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bill crane

  • CHRONIQUES DE POURPRE 666 : KR'TNT ! 666 : FOUR TOPS / TELESCOPES / MERCURY REV / A PLACE TO BURY STRANGERS / CREEPY JOHN THOMAS / CAGED WOLWES / CAIXÄO / BILL CRANE / SCARECROW

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 666

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    21 / 11 / 2024 

      

    FOUR TOPS / TELESCOPES

      MERCURY REV / A PLACE TO BURY STRANGERS

    CREEPY JOHN THOMAS / CAGED WOLWES

     CAIXÄO / BILL CRANE / SCARECROW

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 666

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    Wizards & True Stars

    - Top of the Tops

    (Part Two)

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             Quand en juillet dernier, Duke Fakir a cassé sa pipe en bois, nous avons profité des Estivaleries pour saluer sa mémoire et bricoler un simili Part One. Il est grand temps maintenant de célébrer son autobio parue en 2022 : I’ll Be There: My Life With The Four Tops. Curieusement, le book fut éreinté par un ou deux journalistes anglais. Le pauvre Duke Fakir n’a pas bénéficié des acclamations journalistiques dont avaient bénéficié par exemple Brian et Eddie Holland avec Come And Get These Memories: The Genius Of Holland-Dozier-Holland, Motown’s Incomparable Songwriters. Cet éreintement fut choquant. Voyons pourquoi.

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             Il apparaît très vite que Duke Fakir n’est pas l’écrivain que l’on croit. Mais fuck it, c’est un Topper ! Et ça lui donne tous les droits, surtout celui d’écrire ses mémoires. Le gros défaut des journalistes est qu’ils ne sont que des journalistes. Ni artistes, ni musiciens, ni légendes comme le fut par exemple Duke Fakir. Alors, les journalistes critiquent et du haut de leur non-existence, ils tuent des books dans l’œuf. De quel droit ? I’ll Be There: My Life With The Four Tops n’est évidemment pas un chef-d’œuvre littéraire, mais Duke a vécu l’aventure de l’intérieur et il se contente de raconter ses souvenirs, en toute humilité. Sa simplicité de ton le rend même émouvant, et crée une sorte de proximité. En étant son lecteur, tu deviens un peu son copain. La meilleure preuve de son humilité est cet extrait tiré du foreword, c’est-à-dire de l’avant-propos : «De mon point de vue, nous n’avons jamais rien contrôlé. Quelque chose de beaucoup plus important veillait sur nous. Au milieu du XXe siècle, les mondes s’entrechoquaient, les temps changeaient et les gens se montraient prêts pour un monde d’amour et de solidarité. C’est ce que la musique offrait. Les Four Tops firent partie de tout ça, et parce que nous étions ce que nous étions, quatre frères unis et connus pour nos harmonies vocales, nous étions ceux qui pouvaient chanter ce changement. Ma voix n’était pas celle qui était mise en avant, mais aucun d’entre-nous ne voulait toute la gloire. Nous n’étions pas le groupe le plus célèbre du monde, mais notre célébrité nous suffisait.» Voilà, c’est le ton du book : immensément humble.

             Et Duke ajoute sur la page d’en face : «On était quatre mecs très différents les uns des autres, mais on aimait tous la même chose, et c’est en quelque sorte toute l’histoire des Four Tops. Quatre mecs de Detroit qui avaient en commun une passion pour la musique et qui s’aimaient, et nous sommes restés ensemble beaucoup plus longtemps que n’importe quel autre groupe de cette période.» Puis il rappelle que d’une certaine façon, ils illustraient les quatre coins de monde : «Mon nom est Abdul Fakir, which is Muslim, Obie’s name is Renaldo Benson from the Spanish world, Levi Stubbs name is from the Jewish world, and Lawrence Payton is as English as you can get.»

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             Grâce à Duke, on comprend à quel point les groupes de blackos en bavaient pour arriver à percer. En amont des Four Tops, il y a dix bonnes années de galères. Duke a 13 ans quand il rencontre Levi Stubbs pour la première fois dans un club de Detroit, le Paradise. Il voit Levi monter sur scène. Levi n’a que 11 ans - Levi Stubbs who was definitely going to be a star - Levi est aussi le cousin de Jackie Wilson. Levi est baryton et Duke est ténor. Ils décident de monter un groupe ensemble, et un soir de fête, at a local graduation party, ils rencontrent Obie Benson et Lawrence Payton. Ils forment un quatuor qui s’appelle The Four Aims. Ils se spécialisent dans ce qu’on appelle the four-part harmonies. La bête du groupe, c’est Lawrence Payton, qui est fortement influencé par The Four Freshmen - the best at four-part harmonies back then - Il faut se souvenir que Brian Wilson idolâtrait lui aussi les Four Freshmen. Duke : «C’est la quatrième note qui fait la four-part harmony. Vous pouvez monter et descendre dans la mélodie and make four parts. Lawrence got that feeling from listening to string sessions, and he fashioned our voices after that.» Duke donne ici un éclairage considérable. Il ajoute : «Lawrence pouvait écouter un big band arrangement, peut-être six instruments, et après une seule écoute, il pouvait chanter ce que faisait chaque instrument. It was incredible. Il savait lire et écrire la musique, mais il nous chantait nos parties. Il chantait la mienne comme a trumpet part. Puis il chantait the second part qui était la sienne, puis the third part qui était celle de Levi. Au début, il n’y avait pas de lead sur les chansons. On chantait du four-part harmony straight through, similar to The Four Freshmen. Lawrence was a real genius, and we were gifted with an all-star team.»  

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             Les Four Aims zonent dans les clubs, et un soir, ils tombent sur un black qu’ils ne connaissaient pas : James Brown ! - Alors on est allés voir de plus près what this James Brown was all about - Duke et ses trois amis sont sciés - We were amazed. He was tearing up the house. Shit! It was phenomemal - C’est là qu’ils comprennent qu’ils doivent danser sur scène. Levi est le premier à réagir : «We can’t out funk him, we can’t out dance him, we can’t out roller him, but we can sing out this motherfucker. Alors on va juste se lever et chanter. C’est notre seule chance. On peut rajouter un peu de funk, mais on va aller sur scène, avec des airs débonnaires et chanter pour les ladies. C’est tout ce qu’on peut faire. That’s us». Eh oui, les Four Aims ont très bien compris que personne ne peut rivaliser avec ce démon de James Brown, surtout dans les early sixties. Levi Stubbs a compris que le seul moyen de réussir est d’être soi-même. «So we gonna go up there and sing.» Ces pages sont fantastiques car elles nous montrent l’état d’esprit des quatre petits blacks confronté à la réalité. Même quand tu chantes bien, ça ne suffit pas.

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             Eh oui, il faut des compos. Eh oui, il faut un management. Toujours la même histoire. Et puis, il faut un nom. Les voilà chez Chess pour enregistrer un premier single, «Kiss Me Baby». On leur dit que The Four Aims, ça ne va pas du tout. Pas beau. Et le directeur musical leur dit : «What about The Four Tops ?». Vendu. Duke : «The Four Tops were born in 1956 at Chess Records.» L’aventure Chess s’arrête aussitôt après. Puis, de 1961 à 1963, ils vont accompagner Billy Eckstine sur scène - Eckstine was once the rival of Frank Sinatra - Eckstine leur enseigne deux choses fondamentales : un, la paix de l’esprit n’existe pas dans le showbiz, et deux, après le succès, vient l’oubli, et il faut se préparer à ça. 

             Et on arrive au cœur battant du book : Motown. C’est Berry Gordy qui veut les Four Tops. Il les connaît, il sait ce qu’ils valent et il sait qu’il peut en faire des superstars, et c’est exactement ce qu’il va faire. Duke rentre bien dans le détail : les Four Tops passent dans un show télé new-yorkais, le Tonight Show. Gordy est chez lui à Detroit et les voit à la télé. Alors il dit à son A&R Mickey Stevenson d’aller les trouver pour leur proposer un deal. Mickey débarque à New York et vient voir les Four Tops : «Man, Berry wants you all. Sounds like he wants y’all bad.» Deux jours plus tard, les Toppers débarquent à Hitsville USA, on West Grand Boulevard. Berry Gordy les accueille avec un wonderful greeting. Il les fait asseoir et fait glisser un contrat sur le bureau en direction des Toppers - Here’s one of my contracts. It’s for six years - Gordy veut que les Toppers lisent et signent. Duke, qui est le porte-parole du groupe, dit qu’il veut emmener le contrat à la maison et le lire tranquillement avec ses amis. Gordy dit non - I never let my contracts out of my office. I don’t do that - Duke ne se déballonne pas, et il sait que ses amis Toppers vont le suivre : il dit à Gordy qu’il a quelques années d’expérience et qu’il a toujours pris le temps d’examiner les contrats - It’s business, you know - Mais Gordy l’envoie sur les roses : «Well I do business different ways. You sign it right here or not.» Duke tient bon. Il dit qu’il ne peut pas signer un contrat qu’il n’a pas examiné en détail. Gordy commence à sentir que les Toppers ne vont pas céder. Il demande s’ils vont consulter un avocat. Et Duke lui répond qu’ils vont le lire eux-mêmes et en discuter tranquillement tous les quatre. The Four Tops, man ! Gordy finit par donner son accord - Okay man. I don’t usually do this kind of shit. You can bring it back tomorrow - Duke nous fait partager là un épisode historique. T’es dans le bureau avec eux.

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             Le lendemain, il reviennent signer le contrat et demandent une avance. Gordy dit non : «Look, man, I don’t do that.» Mais il leur garantit une chose : des hits. «You’ll have hits at this record company.» Puis il sort 400 $ de sa poche et les file aux Toppers - Look, here’s the best I can do - Les Toppers attendaient mieux que ça, mais finalement, ils acceptent. Ils font confiance à Berry Gordy.

             Duke nous explique ensuite que chaque artiste chez Motown avait une relation particulière avec Berry Gordy. Duke dit que la sienne a toujours été positive. Gordy respecte les Four Tops car ils étaient un groupe accompli avant Motown - We already had a distinct sound and musical identity - Ils ne sont pas une découverte. Et Gordy a besoin de leur talent.

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             Ils enregistrent un premier album de standards américains et de classiques de Broadway, Breaking Through. Mais l’album ne sortira que 35 ans plus tard. Gordy ne le trouvait pas assez Motown. Il pensait à juste titre que l’album n’allait pas dans la bonne direction - It’s not just commercial enough - Alors il les présente à Holland-Dozier-Holland. Et là, boom !

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             Pour Duke, ce n’est pas seulement une collaboration musicale qui démarre : c’est une amitié. Il indique que le destin des Four Tops ne pouvait pas être en de meilleures mains. Gordy avait une vision des Four Tops qui allait plus loin que les jazz standards de Broadway. Il avait raison - We trusted him. It paid off, big time - Les Toppers traînent pas mal à Hitsville, ils deviennent potes avec les Temptations, les Supremes, les Miracles - Little Stevie Wonder was a cute young man, like a kid in a toyshop - Il conviendrait de croiser cette lecture avec celles des mémoires de Mickey Stevenson et des frères Holland. Les Toppers enregistrent leur premier hit Motown, «Baby I Need Your Loving». Mais les sous n’arrivent pas automatiquement. Ils devront poireauter deux ans pour voir débouler les chèques de royalties. Alors ils doivent reprendre les tournées pour vivre. Duke nous raconte les célèbres Motown’s package tours, avec des affiches qui te font baver. Bave, baby, bave !

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             Entre 1964 et 1967, le trio Holland-Dozier-Holland tourne à plein régime. Dix number one songs pour les Supremes, nous dit Duke. Les Toppers enregistrent généralement un hit en deux heures. Ce sont des pros. Ils alignent des hits planétaires comme «Reach Out I’ll Be There», «Bernadette», «Standing In The Shadows Of Love». Duke raconte aussi le clash entre Marvin et Gordy à propose de «What’s Going On». Gordy ne voulait pas de chansons engagées, et Marvin lui répondait que «What’s Going On» était ce que les gens voulaient entendre, et diable, comme il avait raison de tenir bon ! 

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             Duke rappelle aussi que les Toppers ont flashé sur le «MacArthur Park» de Jimmy Webb et qu’ils démarraient leur set avec - Nobody could sing it like Levi - C’est l’une des chansons qui a le plus touché Duke. Quand Levi a cassé sa pipe en bois, les Toppers ont arrêté de le chanter sur scène - Levi’s delivery was iconic - On trouve cette merveille insurrectionnelle sur l’album The Four Tops Now!. Ils tapent dans l’intapable de Richard Harris. Levi ne craint pas la mort, alors il y va sans hésiter et prend l’intapable en main. On a là une version swinguée et orchestrée. Levi va même jusqu’à la sur-winguer pour qu’elle décolle vite fait vers les étoiles. C’est beau à pleurer. Levi grimpe si haut qu’il donne le vertige. On assiste à de merveilleuses échappées de pur feeling. On trouve aussi un  hommage aux Beatles avec «The Fool On The Hill». Fabuleuse version, les Toppers la swinguent au velouté Tamla. Ça devient doux au toucher. Et on entend bien sûr l’immense James Jamerson derrière. Un autre coup de génie, c’est bien sûr «Don’t Bring Back Memories», une pop de good time music extrêmement colorée et bien chaude, un vrai patrimoine de l’humanité qui se danse au mieux de toutes les espérances. Oui, les Toppers ont du génie, tellement de génie qu’ils en ont à revendre. On trouve aussi un fabuleux cut de r’n’b intitulé «My Past Just Crossed My Future», bien emmené au beat de membres désarticulés. On s’effare de l’ambiguïté des orchestrations. Ils restent dans l’insolence de la classe avec «Little Green Apples». Quand les Toppers mettent leur énorme machine à swinguer en route, ça fait des étincelles. On les admirera jusqu’à la fin des temps.

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             Mais les jours heureux ne vont pas durer. Duke rappelle qu’avec l’arrivée des Jackson 5 en 1969, les groupes phares de Motown ont subi une sorte de déclassement. Les Tempts, les Miracles, les Toppers et Stevie Wonder n’étaient plus les chouchous. Pareil pour les Supremes lorsque Diana Ross est passée solo. Duke pense que ce sont les émeutes de 1967 à Detroit qui ont poussé Gordy à quitter la ville pour aller s’installer en Californie. Gordy essaye aussi de casser les Four Tops pour récupérer Levi, comme il a cassé les Supremes pour récupérer cette rosse de Diana Ross. Manque de pot, Levi est un Topper. Il ne trahit pas ses amis. Gordy essaye de l’appâter en lui proposant un rôle dans Lady Sings The Blues. Et Levi lui répond : «What about the Tops? What about my boys? Is there a part in it for them?» Et quand Gordy lui dit non, Levi annonce qu’il reprend l’avion et rentre à Detroit - We’re going home then - Fin de la discussion. Comme Gordy sidéré n’a pas bien compris, alors Levi lui balance ça dans la gueule : «It’s the four of us or nothing.» Et là, t’as le vrai truc, la raison d’être d’un groupe, l’intelligence du rock et de la Soul. Te voilà aux antipodes des rats et des beaufs.

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             Puis les Toppers se font virer de Motown par Ewart Abner, que Gordy a chargé de prendre la relève à Detroit : «We don’t need you guys anymore.» Les Toppers tombent des nues. Virés comme des chiens. Duke indique plus loin que Gordy n’était pas au courant de cette histoire. Bon, les Toppers sont sonnés, mais ils se reprennent et vont signer ailleurs. De toute façon, Motown ne signifie plus rien. Le trio Holland-Dozier-Holland s’est barré depuis belle lurette.  

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             Après Motown, les Toppers vont signer chez ABC/Dunhill, Casablanca et finalement Arista - It was the last record deal we ever had - Et après ça, Duke va évoquer en des pages merveilleuses ses amis Eddie Kendricks et David Ruffin, puis aligner les cassages de pipes en bois, Levi, Lawrence, et Obie, pour filament se retrouver le dernier, atrocement seul, perdu et malheureux, comme ça arrive à tous ceux qui survivent trop longtemps. Avec le temps du chagrin vient l’envie d’en finir.

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             Très beau livre. Merci Duke d’être ce que tu fus. Reach out !

    Signé : Cazengler, Four

    Duke Fakir. I’ll Be There: My Life With The Four Tops. Omnibus Press 2022

     

     

    L’avenir du rock

     - Le télescopage des Telescopes

     (Part One)

             — T’es pas cap !

             — Cap de quoi ?

             — T’es pas cap de délirer sur les Telescopes, avenir du rock...

             — Pourquoi veux-tu que je délire sur les Telescopes, mon pauvre ami. Ils sont parfaitement capables de délirer tout seuls. Ils n’ont pas besoin qu’on les aide !

             — M’en doutais que t’allais te déballonner, avenir de mes deux !

             — C’est absurde ! C’est comme si tu demandais à Brigitte Bardot si elle avait besoin de quelqu’un en Harley Davidson ! Ou à Cocteau de ne pas feindre d’être l’organisateur des mystères qui le dépassent. Te rends-tu compte de ton incurie ? Sans vouloir être méchant, te rends-tu compte du néant que tu incarnes ? Délirer sur les Telescopes ! Mais ça n’a pas de sens ! As-tu besoin de demander à Ziggy de jammer good avec Weird and Gilly ? Ou de rappeler à Johnny Yen de se pointer avec les bottles & drugs ! Ou à la mer de baigner les golfes clairs ?

             — Tu trouves toujours des combines pourries pour t’en sortir, avenir de ta race !

             — Mais non, j’essaye juste de t’expliquer ce qui me semble être une évidence. Mais c’est pas facile de parler avec un mec comme toi. Sous ta casquette, t’as les idées bien arrêtées. T’es pas quelqu’un de très sympa, en réalité. Il faut même faire un peu attention à ce qu’on te dit, car ta susceptibilité s’inscrit sur ton visage, ça a l’air de te crisper la gueule, et tu deviens vite agressif, ce qui rend l’échange caduque. Ta connerie télescope les escalopes, tu hausses le ton et tes spolémiques apparaissent en cinémascope, elles te radioscopent le kaléidoscope, alors t’es plus qu’un Ionescope interlope en partance pour Scopacabana, mon spote.

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             Bon calmons-nous et célébrons les Telescopes, c’est-à-dire Stephen Lawrie, qui, depuis son sous-marin, observe les convois des tendances qui traversent l’Atlantique, et qui, de temps en temps, leur balance une bonne torpille. Lawrie adore couler les tendances.

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             T’en reviens pas de te retrouver à deux mètres de lui, là, au fond de la cave. Pas la grande foule. Concert trop underground, sans doute. Tant pis pour les absents. Les Telescopes sont aujourd’hui ce qui se fait de mieux en matière de psyché anglais. Sur certains cuts, Lawrie sonne exactement comme Syd Barrett. Quand on le lui dit, après le concert, ça le fait bien marrer. C’est là où tu vois ses dents pourries. Stephen Lawrie, dernière vraie rockstar anglaise avec Peter Perrett, Lawrence d’Arabie et Jason Pierce ? C’est plus que fort probable. En tous les cas, concert demented. T’en savoures chaque seconde avec un bonheur indicible, tu t’enivres de ce son unique au monde. Là, t’as le real deal, pas une mauvaise resucée à la petite semaine, non, c’est la suite exacte d’«Arnold Layne», c’est le sommet du genre.

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    Ils sont cinq sur scène, dont deux Français, un blond à la guitare, là-bas au fond, et une petite gonzesse sur un mini-clavier, au-devant de la scène. T’as un super-rasta à la basse, complètement plongé dans le doom, un batteur anglais au croisement du psychout et de cromagnon, et puis, Stephen Lawrie derrière son micro, avec ses deux guitares et ses lunettes. Zéro frime, il gratte ses Si et ses Do et chante par intermittence, il est le capitaine du vaisseau, le gardien du phare (tel qu’il se décrit dans les liners de Radio Sessions 2016-2019), il est fantastiquement présent dans l’avenir, et fantastiquement ancré dans la tradition la plus pure, franchement, t’en reviens pas de voir un mec aussi légendaire se comporter comme si de rien n’était. Tu mets des mots comme tu peux sur les secondes de son qui défilent, mais tu sens bien qu’un puissant courant les emporte, alors tu laisses filer, tu te dis que tu te débrouilleras plus tard, et puis au fond, ça n’a aucune importance, tu vis ta vie, grâce à Lawrie, tu arraches encore au néant de la vie quotidienne quelques instants d’éternité, tu montes et tu descends avec eux, et t’as cette petite gonzesse qui groove avec le son, tu vois ses cheveux voler, elle groove fabuleusement, alors le real deal devient palpable, et quand ça monte en température avec cette bombe atomique qu’est «This Train Rolls Out», tu vis une sorte de petit moment d’extase, et tu te félicites sincèrement d’être resté en vie, rien que pour pouvoir assister à cette petite heure d’éternité. 

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             Les mighty Telescopes font leur grand retour dans le rond de l’actu avec Halo Moon. Pareil, tu peux y aller les yeux fermés. Tu y retrouves l’heavy «Shake It All Out» bien rempli à ras bord. Lawrie ne plaisante pas avec l’heavyness. Et en plus, il a le groupe parfait pour jouer ça dans la cave. Tu croises plus loin un «Nothing Matters» très Velvet, puisque gratté sur les accords d’«All Tomorrow’s Parties». Il a aussi des cuts plus poppy, comme ce «For The River Man» qui se laisse bercer, un peu étrange au demeurant. Il fait son coup de Syd avec «Along The Way» et un coup de samba Syd avec le morceau titre. Boing boing ! Par contre, «Lonesome Heart» déploie ses ailes : très beau, mélodique et gluant. Tu retrouves le boing boing dans «This Train Rolls On». C’est extrêmement déterminé à vaincre. On ne fait pas de tels boings inopinément. Mais la version live était nettement plus dévastatrice.  

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             Et comme si Halo Moon ne suffisait pas, ils sortent aussi cette année une fastueuse compile : Radio Sessions 2016-2019. Stephen Lawrie signe les liners. Donc on les lit. Il commence par dire que des gens voient les Telecopes comme un collectif, que d’autres gens, plus nostalgiques, imaginent que les Telescopes ont gardé le line-up d’origine, et que d’autres encore voient ça comme «a solo-career». D’une certaine façon, conclut Lawrie, tout cela est à la fois vrai et faux. Quand il se voit contraint d’en parler, Lawrie dit que «the Telescopes house had many rooms.» Formule ajoute-t-il qui lui convient bien, mais il observe que ça peut créer de la confusion chez certaines personnes. «For me, confusion isn’t a bad thing.» Et il développe, rappelant que tout naît de la confusion, que le chaos non seulement l’intéresse, mais l’excite. Après la métaphore de la maison, il opte pour celle du vaisseau. Il considère les Telescopes comme a vessel. Puis il développe encore en expliquant qu’il n’est que le gardien du phare, et que tout ce qui compte, after all, c’est le son qui sort des enceintes.

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             La cerise sur le gâtö des Radio Sessions 2016-2019 s’appelle «Something In My Brain». Ça joue au tribal impitoyable. Ils détiennent le pouvoir antique du psyché obscur, ils sonnent comme des êtres primitifs. John Lynche te bat ça dans la jungle du non-retour. Tu sens battre le cœur du rock que tu aimes bien. Te voilà Telescopé de plein fouet. Ils tapent dans le «Violence» du premier album, ils en font une mouture profonde et grasse. Ils prennent leur temps, rien ne les presse. Pas de rendez-vous avec la gloire, ils préfèrent traîner dans les ténèbres de l’underground. C’est très insidieux, leur groove gronde dans les ténèbres, ça frôle le saturnisme psychédélique, c’est interminablement heavy. Ils passent à la weird psychedelia avec «We See Magic And We Are Neutral Unnecessary», ils plongent au cœur du mythe psyché et développent un véritable apanage du genre. Ils tirent aussi «The Perfect Needle» de Taste : weird fuck-out avec un côté Velvet très cérémonial qui remonte à la surface. Encore de la belle tension heavy avec «Strange Waves», c’est riffé au raff, plus fort que le Roquefort, avec un développement explosif. Puissant, herculéen, zébré d’éclairs de sature, la voix de Lawrie se noie dans une mer de riffs démontée. Ils cultivent l’heavy frakout, le drone des saturations extrêmes.

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             Tu sors aussi de l’étagère deux maxis Creation ramassés somewhere someday, Everso et Celeste. Avec le morceau titre d’Everso, ils te plombent vite fait le maxi avec un heavy groove de fat shoegaze, très Bloody Valentine dans l’esprit.

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    Et Celeste sonne comme de la psychedelia britannique classique bien visitée par les vents du Nord.

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             Mine de rien, Taste est resté un classique, grâce à ses forts relents Stooges/Velvet/Mary Chain. Dès «I Fall She Screams», t’es dans les Stooges. Lawrie se jette dans les flammes de tout son poids d’I falllll ! Stooges encore avec «Suicide» en B, noyé d’accords et de folie. Rien de plus stoogy que ce Suicide commando. Velvet via «The Perfect Needle», plus cérémonieux, et digne des Tomorrow’s Parties. Mary Chain via «Suffercation», très bardé de barda, même méthode d’assaut que celle de William Reid. Ils passent au heavy doom avec «Violence», tout se fond dans la fusion du solo trash à la coule. Pur blaster que cet «Anticipation Nowhere» et encore de l’eavy stash de trash avec «Please Before You Go» et puis t’as cette épouvantable purée de «Silent Water». Ils ne t’auront rien épargné.

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             Tu retrouves «I Fall She Screams» sur une belle compile Bomp!, As Approved By The Committee. Tu y retrouves aussi «Flying», une exploration du cosmos et ça explose bien dans le ciel. Et puis t’as cette tonne de purée fumante, «Silent Water», et Lawrie marche dedans. Le gros intérêt de cette compile, ce sont les liners au dos. Lawrie raconte qu’il croisait à l’époque Jo Doran dans les mêmes concerts et c’est là qu’ils ont décidé de monter un groupe. Principales influences : le feedback, le Velvet et Suicide. Puis ils vont faire des premières parties de Spacemen 3 et de Primal Scream. Une formule résume bien les Telecopes : «Expect the unexpected.» La principale info des liners Bomp! concerne le quatrième album des Telecopes (#4), considéré comme leur finest work. Et on doit cette compile au Comitteee To Keep Music Evil, dont le membre fondateur n’est autre qu’Anton Newcombe. 

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             En 1992, les Telescopes sont toujours sur Creation pour un album sans titre et sans vagues. Ils y flirtent avec la Stonesy psychédélique des Satanic Majesties, disons une belle Stoney informelle, celle qui ne veut pas dire son nom. L’intention est louable. Cut après cut, on les voit chercher la petite bête, titiller la tontine, parfois c’est assez imbuvable («Spaceships»), le pauvre Lawrie n’a pas de voix, on se croirait à la MJC. Les Big Atmospherix sont bienvenus mais nullement déterminants. Ils s’arrangent toujours pour passer à côté. T’arrive au 6 («And») et t’as toujours rien dans ta besace. L’album se condamne de lui-même aux oubliettes. Et puis, alors que tu te préparais au renoncement, la marée monte soudainement avec l’indicible «Flying». Ce hit psychédélique monte et débouche sur le niveau supérieur, alors tu t’inclines et tu prêtes allégeance.

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             Avec Growing Eyes Becoming Strings, Stephen Lawrie renoue avec la grande tradition de la Mad Psychedelia. Il s’y montre même le maître incontestable avec «Vanishing Lines». Il crée son Wall of Sound psychédélique. Et ça repart en mode stomp d’extrême onction avec «(In The) Hidden Fields». Big power orbital, Lawrie visite les mêmes contrées qu’Hawkwind. T’es dedans. Fabuleux shoot de mad stomp et de power fondamental. L’autre mad hit de l’album s’appelle «Get Out Of Me». C’est la marée du siècle, ça s’étend même sur la terre entière, c’est à la fois spectaculaire et tentaculaire. Là, t’as le vrai truc. Avec «Dead Head Lights», il s’enfonce dans les sargasses de la mélasse. C’est assez évolutif et visité par des vents mauvais. Puis on le verra se répandre comme un gaz mauve sur toute la surface de «What You Love». Le bassmatic chevrote dans le son, comme s’il toussait. C’est d’un très haut niveau rampant.

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             Mine de rien, Experimental Health est un big album, ce qu’on appelle dans le code de la route un passage obligé. Stephen Lawrie y est le dernier descendant de la race des lignées. Il chante en mode confidentiel. Et soudain, la terre tremble : «When I Hear The Sound» sonne comme de l’heavy Spacemen 3, c’est du deep inside the heart, exactement la même engeance, Lawrie va sous le boisseau et travaille la chair du drone, il fait une marychiennerie qui balance entre tes reins malades, ça périclite dans une mer de honte, il opère un fantastique plongeon dans les bas-fonds du meilleur rock de l’univers, celui qui naît d’un cerveau anglais malade de psychout so far out. Back to the marychiennerie avec «Leave Nobody Behind», il s’y plonge jusqu’au cou et passe ensuite au wild as fucking fuck avec «45E». Il ne recule pas devant l’adversité : pur jus télescopique bien hypno, avec l’essaim. Album infernal, le chemin de croix se poursuit avec la mad psychedelia de «Wrong Dimension». Il enfonce son clou à coups de boutoir. Pur génie psyché ! Tu assistes au balancement du pendule mortel d’Edgar Allan Poe. «Repetitive Brain Injuries» ne va pas bien, c’est assez robotique. C’est l’hypno de Lawrie, alors tu lui fais confiance.  

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             Pour un Tapete de 2023, Of Tomorrow n’est pas mal du tout. Wow wow oui oui, comme diraient les London Cowboys. T’as au moins deux cuts inspirés du Velvet, «Everything Belongs» et «Down By The Sea». Lawrie est très porté sur l’hypno, c’est pour ça qu’on l’admire, comme on admirait le Velvet. Le psyché d’«Everything Belongs» est beau comme un cœur, avec des relents d’All Tomorrow’s Parties, relents que tu retrouves dans «Down By The Sea» : t’as le poids du gothic new-yorkais, tout le poids du Dakota et de Rosemary, ah comme l’ambiance peut être satanique, profonde et vipérine. Il tape encore en pleine marychiennerie avec «(The Other Side)», c’est bien stompé dans la couenne du beat, avec bien sûr un solo d’élan vital. Lawrie sait amener un coup de génie sonique. Mad psyché à la Lawrie avec «Butterfly», bien pesant, bien lesté de tout son poids. Encore un beat lourd de conséquences dans «When Do We Begin?». C’est admirablement maîtrisé, ça reste passionnant. On croit entendre Richard Hawley dans «Only Lovers Know» : beau mélopif romantique soutenu à l’orgue.

             La suite au prochain numéro.

    Signé : Cazengler, gros Telescon

    Telescopes. Le Trois Pièces. Rouen (76). 14 octobre 2024

    Telecopes. Taste. Cheree 1989

    Telecopes. Everso. Creation Records 1990

    Telecopes. Celeste. Creation Records 1991

    Telecopes. The Telecopes. Creation Records 1992

    The Telescopes. Growing Eyes Becoming Strings. Fuzzclub 2024

    Telecopes. Experimental Health. Weisskalt Records 2023

    The Telescopes. Of Tomorrow. Tapete Records 2023

    Telecopes. Radio Sessions 2016-2019. Tapete Records 2024

    The Telescopes. Halo Moon. Tapete Records 2024

    The Telescopes. As Approved By The Committee. Bomp! 2008

     

     

    Wizards & True Stars

     - Rev Party

     (Part Two)

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             Tu l’attendais comme le messie. Tu savais pourtant que son dernier album Born Horses n’était pas si bon. Tu savais qu’avec Born Horses, Jonathan Donahue avait hélas perdu le singalong du Deserter. Tu savais tout cela et pourtant tu t’es rendu sur le lieu de son passage. Car tu étais de nouveau en quête de cette ancienne mystique. Tu espérais reboire ses paroles et goûter au sucre de sa magie.

             Dans la queue, zéro copain. Il faisait déjà nuit et un mec est arrivé dans la rue avec des lunettes noires : Grasshopper, le petit complice de Jonathan Donahue. Sunglasses after dark. Seul un Américain à Paris pouvait se balader la nuit avec des lunettes noires. Fin du préambule.         

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             Jonathan Donahue arrive sur scène après les autres, coiffé d’une casquette de newsboy, vêtu d’une tunique trois-quart noire, d’une chemise blanche et d’un gilet noir, et chaussé de pompes à grosses boucles carrées en or. Soigné. Presque anglais. Dandy des Catskills. Un petit côté Fabrice Luchini dans la façon de s’émerveiller sur scène et de remercier le gentil public for coming out.

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    Et puis il attaque par l’une des phrases magiques du Deserter, Well goodbye southern spy/ I’ve come to love you in the light, le premier vers du mystérieux «Funny Bird», et là tu renoues avec l’ancienne mystique. Elle est intacte. Dans ce pur moment de magie pop, tu goûtes au sucre.

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             Le plus curieux de toute cette histoire, c’est que les 90 mn de set sont prises en sandwich entre deux hits intemporels, «Funny Bird» et «The Dark Is Rising» - épique envolée mélodique qui s’achève sur I always dreamed I’d love you/ I never dreamed I’d lose you/ In my dreams I’m always strong, qui est une sorte de fin en soi, sans doute l’un des sommets de la pop américaine, en tous les cas, c’est du niveau de ce qu’a fait Brian Wilson toute sa vie.

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    Jonathan Donahue hante ses cuts pour le bonheur de tous. Il a cette prestance qui fait la grandeur des magiciens. Vers la fin, il réussit aussi à coincer dans le set l’«Opus 40» qui vaut encore pour une envolée à la Brian Wilson. Il sort aussi d’All Is Dream l’excellent «Spiders & Flies». Finalement, t’es assez content, tu ne seras pas venu pour rien. Tu fais le plein de magie pop à la pompe Mercury.

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    Oh et puis ça, que t’as dans la peau et que s’appelle «Hole» - Time/ All the long red lines/ That take Control/ Of all the smoke like streams/ That flow into your dreams/ That big blue open sea - qu’il chante d’une voix si perchée et si pure, et que t’as dans la peau, car c’est mélodiquement parfait, avec un réel développement épique, bien reconstitué sur scène, les Rev ne sont pas si bêtes au fond, ils terminent avec quatre hits faramineux issus de la grand époque et quand Jonathan le magicien termine sur Bands/ Those funny little plans/ That never work quite right, t’es encore plus hooké qu’à la grande époque. La résonance en toi est infinie.

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             Au pire, tu vas sauver deux cuts sur Born Horses : «You Hammer My Heart» et «Everything I Thought I Had Lost». Avec l’Hammer, Jonathan plonge dans les profondeurs du rêve de Mercury, avec cette voix si sucrée d’empereur romain du XXe siècle. Tu te noies dans l’ambiance et tu coules en même temps qu’un solo de sax. Et ça te convient. Avec «Everything I Thought I Had Lost», il stagne encore dans un groove ambiancier, on sent même monter une marée de son, mais ce n’est pas la marée du siècle. Une trompette erre dans le delta du Mekong durassien, et ça peut devenir beau à force de power orchestral. C’est la carte que joue le Rev avec cet album : pas de catharsis mélodique, juste du pur power orchestral. Comme le montre encore le «Mood Swings» d’ouverture de bal. La trompette a détrône l’empereur Jonathan. C’est elle qui déborde d’ambition. Elle résonne dans l’écho du temps. C’est long, établi, très Bella Union. L’empereur Jonathan chante juste en dessous, comme s’il n’osait pas reprendre le pouvoir. Il murmure. Il fait encore de l’ambiancier d’anticipation avec «Ancient Love», mais il perdu sa couronne de Deserter.  Tout l’album est suspendu dans le vide, comme vrillé du bulbique. Ils ont perdu la mélodie, alors  ils la remplacent par de l’ambiance.  

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             Deux canards anglais sont montés au créneau pour essayer de sauver non pas le soldat Ryan, mais le soldat Donahue. Dans Uncut, le soldat Donahue dit que Grasshopper et lui sont comme Butch Cassidy & the Sundance kid, «We’re there for each other.» Ils sont basés tout près de Woodstock. Will Hermes voit arriver le soldat Dohanue sur une «1986 Suzuki» et ne peut s’empêcher de le comparer au Dylan qui pilotait sa Triumph T100 «on these same treacherous country backroads in 1966.» Hermes évoque aussi les mentors de Mercury Rev, Tony Conrad, qui fit partie du Dream Syndicate de LaMonte Young, et Robert Creeley, «the Black Mountain poet and master of minimalist compression.» Grasshopper a longtemps étudié avec Tony Conrad. Dans le coin, on trouve aussi le vieux studio Bearsville de Todd Rundgren, «across the parking lot». Et puis des traces de The Band, bien sûr. Hermes évoque aussi les nouveaux venus dans le groupe, la poule de Donahue, Marion Genser, et Jesse Chandler, un multi-intrumentiste qui joue aussi avec Midlake. En fait, le pauvre Hermes n’a pas grand chose à dire. Peut-être n’y a-t-il rien de plus à savoir que ce qu’on voit sur scène.

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             Dans Record Collector, Shaun Curran qualifie les Rev de «damaged psych-rock dreamers» et Deserter’s Song d’«orchestral rock masterpiece». C’est bien  le moins qu’il puisse dire. «Since then», poursuit le Curran, «there have been forays into country, electronica, krautrock, ambiant textures and Eno-esque soundscapes», et c’est bien là le problème. Les Rev n’ont pas su rééditer le double exploit de Deserter’s Song et d’All Is Dream. Le Curran creuse plus que l’Hermes dans l’analytique, et ça permet de comprendre un peu mieux la dérive d’un Rev qui selon le Curran, se rapproche de Miles Davis et de Chet Baker. C’est-à-dire l’ambiancier. C’est bien ce qu’on ressent, à l’écoute de Born Horses : l’ambiance a remplacé la mélodie. Ça pourrait être une tragédie, mais on va se calmer. Pour enfoncer son clou là où ça fait mal, le Curran ajoute que les «jazz elements» sont plus prononcés. Le mot de la fin revient au soldat Donahue : «We know we’re not jazz musicians. We’re not Delta blues musicians. I’m not sure we’re even rock musicians. But we love music.» Il dit s’intéresser de très près au «spirit of the atmosphere of some of those emotional jazz records, like Sketches Of Spain.» Il ne jure que par le spirit.  

    Signé : Cazengler, Mercuré raide

    Mercury Rev. La Maroquinerie. Paris XXe. 13 novembre 2024

    Mercury Rev. Born Horses. Bella Union 2024

    Will Hermes : The Hudson line. Uncut # 330 - October 2024

    Shaun Curran : Silver lining. Record Collector # 552 - October 2024

     

     

    L’avenir du rock

     - Bury me dead

             L’autre jour, l’avenir du rock assistait à l’enterrement de son petit frère, le passé du rock. Pour surmonter un vague malaise, il se contentait de penser qu’après tout ce n’était pas une grosse perte. L’avenir du rock se voyait contraint de penser n’importe quoi, à seule fin de colmater les brèches et empêcher sa cervelle de couler comme un navire. Il s’efforçait de penser à tout à rien. Dans les moments les plus obscurs, il ramenait toujours Aragon. Une sorte de réflexe. Notamment la strophe de Cézanne - Tout le monde n’est pas Cézanne/ Nous nous contenterons de peu/ L’on pleure et l’on rit comme on peut/ Dans cet univers de tisane - Puis il passait à la strophe suivante pour tomber sur le Breughel forain et l’ombre sur la muraille. Mais Aragon ne dure qu’un temps, et il fallait passer à autre chose. L’avenir du rock s’est alors mis à imaginer que le temps s’arrêtait. Et soudain il entendit ce silence assourdissant qui annonçait le retour d’Aragon. Excédé, l’avenir du rock siffla entre ses dents :

             — T’as qu’un temps, Louis !

             Pour ne pas voir le trou dans la terre, il se mit à scruter le ciel gris et à le soupçonner de lui cacher des choses. Ciel menteur, ciel pourri, en qui tout est... Sentant bien que sa pensée s’égarait, il redescendit sur terre pour regarder les autres gens sans les voir. Il vit aussi les innombrables vieilles tombes de vieux crabes disparus depuis longtemps, il ne savait plus quoi faire de son regard, et de toute façon, il était hors de question de voir le trou avec le petit frère au fond, car cette dimension du trou n’avait jamais existé dans leur cosmogonie, donc c’était exclu, irrecevable, contraire à leur polémologie, contraire à l’essence même de leur existence, la mort, oui, mais pas le trou. Jamais de la vie. Sors de là, passé du rock ! L’avenir du rock était en pleine surchauffe d’exhortation mentale lorsque qu’un olibrius plus haut que lui s’approcha de son oreille pour lui murmurer d’une voix sourde :

             — Vous voulez un mouchoir, avenir du rock ? Vous avez de la morve...

             L’avenir du rock s’essuya du revers de la manche.

             — C’est un rhume. Je ne vous connais pas, et je ne veux pas vous connaître. Le passé du rock a commis la pire erreur de sa vie : casser sa pipe en bois.

             — Vous pourriez montrer un peu de respect !

             — Non, c’est un étranger au fond d’un trou. A Place To Bury Strangers.

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             L’avenir du rock rue parfois dans les brancards pour les besoins de la cause, et pour aggraver son cas, il profite d’un enterrement pour enfoncer son petit clou dans la paume du jeu de paume. Rien de tel qu’une prise sur la réalité pour bâtir l’édifice d’un hommage.

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             Il est évident qu’à la parution de leur premier album sans titre, personne ne s’est méfié d’A Place To Bury Strangers. Cet album est l’extravagant prolongement du sonic trash des Mary Chain. Oliver Ackermann reprend les choses là où les a laissées William Reid, c’est-à-dire so far out. Pour bien comprendre ça, il faut entendre «Missing You». T’as aucune chance d’en réchapper. L’Acker se jette dans la bataille, il se soûle de marychiennerie. Tu commences par croire que c’est une coïncidence, qu’il est tombé comme ça par hasard sur les accords et la disto de William Reid, mais tu tombes plus loin sur «Another Step Away» et c’est encore en plein dans le Sidewalking. L’Acker pousse vraiment le bouchon de William Reid. Il te sature ça de surcharge pondérale atomique. Il va trop loin, beaucoup trop loin. Il cultive la fragrance du flagrant delight. Encore une marychiennerie archétypale avec «Ocean». C’est l’heavy beat de Glasgow transposé à New York City, c’est tellement criant de vérité véracitaire ! T’as là l’album que les Mary Chain n’ont jamais fait, c’en est même gênant pour eux. On plonge à nouveau au cœur de l’enfer des marychienneries avec «Never Going Down». L’Acker semble y cultiver des délices brûlants, il retape bien les atmosphères cataclysmiques. C’est l’exact prolongement du burn-out des frères Reid. C’est du real deal de corde Reid. Puis l’Acker fait sonner son «Sunbeam» comme un heavy hit paisible. Te voilà tanké pour l’éternité, enfin, ce qu’il en reste.

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             Attention à Exploding Head : ce double CD explose véritablement. Comme le dit si brillamment Tris McCall dans ses liners, «that sonic onslaught is part of the entertainment.» Il évoque un mélangé explosif de melodies, de feedback et de disto. C’est en fait l’apocalypse selon Saint-Qui-tu-veux. Ces mecs déboulent et tant pis pour les canards boiteux. Ils te saturent «In Your Heart» de power. Oliver Ackermann arrive encore à évoluer dans ce chaos saturé. Il tombe en pleine Marychiennerie avec «Lost Feeling». L’Acker lâche les chiens de l’enfer, ça dépasse les bornes, ça sort du cadre. Comment peut-on saturer un son à ce point ? Wild attack avec «Dead Beat». La basse broute la motte du chaos, tout est chauffé à blanc, ils jouent tout ce qu’ils ont dans le ventre. En plein processus de destruction massive, l’Acker chante «Smile When You Smile» par dessus le chaos. Tout est bombardé, ici, ça pilonne le tampani et il cède à une belle tendance hypno avec le morceau titre. Le disk 2 est nettement plus radical, via notamment cette prodigieuse cover de «Suffragette City». Heavy trash de Bury sur le dos de Bowie. Sans doute a-t-on là la cover la plus trash de tous les temps. Il te la blinde de power, la gorge à outrance, il en fait de l’ultraïque demented, du blaster dévoyé, le point ultime du Suffragettisme, encore une fois l’awsome t’assomme, et le redémarrage te colle au mur.

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    On trouve aussi six Marychienneries patentées sur ce disk 2, à commencer par «Girlfriend» et ce punch écœurant d’allure. Et puis comment ne pas saluer l’«Hit The Road» d’ouverture de bal, monté au max du mix, ultra-violent, c’est du Mary Chain à la puissance 1000, du Sidewalking over-blasté, c’est apocalyptique de marychiennerie. L’Acker se glisse encore sous le boisseau des Mary Chain avec «It’s A Fast Driving Up With A Place To Bury Strangers». C’est complètement saturé de violence sonique, les descentes dans l’infrabasse sont vertigineuses, ça te cisaille les tibias, ça t’empêche de respirer, ça t’écrase au fond du cendrier. «Alive» est encore plus blasté qu’à l’ordinaire. Cette tension organique est unique au monde. A-t-on déjà vu une dégelée aussi purpurine que celle de «Don’t Save Your Love» ? Jamais. L’Acker chante avec les hoquets de l’agonie du combattant, ahhh-ahhhh. «Take It All» est encore bien explosé du diaphragme. Astonishment garanti ! Marychiennerie dans l’âme. Ils t’explosent «The Light» d’entrée de jeu, avec du larsen et le beat des forges sous amphètes. Ils explosent encore l’art de William Reid en 1000 morceaux. Ça va trop loin, beaucoup trop loin. Ils restent en pleine Marychiennerie avec «Tried To Hide», avec un focus sur le non-retour.  

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             Le Worship de 2012 pourrait presque passer pour un Tribute aux Mary Chain. Premier exemple de marychiennerie avec le morceau titre, gorgé d’échos d’Upside Down et de Never Understand et de Sidewalking. Encore les pieds dans le plat de marychienneries avec «Revenge». Pur sonic genius. Oliver Ackermann ramène toute la chimie de destruction massive imaginée par William Reid. Encore de l’onslaught à la Mary Chain avec «And I’m Up», «Slide» et «Leaving Tomorrow». Il te crève l’œil du cyclope Reid. Et puis t’as l’«Alone» d’ouverture de bal qui te stompe le crâne, Bury me dead baby. Pas de retour possible. Avec «Mind Control», il fait monter une sauce de chaos mélodique. Apocalyptique ! Et ça part en marychiennerie monolithique, ils te creusent vite fait un tunnel sous le Mont Blanc, quelle puissance de forage ! Les poux brûlent et l’Acker te plaque les pires accords de chaos de l’univers connu des hommes. Par contre, «Dissolved» est plus spacieux, plus largué du côté de Major Tom. L’Acker envoie encore des sacrées rasades de nowhere land avec «Fear». C’est un homme de chaos, l’un des plus aboutis. Il surpasse les frères Reid. Il crée une réelle profondeur de la peur.

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             Ça pue encore la marychiennerie sur Transfixiation. «Fill The Void» a marché dedans. L’Acker y va à l’over-blast. D’ailleurs, tout l’album baigne dans l’over-blast. L’Acker sort un son dévergondé, sauvage et sans pitié. Il te tombe dessus à bras raccourcis. Avec «Deeper», il s’enfonce dans les profondeurs du Deepy Deep, ça friture de partout dans les minutes de sable mémoriel. Il se livre une fois encore à la destruction totale du rock. «We’ve Come So Far» tombe comme une chape de plomb. Ça bascule dans l’horreur des forges du Creusot, ça monte comme une marée d’acier, c’est à la fois violent, dense et inextricable. C’est le power définitif du non-retour. En fait, il n’existe pas de mots pour qualifier ça, alors on peut raconter n’importe quoi. «I’m So Clean» incarne le blast absolu, du Mary Chain à la puissance 1000. Ça te broute la motte, mais à un point terrifiant. L’Acker termine avec un «I Will Die» sur-saturé. Il atteint la limite du supportable.

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             Pinned sent encore bon la marychiennerie : dans «Act Your Age», la basse te broute la motte. Coup de génie avec «Frustrated Operator». Attaqué en mode new wave, mais avec une réelle profondeur de champ, c’est bien sabré des tibias, balayé par des vents mauvais, alors jette-toi à l’abri. Le beat est tellement profond que tu leur donnerais le bon dieu sans confession. «Never Coming Back» sonne comme du Mary Chain exproprié. Pas content. Revêche. Finit en ébullition. «Situation Changes» sonne un peu new wave. Dommage. Mais il y a de l’azur dans les ténèbres de l’Acker. 

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    Sur l’excellent Live At Levitation, on retrouve un symbole parfait de la marychiennerie, «Dragged In A Hole». Rien de plus Mary Chain que l’Hole d’«In A Hole». Tout est travaillé au chaos maximal sur cet album. L’Acker ne rigole pas, comme le montre encore cette fantastique volée de bois vert qu’est «Alone». Les Bury planent comme des mauvais esprits sur les Angevins du Levitation. Big bass rumble en ouverture de bal de de B pour «I Lived My Life To Stand In The Shadow Of Your Heart». Ils savent bien déblayer une barricade. Wooof ! L’Acker joue avec la révolution industrielle, il injecte le pouls d’Elephant Man, et les hélicos d’Apocalypse Now dans son sonic trash. C’est le pouls de la mort qui descend sur Angers. Il travaille l’océan d’«Ocean» à sa façon, avec les attaques en règle des spoutnicks délétères. Et puis voilà l’attaque de l’essaim avec «Have You Ever Been In Love». The Green Hornet craze ! Ils torturent le sonic trash pour lui faire avouer l’inavouable. C’est saturé de trash et l’Acker parvient encore à hisser le chant à la surface. il chante comme un shaman indien à fortes syllabes chargées de fumée, il éclaire la nuit et l’essaim rôde dans le cosmos angevin. Les Bury transforment le Levitation en messe païenne.

             Signé : Cazengler, complètement Bury

    A Place To Bury Strangers. A Place To Bury Strangers. Killer Pimp 2007

    A Place To Bury Strangers. Exploding Head. Mute 2009 

    A Place To Bury Strangers. Worship. Dead Oceans 2012

    A Place To Bury Strangers. Transfixiation. Dead Oceans 2015

    A Place To Bury Strangers. Pinned. Dead Oceans 2018 

    A Place To Bury Strangers. Live At Levitation. The Reverbation Appreciation Society 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - Creepy n’est pas une crêpe

             Creepo traînait régulièrement dans la boutique. Il trimbalait une dégaine un peu rockab, il se gominait les cheveux et s’habillait en noir. Disons qu’il avait plutôt fière allure, ce qui n’était vraiment pas le cas des autres habitués du bouclard. Et puis un soir, au moment de l’apéro, alors que nous étions rassemblés en petit comité autour du comptoir, il vint taper l’incruste dans une conversation à propos de Wild Billy Childish. Il avait l’air d’en connaître un rayon. Il parlait d’une voix de mec timide, ce qui contrastait avec son look. Les autres le laissaient parler, car d’une certaine façon, il faisait autorité sur le sujet, ce qui, dans cette ville maudite, était plutôt exceptionnel. Enfin un mec qui connaît bien Wild Billy Childish ! Il alimentait la conversation comme on alimente la chaudière d’une locomotive lancée à travers la plaine. Il connaissait parfaitement l’historique des groupes successifs du grand Billy, il remontait des Milkshakes jusqu’aux Singing Loins, en passant par Buff Medways, Thee Headcoats et Thee Mighty Caesars. Il insistait sur le Thee. Zeeeee ! Il finissait par devenir impressionnant. Il pouvait même aller jusqu’aux Delmonas et aux Headcoatees. Évidemment, les autres décrochaient, la conversation devenait trop pointue, Creepo entrait bien dans les détails, il parlait de Nurse Julie comme s’il la fréquentait tous les jours, affirmait qu’elle jouait de la basse mieux de Bob Garner dans les Creation, et il brodait à l’infini sur les talents conjugués de Wolf et de Russ Wilkins, de Graham Day et de Mickey Hampshire, et il repartait dans les méandres de Medway avec un luxe de détails qui finissait par donner le tournis, il n’arrêtait pas de dire «Faut qu’t’écoutes ça et ça !», et de te vanter les mérites d’albums tous plus extraordinaires les uns que les autres. Arriva l’heure de la fermeture, et alors que nous descendions la rue, Creepo demanda un numéro de téléphone. Pas de problème. Dans les semaines qui suivirent, il m’appela pour me vendre à peu près tous les albums dont il avait ce soir-là vanté les mérites. Il était une sorte de «disquaire en chambre», c’est-à-dire sans boutique, et d’une certaine façon le meilleur disquaire de France, et c’est pour cette raison que les autres disquaires le haïssaient. Une haine dont vous n’avez pas idée. 

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             De Creepo à Creepy, il n’y a qu’un pas. Alors franchissons-le allègrement. Ils sont aussi cryptiques l’un que l’autre. Ils en commun un certain charme, mais c’est dirons-nous un charme dont on fait vite le tour. Creepy et Creepo n’avaient qu’une seule idée en tête : vendre des disques. Rien d’autre. Absolument rien d’autre.

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             Tous les amateurs de proto-punk connaissent bien Creepy John Thomas. Il est devenu avec le temps une sorte de passage obligé. Comme son nom ne l’indique pas, Creepy a démarré de bonne heure en Australie, avec les Flies. Ils font partie de la scène de Melbourne. Mine de rien, les Flies ont réussi à intégrer en 1965 la tournée australienne des Stones et de Roy Orbison. Creepy le dit lui-même : the Flies n’ont guère d’intérêt, tame pop songs. Pas de proto. Quand Ronnie Burns quitte le groupe, les Flies battent de l’aile, et en 1967 Creepy quitte l’Australie pour s’installer à Dusseldorf. Sa copine est allemande. Puis il va à Londres monter un groupe. Il passe une annonce dans le Melody Maker et recrute deux petits mecs, Walt Monaghan et Brian Hillman. Le groupe s’appelle Rust et enregistre Come With Me en 1969.

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             Ils tapent dans le fast heavy British groove en vogue à l’époque. C’est un beau power trio avec du chant plein la bouche  et un peu de disto. Avec «Think Big» ils tentent un coup à la Seeds et Creepy fait bien son Saxon. Mais leur «Delusion» reste très en dessous de la moyenne, même si après le sermon de circonstance - You just get what you need/ To make up your mind - ils se payent une petite fuite en mode gaga. Ils font de la belle pop américaine avec «Find A Hideway», ils tapent dans le psych US et là ça marche. Creepy est bon, parce qu’il est convaincu. Typique de l’époque, «The Endless Struggle» est assez wild. Mais comme l’album ne sort qu’en Allemagne, il disparaît rapidement des radars.

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             Les deux Anglais rentrent au bercail et Creepy continue de ramer en Allemagne. Il rencontre Conny Plank à Cologne. Ils enregistrent des démos que Creepy présente chez RCA à Londres. Signé. Alors Creepy retourne bosser avec Conny à Cologne, et pour se booster la cervelle, il tape dans ce qu’il appelle the psychoactive substances, comme tout le monde à l’époque. Creepy indique qu’il tire son Creepy du «Creepy John» enregistré en 1963 par le country blues trio Koerner Ray & Glover, l’un des fleurons de l’Elektra des origines.

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             Ce premier album sans titre de Creepy John Thomas tient superbement bien la route. Vroom vroom, ils font une espèce de gros boogie de gros sabots avec un chant perlé de faux accents de Bolan/Deborah (Gut Runs Great Stone»). «You’ve Got To Hide» sonne comme le blues rock des enfers. Ils ont tellement de son qu’on en frémit. Creepy fait bien la bête de Gévaudan. Ils passent au proto-punk avec «Trippin’ Like A Dog & Rockin’ Like A Bitch». Il est bien harsh, le Creepy sur ce coup-là, ils tapent leur proto à coups d’acou, il fallait y penser. Encore deux belles surprises en B : «Green Eyed Lady», attaqué à la basse et noyé sous une salade de wild disto, avec une grosse présence de la substance. Et «Lay It Down On Me», attaqué à la dure. Creepy peut te cavaler sur l’haricot vite fait, il est assez extrémiste, pas de problème, il ne vit que pour l’énormité. Il a tous les kudos du killer Brit rock. Et ça se termine avec un «Moon And Eyes Song» bien explosé, comme si Creepy lui avait enfoncé un pétard de fuzz dans le cul.

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             Le groupe tourne en Angleterre, fricote avec l’Edgar Broughton Band, mais les ventes ne suivent pas. Alors Creepy retourne en Allemagne bosser avec Conny Plank. Le deuxième album s’appelle Brother Bat Bone, alors qu’il aurait dû s’appeler Brother Back Bone : Conny Plank avait mal compris le titre au téléphone. Bon bref, c’est un album engagé, stop the war, clame Creepy dans «Down In the Bottom». Puis ils reviennent à leur cher boogie avec le morceau titre. Creepy est assez intraitable en matière de boogie. Il faut que ça arrache - That’s my name - T’as même un solo de basse. Et voilà l’excellent «This Is My Body» qu’on retrouve sur la compile I’m A Freak Baby 3 - Hey hey to the judgment day - Rien à voir avec le proto-punk, on se fourre le doigt dans l’œil, avec cette histoire-là. C’est wild, bien sûr, mais trop arty pour du protozoaire. Creepy chante en plus comme une traînée du caniveau. Il tape encore sa petite chique de rock seventies avec «Standing In The Sunshine». On s’ennuie un peu, pour dire les choses franchement. Les kids s’imaginent qu’ils vont choper le rock du diable avec cet album qui vaut la peau des fesses, mais non, c’est très moyen. Ce groupe est un boogie band ordinaire. Ils n’ont qu’un seul horizon : le boogie.

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             Puis Creepy va bosser pendant deux ans avec l’Edgar Broughton Band. Il enregistre Bandages et Live Hits Harder avec eux. Puis, c’est la carrière solo, et deux albums avec Johnny & The Drivers.

    Signé : Cazengler, Creepy John Tomate

    Rust. Come With Me. Columbia 1969

    Creepy John Thomas. Creepy John Thomas. RCA Victor 1969

    Creepy John Thomas. Brother Bat Bone. Telefunken 1970

     

    *

    Quelle drôle d’idée que de se présenter comme des loups en cage. Que veulent-ils nous signifier. Que nous sommes tous enfermés dans une cage. Puisqu’ils sont autrichiens, ils ont sans doute lu Le Loup des Steppes d’Hermann Hesse, le titre est beau, davantage roboratif, toutefois Harry Haller, le héros de e roman, n’a-t-il pas un mal fou à s’extraire de lui-même… J’ai décidé d’aller voir, faut dire que dès que j’aperçois le mot ‘’tale’’ dans un titre, le nom d’Edgar Poe s’installe dans mon esprit, je me sens l’âme de Dupin et je me lance dans mon enquête.

    A DESERTS TALE

    CAGEG WOLWES

             (Tape Capitol Music / Novembre 2014)

             De prime abord la couve n’est guère attirante, au bout de quelques minutes l’image se révèle totémique, elle captive, elle vous retient prisonnier, elle est signée d’Agaric. Tapez sur Agaric eu, sur Illustrated Music vous verrez l’ensemble des couves qu’il a consacrées au groupe depuis sa création en 2017. Il aime bien animer, quel que soit le sujet abordé, mettre sans trop  enmouvement ses créations, juste un détail. Il ne cherche pas à produire mais à suivre, une véritable attention. L’on sent qu’il doit choisir  ses sujets.

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    Christian Sarko : vocals, bass / Manuel Vlasic / Branko Dzukic / Chris ‘’Cian’’ Simon.

    Dusk : ils se définissent comme un groupe de stoner-alternatif, très logiquement nous nous retrouvons dans un désert alors que le soir tombe. Si vous pensiez à un admirable coucher de soleil sur les dunes, remisez vos cartes postales dans les poubelles de l’espoir, l’instrumental dépasse à peine la minute, il tintinnabule d’une manière déplaisante, par-dessous la rythmique essaie de vous faire croire qu’elle se prend pour le tambour des sables, mais ce n’est pas très grave car quand la mort s’annonce votre esprit possède une moins un fondement métaphysique des plus cartésien, je pense que je vais mourir donc je vis,  par contre avec cette guitare déglinguée vous comprenez que ce qui vous attend n’est pas jojo, que vous allez morflez un max. Lost in the desert : ai-je déjà entendu une guitare tituber de cette manière, l’on reprend le film à son début, pas tout à fait, il y a un bon moment que vous marchez dans cette étendue aride, la chaleur est intense et votre cerveau entre en ébullition, pour un peu vous percevriez le clapotement de vos synapses bouillonnantes. Heureusement qu’un chant d’espoir se fait entendre, enfin si l’on écoute avec attention ce n’est pas si clair, par derrière vous avez un grésillement  comme… un vent de sable qui n’en finirait pas de souffler, pas à grande vitesse, pas une tornade, si constant qu’il en devient, fatiguant, pénible, angoissant, sans compter cette lenteur, même si vous vous dites que cette surface doit avoir une fin, vous clopinez un plus fort, bourdonnement dans les oreilles, interlude musical illimité, l’en devient pesant, démoralisant, la batterie alentit vos pas, la guitare de votre imagination vous pousse en avant, le chant s’essouffle, votre silhouette ressemble à celle d’un dromadaire  d’un dromadaire boiteux, parfois l’humour impose une borne  au découragement, tout de même vous  devez reconnaître que plus vous avancez, moins vous progressez, et si ce méhari n’était pas une pensée mais un véritable être vivant annonciateur de ce palais des mille et une nuits sis au milieu d’une oasis luxuriante, le vent forcit, il dissipe le mirage de sable de mon imagination, de mon désir de partir, la guitare comme un moteur d’avion qui vrille,  tout s’accélère, feu brûlant du soleil, ou vents torrides, je ne sais pas, je ne sais plus, je suis perdu, suis-je au-travers des dunes, ou dans le désert de mes rêves. Eleutheromania : aux grands maux les grandes idées. Certes c’est un peu compliqué, n’empêche que perdu en ce désert je ne me plains pas, n’est-ce pas le moment de me livrer à mon idée fixe, à cet amour immodéré de la liberté, que j’ai toujours recherché, guitares optimistes et excitantes, grondeuses de désirs libérés, je cours dans ma tête alors que je suis en plein milieu du désert, peut-être la prochaine enjambée sera-t-elle celle qui me libèrera de mon passé et me donnera accès à cet eldorado libertaire que j’ai toujours cherché en vain, la batterie alerte trottine, ne suis-je pas en train de quitter la carapace protectrice de mon vieux moi, ne suis-je pas en train de muer, de devenir le prince d’un royaume intérieur ou extérieur de toute beauté, de toutes possibilités ouvertes. Laguna : Une lagune est  la dernière chose que l’on s’attend à trouver dans un désert, est-ce pour cela que la batterie bat toute seule comme un cœur angoissé, et cette guitare qui n’ose pas faire de bruit, la voix traîne des pieds dans le marécage intérieur, elle n’est pas sûre d’elle-même mais elle est certaine de la réalité de son rêve,  pas vraiment joyeuse car elle sent que la dimension dans laquelle elle évolue n’est pas très éloignée de son propre passé, certes elle est dans le désert mais il suffit de vouloir vivre dans les intempéries du désert, de le considérer comme l’endroit de la liberté pour devenir libre, une sensation de liberté éthérée chiffonne mon âme et l’emporte comme un fétu de paille, je suis devenu le roi de mon univers, la musique éclate et rocke de tous les côtés, exaltation féérique.

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    The lost tale : le conte perdu, il est raconté le soir autour du feu, le Voyageur raconte, il parle, la musique imite le soir qui tombe et les mystères de la nuit, le Voyageur raconte d’où il vient, il parle de son royaume, sa voix est comme doublée comme si toutes les âmes du village répétaient le récit au fur et à mesure qu’il le prononçait, moment de grande persuasion, les esprits de son auditoire infusent, ils captent, ils comprennent, l’histoire est merveilleuse, eux-aussi ont envie de se rendre en ce pays aussi beau qu’un rêve, mais cela ne les rend pas joyeux, l’angoisse les saisit, l’intuition que le voyage qu’ils vont entreprendre ne sera pas de tout repos leur apprend qu’il leur faudra marcher longtemps, longtemps, et que les contrées sableuses qu’ils auront à traverser… ne sont-ils pas déjà en route alors qu’ils restent groupés autour du feu, leur village ne perd-il pas tout son charme, ils savent désormais que le mystérieux inconnu les attend et l’angoisse les étreint. Call of the void : Qui saurait résister à l’appel du vide, ils sont en marche, cahin-caha, chaque pas les éloigne de leur ancienne vie et les rapproche de ce royaume vers lequel ils se sont mis en route, mais peut-être dès le premier pas accompli en ont-ils franchi la frontière, ce n’est pas le paradis, mais un espace qui bruit de vide et d’appels,   Le Voyageur qui les guide n’a pas peur, il avance imperturbable et eux ne savent plus s’ils visitent un pays réel ou s’ils arpentent un rêve, qui peut-être ne leur appartient pas, long solo de guitare comme une barrière infranchissable de barbelés qui une fois franchie laisse place à une autre réseau de barbelés… où sont-ils, où vont-ils ?ils ne savent pas, l’eau de la peur inonde les caves de leur âme. Chaac : incroyable mais vrai, ils sont arrivés, ce n’était pas un mensonge, ils rient de leurs appréhensions, les guitares dansent, mais la voix reprend son conte, elle décrit la situation idyllique, cette vie de repos et de bonheur infinis, guitares et batteries sautent de joie… mais que se passe-t-il, qu’arrive-t-il, impalpable mais vrai, déjà ce n’est plus comme tout à l’heure, la musique ne joue plus, elle sonne le glas, la guitare se met au blues,  la pays de Chaac ne serait-il qu’une fausse promesse, qu’un bonheur illusoire, une fois que l’on a mordu l’écorce amère de de ce doux fruit sucré qu’est l’orange du rêve, sommes-nos condamnés à pâtir sans fin, à ne plus être libre à être soumis à des forces supérieures qui nous dominent, comme des hurlements de terreur, à moins que ce ne soit une tempête de sable qui engloutisse les rêves les plus fous et les plus éclatants sous les dunes de la réalité… musique et batteries recouvrent tout, la voix s’est tue, combien de royaumes perdus qui eurent la transparence rayonnante du rêve dorment pour toujours enfouies sous des millions et des millions de tonnes de sable. Dawn : l’histoire est terminée, un dernier instrumental pour reprendre nos esprits, est-ce down (au plus bas) ou dawn (aube renaissante) choisissez, le désert à moitié plein de réalité ou à moitié vide de rêve, soyez optimiste ou pessimiste, qu’il soit rêve ou réalité le désert vous permettra d’’être vous-même. Ce qui est sûr c’est que Dawn n’est que la reprise de Dusk, même les serpents du désert se mordent la queue, leur  motsure symbolise autant la barrière d’un lieu protecteu, que la viduité de la mort. Mais si l’on y pense le verre de la vie n’est-elle pas le verre à moitié vide de la mort, et le verre de la mort n’est-il pas le verre à moitié plein de la vie… 

             Ne vous perdez pas en ratiocinations infinies, imitez Harry Haller qui dans le dernier paragraphe du Loup des Steppes se promet qu’il va recommencer à vivre et ne pas rester enfermé dans sa propre cage…

             Quant à notre loup encagé, nos Caged Wolwes, notez ce pluriel qui signifie que leur conte s’adresse à tous, félicitons-les pour l’originalité de cet opus dans lequel les lyrics, très soignés, et la musique forment un tout indissociable.

    Damie Chad.

     

    *

    Il y a des trucs qui ne trompent pas plus qu’un éléphant car un éléphant peut être un véritable éléphant, néanmoins il vous trompe. Bref la nuit tous les éléphants sont gris. N’y avait que le nom du groupe, à sa consonnance j’en ai déduit qu’ils  étaient mexicains. C’était une erreur. Dans laquelle je me suis empêtrée. Un groupe avec un tel nom à résonnance mexicaine qui a signé sur le label Glory or Deatth Records ne pouvait être que du pays des Chicanos, l’on sait comment ce peuple aime la mort ! Refilent même des squelettes en sucre comme bonbons à leurs mioches ! Géographiquement je n’étais pas loin, ils sont du Brésil, mais ils doivent eux aussi partager une légère propension pour le rire qui tue car traduit en français leur nom signifie : Cercueil !

    ENTRE O VELHO TEMPO FUTURO

    CAIXÄO

    (Vinyl / Glory or Death Records / Janvier 2024)

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    Etrange pochette. Quel est cet étrange iceberg hexagonal incliné au bord de ce rivage déserté. Distingue-t-on vraiment une demi-douzaine de fourmis humaines en proie à une violente agitation. L’on ne peut s’empêcher à la première scène de 2001 Odyssée de l’espace, mais peut-être est-ce juste une illustration du titre de l’album, Entre le passé et le futur, ce bloc de glace titanesque en train de fondre représente-t-il notre passé en train de s’éloigner de nous sans que nous sachions encore quelle forme prendra notre avenir. La montagne engendrera-telle une souris, et si nous étions la montagne et si la mort était une souris…

    Le groupe est fondé en 2018 par Italo Rodrigo batteur de plusieurs groupes de metal. Il semble que le personnel ait beaucoup changé au cours de sessions qui se sont étalées entre 2021 et 2023.

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    Fungo : (champignon) : nous hallucinons, serions-nous retournés dans le passé, pas le nôtre, précisément celui du rock’n’roll, dans les années soixante, l’instrumental est farci au Farsifa, si ce n’est pas cette marque c’est donc sa sœur, la batterie est plus proche des années soixante-dix et la guitare se tient  entre les deux. L’on ne sait pas trop où l’on est, sûrement entre la vie et la mort. Bloodsteins : coup de blues si j’en crois l’intro mais le vocal nous détrompe, d’autant plus que la guitare nous fait le coup du hard-rock, l’orgue nous fait l’imitation du piano rockab avant de revenir à un jeu plus orthodoxal, ce n’est tout de même pas Steppenwolf, la guitare nous file un solo quinze nœuds avec vent arrière plein les voiles, l’on dirait une démonstration : tout ce que l’on est capable de faire, pour les paroles on n’y croit guère, le gars qui veut se retrouver et qui prend la route intérieure pour revEnir en lui, quant aux taches de sang l’on n’y croit guère… Je continue sur les routes. Revenir à l’intérieur. Fuir cet engrenage qui m’époustoufle. D’ici là je me retrouverai fermement avant que tout ne soit détruit par la machine et qu’il ne reste rien J’attends ta descente pour flairer les flaques d’hémoglobine sur le chemin. Lux extranha en Quixadà : (Etrange lumière de Quisada : ville du Brésil entourée de montagnes aux formes bizarres) : un instrumental drôlement bien foutu, petit frisson au début, mais ensuite l’orgue nous fait la démonstration du siècle, il siffle, il klaxonne, il file vers la stratosphère, sûr qu’il cherche à vous éblouir et qu’il y réussit. Vous avez envie de téléphnner à votre agence de voyage pour commander un séjour à Quixadà. Introspecçäo : (introspection) : la fièvre retombe à El Paso, si vous pensez partir pour une méditation métaphysique, Ce n’est pas tout à fait cela, vous voici dans les années soixante à la fête communale, tout le monde danse, sauf vous qui avez collectionné des dizaines de râteaux toute la soirée. In the shadow of the red sun : retour in the seventies, pas de temps à perdre, la rythmique assure, la guitare ne fume pas un pétard, n’y a que les paroles qui vous annoncent que la fin du monde est proche, que l’Humanité arrive à son terme, ce qu’il y a de terrible c’est que l’on n’y croit pas un instant, peut-être parce qu’il y a un décalage entre les lyrics qui nous parlent d’aujourd’hui et non d’avant-hier, surtout parce que la musique les annule. Aniversàrio del Màgico : (anniversaire du magicien) : z’ont enfin compris, reprennent leur blues rapide mais le vocal s’y colle dessus, ne cherche pas à nous avertir de la prochaine apocalypse, faut dire que la guitare distord la réalité, et qu’un petit remontant de pilules bleues aide el cantaor à se concentrer dans sa psyché éclatée. Mar ciano : (mer de cyan) : la mer est bleue, tendre et rose, elle vous berce à l’acoustique, votre tête qui a éclaté dans le morceau précédent a besoin de recoller le puzzle mental qui la squatte. Sur la fin, ils essaient de vous persuader qu’ils savent tout faire, l’est sûr que dans un instrumental il faut mettre les barrés un peu hauts. Talvez : (peut-être) : Au début vous avez l’impression qu’ils vous refont le précédent, l’ont colorié en rouge pompier, et sont des partisans du tout électrique, brusquement tout change, vous voici transportés sur la côte Ouest, west pacific, votre corps balancé est bercé par la plus belle des torpeurs, vous ne savez plus où vous êtes, mais vous n’avez jamais été aussi bien… Enquanto o mudo Jorra sangue : (quand du silence jaillit le sang) : intro un peu jazzy, ne craignez pas le sang, il y a longtemps que vous avez quitté votre corps, vous êtes parti si loin qu’au bout d’une minute la musique s’arrête, sans doute désormais vous vous suffisez à vous-même. Qu’auriez-vous besoin de quelque chose qui vous serait étranger… Candelabro ( Bonus) : vous avez tout de même un cadeau-bonux. Sur YT vous avez une visual vidéo qui vous permet de les voir en chair et en os. Pas trop non plus. La caméra est avant tout fixée sur les doigts des deux guitaristes et du bassiste. Attention, z’ont l’air sérieux comme des papes. Exercice convaincant. Sur les premières images se superpose le logo du groupe en forme de cercueil.

             Un groupe qui semble un peu à la recherche du son qu’ils ont déjà trouvé. Mais qui n’en reste pas convaincu. Peut-être parce que dans leur imaginaire ils se confrontent aux groupes mythiques d’une époque révolue. Leur façon à eux de retourner dans leur propre futur.

    Damie Chad.

            

    *

    Exilé volontaire en Thaïlande Bill Crane revisite le rock avec ses propres moyens : micro, boîte à rythmes, guitare. Le strict minimum. Mais un besoin vital. Le rock vous colle à la peau. Bien plus que la peau du serpent ne tient à sa chair sinueuse. On appelle cela l’heureuse malédiction des rockers.  Interdisez-vous d’en déduire qu’Eric Calassou alias Bill Crane serait un grand monomaniaque. Vous seriez en dessous de la réalité. A vrai dire c’est un multimaniac, il compose, il écrit, il déclame de la poésie, question arts plastiques il s’adonne à la photographie. J’avais d’ailleurs le projet de consacrer une chronique à ses dernières visions, mais il vient de sortir un album numérique de douze titres sur You Tube, et le rock’n’roll passe avant tout. Dura lex, se plaindront qui ne sont pas fans de cette musique, écoutons toutefois Cicéron qui ajoutait : sed lex !

    THE DREAMER

    BILL CRANE

             Une pochette qui utilise le même jeu de couleurs que le précédent Covers (voir KR’TNT ! 640 du 11 / 04 / 2024), un bleu outremer si près de l’outre-tombe crépusculaire cher à Chateaubriand et de ce mauve couleur des fleurs plastifiées des couronnes de cimetière. Faut dire que la cloison de verre carrelée ressemble à s’y méprendre à une grille de prison, quant au seul objet de la pièce qu’elle enclôt il s’avère être une boîte, au mieux à rêves par procuration, au pire un aspirateur mental. Vous possédez sûrement chez vous une de ces machines dangereuses. Ne culpabilisez pas, je suis en train de me servir de l’une d’entre elles pour rédiger cette chronique.

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     Mustang : dans le rock tout est question d’imagerie ou pour employer un terme moins encombrant de mythographies. Ne confondez pas avec les Mythologies de Roland Barthes penseur au ras des pâquerettes pour intelligences contemporaines anémiées. Le mot ‘’Mustang’’ claque comme un coup de feu. Beau nom pour un groupe de rock, en 1962 les Mustangs accompagnèrent Billy Bridge. Nous voici aux racines du rock français. Avant de continuer, munissons-nous de notre winchester pour partir à la chasse de Sarah Paling, égérie du Tea Party qui adorait massacrer depuis un hélicoptère les chevaux sauvages des immensités américaines. Le Mustang instrumental  de Bill Crane trotte gentiment, l’on ne sait pas où il nous emmène mais le morceau n’atteignant pas les deux minutes nous n’allons pas tarder à le savoir. C’non Everybody : si vous croyez être en pays connu, après un instrumental un peu à la Shadows, un hit suprême d’Eddie Cochran. Nous sommes donc au pays du rock’n’roll. Pas du tout. Va falloir affûter les notions de base. Exit le good old rock’n’roll des pionniers, nous sommes en une autre dimension que nous appellerons le méta-rock. Le méta-rock se situe avant ou après le rock. Il ne s’agit nullement d’une vision historiale, du genre après le punk nous avons eu droit au post punk. Non le méta-rock se situe dans votre esprit. C’est votre propre représentation du rock, tel que vous l’analysez, tel que vous le pensez, tel que vous le rêvez… Croiriez-vous que cet album soit nommé The Dreamer par hasard. Ce rock’n’roll intellectuel Bill Crane le sort de sa tête pour vous le décrire. Il pourrait le décrire en vers ou en prose, il pourrait le dessiner ou tenter de le transformer en esquisse photographique, ou l’expliciter lors d’une conférence, il joue le grand jeu, il vous le joue. Nous refait le coup du premier vingt-cinq centimètres de Vince Taylor Le rock c’est ça nous dit-il mais il nous est demandé de comprendre : Le rock ce n’est pas ça. Réfléchissez un minimum : si vous définissez un papillon en le décrivant  comme un insecte, vous n’êtes plus dans le papillon mais dans le monde des insectes. Bill Crane  vous propose l’interprétation de sa propre idée du rock. Le C’mon Everybody en traduction libre signifie : Venez tous faire la fête. Donc en début vous avez une fille – élément essentiel à toute party adolescente - qui parle, et le gars qui l’appelle. Il ne lui dit pas viens poupée, c’est sa voix qui lui sert d’appeau,  le serpent du désir se traîne sur le plancher, prend son temps, sait y faire pour parvenir à son but, tantôt il encourage, tantôt il fait semblant de supplier,  il sait fasciner, il sait se dérober, la musique se tortille gentiment, le reptile du vocal fait le beau, il se dresse, il obtient sa satisfaction. Guitare minimale, résultat maximal !  Turn on the radio : pour les premières générations rock, la radio a été le vecteur (peu vertueux) du rock, ici nous avons droit à l’hymne au transistor,  l’on pense au Rock’n’roll de Lou Reed, c’est aussi poisseux et pervers que le Velvet, Bill Crane insiste, ressemble à un sorcier indien qui marmonne des sentences incompréhensibles que tout le monde comprend, l’est un peu obsédé, la fille doit danser à tout prix, il en bêle tel un agneau qui cherche le pis de sa mère, la fin du morceau se transforme en une espèce de blues fantôme, l’est certain que personne ne pense à éteindre l’appareil, y a trop à faire. Driving on my car : vaut mieux tirer une fille dans une tire - préférez la décapotable à un poste à galène - le rocker joue au playboy, il sifflote, il module, sort le coup du fantôme, un peu de rire, un peu de fausse peur, pour qu’elle se serre tout contre lui, maintenant l’est trop occupé pour chanter, la musique se fait douce pour ne pas les déranger. The sound of sleep : le sommeil c’est bien mais c’est mieux quand on se réveille, est-ce pour cela que la guitare  sonne un tantinet plus fort que d’habitude et que Bill Crane imite un peu la voix ensorceleuse de Jim Morrison, la boîte à rythmes prend le relais tandis qu’il risque quelques chatouilles vocales, silence, on ne parle pas la bouche pleine. Opium blues : bleu cyanure. Merveilleux instrumental. Gouttes d’eau qui rebondissent dans les flaques du néant. Coïtés abso(b)lues.

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    The dreamer : le dreamer rêve en lui-même. Le dreamer dreame, ce n’est pas un drame. Juste un rêveur. Celui qui préfère ne pas toucher à la réalité des choses. La cueillaison du rêve n’est pas le rêve. Le rêveur parle, sa voix ne touche pas la musique, ce serait du rock, mais nous sommes en méta-rock, alors l’accompagnement joue pour lui, la musique poursuit son rêve. Aucun des deux n’a besoin de l’autre. Iles subtiles. Encore un garçon : délire. Histoire d’un couple, quand il y a un garçon pas besoin de chercher il y a aussi souvent  une fille, la musique gentillette, tout repose sur cette voix fuselée qui vous décrit la rencontre la plus habituelle comme si elle racontait une histoire d’extraterrestres…  Un rêve de dreamer qui métamorphose la réalité en fiction interstellaire. Blue dream : il est des choses qu’il vaut mieux vivre dans sa tête, longuement, musique lente, y a comme un violon qui chantonne, de petits grésillements parce que parfois on s’accroche à un rêve comme à un clou. Rien de grave. Shake shake shake : retour à la chaude réalité, shake, rattle and roll, n’y a jamais eu mieux sur cette terre, le méta-rock se confond un peu trop avec le rock. Don’t let me go : le rêve en chair et en os s’échapperait-il, se terminerait-il, Bill Crane chante comme un vrai rockeur, sa guitare n’ose pas une distorsion stridente, mais elle sonne si bien que l’on sent que ça ne la gênerait pas. Cowboy space : ce coup-ci l’histoire se termine pour de vrai, le garçon remonte dans sa soucoupe volante et retourne dans l’espace de ses rêves. Au bout d’un moment, son engin disparaît brusquement et l’instrumental stoppe.

             Un véritable space-opéra. Une face A : côté filles / Une face B : côté garçon. Cherchez le dindon de la farce.  Cet album est un véritable bijou. Tout en finesse. Une histoire décalcomanique du rock’n’roll, amusez-vous à retrouver les morceaux qu’évoque chaque titre, et faites-vous la remarque qu’avec cet opus Bill Crane est parvenu à échapper cette nostalgie-rock dans laquelle baignaient tous les précédents. Preuve qu’il a réussi à atteindre l’essence du rock’n’roll.

    Damie Chad.

     

    *

    J’aime les corbeaux. A priori je déteste ceux qui se vantent de les effrayer. Quoique la tâche me paraisse impossible, ne proviennent-ils pas des rivages immémoriaux et plutoniens, si je m’en rapporte à Edgar Poe, alors quand je vois qu’un groupe se prénomme Epouvantail, je hausse les épaules. D’abord ce n’est pas original, il existe une quinzaine de groupes qui ont choisi cette appellation. Je passe à autre chose, tiens des russes, cela pique ma curiosité, basés à Perm dans les monts Oural.

    SCARECROW

    III

    (Ritual Sound / 13-11-2024)

    Ce n’est pas leur premier disque. Celui-ci s’inscrit après Scarecrow, et II, numéroter ses propres opus sous-entend, telle est mon impression, soit que l’on est totalement dépourvu d’imagination, ou alors la solution que je leur attribue : que l’on prétend ériger une œuvre majeure. Parallèlement ils poursuivent un deuxième cycle, davantage dark side si l’on en juge d’après les titres : Noferatu, Ghost, Golem.

    Pochette : dunes orange, nuages orange, quelques cumulus noirâtres, au loin un astre pallide, serait-ce la lune ou le soleil qui se meurt à l’horizon. Dans cette immensité désertique orangée, une forme humaine minuscule, serait-ce lui l’épouvantail, non l’on imagine un individu, peut-être le dernier de notre espèce, la plus nuisible de toutes. Cette image : The Saffron Skies est attribuée à Igor Odincov.

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    Artemis : Vocals, Oud, Clarinet, Flute, Piano, Percussion / Max : Guitars / Elijah : Bass Guitar, Core Bass / Vadim : Drums, Percussion / + Orza :  Andrey : Percussion / Olga : Percussion.

    The safran Skies Overture : (vidéo 1) : on croirait entendre une ouverture symphonique, très vite l’ambiance change, l’on quitte les rives occidentales pour les sablières orientales, l’oud c’est fou, l’on est partis, à méharis, à cheval, à pied, imaginez tout ce que vous désirez, faites-vous votre film, partez à l’aventure, quittez votre morne existence soyez Alexandre dans le désert d’ Gédrosie ou Lawrence d’Arabie vers Akaba, ayez des rêves plus grands que vous, leurs cendres vous survivront.  The Hymn : (vidéo 2) : heavy metal en avant toute, Artémis entonne l’hymne de la grande partance, comment résister à ce timbre d’acier, il sait gémir à la manière de Robert Plant, sur ce genre d’exercice pas question de se planter, guitare oriflamme qui vole au vent, il a un nom de déesse, il le mérite, il ne vous encourage pas, il vous entraîne, que se lève la tempête rien ne l’arrête. Le monde sera à vous si vous suivez le soleil, si vous buvez sa force. Eastern nightmare : des bruits indistincts de foule, la basse d’Elijah titube, violents coups de vent d’oud, la voix d’Artémis n’est plus la même, douterait-il, le cauchemar que vous traversez aura-t-il besoin de vous, il ne cache pas la folie qui vous habite, sortilège, vous voici dans la ville, quelle est-elle, elle s’enroule autour de vous comme le serpent du charmeur, des arabesques de traîtrise vous assaillent, votre esprit vacille, vous ne savez plus où vous êtes, perdu en vous-même ou dans la ville du plaisir, ici tout est permis, des envolées et des retombées, l’or se change en plomb aussi vite que le plomb s’était mué en or, les tourbillons de l’instabilité mentale vous assaillent, êtes-vous dans un palais de marbre turgescent ou un agonisant dans les sables mouvants du désert, Artémis vous envoûte, vous le suivrez sur toutes les routes, vous croyez entendre la voix d’Oum Kalthoum.

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    The foe : (vidéo 3) : dans le cauchemar de votre marche, vous ne savez pas si vous avez rêvé de cette ville imprenable, maintenant vous savez, la musique lève les étendards de la guerre, pas de pitié, pas de quartier, que l’ennemi soit brave et se défende bien, chant de mort, de haine et de violence, Artémis vaticine et menace, il monte à l’assaut des murailles de pierre, la batterie rythme l’assaut, cavalcades de chevaux pour les razzias impitoyables, la ville tombe et succombe sous la trombe impitoyable. Rising sands : oud solitaire. Le soir tombe. C’est l’étape. Pas de repos, tout se passe dans les pensées. Les bras de l’épouvantail du heavy metal brasse le vent des souvenirs et le sable de la mémoire. Artémis lève la voix, elle semble prendre feu au brasier du froid du désert, elle ressuscite les fantômes dédaignés, tous ces palais, tous ces jardins que l’on a abandonnés, ce qui a été n’existe plus, le serpent de sa voix épouse l’amère réflexion des jours perdus à jamais, ce n'est pas la paix de l’âme… toutefois la halte bienfaitrice calme l’inquiétude des angoisses, une communion s’établit avec le vide du désert. Eternal ones : (vidéo 4) : le temps a passé. Les errants se sont arrêtés. Dans le silence de la nuit, le chant s’élève, l’instrumentation rase le sable du désert et l’herbe des oasis, ce n’est pas une prière adressée à un Dieu mais une élévation métaphysique, l’instant précis où l’on prend la mesure de ce que nous avons été et de ce que nous sommes.  Nous sommes des errants, la terre est infinie. Elle nous appelle autant que nous la désirons. Maintenant nous savons que nous sommes les fils de notre destin, et que notre destin est immortel. Depuis toujours l’éternité marche à nos côtés. The turtle : (vidéo 5) : darkness du heavy metal, la voix d’Artémis vient de loin, les hommes passent et trépassent, les tortues se contentent de ramper insensibles à nos misères comme à nos exploits, tout ce à quoi nous avons cru s’effondre, les générations se succèdent sans que rien ne change jamais… la batterie trépigne et répépiège, le reste de l’orchestre vient à son secours, le pendule du destin se met en branle. Rien ne l’a jamais stoppé, rien ne l’arrêtera. Ce morceau possède la force nihiliste de l’Eclésiaste. The saffron skies : si vous pensiez que l’on a atteint le fond du désespoir… s’élève maintenant le dernier cri, celui du survivant qui a cru que la vie lui survivrait, un blues poignant et agonique, l’Ultime ne laissera pas de descendant. Autour de son cadavre même pas une tortue qui passe… Que sont l’espace et le temps lorsque le mouvement est mort. Sublime Artémis au chant, admirablement servi par sa formation.

    Un véritable chef-d’œuvre de toute beauté.

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    Je suis beaucoup moins enthousiaste pour les vidéos, ils ont cru bien faire, ils ont voulu marquer le tout, parfois il est inutile d’en rajouter :

    Vidéo 1 : une suite musicale de quinze minutes à savourer. Les paysages et les décors sont parfaits, je préfère écouter la bande-son en fermant les yeux, quant à l’histoire mise en scène par les acteurs qui sont les musiciens, je la trouve un peu inepte, il manque un véritable réalisateur, vous avez le droit de ne pas être d’accord avec mon jugement.

    Vidéo 2 : Plaisir de voir les musiciens jouer, de temps en temps Artémis sur son cheval, s’amuse au guerrier avec une épée et un drapeau rouge frappé d’un corbeau noir. L’ensemble est agréable à voir.

    Vidéo 3 : le groupe en train de jouer, quelques secondes est projetée derrière la scène le blason guerrier de The Foe. Le reste du temps sur la gauche de l’écran s’affiche discrètement un fragment de l’image.

    Vidéo 4 : sans surprise, le morceau est mis en images, assez sobrement, point de scénario grandiloquent.

    Vidéo 5 : les musicos oui mais derrière eux, cette tortue géante en surimpression un peu lourdingue… Disons superfétatoire pour ne vexer personne. En filigrane aussi des images d’évènements et de guerres du siècle passé, serait-ce une manière d’inciter à considérer les turpitudes guerroyantes actuelles d’une manière un peu plus philosophique…

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 652 : KR'TNT ! 652 : BUZZCOCKS / COSMIC PSYCHOS / HOMER BANKS / EBO TAYLOR / GHOST WOMAN / ROCKABILLY GENERTAION NEWS 30 / BILL CRANE / AIVVASS / SERPENT NOIR

    KR’TNT ! 

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 652

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    O4 / 07 / 2024 

     

    BUZZCOCKS  / COSMIC PSYCHOS

    HOMER BANKS / EBO TAYLOR / GHOST WOMAN

    ROCKABILLY GENERATION NEWS

    BILL CRANE / AIVVASS / SERPENT NOIR

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 652

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Alors, ça buzz, cock ?

    (Part Three)

     

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             As-tu vraiment besoin de lire un livre pour savoir que Pete Shelley est un Wizard & une True Star ? Non, mais tu le lis quand même. Pourquoi ? Parce que Sixteen Again - How Pete Shelley & Buzzcocks Changed Manchester Music (And Me) est un book de fan à l’état pur. L’ex-Fall Paul Hanley est même un fan de la première heure. Comme pas mal de kids à Manchester, il est tombé en 1976 sous le charme des Buzzcocks. Il faut se rappeler que Spiral Scratch eut à l’époque autant d’impact sur les becs fins en herbe qu’«Anarchy In The UK» et «New Rose».

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             Bon, c’est vrai, Paul Hanley n’est pas Nick Kent. Ni Andrew Loog Oldham. Il se contente de rester fan et ne cherche pas à devenir écrivain. Il n’a pas vraiment de style, juste une bonne mémoire et une grosse énergie. Il est en outre extraordinairement bien documenté. Le book grouille d’infos. Et la cerise sur le gâtö, c’est qu’Hanley cite Pete Shelley en permanence, et là on se régale, car Pete Shelley est avec John Lydon le meilleur «théoricien» du punk. Pour lui, le punk c’est de l’art - Le punk m’a permis de justifier le bruit que je faisais. J’ai toujours pensé que Devoto et moi étions comme Gilbert & George. En voyant les choses sous cet angle, tu peux faire tout ce que tu veux et appeler ça de l’art - Il formule une évidence. Pete Shelley a créé et vécu le punk comme Tzara et Picabia ont créé et vécu Dada. C’est exactement la même approche. Ailleurs Pete Shelley rend hommage au génie provocateur de Johnny Rotten : «À l’époque, dire au public d’aller se faire foutre, c’était extraordinaire. Mais aussi hilarant. On a perdu de vue l’aspect comédie du punk. D’une certaine façon, le punk était le Théâtre de l’Absurde, il fallait  provoquer pour obtenir une réaction. Les Pistols ne tenaient qu’à un fil. On sentait que ça pouvait s’écrouler à tout moment.» Le regard que porte Pete Shelley sur le punk est d’une finesse extrême. Il en fut l’acteur, le pionnier, mais aussi l’observateur. C’est un peu comme si seuls son regard et celui de John Lydon comptaient, certainement pas celui des journalistes rock, mis à part Nick Kent, bien sûr. Pete Shelley rend le plus bel hommage qui soit aux Pistols : «Il y avait une mélodie, ce n’était pas du bruit pour du bruit, c’était viscéral, très chargé, très vivant. En les voyant jouer, Howard et moi avons décidé que s’ils pouvaient jouer comme ça, on pouvait aussi le faire. Alors on s’est attelé à la tâche : transformer notre rêve en réalité.» Il rappelle plus loin qu’au premier gig des Pistols qu’il ont organisé Howard et lui à Manchester, il n’y avait que 42 personne, mais ce gig a transformé la vie de ces 42 personnes qui après ont opté pour des activités créatives. Et Steve Diggle ajoute qu’à la première répète des Buzzcoks, avec Pete et Howard, ils étaient tous les trois motivés par ce gig des Pistols - The feeling that you don’t need money, you just need ideas - C’est tout l’esprit de Spiral Scratch. Pas de moyens, mais un EP révolutionnaire. Et Pete de surenchérir : «La seule chose qu’il faut se rappeler, c’est que le punk était une idée.» 

             Pour un kid de Manchester, les Buzzcocks, The Fall et Joy Division constituent la Sainte Trinité. Mais il précise que The Fall et Joy Division parlaient à sa cervelle alors que les Buzzcocks parlaient à son cœur. Il sentait en outre une certaine vulnérabilité et une chaleur dans les chansons de Pete Shelley, des qualités qui n’étaient pas vraiment de mise chez les autres punksters.

             Et pouf, c’est parti. Première grosse influence de Pete Shelley : les Beatles ! Il apprend à jouer et à composer en bossant sur le songbook des Beatles - J’ai appris en jouant sur les chansons des Beatles, puis j’ai étudié celles de T. Rex, puis celles David Bowie et du Velvet Underground. J’ai appris en jouant along with the records - Le premier groupe qu’il voit sur scène, c’est celui de Marc Bolan, en 1973, puis Bowie. Il est au premier rang. De son côté, Howard Devoto ne se nourrit que de Bowie, de Velvet, de Stooges et de Roxy. Howard et Pete étaient donc faits pour s’entendre. Kindred spirits, comme on dit en Angleterre.

             Alors il leur faut un nom pour le groupe. On demande à Julie Covington qui fait Dee, dans le TV show Rock Follies, pourquoi elle veut jouer dans un groupe. Alors Dee dit : «It’s the buzz, cock», cock étant nous dit Hanley un terme affectueux dans le Nord de l’Angleterre. Pas de connotation sexuelle. On peut dire cock aussi bien à un mec qu’à une gonzesse. Alors ça va, cock ? - Buzzcock has never actually been a slang term for a sex toy - Hanley a raison de redonner ces précisions : cinquante ans d’ignorance crasse ont conduit pas mal de gens en France à croire qu’on parlait de bite avec Buzzcocks.

             Maintenant, Howard et Pete ont besoin d’un bassman. C’est là que Steve Diggle entre en lice. Un Diggle qui toute sa vie sera marqué par des accidents. Grave accident de voiture à 17 ans, son pote Alan Hughes y casse sa pipe en bois et là, Steve Diggle jure qu’il va vivre to the full, et ça veut dire entrer dans un groupe - C’est là que j’ai juré de former the best fucking band I could and I’d do it for him - c’est-à-dire pour Alan Hughes. On reviendra sur les accidents un peu plus loin. Steve Diggle les collectionne.

             Maintenant il leur manque un batteur. Voilà John Maher, 16 ans, grand fan de Blondie. Il a même appris à battre le beurre en écoutant Clem Burke sur le premier Blondie. Il voit l’annonce dans le Melody Maker et rejoint les Buzzcocks. Une fois de plus, on se régale car Hanley donne tous les détails de la plus fascinante des phases qui est celle de la formation d’un groupe. Et quel groupe !

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             Comme tous les apprentis sorciers, les Buzzcocks commencent par taper des covers : «I Can’t Control Myself» des Troggs, «Steppin’ Stone» des Monkees, «Don’t Gimme No Lip Child» des Pistols, «I Love You Big Dummy» de Captain Beefheart. Jolis choix. Pete Shelley casse sa Stairway en deux lors d’une répète et il prend l’habitude de jouer sur une demi-Stairway, alors les Buzzcoks deviennent le groupe with half a guitar. Il faut voir les docus d’époque en noir et blanc. C’est wild as fuck ! À l’époque, Devoto ne jure que par les trois albums des Stooges. Tout le reste l’ennuie profondément. Quant à Pete Shelley, il aime bien dire que sans Marc Bolan et Michael Karoli de Can, il n’aurait jamais appris à jouer de la guitare. Il adore aussi Bowie qui n’en finit plus de citer le Velvet, Iggy & The Stooges et William Burroughs dans ses interviews.  Voilà donc le terreau dans lequel les Buzzcocks plongent leurs racines.

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             En octobre 1976, ils payent 45 £ pour 4 heures au studio Revolution, à Cheadle Hulme, une banlieue de Stockport, au Sud de Manchester. Ils enregistrent leur répertoire. Puis Pete Shelly monte New Hormones, le label du groupe, pour pouvoir sortir Spiral Scratch. Il faut un petit budget pour produire et fabriquer l’EP. 300 £ ! Ce sont les parents de Pete, Johnny et Margaret McNeish qui filent le blé. Pete dit que son père a fait un emprunt pour sortir les 300 £. Pete dit à son père que c’est une bonne idée et qu’il peut lui faire confiance - Je ne crois pas qu’il ait attendu que je le rembourse - Ils enregistrent en décembre 1976 chez Indigo, un studio 16 pistes installé dans le centre de Manchester. Ils profitent d’un prix réduit, car ils enregistrent le 28, entre Noël et le Jour de l’An. Ils enregistrent en live, mais avec des écrans de séparation - Everyone could play as loud as they wanted - John Maher indique que Pete s’est inspiré du «Canyon Of Your Mind» des Bonzo Dog Doo-Dah Band pour gratter les 2 notes de son solo sur «Boredom». La séance d’enregistrement dure trois heures. C’est vite plié. Pour la pochette de Spiral Scratch, ils choisissent un polaroid pris, nous dit Hanley, sur les marches de la statue de Robert Peel, in Piccadilly Gardens. Ils récupèrent les EPs chez le fabricant puis font des envois. Et ça marche tout de suite. Le Rough Trade shop en réclame 200. Les Spiral Scratch partent comme des petits pains. On en voit même en Normandie, alors t’as qu’à voir ! - It spiralled out of control ! - Les 1 000 premiers exemplaires sont sold-out en 4 jours. Avec l’argent des ventes, Les Buzzcocks en font represser d’autres. Howard Devoto offre une copie de Spiral Scratch à Iggy et lui dit : «I’ve got all your records. Now you’ve got all mine.» Ils en sortent en tout 16 000 ex, puis ils arrêtent les frais. Et c’est là qu’Howard Devoto jette l’éponge !

             Quand il quitte les Buzzcocks, c’est dit-il parce qu’il se lasse du train-train des concerts où on joue toujours les mêmes cuts. Et puis, il ne se sent pas aussi motivé que les autres. Pour Steve Diggle, c’est une bonne aubaine. Il passe de la basse à la guitare et ça devient autre chose, dit-il, avec deux guitares.

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             Et puis, tu vas tomber sur le témoignage de Walter Lure qui était en Angleterre à l’époque, extrait qu’Hanley tire de To Hell And Back. Walter voit les Buzzcocks sur scène et explose de rire, bon, il dit que c’était a good band, mais il est plié de rire en voyant la guitare sciée en deux, it looked ridiculous, et il jouait si fort que le chanteur était obligé de tout hurler, et en plus ils fonçaient à 200 à l’heure, it was so fucking funny. Mais Walter ajoute qu’ils vont vite s’améliorer.

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             C’est l’occasion ou jamais d’écouter un fantastique bootleg, Time’s Up, paru sur Voto quelque part dans le temps. On y retrouve les coups de génie de Spiral Scratch, of course, mais aussi une belle cover de «Can’t Control Myself». Pur jus de Chester sound, bien foutraque, mal coiffé, avec des carottes dans les cheveux. C’est là que le pah pah pah des Troggs prend tout son sens : ça devient moins poppy et plus raw des pâquerettes. Avec «Friends Of Mine», Howard nous sort son meilleur cockney strut. Fantastique dynamique ! Le cut exulte, avec la basse qui broute le pré carré. Une vraie brouette de brouet ! En B, ils pondent l’un des grands standards de punk-rock mélodique avec «Breakdown». Howard va chercher son cockney d’institut technologique et on tombe ensuite sur l’ineffable «Time’s Up» hanté par des chœurs de génie. C’est l’un des hauts lieux du rock anglais. On peut dire la même chose de «Boredom», avec son solo sur deux notes pendant que le bassmatic voyage dans sa mesure. Utter punk ! Bodum bodum ! C’est tarabusté à la basse de petite vertu alors que Pete reste sur son tili-tili-tili. Just perfect.

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             Le groupe va ensuite prendre sa vitesse de croisière. Steve Diggle est passé à la gratte et Garth Smith arrive avec sa basse. Andrew Lauder qui a adoré Spiral Scratch signe les Buzzcocks sur United Artists. Le problème c’est que Garth est colérique et il s’en prend principalement à Pete qui n’a peur de rien, ni de personne. Hanley nous emmène en tournée avec le groupe et on assiste à tout le ramdam d’une tournée punk en Angleterre, sous les crachats. Sur scène à Leeds, Garth insulte les gens. Après le concert, le groupe monte dans la bagnole pour quitter la ville et quelqu’un tape à la vitre, alors Garth baisse imprudemment la vitre et il prend un tas en pleine gueule. Paf ! Pete : «He wasn’t the world’s luckiest man.»

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             Toute la grandeur des Buzzcocks repose sur Pete et ses compos. Il crée un genre qu’on peut qualifier de fast power-pop, et qui va inspirer nous dit Hanley des tas de gens, notamment les Undertones, Ash et Green Day - L’idée n’était pas de sonner comme les Sex Pistols, dit Pete, qui redit à la suite sa passion pour Can et Neu! - C’est l’occasion ou jamais de réécouter ce qui est sans le moindre doute le meilleur album des Buzzcocks, Singles Going Steady. T’en prends plein la barbe dès «Orgasm Addict» et cette fantastique énergie de chant de délinquance juvénile. Art total et modernité fulgurante, voilà les deux mamelles des mighty Buzzcocks. Pete te singe l’orgasme, ahhhh ahhhhh, et ça débouche sur «What Do I Get», le hit fondateur de l’Occident chrétien, un hit qui repose sur la dalle d’un rumble de basse. Tu as là du pur génie civilisationnel. Pete te chante comme le roi des décadents. Te voilà une fois encore au sommet de ce que peut te proposer le rock anglais. Pete est encore plus décadent sur «I Don’t Mind», punk genius d’aïe aïe aïe. Toute l’énergie punk est là. Il amène son «Love You More» au I’m in love again, les autres font oh oh, et tu vois Pete monter son love you more au sommet de l’Ararat, alors tu fais oh oh avec les autres. Ça enchaîne aussi sec sur l’intro mythique d’«Ever Fallen In Love». Pete entre dans le chou du lard à l’émotion pure. Les Cocks buzzent encore à 100% sur «Promises», avec le fast & furious How could you ever let me down. T’es toujours au sommet du genre et t’es encore plus au sommet avec «Everybody’s Happy Nowadays», sans conteste leur plus beau hit de résonance universelle, avec le refrain du diable, l’expression pure et dure du génie atomique de Pete Shelley. L’impact de Buzzcocks est le même que celui des Beatles. «Everybody’s Happy Nowadays» est imbattable, c’est l’un des plus grands singles de l’histoire du rock anglais, avec «Arnold Layne», «Anarchy In The UK», «Jumping Jack Flash» et «Strawberry Fields Forever». Pas la même chose avec «Harmony In My Head» : Steve Diggle chante, il passe en force et il a derrière lui tout le power des Buzzcocks. Et ça repart en B en mode wild as punk avec «What Ever Happened To?», pur Buzz blow-out de Chester punk. Puis le filon va se tarir. La fin de la B est moins glorieuse. On passe à travers la plupart des cuts, sauf «Lipstick» que Pete attaque à la pointe de la glotte. Il en profite pour récupérer la carcasse du «Shot By Both Sides» qu’il a filé à Howard Devoto. Il tape ça au chat perché excédentaire. Pete Shelley est l’un des chanteurs les plus fascinants d’Angleterre.  

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             Puis il va s’épuiser, déprimer et menacer de quitter le groupe - J’étais très désillusionné. I really wanted to hit Buzzcocks on the head - it had become too much of a burden - Il existe aussi une tension entre Steve Diggle et lui : ils composent tous les deux, mais Pete passe ses compos en priorité. C’est Diggle qui compose «Harmony In My Head», mais Pete vole le show avec sa guitar line. Les tensions, oui, mais aussi tout le bataclan qui va avec la vie sur la route. Steve Diggle : «On était comme les empereurs de Rome qui ne voyaient pas que the place was burning down. We were having the orgies, and the drink and drugs, the coke binges and now it was crystal meth and the first signs of heroin.» Pendant les sessions d’enregistrement, la dope coule à flots - Cocaine, acid and heroin were the order of the day - Pete se souvient que c’était «quite chaotic. On allait en studio et on attendait que les drogues arrivent, où qu’elles fassent effet. I dropped a tab of acid every day that I worked on ‘Are Everything. I was in ‘the zone’, so to speak, on every part of that song.» Steve Diggle se souvient que le recording «was insane» - We were tripping so much we didn’t know what the fuck we were doing - Steve Garvey confirme tout le bullshit : «Bosser avec Martin Hammett était un désastre. Steve et Pete prenaient du bon temps parce qu’ils étaient totalement fucked up on all kinds of shit.» Personne ne prend la mesure de la pression que subit Pete en tant que leader du groupe. Il n’est pas taillé pour ça. Steve Garvey : «Composer hit après hit n’était pas facile pour lui, and he got into some heavy drugs.» Pete ne se rase plus et ne fait plus aucun effort pour plaire aux gens. Ils se retrouvent un jour en studio sans compos, sans producteur et Steve Diggle perd patience : «Pete allait mal, physiquement et mentalement. Je n’ai pas été surpris quand il a demandé à nous voir dans sa chambre d’hôtel pour annoncer qu’on allait prendre un an de congés et recharger nos batteries.» Belle façon d’arrêter les machines. Mais en 1981, John Maher, Steve Garvey et Steve Diggle reçoivent un courrier officiel du management : les Buzzcocks n’existent plus. Maher le prend mal et fait la gueule à Pete pendant des années. Pour Steve Diggle, c’est un coup de fourbasse et de lâche.

             Et comme toujours, après le split vient la reformation, en 1988. Même Pete est content.  Le moteur est bien sûr un gros billet. Pete et Steve espèrent alors que les 8 ans passés ont apaisé les ressentiments et éteint les volcans. Mais la tension entre Pete et Steve existe toujours. Terrible fights, dit Steve Garvey. Steve Diggle veut plus de compos à lui sur le nouvel album. Puis Tony Barber et Phil Barker entrent dans le groupe en remplacement de John Maher et Steve Garvey, démissionnaires.

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             C’est avec cette nouvelle section rythmique qu’ils enregistrent Trade Test Transmissions qu’Hanley qualifie de «most musically satisfying album» de la reformation. Il ajoute que «Who’ll Help Me To Forget» est «the best one the re-formed group ever recorded.» Mais après «Do It» et «Innocent», on devait se taper une interminable série de cuts médiocres, suivis de deux bonnes surprises : «Energy», un vrai standard punk, où Pete enfonce l’E d’Energy et soigne ses chutes, pendant que derrière les autres font oh-oh, le tout arrosé d’un killer-solo d’anthologie qui arrive en dérapage contrôlé. Puis «Crystal Night», amené par une intro monstrueuse et chanté avec une morgue épouvantable. Morceau du même niveau qu’«ESP» ou «Everybody’s Happy Nowadays», classique demented qu’on réécoute plusieurs fois d’affilée pour faire durer l’extase. Peu de groupes savent provoquer une telle excitation. Pete Shelley détient ce pouvoir magique.  

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             En 1998, ils enregistrent Modern, dont on a dit grand bien ici même en 2014, après avoir vu le groupe sur scène à Saint-Germain-En-Laye. Et puis en 2001, Steve Diggle se paye un horrible accident de scooter en Grèce qui lui abîme la main gauche, au point qu’il doute de pouvoir un jour regratter une gratte. On lui fixe un plaque dans le poignet, et ça marche. Il vient tout juste de refaire l’actu avec un autre accident de scooter : dans Mojo, tu tombes sur une photo de Steve scalpé. Il vient de se payer un nouveau scoot crash-boom ! - I had a bit of a scooter accident in Highgate - Comme il a un trou dans le scalp, il rase tout le reste - It symbolises a new start - Le onzième album est répété, il ne reste plus qu’à l’enregistrer. Juin ou juillet, dit-il. Holloway Road, mais pas chez Joe Meek. Steve profite de l’article pour dire qu’il voit arriver la fin des haricots : «I’m in the fast lane now. You can see the end of life in some ways.» Eh oui, Steve, toutes les bonnes choses ont une fin, même les Buzzcocks. S’il pense encore à Pete ? Ben oui, mais il faut avancer, dit-il. «You’ve got to keep moving, otherwise I’d be in a fucking lunatic asylum.» De toute façon, il sait qu’il va le revoir, son pote Pete - I’ll be seing him before I know it - Il annonce aussi qu’il ressort un book, ce sera le deuxième : on l’attend de pied ferme.

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             En 2014, les Buzzcocks enregistrent The Way, et Steve Diggle prend progressivement la main dans le groupe. Il compose une bonne moitié des cuts et ce sont eux qui flattent vraiment l’oreille. Pete Shelley semble traverser une mauvaise passe. Et pourtant son «Keep On Believing» qui fait l’ouverture du balda sonne comme un gros classique de power-pop à la buzz-buzz. C’est joliment roulé dans la farine de basse. Il faut dire que Chris Remington est un fucking dynamic bass master ! C’est idéal pour l’avenir du buzz-buzz. Avec «People Are Strange Machines», Steve prend la main. On voit bien qu’il ne vit que pour ça et rien ne pourra jamais l’empêcher de grimper sur scène avec sa Tele. Sacré punch. Ses compos restent incroyablement solides. Toujours du Steve avec «In The Black» et son vieux cocotage mancunéen. Il adore les sentiers battus du rock anglais. Son truc n’est pas de surprendre, il se contente de jouer du rock et d’envoyer des refrains élégants bardés de chœurs classiques. Il connaît toutes les ficelles et notamment celle du stomp qu’il sort pour «Third Dimension». C’est le stomp qu’il te faut. Steve connaît les bons stratagèmes. Brillant, efficace et venant d’un mec comme Steve Diggle, bienvenu. Pete Shelley revient au punch cockney avec «Out Of The Blue» Il n’a rien perdu de son mordant. Il sort là une belle compo un brin heavy, allumée aux riffs gras et aux remontées de teintes gluantes. S’ensuit un petit coup de génie signé Steve Diggle : «Chasing Rainbows/Modern Times» qui sonne comme un hymne. C’est amené par un beau brouet d’accords et paf, Steve nous pond le hit du disque. Édifiant ! C’est là que se niche la grandeur des Buzzcocks.

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             Et puis voilà : Pete casse sa pipe en bois en 2018, en Estonie. Alors Steve Diggle décide de continuer le groupe. Il a la bénédiction de Pete, qui est venu le trouver après l’un des derniers shows qu’ils ont fait ensemble - Il m’a dit : ‘Je veux juste me retirer, Steve. Mais je veux que tu continues. Tu as ma bénédiction.’ Et je lui ai dit : ‘Tu ne peux pas arrêter maintenant, on a encore des tas de trucs à faire.’ Ça m’aide beaucoup d’avoir la bénédiction de Pete, mais la situation est très étrange. Thing is tough. Pete est mort, et si je ne continue pas le groupe, ses chansons vont mourir elles aussi.

    Signé : Cazengler, triple Buzz

    Buzzcocks. Singles Going Steady. United Artists Records 1979

    Buzzcocks. The Way. BUZZP 001 2014

    Buzzcocks. Time’s Up. Featuring Howard Devoto. Voto

    Paul Hanley. Sixteen Again - How Pete Shelley & Buzzcocks Changed Manchester Music (And Me). Route 2024

     

     

    L’avenir du rock

    - Cosmic Trip

     (Part Two)

             Toujours intéressé par les conneries, l’avenir du rock décide pour se distraire de monter ce qu’il appelle «un coup faramineux». Il sait qu’il va dépasser les bornes, mais il y va quand même. Ceux qui l’approchent d’assez près savent qu’il est un peu caractériel, et que ça fait partie de son charme. Il part du principe qu’il faut savoir faire le con, car sinon, à quoi servirait la vie ? Pour mettre son «coup faramineux» en œuvre, il commence par se déguiser en femme. Allez hop, la perruque, le rouge à lèvres, le sous-tif bombardier, le haut minimal panthère, la mini-jupe en cuir, les bas résille et les talons hauts. Cette crapule d’avenir du rock ne lésine pas sur la décadence. Ça fait partie du jeu. Allez hop, il monte dans sa bagnole et prend la direction du motel de Norman Bates, là-bas, à la sortie de la ville. Allez hop, il se gare devant le bureau du motel. Il voit bien la maison sinistre en surplomb, avec la momie de la mère de Norman Bates derrière le rideau, à l’étage. Allez hop, il entre, cling cling, il tape sur la sonnette de la réception et Norman Bates arrive, allez hop, l’avenir du rock se fait inscrire sous le nom de Marion Crane et se suce un doigt comme s’il suçait une moule pour aiguiser la libido de Norman Bates. Allumé, Bates lui propose de partager sa modeste gamelle. La fausse Marion accepte et ajoute d’une voix frelatée et en se caressant les seins qu’elle va d’abord aller prendre une bonne douche bien chaude. «Le cul propre, telle est ma deviiiise !», glapit-elle d’une voix de délinquante juvénile. Elle voit un petit filet de bave couler au coin de la bouche de Bates. Allez hop, elle file dans la chambre en tortillant du cul, allez hop, elle commence à se désaper. L’avenir du rock sait que Bates va arriver avec son grand couteau de cuisine à la mormoille. Allez hop, il arrive, tire le rideau de douche d’un coup sec et, ahhhhhhh !, pousse un cri d’horreur, en découvrant l’anatomie de Marion Crane.

             — Mais vous zêtes pas une gonzesse !

             L’avenir du rock éclate de rire :

             — Je ne vous plais pas, madame Bates ? Profitez donc de cette belle bite !

             Norman Bates qui est déguisé en vieille ne rigole pas. Il a même l’air très con, avec sa perruque cendrée de traviole et son tablier en dentelle.

             — Ici on fait Psychose, lance-t-il d’une voix de vieille dame indignée. On n’est pas chez les tantes ! 

             — Non, Psychose, c’est fini, Norman. Ras le bol ! Maintenant, c’est Cosmic Psychose !

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             L’avenir du rock fait bien sûr allusion aux Cosmic Psychos. Il ne rate jamais une occasion de vanter les mérites d’un bon groupe. Il prend parfois des voies détournées pour parvenir à ses fins, mais le résultat est toujours intéressant. Les Cosmic Psychos sont ce qu’on appelle aujourd’hui un vieux groupe, mais par le diable, ils ont tout l’avenir du rock dans leur poche.

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             Soleil de plomb sur les quais de Seine. Pas un temps à aller voir jouer les Cosmic Psychos au P’tit Bain, mais t’y vas quand même. Et puis les Cosmic à Paris, c’est un événement. Pourquoi ? Parce que c’est un groupe qui n’a enregistré que des bons albums, souvent critiqués par les ceusses qui ne les ont pas écoutés, comme toujours. Les Cosmic sont même victimes d’un préjugé : dans des conversations, on a souvent entendu des gens les qualifier d’australobourrins, cousins des australopithèques, vagues descendants des australowilsonpiquettes des abyssinies abyssales, alors que non, grave erreur, les Cosmic ont une délicieuse tendance à sonner comme Motörhead. T’en connais beaucoup des groupes capables d’un tel prodige ? Ils font du No Sleep Till quand ils veulent. Ils sonnent comme une charge de cavalerie quand ils veulent. Ils tagadadent à travers notre imaginaire comme la Brigade Légère lancée à l’assaut des lignes russes, ils bam-balament à un niveau qu’on voir rarement, c’est-à-dire pas assez souvent, et là, t’as le vrai bam-balam, celui de Ross Knight, ce géant qui ferraille frénétiquement ses cordes de basse et qui réussit miraculeusement à contrôler son corps et à poser son chant, car les Cosmic, ça part au quart de tour et ça fonce comme un train fou, ou une Brigade légère, c’est comme tu veux. Il faut juste retenir la notion de vitesse et d’ultra-power, comme chez Motörhead. Ni punk ni hard-rock. Pur rock blast. Le blast, ils ne vivent que pour ça, comme les Lazy Cowgirls à la grande époque, comme Rocket From The Crypt ou encore les Drippers et les Coachwhips, l’un des premiers groupes de John Dwyer, comme la faramineuse Broke Revue de Dan Melchior, trois quatre et ça part. Boom !

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     T’en prends plein la barbe. Pas un hasard non plus si le batteur porte un T-shirt Zeke. Par contre, John McKeering ne porte pas de T-shirt Zeke. Il préfère opter pour un infâme T-shirt bleu clair troué et passé par-dessus une bedaine à la King Khan (en trois fois pire) et un short rouge, celui que portent les beaufs au camping de Fécamp.

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    But my Gawd, McKeering joue comme un dieu sur sa gratte trafiquée. Il ne va pas chercher forcément le Fast Eddie Clarke, personne ne peut aller chercher le Fast Eddie Clarke, il va chercher le Cosmic sound, il croise un son incroyablement incendiaire et mélodique avec les riffs que cisaille Ross Knight sur sa basse ultra-saturée.

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    C’est complètement irréel de bruit et de fureur. Gigantic, comme dirait Kim Deal. Ils livrent un set d’une violence superbe, sans jamais baisser de niveau, la qualité du set est telle qui tu comprends mieux pourquoi ce groupe est devenu légendaire. Ton imaginaire peine à suivre, mais il suit quand même, comme s’il trouvait un second souffle, et tu entres en osmose avec cette comatose incendiaire, ce mec Ross n’en finit plus de percuter les cordes qui ne cassent toujours pas, tu te demandes pourquoi, ah mais quel ferrailleur du diable, il dégouline des mains, et gratte des riffs australiens complètement inconnus, avec une étrange position de la main droite. Bel équivalent de Lemmy.

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    Et puis t’as la qualité des cuts. Ils attaquent avec «Pub» tiré de Go The Hack, leur deuxième album, l’album au bulldozer qui les résume si bien, et c’est un peu comme si la messe était dite, mais on en veut encore. Alors t’as tous ces cuts demented qu’on retrouve sur le live Slave To The Crave, «Custom Credit», «Rip & Dig», et l’apocalyptique «Lost Cause». Ils nous refont quasiment l’excellent live Hooray Fuck - Live At The Tote qui s’appelle aussi I Love My Tractor et qui pourrait bien être leur meilleur album. Nitro à l’état pur. On y retrouve le «Pub» dévastateur, Ross Knight gueule comme un Bob Mould devenu fou. Tu y retrouves aussi «Nice Day To Go To The Pub» avec un Ross on fire. Il prend «I’m Up You’re Out» en frontal. C’est dingue comme ces mecs savent tenir la distance. On pourrait qualifier leur style de «tout droit». Ou de boom-badaboom. Ou de tout ce qui te passe par la tête, tellement c’est bon, tellement ça parle à ta cervelle. Chaque cut est pulsé dans les règles du pire lard fumant. Leur passion pour le bulldozer prend ici tout son sens. Cette violence ricoche dans le son, comme le montre «Dead In A Ditch». Ils élèvent la violence sonique au rang d’art sacré. Encore une belle envolée avec «Quater To Three». Ils savent très bien ce qu’ils font. Grosse accointance avec the real deal. Les accords de McKeering rayonnent dans la chaleur du blast. Chaque cut sonne comme une invasion barbare. Ils cherchent chaque fois le maximalisme de la violence sonique et parviennent à la maîtriser pour en faire une sorte d’anti-art radical, comme le fut Dada en son temps. Et ils terminent leur set avec «David Lee Roth» - Suck me off ! - Puis ils se tournent, baissent leurs frics et te montrent leurs culs.

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             Par contre, ils ne tapent aucun cut de Mountain Of Piss, leur dernier album. Coup de pot, il est au merch pour un billet de 20 alors qu’il en vaut 100 sur Discogs. Commence par retourner la pochette, et tu reverras leurs culs, tels qu’ils les montrent juste avant de quitter la scène. En plus, l’album est sacrément bon, t’as dans les pattes un big album de power trio : magnifique son de basse et beurre du diable de Dean Muller. «Accountant Song», c’est en quelque sorte l’intraveineuse du diable. Ils te grattent «Bleeding Knuckles» sous le boisseau de la fuzz bass et John McKeering ramène ses power-poux. C’est d’ailleurs lui qui chante «Dickson» - I’m going down to Dixon/ I know you come in with me too - Et ils bouclent leur balda avec la belle descente au barbu de «Dunny Seat». Fabuleuse accroche, le riff ne te lâche plus. C’est vraiment digne de Motörhead. Ils te collent le morceau en ouverture de la B des cochons. T’as l’impression d’écouter un rock très ancien, très établi, avec son odeur de salle et sa clameur anglaise. C’est ce qu’on appelle le fumet britannique. S’ensuit un «Munted» embarqué au tagada de Dean Muller et Ross Knight attaque «Rude Man» à la basse fuzz. Crois-le bien, le vieux Ross sait driver un beat. Les trois larrons partent ensemble sur «Sin Bin». Quelle énergie et quel power !

     Signé : Cazengler, Comique Psycho

    Cosmic Psychos. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 28 juin 2024

    Cosmic Psychos. Mountain Of Piss. Go The Hack Records 2021

     

     

    Inside the goldmine

     - Homérique Homer

             Les souvenirs d’Homais remontent à loin, environ cinquante ans. Nous ne savions pas qui était ce mec assis au fond de la pièce, dans la pénombre. Il ne parlait pas. Il portait des lunettes, une tignasse bouclée bien fournie et des vêtements noirs. Il s’entourait de mystère, ce qui n’est pas toujours très indiqué, lors de premières rencontres. On peut mal interpréter ce mystère et le voir comme du mépris. Les quelques personnes rassemblées dans la pièce papotaient gaiement. Homais gardait le silence. Personne n’osait s’adresser à lui. Le cirque dura un bon moment, jusqu’à la tombée de la nuit. Vint l’heure de quitter les lieux et en descendant les escaliers menant à la rue, nous échangeâmes quelques sarcasmes :

             — C’est qui cet abruti qui dit rien ?

             — Chais pas. Un super con.

             — L’a dû être un serpent dans une vie antérieure.

             Nous apprîmes un peu plus tard qu’il s’appelait Homais, comme le pharmacien de Flaubert. Comme il s’était maqué avec l’une des frangines de la smala. On fut amené à le croiser ici et là, mais il affichait toujours le même genre d’attitude, s’ingéniant à battre froid et à éviter méthodiquement toute amorce de conversation. Il cultivait l’antipathie avec un naturel désarmant et on s’amusait presque de voir son visage se transformer comme celui du portrait de Dorian Gray. Il devint rapidement affreusement laid, son vissage s’affaissait sous une épaisse broussaille de cheveux d’un gris très sale, et derrière des lunettes à grosses montures noires, ses gros yeux cernés brillaient d’un éclat reptilien. Il inspirait une sorte de répulsion. Pour parfaire ce panorama cauchemardesque, il portait en permanence une barbe de trois jours qui valorisait jusqu’au délire une bouche horrible, rouge et tordue. À l’instar du pharmacien de Yonville, Homais exerçait un métier de santé publique : gynécologue. C’est par le torche-cul local que nous apprîmes la fin logique de l’histoire d’Homais. Comme toutes ses clientes passaient à la casserole et qu’il les menaçait pour qu’elles gardent le silence, elles décidèrent de se venger. On retrouva Homais occis dans son cabinet, ligoté sur le fauteuil gynécologique, sans pantalon. On lui avait coupé sa petite paire de couilles pour la fourrer dans sa bouche rouge et tordue. 

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             Inutile d’ajouter qu’Homais se situe aux antipodes d’Homer. Encore une fois, l’analogie systémique permet de rapprocher les destins pour mieux les opposer. Homer ? Il s’agit bien sûr d’Homer Banks, personnage légendaire aux yeux des amateurs de Northern Soul et de Soul tout court. On croise Homer à tous les coins de rue, surtout sur la belle compile Wrap It Up, qu’Ace consacre au prophète Isaac. Homer est donc un blackos de Memphis. C’est Miz Axton qui l’embauche pour composer des cuts chez Stax. Homer va composer «A Lot Of Love» que va pomper goulûment le Spencer Davis Group («Gimme Some Loving»). Homer compose pas mal de hits pour des tas et des tas de gens infiniment respectables, notamment les Staple Singers.

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             Pour se faire une idée précise du talent fou d’Homer, le plus simple est encore d’écouter un bon Best Of, l’excellent Hooked By Love - The Best Of Homer Banks, paru en 2005. C’est le coup de cœur immédiat, dès «Hooked By Love», eh oui, Homer chante au gut de raw, il crée son monde à l’Hook. Encore une énormité avec «60 Minutes Of Your Love», il tape ça au heavy raw de r’n’b, il est à la fois explosif et éclatant, c’est l’école Stax. Il s’intéresse encore à l’amour avec «A Lot Of Love», et crée le fameux riff de «Gimme Me Some Loving». Cette pétaudière est typique d’Homer. Plus loin, tu vas croiser «Round The Clock Lover Man», il reste très classique, très Staxy, pas loin de Sam & Dave, pour lesquels il a d’ailleurs composé. Il fait du pur hot de Staxy pour Tobrouk. Ce démon d’Homer des Caraïbes génère du pur jus de raw, son r’n’b accroche bien («I Know You Know I Know», «I’m Drifting»). Il sait encore se montrer fabuleux d’explosivité avec «Sometimes It Makes Me Want To Cry», ah il faut voir comme il t’explose le sometimes, c’est incroyable de down the drain. Il se vante ensuite d’être un «Lucky Loser» - I’m a lucky loser/ Yes I am - Homer, c’est la crème de Stax. Il utilise le wild r’n’b pour poser la question : «(Who You Gonna Run To) Me Or Your Mama ?». Il veut savoir : alors, tu vas chez ta mère ou chez moi ? Homer restera dans les mémoires comme le prince du pré carré. Pas n’importe quel pré carré : celui du raw.

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             Il existe un autre album qu’Homer enregistra en 1977 avec son pote Carl Hampton, sous le nom de Banks & Hampton, le fameux Passport To Ecstasy. Ils adorent la Soul des jours heureux, comme le montre l’excellent morceau titre. Ils se complaisent aussi dans le heavy satin jaune, comme le montre «Believe». On y assiste à un joli développement de chœurs de gospel. Sur la pochette, on les voit porter des beaux costards et des bagouzes. En B, ils passent au big r’n’b avec «We’re Movin’ On». Just perfect. Ils reviennent à la Soul des jours heureux avec «Get On Up Shake Some Butt», c’est un dancing groove bien violonné à la Barry White, très chaud et très back, puis ils tapent en plein Barry White avec «Loving You». Ils s’enfoncent à deux voix dans le lard du groove magique.

    Signé : Cazengler, Banks postale

    Banks & Hampton. Passport To Ecstasy. Warner Bros. Records 1977

    Homer Banks. Hooked By Love. The Best Of Homer Banks. EMI 2005

     

     

    Ebo est beau

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             On l’attendait comme le messie de l’Afro-beat. Ebo Taylor est arrivé sur un fauteuil roulant, poussé par son fils Henry. Dès le début du concert, ça sentait la fin des haricots. Le pauvre Ebo n’est plus que l’ombre de lui-même.

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    Dommage, car autour de lui joue l’un de ces fabuleux orchestres d’Afro-beat dont l’Afrique, et le Ghana en particulier, ont le secret. Si tu veux groover, c’est là. Certainement pas chez les punks. L’Afro-beat ghanéen est aussi joyeux et propulsif que celui de Fela Kuti au Nigeria. D’ailleurs Ebo et Fela se connaissaient bien, d’après ce que raconte Wiki, la pipelette du village. C’est le fils Henry qui mène la sarabande aux keyboards, le fils William qui gratte une basse cinq cordes, et le fil Roy X qui gratte des poux délicieusement liquides sur sa demi-caisse. Ils sont tous magnifico. Ils créent un monde et t’es là pour ça.

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             Mais ça ne se passe pas comme tu l’avais imaginé. Le spectacle est terrible car tu as d’un côté cette effarante source de vie, et de l’autre un vieil homme aux portes de la mort, prostré dans son fauteuil, qui n’a même plus la force de chanter dans le micro installé devant lui. C’est la première fois qu’on voit la vie et la mort ainsi rassemblées sur scène. Du coup, ça donne au set un cachet particulier. Paradoxalement, le côté tragique n’apparaît pas chez les Africains, c’est autre chose. On a l’impression que le fils Henry fait du business, il n’en finit plus de sortir son père Ebo de sa torpeur. C’en est presque comique. Chez les blancs, ce serait révoltant.

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    Chez les blacks, c’est cocasse. Incroyablement cocasse. Et pendant que cette farce se joue sous nos yeux, l’orchestre tourne comme un gros moteur exotique. Le black aux percus bat tout Santana à la course. Au fond, t’as un black qui bat un beurre virulent et même inexorable, et de l’autre côté deux mecs aux cuivres qui font un véritable festival, surtout le tromboniste qui passe des solos hallucinants de swing. T’en reviens pas de voir des cakes pareils sur une scène normande ! À la vie à la mort ! Cette fois on est en plein dedans. Seuls les Africains peuvent te proposer un cocktail aussi capiteux. 

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             Palaver ? Tu peux y aller les yeux fermés, si t’aimes l’Afro-beat. C’est le dernier album en date d’Ebo qui chante au revienzy de paradis africain. Ces mecs groovent comme des anges du paradis. C’est un peu comme si t’arrivais à la fin du mythe et que tu découvrais un monde. Il faut le voir l’Ebo groover son «Make You No Mind», cette belle Africana gorgé de cuivres et de poux miraculeux. Et puis tu as ces extraordinaires solos de sax et de trompette. Tu ondules des hanches sur «Abebrese». Te voilà dans la cour des miracles, alors tu tortilles du cul. Le riff d’orgue est assez punk, avec une incroyable verdeur de la clameur sourde. Elle te brise le cœur. Supremo groovyta ! L’Ebo chante «Nyame Dadow» dans le creux d’un chou-fleur étincelant, tu ne le quittes pas des yeux, l’Ebo, il chaloupe avec les copines. L’Ebo et ses blackettes donnent une idée assez juste de ce que pourrait être le paradis. Tout y est facile et doux, et tu sens monter en toi la petite marée de bien-être.

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             Si tu tapes au hasard dans sa discographie, tu vas tomber sur Appia Kwa Bridge, un album au son plus dur, qu’on pourrait qualifier d’heavy Africana. Il y durcit le ton. On s’attache plus particulièrement à «Yaa Ampensah». L’Ebo fouille le beat de l’Afrobeat avec des poux délicieux. Il colle bien au papier. Quel cake ! Sa mélodie chant est un enchantement, l’Ebo est un orfèvre, un artisan de la victoire. Et puis quand tu écoutes «Assondwee», tu réalises qu’il s’agit là du Black Power originel. Te voilà à la source du fleuve. Il a derrière lui tous les pouvoirs, t’as même le solo de jazz liquide. Mais c’est avec le morceau titre qu’il groove to the max. Il redore le blason de l’Afrobeat, avec toute la belle clameur du continent noir. Tu ne bats pas ça, Sam.

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             Oh et puis, t’as Yen Ara, avec ce beau portrait d’Ebo sur la pochette, sous son petit chapeau. Ses fils Henry et Ray X sont déjà là. Les percus du diable aussi. Quelle majesté ! Coup de génie avec «Mumudey Mumudey». L’enfer, c’est l’Afrobeat. T’as pas idée ! Droit au cerveau. L’Ebo groove des hanches et toi aussi. C’est la clameur des origines. Excelsior + solo de trompette = big bang originel. Demented, baby ! Mudy/ Mumudy ! Ebo a le diable au corps. Il te groove le squelette et un solo de sax arrive en dérapage contrôlé dans l’Afrobeat, t’as en plus tous les congas de Congo Square, ça sort tout droit des forêts inexplorées. Encore du fondamental avec «Krumandey». C’est effarant de revienzy. Ebo y va au call my name. Percus + solo de trompette, toujours pareil. Hey les garagistes, prenez des notes ! Ebo fait du bon boulet et un certain Justin Adams groove sa Jazz Guitar.

    Signé : Cazengler, ÉpaBo

    Ebo Taylor. Le 106. Rouen (76). 14 mai 2024

    Ebo Taylor. Appia Kwa Bridge. Comet Records 2012

    Ebo Taylor. Yen Ara. Mr Bongo 2018

    Ebo Taylor. Palaver. BBE Africa 2019

     

     

    Evil Ghost Woman

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             Ghost Woman en concert, pas forcément le bon plan. Tu vois arriver sur scène deux nouveaux candidats au désastre, le Canadien Evan Uschenko et sa compagne Ille. Duo. Doom. Johnny casquette. Va pas bien. Zéro contact avec un public clairsemé. Cherche des noises à la noise. Elle bat un beurre métronomique. Vise l’hypno. T’es pas Can, baby. Mais elle persiste et signe. L’hypno. La fête à Nono. Hyp hyp hyp pas hourrah. On croirait voir les Kills. Aussi insignifiants. Au bout de cinq six cuts, tu ne sais toujours pas ce qu’il faut en penser. Du bien, du mal. Tu vas devoir faire ton Nietzsche et trouver une solution par-delà le bien et le mal. Trouve. Vite, car le temps passe.

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    Alors focus sur la gratte. Il gratte des poux intéressants. Tu t’intéresses. Tu fais ce qu’on appelle en langage pédagogique un focus de faux cul. Tu te forces. Mais tu restes sur l’impression que ces duos font tous la même chose. Ils montent leur soupe en neige. L’Evan groove à l’intérieur de sa neige de soupe. Il sait traîner un solo dans la boue sibérienne. Tu admires sincèrement quelques éclairs lumineux. Tu dis bravo aux éclairs. Et tu te réjouis à l’avance, car tu vas les retrouver sur Hinsight Is 50/50, qui est leur troisième album, celui qui est promu pour la promo à Nono. La promo à Nono vaut mieux que la fête à Neu-Neu, pas vrai ?

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             Ils portent bien leur nom. C’est vrai qu’ils ont quelque chose de fantômal. Hyp hyp hyp hypno, des fois ça prend. Comme ils bénéficient d’un bon buzz, ils en profitent pour rallonger la sauce de la soupe en neige. L’Evan gratte quelques incursions sauvages. On le voit aussi noyer ses portées dans la disto. On a parfois l’impression d’entendre du vieux rock indé des années antérieures. En attendant, il navigue dans ses Sargasses. Gros son, c’est vrai, mais zéro modernité. Inventer la roue ou le fil à couper le beurre, ça ne l’intéresse pas. Nos deux Ghosts sortent parfois les muscles, mais nul ne sait où ça les mènera. Il n’empêche qu’ils y vont de bon cœur. Foncer, ça ne leur fait pas peur. L’Evan sait foutre le feu. Sous la casquette se planque un petit pyromane. Son truc, c’est le Big Atmospherix. Tu fais des efforts pour le prendre au sérieux. Ça veut dire que sa musique ne s’impose pas automatiquement. Il faut attendre une heure pour adhérer au parti. L’Evan cultive un goût particulier pour les apothéoses abyssales. Ils bouclent leur set avec ce qui pourrait bien être «Buick», un fabuleux groove hypno qu’Ille bat au tom bass à la tension extrême. Là oui, ça devient faramineux. Il y va au I’m sacred of myself/ And everyone else, c’est assez Velvet dans l’esprit. Te voilà convaincu in extremis.   

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             Sur Hinsight Is 50/50, c’est elle qui chante «Ottessa», et ça vire electro-pop de girl group. Alors ça flirte avec le juke ! Le morceau titre est solide comme un morceau titre d’albâtre, et son «Juan» vire en bouquet d’apothéose. Il sait ménager ses effets. Le hit de l’album est bien sûr «Buik», un pur hommage au Velvet.

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             Leur premier album sans titre date de 2022. Rien d’écrit nulle part dans le digi. Tu te débrouilles avec le son, Sam. L’Evan ne vit que pour l’entre-deux eaux, celui qu’on a déjà entendu des milliers de fois. Il frise un peu le Steely Dan dans «All The Time», ce qui vaut pour un compliment. Et sur «Do You», il fait son Oasis. Globalement, l’Evan ne t’apprend rien. Il se contente d’exister. Mais tu t’ennuies toujours quand tu n’apprends rien. Le dernier album des Pink Fairies (Screwed Up) et les deux Third Mind que tu écoutes le même soir t’apprennent des choses. Pas l’Evan. Il ne cherche pas à créer la surprise. Il reste dans la charité bien ordonnée, comme sur scène. Puis l’album finit par se réveiller avec «Behind Your Eyes», plus psyché et plus insidieux. Même assez persuasif. Il bouffe à tous les râteliers, mais dans son cas, ce n’est pas un reproche. Il ramène sa petite gratouille dans le fond du tatapoum d’«All Your Love». C’est assez boom boom et plutôt bien vu, assez Velvet tordu dans l’esprit. Beau vertigo ! Et le «Screaming» qui suit est assez bien foutu, groovytal, inspiré et serpentin. Alors là, ouiiiiiiiiiii ! (avec une voix de femme au moment fatidique).

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             Anne If paraît un an plus tard. Et bien sûr, c’est leur meilleur album. Pochette inerte, pas d’infos, pas de rien, juste un track-listing au dos. Débrouille-toi avec le son. Il arrive très vite avec un «3 Weeks Straight» bien lesté de plomb. Ça frise même l’heavy stomp ghosty. Easy going ! Beau et puissant à la fois. L’Evan adore gratter ses poux. Il ne vit que pour ça. Il se joue dessus dans «Broke», il fait ses layers. C’est elle qui vole le show dans «Street Meet», elle bat ça si sec, elle tend bien l’hypno à nœud-nœud. S’ensuit un «The End Of A Gun» bien claqué du beignet. C’est vraiment excellent. Tu te régales. L’Evan graisse les trames d’«Arline» et surveille ses arrières. Il combine ses ambiances dans «Down Again». Un bon esprit règne sur cet album, ce que vient encore confirmer «Tripped». Cette fois il sonne comme Lanegan, il traîne la savate dans le gutter, il réussit une grosse opération d’osmose avec la comatose. Bravo !

    Signé : Cazengler, Ghost Ridé

    Ghost Woman. Le 106. Rouen (76). 22 mai 2024

    Ghost Woman. Ghost Woman. Full Time Hobby 2022

    Ghost Woman. Anne If. Full Time Hobby 2023

    Ghost Woman. Hindsight Is 50/50. Full Time Hobby 2023

     

    *

    Une odeur désagréable émane de la boîte aux  lettres. Le facteur facétieux aurait-il vomi dans le coffret aux missives. Non, ce n’est la fragrance imbibée d’alcool de ces échappées stomacales que dans mon Ariège natale l’on nomme un renard. Analysons, se dégage de cette émanation pestilentielle une senteur fortement poivrée, cela me dit quelque chose, et hop en une fraction de seconde mon cerveau restitue la scène, je suis en quatrième et sur l’estrade de la salle de musique, en train d’interpréter Si tu n’étais pas mon frère (je crois bien que je t’aurais tué) d’Eddy Mitchell, la voix du prof s’élève : je n’ai jamais aimé Les Chaussettes Sales !

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 30

    JUILLET  – AOÛT – SEPTEMBRE (2024)

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             Les voici ! Non pas les sales, les Noires ! Avec Eddy Mitchell ! Jean-Louis Rancurel frappe un grand coup. Huit pages de photos inédites ! Les mythiques années 60, du début des Chaussettes à leur lente désagrégation, service militaire obligatoire… Rancurel raconte, factuel et réfléchi, nous on zieute les photos, le grand Schmoll, tout jeune, presque freluquet, belle prestance sur scène, s’affirme, devient un monsieur, prend de l’aplomb au fur et à mesure que le vedettariat le change… et puis l’on apprend des choses, Maryse Lecoultre, indispensable cheville ouvrière du magazine qui habitait à Noisy-Le-Sec, lieu de résidence d’Eddy et sa famille… flash-back personnel, une collègue de qui travail (voici plus de quarante ans, son prénom m’échappe) qui gamine habitait à Noisy, mitoyenne de la maison d’Eddy, qu’elle a bien connu par qui j’ai appris qu’Eddy avait un frère… J’ai été un grand fan d’Eddy pendant ma jeunesse, merci à Jean-Louis Rancurel. Belle idée cette série de documents inédits sur les pionniers du rock français, grâce à Jean-Louis Rancurel s’établit un beau trait d’union, une sorte de passage de témoin entre Rockabilly Generation et Disco-Revue la première revue de rock française…

             C’était un nom, une référence, on le citait avec respect, même si l’on n’avait pas entendu grand-chose de lui, un as de la guitare, une espèce de totem protecteur, on savait qu’il existait et cela nous faisait du bien, dur de le retrouver sur la page de gauche dès que l’on ouvre la revue, sur la photo l’est tout jeune, Duane Eddy nous a quittés fin avril de cette année, plus loin une page lui est consacrée, on apprend l’importance de Lee Hazlewood pour le début de sa carrière… On était gamin, il suffisait d’entendre le nom de Duane Eddy, qui sonnait si américain, que l’on comprenait que le rock’n’roll venait de là-bas…

             Julien Bollinger, celui qui a rédigé les deux numéros spéciaux sur Elvis, évoque Bob Wills, un pionnier d’avant les pionniers. L’est né trente ans avant Elvis, celui-là l’a fallu attendre longtemps avant d’épingler son nom, de déchiffrer quelques paragraphes et entendre sa musique, le roi du western swing, un musicien expert, lisez Julien Bollinger, en deux pages (avec photos) il vous dévoile tout un monde, another place, another time comme dirait Jerry Lee Lewis, plus près des racines…

             Vous en avez assez des vieux mecs, voici une jeune femme. Lil’Lou, elle se raconte, une belle personne, physiquement certes, mais surtout le regard qu’elle porte sur la musique, la country, le honky tonk, le hillbilly, le western swing, le rockabilly, la vie, les êtres humains, sa fille, son chat. Bien sûr elle évoque longuement son groupe les Cactus Candies, qu’elle fonde en 2015 avec son compagnon  Jull le guiar-hero de Ghost Highway, groupe qui évolue, qui permet des rencontres et des découvertes… Une grande chanteuse, ouverte à tous les styles, écoutez-la avec son ancien groupe les Pathfinders, vous découvrirez le rhythm and blues comme jamais aucune autre fille n’a  su le chanter par chez nous, ce n’est pas une star, une sensibilité, une personnalité, elle donne l’impression d’habiter en elle-même… Un être debout.

             Aïe ! Aïe ! Aïe !  Deux festivals, Good Rockin’ Tonitght (Bourg-en-Bresse), Boogie Bop Show (Mesnard-La-Barotière / Vendée), quand vous voyez les deux programmations, des jeunes, des vétérans, de tous les pays, vous regrettez de n’y être pas allé, les photos de Sergio vous font baver d’envie, vous êtes sûr que vous avez raté quelques concerts inoubliables. Pourquoi donc ces trois Aïe ! en début de paragraphe ? A  cause de ce magnifique printemps pluvieux ! Pas de panique, grosse humidité dehors, hot and dry dedans ! Par contre beau temps à Rock in Berry, in Toury.

    Voilà, c’est tout ! Non pas du tout ! une nouvelle chronique sur la dernière page, Good Rockin’ News, le Teddy Cat’s Rockabilly Live, vous ne connaissez pas, achetez la revue, lisez la revue et vous saurez ! En plus ils viennent de fonder un label : Teddy Cats Records !

    Numéro trente, sept ans d’existence, revue de plus en plus excitante !

    Merci à Sergio Katz et à toute l’équipe !

    Damie Chad.

    1. S.: n’en voulez pas à mon prof de musique, plus tard il m’a tiré des pattes du Surveillant Général, ce qui m’a permis d’éviter de sérieux ennuis !

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  6 Euros + 4,30 de frais de port soit 10,30 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 38 Euros (Port Compris), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( Rajouter 1,10 € ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites surtout pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! 

     

    *

    Sixième album enregistré par Eric Calassou sous le nom de Bill Crane. Bill Crane fut le nom de son groupe du temps où il habitait en région parisienne. Qu’il a quittée pour s’installer en Thaïlande. L’a passé plusieurs années à faire des photographies. Ce qui devait arriver arriva. La tarentule du rock’n’roll l’a repris. Devait être cachée sous les cordes de sa guitare qu’il a un jour effleurée sans y penser. Hélas l’antique malédiction du rock’n’roll lui est retombée  dessus. Que voulez-vous, rocker un jour, rocker toujours. Nous avons pris l’habitude de chroniquer ses nouveaux moreaux, EP’s et albums. Nous avons laissé passer le cinquième, nous en reparlerons à la rentrée prochaine.

    Une démarche particulière, un homme seul face à tout le passé et tout le futur du rock’n’roll face à lui. Une œuvre souterraine qui creuse ses galeries très profond, le passé est une terre friable modulable à volonté et le futur un roc impénétrable. On ne ruse pas avec lui, on l’use avec obstination.

    CRACKIN’UP

    BILL CRANE

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    La pochette est une photographie d’Eric Calassou. Ne dites pas : c’est quoi au juste ce truc ? Eric Calassou ne représente pas les objets, il ne les donne pas à voir, pour cela vous avez vos yeux, il vous les pose sous le nez, de si près que vous ne les reconnaissez pas, c’est à votre cerveau non pas de les reconstituer, mais de les restituer dans le mystère de leur apparence. Eric Calassou vous envoie deux messages, le premier vous caresse dans le sens du poil : rien n’est simple. Le deuxième vous prend un peu à rebrousse-poil : rien n’est plus simple que vous. Un peu vexant pour la condition humaine, je vous l’accorde.

    Come along : rien à voir avec le Come Along des Variations, si ce n’est qu’avec le rock c’est comme avec les pièces de base du Lego, tout le monde a les mêmes, mais chacun, dès qu’il s’écarte des modèles proposés en fait ce qui le différentie des autres. Une boîte à beat pour que chacun reconnaisse les battements des pattes de l’alligator qui s’approche de la rive, et la guitare qui s’abat sur vous comme un couperet de guillotine qui prend tellement de plaisir à vous trancher la tête qu’il vous découpe en tranches fines comme si vous étiez un jambon d’York, ensuite vous avez le trio de base qui entreprend sa parade nuptiale, la baby et le gars qui se fait tout sucre pour que la baby s’approche de lui, celui qui mène la danse c’est le désir, se pose où il veut quand il veut, alors le gars s’énerve sur sa guitare, et sa voix se liquéfie comme du sperme. Tout le drame métaphysique de la rock’n’roll solitude, le caméléon qui attend que la mouche se pose près de lui pour tirer la langue. Cracking up : Crackin’ up est aussi un titre de Bo Diddley, un des pionniers, élémental,  sémental et fondamental, l’a été repris par les Stones, écoutez sur Love You Live, pas tout à fait un hymne féministe mais nécessaire pour la sauvegarde viriliste. C’est la suite du précédent. L’acte  II. Le I n’a rien donné, alors le beat (je devrais écrire ce mot au féminin) devient plus obsédant et angoissant, il insiste, fait son baratin, sifflotements et sifflements, l’en remet une couche, le désir bleu triste vous peint la vie en rose tendre, quand il sait plus quoi dire, il fait la-la-la, de toutes les façons elle a compris, aux modulations finales, l’est arrivé au bout de sa faim. Party : si l’on devait me donner un dollar chaque fois que l’on rencontre le mot party dans les lyrics du rockab, je deviendrais riche. Pas de panique c’est du rock’n’roll, l’on vous montre tout, l’on ne vous cache rien. Coït intégral, le mec a allumé son portable et les copains l’entendent prendre son pied en direct. Un petit groove de guitare guilleret, l’on ne voit rien, mais le troisième œil fonctionne  à fond. D’ailleurs le gars à fond, fond de plaisir.

    Am so : le retour de l’égo, deux c’est bien, un l’on est davantage soi. Âmes sensibles s’abstenir. Guitare glauque, la bête se réveille, croyez-vous que ce soit un hasard si des chiens poussent en douce des aboiements cerbériques, le vocal épouse toutes les nuances de la folie. Pas douce du tout. Ce n’est plus l’amourette c’est l’amou-rets. The killer awoke au moment où l’on s’y attend le moins. Le conte à l’eau de rose se termine en pulp fiction. 100 % Rock ! Une guitare cinglante est-elle obligatoirement une guitare sanglante ? Dance pretty baby : bien sûr surgit dans notre mémoire Pretty Pretty Baby de Gene Vincent, la mémoire des rockers est une brocante, à tous les stands l’on trouve un truc intéressant. Après le drame, retour à l’innocence, le rock‘n’roll est une pirouette, un pied de nez gesticulatif que la jeunesse adresse au vieux monde fossilisé. Tout dans le vocal, qui ne tient pas laisser sa place aux castagnettes de la guitare, la voix est profonde et grave. L’est vrai que souvent l’on danse sur un volcan. Come around the world : Normalement le rock c’est around the clock, quand il délaisse sa pendule pour faire le tour du monde, c’est qu’il y a un lézard dans l’horloge. Le même morceau que le précédent. C’est-à-dire complètement différent. Ici la musique à son importance, elle en deviendrait presque lyrique dans l’intro, le vocal ne brigue pas la première place, vient de loin, n’a pas le regard porté sur l’objet de ses convoitises, l’est déjà teinté de nostalgie. Dancin’ in the world : les cats sont comme des chats, des animaux nyctalopes, ils aiment l’ombre, dans le noir tout est permis, l’est nécessaire pour voyager jusqu’au bout de la nuit.  Guitare clinquante et persuasive, un vocal couleur de serpent qui ondule, chargé d’attrait et de mélancolie, yodle en douceur et en continu, tentant et inquiétant. The strange case of Mr Edward : je  me permets d’attirer votre attention sur l’architecture secrète de cet album, 3 + 1 + 3 + 1, à chaque fois une trilogie, désir pour la première, danse pour la deuxième, suivie d’un épilogue dramatique : Oui le cas de Mr Edward n’est pas commun, un individu qui bouffe ses mots, l’a du mal à s’exprimer, de lui émanent d’étranges et plaintifs chevrotements ou d’inusuels borborygmes, parle tout seul car il a l’air de penser qu’il est le seul à pouvoir se comprendre, comme par hasard l’on entend le chien qui aboie sur Am so, le genre de gars que vous n’aimeriez pas rencontrer la nuit, par contre écouter ce morceau vous procurera de douteuses sensations dont vous ne pourriez  dire qu’elles n'éveillent pas en vous de troubles aspects de votre personnalité que vous refoulez au plus profond de vous.

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    The vault of horror : d’après Wittgenstein le philosophe : ce que l’on ne peut dire, il faut le taire, vous ne saurez rien du passage à l’acte de Mr Edward sous la voûte de l’horreur, ce morceau est un instrumental : une guitare qui résonne comme une intro de film policier américain, une poursuite à tombeau ouvert, elle dépasse à peine les deux minutes, mais déjà vous avez compris que l’affaire sordide ne vous sera révélée qu’à la fin du film. Pas d’images, vous êtes obligé de construire votre propre scénario… L’eau à la bouche et rien à boire ! Save my soul : j’ai toujours douté des gens qui ont besoin de quelqu’un pour sauver leur âme, comment peuvent-ils être sûrs d’avoir une âme, cela me semble bien présomptueux : l’appelle sababy pour qu’elle lui rende service, y a comme un broutement de trombone sur ce morceau, rien que pour ce bruit de basse il faut l’écouter, le gars bêle après sa babe, la guitare semble se moquer de lui, normal celui qui demande de l’aide est un faible. Close my eyes : sortez votre mouchoir, c’est la dernière bobine, celle qui est censée vous faire pleurer ou réfléchir. Généralement les spectateurs jugent la deuxième opportunité trop difficile :  this is the end beautiful friend, la guitare vous plante des petits motifs émotifs dans tous les recoins émojiques, le gars fait son examen de conscience, se prend un peu pour Tommy des Who, fait son cinéma, son dernier film, que regrette-t-il au juste, sans doute lui-même, on ne peut pas lui en vouloir, on ferait, on fera, de même. Dancin’ : générique de fin, la musique plus forte. Que la vie. Que la mort. C’est un peu comme si le film recommençait au début. Avez-vous déjà vu un truc qui finit vraiment. En tout cas les albums de rock s’appellent tous : reviens !

             Superbe réussite, avec trois fois rien, une guitare et quelques bribes de lyrics éculés depuis la naissance du rock‘n’roll, Bill Crane vous rejoue la funeste histoire du rock’n’roll. Vous explique comment ce poulpe destructeur a étendu ses tentacules prédateurs dans votre existence. Tant mieux pour vous. Tant pis pour vous. N’en dit pas trop, préfère que chacun comprenne et raconte la légende noire à sa manière. N’oubliez pas, personne n’en ressortira vivant.

    Damie Chad.

     

    *

    Il n’y a pas de hasard. Ou alors tout est hasard. La vérité doit être entre les deux. Le problème c’est que la vérité n’existe pas. Bref mon œil est attiré par une image, tiens, on dirait une parodie des armoiries de la Grande-Bretagne. Honni soit qui mal y pense. Je lève les yeux et je sursaute, ceux qui ont lu ma recension du Volume 2 de l’Anthologie introductive à l’œuvre d’Aleister Crowley, se rappelleront que le livre s’achève sur l’influence de la pensée et du personnage de la Grande Bête sur les productions littéraires, cinématographiques et musicales contemporaines. En voici un parfait exemple.

    SPIRITUAL ARCHIVES

    OCCULT RITES I + II

    AIVVASS

    (Darkness Shall Rise Productions / Juin 2024)

    Combien sont-ils ? Sur la photo : cinq. Mais le seul qui est crédité pour l’écriture, l’enregistrement, le mix et le master : Frater Thelis. Ne m’en demandez pas plus, sur la photo ils portent tous un masque, lui est au centre, sa robe noire agrémentée d’un soleil orange et invictus dans le triangle le désigne comme maître de cérémonie. Dernier détail : folk domm metal band de Germany. Vous pouvez maintenant poser vos questions, j’y répondrai avec plaisir dans la mesure de mes moyens.

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    Pourquoi l’album est-il surtitré comme ‘’Archives’’ ? : Parce ce qu’il s’agit de la compilation de deux EP’s, le premier Rites I paru en mars 2023 et le second : Rites II paru en juillet de la même année.

    Que signifie Aivvass en langue germaine ? : Rien du tout, ce n’est pas de l’allemand, c’est le nom d’une personne un peu particulière. Si vous permettez j’éclairerai un peu votre lanterne, toutefois je ne pourrais vous apporte que de la lumière noire.

    Aleister Crowley était tranquillou chez lui, au Caire, il vaquait à ses occupations favorites qui ne sont les mêmes que les vôtres. La scène se passe le 7 avril 1904, lorsqu’il entendit une voix derrière lui. C’était Aivvass, une entité, j’emploie ce mot mais Crowley laisse entendre qu’Aivvass se matérialise sous une forme évanescente, disons pétri d’une matière instable qui ne peut se maintenir trop longtemps dans un milieu qui n’est pas le sien, bref un être venu de loin  qui lui dicta ce qui allait devenir  Le Livre de la Loi. Ouvrage qui contient la base de l’enseignement de Crowley que  lui-même jivaroïsa en une formule quintessencielle : L’amour est la loi. L’amour sous la volonté. Un mix qui selon moi est composé d’un alliage improbable puisqu’il marie christianisme et Schopenhauer. Là n’est pas le débat.

    Crowley affirmera plus tard qu’Aivvas était son propre Ange Gardien Sacré. Ne riez pas, Socrate ne se vantait-il pas de posséder son propre Daemon… Généralement on élude ce problème en affirmant que c’est l’individu qui perçoit ses auto-projections quasi-somnambuliques désiro-intellectuelles qu’il s’adresse à lui-même comme si elles provenaient d’un tiers… Parfois quand on doute que notre individu ait une quelconque influence sur la marche de l’univers, l’on résout inconsciemment (perso je réprouve la notion d’inconscient, je parlerai plutôt de ruse instinctive de notre cerveau) notre nihilisme dépréciatif en affirmant que c’est l’univers qui exerce une influence sur notre petite personne dans le but d’exercer une influence sur lui-même. L’homme qui se châtie lui-même n’est que l’autre face de celui qui s’aime bien lui-même. (Pour mieux comprendre la phrase précédente voir la livraison 651). C’est ainsi que malheureusement naissent non pas les Dieux mais les religions.

    Frater Thelis n’est pas un adepte de notre scepticisme, il prononce des rituels dans le but d’entrer en communication avec une couche éonique supérieure.

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    Aiwass : disons-le, ce premier morceau est épique, une force qui déferle sans fin, et au milieu de la survenue de cette monstruosité, une voix psalmodiante et hachée qui énonce l’appel qui a déclenché l’avalanche sonore. Cela s’appelle aussi chevaucher le tigre. Satan : changement sonore, après le Metal grondant, la guitare néo-folk, le récitant n’invoque pas le Satan de la Bible, il invoque le Satan de la Bible, celui qui a appris à l’homme qu’il n’est qu’un Dieu, terrible dualité de cet Adversaire du Dieu unique qui est un libérateur, les Dieux sont au-delà du Bien et du Mal, est-ce pour cela que les passages violents alternent avec les plus doux. Satan n’est qu’un des visages d’Aivvass.

    Baphomet : laissons de côté l’idole hideuse que les Templiers étaient censés adorer ou alors tournons-la en son contraire, un être de lumière, la beauté de l’orchestration, le chant angélique, tout nous révèle que nous sommes en présence d’une êtralité parfaite qu’aucune dissociation ne saurait fragmenter, le couple alchimique réuni en un seul être androgynique.  Lucifer : le porteur de lumière, celui qui a libéré Crowley, une autre image d’Aivvas, il est celui qui a su s’opposer, celui qui détenait le savoir primordial, un double de Crowley, son Ange Gardien et quelque part Crowley lui-même. La musique allie sérénité et puissance, une antinomie kantienne spirituelle en action que rien jamais n’arrêtera.

             Etrange, à première écoute de cet EP s’est établie une connexion dans mon cerveau avec Eloa, la sœur des anges d’Alfred de Vigny, à priori rien à voir, si ce n’est de loin, des années que je n’ai pas relu ce texte, mais voici que je tombe ce matin sur une vidéo de Darkness Shall Rise Production consacrée au morceau Lucifer, et tout de suite la corrélation avec Eloa me revient à l’esprit. Je vous laisse libre de tenter l’expérience !

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    Un regard sur la pochette du premier EP, un seul être, et rien ne vous manque, ne possède-t-il pas tous les symboles, et n’est-il pas pour cela en lui-même un symbole, l’œil, l’épée, le serpent, les ailes angéliques et les cornes du diable. Tout le contraire de la deuxième, la sainte trinité en quelque sorte, Aivvass se dialectiquise, pour le personnage du milieu, ne dites pas : ‘’Je le connais c’est le Christ !’’, ce n’est pas tout-à-fait lui, l’est-là en tant que symbole représentatif d’Osiris, le dieu qui est mort (et ressuscité), la mort des Dieux correspond au changement d’ère. Crowley est persuadé que le message délivré par Aivvass annonce la fin de l’ère Chrétienne à laquelle doit succéder l’ère d’Horus, non pas l’ancien dieu égyptien mais celui engendré par la Nuit et le Diable. Ce nouvel Horus se trouve à la droite du crucifié, remarquez la beauté androgynique de l’effigie… A notre gauche, à première vue la Mort, peut-être le Diable. Toujours eu l’impression que chez Crowley la figure du Diable est une résurgence de son éducation chrétienne dont il n’a jamais su quoi faire dans son propre panthéon, je n’engage que moi, disons qu’il est la négativité de Ra, le dieu soleil suprême. Ne pourrait-on pas dire que les quatre rituels du premier EP sont adressés à quatre figures positives du Diable. Les Dieux sont-ils, chez Crowley, réversibles comme les symboles. Les Dieux possèdent d’autres masques que leur présentation habituelle, certains pensent que Crowley n’est qu’un monothéiste dont le Dieu porterait l’ensemble des masques de tous les Dieux créés par l’imagination humaine. Une espèce de sainte-trinité à la puissance mille.

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    Cruxificion : musique point torturée, exit le tragique, le dramatique, passion douce ! Parfait pour illustrer une vidéo champêtre sur le printemps avec les lapins qui courent dans l’herbe tendre, tout s’arrête, l’on entend les cloches sonner au clocher du village, serait-ce l’angélus, l’angélux, la lumière de l’ange. Qui passe. Witchcraft : ne pas traduire par le terme de sorcellerie très mal connoté en notre langue, la magie noire n’est pas la tasse de thé de Crowley, lui serait plutôt magick, rouge s’il fallait lui apposer une teinture alchimique. Il y a comme des reposoirs dans ce morceau, après de longues proférations dont le timbre épouse parfois une trame serpentique. L’on a l’impression que le rite s’effrite, qu’il laisse la place à une scansion transsique avant que l’écho mental du dôme créé ne retourne dans le silence. Cremation of care : il y a quelque chose de circassien dans ce rituel, l’on dirait plutôt une performance, une musique joyeuse pour accompagner  des images dévoilées au public - d’ailleurs il existe une vidéo – une manière de rappeler que si Crowley a beaucoup écrit il a aussi beaucoup peint. L’on ne connaît surtout que les images de son tarot, qui d’ailleurs ne sont pas de lui, rehaussées de couleurs vives, regardez toutes les planches, l’orange domine, non pas parce qu’il squatte un maximum de surface, mais parce qu’il miroite, il éblouit, il captive le regard, un soleil illuminatif. L’on pense aussi à la crémation finale de Crowley, comme s’il mettait une grande attention à ce que son corps, chair et esprit soit au ras de Ra. Danse de flammes. Prenez soin de brûler aussi les cendres des applaudissements. The Ghoul : reprise du groupe Pentagram : une sombre histoire d’une goule qui s’en vient faire l’amour avec les ossements d’une de ses précédentes victimes.  Le serpent se mord la queue, on se croirait un peu revenu au tout début du premier Ep, plus pour la voix que par la musique, les goules sont des espèces de vampires femelles qui se gorgent du sang et des forces vives des êtres masculins (sans exclusivité)… une manière comme une autre d’évoquer les pratiques rituelles et magickes axées sur la sexualité prônées et expérimentées par la Grande Bête. L’esprit et la chair forment un tout unique sensoriel. Qui se doit d’être exercé pour atteindre à une plénitude solaire zénithale. L’obscur n’est que l’autre face du soleil.

             Ce deuxième EP me semble plus diversifié que le premier. Sans doute ne suis-je pas en mesure de détenir toutes les clés d’ouverture. Mais rien ne vous empêche de forcer la serrure.

    Damie Chad.

             Une dernière note : vous trouverez plus facilement Aivvass écrit Aiwass.  Une question de numérisation kabbalistique. En attendant sur la pochette visez les deux ‘’S’’ en forme de serpent.

     

    *

    Les mots appellent-ils ce qu’ils désignent. Hier soir la chronique précédente s’est achevée sur le mot serpent. Or en ce début d’après-midi en ouvrant You Tube une vidéo s’offre à mon œil obstinément aigu. Chic un groupe français ! Sur bandcamp je m’aperçois qu’ils sont grecs. J’ai l’habitude d’accorder une certaine importance à tout ce qui vient de Grèce, même à un serpent noir.

    DEATH CLAN 0D (44,1 mastering)

    SERPENT NOIR

    (Vinyl épuisé / YT / Bandcamp / 2020)

    Etonnant de trouver cette mention que nous qualifierons   d’écologique et d’anticapitaliste sur un disque de l’Ordre du Dragon. En résumé vous n’avez pas besoin d’une fréquence supérieure à Khz 44,1 pour entendre pleinement un artefact sonore mis à votre disposition sonnante et trébuchante sur le marché. En effet toute norme supérieure inutile vous est évidemment facturée plus cher.

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    Freud n’aurait pas de mal pour nous apprendre que le crâne de la couverture représente la mort (Thanatos) et le signe phallique l’Eros. Je vous le sers à sauce grecque ; c’est le trident vindicatif de la neptuienne vitalité bestiale poseidonesque.

    Yiannis K. : Rhythm guitars, lead guitars, chants, lyrics  / Kostas K. : Lead Vocals, chants / Johannes K. : Bass guitar / Cain Letifer. : Lead guitars / George C. : Drums, percussion / Lead vocals on Goeh Raeh : Thomas Karlsson /  

    Pour mieux comprendre : lire La Magie Kabbalistique Qliphotique et Goétique de Thomas Carlsson fondateur de l’Ordre du Dragon. La goétie est l’art d’invoquer les démons. Serpent Noir se réclame de la Magie Noire.

    The black knighthoof of OD : l’entrée aussi inquiétante que La porte des Enfers d’Auguste Rodin, quelque chose de droit, de debout, de bronze et de mort. L’Ordre du Dragon se donne pour but d’entrouvrir le portail funeste. La chevalerie noire est un peu comme l’âme maudite et intérieure de l’Ordre du Dragon Rouge. Une bulle, un bulbe, au-delà de l’espace et temps. Aux lisières du soleil noir de la Nuit. Cutting the umbilical cord of Hel : pluie de cendres et voix rocailleuses, couper le cordon de Hel, la Perséphone nordique, c’est renaître à la vie. Une porte est un passage qui se franchit des deux côtés. C’est ainsi que se regroupe  la fraternité chevaliers du Dragon. Le chemin est tracé, les ordres et conseils sont dispensés, la route est dangereuse, le vocal va si vite qu’il semble courir à sa perte ou sa victoire, qui sont une seule et même chose, les plus grands démons vous guideront, les fils de la Mort ne meurent plus, sur la fin du morceau de leitmotive de l’entrouvrement des portes se fait entendre. Hexcraft : imaginez un Botticelli maudit qui n’ait pas composé le Printemps, mais une saison d’outre-tombe qui sente le sexe, la mort et le feu. L’ordre du Dragon se recrute aussi au pays des hommes où l’on brûle damnés et hérétiques, les âmes qui ont traversé le feu des bûchers se métamorphosent en ardences phénixales, les filles de Hel dansent dans une Walpurgis de renaissance et de fécondation. Si le rythme est relativement cadencé au début il prend peu à peu l’allure d’un cheval fou lancé dans un galop d’épouvante. Les guitares comme d’incandescents fulgurances d’épées brandies… Grondement du vocal qui s’étire comme les tripes d’un chat qu’on éviscère. Asmodeus : the sword of Colachab : attention Coalachab est l’inverse du feu de l’arbre de vie sérophital qui débarrasse le monde de ses miasmes et de ses impuretés, il est le feu de l’arbre de mort qliphothal qui détruit pour le plaisir de détruire, pour répandre le mal et anéantir l’ordonnance divine, Asmodée est un des Démons les plus importants – il se murmure que c’est lui sous forme de serpent qui a séduit Eve…  Asmodée ouvre les portes de l’Enfer pour qu’à la tête de la Chevalerie noire il aille semer la mort sur terre, sans doute respecte-t-il un équilibre de la terreur, autant de braves aura-t-il menés, autant de morts dont il ramènera les âmes victimales de l’autre côté du portail infernal, chevaux ployant sous le poids des corps morts, mais Asmodée brandit son épée et les têtes volent, il est le grand Destructeur, avant de passer la porte il se retourne et regarde tel un visionnaire le grand carnage que lui et sa troupe ont opéré. Astaroth : the jaws of Gha’Agseblah : Gha’Agseblah s’apparente à ce que l’on pourrait appeler l’érotologie mystique : ne soyez pas surpris de la beauté soyeuse de l’intro, ni de la chute vertigineuse qui suit, les vocaux sortent leurs griffes de chat, vous êtes la souris, Astaroth est un démon de l’Enfer d’autant plus dangereux qu’il est double, un être répugnant à l’odeur fétidé, oui mais aussi la plus belle de toutes les déesses, l’Astarté phénicienne, sœur en beauté d’Aphrodite, et parente d’Inanna déesse de la mort mésopotamienne, elle vous accueille, elle vous vous sourit, elle vous caresse, elle est la passeuse, l’étoile noire de l’abîme, déjà vous êtes son enfant sur terre et c’est elle qui vous redonne vie pour servir dans les légions ténébreuses du Dragon. Avez-vous déjà entendu un morceau de Metal aussi fou. Astaroth sait vous séduire. Necrobiological chant of Tara : nécrobiologie, le terme est contradictoire, comment la mort peut-elle être biologique, porteuse de vie, c’est pourtant ce que laissent entendre les morceaux précédents, pour mieux l’illustrer voici un exemple de mythologie hindou, Kali, Ananta, Inanna eet bien d’autres déesses nommées dans les lyrics, elles sont toutes différentes comme chacun des jours de votre vie forment une seul existence, De Kali la tueuse à Tara la consolatrice, toutes vous font le don de la vie et le don de la mort. Et le don de la vie après la mort. Soit dans le cycle des renaissances, soit dans l’ordre du Dragon Rouge originel. Serpent Noir, ne serait-ce pas la langue du Dragon Rouge, vous étourdit de son assommance battériale, de son grondement vocalisé, et de ses guitares de feu.  Goeh Ra Reah : garm unchained : (ce titre signifie-t-il  si je m’en rapporte à mes infimes connaissances interprétatives hébraïques ‘’Calme, mauvaise odeur – voir Astaroth - la lettre dévoilée,), le texte s’apparente à  une reprise de tout le parcours effectué durant les six stations précédentes. Carlsson ne chante pas vraiment. Il explique et vaticine. La scène est prise de plus haut, d’autant plus étonnant qu’il s’agit de la descente dans l’Abîme, la focale temporelle est élargie, Virgile et Béatrice sont nommés  pour avoir passé la porte des Enfers. Le Christ aussi - si Dieu est mort, n’a-t-il pas franchi le long calvaire du  seuil appelé via Dolorosa – le véritable Seigneur n’est-il pas celui qui règne en maître : le Dragon Rouge… Serpent Noir déroule sa musique comme l’on étendait un tapis d’ordalie chez les Grecs. A vous de tenter l’expérience. L’alchimie ne vous fait-elle pas passer du noir au rouge, de la Mort au Dragon.

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             (Il existe sur YT une Official Vidéo de ce morceau Enfin plutôt une projection engrammique rituellique destinée à émettre des effets psychiques. Comme sur les hypocrites recommandations qui accompagnent les publicités sur l’alcool je le ferais précéder de la mention : A consommer avec modération. Ceci n’est pas une mise en garde, juste une hypocrisie.

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             Pour ceux qui veulent en sa-voir davantage : Serpent Noir, Complete Show au Klub le 23 mai 2023 in Paris, longue mélopée insidieuse lyrique et serpentine. Soleil rouge.)

             Voilà, maintenant vous possédez les éléments prémissaux qui vous permettront de briguer l’initiation dans l’Ordre du Dragon. Vous n’êtes pas obligé. Vous pouvez vous contenter d’écouter la musique. Du très bon Metal dont on forge les meilleures épées.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 640: KR'TNT 640 : BOB CREWE / FLAT DUO JETS / SAY SHE SHE / DANNY BOY ET SES PENITENTS / MIGHTY SAM / GRUFF RHYS / BILL CRANE / BLOUSONS NOIRS / NOMAD / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 640

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    11 / 04 / 2024

     

    BOB CREWE / FLAT DUO JETS / SAY SHE SHE

    DANNY BOY ET SES PENITENTS

    MIGHTY SAM / GRUFF RHYS

    BILL CRANE / BLOUSONS NOIRS

     NOMAD / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 640

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Motley Crewe

    (Part One) 

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             Aussi curieux que cela puisse paraître, il existe dans le commerce un très beau livre d’art consacré à Bob Crewe.

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    Comme c’est un Rizzoli, il est imprimé à Hong-Kong. Tu ne bats pas les Hong-Kongais à la course du print. Comme Crewe est un peintre abstrait, un forcené de la matière, comme le fut Dubuffet sur le tard, les printers asiatiques ont sublimé l’art du print et donné la parole aux encrages du kaolinage. Même si ces grandes doubles pages abstraites ne sont pas spécialement ta came, cette matière vivante te parle. Te voilà confronté à un choc esthétique, l’indicible secousse te rappelle les coups portés jadis par Dubuffet ou Andy Warhol à Beaubourg. Tu déambulais, et au coin du bois, un loup te chopait, que ce soit l’Elvis géant de Warhol ou le Leautaud rehaussé au sable de Dubuffet. Tu t’en ravinais la cervelle jusqu’à la nausée. Tu errais hagard, un filet de bave au coin de la bouche ouverte.

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             Bon, alors trêve de balivernes. Si tu chopes cet art book, ce n’est pas pour les beaux yeux de Crewe, ni pour son œuvre abstraite, qui s’en va inexorablement se noyer dans l’océan de l’abstraction, tu le chopes pour lire l’essai qu’Andrew Loog Oldham consacre à Bob Crewe.

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             Pour le situer rapidement, Bob Crewe est un producteur new-yorkais connu et célèbre pour avoir lancé Frankie Valli & The Four Seasons, c’est-à-dire les Beach Boys du New Jersey. Dans l’excellent Jersey Boys tourné par Clint Eastwood en 2014, on croise Bob Crewe dans les couloirs du Brill. Le travail de reconstitution est exemplaire, Clint fait de Crewe un personnage un peu extravagant, bien conforme à la réalité. On voit Tommy DeVito, Frankie Valli et Bob Gaudio frapper aux portes au Brill, et boom sur qui qu’y tombent ? L’ange blond de la fatalitas, Bob Crewe, qui les prend immédiatement sous son aile de wonder boy extraverti. Crewe commence par leur demander de chanter des backing vocals et ne commence à les prendre au sérieux que lorsqu’ils deviennent officiellement les Four Seasons et qu’ils proposent «Sherry». Crewe les enregistre et boom, c’est un hit. Et c’est parti mon kiki !

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             Oldham a connu Bob Crewe. Bizarrement, il ne lui consacre pas de chapitre dans Stone Free. Il profite de cet art book pour combler la lacune. Il commence par rappeler qu’il appréciait Crewe avant de le rencontrer au Dakota. Il explique qu’à 14 ans, alors qu’il vivait encore chez sa mère, il épluchait les crédits des singles qui lui plaisaient, et il cite en exemple le «La Dee Dah» de Jackie Dennis paru en 1958 - A caribbean infected falsetto that appealed to absolute beginners such as me - Oldham rappelle encore qu’avant le succès de Frankie Valli avec «Sherry», Crewe et son complice Frank Slay Jr. collectionnaient déjà les hits : «Silhouettes» par The Rays (1957), «Tallahassee Lassie» par Freddy Cannon (1959) et la version originale de «La Dee Dah» par Billy & Lillie. En matière d’histoire du rock, Oldham est l’homme qu’il faut lire, car il globalise à la manière de Chateaubriand. Il cite ce couple of years entre le moment où Elvis est revenu de l’armée et où les Beatles se préparaient à envahir l’Amérique, «greasers ruled - particularly if they could sing like doo-wop angels.» Il s’agit bien sûr des Four Seasons from New Jersey et de Dion & The Belmonts from the Bronx - New York City was the ‘home of the hits’ - Oldham parle même d’une «intersection between Sex and Song».

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             Et comme il sait si bien le faire, il met le turbo : «Bob Crewe and Phil Spector stand alone at the top of this mountain that made the sixties possible. La réussite de Bob est d’autant plus remarquable qu’après le couronnement des Beatles à l’Ed Sullivan Show, tous les early 1960s vocal groups ont disparu des charts, sauf  les Beach Boys et les Four Seasons. Spector a atteint la grandeur exclusivement via the rhythm and blues side, alors que la créativité protéiforme de Bob lui a permis d’aller jusqu’à Bobby Darin, en lançant un pont par-dessus le flower power, le garage et la disco.» Oldham poursuit ce puissant parallèle : «Alors que Spector avait tendance à se réfugier au fond d’un terrier pour disparaître de la circulation, Bob menait la grande vie au Dakota, une grande vie que lui enviait Andy Warhol.» Oldham enfonce son clou en affirmant que Bob était beaucoup plus qu’un producteur à succès, «he was La Dolce Vita lipsynched by an American blonde. What Bob and Hefner shared with Iggy Pop was a voracious lust for life.» Et puis voilà un autre parallèle révélateur : «He was driven but not obsessive. Like me, Bob had fun getting it done and was ‘happy to be part of the industry of human happiness’ as the song goes.» Oldham ressort ici le vieux slogan d’Immediate Records. Il rappelle à la suite que lorsque les Stones furent number one en 1965 avec «Satisfaction», Bob avait six cuts dans le Top 40 américain, et quatre dans le Top Ten - With artists like Diane Renay and the Bob Crewe Generation, 1964 and 1966 were equally successful years for Bob.

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             Et puis bien sûr, il y a Mitch Ryder. Pour recréer l’«explosive live act» de Mitch Ryder & the Detroit Wheels, Bob, nous dit Oldham, utilisait en studio des session men aguerris. Il faut se souvenir que dans ses mémoires (Devils & Blue Dresses: My Wild Ride as a Rock and Roll Legend), Mitch Ryder n’est pas tendre avec Bob. Un Bob qui essaya d’en faire un artiste solo, une sorte de «rock’nroll to Las Vegas crossover», idée qui déplut profondément au greaser Ryder, qui préféra quitter le navire. La même année, Bob fait «Lady Marmalade» avec Labelle - Showbusiness with a capital $ - Il passe à la diskö avec les Sex-O-Lettes, et Jerry Wexler le supplie d’aller enregistrer un album solo à Muscle Shoals, le fameux Motivation qui sort sur Elektra, en 1977. Roger Hawkins, Barry Beckett et David Hood l’accompagnent. Les background vocals sont overdubbed à Hollywood, avec notamment Curt Boettcher. L’auteur de «Suspicious Minds» Mark James fait aussi partie du projet, puisqu’il co-écrit trois cuts avec Bob, dont le morceau titre et «Another Life».

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             Alors oui, ça vaut vraiment la peine de choper ce Motivation, car Bob est fin au chant. On sent le fils du Brill. Ça prend vite une belle tournure avec «Give It Hell» lancé à l’orgue d’église. Bob évoque son daddy. Il est capable de grosses compos - Till you find love - Il ramène Broadway dans le gospel blanc ! C’est un producteur extraordinaire. Tout ce qu’il entreprend atteint à la démesure. Il rapatrie dans ses cuts les pires violonades de son temps. C’est sur-produit. Il ré-injecte du gospel blanc dans «It Took A Long Time (For The First Time In My Life)», Bob y va de bon cœur avec son génie productiviste, c’est bourré d’énergie, saturé de chœurs, oui, en vérité, Bob est un magicien. Et ça repart de plus belle belle belle en B avec «Mariage Made In Heaven» - Wake me up with the sound of your voice - C’est de la romantica de gorge profonde, Bob mise tout sur la prod et ça devient énorme - Thank God my love/ You’re mine - Le son scintille. Encore jamais vu ça ! La fête continue avec la rumba de «Something Like Nothin’ before», tu te lèves et tu ondules avec ta poule jusqu’à l’aube. Puis il s’embarque tout seul pour Cythère avec «In Another Life». Power vocal indescriptible ! Il faut arrêter de prendre Bob pour une brêle. C’est un puissant bélier et cet Elektra est un must. Bob est un maître du grandiose, une sorte de Cecil B. De Mille de la pop new-yorkaise. Jerry Wexler qualifie Motivation ainsi : «an example of cosmic improbability». Rien de plus vrai. 

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             Il existe un autre Elektra de Bob paru l’année précédente, qui vaut lui aussi le détour : Street Talk. Il enregistre cette fois sous le nom de The Bob Crewe Generation. Après un départ en mode diskö, il recale tout avec «Menage A Trois», un groove de chèvre chaud, bien jivé dans la nuit urbaine - Voulez-vous danser avec moi ce soir - Il fait la diskö des jours heureux. Très intriguant, véritable machine à remonter le temps. On sent clairement l’hédoniste en lui, et même le futuriste. C’est très spectaculaire ! Bob chevauche le dragon de l’heavy diskö new-yorkaise. Il sait exactement ce qu’il fait, avec le morceau titre. Il reprend le chant sur «Welcome To My Life». C’est du très haut niveau. Il vise l’extrapolation orchestrale. Il est l’un des rois américains du son. Il termine cet album étonnant avec «Time For You And Me», un enchantement.

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             Donald Albretch signe le deuxième essai de l’art book : ‘The worlds of Bob Crewe’. Cette fois, l’auteur met le paquet sur la bisexualité de Bob. Comme il est beau et blond, il attire les regards et les convoitises - I began rather rapidly to get the picture. I mean, I was sought after. And I would be aware of it - Bob vient d’un milieu pauvre et il va devenir riche. Il devient mannequin pour l’Hatford Agency, il devient «the ideal all-American boy-next-door in advertisements for Coca-Cola and other popular brands.» Il attaque sa carrière de songwriter en 1953, en collaboration avec Frank Slay Jr. «Silhouettes» par The Rays se vend à un million d’exemplaires et sera repris par les Herman’s Hermits en 1965.

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    Photo d'Otto Fenn par Andy Warhol

             Deux mentors prennent Bob en main : Austin Avery Mitchell et Otto Fenn, qui non seulement développent son talent de chanteur, mais lui font découvrit le monde de l’art. Bob est tout de suite fasciné par Dubuffet, auquel il emprunte la formule «Texturology». Otto Fenn était photographe à l’Hatford Agency. C’est lui qui photographie l’appart de Crewe à New York en 1956 : en se croirait chez un Des Esseintes des temps modernes. Un dandy lit un canard accoudé sur une commode, on pense bien sûr à Robert de Montesquiou, et derrière lui, l’immense mur est couvert d’œuvres d’art de toutes tailles. Otto Fenn est un proche d’Andy Warhol qui est alors en phase de démarrage. Warhol pose pour Fenn. Ce sont les racines de la plus grande révolution artistique new-yorkaise, celle qui allait donner la Factory et le Velvet. Albretch rappelle qu’Otto Fenn a joué dans cet avènement un rôle considérable. 

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             À la fin des sixties, Bob sat on top of the world, nous dit Albretch. Comme tous les gens de sa génération confrontés à la gloire, Bob tape dans la dope, l’alcool et la liberté sexuelle. Après avoir organisé des fêtes somptueuses au Dakota, il s’installe dans un «Fifth Avenue penthouse triplex that he fills with music and a very personal assortment of magnificent loot.»  Il est au summum de la décadence artistique new-yorkaise. Et comme ça ne marche plus trop à New York dans les seventies, il part s’installer à Los Angeles et bosse comme executive producer pour Motown. Il produit notamment Bobby Darin et Frankie Valli. Albretch indique aussi que Jersey Boys rend plus hommage à Bob Gaudio qu’à Bob Crewe, qui est pourtant le père fondateur des Four Seasons. Oui, Gaudio compose, mais le son, c’est Crewe. De la même façon que pour les Ronettes et tout le tremblement, c’est Totor.

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             Dans le booklet de Whatever You Want - Bob Crewe’s 60s Soul Sounds, Ady nous dit que Bob Crewe est surtout connu pour ses productions de Frankie Valli & The Four Seasons, mais aussi de Mitch Ryder & The Detroit Wheels (qu’il avait signés sous contrat). Il a aussi produit des poids lourds de la Soul new-yorkaise, comme Chuck Jackson, Barbara Lewis, Ben E. King et Jerry Butler, ainsi que des starlettes comme Lesley Gore et Ellie Greenwich. Bob Crewe confie ceci à David Ritz : «I was more influenced by rocking rhythm and blues, LaVern Baker, Ivory Joe Hunter, Joe Turner - The soulful sincerity of black music and heavenly harmonies of doo-wop moulded me.» Bob Crewe était surtout un dénicheur de talents et un compositeur/producteur. Ken Charmer rappelle que Crewe avait installé son quartier général au Dakota. Après un break, il est revenu en force dans les seventies en bossant pour Motown, notamment avec Bobby Darin et Frankie Valli. Puis LaBelle. «Lady Marmalade», c’est lui !

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             Deux grosses poissecailles se planquent dans la belle compile Kent, Whatever You Want - Bob Crewe’s 60s Soul Sounds : Frankie Valli et Walter Jackson, un Walter Jackson déjà repéré sur la compile qu’Ace consacre à Chip Taylor. Jackson attaque «Everything Under The Sun» du coin du nez. Superbe Soul Brother d’OKeh. On a tout de suite du son avec Frankie Valli & The Four Seasons et «I’m Gonna Change», puis «(You’re Gonna) Hurt Yourself». Frankie est le killer, il arrive sous le groove, il agit en white nigger. Il est l’un des rois de la Northern Soul, ne l’oublions pas. Parmi les révélations, voilà Lainie Hill et «Time Marches On», pur génie pop, trois singles et puis s’en va. Autre choc esthétique : Billie Dearborn et «You Need Me To Love You». Elle chante à l’accent fêlé et c’est une merveille inexorable. Encore deux énormités : Dey & Knight avec «Sayin’ Something» (ils visent le Totor du Lovin’ Feeling), et Lynne Randell avec «Stranger In My Arms» (heavy pop des enfers de New York City, belle blanche succulente). Plus connue, voilà Dee Dee Sharp avec «Deep Dark Secret», un énorme tatapoum de popotin, bardé de son jusqu’au délire. On croise aussi l’immense Chuck Jackson avec «Another Day»», il a du son et il a du poids. Retrouvailles encore avec Kenny Lynch et «My Own Two Feet», si popy poppah. Bien connu de nos services, voilà Mitch Ryder & The Detroit Wheels avec «You Get Your Kicks», le Detroit Sound de New York City. D’autres luminaries encore, comme Kiki Dee avec «I’m Going Out (The Same Way I Came In)» (elle claque bien son beignet) et James Carr avec «Sock It To Me Baby» (classique, raw Stax). Ken Charmer annonce d’autres Crewe volumes à venir. Miam miam.

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             Pour creuser encore un peu plus le Crewe, il existe une brave petite compile parue en 2007 : Silhouettes. The Warwick Years. Alors attention, c’est de la petite pop qui frise la variette de Broadway. Ça devient parfois de la grande pop, car Bob Crewe dispose de l’atout fatal : la vraie voix. Mais il se plie aux exigences commerciales des early sixties américaines. C’est parfois jazzy («Ain’t That Love»), parfois groovy («Kicks») et encore plus jazzy («The Whiffen Poof Song»). Il peut monter pour groover le jazz, alors on le prend très au sérieux. Même sur des bluettes dégoulinantes comme «Bess You Is My Woman Now». Allez encore un spasme avec «Shakin’ The Blues Away», bien explosé par l’orchestration. Il tape aussi dans le cha cha cha de Broadway avec «Luck To Be A Lady Tonight», pur jive d’extrême onction orchestré à la nausée. À cette époque, Bob est déjà un chanteur extraordinairement accompli, il swingue la pop et fait du grand art avec «Love’s Not For Me» ou encore «Water Boy». Et tu claques des doigts à l’écoute de «Smilin’ Through». À l’aube des temps, Bob navigue déjà au sommet du swing de Broadway.  

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             Si tu pousses un peu le bouchon, tu peux aller écouter the Bob Crewe Orchestra et, par exemple All The Song Hits Of The 4 Seasons, un Phillips US de 1964, mais c’est à tes risques et périls. C’est un album d’instrus et de big American sound, mais il ne s’y passe rien de particulier, en dépit des liners élogieuses d’Andrew Loog Oldham au dos de la pochette. C’est vrai qu’il y a de l’énergie, mais que peux-tu dire de plus ?

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             Par contre, si d’aventure, tu croises le chemin de Music To Watch Girls By, un Dynovoice de 1967, ramasse-le, car tu vas te régaler. Cette fois, Bob pose au milieu de The Bob Crewe Generation, un orchestre de très beaux mecs en chemises rouges. Ils sont tous jeunes et beaux, et dans son costard noir, Bob est encore plus beau. N’oublions jamais qu’il a démarré comme mannequin. Et là tu entres dans le monde magique d’une pop de rêve dès «A Felicidade» et son orchestration machiavéliquement somptueuse, grouillante de vie et de percus du Brésil. Tu voyages en première classe ! C’est gorgé du meilleur son d’Amérique. Bob Crewe est un magicien. Ce que vient confirmer le «Theme From A Man & A Woman», c’est-à-dire le film de Claude Lelouch avec Anouk Aimée et l’immense Trintignant, Bob y injecte toute son énergie de visionnaire, la nostalgie te dévore vivant, pure magie de l’image, les planches du Deauville de ton enfance et le Coupé 504. Le romantisme des temps modernes. Dans «Let’s Hang On», on entend le guitariste du diable, un Django brésilien qui te joue la samba des catacombes. Et pour boucler ce balda faramineux, voilà le morceau titre, un air connu et terriblement bienveillant. C’est tout simplement irréel d’entrain. Il termine sa B des Anges avec un «Winchester Cathedral» en forme de sommet du suave, baigné de l’excellence de la nonchalance.

    Signé : Cazengler, Bob Crouille (marteau)

    Whatever You Want. Bob Crewe’s 60s Soul Sounds. Kent Soul 2022

    The Bob Crewe Orchestra. Street Talk. Elektra 1976

    Bob Crewe. Motivation. Elektra 1977

    Bob Crewe. Silhouettes. The Warwick Years. Warwick 2007  

    The Bob Crewe Orchestra. All The Song Hits Of The 4 Seasons. Phillips 1964 

    The Bob Crewe Generation. Music To Watch Gilrs By. Dynovoice Records 1967

    Donald Albrecht, Jessica May, Andrew Loog Oldham. Bob Crewe: Sight And Sound: Compositions In Art And Music. Rizzoli Electa 2021

    Clint Eastwood. Jersey Boys. DVD 2014

     

     

    Flip flop & Flat 

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             Les Flat Duo Jets doivent leur réputation aux Cramps et à Jim Dickinson. Ce duo de psycho-garage mené à la trique par Dexter Romweber fit en effet la première partie d’une tournée des Cramps à leur âge d’or, c’est-à-dire en 1980. Comme les Stones, les Cramps soignaient leurs affiches. Ils voulaient que tous leurs concerts soient des événements exceptionnels, aussi triaient-ils sur le volet leurs co-listiers. Là où les Stones optaient pour Ike & Tina Turner, les Cramps optaient pour les Flat Duo Jets.

             Qu’ils soient originaires de Caroline du Nord, ça tout le monde s’en fout. Que Dexter Romweber soit beau comme un dieu, là, les filles dressent l’oreille. Mais qu’ils fassent de bons albums, alors là, tout le monde écoute. Puisque Dexter Romweber vient de casser sa pipe en bois, nous allons procéder à un petit hommage funéraire vite fait bien fait, à l’ancienne.

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             Comme pas mal de gens intéressants, Dex et son ami batteur Crow sont allés un jour à Memphis demander à Jim Dickinson de produire leur album. Il s’agissait de leur deuxième album, Go Go Harlem Baby, dont la pochette s’orne d’un joli décolleté en gros plan. Et comme tout ce qui passait dans les pattes de Dickinson, Go Go Harlem Baby brille d’un bel éclat, celui d’une véritable inspiration. L’album ne compte pas moins de seize titres. Au moins t’en avais pour ton argent. On passait de la belle pop d’arrière gorge remontée aux bretelles par des relances de couplets («The Dainty Song») au rockab à l’ancienne («Frog Went A Courtin’»). Eh oui, Dex avait un faux air d’Elvis et il savait bopper son rockab. Il savait aussi jouer le balladif heavy-bluesy et le rendre admirable de véracité guitaristique («I Don’t Know», prodigieusement dickinsonien) et rendre de sacrés hommages : il dédiait «Harlem Nocturne» à Ivy. Il attaquait sa B avec un bel instro («Wild Trip») et revenait au rockab à la sauce de Memphis («Rock House», co-écrit par Sam Phillips & Harold Jenkins). Assis derrière son piano, Dickinson a dû bien se régaler. Dex triait ses reprises sur le volet et nous sortait «Stalkin’», un vieux hit antédiluvien signé Lee Hazlewood/Duane Eddy, rien de moins. Il fallait l’entendre monter au chant de façon incertaine («Don’t Blame Me») et torcher «TV Mama» à la déglingue de son qui n’était pas sans rappeler les heures sombres de Big Star Third. Et Dickinson accompagnait Dex sur «Apple Blossom Time» de manière émouvante.    

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             Le premier Flat Duo Jets n’a pas de titre et date de 1989. On est tout de suite saisi par l’heavy country punk de «My Life My Love». Le Dex sonne comme les géants d’avant, accompagné par une stand-up. Il passe au wild as fuck avec «Please Please Baby» et une incroyable profondeur de chant. Et comme si tout cela ne suffisait pas, le voilà qui tape dans la rockab madness avec «When My Baby Passes By», la craze dans toute sa splendeur. Le Dex s’axe sur le rockab sauvage et les Cramps. On note aussi le principe du zéro-info des pochettes. Il tape à la suite «Madagascar», un shoot d’exotica magique, et tu assistes effaré à une descente de solo demented dans l’écho du temps. On découvre aussi que le Dex est un amateur de romantica sauvage («Chiquita»), une obsession qu’il tient sûrement des Cramps. Chez lui, tout est coloré et plein d’esprit. Lui et Crow ont tous les reflexes du rockab et du Las Vegas Grind. Retour au wild rockab avec un «Wild Wild Love» tendu à se rompre. Dommage que le slap soit enterré au fond du son. Puis il tape un cut qui devrait beaucoup plaire à Damie Chad : «Tribute To Gene». Le Dex y va au Be Bop a Lula avec une profondeur de forêt inexplorée. C’est l’hommage suprême. Il recrée la folie de l’early Gene, il retrouve le secret des clameurs anciennes. Puis il revient à son pré carré, le slowah hanté, avec «Dream Don’t Cost A Thing», il crée de la magie kitsch, un peu à l’italienne, il remonte à contre-courant de la mélodie. Ce qu’il faut comprendre au contact du Dex et de son copain Crow, c’est qu’ils font des disks de fans, exactement comme le firent les Cramps en leur temps.

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             In Stereo est un mini-album six titres, dont deux sont de brillantes covers : «Riot In Cell Block No.9» (version punk-blues définitive de l’hit des Coasters) et «Think It Over» (hommage à Buddy Holly, en plein dans le mille du spirit, avec une énergie punk-blues, ça grésille de Texicali, les Flat sont les rois de la pétarade). Le Dex s’adonne aussi à deux fiers shoots de romantica, «Love Me» et «Raining In My Heart» et le Crow bat un sacré beurre sur «Theme For Dick Fontaine».        

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             Toujours zéro info sur la pochette de White Trees. Débrouille-toi avec la musique. Pas de problème, car ça grouille de puces, à commencer par l’effarant «Where Are You Now», pur jus de wild-catisme, beat du diable et pur génie de la résurgence. Retour aussi au grand art du Las Vegas Grind avec «Tura Satana», le Dex y ondule des hanches. C’est le cœur battant de l’American Underground. On reste dans le génie underground avec «Radioactive Man». Le Dex y développe une énergie de baby look out, c’est dévastateur, rock rock !, il tape dans le dur. Son «Love Cant Be Right» est assez mirifique. Le Dex est un cake de la romantica. Il tâte aussi de l’Americana avec «Rabbit Foot Blues», il groove ses roots, il est aussi pur que Johnny Dowd et Hasil Adkins. En dépit d’une volonté constante d’underground, certains cuts comme «Husband Of A Country Singing Star» le portent aux nues. Puis, en bon wild cat, il revient à ses premières amours, avec «Michelle», ouuh Michelle !, et ce drive du diable, puis «How Long», du vrai de vrai, du criant de véracité, il rôde à la frontière du blues. On a là l’un des plus beaux albums de rootsy rock.   

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             En 1993, ils débarquent sur Norton avec Safari. Alors attention : il existe un gros delta entre la version CD et le vinyle : tu as 30 cuts sur le CD et 19 sur le vinyle. Comme le CD d’ici est tout pourri, on est obligé de se rabattre sur le vinyle. On rate des covers de The Pantom et d’Hasil Adkins, mais ce n’est si grave en fait, car les 19 cuts sont assez représentatifs de ce que voulaient faire le Dex et Billy Miller. On a les covers de George Jones («Rock It») et de Benny Joy («Hey Boss Man»). C’est tapé dans le bat-flanc du mille, pris au raw, le Dex est un wild cat invétéré. Son «Party Kiss» est un real deal de heavy rockab. Le Dex revisite le vieil héritage - Everybody has/ A party kiss - On se damnerait encore pour l’éternité avec son «Cast Iron Arm», un heavy rockab bien tenu en laisse. Safari n’a qu’une seul objet : montrer que le Dex est un puriste.

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            Leur deuxième Norton s’appelle Introducing. Toujours ce mélange détonnant de rockab et de slowahs dévastateurs. Rockab avec «Whoa Blues Baby», et en B, avec «That’s The Way I Love». Ce wild-catisme invétéré te souffle dans les bronches. Il tape aussi un joli boogie down avec «Goin’ To A Town». Retour au balladif vénéneux avec «Is Life Real», toujours aussi hanté, et en bout de la B, il rend l’hommage suprême à Bo avec une cover endiablée de «Pretty Thing».

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             C’est Billy Miller qui prend les rênes de la prod sur Red Tango. Ça tombe bien car Billy est un bec fin, en matière de rockab, et ça dépote aussitôt «Ain’t Goin’ Away», pure furie de nos Wild Cats préférés. Ils visent la pure madness. Le Dex rivalise d’insanité avec les pires sauvages de la frontière. Il tape plus loin dans le «Lonely Wolf» de Ray Harris, bel hommage, cavalé ventre à terre. Le Dex reste prodigue de coups de génie, comme le montre «Baby Are You Hiding From Me», un heavy bim bam boom, il fait même son Elvis au please come back to me. Le Dex recycle le nec plus ultra du Memphis beat. Retour au slowah vénéneux avec «In My Neighborhood», c’est assez rampant, un cut qu’on n’aimerait pas trop rencontrer la nuit au coin du bois. Encore plus weirdy, voilà «Don’t Ask Me Why», et plus loin il tape un balladif encore plus tordu, «Sea Of Flames». Il est parfait dans l’exercice de la fonction impromptue. C’est tellement décalé que ça devient beau. Il termine cet album toxique avec «I Wish I Was Eighteen Again», fantastique exercice de singalong mythique - In the bar room in Memphis/ An old man came in.

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             Encore un grand album avec Lucky Eye. Grand aussi par le nombre de cuts (18) et un fantastique hommage aux Cramps avec «Love Is All Around». Le Dex tape une fois de plus en plein dans le mille. Il fait aussi du Raw To The Bone avec «String Along», un groove gratté à l’oss. Il revient à la pop de David Lynch avec «Go This Way», il excelle dans le Southern Gothic ambivalent. Puis il repart faire son wild cat avec «Dark Night», à dada sur le bidet rockab, il est furieusement bon, complètement enraciné dans la légende. Petit retour au cabaret de David Lynch avec «Lonely Guy», une Beautiful Song qui brille d’un éclat certain, on se croirait vraiment dans Blue Velvet. Puis il adresse un gros clin d’œil appuyé à Joe Meek avec «Creepin’ Invention». Comme on le constate, le Dex ne chôme pas. Il passe au swing avec «Hot Rod Baby». Quelle dextérité ! Il sait swinguer son swing. Nouvelle crise avec «Sharks Flyin’ In», il chante son rockab au raw de l’arrache à coups de sharks flyin’ in from outerspace ! Et son «Boogie Boogie» sonne comme un hommage à Eddie Cochran, il y cultive l’essence du boogaloo primitif. 

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             Two Headed Cow est encore un album qui regorge de rumble. Nouvel hommage aux Cramps avec «Hard Boppin’ Baby», version live avec un faux départ. C’est puissant et comme visité de l’intérieur. On retrouve l’excellent «My Life My Love» du premier album, un heavy boogie de rêve gorgé de délectation morose. Le cut mythique de l’album est la cover de «Rockin’ Bones», il la tape à la menace et pique une jolie crise. Il est encore au cœur de l’univers des Cramps. C’est saisissant de proximité. Deux shoots de pure rockab madness : «Hey Hey» et «Rock House». Il se grise du rockab de Memphis. Autre clin d’œil, cette fois, à Link Wray avec «Rawhide», et ça monte encore en température avec l’«Everybody’s Movin’» de Glen Glen, cover infernale, et même explosive. Le Dex est un dingue comme le montre encore «Frog Went A Coutin’» et «Tidal Wave». Ils jouent à deux et sonnent comme dix. Le Dex repart à l’attaque avec «Mr. Guitar», il fout le feu à la pampa. Il reste dans le pur esprit du Memphis Beat avec «Mary Ann», il gratte loin dans l’écho du temple de Zeus, il joue en full reverb, et la folie continue avec «Torquay», les notes s’étranglent ! Retour à la romantica avec «Golden Strings» et il bourre le mou de ses gammes d’ardeur chromatique. Le Dex est un adepte de Link Wray et des Cramps.

             Il reste surtout l’un des princes de cet underground américain dont on se nourrit depuis 40 ou 50 ans. Dex et ses beaux albums vont nous manquer terriblement. La meilleure épitaphe serait sans doute celle-ci, empruntée à Georges Brassens : «Jamais ô grand jamais/ Son trou dans l’eau n’se refermait/ Cent ans après coquin de sort/ Il manquait encore.»

    Signé : Cazengler, Fat Dumb Jerk

    Dexter Romweber. Disparu le 16 février 2024

    Flat Duo Jets. Flat Duo Jets. Dog Gone 1989

    Flat Duo Jets. Go Go Harlem Baby. Sky Records 1991

    Flat Duo Jets. In Stereo. Sky Records 1992              

    Flat Duo Jets. White Trees. Sky Records 1993  

    Flat Duo Jets. Safari. Norton Records 1993

    Flat Duo Jets. Introducing. Norton Records 1995

    Flat Duo Jets. Red Tango. Norton Records 1996

    Flat Duo Jets. Lucky Eye. Outpost Recordings 1998 

    Flat Duo Jets. Two Headed Cow. Chicken Ranch Records 2008

     

     

    L’avenir du rock

     - Pas de chichis chez Say She She

             L’avenir du rock n’est pas une chochotte et pourtant il a des chouchous qu’il chouchoute depuis des lustres sur fond de Choo Choo Train. Il n’en finit plus de savourer ce vieux cha-cha-cha, il le schwingue au don’t slow down til you see my home town, il en fait ses chou-choux gras depuis mai 1968, rendez-vous compte, ça fait un bail, et il n’est pas près de se calmer, car il faut le voir battre la champagne, c’est un chacharivari sans fin de shoo-shoobedoo, un sempiternel chachabada de chouchouteries, il y va au chaud-chaud devant, au push-toi-d’là que-j’m’y-mette, il y va à la va-comme-je-te-push, il s’amuse même à surgir hors de la nuit, fidèle à sa réputation, l’avenir du rock ne choo-choôme pas, il ne baisse pas les bras, il reste sourd au chant des Shirelles, il est le serpent qui chiffle sur nos têtes, la choo-choossette de l’archi-duchesse archi-chèche, il est chésame d’ouvre-toi, il ne veut surtout pas être une chi-chinécure, hors de question, il a d’ailleurs chi-chigné un pacte faustien avec le diable, et par conséquent il se sert sur un plateau d’argent, il sait aussi se savonner ses propres pentes, il adore larguer ses cha-cha-chamarres, il se veut encore plus célèbre que le Ché-Ché, plus cha-cha-cha qu’un singe savant, plus chy-chyfoné que Typhon Tourneboule, il ne recule plus devant aucune supériorité, devant aucune singularité, il chingle à travers les mers australes, le vent choo-chooffle dans ses voiles d’armiton, il chillonne les mers du Chu-Chud jusqu’au Cheptentrion, il sidère par ses capachi-chités, par l’excellenche de son manche, par la planche de ses prééminenches, et en même temps, il n’est pas homme à faire des chichis, même s’il adore les Say She She.  

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             Comme Shindig! se fend d’un petit buzz autour des Say She She, on va jeter un œil. Jeter un œil, ici, ça veut dire aller les voir sur scène et écouter les disks. Une façon comme une autre de rester à l’affût. Camilla Aisa nous présente les trois She She : la belle Piya Malik, le blonde Sabrina Mileo Cunningham et la black Nya Gazelle Brown.

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    Elles viennent du Lower East Side et du coup, ça devient vite exotique. Elles racontent leur genèse, trois petites gonzesses qui chantent et qui sympathisent. Ça va leur prendre deux ans pour se faire connaître et enregistrer deux albums. Elles disent vouloir embrasser à la fois «a strong psychedelic element» et le «celebratory power of disco». Pya n’y va pas de main morte : «If you don’t like disco then there’s gotta be something wrong with you», et elle n’a pas tout à fait tort. Elles se fendent aussi d’un petit concept : la quatrième voix, c’est-à-dire trois voix différentes en texture et en registre, fondues en une seule.

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             Sur scène, ça marche, et ça marche au-delà de toute attente. Elles disköbolent une solace extravagante de sunshine pop, tu crois rêver, tu tombes dans le panneau, tu écartes les cuisses, tu les accueilles à bras ouvert, elles diffusent et elles rayonnent, elles jerkent et elles jivent, elles jouent et t’enjouent, elles cassent les moules et bousculent les repères, elles retrouvent un passage vers une dancing-pop qu’on croyait à jamais perdue, celle des jours heureux. En fait, leur son intrigue, car on y entend des éléments de diskö, mais surtout des harmonies à trois voix qui te montent droit au cerveau, elles font du dancing CS&N acidulé, comme si elles pressaient leur jus d’octaves pour faire jaillir la plus succulente giclée d’excelsior qui se puisse imaginer ici-bas. On ne peut les comparer à personne, leur son est unique, c’est même une sorte d’essence de magie vocale. Et sur scène, cette essence prend une ampleur considérable

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             Si par curiosité tu as écouté les deux albums avant de venir les voir sur scène, tu vas retrouver tes chouchous. Elles attaquent avec le «Reeling» d’ouverture de bal sur Silver. Incroyable allure, ah il faut les voir chanter en souriant et danser toutes les trois, surtout Piya Malik qui est à gauche, on la sent folle de bonheur d’être sur scène. Elle n’arrête jamais de danser. Elles tapent aussi «C’est Si Bon», gros clin d’œil à Chic c’est Chic, et d’autres merveilles comme «Echo In The Chamber», «Norma», ou encore l’excellent «Forget Me Not» qui clôt le set avant le rappel. Ce qui frappe le plus, c’est sans doute leur modernité de ton.

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             Leur modernité a un nom : Dale Jennings, le bassman. Il faudrait aussi citer le guitah-god rasta qui le jouxte, Sergio Ross, qui est aussi producteur de Neal Francis et des Monophonics, alors attention, on ne rigole plus. Ces deux mecs font en plus un groupe qui s’appelle Orgone. Dale Jennings qu’on croyait anglais est en fait un mec de Los Angeles qui nous dit : «Check Orgone !». Et là tout à coup, ça prend des proportions qui nous dépassant. Il nous explique en plus qu’Orgone et les trois filles sont deux groupes différents et qu’ils font Say She She Ensemble. Ce sont eux, Jennings et Ross, qu’on entend sur les deux albums de Say She She. Et sur scène, c’est un véritable bonheur que de voir jouer ces deux cracks. Jennings est un bassman faramineux. Avec ses cheveux longs, sa moustache blanche, ses yeux clairs et son taille-basse blanc, on l’a pris pour un Anglais, ce qui l’a bien fait marrer. Il claque des riffs diskö avec une espèce de power à la Tim Bogert, il dégage une énergie considérable, et son power-bassmatic ronfle au-devant du mix. C’est lui la loco dans cette histoire.

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    Ross joue avec une surprenante discrétion, il se contente de swinguer en lousdé, mais on sent bien l’affûté. Ils vont profiter d’un break des filles pour faire trembler tous les deux les colonnes du temple, avec un gros délire instro basé sur le «Magnificent Seven» des Clash. Jennings joue la pétarade du riff aux doigts, bam-bala-bam bam, il est comme les filles, il sourit en jouant, il est extravagant de présence scénique et de power-bassmatic. C’est pas demain la veille que tu verras repasser un tel bassman dans le coin. Il faut le ranger juste à côté de Tim Bogert et de Jack Bruce. Exactement du même niveau. Dale Jennings ! Une révélation. «Check Orgone !». Ça te tinte encore aux oreilles.

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             Les filles reviennent après le break dans des petites robes en lamé or et bhaaaam ! «Astral Plane» et là tu prends le Plane en pleine poire, ça te broie le cœur et ça te soulève du sol en même temps, ça te transforme physiologiquement, tu vis de tous les atomes de ton corps un pur moment de bonheur, c’est la jouissance cérébrale que tu passes ta vie à rechercher, et soudain, elle est là, vivante, souriante, apoplectique, réelle et irréelle à la fois, tous ceux qui ont vécu le trip de l’«Astral Plane» le savent : c’est un trip unique, une expression de la beauté formelle, un moment de perfection, une marée sensorielle, et tu as ces voix qui semblent vriller le firmament. Ce mélange de magie vocale et de perfection rythmique est unique. Du coup, l’«Astral Plane» entre au panthéon des cuts magiques.

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             Leur premier album s’appelle Prism. C’est un Karma Chief de 2022. Les premiers cuts déroutent un peu car trop diskoïdes, même si par certains côtés ils préfigurent l’excellent «Astral Plane». Elles ont un son un peu trop à la mode, mais comme Karma Chief est un subsidiary de Colemine, on s’incline et on attend. On a bien fait d’attendre car voilà qu’arrive un cut de rêve, «Same Things». Elles distillent le sucre des étoiles, le cut te fond dans la bouche comme l’Astral Plane à venir. Tu vendrais ton âme au diable en échange de ce fondu de voix. Elles restent au même niveau d’excellence avec «Fortune Teller», elles refondent leurs voix dans une Fortune de rêve. Dans «Apple Of My Eye» on entend des guitares Soukous dans le fond du son. Effarante musicalité, une vraie pluie de lumière ! Elles terminent ce beau Prism avec «Better Man», leurs chœurs superbes résonnent dans une nef de cathédrale, ça monte très haut dans la pureté évangélique à l’ooh oooh yeah, elles y vont les petites She She qui ne font pas de chichis.

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             C’est donc sur Silver qu’on retrouve le mirifique «Astral Plane». Tu t’enfonces dans la mélasse messianique d’Astral Plane, c’est complètement délirant et tortillé aux harmonies vocales. Elles font aussi pas mal de heavy funky business («Entry Level»), leurs harmonies vocales se délitent dans l’entre-deux, c’est pur et assez unique. Elles planent encore avec «Passing Time» et se livrent à un très bel exercice de forget me not avec «Forget Me Not», bien rythmé, bien on the beat. Le bassmatic est systématiquement impressionnant. On l’entend encore dans «The Water», une belle pop soutenue aux Yeah Yeah, mais le stratagème des She She finit par rouler sur les jantes. Au bout d’un moment, ça ne marche plus. Trop de cuts, sans doute. Elles calment le jeu avec «Find A Way» et renouent avec les harmonies vocales fluctuantes. C’est vraiment beau, ça coule comme une rivière de diamants. Et elles terminent ce double album avec le morceau titre, une vraie pop en devenir, une pop qui flirte en permanence avec le génie séraphique. On pense beaucoup à Liz Fraser en écoutant les petites She She.

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             Dans Record Collector, Lois Wilson en fait trois pages et ça y va à coups de glitterball R&B et de post-disco funk. Retour à la genèse, avec Piya qui entend chanter Sabrina à travers le plafond de son petit appart. Rencontre et Piya lance «Let’s start a band !», alors Sabrina lui répond cette phrase historique : «Fuck it, okay.» Lois Wilson va plus loin que Camilla Asia dans la genèse : il apparaît que Sabrina Cunningham a chanté dans des chorales de Rochester, dans l’État de New York, depuis l’âge de 6 ans. Puis elle a chanté dans des groupes et a appris à maîtriser les arrangements vocaux - That’s a big part of Say She She, we just lock in - Quant à Piya Malik, elle a grandi dans le Nord de Londres, nourrie aux Bollywood soundtracks par un oncle producteur. Puis elle passe par Sciences Po à Paris et finit par s’installer à New York. Piya initie Sabrina aux Bollywood soundtracks et au Turkish funk. Elles commencent à se produire sur scène accompagnées par des mecs de Duran Jones & The Indications, d’Antibalas et de Twin Shadow. Puis arrive Gazelle Brown, qui a déjà chanté dans Tomboy, un R&B girl group devenu Phoenix, «but nothing happened.» Tout ça pour dire que les trois Say She She ne tombent pas du ciel. Ce sont déjà des vétérantes de toutes les guerres. Le dernier ingrédient de la genèse, c’est Colemine Records, qui les branche sur Sergio Ross. Alors elles se rendent toutes les trois dans son studio, Killionsound, in North Hollywood. C’est là qu’elles enregistrent leur premier hit, «Forget Me Not». Et dans le studio, on retrouve bien sûr les mecs d’Orgone, dont le fameux Dale Jennings. Elles composent et enregistrent un cut pas jour, et ça va devenir Silver. Record Collector propose alors de les sacrer «queens of soul to Jalen Ngonda’s king», elles sont d’accord. Elles adorent Jalen. Et puis pour finir, Record Collector se fend d’un bel encadré rose intitulé ‘key influences on Say She She’, dans lequel on trouve un peu de tout, Sister Sledge, Tom Tom Club, mais surtout Rotary Connection et l’excellent Hey Love. Du coup, le lien avec Charles Stepney paraît évident.  

    Signé : Cazengler, Say Chichon

    Say She She. Le 106. Rouen (76). 15 mars 2024

    Say She She. Prism. Karma Chief Records 2022

    Say She She. Silver. Karma Chief Records 2023

    Camilla Asia : Finding the fourth voice. Shindig! # 143 - September 2023

    Lois Wilson : Raising elle. Record Collector # 556 - April 2024

     

     

    Talkin ‘Bout My Generation

    - Part Ten 

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             Ah il est bien le petit témoignage que Jean-Louis Rancurel consacre à Danny Boy dans le dernier numéro de Rokabilly Generation. Un Danny Boy qu’il qualifie même de «premier rockeur de France» et à côté duquel nous sommes quasiment tous passés. Voici 15 jours, Damie Chad faisait amende honorable en avouant avoir «fait l’impasse sur lui.» En fait l’explication est simple : on ne l’entendait pas à la radio. On entendait «Twist À Saint-Tropez» et «Dactylo Rock», mais certainement pas l’excellent «Kissin’ Twist». Le pauvre Danny Boy comptait pour du beurre. Dommage, car il était plutôt bon. Il était au rock français qu’on appelait le twist ce que Marty Wilde était au early rock anglais : un talentueux second couteau. La radio préférait diffuser les daubes comme «J’entends Siffler Le Train» et «L’Idole Des Jeunes». N’oublions jamais que le rock est aussi un monde d’injustices. À une autre époque, on célébrait U2 et on méprisait les Spacemen 3. Rien n’a vraiment changé depuis les early sixties.

             Les photos de Rancurel sont magnifiques. Il raconte ses débuts de photographe et comment il va coincer Danny Boy dans sa caravane du cirque Pinder. Les images sont d’un réalisme extrême, c’est tout juste s’il ne photographie Danny Boy à poil en train de se laver dans le lavabo. Rancurel le coince assis en costard blanc, près du lavabo, en train de s’éponger la figure. Il sort de scène, il n’a pas fait semblant, apparemment les Pénitents sont des killers sous leurs cagoules. Rancurel précise aussi qu’il était «en culottes courtes» au moment de cet épisode. Le malheur de Danny Boy nous dit Rancurel est d’être tombé dans le biz au mauvais moment, en pleine vague twist, 1962-1963, et le voilà bombardé «archange du twist», alors qu’il se réclame du rock’n’roll. Disons que Danny Boy avait un goût prononcé pour les «chansons rythmées». Rancurel raconte qu’après une courte carrière et quelques disques, Danny Boy est retourné bosser comme poissonnier sur les marchés, car en 1967, il était déjà passé de mode. Pas de pot.

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             Pour se faire une idée du talent de Danny Boy, il existe sur le marché une compile qu’on peut bien qualifier d’idéale : Danny Boy Et Ses Pénitents. Une belle rétrospective de 28 cuts qui, pour certains, craquent bien sous la dent. Dès «Je Ne Veux Plus Être Un Dragueur», on voit qu’il est solide au chant, c’est un yé-yé, ce mec s’accroche - Ta radio ! - Belle basse, et il trouve l’âme sœur de son cœur. Ah comme les paroles de ces chansons pouvaient être débiles, mais bon, il fait le job. Il tape dans l’early rock au moi fou de toi. Il assure comme une bête. «C’est encore une souris/ Qu’on a mis dans mon lit», s’exclame-t-il dans «C’est Encore Une Souris». C’est quasiment un Wild Cat avant l’heure. D’ailleurs le Wild Cat apparaît clairement dans «Twistez». Jolie craze de Twist Again ! L’énergie est belle. Il a du son. Il arrive juste avant le ras de marée. «Croque la Pomme» montre qu’il sait jeter tout son poids dans la balance. Mais il fait une pop de pomme avec un brin de yodell. Il fait aussi une cover du «Mess Of The Blues» de Doc Pomus, qu’il transforme en «C’est Tout Comme». Pas mal, mais, bon, c’est pas Elvis. Globalement, on se croirait aux camors, au milieu des Chaussettes Noires et des Chats Sauvages. Te voilà en pleine fête foraine. Il fait même des slowahs pour rouler des pelles. Retour à la niaque avec «Dum Dum». Danny Boy est un mec attachant, on le voit s’accrocher à sa niaque comme à une bouée. Son «Stop» est balèze, c’est bardé d’écho des camors. Et dans «Quel Massacre», on entend des chœurs de folles. C’est très en avance sur l’époque. Et puis voilà le blast : «Kissin’ Twist». Plus loin, il fait une petite série de covers, «Locomotion», «Let’s Go», «Bye Bye Love», mais ça reste timoré. Il fait un peu de gospel avec «Répondez-Nous Seigneur» et ça se termine avec un fantastique «Allez Allez» que vient swinguer un xylo. C’est miraculeux de qualité. Tu te demandes vraiment d’où sort une telle merveille. 

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    Signé : Cazengler, Danny Broc (tête de broc)

    Danny Boy Et Ses Pénitents. RDM Editions 2016

    Rockabilly Generation # 29 - Avril Mai Juin 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - Mighty Sam wants you

             De toute évidence, Sim fut archevêque dans une vie antérieure, vous savez, l’un des ces archevêques qu’on croise dans les films fantastiques, ces hommes petits et ronds, qui parlent d’une voix sourde et un peu grasse, tout en se frottant les mains, ces êtres qui inspirent une terreur mêlée de respect, devant lesquels on se signe et remerciant Dieu de n’être pas tombé dans leurs griffes. Il en imposait tant qu’on le surnommait Mighty Sim. On l’aimait bien quand même. Mighty Sim faisait partie du comité de rédaction de la revue. Comme il était féru d’histoire, il y puisait le contenu de ses contributions. Son sujet de prédilection était la liberté d’expression. Et bien sûr, Voltaire était l’un de ses maîtres à penser. Il jouait donc un rôle clé dans cet environnement éditorial qui ne jurait que par Dada, l’anarchie et le rock. L’usage voulait qu’en réunion du comité de rédaction, chacun lise tout ou partie sa contribution et qu’on vote la publication à la majorité des mains levées. Le jeu consistait à rafler autant d’accords que possible. Ce qui n’était pas simple, car le comité savait se montrer impitoyable. Quand vint son tour, Mighty Sim se cala au fond de sa chaise et prit un air sombre pour nous raconter l’histoire du malheureux Chevalier de La Barre, qu’on accusa de blasphème en 1766, «pour avoir chanté des chansons impies et refusé de se découvrir au passage d’une procession.» Mighty Sim leva les yeux vers nous pour nous rappeler qu’en ce temps-là, le blasphème était encore puni de mort. «Dénoncé par des témoins oculaires, le Chevalier fut donc condamné à mort par le tribunal d’Abbeville. Il fit appel. Appel rejeté par le Parlement de Paris. Le jour de l’exécution, il fut soumis à la ‘question ordinaire’ pour qu’il reconnaisse ses crimes, mais il perdit connaissance dans les brodequins.» Mighty Sim parlait d’une voix de plus en plus sourde. Il nous glaçait les sangs. «On réanima le Chevalier pour le faire monter sur l’échafaud.» La voix de Mighty Sim n’était plus qu’un murmure. «On lui coupa la langue, puis la tête, on lui cloua le Dictionnaire Philosophique de Voltaire sur le torse et on jeta son corps sur le bûcher.» Mighty Sim ajouta dans un râle que le Chevalier n’avait que vingt ans. Il reprit son souffle pour conclure en indiquant que Voltaire lança une contre-attaque depuis la bourgade suisse où il s’était réfugié, dénonçant dans un article la barbarie de ces gens «qui ordonnèrent, non seulement qu’on lui arrachât la langue, qu’on lui coupât la main, et qu’on brûlât son corps à petit feu ; mais ils l’appliquèrent encore à la torture pour savoir combien de chansons il avait chantées, et combien de processions il avait vu passer, le chapeau sur la tête.»

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             Finalement, tout le monde est bien content que cette époque soit révolue. Seul Mighty Sim pouvait donner à cet épisode tragique le retentissement qu’il mérite. Il existe un autre spécialiste du retentissement, un Mighty tout aussi mighty, l’excellent Mighty Sam, un petit blackos de Louisiane au regard incroyablement triste. 

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             Étrange album que ce Your Perfect Companion paru en 1986, sur Orleans Records, un label de la Nouvelle Orleans, comme son nom l’indique. Étrange, car on n’avait encore jamais vu une pochette aussi foireuse. Le graphiste a voulu faire un effet sur le portrait de Mighty Sam et l’effet est tellement raté que Mighty Sam est tout noir. Au dos, on trouve un portrait classique qui heureusement a échappé au graphiste du diable. L’album est enregistré à Nashville et le son s’en ressent. «Why» sonne comme de la Soul de Nashville. Rien sur les gens. Rien sur Robert. Mighty Sam chante d’une voix chaude et tranchante à la Otis. C’est la B qui rafle la mise avec «Backstreets», un heavy blues classique mais puissant, très Nashville, sans couleur particulière. On sent le poids des grosses pointures. Mighty Sam y va de bon cœur. Puis il tape une belle cover d’«A Change Is Gonna Come». Il attaque son Sam Cooke à l’I was born by the river et chante vraiment du coin du menton.

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             Mine de rien, Mighty Sam fait son petit bonhomme de chemin dans les cercles de la connaissance. Personne n’irait miser un seul kopeck sur la pochette de Nothing But The Truth. Grave erreur ! C’est un excellent album. Côté registre, Mighty Sam n’est pas très loin de Wilson Pickett. Ses slowahs sont très impressionnants, de vraies sangsues, mais des sangsues de haut rang («Sweet Dreams»). Toute la viande se planque en B. Il se met à rugir en fin d’«I’m A Man», un vrai lion du désert ! Il revient au slowah de choc avec «When She Touches Me». Chaque slowah est un combat pied à pied avec les éléments. Mighty Sam est un chanteur extraordinaire. Il fait même de la country Soul avec «I Came To Get My Baby (Out Of Jail)», il tape ça sur l’air de «500 Miles», une chanson traditionnelle qu’adapta Richard Anthony en son temps («J’entends Siffler Le Train»). Et puis avec «Badmouthin», Mighty Sam jette tout son poids dans la balance.

    Signé : Cazengler, Mighty Shame

    Mighty Sam. Your Perfect Companion. Orleans Records 1986

    Mighty Sam. Nothing But The Truth. P-Vine Records 1988

     

     

    Dans les griffes de Gruff

    - Part Three 

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             Gruff a tellement d’idées qu’il décide en 2004 d’entamer une carrière solo. Sur son premier album, l’imprononçable Yr Atal Genhedlleath, il chante en gallois. Comme ça, on est tranquille, aucun effort à fournir pour essayer de comprendre les conneries qu’il raconte.

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    Gruff a des idées. Des idées, oui, mais avec du son. Et quel son ! Gruff a sa griffe. Il s’amuse avec son «Epynt». Il continue de s’amuser avec son «Rhagluniaeth Ysgafn». En fait, il s’amuse avec les croisées des chemins. Mais n’allez pas le prendre pour un clown, il fait l’une des meilleures pop d’Angleterre. Même dans cette langue tellement ingrate, même pas phonétique. Il passe aux machines avec «Caerffosiaeth» et devient une sorte de schtroumphf hip-hop dada, et les chœurs de mecs bizarres ne font que renforcer cette impression d’incongruité. En fait, il dit qu’il chante en gallois, mais il se pourrait bien que ce soit une simple fantaisie linguistique. Son «Ni Yw Y Byd» sort tout droit d’un roman de Lovecraft. Même chose pour le cut qui suit, «Chwarae’n Troi’n Chwerw», voilà le Gruff qui plane comme un vampire au-dessus de sa mélodie. Il passe par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel et chante à la pointe d’un beau baryton.

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             Comme on décide de bouffer du Gruff, alors on se farcit Candylion. Cet album solo paru en 2007 met un temps fou à décoller. Le morceau titre n’a aucun intérêt, alors fuck it. Les cuts qui suivent ne fonctionnent pas. C’est n’importe quoi. On le voit cavaler ventre à terre avec «Cycle Of Violence». Il cavale au sha la la la, il est marrant et un peu ridicule. Et soudain, il se fond dans un groove de Burt avec «Painting People Blue». Puis il se glisse dans ta poche avec «Beacon In The Darkness». On ne l’écoute que parce que c’est Gruff. Il fait son biz. Il fait sa soupe aux choux, rrru rrrru, d’ailleurs, il dérive dans le «Gyrru Gyrru Gyrru» et la folie l’emporte. Il termine sur un «Skylon» de 14 minutes. Le vieux Gruff a du métier, il reste fabuleusement attachant, il fait sa pop pour de vrai, il reste le roi du groovy rock, sur la durée, il peut rivaliser avec Bob Dylan, il a des couplets à revendre, il gratte ça sur les accords de «Gloria», il raconte sa story. Ah comme l’effarance de la prescience peut être pure au bord du lac de Constance.

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             Gruff propose pas moins de deux Beautiful Songs sur Hotel Shampoo : «Honey All Over» et «If We Were Words». Il attaque l’Honey à la chaleur de ton. Il va chercher la lumière et la trouve. Il trempe dans sa vieille fascination pour les Beatles et Brian Wilson. Cet Honey est d’une absolue perfection. «If We Were Words» se trouve vers la fin de l’album et récompense ceux qui ont été jusqu’au bout. Gruff revient par la bande, il chante à la pure bienveillance, comme un apôtre de la pop moderne, accompagné par une stand-up. Avec «Sensations In The Dark», il va droit sur Cuba, c’est son droit. Il crée l’événement, avec des trompettes et de la rumba dans l’air. On retrouve des échos de Brian Wilson et de Jimmy Webb dans «Take A Sentence» et il drive ensuite la pop de «Conservation Conversation» à l’accent sûr de remote control. Il s’amuse bien avec la pop, on sent nettement le joueur en lui. Il ramène par exemple des atonalités d’Aladin Sane au piano. «Sophie Softly» montre une fois de plus que Gruff reste nickel jusqu’au bout des griffes. Il est pop. Il est immaculé. Il lance des cascades de son dans «At The Heart Of Love». L’influence de Brian Wilson est évidente. On le voit encore s’amuser avec «Phantoms Of Power», il ramène des grosses guitarasses de la rascasse et tout un fourbi demented. Il jongle avec les formats et ça devient parfois très sérieux.       

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             La pochette d’American Interior ne paye pas de mine, mais attention, sous le parapluie se cachent deux coups de génie : «The Whether (Or Not)» et «Iolo». Gruff se situe dans l’abondance, comme Robert Pollard et Frank Black. Toutes ses chansons fonctionnent. Il accroche, quoi qu’il dise. Son Whether est monté sur une basse fuzz et ça devient vite spectaculaire, avec les montées de basse dans le son. Gruff est une espèce de Swamp Dogg en blanc. Il a récupéré tous les plans des Beach Boys, il est complètement euphorique. Il s’amuse encore plus avec «Iolo». Il dispose de cette volonté intellectuelle qui lui permet d’expérimenter. Il balance des violons sur un drumbeat de hard Rhys. Son morceau titre sonne comme une sacrée mainmise sur la pop. Quand on le voit repartir avec «100 Unread Messages» sur la samba galloise, on comprend que sa seule optique est la liberté. Avec «The Last Conquistador», il fait son Neil Young, avec le même genre de power, au chant généreux d’ambition démesurée. Gruff Rhys est une aubaine. Il claque le groove de «Liberty (Is Where We’ll Be)» à la surface de sa qualité. C’est excellent, inspiré par tous les trous, avec cette mystérieuse récurrence des pianotis d’Aladin Sane. Gruff veille au grain de Rhys. Tout est spécial sur cet album, mais en même temps, il existe une sorte de cohérence dans le délire, mais à un point que tu ne peux imaginer si tu ne fais pas l’expérience de l’écoute. C’est en tous les cas le sentiment que donne «The Swamp». Et le festin se poursuit avec «Wild In The Wildreness», il plaque la pop dans son univers comme Andy Warhol couvrait de papier alu les murs de sa Factory. Gruff Rhys impose un profond respect. Il peut décoller comme le fait parfois Brian Wilson. Il se transforme en Saint-Vincent de Paul de la pop pour «Year Of The Dog» et boucle ce brillant épisode avec «Tiger’s Tale». Il drive une fois encore son biz à la qualité supérieure, il ne navigue qu’au sommet du lard fumant, il peut tout se permettre, même cet instro magique.      

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                  Attention : Set Fire To The Stars est la BO d’un film. Impair et passe.

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             Paru en 2018, Badelsberg peine à jouir. Gruff chante une petite pop pressée qui n’accroche pas. Tintin pour la magie. Le filon Furry s’épuise. Sa pop pressée est celle d’un homme volontaire et plein d’idées, comme l’est d’ailleurs Nick Saloman, mais ce n’est pas le même genre d’effervescence. Celle de Nick fonctionne toujours, celle de Gruff s’éteint. «Limited Edition Heart» est une petite pop qui se voudrait enchanteresse et qui ne l’est pas, mais alors pas du tout. Re-Tintin, pour la magie. Il essaye plein de trucs : chanter à la profondeur de ton («Drones In The City»), singer Nick Drake («Negative Vibes»), même s’il coule de source, comme un beau filet de morve. Il réussit même à devenir pénible («Achitecture Of Amnesia»). On est content quand ça s’arrête. Merci Gruff, à bientôt et bonjour chez toi.

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             Bon alors Pang ? To Pang or not to Pang ? Sa pochette à la Magritte n’inspire pas trop confiance. On voit tout de suite qu’il n’a pas de temps à perdre, il embarque son «Pang» aussi sec, du son c’est sûr, vite fait sur le gaz, pas le temps d’épiloguer. On perd vite la magie de la pop. Trop de machines dans les cuts suivants. Gruff paraît paumé. Il est même assez ridicule avec «Ara Deg». Il est en panne. Pauvre Pinocchio. Il cache la misère avec un balladif de bord du fleuve, «Eli Haul». Il n’a plus rien dans la culotte. Tous ces cuts manquent de protéines. Gruff finit par tomber dans le camp des pathétiques. On est inquiet pour lui, et l’inquiétude grandit au fil des cuts, lui qui fut jadis si prodigue. Là, il prend les gens pour des cons, surtout ceux qui continuent d’acheter ses albums. Il tente de sauver Pang avec le Welsh diskö beat d’«Ol Bys/Nodau Clust» et c’est le hit tant attendu. Dommage qu’il perde la main avec le reste. Un seul bon cut sur neuf, c’est pas terrible. Pang Pang cu-cul.            

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           Inutile de dire qu’on attend des merveille de ce Seeking New Gods paru en 2021, et qui va donc faire l’objet d’une tournée au printemps 2022. Il démarre en chantant à la barbe des vieux génies qui ont tout connu avec la pipe au bec et la lippe pendante. Il est marrant, ce mec, il continue de courtiser sa vieille muse éculée par tant d’obus. L’humour gallois de «Mausolum Of My Former Self» nous dépasse. Il retente le coup de la pop toxique avec «Can’t Carry On», mais ce n’est pas évident, malgré ce can’t carry on/ Can’t can’t. Avec le morceau titre, il écrase le champignon comme on presse un abcès, pour que ça gicle mais c’est avec «Hiking In Lightning» qu’il emporte tous les suffrages, car voilà un cut digne des barbares, those animal men, heavy riffing et fast tempo, il taille dans l’épaisseur du son et du coup, il ramène l’un des meilleurs sons d’Angleterre. Il fait ensuite son Todd Rundgren avec «Holiest Of The Holy Man», c’est-à-dire que sa mélodie explose en plein ciel. Le temps d’un cut, il redevient l’égal de Todd Rundgren et de Brian Wilson.

    Signé : Cazengler, Rhys orangis

    Gruff Rhys. Yr Atal Genhedlleath. Placid Casual Recording 2004

    Gruff Rhys. Candylion. Team Love Records 2007           

    Gruff Rhys. Hotel Shampoo. Ovni 2011   

    Gruff Rhys. American Interior. Turnstile 2014               

    Gruff Rhys. Set Fire To The Stars. Twisted Nerve 2016

    Gruff Rhys. Badelsberg. Rough Trade 2018

    Gruff Rhys. Pang. Rough Trade 2019                       

    Gruff Rhys. Seeking New Gods. Rough Trade 2021

     

    *

    Routes Of Rock, reprenons la highway des pionniers, retour à la source, le rock est une matière malléable à l’infini, un peu comme l’or potable des alchimistes. Les pionniers reviennent toujours à la surface, telles les fleurs vénéneuses de Baudelaire, aucun désherbant ne parvient à nous en débarrasser, elles nous narguent, elles nous survivront et nous n’y pouvons pas grand-chose.

    Cette fois-ci la piste maudite nous ramène en Thaïlande, nous y avons déjà rencontré Bill Crane qui a, voici quelques années, quitté la banlieue parisienne pour ce pays d’Asie, il photographie, il écrit, il vit, et depuis quelques mois il a ressorti sa guitare de son étui, dernièrement nous avons dans notre livraison 620 du 16 / 11 / 2023 chroniqué un recueil sous le nom d’Eric Calassou de ses clichés (très peu touristiques, amateurs de vues proprettes vous êtes avertis) et dans notre livraison 627 du 11 / 01 / 2024 son album virtuel Baby Call my name. N’est pas près de s’arrêter en si bon chemin puisqu’il remet le couvert avec :

    COVERS

    BILL CRANE

    ( Album Numérique / Chaîne Bill Crane YT)

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    Maybe baby : de Buddy Holly : l’on a écrit et répété à suffisance que le jour de la disparition de Buddy Holly est celui où la musique est morte, genre de déclaration aussi stupide que celle qui prédisait qu’après la shoah il serait impossible d’écrire de la poésie, c’est là oublier que sur la croûte terrestre l’homme est un insecte obstiné qui jamais ne cesse de vaquer à ses affaires habituelles comme écouter de la musique ou tuer ses semblables. Que serait devenu Buddy Holly si l’ange de la mort ne l’avait ravi en plein ciel un jour de tempête neigeuse, je n’en sais rien, mais ce qui est sûr c’est que ses continuateurs sont devenus célèbres en mélangeant la mélodie au rock’n’roll les Beatles ne faisaient que suivre l’exemple de Buddy qui attifa de chœurs gentillets le jungle sound de Bo Diddley, sur le papier l’alliance reste improbable, dans les faits elle s’avéra une réussite indéniable. S’atteler à une reprise de Buddy avec un micro, une guitare et une boîte à rythme relève du grand art. Bill Crane n’a gardé de l’original que l’épure, les chœurs féminins et leurs bouches en cœur ont été relégués dans les oubliettes. Au final la popperie sucrée de Buddy y a laissé bien des plumes, mais y a gagné sur toute la ligne, la chanson de Buddy nous parle d’un futur proche heureux, la reprise de Bill Crane s’inscrit dans la poignante nostalgie d’une époque révolue, 1957 tambourinait dans les jours heureux de la société de consommation, de 2024  se profilent des jours sombres, la voix de Bill Crane est en équilibre sur le fil tendu entre bonheur et angoisse, quant à sa guitare elle égrène de miraculeuses notes qui roulent entre diamants et larmes. La rythmique inexorable nous rappelle que le train, de tout son train-train, se dirige dans la nuit de l’incertitude qui nous attend. Love me tender : certes Elvis est le roi du rock, mais pourquoi reprendre cette bluette et pas Mystery Train, que manigance Bill Crane, que veut-il signifier par ce choix, n’existe-t-il pas des trucs plus toniques dans le répertoire de l’occupant de Graceland, sans aucun doute, mais là Bill Crane nous sort un véritable chef-d’œuvre, la meilleure interprétation de ce morceau que vous n’entendrez jamais, d’une tristesse infinie, d’un désespoir absolu, vous transforme la chansonnette en drame métaphysique, une tragédie grecque, si vous n’avez jamais compris ce que veut dire Aristote lorsqu’il parle de catharsis pour définir le dénouement d’une crise, écoutez ce Love me Tender c’est la survie catastrockphique que vous vivez tous les jours depuis la naissance du rock,  cette voix grave qui  se superpose à elle-même comme la vague sur le rivage  s’en vient recouvrir celle qui l’a précédée pour subir le même sort dans l’instant suivant sous celle qui s’en vient déferlant sur toutes vos illusions. Chicken walk : coup de maître, qui vaut bien le cou coupé de fin de Zone d’Apollinaire, après nos deux fleuves tranquilles du début Bill Crane nous sort Adkins de l’Hasil, l’est né deux ans après Elvis mais sa musique peut être qualifiée de proto-rock en le sens où elle puise dans la primitivité, non pas la plus pure, mais la plus sale du blues. Encore une fois Bill Crane pousse d’un millimètre le curseur. Vous en donne une version très pionnier du rock, une fois que vous l’aurez écoutée faites le test : retourner au Maybe Baby de Buddy Holly et vous comprendrez pourquoi le chanteur de Lubbock malgré ses mignardises est un rocker authentique. N’ayez crainte Bill Crane vous décapite la poulette proprement, non seulement vous ne souffrirez pas mais votre perversité inavouable se réjouira. Roadrunner : l’on vient de parler de Buddy Holly, voici donc Bo Diddley qui se radine. A toute vitesse. ( Note subsidiaire : si vous voulez savoir d’où les Animals ont tiré leur son écoutez Bo Diddley, l’a autant inspiré le rock anglais qu’américain, el Semental comme disent les espagnols pour désigner l’étalon ). L’on s’attend à un festival de guitare, c’est oublier que le rock des pionniers repose avant tout sur l’inflexion du vocal, alors Bill Crane nous en donne une version à la Buddy Holly, sans les chœurs mais surtout sans le chant, réalise ce prodige que les plus beaux moments du morceau sont lorsqu’il parle, prend la parole, nous file une espèce de talkin’blues désinvolte, car le rock ‘n’ roll n’est pas une musique mais un jeu et vous avez intérêt à connaître toutes les règles de la gamme et du game. Not over. Havana Moon : je vais vous confesser un de mes crimes, mon morceau préféré de Chuck Berry c’est Havana Moon, peut-être parce que l’on entend beaucoup plus sa voix que sa guitare, quel plaisir de retrouver ce morceau dans ce florilège rock !  Evidemment sur ce morceau la guitare de Bill ne crâne pas, elle se fait discrète, faut reconnaître qu’elle est un peu comme ces filles en tenue passe-partout qu’une infime touche de rouge sur les lèvres vous attire irrésistiblement vers elles, une version toute en évanescence, perpétuellement elle se délite mais elle ne meurt jamais, le chant de Berry sent la gouaille friponne, à écouter les murmures de Bill votre foie sécrète de la bile, la sueur froide du trépas passe sur vous, tous ces bruits qui chuchotent vous transportent dans le halo funèbre de la lune noire. Be bop a Lula : ( nous avons déjà chroniqué ce morceau dans notre livraison 628 du 18 / 01 / 2024). L’on a longtemps mythifié sur la version lente de Be Bop A Lula, Bill Crane nous en donne une version tendre, nous la transforme en chanson douce, l’en rabote toutes les articulations syncopiques qui forment l’ossature de l’original, encore marquée de ses influences leberiennes et stolleriennes, s’en dégage une tristesse destinale en totale adéquation avec les dernières années de Gene. Baby please don’t go : Big Joe Williams l’enregistre en 1935 année de naissance de Presley, trente ans plus tard lorsque l’on l’a entendue à la radio l’on a tous cru qu’elle était une création des Them, bien sûr elle venait de bien plus loin, des champs de coton et des chants d’esclaves, et était fortement inspirée par John Lee Hooker,  l’en existe des centaines de version, celle de Bill Crane moanise quelque peu, l’aurait dû supprimer la boîte à rythme  son absence nous aurait aidé à mieux comprendre comment et surtout pourquoi le rock est un enfant perdu du blues, ce n’est pas la fillette qui est partie, c’est le gars qui s’en est allé il ne sait pas où et pourquoi, l’appel sauvage nous souffle Jack London, il marche à pieds sur une highway détrempée et battue par un vent mauvais. Completely sweet : (nous avons déjà chroniqué ce morceau dans notre livraison 628 du 18 / 01 / 2024). Un de ces bonbons à la fraise acidulée voire à l’orange sanguine dont Eddie Cochran était coutumier, le vocal se charge du sucre et la guitare du sulfure. Bill Crane change la recette, une voix caverneuse au timbre chargé de nostalgie et une guitare agite son éventail pour vous ressusciter de votre rêverie léthargique. Et puis ses doux yodels évaporés qu’il enfonce dans la roche des falaises de l’immémoire. Sur l’image qui raccompagnait cette version je n’avais pas tilté sur ce bouquet de roses rouges qui semble avoir été posé sur une tombe, et les stores baissés. Le show must not go on. I wanna be U doll : réouverture du magasin. De nouveaux arrivages. Mais ce ne sont pas des pionniers. Oui, d’accord mais avec les années qui s’accumulent la distance entre 1960 et 169 a tendance à se rétrécir. L’a renvoyé le chien à la niche. Changement de genre. Notre crâneur commence à déblatérer dans un haut-parleur, joue à Monsieur Loyal, le rock’n’roll n’est que l’autre face du cirque. La guitare ne court pas à la déglingue, maintenant le vocal se lamente à la manière d’un coyote arraché à sa verte prairie pour être enfermé dans une cage de la ménagerie. Une basse triste comme la nuit qui tombe, peut l’appeler tant qu’il veut, le chien serait-il une chienne, la bestiole ne viendra pas, c’est peut-être pour cette raison que le maître joue de la guitare comme s’il frappait un gong funèbre. Envoûtant et fascinant. Un iguane a dû s’échapper. Tutti Frutti : ce n’est pas un morceau de rock, Little Richard, c’est une torche que Dieu a allumée pour que partout où elle passe les âmes ne repoussent pas. La torche de Bill Crane c’est celle que l’on éteignait sur le seuil de la maison ou le cortège avait emmené la mariée, plus besoin de flamme, elle était en train d’être consommée, le Bill Crane vous sape le moral, un pneu crevé, petit tu ne sais ce que c’est le rock ‘n’ roll, je vais t’apprendre, si derrière les habits chamarrés tu ne discernes pas la silhouette de la mort, tu n’as rien compris à la vie, en soi ce n’est pas grave, par contre tu n'as rien compris au rock’n’roll, ça c’est rédhibitoire. Alors tais-toi, mets un mouchoir sur tes jérémiades, écoute le frémissement des sycomores. Matchbox : Carl Perkins est-il le plus grand des pionniers. C’est la question que je me pose chaque fois que j’entends un de ces titres. En tout cas le plus authentique, sans un minimum de frime. L’est le lieu où le blues rural copule avec le rockabilly rural. Le rock à Bill Crane a compris toute l’histoire légendaire du rock’n’roll, une interprétation tout en nuance en-dessous juste pour que l’on entende le bruit qui sourd de la terre ensemencée par les esclaves et les pauvres blancs, plus de tristesse, juste le blues du fermier qui travaille pour des queues de citrouille. Lonesome town : l’a un profil de gosse de riche Ricky, et des chœurs qui ressemblent un peu à ceux d’In the ghetto d’Elvis, bref il vous déchire le palpitant en petits morceaux. L’on avait compris que le Bill Crane n’allait pas faire une reprise de Yakety Yak des Coasters, termine sur une chanson automnale, ne la rend pas plus solitaire et triste que l’originale, se contente de la chanter, mais les arbres ont perdu leur couronne d’or, il nous les présente dépouillés. Vous pouvez pleurer, la pluie cachera vos larmes. Havana moon : l’a dû réfléchir Bill Crane, avec le morceau précédent vous filez tout droit prendre une chambre à l’hôtel des cœurs brisés, alors il nous offre un dernier cadeau, une seconde version de Havana Moon, la voix et le cette espèce de grésillement de cigales, tout à l’heure je faisais le mariole en remarquant que sur ce titre ce n’était pas la guitare de Chucky Chucka, comme l’aime à le nommer notre Cat Zengler, qui triomphait, l’a dû avoir la même intuition que moi Bill Crane, mais lui comme il sait en jouer, il se paie le luxe de la laisser au vestiaire, ça se remarque comme l’absence du dinosaure qui a déserté le canapé du salon, quant au résultat, il est terrible, cette voix qui va jusqu’au bout de la nuit comme une lampe à huile qui attend l’aurore pour consentir à fermer les yeux.

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             Les pionniers, parfois leurs cendres sont brûlantes, parfois elles sont froides. Ce Covers de Bill Crane vous aidera à comprendre ce phénomène dichotomique.

             Pour les amoureux du rock‘n’roll.

             Not only.

    Damie Chad.

     

    *

    LES BLOUSONS NOIRS : LES REBELLES SANS CAUSE

    ALEXIA SAUVAGEON / CHRISTOPHE WEBER

     

    Se nommer Sauvageon lorsque l’on traite du phénomène des Blousons noirs faut le faire, peut-être une indication du destin. Difficile d’être affirmatif : l’aurais-je déjà vu ? L’est remis sur YT par la chaîne Imineo Documentaires spécialisée en vidéos historiques, comme quoi tout peut arriver en ce bas monde, les blousons noirs sont entrés dans l’Histoire. Vous les retrouvez (notifiés) aussi sur la chaîne d’Alexia Sauvageon-Colette qui définit l’exposition de son travail professionnel et ses coups de cœur personnels en trois mots : Storytelling, émotion, impact. Sur le générique final le Copyright attribué à Sunset-Presse date de 2014, société spécialisée depuis trente ans dans la production de films et d’émission pour la télévision. Une grosse boite.

    L’ai-je déjà vu, Sans doute, mais je n’en suis pas sûr. Toutes les images que l’on trouve sur le Net sur les Blousons Noirs proviennent des mêmes sources. Les mêmes documents d’époques, les même rares témoins et acteurs interrogés, les mêmes connaisseurs, les mêmes spécialistes.

    Profitons-en pour rendre hommage à Jean-Paul Bourre disparu le 23 octobre de l’année dernière que l’on voit revenir sur les lieux de sa jeunesse, il fit partie de la bande des Croix Blanches à Issoire, par la suite il écrira de nombreux livres, deviendra animateur de radio sur Ici et Maintenant, l’est un témoin de toutes les dérives underground, officieuses et officielles de sa génération depuis les années soixante à avant-hier…

    Le docu d’une heure est plein comme un œuf, il analyse le mouvement qui ne dura pas longtemps de 1959 à 1963, situation historique, nationale, internationale, le phénomène français, milieu social, violences, bagarres, Marlon Brando, James Dean,  la musique, place centrale accordée à Vince Taylor et à Gene Vincent, rien que pour cela le docu est à voir, et puis l’évaporation du mouvement, la suite c’est  Mai 68, une nouvelle génération, petite-bourgeoise, qui prend non pas le pouvoir mais le devant de la scène, le docu oublie toutefois de préciser que le seul soir où la police fut débordée c’est quand les bandes jusqu’à lors en retrait descendirent au centre de Paris, elles ne se fixèrent pas sur les barricades, points chauds de normalisation délimitoires de l’ennemi, mais se déplacèrent en petits groupes harcelant et désorganisant les flics… ensuite c’est la survie, ceux qui se sont volatilisés ( mariage, boulot, métro) et ceux qui ont continué le rêve à leur manière, Patrick Grenier de la Salle devenu écrivain, son roman Classe Dangereuse est à lire, l’est émouvant avec son perfecto et son badge Eddie Cochran, Gérard  Bricks qui monte son groupe de rock une fois la retraite arrivée...

             C’est tout, le docu expose mais ne va pas plus loin. Nous y reviendrons.

    Damie Chad.

     

     

    *

    Vous ne saurez jamais tout le mal que l’on se donne, le Cat Zengler et votre very heavy very humle serviteur Damie Chad pour rédiger nos maudites chroniques, ainsi pour celle-ci j’ai dû parfaire mes connaissances en langues kirghise et persane.

    NOMAD

    DARKESTRAH

    (Mars 2024 / Osmose Production)

    Darkesthrah et pas darkesthrash, sachez faire la différence, un groupe de metal certes, un peu différent, d’origine kirghise, même s’il est basé en Allemagne, qui se permet un mélange musical qui pourrait paraître incongru, symphonique et folklorique, mais si j’ajoute qu’il se revendique païen et que le retour aux premières civilisations est aussi un retour vers d’originelles musiques, ce genre de démarche ethno-moderniste vous apparaîtra peut-être s’inscrire dans une certaine logique de production authentiquement artefactique.

            Le Kirzgisthan, ancienne république soviétique est encastré au milieu de l’Asie Centrale entre le Tadjikistan, l’Ouzbékistan et la Chine. L’histoire des Kirghizes n’est pas simple, ils ne sont arrivés dans le Kirzigthan qu’au seizième siècle, d’après ce que j’ai compris ils proviendraient de Sibérie mais des tribus turkmènes se seraient mélangées à leurs troupes, ils se seraient un long moment installés en Mongolie… pas pour rien que le disque s’intitule Nomad ! C’est que l’on appelle une remontée aux racines. Mythiques.

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             La couve nous fait rêver, un guerrier chevauchant une magnifique monture, aussi noire et monumentale que le Bucéphale d’Alexandre le Grand, l’on s’imagine déjà en train de chevaucher avec les hordes mongoles de Gengis Khan, hélas ce dernier est venu au monde quelques siècles après les pérégrinations évoquées par notre rapide survol géographique. Un autre détail qui cloche (nous écrivons cette chronique au jour de Pâques), notre guerrier n’est guère armé, ni lance, ni arc, ni épée, porte un instrument de musique, qu’il joue avec un archet comme Jimmy Page, une espèce de guitare non électrique préhistorique aussi longue qu’un cou de girafe, aussi mal foutu qu’un clou de girofle, qui porte le doux nom de Tar, une précieuse indication pour notre écoute.

    J’avais cité Jimmy Page sans trop y réfléchir, mais à lire le paragraphe précédent l’on ne peut s’empêcher de penser aux expériences de Jimmy et de Robert Plant avec des musiciens marocains et égyptiens.

    Asbath : drums, percussions, si le nom de tenir komuz signifie guimbarde, vieil instrument traditionnel notre batteur est aussi chargé des modernités sampleriques / Resurgimus : guitares, keyboards / Magus : tambour, tar à quatre cordes (je suppose) employé dans les orchestres ‘’ symphoniques’’ orientaux, guimbarde / Cerritus : basse, tambour shamanique / Claruck : vocal, percussion.

    Le groupe est en activité depuis 1999, il a déjà commis six albums, des membres sont partis, de nouveaux venus sont arrivés. Il semble maintenant vouloir reprendre un nouveau départ.

    Journey through blue nothingness : un instrumental si vous voulez, un frémissement venu de loin, vient-il vers vous ou provient-il de vous, est-ce le néant du monde qui s’empare de vous, ou projetez-vous votre néant intérieur sur l’immensité qui vous entoure, une rumeur, un rituel shamanique monocorde,  une remontée vomitoire du fond des âges, du temps des hordes perdues dans l’infinité fuyante du monde qui semble vous aspirer à chacune de vos avancées, vous pensez conquérir la terre, vous n’êtes qu’un insecte perdu sur une surface informe sur laquelle vous ne faites que passer poussé, tiré par des forces incalculables dont vous croyez être le moteur, dont vous n’avez qu’une faible prescience de leur existence. Kök-Oy : sauvés ! ne pénétrons-nous pas dans un morceau qui fleure bon le chaud metal de nos habitudes auditoires, mille chevaux foncent droit devant, goûtez cette joie sauvage qui vous assaille, la voix colérique semble mener l’assaut, que se passe-t-il pourquoi cette rupture, le chant de victoire retentit, vous avez franchi le fleuve bleu, vous êtes rentrés dans le pays de vos espérances, en vous-même là où depuis toujours, depuis le premier jour de votre naissance , rôde la mort, vous n’en sortirez jamais, car nous restons prisonnier de nos pensées, oh ce bourdon insatiable qui résonne derrière la batterie, où que tu diriges tes pas, tu ne sortiras jamais de toi-même, ton esprit est une tombe. Comprends que c’est là l’idée fondamentale qui guide tes pas. Somptueux ! Nomad : galops et hennissements de chevaux, chant de guerre et de destruction, partout où nous avons passé nous avons semé la mort, pillé et brûlé, une épopée victorieuse, partie d’un océan pour arriver à l’autre bout de la terre devant une même mer infranchissable, mais le grand voyage se double d’un autre introspectif, nous avons dominé le monde entier, nous sommes les rois mais nous vieillissons et nous mourrons, la route était simple et toute droite, maintenant nous chantons tous en chœur l’absence de ce pays que nous n’atteindrons jamais, oui les mots ont plus de poids que les armes, oui la poésie est plus brûlante que la guerre. Nostalgie de l’introuvable. Le morceau se déroule comme un immense film tumultueux dont les images vous happent, vous meuvent, vous transportent en un torrent de pensées interdites. Les plus grandes menaces. Sensationnel !

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     Destroyer of obstacles : sabots de chevaux, une voix féminine s’élève, récite-t-elle un mantra prononce-t-elle une imprécation, la musique déboule profonde majestueuse et la voix crache son venin, elle cite Erlik le dieu de la mort toujours à vos côtés, toujours aux côtés des guerriers, toujours à côté de celle qui chante car la mort élimine les obstacles qui se dressent et empêchent de voir au loin, la musique ralentit comme si les chevaux se mettaient au pas pour susciter le calme nécessaire à la shamane, elle est la proie d’un délire, la musique entre dans sa gorge, est-ce pour l’empêcher de révéler les secrets ou pour encore les obscurcir, le rythme s’alentit, l’imprononçable n’est-il pas dit en sa manière imprononçable, maintenant elle chante, elle hurle, elle s’étrangle, vous ne comprendrez pas les dernières paroles, mais que serait le Prince Noir, le grand meneur de hordes, sans le récitant dont ses exploits miment les paroles. Le sang n’est-il pas l’autre face de la poésie. Grandiose ! Pour mieux comprendre, le lecteur français peut se plonger dans la lecture de l’Anabase de Saint-John Perse qui expose une thématique semblable mais selon une culture occidentale et une historiographie méditerranéenne. Quest for the soul : suite tempétueuse du précédent, grandiose et funérale, la batterie cherche son chemin, il ne s’agit plus de s’emparer d’un royaume mais de récupérer une âme pour remplir le vide du monde, nous voici transporté dans une translation shamaniques, les quatre vents de l’esprit dirait Victor Hugo, Victor Segalen arpenteur des immensités chinoises déchiffrera les Stèles orientées au Sud, au Nord, à l’Ests à l’Ouest, et puis l’ultime intérieure, celle qui dévoile le nom qu’il ne faut pas lire, la sorcière n’a pas su, pas pu, pas voulu, nous ne le saurons exactement jamais, les aigles ont crevé ses yeux de voyante, rien n’arrêtera la cruauté du monde sur la face de la terre, le groupe lancé à toute vitesse galope à l’infini, maintenant il fatigue, le rythme marche à l’amble, procession funéraire pour quelqu’un qui n’a pas su mourir, des chœurs lamentueux s’élèvent, parfois la dernière vision est celle de la mort, la plus grande sagesse est-elle peut-être de ne rien dire, et de se taire quoi qu’il vous en coûte, car qui ne connaît pas la fin la cèle. Méditative effrayance. The dream of Kokojah : sonneries aussi ténues que la trame du monde, quel lieu pourrait m’emmener plus loin que le bout du monde, si ce n’est le rêve à condition que ce rêve se remplisse du vide du néant, les dernières paroles du Conquérant, ou du poëte qui supplie qu’on lui prophétise le terme ultime, y aurait-il une image dans son rêve ne serait-ce que celle d’un cri de corbeau qui lui dévorerait le cœur, ne serait-ce pas alors celle de sa mort, musique lente et processionnaire, voix augustéenne, elle épouse la lenteur des Dieux qui ne sont pas au rendez-vous, désespoir absolu, l’on se dirige vers elle depuis le premier jour, l’on est le premier angoissé lorsqu’elle se fond en nous, il nous reste donc encore à mourir. Pour une dernière fois. Puisque nous mourons sans cesse depuis toujours.  Définitive expérience. A dream that omens death : l’opus   finit comme il a commencé, une espèce de cérémonie funèbre, les dernières litanies avant le trépas, le monde est encore là, il est toujours là car il est la mort, car le monde et la mort sont une seule et même chose, les deux faces interchangeables et rigoureusement identiques de la présence de ce qui est. Dark Orchestra.

             L’on ne sort pas indemne de ce disque. L’est comme le bruit, cette saccade ruisselante, cette poignée de terre qui s’éboule sur votre cercueil dans ce cimetière où vous n’êtes plus et où vous êtes pourtant encore là, car tant que durera le monde, durera votre mort.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

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    Je ne suis pas un chaud partisan d’Andy Warhol, et de ces artistes dont les idées sont plus importantes que leurs réalisations, jusqu’à cet épisode je n’avais pas apporté une grande attention à sa déclaration ‘’tout le monde aura un jour ou l’autre son quart d’heure de célébrité’’, mais je dois avouer maintenant que je l’ai expérimentée qu’elle détient une part de vérité, toutefois je ne tiens pas à vous ennuyer avec mes réflexions sur l’art moderne et je vais donc vous raconter la mise en action de mon plan Z.

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    A peine avais-je posé un pied (le gauche) par terre, que je commençais à appliquer le plan Z.  Une tasse de thé plus (je devrais dire moins) deux biscottes légèrement beurrées et une poignée d’haricots verts cuits à l’eau non salée pour Molossa et Molossito. Je tiens à préciser que durant toute la mise en action du plan Z mes chiens manifestèrent une mauvaise volonté évidente s’efforçant à freiner sa préparation, ainsi après avoir reniflé dans leurs écuelles d’un commun accord ils entreprirent aussi sec une grève de la faim. 

    Ils me firent carrément la gueule (non ce n’est pas une expression triviale, je vous fais remarquer que les chiens n’ont pas de figure mais une gueule) quand ils remontèrent dans la voiture un peu plus tard après une séance chez le toiletteur. Je ne m’étais pourtant pas moqué d’eux, j’avais choisi le plus cher de Paris sans compter les trois mille euros de dédommagement pour passer avant tous les autres clients, entre nous soit dit Molossa avec ses petits nœuds roses sur les pattes et la tête, ça ne cadrait pas trop avec sa personnalité, mais le plan Z c’est le plan Z. Molossito était-il le plus réussi, avec ses petites perles de toutes les couleurs dans lesquelles les quatre opératrices qui s’étaient occupés de lui avaient fait passer des touffes de poils qu’elles avaient torsadées en forme de mini-tresse. Encore entre nous, je trouvais que ça ressemblait à ces coiffures dont les mamans africaines ornent la tête de leurs petites filles, mais avec les quatre pourboires de cinq cents euros que je distribuais aux hôtesses, je n’allais pas me plaindre, et puis le plan Z c’est le plan Z.

    59

    En bon maître je m’étais d’abord occupé de mes chiens, je pouvais donc m’occuper de moi-même. Coiffure, pédicure, manucure, asséchèrent mes économies.

    Au téléphone le Chef avait l’air inquiet :

             _ Oui Agent Chad je crédite immédiatement votre carte, elle porte maintenant la mention CADPAS (Carte d’Accès Direct Pour Action Spéciale) je certifie qu’avec cette mention vous avez directement accès aux fonds secrets de l’Elysée, ils ne sont pas trop regardants, essayez toutefois de ne pas dépasser le million d’Euros, vous savez qu’en haut lieu ils ne nous aiment pas. Ecoutez-moi bien Agent Chad, sans le connaître je pressens que votre plan Z est dangereux, je reste au bureau, téléphonez-moi si vous avez un problème. Bonne chance Agent Chad. La mort marche à vos côtés.

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    Je ne veux pas faire comme les pauvres qui parlent toujours d’argent, je me contente de vous dire j’ai de très très loin dépassé le million d’Euros. Que voulez-vous ce n’est pas de ma faute, de toutes les manières vous ne comprendriez pas et vous n’avez aucune idée des investissements nécessaires pour un plan Z.

    J’ai fait un détour chez Cartier, j’ai été très bien reçu, ils ont même excusé Molossito qui a fait pipi sur les chaussures d’une cliente :

             _ Ce n’est rien Monsieur, notre assurance dédommagera la dame, c’est bien les cinq Rollex les plus chères serties de diamant que vous prenez, vous avez raison, savez-vous qu’en plus de leurs multiples fonctions, par exemple elles indiquent la hauteur du Machu Pichu au centième de millimètres près, eh bien ces modèles-ci sont capables de vous donner l’heure !

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    Chez Boutik Luxe ils ont éclaté de rire lorsque je leur ai demandé le plus beau et le plus cher des costumes Armani qu’ils avaient.

             _ Monsieur a le sens de la plaisanterie, nous n’habillons ni les sans-abris, ni les indigents. Avec votre Perfecto nous subodorons votre style, sachez que tous les plus grands chanteurs de Metal commandent leur costume de scène chez nous, les tenues les plus étranges et les plus chères de la planète sortent de nos ateliers. En deux heures nous sommes capables de réaliser le moindre de vos désirs vestimentaires.

    Pas des charlatans, Rollex en main, deux heures pile plus tard je ressortis vêtu d’une espèce de peau de serpent lamée de fil de platine, je ne vous parle pas des chaussures en carapace d’ornythorinque, chaque fois que je passais devant une vitrine je ne m’attardais pas, j’avais peur de tomber amoureux de moi-même. Je suis naturellement beau mais là j’étais irrésistible !

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    Mon cerveau fit tilt ! J’étais sur la bonne voie ! Maintenant je me souvenais, Irrésistible c’était le titre de l’article que j’avais lu durant la nuit, j’avais suivi à la lettre les conseils de beauté. Oui OK, d’accord, mais tout cela pour quoi ? J’étais bloqué ! J’ai cherché dans ma tête, je n’ai rien trouvé, j’étais bloqué en plein milieu du Plan Z ! En désespoir de cause j’ai téléphoné au Chef.

             _ Que se passe-t-il Agend Chad ? Je sens que vous êtes en difficulté !

             _ Chef je n’arrive plus à avancer dans mon plan, je me suis rapproché du Z, mais il me reste encore quelques lettres, si vous aviez par hasard une idée, je suis preneur !

             _ Pas d’affolement Agent Chad, cela arrive souvent quand on entreprend un plan Z, d’après moi vous êtes bloqué au bon endroit, n’oubliez pas que le plan Q est une étape nécessaire à la réalisation du plan Z.

             _ Chef je veux bien le croire mais vos propos ne m’aident en rien !

             _ Pas de panique Agent Chad, regardez autour de vous, pensez à la lettre volée d’Edgar Poe qui était posée à la vue de toux ceux qui la cherchaient. Enfin un dernier détail, fiez-vous à mon flair, prenez vos chiens en laisse et dirigez-vous vers l’Elysée. Bonne chance, Agent Chad, je réitère mes recommandations, la mort marche à vos côtés et elle se rapproche.

    63

    J’ai pris mes chiens et suis parti en direction de l’Elysée, des propos tenus par le Chef, c’était la seule indication fiable que j’avais retenue. Je l’avoue mon esprit pédalait dans la choucroute pendant que j’avançais. Un détail s’imposa à moi : c’était le regard des filles et des femmes que je croisais. Au début je crus que c’était la manière dont Molissito et Molossa étaient attifés qui les faisait sourire. Mais non je dus me rendre à l’évidence. Mon apparence physique produisait une forte attirance sur ma modeste personne. Je n’ai jamais laissé la gent féminine insensible mais là je les sentais prêtes à s’offrir corps et âme à la moindre de mes invitations.

    J’étais perplexe, c’était donc cela le plan Q du Chef, devais-je satisfaire toutes les parisiennes ! Je trouvais la chose flatteuse certes mais un peu grotesque. N’allais-je pas périr de fatigue sous des vagues et des vagues de femmes qui se jetteraient sur moi ? Etait-ce la mort qui se rapprochait de moi !

    Elles étaient déjà une dizaine à me suivre de loin. Le danger se précisait. Je rentrai subitement chez un marchand de journaux. J’avais besoin de réfléchir. Et c’est là que subitement tout s’éclaira. Le plan Z ! l’avait raison le Chef , l’était partout ! Ecrit en grosses lettres sur la couverture du magazine ELLE : La photo de la jeune fille que j’avais remarquée lorsque j’étudiais les documents secrets : il suffisait de lire : MARDI APRES-MIDI L’ACTRICE GERALDINE LOUP RECUE A L’ELYEE !

    64

    S’agissait pas de la louper ! J’ai couru comme un fou vers L’Elysée, les chiens ne se firent pas prier, je ne sais pas comment mais ils avaient enfin compris qu’ils étaient un élément essentiel de la réussite du plan Z, je pouvais compter sur eux, à dix mille pour cent.

    Nous arrivâmes juste à temps, quelques talons mordillés à bon escient et nous pûmes percer le rideau d’admirateurs, de journalistes et de gorilles qui formaient un énorme arc de cercle devant le portail de l’Elysée. Le Président finissait son baise-main. C’était à moi de jouer. Oui la mort marchait à mes côtés.

    A suivre…