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bob dylan

  • CHRONIQUES DE POURPRE 636: KR'TNT 636 : DICTATORS / WEIRD OMEN / BOB DYLAN / DAVE ANTRELL / JIM WILSON / RAWDOG / AVATAR / THUMOS / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 636

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    14 / 03 / 2024

     

    DICTATORS / WEIRD OMEN / BOB DYLAN

    DAVE ANTRELL / JIM WILSON

    RAWDOG / AVATAR / THUMOS  

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 636

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    Sous le joug des Dictators

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             C’est dans l’orbituary d’Uncut, en février dernier, qu’on est tombé sur quatre lignes annonçant la disparition de Scott Kempner. Qui ça ? Balancé comme ça, au débotté, c’est un nom qui ne parlera pas à tout le monde. Sauf aux fans des Dictators. Si tu retournes la pochette de Go Girl Crazy, tu verras Scott Top Ten Kempner allongé à poil sur son lit, même chose pour Stu Boy King. Par contre, Andy Shernoff et Ross The Boss FUNicello sont habillés. On parle toujours du premier album des Ramones, mais on oublie chaque fois de citer le Go Girl Crazy des Dictators paru un an avant, un album qui est le véritable précurseur de la scène punk new-yorkaise. «The Next Big Thing» est le premier hymne punk new-yorkais. Nous allons donc rendre hommage à ce groupe extraordinaire et à Scott Kempner. Pour info, Ross The Boss et Andy Shernoff continuent de tourner et d’enregistrer avec les Dictators, enfin, ce qu’il en reste, cinquante ans après.

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             Pas compliqué : les Dictators sont arrivés au bon moment. En 1972, les Beatles avaient jeté l’éponge et les Stones venaient d’enregistrer «Exile», leur dernier grand album. Les Who et les Kinks allaient entamer une sorte de déclin, mais aux États-Unis, ça bardait avec les Flamin’ Groovies, les Stooges et le MC5. Les Dictators s’inscrivirent dans cette mouvance. Andy Shernoff commença par publier un fanzine, Teenage Wasteland Gazzet, puis comme beaucoup de kids de sa génération, il se mit à la recherche d’autres kids pour monter un groupe. C’est aussi bête que ça. Des millions de kids ont tenté leur chance dans les années 60 et 70. Si Andy est aujourd’hui auréolé de légende, c’est tout simplement parce qu’il savait écrire des chansons et qu’il avait su dénicher les bons partenaires. Cette histoire ne vous rappelle rien ? John Lydon avait lui aussi déniché LE bon guitariste et LE bon batteur. En prime, il savait lui aussi écrire des chansons. On appelle ça l’alchimie d’un groupe. Ça tient souvent à très peu de choses.

             Comme les Pistols un peu plus tard, les Dictators eurent à affronter le mépris et parfois la haine d’un public qui ne comprenait par leur démarche. Ross The Boss s’en foutait et il jouait. À sa façon, il jouait les traits d’union entre la culture rock classique américaine et la modernité des Dictators. Andy Shernoff se réclamait à la fois du MC5 et de Brian Wilson, un modèle que reprendront aussi les Ramones. 

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             C’est aussi Ross qui trouva, pour un loyer de 200 $, la fameuse maison isolée de Kerhonkson où s’installa le groupe. Il n’y avait rien ni personne à dix kilomètres à la ronde. Comme ils n’avaient pas un rond, les Dictators allaient voler leur bouffe dans un super-marché. Richard Blum qui était un pote à eux travaillait à la Poste. Il venait le week-end faire la cuisine pour ses copains. Richard qui était un personnage haut en couleurs inspirait énormément Andy.  Jusqu’au jour où Richard devint Handsome Dick Manitoba, un nom inventé par Andy dans «Tits To You» - Manitoba était le surnom d’un détective dur à cuire, Handsome venait de Handsome Jimmy Valiant et Dick de Richard.

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             Et puis un jour leur copain Richard Meltzer ramena le fameux Sandy Pearlman à Kerhonkson pour lui faire écouter le groupe. Wow ! Sandy Pearlman qui était déjà le manager de Blue Oyster Cult allait par la suite devenir celui des Dictators.

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             Toute la genèse des Dictators est racontée par Scott Kempner à l’intérieur de la pochette d’Everyday Is Saturday, un double album rétrospectif édité par Norton en 2007. Comme toujours chez Norton, ce disk est incroyablement bien documenté. En effet, Scott Kempner - qui se faisait appeler Top Ten sur la pochette de leur premier album - y raconte dans le détail l’histoire du groupe. Il explique que Richard Blum était le living breathing manisfesto des chansons d’Andy Shernoff - There is only one Richard Blum - On retrouve sur Everyday Is Saturday tous ces hits qui vont faire la grandeur des Dictators, «Weekend» (avec son riff pompé chez Buddy Holly), «Master Race Rock» (jolie partie de campagne bien tartinée du foie et cornichonnée aux gimmicks), «California Sun» (qui date de 1973), «What It Is», «Stay With Me» (hit parfait poursuivi par un riff dévastateur) et un «I Just Want To Have Something To Do» très proche des Ramones. 

             Kempner rappelle aussi que pour leur premier concert, les Dictators jouèrent en première partie des Stooges et de Blue Oyster Cult dans un collège du Maryland, devant 7000 personnes.

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             Quand Go Girl Crazy est arrivé en France en 1975, on a fait chapeau bas. Car quel album ! «The Next Big Thing» qui fait l’ouverture est l’un des grands hits intemporels de l’histoire du rock - I used to shiver in the wings/ But then I was young/ I used to shiver in the wings/ Until I found my own tongue - Disons qu’on a chanté ça autant de fois que le maybe call mum on the telephone des Stooges ou l’And that man that comes on the radio with nothing to say des Stones, ou encore l’I’m a tip-top daddy and I’m gonna have my way de Charlie Feathers, ou encore l’I’m taking myself to the dirty part of town/Where all my troubles/ Can’t/ Be/ Found des Mary Chain. Oui, toutes ces flasheries mémorielles zèbrent la nuit des temps et ça court-jute dans la fricassée. Mais attention, sur la B de Go Girl Crazy, quatre énormes hits guettent le chercheur de truffes. Et pas des moindres. Les Dictators jouent «California Sun» à l’écho des duelling guitars - And I boogaloo - Et on assiste à une merveilleuse montée en puissance sur fond de beat tribal - When I’m having fun in the California sun - S’ensuit un «Two Tub Man» bien senti. Handsome Dick Manitoba fait une intro spectaculaire - The thunder of Manitoba ! - Si on cherche le punk new-yorkais, c’est là et surtout pas chez les Dead Boys. Autre bombe : «Weekend», pièce d’ultra-power pop noyée de guitares et bardée d’apothéoses de chœurs de la la la élégiaques. Ils bouclent ce disque mémorable avec le fameux «(I Live For) Cars And Girls» bien glammy dans l’esprit et trempé d’envolées dignes des Beach Boys. Les compos d’Andy Shernoff sont déjà classiques et supérieures à la fois.

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             Deux ans plus tard paraît Manifest Destiny, un album mal vu car en 1977 tout le monde veut du punk, et les Dictators font autre chose que du punk, comme d’ailleurs Television, Blondie et tous les autres. «Heartache» est une vraie pépite de power pop. Andy Shernoff a même pensé à rapatrier les pah pah pah des Who. Encore une fantastique tranche de pop palpitante à la Shernoff avec «Sleepin’ With The TV On». Ce mec a véritablement un don, il sait ficeler les beaux hits underground. Le «Disease» qui suit sonne comme un opéra des Kinks, avec un vieux parfum glammy. Ross The Boss ramène la dimension épique et prend un vieux solo à la Ritchie Blackmore. Alors le rythme s’emballe pour le meilleur et pour le pire. Mais il est bien certain que le public ne pouvait pas leur pardonner une telle incartade. Quoi ? Des Américains qui se prennent pour un groupe anglais des seventies ? On trouve en B une autre trace de cette tendance. En effet, «Stepping Out» sonne comme l’un des cuts du premier album de Sabbath. Les Dictators ont une légère tendance à flirter avec le heavy-prog anglais des Contes de Canterbury, avec des guitares qui jaillissent du fond du lac. Pour Ross, c’est du gâteau, il prend de beaux solos de prog en quinconce à la Buchanan de l’Essex et même du Middlesex. Il était évident que cet album n’allait pas plaire. Et pourtant, Ross the Boss jette tout son poids dans la balance. On le sent âpre au gain dans «Young Fast Fantastic» et ils finissent cet album troublant avec une reprise bien sentie de «Search And Destroy». On retrouve le son des Dictators, la turbo-machine du rock new-yorkais. C’est du pur jus de glu de détroitisation forestière. Les Dictators ont tout : les bras, les jambes et les cervelles en feu. Ross balaye le vieux standard d’Iggy au lance-flammes. Il est dix mille plus violent que Williamson.

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             L’un des plus gros hits des Dictators se niche sur Bloodbrothers, paru un an plus tard. Personne ne peut résister à l’appel de «Baby Let’s Twist». Pourquoi ? Parce que monté sur des accords de Next Big Thing, et la fantastique allure reste leur mesure. Les Dictators disposent d’une faculté assez rare : celle de savoir exploser au grand jour. Le grand art d’Andy Shernoff est de savoir composer des hits qui hittent le top. Même chose pour «The Minnesota Strip» embarqué au heavy gimmick funicellique d’ambiance universelle. Ross The Boss sait créer l’événement, il tape dans la violence de la pertinence, et c’est poundé à l’heavyness impénitente. On a encore un hit avec «Stay With Me», valeureuse envolée de pop rock typique des années de braise new-yorkaise. L’«I Stand Tall» qui ouvre le bal de la B des cochons somme glammy. Andy Shernoff nous le stompe à l’élégie de Pompée le pompeux. Ils bouclent l’album avec une fantastique reprise des Groovies, «Slow Death». Nos amis dictatoriaux savent groover un vieux classique incantatoire.

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             Il faudra attendre vingt ans avant de pouvoir se remettre un disque des Dictators sous la dent. Quand D.F.F.D parut en 2001, tout le monde croyait le groupe disparu. Eh non, la charogne bougeait encore. Et quelle charogne ! Cet album grouille de hits, à commencer par le fabuleux «Who Will Save Rock’n’Roll» - My generation is not on starvation - Voilà encore un hymne dictatorial d’envergure planétaire, n’ayons pas peur des grands mots. Même chose avec «What’s Up With That». En voilà encore un qui sonne comme un hit d’entrée de jeu. C’est joué au maximum des possibilités, avec ce mélange très spécial de pop et de sur-puissance qui n’appartient qu’aux Dictators. «It’s Alright» est aussi un cut visité par le requin Ross. Il sait entrer dans le lagon. Ross the Boss est l’un des plus grands guitaristes de l’histoire du rock américain, qu’on se le dise ! On retrouve en B un nouveau clin d’œil aux Anglais avec «Avenue A», car on y entend des petits chœurs à la Clash - oh-oooh-ooh - au coin de la rue. Pour Ross le démon, c’est du gâteau. Ils tapent ensuite dans le gaga sauvage avec «The Savage Beat», mais ils rajoutent une pointe de pop dans le refrain. Merveilleuse surprise que ce «Jim Gordon Blues» joué aux gros arpèges psychédéliques. Encore un coup de génie signé Andy Shernoff et Ross the Boss. On est bien obligé de parler ici de génie car tout est incroyablement mélodique. On a le gras de la guitare, l’élégance de la prestance, la persistance de la préséance et l’omniscience de l’évidence. 

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             Ce n’est pas compliqué : tout est bon sur Viva Dictators paru en 2005. On ne trouve malheureusement que des hits sur cet album. Les Dictators jouent live à New York City et ça fait quelques étincelles. Handsome Dick Manitoba essaye de chanter comme Johnny Rotten sur «New York New York», alors on rigole. C’est avec «Avenue A» qu’on voit à quel point les Dictators veulent sonner comme des punks anglais. Andy Shernoff embarque ça au gros drive de basse et les chœurs rappellent ceux des pauvres Clash. Heureusement, ils enchaînent avec «Baby Let’s Twist» claqué à l’accord d’intronisation. C’est digne du Really Got Me des Kinks, on a le même tarpouinage définitif, des accords qui te clouent la papillon à la lune ou le cœur du vampire au solstice d’été, baby let’s twist, c’est monstrueux de génie pop. Merci Andy ! Ce cut ronfle comme le moteur de la BMW que Tav conduit dans Uriana Descending ! Vroaaarrrrhhhh ! Même chose avec «Weekend». Ce cut est beaucoup trop puissant pour être honnête. Andy Shernoff signe encore ici un hit planétaire. Ross tape ça aux accords acidulés. C’est puissant comme la Rover de Roberte et ça claque comme l’étendard zoulou planté au sommet du Kilimandjaro. On tombe plus loin sur l’inénarrable «Next Big Thing», le hit ultime par excellence. Ross nous roule ça sous l’aisselle du chord, et Manitoba le bouffe tout cru, argfffhh ! Ça monte, ça monte et ça coule sur les doigts. Pareil pour ce beau «Minnesota Strip» amené par des riffs de messie, mais si. Quelle énergie ! Typical Shernoff ! Ils enfilent les hits comme des perles, puisque voici «Who Will Save Rock’n’roll», chanté au débrayage maximaliste. Ross fout le feu à la plaine entière. C’est encore la preuve de l’existence d’un dieu des dictateurs. Croyez-le bien, c’est un hit flamboyant, digne de toutes les grands heures du rock anglais. Puis ils nous claquent «What’s Up With That» à l’accord souverain - Eh oh oh oh ! - Ils savent taper dans les meilleurs power-chords de propulsion nucléaire. C’est la power-pop dont on rêve chaque jour que Dieu fait. Ross n’en finit plus de claquer ses beignets. «I Am Right» est un pur cut de batteur, c’est le royaume au grand Patterson, et Stay» tape au très haut niveau composital. C’est pris à la gorge du punk, mais c’est aussitôt étoilé par du gimmickage de power-pop. Alors bien sûr, Ross le génie explose au firmament des guitar gods. Ils finissent ce disque ahurissant avec deux vieux coucous tirés du premier album, «Two Tub Man», stomper des enfers de train fantôme, et «I Live For Cars And Girls», chanté au glammy gloom par Andy the beast. Ouhhh-ouuh-ouuh ! On se croirait chez les Beach Boys. C’est vraiment le meilleur compliment qu’on puisse leur adresser.

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             En 1981 est sorti sur ROIR un album live des Dictators élégamment intitulé Fuck ‘Em If They Can’t Take A Joke. On y retrouve les gros classiques comme «The Next Big Thing», «Weekend» et «Minnesota Strip», mais ce sont les deux belles reprises du Vevet et des Stooges qui font le charme de cet album. Ils tapent une fantastique reprise de «What Goes On». Andy chante et Ross se fend d’un solo somptueux. Dans «Search And Destroy», Ross n’a absolument aucun mal à faire son Williamson. D’autant qu’il est soutenu par une belle rythmique pulsative. Wow, quelle reprise ! Pas de meilleur hommage à Iggy & the Stooges.

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             Scott Kempner a enregistré deux albums solo. Le premier, Tenement Angel, date de 1992. Il a une tête de collégien sur la pochette. Il attaque au deep boogie rock de New York City avec «You Move Me», c’est excellent et on lui donne immédiatement l’absolution. Il enchaîne avec un «Bad Intent» du même acabit, mais en même temps, pas de surprise. Le Scott ne tient que grâce à sa réputation de Dictator. Et voilà le big bad rock d’«ICU» gratté à la cocote malade, au dirty groove urbain, ICU pour I See You. Ça accroche terriblement. Mais on sent qu’il s’épuise au fil des cuts, il ne parvient pas à maintenir l’attention de son auditoire, et il faut attendre «Lonesome Train» pour retrouver le grand Scott. Il coule un Bronx, et passe un solo lumineux comme pas deux. Puis il va continuer son petit bonhomme de chemin avec «Precious Thing» le bien senti et un «Livin’ With Her Livin’ With Me» très bon enfant, presque Moon-Martinesque. Rien de plus que ce que tu sais déjà. Il fait parfois son Springsteen («Do You Believe Me») et c’est pas terrible. Disons que c’est le mauvais côté du New York City Sound. On préfète - et de loin - le côté Dolls et Velvet. Son «(Just Like) Romeo & Juliet»  sonne comme du Southside Johnny, bien cuivré de frais. C’est très convenu, très bien foutu, si étrangement prévisible et si terriblement NYC. Il termine avec «I Wanna Be Yours», du classic stuff cousu de fil blanc. On perd le Dictator. C’est atroce. On se croirait à une fête de mariage.  

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             En 2008, il sortait Saving Grace, un album très new-yorkais, chargé de gros balladifs dictatoriaux et de power pop à propulsion nucléaire («Baby’s Room»). Le hit de l’album pourrait bien être «The Secret Everybody Knows», plutôt bien bombardé du beat, on sent le vieux Dictator chez Scott, il sait pondre un heavy rock superbement balancé, envenimé par un wild solo trash. C’est encore le solo qui enlumine «Blame Me», un balladif sauvage entrepris par un solo au long cours d’une belle intégrité de gras double. Le Scott est un merveilleux artiste. Il se croit au Brill avec «Love Out Of Time», il en a les épaules. «Stolen Kisses» est plus rocky road, avec une grosse intro en disto, le Scott y va, son claqué d’accords est typiquement new-yorkais. Retour au Brill avec «Heartbeat Of Time» assez puissant et romantique. Puis il passe au heavy Brill à la Dion avec «Here Come My Love», limite grosse compo. Le Scott a du répondant. S’ensuit la belle power pop bien propre sur elle de «Between A Memory & A Dream» et ses clairons de belles grattes dans l’écho urbain. Il boucle tout ça avec «Shadows Of Love». C’est un album qu’il faut saluer bien bas.  Scott Kempner vit son rêve, il gratte des poux d’une rare intensité, il casse du sucre sur le dos de la mélodie et lui sucre bien les fraises, il lui court bien sur l’haricot, c’est un potentat du pot aux roses, il savonne ses pentes, il sucre sa dragée haute, il n’en finit plus d’étinceler comme un sou neuf. Sacré Scott, il ne lâchera jamais sa rampe. 

             En 2015, on se faisait une joie d’aller voir jouer les Dictators au Trabendo, mais le destin qui sait parfois se montrer si cruel en décida autrement, puisque la date prévue faisait quasiment suite au désastre du Bataclan, et le concert fut purement et simplement annulé. Dans le même ordre d’idée, le concert du quarantième anniversaire de Motörhead au Zénith fut lui aussi interdit par les zautorités de la mormoille. Une sorte de chape maudite venait de s’abattre sur Paname. À travers les masses nuageuses d’un soir de novembre, on voyait se dresser dans le ciel la silhouette décharnée de la grande faucheuse. La seule vision de son sourire macabre et du muet claquement de ses haillons donnait déjà la chair de poule, mais l’éclat lugubre de sa lame de faux achevait de nous glacer les sangs.

    Signé : Cazengler, dictatorve

    Dictators. Go Girl Crazy. Epic 1975

    Dictators. Manifest Destiny. Asylum Records 1977

    Dictators. Bloodbrothers. Asylum Records 1978

    Dictators. Fuck ‘Em If They Can’t Take A Joke. ROIR 1981

    Dictators. D.F.F.D. Dictators Multimedia 2001

    Dictators. Viva Dictators. Dictators Multimedia 2005

    Dictators. Everyday Is Saturday. Norton Records 2007

    Scott Kempner. Tenement Angel. Razor & Tie 1992

    Scott Kempner. Saving Grace. 00.02.59 2008

     

     

    L’avenir du rock

     - Et spiritus sanctus, Omen

    (Part Two)

             Lorsqu’il était petit, l’avenir du rock vivait dans un bel immeuble construit en grandes pierres de couleur claire. L’abbé de l’église voisine y faisait du porte-à-porte, exhortant les ménagères en bigoudis à lui confier leurs rejetons pour des cours de catéchisme. Ces cours présentaient deux défauts aggravants : ils se déroulaient d’une part le jeudi-après midi et privaient donc l’avenir du rock de ces escapades dans les terrains vagues dont il était si friand, et d’autre part, la lecture d’épais chapitres de la Bible tuait dans l’œuf toute forme d’attention. Grâce à cette lecture, l’avenir du rock reçut sa première notion d’ennui mortel, ce qui par la suite allait lui rendre bien des services. Le sort des cours de catéchisme fut bientôt réglé et l’avenir du rock fit un retour triomphal dans les terrains vagues. Il continua d’y cultiver une passion naissante pour la trashitude. Mais l’abbé n’en resta pas là. Il devait être payé à la commission par le Vatican, car il revint à la charge et grimpa quatre à quatre les étages du bel immeuble construit en grandes pierres de couleur claire et exhorta de plus belle la ménagère en bigoudis. Cette fois, il abandonna la pédagogie biblique pour miser sur un sujet plus brûlant, l’enfer qui menaçait sa progéniture si elle ne se rendait pas chaque dimanche matin à la messe de dix heures. La situation présentait encore deux défauts aggravants : la messe coupait court à toute velléité de grasse matinée, et d’autre part, il fallait enfiler ces horribles «habits du dimanche» qui faisaient beaucoup rire les passants dans la rue. Cette disgrâce rendit bien service à l’avenir du rock, car c’est là qu’il reçut sa première notion de look. Il comprit clairement qu’il y avait look et look, surtout le look à éviter. Contraint et forcé, il se rendit donc à la messe dominicale. Il s’enfonça sous la voûte de pierre d’une vieille église penchée, trempa la main dans le bénitier et eût toutes les peines du monde à surmonter sa stupéfaction lorsqu’il atteignit la nef. Un spectacle ahurissant l’y attendait. Dressé derrière un autel, un chanoine barbu aux yeux jaunes palabrait dans un dialecte inconnu. Étendue sur l’autel se trouvait une femme nue très poilue, si trash que l’avenir du rock sentit poindre au fond de sa culotte du dimanche une petite érection pré-pubère. Le chanoine Docre célébrait sa messe dans un épais tourbillon de fumées noires, tout son aréopage d’enfants de cœur toussait, et lorsqu’il leva les bras au ciel, l’assemblée brailla comme un seul homme, et spiritus sanctus, Omen !

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             Rien de plus Weird que ce souvenir de messe noire. Weird Omen ! En plein dedans. Sur scène, leur messe atteint une dimension qu’il faut bien qualifier d’huysmansienne. Aussi vrai qu’Huysmans fut en son temps considéré comme l’avenir du genre littéraire, nul doute que Weird Omen incarne celui du rock. C’est une évidence qui crève les yeux.

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             Pourquoi ? Parce que. Parce que power trio sax/poux/beurre, parce qu’accès direct à la modernité sauvage, parce que tu as tout Roland Kirk et tout le Steve MacKay des Stooges de «1970» dans la menace sourde de «1250», parce qu’aussi des relentless relents du «Starship» de Sun Ra pulsé par le MC5 lors d’une nuit d’apocalypse au Grande Ballroom de Detroit en 1969, parce que ces bien belles attaques frontales tiennent la dragée haute à tes principes éculés par tant d’abus, parce que «Shake Shake» te shake l’hip et le cocotier en même temps,

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    parce que le nouveau batteur Dam-o-maD bat le beurre des enfers et chante un «Runaway» qui va te hanter des jours entiers comme une sorte de «Sister Ray» avec sa fin apocalyptique emmenée en mode wild roller coaster par Fred le bien nommé, parce qu’un Sister Ray en fute de cuir noir ne gratte pas de fuzz mais des poux de clairette tout en twistant d’une seule rotule, ce qui contrebalance la folie Méricourt d’un Fred Kirk tentaculaire,

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    parce que «Jungle Stomp» tressauté dans les charbons ardents et roté au Kirking d’assaut frontal, parce que tu ne trouveras jamais tout ça chez les autres, tu trouveras autre chose bien sûr, mais pas ce mic mac de mish mash épouvantablement jouissif, si merveilleusement en plein dans le mille, parce que l’Omen crée une mad frenzy qui dépasse le langage, parce que Sister Ray demande qu’on lui foute la paix avec «Leave Me Alone» et une insistance purement velvetienne,

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    parce que l’insistance est, comme l’hypno du Velvet, la clé du problème, l’accès aux nues, le Graal du sonic trash, parce qu’encore mille raisons, parce qu’il savent atteindre un au-delà des genres connus, parce qu’ils poussent grand-mère gaga-punk dans les orties, parce qu’ils sortent du rang et qu’on a toujours adoré voir des gens sortir du rang, parce qu’ils écrasent les clichés gaga au fond du cendrier, parce qu’ils ne respectent rien excepté le lard fumant, parce qu’ils sont incapables de tourner en rond, parce qu’ils prennent la suite des Stooges et du Velvet sans jamais les imiter, parce qu’ils voient le son comme une transe et rien d’autre, parce qu’il savent l’apprêter pour mieux l’imploser, parce qu’ils créent leur monde et c’est un monde où tu te sens en sécurité, parce que tu respires un air brûlant.

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             Leur dernier album sans titre est un festin pantagruélique de son, bim badaboum dès le «Lost Again» d’ouverture de balda, classic Omen, superbe développement, ils s’auto-montent en neige à grosses giclées de relentless. Ils visent clairement l’apocalypse.

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    On assiste ensuite à un curieux phénomène : «No Brainer» prend feu et le chant l’éteint provisoirement. Nous ne sommes pas au bout de nos surprises car voilà le brûlant «Shake Shake», une stoogerie intense jouée au fond de la chaudière. L’Omen ne fait rien comme les autres. Globalement, ils excellent en matière de tenue de route et de vents brûlants. Tout est monté sur le même tempo de relentless absolu, et en visant l’apocalypse, ils se propulsent tous les trois vers l’avenir. Le rock de l’Omen brûle comme un feu sacré, terriblement stoogy dans l’âme. On retrouve en B ce beat rebondi et la propulsion nucléaire dès «Frustration». Ils caressent l’absolu du doom avec «IXO» et le saxent jusqu’à l’oss de l’ass. Tous leurs départs sonnent comme des appels à l’émeute. Ils ne s’en lassent pas, et nous non plus. Ils terminent avec «Leave Me Alone», un heavy groove de baryton à tonton et ça gratte des poux à la pelle, ça ramène du punch à la tonne, l’Omen ne baisse jamais les bras et ça part en raw gut from the undergut.

    Signé : Cazengler, Weird hymen

    Weird Omen. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 27 février 2024

    Weird Omen. Weird Omen. Get Hip Recordings 2023

     

     

    Wizards & True Stars

    - Dylan en dit long

    (Part Six)

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             Bob Dylan et Martin Scorsese sont maintenant des vieux crabes. Scorsese a 80 balais et Dylan 81. Mais ce sont eux qui créent l’événement avec la parution en 2019 de Rolling Thunder Revue: A Bob Dylan Story. Pour eux, créer l’événement n’a rien de nouveau : ils ont fait ça toute leur vie. Il n’existe pas beaucoup de gens qui pourraient prétendre en faire autant. Scorsese n’en finit plus de dire qu’avant d’être le réalisateur de génie que l’on sait, il est avant toute chose fan de rock. L’énergie de ses films, y compris ceux consacrés à la mafia new-yorkaise, vient du rock. Bon, ça lui arrive de se vautrer, par exemple avec The Last Waltz ou Shine A Light, mais personne d’autre à part lui n’aurait osé balancer l’«I Ain’t Superstitious» du Jeff Beck Group dans Casino ou «Jumping Jack Flash» et les Ronettes dans Mean Streets.

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             Le team Dylan/Scorsese n’en est pas à son coup d’essai. No Direction Home: Bob Dylan est un classique du cinéma rock. Dylan y raconte ses débuts à Greenwich Village. Avec Rolling Thunder Revue: A Bob Dylan Story, Scorsese tape dans une autre époque, 1975, date de la fameuse tournée, et il restaure pour les besoins de son film celui qu’a tourné à l’époque un certain Stefan Van Dorp. Scorsese l’interviewe dans le film. Comme tout le monde, Van Dorp a pris un sacré coup de vieux, et il a son franc parler. Il n’est pas forcément aimable. Mais on s’en fout, on n’est pas là pour les amabilités. On est là pour Dylan qui, à l’âge de 34 ans, a déjà tout vu, tout lu, tout vécu, mais il lui faut encore inventer, comme il le dit si bien, face à la caméra de Scorsese, en 2005 : «Life is about creating yourself. And creating things.» Dylan est sans doute la plus pure incarnation de cette vérité. Alors pour continuer d’avancer, il a l’idée d’une Revue, The Rolling Thunder Review, Allen Ginsberg parle d’un «medecine show of old». Dylan voit plus «a kind of jugband». Pouf, il rassemble des musiciens pour monter une tournée informelle qui bien sûr sera déficitaire, trop de monde dans les deux bus pour des petites salles, mais Dylan y croit, il va même jusqu’à se transformer physiquement : il se farde de visage de blanc, comme un personnage de la Comedia Dell’Arte et se coiffe d’un chapeau fleuri. Dans le fard, Scorsese voit plus le Baptiste des Enfants Du Paradis, dont il incruste une scène dans le film, la scène où Baptiste debout devant un miroir en pied barre d’une croix blanche son reflet. Scorsese sait cuisiner les mythes.

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             Dylan conduit l’un des deux bus. Il part à la découverte de l’Amérique insolite, on the road with non pas the Memphis Blues Again, mais with the Rolling Thunder Review. Et le Thunder qu’il transporte avec lui porte un nom : Mick Ronson. Dylan a chopé le thunder de Ziggy Stardust et sur scène, Ronno fait des étincelles. Tous les plans scéniques sont extraordinaires, à commencer par une version explosive d’«Isis» - Isis/ Oh Isis/ You’re a mystical child/ What drives me to you is what drives me insane - On retrouve le hellraiser, le Dylan punk d’Highway 61, croisé avec le grand glamster d’Angleterre - I still can remember the way that you smiled/ On the fifth day of May in the drizzlin’ rain - Alors bien sûr, ce n’est pas un hasard si «Isis» se retrouve dans la première partie du film. Le thème du film, c’est l’énergie. C’est tout ce qui intéresse Dylan. Quand quarante ans plus tard, Scorsese lui demande ce qu’il retient de cette tournée, Dylan qui vieillit magnifiquement bien lui répond qu’il ne sait pas - What all that Rolling Thunder is all about ? I don’t have a clue - Alors Scorsese lui demande comment ça tient, et Dylan lui répond : «Energy». Scorsese ajoute : «Isis, this is the power. This is how it works.»

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             Sur scène, Dylan a du monde : Roger McGuinn qu’on voit vers la fin, Joan Baez qui vient duetter, une violoniste, Scarlet Riviera, on voit aussi des plans magiques de Ramblin’ Jack Elliott qui, pour Dylan, est plus un sailor qu’un singer. Sam Shepard fait aussi partie de l’aventure, en tant qu’observateur, Dylan dit qu’il a «a special clue of the underground». Le groupe fait une version assez demented d’«It Takes A Lot To Laugh It Takes A Train To Cry». Dylan tape aussi une version fleuve d’«Hard Rain’s Gonna Fall», rien n’a changé depuis l’âge d’or de ces chansons, on voit Dylan extrêmement concentré et en même temps très expressif, le fard blanc et le khôl autour des yeux n’y changent rien. Entre deux plans de Van Dorp, Dylan brosse pour Scorsese des petits portraits de ses invités, tiens comme Ronnie Hawkins, ou encore Allen Ginsberg - Il avait déjà obtenu du succès en tant que poète - Dylan précise pour ceux qui ne le savent pas que devenir poète à succès n’est pas évident, surtout à notre époque - Dylan continue avec Ginsberg - «He said : «The best minds of my generation destroyed by madness.» Very few poets have done that. Robert Frost, maybe : «But I have promises to keep/ And miles to go before I sleep.» And Whitman said : «I’m large. I contain multitudes.» - Dylan aurait aussi pu nous aussi sortir le fameux «Rage rage against the dying of the light» de Dylan Thomas, d’où vient d’ailleurs son nom. Mais il n’a peut-être pas osé. Ou trouvé ça trop facile. Il ajoute dans la foulée que les temps ont bien changé, the times they are a changin’ - Les poètes d’aujourd’hui don’t reach into the public counciousness that way. Aujourd’hui, les gens se rappellent de paroles de chansons, «Your cheatin’ heart will make me weep.» - Et il cite encore deux ou trois exemples. Scorsese filme Dylan et Ginsberg sur la tombe de Jack Kerouac. Dylan : «On The Road... He was talking about the road of life.» Il rend plus loin un hommage suprême à Joan Baez : «Joan Baez could sing anything. By a matter of fact I could hear her voice while sleeping.»

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             Et puis on assiste à une autre scène magique : «The Lonesome Death Of Hattie Carroll» sur scène. Joan Baez lui dit que c’est sa plus belle chanson. Dylan est en colère quand il la chante. Hattie Carroll est une servante black battue à mort par un blanc qui ne fut condamné qu’à six mois de ballon, alors ça fout Dylan en rogne. Et puis tiens, encore une autre scène magique et là tu serres la pince de Scorsese car tous les artistes qu’il nous montre sont des artistes exceptionnels : Joni Mitchell, accompagnée par Dylan et McGuinn dans une version de «Coyote» - No regrets, coyote/ We just come from such different sets of circumstance - Elle attaque au jazz vocal pur et c’est envoûtant. Dylan reste impassible. Il gratte avec elle, et derrière McGuinn gratte lui aussi comme un con. Van Dorp fait même un gros plan sur les ongles sales de Joni Mitchell. 

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             Et puis l’an passé, Dylan publiait son deuxième book, The Philosophy Of Modern Song. Un book attendu comme le messie. Ah la gueule du messie ! Premier gros défaut : le book paraît au moment des fêtes de Noël. Dylan gros cadeau tombé au beau milieu des agapes de foie gras et d’huîtres de la beaufitude ? Magnifique mauvais plan. La pire des associations. Dylan objet de consommation. En proie à une forme extrême de dégoût, on attendra six mois pour rapatrier l’objet et chasser les odeurs. Deuxième gros défaut : il n’y a rien de Modern dans ta Philosophy, Horatio Dylan. On va dire pourquoi.

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             Dommage, car le book se présente comme un bon régal. Format quasi-carré, pagination bien dodue de 300 pages, un ensemble graphiquement parfait, doté d’une iconographie tellement riche qu’elle donne un peu le vertige, surtout quand on est du métier. Le graphiste a soigné toutes ses doubles, il obtient de chaque image le rendement maximum, et traite les pages de texte à l’ancienne, avec des éléments décoratifs typo classiques qui rappellent ceux qu’on utilisait autrefois dans le Rolling Stone américain, qui était alors un modèle du genre. Les graphistes américains avaient compris que rock et typo faisaient bon ménage. Le designer du Dylan book s’appelle Coco Shinomiya, par contre, les images ne sont pas légendées. Coco obtient de certaines images un rendement extraordinaire (Roy Orbison, Little Walter, par exemple) et fait glisser le Dylan book dans la cour des grands, celle des livres d’art. Il utilise en plus un couché mat qui n’est pas très propice aux effets puisqu’il les apaise, ce qui rend la performance d’autant plus fulgurante. Et cette fois, le book n’est pas imprimé en Chine mais à Glasgow. 

             Un book, c’est comme un disk : ça s’examine, contenu comme contenant. On passait jadis du temps sur les pochettes d’albums à en extirper le moindre détail, comme on passe encore du temps aujourd’hui à estimer le grammage d’un bouffant ou à identifier la fonte d’un corps de texte. Les différences entre un Garamond et un Times sont infimes, mais en même temps déterminantes, puisque le Times fut dessiné pour la presse et le Garamond pour l’édition classique. Gallimard n’utilise que du Garamond. Pour le Dylan book, Coco Machin utilise aussi le Garamond. C’est une fonte qui joue avec ton œil. Même une petite édition de poche Folio, ça s’examine, car tu as un graphiste qui a fait des choix typo et d’illustration de couve pour rendre ta lecture agréable, il veille à ce que la qualité du contenant soit à la hauteur de celle du contenu.

             Trêve de balivernes. Bon tu baves en attaquant la lecture du Dylan book et très vite, tu commences à renâcler. Dylan travaille une notion de la modernité qui est la sienne, et peut-être pas la tienne. Il plante son décor dans des temps très anciens, et conçoit la modernité comme le principe novateur qui a permis de décoincer l’Amérique des années 50. Pour illustrer son concept, il choisit tous les vieux imparables, Hank Williams, Little Richard, Little Walter, Dion, Jimmy Reed et d’autres, complètement inconnus et qui ne peuvent plus intéresser les gens d’aujourd’hui. Dylan fait de l’histoire, ce que Kim Fowley appelait l’archéologie du rock, alors c’est foutu, car ça ne peut plus intéresser les kids. Dylan est un vieux bonhomme, il ne voit même plus l’avenir du rock. Il s’appuie sur ses valeurs sûres. C’est toute la différence avec Gildas, qui au seuil de la mort, clamait haut et fort qu’il y aurait encore des groupes avec des guitares, et il citait des noms. Pas de problème, il avait tout compris : place aux jeunes. Chez Dylan, c’est plutôt place aux squelettes. Même pas envie d’aller écouter les trucs dont il vante laborieusement les mérites. Il précède quasiment chaque texte d’un délire qui n’accroche jamais, et on se demande ce que ça a pu donner en français : c’est déjà imbuvable dans la forme originelle, alors on imagine ce que ça donne, une fois passé par les fourches caudines de la traduction, qu’on appelle aussi ici les abattoirs. Chlack, allez hop, ch’t’en débite une épaule, ch’t’en taille une cuisse, t’es payé à la carcasse, alors tu débites. Enfin bref, Dylan a pris un coup de vieux, il s’enfonce dans les ténèbres, comme tous les érudits, une fois passé le cap des 80 balais. Dans la cervelle, ça fait flic floc, et c’est normal. The Philosophy Of Modern Song se situe aux antipodes de Chronicles, un chef-d’œuvre lu et relu, ce qui rend la déception d’autant plus criante.

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             On attendait de Dylan qu’il nous parle des gens, et non pas de ce qu’il ressent en écoutant leurs disks. Bon, on ne va pas trop charger la barcasse, car le vieux Bob a encore des éclairs de génie, surtout quand il rend hommage à Hank Williams. Il se permet un petit aparté sur les temps modernes : «C’est le problème avec un tas de truc aujourd’hui : maintenant tout est engorgé, on est tous gavés comme des oies. Toutes les chansons n’ont qu’un seul thème, il n’y a plus de nuance ou de mystère. Alors les chansons ne font plus rêver les gens, les rêves suffoquent dans cet environnement privé d’air.» Bien vu, Bob. Discours de vieux, mais bien senti. Il poursuit sur sa lancée. Attention, poussez-vous, le voilà qui arrive : «Et ce ne sont pas seulement les chansons - les films, les émissions de télé, même les fringues et la bouffe, tout est soigneusement marketé. Sur chaque ligne du menu, tu as douze adjectifs, chacun d’eux étudié pour taper dans le mille de ton sociopolitical-humanitarian-snobby-foodie consumer spot.» Il pique une méchante crise et il a raison, car c’est exactement ce qui se passe. On nous gave comme des oies en permanence, dès qu’on est «connecté». Big Brother is watching you. Et le vieux Bob repart sur l’Hank : «There’s really nobody that comes close to Hank Williams.» Le problème c’est qu’on le savait déjà. Mais dit par Dylan, c’est mieux - Si vous songez aux standards qu’il a enregistrés, et il n’y en a pas des tonnes, he made them his own - Il sait dire pourquoi l’Hank a du génie : «La simplicité de cette chanson (Your Cheatin’ Heart) est la clé. Mais c’est aussi la force tranquille d’un chanteur comme Hank. La chanson semble lente parce qu’Hank ne laisse pas l’orchestre le dominer. La tension qui existe entre le near-polka rhythm et la tristesse dans la voix d’Hank mène le bal.» Il profite du passage à l’Hank pour rendre hommage à Willie Nelson, «le seul qui pourrait être vu dans le voisinage d’Hank.»

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             Son hommage à Little Walter vaut aussi le déplacement : «Il est aussi connu comme étant l’«electric blues harmonica originator, the master craftman and the prime mover.» Le vieux Bob ajoute que Little Walter s’appropriait les idées des autres pour en faire les siennes, et il cite l’exemple de «My Babe» qui existe depuis longtemps sous la forme du gospel song «This Train» - Walter a changé les paroles and made a classic performance out of it - Le vieux Bob retrouve sa grandeur d’antan en développant : «‘Key To The Highway’ est un update d’une chanson de Big Bill Broonzy. The key to the highway is a key to the cosmos, et la chanson entre et sort de ce royaume. La clé est celle qui permet de sortir de la ville. Elle devient de plus en plus petite dans le rétroviseur, une cité que vous êtes content de quitter à jamais. Quand Walter chante ‘I’m going back to the border where I’m better known’, il y croit dur comme fer. Il en a assez de Michigan Avenue et de Lakeshore Drive et de the Sears Tower. Little Walter ne se faisait pas appeler the back Door Man et il ne s’intéressait pas aux gamines de 19 ans. De tous les artistes signés sur Chess, il a dû être le seul qui ait eu véritablement de la substance. He could make anybody sound great. Il était évident qu’il n’allait pas vivre vieux.» Et là, on retrouve le Dylan génial du Theme Time Radio Hour, lorsqu’il brossait les portraits tragiques des géants du blues et du rock.

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             Il revient aussi sur le «Feel So Good» de Sonny Burgess pour donner l’une de ces leçons de culture rock dont il a le secret : «C’est un disque extrême, plus black que black, plus white que white. Il n’existait pas de nom pour ça dans les fifties, aussi personne ne savait comme vendre ces trucs-là, jusqu’au moment où le disc jockey de Cleveland Alan Freed inventa le terme ‘rock and roll’, inspiré d’une poignée d‘earlier risqué records’. Black and white country boogie and rhythm and blues, des deux côtés de la barrière, utilisant le même terme en forme d’euphémisme à peine voilé pour la copulation. Inutile de dire qu’avec ce terme, la vente de cette musique en fut grandement facilitée.» Puis le vieux Bob fait entrer les drogues dans le rock and roll, il évoque les drogues légales qui ne répondaient plus à la demande - Si tu te demandes comment une nation peut s’écrouler, regarde les dealers. Drug dealers in every city with bull’s-eyes on their backs, daring anybody to shoot them - On perd le Sonny et il y revient heureusement à la page suivante - Savoir si Sonny Burgess a lui-même composé «Feel So Good», ou si Sam Phillips a recyclé un cut de Little Junior Parker, comme il l’avait fait pour Elvis avec «Mystery Train», c’est un point de détail qui a disparu dans les sables du temps (lost to the sands of time). Sonny Burgess avait derrière lui a sweaty, sinewy band qui jouait derrière un grillage de poulailler soir après soir dans une série d’off-the-highway bucket-of-blood joints - Et il ajoute, magnanime : «This is the sound that made America great.» Il dit ça, car ailleurs il explique pourquoi l’America n’est plus great du tout. Mais alors plus du tout. C’est peut-être ici qu’il refonde sa notion de modernité : quand tous ces artistes dont il parle ont émergé, ils ont déniaisé ce pays peuplé de blancs cupides et racistes. Le rock’n’roll et le blues étaient alors d’une effarante modernité, celle qui allait révolutionner le monde et les vies des gens de notre génération. En avançant dans la lecture du Dylan book, la lumière se fait.

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             Fantastique portrait de Jimmy Reed avec sa guitare blanche et son gros costard. Big Boss Man ! «Jimmy Reed, the essence of electric simplicity.» Au-dessus de cette phrase, Coco Machin met l’image de Don Corleone. Le vieux Bob tire l’overdrive : «Tu peux jouer des centaines de variations du twelve-bar blues et Jimmy Reed devait toutes les connaître. Aucune de ses chansons ne touchait le sol. Elles bougent en permanence. Il était le plus country des blues artists des fifties. Il était habile et laid-back. Pas de béton des villes sous les pieds. He’s all country.» Et il ajoute plus loin : «No Chicago blues, rien de sophistiqué, léger comme une plume, il vole dans l’air et roule sur le sol. Dans le rock ans roll, le roll appartient à Jimmy Reed.» Et pour dire encore à quel point Jimmy Reed est un cas unique, le vieux Bob ajoute : «Aussi grand qu’il soit, Little Walter serait complètement déplacé sur un disk de Jimmy Reed. Pareil pour Jimi Hendrix. Et ce serait encore plus dur pour Keith Richards d’y trouver un truc à faire.» 

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             On se doutait bien que Bob allait saluer Dion. Il résume son parcours en une belle formule et rappelle qu’il a enregistré ces derniers temps un album the blues, «réalisant un de ses plus vieux rêves en devenant some kind of elder legend, a bluesman from another delta.» Comme tous les fans de Dion, le vieux Bob est frappé par la qualité de sa voix, «a breathtaking bit of vocal harmony» - et quand la voix de Dion éclate dans le pont, elle capture un moment de shimmering persistence of memory avec un éclat tel que les mots ne sont plus d’aucun secours - Et c’est là où le vieux Bob enquille son registre philosophique avec un brio purement dylanesque : «La musique s’inscrit dans le temps, mais elle est aussi intemporelle. On en fait des souvenirs, mais elle incarne aussi la mémoire. Quelle que soit la façon dont on la voit, la musique se construit dans le temps comme une sculpture se construit dans l’espace. Lorsqu’on vit avec elle, la musique transcende le temps, de la même façon que la réincarnation transcende la vie, en la vivant encore et encore.» La résonance de ces cinq lignes est d’autant plus énorme que ce sont les dernières lignes d’un book qu’on aurait voulu plus explosif, plus définitif. On s’est tout bêtement gouré de modernité. Celle du vieux Bob est bien plus fine que la nôtre. On s’est bien mis le doigt dans l’œil. Pendant toute sa vie, le vieux Bob t’a un peu forcé à réfléchir. Tu n’allais pas jerker sur ses chansons, tu tendais l’oreille pour essayer d’entendre le message. Et ce book tellement détesté au premier abord finit par s’imposer à son tour. Interroge-toi sur la notion de modernité. Mieux que ça : questionne tes propres notions. Le vieux Bob t’enseigne un truc de plus : tu découvres que tes notions sont figées, et le plus souvent ringardes. T’es plus dans l’coup papa, t’es plus dans l’coup, comme le chantait si gaiement Richard Anthony. Ce n’est pas le vieux Bob qui est largué, c’est toi. Mais au moins, tu secoues ton cocotier.

             Alors tu y reviens. Tu vas piocher dans John Trudell et boom, tu tombes en plein dans la dimension tragique du vieux Bob - Dans un square de Mankato, Minnesota, on peut voir une plaque commémorative indiquant que 40 Santee Dakota Indians ont été pendus dans les années 1870 - Le vieux Bob sort cette histoire pour rappeler que John Trudell est un Santee Dakota Indian. Attends, c’est pas fini - À la fin des années soixante-dix, John a conduit un cortège de tribus indiennes sur les marches du Capitole. Le lendemain, la caravane dans laquelle il vivait on the Duck Valley Reservation du Nebraska a été incendiée. On avait mis un cadenas sur la porte. La femme de John qui était enceinte, ses trois enfants et sa belle-mère ont brûlé vifs. Ceux qui ont foutu le feu n’ont jamais été inquiétés. Ça vous donne une idée du gouffre dans lequel John allait puiser pour écrire ses chansons - Le vieux Bob conseille de creuser un peu sur John Trudell - Il le mérite. Et quand tu l’as fait, creuse dans sa musique. L’idéal est de commencer avec AKA Grafitti Man, rempli de direct performances de John accompagné par son Oklahoma Soul brother Jesse Ed Davis.

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             AKA Grafitti Man est un album de rock classique américain, magnifique de power sourd. Quand on écoute «Rockin’ The Res», on comprend que le vieux Bob ait craqué. John Trudell chante sous le boisseau, à l’intestine, comme un Lanegan apache. Il s’y connaît en termes de «Restless Situation». Sacré veux Bob, quand il évoque le Trud, il sait de quoi il parle. Jesse Ed Davis joue à l’indienne sur «Baby Boom Ché». Comme le Trud fait autorité, ses cuts s’imposent invariablement. Avec «Bombs Over Baghdad», le Trud te prévient du danger. Mais c’est avec «Rich Man’s War» qu’il rafle la mise. Fantastique heavy boogie blues déclamatoire ! Il entre en littérature. On le voit à la suite chanter «Somebody’s Kid» avec une réelle profondeur de champ. Il est très à l’aise dans tous les domaines, y compris le heavy blues de «Never Never Blues». Dans «Beauty In A Fade», il croise l’indien avec le blues et y tartine un talk-over de telling story man. Édifiant !

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             Bob recommande aussi Bone Days. L’album est un peu plus indien, le Trud fait chanter un Grand Sachem dès «Crazy Horse» - We hear what you say - Même combat que celui de Buffy Sainte-Marie - One earth/ One mother - Chanson politique, plaidoyer pour un retour aux valeurs indiennes - We are the savage generation - Il a raison, le Trud, the people lose their minds. Il ramène encore de l’indien dans le morceau titre, avec en plus des percus, c’est fin et terriblement indien, le Trud est fabuleux de prescience, il partage son boisseau avec toi et fait chanter un Grand Sachem. Sinon, il reprend son bâton de pèlerin d’US rocker mais il reste en permanence tenté par les chants indiens sur des mid-tempos. Il chante son «Undercurrent» avec la voix d’un homme épuisé par la vie et les injustices, et une petite gonzesse vient duetter avec lui. Il emmène le dirty boogie de «Carry The Stone» sur le sentier de la guerre, il joue gras et ramène son Grand Sachem dans le gras du bide, avec des vieux relents de Stonesy. Il attaque encore son «Lucky Motel» au chant indien, avec en plus un sitar. Quel mic mac ! Il a cette manie géniale de chanter dans le groove, en mode story-telling. Et le Grand Sachem revient une dernière fois hanter «Doesn’t Hurt Anymore».

             Pour conclure sur John Trudell, Bob se fend d’un petit paragraphe éclairant : «Si l’on y réfléchit bien, la seule chose qu’on a tous en commun, c’est la souffrance, et seulement la souffrance. On vit tous des deuils, qu’on soit riche ou pauvre. Il ne s’agit plus des biens ni des privilèges, il s’agit de l’âme et du cœur, mais il y a des gens qui n’ont ni âme ni cœur. Ils n’ont pas de repère sur le bord du fleuve, pour leur indiquer la vitesse à laquelle ils avancent et vers quoi ils se dirigent. Et l’aspect le plus triste de cette histoire, c’est qu’ils n’iront jamais écouter John Trudell.»

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             Bob n’est au fond pas si vieux que ça. Dans son hommage à Warren Zevon, il salue Ry Cooder, car c’est Ry qu’on entend sur «Dirty Life And Times» - Ry Cooder is a man with a mission. Il n’existait pas de carte quand il cherchait la connexion between Blind Lemon Jefferson and Blind Alfred Reed, the place where conjunto met the gutbucket blues, où même un béquillard peut faire le duck walk. Ry lived and breathed it, apprenant au pied des maîtres et transportant le savoir comme des graines de région en région. Il a amélioré chaque disk sur lequel il a joué et beaucoup de ceux sur lesquels il n’a pas joué - En lisant ces quelques lignes, Ry Cooder a dû être drôlement ému. Bob rend aussi un hommage extraordinaire au Dead, un groupe qu’on ne peut comprendre que si on est américain : «Puis il y a Bob Weir. Un rythmique pas du tout orthodoxe. Il a son propre style, pas si différent de celui de Joni Mitchell, mais dans un autre genre. Il joue d’étranges accords augmentés et des demi-accords à des intervalles imprévisibles qui s’accordent bien avec le jeu de Jerry Garcia, qui joue comme Charlie Christian et Doc Watson en même temps.» Bob situe les concerts du Dead «in Pirate Alley on the Barbary Coast, right there by the San Francisco Bay.»

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             Il s’entiche aussi des Fugs rappelant, et il n’a pas tort, qu’acheter les albums des Fugs «c’était comme d’acheter ceux de Sun Ra» : «You had no idea what you would get.» Certains albums nous dit Bob sonnaient bien, «avec des gens qui démarraient et qui s’arrêtaient en même temps», et sur un autre album, on aurait dit qu’ils étaient enregistrés «avec une boîte de tomates en conserve accrochée au bout d’un manche à balai.» Il ajoute que les liners étaient parfois en Esperanto, te mettant au défi d’y comprendre quoi que ce soit. Bob salue leur «CIA Man» - live and slick and weird and primitive - Il rappelle dans la foulée que les Fugs tirent leur nom du roman de Norman Mailer, The Naked And The Dead, paru en 1948. La censure obligea Mailer à remplacer le mot Fuck par Fug, et les Fugs viennent de là. Bob se marre car les Fugs voulaient s’appeler les Fucks, mais ils ont opté comme Mailer pour la voie de la raison.

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             L’écrivain Bob profite d’un hommage au «Poison Love» de Johnnie And Jack pour deviser sur l’amour : «‘Poison Love’ is illicit love. Contrairement à ce que pense la plupart des gens, payer pour le sexe, c’est la meilleure affaire qu’on puisse faire. Les relations complexes coûtent beaucoup plus cher. Il vaut mieux aller chez les putes, ce n’est pas l’amour parfait, mais il y a beaucoup moins de problèmes. Vous n’irez pas chanter ‘poison love’. En payant pour baiser, vous avez ce que vous cherchez (si vous avez de la chance) et vous repartez indemne. Rien ne vous atteindra. Comme ils disent an Australie, pas de soucis. Poison love, c’est ce qu’il y a de pire. Ça peut vous tuer. Des tas de gens ne peuvent pas vivre sans une dose quotidienne de poison love.»

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             Petit hommage à Sam Phillips via le «Take Me From The Garden Of Evil» de Jimmy Wages. Bob ne sait pas qui joue de la guitare, c’est peut-être Luther Perkins - This is a Sam Phillips record. Raw and fearless as anything Sam ever recorded - Et plus loin, Bob dit que «Take Me From The Garden Of Evil» «might be the first and only gospel rockabilly record. This is evil as the dictator, evil ruling the land, call it what you will. Jimmy sees the world for what it is. This is no peace in the valley.» Quand Bob s’enflamme, le book prend feu. Il n’existe de Jimmy Wages rien de plus qu’une poignée de singles, un sur Sun et deux sur Norton. Merci Bob !

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              Dans un hommage à Webb Pierce, il brosse un sacré portait de Nudie : «Puis Nuta devint Nudie et quitta New York pour s’installer à Hollywood, où il fabriqua des costumes de danseuses sertis de pierreries de pacotille, puis tailla pour les hillbilly stars des costards de lumière qui électrifièrent les fans de Nashville à Bakersfield. Il broda des wagons sur Porter Wagoner et des toiles d’araignées sur Webb Pierce. Il couvrit Hank Williams de notes de musique et Elvis Presley de lamé or.» Et voilà qu’arrive Gram Parsons - Vous n’imaginez pas à quel point Nudie fut ravi de voir arriver Gram Parson, stoned au cannabis et rigolard, le représentant d’une génération qui croyait avoir inventé l’usage des drogues. Gram commanda un Nudie suit à thème. Des gens qui se situaient à la droite d’«Okie from Muskogee» furent surpris que Nudie accepte de faire ce costard, mais il avait un côté pratique, et comme ses dollars étaient aussi verts que son cannabis, Gram eut son costard. Bob the story-teller a encore frappé. 

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             L’hommage à Ricky Nelson est particulièrement balèze - Rick was part of a generation that had Buddy Holly, Little Richard, Chuck Berry, Gene Vincent, Fats Domino, and others, that made people from all nations, including commie countries, fall in love with America - Et le plus impressionnant de tous les portraits est sans doute celui qu’il fait de Townes Van Zandt, un Texan maniaco-dépressif soigné à l’insuline et aux électrochocs - Les traitements ont détruit une partie de sa mémoire, ce qui donne certainement à ses chansons such a skeletal detached feel - Alors Bob fonce dans la nuit : « Les rêves d’Elvis Presley furent remplacés par une passion pour les chansons plus tristes d’Hank Williams. Il erra et il but. Le Texas grouillait de musiciens qu’il fallait voir. Guy Clark, Gatemouth Brown, Jerry Jeff Walker, Butch Hancock, Doc Watson, Lightnin’ Hopkins, Mickey Newbury, et Willie Nelson. Newbury l’amena à Nashville, où il le présenta à Cowboy Jack Clement, un homme qui connaissait les comportements extrêmes, puisqu’il avait produit Jerry Lee Lewis. C’est ainsi que débuta un prolifique, tumultueux et finalement désastreux chapitre dans le vie de Townes, qui s’acheva dans des procédures, des accusations et des bandes effacées. L’un des moyens de mesurer la grandeur d’un compositeur est de voir qui sont ses interprètes. Townes has some of the best - Neil Young, John Prine, Norah Jones, Gillian Welch, Robert Plant, Garth Brooks, Emmylou Harris, and hundreds of others.» Et bien sûr, comme tous les ouvrages en forme de galerie de portraits, celui-ci gagne à être lu et relu. 

    Signé : Cazengler, Bob Divan

    Bob Dylan. The Philosophy Of Modern Song. Simon & Schuster 2022

    Martin Scorsese. Rolling Thunder Review: A Bob Dylan Story. DVD

    John Trudell. AKA Grafitti Man. Rykodisc 1986

    John Trudell. Bone Days. Deamon Records 2001

     

     

    Inside the goldmine

     - Antrell du désir

             Pas facile de savoir ce que Nave avait au fond de crâne. Ceux qui le connaissaient un peu cédaient à la facilité en disant de lui qu’il battait le nave. Jolie manière de dire qu’ils ne savaient rien de celui qui ne savait rien, ou qui ne voulait rien savoir. Il n’existe pas de rôle plus difficile à jouer au quotidien. Ne rien vouloir savoir ni entendre et conserver en même temps un semblant de sociabilité ? Essayez et vous verrez bien. La réserve est le plus souvent une disposition naturelle. Quand on l’observe chez quelqu’un, on l’apprécie. On l’interprète même comme une forme d’intelligence. Elle nous repose du caractère extraverti des commères du village, qui sont le plus souvent des gens assommants et d’une bêtise hallucinante. C’est l’une des raisons pour lesquelles on recherchait la compagnie de Nave, il nous reposait du chaos environnant, même s’il restait une sorte de soupçon quant à l’automatisme psychique de sa réserve. Non seulement il ne voulait rien savoir mais le moindre début d’aveu le mettait mal à l’aise. Il s’empressait d’écourter, disant qu’il ne voulait pas entendre la suite, surtout si l’aveu se faisait sous le sceau du secret.

             — Mais Nave, tu as peur de quoi ?

             — Si je tombe dans les pattes de la Gestapo, je ne dirai rien, puisque je ne sais rien. Tu comprends ?

             — Mais Nave, si tu tombes dans leurs pattes, pauvre imbécile, tu vas quand même mourir...

             — Oui, je sais bien, mais au moins je vais mourir héroïquement, pas comme une balance.

             — Et si tu tombes dans les pattes du KGB ?

             — Je subirai l’épreuve du sérum de vérité et là, ils verront bien que je ne sais rien. Donc je ne risque rien.

             — Tu as tout prévu...

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             Pendant que Nave bat le nave, Dave bave. Dave rêve d’un avenir de popstar. Comme des millions de kids à travers le monde, en 1970. C’est sur une compile Garpax qu’on a découvert l’existence de Dave Antrell. Quand on le voit en gros plan sur la pochette de son unique album solo, il n’est pas jojo, avec sa petite moustache et son bouc miteux, mais on change d’avis quand on l’entend chanter «Lost A Dream».

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    Avec ses faux accents de Donovan, il aurait pu devenir énorme. En tous les cas, «Lost A Dream» sonne comme un hit obscur. On se régale aussi du beau climat de Beatlemania qui y règne. Ce cut catchy est en deux parties. Curieusement, les deux cuts figurant sur la compile Happy Lovin’ Time (Sunshine Pop From The Garpax Vaults) n’apparaissent pas sur l’album. Le «Straight From A Rainbow» qui ouvre le balda aurait pu lui aussi devenir un hit, car voilà de l’excellente pop californienne. On se croirait chez les Monkees. Tout le gratin du Gold Star est derrière lui : Hal Blaine (beurre), Carol Kaye et Joe Osborne (bass), Al Casey (guitar), avec en plus tous les cuivres et tous les violons dont peut rêver une popstar en devenir. C’est très upbeat, très enjoué. Beaucoup d’allure. Encore un album et un artiste qu’il faut arracher à l’oubli. Il repart à l’assaut des charts avec «Midnight Sunshine», une pop énergétique. Antrell du désir se donne les moyens, mais il restera inconnu au bataillon. Forcément, son album est sorti sur un label obscur : Amaret. Et puis au fil des cuts, on se heurte aux aléas du monde pop : parfois c’est bon, parfois ça ne l’est pas. Mais avec Antrell du désir, c’est toujours bien foutu. Il devient plus ambitieux en B avec «The Clock Strikes Twelve». Franchement, il navigue au même niveau que Jimmy Webb. Il va chercher des subtilités dans les harmonies vocales et veille à ce que tout soit judicieusement orchestré. Rappelons qu’il compose tous ses cuts. Encore de la belle pop d’élan vital avec «Children Of The Sun». Ce n’est pas celui des Misundestood. Antrell du désir s’élance du haut de la falaise pour bondir dans l’azur immaculé. C’est un vrai jaillisseur, digne de Wim Wenders. Il sait parfaitement bien jouer la carte de l’élévation, comme le montre encore «Sunser», mais il n’y a rien de révolutionnaire chez lui, juste de la grande ampleur. Il termine ce bel album avec «I’m Taking No Chances», très upbeat, straight to my nerves, il est bien décidé à jerker sa pop, il le fait avec l’exigence d’un grand compositeur. Dommage qu’il en soit resté là. Il aurait dû persévérer, même s’il n’a pas une tête de popstar.

    Signé : Cazengler, Dave Entrave (que dalle)

    Dave Antrell. Dave Antrell. Amaret 1970

     

    Wilson les cloches

    - Part Two

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             Pour bien prendre la mesure du génie sonique de Jim Wilson, il est essentiel d’aller fureter dans la ribambelle d’albums qu’il a enregistrés avec Mother Superior, puis avec Henry Rollins. On parle ici d’une œuvre, qu’il faut ramener au niveau des celles de Wayne Kramer/MC5 et des Pixies. Pendant dix ans, Jim Wilson fit des étincelles en mode power trio avec Mother Superior, puis en l’an 2000, il accepta d’entrer au service du capitaine de flibuste Henry Rollins : grand bien lui fit, car après nous avoir cassé les oreilles avec Black Flag, Henry Rollins revint à de meilleurs sentiments au contact de l’inflammable Jim Wilson. Les clameurs d’abordage du Rollins Band allaient éclairer les années 2000.

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             Retour en 1993, quand paraît le premier album de Mother Superior, Right In A Row. Le jeune Jim nous avertit dès «Shake This Fever» : il est déjà le roi de la heavyness, et ses deux bras droits, Marcus Black et Jason Mackenroth sont déjà très affûtés. Soutenu par une section rythmique prodigieusement alerte, le jeune Jim ramène toute la viande du monde. La photo du trio qu’on trouve dans la boîboîte nous les montre tous les trois, ados américains avec des jeans en lambeaux et des cheveux longs. À les voir, on ne croirait jamais qu’ils puissent sortir un son pareil. Le ton est donc donné avec «Shake This Fever» et le bal des surprises ne fait que débuter. Mother Superior est le power trio à l’état le plus pur, et en plus, le jeune Jim chante pour de vrai. Pendant qu’il tartine son gras double, ses deux bras droits jouent un squelette d’heavy blues. Ils sont MILLE fois meilleurs que Cream. Le jeune Jim attaque «Goin’ Up In Smoke» et dévore le Smoke aussi sec. Il gratte une disto dévastatrice, il remplit le spectre, il crée du vertige en permanence, il s’installe au sommet du smart, il bâtit un mur du son et prend feu lorsqu’il part en solo. Pur sonic genius ! Il tape ensuite «Body & Mind» en mode Season Of The Witch, c’est dire l’ampleur de sa vision conceptuelle, et enchaîne avec «Shitkicker» qu’il prend au chat perché. Il chante ça à bout de souffle et battrait presque les Zizi Top à la course. Le jeune Jim ne casse pas la baraque, il la fracasse. Le voilà parti en mode heavy balladif avec «Stop Putting Me Down». Il le pousse bien dans les orties, et sur le tard du cut, il part en maraude. C’est un pisteur apache, rien n’échappe à son tomahawk. Il faut aussi le voir attaquer «No Doubt (In My Mind)» à l’anglaise. On croit entendre Paul Rodgers. C’est exactement la même langue-tentacule qui entre dans la vulve du son. Heavy Soul de heavy rock. Et il repart en mode heavy blues avec «PW Blues» à la grosse entente cordiale - I got a woman yeah/ She’s never satisfied - Il traite le vieux thème en profondeur - She never do no good - Il se plaint d’elle et plonge dans les abysses du blues. Il n’en finit plus de plonger. Le spectacle qu’il offre est extraordinaire. Il termine cet album effarant de qualité avec un «Strange Combination» gratté à coups d’acou en mode Led Zep III. Puis il se fâche et lâche ses légions de démons, histoire de tailler le cut en pièces aux accords anguleux d’atonalité. Et pour finir, il te recrache comme un noyau. 

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             Avec sa pochette ratée, Kaleidoscope n’inspire pas confiance. Sauf que boum badaboum, il t’envoie vite fait au tapis. Jim Wilson positionne dès «Got To Move» son Kaleidoscope dans le heavy rock blues des seventies - Now dig this ! - Alors tu dig. Tu te dépêches pour ne pas rater la parole d’évangile. Jim Wilson joue son heavy blow off à la façon de Mountain. Il réunit tous les poncifs. C’est un champion du full blown. Le coup de génie se trouve à la fin : «You Think It’s A Challenge». Il y fait du heavy Jim, il saute sur les remparts, il te wash out tout le heavy blues rock, il ramène tout le gras double des seventies. Cette pure merveille devient aussi précieuse que la prunelle de tes yeux. Encore de la heavyness avec «Must Be A Curse». De toute façon, tu le suis partout. Avec son gotta move on down the line, il bascule dans sa chère heavyness et gueule à s’en arracher les ovaires. Son «When I’m Alone I Feel Like Cryin’» est quasi-hendrixien. Tu crois rêver. Avec «Girl On My Mind», il passe au petit gratté de slowah, mais il te fait un heavy slowah de force 10. Il excelle à exprimer ses sentiments. Il sait aussi cavaler ventre à terre comme le montre «Count Me Out». C’est l’apanage du Jim : il sait faire sonner un sugar lips. Il en a la bave aux lèvres, et en prime, il te passe un killer solo flash. Il s’amuse bien avec son rock’n’roll blast. Cet album est une véritable aventure.

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             Les ceusses qui ont chopé Deep à l’époque sont des gros veinards, car maintenant, l’album vaut la peau des fesses. Very big album, produit par Henry Rollins. Bienvenue au pays de l’heavyness, et ce dès «DTMMYFG?». Alors on se demande ce que veut dire ce mystérieux acronyme. Jim Wilson pose simplement la question : Did The Music Make You Feel Good? Depuis l’origine des temps, Jim Wilson a le génie de la mise en bouche. Il sait poser les conditions de l’heavyness électrique. Tout aussi heavy as hell, voilà «Superman». Il accompagne toutes ses descentes en enfer de fabuleux camaïeux de notes et s’en vient planter son solo dans le cœur du cut. Personne ne peut aller plus loin que Jim Wilson dans l’exercice de cette fonction. Il manie l’heavyness à merveille, c’est sa came. Le solo coule tellement de source qu’il semble sortir de lui. Mine de rien, tu te retrouves là dans l’un des meilleurs albums de cette époque. Puis il pique une crise de speed avec son morceau titre, sa barbichette prend feu, le cut fonce comme un train fantôme devenu fou, c’est exceptionnel de wild drive. Avec «Fascinated», il ne perd pas de temps : il descend aussi sec au barbu. Ce mec est un desperado, il a déjà le chapeau et la barbichette à moitié cramée. Puis ils va sortir sa triplette de Belleville, trois coups de génie enchaînés : «What I Heard Today», «Crawling Back» et «Crazy Love». Il plonge directement dans sa bassine d’huile bouillante pour What I Heard. Personne ne l’a poussé. Il adore faire le beignet. Il prend l’heavyness complètement à contre-emploi. Il en devient génial. Il fait de l’Hugo sonique face à l’océan. Voilà sa mesure. Comment se fait-il que si peu de gens aient vu qu’il avait autant de génie ? Son What I Heard balance dans le ressac, Jim Wilson titube dans les décombres, il abrase tout aux vents de sable, il chante à contre-courant du contre-courant, c’est très spécial, très Wilson, il est l’Hugo de l’heavy rock, dressé face aux tempêtes de Guernesey. Il repart à l’assaut des éléments avec «Crawling Back», non seulement tu t’agenouilles devant lui, mais tu dresses l’oreille pour ne pas en perdre une seule miette, il chante à la pointe du beat, c’est stupéfiant, il t’emballe ça à la violence subterranéenne du don’t. Et restes dans son jardin magique avec «Crazy Love». Mais le jardin prend feu, c’mon ! et ça monte en pression à mesure qu’il ramène tout le son du monde.

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             Encore une pochette ratée pour l’album sans titre, Mother Superior, paru en 2001 et produit par son boss Henry Rollins. Tu aimes le blast ? Alors écoute «Zero’s Back In Town». C’est bombardé de son, cadenassé dans l’hardcore de no way out. Ça joue à la vie à la mort, avec un petit côté démonstratif, il faut bien l’admettre. Mais ça reste violemment bon. Ils tapent dans l’extraordinairement bon avec «Pretty Girls». Jim Wilson paye ses dues à Sabbath et aux autres cakes de l’heavyness des seventies. Il allume la gueule du mythe. Le «Whore» d’ouverture de bal est une belle énormité. Jim Wilson embarque sa whore pour la Cythère des enfers, avec un killer solo flash à la clé. Wow, quelle dégelée ! Nouvelle dégelée avec «Worthless Thing». Jim Wilson a un sens aigu de l’invasion. Il t’envahit vite fait. Il parie sur le stomp et rafle la mise. Il mixe la cavalcade avec le killer solo d’arrêt mortel et le wild as fuck. Autant dire que ça mousse. Il faut aussi le voir claquer son «Fell For You Like A Child» sous le couvert d’un certain boisseau.

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             Côté pochettes, ça s’améliore brutalement avec celle de Sin. C’est le plan des fameuses pochettes rouges (Slade Alive et le Grand Funk de Grand Funk Railroad). Au plan musical, Sin est un tout petit peu moins dense que les albums précédents. On croise une «Jaded Little Princess» montée sur les accords du «Sweet Jane» de Lou Reed. C’est exactement la même ambiance, le même swagger de boulevard. L’autre morceau phare de Sin est un heavy blues, «Spinnin», une belle descente au barbu. Jim Wilson n’oublie pas la règle d’or de Clovis Trouille : sous la robe de bure palpite le plus pur des barbus. Jim Wilson transforme son heavy blues en chute du Niagara, c’est un vrai déluge de son. Il fait du Superior supérieur avec «Strange Change». Wayne Kramer traite Jim Wilson de «missing link between Little Richard and a 100 Watt Marshall Amp». «Strange Change» est de l’heavy jus de jouvence avec une wah en contrepoint. Sur cet album, tout est une fois de plus drivé à la gratte. Il joue encore sa carte de heavy dude avec «Ain’t Afraid Of Dying», il chauffe sa baraque aux éclats subliminaux et passe avec «Fool Around» au big balladif. Il arrose toute la stratosphère de son, il devient presque black à force de romantisme downhome. Jim Wilson a du génie. Globalement, tous ses cuts ont de la tenue. Il chante bien et il sait placer ses riffs. Il n’engendre que de la délectation. Il faut le voir dans «Rocks» exploiter des rythmiques de bon aloi ! Il n’en finit plus d’injecter de l’heavy load dans ses cuts. Il termine avec l’excellent «Fade Out Wounded Animal» - I’m a wounded animal/ I’ve a bleeding heart.

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             Wayne Kramer produit 13 Violets. Il faut donc s’attendre à un festin de son. Et à des coups de génie, comme par exemple «*****» joué aux power-chords de marche arrière, pas de pire marche arrière que celle-ci, et tu as un refrain de chœurs de renvois, un vrai piétinement de Bérézina, une hérésie du rock moderne. Ça continue avec «Queen Of The Dead» et là, ça cavale au sommet du genre, ce démon de  Jim Wilson te taille un hit sur mesure - She’s all I want/ Queen of the dead - Il te plaque ça avec une candeur démente, comme si de rien n’était. Encore une belle énormité avec le morceau titre, noyé de power, même la voix se noie dans le remugle, ça gouille de dynamiques, ils sont passés à autre chose. Si tu tends l’oreille, tu entendras aussi des accents de Cream. Et voilà la triplette de Belleville : «Turbulence», «Fuel The Fire» et «Did You See It». Tu prends la dégelée de «Turbulence» en pleine poire, avec Jim Wilson, ça ne rigole pas, il envoie la disto maximale en éclatant de rire, ha ha ha, puis il attaque son «Fuel The Fire» à l’anglaise classique et pose là-dessus un chant très anglais, en mode heavy blues rock, puis il dégomme son «Did You See It» à coups d’accords à contre-temps. Ce sont les accords des Creation. Tout est bardé de barda, pur sonic trash ! Jim Wilson a de l’envergure. Il sait aussi caresser la comète du groove de Soul, comme le montre «Everything Is Alright». Pour ce faire, il ramène des cuivres. Il est tellement surprenant qu’il échappe à tous les radars. Il construit son œuvre. On devrait le décorer pour ça. Il met ses idée en scène. Ses idées valent de l’or. Avec «Kicked Around», il vise la cavalcade par dessus l’horizon. Rien que ça.

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             Moanin’ est probablement le meilleur album de Mother Superior. Ils n’arrêtent pas. Tu as au moins trois coups de génie, là-dedans, et une Stoogerie. Tiens on va commencer par elle : «A Hole», tout un programme ! Lancé comme une attaque, mais avec les riffs des Stooges. Et Jim Wilson plonge dans le fleuve de lave, c’est du big Motha fondu dans les Stooges. Extraordinaire ! Il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie. Il fait à la fin de l’album une version démente de «Jack The Ripper». Quelle avalanche ! Tu n’as pas le temps de t’enfuir. Ça prend des allures folles à la Asheton. Jim Wilson est un génie du mal. Pas de pire fournaise. Coup de génie encore avec «This Song Remains Me Of You», Jim Wilson fout le feu dans l’intro, il t’explose cette belle love song en bouquet d’harmonies doublé d’un heavy shuffle de gaga demented. Alors il part en vrille et te démolit tout le jeu de quilles. Encore une fois, il te tombe dessus et tu n’as même pas le temps de dire Omen. Killer Jim Wilson ! Il finit en solo d’apocalypse et t’aplatit pour de bon avec un solo de wah qui n’en finit pas. Cette fois, tu te jures que tu n’y mettras plus les pieds. Mais trop tard, car voilà «Get That Girl», vite expédié en enfer, en mode Basement Five - Watch out ! - Il te dégueule dessus, ce power trio détient tous les tenants des aboutissants. Jim Wilson se situe à l’extrême limite de la saturation. Et voilà «Little Mother Sister» qui va annoncer la suite. Jim Wilson en profite pour lâcher une armée de démons sur la terre, avec un solo qui s’étrangle de rage. Son «Fork In The Road» est complètement dévastateur, et soudain, on réalise que Jim Wilson porte la barbichette du diable. Il passe au Punk’s Not Dead avec «So Over You». Listen ! Ils te fondent dessus comme des démons échappés d’un bréviaire, c’est plein de vie et de fantastique énergie, away sail away, il lui demande de dégager vite fait. Même sa cocote pue l’enfer, comme le montre «Erase Her». Il lâche des nuages de soufre, il concentre tous les maux de la terre, ses solos sont des modèles de tisonnage, Jim Wilson et une bête de l’Apocalypse, il pue à la fois la Stoogerie et la chair brûlée, et encore une fois, il claque un solo digne de ceux de Ron Asheton.

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             Three Headed Dog est un bon album, même s’il est un peu moins dense que la brute immonde qui le précède. Jim Wilson annonce la couleur d’entrée de jeu avec «(I’m) Obsessed». C’est comme qui dirait réglé d’avance : il va te chauffer la cambuse pour l’hiver. C’est un roi des fournaises. Il ne jure que par les pelletées de braise et ses descentes au barbu restent spectaculaires. Avec «False Again», il fait du Fast Eddie Clarke, il joue à la surface des flammes. Il amène «Shady Lady» comme une marée du siècle. Ses power-chords deviennent historiques. Il ralentit un peu le mouvement avec «Today That Day», il tape un heavy slowah comme le fait si bien Reigning Sound. Jim Wilson a tout le power du monde au creux de ses mains. Il redevient un démon pour «Panic Attack». Il fait de l’heavy punk de Motha, très buté, stop/start, et ils repartent au Goddamnit. Son seul vice est de vouloir t’emmener chaque fois en enfer. Mais c’est pour ton bien. Jim Wilson est aussi un chanteur puissant : il distille le poison de son power à petites doses dans le fond de sa gorge, comme le montre «Sleep». On se rend malade à force de fréquenter des artistes aussi doués. Il tape son «Left For Dead» à l’énormité prévalente, il le noie dans la purée. Spectacle dégoûtant. Il termine avec un «Standing Still» d’une déroutante qualité artistique.

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             Grande, le dernier album en date de Mother Superior, est paru en 2008 sur un petit label toulousain, Kicking Records. Grande bénéficie d’une très belle pochette, bien dans l’axe Mère Supérieure des surréalistes. Il s’agit d’une collection of Mother Superior songs old, new borrowed and blues, comme l’indique le dos de la pochette. Le coup de génie de l’album est la cover d’«Happiness Is A Warm Gun», chef-d’œuvre lennonien tiré du White Album. Jim Wilson cocote bien sa purée d’I need a fix/ Cause I’m going down. Il surgit comme un saumon dans le Mother Superior jumped the gun, puis il se fait sécher au soleil d’Happiness - And I feel my finger on your trigger/ I know nobody can do me no harm - C’est bien que des grands artistes comme Jim Wilson puissent rendre hommage à John Lennon - Well don’t you know that happiness is a warm gun momma ? - Ceci dit, on trouve pas mal de petites énormités sur cet album bien né, comme par exemple «Five Stars», puissant, joué en retenue, avec un riff alourdi qui affale au longeant par bâbord. «Brain Child» va plus sur l’heavy doom, un empire que Jim Wilson aime à bâtir, mais on n’en voit guère l’intérêt, comme dirait Martin Guerre. Le «Meltdown» qui ouvre le bon bal de B sent bon la Stonesy, mais aussi Free, dans l’idée du riff.

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             Et puis tu as toute la période Rollins Band, qui démarre en l’an 2000 avec l’épuisant Get Some Go Again. Tout n’est que blast, luxe et volupté sur cet album. Ça grouille de puces. Hommage stupéfiant aux Groovies de «Teenage Head» avec «Monster». Jim Wilson descend en mode heavy Leigh Stephens dans les Groovies de Roy Loney et ça donne un sommet un lard fumant. Rollins chante jusqu’au bout de ses forces et Jim Wislon cloue le cut au ciel lors d’un sacrifice d’une effroyable noirceur. De toute façon, tu comprends dès «Illumination» que le ciel va te tomber sur la tête. Rollins raconte qu’il traverse des yellow deserts et pose son yeah, c’est un féroce screamer, et bam !, Jim Wilson part en vrille de no way out. Bienvenue du paradis du sonic blast ! Ici tout prend feu sans qu’on sache pourquoi. Rollins scande son morceau titre - Get some/ Get some - et l’attaque de plein fouet. Il chante vraiment comme un capitaine de flibuste, ce n’est pas une vue de l’esprit. Il chante à l’abordage, il monte à l’assaut du rock, c’est très physique, et Jim Wilson lève des tempêtes. Ils tapent «Thinking Cap» au heavy beat tribal et ça ressemble très vite à une invasion, yeah, la menace est là, dans la voix de Rollins, il chevauche en tête, sur un petit cheval, c’est lui Attila, menton rouge de sang. Tant de power te fait rêver. Ah ah, Rollins se marre. Et tu vois «Change It Up» s’écrouler aux accords de trombose, ils tapent dans toutes les configurations - Life’s so Short ! - Nouvel assaut avec «I Go Day Glo», Rollins shoute tout à la force du poignet et enfonce ses Oh Yeah Oh Yeah comme des clous dans des paumes. S’ensuit un hommage cinglant à Lizzy avec une cover d’«Are You Ready». Et ça continue de brûler jusqu’à la fin, les accords de Jim Wilson éclosent comme des Fleurs du Mal dans «On The Day», «You Let Yourself Down» explose à coup d’all nite long, Jim Wilson noie «Brother Interior» dans les poux et Jason Mackenroth bat le beurre du diable dans «Hotter & Hotter». Il arrive un moment où ta cervelle jette l’éponge. Trop c’est trop.

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             Attention, il existe une version enhanced de Get Some Go Again : sur le CD2, tu as quatre killer cuts et des vidéos. Franchement, ça vaut le détour, même si on vient de faire une petite overdose avec le CD1. On se régale de la grosse cocote cra-cra de Jim Wilson sur «Side By Side». Il t’installe au cœur de la heavyness et part en sale vrille dégueulasse. Il refait le coup dans «100 Miles» avec un killer solo flash qui restera dans les annales. Et voilà le clou du spectacle : une version live de «What Have I Got», montée en épingle d’Ararat dans un déluge apocalyptique. En bon pirate tatoué et barbare, Rollins stone fait son monster basher - What Have I got?/ Nothing much at all.

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             Un autre double CD paraît 5 ans plus tard sur le label d’Henry le pirate, 2.13.61 Records : Get Some Go Again Sessions. Sur la pochette on peut lire : Henry Rollins & Mother Superior. On a pendant des années considéré ce double CD comme l’un des plus explosifs de l’histoire des explosions. On y retrouve bien sûr tous les hits de Get Some Go Again, mais bruts de décoffrage. On a l’impression d’écouter l’album de blast définitif. Il faut entendre Rollins stone attaque «Monster» au I’m a monster, entendre la chape de plomb d’un «Illumination» heavy as hell, avec un Rollins stone qui hurle tout ce qu’il peut, l’encore plus brutal «Thinking Cap», gratté dans le chaos d’une fournaise extrême, c’est gorgé de power avec un Jim Wilson qui rôde dans le chaos, et puis tu retrouves le «Change It Up» tapé au blast de funk, gratté aux accords de fer blanc, des accords qu’on n’entendra jamais ailleurs. Sur la version d’«Are You Ready», tu as Scott Gorham qui vient foutre le feu à Lizzy. C’est son métier. Et ça devient encore plus mythique avec «Hotter & Hotter» car Wayne Kramer entre dans la danse, il est l’œil du cyclone, ça en fait deux avec Jim Wilson, c’est battu à la Mother par ce fou de Jason Mackenroth. C’est lui le propulseur nucléaire. Et ça monte encore d’un cran avec «LA Money Train» - So Jason are you ready ? - Yeah ! Wayne Kramer reste dans la danse et Rollins stone lance son talking blues - All aboard - Ça gratte aux funky guitars. Pur genius d’Henry Rollins qui en fait est un spécialiste du talking blues. Ah il faut avoir écouté ça au moins une fois dans sa vie - Yeah I get so tired of all the drama - C’est un texte fleuve qu’il swingue à la force du poignet - Sometimes I think it’s all over/ No more Coltrane/ No more Duke/ No more Monk, Jimi, Otis, Aretha, Daisy, or Sly/ And no one seems to stop and wonder why/ And I turn on the radio and it makes me wanna cry/ Because I know it’s never gonna come around again/ And it makes me cry because I know that there’s so many people who’ll never get to hear Mahalia Jackson, Mississippi Fred McDowell, Lightning, Lemmon, Curtis, Marvin, and the Reverend Al Green - Il se plaint de la médiocrité qui s’est abattue sur la terre - The airways are clogged and it’s not looking good/ In fact it’s looking pretty mediocre out there/ But I digress - «LA Money Train» est l’un des très grands chefs-d’œuvre de l’histoire du rock américain, tous mots bien pesés. C’est la raison pour laquelle il faut choper les Get Some Go Again Sessions. Après, ça continue avec «Side By Side» et sa grosse cocote, cut palpitant de power occulte à la Sabbath, avec un Jim Wilson qui part en rase-motte délétère, suivi de «100 Miles» heavy as hell d’I want your blood. Impossible de faire plus heavy. Rollins stone étale son power dans la purée de Mother. Jim Wilson atteint encore à la démesure avec «Summer Nights», il reste ce guitar hero si prodigue de beauté et de violence. Ils attaquent le disk 2  avec «Yellow Blues», idéal pour ces Bêtes de l’Apocalypse que sont Rollins stone et Mother. Puis ils plongent «Don’t Let This Be» dans un bouillon d’heavyness. Ils sont au sommet du genre. Ils aplatissent tout le rock, le beat avance à pas d’éléphants. Plus heavy, ça n’existe pas. Rollins stone hurle dans la cave de l’Inquisition. Ça fout la trouille. Et tout se barre en sucette dans «Coma». C’est du grand art dégénéré. Rollins stone pousse les hurlements d’un loup qui serait devenu fou. Jim Wilson te tombe encore dessus avec «Hold On». Il continue de dérouler la pire heavyness d’Amérique - You must hold on/ Cold nights/ Long nights - On croise encore une version d’«Illumination», ce heavy groove urbain tailladé d’incursions massives, enfin bref, ça ne s’arrête pas. Ils bourrent le mou du rock jusqu’au bout.

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             Le Nice qui sort en 2001 est ce qu’on appelle ici une abomination. Un album explosé d’entrée de jeu avec un «One Shot» digne du MC5, avec en plus tout le poids de Rollins stone dans la balance - You take one shot - et Jim Wilson plonge aussitôt le cut vivant dans la bassine d’huile bouillante. Tu as là l’un des sommets du rock américain. Un de plus. Pas compliqué : tu as trois coups de génie enchaînés, «One Shot», «Up For It» et «Gone Into The Zero». Ah le power inexorable d’«Up For it», une vraie dégelée royale de stay up for it et ça se répand all over avec «Gone Inside The Zero», Rollins stone se jette dedans, c’est de plus en plus explosif, il n’existe rien de plus dense ici bas. Rollins stone installe encore la suprématie de l’heavyness avec un «Hello» qu’il scande, hello darkness ! Il passe au rap avec «Your Number Is One», il va chercher des vibes sous le boisseau, et soudain il surgit, one ! One !, et le saumon Jim Wilson gratte dans l’arc en ciel des légendes celtiques. Il faut aussi saluer les dynamiques acrobatiques de Marcus Blake et de Jason Mackenroth. Des lèpres d’heavyness ravagent «Stop Look Listen» et Maxayn Lewis vient faire des chœurs dans «I Want So Much More». Pur power de Rollins stone - I want get some ! - Trompette ! Demented ! Encore de l’heavyness maximaliste avec «Hangin’ Around», Rollins stone écrase bien le champignon d’oh yeah, il ramène tout l’oh yeah qu’il peut dans la soupe aux choux de la mère supérieure. Tu vois Jim Wilson se faufiler comme une couleuvre de printemps dans les moiteurs de l’épaisseur et soudain, ça prend feu ! Avec Wayne Kramer, il est le géant incontestable du wild sonic fire. Encore plus heavy, comme si c’était possible, voici «Going Out Strange», ça culmine jusqu’au vertige. Le vertige, c’est leur fonds de commerce. Ça cloue dans les paumes à coups redoublés. Et ça s’arrête enfin avec «Let That Devil Out» monté sur un groove de jazz bass de Marcus Blake. Furia del diablo. Blake te monte ça en épingle demented.

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             A Nicer Shade Of Red paraît aussi sur 2.13.61 Records, le label de Rollins stone. Ce sont des albums difficiles à trouver. Dans la distribution des rôles, Rollins n’est pas crédité vox mais throat. Départ en trombe avec «Too Much Rock & Roll». Jim Wilson te travaille ça au tison ardent et Rollins stone lance l’assaut à coup d’Oh yeah. C’est vite plié à coups de clameurs extravagantes. Retour aux affaires sérieuses avec «Marcus Has The Evil In Him». C’est l’enfer sur la terre, ils creusent des tunnels dans ta cervelle. Jim Wilson zèbre tout ça d’éclairs, comme Zorro. On reste dans les affaires sérieuses avec un «Nowhere To Be But Inside» battu à la vie à la mort. Rollins stone mène son bal à l’énergie pure et Jim Wilson en rajoute. «10X» est heavily evil ou evily heavy, c’est comme tu veux. Punks’ not dead avec «Always The Same» - You/ Dont/ Like me/ It’s always the same - Assaut magnifique de punkitude américaine, l’une des rares qui soit éligible, d’autant que Rollins stone te la monte en neige et que Jim Wilson te l’explose au killer solo flash. Qui saura dire la grandeur de Mother Superior ? «Raped» sonne un brin hardcoreux, à cause du titre, sans doute. Idéal pour la bande son d’Irréversible - Fuck you/ Fuck me - Le Rollins y met toute sa gomme de gommeux californien. Puis ils tapent une cover d’«Ain’t it Fun» des Dead Boys, Jim Wilson y fout le feu, c’est plus fort que lui. Puis il renoue avec sa dimension antique dans «You Lost Me», cris d’éléphants de combat et clameurs de boucherie, c’est lui Jim Wilson qui fait l’éléphant. Rendu fou par les centaines de flèches fichées dans sa peau, il piétine tout. On peut dire que Rollins stone a de la veine d’avoir ces trois mecs-là derrière lui. On retrouve l’excellent «Your Number Is One» en version longue. Les Mother sont très complets : Jason-beurre du diable, Marcus-God bassmatic et Jim Wilson-défi permanent aux dieux de l’Olympe. Ils tapent le cœur de cut aux percus et Rollins scande son one one the only one. Tu es vraiment content d’être là. C’est encore Marcus Blake qui claque l’intro de «Such A Drag» et Jim Wilson se farcit le shuffle d’orgue - Sometimes it’s such a drag - et ça vire talking blues de Rollins stone le héros. 

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             Encore un 2.13.61 Record qui vaut le détour : The Only Way To Know For Sure. Car ce sont des versions live de toutes abominations pré-citées. Tu retrouves «Up For It» que Jim Wilson lance au riff insistant et ça devient addictif. On se retrouve au sommet du genre, comme avec les Screaming Trees. Sur «What’s The Matter», Jason Mackenroth bat comme un démon abandonné du diable. Rollins stone annonce ensuite «Tearing» - This song is called Tearing Me Apart yeahhhhh ! - et il se jette à l’eau comme Tarzan sur Jane. Pour une raison X, «Illumination» n’atteint pas le niveau de la version studio et ça repart ventre à terre avec «Hotter & Hotter». Rollins stone ne parvient pas à créer sa magie, c’est Jim Wilson qui vole le show. Il flotte comme un vampire au dessus de la fournaise. S’ensuit la fantastique dégelée d’I’m A monster. Ça devient enfin très sexy. Puis ça explose avec «Stop Look Listen», ça joue dru, à la pluie de feu, ils te collent au mur. Ces mecs n’en finissent plus de gagner les régions supérieures de la fournaise intégrale. Encore un appel à l’émeute avec «All I Want», Rollins stone grimpe sur la barricade, please please ! Puis il rentre à coups d’hello dans le chou de son vieux «Hello». Nouvel assaut avec «One Shot», Rollins stone semble chanter avec une meute de loups, ça bombarde encore plus qu’au temps du Bomber de Motörhead. Explosif ! Et ça grimpe en apothéose avec «Going Out Strange». Rollins stone chevauche un dragon, avec toute la heavyness du monde derrière lui - I don’t care going out strange - Big man Rollins assomme ses cuts d’un coup de poing, comme l’ancêtre de Jerry Lee qui assommait un bœuf d’un seul coup de poing et que décrit Nick Tosches dans Hellfire. L’autre image qui saute aux yeux : Rollins stone jaillit des torrents comme un saumon pourri et tatoué. Puis Jim Wilson tape «Thinking Cap» aux accords des Stooges sous un boisseau de plomb - You’ve got soul/ If you don’t/ You wouldn’t be in there - Acclamations ! Rollins stone fait un prêche demented puis il tape sur la tête du beat de «Get Some Go Again». Il est probablement la pire brute d’Amérique. Riff raff de no way out et ce dingue de Jim Wilson refout de feu. Ils terminent cette virée infernale avec un «Your Number Is One» qu’annone Rollins stone et bien sûr, c’est claqué du beignet, on voit ce saumon géant tatoué tituber dans les fumées du groove. 

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             Alors attention, c’est encore un enhanced CD, et le disk 2 est encore pire que l’1. Rollins stone l’attaque avec «Gone Inside The Zero» - Shut your mouth now cause it’s gonna be a little bit introspective - C’est du hardcore, le pire, atrocement violent, puis ils embrayent le destroy oh boy de «Nowhere To Go But Inside», Jim Wilson is on fire et les deux fous derrière fourbissent le pilon des forges. Ils enchaînent deux covers fatales, l’«Are You Ready» de Lizzy et le «Do It» des Fairies. Rollins stone lâche sa meute. Il explose la rondelle de Lizzy en mille morceaux. Ah ces Américains, ils ne respectent rien ! Power demented pour Do It, ultime hommage apocalyptique. Ils bouffent les Fairies tout crus. Il n’existe pas de pire power que celui de «You Don’t Need». Les Mother sont les Demeter du rock, les mères de la terre, et avec le Rollins stone, ils règnent sans partage sur la terre comme au ciel. Rollins stone réclame encore du rab avec «I Want So Much More». Il est aux abois. On l’admire pour sa violence verbale. Cet album relève du surnaturel, le mélange des deux powers (Mother + Rollins) échappe aux normes. On frise encore l’overdose avec «Always The Same», tout flambe jusqu’à l’horizon, les villes et les plaines, puis «We Walk Alone» s’en va rôtir dans les flammes de l’enfer, Rollins stone se hisse au sommet du genre et tout finit par s’écrouler dans les flammes avec «Marcus Has The Evil With Him», trop heavy beaucoup heavy, les cocotes se mêlent et Rollins pousse. C’est atroce.  

    Signé : Cazengler, Mother Inferior

    Mother Superior. Right In A Row. Not On Label 1993

    Mother Superior. Kaleidoscope. Top Beat 1997

    Mother Superior. Deep. Top Beat 1998

    Mother Superior. Mother Superior. Triple X Records 2001

    Mother Superior. Sin. Muscle Tone Records Inc. 2002

    Mother Superior. 13 Violets. Top Beat 2004

    Mother Superior. Moanin’. Bad Reputation 2005

    Mother Superior. Three Headed Dog. Rosa Records 2007

    Mother Superior. Grande. Kicking Records 2008

    Rollins Band. Get Some Go Again. DreamWorks Records 2000 

    Rollins Band. A Nicer Shade Of Red. 2.13.61 Records 2001

    Rollins Band. Nice. Steamhammer 2001

    Rollins Band. The Only Way To Know For Sure. 2.13.61 Records 2002 

    Henry Rollins & Mother Superior. Get Some Go Again Sessions. 2.13.61 Records 2005

     

    *

             Y a des chiens plus méchants que d’autres, celui-ci jouit d’une étrange particularité, qui l’eût cru, il est cru. Les esprits rationnels affirmeront que tous les chiens sont crus à moins que vous ne les fassiez cuire. Oui mais j’insiste celui-ci est particulier, il possède deux têtes. Ne criez pas que je raconte n’importe quoi, c’est un chien dans l’air du temps, il respecte la mixité sociale, une tête féminine, une tête masculine. Si vous ne me croyez pas relisez la chronique 382 du 15 janvier 2019, pas en entier il suffit de se rapporter à celle qui s’intitule :

    RAWDOG

              Un concert à La Comedia, avant que l’ordre moral libéral – comme ces deux mots riment très bien ensemble - ne réussisse à faire fermer cet antre de liberté, bref z’étaient deux sur scène, une fille-un gars, j’avais beaucoup aimé, or ils viennent de sortir une vidéo, que voulez-vous quand la meute aboie, l’on se rameute pour voir :

    FILE MOI TON GUN

    (Vidéo Clip Officiel)

    z23436filegun.jpg

             La zique balance sec. Les images sont vacancières. On joue au ping-pong. Non le tueur n’est pas loin, oui il est tout près. Dès qu’il se montre, on s’amuse comme des gosses. Balançoire et trampoline. Un véritable jardin d’enfants. La traque commence. Le jeu du chat et de la souris. Se prennent pour des agents secrets (doivent lire Rockambolesques toutes les semaines). Je vous laisse découvrir la fin. En plus il y en a deux. Soyons logique si Rawdog a deux têtes pourquoi n’aurait-il pas deux arrière-trains. La dernière est la plus marrante. Plus le générique est long, plus il est bon. La première est beaucoup plus subtile. Pose les questions embarrassantes, quand on joue n’est-ce pas pour de vrai ? D’ailleurs le vrai est-il exactement le contraire du faux, à moins que ce ne soit le faux qui ne soit que l’autre face du vrai. Les psychanalystes vous demanderont si le désir a besoin d’être assouvi pour être désir. Le désir de mort peut-il survivre ? Tiens, ils l’ont sorti le premier Mars. Le mois de la guerre. Les stratèges en chambre déclareront que ce clip pose les bonnes questions. Et que contrairement à eux ils apportent la bonne réponse.

             Un an et demi qu’ils n’avaient rien sorti. Par curiosité l’on est allé grapiller par-ci par-là d’autres vidéos.

    BLURRED

    (Vidéo Clip Officiel)

    z23437blurred.jpg

             Attention changement d’ambiance, c’est le morceau qui a donné son titre à leur premier album sorti en 2014. Belle couve, m’évoque le texte   Sur le théâtre de marionnettes d’Heinrich Von Kleist, nous en reparlerons dans une future livraison dans laquelle on se penchera sur l’album. Le dico me propose de traduire Blurred par flou, le mieux serait de transformer cet adjectif en participe passé, Floué me semble rendre mieux l’atmosphère qui se dégage de cette vidéo. Normalement sur scène Audrey joue de la batterie et Mike de la guitare. Ceux qui auront aimé File moi ton gun risque d’être désorientés, certes c’est carré, bien ficelé, mais comparé à Blurred, c’est un peu comme si vous passez des Bijoux de la Castafiore d’Hergé à La Chartreuse de Parme de Stendhal. Déjà exit la couleur, elle cède la place au noir et au blanc. Il vaudrait mieux dire au rouge.

             Encore une fois c’est subtil. Mais pas de la même manière. Ici on ne s’amuse plus. En plein drame. Rien de pharamineux ou d’extraordinaire. Deux êtres qui se quittent. Rien de plus banal. Tout reste dans le non-dit. Faut se fixer sur les détails, une branche d’arbre qui gouttège, des bibelots enveloppés dans du verre ou du plastique, des poupées enfermés dans leur cages, et le piano qui résonne qui s’accapare l’espace sonore et mental, Audrey martèle les touches, voudrait-elle enterrer son mal qu’elle ne s’y prendrait pas autrement, c’est d’ailleurs ce qu’elle fera quand elle enfouira la hache de paix et de guerre symboliques dans le sol, ils sont encore deux mais ils suivent  des chemins parallèles qui ne se rencontreront plus jamais, qui s’écartent définitivement, lui effondré dans un fauteuil, l’atmosphère est lourde, il joue de la guitare comme d’un violoncelle, funèbre. Deux instruments, deux manières d’exprimer le désespoir.

             J’ai dit subtil et j’ai dit : non-dit. Prenez le temps de regarder cette vidéo. Toutes les cinq secondes arrêtez l’image et examinez attentivement. Faut remercier Elise Colette et Laura Icart pour la réalisation. Une merveille de minutie. De précision. Remerciez-moi pour cet intermède. J’espère que vous en avez profité pour écouter la voix d’Audrey. Elle doit ressembler à celle d’Eurydice. No happy end, il n’y aura pas d’Orphée. Même pas pour la retenir. On ne se bat pas contre l’inéluctable. Nous sommes dans l’attente. Elle viendra. Elle a toujours son apparence de tranchant de guillotine.

             Quatre minutes et vingt-cinq secondes, une fenêtre ouverte sur le bord de l’éternité.

             C’est aussi beau que certaines élégies de Nico.

    LES BRUTES

    (Clip Vidéo)

    (Enregistré et filmé en live le mardi 29 avril

    2018 A Mains d’œuvres Saint-Ouen 95)

             Le titre sortira sur leur EP Julia en mars 2019. Belle couve. Sont dos à dos. Le corps marqué de traces sanglantes. Un EP très politique. Niveau sociétal et mondial. Rien à voir la vidéo qui précède. De véritables caméléons, au bon sens du terme. Possèdent une large palette. D’inspiration et d’expression.

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             Plus noir que noir. Live ici ne signifie pas en public. Pas besoin de stopper l’image pour admirer les détails. Juste le minimum : Audrey à la batterie, Mike à la guitare. Superbe prise de vue, sont ensemble mais si vous le désirez, vous pouvez n’en regarder qu’un des deux.  Un vieux larsen des familles qui traîne et c’est parti. Audrey est époustouflante, elle frappe, elle cogne, le son tournoie comme une valse qui ne saurait plus s’arrêter. Remet une pièce dans le jukebox avant qu’il ne s’arrête, jette de l’essence sur l’incendie. Je suis surpris, j’ai commencé par lire les paroles données sur la vidéo, elles sont en français, m’étais dit un truc pour Audrey, un bidule sur les bonnes femmes maltraitées, crac, tant pis pour moi c’est Mike qui envoie les lyrics, ce n’est pas qu’il chante mal mais le meilleur est à venir, une fois qu’il envoyé le texte dans les cordes du ring, se donnent tous les deux à fond, ça caracole dans le rock’n’roll, ils ouraganent à mort avec ces demi-secondes d’arrêt, genre, ne faudrait pas croire que l’on ne maîtrise pas, un délice, l’on se croirait dans le jardin d’Octave Mirbeau, tellement ça fait du bien. Z’ont joué comme des brutes mais avec la finesse des ballerines.

             Faut remercier toute l’équipe qui a participé à cette splendeur.

    SUR LA ROUTE

    (Clip Officiel)

    Un titre issu de leur EP Riding The Monster, chevaucher le tigre aurait dit Julius Evola, sorti en novembre 2022. Une super belle couve. Très arty. Qui ressemble à presque rien. Remettez l’image dans le bon sens et vous aurez une bonne photo. Avec le clic pour l’incliner sur la droite, ce n’est plus la même chose. L’impression d’une chute irréversible. Le monster à monter n’est pas commode à maîtriser.

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    Se débrouillent pour toujours pour avoir ces clips originaux. Ce coup-ci ils ont trafiqué. Une paire de ciseaux et un vieux film, The carnival of souls, de Herk Harvey. Suffit de taper sur internet pour le voir en version intégrale et originale.

    Rien qu’au titre on sait qu’on est en Amérique. Rien à voir avec le roman de Kerouac. L’ambiance est beaucoup plus trouble. Les lyrics ne racontent pas le film. Z’ont pratiqué la technique des OGM, vous prenez une plante et vous lui transplanter des gènes adaptatifs particuliers d’un autre végétal qui la rendront plus solides.  Ici vous avez les images du film et la musique. A la limite une vulgaire bande-son chargée de faire passer le film d’une manière plus appétissante. Le ketchup dont vous arrosez le chou-fleur qui sans lui serait bien fade. Attention, il ne faudrait pas le chou-fleur vous rende le ketchup agréable. L’est vrai que les images sont magnifiques et qu’elles captent l’attention. C’est alors que Rawdog sort son arme secrète. Envoûtante. Elle se fond en vous, porter plainte pour manipulation mentale, vous pourriez le tenter, aux States, pas par chez nous. Vous êtes déjà sur le clip et vous n’avez rien remarqué, quels mauvais détectives vous feriez, le chien cru vous a roulé dans la farine, vous faut un moment pour que vous réalisiez, non ce n’est pas Audrey qui est responsable, c’est sa voix, vous voyez les images, mais maintenant elles ne correspondent plus à l’histoire originelle, elles vous guident, vous ne savez pas où, pourtant c’est infiniment simple, sur la route, vous la suivriez jusqu’au bout du monde, vous être prêts à vous taper  six allers retours sur la 666  rien que pour le plaisir d’entendre ce chant de sirène… Hélas, Rawdog interrompt votre enchantement, et ils vous refilent, ils vous l’écrivent en gros, ils débranchent la musique, une scène du film pour vous arracher à vos rêveries, elles auraient pu comme dans le chef d’œuvre de Herk Harvey vous faire passer de l’autre côté. Je ne crois pas que vous auriez aimé.

    Rawdog vaut le détour. Grunge, punk, pop, vous aurez du mal à les cataloguer. Un groupe différent des autres. Créatif.

    Damie Chad.

     

    *

                    La pochette m’a arraché la vue. Ce n’est pas une nouveauté, l’est mis en ligne en ce début de mois de mars 2024 par Symphonic Black Music Promotion. Un vieux groupe, plus de trente ans. Des Belges. Le metal regorge d’univers perdus, mais un groupe de metal oublié n’est-il pas aussi un univers perdu, une de ces anciennes lointaines planètes oubliées qui n’ont été qu’une étape ensevelie dans les légendes de la conquête des mondes des rêves nervaliens… aliens… aliens… aliens… répète l’écho des mémoires endormies…

    MEMORIAM DRACONIS

    AVATAR

    (Wood Nymph Records / 1996)

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    Vous ne l’avez jamais vu, vous ne le connaissez pas, vous voulez rire ou vous moquer du monde, il en a plus de deux cent cinquante à son actif, entre 1994 et 2024. Vous ne me croyez pas, faites un tour (attention ce sera long) sur son site ou sur discogs il suffit de taper son nom et bonjour le défilé de pochettes d’albums metallisés, rien qu’en parcourant rapidement j’en ai déjà repéré quelque unes qui étaient déjà passées sous mes yeux et dont je n’ai encore à ce jour jamais écouter les vinyles ou les CD qu’elles renferment. Kris Verwimp, une fois n’est pas coutume pour changer un peu, je vous refile une photo d’une de ses expos, j’aurais pu choisir un mur tapissé de ses artworks, j’ai privilégié le public, des amateurs d’art et de rock.

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    Pour la couve je vous laisse choisir entre les deux interprétations suivantes : l’image est une représentation de la chute de Rome, tout le monde sera d’accord là-dessus. Pour cadrer avec le sujet de l’opus, l’on veut bien croire que le Chef barbare muni d’une longue épée soit une représentation de Dracon, le problème ce sont ses guerriers. Faute de genre, ce sont des guerrières qui mettent à mal les derniers légionnaires qui tentent vainement de s’opposer… Nos ligues féministes ne manqueront pas de nous expliquer qu’en s’emparant de la capitale de l’Empire nos Amazones mettent fin des siècles de domination phallocratique symbolisé par le pouvoir romain.

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    Les adversaires de cette première thèse affirmeront au contraire que si Dracon puissance du Mal absolu est aidé dans ses conquêtes par des hordes féminines, c’est que rien de bon ne saurait arriver par la femme, qu’elles sont définitivement vouées de par leur nature intrinsèque à servir les forces du Mal…

    Hyberia : bass / Anjelen : guitar / Izaroth : synthétiseur / Azadaimon : percu / Occulta : vocals, guitar.

    …Memoriam draconis - Intro : notes claviériques, comme du vent soufflé sur les traces de pas de ce fameux Dracon qui ne serait plus qu’une ombre légendaire, un souvenir rongé par les dents usées du temps, est-ce pour l’effacer ou la ressusciter. Il semblerait que cette intro musicale se refuse à une vision grandiose, un peu comme le travail des archéologues qui travaillent sur un chantier de fouilles d’exhumation d’une civilisation anéantie en grattant précautionneusement le sol avec une petite cuillère. Par quel miracle pourrait-on faire tout un monde disparu dans une cuiller à dessert… Mists of evil : orages, pluie soutenue, guitare acoustique, sans préavis, le metal fond sur vous, soutenue par la voix djentée du Serpent, mais qui parle, ne serait-ce pas le Draco lui-même qui marcherait sur ses propres traces, par où passe-t-il, si l’Empereur Julien a pris le chemin des onagres,  Draco a choisi la voix nébuleuse des songes encartés dans les esprits humains, la route est incertaine, de larges pans de synthétiseur s’amusent à brouiller les pistes, un seul refuge pour Draco, rentrer en lui-même, en ses propres souvenirs, en sa propre existence qu’il a laissée derrière lui, n’est-il pas le Serpent à tête de loup qui ondoyait au-devant des troupes barbares qui combattirent Rome, et les légions ne s’emparèrent-elles pas de cet insigne, qu'elles arborèrent fièrement, Draco partout, Draco sur tous les versants, écoutez le basculement pirouettique de la batterie qui ne sait plus de quel côté se tourner, le synthé bat de l’aile frénétiquement, au plus profond de la plaie, arracher les moindres fibres de toute sollicitude humaine, il venait de la lumière élyséenne, la déesse du Ciel l’a trahi, il s’est débattu contre elle, contre lui-même il s’est libéré. A most excellent charm in solemn endurance : le Serpent connaît l’ancienne formule blasphématoire assyrienne du refus des biens terrestres, il crache son mépris, il s’inocule son propre venin, il récite la sentence définitive qui le coupe du monde, le synthé pleure, la batterie délire, les guitares sont en déroute, l’irrémédiable est accompli, pas de retour possible en arrière, il a franchi la ligne qui le sépare des hommes, l’est empli d’une autre plénitude. Petite musique de nuit. Profonde. The eternal nothingness : grondement de chœurs mortuaires, annonciation des âges noirs, la batterie lance l’assaut, le Serpent donne de la voix, il précède les armées conquérantes qui s’abattent sur l’humanité, le fléau du destin moissonne les hommes, épopée d’égorgements et de sang, rideaux de désespérances, les synthés tissent les linceuls du désespoir, la course se précipite, une cavalcade de plus et l’on tombera dans l’abîme, si vous êtes de la race humaine, vous avez du souci à vous faire, des envolées angéliques chantent le confiteor de votre malheur, l’ennemi pousse déjà ses chevaux sur le tapis de pourpre de vos cadavres, le serpent ondoie parmi les vents du carnage. Le malheur de tous fait le bonheur du Serpent. Il exulte. Il triomphe.

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    Seduced by necromancy : juste une imprécation, le monde est mort, mais des voyageurs traversent le désert de cendre, ils cherchent le pays situé de l’autre côté des étoiles, ce sont les thuriféraires en quête du royaume de Cthulthu. Peu d’appelés, encore moins d’élus. Seule la poésie par la voix du poème pouvait rendre compte de cette frontière. Emperors of the night : le Serpent exulte, il danse, il est entré dans le pays qu’il recherchait, il a obtenu réparation, il est devenu immortel, il est un empereur de la nuit, un dieu du mal, la batterie hache menu la tête des innocents, les claviers tissent des tentures rutilantes, joie tous azimuts, bal du masque de la mort rouge, la cruauté est le seul délice qu’il s’autorise, il ne parle plus, il ne déclame plus il vomit, grandes orgues des requiems éternels à épandre sur toute la surface du monde. Sands of scheol : tonnerre, le serpent crache, il prend l’un et il prend l’autre, car si l’un est : il est aussi l’autre, Draco se compare à lui comme un Serpent rampant dans la poussière de l’Enfer, la batterie totalement folle, les orgues derrière en renfort, plus un poème lu, une voix off, pour décrire l’intérieur et l’extérieur, le microcosme et le macrocosme, le créateur et la créature. Le moment du doute et du Dieu unique. Mais si le Dieu est un, il est aussi faiblesse et cela amoindrit sa puissance. Hymn to the ancient ones : notes grêles et graciles accompagnent les éructations du Serpent, avant le Dieu unique, il y en eu d’autres, les grands anciens, le Serpent les nomme, non ils ne sont pas lovecraftiens, ils résidaient en Mésopotamie, rappelons-nous que dans l’épopée de Gilgamesh c’est le Serpent qui mange la plante d’immortalité empêchant ainsi le héros de devenir immortel. Serait-ce la revanche du Serpent. D’ailleurs le Serpent n’est-il pas le fils de Tiamat la déesse du chaos originel. Reviendrions-nous au début de l’histoire, ne serait-ce pas elle qui aurait trahi Draco. Le Serpent se mord-il la queue… Star castle : le Serpent éructe, sont-ce ses derniers mots, parle-t-il de lui-même à la troisième personne, tant sa propre grandeur le dépasse, tonnerre processiorial, enfouissement au fond des profondeurs, le Serpent est mort et enterré, il parle encore, n’est-il pas devenu dieu en se trempant dans le bain maternel originel, naissance d’un nouveau culte, farandole musicale, la batterie batifole et les synthés font des boucles comme des enfants qui soufflent des bulles avec  leurs jouets, le Serpent ne parle plus, sa puissance n’a plus besoin de sa parole pour accéder à l’être. Il réclame le seul impôt qu’on lui doit, dévotion et adoration. Alors il frétille d’aise dans son tombeau. La batterie scelle les sceaux inviolables de son enfermement en lui-même. The mines of Moria – Outro : autant les deux minutes de l’intro furent courtes, autant l’outro instrumentale frise les dix-sept minutes. Avatar vous donne le temps de réfléchir et de méditer. Heure de gloire pour les synthés qui obscurcissent le ciel. Avatar a-t-il eu la prescience que ce serait leur premier et dernier album, des chœurs s’embrasent, ont-ils voulu tout mettre, tout dire, un sacré mélange mythologique, z’ont fourré tout le frigo dans le sandwich, histoire, littérature, rappelons que Moira est une cité tolkiénique de la Terre du Milieu qui deviendra l’apanage de Sauron, entremêlements de mythes primordiaux orientaux, grand espace de silence, n’arrêtez pas, ce n’est pas fini, ce n’est pas un blanc ou une erreur technique, ce coup-ci ils ont sorti les violons et l’on est en plein musique classique, z’ont soigné le générique, comme des notes de clarinettes, parodions Alfred de Vigny, rappelons-nous que le Serpent a une tête de loup, c’est pour cela qu’il est aussi un loup pour les hommes, seul le silence des Dieux est grand.

             Souvenez-vous du Serpent. Soyez sûrs qu’il ne vous oubliera pas.

    Avatar a enregistré un deuxième album Millenia qui ne fut jamais finalisé, le groupe se sépara en 2000.  Les bandes sont sorties en 2011. En 2004 est paru un EP (démo) quatre titres intitulé The Avatar, par le groupe The Avatar revendiquant une filiation avec notre Avatar. Réuni en 2000 The Avatar ne dura guère…

    Il est difficile de classer Avatar, pas vraiment heavy, pas du tout progressif. Le projet a vraisemblablement été monté trop vite, trop d’idées, pas assez de maîtrise. Dommage ce groupe promettait. Nous paraît comme une corne d’abondance, ouverte à tous et aujourd’hui négligée. Remercions Symphonic Black Music Promotion d’avoir attiré notre attention.

    Damie Chad.

     

    *

    SNOW WOLF Records vient d’éditer un disque titré : Salvation : a Fundraiser for ESMA and the animals of Egypt. ESMA est l’équivalent de notre Société Protectrice des Animaux. Tous les fonds récoltés seront intégralement versés à cette association égyptienne.

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    Trente groupes ont participé à cette bonne action. Parmi eux THUMOS.

    LACHES

    THUMOS

    (SWR / Bandcamp / 01-03 – 2024)

    Comme nous aimons les bêtes en général et Thumos en particulier nous avons voulu voir et écouter. C’est voir qui nous a posé le plus de problème, laches nous ne connaissons pas ce mot anglais, peut-être ont-ils emprunté un vocable français pour stigmatiser la lâcheté des gens qui abandonnent leur chiens ou leurs chats avant de partir en vacances. OK, mais pourquoi n’ont-ils pas posé l’accent circonflexe sur le ‘’a’’, n’ont pourtant pas l’air d’être idiots chez Thumos, doit y avoir anguille sous roche. Eureka, ai-je dit en sortant de ma baignoire dans laquelle j’étais entré afin de trouver la solution de cette insoluble énigme. La langue anglaise ne possède pas d’accent, suffit d’en rajouter un sur le ‘’e’’, je suis sûr qu’il y a du Platon dans cette embrouille. J’ai donc ressorti, je l’avais rangé après ma chronique sur Atlantis de Thumos mon volume des Œuvres Complètes de Platon sous la direction de Luc Brisson, pas de problème le Lachès œuvre de jeunesse de Platon n’attend que moi.

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             Au moins me dis-je, Platon et moi avons un lien commun, tous deux nous étions jeunes, lui quand il a écrit son dialogue et moi quand je l’ai lu. Justement, je n’ai aucun souvenir de ce que ce dialogue traitât de la cause animale… D’où relecture. Le moins que l’on puisse dire est que l’on ne s’appauvrit pas en lisant Platon. Socrate, Nicias et Lachès, ces deux derniers  sont des généraux athéniens renommés discutent d’éducation. Est-il bon que les jeunes garçons s’entraînent à la guerre. Assurément affirme Nicias. Lachès répond que les maîtres d’armes ne sont pas toujours les meilleurs sur le champ de bataille. Mais qu’est-ce que le courage ? C’est simplement tenir son rang dans la mêlée décrète fermement Lachès. Oui, mais la tactique militaire ne nous enseigne-telle pas que parfois il faut savoir reculer pour mieux contre-attaquer par la suite rétorque Socrate. Et cela ça s’apprend, ajoute-t-il, le tigre ou tout autre animal sauvage dangereux qui vous bondit dessus est-il courageux, ou simplement conscient de la supériorité de sa force ? En fait le tigre est téméraire car il ignore tout de vos armements. Le tigre est aussi naïf qu’un mioche de six ans qui croit pouvoir arrêter un soldat… L’on ne parle plus d’animaux dans la suite du dialogue. L’on y voit surtout Socrate se contredire pour le plaisir d’ébranler un adversaire qui se sert d’arguments qu’il tient d’une précédente rencontre avec… Socrate.

             Lachès : Ça tonitrue et ça fanfaronne quelque peu au début, ensuite l’on a l’impression d’une partie de quille chacun des protagonistes essayant de renverser à coups de boules bien placées celles qui appartiennent à ses contradicteurs. Arrêt. Lachès le valeureux repart bille en tête, l’exemple du parfait militaire pour qui les choses sont simples. Mais en face de lui Nicias sûr de lui ne rompt pas le combat, l’est certain qu’avec l’aile de la cavalerie socratique qui ne manquera pas de se porter à son secours l’ennemi se débandera, les chevaux de Socrate avancent à pas feutrés ça y est ils tombent sur les arrières de l’ennemi et commencent à fracasser quelques crânes qui n’ont pas fait preuve d’assez d’intelligence et de savoir…  Le sujet est sérieux, l’on y parle de guerre, mais Thumos et Platon s’amusent à cette joute oratoire, ce ne sont que paroles en l’air sans conséquence, la guerre c’est plus sérieux que ces jeux de rôles. Thumos a su exprimer l’intense jubilation de cette Grèce antique qui ne se payait pas de mots car consciente d’utiliser de la fausse monnaie.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

     

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    Un taxi m’a déposé au bas du local. J’ai essayé de faire la bise à Joséphine pour la remercier de cette attention, elle s’est dérobée, je n’ai fait que mon devoir s’est-elle défendue… Je l’eusse préféré moins professionnelle. Les filles sont des êtres incompréhensibles. Tout compte fait je préfère les chiens. J’ai raison, à peine le chauffeur s’est-il arrêté Molossa et Molossito ont bondi de joie, elles m’attendaient sur le trottoir. Je monte les escaliers entouré de leurs aboiements.

    Le Chef m’accueille avec un grand sourire :

             _ Agent Chad pour fêter votre retour, exceptionnellement j’allume un Coronado, asseyez-vous vite, une dure matinée nous attend. Faites taire ces chiens, je n’aurais pas dû les inviter hier soir au restaurant pour leurs efficaces interventions durant votre promenade. Ils se prennent pour des cadors, toutefois je dois reconnaître que notre deuxième vague d’assaut s’est comportée avec bravoure comme nous l’attendions. J’ai demandé à l’Elysée de les inscrire à la prochaine promotion du Mérite National. Nous ne sommes pas en odeur de sainteté apparemment en haut-lieu, l’on m’a répondu qu’ils aimeraient mieux les inscrire dans un chenil de la SPA ! Mais je cause, je cause, nous n’avons pas de temps à perdre, nous avons rendez-vous, allez me voler une voiture sur le champ.

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    Je conduis doucement, une question me taraude, l’accueil du Chef m’a paru étrange, l’a beaucoup parlé, comme s’il avait voulu m’empêcher de formuler une question, je la pose :

             _ Chef vous avez raison, les chiens se sont magnifiquement compotés, par contre la troisième vague d’assaut, je n’ose pas dire qu’elle a brillé par son absence, mais je ne vous ai pas beaucoup vu !

             _ Agent Chad, ne vous fiez pas aux apparences, je peux vous certifier que sans mon action vous seriez actuellement mort. Je vous le prouverai d’ici quelques minutes, tournez à gauche s’il vous plaît, au bout de l’avenue ce sera la troisième à droite. J’ai juste le temps d’allumer un Coronado !

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    Une rue étroite, aux façades grises. Le Chef m’ordonne de me garer près d’une vitrine poussiéreuse. Sur la porte d’entrée trois lettres gravées sur une plaque de marbre MIT. Nous suivons un couloir miteux. Les chiens reniflent avec inquiétude. Nous voici dans un bureau. Nous n’avons pas fait trois pas à l’intérieur que l’agent d’accueil se porte avec vivacité à notre rencontre.

             _ Messieurs, je suppose les membres du SSR, nous vous attendions avec impatience. Voulez-vous me suivre. Je vais vous conduire jusqu’au bureau du Professeur Longhair, il est actuellement en conversation téléphonique avec la Maison Blanche.

    De l’extérieur la maison ne payait pas de mine, maintenant elle paraît immense, plus nous progressons dans les nombreux couloirs, plus l’on avance je m’aperçois que l’impression de vétusté crasseuse de l’entrée cède la place à un luxe que je qualifierai d’insolent. Nous croisons beaucoup de monde, sont tous et toutes accrochés à leur portable dans lequel ils chuchotent avec circonspection. Drôle d’ambiance.

             _ Veuillez vous donner la peine d’entrée s’il vous plaît, non ne les empêchez pas de descendre de ces fauteuils, sur les quatre deux leur sont réservés. Ils l’ont bien mérité, je vous laisse le Professor Longhair arrive dans deux minutes.

    L’attente se prolonge un peu, le Chef en profite pour allumer un Coronado. Molossa et Molisso étendus de tout leur long dans les larges banquettes de cuir dorment profondément. Une porte face à nous s’entrouvre, le Professor Longhair entre engoncé dans une longue blouse blanche :

             _ Joséphine !

             _ Calmez-vous Agent Chad, ce n’est pas Joséphine, mais le professeur Longhair, du MIT, le Massachussetts Institute of Technologie, je précise qu’elle a l’oreille du Président des USA et de la CIA, c’est par l’entremise de cette dernière que j’ai réussi à la contacter, elle est reconnue par l’élite de la communauté scientifique du monde entier.

             _ Je ne comprends pas Chef, vous sous-entendez que lorsque je l’ai aperçue hier dans sa ravissante mini-jupe rouge, elle n’était pas là par hasard ?

             _ Non, cher Monsieur Chad, je vous attendais, plutôt nous vous attendions, moi bien sûr mais aussi les deux malabars sur le trottoir d’en face, bien sûr aussi le faux camion de pompiers, ah ! les agents de la CIA se sont amusés comme des fous à brûler les feux rouges grâce à leurs sirènes…

             _Vous voulez dire que c’était un coup monté, que vous êtes joué de moi pour je ne sais quelle raison stupide.

    Le Professor Longhair lève la main pour arrêter mon flot de paroles, elle me sourit, son sourire ressemble à sa mini-jupe rouge, mais son visage redevient sérieux.

             _ Cher Chef, allumez-donc un Coronado nous allons aborder les choses sérieuses.

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             _ Damie, vous permettez que je vous appelle Damie, vous êtes un homme exceptionnel, dans tout le territoire des Etats-Unis, sur trois-cent quarante millions d’habitants, je n’en connais que sept, huit en comptant très large, aussi doués que vous.

    Dans ma tête je me dis qu’un voyage aux States s’impose, un Rafalos dans chaque poche, je retrouverai ces sur-doués et les abattrai sur le champ, je ne suis pas d’un naturel jaloux mais je n’aime pas l’idée que Joséphine ait déjà remarqué ces huit individus, j’éliminerai tous ces rivaux potentiels sans pitié… Professor Longhair me voici !

             _ Voyez-vous Damie ce dont votre Chef nous a averti a suscité notre attention mais…

             _ Chef, je ne comprends rien, que leur avez-vous raconté ?

             _ Rien de bien inquiétant, Damie je vous rassure. Des gens victimes d’hallucinations il en existe plusieurs millions dans le monde. Peut-être sommes-nous tous, moi comprise, victimes de tels troubles à des degrés plus ou moins graves, tenez ceux qui vont systématiquement au cinéma tous les jours et qui se croient cinéphiles manifestent peut-être tout simplement le désir inconscient de devenir une star internationale du cinéma, comme vous Damie.

             _ Sachez que je déteste le cinéma et que je n’y vais jamais !

             _ Ce n’était qu’un exemple Damie, votre point faible, ce n’est pas le cinéma, vous avez encore un esprit jeune, presque enfantin, vous aimeriez avoir le pouvoir de traverser les murs, alors vous imaginez que des gens traversent les murs et comme vous êtes jaloux vous les accusez de tous les maux !

    Ulcéré, Je me tourne vers le Chef :

    _ Enfin Chef dites quelque chose, le gars que l’on a abattu dans le mur, l’on a bien retiré son cadavre de la muraille, et les meurtres du restaurant, et les bandits qui nous avaient pris en chasse, vous les avez bien trucidés, dites-le, témoignez en ma faveur !

    _ Justement Damie c’est ce qui fait de vous un cas exceptionnel, même nous dans la grande Amérique nous avons été incapables d’en dénicher un, nous avons dépensé des millions de dollars, épluché toutes les archives du FBI, quelques illuminés, quelques simulateurs oui, une personne intelligente comme vous, jamais !

    _ Chef, témoignez en ma faveur, j’en ai assez d’entendre les élucubrations du professor Longhair !

    Le Chef en profite pour allumer un Coronado :

             _ Agent Chad, je ne vous cache pas dans toutes nos aventures, depuis le début il est un détail qui m’a paru étrange : ce sont vos chiens que l’on a retrouvés sur le palier, pourquoi les Briseurs de Murailles, ne les ont-ils pas tués, au lieu de nous les rendre. J’ai longuement médité, j’ai mené ma propre enquête, en vain jusqu’à ce que je tombe dans la Revue Science sur un article du Professor Longhair, elle y développait d’étranges théories, j’ai pris contact avec elle, pour votre bien Damie !

             _ Oui Damie, j’ai émis dans cet article qu’un jour l’on devrait, si mes hypothèses étaient justes découvrir quelqu’un comme vous. Vos hallucinations, vos imaginations d’individus qui traversent les murs, je m’en moque, mais vous avez franchi une barrière, fait sauter un verrou spirituel, vous avez un tel désir de la possibilité de traverser les murs, que vous persuadez, des individus, que vous ne connaissez pas, dont vous ignorez jusqu’à leurs existences à monter une association de briseurs de murailles, et votre force mentale est si forte qu’ils deviennent capables de traverser les murs, cher Damie vous êtes ce que l’on pourrait appeler un Génie Supérieur de l’Humanité !

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 578 : KR'TNT 578 : HAROLD BATTISTE / ROBERT FINLEY / BOB DYLAN / HELLACOPTERS / SHORTY LONG / BARABBAS / BOB DYLAN / ROCKAMBOLESQUES

      KR’TNT !  

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 578

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    08 / 12 / 2022

     HAROLD BATTISTE / ROBERT FINLEY

    BOB DYLAN / HELLACOPTERS

    SHORTY LONG / BARABBAS

    BOB DYLAN / ROCKAMBOLESQUES

    Sur ce site : livraisons 318 – 578

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    Battiste le battant

     

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             Harold Battiste Jr n’est pas aussi connu que Cosimo Matassa ou Fats Domino, il compte pourtant parmi les personnages les plus légendaires de l’histoire musicale de la Nouvelle Orleans. Les plus aguerris de notre tribu savent que Doctor John et Sonny & Cher lui doivent leurs succès respectifs. Mais ce n’est que la partie visible de l’iceberg Battiste.

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             Un éditeur de la Nouvelle Orleans (The Historic New Orleans Collection) eut en 2010 l’idée géniale de publier l’autobiographie d’Harold Battiste, Unfinished Blues - Memories Of A New Orleans Music Man. Ce n’est pas seulement un ouvrage capital, historiquement parlant, mais c’est en plus un bel objet, d’un format inhabituel, un peu plus haut qu’un 45 tours mais un peu moins large qu’un 33 tours, beau choix de papier, un couché demi-mat sensuel, agréable au toucher, beaux choix typo, un corps 11 justifié avec tact et pas trop interligné, d’où l’impression d’une extrême densité, et bien sûr, des pages richement illustrées, avec pour sonner le tocsin des ouvertures de chapitres, des doubles assez spectaculaires, par exemple Harold et Mac Rebennack, Harold et Sonny & Cher, Harold et Tami Lynn, Harold et Ellis Marsalis, toutes ces doubles sont absolument somptueuses, en pleine force de l’âge car traitées en bichromie. C’est avec ce type d’ouvrage que l’édition joue son rôle : honorer la mémoire des grands artistes. Rien n’est trop beau dès lors qu’il s’agit d’artistes du calibre d’Harold Battiste. On y va les yeux fermés.

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             Pour les ceusses qui sont passés par la bible, c’est-à-dire le Broven (Rhythm And Blues In New Orleans), l’Unfinished Blues est une manière comme une autre de réviser ses leçons. Né au début des années 30, Harold Battiste est à l’origine un musicien de jazz, mais aussi arrangeur/compositeur, qui a vu la scène locale évoluer. Il nous emmène donc chez Cosimo le héros, et Art Rupe l’embauche comme pisteur de talents pour le compte de Specialty. On touche donc au cœur battant du mythe de la Nouvelle Orleans. Mais le plus frappant dans cette histoire, c’est qu’Harold ne fait pas étalage de ce prestige. Au contraire : il fait preuve d’une extraordinaire humilité, il raconte ses souvenirs avec une sorte de retenue et rend hommage à ses pairs à la manière d’un petit black qui a grandi dans un quartier pauvre. Il n’évoque jamais les drogues, ni le sexe. On est à l’opposé de The Brothers, l’ouvrage qu’écrivit David Ritz avec Charles, Aaron, Cyril et Art Neville.

             Plus frappant encore : le jeune Harold n’a rien d’une rock star. Jeune, il est assez rondouillard, pas du tout sexy. C’est l’image qui orne la couve du book. Bouboule ! Mais il parvient à séduire une très belle femme, Yette, qu’on voit souvent en photo à l’intérieur du book. Ensemble, ils vont élever quatre enfants. Pendant toute sa vie, Harold reste fidèle à ses deux passions : sa famille et la musique. Il se croit à l’abri des catastrophes. Fatale erreur ! Il consacre la deuxième partie de son autobio à ses déboires matrimoniaux. Le malheureux n’est pas armé pour se battre contre les infortunes de la vertu. Pour ne pas morfler, il fait l’autruche. On le voit au fil des ans changer de look : il maigrit, porte des vêtement africains, comme le fait aussi Eddie Bo, et se laisse pousser une barbichette blanche de sorcier du village. Voodoo !

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             C’est en 1956 qu’Harold fout les pieds pour la première fois chez Cosimo, on Governor Nicholls Street, dans le Quartier Français, un vieux bâtiment nous dit Harold qui «abritait» jadis des esclaves. C’est là qu’Harold découvre ces musiciens extraordinaires que sont Alvin Red Tyler, Lee Allen et Earl Palmer, the cream of the crop, comme il dit, des gens qui ont accompagné Fatsy et Little Richard - We were younger than those cats and we were generally considered be-boppers who were not interested in the music they were recording - Harold et ses amis font la section de cuivres. Puis Harold est repéré par Joe Banashak, le distributeur de Specialty à la Nouvelle Orleans. Ça tombe à pic, car juste à ce moment-là, Art Rupe perd de l’argent avec ses enregistrements de Sam Cooke. Il a besoin d’un coup de main et il fait venir Harold à Hollywood pour bosser à la cave sur les bandes de Sam Cooke. Objectif : trier et choisir de quoi faire un bon album. Art Rupe vient tout juste d’embaucher un petit blanc bec qui conduisait un camion et qui, à l’occasion, compose des chansons : Salvatore Bono. Ils vont bosser ensemble et ça clique aussitôt entre les deux - Dès le départ, Sonny m’a impressionné par son ouverture et son esprit de camaraderie. Il était charmant et incroyablement smart. Il était fasciné par le fait que je venais de la Nouvelle Orleans. On a commencé à bosser ensemble et il a tout découvert à mon sujet - mon éducation, mon expérience de professeur de musique, et mes aptitudes en tant que musicien de jazz, arrangeur et compositeur - il m’a donc placé sur un piédestal - C’est une amitié qui affrontera avec succès l’épreuve du temps, puisqu’Harold deviendra le directeur musical de Sonny & Cher. Harold indique aussi que Totor fascinait tant Sonny que ce dernier voulut absolument recréer le fameux Wall of Sound pour ses premiers enregistrements, notamment «I Got You Babe».

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             Mais quand il bosse pour Specialty, Harold en bave, car les artistes qu’il recommande ne plaisent pas à Art Rupe : Chris Kenner, Irma Thomas, et Allen Toussaint. Le seul groupe qu’Art accepte s’appelle les Monitors. Il donne son feu vert à Harold pour les enregistrer. Here we go ! - Je connaissais le lead singer, Phoenix, quand il chantait des airs d’opéra at Xavier University. Il chantait high tenor (falsetto) comme Bill Kenny, le fameux lead singer des Ink Spots - Alors, on écoute les Monitors.

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             C’est une fois de plus Kent/Ace qui veille au grain et qui le moud : en 2011 paraît Say You! The Motown Anthology 1963-1968. Keith Hughes décrit dans le détail la courte existence des Monitors, un quatuor de Detroiters surdoués comprenant le futur Temptation Richard Street, Warren Harris, James Drayton, John Maurice Fagin et sa femme Sandra Fagin. Cette compile est tout simplement l’une des pires bombes jamais lâchées par Motown. Hughes n’en revient pas lui-même : pourquoi les Monitors n’ont pas explosé ? Pour lui, il n’y a qu’une seule explication : Berry Gordy avait trop de gens talentueux sur les bras. La compile propose l’album entier des Monitors, Greetings!... We’re The Monitors, suivi de 14 inédits, dont la plupart sont stupéfiants de qualité. Deux coups de génie sur l’album : «Baby Make Your Sweet Music» et «Time Is Passing By». Grosse attaque pour le premier, Motown revient par la bande, en plein dans le mille, Motown, oui, mais avec une qualité supplémentaire. Cette folle de Sandra Fagin y va au baby baby, elle bat largement les Supremes à la course. Hughes nous indique que «Baby Make Your Sweet Music» fut un hit de Jay & The Techniques, c’est donc une cover. Le heavy groove de r’n’b de «Time Is Passing By» reste imbattable. Richard Street dit dans l’interview qui documente le booklet que c’était pour les Monitors un privilège que d’être accompagné par les Funk Brothers - I truly think they were one of the greatest bands of all time - Sandra Fagin fait encore des ravages dans «Since I Lost You Girl». Elle y va la coquine ! On la voit ramer pour tirer la Soul des Monitors dans «Bring Back The Loving». Ils font du wild r’n’b avec «Number One In Your Heart», les Monitors te démolissent la capsule vite fait ! En un mot comme en 100, cet album est un passage obligé pour tout fan de Detroit Soul. Alors après, on passe aux inédits et c’est encore pire ! La série commence avec «Too Busy Thinking About My Baby», big shoot de Soul d’excelsior. Les Tempts en ont fait une version. S’ensuit «The Letter», un hit signé Smokey, pulsé par une énorme pression atmosphérique. Sandra Fagin chante à l’extrême pointe de la Soul et ça groove à la trompette. Ils groovent le «Poor Side Of Town» de Johnny Rivers jusqu’au délire, c’est d’une classe surnaturelle, presque insupportable. Ça grimpe dans les ponts et Richard Street chante à la folie. Tu vas retomber certainement de ta chaise en écoutant «Crying In The Night». En fait, les Monitors font bien la nique à Motown. On est chaque fois frappé par leur fantastique énergie. «I’m In Love With You Baby» n’a pas d’équivalent. Ils tapent «Anything» à l’heavy unisson du saucisson, c’est gorgé de chœurs et de fantastiques rasades d’anything. «Guilty» dégouline aussi de classe, ça chante à l’ultra-screaming de la crème de la crème, ils sont chaque fois les rois du monde, le temps d’une chanson.    

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             Les Monitors enregistrent un deuxième album en 1990 sur Motorcity, Grazing In The Grass. De la formation originale, il ne reste plus que John Maurice Fagin, Warren Harris et James Drayton. Ils ont perdu en route l’excellente Sandra Fagin, remplacée ici par Beverley Carpenter, mais on trouve aussi deux autre blackettes dans le cast, Leah Harris et Maxine Wood. Il n’y a pas d’autres précisions. Le boss de Motorcity Ian Levine, et Sylvia Moy, disparue récemment, produisent cet album incroyablement bon. Tu veux danser ? Alors écoute le morceau titre d’ouverture de bon balda, yeah tu y vas, tu jerkes aux yeah, c’est irrésistible, tu Grazes in the grass, tu es dans le move et tu t’amuses bien car les Monitors sont les rois du groove de dancing up, tu as le meilleur dancing Grass qui tu puisses espérer. Et ça continue avec «Cold As Ice», ils ramènent tous leurs vieux réflexes de doo-wop, aw comme c’est fin, comme ce mélange de diskö-beat et de Monitors back-drop peut être capiteux ! Ça devient carrément dément, tu as là une manifestation du grand Black Power. Avec «Rescue My Heart», ils vont plus sur la calypso, ils cultivent les clameurs de heavy Soul, peu de gens naviguent dans ces eaux-là. Retour au big heavy groove avec «Through The Test Of Time», ils restent dans leur move qui est le bon move, ils se cantonnent dans leur canton, ils groovent une sorte d’énorme mélasse de r’n’b, ça rame à la galère d’or, c’est fabuleusement bon. Avec des gens comme eux, tu te retrouves vite à sec de superlatifs. Pars simplement du principe que les Monitors ont du génie. Ils t’explosent le Test of time vite fait. Monitors forever ! Si tu écoutes les Monitors, tu recevras en échange le privilège de goûter à l’essence même du Black Power. Beverley Carpenter revient shaker le shake de «Brainstorm», fast and heavy au oh-oooouhh, une horreur ! Ils tapent ensuite dans Smokey/Sylvia Moy avec «Goin’ To A Go-Go», ils ont tout le son du monde et ça continue avec une cover de «Tears Of A Clown». Dernier coup de génie avec «Forever & Ever», fantastique groove de r’n’b avec du doo-wop par derrière, say it baby ! Elle est partout, la Beverley, elle se frotte à l’ail du génie black, elle se montre insistante et derrière, ça brasille dans le crépuscule des dieux.   

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             Harold enregistre aussi Larry Williams («Bad Boy»), Art Neville («Cha Dooky-Doo») et Jerry Byrne, le chanteur des Spades, («Lights Out») pour Specialty. Puis il commence à caresser l’idée saugrenue de monter un label à la Nouvelle Orleans. Lorsqu’il revient chez lui à la Nouvelle Orleans, le train qui le ramène de Los Angeles s’arrête en gare d’El Paso, au Texas, et une légende vivante monte à bord : Earl King. C’est à lui qu’Harold parle en premier de son idée. Il songe à monter un collectif, AFO Records et comme il connaît les ficelles de caleçon du biz, il monte un house-band avec John Boudreaux (beurre), Allen Toussaint (piano), Alvin Red Tyler (sax) et Melvin Lastie (cornet) - A dream team of studio players, a first-call cache of musicians qui étaient connus pour leur expérience, leur professionnalisme et leur ability to make it happen - Puis c’est le lancement officiel : «On May 29, 1961, à midi, l’état de la Louisiane enregistra the legal birth of AFO Records Inc.» AFO attire toute la crème de la crème de la Nouvelle Orleans : «Tami Lynn, Eddie Bo, the Tick Tocks, Willie Tee, Wallace Johnson, Pistol, Charles Carson, Bobbie Lee, the Turquinettes, the Wood Brothers, James Booker, Drits & Dravy (Mac & Ronnie) and Shirley Raymond.» Harold est fier d’AFO, qui a le plus grand éventail d’artistes de la Nouvelle Orleans, «from blues to jazz to funk to pop, kids to adult, male and female, Black and White.» En 1962, ils lancent un subsidiary label, At Last Records. Harold fait aussi partie des AFO Executives qui accompagnent Tami Lynn. Ils cassent la baraque partout où ils se produisent.

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             Il existe un album des AFO Executives With Tami Lynn. Paru en 1963, A Compendium n’est pas seulement un album d’early Soul. C’est surtout un album de jazz-groove, au sens où on l’entend chez Acid Jazz. L’«Everything’s Coming Up Roses» d’ouverture de bon balda donne le ton : fast jazz. Les Executives vont vite en besogne. Ils t’embarquent, même pas le temps de discuter. Ils proposent un extraordinaire petit brouet d’early Soul. Avec le solo de sax, tu te retrouves dans la réalité. Les Executives tapent dans le round midnite, Alvin Red Tyler et Harold se partagent les coups de sax, comme dans toutes les formations de jazz. Tami arrive enfin pour «Old Man River» et te swingue ça au carré, elle te coule entre les doigts, yeah-eh et tape l’Old man swing. Au piano, Harold devient wild as fuck ! Le hit de l’album est un instro, «Le John», ils tapent ça au heavy jazz. Le beurreman s’appelle John Boudreaux et le stand-up man Peter Bounce. Tami fait son retour avec «I Left My Heart In San Francisco», elle te groove ça vite fait. Elle est aussi balèze que Billie Holiday, elle peut même se montrer encore plus spectaculaire. Le reste de l’album s’enracine dans le jazz, ils te groovent «The Big B N» au bar de la plage. Harold et Alvin Red Tyler se tapent encore la part du lion avec «Old Wyne ».

             Harold raconte aussi l’arrivée de Pince La La chez AFO, au moment où ils recherchent des nouveaux talents : «Un jour Jessie Hill débarque avec une chanteuse nommée Barbara et un guitariste nommé Prince pour l’accompagner. De son vrai nom Lawrence Nelson, Prince était le frère de Walter Papoose Nelson, le guitariste de Fats Domino. Prince avait composé une chanson pour Barbara, «You Put The Hurt On Me». Comme Barbara avait du mal à caler le chant sur le rythme, Prince chantait avec elle pour l’aider. Il chantait si bien qu’on a décidé de l’enregistrer et de trouver autre chose pour Barbara.» Et en juin 1961, Harold emmène Prince et Barbara enregistrer chez Cosimo - Cosimo était beaucoup plus qu’un brillant recording engeener - he loved the music and the people who created it. His contribution was to capture as much as of the music’s spirit as possible.

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             C’est bien sûr Ace qui se charge de rééditer tout l’AFO : trois compiles Gumbo Stew ! Miam miam ! Le crack de Gumbo Stew (Original AFO New Orleans R&B) s’appelle Alvin Robinson, il a trois cuts en fin de compile, «Turned In Turned On», «Give Her Up» et «Empty Talk». C’est heavy pour l’époque, la basse démolit tout et Alvin chante comme un killer Wilson Pickett. Mac Rebennack signe le Turned In. Alvin chante son «Empty Talk» à l’écorchée vive, ouuhh ouuhh, il sait mettre le paquet. On retrouve aussi Tami Lynn avec l’excellent «Mojo Hanna», Tami est une fabuleuse shouteuse, elle explose tout, même le fouette cocher. On retrouve les autres protégés d’Harold, Barbara Georges (avec «I Know (You Don’t Love Me No More)», elle gueule comme la Shirley de Shirley & Lee, elle fait du sexe d’exotica incroyablement pré-pubère, elle est très en avance sur son époque) et Prince La La (avec un «Things Have Changed» dans lequel il s’implique prodigieusement, joli groove de New Orleans, bien gluant d’anymore). Autre légende du siècle : Eddie Bo, avec «Tee Na Na Na Nay», I’m on my way, Eddie fait son Ray Charles, quel beau Bocage ! Chœurs de rêve. On reste dans l’ultra légendaire avec «My Key Don’t Fit In» par Dr John & Ronnie Barron, les deux surdoués blancs locaux. C’est terrific de classe, avec un solo de clarinette New Orleans. Les AFO Executives envoient eux aussi une giclée de wild jazz avec l’«Olde Wine» qu’on va retrouver sur leur album, ils te dégringolent l’instro vite fait, on savoure l’excellence du Gumbo jazz, c’est puissant, bien drivé. Encore une fine lame avec Charles Carson et «Time Has Expired». Ce mec te chante ça au sec et net. Et pour finir, la surprise du chef : les Turquinettes avec «Tell Me The Truth», fantastique exotica de la Nouvelle Orleans, mélange explosif d’Africana et d’exotica, c’est à la fois wild et rocailleux, plein d’écailles, ça joue au raw du golfe. Dans ses liners, John Boven rappelle qu’Harold navigue au même niveau qu’Allen Toussaint, Dave Bartholomew et Paul Gayten. 

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             Rebelote la même année avec More Gumbo Stew (More AFO New Orleans R&B). Alvin Robinson y casse encore la baraque avec «Better Be Good». Alvin est un dur, un singer hors normes. Il tape aussi le «We Get Love» de King Floyd au raw, que de son, my son ! Barbara George tire aussi son épingle du jeu avec «Try Me». Elle est très persuasive, c’est une vraie sex girl, sidérante, superbe, sucrée, outrancière ! Wow Barbara, you got it ! Deux coups de génie sur ce More Gumbo Stew : Lee Dorsey avec «Ya Ya» (Absolument irréversible, sucre candy de la Cité des Morts) et les AFO Executives avec «Wyld». Harold est hot on heels, fast on the run, il pique sa crise et ça jazze dans les brancards. Eddie Bo est de retour avec «You Better Check», il groove ça jusqu’à l’os, il pose son yeah avec une classe inébranlable. Dr John et Ronnie Barron sont eux aussi de retour avec «Talk That Talk», ils sont dans le shuffle jusqu’au cou, ah comme ils sont drôles tous les deux ! C’est un duo d’enfer cousu de fil blanc, mais on se régale de les voir s’agiter dans leur bocal de légende. Pince La La fait le Fu Manchu du train fantôme de la Nouvelle Orleans, il dégouline de kitsch et agonise avec un petit scream à la crème de Cosimo. Tu ne peux pas espérer meilleure compagnie, ni meilleure légende. Harlod et Alvin Red Tyler accompagnent Willie Tee au sax sur «Always Accused» et Tami Lynn ramène son énorme présence avec «World Of Dreams», c’est un peu fleur bleue, mais elle dégage un truc purement animal. On se régale aussi des Tick Tocks avec «Gonna Get You Yet», un heavy groove à la Lee Dorsey, yeah yeah, bien fruité, typical New Orleans groovyta. Inconnue au bataillon, voilà Joan Duvall avec «Two Weeks Three Days», elle est bonne la petite Joan d’Arc, bien gospel, Joan c’mon ! Elle tente le coup, et il faut bien dire que c’est infiniment supérieur à tous les coups de gaga-Soul punk-blues portés à notre connaissance ces vingt ou trente dernières années. Joan, elle sait. Vers la fin, Tami Lynn ramène sa fraise avec une cover du «Light My Fire» des Doors. Elle le prend haut perché. Flambant neuf. Mais c’est difficile de passer après Jimbo, même si elle flambe à la fin. C’est à Johnny Adams que revient l’honneur de refermer la marche, avec un heavy blues, «Johnny A’s Blues». Il chante comme une star impavide et l’excellent Nat Perrillat ramène son saxe de porcelaine.

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             Troisième et ultime compile AFO avec Still Spicy Gumbo Stew (Original AFO New Orleans R&B). On retrouve une fois de plus Alvin Robinson en queue de convoi, avec quatre titres, dont le faramineux «Soulful Woman», son unique au monde, New Orleans groove, l’homme est puissant, un vrai taureau sur «Sho ‘Bout To Drive Me Wild», pire encore que Wilson Pickett, il est plus massif, il passe toujours en force, une vraie bête de Gévaudan. Les AFO Executives swinguent la Nouvelle Orleans avec «Nancy», une vraie merveille inavouable, c’est d’une pureté d’intention qui défie toute concurrence. Johnny Adams rempile avec «A Losing Battle», c’est lui le cake ! L’autre cake est bien sûr Eddie Bo dont il est impossible de se lasser. Ils ramène son «Check Mr Popeye», il swingue le swamp, il est intrinsèque, il groove les membranes de l’organic, il est puissant et gluant à la fois, il est une sorte d’incarnation aquatique du New Orleans groove, la star du Gumbo Stew, comme le montre encore «I Found A Little Girl». Quand on l’entend chanter «Roamin-itis», on réalise soudain que tout Dr John vient du chant d’Eddie Bo. Et puis voilà encore un cake : Willie Tee avec «Why Lie». Comme Willie est très pur, il te broie le cœur. Il est planté sur le bord du génie. Il revient plus loin avec «Who Knows» qu’il chante à la dent creuse. Willie est un pourvoyeur, un fantastique seigneur des annales. C’est à James Booker que revient cette fois l’honneur de boucler le bouclard avec «End Of A Dream (Booker’s Ballad)», qu’il joue au piano liquide, suivi par le sax d’Alvin Red Tyler. Booker te groove le piano jazz, il s’implique dans la décadence de la rue, yo brother ! Chopin du gutter, fantastique allure !      

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             Puis Harold et ses amis décident de s’installer à Los Angeles, car le biz y est plus florissant qu’à la Nouvelle Orleans. Ils ferment AFO et créent le studio Soul Station #1, «in South Central Los Angeles, a small storefront on South Vermont, between Adams and Jefferson.» Le premier artiste qu’ils enregistrent en 1964 est Sam Cooke avec «Tennessee Waltz» pour RCA. Sam enregistre aussi «Shake», «A Change Is Gonna Come» et fait venir les artistes de son label SAR, «Johnnie Taylor, Billy Preston, Mel Carter, les Valentinos with Bobby Womack, Linda Carr, Patience Valentine and the Sim Twins among others.» Harold est en plein boom : «Puis j’ai eu un coup de fil d’Earl Palmer, devenu top session drummer in LA, me demandant si je voulais bien écrire les arrangements pour le producteur Tommy LiPumma, qui enregistrait les O’Jays at United Studios. Il s’agissait d’une chanson d’Allen Toussaint, «Lipstick Traces» qui fut le premier hit des O’Jays.»

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             C’est l’époque où Sonny Bono bosse pour Totor et un jour de 1963, Harold reçoit un coup de fil : «He got Phil to call me to play piano on his sessions.» Harold va jouer pour Phil Spector de 1963 à 1965 sur des trucs assez légendaires, «You’ve Lost That Loving Feelin’» des Righteous Brothers, «Proud Mary» d’Ike & Tina Turner, et les Ronettes. Harold découvre l’univers de Totor au Gold Star studio, avec cette palanquée de musiciens, deux basses, quatre guitares, trois pianos - I was the designated free piano, ça veut dire que je n’avais pas à jouer la partition, Phil wanted me to ad lib whatever I thought would fit. Il ajoutait les autres instruments, horns, strings, singers etc - plus tard. Il semblait n’avoir rien préparé, il créait au fur et à mesure. Lors des dernières sessions, il semblait avoir besoin de plus de temps pour trouver ce qu’il cherchait. Pour moi, les Spector sessions étaient trop longues et ennuyeuses. Mais après coup, j’ai réalisé qu’il avait du génie et j’étais émerveillé par the complex simplicity of his productions - Très bel hommage. Merci Harold.

             On passe d’un géant à un autre avec Doctor John. Harold le connaît depuis 1957, «back in my Specialty days». Mac débarque à Los Angeles en 1965. Il fait signe à son vieux pote Harold et pouf, Harold fait appel à lui pour donner un coup de main sur les tournées de Sonny & Cher. Mais il demande à Mac de rester discret sur les drogues, car Sonny & Cher sont clean - In public and in private - Harold et Sonny Bono montent un petit label en 1967, Progress Records, et proposent à Mac d’enregistrer un album - Mac me dit qu’il avait lu des choses sur un personnage nommé Dr John from the New Orleans voodoo tradition et il voulait bricoler quelque chose à partir de ce personnage. Le concept me plut immédiatement. J’envisageai alors de créer un new sound, look and spirit to the popular psychedelic/underground wave. On a discuté du projet pendant plusieurs jours et on a commencé à sélectionner des musiciens, des chanteurs et des morceaux. C’est un autre New Orleans transplant, Ronnie Barron, qui devait incarner Dr John, a White guy we knew from back in the day. Ronnie had a great singing voice for R&B and pop music et il pouvait sonner comme un Black. He was a performer like Tom Jones. Mais son manager pensait que le personnage de Dr John ne serait pas bon pour sa carrière. Je trouvais que Mac collait bien au projet, mais il était réticent, lui aussi. Il ne se voyait pas comme un upfront artist - Harold réserve le Gold Star à l’été 1967 - The cast comprenait Mac on guitar, keyboards and vocal, John Boudreaux (one of the AFO Executives) on drums, Bob West on bass, Ronnie Barron, keyboards and vocals, Ernest McLean, guitar/mandolin, Steve Mann, guitar, Pias Johnson, saxophones, Lonnie Boulden, flute, and singers Tami Lynn, Shirley Goodman, Joanie (I don’t remember her last name), Dave Dixon, Jessie Hill and Al Robinson. Je jouais de la basse et fis quelque vocaux. Aux percus, il y avait un mec nommé Didymus. Je n’ai jamais su son vrai nom. He was one of these cats who was well known in the music community et personne ne lui demandait son vrai nom. He was also a partner of Mac’s in the drug life - Comme on peut le voir, Harold est très précis sur le casting des sessions.

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    C’est avec tous ces gens extraordinaires qu’il a enregistré cet album extraordinaire qu’est Gris-Gris - The vibe was there and the music just flowed. I was comfortable, connected spiritually to the people and the music we were making. I became more involved than I had expected, and it became more than a production to me - C’est vrai que l’album fait partie des chefs-d’œuvre du spirit rock, avec Electric Ladyland, What’s Going On et There’s A Riot Goin’ On. Avec «Gris Gris Gumbo Ya Ya» on plonge au cœur d’un monde fascinant, dans une ambiance à la traîne, celle d’un soir d’été gorgé d’humidité à la Nouvelle Orleans - They call me Doctor John/ Known as the night tripper - Dr John tape ensuite dans l’un des grands classiques cajuns, «Danse Kalinda Ba Doom», pure exotica antillaise d’Afrique ethnologique. Puis voici «Mama Roux», le groove des jours heureux. Dr John chante comme un noir. Et il nous emmène ensuite au cimetière pour groover sur «Danse Flambeaux», une pièce fascinante de lenteur squelettique, symbole de l’étrangeté du monde. Par ses inflexions, Dr John rejoint le grand art méphistophélique de Captain Beefheart. En B, on tombe sur l’incroyable «Croker Courtbullion», un groove à la ramasse d’une brisure de rythme imbibée de rhum de contrebande, joué au clair de lune avec des pianotis irresponsables et des coups de trompettes inféodées - Walk on guilded splinters with the King of the Zoulous ! - Voilà ce qu’il clame dans «I Walk On Guilded Splinters». C’est le groove le plus étrange de l’histoire du continent africain. Pas étonnant que Steve Marriott l’ait repris sur scène au temps béni d’Humble Pie. Il règne dans ce cut une ambiance létale qui remonte aux origines de l’humanité. Cet album fonctionne comme un sortilège. De la même façon que Screamin’ Jay Hawkins, Dr John jette des sorts. 

             Harold envoie ensuite les bandes chez Atlantic. Il pensait que l’album sortirait à l’automne 1967 - That didn’t happen. The execs at Atlantic ne savaient pas quoi faire des enregistrements que je leur avais envoyés. Quand j’ai parlé avec Ahmet Ertegun, président d’Atlantic, il m’a demandé comment il fallait appeler ce type de musique. ‘Que vais-je bien pouvoir dire à mes promotion men ? What radio station gonna play this crap?’ Je n’avais pas pensé à tout ça - Puis quand le succès arrive, Mac se trouve confronté au problème qu’il redoutait : l’upfront ! - Mac était avant toute chose un compositeur et un musicien de studio. C’est là qu’il se trouvait bien. Il se trouva soudain confronté au problème de devenir un upfront stage artist, which required many adjustments, mentally and physically - Son premier grand show nous dit Harold eut lieu au Fillmore West in San Francisco, il partageait l’affiche avec Thelonious Monk - Je n’en revenais pas ! Mac and Monk ! - Harold va aussi produire le deuxième album de Mac, l’effarant Babylon, plus porté sur les questions sociales, puis l’excellent Gumbo. Mais Mac et Harold vont avoir des petites embrouilles et leurs chemins vont devoir se séparer.

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             Harold travaille aussi pour Pulsar et produit le premier album de King Floyd. Il a beaucoup d’admiration pour le jeune King - Of the artists avaliable to me that I thought were ready, King Floyd was my choice - L’autre chouchoute d’Harold, c’est Tami Lynn qui lui demande en 1971 de l’accompagner pour une tournée anglaise. Harold indique au passage que Jerry Wexler a toujours été fasciné par le talent et l’énergie de Tami. Elle était célèbre en Angleterre avec «I’m Gonna Run Away From You», un cut qu’Harold qualifie de quiet, pop-type number, ni Wexler ni Tami elle-même n’en pensaient grand bien, mais les Anglais avaient flashé dessus et invité Tami à tourner chez eux.

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             C’est dans les années 70 qu’Harold constate des velléités d’indépendance chez Yette. Elle veut reprendre un boulot. Après une petite crise cardiaque, Harold se voit contraint de dresser le bilan de sa vie, histoire de voir s’il peut encore remettre les choses au carré : «Tout ce que j’avais fait depuis 1957 suivait une tangente hors du real Harold Battiste : le job pour Specialty, puis celui pour Ric Records, même l’épisode AFO avec ses rebondissements, ses succès et ses échecs, puis la collaboration musicale avec Sonny & Cher, qui était à l’exact opposé de mes aspirations musicales. Après ma convalescence, je me suis remis à travailler d’anciennes compositions et à en écrire de nouvelles, j’ai repris la pratique de mon instrument pour essayer de redevenir le vrai Harold Battiste. Pourtant, je continuais de bosser pour Sonny car je lui avais donné mon accord. Bien sûr, il y eut des bons moments avec tous ces vieux projets, le Monkey Puzzle LP, le Compendium LP pendant les AFO years, la bande originale de The Good Times, le projet African Genesis, la bande originale du film sur Angela Davis, quelques morceaux de Sonny & Cher m’ont même apporté des satisfactions musicales. Mais au fond, je n’éprouvais pas vraiment de fierté pour tout ça. J’éprouvais seulement la fierté d’avoir été capable d’atteindre le but fixé, qui était de vendre des disques et des artistes.»

             En vieillissant, Harold s’assombrit. Il ne gagne plus très bien sa vie. Son vieux pote Sonny Bono essaye de l’aider en lui proposant toujours le même job : directeur musical de ses tournées. Extrêmement bien rémunéré. Mais Harold veut arrêter. Sonny insiste : «On a discuté pendant trois heures, en partie comme des collègues, mais surtout comme des amis. On avait des expériences identiques. Comme il avait lui-même dû affronter des problèmes matrimoniaux, il pensait pouvoir me donner des conseils. Pour lui, le fait que je veuille arrêter de bosser pour lui n’était pas uniquement un problème de choix musicaux. Il pensait que ça venait plutôt de ma vie privée. Il insistait pour me dire que je prenais le travail trop au sérieux et que je ne m’amusais pas assez. Et pour lui, ça voulait dire que j’étais tendu à cause de ma situation à la maison. Il m’a même conseillé de prendre des vacances avec une autre femme. ‘Va à Hawaï et emmène quelqu’un avec toi, Janie McNealy, par exemple’. Je ne m’attendais pas à ça. Je pense que ses efforts étaient sincères, il cherchait à me perturber pour m’aider à réagir.» Harold continue : «Ce n’était pas la première fois qu’on me disait que je n’étais pas heureux à la maison. Yette disait la même chose. Mais elle forçait le trait et ça me révoltait. Pendant des années, Yette a dit que je n’étais pas heureux avec elle. Je refusais d’entendre ça, en partie parce que je croyais aux vertus de la vie de famille. C’était ma règle de vie. J’étais terrifié par la séparation et le divorce. J’ai toujours éprouvé un amour sincère pour Yette, mais je pense qu’elle s’est aperçue que mon sentiment pour elle avait changé. Le romantisme était devenu une sorte de dévotion, a family type of love. Elle admettait que je n’éprouvais plus rien de romantique pour elle, et ni elle pour moi. Mais dit par Sonny, je fus contraint d’admettre que Yette avait raison. Depuis le début. Yette ne supportait pas que je nie la vérité.»  

             Puis les choses vont se corser. Yette finit par agresser Harold, lui disant qu’«elle and the kids had been just slaves to me. She thought of our business as not ours but mine, and therefore to work for it meant working for nothing, which equaled slavery.» Évidemment, Yette a un mec. Elle prend un appart près de son boulot. Et elle demande le divorce. Le pauvre Harold s’écroule comme un château de cartes. Il lui téléphone pour lui dire qu’elle peut tout garder, de toute façon, ils n’ont pas grand chose - Je l’appelais pour me rendre, mais elle n’acceptait ma reddition. Elle semblait vouloir prolonger le combat pour me voir souffrir. Non, ce n’est pas ça. Elle avait besoin de se sentir justifiée à agir ainsi contre moi. Elle voulait que je me comporte comme un homme, car elle avait une idée très précise de ce que doit être un mari - Boom ! Divorce. Le juge laisse les meubles à Harold et file la baraque à Yette. Harold doit quitter les lieux avant 17 h, le samedi 12 novembre 1988. Il ne vaut pas quitter sa baraque. Il met un écriteau sur la porte : OVER MY DEAD BODY. Il faudra passer par-dessus mon cadavre ! Mais des amis parviennent à le convaincre de vider les lieux et le pauvre Harold commence une nouvelle vie - J’ai commencé à réaliser que mon ancienne vie était finie. J’étais passé de l’autre côté. J’étais devenu un homme divorcé, seul, un homme paumé sans maison ni famille - Alors il retourne s’installer dans sa ville natale, à la Nouvelle Orleans, pour devenir professeur de musique - By coming home again, I got to meet Harold Raymond Battiste Jr. He got lost in Los angeles. New Orleans found him

    Signé : Cazengler, Harold Bateau

    Harold Battiste Jr. Unfinished Blues. Memories Of A New Orleans Music Man. The Historic New Orleans Collection 2010

    Dr John. Gris-Gris. ATCO Records 1968

    Monitors. Say You! The Motown Anthologue 1963-1968. Kent Soul 2011

    Monitors. Grazing In The Grass. Motorcity Records 1990       

    The AFO Executives With Tami Lynn. A Compendium. AFO Records 1963

    Gumbo Stew (More AFO New Orleans R&B). Ace Records 1993

    More Gumbo Stew (More AFO New Orleans R&B). Ace Records 1993

    Still Spicy Gumbo Stew (More AFO New Orleans R&B). Ace Records 1994

     

     

    Finley le finaud

             Robert Finley débarque dans Mojo à l’âge de 64 ans. Il est aveugle depuis deux ans et a enregistré son premier album en 2016. Alors voilà le travail.

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             En 1964, le petit Robert vivait à Winnsboro, en Louisiane, et plutôt que d’acheter une paire de godasses avec le billet de vingt que lui avait filé son père, il s’acheta une guitare. Puis il va vivre la vie d’un black ordinaire. Il répare les hélicos dans l’armée et rentre à Winnsboro pour pratiquer le métier de charpentier, comme son père avant lui, et chanter le gospel à l’église.

             C’est en 2015 qu’on le découvre, lors d’un spectacle King Biscuit Time à Helena, Arkansas. Bruce Watson et Jimbo Mathus le prennent en main et son premier album sort sur Big Legal Mess, c’est-à-dire Fat Possum. Les Bo-Keys de Memphis accompagnent le vieux renard.

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             Age Don’t Mean A Thing est un gigantesque album de Soul. Finley le finaud l’attaque avec «I Just Want To Tell You», dans une ambiance gospel avec des chœurs magiques. On note qu’Howard Grimes bat le beurre. Au dos de la pochette, Bruce Watson répète la même histoire de paire de godasses, de charpente et de glaucome. Alors le vieux Robert se bat pied à pied avec sa Soul, il passe par un petit mambo («Let Me Be Your Everything») et finit son balda avec un shoot de deepy deep, «Snake In The Grass». Il s’énerve un peu en B avec «Come On», un hard funk à la James Brown, il a les mêmes réflexes que le Godfather, aw, c’mon ! Puis il replonge dans son deepy deep avec un «Make It With You» bien soutenu à l’orgue, suivi d’un raw r’n’b bien Staxy, «You Make Me Want To Dance», il chante sa Soul de plein fouet, avec une rare honnêteté.

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             Qui a dit que les miracles n’existaient pas ? Robert Finley sur scène en Normandie ? Inespéré ! Alors le voilà, conduit sur scène par une jeune black dont on va apprendre plus loin qu’elle est sa fille aînée. Il arrive, costard noir, chemise western, chapeau star & stripes, lunettes noires, c’est le Deep South louisianais qui débarque dans ta campagne, mon gars !

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    Dès l’aéroport, Nougayork sentait le souffle, et nous on sent aussi le souffle, ce vieil homme a des allures de monstre sacré. Et pendant une heure il va te faire un show comme plus personne n’ose en faire, de nos jours, il va te rocker la salle, il va aussi te la blueser, et même te la Souler, il dégouline littéralement de classe, il danse entre les couplets, sa fille fait les backing vocals et derrière eux, un trio de petits culs blancs assure élégamment le minimum vital. Robert Finley, tu crois rêver ! Encore une légende échappée du radar. Sans Big Legal Mess, personne ne connaîtrait son existence.

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    Il te fracasse ses hits un par un, il redore le blason de la Southern Soul, sa fille vient lui annoncer chaque titre à l’oreille. Il établit un contact magique avec le public, il rit beaucoup, c’est un très bel homme, capable de danser le jive avec sa fille. Il démarre avec «Sharecropper’s Son» et c’est énorme, il fout immédiatement le souk dans la médina et fait main basse sur le public. Il approche des 70 balais, mais quelle énergie ! À chaque fin de cut, il salue le public d’une courbette en levant son chapeau. Ses cheveux blancs sont tressés vers l’arrière.

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    L’un des moments les plus émouvants du set est l’«I Can Feel Your Pain» tiré du troisième album, il est tellement sincère dans sa Soul qu’il en devient christique, cet homme dégage indéniablement quelque chose de profondément spirituel. Il chante pas mal de cuts en power-falsetto et c’est encore plus impressionnant que sur les albums, il peut allier le chat perché à la puissance de ténor. Il fait l’apologie de l’espoir («All My Hope») et du sourire. Il revient en rappel pour quelques cuts, dont deux blues qu’il gratte sur sa gratte, perché sur un tabouret, et là, on assiste à un édifiant numéro de cirque. Le deuxième blues acou est assez spectaculaire, «Make It With You», il le chante au fil d’argent, à la mélodie pure, en rigolant. Lorsqu’après le set, au bar, on lui demande si «I Can Feel Your Pain» vient de l’église, il répond d’un rire énorme et de toute sa poitrine. À la question de l’artiste préféré, on s’attend à Slim Harpo ou a Bobby Charles, mais il répond B.B. King.

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             Le deuxième album de Robert Finley s’appelle Goin’ Platinum. Dan Auerbach produit et signe toutes les compos. Il fait ce que Tweedy fait avec Mavis. Fantastique Soul Brother que ce vieux Robert ! Dans «If You Forget My Love», il est partout, avec sa voix d’immense Soul Brother, il swingue sa Soul à un niveau extrêmement élevé. La fête se poursuit avec «Three Jumpers», solide groove de heavy blues monté sur un hard drive de basse. Belle ambiance. Robert se jette dans la bataille et chante à l’extrême. La prod d’Auerbach ne fait pas de cadeaux. Robert s’éclate la glotte à coups d’oh yeah ! On reste dans l’excellence avec «Honey Let Me Stay The Night». C’est embarqué droit en enfer. Robert a encore du bon grain à moudre, c’est joué au maximum de toutes les possibilités envisageables. Robert s’éclate au Sénégal, un vrai gamin, il file, racé comme un requin blanc. Et puis voilà «Complications». Robert l’assume à bras le corps. C’est exceptionnellement bon, chanté à la volonté de Dieu. Quelle énorme machine ! Robert fonce, habitué à subir les volontés du patron blanc. Vas-y mon nègre, gueule dans le micro ! Robert chante la compote du patron blanc. Est-ce Auerbach qui va rafler la mise ? Robert Finley ? Macache ! Ce chanteur exceptionnel est tombé dans les filets du business blanc, on est loin du temps d’Al Bell. Robert finit l’album avec «Holy Wine», un slowah dévastateur.

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             Dans Mojo, Lois Wilson compare Robert Finley à Syl Johnson, Solomon Burke et Al Green. Pas mal, non ?

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             Le nouvel album du vieux renard vient de paraître. Il s’appelle Sharecropper’s Son, produit par Auerbach. Décidément, l’Auerbach est partout. Trois cuts tapent dans le mille : «Souled Out On You», «Starting To See» et «I Can Feel Your Pain». Le vieux renard est dans le power de la Soul, c’est ce que montre «Souled Out On You». Il va chercher un vieux chat perché dans le feu de l’action et il devient un seigneur des annales. On renoue avec la grandeur tutélaire dans «Starting To See». Le vieux est un Soul scorcher exceptionnel. Il pousse sa Soul à l’extrême. Il réussit même à exploser le cut. Dommage qu’on entende la guitare d’Auerbach derrière lui dans «I Can Feel Your Pain». Le cut serait si parfait sans cette guitare qui blanchit le son. Auerbach fait les mêmes ravages que Tweedy avec Mavis : il avait réussi à la blanchir. Dans «Make Me Feel Alright», Auerbach ramène tellement sa fucking guitar qu’on perd la Soul de vue. Le vieux amène le morceau titre au stomp, mais encore une fois, la guitare gâche tout. C’est tout même dingue que les blancs la ramènent dans une histoire de sharecropper. C’est un peu insultant. Comme la présence d’Auerbach donne de l’urticaire, il faut se concentrer sur le chant. Le vieux chante «Country Boy» au petit chat perché, mais Auerbach vient encore lui manger la laine sur le dos avec son ego démesuré et son son de blanc dégénéré. Les blancs colonisent l’art nègre comme au temps des plantations, on ne sent pas la mixité comme chez Stax où le blanc se fond dans le moule black. Ici la guitare prévaut. Elle prévaut dangereusement. Le vieux boucle l’album avec «All My Hope» qui vire gospel, avec de l’orgue. Ouf on croit échapper à la fucking guitare mais elle revient dans le son, ce mec a un problème, il devrait aller voir un psy. Il nous gâche le plaisir d’écouter l’immense Robert Finley.  

    Signé : Cazengler, Robert Filasse

    Robert Finley. Le 106. Rouen (76). 24 novembre 2022

    Robert Finley. Age Don’t Mean A Thing. Big Legal Mess 2016

    Robert Finley. Goin’ Platinum. Easy Eye Sound 2017

    Robert Finley. Sharecropper’s Son. Easy Eye Sound 2021

    Lois Wilson : Robert Finley. Mojo #290. February 2018

     

     

    Wizards & True Stars

     Dylan en dit long (Part Five)

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             De la même façon que Balzac, Céline ou Victor Hugo, Dylan échappe à toutes les catégories. Par la seule ampleur de son œuvre. Il ne viendrait l’idée à personne de dire que Dylan, Balzac, Céline et Victor Hugo sont les plus grands. Pourquoi ? Parce qu’on le sait. Alors on se contente de lire les livres et d’écouter les disques. Après, on ira au jardin voir si la rose est éclose.

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             Sur la pochette de son premier album, le jeune Bob a l’air pensif. Soixante ans plus tard, il a toujours le même regard. Paru en 1962, cet album sans titre ne semblait destiné qu’aux folkeux. Certains d’entre-nous l’ont redécouvert un peu plus tard, au moment du choc d’Highway 61 Revisited, en 1965. On y allait les yeux fermés, même si bien sûr le son de 1962 était nettement plus austère. Le jeune Bob grattait comme un dératé et ramenait des coups d’harp du midwest. Avec le recul, on voit bien que Gram Parsons s’est cassé la tête pour rien, car du temps du jeune Bob, la messe de l’Americana était déjà dite. En reprenant le «She’s No Good» de Jesse Fuller, le jeune Bob inventait la cosmic Americana. L’autre gros shoot d’Americana est bien sûr l’excellent «Pretty Peggy O» enflammé à coups d’harp du Midwest. Le jeune Bob y pousse des ouh ouh d’antho à Toto. Pas mal de covers sur cet album dont l’excellent «Baby Let Me Follow You Down» - This is a song by Eric Von Schmidt. He lives in Cambridge, a blues guitar player - Cambridge où le jeune Bob a séjourné plusieurs mois avant de débarquer à Greenwich Village. C’est avec cette cover qu’il pose les jalons du Dylan electric. C’est aussi sur cet album qu’on trouve la reprise d’une chanson traditionnelle, «The House Of The Rising Sun» que vont reprendre les Animals. Même ambiance que celle de Parchman Farm, ça finit avec le ball and chain, et l’I’m going back to end my life down in the rising sun. Cet album est celui de toutes les mythologies. Oui et quelles mythologies, car le jeune Bob reprend aussi le «See That My Grave Is Kept Clean» de Blind Lemon Jefferson. Dans Masked And Anonymous, Dylan sort la guitare de Blind Lemon et dit que tout a commencé avec elle. Il joue ce cult-blues sec et net en forçant un peu la voix. Il reste dans le blues du Delta avec «In My Time Of Dyin’», fantastique régurgitation de dyin’ babe. Il injecte encore du blues pour son protest dans «Fixin’ to Die Blues». Il gratouille bien ses poux d’arpèges et force un peu sa voix pour exprimer ce qu’est le blues de Bukka White. N’oublions que dans Chronicles, le jeune Bob citait Robert Johnson comme principale source d’inspiration. Le vrai Dylan se trouve dans «Man Of Constant Sorrow» que reprendra d’ailleurs Rod The Mod à l’époque Mercury. Fantastique exaltation mélodique - I’ll say goodbye to Colorado/ Where I was born and partly raised - Il re-façonne déjà l’Amérique, mais bien sûr, personne n’est au courant, même pas lui. Il veut quitter le Colorado, mais il y revient. Il crée la mythologie du hobo - I’m about to ride that morning railroad/ Perhaps I’ll die on that train - Pour un premier album, c’est un coup de maître. Bob Dylan est l’album factuel. 

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             La pochette de The Freewheelin’ Bob Dylan compte parmi les plus mythiquement tendres de l’histoire du rock. Diable, comme elle est belle la Suze, au bras d’un Bob qui paraît si léger dans le mouvement, ce mouvement, souviens-toi, dont il fait l’apologie dans Chronicles. L’album s’ouvre sur ce «Blowin’ In The Wind» qui ne passe plus du tout. On a peut-être trop entendu cet answer my friend. Par contre, si tu vas dans le Nord, n’oublie pas d’écouter «Girl From The North Country», car she once was a true love of mine. La formulation n’est pas banale, c’est de la poésie dylanesque, comme on dirait un songe verlainien. Ces gens-là naviguent au même niveau. Avec sa Girl, Dylan commençait à taper dans l’œil du mille. Même les gens qui le critiquaient bêtement pâlissaient à l’écoute d’une telle merveille. Oh il ne raconte pas grand-chose dans ce balladif intemporel, pas de discours antimilitariste, pas de symbole caché ni de personnages emblématiques, juste le souvenir du froid - Where the winds hit heavy on the borderline - et de cette femme dont il fut profondément amoureux. Il se rappelle surtout de ses cheveux qui se répandaient sur ses seins - Please see for me if her hair hanging down/ If it curls and flows all down her breast - et comme il s’adresse à toi puisque tu vas aller faire un tour dans le Nord, il te demande de vérifier si sa longue chevelure s’écoule toujours sur ses seins. On imagine la tête de l’exégète devant cette chanson : rien à en tirer, juste une histoire de nostalgie amoureuse. C’est d’une banalité ! Mais rien n’arrive à la cheville de la banalité dylanesque. Burt Bacharach, Brian Wilson, Phil Spector et Jimmy Webb l’avaient bien compris puisqu’ils s’y sont engouffrés à leur tour. Comme Dylan, ils ont réussi à percer le secret du Grand Œuvre, c’est-à-dire la chanson parfaite. La chanson parfaite, c’est celle qu’on écoutait voici cinquante ans et qu’on écoute encore aujourd’hui en ressentant exactement le même frisson, le même plaisir cérébral, qu’il s’agisse de «Girl From The North Country», de «MacArthur Park», d’«Heroes & Villains», de «You’ve Lost That Lovin’ Feelin’» ou de «This Guy’s In Love With You». Qui ose prétendre que la perfection n’est pas de ce monde ? Puis Dylan revient à son dada avec «Masters Of War», toujours d’actualité. Eh oui, c’est le business le plus juteux avec celui de Pandemic, alors pas question de s’en priver. Les gens gueulent, mais à la place des Masters of War, ils feraient exactement la même chose. On est antimilitariste quand on est pauvre. Quand on est riche et qu’on vend des armes, on ne l’est pas. Alors comme Dylan est pauvre, il est antimilitariste. Il harangue les harengs, avec beaucoup de mots lestés en B, bills, bombs, blood, bins, brain, des clous qu’il enfonce avec des death, desks, drain. N’oublions jamais qu’il est d’abord écrivain et poète, et qu’il connaît le poids des mots. Bien sûr, il n’oublie pas le vocabulaire apparenté, bullets, triggers, et comme il est jeune, il montre les dents, il fait le revanchard, il dit que personne, même pas Jésus, ne pourra leur pardonner aux masters of war, et il attend la dernière strophe de son interminable harangue pour leur souhaiter de crever, and I hope that you die, et vite fait en plus, and your death will come soon, et il suivra le cercueil by the pale afternoon et il le verra descendre au fond du trou, down to your deathbeb, par contre, il n’ira pas jusqu’à cracher sur sa tombe comme le ferait l’avenir du rock, non, il se contentera de monter sur la tombe pour être bien sûr que le Master of war ne va pas se sauver. Par contre, l’«Hard Rain’s A Gonna Fall» se veut plus biblique, avec tous ses personnages qui sortent de ce poème fleuve comme autant de cartes d’un jeu de tarot, a white man who walked a black dog, a poet who died in the gutter, a clown who cried in the alley, a young woman whose body was burning (comme dans le film), des rivières de diamants, il est le seul avec Leo Ferré à savoir respirer la poésie, et il sait son poème dit-il à la fin, avant même de commencer à le scander. On le retrouve en B avec «Don’t Think Twice It’s All Right». Il traite ici de l’incommunicabilité des choses, but we never did too much talking anyway,  il dit avoir voulu lui donner son cœur mais elle voulait son âme, il lui reproche de l’avoir treated unkind, you could’ve done better but I don’t mind/ You just kinda wasted my precious time, ah comme la vie peut être compliquée. C’est le fonds de commerce des grands poètes. Mon pauvre enfant, ta voix dans le Bois de Boulogne. Et cette fantastique façon qu’a Dylan de dire adieu, so long honey babe. Le coup de génie de l’album est cette version de «Corrina Corrina» jouée au deepy deep et qui préfigure le son de John Wesley Harding, montée sur un drive de basse incroyablement nonchalant. Il termine avec «I Shall Be Free» et raconte que JFK lui passe un coup de fil, my friend, Bob, what do we need to make the country grow?, et Dylan lui répond my friend, John, Brigitte Bardot, Anita Ekberg, Sophia Loren, ah quelle fantastique énergie du chant ! Alors Dylan boit pour être libre, well, ask me why I’m drunk all time/ It levels my head and eases my mind, il va par les chemins et chante comme Charles Trenet, I see better days and I do better things, il attrape des dinosaures, il baise Elizabeth Taylor et bien sûr s’attire des ennuis avec Richard Burton.

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             Quand on réécoute The Times They Are A-Changing on est frappé par la pureté du protest process et par la légendarité des coups d’harp. Paru en 1964, cet album est d’une incroyable modernité. «The Ballad Of Hollis Brown» nous fait comprendre autre chose : c’est déjà électrique avant le Dylan goes electric de Newport. Cette fabuleuse tension va servir de modèle à tout le folk-rock américain - Hollis Brown he lived on the outside of town/ With his wife and five children/ And his cabin breakin’ down - Il fait rimer le desolation row de town avec down. Il met tout son poids dans ses syllabes et charge sept cartouches dans sa culasse. Dylan fait ce que fit Hugo un peu avant lui, il universalise la misère pour mieux nous la balancer en travers de la gueule, car c’est tout ce qu’il reste à faire - Seven shots ring out like/ The ocean’s pounding roar - Alors on observe son visage sur la pochette, et on le trouve bien grave, le jeune Bob avec son regard chargé d’ombre. Il n’a pas encore envie de chanter des chansons d’amour, ça viendra plus tard, quand il aura compris qu’universaliser la misère ne servait à rien, puisqu’elle est dans l’ordre des choses, comme la violence ou encore la connerie. Alors il fait appel à Dieu qui ne vaut guère mieux, et c’est «With God On Our Side», alors tout va bien, puisque Dieu est avec nous, disent les soldats américains qui massacrent les tribus indiennes - The cavalries charged/ The Indians died/ Oh, the country was young/ With God on its side - Pour une fois le rock sert à quelque chose. Bois un grand verre de coca-cola, mon gars, car ce n’est pas fini. Le jeune Bob est tellement ému par ce qu’il chante qu’il développe un fantastique sens mélodique. Il peut monter, il reste juste au moment du country was young/ With God on its side. Il ne compte pas non plus les morts de la première guerre mondiale, puisque dit-il, plein de bon sens, you don’t count the dead/ When God’s on your side, et en attendant la troisième, il évoque la deuxième guerre mondiale et trouve tout naturel qu’on devienne potes avec Allemands qui ont balancé six millions de gens dans les fours crématoires - They murdered six million/ In the ovens they fried/ The Germans now, too/ Have God on their side - God est incroyablement permissif, c’est même une bonne pâte, tout le monde le sait, même le diable. Et comme à l’école, le jeune Bob a appris à craindre et haïr les Russes, alors pas de problème, quand il faudra courir aux abris, il le fera comme tout le monde, With God on my side. Ah il se marre bien, le jeune Bob. Il ajoute que tu ne poses jamais de questions quand tu as God on your side, c’est très pratique. Il en vient fatalement à se poser la question sur Jésus et sur la trahison de Judas, mais dit-il, il ne peut pas se la poser à notre place, chacun doit se débrouiller avec sa conscience - You’ll have to decide/ Wether Judas Iscariot/ Had God on his side - Dylan est déjà passé maître dans l’art de dire les choses. On vote donc pour Dylan, comme on votait pour le Che, Gandhi et Nelson Mandela. En B, on croise l’excellent «Boots Of Spanish Leather», excellent car d’une grande pureté mélodique et qui sonne comme «Girl Of The North Country» qu’on trouve sur The Freewheelin’ Bob Dylan et plus tard sur Nashville Skyline où il duette avec Cash. Et puis avec «The Lonesome Death Of Hattie Carroll», le jeune Bob s’en prend vertement à cette métaphysique de la brutalité qu’on appelle l’injustice. Le jeune Bob raconte comment un jeune et riche planteur de tabac, William Zantzinger, ratatine à coups de canne une servante de cinquante balais et s’en sort avec six mois ferme - But you who philosophize/ Disgrace and criticize all fears/ Take the rag away from your face/ Now ain’t the time for/ Your tears - Pareil, des gens sont passés par là avant, de Zola à Leo Ferré, dénoncer l’injustice est un job vieux comme le monde qui ne sert strictement à rien, puisqu’elle s’inscrit dans les tables de la loi. Tu nais pauvre, t’es baisé. Tu nais riche, tu passes à travers tout.  The Times They Are A-Changing est l’album solaire.

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             C’est sur Another Side Of Bob Dylan paru en 1964 qu’on trouve le grand cut préfigurateur du rock moderne : «Motorpsycho Nitemare». Le nitemare préfigure surtout la trilogie à venir (Highway 61 Revisited/ Bringing It All Back Home/ Blonde On Blonde). Là tu as tout le sharp spirit dylanesque, l’essence du rock électrique - I’m a clean cut kid and I been to college too - Il swingue ses mots jusqu’au vertige, à part Iggy avec son maybe call mom on the telephone, personne n’est allé aussi loin que lui dans ce délire de poésie électrique, il est la suite de Rimbaud, il fait exactement ce que Rimbaud aurait fait s’il avait eu une guitare électrique, Dylan incarne la liberté et l’intelligence de la liberté, il a ce don unique, on peut passer sa vie à écouter et réécouter Dylan sans jamais craindre l’ennui. Il crée son monde en permanence, à longueur d’albums. Voilà qu’il débarque dans une ferme paumée à la recherche d’un toit pour la nuit - a place to stay - et il tombe sur le fermier qui lui colle un gun into my guts. Sauf bien sûr chez les cracks du rockab, le rock n’avait encore jamais swingué comme ça et depuis, il n’a jamais aussi bien swingué. Et voilà Rita, la fille du fermier, qui semble sortir de la Dolce Vita - Then in comes his daughter whose name was Rita/ She looked like she stepped out of la Dolce Vita - La façon dont Dylan swingue sa phrase est essentielle. Il transmet tout l’héritage du blues et du rockab. Dès qu’il voit Rita, Bob sent l’embrouille. On se croirait chez farmer John, avec the girl with the champagne eyes. Le fermier héberge Bob à deux conditions : pas touche à ma fille et demain matin, tu trais les vaches - Milk the cows - Marché conclu. Bob dort sous le stove. Rrrrrrrrrrr. Il dort à poings fermés - I was sleepin’ like a rat - et soudain, quelque chose le secoue - There stood Rita/ Looking just like Tony Perkins - Il a besoin du Perkins pour rimer avec le jerkin’ de Rita, c’est aussi simple que ça. Dylan ne s’embarrasse pas avec les détails, il doit poursuivre la cavalcade effrénée de son story-telling. Rita lui propose d’aller prendre une douche. Now ? Comme il a promis au père de ne pas toucher à sa fille, Bob doit trouver un stratagème pour se sortir de ce guêpier. Vu qu’on est dans un rock lyrique ouvert à toutes les affabulations, Bob se met à crier bien fort : «I like Fidel Castro and his beard», le beard devant rimer avec le weird d’avant. S’il avait dut rimer avec hard, ou too far, il aurait crié : «I like Fidel Castro and his cigar». Le père entend ça et dans l’Amérique profonde des beaufs descendants de colons, c’est un blasphème que de citer Castro, le communiste. Le père arrive en pétard et demande à Bob de répéter ce qu’il a osé dire. Alors Bob répète : «I like Fidel Castro/ I think you heard me right.» Alors le père se met en pétard pour de bon - He said he’s gonna kill me/ If I don’t get out the door in two seconds flat - Le flat bien sûr pour rimer avec le rat, car cette chanson est infestée de rats - You unpatriotic rotten doctor commie rat - Le père commence par lui balancer le Reader Digest dans la gueule, magnifique symbole beauf, Bob se marre et se casse vite fait en sautant par la fenêtre - Crashed through the window at a hundred miles an hour - Le père charge son gun et Bob prend les jambes à son cou, en vrai bluesman - The sun was comin’ up and I was runnin’ down the road - Et pour finir en beauté, Dylan lâche l’une de ces paroles d’évangile dont il va continuer de se faire une spécialité : «Without freedom of speech I might be in the swamp.» La morale de cette histoire est qu’il n’en faut pas en perdre une seule miette. L’autre stand-out d’Another Side est bien sûr «Chimes Of Freedom». Encore un poème fleuve. On comprend qu’il ait remué les foules étudiantes en Amérique et en Angleterre. C’est encore de la poésie électrique pure, Dylan charge sa prose comme une mule, c’est somptueux - As majestic bells of bolts struck shadows in the sounds/ Seeming to be the chimes of freedom flashin’ - Vers aux pieds ailés, comme chez les symbolistes de l’Avant-Siècle. Tout dans Chimes résonne à l’infini - Through the mad mystic hammering of the wild ripping hail/ The sky cracked its poems in naked wonder - Gawd, la chance qu’ont eu les Anglo-Saxons d’entendre ces poèmes à la radio. Les Français avaient Léo Ferré qui lui aussi faisait référence aux guardians and protectors of the mind - the poet and the painter - car c’est bien de cela dont il s’agit, face à l’extrême brutalité du monde moderne. Dylan n’oublie pas les damnés de la terre, the mistitled prostitute, the misdemeanor outlaw, chaque fois qu’on réécoute ce dazibao, on en reste baba. Depuis, on se demande où sont passé les poètes. Auraient-ils fini par disparaître ?

    Signé : Cazengler, Bob Divan

    Bob Dylan. Bob Dylan. Columbia 1962

    Bob Dylan. The Freewheelin’ Bob Dylan. Columbia 1963

    Bob Dylan. The Times They Are A-Changing. Columbia 1964

    Bob Dylan. Another Side Of Bob Dylan. Columbia 1964

     

    L’avenir du rock

    - Les contes d’Andersson (Part Two)

             S’il est un genre littéraire que l’avenir du rock prise particulièrement, c’est bien celui des contes. Ah les contes ! Que ne permettent-ils pas ! Le conte est bon lorsqu’il s’ancre fermement dans la réalité et qu’il se nourrit d’éléments qui assoient la crédibilité de ses personnages. Il faut pour ce faire que l’étude soit très fouillée, poussée jusqu’à son paroxysme, comme s’il s’agissait d’abattre la besogne d’un journaliste de bas étage. C’est à ce prix que la fondation supportera le poids du temps. Et la narration encaissera la violence des tempêtes que l’imagination jugera alors bon de lever, car de cela dépend le succès du conte : sans surprise et sans basculement, il s’aplatit comme le soufflé d’un mauvais cuisinier. Les contes permettent surtout de tirer le réel d’un mauvais pas. Souvent les histoires vraies implorent désespérément de l’aide pour paraître moins ternes, alors le conte vole à leur secours, tel un gentil vampire, et les entraîne dans des féeries qui se rient de la bienséance et des lois de la gravité. De la même façon que celles des écrivains de l’Avant-Siècle, la vie des grands rockers se prête merveilleusement bien aux biais de la fiction et aux glissades vers ce qu’on appelait autrefois le monde fantastique, c’est-à-dire un au-delà du réel conçu pour bercer l’imagination de l’agneau-lecteur. Comme Marcel Schwob ou Apollinaire, certains grands rockers sont de véritables contes à roulettes qui, à force de jouer avec leurs ficelles, ont fini par incarner les fruits de leurs imaginations respectives. Les meilleurs exemples ne sont-ils pas Jeffrey Lee Pierce dont on dit qu’il efface les gens d’un seul regard, ou encore Lux Interior occupé à fabriquer dans son laboratoire le bassiste de ses rêves, ou Chris Bailey chevauchant un kangourou pour échapper à ses poursuivants, ou Robert Wyatt parcourant son île dans un fauteuil aux roues carrées ? Ou encore Henry Rollins battant pavillon noir pour affronter de front le vaisseau amiral de l’armada espagnole, sans oublier bien sûr les contes d’Andersson, grand Hellacopter devant l’éternel.

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             Les Hellacopters font enfin la une des magazines ! Enfin, d’un magazine, mais pas n’importe lequel, puisqu’il s’agit du bien nommé Vive Le Rock. Il pourrait très bien s’appeler Vive la Vie. Dix pages pour les Copters ! Du jamais vu ! Gerry Ranson rappelle tout de go que les Copters viennent de se reformer après 17 ans de silence. 17 ans, tu te rends compte ? En plus, Nicke Andersson a réussi à rapatrier son vieux co-listier Dregen qui était parti rejoindre ses Backyard Babies à Londres en 1997. Quand Andersson a splitté le groupe en 2008, il avait dit never again, mais comme dans tous les cas de reformation - et celui des Pixies en particulier - les offres qu’on leur fait sont des offres qu’on ne peut pas refuser - The money was really good - Eh oui, les Copters ont un public en Suède. Pas de problème. Quelques répètes et c’est reparti.

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             Comme il a de la place, Andersson peut évoquer ses racines : «Star Wars, dinosaurs and Kiss. Tout cela est connecté, pas vrai ? Les cracheurs de feu et les explosions ! Je reviens toujours à Kiss, parce qu’ils sont mes racines et d’une certaine façon, Kiss est punk, car leurs chansons sont très basiques et jouées avec efficacité, c’est du rock’n’roll, je suis aussi un fan des Sex Pistols, et je crois qu’ils sont proches les uns des autres, musicalement. Mais pas au plan des lyrics, bien sûr. Ils ont en commun des grosses guitares et les pounding drums - That’s where it’s at!.»  Andersson explique qu’il a découvert le punk-rock grâce à la collection de 45 tours du père d’un copain : Pistols, Damned, Ramones. Sur un album des GBH, il découvre une cover des Stooges et ça le conduit naturellement au MC5. Ce qui ne l’empêche pas de démarrer sa carrière de musicien comme batteur d’un gang de death metal, Entombed. Andersson rencontre Dregen en 1991 et lui propose de l’embarquer comme drum tech dans une tournée américaine d’Entombed. C’est là qu’ils vont monter le projet d’Hellacopters. Et comme toutes les histoires de group-building, celle des Copters est passionnante. Ils téléphonent au drummer Robert Eriksson : «You’re gonna be the drummer in our new band !». Pouf, c’est parti. Avec un bassman en complément, Andersson passe au chant et à la gratte. En plus, il monte un label, Psychout, qui existe encore. Premier single, avec en B-side une reprise de Social Distorsion, pour faire bonne mesure. Les Copters se spécialisent dans ce qu’ils appellent les underground seven-inches, des 45 tours à tirages limités. Ils enregistrent leur premier album, Supershitty To The Max, qui est un must-have, et deviennent célèbres. C’est là que Dregen décide de rejoindre son groupe, les Backyard Babies - Ce fut la décision la plus dure de ma vie - Et il ajoute : «C’est comme choisir entre sa fille et son fils.» Bon, il savait que les Copters pouvaient continuer de voler sans lui, alors il a rejoint les Backyards.

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             Puis arrive la période Wayne Kramer via les Nomads. Andersson rencontre Kramer à Los Angeles, puis Scott Morgan à Detroit. Les Copters commencent à multiplier les tournées américaines, et par chance, l’une d’elles est filmée en 2002 : c’est le fameux docu Goodnight Cleveland. Très bon docu, on suit les Copters de ville en ville, Cleveland, Chicago. Ils sont bien dans la lignée du MC5, ils jouent au twin guitar attack. Les Gazza Strippers jouent en première partie. Le van passe par Champaign, Illinois, puis Detroit. Quelques plans d’after show nous montrent l’Andersson bourré. Le doc est d’une grande honnêteté intellectuelle, on voit les chambres à deux lits, les sound-checks, les after-shows, la booze, les filles tatouées, et puis bien sûr, le cœur de l’action, la scène. Andersson n’a pas vraiment de voix. Il porte en permanence sa casquette de baseball. Philadelphie, puis New York. On s’y croirait. Il faut bien sûr voir les bonus car ils grouillent de merveilles : Detroit avec Scott Morgan pour «City Slang». Pas mal d’autres plans scéniques mais globalement, ont voit que les Copters ont du mal à décoller : «Goodnite Yankees, we’re the Hellacopers from Sweden. We’re gonna get some action... Right now !» Robert Dahlqvist est aussitôt à genoux, torse nu. Il est très physique. Les gros bonus sont les deux versions de «Search & Destroy», la première à New York avec les Gazza Strippers, et la deuxième dans un festival en Suède. C’est l’une des plus belles séquences de concert rock, filmée dans le dos du batteur Robert Eriksson, un batteur qui joue torse nu à l’énergie pure, la caméra est quasiment sur son dos, face à un ciel rouge et à une foule énorme, le tout dans des fumées qui évoquent celles du napalm. Fantastique ambiance de fin du monde, et filmé sous l’angle de powerhouse, ça prend une drôle d’allure. Eriksson bat comme mille diables, on se demande comment il tient aussi longtemps. Bel hommage à Iggy, en tous les cas. Les fans des Hellacopters se régaleront aussi de quelques plans scéniques de la première mouture des Copters, avec Dregen, qui était déjà très enragé, équipé d’une grosse demi-caisse blanche.

             Tous les albums des Copters sont épluchés dans un Part One. En 2003, Wayne Kramer invite Andersson à rejoindre la reformation du MC5, avec Dennis Thompson et Michael Davis. C’est le fameux concert au 100 Club de Londres avec les super-guests Lemmy, Dave Vanian et Ian Astbury. Puis une tournée. On les voit à l’Élysée Montmartre. C’est ensuite au tour de Scott Morgan d’inviter Andersson à le rejoindre dans The Solution (Andersson avait déjà battu le beurre pendant un an dans les Hydromatics). The Solution va enregistrer deux fantastiques albums. Quand le split des Copters est annoncé, Andersson doit expliquer que jouer dans un groupe de rock n’est pas toujours une partie de plaisir (a walk in the park). Il veut dire par là que c’est assez rude. Mais par contre, il est fier d’être resté sur sa ligne, sans jamais avoir fait le moindre compromis. Le rock est mort ? Ah ah ah ! Vive le rock ! - I mean c’mon ! We play music that’s not very trendy, so if you’re truly yourself, I guess it works - Ça tombe même sous le sens. C’est bien d’entendre des gens dire les choses comme elles doivent être dites. Pas besoin d’aller vendre son cul pour exister. Andersson repart de plus belle avec Imperial State Electric, quatre ou cinq albums eux aussi épluchés dans le Part One et puis, dernier rebondissement, la reformation des Copters.

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             Eyes Of Oblivion n’est pas un album génial, mais ce n’est pas non plus un mauvais album. C’est un album d’entre-deux eaux, avec beaucoup de son. Tout de suite embarqué au Copter craze avec «Reap A Hurricane». Ces mecs ont toujours su poser leurs accords dans le mayhem, ça date du temps de Supershitty To The Max, paru en 1996, voilà bientôt trente ans. Ils restent fracassants de bon esprit, c’est battu à la Copter avec les grosses guitares habituelles. Ils font un peu de glam avec «Tin Foil Soldier». Ça tape à la dure, mais ça reste dans l’esprit glam, fin et puissant, joué au feel de manche, et comme pour tout glam qui se respecte, bien ancré dans le boogie. Le hit de l’album est le dernier cut, «Try Me Tonight». Ils sortent pour l’occasion les accords du MC5 et tout le raunch de Detroit. Ils profitent de l’occasion pour redevenir légendaires et payer leur dues - Payin’ The Dues - Quant au reste de l’album, c’est du Copter traditionnel : il y pleut du son comme vache qui pisse. Et le morceau titre file ventre à terre, ce qui est bizarre pour des Vikings qui ont plus pour habitude de naviguer. Ce sont les guitares qui font la loi, ici. Raison pour laquelle les Copters sont si intensément bons - We need a Plew and a doctor/ Right now ! - L’essentiel est que ce groupe continue d’exister. Ils figurent parmi les derniers tenant d’un aboutissant sacré.

    Signé : Cazengler, coléoptère

    Hellacopters. Eyes Of Oblivion. Nuclear Blast 2022

    Jim Heneghan. Goodnight Cleveland. DVD MVD 2002

    Gerry Ransom : Kings of Oblivion. Vive Le Rock # 90 - 2022

     

     

    Inside the goldmine - Par ici la Shorty

     

             Ils optèrent cet été-là pour le haut Atlas et séjournèrent quelques temps à Marrakech. C’est dans cette cité chargée d’histoire que se retrouvent les gens qui prévoient d’aller escalader le Toubkal, point culminant de l’Atlas. Ils s’installèrent dans un hôtel fabuleusement décadent situé à l’entrée de la médina. Le temps semblait s’y être arrêté. On pouvait y déguster des salades de tomate à la coriandre en plein cœur de l’après-midi et fumer du kif sur la terrasse, mais discrètement, bien sûr. Dans les chambres, la plomberie ne fonctionnait plus depuis longtemps, mais cela faisait partie du charme de l’endroit. On trouvait aussi une piscine pas très bien entretenue au deuxième étage. Dans le courant de la matinée, nous allions nous jeter dans le tourbillon intemporel de la médina, nous arrêtant chaque fois devant les échoppes des herboristes, puis lorsqu’on sentait monter la fatigue, nous nous mettions doucement en route pour regagner l’hôtel et l’abri - temporel cette fois - de la chambre. À cause de la chaleur, le sommeil tardait à venir. Et la chaleur rendait toute étreinte impossible, aussi nous contentions-nous de rester allongés côte à côte. En plein cœur de la nuit se produisit un curieux phénomène : notre lit fut secoué et nous nous réveillâmes en sursaut. Un fantôme s’agitait au pied du lit. Il continuait de secouer le lit violemment. Mais nous ne cédâmes pas à la terreur car il s’agissait du fantôme de Brian Jones. Il avait de toute évidence séjourné dans cet hôtel. Apparition magnifique et terrible à la fois, chargée de sainte colère, comme le sont tous les fantômes. Il se pencha vers nous et déclara d’une voix incroyablement sourde : «Brian-Jones-condamné-par-un-juuuuge-à-trois-ans-de-miiiiise-à-l’épreuve-pour-possession-de-cannabiiiiis-avec-interdiiiction-d’entrer-aux-États-Uniiiis !». Il secoua la tête et répéta : «Brian-Jones-condamné-par-un-juuuuuge !», «Brian-Jones-condamné-par-un-juuuuuge !», «Brian-Jones-condamné-par-un-juuuuuge !» avant de se volatiliser.

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             D’un château l’autre et pourquoi pas D’un juge l’autre ? Hear ye, hear ye/ The court’s in session/ The court’s in session, now/ Here comes the judge ! C’est ainsi que se présenta Shorty Long à l’entrée du jardin magique, en 1968. Il portait la perruque et la robe noire d’un juge anglais. Sa mise extravagante nous plut immédiatement. 

             Nous apprîmes que ce petit homme modeste et réservé bénéficiait de la bienveillante protection de messire Marvin Gaye, puissant seigneur du Michigan. Nous passâmes donc la soirée à l’écouter flatter sa muse, cette fascinante Soul Music issue des contrées lointaines qui s’étendent jusqu’au Septentrion, par delà les océans.

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             «Here Comes The Judge» emporta tous les suffrages. Nous nous levâmes pour danser la Saint-Guy, faisant fi de l’étiquette. Il régnait dans le jardin magique la torride atmosphère d’un Sabbat de sorcières. Shorty Long singeait la justice tout en invoquant les démons des forêts africaines. Il nous tisonna de nouveau la cervelle avec «Function At The Junction», un air dansant, bas sur pattes et délicatement empoissé. Nous fûmes les premiers surpris par nos propres déhanchements. Nos cartilages goûtaient à la liberté. Shorty Long se mit ensuite à psalmodier «Don’t Mess With My Weekend», ferraillant son chant de taille et d’estoc, le biseautant à l’angle d’incartade. Il profita d’un court moment de répit pour saluer sa co-auteuse Sylvia Moy, première soubrette autorisée à composer des vers à la cour du roi Gordy. Il s’empressa d’ajouter qu’on devait aussi à mademoiselle Moy ces merveilles extravagantes que sont «Uptight» et «I Was Made To Love Her» et qui ont propulsé Little Stevie Wonder à Wonderland. Cette habile transition lui permit d’invoquer les divinités priapiques avec «Devil With A Blue Dress». Son apologie de la luxure suintait dans les entournures, car le petit homme la miaulait avec lancinance.

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             Après une courte pose, il nous fit don d’un parfait joyau de Soul Music, «Night Fo’ Last», ciselé dans le swing le plus pur et d’un éclat aveuglant. Pour le rendre plus mirifique encore, il temporisait à l’endroit des retours de couplets. Il enchaîna avec une libre interprétation de «Stranded In The Jungle». Le petit homme se montrait tellement joyeux qu’il levait des frissons sous les étoles. Il obtenait des merveilles de cette voix qu’il maniait comme un petit animal dressé. Son élégance nous fascinait et nous berçait le cœur de langueurs myocardales. Avec «Another Hurt Like This», il voulait se montrer à la hauteur de son destin. Son tour de chant s’acheva avec «People Sure Act Funny», une sorte de tarentelle hâtive, ardemment troussée, digne d’un homme qui ne s’embarrasse pas avec l’intendance et qui ne flagorne pas au coin des bois.

             Il nous décrit ensuite le détail de ses déboires au Michigan. Il disait avoir signé un pacte avec le roi Gordy, seigneur de Tamla Motown, un puissant royaume nègre des Amériques. Le roi Gordy avait nommé Mickey Stevenson chaperon de Shorty et créé l’étiquette Soul pour y loger les artistes trop funky à son goût. Shorty Long s’y trouva donc cantonné en compagnie de Sammy Ward et de Junior Walker & the All Stars. Il évoqua ensuite la rivalité qui l’opposait à un certain Dewey Pigmeat Markham qui se produisait dans Laugh-In, une série comique diffusée chaque semaine à la télévision américaine et qui avait lui aussi une version d’«Here Comes The Judge». Billie Jean Brown qui régnait alors sur le Quality Control Board de Tamla Motown convainquit Shorty d’enregistrer «Here Comes The Judge» sur le champ et sa version parut juste avant celle de Pigmeat sur le label Chess. Ce jour-là, Shorty s’épongea le front. Il ne devait son succès mondial qu’à sa seule célérité.

             Nous n’eûmes des nouvelles du pauvre Shorty qu’un peu plus tard, en apprenant son trépas. Une felouque turque avait accidentellement percuté et envoyé par le fond la barcasse dans laquelle Shorty pêchait le gardon en compagnie de son camarade Oscar Williams.

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    Le roi Gordy fit paraître un album posthume intitulé The Prime Of Shorty Long. Il s’ouvrait sur «I Had A Dream», une ballade funeste d’une rare sophistication. Aux premiers accords d’«A Whiter Shade Of Pale», le rouge nous monta aux joues. Le petit homme swinguait son feeling kinda seasick au pur génie vocal. Il avait réussi l’impossible exploit de faire valser cette mélopée océanique et d’y sertir un solo de cor de chasse. Cet album grouillait d’épouvantables merveilles. Avec ce popotinage exclusif et chatoyant qui courait par monts et par vaux, «Lillie Of The Valley» nous effara. Shorty Long devait être sorcier, car sa Soul brûlante dégageait une forte odeur de paganisme. Son art sentait bon le soufre. Seul le diable sait troubler l’eau claire de l’art. Il honora le blason du bon gros Antoine Domino en chantouillant «Blue Monday» et «I’m Walking», dans le cadre soyeux et tiède d’une parfaite solennité. Il n’allait pas en rester là puisqu’aussitôt après sonna l’assaut vainqueur de «Baby Come Home To Me». Il s’agissait là de l’un des plus purs joyaux de la l’histoire de la Soul. Cette belle Soul radicale du Michigan semblait parée d’un éclat mélodique inoubliable et absolument unique au monde. Ce parfait génie de Shorty Long montrait autant d’ingéniosité à cultiver l’excellence que ce Michel-Ange dont on faisait alors grand bruit par-delà les Alpes. D’autres pures merveilles embrasèrent les imaginations, comme par exemple «I Wish You Were Here», plaidoyer magique et ondulant, pure évanescence lumineuse, suivi de «When You Are Available», mélopée judicieusement chuintée et orchestrée, aussi tentante qu’une friandise exotique, aussi irrésistible que le téton rose d’une courtisane impudique. Nous n’étions pas au bout de nos surprises car soudain tinta à nos oreilles «Give Me Some Air», un délice hypnotique  chargé comme un mulet de basses romanes et de ces notes de musicalité exacerbée que les étrangers appellent le funque, des notes qui comme les coups de dé jamais n’aboliront le bazar, puis tout s’acheva avec le chant du cygne, «The Deacon Work», ouvragé à la basse de Damas, splendide travail d’orfèvre, élancé, alerte et dynamique, conçu comme une ardente fête pour les sens. Ce petit homme ne concevait donc les choses qu’à l’aune de l’harmonie céleste.

    Signé : Cazengler, Shorty Court

    Shorty Long. Here Comes The Judge. Soul 1968

    Shorty Long. The Prime Of. Soul 1969

    Shorty Long. The Complete Motown Stereo Masters. Ace Records 2012

     

     

    *

    Dans notre livraison 527 du 28 / 10 / 21, nous présentions avec un léger retard puisque le disque était sorti en 2014, Messe pour un chien de Barabbas. Je terminai la chronique en décrétant que c’était un des meilleurs albums de rock français que je connaissais. Cette fois-ci nous nous y prenons à l’avance, cette livraison datée du 8 est mise en ligne le 7 décembre 2022, or le nouvel album de Barabbas tout neuf sort le neuf décembre ! 

    LA MORT APPELLE LES VIVANTS

    BARABBAS

    (Sleeping Church Records / 13 – 12 – 2022)

    Saint Stéphane : guitar / Saint Rodolphe : voix / Saint Thomas : guitar / Saint Jean-Christophe : drums / Saint Alexandre : bass.

    L’est des titres d’album qui vous parlent plus que d’autres, certains même vous interpellent. S’adressent à vous directement. Vous en êtes flatté, que dans ce monde de froid et pur égoïsme l’on pense à vous réchauffe votre petit cœur solitaire. Méfiez-vous, ne serait-ce pas une technique (une de plus) publicitaire, hélas non, cette fois il n’y a pas d’embrouille, l’on n’en veut pas à votre bourse. Ce n’est guère mieux, c’est de votre vie dont on vous assure que vous serez un jour ou l’autre dépouillé. Vous êtes prévenu. A bon entendeur, salut.

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    Pochette glaçante. Veuves en tenue de deuil porteuses de couronnes mortuaires se dirigeant vers le cimetière où seront inhumés maris, oncles et frères. Mais le titre, de verdâtre calligraphie, de l’album impose une autre lecture. Ces femmes semblent être aspirées par le cimetière que l’on ne voit pas. Donnent l’illusion d’être en partance pour leur propre enterrement, qu’elles emmènent leurs fleurs personnelles pour être mises sous terre au plus vite.

    La mort appelle tous les vivants (intro) : ça commence très mal avec cette voix glacée d’aérogare et cette sirène d’alarme qui vrille vos oreilles, la mort appelle tous les vivants répète-t-elle sans fin, vous n’avez aucune envie de quitter le fauteuil du hall de pré-embarquement, n’est-ce pas que la vie est une salle d’attente de la mort, et que Jim Morrison nous a mis en garde depuis un demi-siècle, personne ne sortira d’ici vivant. Je suis mort depuis bien longtemps : la machine à remonter le temps occupe l’espace auditif, ne vous souciez pas du sens de la marche du tapis roulant qui vous emporte, des deux côtés ne mène-t-il pas au néant, oui mais ce que vous ne savez pas Barabbas vous le hurle dans les oreilles, vous assourdit avec l’inéluctable réalité de votre vécu, si vous pensez qu’au moins du temps de la vie incertaine que vous menez vous allez en profiter, ô cette guitare qui brise vos illusions, vous êtes déjà mort, votre corps est en train de pourrir, part en lambeau tout comme votre existence de profonde déréliction / coupure / peut-on dire que l’on vit lorsque la mort nous ronge de l’intérieur, qu’à peine sommes-nous nés nous nous dirigeons vers notre cercueil. Ce morceau d’une extraordinaire et implacable violence dégage la force des sermons funèbres de Bossuet que plus personne ne lit pour ne pas sentir la griffe de l’angoisse lui serrer la gorge, mais s’il est facile de refermer un livre, il vous sera plus difficile d’arrêter cette musique, elle dégage le chant vénéneux de l’accoutumance aux excitants les plus mortels. Le saint riff rédempteur : quelle rythmique écrasante, partout où elle passe la mauvaise herbe de la vie ne repousse pas, une seule solution, le fracas du riff rédempteur, la musique assourdissante qui recouvre les pas doucereux de la mort qui s’en vient à votre rencontre. Serait-ce un morceau d’espoir ? Non au mieux un hymne à la musique, mais la brutalité asphyxiante du morceau est sans appel, juste un cataplasme sur une jambe de bois pourri, le dernier sourire de votre enfant à qui vous promettez que tout va bien alors qu’il entre en agonie. La batterie enfonce les clous de votre futur cercueil et les guitares imitent les grincements de la scie qui découpe en tranches saignantes, lentement et sûrement, votre corps enfermé dans l’illusoire protection de la caisse en bois de l’existence. Mourir à petit feu en musique n’est-ce pas la seule consolation qui nous reste, mes très chers frères et sœurs ? Merci à Barabbas pour cet accompagnement de tonitruance délicieuse. C’était le morceau le plus optimiste. Dans le dernier tiers l’on entend la camarde avancer sur ses brodequins de plomb. C’est le cas de le dire, ça plombe un peu l’atmosphère.  De la viande : musique aussi épaisse que le matérialisme le moins éthéré. Le temps est un géant saturnien qui dévore à pleines dents ses enfants que nous sommes, nous ne sommes que de la viande dont se nourrit l’univers cannibale. Pas de rêve, nous serons bouffés jusqu’à l’os, la batterie comme une massue de boucher et les cordes comme des éviscérateurs qui nous arrachent les tripes. La messe humaine est un sacrifice sanglant. Inversion des valeurs divines. Marche funèbre. Rien ne survivra. Tic-tac, tic-tac, notre heure approche. Le cimetière des rêves brisés : imaginez l’inimaginable, des plaintes s’élèvent des tombes, les morts restent enfermés dans le regret de tout ce qu’ils n’ont pas accompli, la mort est une grande déception, l’on reste pris dans les glaces de nos remords de n’avoir pas su vivre. Existe-t-il un autre groupe français capable de produire un gloom aussi glauque, un doom aussi impitoyable, un bruit de fond aussi noir, et quand vous croyez que c’est terminé Barabbas rajoute une couche d’outre-noir, d’outre-mort, une espèce de tonnerre gigantesque qui recouvre le monde d’une couche sonore d’outre-tombe. Sous le signe du néant : éclair drummiques de lumière noire, un insecte géant bourdonne dans vos oreilles et vous empêche de vivre et de mourir, parce que vous êtes déjà mort, et que vous n’êtes qu’une goutte de ce néant qui n’est autre que la consistance de l’univers. Né pour le néant. Mort pour le néant. Vous n’êtes qu’une larve navrante, votre destin est inscrit sur une ligne dépourvue d’encre qu’il est inutile et impossible de lire, alors la musique vous submerge, toute révolte est nuisible, néant vous êtes, néant vous serez. Autant dire que vous n’êtes pas. Relisons le Traité du Non-Être de Gorgias.  Mon crâne est une crypte (et j’y suis emmuré) : douces sonorités, ne dureront pas longtemps, harmonium déglingué d’église en ruines, voici la consolation du pauvre d’esprit. Vous vous raccrochez à la seule branche de salut : vous-même. Attention les guitares vous avertissent des épines qui se plantent dans votre chair. Tant qu’une pensée tourne en rond dans votre tête tel un poisson rouge dans son bocal, vous pensez que vous existez, non vous êtes prisonnier de vous-même et vous êtes prisonnier de vous-même comme votre vie est enfermée dans votre mort. Rien ne sert de gémir. Rien ne sert de rugir. Jamais vous ne romprez le plafond de verre qui sépare la mort de la vie, pour la simple et bonne raison qu’il n’y a pas de plafond de verre. Jamais vous ne vous évaderez de vous-même. Effondrement apocalyptique. Musique du néant translucide. La valse funèbre : dans la série save for me the last dance, final en danse macabre, lourde et bourbeuse, des squelettes s’extraient de l’humus et un cauchemar médiéval prend forme, Saint Rodolphe mène le bal, de sa voix il essaie de couvrir les entrechoquements osseux, mais ils s’agitent sans fin dans vos visions intérieures, un film en noir et blanc, un dessin désanimé d’aliénés en transe, la musique se fait lourde comme une pierre tombale, humour noir pour érotisme funèbre, les morts sont comme les vivants, ils singent la vie qu’ils n’ont pas su retenir. Comme vous ils n’ont pas su la vivre. Ce morceau est une grimace désespérée, un crachat à la face édentée du néant. Lorsqu’il s’arrêtera il résonnera longtemps dans votre tête. Sans fin. La mort appelle tous les vivants (outro) : cloche funèbre, la mort appelle tous les vivants, répétés sans fin, sans fard, l’appel a désormais le visage de l’épouvante, maintenant vous savez ce qui vous attend.

             Un chef-d’œuvre absolu, d’une extraordinaire densité, dont vous ne sortirez pas indemne. Esprits fragiles, s’abstenir. Âmes fortes s’obstiner.

             Désormais vous connaissez la musique que vos amis réunis autour de votre tombe écouteront lors de votre enterrement.

    Damie Chad.

     

    *

    Si vous êtes sages, le dernier bouquin de Dylan vous attendra sous le sapin avec le sourire d’Alis Lesley sur la couve. Chez Fayard ils n’ont pas perdu la boule (de Noël) z’ont pas raté le créneau, vous le font à quarante euros, vous le trouvez à 25 importé des USA, sur le net, certes toujours avec l’ensorcelant sourire d’Alis Lesley, mais écrit en la langue de Walt Whitman ce qui risque de refroidir bien des ardeurs. Je connais les rockers, Little Richard et Eddie Cochran en gros plan leur cœur va au moins s’arrêter de battre durant dix minutes, dans leur esprit de puriste la cote de Dylan va remonter à des altitudes jamais atteintes, c’est après que viendra la grimace, Damie un gros bouquin de philosophie plus de trois cents pages, encore un truc qui va nous prendre la tête, on se contentera de ta chronique, on ne la lira certainement pas, on s’achètera plutôt des disques…

             Chez Fayard ils ont vu venir l’embrouille, avec le placard de présentation de chacune des 66 chansons choisies par le père Zimmerman, les photos pleine-page et les documents d’époque, le temps de lecture est nettement moins impressionnant que le volume du book le laisserait craindre (ou espérer). En outre l’emploi d’une typographie moins tape-à l’œil réduirait considérablement les propos de Dylan présentés en double interligne agrémenté de caractères pour mal-voyants…  Soyons rassurés, l’empreinte carbone de cet exemplaire a été réduite et équivaut à seulement à 2100kg éq. CO2. Si vous êtes un écologiste manipulé par la propagande gouvernementale, nous vous conseillons d’attendre toutefois l’édition en livre de poche. Nous les rockers nous pensons que seule la progression du rock ‘n’roll dans les âmes de nos concitoyens sera à même d’enrayer le déclin de notre civilisation, nous nous dispensons donc de ce report pochothétique incantatoire.   

    PHILOSOPHIE

    DE LA CHANSON MODERNE

    BOB DYLAN

    (Fayard / Novembre 2022)

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             Le terme chanson, traduction du mot anglais ‘’song’’ peut être sujet à mésinterprétation en notre langue, on nous a tant rabattu les oreilles avec l’expression chanson française genre supérieur par excellence en totale opposition avec les barbares braillements du rock ‘n’ roll que nous nous permettons de spécifier que les chansons présentés par Dylan, sont des morceaux de gospel, de blues, de jazz, de rhythm ‘n’ blues, de rock , de pop, directement puisés dans le vivier de la culture populaire américaine…

             Les historiens ne s’entendent pas entre eux pour définir les limites chronologiques de la modernité. Si Dylan était français il est des chances qu’il eût employé la qualification de chanson contemporaine, pour faire simple la production de la chanson moderne visée par Bob Dylan commence au début des années vingt, en d’autres termes de la mise sur le marché des premiers 78 tours et ne va pas plus loin que la première décennie de notre siècle. Un détail d’importance elles ne sont pas rangées dans l’ordre chronologique. Si ce n’est peut-être celle de leur rédaction.

             Méthodicité dylanesque : d’abord le titre de la chanson, le nom de l’interprète, la date de sa sortie, les noms des paroliers et des compositeurs. On eût aimé que l’éditeur se soit inspiré de notre blogue et ait fait suivre ces données essentielles de la pochette ou de la photographie du disque, il n’en est rien.

             Ensuite la reproduction des lyrics de la chanson ? Ben non, Dylan est un peu plus vicieux, il nous offre sa propre évocation des lyrics sous forme d’une espèce de commentaire qui essaie davantage de transcrire ce que veulent dire ou peuvent signifier les paroles. Parfois il s’arrête-là et passe à la chanson suivante.  

             Souvent Dylan nous fait suivre cette première approche de ce que l’on pourrait appeler une petite étude sociologique des conditions qui ont favorisé l’écriture de la chanson. Exemple l’attrait des ‘’ bons’’ salaires que proposaient les usines de voiture de Chicago sur les populations noires du Sud.  Entre nous soit dit rien de bien novateur. Parfois ce laïus est agrémenté (ou remplacé) de l’origine sociale de l’interprète, par exemple comment Dion d’origine italienne est dès son adolescence motivé par la carrière fulgurante de Frank Sinatra fils d’un père sicilien.

             Le lecteur se fera la remarque que la démarche dylanienne si elle ne manque pas d’une certaine logique explicative n’en est pas pour cela très philosophique. Il aura raison, pas la moindre trace d’une induction philosophique dans ces trois cents pages. Ce qui ont lu Tarentula, Chroniques et le Discours de Réception à l’Académie de Suède n’en seront pas surpris. Dylan en ces trois écrits ne s’aventure jamais dans le domaine philosophique. A peine s’il cite une fois, sous forme de boutade, dans cette Philosophie de la chanson moderne le nom d’Aristote.

             Pour comprendre l’emploi de ce terme de philosophie, il est nécessaire de s’aventurer dans le troisième développement qui fait suite à l’évocation des lyrics et au topo sociologique précédemment abordé. Notons que cette partie acquiert de plus en plus d’étendue au fur et à mesure que l’on aborde le dernier tiers du volume. Ce qui nous a laissé supposer à une présentation chronologique de l’écriture de ses soixante-six chapitres. Dylan se lâche, il s’éloigne de son sujet, il nous fait part de ses réflexions. Au pire sous une manière un peu condescendante : vous croyez que, vous pensez que, eh bien non c’est toute autre chose, écoutez-moi bien je vous tapote un topo au top, au mieux il aborde des sujets qui lui tiennent à cœur, la nature humaine ( pas très optimiste quant à son amélioration ), la nocivité de l’argent, la stupidité des guerres qui ne profitent pas à ceux qui se font tuer, les manipulations politiques, et désolé pour nos lectrices, cerise empoisonnée sur le gâteau avarié, il n’a pas l’air de penser que l’influence d’une épouse ou d’une compagne n’est pas obligatoirement bonne sur le pauvre gars qu’elle a pris dans ses filets…

             Celui qui dans sa jeunesse a écrit The Times, there are a-changin’ n’y croit plus. Nous fait part d’un pessimisme désabusé, jamais une génération n’aura appris et n’apprendra rien de celle qui l’a précédé ou de l’Histoire, Dylan dénonce l’éternel retour du même (rien à voir avec l’Eternel Retour nietzschéen), les mêmes erreurs sont sempiternellement répétées par les générations qui se suivent, aucun progrès possible, de siècle en siècle nul progrès, le même film se répète indéfiniment, l’espèce humaine ne s’améliore pas, elle n’empire même pas, elle reste confinée dans sa médiocrité constitutive…

             Dylan pense par lui-même, il ne s’insère dans aucune tradition philosophique, se fie à son expérience, à ses propres déductions, ce qui ne signifie pas qu’il profère des idioties à longueur de page.

    2

             Après avoir traité dans notre première partie ce que dans son Introduction à la philosophie Karl Jaspers conceptualisait sous le nom de l’englobant, passons à l’englobé.

    D’abord, deux petites merveilles. La première c’est Key to the highway, de Big Bill Bronzy mais dont il préfère la version de Little Walter. Ce qui est fabuleux dans ce chapitre 41 ce n’est ni la chanson, ni l’interprétation de Little Walter mais la façon de Dylan de présenter Little Walter, oui c’est un grand harmoniciste, mais Dylan insiste sur un autre aspect, il le présente comme l’un des plus importants vocalistes du blues. Perso je pense qu’il exagère un peu, mais ce qui est beau c’est son enthousiasme, son élan qui transcende son écriture, et vous obligera à réécouter quelques titres du petit Walter.

             La deuxième au chapitre 22 c’est El Paso de Marty Robbins (1925 – 1982). J’avoue avoir été un peu déçu par l’écoute de cette balade, à la guitare si timidement mexicaine. Elle a tout pour plaire, un saloon, une fille, des colts, du sang, des morts, mais la voix de Robbins si sereine… Dylan vous la raconte à sa manière, la transforme en tragédie grecque, en drame biblique, l’en n’extrait pas la substantifique moelle, l’en fait le symbole de toute existence, vous rappelle que le noyau du fruit de l’amour reste la mort. Vous dresse en même temps le portrait de l’Amérique profonde entre péché et rédemption L’en profite ensuite pour nous présenter le grand-père de Marty Robbins, Robert Texas Bob Heckle, qui eut douze enfants, participa à la guerre de Sécession, combattit les indiens au côté de Custer, auteur d’un livre de poésie : Rhymes of the frontier. L’on sent Dylan, fasciné par cette passation générationnelle de témoin entre l’Histoire, la Poésie, la Musique (country) indissociablement liées dans le Mythe. Dans le Récit mythifié de l’Amérique. Le projet même de l’écriture de ses propres chansons. Ne précise-t-il pas que El paso s’inscrit dans la tradition de la chanson engagée initiée par Woody Guthrie, à lire les lyrics nous ne soutiendrons pas cette assertion, mais cette proclamation dylanienne est des plus significatives.

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    Chapitre suivant ( 23 ), Le Nelly was a lady interprété par Alvin Youngblood Hart n’aurait pas excité ma curiosité si sur la dernière page n’était écrit en gros caractères que son compositeur  ‘’Stephen Foster tient d’Edgar Poe’’. Jusques alors j’associais le nom de Stephen Foster au traditionnel Oh Suzanna ! Cela demandait quelques éclaircissements. Eliminons les scories, Alvin Youngblood Hart est né en 1963, sa date de naissance le blackoute d’office de nos recherches. Sans regret puisque son interprétation n’est guère impérissable. Une voix sans timbre assez proche de celle de Martin Robbins, lorsque l’on pense au phrasé si particulier de l’auteur de Like a rolling stone l’on est étonné de ses admirations. Edgar Poe né en 1809, mort en 1849. Stephen Foster né en 1826, mort en 1864. Tous deux décédés dans la misère. Le lecteur pourra contempler ci-dessus la photo de Stephen Foster et la comparer ci-dessous avec celle d’Edgar Poe et qu’il en tire les conclusions qu’il voudra. Je ne sais si Foster a lu Poe. Mais une de ses chansons a pour titre Eulalie, et Nelly was a lady, n’est pas sans évoquer la thématique d’Annabel Lee, et il est répété que Nelly était une fille de l’Etat de Virginie. Une femme aimée morte, Eulalie et Virginie prénoms ô combien essentiels à l’œuvre et à la vie de Poe, cela fait beaucoup. Si j’ai bon souvenir, il me semble que dans Chroniques Dylan précise qu’il a lu les poèmes de Poe… Cela demande vérification.

    Un pas vers le rock ‘n’roll. Chapitre 28. Une chanson de Vic Damone. On the street where you live. A l’origine elle fut chantée par Dean Martin (voir chapitre 47). Damone est un crooner, Dylan aurait pu trouver un chef-d’œuvre de Sinatra (l’est au chapitre 62) pour illustrer ce genre. Un de ces premiers chapitres est d’ailleurs dévolu à Perry Como (voir chapitre 3), preuve par neuf qu’il sait être pertinent. Chanson très bien écrite, précise-t-il jouant sur les sonorités des épiphores, il cite par exemple le mot before, l’on pense au nevermore du Corbeau d’Edgar Poe, l’on a surtout l’impression qu’il cherche à prévenir les remontrances de ce choix dont l’évidence ne s’impose pas. De fait Vic Damone ne le séduit guère, l’est beaucoup plus intéressé par sa femme Pier Angeli. Si ce nom ne vous dit rien c’est que vous n’êtes pas un accro de la légende de Jimmy Dean. N’oubliez pas la carrière cinématographique du chanteur d’Hurricane. Il y eut idylle entre James Dean et Pier Angeli. La mère de cette dernière la dissuada de se marier avec un personnage si sulfureux. Pier se rabattit sur Vic Damone. (Elle divorcera quatre ans plus tard). L’on raconte que le jour du mariage de Pier James Dean se posta dans la rue devant chez elle… Bien plus âgée, elle proclamera que Dean fut le seul qu’elle aima vraiment…  L’anecdote (vraie ou fausse) a dû marquer Dylan, il s’attarde longuement sur le ‘’résumé’’ de la chanson affirmant que ce genre de situation est arrivé à tout un chacun. Donne surtout l’impression qu’il fait allusion à une déconvenue personnelle... Messieurs les biographes, au travail.

    De James Dean le rebelle sans cause, la route vers les pionniers du rock est toute tracée. Les notes qui leur sont consacrées ne sont pas les plus pertinentes, tous ne sont pas invités même si l’on retrouve Eddie Cochran, Gene Vincent en photos, Elvis deux fois avec des morceaux inattendus et une réhabilitation du Colonel Parker, Little Richard deux fois, Carl Perkins, Ricky Nelson, Roy Orbison, Sonny Burgess, nous ne citerons pas, par pure commisération humaine, ni le nom de son périodique, ce journaliste qui se demande quel lecteur doit connaître cet inconnu dont manifestement lui-même n’a jamais entendu parlé, ne doit pas manger tous les jours des  Burgess King à la cantine du rock’n’roll. Tout le monde n’a pas un appétit d’alligator.

    C’est peu selon nous, mais le plus étrange c’est que Dylan à part Pete Seeger n’octroie aucun chapitre aux grands noms du mouvement folk, lui qui est réputé pour être capable d’avoir mémorisé paroles et accords de centaines de titres transmis de bouche à oreilles depuis la naissance des Etats Unis, veut-il nous faire comprendre qu’à part lui… Par contre il accorde une meilleure place aux outlaws du country, deux chapitres à Johnny Cash, deux à Willie Nelson dont un avec Merle Hagard, un à Waylong Jennings. Peu de grands du blues, si on compare avec les entrées réservées aux crooners il suffit de rajouter Jimmy Reed à Little Walter. De même de l’efflorescence des groupes anglais des années soixante seuls les Who tirent leur épingle du jeu. Que l’on n’aime ou pas, l’on attendait au moins les Beatles qui eux-mêmes composaient leurs morceaux, ce qui n’est pas le cas de bien des chanteurs présentés, mais Dylan ne s’intéresse pas aux chanteurs même s’il est obligé de les mentionner, il nous parle de chanson, entendons par là qu’il n’a pas écrit une histoire chronologique de la chanson, il ne vise pas à l’objectivité, les chansons qu’il nous découvre sont celles qu’il a entendues et qui pour des raisons diverses sont devenues, par les thèmes qu’elles abordent fondamentales et exemplaires pour lui. Très significativement la table des matières ne donne que les titres et ne mentionne nullement les interprètes.

    Le lecteur risque d’être surpris, étonné, mécontent, mais en fin de compte émerveillé des découvertes que la lecture de ce livre lui permettra. Notre propre lecture s’avère faute de temps, de préjugés, et de préférences personnelles partielle et partiale. Je ne voudrais pas insinuer que Dylan a un goût de midinette, mais il ne vise pas les grandes chansons qui font l’unanimité, il y est bien obligé parfois, mais à analyser quelque peu les textes qu’il met en avant, l’on constate qu’il est très porté vers des morceaux à forte fréquence sentimentale, teintés d’un romantisme pâlichon, qu’il tempère par une fascination évidente pour des titres que nous qualifierons de westerner. Très typique de l’intello qui ne se départit jamais d’une tendresse certaine pour les mauvais sujets.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

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    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 9 ( SPORTIF ) :

    45

    Je n’avais qu’à franchir le seuil. Ce n’est pas que j’hésitais, j’attendais quelque chose, je ne savais quoi, la pièce qui s’ouvrait devant moi était plongée dans l’obscurité, mais mes yeux commençaient à s’habituer à la pénombre, peu à peu je discernais une indistincte large étendue blanchâtre, pas très éloignée de moi, je mis quelques minutes à comprendre qu’il s’agissait d’un mur, je réalisai subitement que la porte donnait sur un couloir.

    Je me glissai sans bruit dans le corridor. J’esquissais quelques pas, devant moi je ne discernais plus rien, était-ce prudent d’avancer, je tergiversais en moi-même, n’était-ce pas un piège… Je serrai la crosse de mon Rafalos 21 un peu plus fermement, dans la vie il faut savoir prendre des risques, je regrettais de n’avoir pas emmené les cabotos, Molossa aurait flairé le danger, je fis un pas en avant, puis un autre, et encore un autre, à ma grande stupeur je butai contre un mur. Ce couloir était-il un cul de sac. J’explorais d’une main prudente l’espace sur ma gauche. Le plâtre de la cloison laissa place à un chambranle de porte. Je n’eus pas à l’ouvrir, mes doigts rencontrèrent une fente, elle était entrebâillée, à peine, de deux ou trois centimètres, je me préparai à la faire tourner à la volée sur ses gonds et à pénétrer sauvagement dans la pièce, lorsque…

    46

    Une lueur, imperceptible, mais indéniablement là, elle tremblota, faillit s’éteindre, se stabilisa, et bientôt dégagea comme un halo diffus. Je poussai doucement la porte, elle ne grinça pas, la lumière n’éclairait pas vraiment la pièce, la source en était située à quelques mètres sur ma gauche. Il y eut comme un glissement furtif, suivi d’un léger tapotement, quelqu’un avait posé la lampe sur une table, un bruit plus sec, une chaise que l’on tire sur le plancher, d’ici quelques secondes l’on me priera de passer à table, gambergeai-je dans ma tête, non, je faisais fausse route, il y eut un murmure tout doux, un bruissement de vent dans les feuilles automnales d’un platane, et une frêle mélodie s’éleva, je la reconnus, Evil woman don’t play your game with me, de Black Sabbath, jouée très lentement, à la rendre méconnaissable, je m’avançais, j’entrevis une épaule, l’ombre d’un piano et une blonde chevelure, tout se brouilla dans mon esprit, Alice, oui mais laquelle des deux, dans la pénombre j’étais incapable de savoir, et puis cette situation un peu ridicule, l’on se croirait dans une scène du Grand Meaulne, n’importe laquelle des deux, I want play her game with me !

    47

    Je n’eus pas le temps de me jeter sur elle, Alice se leva et se tourna vers moi, c’était mon auto-stoppeuse !

             _ Tu en as mis du temps pour revenir, je t’attends depuis si longtemps !

    Elle se jeta dans mes bras que je refermais sur son corps d’adolescente comme les serres d’un aigle sur sa proie.

             _ Viens, elle m’entraîna dans un coin de la pièce, je n’eus que le temps d’apercevoir un lit à baldaquin, nous roulâmes sur un gros édredon en plumes d’oie et nos lèvres se rejoignirent.

    Je ne sais pas si beaucoup de lecteurs ont déjà fait l’amour avec une morte, pour ma part je ne saurais les en dissuader. Notre étreinte fut âpre et sauvage. Elle confina à la folie et à l’hystérie, une goule pensais-je avec volupté, je m’enfonçais à plusieurs reprises dans sa chair tumultueuse, j’avais l’impression de pénétrer dans le cratère d’un volcan en éruption, elle geignait et poussait des hurlements, je mordais ses seins et elle engouffra mon vit dressé dans sa gorge pantelante, je ne sais combien de temps dura cet emportement fort récréatif, lorsque je m’éveillai dans des draps trempés de sperme et de foutre, je crus que c’était les lèvres d’Alice sur mon cou qui m’invitaient à de nouvelles folastries, c’était Molossa. Un raclement sous le lit m’apprit que Molossito obéissant à mes ordres n’avait pas quitté d’une patte sa mère adoptive.

             _ Tu as eu ce que tu as voulu, maintenant il faut payer !

    La voix rauque et sardonique me fit reprendre mes esprits. Deux points rouges dans le noir de la pièce confirmèrent ce que je savais déjà. Elle était là, la Mort avait décidé de me tuer. Mes chiens me sauvèrent-ils la vie ? Toujours est-il qu’en une seconde Molossa me ramena mon slip et je saisis dans la gueule de Molossito mon Rafalos 21 qu’il avait déniché sous le lit. Tout de suite je me sentis mieux, il n’y a rien à dire un slip et un Rafalos 21 vous confèrent une certaine dignité non négligeable dans les situations de crise !

             _ Pauvre imbécile crois-tu faire jeu égal avec moi !

             _ Ecoute vieille cocotte déplumée, viens me chercher si tu l’oses !

    La gent féminine n’aime pas que l’on insiste sur son âge, elle bondit vers moi, elle était tout près, silhouette noire dans un manteau aux senteurs de putréfaction, je laissai s’approcher jusqu’à visualiser sa tête squelettique, elle crut que je j’étais tétanisé par la peur, lamentable erreur de sa part puisqu’un agent du SSR n’a jamais peur, mon Rafalos 21 lui envoya pratiquement à bout portant une bastos dans le crâne. Bien sûr elle n’était pas morte, les points rouges de ses deux yeux ne cillèrent point, mais des éclats d’os s’éparpillèrent un peu partout.

             _ Tu ne perds rien pour attendre !

    Je me moquai d’elle lorsqu’elle courut dans la pièce à la recherche de ses os, je reconnais qu’elle les retrouva assez facilement et que bientôt elle revint vers moi, avec son visage reconstitué par je ne sais quelle magie. Elle fonça sur moi, mais une deuxième balle en plein dans sa bouche éparpilla ses dents qu’elle tint à récupérer avant de revenir à l’attaque. Les heures qui suivirent furent longues. Je n’ignorais pas qu’elle finirait par gagner, malgré Molossito et Molossa qui tentaient vainement de la faire trébucher. Je n’avais que trois chargeurs, de cinquante projectiles chacun, le Rafalos 21 avait beau causer d’innommables dégâts et détruire à chaque tir toute une partie de son squelette, rien n’y faisait, elle ricanait, récupérait ses ossements et remontait inlassablement à la charge. Au bout de trois heures je me trouvais à court de munitions. J’étais bloqué dans une encoignure, Molossito et Molossa mordaient à pleines dents son manteau, elle tendit sa main vers mon cœur, à trois centimètres elle arrêta son geste :

    • Tu as été courageux, regarde-moi bien dans les yeux avant de mourir !

    Je fixais ses yeux chargés de haine et de cruauté. Brutalement je ne vis plus rien, un bruit énorme résonnait dans ma tête

    • Agent Chad, me laisseriez-vous s’il vous plaît le temps d’allumer un Coronado !

    Avais-je la berlue, le sol était recouvert de poudre d’os, il y en avait qui volait encore en l’air !

             _ Chef, vous l’avez tuée, comment avez-vous fait !

             _ Agent Chad ne prenez pas vos rêves pour des réalités. Regardez mieux, ses deux petites boules rouges sont toujours là, mais dissociées, elles flottent indépendamment l’une de l’autre, elle est vivante mais bigleuse, il faut d’abord qu’elle retrouve ses pupilles, ce qui nous laisse le temps de rentrer au local.

    _ Mais comment avez-vous réussi, je lui ai tiré cent cinquante bastos avec mon Rafalos 21, et vous d’un seul coup, vous la mettez hors d’état de nuire pour un bon moment !

    _ Agent Chad, il faut vivre avec son temps, faites comme moi, achetez-vous un Rafalos 25, il tire des projectiles quantiques, ils ne perforent pas, ils démantibulent totalement la structure moléculaire de leur cible, méchamment efficace, n’est-ce pas ?

    48

    Je n’étais pas au bout de mes surprises. J’avais naïvement cru que le Chef avait eu des remords de me lancer tout seul dans cette terrible aventure, qu’il m’avait suivi discrètement et n’était intervenu en tout dernier ressort me voyant acculé et prêt à succomber. Mais le lendemain lors de mes retrouvailles au local il démentit mon scénario.

             _ Agent Chad, c’est ce que j’aurais dû faire, je regrette mon erreur d’appréciation, ce n’est pas du tout cela, tenez regardez !

    Et il ouvrit son tiroir à Coronados…

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 550 : KR'TNT 550 : JOEL SELVIN / MARAH / DELGRES / GOLDIE & THE GINGERBREADS/ JUKE JOINTS BAND / BOB DYLAN / MOUNT SATURN

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 550

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    14 / 04 / 2022

     

     JOEL SELVIN / MARAH / DELGRES

    GOLDIE & THE GINGERBREADS

    JUKE JOINTS BAND / BOB DYLAN

     MOUNT SATURN

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 550

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

    Selvin est tiré, il faut le boire

     

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             Avec Endless Summer, Joel Selvin entre dans le club des grands rock writers d’Amérique. Il serait peut-être plus honnête de rappeler qu’il en faisait déjà partie, grâce à une passionnante bio de Bert Berns, Here Comes The Night - The Dark Soul Of Bert Berns And The Dirty Business Of Rhythm & Blues. Le problème, c’est qu’avec Bert Berns, Selvin ne s’adressait qu’aux afficionados, alors qu’avec Endless Summer, il s’adresse au monde entier.

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             Il y raconte la genèse de la scène californienne des early sixties. C’est un récit qui surpasse largement les grands rock books californiens, ceux consacrés à Gene Clark, aux Byrds, aux Beach Boys, même les superbes autobios de Croz, de P.F. Sloan ou encore de John Phillips. Selvin fait marcher tous ses personnages en même temps et montre avec un art consommé comment tous ces gens interagissent dans la période qui commence en 1959 avec le «Baby Talk» de Jan & Dean et qui s’achève six ans plus tard avec «Good Vibrations». Comme dans un film de reconstitution historique, Selvin reconstitue les faits en faisant entrer en scène tous les principaux acteurs : Jan Berry, Dean Torrence, Lou Adler, Kim Fowley, Terry Melcher, Bruce Johnston, Phil Spector, Brian Wilson, Gary Paxton, Nick Venet, Kip Tyler, Gary Usher, Nancy Sinatra - et donc Lee Hazlewood - et puis Johnny Rivers.

             L’acteur principal n’est autre que Jan Berry. Selvin en fait un portait plus vrai que nature, un Jan Berry qui ne recule aucun obstacle, prédisposé à la délinquance, passionné de voitures de sport et de son. Il commence par transformer le garage de ses parents en studio avec les deux Ampex que son père a récupéré chez son patron, le mythique milliardaire Howard Hughes. Selvin nous donne tout le détail de la genèse de Jan & Dean, qui commence au collège, sous la douche après un match de foot, quand Jan vient chanter doo-bee-doo-wah à l’oreille de  Dean Torrence.

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             Jan Berry roule en Corvette Stingray et adore prendre le highway en direction de San Francisco pour rouler à 250 à l’heure. Il adore faire la course avec Dean. Vroarrrrr ! - They were wild, fearless drivers - On le voit aussi foncer sur Sunset jusqu’à la plage. Ils ont quelques accrochages et quand Dean se plaint, Jan lui répond : «T’es pas encore mort, alors ça va !». Et puis un jour sur la route, Jan met la radio pour entendre les hits du jour et boum ! - Bomp Bomp dit di dip - C’est leur «Baby Talk» qui passe à la radio ! - Surfing is the only life/ The only way for me - Oui, car Jan & Dean sont les rois de la surf craze. Quand en 1963, ils montent sur scène au Hermosa Beach High School, on leur présente leur backing band, a group called the Beach Boys. Le grand, c’est Brian Wilson, big grin and bass, son petit frère Carl joue de la guitare, et le middle brother Dennis bat le beurre. Le cousin Mike Love sings lead et un gamin de 13 ans, David Marks qui habite dans la même rue qu’eux, gratte la rythmique. Ils portent tous des chemises Pendleton et sont fiers d’accompagner Jan & Dean au high school hop in the neighborhood. On est là aux racines du mythe.

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             Selvin aurait pu se contenter d’un portait de Jan Berry, mais un autre délinquant entre en scène : Kim Fowley. Au collège, on le considère déjà comme un misfit, c’est-à-dire un désaxé : il est trop grand et porte encore les stigmates d’une polio qu’il a chopé tout petit - His face looked like a squashed muffin - Rien à voir avec tous ces beaux gosses athlétiques aux cheveux blonds et aux dents blanches qui peuplent les collèges californiens. Kim commence par faire ce que font tous les délinquants juvéniles : dans les fêtes, il se glisse la pièce qui sert de vestiaire pour faire les poches et les sacs à main. Selvin adore épingler les petits travers de ses personnages. Puis Kim s’improvise booker en bookant le seul groupe qui existe à University High, où il est inscrit : the Sleepwalkers, groupe dans lequel jouent Bruce Johnston, le fameux Sandy Nelson - qui vient tout juste de casser sa pipe en bois - et un guitariste débutant nommé Phil Spector qui lui est inscrit à Fairfax High et qui a pour habitude de jouer trop fort. Quand quelqu’un vient se plaindre du bruit qu’il fait sur scène, Totor lui dit : «Reviens te plaindre encore une fois et je t’enfile cette guitare dans le cul.»  

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             Avant de jouer dans les Sleepwalkers, Bruce Johnston jouait dans les Flips de Kip Tyler, un Kip Tyler qu’il n’aimait pas, car trop imbu de sa personne - He could tell Kip Tyler was a creep - En 1958, Kip Tyler & the Flips enregistrent le mythique «She’s A Witch». Bruce est au piano et Dave Shostac au sax - Kip Tyler & the Flips where at the absolute center of Los Angeles rock and roll in the summer of 1958 - Selvin ajoute que Tyler was a hulking barbarian, a hustler and a self-promoter, a real Hollywood king of guy. Originaire de Miami, cet ancien chauffeur de taxi a des faux airs de Kirk Douglas. Il pensait faire carrière au cinéma, mais il se retrouve dans le rôle du greasy rock and roll wild man in black leather. On a tous fantasmé sur Kip Tyler & the Flips.

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             Kim et Bruce sympathisent. Bruce est alors un gamin de 15 ans extrêmement doué qui finira par devenir membre des Beach Boys. Il sait chanter, il compose et il est plutôt beau - he looked like a choirboy - Kim et Bruce commencent à composer ensemble. Ils montent un projet qui s’appelle Modern Age Enterprises. Mais leur petit biz périclite au moment où Kim se fait serrer : il barbotait du pinard pour le revendre dans des fêtes à des mineurs. Comme Kim a 18 ans, le juge lui offre une belle alternative : soit aller au trou, soit s’engager dans la Garde Nationale. Kim opte pour la Garde. Il ne finira donc pas ses études à Uni High : il est envoyé au camp d’entraînement de Fort Ord à Monterey. Pendant que Kim ronge son frein au fucking camp, Bruce entre en studio pour enregistrer «Take This Pearl» avec les Flips, mais comme le nom appartient à Kip, Bruce doit trouver un autre nom. Ce sera Bruce & Jerry. Loyal envers Kim, il lui envoie par courrier un compte-rendu signé «Bruce Johnston, President Modern Age Entreprises Inc.» Selvin reproduit l’intégralité du doc dans son book. On se régale à lire ce brillant témoignage de loyauté.

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             Quand Kim revient du camp, son père accepte de le reprendre à condition qu’il suive des études de comptabilité. Puis son père part pour quelques mois sur un tournage au Brésil et laisse des instructions très claires à Kim : «Pas de fêtes à la maison, n’utilise ni mes fringues, ni ma voiture.» Selvin le magicien retrousse ses manches et recrée pour nous une scène qu’il faut bien qualifier d’historique : il nous emmène faire un tour avec Kim, par un beau matin de février 1959. Le ciel est d’un bleu immaculé. Sur le chemin du lycée, Kim chantonne, pom pom pom, et soudain il rencontre une petite gonzesse qui pleurniche. Snif snif ! Kim s’arrête et lui demande ce qui se passe. Entre deux filets de morve, elle répond qu’ils sont morts tous les trois. Qui ? Ben Buddy Holly, Ritchie Valens et the Big Bopper ! What ? Kim prend la nouvelle en pleine gueule. Boom ! - His rock’n’roll heroes had died - Flash ! C’est là, à cet instant précis, qu’il décide de consacrer sa vie au rock’n’roll. Il commence par jeter ses bouquins de classe dans la première poubelle, puis il rentre chez lui barboter des fringues et le poste de télévision de son père, met tout ça dans la bagnole qu’il barbote dans la foulée. Barbotons peu mais barbotons bien ! Il roule ensuite en direction du Gold Star Studio où Eddie Cochran a enregistré «Summertime Blues» et les Champs «Tequila», like he was heading for church. Il rencontre les Champs sur le parking du studio et les baratine en leur expliquant qu’il est journaliste et qu’il voudrait bien consacrer un article à l’enregistrement d’un disque, alors les Champs acceptent de le faire entrer en studio avec eux. Dave Burgess n’est pas là, mais Tommy et Dorsey Burnette rappliquent avec leurs grattes.  C’est là que Kim apprend le B-A-BA de l’enregistrement en studio. Le lendemain, il croise dans la rue un super mec qui se balade avec une guitare - Who looked for all of the world like a real rock and roll cat - Kim le chope pour lui demander son nom. Who are you ? C’est Nick Venet, un autre personnage légendaire, futur producteur chez Capitol. Venet écrit alors des chansons et Kim le baratine en lui proposant de devenir son agent et de partager les profits. Kif kif bourricot ! Puis il emmène Venet faire les sacs à main dans les fêtes. Ça rapporte plus que d’écrire des chansons.

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             Le troisième personnage clé de cette California Saga, c’est bien sûr le Gold Star. Totor y passe un temps fou, au moment de l’enregistrement de «To Know Him Is To Love Him» avec les Teddy Bears. Un peu plus tard, en 1962, il revient y enregistrer l’«He’s A Rebel» des Crystals. Sans les Crystals, comme chacun sait. Lester Sill met Totor sur le coup des Blossoms et c’est la lead du trio, Darlene Wright, rebaptisée Love, qui chante «He’s A Rebel» à la place des Crystals. À cette occasion, Totor fait aussi la connaissance d’un arrangeur binoclard qui bosse avec l’associé de Lester Sill, Lee Hazlewood. L’arrangeur binoclard, c’est bien sûr Jack Nitzsche. Lors de cette session qu’il faut bien aussi qualifier d’historique, Totor se montre exagérément maniaque. Il cherche un son et ça va durer jusqu’au moment où il va le trouver. Il fait rejouer les guitaristes over and over. Les doigts saignent. Une fois que le backing lui convient, Totor fait chanter Darlene Love. La session nous dit Selvin bascule soudain dans un transcendent level where nobody in the room had been before. They were making a number one hit - But it was beyond that. Selvin veut dire en gros que personne n’avait encore atteint ce niveau de perfection. Ça allait bien au-delà du hit. À l’instar des grands romanciers, Selvin est tellement émoustillé par son personnage qu’il se fend de l’une de ses plus belles fins de paragraphes : «With guidance and direction from a handful of ecstatic visionaries, these mucisians were going to reshape American popular music.» Et si Totor a choisi la West Coast, ce n’est pas un hasard, Balthazar - The West Coast was were the action was and Spector knew it - Toute son œuvre sort du Gold Star Studio, on Santa Monica Boulevard.

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             C’est Venet qui présente Kim à Lou Adler. Alors Lou Adler... On se souvient que P.F. Sloan n’en faisait pas un portrait très gratifiant dans son autobio, l’excellent What’s Exactly The Matter With Me. Issu d’un milieu juif relativement pauvre, Adler démarre sa carrière de producteur avec Sam Cooke et il s’associe avec Herb Alpert. Ils bossent régulièrement pour Bumps Blackwell mais pas de hits à l’horizon. Adler attend son heure. Son heure la voilà : Kim lui amène Jan & Dean sur un plateau. Quand Adler lui demande comment ils sonnent, Kim répond : «High school kids that looked like the Everlys but sounded black.» Humpff humpff... Adler flaire le jackpot. Il va trouver les deux jeunes coqs, les prend sous son aile et commence par les refringuer pour en faire des superstars californiennes, blonds, bronzés, à l’opposé des ritals qu’on voit dans American Bandstand, avec leurs tignasses noires gominées et leurs costards cravates. Puis Adler et Alpert leur taillent un hit sur mesure : «Baby Talk». Et boom ! Ça se passe pendant que Kim est envoyé en stage dans un camp de l’armée en Idaho. Quand il revient à Los Angeles, «Baby Talk» est sur routes les radios. Kim apprend que Jan & Dean se produisent au Rainbow Roller Rink à Van Nuys. Il est encore en uniforme. Il se met sur le passage de ses anciens copains d’école Jan & Dean. Mais ils ne s’arrêtent même pas pour le saluer. Ils sont suivi de Lou Adler qui ne s’arrête pas non plus et qui lance à Kim (à qui il doit tout) : «I’m Lou Adler, manager of Jan & Dean. Is there a problem?». Kim en reste bouche bée. Il espérait un peu de reconnaissance de la part d’Adler à qui il a servi Jan & Dean sur un plateau, comme déjà dit. Rien. Même pas merci. Alors Kim rentre chez lui en stop et va se coucher nous dit Selvin in tears of rage. Le fond de cette histoire, c’est qu’Adler hait Kim. Et ce ne sera pas la dernière fois qu’il va lui faire du mal. Un autre épisode aussi pourri est à venir. Bien sûr, cette haine devient réciproque. Adler devient même une obsession pour Kim. Il a besoin d’ennemis pour se fortifier, alors Adler fit the bill, comme dit Selvin.

             On croit tous que la légende de la West Coast est un film de Walt Disney, avec la plage, le soleil, les jolies blondes et les mecs sympathiques. Les haines y sont les mêmes qu’ailleurs et les instigateurs de cette haine sont, comme l’a montré Sloan, certainement plus féroces qu’ailleurs, comme si le soleil attisait la cruauté. Ce n’est pas un hasard si Los Angeles devient le berceau du fameux Californian Hell.

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             C’est Sandy Nelson, le batteur des Sleepwalkers qui présente Gary S. Paxton à Kim - The tormented hillbilly genius who was going to change his life - Paxton avait vécu en Arizona et avait décidé comme Kim de consacrer sa vie au rock’n’roll. Il a commencé par monter un groupe, The Pledges, avec Clyde Battin, qui deviendra par la suite le célèbre Skip Battin des Byrds. Kim propose à Paxton de le prendre sous son aile et le présente à Marty Melcher, boss d’Arwin Records, mari de Doris Day et père de Terry Melcher. Paxton est impressionné par les relations d’un Kim qui ajoute qu’il a appris à raisonner comme un Juif - Fowley knew how Hollywood worked - Kim et Paxton montent a music publishing company called Maverik Music et font imprimer des cartes sur lesquelles figure le numéro de téléphone de la cabine qui se trouve au coin de la rue. Paxton s’habille en noir, il possède plusieurs hot rods garés devant chez lui et descend un litron de Jack par jour. C’est lui qui lance the Hollywood Argyles.

             Kim et Paxton finissent par se fâcher en 1961. Kim en a ras-le-bol de n’être que le business man alors que Paxton est vu comme le génie. Kim veut être lui aussi le génie, nous dit Selvin. Il n’aura pas de mal à le devenir. Paxton rachète les parts de Kim dans Maverik Music pour 500 $, lui demande de ramasser ses affaires et de dégager.

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             Kim reprend son petit bonhomme de chemin, il connaît tout le monde à Los Angeles. Il découvre les Rivingtons en 1962 et les dirige sur Liberty. Tout le monde connaît «Papa-Oom-Mow-Mow». Un jour qu’il fait du stop, il est ramassé par un jeune musicien nommé David Gates. Kim voit une guitare sur le siège arrière et Gates confirme qu’il est musicien. Alors Kim lui dit qu’il est record producer. Gates lui demande pourquoi il fait du stop s’il est producteur et Kim lui répond : «I’m eccentric». À l’époque, Gates vit avec sa femme et ses enfants dans une bicoque de Canyon Drive, une bicoque qu’il partage avec un certain Russell Bridges, qui va se faire connaître en tant qu’arrangeur et pianiste sous le nom de Leon Russell. Gates et lui viennent d’une high school de Tulsa, Oklahoma. Ah comme le monde est petit, à Los Angeles. Kim flashe sur une  chanson de Gates, «Popsicles and Icicles» et monte un coup : il lance les Murmaids comme the First All-Girl Surf band. Et ce sont elles qui jouent de leurs instruments, même plan que Goldie & the Gingerbreads sur la côte Est. «Popsicles and Icicles» explose en 1963 et ne sera détrôné l’année suivante que par l’«I Want To Hold Your Hand» des Beatles. Les Beatles ? Humpfff humpff... Kim flaire aussitôt le jackpot. Il jette quelques affaires dans une valise et prend un aller simple pour Londres.

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             Jan Berry évolue très vite, il devient un crack du son et de la prod - Nobody was making records any better in town - Il bosse d’ailleurs avec Brian Wilson et compose avec lui l’excellent «Drag City». Jan et Brian passent pas mal de temps ensemble en studio. C’est Jan qui conseille à Brian d’utiliser des musiciens de session plutôt que les Beach Boys, un mode de fonctionnement que Totor va aussi reprendre à son compte. Et au même endroit : alors qu’il a encore son bureau à Manhattan, Totor enregistre tous ses hits au Gold Star à Los Angeles avec le wrecking crew. Selvin nous dit que ça permettait à tous ces producteurs de pousser leur bouchon plus loin, «into new more sophisticated shapes sans sacrifier le drive du rock’n’roll» - They were creating the new West Coast pop sound - Brian admire le take-no-shit attitude de Jan, un Jan qui nous dit Selvin utilise Brian à son profit - With Jan there wre always wheels within wheels - Comme il est sous contrat avec Sreen Gems - comme les Monkees - Jan doit soumettre tous ses projets pour acceptation. C’est une contrainte qu’il n’accepte pas. Alors il dit au président de Columbia Pictures (la maison mère) d’aller se faire mettre, to fuck himself. In those words. Dans Jan & Dean, c’est Jan le boss. Jan & Dean s’entendent bien, mais ils ne sont pas amis. Jan est une locomotive, alors que Dean est le classic Californian kid qui planque ses sentiments derrière des petites blagues and smart-ass banter. Le mec sympa et souriant. Il peut tout encaisser sans moufter. Jan continue de faire le con en bagnole, la nuit il roule à 250 à l’heure en ville et brûle les feux. Sa copine Jill Gibson ne veut plus monter en bagnole avec lui. Jan & Dean deviennent tellement célèbres qu’on leur propose de jouer dans un film. On est à Hollywood, ne l’oublions pas. Mais un accident survient sur le tournage et une locomotive écrase la jambe de Jan. Ça met fin temporairement à sa carrière. Jan s’assombrit, déjà qu’il n’est pas très lumineux. Il en veut à la terre entière et même à Dean. Ils finissent par s’engueuler en studio et Dean sort en claquant la porte. Dans le studio voisin, les Beach Boys enregistrent l’album Party et ils s’amusent bien. Dean se joint à eux. Tout le monde est bourré. Puis en avril 1966, Jan est convoqué au draft, c’est-à-dire au bureau de recrutement, pour le service militaire. Il ne veut pas partir à l’armée, mais le draft n’est pas du même avis. Jan n’est pas du genre à accepter les contrariétés - he was not accustomed to not having his way - Il a toujours su adapter les règles à son profit, alors ce ne sont pas ces abrutis de militaires qui vont stopper sa carrière. Jan entend faire exactement ce qui lui plaît et sans en payer le prix. On lui dit qu’il sera convoqué dans les 90 jours. Il sort furieux du bureau et écrase le champignon de sa Stingray.

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    Ce jour là, il descend une rue déserte et se paye un camion en stationnement. Boom ! Comme si on y était. On se croirait dans la scène finale de No Country For Old Men des frères Cohen, quand Javier Barden se fait percuter. Grâce à cet accident qui va lui briser le crâne, Jan échappera à l’armée. Il ne retrouvera l’usage de la parole et une partie de son autonomie que beaucoup plus tard, dans les années 70. Sacré Jan, il finit toujours par obtenir ce qu’il veut. Cette fois, en en payant le prix.

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             Pendant que Jan Berry percute son destin de plein fouet avec «Dead Man Curve», Adler continue de grenouiller dans le marigot du music biz californien. Il flaire encore le jackpot avec Johnny Rivers, un mec qui fait un tabac chez Gazzari’s. Hupff humpff... Il arrive à le convaincre de faire un album live et il file ensuite à New York présenter le résultat à Don Kirshner pour le compte duquel il travaille. Mais Kirshner vient de vendre Aldon à Screen Gems, la branche musicale de Columbia Pictures. Avec le rachat, des gens sont virés et Adler en fait partie. Quand il revient à Los Angeles, des gens occupent déjà son bureau. Adler s’en bat l’œil. Il a déjà gagné pas mal de blé. Son pote Elmer Valentine, ancien flic corrompu de Chicago, vient lui demander conseil : il revient d’un voyage en Europe où il a découvert les discothèques. Alors il demande à Adler si c’est une bonne idée d’ouvrir un Whisky A Go-Go sur Sunset. Adler saute sur l’occasion - It was the right idea at the right time - En janvier 1964, le Whisky A Go-Go ouvre sur Sunset avec devinez qui à l’affiche ? Johnny Rivers, bien sûr ! Le Whisky devient très vite la boîte hip de Los Angeles - The place caught fire almost immediately - Jane Mansfield et Steve Queen sont des habitués. Lors de leur première visite à Los Angles, les Beatles débarquent au Whisky et bien sûr la première chose que fait John Lennon, c’est devinez quoi ? Il demande à Jane Mansfield de se pencher pour lui monter ses seins, car comme chacun sait, Jane Mansfield a les plus beaux seins du monde. Il suffit de voir cette photo célèbre qui orne la couverture du fameux Hollywood Babylone de Kenneth Anger.

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             Adler n’en finit plus de grenouiller nous dit Selvin. Il se débarrasse de sa première épouse pour se maquer avec l’actrice Ann-Margret, dont l’agent s’appelle Peter Cossette. Adler et Cossette montent Dunhill Records avec Bobby Roberts, un ancien danseur de claquettes. Ça ne s’invente pas. Cossette et Roberts salarient Adler et lui payent une Cadillac. Roule ma poule. Chez Dunhill, Adler continue de superviser la carrière de Jan & Dean et il embauche deux auteurs compositeurs, Steve Barri et P.F. Sloan. Sloan nous dit Selvin est un autre enfant terrible de Fairfax High, comme Totor.

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             C’est Terry Melcher qui file an advance copy du nouvel album de Dylan à Adler qui fait le moue et qui le refile à Slaon qui lui tombe en pâmoison - «Like a Rolling Stone» changed his life - Sloan s’habille aussitôt comme Dylan, avec la casquette de pêcheur et les boots. Il devient un nouvel homme et compose «Eve Of Destruction». C’est Barry McGuire qui va l’enregistrer. La chanson ne plait pas du tout à Barri qui barrit - Stick to pop, not polemics

             Alors justement voilà Terry Melcher, l’un des autres acteurs clés de cette California Saga. Il est A&R pour Columbia quand il signe Bruce Johnston pour enregistrer «Do The Surfer Stomp». Melcher et Johnston travaillent avec la crème de la crème, Hal Blaine, Tommy Tedesco, Glen Campbell et d’autres luminaries. Melcher est considéré comme un jeune aristocrate. Sa fiancée s’appelle Candice Bergen. Ils se séparent lorsque Melcher commence à fréquenter Jackie DeShannon, qui a 22 ans à l’époque et qu’on considère comme l’une des reines d’Hollywood. Melcher et Bruce montent pas mal de projets ensemble, dont les Rip Chords. Ils développent en même temps que les Beach Boys une nouvelle tendance purement américaine : the cars songs. Brian Wilson vient de composer avec Gary Usher le fameux «409». Brian et Gary se connaissent bien car l’oncle de Gary vit à côté de chez les Wilson, à Hawthorne. Melcher et Bruce prennent l’habitude de chanter ensemble et ils enregistrent sous le nom de Bruce & Terry. Lors d’une tournée à Hawaï, Melcher conduit une bagnole de location. Bruce est assis à l’avant à côté de lui et sur la banquette arrière se trouvent Jan & Dean et Jill. Melcher roule trop vite et sort dans un virage pour se retrouver dans un champ de canne à sucre avec les pneus crevés - These were bad boys from Beverley Hills.

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             Puis en 1965, Columbia demande à Melcher de produire un groupe fraîchement signé : les Byrds. McGuinn, Croz et Gene Clark débarquent dans le grand studio A. Ils ne sont signés que pour un seul single et n’ont pas le droit de jouer de leurs instruments. Ils doivent se contenter de chanter les harmonies vocales de «Mr Tambourine Man». Les musiciens sont déjà là : Hal Blaine, Jerry Cole, Larry Knechtel et Russell Bridges, c’est-à-dire Tonton Leon. Glen Campbell devait venir gratter sa douze mais finalement on autorise McGuinn à gratter la sienne. Il oriente son chant quelque part entre Dylan et Lennon, Croz et Gene Clark fournissent les harmonies vocales. Mais Melcher n’accroche pas. Il fait rejouer le cut 22 fois. Puis comme le raconte si bien Sloan dans son autobio, Melcher et lui s’enferment dans le studio pour mettre de la triple réverb sur toutes les pistes. Ils virent le piano de Tonton Leon et la voix de Gene Clark. Le résultat on le connaît, c’est le single magique qu’on peut entendre aujourd’hui. Comme Totor, Melcher cherchait un son. Du coup les Byrds deviennent les nouvelles stars du Sunset, on fait la queue au Ciro’s où ils jouent tous les soirs. On voit Peter Fonda danser avec Odetta et Kim fraîchement revenu d’Angleterre jerker comme un diable - Twisting his long bent frame into compulsive dance moves - On voit aussi Sonny & Cher, Buffy Sainte-Marie, Little Richard, et Dylan monte sur scène pour un ou deux cuts avec ses amis les Byrds.

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             Dick Dale et Sandy Nelson font de courtes apparitions dans cette Saga. Selvin nous dit que Leo Fender travaillait pour Dick Dale et développait pour lui la fameuse Stratocaster et le Fender Showman - Leo Fender baptisa l’ampli Showman car c’est ainsi qu’il voyait Dale, comme un showman - Quant à Sandy Nelson, Selvin en fait the first star drummer of rock and roll. Mais le pauvre Sandy n’aura pas de bol, puisqu’il va passer sous la roue d’un autobus et de faire couper une patte. Oh mais ce n’est pas ça qui l’empêchera de redémarrer, une fois qu’on lui aura installé une jambe de bois, comme dans la flibuste. Hardi moussaillon !

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             Selvin passe aussi un temps fou avec Nancy Sinatra, son père, et donc Lee Hazlewood, un autre personnage clé de toute cette histoire. Ce vétéran de la guerre de Corée qui fut DJ à Phoenix sortit de l’anonymat en produisant Duane Eddy. C’est à cette époque qu’il débarque à Los Angeles. Selvin le voit comme «un cranky Hollywood cowboy qui a du blé, qui adore rester assis au bord de sa piscine avec une bouteille de Chivas et qui dit au record biz d’aller se faire cuire un œuf.» Quand un nommé Bowen vient trouver Lee pour lui parler de Nancy Sinatra dont la carrière est en panne, Lee lui répond qu’il se bat l’œil de Nancy Sinatra, mais bon, il n’est pas contre une rencontre. Chez Nancy, Lee gratte plusieurs cuts, dont «These Boots Are made For Walking» et c’est le père Frank qui repère la chanson. Lee dit que ce n’est pas une chanson de gonzesse. Mais il accepte néanmoins de la filer à Nancy. Avec son sourire en coin, Selvin nous dit que Lee n’est pas impressionné par Frank Sinatra. Il en a tout simplement rien à foutre.  

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             Adler a aussi repéré les Beach Boys. Il connaît Brian. Il flaire la poule aux œufs d’or. Humpff humpff... Il l’emmène un jour à New York rencontrer Don Kirshner. Le but est de lui faire signer un contrat chez Aldon en tant qu’auteur/compositeur. Brian vient d’écrire «Surfin Safari». Kirshner lui propose 50 $ par semaine. Brian tente de formuler une objection et Kirshner lui demande aussi sec de la fermer : «Don’t come on like Tarzan with me.» Quand Brian ramène le contrat chez lui pour le montrer à son père Murry qui est encore le manager du groupe, le vieux pique une crise de rage. Il veut que les Beach Boys restent a family affair, il ne veut rien avoir à faire avec des clampins comme Adler. Alors Brian ramène le contrat non signé à Adler. Pour contourner l’autorité du père, Adler encourage Brian à bosser avec Jan, mais clandestinement, à cause des contrats. Brian et Jan composent ensemble «Surf City». Alors évidemment, quand Murry Wilson voit arriver «Surf City» en tête des charts, il s’explose la rate de rage, d’autant plus que le hit est crédité Screen Gems, ça veut dire que ça tombe dans la poche d’Adler et de Jan. Murry Wilson s’en prend à Jan qu’il traite de «song pirate» et il interdit à Brian de continuer à fréquenter cette crapule. Roger Christian et Dean Torrence qui ont aussi bossé sur «Surf City» ne sont pas non plus crédités, mais ils ferment leur gueule, sachant que ça ne sert à rien de la ramener, Jan Berry fait très exactement ce qu’il a envie de faire et il n’est pas possible de le faire changer d’avis. Si t’es pas content, la porte c’est par là.

             Puis Brian va commencer à subir des pressions terribles. Il se met à fumer de l’herbe et à prendre du LSD. Pendant qu’il est sorti, sa femme fouille la baraque pour trouver le LSD et avec l’aide de la famille, elle lui ordonne d’arrêter ses conneries. Brian t’es là pour composer des tubes, pas pour te défoncer ! Quand Brian refuse de repartir en tournée, c’est d’abord Glen Campbell qui le remplace, puis c’est au tour de Bruce Johnston. Bruce est fasciné par Brian. Pour la première fois, il est invité à une session d’enregistrement des Beach Boys. Il est encore plus fasciné de les voir enregistrer leurs harmonies vocales. Il voit Brian coacher Mike Love sur «California Girls», Brian’s greatest piece of music yet.  

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             Comme chacun sait, Brian cause du souci aux autres Beach Boys, notamment à Mike Love, all money and business. Love dit à Brian : «Don’t fuck with the formula», la formula étant la pop qui les a rendus célèbres. Al Jardine et Carl Wilson sont aussi inquiets de la tournure que prennent les choses dans la cervelle bien rose de Brian. Dennis Wilson n’est pas souvent dans les parages. Bruce Johnston n’est là que depuis quelques mois, mais quand il débarque dans une session à Western Recorders et qu’il entend «God Only Knows», son cœur s’arrête de battre. Bruce sait mieux que les autres ce que Brian fait en expérimentant : il cherche à évoluer - The Beach Boys became an obsession for Johnston - C’est bien sûr l’époque de l’enregistrement de Pet Sounds, certainement la période la plus glorieuse et la plus pénible de Brian Wilson. Car à part Bruce Johnston, personne ne le soutient dans ce projet. Brian est d’autant plus affecté qu’il connaît le sort réservé à son idole Totor et à «River Deep Mountain High» : le flop. Brian songe même à arrêter le projet, mais un jour il rencontre Van Dyke Parks lors d’une party chez Terry Melcher à Cielo Drive. Selvin nous présente Parks comme un gnome érudit originaire du Sud, qui utilise un vocabulaire imagé et qui adore les jeux de mots. Parks se déplace sur une petite moto Yamaha. Il est très pauvre et Brian le dépanne aussitôt. Ensemble, ils se mettent à bosser et ça donne «Heroes and Villains».

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             À Londres, Kim fréquente la crème de la crème. Avec Andrew Loog Oldham, il réécrit «House Of The Rising Sun» pour en faire «The Rise Of The Brighton Surf», en l’honneur des combats entre Mods et Rockers à Brighton. Lors de ce premier séjour à Londres, il atterrit chez P.J. Proby, un épisode largement documenté par Kim himself dans un vieux numéro d’Ugly Things. En fait c’est une partouze continuelle, en compagnie de criminal masterminds and rock’n’roll geniuses. Kim fréquente Judy Garland, Vivian Prince, les Pretty Things, Vince Taylor, découvre un new rock band called the Yardbirds. Il s’invente des personnalités excentriques, il adore l’Angleterre mais quand arrive l’hiver, il décide d’aller retrouver le soleil en Californie.

             À son retour, il rencontre trois hippies dépenaillés : John Phillips, sa femme Michelle et Dennis Doherty. Ils lui chantent trois de leurs compos - «California Dreamin’», «Monday Monday» et «Straight Shooter» - Kim qui flaire le jackpot. Humpff humpff... Il appelle aussi sec Nick Venet qui n’est plus chez Capitol, mais qui a le vent en poupe avec les Leaves. Venet accepte de recevoir les trois hippies. C’est Cass Elliot qui conduit la bagnole. En les voyant, Venet a un coup de cœur. Il demande à Cass si elle chante aussi. Elle dit oui, alors Venet lui dit qu’elle fait partie du groupe, alors que John Phillips n’y tenait pas trop. Venet leur propose un rendez-vous le lendemain chez Mira Records. 15 heures, ça vous va ? Parfait, fait Phillips qui en profite pour demander du blé. Venet lui donne ce qu’il a dans la poche, 150 $. Quand les trois hippies rentrent chez le mec qui les héberge, un nommé Hendricks, un copain de Greenwich Village est là : Barry McGuire. McGuire est devenu riche depuis «Eve Of Destruction», il s’est payé une Royal Enfield et il parade dans les rues. Il leur propose de les emmener le lendemain matin rencontrer son producteur Lou Adler. Lorsqu’ils entrent en studio, Phillips gratte sa douze et chante «California Dreamin’». Adler se penche vers l’oreille de McGuire et demande : «De qui est la chanson and who’s fucking the blonde ?». Adler pense que la chanson peut être le prochain single de McGuire. Il demande à Phillips s’il a déjà pris des contacts. Quand il dit à Adler qu’il a rendrez-vous avec Venet l’après-midi même et qu’il cite le nom de Kim, Adler crache son venin : «Je vous donne tout ce que vous voulez. N’allez voir personne d’autre.» Plus tard dans l’après-midi, Venet appelle Kim pour lui dire que les hippies ne sont pas venus au rendez-vous. Kim s’est encore fait baiser en beauté par son ennemi juré. Ah comme la vie de personnage légendaire peut être dure !

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             Bon on connaît la suite de l’histoire des Mamas & The Papas : superstardom, sex & drugs & rock’n’roll. Quand Papa John s’aperçoit que Mama Michelle fricote avec un autre mec, il la vire. Pour la remplacer, Adler propose Jill Gibson, l’ex-copine de Jan Berry, avec laquelle il a bien sûr une histoire de cul qu’il tient secrète car il encore marié dans sa belle résidence de Bel Air. En fait, Selvin nous explique que Jill et Adler se sont rapprochés au chevet de Jan Berry qui était encore dans le coma. Partager de la souffrance pour un ami commun, ça rapproche. Selvin s’amuse bien avec ces histoires. Ce sont les petits travers qui font les grandes rivières. On peut en déduire sans risque qu’à l’instar de Sloan, Selvin n’apprécie pas trop Adler. Donc Jill entre en studio avec les Mamas & The Papas et bien sûr Mama Michelle fait son retour, non seulement dans le groupe, mais aussi dans le lit de son mari Papa John. Du coup, Jill comprend qu’elle est baisée. Elle dit à son amant Adler qu’elle veut juste récupérer ses royalties, car elle chante sur l’album à paraître. Avec son air protecteur, Adler la conduit au bureau de Bobby Roberts qui lui explique que si elle veut récupérer ses royalties, elle doit traîner Papa John en justice. Alors tout ce qu’elle peut espérer récupérer, c’est l’avance qu’on lui a promise quand elle a remplacé Mama Michelle, mais qu’on ne lui a bien sûr jamais versée - She believed him - Cette pauvre Jill avale tous les bobards de ces gens-là. Sloan ne parle que de ça dans son autobio. De la façon dont Dunhill a détruit les gens.

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             Totor est fasciné par the Ike & Tina Turner Revue qu’il voit sur scène au Galaxy, un club situé tout près du Whisky, sur Sunset. Quand Totor entre dans la loge pour proposer l’enregistrement d’un single, Tina ne sait même pas qui il est. Ike accepte la proposition et Totor pose une condition : pas d’Ike en studio. Juste Tina. Pourtant Ike assistera à la session de Tina, en restant dans un coin. Et ce qu’il entend, c’est-à-dire la musique de «River Deep Mountain High» le laisse sans voix, pour la première fois de sa vie, nous dit Selvin. Totor fait chanter Tina again and again. Les heures passent et au cœur de la nuit, Tina demande qu’on baisse les lumières et elle enlève son chemiser pour se mettre à l’aise, elle dégouline de sueur. Quand épuisée, elle quitte le studio, elle ne sait pas nous dit Selvin qu’elle a donné à Totor ce qu’il désirait. Selvin ajoute que Totor a dépensé pour cet enregistrement an astronomical $20,000. À la fin de l’enregistrement, Totor et Jack Nitzsche se regardent et sourient - They knew they had wrung the greatest possible glory out of the sound they had been chasing. Ça avait été une quête extraordinaire. Mais après ça, ils savaient tous les deux that there was nowhere left to go - On ne pouvait pas aller plus loin. «River Deep Mountain High» est en effet l’un des sommets de la pop américaine.

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             En 1966, Kim revient à Londres. Derek Taylor, l’ex agent de presse des Beatles qui s’est installé en Californie s’occupe désormais des Beach Boys. Il envoie Bruce Johnston à Londres avec deux acetates de Pet Sounds. Il nomme Bruce ambassadeur et le charge de faire écouter Pet Sounds aux Beatles. Kim vient voir Bruce à son hôtel. Ils sont restés très proches, Kim n’a jamais essayer de le baiser. Bruce sait parfaitement qui est Kim - Johnston knew the real guy - Il est d’ailleurs l’un des seuls à l’apprécier. Kim ramène des tas de gens dans la suite du Waldorf pour écouter Pet Sounds : Dave Clark, Marianne Faithfull et Keith Moon qui est un fan de surf craze. Andrew Loog Oldham amène Jagger qui dit à Bruce : «You’re the one who goes ‘Do-wah’» et Bruce lui répond : «No. I’m the one who goes ‘Wah-do’». Tu parles à Bruce Johnston, mon gars, alors baisse d’un ton.

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             Selvin referme cette California Saga avec «Good Vibrations». L’enregistrement a duré sept mois, 22 sessions et a coûté an astronomical $50,000. À la fin de la dernière session, Bruce Johnston s’exclame : «Soit on aura le plus grand hit du monde, soit c’est la fin des Beach Boys.» Il y eut entre six et dix versions finales, avant que Brian ne décide quelle était la bonne. En 1966, «Good Vibrations» se vend à 100 000 exemplaires par jour. C’est le plus gros hit des Beach Boys. Brian rêvait d’un chef d’œuvre, et son rêve devenait réalité.

    Signé : Cazengler, Joël Selfi

    Joel Selvin. Hollywood Eden. House Of Anansi Press Inc. 2021

     

     

    Le marasme de Marah

     

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             On les croyait disparus et voilà qu’ils réapparaissent. Oh pas grand chose, juste une petite interview logée dans les dernières pages d’un récent numéro de Classic Rock.

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             Paru en l’an 2000, un album intitulé Kids In Philly avait établi la légende de Marah. Les frères Bielanko entraient alors dans la cour des grands. Quand Serge Bielanko quitta le groupe en 2008, ce fut la fin des haricots. Mais heureusement, les deux frères viennent de reformer le groupe. C’est à peu près la seule info qui ressort de cette interview. On appelle ça un marasme.

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             Leur premier album date de 1998 et s’appelle Let’s Cut The Crap And Hook Up Later On Tonight. C’est un big one. Ces petits mecs originaires de la Nouvelle Orleans dégagent une énergie de tous les diables, avec un son tellement plein, ils ont même les trompettes de la Nouvelle Orleans dans «Fever». Il semble que ces mecs aient toute l’artistry chevillée au corps. «Formula Cola Dollar Draft» rafle bien la mise, avec les coups d’harp de Serge Bielanko et dans «Phantom Eyes», ils développent du steam power à base de big pounding et de banjo, c’est un cocktail explosif. Back to the Stonsey avec «Firecracker». Ils tapent la meilleure Stonesy de la Nouvelle Orleans, ils sont en plein dans ce son, par les accents, les accords, le swagger, ça sent bon le Keef. «Head On» n’est pas celui des Mary Chain, c’est plus New Orleans, un vrai bordel, bien pulsé du cul, les coups d’harp foutent le feu. Ils tapent leur «Boat» au gospel batch, avec des filles qui arrivent sur le tard et qui gueulent tout ce qu’elles peuvent. Ce bel album s’achève avec un «Limb» attaqué au banjo. Ces petits mecs n’ont plus rien à prouver, l’album devient un must of the crust, c’est plein d’à-valoir, avec ce banjo dans l’oss de l’ass, le power de Marah confine aux affres d’une Stonesy new-orleanique de rêve, d’autant que pour finir, ils sortent les cornemuses, ce que les Stones n’ont jamais osé faire.     

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             C’est en l’an 2000 que paraît l’inestimable Kids In Philly. Inestimable ? Eh oui ! C’est là qu’on trouve «The History Of Where Someone Has Been Killed». Marah sort de sa baignoire et fout une pression terrible, c’est amené au furtif killer call de guitare et ça devient une sorte de gumbo de Stonesy hérissé de power chords de la vieille garde qui ne se rend pas, ça explose comme à Nellcote, Marah claque son beignet avec une classe indécente et un solo d’harp plonge dans la fournaise terminale, just out of it et là tu montes encore d’un cran dans l’extase, ça te swingue l’estomac, ils t’embarquent dans le vacuum de l’astronef, on voit rarement des cuts aussi éblouissants, d’aussi prodigieux suppositoires, Méliès en plein dans l’œil, et ils n’en finissent pas de monter en pression, et puis ça bascule, il faut le savoir, mais ça bascule dans l’extrême power du Valhalla et bien sûr, ça prend feu. Le reste de l’album sent bon la Nouvelle Orleans, avec un son très Southern Breeze de rock («Point Breeze») et un bel hommage au Jackie Wilson de Reet Petite («Christian St») : ils passent en mode heavy Soul et c’est énorme. Ces mecs creusent bien leur terrier, ils chantent à l’accent cassé, leur truc tient la route car bien défini, les flambées sont réelles. Avec «The Catfisherman», ils passent en mode downtown de heavy souche et embarquent à la suite «Round Eye Blues» à l’énergie des movers shakers de la Nouvelle Orleans, alors ça donne un balladif en forme de fantastique énormité. Ils font un gros clin d’œil aux Faces avec «Barstool Boys», on se croirait sur le premier album des Faces, pur jus de fake English, ils sont capables de réveiller les vieux démons de «Mandoline Wind». C’est incroyable comme on se sent bien dans cet album.

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             Alors on navigue d’album en album avec Marah, ce révolutionnaire dont le peuple attend des miracles. Paru en 2002, Float Away With The Friday Night Gods est un album un peu moins spectaculaire que son prédécesseur, mais bon, on en fait ses choux gras. Marah passe par le glam pour imposer sa «Revolution», mais c’est un glam de la Nouvelle Orleans qui sent un peu le cramé. Après le glam voici la power pop avec deux cuts à la queue leuleu, «4 All We Know We’re Dreaming» et «What 2 Bring», mais c’est une power pop en forme de rouleau compresseur, chantée au gusto exemplaire. À ce niveau d’intensité, ça frise le génie. Marah travaille sa pop dans l’épaisseur du lard. Bombardé de burst agressif, le morceau titre sonne comme du Primal Scream et ça donne une espèce de heavy pop confinée dans son contexte. Tout est bardé de son sur cet album, ils visent l’ultimate de l’ultimatum, alors il ne faut pas les embêter. C’est gorgé, trop gorgé. Ça dégorge. Marah tape dans la surenchère révolutionnaire et ça pourrait bien lui coûter la vie. Un peu plus loin, il se grille avec de l’electro, dans sa baignoire, comme Cloclo. Pas malin. Il se grille encore une fois avec «Crying On An Airplane», cette fois avec de la pop FM. Terrible destin pour un orateur aussi doué. Méfie-toi des baignoires. Marah revient aux choses sérieuses dès le deuxième couplet de «Leaving», il revient à ce qu’il sait faire de mieux, le deep inside, chanté à la perpendiculaire d’un big boom bien envoyé, mais pas aussi déterminant que l’History de Kids In Philly. Dans l’interview de Classic Rock, David Bielenko rappelle qu’ils sont allés enregistrer cet album au Pays de Galles avec Owen Morris et qu’ils ont changé de son et pris dit-il trop d’ecstasy.   Par contre, il se dit fier du morceau titre, qu’il présente comme l’une de leurs meilleurs compos.

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             La Seine coule sous le Pont Mirabeau et deux ans plus tard paraît 20,000 Streets Under The Sky. C’est avec cet excellent album qu’il démarre sa période Yep Roc Records, qui, souviens-toi, fut un label de pointe dans les années 2000, avec Alejandro Escovedo, Chuck Prophet, Robyn Hitchcock, The Legendary Shack Shakers, Heavy Trash, John Doe, Dave Alvin et Bob Mould, pour n’en citer que quelques-uns. Trois cuts frappent l’imagination : «Going Thru The Motions», «Tame The Tiger» et «Pigeon Heart». On y retrouve le power de Marah, le beau beat bien épais et le refrain qui monte en mélodie. «Tame The Tiger» pourrait d’ailleurs figurer sur le White Album, car puissant et déterminé à vaincre. Tous les départs de Marah sont solides, sa musicalité reste à toute épreuve, inspirée de la Stonesy et du good time strutting de la Nouvelle Orleans. C’est même assez stupéfiant car développé au hey hey, joué à la clameur, c’est fondu dans le son, comme cuisiné à la poêle. Marah attaque son «Pizzeria» comme Graham Parker, alors ce côté Graham Parker va indisposer beaucoup de gens, mais il faut faire avec. Marah chante ça au larynx râpeux. Il reste dans une vraie démarche, c’est toujours ça de gagné. Avec l’«East» d’ouverture de bal, il fait aussi du Graham Parker. C’est le même son. Il développe encore de fabuleux chevaux vapeur avec «Feather Boa» et reste ancré dans le bon beat parkerisé avec «Sure Thing». L’aventure se termine avec le morceau titre joué à la guitare du paradis. Marah vise la félicité, alors il taille sa route vers le paradis au petit gratté d’ukulélé et aux échos de voix lumineux. Marah tape cette fois dans l’excelsior, il vise la chaleur de la clameur pastorale, dans l’esprit de ce que fit Frank Black avec «Heaven». Bien vu, Marah !

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             Ils sortent deux albums en 2005 : If You Didn’t Laugh, You’d Cry et A Christmas Kind Of Town. Le premier veut le déplacement pour deux raisons : un, «Fat Boy», tapé à l’épaisseur maximaliste, Marah joue à l’énergie pure et le cut décolle, c’est même un vrai raz-de-marée de son et d’harmo. Deux, «Walt Whitman Bridge», car quasi-dylanex, chanté au chuss, avec des gros coups de douze. Le reste de l’album peine à jouir, peut-être trop classique. Marah s’enfonce dans le rock américain des années 2000 avec «The Hustle» et ça pue le MTV. Il ne parvient plus à trancher, ça frise le Costello, pouah, quelle horreur ! Dommage, car les guitares sont belles. Avec ses relents cajuns, «Sooner Or Later» fait dresser l’oreille et «The Dishwater’s Dream» t’envoie rouler dans l’Americana de barrelhouse, good time de tatapoum et d’harmo.

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    Par contre, son Christmas album ne laissera pas de grands souvenirs. On sauve le powerful «Christmas With The Snow». Marah chante le «Silver Bells» à outrance, comme s’il se branlait du Christmas. 

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             L’album de Marah qu’on peut emmener sur l’île déserte est le fameux Sooner Or Later In Spain paru en 2006. Yep Roc propose un mini-album et un gigantesque DVD : Marah sur scène en Espagne pour un show interminable et fascinant. Bon le seul petit reproche qu’on peut faire à David Bielanko est de sonner un peu trop comme Graham Parker. Il est donc préférable de voir le concert. On y assiste à la spectaculaire attaque des trois guitares, c’est-à-dire les deux frères Bielanko et le jeune Adam Garbinski, cette espèce de Gavroche qui joue en embuscade sur la droite. Il gratte une demi-caisse Gibson noire assez bas sur les cuisses et il allume tous les cuts un par un avec des incursions intestines dignes de celles de Johnny Thunders. C’est vraiment dommage que David Bielkanko force son chant et donc sa présence. Ils amènent «Pigeon Heart» au gratté sauvage d’acou avec un Serge à l’harp et c’est excellent. Première alerte à la bombe avec l’énorme «Round Eye Blues» et ses coups d’harp à la Dylan. C’est le Marah Power en plein, avec cette capacité qu’ils ont de monter là-haut sur la montagne ! Ils récidivent plus loin avec une fantastique version de «Sooner Or Later», un cut de Stonesy amené par le petit Gavroche fouteur de feu. En plus, il est toujours en train de se marrer, il est tellement content de jouer dans ce groupe ! Ces mecs ont le son et les chansons. On voit aussi avec «Pizzeria» qu’ils ont une façon extraordinaire de retomber chaque fois dans une sorte de Stonesy à leur sauce. L’une de leurs rares covers est l’«On The Road Again» de Willie Nelson que Dave qualifie de the greatest song I heard in my life. Ils font encore des merveilles avec «Point Breeze» et «The Hustle» et nouveau point chaud avec «Reservation Girl», attaqué aux trois guitares. Ils terminent avec la pure Stonesy d’«History Where Someone As Been Killed» et les coups d’harp de Serge, c’est cisaillé au beat de Charlie et aux cocotes à la Keef. Dans les bonus, ils tapent en plus une fascinante cover du «Debris» de Plonk Lane. 

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              Marah opère un gigantesque retour aux affaires révolutionnaires avec Angels Of Destruction. Boom et même trois fois boom dès le «Coughing Up Blood» d’ouverture de bal - I’m a coming/ I’m a flesh - les guitares slinguent dans l’épaisseur du lard et ça grouille de clameurs viscérales, c’est même incendié aux guitares de blues, ça cavale par dessus les toits. Ouf, le grand Marah est enfin de retour. Ça continue sur la même lancée avec «Old Time Tickin’ Away», bien up-tempé au chant d’attaque frontale, Marah maximalise à nouveau, il rue non pas dans les brancards mais dans sa baignoire. Demented ! Il génère une sorte de power demented, et ce, bien avant l’arrivée de Charlotte Corday. Il attaque «Angels On A Passing Train» aux guitares du désert, alors on se prosterne. Même chose devant «Wild West Love Song», Marah le prend au wild singing, et derrière un fou bat le beurre. Il bourre son album comme une dinde, son «Santos De Madera» sonne très Hold Steady, il chante en poupe, très débridé, un brin raw, une vraie voix, mais il faut que ça plaise, il chante son la la la la à la bonne franquette et un accordéon se faufile dans le son. On retrouve le big bass drum de la Nouvelle Orleans dans le morceau titre. Marah charge sa chaudière, awite, il fait du story-telling de love you so much, un heavy mid-tempo infesté de relents de Stonesy, et rehaussé d’un final explosif zébré de petites griffures de slide. C’est tellement bien foutu qu’on en bave. Et ça continue avec l’excellent «Can’t Take It With You», Marah se fond dans le groove du shadow, avec toute la démesure de la Nouvelle Orleans, ses trompettes et un son chargé d’histoire, les voilà de retour dans leur univers magique avec du piano et du good timing, effarant ! Et cette voix qui flûte à la surface du voile à pleine clos ! Et ces trompettes qui sonnent dans tous les coins. Extase garantie. 

             C’est juste après cet album que Marah splitte.

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             David Bielanko renaît de ses cendres en 2010 pour enregistrer un fantastique album solo, Life Is A Problem. Il attaque ça à la Stonesy, il est en plein dans l’esprit des heavy balladifs de Keef, avec ses yeux de poisson frit, oui, c’est exactement la même ampleur. On se régale aussi du morceau titre. Quelle épaisseur de son ! Ce mec se donne les moyens de la grosse prod avec des infra-basses dans les descentes de couplets. On entend même les castagnettes de Totor dans l’écho du temps, c’est très spectaculaire. Il vise l’over the rainbow et il a raison. Et petite cerise sur le gâtö, il ramène une énorme guitare en pleine apothéose. Ce petit mec a tout compris. Par contre, la B retombe comme un soufflé. Le seul cut qui ne laisse pas indifférent s’appelle «Tramp Art», sans doute à cause de son côté très lennonien.

    Signé : Cazengler, Marat d’égout

    Marah. Let’s Cut The Crap And Hook Up Later On Tonight. Black Dog Records 1998

    Marah. Kids In Philly. E-Squared 2000

    Marah. Float Away With The Friday Night Gods. E-Squared 2002

    Marah. 20,000 Streets Under The Sky. Yep Roc Records 2004

    Marah. If You Didn’t Laugh, You’d Cry. Yep Roc Records 2005

    Marah. A Christmas Kind Of Town. Yep Roc Records 2005

    Marah. Sooner Or Later In Spain. Yep Roc Records 2006    

    Marah. Angels Of Destruction. Yep Roc Records 2008   

    Marah. Life Is A Problem. Valley Farm Songs 2010

    Interview dans Classic Rock #236 - June 2017

     

     

    L’avenir du rock - Delgrès, ça dégraisse

     

             L’avenir du rock tourne en rond dans le désert depuis des mois, peut-être même des années. Il a croisé Lawrence d’Arabie plusieurs fois, toujours drapé de blanc et élégamment perché sur son dromadaire. Il a même vu passer au loin quatre nègres athlétiques transportant au petit trot un homme blanc sur un brancard. Sans doute Rimbaud, mais l’avenir du rock ne se sentait pas le courage de leur courir après pour réclamer un autographe. La situation était déjà bien assez incongrue, il n’était donc pas souhaitable d’en rajouter. Plus par nécessité que par goût, il a appris à se nourrir de petits cailloux, ce qui lui permet de pondre des œufs qu’il fait cuire dans le casque viking que lui a offert Richard Burton. Dans ce genre de situation, on devient extrêmement créatif. L’avenir du rock se dit souvent que s’il était roi, il donnerait son royaume en échange d’une paire de lunettes de soleil. Mais il doit bien se rendre à l’évidence. Pas de plus beau symbole de l’évidence que ce désert. Il a perdu depuis longtemps tout espoir de rejoindre la civilisation. Pour retourner la situation à son avantage, il se dit qu’il se passe très bien de cette fucking civilisation. Et comme il sent que par la force des choses, il devient philosophe et même diogéniste, il en profite pour étayer sa vieille haine du matérialisme. N’importe qui à sa place en ferait autant, mais il n’existe rien de tel que les situations extrêmes pour passer à l’acte. Il éprouve donc une sorte d’immense fierté à errer dans le désert sans carte bleue, sans smartphone, sans compte en banque, sans bagnole, sans piscine, sans grosse épouse. Ému aux larmes, il pense à Peter Green et à Peter Tork qui, de leur vivant, distribuèrent aux pauvres tout ce qu’ils possédaient. Son délire l’entraîne toujours plus loin. Sous le casque Viking, sa cervelle entre en ébullition. Il pousse encore plus loin la logique du dénuement. Voilà qu’il se met à rêver de devenir esclave ! C’est à ses yeux le dénuement ultime. Il ne reste rien, même pas la liberté. Avec un peu de chance, il va croiser une caravane de trafiquants d’esclaves, on l’enchaînera, on le jettera dans la soute d’un navire en partance pour la Guadeloupe et Louis Delgrès viendra le délivrer. 

     

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             D’un Delgrès l’autre dirait Céline en parlant de châteaux. Grâce au trio Delgrès, on apprend qui est Louis Delgrès, l’abolitionniste du XVIIIe siècle qui, comme Toussaint Louverture, fut ratatiné par Napoléon. Tu trouveras tout le détail de ces deux abominables affaires sur wiki. C’est un nom qui revient dans l’actualité, grâce au guadeloupéen Pascal Danaë qui a baptisé son trio de blues moderne du nom de Delgrès, histoire de saluer la mémoire de cet héroïque militant de l’abolitionnisme. Jusques là tout va bien.

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             Et comme toujours, les petits concours de circonstances font les grandes rivières. Première chose : privé de concerts depuis deux ans, on finit par céder à la tentation d’aller voir n’importe quoi. Deuxième chose, le programmateur compare Delgrès à John Lee Hooker, ce qui semble complètement grotesque, mais sait-on jamais ? Et troisième chose, un bon ami qui est aussi excellent bluesman annonce qu’il va les voir en concert. Dernière chose, on jette un œil sur Discogs qui nous dit : «French creole blues band». Curieux mélange. Hooky créole ? Cas d’école. C’est donc avec une certaine appréhension qu’on y va. Et pour couronner le tout, le concert est prévu dans la grande salle, lieu de toutes les dérives festives, ce qui n’est pas bon signe. On y a vu Lee Fields couler son show en voulant faire chanter la salle. Il n’avait pas compris que les salles de spectacles normandes ne sont pas des églises en bois du Mississippi.

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             Sur scène, ils sont trois : le déjà cité Pascal Danaë (chant et guitare), Rafgee (Sousaphone) et Baptiste Brondy (beurre). Fantastiquement présent, Pascal Danaë affiche un look de Black Panther, béret, lunettes noires et le poing souvent levé, ce qui le rend éminemment sympathique. Ce genre de mec nous manque, en cette époque de désengagement politique. On respirait mieux au temps des radicaux et de la lutte des classes. En plus, il a les chansons qui vont avec. Le militantisme de Delgrès n’est pas de la frime, même si, comme on va le voir, il bascule parfois dans la grosse daube festive. Il a de la matière et il n’hésite pas à rappeler que les choses n’ont pas trop changé depuis le temps où on réduisait les nègres en esclavage. Il veut dire bien sûr que le racisme est resté exactement le même. Le blanc dégénéré n’a pas évolué d’un seul millimètre. C’est même étonnant que Pascal Danaë ait du succès avec un look pareil et des textes aussi revanchards. Il ne tombe pas dans le panneau des rappers américains et du Kill the cops, il s’arrange pour que ses messages passent, et ça a l’air de marcher, car les gens connaissent les textes de ses chansons.

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             Il est plutôt bien accompagné. Le mec au sousaphone fait un boulot énorme. Au Méridien, Vigon avait lui aussi opté pour un sousaphone à la place de la basse. Ça donne des basses très primitives mais d’une puissance folle. Un son très New Orleans. Par contre, le mec au beurre frappe comme un sourd. Il amène de la vitalité, mais peut-être un peu trop, car Pascal Danaë flirte parfois avec le groove des Caraïbes, qui nécessiterait plus un fouetté léger de peaux des fesses qu’un drumbeat à la Bonham. Oui car le bonhomme sait Bonhamer au boum badaboum, comme le montre son édifiant solo de batterie.

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             Et le blues dans tout ça ? Oh pas grand chose, Pascal Danaë tape un ou deux cuts de blues dans la première partie du set, notamment «4 Ed Maten», c’est bien foutu, il joue avec les doigts, pas de médiator, et il n’hésite pas à sortir le bottleneck pour claquer des notes bien senties. Comme la frappe est lourde, le blues vire au stomp. Mais on sent parfois chez lui des velléités à vouloir sonner comme Junior Kimbrough. C’est dans sa diction, le côté créole remonte dans le chant et donne à ses cuts un violent parfum d’exotisme. 

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             Mais quand il veut faire du participatif et lancer une bacchanale en demandant à la foule de chanter à sa place, ça dégénère, ça tourne à la fête populaire, le blues n’est pas fait pour ça. On se retrouve soudain dans une fucking émission de variété à la télé. Artistiquement, c’est d’une nullité crasse. Tout ce qui faisait le charme du trio vole en éclat. Mais heureusement, ils vont revenir à de meilleurs sentiments. Il faut dire que Pascal Danaë est un fabuleux showman.   

             Et puis il y a ces stormers mirifiques que sont «L’école» (propulsé par le sousaphone) et «Lanme la» monté sur un beau beat rockab créolisé et infiniment crédible. Ils sont capables de miracles. Pascal Danaë ramène dans son set toute l’Africanité du blues.

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             On retrouve «L’école» sur le deuxième album du groupe, 4 Ed Maten, c’est-à-dire quatre heures du matin. La version studio de «L’école» n’a pas du tout le même power que la version live, mais ça reste un véritable coup de génie. Il chante ça en créole - Ma maman di mwen fo ou travayé lékol/ Ma maman di mwen fo ou respecté lékol - S’il faut rapatrier l’album, c’est surtout pour se goinfrer de cette merveille. Et sur scène, le sousaphone fait virevolter les relances de ce groove du diable. C’est le real deal, un blast exotique qui te réconcilie avec la vie d’une part, et qui t’ouvre au monde d’autre part. Il a aussi des chansons d’esclaves assez extraordinaires, comme ce «Libere Mwen Chorale», ou encore «Lese Mwen Ale», c’est-à-dire laisse-moi aller, et il en profite pour passer un killer solo flash, car de ce côté-là, il n’est pas manchot. La plus belle chanson d’esclave est «La Penn», il évoque les chaînes du port de la Rochelle, on ne peut pas imaginer tout ce que ces pauvres nègres ont pu endurer à cette époque - Dans le port de la Rochelle/ J’ai brisé mes chaînes/ Cent jours de mer/ Et je ne sais plus très bien/ Cent jours de mer/ Et je ne comprends plus rien - Pascal Danaë adresse un gros clin d’œil aux familles d’armateurs qui à l’époque se sont enrichies grâce à la traite des noirs. Tout le blues de l’album se trouve rassemblé dans le morceau titre d’ouverture de bal. Pascal Danaë l’amène au heavy doom d’Hooky mais c’est vite stompé par big Baptiste. Pascal Danaë ramène du créole dans le maelström. Dommage qu’on entende moins le sousaphone. Il est un peu éloigné dans le son. Puis ça va commencer à se dégrader avec des cuts comme «Aleas» et «Se Mo La», plus putassiers. «Assez Assez» flirte avec la calypso. Si tu ne piges pas le créole, t’es baisé. On perd le blues et le sousaphone. «Lundi Mardi Mercredi» est amené au stomp, mais c’est un stomp qui ne fait pas rêver. «Just Vote For Me» est tellement saturé de son qu’on perd le chant.

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             Leur premier album s’appelle Mo Jodi et donne à peu près le même résultat, c’est-à-dire un mix de cuts géniaux et de choses beaucoup plus faibles. Sur la pochette, Pascal Danaë affiche clairement son look Black Panther et il attaque avec «Respecte Nou», un heavy boogie revanchard - Fo sa sésé - Il a raison, faut qu’ça cesse, fuck les coloniaux. Son slogan est porté par le meilleur boogie blast de métropole. L’autre énormité de l’album s’appelle «Can’t Let You Go». Il l’amène au blues créole et renoue avec l’Africanité du blues et là tu entends le sousaphone pouetter dans le gut du groove. Dommage qu’ils ne remplissent pas leurs albums de cuts de cet acabit d’Aqaba, comme dirait Lawrence d’Arabie, que vient de voir passer encore une fois l’avenir du rock. Pascal Danaë ramène encore des tonnes de groove dans «Anko», oh no, il développe avec ses deux amis une fantastique énergie.  Sa musique te redonne du cœur au ventre. Retour à la chanson d’esclave avec «Ramene Mwen», il demande simplement à ce qu’on le ramène chez lui en Afrique. Pascal Danaë truffe encore son morceau titre d’éléments de la lutte, ça te donne une espèce de groove surnaturel noyé dans les clameurs de la révolte. Mais pas de blues dans cet album. C’est autre chose. John Lee Hooker ? Tintin. 

             Ce texte est pour Karim qui, à la différence du programmateur, sait qui est John Lee Hooker.

    Signé : Cazengler, Delgras du bide

    Delgrès. Le 106. Rouen (76). 25 mars 2022

    Delgrès. Mo Jodi. Pias 2018

    Delgrès. 4 Ed Maten. Pias 2021

     

     

    Inside the goldmine

     - Go Goldie go ! (Part One)

     

             Toutes celles et ceux qui fréquentèrent jadis Monsieur Goldy, alias Monsieur la Saucisse, en conservent un excellent souvenir. Bonne pâte, il se prêtait à toutes les configurations sociétales pourvu qu’on respectât scrupuleusement sa liberté d’agir et de s’exprimer. De ce point de vue, il savait se montrer intraitable et créait chaque fois une unanimité sans appel. Bon nombre de ceux qui le connurent de son vivant jalousaient sa force de caractère, et plus encore sa fantaisie. On aurait juré qu’il n’existait pas sur cette terre de créature plus lunatique que Monsieur Goldy. Il avait dans le regard cet éclat mélancolique qui rappelait Buster Keaton, il se coiffait comme Tintin et l’analogie allait loin car sa principale admiratrice disait de lui qu’il portait des culottes de golf. Mais il ne prêtait guère l’oreille aux commentaires, seule l’intéressait la découverte de l’univers, il en était insatiable, sa curiosité dépassait l’entendement. Il s’intéressait à tout, au moindre chemin de forêt, à la moindre ruelle de faubourg, aux déserts comme aux montagnes, il sillonnait les brousses comme les plages immenses, il traversait des fleuves à la nage en plein hiver, il sautait du haut des falaises sans jamais craindre de se tordre les pieds, il prenait tellement de risques qu’il fallait parfois voler à son secours, comme le jour où tombé dans la retenue d’une écluse, il s’englua dans un amoncellement de détritus flottants et faillit bien s’y noyer. Il fallut le repêcher, et n’importe qui à sa place aurait eu honte, pas lui, surtout pas lui. La fierté mal placée ? Laissez-nous rire ! Et puis un jour, alors que nous arpentions une berge sauvage, Monsieur Goldy mit les bouts. Il fila à la poursuite d’une poule et jamais ne reparût. On fit des recherches qui ne donnèrent aucun résultat. Depuis, le mystère s’est épaissi car les habitants de cette région maudite racontent que certaines nuits de pleine lune, une silhouette étrange traverse le petit pont de pierre qui enjambe la source. Il s’agit disent-ils d’une sorte de Tintin à quatre pattes en culottes de golf.

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             Pendant que le fantôme de Monsieur Goldy traverse le petit pont de pierre, Goldie traverse les décennies. Ace et Shindig! braquent enfin le projecteur sur Goldie & The Gingerbreads, avec une compile atomique d’un côté (Thinking About The Good Times. Complete Recordings 1961-1966), et six pages de l’autre.

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             D’un côté, Goldie raconte toute l’histoire à Alec Palao, et de l’autre, elle la re-raconte à Jeff Penczak. D’origine polonaise, Genyusha Zelkowicz tire son surnom Goldie de Goldilocks & the Three Bears. Lors d’un concert de Mickey Lee Lane dans un club new-yorkais elle fait une sacrée découverte : c’est une petite gonzesse qui accompagne Mickey à la batterie ! Elle s’appelle Virginia Gingerbread Panebianco. Sa famille italienne la voyait mariée avec des gosses. Pas question, fuck it, Virginia les a envoyés sur les roses et elle s’est barrée. En fugue ! On the run ! Entre Goldie et Virginia, c’est le coup de foudre : let’s start a band ! Le nom est tout trouvé : Goldie & the Gingerbreads. Elles repèrent Margo Croccito qui joue de l’Hammond B3 dans un cocktail lounge. Woah, c’est le coup de foudre ! Aussitôt embauchée ! La grande force du gang de Goldie, c’est qu’elles jouent de leurs instruments, elles sont les premières à se débrouiller seules - We were punks who played sleazy bars - Elles jouent dans les bars new-yorkais des early sixties qui appartiennent à la mafia et Sonny Franzese devient leur manager - They owed everything, honey, they were the mob - En juillet 63, Franzese les colle à l’affiche du Copa Room, au Sands Hotel de Las Vegas tenu par Robert de Niro. Elles passent en première partie de Paul Anka. Comme Margo est une crack et qu’elle joue les lignes de basse sur l’orgue, elles n’ont pas besoin de bassiste. Elles finissent par trouver enfin la guitariste de leurs rêves, Carol MacDonald, qui accompagnait Herbert Khaury, c’est-à-dire le futur Tiny Tim. Woah ! C’est le coup de foudre ! Elles tournent en Europe avec Chubby Checker et se payent des black leather suits en Allemagne. Elles signent leur premier contrat avec Florence Greenberg, la boss de Scepter, label des Shirelles et de Dionne Warwick. Elles sortent un remake du «Skinny Mimmie» de Bill Haley produit par Stan, le fils de Florence. On trouve bien sûr ce «Skinny Vinnie» sur la compile.

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             Les Animals sont à New York en 1964 et un soir, Eric Burdon, Hilton Valentine et Chas Chandler se baladent. En passant devant un club, ils entendent le son d’un groupe. Woah ! Ils entrent et croyant voir des blacks, ils tombent sur Goldie & the Gingerbreads - White chicks ! - Coup de foudre ! Leur manager Mike Jeffery vient ensuite proposer aux filles une tournée en Angleterre et un contrat chez Decca. Et ça continue de s’emballer : Ahmet Ertegun les veut sur Atlantic, Bob Crewe les fait jouer dans une soirée privée. C’est là que Keith Richards les découvre à son tour. Woah ! Coup de foudre ! Elles partent en Angleterre et c’est Alan Price qui est supposé les produire, mais Goldie dit que non (en studio, il y avait Eric Burdon et Chas Chandler). Quand Jeffery leur impose d’enregistrer «Can’t You Hear My Heartbeat», Goldie l’envoie promener. Mais l’autre insiste. Et quand Chas dit à Goldie qu’elle doit chanter ça au sucre comme les Supremes, Goldie l’envoie aussi promener - You think about the Supremes. I’m thinking about Ray Charles ! - Seulement, Jeffery a raison, «Can’t You Hear My Heartbeat» est un hit en Angleterre, même si le cut n’est pas représentatif de leur style. Mais aux États-Unis, elles se font baiser par les Herman’s Hermits qui en sortent leur version. Goldie est furieuse de voir ces branleurs la doubler. Comme elles ont du caractère, les Gingerbreads finissent par enregistrer les covers de leur choix : «What Kind Of Man Are You» de Ray Charles, «Sailor Boy» de Gerry Goffin et «Look For My Baby» de Ray Davies. Pour Goldie, c’est l’occasion de bosser avec Shel Talmy qui à ce moment-là produisait les Kinks. On retrouve ces trois merveilles sur la compile Ace. Elles font de «What Kind Of Man Are You» un groove extraordinaire de let you go, monté sur un shuffle d’orgue à l’anglaise et Goldie le chante à la revancharde. Le «Sailor Boy» est monté aux clap-hands et Goldie le chante au sucre candy. Ah comme elle est bonne ! Elles groovent aussi le «Look For My Baby» de façon admirable. Elles sont diaboliques.

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             On trouve d’autres cuts produits par Shel Talmy, comme «Please Please», un fast boogie emmené ventre à terre. Elles sont dessus, c’est violent et beau à la fois. Ou encore «I See You’ve Come Again» que Goldie chante à la force du poignet. Et puis «Sporting Life», ce fantastique slow-groove repris en France par Ronnie Bird - Ma vie s’enfuit ! - Goldie et Ronnie même combat ! C’est aussi définitif que le «Stay With Me» de Sharon Tandy. Shel Talmy produit aussi «Margo’s Groove», un fantastique shuffle d’orgue du Swingin’ London. Elles sont aussi balèzes que le Graham Bond ORGANization. On reste en studio avec Shel Talmy pour «85 Westbourne Terrace» (l’adresse de leur appart à Londres) que Margo embarque à l’orgue et là tu as tout : Margo, son shuffle, et Ginger Bianco qui bat le beurre. Avec «That’s Why I Love You», elles sont en concurrence directe avec les Shangri-Las. Voilà pour le power stuff des Talmy sessions.

             Et puis le coup de génie de Goldie & The Gingerbreads est le «Think About The Good Times» qui donne son titre à la compile. Elles ont le feu au cul. Elles sonnent comme des blacks, Goldie jive comme une reine du Bronx. Le «Little Boy» que produisent les Animals est un aussi un smash in the face, elle y va la Goldie, elle se lance dans la bataille à coups de no no no, elle écrase ses no no du talon et elle resurgit dans le son comme un saumon de l’Hudson river.

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             Palao revient longuement sur ce qui fait la spécificité des Gingerbreads : Ginger Bianco fourbit le solid beat, Margo fourbit le groove, «peppering it with jazz & R&B licks, both sophisticated and visceral». Carol «sat perfectly in the pocket» et il parle enfin de Goldie Zelkowitz (encore une autre orthographe) en termes de «no-nonsense self-styled broad» et de «raw and guenine soul». Palao les qualifie de «great and versatile combo», pouvant passer de l’«intimate gossip of the classic NYC girl groups» au «R&B punch of the British Mod scene». Il parle d’un éventail extrêmement large. Il dit aussi - et il a raison - qu’il n’existe pas beaucoup de groupes aussi fascinants que Goldie & The Gingerbreads. Après une courte introduction, Palao donne la parole aux filles qui racontent leur histoire, au long des 40 pages du booklet. Goldie redevient Genya et raconte comment elle a grandi en écoutant les blacks : LaVern Baker, Little Richard et Bo Diddley. Elle trouvait Elvis trop blanc.

             Elles tournent pas mal en Europe, jouent bien sûr au Star Club de Hambourg et en première partie des Animals à l’Olympia. Elles participent à toutes les grandes tournées anglaises, au package tour des Stones, puis des Kinks et des Yardbirds, puis des Walker Brothers et des Hollies. Aux États-Unis, Ahmet Ertegun distribue leurs singles et «What Kind Of Man Are You» fait des ravages.

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             Manque de pot, Goldie fait un abcès et le groupe s’arrête bêtement. Goldie part de son côté et les trois autres du leur. Ginger reste inconsolable : «J’ai essayé de me réconcilier avec cette histoire pendant longtemps. Goldie arrivant de Pologne, moi la petite fugueuse italienne, et notre rencontre at Trude Heller’s... Ça ferait un sacré film. À cette époque, on pouvait se permettre de rêver, même avec tous les problèmes qu’on se tapait, c’était stimulant. Chaque jour, quelque chose pouvait se produire.» Genya ajoute : «I had the best learning in the world, being on the road with my girls.» 

             Goldie va devenir Genya Ravan et connaître son heure de gloire avec Ten Wheel Drive. Un bon gros Part Two te donnera tous les détails de cette fascinante histoire.

    Signé : Cazengler, Goldmichet

    Goldie & The Gingerbreads. Thinking About The Good Times. Complete Recordings 1961-1966. Ace Records 2021

    Jeff Penczak : Good Time Girls. Shindig! # 117 - July 2021

     

    *

    Voici près de dix ans l’était trop tard, pas pour le Juke Joints Band, hélas pour moi, le concert qu’annonçait l’affiche collée sur la vitrine d’un commerçant était passé depuis une semaine. Dessus y avait ce gars le dos affessé ( ne lisez pas affaissé ) sur son tabouret de pythie delphique et  l’autre décalé sur l’image, debout les bras levés à la manière des officiants du vaudou, bref cette affichette puait à pleine vue le blues. Depuis Big Mama Thornton dans tout rocker, sommeille un fameux hound dog, certes un sacré bâtard, mais quand il pose le museau sur une piste il ne la lâche plus… quelques semaines plus tard dans un troquet perdu de l’Ariège je retrouvais mes deux lascars en l’occurrence Ben Jaccobacci et Chris Papin…

    Depuis les kr’tntreaders ont ainsi pu lire la relation d’une dizaine de concerts du Juke Joints Band ainsi que la chronique de leurs trop rares enregistrements. A eux deux Chris Papin et Ben Jaccobacci forment le noyau originel du JJB, depuis deux ans la formation s’est étoffée, z’ont ‘’profité’’ de la période confinatoire pour enregistrer un nouveau CD, une petite merveille bleue.

    BACK ON THE STREET

    JUKE JOINTS BAND

    ( Disponible sur Bandcamp)

    Michel Teulet : basse / Rosendo Frances : batterie / Chris Papin : chant / Ben Jaccobacci : guitare.

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     Back on the street : remettez dix fois l’intro pour y croire, le Rosendo l’a une frappe proustienne, un côté de chez Swann et un côté des Guermantes, je traduis, un côté lourd qui plombe , un côté léger presque volatile, un appui rhythm and blues, et un arrière-goût jazz, la basse qui swingue et la guitare qui râpe, normalement cela suffit pour être heureux mais voici que s’infiltre la voix de Chris, une peau de serpent que l’on greffe sur un grand brûlé, ça pique un peu c’est Ben qui appuie sur la sonnette du crotale, mais la compresse ouatée de la basse de Michel vous requinquerait un mort, très fort, un shuffle qui dandine fort joliment, maintenant Ben vous pousse dans les orties d’un solo urticant, à la reprise le vocal de Chris évoque l’aisance de la  démarche  d’Arsène Lupin se dirigeant vers les lingots d’un coffre-fort ouvert. Un gros défaut, ce morceau est trop court. Si on s’écoutait l’on n’écouterait pas les suivants. Broke : ce qui serait une erreur. Un frère jumeau. Pas identique toutefois, pas un monozygote, pourtant il gigote méchamment. L’est sûr que lorsqu’un groupe a le son, il vaut mieux qu’il le garde. Toujours ce shuffle mais ce coup-ci, il boite un peu du côté gauche, l’a la démarche de Lord Byron, Rosendo vous imite d’un tapement sec le pied bot de l’auteur du Don Juan, on l’attend toujours et quand il tombe il se permet de vous surprendre, un peu de la faute de la basse de Michel Teulet qui vous nappe l’asymétrie rythmique d’une rondeur sucrée qui détourne votre attention. La guitare de Ben klaxonne de belle manière, en douce, elle creuse sa tranchée dans vos synapses sans que vous y fassiez gaffe, oui mais si vous n’entendez pas le break de Rosendo et le salmigondis de la guitare qui suit, c’est que vous êtes mort. Pas d’inquiétude la vocal de Chris vous réveillera, ce n’est pas qu’il crie, au contraire se fond dans l’instrumentation des trois mousquetaires, en épouse toutes les formes, le pinceau qui suit les volutes de fer forgé de la grille d’entrée et les recouvre d’or pur. Guts of the city : attention, l’on change de style, si sur les deux premiers morceaux on ne pouvait s’empêcher de penser à  cette marmelade des Stones de la grand époque si parfaite, refermée sur elle-même comme une pierre précieuse pelotonnée en sa perfection, indétrônable en sa beauté, ici le son est plus âpre, la voix de Chris coupante comme une bagarre au couteau dans un bouge du Delta, alors derrière lui ça groove et poinçonne un max, le Teulet l’air de rien touine la basse en sourdine, médite le coup fatal, Rosendo distribue les horions, le Ben se sert de sa cafetière électrique comme d’un bowie-kniffe et vous étire les entrailles du solo hors du bide sur le plancher,  pas de quoi s’affoler, continuent encore à se battre, doivent y prendre du plaisir. Nous aussi. You’re good for nothing but love : le genre de titre qui doit enchanter les ligues féministes, nous on adore, la guitare de Ben fait le gros dos comme un chat qui se réveille, après quoi elle miaule tout azimut comme un chien de chasse qui jappe car il a senti une caille dans les parages. Le Chris prend son pied, et les trois camarades le soutiennent de toutes leurs forces et ne boudent pas leur plaisir. Un joyeux boxon généralisé. Un truc érectile à vous faire monter la moutarde spermatique jusqu’au plafond. En plus ils font durer le plaisir. Qu’y s’en plaindrait ? Jouissif. Burning love blues : remettent le couvert sous les couvertures. C’est parti pour le good trip. Tous ensemble. Un blues épais comme de la crème. Rosendo : pour maintenir le package par-dessous, Ben : dont la guitare joue à l’épine dorsale par-dessus. Entre ces deux morceaux de pain au levain la basse de Michel barate le beurre à s’en enduire la rate, et le Chris vous rajoute le blues de poulet, chacun y mord dedans à pleine bouchée, directement des producteurs aux consommateurs, le blues en auto-suffisance, pourrait durer toute la nuit et le jour d’après, z’ont dû le concocter pour le live, le morceau qui emporte le public et le fait tanguer en pleine mer à la manière des moutons de Panurge. Hey hey hey hey : le morceau précédent c’était du tout cuit, le riff ensorcelant, le long Kaa qui tout petit vous fascinait, alors maintenant c’est du tout cru. La même chose avec des arêtes. De poison. Un départ pratiquement en douceur, ça rebondit à la manière d’un ballon de basket, le Rosendo rondement, gardez une oreille sur les cordes, la basse qui vous étire la guimauve si collante que vous ne pouvez pas vous en défaire, mais il y a la lead sur l’autre piste, au début elle ne se fait pas remarquer, c’est après qu’arrivent les lancettes, un cactus qui joue à la sarbacane avec ses piquants, vous transforme en porc-épic le temps d’un solo, sur ce le Teulet vous appuie dessus avec le dos de la cuillère pour que vous sentiez encore plus la morsure du blues. C’est lorsque Chris s’arrête de chanter à la fin, que vous prenez conscience de son rôle délétère. S’est joué de vous. Vous a mené en plein dans le piège. L’apparaît de plus en plus dans ce carré d’as qu’il n’y en a pas un pour relever les autres. Unis comme les doigts de la main, mais ce sont les quatre interstices les plus dangereux. Such a mess : un chef-d’œuvre à part entière. La guitare de Ben qui traîne à terre telle un varan des Galapagos, la section rythmique en contre-point et la voix de Chris qui fout le feu partout elle passe, quand elle se tait le Ben en profite pour groover à mort, l’est vite rattrapé par le Chris et c’est la crise, le vocal s’emmêle à la lead en fil de fer barbelé, un duel fratricide en toute amitié, chacun essayant de marcher sur l’autre, une façon de faire mousser le blues à la Howlin, pour vous dire combien c’est prodigieux. Cold cell : les trois derniers morceaux issus d’une séance antérieure.  Une guitare davantage pointue qui pose ses notes comme des points-virgules, puis qui étrille la bouteille du solo avec le goupillon des enterrements, Chris un ton plus bas, un peu à la Ray Charles  graveline le blues à ras de terre, Rosendo qui vous encercle dans la rosace du  rythme, la basse qui se fait la gardienne du temple, et chacun y va de ses variations sur le canevas imposé, une espèce de quadrille maîtrisé à la perfection, comme quoi le blues peut atteindre à la subtilité du jeu de go. Mais les jetons tournés et retournés sont toujours bleus. Trampoline man : z’ont mis de la gazoline dans les instrus, ça ronronne rond sur le circuit, seule la voix de Chris s’amuse à rebondir sur le macadam élastique, pendant ce temps les copains jouent à ralentir le rythme, le maître chanteur est obligé de précipiter un tant soit peu les vocalises pour que l’ensemble garde sa vitesse de croisière. Un jeu dangereux, casse-gueule, dont ils se tirent comme des chefs, nécessite d’incroyables douceurs de toucher sur les cordes. Ici c’est soigné aux petits oignons, ces bulbes bleus qui font couler des larmes de jalousie aux amateurs qui auraient envie d’essayer ces froissés insidieux de dentelles acérées. S’agit de tambouriner non pas les notes mais les espaces qui les séparent. Leave the ground : même style que le précédent. Tout est dans la nuance. Un peu comme ces films dans lesquels il ne se passe rien parce que vous vous focalisez sur les images qui ressemblent à vos mortuaires tendances à l’inertie. Prenez le temps d’écouter, c’est du frisottis, de la barre fixe au-dessus de l’abîme du silence. Du grand art. Du blues qui rampe. Un crocodile qui glisse silencieusement vers vous, seule sa tête affleure, mais c’est un vicieux car il a fermé les yeux. Pour mieux vous dévorer. Les contes bleus de l’alligator perché sont dangereux.

             Si vous aimez le blues ce disque est pour vous. Si vous reprochez au blues actuel de parfois s’éloigner de ses racines ce disque est pour vous. Si vous aimez la modernité inventive, ce disque est pour vous. Si vous préférez le rock, et que vous vous lamentez sur son avenir, ce disque est pour vous. Le Juke Joints Band vient de frapper un grand coup. Retournez la pochette - sur le recto le JJB est fidèle à son image, ne se mettent pas sur la photo – maintenant vous savez comment le blues arrive, sans bruit, sur des boots en peau de serpent…

    Damie Chad.

     

     AUTRE REGARD SUR BOB DYLAN

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    Certaines pochettes de Bob Dylan reproduisent une œuvre peinte de Bob Dylan. Notamment dans la série l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même des self-portraits issus de son pinceau. J’avoue que je n’ai pas ressenti de chocs esthétiques particulièrement violents en les examinant. Ne voulant pas rester sur une impression mitigée, j’ai eu envie d’en voir et d’en savoir plus. Voici quelques éléments récoltés de-ci de-là qui n’entendent en rien épuiser le sujet.

    PREMIERE PÊCHE

    Dès que vous tapez peintures de Bob Dylan sur le net deux sortes d’occurrences vous sautent aux yeux. La première est plutôt flatteuse. Dylan expose depuis des années un peu partout. De Miami à Shangaï. De Londres  à Milan. Jusqu’à deux cents tableaux à la fois. Nous en sommes heureux pour lui. La deuxième est moins sympathique. L’est accusé de plagiat. Diantre que lui reproche-t-on au juste. Recopierait-il la Joconde en faisant croire qu’il s’agit du tableau original dont Vinci se serait inspiré pour son soi-disant chef-d’œuvre. Non c’est pire que cela. Rassurez-vous j’exempte Dylan des accusations qui sont portées à son encontre. Par contre ses détracteurs me semblent n’avoir rien compris à Bob Dylan.

    Ainsi d’aucuns accusent Bobby de se contenter de reproduire sur ses toiles, en format géant, des cartes postales en vente dans le commerce. D’autres lui reprochent d’avoir commis des tableaux qui ne sont que des reproductions de photographies ‘’ artistiques ‘’ qu’ils auraient prises. Résumons, Dylan serait un vulgaire copieur, un pilleur malotru. Dylan ne répond pas, ne se disculpe pas, ne discutaille pas. Le venin de la vipère ne saurait salir la blancheur immaculée de la fourrure du blanc léopard.  Peut-être pense-t-il moins poétiquement, dans sa tête il doit se dire, cause toujours je vais finir par en parler à mes avocats. La vieille et éprouvée technique du pot de fer contre le pot de terre.

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    Même en écoutant les raisons de ses plaignants, je leur donne tort. Dylan agit en peinture comme il agit en musique. Ne s’en est jamais caché. L’a proclamé haut et fort et en public. Ses chansons ne sont pas sorties ex-nihilo de sa tête. Sont très souvent inspirées tant pour  paroles et  musiques que pour les sujets traités, parfois jusqu’aux arrangements, de vieux morceaux de blues, d’antiques country, de séculaires gospels, de folk-songs oubliés depuis des lustres qu’il a retrouvés en fouillant les bibliothèques. Leur apporte sa touche personnelle, se définit comme un passeur, un continuateur. L’a puisé dans le pot commun de la musique populaire américaine. Fait feu de tout bois, un exemple parmi tant d’autres, l’a incorporé le titre Baby blue de Gene Vincent dans le titre de It’s all over now baby blues, un morceau qui chante la fin de l’amour alors que Gene clamait juste le contraire, Well I’ve got a brand new lover… en plus les paroles de Dylan sont bien plus fortes que la bluette de Gene Vincent ce qui ne l’empêche pas d’être un chef-d’œuvre à part entière…

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    L’art, musical et pictural, est un éternel recommencement. On n’apprend pas à dessiner un arbre en se plantant en pleine forêt devant un chêne ou un orme mais en regardant dans un musée comment les devanciers l’ont fait. Ensuite chacun apporte, ou n’apporte pas, sa touche personnelle. Les artistes s’inspirent les uns des autres, de leurs prédécesseurs, de leurs contemporains… Avec plus ou moins de talent. Avec plus ou moins de génie.

    CLASSIFICATION PRIMAIRE

    Avant tout une première constatation. Si l’on peut affirmer que Dylan a dynamité la chanson américaine il n’a pas révolutionné l’art pictural. L’évidence vous saute aux yeux, se classe dans la grande famille des figuratifs. Dans certains milieux d’avant-garde cette expression est équivalente à celle très méprisante de peintres du dimanche. N’est pas un formaliste, ne tend pas vers l’abstraction, n’a pas cherché à élaborer un langage qui lui soit propre, Dylan reproduit comme tant d’autres plus ou moins platement la réalité ce qui ne l’empêche pas d’atteindre à une certaine expressivité. Ce dernier mot est un sauf-conduit à toute épreuve, quand une œuvre dégage une certaine force sans être transcendante, ou lorsque l’on ne sait pas quoi dire et que l’on ne veut pas vexer l’artiste on s’en tire en décrétant d’un air entendu : ‘’ très expressif’’ ça ne mange pas de pain et ne vous engage à rien. Attention, François Coppée et Apollinaire sont deux poëtes réalistes. Mais entre les dizains du premier et les Calligrammes du second il y a une sacrée différence d’appréhension du réel. Il est donc nécessaire d’affiner notre analyse.

    CLASSIFICATION STYLISTIQUE

    Ne faut pas être spécialiste de la peinture américaine pour déceler la principale influence de Dylan peintre. Celle d’Edward Hopper. Cela n’est pas étonnant. Il convient de regarder l’extrémité effilé d’une simple épingle pour s’apercevoir qu’elle se termine, toute proportion gardée, comme le bout de la corne d’un rhinocéros. Le lien entre une épingle et un rhinocéros est certes ténu, cependant personne ne peut s’opposer à cette solidarité entre ces deux objets. Procédons de même avec Hopper et Dylan. L’on connaît l’admiration de Dylan pour Arthur Rimbaud, Hopper n’a jamais caché sa passion pour Paul Verlaine. Pour ceux que cette affiliation poétique entre nos deux ostrogoths picturaux semblerait trop lointaine rappelons que Hopper est classé comme un des maitres de la peinture réaliste américaine. Autre collatéralité, tous deux sont américains. Sont plusieurs centaines de millions à partager cette particularité certes, mais tous deux sont peintres et ont avant tout peint les paysages américains et des américains.

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             Nous donnons ici l’œuvre la plus célèbre d’Edward Hopper immédiatement suivi d’un tableau de Dylan. Il est inutile d’épiloguer sur l’influence du premier et l’inspiration du dernier.

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    Des scènes d’une banalité écoeurante, si fidèle à la réalité que l’on n’est pas sans ressentir une curiosité insatisfaite ou un malaise inidentifiable, bref la peinture ne nous satisfait plus totalement, l’on cherche derrière ce qui n’est déjà plus un tableau mais que nous interprétons comme l’image énigmatique d’une réalité cachée.

    CONFLUENCES

    Le cheminement de l’art ne s’arrête jamais. Tout comme le blues a eu un bâtard que l’on a appelé le rock ‘n’roll, le réalisme a lui aussi engendré son gamin illégitime : l’hyperréalisme. L’hyperréalisme consiste à reproduire la réalité avec tant de précision que la scène représentée ressemble à une carte postale. Le lecteur fera de lui-même la corrélation avec le premier reproche adressé à Dylan, celui de reproduire des cartes postales. L’on ne doit pas toutefois classer la peinture de Dylan comme hyperréaliste, elle n’en a pas le léché de la finition. Toutefois Dylan croise la route de l’hyperréalisme. Parce que l’hyperréalisme américain représente la réalité américaine, hors Dylan s’attache à représenter la réalité américaine. L’hyperréalisme provient du croisement incertain de l’expressionisme abstrait, peinture non figurative mais qui insiste sue la volonté du peintre à donner à son œuvre une certaine expressivité qui traduise son sentiment ( joie, tristesse, peur, etc…) d’appréhension du réel, avec le pop art qui ne cherche pas à représenter le réel d’une façon originale, mais au contraire de choisir le plus fidèlement possible les objets de consommation de masse connus de tout le monde, exemple une bouteille de coca-cola.

    C’est le moment d’introduire deux noms d’artistes connu des amateurs de rock : Andy Warhol, pape du pop art américain, dont la Factory est intimement lié à l’émergence du Velvet Underground et Guy Peellaert dont tous les rockers ont feuilleté son Rock Dreams (1973 ), qui dresse les portraits des principales stars du rock sous forme d’icônes hyperréalistes dont la beauté glaçante exerce une fascination mythificatrice… Pour ceux qui ne connaissent pas, se remémorer la pochette de It’s only rock’n’roll des Rolling Stones…   

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    Dylan ne peut être classé parmi les hyperréalistes mais il s’en rapproche, sa peinture privilégie l’expressivité au détriment du fignolage de la finition, n’oublions pas que beaucoup de ses morceaux ont été enregistrés en très peu de prises, mais par ses thématiques picturales principales explorant la réalité américaine, il touche au mythe. Un peu comme le western avec ses sheriffs, ses hors-la-loi, ses indiens, ses règlements de comptes, ses paysages, ses cowboys réussit à donner une image mythique des valeurs idéologiques américaines.

    PEINTURE D’ EPOQUE ET D’ ESPACE

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    La première dimension de l’Amérique reste son immensité. On peut l’appréhender par le célèbre titre du roman de Kerouac. Sur la route. De très nombreuses toiles de Dylan représentent des highways – non revisitées – qui s’étendent à l’infini. Je ne peux voir celle-ci sans penser à Johnny Cash qui dans son autobiographie déclare qu’il a lors de ses tournées tellement sillonné du nord au sud et de l’est à l’ouest les Etats-Unis qu’il ne pouvait jeter un coup d’œil sur le paysage sans savoir exactement à quel endroit de l’Amérique il se trouvait…

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    Même thème traité non plus d’après la mythologie de la route, mais d’après celle du rail, l’on ne compte plus chez Dylan ces voies ferrées sans wagon ni locomotive qui s’enfoncent dans le vide.

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    Un des tableaux de Dylan le plus souvent reproduit. L’on se croirait devant une image de film ou une case de bande dessinée. Le problème avec ces trois tableaux, ce n’est pas qu’ils soient intrinsèquement mauvais mais qu’on les juge d’après ce qu’ils représentent et non d’après le travail du peintre. L’on peut les trouver beaux ou quelconques. Au fond on les regarde parce qu’ils sont signée Bob Dylan.

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     Nous adresserons le même reproche à la suivante. Nous quittons les grands espaces pour un paysage urbain. Typiquement américain.

    Dylan ne peint pas que les Etats-Unis. Ses tournées incessantes sont pour lui l’occasion de visiter nombre de pays. S’inspire alors de ses rencontres et de scènes qui l’ont marqué. Victor Hugo qualifiait l’équivalent littéraire de ses instants marquants de Choses vues. Nous avons choisi deux œuvres issues pour la première de la série Asie, et la deuxième de la Série Brésil.

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    Je ne sais pourquoi – en fait je le sais très bien – cette jeune femme m’évoque irrésistiblement Janis Joplin. Une œuvre assez troublante, entre mort et plaisir.

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    Une scène quotidienne qui aurait pu se passer aux quatre coins du monde. Notons que grâce à ces personnes, des gens pour employer un terme encore plus général, les toiles de Dylan acquièrent une épaisseur que je n’ose pas qualifier d’humaine. L’on entre dans une histoire, elles forment comme le couplet d’une de ses chansons. L’on a l’impression que ce n’est plus le peintre qui tient le pinceau et qu’il a cédé la place à l’aède du rock ‘n’ roll.

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    Pour ces deux suivantes l’on a envie d’écrire sur un panonceau, à la manière d’un catalogue publicitaire : existe aussi en jaune. Ce qui est la stricte vérité ! Pas vraiment des tableaux, ce que l’on appelle des études, des variations si l’on veut être plus gentil. C’est sur ces images que l’on peut voir le travail, les tâtonnements du peintre.

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    Même réflexion pour les deux dernières. Et comme pour les deux précédentes, une sensation qui saute aux yeux, nous sommes loin de l’Amérique, nous nous trouvons en pays connu, dans la peinture française, du moins européenne, au tournant du dix-neuvième et du vingtième, quelque part entre Van Gogh pour la crudité des tons et Toulouse-Lautrec pour l'impact des silhouettes.

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             Cette chronique n’est qu’une première approche. Elle demande à être approfondie. Une évidence s’impose. Dylan n’est pas aussi à l’aise en peinture qu’au chant et qu’en composition. A beaucoup travaillé, a beaucoup cherché, n’a pas encore trouvé le graal.

    Damie Chad.

     

    *

    J’avoue que j’ai flashé sur eux sans en avoir entendu la moindre note. Vous ferez de même lorsque vous aurez vu la couve de leur deuxième EP sorti le 23 (chiffre de l’Eris) Mars (mois de l’Ares dieu de la guerre). Elle me rappelle les dernières planches (les dessins des premiers épisodes étaient d’une mièvre naïveté) de la bande dessinée Yves le Loup qui paraissait dans Vaillant, l’ancêtre de Pif Gadget. Autre atout, un groupe qui se revendique de Saturne a droit à toute ma sympathie. Présidait aux temps heureux de l’Âge d’Or, et aux Saturnales romaines ces périodes de fêtes d’outrances anarchisantes très rock ‘n’ roll.

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    La pochette est de Asep Yasin Abdhulah, l’est doué, un tour sur son instagram s’impose, l’a réalisé pas mal de couves pour des disques.  

    Viennent de Bellingham, ville située à 17 kilomètres du Canada, pas très loin de Seatle, état de Washington.

    Cody Barton : bass / Ray Blum : guitar / Josh Rudolf : drums / Violet Vasquez : chant.

    Rappelons que l’expression Mont de Saturne est utilisée en chiromancie pour désigner l’intervention du destin dans une vie humaine. Si démocratiquement parlant tout vécu peut être assimilé à une destinée, seuls quelques rares individus, les héros, ceux qui approchent de trop près la nature des Dieux, peuvent être soumis à la terrible force du destin tels que l’appréhendaient les grecs.

    0, GREAT MOON

    MOUNT SATURN

    ( YT / Bandcamp)

    Astraya : ode à l’astre sélénéen, les chiens sauvages d’Hécate hurlent au carrefour, musique lourde, épaisse, zébrée d’éclairs noirs de guitares, ensemencée de chapelets stériles de glaviots de basse,  quelque chose de maudit et de mauvais s’avance, éclaircie halotique de quelques secondes, la voix profonde de Violet Vazquez s’élève en sombre incantation, cadences battériales, le vocal de Violet englobe l’hémisphère supérieur de la voûte céleste, des frottis de basse s’accélèrent, Josh toujours imperturbable et la guitare de Ray trace des chemltrails dans l’empyrée. Violet vous aspire, le rythme a beau s’accélérer, vous n’entendez qu’elle. Lorsque le morceau s’arrête vous croyiez qu’il durerait l’éternité. Sword first : magnifique entrée de Josh Rudolf, écrase le monde sur ses peaux pompeuses, surnage comme si de rien n’était dans le déluge des guitares, transperce la purée de poix de la basse assourdissante, ne baisse pas d’un pouce lorsque Violet élève la voix, cette manière à elle de surmonter le mur du son telle une nuée d’orage porteuse des hydres de la destruction, elle ne crie pas, ce sont les doigts de Tosh sur ses cordes triturée qui se chargent de cette tâche, la basse interlude  laisse planer quelques écailles arrachées à des monstres marins, et le chant reprend en plus puissant, encore plus submergeant malgré les musiciens qui font tout ce qu’ils peuvent pour passer par-dessus mais qui n’y parviennent pas. Monstrueux. Une épée dressée à la face du monde par un dieu maléfique.

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    Sandcrosser : une guitare presque claire, mais trop vibrante pour être honnête, la basse vous pousse des mugissements de sirènes de bateaux, et Josh martèle la forge de Vulcain, Violet vient de loin, pour une fois le son est plus fort que sa voix, ce n’était qu’une ruse, les boys ont forcé la donne, Violet prend de l’amplitude et les écrase, la musique franchit des dunes de sable hautes comme des empires, lorsqu’ils parviennent au sommet, il semblerait qu’ils soufflent, mais non, ils dégringolent encore plus vite et attaquent le versant suivant avec encore plus de hargne, répit, ne pas reprendre souffle, seulement prendre la mesure de l’immensité de la tâche et repartir encore plus fort, laisser dans le sable des traces qui seront encore visibles dans des milliers d’années. Sans hâte et sans colère, ils s’éloignent vers l’infini mais on les entend autant. The knowing : que serait la force sans le savoir. Départ vrombissant, puis rai de lumière dans la nuit de l’ignorance, Violet chante à mi-voix, un scalde qui énonce les runes que personne ne doit connaître, l’orchestration   danse telle une flamme purifiante, de temps en temps elle est en proie à d’étonnants soubresauts, une montagne que des plissements hercyniens exhausse jusqu’au firmament. Le message est dévoilé haut et fort, la plupart des hommes se boucheront les oreilles pour ne pas savoir. Fin tumultueuse. Oasis. Haunt ( me ) : tuiles de guitare volant au vent que la batterie se hâte de clouer aux solives de la réalité, une voix résonne, venue du côté de l’ombre, en soubassement, même quand elle reste dans les zones de faible puissance elle surplombe l’étendue intergalactique, rythme de guitare échevelée, qu’importe Violet pousse le brame de l’om originel du désir de la création à éclore hors des miasmes du néant pour parvenir à l’être. 

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    Croocked bones : fracas rudolphiques, échevèlements fous de basse psykoïdes, Violet surgit du fond de la mer ou du ciel, une folie sonore empuantit le monde, plus de retenue, transes sauvages de guitares, martèlements sabotiques, Violet mène le train, le morceau explose en mille éclats plus coupants les uns que les autres, la vague vous emporte, elle ne vous rejettera sur aucun rivage. Extase.

    Monstrueux. Si l’on peut reprocher au doom d’être parfois un peu crépusculaire, avec Mount Saturn, ne craignez rien. La puissance du son et du chant s’allie avec la volupté de l’écoute.

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    Pour ceux qui en veulent plus. Un clip de Sword First est disponible sur You tube. Beau début avec ce corbeau digne d’Edgar Poe posé sur un poteau de grillage, et cette vue de l’immensité stellaire dans lequel resplendit la maléfique planète Saturne, mais après l’impact de ces premières images se dilue. Pa vraiment un clip, un montage vidéo de différentes séquences empruntées vraisemblablement à des documentaires. Images d’animaux, monstruosités d’arachnides vues en gros plans, chouettes, aigles, cheval, musaraigne, vues de microscope, entrecoupées de séquences de vagues s’écrasant sur des récifs et de cratères en feu. C’est d’ailleurs la lave bouillonnante de cette éruption qui prédomine à la fin du clip. Le message n’est pas des plus clairs. Que veut-il signifier, que la beauté de la Nature est menacée par la brutalité de la Nature elle-même, que toute la beauté animalière et les réalisations humaines sont des fétus de paille prêts à être balayées par ce qui les a engendrées. Toutefois, cette vidéo permet de mieux entendre l’aspect mélodique, quasi symphonique et la dimension lyrique de cette musique qui de prime abord séduit de par son riffage heavy rock ‘n’ rollesque davantage que  par son emprise cyclopéenne.

    KISS THE RING

    ( Janvier 2019 / YT / Bandcamp ) 

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    L’artwork de Lamie Lawson est sans surprise. Massif montagnard d’où se détache sous un ciel crépusculaire un sommet enneigé, plus loin plus haut, plus loin, Saturne et son anneau… Quelle relation faut-il établir entre l’astre et cette montagne, à chacun de rêver…

    Dwell : cymbales et petits bruits inhabituels inquiétants, gisements indistincts de basse, clairons de guitares, le roulement drummique arrive mais dominé par le scintillement crash and ride, l’ensemble de plus en plus fort, jusqu’à ce que la voix de Victoria résonne comme un appel, la guitare verse de l’huile sur le feu sans s’arrêter en grandes lampées de flammes brillantes comme la nuit, étrange composition un peu répétitive même si l’on ne sait jamais ce qui va suivre. Le groupe semble faire la revue de ses troupes avant de se lancer à l’assaut. Sur la deuxième partie du morceau s’imposent la profondeur du vocal, les cris de la guitare et le souffle puissant de la rythmique, chaque pointe du triangle entrant en lice l’une après l’autre. Etrangement cela rappelle les écrits heideggeriens sur la notion de demeurance de l’homme sur la terre face à des puissances, ici astrales. Idol hands : attaque brutale, le groupe déployé selon tous ses azimuts instrumentaux, très vite surgit la voix de Victoria, impérieuse, elle hache les mots comme autant d’ordres, fluantes décharges battériales, emballements de guitares, Victoria maintenant s’attarde sur les mots, les prolonge, leur donne un poids inaccoutumé, clic-clic électronique aussi ténu qu’un grincement de grillon déclenchant une hausse sonore de l’ensemble si bien intégrée dans le continuum sonique que l’on se demande comment ils ont procédé,  l’on change de niveau, tout est plus ample, plus violent, et culmine sur un tsunami vocal impressionnant.

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    Salt : toujours cette guitare irradiante, crinière d’étalon fou, qui domine le fracas rythmique, il y a de la subtilité à équaliser l’amplitude de ces deux entités sonores, intimement liées, et en même temps totalement indépendantes l’une de l’autre, avec par-dessus la voix phosphorescente de Violet qui domine sans écraser, qui influe davantage de vigueur au magma sonore qui roule et dévale telle une coulée de feu échappée d’un cratère strombolique. Flamboiement d’un solo de guitare long comme un cri d’agonie, et la voix de Violet qui plane très haut tel un monstre antédiluvien dont la masse inquiétante voile le soleil et menace la terre. Epoustouflant. Kiss the ring : longue intro caractéristique de Mount Saturne, en quatre morceaux le groupe a déjà acquis un style reconnaissable entre tous, la voix de Victoria un semblant plus claire, mais toujours cet envol lourd – révoltant de facilité – qui plane à des altitudes inimaginables, l’est sûr que cette voix est capable de baiser l’anneau de glace et d’effroi de Saturne. L’on n’écoute plus, l’on se laisse bercer par l’Innommable. Effrayant de densité.

    Damie Chad.