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bob dylan

  • CHRONIQUES DE POURPRE 578 : KR'TNT 578 : HAROLD BATTISTE / ROBERT FINLEY / BOB DYLAN / HELLACOPTERS / SHORTY LONG / BARABBAS / BOB DYLAN / ROCKAMBOLESQUES

      KR’TNT !  

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 578

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    08 / 12 / 2022

     HAROLD BATTISTE / ROBERT FINLEY

    BOB DYLAN / HELLACOPTERS

    SHORTY LONG / BARABBAS

    BOB DYLAN / ROCKAMBOLESQUES

    Sur ce site : livraisons 318 – 578

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    Battiste le battant

     

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             Harold Battiste Jr n’est pas aussi connu que Cosimo Matassa ou Fats Domino, il compte pourtant parmi les personnages les plus légendaires de l’histoire musicale de la Nouvelle Orleans. Les plus aguerris de notre tribu savent que Doctor John et Sonny & Cher lui doivent leurs succès respectifs. Mais ce n’est que la partie visible de l’iceberg Battiste.

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             Un éditeur de la Nouvelle Orleans (The Historic New Orleans Collection) eut en 2010 l’idée géniale de publier l’autobiographie d’Harold Battiste, Unfinished Blues - Memories Of A New Orleans Music Man. Ce n’est pas seulement un ouvrage capital, historiquement parlant, mais c’est en plus un bel objet, d’un format inhabituel, un peu plus haut qu’un 45 tours mais un peu moins large qu’un 33 tours, beau choix de papier, un couché demi-mat sensuel, agréable au toucher, beaux choix typo, un corps 11 justifié avec tact et pas trop interligné, d’où l’impression d’une extrême densité, et bien sûr, des pages richement illustrées, avec pour sonner le tocsin des ouvertures de chapitres, des doubles assez spectaculaires, par exemple Harold et Mac Rebennack, Harold et Sonny & Cher, Harold et Tami Lynn, Harold et Ellis Marsalis, toutes ces doubles sont absolument somptueuses, en pleine force de l’âge car traitées en bichromie. C’est avec ce type d’ouvrage que l’édition joue son rôle : honorer la mémoire des grands artistes. Rien n’est trop beau dès lors qu’il s’agit d’artistes du calibre d’Harold Battiste. On y va les yeux fermés.

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             Pour les ceusses qui sont passés par la bible, c’est-à-dire le Broven (Rhythm And Blues In New Orleans), l’Unfinished Blues est une manière comme une autre de réviser ses leçons. Né au début des années 30, Harold Battiste est à l’origine un musicien de jazz, mais aussi arrangeur/compositeur, qui a vu la scène locale évoluer. Il nous emmène donc chez Cosimo le héros, et Art Rupe l’embauche comme pisteur de talents pour le compte de Specialty. On touche donc au cœur battant du mythe de la Nouvelle Orleans. Mais le plus frappant dans cette histoire, c’est qu’Harold ne fait pas étalage de ce prestige. Au contraire : il fait preuve d’une extraordinaire humilité, il raconte ses souvenirs avec une sorte de retenue et rend hommage à ses pairs à la manière d’un petit black qui a grandi dans un quartier pauvre. Il n’évoque jamais les drogues, ni le sexe. On est à l’opposé de The Brothers, l’ouvrage qu’écrivit David Ritz avec Charles, Aaron, Cyril et Art Neville.

             Plus frappant encore : le jeune Harold n’a rien d’une rock star. Jeune, il est assez rondouillard, pas du tout sexy. C’est l’image qui orne la couve du book. Bouboule ! Mais il parvient à séduire une très belle femme, Yette, qu’on voit souvent en photo à l’intérieur du book. Ensemble, ils vont élever quatre enfants. Pendant toute sa vie, Harold reste fidèle à ses deux passions : sa famille et la musique. Il se croit à l’abri des catastrophes. Fatale erreur ! Il consacre la deuxième partie de son autobio à ses déboires matrimoniaux. Le malheureux n’est pas armé pour se battre contre les infortunes de la vertu. Pour ne pas morfler, il fait l’autruche. On le voit au fil des ans changer de look : il maigrit, porte des vêtement africains, comme le fait aussi Eddie Bo, et se laisse pousser une barbichette blanche de sorcier du village. Voodoo !

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             C’est en 1956 qu’Harold fout les pieds pour la première fois chez Cosimo, on Governor Nicholls Street, dans le Quartier Français, un vieux bâtiment nous dit Harold qui «abritait» jadis des esclaves. C’est là qu’Harold découvre ces musiciens extraordinaires que sont Alvin Red Tyler, Lee Allen et Earl Palmer, the cream of the crop, comme il dit, des gens qui ont accompagné Fatsy et Little Richard - We were younger than those cats and we were generally considered be-boppers who were not interested in the music they were recording - Harold et ses amis font la section de cuivres. Puis Harold est repéré par Joe Banashak, le distributeur de Specialty à la Nouvelle Orleans. Ça tombe à pic, car juste à ce moment-là, Art Rupe perd de l’argent avec ses enregistrements de Sam Cooke. Il a besoin d’un coup de main et il fait venir Harold à Hollywood pour bosser à la cave sur les bandes de Sam Cooke. Objectif : trier et choisir de quoi faire un bon album. Art Rupe vient tout juste d’embaucher un petit blanc bec qui conduisait un camion et qui, à l’occasion, compose des chansons : Salvatore Bono. Ils vont bosser ensemble et ça clique aussitôt entre les deux - Dès le départ, Sonny m’a impressionné par son ouverture et son esprit de camaraderie. Il était charmant et incroyablement smart. Il était fasciné par le fait que je venais de la Nouvelle Orleans. On a commencé à bosser ensemble et il a tout découvert à mon sujet - mon éducation, mon expérience de professeur de musique, et mes aptitudes en tant que musicien de jazz, arrangeur et compositeur - il m’a donc placé sur un piédestal - C’est une amitié qui affrontera avec succès l’épreuve du temps, puisqu’Harold deviendra le directeur musical de Sonny & Cher. Harold indique aussi que Totor fascinait tant Sonny que ce dernier voulut absolument recréer le fameux Wall of Sound pour ses premiers enregistrements, notamment «I Got You Babe».

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             Mais quand il bosse pour Specialty, Harold en bave, car les artistes qu’il recommande ne plaisent pas à Art Rupe : Chris Kenner, Irma Thomas, et Allen Toussaint. Le seul groupe qu’Art accepte s’appelle les Monitors. Il donne son feu vert à Harold pour les enregistrer. Here we go ! - Je connaissais le lead singer, Phoenix, quand il chantait des airs d’opéra at Xavier University. Il chantait high tenor (falsetto) comme Bill Kenny, le fameux lead singer des Ink Spots - Alors, on écoute les Monitors.

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             C’est une fois de plus Kent/Ace qui veille au grain et qui le moud : en 2011 paraît Say You! The Motown Anthology 1963-1968. Keith Hughes décrit dans le détail la courte existence des Monitors, un quatuor de Detroiters surdoués comprenant le futur Temptation Richard Street, Warren Harris, James Drayton, John Maurice Fagin et sa femme Sandra Fagin. Cette compile est tout simplement l’une des pires bombes jamais lâchées par Motown. Hughes n’en revient pas lui-même : pourquoi les Monitors n’ont pas explosé ? Pour lui, il n’y a qu’une seule explication : Berry Gordy avait trop de gens talentueux sur les bras. La compile propose l’album entier des Monitors, Greetings!... We’re The Monitors, suivi de 14 inédits, dont la plupart sont stupéfiants de qualité. Deux coups de génie sur l’album : «Baby Make Your Sweet Music» et «Time Is Passing By». Grosse attaque pour le premier, Motown revient par la bande, en plein dans le mille, Motown, oui, mais avec une qualité supplémentaire. Cette folle de Sandra Fagin y va au baby baby, elle bat largement les Supremes à la course. Hughes nous indique que «Baby Make Your Sweet Music» fut un hit de Jay & The Techniques, c’est donc une cover. Le heavy groove de r’n’b de «Time Is Passing By» reste imbattable. Richard Street dit dans l’interview qui documente le booklet que c’était pour les Monitors un privilège que d’être accompagné par les Funk Brothers - I truly think they were one of the greatest bands of all time - Sandra Fagin fait encore des ravages dans «Since I Lost You Girl». Elle y va la coquine ! On la voit ramer pour tirer la Soul des Monitors dans «Bring Back The Loving». Ils font du wild r’n’b avec «Number One In Your Heart», les Monitors te démolissent la capsule vite fait ! En un mot comme en 100, cet album est un passage obligé pour tout fan de Detroit Soul. Alors après, on passe aux inédits et c’est encore pire ! La série commence avec «Too Busy Thinking About My Baby», big shoot de Soul d’excelsior. Les Tempts en ont fait une version. S’ensuit «The Letter», un hit signé Smokey, pulsé par une énorme pression atmosphérique. Sandra Fagin chante à l’extrême pointe de la Soul et ça groove à la trompette. Ils groovent le «Poor Side Of Town» de Johnny Rivers jusqu’au délire, c’est d’une classe surnaturelle, presque insupportable. Ça grimpe dans les ponts et Richard Street chante à la folie. Tu vas retomber certainement de ta chaise en écoutant «Crying In The Night». En fait, les Monitors font bien la nique à Motown. On est chaque fois frappé par leur fantastique énergie. «I’m In Love With You Baby» n’a pas d’équivalent. Ils tapent «Anything» à l’heavy unisson du saucisson, c’est gorgé de chœurs et de fantastiques rasades d’anything. «Guilty» dégouline aussi de classe, ça chante à l’ultra-screaming de la crème de la crème, ils sont chaque fois les rois du monde, le temps d’une chanson.    

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             Les Monitors enregistrent un deuxième album en 1990 sur Motorcity, Grazing In The Grass. De la formation originale, il ne reste plus que John Maurice Fagin, Warren Harris et James Drayton. Ils ont perdu en route l’excellente Sandra Fagin, remplacée ici par Beverley Carpenter, mais on trouve aussi deux autre blackettes dans le cast, Leah Harris et Maxine Wood. Il n’y a pas d’autres précisions. Le boss de Motorcity Ian Levine, et Sylvia Moy, disparue récemment, produisent cet album incroyablement bon. Tu veux danser ? Alors écoute le morceau titre d’ouverture de bon balda, yeah tu y vas, tu jerkes aux yeah, c’est irrésistible, tu Grazes in the grass, tu es dans le move et tu t’amuses bien car les Monitors sont les rois du groove de dancing up, tu as le meilleur dancing Grass qui tu puisses espérer. Et ça continue avec «Cold As Ice», ils ramènent tous leurs vieux réflexes de doo-wop, aw comme c’est fin, comme ce mélange de diskö-beat et de Monitors back-drop peut être capiteux ! Ça devient carrément dément, tu as là une manifestation du grand Black Power. Avec «Rescue My Heart», ils vont plus sur la calypso, ils cultivent les clameurs de heavy Soul, peu de gens naviguent dans ces eaux-là. Retour au big heavy groove avec «Through The Test Of Time», ils restent dans leur move qui est le bon move, ils se cantonnent dans leur canton, ils groovent une sorte d’énorme mélasse de r’n’b, ça rame à la galère d’or, c’est fabuleusement bon. Avec des gens comme eux, tu te retrouves vite à sec de superlatifs. Pars simplement du principe que les Monitors ont du génie. Ils t’explosent le Test of time vite fait. Monitors forever ! Si tu écoutes les Monitors, tu recevras en échange le privilège de goûter à l’essence même du Black Power. Beverley Carpenter revient shaker le shake de «Brainstorm», fast and heavy au oh-oooouhh, une horreur ! Ils tapent ensuite dans Smokey/Sylvia Moy avec «Goin’ To A Go-Go», ils ont tout le son du monde et ça continue avec une cover de «Tears Of A Clown». Dernier coup de génie avec «Forever & Ever», fantastique groove de r’n’b avec du doo-wop par derrière, say it baby ! Elle est partout, la Beverley, elle se frotte à l’ail du génie black, elle se montre insistante et derrière, ça brasille dans le crépuscule des dieux.   

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             Harold enregistre aussi Larry Williams («Bad Boy»), Art Neville («Cha Dooky-Doo») et Jerry Byrne, le chanteur des Spades, («Lights Out») pour Specialty. Puis il commence à caresser l’idée saugrenue de monter un label à la Nouvelle Orleans. Lorsqu’il revient chez lui à la Nouvelle Orleans, le train qui le ramène de Los Angeles s’arrête en gare d’El Paso, au Texas, et une légende vivante monte à bord : Earl King. C’est à lui qu’Harold parle en premier de son idée. Il songe à monter un collectif, AFO Records et comme il connaît les ficelles de caleçon du biz, il monte un house-band avec John Boudreaux (beurre), Allen Toussaint (piano), Alvin Red Tyler (sax) et Melvin Lastie (cornet) - A dream team of studio players, a first-call cache of musicians qui étaient connus pour leur expérience, leur professionnalisme et leur ability to make it happen - Puis c’est le lancement officiel : «On May 29, 1961, à midi, l’état de la Louisiane enregistra the legal birth of AFO Records Inc.» AFO attire toute la crème de la crème de la Nouvelle Orleans : «Tami Lynn, Eddie Bo, the Tick Tocks, Willie Tee, Wallace Johnson, Pistol, Charles Carson, Bobbie Lee, the Turquinettes, the Wood Brothers, James Booker, Drits & Dravy (Mac & Ronnie) and Shirley Raymond.» Harold est fier d’AFO, qui a le plus grand éventail d’artistes de la Nouvelle Orleans, «from blues to jazz to funk to pop, kids to adult, male and female, Black and White.» En 1962, ils lancent un subsidiary label, At Last Records. Harold fait aussi partie des AFO Executives qui accompagnent Tami Lynn. Ils cassent la baraque partout où ils se produisent.

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             Il existe un album des AFO Executives With Tami Lynn. Paru en 1963, A Compendium n’est pas seulement un album d’early Soul. C’est surtout un album de jazz-groove, au sens où on l’entend chez Acid Jazz. L’«Everything’s Coming Up Roses» d’ouverture de bon balda donne le ton : fast jazz. Les Executives vont vite en besogne. Ils t’embarquent, même pas le temps de discuter. Ils proposent un extraordinaire petit brouet d’early Soul. Avec le solo de sax, tu te retrouves dans la réalité. Les Executives tapent dans le round midnite, Alvin Red Tyler et Harold se partagent les coups de sax, comme dans toutes les formations de jazz. Tami arrive enfin pour «Old Man River» et te swingue ça au carré, elle te coule entre les doigts, yeah-eh et tape l’Old man swing. Au piano, Harold devient wild as fuck ! Le hit de l’album est un instro, «Le John», ils tapent ça au heavy jazz. Le beurreman s’appelle John Boudreaux et le stand-up man Peter Bounce. Tami fait son retour avec «I Left My Heart In San Francisco», elle te groove ça vite fait. Elle est aussi balèze que Billie Holiday, elle peut même se montrer encore plus spectaculaire. Le reste de l’album s’enracine dans le jazz, ils te groovent «The Big B N» au bar de la plage. Harold et Alvin Red Tyler se tapent encore la part du lion avec «Old Wyne ».

             Harold raconte aussi l’arrivée de Pince La La chez AFO, au moment où ils recherchent des nouveaux talents : «Un jour Jessie Hill débarque avec une chanteuse nommée Barbara et un guitariste nommé Prince pour l’accompagner. De son vrai nom Lawrence Nelson, Prince était le frère de Walter Papoose Nelson, le guitariste de Fats Domino. Prince avait composé une chanson pour Barbara, «You Put The Hurt On Me». Comme Barbara avait du mal à caler le chant sur le rythme, Prince chantait avec elle pour l’aider. Il chantait si bien qu’on a décidé de l’enregistrer et de trouver autre chose pour Barbara.» Et en juin 1961, Harold emmène Prince et Barbara enregistrer chez Cosimo - Cosimo était beaucoup plus qu’un brillant recording engeener - he loved the music and the people who created it. His contribution was to capture as much as of the music’s spirit as possible.

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             C’est bien sûr Ace qui se charge de rééditer tout l’AFO : trois compiles Gumbo Stew ! Miam miam ! Le crack de Gumbo Stew (Original AFO New Orleans R&B) s’appelle Alvin Robinson, il a trois cuts en fin de compile, «Turned In Turned On», «Give Her Up» et «Empty Talk». C’est heavy pour l’époque, la basse démolit tout et Alvin chante comme un killer Wilson Pickett. Mac Rebennack signe le Turned In. Alvin chante son «Empty Talk» à l’écorchée vive, ouuhh ouuhh, il sait mettre le paquet. On retrouve aussi Tami Lynn avec l’excellent «Mojo Hanna», Tami est une fabuleuse shouteuse, elle explose tout, même le fouette cocher. On retrouve les autres protégés d’Harold, Barbara Georges (avec «I Know (You Don’t Love Me No More)», elle gueule comme la Shirley de Shirley & Lee, elle fait du sexe d’exotica incroyablement pré-pubère, elle est très en avance sur son époque) et Prince La La (avec un «Things Have Changed» dans lequel il s’implique prodigieusement, joli groove de New Orleans, bien gluant d’anymore). Autre légende du siècle : Eddie Bo, avec «Tee Na Na Na Nay», I’m on my way, Eddie fait son Ray Charles, quel beau Bocage ! Chœurs de rêve. On reste dans l’ultra légendaire avec «My Key Don’t Fit In» par Dr John & Ronnie Barron, les deux surdoués blancs locaux. C’est terrific de classe, avec un solo de clarinette New Orleans. Les AFO Executives envoient eux aussi une giclée de wild jazz avec l’«Olde Wine» qu’on va retrouver sur leur album, ils te dégringolent l’instro vite fait, on savoure l’excellence du Gumbo jazz, c’est puissant, bien drivé. Encore une fine lame avec Charles Carson et «Time Has Expired». Ce mec te chante ça au sec et net. Et pour finir, la surprise du chef : les Turquinettes avec «Tell Me The Truth», fantastique exotica de la Nouvelle Orleans, mélange explosif d’Africana et d’exotica, c’est à la fois wild et rocailleux, plein d’écailles, ça joue au raw du golfe. Dans ses liners, John Boven rappelle qu’Harold navigue au même niveau qu’Allen Toussaint, Dave Bartholomew et Paul Gayten. 

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             Rebelote la même année avec More Gumbo Stew (More AFO New Orleans R&B). Alvin Robinson y casse encore la baraque avec «Better Be Good». Alvin est un dur, un singer hors normes. Il tape aussi le «We Get Love» de King Floyd au raw, que de son, my son ! Barbara George tire aussi son épingle du jeu avec «Try Me». Elle est très persuasive, c’est une vraie sex girl, sidérante, superbe, sucrée, outrancière ! Wow Barbara, you got it ! Deux coups de génie sur ce More Gumbo Stew : Lee Dorsey avec «Ya Ya» (Absolument irréversible, sucre candy de la Cité des Morts) et les AFO Executives avec «Wyld». Harold est hot on heels, fast on the run, il pique sa crise et ça jazze dans les brancards. Eddie Bo est de retour avec «You Better Check», il groove ça jusqu’à l’os, il pose son yeah avec une classe inébranlable. Dr John et Ronnie Barron sont eux aussi de retour avec «Talk That Talk», ils sont dans le shuffle jusqu’au cou, ah comme ils sont drôles tous les deux ! C’est un duo d’enfer cousu de fil blanc, mais on se régale de les voir s’agiter dans leur bocal de légende. Pince La La fait le Fu Manchu du train fantôme de la Nouvelle Orleans, il dégouline de kitsch et agonise avec un petit scream à la crème de Cosimo. Tu ne peux pas espérer meilleure compagnie, ni meilleure légende. Harlod et Alvin Red Tyler accompagnent Willie Tee au sax sur «Always Accused» et Tami Lynn ramène son énorme présence avec «World Of Dreams», c’est un peu fleur bleue, mais elle dégage un truc purement animal. On se régale aussi des Tick Tocks avec «Gonna Get You Yet», un heavy groove à la Lee Dorsey, yeah yeah, bien fruité, typical New Orleans groovyta. Inconnue au bataillon, voilà Joan Duvall avec «Two Weeks Three Days», elle est bonne la petite Joan d’Arc, bien gospel, Joan c’mon ! Elle tente le coup, et il faut bien dire que c’est infiniment supérieur à tous les coups de gaga-Soul punk-blues portés à notre connaissance ces vingt ou trente dernières années. Joan, elle sait. Vers la fin, Tami Lynn ramène sa fraise avec une cover du «Light My Fire» des Doors. Elle le prend haut perché. Flambant neuf. Mais c’est difficile de passer après Jimbo, même si elle flambe à la fin. C’est à Johnny Adams que revient l’honneur de refermer la marche, avec un heavy blues, «Johnny A’s Blues». Il chante comme une star impavide et l’excellent Nat Perrillat ramène son saxe de porcelaine.

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             Troisième et ultime compile AFO avec Still Spicy Gumbo Stew (Original AFO New Orleans R&B). On retrouve une fois de plus Alvin Robinson en queue de convoi, avec quatre titres, dont le faramineux «Soulful Woman», son unique au monde, New Orleans groove, l’homme est puissant, un vrai taureau sur «Sho ‘Bout To Drive Me Wild», pire encore que Wilson Pickett, il est plus massif, il passe toujours en force, une vraie bête de Gévaudan. Les AFO Executives swinguent la Nouvelle Orleans avec «Nancy», une vraie merveille inavouable, c’est d’une pureté d’intention qui défie toute concurrence. Johnny Adams rempile avec «A Losing Battle», c’est lui le cake ! L’autre cake est bien sûr Eddie Bo dont il est impossible de se lasser. Ils ramène son «Check Mr Popeye», il swingue le swamp, il est intrinsèque, il groove les membranes de l’organic, il est puissant et gluant à la fois, il est une sorte d’incarnation aquatique du New Orleans groove, la star du Gumbo Stew, comme le montre encore «I Found A Little Girl». Quand on l’entend chanter «Roamin-itis», on réalise soudain que tout Dr John vient du chant d’Eddie Bo. Et puis voilà encore un cake : Willie Tee avec «Why Lie». Comme Willie est très pur, il te broie le cœur. Il est planté sur le bord du génie. Il revient plus loin avec «Who Knows» qu’il chante à la dent creuse. Willie est un pourvoyeur, un fantastique seigneur des annales. C’est à James Booker que revient cette fois l’honneur de boucler le bouclard avec «End Of A Dream (Booker’s Ballad)», qu’il joue au piano liquide, suivi par le sax d’Alvin Red Tyler. Booker te groove le piano jazz, il s’implique dans la décadence de la rue, yo brother ! Chopin du gutter, fantastique allure !      

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             Puis Harold et ses amis décident de s’installer à Los Angeles, car le biz y est plus florissant qu’à la Nouvelle Orleans. Ils ferment AFO et créent le studio Soul Station #1, «in South Central Los Angeles, a small storefront on South Vermont, between Adams and Jefferson.» Le premier artiste qu’ils enregistrent en 1964 est Sam Cooke avec «Tennessee Waltz» pour RCA. Sam enregistre aussi «Shake», «A Change Is Gonna Come» et fait venir les artistes de son label SAR, «Johnnie Taylor, Billy Preston, Mel Carter, les Valentinos with Bobby Womack, Linda Carr, Patience Valentine and the Sim Twins among others.» Harold est en plein boom : «Puis j’ai eu un coup de fil d’Earl Palmer, devenu top session drummer in LA, me demandant si je voulais bien écrire les arrangements pour le producteur Tommy LiPumma, qui enregistrait les O’Jays at United Studios. Il s’agissait d’une chanson d’Allen Toussaint, «Lipstick Traces» qui fut le premier hit des O’Jays.»

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             C’est l’époque où Sonny Bono bosse pour Totor et un jour de 1963, Harold reçoit un coup de fil : «He got Phil to call me to play piano on his sessions.» Harold va jouer pour Phil Spector de 1963 à 1965 sur des trucs assez légendaires, «You’ve Lost That Loving Feelin’» des Righteous Brothers, «Proud Mary» d’Ike & Tina Turner, et les Ronettes. Harold découvre l’univers de Totor au Gold Star studio, avec cette palanquée de musiciens, deux basses, quatre guitares, trois pianos - I was the designated free piano, ça veut dire que je n’avais pas à jouer la partition, Phil wanted me to ad lib whatever I thought would fit. Il ajoutait les autres instruments, horns, strings, singers etc - plus tard. Il semblait n’avoir rien préparé, il créait au fur et à mesure. Lors des dernières sessions, il semblait avoir besoin de plus de temps pour trouver ce qu’il cherchait. Pour moi, les Spector sessions étaient trop longues et ennuyeuses. Mais après coup, j’ai réalisé qu’il avait du génie et j’étais émerveillé par the complex simplicity of his productions - Très bel hommage. Merci Harold.

             On passe d’un géant à un autre avec Doctor John. Harold le connaît depuis 1957, «back in my Specialty days». Mac débarque à Los Angeles en 1965. Il fait signe à son vieux pote Harold et pouf, Harold fait appel à lui pour donner un coup de main sur les tournées de Sonny & Cher. Mais il demande à Mac de rester discret sur les drogues, car Sonny & Cher sont clean - In public and in private - Harold et Sonny Bono montent un petit label en 1967, Progress Records, et proposent à Mac d’enregistrer un album - Mac me dit qu’il avait lu des choses sur un personnage nommé Dr John from the New Orleans voodoo tradition et il voulait bricoler quelque chose à partir de ce personnage. Le concept me plut immédiatement. J’envisageai alors de créer un new sound, look and spirit to the popular psychedelic/underground wave. On a discuté du projet pendant plusieurs jours et on a commencé à sélectionner des musiciens, des chanteurs et des morceaux. C’est un autre New Orleans transplant, Ronnie Barron, qui devait incarner Dr John, a White guy we knew from back in the day. Ronnie had a great singing voice for R&B and pop music et il pouvait sonner comme un Black. He was a performer like Tom Jones. Mais son manager pensait que le personnage de Dr John ne serait pas bon pour sa carrière. Je trouvais que Mac collait bien au projet, mais il était réticent, lui aussi. Il ne se voyait pas comme un upfront artist - Harold réserve le Gold Star à l’été 1967 - The cast comprenait Mac on guitar, keyboards and vocal, John Boudreaux (one of the AFO Executives) on drums, Bob West on bass, Ronnie Barron, keyboards and vocals, Ernest McLean, guitar/mandolin, Steve Mann, guitar, Pias Johnson, saxophones, Lonnie Boulden, flute, and singers Tami Lynn, Shirley Goodman, Joanie (I don’t remember her last name), Dave Dixon, Jessie Hill and Al Robinson. Je jouais de la basse et fis quelque vocaux. Aux percus, il y avait un mec nommé Didymus. Je n’ai jamais su son vrai nom. He was one of these cats who was well known in the music community et personne ne lui demandait son vrai nom. He was also a partner of Mac’s in the drug life - Comme on peut le voir, Harold est très précis sur le casting des sessions.

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    C’est avec tous ces gens extraordinaires qu’il a enregistré cet album extraordinaire qu’est Gris-Gris - The vibe was there and the music just flowed. I was comfortable, connected spiritually to the people and the music we were making. I became more involved than I had expected, and it became more than a production to me - C’est vrai que l’album fait partie des chefs-d’œuvre du spirit rock, avec Electric Ladyland, What’s Going On et There’s A Riot Goin’ On. Avec «Gris Gris Gumbo Ya Ya» on plonge au cœur d’un monde fascinant, dans une ambiance à la traîne, celle d’un soir d’été gorgé d’humidité à la Nouvelle Orleans - They call me Doctor John/ Known as the night tripper - Dr John tape ensuite dans l’un des grands classiques cajuns, «Danse Kalinda Ba Doom», pure exotica antillaise d’Afrique ethnologique. Puis voici «Mama Roux», le groove des jours heureux. Dr John chante comme un noir. Et il nous emmène ensuite au cimetière pour groover sur «Danse Flambeaux», une pièce fascinante de lenteur squelettique, symbole de l’étrangeté du monde. Par ses inflexions, Dr John rejoint le grand art méphistophélique de Captain Beefheart. En B, on tombe sur l’incroyable «Croker Courtbullion», un groove à la ramasse d’une brisure de rythme imbibée de rhum de contrebande, joué au clair de lune avec des pianotis irresponsables et des coups de trompettes inféodées - Walk on guilded splinters with the King of the Zoulous ! - Voilà ce qu’il clame dans «I Walk On Guilded Splinters». C’est le groove le plus étrange de l’histoire du continent africain. Pas étonnant que Steve Marriott l’ait repris sur scène au temps béni d’Humble Pie. Il règne dans ce cut une ambiance létale qui remonte aux origines de l’humanité. Cet album fonctionne comme un sortilège. De la même façon que Screamin’ Jay Hawkins, Dr John jette des sorts. 

             Harold envoie ensuite les bandes chez Atlantic. Il pensait que l’album sortirait à l’automne 1967 - That didn’t happen. The execs at Atlantic ne savaient pas quoi faire des enregistrements que je leur avais envoyés. Quand j’ai parlé avec Ahmet Ertegun, président d’Atlantic, il m’a demandé comment il fallait appeler ce type de musique. ‘Que vais-je bien pouvoir dire à mes promotion men ? What radio station gonna play this crap?’ Je n’avais pas pensé à tout ça - Puis quand le succès arrive, Mac se trouve confronté au problème qu’il redoutait : l’upfront ! - Mac était avant toute chose un compositeur et un musicien de studio. C’est là qu’il se trouvait bien. Il se trouva soudain confronté au problème de devenir un upfront stage artist, which required many adjustments, mentally and physically - Son premier grand show nous dit Harold eut lieu au Fillmore West in San Francisco, il partageait l’affiche avec Thelonious Monk - Je n’en revenais pas ! Mac and Monk ! - Harold va aussi produire le deuxième album de Mac, l’effarant Babylon, plus porté sur les questions sociales, puis l’excellent Gumbo. Mais Mac et Harold vont avoir des petites embrouilles et leurs chemins vont devoir se séparer.

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             Harold travaille aussi pour Pulsar et produit le premier album de King Floyd. Il a beaucoup d’admiration pour le jeune King - Of the artists avaliable to me that I thought were ready, King Floyd was my choice - L’autre chouchoute d’Harold, c’est Tami Lynn qui lui demande en 1971 de l’accompagner pour une tournée anglaise. Harold indique au passage que Jerry Wexler a toujours été fasciné par le talent et l’énergie de Tami. Elle était célèbre en Angleterre avec «I’m Gonna Run Away From You», un cut qu’Harold qualifie de quiet, pop-type number, ni Wexler ni Tami elle-même n’en pensaient grand bien, mais les Anglais avaient flashé dessus et invité Tami à tourner chez eux.

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             C’est dans les années 70 qu’Harold constate des velléités d’indépendance chez Yette. Elle veut reprendre un boulot. Après une petite crise cardiaque, Harold se voit contraint de dresser le bilan de sa vie, histoire de voir s’il peut encore remettre les choses au carré : «Tout ce que j’avais fait depuis 1957 suivait une tangente hors du real Harold Battiste : le job pour Specialty, puis celui pour Ric Records, même l’épisode AFO avec ses rebondissements, ses succès et ses échecs, puis la collaboration musicale avec Sonny & Cher, qui était à l’exact opposé de mes aspirations musicales. Après ma convalescence, je me suis remis à travailler d’anciennes compositions et à en écrire de nouvelles, j’ai repris la pratique de mon instrument pour essayer de redevenir le vrai Harold Battiste. Pourtant, je continuais de bosser pour Sonny car je lui avais donné mon accord. Bien sûr, il y eut des bons moments avec tous ces vieux projets, le Monkey Puzzle LP, le Compendium LP pendant les AFO years, la bande originale de The Good Times, le projet African Genesis, la bande originale du film sur Angela Davis, quelques morceaux de Sonny & Cher m’ont même apporté des satisfactions musicales. Mais au fond, je n’éprouvais pas vraiment de fierté pour tout ça. J’éprouvais seulement la fierté d’avoir été capable d’atteindre le but fixé, qui était de vendre des disques et des artistes.»

             En vieillissant, Harold s’assombrit. Il ne gagne plus très bien sa vie. Son vieux pote Sonny Bono essaye de l’aider en lui proposant toujours le même job : directeur musical de ses tournées. Extrêmement bien rémunéré. Mais Harold veut arrêter. Sonny insiste : «On a discuté pendant trois heures, en partie comme des collègues, mais surtout comme des amis. On avait des expériences identiques. Comme il avait lui-même dû affronter des problèmes matrimoniaux, il pensait pouvoir me donner des conseils. Pour lui, le fait que je veuille arrêter de bosser pour lui n’était pas uniquement un problème de choix musicaux. Il pensait que ça venait plutôt de ma vie privée. Il insistait pour me dire que je prenais le travail trop au sérieux et que je ne m’amusais pas assez. Et pour lui, ça voulait dire que j’étais tendu à cause de ma situation à la maison. Il m’a même conseillé de prendre des vacances avec une autre femme. ‘Va à Hawaï et emmène quelqu’un avec toi, Janie McNealy, par exemple’. Je ne m’attendais pas à ça. Je pense que ses efforts étaient sincères, il cherchait à me perturber pour m’aider à réagir.» Harold continue : «Ce n’était pas la première fois qu’on me disait que je n’étais pas heureux à la maison. Yette disait la même chose. Mais elle forçait le trait et ça me révoltait. Pendant des années, Yette a dit que je n’étais pas heureux avec elle. Je refusais d’entendre ça, en partie parce que je croyais aux vertus de la vie de famille. C’était ma règle de vie. J’étais terrifié par la séparation et le divorce. J’ai toujours éprouvé un amour sincère pour Yette, mais je pense qu’elle s’est aperçue que mon sentiment pour elle avait changé. Le romantisme était devenu une sorte de dévotion, a family type of love. Elle admettait que je n’éprouvais plus rien de romantique pour elle, et ni elle pour moi. Mais dit par Sonny, je fus contraint d’admettre que Yette avait raison. Depuis le début. Yette ne supportait pas que je nie la vérité.»  

             Puis les choses vont se corser. Yette finit par agresser Harold, lui disant qu’«elle and the kids had been just slaves to me. She thought of our business as not ours but mine, and therefore to work for it meant working for nothing, which equaled slavery.» Évidemment, Yette a un mec. Elle prend un appart près de son boulot. Et elle demande le divorce. Le pauvre Harold s’écroule comme un château de cartes. Il lui téléphone pour lui dire qu’elle peut tout garder, de toute façon, ils n’ont pas grand chose - Je l’appelais pour me rendre, mais elle n’acceptait ma reddition. Elle semblait vouloir prolonger le combat pour me voir souffrir. Non, ce n’est pas ça. Elle avait besoin de se sentir justifiée à agir ainsi contre moi. Elle voulait que je me comporte comme un homme, car elle avait une idée très précise de ce que doit être un mari - Boom ! Divorce. Le juge laisse les meubles à Harold et file la baraque à Yette. Harold doit quitter les lieux avant 17 h, le samedi 12 novembre 1988. Il ne vaut pas quitter sa baraque. Il met un écriteau sur la porte : OVER MY DEAD BODY. Il faudra passer par-dessus mon cadavre ! Mais des amis parviennent à le convaincre de vider les lieux et le pauvre Harold commence une nouvelle vie - J’ai commencé à réaliser que mon ancienne vie était finie. J’étais passé de l’autre côté. J’étais devenu un homme divorcé, seul, un homme paumé sans maison ni famille - Alors il retourne s’installer dans sa ville natale, à la Nouvelle Orleans, pour devenir professeur de musique - By coming home again, I got to meet Harold Raymond Battiste Jr. He got lost in Los angeles. New Orleans found him

    Signé : Cazengler, Harold Bateau

    Harold Battiste Jr. Unfinished Blues. Memories Of A New Orleans Music Man. The Historic New Orleans Collection 2010

    Dr John. Gris-Gris. ATCO Records 1968

    Monitors. Say You! The Motown Anthologue 1963-1968. Kent Soul 2011

    Monitors. Grazing In The Grass. Motorcity Records 1990       

    The AFO Executives With Tami Lynn. A Compendium. AFO Records 1963

    Gumbo Stew (More AFO New Orleans R&B). Ace Records 1993

    More Gumbo Stew (More AFO New Orleans R&B). Ace Records 1993

    Still Spicy Gumbo Stew (More AFO New Orleans R&B). Ace Records 1994

     

     

    Finley le finaud

             Robert Finley débarque dans Mojo à l’âge de 64 ans. Il est aveugle depuis deux ans et a enregistré son premier album en 2016. Alors voilà le travail.

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             En 1964, le petit Robert vivait à Winnsboro, en Louisiane, et plutôt que d’acheter une paire de godasses avec le billet de vingt que lui avait filé son père, il s’acheta une guitare. Puis il va vivre la vie d’un black ordinaire. Il répare les hélicos dans l’armée et rentre à Winnsboro pour pratiquer le métier de charpentier, comme son père avant lui, et chanter le gospel à l’église.

             C’est en 2015 qu’on le découvre, lors d’un spectacle King Biscuit Time à Helena, Arkansas. Bruce Watson et Jimbo Mathus le prennent en main et son premier album sort sur Big Legal Mess, c’est-à-dire Fat Possum. Les Bo-Keys de Memphis accompagnent le vieux renard.

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             Age Don’t Mean A Thing est un gigantesque album de Soul. Finley le finaud l’attaque avec «I Just Want To Tell You», dans une ambiance gospel avec des chœurs magiques. On note qu’Howard Grimes bat le beurre. Au dos de la pochette, Bruce Watson répète la même histoire de paire de godasses, de charpente et de glaucome. Alors le vieux Robert se bat pied à pied avec sa Soul, il passe par un petit mambo («Let Me Be Your Everything») et finit son balda avec un shoot de deepy deep, «Snake In The Grass». Il s’énerve un peu en B avec «Come On», un hard funk à la James Brown, il a les mêmes réflexes que le Godfather, aw, c’mon ! Puis il replonge dans son deepy deep avec un «Make It With You» bien soutenu à l’orgue, suivi d’un raw r’n’b bien Staxy, «You Make Me Want To Dance», il chante sa Soul de plein fouet, avec une rare honnêteté.

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             Qui a dit que les miracles n’existaient pas ? Robert Finley sur scène en Normandie ? Inespéré ! Alors le voilà, conduit sur scène par une jeune black dont on va apprendre plus loin qu’elle est sa fille aînée. Il arrive, costard noir, chemise western, chapeau star & stripes, lunettes noires, c’est le Deep South louisianais qui débarque dans ta campagne, mon gars !

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    Dès l’aéroport, Nougayork sentait le souffle, et nous on sent aussi le souffle, ce vieil homme a des allures de monstre sacré. Et pendant une heure il va te faire un show comme plus personne n’ose en faire, de nos jours, il va te rocker la salle, il va aussi te la blueser, et même te la Souler, il dégouline littéralement de classe, il danse entre les couplets, sa fille fait les backing vocals et derrière eux, un trio de petits culs blancs assure élégamment le minimum vital. Robert Finley, tu crois rêver ! Encore une légende échappée du radar. Sans Big Legal Mess, personne ne connaîtrait son existence.

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    Il te fracasse ses hits un par un, il redore le blason de la Southern Soul, sa fille vient lui annoncer chaque titre à l’oreille. Il établit un contact magique avec le public, il rit beaucoup, c’est un très bel homme, capable de danser le jive avec sa fille. Il démarre avec «Sharecropper’s Son» et c’est énorme, il fout immédiatement le souk dans la médina et fait main basse sur le public. Il approche des 70 balais, mais quelle énergie ! À chaque fin de cut, il salue le public d’une courbette en levant son chapeau. Ses cheveux blancs sont tressés vers l’arrière.

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    L’un des moments les plus émouvants du set est l’«I Can Feel Your Pain» tiré du troisième album, il est tellement sincère dans sa Soul qu’il en devient christique, cet homme dégage indéniablement quelque chose de profondément spirituel. Il chante pas mal de cuts en power-falsetto et c’est encore plus impressionnant que sur les albums, il peut allier le chat perché à la puissance de ténor. Il fait l’apologie de l’espoir («All My Hope») et du sourire. Il revient en rappel pour quelques cuts, dont deux blues qu’il gratte sur sa gratte, perché sur un tabouret, et là, on assiste à un édifiant numéro de cirque. Le deuxième blues acou est assez spectaculaire, «Make It With You», il le chante au fil d’argent, à la mélodie pure, en rigolant. Lorsqu’après le set, au bar, on lui demande si «I Can Feel Your Pain» vient de l’église, il répond d’un rire énorme et de toute sa poitrine. À la question de l’artiste préféré, on s’attend à Slim Harpo ou a Bobby Charles, mais il répond B.B. King.

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             Le deuxième album de Robert Finley s’appelle Goin’ Platinum. Dan Auerbach produit et signe toutes les compos. Il fait ce que Tweedy fait avec Mavis. Fantastique Soul Brother que ce vieux Robert ! Dans «If You Forget My Love», il est partout, avec sa voix d’immense Soul Brother, il swingue sa Soul à un niveau extrêmement élevé. La fête se poursuit avec «Three Jumpers», solide groove de heavy blues monté sur un hard drive de basse. Belle ambiance. Robert se jette dans la bataille et chante à l’extrême. La prod d’Auerbach ne fait pas de cadeaux. Robert s’éclate la glotte à coups d’oh yeah ! On reste dans l’excellence avec «Honey Let Me Stay The Night». C’est embarqué droit en enfer. Robert a encore du bon grain à moudre, c’est joué au maximum de toutes les possibilités envisageables. Robert s’éclate au Sénégal, un vrai gamin, il file, racé comme un requin blanc. Et puis voilà «Complications». Robert l’assume à bras le corps. C’est exceptionnellement bon, chanté à la volonté de Dieu. Quelle énorme machine ! Robert fonce, habitué à subir les volontés du patron blanc. Vas-y mon nègre, gueule dans le micro ! Robert chante la compote du patron blanc. Est-ce Auerbach qui va rafler la mise ? Robert Finley ? Macache ! Ce chanteur exceptionnel est tombé dans les filets du business blanc, on est loin du temps d’Al Bell. Robert finit l’album avec «Holy Wine», un slowah dévastateur.

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             Dans Mojo, Lois Wilson compare Robert Finley à Syl Johnson, Solomon Burke et Al Green. Pas mal, non ?

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             Le nouvel album du vieux renard vient de paraître. Il s’appelle Sharecropper’s Son, produit par Auerbach. Décidément, l’Auerbach est partout. Trois cuts tapent dans le mille : «Souled Out On You», «Starting To See» et «I Can Feel Your Pain». Le vieux renard est dans le power de la Soul, c’est ce que montre «Souled Out On You». Il va chercher un vieux chat perché dans le feu de l’action et il devient un seigneur des annales. On renoue avec la grandeur tutélaire dans «Starting To See». Le vieux est un Soul scorcher exceptionnel. Il pousse sa Soul à l’extrême. Il réussit même à exploser le cut. Dommage qu’on entende la guitare d’Auerbach derrière lui dans «I Can Feel Your Pain». Le cut serait si parfait sans cette guitare qui blanchit le son. Auerbach fait les mêmes ravages que Tweedy avec Mavis : il avait réussi à la blanchir. Dans «Make Me Feel Alright», Auerbach ramène tellement sa fucking guitar qu’on perd la Soul de vue. Le vieux amène le morceau titre au stomp, mais encore une fois, la guitare gâche tout. C’est tout même dingue que les blancs la ramènent dans une histoire de sharecropper. C’est un peu insultant. Comme la présence d’Auerbach donne de l’urticaire, il faut se concentrer sur le chant. Le vieux chante «Country Boy» au petit chat perché, mais Auerbach vient encore lui manger la laine sur le dos avec son ego démesuré et son son de blanc dégénéré. Les blancs colonisent l’art nègre comme au temps des plantations, on ne sent pas la mixité comme chez Stax où le blanc se fond dans le moule black. Ici la guitare prévaut. Elle prévaut dangereusement. Le vieux boucle l’album avec «All My Hope» qui vire gospel, avec de l’orgue. Ouf on croit échapper à la fucking guitare mais elle revient dans le son, ce mec a un problème, il devrait aller voir un psy. Il nous gâche le plaisir d’écouter l’immense Robert Finley.  

    Signé : Cazengler, Robert Filasse

    Robert Finley. Le 106. Rouen (76). 24 novembre 2022

    Robert Finley. Age Don’t Mean A Thing. Big Legal Mess 2016

    Robert Finley. Goin’ Platinum. Easy Eye Sound 2017

    Robert Finley. Sharecropper’s Son. Easy Eye Sound 2021

    Lois Wilson : Robert Finley. Mojo #290. February 2018

     

     

    Wizards & True Stars

     Dylan en dit long (Part Five)

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             De la même façon que Balzac, Céline ou Victor Hugo, Dylan échappe à toutes les catégories. Par la seule ampleur de son œuvre. Il ne viendrait l’idée à personne de dire que Dylan, Balzac, Céline et Victor Hugo sont les plus grands. Pourquoi ? Parce qu’on le sait. Alors on se contente de lire les livres et d’écouter les disques. Après, on ira au jardin voir si la rose est éclose.

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             Sur la pochette de son premier album, le jeune Bob a l’air pensif. Soixante ans plus tard, il a toujours le même regard. Paru en 1962, cet album sans titre ne semblait destiné qu’aux folkeux. Certains d’entre-nous l’ont redécouvert un peu plus tard, au moment du choc d’Highway 61 Revisited, en 1965. On y allait les yeux fermés, même si bien sûr le son de 1962 était nettement plus austère. Le jeune Bob grattait comme un dératé et ramenait des coups d’harp du midwest. Avec le recul, on voit bien que Gram Parsons s’est cassé la tête pour rien, car du temps du jeune Bob, la messe de l’Americana était déjà dite. En reprenant le «She’s No Good» de Jesse Fuller, le jeune Bob inventait la cosmic Americana. L’autre gros shoot d’Americana est bien sûr l’excellent «Pretty Peggy O» enflammé à coups d’harp du Midwest. Le jeune Bob y pousse des ouh ouh d’antho à Toto. Pas mal de covers sur cet album dont l’excellent «Baby Let Me Follow You Down» - This is a song by Eric Von Schmidt. He lives in Cambridge, a blues guitar player - Cambridge où le jeune Bob a séjourné plusieurs mois avant de débarquer à Greenwich Village. C’est avec cette cover qu’il pose les jalons du Dylan electric. C’est aussi sur cet album qu’on trouve la reprise d’une chanson traditionnelle, «The House Of The Rising Sun» que vont reprendre les Animals. Même ambiance que celle de Parchman Farm, ça finit avec le ball and chain, et l’I’m going back to end my life down in the rising sun. Cet album est celui de toutes les mythologies. Oui et quelles mythologies, car le jeune Bob reprend aussi le «See That My Grave Is Kept Clean» de Blind Lemon Jefferson. Dans Masked And Anonymous, Dylan sort la guitare de Blind Lemon et dit que tout a commencé avec elle. Il joue ce cult-blues sec et net en forçant un peu la voix. Il reste dans le blues du Delta avec «In My Time Of Dyin’», fantastique régurgitation de dyin’ babe. Il injecte encore du blues pour son protest dans «Fixin’ to Die Blues». Il gratouille bien ses poux d’arpèges et force un peu sa voix pour exprimer ce qu’est le blues de Bukka White. N’oublions que dans Chronicles, le jeune Bob citait Robert Johnson comme principale source d’inspiration. Le vrai Dylan se trouve dans «Man Of Constant Sorrow» que reprendra d’ailleurs Rod The Mod à l’époque Mercury. Fantastique exaltation mélodique - I’ll say goodbye to Colorado/ Where I was born and partly raised - Il re-façonne déjà l’Amérique, mais bien sûr, personne n’est au courant, même pas lui. Il veut quitter le Colorado, mais il y revient. Il crée la mythologie du hobo - I’m about to ride that morning railroad/ Perhaps I’ll die on that train - Pour un premier album, c’est un coup de maître. Bob Dylan est l’album factuel. 

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             La pochette de The Freewheelin’ Bob Dylan compte parmi les plus mythiquement tendres de l’histoire du rock. Diable, comme elle est belle la Suze, au bras d’un Bob qui paraît si léger dans le mouvement, ce mouvement, souviens-toi, dont il fait l’apologie dans Chronicles. L’album s’ouvre sur ce «Blowin’ In The Wind» qui ne passe plus du tout. On a peut-être trop entendu cet answer my friend. Par contre, si tu vas dans le Nord, n’oublie pas d’écouter «Girl From The North Country», car she once was a true love of mine. La formulation n’est pas banale, c’est de la poésie dylanesque, comme on dirait un songe verlainien. Ces gens-là naviguent au même niveau. Avec sa Girl, Dylan commençait à taper dans l’œil du mille. Même les gens qui le critiquaient bêtement pâlissaient à l’écoute d’une telle merveille. Oh il ne raconte pas grand-chose dans ce balladif intemporel, pas de discours antimilitariste, pas de symbole caché ni de personnages emblématiques, juste le souvenir du froid - Where the winds hit heavy on the borderline - et de cette femme dont il fut profondément amoureux. Il se rappelle surtout de ses cheveux qui se répandaient sur ses seins - Please see for me if her hair hanging down/ If it curls and flows all down her breast - et comme il s’adresse à toi puisque tu vas aller faire un tour dans le Nord, il te demande de vérifier si sa longue chevelure s’écoule toujours sur ses seins. On imagine la tête de l’exégète devant cette chanson : rien à en tirer, juste une histoire de nostalgie amoureuse. C’est d’une banalité ! Mais rien n’arrive à la cheville de la banalité dylanesque. Burt Bacharach, Brian Wilson, Phil Spector et Jimmy Webb l’avaient bien compris puisqu’ils s’y sont engouffrés à leur tour. Comme Dylan, ils ont réussi à percer le secret du Grand Œuvre, c’est-à-dire la chanson parfaite. La chanson parfaite, c’est celle qu’on écoutait voici cinquante ans et qu’on écoute encore aujourd’hui en ressentant exactement le même frisson, le même plaisir cérébral, qu’il s’agisse de «Girl From The North Country», de «MacArthur Park», d’«Heroes & Villains», de «You’ve Lost That Lovin’ Feelin’» ou de «This Guy’s In Love With You». Qui ose prétendre que la perfection n’est pas de ce monde ? Puis Dylan revient à son dada avec «Masters Of War», toujours d’actualité. Eh oui, c’est le business le plus juteux avec celui de Pandemic, alors pas question de s’en priver. Les gens gueulent, mais à la place des Masters of War, ils feraient exactement la même chose. On est antimilitariste quand on est pauvre. Quand on est riche et qu’on vend des armes, on ne l’est pas. Alors comme Dylan est pauvre, il est antimilitariste. Il harangue les harengs, avec beaucoup de mots lestés en B, bills, bombs, blood, bins, brain, des clous qu’il enfonce avec des death, desks, drain. N’oublions jamais qu’il est d’abord écrivain et poète, et qu’il connaît le poids des mots. Bien sûr, il n’oublie pas le vocabulaire apparenté, bullets, triggers, et comme il est jeune, il montre les dents, il fait le revanchard, il dit que personne, même pas Jésus, ne pourra leur pardonner aux masters of war, et il attend la dernière strophe de son interminable harangue pour leur souhaiter de crever, and I hope that you die, et vite fait en plus, and your death will come soon, et il suivra le cercueil by the pale afternoon et il le verra descendre au fond du trou, down to your deathbeb, par contre, il n’ira pas jusqu’à cracher sur sa tombe comme le ferait l’avenir du rock, non, il se contentera de monter sur la tombe pour être bien sûr que le Master of war ne va pas se sauver. Par contre, l’«Hard Rain’s A Gonna Fall» se veut plus biblique, avec tous ses personnages qui sortent de ce poème fleuve comme autant de cartes d’un jeu de tarot, a white man who walked a black dog, a poet who died in the gutter, a clown who cried in the alley, a young woman whose body was burning (comme dans le film), des rivières de diamants, il est le seul avec Leo Ferré à savoir respirer la poésie, et il sait son poème dit-il à la fin, avant même de commencer à le scander. On le retrouve en B avec «Don’t Think Twice It’s All Right». Il traite ici de l’incommunicabilité des choses, but we never did too much talking anyway,  il dit avoir voulu lui donner son cœur mais elle voulait son âme, il lui reproche de l’avoir treated unkind, you could’ve done better but I don’t mind/ You just kinda wasted my precious time, ah comme la vie peut être compliquée. C’est le fonds de commerce des grands poètes. Mon pauvre enfant, ta voix dans le Bois de Boulogne. Et cette fantastique façon qu’a Dylan de dire adieu, so long honey babe. Le coup de génie de l’album est cette version de «Corrina Corrina» jouée au deepy deep et qui préfigure le son de John Wesley Harding, montée sur un drive de basse incroyablement nonchalant. Il termine avec «I Shall Be Free» et raconte que JFK lui passe un coup de fil, my friend, Bob, what do we need to make the country grow?, et Dylan lui répond my friend, John, Brigitte Bardot, Anita Ekberg, Sophia Loren, ah quelle fantastique énergie du chant ! Alors Dylan boit pour être libre, well, ask me why I’m drunk all time/ It levels my head and eases my mind, il va par les chemins et chante comme Charles Trenet, I see better days and I do better things, il attrape des dinosaures, il baise Elizabeth Taylor et bien sûr s’attire des ennuis avec Richard Burton.

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             Quand on réécoute The Times They Are A-Changing on est frappé par la pureté du protest process et par la légendarité des coups d’harp. Paru en 1964, cet album est d’une incroyable modernité. «The Ballad Of Hollis Brown» nous fait comprendre autre chose : c’est déjà électrique avant le Dylan goes electric de Newport. Cette fabuleuse tension va servir de modèle à tout le folk-rock américain - Hollis Brown he lived on the outside of town/ With his wife and five children/ And his cabin breakin’ down - Il fait rimer le desolation row de town avec down. Il met tout son poids dans ses syllabes et charge sept cartouches dans sa culasse. Dylan fait ce que fit Hugo un peu avant lui, il universalise la misère pour mieux nous la balancer en travers de la gueule, car c’est tout ce qu’il reste à faire - Seven shots ring out like/ The ocean’s pounding roar - Alors on observe son visage sur la pochette, et on le trouve bien grave, le jeune Bob avec son regard chargé d’ombre. Il n’a pas encore envie de chanter des chansons d’amour, ça viendra plus tard, quand il aura compris qu’universaliser la misère ne servait à rien, puisqu’elle est dans l’ordre des choses, comme la violence ou encore la connerie. Alors il fait appel à Dieu qui ne vaut guère mieux, et c’est «With God On Our Side», alors tout va bien, puisque Dieu est avec nous, disent les soldats américains qui massacrent les tribus indiennes - The cavalries charged/ The Indians died/ Oh, the country was young/ With God on its side - Pour une fois le rock sert à quelque chose. Bois un grand verre de coca-cola, mon gars, car ce n’est pas fini. Le jeune Bob est tellement ému par ce qu’il chante qu’il développe un fantastique sens mélodique. Il peut monter, il reste juste au moment du country was young/ With God on its side. Il ne compte pas non plus les morts de la première guerre mondiale, puisque dit-il, plein de bon sens, you don’t count the dead/ When God’s on your side, et en attendant la troisième, il évoque la deuxième guerre mondiale et trouve tout naturel qu’on devienne potes avec Allemands qui ont balancé six millions de gens dans les fours crématoires - They murdered six million/ In the ovens they fried/ The Germans now, too/ Have God on their side - God est incroyablement permissif, c’est même une bonne pâte, tout le monde le sait, même le diable. Et comme à l’école, le jeune Bob a appris à craindre et haïr les Russes, alors pas de problème, quand il faudra courir aux abris, il le fera comme tout le monde, With God on my side. Ah il se marre bien, le jeune Bob. Il ajoute que tu ne poses jamais de questions quand tu as God on your side, c’est très pratique. Il en vient fatalement à se poser la question sur Jésus et sur la trahison de Judas, mais dit-il, il ne peut pas se la poser à notre place, chacun doit se débrouiller avec sa conscience - You’ll have to decide/ Wether Judas Iscariot/ Had God on his side - Dylan est déjà passé maître dans l’art de dire les choses. On vote donc pour Dylan, comme on votait pour le Che, Gandhi et Nelson Mandela. En B, on croise l’excellent «Boots Of Spanish Leather», excellent car d’une grande pureté mélodique et qui sonne comme «Girl Of The North Country» qu’on trouve sur The Freewheelin’ Bob Dylan et plus tard sur Nashville Skyline où il duette avec Cash. Et puis avec «The Lonesome Death Of Hattie Carroll», le jeune Bob s’en prend vertement à cette métaphysique de la brutalité qu’on appelle l’injustice. Le jeune Bob raconte comment un jeune et riche planteur de tabac, William Zantzinger, ratatine à coups de canne une servante de cinquante balais et s’en sort avec six mois ferme - But you who philosophize/ Disgrace and criticize all fears/ Take the rag away from your face/ Now ain’t the time for/ Your tears - Pareil, des gens sont passés par là avant, de Zola à Leo Ferré, dénoncer l’injustice est un job vieux comme le monde qui ne sert strictement à rien, puisqu’elle s’inscrit dans les tables de la loi. Tu nais pauvre, t’es baisé. Tu nais riche, tu passes à travers tout.  The Times They Are A-Changing est l’album solaire.

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             C’est sur Another Side Of Bob Dylan paru en 1964 qu’on trouve le grand cut préfigurateur du rock moderne : «Motorpsycho Nitemare». Le nitemare préfigure surtout la trilogie à venir (Highway 61 Revisited/ Bringing It All Back Home/ Blonde On Blonde). Là tu as tout le sharp spirit dylanesque, l’essence du rock électrique - I’m a clean cut kid and I been to college too - Il swingue ses mots jusqu’au vertige, à part Iggy avec son maybe call mom on the telephone, personne n’est allé aussi loin que lui dans ce délire de poésie électrique, il est la suite de Rimbaud, il fait exactement ce que Rimbaud aurait fait s’il avait eu une guitare électrique, Dylan incarne la liberté et l’intelligence de la liberté, il a ce don unique, on peut passer sa vie à écouter et réécouter Dylan sans jamais craindre l’ennui. Il crée son monde en permanence, à longueur d’albums. Voilà qu’il débarque dans une ferme paumée à la recherche d’un toit pour la nuit - a place to stay - et il tombe sur le fermier qui lui colle un gun into my guts. Sauf bien sûr chez les cracks du rockab, le rock n’avait encore jamais swingué comme ça et depuis, il n’a jamais aussi bien swingué. Et voilà Rita, la fille du fermier, qui semble sortir de la Dolce Vita - Then in comes his daughter whose name was Rita/ She looked like she stepped out of la Dolce Vita - La façon dont Dylan swingue sa phrase est essentielle. Il transmet tout l’héritage du blues et du rockab. Dès qu’il voit Rita, Bob sent l’embrouille. On se croirait chez farmer John, avec the girl with the champagne eyes. Le fermier héberge Bob à deux conditions : pas touche à ma fille et demain matin, tu trais les vaches - Milk the cows - Marché conclu. Bob dort sous le stove. Rrrrrrrrrrr. Il dort à poings fermés - I was sleepin’ like a rat - et soudain, quelque chose le secoue - There stood Rita/ Looking just like Tony Perkins - Il a besoin du Perkins pour rimer avec le jerkin’ de Rita, c’est aussi simple que ça. Dylan ne s’embarrasse pas avec les détails, il doit poursuivre la cavalcade effrénée de son story-telling. Rita lui propose d’aller prendre une douche. Now ? Comme il a promis au père de ne pas toucher à sa fille, Bob doit trouver un stratagème pour se sortir de ce guêpier. Vu qu’on est dans un rock lyrique ouvert à toutes les affabulations, Bob se met à crier bien fort : «I like Fidel Castro and his beard», le beard devant rimer avec le weird d’avant. S’il avait dut rimer avec hard, ou too far, il aurait crié : «I like Fidel Castro and his cigar». Le père entend ça et dans l’Amérique profonde des beaufs descendants de colons, c’est un blasphème que de citer Castro, le communiste. Le père arrive en pétard et demande à Bob de répéter ce qu’il a osé dire. Alors Bob répète : «I like Fidel Castro/ I think you heard me right.» Alors le père se met en pétard pour de bon - He said he’s gonna kill me/ If I don’t get out the door in two seconds flat - Le flat bien sûr pour rimer avec le rat, car cette chanson est infestée de rats - You unpatriotic rotten doctor commie rat - Le père commence par lui balancer le Reader Digest dans la gueule, magnifique symbole beauf, Bob se marre et se casse vite fait en sautant par la fenêtre - Crashed through the window at a hundred miles an hour - Le père charge son gun et Bob prend les jambes à son cou, en vrai bluesman - The sun was comin’ up and I was runnin’ down the road - Et pour finir en beauté, Dylan lâche l’une de ces paroles d’évangile dont il va continuer de se faire une spécialité : «Without freedom of speech I might be in the swamp.» La morale de cette histoire est qu’il n’en faut pas en perdre une seule miette. L’autre stand-out d’Another Side est bien sûr «Chimes Of Freedom». Encore un poème fleuve. On comprend qu’il ait remué les foules étudiantes en Amérique et en Angleterre. C’est encore de la poésie électrique pure, Dylan charge sa prose comme une mule, c’est somptueux - As majestic bells of bolts struck shadows in the sounds/ Seeming to be the chimes of freedom flashin’ - Vers aux pieds ailés, comme chez les symbolistes de l’Avant-Siècle. Tout dans Chimes résonne à l’infini - Through the mad mystic hammering of the wild ripping hail/ The sky cracked its poems in naked wonder - Gawd, la chance qu’ont eu les Anglo-Saxons d’entendre ces poèmes à la radio. Les Français avaient Léo Ferré qui lui aussi faisait référence aux guardians and protectors of the mind - the poet and the painter - car c’est bien de cela dont il s’agit, face à l’extrême brutalité du monde moderne. Dylan n’oublie pas les damnés de la terre, the mistitled prostitute, the misdemeanor outlaw, chaque fois qu’on réécoute ce dazibao, on en reste baba. Depuis, on se demande où sont passé les poètes. Auraient-ils fini par disparaître ?

    Signé : Cazengler, Bob Divan

    Bob Dylan. Bob Dylan. Columbia 1962

    Bob Dylan. The Freewheelin’ Bob Dylan. Columbia 1963

    Bob Dylan. The Times They Are A-Changing. Columbia 1964

    Bob Dylan. Another Side Of Bob Dylan. Columbia 1964

     

    L’avenir du rock

    - Les contes d’Andersson (Part Two)

             S’il est un genre littéraire que l’avenir du rock prise particulièrement, c’est bien celui des contes. Ah les contes ! Que ne permettent-ils pas ! Le conte est bon lorsqu’il s’ancre fermement dans la réalité et qu’il se nourrit d’éléments qui assoient la crédibilité de ses personnages. Il faut pour ce faire que l’étude soit très fouillée, poussée jusqu’à son paroxysme, comme s’il s’agissait d’abattre la besogne d’un journaliste de bas étage. C’est à ce prix que la fondation supportera le poids du temps. Et la narration encaissera la violence des tempêtes que l’imagination jugera alors bon de lever, car de cela dépend le succès du conte : sans surprise et sans basculement, il s’aplatit comme le soufflé d’un mauvais cuisinier. Les contes permettent surtout de tirer le réel d’un mauvais pas. Souvent les histoires vraies implorent désespérément de l’aide pour paraître moins ternes, alors le conte vole à leur secours, tel un gentil vampire, et les entraîne dans des féeries qui se rient de la bienséance et des lois de la gravité. De la même façon que celles des écrivains de l’Avant-Siècle, la vie des grands rockers se prête merveilleusement bien aux biais de la fiction et aux glissades vers ce qu’on appelait autrefois le monde fantastique, c’est-à-dire un au-delà du réel conçu pour bercer l’imagination de l’agneau-lecteur. Comme Marcel Schwob ou Apollinaire, certains grands rockers sont de véritables contes à roulettes qui, à force de jouer avec leurs ficelles, ont fini par incarner les fruits de leurs imaginations respectives. Les meilleurs exemples ne sont-ils pas Jeffrey Lee Pierce dont on dit qu’il efface les gens d’un seul regard, ou encore Lux Interior occupé à fabriquer dans son laboratoire le bassiste de ses rêves, ou Chris Bailey chevauchant un kangourou pour échapper à ses poursuivants, ou Robert Wyatt parcourant son île dans un fauteuil aux roues carrées ? Ou encore Henry Rollins battant pavillon noir pour affronter de front le vaisseau amiral de l’armada espagnole, sans oublier bien sûr les contes d’Andersson, grand Hellacopter devant l’éternel.

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             Les Hellacopters font enfin la une des magazines ! Enfin, d’un magazine, mais pas n’importe lequel, puisqu’il s’agit du bien nommé Vive Le Rock. Il pourrait très bien s’appeler Vive la Vie. Dix pages pour les Copters ! Du jamais vu ! Gerry Ranson rappelle tout de go que les Copters viennent de se reformer après 17 ans de silence. 17 ans, tu te rends compte ? En plus, Nicke Andersson a réussi à rapatrier son vieux co-listier Dregen qui était parti rejoindre ses Backyard Babies à Londres en 1997. Quand Andersson a splitté le groupe en 2008, il avait dit never again, mais comme dans tous les cas de reformation - et celui des Pixies en particulier - les offres qu’on leur fait sont des offres qu’on ne peut pas refuser - The money was really good - Eh oui, les Copters ont un public en Suède. Pas de problème. Quelques répètes et c’est reparti.

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             Comme il a de la place, Andersson peut évoquer ses racines : «Star Wars, dinosaurs and Kiss. Tout cela est connecté, pas vrai ? Les cracheurs de feu et les explosions ! Je reviens toujours à Kiss, parce qu’ils sont mes racines et d’une certaine façon, Kiss est punk, car leurs chansons sont très basiques et jouées avec efficacité, c’est du rock’n’roll, je suis aussi un fan des Sex Pistols, et je crois qu’ils sont proches les uns des autres, musicalement. Mais pas au plan des lyrics, bien sûr. Ils ont en commun des grosses guitares et les pounding drums - That’s where it’s at!.»  Andersson explique qu’il a découvert le punk-rock grâce à la collection de 45 tours du père d’un copain : Pistols, Damned, Ramones. Sur un album des GBH, il découvre une cover des Stooges et ça le conduit naturellement au MC5. Ce qui ne l’empêche pas de démarrer sa carrière de musicien comme batteur d’un gang de death metal, Entombed. Andersson rencontre Dregen en 1991 et lui propose de l’embarquer comme drum tech dans une tournée américaine d’Entombed. C’est là qu’ils vont monter le projet d’Hellacopters. Et comme toutes les histoires de group-building, celle des Copters est passionnante. Ils téléphonent au drummer Robert Eriksson : «You’re gonna be the drummer in our new band !». Pouf, c’est parti. Avec un bassman en complément, Andersson passe au chant et à la gratte. En plus, il monte un label, Psychout, qui existe encore. Premier single, avec en B-side une reprise de Social Distorsion, pour faire bonne mesure. Les Copters se spécialisent dans ce qu’ils appellent les underground seven-inches, des 45 tours à tirages limités. Ils enregistrent leur premier album, Supershitty To The Max, qui est un must-have, et deviennent célèbres. C’est là que Dregen décide de rejoindre son groupe, les Backyard Babies - Ce fut la décision la plus dure de ma vie - Et il ajoute : «C’est comme choisir entre sa fille et son fils.» Bon, il savait que les Copters pouvaient continuer de voler sans lui, alors il a rejoint les Backyards.

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             Puis arrive la période Wayne Kramer via les Nomads. Andersson rencontre Kramer à Los Angeles, puis Scott Morgan à Detroit. Les Copters commencent à multiplier les tournées américaines, et par chance, l’une d’elles est filmée en 2002 : c’est le fameux docu Goodnight Cleveland. Très bon docu, on suit les Copters de ville en ville, Cleveland, Chicago. Ils sont bien dans la lignée du MC5, ils jouent au twin guitar attack. Les Gazza Strippers jouent en première partie. Le van passe par Champaign, Illinois, puis Detroit. Quelques plans d’after show nous montrent l’Andersson bourré. Le doc est d’une grande honnêteté intellectuelle, on voit les chambres à deux lits, les sound-checks, les after-shows, la booze, les filles tatouées, et puis bien sûr, le cœur de l’action, la scène. Andersson n’a pas vraiment de voix. Il porte en permanence sa casquette de baseball. Philadelphie, puis New York. On s’y croirait. Il faut bien sûr voir les bonus car ils grouillent de merveilles : Detroit avec Scott Morgan pour «City Slang». Pas mal d’autres plans scéniques mais globalement, ont voit que les Copters ont du mal à décoller : «Goodnite Yankees, we’re the Hellacopers from Sweden. We’re gonna get some action... Right now !» Robert Dahlqvist est aussitôt à genoux, torse nu. Il est très physique. Les gros bonus sont les deux versions de «Search & Destroy», la première à New York avec les Gazza Strippers, et la deuxième dans un festival en Suède. C’est l’une des plus belles séquences de concert rock, filmée dans le dos du batteur Robert Eriksson, un batteur qui joue torse nu à l’énergie pure, la caméra est quasiment sur son dos, face à un ciel rouge et à une foule énorme, le tout dans des fumées qui évoquent celles du napalm. Fantastique ambiance de fin du monde, et filmé sous l’angle de powerhouse, ça prend une drôle d’allure. Eriksson bat comme mille diables, on se demande comment il tient aussi longtemps. Bel hommage à Iggy, en tous les cas. Les fans des Hellacopters se régaleront aussi de quelques plans scéniques de la première mouture des Copters, avec Dregen, qui était déjà très enragé, équipé d’une grosse demi-caisse blanche.

             Tous les albums des Copters sont épluchés dans un Part One. En 2003, Wayne Kramer invite Andersson à rejoindre la reformation du MC5, avec Dennis Thompson et Michael Davis. C’est le fameux concert au 100 Club de Londres avec les super-guests Lemmy, Dave Vanian et Ian Astbury. Puis une tournée. On les voit à l’Élysée Montmartre. C’est ensuite au tour de Scott Morgan d’inviter Andersson à le rejoindre dans The Solution (Andersson avait déjà battu le beurre pendant un an dans les Hydromatics). The Solution va enregistrer deux fantastiques albums. Quand le split des Copters est annoncé, Andersson doit expliquer que jouer dans un groupe de rock n’est pas toujours une partie de plaisir (a walk in the park). Il veut dire par là que c’est assez rude. Mais par contre, il est fier d’être resté sur sa ligne, sans jamais avoir fait le moindre compromis. Le rock est mort ? Ah ah ah ! Vive le rock ! - I mean c’mon ! We play music that’s not very trendy, so if you’re truly yourself, I guess it works - Ça tombe même sous le sens. C’est bien d’entendre des gens dire les choses comme elles doivent être dites. Pas besoin d’aller vendre son cul pour exister. Andersson repart de plus belle avec Imperial State Electric, quatre ou cinq albums eux aussi épluchés dans le Part One et puis, dernier rebondissement, la reformation des Copters.

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             Eyes Of Oblivion n’est pas un album génial, mais ce n’est pas non plus un mauvais album. C’est un album d’entre-deux eaux, avec beaucoup de son. Tout de suite embarqué au Copter craze avec «Reap A Hurricane». Ces mecs ont toujours su poser leurs accords dans le mayhem, ça date du temps de Supershitty To The Max, paru en 1996, voilà bientôt trente ans. Ils restent fracassants de bon esprit, c’est battu à la Copter avec les grosses guitares habituelles. Ils font un peu de glam avec «Tin Foil Soldier». Ça tape à la dure, mais ça reste dans l’esprit glam, fin et puissant, joué au feel de manche, et comme pour tout glam qui se respecte, bien ancré dans le boogie. Le hit de l’album est le dernier cut, «Try Me Tonight». Ils sortent pour l’occasion les accords du MC5 et tout le raunch de Detroit. Ils profitent de l’occasion pour redevenir légendaires et payer leur dues - Payin’ The Dues - Quant au reste de l’album, c’est du Copter traditionnel : il y pleut du son comme vache qui pisse. Et le morceau titre file ventre à terre, ce qui est bizarre pour des Vikings qui ont plus pour habitude de naviguer. Ce sont les guitares qui font la loi, ici. Raison pour laquelle les Copters sont si intensément bons - We need a Plew and a doctor/ Right now ! - L’essentiel est que ce groupe continue d’exister. Ils figurent parmi les derniers tenant d’un aboutissant sacré.

    Signé : Cazengler, coléoptère

    Hellacopters. Eyes Of Oblivion. Nuclear Blast 2022

    Jim Heneghan. Goodnight Cleveland. DVD MVD 2002

    Gerry Ransom : Kings of Oblivion. Vive Le Rock # 90 - 2022

     

     

    Inside the goldmine - Par ici la Shorty

     

             Ils optèrent cet été-là pour le haut Atlas et séjournèrent quelques temps à Marrakech. C’est dans cette cité chargée d’histoire que se retrouvent les gens qui prévoient d’aller escalader le Toubkal, point culminant de l’Atlas. Ils s’installèrent dans un hôtel fabuleusement décadent situé à l’entrée de la médina. Le temps semblait s’y être arrêté. On pouvait y déguster des salades de tomate à la coriandre en plein cœur de l’après-midi et fumer du kif sur la terrasse, mais discrètement, bien sûr. Dans les chambres, la plomberie ne fonctionnait plus depuis longtemps, mais cela faisait partie du charme de l’endroit. On trouvait aussi une piscine pas très bien entretenue au deuxième étage. Dans le courant de la matinée, nous allions nous jeter dans le tourbillon intemporel de la médina, nous arrêtant chaque fois devant les échoppes des herboristes, puis lorsqu’on sentait monter la fatigue, nous nous mettions doucement en route pour regagner l’hôtel et l’abri - temporel cette fois - de la chambre. À cause de la chaleur, le sommeil tardait à venir. Et la chaleur rendait toute étreinte impossible, aussi nous contentions-nous de rester allongés côte à côte. En plein cœur de la nuit se produisit un curieux phénomène : notre lit fut secoué et nous nous réveillâmes en sursaut. Un fantôme s’agitait au pied du lit. Il continuait de secouer le lit violemment. Mais nous ne cédâmes pas à la terreur car il s’agissait du fantôme de Brian Jones. Il avait de toute évidence séjourné dans cet hôtel. Apparition magnifique et terrible à la fois, chargée de sainte colère, comme le sont tous les fantômes. Il se pencha vers nous et déclara d’une voix incroyablement sourde : «Brian-Jones-condamné-par-un-juuuuge-à-trois-ans-de-miiiiise-à-l’épreuve-pour-possession-de-cannabiiiiis-avec-interdiiiction-d’entrer-aux-États-Uniiiis !». Il secoua la tête et répéta : «Brian-Jones-condamné-par-un-juuuuuge !», «Brian-Jones-condamné-par-un-juuuuuge !», «Brian-Jones-condamné-par-un-juuuuuge !» avant de se volatiliser.

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             D’un château l’autre et pourquoi pas D’un juge l’autre ? Hear ye, hear ye/ The court’s in session/ The court’s in session, now/ Here comes the judge ! C’est ainsi que se présenta Shorty Long à l’entrée du jardin magique, en 1968. Il portait la perruque et la robe noire d’un juge anglais. Sa mise extravagante nous plut immédiatement. 

             Nous apprîmes que ce petit homme modeste et réservé bénéficiait de la bienveillante protection de messire Marvin Gaye, puissant seigneur du Michigan. Nous passâmes donc la soirée à l’écouter flatter sa muse, cette fascinante Soul Music issue des contrées lointaines qui s’étendent jusqu’au Septentrion, par delà les océans.

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             «Here Comes The Judge» emporta tous les suffrages. Nous nous levâmes pour danser la Saint-Guy, faisant fi de l’étiquette. Il régnait dans le jardin magique la torride atmosphère d’un Sabbat de sorcières. Shorty Long singeait la justice tout en invoquant les démons des forêts africaines. Il nous tisonna de nouveau la cervelle avec «Function At The Junction», un air dansant, bas sur pattes et délicatement empoissé. Nous fûmes les premiers surpris par nos propres déhanchements. Nos cartilages goûtaient à la liberté. Shorty Long se mit ensuite à psalmodier «Don’t Mess With My Weekend», ferraillant son chant de taille et d’estoc, le biseautant à l’angle d’incartade. Il profita d’un court moment de répit pour saluer sa co-auteuse Sylvia Moy, première soubrette autorisée à composer des vers à la cour du roi Gordy. Il s’empressa d’ajouter qu’on devait aussi à mademoiselle Moy ces merveilles extravagantes que sont «Uptight» et «I Was Made To Love Her» et qui ont propulsé Little Stevie Wonder à Wonderland. Cette habile transition lui permit d’invoquer les divinités priapiques avec «Devil With A Blue Dress». Son apologie de la luxure suintait dans les entournures, car le petit homme la miaulait avec lancinance.

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             Après une courte pose, il nous fit don d’un parfait joyau de Soul Music, «Night Fo’ Last», ciselé dans le swing le plus pur et d’un éclat aveuglant. Pour le rendre plus mirifique encore, il temporisait à l’endroit des retours de couplets. Il enchaîna avec une libre interprétation de «Stranded In The Jungle». Le petit homme se montrait tellement joyeux qu’il levait des frissons sous les étoles. Il obtenait des merveilles de cette voix qu’il maniait comme un petit animal dressé. Son élégance nous fascinait et nous berçait le cœur de langueurs myocardales. Avec «Another Hurt Like This», il voulait se montrer à la hauteur de son destin. Son tour de chant s’acheva avec «People Sure Act Funny», une sorte de tarentelle hâtive, ardemment troussée, digne d’un homme qui ne s’embarrasse pas avec l’intendance et qui ne flagorne pas au coin des bois.

             Il nous décrit ensuite le détail de ses déboires au Michigan. Il disait avoir signé un pacte avec le roi Gordy, seigneur de Tamla Motown, un puissant royaume nègre des Amériques. Le roi Gordy avait nommé Mickey Stevenson chaperon de Shorty et créé l’étiquette Soul pour y loger les artistes trop funky à son goût. Shorty Long s’y trouva donc cantonné en compagnie de Sammy Ward et de Junior Walker & the All Stars. Il évoqua ensuite la rivalité qui l’opposait à un certain Dewey Pigmeat Markham qui se produisait dans Laugh-In, une série comique diffusée chaque semaine à la télévision américaine et qui avait lui aussi une version d’«Here Comes The Judge». Billie Jean Brown qui régnait alors sur le Quality Control Board de Tamla Motown convainquit Shorty d’enregistrer «Here Comes The Judge» sur le champ et sa version parut juste avant celle de Pigmeat sur le label Chess. Ce jour-là, Shorty s’épongea le front. Il ne devait son succès mondial qu’à sa seule célérité.

             Nous n’eûmes des nouvelles du pauvre Shorty qu’un peu plus tard, en apprenant son trépas. Une felouque turque avait accidentellement percuté et envoyé par le fond la barcasse dans laquelle Shorty pêchait le gardon en compagnie de son camarade Oscar Williams.

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    Le roi Gordy fit paraître un album posthume intitulé The Prime Of Shorty Long. Il s’ouvrait sur «I Had A Dream», une ballade funeste d’une rare sophistication. Aux premiers accords d’«A Whiter Shade Of Pale», le rouge nous monta aux joues. Le petit homme swinguait son feeling kinda seasick au pur génie vocal. Il avait réussi l’impossible exploit de faire valser cette mélopée océanique et d’y sertir un solo de cor de chasse. Cet album grouillait d’épouvantables merveilles. Avec ce popotinage exclusif et chatoyant qui courait par monts et par vaux, «Lillie Of The Valley» nous effara. Shorty Long devait être sorcier, car sa Soul brûlante dégageait une forte odeur de paganisme. Son art sentait bon le soufre. Seul le diable sait troubler l’eau claire de l’art. Il honora le blason du bon gros Antoine Domino en chantouillant «Blue Monday» et «I’m Walking», dans le cadre soyeux et tiède d’une parfaite solennité. Il n’allait pas en rester là puisqu’aussitôt après sonna l’assaut vainqueur de «Baby Come Home To Me». Il s’agissait là de l’un des plus purs joyaux de la l’histoire de la Soul. Cette belle Soul radicale du Michigan semblait parée d’un éclat mélodique inoubliable et absolument unique au monde. Ce parfait génie de Shorty Long montrait autant d’ingéniosité à cultiver l’excellence que ce Michel-Ange dont on faisait alors grand bruit par-delà les Alpes. D’autres pures merveilles embrasèrent les imaginations, comme par exemple «I Wish You Were Here», plaidoyer magique et ondulant, pure évanescence lumineuse, suivi de «When You Are Available», mélopée judicieusement chuintée et orchestrée, aussi tentante qu’une friandise exotique, aussi irrésistible que le téton rose d’une courtisane impudique. Nous n’étions pas au bout de nos surprises car soudain tinta à nos oreilles «Give Me Some Air», un délice hypnotique  chargé comme un mulet de basses romanes et de ces notes de musicalité exacerbée que les étrangers appellent le funque, des notes qui comme les coups de dé jamais n’aboliront le bazar, puis tout s’acheva avec le chant du cygne, «The Deacon Work», ouvragé à la basse de Damas, splendide travail d’orfèvre, élancé, alerte et dynamique, conçu comme une ardente fête pour les sens. Ce petit homme ne concevait donc les choses qu’à l’aune de l’harmonie céleste.

    Signé : Cazengler, Shorty Court

    Shorty Long. Here Comes The Judge. Soul 1968

    Shorty Long. The Prime Of. Soul 1969

    Shorty Long. The Complete Motown Stereo Masters. Ace Records 2012

     

     

    *

    Dans notre livraison 527 du 28 / 10 / 21, nous présentions avec un léger retard puisque le disque était sorti en 2014, Messe pour un chien de Barabbas. Je terminai la chronique en décrétant que c’était un des meilleurs albums de rock français que je connaissais. Cette fois-ci nous nous y prenons à l’avance, cette livraison datée du 8 est mise en ligne le 7 décembre 2022, or le nouvel album de Barabbas tout neuf sort le neuf décembre ! 

    LA MORT APPELLE LES VIVANTS

    BARABBAS

    (Sleeping Church Records / 13 – 12 – 2022)

    Saint Stéphane : guitar / Saint Rodolphe : voix / Saint Thomas : guitar / Saint Jean-Christophe : drums / Saint Alexandre : bass.

    L’est des titres d’album qui vous parlent plus que d’autres, certains même vous interpellent. S’adressent à vous directement. Vous en êtes flatté, que dans ce monde de froid et pur égoïsme l’on pense à vous réchauffe votre petit cœur solitaire. Méfiez-vous, ne serait-ce pas une technique (une de plus) publicitaire, hélas non, cette fois il n’y a pas d’embrouille, l’on n’en veut pas à votre bourse. Ce n’est guère mieux, c’est de votre vie dont on vous assure que vous serez un jour ou l’autre dépouillé. Vous êtes prévenu. A bon entendeur, salut.

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    Pochette glaçante. Veuves en tenue de deuil porteuses de couronnes mortuaires se dirigeant vers le cimetière où seront inhumés maris, oncles et frères. Mais le titre, de verdâtre calligraphie, de l’album impose une autre lecture. Ces femmes semblent être aspirées par le cimetière que l’on ne voit pas. Donnent l’illusion d’être en partance pour leur propre enterrement, qu’elles emmènent leurs fleurs personnelles pour être mises sous terre au plus vite.

    La mort appelle tous les vivants (intro) : ça commence très mal avec cette voix glacée d’aérogare et cette sirène d’alarme qui vrille vos oreilles, la mort appelle tous les vivants répète-t-elle sans fin, vous n’avez aucune envie de quitter le fauteuil du hall de pré-embarquement, n’est-ce pas que la vie est une salle d’attente de la mort, et que Jim Morrison nous a mis en garde depuis un demi-siècle, personne ne sortira d’ici vivant. Je suis mort depuis bien longtemps : la machine à remonter le temps occupe l’espace auditif, ne vous souciez pas du sens de la marche du tapis roulant qui vous emporte, des deux côtés ne mène-t-il pas au néant, oui mais ce que vous ne savez pas Barabbas vous le hurle dans les oreilles, vous assourdit avec l’inéluctable réalité de votre vécu, si vous pensez qu’au moins du temps de la vie incertaine que vous menez vous allez en profiter, ô cette guitare qui brise vos illusions, vous êtes déjà mort, votre corps est en train de pourrir, part en lambeau tout comme votre existence de profonde déréliction / coupure / peut-on dire que l’on vit lorsque la mort nous ronge de l’intérieur, qu’à peine sommes-nous nés nous nous dirigeons vers notre cercueil. Ce morceau d’une extraordinaire et implacable violence dégage la force des sermons funèbres de Bossuet que plus personne ne lit pour ne pas sentir la griffe de l’angoisse lui serrer la gorge, mais s’il est facile de refermer un livre, il vous sera plus difficile d’arrêter cette musique, elle dégage le chant vénéneux de l’accoutumance aux excitants les plus mortels. Le saint riff rédempteur : quelle rythmique écrasante, partout où elle passe la mauvaise herbe de la vie ne repousse pas, une seule solution, le fracas du riff rédempteur, la musique assourdissante qui recouvre les pas doucereux de la mort qui s’en vient à votre rencontre. Serait-ce un morceau d’espoir ? Non au mieux un hymne à la musique, mais la brutalité asphyxiante du morceau est sans appel, juste un cataplasme sur une jambe de bois pourri, le dernier sourire de votre enfant à qui vous promettez que tout va bien alors qu’il entre en agonie. La batterie enfonce les clous de votre futur cercueil et les guitares imitent les grincements de la scie qui découpe en tranches saignantes, lentement et sûrement, votre corps enfermé dans l’illusoire protection de la caisse en bois de l’existence. Mourir à petit feu en musique n’est-ce pas la seule consolation qui nous reste, mes très chers frères et sœurs ? Merci à Barabbas pour cet accompagnement de tonitruance délicieuse. C’était le morceau le plus optimiste. Dans le dernier tiers l’on entend la camarde avancer sur ses brodequins de plomb. C’est le cas de le dire, ça plombe un peu l’atmosphère.  De la viande : musique aussi épaisse que le matérialisme le moins éthéré. Le temps est un géant saturnien qui dévore à pleines dents ses enfants que nous sommes, nous ne sommes que de la viande dont se nourrit l’univers cannibale. Pas de rêve, nous serons bouffés jusqu’à l’os, la batterie comme une massue de boucher et les cordes comme des éviscérateurs qui nous arrachent les tripes. La messe humaine est un sacrifice sanglant. Inversion des valeurs divines. Marche funèbre. Rien ne survivra. Tic-tac, tic-tac, notre heure approche. Le cimetière des rêves brisés : imaginez l’inimaginable, des plaintes s’élèvent des tombes, les morts restent enfermés dans le regret de tout ce qu’ils n’ont pas accompli, la mort est une grande déception, l’on reste pris dans les glaces de nos remords de n’avoir pas su vivre. Existe-t-il un autre groupe français capable de produire un gloom aussi glauque, un doom aussi impitoyable, un bruit de fond aussi noir, et quand vous croyez que c’est terminé Barabbas rajoute une couche d’outre-noir, d’outre-mort, une espèce de tonnerre gigantesque qui recouvre le monde d’une couche sonore d’outre-tombe. Sous le signe du néant : éclair drummiques de lumière noire, un insecte géant bourdonne dans vos oreilles et vous empêche de vivre et de mourir, parce que vous êtes déjà mort, et que vous n’êtes qu’une goutte de ce néant qui n’est autre que la consistance de l’univers. Né pour le néant. Mort pour le néant. Vous n’êtes qu’une larve navrante, votre destin est inscrit sur une ligne dépourvue d’encre qu’il est inutile et impossible de lire, alors la musique vous submerge, toute révolte est nuisible, néant vous êtes, néant vous serez. Autant dire que vous n’êtes pas. Relisons le Traité du Non-Être de Gorgias.  Mon crâne est une crypte (et j’y suis emmuré) : douces sonorités, ne dureront pas longtemps, harmonium déglingué d’église en ruines, voici la consolation du pauvre d’esprit. Vous vous raccrochez à la seule branche de salut : vous-même. Attention les guitares vous avertissent des épines qui se plantent dans votre chair. Tant qu’une pensée tourne en rond dans votre tête tel un poisson rouge dans son bocal, vous pensez que vous existez, non vous êtes prisonnier de vous-même et vous êtes prisonnier de vous-même comme votre vie est enfermée dans votre mort. Rien ne sert de gémir. Rien ne sert de rugir. Jamais vous ne romprez le plafond de verre qui sépare la mort de la vie, pour la simple et bonne raison qu’il n’y a pas de plafond de verre. Jamais vous ne vous évaderez de vous-même. Effondrement apocalyptique. Musique du néant translucide. La valse funèbre : dans la série save for me the last dance, final en danse macabre, lourde et bourbeuse, des squelettes s’extraient de l’humus et un cauchemar médiéval prend forme, Saint Rodolphe mène le bal, de sa voix il essaie de couvrir les entrechoquements osseux, mais ils s’agitent sans fin dans vos visions intérieures, un film en noir et blanc, un dessin désanimé d’aliénés en transe, la musique se fait lourde comme une pierre tombale, humour noir pour érotisme funèbre, les morts sont comme les vivants, ils singent la vie qu’ils n’ont pas su retenir. Comme vous ils n’ont pas su la vivre. Ce morceau est une grimace désespérée, un crachat à la face édentée du néant. Lorsqu’il s’arrêtera il résonnera longtemps dans votre tête. Sans fin. La mort appelle tous les vivants (outro) : cloche funèbre, la mort appelle tous les vivants, répétés sans fin, sans fard, l’appel a désormais le visage de l’épouvante, maintenant vous savez ce qui vous attend.

             Un chef-d’œuvre absolu, d’une extraordinaire densité, dont vous ne sortirez pas indemne. Esprits fragiles, s’abstenir. Âmes fortes s’obstiner.

             Désormais vous connaissez la musique que vos amis réunis autour de votre tombe écouteront lors de votre enterrement.

    Damie Chad.

     

    *

    Si vous êtes sages, le dernier bouquin de Dylan vous attendra sous le sapin avec le sourire d’Alis Lesley sur la couve. Chez Fayard ils n’ont pas perdu la boule (de Noël) z’ont pas raté le créneau, vous le font à quarante euros, vous le trouvez à 25 importé des USA, sur le net, certes toujours avec l’ensorcelant sourire d’Alis Lesley, mais écrit en la langue de Walt Whitman ce qui risque de refroidir bien des ardeurs. Je connais les rockers, Little Richard et Eddie Cochran en gros plan leur cœur va au moins s’arrêter de battre durant dix minutes, dans leur esprit de puriste la cote de Dylan va remonter à des altitudes jamais atteintes, c’est après que viendra la grimace, Damie un gros bouquin de philosophie plus de trois cents pages, encore un truc qui va nous prendre la tête, on se contentera de ta chronique, on ne la lira certainement pas, on s’achètera plutôt des disques…

             Chez Fayard ils ont vu venir l’embrouille, avec le placard de présentation de chacune des 66 chansons choisies par le père Zimmerman, les photos pleine-page et les documents d’époque, le temps de lecture est nettement moins impressionnant que le volume du book le laisserait craindre (ou espérer). En outre l’emploi d’une typographie moins tape-à l’œil réduirait considérablement les propos de Dylan présentés en double interligne agrémenté de caractères pour mal-voyants…  Soyons rassurés, l’empreinte carbone de cet exemplaire a été réduite et équivaut à seulement à 2100kg éq. CO2. Si vous êtes un écologiste manipulé par la propagande gouvernementale, nous vous conseillons d’attendre toutefois l’édition en livre de poche. Nous les rockers nous pensons que seule la progression du rock ‘n’roll dans les âmes de nos concitoyens sera à même d’enrayer le déclin de notre civilisation, nous nous dispensons donc de ce report pochothétique incantatoire.   

    PHILOSOPHIE

    DE LA CHANSON MODERNE

    BOB DYLAN

    (Fayard / Novembre 2022)

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             Le terme chanson, traduction du mot anglais ‘’song’’ peut être sujet à mésinterprétation en notre langue, on nous a tant rabattu les oreilles avec l’expression chanson française genre supérieur par excellence en totale opposition avec les barbares braillements du rock ‘n’ roll que nous nous permettons de spécifier que les chansons présentés par Dylan, sont des morceaux de gospel, de blues, de jazz, de rhythm ‘n’ blues, de rock , de pop, directement puisés dans le vivier de la culture populaire américaine…

             Les historiens ne s’entendent pas entre eux pour définir les limites chronologiques de la modernité. Si Dylan était français il est des chances qu’il eût employé la qualification de chanson contemporaine, pour faire simple la production de la chanson moderne visée par Bob Dylan commence au début des années vingt, en d’autres termes de la mise sur le marché des premiers 78 tours et ne va pas plus loin que la première décennie de notre siècle. Un détail d’importance elles ne sont pas rangées dans l’ordre chronologique. Si ce n’est peut-être celle de leur rédaction.

             Méthodicité dylanesque : d’abord le titre de la chanson, le nom de l’interprète, la date de sa sortie, les noms des paroliers et des compositeurs. On eût aimé que l’éditeur se soit inspiré de notre blogue et ait fait suivre ces données essentielles de la pochette ou de la photographie du disque, il n’en est rien.

             Ensuite la reproduction des lyrics de la chanson ? Ben non, Dylan est un peu plus vicieux, il nous offre sa propre évocation des lyrics sous forme d’une espèce de commentaire qui essaie davantage de transcrire ce que veulent dire ou peuvent signifier les paroles. Parfois il s’arrête-là et passe à la chanson suivante.  

             Souvent Dylan nous fait suivre cette première approche de ce que l’on pourrait appeler une petite étude sociologique des conditions qui ont favorisé l’écriture de la chanson. Exemple l’attrait des ‘’ bons’’ salaires que proposaient les usines de voiture de Chicago sur les populations noires du Sud.  Entre nous soit dit rien de bien novateur. Parfois ce laïus est agrémenté (ou remplacé) de l’origine sociale de l’interprète, par exemple comment Dion d’origine italienne est dès son adolescence motivé par la carrière fulgurante de Frank Sinatra fils d’un père sicilien.

             Le lecteur se fera la remarque que la démarche dylanienne si elle ne manque pas d’une certaine logique explicative n’en est pas pour cela très philosophique. Il aura raison, pas la moindre trace d’une induction philosophique dans ces trois cents pages. Ce qui ont lu Tarentula, Chroniques et le Discours de Réception à l’Académie de Suède n’en seront pas surpris. Dylan en ces trois écrits ne s’aventure jamais dans le domaine philosophique. A peine s’il cite une fois, sous forme de boutade, dans cette Philosophie de la chanson moderne le nom d’Aristote.

             Pour comprendre l’emploi de ce terme de philosophie, il est nécessaire de s’aventurer dans le troisième développement qui fait suite à l’évocation des lyrics et au topo sociologique précédemment abordé. Notons que cette partie acquiert de plus en plus d’étendue au fur et à mesure que l’on aborde le dernier tiers du volume. Ce qui nous a laissé supposer à une présentation chronologique de l’écriture de ses soixante-six chapitres. Dylan se lâche, il s’éloigne de son sujet, il nous fait part de ses réflexions. Au pire sous une manière un peu condescendante : vous croyez que, vous pensez que, eh bien non c’est toute autre chose, écoutez-moi bien je vous tapote un topo au top, au mieux il aborde des sujets qui lui tiennent à cœur, la nature humaine ( pas très optimiste quant à son amélioration ), la nocivité de l’argent, la stupidité des guerres qui ne profitent pas à ceux qui se font tuer, les manipulations politiques, et désolé pour nos lectrices, cerise empoisonnée sur le gâteau avarié, il n’a pas l’air de penser que l’influence d’une épouse ou d’une compagne n’est pas obligatoirement bonne sur le pauvre gars qu’elle a pris dans ses filets…

             Celui qui dans sa jeunesse a écrit The Times, there are a-changin’ n’y croit plus. Nous fait part d’un pessimisme désabusé, jamais une génération n’aura appris et n’apprendra rien de celle qui l’a précédé ou de l’Histoire, Dylan dénonce l’éternel retour du même (rien à voir avec l’Eternel Retour nietzschéen), les mêmes erreurs sont sempiternellement répétées par les générations qui se suivent, aucun progrès possible, de siècle en siècle nul progrès, le même film se répète indéfiniment, l’espèce humaine ne s’améliore pas, elle n’empire même pas, elle reste confinée dans sa médiocrité constitutive…

             Dylan pense par lui-même, il ne s’insère dans aucune tradition philosophique, se fie à son expérience, à ses propres déductions, ce qui ne signifie pas qu’il profère des idioties à longueur de page.

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             Après avoir traité dans notre première partie ce que dans son Introduction à la philosophie Karl Jaspers conceptualisait sous le nom de l’englobant, passons à l’englobé.

    D’abord, deux petites merveilles. La première c’est Key to the highway, de Big Bill Bronzy mais dont il préfère la version de Little Walter. Ce qui est fabuleux dans ce chapitre 41 ce n’est ni la chanson, ni l’interprétation de Little Walter mais la façon de Dylan de présenter Little Walter, oui c’est un grand harmoniciste, mais Dylan insiste sur un autre aspect, il le présente comme l’un des plus importants vocalistes du blues. Perso je pense qu’il exagère un peu, mais ce qui est beau c’est son enthousiasme, son élan qui transcende son écriture, et vous obligera à réécouter quelques titres du petit Walter.

             La deuxième au chapitre 22 c’est El Paso de Marty Robbins (1925 – 1982). J’avoue avoir été un peu déçu par l’écoute de cette balade, à la guitare si timidement mexicaine. Elle a tout pour plaire, un saloon, une fille, des colts, du sang, des morts, mais la voix de Robbins si sereine… Dylan vous la raconte à sa manière, la transforme en tragédie grecque, en drame biblique, l’en n’extrait pas la substantifique moelle, l’en fait le symbole de toute existence, vous rappelle que le noyau du fruit de l’amour reste la mort. Vous dresse en même temps le portrait de l’Amérique profonde entre péché et rédemption L’en profite ensuite pour nous présenter le grand-père de Marty Robbins, Robert Texas Bob Heckle, qui eut douze enfants, participa à la guerre de Sécession, combattit les indiens au côté de Custer, auteur d’un livre de poésie : Rhymes of the frontier. L’on sent Dylan, fasciné par cette passation générationnelle de témoin entre l’Histoire, la Poésie, la Musique (country) indissociablement liées dans le Mythe. Dans le Récit mythifié de l’Amérique. Le projet même de l’écriture de ses propres chansons. Ne précise-t-il pas que El paso s’inscrit dans la tradition de la chanson engagée initiée par Woody Guthrie, à lire les lyrics nous ne soutiendrons pas cette assertion, mais cette proclamation dylanienne est des plus significatives.

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    Chapitre suivant ( 23 ), Le Nelly was a lady interprété par Alvin Youngblood Hart n’aurait pas excité ma curiosité si sur la dernière page n’était écrit en gros caractères que son compositeur  ‘’Stephen Foster tient d’Edgar Poe’’. Jusques alors j’associais le nom de Stephen Foster au traditionnel Oh Suzanna ! Cela demandait quelques éclaircissements. Eliminons les scories, Alvin Youngblood Hart est né en 1963, sa date de naissance le blackoute d’office de nos recherches. Sans regret puisque son interprétation n’est guère impérissable. Une voix sans timbre assez proche de celle de Martin Robbins, lorsque l’on pense au phrasé si particulier de l’auteur de Like a rolling stone l’on est étonné de ses admirations. Edgar Poe né en 1809, mort en 1849. Stephen Foster né en 1826, mort en 1864. Tous deux décédés dans la misère. Le lecteur pourra contempler ci-dessus la photo de Stephen Foster et la comparer ci-dessous avec celle d’Edgar Poe et qu’il en tire les conclusions qu’il voudra. Je ne sais si Foster a lu Poe. Mais une de ses chansons a pour titre Eulalie, et Nelly was a lady, n’est pas sans évoquer la thématique d’Annabel Lee, et il est répété que Nelly était une fille de l’Etat de Virginie. Une femme aimée morte, Eulalie et Virginie prénoms ô combien essentiels à l’œuvre et à la vie de Poe, cela fait beaucoup. Si j’ai bon souvenir, il me semble que dans Chroniques Dylan précise qu’il a lu les poèmes de Poe… Cela demande vérification.

    Un pas vers le rock ‘n’roll. Chapitre 28. Une chanson de Vic Damone. On the street where you live. A l’origine elle fut chantée par Dean Martin (voir chapitre 47). Damone est un crooner, Dylan aurait pu trouver un chef-d’œuvre de Sinatra (l’est au chapitre 62) pour illustrer ce genre. Un de ces premiers chapitres est d’ailleurs dévolu à Perry Como (voir chapitre 3), preuve par neuf qu’il sait être pertinent. Chanson très bien écrite, précise-t-il jouant sur les sonorités des épiphores, il cite par exemple le mot before, l’on pense au nevermore du Corbeau d’Edgar Poe, l’on a surtout l’impression qu’il cherche à prévenir les remontrances de ce choix dont l’évidence ne s’impose pas. De fait Vic Damone ne le séduit guère, l’est beaucoup plus intéressé par sa femme Pier Angeli. Si ce nom ne vous dit rien c’est que vous n’êtes pas un accro de la légende de Jimmy Dean. N’oubliez pas la carrière cinématographique du chanteur d’Hurricane. Il y eut idylle entre James Dean et Pier Angeli. La mère de cette dernière la dissuada de se marier avec un personnage si sulfureux. Pier se rabattit sur Vic Damone. (Elle divorcera quatre ans plus tard). L’on raconte que le jour du mariage de Pier James Dean se posta dans la rue devant chez elle… Bien plus âgée, elle proclamera que Dean fut le seul qu’elle aima vraiment…  L’anecdote (vraie ou fausse) a dû marquer Dylan, il s’attarde longuement sur le ‘’résumé’’ de la chanson affirmant que ce genre de situation est arrivé à tout un chacun. Donne surtout l’impression qu’il fait allusion à une déconvenue personnelle... Messieurs les biographes, au travail.

    De James Dean le rebelle sans cause, la route vers les pionniers du rock est toute tracée. Les notes qui leur sont consacrées ne sont pas les plus pertinentes, tous ne sont pas invités même si l’on retrouve Eddie Cochran, Gene Vincent en photos, Elvis deux fois avec des morceaux inattendus et une réhabilitation du Colonel Parker, Little Richard deux fois, Carl Perkins, Ricky Nelson, Roy Orbison, Sonny Burgess, nous ne citerons pas, par pure commisération humaine, ni le nom de son périodique, ce journaliste qui se demande quel lecteur doit connaître cet inconnu dont manifestement lui-même n’a jamais entendu parlé, ne doit pas manger tous les jours des  Burgess King à la cantine du rock’n’roll. Tout le monde n’a pas un appétit d’alligator.

    C’est peu selon nous, mais le plus étrange c’est que Dylan à part Pete Seeger n’octroie aucun chapitre aux grands noms du mouvement folk, lui qui est réputé pour être capable d’avoir mémorisé paroles et accords de centaines de titres transmis de bouche à oreilles depuis la naissance des Etats Unis, veut-il nous faire comprendre qu’à part lui… Par contre il accorde une meilleure place aux outlaws du country, deux chapitres à Johnny Cash, deux à Willie Nelson dont un avec Merle Hagard, un à Waylong Jennings. Peu de grands du blues, si on compare avec les entrées réservées aux crooners il suffit de rajouter Jimmy Reed à Little Walter. De même de l’efflorescence des groupes anglais des années soixante seuls les Who tirent leur épingle du jeu. Que l’on n’aime ou pas, l’on attendait au moins les Beatles qui eux-mêmes composaient leurs morceaux, ce qui n’est pas le cas de bien des chanteurs présentés, mais Dylan ne s’intéresse pas aux chanteurs même s’il est obligé de les mentionner, il nous parle de chanson, entendons par là qu’il n’a pas écrit une histoire chronologique de la chanson, il ne vise pas à l’objectivité, les chansons qu’il nous découvre sont celles qu’il a entendues et qui pour des raisons diverses sont devenues, par les thèmes qu’elles abordent fondamentales et exemplaires pour lui. Très significativement la table des matières ne donne que les titres et ne mentionne nullement les interprètes.

    Le lecteur risque d’être surpris, étonné, mécontent, mais en fin de compte émerveillé des découvertes que la lecture de ce livre lui permettra. Notre propre lecture s’avère faute de temps, de préjugés, et de préférences personnelles partielle et partiale. Je ne voudrais pas insinuer que Dylan a un goût de midinette, mais il ne vise pas les grandes chansons qui font l’unanimité, il y est bien obligé parfois, mais à analyser quelque peu les textes qu’il met en avant, l’on constate qu’il est très porté vers des morceaux à forte fréquence sentimentale, teintés d’un romantisme pâlichon, qu’il tempère par une fascination évidente pour des titres que nous qualifierons de westerner. Très typique de l’intello qui ne se départit jamais d’une tendresse certaine pour les mauvais sujets.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

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    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 9 ( SPORTIF ) :

    45

    Je n’avais qu’à franchir le seuil. Ce n’est pas que j’hésitais, j’attendais quelque chose, je ne savais quoi, la pièce qui s’ouvrait devant moi était plongée dans l’obscurité, mais mes yeux commençaient à s’habituer à la pénombre, peu à peu je discernais une indistincte large étendue blanchâtre, pas très éloignée de moi, je mis quelques minutes à comprendre qu’il s’agissait d’un mur, je réalisai subitement que la porte donnait sur un couloir.

    Je me glissai sans bruit dans le corridor. J’esquissais quelques pas, devant moi je ne discernais plus rien, était-ce prudent d’avancer, je tergiversais en moi-même, n’était-ce pas un piège… Je serrai la crosse de mon Rafalos 21 un peu plus fermement, dans la vie il faut savoir prendre des risques, je regrettais de n’avoir pas emmené les cabotos, Molossa aurait flairé le danger, je fis un pas en avant, puis un autre, et encore un autre, à ma grande stupeur je butai contre un mur. Ce couloir était-il un cul de sac. J’explorais d’une main prudente l’espace sur ma gauche. Le plâtre de la cloison laissa place à un chambranle de porte. Je n’eus pas à l’ouvrir, mes doigts rencontrèrent une fente, elle était entrebâillée, à peine, de deux ou trois centimètres, je me préparai à la faire tourner à la volée sur ses gonds et à pénétrer sauvagement dans la pièce, lorsque…

    46

    Une lueur, imperceptible, mais indéniablement là, elle tremblota, faillit s’éteindre, se stabilisa, et bientôt dégagea comme un halo diffus. Je poussai doucement la porte, elle ne grinça pas, la lumière n’éclairait pas vraiment la pièce, la source en était située à quelques mètres sur ma gauche. Il y eut comme un glissement furtif, suivi d’un léger tapotement, quelqu’un avait posé la lampe sur une table, un bruit plus sec, une chaise que l’on tire sur le plancher, d’ici quelques secondes l’on me priera de passer à table, gambergeai-je dans ma tête, non, je faisais fausse route, il y eut un murmure tout doux, un bruissement de vent dans les feuilles automnales d’un platane, et une frêle mélodie s’éleva, je la reconnus, Evil woman don’t play your game with me, de Black Sabbath, jouée très lentement, à la rendre méconnaissable, je m’avançais, j’entrevis une épaule, l’ombre d’un piano et une blonde chevelure, tout se brouilla dans mon esprit, Alice, oui mais laquelle des deux, dans la pénombre j’étais incapable de savoir, et puis cette situation un peu ridicule, l’on se croirait dans une scène du Grand Meaulne, n’importe laquelle des deux, I want play her game with me !

    47

    Je n’eus pas le temps de me jeter sur elle, Alice se leva et se tourna vers moi, c’était mon auto-stoppeuse !

             _ Tu en as mis du temps pour revenir, je t’attends depuis si longtemps !

    Elle se jeta dans mes bras que je refermais sur son corps d’adolescente comme les serres d’un aigle sur sa proie.

             _ Viens, elle m’entraîna dans un coin de la pièce, je n’eus que le temps d’apercevoir un lit à baldaquin, nous roulâmes sur un gros édredon en plumes d’oie et nos lèvres se rejoignirent.

    Je ne sais pas si beaucoup de lecteurs ont déjà fait l’amour avec une morte, pour ma part je ne saurais les en dissuader. Notre étreinte fut âpre et sauvage. Elle confina à la folie et à l’hystérie, une goule pensais-je avec volupté, je m’enfonçais à plusieurs reprises dans sa chair tumultueuse, j’avais l’impression de pénétrer dans le cratère d’un volcan en éruption, elle geignait et poussait des hurlements, je mordais ses seins et elle engouffra mon vit dressé dans sa gorge pantelante, je ne sais combien de temps dura cet emportement fort récréatif, lorsque je m’éveillai dans des draps trempés de sperme et de foutre, je crus que c’était les lèvres d’Alice sur mon cou qui m’invitaient à de nouvelles folastries, c’était Molossa. Un raclement sous le lit m’apprit que Molossito obéissant à mes ordres n’avait pas quitté d’une patte sa mère adoptive.

             _ Tu as eu ce que tu as voulu, maintenant il faut payer !

    La voix rauque et sardonique me fit reprendre mes esprits. Deux points rouges dans le noir de la pièce confirmèrent ce que je savais déjà. Elle était là, la Mort avait décidé de me tuer. Mes chiens me sauvèrent-ils la vie ? Toujours est-il qu’en une seconde Molossa me ramena mon slip et je saisis dans la gueule de Molossito mon Rafalos 21 qu’il avait déniché sous le lit. Tout de suite je me sentis mieux, il n’y a rien à dire un slip et un Rafalos 21 vous confèrent une certaine dignité non négligeable dans les situations de crise !

             _ Pauvre imbécile crois-tu faire jeu égal avec moi !

             _ Ecoute vieille cocotte déplumée, viens me chercher si tu l’oses !

    La gent féminine n’aime pas que l’on insiste sur son âge, elle bondit vers moi, elle était tout près, silhouette noire dans un manteau aux senteurs de putréfaction, je laissai s’approcher jusqu’à visualiser sa tête squelettique, elle crut que je j’étais tétanisé par la peur, lamentable erreur de sa part puisqu’un agent du SSR n’a jamais peur, mon Rafalos 21 lui envoya pratiquement à bout portant une bastos dans le crâne. Bien sûr elle n’était pas morte, les points rouges de ses deux yeux ne cillèrent point, mais des éclats d’os s’éparpillèrent un peu partout.

             _ Tu ne perds rien pour attendre !

    Je me moquai d’elle lorsqu’elle courut dans la pièce à la recherche de ses os, je reconnais qu’elle les retrouva assez facilement et que bientôt elle revint vers moi, avec son visage reconstitué par je ne sais quelle magie. Elle fonça sur moi, mais une deuxième balle en plein dans sa bouche éparpilla ses dents qu’elle tint à récupérer avant de revenir à l’attaque. Les heures qui suivirent furent longues. Je n’ignorais pas qu’elle finirait par gagner, malgré Molossito et Molossa qui tentaient vainement de la faire trébucher. Je n’avais que trois chargeurs, de cinquante projectiles chacun, le Rafalos 21 avait beau causer d’innommables dégâts et détruire à chaque tir toute une partie de son squelette, rien n’y faisait, elle ricanait, récupérait ses ossements et remontait inlassablement à la charge. Au bout de trois heures je me trouvais à court de munitions. J’étais bloqué dans une encoignure, Molossito et Molossa mordaient à pleines dents son manteau, elle tendit sa main vers mon cœur, à trois centimètres elle arrêta son geste :

    • Tu as été courageux, regarde-moi bien dans les yeux avant de mourir !

    Je fixais ses yeux chargés de haine et de cruauté. Brutalement je ne vis plus rien, un bruit énorme résonnait dans ma tête

    • Agent Chad, me laisseriez-vous s’il vous plaît le temps d’allumer un Coronado !

    Avais-je la berlue, le sol était recouvert de poudre d’os, il y en avait qui volait encore en l’air !

             _ Chef, vous l’avez tuée, comment avez-vous fait !

             _ Agent Chad ne prenez pas vos rêves pour des réalités. Regardez mieux, ses deux petites boules rouges sont toujours là, mais dissociées, elles flottent indépendamment l’une de l’autre, elle est vivante mais bigleuse, il faut d’abord qu’elle retrouve ses pupilles, ce qui nous laisse le temps de rentrer au local.

    _ Mais comment avez-vous réussi, je lui ai tiré cent cinquante bastos avec mon Rafalos 21, et vous d’un seul coup, vous la mettez hors d’état de nuire pour un bon moment !

    _ Agent Chad, il faut vivre avec son temps, faites comme moi, achetez-vous un Rafalos 25, il tire des projectiles quantiques, ils ne perforent pas, ils démantibulent totalement la structure moléculaire de leur cible, méchamment efficace, n’est-ce pas ?

    48

    Je n’étais pas au bout de mes surprises. J’avais naïvement cru que le Chef avait eu des remords de me lancer tout seul dans cette terrible aventure, qu’il m’avait suivi discrètement et n’était intervenu en tout dernier ressort me voyant acculé et prêt à succomber. Mais le lendemain lors de mes retrouvailles au local il démentit mon scénario.

             _ Agent Chad, c’est ce que j’aurais dû faire, je regrette mon erreur d’appréciation, ce n’est pas du tout cela, tenez regardez !

    Et il ouvrit son tiroir à Coronados…

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 550 : KR'TNT 550 : JOEL SELVIN / MARAH / DELGRES / GOLDIE & THE GINGERBREADS/ JUKE JOINTS BAND / BOB DYLAN / MOUNT SATURN

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 550

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    14 / 04 / 2022

     

     JOEL SELVIN / MARAH / DELGRES

    GOLDIE & THE GINGERBREADS

    JUKE JOINTS BAND / BOB DYLAN

     MOUNT SATURN

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 550

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

    Selvin est tiré, il faut le boire

     

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             Avec Endless Summer, Joel Selvin entre dans le club des grands rock writers d’Amérique. Il serait peut-être plus honnête de rappeler qu’il en faisait déjà partie, grâce à une passionnante bio de Bert Berns, Here Comes The Night - The Dark Soul Of Bert Berns And The Dirty Business Of Rhythm & Blues. Le problème, c’est qu’avec Bert Berns, Selvin ne s’adressait qu’aux afficionados, alors qu’avec Endless Summer, il s’adresse au monde entier.

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             Il y raconte la genèse de la scène californienne des early sixties. C’est un récit qui surpasse largement les grands rock books californiens, ceux consacrés à Gene Clark, aux Byrds, aux Beach Boys, même les superbes autobios de Croz, de P.F. Sloan ou encore de John Phillips. Selvin fait marcher tous ses personnages en même temps et montre avec un art consommé comment tous ces gens interagissent dans la période qui commence en 1959 avec le «Baby Talk» de Jan & Dean et qui s’achève six ans plus tard avec «Good Vibrations». Comme dans un film de reconstitution historique, Selvin reconstitue les faits en faisant entrer en scène tous les principaux acteurs : Jan Berry, Dean Torrence, Lou Adler, Kim Fowley, Terry Melcher, Bruce Johnston, Phil Spector, Brian Wilson, Gary Paxton, Nick Venet, Kip Tyler, Gary Usher, Nancy Sinatra - et donc Lee Hazlewood - et puis Johnny Rivers.

             L’acteur principal n’est autre que Jan Berry. Selvin en fait un portait plus vrai que nature, un Jan Berry qui ne recule aucun obstacle, prédisposé à la délinquance, passionné de voitures de sport et de son. Il commence par transformer le garage de ses parents en studio avec les deux Ampex que son père a récupéré chez son patron, le mythique milliardaire Howard Hughes. Selvin nous donne tout le détail de la genèse de Jan & Dean, qui commence au collège, sous la douche après un match de foot, quand Jan vient chanter doo-bee-doo-wah à l’oreille de  Dean Torrence.

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             Jan Berry roule en Corvette Stingray et adore prendre le highway en direction de San Francisco pour rouler à 250 à l’heure. Il adore faire la course avec Dean. Vroarrrrr ! - They were wild, fearless drivers - On le voit aussi foncer sur Sunset jusqu’à la plage. Ils ont quelques accrochages et quand Dean se plaint, Jan lui répond : «T’es pas encore mort, alors ça va !». Et puis un jour sur la route, Jan met la radio pour entendre les hits du jour et boum ! - Bomp Bomp dit di dip - C’est leur «Baby Talk» qui passe à la radio ! - Surfing is the only life/ The only way for me - Oui, car Jan & Dean sont les rois de la surf craze. Quand en 1963, ils montent sur scène au Hermosa Beach High School, on leur présente leur backing band, a group called the Beach Boys. Le grand, c’est Brian Wilson, big grin and bass, son petit frère Carl joue de la guitare, et le middle brother Dennis bat le beurre. Le cousin Mike Love sings lead et un gamin de 13 ans, David Marks qui habite dans la même rue qu’eux, gratte la rythmique. Ils portent tous des chemises Pendleton et sont fiers d’accompagner Jan & Dean au high school hop in the neighborhood. On est là aux racines du mythe.

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             Selvin aurait pu se contenter d’un portait de Jan Berry, mais un autre délinquant entre en scène : Kim Fowley. Au collège, on le considère déjà comme un misfit, c’est-à-dire un désaxé : il est trop grand et porte encore les stigmates d’une polio qu’il a chopé tout petit - His face looked like a squashed muffin - Rien à voir avec tous ces beaux gosses athlétiques aux cheveux blonds et aux dents blanches qui peuplent les collèges californiens. Kim commence par faire ce que font tous les délinquants juvéniles : dans les fêtes, il se glisse la pièce qui sert de vestiaire pour faire les poches et les sacs à main. Selvin adore épingler les petits travers de ses personnages. Puis Kim s’improvise booker en bookant le seul groupe qui existe à University High, où il est inscrit : the Sleepwalkers, groupe dans lequel jouent Bruce Johnston, le fameux Sandy Nelson - qui vient tout juste de casser sa pipe en bois - et un guitariste débutant nommé Phil Spector qui lui est inscrit à Fairfax High et qui a pour habitude de jouer trop fort. Quand quelqu’un vient se plaindre du bruit qu’il fait sur scène, Totor lui dit : «Reviens te plaindre encore une fois et je t’enfile cette guitare dans le cul.»  

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             Avant de jouer dans les Sleepwalkers, Bruce Johnston jouait dans les Flips de Kip Tyler, un Kip Tyler qu’il n’aimait pas, car trop imbu de sa personne - He could tell Kip Tyler was a creep - En 1958, Kip Tyler & the Flips enregistrent le mythique «She’s A Witch». Bruce est au piano et Dave Shostac au sax - Kip Tyler & the Flips where at the absolute center of Los Angeles rock and roll in the summer of 1958 - Selvin ajoute que Tyler was a hulking barbarian, a hustler and a self-promoter, a real Hollywood king of guy. Originaire de Miami, cet ancien chauffeur de taxi a des faux airs de Kirk Douglas. Il pensait faire carrière au cinéma, mais il se retrouve dans le rôle du greasy rock and roll wild man in black leather. On a tous fantasmé sur Kip Tyler & the Flips.

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             Kim et Bruce sympathisent. Bruce est alors un gamin de 15 ans extrêmement doué qui finira par devenir membre des Beach Boys. Il sait chanter, il compose et il est plutôt beau - he looked like a choirboy - Kim et Bruce commencent à composer ensemble. Ils montent un projet qui s’appelle Modern Age Enterprises. Mais leur petit biz périclite au moment où Kim se fait serrer : il barbotait du pinard pour le revendre dans des fêtes à des mineurs. Comme Kim a 18 ans, le juge lui offre une belle alternative : soit aller au trou, soit s’engager dans la Garde Nationale. Kim opte pour la Garde. Il ne finira donc pas ses études à Uni High : il est envoyé au camp d’entraînement de Fort Ord à Monterey. Pendant que Kim ronge son frein au fucking camp, Bruce entre en studio pour enregistrer «Take This Pearl» avec les Flips, mais comme le nom appartient à Kip, Bruce doit trouver un autre nom. Ce sera Bruce & Jerry. Loyal envers Kim, il lui envoie par courrier un compte-rendu signé «Bruce Johnston, President Modern Age Entreprises Inc.» Selvin reproduit l’intégralité du doc dans son book. On se régale à lire ce brillant témoignage de loyauté.

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             Quand Kim revient du camp, son père accepte de le reprendre à condition qu’il suive des études de comptabilité. Puis son père part pour quelques mois sur un tournage au Brésil et laisse des instructions très claires à Kim : «Pas de fêtes à la maison, n’utilise ni mes fringues, ni ma voiture.» Selvin le magicien retrousse ses manches et recrée pour nous une scène qu’il faut bien qualifier d’historique : il nous emmène faire un tour avec Kim, par un beau matin de février 1959. Le ciel est d’un bleu immaculé. Sur le chemin du lycée, Kim chantonne, pom pom pom, et soudain il rencontre une petite gonzesse qui pleurniche. Snif snif ! Kim s’arrête et lui demande ce qui se passe. Entre deux filets de morve, elle répond qu’ils sont morts tous les trois. Qui ? Ben Buddy Holly, Ritchie Valens et the Big Bopper ! What ? Kim prend la nouvelle en pleine gueule. Boom ! - His rock’n’roll heroes had died - Flash ! C’est là, à cet instant précis, qu’il décide de consacrer sa vie au rock’n’roll. Il commence par jeter ses bouquins de classe dans la première poubelle, puis il rentre chez lui barboter des fringues et le poste de télévision de son père, met tout ça dans la bagnole qu’il barbote dans la foulée. Barbotons peu mais barbotons bien ! Il roule ensuite en direction du Gold Star Studio où Eddie Cochran a enregistré «Summertime Blues» et les Champs «Tequila», like he was heading for church. Il rencontre les Champs sur le parking du studio et les baratine en leur expliquant qu’il est journaliste et qu’il voudrait bien consacrer un article à l’enregistrement d’un disque, alors les Champs acceptent de le faire entrer en studio avec eux. Dave Burgess n’est pas là, mais Tommy et Dorsey Burnette rappliquent avec leurs grattes.  C’est là que Kim apprend le B-A-BA de l’enregistrement en studio. Le lendemain, il croise dans la rue un super mec qui se balade avec une guitare - Who looked for all of the world like a real rock and roll cat - Kim le chope pour lui demander son nom. Who are you ? C’est Nick Venet, un autre personnage légendaire, futur producteur chez Capitol. Venet écrit alors des chansons et Kim le baratine en lui proposant de devenir son agent et de partager les profits. Kif kif bourricot ! Puis il emmène Venet faire les sacs à main dans les fêtes. Ça rapporte plus que d’écrire des chansons.

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             Le troisième personnage clé de cette California Saga, c’est bien sûr le Gold Star. Totor y passe un temps fou, au moment de l’enregistrement de «To Know Him Is To Love Him» avec les Teddy Bears. Un peu plus tard, en 1962, il revient y enregistrer l’«He’s A Rebel» des Crystals. Sans les Crystals, comme chacun sait. Lester Sill met Totor sur le coup des Blossoms et c’est la lead du trio, Darlene Wright, rebaptisée Love, qui chante «He’s A Rebel» à la place des Crystals. À cette occasion, Totor fait aussi la connaissance d’un arrangeur binoclard qui bosse avec l’associé de Lester Sill, Lee Hazlewood. L’arrangeur binoclard, c’est bien sûr Jack Nitzsche. Lors de cette session qu’il faut bien aussi qualifier d’historique, Totor se montre exagérément maniaque. Il cherche un son et ça va durer jusqu’au moment où il va le trouver. Il fait rejouer les guitaristes over and over. Les doigts saignent. Une fois que le backing lui convient, Totor fait chanter Darlene Love. La session nous dit Selvin bascule soudain dans un transcendent level where nobody in the room had been before. They were making a number one hit - But it was beyond that. Selvin veut dire en gros que personne n’avait encore atteint ce niveau de perfection. Ça allait bien au-delà du hit. À l’instar des grands romanciers, Selvin est tellement émoustillé par son personnage qu’il se fend de l’une de ses plus belles fins de paragraphes : «With guidance and direction from a handful of ecstatic visionaries, these mucisians were going to reshape American popular music.» Et si Totor a choisi la West Coast, ce n’est pas un hasard, Balthazar - The West Coast was were the action was and Spector knew it - Toute son œuvre sort du Gold Star Studio, on Santa Monica Boulevard.

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             C’est Venet qui présente Kim à Lou Adler. Alors Lou Adler... On se souvient que P.F. Sloan n’en faisait pas un portrait très gratifiant dans son autobio, l’excellent What’s Exactly The Matter With Me. Issu d’un milieu juif relativement pauvre, Adler démarre sa carrière de producteur avec Sam Cooke et il s’associe avec Herb Alpert. Ils bossent régulièrement pour Bumps Blackwell mais pas de hits à l’horizon. Adler attend son heure. Son heure la voilà : Kim lui amène Jan & Dean sur un plateau. Quand Adler lui demande comment ils sonnent, Kim répond : «High school kids that looked like the Everlys but sounded black.» Humpff humpff... Adler flaire le jackpot. Il va trouver les deux jeunes coqs, les prend sous son aile et commence par les refringuer pour en faire des superstars californiennes, blonds, bronzés, à l’opposé des ritals qu’on voit dans American Bandstand, avec leurs tignasses noires gominées et leurs costards cravates. Puis Adler et Alpert leur taillent un hit sur mesure : «Baby Talk». Et boom ! Ça se passe pendant que Kim est envoyé en stage dans un camp de l’armée en Idaho. Quand il revient à Los Angeles, «Baby Talk» est sur routes les radios. Kim apprend que Jan & Dean se produisent au Rainbow Roller Rink à Van Nuys. Il est encore en uniforme. Il se met sur le passage de ses anciens copains d’école Jan & Dean. Mais ils ne s’arrêtent même pas pour le saluer. Ils sont suivi de Lou Adler qui ne s’arrête pas non plus et qui lance à Kim (à qui il doit tout) : «I’m Lou Adler, manager of Jan & Dean. Is there a problem?». Kim en reste bouche bée. Il espérait un peu de reconnaissance de la part d’Adler à qui il a servi Jan & Dean sur un plateau, comme déjà dit. Rien. Même pas merci. Alors Kim rentre chez lui en stop et va se coucher nous dit Selvin in tears of rage. Le fond de cette histoire, c’est qu’Adler hait Kim. Et ce ne sera pas la dernière fois qu’il va lui faire du mal. Un autre épisode aussi pourri est à venir. Bien sûr, cette haine devient réciproque. Adler devient même une obsession pour Kim. Il a besoin d’ennemis pour se fortifier, alors Adler fit the bill, comme dit Selvin.

             On croit tous que la légende de la West Coast est un film de Walt Disney, avec la plage, le soleil, les jolies blondes et les mecs sympathiques. Les haines y sont les mêmes qu’ailleurs et les instigateurs de cette haine sont, comme l’a montré Sloan, certainement plus féroces qu’ailleurs, comme si le soleil attisait la cruauté. Ce n’est pas un hasard si Los Angeles devient le berceau du fameux Californian Hell.

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             C’est Sandy Nelson, le batteur des Sleepwalkers qui présente Gary S. Paxton à Kim - The tormented hillbilly genius who was going to change his life - Paxton avait vécu en Arizona et avait décidé comme Kim de consacrer sa vie au rock’n’roll. Il a commencé par monter un groupe, The Pledges, avec Clyde Battin, qui deviendra par la suite le célèbre Skip Battin des Byrds. Kim propose à Paxton de le prendre sous son aile et le présente à Marty Melcher, boss d’Arwin Records, mari de Doris Day et père de Terry Melcher. Paxton est impressionné par les relations d’un Kim qui ajoute qu’il a appris à raisonner comme un Juif - Fowley knew how Hollywood worked - Kim et Paxton montent a music publishing company called Maverik Music et font imprimer des cartes sur lesquelles figure le numéro de téléphone de la cabine qui se trouve au coin de la rue. Paxton s’habille en noir, il possède plusieurs hot rods garés devant chez lui et descend un litron de Jack par jour. C’est lui qui lance the Hollywood Argyles.

             Kim et Paxton finissent par se fâcher en 1961. Kim en a ras-le-bol de n’être que le business man alors que Paxton est vu comme le génie. Kim veut être lui aussi le génie, nous dit Selvin. Il n’aura pas de mal à le devenir. Paxton rachète les parts de Kim dans Maverik Music pour 500 $, lui demande de ramasser ses affaires et de dégager.

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             Kim reprend son petit bonhomme de chemin, il connaît tout le monde à Los Angeles. Il découvre les Rivingtons en 1962 et les dirige sur Liberty. Tout le monde connaît «Papa-Oom-Mow-Mow». Un jour qu’il fait du stop, il est ramassé par un jeune musicien nommé David Gates. Kim voit une guitare sur le siège arrière et Gates confirme qu’il est musicien. Alors Kim lui dit qu’il est record producer. Gates lui demande pourquoi il fait du stop s’il est producteur et Kim lui répond : «I’m eccentric». À l’époque, Gates vit avec sa femme et ses enfants dans une bicoque de Canyon Drive, une bicoque qu’il partage avec un certain Russell Bridges, qui va se faire connaître en tant qu’arrangeur et pianiste sous le nom de Leon Russell. Gates et lui viennent d’une high school de Tulsa, Oklahoma. Ah comme le monde est petit, à Los Angeles. Kim flashe sur une  chanson de Gates, «Popsicles and Icicles» et monte un coup : il lance les Murmaids comme the First All-Girl Surf band. Et ce sont elles qui jouent de leurs instruments, même plan que Goldie & the Gingerbreads sur la côte Est. «Popsicles and Icicles» explose en 1963 et ne sera détrôné l’année suivante que par l’«I Want To Hold Your Hand» des Beatles. Les Beatles ? Humpfff humpff... Kim flaire aussitôt le jackpot. Il jette quelques affaires dans une valise et prend un aller simple pour Londres.

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             Jan Berry évolue très vite, il devient un crack du son et de la prod - Nobody was making records any better in town - Il bosse d’ailleurs avec Brian Wilson et compose avec lui l’excellent «Drag City». Jan et Brian passent pas mal de temps ensemble en studio. C’est Jan qui conseille à Brian d’utiliser des musiciens de session plutôt que les Beach Boys, un mode de fonctionnement que Totor va aussi reprendre à son compte. Et au même endroit : alors qu’il a encore son bureau à Manhattan, Totor enregistre tous ses hits au Gold Star à Los Angeles avec le wrecking crew. Selvin nous dit que ça permettait à tous ces producteurs de pousser leur bouchon plus loin, «into new more sophisticated shapes sans sacrifier le drive du rock’n’roll» - They were creating the new West Coast pop sound - Brian admire le take-no-shit attitude de Jan, un Jan qui nous dit Selvin utilise Brian à son profit - With Jan there wre always wheels within wheels - Comme il est sous contrat avec Sreen Gems - comme les Monkees - Jan doit soumettre tous ses projets pour acceptation. C’est une contrainte qu’il n’accepte pas. Alors il dit au président de Columbia Pictures (la maison mère) d’aller se faire mettre, to fuck himself. In those words. Dans Jan & Dean, c’est Jan le boss. Jan & Dean s’entendent bien, mais ils ne sont pas amis. Jan est une locomotive, alors que Dean est le classic Californian kid qui planque ses sentiments derrière des petites blagues and smart-ass banter. Le mec sympa et souriant. Il peut tout encaisser sans moufter. Jan continue de faire le con en bagnole, la nuit il roule à 250 à l’heure en ville et brûle les feux. Sa copine Jill Gibson ne veut plus monter en bagnole avec lui. Jan & Dean deviennent tellement célèbres qu’on leur propose de jouer dans un film. On est à Hollywood, ne l’oublions pas. Mais un accident survient sur le tournage et une locomotive écrase la jambe de Jan. Ça met fin temporairement à sa carrière. Jan s’assombrit, déjà qu’il n’est pas très lumineux. Il en veut à la terre entière et même à Dean. Ils finissent par s’engueuler en studio et Dean sort en claquant la porte. Dans le studio voisin, les Beach Boys enregistrent l’album Party et ils s’amusent bien. Dean se joint à eux. Tout le monde est bourré. Puis en avril 1966, Jan est convoqué au draft, c’est-à-dire au bureau de recrutement, pour le service militaire. Il ne veut pas partir à l’armée, mais le draft n’est pas du même avis. Jan n’est pas du genre à accepter les contrariétés - he was not accustomed to not having his way - Il a toujours su adapter les règles à son profit, alors ce ne sont pas ces abrutis de militaires qui vont stopper sa carrière. Jan entend faire exactement ce qui lui plaît et sans en payer le prix. On lui dit qu’il sera convoqué dans les 90 jours. Il sort furieux du bureau et écrase le champignon de sa Stingray.

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    Ce jour là, il descend une rue déserte et se paye un camion en stationnement. Boom ! Comme si on y était. On se croirait dans la scène finale de No Country For Old Men des frères Cohen, quand Javier Barden se fait percuter. Grâce à cet accident qui va lui briser le crâne, Jan échappera à l’armée. Il ne retrouvera l’usage de la parole et une partie de son autonomie que beaucoup plus tard, dans les années 70. Sacré Jan, il finit toujours par obtenir ce qu’il veut. Cette fois, en en payant le prix.

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             Pendant que Jan Berry percute son destin de plein fouet avec «Dead Man Curve», Adler continue de grenouiller dans le marigot du music biz californien. Il flaire encore le jackpot avec Johnny Rivers, un mec qui fait un tabac chez Gazzari’s. Hupff humpff... Il arrive à le convaincre de faire un album live et il file ensuite à New York présenter le résultat à Don Kirshner pour le compte duquel il travaille. Mais Kirshner vient de vendre Aldon à Screen Gems, la branche musicale de Columbia Pictures. Avec le rachat, des gens sont virés et Adler en fait partie. Quand il revient à Los Angeles, des gens occupent déjà son bureau. Adler s’en bat l’œil. Il a déjà gagné pas mal de blé. Son pote Elmer Valentine, ancien flic corrompu de Chicago, vient lui demander conseil : il revient d’un voyage en Europe où il a découvert les discothèques. Alors il demande à Adler si c’est une bonne idée d’ouvrir un Whisky A Go-Go sur Sunset. Adler saute sur l’occasion - It was the right idea at the right time - En janvier 1964, le Whisky A Go-Go ouvre sur Sunset avec devinez qui à l’affiche ? Johnny Rivers, bien sûr ! Le Whisky devient très vite la boîte hip de Los Angeles - The place caught fire almost immediately - Jane Mansfield et Steve Queen sont des habitués. Lors de leur première visite à Los Angles, les Beatles débarquent au Whisky et bien sûr la première chose que fait John Lennon, c’est devinez quoi ? Il demande à Jane Mansfield de se pencher pour lui monter ses seins, car comme chacun sait, Jane Mansfield a les plus beaux seins du monde. Il suffit de voir cette photo célèbre qui orne la couverture du fameux Hollywood Babylone de Kenneth Anger.

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             Adler n’en finit plus de grenouiller nous dit Selvin. Il se débarrasse de sa première épouse pour se maquer avec l’actrice Ann-Margret, dont l’agent s’appelle Peter Cossette. Adler et Cossette montent Dunhill Records avec Bobby Roberts, un ancien danseur de claquettes. Ça ne s’invente pas. Cossette et Roberts salarient Adler et lui payent une Cadillac. Roule ma poule. Chez Dunhill, Adler continue de superviser la carrière de Jan & Dean et il embauche deux auteurs compositeurs, Steve Barri et P.F. Sloan. Sloan nous dit Selvin est un autre enfant terrible de Fairfax High, comme Totor.

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             C’est Terry Melcher qui file an advance copy du nouvel album de Dylan à Adler qui fait le moue et qui le refile à Slaon qui lui tombe en pâmoison - «Like a Rolling Stone» changed his life - Sloan s’habille aussitôt comme Dylan, avec la casquette de pêcheur et les boots. Il devient un nouvel homme et compose «Eve Of Destruction». C’est Barry McGuire qui va l’enregistrer. La chanson ne plait pas du tout à Barri qui barrit - Stick to pop, not polemics

             Alors justement voilà Terry Melcher, l’un des autres acteurs clés de cette California Saga. Il est A&R pour Columbia quand il signe Bruce Johnston pour enregistrer «Do The Surfer Stomp». Melcher et Johnston travaillent avec la crème de la crème, Hal Blaine, Tommy Tedesco, Glen Campbell et d’autres luminaries. Melcher est considéré comme un jeune aristocrate. Sa fiancée s’appelle Candice Bergen. Ils se séparent lorsque Melcher commence à fréquenter Jackie DeShannon, qui a 22 ans à l’époque et qu’on considère comme l’une des reines d’Hollywood. Melcher et Bruce montent pas mal de projets ensemble, dont les Rip Chords. Ils développent en même temps que les Beach Boys une nouvelle tendance purement américaine : the cars songs. Brian Wilson vient de composer avec Gary Usher le fameux «409». Brian et Gary se connaissent bien car l’oncle de Gary vit à côté de chez les Wilson, à Hawthorne. Melcher et Bruce prennent l’habitude de chanter ensemble et ils enregistrent sous le nom de Bruce & Terry. Lors d’une tournée à Hawaï, Melcher conduit une bagnole de location. Bruce est assis à l’avant à côté de lui et sur la banquette arrière se trouvent Jan & Dean et Jill. Melcher roule trop vite et sort dans un virage pour se retrouver dans un champ de canne à sucre avec les pneus crevés - These were bad boys from Beverley Hills.

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             Puis en 1965, Columbia demande à Melcher de produire un groupe fraîchement signé : les Byrds. McGuinn, Croz et Gene Clark débarquent dans le grand studio A. Ils ne sont signés que pour un seul single et n’ont pas le droit de jouer de leurs instruments. Ils doivent se contenter de chanter les harmonies vocales de «Mr Tambourine Man». Les musiciens sont déjà là : Hal Blaine, Jerry Cole, Larry Knechtel et Russell Bridges, c’est-à-dire Tonton Leon. Glen Campbell devait venir gratter sa douze mais finalement on autorise McGuinn à gratter la sienne. Il oriente son chant quelque part entre Dylan et Lennon, Croz et Gene Clark fournissent les harmonies vocales. Mais Melcher n’accroche pas. Il fait rejouer le cut 22 fois. Puis comme le raconte si bien Sloan dans son autobio, Melcher et lui s’enferment dans le studio pour mettre de la triple réverb sur toutes les pistes. Ils virent le piano de Tonton Leon et la voix de Gene Clark. Le résultat on le connaît, c’est le single magique qu’on peut entendre aujourd’hui. Comme Totor, Melcher cherchait un son. Du coup les Byrds deviennent les nouvelles stars du Sunset, on fait la queue au Ciro’s où ils jouent tous les soirs. On voit Peter Fonda danser avec Odetta et Kim fraîchement revenu d’Angleterre jerker comme un diable - Twisting his long bent frame into compulsive dance moves - On voit aussi Sonny & Cher, Buffy Sainte-Marie, Little Richard, et Dylan monte sur scène pour un ou deux cuts avec ses amis les Byrds.

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             Dick Dale et Sandy Nelson font de courtes apparitions dans cette Saga. Selvin nous dit que Leo Fender travaillait pour Dick Dale et développait pour lui la fameuse Stratocaster et le Fender Showman - Leo Fender baptisa l’ampli Showman car c’est ainsi qu’il voyait Dale, comme un showman - Quant à Sandy Nelson, Selvin en fait the first star drummer of rock and roll. Mais le pauvre Sandy n’aura pas de bol, puisqu’il va passer sous la roue d’un autobus et de faire couper une patte. Oh mais ce n’est pas ça qui l’empêchera de redémarrer, une fois qu’on lui aura installé une jambe de bois, comme dans la flibuste. Hardi moussaillon !

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             Selvin passe aussi un temps fou avec Nancy Sinatra, son père, et donc Lee Hazlewood, un autre personnage clé de toute cette histoire. Ce vétéran de la guerre de Corée qui fut DJ à Phoenix sortit de l’anonymat en produisant Duane Eddy. C’est à cette époque qu’il débarque à Los Angeles. Selvin le voit comme «un cranky Hollywood cowboy qui a du blé, qui adore rester assis au bord de sa piscine avec une bouteille de Chivas et qui dit au record biz d’aller se faire cuire un œuf.» Quand un nommé Bowen vient trouver Lee pour lui parler de Nancy Sinatra dont la carrière est en panne, Lee lui répond qu’il se bat l’œil de Nancy Sinatra, mais bon, il n’est pas contre une rencontre. Chez Nancy, Lee gratte plusieurs cuts, dont «These Boots Are made For Walking» et c’est le père Frank qui repère la chanson. Lee dit que ce n’est pas une chanson de gonzesse. Mais il accepte néanmoins de la filer à Nancy. Avec son sourire en coin, Selvin nous dit que Lee n’est pas impressionné par Frank Sinatra. Il en a tout simplement rien à foutre.  

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             Adler a aussi repéré les Beach Boys. Il connaît Brian. Il flaire la poule aux œufs d’or. Humpff humpff... Il l’emmène un jour à New York rencontrer Don Kirshner. Le but est de lui faire signer un contrat chez Aldon en tant qu’auteur/compositeur. Brian vient d’écrire «Surfin Safari». Kirshner lui propose 50 $ par semaine. Brian tente de formuler une objection et Kirshner lui demande aussi sec de la fermer : «Don’t come on like Tarzan with me.» Quand Brian ramène le contrat chez lui pour le montrer à son père Murry qui est encore le manager du groupe, le vieux pique une crise de rage. Il veut que les Beach Boys restent a family affair, il ne veut rien avoir à faire avec des clampins comme Adler. Alors Brian ramène le contrat non signé à Adler. Pour contourner l’autorité du père, Adler encourage Brian à bosser avec Jan, mais clandestinement, à cause des contrats. Brian et Jan composent ensemble «Surf City». Alors évidemment, quand Murry Wilson voit arriver «Surf City» en tête des charts, il s’explose la rate de rage, d’autant plus que le hit est crédité Screen Gems, ça veut dire que ça tombe dans la poche d’Adler et de Jan. Murry Wilson s’en prend à Jan qu’il traite de «song pirate» et il interdit à Brian de continuer à fréquenter cette crapule. Roger Christian et Dean Torrence qui ont aussi bossé sur «Surf City» ne sont pas non plus crédités, mais ils ferment leur gueule, sachant que ça ne sert à rien de la ramener, Jan Berry fait très exactement ce qu’il a envie de faire et il n’est pas possible de le faire changer d’avis. Si t’es pas content, la porte c’est par là.

             Puis Brian va commencer à subir des pressions terribles. Il se met à fumer de l’herbe et à prendre du LSD. Pendant qu’il est sorti, sa femme fouille la baraque pour trouver le LSD et avec l’aide de la famille, elle lui ordonne d’arrêter ses conneries. Brian t’es là pour composer des tubes, pas pour te défoncer ! Quand Brian refuse de repartir en tournée, c’est d’abord Glen Campbell qui le remplace, puis c’est au tour de Bruce Johnston. Bruce est fasciné par Brian. Pour la première fois, il est invité à une session d’enregistrement des Beach Boys. Il est encore plus fasciné de les voir enregistrer leurs harmonies vocales. Il voit Brian coacher Mike Love sur «California Girls», Brian’s greatest piece of music yet.  

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             Comme chacun sait, Brian cause du souci aux autres Beach Boys, notamment à Mike Love, all money and business. Love dit à Brian : «Don’t fuck with the formula», la formula étant la pop qui les a rendus célèbres. Al Jardine et Carl Wilson sont aussi inquiets de la tournure que prennent les choses dans la cervelle bien rose de Brian. Dennis Wilson n’est pas souvent dans les parages. Bruce Johnston n’est là que depuis quelques mois, mais quand il débarque dans une session à Western Recorders et qu’il entend «God Only Knows», son cœur s’arrête de battre. Bruce sait mieux que les autres ce que Brian fait en expérimentant : il cherche à évoluer - The Beach Boys became an obsession for Johnston - C’est bien sûr l’époque de l’enregistrement de Pet Sounds, certainement la période la plus glorieuse et la plus pénible de Brian Wilson. Car à part Bruce Johnston, personne ne le soutient dans ce projet. Brian est d’autant plus affecté qu’il connaît le sort réservé à son idole Totor et à «River Deep Mountain High» : le flop. Brian songe même à arrêter le projet, mais un jour il rencontre Van Dyke Parks lors d’une party chez Terry Melcher à Cielo Drive. Selvin nous présente Parks comme un gnome érudit originaire du Sud, qui utilise un vocabulaire imagé et qui adore les jeux de mots. Parks se déplace sur une petite moto Yamaha. Il est très pauvre et Brian le dépanne aussitôt. Ensemble, ils se mettent à bosser et ça donne «Heroes and Villains».

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             À Londres, Kim fréquente la crème de la crème. Avec Andrew Loog Oldham, il réécrit «House Of The Rising Sun» pour en faire «The Rise Of The Brighton Surf», en l’honneur des combats entre Mods et Rockers à Brighton. Lors de ce premier séjour à Londres, il atterrit chez P.J. Proby, un épisode largement documenté par Kim himself dans un vieux numéro d’Ugly Things. En fait c’est une partouze continuelle, en compagnie de criminal masterminds and rock’n’roll geniuses. Kim fréquente Judy Garland, Vivian Prince, les Pretty Things, Vince Taylor, découvre un new rock band called the Yardbirds. Il s’invente des personnalités excentriques, il adore l’Angleterre mais quand arrive l’hiver, il décide d’aller retrouver le soleil en Californie.

             À son retour, il rencontre trois hippies dépenaillés : John Phillips, sa femme Michelle et Dennis Doherty. Ils lui chantent trois de leurs compos - «California Dreamin’», «Monday Monday» et «Straight Shooter» - Kim qui flaire le jackpot. Humpff humpff... Il appelle aussi sec Nick Venet qui n’est plus chez Capitol, mais qui a le vent en poupe avec les Leaves. Venet accepte de recevoir les trois hippies. C’est Cass Elliot qui conduit la bagnole. En les voyant, Venet a un coup de cœur. Il demande à Cass si elle chante aussi. Elle dit oui, alors Venet lui dit qu’elle fait partie du groupe, alors que John Phillips n’y tenait pas trop. Venet leur propose un rendez-vous le lendemain chez Mira Records. 15 heures, ça vous va ? Parfait, fait Phillips qui en profite pour demander du blé. Venet lui donne ce qu’il a dans la poche, 150 $. Quand les trois hippies rentrent chez le mec qui les héberge, un nommé Hendricks, un copain de Greenwich Village est là : Barry McGuire. McGuire est devenu riche depuis «Eve Of Destruction», il s’est payé une Royal Enfield et il parade dans les rues. Il leur propose de les emmener le lendemain matin rencontrer son producteur Lou Adler. Lorsqu’ils entrent en studio, Phillips gratte sa douze et chante «California Dreamin’». Adler se penche vers l’oreille de McGuire et demande : «De qui est la chanson and who’s fucking the blonde ?». Adler pense que la chanson peut être le prochain single de McGuire. Il demande à Phillips s’il a déjà pris des contacts. Quand il dit à Adler qu’il a rendrez-vous avec Venet l’après-midi même et qu’il cite le nom de Kim, Adler crache son venin : «Je vous donne tout ce que vous voulez. N’allez voir personne d’autre.» Plus tard dans l’après-midi, Venet appelle Kim pour lui dire que les hippies ne sont pas venus au rendez-vous. Kim s’est encore fait baiser en beauté par son ennemi juré. Ah comme la vie de personnage légendaire peut être dure !

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             Bon on connaît la suite de l’histoire des Mamas & The Papas : superstardom, sex & drugs & rock’n’roll. Quand Papa John s’aperçoit que Mama Michelle fricote avec un autre mec, il la vire. Pour la remplacer, Adler propose Jill Gibson, l’ex-copine de Jan Berry, avec laquelle il a bien sûr une histoire de cul qu’il tient secrète car il encore marié dans sa belle résidence de Bel Air. En fait, Selvin nous explique que Jill et Adler se sont rapprochés au chevet de Jan Berry qui était encore dans le coma. Partager de la souffrance pour un ami commun, ça rapproche. Selvin s’amuse bien avec ces histoires. Ce sont les petits travers qui font les grandes rivières. On peut en déduire sans risque qu’à l’instar de Sloan, Selvin n’apprécie pas trop Adler. Donc Jill entre en studio avec les Mamas & The Papas et bien sûr Mama Michelle fait son retour, non seulement dans le groupe, mais aussi dans le lit de son mari Papa John. Du coup, Jill comprend qu’elle est baisée. Elle dit à son amant Adler qu’elle veut juste récupérer ses royalties, car elle chante sur l’album à paraître. Avec son air protecteur, Adler la conduit au bureau de Bobby Roberts qui lui explique que si elle veut récupérer ses royalties, elle doit traîner Papa John en justice. Alors tout ce qu’elle peut espérer récupérer, c’est l’avance qu’on lui a promise quand elle a remplacé Mama Michelle, mais qu’on ne lui a bien sûr jamais versée - She believed him - Cette pauvre Jill avale tous les bobards de ces gens-là. Sloan ne parle que de ça dans son autobio. De la façon dont Dunhill a détruit les gens.

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             Totor est fasciné par the Ike & Tina Turner Revue qu’il voit sur scène au Galaxy, un club situé tout près du Whisky, sur Sunset. Quand Totor entre dans la loge pour proposer l’enregistrement d’un single, Tina ne sait même pas qui il est. Ike accepte la proposition et Totor pose une condition : pas d’Ike en studio. Juste Tina. Pourtant Ike assistera à la session de Tina, en restant dans un coin. Et ce qu’il entend, c’est-à-dire la musique de «River Deep Mountain High» le laisse sans voix, pour la première fois de sa vie, nous dit Selvin. Totor fait chanter Tina again and again. Les heures passent et au cœur de la nuit, Tina demande qu’on baisse les lumières et elle enlève son chemiser pour se mettre à l’aise, elle dégouline de sueur. Quand épuisée, elle quitte le studio, elle ne sait pas nous dit Selvin qu’elle a donné à Totor ce qu’il désirait. Selvin ajoute que Totor a dépensé pour cet enregistrement an astronomical $20,000. À la fin de l’enregistrement, Totor et Jack Nitzsche se regardent et sourient - They knew they had wrung the greatest possible glory out of the sound they had been chasing. Ça avait été une quête extraordinaire. Mais après ça, ils savaient tous les deux that there was nowhere left to go - On ne pouvait pas aller plus loin. «River Deep Mountain High» est en effet l’un des sommets de la pop américaine.

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             En 1966, Kim revient à Londres. Derek Taylor, l’ex agent de presse des Beatles qui s’est installé en Californie s’occupe désormais des Beach Boys. Il envoie Bruce Johnston à Londres avec deux acetates de Pet Sounds. Il nomme Bruce ambassadeur et le charge de faire écouter Pet Sounds aux Beatles. Kim vient voir Bruce à son hôtel. Ils sont restés très proches, Kim n’a jamais essayer de le baiser. Bruce sait parfaitement qui est Kim - Johnston knew the real guy - Il est d’ailleurs l’un des seuls à l’apprécier. Kim ramène des tas de gens dans la suite du Waldorf pour écouter Pet Sounds : Dave Clark, Marianne Faithfull et Keith Moon qui est un fan de surf craze. Andrew Loog Oldham amène Jagger qui dit à Bruce : «You’re the one who goes ‘Do-wah’» et Bruce lui répond : «No. I’m the one who goes ‘Wah-do’». Tu parles à Bruce Johnston, mon gars, alors baisse d’un ton.

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             Selvin referme cette California Saga avec «Good Vibrations». L’enregistrement a duré sept mois, 22 sessions et a coûté an astronomical $50,000. À la fin de la dernière session, Bruce Johnston s’exclame : «Soit on aura le plus grand hit du monde, soit c’est la fin des Beach Boys.» Il y eut entre six et dix versions finales, avant que Brian ne décide quelle était la bonne. En 1966, «Good Vibrations» se vend à 100 000 exemplaires par jour. C’est le plus gros hit des Beach Boys. Brian rêvait d’un chef d’œuvre, et son rêve devenait réalité.

    Signé : Cazengler, Joël Selfi

    Joel Selvin. Hollywood Eden. House Of Anansi Press Inc. 2021

     

     

    Le marasme de Marah

     

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             On les croyait disparus et voilà qu’ils réapparaissent. Oh pas grand chose, juste une petite interview logée dans les dernières pages d’un récent numéro de Classic Rock.

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             Paru en l’an 2000, un album intitulé Kids In Philly avait établi la légende de Marah. Les frères Bielanko entraient alors dans la cour des grands. Quand Serge Bielanko quitta le groupe en 2008, ce fut la fin des haricots. Mais heureusement, les deux frères viennent de reformer le groupe. C’est à peu près la seule info qui ressort de cette interview. On appelle ça un marasme.

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             Leur premier album date de 1998 et s’appelle Let’s Cut The Crap And Hook Up Later On Tonight. C’est un big one. Ces petits mecs originaires de la Nouvelle Orleans dégagent une énergie de tous les diables, avec un son tellement plein, ils ont même les trompettes de la Nouvelle Orleans dans «Fever». Il semble que ces mecs aient toute l’artistry chevillée au corps. «Formula Cola Dollar Draft» rafle bien la mise, avec les coups d’harp de Serge Bielanko et dans «Phantom Eyes», ils développent du steam power à base de big pounding et de banjo, c’est un cocktail explosif. Back to the Stonsey avec «Firecracker». Ils tapent la meilleure Stonesy de la Nouvelle Orleans, ils sont en plein dans ce son, par les accents, les accords, le swagger, ça sent bon le Keef. «Head On» n’est pas celui des Mary Chain, c’est plus New Orleans, un vrai bordel, bien pulsé du cul, les coups d’harp foutent le feu. Ils tapent leur «Boat» au gospel batch, avec des filles qui arrivent sur le tard et qui gueulent tout ce qu’elles peuvent. Ce bel album s’achève avec un «Limb» attaqué au banjo. Ces petits mecs n’ont plus rien à prouver, l’album devient un must of the crust, c’est plein d’à-valoir, avec ce banjo dans l’oss de l’ass, le power de Marah confine aux affres d’une Stonesy new-orleanique de rêve, d’autant que pour finir, ils sortent les cornemuses, ce que les Stones n’ont jamais osé faire.     

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             C’est en l’an 2000 que paraît l’inestimable Kids In Philly. Inestimable ? Eh oui ! C’est là qu’on trouve «The History Of Where Someone Has Been Killed». Marah sort de sa baignoire et fout une pression terrible, c’est amené au furtif killer call de guitare et ça devient une sorte de gumbo de Stonesy hérissé de power chords de la vieille garde qui ne se rend pas, ça explose comme à Nellcote, Marah claque son beignet avec une classe indécente et un solo d’harp plonge dans la fournaise terminale, just out of it et là tu montes encore d’un cran dans l’extase, ça te swingue l’estomac, ils t’embarquent dans le vacuum de l’astronef, on voit rarement des cuts aussi éblouissants, d’aussi prodigieux suppositoires, Méliès en plein dans l’œil, et ils n’en finissent pas de monter en pression, et puis ça bascule, il faut le savoir, mais ça bascule dans l’extrême power du Valhalla et bien sûr, ça prend feu. Le reste de l’album sent bon la Nouvelle Orleans, avec un son très Southern Breeze de rock («Point Breeze») et un bel hommage au Jackie Wilson de Reet Petite («Christian St») : ils passent en mode heavy Soul et c’est énorme. Ces mecs creusent bien leur terrier, ils chantent à l’accent cassé, leur truc tient la route car bien défini, les flambées sont réelles. Avec «The Catfisherman», ils passent en mode downtown de heavy souche et embarquent à la suite «Round Eye Blues» à l’énergie des movers shakers de la Nouvelle Orleans, alors ça donne un balladif en forme de fantastique énormité. Ils font un gros clin d’œil aux Faces avec «Barstool Boys», on se croirait sur le premier album des Faces, pur jus de fake English, ils sont capables de réveiller les vieux démons de «Mandoline Wind». C’est incroyable comme on se sent bien dans cet album.

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             Alors on navigue d’album en album avec Marah, ce révolutionnaire dont le peuple attend des miracles. Paru en 2002, Float Away With The Friday Night Gods est un album un peu moins spectaculaire que son prédécesseur, mais bon, on en fait ses choux gras. Marah passe par le glam pour imposer sa «Revolution», mais c’est un glam de la Nouvelle Orleans qui sent un peu le cramé. Après le glam voici la power pop avec deux cuts à la queue leuleu, «4 All We Know We’re Dreaming» et «What 2 Bring», mais c’est une power pop en forme de rouleau compresseur, chantée au gusto exemplaire. À ce niveau d’intensité, ça frise le génie. Marah travaille sa pop dans l’épaisseur du lard. Bombardé de burst agressif, le morceau titre sonne comme du Primal Scream et ça donne une espèce de heavy pop confinée dans son contexte. Tout est bardé de son sur cet album, ils visent l’ultimate de l’ultimatum, alors il ne faut pas les embêter. C’est gorgé, trop gorgé. Ça dégorge. Marah tape dans la surenchère révolutionnaire et ça pourrait bien lui coûter la vie. Un peu plus loin, il se grille avec de l’electro, dans sa baignoire, comme Cloclo. Pas malin. Il se grille encore une fois avec «Crying On An Airplane», cette fois avec de la pop FM. Terrible destin pour un orateur aussi doué. Méfie-toi des baignoires. Marah revient aux choses sérieuses dès le deuxième couplet de «Leaving», il revient à ce qu’il sait faire de mieux, le deep inside, chanté à la perpendiculaire d’un big boom bien envoyé, mais pas aussi déterminant que l’History de Kids In Philly. Dans l’interview de Classic Rock, David Bielenko rappelle qu’ils sont allés enregistrer cet album au Pays de Galles avec Owen Morris et qu’ils ont changé de son et pris dit-il trop d’ecstasy.   Par contre, il se dit fier du morceau titre, qu’il présente comme l’une de leurs meilleurs compos.

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             La Seine coule sous le Pont Mirabeau et deux ans plus tard paraît 20,000 Streets Under The Sky. C’est avec cet excellent album qu’il démarre sa période Yep Roc Records, qui, souviens-toi, fut un label de pointe dans les années 2000, avec Alejandro Escovedo, Chuck Prophet, Robyn Hitchcock, The Legendary Shack Shakers, Heavy Trash, John Doe, Dave Alvin et Bob Mould, pour n’en citer que quelques-uns. Trois cuts frappent l’imagination : «Going Thru The Motions», «Tame The Tiger» et «Pigeon Heart». On y retrouve le power de Marah, le beau beat bien épais et le refrain qui monte en mélodie. «Tame The Tiger» pourrait d’ailleurs figurer sur le White Album, car puissant et déterminé à vaincre. Tous les départs de Marah sont solides, sa musicalité reste à toute épreuve, inspirée de la Stonesy et du good time strutting de la Nouvelle Orleans. C’est même assez stupéfiant car développé au hey hey, joué à la clameur, c’est fondu dans le son, comme cuisiné à la poêle. Marah attaque son «Pizzeria» comme Graham Parker, alors ce côté Graham Parker va indisposer beaucoup de gens, mais il faut faire avec. Marah chante ça au larynx râpeux. Il reste dans une vraie démarche, c’est toujours ça de gagné. Avec l’«East» d’ouverture de bal, il fait aussi du Graham Parker. C’est le même son. Il développe encore de fabuleux chevaux vapeur avec «Feather Boa» et reste ancré dans le bon beat parkerisé avec «Sure Thing». L’aventure se termine avec le morceau titre joué à la guitare du paradis. Marah vise la félicité, alors il taille sa route vers le paradis au petit gratté d’ukulélé et aux échos de voix lumineux. Marah tape cette fois dans l’excelsior, il vise la chaleur de la clameur pastorale, dans l’esprit de ce que fit Frank Black avec «Heaven». Bien vu, Marah !

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             Ils sortent deux albums en 2005 : If You Didn’t Laugh, You’d Cry et A Christmas Kind Of Town. Le premier veut le déplacement pour deux raisons : un, «Fat Boy», tapé à l’épaisseur maximaliste, Marah joue à l’énergie pure et le cut décolle, c’est même un vrai raz-de-marée de son et d’harmo. Deux, «Walt Whitman Bridge», car quasi-dylanex, chanté au chuss, avec des gros coups de douze. Le reste de l’album peine à jouir, peut-être trop classique. Marah s’enfonce dans le rock américain des années 2000 avec «The Hustle» et ça pue le MTV. Il ne parvient plus à trancher, ça frise le Costello, pouah, quelle horreur ! Dommage, car les guitares sont belles. Avec ses relents cajuns, «Sooner Or Later» fait dresser l’oreille et «The Dishwater’s Dream» t’envoie rouler dans l’Americana de barrelhouse, good time de tatapoum et d’harmo.

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    Par contre, son Christmas album ne laissera pas de grands souvenirs. On sauve le powerful «Christmas With The Snow». Marah chante le «Silver Bells» à outrance, comme s’il se branlait du Christmas. 

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             L’album de Marah qu’on peut emmener sur l’île déserte est le fameux Sooner Or Later In Spain paru en 2006. Yep Roc propose un mini-album et un gigantesque DVD : Marah sur scène en Espagne pour un show interminable et fascinant. Bon le seul petit reproche qu’on peut faire à David Bielanko est de sonner un peu trop comme Graham Parker. Il est donc préférable de voir le concert. On y assiste à la spectaculaire attaque des trois guitares, c’est-à-dire les deux frères Bielanko et le jeune Adam Garbinski, cette espèce de Gavroche qui joue en embuscade sur la droite. Il gratte une demi-caisse Gibson noire assez bas sur les cuisses et il allume tous les cuts un par un avec des incursions intestines dignes de celles de Johnny Thunders. C’est vraiment dommage que David Bielkanko force son chant et donc sa présence. Ils amènent «Pigeon Heart» au gratté sauvage d’acou avec un Serge à l’harp et c’est excellent. Première alerte à la bombe avec l’énorme «Round Eye Blues» et ses coups d’harp à la Dylan. C’est le Marah Power en plein, avec cette capacité qu’ils ont de monter là-haut sur la montagne ! Ils récidivent plus loin avec une fantastique version de «Sooner Or Later», un cut de Stonesy amené par le petit Gavroche fouteur de feu. En plus, il est toujours en train de se marrer, il est tellement content de jouer dans ce groupe ! Ces mecs ont le son et les chansons. On voit aussi avec «Pizzeria» qu’ils ont une façon extraordinaire de retomber chaque fois dans une sorte de Stonesy à leur sauce. L’une de leurs rares covers est l’«On The Road Again» de Willie Nelson que Dave qualifie de the greatest song I heard in my life. Ils font encore des merveilles avec «Point Breeze» et «The Hustle» et nouveau point chaud avec «Reservation Girl», attaqué aux trois guitares. Ils terminent avec la pure Stonesy d’«History Where Someone As Been Killed» et les coups d’harp de Serge, c’est cisaillé au beat de Charlie et aux cocotes à la Keef. Dans les bonus, ils tapent en plus une fascinante cover du «Debris» de Plonk Lane. 

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              Marah opère un gigantesque retour aux affaires révolutionnaires avec Angels Of Destruction. Boom et même trois fois boom dès le «Coughing Up Blood» d’ouverture de bal - I’m a coming/ I’m a flesh - les guitares slinguent dans l’épaisseur du lard et ça grouille de clameurs viscérales, c’est même incendié aux guitares de blues, ça cavale par dessus les toits. Ouf, le grand Marah est enfin de retour. Ça continue sur la même lancée avec «Old Time Tickin’ Away», bien up-tempé au chant d’attaque frontale, Marah maximalise à nouveau, il rue non pas dans les brancards mais dans sa baignoire. Demented ! Il génère une sorte de power demented, et ce, bien avant l’arrivée de Charlotte Corday. Il attaque «Angels On A Passing Train» aux guitares du désert, alors on se prosterne. Même chose devant «Wild West Love Song», Marah le prend au wild singing, et derrière un fou bat le beurre. Il bourre son album comme une dinde, son «Santos De Madera» sonne très Hold Steady, il chante en poupe, très débridé, un brin raw, une vraie voix, mais il faut que ça plaise, il chante son la la la la à la bonne franquette et un accordéon se faufile dans le son. On retrouve le big bass drum de la Nouvelle Orleans dans le morceau titre. Marah charge sa chaudière, awite, il fait du story-telling de love you so much, un heavy mid-tempo infesté de relents de Stonesy, et rehaussé d’un final explosif zébré de petites griffures de slide. C’est tellement bien foutu qu’on en bave. Et ça continue avec l’excellent «Can’t Take It With You», Marah se fond dans le groove du shadow, avec toute la démesure de la Nouvelle Orleans, ses trompettes et un son chargé d’histoire, les voilà de retour dans leur univers magique avec du piano et du good timing, effarant ! Et cette voix qui flûte à la surface du voile à pleine clos ! Et ces trompettes qui sonnent dans tous les coins. Extase garantie. 

             C’est juste après cet album que Marah splitte.

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             David Bielanko renaît de ses cendres en 2010 pour enregistrer un fantastique album solo, Life Is A Problem. Il attaque ça à la Stonesy, il est en plein dans l’esprit des heavy balladifs de Keef, avec ses yeux de poisson frit, oui, c’est exactement la même ampleur. On se régale aussi du morceau titre. Quelle épaisseur de son ! Ce mec se donne les moyens de la grosse prod avec des infra-basses dans les descentes de couplets. On entend même les castagnettes de Totor dans l’écho du temps, c’est très spectaculaire. Il vise l’over the rainbow et il a raison. Et petite cerise sur le gâtö, il ramène une énorme guitare en pleine apothéose. Ce petit mec a tout compris. Par contre, la B retombe comme un soufflé. Le seul cut qui ne laisse pas indifférent s’appelle «Tramp Art», sans doute à cause de son côté très lennonien.

    Signé : Cazengler, Marat d’égout

    Marah. Let’s Cut The Crap And Hook Up Later On Tonight. Black Dog Records 1998

    Marah. Kids In Philly. E-Squared 2000

    Marah. Float Away With The Friday Night Gods. E-Squared 2002

    Marah. 20,000 Streets Under The Sky. Yep Roc Records 2004

    Marah. If You Didn’t Laugh, You’d Cry. Yep Roc Records 2005

    Marah. A Christmas Kind Of Town. Yep Roc Records 2005

    Marah. Sooner Or Later In Spain. Yep Roc Records 2006    

    Marah. Angels Of Destruction. Yep Roc Records 2008   

    Marah. Life Is A Problem. Valley Farm Songs 2010

    Interview dans Classic Rock #236 - June 2017

     

     

    L’avenir du rock - Delgrès, ça dégraisse

     

             L’avenir du rock tourne en rond dans le désert depuis des mois, peut-être même des années. Il a croisé Lawrence d’Arabie plusieurs fois, toujours drapé de blanc et élégamment perché sur son dromadaire. Il a même vu passer au loin quatre nègres athlétiques transportant au petit trot un homme blanc sur un brancard. Sans doute Rimbaud, mais l’avenir du rock ne se sentait pas le courage de leur courir après pour réclamer un autographe. La situation était déjà bien assez incongrue, il n’était donc pas souhaitable d’en rajouter. Plus par nécessité que par goût, il a appris à se nourrir de petits cailloux, ce qui lui permet de pondre des œufs qu’il fait cuire dans le casque viking que lui a offert Richard Burton. Dans ce genre de situation, on devient extrêmement créatif. L’avenir du rock se dit souvent que s’il était roi, il donnerait son royaume en échange d’une paire de lunettes de soleil. Mais il doit bien se rendre à l’évidence. Pas de plus beau symbole de l’évidence que ce désert. Il a perdu depuis longtemps tout espoir de rejoindre la civilisation. Pour retourner la situation à son avantage, il se dit qu’il se passe très bien de cette fucking civilisation. Et comme il sent que par la force des choses, il devient philosophe et même diogéniste, il en profite pour étayer sa vieille haine du matérialisme. N’importe qui à sa place en ferait autant, mais il n’existe rien de tel que les situations extrêmes pour passer à l’acte. Il éprouve donc une sorte d’immense fierté à errer dans le désert sans carte bleue, sans smartphone, sans compte en banque, sans bagnole, sans piscine, sans grosse épouse. Ému aux larmes, il pense à Peter Green et à Peter Tork qui, de leur vivant, distribuèrent aux pauvres tout ce qu’ils possédaient. Son délire l’entraîne toujours plus loin. Sous le casque Viking, sa cervelle entre en ébullition. Il pousse encore plus loin la logique du dénuement. Voilà qu’il se met à rêver de devenir esclave ! C’est à ses yeux le dénuement ultime. Il ne reste rien, même pas la liberté. Avec un peu de chance, il va croiser une caravane de trafiquants d’esclaves, on l’enchaînera, on le jettera dans la soute d’un navire en partance pour la Guadeloupe et Louis Delgrès viendra le délivrer. 

     

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             D’un Delgrès l’autre dirait Céline en parlant de châteaux. Grâce au trio Delgrès, on apprend qui est Louis Delgrès, l’abolitionniste du XVIIIe siècle qui, comme Toussaint Louverture, fut ratatiné par Napoléon. Tu trouveras tout le détail de ces deux abominables affaires sur wiki. C’est un nom qui revient dans l’actualité, grâce au guadeloupéen Pascal Danaë qui a baptisé son trio de blues moderne du nom de Delgrès, histoire de saluer la mémoire de cet héroïque militant de l’abolitionnisme. Jusques là tout va bien.

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             Et comme toujours, les petits concours de circonstances font les grandes rivières. Première chose : privé de concerts depuis deux ans, on finit par céder à la tentation d’aller voir n’importe quoi. Deuxième chose, le programmateur compare Delgrès à John Lee Hooker, ce qui semble complètement grotesque, mais sait-on jamais ? Et troisième chose, un bon ami qui est aussi excellent bluesman annonce qu’il va les voir en concert. Dernière chose, on jette un œil sur Discogs qui nous dit : «French creole blues band». Curieux mélange. Hooky créole ? Cas d’école. C’est donc avec une certaine appréhension qu’on y va. Et pour couronner le tout, le concert est prévu dans la grande salle, lieu de toutes les dérives festives, ce qui n’est pas bon signe. On y a vu Lee Fields couler son show en voulant faire chanter la salle. Il n’avait pas compris que les salles de spectacles normandes ne sont pas des églises en bois du Mississippi.

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             Sur scène, ils sont trois : le déjà cité Pascal Danaë (chant et guitare), Rafgee (Sousaphone) et Baptiste Brondy (beurre). Fantastiquement présent, Pascal Danaë affiche un look de Black Panther, béret, lunettes noires et le poing souvent levé, ce qui le rend éminemment sympathique. Ce genre de mec nous manque, en cette époque de désengagement politique. On respirait mieux au temps des radicaux et de la lutte des classes. En plus, il a les chansons qui vont avec. Le militantisme de Delgrès n’est pas de la frime, même si, comme on va le voir, il bascule parfois dans la grosse daube festive. Il a de la matière et il n’hésite pas à rappeler que les choses n’ont pas trop changé depuis le temps où on réduisait les nègres en esclavage. Il veut dire bien sûr que le racisme est resté exactement le même. Le blanc dégénéré n’a pas évolué d’un seul millimètre. C’est même étonnant que Pascal Danaë ait du succès avec un look pareil et des textes aussi revanchards. Il ne tombe pas dans le panneau des rappers américains et du Kill the cops, il s’arrange pour que ses messages passent, et ça a l’air de marcher, car les gens connaissent les textes de ses chansons.

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             Il est plutôt bien accompagné. Le mec au sousaphone fait un boulot énorme. Au Méridien, Vigon avait lui aussi opté pour un sousaphone à la place de la basse. Ça donne des basses très primitives mais d’une puissance folle. Un son très New Orleans. Par contre, le mec au beurre frappe comme un sourd. Il amène de la vitalité, mais peut-être un peu trop, car Pascal Danaë flirte parfois avec le groove des Caraïbes, qui nécessiterait plus un fouetté léger de peaux des fesses qu’un drumbeat à la Bonham. Oui car le bonhomme sait Bonhamer au boum badaboum, comme le montre son édifiant solo de batterie.

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             Et le blues dans tout ça ? Oh pas grand chose, Pascal Danaë tape un ou deux cuts de blues dans la première partie du set, notamment «4 Ed Maten», c’est bien foutu, il joue avec les doigts, pas de médiator, et il n’hésite pas à sortir le bottleneck pour claquer des notes bien senties. Comme la frappe est lourde, le blues vire au stomp. Mais on sent parfois chez lui des velléités à vouloir sonner comme Junior Kimbrough. C’est dans sa diction, le côté créole remonte dans le chant et donne à ses cuts un violent parfum d’exotisme. 

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             Mais quand il veut faire du participatif et lancer une bacchanale en demandant à la foule de chanter à sa place, ça dégénère, ça tourne à la fête populaire, le blues n’est pas fait pour ça. On se retrouve soudain dans une fucking émission de variété à la télé. Artistiquement, c’est d’une nullité crasse. Tout ce qui faisait le charme du trio vole en éclat. Mais heureusement, ils vont revenir à de meilleurs sentiments. Il faut dire que Pascal Danaë est un fabuleux showman.   

             Et puis il y a ces stormers mirifiques que sont «L’école» (propulsé par le sousaphone) et «Lanme la» monté sur un beau beat rockab créolisé et infiniment crédible. Ils sont capables de miracles. Pascal Danaë ramène dans son set toute l’Africanité du blues.

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             On retrouve «L’école» sur le deuxième album du groupe, 4 Ed Maten, c’est-à-dire quatre heures du matin. La version studio de «L’école» n’a pas du tout le même power que la version live, mais ça reste un véritable coup de génie. Il chante ça en créole - Ma maman di mwen fo ou travayé lékol/ Ma maman di mwen fo ou respecté lékol - S’il faut rapatrier l’album, c’est surtout pour se goinfrer de cette merveille. Et sur scène, le sousaphone fait virevolter les relances de ce groove du diable. C’est le real deal, un blast exotique qui te réconcilie avec la vie d’une part, et qui t’ouvre au monde d’autre part. Il a aussi des chansons d’esclaves assez extraordinaires, comme ce «Libere Mwen Chorale», ou encore «Lese Mwen Ale», c’est-à-dire laisse-moi aller, et il en profite pour passer un killer solo flash, car de ce côté-là, il n’est pas manchot. La plus belle chanson d’esclave est «La Penn», il évoque les chaînes du port de la Rochelle, on ne peut pas imaginer tout ce que ces pauvres nègres ont pu endurer à cette époque - Dans le port de la Rochelle/ J’ai brisé mes chaînes/ Cent jours de mer/ Et je ne sais plus très bien/ Cent jours de mer/ Et je ne comprends plus rien - Pascal Danaë adresse un gros clin d’œil aux familles d’armateurs qui à l’époque se sont enrichies grâce à la traite des noirs. Tout le blues de l’album se trouve rassemblé dans le morceau titre d’ouverture de bal. Pascal Danaë l’amène au heavy doom d’Hooky mais c’est vite stompé par big Baptiste. Pascal Danaë ramène du créole dans le maelström. Dommage qu’on entende moins le sousaphone. Il est un peu éloigné dans le son. Puis ça va commencer à se dégrader avec des cuts comme «Aleas» et «Se Mo La», plus putassiers. «Assez Assez» flirte avec la calypso. Si tu ne piges pas le créole, t’es baisé. On perd le blues et le sousaphone. «Lundi Mardi Mercredi» est amené au stomp, mais c’est un stomp qui ne fait pas rêver. «Just Vote For Me» est tellement saturé de son qu’on perd le chant.

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             Leur premier album s’appelle Mo Jodi et donne à peu près le même résultat, c’est-à-dire un mix de cuts géniaux et de choses beaucoup plus faibles. Sur la pochette, Pascal Danaë affiche clairement son look Black Panther et il attaque avec «Respecte Nou», un heavy boogie revanchard - Fo sa sésé - Il a raison, faut qu’ça cesse, fuck les coloniaux. Son slogan est porté par le meilleur boogie blast de métropole. L’autre énormité de l’album s’appelle «Can’t Let You Go». Il l’amène au blues créole et renoue avec l’Africanité du blues et là tu entends le sousaphone pouetter dans le gut du groove. Dommage qu’ils ne remplissent pas leurs albums de cuts de cet acabit d’Aqaba, comme dirait Lawrence d’Arabie, que vient de voir passer encore une fois l’avenir du rock. Pascal Danaë ramène encore des tonnes de groove dans «Anko», oh no, il développe avec ses deux amis une fantastique énergie.  Sa musique te redonne du cœur au ventre. Retour à la chanson d’esclave avec «Ramene Mwen», il demande simplement à ce qu’on le ramène chez lui en Afrique. Pascal Danaë truffe encore son morceau titre d’éléments de la lutte, ça te donne une espèce de groove surnaturel noyé dans les clameurs de la révolte. Mais pas de blues dans cet album. C’est autre chose. John Lee Hooker ? Tintin. 

             Ce texte est pour Karim qui, à la différence du programmateur, sait qui est John Lee Hooker.

    Signé : Cazengler, Delgras du bide

    Delgrès. Le 106. Rouen (76). 25 mars 2022

    Delgrès. Mo Jodi. Pias 2018

    Delgrès. 4 Ed Maten. Pias 2021

     

     

    Inside the goldmine

     - Go Goldie go ! (Part One)

     

             Toutes celles et ceux qui fréquentèrent jadis Monsieur Goldy, alias Monsieur la Saucisse, en conservent un excellent souvenir. Bonne pâte, il se prêtait à toutes les configurations sociétales pourvu qu’on respectât scrupuleusement sa liberté d’agir et de s’exprimer. De ce point de vue, il savait se montrer intraitable et créait chaque fois une unanimité sans appel. Bon nombre de ceux qui le connurent de son vivant jalousaient sa force de caractère, et plus encore sa fantaisie. On aurait juré qu’il n’existait pas sur cette terre de créature plus lunatique que Monsieur Goldy. Il avait dans le regard cet éclat mélancolique qui rappelait Buster Keaton, il se coiffait comme Tintin et l’analogie allait loin car sa principale admiratrice disait de lui qu’il portait des culottes de golf. Mais il ne prêtait guère l’oreille aux commentaires, seule l’intéressait la découverte de l’univers, il en était insatiable, sa curiosité dépassait l’entendement. Il s’intéressait à tout, au moindre chemin de forêt, à la moindre ruelle de faubourg, aux déserts comme aux montagnes, il sillonnait les brousses comme les plages immenses, il traversait des fleuves à la nage en plein hiver, il sautait du haut des falaises sans jamais craindre de se tordre les pieds, il prenait tellement de risques qu’il fallait parfois voler à son secours, comme le jour où tombé dans la retenue d’une écluse, il s’englua dans un amoncellement de détritus flottants et faillit bien s’y noyer. Il fallut le repêcher, et n’importe qui à sa place aurait eu honte, pas lui, surtout pas lui. La fierté mal placée ? Laissez-nous rire ! Et puis un jour, alors que nous arpentions une berge sauvage, Monsieur Goldy mit les bouts. Il fila à la poursuite d’une poule et jamais ne reparût. On fit des recherches qui ne donnèrent aucun résultat. Depuis, le mystère s’est épaissi car les habitants de cette région maudite racontent que certaines nuits de pleine lune, une silhouette étrange traverse le petit pont de pierre qui enjambe la source. Il s’agit disent-ils d’une sorte de Tintin à quatre pattes en culottes de golf.

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             Pendant que le fantôme de Monsieur Goldy traverse le petit pont de pierre, Goldie traverse les décennies. Ace et Shindig! braquent enfin le projecteur sur Goldie & The Gingerbreads, avec une compile atomique d’un côté (Thinking About The Good Times. Complete Recordings 1961-1966), et six pages de l’autre.

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             D’un côté, Goldie raconte toute l’histoire à Alec Palao, et de l’autre, elle la re-raconte à Jeff Penczak. D’origine polonaise, Genyusha Zelkowicz tire son surnom Goldie de Goldilocks & the Three Bears. Lors d’un concert de Mickey Lee Lane dans un club new-yorkais elle fait une sacrée découverte : c’est une petite gonzesse qui accompagne Mickey à la batterie ! Elle s’appelle Virginia Gingerbread Panebianco. Sa famille italienne la voyait mariée avec des gosses. Pas question, fuck it, Virginia les a envoyés sur les roses et elle s’est barrée. En fugue ! On the run ! Entre Goldie et Virginia, c’est le coup de foudre : let’s start a band ! Le nom est tout trouvé : Goldie & the Gingerbreads. Elles repèrent Margo Croccito qui joue de l’Hammond B3 dans un cocktail lounge. Woah, c’est le coup de foudre ! Aussitôt embauchée ! La grande force du gang de Goldie, c’est qu’elles jouent de leurs instruments, elles sont les premières à se débrouiller seules - We were punks who played sleazy bars - Elles jouent dans les bars new-yorkais des early sixties qui appartiennent à la mafia et Sonny Franzese devient leur manager - They owed everything, honey, they were the mob - En juillet 63, Franzese les colle à l’affiche du Copa Room, au Sands Hotel de Las Vegas tenu par Robert de Niro. Elles passent en première partie de Paul Anka. Comme Margo est une crack et qu’elle joue les lignes de basse sur l’orgue, elles n’ont pas besoin de bassiste. Elles finissent par trouver enfin la guitariste de leurs rêves, Carol MacDonald, qui accompagnait Herbert Khaury, c’est-à-dire le futur Tiny Tim. Woah ! C’est le coup de foudre ! Elles tournent en Europe avec Chubby Checker et se payent des black leather suits en Allemagne. Elles signent leur premier contrat avec Florence Greenberg, la boss de Scepter, label des Shirelles et de Dionne Warwick. Elles sortent un remake du «Skinny Mimmie» de Bill Haley produit par Stan, le fils de Florence. On trouve bien sûr ce «Skinny Vinnie» sur la compile.

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             Les Animals sont à New York en 1964 et un soir, Eric Burdon, Hilton Valentine et Chas Chandler se baladent. En passant devant un club, ils entendent le son d’un groupe. Woah ! Ils entrent et croyant voir des blacks, ils tombent sur Goldie & the Gingerbreads - White chicks ! - Coup de foudre ! Leur manager Mike Jeffery vient ensuite proposer aux filles une tournée en Angleterre et un contrat chez Decca. Et ça continue de s’emballer : Ahmet Ertegun les veut sur Atlantic, Bob Crewe les fait jouer dans une soirée privée. C’est là que Keith Richards les découvre à son tour. Woah ! Coup de foudre ! Elles partent en Angleterre et c’est Alan Price qui est supposé les produire, mais Goldie dit que non (en studio, il y avait Eric Burdon et Chas Chandler). Quand Jeffery leur impose d’enregistrer «Can’t You Hear My Heartbeat», Goldie l’envoie promener. Mais l’autre insiste. Et quand Chas dit à Goldie qu’elle doit chanter ça au sucre comme les Supremes, Goldie l’envoie aussi promener - You think about the Supremes. I’m thinking about Ray Charles ! - Seulement, Jeffery a raison, «Can’t You Hear My Heartbeat» est un hit en Angleterre, même si le cut n’est pas représentatif de leur style. Mais aux États-Unis, elles se font baiser par les Herman’s Hermits qui en sortent leur version. Goldie est furieuse de voir ces branleurs la doubler. Comme elles ont du caractère, les Gingerbreads finissent par enregistrer les covers de leur choix : «What Kind Of Man Are You» de Ray Charles, «Sailor Boy» de Gerry Goffin et «Look For My Baby» de Ray Davies. Pour Goldie, c’est l’occasion de bosser avec Shel Talmy qui à ce moment-là produisait les Kinks. On retrouve ces trois merveilles sur la compile Ace. Elles font de «What Kind Of Man Are You» un groove extraordinaire de let you go, monté sur un shuffle d’orgue à l’anglaise et Goldie le chante à la revancharde. Le «Sailor Boy» est monté aux clap-hands et Goldie le chante au sucre candy. Ah comme elle est bonne ! Elles groovent aussi le «Look For My Baby» de façon admirable. Elles sont diaboliques.

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             On trouve d’autres cuts produits par Shel Talmy, comme «Please Please», un fast boogie emmené ventre à terre. Elles sont dessus, c’est violent et beau à la fois. Ou encore «I See You’ve Come Again» que Goldie chante à la force du poignet. Et puis «Sporting Life», ce fantastique slow-groove repris en France par Ronnie Bird - Ma vie s’enfuit ! - Goldie et Ronnie même combat ! C’est aussi définitif que le «Stay With Me» de Sharon Tandy. Shel Talmy produit aussi «Margo’s Groove», un fantastique shuffle d’orgue du Swingin’ London. Elles sont aussi balèzes que le Graham Bond ORGANization. On reste en studio avec Shel Talmy pour «85 Westbourne Terrace» (l’adresse de leur appart à Londres) que Margo embarque à l’orgue et là tu as tout : Margo, son shuffle, et Ginger Bianco qui bat le beurre. Avec «That’s Why I Love You», elles sont en concurrence directe avec les Shangri-Las. Voilà pour le power stuff des Talmy sessions.

             Et puis le coup de génie de Goldie & The Gingerbreads est le «Think About The Good Times» qui donne son titre à la compile. Elles ont le feu au cul. Elles sonnent comme des blacks, Goldie jive comme une reine du Bronx. Le «Little Boy» que produisent les Animals est un aussi un smash in the face, elle y va la Goldie, elle se lance dans la bataille à coups de no no no, elle écrase ses no no du talon et elle resurgit dans le son comme un saumon de l’Hudson river.

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             Palao revient longuement sur ce qui fait la spécificité des Gingerbreads : Ginger Bianco fourbit le solid beat, Margo fourbit le groove, «peppering it with jazz & R&B licks, both sophisticated and visceral». Carol «sat perfectly in the pocket» et il parle enfin de Goldie Zelkowitz (encore une autre orthographe) en termes de «no-nonsense self-styled broad» et de «raw and guenine soul». Palao les qualifie de «great and versatile combo», pouvant passer de l’«intimate gossip of the classic NYC girl groups» au «R&B punch of the British Mod scene». Il parle d’un éventail extrêmement large. Il dit aussi - et il a raison - qu’il n’existe pas beaucoup de groupes aussi fascinants que Goldie & The Gingerbreads. Après une courte introduction, Palao donne la parole aux filles qui racontent leur histoire, au long des 40 pages du booklet. Goldie redevient Genya et raconte comment elle a grandi en écoutant les blacks : LaVern Baker, Little Richard et Bo Diddley. Elle trouvait Elvis trop blanc.

             Elles tournent pas mal en Europe, jouent bien sûr au Star Club de Hambourg et en première partie des Animals à l’Olympia. Elles participent à toutes les grandes tournées anglaises, au package tour des Stones, puis des Kinks et des Yardbirds, puis des Walker Brothers et des Hollies. Aux États-Unis, Ahmet Ertegun distribue leurs singles et «What Kind Of Man Are You» fait des ravages.

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             Manque de pot, Goldie fait un abcès et le groupe s’arrête bêtement. Goldie part de son côté et les trois autres du leur. Ginger reste inconsolable : «J’ai essayé de me réconcilier avec cette histoire pendant longtemps. Goldie arrivant de Pologne, moi la petite fugueuse italienne, et notre rencontre at Trude Heller’s... Ça ferait un sacré film. À cette époque, on pouvait se permettre de rêver, même avec tous les problèmes qu’on se tapait, c’était stimulant. Chaque jour, quelque chose pouvait se produire.» Genya ajoute : «I had the best learning in the world, being on the road with my girls.» 

             Goldie va devenir Genya Ravan et connaître son heure de gloire avec Ten Wheel Drive. Un bon gros Part Two te donnera tous les détails de cette fascinante histoire.

    Signé : Cazengler, Goldmichet

    Goldie & The Gingerbreads. Thinking About The Good Times. Complete Recordings 1961-1966. Ace Records 2021

    Jeff Penczak : Good Time Girls. Shindig! # 117 - July 2021

     

    *

    Voici près de dix ans l’était trop tard, pas pour le Juke Joints Band, hélas pour moi, le concert qu’annonçait l’affiche collée sur la vitrine d’un commerçant était passé depuis une semaine. Dessus y avait ce gars le dos affessé ( ne lisez pas affaissé ) sur son tabouret de pythie delphique et  l’autre décalé sur l’image, debout les bras levés à la manière des officiants du vaudou, bref cette affichette puait à pleine vue le blues. Depuis Big Mama Thornton dans tout rocker, sommeille un fameux hound dog, certes un sacré bâtard, mais quand il pose le museau sur une piste il ne la lâche plus… quelques semaines plus tard dans un troquet perdu de l’Ariège je retrouvais mes deux lascars en l’occurrence Ben Jaccobacci et Chris Papin…

    Depuis les kr’tntreaders ont ainsi pu lire la relation d’une dizaine de concerts du Juke Joints Band ainsi que la chronique de leurs trop rares enregistrements. A eux deux Chris Papin et Ben Jaccobacci forment le noyau originel du JJB, depuis deux ans la formation s’est étoffée, z’ont ‘’profité’’ de la période confinatoire pour enregistrer un nouveau CD, une petite merveille bleue.

    BACK ON THE STREET

    JUKE JOINTS BAND

    ( Disponible sur Bandcamp)

    Michel Teulet : basse / Rosendo Frances : batterie / Chris Papin : chant / Ben Jaccobacci : guitare.

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     Back on the street : remettez dix fois l’intro pour y croire, le Rosendo l’a une frappe proustienne, un côté de chez Swann et un côté des Guermantes, je traduis, un côté lourd qui plombe , un côté léger presque volatile, un appui rhythm and blues, et un arrière-goût jazz, la basse qui swingue et la guitare qui râpe, normalement cela suffit pour être heureux mais voici que s’infiltre la voix de Chris, une peau de serpent que l’on greffe sur un grand brûlé, ça pique un peu c’est Ben qui appuie sur la sonnette du crotale, mais la compresse ouatée de la basse de Michel vous requinquerait un mort, très fort, un shuffle qui dandine fort joliment, maintenant Ben vous pousse dans les orties d’un solo urticant, à la reprise le vocal de Chris évoque l’aisance de la  démarche  d’Arsène Lupin se dirigeant vers les lingots d’un coffre-fort ouvert. Un gros défaut, ce morceau est trop court. Si on s’écoutait l’on n’écouterait pas les suivants. Broke : ce qui serait une erreur. Un frère jumeau. Pas identique toutefois, pas un monozygote, pourtant il gigote méchamment. L’est sûr que lorsqu’un groupe a le son, il vaut mieux qu’il le garde. Toujours ce shuffle mais ce coup-ci, il boite un peu du côté gauche, l’a la démarche de Lord Byron, Rosendo vous imite d’un tapement sec le pied bot de l’auteur du Don Juan, on l’attend toujours et quand il tombe il se permet de vous surprendre, un peu de la faute de la basse de Michel Teulet qui vous nappe l’asymétrie rythmique d’une rondeur sucrée qui détourne votre attention. La guitare de Ben klaxonne de belle manière, en douce, elle creuse sa tranchée dans vos synapses sans que vous y fassiez gaffe, oui mais si vous n’entendez pas le break de Rosendo et le salmigondis de la guitare qui suit, c’est que vous êtes mort. Pas d’inquiétude la vocal de Chris vous réveillera, ce n’est pas qu’il crie, au contraire se fond dans l’instrumentation des trois mousquetaires, en épouse toutes les formes, le pinceau qui suit les volutes de fer forgé de la grille d’entrée et les recouvre d’or pur. Guts of the city : attention, l’on change de style, si sur les deux premiers morceaux on ne pouvait s’empêcher de penser à  cette marmelade des Stones de la grand époque si parfaite, refermée sur elle-même comme une pierre précieuse pelotonnée en sa perfection, indétrônable en sa beauté, ici le son est plus âpre, la voix de Chris coupante comme une bagarre au couteau dans un bouge du Delta, alors derrière lui ça groove et poinçonne un max, le Teulet l’air de rien touine la basse en sourdine, médite le coup fatal, Rosendo distribue les horions, le Ben se sert de sa cafetière électrique comme d’un bowie-kniffe et vous étire les entrailles du solo hors du bide sur le plancher,  pas de quoi s’affoler, continuent encore à se battre, doivent y prendre du plaisir. Nous aussi. You’re good for nothing but love : le genre de titre qui doit enchanter les ligues féministes, nous on adore, la guitare de Ben fait le gros dos comme un chat qui se réveille, après quoi elle miaule tout azimut comme un chien de chasse qui jappe car il a senti une caille dans les parages. Le Chris prend son pied, et les trois camarades le soutiennent de toutes leurs forces et ne boudent pas leur plaisir. Un joyeux boxon généralisé. Un truc érectile à vous faire monter la moutarde spermatique jusqu’au plafond. En plus ils font durer le plaisir. Qu’y s’en plaindrait ? Jouissif. Burning love blues : remettent le couvert sous les couvertures. C’est parti pour le good trip. Tous ensemble. Un blues épais comme de la crème. Rosendo : pour maintenir le package par-dessous, Ben : dont la guitare joue à l’épine dorsale par-dessus. Entre ces deux morceaux de pain au levain la basse de Michel barate le beurre à s’en enduire la rate, et le Chris vous rajoute le blues de poulet, chacun y mord dedans à pleine bouchée, directement des producteurs aux consommateurs, le blues en auto-suffisance, pourrait durer toute la nuit et le jour d’après, z’ont dû le concocter pour le live, le morceau qui emporte le public et le fait tanguer en pleine mer à la manière des moutons de Panurge. Hey hey hey hey : le morceau précédent c’était du tout cuit, le riff ensorcelant, le long Kaa qui tout petit vous fascinait, alors maintenant c’est du tout cru. La même chose avec des arêtes. De poison. Un départ pratiquement en douceur, ça rebondit à la manière d’un ballon de basket, le Rosendo rondement, gardez une oreille sur les cordes, la basse qui vous étire la guimauve si collante que vous ne pouvez pas vous en défaire, mais il y a la lead sur l’autre piste, au début elle ne se fait pas remarquer, c’est après qu’arrivent les lancettes, un cactus qui joue à la sarbacane avec ses piquants, vous transforme en porc-épic le temps d’un solo, sur ce le Teulet vous appuie dessus avec le dos de la cuillère pour que vous sentiez encore plus la morsure du blues. C’est lorsque Chris s’arrête de chanter à la fin, que vous prenez conscience de son rôle délétère. S’est joué de vous. Vous a mené en plein dans le piège. L’apparaît de plus en plus dans ce carré d’as qu’il n’y en a pas un pour relever les autres. Unis comme les doigts de la main, mais ce sont les quatre interstices les plus dangereux. Such a mess : un chef-d’œuvre à part entière. La guitare de Ben qui traîne à terre telle un varan des Galapagos, la section rythmique en contre-point et la voix de Chris qui fout le feu partout elle passe, quand elle se tait le Ben en profite pour groover à mort, l’est vite rattrapé par le Chris et c’est la crise, le vocal s’emmêle à la lead en fil de fer barbelé, un duel fratricide en toute amitié, chacun essayant de marcher sur l’autre, une façon de faire mousser le blues à la Howlin, pour vous dire combien c’est prodigieux. Cold cell : les trois derniers morceaux issus d’une séance antérieure.  Une guitare davantage pointue qui pose ses notes comme des points-virgules, puis qui étrille la bouteille du solo avec le goupillon des enterrements, Chris un ton plus bas, un peu à la Ray Charles  graveline le blues à ras de terre, Rosendo qui vous encercle dans la rosace du  rythme, la basse qui se fait la gardienne du temple, et chacun y va de ses variations sur le canevas imposé, une espèce de quadrille maîtrisé à la perfection, comme quoi le blues peut atteindre à la subtilité du jeu de go. Mais les jetons tournés et retournés sont toujours bleus. Trampoline man : z’ont mis de la gazoline dans les instrus, ça ronronne rond sur le circuit, seule la voix de Chris s’amuse à rebondir sur le macadam élastique, pendant ce temps les copains jouent à ralentir le rythme, le maître chanteur est obligé de précipiter un tant soit peu les vocalises pour que l’ensemble garde sa vitesse de croisière. Un jeu dangereux, casse-gueule, dont ils se tirent comme des chefs, nécessite d’incroyables douceurs de toucher sur les cordes. Ici c’est soigné aux petits oignons, ces bulbes bleus qui font couler des larmes de jalousie aux amateurs qui auraient envie d’essayer ces froissés insidieux de dentelles acérées. S’agit de tambouriner non pas les notes mais les espaces qui les séparent. Leave the ground : même style que le précédent. Tout est dans la nuance. Un peu comme ces films dans lesquels il ne se passe rien parce que vous vous focalisez sur les images qui ressemblent à vos mortuaires tendances à l’inertie. Prenez le temps d’écouter, c’est du frisottis, de la barre fixe au-dessus de l’abîme du silence. Du grand art. Du blues qui rampe. Un crocodile qui glisse silencieusement vers vous, seule sa tête affleure, mais c’est un vicieux car il a fermé les yeux. Pour mieux vous dévorer. Les contes bleus de l’alligator perché sont dangereux.

             Si vous aimez le blues ce disque est pour vous. Si vous reprochez au blues actuel de parfois s’éloigner de ses racines ce disque est pour vous. Si vous aimez la modernité inventive, ce disque est pour vous. Si vous préférez le rock, et que vous vous lamentez sur son avenir, ce disque est pour vous. Le Juke Joints Band vient de frapper un grand coup. Retournez la pochette - sur le recto le JJB est fidèle à son image, ne se mettent pas sur la photo – maintenant vous savez comment le blues arrive, sans bruit, sur des boots en peau de serpent…

    Damie Chad.

     

     AUTRE REGARD SUR BOB DYLAN

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    Certaines pochettes de Bob Dylan reproduisent une œuvre peinte de Bob Dylan. Notamment dans la série l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même des self-portraits issus de son pinceau. J’avoue que je n’ai pas ressenti de chocs esthétiques particulièrement violents en les examinant. Ne voulant pas rester sur une impression mitigée, j’ai eu envie d’en voir et d’en savoir plus. Voici quelques éléments récoltés de-ci de-là qui n’entendent en rien épuiser le sujet.

    PREMIERE PÊCHE

    Dès que vous tapez peintures de Bob Dylan sur le net deux sortes d’occurrences vous sautent aux yeux. La première est plutôt flatteuse. Dylan expose depuis des années un peu partout. De Miami à Shangaï. De Londres  à Milan. Jusqu’à deux cents tableaux à la fois. Nous en sommes heureux pour lui. La deuxième est moins sympathique. L’est accusé de plagiat. Diantre que lui reproche-t-on au juste. Recopierait-il la Joconde en faisant croire qu’il s’agit du tableau original dont Vinci se serait inspiré pour son soi-disant chef-d’œuvre. Non c’est pire que cela. Rassurez-vous j’exempte Dylan des accusations qui sont portées à son encontre. Par contre ses détracteurs me semblent n’avoir rien compris à Bob Dylan.

    Ainsi d’aucuns accusent Bobby de se contenter de reproduire sur ses toiles, en format géant, des cartes postales en vente dans le commerce. D’autres lui reprochent d’avoir commis des tableaux qui ne sont que des reproductions de photographies ‘’ artistiques ‘’ qu’ils auraient prises. Résumons, Dylan serait un vulgaire copieur, un pilleur malotru. Dylan ne répond pas, ne se disculpe pas, ne discutaille pas. Le venin de la vipère ne saurait salir la blancheur immaculée de la fourrure du blanc léopard.  Peut-être pense-t-il moins poétiquement, dans sa tête il doit se dire, cause toujours je vais finir par en parler à mes avocats. La vieille et éprouvée technique du pot de fer contre le pot de terre.

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    Même en écoutant les raisons de ses plaignants, je leur donne tort. Dylan agit en peinture comme il agit en musique. Ne s’en est jamais caché. L’a proclamé haut et fort et en public. Ses chansons ne sont pas sorties ex-nihilo de sa tête. Sont très souvent inspirées tant pour  paroles et  musiques que pour les sujets traités, parfois jusqu’aux arrangements, de vieux morceaux de blues, d’antiques country, de séculaires gospels, de folk-songs oubliés depuis des lustres qu’il a retrouvés en fouillant les bibliothèques. Leur apporte sa touche personnelle, se définit comme un passeur, un continuateur. L’a puisé dans le pot commun de la musique populaire américaine. Fait feu de tout bois, un exemple parmi tant d’autres, l’a incorporé le titre Baby blue de Gene Vincent dans le titre de It’s all over now baby blues, un morceau qui chante la fin de l’amour alors que Gene clamait juste le contraire, Well I’ve got a brand new lover… en plus les paroles de Dylan sont bien plus fortes que la bluette de Gene Vincent ce qui ne l’empêche pas d’être un chef-d’œuvre à part entière…

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    L’art, musical et pictural, est un éternel recommencement. On n’apprend pas à dessiner un arbre en se plantant en pleine forêt devant un chêne ou un orme mais en regardant dans un musée comment les devanciers l’ont fait. Ensuite chacun apporte, ou n’apporte pas, sa touche personnelle. Les artistes s’inspirent les uns des autres, de leurs prédécesseurs, de leurs contemporains… Avec plus ou moins de talent. Avec plus ou moins de génie.

    CLASSIFICATION PRIMAIRE

    Avant tout une première constatation. Si l’on peut affirmer que Dylan a dynamité la chanson américaine il n’a pas révolutionné l’art pictural. L’évidence vous saute aux yeux, se classe dans la grande famille des figuratifs. Dans certains milieux d’avant-garde cette expression est équivalente à celle très méprisante de peintres du dimanche. N’est pas un formaliste, ne tend pas vers l’abstraction, n’a pas cherché à élaborer un langage qui lui soit propre, Dylan reproduit comme tant d’autres plus ou moins platement la réalité ce qui ne l’empêche pas d’atteindre à une certaine expressivité. Ce dernier mot est un sauf-conduit à toute épreuve, quand une œuvre dégage une certaine force sans être transcendante, ou lorsque l’on ne sait pas quoi dire et que l’on ne veut pas vexer l’artiste on s’en tire en décrétant d’un air entendu : ‘’ très expressif’’ ça ne mange pas de pain et ne vous engage à rien. Attention, François Coppée et Apollinaire sont deux poëtes réalistes. Mais entre les dizains du premier et les Calligrammes du second il y a une sacrée différence d’appréhension du réel. Il est donc nécessaire d’affiner notre analyse.

    CLASSIFICATION STYLISTIQUE

    Ne faut pas être spécialiste de la peinture américaine pour déceler la principale influence de Dylan peintre. Celle d’Edward Hopper. Cela n’est pas étonnant. Il convient de regarder l’extrémité effilé d’une simple épingle pour s’apercevoir qu’elle se termine, toute proportion gardée, comme le bout de la corne d’un rhinocéros. Le lien entre une épingle et un rhinocéros est certes ténu, cependant personne ne peut s’opposer à cette solidarité entre ces deux objets. Procédons de même avec Hopper et Dylan. L’on connaît l’admiration de Dylan pour Arthur Rimbaud, Hopper n’a jamais caché sa passion pour Paul Verlaine. Pour ceux que cette affiliation poétique entre nos deux ostrogoths picturaux semblerait trop lointaine rappelons que Hopper est classé comme un des maitres de la peinture réaliste américaine. Autre collatéralité, tous deux sont américains. Sont plusieurs centaines de millions à partager cette particularité certes, mais tous deux sont peintres et ont avant tout peint les paysages américains et des américains.

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             Nous donnons ici l’œuvre la plus célèbre d’Edward Hopper immédiatement suivi d’un tableau de Dylan. Il est inutile d’épiloguer sur l’influence du premier et l’inspiration du dernier.

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    Des scènes d’une banalité écoeurante, si fidèle à la réalité que l’on n’est pas sans ressentir une curiosité insatisfaite ou un malaise inidentifiable, bref la peinture ne nous satisfait plus totalement, l’on cherche derrière ce qui n’est déjà plus un tableau mais que nous interprétons comme l’image énigmatique d’une réalité cachée.

    CONFLUENCES

    Le cheminement de l’art ne s’arrête jamais. Tout comme le blues a eu un bâtard que l’on a appelé le rock ‘n’roll, le réalisme a lui aussi engendré son gamin illégitime : l’hyperréalisme. L’hyperréalisme consiste à reproduire la réalité avec tant de précision que la scène représentée ressemble à une carte postale. Le lecteur fera de lui-même la corrélation avec le premier reproche adressé à Dylan, celui de reproduire des cartes postales. L’on ne doit pas toutefois classer la peinture de Dylan comme hyperréaliste, elle n’en a pas le léché de la finition. Toutefois Dylan croise la route de l’hyperréalisme. Parce que l’hyperréalisme américain représente la réalité américaine, hors Dylan s’attache à représenter la réalité américaine. L’hyperréalisme provient du croisement incertain de l’expressionisme abstrait, peinture non figurative mais qui insiste sue la volonté du peintre à donner à son œuvre une certaine expressivité qui traduise son sentiment ( joie, tristesse, peur, etc…) d’appréhension du réel, avec le pop art qui ne cherche pas à représenter le réel d’une façon originale, mais au contraire de choisir le plus fidèlement possible les objets de consommation de masse connus de tout le monde, exemple une bouteille de coca-cola.

    C’est le moment d’introduire deux noms d’artistes connu des amateurs de rock : Andy Warhol, pape du pop art américain, dont la Factory est intimement lié à l’émergence du Velvet Underground et Guy Peellaert dont tous les rockers ont feuilleté son Rock Dreams (1973 ), qui dresse les portraits des principales stars du rock sous forme d’icônes hyperréalistes dont la beauté glaçante exerce une fascination mythificatrice… Pour ceux qui ne connaissent pas, se remémorer la pochette de It’s only rock’n’roll des Rolling Stones…   

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    Dylan ne peut être classé parmi les hyperréalistes mais il s’en rapproche, sa peinture privilégie l’expressivité au détriment du fignolage de la finition, n’oublions pas que beaucoup de ses morceaux ont été enregistrés en très peu de prises, mais par ses thématiques picturales principales explorant la réalité américaine, il touche au mythe. Un peu comme le western avec ses sheriffs, ses hors-la-loi, ses indiens, ses règlements de comptes, ses paysages, ses cowboys réussit à donner une image mythique des valeurs idéologiques américaines.

    PEINTURE D’ EPOQUE ET D’ ESPACE

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    La première dimension de l’Amérique reste son immensité. On peut l’appréhender par le célèbre titre du roman de Kerouac. Sur la route. De très nombreuses toiles de Dylan représentent des highways – non revisitées – qui s’étendent à l’infini. Je ne peux voir celle-ci sans penser à Johnny Cash qui dans son autobiographie déclare qu’il a lors de ses tournées tellement sillonné du nord au sud et de l’est à l’ouest les Etats-Unis qu’il ne pouvait jeter un coup d’œil sur le paysage sans savoir exactement à quel endroit de l’Amérique il se trouvait…

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    Même thème traité non plus d’après la mythologie de la route, mais d’après celle du rail, l’on ne compte plus chez Dylan ces voies ferrées sans wagon ni locomotive qui s’enfoncent dans le vide.

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    Un des tableaux de Dylan le plus souvent reproduit. L’on se croirait devant une image de film ou une case de bande dessinée. Le problème avec ces trois tableaux, ce n’est pas qu’ils soient intrinsèquement mauvais mais qu’on les juge d’après ce qu’ils représentent et non d’après le travail du peintre. L’on peut les trouver beaux ou quelconques. Au fond on les regarde parce qu’ils sont signée Bob Dylan.

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     Nous adresserons le même reproche à la suivante. Nous quittons les grands espaces pour un paysage urbain. Typiquement américain.

    Dylan ne peint pas que les Etats-Unis. Ses tournées incessantes sont pour lui l’occasion de visiter nombre de pays. S’inspire alors de ses rencontres et de scènes qui l’ont marqué. Victor Hugo qualifiait l’équivalent littéraire de ses instants marquants de Choses vues. Nous avons choisi deux œuvres issues pour la première de la série Asie, et la deuxième de la Série Brésil.

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    Je ne sais pourquoi – en fait je le sais très bien – cette jeune femme m’évoque irrésistiblement Janis Joplin. Une œuvre assez troublante, entre mort et plaisir.

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    Une scène quotidienne qui aurait pu se passer aux quatre coins du monde. Notons que grâce à ces personnes, des gens pour employer un terme encore plus général, les toiles de Dylan acquièrent une épaisseur que je n’ose pas qualifier d’humaine. L’on entre dans une histoire, elles forment comme le couplet d’une de ses chansons. L’on a l’impression que ce n’est plus le peintre qui tient le pinceau et qu’il a cédé la place à l’aède du rock ‘n’ roll.

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    Pour ces deux suivantes l’on a envie d’écrire sur un panonceau, à la manière d’un catalogue publicitaire : existe aussi en jaune. Ce qui est la stricte vérité ! Pas vraiment des tableaux, ce que l’on appelle des études, des variations si l’on veut être plus gentil. C’est sur ces images que l’on peut voir le travail, les tâtonnements du peintre.

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    Même réflexion pour les deux dernières. Et comme pour les deux précédentes, une sensation qui saute aux yeux, nous sommes loin de l’Amérique, nous nous trouvons en pays connu, dans la peinture française, du moins européenne, au tournant du dix-neuvième et du vingtième, quelque part entre Van Gogh pour la crudité des tons et Toulouse-Lautrec pour l'impact des silhouettes.

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             Cette chronique n’est qu’une première approche. Elle demande à être approfondie. Une évidence s’impose. Dylan n’est pas aussi à l’aise en peinture qu’au chant et qu’en composition. A beaucoup travaillé, a beaucoup cherché, n’a pas encore trouvé le graal.

    Damie Chad.

     

    *

    J’avoue que j’ai flashé sur eux sans en avoir entendu la moindre note. Vous ferez de même lorsque vous aurez vu la couve de leur deuxième EP sorti le 23 (chiffre de l’Eris) Mars (mois de l’Ares dieu de la guerre). Elle me rappelle les dernières planches (les dessins des premiers épisodes étaient d’une mièvre naïveté) de la bande dessinée Yves le Loup qui paraissait dans Vaillant, l’ancêtre de Pif Gadget. Autre atout, un groupe qui se revendique de Saturne a droit à toute ma sympathie. Présidait aux temps heureux de l’Âge d’Or, et aux Saturnales romaines ces périodes de fêtes d’outrances anarchisantes très rock ‘n’ roll.

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    La pochette est de Asep Yasin Abdhulah, l’est doué, un tour sur son instagram s’impose, l’a réalisé pas mal de couves pour des disques.  

    Viennent de Bellingham, ville située à 17 kilomètres du Canada, pas très loin de Seatle, état de Washington.

    Cody Barton : bass / Ray Blum : guitar / Josh Rudolf : drums / Violet Vasquez : chant.

    Rappelons que l’expression Mont de Saturne est utilisée en chiromancie pour désigner l’intervention du destin dans une vie humaine. Si démocratiquement parlant tout vécu peut être assimilé à une destinée, seuls quelques rares individus, les héros, ceux qui approchent de trop près la nature des Dieux, peuvent être soumis à la terrible force du destin tels que l’appréhendaient les grecs.

    0, GREAT MOON

    MOUNT SATURN

    ( YT / Bandcamp)

    Astraya : ode à l’astre sélénéen, les chiens sauvages d’Hécate hurlent au carrefour, musique lourde, épaisse, zébrée d’éclairs noirs de guitares, ensemencée de chapelets stériles de glaviots de basse,  quelque chose de maudit et de mauvais s’avance, éclaircie halotique de quelques secondes, la voix profonde de Violet Vazquez s’élève en sombre incantation, cadences battériales, le vocal de Violet englobe l’hémisphère supérieur de la voûte céleste, des frottis de basse s’accélèrent, Josh toujours imperturbable et la guitare de Ray trace des chemltrails dans l’empyrée. Violet vous aspire, le rythme a beau s’accélérer, vous n’entendez qu’elle. Lorsque le morceau s’arrête vous croyiez qu’il durerait l’éternité. Sword first : magnifique entrée de Josh Rudolf, écrase le monde sur ses peaux pompeuses, surnage comme si de rien n’était dans le déluge des guitares, transperce la purée de poix de la basse assourdissante, ne baisse pas d’un pouce lorsque Violet élève la voix, cette manière à elle de surmonter le mur du son telle une nuée d’orage porteuse des hydres de la destruction, elle ne crie pas, ce sont les doigts de Tosh sur ses cordes triturée qui se chargent de cette tâche, la basse interlude  laisse planer quelques écailles arrachées à des monstres marins, et le chant reprend en plus puissant, encore plus submergeant malgré les musiciens qui font tout ce qu’ils peuvent pour passer par-dessus mais qui n’y parviennent pas. Monstrueux. Une épée dressée à la face du monde par un dieu maléfique.

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    Sandcrosser : une guitare presque claire, mais trop vibrante pour être honnête, la basse vous pousse des mugissements de sirènes de bateaux, et Josh martèle la forge de Vulcain, Violet vient de loin, pour une fois le son est plus fort que sa voix, ce n’était qu’une ruse, les boys ont forcé la donne, Violet prend de l’amplitude et les écrase, la musique franchit des dunes de sable hautes comme des empires, lorsqu’ils parviennent au sommet, il semblerait qu’ils soufflent, mais non, ils dégringolent encore plus vite et attaquent le versant suivant avec encore plus de hargne, répit, ne pas reprendre souffle, seulement prendre la mesure de l’immensité de la tâche et repartir encore plus fort, laisser dans le sable des traces qui seront encore visibles dans des milliers d’années. Sans hâte et sans colère, ils s’éloignent vers l’infini mais on les entend autant. The knowing : que serait la force sans le savoir. Départ vrombissant, puis rai de lumière dans la nuit de l’ignorance, Violet chante à mi-voix, un scalde qui énonce les runes que personne ne doit connaître, l’orchestration   danse telle une flamme purifiante, de temps en temps elle est en proie à d’étonnants soubresauts, une montagne que des plissements hercyniens exhausse jusqu’au firmament. Le message est dévoilé haut et fort, la plupart des hommes se boucheront les oreilles pour ne pas savoir. Fin tumultueuse. Oasis. Haunt ( me ) : tuiles de guitare volant au vent que la batterie se hâte de clouer aux solives de la réalité, une voix résonne, venue du côté de l’ombre, en soubassement, même quand elle reste dans les zones de faible puissance elle surplombe l’étendue intergalactique, rythme de guitare échevelée, qu’importe Violet pousse le brame de l’om originel du désir de la création à éclore hors des miasmes du néant pour parvenir à l’être. 

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    Croocked bones : fracas rudolphiques, échevèlements fous de basse psykoïdes, Violet surgit du fond de la mer ou du ciel, une folie sonore empuantit le monde, plus de retenue, transes sauvages de guitares, martèlements sabotiques, Violet mène le train, le morceau explose en mille éclats plus coupants les uns que les autres, la vague vous emporte, elle ne vous rejettera sur aucun rivage. Extase.

    Monstrueux. Si l’on peut reprocher au doom d’être parfois un peu crépusculaire, avec Mount Saturn, ne craignez rien. La puissance du son et du chant s’allie avec la volupté de l’écoute.

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    Pour ceux qui en veulent plus. Un clip de Sword First est disponible sur You tube. Beau début avec ce corbeau digne d’Edgar Poe posé sur un poteau de grillage, et cette vue de l’immensité stellaire dans lequel resplendit la maléfique planète Saturne, mais après l’impact de ces premières images se dilue. Pa vraiment un clip, un montage vidéo de différentes séquences empruntées vraisemblablement à des documentaires. Images d’animaux, monstruosités d’arachnides vues en gros plans, chouettes, aigles, cheval, musaraigne, vues de microscope, entrecoupées de séquences de vagues s’écrasant sur des récifs et de cratères en feu. C’est d’ailleurs la lave bouillonnante de cette éruption qui prédomine à la fin du clip. Le message n’est pas des plus clairs. Que veut-il signifier, que la beauté de la Nature est menacée par la brutalité de la Nature elle-même, que toute la beauté animalière et les réalisations humaines sont des fétus de paille prêts à être balayées par ce qui les a engendrées. Toutefois, cette vidéo permet de mieux entendre l’aspect mélodique, quasi symphonique et la dimension lyrique de cette musique qui de prime abord séduit de par son riffage heavy rock ‘n’ rollesque davantage que  par son emprise cyclopéenne.

    KISS THE RING

    ( Janvier 2019 / YT / Bandcamp ) 

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    L’artwork de Lamie Lawson est sans surprise. Massif montagnard d’où se détache sous un ciel crépusculaire un sommet enneigé, plus loin plus haut, plus loin, Saturne et son anneau… Quelle relation faut-il établir entre l’astre et cette montagne, à chacun de rêver…

    Dwell : cymbales et petits bruits inhabituels inquiétants, gisements indistincts de basse, clairons de guitares, le roulement drummique arrive mais dominé par le scintillement crash and ride, l’ensemble de plus en plus fort, jusqu’à ce que la voix de Victoria résonne comme un appel, la guitare verse de l’huile sur le feu sans s’arrêter en grandes lampées de flammes brillantes comme la nuit, étrange composition un peu répétitive même si l’on ne sait jamais ce qui va suivre. Le groupe semble faire la revue de ses troupes avant de se lancer à l’assaut. Sur la deuxième partie du morceau s’imposent la profondeur du vocal, les cris de la guitare et le souffle puissant de la rythmique, chaque pointe du triangle entrant en lice l’une après l’autre. Etrangement cela rappelle les écrits heideggeriens sur la notion de demeurance de l’homme sur la terre face à des puissances, ici astrales. Idol hands : attaque brutale, le groupe déployé selon tous ses azimuts instrumentaux, très vite surgit la voix de Victoria, impérieuse, elle hache les mots comme autant d’ordres, fluantes décharges battériales, emballements de guitares, Victoria maintenant s’attarde sur les mots, les prolonge, leur donne un poids inaccoutumé, clic-clic électronique aussi ténu qu’un grincement de grillon déclenchant une hausse sonore de l’ensemble si bien intégrée dans le continuum sonique que l’on se demande comment ils ont procédé,  l’on change de niveau, tout est plus ample, plus violent, et culmine sur un tsunami vocal impressionnant.

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    Salt : toujours cette guitare irradiante, crinière d’étalon fou, qui domine le fracas rythmique, il y a de la subtilité à équaliser l’amplitude de ces deux entités sonores, intimement liées, et en même temps totalement indépendantes l’une de l’autre, avec par-dessus la voix phosphorescente de Violet qui domine sans écraser, qui influe davantage de vigueur au magma sonore qui roule et dévale telle une coulée de feu échappée d’un cratère strombolique. Flamboiement d’un solo de guitare long comme un cri d’agonie, et la voix de Violet qui plane très haut tel un monstre antédiluvien dont la masse inquiétante voile le soleil et menace la terre. Epoustouflant. Kiss the ring : longue intro caractéristique de Mount Saturne, en quatre morceaux le groupe a déjà acquis un style reconnaissable entre tous, la voix de Victoria un semblant plus claire, mais toujours cet envol lourd – révoltant de facilité – qui plane à des altitudes inimaginables, l’est sûr que cette voix est capable de baiser l’anneau de glace et d’effroi de Saturne. L’on n’écoute plus, l’on se laisse bercer par l’Innommable. Effrayant de densité.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 549 : KR'TNT 549 : ROCKABILLY GENERATION NEWS / BOBBY GILLESPIE + PRIMAL SCREAM / PROCOL HARUM / ENDLESS BOOGIE / BABY LOVE / BOB DYLAN / GOATGOD / JIM MORRISON + MARIE DESJARDINS

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 549

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    07 / 04 / 2022

     

     ROCKABILLY GENERATION NEWS

    BOBBY GILLESPIE + PRIMAL SCREAM

    PROCOL HARUM / ENDLESS BOOGIE

    BABY LOVE / BOB DYLAN / GOATGOD

     JIM MORRISON + MARIE DESJARDINS

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 549

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

      http://krtnt.hautetfort.com/

     

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 21

    AVRIL / MAI / JUIN 2022

    , rockabilly generation news 21, bobby gillepsie + primal scream, procol harum, endless boogie, baby love, bob dylan, agreus, jim morrison,

    En avril ne te découvre pas d’un fil. Est-il vraiment obligatoire de préciser électrique. Pour cette vingt-et-unième livraison Rockabilly Generation s’est branché en triphasé, z’ont même éliminé la Terre qui normalement permet d’évacuer le surplus d’énergie, c’est un peu plus dangereux mais le rock’n’roll n’est pas une musique pépère. Donc on frôle la perfection. Sans attente plongeons sans ménagement nos doigts humides d’impatience dans le boîtier, sans même accorder ( pour le moment ) un regard à l’effigie du couvercle.

    Greg Cattez nous présente Ricky Nelson.  Peut-être le premier pionnier que j’ai vu dans mon enfance. Dans Rio Bravo, avec John Wayne, m’en souviendrai toujours, surtout du shoot d’Izarra verte, un plein verre que m’avait généreusement servi Jeannot un ami de mes parents qui nous avait invité voir le film à la télé. C’est cela le rock ‘n’roll, y a toujours d’autres trucs plus ou moins raides et voluptueux qui traînent avec. Mais revenons à Ricky. L’est pas mort comme l’amiral Nelson sur son bateau mais dans son avion qu’il avait racheté à Jerry Lou. Un étrange destin, un de ces enfants stars que les chaînes américaines s’arrachaient. Un feuilleton familial un peu gnan-gnan grand public. Tout pour ne pas devenir un rebelle. Oui mais piqué à quinze ans par la tarentule Elvis Presley il décide de devenir chanteur de rock. Le pire c’est qu’avec l’aide de papa, il réalise son rêve. Pas riquiqui en ses débuts le Ricky, malgré sa gueule d’ange propre sur lui l’a quand même Joe Maphis et James Burton sur ses premiers disques. En France l’a été un peu boudé par les premiers rockers, mais depuis sa cote est bien remontée… Greg Cattez raconte la légende, on écoute et on rêve, mieux que les photos d’archives qui l’accompagnent l’on s’attarde sur la pleine page de quarante-deux disques de sa discographie.  

    Y a pas que les amerloques qui rockent. Les néerlandais aussi. A part que le guitariste des Hi- Tombs est français. Fredo Minic est né à Issy-Les-Moulineaux. Raconte son histoire, le parcours classique, un premier groupe de copains et la montée en puissance au fil des années. Ne se prend pas pour un cador, reste humble, longtemps rythmique avant d’être lead, n’a pas l’envie de surpasser les devanciers, il apprend, il travaille, mais l’a une forte personnalité, les échecs ne l’arrêtent pas, si un groupe se débande il en projette tout de suite un autre, trouve enfin en 2007 la formule avec Hi-Tombs, une des formations de stature européenne du paysage rockabilly actuel… L’a un secret, ne fait pas de concession.                                           Y a pas que les amerloques qui ont des pionniers à la toque. Certes on en a moins, mais on a Tony Marlow. Et à lui tout seul il en vaut trois ou quatre. Zieutez ses yeux malicieux et son regard de velours sur la couve. Pas moins de quatorze pages pour résumer sa vie ès rock ‘n’roll. L’a dû naître l’année du chat car il a déjà vécu une quinzaine de vies rock ‘n’roll.   Une existence au service du rock ‘n’ roll et que serait le  rock français s’il n’y avait pas Marlow le marlou. L’est le témoin, l’est le passeur et surtout l’est le novateur. L’a tout vu, tout connu, tout embrassé. Toujours un coup en avance, toujours là où ne l’attend pas. Toujours fidèle à lui-même. Quelle que soit la formule qu’il adopte il tient la route, ne négocie pas ses virages, mais trouve immanquablement son public. Sa discographie est une revisitation du l’histoire du rock depuis le swing, les pionniers, l’early french sixties, le revival rockabilly, le son anglais, le psyché, le punk ‘n’ roll avec Alicia F… à la batterie, à la guitare, au chant, à la compo, à l’écriture. En anglais, en français et même en corse… Il y a quarante ans que cela dure, le Marlow-rock a la vie dure ! Rassurez-vous, ce n’est pas fini.

    Parfois n’y a que les amerloques qui ont le bidule dans la bicoque. L’on s’est mis à deux pour vérifier. Un article bien écrit de Julien Bollinger qui inaugure la nouvelle rubrique : Racines. Inconnus au bataillon. Oui ils sont deux, l’auteur et Bob Dunn. Avec Mister B, le copain, l’on est allé illico annihiler notre ignorance ( honteuse ) sur You Tube, imitez-nous, tout ce que raconte Julien est vrai, Ce Bob Dunn est le premier à avoir traficoté sa guitare pour l’électrifier, un sacré bricolo, mais ce n’est peut-être pas le plus important, le fameux Crossroad de Robert Johnson c’est lui, sidérant, une vidéo de vingt minutes Bob Dunn’s Vagabonds Steel guitar 7 songs 1939. Un feu d’artifice. Le passage du blues au country, la gestation du boogie, la concomitance avec Django Reinhart, et bien d’autres encore, prêtez l’oreille, les plans se suivent et ne se ressemblent pas. Un trésor, une découverte. En plus Bob Dunn aimait beaucoup cette Izarra jaune que les américains appellent whisky.

    Là, les amerloques peuvent aller se cuire un œuf à la coque. Ce numéro de Rockabilly Generation ne sera pas terminé avant que le coq français n'aura pas chanté trois fois. Tout comme pour Tony Marlow, Kr’tnt a souvent présenté The Atomics en concerts. Peu de disques, n’ont enregistré sous leur propre nom qu’un EP de quatre titres. L’on écoute parler Raph, le guitariste, un de mes préférés, très électrique, dans ses mots défile toute l’histoire du rockabilly français cette génération boostée par l’apparition de Brian Setzer, qui se perpétue et résiste sans faille, constituant l’épine dorsale du public rock national. L’on retrouve chez Raph cet amour invétéré pour les pionniers et cette modestie consubstantielle qui caractérise la majeure partie des musiciens de rockabilly. Pas de frime, des actes, une obstination et une persévérance qui éblouissent.

    Suivent les chroniques habituelles, nouveautés, concerts, un backstage consacré aux Spunyboys, deux annonces, une qui serre le cœur, Help for the Wise Guys in Ukraine, et Dans la chaleur de Johnny une boutique spécialisée dans des objets Johnny Hallyday, tenue par un fan Cédric, et sise Rue Magenta à Epernay ( 51 ).

    Superbe numéro. L’aventure Rockabilly Generation menée de main de maître par Sergio Kazh continue. Papier glacé, mise en page attrayante, documents d’archives, des interviews qui libèrent la parole, et des photos à vous arracher les yeux. C’est Sergio Kazh le coupable.

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News (  1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  5,15 Euros + 4,00 de frais de port soit 9, 15 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 37, 12 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! 

     

                                                            

    Baby Gillespie

     

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             Quand on voit la photo de Bobby Gillespie qui orne la jaquette de Tenement Kid, son autobio récemment parue, on comprend tout. Enfin, c’est une façon de parler. On comprend surtout que Bobby est un éternel adolescent, ce que confirme l’écoute des albums de Primal Scream. Sa voix n’a jamais mué. Il est resté le Baby Gillespie de son adolescence, tel qu’on le voit, là, sur cette photo, en train de chevaucher une petite moto de ville. On serait presque tenté de penser qu’il est un vampire, au même titre que Jean-Michel Jarre qu’on croisait à une époque sur les bords de Seine, sidérant de jeunesse éternelle. Baby Gillespie aurait très bien pu jouer le rôle d’Adam dans l’excellent Only Lovers Left Alive de Jim Jarmush, un film nocturne qui nous emmène sur les traces de Brian Jones à Tanger, quand bien même le pauvre Brian Jones n’est pas un vampire, comme on sait. Par contre, on a vu en 2020 un Baby Gillespie sidérant lui aussi de jeunesse éternelle danser comme un vampire lors du tribute à Rowland S. Howard à la Maroquiqui, et si on examine la petite photo qui se trouve sur le rabat de jaquette en troisième de couve, on se voit contraint d’admettre que Baby Gillespie n’a pris aucune ride en quarante ans. On remarque juste l’éclat noir de son regard, qui est bien sûr l’apanage des vampires. N’allez surtout pas croire que la condition du vampire est un privilège. Il en va du fil des siècles comme du fil des ans, on finit par en avoir vraiment marre. Ce qu’a très bien compris Jarmush, puisqu’il fait mourir, oui, mourir, Marlowe, le vieux vampire que joue John Hurt dans son film. Ras le bol de l’éternité. Seul un vampire supérieurement intelligent peut comprendre ça.

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              Ce book vaut le temps qu’on lui consacre pour deux raisons principales : Baby Gillespie y narre une éducation musicale parfaite, et d’autre part, il nous narre l’histoire des Mary Chain telle qu’on a toujours rêvé de la lire, racontée de l’intérieur, du temps où Baby G battait le beurre pour les frères Reid.

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             Si Flaubert avait grandi en Écosse au XXe siècle, il aurait pu écrire Tenement Kid sur le modèle de l’Éducation Sentimentale. Non pas que Baby G soit un grand écrivain, mais il donne beaucoup d’allure à ses convictions, d’autant plus d’allure qu’il grandit dans un milieu pauvre et fortement politisé. Il dit sa fascination pour Fidel et le Che qui ont viré les Américains et la mafia de Cuba. Il va même jusqu’à prétendre, et il a raison, que Fidel et le Che ont démarré les sixties trois ans avant les Beatles. On a tous eu des posters du Che dans nos chambres. Rien de surprenant à cela, le Che arborait non seulement une allure de rockstar, mais il agissait en plus comme un héros - Che was our Jesus, a rockstar revolutionary - Baby G ajoute que Dennis Hopper avait basé son look sur le Che. Small Baby G admire aussi Cassius Clay parce qu’il refuse d’aller se battre au Vietnam en balançant dans la barbe du pouvoir néo-nazi américain : «No Viet Cong ever called me a nigger !». Small Baby G admire donc les sportifs noirs, Cassius Clay et Pelé - Sport is an incredible way of breaking down racial préjudice - Mais en même temps, il se dit consumé de l’intérieur, par une douleur à la fois psychique et spirituelle. Il est convaincu pendant toute son enfance que la vie n’est que confrontation, compromis et violence. Les rues de Glasgow ne sont pas sûres à l’époque. Il se fait souvent casser la gueule et doit apprendre à se défendre ou à raser les murs. Quand il arrive à l’école primaire de Mount Florida en 1972, un kid lui dit : «Tu es au courant pour Skin des Tiki ? Il a reçu un coup de hache dans le dos hier soir.» Les Tiki sont le gang local - Everywhere you went in Glasgow there were gangs - Baby G rappelle les principes de base de la vie d’ado à Glasgow : tu dois être dur - it was all about how hard you were - et plus tu es dingue, plus tu es respecté. Sinon, évite de faire le cake et de te faire remarquer car tu vas recevoir une grosse branlée. Et un peu plus loin, il amène une conclusion qui tombe sous le sens - So when punk came along, I was just ready for it - En 1976, il a 14 ans et encore toutes ses dents.

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             Bien que ses parents soient d’une extrême pauvreté - la famille habite dans un deux pièces, le fameux tenement, c’est-à-dire le taudis - ils écoutent des disques. Et pas n’importe quels disques. Certainement pas Chantal Goya. Baby G se souvient très bien d’un Greatest Hits de Diana Ross & the Supremes sur Motown. Le chouchou de Dad, c’est Muddy Waters avec «I Got My Mojo Working». Il y a aussi le Greatest Hits Volume 2 de Ray Charles «on the stateside label with a cool photo of Ray. Dad would play this record A LOT.» Ils écoutent aussi Bob Dylan - Dad loved The Times They Are A-Changing LP with all the protest songs on it - Mum adore Hank Williams, «Moaning The Blues» which she played A LOT. Elle adore aussi Doris Day et un single d’Elvis que Baby G passe son temps à admirer, thinking how beautiful he looked. Il se souvient aussi d’un live de Smokey Robinson au dos duquel Dylan disait de Smokey qu’il était «America’s greatest living poet». Baby G indique aussi qu’il n’y avait pas de disques des Beatles in the house - Mum later told me she never liked them; she preferred the Stones - Comme ça au moins les choses sont claires. On ne sera pas obligé de lui demander s’il préfère les Stones ou les Beatles.

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             Il se souvient de la teuf-teuf familiale qu’ils avaient dans les early seventies : une beautiful dark green Vauxhall Viva, équipée d’un lecteur de cassettes et Dad écoutait Bridge Over Troubled Waters et Glen Campbell - That’s when I first heard the Rolling Stones, in that car - À 11 ans, il flashe comme tous les kids d’Angleterre sur Marc Bolan, il appelle ça du bluesy hard rock, puis un copain d’école lui passe Aladdin Sane, et il est frappé par le portrait de Bowie à l’intérieur du gatefold, «à la fois satyre, mi-homme mi-bête, de sexe indéterminé» - It was a totally mind-blowing image - Ça lui tournicote les hormones. Puis il découvre tout le glam à la téloche, dans Top Of The Pops, Sweet, Roy Wood and Wizzard, Gary Glitter, Slade, Mott The Hoople, Bowie, Sparks et T. Rex - Bowie and Bolan introduced me to androginy an poetry - C’est le parcours classique d’un kid qui grandit dans les seventies. Il existe énormément de points communs entre cette autobio et celle de Kris Needs. Puis c’est la révélation : une petite photo de Johnny Rotten - My first outsider hero. No words needed - Puis ça continue avec Diamond Dog, le Slaughter On 10th Avenue de Mick Ronson et le 16 And Savaged de Silverhead. Le premier single qu’il achète avec son argent de poche est l’«Hellraiser» de Sweet. Puis chez le copain Butchie, il découvre Meaty Beaty Big And Bouncy des Who, ainsi que Who’s Next et Live At Leed, le Get Yer Ya-Ya’s Out des Stones, puis il flashe sur le Stupidity de Doctor Feelgood, sur Nazareth, sur «Motor-Biking» de Chris Spedding, quelques singles de Status Quo et le Machine Head de Deep Purple - Rock and roll totally consumed me. It became my religion - Il voit la culture rock comme un espace de liberté, où les gens peuvent devenir eux-mêmes. Il finit par découvrir que c’est aussi un moyen de se réinventer. L’imagination au pouvoir, en quelque sorte. C’est exactement ça, Baby G. Il a tout compris. Il veut échapper au monde réel qui ne lui plaît pas - I think punk did that for me - Il pense même, comme beaucoup de gens qui ont suivi le même chemin, que le rock lui a sauvé la vie. Vers la fin du book, il évoque les blues people qui sont à ses yeux the ultimate outsiders - Soul and country are both artforms created by working-class Americans, Black and white - C’est parce que petit il écoutait Ray Charles (Dad) et Hank Williams (Mum) qu’il a ça en lui, a deep love of the blues. Dans les années 90, il passe son temps à écouter ce qu’il appelle des «albums sérieux», ceux des masters; sixties and seventies soul songwriters, the country soul guys comme Dan Penn, Donnie Fritts et Kris Kristofferson. Grown-up, adult songwriters. Serious guys with a life story. Literary songwriting. Songs of experience, à la différence de ses chansons qui sont des songs of innocence. Il veut écrire des songs of experience, lui Baby G, l’éternel adolescent ? Ha ha ha, quelle blague ! Éducation parfaite. Baby G est ce qu’on appelle un gosse rudement bien élevé.

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             Il nous fait aussi des pages superbes sur Alex Harvey Band et Thin Lizzy. Alex Harvey parce que c’est un mec de Glasgow et tous les copains d’école ont un patch SAHB (Sensational Alex Harvey Band) cousu sur leur blouson Wrangler - Harvey was one of our own, a Glasgow boy qui avait réussi après des années d’efforts. Son Sensational Band portait bien son nom. They took no prisoners and stormed the nation’s pop charts and concert venues with a mixture of street-sharp hard rock, sea shanties, murder ballads and Weimar decadence - Baby G flashe sur l’album Next, avec Alex les bras en l’air sur la pochette et cette invitation à se battre, «Come ahead, your tea’s out !», Baby G voit Alex comme «the shamanic pagan high priest, comme Richard Wagner fronting a rock band». Il se demande comment un mec aussi pauvre a fait pour réussir à devenir célèbre - He was just a guy from the same streets as me, from Tradeston - Et ça repart de plus belle avec Thin Lizzy et «The Boys Are Back In Town», la chanson qui pour Baby G définit le mieux l’été 1976, l’été de ses 14 ans. Il voit Lizzy à Top Of The Pops et il est frappé par l’«extremely handsome black Irishman dressed in tight blue jeans, stack-heeled shoes and a loose-fitting glammed-out silver-streaked cowboy shirt unbuttoned halfway down his chest, revealing a silver necklace. He wore his hair in the afro style, tight like Jimi Hendrix. He was just so confident and outrageously flash.» What a portrait ! Baby G a du pif, il choisit les bonnes idoles. Quand il voit dans le journal local que Thin Lizzy passe à l’Apollo Theatre de Glasgow, il décide d’y aller avec un gosse du quartier qu’il ne connaît que de vue, Alan McGee. En trottinette, ça fait trop loin, alors ils y vont tous les deux en autobus. Pour Baby G, c’est le dépucelage - I lost my rock and roll virginity to Phil Lynott and Thin Lizzy that night. I was filled with the Holy Spirit of Rock and Roll, never to be the same again. The classic line-up of Lynott, Downey, Gorham and Robertson transmogrified my teenage soul with raw-powered street rock and flash glam electric sexuality. My love for Lizzy will never die. They were the first real musical love that I discovered by myself and they still inspire me to this day. Phil was the greatest, a true working-class hero. Every boy wanted to be him, every girl wanted to fuck him - Et soudain le punk arrive.

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             Baby G commence par tomber sur les Damned à la télé. Nest Neat Neat ! Boom badaboom ! Il tombe de sa chaise. Puis à Pâques 1977, il achète le NME avec les Clash en couve. Les trois Clash, avec Simonon au milieu ! Oh la la ! Il est choqué par leur brutally short hair, car «in early 77, tout le monde a les cheveux longs». Il achète l’album des Clash et rentre chez lui en courant pour l’écouter sur la stéréo de ses parents qui sont au boulot. Il met le volume à fond, cranking up the volume full blast. Comme tous les kids de son âge, Baby G est ratatiné par cet album, c’est un phénomène purement britannique. Puis il achète «God Save The Queen» et rentre chez lui en courant pour l’écouter avec son petit frère Graham - We were just ORGASMING - Ils expérimentent tous les deux ce qu’il appelle le psychic jailbreak, l’évasion psychique. Leur vision du monde change ce jour-là, avec le full blast des Pistols. Puis il découvre les Dolls. Quoi, des mecs qui sonnent comme les Pistols ? Ce n’est qu’un plus tard qu’il comprendra que les Dolls étaient là avant et qu’ils sont devenus les Heartbreakers. Baby G commence à hanter les disquaires de Glasgow, il y en a six à proximité du lycée et celui qu’il préfère s’appelle Bloggs car il vend du punk et le vendeur n’est autre que Mickey Rooney, futur chanteur des mighty Primevals - A Stooges and MC5 fanatic - Baby G se lance comme tout le monde dans l’achat de disques américains, avec «Sheena Is A Punk Rocker» des Ramones et «Spanish Stroll» de Mink DeVille, puis il continue avec Patti Smith, Richard Hell, les Runaways et les Dead Boys. Mais son chouchou reste Johnny Rotten - Everything he said in the interviews was deeply confrontational and launched with a fusillade of hate - Baby G n’en finit plus de l’admirer, d’autant plus qu’il n’avait rien d’un sex-symbol à la Rod Stewart - He was exactly like one of us working-class street kids - Les Pistols renversent l’échelle des valeurs, tout ce qui était joli devient laid et tout ce qui est laid devient joli. Oh et puis les fringues - Black leather trousers and jackboots, Mod bum-freeze jacket and Destroy shirt, the studded wristband, S&M belt and his digital watch. I thought he was the coolest-looking guy in the world - Quand Johnny Rotten se pointe sur Radio One, John Tobler lui demande ce qu’il écoute, et Rotten lui répond : «Football chants and Irish rebel songs.» Alors Baby G est sidéré : «I thought, that’s me !», oui, car il va voir les matches de foot et chante les football chants and Irish rebel songs at Celtic games... and he is in the best rock and roll band in the world. Johnny Rotten comes from a council estate, so I do. THIS GUY’S LIKE US !

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             En 1977, Baby G casse sa tirelire pour aller voir des concerts : Lizzy deux fois, Graham Parker And The Rumour, Status Quo, the Jam, the Damned, Dead Boys, the Clash et ça se termine avec that amazing Christmas show : Ramones supported by the Rezillos. Il tombe sous le charme des Ramones, comme tout le monde - Ramones were perfect in both charm and vision. Ramones were a total assault on the senses. Ramones were godhead - Et quand après la fin des Pistols, John Lydon revient avec PIL, Baby G en bave d’admiration, parce que justement, Lydon ne revient pas avec des nouveaux Pistols, mais avec un son nouveau - We’d never heard anything like this before - Il faut bien se souvenir que PIL fut révolutionnaire à l’époque. Du coup, Baby G se sent encore plus proche de son idole - He was my guiding star - Il va ensuite flasher sur Ian McCulloch qui selon lui a tout, the looks, the hair, the voice - The Bunnymen had a mystique - Puis il devient roadie pour Altered Images qu’il trouve really good.

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             En 1978, il commence comme tout le monde à écouter le John Peel Show on Radio One sur un petit transistor à piles, du lundi au jeudi. Puis grâce à Zigzag, il découvre Love, les Byrds, les Doors, Buffalo Springfield, Tim Hardin et Tim Buckley. Small Baby G ne sait plus où donner de la tête. Et puis il y a Johnny Thunders en couverture de Zigzag, avec à l’intérieur son interview par Kris Needs pour la promo de So Alone. Ah la longueur des filets de bave ! Et comme tout le monde, Baby G se met à acheter chaque semaine la trilogie impérative, NME, Melody Maker et Sounds. De quoi devenir dingue.

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             Un soir, lors d’une party chez Severin à West Hampstead, Baby G tombe sur sa collection de disques. Il est choqué d’y voir trôner l’Electric Ladyland, non pas à cause des gonzesses à poil sur la pochette - Baby G ne bande pas encore - mais parce que l’album était à l’époque considéré comme un hippy album, et donc mal vu chez les punks - That’s how it was in those days - Il se souvient aussi d’avoir réagi de la même façon en découvrant le White Album chez Andrew Innes, qui est alors un copain du quartier - It was a crime to admit you liked anything before 1976 except for the Velvet Underground, Iggy and the Stooges, New York Dolls and MC5 - C’est vrai que le sectarisme régnait sans partage, surtout à cette époque. Tout le monde devenait à moitié con avec le punk-rock. On lançait des anathèmes à tout bout de champ. Fuck ci, fuck ça. Si Can et Van Der Graaf échappaient aux purges, c’était grâce à Johnny Rotten qui en disait le plus grand bien à la radio.

             Et comme tout le monde, Baby G s’achète une première guitare électrique, une copie de Les Paul Classic, «a cherry-burst reddish-brown colour, very Thin Lizzy» et un ampli Peavy Bandit. La première chose qu’il apprend à jouer dessus, c’est «Time’s Up» et le solo sur deux notes du «Boredom» des Buzzcocks. Puis il s’achète une basse, «a black Fender Mustang bass guitar and an Electro-Harmonix Clone Thenry effects pedal». Il adore jouer comme Jah Wobble de PIL.

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              Il revient longuement sur l’autre grande idole de son enfance, Jimbo, un Jimbo héroïque qui traite le public de Miami de bande d’esclaves. Baby G et son frangin Graham adorent rouler la nuit dans Glasgow, au volant de Mum’s little Renault, en écoutant une cassette des Doors, la compile de singles qui s’intitule 13 - Five to one baby/ One in five - Baby G admire autant Jimbo que le Che : «Jim Morrison vivait réellement les choses qu’il chantait. In the future I would personnaly find that was a very dangerous game to play.»

             Il se met à vénérer les auteurs comme Jagger & Richards, Jim Morrison, Lou Reed, Ray Davies et Iggy Pop. Son copain Beattie avec lequel il va démarrer Primal Scream s’achète une douze pour sonner comme les Byrds - He was hooked on Roger McGuinn’s jingle-jangle magic Rickenbacker guitar sound - Alors Baby G s’achète une «sky-blue Vox Pantom as played my hero Sterling Morrison, guitariste extraordinaire of the Velvet Underground.» Et puis en 1984, le punk passe de mode - It was seen as an embarassment in the UK music papers - Et les hip people de Glasgow étaient tous des clones de Bowie Young Americans, dans leurs fringues atroces, playing the white-boy funk that was as funky as Margaret and Dennis Thatcher attempting to dance the Funky Chicken: naff central - Eh oui, les années 80. Comme tout le monde, Baby G se réfugie dans les «ultra-damaged poster-boys of underground rock», Syd Barrett et d’autres misterioso figures comme Arthur Lee, Brian Wilson et Alex Chilton - Not a lot of people were interested in these artists. They were seen as sixties drug casualties and burnouts, embarassments from another era - Puis comme tout le monde, Baby G part à la chasse aux disques dans les record fairs, il ramasse de tout, Electric Prunes, Eddie Floyd, Isaac Hayes, des Stax singles, 13th Floor Elevators, Byrds, Misunderstood, puis c’est le déluge des compiles fatales, Perfumed Garden, Acid Dreams, tout le bazar de Rhino puis de Line Records en Allemagne qui se met à rééditer tout ce qui peut intéresser les kids boulimiques comme Baby G. En 1984, il ne jure que par ses psychedelic heroes Jim Morrison, Lux Interior, Roky Erickson, Syd Barrett et Arthur Lee. Et pour entrer en osmose avec le psychédélisme, il faut bien sûr prendre des psychedelic drugs, otherwise you can’t be psychedelic ! Logique imparable.

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             Il évoque brièvement la scène de Glasgow, Teenage Fanclub, les Vaselines qu’admirait tant Kurt Cobain, et Stephen Pastel - He was a freaky kid, total outsider in his own way - mais qui choque Baby G car il lui dit ne pas aimer les Pistols. Baby G lui demande pourquoi et Stephen Pastel lui répond : «They’re like heavy metal.» À quoi Baby G ajoute : «Stephen was more into Dan Treacy, TV Personalities and Swell Maps. We agreed on the Shangri-Las, Velvet and Subway Sect though.» Baby G ajoute que Stephen est toujours d’actu à Glasgow et qu’il possède a fantastic record shop called Monorail. Baby G évoque aussi Mark E. Smith qu’il admire, comme tout le monde, et Prince plus encore, surtout les singles parus dans les années 80 - They’re as good as the Beatles or the Stones, Bowie, Phil Spector, Tamla-Motown, Stax, anyone - À tel point qu’il le veut comme producteur du premier album de Primal Scream, ce qui fait marrer McGee. À la place de Prince, il obtient Stephen Street.

             Quand dans les années 80, Baby G s’installe à Brighton, il ouvre avec ses copains un club nommé SLUT. Sur le poster du club figure le fameux portrait de Brian Jones en uniforme nazi, avec comme légende le fameux ‘Stay sick Turn blue’ emprunté aux Cramps et qu’on trouve, précise Baby G, au dos de leur premier single, «Human Fly» on the Vengeance label. Des groupes viennent jouer au SLUT : Strawberry Switchblade, Felt, Loop and Weather Prophets, des groupes dont il est fan, surtout Loop - We loved Loop - Faut pas louper Loop. Puis il tombe dans les bras de Bobby Blue Bland - noir-pop-bed-chamber blues and adult existentialism - et du great O.V. Wright - His classic records are occult Mississippi Delta alchemical conjurings made under the guidance of the great producer Willie Mitchell - Il explore les labyrinthes de cette Soul, espérant qu’un jour I could emulate it. Mais pour chanter comme O.V. et Bobby Blue, il faut muer, Baby G, et il ne mue toujours pas. Il évoque aussi les fameuses compiles Northern Soul sur Kent et les Ady Croasdell’s soul nights au 100 Club dont Andrew Innes est un habitué. Il va voir les Spacemen 3 en concert, car il aime bien le single «Revolution», mais quand il entre dans la salle, il en reste comme deux ronds de flan : au pied de la scène, les kids sont assis par terre comme des hippies, et les Spacemen sont eux aussi assis, le cul dans des chaises. Incroyable ! Il découvre plus tard qu’ils sont des smackheads, alors pour lui, ça tombe sous le sens.

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             Ce sont surtout ses paragraphes politiques qui rendent Baby G infiniment sympathique. Il nous raconte mieux que quiconque l’écroulement de la classe ouvrière anglaise. Le foot sert à cristalliser la colère, d’où la violence dans les stades. Il sait que la classe ouvrière n’existe que pour travailler dans les mines et les usines qui sont la propriété des bourgeois, cette sale race qui fait des profits obscènes sur le dos des travailleurs, Baby G n’y va pas de main morte, il développe bien cet aspect des choses, car la rage politique est directement liée au rock, il parle de siècles de féodalisme dégradant et des horreurs de la révolution industrielle qui, c’est vrai, a battu tous les records en Angleterre. Et voilà que Baby G se retrouve sur le marché du travail, à l’aube de la post-industrialisation. Comme tout le monde, Baby G voit que les lois votées au parlement sont des actes de violence dirigés contre les plus pauvres, il cite des fameux plans d’austérité alors qu’on allégeait les impôts des plus riches, Baby G en écume de rage, il sait que la pauvreté tue et il voit la femme la plus détestée d’Angleterre, la mère Thatcher, écrabouiller les mineurs, elle a enfanté nous dit Baby G des créatures aussi politiquement ignobles qu’elle et il balance les blazes de Blair et de tous ceux qui ont suivi, all are Thatcher’s children and I hate them all equally. But I hate her more. She was their Elvis - Plus loin, il tombe à bras raccourcis sur Queen, Elton John et Rod The Mod qui sont allés jouer en Afrique du Sud, au temps de l’apartheid - They had all taken the apartheid gold - Il a raison de s’énerver, Baby G, ces comportements sont impardonnables. Il développe ainsi son radicalisme à longueur de pages et c’est une dimension d’autant plus capitale qu’elle n’apparaît jamais dans la presse rock, connue pour son édifiante superficialité. Le rock et la contestation politique sont issus du même principe de refus de l’autorité, et dans le cas de l’Angleterre, du despotisme libéral, qui est sans doute le pire fléau du XXIe siècle. La notion de profit n’a jamais autant fait de ravages dans les cervelles. Il faut désormais s’habituer à l’idée qu’un monde meilleur n’existera jamais.    

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             Baby G cite souvent les Cramps sans jamais vraiment en parler. Il fait juste des petites allusions de temps en temps, comme s’il en avait la trouille et qu’il n’osait pas s’en approcher. Lors d’une fête sauvage dans une usine abandonné avec les frères Reid, Baby G dit entendre le «Caveman» des Cramps. Il rencontre à une époque un nommé Joogs qui est fan des Cramps. Joogs jouera du tambourin dans la première mouture de Primal Scream. Lors de son premier voyage à Los Angeles, Baby G croise sa guitar heroin Poison Ivy Rorschach chez un disquaire. Il est tellement intimidé qu’il n’arrive pas à parler - Ivy was so fucking sexy. The queen of rock and roll - D’ailleurs, quand il compose «Ivy Ivy Ivy» pour le deuxième album de Primal Scream, il pense bien sûr à Ivy Rorschach of the Cramps. Et sur scène, avec Primal Scream, ils jouent en rappel «Up On The Roof» by Carole King and «Lonesome Town» by Ricky Nelson and the Cramps.

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             Quand on bénéficie d’une telle éducation, on finit fatalement par mal tourner, c’est-à-dire jouer dans un groupe. Baby G a déjà commencé à acheter des guitares, à prendre des drogues et à composer des chansons. Alors il monte Primal Scream avec le copain Beattie. Le nom du groupe sort d’un texte de Mark E. Smith sur Live At The Witch Trial, à la fin de «Crap Rap» - I believe in the R&R dream/ I believe in the primal scream -  Et hop c’est parti. Pas plus difficile, tu flashes et tu agis. Il a ce qu’il appelle lui-même a year-zero mentality de young punk. Rien à voir avec le primal scream de John Lennon. Les punks nous dit Baby G ne commenceront à écouter les Beatles qu’au moment où Paul Weller va pomper «Taxman» pour faire «Start». Du coup,  Beattie achète Revolver. Avec Beattie, ils écoutent aussi les deux premiers albums des Stooges sous acide, allongés par terre, la tête entre les deux enceintes - You haven’t lived until you’ve heard «We Will Fall» and «Dirt» in this way, I’m telling you. Beautiful primitive urban blues - Puis il cite Dickinson qui qualifiait les Stooges de «primitive modernists». Selon Baby G, les Stooges ont créé «a post-adolescent urban white bues qui encapsulait les peurs, les espoirs, les frustrations sexuelles et l’ennui existentiel of teenage outsiders everywhere.»

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             Alors qu’il vient de lancer Primal Scream avec le copain Beattie, Baby G commence aussi à fréquenter les frères Reid. Il va vivre avec les Mary Chain l’un des épisodes les plus excitants de l’histoire du rock anglais. Et grâce à lui, on va pouvoir le vivre de l’intérieur. Comment commence cette belle aventure ? Assez bêtement : Baby G reçoit chez lui une cassette C-90 que lui envoie Nick Lowe. Dans le petit mot d’accompagnement, il indique à Baby G que les deux guys qui sont leur la cassette pourraient éventuellement se joindre au duo Primal Scream qu’il forme avec le copain Beattie et que Lowe a vu jouer sur scène. Sur la cassette est écrit le nom du groupe au stylo bille : Jesus and Mary Chain, et quatre titres de chansons : «Never Understand», «Upside Down», «Inside Me» et «In A Hole». Baby G rencontre les frères Reid un jeudi du mois de juin. Jim et William nous dit Baby G portent des cheveux très haut sur le crâne et ceux de Douglas Hart, le bassman, sont noirs de jais et bouclés. Il manque le batteur Murray qui est à l’école. Alan McGee est l’un des premiers à s’intéresser au groupe, car sur scène, c’est le chaos garanti : ils sont tellement défoncés que William joue «In A Hole» alors que Jim chante «Upside Down» et Douglas joue «Inside Me», et c’est là qu’ils commencent à se battre comme des chiffonniers, devant tout le monde. Pif paf, dans ta gueule, et ils quittent la scène. C’est la fin du set qui n’a même pas commencé. Pour McGee, c’est du genius à l’état pur. Quand Baby G les voit jouer à Glasgow pour la première fois, William et Jim arrivent en titubant sur scène, ils se cognent partout - It was just noise, carnage - Ils jouent trois cuts - a cacophonous, violent fuck-up noise, it was completely unmusical, mais en même temps ça faisait sens pour Beattie et moi, parce qu’on comprenait ce langage - Baby G apprend que les frères Reid appréhendaient tellement de monter sur scène qu’ils avaient bu comme des trous, au point qu’ils tenaient à peine debout. Au point de se faire virer de la scène par les videurs. Les frères Reid nous dit Baby G s’abreuvaient directement «à la source de l’universal psychedelic punk energy.» Ils proposaient le «true primitive power of rock and roll en opposition à la musique clean, safe et asexuée dont les médias et les music papers gavaient les gens.» Et puis un jour, McGee appelle Baby G pour lui annoncer que les May Chain ont viré leur batteur Murray et qu’ils le veulent lui, Baby G, comme batteur. Le seul problème c’est que Baby G n’est pas batteur. Pas grave. Et hop tournée en Allemagne avec les Mary Chain, le Biff Bang Pow d’Alan McGee et les Mod punk rockers d’Aberdeen, les Jasmine Minks. Baby G profite de l’occasion pour préciser que les Mary Chain ne répétaient jamais - Every single gig was freefall. Every gig. Even when we made Psychocandy - Il garde aussi des souvenirs attendris de camaraderie, quand ils dormaient tous les quatre dans des sacs de couchages, serrés les uns contre les autres sur la plancher d’un appart, in the cold autumn London night. Jouer sur scène avec ces trois loustics, ça reste pour Baby G les meilleurs souvenirs de sa vie. Ils n’ont même pas besoin de se parler entre eux. Un regard suffit - The best relationships are like that - Il va loin, le petit Baby G car il parle même de spiritualité. Au retour de leur tournée allemande, ils découvrent que dans le NME, un journaliste déclare : «Les Mary Chain sont the new Sex Pistols.» Ça y est, ils commencent à décoller. Les labels se rapprochent de McGee qui est leur manager. Baby G est de plus en plus épaté par la grandeur des Mary Chain - The Chain as a band was perfect as it was: four punks with clear minds and a defiantly powerful, well thought-up group aesthetic (...) I loved the purity in the Mary Chain; it was kind of religious. Actually, it WAS religious. Pure rock and roll - Mais en 1985, chaque fois que les Mary Chain jouent à Londres, ça tourne à l’émeute. Baby G dit que dès qu’ils commencent à jouer, une pluie de missiles s’abat sur eux - Et soudain le public attrape Jim, des mecs du service d’ordre sont obligés d’aller le récupérer car des mecs le tabassent - C’est la guerre nucléaire ! - And the missiles were coming the whole time - Comme il l’a déjà précisé, les Mary Chain ne répètent jamais. Ils démarrent un cut et s’arrangent pour le finir - it was free-form madness - Ils font une version du «Mushroom» de Can que Baby G qualifie de «creepy crawl death-rattle low moan blues». Le concert à l’Electric Ballroom est encore plus extrême, nous dit Baby G. Des gens viennent pour zigouiller les Mary Chain. Pour étayer son propos, Baby G cite une anecdote : «Jim Reid était allé voir Nick Cave & the Bad Seeds à l’Hammersmith Palais et un mec est venu le trouver pour lui demander : ‘Are you the singer in the Mary Chain?’. Et six mecs tombent sur Jim pour lui filer la branlée du siècle. Gave him a doing. Kicked fuck out of him. Alors que Jim gît au sol dans une mare de sang, les mecs lui disent  : ‘Dis à ton fucking batteur qu’il est le prochain !’.» Même si Baby G essaye de se faire passer pour un petit dur, il ravale sa salive. Il sait que ces mecs-là ne rigolent pas et qu’il va prendre une trempe.

             En 1985, il part en tournée américaine avec les Mary Chain. New York, punk city of my dreams. Premier arrêt au Gem Spa sur St Mark’s Place pour rendre hommage aux New York Dolls,  tels qu’on les voit au dos de la pochette de leur premier album. Puis Midnight Records, pour les albums psychédéliques. Cette fois, la tournée se passe bien, pas de violence. Sur scène, William Reid règne sans partage. Il sort un son qui est un «shot de high-grade amphetamine sulphate, pure white light, white heat, wired soul genius.» - His gonzoid riffage and energy sprawl would propel me forward rhythmically - Et puis, les premières crevasses apparaissant dans ce beau rêve de fraternité. Un jour, il va chercher sa copine Karen à la gare. Elle arrive de Glasgow et lui apprend qu’elle va jouer à sa place le soir-même dans les Mary Chain. Ça interloque Baby G pour deux raisons : un, Karen ne sait pas battre le beurre, et deux, ses frères spirituels ne lui ont rien dit. Baby G lui demande quand même pourquoi elle a accepté, sachant qu’elle lui retirait le pain de la bouche. Oh, Karen n’est pas à ça près. Elle dit avoir d’abord refusé, mais William a insisté, lui promettent de lui donner tout ce qu’elle désirait si elle acceptait de jouer avec eux. Alors elle a demandé un gramme de speed et William est parti en courant lui chercher ce qu’elle demandait. En fait, le problème, c’est que Baby G qui a les yeux plus gros que le ventre joue dans deux groupes à la fois, les Mary Chain et Primal Scream. Les groupes sont même souvent à la même affiche, et Baby G chante et gratte sa gratte dans l’un et il bat le beurre dans l’autre. On appelle ça de l’omnipotence et c’est une tare qui ne convient pas, mais alors pas du tout, à un mec aussi intègre que William Reid. Et ça ne servait à rien d’en parler. Aussi le soir même, quand ses copains de Primal Scream voient Karen jouer à sa place, ils demandent à Baby G pourquoi il ne joue pas. What could I say ? Les frère Reid ne parlent jamais des problèmes. Baby G doit fermer sa gueule et l’accepter, parce que les Mary Chain sont leur groupe. Il sent bien que c’est le commencement de la fin. Effectivement, le lendemain, Jim Reid appelle Baby G au téléphone, ce qu’il ne fait jamais. Il l’appelle pour lui mette le marché dans les pattes : soit il devient le batteur des Mary Chain à plein temps, soit il dégage - We don’t want you to be in Primal Scream anymore. You can’t be in both bands, you have to make a choice - Le choice est vite fait. «Ok I’ll be in the Scream, then. And that was that.» Fin de l’épisode. Baby G est bouleversé. Il note toutefois que pour enregistrer leur deuxième album, the existential blues album Darklands, ils ont utilisé une boîte à rythme pour le remplacer, which is cool. Puis il découvre qu’ils avaient déjà prévu un batteur en remplacement pour les concerts, le fameux John Foster Moore, qui fera ensuite équipe avec Luke la main froide dans Black Box Recorder. 

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             L’autre personnage principal de cette apologie de l’éternelle adolescence, c’est la dope. Baby G en est incroyablement friand, plus encore que des bombecs. La dope se situe au même niveau que l’engagement politique et le rock, c’est un moteur, une psycho-vitamine dirait Marc Z. Baby G attaque sa carrière de drug-head avec les acides, pour vivre en osmose avec sa passion pour le rock psychédélique. Il découvre aussi le pouvoir du sexe sous acide avec sa copine d’alors, la fameuse Karen évoquée plus haut. Puis quand il fréquente McGee, il lui balance le fameux slogan de Ian McCulloch : «No snow, no show !», formule magique qu’il prononçait selon Baby G chaque soir avant de monter sur scène. Avec des yeux devenus globuleux, Baby G traîne dans les parties avec Throb et les mecs de Felt où tout le monde est sous speed and magic mushrooms. Il découvre ensuite l’ecstasy, «plus adapté au vibes de basse et aux sons électroniques, alors que le speed convient mieux aux amateurs de high-energy rock and roll.» Il ajoute que «the Southern Soul sounds is great on smack et que l’herbe est parfaite pour le Jamaican Reggae and dub.» - Different drugs for different sounds - Il en connaît un rayon, le petit Baby G. Pas la peine de lui faire un dessin. Il achète son premier E (ecstasy) aux Happy Mondays. Il en éprouve une grande fierté. Mais sa dope préférée reste le speed - Ecstasy was a different psychotropic trip. My life was changing and I didn’t even know it - Quand ils roulent vers le Nord pour aller jouer à Londres, ils prennent du speed et quand ils redescendent à Brighton après le concert, ils droppent des Es. Ils goûtent pleinement à la joie et à la liberté de leur jeunesse. C’est pour ça que la scène acid house lui plaît, tout le monde est sous E, il parle d’un «holy sacrament drug», alors que la scène indie pue la bière, et Baby G ne supporte pas les pintes. En plus ces mecs-là ne prennent même pas de drogues. Baby G n’aime pas non plus les pubs - Pubs were never my scene - Un jour Throb ramène des tablettes de dexys, la fameuse Dexedrine qu’il qualifie de best drug in the world - We all took dexys to do the interview - Un jour en arrivant au studio, Toby leur dit à tous les trois, Baby G, Throb et Innes d’ouvrir la bouche et il leur balance à chacun des pilules. Il en a un bocal plein. Ils veulent quand même savoir ce qu’ils avalent et Toby se marre : «C’est ce qu’a avalé Keith Moon la nuit où il est mort.» Alors les trois autres répondent : «Yeah ! Great !». Le problème, c’est qu’après, la situation devient bizarre : les quatre Primal Scream tombent dans les pommes. Quand Dick Green l’associé de McGee chez Creation appelle l’ingénieur du son Leggatt pour savoir comment se déroule la session, Leggat est bien embêté. Il répond : «The band are in a coma.» Green ne comprend pas : «What d’you mean, they’re in a coma ?». Alors Leggatt décrit ce qu’il voit : «Well, Bob and Innes are on the floor, Throb est sur le canapé et Toby vient de se glisser sous la console de mixage.» Les pills de Keith Moon sont des somnifères qu’on administre dit-on a des éléphants. Quand ils commencent à palper des gros billets, Throb achète des gros pochons de coke. Il en fait même le commerce à Brighton. Il a acheté une bagnole pour faire les trajets et bien sûr il n’a pas de permis. Baby G tente de le ramener à la raison, lui disant que s’il se fait choper, il va détruire le groupe. Mais Throb se marre. Il passe vite au freebasing - We all did. It was great fun.

             Retour aux balbutiements de Primal Scream. Beattie et Baby G enregistrent des démos avec Elliot Davies qui dit à Baby G : «The songs are both very good. Bob you’re not a singer.» Choqué, Baby G lui demande ce qu’il veut dire et l’autre lui explique : «You’re not a proper singer like Al Green or Marty Pellow, you’re more like Bernard from New Order.» Baby G s’en tire à bon compte, car il adore New Order, ce qui n’est pas le cas de tout le monde. Heureusement, on finira par trouver quelques points de désaccord avec Baby G. Puis il rencontre son futur Soul Brother, Robert Young, alias Dungo, un gosse du quartier. Un jour Baby G le croise dans la rue et lui demande ce qu’il a eu comme cadeau de Noël. «A Telecaster guitar !». Baby G découvre que son nouveau copain est bourré de talent. Il écoute les Byrds et Love. Ils se mettent vite à la recherche d’un son - We were aiming for a mix of ecstatic sixties joyous transcendental psychedelic pop and modern eighties electronic dance beats - Comme tout le monde, Baby G goûte au plaisir suprême qui est de jouer dans un groupe et il sait dire pourquoi c’est une affaire sérieuse : «Rock and roll at its highest point is serious magic. An alchemical transformation is possible, but only if people with the right attitudes, minds and spirits are involved in the ritual.» Au début, ils sont cinq, Beattie gratte sa douze, Robert on bass, Baby G sur une six cordes électrique et au chant, Tam McGurk au beurre and our pal Joog on tambourine. Aux yeux globuleux de Baby G, Robert est le musicien le plus doué qu’il connaisse. Un jour, alors qu’il sont en tournée, ils s’arrêtent pour pisser un coup au bord de la route. C’est là qu’ils découvrent le pot aux roses : Robert est monté comme un âne - For fuck’s sake would you look at the size of that thing? - Robert ne comprend pas pourquoi ils s’extasient devant sa queue. Baby G lui dit qu’elle est «like a fucking python». Alors Robert se marre et leur dit que le problème n’est pas la grande taille de sa queue, mais plutôt la petite taille des vôtres, it’s just that you guys are all too wee - C’est là qu’il chope le surnom de Throb.

             Primal Scream commence à se bâtir une petite réputation mais bizarrement, John Peel ne s’intéresse pas à eux. Il s’intéresse plus nous dit Baby G aux groupes with girls in it, «surtout si elles ne savent pas jouer de leur instrument.» Il est revanchard, le petit Baby G, faut pas lui marcher sur les doigts de pieds. Puis Andrew Innes rejoint Primal Scream.

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             Leur premier album s’appelle Sonic Flower Groove et paraît en 1987, en plein boom des futals de cuir noir. Dès le «Gentle Tuesday» d’ouverture de balda, on sent un léger problème : Baby G n’a pas de voix. Ce qui semble logique, vu son extrême jeunesse. Ces sont les deux guitaristes Throb et Innes qui mènent le bal. Mais le loup - c’est-à-dire la voix - n’y est pas. Ça reste de la pop d’agneaux blancs comme neige. Baby G chante comme une savonnette. Bizarre qu’il ne s’en rende pas compte. Il est assez pénible sur «Sonic Sister Love», et les cuts suivants ne valent guère mieux. On sent une volonté Velvet dans «Love You», mais dès que Baby G ouvre le bec, il ruine tout. Il se prend pour les Ronettes et ça devient très compliqué, pas pour lui, mais pour l’auditeur qui au vu de la pochette s’attendait à entendre du beau gaga de Glasgow. Baby G fait encore son cirque dans «Aftermath» et bat tous les records d’immaturité.

             Beattie quitte le groupe après Sonic Flower Groove. Il emporte avec lui le son de sa douze. Il ne voulait pas quitter Glasgow, alors que Baby G, Throb et Innes voulaient se barrer. Pour Primal Scream, il faut tout reprendre à zéro. Ils décident d’aller plus sur un son twin guitar attack comme dans le MC5. Ça tombe bien, car Throb ne porte plus que du cuir noir, et il peut jouer aussi bien que Johnny Thunders et Wayne Kramer. Pour la voix, ça reste compliqué.

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             Leur deuxième album sans titre paru sur Creation vaut vraiment le détour. Plus rien à voir avec le soufflé raté du Sonic Flower Groove. Cette fois, ça vole assez haut. «Ivy Ivy Ivy» éclate au Sénégal avec des chœurs de Dolls. Ils remontent dans le heavy power d’Ivy Ivy Ivy comme des saumons, c’est un vrai smash et cette fois la voix de Baby G colle mieux à la réalité, Throb et Innes ramènent les meilleurs power chords d’Écosse. On voit arriver des clap-hands sur le tard et ça devient du pur Mary Chain. C’est Andrew Innes qu’on voit sur la pochette avec sa Les Paul. La fin d’Ivy sonne comme une fabuleuse descente aux enfers d’aw aw aw avec un Throb all over the sound. Puis Baby G se remet à chanter comme la reine des brêles dans «You’re Just Dead Skin To Me». Il aurait fallu l’empêcher ce chanter. Ils tentent ensuite de sauver l’album avec «She Power» et renvoient Baby G au front. Quelle erreur ! Si on ouvre le boîtier, on tombe sur une photo de Baby G, encore une erreur. Il faut aller à l’intérieur du dépliant pour trouver une photo de Throb torse nu avec sa Les Paul blanche. Baby G se prend encore pour un chanteur dans «I’m Losing More Than I’ll Ever Have». Pire encore : il se prend pour un Soul Brother. Throb sauve le cut avec un killer solo flash. Ils tapent ensuite «Gimme Some Teenage Head» sur les accords du MC5. Ils tapent dans la caisse. C’est la came de Throb. Il joue les accords de «Kick Out The Jams». Le pauvre Baby G est embarqué comme un fétu de paille. Ils font une cover du «99th Floor» des Moving Sidewalks. Puis il tapent «Lone Star Girl» au heavy glam. C’est le même son qu’Ivy Ivy. Les tornades noient la voix de Baby G, donc ça passe. Encore une énormité avec «Sweet Pretty Thing» amené au heavy drumbeat de Glasgow. Ça joue au c’mon now, Throb ramène le power, c’est lui l’âme du Scream.

             Ils enregistrent cet album avec le batteur Toby Tomanov, un vétéran de toutes les guerres et ex-junkie. Pendant l’enregistrement d’«Ivy Ivy Ivy», Toby et Throb disparaissent un moment et quand ils reviennent dans le studio, il est évident nous dit Baby G que Toby had shot Throb up with some smack. Cette nuit-là Thob a joué comme un dieu, et il continuait à jouer quand le groupe s’arrêtait.

             En 1988, McGee dit à Baby G que plus personne ne s’intéresse à la musique que joue Primal Scream - It’s so old-fashioned, personne ne veut plus écouter ça - Mais ils continuent de jouer et de se doper, Baby G est fier de son groupe et de ses «two great guitar players on Les Pauls blasting through hundred-watt Marshall stacks.» Ce soir-là, Andrew Innes monte sur scène tellement défoncé qu’il oublie de se brancher. Ce sont des kids au premier rang qui l’alertent : «You ain’t plugged in mate !».

             Tenement Kid s’achève sur Screamadelica. Baby G envisage sûrement un deuxième volet, comme le fit avant lui Brett Anderson qui pour son premier volet autobiographique s’arrêtait aux portes du succès commercial de Suede. Baby Gillespie utilise la même ficelle de caleçon mais il en profite pour dresser une étrange apologie de l’acid-house qui, faut-il le rappeler, nous a tous bien barbés à l’époque. On appelait ça les machines, et Screamadelica est un album de machines.

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             Alors que les cuts des deux premier albums sont composés sur des guitares, ceux de Screamadelica le sont sur un piano. Throb adore Carole King et Brian Wilson. Pour Baby G, Screamadelica est un song-based record. Cause toujours. Il faut bien dire qu’il en pince surtout pour l’acid-house. Ils vivent à Brighton et vont traîner dans les acid house clubs. Throb rechigne un peu, il appelle ça du fucking disco shit. Dans les acid house parties, Baby G découvre une étrange forme de fraternité - No one is a stranger on ecstasy. It’s a chemical brother- and sisterhood - Il a l’impression de vivre encore une fois les plus grands moments de sa vie sur les danceflloors de l’acid house phenomena, some of the greatest, most transcendant, connected and soulful moments of my life - C’est pourquoi il compose «Don’t Fight It Feel It». Ah les dancefloors ! Que deviendrait-on sans les dancefloors ? Comme si on n’avait pas bien compris, Baby G en rajoute une petite couche : «To me, acid house culture was a joyful celebration of underground resistance, not with guns, bullets and bombs but with love, drugs, great music, sex and righteous youthful energy.» Et pour enfoncer son clou (rappelons que le destin du clou est d’être enfoncé), Baby G affirme ceci : «Nous n’aurions jamais connu le succès sans l’acid house. Screamadelica n’aurait jamais pu exister sans l’acid house. Primal Scream n’aurait jamais eu une carrière de trente ans sans l’acid house.»

             Alors arnaque ou pas arnaque ? On est encore nombreux à se poser la question. Mais pour ceux qui ne supportent pas les machines, la réponse est claire. Mis à part le «Movin’ On Up» d’ouverture de balda, c’est de l’electro. «Movin’ On Up» est un joli cut de Stonesy, mais le loup, c’est-à-dire la voix, n’y est pas. Ils refont les chœurs de «You Can’t Always Get What You Want» avec un solo de Throb. On imagine le carton qu’aurait fait le Scream là-dessus avec un vrai chanteur. Ensuite, les machines arrivent et Baby G chante comme une casserole sur le «Slip Inside This House» du 13th Floor et tout ce qui suit. Une vraie malédiction. Quelle arnaque ! Les gens considèrent Screamadelica comme une album classique, mais c’est une catastrophe épouvantable. On se sent puni d’écouter ça. C’est l’album des caprices de jeunesse de small Baby G.

             Il faut aussi saluer le style parfois ronflant de big Baby G. Quand il évoque l’English Disco club de Rodney Bingenheimer à Los Angeles, il parle «d’underground freaks like Kim Fowley, New York Dolls ans Iggy Pop carroused with superstars like Led Zeppelin and Quaalude-damaged teen queen glam-rock groupies like Lori Maddox ans Sable Starr.» Il voit aussi arriver «a bunch of Hollywood post-hippie cocaine cowboy cognoscenti» qui vient assister au tournage d’une vidéo de Neil Young. Ailleurs il met le turbo sur le langage musical : «Cool young people into sharp threads and the latest US soul imports. Swap speed for ecstasy and Sue, Tamla and Stax records for Trax, DJ International and Carnaby Street, King’s Road for Hyper Hyper, Ken Market, Browns, South Moulton Street and you get the picture.»

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             Pour saluer la parution de Tenement Kid, Jon Mojo Mills accorde six pages à Baby G dans Shindig!. Le principe de l’interview permet à Baby G de brosser des panoramas complémentaires, comme par exemple celui des groupes anglais des années 80 qui à ses yeux reflétaient la cupidité et la vulgarité du Thatchérisme. C’est pour ça qu’il a rejoint les Mary Chain qui incarnaient l’exact opposé de cette vulgarité - We wanted something more underground, more authentic, more deranged, more poetic and more righteously sincere - Et il ressort ses modèles Syd barrett, Sky Saxon et Arthur Lee. Puis dans un deuxième souffle Jim Morrison, Lou Reed et Iggy Pop - The Stooges were like a godhead band for us - Et puis les Cramps. Il revient aussi sur l’acid house : ça se passait dans les clubs avec les meilleures drogues de l’époque - Ecstasy was a great drug. It was just such an utterly exciting time. And it was vital in the way that rock music had ceased to be - Comme Mojo Mills l’entraîne sur le terrain de la relève, Baby G cite l’exemple de Sam France, le mec de Foxygen. Il dit n’avoir jamais vu quelqu’un d’aussi brillant et pouf, le groupe s’est dégonflé comme un ballon de baudruche. Et pour lui, la relève, ce sont surtout les rappers noirs américains, the rock stars of today. Et comme Mojo Mills le branche sur le style vestimentaire, Baby G cite ses références : Johnny Thunders; Peter Tosh, Gregory Isaacs, Bryan Ferry 1974-78, Gene Vincent, Elvis et John Lydon.

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             À l’époque, les gens reprochaient au Scream d’avoir collé un drapeau confédéré sur la pochette de Give Out But Don’t Give Up. En fait, l’album était enregistré chez Ardent à Memphis et pour entrer en osmose avec la légende de Memphis, le Scream avait opté pour une photo de Bill Eggleston. De la même façon que sur les albums précédents, Baby G ruine pas mal de cuts à commencer par «Jailbird». Il jongle avec les clichés du genre monkey on my back. C’mon, oui c’est ça, t’as raison. Ils tapent «Rocks» au beat rebondi mais la voix de Baby G ne passe pas la rampe. Dommage car le cut est bon - Get the rocks out honey - Le coup de génie des Scream est d’avoir enrôlé George Clinton. C’est la raison pour laquelle on tombe sur «Funky Jam». Baby G se met à hurler comme un poulet décapité, il a dû faire marrer les mecs d’Ardent. Son magique mais ça n’a plus rien à voir avec Memphis. Denise Johnson vient sauver «Free» et Baby G ruine un bel essai de Stonesy, «Call On Me». George Clinton et Denise Johnson déboulent dans le morceau titre et tout à coup ça devient génial. Elle éclate le heavy groove de give out. On se demande ce que ce heavy doom de funk fait ici, mais on se régale. Il faut aller sur un album de Primal Scream pour trouver du heavy funk dégénéré ? Eh oui.

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             Ils sont de retour en 1997 avec Vanishing Point. Mauvais départ avec un «Burning Wheel» tapé aux effets. Ça cache la misère. Ils font entrer un sitar, la batterie puis la voix de Baby G. Aucun attrait, aucune valeur artistique. C’est mal barré. Trop de machines encore dans «Kowalski». Comme il ne sait pas chanter, Baby G chuchote. Encore plus insupportable : «Out Of The Void», il chante en rampant. Pour «Stuka», ils ramènent tout le power du dub. C’est le bassmatic le plus pur qui soit, mais les machines ruinent tout. Retour à la terre ferme de la Stonesy avec «Medication». Here we go !  Baby G est plus çà l’aise, il fait son Jag à la petite semaine, mais dès qu’il élève la voix, il redevient ridicule. Mais c’est bien qu’il essaye. Ne perdons pas de vue qu’il est avant toute chose un fan de rock. Les solos de Throb sont eux aussi des preuves de bonne foi. Ils enchaînent avec une superbe cover de «Motorhead». Comme la voix de Baby G est noyée dans l’assaut, ça passe. Throb joue des tas de layers qui entrent en collision, ça explose dans tous les coins. Voilà le grand Scream. 

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             Pas mal de belles choses sur cet XTRMNTR paru en l’an 2000, à commencer par «Accelerator», authentique coup de génie. Le pauvre Baby G lance des c’mon dans la tempête, le son est poussé à l’extrême, mais pas la voix d’orvet de Baby G. Ce sont les autres qui font le son. Il faut dire que cet «Accelrator» remonte le moral car il arrive aussitôt après cette daube immonde qu’est «Kill All Hippies». Ils font n’importe quoi et toujours ce pas de voix. On n’entend que ça, le pas de voix. Bizarrement, sa voix passe mieux sur «Swastika Eyes», car il chante à ras des pâquerettes. Bon d’accord, on entend des machines et des spoutniks, mais c’est plutôt dans l’esprit d’Hawkwind, ce qui est un bon esprit. Instro de fantastique allure, «Blood Money» est bien plus puissant sans la voix. Ils rendent plus loin un bel hommage à Sun Ra avec «MBV Arkestra» et une belle poussée de fièvre. Retour aux valeurs sûres avec un «Shoot Speed/Kill Light» claqué du beignet par Throb, un space invader à la mode Hawkwind. Aw comme c’est bien balancé !

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             Paru en 2002, Evil Heat pourrait bien être le meilleur album du Scream. Les coups de génie y grouillent comme la vermine sur la peau d’un bagnard. Et paf, après quatre cuts calamiteux (dont une tentative foireuse de Kraftwerktisation des choses à coup d’Autobahn), tu prends «Rise» entre les deux yeux. Riffé au riff, c’est du big Scream monté sur le beat des vainqueurs. Belle dégelée d’outerspace, Rise ! Rise ! Ils tapent ensuite «The Lord Is My Shotgun» au heavy groove infectueux. C’est tout de même incroyable que ces mecs aient réussi à taper un cut aussi insidieux. Le petit Baby G fond dans la matière du son comme une noix de beurre dans une grosse poêle noire. Puis il chante «City» à l’avenant du bon gaga de Glasgow. C’est excellent car visité par le Throbbing Throb, here he comes ! Throb envoie des dégelées de guitares folles, power maximaliste, quand ça claque à la Throb, ça claque à la Throb, il est bon de le savoir. Ils tapent à la suite une énorme cover de «Some Velvet Morning», montée sur un heavy bassmatic d’electro, Baby G chante comme une fiotte, mais ça passe. Belle cover, Baby G ! Puis ils nous assaisonnent avec un coup de «Skull X» et ce petit démon de Baby G chante dans le vent de l’action. Il chante comme un Dylan qui serait en colère et ça devient tout simplement génial. Il est en plein vent, il chante face à la tempête, il est petit et frêle, mais il se tient droit, le small Baby G de Glasgow, il y va de bon cœur, c’mon baby do it again ! Le voilà au cœur du white heat de Scream. 

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             Le Riot City Blues qui paraît quatre ans plus tard est encore meilleur, ça explose dès «Country Girl», yeah ! ce démon de small Baby G fait le chanteur au cœur de la meilleure Stoney d’Angleterre, full blast de Scream, ça pousse dans l’ass des dieux du rock, ils ont trouvé le moyen de revitaliser la Stonesy et ça devient génial. On peut même dire qu’ils outrepassent la Stonesy, ils vont beaucoup plus haut, c’est très spectaculaire, tu ne t’en relèves pas, ils jouent avec une puissance rarement égalée, Country girl forever ! L’autre coup de génie de l’album s’appelle «The 99th Floor», explosé d’entrée de jeu, avec une montée en puissance inexorable, wild gaga shaking all over, c’est violent et beau à la fois. Small Baby G est dedans jusqu’au cou, il chante à la toute petite arrache, soutenu par les chœurs du diable. Ils restent dans la Stonesy pour «Nitty Gritty». la voix de small Baby G se noie dans l’excellence du sugar. Ça explose encore avec «When The Bomb Drops». Forcément, avec un titre pareil, ça ne peut qu’exploser. Small Baby G se tient bien au chant, il s’équilibre bien dans la fournaise, sa voix finit enfin par passer, comme si elle avait mué. Il sonne comme un petit imposteur, mais le rock grouille de petits imposteurs. Ça veut dire en clair que les vraies voix ne courent pas les rues. On les connaît et malheureusement pour lui, small Baby G n’en fait pas partie. Mais il a bien d’autres qualités, à commencer par la ténacité, car il faut du courage pour chanter sans voix dans un groupe comme Primal Scream. Ils se tapent plus loin une rasade de boogie avec «We’re Gonna Boogie», le boogie du Garbage Man, infiniment bon. Puis on reprend en pleine poire «Dolls (Sweet Rock’n’Roll)», small Baby G fait son shouter gaga à gogo et il fait illusion. Throb vole à son secours et gratte ses poux au génie pur. Le Scream jette tout son poids dans la balance et n’a jamais été aussi bon.

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             Paru en 2008, Beautiful Future est le premier des albums post-Throb. Apparemment, Innes veille au grain, car l’album tient sacrément bien la route. Baby G vise la postérité dès le morceau titre, on le sent très motivé, après quelques années de vaches maigres. Puis on est surpris par le souffle de «Can’t Go Back». Ils tapent dans l’extrême power absolutiste avec un killer solo flash in tow. Le groupe se compose d’Innes, Martin Duffy, Darren Mooney au beurre et Many on bass. C’est vite avalé et ça presse bien sur la purge. Les basses n’ont encore jamais sonné comme ça en Angleterre. Baby G chante presque bien. Ces mecs sont capables de rallumer la flamme. Ouf ils sont enfin débarrassés de l’acid house. Avec «The Glory Of Love», ils replongent dans le glam, le fucking Glam des origines, oh oh oh ça sonne comme du Bolan, ils lui rendent un sacré hommage. Chapeaux bas, les gars. Ils enchaînent avec un «Suicide Bomb» suicidaire, au bon sens du terme, ils ont une présence énorme, on peut leur confiance, après toutes ces années. Baby G est un vrai gamin, il y va de toutes ses forces. Cu’mon, c’est du pur jus de cu’mon ! Ils restent dans le heavy Scream avec «Zombie Man», authentique purée de heavy Stonesy, ils vont chercher la meilleure Stonesy d’Angleterre, avec des développements inespérés au nah nah de Zombie man. C’est un big album, bardé de son, comme le montre encore «Beautiful Summer», un nouveau modèle de heavyness. «I Love To Hurt (And To Be Hurt)» est amené au deep savoir-faire du Scream, c’est beau et plein d’esprit. Puis Baby G chante «Over & Over» comme une casserole, c’est plus fort que lui, il ne peut pas s’en empêcher. Back to the slam in the face avec «Necro Hex Blues». Ils adorent percuter de plein fouet. Baby G pose sa voix de Glasgow kid sur l’enclume pour recevoir les coups de marteau et les solos d’Innes sont fabuleusement incendiaires. Il garde le feu sacré du no way out, ça devient une occlusion attestinante d’effarence inclusive, un vrai shot de trash-boom uh-uh. Une façon comme une autre de dire qu’Innes fout le feu.

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             Sur la pochette de More Light, Baby G fait le lapin. Ça vaut le coup de rapatrier l’édition spéciale qui propose un deuxième CD, Extra Light. Étant donné que le groupe vieillit bien, il ne faut pas s’en priver, ce serait trop bête. Deux bombes sur More Light : «Turn Each Other Inside Out» et «It’s Alright». Le Turn Each Other est monté sur un big drive de basse infiltré par des guitares, avec une volonté d’hypno clairement affichée. Ça monte encore d’un cran avec «It’s Alright» et sa production à la Jimmy Miller, du shuffle à la surface du son et du piano en dessous, it’s alright, it’s okay, pur jus de Sticky Fingers, avec le développent du bassmatic, et il y va le Baby G, il est sur la crête, il mène bien le bal, and you cry ooh la la, il chante son couplet magique d’une voix d’ado et ça devient un vrai coup de génie. Par contre, il chante mal sur «River Of Pain», il concocte des effets de voix qui te mettent mal à l’aise. Il chante en chuchotant. Dommage. Il chuchote encore sur «Culturecide», c’est battu comme plâtre et le Scream joue le heavy doom. Pour ça, ils sont imbattables en Angleterre. Ils sont sans doute les derniers à pouvoir sortir un son aussi massif. On entend un solo de sax dans «Hit Void», et dans «Tenement Kid», Baby G se prend pour une star. Il exploite la misère de ses parents, il sonne comme un parvenu, c’est très bizarre, I don’t know why. Il est même assez ridicule sur ce coup-là. Puis avec «Invisible City», il nous fait le coup de - pardonnez l’expression - l’atroce merdier new-wave, c’est n’importe quoi, avec des crack-house zombies et des one night stands, tous les clichés à la mormoille - Profit freak/ Nazi radio/ Politicians/ Death TV - Et ça continue de péricliter avec une reprise de «Goodbye Johnny» qui est une insulte à Jeffrey Lee Pierce, puisqu’ils transforment cette merveille en fiotte de pop à la petite semaine. Ça donne la nausée, rien que de penser qu’un avorton puisse transformer l’art sacré de Jeffrey Lee Pierce en amusette acidulée. Gerbe assurée. Puis dans «Elimination Blues», il se prend pour un chanteur de blues, alors que derrière, semble-t-il, Robert Plant fait des ah-ooh et des eh-ooh. On aura tout vu. Dernier spasme d’ignominie avec un «Walking With The Beast» qui n’est heureusement pas celui du Gun Club, mais en tant que chanteur, Baby G s’y grille pour de bon. Il est d’une rare ingénuité, ce qui lui fait croire qu’il peut tout se permettre. Sur Extra Light, on trouve des remix et un «Nothing Is Real Nothing Is Unreal» chanté à ras des pâquerettes. Le cut est magnifique, comme incendié, une vraie cavalcade à travers le heavy rock britannique, c’est excellent car ça bombarde bien les tympans. Baby G chante toujours aussi mal, mais on se goinfre de son. Dans «Running Out Of Time», il chante comme un gamin qui débarque au bordel pour la première fois : il prend sa voix d’eunuque, c’est plus facile. «Worm Tamer» est mal chanté, dommage car le cut est puissant. L’immaturité règne sans partage sur Extra Light. Et puis le côté electro revient à la charge sur le remix de «2013». Des machines dans tous les coins et la dimension artistique disparaît complètement. Bizarre que ces mecs-là ne l’aient pas compris à l’époque où c’était à la mode. On ne cache pas la misère avec des machines, la misère n’en devient que plus prévalente et du coup elle devient une sorte d’emblème.

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             Le dernier album en date de Primal Scream s’appelle Chaosmosis et date de 2016. C’est le pompon. Baby G y chante de plus en plus mal. Et pour aggraver les choses, on ne voit plus que lui sur la pochette. Quand on l’entend chanter l’electro-beat atroce de «(Feeling Like A) Demon Again», on sent la moutarde monter au nez. Avec «I Can Change», il tente de se faire passer pour un chanteur de charme, mais c’est affligent. Il est nécessaire d’écouter cet album pour savoir jusqu’où Baby G peut aller trop loin. Il ne reste pas grand chose du Scream d’antan, cet album est celui d’une perdition artistique. Si on cherche un exemple de suicide commercial, il est là. Baby G se lance dans le balladif insidieux avec «Private Wars», mais ça fait mal aux oreilles tellement c’est mal chanté. Il aurait dû appeler cet album Déconfiture. Les machines sont de retour, sanctionnant la résurgence de l’horreur définitive («Where The Lights Get In») et avec «Carnival Of Fools», il passe à la diskö-pop de bubblegummer suprême. Quand il essaye de ramener du heavy sound avec «Golden Rope», on a du mal à le prendre au sérieux. Mais Innes est là, c’est seul cut rock de l’album, avec Darin Mooney au beurre et Jason Faulkner à la basse. C’est le dernier spasme du grand Scream. Dommage que Baby G le chante aussi mal. Il met sa voix au devant du mix et elle ne passe pas. Elle ne passera jamais. C’est une espèce de malédiction. Dès qu’il arrive au micro, tout s’écroule.

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             Pour les ceusses qui ne veulent pas s’encombrer avec des piles de CDs, il existe une compile du Scream très bien faite - Dirty Hits - sur laquelle se sont jetés tous les fans du groupe à l’époque, car on y trouve une version de «Some Velvet Morning» chanté en duo avec Kate Moss et qui fit sensation. On y trouve aussi tous les grands shoots de Stonesy («Movin’ On Up» et «Rocks»), des choses comme «Jailbird» passent beaucoup mieux dans ce contexte de double concentré de tomate. Bien sûr, les coups de génie figurent en bonne place : «Accelerator» et «Shoot Speed/Kill Light». Bizarrement les cuts de Riot City Blues brillent par leur absence. 

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             Dans Uncut, Michael Bonner centre son interview sur l’album que Baby G vient d’enregistrer en duo avec Jehnny Beth, Utopina Ashes, modelé sur les fameux duos country cités en exemple : George Jones & Tammy Wynette, Gram Parsons & Emmylou Harris, Waylon Jennings & Jessi Colter, Kate & Anna McGarrigle. Baby G cite aussi les Everly Brothers. Il indique ensuite de manière insidieuse qu’il existe aujourd’hui deux Scream, celui qui continue de tourner, et un Scream plus sédentarisé qui bosse en studio. C’est-à-dire Innes et lui. C’est Innes qui a déterré les fameux Original Memphis Recordings, enregistrés par Tom Dowd chez Ardent à Memphis, et qui ont été remixés par Jimmy Miller, un Miller qui selon Baby G a dénaturé le son. Puis Innes et lui ont compilé les singles pour en faire Maximum Rock’n’roll et maintenant voilà Utopian Ashes, un nouvel experiment. Baby G dit aussi adorer les rock books, il cite ses préférés : Rythm Oil et The True Adventures Of The Rolling Stones de Stanley Booth, le Papa John de John Phillips, le Chronicles de Dylan of course et son livre de chevet, Hellfire de Nick Toshes, car enfin existe-t-il une vie plus rock’n’roll que celle de Jerry Lee ? Bien sûr que non. Et bien sûr que oui, l’idée d’un tome 2 de Tenement est dans l’air.

    Signé : Cazengler, Primate scream

    Primal Scream. Sonic Flower Groove. Elevation Records 1987

    Primal Scream. Primal Scream. Creation Records 1989

    Primal Scream. Screamadelica. Creation Records 1991

    Primal Scream. Give Out But Don’t Give Up. Creation Records 1994

    Primal Scream. Vanishing Point. Creation Records 1997

    Primal Scream. XTRMNTR. Creation Records 2000

    Primal Scream. Evil Heat. Sony 2002

    Primal Scream. Riot City Blues. Sony 2006

    Primal Scream. Beautiful Future. B-Unique Records 2008

    Primal Scream. More Light. First International 2013

    Primal Scream. Chaosmosis. First International 2016

    Primal Scream. Dirty Hits. Columbia 2003

    Bobby Gillespie. Tenement Kid. Orion Books Ltd 2021

    Jon Mojo Mills : A child of Glam. Shindig! # 121 - November 2021

    Michael Bonner : Where this rage comes from. Uncut # 290 - July 2021

                                                  

    Pas de filles au Harum

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             On a longtemps considéré à tort Procol Harum comme un groupe prog. C’est une erreur souvent due à l’ignorance. Quand on a écouté les albums de Procol, on sait qu’ils n’ont à rougir que d’une seule suite prog, l’insupportable «In Held Twas In I» qui flingue la B de Shine On Brightly et celle du fameux Live paru en 1972 et dont on attendait tant à l’époque. Une fois qu’on leur a pardonné cette incartade, on peut se plonger dans leur monde qui est celui d’une pop extrêmement mélodique, plutôt unique en Angleterre, qu’on dirait ancrée dans le XIXe siècle et les fastes de la cour viennoise.

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    L’album Grand Hotel en est la parfaite illustration, car nos amis du Harum s’y pavanent en fracs et en chapeaux claques, tout droit sortis d’un roman d’Hugo Von Hofmannsthal. D’ailleurs, ça tombe bien, car l’album tient bien son rang, aussitôt la perfection symphonique du morceau titre. Un certain Mick Grabham a remplacé Trower of London qui était le guitariste co-fondateur du groupe. Le thème de ce «Grand Hotel» est superbe, très viennois dans l’esprit. Il évoque la démesure de la valse des Habsbourg, telle que la filma jadis l’impérissable Luchino Visconti. Bien sûr, une certaine forme d’intimité avec les écrivains français et autrichiens de l’Avant-siècle facilite énormément la fréquentation du Harum. Il règne dans ses albums comme dans ces livres la même perfection stylistique, un goût comparable pour la mélancolie et la mort, la Mort à Venise, bien sûr. Revenons au Grand Hotel avec «For Liquorice John» - He fell from grace and hit the ground - un cut d’une beauté profonde qui nous entraîne soit vers le néant, soit vers la lumière, tout dépend comment on est luné. Et puis le coup de grâce arrive avec «Fires (Which Burnt Brightly)» - Let down the curtain/ And exit the play - sur lequel chante Christiane Legrand des Swingle Singers et des Double Six, la sœur de Michel Legrand, oh la lah, comme dit Gary Brooker au dos de la pochette. Christiane Legrand fait entrer au Harum sa magie vocale ! Robert Wyatt fait en gros la même choses dans «Old Europe» - Juliette and Miles/ Black and white city

             Si on ressort les albums du Harum de l’étagère, c’est pour dire adieu à Gary Brooker qui vient de casser sa pipe en bois. Cet excellent compagnon de route nous tint la jambe pendant sept belles années, de 1967 à 1974. On s’est arrêté en 1974 avec Exotic Birds & Fruit, mais eux ont continué. Comme Robert Wyatt, Gary Brooker a su nous rappeler que l’Angleterre était aussi le pays des grands mélodistes et grâce à quelques albums, il s’est taillé une place de choix dans l’étagère. Curieusement, les albums du Harum n’ont jamais fait l’objet de purges staliniennes, même au temps du punk. On savait qu’en les réécoutant, on ferait de nouvelles découvertes. Il faut dire qu’à l’instar de ceux de Dylan, les albums du Harum sont extrêmement bien écrits. La force du Harum fut d’avoir dans ses rangs un écrivain, l’ineffable Keith Reid.

             Une autre façon de voir les choses : l’œuvre toute entière du Harum tient entre deux serre-livres : «A Whiter Shade Of Pale» et «As Strong As Samson», c’est-à-dire entre We skipped the light fandango et l’Ain’t no use in preachers preaching, ce qui veut dire en clair entre le premier album paru en 1967 et l’Exotic Birds & Fruit avec lequel nous décidâmes unilatéralement de refermer la lourde porte du Harum. Ou si le choix de «Whiter Shade Of Pale» paraît trop évident, on peut choisir d’un côté «Repent Walpurgis» et de l’autre «The Idol», deux somptueuses merveilles issues des mêmes albums. Pour aggraver le cas de la métaphore, on pourrait aussi prétendre que tout le rock anglais tient entre «Strawberry Fields Forever» et «Arnold Layne».

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             Aveuglés par l’éclat du Whiter Shade Of Pale, on ne rendait pas compte à l’époque à quel point ce premier album sans titre du Harum était génial. Une fois passée l’émotion causée par la pop d’orgue tentaculaire du morceau titre, on entrait dans le domaine frénétique de Trower of London avec «Conquistador» - Though I hoped for/ Something to find - Trower of London soliloque dans l’or de la matière et jette une poudre d’électricité dans le brillant shuffle du Harum. Mais c’est avec «Cerdes (Outside The Gates Of)» que Trower of London va conquérir l’Asie Mineure, avec cet amas de ramasse inspiré de «Season Of The Witch». Soudain, au revers d’un couplet, le Harum bifurque dans le Procol électrique, avec le chant étrange et pénétrant d’un Gary Brooker paré pour la postérité. Ah il faut entendre Trower of London mettre la pression au cœur d’un shuffle princier. Le Harum n’en finit plus de culminer. Des choses comme «Kaleidoscope» et «Salad Days» ont moins d’impact, mais Gary Brooker les chante à l’accent conquérant et il mène d’une main de maître cette pop ambitieuse et fabuleusement orchestrée. Trower of London revient envahir l’espace mélodique de «Repent Walpurgis» et le Harum atteint là le sommet de l’insularité, la pop anglaise éclaire le monde, Walpurgis sonne comme un ersatz d’excelsior parégorique, un laudanum de petroleum, un solace de Liberace. 

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             On ne se lasse toujours pas des attaques de couplets de l’«As Strong As Samson» qui fait d’Exotic Birds And Fruit l’un des albums phares de l’an de grâce 1974. Cette façon qu’a Gary Brooker de redescendre dans le preachers preaching est assez héroïque, mais il sait aussi se montrer entêtant avec ses orgues et ses pianos dans «The Idol». C’est un peu comme s’il commandait aux éléments. Et comme chaque fois, il opère une descente en forme d’épitaphe - And so they found/ He’d nothing left to say - Une autre idole d’argile. Toujours le même protocole, avec «Beyond The Pale», l’Harum s’enracine dans la culture symphonique de la Mitteleuropa, on est dans cet univers culturel qui brasse la littérature, l’art moderne et la psychanalyse. Plutôt que de choisir, pour orner la pochette, cette nature morte de Jakob Bogdani, Gary Brooker aurait pu opter pour un portrait à la feuille d’or de Gustav Klimt. Encore une évidence qui cache la forêt. Ah comme le destin des évidences peut être cruel !

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             Comme déjà dit, Shine On Brightly (1968) et Live - In Concert With The Edmonton Symphony Orchestra (1972) sont des moitiés d’albums, avec leurs B ruinées par la prog. On sent avec «Rambling On», qu’ils passent leur temps à tenter de renouer avec les fastes de «Whiter Shade Of Pale». Pendant ce temps, Trower of London ramène du blues avec «Wishing Well», qui du coup sonne un peu comme une concession de la part de ce grand symphoniste habsbourgeois qu’est Gary Brooker. Il veille cependant au grain de l’ivraie avec «Quite Rightly So». L’Harum sera symphonique ou ne sera pas.

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    Par contre, sur le live, la version orchestrée de «Conquistador» emporte la bouche aussi sûrement que le ferait un boulet d’abordage. Dave Ball a remplacé Trower of London parti lancer sa fiévreuse carrière solo. Mad Ball d’abordage joue une sorte de wild electric guitar, il semble encore plus démesuré que le compère Trower. Ils font ensuite monter le «Whaling Stories» symphonique à des hauteurs épiques, histoire de passer en force. Rien de tel qu’un orchestre symphonique pour passer en force. Mad Ball d’abordage joue comme un diable sur cette moitié d’album live. Ils sacralisent ensuite deux merveilles tirées du troisième album du Harum, l’excellent Salty Dog, à commencer par le morceau titre, amené aux accords de piano emblématiques, et le chant gorgé de mélancolie du grand Gray Brooker s’en va dériver au large. S’ensuit l’extrêmement bon «All This And More» éperdu de shining through - The bright light of your star confronts me/ Shining through - C’est là où la beauté de l’art peut te réconcilier (provisoirement) avec la vie. 

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             Oui, Bary Brooker est bien le maître des océans avec A Salty Dog. Il y a quelque chose de purement hugolien en lui, de la même façon qu’il y a quelque chose de purement verlainien en Keith Reid. Puissance homérique d’un côté, grâce sibylline de l’autre. La version studio d’«All This And More» paraît plus massive que la version symphonique, les poussées de fièvre y sont plus marquées, ainsi que l’aristocratie des membres du Harum. Ils retrouvent leurs aises grâce au gras double de Trower of London et s’offrent l’un des grands finals du siècle passé. On sent que Trower of London bout sous la surface de «The Devil Came From Kansas». Il prend l’allure d’un volcan éteint sur le point de se réveiller. Ce n’est pas non plus un hasard s’il ramène du heavy blues rock dans le «Juicy John Pink» qui ouvre le bal de la B, mais on perd tout le protocole du Procol.

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             Il reste encore deux albums coincés au milieu, Home paru en 1970 et Broken Barricades paru l’année suivante. Ce ne sont pas les meilleurs albums du Harum. Avec des choses comme «Whisky Train» (sur Home) et «Simple Sisters (sur Broken Barricades), ils se fondent dans la masse, ce sont des compos de Trower of London, plus musclées, pas loin de ce que faisait à l’époque un groupe comme Status Quo. Il faut attendre «Your Own Choice» pour retrouver la fibre poétique de Keith Reid - The human fate is a terrible place/ Chosse your own exemples - et «About To Die» nous ramène aux portes de la Mort à Venise. «Nothing That I Didn’t Know» tombe à point nommé pour nous rappeler que le son du Harum est unique en Angleterre. Et «Whaling Stories» nous emmène au large, au temps des baleiniers, chargé du soliloque exponentiel de Trower of London. Il peut atteindre des sommets.

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    Broken Barricades ne propose qu’une seule merveille intemporelle, «Song For A Dreamer», composée par Trower of London et qui par sa dimension aérienne évoque l’«Albatross» de Peter Green. Ils font encore un peu de boogie avec «Memorial Drive» et la mélancolie fait son retour avec «Luskus Delph». Mais on est surtout là pour les belles clameurs seigneuriales de Gray Brooker, telles qu’elles se répandent dans «Power Failure» et «Playmate Of The Mouth», deux œuvres magistrales arrosées de grandes lampées de son qui, pareilles à ces lames de Bermudes, s’en viennent mourir contre la coque. Broken Barricades est l’album heavy du Harum, mais chez eux, le heavy se fait avec élégance. C’est à Trower of London qu’échoit le privilège de clore l’album avec «Poor Mohammed», il le fait à la cloche de bois et s’en va chercher des noises à la noisette. Voilà donc un heavy boogie rock chanté à la mauvaise intention, avec un Trower of London qui gratte sa sale slide des faubourgs. Il entraîne le Harum sur la mauvaise pente du banditisme sonique, et personne ne peut rien pour empêcher ça.

    Signé : Cazengler, Procucul la praline     

    Gary Brooker. Disparu le 19 février 2022

    Procol Harum. Procol Harum. Regal Zonophone 1967

    Procol Harum. Shine On Brightly. Regal Zonophone 1968

    Procol Harum. A Salty Dog. Regal Zonophone 1969

    Procol Harum. Home. Regal Zonophone 1970

    Procol Harum. Broken Barricades. Chrysalis 1971

    Procol Harum. Live. Chrysalis 1972

    Procol Harum. Grand Hotel. Chrysalis 1973

    Procol Harum. Exotic Birds And Fruit. Chrysalis 1974

     

    L’avenir du rock

    - On ne tient pas les Endless Boogie en laisse

     (Part Four)

     

             L’avenir du rock apprécie par dessus tout les soirées qu’il passe chez Hag et ses amis historiens dans un appartement de la rue de Buci. Après un bon repas, ils se rendent au salon et se calent confortablement dans les deux vieux chesterfield installés en vis-à-vis. Hag sert à chacun un armagnac divinement parfumé et les compères se jettent dans l’exercice préféré de tous les érudits : la conversation à bâtons rompus.

             — Pourquoi sommes-nous tous si critiques vis-à-vis de notre époque ?

             — L’explication est pourtant simple, lance l’avenir du rock : nous avons connu ces périodes magiques que furent les sixties et les seventies.

             — Dis donc, avenir du rock, tu tombes dans le simplisme, maintenant ?

             — Oh il fallait bien que l’un d’entre-nous se dévoue.

             — Aurais-tu aimé vivre au Moyen-Âge, avenir du rock ?

             — Ah quel rêve ! Autant vous l’avouer, les amis, j’aurais rêvé de me mettre au service de la Sainte Inquisition, pas pour brûler des sorcières, rassurez-vous, mais pour livrer aux flammes du bûcher ces horribles fantoches hérétiques que sont Stong et Slosh !

             — Dis donc, avenir du rock, tu as la dent dure !

             — N’inverse pas les rôles : ce sont ces atroces frimeurs qui nous empoisonnent l’existence depuis plus de trente ans. Même chose avec le chanteur Bonus. Et toi Hag, à quelle époque aurais-tu aimé vivre ?

             — À Vienne au XVIIIe siècle, j’aurais pu voir Mozart en concert ! J’en aurais profité pour prendre une diligence en direction du Vaucluse et aller rencontrer mon idole le Marquis de Sade dans son château de Lacoste. J’en pince aussi sérieusement pour les années folles à Paris. Ahhhh traîner la nuit avec Duchamp et Man Ray ! Comme tous ces gens ont dû bien s’amuser ! Est-ce qu’une autre époque aurait les faveurs de ton cœur, avenir du rock ?

             — La temps de cavernes ! Pas de factures, pas d’impôts, pas de problèmes avec les gonzesses, tu les traînes par les cheveux dans ta caverne et tu les enfiles vite fait ! Pas besoin d’écrire des poèmes à l’eau de rose ou d’aller sur des sites de rencontres. Tu as un petit creux ? Tu sors avec ton gourdin et tu assommes un ours. Pas besoin de carte bleue, pas besoin de caddy. Boom, tu te tailles un steak et tu en profites pour te tailler un manteau de fourrure !

             — Oh toi, tu as trop lu Rosny aîné !

             — De toute évidence ! Et puis j’aurais eu comme voisin Paul Major !

     

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             Comme ses amis ne savent pas qui est Paul Major, l’avenir du rock sort de la poche de son veston un CD qu’il emmène partout avec lui.

             — Tiens Hag, si tu veux bien, mets ça dans ton lecteur de CD. Paul Major est le chanteur d’Endless Boogie, un groupe new-yorkais frappé par ce qu’il faut bien appeler la grâce préhistorique. Ça devrait vous plaire, les amis.

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             Frappé lui aussi par la grâce préhistorique de Paul Major, David Fricke s’enthousiasme. Il en fait quatre pages dans Mojo et les chapôte à coups de paleolithic riffing. Il remonte à la source de l’Endless Boogie, c’est-à-dire Jesper Eklow et Johan Kugelberg, deux Suédois qui bossent chez Matador à New York et qui chaque semaine se retrouvent dans un local de répète avec d’autres gens pour jammer l’Endless Boogie. Bon, l’histoire on l’a déjà racontée au moins deux fois ici, mais c’est bien de la raconter une troisième fois. Car l’avenir du rock se nourrit très précisément de ces histoires. Eklow pensait à l’époque que le monde avait besoin d’un combo that sounded like Neu! meets AC/DC. Alors ils empruntent l’Endless Boogie à John Lee Hooker et recrutent l’ideal frontman, Paul Major. Pas facile, car il faut le faire sortir de son appartement. Paul Major est un dealer légendaire in high-end psychédelia and small-pressing outsider rock, avec une connaissance encyclopédique de la musique et an epic cascade of dark hair. Paul Major donne son accord pour jammer chaque mardi. Fricke soigne ses références et parle de Blue Cheer-weight distorsion et de progressive blues-assault of the Groundhogs, de Can German’s heartbeat mélangé au rollin’ and tumblin’ de Canned Heat, avec comme cerise sur le gâtö, the cornered animal growl suggesting Captain Beefheart with Lou Reed monotone. Paul Major adore le son du groupe : «We’d get locked into that zone, one big thing swinging all around.» C’est exactement ce qu’on observe en concert. Ça clique et ça part. Paul Major décrit Endless Boogie «as Jesper’s aesthetic». Ils ont vingt-cinq ans d’écart (Major 67 et Jesper 52). Sweeney dit qu’Endless Boogie «is Jesper’s vision of what Paul should be doing». Il ajoute que selon Jesper, «Paul is the purest person. And we want to get this purity out of him.»

             C’est Stephen Malkmus qui les fait connaître au monde en 2001 en leur demandant de jouer en première partie de Pavement au Bowery Ballroom. C’est à partir de là qu’ils se mettent à tourner et à enregistrer. Et ça fait vingt ans que ça dure. Ils n’ont ni manager, ni booker, ni roadies.  

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             Their mystical simplicity is all over Admonitions, nous dit Fricke. Admonitions est encore un double album, ils ont besoin d’espace et de temps pour donner libre cours à l’endless boogie, leur concept tient sacrément bien la route, amené au raw de prehistoric Paul et au guitar licking libre de ses mouvements, ça dégorge à grosses lampées, comme un dégueulis de mal de mer et «The Offender» part pour 22 minutes, bienvenue sur les terres du Comte Zaroff, wild is wild viva Donovan ! Ça file droit dans l’hypno avec un Paul Major qui croasse comme un gator, ils visent à leur façon le no way tout, c’est un drug habit magnifique de résurgences, bien drivé à la tremblote de boogie down. Ils s’imposent comme les maîtres du jeu, on voyage avec eux, 22 minutes, ce n’est pas rien, si on part du principe que le temps c’est de l’argent. On n’accepterait ça de personne d’autre, même pas d’Hawkwind. Paul Major et ses amis s’égarent et se fondent dans l’avenir du rock. Il fait ensuite son Beefheart avec «Disposable Thumbs». S’ensuit un «Bad Call» supersonique. On voit bien qu’ils ne vivent que pour ça, pour le pré carré de la psychedelia. En même temps il faut savoir s’armer de patience, car on repart pour 9 minutes de dérive avec «Counterfeiter» qui vire vite Can. Avec «Jim Tully», ils jouent la carte de la lente montée en vrille, ils jouent le coup à la note insistante, pas de problème, c’est leur fonds de commerce. Ils ne savent rien faire d’autre que de  monter en vrille et Paul Major entre dans le lard du son avec la voix de Merlin l’enchanteur, une voix grave et chamanique, what have you done, il exhale les mots comme des vapeurs lumineuses, un prodigieux climat s’installe et il pose ses mots dans la fraîcheur d’un matin d’hiver au fond des bois, but it’s better now, et là tu auras tout ce que tu peux attendre de la vie, l’ambiance, l’emprise sur le temps, l’épaisseur humaine, aw better now, ces fantastiques jammers se répandent dans les 22 minutes d’élongation du domaine de la hutte et ça scratche sur les cordes de la Les Paul, les notes se croisent et s’écrasent en une purée d’élévation lymphatique, on comprend alors exactement ce que font les Boogie-men, ils taillent leur route dans le son, ça joue dans les règles du lard fumant à la note éviscérée, ils pleurent toutes les larmes de leurs corps et le beat se dresse dans les fumées thuriféraires, on se croirait au fond d’un temple perdu dans la jungle. Tu les suis si tu veux, mais tu n’es pas obligé, vas-y, vas-y pas, c’est ton choix, nous on continue car le monde de Paul Major nous plaît infiniment, même s’il s’engage parfois dans les ornières du déjà vu. On se souviendra de «Jim Tully» comme d’une jam sans fin, de celles qui t’accompagnent jusqu’à l’aube. Paul Major joue son vieux va-tout dans la fournaise du jamming. C’est tout de même incroyable que ce jamming si intime puisse s’ouvrir au monde et intéresser les gens. Endless Boogie sur scène, oui, quand tu es défoncé, mais sur disque, c’est un peu spécial. Avec «The Conversation» tu t’embarques encore pour un certain temps, mais nous n’irons pas nous plaindre, même si se plaindre est devenu le sport national. Ils terminent avec «Incompetent Villains Of 1968», un dark doom un peu étrange monté sur un petit thème qu’altère la disto. Il semble que Paul Major ait décidé de faire claquer son goût pour le coït sonique. Admonitions est un album d’outsiders définitifs.

    Signé : Cazengler, Endless boudin

    Endless Boogie. Admonitions. No Quarter 2021

    David Fricke : Endless Boogie. Mojo # 336 - November 2021

     

     

    Inside the goldmine - Love is in the air

     

             Baby Love aimait les hommes. Elle avait cette chance que beaucoup de femmes n’ont pas. Pour elle, une relation devait se vivre au sens large, comme s’il se fût agi d’universalisme. Embrasser son mec, c’était une façon d’embrasser l’univers. L’acte de donner du plaisir revêtait chez elle une dimension christique. L’amour charnel relevait du sacré, même dans son animalité. Il suffisait de ne pas la quitter du regard au moment des ébats pour mesurer cette grandeur d’âme. Elle se riait des tabous et ne ratait pas la moindre occasion de donner libre cours à sa fantaisie, qu’on soit sous l’emprise d’alcool ou de drogues. Sa quête d’une relation parfaite passait bien sûr par la prise de risques. Le jeu consistait parfois à rouler la nuit en ville, nus jusqu’à la ceinture, et nous livrer à toutes sortes d’acrobaties tout en remontant les avenues. Chaque sortie au restaurant était en fait prétexte à aller baiser comme des animaux dans les gogues. Baby Love se voulait initiatrice d’un culte de son invention. Elle développait sans même le savoir cet érotisme littéraire qui fit la grandeur d’érotomanes du calibre de Georges Bataille. On évoluait dans cette région de la pensée où l’intelligence se nourrit de la libido et réciproquement. Curieusement, il n’y avait pas la moindre trace d’intellectualisme en elle, au contraire. Bataille, Sade ou Molinier ? Ça ne l’intéressait pas. Ça ne pouvait pas l’intéresser. Elle ne s’intéressait qu’au vivant, qu’à l’instant présent, qu’à cette braguette qu’elle ouvrait doucement. Nous nous installâmes dans un bel appartement, au-dessus d’une pharmacie. Nos voix résonnaient dans les vastes pièces vides. Les trois stères de bois de chauffage déversées dans l’allée restèrent en tas dans l’allée. Nous savions que nous ne les utiliserions pas. La spirale universaliste nous entraînait toujours plus loin. L’empire des sens nous détachait lentement mais sûrement de la réalité. Revenir en arrière n’était plus possible. Au jour de l’an cette année-là, elle indiqua que le cadeau se trouvait dans le coffre de la voiture, au garage. Nous descendîmes avec nos verres de champagne et elle ouvrit le coffre : s’y trouvait une grande longueur de tuyau plastique enroulée et un rouleau de ruban adhésif. Nous branchâmes de tuyau sur le pot d’échappement et nous installâmes confortablement à l’intérieur de la voiture pour y mourir ensemble, selon son vœu d’éternité.        

     

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             Le destin de Mary Love n’est pas beaucoup plus enviable. Ady Croasdell nous raconte son histoire dans le booklet d’une compile Kent, Lay This Burden Down - The Very Best Of Mary Love, parue en 2014 : cette petite black eut le malheur de naître dans un environnement d’une violence extrême, la mère de 16 ans qui se barre et le beau-père qui bat la gamine. Comme toujours dans ces histoires de familles black qui tournent en eau de boudin, c’est la grand-mère qui fait la sauveuse. Mary Love vit quelques années de répit avec sa grand-mère avant de replonger plus tard en enfer, lorsqu’adolescente elle retourne chez sa mère. Mais cette fois elle est en âge de se faire sauter par le beau-père qui, comme beaucoup de beaux-pères, a une bite à la place du cerveau. Elle finit par atterrir dans le Junvenile System of the State of California, à Sacremento. Qu’elle soit encore en vie à l’adolescence relève du miracle.

             Elle a 17 ans quand elle participe à un concours de chant dans un club de Sacremento. J.W. Alexander qui est le manager de Sam Cooke la repère et c’est ainsi qu’elle démarre une carrière qui va faire d’elle une starlette de la Northern Soul. D’où Ady Croasdell et d’où la compile Kent. Mary Love va bien sûr se marier, trois fois, et avoir des enfants. Elle fricote un temps avec le cultissime Rudy Ray Moore, elle décroche même un petit rôle dans Dolemite, où elle chante deux cuts («When We Start Making Love» et «Power Of Your Love», présents sur la compile), et dans les années 80, elle a comme tout le monde sa petite période alcool, coke et crack, jusqu’au moment où elle rencontre Brad Comer, l’amour de sa vie. Brad et elle décident de se consacrer à God. Ils montent une petite congrégation à Moreno Valley, cent bornes à l’Est de Los Angeles et la congrégation grossit très vite, hundreds, then thousands nous dit Ady. Mary Love devient Mary Love Comer, elle enregistre à nouveau sur Co-Love Records et tourne éventuellement la tête des fans de Northern Soul en Angleterre, à commencer par Ady Croasdell qui réussira à faire venir le couple en 1993 pour un Northern Soul weekender at Cleethorpes. Mais comme Mary Love n’est pas faite pour les contes de fées, Brad Comer trouve another love et Mary Love se retrouve une fois de plus le bec dans l’eau.

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             Le première chose qu’on fait quand on écoute Lay This Burden Down - The Very Best Of Mary Love, c’est aller chercher les deux cuts de Dolemite, «When We Start Making Love» et «Power Of Your Love». Le deuxième n’éveille rien de particulier mais le premier réveille les bas instincts. On se sent bien auprès de Mary Love, elle groove à la volée et un guitariste l’accompagne. Elle chante par-dessus les toits du Start making love, elle simule le commencement de la pénétration, elle colle bien aux aspérités, just me and you, et jette toute sa passion dans l’expressionnisme. Au fil des cuts, on constate qu’elle est bonne dans tous les coups, elle se fond dans le moindre repli de la Soul d’expression corporelle. On voit pas mal de photos d’elle dans le booklet, elle cherche à plaire, toujours très coiffée, avec un petit air sexy. À l’époque de Co-Love, elle fait du diskö-funk, elle se faufile comme elle peut dans «Come Out Of The Sandbox» et le «The Price» qui referme la marche enterre une grande chanteuse qui s’appelait Mary Love. Ses coups de Jarnac datent de l’époque Modern. Elle y rivalisait directement de Sugar Love avec les Supremes, comme le montre «You Turned My Bitter Into Sweet». Elle chante au sucre avec tout le revienzy de Motown. Même chose avec «Hey Stoney Face», elle y dépasse même les Supremes, elle prend ça au stoney face, c’est puissant, chanté à la Love. Et ça continue sur la même lancée avec «I’ve Gotta Get You Back» qu’elle développe au sugar des Supremes. Mary Love forever ! Elle fait aussi du Modern Sound avec «I’m In Your Hands», véritable shoot de rentre-dedans, elle allie le raw au sugar, c’est assez rare. Elle récidive avec «Let Me Know» qu’elle pulse à l’excellence, elle en swingue chaque syllabe à la science infuse de Sugar Motown, elle roule ça dans sa farine de légendarité au point que le langage s’oblitère, car ça ne s’écrit pas, ça se danse. Elle passe par tous les biseaux, oh oh. Même quand elle fait du sexe avec «Move A Little Closer», elle tient son rang. Elle cultive l’optimum en permanence. Elle opère un grand retour aux Supremes avec le morceau titre - I made up my mind hey-ey - Puis elle rend hommage à l’homme avec «Talkin’ About My Man» - Oh oh he’s so good to me/ I’m talkin’ bout my man - et elle ajoute : «He always pleases me.» Elle attaque son «Dance Children Dance» comme Aretha, elle a le même instinct de Soul Sister et puis voilà qu’elle duette avec Arthur K. Adams sur un «Is That You» dégringolé au heavy sludge de guitar dingling. Tout est solide dans cette compile, on comprend que les Anglais soient tombés amoureux de Mary Love.

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             La compile Kent Then And Now qui date 1994 fait un peu double emploi avec la précédente, car on y retrouve ses grands numéros de saute au paf («I’m In Your Hands», «Move A Little Closer»), on la revoit battre les Supremes à plates coutures («Let Me Know», «Hey Stoney Face», «Lay This Burden Down», «I’ve Gotta Get You Back»), on la revoit remonter les bretelles de la Soul avec «Satisfied Feeling» et se rapprocher de Dionne la Lionne en explosant «Baby I’ll Come», le tout agrémenté de cuts de diskö funk plus tardifs. On devra se contenter d’un «Mr Man» qu’elle tape au groove de charme, elle y fait du Marvin au féminin. Dans le booklet, on trouve d’autres photos d’elle coiffée en blonde, mais beaucoup plus sexy qu’Etta James. Mary Love paraît heureuse sur scène.

    Signé : Cazengler, fort marri

    Mary Love. Then And Now. Kent Soul 1994

    Mary Love. Lay This Burden Down. The Very Best Of Mary Love. Kent Soul 2014

    *

    Après l’extérieur, l’intérieur. Après Dylan vu par les autres, voir livraison 548 de la semaine dernière, Dylan par lui-même. Ce n’est pas que celui qui parle a toujours raison, c’est que son témoignage est à verser au dossier de l’inquisition au même titre que tous les autres, avec toutefois cette nuance : l’on n’est toujours trahi que par soi-même.

    CHRONIQUES

    BOB DYLAN

    ( Folio 5091 / 2006 )

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    Le titre anglais est davantage explicatif, Chronicles, Volume one, au moins l’on attend la suite qui n’est pas encore parue. Dylan prend son temps, à quatre-vingt piges passées peut-être veut-il nous faire le coup des Mémoires d’Outre-Tombe à la Chateaubriand. Elles ont toutefois été livrées au public avant sa mort, ce qui nous laisse un peu d’espoir de voir les tomes suivants paraître incessamment sous peu. Je me permets d’évoquer l’immortel créateur de René et Atala car Bob Dylan le cite dans son livre. Question caution littéraire, il est difficile de faire mieux. Que l’évocation de ces mémoires ultra-tombales ne nous induisent pas en erreur : le livre de Dylan n’est en rien une autobiographie. Cela est spécifié dès le titre : chroniques. Ce terme indique un certain détachement vis-à-vis de la réalité existentielle de son propre vécu. Dylan ne se raconte pas, il conte des moments de sa vie. Autant dire qu’il les met en scène soigneusement. Qu’il ne sert de rien de les lire en tant que témoignages d’un passé révolu. La question n’est pas de savoir si l’on peut lui faire confiance, mais de comprendre ce qu’il veut nous signifier par l’écriture d’un tel livre.

    NOTES SUR UNE PARTITION

    LA TERRE PERDUE

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    Dès les premières pages Dylan nous induit en erreur. L’histoire commence au commencement de sa carrière, sa signature chez Columbia. Laissez tomber le cursus honorum, trois pages plus loin nous comprenons que c’est un faux départ, repend le récit à la manière de Balzac nous décrivant l’arrivée de Rastignac à Paris. Lui c’est son arrivée à New York, par un temps glacial. La suite est connue, Le Cat Zengler nous a mis en scène (livraison 546) sa première entrevue avec Fred Neil, dans un même ordre d’idée le lecteur se rapportera notre recension   du livre de souvenirs de Dave Van Ronk qui corrobore totalement les dires de Dylan. Ce sont des mois d’apprentissage : Dylan arrive à s’intégrer aux principales scènes de la Big Apple folk, loin d’en devenir le challenger irremplaçable, il n’a pas assez d’argent pour louer une chambre, dort sur les canapés chez les amis. L’est toute oreille pour les disques de folk que possèdent ses connaissances, n’approfondit pas uniquement son savoir musical, lit beaucoup, un peu de tout, mais un penchant pour la littérature explore les bibliothèques…  Nous parle entre autres de Joe Hill ( voir livraison 324 ) ce qui lui permet de se situer d’une manière,  je n’ose pas dire plus précise, car il essaie de n’être ni dupe des puissances politiques, ni de céder au romantisme révolutionnaire qui emportera sa génération. Dévore, apprend, réfléchit…   pour ne citer que deux ouvrages,  qui apparemment n’ont rien à voir entre eux, si ce n’est   qu’ils sont tous deux une réflexion sur la fondation et la destruction d’une civilisation, De la guerre de Clausewitz et La déesse blanche de Robert Graves. Cette première partie nous dresse le portrait d’un Dylan artiste en jeune chien dans un jeu de quilles qui essaie avant tout de garder son self-control. Ne maîtrise pas grand-chose, cependant il revendique l’impression d’avancer pas-à-pas mais sûrement sur l’échiquier du monde qui pour lui se réduit au maigre milieu folk newyorkais.

    NEW MORNING

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    Les narratologues désignent sous les termes d’ellipse narrative le début de ce troisième chapitre qui ne s’inscrit pas dans la suite logique des deux précédents. Après les années de vache enragée, Dylan s’en plaint si peu que nous les qualifierons plutôt de maigres bovidées, l’on espère le glorieux récit des années de vaches grasses. Mais non, pas un mot sur le veau d’or. Ne le tue pas, mais le tait. Passe directement à son fameux et très exagéré accident de moto. Burn out ou ras-le-bol généralisé, l’arrive à Dylan ce qu’a vécu Jean Giono après la parution de ses premiers livres. Ne peut plus être en paix, des visiteurs viennent sans cesse sonner à sa porte. Impossible pour Giono d’écrire ses nouveaux romans. Trouvera la solution en invitant tous ses admirateurs qui attendent de lui un message ultime en les réunissant chaque été durant les années trente dans une ferme perdue dans la campagne, créant ainsi une espèce de première communauté pré-hippie. A la différence près que Giono regroupe autour de lui des intellectuels inquiets de la montée des périls, pris en sandwich entre la fin de la première guerre mondiale et le début de la deuxième qui se profile à l’horizon…  A la deuxième différence près que les visiteurs de Dylan sont au mieux de doux utopistes vindicatifs au pire de sombres barges sans gêne ou d’immondes profiteurs. Dylan qui désire vivre tranquillement avec sa femme et ses enfants se verra obligés de déménager à plusieurs reprises pour échapper aux hordes envahissantes…

    Explicitement Dylan déclare qu’il ne veut pas être le maître à penser d’une génération d’enfants gâtés ou de simples huluberlus… N’empêche qu’apparaît dans son récit ce que la lecture des chapitres suivants nous incitera à nommer une faille. Le Bob nous déclare que pour couper court à l’enthousiasme soulevé par ses premiers albums il applique une nouvelle stratégie.  Celle d’écrire des textes moins forts, douceâtres, vantant les mérites de la vie familiale. Bref il se lance dans le country afin de dégoûter ses fans de la première heure. Avec une pointe de cynisme il ajoute que cela ne l’embarrasse pas trop puisque ces nouveaux albums continuent à bien se vendre… Se détache de plus en plus de ses anciens amis qui aimeraient le voir continuer des discours critiques sur la société. Ne sait pas trop où il va mais sait ce qu’il ne veut plus.

    OH MERCY

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    Nouvelle ellipse temporelle. Bien plus gênante que la précédente. En plus de sauter quelques années, notre héros tait sa conversion. Faut lire avec attention le texte pour l’entendre déclarer à demi-mot, sans s car il n’en prononce qu’un, juste une onomatopée, qu’il ne nie pas l’existence de Dieu. L’est vrai que son enthousiasme s’est dilué en une dizaine d’années… Mais il révèle quelque chose de bien plus grave qu’il cachait dans la partie précédente. Se plaignait de n’avoir pas le temps, à cause des intrus qui assiégeaient sa maison, d’écrire, affirmait aussi, répétons-le, qu’il refilait des textes faiblards pour avoir la paix… ce coup-ci il lâche le morceau, n’y arrive plus, il a perdu le truc, ne pond que des textes de qualité bien moindre. Nous entrons dans les pages les plus ennuyantes. Nous donne tous les détails, heures, lieu, circonstances de tous les nouveaux textes pas trop mauvais qu’il parvient au prix de grandes difficultés à collationner pour le futur album Oh Merci. Ce n’est pas tout. Après les affres de la création littéraires nous assistons morceau par morceau à l’enregistrement du disque. N’est plus capable d’enregistrer en une séance de quelques heures trois, quatre, titres pratiquement en une seule prise. Pour Oh Merci lui faudra trois mois. Longue parturience. Couvre d’éloges son producteur Daniel Lanois. Le lecteur s’ennuie ferme. Dylan nous fait part de ces états d’âme, de ces coups de blues, de son malaise existentiel. Est content du résultat final, mais selon lui le disque ne trouve pas ses acheteurs.

    FLEUVE DE GLACE

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    Retour en arrière, le récit reprend là où s’achevaient les deux premières parties. Mais l’angle d’attaque est différent. Trace non plus les lentes avancées, les sauts de puce, qui centimètre après centimètre lui ont permis d’avancer dans la carrière. Nous délivre son itinéraire intellectuel. Certes il progresse, peut louer un minuscule appartement, Autant il est resté très discret quant à ses petites copines, autant il s’attarde sur Suze Rotolo, lui qui déclare que l’homme politique qu’il préfère est Barry Goldwater ( ultra-droite conservatrice) est quelque peu incliné par Suzie vers de généraux idéaux de gauche. Cet aspect politique n’est que l’écume de sa problématique. Il est venu du fin-fond de son Minnesota à New York avec une seule idée en tête : rencontrer et devenir le nouveau Woody Guthrie. Ne se prive jamais d’inclure un ou plusieurs titres de Guthrie dès qu’il a l’occasion de monter sur scène. Woody lui semble insurpassable. Jusqu’au jour où Jon Pankake, amateur émérite de folk lui brise son rêve. Tu ne chanteras jamais aussi bien que Guthrie. Cette phrase destructrice est suivie d’une autre qui l’atomise : Jack Elliot que tu n’as jamais entendu le chante mieux que toi. L’écoute des disques est sans appel, non seulement Elliot le chante mieux que Dylan mais ses interprétations sont la preuve qu’il a compris, assimilé et ce faisant dépassé le maître. Désormais le brave Bobby change son fusil d’épaule, il ne chante que du Ramblin’ Jack Elliot… D’ornière en ornière… Dylan va enfin comprendre que ce qui lui manque, c’est l’écriture de textes qui ne doivent rien à personne, ni à Guthrie, ni à Ness, ni à quiconque. En l’initiant à la peinture et au dessin Suze lui permet d’avancer dans sa tête, il dessine mal mais il dessine selon son propre point de vue, il reproduit un objet comme nul autre ne l’appréhende. Maintenant il sait se poser dans le monde. Ne lui reste plus qu’à entrer en osmose avec des œuvres engendrées par cette méthode. Trouve deux modèles qu’il décortique soigneusement pour savoir comment l’on écrit.  Rencontre le premier encore grâce à Suze qui travaille à Broadway, un parolier Bertold Bretch, un compositeur Kurt Weill – vous connaissez, rappelez-vous sur le premier disque des Doors Alabama Song ‘’ Show me the way to the next whisky bar…’’ , Dylan comprend comment on écrit un texte, ne pas vouloir tout dire, laisser les mots s’appeler les uns les  autres pour insuffler sens et mystère au texte, le deuxième sera Robert Johnson que Columbia s’apprête à rééditer, des mots simples mais la ligne mélodique qui s’éparpille en mille droites qui s’écartent l’une de l’autre pour mieux faire resplendir le centre générateur. Dylan a tout compris. Il est prêt à être le grand Dylan.

    Ce que révèleront le ou les volumes postérieurs nous ne le savons pas mais cette dernière partie du volume 1 nous aide à comprendre le sujet du livre. Ce n’est pas une histoire qui narre les débuts incertains d’un individu destiné à devenir l’un des plus grands chanteurs de sa génération. Dylan ne cherche pas à nous décrire son chemin vers les étoiles. Ce n’est pas l’apothéose qui le tente. Se penche sur la dimension littéraire de son écriture. Tente de percer son propre secret. Au bout d’un moment les textes couleront de sa plume pratiquement tout seul. Pourquoi ? Comment ?

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    L’on pense à Paul Valéry qui après quatre années difficiles à composer La jeune Parque est le premier étonné, pour ne pas dire sidéré, de la vitesse à laquelle il écrit la plupart des poèmes de Charmes. Même phénomène chez Rilke qui durant dix ans reste aux aguets de la venue des Elégies à Duino, dans l’angoisse et la douleur, et qui écrit avec une révoltante virtuosité Les sonnets à Orphée en quelques jours. Certes il existe une différence essentielle entre les deux poëtes et Bob Dylan, tous deux sont à l’acmé de leur fructuation créatrice de laquelle jaillira leur accomplissement poétique. Il leur aura fallu toute une vie d’écriture, de réflexion, de méditation et de travail acharné pour livrer leurs œuvres majeures, Bob Dylan est au début de son efflorescence lorsqu’il délivre ses textes les plus novateurs. Comme par hasard un évènement déclenchera le processus. La lecture de Rimbaud. Il regrette de ne l’avoir pas connu auparavant, cela lui aurait permis de gagner du temps.

    Rimbaud se remettra-t-il vraiment de ses cinq années fulgurantes. Il est obligé de se renier et de s’enfuir à l’autre bout de la terre, de se livrer à la prosaïque fonction de commerçant… Si l’on relit la trajectoire de Dylan à l’aune de Rimbaud, l’écriture de ce premier volume des Chroniques prend toute sa signification. Rimbaud part en Abyssinie et interrompt tout contact avec le milieu poétique, Dylan continuera sa tâche de chanteur. Il ne sait pas rompre définitivement. L’intitulé de son Never Ending Tour, ainsi le baptise-t-il, est assez éloquent… Dans ses Chroniques, Dylan retrace la généalogie du rassemblement des différents éléments qui lui ont permis de devenir le grand Dylan, un peu comme un alchimiste qui dans sa jeunesse a réussi à transformer le vil plomb en or et qui n’y parvenant plus essaie de retrouver la recette qu’il est incapable de refaire… Un terrible aveu d’impuissance quand on y pense. Un livre poignant.

    Damie Chad.

     

    AGREUS

    GOATGOD

    ( Mars 2022 / BC -YT )

    Goatgod vient de Grèce, de Thessalonique, ville portuaire au nord de la Grèce, dans sa partie macédonienne. Le groupe adepte du Do It Yourself en 2020, a commencé à enregistrer en 2021. Le groupe est formé à partir de deux autres formations : Samatas et Disurband. Est-ce cette réunion qui les a emmenés à s’accorder sur le nom de leur album Agreus,  

    Xanthos V : guitares, basse / Theodosis V : drums / Sotos Ag : vocals.

    Les amateurs de batterie ne manqueront pas de visualiser les cinq vidéos de démonstration du travail de Sotos Ag sur ses fûts.

     

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    Awakening : emballement de batterie, une voix qui envoie les mots comme des boulets de canon, et derrière une symphonie de cordes qui recouvre le monde entier d’un flot majestueux, parfois à mi-voix un écho lointain répète les lyrics, break étourdissant, le chant se transforme en injonction tumultueuse, un appel à la résistance, à la renaissance, à s’amalgamer à la puissance d’un Dieu. Poisoned by guilt : rythme binaire qui n’empêche pas des éructations démoniaques, le vocal n’est plus que cris de haines, exhortations à se surpasser et objurgations à se délivrer des fausses culpabilités, il est temps de s’arracher à la religion de la bible, de se retrouver, de prendre son destin en main, Dieu est mort, éruptions souterraines de tambours, le message est asséné avec tant de force et une si féroce clarté qu’il  se présente sous forme d’une déclaration de guerre à l’avilissement de la psyché humaine. Enligthenment : soleil, embrasement de guitares, subite dégoulinade, rythmique précipitée, vocal à l’emporte-pièce, pas encore au bout du tunnel, comprendre l’ampleur du désastre est une chose, se diriger dans les ténèbres de sa perdition,  réaliser en soi ce désir de clarté s’avère d’ une toute autre difficulté, regardons le soleil, il est la force, l’énergie primitive, les guitares planent maintenant dans l’Empyrée, au-delà de l’astre c’est le char d’Apollon qui apparaît en filigrane, souffles divins, un enthousiasme sacré s’empare de moi. Culmination. Bucolic outbreak : ambiance virgilienne, irisation acoustique qui tourne vite en une ronde sauvage, la joie est d’autant plus forte qu’elle repose sur la présence de la mort, il faut la dépasser, l’admettre en tant que simple séquence d’un cycle naturel, la batterie va de l’avant mais les guitares tournent sur elles-mêmes à l’image de la nature qui semble avancer vers sa disparition pour mieux renaître. Return of the heathens : florilèges de guitares, vocal hurlé, les païens sont de retour, condamnation du vieux monde, de l’asservissement intellectuel par la peur de l’obscurité, curieuses montées de splendeurs entrecoupées de dissonances grondeuses, le rythme s’alourdit, ralentit, reprend sous forme de poussées germinatives, il n’est pas facile de débarrasser l’esprit humain de l’ivraie des religions, le morceau se termine en apothéose. Ejaculation of a cruel god : grincements insupportables, ce n’est jamais gagné, les guitares en sirènes d’avertissements, batterie implacable, il est si facile de retomber dans l’ornière, de retourner vers les chaînes de l’esclavage religieux, vocal ralenti, hurlé, jusqu’à ce qu’une rythmique folle signifie que vous êtes happé par votre propre déchéance. The Delphic oracle : avancée processionnaire, le rythme reste lourd et lent même s’il est dynamité par des brusqueries de batterie, nous voici au cœur du paganisme, dans l’antre de Delphes, la prêtresse sur son tabouret attend que l’esprit d’Apollon se mêle à elle, emplisse le vase vide de son cerveau, vocal surexcité, instrumentation saisie de vertige, la pythie est en transe, le moment de l’interroger est venu, le passé irradie sa vision et les guitares s’étendent à l’infini, l’instant crucial, chœurs à l’horizon interne, la réponse est dans la question, quand enfin ce monde de ténèbres se terminera-t-il. Le texte est moins naïf qu’il n’y paraît. Le désir n’est pas la réalité. Embrace the nymph : nocturne crépusculaire, voici la réponse attendue, ambigüe comme il se doit, embrasser la nymphe, la compréhension est des plus simples pour les esprits peu aiguisés, elle se résoudra à se saisir d’un corps de femme, mais il faut choisir, ou tu t’allies à la chair féminine de la réalité, ou tu vis l’acte d’accouplement selon la réalité du mythe. Il faut choisir entre la rugosité charnelle de l’être humain et la confrontation intérieure avec le feu impérieux de la puissance divine, le morceau monte et descend, tantôt fièvre sexuelle, tantôt outrance extatique, c’est dans la brûlure que se conçoivent les demi-dieux et les mythes. Que se construit l’arc-en-ciel qui ne permet pas de rejoindre l’immortalité. The summoning night of Pan : la nuit de Pan que vous ne confondrez pas avec l’obscurité du Walpurgis faustien, nous sommes à l’équinoxe du printemps, les guitares ronflent telles les rhombes des  joyeux cortèges, le son se disloque tandis que par-dessous se profile une nouvelle ligne harmonique, entrons doucement dans danse, entrons doucement dans la transe, nous ne sommes pas pressés mais le rythme s’accélère, la panique sacrée s’immisce en nous, c’est ainsi que l’on se sépare de soi et que notre esprit monte en spirale vers les demeures de l’Olympe telle la fumée des sacrifices, il s’agit dans notre éructation charnelle de faire fondre notre chair mortelle à ce brasier qui nous brûle de l’intérieur, les rhombes vrombissent quand tout s’apaise, mais maintenant nous savons que le Dieu Pan n’est pas mort, l’anglais n’est plus de mise, les dernières paroles sont en grec, l’hymne chante l’unité des cieux, de la mer, des océans et des abysses transformés en une énergie pure par une joie inhumaine.

    Ce premier opus est splendide.

     

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    Nous n’avons pas encore regardé la pochette. La symbolique est claire : à l’officiant d’une liturgie chrétienne les mains benoîtement croisées sur le ventre en guise d’obéissance se substituent le squelette – symbole de la libre acceptation de la mort et refus de la croyance en un autre monde paradisiaque, amor fati dirait Nietzsche - et la tête du bouc Pan, les bras levés, la paume des mains tournées vers l’ouranos. Le lecteur visualisera le médaillon frappé du delta de Zeus et sa représentation rayonnante en Sol Invictus.

     

    Le dieu chèvre n’est pas à confondre avec le bouc qui préside aux messes sataniques qui firent fureur sous le règne de Louis XIV.  L’anti-christianisme satanique, même inversé n’est que du christianisme. Ici les lyrics sont empreints d’une philosophie nietzschéenne, qui condamne le christianisme en tant que religion, parce que toute religion est croyance et donc asservissement de la pensée philosophique. L’imagerie polythéique est à entendre comme une symbolisation conceptuelle historiale et élémentale. Elle pose l’univers en tant que fragments entremêlés mais dépourvus de tout désir d’agrégation unitaire ce qui logiquement préside à l’élaboration d’une pensée dégagée de tout obscurantisme religieux. Politiquement, nous sommes dans l’impensé métaphysique de l’anarchie.

    Damie Chad.

     

     

    JIM MORRISON, LE FLOU L’EMPORTE

    MARIE DESJARDINS

    (Série Portraits Rock, in Presse Profession Spectacle)

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     Magnifique article sur Jim Morrison écrit par Marie Desjardins. Aussi beau qu’une nouvelle de Villiers de L’Isle Adam. Le grand art, raconter une histoire dont on connaît tous les éléments et attiser les braises chaudes d’une blessure poétique qui ne se refermera jamais. Ouverte pour les siècles à venir, tel l’itinéraire de Rimbaud. A cette différence près que la trajectoire de Rimbaud reste celle d’un solitaire alors que Morrison fut non pas un personnage public, mais un phénomène générationnel autrement dit un moment très particulier, une coupure dans l’histoire de l’imaginaire du monde. Comme Platon nous l’a appris, nous ne voyons du monde que des ombres, nous y sommes habitués, toutefois l’ombre de Jim Morrison est plus sombre que les autres. Elle resplendit d’une noire luminosité qui éblouit et qui n’est pas sans renvoyer aux recherches de Goethe sur la manifestation des couleurs.

    Marie Desjardins rebat les cartes. Une centaine de lignes lui suffisent pour exposer les arcanes majeurs du tarot de la destinée.  Toutes les figures sont convoquées, Morrison le clochard céleste, Morrison diapré de beauté apollinienne,   Morrison le poëte, le double jeu des dames essentielles, Patricia désirée et Pamela aimée, mais aussi les comparses de la dernière soirée, Sam Bernett, Marianne Faithfull, les fantômes d’Elvis Presley, de Gene Vincent, de Shelley, Michel Embareck et jusqu’à nos Chroniques de pourpre… si Morrison fut un aède à la voix d’airain qui résonne encore, il fut aussi un homme de mots, cette cendre noire qui recouvre, enfouit,  protège, et préserve de l’oubli rongeur le souvenir des  existences chaotiques et volcaniques dont on retrouve les traces érotiques, arestiques et éristiques dans de mémorielles villas pompéiennes des Mystères, ouvertes à tous vents, qu’elles abandonnent en ultime témoignage derrière elles. Tout réside dans le mystère des choses qui n’existent plus mais qui ont eu lieu. Nous ne sommes que des archéologues à la recherche des cités disparues dont on ignore les emplacements.

             En diabolique illusionniste Marie Desjardin recompose le jeu de perles brisées de Morrison. Un incroyable tour de passe-passe, elle joue le rôle de Méphisto  ressuscitant pour obéir à Faust le fantôme d’Hélène de Troie, lui ordonnant pour cela de repasser la porte des Enfers, ce porche obscur de toute existence humaine… Las, elle laisse couler à terre, de la paume de son évocation, entre les doigts de ses mots, le sable des verroteries irisées, et tout s’efface. Cruauté de la littérature ! Elle nous a permis d’être le temps d’une lecture des voyants alchimiques et nous ne sommes plus que des voyeurs dépités.

    Seule l’aile brisée d’un ange rilkéen sépare le fou et le flou.

    Damie Chad.