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gene clark

  • CHRONIQUES DE POURPRE 612 : KR'TNT 612 : BRAT FARRAR / GENE CLARK / SYD BARRETT / YO LA TENGO / SHARON RIDLEY / MAMA'S BROKE / WODOROST / RAOUL GALVAN + ERIC CALASSOU / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 612

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    21 / 09 / 2023

     

    BRAT FARRAR / GENE CLARK

    SYD BARRETT / YO LA TENGO / SHARON RIDLEY

    MAMA’S BROKE / WODOROST

     RAOUL GALVAN + ERIC CALASSOU

    ROCKAMBOLESQUES

      

     

    Un Farrar dans la nuit

     

    brat farrar,gene clark,syd barrett,yo la tengo,sharon ridley,mama's broke,wodorost,raoul galvan + eric calassou,rockambolesques

             Pareil que Cash, Brat jouait tous les jours. Comme Gildas passait Brat dans son Radio Show, alors on est allé voir jouer Brat. Gildas avait du pif. Il savait flairer une piste. D’ailleurs, on lui doit pas mal de découvertes, le Bench Club de Toulouse, The Little Richards de Californie, Timmy’s Organism de Detroit, les Why Oh Whys de Suède, Kurt Baker Combo du Maine, les Psychedelic Speed Freaks du Japon, et l’Aussie Brat Farrar. Diable comme Brat sonnait bien dans son show.

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    Alors tu vas voir Brat gratter ses poux à la Banche et qui trottine à ta droite ? Le fantôme de Gildas. Clopin-clopant. Comme lors de la nuit magique de 2019.

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             Brat s’est coupé la tignasse. Ça le rajeunit. Il a monté un groupe et roule ma poule. Brat et ses trois amis tapent un rock high-energy bien senti. Brat passe tous les solos, il n’est pas avare de petites gestuelles. Il peut aller gratter ses poux dans le dos, comme d’autres avant lui. À son sourire carnassier, on voit qu’il est content de rocker le Binic. Son set tient sacrément bien la route, on s’en régale le premier jour, mais le lendemain, c’est encore mieux. Les virulences n’ont aucun secret pour lui, il combine le blast avec le climaxing, il cultive la dissonance qui électrise la peau, il sait faire dresser l’oreille, il claque un rock extrêmement évolué, bien dressé vers l’avenir, et tous les ceusses qui connaissent ses albums savent ce que ça signifie. Son fonds de commerce reste le vieux gaga-punk cher à Gildas, mais il l’agrémente d’une touche anguleuse qu’on peut bien qualifier de modernité.

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    Brat ne craint pas d’être avalé par le passé, il développe une espèce d’animalité étrange, que contrebalance un sentiment d’austérité, peut-être dû au fait qu’il ne porte que du noir. Va-t-en savoir.

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             À ce stade de conjecture, il est indispensable d’écouter ses quatre albums pour se faire une idée précise. Visuellement, il opte dès le départ pour un graphisme austère, une image traitée avec un filtre trameur Photoshop et barrée d’un gros Brat Farrar en extra-bold condensed. Une façon comme une autre de dire bim bam boom.

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    Deuxième chose : Brat Farrar est un one man band. Il se débrouille tout seul : performing, writing, mixing, mastering, il n’a besoin de personne en Harley Davidson. Son premier album sans titre est un Off The Hip qui date de 2012. Boom avec «Punk Records», le cut qui clôt chacun de ses sets. Ah il l’aime bien son vieux «Punk Records». Il a raison, car «Punk Records» est bien exacerbé du coconut. Le brave Brat pique de violentes crises. Il enchaîne ça avec une belle énormité, «You Got Me Hanging Around», il y va au wild gaga-punk d’hanging around, il adore ce sourd beat des profondeurs. Avec «Ask The Night Tonight», il sonne comme les Buzzcocks. Et plus globalement, il arrose tous ses cuts avec un beau vent du Nord. La B est moins sexy, il fait parfois un peu la Post, et il faut attendre «Boneyard» pour trouver du bon rampant et une bonne cocote de la mort qui tue.

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             Deux ans plus tard, il récidive avec Brat Farrar II et te claque deux jolis coups de génie enchaînés : «Good By Myself» et «Johnny Sparrow». Max Brat sait monter à la menace du Good et il taille son Sparrow dans la masse, il travaille le trash comme Rodin l’argile, il balance tous les vents du Nord si ça lui chante, il se veut très directif, il gratte des poux qui attaquent comme les oiseaux d’Hitchcock et ça splurge dans le carnage. Il fait de l’Hitch pur. Il n’est pas non plus avare de Punk’s Not Dead, comme le montre «Nothing There». Il réunit son essaim de frelons et repart à l’attaque, au beat pressé de Paul Morand. Il y bat le beurre du diable, il bat ses œufs, il est dépassé par sa neige de blancs d’œufs. Ce sont des choses qui arrivent. Au rayon énormités, il est bien garni, comme le montre ce «Do You Really Wanna Know» atrocement tiré par les cheveux, il connaît le secret des clameurs, il rend son beat violent, avec des poux de Hurlevent en surface. Quel spectacle ! Encore une belle énormité avec «Off To See The World», il jongle avec les ressources inexplorées, le voilà aussi fier que d’Artagnan, mais il impose son rock fier à bras en sourdine, même s’il ramène ses essaims, il gratte en biseau, mais en fait, tu entends plusieurs grattes en biseau qui semblent causer entre elles pendant que le fier à Brat chante ses conneries. Et là, tu adhères au parti, car te voilà convaincu. Voilà un Aussie qui conçoit son album comme une aventure. C’est tout ce qu’il faut retenir de lui.   

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             Dans son radio show Gildas passait l’«On Your Mind» tiré du III, un Kizmiaz de 2017. Il passait aussi «Always You» qui n’est pas sur les albums. Juste un brillant single. Le fier à Brat a choisi une belle photo floue pour la pochette. Ceci dit, l’album est remarquable : deux stoogeries et en plus, un «When I Wake» qui évoque les Pixies. Si tu le cherches, il est planqué en B. Le Brat l’attaque très haut dans le ciel rouge. Il joue exactement comme Joey Santiago, à coups de stridences inconvenantes. Il a vraiment du génie, surtout qu’il fait tout ça tout seul. La première stoogerie s’appelle «On Your Mind», Gildas avait du pif, I wanna be on your mind, le Brat d’honneur a tout bon, c’est stoogé jusqu’à l’oss de l’ass, la tension, les incendies, le heartbeat, l’I wanna be on your mind, tout est là, with a heart full of napalm ! La deuxième stoogerie ouvre le bal de la B : «Downtown». Ses attaques de front sont historiques, il oscille au bord du cratère, il propose une nouvelle fantastique démonstration de force. Sa gratte prend feu. Le Brat bat tous les Aussies, si si, à la course. Il sort vraiment du lot. Il est fin et plein d’idées dégoulinantes de power, comme électrisées. Il tape en A son «Make You Mine» avec une incroyable perversité, son poison coule dans les veines de la vestale verte, il gratte une atroce cocote infectueuse. Sur cet album, tout est bien serré, bien fourni, bien foutu, bien senti. Brat est réellement un Farrar dans la nuit.

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             On est bien content d’avoir sous la main un album comme Adventures In The Skin Trade. Pourquoi ? Parce que chaque fois qu’on le ressort de l’étagère, on peut réécouter le morceau titre qui non seulement ouvre le balda, mais dit tout ce qu’il y a à savoir sur le Brat long. Rien qu’avec ce cut, il devient une quasi-rockstar inconnue. Le Brat connaît tous les secrets du pulsatif. On se croirait chez les Stooges, c’est vrai, il règne dans ce cut un violent parfum de stoogerie, et même d’heavy stoogerie seigneuriale, et petite cerise sur le gâtö, il finit en écrasant sa chique à la manière de Johnny Rotten. Dommage que la suite ne soit pas du même acabit. Bon il y a du son et des incendies dans «Come Back To You» et son «Big Crash» est bien chargé de la barcasse, mais ton cœur ne bat que pour le morceau titre. Il sauve sa B avec «Not Like You», fast & sharp. Il paraît indomptable, c’est un véritable Aussie de Gévaudan, il tortille sa vrille et se prend littéralement pour Ron Asheton. Ce brave Brat a du génie sonique à revendre et tout l’avenir devant lui.

    Signé : Cazengler, Brat Farine

    Brat Farrar. Binic Folk Blues Festival (22). 28/29/30 juillet 2023

    Brat Farrar. Brat Farrar. Off The Hip 2012 

    Brat Farrar. Brat Farrar II. P. Trash records 2014  

    Brat Farrar. III. Kizmiaz Records 2017 

    Brat Farrar. Adventures In The Skin Trade. Beast Records 2020

     

     

    Last train to Clark’s ville

    - Part Three

     

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             Pour bien prendre les choses en dépit du bon sens, on va attaquer ce Part Three avec les trois albums des Byrds, qui furent t’en souvient-il le groupe de Gene Clark, de la même façon que les Rolling Stones furent le groupe de Brian Jones. Et comme on le soulignait quelque part dans le Part One, Geno et Brian Jones s’entendaient très bien, ce qui ne surprendra personne.

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             Tout fan de Geno a commencé sa carrière de fan par Mr. Tambourine Man, un album paru en 1965 et qu’il faut bien qualifier de dément. Le morceau titre d’ouverture de balda te plonge depuis bientôt soixante ans dans la magie des sixties. Tu serres ce gros cartonné Columbia US contre ton cœur, car c’est tout ce qu’il te reste à faire quand éclatent les carillons de l’éternelle jeunesse captés par Terry Melcher. Le «Mr. Tambourine Man» des Byrds, c’est en quelque sorte l’apanage définitif. Geno mettra un point d’honneur à rester digne toute sa vie de ce coup de génie. Les Byrds ont le son, le groove, le poids, le jingle et tout le jangle du monde. Geno entre ensuite en lice avec son premier hit, «I’ll Feel A Whole Lot Better» - When you’re gone - Si ce n’est pas un coup de génie, alors qu’est-ce c’est ? Il signe encore «Spanish Harlem Incident», un fantastique groove californien, et il co-écrit «Here Without You» avec Croz. C’est immédiatement du très haut de gamme. Ils bouclent cette A faramineuse avec un «Bells Of Rhymmey» prodigieusement monté au chant harmonique pyrotechnique. En six coups, ils ont gagné la partie. Et la fête continue en B avec «All I Really Want To Do». Tu t’en abreuves jusqu’à plus soif.

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             Deux coups de génie ouvrent la balda de Turn Turn Turn, paru la même année : le morceau titre - To everything there’s a season - et «It Won’t Be Wrong». Mais le reste de l’album refuse obstinément de décoller. Leur cover du «Lay Down Your Weary Tune» de Dylan sauve les meubles. Il règne une mauvaise ambiance dans le groupe : McGuinn et Croz sont jaloux de Geno qui ramasse plus de blé qu’eux et qui roule en Ferrari. Alors Geno va quitter les Byrds en 1966. Hop terminé.

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             Le nom de Geno apparaît pourtant sur Fifth Dimension. Il co-signe «Eight Miles High» avec McGuinn et Croz, alors qu’en réalité, il a bossé l’idée avec Brian Jones, comme l’indique John Einarson. «Eight Miles High» est l’un des Ararats de la Mad Psychedelia. L’autre Ararat, c’est «I See You», co-signé par McGuinn et Croz, une wild psyché jouée à ras les pâquerettes, un joli ventre à terre d’excellence carabinée. En matière d’excellence au sein des Byrds, c’est Croz qui va prendre la relève, jusqu’à ce qu’il soit viré. L’autre hit des Byrds est bien sûr «Mr. Spaceman», presque pop, mais avec du son. Excellence des excellences. Croz commence à imposer sa marque avec le pur groove de «What’s Happening?». En B, ils trouvent le moyen de massacrer «Hey Joe» et d’enchaîner avec cet épouvantable filler qu’est «Captain Soul». Les Byrds vont commencer à se déplumer ou à se remplumer, en fonction des albums.

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             C’est intéressant d’écouter les Byrds demos de 1964, The Preflyte Sessions, car tout est quasi-Clark, et comme à l’époque Geno en pinçait pour les Beatles, alors il ne faut pas s’étonner de voir les early Byrds sonner comme les Beatles. Le sommet de l’A est ce «Don’t Be Long» qui sonne comme un hit. En B, on tombe sur une belle compo de Croz, «The Airport Song», qui préfigure le Croz à venir. On a aussi une version sèche de «Mr. Tambourine Man» battue à la marche militaire. En C, Croz chante «Willie jean» et «Come Back Baby». Il était déjà dans le groove. C’est lui le plus intéressant, avec Geno. Et puis en D, tu vas trouver une version ahurissante de l’«It’s No Use» signé McGuinn/Geno, et le très beau «Boston» de Geno monté sur un bassmatic joliment électrique.

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             Dans le même esprit, Sundazed sortait en l’an 2000 une petite compile d’early cuts, le premier volume de Sanctuary. Ça démarre sur une version magique de l’«All I Really Want To Do» de Dylan. Les Byrds restent à leur sommet avec «You Won’t Have To Cry». Ils sont aussi puissants que les Beatles. C’est un son unique, porté à son sommet. Encore de la pure Byrdsymania avec «She Don’t Care About Time» et son gratté de poux emblématique, ainsi que son cocktail mortel d’harmonies douceâtres. Dans le même esprit, voilà une version superbe d’«It’s All Over Baby Blue». Après le Dylanex, la grande spécialité des Byrds est la wild psychedelia, et en voilà l’un des emblèmes : «Why». Avec «John Riley», tu vas forcément tomber de ta chaise, car voilà un fabuleux instro de jazz rock fusion. Croz reprend ensuite la main avec l’imparable «Psychodrama City». Ah quelle pureté d’intention ! Il est vraiment sur la brèche du devenir. Il enchaîne avec son «Mind Gardens» et montre qu’avec son orientalisme, il est très en avance sur le roi George. Croz toujours avec «Lady Friend». Belle grandeur. Prod énorme, Gary Usher et ses cuivres. Tu n’en peux plus tellement c’est beau !

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             Dans le même esprit, tu as Never Before, considéré comme «the great lost Byrds album», ou mieux encore, «The great lost Byrds singles». Ils s’agit surtout de ce qu’on appelle les stereo mixes. Et boom, tu tombes très vite sur cette bombe de Geno qui s’appelle «She Has A Way» et qui devait figurer sur le premier album des Byrds : pur jus de mad psychedelia ! Tu as aussi l’«It’s All Over Now Baby Blue» de Dylan enregistré en cachette par les Byrds et Jim Dickson, pendant que Terry Melcher était à la plage à Palm Springs. Belle attaque, la meilleure. Ça s’écoute avec plaisir, même si on connaît tout ça par cœur. S’ensuit «Never Before», la dernière chanson que Geno a composée pour les Byrds, à la fin de l’«Eight Miles High» session. Rien de plus upfront que Never Before. Et puis tu as «Why», signé McGuinn/Croz, une sorte d’apanage du rock californien, avec un big pulsatif underground et transpercé par un solo de McGuinn. «Triad», c’est encore autre chose, Croz le groove à la dérive, il l’étale en plein jour, il descend les escaliers d’I love you too. Ce cut magique qui devait figurer sur The Notorious Byrd Brothers n’y figura pas, car Croz refusa de l’enregistrer avec ses faux frères, et donc c’est resté un single, d’où sa présence sur Never Before - Why can’t we go as three - Croz y prône le ménage à trois. Et puis il y a aussi «Lady Friend», un autre single magique de Croz, véritable coup de génie.  

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             L’album sans titre de reformation des Byrds paru en 1973 vaut le déplacement pour une bonne et simple raison : «Full Circle». Cut de Geno, forcément. Tout de suite magique - Funny how the circle turns around/ First you’re up and the you’re down again - Power du songwriting, c’est lui, Geno, qui ramène tout le power dans les Byrds, il amène de la chaleur et les autres ramènent de la clameur. On voit la différence avec «Sweet Mary», lamentable compo de McGuinn, du heavy médiéval privé d’avenir. Geno ramène ensuite «Changing Heart», un soft country rock bien pépère. Avec Geno, c’est clair comme de l’eau de roche : compo solide et admirable. Ils tapent ensuite dans un cut de Joni, «For Free», un balladif en suspension, superbe groove transverse - He was playing good for free - C’est Croz qui chante. Il va d’ailleurs reprendre ce magic cut sur son dernier album studio, For Free. McGuinn enchaîne avec son «Born To Rock’n’Roll», un joli shoot dylanesque plein de son, bien enraciné dans l’Americana. Ils tapent aussi une version du «Cowgirl In The Sand» de Neil Young - Hello cowgirl in the sand - C’est très fleur bleue. Croz tape ensuite son «Long Live The King», une petite compo énervée avec de contreforts d’harmonies vocales extraordinaires. Croz groove son cut dans le jazz, il te blaste ça vite fait bien fait. Il te plonge à nouveau dans le groove avec «Laughing». Sa voix ne trompe pas. Il est le roi du groove américain, c’est un navigateur qui sait godiller à travers les récifs. Il fait autorité. Bizarrement, ils terminent avec une autre cover de Neil Young, «(See The Sky) About To Rain». Ses compos sonnent parfois comme des tue-l’amour qui s’accrochent aux branches d’un petit thème mélodique.

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             John Einarson signe les liners d’A Trip Though The Rose Garden (The Rose Garden Collection). Inutile de tourner autour du pot : cette compile est un passage obligé. The Rose Garden est un groupe complètement fasciné par les Byrds. Dans les bonus, on trouve un version live de «So You Want To Be A Rock’n’Roll Star» capable de faire pâlir les Byrds. Ils sont en plein dans l’excellence du heavy rumble des Byrds, ils sont peut-être même meilleurs sur ce coup-là. C’est d’ailleurs ce que Geno leur dit un jour : «You do Byrds better than we ever did.» La compile propose l’album A Trip Though The Rose Garden et une quinzaine de bonus d’une qualité extraordinaire. John Nooren gratte une douze Ricken, Jim Groshong gratte aussi ses poux, Bruce Bowdin bat le beurre et l’extraordinaire bassman qu’on entend dévorer les cuts s’appelle Bill Fleming. Ils intègrent aussi la chanteuse Diana De Rose, et les hustlers Greene & Stone les prennent sous contrat. Ces deux-là sont connus à Los Angeles pour avoir découvert Sonny & Cher et Buffalo Springfield. Ils ont aussi une connexion avec Ahmet Ertegun et pouf, The Rose Garden se retrouve sur ATCO. C’est Greene & Stone qui choisissent les cuts de l’album. Geno qui aime bien les Rose propose un coup de main et leur file «Till Today» qu’il vient tout juste de composer. Geno leur montre le cut et on retrouve cette démo dans les bonus. On trouve d’ailleurs trois versions sur la compile, celle de l’album - And I got moved out of my mind - du génie pur, et la démo, dévorée vivante par le walking bass de Bill Fleming, démo suivie d’un remaster spectaculaire. «Till Today» est sans doute l’un des hits du siècle passé, tout est supra-balancé aux harmonies vocales et dévoré par cette walking bass. Sur l’acétate que leur donne Geno, ils choisissent un autre cut, «Long Time». Mais quand leur album paraît, les Rose Garden sont horrifiés par le son. Ils étaient pourtant contents du rough mix du Gold Star, mais Greene & Stone ont embarqué les bandes à New York et ont tout remixé pour en faire du vocal-oriented. Ils ont enterré la gratte de John Nooren. C’est la raison pour laquelle les bonus sont vitaux, car entend bien les grattes et la basse. Bruce pense que Greene & Stone avaient une idée derrière la tête : pousser Diana De Rose au-devant. C’est vrai qu’avec «February Sunshine», ils sonnent exactement comme les Mamas & The Papas. Sur «Coins For Fun», on entend des harmonies vocales et des grattes des Byrds. Encore de la bonne énergie californienne dans «Rider», très bluegrass dans l’essence, plein de roots et d’un tas de choses. Ils rendent ensuite hommage à Dylan avec «She Belongs To Me». Hommage de rêve à un génie, le mec te chante ça à la tremblote divine. Puis on entre dans le jardin d’Eden des bonus avec «If My World Falls Though» qui sonne encore comme les Mamas & The Papas, même son de la marée montante. Ils ont ce power considérable. En B-side de ce single, on trouve l’affolant «Here’s Today», qu’ils font sonner comme un hit des Byrds. On en trouve une version monomix plus loin, sertie d’un solo de basse. Ils enregistrent aussi une cover du «Down The Wire» de Neil Young, un heavy psychout  de Byrdsymania avec tout le power de la nation. Il faut voir comme ces mecs étaient doués. Geno ne s’était pas trompé. Le groupe s’écroule quand Jim et Bruce sont appelés sous les drapeaux. Ils obtiennent le statut d’objecteurs de conscience et se retrouvent dans un camp d’Oregon pour deux ans de service civil. Greene & Stone essayent de lancer Diana De Rose en solo. Mais ce sont les versions live des Rose qui cassent la baraque, à commencer par «Next Plane To London», fabuleusement heavy, rien à voir avec la version studio, c’est suivi du «So You Want To Be A Rock’n’Roll Star» et ils restent dans les Byrds avec «She Don’t Care About Time». Ils n’enfoncent pas le clou des Byrds, ils le défoncent ! The Rose Garden devient une révélation. Ils terminent avec une cover du mighty «You Don’t Love Me» de Willie Cobbs. Aw my Cobbs ! 

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             Ça vaut franchement le coup de rapatrier The Lost Studio Sessions 1964-1982. L’album vaut la peau des fesses, mais on est content de l’avoir sous la main. Ça grouille de puces, ce sont des démos, Geno gratte below et il faut attendre «Back Street Mirror» pour frémir un petit coup, car il fait du pur «Like A Rolling Stone». Plus loin il remonte les bretelles d’«Adrienne» à coups de gimmicky deepy deep, sa sweet Adrienne est une merveille d’intimisme et de chant délicat. Geno est l’artiste parfait. On reste dans la magie avec «Walking Throught His Lifetime», il gratte ses poux à n’en plus finir et «The Sparrow» couronne cette belle triplette de Belleville. Avec Geno, ça valse assez vite. Retour aux Byrds avec «She Darked The Sun» et «She Don’t Care About Me». Tout est beau sur cette compile de démos. On passe à Nyteflyte avec «One Hundred Years From Now» et franchement, on ne se lasse pas de cette classe invraisemblable. Il fait une cover de «The Letter» et passe à la fast country de génie avec «Still Feeling Blue». Au fil des cuts, il retape tout son registre : Byrdsymania à la moulinette, country extra-circonvolutionnaire, avec Geno, c’est vite plié, il a des chansons et il ramène tout le son du monde.

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             On trouve de très belles compos de Geno sur McGuinn Hillman & Clark, le premier album sans titre du conglomérat McGuinn Hillman & Clark, à commencer par l’excellent «Little Mama», c’est tout de suite chaud, chanté, oh-oh, c’est du Geno pur et dur, il t’explose la pop avec un sens aigu de l’universalisme. Il éclaire la réunion, il ramène le cut qui fait foi, il y a de la magie dans son Little Mama, il pousse son bouchon très loin au yeah yeah yeah. Il remonte au front plus loin avec «Backstage Pass». Il t’embobine aussi sec, mais il le fait à l’incidence, sans mauvaise intention, chez lui, c’est naturel, il faut que ça éclate. Il a encore deux cuts en B, «Feeling Higher», il y va doucement pour ne pas froisser McGuinn et Hillman, et «Release Me Girl», un heavy groove dans lequel il se fond au release me girl/ Tonite, sans trop se casser la tête. L’autre moment fort de l’album est une Beautiful Song signée McGuinn, «Bye Bye Baby». Il la prend à la traînasse de la populace. McGuinn taille aussi sa route avec un superbe «You Don’t Wish Her Off».

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             John Einarson nous avait prévenu : Geno ne chante que deux cuts sur City, le deuxième album du conglomérat McGuinn Hillman & Clark. Il tente le coup avec «Won’t Let You Down». Il a du courage, il sait driver son witchcraft. Et en B, il revient avec un petit shoot de heavy rock, «Painted Fire». Il ne se casse pas la tête. C’est avec le morceau titre en A que le conglomérat sauve l’album, on y trouve des vieux relents des Byrds in the heart of the city. McGuinn est malin comme un renard, il parvient toujours à recycler sa vieille magie. Il est d’ailleurs le seul en Amérique à sonner comme ça. Ses descentes de gratté de poux ne pardonnent pas.

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             Full Cirle - A Tribute To Gene Clark ressemble à s’y méprendre à un passage obligé. Non seulement le CD est double, mais il grouille de puces. Tiens, rien que sur le disk 1, tu as deux classiques revisités pas des féroces géants underground : «I’ll Feel A Whole Lot Better» par des Suédois qui s’appellent The Merrymakers, et «Eight Miles High» par Myracle Brah. Les Suédois sortent un brillant ramshakle pour faire honneur à Geno, et les Brah tapent l’Eight Miles High au wild brash out of the fuck-up, c’est bardé de power et de purée démente. Alors tu y reviens encore et encore. Les Lears tapent aussi en plein dans les Byrds avec «The Byrd That Couldn’t Fly». Les gros clients se bousculent au portillon, ça n’en finit plus. Michael Carpenter ouvre le bal avec «That’s Alright By Me», ce mec y va au big Clarky country sound, au big zyva, c’est un pro du pur et dur. Les Retros sonnent exactement comme les Byrds, avec «Long Time». Dévoré et dévorant, noyé de gratté de poux génial. Niveau poux, tu ne peux pas espérer mieux. Le groupe qui tape «She Has A Way» s’appelle The Idea. Ils en font une version lumineuse. Ces mecs sonnent comme des anges du paradis. Les Kennedys entrent à leur tour dans le giron des Byrds avec «Here Without You». Suprême accointance. Mais ces mecs ont trop d’albums au compteur, alors tu n’y mets pas les pieds. Et voilà le frère de Geno, Rick Clark, avec «Del Gato», il chante cette exotica de Mexicano d’une voix forte. Roger & Jim tapent «So You Lost Your Baby» à l’absolute claquage de claqué psyché, mais à fond de cale, avec des grattes qui virevoltent. Sid Griffin entre dans le génie de Geno avec «Why Not Your Baby». Nouvelle surprise avec Einstein’s Sister et «Changing Heart», wild country pop d’une infinie finesse. Pour tous ces gens-là, c’est du gâtö : Geno n’écrivait que des bonnes chansons.

             Le disk 2 est aussi dense, sinon pire. Coup de génie des Finkers avec «Radio Song». Ils sonnent comme des démons. The Shazam sont des mecs de Nashville et font un carton avec «Is Yours Is Mine». Ils rentrent dans le lard des Byrds et c’est pas peu dire. Nouvelle révélation avec Buddy Woodward & The Ghost Rockets, ils tapent «With Care From Someone» au boogie de wild ride, avec la mélodie chant en surface. L’hommage est sidérant : mélodie chant + banjo demetend. Pat Buchanan et John Jorgenson rendent aussi un hommage vibrant à Geno avec ce qu’il faut bien appeler une grosse compo : «Set You Free This Time». Ils plongent à leur tour dans le génie de Geno. Bill Lloyd est aussi dans les Byrds jusqu’au cou avec «The World Turns All Around Her», c’est enlevé par le ventre, à la manière des Byrds. Les Mop Tops tapent une cinglante cover de «Christine», et Steve Wynn gratte «Tomorrow Is A Long Way» à la grosse cocote, au plus près du gazon. Encore une belle giclée de Byrdsy sperm avec Walter Egan et «Reason Why». Le Walter est en plein dedans, il fait bien le Geno, c’est tendu et beau à pleurer. Frank Jackson Blake tombe à son tour sur le râble de Geno avec «You Won’t Have To Cry», mais il le fait avec toute la grâce du monde. Et là tu pries Dieu non seulement que tous nous veuille absoudre, mais aussi que ça ne cesse jamais. Pur genius d’you don’t have to cry anymore. Avec les Grip Weeds tu es encore dans le vrai, ils tapent une fantastique mouture de «She Don’t Care About Time». Ils sont dans les Byrds avec une niaque de Weeds. Rich Hopkins a tout le son du monde avec «You’ve Gone». Tout ça pour dire que les compos de Geno ne sont que des smash. C’est Kai, le fils de Geno, qui referme la marche avec «In My Heart». Pas facile de rentrer dans les godasses d’un père comme Geno.

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             On a découvert Starry Eyed And Laughing sur la belle compile Ace, You Showed Me - The Songs Of Gene Clark. Ce sont des Anglais et leur premier album sans titre date de 1974. Starry Eyed And Laughing est une petite merveille ! L’âme du groupe s’appelle Ross McGeeney, un fou du gratté de poux. Il amène une énergie considérable dès «Going Down» en ouverture du balda. Ces mecs descendent directement au barbu du down down down et du singing something et paf, ce génie de McGeeney te claque un wild killer solo flash. Il est encore pire que Clarence White. Ils font ensuite du country classic, mais avec esprit («Money Is No Friend Of Mine») et ils bouclent leur balda avec l’excellent «See Your Face» qui fond comme un bonbon sur la langue. Ils sonnent exactement comme les Byrds. En B, ils tapent ce qu’on appelle un boogie rock enthousiasmant, «Living In London». Une vraie sinécure de fast London rock - Living in London starts to make me crazy yeah - Retour à la belle country lumineuse avec «Never Say Too Late», franchement, tu te régales en compagnie de ces mecs-là. Ils font leurs adieux avec un «Everybody» digne du «Eight Miles High» des Byrds. Fantastique resucée ! On croirait entendre Geno. Même power, même fluidité psychédélique, même énergie atomique de la radiation congénitale.

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             Leur deuxième album s’appelle Thought Talk. Il se présente sous les meilleurs auspices avec «Good Love». Ils ont tellement de son ! Et le mec chante si bien ! C’est une pop pleine d’élan vital, une pop inspirée par les trous de nez. L’autre énormité de l’album s’appelle «Flames In The Rain» et elle se planque en B. Il faut aller la chercher, elle ne viendra pas toute seule. C’est de la big heavy pop de type Dylanex, chantée d’une voix tremblante d’émotion, une pop aérienne et même hantée. Avec le morceau titre qui arrive aussitôt après, ils font du CS&N, même allure, même Déjà Vu, avec un jazz solo liquide, c’est incroyablement bon et chaud, c’est un rock qui te coule dans la manche. On retrouve le Dylanex dans «One Foot In The Boat» et un brin de country rock persistant dans «Since I Lost You», chanté au doux du menton, très californien dans l’esprit. Avec «Believe», ils sonnent exactement comme Midlake, ou plutôt Midlake sonne exactement comme Starry Eyed And Laughing. Ils tapent chaque fois dans le mille. Ces mecs sont beaucoup trop polis pour être honnêtes, trop doués pour être charitables, beaucoup trop diserts pour être éligibles.

    Signé : Cazengler, tête à Clark

    Byrds. Mr. Tambourine Man. Columbia 1965

    Byrds. Turn Turn Turn. Columbia 1965

    Byrds. Fifth Dimension. Columbia 1966

    Byrds. Sanctuary. Sundazed 2000

    Byrds. The Preflyte Sessions. Sundazed 2001

    Byrds. Never Before. Murray Hill Records 1987 

    Byrds. Byrds. Asylum Records 1973

    The Rose Garden. A Trip Though The Rose Garden (The RG Collection). Omnivore Recordings 2018

    Gene Clark. The Lost Studio Sessions 1964-1982. Sierra Records 2016

    McGuinn Hillman & Clark. McGuinn Hillman & Clark. Capitol Records 1979

    McGuinn Hillman & Clark. City. Capitol Records 1980

    Full Cirle - A Tribute To Gene Clark. Not Lame Recordings 2000

    Starry Eyed And Laughing. Starry Eyed And Laughing. CBS 1974

    Starry Eyed And Laughing. Thought Talk. CBS 1975

     

     

    Wizards & True Stars

    Syd Barrett m’était conté

    (Part Two)

     

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             Syd Barrett et Brian Jones partagent le même destin, un destin de brillants précurseurs, et s’il fallait les résumer par une formule, on céderait aisément à quelque infime pulsion poétique en les qualifiant d’élégants ectoplasmes éphémères élus pour l’éternité. 

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             Voici dix ans, Rob Chapman publiait Syd Barrett - A Very Irregular Head, un book gras et rose comme un bourgeois satisfait de sa condition. À la première lecture, on trouvait l’auteur pontifiant, on l’aurait presque traité de pompeux cornichon, pour reprendre une invective chère à Noël Godin, un autre héros. Chapman s’inscrivait à l’exact opposé de Nick Kent, qui, avec ‘The Cracked Ballad of Syd Barrett’, avait su dire tout le bien qu’il fallait penser de l’élégant ectoplasme éphémère élu pour l’éternité.

             Puis, à seule fin d’alimenter la chronique des Wizards & True Stars, l’idée saugrenue vint de ressortir le fat book de l’étagère. À la relecture, le fat book a pris une autre allure. Essayons d’en comprendre la raison.

             Rob Chapman est un coupeur de cheveux en quatre. Il passe un temps infini à dire le pourquoi du comment, il consacre des chapitres entiers à des détails qui ne méritaient qu’un petit paragraphe. Il revient notamment sur le mythe créé par Nick Kent, la fameuse bouillasse de Brylcreem et de Mandrax dont Syd s’était barbouillé la tignasse avant de monter sur scène avec son groupe, le Pink Floyd - Jesus wore a crown of thorns. Sad, mad Syd rubbed some gloop into his scalp - Chapman détruit le mythe, mais il s’empresse d’ajouter que les articles de Nick Kent parus à l’époque sans le NME comptent parmi «the finest in English music journalism.» La parution de ‘The Cracked Ballad’ sonnait déjà presque comme un requiem, précise Chapman dans son introduction. Il ajoute à la suite que Kent fut lui aussi victime de sa passion pour la dope, et comme Syd, il se brûla les ailes, lorsqu’il faillit devenir le guitariste des Sex Pistols. Le parallèle est à la fois indélicat et juste. C’est Chapman. Indélicat et juste. Il faut faire avec. Chapman finit par faire craquer Kent qui lâche le morceau : «Cette histoire (de Mandrax & Brylcreem) est plus ou moins vraie. Elle fait partie d’un ensemble de strange tales, beaucoup sont vraies, d’autres relèvent de la fiction.» Il ajoute : «Ce sont des histoires dont les sources sont à moitié authentiques. Il est plus que probable que la plupart sont des inventions.» Finalement, personne n’est jamais revenu sur ces fables pour les démentir. Du coup, elles sont devenues réalité.

             Voilà le problème : ce fat book démystifie et en même temps, Chapman n’en finit plus d’essayer d’approcher la vérité : au bout de ses 400 pages, on sait à peu près qui est en réalité Syd Barrett. Sous la plume de Chapman, c’est pas jojo. Sex and drugs and rock’n’roll. Ceux qui pensent que le rock est un conte de fées se fourrent le doigt dans l’œil jusqu’au coude.     

             L’immense avantage de cette relecture est qu’elle met en lumière le véritable enjeu de ce travail d’investigation. Chapman démontre que RIEN n’est possible sans terreau culturel. Il fait exactement le même travail d’Hercule que Marcus O’Dair avec Different Every Time: The Authorized Biography Of Robert Wyatt. Il prouve que les esprits modernes, en matière de rock, sont des êtres extraordinairement cultivés qui se nourrissent essentiellement de peintres et d’écrivains. Surtout en Angleterre. D’où la différence entre Syd Barrett et Guns’n’Roses.

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            (Nicolas de Staël)

    Faut-il rappeler qu’avant toute chose, Syd Barrett est peintre. Barry Miles le dit influencé par Nicolas de Staël - qui fut aussi une big influence pour Stu Sutcliffe - Un de Staël lui-même influencé par Soutine. Rien qu’avec ces deux noms, on situe parfaitement Syd, «thick broad paint» pour Soutine, l’anar figuratif par excellence, Soutine et de Staël bossent au couteau, ils t’emplâtrent les châssis d’aplats mirobolants, Syd prend racine dans l’éclat morbide de la décomposition soutinienne, et dans la mirobolante fulgure des glacis de de Staël, qui brouille à jamais les pistes en broyant la figuration dans le jeu de ses plaques tectoniques d’aplats. De Staël suggère monstrueusement, comme va le faire Syd avec sa gratte. Chapman ajoute ceci qui est d’une rare pertinence : «À la différence de Soutine, de Staël était un esprit synthétique, plus attiré par la beauté et l’harmonie que par le chaos, et son influence sur Syd et sur sa perception est indéniable.» C’est le premier d’une longue série d’éclairages. Syd Barrett ne tombe pas du ciel. Chapman illustre le penchant féminin de Syd par une longue évocation de Françoise Sagan. Syd lit She magazine, et la meilleure incarnation du féminisme à l’époque, c’est Sagan qui tire son pseudo d’À La Recherche Du Temps Perdu. Chapman dresse un sacré parallèle entre Syd et Sagan : premier succès en 1954 avec Bonjour Tristesse, elle n’a que 18 ans, elle traîne avec «the Left Bank radical chic, avec Sartre, Godard, Hemingway et Henry Miller» et forme sa bande, la Bande Sagan, avec Juliette Gréco. Le parallèle est osé mais juste. Bravo Chapman ! On vénère autant Sagan que Syd : même sens de l’anticonformisme radical. 

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    ( Chiam Soutine)

             Après Soutine et de Staël, Syd se passionne pour Rauschenberg qui fut formé dans les années 40 par un expat allemand du Bauhaus, Josef Albers. Au Black Mountain College, en Caroline du Nord, Rauschenberg devient pote avec John Cage. Ensemble, ils envisagent de détruire les barrières qui séparent l’art de la vie, et cette philosophie allait avoir des conséquences énormes sur l’art des performances et de la danse moderne. En 1964, Syd va voir l’expo Rauschenberg à la Whitechapel Gallery. Révélation ! On est en plein Duchamp avec Monogram, le bouc et son pneu, et puis les collages, les présidents, l’éclat d’une nouvelle modernité, à la suite de de Staël et de Soutine. Dans ses conversations, Syd cite aussi, Willem De Kooning, influencé par Soutine, et instigateur de l’action painting, de la même façon que Syd sera l’instigateur de l’action acid trip.

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     ( Rauschenberg)

            De de Staël et Rauschenberg au LSD, il n’y a qu’un pas. Le lien est direct. Andrew Rawlinson indique la voie : «Aldous Huxley en a fait une réalité. Tout ce qu’écrit Huxley dans The Doors Of Perception est confirmé par le LSD.» Syd est l’un des pionniers de l’acide à Cambridge, dès 1963. Anthony Stern ajoute que Syd est fasciné par ses découvertes - the colours, the movements, the things spiralling - the constant breaking up and fractal imagery all happening at the same time - Il nous décrit tout simplement The Piper At The Gates Of Dawn.

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             Autre épisode crucial dans l’éclosion de Syd : the Free School en 1966, où débarque l’actrice warholienne Kate Heliczer avec sous le bras «the first demo tapes du Velvet Underground.» Dans l’assistance, il y aussi quatre personnages clés, John Hopkins, Peter Jenner, Andrew King et Joe Boyd. Un Boyd qui vient des États-Unis où il faisait tourner Sleepy John Estes, Jesse Fuller, Sonny Terry & Brownie McGhee, Skip James, Muddy Waters et le Révérend Gary Davis. Il a vu Dylan exploser le Newport Folk Festival en 1965. Il a aussi accompagné The Blues & Gospel Caravan en Europe, en 1964 et 1965, et a emmené en tournée Roland Kirk et Coleman Hawkins, nous rappelle Chapman, inlassablement. Et en 1965, Joe Boyd s’installe à Londres et bosse pour Jac Holzman. Il est l’Elektra-man de London town. Pas de meilleur candidat pour rassembler les têtes de gondole de l’English counter-culture. C’est lui qui emmène le Floyd en studio pour enregistrer «Arnold Layne».  

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     ( Edwar Lear )

            Pete Brown rappelle que les ombres de Lewis Carroll et d’Edward Lear planent aussi sur Syd - Language, lateral thinking, looking at the weirdness of British existence, looking at rural or semi-rural peculiarities - Chapman rajoute les noms de Kenneth Grahame, Charles Dogson et Hillaire Belloc, des auteurs sans lesquels le Syd n’est pas concevable. Chapman s’attarde particulièrement sur Edward Lear qui a créé «une fascinante nonsensical cosmogeny de la vie humaine, animale et végétale, peuplée de créatures étranges, dont la plus connue est The Dong with the Luminous Nose.» - Il a inventé une botanique absurde, des recettes absurdes, des petits poèmes absurdes, des chansons absurdes et un alphabet absurde. John Lennon est dans le monde pop le descendant le plus évident de Lear - Quand Syd écrit des lettres à ses copines, il fait du Lear. Chapman en cite de larges extraits. C’est pour ça qu’il faut lire son fat book. 

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        ( John Latham )

         Chapman dresse encore un somptueux parallèle entre Syd et John Latham : «Latham comme Syd se passionnait pour le cut-up et le collage. Ils partageaient la même fascination pour Kurt Schwitters, Hugo Ball, Tristan Tzara, Robert Rauschenberg, et en matière littéraire, pour James Joyce et Bob Cobbing.» Alors que Latham se rapprochait d’Alexander Trocchi et de William Burroughs, Syd se heurtait à l’incompréhension de ses producteurs qui trouvaient ses «dark nursery rhymes trop weird». On lui réclamait une suite d’«Emily Play». Chapman insiste longuement sur ce parallèle, car à cette époque, Syd commence à taper dans le minimalisme Lathamien : il monte sur scène et ne joue qu’une seule note pendant une heure. Les gens croient que c’est à cause de l’acide. Ils n’ont rien compris. La note unique de Syd fait écho au «one-second painting de Latham qui cherchait à repousser les frontières de l’art conceptuel». Latham peint pendant une seconde avec un spray gun. Quand Syd fait la même chose, une note pendant une heure, on l’accuse de sabotage. Les trois autres Pink Floyd ont les dents qui rayent le parquet. Ils veulent faire carrière. Les conneries de Latham, ça ne les intéresse pas. Ils veulent des millions de dollars et des Ferraris. Ils les auront une fois qu’ils auront viré Syd. Pendant ce temps, Latham continue d’explorer les frontières du Nord. Il essaye de capturer le «zero moment» sur toile. Il est galvanisé quand il ouvre les Carnets de Leonard de Vinci et qu’il tombe sur cette phrase : «Parmi les grandes choses qui se trouvent parmi nous, la plus grande est le Rien.» Latham va loin, il cherche la fin de l’art et la dissolution du corps, comme Klein qui de son côté joue avec les body prints. Syd explore les mêmes zones avec sa gratte - Alors que Latham travaille sur les paramètres de l’art de la vie, on envoie Syd Barrett aux États-Unis jouer au Pat Boone Show.

             Nicolas de Staël, John Latham, Edward Lear, tic tic tic... fait le fat book dans la cervelle de son lecteur. En étalant son terreau culturel, Chapman amène une énergie considérable. Il donne forme à la vraie vie de Syd Barrett. Il galvanise son lecteur. Et donne surtout envie de relire Edward Lear. Et de réécouter The Piper.

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            Un Syd d’une flagrante modernité. Chapman dit ceci : «I never met a single punk who didn’t like Syd Barrett». Les seuls qui trouvèrent grâce aux yeux des punks furent Syd et Phil Lynott. Tous les autres à la fosse ! Chapman fonce ensuite sur le cœur du mythe, le génie de Syd Barrett, on est là pour ça. Andrew Rawlinson voit Syd comme un être béni des dieux : «Il était peintre et musicien, and he was very, very quick. Life worked for Syd. He could make things. And boom it happened. And he was a very good-looking boy of course. The girls loved him.» Une gonzesse le qualifie de glamourous, elle parle de l’intensité de son regard - He was glamour on legs - Ses toiles avaient du panache, very Soutine-ish. Et son côté très féminin frappait tout le monde. Il grandit à Cambridge, une ville remplie d’excentriques en vélo et de très grands intellectuels. Pas un hasard si Daevid Allen s’y établit lorsqu’il débarque en Angleterre. Syd se passionne aussi pour Bo Diddley et Dylan. Il s’intéresse aussi aux bluesmen obscurs, notamment Pink Anderson et Floyd Council. L’un de ses premiers masterstrokes et de former le nom de son groupe à partir de ceux de ces deux bluesmen obscurs. Syd s’appuie sur une impulsion créative purement littéraire, qui nourrit aussi sa peinture. Chapman précise qu’on retrouve la même impulsion dans le cubisme, le surréalisme et le pop art. Un sens inné de la modernité. Syd va d’ailleurs commencer à lâcher Bo Diddley pour se déconstruire et devenir plus abstrait. Il mélange cette impulsion au LSD et aux light-shows de Mike Leonard, et ça donne l’early Pink Floyd révolutionnaire. On est obligé de parler d’une révolution artistique, dont l’instigateur est Syd, certainement pas les trois autres. Mike Leonard est selon Chapman le catalyseur de cette révolution. Grâce au LSD et au light-show, Syd peut improviser. La pop ne l’intéresse pas plus que ça. Il rêve surtout d’art total, mais il sait garder un sens de l’immédiateté. Il dit préférer les Beatles à John Cage. Andrew Rawlinson rappelle que Syd était ouvert à tout, au temps de l’early Pink Floyd - He could pick up on the best quality of popular culture - Bob Klose a une approche du Syd encore plus fine : «Il a réalisé que sa vision musicale et ses limitations le poussaient dans certaines directions. Votre créativité vous pousse alors vers quelque chose de nouveau et d’inexploré.» Il se met à chercher des sons, et en 1963, il commence à gratter ses cordes avec un Zippo. Il en fait une justification conceptuelle. Sur scène, Syd et son groupe bousculent les normes - They were totally new. Personne n’avait entendu un tel son. It was free-form experimental pop, dit Duggie Fields - Syd commence à mettre au point des abstractions atonales et il s’entend bien avec Rick Wright qui joue du Morse sur son clavier et des eerie vibrato squalls dignes de l’avant-garde européenne. Syd ouvre les voies du seigneur avec «Interstellar Overdrive», à coups de relentless pulse et de fragmentation de la ligne mélodique. Anthony Stern dit que ça vire jazz, «it’s just this wonderful hybrid thing where rock’n’roll just lets go to itself and lets its hair down.» Chapman compare «Interstellar Overdrive» à «Sister Ray», ils créent «something enterily new out of ensemble playing» - Insterstellar Overdive fonctionne comme une sorte d’anti-music. C’est le jeu collectif qui produit cet effet, selon Chapman, «they lock into exactly the same kind of primal empathy.» Peter Brown voit Syd comme un être incredibly charismatic. «Malgré ses limitations sur la guitare, il pouvait faire des choses très intéressantes. Il pouvait sortir des textures ou des improvisations linéaires.» Andrew King trace un parallèle osé entre Syd et Picasso - Un mec dit un jour à Picasso : «Je peux faire ça en 5 minutes.» Et Picasso répond : «Bon d’accord, mais ça m’a pris 70 ans et 5 minutes.» C’est la même chose pour les explorations instrumentales de Syd. Elles ne tombent pas du ciel - Andrew Rawlinson pense lui aussi que Syd fonctionne comme Picasso - Je veux dire dans sa méthode de travail. Nous savons tous que Picasso essayait tout - Il conclut sa brillante démonstration en affirmant que Picasso a fait ça toute sa vie. «Syd was the same. Le problème, c’est que sa vie créative n’a pas duré très longtemps.» Barry Miles ajoute : «Syd n’a jamais été un virtuose. He was much better at exploring ideas.»

             Et puis il y a le dandy. «Comme Brian Jones et Jimi Hendrix, il portait des châles et des écharpes, de la soie et du velours, des fringues très colorées» - It was a slightly dandified look, androgynous but never camp - Anthony Stern ajoute que Syd avait en plus une façon de marcher extraordinaire - ‘lolloping’ way of walking, comme s’il était un personnage tiré de Peter Rabbit - Et puis il y a les chansons. Du jamais vu. Robyn Hitchcock : «Barrett absorbait Dylan et Bo Diddley, Hilaire Belloc et Lewis Carroll et Dieu sait quoi pour en faire un style qui lui était propre. Il fit ça très jeune. Je trouve ça impressionnant, car il était parfait. C’était un miracle, il était si parfait et si développé, et puis plus rien. À 25 ans c’était fini.»

             Avant d’évoquer la chute de Syd, il est nécessaire de repasser par le Pink Flyod, épisode passionnant dans un premier temps, puis puant par la suite.

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             Joe Boyd et John Hopkins découvrent en 1966 un Irish ballroom situé sous une salle de cinéma, sur Tottenham Court Road. Ils vont en faire l’UFO, c’est-à-dire l’épicentre de la psychedelia. C’est là que le Pink Floyd devient célèbre - Between 23 December 1966 and its enforced closure at the end of September 1967, it hosted the revolution - On distribuait de l’acide à l’entrée - This was Syd’s creative zenith - Syd est sous acide, noyé dans le light show. Syd se livre à un «minimalist kinetic ballet où chaque geste et chaque génuflexion se transforme en une myriade de possibilités visuelles.» «The whole thing was a form of pop art», s’exclame Pete Brown en extase, et il ajoute : «Ils sont devenus des créatures qui existaient dans un environnement visuel. It was exciting to watch. Syd wasn’t just a rock star in the spotlight.» L’UFO, c’est le même plan que l’Exploding Plastic Inevitable d’Andy Warhol. Chapman en fait des pages historiques, aussi historiques que celles de Joe Boyd dans White Bicycles. C’est l’apogée du British Underground. En décembre 1966, Boyd et Hoppy organisent à la Roundhouse un événement baptisé Psychedelicamania, an all-night rave, avec les Who, les Move et Pink Floyd. À la différence des groupes de Ladbroke Grove, le Pink Floyd s’adresse à des gens qui aiment l’aventure et l’expérimentation, même si dans les deux cas, tout passe par les drogues. L’UFO joue le même rôle que la Cavern de Liverpool et le CBGB, à New York.

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             Syd écrit des chansons magiques. Pete Brown considère qu’«Arnold Layne», «Strawberry Fields Forever» et «Penny Lane» sont «les trois breakthrough British rock songs qui définissent l’Angleterre de manière sociale, poétique et historique.» Avec Pete Brown, Chapman a un fier allié. Ils croisent leurs regards et disent tout ce qu’il y a d’important à dire sur Syd et le rock anglais. Pour Chapman, «See Emily Play» est «le high point of English psychedelia, Pink Floyd’s perfect pop moment. As economical as a haiku, as enigmatic as a Zen koan.» - No other pop song of the period conveyed such crystalline clarity. No other pop song of the period said so much by saying so little - Le Pink Floyd, c’est essentiellement «Arnold Layne» et «See Emily Play», certainement pas la machine à fric que c’est devenu après l’éviction de Syd. C’est dingue que les gens ne l’aient pas compris. C’est «Arnold Layne», nous dit Chapman, qui sort le Pink Floyd «out of the security bubble of the London underground pour le propulser dans le mainstream.» On les envoie tourner en province et ils doivent souvent affronter des publics hostiles qui ne comprennent rien à la psychedelia. Avec «Arnold Layne» et «See Emily Play», ils sont devenus des stars, il naviguent dans la charts en compagnie de «Strange Brew» (Cream), «Paper Sun» (Traffic), «All You Need Is Love» et l’imparable «Whiter Shade Of Pale». 

             Puis ils enregistrent The Piper. Barry Miles pense que Joe Boyd qui avait produit «Arnold Layne» aurait dû produire l’album. Norman Smith en a fait un album de pop commerciale. Pour Barry Miles, «Arnold Layne» sonnait comme le Floyd - That’s exactly what they sounded like. There’s a certain sonic quality there that is not on the album - Joe Boyd avait fait des miracles. Pas Norman Smith.

             Et puis Syd commence à refuser de jouer le jeu. Pas question de singer pour Top Of The Pops. Andrew King : «That’s when he started to get diffucult.» Syd applique à la lettre l’enseignement d’Edward Lear, «to go my own way uncontrolled», refus des routines et des compromissions. Refus de rentrer dans le rang, Syd, nous dit Chapman, met en place son «système des 3 R of anti-stardom : reluctance, récalcitrance et refus, jusqu’au moment où Syd fut exclu, ou s’exclut de lui-même de son propre groupe.»

             Il met le paquet. Pendant la première tournée américaine, il monte sur scène au Fillmore West et ne fait rien. Il reste planté. Il attend. Lors d’un autre concert, il souffle dans un sifflet. On imagine la gueule de Roger Waters. Et celle de Nick Mason qui rêve d’acheter des Ferraris. Sur scène, Syd désaccorde sa guitare. À Londres, c’était toléré et même approuvé - Now it was seen as a symptom of madness. Pink Floyd were trying to break America and Syd was fucking up - Et Chapman pose enfin la bonne question : «Plutôt que de spéculer sur l’état de santé mentale de Syd pendant cette tournée américaine, il aurait mieux valu se poser cette question : what the fuck were Pink Floyd doing on the Pat Boone Show in the first place?». Et Chapman ajoute qu’en refusant de jouer le jeu, Syd était en avance sur son temps. Pas question de se plier aux règles du mainstream. Chapman cite des exemples de groupes qui dirent non au despotisme de la connerie, à commencer par Led Zep - No concession of any kind to these mainstream outlets - Ahead of his time, insiste Chapman, refus de mimer pour la télé, refus de répondre aux questions stupides des journalistes. Syd se transforme physiquement, «regard fixe (this thousand-yard stare), cernes noirs sous les yeux, silencieux, impossible to work with, et violent», dit Ian Moore. Et puis il y a l’épisode Cromwell Road où Syd vit un temps - A major burn-out joint. Definitely acid overload there, précise Mick Rock, le photographe qui signe la pochette de The Madcap Laughs, ainsi que celles de Raw Power et Transformer.  

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             Comme Syd fucks up, les autres font entrer David Gilmour pour le doubler sur scène à la guitare. Fin 1967, les jours de Syd dans le groupe sont comptés. Il aura tenu moins longtemps que Brian Jones, lui aussi viré de son propre groupe. Deux ans. Gilmour monte sur scène avec eux en janvier 1968. Ils vont jouer 4 dates à 5, puis un jour, ils oublient tout simplement de passer prendre Syd pour aller jouer à Southampton. En avril 1968, un communiqué annonce que Syd a quitté le groupe.

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             Quand plus tard on demande à Syd ce qu’il pense de l’évolution du Pink Floyd et «du contraste entre the song-based material and the Floyd’s lenghthy instrumentals» il répond ceci : «Leurs choix musicaux correspondaient à ce qu’ils pensaient en tant qu’étudiants en architecture. Rather unexciting people, I would have thought, primarly.» Chapman ajoute que derrière le sarcasme se planque une vérité fondamentale, dans la façon dont le Floyd a construit sa carrière après s’être débarrassé de son erratic and anarchic founder. «Alors que les albums solo de Syd allaient refléter his fine art philosophy and his pathological resistance to discipline. Waters, Mason, Wright and Gilmour (ça sonne comme le nom d’une firme, pas vrai ?) pratiquaient la prudence, la délibération, l’attention méticuleuse au détail, ils appliquaient des principes formels, suivaient une logique séquentielle, linéaire, alors que Syd cultivait l’immédiateté, la spontanéité, l’abstraction, la multiplicité des perspectives, et l’automatisme.» Eh oui, d’un côté tu as «Money» et de l’autre, tu as «Dominoes». Ça veut bien dire ce que ça veut dire. On est content que Chapman soit du côté de Syd. Car enfin, camarade, il faut choisir ton camp. Pareil, tu choisis entre Brian Jones et Mick Taylor. Le choix est vite fait. 

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             Syd viré. Que devient-il ? Chapman rencontre Alfie qui lui explique que Robert Wyatt a subi le même sort : viré de son propre groupe - Sa confiance en lui et son ‘sense of direction’ étaient tellement esquintés qu’il en a longtemps fait des cauchemars - Chapman aborde le chapitre des deux albums solo et qualifie l’excellent Madcap Laughs d’«épuré, méditatif, séduisant, austère, intime», avec cette photo de Mick Rock et cette gonzesse à poil derrière qui s’appelle Iggy the Eskimo Girl. L’enregistrement est bordélique. Chapman trouve dommage que Soft Machine n’ait pas joué sur tous les cuts. Ça aurait donné un résultat beaucoup plus explosif. Syd n’a que 22 ans quand il attaque sa «carrière solo», et il aura 24 ans quand il arrêtera définitivement d’enregistrer. Chapman dit que la tristesse s’est abattue sur Syd. C’est ce qu’il ressent à l’écoute des deux albums solo. Gilmour prend en mains le deuxième, Barrett, enregistré en 15 sessions, en 1970. L’album contient tous les chefs-d’œuvre que l’on sait, «Dominoes», «Gigolo Aunt», «Baby Lemonade», pas besoin de faire un dessin. C’est la suite directe de «Arnold Layne» et «See Emily Play», un style unique en Angleterre, une pop désinvolte et complètement géniale. Mais Chapman note une baisse chez Syd : «Le 21 juillet 1970, Syd se rendit au studio 3 d’Abbey Road pour enregistrer ses deux ultimes chansons.» Ça sent la fin des haricots. Ces pages sont d’une infinie tristesse.

             Syd commence alors à s’effacer. Pas d’annonce officielle, juste quelques pas en arrière pour se fondre dans l’ombre de l’anonymat. Il passe plus de temps à Cambridge. Chapman tente d’expliquer que le Mandrax lui a fait plus de mal que le LSD, mais on s’en fout. Robyn Hitchcok ramène sa fraise : «C’est toujours la même chose avec ces mecs-là : Les drogues ont démoli leur self-control. Ils sont tous devenus les victimes de leurs minds, which is what happens if you get stoned a lot.» En 1971, Syd s’installe définitivement dans le grenier de la maison de sa mère. Comme Dan Treacy, Chapman donne l’adresse : 183 Hills Road. C’est pas grave, puisque Syd a cassé sa pipe en bois - À 25 ans, Syd est coupé du monde, in retreat from everyone and everything. Il ne peint plus, il gratte du blues sur sa gratte et semble avoir perdu pour de bon son artistic, emotional and spiritual impulse - Et pouf, voilà que Jenny Spires se pointe pour l’épisode Stars. On en fait d’ailleurs un conte dans Cent Contes Rock. Jenny est une ancienne poule de Syd. Elle s’est mariée avec Jack Monck. Monck et Twink qui s’est lui aussi replié à Cambridge proposent à Syd de jammer avec eux. Stars va durer un mois, en janvier 1972. Ils jouent une première fois à Cambridge après Eddie Guitar Burns. Puis c’est le fameux concert au Corn Exchange après Skin Alley et le MC5. Syd & Stars montent sur scène après minuit, la salle est presque vide. Chapman y était, alors il peut en parler - Syd looked fantastic in velvet trousers and snakeskin boots - Syd s’est laissé pousser une barbe et repousser les cheveux. Ils démarrent avec «Octopus». Il ne reste plus que 30 personnes devant la scène et une cinquantaine dans le fond du hall. Chapman enfonce son clou : «Contrairement à ce qu’ont raconté pendant des années les gens qui n’y étaient pas, Syd n’avait aucun problème à se souvenir des paroles.» Il indique clairement que ça n’a plus rien à voir avec l’âge d’or des UFO days - This was Syd regressing into blues runs and insecurity. Enventually, Jack Monck’s bass amp packed up and the set fizzled out soon after - En 1972, Syd refait surface à Londres et traîne avec Steve Took à Ladbroke Grove. Took était venu jouer des congas sur Madcap. Tony Secunda tente de transformer Steve Peregrin Took en underground superstar, mais il y a trop de dope. Beaucoup trop.

             Et puis il y a cette interview extraordinaire qu’il accorde à Mick Rock, chez lui - Syd est en bonne forme, énigmatique (‘I’m full of dust and guitars’), laconique (‘The only work I’ve done the last two years is interviews. I’m very good at it’), mélancolique (‘Je n’ai pas toujours été introverti. Je pense que les jeunes gens doivent s’amuser. Il me semble pourtant que je ne me suis jamais amusé’), et défiant (‘J’ai toute ma tête. Je pense même que je devrais toujours l’avoir’).» C’est dans cet interview qu’il ramène le sous-titre du Chapman book : «I don’t think I’m easy to talk about. I’ve got a very irregular head. And I’m not anything you think I am anyway.» Syd a raison de dire que les gens se font des idées. C’est pour ça que le travail d’un mec comme Rob Chapman est essentiel. L’autre point clé de l’interview avec Mick Rock, c’est qu’il ne parle pas d’un troisième album. Il fait un dernier constat sur son échec : «Hendrix était un guitariste parfait. Gamin, c’est tout ce que je voulais faire, bien jouer de la gratte et sauter partout. Mais trop gens got in the way, trop de gens sont entrés dans la danse. Pour moi, les choses n’avançaient pas assez vite. Jouer. Le rythme des choses. Je veux dire que je vais très vite. I’m a fast sprinter. Le problème vient du fait qu’après avoir joué dans le groupe pendant quelques mois, je ne pouvais pas aller plus vite, I coundn’t reach that point.» Les paroles de Syd sont sacrées. Soudain on comprend tout. Les autres n’étaient pas à la hauteur. Pire encore : les autres n’ont absolument rien compris. Syd indique aussi qu’il a très bien connu Jimi Hendrix, ils ont tourné ensemble. Il raconte qu’Hendrix s’enfermait dans sa chambre with a TV et ne voulait pas en sortir. Mick Rock trouve ça drôle car Syd va faire exactement la même chose. Rock indique enfin que Syd n’a jamais plus eu de girlfriend - Or any kind of friend at all.

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             Quand Syd sort d’Abbey Road une dernière fois en août 1974 après une ultime tentative avortée d’enregistrement, he disappeared into myth. Chapman s’amuse avec les mythes : il y en a à la pelle : le mélange de Mandrax et de Brylcreem, et tous les autres qu’il cite à la queue-leu-leu. L’être Syd Barrett fut complètement éradiqué pour laisser place au mythe. Quand le Pink Floyd enregistre «Shine On You Crazy Diamond» en hommage à Syd, ils se vautrent car le cut est «overblown, overwrought, epic in scale and self-agrandising, c’est-à-dire tout ce que Syd n’est pas.» C’est tout de même dingue que des mecs se soient vautrés à ce point-là. Mais ce qui est pire, c’est qu’ils ont fait du blé sur le dos de Syd, un mec auquel ils doivent tout et qu’ils ont viré. Les Stones ont fait exactement la même chose en lâchant des papillons crevés à Hyde Park, lors de l’hommage à Brian Jones qu’ils avaient humilié de son vivant. Le seul qui réussit à rendre hommage à Syd, c’est Kevin Ayers avec «Oh Wot A Dream» - a song of beguiling simplicity and economy of style which encapsulated Syd’s spirit far better than Waters’ angst-ridden dirge ever could.

             Sa sœur Rosemary indique que Syd a fini par haïr ce surnom que lui avaient donné les scouts quand il était petit. Il ne voulait plus rien devoir à son passé de pop star et redevenir Roger Keith Barrett. Mais des gens se lancent à sa recherche, nous dit Chapman, notamment Bowie qui rêve de le sauver. Puis ce sont Brian Eno et Jimmy Page qui souhaitent le produire. En 1977, Jamie Reid organise un meeting pour proposer à Syd de produire l’album des Pistols. Chou blanc. Les Damned veulent aussi Syd comme producteur. Chou blanc : ils auront Nick Mason à la place. On a vu le résultat. L’un des plus gros fans de Syd sera Robyn Hitchcock au temps des Soft Boys. Il chante comme Syd.

             Fin des années 70, Syd entre dans sa lost-era. Chapman dresse un habile parallèle avec Peter Green qui lui aussi renonce à tout. La seule différence, c’est que Peter Green va revenir. Pas Syd. Quand Syd quitte Londres pour la dernière fois en 1982, il fait la route à pied jusqu’à Cambridge. Sa sœur indique qu’il est arrivé avec de grosses ampoules aux pieds.

             Puis tu as les deux mecs d’Actuel qui viennent l’emmerder chez lui à St Margaret’s Square pour faire leur petit scoop. Ils prennent comme prétexte de lui ramener un sac de linge sale de Londres pour entrer chez lui et l’interviewer. C’est la dernière fois que Syd parle à la presse. Il n’est pas très content. Puis des tas de gens vont venir l’importuner en stationnant devant chez lui dans l’espoir de faire des photos. Dylan parle de cette horreur dans Chronicles, l’horreur de l’intrusion et des gens qui ne respectent rien. Gilmour envoie promener les journalistes qui le questionnent sur Syd. Il conclut sèchement : «Now it’s over», en clair : dégagez.

             Pendant les vingt dernières de sa vie, les gens vont continuer de harceler Syd pour des photos. Souvent quotidiennement. Sa mère casse sa pipe en bois en 1991. Il n’assiste pas à l’enterrement. Il brûle régulièrement ses toiles et ses livres d’art, comme s’il ne voulait rien laisser aux charognards. Il vit de ses droits d’auteur, et il en vit plutôt bien. Chapman indique que Gilmour veille à ce qu’on lui verse ses droits. Syd qui est redevenu Roger Keith Barrett fait du vélo chaque jour, comme ses aïeux excentriques de Cambridge. Il se chope un petit cancer et casse sa pipe en bois chez lui en 2006.  

    Signé : Cazengler, barrette de shyd

    Rob Chapman. Syd Barrett - A Very Irregular Head. Faber & Faber 2020

     

     

    L’avenir du rock - La leçon de Tengo

    (Part Two)

     

             L’avenir du rock adore aller danser la java au Balajo. Toutes ces jolies femmes sont là pour ça. Mais qu’on ne se méprenne pas, l’avenir du rock n’est pas là pour draguer. Il veut surtout danser pour rendre hommage à Serge Reggiani et Simone Signoret qu’on voit tourner au bal musette de Casque D’Or. Il adore aussi danser le mambo du diable, en hommage au Playtime de Jacques Tati, ah comme c’est bon de tortiller du cul au milieu de toutes des jolies femmes qui perdent la boule ! Il aime aussi sautiller la java à la manière de Dutronc, dans le Van Gogh de Pialat. On l’a bien compris, tous les prétextes sont bons. D’ailleurs, la vie n’est rien d’autre qu’une longue série de prétextes à vivre. Respirer n’est qu’un prétexte à vivre, et danser la java un prétexte à s’amuser, et donc à respirer la vie. Virevolter, c’est aussi une façon d’oublier qu’on trouve n’importe quel prétexte pour continuer à vivre, c’est surtout une façon de s’abandonner en abonnant cette culpabilité à trouver des prétextes, alors on s’en va valser sous les lustres de Luchino Visconti pour qu’un vent du vertige s’engouffre par les yeux. L’oubli, rien que l’oubli, c’est probablement ce que doit penser cette jolie femme blottie dans ses bras, se dit l’avenir du rock, cette Viens Fifine en robe moulante de tissu moiré, ah comme le contact de son corps est agréable, comme c’est bon de sentir ce ventre doucement bombé et ces cuisses fermes, C’est si bon/ Ces petites sensations/ Ça vaut mieux qu’un million/ Tellement, tellement c’est bon, comme si le mouvement donnait l’absolution, comme si la vie n’était plus qu’un prétexte à danser, alors dansons, C’est si bon/ De jouer du piano/ Tout le long de son dos/ Tandis que nous dansons, et puis vient la fin de la chanson et l’avenir du rock s’excuse de devenir indiscret en lui demandant son prénom, alors elle rougit et dit qu’elle s’appelle Baby Love. L’avenir du rock n’en revient pas :

             — Oh mais je vous connais, vous aimez vous suicider au jour de l’an. M’accorderez-vous une autre danse ?

             — Avec plaisir...

             — Yo La Tengo ?

     

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             Comme Tav Falco et Pokey LaFarge, l’avenir du rock adore danser le Tengo. De toute éternité. From Hoboken to eternity, surenchérit Jason Anderson dans Uncut.

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    L’Anderson prend huit pages pour préparer les esprits à la parution de This Stupid World, le nouvel album du most enduring cult band, Yo La Tengo. Ira Kaplan est toujours avec Georgia Hubley, après quarante ans de vie commune. James McNew en est à sa 32e année de Tengo. En papotant avec l’Anderson, les Tengo avouent qu’ils ont tellement pris l’habitude de peaufiner leurs démos qu’ils ont fini par comprendre qu’ils n’avaient plus besoin d’aller ailleurs pour les mixer. Ils se contentent de leur special chemistry et cultivent ce qu’ils appellent des drone-based pieces. Et puis bien sûr l’Ira avoue un faible pour les loud guitars. D’ailleurs, une formule résume bien leur son : «Beautiful, simple melodies embedded in a glorious goo of loud guitars.» L’Anderson perce bien leur secret : «Hermetic creative process and self-effacing manner». Les Tengo ne la ramènent pas, c’est pour ça qu’on les vénère. Pour ça et pour les loud guitars de l’Ira. «We’re notoriously private», ajoute l’Ira. Le contraire du m’as-tu-vu. 

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             This Stupid World est leur 17e album. Ça fait tout de même quarante ans que dure leur cirque. Quarante ans qu’ils font une pop expérimentale enracinée dans le Velvet. Premier coup de semonce avec «Sinatra Drive Breakdown». Wild attack de savage Tengo. L’Ira ne s’est jamais autant énervé, il explose tout d’entrée de jeu au big fuzz out de no way back, il ressort les vieilles ficelles d’Electro-Pura, vazy Ira pique ta crise ! Il pousse des pointes, il fait jouir sa gratte, et derrière, tu as le meilleur hypno d’Hoboken. On retrouve le big Tengo. Inutile de dire qu’on est content d’être là. Les cinq premiers cuts de l’albums sont des monster hits. «Fallout» est encore plus dingoïde. L’Ira est un vieux punk qui te claque ça d’entrée de jeu, en pur amateur de mayhem, son cut pulvérise tous les records d’incendies urbains, Hoboken s’écroule dans la fumée, la vieille légende latente s’élève dans le ciel, là oui, Tengo forever. Ces trois-là te jouent l’un des rocks les plus puissants du XXIe siècle. Avec «Tonight’s Episode», ils passent à la folie pure, au radicalisme hypnotique. Tengo Mago ! Tu les suis et tu trembles. Ils marchent devant toi et te disent : «Suis nous !». L’Ira est un prodigieux sorcier du son, il extrapole la parabole de la gondole, il gère l’ingérence d’Hoboken, son visage apparaît et disparaît dans la violence des stroboscopes. Et puis voilà «Aselestine», une Beautiful Song éclairée par un solo lumineux, comme l’est «Pale Blue Eyes». Le festin se poursuit avec «Until It Happens». Tout ce que bidouille l’Ira est beau, même l’entre-deux. James McNew joue justement son bassmatic dans l’entre-deux. Le «Brain Capers» n’est pas celui de Mott. C’est du wild as fuck d’Hoboken. L’Ira en fait une sorte de mollusque punk. C’est à la limite du descriptible. D’où cette image. C’est le Capers de la fin du monde, doté d’une niaque dégueulasse et de dents pouries, et l’Ira passe un solo d’ultra-vinaigre, il ne respecte plus rien, il s’assoit sur les conventions, il laisse sa punkitude éclore au soleil noir de Satan. Ce solo est une horreur d’acid bottom, il n’existe rien de plus punk que ce Tengo, ils jouent largement au-dessus des moyens du punk. Et puis avec le morceau titre, ils tapent l’hypno du dernier Tengo à Paris, ils enfilent le drome du doom avec la motte de beurre. Ça te bat aux tempes. Ça te pulse au so far out. Sans doute a-t-on là l’une des dégelées du siècle. Va-t-en savoir.  

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             Yo La Tengo, c’est déjà de l’histoire ancienne. Après le Part One, on en était resté au groove subliminal de There’s A Riot Going On, paru en 2018. Si on aime le smooth de groove, c’est là, dès «Shades Of Blue». Ils savent encore créer de la chaleur intrinsèque, la qualité de ce groove défie toute concurrence. On va dire la même chose d’«Ashes» en B, oui ashes go away, c’est illustré musicalement par la plus langoureuse des intentions. On pourrait même croire l’Ashes hanté, car joué aux machines et chanté à l’Ira désincarné. «She May She Might» sonne comme une étrangeté divinatoire. N’oublions jamais que Yo La Tengo vient du Velvet, ils sont capables d’explorer les labyrinthes de la douceur de vivre, de fondre l’art comme d’autres fondent des statues pour fabriquer des canons. Ils vont doucement, au meilleur rythme, ça reste très Velvet dans l’esprit. Ils renouent avec les grandes heures d’Electro-Pura dans «For You Too». C’est dingue comme ils savent bien percer les secrets. Leur pop séduit dès les premières mesures, c’est à ça qu’on reconnaît les grandes chansons. Il règne dans «For You Too» une tension et une lumière magnifiques, ça se construit patiemment et ça s’élève par la grâce de Dieu Ira, ah ça Ira, il chante ça au dévoilé d’âme, à l’accord parfait. Comme l’album est double, Ira et ses amis peuvent se livrer à quelques expérimentations, mais bien sûr sans jamais créer d’ennui. Le «Shortwave» qui ouvre le bal de la C se veut quasiment biblique, avec des infra-sons qui remontent du fond des océans. Ils rêvent d’Afrique pour jouer «Above The Sound» dans un fouillis de percus tropicales. Ils donnent leur vision de la petite transe new-yorkaise. Chez eux tout est solide. Cette soft-pop intimiste qu’est «Let’s Do it Wrong» nous fait craquer, et avec ce «What Chance Have I Got» terriblement languide, on soupire d’aise : ces vieux cocos d’Hoboken reviennent aux sources du Velvet, avec tout le velouté de circonstance. On croit même entendre Nico. Et dans «Forever», on retrouve le she-wap she-wap des Flamingos. Sûrement un hommage.        

    Signé : Cazengler, Yo La Twingo

    Yo La Tengo. This Stupid World. Matador 2023

    Yo La Tengo. There’s A Riot Going On. Matador 2018

    Jason Anderson : From Hoboken To Eternity. Uncut # 310 - March 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - Ridley n’a pas pris une ride

     

             Baby Share avait un certain charme : petite, brune, très jolis seins et une gouaille extraordinaire. Sa générosité lui valut le surnom de Baby Share. Elle partageait le peu qu’elle avait, son cul bien sûr, mais aussi sa spiritualité. Son premier cadeau fut un double de ses clés. Elle ne buvait que du champagne et fumait des Gauloises. Elle adorait dîner aux chandelles les seins à l’air. D’étranges scènes se déroulaient dans la pénombre du petit appartement qu’elle occupait rue Laugier. De confession bouddhiste, elle récitait le Nam-myoho-renge-kyo devant un petit autel fleuri. La pratique de ce culte consiste à répéter inlassablement le mantra pendant au moins une heure, et pour donner du caractère à ses incantations, elle se penchait légèrement pour donner libre accès au fondement de son corps. Selon elle, le culte passait aussi par le cul, c’est-à-dire la connexion avec l’organique, et une fois connectée, elle se mettait à parler d’une voix sourde dans des langues inconnues. Les gens croient que ce phénomène n’existe que dans l’Exorciste. Pas du tout, c’est une réalité ! Écartelée entre le spirituel et l’organique, Baby Share était possédée. Ni les Inquisiteurs, ni Huysmans au temps de sa passion pour la démonologie n’auraient imaginé une telle dépravation. Nous répétâmes l’expérience si souvent qu’il fallut bien se rendre à l’évidence : ce phénomène surnaturel n’était pas le fruit de l’imagination. Mais qui était Baby Share ? Le mystère s’épaississait et la fascination prit des allures d’envoûtement. Revenant un soir avec la bouteille de champagne quotidienne et une cartouche des Gauloises, je trouvai l’appartement vide. Pas un mot d’explication. Rien. L’attente dura toute la nuit. À l’aube, il fallut aller bosser. Rien non plus les jours suivants. C’est dans ces moments de vide sidéral qu’on mesure la grandeur d’un attachement. Les fleurs du petit autel étaient fanées. Quelques mois plus tard, repassant dans le quartier, je découvris qu’un nouveau locataire occupait l’appartement. La lumière ne se fit que bien des années plus tard. Nous dînions chez des amis aux Petites Écuries, et dans le fond de la pièce, une télé diffusait ses informations. Soudain, Baby Share apparut dans la télé. Il s’agissait d’un reportage sur les SDF. Baby Share vivait dans une bagnole. Elle accrochait ses fringues à des cintres. Elle répondait en rigolant aux questions des journalistes et leur expliquait que pour dormir l’hiver dans une bagnole, il fallait bien se couvrir. Elle avait réussi à dégringoler tous les échelons sociaux sans jamais demander d’aide.  

     

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             Baby Share et Sharon Ridley ont au moins deux points communs : petites et brunes, mais pour le reste, c’est-à-dire le cul du culte, on ne sait pas. Par contre, Sharon Ridley n’est pas une petite blanche mais une petite black, une petite Soul Sister complètement inconnue, et pour la trouver, il faut aller fouiller sous les jupes de certaines compiles. C’est sur The Sweetest Feeling (A Van McCoy Songbook 1962-1973), une compile Kent consacrée à Van McCoy, qu’on a croisé le chemin de l’excellente Sharon Ridley.

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    Un Van qui d’ailleurs produit son premier album, Stay A While With Me, un album qui semble devenu culte, paru sur Sussex, le label de Clarence Avant, sur lequel se trouvait aussi Rodriguez. Quand on l’écoute, on comprend pourquoi l’album est devenu culte. Pour chanter son morceau titre, elle tape dans l’écho. Elle est tentaculaire ! Elle se répand comme seule la Soul sait se répandre. On passe directement au hit séculaire avec «Where Did You Learn To Make Love The Way You Do». Ce hit qui rivalise de splendeur avec le firmament figure lui aussi sur une deuxième compile Kent, This Is It! (More From The Van McCoy Songbook 1962-1977). C’est la big Soul de Van, orchestrée au-delà de toute mesure, et la petite Shirley grimpe à l’Ararat de la Soul suprême. Van l’envoie exploser au firmament. Elle sonne comme Esther Phillips, les orchestrations frisent la démesure. Si tu veux qualifier la grandeur productiviste de Van, tu ne peux parler que de démesure. Là mon gars, tu goûtes à l’extrême. Elle tente de rééditer l’exploit avec «When A Woman Falls In Love» et il faut bien dire qu’elle a énormément de répondant, la petite mémère. En B, elle repart chercher sa mélodie très haut avec «Where Does That Leave Me», elle ne craint pas le vertige, elle grimpe aussi haut que Dionne la lionne, mais elle sait garder un petit côté sucré. Elle sait swinguer ses notes au sommet du chat perché. Elle est très aérodynamique, comme le montre encore «You Sold Me A One Way Ticket», un cut qui aurait encore tendance à s’envoler. La petite Sharon est merveilleusement à l’aise dans ces virevoltes. Elle ramène un power incommensurable, elle fait du Motown en infiniment plus raw. Elle termine avec le pathos d’«I Foud Him I Loved Him I Lost Him». Elle te brûle le cœur, elle est là, avec la présence d’une fantastique interprète, elle est parfaite de burn out, et les nappes de violons t’achèvent, c’est d’une poignante magnificence.

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             T’auras pas grand chose sur Sharon Ridley. Van McCoy a tout fait pour la lancer, mais ça n’a pas marché. Cette petite black basée à Washington a enregistré ensuite un second album, Full Moon, qui est tout de même un peu moins dense que le premier. Avec le morceau titre, elle jazze le swing. C’est une pure merveille. L’autre hit de l’album s’appelle «Changin’», une Soul des jours heureux, où rien ne compte plus que le bonheur. Car en fait, il ne s’agit que de ça : la quête du bonheur et Sharon incarne cette quête à la perfection. Elle va encore te percer le cœur avec «You Beat Me To The Punch». Quelle niaque de timbre, oh-oh yeah ! La Soul de good time, c’est son péché mignon. On note aussi une extrême proximité de sa féminité («Just You & Me (Walking Along Together»). C’est la Soul humide dont rêvent tous les hommes sensibles. Elle tartine bien son chant aux éclats de voix. Elle est des nôtres. Elle tape aussi une version d’«Ain’t That Peculiar», repris par des tas de gens, dont Marvin et Fanny, le groupe des sœurs Millington. Avec ce hit signé Smokey, elle entre dans le temple des dieux.

    Signé : Cazengler, Sharon ridé

    Sharon Ridley. Stay A While With Me. Sussex 1971

    Sharon Ridley. Full Moon. Tabu Records 1978

     

    *

    Je ne connaissais pas, les ai découvertes par une vidéo que Two Runner ont postée sur leur FB. L’envie d’en savoir plus. Cette chronique ne peut être qu’une première approche. Il n’y a pas de hasard, seulement des réseaux de sensibilités, je m’aperçois que sur leur premier EP elles ont repris Last Kind Words de Geeshie Wiley (voir livraison KR’TNT ! 571 du 20 / 10 / 2022).

    NARROW LINE

    MAMA’S BROKE

    ( Free Dirt Records / Mai 2022 )

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    Elles sont deux, elles sont belles, vous leur donnerez la joie de vivre sans confession, à ceci près, je vais dire un mensonge, qu’elles produisent une musique que je qualifierais de doom-folk. Pour le folk question instrumentation il est difficile de trouver mieux : Amy Lou Keller : vocal, banjo, guitare, violon / Lisa Maria : vocal, fiddle, guitar, mandolin, violoncelle, foot percussion, tap dance. 

    Proviennent de la Nouvelle Ecosse, cette île que vous situerez tout en bas de la côte-Est du Canada. Il semble que dans ce pays elles privilégient deux villes : Halifax et Montréal. Mais ce sont des voyageuses, elles se sont rencontrées en 2014 lors d’un voyage en voiture de dix-sept heures. A l’arrivée le groupe était né. Leurs enregistrements ont été remarqués, ils ont reçu des distinctions, les festivals les invitent… Elles sont déjà venues en Irlande et en Angleterre (elles y seront en tournée in the UK au mois de février 2024), on les a vues jusqu’en Indonésie, il existe partout des cercles d’amateurs de grassroots prêts à les accueillir. Leur musique est difficile à définir, un indéfinissable mélange de traditions européennes, de folk, de country, d’influences arabes, d’americana, de metal, il semble que celui qui les écoute identifie ce qu’il porte en lui. 

    Je ne suis pas le seul à noter la présence musquée de la noire épice doom dans leur musique, ne craignez rien, pas de grosses dérives électriques en leurs productions, c’est avec les paroles qu’elles filent une bonne leçon aux groupes de doom, leurs textes sont d’une noirceur sans équivalence. Elles ne convoquent pas la Grande Faucheuse toutes les cinq secondes, ni ne mettent en scène de sublimes épopées contre les forces du Mal, elles se contentent d’évoquer le vécu de la vie, excusez cette expression redondante, mais comment nommer ce sentiment que tout ce que vous traversez vous échappe et ne vaut pas la peine d’être rattrapé. En quelques mots, elles ont le pouvoir de vous saper le moral pour le reste de l’année qui vient de commencer.

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    La pochette vous donne un avant-goût de ce qui va suivre. Narrow Line, la ligne étroite, même pas une voie, une route, ou un chemin, l’idée d’un sentier rectiligne, le moindre pas en-dehors de ce tracé et c’est la catastrophe. Toutefois vous ne pouvez vous empêcher de penser que de toutes les manières c’est déjà la cata. Z’auraient pu élargir l’illustration à toute la pochette, l’espace est mangé par un cadre d’un vert sombre, vous comprenez d’instinct qu’ailleurs l’herbe ne saurait être plus sombre, par la porte étroite se dessine un paysage agreste, un champ ensemencé, pas vraiment la promesse d’une récole future, l’a plutôt l’aspect d’un désert stérile, les squelettes d’arbres dénudés et ce personnage au premier plan, attitude romantique désabusée, qui ne nous regarde pas, trop préoccupé par on ne sait quelle indicible mélancolie, cette scène inspire un indélébile sentiment de tristesse.

    Just pick one : cordes funèbres ne cesseront de tout le morceau, les deux voix jamais à l’unisson mais entremêlées comme ces deux arbres qui échangent leurs branches et ont uni leurs racines pour pousser côte à côte, quelques notes volatiles, escarboucles qui ne tardent pas à s’éteindre quelques traînées de violon  comme tapis resplendissant de feuilles mortes, même pas une plainte, un constat désabusé, rien ne vaut rien et tu ne sortiras jamais des ornières dans lesquelles tu as déjà marché, ainsi sont les relations humaines intimes, elles se répètent à l’infini, alors choisis-en une, elle ne sera ni meilleure ni pire que les précédentes, certains en seront jaloux, quelle importance, rien ne vaut rien… Oh sun / Pale night / Forgetting reel : une voix pure a capella se répète, non ce n’est pas un hymne gnostique au soleil, juste une prière, non une supplication, le violon s’élève et vous déchire les entrailles, l’intermède musical devient lyrique porteur d’espoir, il s’étend comme s’il refusait l’échec amoureux que l’on prévoit, mais lorsqu’il s’arrête, le morceau est fini, aucune voix ne s’élève, tout a déjà été dit, personne ne reviendra, d’ailleurs lui ou un autre n’est-ce pas la même chose. Le soleil brille sur vos illusions comme sur vos désillusions. Toujours le même film. Between the briar & the rose : motif arabisant, une chanson d’amour, sculptée à coups de cordes identiques à des entailles dans les chairs fraîches, les notes du banjo comme des coups de manche de poignard, pointillent les voiles de gaze du violon, tout va bien mais quelque chose cloche, la voix s’attarde et s’allonge, voudrait-elle retenir ces instants de feu qui ne dureront pas, entre la rose du bien-être et la bruyère de la mort, il est sûr qu’un jour tout sera délié. Constat sans appel. How it’s end : voix vindicatives, étrangement la musique vous a de ces aspects joyeux surprenants, insensiblement bientôt c’est la tristesse qui domine, non elle ne croyait pas à l’amour romantique, c’était le moins pire de tous ceux qui l’avaient précédé, le constat est sans appel, elle a fait semblant de ne pas s’apercevoir des manquements intolérables, elles chantent parfois a capella et leur voix s’enroule autour du cep du désir comme le serpent venimeux de la désillusion, bien sûr malgré les promesses non tenues il partira comme tous les autres avec qui elle aurait mieux fait d’aller. Cruelle amertume, celle que l’on retourne contre soi-même. Quel régal lorsque les voix prennent ce nasillement old style. Narrow line : une assez longue intro, puis la voix qui glace, notes de banjo verglacées accompagnent ce qu’il faut bien appeler un poème, qui ne déparerait en rien dans une anthologie de poésie anglaise, l’antithèse de I walk the line une boutade qui a rendu Johnny Cash célèbre,  ici les dires s’emmêlent à tel point que l’on n’est plus en mesure d’évoquer l’ampleur des thèmes visités, chacun devenant le symbole de tous les autres, des mots qui portent mais qui ne disent pas tout, prononcées à la manière de ces larmes que l’on retient, la voie est insuffisante, elle débouche dans la mort, mais il n’y en a pas d’autre. L’existe aussi une official video sur YT présentée par Free Dirt Records : ce n’est pas une illustration mais une interprétation d’Arash Akhgari un ovni graphique à mi-chemin des encres d’Henri  Michaux et des films d’animation, les images ne proviennent pas des mots mais s’engendrent les unes des autres, un peu comme les enfants sortent du corps de leurs mamans. October’s lament : la musique sonne à la manière d’un quatuor de violoncelles, elle s’arrête, l’une chante et l’autre module par-dessous, un texte noir, Amy raconte son addiction aux drogues et à l’alcool, le texte est très sombre car si une note nous avertit qu’elle s’en est sortie, la chanson est sans appel, c’est l’histoire d’une chute encore plus terrible (et magnifique) que celle du Paradis Perdu de John Milton. Le chant funèbre des pseudo-violoncelles reprend et clôt le morceau sur une note funérale. Il existe sur YT une vidéo présentée par Free Dirt Records, qui ne se commente pas, qui se regarde, une espèce de film d’animation poétique qui rappelle les vues oniriques produites par les lanternes magiques à la fin du dix-neuvième sièclePick the raisin from the paska : intermède instrument hélas trop court, un peu à l’imitation, le titre y invite, du folklore ukrainien, Amy et Maria sont des musiciennes exceptionnelles mais les sombres effluves du chant nous manquent. God’s little boy : nos féministes actuelles remettent en question le patriarcat, Mama’s Broke pousse l’analyse, les bonnes consciences diront le bouchon, un peu loin, jusqu’à Dieu le Père. Fait assez rare dans le bluegrass. Un banjo railleur et une voix sans concession, froide et saignante, les lyrics se résument en deux mots : le sexe et la mort. Je vous laisse seuls juges de l’interprétation du dernier vers du morceau. Ces filles ne respectent rien, elles sont sans pitié. The wreckag done : une balade mortelle, des voix claires et incisives, des cordes qui ont des langueurs d’accordéon et puis qui claquent comme des marteaux, les voix s’empourprent de haine pour les fournisseurs de poison, pour mieux s’apaiser dans une espèce de condamnation cynique contenue devant le corps étendu. Victimes et coupables sont tous coupables. The ones that I live : un art de vivre (et donc de mourir) une espèce de gospel a capella qui ne s’adresse pas à Dieu mais à soi. Elles ne regretteront rien. Ni pardon, ni excuses. Apprenez à assumer vos actes. Pas de regrets. Des voix si belles qu’aux premières auditions l’on ne s’aperçoit pas de l’absence des instruments. A mon goût le morceau le plus fort du disque. Windows : mystérieuse ballade, fragmences d’existences, parfois une voix se fait douce comme si elle était rongée par des regrets de la mélancolie, le rythme est lent comme de l’eau de la mer, toute les fenêtres ne donnent-elles pas sur la mort.  

             Un disque magnifique. Qui flirte ( de très près) avec la poésie.

    Damie Chad.

     

    *

    Je ne sais pas pourquoi, je suis indubitablement attiré par les groupes polonais, Wodorost de Varsovie a déjà sorti un album homonyme que je n’ai pas encore écouté en 2021, ils viennent d’en enregistrer un deuxième qui n’est pas au moment où j’écris ces mots paru, le 31 août ils ont posté en avant-première un des titre une vidéo sur YT qui a fait tilt.

    TEMPLE

    WODOROST

    ( Official Dream Video)

    Anna Zukorwska : percussions / Bartlomiej Glosinski : guitare / Jan Witusinski : guitare.

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    Quand j’aurai dit que Wodorost signifie Algue, que From the Depths est le titre de l’album à venir vous comprendrez que la photo du groupe présentée ci-dessus n’est pas due à une idée farfelue qui leur aurait traversé la tête. Ajoutons toutefois que Wodorost se définit comme un groupe de desert rock. N’oublions pas qu’autrefois nos déserts étaient le fond de nos océans !  

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    Dilemme faut-il regarder cette animation aquatique en entendant l’instrumentation ou carrément occulter les images pour écouter la bande-son. Le choix est difficile, je l’admets, dans les deux cas vous en ressortirez insatisfaits lorsque vous aurez tenté les deux expériences. Que serait un rêve sans image, vraisemblablement le même malaise qu’une vidéo-musicale sans son. Nous allons essayer de regarder et d’écouter en le même temps. Glauque et informe paysage, la guitare ne vient pas pour se faire admirer, point de solo héroïque, point de course de vitesse, elle glisse, des a-coups sonores de vagues qui se succèdent sur la grève, celle qui vient emportant le souvenir de la précédente, des algues en motifs de tapisseries elles ont l’air de rester immobiles, une lumière blafarde nous prouve que nous ne sommes pas loin de la surface, maintenant ce sont des rayons solaires qui plongent vers les grand-fonds et qui éclairent de gros récifs noirs posés sur le sable, des silhouettes monumentales apparaissent, bientôt elles cèdent la place à un étrange plongeur trop à l’aise en ses mouvements pour ne s’être encombré de grosses bouteilles d’air comprimé, il descend, est-ce la lourdeur de la basse qui s’arrime à la guitare qui le pousse vers le bas, un ballet de larges folioles aquatiques, ne sont-ce pas des raies d’un beau calibre, apparition de requins débonnaires qui nagent au-dessus de surprenants tombeaux cubiques, myriades de poissons, nombre infini de pierres sur le fonds marins, bastingage d’un navire coulé, et toujours notre plongeur sans masque aussi à l’aise qu’un jeune terrien s’amusant à courir une folle gymnastique sur le plancher des vaches, encore plus bas le long d’une paroi rocheuse, cette fois il n’y a plus de doute un chapiteau au-dessus d’un mur percé d’une porte se dessine, en quelques secondes nous pénétrons dans un temple, un paysage digne de 20 000 lieues sous les mers, nous ne sommes pas le Capitaine Nemo nous n’inscrirons pas le mot Atlantis sur un rocher, nous nous en doutions, Eternal Atlantis n’est-il pas le deuxième moreau de leur premier album, profitons de la visite parmi ces propylées de colonnes doriques pour remarquer que la musique devient plus forte, une espèce de forme conique recouverte de sédiments s’anamorphose durant deux ou trois secondes en un accessoire symbolique de batterie, qui pourrait   tout aussi bien évoquer la forme d’une soucoupe volante,  quelques secondes plus tard ce sera au tour d’un guitariste fantomatique en action sur sa guitare, est-ce cette vision qui nous ferait accroire que le son augmente de volume et accélère son rythme, la visite se poursuit parmi des bâtiments desquels  par le seul fait de les apercevoir quelques secondes nous devinons des édifices colossaux, lumière de spots clignotants, une silhouette féminine (large jupe ?) se profile à l’horizon, le plongeur est là toujours aussi à l’aise que vos mains dans le bac à vaisselle, nous ne sommes plus dans Atlantis mais aux alentours, le paysage d’enceintes sacrées au-dessus desquelles nous nous mouvons nous confirme que son apparence n’est pas naturelle, en une fraction de seconde un espadon se transforme en un étrange appareil d’observation sans doute piloté par des extra-terrestres, des images de ce qui doit être le temple principal d’Atlantis défilent à toute vitesse, étonnamment la trame sonore reste de marbre, sur le même rythme, sur la même épaisseur, est-ce une croix de pierre qui bouge ses bras ou un personnage vivant, tantôt à la surface, tantôt dans les profondeurs, retour du plongeur, les vues que nous avons déjà vues se télescopent en un patchwork formés d’éléments répétitifs, les images cachent plus qu’elles ne montrent, une grosse bulle d’eau semble contenir tout l’océan, le microcosme n’est-il pas identique au macrocosme, sans doute est-ce le temps de songer à Paul Le Cour et sa revue Atlantis dans laquelle il exposa sa théorie du verseau ( verse-eau nous y nageons en plein dedans ! ) à l’origine de bien des théories hippies américains, serions-nous maintenant dans l’étroit passage du double sous-aquatique des colonnes d’Hercule, remontons-nous par l’escalier qui ne mène nulle part, à moins que ce ne soit le stairway to heaven bien connu des fans de Led Zeppelin, ou alors vers cette lumière qui irradie d’un temple aux sculptures qui ne sont pas sans rappeler la statuaire hindou et surprise poussé sur le parvis cet arbre printanier aux feuilles verdissantes,

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    la caméra s’attarde dessus, son feuillage ondoie, retour sur le haut de la cymbale qui ressemble avec un minimum d’imagination à une soucoupe volante, ce qui est en haut n’est-il pas aussi ce qui est en bas, ces eaux glauques n’ont-elles pas la même couleur que la table smaragdine, ne vous prenez pas la tête, gardez vos idées claires et toute votre raison, avez-vous remarqué que la musique ne semble guère s’émouvoir, qu’elle reste imperturbable, nous revoici à l’intérieur du temple, serait-il détruit qu’il se reconstitue à grande vitesse, une nouvelle fois arpentons de vastes vestibules, il y a quelqu’un, non pas un être surnaturel, pas un Dieu, pas un super-héros, même si le temple se réédifie au fur et à mesure qu’il avance, l’eau bouillonne, des chœurs lointains se fondent dans l’élément liquide, il va se passer quelque chose, celui qui marche nous ressemble, un peu vêtu à l’ancienne, on lui donnera facilement la cinquantaine, est-ce un homme ou une femme, quelques secondes ils ont été deux, mais elle a continué  toute seule, les images se télescopent, elle est comme perdue à l’intérieur du temple, elle semble y disparaître à jamais, peut-être vaut-il mieux remonter, pas de problème accrochez-vous à ce fil rouge, il vous tirera à la surface, peut-être aurez-vous raison quand vous affirmerez à vos amis qu’il ressemblait au fil rouge en accordéon d’une guitare électrique.  A moins que ne soit le lien qui vous permette de voyager sans trop de risque dans l’astral !

    Sur Bandcamp Wodorost indique que chacun peut interpréter leur musique comme il veut. Ne vous privez pas de le faire. Si cela ne vous fera pas du bien, ça ne vous fera pas de mal non plus. Tentez l’expérience.

    Damie Chad.

     

    *

    J’avoue que je ne me lève que rarement en pleine nuit pour écouter un disque de guitare classique, sûr qu’il y a des gars balèzes toutefois entre nous soit dit, la plupart du temps le son me paraît bien maigrelet et monotone si l’on compare avec la gamme d’intensités vibratoires auxquelles les guitares électriques nous ont accoutumés. Mais là c’est différent.

    TENAYUCA SUITE

    RAUL GALVAN

     (YT / Vidéo : Alan Silva Nolasco

    Editée par Brian Espinoz Reyes)

    Les lecteurs assidus (je parle de ceux qui apprennent par cœur chaque livraison) se souviendront que dans notre épisode 553 du 05 / 05 /2022 nous avons déjà parlé de Raul Galvan, il interprétait à la guitare Snow Country une composition d’Eric Calassou. Ce dernier était le guitariste chanteur de Bill Crane un des groupes de la mouvance rockabilly française les plus originaux, un peu borderline diront les puristes, mais ô combien novateur et talentueux. Eric Calassou habite désormais en Thaïlande, peut-être qu’un jour il reviendra et reformera Bill Crane, l’important c’est qu’il soit heureux quel que soit l’endroit où il réside. Puisque dans son pays lointain il n’a plus Bill Crane, Eric est revenu à ses premières amours : la composition. Raoul Galvan, un ancien compagnon du Conservatoire lui a dernièrement demandé un morceau dédié à sa ville natale Tenayuca.

    Pour ceux qui l’auraient oublié Tenayuca se situe au Mexique, dans l’état de Mexico. Avant que les Espagnols n’arrivassent pour tout détruire, Tenayuca fut un site important de la civilisation précolombienne. On espère que les deux serpents de pierre qui gardent l’antique pyramide de Tenayuca se réveilleront un jour pour redonner leur fierté aux descendants du peuple de Teneyuca. Pour ceux qui veulent en savoir plus la lecture du roman Le Serpent à Plumes de D. H. Laurence s’impose.

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    Raoul Galvan est assis devant une cheminée de ce qui pourrait être une salle de séjour. Derrière lui deux gros tas de bûches soigneusement rangées attendent l’hiver. Photos de famille ( sur les murs ), sur le rebord de la cheminée un ensemble de figurines de terres cuites colorées assises à une longue table nous regardent, sans aucun doute une représentation de la Sainte Cène, ce qui me semble étrange quand on pense que le christianisme est la religion que les Espagnols inculquèrent aux peuples natifs afin de les déposséder de leur culture originelle… Cheveux poivre et sel, lunettes à monture noires, chemise fourmillements de petits motifs aux contours magenta,  Raul Galvan concentré semble regarder ses doigts s’affairer sur sa guitare de bois, mais sans doute joue-t-il le morceau avant tout dans sa tête pour être au plus près de l’esprit qu’il insuffle à son interprétation.

    Premier mouvement : Xolotl : ( nom du fondateur de la ville ) : c’est pourtant un roi voire un Dieu que Xohotl le fondateur, son pas n’est guère martial, il glisse doucement sur un matelas d’air, Raoul Galvan ne galvanise pas ses cordes, à peine les touche-t-il, a-t-il pour but de faire entendre le silence des courtes séquences qui ne se pressent pas au portillon de la modernité, tout est déjà joué, par deux fois des photos de la pyramide de Tenayuca apparaissent, à croire que le dessein d’Eric Calassou veut nous ramener en arrière, au moment originel, en ce matin d’aube du lever d’un peuple qui imprime sa marque sur la terre, d’autres photos de Raoul Galvan en un autre lieu, peut-être dans une interprétation de l’œuvre en public, soulignent que ce qui a été une fois quelque part, sera pour toujours en n’importe quel autre endroit du monde, d’ailleurs ces bruits de pas légers contre le bois de l’instrument ne sont-ils pas répétés pour signaler quelque d’immémorial qui ne fait que passer, bien plus grand que nous… Quelques notes, quelques caresses de doigts sur les cordes, suffisent pour susciter une démesure qui nous est étrangère mais que nous reconnaissons d’instinct, comme si nous attendions sa présence. Deuxième mouvement : Ahuehuete : village dans lequel Raul Galvan a passé son enfance et où réside encore toute une partie de sa famille. Ahuehuete est aussi le nom d’un arbre symbolique du Mexique aussi nommé Cyprès de Montezuma ) : apparemment il n’y a pas de hiatus entre les deux mouvements, l’on reconnaît des motifs similaires, lorsqu’une photo vue d’avion nous montre la vastitude de la pyramide, elle semble une poule mère entourée des poussins-maisons, encore une fois la grandeur passée pèse de tout son poids écrasant sur les fragiles demeures humaines actuelles, et même si ce deuxième mouvement est qualifié de ‘’lento’’ il est à entendre comme celui d’une grande dégradation, l’on descend les escaliers du monument pour retrouver le plancher humain, l’on a changé de niveau, le roi et le Dieu ne sont plus là, la dernière vue de la pyramide est celle de sa maquette, un artefact à notre échelle de modernes hominiens. Troisième mouvement : Lugar amurallado : ( ce lieu entouré de murailles n’est autre que Tenayuca au temps de sa splendeur antique ) : la musique se précipite, abondances de notes, nous sommes chez nous, même si nous ne voyons pas nos congénères, nous visitons – les photographies du musée local qui s’intercalent nous obligent à employer ce verbe – notre réalité, ces statues mises en évidence, ces schémas explicatifs placardés sur le mur, nous parlent, nous sommes dans notre dimension strictement humaine, maintenant on peut dire que la guitare jacasse parce qu’elle exprime nos émotions, maintenant on peut dire que la guitare fracasse nos rêves de grandeur pour les remplacer par une insidieuse nostalgie qui n’est que l’image de notre impuissance. Elle exhale une foultitude de sentiments incapacitants dans lesquels elle  nous enferme, elle se permet même d’émettre quelque minuscules pépiements admiratifs et la maquette devient une espèce de constructions colorées en Lego habitée par un peuple de play-mobils, nous ne sommes que des enfants turbulents naïvement enthousiasmés par un beau jouet, les notes s’espacent et se meurent, quelques tapotements sur le bois, sont-ce des points de suspension parce que parfois il vaut mieux ne pas dire ce que l’on pense… pour nous rappeler que les Rois et les Dieux mythiques se sont encore éloignés nous laissant seuls dans notre petitesse d’animalcules sans conséquence.

             Un chef-d’œuvre d’écriture d’ Eric Calassou, une interprétation de Raoul Galvan tout en finesse et subtilité. Tous deux me réconcilient avec la guitare classique.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 39 ( Misfit ) :

    203

    Contrairement à son habitude le Chef n’alluma pas un Coronado, il semblait perdu dans ses pensées, instantanément dans la voiture ce fut le silence. Si cela vous étonne c’est que ne vous êtes jamais trouvé en présence d’un GSH (génie supérieur de l’Humanité) en train de penser. Je n’avais pas encore démarré, tout le monde attendait, seuls Molossito et Molossa s’étaient permis de monter sur la lunette arrière pour rejoindre Alicia, la minette ne montra aucune peur et tous trois partageaient mille léchouilles…

    Au bout de dix minutes un sourire illumina la figure du Chef, et il sortit un Coronado de sa poche :

              _ Cette histoire est d’une simplicité désarmante, il suffit d’y réfléchir dix minutes pour tout comprendre.  Le dénouement est proche, je vous avertis que ce sera rock’n’roll, accrochez-vous aux petites branches, je suppute quelques morts et une extraordinaire tension mentale.

           _ Nous devrions tout de même prendre le temps de ramener Alice à la maison, c’est encore une fillette et…

            _ Papa je n’ai pas peur, je reste avec toi, en plus j’ai Alicia avec moi !

            _ Très bien parlé Alice, les parents modernes ont tendance à couver les enfants, une habitude déplorable, une fois notre génération partie, il n’y aura plus personne pour prendre notre place à la tête du SSR, nous devons dès maintenant préparer une relève de fer pour assurer la suite du combat. Alice vous resterez avec nous ! Ce n’est pas un conseil, c’est un ordre !

             _ Oui Chef !

    Gabriel voulut s’interposer mais un geste méprisant du Coronado que le Chef tenait dans sa main, lui cloua le bec.

               _ Passons aux choses sérieuses, Carlos veuillez tout de suite me ramener un cure-dent !

    204

    Carlos ne se le fit pas dire deux fois. Nous assistâmes à la scène d’assez loin. Juste le temps d’arrêter une camionnette de marbrerie qui sortait du cimetière, les trois gars à l’intérieur n’avaient pas l’air d’accord. La discussion fut vite terminée une petite rafale de Rafalos au travers du pare-brise, et les trois gus s’affaissèrent sur la banquette. Déjà Carlos ouvrait les deux portes-arrière et revint vers nous brandissant triomphalement une gigantesque barre à mine.

              _ Bien, nous avons fait le plus facile, j’allume un Coronado, agent Chad, démarrez immédiatement, arrêt au plus près de la tombe d’Oecila !

    205

    Nous y fûmes sans incident, hormis un gardien qui eut la triste idée de nous interdire l’entrée, je l’écrasai sans ménagement, et roulai sans plus d’anicroche vers la tombe d’Oecila. Déjà Carlos s’apprêtait à faire glisser la dalle lorsque Le Chef l’arrêta :

    _ Juste quelques secondes Carlos, voyez-vous Gabriel si la police n’a pas ramené le corps, c’est que personne ne l’a volé, nous allons le retrouver dans quelques instants. Carlos à vous de jouer.

    En moins d’une minute la dalle glissa sur le côté, le cercueil apparut, je me penchai pour aider à dévisser le couvercle.

              _ Terminé, plus une seule vis, Damie tu soulèves le haut et moi le bas, un coup sec, prêt, un, deux, trois, hop !

    Je poussai un hurlement. C’était elle, c’était Alice, le sourire avec lequel elle m’accueillait le matin, les yeux clos, je bafouillai, je ne savais pas quoi dire, je me penchai pour l’embrasser, mais mes bras me devancèrent, je la saisis à bras le corps et la sortis du cercueil, un genou à terre je tenais son buste contre ma poitrine, mon cœur battait prêt à exploser, en ces secondes j’étais l’homme le plus fort du monde, n’avais-je pas tenu ma promesse, n’avais-je pas tué la Mort comme je l’avais promis. La main du Chef effleura mon épaule :

              _ Agent Chad elle est inanimée…

    Juste un détail, s’il le fallait je la garderai avec moi, toute ma vie, contre moi, chaque nuit nous dormirions ensemble jusqu’au jour où je la rejoindrai, mais non j’allai la réveiller, tout de suite, la chaleur de mon corps la réveillerait, je fixai mes yeux sur son visage, et l’appelai à mi-voix : 

              _ Alice, c’est moi Damie, sors de ta torpeur, ouvre les yeux, le soleil brille, pour nous deux…

    Je poussai un second cri encore plus fort. C’était vrai, son visage bougeait, non elle n’avait pas encore ouvert les yeux, mais ses joues s’animaient, parcourues d’étranges frissons. C’était à faire peur, Le Chef n’avait-il pas jeté son Coronado et ses deux mains n’étaient-elles pas refermées sur la crosse de deux Rafalos, Carlos n’avait-il pas ressaisi sa barre à mine, je ne leur en voulais pas, nous étions au lieu d’épouvante de jonction de la vie et de la mort, Alice entrouvrit ces lèvres, non je ne rêvais pas, c’était son corps qui bougeait doucement sur le mien ! Je fermais les yeux pour m’enfermer dans la douceur paradisiaque de ce premier baiser, pour nous abstraire de tout ces témoins que je voulais bannir de notre intimité.

              _ Agent Chad, reprenez-vous, ce n’est que moi !

    La voix était glaçante, persiffleuse, elle reprit :

             _ Arrêtez de jouer au prince charmant, je ne suis pas la Belle au Bois Dorrmant.

    Je rouvris les yeux, je tenais la Mort entre mes bras !

    206

    La voix du Chef s’éleva :

              _ Agent Chad, passez derrière nous et reprenez vos esprits Vous vous êtes fait avoir comme un bleu, croyez-vous que Molossa et Molossito ne se seraient pas précipités si c’était vraiment Alice pour quémander un bocal de friandises !

    Machinalement j’obéis. Quelle ne fut pas ma surprise de réaliser qu’un cercle d’une centaine de personnes nous entouraient. Deux hommes discutaient à voix basse à vingt centimètres de moi :

               _ Magnifique, dommage que les caméras soient absentes !

              _ Sûrement une répétition, quel acteur, je ne le connais pas, un nouveau promis à une belle carrière !

              _ Encore plus vrai que dans la vraie ! Vous vous voyez auprès d’un cercueil à faire des mijaurées de cette manière !

              _ Surtout pas auprès du cercueil de ma femme !

              _ En tout cas ce n’est pas moi qui ramènerais la mienne à la vie !

    Ils éclatèrent de rire, de nombreux ‘’chut !’’ fusèrent de partout, le public entendait écouter la suite… La Mort faisait les cent pas et remuait les bras en guise d’assouplissement :

              _ Encore vous, ce maudit  SSR, à venir me déranger, c’est une manie chez vous, j’étais si bien dans mon caisson de décompression, en plus sans prendre de gant vous déboulonnez mon caisson et cet huluberlu d’Agent Chad qui m’arrache à ma couche et se livre à des attachements douteux sur mon corps, je pense que je vais dès demain porter plainte et informer les mouvements féministes !

    Des applaudissements, et des bravos lancées par de voix féminines s’élèvent de la foule. Hélas ces vertueuses approbations citoyennes sont vite oubliées, gommées par la virulente intervention de Gabriel !

              _ Vous avez un toupet monstre, vous faites rire aux dépens de l’Agent Chad auquel vous avez joué une sinistre comédie, j’aimerais plutôt savoir ce que vous faisiez dans ce cercueil qui je vous le rappelle est celui d’Oecila, la sœur de ma femme ! Par la même occasion où avez-vous mis le corps d’Oecila !

              _ Nulle part, ou plutôt à la même place où il était !

              _ Vous mentez, elle n’est plus en Russie ! C’est moi-même et ma femme qui avons emmené son corps en France, je détiens les papiers officiels signés du gouvernement français et des plus hautes autorités russes !

               _ Je l’admets, vous oubliez de mentionner le sceau de la Mafia russe sur un de vos parchemins !

    La foule est parcourue de mouvements divers, des cris indignés fusent. Des adjectifs peu aimables sont échangés, ils visent les présidents des deux pays, certains défendent l’un ou l’autre, la majorité les admoneste tous les deux vertement. La scène va-t-elle tourner au pugilat, non car une voix aigüe celle d’Alice, perce le brouhaha :

              _ Taisez-vous je veux entendre la suite !

     au prochain numéro !

  • CHRONIQUES DE POURPRE 601: KR'TNT 601: GENE CLARK / INSPECTOR CLUZO / ISAAC HAYES / POKEY LAFARGE / SWAMP RATS / MARLOW RIDER / MOONSTONE / BIRDS OF NAZCA / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 601

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    18 / 05 / 2023

     

    GENE CLARK / INSPECTOR CLUZO

    ISAAC HAYES / POKEY LAFARGE

    SWAMP RATS / MARLOW RIDER

     MOONSTONE / BIRDS OF NAZCA

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 601

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Last train to Clark’s ville

     - Part Two

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             Le grand spécialiste de Gene Clark s’appelle John Einarson. Ce canadien est aussi spécialiste d’Arthur Lee, ce qui ne gâte rien. Einarson compte donc parmi les becs fins de la rock culture. Par conséquent, on le suit à la trace, comme on suit des cracks comme Peter Guralnick, Mick Wall ou encore Richie Unterberger. Ce sont des gens qui ne prennent pas les choses du rock à la légère. On sort de leurs books ravi et grandi, ou, pour dire les choses plus crûment, un peu moins con qu’avant. Bon d’accord, dans l’absolu, ça ne change pas grand-chose d’être un peu moins con, mais tu admettras qu’il vaut mieux l’être un peu moins que de plus en plus. On se débrouille tous comme on peut, avec nos coquetteries et nos petites logiques à la mormoille.  

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             Einarson rend hommage à Gene Clark avec Mr. Tambourine Man: The Life And Legacy Of The Byrds’ Gene Clark, un book mastoc ramassé à sa parution en 2005 chez Smith, la librairie anglaise de la Rue de Rivoli. Stocké dans l’une des piles de stockage, le book a roupillé pendant presque vingt ans, son dos orangé s’est même décoloré, jusqu’au jour où parut la compile Ace consacrée à Gene Clark (You Showed Me. The Songs Of Gene Clark) épluchée la semaine dernière. Réveil brutal. Tout le monde sur le pont ! L’heure était venue de saluer cet immense artiste.

             Alors attention, les books d’Einarson ont une particularité : ils sont extrêmement bien documentés et d’une rare densité. Il faut généralement doubler le temps prévu pour en venir à bout. Comme Jawbone, l’éditeur Backbeat Books fait le choix d’une typo minimale et quasi-cryptique, un Garamond condensé en corps 10, une fonte d’érudit maniaque qui rend l’avance difficile. Tu croises des milliers d’informations à la seconde, les mots semblent en cacher d’autres, tu dois souvent t’arrêter pour reprendre ton souffle. C’est le prix à payer pour entrer dans les neuf cercles d’Einarson. Mais bon, on ne va pas commencer à chouiner, on n’est pas là pour ça.

             Einarson plante très vite le décor en qualifiant Gene Clark d’«Hillbilly Shakespeare, de psychedelic Johnny Cash et de cocaine-fuelled visonary and tragic figure.» En deux lignes, il résume presque ses 300 pages. Mais on veut en savoir plus. Einarson précise très vite qu’avant d’être musicien, Gene Clark est surtout poète. L’un des premiers à reconnaître le génie de Gene Clark, c’est Taj Mahal : «My God, the songs he wrote! He was a very deep man.»

             Bon, va faire comme les proches de Gene Clark, on va l’appeler Geno. On gagnera de la place. Geno a du sang indien dans les veines. Son père serait d’une ascendance Cree du Minesotta. Geno s’entend bien avec d’autres Indiens, comme Jesse Ed David et David Carradine. Il est né dans un milieu pauvre au Missouri, mais il grandit au Kansas, avec ses 11 frères et sœurs. Il a 18 ans quand il rejoint les New Christy Minstrels, et arrive à Hollywood en 1963. Pour la première fois de sa vie, il a une chambre pour lui tout seul. Les Minstrels ont alors beaucoup de succès et ils prennent l’avion chaque jour. Geno développe très vite une petite phobie de l’avion. Plus jeune, il a vu un avion s’écraser et vu des gens sortir en flammes. Alors très peu pour lui. Un jour, il oublie de se pointer à l’aéroport et les Minstrels partent sans lui. C’est la technique de Geno : quand un plan ne l’intéresse plus, il disparaît.

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             Le voilà tout seul à Los Angeles, avec sa douze, quelques fringues stylées et une vieille 1955 Ford convertible. Le country-boy de Bonner Spings, Kansas, se met à la recherche de kindred spirits pour jouer la musique des Beatles. Entre 1963 et 1964, la Beatlemania a explosé et Geno veut en faire partie. C’est au Troubadour que ça se passe. Geno y traîne tous les soirs.

             Et là Einarson piétine les plates-bandes de Johnny Rogan, puisqu’on assiste en direct à la genèse des Byrds. Le premier fan des Beatles que croise Geno est Roger McGuinn - La première fois que McGuinn les a entendus à la radio, il s’est mis à jouer leurs morceaux - Geno le voit gratter un Beatles’ tune sur sa douze au Troubadour : «Je me suis dit : ‘Man, this guy’s got the right idea!’ Je suis allé le trouver et lui ai dit : ‘Look, do you mind if I play with you? Et il a répondu : «No. Have a seat! J’avais aussi une douze. Et on a joué comme ça pendant trois semaines, en duo. On voulait devenir un duo dans le genre de Peter & Gordon, doing the English style. Et on s’est mis aussitôt à écrire des chansons.» McGuinn voyait plus un duo à la Chad & Jeremy. Sans Geno, McGuinn pense que les Byrds n’auraient jamais pu exister.

             Et voilà Croz qui débarque. Il a déjà une sale réputation. Mais il connaît Jim Dickson et il a un accès gratuit au World Pacific Studios. Ce sera son ticket d’entrée dans les Byrds. Jim Dickson grenouille depuis un certain temps dans le showbiz, nous dit Einarson, il a bossé avec Odetta, les Dillards et l’énigmatique Lord Buckley. Chris Hillman (bass) et Michael Clarke (beurre) viennent compléter les effectifs. Au début, les Byrds tentent de copier les Beatles. Chris Hillman : «We were trying to come up with the sound, which we did eventually.» Croz affirme qu’il est un meilleur harmony singer que McGuinn - That was my gift - Comme Geno a la meilleure voix, il est bombardé lead singer. En plus, il est plus joli que les autres et, petite cerise sur le gâtö, il compose. Croz et McGuinn s’inclinent. Non sans mal. Car les egos sont de taille, surtout celui de David Croz. Jim Dickson : «Si vous n’admettiez pas que David était the most marvelous in the world, then David was not happy with you.» Quand on demandait à Terry Melcher si Charles Manson était le mec le plus dangereux d’Hollywood, Melcher répondait : «Non, c’est David Crosby.» Croz entame une petite guerre d’usure contre Geno. Il lui dit que son timing chant/guitare n’est pas bon. On lui retire sa gratte. Geno doit jouer du tambourin sur scène. McGuinn se marre en douce : «David était un manipulateur et Gene was a little bit slower than him when it came to thinking.» Croz insiste pour dire que Gene n’était pas aussi bon que lui en tant que guitariste rythmique et qu’il était un bon front man : «He was a handsome dude and when he was standing up front there it gave the girls something to admire.» Les formulations de Croz restent délicieuses. On s’en pourlèche les babines. C’est vrai que Geno est une superstar dès le début. Denny Bruce : «Crosby était un peu joufflu et Chris était un chic type. Mais en termes de sex appeal, Gene et Micheal were kind of the Brian Joneses of the group.»

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             Le co-manager des Byrds Eddie Ticker pense que Geno a commencé à se retirer des Byrds quand on lui a sucré sa gratte et qu’il est devenu le Tambourine Man du groupe. Il l’a mal vécu. - He was a very nervous person - C’est Terry Melcher qui produit le premier single des Byrds, «Mr Tambourine Man». Le seul Byrd à jouer dessus, c’est McGuinn. Melcher a fait venir Hal Blaine, Larry Knechtel, Jerry Cole et Leon Russell (dont le piano sera effacé de la bande). McGuinn, Geno et Croz chantent, «Gene doubling Roger with Croz on high harmony», précise Einarson. Hillman et Clarke n’ont rien joué. Jason Ronard se souvient d’avoir posé la question à Dylan : «As-tu rendu Gene Clark célèbre ?», et il m’a répondu : «Non, c’est Gene Clark qui m’a rendu célèbre.» - They really put Dylan on the map - L’histoire des Byrds est au moins aussi intense que celles des Beatles, des Stones et de Dylan. C’est du concentré de tomates géniales.

             Geno compose 20 cuts en moyenne par semaine, mais McGuinn dit qu’une seule vaut le coup d’être enregistrée, ce qui, ajoute-t-il, est normal pour un auteur. Plus tard, Geno avouera s’être inspiré de «Needles & Pins» pour composer «I’ll Feel A Whole Lot Better». Dylan est l’un des premiers à reconnaître la qualité des compos de Geno. Jim Dickson : «We saw some value in Gene’s stuff, Dylan saw more.» Geno est en effet passé rapidement de l’esprit d’«I Want To Hold Your Hand» à celui de «Positively 4th Street». Du coup, c’est lui qui se fait du blé avec le publishing et ça crée des jalousies au sein des Byrds. McGuinn : «Il roulait en Ferrari et nous on crevait la dalle.» Ils sont jaloux, mais c’est Geno qui écrit les bonnes chansons. Il s’achète une belle baraque à Laurel Canyon, au 2014 Rosilla Place. Barry McGuire et Judy Henske habitent dans la même rue. Il fait la course à Mulholland avec Steve McQueen. Vroaaarr ! Geno a un petit côté James Dean. Le mec un peu sombre qui adore conduire vite - Gene was an extremely wild driver, crazy behind the wheel from the get-go - Il se fond dans le mode de vie hollywoodien. Jim Dickson : «Il s’habillait comme Sonny Bono». Il baise secrètement la belle Michelle Phillips, la femme de John Phillips. Einarson : «Il se voyait avec elle comme the king and queen of pop music.» Elle va d’ailleurs se faire virer des Mamas & The Papas, à cause de sa relation avec Geno. Côté dope, Geno ne touche encore à rien. Il se rattrapera un peu plus tard. Croz et McGuinn fument de l’herbe.

             Voilà les Byrds bombardés au premier rang, avec les Beatles et les Stones. Geno : «The shock of being put in that position, I’ll be real honest about it, I couldn’t handle it.» Geno ne se sent pas de taille pour le superstardom. Ce n’est pas son truc. Les avions, les télés, tout ce bordel. Hillman confirme : «The clashing of egos, money, godlike adulation et la présence de divers stimulants ont exacerbé une situation incroyablement fragile.» 

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             Derek Taylor qui s’est fâché avec Brian Epstein vient s’installer en Californie et pouf, il s’occupe des Byrds. Il devient l’instrument de leur succès planétaire. Eddie Tricker : «He just knew what rock’n’roll was all about.» Mais la première tournée anglaise des Byrds est une catastrophe. Petites salles, mauvais matériel, aucune présence scénique. Ils ont chopé la crève. Derek Taylor voulait que Brian Epstein voie ses nouveaux poulains. Malgré tout, Geno est ravi, car il rencontre les Beatles. Einarson précise qu’au moment où les Byrds débarquent en Angleterre, «Mr Tambourine Man» est number one, devant «Help» (# 2) et «Satisfaction» (# 3). Geno se souvient d’une soirée magique chez Brian Jones avec John Lennon et le roi George. Geno se sent très proche de Lennon. Il l’admire autant que Dylan.  

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             Lors de l’enregistrement de Turn Turn Turn, le deuxième album des Byrds, les équilibres changent au sein du groupe : McGuinn et Croz veulent placer leurs compos. Hillman : «McGuinn and Crosby just messed with him, constantly.» McGuinn prend le contrôle du groupe. Turn Turn Turn est bourré de mauvais cuts, choisis à la place des compos de Geno. D’un naturel timide, Geno écrase sa banane. Il sait que l’animosité vient du fait qu’il empoche plus de blé que les autres. Comme Brian Jones dans les Stones, Geno se trouve marginalisé. C’est drôle comme ces deux destins se ressemblent : ils sont tous les deux fondateurs de deux des groupes les plus importants de leur époque, tous les deux brillants et beaux, tous les deux incapables de se défendre, parce que ce n’est pas le pouvoir qui les intéresse, c’est la dimension artistique. Le parallèle Geno/Brian crève les yeux. Il n’est pas étonnant qu’ils aient passé autant de temps ensemble à bricoler des chansons. «Eight Miles High», bien sûr. C’est au moment d’aller faire la promo d’«Eight Miles High» à New York que Geno quitte des Byrds. L’avion est retardé pour un problème technique. Les passagers sont à bord. Geno se lève de son siège et sort de l’avion. Le voyant partir, McGuinn lui lance : «If you can’t fly, you can’t be a Byrd.» Terminé.

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             Selon Croz, la phobie de l’avion n’est qu’une partie du problème, chez Geno. Il pense qu’il s’agissait surtout d’un nervous breakdown : «Think about it: country boy from Missouri, 12 siblings, the suddenly L.A, and stardom. Bam! He wasn’t ready for it.» Croz tente de se disculper : «J’étais dur avec tout le monde. Je n’ai aucune patience avec les gens et je dis les choses comme je les pense. Mais je ne crois pas qu’il ait quitté le groupe à cause de moi.»

             En 1967, les Byrds sont cuits aux patates. Croz et Michael Clarke sont partis. Chris Hillman se barre en 1968. Croz : «The Byrds were done when Gene left.» Croz dit encore que les Byrds ont fait deux bons albums sans Geno, mais la magie était partie - And the Byrds were a magical chemistry - C’est chaque fois la même histoire : l’alchimie disparaît dès qu’on touche à l’équilibre originel.  

             En voiture Simone ! C’est parti pour la carrière solo. Geno monte Gene Clark & The Group avec Joe Larson des Grass Roots (beurre), Bill Rhineheart des Leaves (gratte) et Chip Douglas du Modern Folk Quartet (bass). Geno se met à boire comme un trou. Chip Douglas : «Soudain, Gene got a lot of Byrds money and went girl crazy and car crazy and started buying guns.» Jim Dickson emmène le groupe en studio, mais ça ne marche pas. Geno annonce aux autres qu’il dissout le groupe, mais il veut garder Joe et Bill - Chip I don’t want you in my group - Il ne donne pas de raison particulière. Geno retourne en studio avec Chris Hillman et Michael Clark, Bill Rhinehart, Glen Campbell et Jerry Cole. Leon Russell fait les arrangements. Et Jim Dickson fait venir des Gosdin Brothers pour les harmonies vocales. Eirnason ne tarit pas d’éloges sur ce premier album : «Gene Clark With The Gosdin Brothers est une anomalie. Bien ancrées dans le folk-rock, les chansons sont bien plus pop que celles des Byrds, avec de grosses influences des Beatles, de musique baroque et de Buck Owens.»

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             Il se pourrait bien que Gene Clark With The Gosdin Brothers soit le meilleur album des Byrds. Tu commences par prendre «Echoes» en pleine poire. C’est du heavy Clark, arrangé par Leon Rusell. Geno attaque à la racine du son et sonne comme la rock star américaine définitive. Il faut voir la maturité de son chant et l’heavy downhome de ses pénétrations. Il est sur toi, il te caresse l’intellect. Il approche et recule, comme d’une barcasse, alors que tu dérives sur l’océan. Geno vient te chanter l’extrême groove de la perdition psychédélique, tu sais que tu vas mourir, mais Gawd, quel réconfort. Il enchaîne ça avec deux autres coups de génie, «Think I’m Gonna Feel Better» et «Tried So Hard». Son power te dame le pion. Il chante avec un extraordinaire aplomb. Il y a va au still love you so bad. Il te fond les Byrds dans la country avec Tried So Hard, il est très en avance sur son époque. Il invente un son. Sans doute l’un des meilleurs sons d’Amérique. Il revient aux Byrds avec «Is Yours Is Mine». Il tombe dans l’excès d’excellence, c’est inquiétant. Il tortille son chant pour le ramener aux réalités du système. Il attaque son bal de B avec «So You Say You Lost Your Baby», cut quasi-mythique monté sur un beat gaga. Tu as là la meilleure psychedelia d’Amérique. Invraisemblable power composital ! Il incarne à lui seul l’avenir du rock. L’«Elevator Operator» qui suit est aussi énorme, une vraie dégringolade, il te clarke ça au right now. Cet album est l’un des meilleurs albums de rock de l’époque, il faut le savoir. Encore un coup de génie avec «Couldn’t Believe Her», il t’explose les Byrds, il détient ce pouvoir magique. C’est du Byrdsy sound à l’état pur. On le voit encore affronter son destin au menton volontaire avec «Needing Someone». Avec cet album, Geno est devenu un héros.

             Bizarrement, l’album ne marche pas, même si aujourd’hui il est devenu culte. Le problème c’est qu’à l’époque, CBS vendait aussi les albums de Byrds, et donc ils mettaient le paquet sur les Byrds, pas sur Geno. Geno entre ensuite en studio avec Gary Usher et Curt Boettcher. Ils enregistrent largement de quoi faire un album, mais Einarson ne sait pas où sont passées les bandes. C’est le fameux deuxième album solo de Gene devenu une sorte de monstre du Loch Ness. Tout le monde en parle, mais personne ne l’a vu. Comme les gens de CBS trouvent que Geno n’est pas viable commercialement, ils le virent. Jim Dickson pense que si Geno avait sorti un hit, les choses auraient été bien différentes. Le plus hallucinant dans toute cette histoire, c’est que Geno n’a fait que ça : pondre des hits. Cot cot ! «Echoes» ne serait donc pas un hit ? C’est le monde à l’envers !

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             Geno va se faire une spécialité : l’abandon de projets. Il n’en finit plus de composer des chansons géniales, mais ce sont des autres interprètes qui se les tapent, par exemple David Hemmings avec «Back Street Mirror». Geno passe ses journées à composer. Il évoque 200 ou 300 chansons dans un tiroir. C’est à cette époque qu’il rencontre The Rose Garden et qu’il leur file des chansons : «Only Colombe» et «Down By The Pier». Mais ils ne prennent que celles qu’ils sont capables de jouer, «Till Today» et «Long Time». Les démos de Geno avec The Rose Garden se trouvent sur le Gene Clark Sings For You dont on va parler plus loin.

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             Puis Geno devient pote avec Doug Dillard. «Ils adorent siffler des Martinis, ils adorent l’herbe et ils adorent l’acide», dit David Jackson qui joue de la basse avec eux. Tickner surenchérit : «Two guys with a drinking problem coming up.» Et un troisième larron, Daniel Moore ajoute : «Both of those guys were pretty hardy-party guys. They would go on for days. Je ne pouvais pas suivre. Une soirée, ça me suffisait et j’allais me coucher, mais eux, ils continuaient.» Ils jamment chez David Jackson à Beechwood Canyon avec Don Beck (mandoline) et Bernie Leadon (banjo et futur Eagle). Leadon dit que ce groupe était organique. Cette fine équipe finit par entrer en studio pour enregistrer The Fantastic Expedition Of Dillard & Clark. Geno s’entoure de spécialistes de la country mais il les entraîne vers le country-rock et la down-home good time music. Il a trouvé refuge chez A&M. Avec sa Fantastic Expedition, Geno crée de la magie dès l’ouverture du balda avec «Out On The Side», un shoot d’heavy country hantée, plombée et magnifique, opaque et lumineuse, ce que les critiques appelèrent the relaxed magic of Gene Clark. Globalement, ce Fantastic Voyage est un album de country rock chatoyant, illuminé par le violon de Bernie Leadon. L’autre énormité de l’album s’appelle «In The Plan», un Plan attaqué au banjo et la voix de Geno se pose comme la main de Dieu sur cette country primitive. C’est extrêmement puissant. La country de Dillard & Clark a une fantastique allure qui ne doit rien à celle de Nashville. «Don’t Come Rollin’» file à travers les collines ensoleillées, avec des coups d’harp et de banjo. On reste dans l’excellence avec «Train Leaves Her This Morning». Pur spirit, une fois encore. Ils attaquent «With Care From Someone» au fast banjo du Kentucky, c’est vite embarqué par une basse pulsative et monté en neige aux harmonies vocales. Une véritable énormité cavalante ! Doug Dillard est un fou du banjo. Les fans les plus fous de Geno ont forcément rapatrié la red de l’album parue en 2008 pour pouvoir entendre le mythique «Why Not You Baby», ce blast de country power qui est tellement puissant qu’il t’emporte comme un fleuve en crue. Geno a une façon unique de se fondre dans le groove. Il revient aux harmonies vocales lourdes et lentes pour mieux nous fasciner. Tout est surexcité ici, le violon, le banjo, tu ne trouveras jamais ça ailleurs. Et puis tu as une cover magistrale de «Don’t Be Cruel», un wild hommage à Elvis. Sous sa casquette de biker, Geno développe des énergies de wild cat. Rodney Dillard : «Those two guys were pretty wild.» Ils essayaient d’entrer dans les bars sur leurs motos - Trying to drive their motorcycles into the bar - Quand il ne refait pas la course poursuite de Bullit avec Steve McQueen, Geno roule en moto dans les bars.  

             Pour la promo de The Fantastic Expedition Of Dillard & Clark, ils doivent tourner un peu. Les voici à l’affiche du Troubadour. Vers 15 h, Geno et Doug vont boire des Martinis et prendre un acide dans le rade voisin, et quand ils montent sur scène à 21 h, ils sont out of it. Geno s’assoit sur son ampli et fixe le mur, quant à Doug, il saute à pieds joints sur un violon qu’il a posé au sol. Don Beck quitte le groupe sur le champ. Le concert est un désastre historique. Dommage, car les spécialistes trouvaient the Dillard & Clark Expedition bien meilleur que Poco ou les Burritos - Their music was way ahead of the others, more conceptual and concise than the Burritos», dit John McEuen - Il ajoute qu’avec moins de dope, ils auraient pu devenir énormes. Bernie Leadon rappelle qu’en plus d’une phobie de l’avion, Geno avait le trac sur scène - His fear of performing was legendary too - C’est pour ça qu’il picolait et se tapait des acides.   

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             Le deuxième album de Dillard & Clark s’appelle Throught The Morning Throught The Night. Avec Byron Berline au violon, le son est plus bluegrass. L’album réserve une bonne surprise : une cover de «Don’t Let Me Down». Belle hommage d’un géant à ces géants que furent les Beatles. Gene Clark américanise cette merveille océanique. Ça tient bien la toute, il chante à fendre l’âme. Même si on n’est pas trop fan de cette chanson, il en fait un chef-d’œuvre interprétatif. Son accent fêlé de trompe pas. Derrière, les autres pourvoient à la paix du monde. Sinon l’album est très country, comme le montre l’excellent «Kansas City Southern», ces mecs vont vite en besogne, ça joue au hard drive des Appalaches. Geno fait aussi un petit peu de psychedelia avec «Polly». Il a vraiment un son à part, une qualité de plaintif qui embellit la donne. Encore du big country batch avec «No Longer A Sweetheart Of Mine», puis une fast country de ventre à terre avec «Rocky Top» et toute la bande de Donna Washburn, Bernie Leadon, Sneaky Pete, Hillman et le banjo de Doug Dillard. Mais comme le groupe prend une direction trop bluegrass à son goût, Geno se retire - He was done with Dillard & Clark.

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             En 1971, il enregistre White Light. La tendance générale de l’album est le balladif sentimental. On sent le timoré derrière le country boy du Missouri. Il faut attendre le morceau titre pour crier au loup. Big country energy ! Gene Clark emmène sa country à l’aventure avec énormément de son, c’est extrêmement altier et mélodiquement solide. Et là on tombe sous le charme discret de la bourgeoisie Clark. Il attaque sa B avec «Spanish Guitar» et des coups d’harp mélancoliques. Il se répand bien dans le Dylanex. Pour Serge Denisoff, «‘Spanish Guitar’ is the first cousin of ‘Visions Of Johanna’ mixed with ‘Tom Thum Blues’, harmonica riff and all.» «Where My Love Lies Asleep» est encore plus mélancolique. On ne peut pas espérer meilleure tartine de Dylanex. Geno sait rester intense dans son élan. Il va sur le psyché rampant avec «Tears Of Rage». Il est extrêmement doué pour serpenter sous le boisseau de sa vieille psychedelia. «1975» renoue avec le big American rock. Quel superbe artiste ! Il tient bien sa chique, il chante à la mâchoire carrée avec des trémolos dans la voix. Geno est un loup solitaire. Einarson ne tarit plus d’éloges sur White Light : «It is a stunning work of sheer genius and Gene Clark’s highest watermark to that point.» Et il ajoute, éperdu : «Pour Lui, c’est la force des paroles et la mélodie qui portent les chansons.»

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             Enregistré en 1971, Roadmaster ne paraît qu’en 1973. Il pourrait bien être le meilleur album solo de Gene Clark. Il faut savoir que l’ancien manager des Byrds rêvait de voir les Byrds se reformer, et il a presque réussi son coup en ramenant Croz, McGuinn, Michael Clarke et Chris Hillman en studio pour deux cuts, «She’s The Kind Of Girl» et «One In A Hundred». C’est exactement le son des Byrds, on s’y croirait. Alors évidemment, comme McGuinn et Croz ne peuvent pas s’encadrer, ils viennent chacun leur tour enregistrer leurs pistes en re-re. «Here Tonight» sonne encore comme un cut des Byrds, avec ce sentiment de sunshining melancholia. Le bassman dément qu’on entend derrière n’est autre que le Flying Burrito Chris Ethridge. «Full Circle Song» sonne comme un coup de génie, c’est même un coup de génie musicologique, chargé de richesses à outrance. Geno crée des courants magiques. Encore une merveille avec «In A Misty Morning» auréolé du violon de Bernie. Ardent défenseur de la beauté, Geno se paye sur la bête. Peu d’artistes atteignent la pointe de ce paradigme. Geno est chaud et tendu, fabuleusement authentique et c’est à cet instant précis, dans le Misty Morning, que tu tombes à genoux. Geno est l’âme des Byrds et même l’âme du rock américain. Il faut le voir tartiner son «Rough & Rocky», il s’y prend comme un grand artiste, il fait corps avec la matière de son violon, ah comme ce Missouri boy peut être bon ! Il tape dans le heavy boogie pour son morceau titre - I’m a roadmaster baby/ And I spend my life on the road - Il cultive une fantastique présence d’entre-deux. Il y va doucement avec «I Remember The Railroad», tellement doucement que ça devient beau, down the road/ So I see. Même un simple balladif tapé au clair de la lune comme «Shooting Star» est beau. Geno laisse derrière lui une traînée argentée, il est là, dans l’ombre, au coin d’une nappe d’orgue, toujours génial. Mais les sessions ont été pour le moins chaotiques. Chris Hinshaw a fait venir Sly Stone et sa bande en studio, le budget a explosé et en représailles, A&M a tout bloqué. En plus, les gens d’A&M n’aimaient pas l’album. Pas assez commercial ! Le heavy metal se vend mieux à cette époque. Les bonnes chansons n’intéressent plus le grand public. 

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             Geno fréquente assidûment Jesse Ed Davis. Indien de souche, Davis vient d’Oklahoma et s’installe à Los Angeles, comme d’autres célèbres Okies, Toton Leon, Carl Radle et J.J. Cale. Geno et Davis adorent picoler et gratter des grattes toute la nuit. Un jour, Geno prête sa Porsche 914 à Davis. Quelques semaines plus tard, Davis refait surface et Geno lui demande où est la Porsche. Bousillée ! Geno est furieux. Beaucoup plus tard, en 1985, ils se rabibochent et envisagent de bosser ensemble. Tonton Leon se dit intéressé par leur projet. Mais Jesse Ed Davis fait une petite overdose dans une laverie automatique. Fin du projet.

             Les Byrds se reforment pour enregistrer un album sans titre. Croz ramène en studio «his incredly strong pot». McGuinn se marre : «Half a joint and you couldn’t do anything. We were stoned out of our minds the whole time. I don’t remember much recording. I remember just sitting around getting high.» Mais Geno ramène deux hits, «Full Circle», tiré des sessions abandonnées de Roadmaster, et «Changing Heart». Ils essayaient de brouiller les pistes en coupant les ponts avec le vieux son des Byrds, ce qui d’après Einarson est une erreur. Geno fait aussi deux covers de Neil Young, «Cowgirl In the Sand» et «See The Sky About To Rain». On reviendra dessus dans le Part Three.  

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             Quelques relents de Byrdsymania flottent encore dans No Other. Einarson rappelle que Geno est alors considéré comme «the king of Cosmic Cowboys». Mais contrairement aux rumeurs qui ancrent No Other dans la dope, Geno est sobre, comme le rappelle sa poule Carlie. Avec ses Byrds royalties, Geno s’est s’acheté une baraque du côté de Mendocino, à Albion, à l’intérieur des terres. Il s’y installe avec Carlie et c’est là que leurs deux fils Kelly et Kai vont grandir. On peut voir la baraque sur la pochette de Two Sides To Every Story. À cette époque, Geno fréquente Tommy Kaye, un mec qui a bossé comme head of A&R pour Scepter, à New York, notamment avec les Shirelles, Maxine Brown, Jay & The Americans, et puis aussi Link Wray. Il vient tout juste de produire Triumvirate, l’album de Mike Bloomfield, John Hammond Jr et Dr John, ainsi que l’album du bras droit de Dylan, Bob Neuwirth, sur Asylum. No Other est un album visité par la grâce, comme le montre «Life’s Greatest Fool», c’est évident, tout est là, dans la façon de swinguer le groove. Geno semble toujours négocier son entrée dans un heavy balladif country. Il ne jure que par le story-telling. Il saupoudre son morceau titre d’une pincée de psychedelia, mais il faut attendre «Some Misunderstanding» pour sentir ses naseaux frémir : tu as tout suite le gratté de poux psychédélique et le chant posé. C’est sa façon de renouer avec le génie, son génie. Il ouvre des horizons extraordinaires, il est dans le renouveau à chaque instant, il retape son but I know. Voilà la compo géniale par excellence. Il lui faut du temps pour la développer, et sa façon de plomber un ciel est unique. Avec «Lady Of The North», il replonge dans la dérive de Misunderstanding, même filet de chant mélodique, ça reste atrocement bon, même si c’est assez country. Il retourne toujours la situation à son avantage. Par contre, son «Strength Of Strings» est plus delta, comme si la Californie débarquait dans le delta. Il saupoudre tout ça d’un brin de psychedelia. Il n’a aucun espoir, ça s’entend. On se croirait parfois chez Procol Harum, c’est dire si la marée monte.

             Mais Geno doit souvent retourner à Los Angeles pour les sessions et il y retrouve sa bande de wild friends, «Kaye, Carradine, Barrymore, Dillard and Davis, all part of his Los Angeles drugs-and-booze persona», ce qui l’éloigne de Carlie et des enfants. C’est l’âge d’or de la coke. Dennis Kelley : «Tommy Kaye, Jesse Ed Davis and Gene really formed something of an Unholy Trio in regards to their bad habits.» Jason Ronsard ajoute : «Tommy Kaye was just a beautiful cat, but he did a little too much cocaine.» Tommy Kaye produit No Other et déclarera un peu plus tard : «It was my answer to Brian Wilson and Phil Spector as a producer.» C’est au dos de la pochette qu’on trouve le portrait de Geno efféminé. Le hic, c’est que David Geffen trouvait l’album mauvais et ne comprenait pas qu’on ait dépensé 100 000 $ pour seulement 8 cuts. Donc pas de promo, nouvel échec commercial pour Geno. Ça ne s’arrête pas là : Geno en veut tellement à Geffen qu’un soir, il est à deux doigts de lui mettre son poing dans la gueule. Geno se grille car Geffen est un homme de pouvoir. Chris Hillman : «That shut it down for Gene. Geffen had the power then. He’s a very powerfull man. You can’t do that to a guy like him.» Il existe pas mal de parentés entre Geno et le roi Arthur qui, de son côté, a aussi ruiné sa carrière en s’en prenant à Robert Stigwood. Einarson  considère No Other comme «a masterpiece», «too far ahead of its time, or merily out of its time». Et il conclut : «Artistiquement,  c’est un sacré compliment. Commercialement, it’s the kiss of death.»  No Other et Forever Changes même combat ? Tu l’as dit.

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             Two Sides To Every Story est un album très pépère, mais tu vas régaler d’au moins deux cuts : «Home Run King» et la cover d’«In The Pines». L’«Home Run King» est un admirable shoot de country-rock à la Clark. Doug Dillard tape ça au banjo. Derrière, tu entends aussi Emmylou Harris. C’est de la petite magie pure. La cover d’«In The Pines» est aussi une merveille de black girl/ Black girl/ Where did you sleep last nite, avec Dillard au banjo - In the pines/ Where the sun never shines - On ne sait si on préfère la version de Geno ou celle de Lanegan. Avec «Kansas City Southern», Geno s’en va rocker a chique et il finit en lonseome sound. Et puis en B, tu as «Marylou», gros shoot de Soul rock. Geno fait des choix pour le moins extraordinaires. Il est de toutes les sorties, avec à la clé un vieux killer solo. Au dos de la pochette, il n’est plus maquillé comme au dos de No Other, mais barbu, «like some cosmic mountain man». Cet album est aussi celui du split : Carlie s’est barrée avec les gosses. Geno rôtit en enfer.

             Eh oui, quand Geno picole, il devient violent. Carlie a eu la trouille. Surtout pour Kelly et Kai, les deux garçons : «Je ne dis pas qu’il était dangereux physiquement, mais au plan émotionnel, au plan mental.» En plus, quand il est en virée à Los Angeles, Geno baise avec une autre gonzesse.  Alors Carlie fermes les volets de la baraque d’Albion et se barre à Hawai, le plus loin possible, pour être sûre que Geno ne la retrouve pas - If he’s got drunk and found me, he’d kill me - Puis Carlie va basculer dans la dope, elle va free-baser, alors Kelly et Kai iront dormir à droite et à gauche. Pendant toutes les années 80 et 90, Carlie est fucked-up with drugs.

             Geno réussit à partir en tournée et s’en va jouer à Londres. Mais le NME le voit comme «the epitome of the slightly stumbing overweight, bearded hippie who drank and smoked too much.» Pas terrible. Il a perdu son charisme. À Los Angeles, il s’installe avec une certaine Terri Messina, une coke dealer - That’s when he started going crazy - Einarson rappelle que toute la communauté de Laurel Canyon tournait à la coke. Ken Mansfield : «That was the peak in Hollywood for all of us, when the drugging thing was just at the heaviest.» Einarson évoque un incident : ivre-mort,  Geno aurait selon David Carradine accosté Dylan dans une party et l’aurait insulté et traité de ‘no-talent wimp’. L’incident n’est pas confirmé, mais quand il a bu, Geno insulte facilement les gens et n’hésite pas à cogner. Il va dans les bars pour se battre. Il lance des couteaux. C’est un cosmic mountain man.  

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             Il finit par se rabibocher avec McGuinn et Hillman et par faire deux albums avec eux. Le premier est enregistré au Criteria studio, à Miami, par Ron et Howard Albert, les deux frères qui ont produit le Saturday Night Fever des Bee Gees. Les Albert brothers essayent de transformer les anciens Byrds en frères Gibb. Et pouf, ils font de McGuinn Clark & Hilman un album diskö. Tommy Kaye est écœuré, car ils ont réussi à bousiller l’une de ses chansons, «Release Me Girl». Dans la baraque que les trois Byrds louent à Miami règne une très mauvaise ambiance. Ils ne se parlent pas. Tommy Kaye rappelle que «Geno got heavily into cocaine and the downtown (slang for heroin).» Mais comme d’habitude, Geno ramène les bonnes chansons. Nick Kent descend l’album dans le NME : «This desperate enterprise is aimed at the lowest common denominator, lower than the Eagles.» L’année suivante, ils reviennent à Miami enregistrer City. Geno enregistre deux cuts et se barre. Sur la pochette, Geno flotte, au propre comme au figuré. Pareil, on y revient dans le Part Three.

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             Geno, Tommy Kaye, Andy Kadanes, Chris Hillman et the Mendocino All Stars entrent en studio pour enregistrer Firebyrd. L’album ne paye pas de mine, comme ça, mais c’est un album qui grouille de coups de génie. À commencer par «Something About You Baby», une vraie merveille de psyché Byrdsy tartinée sous le boisseau, bien pulsée à la Clark, c’est la rock song parfaite d’une étincelante superstar, dans sa défroque de loser patenté. Et ça continue avec «If You Could Read My Mind», une cover de Gordon Lightfoot qui d’ailleurs vient tout juste de casser sa pipe en bois. Geno tourne cette belle pop enchanteresse en coup de génie. Nouvelle équation : Geno + Gordon = chef-d’œuvre de beauté douce. Il retape aussi son vieux «Feel A Whole Lot Better», il le gratte bien sec et l’éclate non pas au Sénégal, mais aux harmonies vocales. Il a des backing vocals de rêve. C’est invraisemblable de beauté surnaturelle. Il fait éclore sa pop au sommet du lard, avec une absence totale de prétention. Il te convainc encore avec «Made For Love». Ses pop songs sont des grâces de Dieu. «Made For Love» est d’une pureté transparente. Il y a quelque chose de solaire en Geno. On ne se lasse plus de son comin’ around. Avec «Blue Raven», tu frises l’overdose. Trop de qualité. Il t’entraîne dans son délire. Pop song parfaite, une fois de plus. Il te plombe ça aux accords californiens, avec une flûte magique. Il fait aussi une nouvelle mouture de «Tambourine Man». Il y développe sa voix et une fantastique démesure de heavy pop-rock et le jingle jangle coule de source. Aucune trace des Byrds, juste du Clark. C’est un fantastique hommage au génie de Bob Dylan.

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             Il duette avec Carla Olson sur so Rebellious A Rebel, un Rhino de 1987.  Merci Rhino ! Carla s’est faite connaître en duettant avec Dylan sur l’album Infidels («Sweetheart Like You»). Les duos Geno/Carla sont forcément magiques, surtout le dernier, «Don’t It Make You Want To Go Home». Excellence à tous les étages en montant chez Carla. Elle ramène sa petite fraise rose et humide. On lui pardonne cette impudeur. Geno vole à son secours. Les merveilles pullulent sur cet album, tiens, écoute «Fair And Tender Ladies» et tu verras Maubeuge, c’est de la magie pure, même chose avec «I’m Your Toy (Hot Burrito #1)», heavy balladif de classe supérieure, ou encore «Why Did You Leave Me Today», Geno y ressort sa voix de superstar, il couvre sa pop de morgue languide. Geno est le roi des Beautiful Songs, il sait s’abandonner. C’est Carla qui fait le biz sur «Every Angel In Heaven» et elle file à la frontière mexicaine avec «Deportee (Plane Wreck At Los Gatos)» et Geno vole à son secours pour chanter les abus de la déportation. Big Americana ! Il redevient le roi du rodéo avec «Almost Saturday Night». Geno est un mec facile à suivre : il n’a que des grosses compos. So Rebellious A Lover est le dernier album officiel de Geno.

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             Under The Silvery Moon propose les sessions enregistrées avec Nicky Hopkins, Rick Danko, John York et Pat Robinson, le fameux CRY. C’est donc une résurrection, une de plus. Tu es accueilli par le souffle du big sound de «Mary Sue». Ça sent bon la légendarité. Geno en impose, il a une grosse équipe derrière lui. Il faut attendre un peu pour trouver les coups de génie. Tu en as au moins deux : «Sleep Will Return» et la reprise du «Will You Still Love Me Tomorrow» de Goffin & King. Il gratte quasiment son Sleep sur les accords de «Gloria», et il fait une version tentaculaire du Tomorrow. C’est digne de Totor, car bien monté en neige, absolument demented. On voit la cover décoller doucement, bien soutenue à l’orgue. Il te chante ensuite «Rest Of Your Life» au plastron, il te le placarde, il te le plaque au sol, il t’en fait tout un plat. Puis il repart en mode magie pure avec «My Marie». Si tu es sensible aux chansons fortes, alors c’est pas compliqué, tu vas pleurer toutes les larmes de ton corps. Geno navigue au sommet du pop art avec une classe écœurante. Il a une façon bien à lui de tourner ses syllabes, il force tous les passages vers la lumière. On le retrouve en Chevalier de la Table Ronde dans «Fair And Tender Ladies». Il est serviable et corvéable à merci. Geno est un homme simple. Il ne fait pas trop d’histoires, sauf quand il est défoncé. Puisqu’on en parle, voici «You Just Love Cocaine». Fantastique ode à la coke en stock, Nicky Hopkins te pianote ça vite fait bien fait. Geno n’en finit plus de shooter du power dans le cul flapi de l’Americana. On croise aussi un «Can’t Say No» tellement gorgé de power qu’il est inaudible. Aw comme ces sessions sont bonnes ! On sent aussi dans «Carry On» une présence de l’immanence et une liberté totale. Il fait sonner chaque seconde de «Nothing But An Angel» à la pure impénitence de big day out. Geno est à la fois un seigneur des ténèbres et un génie solaire - You are such an incredible thing - Cut après cut, il s’auto-porte à bouts de bras, il ne fait jamais n’importe quoi, il chante en flux tendu. Magnifique artiste !

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             La vie est drôle, parfois. Le même soir, le hasard des écoutes peut nous amener à naviguer dans des légendes aussi riches que celles de Gene Clark, d’Eddie Bo et de Joe Meek. Gypsy Angel - The Gene Clark  Demos 1983-1990 n’est pas à proprement parler un album légendaire, mais il participe de la légende de Gene Clark, au moins pour deux cuts dylanesques, «The Last Thing On My Mind» et «Day For Night». Clark ramène tout l’Ouest dans ses chansons, il vise les horizons perdus. Il cultive une sorte de beauté paumée, il clarke envers et contre tout. Il y a chez lui quelque chose de très conventionnel, balladivement parlant, même si tout est violemment interprété. Il pousse le bouchon de son Day à la dylanesque, il a ce côté hanteur de consciences issu du Midwest. Ses balladifs durent tous assez longtemps, sept minutes en moyenne, le temps du story-telling. Il gratte ses poux au coin du feu. Le gratté de «Mississippi Detention Camp» est très intense et très rootsy en même temps. Il va au Mississippi rechercher l’authenticité de son Missouri natal. Il connaît bien les ficelles du pisteur. Geno est un vétéran des sous-bois, il a croisé la piste des rebelles les plus célèbres. Il ne se nourrit que de racines de roots. Il ramène de vieux coups d’harp dans sa soupe au choux («Kathleen»). On l’aime bien, le vieux Geno, mais parfois, on s’ennuie comme des rats morts. Certaines rengaines n’offrent pas de prise. Il attaque toujours à la même arrache, il se morfond en permanence, «Your Fire Burning» flirte avec la Beautiful Song, mais avec lui, on ne sait pas. Il ne varie guère les plaisirs, tout est gratté sombrement, avec un faible espoir. Il termine avec le morceau titre, encore un balladif intensif. Il ne vit que pour ça. Son «Gypsy Rider» vibre d’authenticité. C’est sa raison d’être. Geno est un pur et dur. Pas question d’aller se compromettre. En grattant tout à sec, il fait de l’art sacré.

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             Sur Silverado 75. Live & Unreleased, il est accompagné par Roger White (gratte) et Duke Bardwell (bass). Einarson signe les liners, rappelant que les Silverados reprenaient des cuts de No Other. Quand ensuite Geno enregistre Two Sides To Every Story, il cesse de bosser avec les Silverados. Le set démarre avec le fat heavy country blues d’harp de «Long Black Veil» et Geno enchaîne avec l’un de ses classiques, «Kansas City Southern» - We’re going to do a train song for ya - Il en fait de la power-Americana, avec des rushes de fièvre et un son stripped down. L’ensemble est assez country, comme le montrent «Home Run King» et «Daylight Line». «Home Run King» est même de la heavy country, bien wild, dopée à coups d’harp et le gratté de poux sur «Daylight Line» est plutôt féroce. Tiens ! Voilà une énormité : «Set You Free This Time» - We’re gonna go back to 1965 with this song - Une merveille de Clark sound tirée de Turn Turn Turn, il t’allume aussi sec la cafetière, il est même over the top, à la dylanesque. Reprise de «No Other», aussi, monté sur un riff d’acou intrinsèque. Geno en profite pour revenir se lover dans le giron de nos imaginaires. Un miracle se produit, car c’est basique et beau à la fois. Il gratte son No Other à la perfe des perfes. Il ressort aussi son vieux «Spanish Guitar» qu’il gratte à outrance et qu’il arrose de coups d’harp. C’est d’une rare densité. Geno a des dons extrêmes. Il amène «Here Without You» au petit psyché et l’aplatit aussitôt au chant - Girl you’re on my mind/ it’s so hard to be here/ Without you - Il en fait un mélopif psychédélique. Il se montre encore fantastique de country rising avec «She Darked The Sun», il fond sa voix dans les épines des cactus. Si tu veux te lasser de Geno, tu devras te lever de bonne heure. Il termine avec la triplette du diable, «In The Pines» - And you shiver where the cold wind blows - «Train Leaves Here This Morning» et «Silver Raven» - Stand for one more you’ll like to hear - C’est le deuxième rappel, you better watch out. Le pauvre Geno repart sur son âne à Bethléem. C’est fin et plein d’esprit. Have you seen the silver raven ?

             Vu le parcours chaotique de Geno, les inédits pullulent. Einarson n’en finit plus d’en révéler. Après Two Sides To Every Story, Geno et Tommy Kaye envisagent en 1977 un autre projet, avec le KC Southern Band. Rien n’est sorti des sessions, mais Einarson dit que the KC Southern Band est «Gene’s finest backing band.» Plus loin, il signale l’existence des Glass House Tapes, enregistrées chez David Carradine  à Laurel Canyon, avec Tommy Kaye, Rick Clark (le frère de Geno), Garth Beckington et Jon Faurot. Six cuts. En 1982, nouveau projet : Geno, Hillman, Michael Clarke, Herb Pedersen (banjo) et Al Perkins (pedal steel des Flying Burrito Brothers). Le groupe s’appelle Flyte. Flyte tombe à l’eau. Il existe aussi des sessions enregistrées avec Laramy Smith.  

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             C’est encore Einarson qui se tape le booklet de Gene Clark Sings For You. Il explique que cet album enregistré en 1967 et gravé sur acétate a été redécouvert dans les archives de Liberty Records. Il ajoute que cet acétate est considéré par les fans de Geno comme l’Holy Grail. L’ex-manager des Byrds Jim Dickson rappelle que Geno composait tellement de chansons qu’il était impossible de tout enregistrer. Et si on les enregistrait pas, il les oubliait et passait à autre chose. En plus de l’album inédit, Omivore ajoute The Rose Garden Acetate, 5 cuts originaux que Geno enregistra avec The Rose Garden. Puis il abandonna les projet pour passer à la suite, c’est-à-dire Dillard & Clark et The Fantastic Expedition Of Dillard & Clark. Einarson pense qu’avec Gene Clark Sings For You, Geno était au sommet de son art, ce que vient confirmer «Past Tense», Dylanex et Byrdsy dans l’âme, tu as là tout le génie des Byrds qui déroule son tapis rouge. Il faut bien admettre que les Byrds, c’est Gene Clark, il est fabuleusement impliqué dans ce mythe. Geno te claque tout ça aux quinconces, il ramène encore du deep American feel dans «On Her Own», un vrai balladif de quincaille. Il confère à chacun de ses cuts une pureté manifeste. Avec «That’s Alright By Me», il fait une fast pop-rock d’hey hey, can’t see you, il flirte sans fin avec le Dylanex, il a cette ampleur extraordinaire. Il ramène des heavy chords dans «Down On The Pier» et il refait l’invétéré avec un «7:30 Mode» plus country. Pour le Rose Garden Acétate, il revient faire son Dylan de Greenwich Village («On The Tenth Street»). Il s’inscrit bien dans la veine du how much I remember you. Il drive ensuite «Understand Me Too» au heavy rumble d’acou. Il fait comme d’habitude : il tartine en surface et finit par convaincre - All I wanted to doo/ Is be with with yooou - Trop romantique. Ça ne pouvait pas marcher. C’est la raison pour laquelle Columbia l’a viré. Gene Clark n’a aucun support, alors il gratte à la vie à la mort. Dommage qu’il n’ait pas les grattes des Byrds sur cet EP. Il n’a que le chant et il réussit quand même à groover. Il tape son «Big City Girls» au heavy blues et c’est assez énorme. Il revient à l’essence des Byrds avec «Doctor Doctor».

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             Pour faire des économies, on peut se contenter d’une bonne compile. Echoes fera l’affaire, car on y retrouve tous les coups de génie épinglés précédemment, à commencer par le morceau titre et sa fantastique présence dramatique - You’re the tower in the sand - et puis, tu as aussi «Here Without You (sommet psychédélique), «So You Say You Lost Your baby» (Byrdsy groove et fantastique énergie), «Couldn’t Believe Her» et «Keep On Pushin’» (encore tirés de Gene Clark With The Gosdin Brothers, l’album définitif). D’ailleurs, quasiment tous les cuts de cet album se retrouvent sur la compile, «I Found You», «Elevator Operator». Gene Clark est l’artiste complet par excellence, sa pop magique chapeaute le rock californien. Et ça se termine avec deux cuts plus dylanesques, «The French Girl» et «Only Colombe».

             En fait, nous dit Einarson, le gros problème de Geno, c’est qu’il n’avait personne derrière lui, ni Elliot Roberts (manager de Neil Young), ni David Geffen, ni Albert Grossman. Geno va rester un sauvage, un country-boy/mountain man jusqu’à la fin. Quand il vit à Albion, il possède deux hachettes, six couteaux et une hache de combat. Il lance ses couteaux dans les portes en marchant, schlomp, schlomp ! Quand il décide de se reprendre en main et de se calmer, il découvre que personne ne veut de lui. Dans le biz, personne ne veut plus l’approcher. Trop sale réputation. On l’a vu entrer dans un bureau et sortir un flingue, playing the Godfather, péter les vitres des bagnoles et menacer de s’en prendre à la famille. Violents incidents. Quand Tom Petty enregistre une cover d’«I Feel A Whole Lot Better», Geno empoche 150 000 $ de royalties. Dès qu’il a du blé, il redevient fou. Saul Davis dit qu’il existe trois Genos : «Down-and-out Gene, hard on his luck. And regular Gene, the humble guy. Then there was the money-flowing Gene. And that meant trouble.» Il picole et il snorte again, alors qu’il avait réussi à se detoxer. C’est la fin des haricots. Il passe au crack et au free-basing, comme Croz, et tout le monde à Laurel Canyon, précise Terri. Geno perd sa voix, Tommy Kaye dit qu’il s’est chopé un petit cancer de la gorge. Un polype sur les cordes vocales. Alors pour se soigner, il picole. Il lui reste six mois à vivre. Il va tout de même chanter au Rock And Roll Hall Of Fame pour la consécration des Byrds. Hillman se dit fier de cette réunion honorifique, car, précise-t-il, 90 % des gens de groupes récompensés ne se parlent plus. Il cite l’exemple de Fogerty qui a refusé de laisser ses anciens copains de Creedence jouer avec lui - But we did - C’est en soi un exploit.  En 1991, Geno fait sa dernière apparition sur scène au Cinegrill à Los Angeles. Il est défoncé. Le set est aléatoire. Il a en plus perdu des dents lors d’une bagarre, deux jours avant les concerts. Sa voix chuinte. Les gens sont effarés par la médiocrité du set - The Cinegrill gig was just a mess - Quand Tom Slocum lui dit que son set est un désastre, Geno lui répond : «Sloe, it doesn’t matter anymore.»   

    Signé : Cazengler, tête à clarkes

    Gene Clark With The Gosdin Brothers. Columbia 1967

    Dillard & Clark. The Fantastic Expedition Of Dillard & Clark. A&M Records 1968

    Dillard & Clark. Throught The Morning Throught The Night. A&M Records 1969

    Gene Clark. White Light. A&M Records 1971

    Gene Clark. Roadmaster. A&M Records 1973

    Gene Clark. No Other. Asylum Records 1974

    Gene Clark. Two Sides To Every Story. RSO 1977

    Gene Clark. Firebyrd. Takoma 1984

    Gene Clark & Carla Olson. So Rebellious A Lover. Rhino Records 1987

    Gene Clark. Under The Silvery Moon. Delta Deluxe 2001

    Gene Clark. Gypsy Angel. The Gene Clark  Demos 1983-1990 Evangeline 2001

    Gene Clark. Silverado 75. Live & Unreleased. Collector’s Choice Music 2008

    Gene Clark. Gene Clark Sings For You. Omnivore Recordings 2018

    Gene Clark. Echoes. Columbia 1991

    John Einarson. Mr. Tambourine Man: The Life And Legacy Of The Byrds’ Gene Clark. Backbeat Books 2005

     

     

    Le culot des zozos de Cluzo

    - Part Two

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             Ça cluzote sec chez l’Inspector. Chaque album charrie son lot de pépites, comme autant de fleuves californiens au temps de la Ruée vers l’Or.

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             L’un des plus gorgés d’or gascon est sans doute The 2 Mousquetaires. Non seulement il est adapté d’Alexandre Dumas, mais il se présente sous la forme d’un petit album de BD et tu peux suivre en direct les aventures des Deux Mousquetaires, fabuleusement bien croqués par un nommé Chris Chaos from Taïwan. Tu feuillettes et tu tombes sur un prodigieux crobard de Curtis Mayfield flottant dans les airs avec sa strato blanche. Alors quand tu écoutes la cover qu’ils font de «Move On Up», tu tombes en double extase de métastase, car ils te l’explosent littéralement ! Là tu cries au loup pour de vrai, le gros jette toute sa graisse dans la balance. Tu as là un exemple parfait de ce peut être une cover de génie. Le gros hurle dans la tempête du paradis, ça joue ventre à terre et à couteaux tirés, le gros file dans l’azur comme un ballon de baudruche surréaliste, il est dans son trip de Move On Up et c’est battu à la diable gasconhette. Autre coup de génie : «Put Your Hands Up», le gros rappelle ses troupes à l’ordre et passe en mode heavy sludge. Il a même des cuivres. On se croirait sur le deuxième album des Saints. Power maximal ! Il t’embarque ça au scream. Puis il enfile la culotte de James Brown pour taper «Power To The People» au you got to move, il fuck les bobos dans «Fuck The Bobos», mais il fait à la dure, au heavy funk, son funk vaut largement celui de Bootsy - Are you ready/ Fuck the bobos - Il reste dans le fuckin’ fuck avec «Fuck Free Hugg», heavyness demented couronnée de succès et de cuivres, il navigue d’un port à l’autre, du funk au heavy sludge, il a ce pouvoir désarmant. Quand tu écoutes «The Two Mousquetaires Of Gasconha», tu as presque envie de laisser tomber les disques américains. Les deux zozos de Cluzo te cluzotent le gaga-punk de Gasconha avec le scream définitif. Tu as encore le wild et l’argent du wild avec «Wild & Free», il bombarde sur sa SG, I am & I am free, il connaît tous les tenants et les aboutissants des coups de tonnerre, il a tout le scream en magasin, il ramène des éléments de heavy sludge digne de ceux de Monster Magnet. Puis dans une chanson assez radicale, il envisage d’aller baiser Carla, la femme de l’ex-Président. Là on se marre, car c’est vraiment digne d’Alexandre Dumas.     

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             Les zozos de Cluzo prennent vraiment le plus grand soin de leurs fans. Ils conçoivent The French Bastards comme une petite pochette contenant douze vignettes cartonnées et le disk, chaque vignette illustre un cut et les lyrics sont imprimés au dos. On se régale d’entendre «F*** Micheal Jackson», car ça correspond exactement à ce qu’on pensait à l’époque. Au moins avec le gros, les choses sont claires. Dans la BD des Deux Mousquetaires, il étripait Sarkozy, Ben l’Oncle Soul et les bobos, cette fois, c’est cette super-crêpe de Michael Jackson qui passe à la casserole. Le gros commence par situer le contexte - I grew up in the 60s black Soul music/ Oh yeah - et pouf, il te fuck ça vite fait. Avec lui, ça ne traîne pas. Il aurait dû s’appeler Inspector Zorro. C’est quand même dingue quand on y pense, toute cette daube qui passait à la radio et qu’on devait supporter ! Autre chose : il n’existe rien de plus heavy sur cette terre qu’«Empathy Blues». Ça danse avec les loups, c’est-à-dire Monster Magnet et Leslie West, il t’explose tout ça au sommet de lard et s’en va screamer dans les Cevennes, exactement comme l’autre bête de Gévaudan, Frank Black. Même génie ! Il screame encore sa soupe aux choux dans le morceau titre. Encore plus plein qu’un œuf, voici «He’s Not The Man». Toujours ce mélange suprême d’heavyness et de scream, il t’explose cette matière organique cuivrée de frais, il s’agite dans un turmoil extrême, un sax s’empale sur la bassline, tu atteins là des zones inexplorées du sonic trash. Il arrive avec une disto de gras double dans «Giving Opinion Is Not A Job This Is A Right», encore une fois, il n’existe pas de disto plus heavy sur cette terre, il te tartine ses opinions au wait a minute. Si tu ne veux pas mourir idiot, tu devrais écouter «The Old Man», il y gratte ses poux intensément, c’est une rock star, alors il t’explose l’old man au scream demented, il monte très haut dans les estimes. Il ramène sa grosse voix de bélier dans «Trader Forever» et défonce la poterne au boom boom définitif.  

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                   Les zozos de Cluzo entrent en mode fast punk dans Gasconha Rocks. Cette horreur s’appelle «Hello/Goodbye Education». Le gros refait son Frank Black, tu n’en reviens pas de voir débouler avec une telle violence ! Voilà un gros de plus au panthéon des gros, avec Leslie West, Tad Doyle et Frank Black. Ça re-rue dans les brancards avec «Till Petrole Do Us Apart». Il amène ça au riff raff et ça se barre en sucette de zozos, et ce fou de Phil pousse bien à la roue. Avec les deux mousquetaires, tu n’en finis plus de t’extasier, ils flirtent en permanence avec le génie sonique, le gros se barre en chat perché d’inexpectitude, tu vois trente-six chandelles, c’est un parti-pris de pur genius cubitus, on en oublie la terre et sa population, la terre et ses religions, la terre et sa géopolitique, ça devient sérieux, battu comme plâtre et noyé d’arpèges scintillants. Ils te font rendre gorge. Ils campent dans le Punk’s Not Dead, avec «Black Spirit». Peu de duos peuvent enfiler autant de perles noires de destroy oh boy. Le gros s’arrache les ovaires au chat perché demented. Retour au big heavy rock avec «Garbage Beach», tu te crois en Amérique chez les géants du stoner de Dieu, chez les Nebula de la Mountain. Fuck ! C’est tout ce que ta pauvre bouche peut dire sous les coups de boutoir. C’est beaucoup trop balèze pour la France. Le gros est l’artiste complet par excellence, hard punkster et white nigger, il faut le voir arroser «The Duck Gut Blues» à coups de slide, poussé dans le dos par un beurre de baratte du diable. Retour à la politique avec «Move Over Monsanto», en mode heavy boogie down, c’est  le rock qui milite, le gros se fâche - Why ya took us for a raid y’all - Ça n’en finira donc jamais ?, comme le chantonnait jadis Mouloudji.

             Avec Gasconha Rocks, tu as un petit DVD-docu qui montre les deux zozos en tournée dans le monde : Espagne, Asie, Afrique du Sud. En fait, ce docu est une apologie du Do It Yourself : les deux zozos de Cluzo font tout eux-mêmes : le booking, le management, le marketing, la compta, les compos, les pâtés à la graisse de canard, ils conduisent les camions, ils font le merch, ils jouent même sur scène. Le gros dit que ça leur prend tout leur temps, environ 70 heures par semaine. Le docu ne nous épargne rien. Tu as même un admirateur qui dit, comme sur les marchés, que «c’est direct, du producteur au consommateur». Pas d’intermédiaires. Pas de parasites. Fuck the bobos. Un mec dit que les zozos de Cluzo se grillent en by-passant le système. Fuck the system ! Leur indépendance est leur power. On ne voit pas assez les oies, c’est dommage. Le docu finit par mordre le trait et donner une idée un peu trop angélique du DIY. Ça frise la parodie. Si tu veux comprendre pourquoi ils sont devenus énormes, tu dois les voir sur scène. Certainement pas sur YouTube. Tu peux aussi écouter les albums : tu ne t’ennuieras jamais. 

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             On monte encore d’un cran avec Rockfarmers qui est un double CD. La pochette nous montre les oies et la ferme. Le booklet grouille de petits crobards inspirés, dans une poignante volonté d’illustrer les scènes de la vue rurale quotidienne. Leur icono tient sacrément bien la route. Leur baraque fait rêver autant que leur musique. Le fou de la disto réapparaît dès le morceau titre d’ouverture de bal d’1, the SG wild king of heavy sludge. Si tu aimes bien Leslie West et les ogres du stoner, alors tu te régales. Il s’en va même siffler sur les remparts de Varsovie. Chacune de ses attaques de gratte viole ton intimité. Le gros est un hussard sur le toit. C’est l’occasion ou jamais de te faire limer par un hussard, c’est un trip très littéraire. Tu joues d’une certaine façon à la marelle du diable. Le gros te bourre la dinde avec ses deux SG. Ce cut d’intro est déjà en soi un roman. Voilà un double d’album qui s’annonce passionnant. Il va tenir ses promesses. Le gros devient complètement fou sur «Fisherman», cette horreur est un véritable coup de génie. Il développe tous ses chevaux vapeur et l’achève au scream délétère. Ah il faut aussi l’entendre gueuler «Kiss Me» dans sa ferme avec ses oies. Les zozos de Cluzo sont des pesticides atomiques. Voilà ce que révèle le «GMO & Pesticides» d’ouverture de disk 2. Il n’existe rien de plus destructeur en France. Le gros commence par le siffler à la Bronson et bascule aussitôt après dans le wild punk’s not dead, il pique sa crise et ça purge dans l’urge, ils atteignent à l’extrême dementia du real blast, ils font du pur Motörhead. Le gros tape ensuite «Alright Georges» au heavy blues, on entend bien la SG, c’mon, il y va au dur comme fer. Il a tout le son du monde, alors il en profite. Il s’enfonce dans les couches supérieures de la prod ultimate, c’mon Georges ! Il navigue exactement au même niveau que Frank Black. Il reprend son élan pour «Quit The Rat Race», tu ne pourras jamais le stopper en plein élan, il chante à la hauteur de sa niaque de mousquetaire, heavy as hell, il hurle comme un cochon qu’on égorge. Puis il la joue douce avec «Stars Are Leavin’», il chante à la voix d’ange de miséricorde, back in the day, au heavy gratté de coups d’acou, power all over, et ce démon barbu explose les stars. Nouveau coup de génie avec «Erotic», sa SG rue toute seule dans les brancards, ça part en mode full blown, le gros l’attaque au chat perché d’all time rock’n’roll, ça bat tout le monde à la course, il hurle son can’t stand et tu entres dans la cinquième dimension. Il passe en mode funk pour taper «Romana», il fait son white nigger, il chante au perçant er se remue le cul. Ah il faut le voir gratter les poux du funk sur sa SG. Le gros a tout pigé.  

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             Tu crois qu’ils vont se calmer avec le temps ? Pas du tout. Nouveau big album avec We The People Of The Soil. Pas de coups de génie, cette fois, uniquement des énormités. À commencer par «The Sand Preacher» qui semble sortir tout droit d’un album de Frank Black & The Catholics. Il pourrait aussi en remontrer à Jon Spencer avec «A Man Outstanding In His Field». Le gros fait le job, il fond sa voix à la surface du Soil, mais il ramène l’énergie de tous les démons de l’enfer. Il te claque ses notes de SG sur canapé de nappes d’orgue intrinsèques. Avec «Ideologues», il redevient classique, mais avec du son. Il monte au chat perché pour créer de l’émotion et de la profondeur. Il a même de faux accents de Jack Bruce. Décidément, c’est l’album des clins d’yeux aux superstars ! Avec le morceau titre, il te ramène sous la douche des enfers. On se croirait dans le «Season Of The Whitch» de Stylish Stills. Quel déluge de son ! Il termine avec une véritable triplette de Belleville : «Pressure On Mada Lands», «The Globalisation Blues» et «The Brothers In ideals». Il attaque son Mada Lands à l’Hendrixienne. Les lyrics ne sont pas crédibles, ils ne servent que de prétexte. On ne démarre pas avec «I was born on a beautiful island». On démarre avec «the night I was born, Lord I swear the moon turned a fire red». Puis il s’enfonce dans le blues de ferme avec Globalisation, il y va au Nashville Pussy, c’est de haut niveau, surtout qu’ils le font à deux. Il termine avec «The Brothers In Ideals», ce fabuleux auto-hommage qui sonne comme la preuve de leur intégrité et qui va donner son titre à l’album suivant.

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             Sur Brothers In Ideals, ils retapent des cuts d’albums précédent en mode unplugged. On retrouve donc l’excellent «Man Outstanding In His Fields», cette fois avec un S à Fields. Le gros fait son heavy country blues d’anti-gentleman farmer. C’est puissant et infiltrant. Tu as le groove et l’argent du groove, surtout quand il monte au chat perché avec la délicatesse d’un génie à peine sorti de sa bouteille. Il vise le surnaturel. Il y reste avec «Cultural Misunderstanding». Il entre au chat perché et ça redevient magique. Son «Globalisation Blues» sonne aussi comme une merveille. Il en fait un heavy country blues, une moisson géniale de notes inspirées. Il gratte aussi «Idéologues» avec rien. Il crée son monde à partir de rien. Il fond sa voix au chat perché psychédélique. On a l’impression qu’il hyper-chante. On se prosterne à ses pieds. Il invente l’Americana du Sud-Ouest et son morceau titre de fin d’album est un chef-d’œuvre de Soul du Soil. 

    Signé : Cazengler, affreux zozo

    Inspector Cluzo. The French Bastards. Ter A Terre 2010 

    Inspector Cluzo. The 2 Mousquetaires. Fuck The Bass Player 2012

    Inspector Cluzo. Gasconha Rocks. Fuck The Bass Player 2013 

    Inspector Cluzo. Rockfarmers. Fuck The Bass Player 2016

    Inspector Cluzo. We The People Of The Soil. Fuck The Bass Player 2018

    Inspector Cluzo. Brothers In Ideals. Fuck The Bass Player 2020

     

     

    Wizards & True Stars

     - Gousse d’Hayes (Part Two)

     

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             Chez Ace, on s’intéresse plus aux compositeurs qu’aux prophètes. C’est une démarche intellectuelle typiquement britannique. On privilégie l’humain au spirituel. Ace balance une belle illustration de ce singularisme avec Wrap It Up - The Isaac Hayes & David Porter Songbook, une nouvelle épître de la fameuse Songwriters Series qui a vu défiler toutes les têtes de gondole à Venise, depuis Leiber & Stoller jusqu’à Mann & Weil en passant par Goffin & King, Ellie Greenwich & Jeff Barry, et toute la bande de Tutti Quanti. Illustration, oui, car dès la pochette, Ace enfonce son clou, nous montrant l’Isaac jeune (en compagnie de David Porter et de Mable John), un Isaac terriblement humain, fils de rien, comme le furent avant de devenir prophètes des gens comme Jésus de Nazareth, Friedrich Nietzsche, Noam Chomsky, Mahatma Gandhi, Malcolm X ou encore Nelson Mandela. Fils de rien, en toute humilité, crâne rasé, ce jeune black pauvre ne sait encore rien de son destin de Black Moses, de Moïse nègre couvert de chaînes en or et de femmes lubriques, qui va régner pendant quelques années en tant que Spirit Of Memphis sur l’Amérique et quelques îlots de superstition en Europe.

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             Il n’empêche. Tony Rounce sent bien qu’avec Isaac, on touche au sacré. Il sait comme nous le savons tous, qu’Isaac c’est Stax, ou pour être plus précis, Stax c’est Isaac, de la même façon que Motown, c’est HDH. Pas de Motown sans HDH et pas de Stax sans Isaac. Autrement dit, sans Stax et Motown, pas de Soul dans l’Amérique des sixties. Une Amérique privée d’âme ? On peut dire que cette pauvre fédération d’états a frôlé la catastrophe. On a longtemps cru que l’âme des USA était le fameux American Dream. Grave erreur, car l’American Dream, apologie de la liberté, est un contresens bâti en partie sur l’esclavage des nègres et en partie sur le génocide des Native Americans, c’est-à-dire, les gens qui vivaient dans ces pays avant l’arrivée des colons blancs. Les colons sont un fléau biblique, un fléau qui a ravagé tout le continent africain, tout le continent américain, l’Océanie, une partie de l’Asie du Sud-Est et qui ravage encore aujourd’hui la Palestine. Bon, Rounce ne va pas jusque-là, d’abord parce qu’il n’a pas la place, mais aussi parce qu’il a des priorités éditoriales.

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             Pauvres parmi les pauvres, Isaac et David Porter étaient là dès les premiers jours, sur McLemore Avenue, tentant désespérément de décrocher un petit job chez Stax, même un job de balayeur. C’est Floyd Newman qui met la puce à l’oreille des blancs de Stax, leur vendant l’idée qu’Isaac a des pouvoirs surnaturels - Il entend tout ce que vous n’entendez pas - Forcément, ça intéresse les blancs. Isaac entre pour la première fois dans le studio Stax, non pour balayer, mais pour jouer du piano. Et pouf c’est parti ! Il s’associe avec David Porter, qui bosse dans l’épicerie d’en face. C’est une fabuleuse histoire qui démarre. Ils vont tout simplement devenir, en alternance avec HDH, les rois du monde, pendant quelques années, de 1965 à 1969. Pour mener à bien sa mission, Rounce a choisi 24 covers de hits composés pendant ce court laps de temps. Après Hot Buttered Soul, Isaac et David Porter cesseront leur collaboration, Isaac optant pour un parcours plus messianique, donc solo, par nature.

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             Alors évidemment, cette compile grouille de coups de génie, rien qu’avec le «60 Minutes Of Your Love» que prend en change l’excellent Homer Banks, t’es gavé comme une oie. C’est du wild as fuck, Homer Banks fout le feu. Rounce précise que cet hit demented est enregistré chez Willie Mitchell, at Hi, et pas pour Stax, mais pour Minit, le petit label lui aussi légendaire de Joe Banashak, à New Orleans. Puis c’est au tour de Freddie King d’aller foutre le souk dans la médina avec «Can’t Trust Your Neighbour» qu’Isaac et David Porter avaient composé pour Johnnie Taylor. Freddie enregistre sa mouture à Memphis, mais pas chez Stax, chez Ardent, accompagné par Duck Dunn et Al Jackson. L’immense Freddie King propose avec cette mouture une fantastique plongée dans le heavy blues, il y va au I found out, il claque son ah-ah à la solace perspicace. On parlait du loup, le voilà : Johnnie Taylor, avec «Toe Hold», histoire de rappeler qu’avec Isaac, il est le king of Stax, il te traîne la traînasse dans la bouillasse du caniveau, avec tout le popotin staxy que tu peux imaginer, c’est du très grand art, des accords carillonnent dans le muddy Stax. Johnnie, c’est Napoléon, il avance dans la Bérézina - Show me baby - Te voilà au paradis. Rounce nous dit aussi qu’Atlantic avait envoyé Sharon Tandy enregistrer une version de «Toe Hold» chez Stax. Archie Bell & The Drells tapent le morceau titre de la compile, «Wrap It Up», déjà enregistré par Sam & Dave. Mais la version d’Archie Bell te sonne bien la cloche, car alerte et svelte, les Drells te swinguent l’Isaac, Archie Bell est en caoutchouc, et tout ce fabuleux bordel est drivé au big Stax demento. Te voilà installé dans les couches supérieures de la Soul. Encore un coup de génie avec le duo Keith (Powell) & Billie (Davis) qui tape dans le saint des saints, l’un des hits de Sam & Dave, «You Don’t Know Like I Know». Ce sont des blancs, but aw my Gawd ! Ah oui, tu peux te signer, car c’est incendié au Piccadilly strut. Si le «Love Is After Me» que prend Charlie Rich est aussi un coup de génie, ça ne surprendra personne. Le vieux Charlie qu’on surnomme the silver fox trempe son biscuit dans le r’n’b et ça monte vite au rouge, dans l’enfer du mythe. On peut même parler de classe définitive. Tu as là le power d’Isaac + le Sun de Charlie. Cette cover fabuleuse date de sa période Hi en 1966, lorsqu’il commence à taper sérieusement dans le r’n’b, mais comme ça ne marche pas commercialement, the silver fox devra retourner à ses moutons, c’est-à-dire la country et poser déguisé en cowboy pour ses pochettes d’albums.  

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             Alors maintenant, les surprises : la première nous vient des  Hassles avec '' You got me Hummin' '', un autre hit de Sam & Dave : heavy Soul à tomber de sa chaise, boom badaboom, d’autant plus que ce sont des blancs ! Rounce les situe entre les Young Rascals et le Vanilla Fudge. Il nous apprend en outre que Billie Joel va faire partie du groupe. Parmi les repreneurs d’Hummin’, on trouve aussi les fameux Cold Blood de San Francisco. Encore une révélation avec Marcia Ball et «Never Like This Before». Encore une blanche ? Elle est superbe. Rounce la qualifie de South Louisiana R&B Queen et recommande son album Hot Tamale Baby. Encore une révélation avec les Soul Children et «The Sweeter He Is (Pt1 & 2)», c’est embarqué aux clameurs de gospel. Ils fondent le gospel dans le Black Power, c’est d’une puissance inexorable. Rounce nous explique que les Soul Children furent le dernier projet sur lequel ont travaillé Isaac et David Porter. Plus tard, David Porter continuera de bosser avec John Blackfoot Colbert et ses Soul Children. C’est encore un blanc qui crée la surprise avec «I’ve Got To Love Somebody’s Baby». Il s’appelle Peter Gallagher et il est très inspiré. Il fait un heavy job. Steve Cropper gratte sa gratte sur cette mouture. Tiens, encore une blanche, Rachel Sweet, qui fait un joli carton avec «B-A-B-Y». C’est très sucré, très blanchi, on est en droit de préférer la version de Carla. Mais c’est tellement gorgé de sucre que ça devient génial. C’est à ce type de phénomène que tu peux mesurer la portée des compos d’Isaac. On s’amourache aussi très facilement du duo d’enfer Edwin Starr & Blinky. Ils tapent «I’ll Understand» et ils s’entendent bien, car sur la photo du booklet, Edwin lui met la main au panier. Ah qui dira l’extrême beauté de l’Understand ? C’est Motown, nous dit Rounce, qui eut l’idée de pairer Starr & Blinky pour prendre la suite du duo Marvin/Tammi Terrell.

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             Et puis tu as les valeurs sûres, les inextinguibles, les gagnés d’avance, les ‘c’est-du-tout-cuit’, à commencer par les Righteous Brothers avec «Hold On I’m Coming». Ils tapent dans le sanctuaire d’Isaac, avec énormément d’écho, ils rivalisent de ferveur avec Sam & Dave, c’est extrêmement wild. Tu as aussi Aretha avec «You’re Taking Up Another Man’s Place», Ree fond dans la soupe d’Isaac, c’est la cuisine des dieux, elle fait comme d’habitude, elle explose au yeah yeah ahhh. Les ZiZi Top te fracassent littéralement «I Thank You». Billy Gibbons donne au son d’Isaac la bénédiction du Texas raw. Il n’existe rien de plus demented que cette cover - But you did/ But you did - Rounce parle d’un «groovy, downtempy essay», un essay qu’on retrouve sur l’excellent Deguello. Et puis bien sûr, Delaney & Bonnie viennent couronner le gâtö avec «My Baby Specializes». Bonnie reste la plus black des white chicks. La merveilleuse Mable John se trouve un peu avant la fin avec «Your Good Thing Is About To End» qu’elle chante à l’accent tranchant supérieur. On termine cette modeste revue de détail avec les chouchous d’Isaac, Sam & Dave et le hit définitif du Stax System, «Soul Man». Ah comme tous ces gens savaient illuminer la terre, en ce temps-là.

    Signé : Cazengler, Isac à vin 

    Wrap It Up. The Isaac Hayes & David Porter Songbook. Ace Records 2022

     

     

    L’avenir du rock - Coup de Pokey

     

             Chaque année, l’avenir du rock va dîner avec son ami Gé. Ils maintiennent ce rituel depuis plusieurs décennies. Ils réservent toujours la même table chez Bofinger. Gé reste égal à lui-même, avec sa figure joviale, ses cheveux châtain clair bouclés et sa belle moustache de Lord anglais. Malgré le temps qui passe, il ne vieillit pas. Il exerça un temps la prestigieuse fonction de DRH pour le compte d’une multinationale française. L’avenir du rock apprécie sa compagnie, car pour une fois, le rock ne figure pas au menu des conversations.

             — Dis donc, Gé, tu es drôlement bien conservé pour un DRH...

             — Oh la fonction n’était pas très fatigante. Secteur calme et salariés grassement rémunérés. Le rêve ! On se partageait le marché national avec Lafarge. Les commerciaux s’arrangeaient entre eux, comme les familles new-yorkaises de la mafia, si tu vois ce que je veux dire.

             — Tu veux dire que tu n’avais pas à subir les pressions endothermiques de la philologie conjoncturelle ?

             — Exactement ! On faisait de grosses économies sur les budgets publicitaires. Nous n’avions pas besoin non plus d’investir dans une tour à la Défense. Un seul étage suffisait. On y avait installé la com externe. Les services techniques et administratifs se trouvaient à la campagne, au vert, du côté de Mantes. La belle vie, quoi...

             — Oui c’est l’avantage de l’endémisme coercitif, ça donne de l’air aux ontologies tangentielles.  

             — Exactement ! En plus, nous avions le meilleur rendement économique de tout le secteur industriel, car nous ne consommions pas de matières premières, excepté le calcaire, c’est-à-dire peanuts. Une bonne carrière de proximité suffisait. C’est ce qui nous permettait d’investir à l’étranger et de racheter d’autres groupes industriels.

             — La facilité allait pourtant à l’encontre du jansénisme épistémologique qui te caractérise si bien...

             — Mais non, au contraire ! Je vais te donner une image : tu t’assois à une table de poker et à chaque tour, je dis bien à chaque tour, tu sors une quinte flush. C’est de cette facilité dont il s’agit. Tu as toutes les cartes en main. Si ton concurrent sort aussi une quinte flush, alors tu sors une quinte flush royale. C’est aussi simple que ça !

             — Aujourd’hui, ce serait plus compliqué...

             — Pourquoi donc ?

             — À cause de Pokey LaFarge ! Lui, c’est un carré d’as !

     

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             Sorti de nulle part, c’est-à-dire de Saint-Louis, Missouri, Pokey LaFarge exerce sur les gens une étrange fascination. Cet anti-Elvis au physique assez ingrat sort tout droit des gravures de mode américaines des années quarante. Son visage se caractérise par un dessin d’yeux tombant sous les tempes, et une bouche peu avenante que vient tordre une moue décadente. Il porte souvent un petit chapeau d’Américain moyen posé de travers sur le sommet du crâne, une cravate ou un nœud pap, et il gratte bien sûr de grosses grattes datant de Mathusalem. On l’a vu une première fois sur scène en 2015, accompagné d’un solide orchestre de vétérans de toutes les guerres confédérées, mais pour une raison x, ça ne marchait pas. On s’ennuyait rapidement. Il se montrait pourtant vivace, il posait bien sa voix sur des riches fouillis d’orchestration, ça banjotait et ça violonnait sec, mais ce qu’il véhiculait scéniquement nous passait largement au-dessus de la tête, comme d’ailleurs toute cette culture rootsy rootsah à laquelle nous ne comprendrons jamais rien, à moins d’être né à Nashville ou dans le Kentucky.

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             Huit ans plus tard, il fait un retour spectaculaire en Normandie. Il est tout prune, costard et gratte, il a rapetissé d’au moins trente centimètres depuis la dernière fois. Il arrive sur scène, se branche et boom ! Choc visuel immédiat ! Nouvelle approche d’un vieux mythe : celui de la rock’n’roll star. Le petit Pokey a tout pigé, il entre dans le set au raw de «Get It ‘Fore It’s Gone», il danse derrière son micro, il court sur place, il joue des jambes et fout le feu aux imaginaires.

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    Il est petit mais branché sur 100 000 volts, comme dirait Jo l’électricien, wild as fuck, comme dirait un cat Zengler en panne de vocabulaire, en attendant, tu en prends plein des mirettes, même les rockabs présents dans la salle sont sidérés - On voit que c’est des Américains, dit Dédé, c’est tout de suite en place ! - T’auras jamais plus d’en place qu’avec ce coup de Pokey en costard prune. Il fout une pression terrible, avec la classe hallucinante d’un petit homme qui ressemble à s’y méprendre à Buster Keaton.

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    Il chante en chef de meute, il hérite de tout le power du showbiz des Amériques, il devient pour un heure le maître du monde, un real deal à deux pattes. Pendant ce «Get It ‘Fore It’s Gone», on goûte à l’éclat du rock’n’roll, tel que l’ont inventé les pionniers dans les mid-fifties. Plus carré, plus brillant, plus classieux, ça n’existe pas. Il est petit, mais il sonne comme un géant. Il sait qu’il est bon, alors il génuflexe à tire-larigot. Un vrai carré d’as. Voix, compo, présence, tout est parfait.

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    Et attention, il est bien accompagné : Buffalo Bill à la stand-up, un barbu gratte ses poux et joue parfois de la trompette, et deux autres mecs complètent le backing : un jeune keyboardist et un beurreman de jazz robotique. Un seul cut, et tu n’en peux déjà plus, tu suffoques presque d’extase. Il enchaîne avec le «Rotterdam» et le «Fine To Me» de son dernier album et repart en mode killah kill kill avec l’«End Of The Rope» tiré de Rock Bottom Rhapsody. Il tire aussi «Yo Yo» et «Killing Time» de son dernier album, l’excellentissime In The Blossom Of Their Shade. Il n’hésite pas à claquer la valse macabre de «Fallen Angel» et le round midnite de «Lucky Sometimes».

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    Vers la fin du set, il fait monter une ravissante blondinette et en rappel, il envoûte toute la salle avec le closing-cut de Rhapsody, «Goodnight Goodbye (Hope Not Forever)», l’absolue huitième merveille du monde. Quand un mec t’enchante de la sorte pendant une heure, avec un final aussi magique, tu sais que tu viens d’assister au show d’une superstar, mais attention, pas d’une superstar à la mormoille, comme les fabriquent les médias, une authentique superstar, au sens où on l’entend artistiquement.

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             Une chose est certaine : les albums du coup de Pokey accrochent bien. Pokey serait donc plus un artiste de studio qu’une bête de scène. Pour s’en convaincre, il suffit de dénicher River Boat Soul paru en 2009. Au dos de la pochette, on découvre la photo de l’un de ces majestueux bateaux à roues à aubes du Mississippi. Et très vite, ce disque sonne comme la bande-son des aventures d’Huckleberry Finn. «La La Blues», c’est de la pure Americana, admirablement enlevée et tartinée d’harmo, et du meilleur. Quelle énergie et quelle classe ! Pokey ouvre la porte sur tout un monde, celui de l’Amérique d’AVANT cette fucking country music. Avec «Claude Jones», il passe carrément à la pompe manouche. Eh oui, Pokey va loin dans le fouillé des racines. C’est un rootseur de choc, du même calibre que Taj Mahal. Ce petit bonhomme est un touche-à-tout de génie. Sur disque, il est aussi infernal. Il revient au swing manouche avec «Hard Times Gone And Go». Ces mecs pourraient presque sonner comme Tchavolo Schmitt. On va aussi s’effarer de la mise en place de «Two Faced Tom», un cut bardé de coups d’harmo à la Dylan - Oh two faced Tom ! - Pokey traite la chose façon gospel. Il développe une véritable énergie de gospel blanc. Back to the manouche swing avec «You Don’t Want Me», extraordinaire d’agilité et là, Pokey nous ramène à l’embarcadère, c’est-à-dire à la Nouvelle Orleans. Il reste dans cette atmosphère fiévreuse pour «In The Graveyard Now». Un violon suit la cavalcade effrénée - He’s in the jailhouse now - Puis il attaque «Migraines And Heartpains» d’une voix de bas de menton et ça se met à banjoter. Et soudain, il attaque un solo à la Django. Évidemment, ces mecs font ce qu’ils veulent, ils naviguent à un très haut niveau et ils s’amusent tellement qu’ils lâchent une deuxième fournée. Pokey reste dans la pure Américana avec «Old Black Dog» et se révèle une fois encore agile et fiévreux. Il termine ce bel album avec un clin d’œil à Dylan qui avait aussi à ses débuts un petit côté Huckleberry Finn. «Daffodil Blues» est aussi une authentique merveille dylanesque. Pokey renoue avec l’esprit folky des grands horizons et sonne comme une sorte de messie condamné aux ténèbres de l’underground.   

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             Middle Of Everywhere sort en 2011. Voilà encore un album énorme. Si on aime la pure Americana, alors il faut écouter «River Rock Bottom», un slow jive de groove des années trente. Pokey est une sorte de magicien itinérant, en tous les cas, il sait créer les conditions de la magie. Quand on l’écoute, c’est un peu comme si on écoutait chanter son meilleur ami, c’est-à-dire son frère de sang, accompagné par des manouches, au pied des marches de la roulotte. Il est aussi dans le vieux groove des années trente pour «So Long Honeybee Goodbye». Il y passe un solo à la Django. Pokey et son orchestre jouent comme des dieux de fête foraine. Ils se permettent toutes les virtuosités. Ils swinguent leur truc jusqu’à l’oss de l’ass. Avec ce disque, on va de choc en choc, ces mecs sont beaucoup trop doués, comme on peut le constater à l’écoute d’«Ain’t The Same». Ils incarnent l’Americana mieux que personne. Sous son petit chapeau, Pokey chante comme un cake. C’est joué à la guitare claire. Pokey et ses amis sortent une vraie tambouille d’oreille fine grattée au banjo et râpée à l’harmo. On croit rêver. On frise l’overdose avec «Head To Toe», swingué au jump de jug des années trente. Et ça joue comme au temps de Django. Pokey sait aussi chanter le groove de charme. Avec sa voix, il peut vraiment tout se permettre. Il sonne comme un roi de bastringue, une sorte de Valentin le Désossé de bord du fleuve. Wow, quelle voix ! Et surtout quelle classe ! Il démarre «Shenandoah River» au gros strumming de rêve. Ça gratte dans la roulotte et c’est un peu comme si Pokey réinventait tout un tas de mythes, mais avec le swing. On tombe fatalement sous son charme. Pokey Lafarge & the South City Three pourraient bien être les meilleurs swingers d’Amérique. Retour à la Nouvelle Orleans avec «Keep Your Hands Off My Girl». Il sort le meilleur groove de trompettes traînardes qui se puisse imaginer ici bas. Pokey t’estomaque.

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             Il sort Pokey LaFarge en 2013 sur le label de l’autre frimeur installé à Nashville, Jack White. Par miracle, White ne joue pas sur l’album. Ouf ! On l’a échappé belle. Un spectaculaire portrait de Pokey orne la pochette de l’album. On croirait presque voir un portrait de Modigliani, tant l’équilibre des traits et des masses de couleur est parfait. Une véritable perle se niche sur cet album : «Kentucky Mae». Pokey nous chante ça à la gorge chaude. Il connaît toutes les ficelles du kitsch américain. Il tartine ça à la perfe. Il pourrait prétendre au trône de Cosmic American King. Ses disques emportent la bouche aussi sûrement que le piment de Cayenne, celui qu’on achète sur la Place du Coq. Il attaque cet album avec «Central Time», un jumpy jumpah d’Oumpapah. C’est admirable de swing et de légèreté. Il se pose sur la pompe du Wyoming pour soloter et joue des retours charmants et dignes des géants du swing. Nouveau coup de Jarnac avec «The Devil Ain’t Lazy», car on y entend un solo à la Django. En règle générale, ils s’arrangent pour rester dans le bon vieux swing de jug-band des années trente qu’ils dopent à la pompe manouche. Le petit Pokey recasse la baraque avec «Won‘tcha Please Don’t Do It», véritable carcasse de swing du Midwest. Il nous ramène à la Nouvelle Orleans avec «Day After Day», le son est plein, mais on ne retrouve pas le niveau de fouillis des enregistrements de Cosimo Matassa. Il chante ça du gras de la voix et ça joue à la Django, évidemment. Comme Tav Falco, Pokey s’intéresse au mambo. La preuve ? «Close The Door». Il termine ce bel album avec «Home Away From Home», une extraordinaire talking-song chargée de nostalgie - I’m following the ghost of Clifford Hayes/ On down to Carpet Alley where his jug band played - Fantastique. 

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             Sur la pochette de Something In The Water, il est assis à une table. Derrière lui, se tiennent deux femmes : une mégère en bigoudis et une bonniche quasiment à poil sous son tablier. Elle apporte à manger. Deux fabuleux clins d’yeux à Dylan se nichent sur cet album. À commencer par «Cairo Illinois». D’évidence, Pokey pourrait passer pour le nouveau troubadour de la fameuse Cosmic Americana. C’est vrai qu’il est moins beau que Gram Parsons, mais il est terriblement doué. Il sonne comme Dylan en 1965, il a tous les réflexes, comme par exemple la grosse envergure des retours de couplets et les riches coups d’harmo. Même chose pour «Achin’ A Fool», jolie pièce de jump sautillé au beat des Appalaches, et ça joue de la basse acou comme chez Hayseed Dixie. On note une fois de plus le grand retour des énergies fondamentales. Pokey chante du nez comme Dylan, avec la même niaque de verve verte. L’autre gros cut du disque est «When Did You Leave Heaven», un folk-blues chanté avec tout le feeling du monde. Ce mec ne se fout pas de la gueule des gens. Il sort un fabuleux groove de guitare à la ramasse et chante avec tout le luxe des années trente. Pokey LaFarge a choisi la voie de l’inclassabilité des choses. C’est bien. Il a raison. De nos jours, les foules semblent vouloir se tourner vers ce genre d’artiste. Typic atypic Cryptic ? Vous en aurez pour votre argent. Il chante son morceau titre d’une voix de canard particulièrement ingrate. Non seulement ce mec a une gueule d’empeigne, mais il chante en plus avec un côté Mickey Rooney assez éprouvant pour les nerfs. Par contre, «All Night Long» est vraiment digne des bastringues de Kansas City - Kansas City here I come - C’est joué au meilleur swing de jug d’Amérique. Et Pokey sort un final de pur New Orleans ! Il ramène ensuite les castagnettes pour «Goodbye Barcelona». Il se prend une fois encore pour Tav Falco et il a raison, car cette merveilleuse rumba d’alcoolique vaut le détour. Il joue «Far Away» à la finesse extrême et revient au pur New Orleans avec «Knockin’ The Dust Off». Il ramène sa gueule d’empeigne dans le spotlight et swingue comme un démon. 

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             Bon an mal an, Manic Revelations reste un bon album. Pour au moins trois raisons. La première est le cut d’ouverture de bal, «Riot In The Streets», vite embarqué au slap et propulsé par la caisse claire. Pokey tape des entrées de jeu superbes, c’est un artiste qui sait rafler une mise, son cut regorge de vie et de streets tonite. La deuxième raison s’appelle «Bad Dreams». On peut même parler de raison impérative, car quel coup de Jarnac ! Il chante aux dents de lapin, il fait son sucre sur le dos d’une belle mélodie, et ça devient littéralement énorme. Oui, Pokey LaFarge a du génie. La troisième raison d’appelle «Silent Movie», il chante ça d’une voix de rêve, au heavy charm, il groove son balladif et ramène son petit sucre à bon escient. Pokey forever ! Le reste de l’album est un mélange de petite pop transverse («Must Be The Reason» qu’il chante d’une voix de canard, pas de problème Pokey, on adore Donald Duck), de swing («Better Man Than Me»). Il travaille certaines compos aux brisures de rythme («Mother Narure»). C’est passionnant. Il lui arrive même de faire une pop qui ne sert à rien, comme chez Tom Petty, avec un léger accent cajun. Son «Going To The Country» est plus sexy, plus weird, plus inutile, plus connoté, plus nowhere out. De tout façon, on l’admire. Impossible de faire autrement.  

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             Sur la pochette de Rock Bottom Rhapsody, il fait son Tav Falco et costard blanc et danse avec un squelette. Attention, ce Rhapsody est un fuckin’ great album. Pokey est tout de suite on the beat avec «End Of My Rope», l’un des cuts du set sur scène. Et puis il passe au heavy beat merveilleusement plombé avec «Fuck Me Up», pas de problème, il te fuck up vite fait bien fait. Il chante ça à la petite bouillasse de LaFarge. Il fait des mélanges déments, après le fuck up, il tape dans le swing des années antérieures avec «Bluebird», puis il plonge dans le round midnite de voix de canard avec «Lucky Sometimes» - Even bums get lucky sometimes - Pas de doute, Pokey est un artiste complet. Il faut être confronté à son heayy jazz pour bien le comprendre. Il l’ose sur scène. Il dégage un truc sur chaque cut, même ses balladifs de rêve à la Fred Neil t’accrochent, comme ce «Just The Same». Il amène une valse à trois temps avec «Fallen Angel», ça marche à tous les coups. Sa niaque vocale n’en finit plus de te surprendre, il joue bien de sa voix puissante et perçante de petit garçon. Et puis voilà un nouveau coup de génie, «Storm A-Comin’». Il le prend au straight ahead et le monte en neige - There’s a storm a-comin’/ The temperature’s dropping - Ce petit homme est un héros, il est encore plus groovy que Tav Falco. Il propose un mélange intense qui le rend profondément attachant. Quand tu écoutes «Ain’t Coming Home», tu sais que tu écoutes chanter une authentique star américaine. Pokey construit tous ses cuts comme des cathédrales. Il a ce pouvoir. Il adore traînasser dans les grooves de vieilles valses incertaines. Il est éclairé de l’intérieur.

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             Et voilà In The Blossom Of Their Shade, le dernier album en date de Pokey. «Get It ‘Fore It’s Gone» ouvre à la fois le bal et le set sur scène. Fantastique swagger, power et gaz à tous les étages en montant chez Pokey. Il tape un beat de ‘Fore inconnu et puissant, il négocie son virage de génie sur un beat de bois verni, ce mec a trouvé la voie de l’hey hey hey. Le coup de Pokey est à la fois indéfinissable et excitant, à l’image de la pochette, où il danse un pas de deux avec ses faux airs de Buster Keaton. On retrouve plus loin le «Rotterdam» qu’il joue sur scène en mode fast valse. Comme Bowie, Pokey crée son monde. Il prend «Drink Of You» à la fantastique insistance, il te rentre sous la peau, il yodelle et devient indéniable. Avec «Fine To Me», il bascule dans une espèce d’exotica de la playa, il y va franco de port, au big sound. Même s’il groove son Fine To Me, on perd le génie de Get It ‘Fore. Son truc, c’est de mélanger les mélasses, il aime les valses incertaines et les effluves d’exotica rétro. Comme Tav Falco, il flirte avec le tango argentin («To Love Or Be Alone») et sait créer de l’ambiance. C’est un tentateur. L’Americana de wanna go home qu’il distille dans «Long For The Heaven I Seek» te monte droit au cerveau, d’autant plus massivement qu’on y entend le souffle du gospel, aw Lawd take me home ! Et puis voilà la cerise sur le gâtö : «Goodnight Goodbye (Hope Not Forever)», magnifique chanson d’adieu. Il est presque aphone, sur scène comme dans l’album, il n’a plus de voix - You’re the last face I see - Il embobine sa mélodie et nous avec, il chante aux dents de lapin, il t’ensorcelle et t’encorbelle, il t’emmène au somment de l’American songbook et d’une certaine façon, il vise, sans le savoir, l’intemporalité.

    Signé : Cazengler, Pokémon

    Pokey LaFarge. Place Barthélemy. Rouen (76). 30 mai 2015

    Pokey LaFarge. Le 106. Rouen (76). 28 avril 2023

    Pokey LaFarge & The South City Three. River Boat Soul. Free Dirt Records 2009

    Pokey LaFarge & The South City Three. Middle of Everywhere. Free Dirt Records 2011

    Pokey LaFarge. Pokey LaFarge. Third Man Records 2013

    Pokey LaFarge. Something In The Water. Rounder Records 2015

    Pokey Lafarge. Manic Revelations. Rounder Records

    Pokey Lafarge. Rock Bottom Rhapsody. New West Records 2020

    Pokey Lafarge. In The Blossom Of Their Shade. New West Records 2021

     

     

    Inside the goldmine

    - Swamp Rats d’égout

     

             S’il fallait cataloguer Bato, ce ne serait pas facile. D’abord parce qu’il faisait partie des gros clients de l’agence. Il dirigeait une énorme structure de formation et avait par conséquent d’énormes besoins managériaux. Mais il était surtout un homme d’esprit, un amateur de bons vins, de grands auteurs et d’expositions. Un lundi matin, en réunion de travail, il préféra nous parler de James Ensor plutôt que du dossier pour lequel nous étions convoqués. Il ne tarissait plus d’éloges sur cette toile d’Ensor qui s’appelle Vive la Sociale, il nous décrivait de mémoire toutes les trognes qu’y avait barbouillées Ensor, les têtes de mort, les masques figés à la Otto Dix, les pierrots fardés sortis tout droit des Enfants Du Paradis, son discours grondait comme un orage sur l’océan. Il levait les bras au ciel et sortait son mouchoir de temps à autre pour s’éponger le front. Bato était un homme assez haut, très brun, il portait des lunettes à grosses montures d’écaille et avait dans le regard cette malice à la Claude Chabrol. Le moindre rendez-vous de travail était prétexte à aller déjeuner dans les meilleurs restaurants du quartier et partout, il disait à la fin du repas : «Mettez ça sur mon compte !». Il n’accepta de notre part qu’une seule fois une invitation à dîner, parce qu’il s’agissait d’un lieu chargé d’histoire qu’il ne connaissait pas : la maison Fournaise sur l’île des Impressionnistes. Un habile promoteur avait réussi à transformer ce lieu historique en restaurant quatre étoiles. C’est sur là, sur ce balcon, qu’Auguste Renoir peignit Le Déjeuner Des Canotiers. Après un repas bien arrosé, nous allâmes marcher eu bord de Seine et Bato voulut grimper dans une barque, en souvenir de Guy de Maupassant. L’auteur de Boule de Suif venait là dimanche, à la belle saison, pour y culbuter des femmes de joie et pratiquer l’aviron. Nous trouvâmes des canoës un peu plus loin et partîmes au fil de l’eau. Bato pagayait comme un beau diable. Il rigolait et citait Maupassant dans le texte. Le grand air et le vin aidant, il se sentait pousser des ailes. Il se leva et, les bras au ciel, déclama la première phrase de Boule de Suif : «Petite, ronde de partout, grasse à lard, avec des doigts bouffis...» Il perdit l’équilibre, plouf ! Il coula à pic, emporté par le courant. On fit des recherches, mais les plongeurs ne retrouvèrent pas son corps. Nous sommes depuis persuadés qu’il a profité de l’incident pour disparaître.

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              Comme Maupassant avant lui, Bato a sûrement croisé les ragondins, qui sont des cousins éloignés (par la distance) des Swamp Rats. Ah les Swamp Rats de Pittsburg, quelle histoire ! Un seul album, une compile de leurs singles, Disco Still Sucks, mais quelle compile ! On peut même parler d’album légendaire. Et quelle légende ! Hocko et Bato même combat ! Deux candidats à la postérité, mais la postérité underground, la plus intéressante. Ils n’ont pourtant pas grand-chose à nous laisser, le Swamp Rats, juste trois cuts, la version la plus incendiaire de «Louie Louie», un «It’s Not Easy» tout aussi mal barré, et une version de «Psycho» qui fait trembler les murs de la ville, aussi sûrement que celle des Sonics. Bob Hocko attaque son «Louie Louie» avec un woaaahhhh d’antho à Toto - Gotta go now - Ils sont les shouters les plus wild du Wild West, ooooh no ! Une vraie volonté de trasherie, ils désaillent jusqu’à plus soif, aw noooo, Hocko fait son caveman, ses copains grattent leur va-tout et jettent leurs poux dans la balance. Ils finissent par tout foutre en l’air, la balance avec. Woaaahhh ! Ces mecs sont des ultraïstes de la fondamentalité des choses, des tenants de l’aboutissant du cavisme purulent, ils ne grattent pas des poux mais du pus, le pur pus purpirun d’«Hey Freak», le pus du rock humide des caves qui font peur. Ils font un «Hey Joe» bordélique, tellement bordélique qu’il est emmené par son propre poids, éperdu de vitesse et de mauvaise électricité. Ils bouclent l’A avec le wild gaga fin et racé d’«It’s Not Easy», admirablement taillé pour la route, joué sous un certain boisseau du swamp. Les Swamp Rats prennent tous les risques, à vouloir sonner comme des rats.

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             Ils attaquent leur B avec «No Friend Of Mine» qu’Hocko chante à l’éperdue délibérée, ce mec a du génie plein la bouche et une belle langue de fuzz lèche le cul du cut. Quelle version ! Ils rendent hommage aux Kinks avec «Till The End Of The Day» et détrônent les Blues Magoos avec leur cover de «Tobacco Road». Bien joué les gars, les rats bouffent les Magoos tout crus. Belle version délirante avec un gros pont de la rivière Kwai. Ils terminent avec une version complètement électrocutée de «Psycho». C’est encore autre chose que les Sonics, ça grésille à outrance. On n’avait encore jamais entendu un truc pareil, un tel parasitage du son, et tu as de démon d’Hocko qui hurle dans la tempête.

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             Dans les liners qui accompagnent le Disco Still Sucks paru sur Get Hip, Doug Sheppard parle de «snarling with fuzz guitar», de «demolition derby with crashing cars», mais on apprend que c’est Dave Gannon qui chante «Louie Louie», et non Hocko, même si nous dit Sheppard, Hocko est dans le studio au moment de l’enregistrement. Mais c’est bien Hocko qui screame le «Psycho» des Sonics qu’on va d’ailleurs retrouver sur le Back From The Grave Volume 1. Mais Hocko n’aime pas sa version : «It was too much screaming.» Hocko dit aussi que le son des Rats préfigurait de deux ans celui des Stooges et du MC5, eh oui, leurs singles datent de 1966. Seuls les Napoleon Wars qui se déguisaient comme Paul Revere & The Raiders sonnaient comme les Rats. En 1967, les Rats sortent leur troisième single, «No Friend of Mine»/«It’s Not Easy». Shalako : «We played through Super Beatle amplifiers.» Ils sont repris en mains en 1967 par un certain Censi et c’est la fin des haricots, car Censi leur demande de changer de son et d’image. What ?

    Signé : Cazengler, raté (et fier de l’être)

    Swamp Rats. Disco Still Sucks. Get Hip Recordings 2003

     

    *

    Vous avez eu Marlow Rider en clip, vous avez eu Marlow Rider en concert, et maintenant voici Marlow Rider en CD, mais où s’arrêteront-ils ?

    CRYPTOGENESE

    MARLOW RIDER

    ( CD / Bullit 16 / Mai 2023 )

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    ( Tony Marlow & Seb le Bison )

    Ce n’est pas que ce CD bénéficie d’une belle pochette, c’est qu’il est un superbe artefact rock n’roll, dû à Tristam De4 et Seb le Bison. Ah, ces lignes mouvantes jaune girafe et fauve fatidique qui vous stroboscopent le regard, avec au cœur de cette spirale infernale, la trombine de nos trois riders, stylisés par Tristam, statufiés en bustes profilés d’empereurs romains, du grand art !

    Ouvrez le gatefold, belle photo de Tony, ne perdez pas votre temps à l’admirer, vous en oublieriez jusqu’au sens du titre de cet album, modestement tracé au bas de la couve, ce beau portrait cache plus qu’il ne dévoile, faut l’ôter pour lire le texte qui nous explique le sens du titre Cryptogenèse. Tony se livre, à cœur ouvert, à cœur saignant, les années de formation et d’apprentissage, celles qui fondent la construction d’une vie d’homme et de rocker, avis à la population, Tony nous a déjà donné de bons albums mais celui-ci est à écouter comme le plus personnel, retour vers le passé, voyage au cœur de la fusion originelle, sans laquelle rien n’aurait eu lieu, ces moments décisionnels où l’être humain forge avec le marteau de sa volonté sur l’enclume du donné historial l’orichalque de sa destinée… Les lyrics révélés dans le livret ne sont pas des paroles vides de sens, mais pleines de sang.

    Fermez le gatefold, les bustes de nos trois riders ne sont plus que des ombres indistinctes, mouvantes, happées par le tourbillon stroboscopique du cycle de la vie qui recycle et redistribue nos atomes sur la partition du vivant, l’important est d’avoir été, d’avoir laissé une trace existentielle, comme par exemple, à l’intérieur, cette photo du groupe en pleine action, témoignage exclusif d’une existence vouée à la musique.

    Ne nous reste plus qu’à écouter cette galette spiralique, ce pemmicam électrique indispensable à notre survie.

    Tony Marlow : chant, guitare / Amine Leroy : contrebasse, chœurs / Fred Kolinski : batterie, percussions, choeurs

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    Hard drivin’ Rock’n’roll : un rock’n’roll, un simple morceau de rock’n’roll, que voulez-vous de plus ? Rien ! Que voulez-vous de moins ? Rien ! Marlow agite l’étamine pourpre du rock’n’roll d’entrée de jeu, précision historiale c’est Kolinski qui lance la cavalcade,  y va franc du collier,  le Marlou se hâte d’y ajouter le tranchant de sa voix, et c’est parti pour la fracturation de vos oreilles, z’ont le son idoine des pivoines épanouies, tout y est, les tambourinades effrénées, les ruptures rythmiques au millionième de seconde près, les reprises catapultées par la contrebasse survoltée d’Amine qui cogne comme le bélier sur les portes de la forteresse, le solo de guitare qui tue, l’entre-deux basse-batterie, et surtout cette envie d’être ensemble de jouer chacun son rôle selon une sublimation collective, Marlow chante cette vie de galérien du rock’n’roll qui n’abandonnerait pas sa place sur la nef partie à la conquête de la toison d’or. Le rock’n’roll n’est-il pas une musique orphique. Doctor Spike : l’autre face du rock ‘n’ roll, la noire, mais un noir de pures brillances, la musique plus lourde, elle cogne certes, mais qui est le sparring partner, un solo de guitare qui remet les proses pas roses en place, le groupe appuie où ça fait mal. Les beaux sourires avec les canines qui dépassent, ceux qui vous vendent du rêve, un shuffle imparable qui détruit les vitre miroitantes des illusions qui ne sont que des ombres noires. Sunshine of your love : reprise du vieil hymne solaire – missile sol-air – de Cream, que serait le rock’n’roll sans cet art hommagial, risqué et parfois iconoclaste de la reprise, les Riders s’y collent sans peur et sans reproche, gros challenge pour la contrebasse d’Amine qui délivre arcs-boutants et contreforts d’une solidité à toute épreuve, Fred n’a peur de rien, là où Ginger Baker se livre à un festival chipoteur d’un déluge de tapotements, il a choisi de marier tonnerre et résonnance, le Marlou dégaine sa voix et son jeu de guitare s’apparente à un  jeu de sabre, les Riders privilégient l’impact offensif à la subtilité éclatante de Cream. Pari tenu. Libertad : l’opus nous réserve bien des changements, l’on change pour ainsi dire d’hémisphère, du rock classique l’on passe à quelque chose de plus chaud, mais aussi brûlant, à la Santana, à option révolutionnaire, des paroles sans équivoque politique qui n’occultent en rien la dimension instrumentale du morceau, un régal, une fête une libération énergétique, une belle casserolade kolinskile, une bronca échevelée de big mama aminique et la guitare du Marlou qui tire à balles traçantes réelles. Highway chile : s’attaquer à Hendrix, quelle folie, suis allé réécouter Are you experienced, si novateur à l’époque mais qui aujourd’hui révèle l’évidence de son implantation originelle dans la séminalité du blues-rock dont il procède en droite ligne… : du coup la guitare de Marlow paraît sonner plus moderne, un prodigieux guitariste le Marlou, l’a tout assimilé et l’en a fait son miel, vous le recrache à sa manière, l’est méchamment accompagné par ses deux camarades, la voix mixée en avant et la guitare qui crie, une espèce d’exercice de style à la Queneau, mais ici à la manière indubitablement personnelle de Marlow. Javarock : non ce n’est ni la javableue ni la javablues, pas non plus la revendication identitaire nationaliste, simplement pour notre guitariste le désir de s’inscrire dans l’ici et maintenant mondain de son implantation géographique et historiale : Au titre précédent vous aviez  une reprise hendixienne, sur cet instrumental du pur Marlow créatif. Prière toutefois de ne pas faire l’impasse sur les deux autres Riders. Un morceau que je comparerais à ces échelles à saumons que l’on installe sur les barrages, le principe est simple, plus vous progressez plus ça devient dangereux, à chaque étage sa difficulté mais il faut aussi développer une force cinétique ascensionnelle de plus en plus rapide. Quant à Amine et Fred ils sont là pour les transitions, mais ils allongent et rehaussent les oxers, le Marlou n’esquive pas l’obstacle et s’en tire comme un chef. Le grand voyage : c’est celui qui relate l’arrivée du tout jeune Marlou en Corse, c’est aussi la traversée océanique qui sépare le rock américano-saxon du rock français, sur cette seconde partie de la galette Marlow chante en français, une gageure, un moteur d’avion sur laquelle se greffe un shuffle bluesy, non ce n’est pas triste, juste un acte initiatique qui sépare la vie en deux comme une pomme et si maintenant la guitare hennit c’est que la vie vous tend la moitié la plus juteuse. Pielza Eden : déjà plus rock, la batterie mène le bal, chant triomphal, guitare sarabande, joie sauvage, la sève qui monte, Fred est à la fête, le jeune Marlow découvre la joie de vivre, l’est déjà sur la route, pratiquement encore intérieure, mais sa boussole indique la bonne direction. Musique ou rien. De bruit et de fureur : son électrique, le rat des champs idylliques est devenu un cat des villes trépidantes, le décor change, la bande-son aussi, toute l’énergie de la jeunesse, la guitare gronde et la voix se creuse, seventy rock, l’outrance et la violence, la vie est un combat. Eclectic : pas électric si l’on en juge par l’intro très jazzy, la big mama d’Amine flirte avec les cymbales de Fred, l’on vire dans le funk, sur la piste de danse la guitare du Marlou se lance dans un cent mètres nage libre. Des chœurs de poids-lourds vous télescopent. Pas grave, la voix de Marlou mène la danse jusqu’au bout de la nuit. Comme un cran d’arrêt : un vent qui siffle, guitare espagnole, c’est l’heure de l’estocade, mots de haine et de dépits, voix coupante comme un cran d’arrêt, un sacré remue-ménage, chagrin d’amour, poison toujours, batterie maracas, épileptique à tous les coups l’on perd, à tous les coups l’on saigne, grand bazar des illusions perdues, un foutu bordel sonore. Le temps efface les blessures : le slow sixties que l’on espérait sans plus y croire, mi-figue, mi-raisin, chagrin d’amour ne dure qu’un jour, la guitare grince et griffe, pire que la souffrance, pire que la mort, l’indifférence apportée par la neige du temps qui recouvre tout. Désespoir absolu.

    Cette face B est à écouter comme un opéra rock. Elle forme un tout, un peu comme l’envers du décor de la brillance éruptive des six premiers morceaux. Le rock envers et contre tout, le rock jusqu’à l’amertume, que l’on assume, dont on ne regrette rien. L’acceptation de la sagesse n’est-elle pas une autre forme de la folie… Very rock’n’roll.

             Un disque de Tony Marlow. Non, un grand disque.

    Damie Chad.

     

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    Dans notre livraison 534 du 16 / 12 / 2021, nous chroniquions les deux premiers opus du groupe polonais Moonstone, respectivement parus en décembre 2019 et décembre 2021, nous n’avons pas été vigilant Moonstone a aussi sorti un album en décembre 2022, nous nous hâtons de le chroniquer, pour ce 17 mai 2023, Moonstone n’annonce-t-il pas la sortie d’un nouvel album.  

    SEASONS

    MOONSTONE

    ( Live EP / 2022 )

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    Depuis la pochette l’œil lunaire ne vous regarde pas. Sans doute a-t-il mieux à faire. D’ailleurs pourquoi s’intéresserait-il à vous, le mériteriez-vous par hasard ? ! L’est sûr que les étranges architecturales façades de falaises qu’il inspecte, à la manière d’un inquisitorial projecteur, sont plus captivantes que votre modeste et inutile personne. L’on ne sait pourquoi mais il est impossible de ne pas penser à L’aiguille Creuse de Maurice Leblanc qui écrivit de si obscurs romans… Ces parois verticales qui plongent leurs soubassements dans la mer offrent sur leurs frontons de bien étranges signes, une espèce d’alphabet cyclopéen indéchiffrable.

    L’artwork est de  Daria Prystupa. J’ai voulu en savoir plus, via son FB je suis arrivé sur son instagram hariyoshi_tattoo, à visiter, une artiste, tout ce qu’elle représente est nimbé d’une aura vénéneuse, des motifs mille fois revisités par des centaines de tatoueurs, auxquels elle donne une autre dimension, une aura qui n’appartient qu’à elle, ces encres sont celles dans lesquelles Baudelaire a trempé sa plume pour écrire Les fleurs du mal. Méfiez-vous de ses serpents, ils vous mordront l’âme et instilleront en vous un venin délicieux. Daria vit en Ukraine à Lviv, nous lui transmettons toute notre sympathie.

    Jan Maniewski : guitar, vocal / Volodymyr Lyashenko : guitar / Viktor Kozak : basse, vocal / Kacper Kubieri : drums.

    Nous invitons le lecteur à se reporter à la chaîne YT de Moonstone. Vous y trouverez plusieurs longues vidéos de différents gigs du groupe. Cet EP est un peu comme une carte d’invitation à vous rendre sur ces diverses expérimentations. Il est constitué de quatre morceaux enregistrés live. Le premier et le troisième sont des titres de leur premier album Moonstone et le deuxième de 1904.

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    Mushroom King : c’est comme les quatre saisons de Vivaldi mais en beaucoup mieux, ça agit immédiatement sans préavis, le tubercule d’un champignon mexicain géant s’installe instantanément dans votre cerveau, l’amanite phalloïde du rêve vous envahit, l’extase oronge vous ronge, la mer verte est ouverte, laissez-vous emporter par la houle des aventures intérieures, un sas de compression et la navigation commence, la lumière des étoiles klaxonne dans la nuit, par intermittence, stridences de guitares et grasses sargasses de basse, la batterie roule et tourneboule, effluves de contrées inconnues se mêlent à vos narines, sortilèges sonores, une large voix méditative vous pousse et vous emporte vers des courants plus violents, jamais vous n’auriez pensé que sur le fleuve de la mort paisible votre barque funéraire glisserait si vite… Spores : delta de basse, le fleuve se sépare mais ses deux bras sont aussi larges et si vous empruntez celui de droite vous naviguez en même temps sur le deuxième, la vie et la  morts ne sont qu’une seule et même chose, chacune se nourrit de l’autre, notes graves et batterie funéraire, qu’importe vous n’êtes que sur le verso de votre existence, un guitare se plante dans votre oreille, elle vous aide à revenir sur le recto de votre présence, la voix énonce la cruelle réalité de la fulgurance vitale, tout est noir, tout est sombre, votre mort s’empare de l’univers, elle noircit des millions de pages, le monde entier s’effondre en vous, rien de plus terrible ne saurait subvenir, point d’orgue, point final, tout peut recommencer, le roi est mort, vive le roi et vive la mort, il est difficile de comprendre le message, de lentes rafales de notes tombent en pluies maintenant diluviennes sur les vitres de votre conscience, la matière germine, les électrons se poussent et s’entrechoquent, c’est la danse, la sarabande des neutralités qui s’éveillent, un raz de marée dévastateur, la nature se mange elle-même, elle cannibalise sa propre substance et vous dévore anthropophagiquement, c’est le grand charivari des mouvements internes qui s’entrechoquent, une longue montée paroxystique et l’on entend des pas de velours d’un cadavre qui se lève et marche doucement dans la nuit de l’aube pour que personne ne le remarque.

    SulphurEye : l’œil de soufre était dans la tombe et vous regardait. L’Inquisiteur, celui qui ne vous a jamais quitté du regard même quand il regardait ailleurs, musique forte, trop forte pour que vous puissiez lui échapper, elle vrille comme des poignards que l’on vous enfonce dans les yeux, il a suivi tous vos actes et pire que cela il était aussi en vous et visionnait le film de vos pensées les plus secrètes que vous dérouliez comme une araignée qui tisserait la toile de son propre piège, rien ne lui a échappé, des barres musicales vous encagent, vous ne sauriez fuir, tout se ligue contre vous, maintenant vous savez que vous êtes vous et que vous êtes aussi l’œil de soufre qui vous épie, jamais vous n’échapperez à vous-même et encore moins au néant de votre inanité. L’univers n’est plus qu’un rideau mortuaire, le linceul dans lequel s’enveloppe le roi que vous avez été. Jamais vous n’échapperez à cet océan musical mugissant qui vous ensevelit. The day after : évidemment il n’est aucune séparation entre ces quatre morceaux, tout se tient le serpent de la mort tient dans sa gueule la queue du serpent de la mort, le jour d’après n’est que le jour précédent, harmoniques orientalisantes de guitares, la batterie bat ses silex rythmiques les uns contre les autres pour que naisse bientôt une étincelle capable de réanimer les cendres froides de votre passé, un long chemin s’ouvre devant vous, triomphal, victorieux, sinuosités méandreuses de la vie, la musique orientalisante, charme de serpent, vipère lubrique, elle se dresse sur elle-même, elle danse, elle se tord sur elle-même, elle a des torsions et des grâces de bayadères, accalmie, repos, reprendre son souffle, reptile se couche sur la terre, il s’épuise en courbes flasques, il se défait, il n’est plus rien, il s’identifie à la poussière du chemin, il raffermit ses atomes, il croule sous sa propre inertie, il ressemble à n’importe quoi et à n’importe qui, vous pouvez lui marcher dessus, vous ne vous en apercevrez même pas, et lui se taira, n’est-il pas comme vous, n’êtes-vous pas comme lui, ne formez-vous pas qu’un seul être indistinct, la guitare tirebouchonne, la batterie fait du bruit pour remplir l’indifférenciation des espaces indistincts, des bruits divers s’éparpillent, les cymbales frétillent doucement à la manière des queues de crotale, le serpent n’a-t-il pas mangé la fleur de l’immortalité au guerrier qui dort sans méfiance, Gilgamesh vit et vivra encore, mais le matin qui assistera à son réveil, sera comme la nuit de sa mort.

             Seulement quatre morceaux sur cet opus, mais si vous avez envie de poursuivre ce voyage sans fin, filez sur la chaîne YT de Moonstone, vous y trouverez beauté à volonté et poison à foison. Vous aurez toujours faim de cette histoire sans fin.

    Damie Chad.

     

    *

    Les Oiseaux de Nazca nichent à Nantes, ville dont nous saluons les luttes anti-gouvernementales et les explosives manifestations, se définissent comme un groupe de stoner rock. Refuseraient-ils de le revendiquer que leur nom les trahirait. Pas besoin d’avoir un diplôme d’ornithologue en poche pour reconnaître un oiseau de Nazca. Tout le monde en a vu. Leurs photographies s’affichent jusque dans les livres scolaires. Si vous désirez les admirer en vrai, achetez-vous un avion. Puis survolez le désert de Nazca, tout en bas du Pérou, un désert coincé entre l’océan Pacifique et la Cordillère des Andes. Ce sont des dessins qui peuvent atteindre des kilomètres de long, la plupart du temps d’une envergure de plusieurs dizaines de mètres, figures géométriques, humaines ou animales. Notamment des oiseaux du colibri au condor. Sont-ce des représentations de dieux ? Ou de grands dessins-offrandes aux Dieux ? Ils ont été tracés en ôtant les pierres de surface ferrugineuses et donc rouges pour laisser apparaître une couche de cailloux grisâtres. Apparue en – 500 et disparue vers + 200 la civilisation Nazca n’en continue pas moins de survivre dans l’imaginal de notre modernité.

    BIRDS OF NAZCA

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    Nos oiseaux ne sont que deux, Guillaume est à la guitare et Romuald à la batterie. Le lecteur ne s’étonnera pas de l’esthétique des pochettes. La civilisation Nazca reste mystérieuse, est-ce pour cela, pour ne pas donner l’impression de divulguer des secrets tus depuis deux millénaires que leurs morceaux ne comportent aucune parole…

    BIRDS OF NAZCA

    ( CD / Bandcamp / 31-08-2020 )

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    A fly in the helmet : batterie enjouée et guitare joyeuse, première surprise c’est la batterie qui fait son nid en premier dans votre oreille, la guitare donnant l’impression de voleter pour venir nourrir l’oisillon, déjà un beau jouvenceau heureux de voir sa mère battre des ailes pour se maintenir à sa hauteur, arrêt brutal, l’on attendait la mouche elle survient, un lointain froissement pratiquement inaudible, coups de tambours pour son arrivée, rien de grandiose, rien de dramatique jusqu’à ce  que la guitare déboule, entre nous soit dit elle sonne comme une basse, c’est parti pour quelque chose de plus riffique, s’enchaînent des séquences relativement courtes, ici la batterie fait miroiter ses plumes aux éclats de cymbale, la guitare s’inclinant régulièrement pour picorer des graines, attention nous entrons dans une deuxième coupure pour un moment d’attente, une espèce de noise mélodique chacun des deux instruments paradant comme pour une approche nuptiale, l’on se dirige vers une montée progressive du plaisir… sans explosion finale. Pas le temps de calculer l’on est déjà sans craquèlement dans Cracula : formation d’un riff, en voiture, pour deux minutes de vélocité, non, l’on freine doucement comme si un danger se profilait à l’horizon, la batterie tapote l’alerte et l’on repart, rien de plus roboratif qu’une fausse alerte. Cactus : ambiance plus sombre, n’a-t-on pas entendu comme un souffle de vent du désert, la batterie nous fait le coup de la grande menace qui s’approche à pas pesants, la guitare vous a de ces balancements d’ostensoirs rafraîchissants, mais l’on repart en mineur vers quelque chose de moins sombre, de davantage gris, la batterie écrase les épines du cactus une par une, la lymphe végétale gicle comme un cri de souffrance, surgit lentement la sourde énergie de la nature que rien ne saurait arrêter. Almucantar : procédé mathématique qui consiste à établir un cercle parallèle à l’horizon, un comme si l’on débitait une tranche de la sphère céleste, nos oiseaux veulent-ils mettre en relation cette opération géométrique dans l’espace intérieur avec le résultat de ces dessins gigantesques obtenus on ne sait pas trop comment par le peuple Nazca, en tout cas ils y vont mollo, pas cahin-caha mais presque, coup d’accélérateur aux trois-quarts du morceau mais tout se stabilise très vite, comme si l’on était content du résultat obtenu. Satisfaction spirituelle après l’effort mental.

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    Kanagawa : le titre est sorti en avant-première au mois de septembre 2021 avec pour couverture une représentation de la célèbre estampe La Vague d’Hokusai, dans le lointain en tout petit le connaisseur ne manquera pas de désigner le Mont Fuji, quel rapport avec le Nazca, le Mont Fuji que l’on présente comme la plus haute montagne japonaise, est aussi un volcan… voir titre suivant : le vent souffle, celui de la mer, ou du désert ? Pour la première fois le son prend de l’ampleur, une bourrasque lente, toutefois cette particularité est commune à tous les morceaux, il est impossible de parler de fuzz, nous le répétons l’impression d’une basse dont le volume sonore squatterait les amplis, entre nous rien n’évoque la houle destructrice d’Okusai, à la batterie Romuald en profite pour accentuer sa présence, tout se calme, clapotis de cymbales, profondeur guitarique, Romuald marque la cadence, quelques longueurs structurelles dans ce morceau. Volcano : étions-nous sur une fausse piste, nous rêvions d’éruptions fracassantes mais le Volcano Hummingbird n’est qu’n modeste colibri : pour une fois la batterie se fait pesante, la guitare se contente d’agiter ses ailes d’oiseau-mouche tel un bourdonnement incessant, bien sûr le passage de respiration habituel mais l’on repart aussi vite et aussi tumultueusement, le son s’intensifie et s’éloigne comme une escadrille de gros porteurs. Symposium : une voix, un chant sacré qui réveille la puissance tutélaire et menaçante de l’élément terrestre, grondement insatiable venu d’on ne sait où, qui ne saurait s’arrêter mais dont la batterie ordonne la cadence, tout se calme, ne reste plus que la voix de la prière aux oiseaux.  Vulture gryfus : cette nomenclature latine fait un peu peur, sa traduction en Condor des Andes est promesse de grandeur et de sérénité, le tire tient ses promesse, son amplifié et énergie sous-jacente, c’est la première fois que l’on a envie d’employer le mot riff même si l’on est plus près d’envolées successives, sans doute a-t-on atteint l’altitude supérieure, celle à laquelle on ne vole plus, celle où l’on plane, en se laissant porter par des courants invisibles, ce qui n’empêche pas que l’on monte encore, que l’on prend son essor vers le domaine des Dieux, rieurs et tapageurs, l’on croit être arrivés au summum, mais non, il y a comme une aspiration vers les demeures brûlantes du soleil. Arrêt brutal, s’est-on brûlé les ailes, entamons-nous une chute fulgurante ?

             L’opus est à l’image du vautour de la couve qui vaut le détour. Stoner, doom, tout ce que vous voulez mais avec le refus de l’emphase, de l’esbrouffe, et du kaos, ligne claire serait-on tenté de dire un peu à l’image des grands oiseaux dont les traits se distinguent sur le sol sombre de Nazca.

    HELIOLITE

    ( CD disponible en juin / Bandcamp / Mai 2023 )

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    Heliotite, la pierre du soleil, n’oublions pas la terre de feu, une continuité certaine avec l’opus précédent. Nous quittons un peu la civilisation Nasca, l’Amérique du Sud c’est aussi les Mayas, les Aztèques les Incas, sans oublier les Toltèques, nos deux nantais nous permettent ainsi de voyager dans plusieurs imaginaires mythologiques. Chaque morceau est agrémenté d’une image symbolique représentative.  

    Intro : trente secondes d’un son venu d’ailleurs pour vous abstraire de votre quotidien, pour vous mener à une autre représentation du monde, plus vieille, antique, immémoriale…

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    Inti raymi : (fête du soleil, voir notre Sol Invictus romain ou plus près de nous la Danse du soleil des Sioux) : entrée martelée, mettent le son, ne sont pas sur le onze, mais sur le dix, une espèce de rituel sonore, n’oublions pas les sacrifices humains, les cœurs arrachés, les pyramides dégoulinantes de sang. Ne parlez pas de cruauté ou de civilisations barbares, pensez à la notion d’offrande, à la grandeur démesurée des Dieux face à la petitesse animalculéenne de l’être humain qui n’a rien d’autre à offrir que lui-même. Une musique sans pitié qui va droit devant. La mort ou le soleil, c’est pareil.

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    Spheniscus : non ce n’est pas le phénix mais le Manchot de Magellan ou de Humbolt, au bout de la terre de feu, quel rapport avec les divinités antiques d’Amérique du Sud, je n’en sais rien, ces oiseaux peut-être mentionnés par Nazca pour symboliser ces peuples qui ont disparu sans laisser de trace comme les Yaghans , pêcheurs-cueilleurs dont on ne sait à peu près rien, sur lesquels le rouleau compresseur des invasions historiales est passé définitivement… : face à toutes mes incertitudes la musique se fait entendre, provocante presque, la guitare klaxonne, la batterie étourdit, on pourrait nommer ce traitement musical l’avancée de l’inéluctable, le j’y suis j’y reste de la présence de ce qui a été, de ce qui est toujours là, disparue mais ineffaçable, je marche à pas lourds sur la terre que j’ai désertée, mais que je la hante de la tonitruance de mes fantômes. Ce qui est mort est irrémédiablement immortel.

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    Gucumatz : de l’eau qui coule aux reflets miroitants, tintements brillants, n’y mettez pas la main, Gucumatz est la vipère au corps de plumes qui nage dans les profondeurs aquatiques, le son devient plus dur, plus éclatant, normal cette couleuvre n’est qu’un des noms du plus grand des Dieux, tout s’accélère et se surmultiplie en chatoyances multiples, cymbales triomphantes, vous la connaissez mieux sous le nom assourdissant de Quetzacoalt le serpent à plumes qui vole dans les airs et dans les imaginations, un trait de feu qui pourfend l’ait à la vitesse d’un avion à réaction, si maintenant nous n’entendons plus que quelques notes qui clochardisent et le vent qui souffle, c’est que le Dieu est insaisissable, le voici grincement fracturé d’une forte respiration battériale et la tête du serpent volant se déploie majestueusement, ses yeux sont soleils irradiants, il roule sur le monde à la manière des amas de cailloux qui dévalent les cordillères et écrasent toute présence humaine au fond des vallées, sont-ce des cris, des pleurs, mais l’avalanche recouvre le monde entier et n’en finit pas se glisser à la surface du globe, et puis subitement plus rien, juste un courant d’air d’onde musicale. Les Dieux passent comme les hommes. Mais pas de la même manière.

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             L’on prétend que les dessins du désert de Nazca étaient si grands pour que du haut du ciel les Dieux puissent les voir, c’est-là le sujet de l’opus précédent de Birds of Nazca. Cette Heliolite nous transporte du côté des Dieux, cette deuxième œuvre essaie de traduire le regard de ces Dieux qui ne voient que leurs images. Ne vous étonnez pas si cette musique est refermée sur elle-même, elle se suffit à elle-même, beaucoup plus forte, moins partagée, moins hésitante, moins pérorante, moins diserte, un bloc noir, une borne qui sépare l’infini diversité humaine de l’absolu inatteignable.

             Vous avez sur YT pas mal de concerts ou d’enregistrements live de Birds of Nazca. Regardez-les, écoutez-les, demandez-vous quelle sera leur prochaine étape. Une démarche très originale.

    Damie Chad.  

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 27 ( Apéritif  ) :

    143

    Le Chef ouvrit sans faire de bruit le tiroir de son bureau, il me fit signe de regarder, Molossito éprouvé par la journée de la veille s’était endormi sur un lit de Coronados, avec une douceur infinie et l’extraordinaire dextérité d’un joueur international de mikado le Chef parvint à extirper de dessous la pauvre bête exténuée le cigare dont il avait besoin, un Expeditivo N° 7, qu’il alluma avec soin :

    _Voyez-vous agent Chad, le monde se porterait mieux si nos dirigeants prenaient de temps en temps le temps non pas de jouer du tam-tam mais de méditer sur la brièveté de la vie en savourant un Coronado. Prenons un exemple particulier, vous-même agent Chad, certes vous n’êtes pas un grand de ce monde, au lieu de dézinguer cette cinquantaine de farfelus qui venaient enterrer un des leurs, si vous aviez simplement eu l’idée d’une halte méditative et coronadienne, ces pauvres fous seraient encore vivants, n’empêche que pour ces zozos venir dans un cimetière de bon matin relevait de la plus haute incongruité  matitunale, puisque tout le monde sait que La Mort nous y attend depuis le premier jour de notre naissance. Ces fous furieux n’avaient certainement pas lu – j’en jetterai un Coronado au feu – les œuvres complètes de Marguerite Marie Louise Gabrielle Ménardeau, sans quoi ils auraient manifesté une plus grande prudence.

    Nous devisions sereinement depuis quelques minutes sur les livres de Gabrielle Witkop lorsque le museau de Molossa effleura mon mollet gauche. Je levais la main. Nous nous tûmes. Aucun bruit. Nous restâmes longuement aux aguets. Le Chef s’abstint même de tirer sur son Coronado. Avec d’infinies précaution je me levai de ma chaise et à pas de loup je m’en fus coller mon oreille (la droite) sur la porte, rien pas un bruit ne me parvint de la cage d’escalier.

             _ Hum, hum ! Agent Chad, je crois que nous avons une visiteuse, il est midi passé, peut-être pourrions-nous l’inviter au restaurant !

    144

    La Mort ne fit pas de chichi pour accepter, en une seconde elle se matérialisa et nous adressa son plus beau sourire :

              _ Je dois reconnaître que vous êtes de parfaits gentlemen, je vous fais confiance pour le choix du trois étoiles, comment avez-vous deviné que je mourrai littéralement de faim !

              _ Quel humour Madame !

              _ Oui j’adore l’humour noir !

    145

    Notre entrée fut remarquée, à l’accueil Germaine – mais non chers lecteurs toutes les filles ne s’appellent pas Alice - ouvrit de gros yeux, en trente ans de maison n’avait jamais vu de telles dégaines, les deux chiens, Molossito ragaillardi par son somme coronadien commençant à zigzaguer en aboyant très fort entre les tables, nos deux perfectos râpés, l’épaisse panache de fumée noire échappée du Coronado du Chef,  l’étrange allure de cette vieille femme drapée dans une immense cape noire, ses mèches de cheveux blancs dépassant de son capuchon noir, ses yeux de braise et son visage blanc au sourire sardonique, les accoutrements de cette équipe improbable avaient dû lui déplaire. Elle alerta d’un prompt coup de phone le patron qui au vu de la carte officielle que lui tendit le Chef, s’exécuta illico en obséquieuses courbettes. En quelques instants nous fûmes conduits dans un salon privé, des garçons stylés qui furent très étonnés lorsque la dame âgée rejetant le parchemin à menus qu’on lui tendait décréta d’un ton mourant qu’elle se contenterait d’une épaisse tranche de mortadelle accompagnée d’une Mort Subite.

    146

    Notre vieille amie avait un sacré coup de fourchette mais il était manifeste qu’elle se dépêchait de terminer son repas poussée avant tout par une impérieuse envie de parler. Elle eut le tact d’attendre que nous ayons fini notre dessert avant de prendre la parole :

    • Bon passons aux choses sérieuses !
    • Entièrement d’accord avec vous chère Madame, j’allume tout de suite un Coronado, vous conviendrez avec moi, j’en suis certain, qu’il n’y a rien de plus sérieux au monde que l’art du Coronado, je suis d’ailleurs très étonné que ce peuple si subtil que sont les japonais n’aient pas pensé à trouver un de ces vocables dont ils ont le secret pour qualifier les arts ! Un manque civilisationnel d’autant plus regrettable que…
    • Vos chinoiseries m’insupportent, tenez-le-vous pour dit, je suis venu ici pour passer un marché avec vous !
    • Madame nous attendons vos propositions, sachez que nous les examinerons ave le plus grand soin et…
    • J’irai droit au but. D’abord je regrette que vous n’ayez apporté qu’une attention discrète à mes propos du matin, vous avez la comprenette attaquée par la fumée des infâmes cigares dont vous faites une compréhension, cela ne m’étonne pas puisque vous êtes un rocker !

    Les yeux du Chef étincelèrent, derechef il alluma un nouveau Coronado :

              _ Madame, vous sous-estimez ces doux êtres paisibles que sont les rockers, pourquoi croyez-vous que je vous ai invitée au restaurant, vos paroles m’ont paru assez claire, contrairement à l’agent Chad qui n’a rien compris, j’ai deviné ce que vous nous suggériez, j’ai établi le rapport entre cette intuition inexplicable entre la mort du rock’n’roll et la nécessité sans cause qui a entraîné le SSR au début de cette aventure dans les allées du Père Lachaise.

    Ce fut comme une lueur irradiante qui envahit mon esprit, en une seconde je compris tout, avec quelques heures de retard sur le Chef certes, toutefois je doute qu’au moment précis de ce récit l’intelligence de nos lecteurs ait reçu l’illumination nécessaire à l’élucidation de cette aventure.

    147

    Je ne pus m’empêcher de prendre la parole :

              _ C’est pourtant simple Madame, c’est vous qui avez décidé de tuer le rock ‘n’roll ! Vos manigances sont cousues d’un fil aussi blanc que celui dont on coud les suaires.

             _ Bien sûr c’est moi, mais vous ne savez pas pourquoi !

             _ Sans nul doute parce que vous détestez ce genre de musique !

             _ Depuis le temps que j’existe, cher jeune homme, l’engeance humaine a inventé tant de genres musicaux que je n’y fais plus attention, tous se valent à mes oreilles… En fait ce n’est pas le rock qui me gêne, ce sont les rockers !

              _ Parce qu’ils écoutent du rock ?

              _ Pas tout à fait, l’affaire est beaucoup plus complexe, c’est quand ils ne peuvent pas en écouter que cela devient dérangeant, mais laissons-cela, je suis venue pour vous proposer un contrat, j’ai préparé le document, il ne me reste plus qu’à recueillir votre assentiment. Tenez, lisez, signez !

    A Suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 600: KR'TNT 600 : SUBWAY COWBOYS / BRIAN JONES / TODD RUNDGREN / SYDNEY JOE QUALLS / GENE CLARK / MARLOW RIDER / RED EYED CULT / GERALD WITTOCK / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 600

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    11 / 05 / 2023

      

    SUBWAY COWBOYS / BRIAN JONES

    TODD RUNDGREN / SYDNEY JOE QUALLS

    GENE CLARK / MARLOW RIDER

    RED EYED CULT / GERALD WITTOCK   

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 600

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

      

    L’avenir du rock

    - Cowboys movie

     

             L’avenir du rock a fini par en avoir marre des montages du Colorado. Il ne pouvait plus faire un pas sans tomber sur Jeremiah Johnson. Ne nous méprenons pas : l’avenir du rock n’a rien contre Jeremiah Johnson qui est un chic type, par contre, il hait profondément la routine. Donc, il chevauche vers le Sud, en chantonnant I’m a poor lonesome cowboy. Il traverse plusieurs frontières sans encombre, et un beau matin, il croise une fine équipe.

             — Oh ça par exemple !

             L’avenir du rock n’en croit pas ses yeux : Croz, Young Billy, Eli et Fat Albert !

             — Comme je suis content de te croiser, Croz ! If I Could Only Remember My Name n’en finit plus de m’en boucher un coin.

             — On peut te le déboucher, avenir du rock...

             — Et ton «Cowboy Movie» me move le groove. Je l’ai d’ailleurs recommandé à Jeremiah Johnson. 

             — Merci du renvoi d’ascenseur, avenir du rock.

             Croz se gratte le menton. Il a rarement vu un mec aussi con que l’avenir du rock.

             — Bon, c’est pas tout ça, avenir du rock, mais on a ces démons de Pinkerton aux trousses. La poussière que tu vois là-bas au fond de la vallée, c’est celle de leurs chevaux. On vient de piller un train et on file rejoindre notre planque dans la montagne.   

             — Oh je connais la chanson ! Avant de mourir, vous pourriez peut-être me renseigner ?

             — Magne-toi !

             — J’envisage d’aller enquêter pour le compte du blog de mon ami Damie Chad sur les préjudices causés aux ouvriers noirs dans les champs de coton et dans les champs de canne à sucre, des préjudices qui sont, comme vous le savez tous les quatre, d’ordre à la fois physique et mental, ils recouvrent toute la biosphère médicale et psychiatrique, ça va des plaies aux mains jusqu’au mal de dos, en passant par les traumatismes liberticides, les conséquences des relations sexuelles non consenties, les entorses aux réglementations prud’homales, le non-paiement des heures supplémentaires, et le pire, ces bols de haricots qu’on leur distribue une fois par jour en leur faisant croire que ce sont des points de retraite, tu te rends compte, Croz ? Ces champs de coton du Deep South constituent un domaine d’études unique au monde, un vivier scientifique d’une dimension pharaonique ! Alors peut-être pourriez-vous m’aider en m’indiquant la direction de la case de l’Honk Tom...

             — Honky qui ?

     

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             Laissons l’avenir du rock se dépatouiller avec Croz et son équipe de féroces desperados, et allons en retrouver une autre, celle des Subway Cowboys, les princes de l’honky-tonk. Ils pourraient très bien sortir eux aussi du «Cowboy Movie» de Croz. Bien qu’ils soient français, ils ont assez fière allure. Le chanteur Will a d’ailleurs des faux airs de Young Billy. Plutôt que d’avoir la gâchette facile et l’index psychotique, disons qu’il a une belle présence scénique et un gratté de poux orthodoxe.

             C’est en 2018 qu’on a chopé les Subway Cowboys sur scène pour la première fois, en première partie de Tony Marlow. Leur set estomaqua tous les macaques ! Une sorte de révélation. On les croyait américains ! Ils reviennent cinq ans plus tard estomaquer le maquis normand, en première partie de Pokey LaFarge. Si tu aimes bien te faire estomaquer, c’est le moment ou jamais. Wow, il faut voir ces mecs tailler leur route sur scène ! Ils t’honky-tonkent l’honkologie d’entrée de jeu.

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    Même si t’es pas fan d’honky-tonk, tu tombes sous le charme du grand cowboy tout sec qui chante et qui gratte ses poux orthodoxes. Sous son chapeau de cowboy gothique, il trimballe des faux airs de Rufus. Sa salopette et sa chemise à carreau renforcent cette impression de maigreur puritaine, car il semble sortir tout droit d’une photo de colons texans du XIXe siècle. Country ? Nashville ? Non pas vraiment. Son truc, c’est plutôt l’honky-tonk. Il évoque souvent la Louisiane. La disposition scénique des Subway Cowboys a évolué.

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    La section rythmique d’antan a disparu. Un kid absolument brillant claque le beignet du bop à la stand-up. Et de l’autre côté, un mec t’enkode l’honky-tonk à grands coups de pedal steel. Le soliste qui jouait au centre la dernière fois est maintenant sur le côté, mais toujours aussi prodigue de fulgurances.

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    Il devrait s’appeler Jo l’éclair, pas Fabien. Il bat James Burton à la course. Toutes ses incursions sont fatidiques. Il entre chaque fois à point nommé et ne vit que pour le cisaillé de gamme intra-communautaire. Il biseaute ses solos pour les rendre plus agressifs. Et Rufus enfile les cuts comme des perles, impassible sous le porch de son vaste Stetson, il déroule sa prestigieuse Americana avec un aplomb qui fait autorité. Il pousse le côté colon assez loin car il émane de lui une réelle austérité, ce n’est pas dans sa nature ni de rigoler ni de se rouler par terre, mais quand il annonce ses deux reprises d’Hank III, alors on se prosterne jusqu’à terre, car celui-là, il faut aller le chercher. Apparemment, le petit fils d’Hank Williams se serait retiré du circuit, en proie à une sévère dépression. On est ravi, car Rufus nous donne des nouvelles fraîches. Ils tapent une autre cover de choix, le «Get Rhythm» du Cash, ils le tiennent par la barbichette du tacatac des Memphis Three. Ils tapent aussi en début de set l’«I’m Movin’ On» rendu célèbre par un autre cowboy gothique, Johnny Horton.

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    Et ce n’est pas fini : au beau milieu du set, Rufus demande à Dédé de monter sur scène pour bopper une cover de «Lonesome Train» à la stand-up. Pur moment de rockab ! Tu nages en plein rêve. Les wild cats sont de sortie.  

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             Leur premier album date de 2015 et s’appelle comme par hasard Honk Tonk Time. Cet album de reprises grouille de bonnes surprises, à commencer par l’«Honky Tonk Blues» d’Hank Williams. Will le prend au chant d’éplorée, c’est criant de véracité. Le «Big River» du Cash ouvre la bal des Cowboys. Ils y affichent une réelle volonté de clairette, donc solo de Tele clair comme de l’eau de roche. Ils tapent aussi dans David Allen Coe avec «Take This Job And Shove It», ils en font une cover heavy as hell, nappée de béton. Ces mecs tapent dans l’éclat des légendes mirifiques. Tiens, voilà le «Get Rhythm» qu’ils jouent sur scène. Version bien sèche à la Rufus. Ils la tamponnent dans le coquillard. Autre cover de choix : le «Walking The Floor Over You» d’Ernest Tubb. Ils la cavalent ventre à terre, avec dans la course un solo de Tele stellaire. Ils adorent s’illuminer au paradis de la country de fête foraine. Tournez manèges ! Ils sont en plein dedans, avec des violons qui te graissent la patte. Ces mecs ont forcément une belle collection de disks. Encore de l’Hank avec «Ramblin’ Man». Will lui tord le cou et yodelle sa valse à trois temps. C’est très impressionnant. Ils font aussi de la grosse country palpitante avec le «Tonight The Bottle Let Me Down» du beau Merle. Nouveau coup de Jarnac avec leur vison du «White Lightnin’», cut chouchou de Gene Vincent. Les Cowboys s’aventurent dans le Lightnin’ avec leur petit gusto de derrière les fagots, c’est gratté sec à la française mais chanté avec esprit. Et comme il n’est de bonne compagnie qui ne se quitte, Fabien se tape la part du lion sur le «Rawhide» de fin de bal.

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             Drôle d’album que ce Possum’s Good For You. Pochette détestable mais contenu adorable. Pourquoi ont-ils été chercher cette photo dégueulasse ? On y voit deux gros porcs en blouses tachées posant fièrement sous un étalage de gros rats crevés. Les rats sont en fait des opossums, que les Américains appellent des possums. L’idéal aurait été que cet album sorte sur Fat Possum. Et le morceau titre de l’album est à l’image de la pochette : raté. Mais le reste de l’album est génial. Ils attaquent avec un fantastique «Goin’ My Way» propulsé par la stand-up. Stupéfiante tenue de route, le Will te chante ça au downhome de derrière les fagots du bush, et ça te donne un brouet demented infesté d’incursions intestines du fabulous Fab. Il faut le voir touiller le heavy mud ! On trouve plus loin un autre classique rockab, «I Tell It Like It Is». Encore plus demented are go. C’est d’une rare puissance. Le Will te chante ça à la folie Méricourt, il chevauche le wild craze, et le slap te ravale la façade. L’autre coup de génie de l’album s’appelle «Back In The Wind». Ils le tapent au power blast, dans l’esprit d’un supra-wild «Please Don’t Touch», fabulous Fab le gave d’une cisaille gravissime et ce démon de Will la chante à la pleureuse de Millet. Ils font aussi de la fast country de cowboys avec «Time To Take A Break», ils sont terrifics, gorgés de véracité, avec du violon de saloon et un beurre de baratte de rêve. Le Will est encore plus crédible sur «Blind Man», assis au bord du fleuve, il observe les libellules. Tous les cuts sont extrêmement bien produits, ils ont du gros son et le Will est all over. Il sait asseoir son autorité. Tu as parfois l’impression d’entendre chanter une superstar, ce qu’il est en réalité. Il sait poser sa voix, comme le font Dorsey Burnette ou David Allen Coe. Les Cowboys embarquent le soft rockab «Sixteen Tons» sous le boisseau. Extraordinaire qualité du boisseau ! En prime, tu as un solo de jazz. C’est assez extravagant de distinction. Fabulous Fab y va au wild as fuck sur «Guitar Boogie», c’est un cake, alors pas de problème. Et voilà la cerise sur le gâtö : «Got Into A Fight Last Night». le Will devient fou. Il fait l’Hasil Adkins. Il te démolit tout, la légende, les colonnes du temple, tout !  Merveilleux coup de chapeau d’un géant à un autre géant.   

    Signé : Cazengler, gros conboy

    Subway Cowboys. Le 106. Rouen (76). 28 avril 2023

    Subway Cowboys. Honk Tonk Time. L’Autre Studio 2015

    Subway Cowboys. Possum’s Good For You. Celebration Days Records 2017

     

     

    Il faut sauver le soldat Brian

    (Part Three)

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             Le sauveur du soldat Brian s’appelle Paul Trynka. Dans un book en tous points remarquable, Sympathy For The Devil - The Birth Of The Rolling Stones And The Death Of Brian Jones, Trynka célèbre le génie de cet homme, d’une façon éblouissante, comme s’il développait une loi mathématique censée établir une vérité qui crève pourtant les yeux. Zorro Trynka surgit hors de la nuit des books, court vers l’aventure au galop et vole au secours du pauvre Brian Jones, humilié et détruit méthodiquement par ceux qu’il appelait ses brothers, les Stones. Le Trynka book est un book qu’il faut mettre dans les pattes de tous les fans des Stones, pour commencer, mais aussi dans les pattes de tous les fans de (bon) rock, et bien sûr, dans celles de tous les fans de tragédie. Car quelle tragédie ! L’histoire est épouvantable. On n’aimait pas trop le Jag auparavant, mais là, sous la plume de Zorro Trynka, il devient encore pire que ce qu’on pouvait imaginer.

             Tu as deux façons de lire le Trynka book : soit tu t’effares du génie de Brian Jones, tel que le matérialise Trynka, soit tu te tortilles les mains de chagrin à suivre toutes les étapes du démantèlement de Brian Jones. Le coup de grâce fut l’embauche de Mick Taylor. Quelle abomination !

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             C’est d’une certaine façon le portrait d’un gentil géant que brosse Trynka, alors qu’il titre son book Sympathy For The Devil. On croit lire le portrait d’un diable, mais le diable, ce n’est pas lui, ce sont les autres. Trynka tripote les zones d’ombre avec une certaine habileté, oh bien sûr, Brian Jones n’est pas un saint, mais à plusieurs reprises, dans sa vie, il se fait jeter, et ce sera son talon d’Achille. En 1960, les lycéens et les lycéennes de Cheltenham lui tournent le dos. En décembre de la même année, il se fait virer de chez lui par ses parents qui partent en vacances de Noël et qui laissent sa valise sur le perron. Le voilà devenu outcast. Dans un premier temps, il va réussir à en faire une force. Mais le coup de grâce sera le fameux épisode de Marrakech, quand Jag, Keef et Anita se barrent en douce, l’abandonnant à l’hôtel sans un rond.   

             Attaquons le versant ensoleillé du mythe : tout au long des 350 pages de son mighty book, Trynka rétablit l’écrasante suprématie de Brian Jones. On en sort conforté, car ça correspond exactement à ce qu’on pensait de lui en 1965, quand on le voyait sur les pochettes d’albums et dans les pages des magazines. On ne voyait que lui. Les autres n’existaient pas. Le génie de Trynka est d’avoir su rétablir cette fameuse vérité qui crève les yeux. Dans ces conversations nocturnes que nous avions avec Jean-Yves, il disait souvent : «J’aime bien Brian Jones.» C’était en quelque sorte notre point de ralliement.

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             Dès qu’il s’installe à Londres en 1961, Brian s’impose. Paul Jones qui le fréquente dit qu’il ne connaissait personne qui jouait aussi bien que lui - No one, not Alexis for that matter - Trynka pense que Brian Jones, qui se faisait alors appeler Elmo Lewis, fut un pionnier - Perhaps the very first British musician to pick up on the potency of Johnson’s myth and music - Eh oui, Dylan parle lui aussi de Robert Johnson dans Chronicles, comme d’une influence de base, et Trynka se marre bien quand il dit qu’à la même époque «Mick Jagger was enchanting mums in the front rooms of Dartfod singing songs by Buddy Holly.» Trynka amène alors son premier postulat : «Brian Jones n’était pas seulement responsable de l’inspiration musicale des Rolling Stones, mais aussi de leur dark magic. He was the Stone with something of the dark about him.» La formule est magnifique. Trynka est un auteur littéraire. Un Zola dont le Dreyfus serait Brian Jones. Littérature toujours : en 1961, Brian Jones lisait déjà le Marquis de Sade, qui se vendait encore sous le comptoir. Sade et Robert Johnson ? Merveilleux point de départ. Dark magic. Bientôt sex & drugs & rock’n’roll. Brian Jones en sera la plus parfaite incarnation.

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             C’est en mars 1962, à Ealing, que le Jag, Keef et Dick Taylor voient Brian Jones sur scène pour la première fois. Brian est sur scène avec Paul Jones qui s’appelle encore P.P. Pond. Ça ne s’invente pas. Brian est déjà très en avance sur son temps, il a étudié Robert Johnson, Elmore James et Muddy Waters - Powerful and arcane knowledge in the spring of 1962 - Un knowledge que les Stones vont continuer d’exploiter pendant soixante ans. Qu’est-ce qu’on dit, les Stones ? Merci Brian Jones ! Mais ils sont tellement jaloux de Brian Jones qu’ils ne le remercieront jamais. Au contraire. Ils vont lui mettre la tête sous l’eau. Façon de parler. Marianne Faithfull dit dans son autobio que la mort de Brian a permis à Keef «de devenir Brian». Dick Taylor rappelle de son côté que le fameux Open G tuning vient de Brian Jones - Keef le regardait jouer en Open tuning et donc il savait. Je ne sais pas pourquoi il raconte qu’il tient ça de Ry Cooder. It’s strange.    

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             Bon, c’est bien Brian Jones qui monte les Stones et qui recrute les quatre autres. Ce n’est pas le Père Noël, comme le croient certains. Pour monter son groupe, Brian commence par embaucher le Jag, mais il ne veut pas des deux Dartford boys dans son groupe. Alexis Korner qui a pris Brian Jones sous son aile lui dit de ne pas prendre les deux. Prémonition ? Non simple logique : Alexis sait que Brian va perdre le contrôle dans son groupe s’il prend les deux. Mais le Jag pose sa petite condition à la mormoille : si Keef ne vient pas, alors il ne vient pas non plus. Bon d’accord, Brian est gentil, il prend les deux. Puis il recrute Dick Taylor et le batteur Tony Chapman, en passant une annonce dans le Melody Maker. Donc les Stones, C’EST Brian Jones. Il a une vision. Il ne définit pas que le son, il définit aussi ce que Trynka appelle the vibe, l’esprit. Dick Taylor sait que Brian Jones voit clair - He was more worldly-wise than us, most definitely - Le groupe s’appelle encore the Brian Jones Blues Band, puis Brian leur propose d’appeler le groupe The Rolling Stones, un nom qu’il tire comme chacun sait du «Mannish Boy» de Muddy. Premier gig en 1962, et Trynka y va fort : «It marked the beginning of an irrevocable change in popular culture.» Cleo Sylvestre ajoute que c’était «very exciting and very raw.»

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             Brian et Keef bossent alors constamment ensemble, working up their sound. Ils sont aussi les deux premiers à renoncer à la vie normale : ni études, ni day job. Ils s’installent au 102 Edith Grove, à Chelsea. Ils ont quelques albums sous la main, un Robert Johnson, Muddy At Newport, le fameux Best Of Muddy Waters, Chuck Berry et Jimmy Reed - That was the basic diet, grommelle Keef.

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             Andrew Loog Oldham bosse déjà avec les Stones quand ils enregistrent «I Wanna Be Your Man». Mais il ne participe pas à la session et c’est Brian qui supervise, qui double la voix du Jag et qui envoie des rasades de «slashing electric slide all over the track» - Wanna Be Your Man is a mess but touched by genius - Oldham est encore absent quand une nuit Brian vient rebosser sur les cuts du premier album - Brian brancha sa nouvelle Gretsch vert pâle dans son AC30, ready to make it sound better, just a bit funkier, just a bit dirtier - Brian remplaçait une piste jouée par Keef, puis une piste de basse. Trynka ne rentre pas plus dans les détails, c’est dommage, mais on garde l’image de Brian avec sa Gretsch vert pâle - His concentration was intense - Apparemment Brian n’était jamais content - Brian invented the Stones, hot-wired their music, out of this sense of dissatisfaction - Can’t get no satisfaction ?      

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             Brian nous dit Trynka se shampouine les cheveux tous les jours, il soigne son perfect golden halo et l’associe à un white polo neck. On voulait tous des cols roulés blancs à l’époque, à cause de Brian Jones. Trynka en profite pour rappeler que Brian est devenu le modèle de centaines de garage bands across the USA. Lors du TAMI show, il invente un autre concept visuel : il joue en tournant le dos au public. Toni Basil flashe sur lui : «This blond hair, bright red sideburns, those green eyes and he dressed flamboyantly. And wow, he was really a knockout.» Oui, on le sait bien qu’il est un knockout, mais on aime bien l’entendre dire. Lors d’une interview pour le TV show Shindig!, Jimmy O’Neill interviewe le Jag et soudain Brian intervient pour dire qu’il est temps de la fermer car Howlin’ Wolf arrive sur scène. Brian qualifie Wolf de hero et va s’asseoir à ses pieds pendant qu’il chante - Si un épisode incarne the life work of Brian Jones, c’est celui-ci, dans toute sa pureté et son côté sexy - Un autre personnage de légende est invité à l’émission, mais Brian ne le connaît pas. Alors il approche de son manager Dick Waterman et lui demande qui est ce venerable gentleman. Quand il entend prononcer le nom de Son House, Brian s’extasie : «Ah the man who knew Robert Johsnon and Charley Patton.» Cette anecdote situe bien le niveau de Brian Jones à l’époque, il navigue au même niveau de John Fahey et Al Wilson qui eux aussi étaient fascinés par les vieux crabes du blues.

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    ( Brian + Stash )

             Trynka n’en finit plus de dire à quel point Brian Jones est spécial - The protoype of a sixties rock star : languide, softly spoken, presque efféminé, a charming blond choirboy with something  of the night about him - C’est extrêmement bien écrit et d’une infinie justesse. Presque trop beau pour être vrai. Trynka va encore plus loin dans l’approche psychologique. Plutôt que de le voir associé à Satan, il préfère le voir associé à une divinité plus subtile, le dieu Pan, dieu de la fertilité, mi-homme mi-chèvre - The rock’n’roll spirit comes from Pan, affirme Stash, le fils de Balthus et proche/très proche de Brian Jones - Pan fut diabolisé par le christianisme, mais en réalité, c’était un dieu bienveillant. C’est l’une des clés du mythe de Brian Jones. Il est victime d’une grave erreur d’appréciation. Sade et Oscar Wilde furent aussi diabolisés de leur vivant, alors qu’à leur façon, ils étaient aussi des «divinités» bienveillantes. «Ce sont les passions et les obsessions de Brian Jones qui vont définir les Rolling Stones», affirme Trynka. «Sa fascination pour le chaos, les forces des ténèbres et la lascivité allait imprégner l’image et la musique du groupe. Mick and Keith allaient suivre son exemple. Dancing with the devil would come at high cost.» Encore faut-il savoir danser avec le diable.

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             En 1966, Brian devient la tête de gondole des Stones - a new figurehead - Il devient the peacock at the cutting edge of dressing and drugging, the two major innovations of 1966 - C’est vrai qu’on ne voit plus que lui. Et quand la psychedelia arrive, le Jag est complètement out of place. Brian teste toutes les drogues, il vit dans son époque, alors que Jag en a la trouille, nous dit Marianne Faithfull, écroulée de rire : «Mick wasn’t the rebel». Elle n’ose pas dire comme le fera Keef un peu plus tard qu’il est une petite bite, mais ça revient au même. Quand les Beatles enregistrent Revolver, c’est Brian qu’ils invitent aux sessions, certainement pas les autres. Gene Clark s’entend lui aussi très avec Brian. Ils bricolent ensemble une première mouture d’«Eight Miles High», en 1965. McGuinn osera dire après la mort de Gene Clark qu’il est le véritable auteur de ce cut. Non mais franchement ! Des fois les gens exagèrent ! C’est Brian qui transforme «Under My Thumb» en cut magique, en ajoutant tout simplement le marimba, sous l’œil éberlué de Jack Nitzsche, lorsque les Stones enregistrent Aftermath au studio RCA de Los Angeles. Eddie Kramer n’en finit plus de s’extasier sur le génie de Brian Jones : «I always considered Brian the most gifted of the Stones, musically speaking.» Bill Wyman en rigole encore : «Well, sans le marimba, ce n’est pas une chanson, pas vrai ?» Et puis il y a le dulcimer sur «Lady Jane». Encore un coup de génie. On se souvient plus des ambiances de ces deux hits que du chant médiocre du Jag. C’est Brian qui compose la mélodie de «Paint It Black». Brian ne joue plus de guitare et fait de la magie.

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             Trynka lève un autre lièvre : la recherche obsessionnelle du plaisir charnel. Chez Brian elle est de nature «divine» - C’était un être indomptable qui ne pouvait pas devenir, comme Mick (Jagger) un carriériste conventionnel - Anita et Brian forment le nouveau centre de gravité des Stones. Apparemment, c’est Anita qui le pousse à s’habiller de façon de plus en plus flamboyante, alors Brian qui est bien sûr narcissique se prête au jeu - The Arabian pashas, the nazi uniforms - oui, on a toutes ces images-là en mémoire. Brian ne s’arrête pas aux drogues psychédéliques, «it was velvet and William Morris prints, and frilly shirts.» Tara Brown, héritier de l’empire Guinness, participe aux acid sessions de Brian et Anita. Quand Dylan vient donner son show historique à l’Albert Hall, Brian et Stash vont le retrouver au Mayfair Hotel. Ils sont choqués nous dit Trynka de voir autant de gens se shooter à l’héro en public. Et là, Stash lâche l’info du siècle : «Aucun doute, Dylan fut pendant un certain temps obsédé par le fondateur des Stones. Comme le disait aussi Nico qui avait couché avec les deux hommes, ‘Dylan voulait être Brian Jones, pas un folk singer.’» Les souvenirs de virées nocturnes sont légion dans ce book grouillant de vie, par exemple celle qui nous fait monter dans la petite auto de Dana Gillepsie en compagnie de Brian, Anita et Stash qui vont finir la nuit chez Christopher Gibbs, un Gibbs qui les accueille en leur offrant un verre : «drink this» - I think it was liquid mescaline - Ou encore cette nuit surnaturelle à Paris, avec Stash, Anita, Françoise Hardy, Zouzou dont on trouve le détail dans la très belle bio d’Anita, She’s a Rainbow: The Extraordinary Life Of Anita Pallenberg, un bio qui fut saluée bien bas ici-même en 2021.

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             Arrivé à ce stade, on frise l’overdose. Mais on continue, car l’étoile de Brian Jones brille de plus en plus ardemment. Trynka revient bien sûr sur l’amitié qui liait Brian à Jimi Hendrix. Puis on attaque le chapitre Courtfield Road - one of london’s most legendary rock star pads, overlooking, précise l’auteur, Gloucester Road tube station - Et pour la tournée anglaise, Brian se pointe sur scène en veste de velours, avec une Gibson Firebird, la guitare qui va tous nous faire rêver, au moins autant que la Gretsch orange d’Eddie Cochran.

             Quand en 1967, Anita va en Allemagne tourner Mord und Totschlag pour Volker Schlöndorff, Brian l’accompagne. Il demande à Schlöndorff s’il peut composer la B.O. du film. Schlöndorff lui dit qu’il aimerait bien, mais il n’a pas de budget. Alors Brian lui propose de le faire gratuitement - Well I’ll do it for free - Schlöndorff est fasciné par Brian - Amazing. He was a Shelley-style character, a dandy - et il ajoute qu’il était l’incarnation de la créativité. Un dieu Pan ? Eh oui, la créativité, c’est exactement la même chose que la fertilité.

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             Le temps passe et nous voilà rendus au fameux trip vers le Maroc, à bord de la Blue Lena, la Bentley de Keef conduite par Tom Keylock. Brian et Anita voyagent en compagnie de Keef. Un Keef toujours un peu jaloux de Brian qui reste l’âme du groupe. Un Keef qui vit depuis le début dans l’ombre de Brian Jones. Un Brian Jones qui reste meilleur en tout. Trynka propose un nouvel exemple de cette supériorité : l’enregistrement de «We Love You». C’est Brian qui joue du Mellotron, nous dit George Chkiantz, l’ingé-son d’Olympic. Il rappelle que les Beatles l’ont utilisé sur «Strawberry Fields Forever» et que le Mellotron d’Olympic était très primitif, très compliqué à manier - Playing it took a special kind of genius - Et voilà ! C’est pas Trynka qui le dit, c’est Chkiantz ! Et c’est bien que Trynka cite Chkiantz. On a l’impression qu’ils réparent une grave injustice. Trynka évoque encore un bel épisode : Brian marchant dans les rues de Greenwich Village, New York, avec à son bras Nedra Talley des Ronettes, et affrontant les injures racistes - He’d laugh, give them the finger and keep walking, unconcerned - Il n’y a pas que les racistes, nous dit Trynka, qui vont haïr Brian Jones : les pires seront les stups anglais et les tabloids. Les Stups vont essayer de le coincer 7 fois. Pourquoi cette haine viscérale ? Jeff Dexter a la réponse : «He was a dandy». On se souvient de ce qui est arrivé à Oscar Wilde.

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    ( Brian + Eric Burdon )

             Quand McCartney l’invite à Abbey Road pour une session d’enregistrement, Brian se pointe avec un saxo et joue sur «You Know My Name (Look Up The Number)», cut expérimental qu’on trouve en B-side de «Let It Be». Puis Brian s’envole pour San Francisco. Il voyage sous acide en compagnie d’Eric Burdon, et arrivé sur place, il retrouve Nico, his old femme fatale. Keith Altham : «He was happy, walking around in lace frills and finery, a long flowing robe like he was Queen Boudicca of the pop festival. Considerably out of it, making dreamy little comments... he was good at dreamy little comments.» Merveilleuse description. Comme s’il décrivait un ange. C’est Brian qui présente son ami Jimi sur scène au festival de Monterey. Une séquence historique de plus. Trynka ajoute : «And Jimi was like Brian - he would try anything.» Jimi restera l’un des plus fidèles amis de Brian, c’est important de le souligner. À San Francisco, Brian rencontre aussi le mandrax. Stash : «That was a disaster».

             Brian retourne au Maroc avec Glyn Jones pour enregistrer la transe des Gwana à Marrahech. Son idée est d’emmener ensuite les bandes à New-York pour overdubber des musiciens de r’n’b - It was a visionary concept - Mais Brian est trop défoncé et Glyn Johns se barre. On retrouve ensuite Brian dans le clip de «Jumping Jack Flash» - Sporting bug-eye alien specs, silver lipstick and an ice blue Telecaster, Brian dominated the visuals - Eh oui, Trynka a raison, la messe est dite ! Quand on voit les autres Stones, on rigole, car ils sont ridicules. Et puis Godard et One + One, Brian the fugitive ghost, isolé dans son box, avec une acou qu’on n’entend même pas.

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             Retour au Maroc, cette fois Brian se met en quête des Pipes of Pan from Joujouka. Il fait équipe avec Hamri, Brion Gysin et George Chkiantz. Il s’agit là de l’épisode le plus fascinant de la vie de Brian Jones. Ils vont assister au Bou Jeloud ceremony, «the most potent example of the harnessing of ancient forces.» Ils quittent Tanger à bord de deux bagnoles. La première personne qui écoutera les bandes enregistrées à Joujouka sera William Burroughs qui vénérait lui aussi la musique des Ahl Serif musicians. Elektra se montrera intéressé par le Joujouka album, mais Allen Klein qui supervise le biz des Stones bloque le projet. Brian voulait rajouter des guitars on top et faire chanter Cleo Sylvestre. Ça ne sortira qu’en 1971, soit deux ans après sa disparition.

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             D’autres gens rendent hommage à Brian Jones : Taj Mahal («My favourite sound of the Stones was when Brian had his hand on the tiller»), ou encore Ginger Baker («Brian Jones was the main man in the Stones, Jagger got everything from him»). Et Trynka en remet une couche : «He formed the band, he named the band, he taught Keith Richards Open G tuning, and he taught Mick Jagger how to bring a girl to orgasm.» Et vers la fin, ils sort sa botte de Nevers : il indique que la disparition de Brian Jones est perturbante, puisqu’elle a initié des théories sulfureuses, «mais aussi un révisionnisme initié par Mick Jagger, Keith Richards, Andrew Loog Oldham et d’autres, visant à réduire considérablement l’importance de l’un des musiciens les plus révolutionnaires du XXe siècle.»

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             Le mot révisionnisme est un euphémisme dans le cas de Brian Jones. Trynka n’en finit plus de rappeler à quel point les Stones ont été odieux avec le pauvre soldat Brian. Comme l’observe Jack Nitzsche, «peace and love were in short supply in the Stones camp.» Pas de pitié pour les canards boiteux, sauf que Brian Jones n’est ni un canard, ni un boiteux. Il est l’âme des Stones et les autres en crèvent de jalousie. Sauf peut-être Bill, lui aussi victime de malveillance, comme le rappelle Trynka. Et là on attaque la face cachée de la lune. Très tôt, Trynka positionne le Jag comme un rival de Brian Jones. Il en fait une histoire de mâles dominants. C’est très anglais comme approche. The top-dog syndrome. Jagger commence par baiser Pat Andrews, la poule de Brian, qui est absent. Puis Jag développe un goût prononcé pour la ruse. Keith Altham explique que Brian n’était vraiment pas doué pour la ruse - Brian wasn’t good at being bad. Mick was - Et voilà, le décor est planté. Le top-dog sera le Jag. Brian va s’écrouler comme un château de cartes. Avant de se débarrasser de Brian, le Jag va se débarrasser d’Andrew Loog Oldham. Comment ? En lui réclamant un tiers du gâteau Immediate et Oldham lui répond : «You’re fucking joking?». Oldham commet l’erreur de sa vie, dit Tony Calder, son associé. Un Oldham qui est aussi membre actif du démembrement de Brian Ravaillac. Comme le rappelle Trynka, Oldham dégrade systématiquement Brian dans ses trois volumes de mémoires. Oldham n’a qu’une seule stratégie managériale : pousser le Jag, il n’a donc pas besoin de Brian Jones. Il faut le virer. Mais il faut commencer par virer Giorgio Gomelski, le premier à s’occuper des Stones, puis Eric Easton, premier associé d’Oldham. C’est une épouvantable série d’éliminations. On se croirait dans la mafia. Oldham et Brian Jones ont pourtant plusieurs points commun, l’ambition et le narcissisme, plus une certaine fascination pour les gangsters. Puis il faut se débarrasser de Stu, le pianiste. Pas de look - Stu was one Stone too many, with a face that didn’t fit - Oldham vend du sexe avec les Stones et Stu n’a pas la gueule de l’emploi. Trynka utilise une jolie formule pour décrire l’épisode : «Avec le sacking of Ian Stewart, c’était la troisième fois que le serpent entrait dans the Rolling Stones’ little Garden of Eden, mais cette fois, le sacking était plus violent que ceux de Gomelsky et Glyn Johns.» Oldham est un génie du marketing : le but de la manœuvre est de mettre en place le team Jagger/Richards pour rivaliser avec le team Lennon/McCartney.

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    ( Brian + Andrew Loog Holdham)

             La première crevasse au sein du gang que forment les Stones à l’origine apparaît avec les 5 livres en plus que Brian reçoit de la part d’Eric Easton, comme une sorte de bonus. Five pounds. Eric Easton a pris Brian à la bonne. Oldham va retourner cette affaire ridicule à son avantage. Trynka indique que le déclin de Brian Jones commence avec ce pauvre billet de cinq livres. Les autres Stones le regardent désormais de travers. Fin du friendship des origines. Brian va devoir affronter la Jagger/Oldham/Richards troika. Après Edith Grove, la troïka s’installe à Mapesbury Road. Sans Brian, bien sûr qu’Oldham surnomme ‘the cunt in the barrio’. La haine s’installe, la pire : la viscérale.

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             C’est Phil May qui raconte la première attaque que lance la troïka contre Brian. Les Stones enregistrent «Red Little Rooster» et quand Brian arrive au studio, les autres sont déjà partis, laissant une note : «enregistre ci et ça». Brian est consterné. Phil May est choqué par la malveillance du Jag et la brutalité d’Oldham. Comment ont-ils pu faire une chose pareille ? Dawn Mollow assiste à des shootes : quand Keef s’énerve, il balance des objets et ça peut faire très mal. Phil May : «Loogie for me was a bastard. Very good for them but a real bastard. Brutal. Jagger and Oldham were the absolute masters of the ruthless approach.» Jagger et Richards arrivent au pouvoir en 1965 avec «The Last Time». Tony Calder indique qu’il existe des acetates de compos de Brian et quand il en fait écouter un à Oldham, celui-ci répond : «Fuck off !» - And of course Mick wasn’t interested in singing it. They were cruel. Cruel fuckers - Les compos de Brian sont donc systématiquement rejetées. On met pour l’instant cette haine sur le compte du billet de cinq livres. Phil May dit aussi que la troïka a tout fait pour démembrer Bill Wyman, mais Bill a su faire le dos rond et fermer sa gueule. La pression est terrible. Lors d’une tournée américaine, Brian choisit tout simplement de disparaître. Le mec qui l’héberge à New York connaît bien les Stones. Il sait que Brian n’a aucune chance. Ross dit en outre qu’Andrew a empoisonné la relation de Brian avec Mick & Keef et qu’il n’y a aucune chance de réconciliation. Phil May voit bien que Brian vit en dehors des Stones - There was the band, the Stones, and there was Brian on the outside - Les Stones sont devenus un affreux panier de crabes. Le Jag a longuement étudié Brian pour pouvoir se passer de lui, puis il a étudié Oldham et appris à annoncer des décisions avec brutalité. Capital encore le témoignage de Marianne Faithfull qui a vu le Jag diaboliser Brian, puis Oldham, et elle est ensuite passée à la casserole.

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             Oldham n’a d’yeux que pour le Jag et son suprême talent, nous dit Trynka, est de savoir le manipuler. C’est la tendance, à l’époque, rappelle encore Trynka, il prend l’exemple des Animals qui ont connu le même genre de bordel, rivalités internes, une mort mystérieuse et des sommes énormes volatilisées. Il précise toutefois que the Stones story is bigger, «sans doute à cause de ce manager qui voulait contrôler toute la scène anglaise, pas seulement un groupe et dont le génie consistait à savoir arnaquer un arnaqueur.» C’est Oldham qui fait entrer le loup Allen Klein dans la bergerie. Les décisions se prennent à quatre (Klein/ Oldham/ Jagger/ Richards), on informe les autres après coup, et accessoirement on vire Eric Easton qui du coup ne sert plus à rien. Lors de la quatrième tournée américaine des Stones, Brian préfère passer son temps en compagnie de Dylan plutôt qu’avec les autres Stones. Au moins, comme ça, les choses sont claires. Sur la côte Ouest, Brian passe son temps en petit comité avec Jack Nitzsche, Toni Basil et d’autres membres de la jet set californienne, ce qui ne fait qu’envenimer les choses au sein des Stones. En 1965, le personnage hip des Stones, c’est toujours Brian. C’est lui qui prend les drogues - Brian inhaled, the others didn’t. They were tourists - Jack Nitzsche adore Brian - He’s the real Rolling Stone. (...) The adventurer - C’est pendant les sessions d’Aftermath que Jack Nitzsche découvre à quel point Brian est maltraité par les autres - Comme Phil May, Chris Hutchins et Dave Thompson avant lui, la brutalité au sein des Stones le choquait - En studio, ils font refaire plusieurs fois une piste d’harmonica à Brian, il finit par avoir du sang sur les lèvres, à force de souffler, et ils n’ont même pas lancé l’enregistrement, dit Denny Bruce, l’ingé-son. Bien sûr, Brian aurait dû quitter les Stones. En choisissant de rester, il s’exposait, nous dit Trynka, à de cruels sévices, mais de ce combat, il tirait une musique of quite extraordinary sweetness.

             Leur jeu favori consiste à faire venir Brian en studio pour lui dire au bout de cinq heures qu’ils n’ont pas besoin de lui. Alors Brian les supplie de le laisser jouer, «n’importe quoi, même des bongos». Marianne assiste à cette boucherie : «this was a man being destroyed and humiliated.» Dawn Mollow se souvient que Keef s’en prenait à Brian en permanence - It was often plain, bloody nasty - Marianne, Sam Cutler et Jack Nitzsche ne font que le répéter : ils agissaient de sang froid : «totally, utterly cold.» Jack Nitzsche : «They could be real nasty.» Brian paye pour un billet de cinq livres et les 12 gigs qu’il a manqués sur un total de 930. En 1967, nous dit encore Trynka, Brian ne se plaint à personne, ni en public ni en privé.

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             Ce ne sont pas les Stones qui auront la peau de Brian Jones : ce sont les stups qui vont le harceler. Au moment où les procès font de Keef un héros, les mêmes procès brisent la résistance du pauvre soldat Brian. Quand au moment des procès, Oldham va se planquer en Californie, Klein prend le contrôle des Stones. Quand Brian plaide coupable à son premier procès, Keef et le Jag se mettent à le haïr encore plus, comme si c’était possible. L’apothéose de cette haine sera l’abandon de Brian à Marrakech et pour bien enfoncer le clou, Keef lui barbote Anita. Brian est complètement détruit par cette trahison. Il ne pensait pas que des gens qu’il considérait comme des brothers iraient jusqu’à le traiter ainsi. Cette histoire est épouvantable. Même Shakespeare ne serait pas descendu aussi bas dans l’abjection et le dark - Abandonné. No money. Just stuck in a hotel, on his own, dit Stash. Pour Trynka, ce geste est the embodiment of their nastiness, il parle bien sûr de la mauvaiseté du Jag et de Keef. Pire encore : le Jag et Keef sentent qu’ils doivent évoluer et Brian Jones les empêche d’avancer. Ils commencent par le considérer comme nul et non avenu, comme s’il n’existait pas - You don’t exist - À la fin de la session de «Sister Morphine», le Jag va trouver Brian qui est écroulé dans un coin et lui dit : «Just go home Brian.» Puis ils enregistrent «Honky Tonk Woman» avec Mick Taylor, et le 8 juin 1969, ils vont trouver Brian chez lui à Cotchford Farm pour lui annoncer qu’il est viré. Trynka précise qu’ils emmènent Charlie Watts avec eux, au cas où il y aurait du grabuge. D’après Trynka, Brian se sent enfin soulagé. Mais quelqu’un dit ailleurs qu’après leur départ, Brian s’est mis à chialer. Alexis Korner et sa femme Bobbie viendront ensuite à Cotchford Farm tenter de le réconforter, en l’aidant à monter un nouveau projet. Trynka fait d’Alexis Korner un prodigieux personnage, un ange de miséricorde à la Wenders. Encore une bonne raison de lire ce book. Il y a aussi du Alexandre Dumas chez Trynka : de grands personnages apparaissent à point nommé.

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    ( Phil May )

             Brian Jones a vécu ses cinq années de Rolling Stone entouré comme on l’a vu des personnalités les plus fascinantes de son époque, Jimi Hendrix, Phil May (Brian vit un temps à Chester Street, chez les Pretties, un groupe qu’Oldham haïssait, car il les voyait comme des concurrents), Jack Nitzsche (lui aussi protecteur de Brian), Brion Gysin, Alexis Korner, et puis Paul Jones, auquel Brian enseigne le secret du ‘cross-harp’ à l’harmonica - a fifth up from its nominal key - Brian, nous dit Trynka, partage volontiers ses secrets, et Paul Jones ajoute : «It was like he’s opened doors to an unseen kingdom.» Et puis Chris Barber qui avait accompagné Muddy en 1959, un Barber qui tente le coup du blues électrique avec Alexis Korner, l’ange protecteur de Brian, un Korner qui a découvert le blues grâce à Leadbelly. Korner est le premier à prendre Brian au sérieux - Alexis realized that Brian was utterly devoted to the cause, dit John Keen - C’est l’époque magique d’Elmo Lewis à laquelle on revient toujours, et en 1962, les gens s’extasiaient de voir jouer le jeune Brian - How the hell did he get to be so good ? - Elmo Williams, premier spécialiste britannique de Robert Johnson, Trynka ressort l’histoire du pacte avec le diable, une histoire qui ne pouvait que plaire au jeune Brian, et puis il en profite pour tracer un parallèle, avec le coup de la short existence, eh oui, ni Brian ni son père spirituel Robert Johnson n’ont fait de vieux os. Dark Magic. On pourrait délirer à l’infini sur ce thème, alors que la réalité doit être beaucoup plus prosaïque. Mais bien sûr, on préfère nettement la version délirante des choses. Fuck the reality !

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             Et puis Nico, plus haute que Brian, et qui lui dit qu’elle adore se faire enculer - I like it the Turkish way: my father was Turkish - Elle s’entend bien avec Brian qu’elle trouve décadent et lui aussi bien versé in the dark sexual arts, un Brian qui présente Nico à Andy Warhol, c’est la fameuse photo mythique en noir et blanc qu’on voyait à l’expo Velvet à la Villette, Nico au bras de Brian Jones, une image qui revient comme un leitmotiv. Tu compares cette image à la pochette de Black & Blue et tu vois tout de suite où est le problème : les Stones n’ont plus d’image. Elle est partie avec Nico à la Villette. Ce jour-là, Nico donne comme carte de visite à Andy Warhol silver screen son single enregistré sur Immediate, et ce sera son ticket d’entrée dans le Velvet. Nico n’en finira plus de chanter les louanges de Brian Jones : «He gave the best sex. Better than Jim Morrison.» Ah les femmes ! Elles nous rendront marteau, chantaient l’Au Bonheur des Dames. Trynka nous les présente toutes : en 1958, Brian a 16 ans et fait un gosse à Hope, gosse adopté évidemment, puis en 1959, il engrosse sa copine Valerie Corbett à laquelle il est attaché, son fils Barry David est lui aussi adopté, puis une femme mariée lui donne une fille, Belinda, et c’est Pat Andrews qui lui donne un quatrième enfant, Julian Mark Anthony, il va ensuite collectionner les conquêtes, Linda Lawrence qui a 16 ans et qui met au monde en 1964 son cinquième enfant, Julian, puis Dawn Molloy qui met au monde son sixième enfant et qui le fait adopter, puis Zouzou Salut les Copains qui vient vivre à Londres chez le zazou Brian au 7 Elm Park Lane, puis c’est Anita qu’il rencontre comme dit plus haut lors d’une nuit magique à Paris, puis Suki Potier, qui ressemble étrangement à Anita, et la dernière «officielle» sera Anna Wohlin avec laquelle Brian semblait heureux à Cotchford Farm. Trynka évoque aussi les deux putes berbères tatouées de Marrakesh avec lesquelles il prévoyait de faire une partie carrée avec Anita, mais Anita ne voulait pas.

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             Trynka referme le chapitre Brian Jones avec l’histoire de la piscine macabre : trente pages de témoignages, les proches, les pas proches, les flicards, les suspects, un vrai bordel, et bien sûr la mort du fondateur des Rolling Stones n’a jamais été élucidée. Au fond, tout le monde s’en fout. Sauf Marianne Faithfull qui, apprenant la funeste nouvelle, a avalé un flacon entier de barbituriques pour se foutre en l’air. Bon, il faut savoir que les suicides ne marchent pas à tous les coups. Et plus on essaye, moins ça marche. Le suicide est sans aucun doute réservé aux professionnels.

    Signé : Cazengler, pas brillant

    Paul Trynka. Symapathy For The Devil. The Birth Of The Rolling Stones And The Death Of Brian Jones. Bantam Press 2014

     

     

    Todd of the pop

    - Part Two

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             Difficile d’accepter l’idée que nos chouchous vieillissent. Eh oui, Todd Rundgren A Wizard A True Star atteint l’âge canonique de 71 ans. Comme Dylan et quelques autres, Todd Rundgren laisse derrière lui ce qu’on appelle a body of work, c’est-à-dire une œuvre gigantesque. Attention, aller zigzaguer dans cette œuvre peut donner le vertige. L’ami Todd ne fait jamais les choses à moitié.

             Il part du bon pied puisqu’ado, il tombe sous le charme des Beatles. Ce n’est pas seulement le son qui le fascine, c’est surtout le phénomène de groupe que les Beatles incarnent : trouver deux ou trois mecs dans les parages, bricoler quelques chansons et démarrer un groupe. Il adore aussi le Paul Butterfield Blues Band, puis passe à Burt Bacharach et à Laura Nyro. Lois Wilson rappelle que Laura Nyro voulait Todd comme band leader, mais celui-ci ne se sentait pas prêt à endosser une telle responsabilité. Il était en outre tenu par ses engagements envers ses collègues de Nazz.

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    Puis Rundgren attaque le sujet central du contexte Wizardien : les drogues. Il explique tout simplement qu’elles faisaient partie de son processus créatif. Il prend du ritalin pour Something/Anything. Ça lui donne de l’énergie pour passer la journée entière au studio et rentrer chez lui pour continuer à composer - The songs were coming quickly - Avec A Wizard A True Star, it got psychedelic. Il prend de la mescaline. C’est là qu’il décide de construire son studio pour expérimenter en toute liberté, seul et sans aucune contrainte de temps.

             En fait, Rundgren ne se soucie pas trop de sa carrière solo, il vit bien de son job de producteur. Il est même très demandé, à partir du moment où Albert Grossman s’occupe de lui. Il sauve le Straight Up de Badfinger menacé de naufrage après que Geoff Emerick et George Harrison aient jeté l’éponge. Puis il devient très riche grâce à Meat Loaf et entre dans la légende avec le premier album des New York Dolls. Pas question de leur donner des consignes, ils ne savent jouer que d’une seule manière. Il voit que Johansen se prend pour Jagger et Johnny Thunders pour Keef. Il va aussi produire le fameux War Babies de Hall & Oates.

             Quand on veut le comparer à Bowie, Rundgren s’en défend. Selon lui, Bowie conçoit la musique comme l’univers sonore d’un personnage imaginaire, il en fait une sorte de concept artistique. Rundgren utilise la musique comme un facteur d’introspection. Self-discovery.    

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             Il monte Nazz («The Nazz Are Blue», hommage aux Yardbirds) en 1968 avec trois autres playboys, Carson Van Olson on bass, Thom Mooney en drums et le plus charmant, Stewkey Antoni on keys. Ils enregistrent un premier album sobrement titré Nazz. L’album sort sur Screen Gem Columbia, une filiale d’Atlantic. Tout ce qu’on peut en dire, c’est wow. Alors Wow ! «Open My Eyes» fait partie des hits qui ont survécu depuis 1968. Eh oui, Todd est déjà dans la modernité du son avec ce shoot de Nazz, son rock entre dans les annales comme dans du beurre, il balance de l’écho et des clap-hands et revitalise toute l’industrie américaine. Avec ses réflexes à la Brian Wilson, on voit qu’il sait tempérer. Voilà un hit gorgé de magie sucrée et de prestance, claqué des mains, Todd croise Dancing In The Streets avec The Beat Goes On et le Rain des Beatles. Il enchaîne avec un «Back Of Your Mind» tout aussi énorme, joué dans les règles de l’art du son d’alors. Todd part même en solo de gras double et sonne toutes les cloches à la volée. Il est précoce et affreusement doué, il place un killer solo flash sur les accords de la menace. En 1968, c’est inédit. Il revient au sommet du lard fumant avec «Hello It’s Me», une pop d’antho à Toto, la pop du Todd des origines. The Todd of the pop. Une pop dont on s’approche les mains tremblantes. Une pop envahissante, incroyablement puissante. C’est un phénomène inespéré pour l’époque. Il boucle l’A avec «Wilwood Blues», un heavy boogie prévisible, mais Todd décide de le saccager, alors il taille sa route à la machette dans la jungle. Il devient stupéfiant de polyvalence et nous fait le coup du big Todd. Il repart de plus belle en B avec «If That’s The Way You Feel», un cut de pop prog très ambitieux à la Brian Wilson, très évolutif et plutôt inattendu sur un early Nazz. On y entend des chœurs de miel. Et puis voilà le coup de génie : «When I Get My Plane». On le sentait venir. Nazz sonne ici comme un énorme concept, Todd se sert du Plane pour lancer ses idées révolutionnaires. Il ne veut pas de petits hits au hit-parade, il veut du big heavy Todd. Alors il sonne comme les Beatles. Il pousse la magie des chœurs d’artichauts loin devant, c’est pulsé à l’énergie d’un collectif beatlemaniaque. Du coup, l’album sonne comme une aventure extravagante. S’ensuit un «Lemming Song» assez déterminé à vaincre. Aucun obstacle, le drive de basse emmène la charge. Todd s’octroie déjà toutes les fantaisies. Quel album ! Si jeune, il est déjà pourvoyeur d’excellence.

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             L’année suivante, ils récidivent avec Nazz Nazz. L’histoire de l’album est intéressante. Rundgren venait de découvrir Eli And The Thirteenth Confession de Laura Nyro et voulait aller sur ce genre de son plus travaillé, alors que Stewkey et Thom Mooney voulaient rester dans la veine Beatles/Yardbirds du premier album. Rundgren voulait faire un double album et les autres un album simple. Tension et dissension. Atlantic se range dans le camp de Stewkey et de Thom Mooney, et sort le Nazz Nazz qu’on connaît. Mais quel album ! On est frappé dès «Forget All About It», une belle pop traversée par une descente de chant vertigineuse. Descente aux enfers du paradis. On sent déjà le virtuose des coups tordus. Rundgren est un chaud lapin beatlemaniaque. Il passe en plus un solo bien décalqué dans la trame du speed dating. Quelle énergie et quel éclat ! Avec son admirable brouet de heavy rumble et de fructification d’harmonies vocales astronomiques, «Rain Rider» renvoie directement à Rubber Soul. Plus loin ce démon de Rundgren pousse encore la pop dans ses retranchements avec «Under The Ice». Puissant et épais, chanté à l’éclat de voix, d’une extraordinaire modernité. Des milliers de groupes ont par la suite cherché à sonner comme Nazz sans jamais y parvenir. Ajoutons que Nazz est certainement le seul groupe américain capable de rivaliser avec les Beatles. Ils attaquent la B avec le powerfull «Hang On Paul», pur jus de beatlemania new-yorkaise, en plein dans les fourches caudines de Drive My Car. Quel souffle ! Ils travaillent l’art suprême de la précipitation excessive et du chat perché up-tempique, et Rundgren passe un killer solo flash. «Kiddie Boy» reste dans la même veine, c’est le boogie nazzy de prédilection - Kiddie boy/ Kiddie boy/ Don’t kid around with me - Même sens du boogie supérieur que Chicken Shack. Encore une belle énormité avec «A Beautiful Song», un cut bourré de dynamiques, de shuffle d’orgue et de panache guitaristique. Sur une red Sanctuary parue en 2006, on trouve des bonus et quels bonus ! «Sydney Lunchbox» sonne comme un hit des Small Faces et ils tapent «Magic Me» au heavy Nazz. Ils taillent la route avec un côté Blue Cheer et ça sonne comme une admirable décharge de la brigade légère. Ils amènent «Kicks» au Magic Carpet Ride. «Not Wrong Long» sonne bien les cloches - I’m not wrong long ! - c’est de la pop explosive qui saute par paliers en fonction du régime. Ça se termine avec une version heavy d’«Under The Ice», c’est battu à la diable et projeté de plein fouet dans le mur du son. On croit entendre les Beatles des enfers.

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             Il faut éviter le Nazz III édité l’année suivante par Atlantic sans le consentement du groupe, enfin de ce qu’il en restait, car Rundgren et Van Olson avaient quitté Nazz au moment où paraissait l’album. Selon des sources bien informées, on a viré la voix de Rundgren sur les vieilles bandes pour la remplacer par celle de Stewkey.

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     Si on veut entendre la voix de Rundgren, il faut rapatrier The Fungo Bat Sessions rééditées en 2006. Après tous les cuts de Nazz III privés de Rundgren («Kicks», Magic Me», «Losen Up» monté sur le riff de «Tighten Up», «Christopher Columbus» rocké à la force du poignet et «You Are My Window», véritable énormité que chante Rundgren), on passe aux bonus Fungo avec encore un «Magic Me» indomptable et une guitare qui roule sous la peau du beat. Rundgren joue comme Jimi Hendrix, à l’incidence. Tous les cuts sont à tomber de sa chaise, «No Wrong Long» et «Meridian Leeward», un groove des Caraïbes. Rundgren chante «Letters Don’t Count» et tout redevient de la magie pure : «Only One Winner», c’est tout simplement the Todd of the pop, puis voilà le renversant«It’s Not That Easy» et ce coup de génie terminal qu’est «Forget All About It».

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             Pour éviter tous les problèmes rencontrés dans Nazz, Rundgren décide se simplifier la vie et de naviguer en solitaire. Il se lance dans une carrière solo. Il construit un studio secret qui va devenir un mythe et attaque en 1970 l’enregistrement d’albums qui vont forger sa légende. Le premier s’appelle Runt. Il attaque cet album extrêmement sous-estimé avec un «Broke Down & Busted» monté sur le riff du «Cowboy Movie» de Croz. Il l’équipe de ponts plus pop et imagine un développement plus rebondi, ce qui ne l’empêche pas de replonger dans l’épaisseur du groove. Il peut même aller chercher l’hendrixité des choses lorsqu’il se prête au vieux rituel soloïque. On retrouvera ce riff un peu plus tard dans «Number One Common Lowest Denominator». Avec Nazz, Rundgren montrait qu’il savait déjà travailler la lumière. Ça se confirme avec «We Gotta Get You A Woman». Il allume son cut tant au chant qu’aux arrangements. Il fabrique de la vraie pop américaine, comme Jimmy Webb et Brian Wilson. Retour au pur Nazz Sound avec «Who’s That Man». Rundgren pulse littéralement le beat par dessus les toits, il propose ici une pop rutilante et nerveuse. Il se livre à un fantastique exercice de contre-chant. Il règne sur son empire à coups de who’s that man ! Nouveau coup de Jarnac rundgrenien avec «Devil’s Bite». Il chante ça à la désaille beatlemaniaque. Il fait dérailler sa voix en plein Bite. Il dispose réellement de tout l’arsenal : le génie vocal, la talent de compositeur, le jeu de guitare et le look de rock star. Il n’a donc besoin de personne en Harley Davidson. Il se livre en B à l’un de ses futurs dadas, le medley, avec «Babby Let’s Swing/The Last Thing You Said/Don’t Tie My Hands». Il en fait une confiture magique. Les trois cuts sonnent comme du Rundgren pur, délicats et fruités, mélodiques et de grande amplitude. Rundgren fait ce qu’ont fait les Beatles en Angleterre : il sublime la pop. Il termine avec un beau carnage : «Birthday Carol», un instro ultra-tonique et il solote ça avec une niaque épouvantable, il semble jouer contre vents et marées, c’est un voltigeur de première ligne. Il s’arrête soudain et repart en mode mélopif douceâtre. Quel album !

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             Encore un coup d’avorton (runt) avec Runt - The Ballad Of Todd Rundgren paru l’année suivante. Sur la pochette, Rundgren joue assis à son piano avec la corde au cou. C’est ici qu’on fait connaissance avec deux autres personnages à dimension mythique, Hunt & Tony Sales, qu’on retrouvera plus tard dans Tin Machine. Le point fort de l’album se trouve au bout de la B et s’appelle «Parole». Back to the big heavy rock - Put down that phone and listen/ Baby how can you be so unkind - Les frères Sales jouent leurs asses off, comme on dit là-bas - Put down that gun/ And listen/ If you shoot/ It would be such a waste - Que ce violence dans cette essence ! Dès «Long Following Robe», on sent une énergie pop extraordinaire. On sent le mec prêt à conquérir le monde. Il casse encore la baraque avec sa guitare vrilleuse dans «Bleeding». Et puis on sent monter l’influence de Laura Nyro dans des cuts plus tranquilles comme «A Long Time A Long Way To Go» ou «Hope I’m Around». «Boat On The Charles» groove bien le Runt. Globalement  Rundgren propose une pop très ambitieuse qui ne cherche pas à vendre son cul. 

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             En 1972, Rundgren passe aux choses très sérieuses avec Something Anything. Ce double album propose pas moins de trois coups de génie, à commencer par «I Saw The Light». Ça ne te rappelle rien ? Mais oui, les jours heureux, only you, only you/ And a feeling hit me oh so strong about you et cet enfoiré s’envole avec cause I saw the light in your eyes. C’est tout simplement l’expression lumineuse et chaude du génie de Todd Rundgren. Le deuxième moment fort se trouve en C et s’appelle «Couldn’t I Just Tell You». Il attaque ça au guttural beatlemaniaque. Belle harmonie entre sa niaque new-yorkaise et cette voix de sucre anglais. Wow, ce hear me out/ Why don’t you lend me an ear et cette façon de remonter les bretelles de son I wanna talk to you. Comme Brian Wilson, Todd Rundgren nous emmène au paradis. Et puis comment ne pas tomber de sa chaise à l’écoute de «Little Red Lights» ? Il surjoue sa heavyness couche sur couche au fondu de voix d’electro-sonic trash, et soudain, il écrase le champignon, alors les little red lights filent de partout. C’est hendrixien dans l’âme, digne de «Crosstown Traffic». Il rend aussi un hommage extatique à Wolfman Jack avec le titre du même nom - Hey baby you’re on a subliminal trip to nowhere/ You better set your trip together before you step here with us - Il fait un hit de r’n’b sixties mixé au drive - I may miss your loving while on my back/ But you can’t escape from Wolfman Jack - Il finit l’A avec deux merveilles de pop épique ultra-orchestrée, «It Takes Two To Tango» et «Sweeter Memories», cette pop extraordinairement ambitieuse dont il va nous sevrer dans les années à venir - Keep the goog leave the bad/ Take a few of theses sewwrter memories - Assez pur, dans le genre océanique. En B, «Saving Grace» sonne comme un hit - I think I’m gonna love it - et il revient au heavy mood en C avec «Black Maria». Il ramène les power chords et tout le pathos. Sa voix coule comme du miel, c’est une merveille d’osmose de la comatose. Il nous fait les harmonies vocales du «Swlabr» de Cream. En D, «Hello It’s Me» sonne comme un hit, mais on va plus sur «Some Folks Is Even Whiter Than Me», un solide groove de pop rock visité par un sax free. Ce diable de Rundgren va chercher le guttural des cavernes. Il termine avec «Slut», un heavy rock de see that girl, doté de chœurs fantastiques - She may be a slut/ But she looks good to me ! - Diable, comme on a pu adorer cet album à sa parution.

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             Et plus encore le suivant, A Wizard A True Star, paru un an plus tard et annoncé par Creem comme le messie. Album culte dont on a dit dans un Part One tout le bien qu’il fallait en penser. Dans l’étagère, tu ranges A Wizard A True Star à côté de Pet Sounds, d’Electric Ladyland, d’L.A. Woman, du White Album, de Blonde On Blonde, de Forever Changes et de Gene Clark With Ths Gosdin Brothers.

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             En 1974, Todd revient à la une de l’actu avec un nouveau double album sobrement titré Todd. Pour lustrer plus encore le blason de sa légende, il s’est teint les cheveux de toutes les couleurs. Quelle pochette ! Quelle gueule de rock star ! Il propose toujours une pop ambitieuse très orchestrée («I Think You Know») et très fantaisiste, pour ne pas dire très libre («Drunken Blue Rooster»), ce qui, à l’époque, dérouta tous les moutons de Panurge. Pour rester dans le filon du Zen Archer, il proposait «The Last Ride», une pop océanique qui s’étend jusqu’à l’horizon et qui ne se connaît pas de limite. Mais c’est avec «Everybody’s Going To Heaven» qu’il crée l’événement. Il replonge une fois encore dans la heavyness hendrixifiée et les vapeurs mauves du Crosstown Traffic. En C, il inscrit «No.1 Lowest Common Denominator» dans les tables de la loi, comme s’il réinventait la heavyness. C’est un chef-d’œuvre de coulage de bronze - I wanna be your No.1 lowest common denominator - Il sort des sons très crosstown, une fois de plus. Il reste dans le meilleur heavy blast de forty second street avec «Heavy Metal Kids». Il part en solo de fulgure et bat tous les records d’admirabilité des choses. Franchement, les clameurs extrêmes n’ont aucun secret pour lui.

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             Quel album bizarre, cet Initiation qui date de 1975. Bizarre car coupé en deux : la B est du pur prog d’Utopia, alors laisse tomber, et l’A, du pur Rundgren, alors laisse surtout pas tomber, au moins pour ces trois cuts que sont «Real Man», «The Death Of Rock And Roll» et le morceau titre. «Real Man», c’est de la pop de Todd et même de Wizard, même ampleur, même élan, même distinction. Pour «The Death Of Rock And Roll», il ressort les mêmes ficelles de caleçon, il sait se fâcher et jouer le heavy rock US mieux que personne. Quant au morceau titre, il nous récompense d’avoir chopé l’album, car c’est the Todd of the pop, du génie de bon cœur, il fonce dans le tas, avec un son exaltant, très fourni. Du pur Rundgren.

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             On considère aussi Faithfull comme l’un des grands classiques rundgreniens. Il y propose une A bourrée de covers et une B à lui. Son choix de covers le ramène au sources du mythe rundgrenien : Yardbirds, Beatles, Beach Boys, Dylan et... Hendrix, bien sûr, surtout Hendrix avec une version monumentale d’«If Six Was Nine». Il le prend d’ailleurs d’un peu haut, comme s’il voulait y shooter un peu de violence new-yorkaise. On le sent fasciné par Hendrix, il va chercher l’hendrixité des choses dans son monde, il joue des figures de style aériennes, il revient inlassablement flotter dans des vents d’écho. Résultat stupéfiant. Il paye son écot à Dylan avec «Most Likely You Go Your Way» et aux Beatles avec «Rain» qu’il agrémente de chœurs doux à la volée. Sa version de «Good Vibrations» est du pur copy cat. Comment pourrait-il en être autrement ? Il n’amène rien de plus que ce qui existe déjà dans la version originale. Il se montre juste l’égal de son dieu. Pour saluer les Yardbirds, il plonge dans un bain d’«Happening Ten Years Ago» avec des guitares qui gently weep. Admirable clin d’œil d’un kid américain au psyché de l’âge d’or britannique. Et quand il part en solo, il part en solo. Rundgren joue toujours pour de vrai. En fait, avec cette A, il tape dans les pires intouchables de l’histoire du rock, et «Strawberry Fields Forever» en fait partie. À part Todd Rundgren, personne n’a jamais osé s’attaquer à ça, ni à «Good Vibrations». Mais sa version est très américaine, il manque forcément le doigté de John Lennon. Il démarre sa B avec «Black And White», un heavy rock psyché - Guess you can believe anything - C’est énorme, chargé du meilleur son qui se puisse espérer ici bas. Non, franchement, on se saurait espérer mieux dans le genre. Avec «Love Of The Common Man», il propose son habituel mix de heavyness et de pop lumineuse. Comme les Beatles sur le White Album, Rundgren se livre à quelques exercices de style du type «When I Pray», assez africain d’esprit. D’ailleurs la pochette de Faithfull est aussi blanche que celle du White Album. Il faut aussi se souvenir que ces quelques excentricités pouvaient à l’époque ruiner un album. Cette face ne pouvait évidemment pas marcher à l’époque. Trop poppy, «The Verb To Love» ne passait pas. Il termine sa B sur un épisode assez glammy, «Boogie (Hamburger Hell)». Il sait tout faire, même glammer comme un gang de droogs.

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             Retour de la rock star sur la pochette de Hermit Of Mink Hollow paru en 1978. Le stand-out cut se l’album se trouve en fin de B et s’appelle «Out Of Control». Il porte bien son nom, hot damn ! C’est monté sur un big heavy riff. Rundgren l’a déjà montré : il sait allumer un cut au riffing et aux descentes de chant qui vont se fondre dans le chorus de guitare. Oh, il faut le voir partir en maraude de solo gras. Admirable corker ! Il emmène son hot shit au bout du bout et s’en vient lui hurler dessus. Il appelle l’A the easy side et la B the difficult side. Côté easy, on trouve «All The Children Sing», une pop très symphonique bâtie autour de ponts complexes qu’il jette par-dessus des vallées de synthèse. Tout reste très allégorique, chez Rundgren, il ne lâche jamais la grappe de sa vigne. Il s’adresse ici à tous les mecs de la terre, the Chinaman, wise and old, the Eskimo, brave and cold, the Jew in the holy hand, the Arab in his caravan, the African, strong ans proud, the Redneck, good and loud. Bravo ! Ce sont des paroles qu’on a presque envie d’apprendre par cœur. Il reste avec «Can We Still Be Friends» dans cette pop dont il a le secret, une pop connue de lui seul, très libre, très ouvragée, un monde en soi. Il rappelle aussi sur la pochette intérieure qu’il joue tous les instruments. Avec «Hurting For You», il explore de nouvelles contrées lysergiques et pianote dans l’ouate des chœurs. Il reste dans la pop élancée en B avec «You Cried Wolf». À force de crier au loup, comme on dit !

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             Healing paraît l’année de l’élection de François Miterrand. Il commence à expérimenter avec ses keys et ses boxes, comme il va le faire avec Utopia. Disons que l’album ne fonctionne pas. On s’y ennuie, et c’est la première fois qu’une telle chose se produit.

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             Sur The Ever Popular Tortured Artist Effect paru l’année suivante, Rundgren rend hommage aux Small Faces avec une version exemplaire de «Tin Soldier». Il monte sur ses grands chevaux pour imiter la bravado de Stevie Marriott. Il est mille fois dessus, il va même chercher le chat perché du vieux Stevie. Les autres bouts de viande se trouvent en A, à commencer par «Hideaway», belle pop avantageuse chargée de toute l’ambition rundgrenienne. Il revient inlassablement à cette pop énergétique pleine d’allant et tendue vers un avenir certain. On pourrait dire la même chose d’«Influenza», pop radieuse et clavecinée derrière les oreilles, jouée au mieux des possibilités du genre. Il fait des re-re sur sa voix, c’est un artiste complet - I can feel my will slip away/ Under your influenza - Quelle musicalité ! Puis avec «There Goes Your Baybay», il n’en revient pas de voir sa baby partir - Now I can’t believe it’s happened to me ! - En B, il tape «Drive» au son des Byrds, il est capable de ce genre de coup d’éclat. D’ailleurs, les Byrds étaient étrangement absents de Faithfull. Défaut réparé.

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             Encore un fascinant album : A Capella, paru en 1985. Rundgren tape dans le gospel avec «Hodja». On le sait depuis le début, s’il est bien un mec qui n’a besoin de personne en Harley Davidson, c’est bien Todd Rundgren. Le voilà lancé dans le jump de doo-wop, il fait son Blind Boy Of Alabama aux clap-hands, Hodja make me spin/ I want to dance ‘til I forget who I am - Puis il sort de sa manche une Beautiful Song intitulée «Lost Horizon». Il s’accompagne à la basse et swingue sa pop dans les altitudes - Maybe someday/ I’ll sing with you - Admirable, Todd Rundgren montre qu’il sait encore faire des miracles. Il monte son «Blue Orpheus» d’ouverture de bal sur un beat electro, mais ça captive. Curieux mélange de pop épique et de beat electro primitif. Il chante «Pretenders To Care» a capella, sur ses propres chœurs et son doom de doo-wop. Ce mec est très complet, trop diraient même certains. Il mélange les gens dans sa pop d’adolescent attardé. En B, il revient au pop world avec «Something Fall Back On Me», cut épique et lumineux dans la meilleure veine de Something Anything. Il règne sans partage sur son empire des sens. Avec «Miracle In The Bazaar», il fait le muezzin dans la medina et avec «Lockjaw», il fait l’ogre qui rôde dans la forêt noire. Il chante le magnifique «Honest Work» a capella - My family is lost to me/ They could not bear the hurt/ To see the state their boy is in/ For lack of honest work - C’est très poignant. Il termine avec «Mighty Love», un doo-wop en solitaire avec un boom boom derrière son chant étoffé de chœurs. Très bel album.

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             Encore un coup d’éclat avec Nearly Human paru quatre ans plus tard. Bobby Womack vient duetter avec Todd sur «The Want Of A Nail». Du coup ça prend une fantastique allure de white Soul à la Womack. Rundgren mêle sa bave de Philly Soul à celle du petit Bobby. Quelle belle paire, the white dandy and the black dandy together, c’est quelque chose ! Autre invité de marque : Prairie Prince, qu’on entend en B battre le beurre sur «Feel It». On a là une atmosphère à la Marvin, violonnée et travaillée au groove incertain. Rundgren mène bien sa barque de white Soul somptueuse et charnue. Retour à la grande puissance pop avec «I Love The Life», chœurs énormes avec un Todd on fire sur sa guitare. Les chœurs sonnent comme des bouquets d’excellence, il finit en apothéose de gospel batch. Stupéfiant ! C’est encore une fois un album exceptionnel. Rundgren revient à sa blue-eyed Soul avec «The Waiting Game», il tarabiscote à la Laura Nyro, c’est forcément bien vu et fantastiquement soutenu aux backing vocals. S’il fallait définir Rundgren en seul mot, ça pourrait bien être le mot éther. Avec «Unloved Children», il revient à ses chers solos incendiaires. Il faut le voir se glisser dans le heavy groove. Il nous gratifie aussi avec «Can’t Stop Running» d’un final explosif, tout y est, les chœurs, le solo, la folie douce. Il reprend son bâton de pèlerin avec «Fidelity» pour aller prêcher la blue-eyed Soul. Admirable sens du déroulé paradisiaque. Cet album s’inscrit dans la lignée des grands albums rundgreniens d’antan. Et puis voilà qu’avec «Hawking», il rejoint l’infini océanique du Zen Archer. Que peut-on espérer de mieux ?

             Suite des aventures du Wizard dans un Part Three.

    Signé : Cazengler, Todd Rengaine

    Nazz. Nazz. SGC 1968

    Nazz. Nazz Nazz. SGC 1969

    Nazz. III Including The Fungo Beat Sessions. Sanctuary Records 2006

    Todd Rundgren. Runt. Bearsville Records 1970

    Todd Rundgren. Runt. The Ballad Of Todd Rundgren. Bearsville Records 1971 

    Todd Rundgren. Something Anything. Bearsville Records 1972

    Todd Rundgren. A Wizard A True Star. Bearsville Records 1973

    Todd Rundgren. Todd. Bearsville Records 1974

    Todd Rundgren. Initiation. Bearsville Records 1975

    Todd Rundgren. Faithfull. Bearsville Records 1976

    Todd Rundgren. Hermit Of Mink Hollow. Bearsville Records 1978

    Todd Rundgren. Healing. Bearsville Records 1981

    Todd Rundgren. The Ever Popular Tortured Artist Effect. Bearsville Records 1982

    Todd Rundgren. A Capella. Warner Bros Records 1985

    Todd Rundgren. Nearly Human. Warner Bros Records 1989

    Lois Wilson : Drugs worked for me. Record Collector # 491 - April 2019

     

     

    Inside the goldmine

    - Qualls qu’il fasse

     

             On l’appelait OPQ parce qu’il se situait entre le KLM(N) de sa KTM et le RST de son air resté. Resté où ? Là-bas. Ne cherchez pas à comprendre. OPQ avait du cul, c’est-à-dire de la chance. Il pouvait barboter n’importe quoi sans jamais se faire poirer. Il comptait même en faire un métier, mais il était aussi père de famille, alors il dût accepter l’idée de prendre un job. Comme tout le monde, il devait payer son loyer et ses impôts. Mais dès qu’il avait un moment de libre, il donnait libre cours à sa cleptomanie. Comme on bossait ensemble, on y allait ensemble. Il repérait une boutique. Le jeu consistait à sortir deux objets identiques, les plus gros possibles. Le voir à l’œuvre était un spectacle hallucinant. Il sortait une main blanche de la poche de son imperméable et vif comme l’éclair, il subtilisait l’objet convoité. Il agissait sans jamais se retourner, comme s’il avait un œil à l’arrière du crâne. Il suffisait de l’observer et d’agir au même moment pour comprendre qu’on ne risquait rien. OPQ fonctionnait à l’instinct animal. Il savait exactement quand il fallait agir, au dixième de seconde près. Sa cleptomanie était un don, au même titre que l’oreille musicale pour un instrumentiste. Il analysait rapidement les ambiances, il ignorait les risques. C’est même une notion qui le faisait bien rire. Le risque ? Mais ça n’existe pas ! Ça n’existe que dans ta tête ! Il s’intéressait aux objets coûteux, objets de déco chez les designers, objets anciens chez les antiquaires, bouteilles de parfum chez les grands parfumeurs, et bien sûr grands crus chez les cavistes. Pas de bijoux, à cause des caméras. La condition était que ces objets fussent en double. Et puis bien sûr les disques. OPQ en avait rempli une armoire normande et se vantait de n’en avoir acheté aucun. Ça illustrait bien le rendement de la petite industrie. Sa femme sentait bon, sa maison était joliment décorée, ses enfants jouaient avec des jouets anciens qui valaient une petite fortune et il arrosait chaque repas d’un grand cru sélectionné avec un soin maniaque. Il y avait quelque chose de princier dans la voyoucratie d’OPQ. On aurait pu le surnommer Arsène Lupin.

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             Il existe un autre Arsène Lupin, mais c’est un Arsène Lupin de la Soul : Sidney Joe Qualls. C’est grâce à Sam Dees qu’on a fait sa connaissance : il figure sur la compile Ace One In A Million (The Songs Of Sam Dees). Un Sidney qui s’écrit aussi Sydney, ça dépend des labels. En plus de la connexion Sam Dees, tu as la connexion Carl Davis, le boss de Brunswick et de Dakar à Chicago, l’un des producteurs les plus brillants des années 70.

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           C’est d’ailleurs sur Dakar qu’est paru en 1974 le premier album de Sidney Joe Qualls, I Enjoy Loving You. Mise en bouche avec le groove du morceau titre, un groove de charme excédentaire. Qualls chante comme un dieu noir, il est le Marvin de Chicago. Il épouse parfaitement les formes du groove de Carl Davis. C’est sur cet album qu’on trouves les compos de Sam Dees, «Shut Your Mouth» (r’n’b classique chanté au doux du ton) et «Run To Me» en B, attaqué à la Marvin. Qualls le crack est dans de bonnes mains avec Sam Dees. Il groove l’une des meilleures sources de Soul du monde. Il tape aussi dans Gamble & Huff avec «If You Don’t Know Me By Now». Qualls tape là dans le nec plus ultraïque de l’upper state. Il tape plus loin dans une groove signé Carl Davis, «The Next Time I Fall In Love». C’est d’une magnanimité sans nom, une magnitude digne d’Anna Magnani. Il érige l’édifice d’une ineffable Soul sophistiquée. Il faut le voir feuler l’«I’m Being Held Hostage». Les blacks sont souvent des chanteurs de chèvre chaud. Et puis voilà le coup de génie de l’album : «When The Lilies Grow». Qualls fait danser ses hautes notes dans les tourbillons du bonheur, au yeah-ehh-ehh. Il boucle son balda avec l’excellent «Can’t Get Enough Of  Your Love», il reste pour ça dans le mood de groove urbain, Qualls a le doux gai de Marvin Gaye et le pied ailé de Leroy Hutson.

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             Un deuxième album paraît en 1978, le goûteux So Sexy. Dès le morceau titre d’ouverture de balda, le génie Soul de Qualls te saute au kiki, c’est-à-dire à la gorge, sur un heavy diskö beat ! Le cat Qualls chante comme un crack. Mais attention, ce n’est pas un album diskö, car avec «Let The Woman Know», Qualls passe à la Soul dansante très haut de gamme, les trois blackettes qui font les chœurs derrière Qualls sont superbes. Et puis il faut voir les violons de Marvin saluer «I Don’t Do This», ce mec Qualls est bon, il se prélasse dans l’oooh baby you’re so sweet. Comme c’est supervisé par Carl Davis, on a un chef d’œuvre de Soul moderne, dans l’esprit de Freddie Scott. En B, Qualls tape dans le funk avec «Good Ol’ Funky Music». On se croirait chez Parliament, babbehhh ! - I like funky music ehh ehh - il groove ça au big Qualls kick. Il fait du Richie Havens avec «Bad Risk», c’est puissant et mâtiné de violons, bien porté par le chant, les arrangements battent tous les records d’élégance. On trouve encore des grands éclats de Soul moderne dans «Where Have You Been», ça nous renvoie aux grands albums que Freda Payne enregistra avec Lamont Dozier et les frères Holland. Qualls finit ce bel album avec «I Could Be So Good For You», en mode Soul d’élégance suprême. Il groove son pré carré et monte au chat perché pour l’éclairer. Encore un album dont on espère ne jamais voir la fin. 

    Signé : Cazengler, Sidney crochu

    Sidney Joe Qualls. I Enjoy Loving You. Daker Records 1974 

    Sidney Joe Qualls. So Sexy. 20th Century Fox Records 1978 

     

     

    Wizards & True Stars

    - Last train to Clark’s ville (Part One)

     

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             Avec les Byrds, c’est un peu comme avec les Beatles, tu as tes chouchous. Sans doute George et John d’un côté, Croz et Gene Clark de l’autre. Chacun des quatre est une true star à part entière, et en même temps, ils ne sont rien les uns sans les autres. Pas de Byrds sans Gene Clark ni Croz. Bon d’accord, tu as les autres derrière, Jim McGuinn qui se rebaptise Roger, va-t-en savoir pourquoi, et puis la section rythmique Michael Clarke/Chris Hillman, mais on voit bien qu’après les départs de Gene Clark et de Croz, les Byrds sont retombés comme un soufflé, ce qui veut bien dire ce que ça veut dire.

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             Si les quatre chouchous sont réunis ici, ce n’est pas un hasard, Balthazar. Ils sont tous les quatre des musiciens et des compositeurs exceptionnels. Tape dans les albums solo de Lennon et de Croz, et tu verras qu’il n’y a quasiment rien à jeter. Chez George, c’est du pareil au même : All Things Must Pass est un joyau de la couronne d’Angleterre, l’un de ces albums parfaits que savaient enregistrer les grands artistes des années 70. Et puis tu as Gene Clark, dans un style post-Byrds beaucoup plus austère, mais tellement fascinant. Plus tu l’écoutes, plus tu comprends que les Byrds, c’est Gene Clark, sans vouloir manquer de respect à Croz. Gene Clark composait énormément et les autres Byrds le jalousaient un peu, car c’est lui qui empochait le gros des royalties.

             Il existe cinq façons d’entrer sur le continent Clark pour l’explorer : un, via les trois premiers albums des Byrds + Preflyte. Deux : via la bio de John Einarson, Mr. Tambourine Man - The Life And Legacy Of The Byrds’ Gene Clark. Trois : via les big bio des Byrds qui fait référence, celle de Johnny Rogan, Byrds - Requiem for the Timeless en deux volumes. Quatre : via la carrière solo de Gene Clark. Et cinq, via une compile Ace qui vient de paraître : You Showed Me - The Songs Of Gene Clark. Cette compile est la façon la plus légère d’entrer sur le continent Clark. Bizarrement, ce n’est pas John Einarson qui mène le bal du booklet, comme il le fait dans quasiment toutes les rééditions de Gene Clark, mais Kris Needs.

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             Égal à lui-même, Needs écrit avec une passion d’écolier transi. Il a déjà réussi à convaincre tous ses lecteurs de ramasser l’intégralité des albums de Sun Ra et de Funkadelic. Le voilà qui récidive avec Gene Clark qui pour lui est «one of the last century greatest voices, charismatic performers and supernaturally talented songwriters.» On le sait depuis longtemps, Needs ne lésine pas sur l’emphase et tant qu’il s’agit de très grands artistes, ça nous convient parfaitement. Qu’il en rajoute un peu, c’est normal, puisque c’est dans sa nature. Il s’excite tout seul en écrivant et il a raison. L’enthousiasme est toujours le bienvenu, même si on retrouve ici et là sa fâcheuse tendance à se placer au centre du récit. On aurait presque envie d’être un esclave debout près de lui sur le char qui traverse la ville pour lui murmurer à l’oreille : «N’oublie pas Needs que tu n’es pas Clark.» Comme beaucoup de gens passionnés de rock, il semble vouloir se grandir à travers ses dévotions. C’est un phénomène courant. C’est un peu la même chose que de dire au Professor avant d’entrer dans le studio du radio show : «Souviens-toi que tu n’es pas là pour parler de toi, mais des Cramps.» Bien sûr, il ne pourra pas s’empêcher de parler de lui. La dévotion passe parfois par le nombril.

             Il n’empêche que Needs s’y prend habilement pour bricoler sa compile : il fait un choix osé de covers et d’interprètes pas trop connus, ce qui occasionne quelques belles surprises, notamment le «Some Misunderstanding» de l’electronic gospel duo Soulsavers featuring Mark Lanegan. On avait cru bon de faire l’économie de cet album. Grave erreur car Lanegan + Gene Clark, ça donne un cocktail explosif. Needs parle de «towering emotional devastation» qui atteint un pic de no-retour avec «We all need a fix», en écho avec l’ineffable autobio de Lanegan, Sing Backwards And Weep. Needs en profite pour faire l’apologie de l’album Broken, dont est tiré le so spectral «Some Misunderstanding», spectral, oh yeah, avec un Lanegan blanc comme un cierge tapi au fond du spectre, et ça monte à l’éclate, ça se transforme en une aubaine pour le genre humain. On a là une sorte de conjonction inespérée : Lanegan + Gene Clark. Rien de tel qu’un interprète surnaturel pour mettre en valeur la grandeur élégiaque d’une compo. L’histoire du rock fourmille d’exemples de conjonctions inespérées : Totor/Righteous Brothers, Jerry Ragovoy/Dusty chérie, Burt/Dionne la lionne, HDH/Marvin Gaye, Isaac & Porter/Sam & Dave, et la liste continue. Cette liste constitue l’une des dimensions magiques de l’histoire du rock.

             Autre conjonction inespérée : Death In Vegas/Paul Weller avec une cover de «So You Say You Lost Your Baby», tiré du premier album solo de Gene Clark avec les Gosdin Brothers. C’est toujours très carré avec l’electro beat de Death In Vegas, mais cette fois ils tapent dans la compo du diable. Weller chante. What a mélange ! Ce fabuleux rock californien décolle comme un gros vaisseau spatial. C’est là que le compositeur Clark devient immense. À travers ce choix, Needs nous dit que Gene Clark traverse toutes les époques - It’s a mark of the eternel resonance of Gene songwriting - On connaît le faible de Needs pour l’electronic dance music. Dans son autobio, il nous soûlait avec ça. Alors il récidive et entre dans le détail de Death In Vegas, revient sur les fameuses Continuo Sessions, featuring Iggy et Baby Gillespie, puis sur Scorpio Rising, featuring Liam Gallag, Hope Sandoval et Weller, d’où est tiré ce véritable coup de génie qu’est la cover de «So You Say You Lost Your Baby».

             Tu sens nettement qu’une grosse énergie sous-tend tous les cuts de cette compile. Tiens on va prendre l’exemple des power pop kings Velvet Crush de Rhode Island. Ils tapent une fabuleuse cover d’«Elevator Opratator», chef d’œuvre lui aussi tiré de Gene Clark With The Gosdin Brothers. Nec de nec. Pas de choix plus juste que celui-ci. À travers ses choix, Needs revisite l’envol du Byrd solo. Alors bien sûr, on n’échappe pas aux Groovies qui ramènent leur fraise avec «She Don’t Care About Time», un cut qui aurait dû figurer sur Turn Turn Turn, le deuxième album des Byrds. Needs : «Perhaps my favorite Gene Clark song.» Mais la cover des Groovies n’est pas terrible, un peu confuse. Ils se prennent les pieds dans le tapis volant. On ne voit pas bien l’intérêt. On a d’ailleurs eu le même problème avec les Barracudas qui s’’épuisaient en vain à vouloir sonner comme les Byrds. Mais qui avait besoin de nouveaux Byrds à Londres ? Il valait mieux écouter les trois premiers albums des Byrds parus sur Columbia. Needs en profite pour rappeler que les Groovies «took their homaging of 60s Byrds, Beatles and Stones to nuclear levels at the height of ‘77 punk, in smart suits.» Cyril Jordan qui fréquentait les Byrds à leurs débuts n’en démord pas : pour lui, c’était de la magie, et c’est pourquoi il reprenait leurs cuts. Needs raconte aussi l’histoire des fameuses Gold Star Tapes : l’un des rêves de Cyril Jordan était d’enregistrer avec Totor et quand le projet est arrivé sur le bureau de Seymour Stein, il a préféré envoyer les Ramones chez Totor. C’est Marc Zermati qui a repris le projet au Gold Star et qui a proposé de le financer. Mais il n’avait pas de blé. Il est rentré en France avec un acétate et a réussi à sortir ses Gold Star Tapes. C’est bien que Needs salue Marc.

             «Eight Miles High» fut la seule compo de Gene Clark sur Fifth Dimension, le troisième album des Byrds. Curieusement, Needs a choisi la cover de Roxy Music. Weird choice car c’est une version diskö-funk, alors qu’«Eight Miles High» est avec «Arnold Layne» l’un des hymnes de la psychedelia. Le son est très anglais, on voit tout de suite la surface de vente et ce m’as-tu-vu de Ferry fait du glam de Byrds, c’est atrocement détourné, complètement pourri. Là, Needs se vautre en beauté. En même temps, c’est bien de savoir que des gens aussi en vue que Roxy peuvent faire n’importe quoi.

             Retour aux choses sérieuses avec «Echoes», un autre hit intemporel tiré lui aussi de Gene Clark With The Gosdin Brothers. «Echoes» est l’un des hits les plus faramineux de cet immense artiste. Needs s’étend d’ailleurs longuement sur cet album qui vaut largement les trois premiers Byrds, il rappelle tout de même que Tonton Leon, Glen Campbell, Jerry Cole, Van Dyke Parks et Clarence White sont dans le studio. Avec en plus Doug Dillard qui fera équipe avec Gene Clark aussitôt après, et dans les backing, tu as bien sûr Vern et Rex Gosdin dont les albums sont chaudement recommandés. C’est à Starry Eyed And Laughing que revient l’honneur de taper l’«Echoes» et miraculeusement, ils parviennent à restituer la magie de l’original. Needs qualifie ce groupe anglais des seventies de Byrds maniacs. Il rappelle aussi que le nom du groupe sort de «Chimes Of Freedom» et que Pete Frame, le boss de Needs chez Zigzag, les manageait. Et pour couronner le tout, le chanteur Terry Poole gratte une douze Rickenbacker.

             L’autre bonne pioche du compileur Needs, c’est The Rose Garden avec l’énorme «Till Today». N’oublions pas qu’il existe un EP inédit, The Rose Garden EP, qu’on trouve sur Gene Clark Sings For You, une red Omnivore de 2018. Ils font avec «Till Today» une belle descente de heavy country avec un fabuleux sens de l’entre-deux. Après celles des Groovies, de Roxy Music et de Juice Newton, c’est la première cover sérieuse de la compile.  

             Needs rappelle aussi que The Fantastic Expedition Of Dillard & Clark enregistré à l’époque où il fréquente The Rose Garden est un timeless triumph, «crystallising burgeonning country-rock and planting bluging seeds for Americana with its folk-rock-bluegrass-country amalgam.» Hélas, en 1968, le bluegrass ne se vend pas. Les Flying Burritos Brothers feront aussi les frais de ce constat. Ils sont là, les Burritos, avec «Tried So Hard», merveilleux shoot de country volante et bien sûr, on pense à Jean-Yves qui, dès 1969, vénérait déjà The Gilded Palace Of Sin.

             Pour Needs, le cut le plus fascinating de la compile est «Train Leaves Here This Morning» par Kai Clark, le fils de Gene, tiré d’un tribute album inaccessible. Kai ramène en effet la heavy country de son père. Par contre, on croise pas mal de plantards : Juice Newton («I Feel A Whole Lot Better» trop glacé), Thin White Rope («I Knew I’d Want You», si loin du compte), Linda Ronstadt (elle non, jamais de la vie, pauvre femme atroce et vulgaire), Pure Prairie League («Kansas City Spouthern», petit bivouac sur le cadavre de Gene Clark, aucune considération, fuck it), The Mother Hips («Why Not You Baby», encore une bande de m’as-tu-vu qui se croient tout permis) et puis tu as la reformation des Byrds et un «Full Circle» forcément énorme. Avec Gene Clark c’est tout l’un ou tout l’autre. En fait tout dépend des interprètes. Il est vraiment très spécial.

    Signé : Cazengler, tête à clarques

    You Showed Me. The Songs Of Gene Clark. Ace Records 2022

     

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         - La livraison 599 est parue avec trois jours d’avance, because j’étais en déplacement sur la route 6…

    • On the road 66 et tu ne nous as pas emmenés avec toi, Damie tu mérites soixante-six fois la mort !
    • Pas d’affolement les gars, je n’étais pas sur la soixante -six mais sur la 6…
    • Sur la 666, celle de la bête crowleyenne, invité par Jimmy Page au manoir Boleskine, Damie nous te maudissons jusqu’à la six-cent-soixante-sixième génération !
    • Doucement les gars, y a longtemps que Jimmy a tourné la page Boleskine, de toutes les façons je n’ai emprunté ni la 66, ni la 666, mais la 606 !
    • La 606, on ne connaît pas, une route pour les blaireaux comme toi, tu sais où tu peux te la mettre ta 606…
    • Bon puisque ça ne vous intéresse pas, je ne vous raconterai pas qui j’ai vu, y avait plein de rockers, une super nana, un concert de rock et…
    • Damie, arrête de nous faire languir, nous sommes tout ouïe pour ce truc inouï !
    • La route 606, comme vous l’ignorez, ne passe pas très loin de Provins et mène à Sens, donc je l’emprunte, au bout d’une quarantaine de kilomètres je sors de la route 606 et trois cents mètres plus loin je m’arrête pile sur la route 606.
    • Damie tu affabules si tu sors de la route 606 comment peux-tu t’arrêter sur la route 606.
    • C’est qu’il y a route 606 et route 606, la première est une route tout ce qu’il y a de plus route, pour ceux qui veulent tout savoir, il y a même une route 606 A et une route 606 B, mais moi je ne m’arrête ni sur la A ni sur la B, mais sur la route 606.
    • Damie, tu n’es pas un peu fatigué, tu devrais surtout arrêter le moonshine !
    • Essayez de comprendre, la Route 606 est bien une route, mais Route 606 est le nom d’un restaurant qui ne se trouve pas sur la Route 606 !

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    Route 606, vous ne pouvez pas ne pas le voir, c’est écrit en gros sur la façade noire. Un diner est-il spécifié. Pas besoin de s’inquiéter pour stationner. Dans dix ans ce sera autre chose. Nous sommes à la sortie de Sens, sur une zone d’activité en construction. Le resto en pointe et sur sa gauche une large rue toute droite sur laquelle s’alignent des locaux d’entreprises tout neuf. Aujourd’hui un désert. Demain une fourmilière. Ainsi va le monde. Mal.

    En tout cas ça sent la barbaque et le rocker. Normal, des flibustiers en perfecto s’activent autour d’un barbecue, tout de suite l’on se sent comme chez soi. Un bar et une grande salle à manger et boire durant le concert. Au mur la décoration appropriée au lieu, motos, fifty, rock’n’roll. Je ne m’attarde pas, juste une exception pour le coin de l’estrade à musicos. Une tapisserie de couvertures de livres dont une qui me fait chaud au cœur, la couverture de René Leys de Victor Segalen. Un de mes héros. Poëte, romancier, essayiste, médecin, marin, explorateur, sinologue, éditeur, peintre… Bretagne, Tahiti, Chine, né en 1878, mort en 1919, l’exote par excellence qui a exploré le monde pour mieux se retrouver en lui-même. Etranger qui passait.

    Cerise sur le gâteau, je retrouve Duduche, Franck et Christophe, la fine équipe du 3 B ! Le cheval de Troyes !

    MARLOW RIDER

    ROUTE 606

    ( Sens - 22 / 04 / 2023 )

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    ( Dessin : Patrick Cazengler )

    Si tu ne vas pas à Marlow, Marlow ira à toi. Un trio rock, tout comme tout triangle, possède trois angles. Ce soir l’angle de tête est relégué dans l’encoignure occupée par Fred Kolinski, un peu fiévreux mais toujours cette pose hiératique de roi du monde, aux cheveux transparents de sagesse imperturbable, qui sur ses tambours orchestre la mécanique des fluides qui relient les hommes entre eux, et les coups de semonce du destin qui les écrasent sur les vitres de leurs existences toujours trop brèves. 

    Un autre roi, Amine Leroy, si Fred est le monarque de la clarté ponctuante, Amine nonobstant sa chemise colorée est celui de l’ombre, yeux noirs, chevelure sombre, contrebasse fuligineuse que les autocollants colorés ne parviennent pas à égayer, Amine joue depuis l’intérieur de lui-même, l’est en dialogue constant avec sa big mama, entendez par là qu’elle parle pour lui, tout ce qu’il a à dire il le tait, elle est son medium, son interface, c’est elle qui s’exprime, parfois tous deux restent pratiquement immobiles, seuls les doigts d’Amine s’animent, souvent un vent de folie semble l’animaliser, la big mama reste stable tel l’axe incliné du monde qui ne bouge pas mais Amine se lance dans de courtes danses, son corps se détend en de brusques mouvements, se change en karatéka portant ses coups de pieds à des ennemis invisibles, dans ces moments son instrument émet des grondements intumescents qui déferlent sur le monde en onde sonores, en noirs serpents étrangleurs qui pénètrent et s’enroulent au plus profond de votre cœur.  

    Marlow le marlou, l’Argow, le pirate dont la guitare parle un argot électrique, de ce trio alchimique il est malgré son costume noir la pointe de feu, l’étamine rouge de l’incandescence. Dès le deuxième morceau, Sunshine of your love, traduisons par soleil rouge de lave, de Cream et crime, le diapason, le diapoison de la soirée est donné, joueront principalement les titres de First Ride mais aussi pratiquement la totalité de Cryptogenèse sorti depuis seulement deux jours au moment où j’écris ces lignes. Autrement dit un régal sonore, un défi car comment un trio de rockabilly peut-il subvenir au volume de cette musique psychédélique qui joue sur l’ampleur auditive. Cela nécessite maîtrise et débordement, chacune de toutes les notes doivent être comme des gemmes ciselées, mais l’ensemble doit se transmuer en tonnerre flamboyant. Le bruit subsume mais ne doit jamais couvrir la fureur de l’attaque instrumentale. Marlow a deux guitares, tout comme Zeus détenait la foudre et l’éclair, l’impact et la beauté. Notamment celle du geste, cette élégance qui fait qu’un grand guitariste est aussi un danseur, que si ses doigts s’affairent – ils semblent rivés sur les cordes dont il essaie sans cesse de se désengluer de l’attirance quasi-maléfique qu’elles exercent sur ses phalanges - de se son corps il dessine des courbes et glisse dans l’espace. Et puis la voix, la septième corde de la guitare, tour à tour la colombe qui prend son envol mais le plus souvent l’aigle qui fond sur sa proie, voire le vautour qui guette votre mort extatique. Marlow plane haut en toute tranquillité, Fred est toujours au rendez-vous des ponctuations effervescentes et Amine s’enflamme à volonté tel ces brandons que l’on lance par défi vers la voûte de la nuit pour y ajouter une étoile filante.

    Je vous ai promis une jolie fille, vous l’attendez, vous la connaissez, Alicia F, ce F comme une faucille à double tranchant, elle ne fera qu’une apparition, mais ô combien éblouissante, la femme faite désir, voix tranchante et attitude hiératiquement aguicheuse, la jouissance du rock à l’état pur, le jeu du don et du refus, en trois minutes elle a tout donné, en trois secondes elle s’est éclipsée, elle a tout repris.

    Nous n’avons pas tout perdu puisque nos trois Marlow Riders continueront à nous régaler. Le public exigera et obtiendra plusieurs rappels, je n’en dirai pas plus. Une soirée démons et merveilles.

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    ( Clap de fin : Tony, Franck, Alicia )

    Damie Chad.

     

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    Le nom du groupe a opéré comme un clin d’œil, marrant ça rappelle Blue Öyster Cult, j’ai lu la phrase dessous, se revendiquent de Black Sabbath, entre nous pas très original pour un groupe de doom ou de stoner, ah ! ce n’était pas un hasard, juste une synchronicité, citent le Culte de l’Huitre bleue aussi, z’ont déjà décroché un bon point, et puis encore  Mountain, ces gens-là me plaisent de plus en plus, et cette pochette qui rappelle Steppenwoolf, trois de mes groupes préférés, pas d’hésitation, écoute immédiate.

    UNIT 61

    RED EYED CULT

    ( Album digital / Bandcamp / 20 – 04-2023)

    Trio originaire de Norwich, du comté de Norfolk, cette étrange bosse de dromadaire située sur la façade est de l’Angleterre, composé de Lewis Doran, de Max Lungley et de John Franks. Peu de renseignements sur ces trois zèbres qui se présentent comme Cerbère, le chien à trois têtes aux yeux vitreux et aux naseaux fumants, gardien de la porte des Enfers. L’album a été enregistré au Bomb Store Studio qu’ils métaphorisent comme une installation de stockage de bombes nucléaires ultra-secrète.

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    Belle pochette, le lecteur se rapportera au Monster de Steppenwolf, recto et verso, pour méditer sur les intéressantes analogies. Un chaudron de sorcière en ébullition, un infâme clapotis de têtes de morts débordant, une armée de morts-vivants, ravage dégoûtant surmonté d’une hideuse figure, les yeux rouges sont encore au-dessus, affligés d’un strabisme divergent, un œuf poché, cassé, éclaté de lumière jaune pour l’un et l’autre menaçant tel un faisceau de DCA à la recherche d’une proie.

    Mithrandir : si vous n’aimez pas le rock ce titre est pour vous, je ne parle que des deux premières secondes, cette voix rassurante de prof de mathématiques qui vous explique l’immense joie que vous retirerez à résoudre une équation du dix-septième degré, après quoi je vous conseille de vaquer à d’autres occupations, sinon vous risquez d’avoir peur, reconnaissons que cette espèce ronronnement vomitoire de glaviot purulent n’est guère engageant, terrain glissant, une faille riffique s’écroule sur vous, aussi lourde qu’une montagne pesante, aggravée par le craquèlement de cette voix rugueuse dont vous n’attendrez aucune pitié, un torrent de cailloux qui descend lentement creusant un sillon sanglant dans votre âme piétinée en mille lambeaux, une beauté grandiose, un paysage sonore qui vous englobe dans son immensité, une basse lourde, une batterie sans cœur qui forge la cadence de quelque chose d’obscur qui avance, une force dévastatrice qui semble progresser à la vitesse d’une tortue, longue plainte d’agonie d’une guitare dont les doigts déroulent les tripes cordiques, la machine se remet en route, bulldozer historial en marche-arrière que rien n’arrêtera, s’il n’est pas de futur il est des passés cauchemardesques dont on reste prisonnier, sommes-nous du côté de Sauron ou de Mithrandir ? un des autres noms de Gandalf, l’arène de l’anneau vient de se refermer sur nous. Up in smoke : toute cette musique me tourne la tête, tout dépend de moi, ce qui vous écrase, qui pèse si fort sur votre corps peut devenir aussi léger qu’une plume, la voix n’est qu’un râle, mais imprécative, c’est le temps de la volte-face métaphysique celle qui égalise le haut et le bas, qui arase le bien et le mal, guitare victorieuse tourne la meule de la présence du monde, il suffit de transformer la dure réalité en douceur rêveuse, écoute la voix du serpent qui mue et qui depuis ton gosier tinte agréablement à ton oreille, dans le jeu de rôle du monde c’est toi qui lances et pipes les dés, chant de triomphe existentiel de paradis artificiel, ce morceau dévoile la splendeur miroitante du cosmos, tu n’étais rien, tu deviens tout. Le monde est à tes pieds, tu en jouis, et il explose comme un ballon de fumée extatique. Grögg : l’autre côté du rêve, le cauchemar, une voix de reptile, la musique pèse des tonnes, le cauchemar n’est pas horrible, il est lié à la plus grande compréhension du monde à laquelle tu es parvenu, la batterie abat les colonnes des faux-semblants, au fur et à mesure que tu avances les couloirs du retour s’effondrent. L’ennemi marche derrière toi, il est si près qu’il n’est peut-être que l’ombre de toi-même qui te suit, dont il faudrait te débarrasser, froissements paroxysmiques de basse, la guitare miaule de détresse, elle s’enfonce en toi comme pointes de poignards, les morts te coursent, peut-être es-tu déjà mort ou alors simplement une image de la mort qui te poursuit. Ambiance dramatique, tu as envie de crier tel un héros de Shakespeare mon royaume pour un cheval mais tu sais que le royaume est monté sur le cheval qui fonce sur toi. Hammerhands : que forge la basse sur l’enclume battériale, le rythme s’accroît, il se rapidise, s’accélère méthodiquement, et la guitare gagne en ampleur, tu ne peux compter que sur toi-même, les coups du destin hachent menu les remontrances que tu adresses au dieu que tu n’es pas, la musique est si lourde qu’elle éventre les tombes de ceux qui sont morts, tu glapis comme le renard qui arrache sa patte des mâchoires d’acier qui la retiennent prisonnière, maintenant tu claudiques dans la réalité du monde, une seule échappatoire, te perdre dans les fourrés du rêve, saisis-toi du marteau philosophique et détruis tous les cauchemars qui clapotent et croassent dans ton âme, ces grenouilles méandreuses de bénitier marécageux que tu écrases se muent en une superbe symphonie, tu es devenu le chef d’orchestre de ta propre délivrance, est-ce la batterie qui se teinte de folie, ou est-ce l’allégresse qui t’habite qui klaxonne dans ta tête, des sons que n’as jamais entendus jusqu’à lors, tu te tais et tu écoutes. Tu as raison ce morceau tient du prodige. Snowcome : percussions tapissées en accélération, changement de dimension, tu ne rampes plus sur la réalité du monde, tu voles dans le vril du rêve, tes cris exaltés percent la voûte des cieux, guitare et batterie déversent une averse de neige, tu hurles comme le loup, ta gueule effroyable lance des mots-tempêtes, tu es si loin, hors de toi et hors du monde, la musique devient un serpent charivarique qui se mord la queue comme s’il gobait l’œuf initial de l’origine érosique du monde. La guitare flamboie, telle une constellation ouranienne qui prendrait feu et purifierait le charbon calciné de ta cervelle en un monstrueux diamant cristallin dont chaque facette reflèterait des myriades d’univers. Et survient le riff final, tempête d’écume tsunamique, dieu merci ce n’est que du rock’n’roll. But we like it.

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             Le flair du rocker a encore frappé. Les amateurs d’ heavy doom stonerien ne regretteront pas le détour. Red Eyed Cult n’a pas à rougir des ses influences. Le groupe à suivre.

    Damie Chad.

     

    *

    Une belle enveloppe dans la boîte à lettres. Un envoi de Guilaine Depis, attachée de presse (La Balustrade). Un livre paru aux Editions The Melmac Cat. Cat est un mot qui cliquette agréablement aux oreilles des rockers. Sur le tract d’envoi, il est spécifié que le bouquin s’inscrit dans un nouveau courant littéraire le ‘’ pop roman’’.

    Le terme roman ne pose point de problème, celui de pop me hérisse quelque peu. Depuis quelques années la merchandisation de la littérature tend à creuser un fossé entre littérature dite ‘’élitiste’’ et la pop culture. Alors que dans les années soixante ce dernier terme désignait une volonté séditieuse d’ouvrir le champ littéraire et musical à des expérimentations éloignées des corsetages académiques, de nos jours le mot pop tend à désigner des œuvres facilement accessibles, pour ne pas dire subalternes, destinées à un public de masse. Ceci dit, ne nous fions pas aux étiquettes.

    1M976

    GERALD WITTOCK

    ( The Melmac Cat / Avril 2023 )

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    Gérald Wittock n’est pas tout à fait un inconnu. Une succincte biographie au dos de la couverture nous apprend qu’il est le descendant direct de Lucien Bonaparte. C’était le fils aîné de sa mère Letizia qui le préféra toujours à Napoléon. Ce détail historial n’est pas donné au hasard. Notre auteur a déjà publié plusieurs romans, notamment La Mutation, qui évoque un monde où les femmes ont pris le pouvoir… l’a aussi fait de la musique, notamment un disque (quatre semaines N°1 en Angleterre) Make Luv sous le nom de Room 5

    Couverture pop colorée, un mix manga-Warhol, de Bolo, agréable à regarder, attention un livre musical, chaque chapitre possède son QR code qui renvoie à une vidéo, le choix musical commence bien avec Riders on the storm des Doors, la suite est moins alléchante puisque l’on y trouve jusqu’à Sheila & B. Devotion. Il y a à boire et à ne pas manger dans cette playlist… Que voulez-vous, question Q avec ou sans R les rockers n’aiment que Suzie Q.

    Un livre gigogne. Ne serait-ce que cet avertissement de l’éditeur, suivie d’une fausse préface d’un ami, remplacée par une fausse interview de l’auteur, un véritable miroir aux alouettes ce roman. Peut-être avant de commencer notre analyse devrions-nous le résumer en quelques lignes afin de ne pas perdre le lecteur. Que se passe-t-il donc dans ce roman ? Toute question simple exige une réponse aussi simple. La voici donc : rien, il ne s’y passe rien du tout. Attention, je n’ai pas dit qu’il ne nous offre que deux cents pages blanches. Encore qu’en fin de volume Gérald Wittock termine ses remerciements par un grand merci à Malevitch et à son carré noir, ce qui tout de suite obscurcit le sujet. Après quoi il ajoute une petite phrase assassine : La littérature défie la censure. Une invitation à lire entre les lignes.

    Mais de quoi parle-t-il au juste s’impatientent les lecteurs. Le tract de présentation ne donne pas dans la nuance : annonce tout de go : Thématique de l’autisme. Reste qu’il y a autisme et autisme. Faut-il entendre ce mot comme l’affection dont nombre d’adolescents sont atteints depuis quelques années, ou le comprendre comme une métaphore descriptive du fonctionnement de notre société.

    Le roman se déroule à New York au milieu des années-soixante-dix. S’il se passait à Tokyo, au lieu d’user du vocable autiste on emploierait le mot hikikomori, ces adolescents japonais qui s’enferment dans leur chambre à lire des mangas et à jouer aux jeux-vidéo. Mais nous sommes à New York ce qui n’empêche pas Gérald Wittock d’user de l’esthétique du théâtre français classique. Du dix-septième siècle. Un seul lieu : un appartement. Et encore notre héros 1M976 n’a pas le droit de rentrer dans la chambre de sa mère ( voir Letizia ). Ce n’est pas grave, puisque toute l’action se déroule dans un lieu exigu. Pire que les toilettes. Dans sa tête.

    Est-ce que Gérald Wittock triche avec la règle de l’unité de temps. Nous avons envie de répondre oui. Nous avons envie de répondre non. Ce n’est pas que nous hésiterions. Nous conseillons nos lecteurs à relire les pages dans lesquelles Paul Valéry rapporte son entretient avec Albert Einstein, tous deux discutent de la notion d’élasticité du temps. C’est un peu comme un élastique : plus vous l’étirez, plus il s’allonge, et pourtant c’est toujours le même élastique. Une fois que vous aurez fini le livre vous aurez tout votre temps pour réfléchir sur la durée effective du récit.

    J’ai peur d’effrayer le lecteur, je le rassure tout de suite, aucun temps mort, l’action n’est jamais linéaire, elle comporte de nombreux hauts et de multiples bas. Gérald Wittock est un homme de son temps, si dans Racine et Corneille, Néron et Chimène entrent et sortent stupidement comme tout un chacun par une porte, le roman est pourvu d’un ascenseur. Qui monte et qui descend. Sans jamais faillir. Une fois que vous aurez fini le livre, vous aurez tout votre temps pour savoir si, ou pour savoir combien de fois, 1m976 emprunte l’ascenseur.

    Tout ce qui précède procède du cadre conceptuel de ce livre. Si je m’y suis tant soit peu étendu, c’est qu’happé par l’action, entraîné par l’enchaînement des évènements vous risquez comme le poisson prisonnier de son aquarium aux flancs transparents de ne pas vous apercevoir des murs de la prison mentale qui vous claustrophobisent. Soyez vigilants, les indices les plus anodins sont les plus ambigus.

    C’est que Gérald Wittock possède un esprit particulièrement retors. Excusez-moi, je me suis trompé d’adverbe, je voulais dire doublement retors. D’abord il se sert d’un truc qui marche toujours. Il vous raconte une histoire loufoque tout en vous assurant que rien n’est plus sérieux que son récit, vous met juste le nez dans le caca de votre époque en vous contant des choses effroyables qui, dieu merci, ne se passent pas par chez nous. Vous êtes prêt à lui épingler sur le veston la Légion d’Honneur du Mec bien, le Mérite Agricole du Citoyen Conscient, la Croix de Guerre de défenseur de la Femme et même de l’Homme. Jusque là tout va bien. La livre est terminé. Eh bien non, Gérald Wittock ne mégote pas, vous rajoute un épilogue. Au cas où vous auriez tout compris, il vous instille le doute. Le ver rongeur. Vous refile le coup de l’explication psychanalytique, autrement dit le coup du miroir qui vous reflète pour que vous réfléchissiez mieux.

    Si vous n’avez pas tout compris, je (tout comme l’auteur) ne peux plus rien pour vous.

    Ah ! si, pourquoi le héros possède-t-il ce nom bizarre, pas la peine que je vous en fasse une tartine, c’est très bien expliqué dans les toutes premières pages.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

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    Death, Sex and Rock’n’roll !

    EPISODE 26 ( Festif  ) :

    140

    Nous sommes revenus sur nos pas. Les chiens avaient cessé d’aboyer, mais n’en gardaient pas moins les yeux fixés sur la tombe d’Alice. Il y eut une longue minute de silence. Rien de suspect n’apparut à nos yeux. Un grognement sourd monta de la gorge des cabotos. Le Chef alluma un Coronado :

    • Je parie une palette de mille coffrets de Coronados que nous n’allons pas tarder à avoir des nouvelles d’une ancienne amie, je suis sûr qu’elle ne nous oublie pas !

    Nous attendîmes plus d’une heure dans le silence et la froidure du petit matin. Molossa arrêta de grogner et posa sa truffe sur mon mollet. Le danger se précisait. Molossito se posta derrière moi, le poil hérissé, les yeux emplis de terreur. Carlos sortit son Rafalos, je regardai dans la direction où se fixait son regard. Il n’y avait rien. Presque rien. Si ce n’est comme une irisation rosée, deux points pratiquement indiscernables. Je songeai à deux pétales de rose d’une pâleur extrême, un reflet évanescent d’on ne savait quoi, une trace furtive appelée à disparaître. Je compris, les yeux rouges de la Mort étaient braqués sur nous. Contrairement à ce que je pensais ils restèrent aussi pâles, il fallut encore une demi-heure avant qu’une silhouette assise sur la tombe d’Alice soit visible. Les contours restaient flous, donnaient l’impression de ces filigranes que cachent à l’intérieur de leur trame certains papiers de luxe dans les livres d’art. Bientôt il n’y eut plus de doute, c’était Elle. Nous entendîmes un ricanement de mauvais augure

    • Si Monsieur Carlos se donnait la peine de remiser dans la poche de son veston, son joujou inutile, peut-être aurions-nous alors l’occasion d’entamer une discussion intéressante.

    Je n’étais pas d’accord. Je me souvenais des désagréments que nos Rafalos avaient causé à la grande pourvoyeuse des cimetières lorsque nous avions le Chef et moi, réussi à l’aveugler en tirant sur ses yeux. Elle dut deviner mes pensées, car elle esquissa un léger sourire sarcastique :

    • J’ai été très gentille la dernière fois, mais si je ferme les yeux vous ne saurez plus où viser !

    Carlos soupira et rengaina son arme.

    • Pour des vivants je concède que vous soyez bien plus courageux que la plupart de vos contemporains. Des teigneux, qui s’accrochent à moi comme les tiques sur les chiens.

    Molossa et Molossito visiblement vexés ne purent se retenir d’aboyer furieusement. J’eus un mal fou à les faire taire.

    141

    Le Chef en profita pour allumer un Coronado :

          _ Sans doute pourrions-nous maintenant utiliser cette accalmie canine pour bavarder en toute tranquillité, j’avoue que votre remarque sur notre courage m’a fait plaisir et…

    • Ce n’était que le début de ma phrase brutalement interrompue par vos corniauds, certes je reconnais votre courage, toutefois votre bêtise crasse me suffoque. Je prends un exemple parmi tant d’autres : vous n’arrêtez pas de courir après moi, je vaque tranquillement dans mes cimetières, ce sont des lieux calmes, j’aime m’étendre sur une tombe et chauffer mes vieux os au granit que le soleil inonde de ses rayons, et plouf vous vous radinez sans préavis et vous faites n’importe quoi, vous ouvrez les cercueils, ou comme tout à l’heure vous vous amusez à tuer les morts à qui je laisse quelques instants de délassements hors de leur dernière demeure, pire encore vous vous permettez de lutiner les jeunes mortes dès que l’occasion se présente !
    • Que voulez-vous Madame, la vie est si ennuyeuse il faut bien s’amuser comme l’on peut…
    • Vous le Grand Chef je vous avertis qu’une fois mort il est strictement interdit de fumer, votre futur risque de vous paraître très long !
    • Ah Madame, vous me rassurez, j’avais peur que peu à peu mon cercueil ne se transformât en cendrier, je me sens donc obligé de devenir, que dis-je, de rester immortel !

    Je crus qu’elle allait se jeter sur le Chef pour le faire passer de vie à trépas dans la seconde qui suivit. Mais non elle se retint à grand-peine si j’en juge par le flamboiement subit de ses globes oculaires, elle respira un grand coup et reprit la parole d’une voix mielleuse :

    • Il y a une chose que je ne comprends pas, vous le Chef du Service Secret du Rock’n’roll, vous avez eu au début de votre enquête l’intuition que ce que vous cherchiez dans le Père Lachaise était en relation avec la survie du rock ‘n’ roll, je veux bien le croire, mais alors pourquoi vous entêter à courir après les morts qui ne craignent plus rien au lieu de focaliser votre enquête sur le danger qui guette le rock ‘n’roll.

    Le Chef sourit placidement, il prit le temps d’allumer un Coronado avant de répondre :

    • Je tiens Madame à vous remercier pour cette judicieuse remarque, toutefois je me permettrais de vous rappeler que si l’on éprouve du mal à se saisir du chat, l’attraper par le bout de sa queue est parfois la solution de dernier recours. Comment empêcher le rock ‘n’roll de mourir si ce n’est en s’en prenant à la mort elle-même.

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    La Mort voulut répondre mais elle ne le put. Au mot Chat, Molossa et Molossito avaient éclaté en aboiements féroces. La scène qui s’en suivit la rendit folle de jalousie. Les deux chiens oublièrent tout à fait sa présence. Ils crurent qu’un infâme greffier parcourait le cimetière, aussi se jetèrent-ils à sa poursuite. Leur fallut une heure et demie pour s’assurer qu’aucun spécimen de la race féline ne hantait le jardin édénique du repos éternel. Lorsqu’ils revinrent se coucher à mes pieds, Molossito tout excité, extrêmement satisfait de n’avoir trouvé aucun rejeton de de leur ennemi héréditaire, pour imprimer à jamais le sceau royal de la présence canine sur les lieux leva la patte sur les brodequins de la Mort qui furent ainsi copieusement baptisés de cette ondée libératoire.

    J’ai tout de suite eu l’intuition qu’elle allait s’en prendre à moi. Je n’étais point dans le registre de l’erreur :

    • Quant à vous Agent Chad, qui osez intituler vos souvenirs Mémoires d’un Génie supérieur de l’Humanité, vous êtes comme votre chien, vous ne vous sentez plus pisser, vous avez juré de me tuer, moi La Mort, rien que ça, tout cela pour l’amour d’une gourgandine de bas-étage qui refilait les chamallows de sa patronne à vos deux clebs pouilleux qui sont pourtant tous les deux, même si on les prend un par un, plus intelligents que cette stupide péronnelle qui ouvrait ses yeux de merlans frits chaque fois qu’elle vous apercevait, une idiote même pas ravissante, vous devriez me remercier de l’avoir supprimée de votre déplorable existence, vous me devez une fière chandelle, jeune crétin d’humanoïde, il y a longtemps que je vous aurais trucidé si je n’avais pas compris qu’à peine mort vous iriez tout heureux vous étendre dans le cercueil de cette stupide mijaurée pour lui réciter durant toute l’éternité au creux de son oreille l’Annabel Lee d’Edgar Allan Poe jusqu’à la fin de l’éternité !

    Vous me connaissez. Je suis un garçon placide qui n’a jamais fait de mal à une mouche. Mais là c’était trop. Les circonstances ne m’ont pas aidé. Alors qu’elle finissait sa tirade, les grilles du cimetière s’ouvrirent. Il était neuf heures du matin, un peu tôt pour un enterrement à mon goût, mais un fourgon mortuaire suivi d’une cinquantaine de personnes pénétra dans l’allée principale. Qu’il y ait des gens vivants sur cette planète alors que mon Alice à moi, ma douce et tendre amie était sous la terre me parut comme une terrible injustice que je décidai sur le champ de réparer. Je saisis mon Rafalos, et commençai à tirer sur le cercueil que les croque-morts descendaient du véhicule, j’ai cru que ce geste anodin me calmerait, il n’en fut rien, tous ces vivants qui poussaient des cris perçants et m’insultaient m’exaspérèrent, ils n’auraient pas dû, je ne fis pas de quartier, je les tuais tous jusqu’au dernier, femmes, enfants, vieillards, hommes valides, sans pitié et sans regret. Carlos et Alice tentèrent de m’arrêter – le Chef en profita pour allumer un Coronado – mais j’étais possédé, un guerrier, un berserker qui sur les drakkars vikings pris d’une fureur sacrée n’hésitait pas à morde les boucliers, même la Mort essaya de s’interposer, en vain. Elle criait comme une folle :

    • Tu me donnes trop de travail !

    Le Chef prit la décision de nous exfiltrer du cimetière, la Mort resta à la grille, elle brandit une faux menaçante :

    • Vous me le paierez !

    Nous nous éloignâmes au plus vite…

    A suivre…