien sûr, et une intro qui sanctifie le hit universel. Ils finissent avec une spectaculaire version de «You Don’t Know What You MeanTo Me». C’est chanté avec un feeling indécent. Sam Moore et Dave Prater poussent leur bouchon avec une grande subtilité et jouent de tous les avantages de la diction glissante. Wow ! Ce n’est pas un hasard si pendant les sixties ils étaient nos favoris, avec James Brown.

             Puis Sam finit par quitter Dave définitivement, alors qu’ils sont au top, puisqu’ils jouent pour 60 000 $ par semaine à Las Vegas et qu’on leur propose 100 000 $ à Lake Tahoe. Sam convoque une conférence de presse et annonce : «I’m Sam fuckin’ Moore. I don’t want to stay with this morherfucker. I’m leaving.» Il reviendra chanter en solo à Vegas en 1982.

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    (Sam + Joyce)

             Sam parle très bien de son déclin, à l’âge d’or de la dope. Il commence par perdre son avion privé. Puis son bus de tournée. Puis son bureau. Puis le personnel du bureau. Puis Atlantic. Il ne lui reste rien. Puis il voit un mec lui piquer sa bagnole. Zoop ! Une blanche nommée Joyce qui s’était occupée de Jackie Wilson tombe amoureuse de Sam. Elle va même d’ailleurs le sauver. Elle récupère un chapitre dans le petit livre pour nous expliquer ça. Un vrai conte de fée. Elle voit que Jeff Brown, le manager de Sam, abuse : il goinfre Sam de dope et emplâtre tout le blé des concerts. Elle commence par lui demander : «Pourquoi ne l’aidez-vous pas à aller mieux ?» et Brown lui répond : «Sam ne veut pas aller mieux. On ne peut rien tirer de ce mec à part le faire monter sur scène pour chanter.» Joyce trouve que c’est de l’ugly shit et décide de voler au secours de Sam. Il est arrivé exactement la même histoire à Johnny Winter. Joyce apprend en outre que Jeff Brown a joué au casino de Reno et qu’il a perdu tout le blé de Sam. Elle comprend que ce mec est un gros escroc. Sam doit prendre ses distances avec tout le business, Brown et la dope. Il accepte d’entrer en detox. Le médecin lui dit qu’il va y avoir un sacré boulot : le corps de Sam est gorgé de dope. Joyce qui connaît Bill Graham lui demande de l’aide et Bill envoie deux gardes du corps pour empêcher Brown d’approcher Sam. 

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             On vit réapparaître Sam Moore en 2002 avec Plenty Good Lovin’, le fameux Lost solo album. Dès le morceau titre, Sam renoue avec sa vieille spécialité, l’hot shot de r’n’b. Il fait aussi une version absolument énorme de «Shop Around», Ô puissances des ténèbres, you better shop around ! Quelle version ! Sam la chante à la pointe et la pousse dans ses retranchements. Il réinvente tout simplement le mythe Stax avec un hit de Smokey. On retrouve ce fantastique screamer dans «If I Love You Love». Le vieux Sam sait groover l’heavy groove, pas de problème. Avec «Get Out Of My Life Woman», il passe au fantastique shuffle de classe événementielle. Il surchauffe sa Soul en vrai vétéran de toutes les guerres. Il porte le flambeau du r’n’b, mais avec une belle maturité. On a là le groove de r’n’b pressé de rêve, bien arqué sous le vent, celui qui ne traîne pas en chemin. Incredible ! Sam groove sous le boisseau. Sam le héros se faufile et tire sur le chewing gum de ses syllabes. S’il casse bien ses noix, c’est pour mieux sortir les accents. Il retrouve le fameux sock it to me de la funky motion dans «Keep On Sockin’ It To Me». On note au passage l’extraordinaire santé du beat.

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             Un autre album de Sam Moore paraît en 2006, Overnight Sensational. C’est un album de duos avec des invités parfois douteux (Bon Jovi, Stong). Il attaque avec une version d’«I Can’t Stand The Rain» qu’il groove en compagnie de Billy Preston. Des filles chantent avec Sam le héros. Ça frise le putassier, mais ça passe. Il faut attendre «Ain’t No Love» pour frémir un bon coup. Il y duette avec Stevie Winwood, histoire de renouer avec la classe. N’oublions pas que Stevie fut un Soul Man en culottes courtes. Sam et Stevie, c’est réellement une bonne affaire. Le petit Stevie a su adapter sa glotte à la fournaise des blacks, il sait donc staxer un stick et shaker un shook. Autre duo de choc avec Bekka Bramlett dans «Don’t Play That Song», jolie pièce de good time music. Sam continue de tordre le cou de la girafe avec une énergie hors du commun, oh merci Sam for that mercy ! Le coup de génie du disque s’appelle «If I Had No Loot». Voilà un groove extrêmement rampant et dégoulinant de sensualité malsaine. Sam et les filles abattent un boulot énorme. Allez, tiens, encore du pur jus de Stax avec «Riding Thumb». Sam renoue avec le Sam & Dave System, accompagné par Travis Pitt qui fait ah ah ! C’est explosif. On a là du grand Sam avec pas mal de répondant par derrière. Que peut-on espérer de mieux ?

    Signé : Cazengler, Sam Mou

    Sam Moore. Disparu le 10 janvier 2025

    Sam & Dave. Hold On I’m Comin’. Stax 1966

    Sam & Dave. Double Dynamite. Stax 1966

    Sam & Dave. Soul Men. Stax 1967

    Sam & Dave. I Thank You. Atlantic 1968 

    Sam & Dave. Back At’ Cha. United Artists Records 1974 

    Sam & Dave. Sweet & Funky Gold. Gusto Records 1978

    Sam Moore. Plenty Good Lovin’. 2KSounds 2002 

    Sam Moore. Overnight Sensational. Rhino Records 2006

    Dave Marsh. Sam And Dave. An Oral History. Avon Books 1998

     

     

    L’avenir du rock

     - Wheeldon du ciel

             Pour rester dans l’air du temps, l’avenir du rock erre. L’erre dans le désert. Ça lui plaît car ça sonne bien. L’erre dans l’air. Si ça ne tenait qu’à lui, il s’en gargariserait. Mais ce n’est pas l’heure car voici qu’apparaît au sommet d’une dune un volatile. La chose approche rapidement. L’avenir du rock s’attend au cui cui rituel, mais à sa grande surprise, le volatile lui adresse la parole :

             — Chuis le dindon de Meudon ! Z’auriez pas vu Burdon ?

             — Pardon ?

             — Je cherche aussi Ron Ashedon !

             — Pour quoi faire ?

             — Ben pour monter un groupe qui va s’appeler Armaguidon !

             — Ah c’est pas du bidon !

             Épuisé par cet échange trop insolite, l’avenir du rock brise net et reprend son petit bonhomme de chemin. Alors que le soleil se couche à l’horizon, il voit apparaître la silhouette d’une créature encore plus singulière, qu’on dirait sortie d’une toile de Jérôme Bosch : un grand poisson surmonté d’une épée et monté à la verticale sur deux guiboles fluettes. La chose approche et lance d’une voix claironnante :

             — Chuis Don l’Espadon !

             — Ah oui, je vous reconnais ! Vous ai vu sur un bas-relief crétois en compagnie de Poséidon.

             — Z’auriez pas vu John Lydon ?

             — Pour quoi faire ?

             — Ben pour monter un groupe qui va s’appeler les Cupides Cupidons !

             C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase de l’avenir du rock :

             — Vous commencez tous à me courir sur l’haricot avec tous vos Burdon, tous vos Ashedon et tous vos Lydon ! Fuck ! Et Wheeldon ? Vous pensez jamais à Wheeldon ?

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             Nick Wheeldon à Rouen ! Pas au Zénith, mais chez un particulier. Tu ne peux pas rêver plus underground que le salon d’un pavillon en banlieue de Rouen. C’est même un coin qui frise le working class. Le salon est petit, donc small attendance, comme on dit de l’autre côté de la Manche, mais du trié sur le volet, en gros l’attendance des concerts psyché de Braincrushing au Trois Pièces. L’undergound rouennais reprend du poil de la bête, et c’est la meilleure des bonnes nouvelles.

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             On reste dans les bonnes nouvelles avec l’entrée de Nick Wheeldon dans le salon. Sous son bonnet et derrière sa moustache, il fait assez working class, histoire de rester en cohérence avec l’environnement. Tu le sens : dès son arrivée les vibes sont là. Et pouf, il attaque un set assez dense en grattant des coups d’acou, accompagné par un saxman barbu (qui flirte parfois avec Trane), un violoniste (qui aurait pu jouer dans les Pogues), un bassman black incroyablement groovy, un surdoué du beurre, et sur certains cuts, deux petites choristes viennent participer au festin.

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    Car oui, il s’agit bien d’un festin de chansons, puissamment ancrées dans un son très folky-folkah, violonné et saxé de frais, et joliment flanqué d’échos dylanesques. À un moment, dans un cut qui s’appelle «Garden Of Doubt» tu crois entendre des accents de «Girl From The North Country», alors tu te pinces, mais non, c’est Nick Wheeldon. Don du ciel. Il a ce pouvoir et ce talent. Ils ne sont que trois aujourd’hui à savoir honorer le génie de Bob Dylan en l’ayant intégré : William Loveday Intention, c’est-à-dire Wild Billy Childish, Daniel Romano et Nick Wheeldon. Ça va loin cette histoire, car pour un peu, tu te croirais dans la small attendance du Gaslight en 1962. Bon d’accord, la route de Darnétal n’est pas MacDougal Street, mais les chansons sont là et tu crois dur comme fer assister à l’avènement d’une ère nouvelle.

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    Ce capiteux mélange de talent et de dépouillement renvoie aussi au personnage qu’interprète Oscar Isaac dans l’excellentissime Inside Llewyn Davis, et bien sûr sur Gene Clark, qui, après avoir sauté du nid, s’est tapé une sacrée traversée du désert. Tu sens chez Nick Wheeldon le commitment dylanesque, c’est-à-dire l’essence du real deal, certaines de ses chansons t’embarquent pour Cythère, surtout quand il les screame pour les arracher du sol. Sur le coup, t’es complètement flabbergasted. Nick Wheeldon a du souffle et dispose de tout le prestige de ses influences.

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             Tu retrouves «Garden Of Doubt» sur Make Art, un double album de Nick Wheeldon & Friends II qui vient tout juste de paraître. Seize titres en tout et six bombes, mais pas les bombes atomiques habituelles, c’est une nouvelle race de bombes, et il va falloir s’y habituer : des bombes désacralisées d’une extrême pureté, comme par exemple «No God No Master», Nick s’y nique la voix et s’adresse à ta cervelle en direct. En B, on retrouve une énormité nommée «Glue», l’un des pic viscéraux du set, un Glue fantastiquement plombé au What Am I to seek, chargé de sax et de tout le désespoir du monde, il tape ça à la glotte écorchée vive et t’as même une plongée du sax dans le délire de Trane. Il chante ensuite son «Comedy» avec une rare violence interprétative, une sorte de sauvagerie transie jusque-là inconnue. Il faut remonter jusqu’à Tim Buckley pour trouver un point de comparaison. T’arrives en C et t’es pas au bout de tes surprises : tu retrouves l’un des enchaînements magiques du set, «Start Again» (très Geno dans l’esprit, complainte résolue et délibérée digne de No Other) suivi de «Shot Of Turpentine» que Nick claque avec des accents de John Lennon. C’est fin de bout en bout. Le «Garden Of Doubt» se planque en D et le fantôme de Trane revient hanter «Hand Me Down Child» avec une rare violence tourbillonnaire. L’incroyable de toute cette histoire est qu’en live, tous ces cuts sont intacts. Ils ne perdent rien de leur power. T’écoutes Make Art et tu revis tous les moments forts du set.

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             L’album précédent s’appelle Waiting For The Piano To Fall. Pas la même équipe. Il s’agit cette fois des Living Paintings. L’album est moins dense que Make Art, mais il va sur l’île déserte pour au moins trois raisons dont la première porte le doux nom d’«Isaak». Nick y sonne comme Peter Perrett - I promise there’ll be silence/ I promise there’ll be love - Encore une fois, il te flaggerbaste. La deuxième raison s’appelle «Oh Surprise». Par réflexe, t’es tenté de dire qu’il sonne comme... Il sonne comme... Fuck it ! Il sonne comme Nick Wheeldon, avec cette grandeur naturelle qui l’élève au même niveau que John Lennon ou David Bowie, il t’offre ce rare mélange de grande voix et de qualité compositale. Et puis au bout la B, t’as cette merveille qui s’appelle «No Spider In My Room». Le spirit de John Lennon semble encore planer sur cette lancinante rengaine à peine violonnée et donc visitée par la grâce. On en pincera aussi pour «Black Madonna», un fantastique mélopif tourbillonnaire, et pour l’infinie délicatesse de «Weeping Willow». Ses balladifs s’égarent parfois dans un entre-deux, mais c’est ce qui fait leur charme. Tellement intense et effervescent, «They’re Not Selling Flowers Around Anymore» évoque encore le génie fugueur de Tim Buckley. 

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             Communication Problems date de 2021. Il attaque avec un gospel-folk («Talkin’ Bout Jesus») et enchaîne avec un petit folk-rock sans prétention («Telephone #2»). En cherchant bien, on y trouve de vagues échos de Stonesy. Avec «Every Street That We Know», il va plus sur les Byrds. Ce mec croule sous les facilités. Puis avec «Neal», il passe à la Beatlemania - I guess we’ll be working out in the end - C’est brillant, il se plonge avec délectation dans la cour des grands. Il boucle son balda avec un «Ticket Fort Your Love» gratté sur le riff de «Satisfaction». C’est assez curieux et inspiré, et même chanté à deux voix. Il attaque sa B avec un «Love In Vain» qui n’est pas celui qu’on croit. Il flirte cette fois avec John Lennon. Pareil avec «I Forgive You» : très Lennon dans l’esprit. Avec chacun de ses albums, Nick Wheeldon convie les gens à un festin de chansons.

             Un troisième album traîne au merch. On demande à la petite choriste :

             — C’est quoi ?

             — Oh, Nick joue de la basse là-dessus.

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             Le groupe d’appelle Belmont Witch et l’album Mundo Rumbo. Tu tentes le coup. Life is short ! Belmont Witch est le groupe de Michele Santoyo. Elle chante d’une voix éthérée et Nick est ultra-présent dans le mix. Ça accroche bien dès le «Dientes De Leon» en ouverture de balda, et encore plus avec le «Pas De Réponse» qui suit. C’est joliment troussé, avec le Nick en embuscade. De cut en cut, on retrouve ce petit beat pressé qui ne traîne pas en chemin, bien soutenu au bassmatic alerte. Tout est monté sur le même mélange d’éther vocal et d’up-tempo aux pieds agiles. Quelle belle touffeur ! «Se Vale Soltar» sonne comme un hit, avec des échos de Television et des Cocteau Twins. «Atrapame» respire bien, beau souffle mélodique, Nick contribue merveilleusement bien à l’envol. L’album bat pas mal de records d’élégance. C’est le bassmatic que tu écoutes sur «Venfo Detras» en B. Le drive de basse a une présence énorme, le cut flirte avec la psychedelia, mais rien de Mad, juste une belle tension mirobolante. C’est à la fois beau et tendu. Michele Santoyo est assez complète, toutes ses compos tiennent la route et c’est elle qui gratte les poux. Très bel ambiancier encore que cet «El Dolor». On ne se lasse pas des dynamiques, le bassmatic finit même par glouglouter. Oh et puis voilà «Chaos», éclairé de l’intérieur par le cœur battant du bassmatic, c’est d’une grande pureté intrinsèque et ça se termine en bouquets de délires pouilleux d’une rare extravagance. Belmont Witch ? Les yeux fermés.

    Signé : Cazengler, Nick Wheeldinde

    Nick Wheeldon. Chez André. Rouen (76). 26 janvier 2025

    Nick Wheeldon. Communication Problems. Le Pop Club Records 2021

    Nick Wheeldon & The Living Paintings. Waiting For The Piano To Fall. Le Pop Club Records 2024

    Nick Wheeldon & Friends II. Make Art. Le Pop Club Records 2024

    Belmont Witch. Mundo Rumbo. Polaks Records 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - La gloire de Gloria

             Baby Claudia était du genre à te dire : «Tourne-moi autour du pot.» Tu ne comprenais pas très bien ce qu’elle voulait te dire, alors tu souriais bêtement. Tu la croisais dans des concerts et tu savais qu’elle était maquée avec un gentil mec, alors pas touche. Mais c’est elle qui revenait à la charge. «Tourne-moi autour du pot.» Ce soir-là, elle portait un petite robe jaune en vinyle très courte et elle ramena deux verres : «Tiens c’est pour toi, Frédérick !». Comme elle sonnait exactement comme Arletty dans Les Enfants Du Paradis, elle eut droit à la fameuse réplique : «Paris est tout petit pour ceux qui s’aiment comme nous d’un si grand amour.» Piquée au vif, elle disparut aussi sec dans la foule. Ouf ! Quel soulagement ! Les mois passèrent. On se croisait de loin en loin. Elle apparaissait toujours par surprise. Un autre soir, lors d’un concert qui affichait complet, elle parvint à se faufiler jusqu’à la barrière et à se couler dans le minuscule espace qui me séparait du voisin. De mémoire, il devait s’agir d’un concert des Gories, donc plutôt explosif, et Baby Claudia se mit à se tortiller de la manière la plus sauvage, gorgeant l’instant de luxure. On aurait presque pu baiser dans la mêlée, mais encore une fois, il fallait bloquer toute idée de dérive, même si on frôlait tous les deux l’orgasme. C’était pas loin du fameux bouleversement de tous les sens, tu sentais que tous tes organes étaient en alerte, tes yeux, tes oreilles, ta peau, ta queue, et Baby Claudia, compressée par la foule en délire, se frottait outrageusement contre tes cuisses, alors pour résister à ça, il fallait être surhumain. Alors a-t-on résisté ou pas ? Si t’es un gros con de moi-je, t’auras aucun scrupule à dire que t’as résisté. Si t’es une bordille, t’auras aucun scrupule à dire que personne n’aurait pu résister à ça. Si t’es un tantinet romantique, tu salueras pieusement la mémoire de Baby Claudia. Dans tes rêves érotiques, tu n’en finis plus de lui tourner autour du pot. 

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             Baby Claudia et Gloria Jones ont un gros point commun : le charme. Gloria Jones aurait pu donner la réplique à Pierre Brasseur dans Les Enfants Du Paradis. À défaut de pouvoir la donner à Pierre brasseur, elle la donnait à Marc Bolan, ce qui pourrait revenir au même.

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             Connue pour avoir été la poule de Marc Bolan, Gloria Jones est une petite black originaire de Cincinnati, dans l’Ohio. Elle est surtout une artiste assez complète, a classicallly-trained multi-instrumentist, singer, performer, songwriter, arranger, actor, producer et supervisor. L’essentiel est de savoir que Gloria est un peu plus que la poule d’une rock star. C’est elle qui enregistra la version originale de «Tainted Love» dans les sixties. Elle vivait à Los Angeles dans les années 60 et Ed Cobb la prit sous son aile. Elle enregistra ensuite des singles déments sur Minit, une cover de l’«I Know» de Barbara George, et le «Look What You Started» de Jackie DeShannon. On la retrouve derrière Dusty chérie, aux backings sur le premier album solo de Neil Young et dans le Dylan’s Gospel d’Ode. Puis elle tape dans l’œil de Berry Gordy, forcément. Elle compose pour les Four Tops, Junior Walker, Gladys Knight, Chris Clark, David Ruffin et Eddie Kendricks, Martha Reeves, Yvonne Fair et des tas d’autres. Pardonnez du peu. Et puis un jour, elle reçoit un coup de fil du manager de Marc Bolan qui cherche des blackettes pour faire des chœurs sur une tournée US de T. Rex. Coup de foudre, Bolan demande à Gloria de venir s’installer en Angleterre. Elle mit au monde Rolan, le fils de Bolan. Tout alla bien jusqu’à cette nuit fatale de 1977 où elle perdit le contrôle de la Mini, envoyant Bolan chanter avec les anges du paradis.  

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             Malgré sa belle pochette, Share My Love n’est pas l’album du siècle. C’est pourtant sorti sur Motown, mais c’est le Motown West Coast de 1973. On comprend très vite avec «Why Can’t You Be Mine» que ça ne se présente pas très bien. Gloria sauve les meubles du balda avec «Tin Can People». Ouf ! Le balda a eu chaud aux fesses. Le Can People est wild a souhait, heavily trompetted, avec Willie Weeks au bassmatic. Mais pour le reste, on repassera. Elle essaye de ramoner la cheminée de sa B avec «Baby Dontcha Know I’m Bleeding For You». Elle a pas mal de power et d’envergure, on sent la petite blackette ferme et déterminée. Elle fait sa early Tina.  

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             Attention, il ne faut pas prendre Vixen pour une buse. C’est un fantastique album bourré à craquer de fast r’n’b de London town. Bolan lui fait cadeau de trois cuts : «Tell Me Now», «Sailors Of The Higway» et «Drive Me Crazy (Disco Lady)», en plus du «Get It On». Elle y va la mémère, dès «I Ain’t Goin’ Nowhere» qu’elle avait composé pour Junior Walker, elle tape ça à la dure. Elle groove le «Tell Me Now» de Marc au deepy deep et enchaîne avec une resucée de son vieux «Tainted Love», le hit immémorial, elle le rocke, elle a le retour de manivelle facile, awhhh tainted love/ How can I stand away. Elle rafle encore tous les suffrages avec «Cry Baby», magnifique shoot de rock-Soul, elle te chante ça à l’éplorée, avec des violons derrière. C’est un album bourré d’énergie, sa version de «Get It On (Pt 1)» est demented, elle explose le glam de Marc, elle le rocke à outrance, elle en fait un hit explosé de l’intérieur. Elle tape dans un autre énorme classique : le «Go Now» de we’ve already said goodbye, rendu célèbre par les Moody Blues. C’est chargé d’histoire. Elle tente de le sublimer. Magnifique artiste ! Elle fait du dancing popotin avec «Would You Like To Know» et boom, elle claque le «Get It On (Pt 2)» en mode heavy groove. Elle en fait une Soul de génie pur, elle chante ça là l’accent fêlé. S’ensuit l’autre hit de Marc, «Drive Me Crazy (Disco Lady)» qu’elle prend au chat perché, elle chante au dessus de ses moyens, elle est héroïque et géniale d’I’m a disco lady. Elle finit avec «Stage Coach», elle colle au cul de son cut, c’est encore une fois très puissant, oh baby, elle en devient intercontinentale.   

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             Avec Windstorm qui est sorti après le départ de Marc pour le paradis, Gloria fait de la pop diskö sensitive de très haute qualité. Sa soft pop dansante est extrêmement agréable, son «Bring On The Love» sonne comme un hit, et ce sera à près tout pour le balda. En B, l’«Hooked On You Baby» colle bien au papier. C’est un excellent mid-tempo de diskö Soul. Elle t’emmène ensuite danser à Coconut Beach avec «Vaya Con Dios». Elle y mène une sarabande délicieusement exotique. Et elle bascule dans le Dancing Queen stiff stuff avec «Kiss Me Kiss Me Kiss Me» qu’elle tape au don’t say goodbye

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             Pour Reunited, Gloria se rabiboche avec Ed Cobb. Le début d’album est un brin diskö. Elle refait bien sûr un petit coup de «Tainted Love». Elle est toujours bonne sur ce coup-là. La viande se planque en B : d’abord «The Touch Of Venus» qui sonne un brin Spencer Davis Group, avec le même ramshakle de bassmatic immature, et elle dédie «Sixty Minutes Of Making Love» à Marc Bolan. Puis elle revient pour finir à un son plus sixties avec «My Bad Boy’s Coming Home». Quelle incroyable caméléonne ! Elle bouffe à tous les râteliers, mais avec un certain panache. Cut signé Ed Cobb, comme d’ailleurs tout le reste sur cet album.

    Singé : Cazengler, Glorien du tout

    Gloria Jones. Share My Love. Motown 1973 

    Gloria Jones. Vixen. EMI 1976   

    Gloria Jones. Windstorm. Capitol Records 1978 

    Gloria Jones. Reunited. AVI Records 1982

     

     

    L’avenir du rock

     - Olivier fait feu de tout Rocabois

             Si l’avenir du rock s’est payé une baraque donnant sur le chemin de halage, c’est uniquement pour pouvoir y promener ses chiens. Chaque matin à la même heure, il pousse le vieux portail en fer forgé et les chiens foncent en poussant des cris. Kaï kaï kaï ! Ils sont hystériques ! Ils aboient littéralement de bonheur. L’avenir du rock se grise de les entendre. Les cris de ses deux amis sont à ses yeux l’expression même de la liberté. Alors il part sur leurs traces, car ils sont déjà loin, t’en as un qui plonge dans la Seine à la poursuite de Miss Duck et de sa progéniture, et l’autre débusque un lapin et se lance dans la Poursuite Infernale. Kaï kaï kaï ! Le premier traverse plusieurs fois la Seine à la nage en évitant de justesse les péniches qui klaxonnent, et l’autre s’en va se rouler dans des excréments pour faire des peintures de guerre. Le premier sort de l’eau et grimpe sur un arbre pour faire son Robin des Bois : il se positionne sur la branche qui surplombe le chemin et va sauter, comme tous les jours, sur le Labrador de Nottingham qui approche, pendant que l’autre rentre dans le jardin du château de Moulinsart pour aller y voler les côtelettes que le majordome Nestor prépare pour le barboque de Charlotte. Ces deux desperados à quatre pattes n’arrêtent jamais. Ils violent les lois et bousculent l’ordre établi, kick out the jams motherfuckers !, ils n’en finissent plus de s’amuser, de courir en poussant des cris perçants, on n’entend qu’eux à des kilomètres à la ronde, kaï kaï kaï ! Pour l’avenir du rock, rien n’est plus rock que les tribulations de ces deux Chinois en Chine, c’est d’ailleurs ainsi qu’il les surnomme, ils ont tous les droits, surtout celui d’avoir le droit de tout faire, allez-y les amis, tribulez ! Rien de tel que le rock qui aboie, c’est-à-dire le Rocabois. 

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             C’est un copain qui te dit un jour : «Tu devrais écouter Olivier Rocabois !». Comme on a globalement flashé tous les deux depuis 50 ans sur les mêmes disks, pas de problème, on écoute ses conseils. C’est même le genre de tuyau qu’on accueille à bras ouverts. D’où sort-il, ce Rocabois ? Pas du bois mais de Bretagne. Apparemment, il est multi-instrumentiste et autodidacte, mais ça on s’en fout. Il faut percer le mystère du buzz. Deux albums. Pas la mer à boire. On se réunit alors en conseil restreint, on vote le rapatriement à l’unanimité et on débloque les crédits.

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             Avec Olivier Rocabois Goes Too Far, Olivier Rocabois va trop loin. En soi, c’est une bonne chose. Kaï kaï kaï ? Presque. Cet Olivier-là propose une belle pop sensible, alambiquée et même ambitieuse, une pop en forme de pièce montée évolutive, avec comme cerise sur le gâtö une trompette de Jérichö. En fait, il paraît extrêmement dédouané, très British dans l’esprit, doté d’élan, pas magique, mais de bon ton, son «High High High» sent bon la Beatlemania. Il se tape une belle montée en neige avec «In My Drunken Dreamscape». Rocabois sort vraiment du bois. Il négocie habilement chaque étape et élève son édifice à la main. C’est puissant, congestionné, saturé d’ambition et de trompettes. Il s’affiche comme un conquérant. On voit même des éclairs de Brian Wilson traverser «Let Me Laugh Like A Drunk Witch». Il a aussi un côté Paddy McAlloon indéniable, son Drunk Witch sonne comme une belle extension du domaine de la turlutte. Il va plus sur les Lemon Twigs avec l’oh-oh-oh d’«Hometown Boys». Il dispose du power excédentaire des grands popsters. Il bascule enfin dans l’enchantement avec «I’d Like To Do My Exit With Panache». Plein pot dans la pop ! Ampleur considérable. Il va chercher une sorte de démesure pop et relance en permanence sans vraiment l’atteindre, mais comme le dit si bien ce dicton à la mormoille : l’essentiel est de participer.

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             Et puis t’as ce deuxième album paru en 2024, The Afternoon Of Our Lives. Tu sais dès «Stained Glass Lena» que t’es sur un big album car cette fantastique allure te rappelle les grosses compos qui font l’histoire du rock intéressant. Rocabois navigue très haut. Et à la stupéfaction générale, il se met à sonner comme David Bowie sur «45 Trips Around The Sun». Ses faux accents évoquent le Bowie de l’âge d’or. Tu vas retrouver ce mimétisme Hunky-Dorien dans «From Hampstead Heath To St John Wood», une merveille de délicatesse qu’on sent prodiguée par un dandy. Il creuse dans la veine Hunky-Dorienne, c’est très ouvragé, très ambitieux, merveilleusement tourneboulé. Il fait encore du pur Bowie avec «All The Suns». Il cultive les mêmes précieuses complexités. Avec «The Coming Of Spring», il se libère de toutes les contraintes morales. Rocabois entre dans la caste des indéniables. Il est plus alerte sur «All Is Well When I Go My Merry Way». Il monte sur tous les coups. Il nourrit un son alerte et vif, bardé d’échos de Bowie. The Afternoon Of Our Lives est spectaculaire de grandeur underground. Et voilà l’archétype du cut intrinsèque : «Prologue/Trippin’ In Memory Lane». Il chante ça en interne, dans son giron mélodique, avec du Bowie plein l’accent. Sa façon de chanter l’«Over The Moon» est encore du pur Bowie. Ça fait du bien de voir le petit Rocabois prendre le relais d’Hunky Dory. Il se dirige vers la sortie avec «Lifetime Achievement Award Speech», un fantastique brouet de pianotage, il semble réellement très en avance sur son temps. Ce petit Rocabois a du génie à revendre, sa démesure orchestrale en est la preuve flagrante.

    Signé : Cazengler, Rocabête (comme ses pieds)

    Olivier Rocabois. Goes Too Far. Microcultures 2021

    Olivier Rocabois. The Afternoon Of Our Lives. December Square 2024

     

     

    God save the Quinn

     - Part Two

             On est franchement ravi de retrouver le beau sourire et l’élégance naturelle de Quinn DeVeaux. Tant pis pour les ceusses qui ont cru bon de faire l’impasse sur ce magnifique concert. Car oui, tout y est : du son, du son et encore du son. Du son à la pelle. D’autant que cette fois, un conglomérat de quatre surdoués nommé The White Bats accompagne notre Mighty Quinn préféré. En mai dernier, c’était une autre équipe, des mecs plus vieux, dont le fameux David Guy, bassmatiqueur de rêve, du niveau d’Harvey Brooks.

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             Ces quatre blanc-becs sortis de nulle part ont électrisé un set déjà bien chargé. On voit rarement des mecs aussi jeunes et brillants à la fois, notamment le guitariste, un certain Yannick Eischair (que l’on comprend ‘Hampshire’ lorsque Quinn le présente). Il gratte toute la première partie du set sur une belle demi-caisse rouge, il arrose de poux le vieux «Been Too Long» tiré de Book Of Soul et fait ruisseler des diamants dans «Bayou».

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    Yannick Eischair fait partie du gang des voleurs de show, comme David Guy, mais surtout comme Jason Victor dans Dream Syndicate, ils emploient exactement les mêmes méthodes : esbroufe, fulminances, pousse-toi-de-là que-je-m’y-mette, ragaillardisme intempestif, virulences viscérales, outrepassement des bornes et pas de pitié pour les canards boiteux. Ce sont des mecs qui grattent des rafales effrontées, d’inexorables dégoulinures de rentre-dedans, des tourmentes de vazy.

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    Comme Jason Victor, Yannick Eischair n’a pas le temps de frimer, il joue. Il ultra-joue et gratte sans merci. Il est habillé comme l’as de pique, mais ses poux sont ceux d’un prince. Notre Mighty Quinn préféré sait la chance qu’il a d’avoir ce mec sur scène avec lui, et les trois autres ne sont pas en reste, notamment le petit pianiste barbu et chevelu qui n’en finit plus de groover dans la couenne du lard, et il fait un vrai numéro de cirque sur l’énorme cover du «What’d I Say» de Ray Charles. Et là tu dis oui, et tu dis même wow ! Oui, mille fois wow ! Tu vis l’instant à bras raccourcis, t’ouvre bien tes oreilles pour tout ramasser, pas question d’en perdre une seule miette, même si tu joues parfois les gros cons blasés, t’en reviens pas de voir jouer des mecs aussi fantastiques, t’as la Nouvelle Orleans à la maison, le sel de la terre d’Amérique, l’un des meilleurs sons du monde.

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    Le real deal. Et ça rocke le boat à coup de «Good Times Roll» et de «Left This Town», ça te soûle de Soul avec «You Got Soul». Le voleur de show attaque «USA» sur une Tele et il te joue la country du diable, il décrasse bien les vieux schémas et shoote dans le cul de Nashville une honteuse dose de schlouufff, il faut voir le travail, la country d’Amérique ne s’est jamais aussi bien portée, depuis le temps de James Burton. Oui, il est essentiel de mettre dans le même panier des gens comme Jason Victor et Yannick Eischair, car ils savent tous les deux revitaliser un son qui a pourtant du métier et du mérite, un son qui n’a plus rien à prouver, ni du côté de Quinn DeVeaux, ni de celui de Steve Wynn, pourtant les deux pouilleux ramènent avec leur atroce sagacité une énergie surnaturelle, et l’amateur planté au pied de la scène en prend pour son grade, car rien n’est mieux accepté par une cervelle que l’énergie surnaturelle. Elle te parle sans jamais avoir à te donner la moindre explication.

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             Depuis le mois de mai dernier, notre Quinn préféré a perdu du poids. Il a retrouvé sa ligne de jeune coq, mais il n’a pas eu le temps de nous enregistrer un nouvel album. Au merch c’était morne plaine, avec ces quelques albums qu’on connaissait déjà par cœur. God save the Quinn ! Difficile de rater une occasion pareille.

    Signé : Cazengler, couenne de veau

    Quinn DeVeaux. Le 106. Rouen (76). 24 janvier 2025

     

    *

    Le Maine situé tout en haut du Nord-Est des Etats-Unis a reçu la visite des Vikings bien avant que Christophe Colomb ne découvrît l’Amérique, tout au sud la rivière Ossipee, ce nom fleure bon l’Algonquin, il suffit de la remonter pour visiter l’Ossipee Valley, célèbre pour son festival The Ossipee Valley Music Festival consacré aux musiques roots, blues, bluegrass… En juillet 2024 il s’est déroulé du jeudi 25 au dimanche 28 juillet. Two Runner y participa.

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    BURN IT TO THE GROUND

    (THE CROOKED RIVER SESSIONS)

    TWO RUNNER

             Les artistes passent par deux fois sur une des grandes scènes du Festival, mais ils sont aussi invités aux Sessions de la Rivière Sinueuse. De fait une session en plein air, Two Runner nous a habitués à ces prises de vue et de son filmées en pleine nature. Celles de ces sessions d’Ossipee sont systématiques croquées en un endroit typique de la berge de la rivière.

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             Il ne nous étonne donc pas de les retrouver toutes deux debout dans un paysage que l’on pourrait qualifier d’Arcadien. Pour la petite histoire et la grande géographie, le territoire canadien qui jouxte l’Etat du Maine fut baptisé, en référence à l’Arcadie grecque, Acadie pour la douceur de ses paysages et la beauté de ses arbres…

             Burn it to the ground fut le titre qui marqua le retour de Paige Anderson après que les Fearless Kin  se soient dissous. Paige revenait seule, ce premier single annonçait un renouveau  mais laissait aussi transparaître une profonde blessure. Une âme blessée mais fière décidée à reprendre son destin en main. Cette première version de Burn It To The Ground légèrement pop à la voix lasse et traînante, toutefois le banjo de Paige crépitait des mille feux de la colère et de la révolte. Par la suite Paige est revenue à un style beaucoup plus roots.

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             Une vision paradisiaque que ces deux jolies filles, Rose fiddle, sourires, entrain, Paige banjo, tresses et beauté, mais après un regard de connivence déjà le banjo vous entraîne dans une folle galopade, le fiddle soutient le train et l’impétuosité de l’attaque, la voix de Paige s’élève, toujours cette façon de jeter ses mots dans la fureur du monde, Rose sourit, rien de béat dans ce sourire, mais la joie de soutenir cette colère et cette hargne rentrée qui s’exalte, parfois le timbre de Paige et se teinte de nostalgie, mais la ronde de feu reprend, c’est une déclaration de guerre au monde que lancent ces deux hamadryades, sœurs d’armes et d’âmes dans ce paysage agreste.

             Une flamme incandescente.

             Violon incendiaire. Banjo destructeur.

    Damie Chad.

    Nota Bene : j’étais content, j’avais fini ma kro, mais voici que je découvre sans la chercher une nouvelle, plutôt une vieille, vidéo de Two Runner.

    Enregistrée en décembre 2023 à Grass Valley, ville d’où Paige est originaire, au Glod Vibe Kombuchary un bar festif qui propose de multiples activités et réjouissances… spectacles, danse hip hop, séances de yoga, peinture, cours d’auto-défense féminine…

    Rock Salt and Nails est une chanson de U Utah Phillips, personnage sympathique, membre des IWW, donc syndicaliste, anarchiste et nul n’est parfait, mais quand on vient du pays des Mormons cela s’explique, chrétien. Un véritable classique, vous la retrouverez dans les légendaires Basements Tapes de Dylan, pour les puristes écoutez la version de JD Crowe, perso je la préfère par Waylon Jennings. Le texte est un peu antiféministe ce qui n’empêcha pas Joan Baez de l’interpréter, il suffit de changer les pronoms. La version de Baez est mignonnette emplie de joliesses instrumentales et de froufrous vocalistes.

    Two Runner, le contrebassiste me semble être le ‘’petit’’ frère de Paige, nous en offre, une version très lente originale qui métamorphose le morceau. Au départ il s’agit d’une déception amoureuse qui se tourne à l’aigre et à la rancœur, la voix de Paige la hausse au niveau d’un drame absolu, une héroïne antique qui maudit le Destin, l’archet de Rose glisse comme le malheur ruisselle sur la condition humaine. Toutes deux en robe longue de princesse, prisonnières d’une tour maudite.

    Envoûtant.

    Nota Bene 2 :

             Sur Spotify vous trouvez un EP  de Two Runner quatre titres intitulé Western AF Session : Five Minuts / Helmet / Wild Dream / Where did you Go ? 

             Dans notre livraison 670 du 19 / 12 /2024 nous rendions compte de ces mêmes morceaux vidéo YT sous le titre : Live on Germ / Live AF : Helmet / Fortune / Wild Dream / Where did you Go

             Le lecteur aura remarqué que l’ordre n’est pas identique, mais ce sont bien les quatre mêmes morceaux car Five Minuts et Fortune sont un seul et même morceau.

             Vous pouvez retrouver une vidéo titré Five Minuts sur YT.

     

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    *

             Des groupes, il en existe de toutes sortes, j’aime bien les tordus, celui-ci s’inscrit dans cette catégorie, avec toutefois une déviance, tordu, bossu, tout ce que vous voulu, petits goulus, mais en plus il est torsadé. Essayez de faire passer un écrou sur une tige filetée mais tordue, bossue, tortue… Je vous souhaite bien du plaisir, mais un groupe qui se réclame  de Kant, d’Heidegger et Rilke, plus quelques autres du même acabit, je ne peux que me sentir attiré, vous connaissez mon appétence pour tout ce qui offre une certaine résistance.

             Originaire d’Australie il s’est installé depuis quelques années en Ecosse, précisément à Edinburgh. Il vient de sortir en ce début de janvier un nouvel album, rien que le titre fait frémir : Antinomian Asceticism, je vous rassure nous ne l’écouterons pas, doctement nous préférons nous pencher sur un opus antérieur de dix ans d’âge, toutefois je me permets de vous avertir ce n’est pas de la tarte molle, vous n’aurez ni la cerise ni le gätö si chers à notre Cat Zengler !

    OPHIDIAN ENOSIS

    BARSHASKETH

    (Bandcamp / 2015)

             Le titre demande à être décrypter. Tout le monde rapporte le mot ophidien à l’idée de serpent. Oui mais il y a serpent et serpent. Celui qui nous préoccupe n’est pas un inoffensif reptile. Ni un mamba particulièrement dangereux. Non c’est le Serpent, le vrai, le seul, l’unique, la méchante bébête,

    Qui tenta Eve. Lui souffla l’idée de croquer le fruit (poma en latin) défendu qui devait leur donner, à elle et à son mari, la faculté d’être comme des Dieux. Vous connaissez la suite de l’histoire.

             Les premiers chrétiens formaient à l’origine de petits groupes. De véritables sectes, plus ou moins indépendantes, certaines eurent la malchance d’être cornaquées par saint Paul et ses affidés, mais beaucoup se débrouillèrent par elles-mêmes, se procurèrent des textes, plus tard l’Eglise opéra un tri draconien… Encore leur restait-il à les interpréter. Beaucoup de néophytes n’étaient en rien des as de l’herméneutique, ils analysèrent les écrits (plus ou moins) sacrés à leur guise.

             Les difficultés surgirent vite. Dès les premières pages. Tout le monde s’accorda pour décréter que le Serpent était le premier des méchants. Oui mais si on y réfléchit un peu : si (avec des si, on mettrait Paris en bouteille) le Serpent n’avait pas tenté Eve, le Christ n’aurait pas eu besoin de venir sur terre pour racheter les hommes de leurs péchés, or qui oserait affirmer l’inutilité du Christ, donc en voulant faire le mal, le Serpent avait hâté la venue du Christ, l’on ne pouvait lui en tenir tout à fait rigueur. D’ailleurs le Serpent ne serait-il pas le véritable Sauveur…

             Celse, un redoutable mécréant, un païen qui ne croyait pas plus aux Dieux de l’Olympe qu’aux contes à dormir debout de la Bible en déduisit que c’était un serpent à sornettes. Ses écrits frappés de bon sens portaient des coups terribles au christianisme, Celse ne cessait de se moquer de tous ces groupes de chrétiens toujours en désaccord les uns avec les autres. Les pères de l’Eglise tentèrent de trancher non pas le Serpent mais toutes ces contradictions faribolesques, hélas leurs arguments ne pénétraient pas les âmes chrétiennes, enfin en survint un savantissimus emeritissimus qui trouva le mot qui tue. Origène, plus tard il fut accusé d’hérésie, décréta que tous les chrétiens qui croyaient à ces histoires de Serpent tentateur pas si méchant qu’il en avait l’air, n’étaient pas de vrais chrétiens et il les rassembla sous le titre générique d’Ophites. L’Eglise venait de se trouver un ennemi intérieur, rien de tel pour resserrer les rangs qu’une bonne purge… 

             Jusque-là l’histoire est simple. C’est avec le terme Enosis qu’elle se complique. C’est un terme platonicien. Les pères de l’Eglise avaient compris que dans les joutes verbales, privées ou publiques, les intellectuels païens férus de philosophie grecque leur damaient régulièrement le pion. Ils se mirent donc à lire Platon, ce qui explique pourquoi la théologie chrétienne est en partie issue de Platon.

    Enosis signifie union. Par exemple comment peut s’instaurer l’union entre le cheval blanc et le cheval noir qui conduisent le char de l’esprit humain, le blanc représentant la sagesse raisonnante et le noir le désir instinctif et occasionnel. Certes ce n’est pas l’union des contraires mais à minima celle des divergences. Bref un concept difficile à manier. Lorsque les pères de l’Eglise se penchèrent sur Platon, la Grèce était en proie à une vague philosophique néo-platonicienne, dont Plotin était le fer de lance, il ne croit pas en une théorie qui s’enseigne et que les autres répètent. Il préfère parler de gnosis, de connaissance, individuelle que chacun se doit d’expérimenter. Pour Plotin la notion d’Enosis serait l’union de l’âme avec la sphère du divin. Pour le dire avec les gros sabots de l’outrance simplificatrice : l’Homme par lui-même peut devenir un Dieu.

    Avec Plotin, l’Eglise est inutile. Elle sent le danger : regardez les ophites ne sont-ils pas en train de réaliser la scandaleuse énosis du Diable aves le Christ. Les sectes chrétiennes qui ne suivent pas à la lettre l’enseignement, pas encore unifié, de l’Eglise seront traitées de gnostiques, qu’elles soient déjà ophites ou porteuses de toute autre déviance.

    Z’attention : les gnostiques laissent entendre  qu’il existe un Dieu Bon hors de tout soupçon mais que l’âme humaine est enfermée dans une prison de chair, œuvre du Serpent. A moins que ce soit le contraire que le Serpent soit le libérateur et Yawé le dieu de la matière.  Dans les deux cas le résultat est le même :  deux Dieux créateurs. Pour ceux qui deviendront les catholiques il n’existe qu’un Dieu Unique, les gnostiques sont des dualistes… Le gnosticisme se perpétua plus ou moins souterrainement, par exemple l’idéologie  Cathare est une magnifique résurgence du courant gnostique qui se développa durant des siècles au sein de l’Eglise, mais aussi en dehors de celle-ci. Notamment dans les milieux sataniques ou lucifériens et par ricochet dans l’imaginaire idéologique de nombre de groupes de Metal actuels. Parfois en toute connaissance de cause, parfois sans aucune conscience des implications que leur prise de position implique au niveau métaphysique. Par exemple dans notre Chronique sur La Morsure du Christ par Seth, (voir notre livraison 674 du 23 / 01 / 2025), il serait diablement intéressant de mettre en relation la couverture de  Notre-Dame en feu avec la prise du Temple de Jérusalem en 70 par Titus dont l’émotion suscitée dans les milieux pré-gnostiques aurait précipité la création d’une secte forgée autour du personnage de Seth, troisième enfant d’Adam et Eve, l’incendie du Temple étant considéré comme la fin de l’emprisonnement symbolique du couple primordial dans le Jardin d’Eden et ses dépendances matérialistes, à savoir notre monde…

    Ce n’est pas par un incroyable hasard ou  par un détestable manque d’imagination que les morceaux de cet album  sont affublés d’un même titre, simplement distingués par un numéro. De fait il s’agit de sept stations vers la délivrance finale, songez que les quatorze stations du Christ culminent sur la déchéance de la mort…nous sommes ainsi soumis à une espèce de rituel gnostique. Le texte n’offre aucun élément qui, extérieur ou historial, fasse référence à des indications quant à la mouvance gnostique précise à laquelle il se rattacherait. C’est à l’auditeur ou au lecteur de s’extraire de la gangue des sons et du sens pour trouver le chemin vers la lumière, ou le maigre lumignon, du Divin.

    Krigeist : vocals, guitar / GM : guitars / BH : drums / BB : bass

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    Ophidian Henosis – I : déferlement, rien ne l’arrêtera, vous avez mis un pied sur le chemin, il vous est impossible reculer, le vocal est un cri, ni de haine, ni de peur, de catastrophe, le constat de ce qui est, une puissance mélodique à laquelle rien ne saurait résister, il me plaît à penser que c’est la grandeur indémuserée de ce néant qui parle par la bouche de Krigeist : l’Homme pétri de peur et de froid, a décidé d’adorer ce Vide absolu, pour parodier Nietzsche il faudrait parler de descente originelle et menstruelle du nihilisme, une postulation d’acquiescement instinctive envers ce qui n’est que négation. Mais le je néantif cède la place au je humain, il est comme les autres écrasé par le néant du vide, jusqu’à ce qu’il prenne conscience que le néant n’est rien - entre L’Être et le Néant de Sartre et Être et Temps d’Heidegger, un ouvrage, du plus grand penseur du vingtième siècle, que je n’apprécie point et dont il refusera d’écrire le deuxième tome, choisissez le second, le néant est à l’intérieur de nous, c’est l’acceptance de ce qui est au-dehors, une position stirnérienne, tout ce qui n’est pas Moi n’est pas ma Cause, elle est une cause pour laquelle je n’accepterai aucun martyr, ne plus jamais se soumettre à la facticité de ce qui n’est pas nous, car ce qui n’est pas nous, n’est autre que notre mort. Espèce de tumulte terminal. Les ombres sont identifiées. Ophidian Henosis – II : toujours la même déferlance lyrique, mais bientôt le rythme s’alentit, monter au plus haut de soi, dans ces sentiers intérieurs d’Engadine glacés et solitaires où l’air se raréfie  n’est pas facile. Surtout que vous n’êtes pas seuls, une foule vous entoure, tous ceux qui ne sont pas sur le même chemin, vous montez et ils descendent, les lumières d’en bas vous attirent, l’or factice de la chaleur humaine de ceux très mal nommés vos semblables semble trop lourd, il vous tire vers le bas, et vous êtes prêt à vous laisser glisser. La batterie s’alourdit, échec sur toute la ligne. Ophidian Henosis – III : une petite musique, la voix comme un dégueulis infini, en bas la lumière se révèle être pourriture, Lumière Infranchissable Pourriture a écrit Joë Bousquet scrutant la poésie de Pierre-Jean Jouve, le fonds sonore semble à la peine, c’est qu’il faut rejeter la première bouée de sauvetage, l’Ego n’est qu’une écorce morge, un mensonge inopératif, il faut user de l’œil intérieur, celui capable de percer le voile de l’illusion du monde, songez que Maya signifie aussi bien chez les Grecs la beauté terrestre du printemps que la taie illusoire qui trompe votre œil selon la sagesse indienne de l’Eveil, le glaive de la pensée se doit de trouer ce brouillard inconsistant, attention ce n’est pas facile, c’est comme si l’on tuait la mort, la peur de la mort est nécessaire, si vous ne la ressentez pas vous n’aurez jamais la force de la tuer. Mais attention une fois le crime réalisé, le plus dur reste à faire, pensez à Nietzsche décrétant la mort de Dieu, ceux qui ne l’ont pas assassiné auront du mal à vous comprendre. Vous serez encore plus seul. L’on se rira de vous. L’on vous décrètera atteint de folie. Ophidian Henosis – IV : avez-vous souvent entendu une musique aussi noire et un tel chant de sirènes, ne vous bouchez pas les oreilles, elles émanent de vous, la plaie est intérieure, les orties repoussent vite, arrachez-les à pleines mains, il est des chaînes aux anneaux de fer dont il faudra vous libérer, larguez toutes les amarres, que l’Esprit rompe avec le corps, ce sera la seule manière de monter, vers les Enfers, il existe un endroit ou un moment  où le haut et le bas n’existent plus, en ces moments de plus forte déréliction intérieure, je retombe dans le néant. Je m’appesantis dans le vide de moi-même. Ophidian Henosis – V : mélodie de taille et d’estoc, charge de cavalerie effrénée, tout est question de regard, je me voyais dans le vide initial, je suis au même endroit de l’autre côté de l’illusion, de l’autre côté de la vie mais pas encore totalement initié, je n’ai traversé que la moitié de mon chemin astral, il me reste à ressentir sa présence, elle est en moi dans d’autres types d’initiation l’on parle d’alchimie du chaos, voire de rosée du chaos, le chaos n’est pas  le désordre, il n’est que force en mouvements, energeia le définira Aristote, il suffit de m’ouvrir à cette force, elle est l’autre côté initial de moi-même, maintenant elle souffle en moi, je suis la fente d’où elle sort, je suis habité d’une colère incoercible, une rage impitoyable envers les autre, le monde et moi-même, ce n’est pas la mort que je dois tuer, c’est ma propre mort. Chemin glacial. Ophidian Henosis – VI : roulements de tambours, je parle à moi-même mais comme Zarathoustra je m’adresse aussi aux autres. Je résume, je subsume. Je parle depuis ma mort. Je vous donne les enseignements. Ne vous en remettez qu’à vous-mêmes, pas  de dieu, pas de croyance, ne comptez que sur vous, n’ayez aucune confiance en vous, soyez insensibles à la pitié, soyez votre ennemi, tuez tous vos ennemis. Surtout vous-même. C’est le seul moyen d’être vous-même. Que votre sagesse devienne folie. Que votre folie devienne votre volonté(Ici nous ne sommes pas loin de Crowley). Un morceau de pure furie. Je suis le chemin du Serpent. Ophidian Henosis – VII : l’autre côté du serpent, est-ce la queue ou la tête, en tout cas le plus obscur. Musique noire, teintée de désespoir métaphysique, au bout du rien, rien n’a changé sinon que tout a changé, que maintenant je comprends que je ne connaîtrai que défaite, l’initiation n’est-elle pas une défaite en soi. Non car le combat que personne ne gagne ne finira jamais. Pour vaincre il suffit de continuer à se battre sans espoir. Sinon de notre propre gloire que nous seuls savons percevoir.

             A écouter. A méditer. A expérimenter.

             Nous terminons par quoi nous commençons d’habitude : la pochette.

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    Assez énigmatique. Au premier abord une couronne mortuaire. L’Initié n’est-il pas mort au monde. Nous survient une autre idée celle des mystérieux diagrammes ophites, non pas parce que celui-ci serait à vrai dire un diagramme Ophite, tels que les ont décrits Celse, Origène et Irénée de Lyon, mais plutôt une mise en image et même une mise en imagination représentatrice. 

             Certains symboles sont assez clairs : le bouclier bombé, l’initiation est un combat mental, les crocodiles une allusion aux Mystères égyptiens, je voudrais m’attarder plus longuement aux deux queues de serpents. A moins que ce ne soit un serpent à deux queues. Le serpent à deux queues mais sans tête possède un énorme avantage, il ne peut se mordre la queue, entendons par là qu’il ne saurait être Ouroboros, le serpent symbole de l’Eternel Retour. Que certains groupes Ophites soient allés jusqu’à assimiler le Serpent au Christ, cela se conçoit. Mais même si certains n’ont pas hésité à reconnaître dans le Serpent  le Logos  grec et philosophique (voir le prologue de l’Evangile de Jean), je n’ai pas trouvé, ce qui ne veut pas dire que cela n’existe pas, une accréditation de l’emploi de l’Ouroboros dans la ‘’ théologie’’ ophite. Cela s’explique par l’origine chrétienne des cercles ophites, il ne saurait y avoir d’Eternel Retour, si le Christ revient plusieurs fois pour sauver les hommes, son salut ne vous ouvrirait pas les portes d’un paradis éternel puisqu’il faudrait éternellement le recommencer…

             Quant au nom du groupe, Barshasketh, il proviendrait de l’hébreu Be’er Shahat, lieu biblique aujourd’hui emplacement d’une ville israélienne. Le dictionnaire rabbinique nous apprend qu’étymologiquement il signifie ‘’puits’’, l’eau de la connaissance en quelque sorte, et plus anciennement ‘’fosse’’ celle que l’on creuse pour y coucher les morts. Le vocable est aussi employé dans la Bible pour désigner la mort. Barshassket l’emploierait, nous semble-t-il au sens de  de mort symbolique de l’initié…

    Damie Chad.

     

    *

    Viennent de Gascogne et d’Aquitaine. Leur dernier album paru en janvier de cette année Embrasser la nuit est à écouter. Par esprit de contradiction nous nous penchons dans cette kronic sur leurs trois premiers opus.

    A TERRE

             Z’ont choisi comme appellation une expression issue de la boxe, c’est normal si tu es de la Gascogne c’est que tu cognes.

    NOTRE CIEL NOIR

    (EP / Bandcamp  /Janvier 2021)

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    Circonsimon : guitars / Léo Lassalle Saint Jean : guitars / Jérôme Brokaert : basse / Grégoire Caussèque : vocals / Sébastien  Bonneau : drums

             Couve expressionniste. Nuée noire se massant sur le haut d’une tour de pierres hexagonale, un vol d’aigles noirs comme autant d’oiseaux que les augures romains auraient interprétés en tant qu’annonce imminente du malheur. Inutile de courir aux abris. Il est déjà trop tard. Maintenant si l’on y pense, le ciel noir n’est pas inquiétant, tant qu’il règne au-dessus des autres, mais le titre de l’Ep est sans appel il est ‘’notre’’. Ce ciel noir colle si bien à notre possession que nous sommes peut-être ce ciel noir.

    Bordeaux Traumatisme : vous avez une Vidéo Officielle, la cuillerée de sucre en poudre que l’on ajoutait à l’huile de foie de morue pour les enfants, j’y vais en douceur pour que vous ne soyez pas traumatisés, c’est comme dans le conte d’Andersen, vous avez un matelas et un petit pois, le matelas l’est posé à même le ciment, ce doit être du garage-post-metal, pour le princesse à  la place vous avez une espèce de polytropmatisé, l’est déjà vieux, qui essaie de suicider avec un pistolet à eau – ne riez pas quand vous regarderez vous serez glacé (l’eau doit être gelée) – pour la princesse il se contente d’un balai-Océdar, si vous ne savez pas ce que c’est, vous demandez à votre grand-mère, par contre le petit pois il s’agite à haute dose dans sa cervelle trouée. Bref une épave. Si vous n’êtes jamais allé à Bordeaux, ne vous inquiétez pas, des gars comme lui, un peu à côté de la plaque, beaucoup dans la merde comportementale, il y en a dans toutes les villes de France. D’ailleurs si vous ne voulez pas vous reconnaître ne zieutez pas la vidéo, vous risquez l’usurpation d’identité, ou alors ouvrez les yeux uniquement quand vous voyez de la couleur, c’est le groupe sur scène, c’est bien filmé, mais vous vous êtes mal parti. L’Eternel Retour : avis aux nietzschéens, les guitares croustillent comme du pain mal-cuit, la batterie cogne mais le gars n’est pas rapide, le chanteur se gueule dessus, il s’invective, quand ça se calme que la basse vrombit comme une abeille malade, vous avez l’essaim gavé aux pesticides qui la suit sans entrain, donc l’Eternel Retour que vous propose A Terre ce n’est le cercle de feu wagnérien de Brunhilde, c’est le petit bout de la lorgnette, vous pataugez dans votre existence de raté total, vous tournez en rond dans votre médiocrité, comme un ours polaire perdu sur son glaçon au milieu de l’Océan Arctique, vous pataugez dans le nihilisme. En plus vous êtes en colère contre le monde. Prenez-vous en contre vous-même. Le groupe ne croit plus en vous, et peut-être même en lui, il coupe le son irrémédiablement.  La Réponse :  la musique recommence, un peu tintamarre mou d’une scie électrique, c’est de l’indus, quand on est mort à soi-même il reste encore à crever aux autres, sur le fil du rasoir, entre constat et réponse, bruit de tube, c’est un peu creux, ce ne sera jamais un tube, galimatias tubulaire infini, le gars est au bout du rouleau, les autres sont-ils les gardiens de l’asile intérieur dans lequel vous habitez comme l’escargot dans sa coquille perdue… Pour la réponse vous attendrez le facteur, ce n’est pas pressé, de fait vous êtes obligé de reconnaître que les morceaux ne sont pas du tout, leur violence, leur intensité, désagréables à réécouter. Comme quoi A Terre touche à une corde sensible.

    TRAVERSEE

    (Février 2022)

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    Qu’est-ce que cette couve. Que couve-t-elle ? Que recouvre-t-elle  , un morceau de bois dont le feu n’a pas voulu. Et ces deux esquisses de silhouettes de chiens, que représentent-elles le couple androgynique alchimique, ou la traversée des cendres qui se résorberont en pierre… Ou du bois flotté, échoué sur les bords du monde, qui ne flotte plus,

    Cinquième Colonne : titre ambivalent, la cinquième colonne nous appartient-elle ou se bat-elle contre nous, n’est-elle pas en nous, ne sommes-nous pas tantôt en elle, tantôt contre elle, ne portons nous pas notre cinquième colonne en nous, ne sommes-nous pas notre propre ennemi, voix angoissée, ne pas savoir sur quelle rive de la rivière qui coule  nous campons, la batterie abat les arbres, elle tente un barrage, les guitares ont des bruits de boucliers qui s’entrechoquent, où que je sois, qui que je sois, je reconnais en moi le combattant, j’ai enfin trouvé ma boussole. Résurrection : une longue et lente introduction, une espèce d’apothéose  arrêtée à mi-chemin, un bruit de train qui avance et ahane, hurlement, maintenant je vois ! Rien, mais une direction, vers quelque chose qui n’est pas Moi et qui serait donc Toi. Un fantôme à l’intérieur de moi qui me dirige vers l’extérieur de Toi, un espoir qui a eu lieu, peut-il revenir, long final d’attente, montées en puissance, montées en impuissance, explosions battériales, avancées dans l’incertitude du sens et des rencontres avec soi-même ou l’autre stratifiée en une réalité impalpable. Seulement Toi : cris de joie et d’incrédulité, une guitare seule, que d’exultation, tant de désespoir pour en arriver à cela, â l’âme sœur, vont-ils nous faire le coup d’ils se marièrent et adoptèrent beaucoup de petits et beaux enfants, non ils évitent l’écueil, de justesse, mais ils l’évitent, la société pourrave n’y pourra rien, il sera là toujours là, dans les difficultés les plus aigües, dans les combats les plus désespérés, et plouf ils sortent les grandes orgues du romantisme, seuls tous les deux, au-delà de l’au-delà, contre le monde. Contre tout. Tout contre Toi.

    1944 : MIXTAPE 01

    (Décembre 2023)

             Les deux ep’s précédents forment un tout. Celui-ci est à considérer comme un sas de passage. Si Notre Ciel Noir et Traversée relèvent de l’intime, 1944 – ils auraient pu faire un effort pour la couve peu encourageante – cette Mixtape 01 traite du collectif, de l’Histoire et même de Politique par son parti-pris. Certes les situations intimes ne sont pas sans rapport avec les cadres historiaux dans lesquels s’inscrivent les éléments individuels, il est toutefois bon de se tourner vers le passé pour scruter notre futur et même notre présent.

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    BORDEAUX | Raffle |10 Janvier 1944 : un train souffle inexorablement, pianotis électroniques, un des moments les plus honteux de l’Histoire nationale, hurlements, vacarmes brouillés, fureur du chant crié, hurlé, le dégoût d’être un Homme, les voix se répondent dans un vortex sonore en expansion, que vous soyez hors de l’abîme ou sur les bords, l’innommable est comme un loup pris au piège. BIARRITZ | Bombardement | 25 Mars 1944 : sirènes résonnantes, lointainement incroyable ce bruit à peine perceptible, très vite inexorable le déchaînement de fer et de feu, le meuglement infâme de la mort dévoratrice qui tombe du ciel, les âmes paniquées sous l’écroulement universel, grondements des oiseaux de fer, qui s’éloignent, place au silence. Effrayant. JURANCON | Sabotage | 13 Mai 1944 : (Jurançon commune près de Pau ) : autant les deux morceaux précédents de par leur sujet évènementiel se prêtent aux phénomènes acoustiques de l’harmonie imitative, pour cette cet hommage à la Résistance A Terre a privilégié pour ainsi dire le silence de l’ombre, musique douce et voix parlée, récitant un texte-poème, une espèce de brouillamini sonore relativement gênant rappelle les efforts allemands pour empêcher l’écoute des ondes venus de Londres… La Résistance fut particulièrement active dans le département des Pyrénées-Atlantiques, le groupe ne cite aucun fait précis, rappelant ainsi la clandestinité de ses actions, exaltant sa portée exemplaire nationale et universelle… NORMANDIE | Débarquement | 06 Juin 1944 : sur le background chaotique la voix pose un poème, une méditation sur la mort qui attend le combattant, liberté et mort se confondent dans la grande communion des vivants et des morts. Et de ceux qui sont venus au monde après ces combats et qui se sentent investis d’une fraternité qui les unit à ceux qui les ont précédés afin qu’ils aient pu naître libres. Et continuer le combat. MONT-DE-MARSAN | Libération | 21 Aôut 1944 : (la libération de Mont-de-Marsanne ne fut pas une partie de plaisir, les combats furent intenses…) : ce morceau ne célèbre pas particulièrement des moments de joie, l’on ressent la fièvre des combats et l’incertitude de l’espoir, une bande-son de haute intensité lyrique et les cris d’une voix désespérée qui veut croire malgré tout à ses idéaux rétablis  pour toujours…

             Cet EP militant tranche dans la production rock actuelle, tous styles confondus. Les groupes réfractaires d’aujourd’hui se concentrent davantage sur les combats actuels que sur les ‘’victoires’’ du passé. Toutefois ce rappel des années noires du vingtième siècle ne nous semble guère de la part d’A Terre entaché d’un passéisme facile et consensuel. Nous le percevons plutôt comme un cri d’alarme sur la situation historiale présente, le retour d’une guerre, économique et militaire, imminente programmé sur les terres européennes… Une piqûre de rappel pour les mobilisations de résistance futures…

    Damie Chad.