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bill crane

  • CHRONIQUES DE POURPRE 652 : KR'TNT ! 652 : BUZZCOCKS / COSMIC PSYCHOS / HOMER BANKS / EBO TAYLOR / GHOST WOMAN / ROCKABILLY GENERTAION NEWS 30 / BILL CRANE / AIVVASS / SERPENT NOIR

    KR’TNT ! 

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 652

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    O4 / 07 / 2024 

     

    BUZZCOCKS  / COSMIC PSYCHOS

    HOMER BANKS / EBO TAYLOR / GHOST WOMAN

    ROCKABILLY GENERATION NEWS

    BILL CRANE / AIVVASS / SERPENT NOIR

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 652

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Alors, ça buzz, cock ?

    (Part Three)

     

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             As-tu vraiment besoin de lire un livre pour savoir que Pete Shelley est un Wizard & une True Star ? Non, mais tu le lis quand même. Pourquoi ? Parce que Sixteen Again - How Pete Shelley & Buzzcocks Changed Manchester Music (And Me) est un book de fan à l’état pur. L’ex-Fall Paul Hanley est même un fan de la première heure. Comme pas mal de kids à Manchester, il est tombé en 1976 sous le charme des Buzzcocks. Il faut se rappeler que Spiral Scratch eut à l’époque autant d’impact sur les becs fins en herbe qu’«Anarchy In The UK» et «New Rose».

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             Bon, c’est vrai, Paul Hanley n’est pas Nick Kent. Ni Andrew Loog Oldham. Il se contente de rester fan et ne cherche pas à devenir écrivain. Il n’a pas vraiment de style, juste une bonne mémoire et une grosse énergie. Il est en outre extraordinairement bien documenté. Le book grouille d’infos. Et la cerise sur le gâtö, c’est qu’Hanley cite Pete Shelley en permanence, et là on se régale, car Pete Shelley est avec John Lydon le meilleur «théoricien» du punk. Pour lui, le punk c’est de l’art - Le punk m’a permis de justifier le bruit que je faisais. J’ai toujours pensé que Devoto et moi étions comme Gilbert & George. En voyant les choses sous cet angle, tu peux faire tout ce que tu veux et appeler ça de l’art - Il formule une évidence. Pete Shelley a créé et vécu le punk comme Tzara et Picabia ont créé et vécu Dada. C’est exactement la même approche. Ailleurs Pete Shelley rend hommage au génie provocateur de Johnny Rotten : «À l’époque, dire au public d’aller se faire foutre, c’était extraordinaire. Mais aussi hilarant. On a perdu de vue l’aspect comédie du punk. D’une certaine façon, le punk était le Théâtre de l’Absurde, il fallait  provoquer pour obtenir une réaction. Les Pistols ne tenaient qu’à un fil. On sentait que ça pouvait s’écrouler à tout moment.» Le regard que porte Pete Shelley sur le punk est d’une finesse extrême. Il en fut l’acteur, le pionnier, mais aussi l’observateur. C’est un peu comme si seuls son regard et celui de John Lydon comptaient, certainement pas celui des journalistes rock, mis à part Nick Kent, bien sûr. Pete Shelley rend le plus bel hommage qui soit aux Pistols : «Il y avait une mélodie, ce n’était pas du bruit pour du bruit, c’était viscéral, très chargé, très vivant. En les voyant jouer, Howard et moi avons décidé que s’ils pouvaient jouer comme ça, on pouvait aussi le faire. Alors on s’est attelé à la tâche : transformer notre rêve en réalité.» Il rappelle plus loin qu’au premier gig des Pistols qu’il ont organisé Howard et lui à Manchester, il n’y avait que 42 personne, mais ce gig a transformé la vie de ces 42 personnes qui après ont opté pour des activités créatives. Et Steve Diggle ajoute qu’à la première répète des Buzzcoks, avec Pete et Howard, ils étaient tous les trois motivés par ce gig des Pistols - The feeling that you don’t need money, you just need ideas - C’est tout l’esprit de Spiral Scratch. Pas de moyens, mais un EP révolutionnaire. Et Pete de surenchérir : «La seule chose qu’il faut se rappeler, c’est que le punk était une idée.» 

             Pour un kid de Manchester, les Buzzcocks, The Fall et Joy Division constituent la Sainte Trinité. Mais il précise que The Fall et Joy Division parlaient à sa cervelle alors que les Buzzcocks parlaient à son cœur. Il sentait en outre une certaine vulnérabilité et une chaleur dans les chansons de Pete Shelley, des qualités qui n’étaient pas vraiment de mise chez les autres punksters.

             Et pouf, c’est parti. Première grosse influence de Pete Shelley : les Beatles ! Il apprend à jouer et à composer en bossant sur le songbook des Beatles - J’ai appris en jouant sur les chansons des Beatles, puis j’ai étudié celles de T. Rex, puis celles David Bowie et du Velvet Underground. J’ai appris en jouant along with the records - Le premier groupe qu’il voit sur scène, c’est celui de Marc Bolan, en 1973, puis Bowie. Il est au premier rang. De son côté, Howard Devoto ne se nourrit que de Bowie, de Velvet, de Stooges et de Roxy. Howard et Pete étaient donc faits pour s’entendre. Kindred spirits, comme on dit en Angleterre.

             Alors il leur faut un nom pour le groupe. On demande à Julie Covington qui fait Dee, dans le TV show Rock Follies, pourquoi elle veut jouer dans un groupe. Alors Dee dit : «It’s the buzz, cock», cock étant nous dit Hanley un terme affectueux dans le Nord de l’Angleterre. Pas de connotation sexuelle. On peut dire cock aussi bien à un mec qu’à une gonzesse. Alors ça va, cock ? - Buzzcock has never actually been a slang term for a sex toy - Hanley a raison de redonner ces précisions : cinquante ans d’ignorance crasse ont conduit pas mal de gens en France à croire qu’on parlait de bite avec Buzzcocks.

             Maintenant, Howard et Pete ont besoin d’un bassman. C’est là que Steve Diggle entre en lice. Un Diggle qui toute sa vie sera marqué par des accidents. Grave accident de voiture à 17 ans, son pote Alan Hughes y casse sa pipe en bois et là, Steve Diggle jure qu’il va vivre to the full, et ça veut dire entrer dans un groupe - C’est là que j’ai juré de former the best fucking band I could and I’d do it for him - c’est-à-dire pour Alan Hughes. On reviendra sur les accidents un peu plus loin. Steve Diggle les collectionne.

             Maintenant il leur manque un batteur. Voilà John Maher, 16 ans, grand fan de Blondie. Il a même appris à battre le beurre en écoutant Clem Burke sur le premier Blondie. Il voit l’annonce dans le Melody Maker et rejoint les Buzzcocks. Une fois de plus, on se régale car Hanley donne tous les détails de la plus fascinante des phases qui est celle de la formation d’un groupe. Et quel groupe !

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             Comme tous les apprentis sorciers, les Buzzcocks commencent par taper des covers : «I Can’t Control Myself» des Troggs, «Steppin’ Stone» des Monkees, «Don’t Gimme No Lip Child» des Pistols, «I Love You Big Dummy» de Captain Beefheart. Jolis choix. Pete Shelley casse sa Stairway en deux lors d’une répète et il prend l’habitude de jouer sur une demi-Stairway, alors les Buzzcoks deviennent le groupe with half a guitar. Il faut voir les docus d’époque en noir et blanc. C’est wild as fuck ! À l’époque, Devoto ne jure que par les trois albums des Stooges. Tout le reste l’ennuie profondément. Quant à Pete Shelley, il aime bien dire que sans Marc Bolan et Michael Karoli de Can, il n’aurait jamais appris à jouer de la guitare. Il adore aussi Bowie qui n’en finit plus de citer le Velvet, Iggy & The Stooges et William Burroughs dans ses interviews.  Voilà donc le terreau dans lequel les Buzzcocks plongent leurs racines.

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             En octobre 1976, ils payent 45 £ pour 4 heures au studio Revolution, à Cheadle Hulme, une banlieue de Stockport, au Sud de Manchester. Ils enregistrent leur répertoire. Puis Pete Shelly monte New Hormones, le label du groupe, pour pouvoir sortir Spiral Scratch. Il faut un petit budget pour produire et fabriquer l’EP. 300 £ ! Ce sont les parents de Pete, Johnny et Margaret McNeish qui filent le blé. Pete dit que son père a fait un emprunt pour sortir les 300 £. Pete dit à son père que c’est une bonne idée et qu’il peut lui faire confiance - Je ne crois pas qu’il ait attendu que je le rembourse - Ils enregistrent en décembre 1976 chez Indigo, un studio 16 pistes installé dans le centre de Manchester. Ils profitent d’un prix réduit, car ils enregistrent le 28, entre Noël et le Jour de l’An. Ils enregistrent en live, mais avec des écrans de séparation - Everyone could play as loud as they wanted - John Maher indique que Pete s’est inspiré du «Canyon Of Your Mind» des Bonzo Dog Doo-Dah Band pour gratter les 2 notes de son solo sur «Boredom». La séance d’enregistrement dure trois heures. C’est vite plié. Pour la pochette de Spiral Scratch, ils choisissent un polaroid pris, nous dit Hanley, sur les marches de la statue de Robert Peel, in Piccadilly Gardens. Ils récupèrent les EPs chez le fabricant puis font des envois. Et ça marche tout de suite. Le Rough Trade shop en réclame 200. Les Spiral Scratch partent comme des petits pains. On en voit même en Normandie, alors t’as qu’à voir ! - It spiralled out of control ! - Les 1 000 premiers exemplaires sont sold-out en 4 jours. Avec l’argent des ventes, Les Buzzcocks en font represser d’autres. Howard Devoto offre une copie de Spiral Scratch à Iggy et lui dit : «I’ve got all your records. Now you’ve got all mine.» Ils en sortent en tout 16 000 ex, puis ils arrêtent les frais. Et c’est là qu’Howard Devoto jette l’éponge !

             Quand il quitte les Buzzcocks, c’est dit-il parce qu’il se lasse du train-train des concerts où on joue toujours les mêmes cuts. Et puis, il ne se sent pas aussi motivé que les autres. Pour Steve Diggle, c’est une bonne aubaine. Il passe de la basse à la guitare et ça devient autre chose, dit-il, avec deux guitares.

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             Et puis, tu vas tomber sur le témoignage de Walter Lure qui était en Angleterre à l’époque, extrait qu’Hanley tire de To Hell And Back. Walter voit les Buzzcocks sur scène et explose de rire, bon, il dit que c’était a good band, mais il est plié de rire en voyant la guitare sciée en deux, it looked ridiculous, et il jouait si fort que le chanteur était obligé de tout hurler, et en plus ils fonçaient à 200 à l’heure, it was so fucking funny. Mais Walter ajoute qu’ils vont vite s’améliorer.

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             C’est l’occasion ou jamais d’écouter un fantastique bootleg, Time’s Up, paru sur Voto quelque part dans le temps. On y retrouve les coups de génie de Spiral Scratch, of course, mais aussi une belle cover de «Can’t Control Myself». Pur jus de Chester sound, bien foutraque, mal coiffé, avec des carottes dans les cheveux. C’est là que le pah pah pah des Troggs prend tout son sens : ça devient moins poppy et plus raw des pâquerettes. Avec «Friends Of Mine», Howard nous sort son meilleur cockney strut. Fantastique dynamique ! Le cut exulte, avec la basse qui broute le pré carré. Une vraie brouette de brouet ! En B, ils pondent l’un des grands standards de punk-rock mélodique avec «Breakdown». Howard va chercher son cockney d’institut technologique et on tombe ensuite sur l’ineffable «Time’s Up» hanté par des chœurs de génie. C’est l’un des hauts lieux du rock anglais. On peut dire la même chose de «Boredom», avec son solo sur deux notes pendant que le bassmatic voyage dans sa mesure. Utter punk ! Bodum bodum ! C’est tarabusté à la basse de petite vertu alors que Pete reste sur son tili-tili-tili. Just perfect.

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             Le groupe va ensuite prendre sa vitesse de croisière. Steve Diggle est passé à la gratte et Garth Smith arrive avec sa basse. Andrew Lauder qui a adoré Spiral Scratch signe les Buzzcocks sur United Artists. Le problème c’est que Garth est colérique et il s’en prend principalement à Pete qui n’a peur de rien, ni de personne. Hanley nous emmène en tournée avec le groupe et on assiste à tout le ramdam d’une tournée punk en Angleterre, sous les crachats. Sur scène à Leeds, Garth insulte les gens. Après le concert, le groupe monte dans la bagnole pour quitter la ville et quelqu’un tape à la vitre, alors Garth baisse imprudemment la vitre et il prend un tas en pleine gueule. Paf ! Pete : «He wasn’t the world’s luckiest man.»

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             Toute la grandeur des Buzzcocks repose sur Pete et ses compos. Il crée un genre qu’on peut qualifier de fast power-pop, et qui va inspirer nous dit Hanley des tas de gens, notamment les Undertones, Ash et Green Day - L’idée n’était pas de sonner comme les Sex Pistols, dit Pete, qui redit à la suite sa passion pour Can et Neu! - C’est l’occasion ou jamais de réécouter ce qui est sans le moindre doute le meilleur album des Buzzcocks, Singles Going Steady. T’en prends plein la barbe dès «Orgasm Addict» et cette fantastique énergie de chant de délinquance juvénile. Art total et modernité fulgurante, voilà les deux mamelles des mighty Buzzcocks. Pete te singe l’orgasme, ahhhh ahhhhh, et ça débouche sur «What Do I Get», le hit fondateur de l’Occident chrétien, un hit qui repose sur la dalle d’un rumble de basse. Tu as là du pur génie civilisationnel. Pete te chante comme le roi des décadents. Te voilà une fois encore au sommet de ce que peut te proposer le rock anglais. Pete est encore plus décadent sur «I Don’t Mind», punk genius d’aïe aïe aïe. Toute l’énergie punk est là. Il amène son «Love You More» au I’m in love again, les autres font oh oh, et tu vois Pete monter son love you more au sommet de l’Ararat, alors tu fais oh oh avec les autres. Ça enchaîne aussi sec sur l’intro mythique d’«Ever Fallen In Love». Pete entre dans le chou du lard à l’émotion pure. Les Cocks buzzent encore à 100% sur «Promises», avec le fast & furious How could you ever let me down. T’es toujours au sommet du genre et t’es encore plus au sommet avec «Everybody’s Happy Nowadays», sans conteste leur plus beau hit de résonance universelle, avec le refrain du diable, l’expression pure et dure du génie atomique de Pete Shelley. L’impact de Buzzcocks est le même que celui des Beatles. «Everybody’s Happy Nowadays» est imbattable, c’est l’un des plus grands singles de l’histoire du rock anglais, avec «Arnold Layne», «Anarchy In The UK», «Jumping Jack Flash» et «Strawberry Fields Forever». Pas la même chose avec «Harmony In My Head» : Steve Diggle chante, il passe en force et il a derrière lui tout le power des Buzzcocks. Et ça repart en B en mode wild as punk avec «What Ever Happened To?», pur Buzz blow-out de Chester punk. Puis le filon va se tarir. La fin de la B est moins glorieuse. On passe à travers la plupart des cuts, sauf «Lipstick» que Pete attaque à la pointe de la glotte. Il en profite pour récupérer la carcasse du «Shot By Both Sides» qu’il a filé à Howard Devoto. Il tape ça au chat perché excédentaire. Pete Shelley est l’un des chanteurs les plus fascinants d’Angleterre.  

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             Puis il va s’épuiser, déprimer et menacer de quitter le groupe - J’étais très désillusionné. I really wanted to hit Buzzcocks on the head - it had become too much of a burden - Il existe aussi une tension entre Steve Diggle et lui : ils composent tous les deux, mais Pete passe ses compos en priorité. C’est Diggle qui compose «Harmony In My Head», mais Pete vole le show avec sa guitar line. Les tensions, oui, mais aussi tout le bataclan qui va avec la vie sur la route. Steve Diggle : «On était comme les empereurs de Rome qui ne voyaient pas que the place was burning down. We were having the orgies, and the drink and drugs, the coke binges and now it was crystal meth and the first signs of heroin.» Pendant les sessions d’enregistrement, la dope coule à flots - Cocaine, acid and heroin were the order of the day - Pete se souvient que c’était «quite chaotic. On allait en studio et on attendait que les drogues arrivent, où qu’elles fassent effet. I dropped a tab of acid every day that I worked on ‘Are Everything. I was in ‘the zone’, so to speak, on every part of that song.» Steve Diggle se souvient que le recording «was insane» - We were tripping so much we didn’t know what the fuck we were doing - Steve Garvey confirme tout le bullshit : «Bosser avec Martin Hammett était un désastre. Steve et Pete prenaient du bon temps parce qu’ils étaient totalement fucked up on all kinds of shit.» Personne ne prend la mesure de la pression que subit Pete en tant que leader du groupe. Il n’est pas taillé pour ça. Steve Garvey : «Composer hit après hit n’était pas facile pour lui, and he got into some heavy drugs.» Pete ne se rase plus et ne fait plus aucun effort pour plaire aux gens. Ils se retrouvent un jour en studio sans compos, sans producteur et Steve Diggle perd patience : «Pete allait mal, physiquement et mentalement. Je n’ai pas été surpris quand il a demandé à nous voir dans sa chambre d’hôtel pour annoncer qu’on allait prendre un an de congés et recharger nos batteries.» Belle façon d’arrêter les machines. Mais en 1981, John Maher, Steve Garvey et Steve Diggle reçoivent un courrier officiel du management : les Buzzcocks n’existent plus. Maher le prend mal et fait la gueule à Pete pendant des années. Pour Steve Diggle, c’est un coup de fourbasse et de lâche.

             Et comme toujours, après le split vient la reformation, en 1988. Même Pete est content.  Le moteur est bien sûr un gros billet. Pete et Steve espèrent alors que les 8 ans passés ont apaisé les ressentiments et éteint les volcans. Mais la tension entre Pete et Steve existe toujours. Terrible fights, dit Steve Garvey. Steve Diggle veut plus de compos à lui sur le nouvel album. Puis Tony Barber et Phil Barker entrent dans le groupe en remplacement de John Maher et Steve Garvey, démissionnaires.

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             C’est avec cette nouvelle section rythmique qu’ils enregistrent Trade Test Transmissions qu’Hanley qualifie de «most musically satisfying album» de la reformation. Il ajoute que «Who’ll Help Me To Forget» est «the best one the re-formed group ever recorded.» Mais après «Do It» et «Innocent», on devait se taper une interminable série de cuts médiocres, suivis de deux bonnes surprises : «Energy», un vrai standard punk, où Pete enfonce l’E d’Energy et soigne ses chutes, pendant que derrière les autres font oh-oh, le tout arrosé d’un killer-solo d’anthologie qui arrive en dérapage contrôlé. Puis «Crystal Night», amené par une intro monstrueuse et chanté avec une morgue épouvantable. Morceau du même niveau qu’«ESP» ou «Everybody’s Happy Nowadays», classique demented qu’on réécoute plusieurs fois d’affilée pour faire durer l’extase. Peu de groupes savent provoquer une telle excitation. Pete Shelley détient ce pouvoir magique.  

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             En 1998, ils enregistrent Modern, dont on a dit grand bien ici même en 2014, après avoir vu le groupe sur scène à Saint-Germain-En-Laye. Et puis en 2001, Steve Diggle se paye un horrible accident de scooter en Grèce qui lui abîme la main gauche, au point qu’il doute de pouvoir un jour regratter une gratte. On lui fixe un plaque dans le poignet, et ça marche. Il vient tout juste de refaire l’actu avec un autre accident de scooter : dans Mojo, tu tombes sur une photo de Steve scalpé. Il vient de se payer un nouveau scoot crash-boom ! - I had a bit of a scooter accident in Highgate - Comme il a un trou dans le scalp, il rase tout le reste - It symbolises a new start - Le onzième album est répété, il ne reste plus qu’à l’enregistrer. Juin ou juillet, dit-il. Holloway Road, mais pas chez Joe Meek. Steve profite de l’article pour dire qu’il voit arriver la fin des haricots : «I’m in the fast lane now. You can see the end of life in some ways.» Eh oui, Steve, toutes les bonnes choses ont une fin, même les Buzzcocks. S’il pense encore à Pete ? Ben oui, mais il faut avancer, dit-il. «You’ve got to keep moving, otherwise I’d be in a fucking lunatic asylum.» De toute façon, il sait qu’il va le revoir, son pote Pete - I’ll be seing him before I know it - Il annonce aussi qu’il ressort un book, ce sera le deuxième : on l’attend de pied ferme.

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             En 2014, les Buzzcocks enregistrent The Way, et Steve Diggle prend progressivement la main dans le groupe. Il compose une bonne moitié des cuts et ce sont eux qui flattent vraiment l’oreille. Pete Shelley semble traverser une mauvaise passe. Et pourtant son «Keep On Believing» qui fait l’ouverture du balda sonne comme un gros classique de power-pop à la buzz-buzz. C’est joliment roulé dans la farine de basse. Il faut dire que Chris Remington est un fucking dynamic bass master ! C’est idéal pour l’avenir du buzz-buzz. Avec «People Are Strange Machines», Steve prend la main. On voit bien qu’il ne vit que pour ça et rien ne pourra jamais l’empêcher de grimper sur scène avec sa Tele. Sacré punch. Ses compos restent incroyablement solides. Toujours du Steve avec «In The Black» et son vieux cocotage mancunéen. Il adore les sentiers battus du rock anglais. Son truc n’est pas de surprendre, il se contente de jouer du rock et d’envoyer des refrains élégants bardés de chœurs classiques. Il connaît toutes les ficelles et notamment celle du stomp qu’il sort pour «Third Dimension». C’est le stomp qu’il te faut. Steve connaît les bons stratagèmes. Brillant, efficace et venant d’un mec comme Steve Diggle, bienvenu. Pete Shelley revient au punch cockney avec «Out Of The Blue» Il n’a rien perdu de son mordant. Il sort là une belle compo un brin heavy, allumée aux riffs gras et aux remontées de teintes gluantes. S’ensuit un petit coup de génie signé Steve Diggle : «Chasing Rainbows/Modern Times» qui sonne comme un hymne. C’est amené par un beau brouet d’accords et paf, Steve nous pond le hit du disque. Édifiant ! C’est là que se niche la grandeur des Buzzcocks.

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             Et puis voilà : Pete casse sa pipe en bois en 2018, en Estonie. Alors Steve Diggle décide de continuer le groupe. Il a la bénédiction de Pete, qui est venu le trouver après l’un des derniers shows qu’ils ont fait ensemble - Il m’a dit : ‘Je veux juste me retirer, Steve. Mais je veux que tu continues. Tu as ma bénédiction.’ Et je lui ai dit : ‘Tu ne peux pas arrêter maintenant, on a encore des tas de trucs à faire.’ Ça m’aide beaucoup d’avoir la bénédiction de Pete, mais la situation est très étrange. Thing is tough. Pete est mort, et si je ne continue pas le groupe, ses chansons vont mourir elles aussi.

    Signé : Cazengler, triple Buzz

    Buzzcocks. Singles Going Steady. United Artists Records 1979

    Buzzcocks. The Way. BUZZP 001 2014

    Buzzcocks. Time’s Up. Featuring Howard Devoto. Voto

    Paul Hanley. Sixteen Again - How Pete Shelley & Buzzcocks Changed Manchester Music (And Me). Route 2024

     

     

    L’avenir du rock

    - Cosmic Trip

     (Part Two)

             Toujours intéressé par les conneries, l’avenir du rock décide pour se distraire de monter ce qu’il appelle «un coup faramineux». Il sait qu’il va dépasser les bornes, mais il y va quand même. Ceux qui l’approchent d’assez près savent qu’il est un peu caractériel, et que ça fait partie de son charme. Il part du principe qu’il faut savoir faire le con, car sinon, à quoi servirait la vie ? Pour mettre son «coup faramineux» en œuvre, il commence par se déguiser en femme. Allez hop, la perruque, le rouge à lèvres, le sous-tif bombardier, le haut minimal panthère, la mini-jupe en cuir, les bas résille et les talons hauts. Cette crapule d’avenir du rock ne lésine pas sur la décadence. Ça fait partie du jeu. Allez hop, il monte dans sa bagnole et prend la direction du motel de Norman Bates, là-bas, à la sortie de la ville. Allez hop, il se gare devant le bureau du motel. Il voit bien la maison sinistre en surplomb, avec la momie de la mère de Norman Bates derrière le rideau, à l’étage. Allez hop, il entre, cling cling, il tape sur la sonnette de la réception et Norman Bates arrive, allez hop, l’avenir du rock se fait inscrire sous le nom de Marion Crane et se suce un doigt comme s’il suçait une moule pour aiguiser la libido de Norman Bates. Allumé, Bates lui propose de partager sa modeste gamelle. La fausse Marion accepte et ajoute d’une voix frelatée et en se caressant les seins qu’elle va d’abord aller prendre une bonne douche bien chaude. «Le cul propre, telle est ma deviiiise !», glapit-elle d’une voix de délinquante juvénile. Elle voit un petit filet de bave couler au coin de la bouche de Bates. Allez hop, elle file dans la chambre en tortillant du cul, allez hop, elle commence à se désaper. L’avenir du rock sait que Bates va arriver avec son grand couteau de cuisine à la mormoille. Allez hop, il arrive, tire le rideau de douche d’un coup sec et, ahhhhhhh !, pousse un cri d’horreur, en découvrant l’anatomie de Marion Crane.

             — Mais vous zêtes pas une gonzesse !

             L’avenir du rock éclate de rire :

             — Je ne vous plais pas, madame Bates ? Profitez donc de cette belle bite !

             Norman Bates qui est déguisé en vieille ne rigole pas. Il a même l’air très con, avec sa perruque cendrée de traviole et son tablier en dentelle.

             — Ici on fait Psychose, lance-t-il d’une voix de vieille dame indignée. On n’est pas chez les tantes ! 

             — Non, Psychose, c’est fini, Norman. Ras le bol ! Maintenant, c’est Cosmic Psychose !

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             L’avenir du rock fait bien sûr allusion aux Cosmic Psychos. Il ne rate jamais une occasion de vanter les mérites d’un bon groupe. Il prend parfois des voies détournées pour parvenir à ses fins, mais le résultat est toujours intéressant. Les Cosmic Psychos sont ce qu’on appelle aujourd’hui un vieux groupe, mais par le diable, ils ont tout l’avenir du rock dans leur poche.

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             Soleil de plomb sur les quais de Seine. Pas un temps à aller voir jouer les Cosmic Psychos au P’tit Bain, mais t’y vas quand même. Et puis les Cosmic à Paris, c’est un événement. Pourquoi ? Parce que c’est un groupe qui n’a enregistré que des bons albums, souvent critiqués par les ceusses qui ne les ont pas écoutés, comme toujours. Les Cosmic sont même victimes d’un préjugé : dans des conversations, on a souvent entendu des gens les qualifier d’australobourrins, cousins des australopithèques, vagues descendants des australowilsonpiquettes des abyssinies abyssales, alors que non, grave erreur, les Cosmic ont une délicieuse tendance à sonner comme Motörhead. T’en connais beaucoup des groupes capables d’un tel prodige ? Ils font du No Sleep Till quand ils veulent. Ils sonnent comme une charge de cavalerie quand ils veulent. Ils tagadadent à travers notre imaginaire comme la Brigade Légère lancée à l’assaut des lignes russes, ils bam-balament à un niveau qu’on voir rarement, c’est-à-dire pas assez souvent, et là, t’as le vrai bam-balam, celui de Ross Knight, ce géant qui ferraille frénétiquement ses cordes de basse et qui réussit miraculeusement à contrôler son corps et à poser son chant, car les Cosmic, ça part au quart de tour et ça fonce comme un train fou, ou une Brigade légère, c’est comme tu veux. Il faut juste retenir la notion de vitesse et d’ultra-power, comme chez Motörhead. Ni punk ni hard-rock. Pur rock blast. Le blast, ils ne vivent que pour ça, comme les Lazy Cowgirls à la grande époque, comme Rocket From The Crypt ou encore les Drippers et les Coachwhips, l’un des premiers groupes de John Dwyer, comme la faramineuse Broke Revue de Dan Melchior, trois quatre et ça part. Boom !

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     T’en prends plein la barbe. Pas un hasard non plus si le batteur porte un T-shirt Zeke. Par contre, John McKeering ne porte pas de T-shirt Zeke. Il préfère opter pour un infâme T-shirt bleu clair troué et passé par-dessus une bedaine à la King Khan (en trois fois pire) et un short rouge, celui que portent les beaufs au camping de Fécamp.

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    But my Gawd, McKeering joue comme un dieu sur sa gratte trafiquée. Il ne va pas chercher forcément le Fast Eddie Clarke, personne ne peut aller chercher le Fast Eddie Clarke, il va chercher le Cosmic sound, il croise un son incroyablement incendiaire et mélodique avec les riffs que cisaille Ross Knight sur sa basse ultra-saturée.

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    C’est complètement irréel de bruit et de fureur. Gigantic, comme dirait Kim Deal. Ils livrent un set d’une violence superbe, sans jamais baisser de niveau, la qualité du set est telle qui tu comprends mieux pourquoi ce groupe est devenu légendaire. Ton imaginaire peine à suivre, mais il suit quand même, comme s’il trouvait un second souffle, et tu entres en osmose avec cette comatose incendiaire, ce mec Ross n’en finit plus de percuter les cordes qui ne cassent toujours pas, tu te demandes pourquoi, ah mais quel ferrailleur du diable, il dégouline des mains, et gratte des riffs australiens complètement inconnus, avec une étrange position de la main droite. Bel équivalent de Lemmy.

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    Et puis t’as la qualité des cuts. Ils attaquent avec «Pub» tiré de Go The Hack, leur deuxième album, l’album au bulldozer qui les résume si bien, et c’est un peu comme si la messe était dite, mais on en veut encore. Alors t’as tous ces cuts demented qu’on retrouve sur le live Slave To The Crave, «Custom Credit», «Rip & Dig», et l’apocalyptique «Lost Cause». Ils nous refont quasiment l’excellent live Hooray Fuck - Live At The Tote qui s’appelle aussi I Love My Tractor et qui pourrait bien être leur meilleur album. Nitro à l’état pur. On y retrouve le «Pub» dévastateur, Ross Knight gueule comme un Bob Mould devenu fou. Tu y retrouves aussi «Nice Day To Go To The Pub» avec un Ross on fire. Il prend «I’m Up You’re Out» en frontal. C’est dingue comme ces mecs savent tenir la distance. On pourrait qualifier leur style de «tout droit». Ou de boom-badaboom. Ou de tout ce qui te passe par la tête, tellement c’est bon, tellement ça parle à ta cervelle. Chaque cut est pulsé dans les règles du pire lard fumant. Leur passion pour le bulldozer prend ici tout son sens. Cette violence ricoche dans le son, comme le montre «Dead In A Ditch». Ils élèvent la violence sonique au rang d’art sacré. Encore une belle envolée avec «Quater To Three». Ils savent très bien ce qu’ils font. Grosse accointance avec the real deal. Les accords de McKeering rayonnent dans la chaleur du blast. Chaque cut sonne comme une invasion barbare. Ils cherchent chaque fois le maximalisme de la violence sonique et parviennent à la maîtriser pour en faire une sorte d’anti-art radical, comme le fut Dada en son temps. Et ils terminent leur set avec «David Lee Roth» - Suck me off ! - Puis ils se tournent, baissent leurs frics et te montrent leurs culs.

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             Par contre, ils ne tapent aucun cut de Mountain Of Piss, leur dernier album. Coup de pot, il est au merch pour un billet de 20 alors qu’il en vaut 100 sur Discogs. Commence par retourner la pochette, et tu reverras leurs culs, tels qu’ils les montrent juste avant de quitter la scène. En plus, l’album est sacrément bon, t’as dans les pattes un big album de power trio : magnifique son de basse et beurre du diable de Dean Muller. «Accountant Song», c’est en quelque sorte l’intraveineuse du diable. Ils te grattent «Bleeding Knuckles» sous le boisseau de la fuzz bass et John McKeering ramène ses power-poux. C’est d’ailleurs lui qui chante «Dickson» - I’m going down to Dixon/ I know you come in with me too - Et ils bouclent leur balda avec la belle descente au barbu de «Dunny Seat». Fabuleuse accroche, le riff ne te lâche plus. C’est vraiment digne de Motörhead. Ils te collent le morceau en ouverture de la B des cochons. T’as l’impression d’écouter un rock très ancien, très établi, avec son odeur de salle et sa clameur anglaise. C’est ce qu’on appelle le fumet britannique. S’ensuit un «Munted» embarqué au tagada de Dean Muller et Ross Knight attaque «Rude Man» à la basse fuzz. Crois-le bien, le vieux Ross sait driver un beat. Les trois larrons partent ensemble sur «Sin Bin». Quelle énergie et quel power !

     Signé : Cazengler, Comique Psycho

    Cosmic Psychos. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 28 juin 2024

    Cosmic Psychos. Mountain Of Piss. Go The Hack Records 2021

     

     

    Inside the goldmine

     - Homérique Homer

             Les souvenirs d’Homais remontent à loin, environ cinquante ans. Nous ne savions pas qui était ce mec assis au fond de la pièce, dans la pénombre. Il ne parlait pas. Il portait des lunettes, une tignasse bouclée bien fournie et des vêtements noirs. Il s’entourait de mystère, ce qui n’est pas toujours très indiqué, lors de premières rencontres. On peut mal interpréter ce mystère et le voir comme du mépris. Les quelques personnes rassemblées dans la pièce papotaient gaiement. Homais gardait le silence. Personne n’osait s’adresser à lui. Le cirque dura un bon moment, jusqu’à la tombée de la nuit. Vint l’heure de quitter les lieux et en descendant les escaliers menant à la rue, nous échangeâmes quelques sarcasmes :

             — C’est qui cet abruti qui dit rien ?

             — Chais pas. Un super con.

             — L’a dû être un serpent dans une vie antérieure.

             Nous apprîmes un peu plus tard qu’il s’appelait Homais, comme le pharmacien de Flaubert. Comme il s’était maqué avec l’une des frangines de la smala. On fut amené à le croiser ici et là, mais il affichait toujours le même genre d’attitude, s’ingéniant à battre froid et à éviter méthodiquement toute amorce de conversation. Il cultivait l’antipathie avec un naturel désarmant et on s’amusait presque de voir son visage se transformer comme celui du portrait de Dorian Gray. Il devint rapidement affreusement laid, son vissage s’affaissait sous une épaisse broussaille de cheveux d’un gris très sale, et derrière des lunettes à grosses montures noires, ses gros yeux cernés brillaient d’un éclat reptilien. Il inspirait une sorte de répulsion. Pour parfaire ce panorama cauchemardesque, il portait en permanence une barbe de trois jours qui valorisait jusqu’au délire une bouche horrible, rouge et tordue. À l’instar du pharmacien de Yonville, Homais exerçait un métier de santé publique : gynécologue. C’est par le torche-cul local que nous apprîmes la fin logique de l’histoire d’Homais. Comme toutes ses clientes passaient à la casserole et qu’il les menaçait pour qu’elles gardent le silence, elles décidèrent de se venger. On retrouva Homais occis dans son cabinet, ligoté sur le fauteuil gynécologique, sans pantalon. On lui avait coupé sa petite paire de couilles pour la fourrer dans sa bouche rouge et tordue. 

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             Inutile d’ajouter qu’Homais se situe aux antipodes d’Homer. Encore une fois, l’analogie systémique permet de rapprocher les destins pour mieux les opposer. Homer ? Il s’agit bien sûr d’Homer Banks, personnage légendaire aux yeux des amateurs de Northern Soul et de Soul tout court. On croise Homer à tous les coins de rue, surtout sur la belle compile Wrap It Up, qu’Ace consacre au prophète Isaac. Homer est donc un blackos de Memphis. C’est Miz Axton qui l’embauche pour composer des cuts chez Stax. Homer va composer «A Lot Of Love» que va pomper goulûment le Spencer Davis Group («Gimme Some Loving»). Homer compose pas mal de hits pour des tas et des tas de gens infiniment respectables, notamment les Staple Singers.

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             Pour se faire une idée précise du talent fou d’Homer, le plus simple est encore d’écouter un bon Best Of, l’excellent Hooked By Love - The Best Of Homer Banks, paru en 2005. C’est le coup de cœur immédiat, dès «Hooked By Love», eh oui, Homer chante au gut de raw, il crée son monde à l’Hook. Encore une énormité avec «60 Minutes Of Your Love», il tape ça au heavy raw de r’n’b, il est à la fois explosif et éclatant, c’est l’école Stax. Il s’intéresse encore à l’amour avec «A Lot Of Love», et crée le fameux riff de «Gimme Me Some Loving». Cette pétaudière est typique d’Homer. Plus loin, tu vas croiser «Round The Clock Lover Man», il reste très classique, très Staxy, pas loin de Sam & Dave, pour lesquels il a d’ailleurs composé. Il fait du pur hot de Staxy pour Tobrouk. Ce démon d’Homer des Caraïbes génère du pur jus de raw, son r’n’b accroche bien («I Know You Know I Know», «I’m Drifting»). Il sait encore se montrer fabuleux d’explosivité avec «Sometimes It Makes Me Want To Cry», ah il faut voir comme il t’explose le sometimes, c’est incroyable de down the drain. Il se vante ensuite d’être un «Lucky Loser» - I’m a lucky loser/ Yes I am - Homer, c’est la crème de Stax. Il utilise le wild r’n’b pour poser la question : «(Who You Gonna Run To) Me Or Your Mama ?». Il veut savoir : alors, tu vas chez ta mère ou chez moi ? Homer restera dans les mémoires comme le prince du pré carré. Pas n’importe quel pré carré : celui du raw.

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             Il existe un autre album qu’Homer enregistra en 1977 avec son pote Carl Hampton, sous le nom de Banks & Hampton, le fameux Passport To Ecstasy. Ils adorent la Soul des jours heureux, comme le montre l’excellent morceau titre. Ils se complaisent aussi dans le heavy satin jaune, comme le montre «Believe». On y assiste à un joli développement de chœurs de gospel. Sur la pochette, on les voit porter des beaux costards et des bagouzes. En B, ils passent au big r’n’b avec «We’re Movin’ On». Just perfect. Ils reviennent à la Soul des jours heureux avec «Get On Up Shake Some Butt», c’est un dancing groove bien violonné à la Barry White, très chaud et très back, puis ils tapent en plein Barry White avec «Loving You». Ils s’enfoncent à deux voix dans le lard du groove magique.

    Signé : Cazengler, Banks postale

    Banks & Hampton. Passport To Ecstasy. Warner Bros. Records 1977

    Homer Banks. Hooked By Love. The Best Of Homer Banks. EMI 2005

     

     

    Ebo est beau

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             On l’attendait comme le messie de l’Afro-beat. Ebo Taylor est arrivé sur un fauteuil roulant, poussé par son fils Henry. Dès le début du concert, ça sentait la fin des haricots. Le pauvre Ebo n’est plus que l’ombre de lui-même.

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    Dommage, car autour de lui joue l’un de ces fabuleux orchestres d’Afro-beat dont l’Afrique, et le Ghana en particulier, ont le secret. Si tu veux groover, c’est là. Certainement pas chez les punks. L’Afro-beat ghanéen est aussi joyeux et propulsif que celui de Fela Kuti au Nigeria. D’ailleurs Ebo et Fela se connaissaient bien, d’après ce que raconte Wiki, la pipelette du village. C’est le fils Henry qui mène la sarabande aux keyboards, le fils William qui gratte une basse cinq cordes, et le fil Roy X qui gratte des poux délicieusement liquides sur sa demi-caisse. Ils sont tous magnifico. Ils créent un monde et t’es là pour ça.

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             Mais ça ne se passe pas comme tu l’avais imaginé. Le spectacle est terrible car tu as d’un côté cette effarante source de vie, et de l’autre un vieil homme aux portes de la mort, prostré dans son fauteuil, qui n’a même plus la force de chanter dans le micro installé devant lui. C’est la première fois qu’on voit la vie et la mort ainsi rassemblées sur scène. Du coup, ça donne au set un cachet particulier. Paradoxalement, le côté tragique n’apparaît pas chez les Africains, c’est autre chose. On a l’impression que le fils Henry fait du business, il n’en finit plus de sortir son père Ebo de sa torpeur. C’en est presque comique. Chez les blancs, ce serait révoltant.

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    Chez les blacks, c’est cocasse. Incroyablement cocasse. Et pendant que cette farce se joue sous nos yeux, l’orchestre tourne comme un gros moteur exotique. Le black aux percus bat tout Santana à la course. Au fond, t’as un black qui bat un beurre virulent et même inexorable, et de l’autre côté deux mecs aux cuivres qui font un véritable festival, surtout le tromboniste qui passe des solos hallucinants de swing. T’en reviens pas de voir des cakes pareils sur une scène normande ! À la vie à la mort ! Cette fois on est en plein dedans. Seuls les Africains peuvent te proposer un cocktail aussi capiteux. 

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             Palaver ? Tu peux y aller les yeux fermés, si t’aimes l’Afro-beat. C’est le dernier album en date d’Ebo qui chante au revienzy de paradis africain. Ces mecs groovent comme des anges du paradis. C’est un peu comme si t’arrivais à la fin du mythe et que tu découvrais un monde. Il faut le voir l’Ebo groover son «Make You No Mind», cette belle Africana gorgé de cuivres et de poux miraculeux. Et puis tu as ces extraordinaires solos de sax et de trompette. Tu ondules des hanches sur «Abebrese». Te voilà dans la cour des miracles, alors tu tortilles du cul. Le riff d’orgue est assez punk, avec une incroyable verdeur de la clameur sourde. Elle te brise le cœur. Supremo groovyta ! L’Ebo chante «Nyame Dadow» dans le creux d’un chou-fleur étincelant, tu ne le quittes pas des yeux, l’Ebo, il chaloupe avec les copines. L’Ebo et ses blackettes donnent une idée assez juste de ce que pourrait être le paradis. Tout y est facile et doux, et tu sens monter en toi la petite marée de bien-être.

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             Si tu tapes au hasard dans sa discographie, tu vas tomber sur Appia Kwa Bridge, un album au son plus dur, qu’on pourrait qualifier d’heavy Africana. Il y durcit le ton. On s’attache plus particulièrement à «Yaa Ampensah». L’Ebo fouille le beat de l’Afrobeat avec des poux délicieux. Il colle bien au papier. Quel cake ! Sa mélodie chant est un enchantement, l’Ebo est un orfèvre, un artisan de la victoire. Et puis quand tu écoutes «Assondwee», tu réalises qu’il s’agit là du Black Power originel. Te voilà à la source du fleuve. Il a derrière lui tous les pouvoirs, t’as même le solo de jazz liquide. Mais c’est avec le morceau titre qu’il groove to the max. Il redore le blason de l’Afrobeat, avec toute la belle clameur du continent noir. Tu ne bats pas ça, Sam.

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             Oh et puis, t’as Yen Ara, avec ce beau portrait d’Ebo sur la pochette, sous son petit chapeau. Ses fils Henry et Ray X sont déjà là. Les percus du diable aussi. Quelle majesté ! Coup de génie avec «Mumudey Mumudey». L’enfer, c’est l’Afrobeat. T’as pas idée ! Droit au cerveau. L’Ebo groove des hanches et toi aussi. C’est la clameur des origines. Excelsior + solo de trompette = big bang originel. Demented, baby ! Mudy/ Mumudy ! Ebo a le diable au corps. Il te groove le squelette et un solo de sax arrive en dérapage contrôlé dans l’Afrobeat, t’as en plus tous les congas de Congo Square, ça sort tout droit des forêts inexplorées. Encore du fondamental avec «Krumandey». C’est effarant de revienzy. Ebo y va au call my name. Percus + solo de trompette, toujours pareil. Hey les garagistes, prenez des notes ! Ebo fait du bon boulet et un certain Justin Adams groove sa Jazz Guitar.

    Signé : Cazengler, ÉpaBo

    Ebo Taylor. Le 106. Rouen (76). 14 mai 2024

    Ebo Taylor. Appia Kwa Bridge. Comet Records 2012

    Ebo Taylor. Yen Ara. Mr Bongo 2018

    Ebo Taylor. Palaver. BBE Africa 2019

     

     

    Evil Ghost Woman

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             Ghost Woman en concert, pas forcément le bon plan. Tu vois arriver sur scène deux nouveaux candidats au désastre, le Canadien Evan Uschenko et sa compagne Ille. Duo. Doom. Johnny casquette. Va pas bien. Zéro contact avec un public clairsemé. Cherche des noises à la noise. Elle bat un beurre métronomique. Vise l’hypno. T’es pas Can, baby. Mais elle persiste et signe. L’hypno. La fête à Nono. Hyp hyp hyp pas hourrah. On croirait voir les Kills. Aussi insignifiants. Au bout de cinq six cuts, tu ne sais toujours pas ce qu’il faut en penser. Du bien, du mal. Tu vas devoir faire ton Nietzsche et trouver une solution par-delà le bien et le mal. Trouve. Vite, car le temps passe.

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    Alors focus sur la gratte. Il gratte des poux intéressants. Tu t’intéresses. Tu fais ce qu’on appelle en langage pédagogique un focus de faux cul. Tu te forces. Mais tu restes sur l’impression que ces duos font tous la même chose. Ils montent leur soupe en neige. L’Evan groove à l’intérieur de sa neige de soupe. Il sait traîner un solo dans la boue sibérienne. Tu admires sincèrement quelques éclairs lumineux. Tu dis bravo aux éclairs. Et tu te réjouis à l’avance, car tu vas les retrouver sur Hinsight Is 50/50, qui est leur troisième album, celui qui est promu pour la promo à Nono. La promo à Nono vaut mieux que la fête à Neu-Neu, pas vrai ?

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             Ils portent bien leur nom. C’est vrai qu’ils ont quelque chose de fantômal. Hyp hyp hyp hypno, des fois ça prend. Comme ils bénéficient d’un bon buzz, ils en profitent pour rallonger la sauce de la soupe en neige. L’Evan gratte quelques incursions sauvages. On le voit aussi noyer ses portées dans la disto. On a parfois l’impression d’entendre du vieux rock indé des années antérieures. En attendant, il navigue dans ses Sargasses. Gros son, c’est vrai, mais zéro modernité. Inventer la roue ou le fil à couper le beurre, ça ne l’intéresse pas. Nos deux Ghosts sortent parfois les muscles, mais nul ne sait où ça les mènera. Il n’empêche qu’ils y vont de bon cœur. Foncer, ça ne leur fait pas peur. L’Evan sait foutre le feu. Sous la casquette se planque un petit pyromane. Son truc, c’est le Big Atmospherix. Tu fais des efforts pour le prendre au sérieux. Ça veut dire que sa musique ne s’impose pas automatiquement. Il faut attendre une heure pour adhérer au parti. L’Evan cultive un goût particulier pour les apothéoses abyssales. Ils bouclent leur set avec ce qui pourrait bien être «Buick», un fabuleux groove hypno qu’Ille bat au tom bass à la tension extrême. Là oui, ça devient faramineux. Il y va au I’m sacred of myself/ And everyone else, c’est assez Velvet dans l’esprit. Te voilà convaincu in extremis.   

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             Sur Hinsight Is 50/50, c’est elle qui chante «Ottessa», et ça vire electro-pop de girl group. Alors ça flirte avec le juke ! Le morceau titre est solide comme un morceau titre d’albâtre, et son «Juan» vire en bouquet d’apothéose. Il sait ménager ses effets. Le hit de l’album est bien sûr «Buik», un pur hommage au Velvet.

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             Leur premier album sans titre date de 2022. Rien d’écrit nulle part dans le digi. Tu te débrouilles avec le son, Sam. L’Evan ne vit que pour l’entre-deux eaux, celui qu’on a déjà entendu des milliers de fois. Il frise un peu le Steely Dan dans «All The Time», ce qui vaut pour un compliment. Et sur «Do You», il fait son Oasis. Globalement, l’Evan ne t’apprend rien. Il se contente d’exister. Mais tu t’ennuies toujours quand tu n’apprends rien. Le dernier album des Pink Fairies (Screwed Up) et les deux Third Mind que tu écoutes le même soir t’apprennent des choses. Pas l’Evan. Il ne cherche pas à créer la surprise. Il reste dans la charité bien ordonnée, comme sur scène. Puis l’album finit par se réveiller avec «Behind Your Eyes», plus psyché et plus insidieux. Même assez persuasif. Il bouffe à tous les râteliers, mais dans son cas, ce n’est pas un reproche. Il ramène sa petite gratouille dans le fond du tatapoum d’«All Your Love». C’est assez boom boom et plutôt bien vu, assez Velvet tordu dans l’esprit. Beau vertigo ! Et le «Screaming» qui suit est assez bien foutu, groovytal, inspiré et serpentin. Alors là, ouiiiiiiiiiii ! (avec une voix de femme au moment fatidique).

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             Anne If paraît un an plus tard. Et bien sûr, c’est leur meilleur album. Pochette inerte, pas d’infos, pas de rien, juste un track-listing au dos. Débrouille-toi avec le son. Il arrive très vite avec un «3 Weeks Straight» bien lesté de plomb. Ça frise même l’heavy stomp ghosty. Easy going ! Beau et puissant à la fois. L’Evan adore gratter ses poux. Il ne vit que pour ça. Il se joue dessus dans «Broke», il fait ses layers. C’est elle qui vole le show dans «Street Meet», elle bat ça si sec, elle tend bien l’hypno à nœud-nœud. S’ensuit un «The End Of A Gun» bien claqué du beignet. C’est vraiment excellent. Tu te régales. L’Evan graisse les trames d’«Arline» et surveille ses arrières. Il combine ses ambiances dans «Down Again». Un bon esprit règne sur cet album, ce que vient encore confirmer «Tripped». Cette fois il sonne comme Lanegan, il traîne la savate dans le gutter, il réussit une grosse opération d’osmose avec la comatose. Bravo !

    Signé : Cazengler, Ghost Ridé

    Ghost Woman. Le 106. Rouen (76). 22 mai 2024

    Ghost Woman. Ghost Woman. Full Time Hobby 2022

    Ghost Woman. Anne If. Full Time Hobby 2023

    Ghost Woman. Hindsight Is 50/50. Full Time Hobby 2023

     

    *

    Une odeur désagréable émane de la boîte aux  lettres. Le facteur facétieux aurait-il vomi dans le coffret aux missives. Non, ce n’est la fragrance imbibée d’alcool de ces échappées stomacales que dans mon Ariège natale l’on nomme un renard. Analysons, se dégage de cette émanation pestilentielle une senteur fortement poivrée, cela me dit quelque chose, et hop en une fraction de seconde mon cerveau restitue la scène, je suis en quatrième et sur l’estrade de la salle de musique, en train d’interpréter Si tu n’étais pas mon frère (je crois bien que je t’aurais tué) d’Eddy Mitchell, la voix du prof s’élève : je n’ai jamais aimé Les Chaussettes Sales !

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 30

    JUILLET  – AOÛT – SEPTEMBRE (2024)

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             Les voici ! Non pas les sales, les Noires ! Avec Eddy Mitchell ! Jean-Louis Rancurel frappe un grand coup. Huit pages de photos inédites ! Les mythiques années 60, du début des Chaussettes à leur lente désagrégation, service militaire obligatoire… Rancurel raconte, factuel et réfléchi, nous on zieute les photos, le grand Schmoll, tout jeune, presque freluquet, belle prestance sur scène, s’affirme, devient un monsieur, prend de l’aplomb au fur et à mesure que le vedettariat le change… et puis l’on apprend des choses, Maryse Lecoultre, indispensable cheville ouvrière du magazine qui habitait à Noisy-Le-Sec, lieu de résidence d’Eddy et sa famille… flash-back personnel, une collègue de qui travail (voici plus de quarante ans, son prénom m’échappe) qui gamine habitait à Noisy, mitoyenne de la maison d’Eddy, qu’elle a bien connu par qui j’ai appris qu’Eddy avait un frère… J’ai été un grand fan d’Eddy pendant ma jeunesse, merci à Jean-Louis Rancurel. Belle idée cette série de documents inédits sur les pionniers du rock français, grâce à Jean-Louis Rancurel s’établit un beau trait d’union, une sorte de passage de témoin entre Rockabilly Generation et Disco-Revue la première revue de rock française…

             C’était un nom, une référence, on le citait avec respect, même si l’on n’avait pas entendu grand-chose de lui, un as de la guitare, une espèce de totem protecteur, on savait qu’il existait et cela nous faisait du bien, dur de le retrouver sur la page de gauche dès que l’on ouvre la revue, sur la photo l’est tout jeune, Duane Eddy nous a quittés fin avril de cette année, plus loin une page lui est consacrée, on apprend l’importance de Lee Hazlewood pour le début de sa carrière… On était gamin, il suffisait d’entendre le nom de Duane Eddy, qui sonnait si américain, que l’on comprenait que le rock’n’roll venait de là-bas…

             Julien Bollinger, celui qui a rédigé les deux numéros spéciaux sur Elvis, évoque Bob Wills, un pionnier d’avant les pionniers. L’est né trente ans avant Elvis, celui-là l’a fallu attendre longtemps avant d’épingler son nom, de déchiffrer quelques paragraphes et entendre sa musique, le roi du western swing, un musicien expert, lisez Julien Bollinger, en deux pages (avec photos) il vous dévoile tout un monde, another place, another time comme dirait Jerry Lee Lewis, plus près des racines…

             Vous en avez assez des vieux mecs, voici une jeune femme. Lil’Lou, elle se raconte, une belle personne, physiquement certes, mais surtout le regard qu’elle porte sur la musique, la country, le honky tonk, le hillbilly, le western swing, le rockabilly, la vie, les êtres humains, sa fille, son chat. Bien sûr elle évoque longuement son groupe les Cactus Candies, qu’elle fonde en 2015 avec son compagnon  Jull le guiar-hero de Ghost Highway, groupe qui évolue, qui permet des rencontres et des découvertes… Une grande chanteuse, ouverte à tous les styles, écoutez-la avec son ancien groupe les Pathfinders, vous découvrirez le rhythm and blues comme jamais aucune autre fille n’a  su le chanter par chez nous, ce n’est pas une star, une sensibilité, une personnalité, elle donne l’impression d’habiter en elle-même… Un être debout.

             Aïe ! Aïe ! Aïe !  Deux festivals, Good Rockin’ Tonitght (Bourg-en-Bresse), Boogie Bop Show (Mesnard-La-Barotière / Vendée), quand vous voyez les deux programmations, des jeunes, des vétérans, de tous les pays, vous regrettez de n’y être pas allé, les photos de Sergio vous font baver d’envie, vous êtes sûr que vous avez raté quelques concerts inoubliables. Pourquoi donc ces trois Aïe ! en début de paragraphe ? A  cause de ce magnifique printemps pluvieux ! Pas de panique, grosse humidité dehors, hot and dry dedans ! Par contre beau temps à Rock in Berry, in Toury.

    Voilà, c’est tout ! Non pas du tout ! une nouvelle chronique sur la dernière page, Good Rockin’ News, le Teddy Cat’s Rockabilly Live, vous ne connaissez pas, achetez la revue, lisez la revue et vous saurez ! En plus ils viennent de fonder un label : Teddy Cats Records !

    Numéro trente, sept ans d’existence, revue de plus en plus excitante !

    Merci à Sergio Katz et à toute l’équipe !

    Damie Chad.

    1. S.: n’en voulez pas à mon prof de musique, plus tard il m’a tiré des pattes du Surveillant Général, ce qui m’a permis d’éviter de sérieux ennuis !

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  6 Euros + 4,30 de frais de port soit 10,30 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 38 Euros (Port Compris), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( Rajouter 1,10 € ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites surtout pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! 

     

    *

    Sixième album enregistré par Eric Calassou sous le nom de Bill Crane. Bill Crane fut le nom de son groupe du temps où il habitait en région parisienne. Qu’il a quittée pour s’installer en Thaïlande. L’a passé plusieurs années à faire des photographies. Ce qui devait arriver arriva. La tarentule du rock’n’roll l’a repris. Devait être cachée sous les cordes de sa guitare qu’il a un jour effleurée sans y penser. Hélas l’antique malédiction du rock’n’roll lui est retombée  dessus. Que voulez-vous, rocker un jour, rocker toujours. Nous avons pris l’habitude de chroniquer ses nouveaux moreaux, EP’s et albums. Nous avons laissé passer le cinquième, nous en reparlerons à la rentrée prochaine.

    Une démarche particulière, un homme seul face à tout le passé et tout le futur du rock’n’roll face à lui. Une œuvre souterraine qui creuse ses galeries très profond, le passé est une terre friable modulable à volonté et le futur un roc impénétrable. On ne ruse pas avec lui, on l’use avec obstination.

    CRACKIN’UP

    BILL CRANE

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    La pochette est une photographie d’Eric Calassou. Ne dites pas : c’est quoi au juste ce truc ? Eric Calassou ne représente pas les objets, il ne les donne pas à voir, pour cela vous avez vos yeux, il vous les pose sous le nez, de si près que vous ne les reconnaissez pas, c’est à votre cerveau non pas de les reconstituer, mais de les restituer dans le mystère de leur apparence. Eric Calassou vous envoie deux messages, le premier vous caresse dans le sens du poil : rien n’est simple. Le deuxième vous prend un peu à rebrousse-poil : rien n’est plus simple que vous. Un peu vexant pour la condition humaine, je vous l’accorde.

    Come along : rien à voir avec le Come Along des Variations, si ce n’est qu’avec le rock c’est comme avec les pièces de base du Lego, tout le monde a les mêmes, mais chacun, dès qu’il s’écarte des modèles proposés en fait ce qui le différentie des autres. Une boîte à beat pour que chacun reconnaisse les battements des pattes de l’alligator qui s’approche de la rive, et la guitare qui s’abat sur vous comme un couperet de guillotine qui prend tellement de plaisir à vous trancher la tête qu’il vous découpe en tranches fines comme si vous étiez un jambon d’York, ensuite vous avez le trio de base qui entreprend sa parade nuptiale, la baby et le gars qui se fait tout sucre pour que la baby s’approche de lui, celui qui mène la danse c’est le désir, se pose où il veut quand il veut, alors le gars s’énerve sur sa guitare, et sa voix se liquéfie comme du sperme. Tout le drame métaphysique de la rock’n’roll solitude, le caméléon qui attend que la mouche se pose près de lui pour tirer la langue. Cracking up : Crackin’ up est aussi un titre de Bo Diddley, un des pionniers, élémental,  sémental et fondamental, l’a été repris par les Stones, écoutez sur Love You Live, pas tout à fait un hymne féministe mais nécessaire pour la sauvegarde viriliste. C’est la suite du précédent. L’acte  II. Le I n’a rien donné, alors le beat (je devrais écrire ce mot au féminin) devient plus obsédant et angoissant, il insiste, fait son baratin, sifflotements et sifflements, l’en remet une couche, le désir bleu triste vous peint la vie en rose tendre, quand il sait plus quoi dire, il fait la-la-la, de toutes les façons elle a compris, aux modulations finales, l’est arrivé au bout de sa faim. Party : si l’on devait me donner un dollar chaque fois que l’on rencontre le mot party dans les lyrics du rockab, je deviendrais riche. Pas de panique c’est du rock’n’roll, l’on vous montre tout, l’on ne vous cache rien. Coït intégral, le mec a allumé son portable et les copains l’entendent prendre son pied en direct. Un petit groove de guitare guilleret, l’on ne voit rien, mais le troisième œil fonctionne  à fond. D’ailleurs le gars à fond, fond de plaisir.

    Am so : le retour de l’égo, deux c’est bien, un l’on est davantage soi. Âmes sensibles s’abstenir. Guitare glauque, la bête se réveille, croyez-vous que ce soit un hasard si des chiens poussent en douce des aboiements cerbériques, le vocal épouse toutes les nuances de la folie. Pas douce du tout. Ce n’est plus l’amourette c’est l’amou-rets. The killer awoke au moment où l’on s’y attend le moins. Le conte à l’eau de rose se termine en pulp fiction. 100 % Rock ! Une guitare cinglante est-elle obligatoirement une guitare sanglante ? Dance pretty baby : bien sûr surgit dans notre mémoire Pretty Pretty Baby de Gene Vincent, la mémoire des rockers est une brocante, à tous les stands l’on trouve un truc intéressant. Après le drame, retour à l’innocence, le rock‘n’roll est une pirouette, un pied de nez gesticulatif que la jeunesse adresse au vieux monde fossilisé. Tout dans le vocal, qui ne tient pas laisser sa place aux castagnettes de la guitare, la voix est profonde et grave. L’est vrai que souvent l’on danse sur un volcan. Come around the world : Normalement le rock c’est around the clock, quand il délaisse sa pendule pour faire le tour du monde, c’est qu’il y a un lézard dans l’horloge. Le même morceau que le précédent. C’est-à-dire complètement différent. Ici la musique à son importance, elle en deviendrait presque lyrique dans l’intro, le vocal ne brigue pas la première place, vient de loin, n’a pas le regard porté sur l’objet de ses convoitises, l’est déjà teinté de nostalgie. Dancin’ in the world : les cats sont comme des chats, des animaux nyctalopes, ils aiment l’ombre, dans le noir tout est permis, l’est nécessaire pour voyager jusqu’au bout de la nuit.  Guitare clinquante et persuasive, un vocal couleur de serpent qui ondule, chargé d’attrait et de mélancolie, yodle en douceur et en continu, tentant et inquiétant. The strange case of Mr Edward : je  me permets d’attirer votre attention sur l’architecture secrète de cet album, 3 + 1 + 3 + 1, à chaque fois une trilogie, désir pour la première, danse pour la deuxième, suivie d’un épilogue dramatique : Oui le cas de Mr Edward n’est pas commun, un individu qui bouffe ses mots, l’a du mal à s’exprimer, de lui émanent d’étranges et plaintifs chevrotements ou d’inusuels borborygmes, parle tout seul car il a l’air de penser qu’il est le seul à pouvoir se comprendre, comme par hasard l’on entend le chien qui aboie sur Am so, le genre de gars que vous n’aimeriez pas rencontrer la nuit, par contre écouter ce morceau vous procurera de douteuses sensations dont vous ne pourriez  dire qu’elles n'éveillent pas en vous de troubles aspects de votre personnalité que vous refoulez au plus profond de vous.

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    The vault of horror : d’après Wittgenstein le philosophe : ce que l’on ne peut dire, il faut le taire, vous ne saurez rien du passage à l’acte de Mr Edward sous la voûte de l’horreur, ce morceau est un instrumental : une guitare qui résonne comme une intro de film policier américain, une poursuite à tombeau ouvert, elle dépasse à peine les deux minutes, mais déjà vous avez compris que l’affaire sordide ne vous sera révélée qu’à la fin du film. Pas d’images, vous êtes obligé de construire votre propre scénario… L’eau à la bouche et rien à boire ! Save my soul : j’ai toujours douté des gens qui ont besoin de quelqu’un pour sauver leur âme, comment peuvent-ils être sûrs d’avoir une âme, cela me semble bien présomptueux : l’appelle sababy pour qu’elle lui rende service, y a comme un broutement de trombone sur ce morceau, rien que pour ce bruit de basse il faut l’écouter, le gars bêle après sa babe, la guitare semble se moquer de lui, normal celui qui demande de l’aide est un faible. Close my eyes : sortez votre mouchoir, c’est la dernière bobine, celle qui est censée vous faire pleurer ou réfléchir. Généralement les spectateurs jugent la deuxième opportunité trop difficile :  this is the end beautiful friend, la guitare vous plante des petits motifs émotifs dans tous les recoins émojiques, le gars fait son examen de conscience, se prend un peu pour Tommy des Who, fait son cinéma, son dernier film, que regrette-t-il au juste, sans doute lui-même, on ne peut pas lui en vouloir, on ferait, on fera, de même. Dancin’ : générique de fin, la musique plus forte. Que la vie. Que la mort. C’est un peu comme si le film recommençait au début. Avez-vous déjà vu un truc qui finit vraiment. En tout cas les albums de rock s’appellent tous : reviens !

             Superbe réussite, avec trois fois rien, une guitare et quelques bribes de lyrics éculés depuis la naissance du rock‘n’roll, Bill Crane vous rejoue la funeste histoire du rock’n’roll. Vous explique comment ce poulpe destructeur a étendu ses tentacules prédateurs dans votre existence. Tant mieux pour vous. Tant pis pour vous. N’en dit pas trop, préfère que chacun comprenne et raconte la légende noire à sa manière. N’oubliez pas, personne n’en ressortira vivant.

    Damie Chad.

     

    *

    Il n’y a pas de hasard. Ou alors tout est hasard. La vérité doit être entre les deux. Le problème c’est que la vérité n’existe pas. Bref mon œil est attiré par une image, tiens, on dirait une parodie des armoiries de la Grande-Bretagne. Honni soit qui mal y pense. Je lève les yeux et je sursaute, ceux qui ont lu ma recension du Volume 2 de l’Anthologie introductive à l’œuvre d’Aleister Crowley, se rappelleront que le livre s’achève sur l’influence de la pensée et du personnage de la Grande Bête sur les productions littéraires, cinématographiques et musicales contemporaines. En voici un parfait exemple.

    SPIRITUAL ARCHIVES

    OCCULT RITES I + II

    AIVVASS

    (Darkness Shall Rise Productions / Juin 2024)

    Combien sont-ils ? Sur la photo : cinq. Mais le seul qui est crédité pour l’écriture, l’enregistrement, le mix et le master : Frater Thelis. Ne m’en demandez pas plus, sur la photo ils portent tous un masque, lui est au centre, sa robe noire agrémentée d’un soleil orange et invictus dans le triangle le désigne comme maître de cérémonie. Dernier détail : folk domm metal band de Germany. Vous pouvez maintenant poser vos questions, j’y répondrai avec plaisir dans la mesure de mes moyens.

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    Pourquoi l’album est-il surtitré comme ‘’Archives’’ ? : Parce ce qu’il s’agit de la compilation de deux EP’s, le premier Rites I paru en mars 2023 et le second : Rites II paru en juillet de la même année.

    Que signifie Aivvass en langue germaine ? : Rien du tout, ce n’est pas de l’allemand, c’est le nom d’une personne un peu particulière. Si vous permettez j’éclairerai un peu votre lanterne, toutefois je ne pourrais vous apporte que de la lumière noire.

    Aleister Crowley était tranquillou chez lui, au Caire, il vaquait à ses occupations favorites qui ne sont les mêmes que les vôtres. La scène se passe le 7 avril 1904, lorsqu’il entendit une voix derrière lui. C’était Aivvass, une entité, j’emploie ce mot mais Crowley laisse entendre qu’Aivvass se matérialise sous une forme évanescente, disons pétri d’une matière instable qui ne peut se maintenir trop longtemps dans un milieu qui n’est pas le sien, bref un être venu de loin  qui lui dicta ce qui allait devenir  Le Livre de la Loi. Ouvrage qui contient la base de l’enseignement de Crowley que  lui-même jivaroïsa en une formule quintessencielle : L’amour est la loi. L’amour sous la volonté. Un mix qui selon moi est composé d’un alliage improbable puisqu’il marie christianisme et Schopenhauer. Là n’est pas le débat.

    Crowley affirmera plus tard qu’Aivvas était son propre Ange Gardien Sacré. Ne riez pas, Socrate ne se vantait-il pas de posséder son propre Daemon… Généralement on élude ce problème en affirmant que c’est l’individu qui perçoit ses auto-projections quasi-somnambuliques désiro-intellectuelles qu’il s’adresse à lui-même comme si elles provenaient d’un tiers… Parfois quand on doute que notre individu ait une quelconque influence sur la marche de l’univers, l’on résout inconsciemment (perso je réprouve la notion d’inconscient, je parlerai plutôt de ruse instinctive de notre cerveau) notre nihilisme dépréciatif en affirmant que c’est l’univers qui exerce une influence sur notre petite personne dans le but d’exercer une influence sur lui-même. L’homme qui se châtie lui-même n’est que l’autre face de celui qui s’aime bien lui-même. (Pour mieux comprendre la phrase précédente voir la livraison 651). C’est ainsi que malheureusement naissent non pas les Dieux mais les religions.

    Frater Thelis n’est pas un adepte de notre scepticisme, il prononce des rituels dans le but d’entrer en communication avec une couche éonique supérieure.

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    Aiwass : disons-le, ce premier morceau est épique, une force qui déferle sans fin, et au milieu de la survenue de cette monstruosité, une voix psalmodiante et hachée qui énonce l’appel qui a déclenché l’avalanche sonore. Cela s’appelle aussi chevaucher le tigre. Satan : changement sonore, après le Metal grondant, la guitare néo-folk, le récitant n’invoque pas le Satan de la Bible, il invoque le Satan de la Bible, celui qui a appris à l’homme qu’il n’est qu’un Dieu, terrible dualité de cet Adversaire du Dieu unique qui est un libérateur, les Dieux sont au-delà du Bien et du Mal, est-ce pour cela que les passages violents alternent avec les plus doux. Satan n’est qu’un des visages d’Aivvass.

    Baphomet : laissons de côté l’idole hideuse que les Templiers étaient censés adorer ou alors tournons-la en son contraire, un être de lumière, la beauté de l’orchestration, le chant angélique, tout nous révèle que nous sommes en présence d’une êtralité parfaite qu’aucune dissociation ne saurait fragmenter, le couple alchimique réuni en un seul être androgynique.  Lucifer : le porteur de lumière, celui qui a libéré Crowley, une autre image d’Aivvas, il est celui qui a su s’opposer, celui qui détenait le savoir primordial, un double de Crowley, son Ange Gardien et quelque part Crowley lui-même. La musique allie sérénité et puissance, une antinomie kantienne spirituelle en action que rien jamais n’arrêtera.

             Etrange, à première écoute de cet EP s’est établie une connexion dans mon cerveau avec Eloa, la sœur des anges d’Alfred de Vigny, à priori rien à voir, si ce n’est de loin, des années que je n’ai pas relu ce texte, mais voici que je tombe ce matin sur une vidéo de Darkness Shall Rise Production consacrée au morceau Lucifer, et tout de suite la corrélation avec Eloa me revient à l’esprit. Je vous laisse libre de tenter l’expérience !

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    Un regard sur la pochette du premier EP, un seul être, et rien ne vous manque, ne possède-t-il pas tous les symboles, et n’est-il pas pour cela en lui-même un symbole, l’œil, l’épée, le serpent, les ailes angéliques et les cornes du diable. Tout le contraire de la deuxième, la sainte trinité en quelque sorte, Aivvass se dialectiquise, pour le personnage du milieu, ne dites pas : ‘’Je le connais c’est le Christ !’’, ce n’est pas tout-à-fait lui, l’est-là en tant que symbole représentatif d’Osiris, le dieu qui est mort (et ressuscité), la mort des Dieux correspond au changement d’ère. Crowley est persuadé que le message délivré par Aivvass annonce la fin de l’ère Chrétienne à laquelle doit succéder l’ère d’Horus, non pas l’ancien dieu égyptien mais celui engendré par la Nuit et le Diable. Ce nouvel Horus se trouve à la droite du crucifié, remarquez la beauté androgynique de l’effigie… A notre gauche, à première vue la Mort, peut-être le Diable. Toujours eu l’impression que chez Crowley la figure du Diable est une résurgence de son éducation chrétienne dont il n’a jamais su quoi faire dans son propre panthéon, je n’engage que moi, disons qu’il est la négativité de Ra, le dieu soleil suprême. Ne pourrait-on pas dire que les quatre rituels du premier EP sont adressés à quatre figures positives du Diable. Les Dieux sont-ils, chez Crowley, réversibles comme les symboles. Les Dieux possèdent d’autres masques que leur présentation habituelle, certains pensent que Crowley n’est qu’un monothéiste dont le Dieu porterait l’ensemble des masques de tous les Dieux créés par l’imagination humaine. Une espèce de sainte-trinité à la puissance mille.

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    Cruxificion : musique point torturée, exit le tragique, le dramatique, passion douce ! Parfait pour illustrer une vidéo champêtre sur le printemps avec les lapins qui courent dans l’herbe tendre, tout s’arrête, l’on entend les cloches sonner au clocher du village, serait-ce l’angélus, l’angélux, la lumière de l’ange. Qui passe. Witchcraft : ne pas traduire par le terme de sorcellerie très mal connoté en notre langue, la magie noire n’est pas la tasse de thé de Crowley, lui serait plutôt magick, rouge s’il fallait lui apposer une teinture alchimique. Il y a comme des reposoirs dans ce morceau, après de longues proférations dont le timbre épouse parfois une trame serpentique. L’on a l’impression que le rite s’effrite, qu’il laisse la place à une scansion transsique avant que l’écho mental du dôme créé ne retourne dans le silence. Cremation of care : il y a quelque chose de circassien dans ce rituel, l’on dirait plutôt une performance, une musique joyeuse pour accompagner  des images dévoilées au public - d’ailleurs il existe une vidéo – une manière de rappeler que si Crowley a beaucoup écrit il a aussi beaucoup peint. L’on ne connaît surtout que les images de son tarot, qui d’ailleurs ne sont pas de lui, rehaussées de couleurs vives, regardez toutes les planches, l’orange domine, non pas parce qu’il squatte un maximum de surface, mais parce qu’il miroite, il éblouit, il captive le regard, un soleil illuminatif. L’on pense aussi à la crémation finale de Crowley, comme s’il mettait une grande attention à ce que son corps, chair et esprit soit au ras de Ra. Danse de flammes. Prenez soin de brûler aussi les cendres des applaudissements. The Ghoul : reprise du groupe Pentagram : une sombre histoire d’une goule qui s’en vient faire l’amour avec les ossements d’une de ses précédentes victimes.  Le serpent se mord la queue, on se croirait un peu revenu au tout début du premier Ep, plus pour la voix que par la musique, les goules sont des espèces de vampires femelles qui se gorgent du sang et des forces vives des êtres masculins (sans exclusivité)… une manière comme une autre d’évoquer les pratiques rituelles et magickes axées sur la sexualité prônées et expérimentées par la Grande Bête. L’esprit et la chair forment un tout unique sensoriel. Qui se doit d’être exercé pour atteindre à une plénitude solaire zénithale. L’obscur n’est que l’autre face du soleil.

             Ce deuxième EP me semble plus diversifié que le premier. Sans doute ne suis-je pas en mesure de détenir toutes les clés d’ouverture. Mais rien ne vous empêche de forcer la serrure.

    Damie Chad.

             Une dernière note : vous trouverez plus facilement Aivvass écrit Aiwass.  Une question de numérisation kabbalistique. En attendant sur la pochette visez les deux ‘’S’’ en forme de serpent.

     

    *

    Les mots appellent-ils ce qu’ils désignent. Hier soir la chronique précédente s’est achevée sur le mot serpent. Or en ce début d’après-midi en ouvrant You Tube une vidéo s’offre à mon œil obstinément aigu. Chic un groupe français ! Sur bandcamp je m’aperçois qu’ils sont grecs. J’ai l’habitude d’accorder une certaine importance à tout ce qui vient de Grèce, même à un serpent noir.

    DEATH CLAN 0D (44,1 mastering)

    SERPENT NOIR

    (Vinyl épuisé / YT / Bandcamp / 2020)

    Etonnant de trouver cette mention que nous qualifierons   d’écologique et d’anticapitaliste sur un disque de l’Ordre du Dragon. En résumé vous n’avez pas besoin d’une fréquence supérieure à Khz 44,1 pour entendre pleinement un artefact sonore mis à votre disposition sonnante et trébuchante sur le marché. En effet toute norme supérieure inutile vous est évidemment facturée plus cher.

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    Freud n’aurait pas de mal pour nous apprendre que le crâne de la couverture représente la mort (Thanatos) et le signe phallique l’Eros. Je vous le sers à sauce grecque ; c’est le trident vindicatif de la neptuienne vitalité bestiale poseidonesque.

    Yiannis K. : Rhythm guitars, lead guitars, chants, lyrics  / Kostas K. : Lead Vocals, chants / Johannes K. : Bass guitar / Cain Letifer. : Lead guitars / George C. : Drums, percussion / Lead vocals on Goeh Raeh : Thomas Karlsson /  

    Pour mieux comprendre : lire La Magie Kabbalistique Qliphotique et Goétique de Thomas Carlsson fondateur de l’Ordre du Dragon. La goétie est l’art d’invoquer les démons. Serpent Noir se réclame de la Magie Noire.

    The black knighthoof of OD : l’entrée aussi inquiétante que La porte des Enfers d’Auguste Rodin, quelque chose de droit, de debout, de bronze et de mort. L’Ordre du Dragon se donne pour but d’entrouvrir le portail funeste. La chevalerie noire est un peu comme l’âme maudite et intérieure de l’Ordre du Dragon Rouge. Une bulle, un bulbe, au-delà de l’espace et temps. Aux lisières du soleil noir de la Nuit. Cutting the umbilical cord of Hel : pluie de cendres et voix rocailleuses, couper le cordon de Hel, la Perséphone nordique, c’est renaître à la vie. Une porte est un passage qui se franchit des deux côtés. C’est ainsi que se regroupe  la fraternité chevaliers du Dragon. Le chemin est tracé, les ordres et conseils sont dispensés, la route est dangereuse, le vocal va si vite qu’il semble courir à sa perte ou sa victoire, qui sont une seule et même chose, les plus grands démons vous guideront, les fils de la Mort ne meurent plus, sur la fin du morceau de leitmotive de l’entrouvrement des portes se fait entendre. Hexcraft : imaginez un Botticelli maudit qui n’ait pas composé le Printemps, mais une saison d’outre-tombe qui sente le sexe, la mort et le feu. L’ordre du Dragon se recrute aussi au pays des hommes où l’on brûle damnés et hérétiques, les âmes qui ont traversé le feu des bûchers se métamorphosent en ardences phénixales, les filles de Hel dansent dans une Walpurgis de renaissance et de fécondation. Si le rythme est relativement cadencé au début il prend peu à peu l’allure d’un cheval fou lancé dans un galop d’épouvante. Les guitares comme d’incandescents fulgurances d’épées brandies… Grondement du vocal qui s’étire comme les tripes d’un chat qu’on éviscère. Asmodeus : the sword of Colachab : attention Coalachab est l’inverse du feu de l’arbre de vie sérophital qui débarrasse le monde de ses miasmes et de ses impuretés, il est le feu de l’arbre de mort qliphothal qui détruit pour le plaisir de détruire, pour répandre le mal et anéantir l’ordonnance divine, Asmodée est un des Démons les plus importants – il se murmure que c’est lui sous forme de serpent qui a séduit Eve…  Asmodée ouvre les portes de l’Enfer pour qu’à la tête de la Chevalerie noire il aille semer la mort sur terre, sans doute respecte-t-il un équilibre de la terreur, autant de braves aura-t-il menés, autant de morts dont il ramènera les âmes victimales de l’autre côté du portail infernal, chevaux ployant sous le poids des corps morts, mais Asmodée brandit son épée et les têtes volent, il est le grand Destructeur, avant de passer la porte il se retourne et regarde tel un visionnaire le grand carnage que lui et sa troupe ont opéré. Astaroth : the jaws of Gha’Agseblah : Gha’Agseblah s’apparente à ce que l’on pourrait appeler l’érotologie mystique : ne soyez pas surpris de la beauté soyeuse de l’intro, ni de la chute vertigineuse qui suit, les vocaux sortent leurs griffes de chat, vous êtes la souris, Astaroth est un démon de l’Enfer d’autant plus dangereux qu’il est double, un être répugnant à l’odeur fétidé, oui mais aussi la plus belle de toutes les déesses, l’Astarté phénicienne, sœur en beauté d’Aphrodite, et parente d’Inanna déesse de la mort mésopotamienne, elle vous accueille, elle vous vous sourit, elle vous caresse, elle est la passeuse, l’étoile noire de l’abîme, déjà vous êtes son enfant sur terre et c’est elle qui vous redonne vie pour servir dans les légions ténébreuses du Dragon. Avez-vous déjà entendu un morceau de Metal aussi fou. Astaroth sait vous séduire. Necrobiological chant of Tara : nécrobiologie, le terme est contradictoire, comment la mort peut-elle être biologique, porteuse de vie, c’est pourtant ce que laissent entendre les morceaux précédents, pour mieux l’illustrer voici un exemple de mythologie hindou, Kali, Ananta, Inanna eet bien d’autres déesses nommées dans les lyrics, elles sont toutes différentes comme chacun des jours de votre vie forment une seul existence, De Kali la tueuse à Tara la consolatrice, toutes vous font le don de la vie et le don de la mort. Et le don de la vie après la mort. Soit dans le cycle des renaissances, soit dans l’ordre du Dragon Rouge originel. Serpent Noir, ne serait-ce pas la langue du Dragon Rouge, vous étourdit de son assommance battériale, de son grondement vocalisé, et de ses guitares de feu.  Goeh Ra Reah : garm unchained : (ce titre signifie-t-il  si je m’en rapporte à mes infimes connaissances interprétatives hébraïques ‘’Calme, mauvaise odeur – voir Astaroth - la lettre dévoilée,), le texte s’apparente à  une reprise de tout le parcours effectué durant les six stations précédentes. Carlsson ne chante pas vraiment. Il explique et vaticine. La scène est prise de plus haut, d’autant plus étonnant qu’il s’agit de la descente dans l’Abîme, la focale temporelle est élargie, Virgile et Béatrice sont nommés  pour avoir passé la porte des Enfers. Le Christ aussi - si Dieu est mort, n’a-t-il pas franchi le long calvaire du  seuil appelé via Dolorosa – le véritable Seigneur n’est-il pas celui qui règne en maître : le Dragon Rouge… Serpent Noir déroule sa musique comme l’on étendait un tapis d’ordalie chez les Grecs. A vous de tenter l’expérience. L’alchimie ne vous fait-elle pas passer du noir au rouge, de la Mort au Dragon.

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             (Il existe sur YT une Official Vidéo de ce morceau Enfin plutôt une projection engrammique rituellique destinée à émettre des effets psychiques. Comme sur les hypocrites recommandations qui accompagnent les publicités sur l’alcool je le ferais précéder de la mention : A consommer avec modération. Ceci n’est pas une mise en garde, juste une hypocrisie.

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             Pour ceux qui veulent en sa-voir davantage : Serpent Noir, Complete Show au Klub le 23 mai 2023 in Paris, longue mélopée insidieuse lyrique et serpentine. Soleil rouge.)

             Voilà, maintenant vous possédez les éléments prémissaux qui vous permettront de briguer l’initiation dans l’Ordre du Dragon. Vous n’êtes pas obligé. Vous pouvez vous contenter d’écouter la musique. Du très bon Metal dont on forge les meilleures épées.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 640: KR'TNT 640 : BOB CREWE / FLAT DUO JETS / SAY SHE SHE / DANNY BOY ET SES PENITENTS / MIGHTY SAM / GRUFF RHYS / BILL CRANE / BLOUSONS NOIRS / NOMAD / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 640

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    11 / 04 / 2024

     

    BOB CREWE / FLAT DUO JETS / SAY SHE SHE

    DANNY BOY ET SES PENITENTS

    MIGHTY SAM / GRUFF RHYS

    BILL CRANE / BLOUSONS NOIRS

     NOMAD / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 640

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Motley Crewe

    (Part One) 

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             Aussi curieux que cela puisse paraître, il existe dans le commerce un très beau livre d’art consacré à Bob Crewe.

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    Comme c’est un Rizzoli, il est imprimé à Hong-Kong. Tu ne bats pas les Hong-Kongais à la course du print. Comme Crewe est un peintre abstrait, un forcené de la matière, comme le fut Dubuffet sur le tard, les printers asiatiques ont sublimé l’art du print et donné la parole aux encrages du kaolinage. Même si ces grandes doubles pages abstraites ne sont pas spécialement ta came, cette matière vivante te parle. Te voilà confronté à un choc esthétique, l’indicible secousse te rappelle les coups portés jadis par Dubuffet ou Andy Warhol à Beaubourg. Tu déambulais, et au coin du bois, un loup te chopait, que ce soit l’Elvis géant de Warhol ou le Leautaud rehaussé au sable de Dubuffet. Tu t’en ravinais la cervelle jusqu’à la nausée. Tu errais hagard, un filet de bave au coin de la bouche ouverte.

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             Bon, alors trêve de balivernes. Si tu chopes cet art book, ce n’est pas pour les beaux yeux de Crewe, ni pour son œuvre abstraite, qui s’en va inexorablement se noyer dans l’océan de l’abstraction, tu le chopes pour lire l’essai qu’Andrew Loog Oldham consacre à Bob Crewe.

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             Pour le situer rapidement, Bob Crewe est un producteur new-yorkais connu et célèbre pour avoir lancé Frankie Valli & The Four Seasons, c’est-à-dire les Beach Boys du New Jersey. Dans l’excellent Jersey Boys tourné par Clint Eastwood en 2014, on croise Bob Crewe dans les couloirs du Brill. Le travail de reconstitution est exemplaire, Clint fait de Crewe un personnage un peu extravagant, bien conforme à la réalité. On voit Tommy DeVito, Frankie Valli et Bob Gaudio frapper aux portes au Brill, et boom sur qui qu’y tombent ? L’ange blond de la fatalitas, Bob Crewe, qui les prend immédiatement sous son aile de wonder boy extraverti. Crewe commence par leur demander de chanter des backing vocals et ne commence à les prendre au sérieux que lorsqu’ils deviennent officiellement les Four Seasons et qu’ils proposent «Sherry». Crewe les enregistre et boom, c’est un hit. Et c’est parti mon kiki !

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             Oldham a connu Bob Crewe. Bizarrement, il ne lui consacre pas de chapitre dans Stone Free. Il profite de cet art book pour combler la lacune. Il commence par rappeler qu’il appréciait Crewe avant de le rencontrer au Dakota. Il explique qu’à 14 ans, alors qu’il vivait encore chez sa mère, il épluchait les crédits des singles qui lui plaisaient, et il cite en exemple le «La Dee Dah» de Jackie Dennis paru en 1958 - A caribbean infected falsetto that appealed to absolute beginners such as me - Oldham rappelle encore qu’avant le succès de Frankie Valli avec «Sherry», Crewe et son complice Frank Slay Jr. collectionnaient déjà les hits : «Silhouettes» par The Rays (1957), «Tallahassee Lassie» par Freddy Cannon (1959) et la version originale de «La Dee Dah» par Billy & Lillie. En matière d’histoire du rock, Oldham est l’homme qu’il faut lire, car il globalise à la manière de Chateaubriand. Il cite ce couple of years entre le moment où Elvis est revenu de l’armée et où les Beatles se préparaient à envahir l’Amérique, «greasers ruled - particularly if they could sing like doo-wop angels.» Il s’agit bien sûr des Four Seasons from New Jersey et de Dion & The Belmonts from the Bronx - New York City was the ‘home of the hits’ - Oldham parle même d’une «intersection between Sex and Song».

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             Et comme il sait si bien le faire, il met le turbo : «Bob Crewe and Phil Spector stand alone at the top of this mountain that made the sixties possible. La réussite de Bob est d’autant plus remarquable qu’après le couronnement des Beatles à l’Ed Sullivan Show, tous les early 1960s vocal groups ont disparu des charts, sauf  les Beach Boys et les Four Seasons. Spector a atteint la grandeur exclusivement via the rhythm and blues side, alors que la créativité protéiforme de Bob lui a permis d’aller jusqu’à Bobby Darin, en lançant un pont par-dessus le flower power, le garage et la disco.» Oldham poursuit ce puissant parallèle : «Alors que Spector avait tendance à se réfugier au fond d’un terrier pour disparaître de la circulation, Bob menait la grande vie au Dakota, une grande vie que lui enviait Andy Warhol.» Oldham enfonce son clou en affirmant que Bob était beaucoup plus qu’un producteur à succès, «he was La Dolce Vita lipsynched by an American blonde. What Bob and Hefner shared with Iggy Pop was a voracious lust for life.» Et puis voilà un autre parallèle révélateur : «He was driven but not obsessive. Like me, Bob had fun getting it done and was ‘happy to be part of the industry of human happiness’ as the song goes.» Oldham ressort ici le vieux slogan d’Immediate Records. Il rappelle à la suite que lorsque les Stones furent number one en 1965 avec «Satisfaction», Bob avait six cuts dans le Top 40 américain, et quatre dans le Top Ten - With artists like Diane Renay and the Bob Crewe Generation, 1964 and 1966 were equally successful years for Bob.

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             Et puis bien sûr, il y a Mitch Ryder. Pour recréer l’«explosive live act» de Mitch Ryder & the Detroit Wheels, Bob, nous dit Oldham, utilisait en studio des session men aguerris. Il faut se souvenir que dans ses mémoires (Devils & Blue Dresses: My Wild Ride as a Rock and Roll Legend), Mitch Ryder n’est pas tendre avec Bob. Un Bob qui essaya d’en faire un artiste solo, une sorte de «rock’nroll to Las Vegas crossover», idée qui déplut profondément au greaser Ryder, qui préféra quitter le navire. La même année, Bob fait «Lady Marmalade» avec Labelle - Showbusiness with a capital $ - Il passe à la diskö avec les Sex-O-Lettes, et Jerry Wexler le supplie d’aller enregistrer un album solo à Muscle Shoals, le fameux Motivation qui sort sur Elektra, en 1977. Roger Hawkins, Barry Beckett et David Hood l’accompagnent. Les background vocals sont overdubbed à Hollywood, avec notamment Curt Boettcher. L’auteur de «Suspicious Minds» Mark James fait aussi partie du projet, puisqu’il co-écrit trois cuts avec Bob, dont le morceau titre et «Another Life».

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             Alors oui, ça vaut vraiment la peine de choper ce Motivation, car Bob est fin au chant. On sent le fils du Brill. Ça prend vite une belle tournure avec «Give It Hell» lancé à l’orgue d’église. Bob évoque son daddy. Il est capable de grosses compos - Till you find love - Il ramène Broadway dans le gospel blanc ! C’est un producteur extraordinaire. Tout ce qu’il entreprend atteint à la démesure. Il rapatrie dans ses cuts les pires violonades de son temps. C’est sur-produit. Il ré-injecte du gospel blanc dans «It Took A Long Time (For The First Time In My Life)», Bob y va de bon cœur avec son génie productiviste, c’est bourré d’énergie, saturé de chœurs, oui, en vérité, Bob est un magicien. Et ça repart de plus belle belle belle en B avec «Mariage Made In Heaven» - Wake me up with the sound of your voice - C’est de la romantica de gorge profonde, Bob mise tout sur la prod et ça devient énorme - Thank God my love/ You’re mine - Le son scintille. Encore jamais vu ça ! La fête continue avec la rumba de «Something Like Nothin’ before», tu te lèves et tu ondules avec ta poule jusqu’à l’aube. Puis il s’embarque tout seul pour Cythère avec «In Another Life». Power vocal indescriptible ! Il faut arrêter de prendre Bob pour une brêle. C’est un puissant bélier et cet Elektra est un must. Bob est un maître du grandiose, une sorte de Cecil B. De Mille de la pop new-yorkaise. Jerry Wexler qualifie Motivation ainsi : «an example of cosmic improbability». Rien de plus vrai. 

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             Il existe un autre Elektra de Bob paru l’année précédente, qui vaut lui aussi le détour : Street Talk. Il enregistre cette fois sous le nom de The Bob Crewe Generation. Après un départ en mode diskö, il recale tout avec «Menage A Trois», un groove de chèvre chaud, bien jivé dans la nuit urbaine - Voulez-vous danser avec moi ce soir - Il fait la diskö des jours heureux. Très intriguant, véritable machine à remonter le temps. On sent clairement l’hédoniste en lui, et même le futuriste. C’est très spectaculaire ! Bob chevauche le dragon de l’heavy diskö new-yorkaise. Il sait exactement ce qu’il fait, avec le morceau titre. Il reprend le chant sur «Welcome To My Life». C’est du très haut niveau. Il vise l’extrapolation orchestrale. Il est l’un des rois américains du son. Il termine cet album étonnant avec «Time For You And Me», un enchantement.

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             Donald Albretch signe le deuxième essai de l’art book : ‘The worlds of Bob Crewe’. Cette fois, l’auteur met le paquet sur la bisexualité de Bob. Comme il est beau et blond, il attire les regards et les convoitises - I began rather rapidly to get the picture. I mean, I was sought after. And I would be aware of it - Bob vient d’un milieu pauvre et il va devenir riche. Il devient mannequin pour l’Hatford Agency, il devient «the ideal all-American boy-next-door in advertisements for Coca-Cola and other popular brands.» Il attaque sa carrière de songwriter en 1953, en collaboration avec Frank Slay Jr. «Silhouettes» par The Rays se vend à un million d’exemplaires et sera repris par les Herman’s Hermits en 1965.

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    Photo d'Otto Fenn par Andy Warhol

             Deux mentors prennent Bob en main : Austin Avery Mitchell et Otto Fenn, qui non seulement développent son talent de chanteur, mais lui font découvrit le monde de l’art. Bob est tout de suite fasciné par Dubuffet, auquel il emprunte la formule «Texturology». Otto Fenn était photographe à l’Hatford Agency. C’est lui qui photographie l’appart de Crewe à New York en 1956 : en se croirait chez un Des Esseintes des temps modernes. Un dandy lit un canard accoudé sur une commode, on pense bien sûr à Robert de Montesquiou, et derrière lui, l’immense mur est couvert d’œuvres d’art de toutes tailles. Otto Fenn est un proche d’Andy Warhol qui est alors en phase de démarrage. Warhol pose pour Fenn. Ce sont les racines de la plus grande révolution artistique new-yorkaise, celle qui allait donner la Factory et le Velvet. Albretch rappelle qu’Otto Fenn a joué dans cet avènement un rôle considérable. 

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             À la fin des sixties, Bob sat on top of the world, nous dit Albretch. Comme tous les gens de sa génération confrontés à la gloire, Bob tape dans la dope, l’alcool et la liberté sexuelle. Après avoir organisé des fêtes somptueuses au Dakota, il s’installe dans un «Fifth Avenue penthouse triplex that he fills with music and a very personal assortment of magnificent loot.»  Il est au summum de la décadence artistique new-yorkaise. Et comme ça ne marche plus trop à New York dans les seventies, il part s’installer à Los Angeles et bosse comme executive producer pour Motown. Il produit notamment Bobby Darin et Frankie Valli. Albretch indique aussi que Jersey Boys rend plus hommage à Bob Gaudio qu’à Bob Crewe, qui est pourtant le père fondateur des Four Seasons. Oui, Gaudio compose, mais le son, c’est Crewe. De la même façon que pour les Ronettes et tout le tremblement, c’est Totor.

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             Dans le booklet de Whatever You Want - Bob Crewe’s 60s Soul Sounds, Ady nous dit que Bob Crewe est surtout connu pour ses productions de Frankie Valli & The Four Seasons, mais aussi de Mitch Ryder & The Detroit Wheels (qu’il avait signés sous contrat). Il a aussi produit des poids lourds de la Soul new-yorkaise, comme Chuck Jackson, Barbara Lewis, Ben E. King et Jerry Butler, ainsi que des starlettes comme Lesley Gore et Ellie Greenwich. Bob Crewe confie ceci à David Ritz : «I was more influenced by rocking rhythm and blues, LaVern Baker, Ivory Joe Hunter, Joe Turner - The soulful sincerity of black music and heavenly harmonies of doo-wop moulded me.» Bob Crewe était surtout un dénicheur de talents et un compositeur/producteur. Ken Charmer rappelle que Crewe avait installé son quartier général au Dakota. Après un break, il est revenu en force dans les seventies en bossant pour Motown, notamment avec Bobby Darin et Frankie Valli. Puis LaBelle. «Lady Marmalade», c’est lui !

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             Deux grosses poissecailles se planquent dans la belle compile Kent, Whatever You Want - Bob Crewe’s 60s Soul Sounds : Frankie Valli et Walter Jackson, un Walter Jackson déjà repéré sur la compile qu’Ace consacre à Chip Taylor. Jackson attaque «Everything Under The Sun» du coin du nez. Superbe Soul Brother d’OKeh. On a tout de suite du son avec Frankie Valli & The Four Seasons et «I’m Gonna Change», puis «(You’re Gonna) Hurt Yourself». Frankie est le killer, il arrive sous le groove, il agit en white nigger. Il est l’un des rois de la Northern Soul, ne l’oublions pas. Parmi les révélations, voilà Lainie Hill et «Time Marches On», pur génie pop, trois singles et puis s’en va. Autre choc esthétique : Billie Dearborn et «You Need Me To Love You». Elle chante à l’accent fêlé et c’est une merveille inexorable. Encore deux énormités : Dey & Knight avec «Sayin’ Something» (ils visent le Totor du Lovin’ Feeling), et Lynne Randell avec «Stranger In My Arms» (heavy pop des enfers de New York City, belle blanche succulente). Plus connue, voilà Dee Dee Sharp avec «Deep Dark Secret», un énorme tatapoum de popotin, bardé de son jusqu’au délire. On croise aussi l’immense Chuck Jackson avec «Another Day»», il a du son et il a du poids. Retrouvailles encore avec Kenny Lynch et «My Own Two Feet», si popy poppah. Bien connu de nos services, voilà Mitch Ryder & The Detroit Wheels avec «You Get Your Kicks», le Detroit Sound de New York City. D’autres luminaries encore, comme Kiki Dee avec «I’m Going Out (The Same Way I Came In)» (elle claque bien son beignet) et James Carr avec «Sock It To Me Baby» (classique, raw Stax). Ken Charmer annonce d’autres Crewe volumes à venir. Miam miam.

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             Pour creuser encore un peu plus le Crewe, il existe une brave petite compile parue en 2007 : Silhouettes. The Warwick Years. Alors attention, c’est de la petite pop qui frise la variette de Broadway. Ça devient parfois de la grande pop, car Bob Crewe dispose de l’atout fatal : la vraie voix. Mais il se plie aux exigences commerciales des early sixties américaines. C’est parfois jazzy («Ain’t That Love»), parfois groovy («Kicks») et encore plus jazzy («The Whiffen Poof Song»). Il peut monter pour groover le jazz, alors on le prend très au sérieux. Même sur des bluettes dégoulinantes comme «Bess You Is My Woman Now». Allez encore un spasme avec «Shakin’ The Blues Away», bien explosé par l’orchestration. Il tape aussi dans le cha cha cha de Broadway avec «Luck To Be A Lady Tonight», pur jive d’extrême onction orchestré à la nausée. À cette époque, Bob est déjà un chanteur extraordinairement accompli, il swingue la pop et fait du grand art avec «Love’s Not For Me» ou encore «Water Boy». Et tu claques des doigts à l’écoute de «Smilin’ Through». À l’aube des temps, Bob navigue déjà au sommet du swing de Broadway.  

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             Si tu pousses un peu le bouchon, tu peux aller écouter the Bob Crewe Orchestra et, par exemple All The Song Hits Of The 4 Seasons, un Phillips US de 1964, mais c’est à tes risques et périls. C’est un album d’instrus et de big American sound, mais il ne s’y passe rien de particulier, en dépit des liners élogieuses d’Andrew Loog Oldham au dos de la pochette. C’est vrai qu’il y a de l’énergie, mais que peux-tu dire de plus ?

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             Par contre, si d’aventure, tu croises le chemin de Music To Watch Girls By, un Dynovoice de 1967, ramasse-le, car tu vas te régaler. Cette fois, Bob pose au milieu de The Bob Crewe Generation, un orchestre de très beaux mecs en chemises rouges. Ils sont tous jeunes et beaux, et dans son costard noir, Bob est encore plus beau. N’oublions jamais qu’il a démarré comme mannequin. Et là tu entres dans le monde magique d’une pop de rêve dès «A Felicidade» et son orchestration machiavéliquement somptueuse, grouillante de vie et de percus du Brésil. Tu voyages en première classe ! C’est gorgé du meilleur son d’Amérique. Bob Crewe est un magicien. Ce que vient confirmer le «Theme From A Man & A Woman», c’est-à-dire le film de Claude Lelouch avec Anouk Aimée et l’immense Trintignant, Bob y injecte toute son énergie de visionnaire, la nostalgie te dévore vivant, pure magie de l’image, les planches du Deauville de ton enfance et le Coupé 504. Le romantisme des temps modernes. Dans «Let’s Hang On», on entend le guitariste du diable, un Django brésilien qui te joue la samba des catacombes. Et pour boucler ce balda faramineux, voilà le morceau titre, un air connu et terriblement bienveillant. C’est tout simplement irréel d’entrain. Il termine sa B des Anges avec un «Winchester Cathedral» en forme de sommet du suave, baigné de l’excellence de la nonchalance.

    Signé : Cazengler, Bob Crouille (marteau)

    Whatever You Want. Bob Crewe’s 60s Soul Sounds. Kent Soul 2022

    The Bob Crewe Orchestra. Street Talk. Elektra 1976

    Bob Crewe. Motivation. Elektra 1977

    Bob Crewe. Silhouettes. The Warwick Years. Warwick 2007  

    The Bob Crewe Orchestra. All The Song Hits Of The 4 Seasons. Phillips 1964 

    The Bob Crewe Generation. Music To Watch Gilrs By. Dynovoice Records 1967

    Donald Albrecht, Jessica May, Andrew Loog Oldham. Bob Crewe: Sight And Sound: Compositions In Art And Music. Rizzoli Electa 2021

    Clint Eastwood. Jersey Boys. DVD 2014

     

     

    Flip flop & Flat 

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             Les Flat Duo Jets doivent leur réputation aux Cramps et à Jim Dickinson. Ce duo de psycho-garage mené à la trique par Dexter Romweber fit en effet la première partie d’une tournée des Cramps à leur âge d’or, c’est-à-dire en 1980. Comme les Stones, les Cramps soignaient leurs affiches. Ils voulaient que tous leurs concerts soient des événements exceptionnels, aussi triaient-ils sur le volet leurs co-listiers. Là où les Stones optaient pour Ike & Tina Turner, les Cramps optaient pour les Flat Duo Jets.

             Qu’ils soient originaires de Caroline du Nord, ça tout le monde s’en fout. Que Dexter Romweber soit beau comme un dieu, là, les filles dressent l’oreille. Mais qu’ils fassent de bons albums, alors là, tout le monde écoute. Puisque Dexter Romweber vient de casser sa pipe en bois, nous allons procéder à un petit hommage funéraire vite fait bien fait, à l’ancienne.

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             Comme pas mal de gens intéressants, Dex et son ami batteur Crow sont allés un jour à Memphis demander à Jim Dickinson de produire leur album. Il s’agissait de leur deuxième album, Go Go Harlem Baby, dont la pochette s’orne d’un joli décolleté en gros plan. Et comme tout ce qui passait dans les pattes de Dickinson, Go Go Harlem Baby brille d’un bel éclat, celui d’une véritable inspiration. L’album ne compte pas moins de seize titres. Au moins t’en avais pour ton argent. On passait de la belle pop d’arrière gorge remontée aux bretelles par des relances de couplets («The Dainty Song») au rockab à l’ancienne («Frog Went A Courtin’»). Eh oui, Dex avait un faux air d’Elvis et il savait bopper son rockab. Il savait aussi jouer le balladif heavy-bluesy et le rendre admirable de véracité guitaristique («I Don’t Know», prodigieusement dickinsonien) et rendre de sacrés hommages : il dédiait «Harlem Nocturne» à Ivy. Il attaquait sa B avec un bel instro («Wild Trip») et revenait au rockab à la sauce de Memphis («Rock House», co-écrit par Sam Phillips & Harold Jenkins). Assis derrière son piano, Dickinson a dû bien se régaler. Dex triait ses reprises sur le volet et nous sortait «Stalkin’», un vieux hit antédiluvien signé Lee Hazlewood/Duane Eddy, rien de moins. Il fallait l’entendre monter au chant de façon incertaine («Don’t Blame Me») et torcher «TV Mama» à la déglingue de son qui n’était pas sans rappeler les heures sombres de Big Star Third. Et Dickinson accompagnait Dex sur «Apple Blossom Time» de manière émouvante.    

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             Le premier Flat Duo Jets n’a pas de titre et date de 1989. On est tout de suite saisi par l’heavy country punk de «My Life My Love». Le Dex sonne comme les géants d’avant, accompagné par une stand-up. Il passe au wild as fuck avec «Please Please Baby» et une incroyable profondeur de chant. Et comme si tout cela ne suffisait pas, le voilà qui tape dans la rockab madness avec «When My Baby Passes By», la craze dans toute sa splendeur. Le Dex s’axe sur le rockab sauvage et les Cramps. On note aussi le principe du zéro-info des pochettes. Il tape à la suite «Madagascar», un shoot d’exotica magique, et tu assistes effaré à une descente de solo demented dans l’écho du temps. On découvre aussi que le Dex est un amateur de romantica sauvage («Chiquita»), une obsession qu’il tient sûrement des Cramps. Chez lui, tout est coloré et plein d’esprit. Lui et Crow ont tous les reflexes du rockab et du Las Vegas Grind. Retour au wild rockab avec un «Wild Wild Love» tendu à se rompre. Dommage que le slap soit enterré au fond du son. Puis il tape un cut qui devrait beaucoup plaire à Damie Chad : «Tribute To Gene». Le Dex y va au Be Bop a Lula avec une profondeur de forêt inexplorée. C’est l’hommage suprême. Il recrée la folie de l’early Gene, il retrouve le secret des clameurs anciennes. Puis il revient à son pré carré, le slowah hanté, avec «Dream Don’t Cost A Thing», il crée de la magie kitsch, un peu à l’italienne, il remonte à contre-courant de la mélodie. Ce qu’il faut comprendre au contact du Dex et de son copain Crow, c’est qu’ils font des disks de fans, exactement comme le firent les Cramps en leur temps.

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             In Stereo est un mini-album six titres, dont deux sont de brillantes covers : «Riot In Cell Block No.9» (version punk-blues définitive de l’hit des Coasters) et «Think It Over» (hommage à Buddy Holly, en plein dans le mille du spirit, avec une énergie punk-blues, ça grésille de Texicali, les Flat sont les rois de la pétarade). Le Dex s’adonne aussi à deux fiers shoots de romantica, «Love Me» et «Raining In My Heart» et le Crow bat un sacré beurre sur «Theme For Dick Fontaine».        

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             Toujours zéro info sur la pochette de White Trees. Débrouille-toi avec la musique. Pas de problème, car ça grouille de puces, à commencer par l’effarant «Where Are You Now», pur jus de wild-catisme, beat du diable et pur génie de la résurgence. Retour aussi au grand art du Las Vegas Grind avec «Tura Satana», le Dex y ondule des hanches. C’est le cœur battant de l’American Underground. On reste dans le génie underground avec «Radioactive Man». Le Dex y développe une énergie de baby look out, c’est dévastateur, rock rock !, il tape dans le dur. Son «Love Cant Be Right» est assez mirifique. Le Dex est un cake de la romantica. Il tâte aussi de l’Americana avec «Rabbit Foot Blues», il groove ses roots, il est aussi pur que Johnny Dowd et Hasil Adkins. En dépit d’une volonté constante d’underground, certains cuts comme «Husband Of A Country Singing Star» le portent aux nues. Puis, en bon wild cat, il revient à ses premières amours, avec «Michelle», ouuh Michelle !, et ce drive du diable, puis «How Long», du vrai de vrai, du criant de véracité, il rôde à la frontière du blues. On a là l’un des plus beaux albums de rootsy rock.   

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             En 1993, ils débarquent sur Norton avec Safari. Alors attention : il existe un gros delta entre la version CD et le vinyle : tu as 30 cuts sur le CD et 19 sur le vinyle. Comme le CD d’ici est tout pourri, on est obligé de se rabattre sur le vinyle. On rate des covers de The Pantom et d’Hasil Adkins, mais ce n’est si grave en fait, car les 19 cuts sont assez représentatifs de ce que voulaient faire le Dex et Billy Miller. On a les covers de George Jones («Rock It») et de Benny Joy («Hey Boss Man»). C’est tapé dans le bat-flanc du mille, pris au raw, le Dex est un wild cat invétéré. Son «Party Kiss» est un real deal de heavy rockab. Le Dex revisite le vieil héritage - Everybody has/ A party kiss - On se damnerait encore pour l’éternité avec son «Cast Iron Arm», un heavy rockab bien tenu en laisse. Safari n’a qu’une seul objet : montrer que le Dex est un puriste.

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            Leur deuxième Norton s’appelle Introducing. Toujours ce mélange détonnant de rockab et de slowahs dévastateurs. Rockab avec «Whoa Blues Baby», et en B, avec «That’s The Way I Love». Ce wild-catisme invétéré te souffle dans les bronches. Il tape aussi un joli boogie down avec «Goin’ To A Town». Retour au balladif vénéneux avec «Is Life Real», toujours aussi hanté, et en bout de la B, il rend l’hommage suprême à Bo avec une cover endiablée de «Pretty Thing».

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             C’est Billy Miller qui prend les rênes de la prod sur Red Tango. Ça tombe bien car Billy est un bec fin, en matière de rockab, et ça dépote aussitôt «Ain’t Goin’ Away», pure furie de nos Wild Cats préférés. Ils visent la pure madness. Le Dex rivalise d’insanité avec les pires sauvages de la frontière. Il tape plus loin dans le «Lonely Wolf» de Ray Harris, bel hommage, cavalé ventre à terre. Le Dex reste prodigue de coups de génie, comme le montre «Baby Are You Hiding From Me», un heavy bim bam boom, il fait même son Elvis au please come back to me. Le Dex recycle le nec plus ultra du Memphis beat. Retour au slowah vénéneux avec «In My Neighborhood», c’est assez rampant, un cut qu’on n’aimerait pas trop rencontrer la nuit au coin du bois. Encore plus weirdy, voilà «Don’t Ask Me Why», et plus loin il tape un balladif encore plus tordu, «Sea Of Flames». Il est parfait dans l’exercice de la fonction impromptue. C’est tellement décalé que ça devient beau. Il termine cet album toxique avec «I Wish I Was Eighteen Again», fantastique exercice de singalong mythique - In the bar room in Memphis/ An old man came in.

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             Encore un grand album avec Lucky Eye. Grand aussi par le nombre de cuts (18) et un fantastique hommage aux Cramps avec «Love Is All Around». Le Dex tape une fois de plus en plein dans le mille. Il fait aussi du Raw To The Bone avec «String Along», un groove gratté à l’oss. Il revient à la pop de David Lynch avec «Go This Way», il excelle dans le Southern Gothic ambivalent. Puis il repart faire son wild cat avec «Dark Night», à dada sur le bidet rockab, il est furieusement bon, complètement enraciné dans la légende. Petit retour au cabaret de David Lynch avec «Lonely Guy», une Beautiful Song qui brille d’un éclat certain, on se croirait vraiment dans Blue Velvet. Puis il adresse un gros clin d’œil appuyé à Joe Meek avec «Creepin’ Invention». Comme on le constate, le Dex ne chôme pas. Il passe au swing avec «Hot Rod Baby». Quelle dextérité ! Il sait swinguer son swing. Nouvelle crise avec «Sharks Flyin’ In», il chante son rockab au raw de l’arrache à coups de sharks flyin’ in from outerspace ! Et son «Boogie Boogie» sonne comme un hommage à Eddie Cochran, il y cultive l’essence du boogaloo primitif. 

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             Two Headed Cow est encore un album qui regorge de rumble. Nouvel hommage aux Cramps avec «Hard Boppin’ Baby», version live avec un faux départ. C’est puissant et comme visité de l’intérieur. On retrouve l’excellent «My Life My Love» du premier album, un heavy boogie de rêve gorgé de délectation morose. Le cut mythique de l’album est la cover de «Rockin’ Bones», il la tape à la menace et pique une jolie crise. Il est encore au cœur de l’univers des Cramps. C’est saisissant de proximité. Deux shoots de pure rockab madness : «Hey Hey» et «Rock House». Il se grise du rockab de Memphis. Autre clin d’œil, cette fois, à Link Wray avec «Rawhide», et ça monte encore en température avec l’«Everybody’s Movin’» de Glen Glen, cover infernale, et même explosive. Le Dex est un dingue comme le montre encore «Frog Went A Coutin’» et «Tidal Wave». Ils jouent à deux et sonnent comme dix. Le Dex repart à l’attaque avec «Mr. Guitar», il fout le feu à la pampa. Il reste dans le pur esprit du Memphis Beat avec «Mary Ann», il gratte loin dans l’écho du temple de Zeus, il joue en full reverb, et la folie continue avec «Torquay», les notes s’étranglent ! Retour à la romantica avec «Golden Strings» et il bourre le mou de ses gammes d’ardeur chromatique. Le Dex est un adepte de Link Wray et des Cramps.

             Il reste surtout l’un des princes de cet underground américain dont on se nourrit depuis 40 ou 50 ans. Dex et ses beaux albums vont nous manquer terriblement. La meilleure épitaphe serait sans doute celle-ci, empruntée à Georges Brassens : «Jamais ô grand jamais/ Son trou dans l’eau n’se refermait/ Cent ans après coquin de sort/ Il manquait encore.»

    Signé : Cazengler, Fat Dumb Jerk

    Dexter Romweber. Disparu le 16 février 2024

    Flat Duo Jets. Flat Duo Jets. Dog Gone 1989

    Flat Duo Jets. Go Go Harlem Baby. Sky Records 1991

    Flat Duo Jets. In Stereo. Sky Records 1992              

    Flat Duo Jets. White Trees. Sky Records 1993  

    Flat Duo Jets. Safari. Norton Records 1993

    Flat Duo Jets. Introducing. Norton Records 1995

    Flat Duo Jets. Red Tango. Norton Records 1996

    Flat Duo Jets. Lucky Eye. Outpost Recordings 1998 

    Flat Duo Jets. Two Headed Cow. Chicken Ranch Records 2008

     

     

    L’avenir du rock

     - Pas de chichis chez Say She She

             L’avenir du rock n’est pas une chochotte et pourtant il a des chouchous qu’il chouchoute depuis des lustres sur fond de Choo Choo Train. Il n’en finit plus de savourer ce vieux cha-cha-cha, il le schwingue au don’t slow down til you see my home town, il en fait ses chou-choux gras depuis mai 1968, rendez-vous compte, ça fait un bail, et il n’est pas près de se calmer, car il faut le voir battre la champagne, c’est un chacharivari sans fin de shoo-shoobedoo, un sempiternel chachabada de chouchouteries, il y va au chaud-chaud devant, au push-toi-d’là que-j’m’y-mette, il y va à la va-comme-je-te-push, il s’amuse même à surgir hors de la nuit, fidèle à sa réputation, l’avenir du rock ne choo-choôme pas, il ne baisse pas les bras, il reste sourd au chant des Shirelles, il est le serpent qui chiffle sur nos têtes, la choo-choossette de l’archi-duchesse archi-chèche, il est chésame d’ouvre-toi, il ne veut surtout pas être une chi-chinécure, hors de question, il a d’ailleurs chi-chigné un pacte faustien avec le diable, et par conséquent il se sert sur un plateau d’argent, il sait aussi se savonner ses propres pentes, il adore larguer ses cha-cha-chamarres, il se veut encore plus célèbre que le Ché-Ché, plus cha-cha-cha qu’un singe savant, plus chy-chyfoné que Typhon Tourneboule, il ne recule plus devant aucune supériorité, devant aucune singularité, il chingle à travers les mers australes, le vent choo-chooffle dans ses voiles d’armiton, il chillonne les mers du Chu-Chud jusqu’au Cheptentrion, il sidère par ses capachi-chités, par l’excellenche de son manche, par la planche de ses prééminenches, et en même temps, il n’est pas homme à faire des chichis, même s’il adore les Say She She.  

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             Comme Shindig! se fend d’un petit buzz autour des Say She She, on va jeter un œil. Jeter un œil, ici, ça veut dire aller les voir sur scène et écouter les disks. Une façon comme une autre de rester à l’affût. Camilla Aisa nous présente les trois She She : la belle Piya Malik, le blonde Sabrina Mileo Cunningham et la black Nya Gazelle Brown.

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    Elles viennent du Lower East Side et du coup, ça devient vite exotique. Elles racontent leur genèse, trois petites gonzesses qui chantent et qui sympathisent. Ça va leur prendre deux ans pour se faire connaître et enregistrer deux albums. Elles disent vouloir embrasser à la fois «a strong psychedelic element» et le «celebratory power of disco». Pya n’y va pas de main morte : «If you don’t like disco then there’s gotta be something wrong with you», et elle n’a pas tout à fait tort. Elles se fendent aussi d’un petit concept : la quatrième voix, c’est-à-dire trois voix différentes en texture et en registre, fondues en une seule.

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             Sur scène, ça marche, et ça marche au-delà de toute attente. Elles disköbolent une solace extravagante de sunshine pop, tu crois rêver, tu tombes dans le panneau, tu écartes les cuisses, tu les accueilles à bras ouvert, elles diffusent et elles rayonnent, elles jerkent et elles jivent, elles jouent et t’enjouent, elles cassent les moules et bousculent les repères, elles retrouvent un passage vers une dancing-pop qu’on croyait à jamais perdue, celle des jours heureux. En fait, leur son intrigue, car on y entend des éléments de diskö, mais surtout des harmonies à trois voix qui te montent droit au cerveau, elles font du dancing CS&N acidulé, comme si elles pressaient leur jus d’octaves pour faire jaillir la plus succulente giclée d’excelsior qui se puisse imaginer ici-bas. On ne peut les comparer à personne, leur son est unique, c’est même une sorte d’essence de magie vocale. Et sur scène, cette essence prend une ampleur considérable

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             Si par curiosité tu as écouté les deux albums avant de venir les voir sur scène, tu vas retrouver tes chouchous. Elles attaquent avec le «Reeling» d’ouverture de bal sur Silver. Incroyable allure, ah il faut les voir chanter en souriant et danser toutes les trois, surtout Piya Malik qui est à gauche, on la sent folle de bonheur d’être sur scène. Elle n’arrête jamais de danser. Elles tapent aussi «C’est Si Bon», gros clin d’œil à Chic c’est Chic, et d’autres merveilles comme «Echo In The Chamber», «Norma», ou encore l’excellent «Forget Me Not» qui clôt le set avant le rappel. Ce qui frappe le plus, c’est sans doute leur modernité de ton.

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             Leur modernité a un nom : Dale Jennings, le bassman. Il faudrait aussi citer le guitah-god rasta qui le jouxte, Sergio Ross, qui est aussi producteur de Neal Francis et des Monophonics, alors attention, on ne rigole plus. Ces deux mecs font en plus un groupe qui s’appelle Orgone. Dale Jennings qu’on croyait anglais est en fait un mec de Los Angeles qui nous dit : «Check Orgone !». Et là tout à coup, ça prend des proportions qui nous dépassant. Il nous explique en plus qu’Orgone et les trois filles sont deux groupes différents et qu’ils font Say She She Ensemble. Ce sont eux, Jennings et Ross, qu’on entend sur les deux albums de Say She She. Et sur scène, c’est un véritable bonheur que de voir jouer ces deux cracks. Jennings est un bassman faramineux. Avec ses cheveux longs, sa moustache blanche, ses yeux clairs et son taille-basse blanc, on l’a pris pour un Anglais, ce qui l’a bien fait marrer. Il claque des riffs diskö avec une espèce de power à la Tim Bogert, il dégage une énergie considérable, et son power-bassmatic ronfle au-devant du mix. C’est lui la loco dans cette histoire.

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    Ross joue avec une surprenante discrétion, il se contente de swinguer en lousdé, mais on sent bien l’affûté. Ils vont profiter d’un break des filles pour faire trembler tous les deux les colonnes du temple, avec un gros délire instro basé sur le «Magnificent Seven» des Clash. Jennings joue la pétarade du riff aux doigts, bam-bala-bam bam, il est comme les filles, il sourit en jouant, il est extravagant de présence scénique et de power-bassmatic. C’est pas demain la veille que tu verras repasser un tel bassman dans le coin. Il faut le ranger juste à côté de Tim Bogert et de Jack Bruce. Exactement du même niveau. Dale Jennings ! Une révélation. «Check Orgone !». Ça te tinte encore aux oreilles.

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             Les filles reviennent après le break dans des petites robes en lamé or et bhaaaam ! «Astral Plane» et là tu prends le Plane en pleine poire, ça te broie le cœur et ça te soulève du sol en même temps, ça te transforme physiologiquement, tu vis de tous les atomes de ton corps un pur moment de bonheur, c’est la jouissance cérébrale que tu passes ta vie à rechercher, et soudain, elle est là, vivante, souriante, apoplectique, réelle et irréelle à la fois, tous ceux qui ont vécu le trip de l’«Astral Plane» le savent : c’est un trip unique, une expression de la beauté formelle, un moment de perfection, une marée sensorielle, et tu as ces voix qui semblent vriller le firmament. Ce mélange de magie vocale et de perfection rythmique est unique. Du coup, l’«Astral Plane» entre au panthéon des cuts magiques.

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             Leur premier album s’appelle Prism. C’est un Karma Chief de 2022. Les premiers cuts déroutent un peu car trop diskoïdes, même si par certains côtés ils préfigurent l’excellent «Astral Plane». Elles ont un son un peu trop à la mode, mais comme Karma Chief est un subsidiary de Colemine, on s’incline et on attend. On a bien fait d’attendre car voilà qu’arrive un cut de rêve, «Same Things». Elles distillent le sucre des étoiles, le cut te fond dans la bouche comme l’Astral Plane à venir. Tu vendrais ton âme au diable en échange de ce fondu de voix. Elles restent au même niveau d’excellence avec «Fortune Teller», elles refondent leurs voix dans une Fortune de rêve. Dans «Apple Of My Eye» on entend des guitares Soukous dans le fond du son. Effarante musicalité, une vraie pluie de lumière ! Elles terminent ce beau Prism avec «Better Man», leurs chœurs superbes résonnent dans une nef de cathédrale, ça monte très haut dans la pureté évangélique à l’ooh oooh yeah, elles y vont les petites She She qui ne font pas de chichis.

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             C’est donc sur Silver qu’on retrouve le mirifique «Astral Plane». Tu t’enfonces dans la mélasse messianique d’Astral Plane, c’est complètement délirant et tortillé aux harmonies vocales. Elles font aussi pas mal de heavy funky business («Entry Level»), leurs harmonies vocales se délitent dans l’entre-deux, c’est pur et assez unique. Elles planent encore avec «Passing Time» et se livrent à un très bel exercice de forget me not avec «Forget Me Not», bien rythmé, bien on the beat. Le bassmatic est systématiquement impressionnant. On l’entend encore dans «The Water», une belle pop soutenue aux Yeah Yeah, mais le stratagème des She She finit par rouler sur les jantes. Au bout d’un moment, ça ne marche plus. Trop de cuts, sans doute. Elles calment le jeu avec «Find A Way» et renouent avec les harmonies vocales fluctuantes. C’est vraiment beau, ça coule comme une rivière de diamants. Et elles terminent ce double album avec le morceau titre, une vraie pop en devenir, une pop qui flirte en permanence avec le génie séraphique. On pense beaucoup à Liz Fraser en écoutant les petites She She.

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             Dans Record Collector, Lois Wilson en fait trois pages et ça y va à coups de glitterball R&B et de post-disco funk. Retour à la genèse, avec Piya qui entend chanter Sabrina à travers le plafond de son petit appart. Rencontre et Piya lance «Let’s start a band !», alors Sabrina lui répond cette phrase historique : «Fuck it, okay.» Lois Wilson va plus loin que Camilla Asia dans la genèse : il apparaît que Sabrina Cunningham a chanté dans des chorales de Rochester, dans l’État de New York, depuis l’âge de 6 ans. Puis elle a chanté dans des groupes et a appris à maîtriser les arrangements vocaux - That’s a big part of Say She She, we just lock in - Quant à Piya Malik, elle a grandi dans le Nord de Londres, nourrie aux Bollywood soundtracks par un oncle producteur. Puis elle passe par Sciences Po à Paris et finit par s’installer à New York. Piya initie Sabrina aux Bollywood soundtracks et au Turkish funk. Elles commencent à se produire sur scène accompagnées par des mecs de Duran Jones & The Indications, d’Antibalas et de Twin Shadow. Puis arrive Gazelle Brown, qui a déjà chanté dans Tomboy, un R&B girl group devenu Phoenix, «but nothing happened.» Tout ça pour dire que les trois Say She She ne tombent pas du ciel. Ce sont déjà des vétérantes de toutes les guerres. Le dernier ingrédient de la genèse, c’est Colemine Records, qui les branche sur Sergio Ross. Alors elles se rendent toutes les trois dans son studio, Killionsound, in North Hollywood. C’est là qu’elles enregistrent leur premier hit, «Forget Me Not». Et dans le studio, on retrouve bien sûr les mecs d’Orgone, dont le fameux Dale Jennings. Elles composent et enregistrent un cut pas jour, et ça va devenir Silver. Record Collector propose alors de les sacrer «queens of soul to Jalen Ngonda’s king», elles sont d’accord. Elles adorent Jalen. Et puis pour finir, Record Collector se fend d’un bel encadré rose intitulé ‘key influences on Say She She’, dans lequel on trouve un peu de tout, Sister Sledge, Tom Tom Club, mais surtout Rotary Connection et l’excellent Hey Love. Du coup, le lien avec Charles Stepney paraît évident.  

    Signé : Cazengler, Say Chichon

    Say She She. Le 106. Rouen (76). 15 mars 2024

    Say She She. Prism. Karma Chief Records 2022

    Say She She. Silver. Karma Chief Records 2023

    Camilla Asia : Finding the fourth voice. Shindig! # 143 - September 2023

    Lois Wilson : Raising elle. Record Collector # 556 - April 2024

     

     

    Talkin ‘Bout My Generation

    - Part Ten 

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             Ah il est bien le petit témoignage que Jean-Louis Rancurel consacre à Danny Boy dans le dernier numéro de Rokabilly Generation. Un Danny Boy qu’il qualifie même de «premier rockeur de France» et à côté duquel nous sommes quasiment tous passés. Voici 15 jours, Damie Chad faisait amende honorable en avouant avoir «fait l’impasse sur lui.» En fait l’explication est simple : on ne l’entendait pas à la radio. On entendait «Twist À Saint-Tropez» et «Dactylo Rock», mais certainement pas l’excellent «Kissin’ Twist». Le pauvre Danny Boy comptait pour du beurre. Dommage, car il était plutôt bon. Il était au rock français qu’on appelait le twist ce que Marty Wilde était au early rock anglais : un talentueux second couteau. La radio préférait diffuser les daubes comme «J’entends Siffler Le Train» et «L’Idole Des Jeunes». N’oublions jamais que le rock est aussi un monde d’injustices. À une autre époque, on célébrait U2 et on méprisait les Spacemen 3. Rien n’a vraiment changé depuis les early sixties.

             Les photos de Rancurel sont magnifiques. Il raconte ses débuts de photographe et comment il va coincer Danny Boy dans sa caravane du cirque Pinder. Les images sont d’un réalisme extrême, c’est tout juste s’il ne photographie Danny Boy à poil en train de se laver dans le lavabo. Rancurel le coince assis en costard blanc, près du lavabo, en train de s’éponger la figure. Il sort de scène, il n’a pas fait semblant, apparemment les Pénitents sont des killers sous leurs cagoules. Rancurel précise aussi qu’il était «en culottes courtes» au moment de cet épisode. Le malheur de Danny Boy nous dit Rancurel est d’être tombé dans le biz au mauvais moment, en pleine vague twist, 1962-1963, et le voilà bombardé «archange du twist», alors qu’il se réclame du rock’n’roll. Disons que Danny Boy avait un goût prononcé pour les «chansons rythmées». Rancurel raconte qu’après une courte carrière et quelques disques, Danny Boy est retourné bosser comme poissonnier sur les marchés, car en 1967, il était déjà passé de mode. Pas de pot.

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             Pour se faire une idée du talent de Danny Boy, il existe sur le marché une compile qu’on peut bien qualifier d’idéale : Danny Boy Et Ses Pénitents. Une belle rétrospective de 28 cuts qui, pour certains, craquent bien sous la dent. Dès «Je Ne Veux Plus Être Un Dragueur», on voit qu’il est solide au chant, c’est un yé-yé, ce mec s’accroche - Ta radio ! - Belle basse, et il trouve l’âme sœur de son cœur. Ah comme les paroles de ces chansons pouvaient être débiles, mais bon, il fait le job. Il tape dans l’early rock au moi fou de toi. Il assure comme une bête. «C’est encore une souris/ Qu’on a mis dans mon lit», s’exclame-t-il dans «C’est Encore Une Souris». C’est quasiment un Wild Cat avant l’heure. D’ailleurs le Wild Cat apparaît clairement dans «Twistez». Jolie craze de Twist Again ! L’énergie est belle. Il a du son. Il arrive juste avant le ras de marée. «Croque la Pomme» montre qu’il sait jeter tout son poids dans la balance. Mais il fait une pop de pomme avec un brin de yodell. Il fait aussi une cover du «Mess Of The Blues» de Doc Pomus, qu’il transforme en «C’est Tout Comme». Pas mal, mais, bon, c’est pas Elvis. Globalement, on se croirait aux camors, au milieu des Chaussettes Noires et des Chats Sauvages. Te voilà en pleine fête foraine. Il fait même des slowahs pour rouler des pelles. Retour à la niaque avec «Dum Dum». Danny Boy est un mec attachant, on le voit s’accrocher à sa niaque comme à une bouée. Son «Stop» est balèze, c’est bardé d’écho des camors. Et dans «Quel Massacre», on entend des chœurs de folles. C’est très en avance sur l’époque. Et puis voilà le blast : «Kissin’ Twist». Plus loin, il fait une petite série de covers, «Locomotion», «Let’s Go», «Bye Bye Love», mais ça reste timoré. Il fait un peu de gospel avec «Répondez-Nous Seigneur» et ça se termine avec un fantastique «Allez Allez» que vient swinguer un xylo. C’est miraculeux de qualité. Tu te demandes vraiment d’où sort une telle merveille. 

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    Signé : Cazengler, Danny Broc (tête de broc)

    Danny Boy Et Ses Pénitents. RDM Editions 2016

    Rockabilly Generation # 29 - Avril Mai Juin 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - Mighty Sam wants you

             De toute évidence, Sim fut archevêque dans une vie antérieure, vous savez, l’un des ces archevêques qu’on croise dans les films fantastiques, ces hommes petits et ronds, qui parlent d’une voix sourde et un peu grasse, tout en se frottant les mains, ces êtres qui inspirent une terreur mêlée de respect, devant lesquels on se signe et remerciant Dieu de n’être pas tombé dans leurs griffes. Il en imposait tant qu’on le surnommait Mighty Sim. On l’aimait bien quand même. Mighty Sim faisait partie du comité de rédaction de la revue. Comme il était féru d’histoire, il y puisait le contenu de ses contributions. Son sujet de prédilection était la liberté d’expression. Et bien sûr, Voltaire était l’un de ses maîtres à penser. Il jouait donc un rôle clé dans cet environnement éditorial qui ne jurait que par Dada, l’anarchie et le rock. L’usage voulait qu’en réunion du comité de rédaction, chacun lise tout ou partie sa contribution et qu’on vote la publication à la majorité des mains levées. Le jeu consistait à rafler autant d’accords que possible. Ce qui n’était pas simple, car le comité savait se montrer impitoyable. Quand vint son tour, Mighty Sim se cala au fond de sa chaise et prit un air sombre pour nous raconter l’histoire du malheureux Chevalier de La Barre, qu’on accusa de blasphème en 1766, «pour avoir chanté des chansons impies et refusé de se découvrir au passage d’une procession.» Mighty Sim leva les yeux vers nous pour nous rappeler qu’en ce temps-là, le blasphème était encore puni de mort. «Dénoncé par des témoins oculaires, le Chevalier fut donc condamné à mort par le tribunal d’Abbeville. Il fit appel. Appel rejeté par le Parlement de Paris. Le jour de l’exécution, il fut soumis à la ‘question ordinaire’ pour qu’il reconnaisse ses crimes, mais il perdit connaissance dans les brodequins.» Mighty Sim parlait d’une voix de plus en plus sourde. Il nous glaçait les sangs. «On réanima le Chevalier pour le faire monter sur l’échafaud.» La voix de Mighty Sim n’était plus qu’un murmure. «On lui coupa la langue, puis la tête, on lui cloua le Dictionnaire Philosophique de Voltaire sur le torse et on jeta son corps sur le bûcher.» Mighty Sim ajouta dans un râle que le Chevalier n’avait que vingt ans. Il reprit son souffle pour conclure en indiquant que Voltaire lança une contre-attaque depuis la bourgade suisse où il s’était réfugié, dénonçant dans un article la barbarie de ces gens «qui ordonnèrent, non seulement qu’on lui arrachât la langue, qu’on lui coupât la main, et qu’on brûlât son corps à petit feu ; mais ils l’appliquèrent encore à la torture pour savoir combien de chansons il avait chantées, et combien de processions il avait vu passer, le chapeau sur la tête.»

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             Finalement, tout le monde est bien content que cette époque soit révolue. Seul Mighty Sim pouvait donner à cet épisode tragique le retentissement qu’il mérite. Il existe un autre spécialiste du retentissement, un Mighty tout aussi mighty, l’excellent Mighty Sam, un petit blackos de Louisiane au regard incroyablement triste. 

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             Étrange album que ce Your Perfect Companion paru en 1986, sur Orleans Records, un label de la Nouvelle Orleans, comme son nom l’indique. Étrange, car on n’avait encore jamais vu une pochette aussi foireuse. Le graphiste a voulu faire un effet sur le portrait de Mighty Sam et l’effet est tellement raté que Mighty Sam est tout noir. Au dos, on trouve un portrait classique qui heureusement a échappé au graphiste du diable. L’album est enregistré à Nashville et le son s’en ressent. «Why» sonne comme de la Soul de Nashville. Rien sur les gens. Rien sur Robert. Mighty Sam chante d’une voix chaude et tranchante à la Otis. C’est la B qui rafle la mise avec «Backstreets», un heavy blues classique mais puissant, très Nashville, sans couleur particulière. On sent le poids des grosses pointures. Mighty Sam y va de bon cœur. Puis il tape une belle cover d’«A Change Is Gonna Come». Il attaque son Sam Cooke à l’I was born by the river et chante vraiment du coin du menton.

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             Mine de rien, Mighty Sam fait son petit bonhomme de chemin dans les cercles de la connaissance. Personne n’irait miser un seul kopeck sur la pochette de Nothing But The Truth. Grave erreur ! C’est un excellent album. Côté registre, Mighty Sam n’est pas très loin de Wilson Pickett. Ses slowahs sont très impressionnants, de vraies sangsues, mais des sangsues de haut rang («Sweet Dreams»). Toute la viande se planque en B. Il se met à rugir en fin d’«I’m A Man», un vrai lion du désert ! Il revient au slowah de choc avec «When She Touches Me». Chaque slowah est un combat pied à pied avec les éléments. Mighty Sam est un chanteur extraordinaire. Il fait même de la country Soul avec «I Came To Get My Baby (Out Of Jail)», il tape ça sur l’air de «500 Miles», une chanson traditionnelle qu’adapta Richard Anthony en son temps («J’entends Siffler Le Train»). Et puis avec «Badmouthin», Mighty Sam jette tout son poids dans la balance.

    Signé : Cazengler, Mighty Shame

    Mighty Sam. Your Perfect Companion. Orleans Records 1986

    Mighty Sam. Nothing But The Truth. P-Vine Records 1988

     

     

    Dans les griffes de Gruff

    - Part Three 

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             Gruff a tellement d’idées qu’il décide en 2004 d’entamer une carrière solo. Sur son premier album, l’imprononçable Yr Atal Genhedlleath, il chante en gallois. Comme ça, on est tranquille, aucun effort à fournir pour essayer de comprendre les conneries qu’il raconte.

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    Gruff a des idées. Des idées, oui, mais avec du son. Et quel son ! Gruff a sa griffe. Il s’amuse avec son «Epynt». Il continue de s’amuser avec son «Rhagluniaeth Ysgafn». En fait, il s’amuse avec les croisées des chemins. Mais n’allez pas le prendre pour un clown, il fait l’une des meilleures pop d’Angleterre. Même dans cette langue tellement ingrate, même pas phonétique. Il passe aux machines avec «Caerffosiaeth» et devient une sorte de schtroumphf hip-hop dada, et les chœurs de mecs bizarres ne font que renforcer cette impression d’incongruité. En fait, il dit qu’il chante en gallois, mais il se pourrait bien que ce soit une simple fantaisie linguistique. Son «Ni Yw Y Byd» sort tout droit d’un roman de Lovecraft. Même chose pour le cut qui suit, «Chwarae’n Troi’n Chwerw», voilà le Gruff qui plane comme un vampire au-dessus de sa mélodie. Il passe par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel et chante à la pointe d’un beau baryton.

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             Comme on décide de bouffer du Gruff, alors on se farcit Candylion. Cet album solo paru en 2007 met un temps fou à décoller. Le morceau titre n’a aucun intérêt, alors fuck it. Les cuts qui suivent ne fonctionnent pas. C’est n’importe quoi. On le voit cavaler ventre à terre avec «Cycle Of Violence». Il cavale au sha la la la, il est marrant et un peu ridicule. Et soudain, il se fond dans un groove de Burt avec «Painting People Blue». Puis il se glisse dans ta poche avec «Beacon In The Darkness». On ne l’écoute que parce que c’est Gruff. Il fait son biz. Il fait sa soupe aux choux, rrru rrrru, d’ailleurs, il dérive dans le «Gyrru Gyrru Gyrru» et la folie l’emporte. Il termine sur un «Skylon» de 14 minutes. Le vieux Gruff a du métier, il reste fabuleusement attachant, il fait sa pop pour de vrai, il reste le roi du groovy rock, sur la durée, il peut rivaliser avec Bob Dylan, il a des couplets à revendre, il gratte ça sur les accords de «Gloria», il raconte sa story. Ah comme l’effarance de la prescience peut être pure au bord du lac de Constance.

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             Gruff propose pas moins de deux Beautiful Songs sur Hotel Shampoo : «Honey All Over» et «If We Were Words». Il attaque l’Honey à la chaleur de ton. Il va chercher la lumière et la trouve. Il trempe dans sa vieille fascination pour les Beatles et Brian Wilson. Cet Honey est d’une absolue perfection. «If We Were Words» se trouve vers la fin de l’album et récompense ceux qui ont été jusqu’au bout. Gruff revient par la bande, il chante à la pure bienveillance, comme un apôtre de la pop moderne, accompagné par une stand-up. Avec «Sensations In The Dark», il va droit sur Cuba, c’est son droit. Il crée l’événement, avec des trompettes et de la rumba dans l’air. On retrouve des échos de Brian Wilson et de Jimmy Webb dans «Take A Sentence» et il drive ensuite la pop de «Conservation Conversation» à l’accent sûr de remote control. Il s’amuse bien avec la pop, on sent nettement le joueur en lui. Il ramène par exemple des atonalités d’Aladin Sane au piano. «Sophie Softly» montre une fois de plus que Gruff reste nickel jusqu’au bout des griffes. Il est pop. Il est immaculé. Il lance des cascades de son dans «At The Heart Of Love». L’influence de Brian Wilson est évidente. On le voit encore s’amuser avec «Phantoms Of Power», il ramène des grosses guitarasses de la rascasse et tout un fourbi demented. Il jongle avec les formats et ça devient parfois très sérieux.       

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             La pochette d’American Interior ne paye pas de mine, mais attention, sous le parapluie se cachent deux coups de génie : «The Whether (Or Not)» et «Iolo». Gruff se situe dans l’abondance, comme Robert Pollard et Frank Black. Toutes ses chansons fonctionnent. Il accroche, quoi qu’il dise. Son Whether est monté sur une basse fuzz et ça devient vite spectaculaire, avec les montées de basse dans le son. Gruff est une espèce de Swamp Dogg en blanc. Il a récupéré tous les plans des Beach Boys, il est complètement euphorique. Il s’amuse encore plus avec «Iolo». Il dispose de cette volonté intellectuelle qui lui permet d’expérimenter. Il balance des violons sur un drumbeat de hard Rhys. Son morceau titre sonne comme une sacrée mainmise sur la pop. Quand on le voit repartir avec «100 Unread Messages» sur la samba galloise, on comprend que sa seule optique est la liberté. Avec «The Last Conquistador», il fait son Neil Young, avec le même genre de power, au chant généreux d’ambition démesurée. Gruff Rhys est une aubaine. Il claque le groove de «Liberty (Is Where We’ll Be)» à la surface de sa qualité. C’est excellent, inspiré par tous les trous, avec cette mystérieuse récurrence des pianotis d’Aladin Sane. Gruff veille au grain de Rhys. Tout est spécial sur cet album, mais en même temps, il existe une sorte de cohérence dans le délire, mais à un point que tu ne peux imaginer si tu ne fais pas l’expérience de l’écoute. C’est en tous les cas le sentiment que donne «The Swamp». Et le festin se poursuit avec «Wild In The Wildreness», il plaque la pop dans son univers comme Andy Warhol couvrait de papier alu les murs de sa Factory. Gruff Rhys impose un profond respect. Il peut décoller comme le fait parfois Brian Wilson. Il se transforme en Saint-Vincent de Paul de la pop pour «Year Of The Dog» et boucle ce brillant épisode avec «Tiger’s Tale». Il drive une fois encore son biz à la qualité supérieure, il ne navigue qu’au sommet du lard fumant, il peut tout se permettre, même cet instro magique.      

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                  Attention : Set Fire To The Stars est la BO d’un film. Impair et passe.

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             Paru en 2018, Badelsberg peine à jouir. Gruff chante une petite pop pressée qui n’accroche pas. Tintin pour la magie. Le filon Furry s’épuise. Sa pop pressée est celle d’un homme volontaire et plein d’idées, comme l’est d’ailleurs Nick Saloman, mais ce n’est pas le même genre d’effervescence. Celle de Nick fonctionne toujours, celle de Gruff s’éteint. «Limited Edition Heart» est une petite pop qui se voudrait enchanteresse et qui ne l’est pas, mais alors pas du tout. Re-Tintin, pour la magie. Il essaye plein de trucs : chanter à la profondeur de ton («Drones In The City»), singer Nick Drake («Negative Vibes»), même s’il coule de source, comme un beau filet de morve. Il réussit même à devenir pénible («Achitecture Of Amnesia»). On est content quand ça s’arrête. Merci Gruff, à bientôt et bonjour chez toi.

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             Bon alors Pang ? To Pang or not to Pang ? Sa pochette à la Magritte n’inspire pas trop confiance. On voit tout de suite qu’il n’a pas de temps à perdre, il embarque son «Pang» aussi sec, du son c’est sûr, vite fait sur le gaz, pas le temps d’épiloguer. On perd vite la magie de la pop. Trop de machines dans les cuts suivants. Gruff paraît paumé. Il est même assez ridicule avec «Ara Deg». Il est en panne. Pauvre Pinocchio. Il cache la misère avec un balladif de bord du fleuve, «Eli Haul». Il n’a plus rien dans la culotte. Tous ces cuts manquent de protéines. Gruff finit par tomber dans le camp des pathétiques. On est inquiet pour lui, et l’inquiétude grandit au fil des cuts, lui qui fut jadis si prodigue. Là, il prend les gens pour des cons, surtout ceux qui continuent d’acheter ses albums. Il tente de sauver Pang avec le Welsh diskö beat d’«Ol Bys/Nodau Clust» et c’est le hit tant attendu. Dommage qu’il perde la main avec le reste. Un seul bon cut sur neuf, c’est pas terrible. Pang Pang cu-cul.            

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           Inutile de dire qu’on attend des merveille de ce Seeking New Gods paru en 2021, et qui va donc faire l’objet d’une tournée au printemps 2022. Il démarre en chantant à la barbe des vieux génies qui ont tout connu avec la pipe au bec et la lippe pendante. Il est marrant, ce mec, il continue de courtiser sa vieille muse éculée par tant d’obus. L’humour gallois de «Mausolum Of My Former Self» nous dépasse. Il retente le coup de la pop toxique avec «Can’t Carry On», mais ce n’est pas évident, malgré ce can’t carry on/ Can’t can’t. Avec le morceau titre, il écrase le champignon comme on presse un abcès, pour que ça gicle mais c’est avec «Hiking In Lightning» qu’il emporte tous les suffrages, car voilà un cut digne des barbares, those animal men, heavy riffing et fast tempo, il taille dans l’épaisseur du son et du coup, il ramène l’un des meilleurs sons d’Angleterre. Il fait ensuite son Todd Rundgren avec «Holiest Of The Holy Man», c’est-à-dire que sa mélodie explose en plein ciel. Le temps d’un cut, il redevient l’égal de Todd Rundgren et de Brian Wilson.

    Signé : Cazengler, Rhys orangis

    Gruff Rhys. Yr Atal Genhedlleath. Placid Casual Recording 2004

    Gruff Rhys. Candylion. Team Love Records 2007           

    Gruff Rhys. Hotel Shampoo. Ovni 2011   

    Gruff Rhys. American Interior. Turnstile 2014               

    Gruff Rhys. Set Fire To The Stars. Twisted Nerve 2016

    Gruff Rhys. Badelsberg. Rough Trade 2018

    Gruff Rhys. Pang. Rough Trade 2019                       

    Gruff Rhys. Seeking New Gods. Rough Trade 2021

     

    *

    Routes Of Rock, reprenons la highway des pionniers, retour à la source, le rock est une matière malléable à l’infini, un peu comme l’or potable des alchimistes. Les pionniers reviennent toujours à la surface, telles les fleurs vénéneuses de Baudelaire, aucun désherbant ne parvient à nous en débarrasser, elles nous narguent, elles nous survivront et nous n’y pouvons pas grand-chose.

    Cette fois-ci la piste maudite nous ramène en Thaïlande, nous y avons déjà rencontré Bill Crane qui a, voici quelques années, quitté la banlieue parisienne pour ce pays d’Asie, il photographie, il écrit, il vit, et depuis quelques mois il a ressorti sa guitare de son étui, dernièrement nous avons dans notre livraison 620 du 16 / 11 / 2023 chroniqué un recueil sous le nom d’Eric Calassou de ses clichés (très peu touristiques, amateurs de vues proprettes vous êtes avertis) et dans notre livraison 627 du 11 / 01 / 2024 son album virtuel Baby Call my name. N’est pas près de s’arrêter en si bon chemin puisqu’il remet le couvert avec :

    COVERS

    BILL CRANE

    ( Album Numérique / Chaîne Bill Crane YT)

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    Maybe baby : de Buddy Holly : l’on a écrit et répété à suffisance que le jour de la disparition de Buddy Holly est celui où la musique est morte, genre de déclaration aussi stupide que celle qui prédisait qu’après la shoah il serait impossible d’écrire de la poésie, c’est là oublier que sur la croûte terrestre l’homme est un insecte obstiné qui jamais ne cesse de vaquer à ses affaires habituelles comme écouter de la musique ou tuer ses semblables. Que serait devenu Buddy Holly si l’ange de la mort ne l’avait ravi en plein ciel un jour de tempête neigeuse, je n’en sais rien, mais ce qui est sûr c’est que ses continuateurs sont devenus célèbres en mélangeant la mélodie au rock’n’roll les Beatles ne faisaient que suivre l’exemple de Buddy qui attifa de chœurs gentillets le jungle sound de Bo Diddley, sur le papier l’alliance reste improbable, dans les faits elle s’avéra une réussite indéniable. S’atteler à une reprise de Buddy avec un micro, une guitare et une boîte à rythme relève du grand art. Bill Crane n’a gardé de l’original que l’épure, les chœurs féminins et leurs bouches en cœur ont été relégués dans les oubliettes. Au final la popperie sucrée de Buddy y a laissé bien des plumes, mais y a gagné sur toute la ligne, la chanson de Buddy nous parle d’un futur proche heureux, la reprise de Bill Crane s’inscrit dans la poignante nostalgie d’une époque révolue, 1957 tambourinait dans les jours heureux de la société de consommation, de 2024  se profilent des jours sombres, la voix de Bill Crane est en équilibre sur le fil tendu entre bonheur et angoisse, quant à sa guitare elle égrène de miraculeuses notes qui roulent entre diamants et larmes. La rythmique inexorable nous rappelle que le train, de tout son train-train, se dirige dans la nuit de l’incertitude qui nous attend. Love me tender : certes Elvis est le roi du rock, mais pourquoi reprendre cette bluette et pas Mystery Train, que manigance Bill Crane, que veut-il signifier par ce choix, n’existe-t-il pas des trucs plus toniques dans le répertoire de l’occupant de Graceland, sans aucun doute, mais là Bill Crane nous sort un véritable chef-d’œuvre, la meilleure interprétation de ce morceau que vous n’entendrez jamais, d’une tristesse infinie, d’un désespoir absolu, vous transforme la chansonnette en drame métaphysique, une tragédie grecque, si vous n’avez jamais compris ce que veut dire Aristote lorsqu’il parle de catharsis pour définir le dénouement d’une crise, écoutez ce Love me Tender c’est la survie catastrockphique que vous vivez tous les jours depuis la naissance du rock,  cette voix grave qui  se superpose à elle-même comme la vague sur le rivage  s’en vient recouvrir celle qui l’a précédée pour subir le même sort dans l’instant suivant sous celle qui s’en vient déferlant sur toutes vos illusions. Chicken walk : coup de maître, qui vaut bien le cou coupé de fin de Zone d’Apollinaire, après nos deux fleuves tranquilles du début Bill Crane nous sort Adkins de l’Hasil, l’est né deux ans après Elvis mais sa musique peut être qualifiée de proto-rock en le sens où elle puise dans la primitivité, non pas la plus pure, mais la plus sale du blues. Encore une fois Bill Crane pousse d’un millimètre le curseur. Vous en donne une version très pionnier du rock, une fois que vous l’aurez écoutée faites le test : retourner au Maybe Baby de Buddy Holly et vous comprendrez pourquoi le chanteur de Lubbock malgré ses mignardises est un rocker authentique. N’ayez crainte Bill Crane vous décapite la poulette proprement, non seulement vous ne souffrirez pas mais votre perversité inavouable se réjouira. Roadrunner : l’on vient de parler de Buddy Holly, voici donc Bo Diddley qui se radine. A toute vitesse. ( Note subsidiaire : si vous voulez savoir d’où les Animals ont tiré leur son écoutez Bo Diddley, l’a autant inspiré le rock anglais qu’américain, el Semental comme disent les espagnols pour désigner l’étalon ). L’on s’attend à un festival de guitare, c’est oublier que le rock des pionniers repose avant tout sur l’inflexion du vocal, alors Bill Crane nous en donne une version à la Buddy Holly, sans les chœurs mais surtout sans le chant, réalise ce prodige que les plus beaux moments du morceau sont lorsqu’il parle, prend la parole, nous file une espèce de talkin’blues désinvolte, car le rock ‘n’ roll n’est pas une musique mais un jeu et vous avez intérêt à connaître toutes les règles de la gamme et du game. Not over. Havana Moon : je vais vous confesser un de mes crimes, mon morceau préféré de Chuck Berry c’est Havana Moon, peut-être parce que l’on entend beaucoup plus sa voix que sa guitare, quel plaisir de retrouver ce morceau dans ce florilège rock !  Evidemment sur ce morceau la guitare de Bill ne crâne pas, elle se fait discrète, faut reconnaître qu’elle est un peu comme ces filles en tenue passe-partout qu’une infime touche de rouge sur les lèvres vous attire irrésistiblement vers elles, une version toute en évanescence, perpétuellement elle se délite mais elle ne meurt jamais, le chant de Berry sent la gouaille friponne, à écouter les murmures de Bill votre foie sécrète de la bile, la sueur froide du trépas passe sur vous, tous ces bruits qui chuchotent vous transportent dans le halo funèbre de la lune noire. Be bop a Lula : ( nous avons déjà chroniqué ce morceau dans notre livraison 628 du 18 / 01 / 2024). L’on a longtemps mythifié sur la version lente de Be Bop A Lula, Bill Crane nous en donne une version tendre, nous la transforme en chanson douce, l’en rabote toutes les articulations syncopiques qui forment l’ossature de l’original, encore marquée de ses influences leberiennes et stolleriennes, s’en dégage une tristesse destinale en totale adéquation avec les dernières années de Gene. Baby please don’t go : Big Joe Williams l’enregistre en 1935 année de naissance de Presley, trente ans plus tard lorsque l’on l’a entendue à la radio l’on a tous cru qu’elle était une création des Them, bien sûr elle venait de bien plus loin, des champs de coton et des chants d’esclaves, et était fortement inspirée par John Lee Hooker,  l’en existe des centaines de version, celle de Bill Crane moanise quelque peu, l’aurait dû supprimer la boîte à rythme  son absence nous aurait aidé à mieux comprendre comment et surtout pourquoi le rock est un enfant perdu du blues, ce n’est pas la fillette qui est partie, c’est le gars qui s’en est allé il ne sait pas où et pourquoi, l’appel sauvage nous souffle Jack London, il marche à pieds sur une highway détrempée et battue par un vent mauvais. Completely sweet : (nous avons déjà chroniqué ce morceau dans notre livraison 628 du 18 / 01 / 2024). Un de ces bonbons à la fraise acidulée voire à l’orange sanguine dont Eddie Cochran était coutumier, le vocal se charge du sucre et la guitare du sulfure. Bill Crane change la recette, une voix caverneuse au timbre chargé de nostalgie et une guitare agite son éventail pour vous ressusciter de votre rêverie léthargique. Et puis ses doux yodels évaporés qu’il enfonce dans la roche des falaises de l’immémoire. Sur l’image qui raccompagnait cette version je n’avais pas tilté sur ce bouquet de roses rouges qui semble avoir été posé sur une tombe, et les stores baissés. Le show must not go on. I wanna be U doll : réouverture du magasin. De nouveaux arrivages. Mais ce ne sont pas des pionniers. Oui, d’accord mais avec les années qui s’accumulent la distance entre 1960 et 169 a tendance à se rétrécir. L’a renvoyé le chien à la niche. Changement de genre. Notre crâneur commence à déblatérer dans un haut-parleur, joue à Monsieur Loyal, le rock’n’roll n’est que l’autre face du cirque. La guitare ne court pas à la déglingue, maintenant le vocal se lamente à la manière d’un coyote arraché à sa verte prairie pour être enfermé dans une cage de la ménagerie. Une basse triste comme la nuit qui tombe, peut l’appeler tant qu’il veut, le chien serait-il une chienne, la bestiole ne viendra pas, c’est peut-être pour cette raison que le maître joue de la guitare comme s’il frappait un gong funèbre. Envoûtant et fascinant. Un iguane a dû s’échapper. Tutti Frutti : ce n’est pas un morceau de rock, Little Richard, c’est une torche que Dieu a allumée pour que partout où elle passe les âmes ne repoussent pas. La torche de Bill Crane c’est celle que l’on éteignait sur le seuil de la maison ou le cortège avait emmené la mariée, plus besoin de flamme, elle était en train d’être consommée, le Bill Crane vous sape le moral, un pneu crevé, petit tu ne sais ce que c’est le rock ‘n’ roll, je vais t’apprendre, si derrière les habits chamarrés tu ne discernes pas la silhouette de la mort, tu n’as rien compris à la vie, en soi ce n’est pas grave, par contre tu n'as rien compris au rock’n’roll, ça c’est rédhibitoire. Alors tais-toi, mets un mouchoir sur tes jérémiades, écoute le frémissement des sycomores. Matchbox : Carl Perkins est-il le plus grand des pionniers. C’est la question que je me pose chaque fois que j’entends un de ces titres. En tout cas le plus authentique, sans un minimum de frime. L’est le lieu où le blues rural copule avec le rockabilly rural. Le rock à Bill Crane a compris toute l’histoire légendaire du rock’n’roll, une interprétation tout en nuance en-dessous juste pour que l’on entende le bruit qui sourd de la terre ensemencée par les esclaves et les pauvres blancs, plus de tristesse, juste le blues du fermier qui travaille pour des queues de citrouille. Lonesome town : l’a un profil de gosse de riche Ricky, et des chœurs qui ressemblent un peu à ceux d’In the ghetto d’Elvis, bref il vous déchire le palpitant en petits morceaux. L’on avait compris que le Bill Crane n’allait pas faire une reprise de Yakety Yak des Coasters, termine sur une chanson automnale, ne la rend pas plus solitaire et triste que l’originale, se contente de la chanter, mais les arbres ont perdu leur couronne d’or, il nous les présente dépouillés. Vous pouvez pleurer, la pluie cachera vos larmes. Havana moon : l’a dû réfléchir Bill Crane, avec le morceau précédent vous filez tout droit prendre une chambre à l’hôtel des cœurs brisés, alors il nous offre un dernier cadeau, une seconde version de Havana Moon, la voix et le cette espèce de grésillement de cigales, tout à l’heure je faisais le mariole en remarquant que sur ce titre ce n’était pas la guitare de Chucky Chucka, comme l’aime à le nommer notre Cat Zengler, qui triomphait, l’a dû avoir la même intuition que moi Bill Crane, mais lui comme il sait en jouer, il se paie le luxe de la laisser au vestiaire, ça se remarque comme l’absence du dinosaure qui a déserté le canapé du salon, quant au résultat, il est terrible, cette voix qui va jusqu’au bout de la nuit comme une lampe à huile qui attend l’aurore pour consentir à fermer les yeux.

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             Les pionniers, parfois leurs cendres sont brûlantes, parfois elles sont froides. Ce Covers de Bill Crane vous aidera à comprendre ce phénomène dichotomique.

             Pour les amoureux du rock‘n’roll.

             Not only.

    Damie Chad.

     

    *

    LES BLOUSONS NOIRS : LES REBELLES SANS CAUSE

    ALEXIA SAUVAGEON / CHRISTOPHE WEBER

     

    Se nommer Sauvageon lorsque l’on traite du phénomène des Blousons noirs faut le faire, peut-être une indication du destin. Difficile d’être affirmatif : l’aurais-je déjà vu ? L’est remis sur YT par la chaîne Imineo Documentaires spécialisée en vidéos historiques, comme quoi tout peut arriver en ce bas monde, les blousons noirs sont entrés dans l’Histoire. Vous les retrouvez (notifiés) aussi sur la chaîne d’Alexia Sauvageon-Colette qui définit l’exposition de son travail professionnel et ses coups de cœur personnels en trois mots : Storytelling, émotion, impact. Sur le générique final le Copyright attribué à Sunset-Presse date de 2014, société spécialisée depuis trente ans dans la production de films et d’émission pour la télévision. Une grosse boite.

    L’ai-je déjà vu, Sans doute, mais je n’en suis pas sûr. Toutes les images que l’on trouve sur le Net sur les Blousons Noirs proviennent des mêmes sources. Les mêmes documents d’époques, les même rares témoins et acteurs interrogés, les mêmes connaisseurs, les mêmes spécialistes.

    Profitons-en pour rendre hommage à Jean-Paul Bourre disparu le 23 octobre de l’année dernière que l’on voit revenir sur les lieux de sa jeunesse, il fit partie de la bande des Croix Blanches à Issoire, par la suite il écrira de nombreux livres, deviendra animateur de radio sur Ici et Maintenant, l’est un témoin de toutes les dérives underground, officieuses et officielles de sa génération depuis les années soixante à avant-hier…

    Le docu d’une heure est plein comme un œuf, il analyse le mouvement qui ne dura pas longtemps de 1959 à 1963, situation historique, nationale, internationale, le phénomène français, milieu social, violences, bagarres, Marlon Brando, James Dean,  la musique, place centrale accordée à Vince Taylor et à Gene Vincent, rien que pour cela le docu est à voir, et puis l’évaporation du mouvement, la suite c’est  Mai 68, une nouvelle génération, petite-bourgeoise, qui prend non pas le pouvoir mais le devant de la scène, le docu oublie toutefois de préciser que le seul soir où la police fut débordée c’est quand les bandes jusqu’à lors en retrait descendirent au centre de Paris, elles ne se fixèrent pas sur les barricades, points chauds de normalisation délimitoires de l’ennemi, mais se déplacèrent en petits groupes harcelant et désorganisant les flics… ensuite c’est la survie, ceux qui se sont volatilisés ( mariage, boulot, métro) et ceux qui ont continué le rêve à leur manière, Patrick Grenier de la Salle devenu écrivain, son roman Classe Dangereuse est à lire, l’est émouvant avec son perfecto et son badge Eddie Cochran, Gérard  Bricks qui monte son groupe de rock une fois la retraite arrivée...

             C’est tout, le docu expose mais ne va pas plus loin. Nous y reviendrons.

    Damie Chad.

     

     

    *

    Vous ne saurez jamais tout le mal que l’on se donne, le Cat Zengler et votre very heavy very humle serviteur Damie Chad pour rédiger nos maudites chroniques, ainsi pour celle-ci j’ai dû parfaire mes connaissances en langues kirghise et persane.

    NOMAD

    DARKESTRAH

    (Mars 2024 / Osmose Production)

    Darkesthrah et pas darkesthrash, sachez faire la différence, un groupe de metal certes, un peu différent, d’origine kirghise, même s’il est basé en Allemagne, qui se permet un mélange musical qui pourrait paraître incongru, symphonique et folklorique, mais si j’ajoute qu’il se revendique païen et que le retour aux premières civilisations est aussi un retour vers d’originelles musiques, ce genre de démarche ethno-moderniste vous apparaîtra peut-être s’inscrire dans une certaine logique de production authentiquement artefactique.

            Le Kirzgisthan, ancienne république soviétique est encastré au milieu de l’Asie Centrale entre le Tadjikistan, l’Ouzbékistan et la Chine. L’histoire des Kirghizes n’est pas simple, ils ne sont arrivés dans le Kirzigthan qu’au seizième siècle, d’après ce que j’ai compris ils proviendraient de Sibérie mais des tribus turkmènes se seraient mélangées à leurs troupes, ils se seraient un long moment installés en Mongolie… pas pour rien que le disque s’intitule Nomad ! C’est que l’on appelle une remontée aux racines. Mythiques.

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             La couve nous fait rêver, un guerrier chevauchant une magnifique monture, aussi noire et monumentale que le Bucéphale d’Alexandre le Grand, l’on s’imagine déjà en train de chevaucher avec les hordes mongoles de Gengis Khan, hélas ce dernier est venu au monde quelques siècles après les pérégrinations évoquées par notre rapide survol géographique. Un autre détail qui cloche (nous écrivons cette chronique au jour de Pâques), notre guerrier n’est guère armé, ni lance, ni arc, ni épée, porte un instrument de musique, qu’il joue avec un archet comme Jimmy Page, une espèce de guitare non électrique préhistorique aussi longue qu’un cou de girafe, aussi mal foutu qu’un clou de girofle, qui porte le doux nom de Tar, une précieuse indication pour notre écoute.

    J’avais cité Jimmy Page sans trop y réfléchir, mais à lire le paragraphe précédent l’on ne peut s’empêcher de penser aux expériences de Jimmy et de Robert Plant avec des musiciens marocains et égyptiens.

    Asbath : drums, percussions, si le nom de tenir komuz signifie guimbarde, vieil instrument traditionnel notre batteur est aussi chargé des modernités sampleriques / Resurgimus : guitares, keyboards / Magus : tambour, tar à quatre cordes (je suppose) employé dans les orchestres ‘’ symphoniques’’ orientaux, guimbarde / Cerritus : basse, tambour shamanique / Claruck : vocal, percussion.

    Le groupe est en activité depuis 1999, il a déjà commis six albums, des membres sont partis, de nouveaux venus sont arrivés. Il semble maintenant vouloir reprendre un nouveau départ.

    Journey through blue nothingness : un instrumental si vous voulez, un frémissement venu de loin, vient-il vers vous ou provient-il de vous, est-ce le néant du monde qui s’empare de vous, ou projetez-vous votre néant intérieur sur l’immensité qui vous entoure, une rumeur, un rituel shamanique monocorde,  une remontée vomitoire du fond des âges, du temps des hordes perdues dans l’infinité fuyante du monde qui semble vous aspirer à chacune de vos avancées, vous pensez conquérir la terre, vous n’êtes qu’un insecte perdu sur une surface informe sur laquelle vous ne faites que passer poussé, tiré par des forces incalculables dont vous croyez être le moteur, dont vous n’avez qu’une faible prescience de leur existence. Kök-Oy : sauvés ! ne pénétrons-nous pas dans un morceau qui fleure bon le chaud metal de nos habitudes auditoires, mille chevaux foncent droit devant, goûtez cette joie sauvage qui vous assaille, la voix colérique semble mener l’assaut, que se passe-t-il pourquoi cette rupture, le chant de victoire retentit, vous avez franchi le fleuve bleu, vous êtes rentrés dans le pays de vos espérances, en vous-même là où depuis toujours, depuis le premier jour de votre naissance , rôde la mort, vous n’en sortirez jamais, car nous restons prisonnier de nos pensées, oh ce bourdon insatiable qui résonne derrière la batterie, où que tu diriges tes pas, tu ne sortiras jamais de toi-même, ton esprit est une tombe. Comprends que c’est là l’idée fondamentale qui guide tes pas. Somptueux ! Nomad : galops et hennissements de chevaux, chant de guerre et de destruction, partout où nous avons passé nous avons semé la mort, pillé et brûlé, une épopée victorieuse, partie d’un océan pour arriver à l’autre bout de la terre devant une même mer infranchissable, mais le grand voyage se double d’un autre introspectif, nous avons dominé le monde entier, nous sommes les rois mais nous vieillissons et nous mourrons, la route était simple et toute droite, maintenant nous chantons tous en chœur l’absence de ce pays que nous n’atteindrons jamais, oui les mots ont plus de poids que les armes, oui la poésie est plus brûlante que la guerre. Nostalgie de l’introuvable. Le morceau se déroule comme un immense film tumultueux dont les images vous happent, vous meuvent, vous transportent en un torrent de pensées interdites. Les plus grandes menaces. Sensationnel !

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     Destroyer of obstacles : sabots de chevaux, une voix féminine s’élève, récite-t-elle un mantra prononce-t-elle une imprécation, la musique déboule profonde majestueuse et la voix crache son venin, elle cite Erlik le dieu de la mort toujours à vos côtés, toujours aux côtés des guerriers, toujours à côté de celle qui chante car la mort élimine les obstacles qui se dressent et empêchent de voir au loin, la musique ralentit comme si les chevaux se mettaient au pas pour susciter le calme nécessaire à la shamane, elle est la proie d’un délire, la musique entre dans sa gorge, est-ce pour l’empêcher de révéler les secrets ou pour encore les obscurcir, le rythme s’alentit, l’imprononçable n’est-il pas dit en sa manière imprononçable, maintenant elle chante, elle hurle, elle s’étrangle, vous ne comprendrez pas les dernières paroles, mais que serait le Prince Noir, le grand meneur de hordes, sans le récitant dont ses exploits miment les paroles. Le sang n’est-il pas l’autre face de la poésie. Grandiose ! Pour mieux comprendre, le lecteur français peut se plonger dans la lecture de l’Anabase de Saint-John Perse qui expose une thématique semblable mais selon une culture occidentale et une historiographie méditerranéenne. Quest for the soul : suite tempétueuse du précédent, grandiose et funérale, la batterie cherche son chemin, il ne s’agit plus de s’emparer d’un royaume mais de récupérer une âme pour remplir le vide du monde, nous voici transporté dans une translation shamaniques, les quatre vents de l’esprit dirait Victor Hugo, Victor Segalen arpenteur des immensités chinoises déchiffrera les Stèles orientées au Sud, au Nord, à l’Ests à l’Ouest, et puis l’ultime intérieure, celle qui dévoile le nom qu’il ne faut pas lire, la sorcière n’a pas su, pas pu, pas voulu, nous ne le saurons exactement jamais, les aigles ont crevé ses yeux de voyante, rien n’arrêtera la cruauté du monde sur la face de la terre, le groupe lancé à toute vitesse galope à l’infini, maintenant il fatigue, le rythme marche à l’amble, procession funéraire pour quelqu’un qui n’a pas su mourir, des chœurs lamentueux s’élèvent, parfois la dernière vision est celle de la mort, la plus grande sagesse est-elle peut-être de ne rien dire, et de se taire quoi qu’il vous en coûte, car qui ne connaît pas la fin la cèle. Méditative effrayance. The dream of Kokojah : sonneries aussi ténues que la trame du monde, quel lieu pourrait m’emmener plus loin que le bout du monde, si ce n’est le rêve à condition que ce rêve se remplisse du vide du néant, les dernières paroles du Conquérant, ou du poëte qui supplie qu’on lui prophétise le terme ultime, y aurait-il une image dans son rêve ne serait-ce que celle d’un cri de corbeau qui lui dévorerait le cœur, ne serait-ce pas alors celle de sa mort, musique lente et processionnaire, voix augustéenne, elle épouse la lenteur des Dieux qui ne sont pas au rendez-vous, désespoir absolu, l’on se dirige vers elle depuis le premier jour, l’on est le premier angoissé lorsqu’elle se fond en nous, il nous reste donc encore à mourir. Pour une dernière fois. Puisque nous mourons sans cesse depuis toujours.  Définitive expérience. A dream that omens death : l’opus   finit comme il a commencé, une espèce de cérémonie funèbre, les dernières litanies avant le trépas, le monde est encore là, il est toujours là car il est la mort, car le monde et la mort sont une seule et même chose, les deux faces interchangeables et rigoureusement identiques de la présence de ce qui est. Dark Orchestra.

             L’on ne sort pas indemne de ce disque. L’est comme le bruit, cette saccade ruisselante, cette poignée de terre qui s’éboule sur votre cercueil dans ce cimetière où vous n’êtes plus et où vous êtes pourtant encore là, car tant que durera le monde, durera votre mort.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

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    Je ne suis pas un chaud partisan d’Andy Warhol, et de ces artistes dont les idées sont plus importantes que leurs réalisations, jusqu’à cet épisode je n’avais pas apporté une grande attention à sa déclaration ‘’tout le monde aura un jour ou l’autre son quart d’heure de célébrité’’, mais je dois avouer maintenant que je l’ai expérimentée qu’elle détient une part de vérité, toutefois je ne tiens pas à vous ennuyer avec mes réflexions sur l’art moderne et je vais donc vous raconter la mise en action de mon plan Z.

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    A peine avais-je posé un pied (le gauche) par terre, que je commençais à appliquer le plan Z.  Une tasse de thé plus (je devrais dire moins) deux biscottes légèrement beurrées et une poignée d’haricots verts cuits à l’eau non salée pour Molossa et Molossito. Je tiens à préciser que durant toute la mise en action du plan Z mes chiens manifestèrent une mauvaise volonté évidente s’efforçant à freiner sa préparation, ainsi après avoir reniflé dans leurs écuelles d’un commun accord ils entreprirent aussi sec une grève de la faim. 

    Ils me firent carrément la gueule (non ce n’est pas une expression triviale, je vous fais remarquer que les chiens n’ont pas de figure mais une gueule) quand ils remontèrent dans la voiture un peu plus tard après une séance chez le toiletteur. Je ne m’étais pourtant pas moqué d’eux, j’avais choisi le plus cher de Paris sans compter les trois mille euros de dédommagement pour passer avant tous les autres clients, entre nous soit dit Molossa avec ses petits nœuds roses sur les pattes et la tête, ça ne cadrait pas trop avec sa personnalité, mais le plan Z c’est le plan Z. Molossito était-il le plus réussi, avec ses petites perles de toutes les couleurs dans lesquelles les quatre opératrices qui s’étaient occupés de lui avaient fait passer des touffes de poils qu’elles avaient torsadées en forme de mini-tresse. Encore entre nous, je trouvais que ça ressemblait à ces coiffures dont les mamans africaines ornent la tête de leurs petites filles, mais avec les quatre pourboires de cinq cents euros que je distribuais aux hôtesses, je n’allais pas me plaindre, et puis le plan Z c’est le plan Z.

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    En bon maître je m’étais d’abord occupé de mes chiens, je pouvais donc m’occuper de moi-même. Coiffure, pédicure, manucure, asséchèrent mes économies.

    Au téléphone le Chef avait l’air inquiet :

             _ Oui Agent Chad je crédite immédiatement votre carte, elle porte maintenant la mention CADPAS (Carte d’Accès Direct Pour Action Spéciale) je certifie qu’avec cette mention vous avez directement accès aux fonds secrets de l’Elysée, ils ne sont pas trop regardants, essayez toutefois de ne pas dépasser le million d’Euros, vous savez qu’en haut lieu ils ne nous aiment pas. Ecoutez-moi bien Agent Chad, sans le connaître je pressens que votre plan Z est dangereux, je reste au bureau, téléphonez-moi si vous avez un problème. Bonne chance Agent Chad. La mort marche à vos côtés.

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    Je ne veux pas faire comme les pauvres qui parlent toujours d’argent, je me contente de vous dire j’ai de très très loin dépassé le million d’Euros. Que voulez-vous ce n’est pas de ma faute, de toutes les manières vous ne comprendriez pas et vous n’avez aucune idée des investissements nécessaires pour un plan Z.

    J’ai fait un détour chez Cartier, j’ai été très bien reçu, ils ont même excusé Molossito qui a fait pipi sur les chaussures d’une cliente :

             _ Ce n’est rien Monsieur, notre assurance dédommagera la dame, c’est bien les cinq Rollex les plus chères serties de diamant que vous prenez, vous avez raison, savez-vous qu’en plus de leurs multiples fonctions, par exemple elles indiquent la hauteur du Machu Pichu au centième de millimètres près, eh bien ces modèles-ci sont capables de vous donner l’heure !

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    Chez Boutik Luxe ils ont éclaté de rire lorsque je leur ai demandé le plus beau et le plus cher des costumes Armani qu’ils avaient.

             _ Monsieur a le sens de la plaisanterie, nous n’habillons ni les sans-abris, ni les indigents. Avec votre Perfecto nous subodorons votre style, sachez que tous les plus grands chanteurs de Metal commandent leur costume de scène chez nous, les tenues les plus étranges et les plus chères de la planète sortent de nos ateliers. En deux heures nous sommes capables de réaliser le moindre de vos désirs vestimentaires.

    Pas des charlatans, Rollex en main, deux heures pile plus tard je ressortis vêtu d’une espèce de peau de serpent lamée de fil de platine, je ne vous parle pas des chaussures en carapace d’ornythorinque, chaque fois que je passais devant une vitrine je ne m’attardais pas, j’avais peur de tomber amoureux de moi-même. Je suis naturellement beau mais là j’étais irrésistible !

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    Mon cerveau fit tilt ! J’étais sur la bonne voie ! Maintenant je me souvenais, Irrésistible c’était le titre de l’article que j’avais lu durant la nuit, j’avais suivi à la lettre les conseils de beauté. Oui OK, d’accord, mais tout cela pour quoi ? J’étais bloqué ! J’ai cherché dans ma tête, je n’ai rien trouvé, j’étais bloqué en plein milieu du Plan Z ! En désespoir de cause j’ai téléphoné au Chef.

             _ Que se passe-t-il Agend Chad ? Je sens que vous êtes en difficulté !

             _ Chef je n’arrive plus à avancer dans mon plan, je me suis rapproché du Z, mais il me reste encore quelques lettres, si vous aviez par hasard une idée, je suis preneur !

             _ Pas d’affolement Agent Chad, cela arrive souvent quand on entreprend un plan Z, d’après moi vous êtes bloqué au bon endroit, n’oubliez pas que le plan Q est une étape nécessaire à la réalisation du plan Z.

             _ Chef je veux bien le croire mais vos propos ne m’aident en rien !

             _ Pas de panique Agent Chad, regardez autour de vous, pensez à la lettre volée d’Edgar Poe qui était posée à la vue de toux ceux qui la cherchaient. Enfin un dernier détail, fiez-vous à mon flair, prenez vos chiens en laisse et dirigez-vous vers l’Elysée. Bonne chance, Agent Chad, je réitère mes recommandations, la mort marche à vos côtés et elle se rapproche.

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    J’ai pris mes chiens et suis parti en direction de l’Elysée, des propos tenus par le Chef, c’était la seule indication fiable que j’avais retenue. Je l’avoue mon esprit pédalait dans la choucroute pendant que j’avançais. Un détail s’imposa à moi : c’était le regard des filles et des femmes que je croisais. Au début je crus que c’était la manière dont Molissito et Molossa étaient attifés qui les faisait sourire. Mais non je dus me rendre à l’évidence. Mon apparence physique produisait une forte attirance sur ma modeste personne. Je n’ai jamais laissé la gent féminine insensible mais là je les sentais prêtes à s’offrir corps et âme à la moindre de mes invitations.

    J’étais perplexe, c’était donc cela le plan Q du Chef, devais-je satisfaire toutes les parisiennes ! Je trouvais la chose flatteuse certes mais un peu grotesque. N’allais-je pas périr de fatigue sous des vagues et des vagues de femmes qui se jetteraient sur moi ? Etait-ce la mort qui se rapprochait de moi !

    Elles étaient déjà une dizaine à me suivre de loin. Le danger se précisait. Je rentrai subitement chez un marchand de journaux. J’avais besoin de réfléchir. Et c’est là que subitement tout s’éclaira. Le plan Z ! l’avait raison le Chef , l’était partout ! Ecrit en grosses lettres sur la couverture du magazine ELLE : La photo de la jeune fille que j’avais remarquée lorsque j’étudiais les documents secrets : il suffisait de lire : MARDI APRES-MIDI L’ACTRICE GERALDINE LOUP RECUE A L’ELYEE !

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    S’agissait pas de la louper ! J’ai couru comme un fou vers L’Elysée, les chiens ne se firent pas prier, je ne sais pas comment mais ils avaient enfin compris qu’ils étaient un élément essentiel de la réussite du plan Z, je pouvais compter sur eux, à dix mille pour cent.

    Nous arrivâmes juste à temps, quelques talons mordillés à bon escient et nous pûmes percer le rideau d’admirateurs, de journalistes et de gorilles qui formaient un énorme arc de cercle devant le portail de l’Elysée. Le Président finissait son baise-main. C’était à moi de jouer. Oui la mort marchait à mes côtés.

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 631: KR'TNT 631 : WAYNE KRAMER / ROBERT FINLEY / LARRY COLLINS / MARK LANEGAN / JOHNNY ADAMS / BILL CRANE / OAK / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 631

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    08 / 02 / 2024

     

    WAYNE KRAMER / ROBERT FINLEY

    LARRY COLLINS / MARK LANEGAN

    JOHNNY ADAMS / BILL CRANE

    OAK / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 631

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Kramer tune

    (Part Three)

     

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             Stupéfiante nouvelle : Wayne Kramer vient tout juste de casser sa pipe en bois. Stupéfiant, parce que dans Mojo, il annonçait le grand retour du MC5 avec un album et une tournée. Il venait de composer 15 cuts et de monter un nouveau MC5 avec le chanteur Brad Brooks, le bassman Vicki Randle, le guitariste Stevie Salas et le beurreman Winston Watson Jr. - We’re gonna go everywhere. The MC5 is a show band, always was. We’re playing with matches - I want to go out there and burn some stages down - Le pauvre Wayne ne va rien cramer du tout.

             Pour honorer sa mémoire, nous allons désarchiver un texte jadis confié à Gildas pour Dig It!. Ce prétentieux panorama couvrait un vaste territoire : une autobio, la dernière apparition de Wayne Kramer sur scène à Paris en 2018 et quelques films lumineux.

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             À l’âge canonique de soixante-dix balais, Wayne Kramer opère un grand retour dans l’actualité : tournée mondiale d’un MC50 cm3 constitué pour célébrer le cinquantenaire de l’enregistrement du premier album du MC5, parution d’une pulpeuse autobio et tapis rouge dans Mojo avec ce fameux Mojo Interview habituellement réservé aux têtes de gondoles. Certains objecteront que le MC5 est aussi une tête de gondole, oui, mais une tête gondole underground, c’est-à-dire à la cave, avec tous les autres seigneurs des ténèbres. Ceux qu’on préfère. Et de loin.

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             Au temps jadis, personne ne pouvait rivaliser de ramalama fafafa avec le MC5. Wayne Kramer était en outre l’idole de Johnny Thunders et de pas mal de kids à travers le monde. Leur premier album avait pour double particularité de n’être pas double (comme l’étaient quasiment tous les albums live de l’époque, Doors, Cream, Steppenwolf and co) et de ne pas nous pomper l’air avec un solo de batterie. Il reste en outre, avec le Live At The Star-Club de Jerry Lee et No Sleep Till Hammersmith de Motörhead, l’un des plus grands disques live de tous les temps. Par grand, il faut entendre explosif. Le seul mec capable de réinventer une telle pétaudière aujourd’hui s’appelle Pat, l’inénarrable zébulon des Schizophonics. Tous les admirateurs de champignons atomiques connaissent Kick Out The Jams par cœur et se prosternent jusqu’à terre devant le zozo des Schizos, parce qu’il a su reprendre le flambeau avec brio. 

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             On piaffe tous d’impatience de revoir Wayne Kramer sur scène. C’est un peu comme de voir Ron Asheton en chair et en os, l’air de rien, ça redonne un peu de sens à la vie. Pour tromper l’attente, on peut lire le Mojo Interview. La double s’ouvre sur un fantastique portrait de Wayne Kramer : souriant, quasi-iconique, le regard pointé vers le ciel, le cheveu court, la barbe taillée, il offre l’image d’un homme bien dans sa peau, pas trop esquinté. Si on s’écoutait, on lui donnerait une petite cinquantaine. Une autre image le montre assis, tenant dans ses bras la fameuse Strato stars & stripes. Il semble rayonner. Ce mec n’a pas fini de nous surprendre. Il rayonne d’autant plus qu’il vient de se faire retaper : «On m’a installé un corset en uranium sur la colonne vertébrale, des implants dentaires et une prothèse auditive.» Refait à neuf - I’m like the bionic man over here - Brother Wayne vit à Hollywood, ça aide. Il nous explique tranquillement que l’absence du père créa dans sa vie un tel manque affectif qu’il ne réussit à le combler que d’une seule façon : en travaillant dur pour monter sur scène et faire en sorte que les mille personnes présentes dans la salle l’aiment. Il revient rapidement sur son adolescence de fauche et de fight, sur son goût prononcé pour la petite délinquance et sur sa colère qu’il ne contrôlait qu’avec de la dope - It was easier to get loaded than let my anger out - Et tout ça le conduit naturellement à Little Richard. Si Lee Allen fascinait tant Lou Reed, Brother Wayne en pinçait pour le beat d’Earl Palmer et pour la sheer exuberance de Little Richard. Il en pinçait aussi pour la vélocité guitaristique de chikah Chuck. Il enchaîne avec le TAMI show - James Brown and the Rolling Stones were something else - Il savait qu’il ne pourrait jamais devenir un James Brown, mais les Stones, oh yeah, c’était largement à sa portée. Tout cela le conduit naturellement aux rencontres : Rob & Fred. Brother Wayne explique là un truc capital : Rob & Fred étaient les seuls mecs qu’il pouvait fréquenter. On a tous connu ça dans la cour du lycée, l’époque des chapelles de Clochemerle, quand tout le monde se pointait avec des albums de Deep Purple et du Pink Floyd sous le bras. Jamais ceux des Stooges ou du MC5. Communication breakdown. En plus, Rob Tyner est un gosse intelligent et cultivé. Il dessine ses fringues et il sait chanter - Always a step ahead - Il n’y a pas de hasard, Balthazard. Pouf, c’est parti ! Brother Wayne forme Fred à la guitare. Tu joues la rythmique et moi la mélodie, rrright ? Ils bossent sur chickah Chuck comme tous les guitaristes le faisaient à l’époque, les fameux accords rock’n’roll qu’on joue en barré avec le petit doigt alternatif. Pas de guerre d’egos entre Wayne et Fred. Ils bossent leur Detroit Sound en toute impunité. Et comme la clairvoyance leur fait comprendre qu’ils ne sont pas des grands musiciens, ils en arrivent à la conclusion suivante : nous devons inventer quelque chose - That’s where the showmanship of the MC5 came from - Ils inventent le ramalama, c’est-à-dire une bombe atomique, mais une bombe atomique de rêve, celle qui ne ferait pas de mal à une mouche. Et quand cette bombe nous est tombée sur la gueule, on a vraiment a-do-ré ça.

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             D’ailleurs Brother Wayne se montre un peu chatouilleux sur la question de la reconnaissance. Quand un mec qui se croit malin le félicite pour son three-chords rock, ça ne passe pas. Le blast du MC5 va bien plus loin que ce qu’en disent les rois de l’étiquette : il suffit d’écouter la fin de «Starship» pour entendre l’importance du côté expérimental, voire insurrectionnel, the boundary-pushing side, comme l’appelle Wayne, la possibilité d’une île, oui, c’est exactement ce qu’on pouvait ressentir à l’époque, ce groupe ne souffrait pas d’être trop serré dans son jean, il savait s’exploser la braguette à coups de rafales de free. Kick Out The Jams sonnait comme une immense clameur de liberté, de la même façon que Fun House sonnait comme l’endroit qu’on rêvait d’habiter. 

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             Les Beatles et les Stones ? Okay, mais Brother Wayne n’y trouve pas son compte. Le coup du hit pop band ne le branche pas. Grâce à tous ces groupes anglais, il découvre qu’on peut écrire ses propres chansons et donner des concerts, plutôt que de jouer dans des clubs, comme c’est l’usage aux États-Unis. Mais à ses yeux, il manque dans ce phénomène de mode deux dimensions fondamentales : l’artistique et la politique. Il se sentait dans une impasse, à jouer les solos de chickah Chuck et à pousser son ampli dans les orties. C’est là qu’il découvre Sun Ra, Trane et Albert Ayler. Soudain tout s’éclaire. Brother Wayne entre alors dans un kinetic cosmic trip, il donne une forme sonique à ses pulsions politico-artistiques. Merci Brother John ! John Sinclair vient d’entrer dans la danse. Un Sinclair plus âgé et plus cultivé qui, comme Captain Beefheart le fit avec son Magic Band, entreprend de rééduquer ses ouailles, aux plans justement artistique et politique. Tout est dans son livre, le fameux Guitar Army. On peut d’ailleurs définir le Detroit Sound comme un rock d’avant-garde doté d’une conscience politique. Alors que la plupart des groupes étaient managés par des affairistes le plus souvent dénués de tout scrupule, le MC5 eut la chance d’être piloté par John Sinclair. Dans l’interview, Brother Wayne se dit fier d’avoir appartenu à cette génération qui s’est battue contre la guerre du Vietnam et pour les droits civiques du grand peuple noir. Par contre, il se dit inquiet pour l’avenir de son pays, car l’expression ‘conscience politique’ semble avoir disparu du dictionnaire, au profit d’on sait quoi. On ne va pas vous faire un dessin.

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             Mais quand on remet le nez dans les sermons politiques de John Sinclair, on bâille vite aux corneilles. S’il est une chose qui vieillit mal, c’est bien le discours politique enragé des années soixante-dix. Par contre, les actes restent, notamment ceux des branches armées des mouvements d’extrême gauche. Sinclair prônait justement la lutte armée, en fondant le White Panther Party, et il voulait que le MC5 soit la voix de cette révolution urbaine qu’il appelait de tous ses vœux. D’où sa vision d’une guitar army - a raggedy horde of holy barbarians marching into the future, pushed forward by a powerful blast of sound (une horde de barbares célestes entrant dans le futur, propulsée par un gros son) - Si le FBI n’était pas intervenu, nul doute que Sinclair aurait terminé sa carrière à la Maison Blanche. Dans le chapitre Roots qui introduit Guitar Army, Sinclair raconte comment ado il découvrit sa vocation via «Maybelline» et «Tutti Frutti» - There had never been any music like that on earth before - Tous ceux qui ont vécu ça à l’époque le savent : du jour au lendemain, ne comptait plus que le rock’n’roll. Excité comme un pou, Sinclair poursuit : «Tout à coup, on avait Screamin’ Jay Hawkins, Fidel Castro, Billy Riley and his Little Green men spreading the spectrum of possibilities all the way over», des gens qui ouvraient un nouveau champ du possible, un peu comme si Moïse était revenu ouvrir la Mer Rouge pour que tous les kids du monde échappent au joug des pharaons, c’est-à-dire les beaufs - Rock’n’roll was just that, a possibility, a whole new way to go and we jumped into it like there was nothing else for us to do - Oui, ça traçait bien la route - Daddio ! You dig ? We got Bill Haley & the Comets kickin’ out the jams and that’s all we need ! - Sinclair ajoute en outre qu’il ne pouvait y avoir aucun problème avec tous ces blackos de génie - Chuck, Fatsy, Bo Diddley et tous les autres - contrairement à ce que laissait entendre la société blanche bien-pensante qui puait la médisance et l’eau de Cologne - These black singers and magic music-makers were the real freedom riders of Amerika - Il y a de l’ironie dans le propos de Sinclair qui transforme les fils d’esclaves en chevaliers de la liberté. Grâce à John Sinclair, le MC5 entre alors dans la vraie mythologie du black power qui est celle de Trane et des géants du free.

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             Le MC5 devient vite intouchable. Aucun groupe américain ne peut rivaliser avec eux - There was no one that could touch us - Aucun groupe, qu’il soit de Frisco ou de New York, ne veut partager l’affiche avec le MC5 - ‘Cos we would kill them - Brother Wayne rappelle que les Stooges se sont développés dans l’ombre du MC5. Les deux groupes partageaient tout, les disques, les copines, les spliffs, les repas, les jams, absolument tout. Les Stooges sont le baby brother band. Wayne rappelle qu’Iggy avait alors une vision très claire de ce qu’il voulait faire, et les Stooges veillaient à rester strictement anti-intello. Chacun son territoire. Space is the Place pour le MC5, I’ve been dirt but I don’t care pour les Stooges.

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             Et puis tout s’écroule après les trois albums. Brother Wayne perd ce qu’il a de plus cher au monde : son groupe, c’est-à-dire la prunelle de ses yeux. Alors pour survivre, il se plonge corps et âme dans la dope - Just get loaded - Réflexe terriblement classique. Mais plutôt que de devenir un pauvre camé à la ramasse, Brother Wayne décide de devenir une star dans le milieu, un mix d’Arsène Lupin et de big dealer. Il en veut à la terre entière, au music-business, il voit le monde interlope des voyous comme le vrai monde. Il crache sur l’ancien, celui des gens normaux - What was good was for suckers - Il leur laisse leur fucking normalité et entre en clandestinité. Il développe même un cynisme à toute épreuve et trouve toutes les raisons de se féliciter quand il vide un appart ou un magasin. Kick out the jams motherfuckers ! Il ne croyait pas si bien dire, à l’époque où il gueulait ça sur scène, en chœur avec Brother Rob. Et petite cerise sur le gâteau, il se sent mille fois mieux depuis qu’il est passé à l’héro. Moins fatiguant que de monter un groupe et de répéter ! C’est d’ailleurs le problème de cette fucking dope - You can feel better automatically - Et quand il se fait poirer pour trafic de coke, on lui annonce le tarif : quinze piges. Fin de la rigolade. Mais comme il a oublié d’être con, il prend ça avec philosophie. Il sait qu’il a tout fait pour que ça finisse mal. Tu joues tu perds. C’est la règle. 

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             Rassurez-vous, il ne va tirer que deux piges. Au ballon, il feuillette des canards et voit des photos des Ramones. Ça le fait marrer, car les Ramones ressemblent tous les quatre à Fred Sonic Smith. Il retrouve la liberté en 1978 et décide de ne plus toucher aux drogues. Une bonne résolution qui ne tient pas longtemps, car la première chose qu’il fait est de monter Gang War avec Johnny Thunders. Il vient aussi jouer à Londres, invité par ses frères de la côte Mick Farren et Boss Goodman.

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             Après dix ans d’errance et de petits boulots, la mort de Brother Rob en 1991 le réveille brutalement. Brother Wayne se dit qu’il lui reste encore 20 ou 30 piges à vivre et qu’il vaut mieux essayer d’en faire quelque chose. Des disques, par exemple. Et en 1995, il démarre grâce à Brett Gurrewitz d’Epitaph l’enregistrement d’une série d’albums exceptionnels. Brother Wayne se sent en forme et il pense qu’il doit l’excellence de sa condition au fait d’être resté pauvre pendant vingt ans - Imagine que le MC5 ait continué et soit devenu le premier groupe de rock américain : il est certain qu’aujourd’hui je serais mort - Dans ce monde-là, le blé veut dire la dope. Mais quand Bob Mehr lui demande pourquoi il n’a pas choisi un mode de vie plus calme, Brother Wayne lui répond qu’il ne peut pas raisonner ainsi - That’s speculating on a level I can’t get to - C’est comme de demander à l’âne Aliboron ce qu’il pense du bleu de Prusse. Ou à Jésus ce qu’il pense des clous. Vous obtiendrez la réponse que vous méritez.

             Brother Wayne indique aussi que la reformation du DTK/MC5 avec Michael Davis et Dennis Machine Gun Thompson ne s’est pas bien passée, car de vieilles tensions sont remontées à la surface. Brother Wayne ajoute que grâce au web, le MC5 n’a jamais été aussi populaire. Incroyable ! Il est le premier à s’en émerveiller. Qui aurait pu penser ça en 1973, quand le groupe a explosé en plein vol ? Brother Wayne se réjouit de penser que les gens dans le monde entier vont venir le voir rejouer sur scène un album de cinquante ans d’âge.

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             L’autobio de Brother Wayne parue cet été ressemble à un passage obligé, un de plus. Comme dans le cas du Nolan book de Curt Weiss, on pourrait penser que la messe est dite depuis un bon bail, mais non, rien n’est jamais aussi déterminant que la parole des principaux intéressés. Ceux qui ont lu Total Chaos ont pu le remarquer : ce big fat book n’a de sens que parce qu’Iggy raconte lui-même son histoire. Les histoires des mecs fascinants sont comme chacun sait forcément fascinantes.

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             La première chose qu’on remarque, c’est le titre : The Hard Stuff - Dope, Crime, The MC5, And My Life Of Impossibililites. Pas mal, non ? Dans le Mojo Interview, Brother Wayne explique qu’avec son livre, il veut étendre le propos, sortir du rock, revenir à l’humain - a more human path - pour fuir les clichés et surtout transmettre quelque chose qui soit utile. Il laisse les clichés à ceux qui manquent tragiquement de moyens - I wanted to write a book that was broader than rock music - Mais rien n’est plus difficile que de revenir à l’humain. Pour ça, il faut s’appeler Houellebecq ou Cioran, et non Kramer. Le pauvre Brother Wayne confond l’humain avec son nombril. C’est dramatique, et tellement américain, en même temps. Il consacre deux bons tiers de son récit à raconter ses démêlés avec l’addiction. On se croirait dans le cabinet d’un psy. La detox ? J’y arrive ! Oh zut j’y arrive pas ! Mais pourquoi ? Pas de père ? Ah ça c’est embêtant ! Brother Wayne nous raconte dans le détail sa conso d’héro, de vodka, de coke, de malabars et de carambars. Un tout petit peu de sexe, mais pas trop, allons allons, nous ne sommes pas chez Steve Jones. Avec cette marée tourbillonnaire de regrets éternels, Brother Wayne nous emmène aux antipodes de la révolution et de John Coltrane. On espérait une sorte de grandeur, un souffle révolutionnaire et on tombe sur de l’humain, oui, mais pas n’importe lequel : du trop humain. Le PMU de la rue Saint-Hilaire grouille de Brothers Wayne. Et curieusement, c’est peut-être ce qui nous rapproche d’un brave mec comme lui. Le fait qu’il ne sache rien faire d’autre que de parler de lui. Et comme toujours, c’est lorsqu’il évoque les autres qu’il devient intéressant et qu’on commence à l’écouter attentivement. Le cœur de l’autobio, et probablement de sa vie, est sa rencontre avec un certain Red Rodney, derrière les barreaux du Club Med de Lexington, dans le Kentucky.

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             Brother Wayne prend soin de préciser qu’on enfermait essentiellement à Lexington les gens qui trempaient dans la dope, utilisateurs comme dealers. Il sait que de nombreux géants du jazz ont séjourné à Lexington, car il a vu des partitions écrites sur les murs de la petite pièce qui jouxte la scène, dans la salle de spectacle. Ses collègues lui annoncent un jour qu’un certain Red Rodney va arriver - The legendary jazz trumpeter Red Rodney - Qui ? Mickey Rooney ? Non Red Rodney, you dumb fuck ! Brother Wayne apprend que le Red en question a joué avec Benny Goodman, Gene Krupa, Woody Herman et des tas d’autres gens qu’on ne connaît pas. Red remplaça même Miles Davis dans le Charlie Parker Quintet. Brother Wayne s’attend donc à voir arriver un grand black charismatique aux bras couverts de trous de seringues, mais non, Red est un petit cul blanc, la cinquantaine, assez corpulent, presque rose, surmonté d’une touffe de cheveux rouges - Danish jew, he told me later - Brother Wayne a du mal à gagner sa confiance, même s’il se présente à lui comme guitariste. Red garde ses distances, en vieux renard du ballon. Alors Brother Wayne le prend pour un snob. Et puis un jour Red vient le trouver avec sa trompette sous le bras et un cahier à la main. Il lui demande :

             — Tu sais lire la musique ?

             — Euh oui...

             Red ouvre son cahier. Ce sont des partitions.

             — Okay then, let’s play this one. A one ! A two ! A three !

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    ( Charlie Parker _ Red Rodney )

             Brother Wayne accompagne Red en grattant les accords de la partoche. Il en bave des ronds de chapeau - The changes came fast and furious - Quatre accords dans la mesure, tempo enlevé, et Red joue la mélodie. Quand c’est fini, Red dit : «Good, you can play.» Brother Wayne est fier d’avoir réussi son examen. C’est là que débute leur amitié. Ils deviennent copains comme cochons. Alors Red commence à se confier et à raconter ses aventures de trompettiste de jazz à New York dans les années quarante et cinquante, les tournées avec Charlie Parker sur le fameux Chitlin’ Circuit. Bird le surnommait alors Chood et l’obligeait à chanter un blues chaque soir - And I ain’t no singer - Clint Eastwood demanda conseil à Red lors du tournage de Bird et lui demanda même de participer à l’enregistrement de la bande originale du film. Brother Wayne découvre que Red est une sorte de mémoire vivante de l’histoire culturelle et musicale américaine - He was hipper than hip, cooler than cool - Brother Wayne se met à l’admirer intensément, au point de lui consacrer un chapitre entier de son autobio. C’est le cœur battant du livre. Red refait l’éducation musicale de Brother Wayne, lui inculque des notions d’harmonie et de composition. Retour à l’école, mais cette fois avec un vrai maître. Ils montent un jazzband et jouent chaque dimanche à Lexington. Ils sont même autorisés à jouer à l’extérieur. Évidemment, la dope coule à flots à Lexington, comme dans toutes les taules du monde et un jour Red demande à Brother Wayne de l’aider à se shooter, car il n’a plus de veines - Red had no veins left - Comme la grande majorité des jazzmen, Red has a lifetime of shooting up. Eh oui, il a fait ça toute sa vie. Et quand Brother Wayne lui demande pourquoi il est revenu à Lexington, alors Red doit remonter dans le temps...

             Il vivait peinard au Danemark, marié à la responsable du Danish library system. Il recevait sa méthadone chez lui par courrier. La belle vie. Au début des années 70, George Wein les engagea lui et Dexter Gordon pour une tournée américaine. Pour être à l’aise et ne pas être obligé de se ravitailler en tournée, Red acheta deux kilos de raw morphine base à un copain qui était à la fois fan de jazz et gros dealer de la mafia. Red mit le paquet dans sa valise et en arrivant à JFK, les chiens le reniflèrent. Red était repéré. Filature. La brigade des stup défonça la porte de sa chambre d’hôtel au moment où il prenait son premier shoot new-yorkais. Son avocat plaida l’usage et non le deal, alors le juge compatit et colla trois piges dans la barbe de Red, alors qu’il risquait beaucoup plus gros. Mais pour Red, retourner au trou était au-dessus de ses forces. Comme il était libre sous caution, il prit l’avion et se tira vite fait au Danemark. Pendant quelques années, le gouvernement américain demanda son extradition, mais comme Red était danois, pas question. En plus il faut savoir que dans ce pays merveilleux qu’est le Danemark, on ne considère pas l’usage de dope comme un délit. Un jour que Red se trouvait tout seul chez lui, on sonna à la porte. Deux gorilles de l’ambassade américaine lui expliquèrent qu’une nouvelle loi venait de passer, qu’il n’était plus poursuivi et qu’il devait signer un document. Red flaira l’embrouille et demanda à aller chercher ses lunettes. En voulant s’enfuir par la porte de derrière, il tomba sur un troisième gorille qui le braquait avec un 9 mm.

             — Alors, mon gros, tu voulais te faire la belle ?

             Cette ordure tira deux fois, bahm, bahm, une balle dans chaque cuisse. Ils jetèrent Red dans un van et l’emmenèrent à l’American Air Force base. Puis un avion le transporta directement à New York. Ça s’appelle un enlèvement. Red baisse son pantalon et montre à Brother Wayne les deux grosses marques rouges sur ses cuisses : les trous de balles. Arrivé au Bellevue Hospital, Red dut attendre neuf heures avant de voir un médecin. Dans l’aile du Bellevue où il était enfermé, il vit des gens salement amochés, tous kidnappés par les agents du DEA partout dans le monde. Quand il repassa devant le juge, il prit six mois de plus pour délit de fuite. Mais son avocat Edward Bennett Williams se leva lentement et prit soin d’informer le juge que le gouvernement américain avait blessé et kidnappé un citoyen danois vivant au Danemark, en violation de toutes les lois internationales. Juridiquement, il s’agissait d’un cas indéfendable. Maître Edward Bennett Williams demanda donc au nom de son client Red dix millions de dollars de dommages et intérêts. Voilà toute l’histoire du retour à Lexington. Le procès intenté par Red et son avocat contre le gouvernement suivait alors son cours.

             Un an plus tard, alors qu’ils se promènent dans la cour, Red annonce à Brother Wayne qu’on lui propose la liberté immédiate s’il renonce à ses poursuites.

             — Qu’en penses-tu, Wayne ?

             — Appelle ton avocat.

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             Évidemment, l’avocat conseille la fermeté : tiens bon Red ! Six mois plus tard, Brother Wayne sort du trou. Puis il apprend que Red a été libéré un peu après lui. Installé à Manhattan, Brother Wayne appelle son vieux poto pour prendre de ses nouvelles - He was doin’ pretty well ! - En effet, Red s’était acheté un bateau, une maison en Floride et une autre dans le New Jersey. Il avait obtenu trois millions de dollars cash du gouvernement pour boucler le dossier et fermer sa gueule. Red pouvait donc rejouer du jazz, quand il voulait et avec qui il voulait. Red va mourir en 1994, d’un cancer du poumon, à l’âge de 66 ans - He was my mentor and a father figure for me. Le père que Brother Wayne n’a jamais eu. Il rend aussi hommage à Red dans «The Red Arrow», un fantastique blaster qu’on trouve sur l’album Adult World paru en 2002. Écoutez-le et vous verrez trente-six chandelles.

             Ce qui est extraordinaire, dans ce chapitre, comme d’ailleurs dans le reste du récit, c’est qu’on croit entendre cette voix qui nous est familière, si on connaît ses excellents albums solo : débit oral très longiligne, avec un timbre assez doux, presque le ton de la confidence. Des grandes chansons autobiographiques comme «Snatched Deafeat (From The Jaws Of Victory)» ou politiques comme «Something Broken In The Promised Land» font de Brother Wayne un conteur né, mais il semble plus doué à l’oral qu’à l’écrit. Il semble nettement plus à l’aise dans le format sec et net d’un couplet que dans l’enfilade au long cours d’un livre de 300 pages. La distance du livre lui permet toutefois de rappeler ses grandes passions, high-powered drag racing machines (les dragsters) and loud music, le nom du MC5 choisi parce qu’il sonnait comme le nom d’une pièce détachée (Gimme a 4-56 rear end, four shock absorbers and an MC5), le fameux TAMI Show qu’il va revoir plusieurs soirs de suite dans un drive-in et où il découvre les Stones et James Brown, Bobby Babbit, l’un des grands guitaristes de Motown auquel il achète sa première vraie guitare (une sunburst Gibson ES-335), Michael Davis qui l’initie aux drogues (He had lived in New York for a couple of years and knew all about drugs), l’Hendrix d’Are You Experienced, John Sinclair, bien sûr, avant la brouille, Danny Fields, qui soutient le MC5 au moment de la shoote avec Elektra et qui se fait virer comme un chien pour ça, et puis bien sûr les drogues dont il raffole et qu’on croise à toutes les pages, jusqu’au methadon maintenance program qui lui permet de quitter ce parcours du combattant qu’est la vie de junkie - Sick of needles, sick of being broke, sick of lying and hustling - Il ne supportait plus les seringues, la dèche permanente, le mensonge et l’arnaque. Il préfère les opiates du bon docteur. Brother Wayne revient aussi le temps d’un chapitre sur le second désastre de sa carrière (après celui du MC5), Gang War, pour rappeler que cet épisode n’avait pas de sens et que la musique was not much of a consideration. Il aime bien Johnny, mais bon, ce n’est pas si simple - Johnny was not an evil guy but he was also just not the kind of guy who was going to get clean and join a gym (oui, Johnny n’était pas le mauvais bougre, mais il n’était pas non plus du genre à se remettre en état pour aller faire du sport) - Un soir, Johnny choure la caisse d’un club où doit jouer Gang War. Comme le convict Kambes/Kramer sort du ballon et qu’il est encore sous contrôle judiciaire, il ne veut pas y retourner à cause des conneries de Johnny. Il ordonne donc à Johnny de rendre le blé avant que le patron n’appelle les flics. Fin de l’épisode Gang War. Brother Wayne arrête les frais. Dommage, on aurait pu avoir de très beaux albums dans nos étagères. Il faut se contenter de l’existant, qui est sorti sur Skydog. Ce n’est déjà pas si mal.

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             Ce livre grouille d’infos intéressantes sur le MC5, bien sûr, comme l’épisode du renommage. À l’instar de Captain Beefheart, Ricky Derminer rebaptisa tout le groupe, à commencer par lui : il devint Rob Tyner, en l’honneur de McCoy Tyner. Wayne Kambes devint Wayne Kramer, Fred Smith devint Fred Bartholomew Smith (Fred se rebaptisera Sonic plus tard), Dennis Toumich devint Dennis Machine Gun Thompson et Michael Davis Mick Davies, mais pour une minute.

             Entre sa sortie de Lexington et son retour aux affaires, Brother Wayne va rester une bonne dizaine d’années sans jouer. Il s’installe en Floride, puis à Nashville et devient charpentier. Il se marie avec une nommée Gloria et Mick Farren assiste à la cérémonie. Mais au fond, il n’est pas très heureux à construire des maisons pour ceux qu’il appelle des rich motherfuckers. Alors il boit comme un trou. En plus, il voit sur MTV tous ces groupes incroyablement inférieurs au MC5 et qui se goinfrent comme des porcs - The MC5 could have eaten them for breakfast - Et puis le jour où il apprend la mort de Rob Tyner, c’est le déclic. La mort de Rob, c’est la mort de son rêve de jeunesse, auquel il avait consacré la meilleure partie de sa vie. Il le croyait encore possible - Someday it will all turn right - Un jour viendra... Voilà enfin le grand Wayne Kramer, le kid de Detroit à vocation prophétique : «The MC5 would all be great friends again, and we’d rock this MTV generation into a new sonic dimension with the most advanced, hardest-rocking, most soulful music ever heard. We’d usher in a new movement of high-energy music, art, and politics that would break all the old restrictions and power us into the future. (Alors on serait à nouveaux des vrais potes dans le MC5 et on enverrait la génération MTV valser dans une nouvelle dimension avec le rock le plus inspiré et le plus insurrectionnel jamais imaginé, une nouvelle dimension faite de rock, d’art et de politique high-energy qui défoncerait tous les barrages moraux et qui nous projetterait tous dans le futur).» La vision de Brother Wayne fait bien sûr écho à celle de John Sinclair, mais on sent nettement la force de son désespoir : rien n’est pire que la mort d’un rêve. Alors Brother Wayne se reprend, et dans un éclair de lucidité, il comprend qu’on meurt deux fois : la seconde mort est la vraie, celle qui nous attend tous à un moment donné. La première mort est celle de sa jeunesse. Il accepte d’enterrer ses rêves et monte un plan : quitter Nashville pour s’installer à Los Angeles et redémarrer sa vie de rocker. Pourquoi Los Angeles ? C’est là que se fait le business. Brother Wayne veut faire ce pourquoi il est né : kicker les jams. Les albums Epitaph, tous sans exception, sont chaudement recommandés. C’est donc le retour du fils prodigue, qui comme Johnny Thunders et Iggy se voit régulièrement traiter de godfather of punk. Aujourd’hui, on devrait plutôt l’appeler the papy of punk, histoire de le charrier gentiment. Oh, il le prendra bien. Brother Wayne est un homme qui connaît la vie.

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             Pour cette gigantesque tournée mondiale (70 dates), Brother Wayne s’entoure de vétérans et pour ça, il tape dans le dur, c’est-à-dire le batteur de Fugazi, le guitariste de Soundgarden, le bassman de Faith No More et le chanteur de Zen Guerilla. Il nous rassure en affirmant que les musiciens qu’il sollicite pour cette tournée ont des accointances sérieuses avec le MC5. Arrive le grand soir. Il surgit pile à l’heure sur la scène d’un Élysée Montmartre pas très plein, sa guitare stars & stripes en main, sobrement vêtu d’une chemise bleu marine, d’un jean et de petites bottines noires. On sent surtout chez lui une grosse envie de jouer et c’est parti ! Son enthousiasme est non seulement resté intact, mais il se révèle contagieux. Les roadies lui ont aménagé un passage au long de la scène entre la fosse et les retours et il vient y cavaler de temps en temps. Un vrai gosse ! Il ramone son vieux «Ramblin’ Rose» à la glotte rauque et enchaîne avec un Kick Out qui ne fait pas un pli. Quelle vitalité pour un homme de 70 balais ! Il saute dans tous les coins. Mais le mec qui force encore plus l’admiration, c’est Marcus Durant. Cet extraordinaire chanteur de blues se jette à terre pour l’immense burning down de «Motor City’s Burning». Il frappe les planches du plat de la main pour en accentuer le pathos. Lui et Brother Wayne font bien la paire. La vieille énergie du MC5 réchauffe les cœurs flétris. Dans les premiers rangs, la moyenne d’âge est élevée, ce qui paraît logique. Et comme au concert de Martha Reeves, on voit des gens céder à l’émotion. Brother Wayne et ses amis jouent tout le premier album et complètent avec des choses tirées des deux autres albums, du style «Shaking Street» et «Call Me Animal». Évidemment, «Tonight» fait basculer le vieil Élysée dans le chaos et avant de souhaiter bonne nuit aux vieux pépères parisiens, ils leur balancent en pleine gueule la huitième merveille du monde, «Looking At You».

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             Pour les ceusses qui souhaiteraient pousser le bouchon, il existe une documentation très bien foutue sur le Grande Ballroom qui est le berceau du MC5 et du Detroit Sound : un petit livre de Leo Early intitulé The Grande Ballroom - Detroit’s Rock’n’Roll Palace et son pendant filmique, Louder Than Love : The Grande Ballroom Story. Richement illustré, le petit livre de Leo Early fourmille aussi d’énergie informative. L’Early est allé loin chercher ses infos, jusque dans l’histoire du grand-banditisme juif du Detroit des années vingt. Le mec qui est à l’origine du Grande s’appelle Weitzman. L’Early affirme qu’en comparaison de Weitzman et de son Purple Gang, Capone et son organisation n’étaient que des branleurs. Weitzman possédait déjà le Grande Riviera, d’où le nom du Grande Ballroom. Il aurait approché les architectes à succès d’alors, Agree, Strata et Davis pour la construction d’un ballroom qu’il voulait le plus grand du midwest. À cette époque, le business du divertissement était extrêmement juteux. Le Fox Theater de Detroit proposait 5.000 places assises. Faites le compte : 5.000 places à 1 euro tous les soirs. On parle même de building frenzy dans les années vingt. En 1929, la ville de Detroit ne comptait pas moins de 2.000 salles de cinéma, soit 200.000 places. La famille Weitzman lâcha le Grande en 1964 et un certain Gabriel Glantz le reprit. Mais c’est Russ Gibbs qui va en faire le berceau du Detroit Sound. Comme Sam Phillips, Gibbs commence par travailler à la radio, puis il s’intéresse à l’organisation des concerts. C’est sa came. Quand en 1966 il rencontre Bill Graham à San Francisco, il est fasciné par le savoir-faire du Californien et décide de reproduire le modèle du Fillmore à Detroit - I want to bring music to Detroit in the San Francisco style - Gibbs a surtout flashé sur le stroboscope qu’il ne connaissait pas. Il loue le Grande pour 700 $ par mois à Glantz et commence par recruter les groupes locaux, dont bien sûr le MC5. Mais comme il n’a pas un rond, Gibbs demande au MC5 de jouer à l’œil dans un premier temps. Le groupe installe donc son matériel au Grande et en fait sa salle de répète. Et c’est là que naît la fameuse scène de Detroit qui va révolutionner le monde. Eh oui, les groupes se forment pour venir jouer au Grande : les Chosen Few (avec Scott Richardson, James Williamson et Ron Asheton - après le split, ça donnera SRC et les Stooges), les Prime Movers (avec Ron Asheton à la basse et Iggy on drums), les Bossmen (avec Dick Wagner et Mark Farner - après le split, ça donnera Frost et Grand Funk), mais aussi SRC, les mighty Rationals de Scott Morgan et les Up des frères Rasmussen, trois groupes qui ont bien failli devenir énormes. N’oublions pas les plus connus, les Amboy Dukes, Frost et bien sûr les Psychedelic Stooges. C’est au Grande qu’Iggy invente le stage dive et le stage invasion. Oui, tout ça grâce à Russ Gibbs. L’Early revient aussi sur les fameuses émeutes de 1967 - Motor City’s burning baby - et raconte que Tim Buckley programmé au Grande était coincé à Detroit. La ville était tombée aux mains des émeutiers. En revenant dans le quartier, Gibbs fut épaté de voir qu’on avait épargné le Grande. Il vit passer un gang de kids et leur demanda pourquoi ils n’avaient pas fait cramer le Grande. Ils répondirent : «You got the music here man !» Même histoire que le studio Stax qui sera lui aussi épargné en 68 par les émeutiers après l’attentat qui va coûter la vie à Martin Luther King. Puis Gibbs monte d’un cran et vise les pointures anglaises de l’époque, du style Cream, Jeff Beck Group, Who et Bluesbreakers. Il passe un contrat avec un agent new-yorkais indépendant nommé Frank Barsalona. C’est lui qui organise les tournées des têtes de gondoles anglaises, Beatles, Stones, Who, Yardbirds. Barsalona travaille avec Bill Graham à Frisco et Don Law à Boston. Comme il ne dépend pas des maisons de disques, les profits générés par les tournées vont directement aux groupes. Barsalona ne prend que 10%. Russ Gibbs vient donc le rencontrer à New York et en entrant dans son bureau, il croit se retrouver dans une scène du Goodfellas de Scorsese - Barsalona was a heavy Italian dude - Il appartenait en effet au milieu mafieux new-yorkais qu’on appelle the mob. Russ Gibbs : «Oh yeah, that was the mob !» C’est à Don Was que revient le mot de la fin. Il parle du MC5 et des Stooges - Raw as it was, it always had a groove - Rien à voir avec les autres groupes de l’époque, ajoute-t-il - This stuff was always funky, always had an R&B undertone, number one, and number two, it was, it was always about the feel and not about the technique - Not about the perfection of the delivery - Don Was rappelle que les Stooges et le MC5 ne recherchaient pas la perfection, mais le feeling - It was always, always raw, but it always felt good - Et, conclut-il, «si tu avais ces deux choses, le groove et le feeling, tu étais sûr de ne pas te faire jeter. Si tu entends tellement de mauvais rock aujourd’hui, c’est parce qu’il manque soit le feeling, soit le groove.» 

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             Dans son docu consacré au Grande, Tony D’Annunzio raconte sensiblement la même histoire, mais comme toujours, les témoignages réactualisent le passé plus facilement. Russ Gibbs qui est devenu un vieux monsieur redit sa fascination pour l’endroit - The greatest hard-wood dancefloor in the country - et Brother Wayne rappelle qu’à Detroit, la musique était à l’image de la ville, a rough industrial city in the midwest - What you get is very honest - Et crac, on voit le MC5 sur scène et tout le monde se dit fasciné, Lemmy, Mark Farner. On voit aussi témoigner les autres géants, Dick Wagner, Ted Nugent, Alice Cooper, tout le gratin de la Detroit scene. Il y avait tellement de bons groupes que la barre était placée très haut, rappelle Dick Wagner. Les groupes qui perçaient à Detroit pouvaient partir à la conquête du monde sans aucun problème. Dans l’un des bouts d’interviews, Brother Wayne se souvient d’avoir flashé sur les Who - They had it ! - et il évoque la fantastique débauche qui régnait au Grande - An unbelievable amount of sex at the Grande - Brother Wayne et ses copains avaient installé deux matelas, un sous la scène, et un autre dans un grenier, au-dessus de la scène. Ils baisaient comme des lapins. Ce docu attachant se termine avec un dernier hommage au héros du Grande, Russ Gibbs, free spirit, generous guy.

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             Pas de MC5 non plus sans Danny Fields, évidemment. Tout aussi recommandable, le film de Brendan Toller, Danny Says, raconte l’histoire d’un mec fasciné par les crazy people. Danny a la chance de fréquenter la Factory à la grande époque et d’assister aux débuts du Velvet. Quand on commence comme ça, en général, on est foutu - Nico, Edie Sedgwick, Warhol, le Cafe Bizarre - Jac Holzman crée the publicity department chez Elektra pour Danny et le charge de s’occuper de Jim Morrison. Les fans des Doors trouveront des détails croustillants dans ce docu. Puis Danny découvre David Peel et réussit à convaincre Holzman de sortir l’album. Quand on s’intéresse au Velvet, on finit forcément par s’intéresser au MC5. Danny les voit à Detroit et les veut aussitôt. Brother Wayne lui dit qu’il existe un baby brother band, les Stooges. Danny les voit et les veut aussi. Alors il passe un coup de fil à son boss Jac.

             — Jac, j’ai deux groupes déments ! Le MC5, assez connu et les Stooges, pas encore connus ! Que dis-tu de ça ?

             — Okay, propose 20.000 $ au MC5 et 5.000 $ aux Stooges.

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             Tout est bouclé en 24 heures, les sous et les contrats. John Sinclair se retrouve avec 25.000 $, de quoi payer les dettes et acheter du matériel. On connaît la fin de l’histoire : le MC5 viré d’Elektra, puis les Stooges un peu plus tard. Danny se fait aussi virer d’Elektra. Il devient alors l’assistant de Steve Paul. C’est l’époque de Johnny & Edgar Winter. Comme on le considère comme un découvreur, on le branche aussi sur un groupe de Boston, Aerosmith, oui, bof, ben euh, pfffff... Il laisse ça à d’autres. Danny préfère - et de très très loin - les Modern Lovers.

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    Un peu plus tard, Lisa Robinson lui dit d’aller voir un groupe marrant au CBGB. Ils s’appellent les Ramones. Danny les voit et les veut aussitôt. C’est le coup de foudre. Il leur saute dessus dès qu’ils sortent de scène :

             — Je suis Danny Fields ! Voulez-vous de moi comme manager ?

             — One two three four, okay ! Mais tu nous files 3.000 $, okay ?

             Comme il n’a pas de blé, Danny descend voir sa mère en Floride pour lui emprunter les 3.000 $ et tout le monde connaît la suite de l’histoire - Danny says we gotta go/ Gotta go to Idaho.

    Signé : Cazengler, Wayne Kramerde

    Wayne Kramer. Disparu le 2 février 2024

    MC50. Élysée Montmartre. Paris XVIIIe. 14 novembre 2018

    John Sinclair. Guitar Army. Process 2007

    Wayne Kramer. The Hard Stuff - Dope, Crime, The MC5, And My Life Of Impossibilities. Faber & Faber 2018

    Leo Early. The Grande Ballroom - Detroit’s Rock’n’Roll Palace. History Press 2016

    Tony D’Annunzio. Louder Than Love : The Grande Ballroom Story. DVD 2015

    Brendan Toller. Danny Says. DVD 2017

    Bob Mehr : The Mojo Interview. Mojo #297 - August 2018

    Ian Harrison : Brother Wayne reconvenes the MC5. Mojo # 363 - February 2024

     

     

    L’avenir du rock

     - Finley le finaud

     (Part Two)

     

             Cette semaine, l’avenir du rock se penche sur un étrange paradoxe en forme de fleuve : le fleuve des connaissances. Ce fleuve traverse sa vie. Paradoxal, car comme tous les fleuves, celui-ci le nourrit et emporte tout. Conscience paradoxale d’autant plus aiguë que l’avenir du rock se sait conceptuel, donc surexposé. Autant l’avouer tout de suite : il se réserve la métaphore du fleuve pour les bons jours. Les mauvais jours, il se sent moins à l’aise avec l’idée d’être traversé, et se voit plutôt comme un tube digestif, avec toutes les séquelles habituelles : la brioche, l’anus en chou-fleur, la goutte au nez, le double menton et les poches sous les yeux. Comme il se sait conçu pour être traversé, il engloutit inconsidérément et passe du statut de chroniqueur à celui de coliqueur, du statut de concept à celui de conchieur, du statut de prout-prout cadet à celui d’à Dada-sur-le bidet. Le fleuve des connaissances charrie tellement de charivari que le traversé finit par en perdre la moitié de vue. Un exemple parmi tant d’autres : il visionne un docu sur Little Richard, une certaine Valerie June vient claquer sur scène le sublime standard de Sister Rosetta Tharpe, «Strange Things Happening Every Day» et interloqué, l’avenir du rock se demande d’où sort cette black prodigieuse, alors qu’il chantait ses louages dix ans auparavant sur tous les toits. Il s’oblitère à force d’engloutir, il s’annihile à force de pomper, sa boulimie détache le con du cept, il se raccroche désespérément au cept d’Ottokar, ce croyant raffiné, mais le con l’emporte jusqu’au fond des intestins et il va y stagner en compagnie des connaissances putréfiées qui s’accumulent avant l’expulsion bruyante et odorante. Car tout finit par s’expulser, surtout les fleuves de connaissances. Alors grisé par l’auto-défécation subliminale, l’avenir du rock quitte la position accroupie pour s’envoler comme Nosfératu par-dessus les rivages et jurer par tous les dieux qu’il chantera cent fois les louanges de Robert Finley pour enfin endiguer le fleuve de connaissances.

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             Robert Finley est de retour en ville. Dépêche-toi d’en profiter, car tu ne reverras pas un tel géant de sitôt. C’est même une sorte de responsabilité que d’entreprendre un petit bricolo sur un géant de cet acabit. Le soir du concert, tu vis tellement ça en direct que tu ne sais pas comment tu vas pouvoir t’en montrer digne.

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    Tu as devant toi un vieux black qui frise les 70 balais et qui te donne tout ce qu’il a, sans rien demander en échange. Il te le redit, comme il l’avait fait en 2020, I can feel your pain, et il y a un tel accent de sincérité dans le ton de sa voix que tu le crois sur parole. Mais il y a pire. Tu le vois groover sur scène avec une telle indécence qu’il sort non seulement du cadre de ton petit objectif, mais aussi du cadre de tes conceptions. Il y a du Gargantua en Robert Finley, il y a du Saturne et du Golem en lui... Mais non, c’est trop facile ! Les descendants d’esclaves n’ont même pas ces références, puisqu’on leur a tout pris, alors ils ont dû inventer leurs géants, leur culture et leur grandeur. C’est ainsi que Robert Finley prend la suite de Wolf, de Sly, de Miles, de Muddy, d’Hound Dog et d’Hooky, de Bo et de Chucky Chuckah, il est l’un des géants de cette terre et il crève littéralement l’écran.

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    À soixante-dix balais, il dégouline encore de sexe voodoo, il ondule des hanches et baise les déesses africaines de la fertilité, il collectionne les girlfriends et te régale d’histoires de gators dans les étangs, il te ramène toute la grandeur de la Louisiane dans ton époque numérique appauvrie et facebookée en peau-de-chagrin, my Gawd, si tu n’as pas vu Robert Finley sur scène, ça peut vouloir dire que t’as pas vu grand_chose. Mais tu le verras certainement, car comme les géants, il est invulnérable. Il nous survivra tous.

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             Il tourne son dernier album, Black Bayou. La grosse caisse est d’ailleurs décorée d’un visuel Black Bayou. Il y a un tel buzz autour de lui qu’il se retrouve sur la grande scène. Voilà qu’il rameute les foules ! Comme en 2022, sa fille Christy le guide sur scène et chante deux cuts, pas de problème, comme en 2022, l’«I’d Rather Go Blind» d’Etta James et le «Clean Up Woman» de Betty Wright, elle est fabuleusement douée. Comme on dit par ici, les quins font pas des quas. Robert Finley attaque au «Sharecropper’s Son» et embraye aussi sec sur l’infernal «Miss Kitty», pur jus de black power. Tu le vois s’approcher de toi et boucher tout ton champ de vision, il te remplit l’imaginaire à ras bord, tu as sous les yeux ce que le rock, la Soul et le blues combinés peuvent te proposer de mieux.

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    Il y a du Screamin’ Jay Hawkins en Robert Finley, du raw gut d’undergut, de l’Attila black, du griot aux yeux rouges et du sorcier voodoo aux dents branlantes, de l’Hooky et du look out, il rivalise de raunch pyromaniaque avec The Family Stone, il fout le feu au Black Bayou de la même façon que le MC5 foutait le feu à Motor City, Robert Finley ne descend jamais de cheval, car il n’y a pas de cheval chez les esclaves, juste de l’instinct de survie et la peur du patron blanc, il ne faut jamais perdre de vue ce truc-là : avant d’être la patrie du blues et des riches demeures de Gone With The Wind, le Deep South était pour le peuple noir l’enfer sur la terre. Ils ont réussi à transformer cet enfer en paradis pour les amateurs de musique. Mais à quel prix ! Et le vieux Robert enfile ses hits comme des perles en bois, «What Goes Around (Comes Around)», «Nobody Wants To Be Lonely» où il évoque les nursing homes et le commencement de ses problèmes d’old man, «Sneaking Around», et c’est là qu’il te broie le cœur avec «I Can Feel Your Pain». Il va finir avec le pur sexe d’«You Got It (And I Need It)» et «Get It While You Can» avant de revenir en rappel avec «Alligator Bait» et «Make Me Feel Alright». Prodigieux ! Robert Finley atteint le sommet du lard.

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             Cinq étoiles dans Mojo ! Les Anglais qui ont bon goût ne se sont pas trompés : le Black Bayou de Robert Finley est l’un des grands albums de l’an de grâce 2023.

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    Produit par l’Auerbach, mais on s’en fout, Robert Finley n’a jamais été aussi bon, aussi réel. C’est Kenny Brown, le fils (blanc) adoptif de R.L. Burnside qui joue sur l’album. Et il joue dans tous les coins. On se retrouve en plein cœur du Black Power avec un «Sneakin’ Around» explosif de Staxitude. Le vieux Robert chante son raw r’n’b à l’arrache. Encore énormément de son sur «Miss Kitty». Il chauffe tous ses cuts un par un. Robert Finley est un killah ! Encore du power all over avec «Waste of Time» - Standing on the corner/ Trying to lose my mind - Ça joue heavy derrière lui. Et on passe au demented avec «Nobody Wants To Be Lonely». Il chante ça à l’heavy arrache louisianaise, et ça fond dans les chœurs. Il monte encore d’un cran avec un «What Goes Around (Comes Around)» complètement génial de wait a minute, il faut le voir monter son goes around, il travaille sa Soul-rock au corps. Te voilà de nouveau confronté à l’impact d’une météorite légendaire. Robert Finley est un prodigieux artiste, un pur crack du Goes Around, il y va au what goes up, il est partout dans le son. Tu croises très peu d’albums de ce niveau, très peu de Soul Brothers de cet acabit. Encore un coup de génie avec «You Got It (And I Need It)», heavy groove de choc - And you need what I got - Il faut le voir poser son baby et monter au chat perché. Quel festival ! Tous ces mecs se baladent. Down in the bayou avec «Alligator Bait», il y va au we go for a ride, il sort sa meilleure voix d’alligator, il enfonce tous les vieux crabes, il chante au raw des marécages. 

             Oui, 5 étoiles dans Mojo, c’est rarissime. David Hutcheon emmène son lecteur down the 1-20 jusqu’à Monroe. Il dit qu’on peut y pêcher et y canoter, mais attention aux alligators - A lotta kids got ate that way - Hutcheon sort cette phrase macabre d’«Alligator Bait». Puis il s’en va se vautrer en citant les noms de Tom Waits et de Flannery O’Connor. Il tombe encore dans le panneau avec le fameux Southern Gothic. Robert Finley n’a strictement rien à voir avec le Southern Gothic qui est un truc de blancs tourmentés par la culpabilité et la frustration sexuelle, ravagés par les maladies mentales et vénériennes. Hutcheon essaye de nous faire croire que Black Bayou est du «Southern Gothic expressed through soul music.» Alors après s’être vautré dans son analyse, il ramène l’Auerbach. C’est devenu inévitable. Aussi inévitable que les terrines de Bono et de Costello dans les docus musicaux. Ces mecs-là ne se rendent plus compte qu’à force de citer les mauvais noms, ils gomment celui du principal intéressé. Entendu hier soir au moins vingt fois le nom d’Auerbach dans les conversations. Avant on parlait vaguement du mec des Black Keys. Maintenant, tout le monde connaît son nom. Il finira en couverture de Telerama, ça ne saurait tarder. Lorsqu’on cite trop son nom, le diable finit par paraître. Même chose en politique. Tout le monde cite les noms qui devraient être tus, ça rend les mauvais noms très populaires, et ça devient dangereux. Voilà que se pose un gros problème : on finirait par vouloir nous faire croire que sans l’Auerbach, pas de Robert Finley. Si tu crois ça, tu te fous le doigt dans l’œil jusqu’au coude ! Robert est sur scène et il n’a besoin de personne, surtout pas d’Auerbach, en Harley Davidson. Le géant, c’est-à-dire la superstar, c’est Robert Finley, pas l’autre asticot. Mais l’autre asticot a tellement d’ego qu’il ramène sa fraise partout. En 2022, en papotant au bar avec Robert, il fut bien sûr question de l’Auerbach. Lui disant qu’il y avait trop de guitares électriques dans le yellow album Sharecropper’s Son, il hocha la tête - son premier album Age Don’t Mean A Thing était beaucoup plus intéressant, plus Soul, plus Legal Mess. Cette Soul si particulière qui est celle de la Louisiane. Hutcheon cite aussi Tony Joe White, Booker T & The MGs, et Creedence, connu pour son Born On The Bayou. Dans le petit interview qui suit, Robert dit encore que «Nobody Wants To Be Lonely» est dédié aux vieux qu’on oublie dans les nursery homes, qu’on appelle ici les EHPAD.

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             Dans Soul Bag, le vieux Robert est à l’honneur. Images superbes, avec un portrait d’ouverture en noir et blanc qu’on dirait fait au Leica, ou mieux encore, signé Avedon. Quand on lui demande comment il voit choses quand il chante pour un public qui ne comprend pas les paroles, Robert Finley  dit que c’est une question d’énergie. Ça passe. En plus, il danse, il passe un bon moment, c’est l’essence de son message. Puis il finit par confier qu’il est fier de mettre le même chapeau chaque matin et de constater que malgré le succès, sa tête n’a pas grossi. Il essaye de rester aussi normal que possible. En ville, les gens l’appellent Slim - C’est juste ce bon vieux Slim - Il dit aussi construire un studio chez lui pour offrir aux gens du Nord de la Louisiane une chance de percer. Tim Duffy rappelle dans un petit encart comment il a découvert Robert Finley en 2015, alors qu’il jouait dans les rues d’Helena, en Arkansas. Mine de rien, c’est l’encart qui fait mouche, car Duffy a présenté Robert à Bruce Watson, le patron de Big Legal Mess et de Fat Possum, deux labels ultra-légendaires, et bien sûr Watson a tout de suite mis Jimbo Mathus sur le coup, et là, tu as le real deal : le premier album de Robert, Age Don’t Mean A Thing. La différence avec l’Auerbach, c’est que ni Jimbo Mathus ni Bruce Waltson ne la ramènent. Dans un autre encart, le fils adoptif de RL Burnside Kenny Brown avoue être à peu près du même âge que Robert et que comme lui, il était charpentier. Le mot de la fin revient à Christy Johnson, la fille de Robert, celle qui veille sur lui en tournée et qui n’aime pas trop le voir s’approcher du bord de la scène. Quand on lui demande si elle compte enregistrer un album, elle dit oui, bien sûr, mais pour l’instant, c’est impossible car elle veille sur son père qui vit son rêve, et c’est «beaucoup de travail». Oui, Robert Finley superstar.

    Signé : Cazengler, Robert Filasse

    Robert Finley. Nuits de l’Alligator. Le 106. Rouen (76). 27 janvier 2024

    Robert Finley. Black Bayou. Easy Eye Sound 2023

    Frederic Adrian. Bayou de jouvence. Soul Bag N°252 - Octobre Novembre Décembre 2023

    David Hutcheon : Later Alligator. Mojo # 361 - December 2023

     

     

     Rockabilly boogie

     - La raie de Larry

    (Part Two)

     

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             L’ancien marsupilami Larry Collins vient tout juste de casser sa pipe en bois. Il y a tout juste dix ans de cela, KRTNT lui rendait hommage en décrivant, autant que faire se peut, ses bonds sur scène au Town Hall Party. Il en existe trois volumes sur DVD, et certainement autant sur YouTube. Ça vaut vraiment le coup d’aller jeter un œil. Sous ses faux airs de Rusty (celui de Rintintin), ce petit délinquant en herbe passait des solos punk bien avant les punks. Larry Collins était à dix ans une superstar, il grattait comme un con et sautait partout. Un vrai modèle de jeu de jambe et il doublait son mad duck walk d’une ding-a-ling digne de Chucky Chuckah. Il ne fallait pas faire l’erreur de prendre son set pour un numéro de cirque. Larry Collins y croyait dur comme fer et déployait l’une des plus belles énergies rock de l’histoire du rock. À l’époque, on n’avait encore jamais vu ça. En l’examinant, on s’apercevait qu’il avait deux raies, une de chaque côté. Il n’arrêtait JAMAIS de sauter. Il était l’haricot mexicain du rock’n’roll. Il enfilait les duck walks et wild killer solos flash comme des perles. Quand il grattait sa double, il était le roi de la délinquance juvénile.   

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             On ne perd pas non plus son temps à écouter les albums des Collins Kids. Tiens, par exemple ce Town Hall Party paru en 1977. L’album vaut tous les Pistols et tous les Damned d’Angleterre, rien qu’avec l’«Hey Hey» d’ouverture de balda, wild as young fuck ! Ils y vont au til the day I die. Et ils enchaînent avec l’imparable «Whistle Bait», du pur proto-punk juvénile. Rien de plus sauvage en dessous de la ceinture. Avec «Beetle-Bug-Bop», ils font un duo d’enfer, au sens le plus noble de l’expression. Ils boppent comme des diables, avec la classe de Shirley & Lee. Plus loin, tu tombes sur «(Let’s Have A) Party» monté sur un beat rockab. Ils sont merveilleusement frais, ça dégouline de candeur juvénile, puis ils passent à la rockab madness avec «Hop Skip & Jump». Personne ne bat Larry Collins à la course. On aurait tendance à vouloir prendre les Collins Kids pour un gadget. C’est au contraire une affaire très sérieuse.

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             Bear Family fit paraître dans les années 80 deux volumes de Collins Craze, Rockin’ Rollin’ Collins Kids et Vol. 2. Ils devraient trôner dans toute discothèque digne de ce nom, car c’est là qu’éclate au grand jour le génie du teenage Larrry Collins. Tu veux du mad rockab juvénile ? Alors écoute «The Cuckoo Rock» et le «Beetle-Bug-Bop» pré-cité. Ça pulse, c’est frais comme un gardon rockab. Avec «Go Away Don’t Bother Me», ils tapent une grosse ambiance country, et le marsupilami allume sur sa double. Il allume autant que James Burton ! La viande est en B, dès «Shortin’ Bread Rock», un rock’n’roll tapé en mode rockab, c’est assez fulgurant, avec une fantastique pulsion du beat, et un slap qui règne sans partage. Encore du wild cat strut avec «Just Because», propulsé par le slap du diable, c’est même une vraie tourmente de delirium, le slap cavale ventre à terre et Larry te finger-pick tout ça vite fait. On t’aura prévenu : c’est un démon. Suite du festival de wild cat strut avec «Holy Hoy» et «Hot Rod». Ils n’en finissent plus de casser la baraque. Larry te gratte ça au heavy mood, à la Cochran. Pur genius.

             Au dos de la pochette, Larry indique que sa sœur Lorrie et lui sont originaires de Tulsa, Oklahoma - I played a double-necked guitar and they called it «rock-a-billy» - Il ajoute qu’Elvis  l’appelait «his little cat» et qu’Eddie Cochran était son ami - Joe Maphis was «king of the strings» and back-stage, I learned to finger-pick watching Merle Travis. Tex Ritter taught me about life and «Rye-whiskey». Johnny Bond inspired us to be real on stage and off - Il dit qu’à l’époque il avait 8 ans et Lorrie 10. Ça s’appelle une vie de rêve.

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             On retrouve le «Whistle Bait» en ouverture de balda du Vol. 2, cet incroyable chef-d’œuvre de protozozo juvénile. Larry fait sa petite bête de Gévaudan. En B, on retrouve aussi l’excellent «Hop Skip & Jump» slappé de frais et transpercé en plein cœur par un solo dément du démon. Il renoue avec deep rockab beat dans «Move A Little Closer». On l’a remarqué, Larry adore la country et sa version de «Walking The Floor Over You» laisse pantois. C’est gorgé de fraîcheur et de joie de vivre.

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             Pour compléter ce petit panorama, on peut aller écouter sans risque le Television Party paru en 1989. Au dos de la pochette, on voit Larry gratter la double de Joe Maphis. On l’entend faire un festival dans «Chicken Reel». C’est un virtuose, il gratte au hard picking. Il éclate le bluegrass au Sénégal avec «I Was Looking Back To See» et on retrouve à la suite l’infernal «Hot Rod» d’attaque frontale, toujours aussi wild as fuck. Larry fait tout ce qu’il veut, on l’entend gratter comme un démon derrière Lorrie dans «The Wildcat». En B, il s’en va swinguer le vieux «Shake Rattle & Roll». Son toucher de note est exceptionnel. Il drive «Kokomo» au wild guitar slinging et il allume la gueule du «Catfish Boogie» de Tennessee Ernie Ford au heavy rockab strut, une fois de plus. Larry monte sur tous les coups.

    Signé : Cazengler, Larry pot de collins

    Larry Collins. Disparu le 5 janvier 2024

    Collins Kids. Town Hall Party. Country Classics Library 1977

    Collins Kids. Rockin’ Rollin’ Collins Kids. Bear Family 1981

    Collins Kids. Vol. 2. Bear Family 1983

    Collins Kids. Television Party. TV Records 1989

     

     

    Lanegan à tous les coups

     - Part Seven

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             On avait cru pouvoir faire l’impasse sur les deux albums que Lanegan enregistra jadis avec les Soulsavers, un petit duo britannique traficoteur d’electro-gospel-rock, comme disent les étiqueteurs en mal d’étiquettes. Au fond, on se fout de ce que ces deux petits mecs traficotent. C’est Lanegan qui nous intéresse et voilà pourquoi.

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             Parce qu’il reste, même après son cassage de pipe en bois, le plus grand chanteur de rock américain. Tu en as 8 preuves irréfutables dans Broken, un Soulsavers de 2009. T’es sonné aussitôt «Death Bells». Lanegan fait battre le cœur du beat. On appelle ça du génie pulsatif. Lanegan y sonne le tocsin des enfers, il fout le feu et n’en finit plus de le rallumer. Il pleut du plomb sur l’or du Rhin. Lanegan passe au heavy groove de cimetière avec «Unbalanced Pieces», il chante avec l’éclat de la mort, avec l’impondérable. Il est déjà mort, semble-t-il, quand il chante ça, car c’est criant de véracité funèbre. C’est un éclat que tu ne peux comprendre que si tu es déjà mort. Avec «You Will Miss Me When I Burn», il arrive sur toi comme un suaire. La couverture de la mort, tu connais ? Il vibre dans les fibres de ton corps défait. Depuis Baudelaire, nul artiste n’est allé aussi loin dans l’art de la décomposition. Lanegan rend l’hommage suprême à Geno avec une cover de «Some Misunderstanding». Te voilà rendu au maximum de ce que peut t’offrir le rock, une star qui rend hommage à une autre star, et ça splasche all over, et ça repart dans la Méricourt avec la gratte de Rick Warren, cette combinaison des génies te fait suffoquer de bonheur, Lanegan sait ce qu’il fait en choisissant Geno parmi tant d’autres. Cette fois, au lieu de t’emmener au cimetière, il t’emmène dans la stratosphère. Et puis voilà «All The Way Down» qui restera certainement l’un des plus gros hits de Lanegan. Alors qu’il brûle en enfer, il chante la rédemption. Il grave encore un hit dans le marbre, il chante avec les dents dehors, il avance dans la nuit comme le loup des steppes, et ce n’est pas fini, car voilà «Shadows Fall», une nouvelle oraison, il travaille sa maille au corps, Lanegan est un homme du tonneau, il pèse son poids et chante à la voix de poitrine, il reste un fabuleux implicateur d’imprécations, il fond sur le cut comme l’aigle sur Tsi-Na-Pah, il screame son shadow moribond, il s’agit de Lanegan, after all, un homme capable de miracles sépulcraux. Cet album sonne comme une alarme, et pendant que tu te diriges vers la sortie, Lanegan rassemble ses shadows comme des stalactites, my love. Il se fond ensuite sous le boisseau ferroviaire de «Can’t Catch The Train». Il se plie à une évidence laneganienne : can’t catch the train, alors il envenime le groove. Lanegan est un atroce sorcier, il plonge ses mains dans les entrailles du groove, sa victime, et te lit les oracles. Aucun chanteur n’est allé aussi loin dans l’exploitation de la beauté formelle. «Rolling Sky» sonne comme le dernier souffle, aérien et moderne, le cut avance à pas d’éléphant, plus free, une chanteuse s’élance dans le grand foutoir carbonisé, c’est heavy as hell, Hell je ne veux qu’Hell, alors évidemment, Lanegan ramène sa morgue de corps bleu et sa voix vibre dans la mort.     

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             Il a enregistré un autre album avec les petits mecs de Soulsavers, l’inestimable It’s Not How Far You Fall It’s The Way You Land. Inestimable parce que «Ghosts Of You And Me». C’est lui qui fait danser le squelette, dans une ambiance glacée de vents technoïdes. Ah il faut le voir descendre au barbu du cut, en poussant de sourds ouhm ouhm ouhm. Il groove ensuite la messe de «Paper Momey» dans la cathédrale de la mort. Encore un cut épais et sans espoir. Ça explose en gerbes de sang impur, comme dans la chanson de Rouget de Lisle. Lanegan fait de la littérature, alors qu’on le croit chanteur de rock. Il crée encore l’événement littéraire de la rentrée avec «Spititual». Les deux petits mecs de l’electro-gospel machin lui fournissent tous les effets. La voix règne en maître sur cette terre désolée - Jesus Oh Jesus/ I don’t wanna die anymore - Puis il attaque «Kindom Of Rain» au croack de crocodile, il vibre jusque dans les profondeurs de tes chairs. Et il revient au suprême sommet du lard avec «Through My Sails». Il vient même te le chanter au creux du cou. Sa voix dans le bois de Boulogne... On sent encore son odeur dans «Jesus Of Nothing», il rôde dans l’ombre expressionniste d’entre chien et loup, il miaule d’une voix de génie poitrinaire. Il ne demandera jamais pardon pour ses péchés, ce qui fait sa grandeur. C’est tout ce qu’on aime dans le rock, le poids de la mort qui rôde, comme une évidence, alors autant en faire de l’art. Lanegan swingue le beat des squelettes, avec les faux airs malsains de Rosemary’s Baby, il chante d’une voix de Prince des Ténèbres, il est plus vrai que vrai dans ce rôle tant convoité, il reste l’homme au teint blafard qu’on admire encore plus depuis qu’il s’est vidé de son sang, depuis qu’il est enfin un vrai cadavre. Il termine cet album en forme de convoi funéraire avec «No Expectations», take me to the station, Lanegan répand sa magie comme un poison dans tes veines.

    Signé : Cazengler, Lanegland

    Soulsavers. It’s Not How Far You Fall It’s The Way You Land. V2 2007

    Soulsavers. Broken. V2 2009

     

     

    Inside the goldmine –

    Pomme d’Adams

    (Part One)

             Au début, on ne comprenait pas bien ce qu’il cherchait. Il disait s’appeler Adam et se disait originaire du Mali, issu d’une grande famille. Cet homme haut et sec au regard très noir et aux cheveux blancs dégageait une réelle prestance. Le seul hic, c’est qu’il portait la tenue de travail des balayeurs des rues, ce qu’il était effectivement, comme la plupart des Maliens établis à Paris. Il bossait du côté de Belleville et de Ménilmontant. Il disait apprécier notre revue d’art et proposait d’y contribuer. Nous lui offrîmes une bière qu’il refusa. Il voulait juste un accord. Il revint le lendemain avec un dossier de photos. Il étala quelques images sur la grande table. Adam ne disait rien. Les images montraient des fresques peintes sur d’immenses façades et des statues africaines monumentales. Un ensemble stupéfiant. Nous lui demandâmes s’il était l’auteur de toutes ces œuvres et il hocha la tête en signe d’approbation. Mais où se trouvent ces œuvres ? Il retournait les images. Il avait inscrit au dos quelques informations sommaires, un lieu, une date. Là où n’importe quel artiste aurait assommé son auditoire avec des commentaires à n’en plus finir, Adam ne disait absolument rien. On commençait à voir en lui une sorte de griot, ou d’être extrêmement exotique doté de pouvoirs surnaturels. Il gardait ses distances. Il voulait juste savoir si on acceptait de publier ses photos.

             — Mais Adam, il faut qu’on fasse une interview, on ne peut pas passer les photos telles quelles !

             Il fit non de la tête. Il pointa du doigt les légendes sommaires au dos.

             — Ça suffira.

             Il demanda ensuite une feuille de papier et y écrivit laborieusement une adresse au Mali. Il voulait juste qu’on envoie un numéro de la revue à cette adresse pour que sa famille soit informée de son art. Et quand on lui demanda comment titrer les pages qu’on lui consacrait, il répondit :

             — Adam, premier homme.

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             Il y a du Adam chez Johnny Adams : même stature, même mystère, même classe. On pourrait même ajouter ‘même voix’. La meilleure introduction à l’œuvre de Johnny Adams est une belle compile Ace parue en 2015, I Won’t Cry The Complete Ric & Ron Singles 1959-1964.

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             Tony Rounce n’est pas avare de compliments sur Johnny Adams. Il parle d’une carrière de 40 ans, ce qui n’est pas rien, et d’un «vocal range that spanned several octaves», ce qui n’est pas rien non plus. Johnny Adams est un petit black né à la Nouvelle Orleans au début des années trente, et l’aîné de dix enfants, ce qui n’est pas rien non plus. Et puis un jour, Dorothy La Bostrie sonne à sa porte. Elle passait dans la rue et a entendu le petit Johnny chanter. Comme elle cherche quelqu’un pour chanter les démos qu’elle doit présenter à Joe Ruffino, le boss et Ric & Ron Records, elle demande au petit Johnny s’il veut bien lui faire l’honneur de les chanter, ce qui n’est vraiment pas rien du tout. Le petit Johnny hésite, car il s’est voué à God et n’approche pas la secular music, alors Dorothy use de ses charmes pour le convaincre, et il enregistre la démo d’«I Won’t Cry». Quand il entend ça, Joe Ruffino craque et cale une session d’enregistrement chez devinez qui ? Cosimo, bien entendu. L’A&R Edgard Blanchard supervise la session. C’est l’«I Won’t Cry» qui ouvre le bal de la compile Ric & Ron et «the near 40-year solo carreer of the ‘Tan Canary’». Quand on écoute «I Won’t Cry», on est aussitôt frappé par la présence vocale de l’early Johnny, il chante du drain, il est surnaturel de volonté. Avec chaque cut, il veille à peser de tout son poids. Il propose un early r’n’b, mais avec une réelle ampleur.

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             Les singles sont bons, mais ne sont pas des hits nationaux. Peu importe, Ruffino y croit dur comme fer. Il envoie Johnny en studio tous les trois mois pour enregistrer un nouveau single. Go Johnny go ! Mac Rebennack entre dans la danse en tant qu’A&R pour Ruffino et co-écrit «Come On», le deuxième single de Johnny, un early r’n’b d’une réelle ampleur. C’est aussi le premier single de Johnny qui paraît en Angleterre, en 1959. Mac Rebennack compose «The Bells Are Ringing», le troisième single de Johnny, qui cette fois est supervisé par Harold Battiste. Nous voilà au cœur du mythe de la Nouvelle Orleans.   

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              Il faut attendre «Someone For Me» pour voir Johnny grimper des échelons. Il chante à outrance et tape un magnifique heavy groove. Il joue de sa voix comme d’un instrument. «You Can Make It If You Try» sonne comme un slowah océanique. Gene Vincent et Sly Stone l’ont tapé, y compris les Stones sur leur premier LP. Johnny y va au make it et accompagne tout ça au awww. Il renoue enfin avec le swing de la Nouvelle Orleans dans «Life Is Just A Struggle», un hit signé Chris Kenner, brièvement signé sur Ric & Ron, mais surtout connu comme compositeur de choc («I Like It Like That» et «Land Of 1000 Dances»). Superbe, rond et concassé, gras et jouissif. Johnny passe au heavy blues avec «Losing Battle», signé Mac Rebennack, un vrai heavy blues d’you know it’s hard, the most adventured record, nous dit Rounce.  Johnny est un scorcher hors compétition. Ruffino investit dans la promo du Losing Battle qui devient enfin un hit national. Mais le conte de fées s’arrête brutalement : en 1962, Joe Ruffino casse sa pipe en bois. Son cœur lâche. Ses fils Ric et Ron tentent de prendre la relève, mais ils n’ont pas le pâté de foi de leur père. Les deux labels vont vite couler à pic. Johnny se retrouve le bec dans l’eau : plus de label.

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             «Tra-La-La» est donc un single posthume. Johnny a des filles qui font tra-la-la, alors ça devient un petit chef d’œuvre de good time music. En 1963, un nommé Joe Assunto tente de ressusciter Ric & Ron, avec la série Ric 900. Johnny enregistre chez Cosimo, et Wardell Quezergue supervise. Alors voilà le coup de Jarnac : «Lonely Drifter» ! Il attaque ça au I’m drifting dans un climat d’excelsior demented, il explose dans la chaleur du four, il s’en va te screamer ça au plafond, le voilà englué dans une énorme purée de son et il n’en finit plus de screamer dans l’allégresse, c’est un hit supersonique, il creuse sa différence. Cette excellente brochette de hits inconnus s’achève avec «Walking The Floor Over You», une belle version primitive, très sauvage - Tell me one thing - ponctuée par un gratté de plonk plonk plonk.

             Après tout ça, Johnny partira à l’aventure, d’abord à Houston, enregistrer pour Huey P. Meaux. Puis il va vivre d’autres aventures palpitantes, en signant chez Atlantic, qui l’envoie enregistrer chez Malaco sous la direction d’un vieux copain, Wardell Quezergue, puis direction Miami où il enregistre au Criteria avec devinez qui ? Les Dixie Flyers. Et ce démon de Tony Rounce balance l’info fatale : «50% of the masters remain inissued.»

     

    Signé : Cazengler, Johnny Œdème

    Johnny Adams. I Won’t Cry The Complete Ric & Ron Singles 1959-1964. Ace Records 2015

     

    *

    L’éloignement fait-il du bien aux créateurs ? Pensons à Victor Hugo exilé sur l’île de Guernesey qui écrivit sur ce rocher (pas si lointain) quelques-uns des recueils les plus vertigineux de la grande lyrique française. Aucun gouvernement n’a envoyé Bill Crane en résidence surveillée en Thaïlande. Je ne sais si comme l’auteur de Solitudines Coeli il s’adonne aux tables tournantes et si la nuit noire par la fenêtre de son appartement il aperçoit la dame blanche se promener dans son jardin. Je m’en tiendrai aux faits : dans notre livraison 627 du 11 / 01 / 2024 je chroniquais : son album : Baby call my name. La semaine suivante le 18 / 01 / 2024 dans notre livraison 628, Love in vain un EP trois titres. Bill Crane s’est sans doute souvenu des anciens 45 tours français aux mirifiques pochettes colorées qui offraient quatre titres, je viens de m’apercevoir qu’il en a donc rajouté un quatrième à son brelan d’as le transformant ainsi en ce que je m’amuse à surnommer, non pas un four of a kind, mais un four of a king :

    GIMME BACK MY LOVE

    (Extrait de l’EP : LOVE IN VAIN)

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    Nostalgie du son et nostalgie de l’amour, l’on ne sait laquelle des deux l’emporte sur l’autre, longues lampées de guitare sixties, juste une vague lentement suivie par une autre, un mouvement qui nous semble infini tant notre désir aimerait que cela ne se termine jamais, en contrepartie le raffut de la machine rythmique qui marque le temps imperturbable qui s’écoule emportant tout sur son passage, et puis la voix d’une singulière pureté, d’autant plus étrange qu’elle s’adresse à un homme, sans beaucoup d’imagination l’on se croit dans un morceau de gospel, une prière qui s’élèverait vers un Dieu charnel. N’oublions pas, le gospel est une des racines du rock’n’roll. Lorsque l’on vise l’essence d’une chose on touche à ses origines car rien ne vient de rien. Ce morceau ajoute une touche abstraite à cet EP, qui agit sur nous comme une épine empoisonnée qui s’enfoncerait dans les existentielles représentations culturelles de la construction mentale de nos souvenances. 

    *

    L’enfer est décidément pavé de bonnes réalisations puisque, ce prolifique mois de janvier billcranien n’était pas terminé que déjà paraissait un deuxième album :

    HELL IS HERE

    (YT / Janvier 2024)

             Le rock’n’roll est une pâte molle, il se modèle à volonté. L’auditeur n’en est pas obligatoirement conscient, car on ne lui montre l’objet qu’une fois terminé, cuit, émaillé, sorti du four électrique et revêtu des riches couleurs dont on l’a doté. En jouant sur le titre de cet album l’on pourrait réunir les deux opus précédents sous l’appellation : Hell was here, même si le passé est si fortement implanté en nous qu’il résonne toujours. Un peu à la manière de ces moulins à prière tibétains qu’un mélancolique vent mauvais et verlainien met en mouvement.

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    You got it : si par maladresse vous avez enlevé le son et que vous ayez laissé défiler les paroles, vous êtes dans la continuité de ce qui précède, selon un aspect du rock’n’roll jusqu’ à lors occulté, celui de la joie du corps, de la dépense physique, de la danse très around the clock, shake it baby. Vous serrez les meubles du salon et vous poussez le son. Changement de ton. Première surprise, le rythme ne boppe pas, un peu pesant, même si le vocal vous donne l’illusion d’un certain entrain, faut dire que la musique vous englobe si bien que vous vous laissez porter par elle, les yeux fermés dans une boîte vous dansez dans la pénombre. Êtes-vous encore vous-même, qui êtes-vous, vous-même, votre propre ectoplasme, votre fantôme et où êtes-vous, il y a tant de morceaux de rock hot rails to hell, peut-être que cette fois-ci, vous êtes vraiment arrivés à destination… Vous aurez du mal à quitter les sombres tonalités de ce titre. Sans doute parce qu’elles émanent de vous. Monstrueux.

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    Do U love me : l’image qui accompagnait le titre précédent était rassurante, une fille qui danse, elle me rappelle un peu la pochette de Rock’n’roll animal de Lou Reed, celle-ci est des plus simples, un cercle, une ronde, around the clock, ou le schéma d’une tête dans laquelle les pensées tournent en rond, notes sombres qui résonnent, et la voix qui interroge, celle de l’adolescent éternel qui n’est jamais sûr d’être aimé pour lui-même ou pour son perfecto. Ce qui est sûr : dès que l’on tente de s’accrocher au monde extérieur l’on prend pied dans le monde des incertitudes. A peine plus de deux minutes, malgré la force maléfique de ce morceau ensorcelant vous êtes soulagés quand il s’arrête. Vous y revenez bien sûr. Comment s’évade-t-on d’un cercle ? 

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    Up & down : vous donne la réponse. Une rythmique, vous savez la même qu’utilisent les combos en concert pour faire durer le titre sur lequel le public a accroché, faisons l’impasse sur ses sonorités venues de nulle part et envoûtantes, ce coup-ci, suffit de suivre le mouvement, vous êtes sûr de votre coup, elle ne pourra pas vous échapper, la poiscaille est ferrée, sifflements d’admiration quand vous sortez pour votre petite affaire, dans la vie il y a des hauts et des bas, aujourd’hui c’est vous qui êtes sur le point culminant.

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    So funky : tout va bien, nous avons fait le tour du cercle, nous repartons donc pour un tour, elle sur la photo, les taches de couleur sur son corps ne sont que les projections de notre désir, la guitare résonne dur, elle imite le danseur perroquet qui prononce sans arrêt so funky, dans la série enfonce-toi bien ça dans la tête, vous ne pourrez faire mieux, le rythme est lancinant, obsédant, angoissant si l’on veut être franc.

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    Go dancing : paysage suggestif, l’a ce qu’il veut, tout dépend de la danse à laquelle on pense, tourner sans fin autour de la pendule ne suffit plus, les résonances explorent le terrain vierge, si vous vous voulez, durant l’orgasme il pousse des cris maniérés à la David Bowie, bientôt la musique prend toute la place, z’ont mieux à faire. 

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    Cool death : l’a pris une image noire pour illustrer cette musique clinquante qui fuse d’un peu partout, dont les points d’entrée délimitent un espace noir, mort fraîche, mort froide, mort molle, mort dure, dans ces résonances abstruses et funèbres, l’on ne danse plus, le rythme est trop lent, épars, des bruits de nulle part, la mort n’est-elle pas le dernier rendez-vous, celui que l’on ne peut éviter, une guitare mugit, une vache que l’on mène à l’abattoir. Long est le chemin. Avec soi-même.

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    Dark street blues : instrumental : ce n’est plus un titre, un totem que les légions romaines promenaient durant batailles et pérégrinations, derrière lequel le rock aime à se protéger, un blues plus profond que la mort, à la hauteur érigée de l’image impudique, l’alliance sans cesse renouvelée d’Eros et Thanatos, au fond de la rue tu n’iras jamais plus loin que la mort de ta chair ou de la chair de ta mort. 

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    My sweet machine : la demoiselle a l’aspect d’un lémure, shake, shake, shake, autant de fois que vous voulez, mais le tempo n’y incite guère, trop lent, peuplé de grincements peu affriolants, douce est la machine, puisqu’il le dit, nous ne le croyons pas, une mécanique qui n’en finit pas de tourner sur elle-même, peu avenante, inquiétante, don’t save for me the last dance baby !

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    The hell : enfin on y arrive, il y a longtemps que l’on y était, ce n’est pas grave, l’on nous distribue une image abstraite et écarlate comme ticket d’entrée, la guitare ne se retient plus, elle fuse, elle metallise à mort, Bill crâne à mort avec sa voix de profundis, danse funèbre, brrre !!! La barbaque est froide, l’on connaît déjà.

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    Waht’s that ? !!! : un peu couronne mortuaire, c’est un peu comme si vous bouffez les fleurs par la racine depuis dessous votre pierre tombale, tiens il y a du monde, y en a même un qui tousse, le cat Bill s’amuse à imiter les agonies et le cri des âmes torturées dans les feux de l’enfer. Les rockers ne peuvent jamais prendre les choses au sérieux. Rock parodie !

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    Rock-cola Cafe : dans les morceaux de blues l’on se réveille généralement le matin, dans les morceaux de rock aussi ( un tantinet plus tard) l’est temps d’enfiler son jean, l’est comme neuf, oublions cette meurtrissure, dans le dos, juste à la place du cœur, est-ce vraiment si important depuis qu’elle est morte comme une poupée gonflable, comme toutes les autres, ça résonne comme si l’on entendait la réverbe occasionnée par une voûte, tiens au niveau paroles c’est un peu comme un remake de The End, attention, il pousse la porte.

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    The walking dead : instrumental : dehors, on respire, la main aux ongles rouges est encore crispée mais la musique est alerte, que cela fait du bien de trouver de l’air frais. Sur la fin la guitare sonne sixties, ah ces jours heureux du rock, ce temps de l’innocence qui ne reviendra jamais. Puisqu’il est toujours là. Serial killer en quelque sorte.

             L’on ne s’y attendait pas. Bill Crane nous a offert un opéra rock, moins optimiste que le Tommy des Who, plus inquiétant que le Berlin de Lou Reed. Ecoutez-le et modelez le scénario à votre guise. Bill Crane a laissé des interstices. Exactement les mêmes qui séparent la vie de la mort.

             Une curiosité. Morbide ajouteront ceux qui n’aiment rien. Surtout pas le rock’n’roll.

    Damie Chad.

     

    *

             L’opus est sorti depuis un an, je n’ai tilté ni sur la pochette, elle n’est pas mal du tout, ni sur le sound pour la raison nécessaire et suffisante que je ne l’avais pas encore écouté, simplement sur le temps. Pas le soleil, ni la pluie, ni la neige, non les 44 minutes 38 secondes du morceau. Bonjour le cachalot ! L’on n’en pêche pas un de cet acabit tous les matins dans sa baignoire.

    DISINTEGRATE

    OAK

    (LP, CD via Bandcamp / Février 2023)

    Avant d’écouter o monstro, ces deux derniers mots ne sont pas victimes d’une malencontreuse faute de frappe ils sont issus de la langue portugaise, oui ils sont du pays de Camoens l’immortel auteur des Lusiades, livrons-nous à quelques travaux d’approche.

    Ne sont que deux à avoir commis cette abomination temporelle : Guilherme Henriques : vocals, guitars / Pedro Soares : drums.  Pas de frais metalleux du matin, présentent un pedigree groupique long comme le bras, sont membre du groupe Gaerea, c’est d’ailleurs Lucas Ferrand de Gaerea qui est venu tenir la basse.

    La couve est de Belial NecroArts, de Lisbonne, une visite de son FB s’impose pour tous les amateurs de Back Art, pour les autres aussi. J’ai failli ne pas écrire cette chronique, tant j’ai passé de temps à regarder ses œuvres. Beaucoup de noir (et de blanc) mais je me suis surtout attardé sur ses œuvres moins nombreuses qui usent aussi de la couleur. Disintegrate est peut-être la plus colorée. En le sens où la couleur engendre la forme et non pas la forme qui exige telle couleur. Que représente-t-elle, un trou noir, d’autant plus noir qu’il est une effulgence de feu orange, le gouffre que nous portons en nous, le bout du tunnel que l’on est censé traverser lors de la mort, le feu élémental héraclitéen, une revisitation du mythe de Phaéton, que chacun l’interprète à sa guise. Contrairement à ce j’ai dit, les artworks de Belial NecroArts ne sont pas à regarder, fonctionnent un peu à la façon d’arcanes du tarot ou de sigils, ces sceaux qui agissent sur vous, et de par vous sur le monde, dans la mesure ou la démesure, que vous sachiez y lire les chapitres de votre destin que vous y inscrivez.

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    Disintegrate : entendre une œuvre musicale demande peu d’efforts, savoir écouter avant même de tourner le bouton ou de libérer le bras de votre chaîne exige une tout autre préparation mentale. L’on n’écoute pas un opus musical comme l’on promène son chien, d’ailleurs le plus souvent c’est le chien qui commande son maître, preuve que l’on est davantage agi que nous n’ agissions. Le motif de Disintegrate, est bien le récit d’une désintégration, non pas l’effarante surprise d’un missile qui en quelques secondes disloque et détruit l’objet de sa cible, mais une lente dissolution consciente, car le phénomène qui n’est pas pensé ne saurait avoir été vécu. Disintegrate se situe davantage du côté de Platon que d’Aristote, plus près de la contemplation que de l’énergie. Un frais amateur de Metal pourra être surpris, il s’attend à des périodes d’accalmie espacées de-ci de-là, dans le seul but de rendre les grandes bourrasques phoniques encore plus tumultueuses, il n’en est rien. Juste un cheminement, une fonte solaire de l’être, l’esprit qui survit avant de s’atomiser encore quelques temps, des souvenirs épars comme ces épaves sans but qui flottent sur la mer, soumises aux caprices des courants, alors que la coque gît déjà au fond de l’abysse. Un cycle s’achève. Un autre commence, mais ceci est une autre histoire. Une note qui se répète, qui se prolonge selon ses harmoniques, la batterie qui a l’air de se noyer dans chacun de ses battements, l’on attend, l’on ne sait quoi, mais l’on attend, jusqu’au hurlement du loup, non pas le hululement de la bête vers la lune, la musique atteint le plus haut pied de son étiage, voici la voix humaine  déployée d’octaves, qui ploie sous le poids de son passé et de sa présence au monde, une gorge abyssale, peut-être ce larynx en flamme qu’illustre la pochette de Belial, une profondeur sans fin, le monde se dissout, survit le mirage de cette voix grandiose qui recouvre le monde, le background se met à sa hauteur, le feu tombe sur vous, il ne cause aucune souffrance, c’est l’âme intérieure qui brûle et se recroqueville tel un parchemin dont on veut se débarrasser.

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    L’escargot n'habite plus sa coquille, la batterie s’acharne sur ce mollusque visqueux qui refuse de mourir avant d’avoir transmis oralement au néant qui s’approche son ultime message, bouteille au feu que les flammes fondent et foudroient dans le cristal de son impuissance, cri primal de la fin, de la terminaison, de la clôture, ne subsistent plus que des fragments translucides que l’air brûlant disperse… juste quelques notes, ce n’est pas la fin, disparêtre n’est pas facile, n’être plus que des bouts de soi, sur lesquels la batterie tombe à bras raccourcis, ferraillent contre eux aussi les cymbales, tout doit disparaître, il est impossible que quelques brins d’un passé révolu survolent, notes agonisantes d’un requiem éternel, serait-ce l’apaisement, non l’on ne saurait se satisfaire de l’œuvre que l’on a à accomplir, le repos, le recueillement en soi-même ne saurait être une solution, déchaînement total, l’on ergotait sur la possibilité, toute la meute tournoie, babines retroussées, elle passe et repasse sur le disque usé de votre mémoire, elle piétine, elle mord à pleines gueules, la passion de la destruction n’est pas une création, seulement une autodestruction, sans passé, sans présent, sans futur, sans rien, que la brutale et cruelle évanescence de ce que l’on a été de ce  que l’on n’est déjà plus, mais une rythmique entame une folie mortifère, rafales battériales, il ne crie plus, il parle, il dicte l’ultime prophétie qui est en train de se réaliser au fur et à mesure qu’il l’énonce. Tout se précipite, l’on arrive à la dernière scène du dernier acte, le rideau est prêt à s’affaler et à emporter le théâtre de l’existence avec lui, résonances de gong, la matière musicale se plisse comme la croûte terrestre lors des tremblements de terre, fêtes et fastes, je rugis comme un lion, moi qui ai participé au festin des quatre empereurs, moi qui ai été Dieu, ô le souvenir de cette puissance infinie, de cette force qui ébranlait aussi bien les racines du ciel que de la terre, je dois abdiquer, me résoudre à délaisser ce sceptre que j’ai abandonné depuis si longtemps, final grandiose, l’on ne se surpasse jamais, l’on atteint jamais la dernière marche de l’escalier absent, qui apparaîtra une fois que l’on ne sera plus, ma dernière vision sera celle de ma pierre tombale, désespoir total, drame métaphysique, je ne suis plus que mon propre non-être. Superbement éprouvant. La musique se calme, il semblerait qu’elle ricane. Terrible.

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    Disintegrate I : (Official Music Video) : vidéo promotionnelle parue en 2022, extrait de 4 minutes : Enrique au chant et à la guitare, Pedro au beurre, pour reprendre une expression cazanglerienne, peu d’intérêt si ce n’est de les voir jouer alors que tombe la neige… / Disintegrate II : (Official Music Video) : vidéo promotionnelle parue en 2022, extrait de sept minutes et demie :  regardez celle-ci, ambiance beaucoup plus metal, ils ont remplacé la neige par des bougies, et un faisceau de torches. Les photos qui illustrent notre chronique en sont extraites.

    LONE

    OAK

    (LP, CD via Bandcamp / Février 2019)

             Grande envie m’a donné Disintegrate d’aller fouiner du côté de leur premier album.

    Pour la couve je me suis fait avoir comme un bleu, me suis demandé quel peintre romantique, voire symboliste aurait pu peindre cette toile, non un contemporain, Paolo Girardi, né en 1974, une vie dure, l’a commencé par la pratique de la lutte libre, athlète professionnel, puis l’est passé à la peinture. L’a appliqué la même méthode que pour la lutte : s’entraîner sans fin. Toile et huile de térébenthine. Je ne sais d’où il tire son inspiration, je ne le connais pas mais je l’entends me dire : ‘’ De moi-même. Je suis un lutteur et un rêveur.’’ Allez voir sur son FB, section photos, entre autres, les 286 Music Covers, un résumé de l’imagerie metal, par un grand peintre. Colossal !

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    Sculptures : le disque met en scène un géant, vous le découvrez sur la couve, qui est-il, on ne le saura pas, écoutez, l’on entend ses pas, ils n’ébranlent pas le monde, il le fracasse mais son empreinte sur la terre reste superficielle, peut-être n’est-il qu’une image de notre infatuation de nous-mêmes, certes il piétine les forêts qu’il traverse comme des fétus de paille, elles sont à l’intérieur de lui, il hurle comme King Kong, mais ce sont ces pensées que vous entendez, il s’apprête à descendre l’interminable escalier qui mène au tréfonds de lui-même, chacun de ses pas intérieurs est comme une chiquenaude qu’un sculpteur infligerait à la masse informe d’une glaise à qui il doit donner forme. La musique s’adoucit, sans doute caresse-t-il quelque rondeur qu’il a décelé au fond de son âme. Au tréfonds de lui une eau froide dans laquelle il se laisse glisser. Il flotte, il descend jusqu’au fond, l’empreinte de ses pas sur la silice vaseuse sculpte châteaux de sable et de rêve. La guitare chante et lisse, la batterie tapote, la voix triomphe, aucune victoire, seulement le contentement d’avoir donné la forme qu’il voulait à son âme. Il se tait, face à lui-même dans le silence il contemple sa réalisation, son œuvre qu’il a façonnée à partir de lui-même. Recueillement. L’artiste n’est-il pas l’œil limpide d’un univers qui ne le mérite pas. L’existe une vidéo Live at Stone Studio de l’interprétation de ce morceau. Idéale pour voir comment avec un minimum de moyen l’on peut produire un maximum d’effets. Mirror : même douceur, regarder le monde n’est-ce pas se regarder soi-même, méditation sans fin qui renvoie sans cesse de l’un à l’autre, notes égrenées, il suffit de traverser le miroir pour sortir de soi, tombe la pluie, sur moi, ou à l’intérieur de moi, les pas du géant s’alourdissent sous le faix des cymbales, introspection ou extrospection, où suis-je dans la nature ou dans les souvenirs qui inondent ma tête, perdu en soi, perdu dans le monde, gosier glaireux, il trimballe tant de débris, ne se trouve-t-il pas juste à la jointure de l’intérieur et de l’extérieur qui façonne l’autre, qui construit l’un, la batterie coupe des branches d’arbres celles qui dépassent, qui entrent dans ma tête, celles qui sortent et s’épanouissent dans le monde, moments de grandes incertitudes, le monde décline, mes forces aussi, mes démarches, la physique et la psychique deviennent moins affirmées, maintenant je me tiens aux arbres pour avancer, est-ce la fin, déjà s’élève le générique que j’ai préparé pour cet instant suprême et décisif, au sortir de ma tanière je veux hurler comme l’ours qui jaillit de sa grotte et pousse un grognement de soudard en guise de salutation au soleil, les rayons de l’astre se figent et le monde devient grisâtre, même couleur ma matière grise, voilé de brume comme s’il s’estompait de lui-même, les évènements se précipitent, c’est le moment de la séparation, mon cadavre d’un côté, mes rêves de l’autre. Fêlure séparative à la surface du miroir. 

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    Abomination : le mot est fort, l’intro fracassante, la bête est là, debout, elle hurle, elle n’y peut rien l’abomination monte comme l’eau au fond du puits. De plus en plus vite, rien ne l’arrêtera, elle noiera bientôt la terre émergée des années heureuses, de l’Arcadie première, d’où vient-elle, est-elle issue de la noirceur de mes cauchemars de ces processus d’affaiblissement insidieux, de ce désir de mort rampant qui grignote mes forces vives, suis-je programmé pour mourir et peut-être pire pour anéantir le monde après moi. Maze : je cours de tous les côtés, sans fin je me heurte au parois des galeries, je suis au-dedans de moi-même, enfermé depuis toujours, pour toujours, autant dire éternellement, mort ou vivant c’est la même chose, j’ai beau piquer des crises de folie, me démener, hurler, rien n’y fait, je suis une capsule éternelle de pensée, le dehors n’existe pas, je me projette le solipsisme de ma présence, en couleurs, sur grand écran, j’y crois, je n’y crois pas, j’invente tous les scénarios que je veux, il n’y a pas de dehors juste un cauchemar que j’entretiens pour ne pas me morfondre au-dedans de moi-même, je suis mon propre être et mon propre non-être, les deux à la fois, le monde est une projection et le projectionniste n’est pas dupe de cette fausse réalité. Pourquoi y a-t-il une chose qui pense et pas rien ? La musique s’autodévore.

             Splendeur métaphysique.

    Damie Chad.

    Nous reviendrons sur OAK, ils viennent de mettre en ligne un troisième album.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll ! 

    22

             Lorsque je poussai la porte du local, Molossa ferma ostensiblement les yeux et se coucha en rond comme un chat, je sentis comme un reproche dans son attitude réprobatrice.  Malebranche, mort en 1715, aurait-il donc tort en théorisant que les animaux, cartésiennes machines vivantes dépourvues d’âme, sont sans l’intervention directe de Dieu dans l’incapacité totale de faire semblant de simuler des sentiments. Nous devrions paisiblement discuter de cette proposition malebranchienne, hélas le temps nous manque ! Je me contenterai de spécifier que le Chef pourvu d’une âme et d’un Coronado m’adressa un franc sourire :

             _ Agent Chad, je sens que vous avez passé une bonne nuit, à votre mine détendue je subodore que vous avez lâchement abusé d’une veuve et de ses orphelins.

             _ Hélas non, Jean Thorieux a tenté de nous attendrir en évoquant sa femme et ses mioches…

             _ Agent Chad, n’oubliez jamais que la pitié est l’arme des faibles !

             _ C’est sa sœur Gisèle qui m’a reçu, elle m’a décrit son frère comme un individu un peu paumé qui depuis quelques semaines lui racontait des balivernes : à savoir qu’il était possible de traverser les murs.

             _ Or, cadavre en main si je peux employer cette métaphore, nous savons qu’il avait acquis cette curieuse faculté !

             _ Nous possédons même mieux Chef. Ce matin alors que Gisèle très éprouvée par les élucubrations de son frère a enfin trouvé le sommeil. J’en ai profité pour visiter l’appartement voisin de son frère. Pas grand-chose à voir. Une table, un lit, une télé, pas mal de bouteilles de bière et une collection complète du numéro 1 au numéro 297 de la revue Science et Paranormal. C’est tout.

             _ Parfait agent Chad, vous savez ce que vous avez à faire. Pour moi, je reste ici, fumer quelques Coronados m’aidera à réfléchir à cette affaire. Emmenez vos chiens avec vous, vous ne serez pas trop de trois, fiez-vous à mon intuition, nous sommes sur une sale embrouille !

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             Lunettes, blouson de daim, pantalons de tergal, et serviettes bourrées de documents, j’avais pris mon air de professeur d’université. La bibliothèque du quartier était déserte, à son bureau, l’hôtesse d’accueil m’accueillit avec empressement :

             _ Que puis-je pour vous Monsieur ?

             _ Est-ce que je pourrais consulter, si vous l’avez, la revue Science et Paranormal ?

             _ Bien sûr Monsieur, quel numéro voudriez-vous, vous trouverez le dernier le 297 sur le présentoir.

             _ J’aurais besoin de la collection entière depuis le numéro 1 ?

             _ La collection entière ?

             _ Oui, j’ai besoin de vérifier un point de détail, j’ai oublié de noter le numéro dans mes notes, c’est urgent, je pars dans trois jours pour un symposium à Chicago, je m’excuse de vous donner un tel travail mais…

             _ Asseyez-vous Monsieur, prenez place je m’occupe de vous.

    Je me suis retrouvé avec d’impressionnantes piles de magazines que Josiane, nous avions eu le temps de faire connaissance, m’apportait par paquets de vingt. Dans un premier temps je décidai d’éplucher le sommaire de chacun d’entre eux. Ce n’était pas aussi rapide que je le souhaitais, parfois il était vers le début, parfois vers la fin, toujours perdu au milieu de pages publicitaires. Un détail me troubla, contrairement aux us et coutumes, les sommaires étaient composés en lettres minuscules. Je m’efforçais donc de les éplucher avec attention. La salle se remplissait sans que j’y prenne vraiment garde.

             _ Pardon Monsieur, est-ce que par hasard vous auriez déjà regardé le dernier numéro, le 297 qui est sorti ce lundi matin ?

    Je relevai la tête, le gars avait une allure sympathique, aux nombreuses rides qui sillonnaient son visage il devait avoir autour de quatre-vingt ans. Je le lui tendis et n’eus aucun besoin d’engager la conversation :

    • C’est que voyez-vous j’adore lire ces élucubrations, bien entendu je n’en crois pas un mot, entre les extra-terrestres qui vivent parmi nous et les gens qui sont capables de mettre en mouvement par la pensée un train de quarante wagons, pensez-donc plus de trois mille tonnes ! En plus ces derniers mois, ils ont engagé un nouveau journaliste, un certain Jean Thorieux, le gars doit être frappé de la cafetière il vous propose des expériences de traversée des murs, il vous propose même de vous inscrire au Club des Briseurs de Murailles. Cela m’a semblé si stupide que j’ai rempli la semaine dernière le bon d’inscription, le pire ce matin en partant pour la bibliothèque, j’ai vérifié le courrier dans ma boîte à lettres, ils m’ont répondu, je n’ai pas ouvert, encore un truc pour vous soutirer de l’argent ! Mais j’arrête de radoter des balivernes ! Vous avez du travail à ce que je vois.

    Je m’apprêtais à me plonger dans la lecture des articles de ce Jean Thorieux, je n’en eus pas le temps, Josiane se dressa devant moi :

    • C’est marrant Damie, vous êtes le premier lecteur qui enlève ses lunettes pour lire !
    • Je les mets juste pour attirer l’attention des jolies filles Josiane, elles sont magiques, ce sont seulement les plus belles qui le remarquent !
    • En tout cas ce que je trouve magique, c’est votre serviette qui bouge toute seule !

    Je n’eus même pas le temps d'improvider une explication, la tête toute ébouriffée de Molissito qui avait réussi à bouger la fermeture éclair apparut !

             _ Oh ! mais il est ravissant, oh, un deuxième ! ils sont beaux tous les deux, vous les transportez tout le temps dans votre cartable, vous possédez une étrange personnalité Damie, j’adore les garçons drôles comme vous, si j’osais je vous inviterais au déjeuner, j’ai deux heures de pose !

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    C’était une excellente suggestion. Josiane me guida vers un petit restaurant qui se révéla excellent. Comme il y avait un petit hôtel tout près, et tout prêt à nous accueillir nous y fîmes une petite halte, après quoi nous revînmes à la bibliothèque. Josiane me photocopia les dix-sept articles que Jean Thorrieux avait rédigés ce qui prit pas mal de temps.

    C’est avec fierté que je poussai la porte du local. Le chef fumait un Coronado. Le cendrier était plein, le Chef avait dû longuement méditer.

             _ Agent Chad, enfin vous voici, j’e vous attendais avec impatience, j’espère que vous rapportez un début de piste prometteur !

             _ Plus qu’un début de piste Chef, un dossier, regardez il est assez épais une centaine de pages, j’ajoute pour les finances du service que grâce à mon entregent je n’ai eu aucun centime à verser.

             _ Votre souci économique vous honore agent Chad, si vous saviez ce que nous coûte un seul Coronado, vous seriez effaré, figurez-vous, vous n’en croirez pas vos oreilles, le ministère, il vient de me téléphoner, envisage de mettre une taxe carbone sur chacun des cigares que je fume ! Permettez-moi d’étudier ces documents, nous en reparlons dès ma lecture achevée.

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    Le Chef alluma un Coronada :

    • Agent Chad, à part le fait que ce fatras d’imbécillités soit signé de Jean Thorieux, le même nom que le zigue pâteux que nous avons retiré de sa gangue de béton dans le mur de notre appartement, ces documents ne présentent qu’un très modeste intérêt. Non n’intervenez pas, je sais bien que le Club des Briseurs de Murailles dont ces articles sont censés rendre compte des progrès de ses activités, ce Jean Thorieux journaliste ne nous renseigne en rien sur le Jean Thorieux que nous avons expédié ad patres. Par contre savez-vous la différence entre un ours blanc, un ours brun, un ours noir ?
    • Euh ! ce sont tous des plantigrades …
    • C’est bien cela, vous vous plantez magnifiquement, et votre fierté d’enquêteur va en prendre pour son grade ! En toute occasion il ne faut jamais se précipiter. Un cas particulier, le mien : après avoir fumé sept ou huit Coronados, j’ai effectué une rapide recherche sur le Net. En trois clics j’ai débouché sur le nom du propriétaire de Science et Paranormal, je me corrige aussitôt, de sa propriétaire, elle possède un nom charmant qui risque de vous dire quelque chose : Jeanne Thorieux.

    Je n’écoutais pas un mot de plus. Déjà je dévalais les escaliers mes chiens sur les talons, mon Rafalos en main.

    A suivre…