Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

CHRONIQUES DE POURPRE - Page 30

  • CHRONIQUES DE POURPRE 579 : KR'TNT 579 : NEW ROSE / HEATHER NOVA / ARETHA FRANKLIN / CHARLIE MUSSELWHITE / RANDY HOLDEN / JARS / THUMOS / ALIS LESLEY / SIMONE POUSSIERE / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    new rose, heather nova, aretha franklin, charlie musselwhite, randy holden, alis lesley, simone poussière,rockambolesques

    LIVRAISON 579

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    15 / 12 / 2022

    NEW ROSE / HEATHER NOVA

    ARETHA FRANKLIN / CHARLIE MUSSELWHITE

    RANDY HOLDEN / JARS / THUMOS   

    ALIS LESLEY / SIMONE POUSSIERE

     ROCKAMBOLESQUES

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 579

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    I got a brand New Rose in town

    new rose, heather nova, aretha franklin, charlie musselwhite, randy holden, alis lesley, simone poussière,rockambolesques

             Le New Rose book coûte 55 euros. Pas donné, comme on dit. Il est tout rose, pas très grand, ni trop petit. Juste entre les deux. Il pèse son poids. Imprimé sur un somptueux couché demi-mat par un stylish British printer, il entre en fanfare dans la catégorie des livres d’art, comme jadis les consuls entraient dans les villes conquises. Sur le char, à côté de lui, un esclave lui murmure à l’oreille : «New Rose book, souviens-toi que tu n’es qu’un book.» Ça l’aide à relativiser. La gloire, c’est dangereux quand on joue avec le feu.

             Comme toutes les créatures de son espèce, le New Rose book suscite des commentaires. Il y a même beaucoup d’agitation à Clochemerle. Ça jase, mais ça ne jazze pas. Logique, puisque le New Rose book ne traite pas de jazz, mais de rock culture à Paris. Tout se passe rue Sarrazin, à deux pas du Boul Mich’. Le temps d’un livre, la rue Sarrazin redevient le nombril du monde. Mais pas pour tout le monde. Pour une poignée de lycéens normands, le centre du monde s’appelait plutôt Rock On à Londres.

             Ces deux centres du monde finiront par muter chacun de leur côté et par devenir des entités tentaculaires, c’est-à-dire des labels légendaires, et c’est tout ce qui nous intéresse : la portée des labels. Leur pertinence. La qualité de leur catalogue. Leur rôle prépondérant dans l’écho du temps. Sur l’échiquier des dynasties, le cousin du New Rose book s’appelle l’Ace book. On y reviendra prochainement. Plus ancien, l’Ace book déroule lui aussi sa petite genèse, en montrant des photos de tous les géniteurs et en barbouillant les pages de ribambelles de pochettes qui n’en finissent plus de nous faire baver comme des limaces. Tout le monde le sait, Ace a réussi là où New Rose a échoué, dommage. Oui, dommage, car assis sur le tas d’or de sa légende, New Rose rendrait aujourd’hui aux amateurs le même type de services que leur rendent les gens d’Ace : culture intensive des fonds d’archives - the vaults - et quand on voit le boulot titanesque qu’abattent les gens d’Ace, on comprend que la rock culture a encore de beaux jours devant elle. Le principe reste exactement le même qu’il y a cinquante ans : plus tu creuses et plus tu découvres, plus tu découvres et plus tu creuses, c’est le merveilleux cercle infernal dans lequel se jettent depuis l’aube des temps les plus curieux d’entre-nous. 

             On n’entre pas dans le New Rose book pour la boutique, mais pour l’écurie. Brièvement évoquée, la boutique a depuis longtemps disparu. Aujourd’hui, Gibert occupe les lieux et c’est là qu’on est tous allés pendant des années revendre nos vieux CDs pour aller en acheter de nouveaux. Avec le temps va tout s’en va, un nouveau magasin recouvre un magasin plus ancien : les géologues appellent ça des strates. Paris grouille de strates. Tu connais bien les strates du rock parisien : rue des Lombards, Carrefour de l’Odéon, rue du Faubourg du Temple, le boulevard Voltaire, et celles encore visibles aujourd’hui, boulevard Rochechouart. C’est la grande différence entre l’Ace book qui s’ancre dans le passé pour dévoiler l’avenir, et le New Rose book qui s’enferme dans le passé comme dans un cercueil. On entend le couvercle grincer quand on tourne les pages. Le New Rose book cultive la nostalgie, ce qui entre en contradiction de plein fouet avec le postulat de base : le rock est une culture vivante, donc on ne peut pas l’enterrer. Encore moins l’envoyer moisir au musée.

    new rose, heather nova, aretha franklin, charlie musselwhite, randy holden, alis lesley, simone poussière,rockambolesques

             On regardait les posters qui décoraient les murs du grand hall d’accueil du 106, le soir du vernissage de l’expo. Sauf Tav Falco, les Real Kids, Brian James et quelques autres, ils ont quasiment tous cassé leur pipe en bois. Ça tendrait à renforcer l’idée que toute cette histoire appartient désormais au passé. New Rose n’a pas eu le temps de lancer une nouvelle génération de groupes, comme a réussi à le faire Ace. La moyenne d’âge du public venu assister au vernissage ne fait que consolider cette mauvaise impression. Quasiment zéro kid, écrasante majorité de vétérans. Et comme cerise sur le gâtö, on a un concert de groupes français jadis signés sur New Rose et reformés pour l’occasion : Valentino, Calamités, Soucoupes Violentes, etc. L’impression que tout s’embourbe dans le passé n’en finit plus de s’embourber. Mais où est donc Ornicar ? Où est passée la vie ?

    new rose,heather nova,aretha franklin,charlie musselwhite,randy holden,alis lesley,simone poussière,rockambolesques

             La vie ? Tu vas la trouver sous la toge du New Rose book : les 80 pages de photos d’Alain Duplantier. Tu arrives dans le chapitre photos et tout à coup, le New Rose book bande comme un âne, les images toutes plus somptueuses les unes que les autres te sautent à la gueule, et c’est d’autant plus fulgurant que Jeffrey Lee Pierce ouvre le bal, sur une double plein pot en noir et blanc, son visage sort de l’ombre, un seul œil et la cicatrice sous l’œil, tu as aussitôt le voodoo du Gun Club, toute la légende du groupe tient dans cet œil, on pourrait même parler de regard shamanique. Tu tournes la page et pouf, tu as deux autres shoots de Jeffrey Lee Pierce, cheveux bruns, presque Apache, visage de guerrier, expression de calme contemplatif. Comme si Duplantier avait compris QUI était en réalité Jeffrey Lee Pierce. Comme s’il avait cherché à photographier l’homme ainsi que son esprit. Comme s’il voulait que Jeffrey Lee transmette un message à travers ces images, comme s’il voulait que Pierce perce le mur du silence. Les mauvaises langues diront que c’est facile avec un mec comme Pierce, mais non, au contraire, rien n’est plus difficile que de réussir un tel portait. Ceux qui parviennent à communiquer avec leur public sont les grands peintres, à travers leurs autoportraits. Allez voir le Van Gogh qui est accroché au Musée d’Orsay (Portrait de l’Artiste) et vous comprendrez ce que le mot communiquer veut dire. Van Gogh communique. On soutient son regard. Ça vit. Jeffrey Lee Pierce communique de la même façon. Ça vit.

    new rose,heather nova,aretha franklin,charlie musselwhite,randy holden,alis lesley,simone poussière,rockambolesques

    Plus loin, Duplantier shoote Chris Bailey. Reconnection avec une légende. Disparu ? Pas du tout, il est là et te regarde, l’air un peu aristo, sous son chapeau. Hey Chris. Midnight at the Leper’s home ? On entend presque sa voix, dans «Simple Love», le premier mini-album enregistré pour New Rose - Take a look at what I’ve done - ses cheveux s’écoulent en masse sur ses épaules et au bas du portrait, tu peux apercevoir sa grosse main poilue qui tient une clope, regarde bien cette image, car c’est le portrait d’une vraie superstar, tu tournes la page et tu as encore deux shoots du Saint, dont un qui a servi pour le dos de pochette de Demons : il semble installé dans le salon de son château, au XVIIIe siècle, penché sur une partition et entouré de chandeliers. Sur Demons, il porte en plus un manteau. Puis voilà qu’arrive un autre cake cher au cœur des cakers : Alex Chilton. C’est tout juste s’il ne porte pas une auréole. Duplantier fait des miracles à chaque fois. On a l’impression qu’il a écouté tous les disques des gens qu’il shoote, car chaque fois, il shoote en plein dans le mille. Tu veux un portrait sec et net d’Alex ? Il est là, en chemisette rouge, pareil, un seul œil, l’autre dans l’ombre, Duplantier capte le regard et le transmet. Ça vit. Coco bel-œil. C’est le portrait le plus juste d’Alex Chilton, l’homme qui refusa d’être célèbre et qui préférait faire la plonge dans un restau de la Nouvelle Orleans plutôt que d’aller vendre son cul à des impresarios véreux. Non seulement Alex Chilton fut l’un des hommes les plus intègres de la Memphis scene, mais il était en plus extrêmement brillant, chanteur, compositeur et guitariste surdoué. C’est ce que montre ce portrait : no sell out. Bon après tu as quelques photos de scène, tu tournes encore la page et tu as un autre portrait qu’on pourrait titrer «Alex à la clope», il plonge son regard dans l’objectif et donc, tu l’as en direct. Tu entendrais presque sa voix - Sittin’ in the back of a car - Tu vas tomber ensuite sur Moe Tucker, portait classique, Moe is Moe, I want my baby black. Mais assise à sa batterie, elle fait très Velvet. Petit ange de miséricorde new-yorkais. Duplantier a dû bien se marrer en shootant Tav Falco.

    new rose,heather nova,aretha franklin,charlie musselwhite,randy holden,alis lesley,simone poussière,rockambolesques

    Attention, c’est cadré serré, on voit tous les poils de sa moustache Adolf/Charlot. Pareil, un œil. Un seul suffit. Il te voit et tu le vois. Bouche sensuelle, Gustavo bella vista, et quand tu tournes la page, tu le vois prendre des poses de diva, coiffé rockab, en blouson peau de vache, agitant les mains pour faire le fantôme. N’oublie pas que Tav s’ancre à la fois dans le Tango, le wild Memphis beat et l’Urania Descending. Plus loin, nouveau shoot à la coco-bel œil : Brian James. Tu as l’œil vert, puisque le shoot est en couleur, beau visage de rock star, ovale parfait cadré serré, du menton jusqu’au haut des sourcils, avec tout de même un peu de frange, cerne de damné sous l’œil, bouche d’homme intelligent, grâce naturelle, la même grâce que celle de son homonyme Brian Jones, quand on revoit Brian James, on aime bien caresser l’idée qu’il est resté l’un de nos préférés, oui car sans sans lui, pas de New Rose, sans lui, pas de punk à Londres, sans lui, pas de souvenirs mirobolants des concerts de 1976, sans lui, pas de Rat ni de Captain ni de Dracula, sans lui, pas de rien. Brian James, King of the night in Mont-de-Marsan 77, Brian James, prince des élégances, avec Chris Bailey, ce sont eux qui ont donné du caractère à ce qu’on appelait alors la vague punk à Londres. Tu tournes la page et tu le revois avec une clope à la main et toute cette morgue extravagante de classe. Rien qu’avec lui et les gens déjà cités, New Rose avait rempli sa mission de label. Tu vas aussi tomber sur deux portraits pour le moins fantastiques d’Arthur Lee, l’un en regard direct, l’autre perdu dans ses pensées. Le vieux roi Arthur était devenu un bras cassé à l’époque où sortait Arthur Lee And Love sur New Rose, pas forcément son meilleur album, mais Patrick Mathé eut l’intelligence de l’accueillir dans son écurie. Comme il eut l’intelligence de recueillir tous ces fantastiques artistes de la Memphis scene dont personne ne voulait à l’époque, Alex Chilton, Tav Falco, les Hellcats et Jim Dickinson avec Mud Boy & The Neutrons. Côté anglais, tu vas tomber sur des shoots plus classiques de Chris Spedding. Puis Duplantier va retenter le diable avec Bruce Joyner, sujet de choix, extrêmement tentateur, pour ne pas dire sulfureux, dommage, c’est une approche timide, les portraits n’illustrent pas vraiment la weirdness de l’Unkown qui, aux dernières nouvelles, serait encore en vie. Nouveau shoot à la coco bel œil pour Calvin Russell, sauveur de label, dont l’œil est presque transparent. Et bien sûr, la galerie s’achève sur un plan serré du visage de Patrick Mathé et de sa grosse moustache à la Brassens.

    new rose,heather nova,aretha franklin,charlie musselwhite,randy holden,alis lesley,simone poussière,rockambolesques

             Ailleurs dans le book, tu as d’autres photos intéressantes, notamment un copieux chapitre consacré aux Cramps. Un spécialiste te dira si les photos sont originales ou pas, mais au fond, on s’en fout, on se régale de revoir Lux et sa meute, et tu as en prime toutes ces photos de scène à l’Eldorado. Sur New Rose, les Cramps ont deux albums, Smell Of Female et A Date With Elvis. Bien joué les gars ! Il y a encore six pages Cramps plus loin (European Tour 1986), les fans des Cramps vont sûrement faire une petite overdose ! Les Cramps et le Gun Club, c’est tout de même pas mal, pour un petit label indépendant. On croise d’autres personnages légendaires : Charlie Feathers (pareil, deux albums sur New Rose), Barrence Whitfield (toujours d’actualité, dommage qu’il ne soit pas venu chanter au 106), les Real Kids, Willie Loco Alexander (photographié avec Patrick Mathé) et puis Roky Erickson, photographié avec Doug Sahm qui porte un masque de catcheur mexicain. What a shoot ! Tu trouveras aussi d’autres photos de Jeffrey Lee Pierce, beaucoup plus trash, c’est son époque cheveux blonds, veste d’uniforme et santiags. Et soudain, le New Rose book te re-balance un Jeffrey Lee plein pot en noir et blanc sur une double, les cheveux blonds dans les yeux et derrière lui, des barbelés. Image saisissante ! Diable, comme cet homme pouvait être beau ! Jim Dickinson est là, dans un quart de page, itou pour les Primevals. Plus loin, tu vas retrouver Johnny Thunders : six pages de Thunders, dont la fameuse image à la statue Vulpian, rue Antoine Dubois. Le New Rose book n’a oublié personne. On lui serre la pince.     

    Signé : Cazengler, New Rosé (cubi)

    Soirée New Rose  Le 106 (Rouen). 25 novembre 2022

    Replay New Rose For Me. Moonboy Ltd 2022

     

     

    Super Nova

     

    new rose, heather nova, aretha franklin, charlie musselwhite, randy holden, alis lesley, simone poussière,rockambolesques

             Heather Nova est restée une très belle femme. Tiens, quel âge peut-elle avoir ? Tu poses la question à Internet : elle aura soixante balais dans cinq ans. Elle a déjà les mains de son âge, avec des grosses veines, mais pour le reste, pas de problème. En fait, c’est sa voix qui fascine les amateurs de chant divin. Car elle chante divinement. Les seules auxquelles on pourrait la comparer sont Joni Mitchell et Joan Baez, cette facilité qu’ont ces femmes pour monter leurs voix et atteindre l’état de grâce. Une grâce blanche, très différente de la grâce black. Internet te dira aussi qu’elle est originaire du triangle des Bermudes, donc de nationalité anglaise, mais elle parle comme une américaine, avec une petite emphase sur certaines syllabes.   

    new rose, heather nova, aretha franklin, charlie musselwhite, randy holden, alis lesley, simone poussière,rockambolesques

             Heather Nova ne date pas d’hier. C’est en 2003 qu’on fit sa découverte avec l’album Storm, et plus précisément «You Left Me A Song», le balladif qui te transperce d’une extra-balle de mélodie pure. Elle a une façon de grimper au sommet du fil mélodique qui est unique au monde, ses ouh-ouuuuh pourraient te rendre fou, tu as même l’impression qu’elle s’adresse à toi et qu’elle te prend dans ses bras. L’autre merveille de cet album est le «Let’s Not Talk About Love» d’ouverture de bal. Elle y duette avec Bioley, un Bioley qui entre dans la mélodie comme Gainsbarre, et elle arrive pour vriller son chat perché. C’est la Beautiful Song par excellence. Tu as là ce qu’on appelle communément de l’inespérette de saperlipopette. Elle monte comme Birkin entre les reins de Gainsbarre, c’est le même cocktail de pureté coïtale. Le troisième cut magique se trouve à la fin de l’album et s’appelle «Fool For You». Elle fond littéralement dans son Fool, elle a tellement de talent, mais elle ne l’utilise que de temps en temps. Son génie consiste à se fondre dans la mélodie. Elle travaille l’art suprême de la fonte. La fonte, c’est comme la ponte, l’autre mamelle de l’humanité. Pure fonte de Super Nova. Les autres cuts de l’album sont d’un niveau nettement inférieur. Elle a du mal à abreuver son moulin, tout le monde ne s’appelle pas Alphonse Daudet. C’est tout de même incroyable de voir tellement de gens se prendre pour Alphonse Daudet ! De toute évidence, Super Nova ne s’intéresse qu’aux cimes, c’est-à-dire à l’émotif de sang royal. Il faut la voir attaquer «I Wanna Be Your Light» très haut. On peut lui faire confiance. Avec trois hits magiques sur un seul album, c’est dans la poche.

    new rose, heather nova, aretha franklin, charlie musselwhite, randy holden, alis lesley, simone poussière,rockambolesques

             Et par un beau soir de novembre, voilà qu’elle débarque en Normandie. On ne va tout de même pas rater une pareille occasion de vibrer ! Concert acoustique ? On s’en fout, pourvu qu’on ait la voix. On a la voix. Elle déboule sur scène, toute maigre, allez trente-cinq kilos, et encore. Blonde comme au temps de Storm, présence indéniable. La salle n’est pas pleine, mais les gens qui sont là viennent pour la plupart de loin. Elle attaque en douceur, l’émotion viendra plus tard. Comme toutes les chanteuses à guitares, elle sort sa grandma song («Walking Higher»), elle veut retrouver sa grand-mère, alors elle la retrouve higher, comme dirait Yves Adrien. Elle tape deux ou trois cuts de son dernier album, Other Shores, qui est un album de covers : le «Staying Alive» des Bee Gees qu’elle transforme complètement (heureusement !), elle tape aussi dans un vieux hit de rock FM, «Waiting For A Girl Like You», de Foreigner, un groupe qui fit en son temps partie des fléaux de l’humanité. Super Nova tape aussi en rappel dans Françoise Hardy avec «Message Personnel», accompagné à la guitare par le mec qui partage sa vie, un certain Vincent.

    new rose, heather nova, aretha franklin, charlie musselwhite, randy holden, alis lesley, simone poussière,rockambolesques

             Mais bon, le meilleur arrive. D’abord une fantastique version d’«I Wanna Be Your Light» qu’elle tape au chant divin de Storm, accompagnée par un grand mec assis sur une caisse percu. Il en joue aux deux mains, comme sur des congas - Let me be your star/ I’ll light your way across the milky way - et là tu acquiesces, tu opines du chef, et même du bonnet, tu adhères, tu valides, tu signes, tu approuves des deux mains, tu dis oui, tu votes pour, tu jures allégeance, tu t’agenouilles, tu reconnais ta reine, tu te prosternes, let me be your star, vive Super Nova !

    new rose, heather nova, aretha franklin, charlie musselwhite, randy holden, alis lesley, simone poussière,rockambolesques

             Mais tu n’as pas tout vu. Avant même qu’elle annonce «London Rain (Nothing Heals Me Like You Do)», des mains se lèvent dans la salle. Super Nova se marre, «mais vous êtes tous sur Internet !», oui, les fans savent qu’elle va faire monter une personne du public pour duetter avec elle sur «London Rain», alors il y a des candidates ! Celle qui est choisie vient s’installer derrière un micro, à deux mètres de Super Nova. Elle est blonde, elle aussi, elle s’appelle Estelle, on l’apprendra après le concert. Estelle commence à danser sur le groove, elle est dedans, fantastiquement dedans, bien sûr elle connaît le texte par cœur, elle attend le refrain pour monter aux harmonies vocales avec son idole - So keep me/ Keep me in your bed/ All day/ All day/ Nothing heals me like you do/ Nothing heals me like you do - Pure magie ! T’auras jamais rien de plus pur que ces deux voix à l’unisson du keep me ! Super Nova est la première surprise. Interloquée, elle regarde Estelle ! On est tous submergés par une vague géante d’émotion. Estelle chante là-haut en fixant Super Nova, keeeeep me/ Keeeeeep me ! C’est le sommet de l’excelsior d’Ararat, tu ne peux pas humer d’air plus pur, d’air plus chaud, d’air plus divinement féminin, tu as la magie des voix qui serpente dans l’air et ces deux femmes superbes se regardent en mêlant leurs filets d’argent. C’est d’une intensité qui vaut bien celle du «Joe Hill» a capella de Joan Baez à Woodstock, ou encore celle du duo Joni Mitchell/Pete Seeger sur «Both Sides Now». C’est de ce niveau. Complètement surnaturel. Ce sont ces moments de grâce qui te réconcilient provisoirement avec la vie.

    new rose, heather nova, aretha franklin, charlie musselwhite, randy holden, alis lesley, simone poussière,rockambolesques

             Alors évidemment, aussitôt après la fin du set, on va la trouver pour la remercier de ce moment de grâce. Elle s’appelle Estelle et vient du département de l’Aisne, c’est-à-dire la Picardie, elle vient de se taper deux heures de route pour voir Super Nova, et bien sûr, elle fait partie d’une caste, celle des die-hard fans de Super Nova, allant même jusqu’à éditer les tabs des chansons de Super Nova pour les lui offrir, en les téléchargeant sur son site. Cadeau. On croise rarement dans la vie des jeunes femmes aussi lumineuses.

    new rose, heather nova, aretha franklin, charlie musselwhite, randy holden, alis lesley, simone poussière,rockambolesques

             Alors bien sûr, on peut aussi écouter Other Shores. Le choix des covers est assez discutable, on voit bien qu’elle écoute pas mal de conneries à la radio : Stong, Journey, Foreigner, des machins comme ça, ce qu’on appelait autrefois la pop FM. Dommage qu’elle n’ait pas tapé dans Jimmy Webb ou Burt, car avec la voix qu’elle a, elle aurait pu faire des étincelles. Ceci dit, elle offre quatre raisons impérieuses de rapatrier son cover album : «Jealous Guy» qu’elle transforme en Jealous Girl, «Here Comes Your Man», «Like A Hurricane» et l’«Ever Fallen In Love» des Buzzcocks. Elle tripote des Cocks pour en faire du groove, elle fait sa punk au bar de la plage, et du coup, le Fallen bande mou, ce qui donne une version assez insultante. Cette version plaira à tous les iconoclastes. Heureusement, Pete Shelley a cassé sa pipe en bois, il n’entendra pas cette daube. Son hommage à John Lennon est beaucoup plus sérieux. Il faut dire bien dire que c’est une chanson parfaite pour une voix parfaite. Elle y va au began to lose control, elle tape au cœur de l’émotion, ça vaut bien son London Rain, elle se coole dans le moove avec des accents enfantins dans la voix. Pour cette occasion en or, elle jette dans la balance tout son génie vocal. Avec «Here Comes Your Man», elle se fond bien dans le moule du gros Black. Elle fait sa Kim Deal, elle hurle à la lune et ça donne au final un fort bel hommage. Elle se plaque plus loin sur l’immense Hurricane de Neil Young, mais elle le fait de façon plastique. Pas de son, juste du plastique. Elle ralentit l’Hurricane considérablement et le gratte à la dure, aw yeah. Et puis on retrouve le «Message Personnel» de Françoise Hardy, qu’elle chantait en rappel, l’autre soir, sur scène. Un certain charme, d’autant qu’elle fait l’effort d’un couplet en français, alors t’as qu’à voir ! 

    Signé : Cazengler, Ether Növö

    Heather Nova. Le 106 (Rouen). 19 novembre 2022

    Heather Nova. Storm. Columbia 2003

    Heather Nova. Other Shores. Odyssey Music Network 2022

     

     

    Wizards & True Stars

    - Pas d’Aretha dans le beefsteak (Part Two)

    new rose, heather nova, aretha franklin, charlie musselwhite, randy holden, alis lesley, simone poussière,rockambolesques

             Lorsqu’Aretha a cassé sa pipe en bois, KRTNT s’est prosterné jusqu’à terre pour lui rendre hommage, car elle fit partie des vraies reines, de celles qui nous importent. Comme d’ailleurs nous importent les vrais rois, Elvis, Dylan, James Brown, Iggy et tous ceux qui ont su faire de leurs vies des œuvres d’art, donnant non seulement du sens à leur vie, mais aussi à la nôtre. On est relativement nombreux à penser qu’on ne serait plus là sans eux.

    new rose, heather nova, aretha franklin, charlie musselwhite, randy holden, alis lesley, simone poussière,rockambolesques

             Aretha revient dans le rond de l’actu avec deux films et une box : Respect, Amazing Grace et la belle Aretha box. Inutile de préciser que les trois sont indispensables, à commencer par ce film Respect, qui est une reconstitution de la vie d’Aretha, et là mon gars, tu vas pouvoir pleurer toutes les larmes de ton corps, car c’est tellement réussi et tellement juste que c’en est bouleversant. Fantastiquement bouleversant, et si finement amené, car tu commences par entrer dans une belle maison de Detroit, tu traverses un salon qui vaut bien les salons littéraires du XIXe siècle, mais ce sont des blacks qui slanguent du rap comme dans les films de Spike Lee, et la caméra suit l’un de plus grands acteurs de notre époque, Forest Whitaker, il monte des escaliers, entre dans une chambre et réveille sa daughter Ree qui dort, alors oui, Ree sing a song, elle descend au salon en chemise de nuit, et elle sing a song avec un feeling qui t’écrabouille de chœur, fuck, elle a dix ans et tellement de feeling, Detroit roots, baby, là tu piges tout, et dans le plan suivant tu la vois chanter le gospel avec sa mère qui est séparée du pasteur Forest, l’énigmatique pasteur Forest qui reste un tiers Ghost Dog, un tiers Amin Dada, et un tiers Charlie Bird Parker, l’inflexible Pasteur CL Franklin que tu verras tout à l’heure en chair et en os dans Amazing Grace, mais pour l’heure Ree est attachée à sa mère, back to the roots, le pasteur Forest part en tournée et prêche en Alabama, Daniel went into the lions den ! Lawd was with him ! Freedom ! On croit entendre Richie Havens dans cette fantastique transe de frénésie biblique d’église en bois, freedom ! clament les nègres en plein cœur du royaume maudit des racistes d’Amérique, preach Forest preach ! Alors oui, on y est, ride on, Ree !, elle accompagne son père et dans chaque église elle sing a song, puis on assiste au petit viol de Ree, c’est un passage mystérieux et pas beau du tout, ugly down, mais Ree ne dit rien, d’autant plus que sa mère casse sa pipe en bois, alors elle décide de devenir muette, et là tu peux chialer toutes les larmes de ton corps, amigo, car tu partages son désespoir, Ree plus parler, Forest se fâche, Ree sing a song in church, no way dit Ree du regard, et puis voilà l’ami de la famille, le Doctor King et la flamme du discours, malgré toute la violence des blancs dégénérés, il prêche la non-violence, avec la même intelligence universaliste que celle de Gandhi, là-bas de l’autre côté de l’empire des hommes blancs qui sont une malédiction pour toutes les autres races.

             Ree grandit et tu te retrouves dans une party, ce que les Américains appellent un barbecue, en 1959 à Detroit, Smokey Robinson fait partie des invités, il voudrait bien voir Ree chez Berry qui démarre son biz, mais Forest a d’autres ambitions, il vise New York pour Ree et il décroche un rendez-vous avec Mister John Hammond chez Columbia Record, oui le même Hammond, celui de Dylan, et de son fils, John Hammond Jr. Du coup Ree se retrouve en studio, are you ready Aretha ?, Yes Mister Hammond !, mais c’est l’époque Columbia de Ree, l’époque des albums ratés et de la petite variété orchestrée, like Judy Garland, et puis quand Ree monte sur scène au Village Vanguard, elle veut rendre hommage à Dinah Washington qui est dans la salle, et au moment où elle attaque, Dinah renverse la table et fait un scandale, avant d’aller trouver Ree réfugiée dans sa loge pour lui donner un cours de morale black : «Bitch ! Never sing a Queen’s song in presence of the Queen !». Pauvre Ree, elle doit encore apprendre à cheminer, et puis elle ramène Ted White chez Forest qui ne l’aime pas, alors ça donne une grosse shoote et Forest sort son flingue de Ghost Dog pour le buter, mais il s’arrête juste à temps, il comprend que Ree veut sa liberté. Freedom ! On est en 1966 et Ree veut changer. Ted White dit à Forest qu’il va changer Ree et la sortir de Columbia et donc de ses pattes à lui, pasteur Forest, 9 albums chez Columbia et pas de hits, ça ne peut pas continuer comme ça, alors Ted White emmène Ree chez Wexler et elle lui dit qu’elle veut des hits. Pas de problème, on a tout ce qu’il faut, Wexler les envoie chez les boys, chez Rick Hall, down in Alabama, 1967, Muscle Shoals, champs de coton, rien n’a changé depuis le temps de l’esclavage, ce sont toujours les nègres qui cueillent le coton des blancs. Fuck it ! Wexler s’engueule avec Rick Hall et Hall dit qu’il est chez lui, it’s my place, alors je fais ce qu’il me plaît, rien que des blancs dans le studio, ça ne plaît pas à au mari black d’Aretha Ted White qui porte pourtant un nom de blanc, et puis tu vas voir Spooner et forcément on assiste à la fameuse shoote entre Ted White et Rick Hall, retour à New York, Ree a l’œil au beurre noir, mais ça ne l’empêche pas d’apprécier les boys de Muscle Shoals et à 3 h du mat, elle se met au piano et appelle ses frangines Erna et Carolyn pour travailler le just a little bit de Respect, et pouf, on passe directement au Madison Square Garden reconstitué pour les besoins de ce film tétanique, Respect ! Ree danse, just a little bit, et la vie continue, Ree s’oppose à Ted White et reçoit un violent coup de poing dans l’estomac, alors elle finit par se débarrasser de cet affreux connard, mais elle plonge dans l’alcool, s’engueule avec ses frangines, et comme le veut la morale de cette histoire, elle est sauvée par le gospel en 1972, avec le fameux concert de Los Angeles filmé par Sydney Pollack, c’est d’ailleurs son album le plus vendu, et on voit Forest ému aux larmes dans l’église baptiste de la rédemption angélinote.

    new rose, heather nova, aretha franklin, charlie musselwhite, randy holden, alis lesley, simone poussière,rockambolesques

             Tu sors de l’église à quatre pattes, mais tu y retournes aussitôt avec Sydney Pollack car le film est enfin sorti, quarante ans après la bataille. Derrière Ree, tu verras une équipe de blackos qui font partie des plus doués de leur génération, Bernard Purdie (beurre), Cornell Dupree (gratte) et Chuck Rainey (bassmatic), avec en prime Wexler et Arif Mardin, plus le Révérend James Cleveland, un vieil ami de la famille Franklin et l’extraordinaire Southern California Community Choir, un trentaine de Brothers & Sisters qu’on voit entrer au pas, à la queue leu-leu, dans l’église, en dansant et en chantant, et une fois le Choir installé, le Révérend Cleveland présente Ree, she can sing annything, comme dirait Elvis, et il ajoute : «My sister, Miss Aretha Franklin !». Il demande accessoirement aux gens rassemblés dans l’église s’ils peuvent chanter comme 2000 personnes, can you sing like 2000 ? Yeah ! font tous ces gens extraordinaires et Ree qui parait tendue attaque «Wholy Holy», alors elle se transfigure en chantant, elle devient incroyablement belle, on parle ici d’élévation par la beauté de l’art, c’est-à-dire le pur spirit, le fondu du profane dans les profiteroles, Ree est très concentrée. Elle monte au pupitre pour attaquer «What A Friend We Have In Jesus», elle danse d’un pied sur l’autre en chantant son gospel batch, elle va chercher ses notes si haut, les yeux toujours fermés. Sur «How I Got Over», Pollack filme le conducteur du Choir qui danse le jerk, plan imparable dans une église, Ree dégouline de sueur, le Choir claque des mains, ça swingue, baby, et Ree s’élève toujours plus haut. Pour «Precious Memories», elle grimpe son Jesus/ Jesus I’ll be with you si haut qu’on la perd de vue, Ree transcende l’art du chant, elle sacralise le sacrement, elle l’envoie valser dans les orties de la stratosphère, mais bizarrement, entre deux chansons elle paraît toujours aussi tendue. Elle ne sourit jamais. Elle enchaîne avec la pop de «You’ve Got A Freind», le hit de Carole King, la pop de Ree, you’ve got a fiend/ Call my name/ I’ll be there, elle expurge la pop de tous ses sins, elle purifie la King de l’eau, elle sunshine de l’intérieur. Bizarrement personne n’y avait pensé avant Pollack : il nous montre une Ree christique et un Choir qui comme 36 apôtres repend le take my hand, alors Ree rentre dans le chou du lard, elle resplendit de black beauty, l’art la transfigure, Pollack l’a bien compris, il la cadre et la recadre, il a compris qu’il filmait l’incarnation d’une femme en odeur de sainteté. Ree tape ensuit son «Amazing Grace» a capella, elle fait pleurer le Révérend Cleveland, elle rend fous les Brothers & Sisters du Choir, ils se lèvent par gerbes, c’est très spectaculaire, comme James Brown, Ree incarne tout le sacré si particulier du Black Power, elle transfigure l’idée même d’humanité, son chant atteint les régions profondes du cerveau, ces régions inexplorées qui dorment dans des liquides rachidiens, et puis voilà le deuxième soir, elle semble moins maquillée, on voit apparaître Clara Ward dans le public et le Reverend CL franklin en costard bleu, la classe, il monte faire un discours au pupitre, c’est le discours de l’émotion définitive, on voit que Ree est émue par ses paroles. Puissant father. Il faut voir les deux films, l’un éclaire l’autre. L’un de va pas sans l’autre.

    new rose, heather nova, aretha franklin, charlie musselwhite, randy holden, alis lesley, simone poussière,rockambolesques

             Voilà donc la fameuse Aretha box, l’un des objets les plus précieux du monde moderne. Il s’agit d’une rétrospective de sa carrière répartie sur 4 CDs, box idéale pour les ceusses qui n’ont ni la place ni les moyens de stocker les albums. La box propose en outre quelques inédits, alors on ne va pas cracher dessus. Aretha ? Il ne s’agit pas seulement de Soul, il s’agit surtout d’entendre l’une des plus grandes artistes de son époque. Quand elle chante a capella le gospel de «Never Grow Old», elle se forge. Quand elle chante le blues («Today I Sing The Blues»), elle devient l’Aretha, elle brûle déjà d’un feu spécial. Comme elle a déjà tout vécu, elle sait de quoi elle parle. Quand elle chante «Won’t Be Long», elle se met à nu. Alors tu danses avec elle. Avec cette box, elle reprend tout à zéro, elle reprend le chemin de Damas à l’accent tranchant. Le disk 1 s’enlise dans l’époque Columbia, Ree se bat au running out pour sortir sa voix de l’ornière et des orchestrations. Quand elle chante «My Kind Of Town (Detroit Is)», elle jazze au piano jazz et menace de devenir folle. Et puis tu vas tomber sur une démo de «Try A Little Tenderness», occasion pour elle de t’emmener dans un au-delà du supportable, elle t’enfile comme une perle, elle chante aux petits orgasmes d’Otis, elle gueule tout ce qu’elle peut, et c’est là qu’elle entre dans le Deep South. Elle passe la rampe. Elle connecte avec le pathos, welcome in Muscle Shoals, «Do Right Woman Do Right Man», tu as beau connaître ça par cœur, ça t’émeut comme au premier jour, comme le chat avec la souris, elle joue avec la compo des petits culs blancs. Et voilà le premier hit, «Respect», claqué en mode Southern, les chœurs tombent du ciel, cette folle de Ree veut le respect, just a little bit, un modèle du genre et là Aretha devient la reine du monde, ce genre d’éclat génial ne se produit qu’une seule fois par siècle, alors «Respect» restera le cut fondateur de la Soul. Elle explose aussi Sam Cooke avec une déchirante cover d’«A Change Was Gonna Come», elle l’explose à coups d’I was born by the river, elle le tient par la barbichette, la voilà dans le génie du lieu, by the river. Pour «Chain Of Fools», elle dispose de l’une des meilleurs attaques de tous les temps, celle du heavy gospel blues. C’est aussi brutal qu’un coup dans l’estomac. Aretha a du punch, elle te propulse la Soul in the face. Et elle assoit son règne. Pour rendre hommage aux Stones, elle propose un violente cover de «Satisfaction» - Ahhhh can’t get no - elle devient animale, elle écrase l’œuf du serpent, elle remet la petite bite de Jag à sa place dans sa braguette, c’est de l’hystérie, elle mène le bal, elle danse sur le cadavre de la Stonesy, elle retourne la situation. Tout ce qu’elle entreprend devient une entreprise de démolition, elle t’emmène au paradis à gorge déployée, elle remonte les étages, ain’t no way, elle est surnaturelle. Aretha est la femme la plus pure, l’artiste la plus complète. Si tu sors «Ain’t No Way» de son contexte, le cut t’explose en pleine gueule. Avec «My Song», Ree va te hanter. Sa Soul te démolit et te reconstruit, tell me what is wrong, elle s’accroche à toi, prends la main qu’elle te tend. Et puis elle va te groover le coconut avec «You Send Me» - Darlin’ you send me/ Ahhh yeah - Merci Ree d’exister. Non seulement elle te groove le coconut mais elle y met le feu. Elle te jazze le vestibule, elle te lamine tes petites capacités de compréhension. Bonne nouvelle pour les ceusses qui seraient en quête d’absolu : plus la peine de le chercher, il est là, c’est Ree.

             On s’en doutait, ça repart de plus belle avec le disk 2. Suite de la promenade à travers un royaume magique, en compagnie d’une très belle femme. Tu tombes très vite sur le «Son Of A Preacher Man» connu comme le loup blanc. Mais Ree l’explose comme un fruit trop mûr, elle rampe dans le chaos de la Soul. Elle est all over the Preacher Man, elle gueule ça par-dessus les petits toits de l’Alabama, puis elle te recoince avec « Call Me », elle est tout, elle est la pluie et le parapluie, Ree, fantastique déesse, elle chante pour toi, elle chante à la pire des pires. Elle rentre dans le chou du « Bridge Over Troubled Water » sur un heavy shuffle d’orgue qu’elle double aussitôt de piano jazz et te plonge le museau dans un bouillon de gospel, elle transforme le Simon & Garfunkel vite fait bien fait. On la voit aussi duetter avec Tom Jones sur «It’s Not Unusual/See Saw», elle transforme ça en vieux shoot d’apocalypse, see saw babe ! Comme le montre encore « Brand New Me », sa façon d’entrer dans le lard d’un cut est unique au monde. Elle te fout aussitôt le souk dans ta petite médina, elle te réchauffe pour l’hiver, elle devient inter-galactique, elle échappe aux pesanteurs du langage, I got a brand new style/ Just because of you/ Boy !, elle te jazze le butt, Bob. Ree, reine de Saba au la la la la sur «Spanish Harlem» et elle passe au heavy «Rock Steady», elle remonte au front, à la bonne attaque, elle gueule tout ce qu’elle peut. Ça ne l’empêche de revenir comme une petite fille pour te demander un service : « Share Your Love With Me ». Elle installe alors les conditions d’un groove à visage humain, elle te prend dans ses bras, mais en copine, juste pour te donner un peu de son Black Power. Marvin chante comme le messie, mais si, et Ree comme une Sainte, elle donne corps à la légende des Saintes, elle extrapole l’immaculée conception, toute la spiritualité du monde moderne est là, dans sa voix. La voix fait tout, elle est universelle. Elle revient au blues avec «Dr Feelgood», mais elle chante le blues à l’orgasme pur. Elle est la seule avec Billie Holiday et Nina Simone à savoir le faire. Cette box est un vrai chantier. Tu t’écroules et tu renais en permanence. Avant tu disais : «Voir Rome et mourir», maintenant tu peux dire «Voir Ree et mourir». Elle reduette avec Ray Charles sur «Spirit In The Dark». Ray attaque et Ree lui donne la réplique. Tu ne peux pas espérer duo plus mythique. Ray est le Genius et Ree l’asticote. Black Power ! Explosion en plein ciel. C’est l’apothéose. La box que tu tiens dans tes mains tremblantes se met à vibrer. Back to the gospel time avec «How I Got Over». Avec Ree, c’est forcément over. Pur power du Ree System. Tu as tout le gospel du monde là-dedans. Ree devient éclatante de power surnaturel. Elle te nivelle par le haut. Higher and higher.

             Au bout d’un moment, tu as l’impression de délirer. Écouter Ree à forte dose, ça te fait le même effet qu’un gros shoot de produit magique. Alors au point où tu en es, tu entres dans le disk 3. Tu ne t’occupes même plus de savoir de quel album sortent les cuts, ni si ce sont des inédits. Tu te contentes d’écouter comme si c’était la première fois. En amour, c’est la même chose : chaque fois que tu entres dans un lit avec une femme bien disposée, tu recherches la première fois. Tu tombes très vite sur «Angel» et tu t’enfonces dans le jazz avec Ree. Elle cherche an angel to fly away with me, alors tu lui proposes tes services, an angel who’ll set me free. Elle veut s’envoler, elle a la voix pour ça, find an angel in my life, cette quête d’envol la rend délicieusement désirable. Non seulement elle cultive l’élévation, mais on a parfois l’impression qu’elle sculpte la matière du chant, elle rodinise sa Soul, elle fait corps avec son argile, elle devient experte en vocalises subliminales. On l’entend taper «Until You Come Back To Me» au désarroi sur une work tape, mais un désarroi spécial, celui de la démantibulation, ponctué par Bernard Purdie. Prestation d’une reine. Saba babe ! Elle rentre dans le chou du lard d’«I’m In Love» au I’m in love/ yes I am, elle est au summum du gras, elle est la cerise sur le gâtö, elle te polit le chinois au ooooh ooooh yeah, ses stridences portent aussi loin que porte le regard, elle rejoint Jimi Hendrix dans une volonté d’échappée cosmique, et là tu tombes une fois de plus dans ses bras. Elle va encore t’éreinter avec un «Without Love», gonflé de gospel et gangrené de violons, ça devient de l’abattage, elle peut ravager des plaines, Ree est encore pire qu’Attila. Encore plus terrific, voilà le fameux «Mr DJ (5 For The DJ)», elle redescend à la cave du heavy stuff, elle sait tenir sa baraque, elle te jerke les jukes vite fait. Écoute-la bien, mon gars, profite bien de sa présence, car tu n’es pas près d’en revoir une autre. Non seulement Ree est une Sainte, mais elle aussi un ange. La preuve ? «Something He Can Feel». Elle est dans les airs. Il faut s’habituer à l’idée qu’un ange puisse être une femme noire.  C’est donc une bénédiction que de l’entendre chanter. D’ailleurs Rhino l’a bien compris : il suffit de voir le visuel qui orne la devanture de la box : Ree est l’icône d’une Sainte. Elle est aussi ta meilleure amie. Elle te prend souvent dans ses bras. Comme le montre encore «Look Into Your Heart», elle illumine la Soul à n’en plus finir. Elle y revient à pleins poumons. Comme elle est un ange, elle fait de la haute voltige. «Break It To Me Gently» voyage dans les airs. Ree se permet toutes les audaces. Elle te colle le museau dans son intériorité, et puis il faut voir cette énergie du son ! Elle attaque «When I Think About You» au longeant de bâbord, elle est fluide comme un requin, elle va te bouffer tout le vaisseau, c’mon babe ! Et ça continue avec «Almighty Fire», il faut la voir pusher le push, elle est au front, sur la barricade, elle fout le feu. C’est plus fort qu’elle. Et quand tu écoutes «You Light Up My Life», tu comprends qu’elle te construit une cathédrale en trois minutes chrono. Le chant est si haut, si beau, si spectaculaire que les mots s’enfuient glacés d’horreur. Elle bâtit sa clé de voûte à l’accent perçant et c’est là qu’elle te transperce le cœur. Voilà qu’elle duette avec Smokey sur «Ooo Baby Baby». C’est le duo des princes. Un «Ooo Baby Baby» repris jadis par Todd Rundgren sur A Wizard A True Star. Smokey fait yeahhh comme une vieille qui fume trop. Ree boucle le chemin de croix du disk 3 avec un «Amazing Grace» fortement monté en neige. Gospel power all over, Ree s’y sent comme un poisson dans l’eau, elle fout le feu au gospel et retrouve ses voies impénétrables, elle monte son ahhhhyeah par dessus l’Ararat de court-bouillon. Ça va loin, cette histoire. 

             Heureusement, cette box ne contient que 4 discs. Spirituellement, c’est une épreuve épuisante. À force de crier au loup, on s’enroue. Mais dès «Think» t’es baisé ! Tu recries au loup ! Ree te démolit sur place. Ça va très vite, avec une reine de la nuit. Elle a tout le power des Amériques (surtout des Amériques noires) derrière elle, eeehhhh, alors elle y va, elle te cavale bien sur l’haricot. Voilà un duo de géantes : Ree et Dionne la lionne sur «I Say A Little Prayer». Elles tapent droit dans le système nerveux, Dionne la lionne rentre dans le chant et ton cœur explose de bonheur. Elles t’allument bien toutes les deux, mais Dionne ne fait pas le poids face à Ree. Ree est aussi monstrueuse que Jerr : rares sont les gens capables de duetter avec ces deux oiseaux-là. Ree regrimpe ensuite sur son Ararat avec «United Together». C’est plus fort qu’elle, il faut qu’elle éclaire le monde, alors elle tartine à l’extrême, c’mon Ree, c’mon ma reine ! Puis on la voit traverser sa petite période diskö funk, elle le prend à la bonne et se montre à la hauteur. Elle duette avec les atroces stars de l’époque, Eurythmics et George Michael, tout est pourri, le son, les contributions, la pauvre Ree tente de sauver les meubles, elle est héroïque. Il faut attendre l’«Oh Happy Day» pour retrouver la magie, car en plus elle duette avec Mavis. Ree s’empare de ce hit intemporel et Mavis la challenge, Jesus just the love, Mavis passe en dessous, elles deviennent infernales toutes les deux, c’est du stuff mythique, complètement explosif. Ree fait de l’opéra avec «Nessun Dorma», elle roucoule comme la Castafiore, mais son pouvoir de lévitation reste intact. Elle duette avec Lou Rawls sur «At Last». Elle crée les conditions du duo d’enfer. Le vieux Lou arrive par le travers, il a du métier, petit chaperon rouge, uhm uhm, il pourrait presque passer pour un dieu descendu de l’Olympe des Blackos, oui, car ils ont eux aussi leur Olympe, avec des dieux aussi balèzes que Zeus et toute sa bande - We are in heaven/ Oh babe - Ree prend son pied, ça s’entend. La série des duos mythiques se poursuit avec Ronald Isley et une cover du fameux «You’ve Got A Friend» de Carole King. Ree tape dans le florentin, elle a du métier, et Ronald vient fondre comme un sucre dans la cuillère. Ils sont effarants de génie transalpin, c’est l’avènement d’une nouvelle Renaissance, Ree tartine deux fois plus que lui. On retrouve plus loin le fameux «My Country ‘Tis Of Thee» qu’elle a chanté pour le premier président black d’Amérique, Barak Obama. Freedom yeah ! C’est assez définitif, à l’échelle historique d’une nation, alors Ree te l’explose, ta nation de racistes. Elle est en haut et elle monte encore. Les racistes blancs devaient s’étrangler de rage en entendant cette merveille. Elle termine dans l’enfer du paradis avec «(You Make Me Feel Like) A Natural Woman». Ree restera pour ses admirateurs la plus pure incarnation de la Soul, l’art nègre par excellence. Ree restera la reine des reines, celle de Nubie et de Saba, et bien sûr, elle règne sur la terre comme au ciel. C’est elle qu’on devrait voir dans les églises.

    Signé : Cazengler, Ree de veau

    Liesl Tommy. Respect. DVD 2021

    Sydney Pollack. Amazing Grace. DVD 2019

    Aretha. Box Rhino 2021

     

     

    L’avenir du rock

    - On ne muselle pas Musselwhite (Part One)

     

             — Bienvenue dans la chambre de l’avenir du rock, messieurs dames. Une petite devinette pour commencer : si vous ouvrez le tiroir de sa table de chevet, qu’allez-vous découvrir ? Un livre de chevet, comme chez tout le monde ?

             Effectivement apparaît un livre. Un curieux demande :

             — Alors quel est ce livre ?

             — C’est une bonne question, répond le guide, et celui qui trouvera la réponse gagnera un abonnement payant aux Chroniques de Pourpre qui sont gratuites.

             Un visiteur qui se croit plus intelligent que les autres lance une hypothèse :

             — Étant donné l’état d’esprit global de l’avenir du rock, il ne peut s’agir que d’un ouvrage sarcastique, du genre De l’Inconvénient d’Être Né, l’anti-chef-d’œuvre de Cioran...

             Son voisin manifeste son désaccord :

             — Grave erreur, monsieur ! Vous n’avez rien compris ! L’avenir du rock n’utilise pas le sarcasme pour s’en gargariser, mais comme un glaive pour combattre ardemment l’hydre de la connerie humaine ! C’est pourtant simple à comprendre !

             — Alors, vous qui vous croyez si malin, que proposez-vous ?

             — Je pencherais plutôt pour l’Anthologie de la Subversion Carabinée, de Noël Godin, je mettrais ma main à couper qu’il y puise toutes ses ressources, chaque soir avant de se jeter dans les bras de Morphée ! 

             Un autre visiteur lève le doigt pour prendre la parole :

             — Vous vous faites trop d’idées sur l’avenir du rock. Il a peut-être des goûts plus simples. Je proposerais plutôt un petit recueil de poèmes, ces poèmes légers et ravissants qu’on peut relire au clair de la lune...

             — Vas-y Raymond la Science, accouche !

             — Ah ce que vous pouvez être mal lunés tous les deux ! Vous n’avez pas compris que c’est dans sa nature que de tendre vers la lumière, comme le fit en son temps et du fond de son galetas l’infortuné Paul Verlaine ?

             Le guide reprend alors la parole.

             — Bon, vous vous fourrez tous le doigt dans l’œil, messieurs les exégètes à la petite semaine. L’ouvrage que renferme le tiroir que vous voyez là est tout simplement un mussel !

             — Ooooooooooh !, font les visiteurs en chœur.

             — Et pas n’importe quel mussel ! Ni celui de l’abbé Donissan, ni celui du pasteur Harry Powell, le Musselwhite !

    new rose, heather nova, aretha franklin, charlie musselwhite, randy holden, alis lesley, simone poussière,rockambolesques

             Charlie Musselwhite revient dans le rond de l’actu avec un sacré Mississippi Son. Tu ne bats pas les vieux de la vieille à ce petit jeu. Il gare sa bagnole dans le Delta et te chante «Blues Up The River» dans le creux de l’oreille, il descend loin au fond de sa vie pour te ramener des vrais accents de véracité, il te chante ça au doux du menton, au deepy deep de son dévolu, on le pousse pour qu’il aille plus vite, mais il ne veut pas, il avance à son rythme. Celui qui poussera Muss n’est pas encore né. Il adore le groove embourbé, le muddy road d’hobo.

    new rose, heather nova, aretha franklin, charlie musselwhite, randy holden, alis lesley, simone poussière,rockambolesques

    De toute évidence, cet album est une énormité. Muss s’endort dans le moisi du blues d’«In Your Darkest Hour», avec les doigts de pieds en éventail. Il cueille la rose éclose à la pointe de sa glotte flappie, honey please come home et chante ça dans un dernier râle. Il est encore plus macabre que Lanegan. Et soudain, tout explose avec «Stingaree» - Mah baby/ She’s a honey bee - Il n’y a que Muss qui puisse nous faire ce coup-là - She’s buzzing me/ Feel so good - Il te souffle son haleine rance dans le cou et si tu es une femme, alors tu jouis, car Muss est un génie aux doigts de fée. Il tape ensuite le poor poor boy/ long long way from home de «When The Frisco Left The Shed» au heavy blues, c’est d’une classe inébranlable, because I ain’t no bed, il passe les coups d’harp de la misère, il marche in the cold cold rain et tu frissonnes avec lui. Puis dans les liners du digi, Muss nous explique qu’à une époque, il partageait une chambre avec Big Joe Williams, et qu’il a appris beaucoup de choses en le regardant jouer. C’est de là que vient «Remembering Big Joe» - I played one of his old guitars on this song - Puis il adapte «The Dark» de Guy Clark en blues thing - I met Guy a couple of times and he was a real likeable fellow - Chez Muss, les mots sont importants. Avec «Pea Vine Blues», il épouse le son au chant puis il s’en va rendre hommage à Hookie avec un «Crawling King Snake» tellement beau, tellement pur, tellement moisi - La nuit j’écoutais WLAC sur mon petit poste de radio, parce qu’ils diffusaient a lot of great blues. D’entendre John Lee Hooker taper du pied et gratter sa gratte sur «Hobo Blues» et «Crawling King Snake» tard dans la nuit, ce son sinistre me faisait un tel effet que je ne pouvais m’empêcher d’apprendre à les jouer - Encore du vieux boogie blues avec «Blues Gave Me A Ride», c’est un régal que de l’entendre croquer son boogie blues - I was raised out of Memphis - Il raconte son histoire et te souffle des coups d’harp dans les bronches. Il indique qu’il joue «My Road Lies In The Darkness» in an open tuning I call Spanish - Ain’t got nobody - Il sait amener un heavy blues avec un voile de mystère, comme le montre encore «Drifting From Town To Town». Pur genius, c’est d’une classe toujours aussi inébranlable d’if you ever, il continue et c’est tellement pur qu’on voudrait que ça ne s’arrête jamais. Il va encore chercher des racines au plus profond de son âme de vieux Muss, c’est ce qu’on ressent à l’écoute de «Rank Strangers», un cut des Stanley Brothers qu’il dit adorer, il chante dans l’écho d’un vieux temps et les minutes deviennent précieuses, vite dépêche-toi de profiter de Muss, tu le verras au volant de sa bagnole, à l’intérieur du digi. Il te fait tout simplement l’album de blues que tu avais besoin d’entendre.

    new rose, heather nova, aretha franklin, charlie musselwhite, randy holden, alis lesley, simone poussière,rockambolesques

             Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, voilà Muss en couve de Soul Bag, un petit canard que Damie Chad eut bien raison de saluer récemment. Fantastique petit canard, le coin-coin du blues et de la Soul dont on devrait souligner les mérites plus souvent, car enfin, ils sont les seuls à défendre ce bon bout de gras en notre pauvre pays. Six pages d’interview, Muss a de la place, alors il peut raconter sa vie. Il commence par expliquer qu’il a quitté la Californie à cause des incendies pour revenir s’installer à Clarksdale, Mississippi. Il précise ce que chacun sait : Clarksdale est «l’épicentre du blues». Il y a d’ailleurs enregistré Mississippi Son, et il donne tous les détails sur ses guitares et la façon dont il les accorde. Il profite de sa tirade technique pour citer les noms de ses professeurs : Furry Lewis et Will Shade, pour les plus connus, Earl Bell et Willie Borum pour les inconnus au bataillon. Album enregistré en cinq jours, d’abord guitares & chant, puis les coups d’harp en re-re. L’interview est bien vivant, Nicolas Deshayes mène bien son petit babal. Muss rappelle qu’Hooky fut témoin de son mariage avec Henrietta (qu’il appelle Henri), voici 41 ans. Muss rappelle aussi qu’il était co-loc de Big Joe Williams à Chicago dans les early sixties. C’est pour ça qu’il lui dédie «Remembering Big Joe». Alors évidemment, Deshayes qui a plus d’un tour dans son sac branche Muss sur l’avenir, pas celui du rock, mais celui du blues, ce qui revient au même. Muss commence par indiquer qu’à 78 balais, il est temps d’y penser. Pour lui, la situation aujourd’hui est la même qu’à ses débuts : «il y a des magazines, des associations, des festivals», et il constate que partout où il va dans le monde, «les gens jouent du blues». Donc pour lui, pas d’inquiétude. Muss indique aussi qu’il connaît bien Cedric Burnside, et Kenny Brown qui a joué avec le grand-père de Cedric, «de bons amis», dit-il.  

    Signé : Cazengler, Alfred de Mussel

    Charlie Musselwhite. Mississippi Son. Alligators Records 2022

    Charlie Musselwhite. Soul Bag N° 247 - Juillet Août Septembre 2022

     

     

    Inside the goldmine

     - Randy-vous avec Holden

     

             Au fond, Rambo était un gentil mec. On le surnommait Rambo pour le taquiner. Sous cette carapace herculéenne se planquait le plus doux des agneaux. Il fallait juste éviter de lui marcher sur les doigts de pieds, il détestait ça. Le fait qu’on soit devenus amis reste un mystère, l’un de ces mystères qui nous dépassent et dont on devient par la force des choses l’organisateur. Nous devînmes inséparables. En apprenant à le connaître, on découvrait sa vraie nature qui était celle d’un adolescent attardé. Il parlait un argot superbe, avec l’accent d’un vrai Titi parisien, et les tatouages envahissaient peu à peu la surface d’une peau que le développement des muscles accroissait. Plus il était musclé et plus il se faisait tatouer. Pourquoi la muscu ? C’est simple : comme beaucoup de gens, Rambo en eut tellement marre de se faire casser la gueule qu’un jour il décida de s’inscrire dans un club de muscu. En quelques mois, ses bras doublèrent de volume. Ça lui permettait aussi de rester en osmose avec son environnement familial qui était celui d’une longue lignée de voyous. Comme son père et son grand-père avant lui, Rambo veillait scrupuleusement à maintenir la tradition. Un jour, il décida d’aller s’installer en province. Il loua ce qu’il appelait un manoir. Il fallut bien sûr aller lui rendre visite. Il n’avait pas raconté d’histoires, le manoir à lui seul valait le déplacement. On y menait grande vie, on y passait des soirées à tirer sur une pipe à eau en compagnie des petites gonzesses de sa connaissance qui avaient pour particularité d’être plus que délurées. Dans la journée, Rambo se distrayait en allant faire des tours de Harley dans la campagne environnante. Il n’avait pas changé, il croquait la vie à belle dents. Quelques mois passèrent. Il appela un jour pour demander ce qu’il appelait un service. Dans cet environnement relationnel, le mot service prend toujours une consonance particulière. Première chose : on ne peut pas dire non. Deuxième chose : il faut se préparer à tout.

             — Vas-y dis-moi.

             — Je débarque à Paname demain matin. Faut que j’voye un crabe dans une clinique. Ça dure une journée, y m’relâche le soir, faut qu’tu viennes me cueillir à la sortie.

             — Tu veux changer de sexe ?

             — ‘Rête tes conneries ! Me fais greffer des tiffs !

             — Oh tu rigoles ? Tu te fais planter des poireaux ?

             Le lendemain soir, Rambo sortit de la clinique avec un gros bandage sanguinolant autour du crâne. Il était complètement stoned, il tenait à peine debout. Quelle rigolade ! J’étais plié en deux, pâmé de rire, incapable de conduire ! Cette nuit-là, Rambo dormit à la maison. Il repartit le lendemain et depuis, aucune nouvelle. Certains jours, les crises de fou rire reviennent, à imaginer Rambo sur sa Harley, ses rangs de poireaux au vent.

    new rose, heather nova, aretha franklin, charlie musselwhite, randy holden, alis lesley, simone poussière,rockambolesques

             À la différence de Rambo, les cheveux de Randy se sont pas des poireaux. Randy Holden est tellement culte que Mike Stax lui accorde 20 pages dans Ugly Things.

    new rose, heather nova, aretha franklin, charlie musselwhite, randy holden, alis lesley, simone poussière,rockambolesques

    Allez hop, on ne va pas mégoter ! Culte parce que Other Half et parce que Blue Cheer, même si Randy attaque en affirmant qu’il n’a jamais pris Blue Cheer au sérieux - Honestly I never cared for Blue Cheer - En fait, Holden est arrivé dans Blue Cheer au moment où le trio se débarrassait de Leigh Stephens, le guitariste en titre. Trop de tension. Viré. Stephens évoque l’épisode qu’il a mal vécu, raconte que les deux autres et le manager Jerry Russell se shootaient à l’hero, il accuse même Russell d’avoir coulé le groupe et d’avoir lavé les cervelles de Paul Walhey et Dickie Peterson - He was the supreme parasite and control freak - Mais Dickie Peterson a sa propre vision des choses. Il raconte la tournée européenne de Blue Cheer et l’incident qui s’est produit à Stockholm. Peu avant de monter sur scène, Peterson trouve Holden sur scène en train de bidouiller ses amplis. Il lui demande ce qu’il fabrique et Holden lui répond qu’il les bricole pour améliorer leur son. Alors Peterson pique une crise de rage et lui dit que si jamais il touche encore une fois à ses amplis, il le tuera. Peterson ajoute qu’Holden se camait aux downers & uppers (Destubol), qu’on appelle aussi sidewinders. Alors quand Holden reprend la parole, il accuse Peterson d’être un menteur, un petit mec de rien du tout affligé du complexe de Napoléon. Holden précise aussi qu’il prenait un antidépresseur, half and half, car voyager avec des junkies, ça le déprimait. Pire encore, il n’y avait aucune information sur les comptes.

    new rose,heather nova,aretha franklin,charlie musselwhite,randy holden,alis lesley,simone poussière,rockambolesques

    Et puis voilà le fameux album raté de Blue Cheer, New Improved. Holden y joue sur une face. Un jour Jerry Russell arrive avec une enveloppe et dit à Holden qu’il y a 1000 $ dedans. Holden n’y trouve que 500 $ et comprend que Russell a piqué le reste pour sa dope. Cette fois, les carottes sont cuites. Holden va directement au studio récupérer ses affaires. Fin de l’épisode Blue Cheer.

             Puis Holden part à l’aventure sonique avec le batteur Chris Lookheed. Comme il a eu du succès avec Blue Cheer, il se fait sponsoriser par le fabriquant Sunn qui lui confie 16 amplis pour son projet. Il laisse tomber la SG pour jouer sur Strato. Holden et Lookheed répètent dix heures par jour.  Tous les jours. Holden veut être le meilleur. Ils répètent pendant un an. Lookheed a huit amplis et Holden a les huit autres. Randy Holden : «This was going to be the biggest rock band in the world.»

    new rose, heather nova, aretha franklin, charlie musselwhite, randy holden, alis lesley, simone poussière,rockambolesques

             Population II date de 1970. Cet album est considéré comme culte. Randy Holden ramène du gros gras double. Il emmène la heavyness au-delà de Blue Cheer, il va bien plus loin, mais bon, «Guitar Song» n’est quand même pas le hit du siècle. C’est même un peu rédhibitoire. Il joue sur ses 16 amplis mais en a-t-il seulement les moyens ? Ce mec est de toute évidence un dingue du son, il joue son «Fruit Iceburgers» au gras double, c’est son petit apanage. Avec «Between Time», il font à deux du Led Zep sur le riff de «Gimme Some Loving». Il passe au heavy blues avec «Blue My Mind», il l’éclate au Sénégal et nous sort le son des enfers. C’est avec «Keeper On My Flame» qu’il rafle la mise, Randy a rendez-vous avec les ficelles de caleçon, c’est un vétéran, il peut même devenir hendrixien, il est dessus et nous propose un fantastique concassage de heavy blues. Il force le passage avec une certaine brutalité, le voilà devenu super killer, Guitar God d’effarance impavide, il te coule dans la manche, il vise l’extrême onction de la mythologie avancée, c’est un déclencheur, il lâche ses coups de wah comme des bombes, il joue jusqu’à la mort du petit cheval, Randy Holden est un merveilleux seigneur, il avance dans se retourner, il file ses derniers coups de wah outside in the cold distance, ça tourne à la Holdenmania. S’il calme le jeu, c’est pour repartir de plus belle.  

    new rose, heather nova, aretha franklin, charlie musselwhite, randy holden, alis lesley, simone poussière,rockambolesques

             Guitar God paraît en 1997, longtemps après la bataille. C’est un album encore plus électrique que Population II, il est même complètement saturé d’électricité. Randy-vous drive le son à la force du poignet. Il pose «Wild Fire» sur un petit arpège délicat, mais le cut est vite rattrapé par la réalité. Ce démon de Randy-vous bourre son groove comme une dinde de wild soloing. Il ne vit que pour la mythologie. Ça joue dans tout les coins, il est dans les deux oreilles. Ses cuts grouillent de riffs. Encore du fat electric stuff avec «Pain In My Heart». Il fait de la heavyness, mais avec esprit. Il joue son Pain à la note exacerbée. Il est excellent dans les balladifs comme «Hell And Higher Water», il se faufile dans l’épaisseur du son comme un shaker mover argenté. S’il fallait résumer le Randy-vous, on pourrait dire qu’il joue dans tous les coins. «No Trace» est bien cavalé sur l’haricot, et avec «Got Love», il passe au heavy boogie blues de rock. Il est en plein dedans, c’est noyé de son.

             Après Population II, Randy Holden va connaître une période vaches maigres. Plan classique : l’album qui ne sort pas à cause de difficultés financières, un contrat qui l’empêche d’aller signer ailleurs, plus de revenus et donc plus de quoi payer le loyer. Randy Holden n’a plus que sa guitare et une moto. Des amies l’hébergent pendant un temps. Il part ensuite vivre à Hawaï, se nourrit de poissons et de fruits et dort dans des cabanes - beach shack dirt cheap - Pendant vingt ans, il ne joue plus de guitare. Il finit par revenir vivre en Californie pour redémarrer son biz.

    Signé : Cazengler, Randymanché

    Randy Holden. Population II. Hobbit Records 1970

    Randy Holden. Guitar God. Captain Trip Records 1997

    Mike Stax & Eliot Kissileff : Randy Holden. Never Trun down ever. Ugly Things # 51 - Summer 2019

     

    *

    ZABAVY / AMUSEMENT

    JARS

    Il est des amusements plus inquiétants que d’autres. Celui-ci se trouve sur le Bandcamp de Jars, groupe russe stoner-grind-noise que nous suivons depuis plusieurs années. Ce n’est pas un album, juste un titre, une reprise du groupe russe Mimiy Troll qui apparemment n’a plus rien produit depuis deux ans si l’on en juge d’après son Bandcamp. La pochette se limite au strict minimum, un carré noir. Rien de plus. L’est sur leur site depuis mars 2022. Tilt, l’attaque de l’Ukraine par les troupes russes a débuté le 24 février. Le morceau est précédé de quatre lignes de texte, peu poutiniennes, jugez-en par vous-mêmes.

    ‘’ Nous n’avons pas eu la chance de faire une déclaration anti-guerre à grande échelle depuis la guerre. Cette chanson est le moins que nous puissions faire. Cette version a été enregistrée en solitaire par Andreï   bassiste et guitariste de notre groupe.

    Tout l’argent de cette sortie et de toutes autres sorties de Jars sur Bandcamp  ira à nos amis d’Ukraine.

    Fuck Poutin, Fuck war.’’

    Ce genre de déclaration ne doit pas être bien vu en leur pays et dénote un courage certain. Depuis le mois de Mars, Jars n’a plus rien posté sur son Bandcamp. Sur son Instagram, une annonce de concert à Moscou en avril et la promesse d’un autre concert au mois de septembre en compagnie de deux autres groupes amis. Deux morceaux postés voici cinq mois sur leur soundcloud, sont leurs derniers signes d’existence. Nous espérons qu’ils vont bien…

    new rose,heather nova,aretha franklin,charlie musselwhite,randy holden,alis lesley,simone poussière,rockambolesques

    L’on s’attendait à une de ces tornades bruiteuses auxquelles Jars nous a habitué, il n’en est rien, frôlement de guitares et mélodie crépusculaire, un chant funèbre et c’est tout, des paroles qui évoquent la brisure de la musique et la mort mentale qui s’en est suivie. Est-il besoin d’explications supplémentaires ?

    Damie Chad.

     

    *

    Dans notre livraison 541 du 10 / 02 / 2020 nous avons chroniqué l’album The Republic du groupe américain Thumos. Enchanté par l’originalité de cet album nous avons par la suite chroniqué tous les opus et tous les titres de Thumos disponibles sur leur bandcamp. Rappelons que The Republic présente dix morceaux instrumentaux correspondants aux dix livres de La République de Platon. Un projet insensé, un résultat extraordinaire. Reste que Peri Politéia ( A propos de l’Etat ) – nous traduisons par La République car en occident nous utilisons les termes philosophiques grecs d’après la traduction latine qu’en a opéré Cicéron  - est un ouvrage long, complexe et subtil. Depuis des siècles des gloses n’ont cessé de s’accumuler soit pour expliciter, soit pour interpréter ce livre-phare de la philosophie. Prudemment Thumos a préféré n’en dire mot, préférant à une démarche diserte une entreprise poétique d’évocation musicale. Le principal désagrément de la lecture de Platon réside en ce que votre esprit n’en finit plus d’établir des liens entre les diverses parties de l’ouvrage ou de se perdre dans les abysses vertigineux soulevés par les résonnances que suscitent en vous certains passages… Dans les tiroirs de Thumos restaient trois morceaux relatifs au cœur de la doctrine platonicienne. Très modestement Thumos les a nommés les B-sides de leur album et les ont réunis sous le titre :  

    KALLIPOLIS

    THUMOS

    (Tke complete B-sides collection from The Republic / Octobre 2022 )

    new rose,heather nova,aretha franklin,charlie musselwhite,randy holden,alis lesley,simone poussière,rockambolesques

    Nous traduirons le titre de cet album par l’expression française consacrée : La Cité idéale – en tant que reflet de ce qui est beau, juste tet bon – il convient évidemment d’entrevoir l’adjectif qualificatif ‘’ idéale’’ selon sa jonction avec la théorie contemplative des Idées.

    The guardians : ne nous laissons pas tromper par le rythme quelque peu martial et grandiloquent du morceau. Les gardiens dont il est question ne sont pas des policiers chargés de faire régner l’ordre dans les rues de la Cité, ce serait-là un grave contresens, encore moins les guerriers prêts à parer toute attaque ennemie. Si le rythme n’en finit pas de s’accélérer c’est qu’ici Platon, par l’entremise de Socrate, évoque un sujet de la plus haute importance qui exige des auditeurs et des lecteurs une attention sans défaut. Les gardiens sont les plus hauts responsables de la cité, leur éducation ne saurait être bâclée. Elle est présentée dans le Livre III de la République mais l’ouvrage en son entier est dédié à la formation de cette élite. Depuis des siècles elle a choqué bien des esprits. Les esprits modernes ont du mal à saisir la logique de sa conséquence. Platon conseille en effet de chasser les poëtes de la Cité. On pense tout de suite à ces sociétés qui réglementent d’une façon très coercitive la lecture et la pensée de leurs citoyens. Le vingtième siècle regorge d’exemples déplorables… Les gardiens ne doivent pas se laisser séduire par les artifices de la beauté des formules poétiques, celles-ci s’adressent à notre sensibilité, or la pensée doit se dégager de nos sensations émollientes et se laisser guider par une vision intelligible des choses. Les gardiens ne se laissent point submerger par leurs impressions ou leurs émotions puisqu'ils désirent émettre des jugements justes dégagés de toute circonstance adjacente. L’on comprend mieux l’urgence vindicative de ce morceau, la poésie est un poison redoutable, un dissolvant des énergies mentales, elle est le pire des ennemis de la Cité car elle rend aveugle l’élite dirigeante privée de tout discernement. The sun : ce soleil ne désigne pas l’astre bienfaisant que nous connaissons tous, c’est une métaphore du soleil des Idées, ces formes suprêmes dont tous les objets de ce que nous appelons la réalité ne sont que des reflets instables et grossiers. Nous sommes au Livre VII celui qui expose le fameux mythe de la Caverne. La musique s’est apaisée, elle progresse lentement, l’on n’accède pas à la vision des Idées platoniciennes en quelques secondes, c’est un chemin long, difficile et ardu. La batterie semble presser nos pas, mais les cordes émettent comme des échos tremblés qui nous obligent à ralentir, à faire attention, ne pas se précipiter tel un insecte qui s’écrase et se brûle au feu d’une torche. Le morceau se termine par deux pointillés sonores, deux points lumineux encore lointains mais qui témoignent que nous sommes sur le bon chemin. The divided line : tremblements cordiques, l’on retrouve l’élan de The guardians et la retenue de The Sun étroitement conjugués. Un pied dans les dangers marécageux du monde sensible, un pied dans la brillance inaltérable du monde idéel, à cheval sur la ligne de démarcation qui sépare le mensonge des apparences de la vérité des idées. Une frontière dangereuse qu’il faut savoir franchir sans hésitation, ce qui exige une longue préparation, de profondes réflexions, car la lumière des Idées apparaît comme intensément obscure lorsque l’on se trouve encore dans le mauvais côté des choses. Ce titre peut être raccordé à la lecture du Livre 7, mais il peut s’appliquer à l’ensemble du volume, car les discussions qui s’enchaînent entre Socrate et différents intervenants procèdent de la même méthode principielle celle de séparer les fausses opinions de la véritable pensée. Un peu comme Thétis qui brûle les parties mortelles de son bébé Achille pour ne garder que les fragmences immortelles et faire accéder ainsi son enfant délesté de ses scories humaines imparfaites dans le royaume de l’immortalité.

    new rose,heather nova,aretha franklin,charlie musselwhite,randy holden,alis lesley,simone poussière,rockambolesques

             Ces trois morceaux sont magnifiques. Un régal pour les amateurs de doom et de philosophie. Ils s’adressent au cœur et à l’intelligence de ses auditeurs. De quoi attendre sereinement la sortie de la prochaine œuvre de Thumos, intitulée Symposium, consacrée à ce dialogue de Platon nommé Le banquet en notre langue.

             Thumos, un groupe différent. Unique.

    Damie Chad.

     

     

    ALIS LESLEY

    new rose,heather nova,aretha franklin,charlie musselwhite,randy holden,alis lesley,simone poussière,rockambolesques

    Mais qu’est donc devenue Alis Lesley ? Disparue sans laisser de traces depuis une soixantaine d’années. Question récurrente que bien des amateurs de rock ‘n’roll se sont posés. La parution du dernier livre de Bob Dylan a ranimé la flamme de la curiosité. Non, il ne lui a pas consacré un des soixante-six chapitres de sa Philosophie de la chanson moderne. L’a fait beaucoup mieux, l’a mise en couverture entre Little Richard et Eddie Cochran. Ce n’est pas un montage photographique, un cliché pris en Australie. Connu de tous les amateurs de rock, il en existe même depuis quelques années une version colorisée. La beauté étincelante de Leslie a fait le buzz sur internet, quelle est cette inconnue ?

    new rose,heather nova,aretha franklin,charlie musselwhite,randy holden,alis lesley,simone poussière,rockambolesques

    Comment et pourquoi s’est-elle retrouvée à l’affiche de cette tournée australienne qui réunissait trois des plus importants pionniers du rock : Little Richard, Eddie Cochran et Gene Vincent, excusez du peu.  D’une façon très simple, c’est Elvis Presley, le King en personne qui a joué de son entremise pour qu’elle en fasse partie. Elvis fut subjugué par l’apparition publique d’Alis Lesley au Silver Slimmer Gambling Hall de Las Vegas. Il existe plusieurs clichés de leur rencontre, l’on y retrouve la jeune et frêle Alis d’une beauté étincelante au côté d’Elvis qui arbore cette moue dédaigneuse qui fit fureur dans le cœur des demoiselles de l’époque…

    Ce n’est pourtant pas sa rencontre avec Elvis qui lui valut son surnom d’’Elvis Presley Female. Ce dernier mot n’a pas en langue anglaise la connotation péjorative que la langue française lui octroie souvent. C’était un slogan publicitaire initiée par le chef d’orchestre Buddy Morrow indissociable du milieu musical et journalistique dans lequel Alis Lesley  débuta. Peut-être même se présentait-elle à ses tout débuts sous le nom d’Alis Leslie.

    Née en 1938 à Chicago, Dorothy Dott est une enfant de Phoenix (Arizona), c’est dans cette ville que ses parents déménagèrent et où elle fit ses études. Passionnée par le théâtre elle entra au Phoenix Junior College où elle fut remarquée par Kathryn Godfrey dont le frère Arthur avait atteint en tant que journaliste un renom presque national.

    new rose,heather nova,aretha franklin,charlie musselwhite,randy holden,alis lesley,simone poussière,rockambolesques

    Comme des centaines d’adolescent Alis subit le choc de la météorite Presley. Certes Elvis chantait mais ce n’est pas ce qui révolutionna en premier lieu le monde musical. Elvis bougeait, comme un nègre se hâtèrent de proclamer avec dégoûts ses détracteurs, Alis comprit le message. Certains témoignages affirment que sur scène elle en faisait plus que le gars de Tupelo. Nous voulons bien les croire, mais le fait qu’une gamine de dix-huit ans, blonde, belle et blanche osât se comporter ainsi en public et à la télévision locale avec un tel aplomb et un tel naturel - ne se produisait-elle pas pieds-nus – a dû percuter l’inconscient journalistique… elle se roule par terre, elle jongle avec le micro, se colle à la contrebasse, soumet son corps à de multiples étirements, se trémousse et danse sans jamais se départir de sa guitare. Pour la petite histoire son tour de chant était constitué de classiques du rock’n’roll, notamment Don’t be cruel et Blue Suede shoes.

    En 1957 Alis enregistre son unique disque, participe donc à la tournée australienne, donne quelques galas aux USA qui se terminèrent en émeute… elle semble bien partie pour devenir une des reines du rock ‘n’roll. Dès 1958, contre toute attente elle déclare qu’elle ne compte pas vieillir dans le showbiz, en 1959, elle quitte le métier non sans avoir enregistré une démo chez Sun… finissant en quelque sorte par où Elvis avait commencé…

    Qu’est-elle devenue ? Dès 1959 elle retourne à Phoenix s’occuper de sa mère malade. Par la suite elle devient professeur et missionnaire. Ce dernier terme semble bien énigmatique. Elle reste dans la région de Phoenix. Le dernier témoignage que j’ai pu relever dans un journal local de Phoenix nous la conte vêtue d’une façon bien moins affriolante que dans sa jeunesse, par contre, détail d’importance, dans la maison du guitariste Al Casey – a travaillé entre autres avec Duane Eddy, Lee Hazlewood et le Wrecking Crew, écoutez sa guitare suraigüe dans le Bird doggin’ de Gene Vincent – cette scène se passe en 1995. L’article nous assure qu’elle conseille les jeunes gens qui aimeraient se lancer dans une carrière artistique… Tout ce que l’on peut espérer c’est que sa mise en avant sur la couve du bouquin de Dylan l’incitera à se livrer à un journaliste… Elle devrait avoir 85 ans aujourd’hui…

    Single : ERA RECORDS (1957)

    new rose,heather nova,aretha franklin,charlie musselwhite,randy holden,alis lesley,simone poussière,rockambolesques

    Era Records fut fondée en 1955 en Californie par Herbet Newman et Lew Bedell qui mirent fin à leur aventure en 1959. Le label fut racheté par K-Tell Records ce qui explique sur ce même label la sortie en 2008 d’Un EP cinq titres d’Alis Lesley : Barefootin’ Rockabilly Angel, dommage que la pochette ne soit pas à la hauteur du titre !

    N’est pas seule sur le disque puisqu’elle est accompagnée du Johnny Mandel Orchestra. Cette formation qui compta jusqu’à quinze membres n’a pas laissé, semble-t-il une trace indélébile dans l’histoire de la musique, mais a enregistré avec Amos Milburn, pianiste de boogie-woogie qui eut son heure de gloire dans les années 50, son premier album ( 1952 ) ne s’intitule-t-il pas Rockin’ the boogie

    He will come back to me : l’influence de Presley est indéniable sur l’orchestration et le vocal. Se débrouille bien la merveilleuse petite Alis, un peu desservie par des chœurs masculins qui sont loin des Jordanaires, une belle guitare pointilleuse, une contrebasse qui nous ramène vers Bill Haley et cette voix qui s’essaie à griffer et à se balancer avec une souplesse de jaguar. Une belle réussite. Heartbreak Harry : un peu à la Ray Charles, la voix n’est pas assez posée, du coup elle n’en paraît que trop blanche, le même guitariste doué, je subodore Al Viola qui accompagna pendant vingt-cinq ans Frank Sinatra,  se taille un beau solo sur un fond de cymbales jazzy, et ce qui ne nous étonne plus, ces doux éclats de cuivres en soutien qui n’osent pas se faire remarquer, Johnny Mandel oublie le rock ‘n’roll et l’ensemble vous prend sur la fin une connotation d’orchestre swing. L’orchestre de Mandel comportait une douzaine de cuivres.

    Compilation : SLEAZY RECORDS (2016)

    new rose,heather nova,aretha franklin,charlie musselwhite,randy holden,alis lesley,simone poussière,rockambolesques

    Cette compilation Sleazy comprend évidemment les deux titres d’Era.

    Handsome man : la demo ( take 2 ) enregistré en 1959 chez Sun Records, vous la retrouvez chez Charlie Records et Bear Family ) ; un morceau de Charlie Rich, mais d’après moi ce n’est pas lui qui officie au piano, la voix d’ Alis est mûrie, elle a pris de l’ampleur sans perdre son élasticité, l’ensemble sonne jazz, très agréable à écouter mais l’on aurait aimé quelque chose de plus rock chez Sun ! Le traitement de la voix n’est pas sans évoquer le Crazy beat de Gene Vincent. So afraid : le slow-jazz à consonnance pré-early sixty, l’on retrouve l’orchestre Johnny Mandel avec ses chœurs masculins peu convaincants, une batterie en sourdine traîne-nageoire, heureusement que la guitare d’Al Viola sauve la face, Alis vous prend une de ces voix sucrées qui guérirait votre cancer de la gorge si par malheur vous en aviez un. Why do I feel this way : le blues-slow de service à la Elvis, avec sa guitare hawaïenne, l’a une voix grave Alis, l’on ne s’y attendait pas, l’on aime, l’on aimerait qu’elle vienne nous bercer le soir, sûr que les anges viendraient visiter notre sommeil. Après les shoo-be-doo du précédent et les wha-wha-doo-wap de celui-ci l’on est parti pour le trip nostalgie. Soyons honnête, son absence ne nuira pas à la culture indispensable d’un jeune homme ou d’une jeune fille moderne du vingt-et-unième siècle. Don’t burn your bridges : ballade romantique, ambiance club de jazz de troisième zone, piano langoureux et guitare à effets larmoyants, Alis chante avec la mélancolie d’une femme qui voit se profiler la ménopause à l’horizon de sa vie, le truc à faire chialer la ménagère de plus de cinquante ans. C’est peut-être la pensée de l’inéluctable qui a poussé Alis Lesley à disparaître dans les paillettes multicolores de sa gloire aurorale. Vivre vite et mourir vieille.

             Ou alors peut-être n’a-t-elle pas voulu abdiquer son rêve de jeunesse rock’n’roll. Les râteaux de la récupération selon les vieux modèles établis l’ont effrayée, l’est sûr que l’establishment politique et musical ont tout fait dès la tonitruante apparition de Presley pour tuer le poussin du rock’n’roll pas encore dégagé de sa coquille dans l’œuf. A-telle jugé que les voies de garage n’étaient pas pour elle…

             Qu’importe, un rêve évanoui reste toujours un rêve, une semence d’or inaltérable, qui survit dans la mémoire humaine et refuse de périr.

    Damie Chad.

     

    *

             Certains visent le million d’exemplaires, livres ou disques, d’autres misent sur la rareté. Deux démarches différentes. MMLI publient des cassettes alors que les lecteurs de minicassettes se raréfient dans les appartements de monsieur tout le monde. Ce qui n’est pas grave, MMLI compte sur les individus. La cassette que nous allons écouter a été tirée à trente-neuf exemplaires, chaque étui peint à la main est unique. A thing of beauty is a joy for ever disait Keats. Les bibelots ne sont pas tous d’inanité sonore. Ils sont des vecteurs qui vous emmènent où vous rêvez de vous rendre.

             Nous avons déjà rencontré Delphine Dora chez Kr’tnt ! par exemple dans notre livraison 529 du 11 / 11 / 2021. Ici il s’agit d’un projet à trois têtes, nous rencontrerons les deux autres branches du trident dans nos prochaines livraisons. 

    QUELQU’UN REVIENDRA-T-IL ?

    SIMONE POUSSIERE

    Delphine Dora  / Mathias Dufil / Cathy Heyden

    (K7 / MMLI / 2020 / Bandcamp)

    new rose,heather nova,aretha franklin,charlie musselwhite,randy holden,alis lesley,simone poussière,rockambolesques

    Delphine Dora : piano, voix, samples, synthés, objets, sons, texte / Mathias Dufy : guitare, piano, voix, électronique, sons, texte / Cathy Heyden : saxophone.

    Il existe deux sortes de poussière. Celle d’origine biblique, poussière tu es, poussière tu retourneras, expression d’un dieu jaloux, des hommes et des femmes, et l’affirmation grecque : Les dieux n’ont pas eu d’autre substance que celle que j’ai moi-même, magistralement mise en scène par le poëte espagnol Juan Ramon Jimenez dans Espace, son poème ouragan qui correspond au remuement des dés dans le cornet de corne de licorne - unicorne de la folie mallarméenne d’Igitur. Les dieux grecs s’unissant sans hésitation avec les femmes et les hommes, preuve que leur différence congénitale n’était point insurpassable.

    Dommage pour Simone Poussière, interprétée par Delphine Dora, Mathias Dufil, et Cathy Heyden, sa vie de femme est ici entrevue comme poussière biblique. S’appeler Poussière est une triste définition de soi-même surtout si l’on sait que le prénom d’origine hébraïque signifie ‘’qui est exhaussée’’, les lecteurs goûteront l’ironie amère de cette dénomination.   Nos trois artistes pris de pitié lui ont conféré  le titre d’interprète de leur album. Un lot de consolation en quelque sorte. Faisant de sa triste vie une entité représentatrice de millions de personnes.

    new rose,heather nova,aretha franklin,charlie musselwhite,randy holden,alis lesley,simone poussière,rockambolesques

    Corps se forme : notes noires de piano, bruit de conversation, Delphine Dora conte l’enfance de Simone Poussière, sa solitude, sa pauvreté, est-ce pour cela que la mélodie qui essaie – et peut-être qui n’essaie pas - de naître est formée de notes esseulées, de bruits divers, de sons épars qui se perdent, il est des dépouillements sonores qui confinent à l’humilité terreuse des existences évoquées… le corps se forme, pas assez de matière pour rajouter une âme dans le vide de la chair… Vezelay : des bruits informes qui râclent, une vrillée de notes pianistiques, des clochettes du malheur qui vous inondent la tête, Mathias a lu un début de texte, la vie de Simone à la dérive, qui crack de partout, Mathias se tait comme s’il était inutile d’aller jusqu’au bout, peut-être au fond un chantonnement a-t-il voulu prendre forme, mais il se déchiquette en semblant de parole pour se jeter dans le delta de voix issues peut-être de stations de radio inconnues et incompréhensibles, le monde se défait, un saxophone rampe comme la vermine sur des corps brisés, incommunicabilité des êtres, la musique est un chaos de glaciers qui avance lentement vers l’on ne sait quoi, la vie de Simone est un miroir brisé, existe-t-il vraiment un de ces éclats qui brillerait comme un espoir. Un miracle à Vézelay ? Simone n’a peur de rien : enfin une guitare qui joue, tout est dans la tête, Delphine Dora nous conte la ballade de Simone Poussière, un western terne depuis le début, une enfance triste comme la mort, une rencontre heureuse qui se terminera comme une feuille de papier déchirée, la spirale de l’échec, Simone n’a peur de rien, le rebut de sa vie ne la rebute pas. Grincement perçant. Et si demain : des mots du quotidien et des sons qui se heurtent entre eux, désagréablement des avions perdent de l’altitude, et si dans ce fatras demain se levait un soleil, ni la voix de Mathias ni le son qui se désagrège n’osent y croire, la vie est une promesse vide. Où es-tu ? : notes qui tombent, mots qui chutent, la médiocrité d’une existence suinte dans le constat implacable, des bruits nous hantent, de voitures, d’oiseaux sans envol, de tremblements de sonneries hypothétiques de téléphone, l’espoir n’est qu’un rêve passé à peine chuchoté, une voix intérieure qui essaie de peindre le réel de couleurs moins livides, une exaltation minée de rires sarcastiques, une plainte, passe-t-on à côté du bonheur, ou est-ce juste une illusion d’occasion ratée, un serpent sans tête se mord la queue, des flots de notes recouvrent le rêve éteint à la manière de la marée qui efface les châteaux de sable, majordomes du malheur précurseurs du cercueil. Les arbres : une guitare sonne et des bruits sifflent sans méchanceté, c’est l’heure de la récapitulation finale, toute la vie qui défile, un film dont les images s’assombrissent, les arbres vivent plus longtemps que nous, ils sont la mémoire du monde, nous ne faisons que passer, halètements de saxophone tiennent lieu de gémissements, vu du dedans la laideur est plus belle, il s’en dégagerait presque une harmonie à pas lourds, l’on avance sans hâte, le même geste qui écrit efface les mots au fur et à mesure, respiration rauque et agonique, la boule de neige noire de la vie se disperse selon la dissolution finale. Quelqu’un reviendra-t-il : des plis de sons, des effarements de frémissements, des notes de musique pour mieux entendre le silence, deux voix superposées nécessaires pour dresser le constat de ce qui a été et qui déjà n’est plus. Simone est redevenue ce qu’elle était, poussière. Roulements des charrois du mystère, tout est-il irrémédiablement perdu, ou alors quelqu’un reviendra-t-il dans le chatoiement de sa vie merdique, sur l’harmonium de l’église, des anges aux ailes cassés plaquent des désaccords tordus d’angoisse. Litanie funèbre sans réponse.

    Splendide. Noir, très noir. Une musique qui se défait en se déconstruisant, des voix qui disent en refusant toute embellie phonique, murmures de lichen sur les pierres tombales de cimetières. Une œuvre sans concession en équilibre précaire sur le fil du nihil. Magnificat fêlé élevé à la gloire du néant humain.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    new rose,heather nova,aretha franklin,charlie musselwhite,randy holden,alis lesley,simone poussière,rockambolesques

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

    EPISODE 10 ( récapitulatif ) :

    49

    Le chef exhibe de son tiroir à Coronado un tube métallique, pas besoin d’être un devin pour comprendre de quoi il s’agit. 

             _ Regardez Agent Chad, ces étuis métalliques je les utilise pour tromper l’ennemi, lorsque j’en sors un de ma poche celui qui me tient en joue pense que je vais le prier de me laisser fumer un dernier cigare avant de mourir, il ne s’attend pas lorsque je dévisse le capuchon à ce que je le jette sur lui.

             _ Ah ! Chef, je vous ai déjà vu faire le coup du lancer de nitroglycérine, quel plaisir d’assister à la retombée de confetti de chair humaine, même qu’une fois mon perfecto a en été tout constellé, tellement marrant que pendant huit jours je l’ai porté sans le nettoyer, jusqu’au jour où Molossa n’y tenant plus me l’a astiqué d’une langue experte ! Hélas j’ai oublié de noter cette scène cocasse dans mes Mémoires d’un G. S. H. ! Je sors mon stylo et…

             _ Agent Chad, ne soyez pas submergé par l’inspiration poétique,  je vous montre ce tube pour une tout autre raison. J’en garde toujours deux ou trois vides tout au fond de ma réserve à Coronado, l’on ne sait jamais… mais hier après-midi, pris par une envie subite, ce n’est pas du tout mon habitude, je plonge ma main dans mon tiroir, sans trop regarder, et ne voilà-t-il pas que mes doigts rencontrent ce tube que je tiens présentement en la main. Etrange, ils sont normalement rangés sous une bonne épaisseur de Coronados, or là quelqu’un l’a mis intentionnellement en évidence.

    _ Quelqu’un est donc rentré dans le local après mon départ et a profité d’une de vos absences…

    _ Agent Chad, après votre départ je n’ai pas bougé de mon bureau, j’ai travaillé assidument, à peine si j’ai pris le temps de fumer une petite quinzaine de Coronados, mais ce n’est pas le plus important, tenez lisez, ce petit morceau de papier qui dépassait de son embouchure !

    50

    Je n’en crois pas mes yeux, je le relis quatre ou cinq fois avant de reprendre mes esprits :

    Monsieur Lechef,

    Je vous en prie, faites vite, Monsieur Damie est en danger, vous seul pouvez le sauver. Songez aussi à Molossa et Molossito, si vous arrivez à temps, veuillez offrir à ces deux braves bêtes, elles sont si trognonnes, un bocal de fraises Tagada, de ma part. Je vous en remercie.

    Veuillez aussi transmettre mes amitiés à Monsieur Damie.

    51

    Un agent du SSR ne pleure jamais, mais là je ne sais retenir mes larmes, je pleure comme un paquet entier de madeleines de Proust.  Alice ! J’ai reconnu son écriture ! Depuis le royaume des morts, elle cherche à me protéger, cette fille est vraiment exceptionnelle !

    52

    Le Chef profite de mon émotion pour allumer un Coronado.

             _ Extraordinaire, n’est-ce pas Chad ? Mais ce n’est pas tout, il y avait un deuxième bout de papier, sa lecture risque de provoquer en vous un sentiment tout différent. Il m’est spécialement adressé, toutefois je vous laisse le lire pour que nous en discutions.

    Une cartonnette de cinq à six centimètres de long tapée à la machine : ‘’ Père, vous vous êtes trompé de chaise !’’ Je m’apprête à faire remarquer au Chef que je ne savais pas avait engendré au moins un enfant, lorsque l’évidence m’aveugle :

             _ Chef, nous avons donc passé une semaine à arpenter les allées du Père Lachaise en pure perte !

             _ Exactement, Agent Chad, excusez-moi de vous avoir fait perdre votre temps. Je vous l’avais déclaré, j’ignorais ce que je cherchais, le matin même de notre première visite, j’avais trouvé avant de venir au local, dans ma boîte aux lettres une enveloppe blanche contenant cette feuille tapée – le Chef la sort de la poche arrière de son pantalon – ainsi libellée : ‘’ Ce que vous cherchez se trouve au Père Lachaise’’.

             _ Vous m’aviez parlé d’une affaire personnelle…

             _ Oui bien sûr, je pense que cela vient de loin, une intuition, que je ne peux appuyer sur aucun indice tangible.

    _ Chef j’ai l’impression qu’il existe une logique dans cette aventure, que tout se tient, mais que nous ne parvenons pas faire un lien quelconque entre ses divers épisodes assez mouvementés, nous tournons en rond, nous sommes en quelque sorte manipulés par l’affaire elle-même, prisonniers d’un vortex qui nous emporte, rien d’extérieur, aucune branche salvatrice à laquelle nous pourrions nous accrocher pour prendre un peu de hauteur et examiner à tête reposée ces évènements disparates…

    _ Agent Chad, savez-vous la différence ontologique qui existe entre vous et moi ?

    _ Heu ! non Chef, je ne vois pas, bien sûr je suis un GSH…

    _ C’est pourtant simple, moi quand je ne sais pas, je ne sais pas, vous quand vous savez, vous l’ignorez !

    _Chef, je reste dans l’expectative !

    _ Pourtant Agent Chad vous cherchez ce que par métaphore vous avez nommé une branche…

    _ Hélas, je ne suis pas assez fort pour percer cette métaphore !

    _ Agent Chad, sortez de votre marasme intellectuel, nous n’avons pas une branche à notre portée, mais deux ! Action immédiate !

    53

    Comment n’y avais-je pas pensé plus tôt ! J’arrête la modeste 208 grise que je viens de voler juste en face de notre cible. J’ai choisi un modèle aux vitres teintées, dans la lueur blafarde qui tombe des lampadaires personne ne saurait reconnaître nos silhouettes, encore faudrait-il les apercevoir. Sur le siège arrière Molossito et Molossa mastiquent le bocal de fraises Tagada que le Chef leur a acheté. Ils ont gémi lamentablement quand il l’a déposé entre eux, les braves bêtes ont compris que c’était un cadeau de leur amie Alice dont l’absence leur pèse.

    _ Attention à ne pas les rater Agent Chad avec tout ce monde qui sort et entre comme dans un moulin.

    _ Pas de problème Chef, leur véhicule de fonction est à une vingtaine de mètres devant nous !

    _ N’oubliez pas que ce sont de sacrés loustics, bouffent à tous les râteliers, et on les invite souvent !

    _ Oui Chef, pas plus tard que hier ils étaient à l’Elysée !

    _ Attention, Lamart et Sureau sortent du journal, attendez qu’ils aient refermés leurs portières.

    Ils n’ont même pas encore mis leurs clignoteurs que nous sommes assis juste derrière eux, Molossa et Molossito se sont hissés sur la plage arrière en grognant, l’on sent leur colère mais nos deux Rafalos pointés tout contre leur nuque les calme immédiatement.

             _ Bonsoir messieurs, hier vous désiriez un petit entretien avec moi, me voici, je me suis permis d’emmener mon collègue avec moi !

             _ Ah ! Ah, le fameux Chef du Service Secret du Rock ‘n’roll ! Enchantés Monsieur.

             _ Appelez-moi simplement Chef, ce n’est pas que j’y tienne   particulièrement, tout de même dans notre société il est bon de rappeler que les gratte-papiers qui s’en vont chercher leurs ordres à l’Elysée sont un cran au-dessous des agents secrets du rock’n’roll !

             _ Si vous enleviez vos pétoires collées sur nos nuques, nous sommes sûrs que notre conversation serait plus détendue.

             _ C’est que n’avons pour le moment aucune envie de discuter, nous aimerions que vous nous emmeniez faire un tour !

             _ Nous ne sommes pas une agence de voyages !

             _ Rassurez-vous l’endroit est charmant !

             _ Vous avez donc décidé de nous emmener dans un bon restaurant pour échanger placidement quelques informations

    _ Vous avez deviné !

    _ Nous allons où, s’il vous plaît ?

    _ Au cimetière de Savigny !

    Un silence de mort s’installa dans la voiture…

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 578 : KR'TNT 578 : HAROLD BATTISTE / ROBERT FINLEY / BOB DYLAN / HELLACOPTERS / SHORTY LONG / BARABBAS / BOB DYLAN / ROCKAMBOLESQUES

      KR’TNT !  

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

     

    LIVRAISON 578

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    08 / 12 / 2022

     HAROLD BATTISTE / ROBERT FINLEY

    BOB DYLAN / HELLACOPTERS

    SHORTY LONG / BARABBAS

    BOB DYLAN / ROCKAMBOLESQUES

    Sur ce site : livraisons 318 – 578

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    Battiste le battant

     

    , harold battiste, robert finley, bob dylan, hellacopters, shorty long, barabas, rockmbolesques,

             Harold Battiste Jr n’est pas aussi connu que Cosimo Matassa ou Fats Domino, il compte pourtant parmi les personnages les plus légendaires de l’histoire musicale de la Nouvelle Orleans. Les plus aguerris de notre tribu savent que Doctor John et Sonny & Cher lui doivent leurs succès respectifs. Mais ce n’est que la partie visible de l’iceberg Battiste.

    harold battiste,robert finley,bob dylan,hellacopters,shorty long,barabas,rockmbolesques

             Un éditeur de la Nouvelle Orleans (The Historic New Orleans Collection) eut en 2010 l’idée géniale de publier l’autobiographie d’Harold Battiste, Unfinished Blues - Memories Of A New Orleans Music Man. Ce n’est pas seulement un ouvrage capital, historiquement parlant, mais c’est en plus un bel objet, d’un format inhabituel, un peu plus haut qu’un 45 tours mais un peu moins large qu’un 33 tours, beau choix de papier, un couché demi-mat sensuel, agréable au toucher, beaux choix typo, un corps 11 justifié avec tact et pas trop interligné, d’où l’impression d’une extrême densité, et bien sûr, des pages richement illustrées, avec pour sonner le tocsin des ouvertures de chapitres, des doubles assez spectaculaires, par exemple Harold et Mac Rebennack, Harold et Sonny & Cher, Harold et Tami Lynn, Harold et Ellis Marsalis, toutes ces doubles sont absolument somptueuses, en pleine force de l’âge car traitées en bichromie. C’est avec ce type d’ouvrage que l’édition joue son rôle : honorer la mémoire des grands artistes. Rien n’est trop beau dès lors qu’il s’agit d’artistes du calibre d’Harold Battiste. On y va les yeux fermés.

    harold battiste,robert finley,bob dylan,hellacopters,shorty long,barabas,rockmbolesques

             Pour les ceusses qui sont passés par la bible, c’est-à-dire le Broven (Rhythm And Blues In New Orleans), l’Unfinished Blues est une manière comme une autre de réviser ses leçons. Né au début des années 30, Harold Battiste est à l’origine un musicien de jazz, mais aussi arrangeur/compositeur, qui a vu la scène locale évoluer. Il nous emmène donc chez Cosimo le héros, et Art Rupe l’embauche comme pisteur de talents pour le compte de Specialty. On touche donc au cœur battant du mythe de la Nouvelle Orleans. Mais le plus frappant dans cette histoire, c’est qu’Harold ne fait pas étalage de ce prestige. Au contraire : il fait preuve d’une extraordinaire humilité, il raconte ses souvenirs avec une sorte de retenue et rend hommage à ses pairs à la manière d’un petit black qui a grandi dans un quartier pauvre. Il n’évoque jamais les drogues, ni le sexe. On est à l’opposé de The Brothers, l’ouvrage qu’écrivit David Ritz avec Charles, Aaron, Cyril et Art Neville.

             Plus frappant encore : le jeune Harold n’a rien d’une rock star. Jeune, il est assez rondouillard, pas du tout sexy. C’est l’image qui orne la couve du book. Bouboule ! Mais il parvient à séduire une très belle femme, Yette, qu’on voit souvent en photo à l’intérieur du book. Ensemble, ils vont élever quatre enfants. Pendant toute sa vie, Harold reste fidèle à ses deux passions : sa famille et la musique. Il se croit à l’abri des catastrophes. Fatale erreur ! Il consacre la deuxième partie de son autobio à ses déboires matrimoniaux. Le malheureux n’est pas armé pour se battre contre les infortunes de la vertu. Pour ne pas morfler, il fait l’autruche. On le voit au fil des ans changer de look : il maigrit, porte des vêtement africains, comme le fait aussi Eddie Bo, et se laisse pousser une barbichette blanche de sorcier du village. Voodoo !

    harold battiste,robert finley,bob dylan,hellacopters,shorty long,barabas,rockmbolesques

             C’est en 1956 qu’Harold fout les pieds pour la première fois chez Cosimo, on Governor Nicholls Street, dans le Quartier Français, un vieux bâtiment nous dit Harold qui «abritait» jadis des esclaves. C’est là qu’Harold découvre ces musiciens extraordinaires que sont Alvin Red Tyler, Lee Allen et Earl Palmer, the cream of the crop, comme il dit, des gens qui ont accompagné Fatsy et Little Richard - We were younger than those cats and we were generally considered be-boppers who were not interested in the music they were recording - Harold et ses amis font la section de cuivres. Puis Harold est repéré par Joe Banashak, le distributeur de Specialty à la Nouvelle Orleans. Ça tombe à pic, car juste à ce moment-là, Art Rupe perd de l’argent avec ses enregistrements de Sam Cooke. Il a besoin d’un coup de main et il fait venir Harold à Hollywood pour bosser à la cave sur les bandes de Sam Cooke. Objectif : trier et choisir de quoi faire un bon album. Art Rupe vient tout juste d’embaucher un petit blanc bec qui conduisait un camion et qui, à l’occasion, compose des chansons : Salvatore Bono. Ils vont bosser ensemble et ça clique aussitôt entre les deux - Dès le départ, Sonny m’a impressionné par son ouverture et son esprit de camaraderie. Il était charmant et incroyablement smart. Il était fasciné par le fait que je venais de la Nouvelle Orleans. On a commencé à bosser ensemble et il a tout découvert à mon sujet - mon éducation, mon expérience de professeur de musique, et mes aptitudes en tant que musicien de jazz, arrangeur et compositeur - il m’a donc placé sur un piédestal - C’est une amitié qui affrontera avec succès l’épreuve du temps, puisqu’Harold deviendra le directeur musical de Sonny & Cher. Harold indique aussi que Totor fascinait tant Sonny que ce dernier voulut absolument recréer le fameux Wall of Sound pour ses premiers enregistrements, notamment «I Got You Babe».

    harold battiste,robert finley,bob dylan,hellacopters,shorty long,barabas,rockmbolesques

             Mais quand il bosse pour Specialty, Harold en bave, car les artistes qu’il recommande ne plaisent pas à Art Rupe : Chris Kenner, Irma Thomas, et Allen Toussaint. Le seul groupe qu’Art accepte s’appelle les Monitors. Il donne son feu vert à Harold pour les enregistrer. Here we go ! - Je connaissais le lead singer, Phoenix, quand il chantait des airs d’opéra at Xavier University. Il chantait high tenor (falsetto) comme Bill Kenny, le fameux lead singer des Ink Spots - Alors, on écoute les Monitors.

    harold battiste,robert finley,bob dylan,hellacopters,shorty long,barabas,rockmbolesques

             C’est une fois de plus Kent/Ace qui veille au grain et qui le moud : en 2011 paraît Say You! The Motown Anthology 1963-1968. Keith Hughes décrit dans le détail la courte existence des Monitors, un quatuor de Detroiters surdoués comprenant le futur Temptation Richard Street, Warren Harris, James Drayton, John Maurice Fagin et sa femme Sandra Fagin. Cette compile est tout simplement l’une des pires bombes jamais lâchées par Motown. Hughes n’en revient pas lui-même : pourquoi les Monitors n’ont pas explosé ? Pour lui, il n’y a qu’une seule explication : Berry Gordy avait trop de gens talentueux sur les bras. La compile propose l’album entier des Monitors, Greetings!... We’re The Monitors, suivi de 14 inédits, dont la plupart sont stupéfiants de qualité. Deux coups de génie sur l’album : «Baby Make Your Sweet Music» et «Time Is Passing By». Grosse attaque pour le premier, Motown revient par la bande, en plein dans le mille, Motown, oui, mais avec une qualité supplémentaire. Cette folle de Sandra Fagin y va au baby baby, elle bat largement les Supremes à la course. Hughes nous indique que «Baby Make Your Sweet Music» fut un hit de Jay & The Techniques, c’est donc une cover. Le heavy groove de r’n’b de «Time Is Passing By» reste imbattable. Richard Street dit dans l’interview qui documente le booklet que c’était pour les Monitors un privilège que d’être accompagné par les Funk Brothers - I truly think they were one of the greatest bands of all time - Sandra Fagin fait encore des ravages dans «Since I Lost You Girl». Elle y va la coquine ! On la voit ramer pour tirer la Soul des Monitors dans «Bring Back The Loving». Ils font du wild r’n’b avec «Number One In Your Heart», les Monitors te démolissent la capsule vite fait ! En un mot comme en 100, cet album est un passage obligé pour tout fan de Detroit Soul. Alors après, on passe aux inédits et c’est encore pire ! La série commence avec «Too Busy Thinking About My Baby», big shoot de Soul d’excelsior. Les Tempts en ont fait une version. S’ensuit «The Letter», un hit signé Smokey, pulsé par une énorme pression atmosphérique. Sandra Fagin chante à l’extrême pointe de la Soul et ça groove à la trompette. Ils groovent le «Poor Side Of Town» de Johnny Rivers jusqu’au délire, c’est d’une classe surnaturelle, presque insupportable. Ça grimpe dans les ponts et Richard Street chante à la folie. Tu vas retomber certainement de ta chaise en écoutant «Crying In The Night». En fait, les Monitors font bien la nique à Motown. On est chaque fois frappé par leur fantastique énergie. «I’m In Love With You Baby» n’a pas d’équivalent. Ils tapent «Anything» à l’heavy unisson du saucisson, c’est gorgé de chœurs et de fantastiques rasades d’anything. «Guilty» dégouline aussi de classe, ça chante à l’ultra-screaming de la crème de la crème, ils sont chaque fois les rois du monde, le temps d’une chanson.    

    harold battiste,robert finley,bob dylan,hellacopters,shorty long,barabas,rockmbolesques

             Les Monitors enregistrent un deuxième album en 1990 sur Motorcity, Grazing In The Grass. De la formation originale, il ne reste plus que John Maurice Fagin, Warren Harris et James Drayton. Ils ont perdu en route l’excellente Sandra Fagin, remplacée ici par Beverley Carpenter, mais on trouve aussi deux autre blackettes dans le cast, Leah Harris et Maxine Wood. Il n’y a pas d’autres précisions. Le boss de Motorcity Ian Levine, et Sylvia Moy, disparue récemment, produisent cet album incroyablement bon. Tu veux danser ? Alors écoute le morceau titre d’ouverture de bon balda, yeah tu y vas, tu jerkes aux yeah, c’est irrésistible, tu Grazes in the grass, tu es dans le move et tu t’amuses bien car les Monitors sont les rois du groove de dancing up, tu as le meilleur dancing Grass qui tu puisses espérer. Et ça continue avec «Cold As Ice», ils ramènent tous leurs vieux réflexes de doo-wop, aw comme c’est fin, comme ce mélange de diskö-beat et de Monitors back-drop peut être capiteux ! Ça devient carrément dément, tu as là une manifestation du grand Black Power. Avec «Rescue My Heart», ils vont plus sur la calypso, ils cultivent les clameurs de heavy Soul, peu de gens naviguent dans ces eaux-là. Retour au big heavy groove avec «Through The Test Of Time», ils restent dans leur move qui est le bon move, ils se cantonnent dans leur canton, ils groovent une sorte d’énorme mélasse de r’n’b, ça rame à la galère d’or, c’est fabuleusement bon. Avec des gens comme eux, tu te retrouves vite à sec de superlatifs. Pars simplement du principe que les Monitors ont du génie. Ils t’explosent le Test of time vite fait. Monitors forever ! Si tu écoutes les Monitors, tu recevras en échange le privilège de goûter à l’essence même du Black Power. Beverley Carpenter revient shaker le shake de «Brainstorm», fast and heavy au oh-oooouhh, une horreur ! Ils tapent ensuite dans Smokey/Sylvia Moy avec «Goin’ To A Go-Go», ils ont tout le son du monde et ça continue avec une cover de «Tears Of A Clown». Dernier coup de génie avec «Forever & Ever», fantastique groove de r’n’b avec du doo-wop par derrière, say it baby ! Elle est partout, la Beverley, elle se frotte à l’ail du génie black, elle se montre insistante et derrière, ça brasille dans le crépuscule des dieux.   

    harold battiste,robert finley,bob dylan,hellacopters,shorty long,barabas,rockmbolesques

             Harold enregistre aussi Larry Williams («Bad Boy»), Art Neville («Cha Dooky-Doo») et Jerry Byrne, le chanteur des Spades, («Lights Out») pour Specialty. Puis il commence à caresser l’idée saugrenue de monter un label à la Nouvelle Orleans. Lorsqu’il revient chez lui à la Nouvelle Orleans, le train qui le ramène de Los Angeles s’arrête en gare d’El Paso, au Texas, et une légende vivante monte à bord : Earl King. C’est à lui qu’Harold parle en premier de son idée. Il songe à monter un collectif, AFO Records et comme il connaît les ficelles de caleçon du biz, il monte un house-band avec John Boudreaux (beurre), Allen Toussaint (piano), Alvin Red Tyler (sax) et Melvin Lastie (cornet) - A dream team of studio players, a first-call cache of musicians qui étaient connus pour leur expérience, leur professionnalisme et leur ability to make it happen - Puis c’est le lancement officiel : «On May 29, 1961, à midi, l’état de la Louisiane enregistra the legal birth of AFO Records Inc.» AFO attire toute la crème de la crème de la Nouvelle Orleans : «Tami Lynn, Eddie Bo, the Tick Tocks, Willie Tee, Wallace Johnson, Pistol, Charles Carson, Bobbie Lee, the Turquinettes, the Wood Brothers, James Booker, Drits & Dravy (Mac & Ronnie) and Shirley Raymond.» Harold est fier d’AFO, qui a le plus grand éventail d’artistes de la Nouvelle Orleans, «from blues to jazz to funk to pop, kids to adult, male and female, Black and White.» En 1962, ils lancent un subsidiary label, At Last Records. Harold fait aussi partie des AFO Executives qui accompagnent Tami Lynn. Ils cassent la baraque partout où ils se produisent.

    harold battiste,robert finley,bob dylan,hellacopters,shorty long,barabas,rockmbolesques

             Il existe un album des AFO Executives With Tami Lynn. Paru en 1963, A Compendium n’est pas seulement un album d’early Soul. C’est surtout un album de jazz-groove, au sens où on l’entend chez Acid Jazz. L’«Everything’s Coming Up Roses» d’ouverture de bon balda donne le ton : fast jazz. Les Executives vont vite en besogne. Ils t’embarquent, même pas le temps de discuter. Ils proposent un extraordinaire petit brouet d’early Soul. Avec le solo de sax, tu te retrouves dans la réalité. Les Executives tapent dans le round midnite, Alvin Red Tyler et Harold se partagent les coups de sax, comme dans toutes les formations de jazz. Tami arrive enfin pour «Old Man River» et te swingue ça au carré, elle te coule entre les doigts, yeah-eh et tape l’Old man swing. Au piano, Harold devient wild as fuck ! Le hit de l’album est un instro, «Le John», ils tapent ça au heavy jazz. Le beurreman s’appelle John Boudreaux et le stand-up man Peter Bounce. Tami fait son retour avec «I Left My Heart In San Francisco», elle te groove ça vite fait. Elle est aussi balèze que Billie Holiday, elle peut même se montrer encore plus spectaculaire. Le reste de l’album s’enracine dans le jazz, ils te groovent «The Big B N» au bar de la plage. Harold et Alvin Red Tyler se tapent encore la part du lion avec «Old Wyne ».

             Harold raconte aussi l’arrivée de Pince La La chez AFO, au moment où ils recherchent des nouveaux talents : «Un jour Jessie Hill débarque avec une chanteuse nommée Barbara et un guitariste nommé Prince pour l’accompagner. De son vrai nom Lawrence Nelson, Prince était le frère de Walter Papoose Nelson, le guitariste de Fats Domino. Prince avait composé une chanson pour Barbara, «You Put The Hurt On Me». Comme Barbara avait du mal à caler le chant sur le rythme, Prince chantait avec elle pour l’aider. Il chantait si bien qu’on a décidé de l’enregistrer et de trouver autre chose pour Barbara.» Et en juin 1961, Harold emmène Prince et Barbara enregistrer chez Cosimo - Cosimo était beaucoup plus qu’un brillant recording engeener - he loved the music and the people who created it. His contribution was to capture as much as of the music’s spirit as possible.

    harold battiste,robert finley,bob dylan,hellacopters,shorty long,barabas,rockmbolesques

             C’est bien sûr Ace qui se charge de rééditer tout l’AFO : trois compiles Gumbo Stew ! Miam miam ! Le crack de Gumbo Stew (Original AFO New Orleans R&B) s’appelle Alvin Robinson, il a trois cuts en fin de compile, «Turned In Turned On», «Give Her Up» et «Empty Talk». C’est heavy pour l’époque, la basse démolit tout et Alvin chante comme un killer Wilson Pickett. Mac Rebennack signe le Turned In. Alvin chante son «Empty Talk» à l’écorchée vive, ouuhh ouuhh, il sait mettre le paquet. On retrouve aussi Tami Lynn avec l’excellent «Mojo Hanna», Tami est une fabuleuse shouteuse, elle explose tout, même le fouette cocher. On retrouve les autres protégés d’Harold, Barbara Georges (avec «I Know (You Don’t Love Me No More)», elle gueule comme la Shirley de Shirley & Lee, elle fait du sexe d’exotica incroyablement pré-pubère, elle est très en avance sur son époque) et Prince La La (avec un «Things Have Changed» dans lequel il s’implique prodigieusement, joli groove de New Orleans, bien gluant d’anymore). Autre légende du siècle : Eddie Bo, avec «Tee Na Na Na Nay», I’m on my way, Eddie fait son Ray Charles, quel beau Bocage ! Chœurs de rêve. On reste dans l’ultra légendaire avec «My Key Don’t Fit In» par Dr John & Ronnie Barron, les deux surdoués blancs locaux. C’est terrific de classe, avec un solo de clarinette New Orleans. Les AFO Executives envoient eux aussi une giclée de wild jazz avec l’«Olde Wine» qu’on va retrouver sur leur album, ils te dégringolent l’instro vite fait, on savoure l’excellence du Gumbo jazz, c’est puissant, bien drivé. Encore une fine lame avec Charles Carson et «Time Has Expired». Ce mec te chante ça au sec et net. Et pour finir, la surprise du chef : les Turquinettes avec «Tell Me The Truth», fantastique exotica de la Nouvelle Orleans, mélange explosif d’Africana et d’exotica, c’est à la fois wild et rocailleux, plein d’écailles, ça joue au raw du golfe. Dans ses liners, John Boven rappelle qu’Harold navigue au même niveau qu’Allen Toussaint, Dave Bartholomew et Paul Gayten. 

    harold battiste,robert finley,bob dylan,hellacopters,shorty long,barabas,rockmbolesques

             Rebelote la même année avec More Gumbo Stew (More AFO New Orleans R&B). Alvin Robinson y casse encore la baraque avec «Better Be Good». Alvin est un dur, un singer hors normes. Il tape aussi le «We Get Love» de King Floyd au raw, que de son, my son ! Barbara George tire aussi son épingle du jeu avec «Try Me». Elle est très persuasive, c’est une vraie sex girl, sidérante, superbe, sucrée, outrancière ! Wow Barbara, you got it ! Deux coups de génie sur ce More Gumbo Stew : Lee Dorsey avec «Ya Ya» (Absolument irréversible, sucre candy de la Cité des Morts) et les AFO Executives avec «Wyld». Harold est hot on heels, fast on the run, il pique sa crise et ça jazze dans les brancards. Eddie Bo est de retour avec «You Better Check», il groove ça jusqu’à l’os, il pose son yeah avec une classe inébranlable. Dr John et Ronnie Barron sont eux aussi de retour avec «Talk That Talk», ils sont dans le shuffle jusqu’au cou, ah comme ils sont drôles tous les deux ! C’est un duo d’enfer cousu de fil blanc, mais on se régale de les voir s’agiter dans leur bocal de légende. Pince La La fait le Fu Manchu du train fantôme de la Nouvelle Orleans, il dégouline de kitsch et agonise avec un petit scream à la crème de Cosimo. Tu ne peux pas espérer meilleure compagnie, ni meilleure légende. Harlod et Alvin Red Tyler accompagnent Willie Tee au sax sur «Always Accused» et Tami Lynn ramène son énorme présence avec «World Of Dreams», c’est un peu fleur bleue, mais elle dégage un truc purement animal. On se régale aussi des Tick Tocks avec «Gonna Get You Yet», un heavy groove à la Lee Dorsey, yeah yeah, bien fruité, typical New Orleans groovyta. Inconnue au bataillon, voilà Joan Duvall avec «Two Weeks Three Days», elle est bonne la petite Joan d’Arc, bien gospel, Joan c’mon ! Elle tente le coup, et il faut bien dire que c’est infiniment supérieur à tous les coups de gaga-Soul punk-blues portés à notre connaissance ces vingt ou trente dernières années. Joan, elle sait. Vers la fin, Tami Lynn ramène sa fraise avec une cover du «Light My Fire» des Doors. Elle le prend haut perché. Flambant neuf. Mais c’est difficile de passer après Jimbo, même si elle flambe à la fin. C’est à Johnny Adams que revient l’honneur de refermer la marche, avec un heavy blues, «Johnny A’s Blues». Il chante comme une star impavide et l’excellent Nat Perrillat ramène son saxe de porcelaine.

    harold battiste,robert finley,bob dylan,hellacopters,shorty long,barabas,rockmbolesques

             Troisième et ultime compile AFO avec Still Spicy Gumbo Stew (Original AFO New Orleans R&B). On retrouve une fois de plus Alvin Robinson en queue de convoi, avec quatre titres, dont le faramineux «Soulful Woman», son unique au monde, New Orleans groove, l’homme est puissant, un vrai taureau sur «Sho ‘Bout To Drive Me Wild», pire encore que Wilson Pickett, il est plus massif, il passe toujours en force, une vraie bête de Gévaudan. Les AFO Executives swinguent la Nouvelle Orleans avec «Nancy», une vraie merveille inavouable, c’est d’une pureté d’intention qui défie toute concurrence. Johnny Adams rempile avec «A Losing Battle», c’est lui le cake ! L’autre cake est bien sûr Eddie Bo dont il est impossible de se lasser. Ils ramène son «Check Mr Popeye», il swingue le swamp, il est intrinsèque, il groove les membranes de l’organic, il est puissant et gluant à la fois, il est une sorte d’incarnation aquatique du New Orleans groove, la star du Gumbo Stew, comme le montre encore «I Found A Little Girl». Quand on l’entend chanter «Roamin-itis», on réalise soudain que tout Dr John vient du chant d’Eddie Bo. Et puis voilà encore un cake : Willie Tee avec «Why Lie». Comme Willie est très pur, il te broie le cœur. Il est planté sur le bord du génie. Il revient plus loin avec «Who Knows» qu’il chante à la dent creuse. Willie est un pourvoyeur, un fantastique seigneur des annales. C’est à James Booker que revient cette fois l’honneur de boucler le bouclard avec «End Of A Dream (Booker’s Ballad)», qu’il joue au piano liquide, suivi par le sax d’Alvin Red Tyler. Booker te groove le piano jazz, il s’implique dans la décadence de la rue, yo brother ! Chopin du gutter, fantastique allure !      

    harold battiste,robert finley,bob dylan,hellacopters,shorty long,barabas,rockmbolesques

             Puis Harold et ses amis décident de s’installer à Los Angeles, car le biz y est plus florissant qu’à la Nouvelle Orleans. Ils ferment AFO et créent le studio Soul Station #1, «in South Central Los Angeles, a small storefront on South Vermont, between Adams and Jefferson.» Le premier artiste qu’ils enregistrent en 1964 est Sam Cooke avec «Tennessee Waltz» pour RCA. Sam enregistre aussi «Shake», «A Change Is Gonna Come» et fait venir les artistes de son label SAR, «Johnnie Taylor, Billy Preston, Mel Carter, les Valentinos with Bobby Womack, Linda Carr, Patience Valentine and the Sim Twins among others.» Harold est en plein boom : «Puis j’ai eu un coup de fil d’Earl Palmer, devenu top session drummer in LA, me demandant si je voulais bien écrire les arrangements pour le producteur Tommy LiPumma, qui enregistrait les O’Jays at United Studios. Il s’agissait d’une chanson d’Allen Toussaint, «Lipstick Traces» qui fut le premier hit des O’Jays.»

    harold battiste,robert finley,bob dylan,hellacopters,shorty long,barabas,rockmbolesques

             C’est l’époque où Sonny Bono bosse pour Totor et un jour de 1963, Harold reçoit un coup de fil : «He got Phil to call me to play piano on his sessions.» Harold va jouer pour Phil Spector de 1963 à 1965 sur des trucs assez légendaires, «You’ve Lost That Loving Feelin’» des Righteous Brothers, «Proud Mary» d’Ike & Tina Turner, et les Ronettes. Harold découvre l’univers de Totor au Gold Star studio, avec cette palanquée de musiciens, deux basses, quatre guitares, trois pianos - I was the designated free piano, ça veut dire que je n’avais pas à jouer la partition, Phil wanted me to ad lib whatever I thought would fit. Il ajoutait les autres instruments, horns, strings, singers etc - plus tard. Il semblait n’avoir rien préparé, il créait au fur et à mesure. Lors des dernières sessions, il semblait avoir besoin de plus de temps pour trouver ce qu’il cherchait. Pour moi, les Spector sessions étaient trop longues et ennuyeuses. Mais après coup, j’ai réalisé qu’il avait du génie et j’étais émerveillé par the complex simplicity of his productions - Très bel hommage. Merci Harold.

             On passe d’un géant à un autre avec Doctor John. Harold le connaît depuis 1957, «back in my Specialty days». Mac débarque à Los Angeles en 1965. Il fait signe à son vieux pote Harold et pouf, Harold fait appel à lui pour donner un coup de main sur les tournées de Sonny & Cher. Mais il demande à Mac de rester discret sur les drogues, car Sonny & Cher sont clean - In public and in private - Harold et Sonny Bono montent un petit label en 1967, Progress Records, et proposent à Mac d’enregistrer un album - Mac me dit qu’il avait lu des choses sur un personnage nommé Dr John from the New Orleans voodoo tradition et il voulait bricoler quelque chose à partir de ce personnage. Le concept me plut immédiatement. J’envisageai alors de créer un new sound, look and spirit to the popular psychedelic/underground wave. On a discuté du projet pendant plusieurs jours et on a commencé à sélectionner des musiciens, des chanteurs et des morceaux. C’est un autre New Orleans transplant, Ronnie Barron, qui devait incarner Dr John, a White guy we knew from back in the day. Ronnie had a great singing voice for R&B and pop music et il pouvait sonner comme un Black. He was a performer like Tom Jones. Mais son manager pensait que le personnage de Dr John ne serait pas bon pour sa carrière. Je trouvais que Mac collait bien au projet, mais il était réticent, lui aussi. Il ne se voyait pas comme un upfront artist - Harold réserve le Gold Star à l’été 1967 - The cast comprenait Mac on guitar, keyboards and vocal, John Boudreaux (one of the AFO Executives) on drums, Bob West on bass, Ronnie Barron, keyboards and vocals, Ernest McLean, guitar/mandolin, Steve Mann, guitar, Pias Johnson, saxophones, Lonnie Boulden, flute, and singers Tami Lynn, Shirley Goodman, Joanie (I don’t remember her last name), Dave Dixon, Jessie Hill and Al Robinson. Je jouais de la basse et fis quelque vocaux. Aux percus, il y avait un mec nommé Didymus. Je n’ai jamais su son vrai nom. He was one of these cats who was well known in the music community et personne ne lui demandait son vrai nom. He was also a partner of Mac’s in the drug life - Comme on peut le voir, Harold est très précis sur le casting des sessions.

    harold battiste,robert finley,bob dylan,hellacopters,shorty long,barabas,rockmbolesques

    C’est avec tous ces gens extraordinaires qu’il a enregistré cet album extraordinaire qu’est Gris-Gris - The vibe was there and the music just flowed. I was comfortable, connected spiritually to the people and the music we were making. I became more involved than I had expected, and it became more than a production to me - C’est vrai que l’album fait partie des chefs-d’œuvre du spirit rock, avec Electric Ladyland, What’s Going On et There’s A Riot Goin’ On. Avec «Gris Gris Gumbo Ya Ya» on plonge au cœur d’un monde fascinant, dans une ambiance à la traîne, celle d’un soir d’été gorgé d’humidité à la Nouvelle Orleans - They call me Doctor John/ Known as the night tripper - Dr John tape ensuite dans l’un des grands classiques cajuns, «Danse Kalinda Ba Doom», pure exotica antillaise d’Afrique ethnologique. Puis voici «Mama Roux», le groove des jours heureux. Dr John chante comme un noir. Et il nous emmène ensuite au cimetière pour groover sur «Danse Flambeaux», une pièce fascinante de lenteur squelettique, symbole de l’étrangeté du monde. Par ses inflexions, Dr John rejoint le grand art méphistophélique de Captain Beefheart. En B, on tombe sur l’incroyable «Croker Courtbullion», un groove à la ramasse d’une brisure de rythme imbibée de rhum de contrebande, joué au clair de lune avec des pianotis irresponsables et des coups de trompettes inféodées - Walk on guilded splinters with the King of the Zoulous ! - Voilà ce qu’il clame dans «I Walk On Guilded Splinters». C’est le groove le plus étrange de l’histoire du continent africain. Pas étonnant que Steve Marriott l’ait repris sur scène au temps béni d’Humble Pie. Il règne dans ce cut une ambiance létale qui remonte aux origines de l’humanité. Cet album fonctionne comme un sortilège. De la même façon que Screamin’ Jay Hawkins, Dr John jette des sorts. 

             Harold envoie ensuite les bandes chez Atlantic. Il pensait que l’album sortirait à l’automne 1967 - That didn’t happen. The execs at Atlantic ne savaient pas quoi faire des enregistrements que je leur avais envoyés. Quand j’ai parlé avec Ahmet Ertegun, président d’Atlantic, il m’a demandé comment il fallait appeler ce type de musique. ‘Que vais-je bien pouvoir dire à mes promotion men ? What radio station gonna play this crap?’ Je n’avais pas pensé à tout ça - Puis quand le succès arrive, Mac se trouve confronté au problème qu’il redoutait : l’upfront ! - Mac était avant toute chose un compositeur et un musicien de studio. C’est là qu’il se trouvait bien. Il se trouva soudain confronté au problème de devenir un upfront stage artist, which required many adjustments, mentally and physically - Son premier grand show nous dit Harold eut lieu au Fillmore West in San Francisco, il partageait l’affiche avec Thelonious Monk - Je n’en revenais pas ! Mac and Monk ! - Harold va aussi produire le deuxième album de Mac, l’effarant Babylon, plus porté sur les questions sociales, puis l’excellent Gumbo. Mais Mac et Harold vont avoir des petites embrouilles et leurs chemins vont devoir se séparer.

    harold battiste,robert finley,bob dylan,hellacopters,shorty long,barabas,rockmbolesques

             Harold travaille aussi pour Pulsar et produit le premier album de King Floyd. Il a beaucoup d’admiration pour le jeune King - Of the artists avaliable to me that I thought were ready, King Floyd was my choice - L’autre chouchoute d’Harold, c’est Tami Lynn qui lui demande en 1971 de l’accompagner pour une tournée anglaise. Harold indique au passage que Jerry Wexler a toujours été fasciné par le talent et l’énergie de Tami. Elle était célèbre en Angleterre avec «I’m Gonna Run Away From You», un cut qu’Harold qualifie de quiet, pop-type number, ni Wexler ni Tami elle-même n’en pensaient grand bien, mais les Anglais avaient flashé dessus et invité Tami à tourner chez eux.

    harold battiste,robert finley,bob dylan,hellacopters,shorty long,barabas,rockmbolesques

             C’est dans les années 70 qu’Harold constate des velléités d’indépendance chez Yette. Elle veut reprendre un boulot. Après une petite crise cardiaque, Harold se voit contraint de dresser le bilan de sa vie, histoire de voir s’il peut encore remettre les choses au carré : «Tout ce que j’avais fait depuis 1957 suivait une tangente hors du real Harold Battiste : le job pour Specialty, puis celui pour Ric Records, même l’épisode AFO avec ses rebondissements, ses succès et ses échecs, puis la collaboration musicale avec Sonny & Cher, qui était à l’exact opposé de mes aspirations musicales. Après ma convalescence, je me suis remis à travailler d’anciennes compositions et à en écrire de nouvelles, j’ai repris la pratique de mon instrument pour essayer de redevenir le vrai Harold Battiste. Pourtant, je continuais de bosser pour Sonny car je lui avais donné mon accord. Bien sûr, il y eut des bons moments avec tous ces vieux projets, le Monkey Puzzle LP, le Compendium LP pendant les AFO years, la bande originale de The Good Times, le projet African Genesis, la bande originale du film sur Angela Davis, quelques morceaux de Sonny & Cher m’ont même apporté des satisfactions musicales. Mais au fond, je n’éprouvais pas vraiment de fierté pour tout ça. J’éprouvais seulement la fierté d’avoir été capable d’atteindre le but fixé, qui était de vendre des disques et des artistes.»

             En vieillissant, Harold s’assombrit. Il ne gagne plus très bien sa vie. Son vieux pote Sonny Bono essaye de l’aider en lui proposant toujours le même job : directeur musical de ses tournées. Extrêmement bien rémunéré. Mais Harold veut arrêter. Sonny insiste : «On a discuté pendant trois heures, en partie comme des collègues, mais surtout comme des amis. On avait des expériences identiques. Comme il avait lui-même dû affronter des problèmes matrimoniaux, il pensait pouvoir me donner des conseils. Pour lui, le fait que je veuille arrêter de bosser pour lui n’était pas uniquement un problème de choix musicaux. Il pensait que ça venait plutôt de ma vie privée. Il insistait pour me dire que je prenais le travail trop au sérieux et que je ne m’amusais pas assez. Et pour lui, ça voulait dire que j’étais tendu à cause de ma situation à la maison. Il m’a même conseillé de prendre des vacances avec une autre femme. ‘Va à Hawaï et emmène quelqu’un avec toi, Janie McNealy, par exemple’. Je ne m’attendais pas à ça. Je pense que ses efforts étaient sincères, il cherchait à me perturber pour m’aider à réagir.» Harold continue : «Ce n’était pas la première fois qu’on me disait que je n’étais pas heureux à la maison. Yette disait la même chose. Mais elle forçait le trait et ça me révoltait. Pendant des années, Yette a dit que je n’étais pas heureux avec elle. Je refusais d’entendre ça, en partie parce que je croyais aux vertus de la vie de famille. C’était ma règle de vie. J’étais terrifié par la séparation et le divorce. J’ai toujours éprouvé un amour sincère pour Yette, mais je pense qu’elle s’est aperçue que mon sentiment pour elle avait changé. Le romantisme était devenu une sorte de dévotion, a family type of love. Elle admettait que je n’éprouvais plus rien de romantique pour elle, et ni elle pour moi. Mais dit par Sonny, je fus contraint d’admettre que Yette avait raison. Depuis le début. Yette ne supportait pas que je nie la vérité.»  

             Puis les choses vont se corser. Yette finit par agresser Harold, lui disant qu’«elle and the kids had been just slaves to me. She thought of our business as not ours but mine, and therefore to work for it meant working for nothing, which equaled slavery.» Évidemment, Yette a un mec. Elle prend un appart près de son boulot. Et elle demande le divorce. Le pauvre Harold s’écroule comme un château de cartes. Il lui téléphone pour lui dire qu’elle peut tout garder, de toute façon, ils n’ont pas grand chose - Je l’appelais pour me rendre, mais elle n’acceptait ma reddition. Elle semblait vouloir prolonger le combat pour me voir souffrir. Non, ce n’est pas ça. Elle avait besoin de se sentir justifiée à agir ainsi contre moi. Elle voulait que je me comporte comme un homme, car elle avait une idée très précise de ce que doit être un mari - Boom ! Divorce. Le juge laisse les meubles à Harold et file la baraque à Yette. Harold doit quitter les lieux avant 17 h, le samedi 12 novembre 1988. Il ne vaut pas quitter sa baraque. Il met un écriteau sur la porte : OVER MY DEAD BODY. Il faudra passer par-dessus mon cadavre ! Mais des amis parviennent à le convaincre de vider les lieux et le pauvre Harold commence une nouvelle vie - J’ai commencé à réaliser que mon ancienne vie était finie. J’étais passé de l’autre côté. J’étais devenu un homme divorcé, seul, un homme paumé sans maison ni famille - Alors il retourne s’installer dans sa ville natale, à la Nouvelle Orleans, pour devenir professeur de musique - By coming home again, I got to meet Harold Raymond Battiste Jr. He got lost in Los angeles. New Orleans found him

    Signé : Cazengler, Harold Bateau

    Harold Battiste Jr. Unfinished Blues. Memories Of A New Orleans Music Man. The Historic New Orleans Collection 2010

    Dr John. Gris-Gris. ATCO Records 1968

    Monitors. Say You! The Motown Anthologue 1963-1968. Kent Soul 2011

    Monitors. Grazing In The Grass. Motorcity Records 1990       

    The AFO Executives With Tami Lynn. A Compendium. AFO Records 1963

    Gumbo Stew (More AFO New Orleans R&B). Ace Records 1993

    More Gumbo Stew (More AFO New Orleans R&B). Ace Records 1993

    Still Spicy Gumbo Stew (More AFO New Orleans R&B). Ace Records 1994

     

     

    Finley le finaud

             Robert Finley débarque dans Mojo à l’âge de 64 ans. Il est aveugle depuis deux ans et a enregistré son premier album en 2016. Alors voilà le travail.

    , harold battiste, robert finley, bob dylan, hellacopters, shorty long, barabas, rockmbolesques,

             En 1964, le petit Robert vivait à Winnsboro, en Louisiane, et plutôt que d’acheter une paire de godasses avec le billet de vingt que lui avait filé son père, il s’acheta une guitare. Puis il va vivre la vie d’un black ordinaire. Il répare les hélicos dans l’armée et rentre à Winnsboro pour pratiquer le métier de charpentier, comme son père avant lui, et chanter le gospel à l’église.

             C’est en 2015 qu’on le découvre, lors d’un spectacle King Biscuit Time à Helena, Arkansas. Bruce Watson et Jimbo Mathus le prennent en main et son premier album sort sur Big Legal Mess, c’est-à-dire Fat Possum. Les Bo-Keys de Memphis accompagnent le vieux renard.

    harold battiste,robert finley,bob dylan,hellacopters,shorty long,barabas,rockmbolesques

             Age Don’t Mean A Thing est un gigantesque album de Soul. Finley le finaud l’attaque avec «I Just Want To Tell You», dans une ambiance gospel avec des chœurs magiques. On note qu’Howard Grimes bat le beurre. Au dos de la pochette, Bruce Watson répète la même histoire de paire de godasses, de charpente et de glaucome. Alors le vieux Robert se bat pied à pied avec sa Soul, il passe par un petit mambo («Let Me Be Your Everything») et finit son balda avec un shoot de deepy deep, «Snake In The Grass». Il s’énerve un peu en B avec «Come On», un hard funk à la James Brown, il a les mêmes réflexes que le Godfather, aw, c’mon ! Puis il replonge dans son deepy deep avec un «Make It With You» bien soutenu à l’orgue, suivi d’un raw r’n’b bien Staxy, «You Make Me Want To Dance», il chante sa Soul de plein fouet, avec une rare honnêteté.

    harold battiste,robert finley,bob dylan,hellacopters,shorty long,barabas,rockmbolesques

             Qui a dit que les miracles n’existaient pas ? Robert Finley sur scène en Normandie ? Inespéré ! Alors le voilà, conduit sur scène par une jeune black dont on va apprendre plus loin qu’elle est sa fille aînée. Il arrive, costard noir, chemise western, chapeau star & stripes, lunettes noires, c’est le Deep South louisianais qui débarque dans ta campagne, mon gars !

    harold battiste,robert finley,bob dylan,hellacopters,shorty long,barabas,rockmbolesques

    Dès l’aéroport, Nougayork sentait le souffle, et nous on sent aussi le souffle, ce vieil homme a des allures de monstre sacré. Et pendant une heure il va te faire un show comme plus personne n’ose en faire, de nos jours, il va te rocker la salle, il va aussi te la blueser, et même te la Souler, il dégouline littéralement de classe, il danse entre les couplets, sa fille fait les backing vocals et derrière eux, un trio de petits culs blancs assure élégamment le minimum vital. Robert Finley, tu crois rêver ! Encore une légende échappée du radar. Sans Big Legal Mess, personne ne connaîtrait son existence.

    harold battiste,robert finley,bob dylan,hellacopters,shorty long,barabas,rockmbolesques

    Il te fracasse ses hits un par un, il redore le blason de la Southern Soul, sa fille vient lui annoncer chaque titre à l’oreille. Il établit un contact magique avec le public, il rit beaucoup, c’est un très bel homme, capable de danser le jive avec sa fille. Il démarre avec «Sharecropper’s Son» et c’est énorme, il fout immédiatement le souk dans la médina et fait main basse sur le public. Il approche des 70 balais, mais quelle énergie ! À chaque fin de cut, il salue le public d’une courbette en levant son chapeau. Ses cheveux blancs sont tressés vers l’arrière.

    harold battiste,robert finley,bob dylan,hellacopters,shorty long,barabas,rockmbolesques

    L’un des moments les plus émouvants du set est l’«I Can Feel Your Pain» tiré du troisième album, il est tellement sincère dans sa Soul qu’il en devient christique, cet homme dégage indéniablement quelque chose de profondément spirituel. Il chante pas mal de cuts en power-falsetto et c’est encore plus impressionnant que sur les albums, il peut allier le chat perché à la puissance de ténor. Il fait l’apologie de l’espoir («All My Hope») et du sourire. Il revient en rappel pour quelques cuts, dont deux blues qu’il gratte sur sa gratte, perché sur un tabouret, et là, on assiste à un édifiant numéro de cirque. Le deuxième blues acou est assez spectaculaire, «Make It With You», il le chante au fil d’argent, à la mélodie pure, en rigolant. Lorsqu’après le set, au bar, on lui demande si «I Can Feel Your Pain» vient de l’église, il répond d’un rire énorme et de toute sa poitrine. À la question de l’artiste préféré, on s’attend à Slim Harpo ou a Bobby Charles, mais il répond B.B. King.

    harold battiste,robert finley,bob dylan,hellacopters,shorty long,barabas,rockmbolesques

             Le deuxième album de Robert Finley s’appelle Goin’ Platinum. Dan Auerbach produit et signe toutes les compos. Il fait ce que Tweedy fait avec Mavis. Fantastique Soul Brother que ce vieux Robert ! Dans «If You Forget My Love», il est partout, avec sa voix d’immense Soul Brother, il swingue sa Soul à un niveau extrêmement élevé. La fête se poursuit avec «Three Jumpers», solide groove de heavy blues monté sur un hard drive de basse. Belle ambiance. Robert se jette dans la bataille et chante à l’extrême. La prod d’Auerbach ne fait pas de cadeaux. Robert s’éclate la glotte à coups d’oh yeah ! On reste dans l’excellence avec «Honey Let Me Stay The Night». C’est embarqué droit en enfer. Robert a encore du bon grain à moudre, c’est joué au maximum de toutes les possibilités envisageables. Robert s’éclate au Sénégal, un vrai gamin, il file, racé comme un requin blanc. Et puis voilà «Complications». Robert l’assume à bras le corps. C’est exceptionnellement bon, chanté à la volonté de Dieu. Quelle énorme machine ! Robert fonce, habitué à subir les volontés du patron blanc. Vas-y mon nègre, gueule dans le micro ! Robert chante la compote du patron blanc. Est-ce Auerbach qui va rafler la mise ? Robert Finley ? Macache ! Ce chanteur exceptionnel est tombé dans les filets du business blanc, on est loin du temps d’Al Bell. Robert finit l’album avec «Holy Wine», un slowah dévastateur.

    harold battiste,robert finley,bob dylan,hellacopters,shorty long,barabas,rockmbolesques

             Dans Mojo, Lois Wilson compare Robert Finley à Syl Johnson, Solomon Burke et Al Green. Pas mal, non ?

    harold battiste,robert finley,bob dylan,hellacopters,shorty long,barabas,rockmbolesques

             Le nouvel album du vieux renard vient de paraître. Il s’appelle Sharecropper’s Son, produit par Auerbach. Décidément, l’Auerbach est partout. Trois cuts tapent dans le mille : «Souled Out On You», «Starting To See» et «I Can Feel Your Pain». Le vieux renard est dans le power de la Soul, c’est ce que montre «Souled Out On You». Il va chercher un vieux chat perché dans le feu de l’action et il devient un seigneur des annales. On renoue avec la grandeur tutélaire dans «Starting To See». Le vieux est un Soul scorcher exceptionnel. Il pousse sa Soul à l’extrême. Il réussit même à exploser le cut. Dommage qu’on entende la guitare d’Auerbach derrière lui dans «I Can Feel Your Pain». Le cut serait si parfait sans cette guitare qui blanchit le son. Auerbach fait les mêmes ravages que Tweedy avec Mavis : il avait réussi à la blanchir. Dans «Make Me Feel Alright», Auerbach ramène tellement sa fucking guitar qu’on perd la Soul de vue. Le vieux amène le morceau titre au stomp, mais encore une fois, la guitare gâche tout. C’est tout même dingue que les blancs la ramènent dans une histoire de sharecropper. C’est un peu insultant. Comme la présence d’Auerbach donne de l’urticaire, il faut se concentrer sur le chant. Le vieux chante «Country Boy» au petit chat perché, mais Auerbach vient encore lui manger la laine sur le dos avec son ego démesuré et son son de blanc dégénéré. Les blancs colonisent l’art nègre comme au temps des plantations, on ne sent pas la mixité comme chez Stax où le blanc se fond dans le moule black. Ici la guitare prévaut. Elle prévaut dangereusement. Le vieux boucle l’album avec «All My Hope» qui vire gospel, avec de l’orgue. Ouf on croit échapper à la fucking guitare mais elle revient dans le son, ce mec a un problème, il devrait aller voir un psy. Il nous gâche le plaisir d’écouter l’immense Robert Finley.  

    Signé : Cazengler, Robert Filasse

    Robert Finley. Le 106. Rouen (76). 24 novembre 2022

    Robert Finley. Age Don’t Mean A Thing. Big Legal Mess 2016

    Robert Finley. Goin’ Platinum. Easy Eye Sound 2017

    Robert Finley. Sharecropper’s Son. Easy Eye Sound 2021

    Lois Wilson : Robert Finley. Mojo #290. February 2018

     

     

    Wizards & True Stars

     Dylan en dit long (Part Five)

    , harold battiste, robert finley, bob dylan, hellacopters, shorty long, barabas, rockmbolesques,

             De la même façon que Balzac, Céline ou Victor Hugo, Dylan échappe à toutes les catégories. Par la seule ampleur de son œuvre. Il ne viendrait l’idée à personne de dire que Dylan, Balzac, Céline et Victor Hugo sont les plus grands. Pourquoi ? Parce qu’on le sait. Alors on se contente de lire les livres et d’écouter les disques. Après, on ira au jardin voir si la rose est éclose.

    harold battiste,robert finley,bob dylan,hellacopters,shorty long,barabas,rockmbolesques

             Sur la pochette de son premier album, le jeune Bob a l’air pensif. Soixante ans plus tard, il a toujours le même regard. Paru en 1962, cet album sans titre ne semblait destiné qu’aux folkeux. Certains d’entre-nous l’ont redécouvert un peu plus tard, au moment du choc d’Highway 61 Revisited, en 1965. On y allait les yeux fermés, même si bien sûr le son de 1962 était nettement plus austère. Le jeune Bob grattait comme un dératé et ramenait des coups d’harp du midwest. Avec le recul, on voit bien que Gram Parsons s’est cassé la tête pour rien, car du temps du jeune Bob, la messe de l’Americana était déjà dite. En reprenant le «She’s No Good» de Jesse Fuller, le jeune Bob inventait la cosmic Americana. L’autre gros shoot d’Americana est bien sûr l’excellent «Pretty Peggy O» enflammé à coups d’harp du Midwest. Le jeune Bob y pousse des ouh ouh d’antho à Toto. Pas mal de covers sur cet album dont l’excellent «Baby Let Me Follow You Down» - This is a song by Eric Von Schmidt. He lives in Cambridge, a blues guitar player - Cambridge où le jeune Bob a séjourné plusieurs mois avant de débarquer à Greenwich Village. C’est avec cette cover qu’il pose les jalons du Dylan electric. C’est aussi sur cet album qu’on trouve la reprise d’une chanson traditionnelle, «The House Of The Rising Sun» que vont reprendre les Animals. Même ambiance que celle de Parchman Farm, ça finit avec le ball and chain, et l’I’m going back to end my life down in the rising sun. Cet album est celui de toutes les mythologies. Oui et quelles mythologies, car le jeune Bob reprend aussi le «See That My Grave Is Kept Clean» de Blind Lemon Jefferson. Dans Masked And Anonymous, Dylan sort la guitare de Blind Lemon et dit que tout a commencé avec elle. Il joue ce cult-blues sec et net en forçant un peu la voix. Il reste dans le blues du Delta avec «In My Time Of Dyin’», fantastique régurgitation de dyin’ babe. Il injecte encore du blues pour son protest dans «Fixin’ to Die Blues». Il gratouille bien ses poux d’arpèges et force un peu sa voix pour exprimer ce qu’est le blues de Bukka White. N’oublions que dans Chronicles, le jeune Bob citait Robert Johnson comme principale source d’inspiration. Le vrai Dylan se trouve dans «Man Of Constant Sorrow» que reprendra d’ailleurs Rod The Mod à l’époque Mercury. Fantastique exaltation mélodique - I’ll say goodbye to Colorado/ Where I was born and partly raised - Il re-façonne déjà l’Amérique, mais bien sûr, personne n’est au courant, même pas lui. Il veut quitter le Colorado, mais il y revient. Il crée la mythologie du hobo - I’m about to ride that morning railroad/ Perhaps I’ll die on that train - Pour un premier album, c’est un coup de maître. Bob Dylan est l’album factuel. 

    harold battiste,robert finley,bob dylan,hellacopters,shorty long,barabas,rockmbolesques

             La pochette de The Freewheelin’ Bob Dylan compte parmi les plus mythiquement tendres de l’histoire du rock. Diable, comme elle est belle la Suze, au bras d’un Bob qui paraît si léger dans le mouvement, ce mouvement, souviens-toi, dont il fait l’apologie dans Chronicles. L’album s’ouvre sur ce «Blowin’ In The Wind» qui ne passe plus du tout. On a peut-être trop entendu cet answer my friend. Par contre, si tu vas dans le Nord, n’oublie pas d’écouter «Girl From The North Country», car she once was a true love of mine. La formulation n’est pas banale, c’est de la poésie dylanesque, comme on dirait un songe verlainien. Ces gens-là naviguent au même niveau. Avec sa Girl, Dylan commençait à taper dans l’œil du mille. Même les gens qui le critiquaient bêtement pâlissaient à l’écoute d’une telle merveille. Oh il ne raconte pas grand-chose dans ce balladif intemporel, pas de discours antimilitariste, pas de symbole caché ni de personnages emblématiques, juste le souvenir du froid - Where the winds hit heavy on the borderline - et de cette femme dont il fut profondément amoureux. Il se rappelle surtout de ses cheveux qui se répandaient sur ses seins - Please see for me if her hair hanging down/ If it curls and flows all down her breast - et comme il s’adresse à toi puisque tu vas aller faire un tour dans le Nord, il te demande de vérifier si sa longue chevelure s’écoule toujours sur ses seins. On imagine la tête de l’exégète devant cette chanson : rien à en tirer, juste une histoire de nostalgie amoureuse. C’est d’une banalité ! Mais rien n’arrive à la cheville de la banalité dylanesque. Burt Bacharach, Brian Wilson, Phil Spector et Jimmy Webb l’avaient bien compris puisqu’ils s’y sont engouffrés à leur tour. Comme Dylan, ils ont réussi à percer le secret du Grand Œuvre, c’est-à-dire la chanson parfaite. La chanson parfaite, c’est celle qu’on écoutait voici cinquante ans et qu’on écoute encore aujourd’hui en ressentant exactement le même frisson, le même plaisir cérébral, qu’il s’agisse de «Girl From The North Country», de «MacArthur Park», d’«Heroes & Villains», de «You’ve Lost That Lovin’ Feelin’» ou de «This Guy’s In Love With You». Qui ose prétendre que la perfection n’est pas de ce monde ? Puis Dylan revient à son dada avec «Masters Of War», toujours d’actualité. Eh oui, c’est le business le plus juteux avec celui de Pandemic, alors pas question de s’en priver. Les gens gueulent, mais à la place des Masters of War, ils feraient exactement la même chose. On est antimilitariste quand on est pauvre. Quand on est riche et qu’on vend des armes, on ne l’est pas. Alors comme Dylan est pauvre, il est antimilitariste. Il harangue les harengs, avec beaucoup de mots lestés en B, bills, bombs, blood, bins, brain, des clous qu’il enfonce avec des death, desks, drain. N’oublions jamais qu’il est d’abord écrivain et poète, et qu’il connaît le poids des mots. Bien sûr, il n’oublie pas le vocabulaire apparenté, bullets, triggers, et comme il est jeune, il montre les dents, il fait le revanchard, il dit que personne, même pas Jésus, ne pourra leur pardonner aux masters of war, et il attend la dernière strophe de son interminable harangue pour leur souhaiter de crever, and I hope that you die, et vite fait en plus, and your death will come soon, et il suivra le cercueil by the pale afternoon et il le verra descendre au fond du trou, down to your deathbeb, par contre, il n’ira pas jusqu’à cracher sur sa tombe comme le ferait l’avenir du rock, non, il se contentera de monter sur la tombe pour être bien sûr que le Master of war ne va pas se sauver. Par contre, l’«Hard Rain’s A Gonna Fall» se veut plus biblique, avec tous ses personnages qui sortent de ce poème fleuve comme autant de cartes d’un jeu de tarot, a white man who walked a black dog, a poet who died in the gutter, a clown who cried in the alley, a young woman whose body was burning (comme dans le film), des rivières de diamants, il est le seul avec Leo Ferré à savoir respirer la poésie, et il sait son poème dit-il à la fin, avant même de commencer à le scander. On le retrouve en B avec «Don’t Think Twice It’s All Right». Il traite ici de l’incommunicabilité des choses, but we never did too much talking anyway,  il dit avoir voulu lui donner son cœur mais elle voulait son âme, il lui reproche de l’avoir treated unkind, you could’ve done better but I don’t mind/ You just kinda wasted my precious time, ah comme la vie peut être compliquée. C’est le fonds de commerce des grands poètes. Mon pauvre enfant, ta voix dans le Bois de Boulogne. Et cette fantastique façon qu’a Dylan de dire adieu, so long honey babe. Le coup de génie de l’album est cette version de «Corrina Corrina» jouée au deepy deep et qui préfigure le son de John Wesley Harding, montée sur un drive de basse incroyablement nonchalant. Il termine avec «I Shall Be Free» et raconte que JFK lui passe un coup de fil, my friend, Bob, what do we need to make the country grow?, et Dylan lui répond my friend, John, Brigitte Bardot, Anita Ekberg, Sophia Loren, ah quelle fantastique énergie du chant ! Alors Dylan boit pour être libre, well, ask me why I’m drunk all time/ It levels my head and eases my mind, il va par les chemins et chante comme Charles Trenet, I see better days and I do better things, il attrape des dinosaures, il baise Elizabeth Taylor et bien sûr s’attire des ennuis avec Richard Burton.

    harold battiste,robert finley,bob dylan,hellacopters,shorty long,barabas,rockmbolesques

             Quand on réécoute The Times They Are A-Changing on est frappé par la pureté du protest process et par la légendarité des coups d’harp. Paru en 1964, cet album est d’une incroyable modernité. «The Ballad Of Hollis Brown» nous fait comprendre autre chose : c’est déjà électrique avant le Dylan goes electric de Newport. Cette fabuleuse tension va servir de modèle à tout le folk-rock américain - Hollis Brown he lived on the outside of town/ With his wife and five children/ And his cabin breakin’ down - Il fait rimer le desolation row de town avec down. Il met tout son poids dans ses syllabes et charge sept cartouches dans sa culasse. Dylan fait ce que fit Hugo un peu avant lui, il universalise la misère pour mieux nous la balancer en travers de la gueule, car c’est tout ce qu’il reste à faire - Seven shots ring out like/ The ocean’s pounding roar - Alors on observe son visage sur la pochette, et on le trouve bien grave, le jeune Bob avec son regard chargé d’ombre. Il n’a pas encore envie de chanter des chansons d’amour, ça viendra plus tard, quand il aura compris qu’universaliser la misère ne servait à rien, puisqu’elle est dans l’ordre des choses, comme la violence ou encore la connerie. Alors il fait appel à Dieu qui ne vaut guère mieux, et c’est «With God On Our Side», alors tout va bien, puisque Dieu est avec nous, disent les soldats américains qui massacrent les tribus indiennes - The cavalries charged/ The Indians died/ Oh, the country was young/ With God on its side - Pour une fois le rock sert à quelque chose. Bois un grand verre de coca-cola, mon gars, car ce n’est pas fini. Le jeune Bob est tellement ému par ce qu’il chante qu’il développe un fantastique sens mélodique. Il peut monter, il reste juste au moment du country was young/ With God on its side. Il ne compte pas non plus les morts de la première guerre mondiale, puisque dit-il, plein de bon sens, you don’t count the dead/ When God’s on your side, et en attendant la troisième, il évoque la deuxième guerre mondiale et trouve tout naturel qu’on devienne potes avec Allemands qui ont balancé six millions de gens dans les fours crématoires - They murdered six million/ In the ovens they fried/ The Germans now, too/ Have God on their side - God est incroyablement permissif, c’est même une bonne pâte, tout le monde le sait, même le diable. Et comme à l’école, le jeune Bob a appris à craindre et haïr les Russes, alors pas de problème, quand il faudra courir aux abris, il le fera comme tout le monde, With God on my side. Ah il se marre bien, le jeune Bob. Il ajoute que tu ne poses jamais de questions quand tu as God on your side, c’est très pratique. Il en vient fatalement à se poser la question sur Jésus et sur la trahison de Judas, mais dit-il, il ne peut pas se la poser à notre place, chacun doit se débrouiller avec sa conscience - You’ll have to decide/ Wether Judas Iscariot/ Had God on his side - Dylan est déjà passé maître dans l’art de dire les choses. On vote donc pour Dylan, comme on votait pour le Che, Gandhi et Nelson Mandela. En B, on croise l’excellent «Boots Of Spanish Leather», excellent car d’une grande pureté mélodique et qui sonne comme «Girl Of The North Country» qu’on trouve sur The Freewheelin’ Bob Dylan et plus tard sur Nashville Skyline où il duette avec Cash. Et puis avec «The Lonesome Death Of Hattie Carroll», le jeune Bob s’en prend vertement à cette métaphysique de la brutalité qu’on appelle l’injustice. Le jeune Bob raconte comment un jeune et riche planteur de tabac, William Zantzinger, ratatine à coups de canne une servante de cinquante balais et s’en sort avec six mois ferme - But you who philosophize/ Disgrace and criticize all fears/ Take the rag away from your face/ Now ain’t the time for/ Your tears - Pareil, des gens sont passés par là avant, de Zola à Leo Ferré, dénoncer l’injustice est un job vieux comme le monde qui ne sert strictement à rien, puisqu’elle s’inscrit dans les tables de la loi. Tu nais pauvre, t’es baisé. Tu nais riche, tu passes à travers tout.  The Times They Are A-Changing est l’album solaire.

    harold battiste,robert finley,bob dylan,hellacopters,shorty long,barabas,rockmbolesques

             C’est sur Another Side Of Bob Dylan paru en 1964 qu’on trouve le grand cut préfigurateur du rock moderne : «Motorpsycho Nitemare». Le nitemare préfigure surtout la trilogie à venir (Highway 61 Revisited/ Bringing It All Back Home/ Blonde On Blonde). Là tu as tout le sharp spirit dylanesque, l’essence du rock électrique - I’m a clean cut kid and I been to college too - Il swingue ses mots jusqu’au vertige, à part Iggy avec son maybe call mom on the telephone, personne n’est allé aussi loin que lui dans ce délire de poésie électrique, il est la suite de Rimbaud, il fait exactement ce que Rimbaud aurait fait s’il avait eu une guitare électrique, Dylan incarne la liberté et l’intelligence de la liberté, il a ce don unique, on peut passer sa vie à écouter et réécouter Dylan sans jamais craindre l’ennui. Il crée son monde en permanence, à longueur d’albums. Voilà qu’il débarque dans une ferme paumée à la recherche d’un toit pour la nuit - a place to stay - et il tombe sur le fermier qui lui colle un gun into my guts. Sauf bien sûr chez les cracks du rockab, le rock n’avait encore jamais swingué comme ça et depuis, il n’a jamais aussi bien swingué. Et voilà Rita, la fille du fermier, qui semble sortir de la Dolce Vita - Then in comes his daughter whose name was Rita/ She looked like she stepped out of la Dolce Vita - La façon dont Dylan swingue sa phrase est essentielle. Il transmet tout l’héritage du blues et du rockab. Dès qu’il voit Rita, Bob sent l’embrouille. On se croirait chez farmer John, avec the girl with the champagne eyes. Le fermier héberge Bob à deux conditions : pas touche à ma fille et demain matin, tu trais les vaches - Milk the cows - Marché conclu. Bob dort sous le stove. Rrrrrrrrrrr. Il dort à poings fermés - I was sleepin’ like a rat - et soudain, quelque chose le secoue - There stood Rita/ Looking just like Tony Perkins - Il a besoin du Perkins pour rimer avec le jerkin’ de Rita, c’est aussi simple que ça. Dylan ne s’embarrasse pas avec les détails, il doit poursuivre la cavalcade effrénée de son story-telling. Rita lui propose d’aller prendre une douche. Now ? Comme il a promis au père de ne pas toucher à sa fille, Bob doit trouver un stratagème pour se sortir de ce guêpier. Vu qu’on est dans un rock lyrique ouvert à toutes les affabulations, Bob se met à crier bien fort : «I like Fidel Castro and his beard», le beard devant rimer avec le weird d’avant. S’il avait dut rimer avec hard, ou too far, il aurait crié : «I like Fidel Castro and his cigar». Le père entend ça et dans l’Amérique profonde des beaufs descendants de colons, c’est un blasphème que de citer Castro, le communiste. Le père arrive en pétard et demande à Bob de répéter ce qu’il a osé dire. Alors Bob répète : «I like Fidel Castro/ I think you heard me right.» Alors le père se met en pétard pour de bon - He said he’s gonna kill me/ If I don’t get out the door in two seconds flat - Le flat bien sûr pour rimer avec le rat, car cette chanson est infestée de rats - You unpatriotic rotten doctor commie rat - Le père commence par lui balancer le Reader Digest dans la gueule, magnifique symbole beauf, Bob se marre et se casse vite fait en sautant par la fenêtre - Crashed through the window at a hundred miles an hour - Le père charge son gun et Bob prend les jambes à son cou, en vrai bluesman - The sun was comin’ up and I was runnin’ down the road - Et pour finir en beauté, Dylan lâche l’une de ces paroles d’évangile dont il va continuer de se faire une spécialité : «Without freedom of speech I might be in the swamp.» La morale de cette histoire est qu’il n’en faut pas en perdre une seule miette. L’autre stand-out d’Another Side est bien sûr «Chimes Of Freedom». Encore un poème fleuve. On comprend qu’il ait remué les foules étudiantes en Amérique et en Angleterre. C’est encore de la poésie électrique pure, Dylan charge sa prose comme une mule, c’est somptueux - As majestic bells of bolts struck shadows in the sounds/ Seeming to be the chimes of freedom flashin’ - Vers aux pieds ailés, comme chez les symbolistes de l’Avant-Siècle. Tout dans Chimes résonne à l’infini - Through the mad mystic hammering of the wild ripping hail/ The sky cracked its poems in naked wonder - Gawd, la chance qu’ont eu les Anglo-Saxons d’entendre ces poèmes à la radio. Les Français avaient Léo Ferré qui lui aussi faisait référence aux guardians and protectors of the mind - the poet and the painter - car c’est bien de cela dont il s’agit, face à l’extrême brutalité du monde moderne. Dylan n’oublie pas les damnés de la terre, the mistitled prostitute, the misdemeanor outlaw, chaque fois qu’on réécoute ce dazibao, on en reste baba. Depuis, on se demande où sont passé les poètes. Auraient-ils fini par disparaître ?

    Signé : Cazengler, Bob Divan

    Bob Dylan. Bob Dylan. Columbia 1962

    Bob Dylan. The Freewheelin’ Bob Dylan. Columbia 1963

    Bob Dylan. The Times They Are A-Changing. Columbia 1964

    Bob Dylan. Another Side Of Bob Dylan. Columbia 1964

     

    L’avenir du rock

    - Les contes d’Andersson (Part Two)

             S’il est un genre littéraire que l’avenir du rock prise particulièrement, c’est bien celui des contes. Ah les contes ! Que ne permettent-ils pas ! Le conte est bon lorsqu’il s’ancre fermement dans la réalité et qu’il se nourrit d’éléments qui assoient la crédibilité de ses personnages. Il faut pour ce faire que l’étude soit très fouillée, poussée jusqu’à son paroxysme, comme s’il s’agissait d’abattre la besogne d’un journaliste de bas étage. C’est à ce prix que la fondation supportera le poids du temps. Et la narration encaissera la violence des tempêtes que l’imagination jugera alors bon de lever, car de cela dépend le succès du conte : sans surprise et sans basculement, il s’aplatit comme le soufflé d’un mauvais cuisinier. Les contes permettent surtout de tirer le réel d’un mauvais pas. Souvent les histoires vraies implorent désespérément de l’aide pour paraître moins ternes, alors le conte vole à leur secours, tel un gentil vampire, et les entraîne dans des féeries qui se rient de la bienséance et des lois de la gravité. De la même façon que celles des écrivains de l’Avant-Siècle, la vie des grands rockers se prête merveilleusement bien aux biais de la fiction et aux glissades vers ce qu’on appelait autrefois le monde fantastique, c’est-à-dire un au-delà du réel conçu pour bercer l’imagination de l’agneau-lecteur. Comme Marcel Schwob ou Apollinaire, certains grands rockers sont de véritables contes à roulettes qui, à force de jouer avec leurs ficelles, ont fini par incarner les fruits de leurs imaginations respectives. Les meilleurs exemples ne sont-ils pas Jeffrey Lee Pierce dont on dit qu’il efface les gens d’un seul regard, ou encore Lux Interior occupé à fabriquer dans son laboratoire le bassiste de ses rêves, ou Chris Bailey chevauchant un kangourou pour échapper à ses poursuivants, ou Robert Wyatt parcourant son île dans un fauteuil aux roues carrées ? Ou encore Henry Rollins battant pavillon noir pour affronter de front le vaisseau amiral de l’armada espagnole, sans oublier bien sûr les contes d’Andersson, grand Hellacopter devant l’éternel.

    , harold battiste, robert finley, bob dylan, hellacopters, shorty long, barabas, rockmbolesques,

             Les Hellacopters font enfin la une des magazines ! Enfin, d’un magazine, mais pas n’importe lequel, puisqu’il s’agit du bien nommé Vive Le Rock. Il pourrait très bien s’appeler Vive la Vie. Dix pages pour les Copters ! Du jamais vu ! Gerry Ranson rappelle tout de go que les Copters viennent de se reformer après 17 ans de silence. 17 ans, tu te rends compte ? En plus, Nicke Andersson a réussi à rapatrier son vieux co-listier Dregen qui était parti rejoindre ses Backyard Babies à Londres en 1997. Quand Andersson a splitté le groupe en 2008, il avait dit never again, mais comme dans tous les cas de reformation - et celui des Pixies en particulier - les offres qu’on leur fait sont des offres qu’on ne peut pas refuser - The money was really good - Eh oui, les Copters ont un public en Suède. Pas de problème. Quelques répètes et c’est reparti.

    , harold battiste, robert finley, bob dylan, hellacopters, shorty long, barabas, rockmbolesques,

             Comme il a de la place, Andersson peut évoquer ses racines : «Star Wars, dinosaurs and Kiss. Tout cela est connecté, pas vrai ? Les cracheurs de feu et les explosions ! Je reviens toujours à Kiss, parce qu’ils sont mes racines et d’une certaine façon, Kiss est punk, car leurs chansons sont très basiques et jouées avec efficacité, c’est du rock’n’roll, je suis aussi un fan des Sex Pistols, et je crois qu’ils sont proches les uns des autres, musicalement. Mais pas au plan des lyrics, bien sûr. Ils ont en commun des grosses guitares et les pounding drums - That’s where it’s at!.»  Andersson explique qu’il a découvert le punk-rock grâce à la collection de 45 tours du père d’un copain : Pistols, Damned, Ramones. Sur un album des GBH, il découvre une cover des Stooges et ça le conduit naturellement au MC5. Ce qui ne l’empêche pas de démarrer sa carrière de musicien comme batteur d’un gang de death metal, Entombed. Andersson rencontre Dregen en 1991 et lui propose de l’embarquer comme drum tech dans une tournée américaine d’Entombed. C’est là qu’ils vont monter le projet d’Hellacopters. Et comme toutes les histoires de group-building, celle des Copters est passionnante. Ils téléphonent au drummer Robert Eriksson : «You’re gonna be the drummer in our new band !». Pouf, c’est parti. Avec un bassman en complément, Andersson passe au chant et à la gratte. En plus, il monte un label, Psychout, qui existe encore. Premier single, avec en B-side une reprise de Social Distorsion, pour faire bonne mesure. Les Copters se spécialisent dans ce qu’ils appellent les underground seven-inches, des 45 tours à tirages limités. Ils enregistrent leur premier album, Supershitty To The Max, qui est un must-have, et deviennent célèbres. C’est là que Dregen décide de rejoindre son groupe, les Backyard Babies - Ce fut la décision la plus dure de ma vie - Et il ajoute : «C’est comme choisir entre sa fille et son fils.» Bon, il savait que les Copters pouvaient continuer de voler sans lui, alors il a rejoint les Backyards.

    , harold battiste, robert finley, bob dylan, hellacopters, shorty long, barabas, rockmbolesques,

             Puis arrive la période Wayne Kramer via les Nomads. Andersson rencontre Kramer à Los Angeles, puis Scott Morgan à Detroit. Les Copters commencent à multiplier les tournées américaines, et par chance, l’une d’elles est filmée en 2002 : c’est le fameux docu Goodnight Cleveland. Très bon docu, on suit les Copters de ville en ville, Cleveland, Chicago. Ils sont bien dans la lignée du MC5, ils jouent au twin guitar attack. Les Gazza Strippers jouent en première partie. Le van passe par Champaign, Illinois, puis Detroit. Quelques plans d’after show nous montrent l’Andersson bourré. Le doc est d’une grande honnêteté intellectuelle, on voit les chambres à deux lits, les sound-checks, les after-shows, la booze, les filles tatouées, et puis bien sûr, le cœur de l’action, la scène. Andersson n’a pas vraiment de voix. Il porte en permanence sa casquette de baseball. Philadelphie, puis New York. On s’y croirait. Il faut bien sûr voir les bonus car ils grouillent de merveilles : Detroit avec Scott Morgan pour «City Slang». Pas mal d’autres plans scéniques mais globalement, ont voit que les Copters ont du mal à décoller : «Goodnite Yankees, we’re the Hellacopers from Sweden. We’re gonna get some action... Right now !» Robert Dahlqvist est aussitôt à genoux, torse nu. Il est très physique. Les gros bonus sont les deux versions de «Search & Destroy», la première à New York avec les Gazza Strippers, et la deuxième dans un festival en Suède. C’est l’une des plus belles séquences de concert rock, filmée dans le dos du batteur Robert Eriksson, un batteur qui joue torse nu à l’énergie pure, la caméra est quasiment sur son dos, face à un ciel rouge et à une foule énorme, le tout dans des fumées qui évoquent celles du napalm. Fantastique ambiance de fin du monde, et filmé sous l’angle de powerhouse, ça prend une drôle d’allure. Eriksson bat comme mille diables, on se demande comment il tient aussi longtemps. Bel hommage à Iggy, en tous les cas. Les fans des Hellacopters se régaleront aussi de quelques plans scéniques de la première mouture des Copters, avec Dregen, qui était déjà très enragé, équipé d’une grosse demi-caisse blanche.

             Tous les albums des Copters sont épluchés dans un Part One. En 2003, Wayne Kramer invite Andersson à rejoindre la reformation du MC5, avec Dennis Thompson et Michael Davis. C’est le fameux concert au 100 Club de Londres avec les super-guests Lemmy, Dave Vanian et Ian Astbury. Puis une tournée. On les voit à l’Élysée Montmartre. C’est ensuite au tour de Scott Morgan d’inviter Andersson à le rejoindre dans The Solution (Andersson avait déjà battu le beurre pendant un an dans les Hydromatics). The Solution va enregistrer deux fantastiques albums. Quand le split des Copters est annoncé, Andersson doit expliquer que jouer dans un groupe de rock n’est pas toujours une partie de plaisir (a walk in the park). Il veut dire par là que c’est assez rude. Mais par contre, il est fier d’être resté sur sa ligne, sans jamais avoir fait le moindre compromis. Le rock est mort ? Ah ah ah ! Vive le rock ! - I mean c’mon ! We play music that’s not very trendy, so if you’re truly yourself, I guess it works - Ça tombe même sous le sens. C’est bien d’entendre des gens dire les choses comme elles doivent être dites. Pas besoin d’aller vendre son cul pour exister. Andersson repart de plus belle avec Imperial State Electric, quatre ou cinq albums eux aussi épluchés dans le Part One et puis, dernier rebondissement, la reformation des Copters.

    , harold battiste, robert finley, bob dylan, hellacopters, shorty long, barabas, rockmbolesques,

             Eyes Of Oblivion n’est pas un album génial, mais ce n’est pas non plus un mauvais album. C’est un album d’entre-deux eaux, avec beaucoup de son. Tout de suite embarqué au Copter craze avec «Reap A Hurricane». Ces mecs ont toujours su poser leurs accords dans le mayhem, ça date du temps de Supershitty To The Max, paru en 1996, voilà bientôt trente ans. Ils restent fracassants de bon esprit, c’est battu à la Copter avec les grosses guitares habituelles. Ils font un peu de glam avec «Tin Foil Soldier». Ça tape à la dure, mais ça reste dans l’esprit glam, fin et puissant, joué au feel de manche, et comme pour tout glam qui se respecte, bien ancré dans le boogie. Le hit de l’album est le dernier cut, «Try Me Tonight». Ils sortent pour l’occasion les accords du MC5 et tout le raunch de Detroit. Ils profitent de l’occasion pour redevenir légendaires et payer leur dues - Payin’ The Dues - Quant au reste de l’album, c’est du Copter traditionnel : il y pleut du son comme vache qui pisse. Et le morceau titre file ventre à terre, ce qui est bizarre pour des Vikings qui ont plus pour habitude de naviguer. Ce sont les guitares qui font la loi, ici. Raison pour laquelle les Copters sont si intensément bons - We need a Plew and a doctor/ Right now ! - L’essentiel est que ce groupe continue d’exister. Ils figurent parmi les derniers tenant d’un aboutissant sacré.

    Signé : Cazengler, coléoptère

    Hellacopters. Eyes Of Oblivion. Nuclear Blast 2022

    Jim Heneghan. Goodnight Cleveland. DVD MVD 2002

    Gerry Ransom : Kings of Oblivion. Vive Le Rock # 90 - 2022

     

     

    Inside the goldmine - Par ici la Shorty

     

             Ils optèrent cet été-là pour le haut Atlas et séjournèrent quelques temps à Marrakech. C’est dans cette cité chargée d’histoire que se retrouvent les gens qui prévoient d’aller escalader le Toubkal, point culminant de l’Atlas. Ils s’installèrent dans un hôtel fabuleusement décadent situé à l’entrée de la médina. Le temps semblait s’y être arrêté. On pouvait y déguster des salades de tomate à la coriandre en plein cœur de l’après-midi et fumer du kif sur la terrasse, mais discrètement, bien sûr. Dans les chambres, la plomberie ne fonctionnait plus depuis longtemps, mais cela faisait partie du charme de l’endroit. On trouvait aussi une piscine pas très bien entretenue au deuxième étage. Dans le courant de la matinée, nous allions nous jeter dans le tourbillon intemporel de la médina, nous arrêtant chaque fois devant les échoppes des herboristes, puis lorsqu’on sentait monter la fatigue, nous nous mettions doucement en route pour regagner l’hôtel et l’abri - temporel cette fois - de la chambre. À cause de la chaleur, le sommeil tardait à venir. Et la chaleur rendait toute étreinte impossible, aussi nous contentions-nous de rester allongés côte à côte. En plein cœur de la nuit se produisit un curieux phénomène : notre lit fut secoué et nous nous réveillâmes en sursaut. Un fantôme s’agitait au pied du lit. Il continuait de secouer le lit violemment. Mais nous ne cédâmes pas à la terreur car il s’agissait du fantôme de Brian Jones. Il avait de toute évidence séjourné dans cet hôtel. Apparition magnifique et terrible à la fois, chargée de sainte colère, comme le sont tous les fantômes. Il se pencha vers nous et déclara d’une voix incroyablement sourde : «Brian-Jones-condamné-par-un-juuuuge-à-trois-ans-de-miiiiise-à-l’épreuve-pour-possession-de-cannabiiiiis-avec-interdiiiction-d’entrer-aux-États-Uniiiis !». Il secoua la tête et répéta : «Brian-Jones-condamné-par-un-juuuuuge !», «Brian-Jones-condamné-par-un-juuuuuge !», «Brian-Jones-condamné-par-un-juuuuuge !» avant de se volatiliser.

    , harold battiste, robert finley, bob dylan, hellacopters, shorty long, barabas, rockmbolesques,

             D’un château l’autre et pourquoi pas D’un juge l’autre ? Hear ye, hear ye/ The court’s in session/ The court’s in session, now/ Here comes the judge ! C’est ainsi que se présenta Shorty Long à l’entrée du jardin magique, en 1968. Il portait la perruque et la robe noire d’un juge anglais. Sa mise extravagante nous plut immédiatement. 

             Nous apprîmes que ce petit homme modeste et réservé bénéficiait de la bienveillante protection de messire Marvin Gaye, puissant seigneur du Michigan. Nous passâmes donc la soirée à l’écouter flatter sa muse, cette fascinante Soul Music issue des contrées lointaines qui s’étendent jusqu’au Septentrion, par delà les océans.

    harold battiste,robert finley,bob dylan,hellacopters,shorty long,barabas,rockmbolesques

             «Here Comes The Judge» emporta tous les suffrages. Nous nous levâmes pour danser la Saint-Guy, faisant fi de l’étiquette. Il régnait dans le jardin magique la torride atmosphère d’un Sabbat de sorcières. Shorty Long singeait la justice tout en invoquant les démons des forêts africaines. Il nous tisonna de nouveau la cervelle avec «Function At The Junction», un air dansant, bas sur pattes et délicatement empoissé. Nous fûmes les premiers surpris par nos propres déhanchements. Nos cartilages goûtaient à la liberté. Shorty Long se mit ensuite à psalmodier «Don’t Mess With My Weekend», ferraillant son chant de taille et d’estoc, le biseautant à l’angle d’incartade. Il profita d’un court moment de répit pour saluer sa co-auteuse Sylvia Moy, première soubrette autorisée à composer des vers à la cour du roi Gordy. Il s’empressa d’ajouter qu’on devait aussi à mademoiselle Moy ces merveilles extravagantes que sont «Uptight» et «I Was Made To Love Her» et qui ont propulsé Little Stevie Wonder à Wonderland. Cette habile transition lui permit d’invoquer les divinités priapiques avec «Devil With A Blue Dress». Son apologie de la luxure suintait dans les entournures, car le petit homme la miaulait avec lancinance.

    harold battiste,robert finley,bob dylan,hellacopters,shorty long,barabas,rockmbolesques

             Après une courte pose, il nous fit don d’un parfait joyau de Soul Music, «Night Fo’ Last», ciselé dans le swing le plus pur et d’un éclat aveuglant. Pour le rendre plus mirifique encore, il temporisait à l’endroit des retours de couplets. Il enchaîna avec une libre interprétation de «Stranded In The Jungle». Le petit homme se montrait tellement joyeux qu’il levait des frissons sous les étoles. Il obtenait des merveilles de cette voix qu’il maniait comme un petit animal dressé. Son élégance nous fascinait et nous berçait le cœur de langueurs myocardales. Avec «Another Hurt Like This», il voulait se montrer à la hauteur de son destin. Son tour de chant s’acheva avec «People Sure Act Funny», une sorte de tarentelle hâtive, ardemment troussée, digne d’un homme qui ne s’embarrasse pas avec l’intendance et qui ne flagorne pas au coin des bois.

             Il nous décrit ensuite le détail de ses déboires au Michigan. Il disait avoir signé un pacte avec le roi Gordy, seigneur de Tamla Motown, un puissant royaume nègre des Amériques. Le roi Gordy avait nommé Mickey Stevenson chaperon de Shorty et créé l’étiquette Soul pour y loger les artistes trop funky à son goût. Shorty Long s’y trouva donc cantonné en compagnie de Sammy Ward et de Junior Walker & the All Stars. Il évoqua ensuite la rivalité qui l’opposait à un certain Dewey Pigmeat Markham qui se produisait dans Laugh-In, une série comique diffusée chaque semaine à la télévision américaine et qui avait lui aussi une version d’«Here Comes The Judge». Billie Jean Brown qui régnait alors sur le Quality Control Board de Tamla Motown convainquit Shorty d’enregistrer «Here Comes The Judge» sur le champ et sa version parut juste avant celle de Pigmeat sur le label Chess. Ce jour-là, Shorty s’épongea le front. Il ne devait son succès mondial qu’à sa seule célérité.

             Nous n’eûmes des nouvelles du pauvre Shorty qu’un peu plus tard, en apprenant son trépas. Une felouque turque avait accidentellement percuté et envoyé par le fond la barcasse dans laquelle Shorty pêchait le gardon en compagnie de son camarade Oscar Williams.

    harold battiste,robert finley,bob dylan,hellacopters,shorty long,barabas,rockmbolesques

    Le roi Gordy fit paraître un album posthume intitulé The Prime Of Shorty Long. Il s’ouvrait sur «I Had A Dream», une ballade funeste d’une rare sophistication. Aux premiers accords d’«A Whiter Shade Of Pale», le rouge nous monta aux joues. Le petit homme swinguait son feeling kinda seasick au pur génie vocal. Il avait réussi l’impossible exploit de faire valser cette mélopée océanique et d’y sertir un solo de cor de chasse. Cet album grouillait d’épouvantables merveilles. Avec ce popotinage exclusif et chatoyant qui courait par monts et par vaux, «Lillie Of The Valley» nous effara. Shorty Long devait être sorcier, car sa Soul brûlante dégageait une forte odeur de paganisme. Son art sentait bon le soufre. Seul le diable sait troubler l’eau claire de l’art. Il honora le blason du bon gros Antoine Domino en chantouillant «Blue Monday» et «I’m Walking», dans le cadre soyeux et tiède d’une parfaite solennité. Il n’allait pas en rester là puisqu’aussitôt après sonna l’assaut vainqueur de «Baby Come Home To Me». Il s’agissait là de l’un des plus purs joyaux de la l’histoire de la Soul. Cette belle Soul radicale du Michigan semblait parée d’un éclat mélodique inoubliable et absolument unique au monde. Ce parfait génie de Shorty Long montrait autant d’ingéniosité à cultiver l’excellence que ce Michel-Ange dont on faisait alors grand bruit par-delà les Alpes. D’autres pures merveilles embrasèrent les imaginations, comme par exemple «I Wish You Were Here», plaidoyer magique et ondulant, pure évanescence lumineuse, suivi de «When You Are Available», mélopée judicieusement chuintée et orchestrée, aussi tentante qu’une friandise exotique, aussi irrésistible que le téton rose d’une courtisane impudique. Nous n’étions pas au bout de nos surprises car soudain tinta à nos oreilles «Give Me Some Air», un délice hypnotique  chargé comme un mulet de basses romanes et de ces notes de musicalité exacerbée que les étrangers appellent le funque, des notes qui comme les coups de dé jamais n’aboliront le bazar, puis tout s’acheva avec le chant du cygne, «The Deacon Work», ouvragé à la basse de Damas, splendide travail d’orfèvre, élancé, alerte et dynamique, conçu comme une ardente fête pour les sens. Ce petit homme ne concevait donc les choses qu’à l’aune de l’harmonie céleste.

    Signé : Cazengler, Shorty Court

    Shorty Long. Here Comes The Judge. Soul 1968

    Shorty Long. The Prime Of. Soul 1969

    Shorty Long. The Complete Motown Stereo Masters. Ace Records 2012

     

     

    *

    Dans notre livraison 527 du 28 / 10 / 21, nous présentions avec un léger retard puisque le disque était sorti en 2014, Messe pour un chien de Barabbas. Je terminai la chronique en décrétant que c’était un des meilleurs albums de rock français que je connaissais. Cette fois-ci nous nous y prenons à l’avance, cette livraison datée du 8 est mise en ligne le 7 décembre 2022, or le nouvel album de Barabbas tout neuf sort le neuf décembre ! 

    LA MORT APPELLE LES VIVANTS

    BARABBAS

    (Sleeping Church Records / 13 – 12 – 2022)

    Saint Stéphane : guitar / Saint Rodolphe : voix / Saint Thomas : guitar / Saint Jean-Christophe : drums / Saint Alexandre : bass.

    L’est des titres d’album qui vous parlent plus que d’autres, certains même vous interpellent. S’adressent à vous directement. Vous en êtes flatté, que dans ce monde de froid et pur égoïsme l’on pense à vous réchauffe votre petit cœur solitaire. Méfiez-vous, ne serait-ce pas une technique (une de plus) publicitaire, hélas non, cette fois il n’y a pas d’embrouille, l’on n’en veut pas à votre bourse. Ce n’est guère mieux, c’est de votre vie dont on vous assure que vous serez un jour ou l’autre dépouillé. Vous êtes prévenu. A bon entendeur, salut.

    harold battiste,robert finley,bob dylan,hellacopters,shorty long,barabas,rockmbolesques

    Pochette glaçante. Veuves en tenue de deuil porteuses de couronnes mortuaires se dirigeant vers le cimetière où seront inhumés maris, oncles et frères. Mais le titre, de verdâtre calligraphie, de l’album impose une autre lecture. Ces femmes semblent être aspirées par le cimetière que l’on ne voit pas. Donnent l’illusion d’être en partance pour leur propre enterrement, qu’elles emmènent leurs fleurs personnelles pour être mises sous terre au plus vite.

    La mort appelle tous les vivants (intro) : ça commence très mal avec cette voix glacée d’aérogare et cette sirène d’alarme qui vrille vos oreilles, la mort appelle tous les vivants répète-t-elle sans fin, vous n’avez aucune envie de quitter le fauteuil du hall de pré-embarquement, n’est-ce pas que la vie est une salle d’attente de la mort, et que Jim Morrison nous a mis en garde depuis un demi-siècle, personne ne sortira d’ici vivant. Je suis mort depuis bien longtemps : la machine à remonter le temps occupe l’espace auditif, ne vous souciez pas du sens de la marche du tapis roulant qui vous emporte, des deux côtés ne mène-t-il pas au néant, oui mais ce que vous ne savez pas Barabbas vous le hurle dans les oreilles, vous assourdit avec l’inéluctable réalité de votre vécu, si vous pensez qu’au moins du temps de la vie incertaine que vous menez vous allez en profiter, ô cette guitare qui brise vos illusions, vous êtes déjà mort, votre corps est en train de pourrir, part en lambeau tout comme votre existence de profonde déréliction / coupure / peut-on dire que l’on vit lorsque la mort nous ronge de l’intérieur, qu’à peine sommes-nous nés nous nous dirigeons vers notre cercueil. Ce morceau d’une extraordinaire et implacable violence dégage la force des sermons funèbres de Bossuet que plus personne ne lit pour ne pas sentir la griffe de l’angoisse lui serrer la gorge, mais s’il est facile de refermer un livre, il vous sera plus difficile d’arrêter cette musique, elle dégage le chant vénéneux de l’accoutumance aux excitants les plus mortels. Le saint riff rédempteur : quelle rythmique écrasante, partout où elle passe la mauvaise herbe de la vie ne repousse pas, une seule solution, le fracas du riff rédempteur, la musique assourdissante qui recouvre les pas doucereux de la mort qui s’en vient à votre rencontre. Serait-ce un morceau d’espoir ? Non au mieux un hymne à la musique, mais la brutalité asphyxiante du morceau est sans appel, juste un cataplasme sur une jambe de bois pourri, le dernier sourire de votre enfant à qui vous promettez que tout va bien alors qu’il entre en agonie. La batterie enfonce les clous de votre futur cercueil et les guitares imitent les grincements de la scie qui découpe en tranches saignantes, lentement et sûrement, votre corps enfermé dans l’illusoire protection de la caisse en bois de l’existence. Mourir à petit feu en musique n’est-ce pas la seule consolation qui nous reste, mes très chers frères et sœurs ? Merci à Barabbas pour cet accompagnement de tonitruance délicieuse. C’était le morceau le plus optimiste. Dans le dernier tiers l’on entend la camarde avancer sur ses brodequins de plomb. C’est le cas de le dire, ça plombe un peu l’atmosphère.  De la viande : musique aussi épaisse que le matérialisme le moins éthéré. Le temps est un géant saturnien qui dévore à pleines dents ses enfants que nous sommes, nous ne sommes que de la viande dont se nourrit l’univers cannibale. Pas de rêve, nous serons bouffés jusqu’à l’os, la batterie comme une massue de boucher et les cordes comme des éviscérateurs qui nous arrachent les tripes. La messe humaine est un sacrifice sanglant. Inversion des valeurs divines. Marche funèbre. Rien ne survivra. Tic-tac, tic-tac, notre heure approche. Le cimetière des rêves brisés : imaginez l’inimaginable, des plaintes s’élèvent des tombes, les morts restent enfermés dans le regret de tout ce qu’ils n’ont pas accompli, la mort est une grande déception, l’on reste pris dans les glaces de nos remords de n’avoir pas su vivre. Existe-t-il un autre groupe français capable de produire un gloom aussi glauque, un doom aussi impitoyable, un bruit de fond aussi noir, et quand vous croyez que c’est terminé Barabbas rajoute une couche d’outre-noir, d’outre-mort, une espèce de tonnerre gigantesque qui recouvre le monde d’une couche sonore d’outre-tombe. Sous le signe du néant : éclair drummiques de lumière noire, un insecte géant bourdonne dans vos oreilles et vous empêche de vivre et de mourir, parce que vous êtes déjà mort, et que vous n’êtes qu’une goutte de ce néant qui n’est autre que la consistance de l’univers. Né pour le néant. Mort pour le néant. Vous n’êtes qu’une larve navrante, votre destin est inscrit sur une ligne dépourvue d’encre qu’il est inutile et impossible de lire, alors la musique vous submerge, toute révolte est nuisible, néant vous êtes, néant vous serez. Autant dire que vous n’êtes pas. Relisons le Traité du Non-Être de Gorgias.  Mon crâne est une crypte (et j’y suis emmuré) : douces sonorités, ne dureront pas longtemps, harmonium déglingué d’église en ruines, voici la consolation du pauvre d’esprit. Vous vous raccrochez à la seule branche de salut : vous-même. Attention les guitares vous avertissent des épines qui se plantent dans votre chair. Tant qu’une pensée tourne en rond dans votre tête tel un poisson rouge dans son bocal, vous pensez que vous existez, non vous êtes prisonnier de vous-même et vous êtes prisonnier de vous-même comme votre vie est enfermée dans votre mort. Rien ne sert de gémir. Rien ne sert de rugir. Jamais vous ne romprez le plafond de verre qui sépare la mort de la vie, pour la simple et bonne raison qu’il n’y a pas de plafond de verre. Jamais vous ne vous évaderez de vous-même. Effondrement apocalyptique. Musique du néant translucide. La valse funèbre : dans la série save for me the last dance, final en danse macabre, lourde et bourbeuse, des squelettes s’extraient de l’humus et un cauchemar médiéval prend forme, Saint Rodolphe mène le bal, de sa voix il essaie de couvrir les entrechoquements osseux, mais ils s’agitent sans fin dans vos visions intérieures, un film en noir et blanc, un dessin désanimé d’aliénés en transe, la musique se fait lourde comme une pierre tombale, humour noir pour érotisme funèbre, les morts sont comme les vivants, ils singent la vie qu’ils n’ont pas su retenir. Comme vous ils n’ont pas su la vivre. Ce morceau est une grimace désespérée, un crachat à la face édentée du néant. Lorsqu’il s’arrêtera il résonnera longtemps dans votre tête. Sans fin. La mort appelle tous les vivants (outro) : cloche funèbre, la mort appelle tous les vivants, répétés sans fin, sans fard, l’appel a désormais le visage de l’épouvante, maintenant vous savez ce qui vous attend.

             Un chef-d’œuvre absolu, d’une extraordinaire densité, dont vous ne sortirez pas indemne. Esprits fragiles, s’abstenir. Âmes fortes s’obstiner.

             Désormais vous connaissez la musique que vos amis réunis autour de votre tombe écouteront lors de votre enterrement.

    Damie Chad.

     

    *

    Si vous êtes sages, le dernier bouquin de Dylan vous attendra sous le sapin avec le sourire d’Alis Lesley sur la couve. Chez Fayard ils n’ont pas perdu la boule (de Noël) z’ont pas raté le créneau, vous le font à quarante euros, vous le trouvez à 25 importé des USA, sur le net, certes toujours avec l’ensorcelant sourire d’Alis Lesley, mais écrit en la langue de Walt Whitman ce qui risque de refroidir bien des ardeurs. Je connais les rockers, Little Richard et Eddie Cochran en gros plan leur cœur va au moins s’arrêter de battre durant dix minutes, dans leur esprit de puriste la cote de Dylan va remonter à des altitudes jamais atteintes, c’est après que viendra la grimace, Damie un gros bouquin de philosophie plus de trois cents pages, encore un truc qui va nous prendre la tête, on se contentera de ta chronique, on ne la lira certainement pas, on s’achètera plutôt des disques…

             Chez Fayard ils ont vu venir l’embrouille, avec le placard de présentation de chacune des 66 chansons choisies par le père Zimmerman, les photos pleine-page et les documents d’époque, le temps de lecture est nettement moins impressionnant que le volume du book le laisserait craindre (ou espérer). En outre l’emploi d’une typographie moins tape-à l’œil réduirait considérablement les propos de Dylan présentés en double interligne agrémenté de caractères pour mal-voyants…  Soyons rassurés, l’empreinte carbone de cet exemplaire a été réduite et équivaut à seulement à 2100kg éq. CO2. Si vous êtes un écologiste manipulé par la propagande gouvernementale, nous vous conseillons d’attendre toutefois l’édition en livre de poche. Nous les rockers nous pensons que seule la progression du rock ‘n’roll dans les âmes de nos concitoyens sera à même d’enrayer le déclin de notre civilisation, nous nous dispensons donc de ce report pochothétique incantatoire.   

    PHILOSOPHIE

    DE LA CHANSON MODERNE

    BOB DYLAN

    (Fayard / Novembre 2022)

    harold battiste,robert finley,bob dylan,hellacopters,shorty long,barabas,rockmbolesques

    1

             Le terme chanson, traduction du mot anglais ‘’song’’ peut être sujet à mésinterprétation en notre langue, on nous a tant rabattu les oreilles avec l’expression chanson française genre supérieur par excellence en totale opposition avec les barbares braillements du rock ‘n’ roll que nous nous permettons de spécifier que les chansons présentés par Dylan, sont des morceaux de gospel, de blues, de jazz, de rhythm ‘n’ blues, de rock , de pop, directement puisés dans le vivier de la culture populaire américaine…

             Les historiens ne s’entendent pas entre eux pour définir les limites chronologiques de la modernité. Si Dylan était français il est des chances qu’il eût employé la qualification de chanson contemporaine, pour faire simple la production de la chanson moderne visée par Bob Dylan commence au début des années vingt, en d’autres termes de la mise sur le marché des premiers 78 tours et ne va pas plus loin que la première décennie de notre siècle. Un détail d’importance elles ne sont pas rangées dans l’ordre chronologique. Si ce n’est peut-être celle de leur rédaction.

             Méthodicité dylanesque : d’abord le titre de la chanson, le nom de l’interprète, la date de sa sortie, les noms des paroliers et des compositeurs. On eût aimé que l’éditeur se soit inspiré de notre blogue et ait fait suivre ces données essentielles de la pochette ou de la photographie du disque, il n’en est rien.

             Ensuite la reproduction des lyrics de la chanson ? Ben non, Dylan est un peu plus vicieux, il nous offre sa propre évocation des lyrics sous forme d’une espèce de commentaire qui essaie davantage de transcrire ce que veulent dire ou peuvent signifier les paroles. Parfois il s’arrête-là et passe à la chanson suivante.  

             Souvent Dylan nous fait suivre cette première approche de ce que l’on pourrait appeler une petite étude sociologique des conditions qui ont favorisé l’écriture de la chanson. Exemple l’attrait des ‘’ bons’’ salaires que proposaient les usines de voiture de Chicago sur les populations noires du Sud.  Entre nous soit dit rien de bien novateur. Parfois ce laïus est agrémenté (ou remplacé) de l’origine sociale de l’interprète, par exemple comment Dion d’origine italienne est dès son adolescence motivé par la carrière fulgurante de Frank Sinatra fils d’un père sicilien.

             Le lecteur se fera la remarque que la démarche dylanienne si elle ne manque pas d’une certaine logique explicative n’en est pas pour cela très philosophique. Il aura raison, pas la moindre trace d’une induction philosophique dans ces trois cents pages. Ce qui ont lu Tarentula, Chroniques et le Discours de Réception à l’Académie de Suède n’en seront pas surpris. Dylan en ces trois écrits ne s’aventure jamais dans le domaine philosophique. A peine s’il cite une fois, sous forme de boutade, dans cette Philosophie de la chanson moderne le nom d’Aristote.

             Pour comprendre l’emploi de ce terme de philosophie, il est nécessaire de s’aventurer dans le troisième développement qui fait suite à l’évocation des lyrics et au topo sociologique précédemment abordé. Notons que cette partie acquiert de plus en plus d’étendue au fur et à mesure que l’on aborde le dernier tiers du volume. Ce qui nous a laissé supposer à une présentation chronologique de l’écriture de ses soixante-six chapitres. Dylan se lâche, il s’éloigne de son sujet, il nous fait part de ses réflexions. Au pire sous une manière un peu condescendante : vous croyez que, vous pensez que, eh bien non c’est toute autre chose, écoutez-moi bien je vous tapote un topo au top, au mieux il aborde des sujets qui lui tiennent à cœur, la nature humaine ( pas très optimiste quant à son amélioration ), la nocivité de l’argent, la stupidité des guerres qui ne profitent pas à ceux qui se font tuer, les manipulations politiques, et désolé pour nos lectrices, cerise empoisonnée sur le gâteau avarié, il n’a pas l’air de penser que l’influence d’une épouse ou d’une compagne n’est pas obligatoirement bonne sur le pauvre gars qu’elle a pris dans ses filets…

             Celui qui dans sa jeunesse a écrit The Times, there are a-changin’ n’y croit plus. Nous fait part d’un pessimisme désabusé, jamais une génération n’aura appris et n’apprendra rien de celle qui l’a précédé ou de l’Histoire, Dylan dénonce l’éternel retour du même (rien à voir avec l’Eternel Retour nietzschéen), les mêmes erreurs sont sempiternellement répétées par les générations qui se suivent, aucun progrès possible, de siècle en siècle nul progrès, le même film se répète indéfiniment, l’espèce humaine ne s’améliore pas, elle n’empire même pas, elle reste confinée dans sa médiocrité constitutive…

             Dylan pense par lui-même, il ne s’insère dans aucune tradition philosophique, se fie à son expérience, à ses propres déductions, ce qui ne signifie pas qu’il profère des idioties à longueur de page.

    2

             Après avoir traité dans notre première partie ce que dans son Introduction à la philosophie Karl Jaspers conceptualisait sous le nom de l’englobant, passons à l’englobé.

    D’abord, deux petites merveilles. La première c’est Key to the highway, de Big Bill Bronzy mais dont il préfère la version de Little Walter. Ce qui est fabuleux dans ce chapitre 41 ce n’est ni la chanson, ni l’interprétation de Little Walter mais la façon de Dylan de présenter Little Walter, oui c’est un grand harmoniciste, mais Dylan insiste sur un autre aspect, il le présente comme l’un des plus importants vocalistes du blues. Perso je pense qu’il exagère un peu, mais ce qui est beau c’est son enthousiasme, son élan qui transcende son écriture, et vous obligera à réécouter quelques titres du petit Walter.

             La deuxième au chapitre 22 c’est El Paso de Marty Robbins (1925 – 1982). J’avoue avoir été un peu déçu par l’écoute de cette balade, à la guitare si timidement mexicaine. Elle a tout pour plaire, un saloon, une fille, des colts, du sang, des morts, mais la voix de Robbins si sereine… Dylan vous la raconte à sa manière, la transforme en tragédie grecque, en drame biblique, l’en n’extrait pas la substantifique moelle, l’en fait le symbole de toute existence, vous rappelle que le noyau du fruit de l’amour reste la mort. Vous dresse en même temps le portrait de l’Amérique profonde entre péché et rédemption L’en profite ensuite pour nous présenter le grand-père de Marty Robbins, Robert Texas Bob Heckle, qui eut douze enfants, participa à la guerre de Sécession, combattit les indiens au côté de Custer, auteur d’un livre de poésie : Rhymes of the frontier. L’on sent Dylan, fasciné par cette passation générationnelle de témoin entre l’Histoire, la Poésie, la Musique (country) indissociablement liées dans le Mythe. Dans le Récit mythifié de l’Amérique. Le projet même de l’écriture de ses propres chansons. Ne précise-t-il pas que El paso s’inscrit dans la tradition de la chanson engagée initiée par Woody Guthrie, à lire les lyrics nous ne soutiendrons pas cette assertion, mais cette proclamation dylanienne est des plus significatives.

    harold battiste,robert finley,bob dylan,hellacopters,shorty long,barabas,rockmbolesques

    Chapitre suivant ( 23 ), Le Nelly was a lady interprété par Alvin Youngblood Hart n’aurait pas excité ma curiosité si sur la dernière page n’était écrit en gros caractères que son compositeur  ‘’Stephen Foster tient d’Edgar Poe’’. Jusques alors j’associais le nom de Stephen Foster au traditionnel Oh Suzanna ! Cela demandait quelques éclaircissements. Eliminons les scories, Alvin Youngblood Hart est né en 1963, sa date de naissance le blackoute d’office de nos recherches. Sans regret puisque son interprétation n’est guère impérissable. Une voix sans timbre assez proche de celle de Martin Robbins, lorsque l’on pense au phrasé si particulier de l’auteur de Like a rolling stone l’on est étonné de ses admirations. Edgar Poe né en 1809, mort en 1849. Stephen Foster né en 1826, mort en 1864. Tous deux décédés dans la misère. Le lecteur pourra contempler ci-dessus la photo de Stephen Foster et la comparer ci-dessous avec celle d’Edgar Poe et qu’il en tire les conclusions qu’il voudra. Je ne sais si Foster a lu Poe. Mais une de ses chansons a pour titre Eulalie, et Nelly was a lady, n’est pas sans évoquer la thématique d’Annabel Lee, et il est répété que Nelly était une fille de l’Etat de Virginie. Une femme aimée morte, Eulalie et Virginie prénoms ô combien essentiels à l’œuvre et à la vie de Poe, cela fait beaucoup. Si j’ai bon souvenir, il me semble que dans Chroniques Dylan précise qu’il a lu les poèmes de Poe… Cela demande vérification.

    Un pas vers le rock ‘n’roll. Chapitre 28. Une chanson de Vic Damone. On the street where you live. A l’origine elle fut chantée par Dean Martin (voir chapitre 47). Damone est un crooner, Dylan aurait pu trouver un chef-d’œuvre de Sinatra (l’est au chapitre 62) pour illustrer ce genre. Un de ces premiers chapitres est d’ailleurs dévolu à Perry Como (voir chapitre 3), preuve par neuf qu’il sait être pertinent. Chanson très bien écrite, précise-t-il jouant sur les sonorités des épiphores, il cite par exemple le mot before, l’on pense au nevermore du Corbeau d’Edgar Poe, l’on a surtout l’impression qu’il cherche à prévenir les remontrances de ce choix dont l’évidence ne s’impose pas. De fait Vic Damone ne le séduit guère, l’est beaucoup plus intéressé par sa femme Pier Angeli. Si ce nom ne vous dit rien c’est que vous n’êtes pas un accro de la légende de Jimmy Dean. N’oubliez pas la carrière cinématographique du chanteur d’Hurricane. Il y eut idylle entre James Dean et Pier Angeli. La mère de cette dernière la dissuada de se marier avec un personnage si sulfureux. Pier se rabattit sur Vic Damone. (Elle divorcera quatre ans plus tard). L’on raconte que le jour du mariage de Pier James Dean se posta dans la rue devant chez elle… Bien plus âgée, elle proclamera que Dean fut le seul qu’elle aima vraiment…  L’anecdote (vraie ou fausse) a dû marquer Dylan, il s’attarde longuement sur le ‘’résumé’’ de la chanson affirmant que ce genre de situation est arrivé à tout un chacun. Donne surtout l’impression qu’il fait allusion à une déconvenue personnelle... Messieurs les biographes, au travail.

    De James Dean le rebelle sans cause, la route vers les pionniers du rock est toute tracée. Les notes qui leur sont consacrées ne sont pas les plus pertinentes, tous ne sont pas invités même si l’on retrouve Eddie Cochran, Gene Vincent en photos, Elvis deux fois avec des morceaux inattendus et une réhabilitation du Colonel Parker, Little Richard deux fois, Carl Perkins, Ricky Nelson, Roy Orbison, Sonny Burgess, nous ne citerons pas, par pure commisération humaine, ni le nom de son périodique, ce journaliste qui se demande quel lecteur doit connaître cet inconnu dont manifestement lui-même n’a jamais entendu parlé, ne doit pas manger tous les jours des  Burgess King à la cantine du rock’n’roll. Tout le monde n’a pas un appétit d’alligator.

    C’est peu selon nous, mais le plus étrange c’est que Dylan à part Pete Seeger n’octroie aucun chapitre aux grands noms du mouvement folk, lui qui est réputé pour être capable d’avoir mémorisé paroles et accords de centaines de titres transmis de bouche à oreilles depuis la naissance des Etats Unis, veut-il nous faire comprendre qu’à part lui… Par contre il accorde une meilleure place aux outlaws du country, deux chapitres à Johnny Cash, deux à Willie Nelson dont un avec Merle Hagard, un à Waylong Jennings. Peu de grands du blues, si on compare avec les entrées réservées aux crooners il suffit de rajouter Jimmy Reed à Little Walter. De même de l’efflorescence des groupes anglais des années soixante seuls les Who tirent leur épingle du jeu. Que l’on n’aime ou pas, l’on attendait au moins les Beatles qui eux-mêmes composaient leurs morceaux, ce qui n’est pas le cas de bien des chanteurs présentés, mais Dylan ne s’intéresse pas aux chanteurs même s’il est obligé de les mentionner, il nous parle de chanson, entendons par là qu’il n’a pas écrit une histoire chronologique de la chanson, il ne vise pas à l’objectivité, les chansons qu’il nous découvre sont celles qu’il a entendues et qui pour des raisons diverses sont devenues, par les thèmes qu’elles abordent fondamentales et exemplaires pour lui. Très significativement la table des matières ne donne que les titres et ne mentionne nullement les interprètes.

    Le lecteur risque d’être surpris, étonné, mécontent, mais en fin de compte émerveillé des découvertes que la lecture de ce livre lui permettra. Notre propre lecture s’avère faute de temps, de préjugés, et de préférences personnelles partielle et partiale. Je ne voudrais pas insinuer que Dylan a un goût de midinette, mais il ne vise pas les grandes chansons qui font l’unanimité, il y est bien obligé parfois, mais à analyser quelque peu les textes qu’il met en avant, l’on constate qu’il est très porté vers des morceaux à forte fréquence sentimentale, teintés d’un romantisme pâlichon, qu’il tempère par une fascination évidente pour des titres que nous qualifierons de westerner. Très typique de l’intello qui ne se départit jamais d’une tendresse certaine pour les mauvais sujets.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    harold battiste,robert finley,bob dylan,hellacopters,shorty long,barabas,rockmbolesques

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 9 ( SPORTIF ) :

    45

    Je n’avais qu’à franchir le seuil. Ce n’est pas que j’hésitais, j’attendais quelque chose, je ne savais quoi, la pièce qui s’ouvrait devant moi était plongée dans l’obscurité, mais mes yeux commençaient à s’habituer à la pénombre, peu à peu je discernais une indistincte large étendue blanchâtre, pas très éloignée de moi, je mis quelques minutes à comprendre qu’il s’agissait d’un mur, je réalisai subitement que la porte donnait sur un couloir.

    Je me glissai sans bruit dans le corridor. J’esquissais quelques pas, devant moi je ne discernais plus rien, était-ce prudent d’avancer, je tergiversais en moi-même, n’était-ce pas un piège… Je serrai la crosse de mon Rafalos 21 un peu plus fermement, dans la vie il faut savoir prendre des risques, je regrettais de n’avoir pas emmené les cabotos, Molossa aurait flairé le danger, je fis un pas en avant, puis un autre, et encore un autre, à ma grande stupeur je butai contre un mur. Ce couloir était-il un cul de sac. J’explorais d’une main prudente l’espace sur ma gauche. Le plâtre de la cloison laissa place à un chambranle de porte. Je n’eus pas à l’ouvrir, mes doigts rencontrèrent une fente, elle était entrebâillée, à peine, de deux ou trois centimètres, je me préparai à la faire tourner à la volée sur ses gonds et à pénétrer sauvagement dans la pièce, lorsque…

    46

    Une lueur, imperceptible, mais indéniablement là, elle tremblota, faillit s’éteindre, se stabilisa, et bientôt dégagea comme un halo diffus. Je poussai doucement la porte, elle ne grinça pas, la lumière n’éclairait pas vraiment la pièce, la source en était située à quelques mètres sur ma gauche. Il y eut comme un glissement furtif, suivi d’un léger tapotement, quelqu’un avait posé la lampe sur une table, un bruit plus sec, une chaise que l’on tire sur le plancher, d’ici quelques secondes l’on me priera de passer à table, gambergeai-je dans ma tête, non, je faisais fausse route, il y eut un murmure tout doux, un bruissement de vent dans les feuilles automnales d’un platane, et une frêle mélodie s’éleva, je la reconnus, Evil woman don’t play your game with me, de Black Sabbath, jouée très lentement, à la rendre méconnaissable, je m’avançais, j’entrevis une épaule, l’ombre d’un piano et une blonde chevelure, tout se brouilla dans mon esprit, Alice, oui mais laquelle des deux, dans la pénombre j’étais incapable de savoir, et puis cette situation un peu ridicule, l’on se croirait dans une scène du Grand Meaulne, n’importe laquelle des deux, I want play her game with me !

    47

    Je n’eus pas le temps de me jeter sur elle, Alice se leva et se tourna vers moi, c’était mon auto-stoppeuse !

             _ Tu en as mis du temps pour revenir, je t’attends depuis si longtemps !

    Elle se jeta dans mes bras que je refermais sur son corps d’adolescente comme les serres d’un aigle sur sa proie.

             _ Viens, elle m’entraîna dans un coin de la pièce, je n’eus que le temps d’apercevoir un lit à baldaquin, nous roulâmes sur un gros édredon en plumes d’oie et nos lèvres se rejoignirent.

    Je ne sais pas si beaucoup de lecteurs ont déjà fait l’amour avec une morte, pour ma part je ne saurais les en dissuader. Notre étreinte fut âpre et sauvage. Elle confina à la folie et à l’hystérie, une goule pensais-je avec volupté, je m’enfonçais à plusieurs reprises dans sa chair tumultueuse, j’avais l’impression de pénétrer dans le cratère d’un volcan en éruption, elle geignait et poussait des hurlements, je mordais ses seins et elle engouffra mon vit dressé dans sa gorge pantelante, je ne sais combien de temps dura cet emportement fort récréatif, lorsque je m’éveillai dans des draps trempés de sperme et de foutre, je crus que c’était les lèvres d’Alice sur mon cou qui m’invitaient à de nouvelles folastries, c’était Molossa. Un raclement sous le lit m’apprit que Molossito obéissant à mes ordres n’avait pas quitté d’une patte sa mère adoptive.

             _ Tu as eu ce que tu as voulu, maintenant il faut payer !

    La voix rauque et sardonique me fit reprendre mes esprits. Deux points rouges dans le noir de la pièce confirmèrent ce que je savais déjà. Elle était là, la Mort avait décidé de me tuer. Mes chiens me sauvèrent-ils la vie ? Toujours est-il qu’en une seconde Molossa me ramena mon slip et je saisis dans la gueule de Molossito mon Rafalos 21 qu’il avait déniché sous le lit. Tout de suite je me sentis mieux, il n’y a rien à dire un slip et un Rafalos 21 vous confèrent une certaine dignité non négligeable dans les situations de crise !

             _ Pauvre imbécile crois-tu faire jeu égal avec moi !

             _ Ecoute vieille cocotte déplumée, viens me chercher si tu l’oses !

    La gent féminine n’aime pas que l’on insiste sur son âge, elle bondit vers moi, elle était tout près, silhouette noire dans un manteau aux senteurs de putréfaction, je laissai s’approcher jusqu’à visualiser sa tête squelettique, elle crut que je j’étais tétanisé par la peur, lamentable erreur de sa part puisqu’un agent du SSR n’a jamais peur, mon Rafalos 21 lui envoya pratiquement à bout portant une bastos dans le crâne. Bien sûr elle n’était pas morte, les points rouges de ses deux yeux ne cillèrent point, mais des éclats d’os s’éparpillèrent un peu partout.

             _ Tu ne perds rien pour attendre !

    Je me moquai d’elle lorsqu’elle courut dans la pièce à la recherche de ses os, je reconnais qu’elle les retrouva assez facilement et que bientôt elle revint vers moi, avec son visage reconstitué par je ne sais quelle magie. Elle fonça sur moi, mais une deuxième balle en plein dans sa bouche éparpilla ses dents qu’elle tint à récupérer avant de revenir à l’attaque. Les heures qui suivirent furent longues. Je n’ignorais pas qu’elle finirait par gagner, malgré Molossito et Molossa qui tentaient vainement de la faire trébucher. Je n’avais que trois chargeurs, de cinquante projectiles chacun, le Rafalos 21 avait beau causer d’innommables dégâts et détruire à chaque tir toute une partie de son squelette, rien n’y faisait, elle ricanait, récupérait ses ossements et remontait inlassablement à la charge. Au bout de trois heures je me trouvais à court de munitions. J’étais bloqué dans une encoignure, Molossito et Molossa mordaient à pleines dents son manteau, elle tendit sa main vers mon cœur, à trois centimètres elle arrêta son geste :

    • Tu as été courageux, regarde-moi bien dans les yeux avant de mourir !

    Je fixais ses yeux chargés de haine et de cruauté. Brutalement je ne vis plus rien, un bruit énorme résonnait dans ma tête

    • Agent Chad, me laisseriez-vous s’il vous plaît le temps d’allumer un Coronado !

    Avais-je la berlue, le sol était recouvert de poudre d’os, il y en avait qui volait encore en l’air !

             _ Chef, vous l’avez tuée, comment avez-vous fait !

             _ Agent Chad ne prenez pas vos rêves pour des réalités. Regardez mieux, ses deux petites boules rouges sont toujours là, mais dissociées, elles flottent indépendamment l’une de l’autre, elle est vivante mais bigleuse, il faut d’abord qu’elle retrouve ses pupilles, ce qui nous laisse le temps de rentrer au local.

    _ Mais comment avez-vous réussi, je lui ai tiré cent cinquante bastos avec mon Rafalos 21, et vous d’un seul coup, vous la mettez hors d’état de nuire pour un bon moment !

    _ Agent Chad, il faut vivre avec son temps, faites comme moi, achetez-vous un Rafalos 25, il tire des projectiles quantiques, ils ne perforent pas, ils démantibulent totalement la structure moléculaire de leur cible, méchamment efficace, n’est-ce pas ?

    48

    Je n’étais pas au bout de mes surprises. J’avais naïvement cru que le Chef avait eu des remords de me lancer tout seul dans cette terrible aventure, qu’il m’avait suivi discrètement et n’était intervenu en tout dernier ressort me voyant acculé et prêt à succomber. Mais le lendemain lors de mes retrouvailles au local il démentit mon scénario.

             _ Agent Chad, c’est ce que j’aurais dû faire, je regrette mon erreur d’appréciation, ce n’est pas du tout cela, tenez regardez !

    Et il ouvrit son tiroir à Coronados…

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 577 : KR'TNT 577 : TURTLES / BOO RADLEYS / LEON RUSSELL / JOHNNY MAFIA / NOSTROMO / DEHN SORA / DIDIER SEVERIN / ROCKAMBOLESQUES

      KR’TNT !   

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

    LIVRAISON 577

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    01 / 12 / 2022

     TURTLES / BOO RADLEYS

    LEON RUSSELL / JOHNNY MAFIA

    SHIRLEY ELLIS / NOSTROMO  

    DEHN SORA / DIDIER SEVERIN

     ROCKAMBOLESQUES

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 577

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    Turtlelututu chapeau pointu

     

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             Pour apprendre des tas de choses passionnantes sur les Turtles, il existe deux possibilités : soit lire l’autobio d’Howard Kaylan, Shell Shocked - My Life With The Turtles, soit celle d’Harold Bronson, The Rhino Records Story: Revenge Of The Music Nerds. L’idéal est bien sûr de se taper les deux. Festin garanti. Miam miam. À condition bien sûr d’adorer la grande pop californienne.

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             Bronson leur consacre un chapitre entier dans son autobio (The Rhino Records Story: Revenge Of The Music Nerds). Le titre du chapitre met bien l’eau à la bouche : «Turtlemania! The Story of America’s Beatles». Comme ça au moins, on est tous prévenus. Pour Bronson, les Turtles font partie des chouchous. Il indique en outre qu’Howard Kaylan et Mark Volman furent des early supporters et de fervents collaborateurs, pendant les 24 ans d’activité de Rhino Records.

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             Au commencement était non pas le verbe mais The Crossfires, un groupe de surf instro, et en 1963, ils se réunissent pour discuter de l’embauche de Mark Volman. Okay pour Volman, il aidera à installer les amplis et il pourra chanter un ou deux cuts, mais il ne sera pas payé. Kaylan raconte que le soir de son premier concert à l’UCLA fratenity, Volman a tellement abusé du punch qu’il s’est écroulé dans les marches en explosant de rire, ce qui lui valut d’être surnommé «Bumbling Idiot» - Quand son père apprend qu’il ne touche que 5 $ alors que les autres en ramassent 17, il paye à Mark un sax alto, de sorte qu’il soit rémunéré au même taux que les autres - Avec les Turtles, on n’a pas fini de se marrer. Deux hommes d’affaires s’intéressent aux Crossfires, Lee Lasseff et Ted Feigin. Ils envisagent de créer un label pour les lancer et comme Feigin est un fan de Moby Dick, il baptise le label White Whale. Puis leur manager Reb Foster demande aux Crossfires de changer de noms. Pourquoi pas les Turtles ? - C’était un animal comme les Byrds et le ‘tles’ qu’on trouve aussi dans les Beatles sonne très anglais. Ça parlera bien au grand public qui va croire que c’est un nouveau groupe anglais. Le groupe accepte, à contre-cœur. Ils pensent que Reb se fout de leur gueule, à cause de leur look et du fait qu’ils sont lents et empotés - Et pouf c’est parti, première tournée en 1965 avec the Dick Clark Caravan of Stars : ils se retrouvent à l’affiche avec Tom Jones, Peter & Gordon, les Shirelles, Brian Hyland, Ronnie Dove, Billie Joe Royal et Mel Carter. Alors que leur avion décolle de Los Angeles, ils voient les fumées noires s’élever dans le ciel : the Watts riots. Les Turtles ont les cheveux longs à l’époque et ça se passe assez mal dans les hôtels, notamment au Hilton de Chicago où on les regarde avec mépris. Ils sont même harponnés par un vétéran : «I lost my arm defending you !». Comme l’indique le nom de la tournée, les artistes voyagent à travers le pays à bord d’un bus. Pour faire des économies, on dort une nuit sur deux dans le bus. Le règlement veut que les stars les plus anciennes dorment dans les fauteuils et donc pour étendre leurs jambes, il faut libérer des places. Les bleus doivent donc dormir au sol. Howard et Mark dorment au sol. Lorsqu’ils arrivent à New York, ils jouent au Phone Booth et un soir Dylan est assis au premier rang avec ses lunettes noires et sa chemise polka dots. Les Turtles font une reprise d’«It Ain’t Me Babe» et à la fin du set, on les amène à la table de Dylan qui semble être dans le coma. Dylan a le temps de dire qu’il a beaucoup aimé leur dernière chanson avant de s’écrouler, la gueule dans son assiette de pâtes. L’histoire des Turtles n’est faite que de ce genre d’épisodes drolatiques. Quand les Turtles doivent remplacer leur batteur, Gene Clark leur conseille de prendre John Barbata, qu’on appelle aussi Johny (sic) Barbata.

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             PF Sloan est très impressionné par le niveau musical des Turtles : «Leur son de basse est génial, très différent de ce j’entends ailleurs. Et le son de la guitare électrique est unique, ils sont bien plus excitants que les autres groupes en circulation.» Bill Utley salue lui aussi les musiciens : Chuck Portz (bass), Jim Tucker (rhythm guitar) et pour Bronson, Howard Kaylan «is the best singer in an American rock band of the period». Mark Volman amène a high harmony, comme David Crosby dans les Byrds. Chip Douglas, qui jouait dans le Gene Clark Band, remplace Chuck Porz pendant peu de temps. Un soir au Whisly A Go-Go, Papa Nez vient trouver Chip pour lui proposer de produire les Monkees. Avec les Turtles, Chip se fait 150 $ par semaine. Papa Nez lui propose 100 000 $ d’entrée de jeu, alors le choix est vite fait. Chip quitte les Turtles en 1967. C’est Jim Pons, le bassman des Leaves, qui le remplace. Il est tout de suite adopté par les Turtles, car c’est un mec chaleureux, low-key and friendly. Pons encourage les autres à chercher une voie spirituelle qui passe bien sûr par les drogues psychédéliques, les Eastern religions, la scientologie et la méditation transcendantale. Pons : «Being in the Turtles was a strange coexistence of the spiritual and the hedonistic.» Lors d’une tournée à Londres, les Turtles rencontrent les Beatles, mais ils trouvent l’attitude des Fab Four étrange. Ils voient Paul ramper sous les tables pour photographier l’entre-jambes des filles. Brian Jones présente Howard à Jimi Hendrix - Ils boivent tous les deux du cognac et mangent des omelettes aux épinards, mais le mélange est trop inhabituel pour Howard qui dégueule sur Jimi - Quand les Turtles jouent au Speakeasy, Brian Jones les félicite pour leur California harmony sound et Jimi Hendrix porte le fameux «eye coat» qu’on voit sur la pochette du pressage américain de son premier album, celui qui est paru sur Reprise.

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             Bon, les Turtles ont un son, seulement le problème, c’est qu’ils veulent être le Beatles - If the Beatles can do it, so we can - Quand ils passent une commande dans un bar, ils demandent «white tea with a bickie (a biscuit) on the side so we can dunk it.» À la parution de Revolver, ils passent leur temps à écouter l’album et ils prennent les drogues qu’ils imaginent être celles des Beatles. Puis ils flashent sur Ray Davies qu’ils considèrent comme l’un des reigning geniuses of pop music. Les Turtles sont invités à jouer à la Maison Blanche car la fille de Nixon est fan du groupe. C’est Volman qui raconte : «C’était une fun party, on a été bien traités et la bouffe était bonne. Il y avait environ 450 jeunes adultes, des fils d’ambassadeurs et de membres du Congrès, et boy, ils étaient bien défoncés.» Volman l’était aussi, car il s’est cassé la gueule cinq fois sur scène et a failli se battre avec Pat Nugent quand il a commencé à draguer sa femme Luci qui était la fille du Président Lyndon Johnson. Quelle rigolade ! On imagine la tête de Bronson à l’instant où il raconte cette histoire abracadabrante. Au sein des Turtles, on surnomme Howard Kaylan the King Penguin, à cause de sa façon de se dandiner sur scène. Certains admirateurs comme Tom Hibbert ont su reconnaître les mérites des Turtles albums, notamment Turtle Soup, qu’il qualifie de one of the five very best albums of the Sixties. C’est aussi hélas le dernier album du groupe. Ils avaient commencé à travailler sur Shell Shock qui aurait dû être leur meilleur album. Mais ils se sont fait rouler par un road manager qui s’est barré au Mexique avec l’argent récolté dans les tournées et, en prime, la femme de Jim Pons. Du coup, leur management s’est retourné contre le groupe avec une procédure. Pour affronter la tempête, les Turtles ont décidé de stopper net leur consommation industrielle de peyote, de magic mushrooms et de THC. Bronson va bien sûr sortir sur Rhino les deux albums bloqués des Turtles (Shell Shock et Captured Live). Il fait aussi une box avec Mark et Howard : The History Of Flo & Eddie And The Turtles.     

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             C’est Harold Bronson qui produit le film de Bill Fishman, My Dinner With Jimi (Turtles Story), sorti en salle en 2003. C’est donc un film Rhino. Comme le film est écrit par Howard Kaylan avec un Y, on y retrouve exactement tout ce que décrit Bronson dans son Turtles chapter et tout ce que décrit Kaylan avec Y dans son autobio, Shell Shocked - My Life With The Turtles. Au détail près. Sauf que c’est mis en images et d’une certaine façon, ça éclaire la pièce. Le film est comme tous les petits biopics rock, il tient ses promesses, avec des acteurs qui font de leur mieux pour ressembler aux personnages. L’acteur qui fait Jimi Hendrix est excellent, il s’appelle Royale Watkins, il est groovy à souhait. On voit tous les Turtles, Howard Kaylan avec un Y, Jim Pons, Mark Volman, Jim Tucker, Al Nichols de Johny (sic) Barbata, on les voit mimer le clip d’«Happy Together», une merveille imputrescible, et on les voit jerker le Whisky A Go Go en 1966, avec les Doors en première partie. On retrouve aussi dans le film l’épisode Herb Cohen qui donne à Howard Kaylan avec un Y les astuces pour se faire réformer, alors pendant une semaine, Kaylan avec Y et Volman se shootent sur la musique de «The Trip», le vieux hit de Kim Fowley. Puis arrive le premier voyage à Londres, l’invitation chez Graham Nash, la pipe à eau, et Donovan qui dit aux Turtles de se méfier de John Lennon, Nash leur fait écouter Sgt Pepper, puis il les emmène boire une pinte au Speakeasy, Lennon insulte Tucko et Kaylan avec un Y rencontre Brian Jones qui lui présente un Jimi Hendrix en costard rouge. Les verres de cognac, l’omelettes aux épinards, la dégueulade, tout se déroule exactement comme dans le book. Au détail près.

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             La couverture de Shell Shocked - My Life With The Turtles donne le ton. Kaylan avec un Y est là pour rigoler. Chez lui, c’est une disposition naturelle. Lui et Volman sont un peu les Laurel & Hardy de la scène pop californienne. Mais l’humour Kaylandais est un peu forcé. Lorsqu’il annonce à ses parents qu’il arrête ses études pour entreprendre une carrière de rocker, son père pique une crise, devient tout rouge, lui dit qu’il s’est saigné aux quatre veines pour lui et c’est ça le remerciement ? Alors pour le calmer, Kaylan avec un Y lui dit que si dans six mois, il n’est pas devenu riche et célèbre, il reprendra ses études. Sa chute de paragraphe est supposée être drôle : «Je me sous-estimais. It didn’t take that long.» Oui, les Turtles sont vite devenus riches et célèbres avec une cover de Dylan, «It Ain’t Me Babe», interprétée, nous dit Kaylan avec un Y, de la façon dont l’aurait interprétée Colin Blunstone, son modèle. En fait il ne supportait plus l’UCLA, où il était inscrit - It was the most intimidating place on the planet - Ses amphis pouvaient contenir 2 000 étudiants et les classes en comptaient 150 - Too big. Too fast. Too much. I was freaking out - Il devient beaucoup drôle lorsqu’il relate l’épisode déjà évoqué d’Herb Cohen et ses fameux conseils pour se faire réformer - Herb was a human lawn gnome, c’est-à-dire un nain de jardin humain qui ne portait que des chemises cubaines, des cargo pants et un chapeau d’Indiana Jones - Cohen lui donne tous les détails et lui dit de bien noter : plus se laver, se bourrer de drogues, refuser de passer les tests et act like a little queer, c’est-à-dire faire un peu la chochotte, les militaires détestent les tapettes. Et ça marche ! Quand Kaylan avec un Y sort libre du bureau de recrutement, il dit que c’est le plus beau jour de sa vie. Tous les mecs qui ont vécu ça savent très bien ce qu’il veut dire. On a la fabuleuse impression d’avoir baisé le système. Il y a aussi l’épisode de la Maison Blanche, où les Turtles, enfermés dans une bibliothèque qui leur sert de loge, sniffent leur coke sur l’ancien bureau d’Abraham Lincoln. Bon d’accord, c’est de l’anecdote à la mormoille, mais d’une certaine façon, ça reste en cohérence avec le côté potache de Laurel & Hardy. Ils ne se sont même pas posé la question de savoir s’il y avait des caméras.

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             Cette autobio est aussi l’occasion rêvée de traîner à Laurel Canyon. Kaylan avec un Y prend un soin particulier à détailler les endroits, ce que font rarement les auteurs : «Mark et moi nous installâmes à Laurel Canyon, sur Lookout Montain Avenue, au croisement de Wonderland Avenue School. Tous ceux qui bossaient à Hollywood étaient déjà installés dans le coin. Nos potes Danny Hutton (Three Dog Night) et le grand photographe Henry Diltz étaient nos voisins. Il y avait aussi la fameuse cabane de rondins de Zappa et les ruines du manoir d’Houdini.» Dommage qu’il oublie de citer Captain Beefheart qui lui aussi était installé dans le coin. Puis les Turtles enregistrent leur premier album aux fameux Western Studios sur Sunset Boulevard, là où ont enregistré les Beach Boys et Jan & Dean. Ils ont la chance de bosser avec Bones Howe : «Bones bossait avec ceux qui allaient devenir the Wrecking Crew, la crème de la crème des session players d’Hollywood, ceux qui ont joué sur tous les hits des Beach Boys, de Phil Spector, des Mamas & the Papas, des Fifth Dimension, des Monkees, all of it. The list is stupid long.» Ce qui explique la qualité des albums des Turtles, un groupe qu’on avait tendance à l’époque à prendre à la légère. Et c’est là que se met en route le rythme infernal : album/tournée/album/tournée. Pour leur premier vrai concert, les Turtles jouent en première partie des Herman’s Hermits au Rose Bowl de Pasadena. Puis c’est le Dick Clark’s Caravan of Stars évoqué plus haut, d’août à septembre 1965. Comme il y a des blacks dans le bus, Howard et Mark découvrent consternés les rigueurs de la ségrégation : pas question d’hôtel ni de restau dans le Sud - Il s’agissait des mêmes assholes qui se moquaient de nos cheveux longs. On les haïssait, mais on ne pouvait rien faire contre ça. Small people with small brains have always run this country - Kaylan avec un Y veut dire par là que les États-Unis sont un pays de beaufs. C’est Mel Carter, le black crooner de la tournée, qui initie Laurel & Hardy à l’herbe, une nuit, dans sa chambre d’hôtel. Il attrape Kaylan avec un Y par le cou et lui souffle une bouffée de fumée d’herbe dans la bouche. Sur le coup, Kaylan flippe, car il n’est pas gay. Mais c’est son premier trip - And then I felt it - Soudain, il voit mieux le monde, with a better focus. Le lendemain, Laurel & Hardy achètent de l’herbe à Mel Carter et c’est ainsi qu’ils démarrent une longue et heureuse carrière de druggies. Car cette autobio décrit aussi un maelström de drogues. Ces mecs-là n’arrêtent jamais. Tout est dans l’excès, à la mode californienne. C’est leur façon de rappeler que les deux cultures sont indissociables : les drogues et le rock marchent ensemble.

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             Ah il faut voir la trogne du Kaylan sur la pochette du premier album des Turtles, It Ain’t Me Babe. (Le deuxième en partant de la gauche). On dirait Thernardier ! Oh la gueule ! L’album est extrêmement poppy. Ils font une version bien nerveuse d’«Eve Of Destruction», mais bon, celle de Barry McGuire passe mieux, car plus raw. Ils tapent aussi dans Mann & Weil avec «Glitter & Gold», c’est joyeux, superbe, presque élastique. N’oublions pas qu’ils sont accompagnés par des requins de studio, donc ils ont du son. En B, ils tapent pas mal dans Dylan, avec le morceau titre, «Love Minus Zero», véritable emblème des Silver Sixties, avec des tambourins californiens, et pour finir une belle mouture de «Like A Rolling Stone», you dress so fiiine, Kaylan avec un Y fait bien son used to laugh so loud. C’est la chanson parfaite after all : contenu + mélodie.    

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             Kaylan avec un Y est content de sa Caravan of Stars : il parle d’une learning experience - Tom Jones was an education all by himself - En effet, quand le bus de la tournée arrive en ville, Tom Jones commence à faire son marché derrière la vitre du bus : des centaines de screaming girls l’attendent et rêvent de se faire baiser. Il agite derrière la vitre une peluche de cyclope nommée Wendell : «Oooh you’d like to meet Wendell, wouldn’t you ladies? Arrrgh here he comes, girls!». Wendell est surtout dans son pantalon. Tom Jones est un mec qui ne débande jamais. Kaylan ajoute en guise de chute que Tom était «très en avance». Les Turtles font ensuite une tournée avec les Larks et Shirley Ellis. Laurel et Hardy remarquent très vite que Shirley et son accompagnateur Lincoln Chase sont ensemble 24 h/24 et qu’ils sont camés jusqu’aux oreilles - Whatever they were on, it sure wasn’t weed - Ils remarquant dans la foulée que les Larks ont aussi les yeux sacrément vitreux. Mais Shirley et les Larks ne se mélangent pas avec les petits blancs. Laurel & Hardy doivent fumer leur grass tout seuls dans leur chambre d’hôtel.

             Ils vont d’ailleurs continuer de se schtroumpfer ensemble. Ils découvrent vite les avantages du LSD et Kaylan avec un Y fait un jour l’erreur de mélanger le LSD avec du champagne - Recipe for disaster - Lors d’un concert pour un public corporate, il insulte le public, puis il insulte ses collègues et finit par s’isoler chez lui pendant deux mois. De fait, il est viré du groupe. Il revient voir ses collègues un peu plus tard et découvre qu’ils répètent sans lui. Il leur demande ce qu’ils font. «On répète», répond l’un d’eux. «Vous répétez quoi ?». «Stuff», lui dit un autre. Puis on lui demande ce qu’il devient, et Kaylan avec un Y répond : «Rien». «Cool» lui dit un autre. Alors on lui demande si ça l’intéresse de revenir dans le groupe, et Kaylan avec un Y répond : «Sure. Why not?». Voilà comment ça se passe dans les Turtles. On est viré et on revient. Easy.

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             À une époque, ils enregistrent au studio d’Ike Turner. Ils découvrent un gigantesque œuf de Fabergé posé sur la console de mixage : c’est la réserve de coke d’Ike - Welcome to Bolic Sounds, boys. Enjoy yourselves - Pendant les deux semaines qu’ils ont passé dans le studio d’Ike, «the damned egg was never empty». Puis avec sa copine Diane, Kaylan avec un Y passe à l’héro. Apparemment, ses relations sentimentales sont conditionnées par les drogues - When we were good, we were very, very good, but when we were bad, we were beyond horrid. It was very Hollywood - Il évoque aussi les sessions d’enregistrement d’Illegal Stills - Je n’ai jamais vu autant de drogues dans ma vie. Et c’est moi qui dis ça ! J’ai beaucoup apprécié l’enregistrement de cet album, mais ça prenait des heures pour caler un cut. J’écoutais Stills raconter des récits de guerre imaginaires, il avait un énorme flacon de coke et un buck knife à la main - Comme tout le monde à l’époque, ils sniffent snaffent d’énormes quantités de coke, jusqu’au jour où le pif se met à déconner - And the I started to get a nosebleed. It was funny for a moment - C’est là que Laurel & Hardy décident d’arrêter la schtroumphsification industrielle.

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             Un jour, Bones Howe leur fait écouter une démo de P.F. Sloan, «You Baby» - Quand il entendit le motif de batterie, Don Murray sourit pour la première fois depuis trois ans (Don Muray fut le premier batteur des Turtles, vite remplacé par Johny (sic) Barbata) - C’est avec cette petite merveille que les Turtles devinrent the West Coast Ambassadors of Good-Time Music, nous dit Kaylan avec un Y. Eh oui, P.F. Sloan, on y revient toujours. Tu peux trouver «You Baby» sur l’album du même nom, paru en 1966. Big jerk it off ! Fantastique shoot de jingle jangle, c’est l’énergie du jerk de Sloan. On tombe plus loin sur un autre cut de Sloan, «I Know That You’ll Be There». C’est bien ficelé et même assez puissant. On ne regrette pas d’avoir rapatrié l’album. Encore du Sloan embarqué par-dessus les plages de Californie avec «Can I Get To Know You Better» et ils finissent l’A en pompant goulûment «Psychotic Reaction» («Almost There»). Kaylan avec Y ose signer ce pompage ! Ils virent un brin Dylanex avec «Fall Bearing Ball Bearing World», ça joue aux belles guitares incisives, c’est joliment ficelé, protest en diable ! 

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             Puis ils enregistrent «Happy Together» - C’est la seule fois où je suis ressorti du studio en sachant que je venais d’enregistrer un number one record - Et il ajoute, fier comme un paon : «It still defines me.» On retrouve cette merveille sur l’album du même nom, Happy Together. C’est le hit sixties par excellence. Leurs pah pah pah valent bien ceux des Beach Boys, alfter all. Globalement, ils font une belle pop chargée d’ambition, presque Brill. Elle peut aussi devenir inepte, un brin Disney. C’est le risque, avec ce genre de mecs. Sloan leur refile une compo en B, «Can I Get To Know You Better», beaucoup d’allure et ultra-chantée.  

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             C’est Dean Torrence - le Dean de Jan & Dean - qui réalise la pochette de The Turtles Golden Hits, our biggest-selling album. Kaylan avec un Y évoque aussi les Rhythm Butchers, ces covers enregistrées à l’arrache sur un lecteur de cassettes et commercialisées par Harold Bronson sous la forme d’une série de 45 tours - Stupid fun times.

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             Quand ils se débarrassent de Koppelman & Rubin pour décider de se produire et de se manager eux-mêmes, les Turtles réalisent qu’ils ne sont ni producteurs ni managers. Alors ils font appel à Harry Nilsson qui leur file un coup de main sur The Turtles Present the Battle Of The Bands. Mais les mecs du label White Whale mettent la pression sur le groupe. Ils veulent un autre «Happy Together». Excédé, Kaylan avec un Y compose «Eleanore» en retournant les accords d’«Happy Together» comme des peaux de lapin. Et ça marche ! C’est vrai qu’«Eleanore» tape en plein dans le mille, bien monté aux harmonies vocales. On finit par tomber sous le charme de cette drôle d’équipe, mais on voit bien qu’ils sont restés un groupe de singles, ils ne savent pas tenir la distance d’un album. Ils font un petit carton en B avec «Surfer Dan», pur jus d’On The Beach, ils sont capables de singer les Beach Boys avec brio. Big surf craze !

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             Ray Davies vient en Californie produire le fameux Turtle Soup, dernier album des Turtles sur White Whale. L’album floppe, car l’association n’est pas bonne. «She Always Leaves Me Laughing» est bien foutu, mais pas fulgurant. L’album est plein de son, «Love In The City» regorge d’ambition et de chœurs, ça brasse énormément, mais il manque la magie. Ça se réveille en fin de B avec «Somewhere Friday Nite», une pop psyché pleine d’allure, ultra-chargée et fouettée d’accords à la Keef. Mais c’est avec l’enchaînement de «Dance This Dance With Me» et «You Don’t Have To Walk In The Rain» que se produit le miracle. Ça démarre lentement et ça vire vite à l’éclat pop californien. Pure merveille ! Fantastique fil mélodique ! Superbe ! Plein d’élan, plein d’azur ! 

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             Ils demandent ensuite à leur vieux copain Jerry Yester de produire Shell Shock, le fameux album jamais sorti et rescapé par Rhino. Mine de rien en passant, c’est le meilleur album des Turtles. Ça démarre dès «Goodbye Surprise», une pop ambitieuse de Californian Hell. Fantastique allure ! Cette fois, on les prend vraiment au sérieux ! Au fil des cuts, ils restent fantastiquement ambitieux, ils se conduisent comme de sacrés puristes et des mélodies comme celle de «There You Sit Lonely» te remontent bien le moral - I sing a song for you/ I love you - Encore de la très belle pop aventureuse avec «We Ain’t Gonna Party No More», c’est surtout très chanté, ils deviennent même complètement magiques. Leur «Lady O» est aussi beau qu’un cut de John Lennon. Ils passent aux énormités avec «Can I Go On» et une fantastique qualité du son. Tu as de la slide et la basse de Jim Pons à la surface du lagon d’argent. Et voilà le coup de génie tellement attendu : «Dance This Dance». Ces mecs créent du rêvent comme en créaient les Beatles avec le White Album. C’est du génie mélodique à l’était le plus pur, tel qu’on le trouve chez John Lennon ou Brian Wilson. Avec «If We Only Had The Time», on entre encore une fois dans le lagon des Turtles. Ouch, quel album !

             C’est à cette époque que Jim Pons découvre Judie Sill. Et comme les Turtles sont entrés en guerre contre deux managers et leur maison de disques, ils se trouvent pris dans les filets de la justice. Ils n’ont plus le droit d’enregistrer - The Turtles were done - Laurel & Hardy deviennent Flo & Eddie et bossent pour Zappa qui en fait leur sauve la mise en leur proposant de chanter dans son groupe. Sans l’intervention miraculeuse de Zappa, ils allaient disparaître. La deuxième partie de l’autobio est donc consacrée à Zappa, aux tournées mondiales et au maelström des rencontres et des célébrités à travers deux décennies, jusqu’en 1993, quand Zappa meurt d’un petit cancer. Cette deuxième partie d’autobio est un festin royal pour les fans de Zappa, car Kaylan avec un Y décrit quelques orgies et n’hésite pas à rappeler que tonton Zappa est avant chose un sacré queutard, même si Gail Zappa l’attend à la maison. C’est une épouse intelligente qui l’accepte comme il est. Elle va même lui survivre et veiller sur les intérêts générés par sa postérité. Au beau milieu du maelström, Kaylan avec un Y rend un bel hommage à Bill Graham - A true gentleman - Graham aimait bien les Turtles - Il était là à chacun des shows qu’il organisait pour nous, standing in the wings and laughing his ass off - Kaylan avec un Y rend aussi hommage à Bowie qui tourne alors aux États-Unis avec Ronno - Bowie was a gentleman and his show was unbelievable. On avait sous les yeux l’avenir du rock - Kaylan avec un Y voit mourir Zappa, puis il apprend la disparition brutale de son ami Marc Bolan - When Bolan died, I had gone into shock - et puisqu’on patauge dans les tragédies, en voici une troisième : en 1974, John Lennon produisait l’album Pussy Cats de Nilsson. Lennon voulait qu’Harry pousse le primal scream. Ils rivalisent, et Harry dit qu’il peut crier plus fort et plus longtemps. Quand Lennon rentre à Londres, abandonnant May Pang et la Californie, Harry Nilsson est effondré : il a pété ses cordes vocales. Et ce n’est pas réparable. Alors il chiale. Il dit à Kaylan avec un Y qu’il avait été un roi et qu’il n’est plus rien. Alors adieu et il s’en va - When Harry ended, that’s the day the music kind of died for me - C’est la seule note triste de cette autobio.

             Et puis, on découvre au fil du récit que Kaylan avec un Y adore se marier. Il se marie au moins six fois, les photos sont rassemblées dans la partie centrale. Même vieux, il se marie encore avec une belle blonde. C’est un humour très particulier, typiquement américain. Un Anglais ne se vanterait jamais de s’être marié au moins six fois.  

    Signé : Cazengler, Turtignolle

    Turtles. It Ain’t Me Babe. White Whale 1965   

    Turtles. You Baby. White Whale 1966   

    Turtles. Happy Together. White Whale 1967     

    Turtles. Present The Battle Of The Bands. White Whale 1968   

    Turtles. Turtle Soup. White Whale 1969        

    Turtles. Shell Shock. Rhino Records 1987

    Bill Fishman. My Dinner With Jimi (Turtles Story). DVD 2009

    Howard Kaylan. Shell Shocked. My Life With The Turtles. Backbeat Books 2013

    Harold Bronson. The Rhino Records Story: Revenge Of The Music Nerds. Select Books Inc 2013

     

     

    Traînés dans la Boo

     

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             Liverpool ! Mot clé dans l’histoire du rock anglais. Avec les Beatles, Jackie Lomax et Shack, tu as les Boo Radleys de Martin Carr. Même niveau d’excellence, même parcours immaculé, avec une série d’albums intraitables. On va en parler.

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             Les Boo sont quatre, beurreman black (Rob Harrison puis Rob Cieka), Tim Brown on bass, et les deux figures de proue, Martin Carr, full blown genius, et le chanteur Sice, surnommé Eggman, car pas de cheveux, mais the voice ! Les Boo Radleys enregistrent leur premier album Ichabold And I en 1990. Bizarrement, les ingrédients qui vont faire leur grandeur sont déjà là, notamment le son et les mélodies. Avec «Kalleidoscope», ils sont déjà dans le mur su don, avec des éclairs de génie au chant. C’est pas loin du «Drive Blind» de Ride. La mélodie semble tituber au sommet d’un Ararat de délire sonique, Martin Carr met la gomme, il tire ses notes, ah comme c’est bon ! S’ensuit un «Happens To Us All» qui plonge dans l’enfer d’une fournaise de Boo, on assiste à une fantastique élévation du domaine de la turlutte, Martin Carr mixe le gaga power avec le melodico liverpuldien et ça monte au cerveau, c’est noyé d’ondes, bluffé de son, éclairci à coups d’acou et vite rejoint par la marée grondante du gaga blow. Cet album est un beau bazar. Les Boo se noient déjà dans leur énergie. Avec «Bodenheim Jr», ils jouent la carte du foutraque à gogo, c’est le son de leur jeunesse, ils tapent dans l’impavidité des choses, et derrière, ça bat tout ce que ça peut. Et puis surgit un «Catweazle» visité par un violent solo de disto ! Martin Carr est déjà très affûté. Le «Sweet Salad Birth» qui suit est tout aussi spectaculaire. En B, les Boo sont encore un plein boom avec «Hip Clown Rag», littéralement ravagé par des rafales de batterie. Quelle foutraquerie ! Cet album préfigure tout ce qui va suivre, lost my way, Sice erre dans la belle pop des Boo qu’est «Walking 5th Carnival». 

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             En 1992, ils signent sur Creation et explosent littéralement avec Everything’s Alright Forever. L’album grouille de coups de génie et de son. Gratté à l’espagnolade, «Spaniard» est vite plongé dans un bain de Spice. Spice n’est pas l’épice mais une sorte de chanteur surnaturel. Qu’on l’adore ou pas, Spice t’entraîne dans les eaux profondes d’une pop d’algues vertes et on dit ‘oh comme c’est beau’, pendant que Martin Carr règne sur la terre comme au ciel. C’est vite explosé au Spaniard de mariachi, et pendant que les trompettes font le job, Alamo pleure des larmes de sang au crépuscule des dieux de la miséricorde. S’ensuit un «Towards The Light» battu sec et sans concession, une espèce de crise de violence Boo. Sice grimpe sur la barricade pour sauver la République, c’est-à-dire le rock anglais. Cette violence est assez unique dans l’histoire du rock. «Towards The Light» illustre à la perfection l’idée du calme qui précède la tempête. À l’époque, aucun groupe ne pouvait rivaliser avec les Boo, qui bien que de Liverpool, cultivaient leur art dans la montagne, c’est-à-dire l’Olympe. Sice donne toujours l’impression qu’il embarque les cuts au sommet, mais une fois parvenu là-haut, Martin Carr l’attend pour lui broyer la gorge. La scène se passe systématiquement dans l’azur immaculé d’une prod parfaite. Ces mecs sont des titans violents. Ils fabriquent du mythe en permanence. «Skyscraper» en est encore une fois l’illustration. Sice chante ça dans un chaos paradisiaque, c’est noyé de son anglais, avec du ressac, des voiles, avec la guitare de Martin Carr qui claque aux cacatois et voilà une partie de slinging inespérée. Ah comme on aimait en ce temps-là entendre les grandes guitares anglaises. Et quand la menace du génie s’éloigne, on profite de «Room At The Top» pour prendre un peu de répit. Mais ce démon de Carr rôde dans cet enfer de heavy psychedelia. C’est un reptile atroce. Puis ça repart de plus belle avec «Does This Hurt». Back to the heavy power pop de Liverpool et là c’est un Niagara de son qui s’abat sur toi, avec un Carr qui rentre dans le groove écumant à coups de jive malveillant. Pareil avec «Smiles Fades Out». Sice a remarqué que les sourires s’effacent rapidement, mais derrière lui, la pression est extrême. Carr lève à nouveau une marée de violence sonique, exploit qu’il va d’ailleurs renouveler dans «Lazy Day», où il joue réellement à outrance. Clapton, Jimmy Page ? Ha ha ha, il se pourrait bien que Martin Carr soit the true British guitar God.

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             Paru l’année suivante, Giant Steps conduit les Boo au sommet du lard. Même les Boo ne pourraient pas surpasser un tel album. Dix bombes atomiques sur dix-sept titres, c’est un bon rendement. «I Hang Suspended» et «Barney (And Me)» furent des hits à l’époque. Avec Hang, on peut même parler de hit terminal, au sens où le fut le «Columbia» d’Oasis. Martin Carr taille une enclave dans la Brit pop et Sice s’y glisse comme une délicieuse limace. Alors ça gicle, ça jugule, ça pulse de l’arpège purpurin, Carr rajoute des cercles dans les cercles et ça devient aussi effarant qu’un hit de Brian Wilson, avec les glissades démentes des guitares de Liverpool. Avec Barney, ils foutent encore le feu à la pop, c’est attaqué à coups d’acou - Now I’m getting older - Tout est dans le texte de Sice - I still can’t find the words - Carr embarque Barney dans les trompettes avec du ruckus de guitare. Ils jouent en permanence avec le feu, au risque de brûler vif, ils sont donc un peu fous. C’est d’ailleurs ce que vient encore montrer «Wish I Was Skinny», cette merveille qu’éclaire le grand jour. On se croirait chez les Wannadies. Carr gratte sa gratte au soleil des Boo. «Leaves And Sand» flirte encore avec le génie. La tempête arrive après le calme. Carr est passé maître dans l’art des explosions nucléaires. Non seulement ça explose quand on ne s’y attend pas, mais il profite en plus du chaos pour partir en vrille. Ce mec a réellement du génie, ce n’est pas une vue de l’esprit. «Butterfly McQueen» sonne aussi comme une aventure sonique, Carr se barre en délire de gras double et Sice tripote le reggae groove - I finally broke your cool - Sice te chante plus loin son «Thinking Of Way» dans le creux de l’oreille. Merveilleux Eggman. Pure magie. Ils amènent «If You Want It Take It» au riffing des géants de la terre, ce qui paraît logique sur Giant Steps - I don’t worry about being proud/ As long as I’m alright - À l’époque, les Boo rivalisaient de génie sonique avec les Pixies. «Take The Time Around» se présente comme un déluge de feu. Ah ce Carr, quel barbarr ! Ils alternent comme d’usage les phases lumineuses et les déluges de feu. Carr est un adepte de la violence, comme l’était le gros dans les Pixies. Puis les Boo ramènent «Lazarus» à la vie avec un groove reggae et les trompettes précèdent Sice de peu - I must be losing my mind - Il est aussitôt violenté par une attaque sournoise de cuivres et de section rythmique. Les paroles de Sice sont un délice de perdition - And now and maybe now/ I should change because/ I’m starting to lose all my faith - se plaint-il pendant que des trompettes le ramonent.

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             Wake Up paraît en 1995, avec comme toujours, une pochette rococo. On y trouve que deux smash hits : «Stuck On Amber» et «Twinside». Pour une fois, on ne risque pas l’overdose. Sice chante Amber à la ramasse, secoué par des relances de basse démentes. Il rôde comme un requin dans le cloaque mélodique, il justifie et il explose - To get okay with me - Il devient le prince noir de la pop anglaise. Il chauffe ce cut amené à l’harmo avec des halètements et des tiguilis de bas de manche. Carr fournit le fourniment, c’est de bonne guerre et ça bascule vite dans la magie, Carr est un pourvoyeur monumental, et ça explose comme ça, juste comme ça, Sice plonge dans la jouvence, to get along/ To get along with me - Il est demetend. Quant à «Twinside», le son monte par vagues de power dans une prod de rêve. Le «Wake Up Boo» d’ouverture de bal est un cut de pop explosive, mais pas un hit. Sice s’y comporte encore en chanteur de rêve et Martin Carr soigne sa réputation de Brian Wilson liverpuldien. Il explore les voies impénétrables avec «Find The Answer Within» et grâce aux nappes de cuivres, il en fait une merveille de Brit pop.

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             Le coup de génie de C’mon Kids s’appelle «What’s In The Box». On y voit Sice fondre sa voix dans un enfer sonique saturé de guitares. Les Boo retrouvent leur goût pour l’apothéose dans «Ride The Tiger», un cut d’attaque frontale secoué par de violentes accélérations de foutraquerie savamment orchestrées. De toute évidence, les Boo aiment leurs chansons. Ils amènent la pop anglaise à un niveau disons plus extatique. Ce sont des fous de l’apothéose. On trouve en effet dans le commerce très peu d’apothéoses de ce niveau-là. «Bullfrog Green» est un cut d’une extraordinaire modernité. Carr envoie ses Panzer Divisions ravager la pampa, il passe d’un climat à l’autre sans savoir pourquoi. Quand il écrase, il écrase. Les Boo attaquent leur morceau titre à la cisaille de Liverpool. C’est très chargé, peut-être trop. Sice surnage à peine dans cette mer de Boo. Carr envoie des paquets de mer, c’mon, c’mon, ça tient de la merveille révélatoire, Sice chante à s’en écarteler, il vise l’intemporel dans le temporel. On n’avait encore jamais vu autant de son dans un disque anglais. Les Boo dépassent les boornes. Tout explose dans l’œuf du serpent, rien ne peut résister à ça, aucune oreille, aucune cervelle. «Melodies For The Deaf» souffre de trop d’ambition, de trop de démesure, de trop d’incidences, les Boo retroovent leur équilibre avec le gaga-punk du «Get On The Bus» trashé à la gratte de Carr. C’est une insurrection, un assaut de Boo, un nec plus ultra. Puis Sice coule «Everything Is Sorrow» dans le moule de la belle pop anglaise, une aubaine après les horreurs qui précèdent. Carr monte ça en neige, on peut lui faire confiance. Avec «Fortunate Sons», on voit que Carr plombe le son quand ça lui chante, mais l’album est tellement foutraque qu’il scelle le destin des Boo. Ils entament leur déclin. Ils sont incapables de se recaler sur Giant Steps. La fin de cet album est une espèce de foorre-tout d’idées de Boo, comme s’ils expérimentaient en direct sous nous yeux.

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             Le dernier album des Boo sur Creation paraît en 1998 : Kingsize. Oh ils sont encore capables de coups de génie, comme le montrent «High As Monkeys» et «Adieu Clo Clo». Avec Monkeys, ils tentent l’accélération des particules de Liverpool, avec un sens aigu de l’élévation. Sice éclot et Carr apporte un chant de contrefort pour élever la température, et pour coorser le Boo, il ajoute des petits gimmicks incendiaires, ceux qui pourraient précipiter l’éjaculation. Puis ça explose puisque Carr largue sa bombe. Encore de l’envolée avec Clo Clo et les solos de Carr renvoient bien sûr à ceux de Noel Gallagher. Autre merveille : «Comb Your Hair» qui sonne comme un hit des Ronettes, même envie mélodique - So c’mon baby comb your hair - Carr fait entrer les guitares et boom - And we may never be this young again - Il a raison, les paroles sont du pur teenage angst - Get out while we can and clear out our dusty heads - Carr monte aussi des fanfares extraordinaires pour «Blue Room In Archway». Sice halète et ça grimpe directement là-haut, Carr a décidé une fois de plus d’exploser la pop et d’élever une pyramide. Ils tentent de renouer avec les hauteurs toxiques de Giant Steps dans «Heaven’s At The Bottom Of This Glass», Sice est dessus dès le réveil et Carr ramène tout ce qu’il peut : d’énormes guitares et des trompettes. Ils passent leur temps à vouloir récréer d’anciennes magies, le morceau titre en est encore une fois la preuve. C’est pourtant une merveille - How would I like to shake it all with me  - Final éblouissant. Ils rendent hommage à Jimmy Webb avec «Jimmy Webb Is Good» - I’ll be your fan forever - Carr avance à marche foorcée dans la Boo, et c’est orchestré à ootrance, avec un parti-pris rocky. Puis il sature «She Is Everywhere» de big guitars, il les envoie se fracasser contre un Wall of Sound, c’est très spectaculaire, on est chez les Boo, donc il ne faut plus s’étoonner de rien.   

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             Il existe aussi une compile de singles parue en 1993, Learning To Walk, sur laquelle il n’est d’ailleurs pas question de faire l’impasse. C’est là qu’on trouve leur cover d’«Alone Again Or», rien de plus mythique, car hommage de géants à d’autres géants, les Love. Cette cover est une vraie barbarie. Liverpool + Arthur Lee, c’est le clash suprême. On se souvient de cet album d’Arthur Lee enregistré à Liverpool avec Shack. Le «Kaleidoscope» d’ouverture de bal est un fantastique pudding de liverpulding, Carr déverse ses cataractes acariâtres et presse ses boutons de pus, ça tangue dans l’exelsior de Maldoror. Toutes ces guitares ! On croirait entendre William Reid. Carr sonne sa trompe dans la clameur du combat carthaginois. Le son des Boo continue de ressembler à un gigantesque millefeuille dégoolinant de crème. Avec «Aldous», ils reviennent à la surenchère et «The Finest Kiss» dépasse l’imagination. On a toutes les guitares qu’on peut imaginer et même davantage. On patauge dans la magie des Boo, dans le balancement des accords de rêve. Carr est un fou, il sort ici la meilleure power pop de son temps et Sice pousse bien sûr à la roue. Et on assiste à des développements d’extrême clarté évangélique. Carr tape son «Bluebird» à la cloche de bois et il s’y conduit comme le pire wild guitar slinger qu’on ait pu voir ici bas. Avec «Noami», ça ne rigole plus. Mais trop c’est trop. Carr bourre sa dinde de son, il a la main lourde, il ne peut pas s’empêcher da ramener sa guitare kill kill kill. On voit aussi Sice faire sa courtisane dans «Eyebird», pendant que Carr monte un barrage de son contre le Pacifique avec des ouvertures de lumière. C’est son truc. Il joue sur l’alternance de violence extrême et de paix biblique, comme les Pixies. On finit par se perdre dans cette jungle perpétuelle. Les pluies soniques sont très acides et Sice n’en finit plus de chanter comme Riquita jolie fleur de banlieue. Ils finissent avec un «Boo! Faith» dévoré par une basse fuzz, power all over ! Ces mecs ont le son dans le sang, ça éclate dans des guitares d’effarance contextuelle, avec un Carr en comatose. Sice a la trouille. 

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             En l’an 2000, Martin Carr entame une carrière solo sous le nom de Brave Captain. On le voit sur la pochette de  The Fingertip Saint Sessions Vol. 1, déguisé en martien, dans un contre-jour métabolique, mais la photo intéressante est au dos du digi où on le voit dans son home studio, entouré de ses guitares et de ses claviers. Il tente de réanimer le spirit des Boo avec «Raining Stones». Il allume son cut tranquillement et cherche les coins funny. Il est en liberté. Il fait du bon Boo. En fin de parcours, il bombarde son «Little Buddah» d’electro, comme s’il défendait l’indéfendable. Comme il est courageux, il plonge dans son délire. Il a pour lui une certaine expérience de l’experiment, alors il fait du druggy wild shoutout, avec un son qui te saute à la gueule, bien acid dans son dévolu aphrodisiaque. Il s’arrête à six et repart après. D’ailleurs on écoute cet album comme si on était en plein acid trip. C’est très barré, il attaque à la racine de la cervelle, c’est à toi de faire gaffe. Il gratte son «Starfish» à coups d’acou, tu n’es pas redescendu alors tu suis le mouvement. 

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             Il enregistre Nothing Lives Long He Sang Only The Earth And The Mountains l’année suivante, pour la plus grande joie des fans des Boo. «The Monk Jumps Over The Wall», c’est exactement comme si John Lennon s’adonnait à des exercices de libre cours. Martin Carr opte pour la magie, et comme il relaye ça avec du Brian Wilson, forcément ça explose. Carr fait ce qu’il veut, il a la grâce et le power hérité des Beatles, ce qui montre encore «The Tragic Story». Il sonne comme Lennon au temps de «Get Back». Là, tu as un truc énorme. «Third Unattented Boy On The Right» sonne aussi comme un cut inspiré des Beatles. Carr brandit bien haut le flambeau de la pop de Liverpool. Il ré-instaure la suprématie de cet art suprême, il y fait entrer des guitares grinçantes, c’est très fin, très hanté, une union de Dieu et du diable pour le meilleur et pour le pire. Il fait aussi de l’Oasis avec «Go With Yourself». Il sait rester bon jusqu’au bout des ongles. Il nous ressert aussi le «Raining Stones» de l’album précédent, c’est un hit inter-galactique, digne de ceux de Brian Wilson. Il fait le sorcier du son dans «Tell Her You Want Her», il amène une basse au doux du son, c’est une merveille. Il se donne ensuite les moyens du son crade pour «Big Red Control Machine». Il se prend pour le Stooge de l’electro. On le voit aussi faire avec «Assembly Of The Unrepresented» de la liverpuldasse avec l’harmo de Charles Bronson. Fallait y penser !  

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             En 2001, il attaque une petite trilogie d’albums plus expérimentaux, l’orange, le bleu et le vert, avec des titres à coucher dehors. L’orange qui est en fait un EP s’appelle Better Living Through Reckless Experimentation. Pour le morceau titre, il sort le riff des Stooges. C’est Detroit à Liverpool. Aw, en plein dans l’œil de TV Eye. On en pleure. Stoogerie de l’aube des temps. Il nous plonge en pleine fournaise. Carr sait carrer un cut. Relentless & powerfull, il sature sa disto et renvoie des remugles de wah. Bon alors après c’est très différent. Martin Carr accompagne tous ses cuts jusqu’à l’hôtel de «Canton Hotel» pour les épouser, c’est un précieux précoce, un éphéméride efféminé, un homme sans condition, comme dirait Robert Musil, c’est assez homogène dans l’homéopathie congénitale. Quel brave Captain !   

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             Advertisements For Myself est le bleu. Pour ceux qui voudraient lire les noms des cuts au dos du digi, tintin, c’est illisible car imprimé en gris clair sur aplat bleu clair. Se niche sur cet album un sacré coup de génie : «My Mind Picture». Il gratte ses poux pour revenir à la power pop d’élévation. Power pur, Liverpool vibre de toutes ses briques. Comme ces mecs savent gratter des grattes, c’est tout de suite magical, mon cher Mystery Tour. Ce démon de Carr recrée l’illusion de la pop, il claque ça non pas au bénéfice du doute, mais à l’ambition démesurée. Il est invaincu, comme Jake La Motta ou Robert Pollard, il peut lever le poing. Avec «Realize» on le voit partir à la conquête du chant, comme Brian Wilson ou Jimmy Webb. «Stand Up & Fight» se déclenche comme un ouragan liverpuldien. Retour à l’énormité avec «I Was A Teenage Death Squad». Martin Carr refait son Lennon, il colle bien au terrain. Il reste envers et contre tout le Merlin de la pop anglaise, comme le fut John Lennon avant lui. Il descend vite les escaliers de «Fucking Sunday». Il rebondit dans des shoots d’electro comme un popster organique, il croise des tas de spoutniks, mais c’est avec «Mobilise» qu’il va fendre les cœurs. Il revient à la douceur de vivre. C’est encore une pop song miraculeuse. C’est pour ça qu’il faut suivre Martin Carr à la trace. Ne jamais le perdre de vue.      

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             Le vert paraît en 2004 et s’appelle All Watched Over By Machines Of Loving Grace. Rien qu’avec le morceau titre d’ouverture de bal, on est comblé. Carr fait son biz avec du son, ça sent la machine de Loving Grace. Captain Haddock est barré dans son délire. Il est d’une violence réconfortante, c’est comme quand tu mets ta bite dans la prise, tu danses le jerk. Le son te niaque à dents nues. Il revient à l’acid avec «Every Word You Sound», il faut s’accrocher pour suivre, Carr can do it. On le suit comme on suivait jadis le prêtre au temple d’Isis. Il s’amuse avec le son dans «Metaphoric Rocks», il a raison car le résultat est intéressant, un peu fucked up, il fait des grimaces à la Brian Wilson. Il fait du quasi-Oasis avec «Good Life», il rampe dans sa pop, il est excellent, au delà de toute expectative. Il joue sa pop gaga avec l’énergie liverpuldienne, il développe des dynamiques fabuleuses, bientôt rejoint par des violons. Il sait se montrer passionnant de bout en bout. Il crée encore les conditions du hit avec «Big Black Pig Pile», c’est plus fort que lui, il fond une beautiful song dans son délire d’electro. Il termine avec «Weaponized». Il s’amuse avec les sons et finit par nous péter les oreilles. Ah ces mecs, ils ne peuvent pas s’empêcher d’aller tripoter des gadgets. Le voilà parti à travers les collines, à dos d’âne, comme Sancho Panza, tagada tagada.  

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             Puis Brave Captain disparaît au profit de Martin Carr qui réapparaît en 2014 avec The Breaks. Il y ouvre un bal dément avec «The Santa Fe Skyway». Il fracasse ça à la cisaille de Boo avec une flavour bosssa nova, Carr a le cigare au bec, il règne sur le pétrole, il est le King of the Kong, rien ne peut l’arrêter dans son power strut d’extrême bretelle, il claque sa pop au grand jour. C’est tellement bon que tu le ré-écoutes deux ou trois fois d’affilée - I was drunk inside my socks/ Laughing as I rocked up to your house - Cette façon de plonger, c’est du Carr tout craché - What a way to waste the day - Fantastique héros, on retrouve chez lui la même folie que chez Brian Wilson. Et ça continue avec «St Peters In Chains» une fantastique pulsation d’exception. Carr ? Il n’y a que le firmament qui l’intéresse. Mais après, on perd la magie de Santa Fe. Il faut attendre «I Don’t Think I’ll Make It» pour renouer avec la magie - Baby I’m a shadow of a ghost of a man - Puis il refait un peu de Boo avec «Mandy Get Your Mello On». Carr sait recevoir.

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             Quand on écoute New Shapes Of Life paru en 2017, on s’exclame : «Carr forever !». Il a tout de suite des tonnes de son. Apparemment, c’est Carr qui se carre tout, comme Todd à une époque, il n’a besoin de personne en Harley Davidson. Et pouf, il ramène l’enfer sur la terre avec «Damocles». Cette sale bonne manie ne l’a pas quitté. Voilà pourquoi ce mec est essentiel. Il nous fournit l’air qu’on respire, si on aime les Boo et la pop de Liverpool - Help me please/ Can’t get no peace - Forcément, avec Damocles au dessus de la tête ! Il injecte encore dans «The Main Man» des relents de Beatlemania. Il fait de la power prod à l’état pur. Il faut le voir monter ça en neige. Peu de gens sont capables de sortir une ambiance aussi pure avec des relents indirects de Strawberry Fields. C’est une absolue merveille, un vrai point de ralliement. Devant un tel chef-d’œuvre, force est de constater que la presse rock n’a rien compris. Cet album est passé à la trappe alors qu’il allume autant de lampions que les grands albums solo de Brian Wilson. Avec «A Mess Of Everything», il s’en va exploser son vieux firmament en carton pâte - Give me a reason to carry on - Back to the big Boo Boo avec «Three Studies Of The Male back». Il n’en finira donc jamais d’éclairer la lanterne de la pop anglaise ! C’est encore une fois du power pur. Il sait lancer ses walkyries. Il envoie sa purée au plafond. King of scum !

    Signé : Cazengler, Boo raté

    Boo Radleys. Ichabold And I. Action Records 1990

    Boo Radleys. Everything’s Alright Forever. Creation Records 1992

    Boo Radleys. Giant Steps. Creation Records 1993

    Boo Radleys. Wake Up. Creation Records 1995

    Boo Radleys. C’mon Kids. Creation Records 1996

    Boo Radleys. Kingsize. Creation Records 1998

    Boo Radleys. Learning To Walk. Rough Trade 1993

    Brave Captain. The Fingertip Saint Sessions Vol. 1. Wichita 2000 

    Brave Captain. Nothing Lives Long He Sang Only The Earth And The Mountains. Thirsty Ear 2001 

    Brave Captain. Better Living Through Reckless Experimentation. Wichita 2001   

    Brave Captain. Advertisements For Myself. Wichita 2002       

    Brave Captain. All Watched Over By Machines Of Loving Grace. Wichita 2004   

    Martin Carr. The Breaks. Tapete Records 2014

    Martin Carr. New Shapes Of Life. Tapete Records 2017

     

     

    Wizards & True Stars

    - Russell & poivre (Part Four)

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             On monte vite fait faire un tour sur le toit du monde retrouver Tonton Leon. Pas pour lui chanter ses louanges, c’est déjà fait, mais pour jouer à un petit jeu : et si on repartait de The Songs Of Leon Russell, la belle compile Ace parue l’an passé, pour aller explorer les albums dont sont extraits certains cuts de cette compile ? Ça permet tout simplement de rendre visite à de très grands interprètes qui eurent, à un moment donné, l’excellente idée de s’amouracher d’une compo de Tonton Leon. Alors attention, c’est un jeu très dangereux, car la plupart de ces albums se referment comme des pièges à loups. Crac ! T’es baisé ! Mais t’es content d’être baisé.

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             On commence au pif avec «Rainbow In Your Eyes» qui se trouve sur le Glow d’Al Jarreau. Alors on écoute le Glow. C’est l’occasion de découvrir un continent inconnu. Le Rainbow magique est en ouverture de balda. Ça swingue aussitôt. Al te swingue Tonton Leon vite fait, dans le meilleur esprit, à fantastique allure, ça swingue autant du beurre que de la glotte, c’est du très haut de gamme. Al passe au Brazil avec «Agua De Beber», une merveille d’exotica du paradis. Mais Al a un petit défaut : il est attiré par la pop blanche. En B il jazze le «Somebody’s Watching You» de Sly Stone. Hélas, son petit côté jazz à la mode des années 80 ne passe pas. Avec «Milwaukee», Al perd le Brazil et le Tonton Leon. L’album permet de voir tout ça. C’est important de voir.

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             On retrouve «Me And Baby Jane» sur le Compartments de José Feliciano, un album paru en 1973. Tonton Leon y joue du piano. Le Joselito swingue son oouuuhh baby Jane, c’est du haut vol. Non seulement il chante comme un dieu, mais il gratte ses poux avec une agilité stupéfiante, comme le montre le morceau titre, planqué en B. Il flamencote son groove. C’est là où la virtuosité génère de l’enchantement. Il va chercher des balladifs très sensitifs, comme «Find Somebody», accompagné par Claudia Lennear et d’autres choristes. «Hey Look At The Sun» sonne comme de la pop parfaite, avec des chœurs superbes. Le Joselito chante comme un ange qui serait enfin arrivé au paradis de la pop. Son «Yes We Can Can» est plus r’n’b, mais avec une finesse de chicano du can can. Il swingue encore son chant sur «I’m Leaving», un fast groove suivi par la flûte de Pan-Pan cucul et il relance indéfiniment au pur gratté de poux.  

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             «Time For Love» se trouve sur le Secret Combination de Randy Crawford, paru en 1981. C’est la compo parfaite + la voix parfaite. Ce petit moment d’extase constitue l’apanage de la perfection. Randy se coule admirablement dans le groove magique de Tonton Leon. Fantastique alchimie. La pochette nous la montre lumineuse et ce «Time For Love» est à l’avenant. En A, elle fait une belle cover du «Rainy Night In Georgia» de Tony Joe White, elle lui amène le rond perlé d’une pêche au petit matin. Elle y apporte toute la belle ampleur de sa clameur. Une véritable merveille de délicatesse. Elle chante encore «That’s How Heartaches Are Made» à la pointe de la délicatesse, c’est heavily orchestré et elle jazze tout ça au doo-bee doo bee doo, mais pas trop. Elle chante parfois sa pop au petit sucre candy («Two Lives»), ce qui la rend éminemment sympathique. On la voit aussi épouser la mélodie de life out dans «You Bring The Sun Out». 

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             L’une des révélations de la compile Tonton Leon fut Janis Siegel, avec une cover de «Back To The Islands» qui était exceptionnelle. On retrouve cette merveille en ouverture du balda d’Experiment In White, paru sur Atlantic en 1982. Bizarrement, ce n’est pas le même son. Sur le vinyle, le soufflé retombe. Belle voix cependant, et puis il faut bien dire que c’est mélodiquement parfait. Mais l’éclat n’y est pas. Bizarre. Ça n’empêche pas d’écouter le reste de l’album. Janis peut aller chanter là-haut sur la montagne, ce qu’elle fait avec «All The Love In The World». Elle en a le pouvoir. Elle fait du gospel avec «Hammer & Nails» et en B, elle passe au jazz manouche avec «How High The Moon». Elle nous sort le Grand Jeu : pompe manouche et solo vif argent. Elle chante le jazz de «Don‘t Get Scared» et elle devient goulue avec «Guess Who I Saw Today». Le jazz c’est son truc, comme le montre enfin «Jackie». C’est ce qu’elle aime, le jazz swing, alors elle y va, de la meilleure manière.    

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             Le version de «Make Love To The Music» que fait Maria Muldaur se trouve en ouverture de balda sur Southern Winds, paru en 1978. Merveilleux groove d’élongation viscérale, à l’image de l’océan peint au dos de la pochette. Maria est fabuleusement groovy, c’est une femme de rêve, une chanteuse de charme fou. Elle boucle son balda avec le «Cajun Moon» de JJ Cale, bien trop prévisible et elle repart en mode fantastique allure en B avec «Can’t Say No». Ah elle y va, la reine du rodéo ! Elle passa à la heavy romance avec «Here Is Where Our Love Belongs», c’est assez puissant, avec du gulf stream et des violons. Globalement, c’est un très bel album d’American pop des années 70. Elle tape encore dans Tonton Leon avec un  «Joyful Noise» assez tendu et même bien rocky, et elle termine avec «My Sisters & Brothers» une sorte de gospel rock. Bien vu, Maria ! Les chœurs arrivent dans le deuxième couplet.

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             Encore un continent à explorer, celui de George Benson. Il reprend «This Masquerade» sur Breezin’, paru en 1976. Benson va chercher les vieilles racines du groove vocal des caraïbes et le cut magique de Tonton Leon prend des allures spectaculaires, ça devient de l’exotica de rêve supérieur, Benson navigue au niveau de Paul Simon et de Joni Mitchell. On profite de l’occasion pour écouter sa version du morceau titre qui est signé Bobby Womack. Il te joue ça au cœur de ton âme sensible, il te groove tes pauvres oreilles frippées au Brazil jazz, c’est d’une extrême finesse, à toi de te montrer à la hauteur, tu peux frémir ou ne pas frémir, mais le mieux est de frémir. Ce démon de Benson te gratte sa note ad vitam et coule un bronze d’une merveilleuse allure. Encore une merveille avec l’«Affirmation» de Jose Feliciano, il te baigne ça dans les alizés du Brazil, c’est excellent, encore une belle tranche d’exotica jouée à la jazz guitar et tu te prosternes jusqu’à terre. Benson propose un guitarring fluide et tiède qui te coule dans la manche, c’est exquis, il va chercher le flux d’un jazz d’exotica, très pur et dur, il livre un flux perpétuel de notes douces et tendres, elles pullulent vite sous les doigts de fée de Benson

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             Un autre jeu : aller fouiner dans les coups de prod de Tonton Leon. Un jeu encore plus dangereux, car ce sont des albums qui ne te lâchent plus, si par malheur tu commences à les écouter. L’un de ses premiers gros coups en tant que producteur remonte à 1969 avec le premier album sans titre de Joe Cocker. En réalité, il co-produit avec son associé Denny Cordell. Cock démarre avec une cover de Dylan, «Dear Landlord», accompagné par le Grease Band, c’est-à-dire Henry McCulloch, mais aussi Clarence White et toutes les folles de service, Patrice Holloway, Merry Clayton, Bonnie Bramlett, Rita Coolidge, n’en jetez plus, la cour est pleine. Cock chante à la grosse ferraillerie. L’intégrité du son ne fait pas de cadeaux. Les nappes d’orgue de Chris Stainton sont fiables à 100%. Cock est un fier Sheffielder. On sent déjà le génie productiviste de Tonton Leon. On a là l’une des meilleures associations de l’histoire du rock : voice + prod + cut + demented backings. La version de «Lawdy Miss Clawdy» est exceptionnelle de raunch, c’est gorgé de son et de bon esprit. C’est encore dans les Beatles qu’il tape le mieux, comme le montre «She Came Through The Bathroom Window». Cock les réinvente, il leur amène le raw des provinces, ça joue à l’arrache compulsive. Encore de la pulsion comminatoire avec «Hitchcock Railway». Derrière les folles deviennent encore plus folles et Tonton Leon pianote comme un dératé. En B, Cock tape dans George avec «Something», oh I don’t know, les filles sont là, something in the way she moves, une merveille d’I don’t wanna leave her now, et Cock pousse des woaaahhh de lion du désert. Voilà l’hymne des seventies : «Delta Lady». Tonton Leon frappe un grand coup composital avec «Delta Lady», Cock met une pression terrible, pas de raw plus raw que le sien, et les chœurs de folles en rajoutent. Les poussées de fièvre sont homériques. Il finit cet album superbe avec un cut signé John Sebastian, «Darling Be Home Soon», les folles chantent par en-dessous, elles reprennent en bout de phrase au talk to et le Cock chante à l’éperdue trépassée, darling/ Be home soon ! C’est là très précisément que le vieux Cock devient l’un des rois anglais du balladif avec Chris Farlowe, Rod The Mod et Mike Harrison.

             Cet album sans titre de Cock est si bien produit qu’on sent la différence avec le suivant, With A Little Help From My Friends. Pas de Tonton Leon. L’album ne tient que par la voix du vieux Cock et par la qualité des covers, à commencer par le morceau titre, rendu célèbre par le film tourné à Woodstock. Le vieux Cock fait de cette beatlemania un rouleau compresseur, avec Jimmy Page et une Madeline Bell qui pousse à la roue juste derrière. C’est là que le vieux Cock lâche l’un des plus beaux screams de tous les temps. Version somptueuse aussi du «Feelin’ Alright» de Dave Mason. Derrière le vieux Cock, on retrouve les sœurs Holloway (Patrice & Brenda) et Merry Clayton. Elles sont demented. Le backing-band varie en fonction des cuts. Sur «Just Like A Woman», le vieux Cock est accompagné par deux Procol, Matthew Fisher et BJ Wilson, avec en plus Chris Stainton on bass. Le vieux Cock en fait une pure merveille et lui donne l’étoffe du drap d’or. Mais globalement, l’album est nettement moins intense que le premier.

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             Autre coup de génie productiviste de Tonton Leon : le Texas Cannonball de Freddie King. Les énormités sont en B, «Ain’t No Sunshine» et «The Sky Is Crying». Fantastique ambiance de when she’s gone pour la première, et Freddie rend hommage à Elmore James avec la deuxième. Freddie lui recolle une bonne couche de viande, il ramène une bonne grosse couenne de gras double, il joue à fond dans l’épaisseur du groove de heavy blues. Globalement, Freddie sort un son très Shelter, très Tonton Leon de cette époque si riche. «Lowdown In Lodi» est un boogie ultra chanté par un géant des Amériques. Fantastique cover du «Reconsider Baby» de Lowell Fulsom et il swingue ensuite son «Big Legged Woamn» à l’efflanquée. Tonton Leon compose pas mal de cuts, comme ce «Me & My Guitar», mais ce ne sont pas des cuts très révolutionnaires. Freddie leur donne un certain éclat. Il fend même le cœur du blues.   

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             Autre facette du talent productiviste de Tonton Leon : Wornell Jones et son album sans titre paru en 1979. Bel album de slow groove qui se réveille en A avec un «Heart Of Fire» quasi funk - I’ve got a/ Heart of fire/ Burning/ Burning - Wornell Jones est bassman alors on l’entend, avec Maxyan et Mary Russell derrière, Mary étant bien sûr l’épouse de Tonton Leon. Comme Wornell Jones est bon, il passe partout. Il finit l’A avec un petit groove sympathique, «You Are My Happiness», toujours soutenu par des chœurs fabuleux. Il attaque sa B en force avec «You Make Me Feel So Hot», un heavy r’n’b. Wornell Jones est un surdoué, comme le montre encore «Groove», bien funky du booty. En fait Wornell Jones joue de tous les instruments et l’ensemble est très inspiré. Encore de la heavy Soul de bonne tenue avec «Only Love Can Make It Better». On se réjouit de l’excellence du groove et des chœurs.

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             En 2010, Elton John et Tonton Leon enregistrent The Union. Tonton Leon a 68 balais et ça se voit sur la pochette. Il est écroulé dans sa chaise, avec sa barbe de Père Noël. Pour les ceusses qui ne supportent pas Elton John, l’écoute de cet album est une rude épreuve, mais on est bien récompensé lorsque vers la fin de l’album, Elton John laisse ENFIN Tonton Leon chanter. Trois cuts, c’est pas grand chose, mais ce sont des cuts énormes, à commencer par «I Should Have Sent Roses». Tonton Leon chante avec du swing plein la voix - When you cross my mind - Ce hit fabuleux sauve l’album, Tonton Leon chante du fond de la glotte. Il reprend encore la main avec «Hearts Have Turned To Stone», c’est bourré de feeling, avec des chœurs de filles, et là tu as le grand rock américain. Tonton Leon a une façon très personnelle de twister le destin, ça remonte à Mad Dogs, un pur miracle, et cette façon encore qu’il a de croquer les syllabes ! Il termine avec «In The Hands Of Angels», il pianote et on entend les anges. On l’entend aussi chanter le deuxième couplet d’«A Dream Come True», mais il est noyé dans l’ego d’Elton John qui bouffe tout le reste de l’album. 

    Signé : Cazengler, Léon recèle  

    Al Jarreau. Glow. Reprise Records 1976 

    José Feliciano. Compartments. RCA Victor 1973  

    Randy Crawford. Secret Combination. Warner Bros. Records 1981

    Janis Siegel. Experiment In White. Atlantic 1982                  

    Maria Muldaur. Southern Winds. Warner Bros. Records 1978

    George Benson. Breezin’. Warner Bros. Records 1976 

    Joe Cocker. Joe Cocker. A&M Records 1969

    Freddie King. Texas Cannonball. Shelter Records 1972

    Wornell Jones. Wornell Jones. Paradise Records 1979

    Elton John/ Leon Russell. The Union. Mercury 2010   

     

     

    L’avenir du rock

    - Méfie-toi de Johnny Mafia

             Comme il a un peu trop bu, l’avenir du rock décide de s’offrir une soirée super-trash. En l’honneur de Marcel Duchamp, il se déguise en Rrose Sélavy, se barbouille bien la gueule de fard et de rouge à lèvres, se coiffe d’une perruque immonde et d’un petit chapeau cloche, enfile une robe courte bien vulgaire et des bas opaques, comme ceux des bonnes sœurs. Hop, c’est parti, direction le Balajo. Thé dansant, soirée tango. Ça grouille de queutards. Titubant plus que légèrement, l’avenir du rock les passe en revue et lance des signaux, c’est-à-dire des gros clins d’yeux. Un mec se lève à son approche, il est plus petit, Rrose se dit : «C’est dans la poche, ce mignon-là c’est pour mon lit !». Le mec suit Rrose jusqu’à sa piaule. Pour bien corser l’affaire, Rrose lui crie : «Vazy mon loup !» - Fais-moi mal Johnny Johnny Mafia/ Envoie-moi au ciel zoum !/ Fais-moi mal Johnny Johnny Mafia/ Moi j’aime l’amour qui fait boum ! - Le mec n’a plus que ses chaussettes, des jaunes avec des raies bleues, il regarde Rrose d’une œil bête, il ne comprend rien le malheureux, il dit d’un air désolé : «J’ferais pas d’mal à une mouche», alors Rrose s’énerve, le gifle et reprend sa litanie - Fais-moi mal Johnny Johnny Mafia/ Envoie-moi au ciel zoum !/ Fais-moi mal Johnny Johnny Mafia/ Moi j’aime l’amour qui fait boum ! - Mais ça ne marche toujours pas. Alors elle l’insulte sauvagement, lui donne tous les noms de la terre et encore d’autres bien moins courants, ça le réveille aussi sec et il dit : «Arrête ton char, Ben-Hur, tu m’prends vraiment pour un pauvre mec, j’vais t’en refiler d’la série noire» et bing et bong, alors Rrose se plaint - Tu m’fais mal Johnny Johnny Mafia/ J’aime pas l’amour qui fait bing ! - Il remet sa p’tite chemise, son p’tit complet, ses p’tits souliers et redescend l’escalier, laissant Rrose avec une épaule démise. Duchamp, Vian, le trash, bon, ça va cinq minutes. Le lendemain, l’avenir du rock s’en va trouver son ami Don Corleone. C’est pas le jour, car Don Corleone marie sa fille, mais il le reçoit quand même dans la pénombre de son bureau. L’avenir du rock vient lui demander un service : faire rosser celui qui l’a rossé.

             — Et comment s’appelle-t-il ?

             — Johnny Johnny Mafia !

             Don Corleone garde le silence un moment, et finit par lancer d’une voix tragique :

             — Mais comment oses-tu me manquer de lespect, avenil du lock ?   

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             Si l’on prête l’oreille aux préjugés, on ne fait rien. Un groupe qui s’appelle Johnny Mafia, ça n’inspire pas confiance. Te voilà en plein préjugé. Le préjugé décide pour toi. Alors tu n’y vas pas. Quand on est con, on est con. Ça fait du bien de le reconnaître. Au lieu d’aller voir un groupe qui pourrait te botter, tu vas te vautrer dans tes préjugés et regarder une grosse connerie à la télé. Et tu seras encore plus con.

             À l’inverse, tu peux décider de faire la nique aux préjugés. Dès que tu en vois un germer dans ta cervelle spongieuse, tu peux le défier et passer à l’action. Mais attention, c’est la porte ouverte à tous les coups d’épée dans l’eau. Tu as bien compris qu’en fait, l’idéal consiste à trouver un équilibre entre la porte ouverte et la porte fermée. Pour simplifier les choses, on va appeler cet équilibre le feeling. Le nom de Johnny Mafia ne te plaît pas, alors tu y vas au feeling. Pas de pré-visionnage sur YouTube, pas de rien, tu y vas au bluff. Si c’est mauvais, tu oublieras. Si c’est bon, tu en parleras. Tu regardes une dernière fois leur photo dans le programme et tu pouf, tu descends en ville chercher une place pour le concert. 

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             Alors oui, le concert, parlons-en. Chose qu’on ne fait jamais, saluons rapidement le groupe de première partie, Kitano Grafiti, un quatuor local qui a tout l’avenir devant lui. Propulsé par un beurreman-powerhouse, les Kitano jouent littéralement avec le feu. Ils développent de purs moments de folie et ce petit chanteur/électron libre, un certain Raphaël, pique des crises extraordinaires. Petit gabarit mais stature de rock star. Avec en plus une vraie voix et un beau scorpion tatoué sur la main. Rien que pour lui, on est content d’être là.

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             Et puis voilà les mafieux. Moyenne d’âge ridiculement basse. Le guitariste qui fait sa grimace de pied nickelé sur la photo du programme semble sortir du collège. Il sort ses deux belles guitares des étuis, une Fender Mustang jaune et une Hagstrom rouge. Les autres arrivent et boom badaboom, ils attaquent un set qu’il faut bien qualifier d’explosif. Mais ce n’est pas n’importe quel explosif. Ces quatre petits mecs tapent dans le dur, ils sonnent littéralement comme les Pixies. Comme les Pixies ? Mais c’est impossible ! Et pourtant, ils sont dessus. Le petit guitariste sorti du collège ramène tous les plans de bas de manche de Joey Santiago, il sort vraiment le son et le mec au chant s’arrache la glotte à vouloir faire son gros Black, il n’y parvient pas, bien sûr, mais l’intention est là et c’est tout ce qui compte. Ces quatre petits mecs ont un panache pour le moins extraordinaire. Au fond, le bassman taille des drives monumentaux avec un son bien calé sur la houle. En deux cuts, ils ont mis la salle dans leur poche et ça commence à drôlement s’agiter au pied de la scène. Fantastique ambiance ! Les trois-quarts de leurs cuts pourraient être des reprises des Pixies, tellement c’est bien foutu et bien wild. Ils ont notamment un truc qui s’appelle «Aria» et tu crois entendre «Velouria».

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

    C’est tout de même incroyable qu’un groupe français puisse approcher cette perfection sonique qui est celle des Pixies. Oh, c’est vrai, leurs compos n’ont pas l’éclat de celles du gros Black, mais ils ne sont pas loin derrière. Ils sont juste derrière. At the gates of dawn. Ils tapent un cut de leur prochain album et c’est tellement bon qu’à la demande du public, ils le jouent deux fois. On dresse l’oreille car c’est un hit. Dommage que le chanteur n’ait pas le scream. Il se contente du punch, c’est déjà pas mal. Ce mec est brillant. Il ne lâche pas l’affaire. Un vrai mafieux. Tu dois le prendre au sérieux. Il ne rigole pas. Quand ça tombe, ça tombe. Et puis tu vois le petit guitariste faire son cirque, tirer la langue, jeter sa bouteille d’eau, filer des coups de boule à son micro et onduler comme Oum Kalsoum, à sa façon, il est assez spectaculaire, encore de la graine de rock star. Décidément, c’est la soirée des graines !

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             Alors bien sûr, en partant on ramasse les disks au merch. Marchi les gars ! Inspection rapide des pochettes. Bons labels (Dirty Water et Howlin’ Banana), pochettes couci-couça, et bien sûr retour des préjugés. On va écouter ça, mais bon...

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             Mais si ! Si tu commences par écouter le Sentimental paru l’an passé, tu vas tomber de ta chaise ! Tu prends «Split Tongue» en pleine gueule, un cri, t’es prévenu, et c’est la folie Méricourt, avec toutes les clameurs, tatapoumé à la vie à la mort par ce mec qui est déjà torse nu. Puis ils enfilent les hits comme des perles, au heavy sound, tout est travaillé dans l’excès sonique, c’est ultra plausible et même explosivement plausible, arrggghhh quel son !, ces mecs sont la Panzer Division du bouleversement de tous les Sens, leur ville d’origine. Tiens voilà justement l’«Aria», ils rentrent bien dans le lard de l’attaque, avec la force tranquille de François Mitterrand, ça te Velouriate l’estomac, mama, ça va et ça vient au pilon des forges entre tes reins, ça te tombe sur le râble, baby, et aussitôt après, le bassman fou lance «Phone Number» à la bass fuzz, et là ça hurle dans la fournaise pour de vrai, ils vont chercher des noises à la noise pixique, tu crois que tu écoutes le nouvel album des Pixies. Il se pourrait bien que les Pixies se soient déguisés en collégiens de Sens. Il y a plus de son dans le bouleversement de tous les Sens, Horatio, que n’en rêve ta philosophie. Tu n’en reviens pas : son, voix, basse, punch, esprit, tout est là, surtout le pilonnage de basse au-dessus de Dresde. Sens rase Dresde une deuxième fois. La Mafia largue son phosphore. Ils éclairent la nuit. Ils replongent de plus belle dans les clameurs du phosphore avec «Refused». Absolute beginner ! Ils ont réussi à pomper toutes les dynamiques de Pixies, c’est stupéfiant, tu passes ton temps à tomber de ta chaise et à y remonter. Ce n’est pas un album de tout repos. Méfie-toi de la Mafia. «Love Me Love Me» repart à l’attaque, à dada sur une nouvelle bassline infernale. Ils attaquent ça à l’écume des jours de Pixieland, c’est trop, on ne sait plus si on grille dans l’enfer du paradis ou si on se vautre dans l’ouate du paradis des enfers, tout éclate dans le brasillement des braseros, ça déborde de la casserole, la baraque va s’écrouler, c’est inévitable. Tu as ce sentiment de fin du monde permanent, comme au temps où tu écoutais Come On Pilgrim. Tout va se casser la gueule. Ils tapent «Problem» au heavy riff, ce n’est pas le Problem des Pistols, c’est leur Problem, ils jouent ça all over et ça te stupéfie encore un peu plus. Ils ne jouent que des énormités à toute épreuve, tiens comme ce «TV & Disney» fast & heavy, complètement dévastateur, non seulement c’est fast & heavy, mais c’est aussi fast & loud, les mots se prennent les pieds dans le tapis, et pendant ce temps, ils n’en finissent plus de narguer la perfection. «Nail Gun» te monte droit au cerveau, c’est complètement inespéré, ils flirtent en permanence avec le génie sonique des Pixies, tu as l’impression de nager au milieu d’un océan de génie pixique, heureusement, tu as une bouée avec une tête de canard. Ils finissent en beauté avec «Ushuaïa» et «On My Knees», chargés comme des mules de chant, de grattes, de prod, de pix, du jus, de jive et de germes.   

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             Rien ne t’oblige à écouter l’album précédent, Princes de l’Amour. Mais ce serait bête de ne pas le faire, car Jim Diamond le produit. Alors attention, ce n’est pas le même son. Le panache est toujours là, mais la Mafia sonne plus trash-gaga, et ce, dès un «Big Brawl» qui porte bien son nom. Tu as tout de suite le son, ça te chevrote dans la grotte, c’est frotté à l’ail, pas de répit, ça te gratte la couenne et, dépassés par l’ampleur de leur son, les mafieux sont frappés de stupeur. Il n’existe rien d’aussi powerful sur cette terre, à part les Pixies. On en parlait, justement, les voilà avec «Aco», un vrai brash, monté aux gémonies, ça crame dans le haut-fourneau, avec les petits coups d’ah ouuh ouuh bien vicelards, ce sont les appels d’air des Pixies, Aco ! Aco !, eh-ouuh ouuh ! La purée déborde de la casserole. Tout est en place sur cet album, power all over, les pures giclées de dégelées extrêmes se succèdent. Les mafieux attaquent «Crystal Clear» aux heavy chords. Jim Diamond n’en revient pas d’entendre ça ! Il croyait avoir fait le tour à Detroit, mais non ça continue à Sens. Il a devant lui les roitelets de la dégelée. Ils jouent tellement fort que les montagnes s’écroulent. Tout est blindé de bardage sur cet album, le son sature de saturnales, les mafieux sont partout et de tous les instants. Toutes leurs attaques sont bonnes, c’est-à-dire fatales. Tout est saturé d’allant et de répondant. «Feel Time Feel Fine» est plus classique, mais pas de problème, ça s’inscrit dans la traînée de bave argentée des Pixies, mêmes veines gonflées et mêmes virages à la corde. Les paquets de son sont comme les paquets de mer, schlouffff, t’as du mal à retrouver ta respiration. Comme leurs collègues italiens, les mafieux de Sens abusent de la générosité de Jim Diamond. Ils vont même singer le hardcore du gros Black avec «Each Side» et chaque fois, ils s’arrangent pour monter au paradis des voix. «Sun 41» sonne comme un cut de référence, tellement c’est dans l’esprit pixique, ils font du pur Kim Deal au milieu d’une apocalypse de Panzer destruction.  

    Signé : Cazengler, Johnny la fiotte

    Johnny Mafia. Le 106 (Rouen). 18 novembre 2022

    Johnny Mafia. Princes de l’Amour. Dirty Water Records 2018

    Johnny Mafia. Sentimental. Howlin’ Banana Records 2021

     

     

    Inside the goldmine - Shirley lady lay

     

             — Professeur Dox !

             — Oui Colonel Dax, en quoi puis-je vous être utile ?

             — Ne pourriez-vous pas déplacer le clodo qui est dans le lit d’à côté ?

             — Détrompez-vous, Colonel Dax, cet homme n’est pas un clochard. On l’appelle Naoh car c’est tout ce qu’il sait dire. Naoh ! Naoh ! Il vivait apparemment dans une caverne à Rouffignac. Il se déplace en s’appuyant sur une grosse branche, car sa jambe droite a probablement été arrachée, comme la vôtre, Colonel, mais pas par un obus, la cicatrice n’est pas aussi belle que la vôtre. Voua allez faire sensation dans les salons...

             — Mais vous ne sentez pas son odeur, Professeur ? C’est pire que dans la casemate de tranchée, avec les troupiers du 28e qui chiaient partout !

             — Vous ne voulez pas savoir la raison de sa présence ici ?

             — Oh écoutez, j’en ai vu des vertes et des pas mûres au front, alors une histoire de plus ou de moins, que voulez-vous que ça me fasse ?

             — Bon, il faut quand même que je vous raconte cette histoire. Il devait être parti à la chasse et il est tombé sur un fourgon de CRS garé sur une petite route de campagne. Ils devaient faire une pause. Ils fumaient des cigarettes et Noah s’est jeté sur eux, ils les a étripés tous les douze et vous voulez savoir pourquoi ?

             — Oui, à condition que vous me promettiez de le déplacer...

             — Il les a étripés à coups de pieu pour leur prendre leur briquet ! Il le serre d’ailleurs dans son poing, regardez...

             — Mais pourquoi n’est-il pas encore guillotiné ?

             — Parce qu’il n’est pas en possession de toute sa tête, voyez-vous...

             — Et vous croyez que les boches étaient en possession de toute leur tête ? Qu’est-ce que c’est que ces conneries ? Fusillez-moi ça tout de suite ! Gardes ! Formez le peloton ! En joue !

             Le Professeur Dox fait signe à l’infirmière :

             — Shirley, le Colonel Dax s’agite ! Doublez la dose de sédatif ! Hâtez-vous !

             — Quoi ? Qui c’est celle-là encore ? Une négresse en plus ? Et Izabeau, elle n’est plus là ? C’est Izabeau l’infirmière ! Ramenez-moi Izabeau sur le champ, vous entendez Professeur Dox ? Sur le champ ! C’est un ordre !

             — Calmez-vous colonel Dax ! On a dû la renvoyer. Elle s’injectait toute la morphine du service. Elle a fini par devenir lunatique, ce qui ne cadrait plus avec les obligations de sa fonction, voyez-vous...

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             Shirley Ellis est tellement belle qu’elle aurait pu faire l’infirmière dans l’un de ces célèbres hôpitaux qui font la légende de la Grande Guerre. Ah tous ces blessés et toutes ces gueules cassées qu’on montrait au public comme des animaux de foire ! Nous ne pourrons plus nous régaler d’un tel spectacle, car l’ère des Grandes Guerres semble révolue. Par contre, Shirley Ellis vaut toujours le détour.

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

    In Action paraît sur Congress en 1964. On y trouve deux shoots de Nitty gritty, «The Nitty Gritty» et «(That’s) What The Nitty Gritty Is», un groove encore un brin mambo. Quelle belle femme ! Elle amène la première d’une petite série de covers à la petite menace : «Bring It On Home To Me». Contre-chœurs déments ! Elle y injecte tout son power, Shirley est une fantastique allumeuse, et un mec croasse derrière en contre-chant. Superbe hommage à Sam Cooke. Elle tape ensuite trois autres covers, «C C Rider», «Kansas City» et «Stagger Lee». Elle prend le Rider au pathos new-yorkais et chante son Stagger au mieux des possibilités. Elle fait une excellente cover de «Kansas City», oh yeah, Kansas City here I come et elle conquiert les cœurs avec «Stardust», pure merveille de wonder why, superbe cabaret shot dopé aux percus. Elle se montre digne d’Audrey Hepburn dans «Moon River». Shirley y va merveilleusement, elle crée de la magie. Avec «Get Out», elle montre qu’elle est bonne à la manœuvre et fond avec le «Such A Night» d’ouverture de balda dans une pop superbe. Elle fait encore des merveilles dans «Don’t Let Go», bien épaulée aux chœurs, elle est parfaite et elle est belle. Fantastique Shirley Ellis !

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             L’année suivante paraît son deuxième album, The Name Game. Bon autant le dire, c’est une petite arnaque car on y retrouve une dizaine de cuts de son premier album. On se console avec le morceau titre, un solide romp de mambo r’n’b. Elle est brillante ! Présence irréelle et puis ce set de percus derrière a tout de la bonne aubaine. Elle boucle ce beau balda avec «The Nitty Gritty» et attaque sa B avec un «Such A Night» qu’elle prend à la voix pleine, avec des accents hispaniques un feu fêlés, une vraie merveille. Bref, on va d’enchantement en enchantement. Plus loin, elle nous ressert ses covers «Stagger Lee» et de «Bring It On Home To Me» sur un plateau d’argent.

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             Tout aussi énorme, voici Sugar Let’s Shing-A-Ling / Soul Time With Shirley Ellis paru en 1967. Pochette à la Dionne la lionne et elle attaque avec le morceau titre, oh oh-ho let’s go. Elle a du monde derrière et on se lève pour danser, car il est impossible de faire autrement. Elle fait du pur jus de Motown avec «Back Track». On croit entendre les Supremes, c’est dire l’excellence de la démarche. Et la voilà qui se met à jazzer avec «It Must Be Love». Alors ça jazze à New York, baby. Elle reste dans le groove de jazz pour «Birds Trees Cupids & Bows», bien secoué des cloches, avec cuivres, percus et chœurs de folles à gogo. La B est la face lente qu’elle attaque avec «How Lonely Is Lonely». Elle se tape des montées en puissance dignes de celles d’Aretha. Elle s’enfonce dans sa face lente avec «Yes I’m Ready», c’est bien senti, elle est soutenue par des chœurs d’hommes et une orchestration spectaculaire. Elle est fantastiquement attachante, elle négocie bien ses virages au timbre fêlé. Elle retrouve ses accents d’Aretha pour «Truly Truly Truly» et finit avec un groove de classe supérieure, l’inestimable «To Be Or Not To Be».

    Signé : Cazengler, Shirley de vache

    Shirley Ellis. In Action. Congress 1964

    Shirley Ellis. The Name Game. Congress 1965

    Shirley Ellis. Sugar, Let’s Shing-A-Ling / Soul Time With Shirley Ellis. Columbia 1967

     

    *

    Nostromo est le nom d’un vaisseau tiré de la saga cinématographique d’Alien. Ce nom est aussi le titre d’un roman de Joseph Conrad, en Italien il signifie maître d’équipage, ou maître d’armes, nous préfèrerions le traduire selon une étymologie empruntée à la cabale du Gai Savoir par  ‘’Notre Homme’’. Cette traduction nous paraît plus proche du pessimisme philosophique véhiculé par le livre de Conrad. Notre homme en le sens de représentant l’espèce humaine. Un homme comme tous les autres qui aspire à la grandeur mais soumis à la loi évènementielle de la Destinée. L’Être Humain ne maîtrise pas les conséquences de ses actes : même ceux inspirés par les sentiments les plus nobles peuvent déboucher sur des résultats contraires aux raisons selon lesquelles il a été accompli.

    Tous les enfants connaissent l’histoire d’Alexandre le Grand qui en un tour de main maîtrise le cheval Bucéphale sur le dos duquel les meilleurs écuyers de Philippe de Macédoine ne parvenaient pas à grimper. Les gamins adorent cette anecdote qui prouve que malgré leur âge ils sont capables de surpasser les adultes. Il est un autre aspect de Bucéphale, celui du cheval de guerre, audacieux et téméraire, qui obéissant à l’injonction de son maître n’hésite pas alors que la phalange macédonienne plie sous la poussée des hoplites Thébains, au mépris de toutes les lois de la stratégie militaire de l’époque, à foncer seul dans les rangs de l’infanterie ennemie et à transformer par cette action d’éclat la défaite annoncée en victoire totale, le même Bucéphale qui forcera à la tête de la cavalerie grecque le passage du Granique. 

    C’est ce cheval d’orgueil, de bronze ou de marbre noir, dressé sur ses postérieurs, les antérieurs levés près à frapper l’adversaire trop audacieux pour s’avancer que représente la magnifique pochette de Bucéphale le dernier album de Nostromo, artworké par Dehn Sora. Nous n’en dirons pas davantage de ce dernier dans cette chronique puisque la suivante lui est consacrée.

    De même nous ne parlerons pas ici de Didier SŽverin même si le disque est dédié à sa mémoire. Une troisième chronique esquissera sa figure dans cette même livraison.

    Est-il nécessaire de prévenir le lecteur, le disque que nous allons écouter ne raconte en rien, ni le roman de Conrad, ni un épisode d’Alien, ni Bucéphale, ni Alexandre Le Grand. Il est des racines à interpréter en tant que principes symboliques et opératoires.

    BUCEPHALE

    NOSTROMO

    ( Hummus Records / Octobre 2022 )

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

    Est-ce parce qu’ils sont originaires de Suisse que Nostromo sont des adeptes de l’excellence ? En tout cas ils ont de toujours préféré la qualité à la quantité. En un genre qui permet les dérives les plus folles, le grindcore, pointe extrême du metalcore, ils ont continuellement veillé à contrôler par une technicité instru-mentale hors norme leur cheminement musical. Nous le classerons dans ces groupes dont l’ivresse dionysiaque cède le pas au regard akaotique d’Apollon mais de l’Apollon-Lyncée, le dieu-loup des Hyperboréens. Formé en 1996, le groupe se sépare en 2005 pour se reformer en 2016. 

    Javier Varela :  chant / Jérôme Pellegrini : guitare / Ladislav Agabekov : basse / Maxime Hänsenberger : batterie.

    Ship of fools : submergé dès les premières notes, d’abord se poser pour prendre mesure de l’ampleur du choc, une constatation de comptable s’impose : le morceau n’atteint pas les quatre minutes, alors que vous imaginiez être emporté dans un maelström pour plusieurs heures, comme quoi Nostromo est un groupe à dimension humaine. Il est vrai qu’il est des humanités plus sauvages que d’autres. Maintenant que nous sommes rassurés nous pouvons tenter une deuxième écoute. Une voix vous avertit vous êtes sur la nef des fous, ne croyez pas vous en tirer facilement. Un ouragan survient, étrange comme sa violence est en même temps mélodique, la batterie est entée sur les huit sabots odiniques de Sleipnir lancé dans une course désordonnée, des pales d’hélicoptères se rapprochent, la mer tangue salement, hachoirs mécaniques pour vous maintenir en coupe réglée, les vomissures vocales de Valera sont sans appel, n’accusez que vous-même si le monde court à sa perte. Le naufrage vous attend, vous ne méritez pas mieux. De toute éternité. IED ( Intermittent Explosive Disorder ) : ce n’était qu’un prélude à l’eau de rose, ici débute la lave aux épines acérées, tambours de guerre, exhortations vocales, fricassées soniques, la leçon est claire, ne prends pas conscience de ta fragilité, ce genre de pensée est délétère, ne perds pas ton temps, prépare-toi à la guerre. IED est un shoot d’adrénaline pure, l’on ne te promet pas la victoire puisque de toute ta vie tu n’as connu que la défaite, deviens la colère qui monte en toi, sois la cheminée du volcan qui entre en éruption. Brutalité et cruauté seront les deux mamelles de ta survie.

    In praise of Betrayal : karcher de crachats varéliens, la batterie semble frapper sur un punching ball, je vous rassure ce n’est pas du toc, c’est un vrai être humain, celui qui vous a trahi, vous le trahirez à votre tour, dégelée de coups de poings sur sa face de blaireau, quand ça s’arrête c’est pour reprendre en plus fou, vous avez des grésils de cordes extraordinaires mais ce qui fait le plus mal c’est que ce morceau vous prend des airs lyrico-philosophiques, l’on est au niveau du principe biblique, être puni par où on a péché, pour un œil toute la gueule. Dans la série éloge de la trahison c’est j’irai cracher sur ta tombe et cela me fera du bien. Katavasis :  ( Entente ) : l’on ne s’attendait pas à trouver chez Nostromo le souci exalté de la parité. Mais après la trahison arestique de l’ami, voici la traîtrise érosique de l’amie. Comme des coups de fouets en entrée, ensuite une marche au supplice, prennent leur temps, l’offense est encore plus terrible, la blessure saigne et du sang noir coule dans les idées, l’on ne pense même pas à se venger, on a honte de s’être trompé, d’avoir été manipulé, la personne à qui l’on s’en prend ce n’est pas l’autre mais soi-même qui s’est livré sans défense, le morceau appuie de toutes ses forces où ça fait mal,  lamento pour soi-même, funèbre et impulsif, incroyable mais vrai, le désir de l’autre s’apparente à une automutilation. A sun rising west : galopade infinie, ainsi est la vie, elle va de l’avant et toi tu cherches sur les côtés Javier a beau hurler, Maik tambouriner comme un malade, Jérôme gratter à s’en user les phalanges jusqu’à l’os, Lad vous zébrer de sa basse, de brusques arrêts pour repartir au millimètre phonique près de plus belle, et de plus en plus violemment, la leçon est claire, le soleil qui se lève à l’occident est celui de la mort, il n’y aura pas de séance de rattrapage. Un bulldozer détruit vos rêves qui ne repousseront pas. Per sona : persona en latin signifie masque, celui que l’on est, morceau hyper violent, exhortation à s’arracher ce faux visage que la meute des imbéciles vous cloue sur la face, des coups de boutoir brisent les piliers de ce zombie social que chacun s’acharne à vouloir être, le temple des convenances s’effondre, hâtez-vous de faire partie de ceux qui réussissent à s’extraire de la foule des imbéciles, seuls les forts survivent, onanisme de son propre rapport à soi.  Lachon Hara : ce titre signifie calomnie en hébreu, il n'est certainement pas choisi par hasard, nous avons déjà cité la Bible dans cette chronique, un peu étrange que cet album dont le titre appartient au monde païen donne à plusieurs reprises la parole à un personnage comminatoire qui ordonne, punit et promet les pires châtiments à l’instar du Dieu jaloux et vindicatif de l’Ancien Testament, d’ailleurs une certaine grandiloquence n’est pas exempte de ce titre, le vocal n’est qu’une longue vitupération sans fin qui promet les pires des maux à l’humanité, la musique semble une traduction sonique de la fournaise de feu qui s’abattit en des temps anciens sur Sodome et Gomorrhe, à part que le locuteur colérique n’hésite pas à frapper les autres pour les punir de ses propres erreurs. Le summum phonique de l’injustice ! Realm of mist : mettre les points sur les i. Ne plus se cacher derrière les bons sentiments. Nostromo produit une musique sans pitié, elle est là pour vous écraser, tant pis pour vous si vous appartenez à la race des esclaves et si les maîtres dominent. Ne venez pas vous plaindre, dès le début l’on vous a prévenu, puisque vous n’êtes pas devenu un guerrier, n’espérez aucune pitié. Soumission. Decimatio : une coutume (peu usitée) des légions romaines qui consistait à tuer un soldat sur dix pour raffermir le moral défaillant des troupes : la suite explicative du précédent, totalement éructif, l’on ne peut faire confiance aux faibles, ils veulent vous aider, le plus simple est de les détruire. Engeance philanthropique détestable ! La batterie claque comme des tirs de pelotons d’exécution. Fusillades continues. La fin justifie les moyens. Asato ma : un vent tempétueux se lève, la dernière scène du film en techninigracolor que nous venons d’entendre et de visionner, Nostromo prend son temps, et surprise l’on entend une prière adressée à l’on ne sait qui. Est-ce un ilote qui quémande une place de choix aux maîtres du dernier degré de la pyramide humaine, ou un des maîtres inflexibles qui monnayant son orgueil s’adresse à une entité éminemment supérieure, une guitare se lance dans un solo de flamme vacillante qui épouse tous les caprices du vent qui la déchire, nous ne le saurons jamais, chacun l’interprètera selon ses desiderata, dans les deux cas un super pied de nez, toute faiblesse et toute force sont prêtes à s’abaisser devant force plus forte qu’elles, réelle ou supposée… dans l’espoir inaccessible de grimper un palier de plus. Le scorpion humain, en admettant ses limitations retourne son dard d’orgueil ou d’humiliation contre lui-même. A moins que l’individu ne s’adresse à lui-même en exigeant de se surpasser toujours plus, jusques à atteindre l’immortalité.

    Nostromo, groupe de metal extrême qui vous pousse à vos dernières extrémités philosophiques. Bref à réfléchir.

    Damie Chad.

     

     

    DEHN SORA

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

    Dire que Dehn Sora est un illustrateur serait mal venu. D’abord parce qu’il est de ces artistes – le terme d’artifex au sens néronien de ce mot semblerait mieux approprié - qui touchent aussi bien à la musique qu’aux arts graphiques mais surtout parce que ses illustrations ne mettent pas en lumière l’objet dessiné ou le sentiment évoqué, elles les mettraient plutôt en l’ombre de leur propre noirceur. Il suffit de taper Den Sora Art sur le Net pour être servi. Nous ne nous attarderons pas ici sur cet aspect de s’ouvrir au monde par le dessin. Nous dirons simplement que Dehn Sora ne ne s’acharne  pas sur la reproduction d’une forme. Dessine comme l’homme du néolithique qui peignait au fond des cavernes obscures en ses recoins les plus difficiles d’accès. Pour quelles raisons nos ancêtres se donnaient-ils tant de mal, nous l’ignorons. Dehn Sora s’acharne à manifester le côté obscur des formes platoniciennes, il ne cherche pas à remonter à leur brillance originelle hors d’atteinte, il s’efforce au contraire de percer la signifiance de ce spectacle non-luminescent, il ne cherche pas à dévoiler son dévoilement mais à atteindre l’essence de son absence, il est le peintre du négatif, il peint ce que la chose n’est pas, il tente de traduire ce qu’elle peut signifier si nous l’élisons en signe totémique de notre humanité. Ce qui explique la prolifération animale de ses artworks. Souvent ramenée à la fossilisation de ses os. Peut-être dans le but de réduire le tabou de la représentation de la chose, car si les racines des mots sont aléatoires, le tracé d’une courbe est déjà un crime iconographique à l’encontre du monde dont on dématérialise la présence.

    Graphisme, vidéo, son, Dehn Sora ne se refuse rien. Il agit là où il pense être capable d’expérimenter quelque chose de lui-même. Il a travaillé en interaction avec beaucoup de groupes (pochettes, vidéos, concerts), nous reviendrons une autre fois sur quelques-unes de ses collaborations, de ses co-artworkings, intéressons-nous à un de ses projets plus personnels. Plus une main à mordre est la deuxième réalisation de Throane. Titre néologique qui joue sur les mots Through et Throat. La gorge en tant qu’émission émotionnelle des replis intérieurs du corps et la nécessité par le fait même de cette émission vocale de passer au-dehors de soi, les vomissures phoniques intimes n’étant que la meilleure manière de communiquer avec les autres, de se mettre à nu pour peut-être établir un dialogue dont il ne nous est offert que la participation monologique d’un seul. Avec cette idée sous-jacente que si l’auditeur lambda peut stupidement imaginer que sa réception forme la deuxième voix qui manque, il se trompe, il n’est que l’un des témoins d’une réalité dont il ne perçoit qu’une moitié, l’autre totalement psychique, qu’il ne perçoit pas, est contenue dans le produit fini qu’il écoute et appartient totalement à son engendreur, Valéry emploierait le terme de gladiator pour nommer cette notion d’agir. Il y a chez Dehn Sora un côté christique, mais un Christ qui se soumet à son propre supplice intérieur non pas dans le geste altruiste de sauver l’humanité par son sacrifice, mais simplement pour se survivre à lui-même.

    PLUS UNE MAIN A MORDRE

    THROANE

    ( Debemur Morti Productions / 2017)

    Grégoire Quartier est aux drums et Dehn Sora à l’ensemble phonique.

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

    La pochette est celle de l’homme qui se prend la tête. Portrait de l’artiste en   chien domestique qui aboie à la lune extérieure ou à la nuit intérieure. On ne sait pas. Lui non plus. En tout cas ses auto-figurations ne nous intéressent pas. Ce ne sont que flèches enflammées qui augmentent l’obscurité. Lui-même ne doit pas en être dupe. 

    Aux tirs et aux traits : ailleurs, un tourbillon, un vortex, un emporte-tout, une pharamineuse merde pharaonique d’une beauté incendiaire, tout l’excédent excrémentiel de notre monde post-industriel non pas un final grandiose de fin du monde, mais en une suite cyclique sans cesse renouvelée, vous aimeriez vous y opposer, impossible vous êtes comme Sébastien qui flèche après flèche, tirs après traits, subit les degrés de la fulgurante montée plotinienne de l’extase, ce bourdon noir qui résonne comme l’annonce d’une catastrophe imminente dont l’attente est son perpétuel déroulement - mes chiens endormis s’inquiètent dans leurs sommeil même si j’écoute au casque – des vagues qui s’évaporent dans un silence qui ne parvient pas à s’installer, tout comme l’on aperçoit dans les eaux noires du désespoir l’ombre d’une glauque nageoire du kraken retournant à ses abysses, et ce son profond, cris de gorge de quelqu’un qui se noie en lui-même. Et ceux en lesquels ils croyaient : au plus profond du nihilisme, les valeurs humaines, celles qui ont remplacé les vieilles catégories aristotéliciennes, s’écroulent,  sans doute y a-t-il une sombre beauté en ces destructions intimes, la vague monte et engloutit tout, surface paisible des eaux sur laquelle on essaie de surnager avant que la tempête ne se déchaîne est-il utile de crier au secours, de regretter ses errements passés, alors que tout sombre irrémédiablement attiré vers le fond sans fond. Que reste-t-il des Atlantides englouties ? A trop réclamer les vers : jouons sur la polysémie des mots et des sons, tant de beauté pour tenter de nous sauver par les vers pompeux de la poésie pompéienne, ou sommes-nous voués aux vers du tombeau ouvert sur notre déréliction, l’homme poisson crie, il manque d’air mais nous sommes tout ouïe à l’écouter, du moins à l’entendre nous bercer en des tornades tempétueuses, tels les alcyons qui couvent les œufs de leur incompétence vitale mais obstinée. Tant de splendeur phonique pour nos chétives existences ! Et tout finira par chuter : l’inéluctable, toute maison d’Usher se doit de chuter à la fin de son propre temps, à cette différence près que si le temps parvient aux limites extrêmes de sa temporalité que se passe-t-il, quel est ce vacarme, est-ce celui de l’espace qui se recroqueville sur lui-même, un papier que l’on froisse, un mouchoir que l’on engloutit au fond de la poche du néant, des stridences parcourent ce rapetissement dimensionnel de l’univers, musique des sphères célestes entrechoquées les unes contre les autres, abominable vacarme délicieux, le monde se rétrécit, il n’exhale plus qu’une plainte profonde, une sirène d’alarme vite aspirée par le ronronnement des milliers de bombardiers atomiques qui s’approchent et s’éloignent, qui tournent en rond comme les oiseaux du malheur prophétique, qui arrive trop tard après sa réalisation, grognements de satisfaction insatisfaite d’avoir connu la fin du conte noir avant même que l’on ait ouvert le livre. Mille autres : ressac, une voix, l’écume vole au vent du désir, si je suis un, nous sommes mille autres, mille chemins ouverts, mille possibilité d’une survie superfétatoire, roulement de tambour et musique sérielle de Bach qui tombe des voûtes détruites des édifices détruits, la vie comme la mort emporte tout, elles sont sœurs jumelles, elles se lamentent, elles ricanent de leur exultation, elles se congratulent, laquelle a engendrée l’autre, où est la troisième, celle dont l’absence ne coupera pas le fil. Ni le film que l’on se plaît à repasser. Plus une main à mordre : l’arakné funèbre tisse les moires des voiles du linceul, quelle est cette solitude au milieu de millions d’autres, que cela signifie-t-il, que nous aurons perdu la faim du désir et que nous le regretterons amèrement car il y a plus amer que l’amertume, celle de vivre sans désir, celle de ne plus pouvoir se battre contre et avec l’autre en une violente parade nuptiale. Des sons venus d’ailleurs s’éloignent dans la nuit, nous emportent-ils ou émanent-ils de nous, sommes nous puits tari ou source renaissante, une voix, des cris de haine agoniques, est-il important de savoir, ne serait-il pas plus sage de vivre nos folies qu’elles soient dans nos présences ou dans nos absences, le son submerge tout, la vie comme la mort, le néant comme la chose immonde que nous sommes, le film ne se terminera donc jamais, sommes-nous sempiternellement remis en scène, sommes-nous obligés d’être, est-il impossible d’échapper à cette dualité qu’être ou ne pas être c’est toujours du mal-être. Comme des chants, autant de shoots d’adrénaline pour nous aider à nous supporter. Epoustouflant.

    Damie Chad.

     

     

    DIDIER SEVERIN

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

             Didier Séverin est décédé ce 24 mars 2022, à l’âge de cinquante et un ans. Il fut le chanteur de Knut, groupe frère de Nostromo, souvent réunis sur les mêmes scènes des mêmes concerts. En 2010, le chanteur choisit de s’immiscer dans le silence. Il ne quitte pas la musique pour autant. Il change d’univers mental. Il ne prend plus de notes, il produit des sons. Il devient un magicien de l’électronique. C’est un retour vers l’infini, une seule note contient toute la musique. Il suffit de lui laisser dire ce qu’elle contient, l’écouter pour comprendre ce qu’elle veut nous dire, ou peut-être mieux, afin de nous dégager de toute compréhension anthropomorphique et entendre ce que nous voulons qu’elle nous dise. Une démarche similaire à celle de John Cage, né et mort au siècle dernier. Dont on sous-estime encore le legs musical et pictural, quelque peu occulté par la naïveté de la révolte dadaïste et les faux-semblants du surréalisme.

             C’est une démarche qui n’est pas nouvelle, elle remonte aux sources mêmes de la musique universelle, elle consistait à laisser bourdonner sans fin un son primal, sur lequel les musiciens tentaient quelques subtiles variations. Au vingtième siècle le jazz s’est surtout voué à explorer les subtiles variations d’un thème donné dans ce que l’on a appelé l’improvisation. Grâce aux progrès de la technologie, nous sommes à même de maintenir longuement n’importe quel son, ou de le répéter en de très longues séquences… Il est évident que le retour du Même n’est plus le Même. Drone est le mot anglais qui traduit notre bourdon, non pas celui qui vole, l’on appelle drone music les œuvres produites par les artistes qui s’adonnent à cette redécouverte et au déploiement de ces vieilles techniques ancestrales.             

    Certains rejettent cette musique jugeant le procédé trop simpliste. Outre le fait que ce qui est le plus simple est aussi le plus complexe, une phrase assez courte prélevée sur le bandcamp de StroM|MortS , le groupe de Didier Séverin, nous aide à mesurer la portée métaphysique ( nous appelons métaphysique le rapport de notre intérieur à l’extérieur du monde ) de cette pratique musicale qui induit l’unité du concept de ce que nous appelons l’art total  : ‘’ Le projet strom|morts se concentre sur différents aspects de l'art tels que le cinéma, la littérature, la bande dessinée, la peinture, les performances artistiques et les collaborations’’   StroM|MortS est un palindrome, il se lit dans les deux sens, tel un serpent qui se mort la queue. Il est inutile d’expliciter le mot mort,  strom évoque aussi bien la force ( strong ) que l’orage ( Storm). Ecoutons en hommage à Didier Séverin un morceau de StroM|MortS.

    BINAURAL PRESSURE DATA

    StroM|MortS

    (Parution : 07 / 10 /2022 - Bandcamp)

    Olivier Hähnel : synthétiseurs analogiques et modulaires / Mathieu Jallut : synthétiseur digital / Didier Séverin : Synthétiseur modulaire. 

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

    Artwork : Helger Reuman. Blanc et noir. Bec innocent de petit oiseau, ou étroit passage dans les montagnes noires. A moins que ce ne soit une pipette aseptisée dans un laboratoire. Peut-être une incertaine idée du désir. Si vous regardez le tumblr d’Helger Reuman, cette couve est un peu à part dans sa production habituelle. L’a vraiment écouté le morceau pour essayer d’en donner un aperçu graphique. Son propre style est davantage marqué par la BD et empreint d’une certaine naïveté.

    Ces données de pression binaurale - entendez pour les deux oreilles – risquent de laisser l’auditeur perplexe. Imaginez que vous cassez des œufs – c’est ainsi que l’on fait les révolutions – toutefois vous n’entendez que le bruit du maillet auquel s’ajoute un bourdonnement qui glougloute par intermittences plus une fréquence interstellaire qui vient se joindre à ce jeu de massacre innocent comme si l’ensemble du cosmos était intéressé, étrangement cela ressemble à des grognements d’ours heureux de dénicher du miel dans un trou d’arbre. Le martellement du maillet est maintenant subjugué par des entrailles de bruits venus d’ailleurs, des sortes de vrombissement mélodiques qui bientôt relèguent le fastidieux et imperturbable maillet dans les oubliettes du temps, l’est remplacé par un bourdonnement insistant traversé de trompettes virtuelles qui s’apothéosent en tremblements dubitatifs, une fréquence qui insiste pour monopoliser nos deux esgourdes, ce n’est pas désagréable mais ce n’est pas non plus surprenant, une excellente bande-son pour un film de science-fiction avec un essaim d’abeille qui vole droit devant lui pour parcourir des espaces infinis, le son unique d’une escadrille d’avions s’amplifie, si présents que même quand ils s’éloignent vous les entendez encore, puis se met à ressembler à un galop de cheval sur des roches schisteuses, ou une nuée d’orage qui défile haut-perchée dans un ciel inaugural d’on ne sait trop quoi, le son s’affaiblit, ce n’est pas le silence mais un tems d’accalmie et de sérénité, zénitude qui se diffuse, occupant votre attention, et tombe sur vous tel un manteau de neige oxydée par les réverbérations martiennes, espèces de plaintes cuivrées et wagnériennes qui brutalement s’amplifient avant de décroître, prélude et mort d’Iseult, trainées soniques en dissolution, fin de l’opéra-space, belle musique post romantique, l’horloge du temps sonne et tinte en guise d’adieu définitif. Quelque chose de grave s’est passé, mais quoi ? Coup de gong final. Descendez du ring.

    Une chose est sûre : vous n’êtes pas mort. Ou alors vous commencez à vous y habituer.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

    turtles,boo radleys,leon russell,johnny mafia,shirley ellis,rockambolesques

    EPISODE 8 ( A PERDRE SES TIFS ) :

    39

              Avant de tourner le coin de la rue, Molossa grogna. La journée commençait bien ! Je tâtais négligemment le bas de mon veston. Le Rafalos 21 était bien à sa place glissé à même la peau retenu par la ceinture de mon jeans. Je m’avançais l’air dégagé, style gars désabusé qui repart au boulot. Z’étaient carrément deux, assis sur chacune des deux ailes de ma voiture.

    • Messieurs les demi-sel, je vous préviens, je déteste que certains puissent penser qu’ils pourraient nettoyer mon engin avec leurs fessiers que je subodore puants.
    • Veuillez nous excuser Monsieur, nous sommes un peu fatigués, la nuit a été épuisante. Nous nous permettons de nous présenter, Olivier Lamart et mon collègue Martin Sureau, c’est une vieille mémé – de sacrés fouineurs avait dit le Chef - qui nourrit les chats de la Famille Grandjean disparue tragiquement dans un accident qui nous a donné le numéro de votre voiture…
    • Et vous avez retrouvé la voiture par hasard en plein Paris !
    • En tant que journalistes la préfecture de police nous octroie l’accès au fichier général des plaques d’immatriculation.
    • Donc vous savez que c’est une voiture volée éloignée de son domicile et vous y êtes tombé dessus, quel hasard incroyable !
    • Si vous le permettez nous allons jouer franc-jeu avec vous Monsieur Damie Chad, agent du SSR, nous aimerions vous poser une question vous avez sans aucun doute lu notre article dans le Parisien Libéré…
    • Désolé messieurs, je ne lis exclusivement qu’Aristote et tout ce qui paraît dans les revues scientifiques de nature sur la reproduction des hannetons au Guatemala, je ne vous serai d’aucun secours, sur ce au revoir et au plaisir de ne plus vous rencontrer !

    Ils n’essayèrent pas de me retenir, je m’installai au volant, les chiens s’assirent à ma droite, Molossito en avait profité pour lever en passant la patte sur le bas du pantalon de Lamart qui ne donna pas l’impression d’apprécier ce simple amusement canin. Je démarrai en trombe.

    40

              Je me garai très rapidement dans une rue parallèle à celle que je venais de quitter. Trois minutes plus tard je repartais en la voiture lambda de monsieur tout le monde – un de ces jours je vous expliquerai comment un agent secret peut subtiliser pratiquement n’importe quel type de véhicule fermé à clef le long d’un trottoir, je sens que nos lecteurs sont intéressés, un jeu d’enfant – deux bifurcations à angles droit après je me retrouvai derrière la voiture des deux ostrogoths facilement repérable avec la manchette Le Parisien Libéré peinte sur sa carrosserie. Je pensais qu’ils se rendraient Boulevard de Grenelle au siège du journal, mais ils filèrent vers le huitième arrondissement, je l’aurais parié quand je passai devant Le Palais de L’Elysée, j’aperçus le portail d’entrée qui se refermait sur le cul de leur voiture. Nous étions fixés. Aucun besoin de continuer. Il n’était pas encore midi. Je pouvais me consacrer à la mission ultra-secrète que m’avait confiée le Chef.

    41

    Je suivis les indications du Chef. Le principe est d’une extrême simplicité, quand on cherche quelque chose dont on ignore la localisation, il suffit de retourner régulièrement à l’endroit où on l’a vue la dernière fois. J’ai tourné et retourné au moins vingt fois, sans aucun résultat tangible. Le Chef ne pouvait pas se tromper. Où était l’erreur ? J’arrêtais la voiture sur le bord de la route et pris le temps de réfléchir. Elle ne pouvait venir que de moi. Une mauvaise interprétation. J’avais pensé que l’endroit était l’endroit exact où la chose s’était manifestée à moi. Or tout endroit possède son envers qui est situé à l’endroit même de l’endroit tout en n’étant pas l’endroit même puisque l’envers est à l’envers. J’avais compris. Je confondais l’anecdote de la rencontre de la chose avec le lieu de l’anecdote. Plus exactement je croyais que le lieu de l’anecdote et l’anecdote n’étai(en)t qu’une seule entité. Je démarrai la voiture, j’étais désormais sûr de mon affaire.

    42

    Les lecteurs qui n’ont pas compris peuvent avoir honte. Molossa et Mossito poussèrent un gémissement et me regardèrent avec gravité. Sans que je prononçasse une parole, ils avaient compris, eux.

              _ Ecoutez-moi bien les cabotos, au prochain arrêt j’entrouvrirai ma portière, vous descendrez et passerez sous la voiture, vous rentrerez dans le buisson qui sera collé à la voiture. Je partirai tout de suite. Vous resterez cachés sans bouger. Je vous interdis de vous séparer. Molossa toi-seule tu décideras de changer de place si tu le juges nécessaire. Molossito, tu ne fais pas l’idiot, tu suis Molossa et tu l’imites. Voilà c’est tout.

    Ils me léchèrent la main, je pouvais compter sur eux.

    43

    L’opération se déroula sans anicroche. Je refermai la portière et examinai les lieux. C’était bien là où je m’étais arrêté pour prendre mon auto-stoppeuse. Il est facile de décrire le paysage briard. Des champs qui s’étendent sur des kilomètres. Le remembrement des années soixante avait eu raison des haies qui cernaient les champs et les près, d’une surface bien plus modeste, des temps anciens. Ces vastes étendues agricoles sont essaimées de marnières. C’est ainsi que l’on surnomme les bois strictement délimités que l’on a laissés pour les bêtes sauvages et les loisirs des chasseurs. Justement l’un d’entre eux situé à une centaine de mètres de la voiture jouxtait la nationale, sur une longueur d’un demi-kilomètre. Je l’ai longé des centaines de fois en rentrant à Provins sans y accorder une grande attention. Si ce n’est de temps en temps cette réflexion qu’il était mal entretenu. Je m’en approchai. C’est alors qu’à l’écart de la route j’avisai un grand panneau de fer entièrement rouillé. A tel point que sa couleur se confondait avec le tronc des arbres. De très près je parvins à déchiffrer le pourtour de grosses lettres : Hôtel Beauséjour. Aucune habitation en vue. S’il restait quelques ruines, elles ne pouvaient être qu’au milieu des arbres.

    43

    Végétation dense et foutue. Je ne pouvais m’empêcher de penser à notre expédition dans la forêt de Laigue. N’avait-elle pas débuté par une station dans une auberge à la lisière de la forêt… J’avançais lentement, essayant vainement de ne pas me fourvoyer dans de vastes ronciers. Aucun oiseau, aucune trace de bête, un silence lugubre, ambiance angoissante. Personne n’avait foulé les herbes hautes depuis des années. Les sentiers étaient presque effacés… Je m’attendais à quelques monticules de pierres et à des tas de gravats recouverts d’orties géantes. Je fus surpris lorsque j’entrevis la bâtisse. Loin d’être intacte, mais encore debout. Toits détuilés, fenêtres aux vitres cassées, rien à voir avec le manoir de la pochette du premier disque de Black Sabbath. Il s’agissait d’un hôtel, un immeuble à visée commerciale. En un état déplorable certes, mais dépourvu de toute aura mystérieuse. 

    44

    J’étais maintenant au milieu de ce qui avait dû être une cour pavée. Recouverte d’un épais tapis de mousse qui assourdissait le bruit de mes pas. Je m’arrêtais pour visualiser la structure de l’ensemble. Une aile droite et une aile gauche. Aux vastes vantaux l’on devinait des écuries ou des garages, des espaces de stockage pour les denrées alimentaires, peut-être aussi des logements pour le personnel. Le bâtiment principal avait encore de la gueule et un aspect presque seigneurial avec son double escalier qui menait à une haute porte de bois. A moitié entrouverte.  J’eusse préféré qu’elle fût totalement fermée ou au contraire, toute pourrie, effondrée sur place… Close, barricadée c’était me refuser l’entrée. Démantibulée, elle n’avait rien à cacher, mais à demi-ouverte c’était en même temps une invitation et une menace…

    Je sortis mon Rafalos 21 et entrepris de monter les marches de pierre une à une, furtivement, m’arrêtant de temps à autre, le silence était impressionnant, je me souvins qu’un agent du SSR n’a jamais peur, alors je me glissai bravement dans l’embrasure. Je me retrouvai dans un vestibule de grande dimension, au fond une porte ouverte donnait sur un couloir, je m’avançais, qu’allais-je découvrir, c’est alors que…

    A suivre…