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  • CHRONIQUES DE POURPRE : KR'TNT ! 661 : GIORGIO GOMELSKY / GRAHAM DAY / WRECKLESS ERIC / RICHARD HAWLEY /DEIMONAS / BLEAK SHORE / MOURNING DAWN / C. I. A. HIPPIE MIND CONTROL /

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 661

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    17 / 10 / 2024

     

     

       GIORGIO GOMELSKY / GRAHAM DAY

    WRECKLESS ERIC / RICHARD HAWLEY /

       DELMONAS / BLEAK SHORE / MOURNING DAWN

    C.I.A. HIPPIE MIND CONTROL

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 661

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

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    Wizards & True Stars

     - Gomelsky fout la gomme

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             Oh pas grand-chose. Juste un mini-book pour l’un de ces movers du shaker dont l’Angleterre eut le secret à l’aube des sixties : Giorgio Gomelsky. On parle de lui depuis soixante ans, sans jamais bien prononcer son nom, et sans jamais savoir exactement ce qu’il fricotait dans toute cette histoire de Rolling Stones et de Crawdaddy. Le book de Francis Dumaurier fait enfin la lumière sur une histoire qu’il faut bien qualifier d’extraordinaire. On commence par découvrir que le book a d’abord été écrit en français, et on sent, à la lecture de cette version, le côté laborieux du travail de traduction du français vers l’anglais, qui n’est jamais recommandé. Pourquoi ? Parce que ça n’est pas la même énergie de la langue. Le français qui s’adresse à l’anglais est trop poli, trop soucieux de se faire comprendre, alors il doit sécuriser ses formulations. Viser le sens avant le swing. Renier la musique de la langue pour favoriser l’efficacité. C’est ce qu’on appelle l’anglais universitaire, l’anglais des interprètes. Il n’empêche que ce book s’avale d’un trait, car c’est avant toute chose l’histoire d’une fabuleuse amitié entre l’auteur et Giorgio Gomelsky.

              Dans les prémices, Dumaurier salue les gens du Camion Blanc chez qui son book est d’abord paru. L’aurait-on lu en français si on l’avait su ? Comme toujours, la réponse est dans la question.

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             Comme son nom l’indique, Dumaurier est un globe-trotter français qui après avoir vu les gros concerts parisiens des early sixties, est allé voir les gros concerts londoniens de la même époque, puis les gros concerts américains un tout petit peu plus tard, y compris Altamont et Woodstock. Puis il a globe-trotté dans les forêts d’Amazonie avant de revenir s’installer à New York et d’y nouer une amitié longue de plusieurs décennies avec devinez qui ? Giorgio Gomelsky, lui aussi globe-trotter d’origine géorgienne (ex-URSS), qui, après avoir crapahuté à Londres et à Paris, a fini par jeter l’ancre à New York.

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    ( RONNIE !)

            Qui présente Dumaurier à Giorgio Gomelsky en 1981 ? Certainement pas Jagger ni cette pomme de terre de Bonobo qui fourre son nez partout. Non, il s’agit de Ronnie Bird, qui, redevenu Ronald Mehu, vit à New York. Dumaurier et Ronnie bossent tous les deux dans la télé d’alors, et comme Ronnie est pote avec Giorgio Gomelsky, alors il fait les présentations. Bien sûr, Dumaurier a été fan du Ronnie Bird de l’âge d’or, un Ronnie Bird qui a fait la première partie des Stones en 1966. On trouve vers la fin du book une petite photo de Ronnie et Giorgio. Ils sont tous les deux extraordinairement bien conservés. Deux superstars. Dumaurier évoque aussi un coffret 5 DVD consacré aux Stones, Just For The Record, dans lequel tout le monde témoigne sur les Stones. Invité à témoigner, Dumaurier se trouve donc sur de DVD 1, entre Ronnie Bird et Anita Pallenberg. Effectivement, Ronnie s’exclame «The news was spreading», et Dumaurier surgit à l’écran, en tant que «fan». Ce DVD 1 est l’occasion de replonger dans l’early Stonesy d’Elmo Williams et de the Ancient Art of Weaving at Edith Grove, dans le Crawdaddy de Richmond et l’arrivée du Loog - Music, image, fashion, sexuality, politics, all on the same level - Eddie Kramer qui traite le Loog de visionnaire, un Loog qui commence par virer Stu du groupe pour le recycler en road manager, et pouf «Come On» de Chucky Chuckah en 1963, puis «I Wanna Be Your Man», puis l’«It’s All Over Now» des Valentinos de Sam Cooke at Chess, puis la mass hysteria & the Stones craze, puis le Teen Age Music International, c’est-à-dire le T.A.M.I. show où les Stones OSENT passer après James Brown, puis Monsieur Klein en 1965 et Eddie Kramer qui remet les pendules à l’heure : «Brian was the real heart & Soul of the Stones», because at the beginning t’avais Brian & Keef, mais le Loog a imposé Mick & Keef, et tout ça monte en neige avec Jimmy Miller et «Jumping Jack Flash», puis le dernier petit tour de Brian dans le Rock’n’Roll Circus et puis la fin des haricots avec la fucking piscine. D’où l’haine des piscines. L’haine mortelle des piscines.

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             Deux périodes très chaudes dans ce mini-book : la période des débuts à Londres, et la période de fin à New York, deux tranches de vie qu’il faut bien qualifier d’explosives. De la même façon que Chris Stamp et Kit Lambert, Giorgio Gomelsky commence par vouloir faire du cinéma à Londres. En 1955, il filme les musiciens de jazz. Puis lui vient l’idée d’importer une machine à café italienne et d’ouvrir une cafétéria dans un pays où on ne boit que du thé : the Olympic Coffee Bar on the King’s Road (celle de Max Décharné), pas très loin de Sloane Square, nous dit Dumaurier. Parmi les clientes de L’Olympic Coffee Bar se trouve naturellement Mary Quant. Puis Giorgio sent venir le vent, comme on dit, et comme il est passionné de blues et de jazz, il organise des concerts. En janvier 1963, il fait jouer le Dave Hunt Rhythm & Blues Band, dont fait partie une petite oie blanche nommée Ray Davies. Puis harcelé par Brian Jones, il fait jouer les early Rolling Stones un mois plus tard au Station Hotel à Richmond. Il n’y a que 3 personnes dans la salle, mais Giorgio demande au early Stones de jouer quand même. Et hop, c’est parti ! Grâce à qui ? Au kiki Gomelsky. Il baptise l’endroit Crawdaddy Club, inspiré par le «Doing The Crawdaddy» de Bo Diddley que reprennent les early Stones sur scène. Il passe des petits encarts dans la presse, avec des formules du genre : «The craziest new Rhythm & Blues sound of the unparralleled Rollin’ Stones.» En plus des Rolling Stones, Giorgio programme les Paramounts (futurs Procol), les Moody Blues, les Muleskinners dont fait partie le futur Small Faces Ian McLagan, les Animals et Steampacket, avec Rod the Mod ET Long John Baldry. Grâce à leurs deux concerts par semaine au Crawdaddy et ceux du weekend à Eel Pie Island, Twinkenham, les early Stones décollent comme l’hydravion géant d’Howard Hughes. Puis Giorgio lance le national Jazz Festival à Richmond et commence à programmer des cracks comme Mose Allison, Jimmy Witherspoon et Memphis Slim, et puis tous ces artistes anglais inimaginables du calibre de Georgie Fame & The Blue Flames, the Graham Bond ORGANization, Manfred Mann et Long John Baldry. N’en jetez plus !

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             Giorgio est donc de facto manager des Rolling Stones : il les a lancés, il les soutient et les booke. Mais le ciel va s’assombrir pour le pauvre Giorgio. Pendant qu’il se rend aux funérailles de son père en Suisse, Brian Jones confie le destin des Stones au jeune Andrew Loog Oldham, un Loog qui a les dents longues et qui a déjà du métier, car il a bossé comme agent de Presse pour Brian Epstein et les Beatles, et comme arpète pour Mary Quant. À son retour, Giorgio est choqué. Il faisait confiance à Brian Jones. Il est possible que sans Giorgio, les Stones n’auraient jamais décollé. C’est en tous les cas ce qu’on est tous tentés de penser.

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             Giorgio repart de plus belle au Crawdaddy avec les Yardbirds. Dumaurier qui est prodigieusement documenté rappelle qu’avant d’intégrer les Yardbirds, Clapton avait joué en duo avec Dave Brock. Giorgio prend le destin des Yardbirds en main et les produit. Il chante même sur «Still I’m Sad». Jeff Beck qui a remplacé Clapton ramène toute la modernité du monde dans le groupe. C’est Giorgio qui leur invente le terme ‘rave-up’. En 1965, il emmène le groupe en tournée aux États-Unis et il conduit la bagnole comme un dingue à travers les plaines. Jeff Beck le traite de «mad Russian». Comme ils sont de passage à Memphis, Giorgio a l’idée d’enregistrer chez Uncle Sam. L’anecdote vaut le détour. Même si tout le monde la connaît, Francis Dumaurier nous la ressert sur un plateau d’argent : quand ils se garent devant le Sun studio, c’est fermé. Uncle Sam est parti à la pêche. Giorgio et son gang de Yardbirds décident d’attendre son retour. Quand il arrive vers minuit avec ses cannes à pêche, Uncle Sam n’a pas trop envie de bosser avec ces Anglais, alors Giorgio lui propose 600  $. Okay. Ils enregistrent «You’re A Better Man Than I» et «Train Kept A Rollin». Fin de session à 7  h du mat. Voilà l’un des beaux épisodes de la légende du rock. La lune de miel avec les Yardbirds ne va pas durer très longtemps. Jeff Beck quitte le groupe, remplacé par Jimmy Page, et leur manager Simon Napier-Bell suggère que Giorgio dégage pour être remplacé par Peter Grant. Tout le monde connaît la suite de l’histoire, Led Zep et tout le bataclan. Giorgio se retrouve une fois de plus le bec dans l’eau.

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             C’est en 1966 qu’il monte Marmalade Records. Dumaurier raconte qu’ils sont 8 à bosser à plein temps chez Marmalade et qu’ils font la fête toute la nuit. Au roster du label et de Paragon, l’agence de relations publiques attenante, on trouve des gens comme John McLaughin, Julie Driscoll, Brian Auger & The Trinity, les Blossom Toes, Graham Gouldman, les futurs 10cc et les Danois de Savage Rose. L’un des singles magiques de Marmalade est «This Wheel’s On Fire» de Julie Driscoll. Bizarrement, Dumaurier oublie de citer Gary Farr et son album cultissime, Take Something With You. Marmalade va se casser la gueule en 1969, ce qui n’empêchera pas Giorgio de remonter Utopia Records à New York dans les mid-seventies.

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             Puis il reprend tout à zéro lorsqu’il s’installe à Paris. Dumaurier rappelle que Daevid Allen faisait partie de Soft Machine et qu’au retour d’une tournée en France, Allen se vit interdire l’entrée sur le territoire britannique. Alors il est resté en France et a monté Gong, que manage Giorgio, dès 1969. Il leur négocie un contrat sur BYG et c’est parti. Giorgio recrée de la légende, un autre genre de légende, mais de la légende quand même. Puis il manage Magma. Il dit même que Magma est son groupe préféré. Il bosse aussi avec Henry Cow, et des groupes kraut comme Can et Amon Düül. Il file aussi nous dit Dumaurier un coup de main sur la prod du cultissime 666 d’Aphrodite’s Child. Giorgio aime bien les gros cultes. 

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    (Photo : Bob Gruen)

             Quand il s’installe à New York en 1977, RCA finance son nouveau projet, Utopia Records : il voit ça comme le «quartier général d’un underground culturel international». Il s’installe au 21 West 16th Street et vit de la rente que lui verse RCA. Il traîne dans les clubs, notamment le CBGB et Max’s Kansas City. Puis il s’installe au 140 West 24th Street et y ouvre The Zu Club.

             — Zêtes zutiste, Giorgio ?

             — Voui, Zazie !

             Dumaurier corrige le tir en précisant que le Zu vient de l’Égypte ancienne et non de l’un des fameux dîners des ‘vilains bonhommes’ du Quartier Latin. Giorgio fait venir Gong à New York et les rebaptise New York Gong, mais ça ne marche pas. En 1979, il fait monter une vingtaine de freaks à bord d’un vieux school bus pour une tournée de trois mois, mais ça plante. Le public du Midwest ne veut pas de Gong.

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             Et voilà l’essentiel : l’éthique de Giorgio Gomelsky - Je hais le music business et le film business. Je hais toute forme de business qui touche à l’art. Pour moi, c’est du mauvais business. Ces gens-là ne font pas les choses comme il faut. J’ai toujours poussé les artistes à créer leur propre business. Ils sont ainsi propriétaires de leur œuvre, et vous partagez les profits avec eux. C’est une façon de préserver l’authenticité de l’art - Giorgio qui est un homme étonnamment moderne pour son temps se passionne pour les personal computers qui en sont à leurs balbutiements. C’est pour ça qu’on tombe sur la photo d’un Commodore Amiga 1000 de 1985. C’est aussi juste avant Internet. En plus de tout ça, il filme pas mal de gens et rassemble des archives pour une éventuelle encyclopédie du rock, mais quand il casse sa pipe en bois, les archives disparaissent. Dumaurier parle ici de «best-kept secret of his generation.»

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             Et vers la fin du book, Dumaurier donne la parole à des amis de Giorgio, et là ça devient  carrément explosif. Bob Gruen raconte qu’il a rencontré Giorgio au bar du Tramps, le fameux club de la 15e rue. David Johansen et Bob deviennent potes avec lui. Un Giorgio qui ne parle jamais de son passé, mais plutôt de l’avenir. Gruen finit par découvrir que Giorgio a été pote avec Gainsbarre et c’est Gainsbarre qui l’a connecté sur Londres. Gruen évoque surtout le loft que Giorgio habitait au 140 West 24th Street, baptisé The Red Door, et dont les deuxième et troisième étages étaient aménagés en studios. Il vivait au quatrième. Il avait transformé le rez-de-chaussée en salle de spectacle, pour toutes sortes de manifestations, aussi bien des meetings politiques que des pièces de théâtre d’avant-garde, des lectures de poésie, des concerts et des fêtes.

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             Puis Jesse Malin prend la suite. Il raconte qu’il fut invité à une fête chez Giorgio. Parmi les autres invités se trouvaient David Johansen et Richard Hell, que Giorgio surnommait ‘Ricardo Inferno’. La fête s’appelait Bastille Day party et Giorgio fit une énorme soupe pour tout le monde. Il proposa aussi à Jesse Malin de répéter chez lui, et a encouragé le groupe à bosser. Ils vont devenir D Generation. Jesse termine en déclarant que sans la générosité et les conseils de Giorgio, il ne serait pas l’homme qu’il est devenu. Et il ajoute, que Giorgio était «a rare gem of a human being whose spirit will always remain with me.» Plus loin, Amy Madden dit que le cassage de pipe de Giorgio a eu pour elle le même retentissement que celui de John Lennon. Et elle balance un extraordinaire paragraphe laudateur qu’on ne peut pas s’empêcher de citer - He was a musical activist, Giorgio. A catalyst. And yet he was solid. He was history; he bridged musical generations and genres. He had vision. He changed me. De penser à lui maintenant me donne envie d’attraper ma guitare et de créer, parce que c’est le seul moyen d’honorer sa mémoire.

             Puis Raul Gonzalez raconte que Giorgio avait flashé sur son groupe Barra Libre. Alors il a invité Raul et ses amis au quatrième étage pour papoter. Il les a pris en charge et leur a conseillé par exemple de porter des costumes aztèques sur scène, conseil qu’ils n’ont évidemment pas suivi. Il leur conseillait aussi d’écouter Captain Beefheart.  

             Giorgio finit donc sa vie en organisant des fêtes au Red Door. Mais le toit est crevé et l’eau rentre au quatrième, là où il vit. On lui demande d’évacuer les lieux et il résiste tant qu’il peut. Des tas de groupes viennent répéter dans son studio, qu’il loue pour une bouchée de pain. Quand il quitte les lieux, c’est pour aller casser sa pipe en bois dans un mouroir. Le Red Door au 140 West 24th Street est aussitôt rasé par la municipalité. On ne reconstruit pas un temple sur les ruines du temple, comme ce fut l’usage dans l’Antiquité, mais un hôtel. 

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             Ah il faut lire l’interview de Giorgio par le Chesterfield King Greg Prevost dans un Ugly Things de 2017, franchement, ça vaut le détour. Prevost finit à l’époque son Rolling Stones Gear book et il entre en contact avec Giorgio par téléphone. Il lui demande juste des infos sur le Crawdaddy - My club was a room I rented at the back of a pub - Comme il n’avait pas de licence, on ne pouvait pas y boire. Deux sets de 45 minutes et tout le monde au bar du pub entre les deux sets, et à 10 h 30, tout le monde dehors, public et matos. Puis il part directement sur Brian - Brian, yeah, it was his band - Côté gear, Giorgio ne se souvient que du Vox AC-30 et il baratine sur Vox et les amplis qui doivent monter en puissance à cause des gros concerts. Il revient aussi sur l’anecdote des trois personnes au premier concerts des Stones au Crawdaddy, il se souvient des noms : Mike Jeffery (futur manager de Jimi Hendrix), Paul Williams (futur chanteur de Juicy Lucy) et un mec qui allait devenir agent. Puis il revient sur les funérailles de son père en Suisse. Il devait y rester une semaine et il y est resté un mois. Qui va à la chasse perd sa place et le Loog est entré dans la bergerie - Brian pensait qu’Andy allait être idéal pour eux, ce qui d’une certaine façon le fut, mais ne le fut pas vraiment, en tous les cas, pas pour Brian. Ça a permis à Mick de manager les Stones. Mick Jagger est bon manager, dirons-nous - Il ajoute «qu’il a perdu un peu de son enthousiasme pour eux, via cette façon de le laisser tomber, mais c’était le business.» Et il reconnaît que c’était un peu de sa faute. Il aurait dû rentrer plus tôt. Alors il est passé aux Yardbirds.    

    Signé : Cazengler, gommeux

    François Dumaurier. Giorgio Gomelsky For Your Love. Supernova Books 2023

    Rolling Stones - Just For The Record. DVD 2003

    Greg Prevost : Key Crawdaddy!. Ugly Things # 45 - Summer/Fall 2017

     

     

    L’avenir du rock

    - Le jour de Graham Day viendra

    (Part Four)

     

             Ça doit bien faire la quatrième fois que l’avenir du rock retourne sur la plage du D-Day pour tenter d’expliquer au Général Mitchoum qu’un nouveau D-Day a remplacé le vieux D-Day. Depuis le 6 juin 1944, Mitchoum est planqué derrière son bloc en béton à attendre les renforts. Ça ne s’arrange pas avec le temps. Il s’est fait un collier avec ses dents, des étoiles de mer se sont incrustées dans la rouille de son casque, des filets pendent de sa vieille trogne, on ne sait pas si c’est de la morve ou de la bave, et il grouille de puces de mer. Au moins, l’avantage, c’est qu’il ne se gratte pas. De temps en temps, il en croque une en pestant contre les fooking boches. Soudain, il sort son colt, passe prudemment la tête par-dessus le bloc de béton et tire vers le blockhaus juste au-dessus. Clic ! Clic ! Clic !

             — Vous n’avez plus de munitions, Général... Et les Allemands sont partis depuis longtemps....

             Comme frappé de commotion, Mitchoum se retourne vers l’avenir du rock, le plaque au sol, s’assoit sur lui et commence à l’étrangler.

             — Fooking traître ! 

             — Argghhhhhhhhhhhhhhh !

             — Fooking nazi !

             Il lui serre le kiki de plus en plus fort. L’avenir du rock se débat comme une pucelle, mais l’autre fou est assis sur lui. C’est foutu. Mitchoum hurle comme un démon :

             — Fooking piece of shiiiiiiiiiiit !

             Bong !

             Un ballon de plage vient de frapper de casque de Mitchoum. Il se lève, hagard, voit les mômes et leur court après.

             — Fooking nazis !

     

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             Pas toujours facile de célébrer le D-Day. C’est parfois risqué. Mais l’avenir du rock y tient beaucoup. Et s’il ne célèbre pas le D-Day, qui le fera ?

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             Le nouvel album de Graham Day & The Gaolers (qu’il ne faut pas confondre avec les Goalers) s’appelle Reflections In The Glass. Sans doute l’un des meilleurs albums gaga de l’histoire du garage britannique. Six coups de génie sur douze cuts, c’est d’une densité très rare. Ça démarre en trombe de big tatapoum avec «Mystery Man». Graham Day ne mégote pas sur le beat à l’air. Il est l’un des derniers avec Len Price 3 à savoir réinjecter dans ses cuts le power Whoish. Puisqu’on en parlait, le voilà : «Narrow Mind», pur power Whoish, Dan Electro bat comme Keith Moon, ça pétarade dans la pétaudière, et Graham Day n’en finit plus de bourrer sa dinde. Il ne sait faire que ça. Il n’a fait que ça toute sa vie, depuis les Prisoners. Et ça repart de plus belle avec «A Rose Thorn» (Sticking In Your Mind’s Eye)», c’est encore du full up, de l’all over, Graham Day chante par-dessus les toits de Medway, c’est puissant, bardé d’orgue et d’harmonies vocales. Il boucle cet effarant balda avec «I Will Let You Down», du big bang ptooff d’excelsior catégorique. Difficile de qualifier ça autrement. Pure clameur de revienzy. Tu crois qu’il vont se calmer ? C’est dans tes rêves. Ils bombardent la B dès «My Body Tells Me The Truth». C’est d’une puissance tout de même assez rare. Graham Day charge sa barcasse au max du mix. Il bourre le mou de ses rules dans «Different Rules» et y claque comme par hasard un wild killer solo flash. Il a gardé tous ses réflexes intacts. Power ! Tout est là. «Don’t Hide Away» est plein comme un œuf. Il termine avec «Filtered Face» et bascule en plein dans l’âge d’or des Creation. Il grimpe au sommet du lard, il tape son Face au grand battage, c’est du rock d’air pur, un sommet du genre.

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             En octobre dernier, Andy Morten lâchait un scoop dans Shindig! : les Prisoners s’étaient reformés pour enregistrer un nouvel album. Morten attaque son scoop en indiquant que les mots «The Prisoners» et «In the studio» n’avaient aucune chance d’apparaître dans la même phrase. Mais après trois concerts de reformation à Rochester, ils ont décidé de mettre tous ces mots dans la même phrase. Morten nous montre même des photos de Graham Day, Allan Crockford, James Taylor et Johnny Symons en studio. Graham Day n’y va pas de main morte : «For the last 35 years I’ve seen the Prisoners as a millstone around my neck, but that night it felt like the old days. It was fun, fresh and emotional». Il parle bien sûr des reunion gigs. Pour enregistrer, les Prisoners sont allés à Abbey Road. Allan dit que ce fut intense : «14 live backing tracks in eight hours».  

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             Le résultat s’appelle Morning Star. Allez, on va dire 8 hits sur 14 cuts. Wham bam dès «This Road Is Too Long», un stomp à l’ancienne. Puis ils renouent avec cet universalisme pop qui constituait leur fonds de commerce et wham bam à nouveau avec «My Wife». C’est une pop de portée interstellaire, ils abandonnent le gaga pour aller sur la pop d’ambition parégorique. Ils saturent de son leur «Something Better» et ils reprennent leur courage à deux mains pour «Break This Chain». Ils profitent de l’occasion pour se couronner rois du British Beat, «Break This Chain» sonne comme un classique sixties et le bassmatic du démon Crockford rôde derrière les harmonies vocales. Ils terminent cet album superbe avec une quadruplette de Belleville, «Winter In June», «Go To Him», «Beauty Hides The Truth» et «Hold Tight». Le «Winter In June» sonne comme de la grosse pop d’attaque frontale, la vieille spécialité de Graham Day, le roi du Hey hey hey. Pure folie pop encore avec «Go To Him», et le Beauty explose en solace d’excelsior, Graham Day chante au vibré de glotte, emporté par le flux du flow. Avec «Hold Tight» ils tapent dans l’hard groove à la Spencer Davis Group. James Taylor is on fire. Il fait du Jimmy Smith. Les dynamiques des Prisoners restent infernales, ça bat sec, c’est sûr, mais c’est Allan the Crock qui pulse la dynamite dans le cul du culte. Les Prisoners malaxent d’énormes pâtés de pâté de foi, ils jouent le rock anglais le plus soulful, le plus noyé d’orgue, le plus chanté, avec un Graham Day ivre de génie vocal et composital. Les Prisoners sont la suite des Small Faces.

    Signé : Cazengler, Graham Dette

    Prisoners. Morning Star. Own-Up 2024

    Graham Day & The Gaolers. Reflections In The Glass. Damaged Goods Recors 2023

    Andy Morten : A dream has come. Shindig! # 144 - October 2023

     

     

    Eric et rac

     (Part Two)

     

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             Dans un vieil Ugly Things, Phil Milstein et Frank Van Der Elzen repassent au peigne fin toute la discographie à roulettes de l’Eric et rac, le Tintin de la pop anglaise. Ils commencent par éplucher les trois premiers albums Stiff. Ils se mettent d’accord pour dire que sa force principale est d’être un songwriter. L’allégation est à prendre au sérieux, car c’est très vrai.

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             Malgré sa pochette dynamique et sa Rickenbacker, le premier album sans titre de l’Eric et rac ne vole pas haut, c’est-à-dire que ça reste du Stiff sound, du petit pub-rock sans aucune incidence sur l’avenir du genre humain. Dommage qu’il force sa voix sur ce «Telephoning Home» qui flirte un peu avec la Stonesy. Dès qu’il ne cherche plus à plaire, ça devient intéressant («Grown Ups»), mais globalement, tu ne comprends pas pourquoi on a fait tout un plat de cet album à l’époque. Il est grand temps de le revendre.

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             Puis les deux Uglys tombent à bras raccourcis sur le deuxième album, The Wonderful World Of Wreckless Eric, «massacré», disent-ils, par Pete Solley, qui tente de commercialiser l’Eric et rac. Peine perdue, car l’Eric et rac renoue avec son petit travers : il force un peu trop cette voix qu’il n’a pas, et puis on retrouve ce Stiff sound qui vieillit atrocement mal («Roll Over Rock-Ola»). C’est comme si t’essayais de réécouter Nick Lowe aujourd’hui : impossible. L’Eric et rac force encore sa voix sur «I Wish It Would Rain» et trousse son «Let’s Go To The Pictures» à la hussarde de la new wave. On sauve juste un cut : la cover du «Crying Waiting Hoping» de Buddy Holly. Là oui. Mille fois oui.

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             Et puis, l’Eric et rac fait ses adieux à Stiff avec Big Smash. Le compte est bon. La coupe est pleine. Il n’aime pas la pochette. Ni la promo. Par contre, tu y trouves de la viande. Notamment  «Broken Doll» (enfin une compo solide, ce qu’on appelle une chanson), et «Hit + Miss Judy» (très Buddy Holly, l’Eric et rac t’emmène à la fête foraine, avec des échos d’Augie Meyers dans le son, l’effet est ravissant). Finalement, ce double album est très tonique. Dommage qu’il force sa voix sur «Veronica» et «Semaphore Signals». Il raconte qu’il n’arrive pas à dormir dans «Strange Towns» et on s’en fout. Pete Gosling fait des étincelles de poux dans «Break My Mind», il faut dire que l’Etic et rac est extrêmement bien accompagné. Son très anglais, très soigné. On retrouve des échos d’Augie Meyers dans «Can I See Your Hero» et «Back In My Hometown» sonne très Dave Edmunds.

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             Les trois albums clés de l’Eric et rac sont épluchés dans le Part One (Captains Of Industry et les deux Len Bright Combo). Les Uglys en font une page entière. L’Ugly Elzen dit qu’à la réécoute, le Captains Of  Industry est bien meilleur qu’il n’y paraît. Il dit qu’il y a de belles tentatives, mais pas de quoi appeler les pompiers, ce qui veut bien dire ce que ça veut dire. Par contre, l’Ugly Elzen bascule dans le dithyrambe échevelé avec le premier Len Bright Combo - Seeing the Len Bright Combo in novembre 1986 made me an Eric fan for life - Méchant veinard ! Le Combo était de tous les combos le Combo à voir sur scène. Il les a vus à Nijmegen, en Hollande - The band proceeded to deliver a set that was on fire - On veut bien le croire, l’Elzen. Et il ajoute que l’album sonne comme ce show. Milstein salue ensuite le Combo Time et son «heartening esprit de corps».   

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             Le Beat Group Électrique sort sur New Rose Records en 1989. Petit conseil d’ami : laisse tomber le New Rose et chope la red sur Fire. Pourquoi ? Parce que Fire fait merveilleusement bien les choses, indépendamment du remastering. Tu vas trouver un petit booklet dans lequel l’Eric raconte ses souvenirs. Ce petit mec est un fabuleux désinvolte. Il écrit tellement bien qu’à la limite, le booklet a plus d’intérêt que l’album. Il faut bien admettre que Le Beat Group Électrique n’est pas l’album du siècle, même si «Tell Me I’m Not The Only One» sent bon la Beatlemania. L’Eric donne tous les détails de l’enregistrement in a one-bedroom flat in Shepherds Bush - 165B Uxbridge Road, London W12 - avec André Barreau on bass et l’Américain Catfish Truton au beurre. Après la fin du Len Bright Combo, l’Eric s’est tapé une petite déprime d’un an - I was sober, but I was losing my mind - Il fréquente le même asylum que Vivian Stanshall, et comme des tas de médecins viennent le voir, il réalise qu’il est célèbre. Il rencontre André Barreau et ça clique aussi sec car André connaît lui aussi la B-side du «Somewhere» de PJ Proby. Comme il va le faire avec tous ses autres disks, l’Eric vante les mérites de l’artisanat. Il donne tous les détails et c’est passionnant. Ils enregistrent dans sa piaule mais ne jouent pas trop fort pour ne pas ennuyer les voisins. L’Eric se branche sur un 15 watts et Catfish bat sur une caisse en carton avec un tambourin à l’intérieur. À force d’artisanat, l’Eirc invente un nouveau genre, an electric skiffle beat music hybrid, ils font du lo-fi avant l’heure - I’d always wanted to make homemade records - Ils boivent du thé et enregistrent live, 3 ou 4 cuts a day, two or three versions, and keep the best one. Tout sur un quatre pistes : bass on track one, guitar et cardboard on track two, voix on track three et les overdubs on track four. L’Eric est fier du résultat - up-close, eccentric and deeply personal - Puis il est viré du flat et part s’installer en France, chez sa girlfriend qui a une dilapited farmhouse à la campagne, près de Chartres - I moved in there with two guitars, a fifteen-watt amp, a suitcase of clothes, and a Penguin phrasebook - Il propose l’album à New Rose qui ne l’écoute même pas. L’Eric repart avec un chèque - I don’t think the people who ran New Rose liked music. They should have been stamp collectors - Puis il achète une 404 pour partir en tournée, mais les ingés-son des salles ne pigent rien au trio. Sur l’album, on se régale de «Your Sweet Big Thing» gratté au boogie d’acou. Très Dave Edmunds dans l’esprit. «Depression» sonne comme une bossa nova dépressive. Joli son foutraque. C’est dans l’esprit d’Alex Chilton. Il est bien gentil l’Eric, mais il n’a pas de hits. Il essaye de forcer le passage de «Sarah» à coups d’exubérance, c’est à la fois laborieux et enjoué, mais surtout complètement foutraque. Il ressort tout le barda de la bohème dans «Sun Is Pouring Down» et en fait exploser la fin. On comprend que les voisins se soient énervés.    

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             The Donovan Of Trash est une toute autre histoire. Wow, quel album ! Pareil, chope la red sur Fire. L’Eric vit alors dans une ferme, à la sortie d’un village de 150 habitants. Comme c’est un étranger, il est mal vu par les culs terreux. Il est très isolé, alors il écrit des chansons. L’hiver ça caille trop. Il enregistre «It Makes You Happy» avec des mecs pas très bons, dit-il, un bassman mexicain et un batteur rouennais. Grosse attaque à la casserole de fer blanc et chant à la Ziggy. Tout est soûlé jusqu’à la nausée, il te noie ça de folie pure, comme s’il se croyait seul au monde. Puis son pote et ex-Len Bright Combo Bruce Brand vient lui rendre visite, en compagnie de sa girlfriend Holly Golightly. Elle reste assise et s’emmerde comme un rat mort pendant que l’Eric et son pote Bruce enregistrent «Paris In June». C’est tout de suite d’équerre et ça swingue ! Ils parviennent à swinguer cette pop âcre et provinciale. Puis l’Eric va s’installer dans un autre village, à Laons, dans une baraque pourrie - No heating, no isolation, no hot water, dangerous wiring - Il s’achète deux poêles à bois et y reste 7 ans. André Barreau et Catfish Truton arrivent d’Angleterre et ils enregistrent ensemble des sacrés cuts, à commencer par «Joe Meek», hommage suprême, puis «The Nerd/Turkey Song», heavy stomp de rêve. André Barreau joue le lead guitar sur «The Consolation Prize», le cut de la misère noire. Puis le pote Martin Stone qui vit à Paris déboule avec son groupe Almost Presley. Ils enregistrent «Harry’s Flat» et ça swingue ! Puis Martin ajoute de la fuzz sur «The Nerd/Turkey Son». C’est Wild Billy Childish qui propose de sortir l’album sur son label Hangman. Ça sort aussi aux États-Unis sur Sympathy For The Record Industry. Si les musiciens américains figurant sur la pochette ont des seaux sur la tête, c’est parce qu’ils sont célèbres et sous contrat. Donc ils doivent rester anonymes. Et bien sûr, l’album ne se vend pas - The album came out and took an awfully long time to sell not a lot of copies - L’Eric commence à se décourager pour de bon, mais il rencontre Greg Cartwright de Reigning Sound qui lui dit que The Donovan Of Trash is one of his favourite albums of all time. Ah il faut écouter le final explosif de «Semi-Porno Statuette» ! 

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             L’Elzen salue bien bas le Karaoke paru en 1997, notamment «Sign Of The Chicken», «that is equal parts ‘Sister Ray’ and ? Mark & The Mysterians. The modulated vocals and silly bridge could have been master-minded by Joe Meek.» Il a raison, l’Elzen, l’Eric et rac s’amuse avec son Sister Ray campagnard, il sait créer de l’attente, ça ne manque pas de démesure. Avec «The Laurel Tree», il fait son Syd. Enfin ! Il y va au petit cockney devenu vieux. Le ton de cette moitié d’album est plutôt libre, il raconte des histoires de Medway Towns dans «Denim In Face», et dans «Bunnyhungers», tu as des sons incongrus qui flirtent divinement avec Dada. Saluons aussi «Big Wheels Don’t Wear Cheap Suits Shirt And Golfing Jacket» : ah on peut dire qu’il sait farfouiller dans ses machines et claquer le beignet des idées. Toujours avec du son et avec du style. Et il te couronne tout ça d’un final éblouissant. Il termine cette moitié d’album attachant avec «Gasoline», en mode big pop, avec des machines. Il est marrant l’Eric et rac, car complètement dépassé par ses machines.

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             Sur Almost A Jubilee (25 years At The BBC With Caps), on entend le groupe qui a accompagna l’Eric et rac à une époque : Ian Dury au beurre, sa poule Denise Roulette on bass et Davey Brown from the Blockheads on sax. Ils attaquent bien sûr avec le Whole Wide Word. C’est rudement bien en pace. Denise Roulette roule bien sa pool sur «Semaphore Signals» et on voit que «Reconnez Cherie» est bien pompé sur «Save The Last Dance For Me». Le problème, c’est que l’Eric et rac fait son Max la menace, et le pire, c’est qu’à l’époque t’as des gens qu’ont trouvé ça bien. Il faut attendre The Len Bright Combo sur Radio 1 pour enfin sauter en l’air. L’Eric rédige les liners, et ça vaut le déplacement - We were arrogant, dysfunctional, often hilarious and we didn’t really give a damn - Ça prend tout à coup du volume, énormément de volume, avec «You’re Gonna Screw My Head Off» - The eighties were the first decade of rock carreerism - we didn’t fit in - Ils ont la rage au ventre et le diable au corps avec «The House Burned Down» et «Comedy Time». Ils défoncent encore la rondelle des annales avec «Selina Throught The Windshield» : apocalyptique de power ! Forcément, les sessions suivantes sont moins parlantes. On recroise le fameux «Sign Of The Chicken», bien foutu, bien hypno, bien crédible, et il boucle avec «Joe Meek». Ah cette façon qu’il a de prononcer «Joe Meek». Il le roule dans sa bouche. Il mythifie le mythe.

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             Pas de booklet pour Bungalow Hi, un Southern Domestic de 2004. Dommage. On a juste le casting, avec notamment André Barreau, fidèle au poste. Trois coups de génie sur l’album, à commencer par «33s + 45s», qu’il gratte au plus profond du groove de Southern Domestic. Il ramène des accords de Marc Bolan dans son petit délire, c’est assez crapuleux et ça monte bien au cerveau. Il jongle avec Chess et Stax, this is my life, il te traîne ça en longueur et c’est balèze - Oh thirty threes and forty fives ! - Et ça vire hypno. L’Elzen qualifie «Same» et «33s + 45s» de Goulden classics. L’Eric et rac passe au heavy dub avec «The Sound Of Your Living Room (Part 1)» et ramène une trompette dans sa soupe au chou. C’est très free dans l’esprit et ça devient spectaculairement bon. Pur délire de wild genius. Il enchaîne aussi sec sur le Pt 2, c’est brillant, toujours monté à la basse avec un développement d’inespérette d’espolette. Puis il fait son Bowie sur «Local» - I don’t want to be big fish - Il est fabuleusement ziggyesque, on accroche pour de vrai, pas pour de faux - I don’t want to be part of anything - Il reste dans Bowie pour cette dérive abdominale qu’est «Housewives». Il joue superbement de sa voix cassée.    

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             Il monte en 2014 au nouveau projet, The Hitsville House Band, et enregistre 12 O’ Clock Stereo. Comme c’est un Fire, on a de la littérature. Il en a marre de tourner seul, alors il lui faut un groupe - Really I wanted another Len Bright Combo - Il rappelle son vieux bassman mexicain qui est à paris, Eduardo Leal de la Gala qui avait joué sur The Donovan Of Trash. Ils enregistrent ensemble «Can’t See The Woods (For The Trees)», une jolie percée dans les lignes ennemies qui ne fait pas un pli. Il adore jouer avec Eduardo et sa home-made fretless bass. Il trouve ensuite un batteur parisien, Denis Baudrillart. L’Eric dit aussi vivre de rien, ses seuls revenus étant deux chèques de royalties par an, et les tournées. Il arrive toutefois à se payer un 8 pistes de la BBC qu’il va récupérer en minibus à Londres. Puis l’Eric remplace Eduardo par Fabrice Lombardi, le stand-up man d’Almost Presley, et ils enregistrent cette belle énormité de boogie rock qu’est «You Can’t Be A Man( Without A Beer In Your Hand)». C’est brillant et très présent. Ils tapent aussi un «Murder In My Mind» assez sixties d’esprit. Ça groove bien sous le boisseau. Tout aussi bardé de barda, voilà «The Madrigal», bien encorné par l’orgue Hammond et battu au fouet. Il dit voir son «12 O’Clock Stereo as my town and country album, a strange and at times uneasy mix of garage, pop, country and old time rhythm’n’ blues.» Bizarrement, les compos de l’album sont solides mais jamais déterminantes. Il a toujours cette petite voix d’accent tranchant et cette volonté d’exister dans le monde du rock. C’est l’un des artistes les plus complets de sa génération : il compose, chante ses compos et bidouille tout ça à la maison. Avec «The Twilight Zone», il fait de la Stonesy. Sacré Wreck, il ne rate aucune occasion de se distinguer. Tout est travaillé dans la cour de ferme, les cuts, les pochettes, pas de moyens, et étrangement, ça colle. Dans les bonus, on tombe sur un «Lawrence Of Arabia» très Ziggy. Il évoque le monkey on his back - You better watch your back - C’est un underground de cour de ferme de très grande qualité. L’Elzen : «This one is packed to the brim with mighty fine compositions that need only a few listens to nestle themselves in your system for life.»

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             AmERICa pourrait bien être son album le moins abordable. Dommage, car ça démarre sur la grosse attaque de «Several Shadows Of Green». Il est privé de moyens mais complètement ivre de liberté dématérialisée. Il chante comme Donald Duck. Il a du power, c’est sûr. Avec «White Bread», il se planque dans l’épaisseur du son, et bourre la dinde de «Days Of My Life» de Big Beatlemania bowiesque. Il passe au quasi-glam avec «Boy Band» et s’en va stomper «Up The Fuselage». Étrange, de la part d’un vieux bonhomme. Le son ferraille, on sent bien l’habitude des petits moyens. Dans le booklet Fire, l’Eric donne encore tous les détails de l’enregistrement. Amy joue du piano, du banjo et fait des harmonies vocales. Il est installé aux États-Unis. C’est son premier album américain - It’s about me and it’s about America - Il dit avoir vécu partout, en Angleterre, en France, en Allemagne, mais c’est l’America qu’il préfère - This place suits me - Il vit à Catskill depuis quatre ans. Son texte est à la fois très beau et très désenchanté.         

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             Il revient à Bowie dans Construction Time And Demolition, avec «They Don’t Mean No Harm» et «Unnatural Act». Il retrouve le secret des maniérismes de l’early Bowie, il chante à l’accent délirant, c’est assez fulgurant de c’mon c’mon. Il brasse encore assez large avec «Unnatural Act» et réincarne l’early Bowie. Il n’a peur de rien. Mieux encore : «The Two Of Us». Il pompe directement les accords de «Waiting For The Man», il ramène exactement le même genre d’enfer sur la terre. Il prend les mêmes et il recommence. Avec «Wow And flutter», il repart en mode Mad Psyché comme au temps béni du Len Bright Combo. On sent qu’il n’est pas près de se calmer. Il chante son «Gateway To Europe» en cockney, et c’est superbement orchestré. Il ramène même des trompettes dans sa soupe aux choux. Puis il chante «The World Revolver Around Me» d’une voix de Mimi Petite Souris. Il est marrant. On écoute ses albums par acquis de conscience et bien sûr on ne s’ennuie pas. Au contraire, on s’instruit. Il ramène du son d’artefact dans «Flash» et il assoit bien son autorité avec «Forget Who You Are».

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             Et voilà encore un album extrêmement intéressant : Transcience. Pour au moins cinq raisons fondamentales dont la première s’appelle «Indelebile Stain». Voilà un cut noyé de psyché et de jingle jangle, il charge bien sa barcasse. L’Eric te prend pour une frite et te plonge dans sa friture de félicité. C’est un sacré farceur. Il tape aussi une belle cover de Kevin Coyne, «Strange Locomotion». C’est le boogie rock anglais passé de mode depuis une éternité. À part l’Eric, qui va aller écouter ça aujourd’hui ? En attendant, l’Eric y va à l’outch ! Il tape ensuite «The Half Of It», un petit balladif insidieux et presque Beautiful. Mais ça se corse avec «Creepy People (In The Middle Of The Night)». Il remonte bien le courant. Un vrai saumon, l’Eric. Avec les écailles et les bulles. Un vrai Wreckless saumon ! Cut plaisant, bien foutu, fruité. L’Eric est le roi du petit répondant de cour de ferme. Il mérite une médaille. «Tiny House» éclate d’entrée de jeu. Il ressort sa voix de Mimi Petite Souris, celle qu’on préfère. Cut vaillant. Sans peur et sans reproche. Un vrai Bayard.      

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             Son dernier album en date s’appelle Leisureland. Pareil, c’est une vraie pochette surprise. Oh un coup de génie !  Oui, «Drag Time» sonne comme un hit intercontinental. C’est important de le signaler. Il ramène dans cette pop psyché la grandeur des chœurs d’«Oh Happy Days». Oh une grosse énormité ! Oui, «Zoom (Glittering In The Sun)» se noie dans la réverb et Donald Duck chante au fond du son. On le sent heureux, bien à l’aise sans sa culotte, ah il y va notre vieux pépère underground, il wrecke sa pop écarlate pour de bon et renoue avec le Len Bright Combo. Oh encore une énormité ! Oui, «Standing Water» te fait du gringue et tu as du mal à résister. Oh encore une autre grosse énormité ! Oui, «The Old Versailles» est un petit chef-d’œuvre productiviste. Tu sors de cet album un peu ahuri. Il est en fin de parcours et il n’a jamais été aussi bon. D’habitude, il se passe exactement le contraire.     

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            En 2008, Wreckless Eric & Amy Rigby enregistrent leur premier album sans titre, et là attention, on ne rigole plus. On a tout de suite du son et la résonance de l’excellence. L’Eric est vieux, et Amy bien conservée, ils duettent ensemble une pop de rêve qui éclate en bouquet glammy dès «Another Drive-In Saturday», très British dans l’esprit, chanté aux voix mouillées. Des accents de l’early Bowie remontent à la surface et l’Eric ramène de beaux accords glam. «First Mate Rigby» est assez puissant, il n’y a pas à discuter. Ils font tellement les cons avec le son qu’ils ne maîtrisent plus le spectre, et avec «The Downside Of Being A Fuck-Up», ils passent directement au Velvet. C’est en plein dans le mille, l’Eric est très fort. Encore une merveille avec «A Taste Of The Keys». Elle chante divinement cette pop de Brill lumineuse. C’est encore elle qui tire vers le Brill avec «Please Be Nice To Her». C’est là que son génie pop explose. Elle ramène tout le sucre qu’elle peut, c’est d’un très haut niveau mélodique. Ils créent encore la surprise avec «Round», nouveau coup de génie pop.    

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             Comme Two-Way Family Favorites est un album de covers, on saute dessus. Ils tapent dans un large éventail qui va de Jackie DeShannon («Put A Little Love In Your Heart», pas son meilleur cut, dommage) à Tom Petty (pas le meilleur choix d’artiste, dommage), de Pete Townshend («Endless Wire», ça s’endort sur des lauriers, mais il y a des gens qui vont trouver ça bien, dommage qu’il n’ait pas opté pour «My Generation», au moins on pourrait jerker comme dans Quadrophenia) à Abba («Fernando», où l’Eric fait son petit effet de voix de fouine et ça finit par porter sur les nerfs, dommage. L’Elzer dit qu’il s’en serait bien passé). Ils plongent aussi dans McGuinn avec «Ballad Of Easy Rider», mais ça ne marche pas, dommage. Il plante tout ce qu’il chante sur cet album. Même son clin d’œil aux Groovies («You Tore Me Down»). Dommage. Il faut attendre la cover d’«In My Room», l’hit intemporel signé Gary Usher et Brian Wilson, pour renouer avec la perfection. L’Eric se prend vraiment pour Brian Wilson, il en a vraiment la carrure. Il y ramène tout le son qu’il peut. Mieux encore : l’«I Get Out Of Breath» de P.F. Sloan. C’est du génie pur ! L’Eric te porte ça au pinacle, les montées de lait sont magiques. Il passe au heavy glam avec le «Living Next Door To Alice» de Chinn & Chap, mais il n’arrive pas à recréer le wall of glam que nécessite un Chinn & Chap. Dommage. 

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             L’A Working Museum d’Eric & Amy va tout seul sur l’île déserte. Sans doute le meilleur album de l’Eric et rac. L’hit de l’album, c’est bien sûr «Genovese Bag». Voix de superstar underground. Il chante en mode petit glamster de suburb. T’en reviens pas d’avoir un tel disk dans les pattes et t’as Amy qui entre dans le couplet chant, alors l’Eric et rac te monte ça à la gratte, il y va à l’Home sweet home away from home, il part en vrille extraordinaire de carillon argentin et s’en va éclairer la voie lactée, oui, l’Eric et rac a ce pouvoir, il gratte encore, il te ramène du Jackie DeShannon, des Byrds et de l’éclat surnaturel dans son carillon d’ad libitum, et ça explose en bouquet de stridences apoplectiques. T’as aussi la Mad Psyche du «Darker Shade Of Brown» d’ouverture de bal. Tu te croirais sur le Madcap Laughs. Puis Amy attaque «Rebel Girl Rebel Girl», et c’est franchement bon. Tu te régales, et c’est rien de le dire. Elle sait claquer l’heavy pop, c’est ultra balancé, digne de «Like A Rolling Stone» ! Amy devient une géante, te voilà coi comme deux ronds de flan. Attends, t’en vas pas, c’est pas fini ! Elle navigue encore très haut avec «Sombreros In The Airport», et elle croise le chant de l’Eric et rac. Voilà un album complètement extravagant de qualité et tellement underground. Pour le choper, t’a intérêt à te lever de bonne heure. La copie qui est ici est celle d’un CD dédicacé par Amy & Eric à Jacques (‘Hey Jacques’). Aucun souvenir de sa provenance. Avec «The Doubt», la pop d’Amy & Eric explose de bonheur conjugal. Amy dispose d’un petit sucre du meilleur goût. L’Eric et rac refait son coup de Syd avec «Days Of Jack & Jill», il chauffe sa cocote pysché, il y ramène toute sa culture infectueuse, c’est littéralement flamboyant et monté en neige de chœurs. Il fait son glamster avec «1983», il chante à la petite décadence de don’t believe. Ce mec crée son monde dans les ténèbres de l’underground. Et puis t’as encore «Tropical Fish», une petite pop fraîche comme un gardon, avec Amy dans le son. C’est franchement digne de Curt Boettcher !

    Signé : Cazengler, Wrecked Ethic

    Wreckless Eric. Wreckless Eric. Stiff Records 1978   

    Wreckless Eric. The Wonderful World Of Wreckless Eric. Stiff Records 1978 

    Wreckless Eric. Big Smash. Stiff Records 1980

    Wreckless Eric. Le Beat Group Électrique. New Rose Records 1989

    Wreckless Eric. The Donovan Of Trash. Hangman Records 1993

    Wreckless Eric. Almost A Jubilee (25 years At The BBC With Caps). Hut 2003

    Wreckless Eric. Bungalow Hi. Southern Domestic 2004   

    Wreckless Eric Presents The Hitsville House Band. 12 O’ Clock Stereo. Fire Records 2014

    Wreckless Eric. AmERICa. Fire Records 2015           

    Wreckless Eric. Construction Time And Demolition. Southern Domestic 2018 

    Wreckless Eric. Transcience. Southern Domestic 2019        

    Wreckless Eric. Leisureland. Tapete Records 2023           

    Wreckless Eric & Amy Rigby. Stiff Records 2008    

    Wreckless Eric & Amy Rigby. Two-Way Family Favorites. Southern Domestic 2010 

    Wreckless Eric & Amy Rigby. A Working Museum. Southern Domestic 2012

    Eric Goulden. Karaoke. Silo 1997

    A Listener’s Guide To Wreckless Eric. Ugly Things # 31 - Spring 2011

     

     

    Hawley les mains !

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             Ça fait vingt ans que Richard Hawley cultive un romantisme douceâtre à l’anglaise, vingt ans qu’il laboure les âmes sensibles et qu’il raconte sur un ton chaleureux des histoires de pluie et de ruptures sentimentales. Vingt ans et dix albums traversés par ce qu’il faut bien appeler des éclairs de génie composital. L’Hawl creuse au même endroit que Nick Drake et Fred Neil, dans la même mine d’or. Sur chacun de ses dix albums brillent des pépites d’une rare beauté. «The Ocean» va te fasciner autant qu’«Everybody’s Talking», «Something Is» va t’émouvoir aussi sûrement que «River Man» ou «Pink Moon».

             On gardait un souvenir évasif de sa presta au Grand Rex, en première partie de Nancy Sinatra (qu’il va ensuite accompagner en deuxième partie de spectacle). Voilà qu’il débarque en Normandie avec un set acoustique, alors autant dire qu’on l’attend au virage. Faut faire gaffe aux sets acoustiques, le risque est de s’y endormir, ou pire encore, de s’y ennuyer. Ça ne tient généralement que par la seule qualité des compos.

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             Il débarque sur scène avec un vieux copain à lui, et pendant une heure, ils vont gratter leurs poux. Pas d’«Ocean», hélas. Privées de leurs orchestrations, les cuts retombent pour la plupart à plat. L’Hawl entrecoupe la planitude par des petites sorties destinées à faire rire, elles font rire, c’est sûr, mais peut-on appeler ça de l’humour ? Non. Ses textes ont-ils une dimension poétique ? Non plus. Il cultive la mélancolie, raconte d’une voix chaude et profonde des histoires de pluie et de ruptures sentimentales. Et puis la magie arrive enfin avec «Something Is» et «Baby You’re My Light» tirés tous les deux de Late Night Final. Sa façon de travailler l’arc mélodique te tamponne le passeport, il taille des marches dans une descente harmonique, comme s’il voulait enrayer le courant du frisson, et ça, c’est de la magie. Lanegan a lui aussi pratiqué cet art de creuser des marches dans une descente harmonique. Tu accueilles cette merveille à bras ouverts. Tu vis la magie de l’instant. Te voilà face à l’un de ces moments uniques que tu collectionnes comme des papillons depuis l’adolescence.   

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             Comme le beau Richard vient de sortir un nouvel album, on l’écoute. C’est la moindre des politesses. In This City They Call You Love grouille de Beautiful Songs. Tu vas en trouver partout, ça commence avec «Prism In Leans» - Here’s the story of Prism in Leans - Bossa groove de rêve. Il ramène de la magie. Il n’est pas loin de Fred Neil. Il nage en plein rêve d’I don’t belong. Suite de la magie avec «Heavy Rain». Là oui, tu prends ta carte au parti Hawley. Ça coule comme du Fred Neil un peu sourd. Magie mélancolique. Il sonne comme Elvis sur «Hear That Lonesome Whistle Blow» et te gratte ça aux accords d’heavy blues, un peu comme Elvis dans son ‘68 Comeback. «Deep Space» est une belle énormité. Hawley t’explose bien le Sénégal. Il envoie même valdinguer ta copine de cheval. Il chante tous ses cuts d’une voix bourrée de feeling. Richard Hawley est un artiste complet. Mais ça on le savait depuis vingt ans, car oui, amigo, ça fait vingt ans qu’il enregistre des albums, et même de très beaux albums, après avoir été le guitariste d’un groupe assez culte, les Longpigs. Voilà encore un soft groove de rêve : «Do I Really Need To Know». Son groove duveteux te fout des frissons. Ce fabuleux charmeur boucle avec «This Night». Son truc, c’est la suspension d’entre deux mers, avec un sens mélodique suraigu.

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             Son premier album s’appelle Late Night Final. Il y a des vieux sur la pochette. Richard t’embarque aussitôt «Something Is», il te prend par les sentiments, avec sa chaude romantica. T’es conquis comme une ville et t’es content d’être de la conquête. Richard fait du Fred Neil en plus grave. Il tient la dragée haute à la pop. Avec «Baby You’re My Light», il rend hommage à sa baby. C’est assez pur et même magique. «The Nights Are Cool» se montre plus décidé à en découdre. C’est joliment balancé des hanches. Il cherche la Bossa. Il continue dans la même ambiance de ciel lourd et de faible lumière avec «Can You Hear The Rain, Love?». Poids mélodique et intensité du climax sont ses deux mamelles. Il cultive la mélancolie. C’est très Verlainien, comme démarche, mais avec du pathos anglais. Il faut aussi l’entendre chanter à la surface du grondement dans «Precious Night». Quel bel artiste !

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             Deux merveilles congénitales se planquent sur Richard Hawley, un mini-album de 2001 : «Sunlight» et «Naked In Pitsmoor». Le Sunlight est puissamment beau, avec des notes de réverb qui se détachent dans le crépuscule des dieux. Mais c’est avec Pitsmoor qu’il s’enfonce dans la beauté comme d’autres s’enfoncent dans la forêt. C’est tout simplement stupéfiant de pénétration. Ce cut sonne comme un miracle. C’est du pur génie mélodique. Il plonge dans la félicité à coups de don’t run for me baby.

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             Et si Lowedges était le meilleur album de l’Hawl ? Il y pleut des hits comme vache qui pisse, et ce dès le «Run For Me» d’ouverture de bal. C’est écrasant de romantisme, de big atmospherix génial. L’Hawl atteint là les cimes productivistes de Totor - Go and run for me/ Cause I can’t take it back - Puis il va enquiller la bagatelle de cinq Beautiful Songs, pas moins, à commencer par «Darlin’». Il t’emballe aussi sec. Fabuleux Darlin’ boy. T’as tout : la mélodie, la voix, la profondeur, la classe. L’Hawl est un Hazle à l’anglaise. Fantastique ode à l’amour avec «Oh My Love» - You’re the one I love/ And no mistake - Sur «The Only Road», c’est Fred Neil en baryton. Même magie. Infiniment beau. Véritable merveille de douceur caressante et d’élégance arpeggiée. Il montre encore qu’il sait poser les conditions d’une Beautiful Song avec «On The Ledge». Lowedges est un album magique. Il t’emmène danser la valse sur «You Don’t Miss Your Water», voilà une incroyable invitation au voyage baudelairien. Pas compliqué : t’as Brian Wilson, P.F. Sloan, Curt Boettcher, Burt Bacharach, Jimmy Webb, Lee Hazlewood et Richard Hawley. 

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             Sur Coles Corner, t’as ce qui est sans doute sa chanson la plus océanique, «The Ocean» - You leave me/ Down/ To the ocean - Hit inter-galactique de now it’s been a long time, il développe son extraordinaire clameur d’Ocean à coups de the world is fine/ By the ocean. Et t’as d’autres Beautiful Songs mirifiques comme le morceau titre qu’il attaque aux violons, t’as pas le temps de te débattre, il t’embarque aussi sec, il fond sur toi à la voix chaude, quel fabuleux pourvoyeur de goin’ dowtown with his mission. Sur la pochette, il attend devant Coles Corner avec un bouquet de fleurs dans les bras. Au dos, tu vois le bouquet dans une poubelle et t’en déduis qu’elle n’est pas venue. Richard est un homme qui démultiplie sa musicalité, il gratte des milliers de poux magiques dans la précipitation de sa pop («Just Like The Rain»). Il tourne bien autour du pot d’«Hotel Room». Il farcit sa room de guitares hawaïennes et d’here in my arms. Tout l’album navigue sous un boisseau sentimental. Il nourrit son romantisme de chaudes mélopées délectables. Encore une merveille qui t’émeut bien la meule : «Born Under A Bad Sign». Tu entends aussi le thème d’«Alabama Bound» (Charlatans) dans «Sleep Alone». Sa heavy romantica marche à tous les coups. Il boucle son Coles Corner avec un instru spatial, «Lost Orders», pianoté quelque part dans le cosmos. Il s’y perd, ce qui est logique, vu qu’il a tout donné.

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             Lady’s Bridge est encore un Mute qui grouille de puces. Écroulé dans un fauteuil, l’Hawl y porte le costard lamé or d’Elvis. Sur «Serious», il sonne comme Fred Neil, et c’est drivé au slap. T’en reviens pas d’un si beau paradis. S’ensuit un coup de génie nommé «Tonight The Streets Are Ours», qu’il attaque au power pur, c’est gratté aux mandolines de la démence hawlique. Il sait mettre la pop en feu. Encore une fantastique entourloupe avec «The Sea Calls». Te voilà ensorcelé par cette merveille océanique. «Our Darkness» est intense, mais sans surprise. L’Hawl chante comme une superstar, ses chansons sonnent comme des classiques. Il développe encore une fabuleuse ampleur mélancolique dans «Valentine» et «Roll River Roll». Il transporte le même poids mélancolique que Fred Neil. Ce River Roll est encore une merveille de délicatesse mélodique. Saluons aussi l’incroyable santé des attaques de gratte vintage dans «Dark Road», il évolue ici dans un esprit féerique quasi-forain. Richard Hawley est une superstar, qu’on se le dise.

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             T’as encore largement de quoi te régaler sur Truelove’s Gutter. «Soldier On» va t’emmener très loin. L’ami Hawley tape dans quelque chose de si profondément mélancolique que ça finit par réveiller tes vieilles blessures. Alors tu souffres. Et soudain, ça explose. Il fait tout simplement exploser la marée montante de douleur. Alors tu t’enfonces dans un atroce mélange de douleur et de beauté. L’ami Hawley atteint à la démesure d’un Chateaubriand du rock, il atteint la cime d’une pureté nietzschéenne du Gai Savoir rock - Never say goodbye/ Your’re the apple of my life - Et puis dans «Remorse Code», il vise l’infini et claque deux ou trois solos éthérés d’une rare beauté. Il revient à Chateaubriand avec «Open Up Your Door», il s’installe dans le contemplatif élégiaque, il ouvre des horizons, il a des violons et du ciel, et il monte encore par-dessus son chant pour la seule beauté du geste. Il prend la suite des très grands mélodistes britanniques, Nick Drake et John Lennon. Avec «Don’t You Cry», il te rassure. Il est le genre de mec à te prendre dans ses bras et à te laisser chialer sur ses épaules. C’est de cet ordre-là. Merveilleuse proximité de l’être, merveilleuse chaleur de l’homme, merveilleuse présence de l’artiste.

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             Further grouille de bonnes surprises. Avec «Off My Mind», l’Hawl sonne comme Steppenwolf. C’est quasi Born-To-Be-Wildien, avec un incroyable coulé de gras double. L’Hawl serait-il un hard rocker, un adepte du get my motor running ? Non, car plus loin, il sonne comme Fred Neil dans «Midnight Train», un big balladif paradisiaque. Le paradis est son fonds de commerce - I have to head away - Alors, il prend le train de minuit avec de faux accents de Fred Neil. Il a aussi des espagnolades en magasin, et ça devient prodigieux. Encore de la belle pop profilée avec le morceau titre, vraiment fait pour t’émouvoir. L’Hawl cultive la tendresse suburbaine. «Is There A Pill?» sonne comme un coup de génie. Belle disto de réverb, c’est un hit qu’il faut bien qualifier d’universel. Impossible de faire autrement. Il sait étendre son empire. Il sait aussi groover sous la surface su groove comme le montre «Not Lonely». Il gratte encore des poux extraordinaires dans «Time Is» - Time/ Is on your side/ Fight now - Et un mec te blow des coups d’harp derrière. Tu sors ravi de cet album. L’Hawl serait là, tu lui serrerais la pogne.  

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             Paru en 2012, Standing At The Sky’s Edge est un album d’une rare puissance. Cette fois l’Hawl tape dans la Marychiennerie et la Stoogerie. Qui l’eût cru ? «She Brings The Sunlight» développe l’heavy mood des Mary Chain, avec en prime, le killer solo de démarrage en côte. L’autre Marychiennerie s’appelle «Seek It», mais cette fois, plus par le côté mélodique, qui renvoie à Stoned & Dethroned. «Down In The Woods» est monté sur les accords de «Down In The Street». C’est le beat exact, le balancement du riff primal, l’Hawl part même à l’assaut : yeah ! Sur tout l’album, l’Hawl gratte les poux du diable et fait un festival de gras double. Il joue encore sa carte avec «Time Will Bring You Winter», c’est landscapien, avec des fantastiques atermoiements du bassmatic, l’Hawk y va à l’heavy psychedelia, il est fantastique et tentaculaire à la fois, puissant, et complètement hallucinant. Il lui arrive hélas de redescendre d’un étage pour redevenir banal («Don’t Stare At The Sun»), mais c’est pour mieux te préparer à ce coup du lapin qu’est «Leave Your Body Behind You» et à cette stupéfiante descente aux enfers du rock anglais. Il chauffe ses accords au feu gimmickal, c’est explosif et on voit l’Hawl arroser encore et encore. Tout se noie au crépuscule dans une mer de chœurs en feu. 

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             Voilà donc l’avant-petit dernier : Hollow Meadows. L’Hawl reste le genre de mec qui a tous les atouts en main, le beurre et l’argent du beurre, c’est-à-dire la voix, le son ET les compos, avec en plus le poids des ans. Chez un mec comme lui, ça pèse, le poids des ans. Il s’amuse aussi à foutre le feu avec la disto dévorante sur «Which Way». T’en reviens pas d’entendre un cat aussi brillant. Le dandy baryton refait surface avec «Long Time Down», il y va au groove de timbre profond, il se situe toujours à la croisée des meilleurs, c’est-à-dire Fred Neil et Lee Hazlewood. Il titille bien la mélodie du sentiment avec «Nothing Like A Friend». Ce puriste tape chaque fois dans le mille. La plupart de ses cuts se lèvent comme l’aube d’un jour nouveau. Il cultive l’ampleur catégorielle. Il se paye même une marychiennerie avec «Heart Of Oak». Il sort l’heavy beat, et ça te flatte bien le chinois. Cet Hawl est un puissant seigneur. Ce cat sait profiler un cut sous l’horizon.

    Signé : Cazengler, Howlagueule !

    Richard Hawley. Le 106. Rouen (76). 14 septembre 2024

    Richard Hawley. Late Night Final. Setenta 2001

    Richard Hawley. Richard Hawley. Setenta 2001

    Richard Hawley. Lowedges. Setenta 2003

    Richard Hawley. Coles Corner. Mute 2005

    Richard Hawley. Lady’s Bridge. Mute 2007

    Richard Hawley. Truelove’s Gutter. Mute 2009  

    Richard Hawley. Further. BMG 2019  

    Richard Hawley. Standing At The Sky’s Edge. Parlophone 2012 

    Richard Hawley. Hollow Meadows. Parlophone 2015

    Richard Hawley. In This City They Call You Love. BMG 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - Delmonas Lisas

             Aucune des personnes qu’on fréquentait à l’époque n’avait une très haute opinion de Baby Delmonette. Elle parlait d’une voix atrocement vulgaire, se maquillait outrageusement et jouait la punk en portant des collants résille déchirés. Elle était petite et brune, mais elle se péroxydait les cheveux. Et pour couronner le tout, elle sifflait du rosé du matin au soir. En plus, elle fumait à la chaîne. On devait supporter sa présence parce que Flavio l’avait à la bonne. On se demandait tous comment il parvenait à la supporter au quotidien. Certains osaient même lui poser la question :

             — Mais comment fais-tu pour lui grimper dessus ?

             Bien sûr, Flavio ne répondait pas. Il se contentait d’esquiver la question en esquissant un léger sourire, puis on passait à autre chose, en attendant que Baby Delmonette revienne des gogues où elle était allée dégueuler. Ça la prenait souvent à l’heure de l’apéro, lorsqu’elle commençait à descendre des Ricards. Ça ne faisait pas bon ménage avec les litres de rosé qui gonflaient son petit bedon. Une fois qu’elle avait fait de la place, elle repartait de plus belle et buvait de grands Ricards secs et sans glaçons. Valait mieux avoir au moins deux bouteilles d’avance, car elle buvait sec. Quelle descente ! On avait même tendance à encourager sa conso, car elle finissait par nous faire marrer, dans le genre marionnette punk désarticulée. Si elle écartait les jambes, on voyait le désastre sous sa mini-jupe en cuir et on plaignait sincèrement Flavio qui lui, n’avait pas l’air perturbé par le spectacle. Comme on ne lui laissait jamais la parole, on ne savait rien d’elle. Et bien sûr, il ne serait jamais venu à l’idée de Flavio de nous raconter son histoire. C’est elle qui le fit un soir où quelqu’un lui demanda si la cicatrice qu’elle avait en travers du visage, et qui descendait de la tempe jusqu’au menton, était due à un accident de bagnole.

             — Bah non ! M’chuis pas pétée un axident ! L’axident, c’est mon pèèèèère, c’t’enculé d’sa race qui s’pochetronait, qui m’violait et qui m’pétait ses bôtelles sur la djeule ! Tu vois ça ? C’est lui, c’te bâtard, et j’en ai plein d’autres sur l’ventre et dans l’dos, sur l’cul, t’as qu’à d’mander à Flavio, y t’dira qu’c’est pas des conneries !

             Et elle avala son Ricard cul sec. Dans la pièce, tout le monde fermait sa gueule.

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             Les Delmonas savent très bien qu’elles ne seront jamais aussi punk que Baby Delmonette. Mais ça n’enlève rien à leur talent. Et de la même façon qu’on gagne à connaître Baby Delmonette, on ne perd pas son temps à mettre son nez dans l’histoire moins dramatique mais passionnante des Delmonas. 

             Pourquoi les albums des Delmonas sont-ils si excitants ? Parce qu’on y entend deux trios de choc, celui des filles et celui des garçons. Ida Red, Ludella Black (qui s’appelle dans le civil Sarah J. Crouch, la croqueuse, qu’on retrouve aussi dans Thee Headcoatees, bien sûr) et Louise Baker (madame Bruce Brand) constituent le trio de filles. Wild Billy Childish, Russell Wilkins et John Gawen, c’est-à-dire Thee Milshakes, constituent le trio de garçons.

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             Boom dès 1985 avec Dangerous Charms. Belle pochette à la Ronettes sur fond blanc. Elles attaquent au wild boogaloo avec «Peter Gunn Locomotion». Milkshakes time, honey, avec un solo wild as fuck de Wild Billy. Boom encore plus loin avec une cover d’«Hello I Love You». Bien sûr, ce n’est pas le final de Jimbo, mais elles te tartinent les Doors autrement, sans le scream. Encore une belle cover : «Lies», cette fast pop des Knickerbockers devenue culte. Ce démon de Wild Billy te claque un solo aux joues creuses, un vrai slashing. Elles terminent leur balda avec le morceau titre, une belle clameur pop des Milkshakes. Nouvelle cover en B, celle de «Twist & Shout», jetée par-dessus les toits de Medway. Admirable, avec des chœurs de rêve. Et voilà le hit de l’album : «Please Don’t Tell Me Baby», attaqué à l’heavy disto. Wild Billy te bouffe le Don’t Tell tout cru, il l’arrose au napalm de Medway. Mélange unique de Medway napalm killer et d’ingénues libertines.

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             Delmonas 5! s’appelle Delmonas 5! parce qu’ils ne sont plus que 5, trois Milkshakes et deux Delmonas, Ida Red et Ludella Black. C’est encore un big boom d’album bourré de coups de génie, tiens comme cette reprise en B du «Keep Your Big Mouth Shut» des Pretties, mais au féminin. Avec «Why Don’t You Smile Now», elles passent au wild gaga de Wild Billy, gratté aux accords de Dave Davies. Wild as smile now ! Elles chantent à la desperate. Nouveau shout de wild as fuck avec «Black Ludella». Ces gens-là s’y connaissent en matière de claqué de beignet. Dynamiques superbes, chant humide et bien sûr wild killer solo flash de Wild Billy. Te voilà au paradis du wild. Ils montent «Your Love» sur les accords de «You Really Got Me» - I want to kiss you baby - Elles y vont au The more I have/ The more I want, c’est pur comme une esquisse. Pur éclair de génie Childish.  

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             L’album sans titre des Delmonas sort sur Hangman, le label de Wild Billy. Boom dès «Jealousy», en l’honneur de leurs amis français, et gratté au ramshakle des squelettes. Full Headcoating and girl group thang ! Retour dans le giron du génie gaga avec «I’ve Got Everything Indeed» et sa petite remontée gastrique de rockab. Wild Billy te ramène le Memphis Beat, au stomp de Medway. Ida et Ludella font encore des étincelles sur «Uncle Willy», elles y vont au all along et Wild Billy passe son wild killer solo flash de circonstance. Elles chantent «I Feel Like Giving Up» en français - Et je sens que je dois céder/ Chéri je souis complètement à booo - Magnifique ! Les Delmonas enchaînent avec une cover magistrale de «Farmer John», elles le font pour de vrai, avec the one with champagne eyes. La grosse cerise sur le gâtö est une cover des Stooges, «I Feel Alrite». Énorme shoot d’énergie, awite awite, c’est encore un vrai coup de génie Childish. Wild Billy te télescope ça de plein fouet, il gratte son solo au train wreck, Ida et Ludella chantent à deux voix, complètement désespérées.

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             Do The Uncle Willy est une solide compile qui permet de réviser les leçons, à commencer par l’épouvantable hommage aux Stooges, «Feel Alrite», l’encore plus épouvantable cover de «Farmer John», elles tapent à la porte à coups de the one with champagne eyes, avec un killer solo flash du Wild Billy on fire, l’aussi énorme «Black Ludella», claqué aux bons soins d’un Wild Billy incontrôlable, et ça bascule une fois de plus dans la Méricourt totale, c’est stupéfiant d’oh oh oh, avec les retours de manivelle et les tatapoums de Gawen. Elles y vont les garces, avec «Hard About Him», une pop lubrique qui sent bon la culotte. Souvent tu te demandes pourquoi tu écoutes du rock. Pour ça. Pour «Hard About Him». Ça peut suffire à ton bonheur, si tant est que tu le cherches. Comme c’est une compile, elles ressortent les «kitchen demos» et voilà «Ca’rnt (sic) Sit Down», vite fait bien fait dans la cuisine. Et tout explose avec la triplette de Belleville «Jealousy», «Lie Detector» et «I’ve Got Everything Indeed». Wild Billy fait du Billy sec sur «Jealousy», mais il est le seul à savoir gratter des poux aussi secs en Angleterre. «Lie Detector» est une kitchen demo grattée au drive de proto-punk. Pur genius de raw. Il gratte en conséquence. C’est encore pire avec «I’ve Got Everything Indeed», puissant et bardé, Wild Billy et ses amis grattent dans l’esprit du pur British beat avec de superbes voix de filles, et ce démon de Billy part en maraude avec l’un des pires killer solos flash de l’histoire du killering. Tu as là la modèle du genre, avec en prime le boogie de Liverpool et les filles offertes. Compile terrifique.

    Signé : Cazengler, delmonunuche

    Delmonas. Dangerous Charms. Big Beat Records 1985

    Delmonas. Delmonas 5!. Empire Records 1986 

    Delmonas. The Delmonas. Hangman Records 1989

    Delmonas. Do The Uncle Willy. Skyclad Records 1989

     

    *

             Ce groupe possède un avantage sur tous les autres combos chroniqués sur ce blogue depuis quatorze ans. Il provient de Baltimore. Vous ne comprenez pas, j’écris Baltimore et vous lisez Baltimore, les adeptes de la géographie préciseront que cette ville qui compte plus de cinq cent mille habitants est un port maritime du Maryland situé sur côte est des Etats-Unis. Pas très loin de Washington DC. Oui mais moi quand je prononce Baltimore, l’aile d’un corbeau prophétique obscurcit la lucarne embrumée de mon esprit et dans ma tête résonne  le mot fatidique : Nevermore ! C’est à Baltimore qu’est mort Edgar Allan Poe en de mystérieuses circonstances…

             Quel que soit ce groupe, je ne pouvais pas ne pas le chroniquer :

    BLEAK SHORE

    BLEAK SHORE

    (EP / YT – BC / Septembre 2024)

             Quelle couve, mes aïeux jusqu’à la trois cent dix-septième génération, digne d’une  couverture d’un american zine à haute fréquence pulpeuse, elle ne fait pas peur, elle vous fout les chocottes, sachez faire la différence, une véritable biscote recouverte de trois centimètres de beurre de cacahuotte, elle attend que vous y mordez dedans à pleines dents, quelle envie incoercible d’y aller, d’aborder ce rivage malsain, de vous confronter à ces immondes créatures qui hantent le phare maudit, vous savez que vous avez toutes les chances d’y  perdre votre vie, il est vrai qu’elle ne vaut pas grand-chose, tant pis, une force inconnue vous y pousse, dans le coin en bas à gauche deux prédécesseurs sont venus vous souhaiter la bienvenue. Ils vous sourient de toutes leurs dents. Qu’ils ont perdues. Un chromo irrésistible. Non ce n’est pas le Grand Verre de Marcel Duchamp, moins transparent, mais beaucoup plus glauque.

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             Question ambiance, ils joignent deus petites phrases en guise d’introduction :’’Nous avons enregistré notre premier EP en live dans la salle (dans un bateau coulé, quelque part au fond de l'océan). Debout sur le rivage désolé, la dévastation est à portée de main...’’

    Jerrod : vocal / Aaron : lead guitars / Jason : guitar / Fred : basse / Travis : drums.

    Take notice : pas de demi-mesure, ces mecs ils cueillent les petits pois de leur jardin à la bombe atomique, après leurs riffs, ce n’est pas l’herbe qui ne pousse plus c’est la terre qui n’existe pas, le Travis il ne frappe pas de traviole, il assène, il assomme, il assassine, le Fred vous fait main basse sur le son, vous vous l’englue façon goudron, pas besoin de plumes pour finir le travail, la guitare d’Aaron ne tourne pas rond, vous met les riffs au carré, quant à celle de Jason elle jase d’une belle manière, le genre de gars qui vous coupe la haie du voisin à la tronçonneuse, et comme le gars vient rouspéter vicieusement il lui tranche la tête en douce, vers la fin ils se permettent une petite détérioration planétaire, just for fun sur le funiculaie, un capharnaüm idéal pour ratiboiser chez vous les cafards dont depuis dix longues années vous n’êtes jamais parvenu à vous en débarrasser. J’en vois des malins la bouche en cul de poule qui la ramènent, pourquoi ils ont pris un chanteur, le mec peut pointer au chômage si nous en croyons le raffut que tu nous décris ! Bonsoir les narvalos, ça se voit que vous n’avez jamais joué à la bataille navale, Jerrod il est là pour mettre les points sur les ‘’ i’’, il ne crie pas, il annonce, il énonce, sans se presser, dans les meutes de loups il est un mâle alpha, vous dépose sa voix aussi soigneusement que votre grand-mère dispose ses napperons sur les meubles que les domestiques ont encaustiqués et astiqués toute la semaine. En plus vous croyez qu’il va vous raconter une horrible histoire de pirates, pleines de tempêtes, d’abordages, de bateaux envoyés par le fond avec des requins qui cisaillent les jambes des marins des qui s’accrochent désespérément aux espars épars sur les eaux tumultueuses. Non c’est un subtil, il manie la métaphore, il ne faut pas croire aux images, elles sont menteuses, elles vous induisent en erreur, un simple problème de couple, règle ses comptes avec sa copine, ils ont dérivé, si vous voulez savoir qui hantent le phare de la couve, ce sont les fantômes de leur passé tumultueux qui ne cesseront de revenir… Vous avez le bruit des vagues qui vous mélodisent la chanson dure. Bleak shore : le ressac sur la rive, avez-vous déjà imaginé qu’un groupe de rock serait capable d’interpréter le claquement et les frottements des orteils de naufragés de la vie qui prennent pied sur l’îlot maudit de leur destin, les autres font tout le ramdam possible et inimaginable, le Jarrod s’en moque, l’a perdu son trésor mais il lui reste le coffre, alors il surplombe tel l’aigle dans les nuées qui se laisse tomber sur sa proie, le Travis vous imite le battement des ailes à grands coups sourds de gourdins, les guitares volent en escadrille, elles vous filent une espèce de mauvais coton de solo démembrulatoire qui fonce en piqué sur vous, une question subsiste, nous n’avons de psychanalyste pour nous aider à y répondre, notre couple rescapé de son propre naufrage est-il plus près de la mort que de la dévastation. Les vagues nous dispensent de répondre. Black tongue : ce n’est pas Barbe Noire c’est Black Tongue, un peu de ressac, c’est si grave qu’ils ont baissé le volume dans l’intro, c’est la grande explication, avec les guitares mélodramatiques et la batterie qui enfonce les clous des explications, Jarrod n’en profite pas pour baisser d’un ton, l’est le genre de voisin d’école qui vous hurle dans l’oreille que le prof est un imbécile, Fred fait le maximum pour minimiser la punition, il tape comme un sourd et le trio guitarique se lance dans une course effrénée, pas de quoi réfréner notre mégaphoneur, cette fois-ci il met les points sur toutes les lettres de l’alphabet, si j’étais la copine je commencerais par avoir peur, veut qu’ils s’en aillent main dans la main marcher sur la mer, il ne ment pas, il est totalement dévasté. Nous aussi.

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    Waking nightmare : soyons juste, je ne voudrais pas que vous les preniez pour de sombres brutes, z’ont de la finesse dans leur mégalophonie, même Jarrod est capable de chanter à peu près comme tout le monde, de temps en temps il monte dans le gratte-ciel des octaves, il essaie toutefois de ne pas en faire trop, par contre les musicos décident de démontrer qu’ils peuvent taper et vriller les guitares, encore plus fort que lui, le pire c’est qu’ils réussissent, Jarrod se surpasse, maintenant vous avez l’impression de l’entendre sur votre interphone. La fin du morceau est un véritable cauchemar vivant. De quoi nous plaignons-nous, nous n’avons aucune envie de nous réveiller.

             Non, ils ne passeront pas au festival de jazz de Montreux. Ils sont trop monstrueux !

    Damie Chad.

     

    *

             A considérer la pochette m’est venu à l’esprit le titre d’un des recueils de Fouad El-Etr, poëte et directeur de la revue et des Editions La Délirante, un des vecteurs essentiels de la publication de textes rares issus, entre autres, de la plus grande lyrique européenne. Comme une pieuvre que son encre efface, nous parle de la noirceur des subtils rapports entre la noirceur de l’esprit et la présence rayonnante des choses, chacune d’elles essayant de phagocyter l’autre pour la celer dans la bouche d’ombre ou de lumière des moments de poésie.

    THE LOST EUPHORIA

    MOURNING DAWN

    (YT / BC – Octobre 2024)

             Pas moins de quinze opus depuis la formation du groupe réduit à une seule personne entre 2002 et 2005. Aujourd’hui la formation est composée de Laurent ‘’Pokemonsterlaughter’’ Chaulet : fondateur, guitars, vocals / Vincent ‘’Toxine’’ Buisson : bass / Nicolas Joyeux : drums / Fabien Longeot : guitars.

             Patronymes français, le groupe est de Paris.

             Ces morceaux datent de 2018, ont-ils été remaniés ou réenregistrés, dans ce cas-là le guitariste serait Frédéric-Batte-Brasseur. En une très courte notule Laurent nous apprend qu’il les avait complètement oubliés, que cet EP deux titres marque la fin de quelque chose en lui. Le titre est significatif : l’innocence du monde s’est enfuie pour toujours. Pour noircir le tableau, si l’on interprète le nom du groupe, le jour de notre naissance n’est-il pas le premier de notre mort…

             Donc la couve, comme une béance, une entrée, une descente, l’aven  aventureux d’un souterrain, non pas une possibilité, un engagement, un parti-pris. L’obligation d’une approche.

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    Gosth of a dying sun : funèbre, funéraire, pas fun du tout, une machine sombre et grondante qui avance vers vous, pas à pas, ce n’est pas le Soleil Rouge de Raymond Abellio, qui vous éclabousse de sa permutation alchimique, l’astre se meurt et s’abaisse lentement, le chant growlé vous interdit de penser à une apocalypse cosmologique, l’astre est en toi, comme il est dans tous ceux qui avant toi sont déjà morts, ce soleil appartient à tous, il décline sur l’horizon individuel de chacun, nous portons notre propre soleil, car nous sommes les parturientes de notre mort, toutefois une présence fantomatique égrégorienne puisque l’astre solaire appartient à tous, voici un bien collectif, nos os sont pétris de la terre des morts, nous marchons sans fin entouré de ces êtres qui nous ont accompagnés, nous vidons le monde d’éclairs de tranquillité que nous avons partagés, il est temps de pénétrer en soi-même, de se retrouver, de vivre son propre rêve, ne plus s’accrocher, larguer les amarres, souffler le soleil de l’être faire le noir, connaître enfin la transparence de soi-même. Une espèce de chant grégorien qui refuse de s’élever jusqu’aux voûtes des monuments, symboles des profondeurs célestes, une marche processionnaire, qui brûle du feu d’une prière qui exige son propre anéantissement. Day zero : notes frêles, indistinctes, le jour zéro c’est le coup de dés qui ne désigne aucun nombre, qui abolit le hasard en abolissant les circonstances de l’être, musique liturgique, chœur monacal, qui traîne sa bure dans la poussière du néant, le growl est un gros loup qui a tiré le grelot du gros lot, le dernier cadeau dont l’emballage ne contient rien, les voix se taisent afin que l’auditeur puisse se rendre compte de l’évidence du néant… prendre la décision, non pas de tout quitter, cette conséquence n’est qu’un dommage collatéral, non s’éloigner, plus exactement décider du chemin, s’éloigner, transformer notre existence en le charroi de notre propre cercueil, ne plus faire semblant de vivre, la guitare se transforme en feu follet, redondance vocale entrecoupées de ces notes glauques qui résonnent sur le sol bitumeux de notre passé, la basse épouse la trace de nos pas, il faut bien laisser quelque chose de notre éloignement, de notre disparition, de notre passage, hurlements les officiants de notre office nous crient dessus, tant pis pour eux, nous sommes en lévitation de nous-même, en reptation intrinsèque, ce qui revient au même, musique en cristal de roche que l’eau de l’existence dissout avec une obstination souveraine. Ne sommes-nous pas ce que nous sommes autant que ce que nous ne sommes pas. Volonté abîmale. Final grandiose.

             C’est si beau que l’on veut en savoir plus. Alors on cherche, l’on se met en quête de la piste noire, l’on comprend assez vite que ces deux morceaux sont issus des séances de l’enregistrement d’un précédent album au titre évocateur.

    DEAD END EUPHORIA

    (Aesthetic Death / Mars 2021)

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             Difficile de décrire une telle pochette. Je serais tenté de détailler un trou, mais je possède une description plus appropriée, qui demandera quelques recherches sur le net à ceux qui veulent comprendre, je dirai donc que cette couve ressemble à un poème de José Galdo, pour situer l’auteur de donnons par exemple le titre d’un de ses recueils : La Nouvelle Danse des Morts, pas à un texte spécial, je ferais plutôt référence à la boursouflure exsudée des brûlures de la chair humaine décompositoire. 

    Dawn of doom : aux premières sonorités fuyantes vous êtes sûr que l’aube en question sera noire, peut-être en désaccord avec Gérard de Nerval qui prophétisait que sa dernière nuit serait blanche et noire, ici il s’agit de la même chose , mais Nerval parlait pour ainsi dire depuis l’autre côté alors que Mourning Dawn n’a pas encore franchi le Rubicon, devant l’obstacle qu’il faut s’approprier fort justement par l’Acte d’appropriation, lyrics explicites comme il est écrit sur une recension du disque, juste une décision dirigée par le constat de la faillite du simple fait de vivre, musique englobante, imaginez-vous hurlant dans une meute de chiens grondante lancée dans la poursuite d’un six-corps - parfois la musique et aboiements s’alentissent parce que l’instant de la curée approche, mais ici vous êtes, les chiens, le cerf et le chasseur. Votre vie ne tient qu’à un fil. Celui du couteau. Que vous tenez dans votre main. En filigrane cette idée que vous serez le père de celui qui a passé le cap avant vous. Mais la paix la plus profonde vous attend.

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    Never to old to die : un titre parodique à destination des rockers sardoniques, too young to  die, too old to rock’n’roll, ils ne jouent pas au loto, ou alors ce sont les numéros de la mort, 18, 27, 33 ! Attention à ne pas sortir les numéros gagnants, faites gaffe, le morceau est long mais si la rythmique marque une cadence ponctuante les guitares fusent à toute vitesse, à croire qu’ils ont divisé le son sur deux bandes, l’une normale et l’autre ultra rapide, pas le temps de perdre son temps, même pas de le prendre, vous avez des coupures faut bien marquer les séquences, un coup ils se précipitent vers la mort en voiture, z’ont de l’humour noir, à dix-huit ans tu peux avoir le permis mais pas la voiture, si tu t’encastres appelle le 18, les pompiers te sortiront de ce mauvais pas, une autre solution prendre sa carte au club des 27, très sélect, que des rock’n’roll stars, tu ne peux pas trouver mieux, correspond parfaitement à ton style de vie, qui est en même temps ton style de mort, faut tout de même avoir un fusil chez toi pour t’éclater la tête et rejoindre le nirvana, vocal acerbe, comme Kurt Cobain, troisième solution, l’âge du Christ, pas besoin de porter sa croix jusqu’au bout, une petite overdose et tu bascules sans t’en rendre compte, non il n’est jamais trop tard pour mourir, tu peux dépasser les trois numéros fatidique, tu gardes toujours ta chance avec toi, à portée de main. Un groupe de death metal qui se permet l’auto-dérision de l’humour c’est plutôt rare, ils en profitent pour s’éclater, musicalement parlant, batterie d’estoc, guitares de taille et vocal déchaîné. Prennent leurs pieds, n’en finissent pas de continuer sur leur lancée, le morceau fonctionne comme un unique riff géant, un riff de dinosaure auquel ils rajoutent sans arrêt une vertèbre articulatoire. Dead end euphoria : une guitare vous fait la nique, les chœurs de moines paillards  clament que si l’euphorie de vivre est sans issue, autant en profiter jusqu’au bout, c’est après que le ton change qu’ils atteignent aux réflexions métaphysiques pascaliennes sur l’inanité du  divertissement, l’on n’oublie jamais même si on fait semblant, même si on ne veut pas le voir, ce que l’on trouvera au bout du chemin, guitare narquoise et cordes illusoires, batterie te deumique… Conclusion : escadrille guitarique en position d’attaque, fini de rire, ni noir, ni jaune, le vocal comme un scalpel qui vous dépèce l’âme, hurlements, le chant monte en puissance, il serait parfait pour illustrer La Divine Comédie de Dante, la première partie L’Enfer évidemment, mais chez Mourning Dawn l’on ne rôtit pas éternellement en enfer ce qui serait une manière peu agréable de survivre, non chez eux la mort est glaciale comme une chambre froide de boucher, sans même les carcasses animales à l’intérieur, le morceau reprend plus lourdement, ne vous permettent pas le moindre rêve, derniers gargouillements atrophiques, les tentures phoniques du drame descendent lentement du plafond, ne vous reste plus qu’à vous y enrouler dedans comme dans un suaire. Hurlements de terreurs, la batterie casse du bois, celui de votre cercueil que l’on prépare pour vous.

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    The five steps to death :non ce n’est pas le Three steps to heaven d’Eddie Cochran, sorti après sa mort, qui disait l’éternité c’est long surtout vers la fin, je vous promets qu’à la fin du morceau vous serez encore vivant mais que vous en avez non pour vingt-six siècles mais pour vingt-six minutes, ne vous enterrent pas vivant, ils vous permettent d’assister à la répétition de votre enterrement, une entrée cérémonieuse, plein-chant, grandes orgues, au moins trois chœurs, mille cierges allumés, ce sont les chandelles de votre vie que vous avez ou que vous n’avez pas eu le temps d’enflammer, je ne peux pas décider pour vous, le courage de brûler par les deux bouts. C’était trop beau, n’avaient pas lésiné, et plouf toue s’arrête, plus rien une guitare acoustique, ô la pauvrette, elle joue bien, mais c’est un peu maigrelet, pas de choeur, juste une voix solitaire qui récite un texte peu engageant, pas vraiment joyeux, pas l’enthousiasme nietzschéen, nihiliste, presque le regret de Dieu et sitôt ce mot prononcé c’est le déchaînement, le vide à combler, mais peut-on combler le vide avec la mort, avec des entassements de morts, maintenant le morceau se transforme en un magnifique oratorio, galopade drummique, murs de guitares, voix jaillissantes, elles grognent et feulent comme des tigres en cage, une foule  scande les slogans de l’ineffable, rupture ronflements de basse, des orques solennels se prennent pour le requin de Mozart, requiem pour un survivant, pour quelqu’un qui a sublimé sa mort et qui n’en est pas mort pour autant, au temps qui passe, qui scandaleusement ne veut pas s’arrêter, se figer en son propre espace, alors cette montée en puissance qui vous emporte,  je suppose que beaucoup d’auditeurs affirmeront que ce morceau est trop long, il n’est pourtant pas plus long que lui-même et il atteint au sublime, avec ces coups de gongs et cette chevauchée walkyriennes de guitares qui surgissent pour tout emporter avec elles, les chœurs comme un mur de feu qui se consume et brûle en même temps le monde, en signe d’exaltation et de finitude, des sirènes qui retentissent pour donner l’alerte, pour que vous aperceviez que quelque chose est en train de se dérouler là, dans ce morceau même,  ces voix qui semblent s vouloir se dévorer, qui se jettent l’une sur l’autre pour qu’il ne reste rien de ce qui aura eu lieu. Prodigieux. Adieu : encore une fois ce frémissement comme un vol d’anges aux ailes cassées, généralement on les appelle des humains, l’adieu aux armes et l’adieu aux hommes, qui ne savent ni mourir ni vivre. Coincés entre leurs finitudes et leurs infinitudes. Une dernière fuite en avant car ils aussi difficile de  vivre que de mourir. Les serpents ne se mordent que rarement la queue.

    Damie Chad.

     

    *

             Il est des hasards extraordinaires. La précédente chronique se termine par l’évocation de serpents, or ce matin à la recherche d’un nouveau groupe à chroniquer mes yeux s’arrêtent sur ce qui a première vue ressemble à poème anglais qui débute par les trois mots suivants : ‘’ If the serpents…’’ se mordent la queue ai-je envie d’ajouter, je regarde et j’en ressors effaré, la mystérieuse voie du serpent ne saurait mentir.

    THE ORESTEIA

    C.I. A. Hippie Mind Control

    ( / 2023)

    J’avoue que d’abord  j’ai bêtement focalisé sur le nom du groupe, What ist it ? Un groupe politique ? En plus ils sont catalogués de ‘’ band from the american PNW, j’essaie de traduire Party National de… non, l’adjectif serait devant le nom, en tapant PNW je m’aperçois de mon ignorance crasse, ces trois initiales désignent une région transnationale américaine et canadienne du Nord-Ouest du Pacifique, qui regroupe les états de l’Oregon, de l’Idaho, de Washington et de la province de la Colombie Britannique.  Tout colle puisque le combo est domicilié dans l’Oregon. De la cité d’Eugene, grande ville enchâssée dans un écrin de verdure qui lui vaut son surnom de Cité d’Emeraude

    Ne sont que deux, se définissent comme un combo psychedelic death doom. Je me demande si le premier d’entre eux ne serait pas un admirateur, un chadmirateur, de ma modeste personne dont la renommée aurait atteint à mon insu les rivages du Pacifique : Chad Rausshenberger : guitar, bass, synts, samples, clean vocals / Greg Kholer : drums, percussions, vocals.

    Le titre me fait sursauter : l’Orestie, d’Eschyle pas possible, vous connaissez mon amour immodéré pour la Grèce Antique : ce n’est pas un devoir de chroniquer, c’est un impératif catégorique comme dirait Kant !

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    Uniquement trois morceaux pour l’Orestie, n’est-ce pas trop peu, les amerloques ont l’esprit pragmatique, l’Orestie étant une trilogie, ils ont prévu un morceau pour chacune des trois pièces qui composent l’œuvre d’Eschyle, à l’origine il y en avait quatre, ce n’est pas un hasard si Wagner a composé une tétralogie, mais elle a été perdue, soyons gratuitement méchant : brûlée par les chrétiens, dommage car les trois drames qui composaient une trilogie devaient normalement être suivie d’une comédie sur la même thématique.

    Dans une petite phrase ils nous apprennent que deux premiers morceaux se trouvaient sur un vieil opus, et le troisième égaré sur la face B d’un 45… Ils ont remixé le tout, pour leur constituer une suite phonique. Ce n’est pas tout à fait la règle des trois unités dont notre théâtre classique est si fier, mais cela s’en rapproche, du moins de la fameuse unité de ton que plus tard mettront à mal nos Romantiques…

    le principe structurel d’un drame antique est un capharnaüm sans nom, les renseignements suivants sont très schématiques, d’abord deux entrées, un prologue réservé à un ou plusieurs acteurs, et un parodos, première apparition du Chœur, ensuite les scènes nommées épisodes, qui sont systématiquement suivies d’un Stasimon, le commentaire du Chœur qui peut résumer les évènements qui ont précédé le sujet de la pièce, ou manifester ses peurs, ses craintes, voire prophétiser la suite, voire la fin, des évènements… parfois le Chœur entre en nombre, c’est ce que l’on appelle un kommos, et se transforme en cortège plus ou moins bachique, le dernier épisode porte le nom d’exodos. Si vous désirez en savoir davantage, une seule solution relire la Poétique d’Aristote.

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    Nous sommes habitués aux murs de pierres ou aux colonnes blanches des monuments antiques, un monde pur en quelque sorte, beaucoup plus bariolés en leurs époques, les manifestations théâtrales dépendaient beaucoup des ‘’sponsors’’, citoyens riches plus ou moins chiches, les costumes, les masques, pouvaient être plus ou moins sophistiqués, les Chœurs composés étaient parfois maigrelets, ou pléthoriques, les acteurs et les chanteurs les plus célèbres recevaient un cachet supérieur…

    Certains lecteurs se demanderont si l’écoute des quarante minutes de l’opus de notre groupe sera  capables de traduire un tel foisonnement, peut-être ajouteront-ils qu’il feraient mieux d’assister à une véritable représentation de la pièce. Sans doute n’ont-ils pas tort, question costumes, décors, déplacement, mise en scène  C.I.A. Hippie Mind Control ne saurait rivaliser. Le problème c’est que le spectacle visionné sera aussi inconséquent que le disque. A l’origine les tragédies grecques étaient pourvues d’une partition. Bref l’ensemble était plus proche d’une comédie musicale, d’un opéra, que d’une simple pièce de théâtre. Si l’on y réfléchit bien, l’idée d’une interprétation musicale d’Eschyle n’est pas à dédaigner.

    Il ne nous reste que quelques rares et ultra-brefs fragments de ces partitions antiques, la tentative de C.I.A. Hippie Mind Control n’en est que plus intéressante et intrigante. La gageure semble impossible à relever.

    Agamemnon : n ’ont pas fait preuve d’une imagination débordante pour les titres, ils ont repris ceux d’Eschyle :  surprise auditive, presse purée phonique, votre ouïe a intérêt à retrouver son équilibre, ni cadeau, ni concession, l’étiquette post-metal est utile, tout et n’importe quoi peut être qualifié de post metal, mais c’est que là : vous avez le post, le metal, le tout et le n’importe quoi réunis, et puis les acteurs, vous ne les voyez pas certes, mais vous les entendez, ils causent sans fin, vous ne comprenez rien, disons que les spectateurs font du bruit, ils parlent en même temps, le pire c’est que la musique en sourdine reste présente mais que c’est le traitement vocal qui paraît plus metal, que les grincements, les colères et les coliques battériales, ce truc informe et infâme qui grogne, c’est au moins un Dieu, ou la voix du Destin, couverts par des hurlements de soudards, vous avez une guitare qui miaule mieux qu’un chat, disons une chatte qui ne retrouve pas ses petits,  des samples qui ne sont pas simples, des intonations dignes d’acteur, des sonneries crispantes, ce n’est pas tout et cerise aigre sur le gâteau, une tragédie résumée en onze minutes. C’est tragique. Scandaleux. Une attaque sans nom contre la culture, la grande, celle avec un C majuscule, le même que vous mettez en tête de Connerie effroyable. Oui, mais quelle réussite ! Est-ce que la CIA a pris le contrôle du cerveau de nos hippies, ne répondez pas par oui, car vous serez moralement obligé d’écrire une lettre de remerciement à la Centrale de l’Intelligence Américaine. Pour la première fois de votre vie vous venez d’assister à un prodige. Rappelez-vous de celui qui vaticinait que la beauté se devait d’être convulsive. Sans quoi elle ne serait pas.  Dans le tohu-bohu convulsif vous n’avez rien compris au film. Agamemnon rentre chez lui. Dix ans que sa femme ne l’attend pas. Elle a pris un amant Eghiste. Pour se venger. Elle lui en veut. Agamemnon n’a pas hésité à sacrifier sa propre fille Iphigénie pour que les Dieux lui envoient le vent nécessaire au départ de la flotte grecque pour la guerre de Troie. Agamemnon périra par où il a été aidé. Par les Dieux. Sa femme l’accueille dignement, elle lui fait le coup de l’ordalie, il ne devrait pas marcher sur le tapis de pourpre réservé aux Dieux qu’elle a déroulé en son honneur. Dans les minutes qui suivent il sera tué par Eghiste qui l’attendait dans la salle de bain. Peut-être que dans ce morceau vous n’avez entendu qu’un charivari extrême, c’est parce que vous êtes bête, parce que vous croyez que lorsque le Destin se rend à votre rencontre, il marche sans faire de bruit, l’oreille subtile de votre intelligence aurai dû comprendre que lorsque la force colossale du Destin se dirige vers vous, il fout un sacré bazar tout autour de lui. Prenez-en de la graine. The libations bearers : je ne voudrais pas que l’on m’accuse de vilipender la langue de Shakespeare, mais reconnaissez que la traduction en l’idiome rabelaisien, plus proche du grec originel, est supérieure à la malheureuse version anglaise, Les Choéphores a singulièrement plus de gueule et de classe que ces malheureux porteurs de libation qui évoquent les soirées avinées des saturnales romaines : les voix bien sûr, les instrus se la jouent tragique, c’est ici que le nœud se noue, cris de haines, est-ce que le drummer se prend pour les pas du destin, c’est la purée phonique, normalement il devrait y avoir des trémolos de violons, ils n’en n’ont pas, y a comme des tintements de vaisselles sales, une guitare qui joue au chat vivant  à qui l’on arrache ses tripes, s’il vous plaît n’écoutez pas les paroles, contentez-vous des hurlements de haine, une espèce de glissement de terrain instable, une bête hideuse c’est Kobler qui se prend pour un loup-garou, quel tintamarre, j’espère que vous avez déjà perdu votre tête car vous ne sauriez pas où la mettre en sécurité dans cette espèce d’avalanche stagnante, silence, non nous sommes au cœur d’une action sans cœur, en désespoir de cause quelqu’un tape sur une cymbale pour faire croire que vous entendez les battements, just an illusion,  que de bruit ! que de larmes, c’est normal c’est la nuit qui tombe dans l’âme du héros. N’écoutez pas ce qu’il décjame. Vous ne dormiriez pas ce soir. Comparé à ce morceau le souvenir du précédent vous fera verser des larmes de nostalgie, vous aurez envie de chantonner quelle était verte ma vallée. Donc je résume : voici Oreste devant la tombe d’Agamemnon, c’est Apollon, celui-ci n’est pas un plaisantin, qui l’a envoyé venger son père. Ce qu’il ne manquera pas de faire. Oreste : 1 / Eghiste : 0. Mais Oreste a vu sa mère, la méchante hypocrite accompagnée par un cortège porteur de coupes de libation, afin de verser du vin sur le tombeau  dans le but de calmer la fureur des mânes d’Agamemnon… Oreste aiguillonné par sa sœur Electre, s’en prend maintenant à sa mère, il commet le crime le plus énorme, le matricide Oreste 2 / Eghiste+Clytemnestre 0. Pas de chance les méchantes Erinyes se lancent à sa poursuite, elles bourdonnent autour de sa tête, elles lui reprochent son crime, elles sont le regret, le remords, la vengeance et bien plus encore. Maintenant vous comprenez l’atmosphère lugubre et chaotique de de ce deuxième morceau.  Voici le moment idéal pour  nous pencher sur la couve de ce trauma sonique : la scène est facile à décrypter Oreste attaqué par les Erinyes. Pourquoi sont-elles représentées par des serpents ? Elles sont symbolisées par des serpents parce que leurs chevelures étaient entremêlées de reptiles. Pourquoi ? Parce que ces serpents étaient censés sortir des tombes des assassinés.  Pourquoi ? Je vous en pose moi des questions, tiens en voici une : quelle était la bébête qui logeait dans une fissure du temple d’Apollon à Delphes ?  

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    The Eumenides : c’est le summum, cris sans chuchotements, que faire, à tout hasard Kholer tape sur sa cymbale et tant bien que mal essaie d’imiter le vol des Erinyes, une escadrille aux hélices bruyantes, une guitare n’en finit pas de grincer, une espèce de grognement perpétuel couvre le tout, ambiance noisique, peu de paroles, quand tout est réalisé rien à rajouter, seules les Erinyes font entendre des bruits épouvantables, délabrement auditif, la fin est proche, si vous ne connaissez pas votre mythologie vous vous demandez ce qui se trame dans ce générique final de fin du monde. Les Dieux s’en mêlent, Oreste s’en remet à Apollon pour le tirer de ce mauvais pas. Le Dieu commence par exiger des Erinyes qu’elles se calment, puis il refile le bébé à Athéna. N’oubliez pas que c’est à Athènes qu’avaient lieu les représentations les plus munificentes. Donc Athéna va  la jouer finaude. Faut-il laver Oreste de son crime ou doit-elle l’abandonner à la vengeance des Erinyes, elle sort la carte ultime, le mot magique que nos politiciens sortent à tout bout de champ. Athéna est pour la démocratie. Douze citoyens serviront de jury. Enfin onze, parce que la Déesse s’octroie une place de choix. Celle de présidente du jury. Les Erinyes exposent leurs griefs, leur rôle n’est-il pas de châtier les criminels, elles ont raison, un seul hic à leur raisonnement légitime, c’est Apollon qui, surprise du chef, se déclare l’avocat d’Oreste. Allez donner tort à un Dieu. Le jury déclare Oreste lavé de son crime. Les Erinyes se plaignent à Athéna. La fine mouche leur assure que personne ne les aime, elles n’ont qu’à se métamorphoser en bienveillantes, en consolatrices, en Euménides pour employer le mot grec. Ce qu’elles se hâtent de faire. Ouf nous l’avons échappé belle.

             Si vous voulez la morale de cette histoire : d’après moi la musique de C.I.A. Hippie Mind Control est davantage érinyque qu’euménidienne. C’est pour cela que vous l’apprécierez.

             Une superbe réussite. Total Kaos !

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE: KR'TNT ! 660 : KING HANNAH / WRECKLESS ERIC / DYLAN LEBLANC / DEREK MARTIN / SHINDIG ! / SNAW / BO DIDDLEY / JON VAYLA / HOUSE MUSIC - THUMOS

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 660

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    10 / 10 / 2024    

      

    KING HANNAH /  WRECKLESS ERIC  

    DYLAN LEBLANC / DEREK MARTIN / SHINDIG !

        SNAW / BO DIDDLEY / JON VAYLA

    HOUSE MUSIC - THUMOS 

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 660

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock - Hannah thème

             De la même façon qu’Hannah et aussi loin qu’il s’en souvienne, l’avenir du rock a toujours adoré les sucettes à l’anis. Aujourd’hui encore, et peut-être plus qu’hier, il suce les sucettes à l’anis d’Hannah et les suce en chantant :

             — Lorsque le sucre d’orge/ Parfumé à l’anis/ Coule dans la gorge d’Hannah/ Elle est au paradis.

             Ah comme les rimes sont riches et comme la texture sent bon la luxure ! Quelles volutes de volupté ! Quel calice de calme ! Quelle Invitation Au Voyage baudelairien ! Pour quelques pennies, l’avenir du rock se vautre dans le luxe parfumé des baisers anisés d’Hannah. C’est un bonheur que de rouler les paradoxes dans le jus anisé du paradigme. Plus il suce les sucettes anisées d’Hannah, plus il jubile, au point d’atteindre une sorte d’extase mystique. Il voit alors en apparition une vierge sucer une sucette anisée avec ses grands yeux qui ont la couleur des jours heureux. L’avenir du rock éprouve tout ce qu’éprouve la nubile Hannah, le moindre feeling, la moindre pulsion de chair fraîche. Il chante avec une ferveur religieuse :

             — Et Lorsqu’il n’a sur la langue/ Que le petit bâton/ Il prend ses jambes à son corps/ Et retourne au drugstore...

             Et rien que de rimer ‘corps’ avec ‘drugstore’, ça le met en transe, ah merci Hannah de sucer si goulûment le petit bâton et d’avaler tout ce jus d’anis parfumé. Serait-ce la clé du paradis, celle que cherchent en vain les âmes en peine dans les églises ? Non la clé du paradis ne se trouve pas dans les églises, mais au drugstore, fais comme Hannah, achète-toi des sucettes à l’anis pour les sucer goulûment, car lorsque le sucre d’orge/ Parfumé à l’anis/ Coule dans la gorge d’Hannah/ Elle est au paradis.

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             L’avenir du rock chante bien sûr les louanges d’Hannah Merrick, cette liverpuldienne associée à Craig Whittle dans King Hannah, sans le moindre doute le meilleur duo qu’on ait entendu ici-bas depuis Mazzy Star. Hannah Merrick navigue au même niveau qu’Hope Sandoval, et Craig Whittle rivalise de démesure sonique avec David Roback.

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             Elle arrive en robe rouge sur scène, fabuleusement brune, et attaque avec «Somewhere Near El Paso» et sa mélodie suspendue dans le vide. Elle te fait à la fois du Nancy Sinatra, de l’Hope Sandoval en plus grave, du Nico en plus mélodique, sa robe rouge évoque la pochette du premier album des Tindersticks et l’ami Whittle gratte déjà des poux inspirés du Velvet, mais aussi de Yo La Tengo, ils ont un son terriblement américain.

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     C’est un peu comme s’ils te jetaient un sort, car te voilà envoûté - That was a bad decision/ That was a bad decision - Et puis plus loin dans le set t’as ce hit digne du Velvet et de tous les géants du lo-fi, «New York Let’s Do Nothing» - ‘Cause I feel good when I am in New York - Elle joue merveilleusement avec les finesses du lowdown de downhome, avec pour seul support des solaces d’excelsior de l’ami Whittle. Alors t’as aussi ce grand moment révérencieux, «John Prine On The Radio», une douce mélancolie country - I’ve been looking/ I can’t find an answer/ And I can’t concentrate on much these days - elle se laisse littéralement porter par sa mélancolie.

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    Ils se dirigent lentement vers la sortie de set avec l’effarant «Davey Says», puis «Lily Pad» ravagé par des lèpres de sonic trash et de Just floating along, elle s’abandonne littéralement, elle appartient désormais à cette légende qui remonte au Velvet et à Lee Hazlewood, et tout cela se termine avec «Crème Brûlée» tiré de leur premier EP.

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    En plein Tindersticks, mais féminisé. Percuté de plein fouet par l’And I need you/ So bad. En rappel, elle te balance un autre chef-d’œuvre de délicatesse, le morceau titre de Big Swimmer - ‘Cause I’m a big swimmer/ I’ll swim at anything - T’en profites à outrance, car tu sais que tu ne reverras pas une chanteuse aussi géniale de sitôt - Do you carry on swimming or/ Do you jump out and grab your towel - elle casse bien ses syllabes pour les faire swinguer, comme savait si bien le faire Lanegan - It feels ri/ iight to do so - Et quand tu lui demandes ce qu’elle écoute, Hannah te dit Silver Jews et Bill Callahan, alors tout devient prodigieusement clair.

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             Leur nouvel album Big Swimmer est un épouvantable must. Et quand on a dit ça, on n’a encore rien dit.

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    Big Swimmer grouille de puces. Hannah est très lowdown et le morceau titre dégage un horizon considérable. On attaque à peine l’album et nous voilà déjà dans la surenchère. Craig Whittle ramène dans cette Beautiful Song de bons gros accords d’electrack. Avec «New York Let’s Do Nothing», ils passent d’instinct au Velvet. Ils tapent en plein dans le mille. C’est violemment bon, power chords et voix sensuelle, en plein dans le mood de «The Gift». Cet  album sonne comme une révélation, te voilà hooké avec «The Mattress», cette fois, ils tapent dans la légende de Mazzy Star, tu assistes à une lente progression vers le sommet du son, Craig Whittle ramène de la volupté sonique, et Hannah, impassible, distille sa sensualité en suçant sa sucette. Les coups de génie se succèdent, impitoyablement, «Milk Boy (I Love You)», et «Suddenly Your Hand». Ils tapent «Somewhere Near El Paso» au harsh, à l’épique abrasif, Craig Whittle allume bien la gueule de ses cuts et les explose. Ils s’enfoncent dans des profondeurs surnuméraires avec «Lily Pad». Quel couple ! Ils auraient pu s’appeler Kings of Intensity, ou Kings des Sucettes à l’Hannah. Et l’autre fou n’en finit plus de partir en maraude. Ils terminent avec un hommage à John Prine : «John Prine On The Radio». Bizarrement, Swamp Doog rend aussi hommage à John Prine sur son nouvel album, Blackgrass. Que de géants sur cette terre !

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             Paru deux ans avant, I’m Not Sorry I Was Just Being Me n’est pas en reste. L’album met un peu de temps à décoller, mais il finit par devenir génial avec «Big Big Baby». Hannah fait sa Hope et Craig Whittle ramène de la clameur. Ils sont encore plus Mazzy Star que Mazzy Star avec «Foolius Caesar». Leur son traîne la savate. Craig Whittle n’en finit plus de gratter des poux magiques. On sent bien monter la marée. Sur «Go-Kart Kid (Hell Not)», il monte derrière elle (Hell) une belle apothéose. Avec «Rebenson», ils sonnent comme le Yo La Tengo d’Electropura. Même magie sonique. Et voilà la petite cerise sur le gâtö : «It’s Me & You Kid». Elle chante du coin du menton dans le coin du micro. C’est d’un bel effet, ah Hannah ! Et l’autre fou de Craig Whittle entre dans le cut au marteau pilon, on pourrait appeler ça un développement bardé de dommages collatéraux, alors Hannah et lui deviennent les rois du Tengo Mazzy, ils ré-explosent la vieille constellation et l’embrochent à la tourniquette de tournante étourdissante. Viva King Hannah ! 

    Signé : Cazengler, Hannahnas

    King Hannah. Le 106. Rouen (76). 21 septembre 2024

    King Hannah. I’m Not Sorry I Was Just Being Me. City Slang 2022

    King Hannah. Big Swimmer. City Slang 2024

     

     

    Wizards & True Stars

     - Eric et rac

     (Part One)

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             On a longtemps hésité avant d’amener le pauvre Wreckless Eric dans cette rubrique. L’Eric est tellement riquiqui que les géants qui y folâtrent pourraient lui faire de l’ombre, ou pire encore, lui marcher dessus.

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             Essayons d’y voir plus clair. Riquiqui Eric est victime d’un préjugé qui remonte à 1977, quand son épouvantable «Whole Wide World» est sorti sur Stiff. On ne comprenait pas à l’époque que cette petite pop-song mijaurée et chantée du nez eusse pu provoquer un tel engouement. On mit aussitôt l’Eric dans le même sac que le binoclard Costello et l’autre endive de Joe Jackson. Les Damned et Larry Wallis te donnaient du grain à moudre, certainement pas ces trois demi-portions. Puis tout cela a évolué (et nous avec) à la va-comme-je-te-pousse. Riquiqui Eric est entré dans l’underground et c’est sans doute ce qui lui a sauvé la mise. Il aurait pu finir en Simple Mind.

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    ( Editions 2003)

             On entendait parler de lui de loin en loin, par un copain qui connaissait un copain qui connaissait un copain qui connaissait Riquiqui Eric, installé dans une ferme quelque part dans la France très profonde. Des cassettes circulaient. Écoute ça ! Bif baf bof. Rien à faire. On restait sur le vieux préjugé. Pas question de faire un effort. On préférait savourer le souvenir de Larry Wallis au Marquee Club avec les Pink Fairies. Le copain du copain du copain avait aussi une autobio d’Eric Goulden. Dans le civil, Riquiqui Eric s’appelle Goulden. Il s’agissait d’un hard-back toilé bleu. On l’a lu, bien sûr. Pas de souvenir particulier, si ce n’est l’anecdote du Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band mono et, last but not least, un très beau sens de l’humour. Et puis, entre temps, il y a eu bien sûr les deux albums faramineux du Len Bright Combo, qui sont le vrai pot-aux-roses, le vrai point de départ. Mais livré corps et âme à d’autres priorités, on décida unilatéralement d’en rester là.

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             Et tout à coup, l’an passé, la presse anglaise s’est réveillée en sursaut ! À commencer par Uncut qui accordait une audience à Wreckless Eric ! Ah il est pas jojo sur la photo : bouffi, le poil blanc, l’air renfrogné, plus rien à voir avec le Riquiqui qui orne la pochette de l’album Rickenbacker. Uncut et Record Collector célèbrent en fait la parution de son dernier album, Leisureland. Chez les Anglais, c’est ce qu’on appelle un buzz. L’Eric et rac commence par évoquer sa near-death experience (near-fatal heart attack) d’un ton léger - It’s made me think about the whole business of dying and I was quite clam about it - On lui demande why Wreckless ? Il répond : «My behaviour was erratic.» Oh so British !

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             Nick Dalton lui accorde royalement 4 pages dans Record Collector. C’est un solide panoramique, spécialité de Record Collector. Dalton et l’Eric reviennent sur les premiers albums Stiff et glissent doucement sur mes projets foireux qui ont suivi, Captains of Industry et The Len Bright Combo. Foireux ? Oui, au plan commercial. Mais géniaux au plan musical. Il rappelle que le Len Bright Combo correspond à l’époque où il s’est installé in the Medway area of Kent. Il a récupéré la section rythmique des Milkshakes, Russ Wilkins & Bruce Brand - I just wanted to obliterate the songs with feedback - Et il conclut : «We made two albums. The first one is good, the second one is half as good.» Puis il débarque en France dans la ferme d’une copine et décroche un deal chez New Rose. Puis il déroule l’historique des projets, Le Beat Group Electrique, The Donovan Of Trash, Martin Stone, The Hitsville House Band, blah blah blah. On a l’impression de connaître tout ça par cœur. Dalton revient à la fin de l’article sur la fameuse question : «Why weren’t you as big as Nick Lowe or Elvis Costello ?». Il répond qu’il ne croyait pas assez en lui - I had low self-esteem. I could never handle it. But now, I’ve got a momentum

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             La grosse cerise sur le gâtö du buzz, c’est la réédition de l’autobio citée plus haut : A Dysfunctional Success. The Wreckless Eric Manual (Written By The Author). On laisse alors tomber la circonspection et les a-priori et on vote à l’unanimité le rapatriement. Ce book va-t-il percer le mystère du Len Bright Combo ? Le plus drôle dans toute cette histoire, c’est qu’en 20 ans (la première édition toilée bleue date de 2003), ton regard peut changer du tout au tout. Autant la première fois, t’es trop con pour lire ça correctement, autant la deuxième fois, t’es un tout petit peu moins con et tu lis ça plus que correctement : avec passion. Car c’est un book fabuleux. Fabuleux d’underground, fabuleux de modestie, fabuleux de bon goût, fabuleux d’auto-dérision, fabuleux de riquiquisme. Par contre, pas un mot sur Larry Wallis, avec lequel Riquiqui est pourtant parti en tournée. Et comme notre petit Riquiqui semble détester le frimeur Costello, alors on devient potes.

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             Il faut lire A Dysfunctional Success. Même en anglais. Ce book ne sera sans doute jamais traduit. Mais les fans du Riquiqui vont se régaler. Et rentrer dans sa vie. Car c’est bien de cela dont il s’agit : Riquiqui écrit tellement bien qu’il te fait entrer dans ce qui fut sa vie d’avant. Le book couvre une période qui va de sa naissance au Len Bright Combo, en 1986, lorsqu’il vient de s’installer à Chatham, Kent, au Sud-Est de Londres, et qu’il rencontre deux autres Wizards & True Stars, Russ Wilkins ET Bruce Brand. Pardonnez du peu. Avec le Len Bright Combo, t’es dans le dernier chapitre, et là, le book vibre entre tes mains, car notre petit Riquiqui te raconte l’histoire détaillée de trois héros embarqués dans une folle histoire.

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             Quand il quitte Londres pour s’installer dans ce qu’il appelle the Medway towns, Riquiqui Eric voit jouer les Milkshakes au Medway Indian Club, puis un jour, il entre chez un électricien sur Chapham Hight Steet, et sur qui qu’y tombe le Riquiqui ? Sur Russ - the bright young assistant derrière le comptoir - «the famed ex-Milkshakes bass player.» Eh oui, mon kiki, une histoire comme celle-ci ne s’invente pas. Et t’as le Russ qui lui dit : «Ere, you’re Wreckless Eric - you’ve seen us play at the MIC.» Et Riquiqui commence à souligner l’arrogance de Russ pour la saluer. Ils se découvrent ensuite une passion commune pour Dusty Springfield, puis le Russ montre à Riquiqui l’arrière-boutique où ont été masterminded plusieurs albums des Milkshakes. Le Russ lui balance en guise de petite cerise sur le gâtö qu’en cas de besoin d’un bass guitarist, «I should give him a shout.» Bon d’accord. Un mec propose à Riquiqui d’aller jouer gratos dans un festival à Edimbourg, et donc il give a shout au Russ qui dit oui - For no money whatsoever - Le Russ propose d’embarquer son pote Bruce Brand dans l’équipée. Ça tombe bien, Bruce vit dans la même rue que Riquiqui et donc il vient lui rendre visite pour lui demander un autographe. Toc toc toc. Voilà comment se forment les vrais groupes légendaires. T’auras pas ça dans Rock&Folk, amigo. Alors prends le temps de lire Riquiqui.

             Le trio n’a pas encore de nom. Ils répètent 6 cuts - It was a bit rough. It was primitive - Et il ajoute, la bouche en cœur : «Ça faisait des années que je n’avais pas entendu des mecs comme Russ et Bruce jouer comme ça. Je craignais que le son soit trop rough, c’est-à-dire trop brut.» Ils vont jouer à Edimbourg, mais comme Riquiqui picole encore beaucoup trop, c’est un désastre, ses doigts se coincent sous les cordes, il se casse la gueule sur scène et Bruce balance ses baguettes dans la gueule des gens qui les insultent. Le Russ reste de marbre, car il ne sait pas que Riquiqui et Bruce ont picolé toute la journée. Alors il fait des commentaires ironiques pour essayer de sauver les meubles. C’est admirablement bien écrit, tu te crois vraiment dans la salle. Puis le Russ laisse tomber et se met à descendre une bouteille de scotch. Et ça se termine en apothéose de Len Brigh - The set ended in a free-form free-for-all with everything turned up full. A blaring mess of feedback, me telling the whole (wide) world to fuck off - Le (wide) n’est pas dans le texte. On le rajoute histoire d’enterrer définitivement le quiproquo. Riquiqui ajoute qu’ils ont certainement outragé un tas de gens, «but I think some of them deserved it.» C’est comme de dire à une connasse : «Je suis un gros con, pardon. Mais j’adore être un gros con.» Maintenant Riquiqui sait qu’il ne faut jamais monter sur scène «in a paralytic drunk condition», ce qu’il a fait toute sa vie, jusque là, notamment sur le premier Stiff Tour.

             Le trio n’a toujours pas de nom. Son groupe précédent, The Captains Of Industry, n’existe plus. Sur les affiches, c’est marqué : «The Mighty Wah with Eric Goulden underneath.» Riquiqui compose des cuts pour The Len Bright Combo Present The Len Bright Combo By The Len Bright Combo. Ils enregistrent sur un Tascam 8 pistes, dans un «village hall», finissent dans sa salle de bain, et dans le grenier de Bruce, et comme le Russ vient de monter son label Empire, ça sort sur Empire - It was a complete DIY job and it cost eighty-six pounds to make, including hire of the village hall and artwork - T’as bien lu ? 86 livres. Ric et roc. Riquiqui rococo ! Et il ajoute, enflammé : «It was a perfect union. Between us we were rude, arrogant and eccentric. Aucun de nous ne voulait de rapport avec le music biz. Pendant un gig au 100Club, j’ai arrêté le groupe parce que j’ai reconnu un A&R d’EMI. I told him to fuck off. Il n’était pas question de redémarrer tant qu’il était encore là. Russ a dit : ‘We don’t need you, on a notre propre label et il a plus de lettres que le vôtre.’»

             C’est le moment ou jamais de re-saluer les deux albums du Len Bright Combo, déjà ovationnés dans l’hommage qu’on rendait ici-même à Russ Wilkins.

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             Len Bright Combo By The Len Bright Combo est l’album magique d’un trio magique, certainement ce qui est arrivé de mieux à l’Angleterre, avec Syd Barrett. T’as deux clins d’yeux à Syd : «Selina Through The Windshield» et «Lureland». Pour Selina, Riquiqui ramène un brillant panache de psyché, et il place un gros solo-trash de dérive abdominale. Pur jus de Piper, il explose The Gates Of Dawn. Fantastique résurgence ! «Lureland» est aussi très barré dans le Barrett, même complètement Barrett. Le coup de génie est le cut d’ouverture de balda : «You’re Gonna Screw My Head Off». Très British, éclatant, développé, surprenant, imparable. Une solace de psychout so far out. En B, tu vas tomber sur «Sophie (The Dream Of Edmund Hirondelle Barnes)». Il faut leur reconnaître une certaine grandeur, une belle affirmation, une volonté réelle d’éclater le Sénégal d’Angleterre. Que de son, my son ! «The Del Barnes Sound», nous dit-on au dos de la pochette. Tout aussi puissant, voici «The Golden Hour Of Farry Secombe», un cut qui va se fracasser dans le mur du son. Vroarrrr ! Et ce magnifique album magique s’achève avec «Shirt Without A Heart», un power de tous les instants monté sur une pure structure pop, Riquiqui bâtit son petit Wall of Sound avec une troublante efficacité. Il monte son cut en neige prodigieuse. Et du coup, il devient l’un de tes meilleurs potes. Ah mon p’tit Riquiqui !

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             Dans la red du deuxième album, Combo Time, Riquiqui documente bien l’histoire du Combo. Il évoque les tournées, le van et l’accident d’un ton guilleret, extrêmement agréable à lire. Dans son épilogue, il indique que Russ et Sexton Ming vont monter The Mind Readers, puis Russ va continuer avec the Seed Merchants, the Wildebeests et Lord Rochester. Riquiqui indique aussi que le Len Bright Combo s’est reformé en 1991 pour accompagner Phil May et Dick Taylor sur deux ou trois gigs. Bruce joue sur The Donovan Of Trash et Russ est remonté une fois sur scène en Belgique accompagner Riquiqui. Mais à part ça, pas d’autre occasion de retrouvailles - But who knows what the future might hold...?

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             Combo Time s’ouvre sur l’assez puissant «Comedy Time». Riquiqui charge bien sa barcasse de comedy time. Son «Pleasant Valley Wednesday» n’a rien à voir avec les Monkees, mais ça dérape dans la Méricourt de Big Russ. Comme on l’a vu sur le premier Combo, Riquiqui sait créer les conditions du grand foutoir psychédélique, c’est en tous les cas ce que montre une fois de plus «Swimming Against The Tide Of Reason». Il dispose d’une pente naturelle à l’esbrouffe, il sait cultiver l’apothéose. Il dispose bien sûr du personnel idéal pour ça : Big Russ et Bruce. «The House Burned Down» sonne comme un petit boogie décidé à en découdre. Alors il en découd. Une fois encore, nos trois amis bourrent bien la culasse et ça grimpe très vite en température. C’est vraiment excellent, toujours inspiré, soutenu aux chœurs de lads. T’en peux plus de bonheur. Comme si Syd avait mangé des épinards. En B, ils partent en mode «Lust For Life» pour «The Awakening Of Edmund Hirondelle Barnes». Assez gonflé. Pur Russ power ! Bruce Brand vole le show avec «Club 18-30», un petit ramshakle original, et l’album se termine en beauté avec «Ticking In My Corner», un heavy country blues de Medway, c’est brillant, joué au bord du fleuve. On exulte en écoutant le bright downhome blues du Combo. Méchante allure ! Riquiqui est un crack, un vrai boom-hu-hue. Il explose le country blues, il en fait une montagne de pâté de foi, et il y jette toute sa petite niaque.   

             C’est là, après l’épisode Len Bright Combo que Riquiqui stoppe la booze, «after twelve years of hard-drinking.» Au moment de cette réédition, ça fait 38 ans qu’il tient.

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             Revenons au point de départ : l’enfance d’un kid anglais né en 1954, et qui donc va tomber dans la marmite, comme Obélix. Point de départ évident avec les Beatles. En Angleterre, nous dit Riquiqui, tous les gosses se coiffent comme les Beatles. Puis il commence à lister les trucs qu’il entend à la radio, «Friday On My Mind» des Easybeats, il habite à Newhaven quand il ramasse sa copie d’«I Can See For Miles» des Who, puis il flashe sur le «Fire Brigade» des Move, «Tin Soldier» des Small Faces, «The Legend Of Xanadu» de Dave Dee Dozy Beaky Mick & Tich. Et ça continue avec «Lazy Sunday Afternoon» des Small Faces, «Baby Come Back» des Equals, «Fire» d’Arthur Brown, «This Wheels On Fire» de Jools, «With A Little Help From My Friends» de Joe Cocker et «the last ever Rolling Stones single with Brian Jones», «Jumping Jack Flash». Il cite ses héros qui comme lui ont tous été à l’art-school : Ray Davies, John Lennon et Pete Townshend. Puis il passe aux albums, comme tout le monde : Byrds (Sweetheart Of The Rodeo), The Piper At The Gates Of Dawn, A Saucerful Of Secrets, et les trois Jimi Hendrix Experience. C’est quand même dingue : on écoutait les mêmes disques ! Le premier groupe qu’il voit sur scène, ce sont les Pretties, à l’époque d’SF Sorrow - They were incredibly loud - Puis il voit le Floyd au Brighton Dome. Puis quand il quitte la maison familiale pour l’art school d’Hull, il voit des tas de groupes, Procol (au moins quatre fois car j’étais tombé amoureux du son de l’Hammond organ), Stone The Crows, Family en 1969, au moment où sort A Song For Me, précise Riquiqui, David Bowie acoustique avec une douze, Doctor John, Love Sculpture, Canned Heat, Wishbone Ash, il y en a des pages entières, et ça continue avec The Keef Hartley Band, Free et Edgar Broughton. Et puis Matching Mole, Humble Pie, John Mayall, «once with Peter green guesting on guitar», Juicy Lucy, Terry Reid, Long John Baldry, The Nice. C’est toute la différence entre un kid qui grandit en Angleterre et celui qui grandit en France. D’un côté t’as les Who, et de l’autre Johnny Hallyday. D’où le gros problème.

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             Puis Riquiqui passe aux choses sérieuses : Muddy, Wolf, Big Dix, Hooky, T-Bone Walker, Chucky Chuckah, Elmore James, et paf, Captain Beefheart - Strictly Personal, I found it in the bargain rack in Woolworths - Et puis The Art Of The Improvisers d’Ornette Coleman. Il voulait acheter l’Hot Buttered Soul du prophète Isaac, mais comme il était sold-out, alors il s’est payé l’Ornette - I started to understand something about freedom in music - Er paf, le «White Light White Heat» du Velvet, l’«Inner City Blues» de Marvin, le «Let’s Stay Together» d’Al Green et le «Gimme Gimme Good Lovin’» de The Crazy Elephant. On remonte plus haut dans le temps avec «Rock Your Baby» de George McCrae et le «Make Me Smile (Come Up & See Me)» de Cockney Rebel, mais il faut être né en Angleterre pour savoir apprécier ça. Il continue de flasher sur tous ces gens-là, T Rex, Slade, Kevin Coyne, Kevin Ayers, Kilburn & The High Roads et puis t’as aussi le fantastique Fully Qualified Survivor de Michael Chapman et l’imparable Aladin Sane de Bowie. Il admire surtout Kevin Ayers. Il rêve même d’écrire des chansons comme «Clarence In Wonderland», «Take Me To Tahiti» et «Caribbean Moon».

             C’est en voyant jouer Lee Miles, le bassman d’Ike & Tina Turner qui accompagnait Terry Reid, que Riquiqui décide de devenir bassman. Il trouve aussi qu’Andy Fraser a l’air cool sur scène. Alors il casse sa tirelire et se paye «the cheapest bass in the shop.» - It cost me fourteen pounds - Eric et rac. Les budgets sont toujours riquiqui chez Riquiqui. C’est sa force. Pas de blé, mais il fait quand même. Il adore la dope, il stoppe les joints et se goinfre d’amphètes. Il découvre aussi qu’en mélangeant ses antidépresseurs avec du cherry, il obtient des effets intéressants.

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             Puis il flashe sur Kilburn & The High Roads. C’est l’un des passages les plus palpitants du book, son amitié avec Ian Dury. Quand il voit Kilburn la première fois sur scène, il les compare à un sandwich dont la sauce se barre de tous les côtés. Mieux, il comprend qu’il n’a  pas besoin d’être un super musicien, Kilburn est un groupe dont le son menace de s’écrouler à chaque instant et il trouve ça très intéressant - Kilburn & The High Roads confirmaient qu’on avait pas besoin d’être américain pour jouer du rock. Je suis rentré à Hull, déterminé à tester une nouvelle approche - Il cherche à monter un groupe. Il passe une annonce. Un batteur se pointe. Riquiqui lui demande s’il a un kit et l’autre dit non, mais je peux en fabriquer un. Alors Riquiqui fait «Er, can you actually play the drums?», et l’autre fait «Shouldn’t be too difficult.» Il s’appelle Stuart Ross. Riquiqui fait une liste de covers : «Drive My Car» des Beatles, «Waiting For My Man» du Velvet, la version cajun de «Promised Land» par Johnny Allen, «Down Along The Cove» de Dylan, «Gimme That Harp Boy» de Captain Beefheart, «I Saw Her Standing There» des Beatles, «Ain’t Nothing But A Houseparty» du J Geils Band, «In The Midnight Hour» et «Six Days On The Road» de Dave Dudley en mode Velvet, pas moins. Stuart pense que Riquiqui est une pomme de terre et Riquiqui pense la même chose de Stuart - We became good friends - Le groupe s’appelle Addis & The Flip Tops. Comme ils n’arrivent pas à chanter proprement, ils font des instros et commencent par virer Drive My Car qui n’a aucun sens sans le chant. Riquiqui tente de chanter «Shaking All Over», alors Stuart se lance avec «I Saw Her Standing There» - Dans nos têtes on se voyait au croisement parfait de Doctor Feelgood et de Kilburn & The High Roads, mais sans chanteur - Ils grattent tous leurs cuts en mi jusqu’au moment où Stuart gueule «That’ll do» et c’est fini. Ils essayent un chanteur qui se prend pour Roger Daltrey, mais comme ils ne peuvent pas le supporter, ils se débarrassent de lui aussi sec. Alors Riquiqui prend le chant. Partout où ils passent, le public les hait, mais des kids commencent à le suivre. Riquiqui clame haut et fort son dégoût de Genesis, d’ELP, de Yes, de Gentle Giant, de Tangerine Dream, de Supertramp et de Barclay James Harvest. Puis il commence à composer. Il pense que ça va marcher car les compositeurs ne courent pas les rues d’Hull. Les concerts d’Adis sont vite complets. Il voit les Damned et décrit la mauvaise ambiance dans le concert, l’animosité réciproque entre le groupe et le public. C’est aussi l’époque où il vénère Richard Hell, parce qu’il a composé «Love Comes In Spurts» et «Blank Generation». Puis il flashe sur une photo des Ramones. C’est là qu’il compose le fameux «Whole Wide World».

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             Il va chez Stiff au flanc et laisse une K7. Dave Robinson le rappelle sur le téléphone mural. Nick Lowe va produire l’enregistrement de «Whole Wide Word» au studio Pathway, à Islington. C’est là que Riquiqui allume ce gros prétentieux ce Costello qui dit qu’y est et qu’y est pas - Clever chap, but he’s got that wrong - He wasn’t there - Riquiqui a une bonne mémoire. Costello est venu à Pathway à la séance suivante - He looked very pleased with himself and so did his spectacles - Petit règlement de comptes. Riquiqui ajoute : «He was almost unpleantsantly ambitious.» Il est question  d’un projet commun, Wreckless Eric Meets DP, DP étant le nom de Costello à l’époque - I don’t think I would have enjoyed the experience - Comme ça au moins, c’est réglé.

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             Riquiqui nous chante les louanges de Pathway, un minuscule studio qui appartient au manager d’Arthur Brown. Ce sont les profits de «Fire» qui l’ont financé. C’est aussi là que les Damned ont enregistré «New Rose». Riquiqui se marre : en 1968, il était dingue de «Fire» et il se retrouve 8 ans plus tard dans l’endroit où «Fire» fut enregistré. Il ajoute que Stiff loue Pathway parce que c’est pas cher. Pas cher parce que c’est un 8 pistes, alors qu’ailleurs tout est en 16 pistes et même en 24 pistes. Riquiqui adore le son de Pathway et des premiers singles Stiff. Pour lui, c’est la référence absolue. Il indique que Pathway est devenu the hippest studio in the country - It was like Muscle Shoals - a complete dump but everybody wanted to record there - Quand il demande à Nick Lowe comment ça se fait que «Whole Wide World» sonne si bien, Lowe lui dit qu’il applique la méthode Velvet - il ne fait rien, it’s all down to you - you sang it - Pour Riquiqui, ça prend tout son sens : le Velvet ! À sa grande surprise, «Whole Wide World» casse la baraque, même sur Radio One. Puis c’est le Stiff Tour, avec Nick Lowe, Larry Wallis, Costello et deux «congenital eccentrics», Ian Dury et Riquiqui. Ian Dury porte le manteau de sa mère et Riquiqui s’est fait faire le costume d’idiot du village qu’on voit sur le poster de promo. Signé sur Stiff, Riquiqui reçoit 50 £ par semaine. Il peut se payer des bouteilles de gin et de vodka - Quelque chose avait changé. Nous n’étions plus une petite entreprise familiale avec des fringues rococo et de la homemade music. Le music biz avait fait irruption là-dedans et dévasté ce qu’on appelait our good little bohemian thing.

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             Fantastique portrait de Ian Dury. Les deux font bien la paire. C’est le cœur battant du book. Quand Riquiqui est à l’hosto pour un big nervous breakdown, Ian Dury vient le voir - I loved Ian for that - Ian vient avec sa mère et le roadie géant Sulphate Strangler. Ils vont faire un tour tous les quatre dans le jardin de l’hosto et Ian dit à Riquiqui qu’il avait vu arriver le breakdown - ‘Je l’ai su quand j’ai vu que tu avais perdu l’estime que tu avais de toi’, a-t-il dit, ‘parce que c’est arrivé au moment où j’ai arrêté de m’aimer moi-même.’ Il m’a dit de veiller sur mon talent et mon talent veillerait alors sur moi. Je n’ai jamais oublié ce conseil. Il avait parfaitement raison. Ian avait toujours raison à la fin. Il me manque terriblement - Quand la tornade Stiff s’est arrêtée, Riquiqui s’est cassé en mille morceaux.

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             Riquiqui n’est pas tendre avec Stiff. Pour son deuxième album, Dave Robinson décide que Riquiqui ne sait ni composer ni jouer. Il fait appel à quelqu’un d’autre. Comme Riquiqui pense que ses cuts sont bons, il est surpris. Stiff ne raisonne qu’en termes de hit singles. Riquiqui est toujours salarié : 50 £ par semaine, mais zéro royalties. Les seuls chèques qu’il reçoit sont ceux des droits d’auteur. Dave Robinson fait appel au team Fairweather Page, des mecs qui écoutent Boz Scaggs et Steely Dan. Pas franchement le secteur de Riquiqui qui préfère aller boire des coups au pub. Puis il découvre que la presse anglaise ne le supporte plus, on le surnomme «Stiff’s loveable small person» et le NME le taxe de «belligerent alcoholic dwarf». À Noël, il reçoit un prix spécial : «the dead but won’t lie down award».

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             Quand l’Eric et rac va trouver Dave Robinson pour lui demander de rompre son contrat et de lui rendre sa liberté pour reprendre des études et devenir prof, Robinson ne le croit pas. En 4 ans, Riquiqui a reçu zéro royalties de Stiff et Robinson lui annonce qu’il doit 90 000 £ à Stiff - If you’d care to pop a cheque in the post - Voilà la violence du music biz. Même Stiff fonctionne comme ça. Riquiqui ne sait évidemment pas d’où sort cette dette. Tous ses enregistrements n’ont rien coûté, «the musicians were paid a pitance and I was paid fuck all.» Quand il remplissait les salles de concert, il n’a jamais vu l’ombre du moindre penny - I never even saw a contract - Tout à la confiance. Quelle erreur ! Riquiqui ne pensait qu’au fun, à ses pintes de bière, son couple of large gin & tonic, à choper un mec bossant pour une record company pour l’insulter, «avant d’aller vomir outside Dingwalls and walking home in the rain.» Dans un Melody Maker de 1977, Allan Jones avait comparé Riquiqui à Syd Barrett.

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             L’Eric et rac est aussi le roi de l’auto-dérision - J’étais assis là, petit et gras, overweight but otherwise unsignificant, getting slaughtered on five pints of Bass. I was the cunt in the Worthington E advert - only here for the beer - a fuckwit that wanted to be Jack the Lad and couldn’t make it, et c’était ma façon de me conformer à la norme - C’est assez déchirant de voir un mec se faire aussi peu de cadeaux. Il est ric et rac à un point qu’on a du mal à imaginer. Du coup, il devient incroyablement attachant. Quand il va mal, il va mal. En plus, il traverse l’époque la plus pourrie de tous les temps du rock : «Duran Duran était le nouveau gros truc. Dans le pop world tout n’était que jeunesse, vitalité, argent et succès, tout ce que je n’avais plus. Je commençais même à me sentir désolé pour moi-même.» Il frise le Ray Davies.

             Et puis un jour Billy Bragg lui passe un coup de fil. Il veut inviter l’Eric et rac sur scène. Le gig a du succès. Le NME chante les louanges de Riquiqui. Et c’est reparti mon Riquiqui ! - The spell was finally broken - Il décroche même un contrat sur Go Discs.

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             En 1985, il monte The Captains Of Industry avec Norman Watt-Roy et enregistre A Roomful Of Monkeys. Comme Watt-Roy est le bassman génial que l’on sait, pas étonnant que «The Lucky Ones» soit un petit chef-d’œuvre de bassmatic. Captain Watt-Roy amène tout le caoutchouc du monde dans le Roomful. Fabuleux voyageur du manche ! Il bassmatique dans l’espace ! L’autre gros cut de l’album se trouve en B : «Lady Of The Manor», presque glam, Riquiqui s’enflamme au coin du couplet, il peut aller glammer dans les étoiles, pas de problème. On saluera aussi la pop bien épaisse d’«Our Neck Of The Woods», avec un Watt-Roy émérite qui nage à contre-courant. Tant qu’on y est, saluons aussi «Julie», petit précipité de pop anglaise bien rembourré du popotin par un beurre sec et des nappes d’orgue. Le palpitant power-popper «Lifetime» qu’on trouve en B frise un peu le Simple Minds, ce qui n’est pas un compliment. Force est d’admettre que le «Playtime Is Over» qui boucle la B des cochons est une très belle tranche de power pop. Riquiqui a du répondant, il arrache la reconnaissance de haute lutte et finit par balayer tous les a priori.

             Hélas, l’album ne marche pas. Gros flop. Nobody liked it. Il voulait l’enregistrer à Pathway, mais le son imposé par Go Discs était trop sophistiqué. Puis Go Discs en a marre de Riquiqui, ça tombe bien, car Riquiqui en a marre de Go Discs. Allez, hop, on jerke ! - It was time to jack it all in and get a job.

             Et puis t’as cet humour anglais, le pire de tous. Petit, Riquiqui s’ennuie à l’école. «Les instituteurs dirent à mes parents que je les regardais sans les voir. Il était impossible de communiquer avec moi. Alors ils ont cru que j’avais la vue basse et ils m’ont emmené voir un ophtalmo. Ce fut mon pire cauchemar. Je devais porter des lunettes.» Et puis t’as tout le passage avec Grandma in Oldham qui vient parfois séjourner chez les Goulden. C’est assez hilarant. Du Dickens cosmique. Une nuit, Riquiqui rentre à la maison rond comme une queue de pelle et c’est Grandma from Oldham, qui, au moment où elle allait se coucher, vient ouvrir la porte - Elle a ouvert la bouche pour faire des remontrances à son petit-fils dissolu. I threw up all over the pac-a-mac. Pendant la fin de son séjour elle a gardé ses distances avec moi. I never saw Grandma from Oldham again - Fantastique !

    Signé : Cazengler, Wrecked Ethic

    Eric Goulden. A Dysfunctional Success. The Wreckless Eric Manual (Written By The Author). Do-Not Press Limited 2024

    Captains Of Industry. A Roomful Of Monkeys. Go! Discs 1985

    Len Bright Combo By The Len Bright Combo. Empire Records 1986

    Len Bright Combo. Combo Time. Ambassador 1986

    An Audiance With Wreckless Eric. Uncut # 319 - December 2023

    Nick Dalton : Reic idol. Record Collector # 552 - Christmas 2023

     

     

    L’avenir du rock

     - LeBlanc seing

             Chaque année, à l’automne, l’avenir du rock se rend à la foire au Dylanex qui se tient à la campagne, une sorte de foire aux bestiaux un peu plus évoluée, dirons-nous. Il s’en émoustille toujours d’avance. Il entre et tombe aussitôt sur le stand I’m Not There de Jack Rollins et Alice Fabian :

             — Oh mais je vous reconnais ! N’êtes-vous pas l’early Dylan de Greenwich Village, the troubadour of conscience ?

             Alors, Alice qui fait sa Baez, lance :

             — Ooouuh yeah ! Jack vient d’arrêter le protest, car il a compris qu’on ne pouvait pas changer le monde avec une chanson.

             Et Jack d’ajouter :

             — I’m not a poet ! Call me trapezist !

             L’avenir du rock ne peut résister à l’envie de contrepéter :

             — With a zest of zizist, izn’t it ?

             Ce qui ne les fait pas rire. Mais on n’est pas là pour rire. L’avenir du rock continue d’avancer dans les allées et il tombe soudain sur le stand d’un lookalike de Dylan 65, frisé de frais, portant une chemise psychédélique, une petite veste boléro de cosmic cowboy, et des santiags. Il vend son disk. Dessus, c’est marqué Lopez, et l’illustration de pochette est du pur Dylan psyché des posters de 1966.

             — You look like a lookalike ! Where you flom ?

             Le lookalike sort sa plus belle mine renfrognée et répond d’un ton peu aimable :

             — Tucson. Arizona. Scorpions.

             L’avenir du rock réalise qu’il a devant lui un joli prototype de portugais acariâtre, et qu’il ne pourra rien en tirer. Alors il lui dit, sur l’air de «Ballad Of A Thin Man» :

             — Something’s happening in there but/ You don’t know what it is/ Do you Mr Lopez ?

             Un peu échaudé par tous ces retours de manivelles, l’avenir du rock songe à prendre la fuite. Ça ne vole pas bien haut dans cette foire au Dylanex. En se rapprochant de la sortie, il tombe sur le stand de Dylan LeBlanc. Ce caballero chétif porte lui aussi une veste boléro de cosmic cowboy et un magnifique chapeau à larges bords. Des mèches de longs cheveux filasses encadrent un visage de métis indien mangé par la barbe. Son allure pickenpahienne plaît infiniment à l’avenir du rock qui, d’instinct, l’adopte sur le champ.

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             Dylan LeBlanc appartient à cette scène dite de la nouvelle Americana, un genre dont on croyait avoir fait le tour depuis longtemps. Son nom inspirait donc une légitime méfiance, jusqu’au moment où t’es tombé sur cette photo, celle d’une jeune LeBlanc assis avec sa gratte, l’air un peu indien, et comme tout droit sorti du Dead Man de Jim Jarmush.

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             Quand tu écoutes l’un de ses disks, Dylan LeBlanc semble tout timoré, il annone son Americana d’une voix chétive, et tu t’attends à chaque instant à ce que son petit biz s’écroule comme un château de cartes. Or, son petit biz ne s’écroule jamais. Chaque cut ne tient qu’à un fil, le vieux fil à la patte du caméléon. Prenons l’exemple de «Dust» sur Coyote : le petit Dylan y raffine un son très pur, il travaille en orfèvre, il crée soigneusement son monde, sans faire de vagues, et il finit par te transporter. Tu sentirais presque ton cœur battre, comme lorsque tu vis un moment de bonheur. Tu réédites plus loin l’expérience avec «Strange Things», un nouveau shoot d’heavy pop mélodique, et là tu goûtes à la vraie ampleur de la clameur, à la vraie préciosité de l’étai, au vrai diapason du filigrane.

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    Mais sur scène, «Dust» et «Strange Thing» sont comme démultipliés, démesurément développés, dévergondés, exportés, le petit Dylan donne des ailes à cette pop américaine qui du coup devient grandiose, à l’échelle d’un horizon en feu, il atteint ce power extrême qu’atteignirent avant lui les géants de l’Americana mélodique, Mercury Rev ou encore Gene Clark. On pense aussi bien sûr au «Brass Buttons» de Gram Parsons. Le petit Dylan se rassemble tout entier sous le micro et distille un fantastique miel d’Americana plaintive, la veine qu’a exploité Neil Young pendant toute sa vie.

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    L’art du Blanc seing prend vite des proportions qui, si on se laissait aller aux pentes habituelles, dépasseraient vite l’entendement, alors on laisse filer les choses et les idées, on laisse filer l’entendement et le dépassement, pour ne plus goûter que la pulpe de ce «Dust» qui semble exploser le firmament de l’instant.

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    Le petit Dylan est extrêmement bien accompagné. Au fond là-bas, le bassman qui ne ressemble à rien joue du doigt comme un crack du groove de jazz, de l’autre côté, tapi dans l’ombre, un petit mec en black shades pianote sur un organ riquiqui, et à côté de lui, un gros balèze en casquette et chemise à carreaux gratte sur sa SG les dentelles du diable, des accords majeurs dont il égrène savamment les notes,

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    il ornemente à l’infini l’extravagant miel d’Americana que distille le petit Dylan, et ça prend des proportions qui dépassent tellement l’entendement que celui-ci, vexé, se crispe, il se froisse comme un papier de soie offusqué, il se hérisse, oui, l’entendement peut se hérisser, pas de problème, comme un chat qu’on agresse, et pendant ce temps, pendant que se déroulent tous ces événements immatériaux, le petit Dylan cultive les minutes de sable mémorial et inscrit la beauté au palmarès de l’allégresse. Ils attaquent leur set avec l’infiniment délectable «Dark Waters» de Coyote et entrent aussitôt en ville conquise. Le son est plein comme un œuf, plus rien à voir avec le disk. En fin de set, ils tapent aussi une version explosive du morceau titre de Renegade, pour revenir en rappel avec une version acou d’«Honor Among Thieves» et finir avec l’éhonté «Cautionary Tale» tiré de l’album du même nom. Une façon comme une autre de jouer avec le feu.

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             La première chose que tu fais en rentrant au bercail est de ré-écouter Coyote. Une première écoute t’avait laissé rêveur. Seulement rêveur. Et comme te voilà transporté par la presta scénique, tu veux vérifier si cette coquine de première impression peut évoluer. Comparé au brouet scénique, l’album paraît chétif, timoré. Le «Coyote» d’ouverture de bal ne vaut pas celui de Joni Mitchell, LeBlanc seing groove comme un freluquet avec une approche tactile, très fine et délicate, très déliée, et on soupçonne un soupçon de power au fond de sa calebasse de caballero. En studio, «Dust» sonne comme une Beautiful Song, ce joli mid-tempo brille par son ambiance lumineuse et sa pureté mélodique, LeBlanc seing sait pousser des petites pointes adorables, il chante d’une voix innocente, et laisse une forte impression de déjà vu. Et quand arrive le solo pur, tu te sais conquis. Il réédite l’exploit avec «Strange Things», monté sur une mélodie foncièrement descendante. Tu sens le côté cut d’airain, le côté cachet antique, avec une vraie ampleur de la clameur, une vraie préciosité de l’étai, un vrai diapason du filigrane. Ils tape en plein Neil Young avec «Hate», il te sertit de joyau vite fait sur sa couronne. Cette épaisseur de ton finit par te fasciner. On retrouve la veine Neil Young dans «Closin’ In», même poids dans la balance, fantastique qualité du ressac, il nargue bien sa muse. Avec «Dark Waters», il se rapproche de Midlake. Le batteur vole le show sur «Forgotten Things», il te bat ça au fouette cocher. LeBlanc seing donne du vent dans ses voiles, il avance bien sur l’océan. «No Promises Broken» sonne comme l’un de ces gros mid-tempos américains taillés pour la scène, mais assez ordinaires en studio. Puis l’album va finir par s’étioler en frisant l’Hotel California, et ça va même devenir putassier avec «The Crowd Goes Wild». Attention, LeBlanc seing peut aussi jouer avec le feu. On devra donc le tenir à l’œil.

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             Tu pourrais croiser quelques belles énormités sur Renegade, si l’envie te prenait de l’écouter. T’en as au moins trois, «Bang Bang Bang», «I See It In Your Eyes» et «Damned». Son power reste indéniable, c’est un power merveilleux, traversé par des courants. Il crée un peu de magie dans le stone cold face/ High hearted laugh d’ouverture de «I See It In Your Eyes», comme s’il fondait la pop dans le son. Il déploie ses ailes avec un solo d’éclat majeur. Et on retrouve cette ampleur de la clameur dans «Damned». LeBlanc seing attaque toujours au petit chant d’invective, comme s’il voulait tutoyer les dieux du rock. Il a ce pouvoir, il a de l’élan et sait créer de la tension. Ce petit être lumineux aime bien les dégelées de clairette royale. Il s’affirme avec un talent certain. Ce que vient confirmer l’excellentissime «Lone Rider». Tu t’imbibes de Blanc seing.      

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             Le premier album du Blanc seing s’appelle Pauper’s Field. Tu ne vas pas te relever la nuit pour l’écouter. LeBlanc seing se contente de poser les bases de son système : il se montre élégiaque et travaille sa plainte, en déliant une orchestration délicate. Tu sens que c’est du grand art. Et tu attends l’étincelle. Ses jolis mid-tempos réclament ta confiance. Alors tu la leur accordes. Ce ne sont pas des hits, mais les ambiances te parlent. LeBlanc seing traîne dans un heavy mood, ce qu’on pourrait appeler une mélancolie de la frontière. On voit bien qu’il dort avec son six coups. La country d’«Emma Hartley» s’étend jusqu’à l’horizon. LeBlanc seing ne s’embarrasse pas avec les détails. Ça ne l’intéresse pas. Il peut t’arriver de perdre patience quand tu écoutes «Ain’t Too Good At Losing», c’est le risque que tu cours avec ce genre de son. LeBlanc seing cherche sa voie et il lui arrive de se perdre, alors tu perds ton temps. L’étincelle s’appelle «5th Avenue Bar», un country cut superbe troussé à la hussarde texane. Beau beat à l’air + banjo. Et puis t’as ce «Coyote Creek» bien traîné de la savate, très tex-mex, très El Paso, très écrasé de torpeur. Là, oui. 

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             Cast The Same Old Shadow est un album étrange. T’as du mal à entrer dedans. LeBlanc seing se traîne dans son son. T’aimes bien l’idée du métis indien, même s’il n’a rien d’un métis indien. Il attaque toujours ses cuts d’une petite voix faible. Une voix qui s’apparente à la flamme dansante et fragile d’une chandelle. Avec «Brother», il s’agite doucement. Il envoie des petites giclées d’ampleur et finit par monter son Brother en neige. LeBlanc seing est totalement ouvert sur le monde, comme le montre encore «Diamonds & Pearls». Il donne à sa country une dimension universaliste, il cultive une vraie dramaturgie de la frontière. Il maîtrise divinement bien les ambiances. «Chesapeake Lane» est aussi d’une grande élégance. Il cumule pas mal de pouvoirs : les compos, la présence, l’intensité, le goût de l’ampleur, comme le montre encore «The Ties That Bind». Avec «Comfort Me», il va chercher une pop perchée un peu tournoyante. Très belle originalité de ton. Le morceau titre est assez spacieux. Ça te prend un peu à la gorge. Mais pas trop. LeBlanc seing n’est pas homme à basculer dans l’outrance. Il opte pour une sorte de présence famélique. Il hante son «Lonesome Waltz» comme une âme en peine. C’est un Blanc seing évangélique à l’ancienne, l’un de ces prêcheur du bord de chemin, pas bien propre, jamais coiffé, abandonné à lui-même. 

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             Tu ne feras pas tes choux gras de Cautionary Tale. LeBlanc seing continue de se montrer insistant et propose une petite série de tartes à la crème, dont la plus réussie s’appelle «Beyond The Veil». Tout est assez intense, bien senti, mais pas d’hit. Comment veux-tu qu’il s’en sorte s’il n’a pas d’hits ? Il finit par te captiver à force d’intensité. Il y va à la plaintive aggravée. LeBlanc seing est en quelque sorte le Neil Young des temps modernes. Il reste fidèle à son éthique. 

    Signé : Cazengler, LeBlanc bec

    Dylan LeBlanc. Le 106. Rouen (76). 12 septembre 2024

    Dylan LeBlanc. Pauper’s Field. Rough Trade 2010 

    Dylan LeBlanc. Cast The Same Old Shadow. Rough Trade 2012 

    Dylan LeBlanc. Cautionary Tale. Single Lock Records 2016

    Dylan LeBlanc. Renegade. ATO Records 2019  

    Dylan LeBlanc. Coyote. ATO Records 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - Retransmis en Derek

             Il parlait avec un fort accent. Massif, pas très beau, voix grave, avec parfois des intonations de psychopathe slave. Derek était polonais. Il bricolait en France sur les chantiers, comme des tas de Polonais. Il valait mieux ne pas traîner dans ses parages lorsqu’il buvait un coup de trop, ce qui lui arrivait chaque jour, et pire encore les jours de paye. Il s’offrait une bouteille de Vodka et la descendait cul sec au goulot. Puis il rotait et explosait d’un rire gras qui faisait trembler les vitres des fenêtres. Rahhh-ha ha ha ! Il balançait une vanne en polonais, et ça ne devait pas être glorieux pour ses hôtes. Derek faisait partie de ce qu’on appelle les survivants. Il n’avait pas le choix. Dès l’aube, il était sur le chantier, avec ses grandes bottes en caoutchouc et un bleu de travail passé par-dessus son jean. «Cleuser là ?» Alors okay, il creusait. «Monter mul ?» Alors okay, il te montait les parpaings. «Glimper béton ?» Alors okay, il te grimpait les seaux de béton pour couler la chape. Derek était increvable, il chargeait ses seaux au maximum et les montait à l’échelle comme s’il montait des paniers de fruits, il arrivait au premier niveau, les vidait dans le coffrage et redescendait tranquillement en charger d’autres qu’il remontait, «glimper béton, ha ha ha», puis il entrait dans la grosse mare de béton liquide, floc floc, pour lisser la surface, il avait du béton jusqu’à mi-tibias, et il reculait en lissant, veillant à façonner une faible pente avec son grand lissoir. «Poser callelage ?» Alors okay, il posait tout le carrelage couleur chocolat, avec une précision stupéfiante, Derek savait tout faire, le gros œuvre, la plomberie, le carrelage, la charpente, «appli tout pétit», il avait grandi sur les chantiers polonais, à 5 ans, il montait des murs, c’était un bonheur que de le voir bosser, d’autant plus un bonheur qu’il était payé à coups de lance-pierres, comme tous les esclaves modernes. Le soir, il descendait son litre de pinard et allait coucher au panier. Il ne traînait pas avec les «poutains dé Flançais.» Comme il dormait dans le couloir juste à côté de la pièce commune, on l’entendait ronfler cinq minutes plus tard. Il ronflait du nez, rrrrraaa-pfffff, rrrrraaa-pfffff. Ça devait être le seul moment de son existence où il retrouvait la paix.

             On ne savait pas comment s’appelait Derek, vu qu’il ne bossait qu’au black, mais on sait comment s’appelle l’autre Derek, Derek Martin, qui lui aussi est une force de la nature. Il ne monte pas des parpaings, mais des hits de r’n’b. Dans les deux cas, c’est du solide.

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             Derek Martin est un habitué des bonnes compiles Northern Soul. Si tu flashes sur l’un de ses hits, alors tu peux rapatrier une caisse de dynamite qui s’appelle Take Me Like I Am. The Roulette Recordings, parue en 2007. Craque une allumette et boom !

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             Pour David Cole et Bob Fisher, Derek Martin est resté, malgré la qualité de ses hits, «a largely undocumented figure». Né à Detroit, il se retrouve dans la même classe que Little Willie John. Il chante dans un gospel choir avec Marvin Gaye, Dave Baby Cortez et des futurs Tempts.  Mais c’est à New York qu’il va faire carrière dans les early sixties, au seins des Pearls, puis des Top Notes. Comme Doc Pomus, il se retrouve sur scène avec Mickey Baker et King Curtis, et comme Doc, Derek fréquente Totor qui le prend à la bonne. Derek n’a que des bons souvenirs de Totor : «Il payait les hamburgers.» Ils enregistrent une première mouture de «Twist & Shout», mais ce sont les Isley Brothers qui vont rafler la mise avec leur version «plus directe». Derek est un peu sur Atlantic, puis il rencontre Teddy Randazzo  qui va devenir son producteur et son mentor. Randazzo est aussi le protecteur de Little Anthony & The Imperials, et là, on ne rigole plus. C’est là que commence la période Roulette Records.

             Et puis quand Derek en a eu marre du music biz, il est allé vivre au Canada, ensuite au Maroc, et il fini par s’installer en Suisse. Il reste Derek Martin, c’est-à-dire qu’il chante. Il indique dans les liners qu’il bosse sur trois projets : un album de gospel, un album de jazz et un album de Soul & funk. Mais il semble que les projets soient restés à l’état de projets.

             Tu entres dans cette compile comme dans le fameux lagon d’argent. Derek Martin chante d’une voix bien posée. Quelle classe ! Tu devine très vite qu’il va pleuvoir des hits ! Il fait des gros balladifs bien crémeux («I Won’t Cry Anymore», «Don’t Resist»), il chante d’une voix de crooner d’exception, mais il sait aussi taper le gros r’n’b orchestré, il y va au gotta dans «Breakaway», quel fabuleux pusher, il sait pousser à la roue ! Ce mec a le pouvoir de t’éclater le Sénégal. Ça commence à sentir bon le coup de génie avec «Baby What Changed Your Mind», il y va avec une merveilleuse sensation pop, il frétille du cul, il vaut tout Motown. Encore du power à gogo avec «We Have Lived Before», il chante face à l’océan, il y a une dimension hugolienne dans sa stature. Encore plus explosif : «What Greater Love», monté en neige par la prod. Invraisemblable ! Et ça continue avec «On A Magic Carpet Ride», il y va doucement, au ah ah, il chante du coin du menton et c’est assez dément. Il faut le voir à l’œuvre ! Encore un immense hit de heavy r’n’b avec «Grow Grow Grow», Derek est une bête, il remonte sa Soul au one more time, c’est un géant, il n’existe pas de r’n’b plus heavy que celui-là, allez, tant qu’on y est, n’ayons pas peur des grands mots : Derek Martin est un dieu du r’n’b, «Flashback» en est la preuve. Il drive encore «Hold Up» au power pur. Tout est bien sur cette compile. Il fait encore un malheur avec «When There’s Smoke, There’s Fire». Derek le crack te tartine encore un slowah des familles, «You Blew It Baby». Heavy et beau comme un cœur. On le voit plus loin danser avec sa Soul dans «Your Love Made A Man Out Of Me», il y va au til I found out. Fucking genius, dirait un commentateur en panne de vocabulaire.  

    Signé : Cazengler, l’âne Martin

    Derek Martin. Take Me Like I Am. The Roulette Recordings. Stateside 2007

     

     

    Nuits de Shin(dig!)

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             Quand tu t’assois dans ton fauteuil pour feuilleter le Shindig! # 150, tu entres tout simplement au paradis de l’enfer. L’enfer, car les Shindigers rappellent des tas d’albums à ton bon souvenir, et le paradis, car ce ne sont que des albums qui valent cent fois le rapatriement. Alors tu rapatries comme un bête ceux qui ne sont pas déjà installés dans ton étagère.

             Les Shindigers voulaient célébrer dignement leur # 150. On peut bien dire que c’est une réussite. Encore pire que le Shindig! # 50 qui fut historique à bien des égards. Cette fois, ils proposent un choix de 30 albums sur 30 ans, un par an, alors, en comité restreint, on en a choisi dix pour en parler.

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             L’album qu’ils ont retenu de l’an 1995 est le Bargain des Aardvarks - London’s Prime purveyors of ‘60s Freakbeat/psych pop - Rien de plus anglais que le son de cet album. Tiens, prends «Girl On A Bike» et te voilà dans le big time de la perfide Albion. Puissant, délicat et oh so British. Mod & Syd ! Incroyable qualité de la pureté. Pareil avec «Merry Go Round», en plein dans l’heavy psych-out des Small Faces. Ça craque bien sous la dent. Ils te claquent un hymne Mod avec «Fly My Plane», Off you go ! Heavy riffing Moddish. Quelle trempe ! Là, t’as les Who et les Small Faces. Tu retrouves les chœurs des Who dans «Office N° 1». Chant Carnaby, baby. Nouveau coup de génie Brit avec «When The Morning Comes», solo liquide pris dans l’étau des Brit chords. Et puisqu’on parle du loup, le voilà : «50 Hertz Man», tapé avec l’énergie des Who. C’est explosif, ça joue au bouchon, mastoc as hell. Ils ont tous les plans whoish : éclats de réverb, chœurs bouchés, et wild-as-fuck outrancier.

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             Pour 1996, Jon Mojo Mills et Andy Morten retiennent This Is… The Mystreated - ‘60s garage folk-rock and psych - un mini-album enregistré chez Liam Watson à Toe Rag, qui démarre sur un «Be In Control (Or Being Controlled)» digne des Small Faces. Même clameur d’Universal Face et solo flash, killer comme pas deux. En B, ils tapent une belle pop anglaise de freakout avec «Scene & Herd», battue à la diable par Mole, qu’on va retrouver plus tard dans Galileo 7, et puis voilà «Until Tomorrow», bien secoué du cocotier, full blown de big British freakout !

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             En 1997, ils choisissent les Cybermen et leur album Strange And Cruel. Bref rappel pour indiquer que ces Cybermen ont été élevés au son des Medway bands - ‘60s beat à la early Beatles and Kinks - ça se sent en effet dès «If You’re Ever Gonna Say Goodbye», on croit entendre les Beatles au Star Club d’Hambourg ! Fantastique énergie. On la retrouve dans «She’s Having A Baby», on se régale de la bassline. Ils sont aussi capables de Mod craze comme le montre l’impavide «(You Say) I Want You». Ils dégagent de la vapeur Mod ! Puis ils sonnent comme les Who avec «Snake Eyed Suzy». C’est dévastateur et même mille fois pire que les Who. Quel power trio ! «Back Again Tomorrow» grouille de killer guitars, et même si la B est un peu plus faible, on se repaît encore de «Weston Rhyn», wild as super fuck, et de «The Man With A Troubled Mind», qui n’est pas le Troubled Mind de Billy Childish, mais c’est pas loin. Quelle disto !

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             En 1998, ils retiennent l’album sans titre de Bronco Bullfrog dont on a dit le plus grand  bien quelque part Inside The Goldmine, et nous voilà donc en 1999 avec The Greenhornes et Gun For You, devenu introuvable. Alors va pour l’album sans titre qui suit, The Greenhornes. Le groupe de Brian Olive basé dans l’Ohio s’est taillé une belle réputation gaga-Midwest, en se rapprochant notamment des Animals. Pour preuve, leur version d’«Inside Looking Out», ils sont dessus, ooouh baby, ils savent faire monter la marée et faire le Burdon, my reaper ! My reaper yeah ! Ils ont en plus un cut qui est le sosie d’«Inside Looking Out» : «Shame & Misery», même attaque avec la petite montée en température, exactement le même plan, avec le refrain sur les accords de «Gloria». Tiens, puisqu’on parle de Gloria, t’as le «Can’t Stand It» d’ouverture de bal qui est une sorte de Gloria en Amérique. C’est du gros bétail. Quel barouf ! C’est aussi révolutionnaire que le fut Gloria en son temps, la voix en moins, bien sûr. Power toujours avec «Shadow Of Grief». Ces Greenhornes sont bien décidés à en découdre. L’autre cover de choc est l’«High Time Baby» du Spencer Davis Group. Fantastique hommage à l’un des fleurons du British Beat, et le petit gros passe un solo d’orgue assez exemplaire. Ils sortent la fuzz pour «Lies» et t’explosent le gaga vite fait. Ils restent dans l’heavy gaga Soul sixties avec «Nobody Loves You». Ils n’en démordront pas. Ils sonnent comme Mitch Ryder, c’est très noyé d’orgue.

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             Alors on saute en l’an 2000 avec The Strollers et Captain of My Ship - Mathias Lilja undoubtly one of the genre’s all time great vocalists. Fact - Morten & Mills en pincent pour les Suédois et ils ont raison car la messe est dite dès «There Aint’ No Cheatin’». Ils tapent ça au son de no way out, il flirtent avec le protozozo à coups d’I told you baby ! C’est à la fois les Stooges et Blue Cheer, monté en neige au max du mix, avec un final wild as super fuck à la Pretties. Et ça continue avec «Tears In My Eyes». Ils ratiboisent tout le rock. Tu te demandes comment t’as fait pour passer à côté des Strollers. Bon, ils font aussi du petit gaga d’orgua et ça baisse de niveau. Il faut attendre la belle intro classique de «Don’t Try To Change Me», pour re-frétiller. Ah ils savent te monter un heavy sludge en neige. C’est du raw to the bone pur, sans pitié. Final grandiose. Mathias Lilja est un crack. Leur «Fire» n’est pas celui d’Hendrix. Le dernier coup de génie de l’album s’appelle «Never Coming Back». Grosse intro, bien amené aux petits accords et battu comme plâtre. Ils te stompent ça dans le crâne. Ils te pulsent l’I’m never coming back à l’ultimate. Ils terminent avec un «Captain Of My Ship» gorgé d’orgue et très Music Machine.

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             C’est l’excellent Behind The Music des Soundtrack Of Our Lives qui est retenu pour 2001, déjà célébré ici même, puis on saute à 2004 avec The Uncle Devil Show et A Terrible Beauty. La pochette est un remake de celle des Strangeloves. Morten & Wills nous révèlent que The Uncle Devil Show est monté par Justin Currie de Del Amitri. Il s’agit bien sûr d’un chef-d’œuvre pop, et ça démarre avec l’affolant «Leonardo’s Bicycle». Ces trois mecs, Justin Currie, Jim et Kevin McDermoth sont des Écossais : prod extraordinaire. Morten dit que l’album grouille de profanities. Ils tapent «Plus Ça Change» en français - Plus ça change/ Plus c’est la même chose - On se croirait sur un album des Byrds. Nouveau coup de génie avec le miel pop d’«Angie Baby» et ils sonnent comme Teenage Fanclub avec «She Cuts Her Own Fringe». On croirait entendre chanter John Lennon dans «Sidelong Glances Of A Pigeon Kicker», même enchantement, mêmes accents tranchants, on est en plein dans Revolver. Encore de la pop de résonance inter-galactique avec «When Raymond Comes Around». C’est étincelant de qualité, les vagues de chœurs sont même alarmantes. Et ça se termine avec «I Had A Drink About You Last Night». Franchement, tu n’en reviens pas d’écouter un album de cette qualité - But today I just mind - Le cut s’accroche à toi comme la moule à son rocher. C’est une pop de puissance pénultième, le chant perce un tunnel sous le Mont Blanc, ses ooohhh sont tellement puissants. Il n’en finit plus de répéter I never lost a fight/ But today I just mind

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             Le lauréat de 2005 est l’album sans titre de The Eighteenth Day Of May. Malgré une ferveur certaine et un soleil intérieur, malgré une immense musicalité et un son glandulaire, ça reste du hippie sound. La chanteuse s’appelle Alison Brice, on fait des efforts pour la supporter. Ces gens-là ont tellement de son ! Mais ça reste du folk anglais. Du folk généreux, celui qui te court assez vite sur l’haricot. Mais on comprend que ça puisse plaire aux Shindigers. Sur «Deed I Do», elle est assez Mazzy Star. Elle sait imiter quand il le faut. Elle est encore bonne sur «Cold Early Morning». Mais le reste bascule dans la folkette de folkah. Elle chante encore comme l’Airplane sur «The Waterman’s Song To His Daughter», ce qui nous fait une belle jambe.

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             The Magnificent Brotherhood décroche la palme de 2008 avec son album sans titre. Morten et Mills les qualifient de garage-psych et comparent ces Berlinois à Quicksilver. Merci Shindig! pour cette découverte, car quel album ! Il faut entendre la fin de «Better Hurry» et ce wild killer solo flash à rallonges du guitar God Kiryl Drewinski ! Ce mec a du génie et un son d’une clarté absolue. Dès «Cracker», on se croirait sur Nuggets. Pur jus de Silver Sixties. «Gun On Run» crépite de bassmatic à dos rond : il s’appelle Jan Rohrbach et il prend le lead du Gun. Mais le roi du brotherhood, c’est Kiryl Drewinski. Il claque son premier killer solo flash dans «Lifetime». Ces Berlinois sont d’épouvantables cakes. «Mindgarage» sonne comme une danse du ventre gaga. Ça balance vite fait. Ils savent amener un  hit. Tu assistes à une séquence de clap-hands avec un solo d’intermezzo qui te laisse coi, Kiryl Drewinski dégouline de génie, et derrière lui, le bassmatic se barre en vrille d’excelsior épileptique. Quelle classe et quelle brioche ! Ils bourrent leur génie de panache. Sans les mecs de Shindig!, t’as aucune chance de choper cet album. Encore une merveille : «Old Tattoo». Totally wired out. Ils font les Sonics. Impact fondamental. Extrême blow out ! Ces mecs ont des poumons d’acier. Garage-psych sauvage. Un vrai carnage !

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             2009 voit la consécration Shindigienne de White Denim avec Fits. Pour Morten & Mills, ce trio d’Austin va plus loin que le gaga - Borrowing from funk, jazz, hardcore, psychedelic, prog, heavy rock... you name it - Les compères de Shindig! parlent d’incendiary stuff. Alors on écoute. C’est vrai qu’ils attaquent au rentre-dedans, avec une gosse basse métallique. Les poux arrivent par derrière. C’est très bordélique, voire avant-gardiste de zyva et reviens pas. Avec «All Consolation», zyvont à la clameur dévastatrice. Comme ça au moins, pas besoin de discuter. Puis ils passent à l’assaut post-punk frontal dans «Say What You Want», avec de la cocote anglaise à John Du Cann, mais sans l’Atomic. L’ensemble reste cependant trop foutraque. Au fil des cut, ils perdent un peu les pédales, ils basculent dans le gros n’importe quoi d’étalon fou, ça vire prog texan sans queue ni tête. Il faut attendre «Mirrored & Reverse» pour renouer avec le fast groove déterminé à vaincre. Ils savent rôder dans l’ombre. C’est très anglais, quasi-Soft Machine. Même énergie ! Puis l’album décolle enfin avec un «Paint Yourself» gratté à coups d’acou, et ça vire groove de jazz. Là t’applaudis des deux mains. «I’d Hate It’s Just The Way We Were» ? Foutraque mais beau, c’est même très challengé, très tourneboulé par un chant à la Midlake. Il règne aussi sur «Everybody Somebody» un violent parfum de modernité, et derrière le chant, t’as un sidérant guitar slinging et un bassmatic héroïque. Et ça continue de patauger dans la modernité avec «Regina Holding Hands». C’est flamboyant. Ils se fondent dans la Bossa d’une Nova texane. Stupéfiante aventure ! Ils bouclent avec «Syncn», très Midlake dans l’esprit. Ces mecs sont des démons. Ils explorent la pop par tous les orifices. Après Midlake, les White Denim sont la nouvelle force du Texas. 

             Puis c’est le bal des têtes connues, toutes célébrées ici même : Admiral Sir Cloudesly Shovell (lauréat 2012 avec Don’t Hear It Feat It), Hidden Masters (lauréat 2013 avec Of This And Other Words), Temples (lauréat 2014 avec l’excellent Sun Structures), GospelbeacH (lauréat 2017 avec Another Summer Of Love), Drugdealer (lauréat 2019 avec Raw Honey), The Soundcarriers (lauréat 2022 avec Wilds) et les Lemon Twigs (lauréat 2023 avec Everything Harmony).

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             Pour 2021, le lauréat est un duo nommé Kit Sebastian, avec Melodi. Morten et Mills sont bien d’accord : avec Melodi, on s’éloigne dangereusement du garage et du psych des années 90 et on s’enfonce dans quelque chose de plus ésotérique, et comme c’est un duo anglo-turc, ça donne de l’«Anatolian avec des éclairs de French chanson et jazzy ‘60 s pop». Le problème, c’est que l’album n’est pas bon. Pas de quoi casser le patati du patata. L’Anatoliennne est même assez pénible. Tout le monde n’est pas Tracyanne Campbell. Le duo cherche un passage vers la grandeur pop. Ils risquent de chercher longtemps. Cette pop est beaucoup trop sophistiquée. Le seul cut qu’on sauve s’appelle «Elegy For Love», un cut d’anticipation urbaine. C’est la voix qui pose problème. Ils essayent de faire du Gainsbarre orientalisant avec «Ahenk», et elle finit par ramener une sorte de petit sucre impénitent dans «Please Don’t Take This Badly».

    Signé : Cazengler, Shinglé

    The Aadvarks. Bargain. Delirium Records 1995

    The Mystreated. This Is… The Mystreated. Twist Records 1996

    The Cybermen. Strange And Cruel. Alopecia Records 1997

    The Greenhornes. The Greenhornes. Telstar Records 2001

    The Strollers. Captain of My Ship. Low Impact Records 2000 

    The Uncle Devil Show. A Terrible Beauty. Compass Records 2004

    The Eighteenth Day Of May. The Eighteenth Day Of May. Hannibal Records 2005

    The Magnificent Brotherhood. The Magnificent Brotherhood.  Magnificent Music 2008

    White Denim. Fits. Full Time Hobby 2009 

    Kit Sebastian. Melodi. Mr Bongo 2021

      

    *

    Un chroniqueur revient-il toujours sur les lieux de sa chronique comme l’assassin sur celui de son crime. Nous aurions dû écrire ‘’ A Suivre’’ à la fin de notre recension du premier opus The Light Scalping de Snaw paru en août 2024 dans notre livraison 659 de la semaine dernière, car le deuxième opus de Snaw est paru à peine trois semaines plus tard au mois de septembre. Cette concomitance éditoriale nous interroge. Voici donc, en quelque sorte la suite de notre chronique précédente.

    THE SKIN DANCER

    SNAW

    (YT – BC / Septembre 2024)

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    Je devais être un peu parano, en tout cas plein de déception, j’avais beaucoup aimé la couverture du premier album, mais la vue de la couve m’avait porté un coup au cœur, quoi après l’Old Crocken une représentation du Christ, le titre de l’album m’a rassuré, le post qui accompagnait la photo sur l’Instagram de Marc Potts m’a réconcilié avec l’Humanité. Un point technique pour commencer, acrylique sur panneau de bois, tout de suite mis en relation avec la peinture rupestre de nos lointains ancêtres, mieux encore la volonté magique de ces œuvres paléolithiques censées avoir une efficience sur le monde physique… Une espèce d’entrée propitiatoire avec le règne animal via la préhension et le don du sang versé tel un pacte cynégétique entre l’Homme et le Monde. Non pas une entente, mais une limite confinatoire à respecter et à transgresser. Enfin une dernière phrase, tempérée par une fausse désinvolture, qui regrette que notre époque ait remplacé l’érection de tout acte définitivement solitaire et hautement revendiqué, Mallarmé emploierait l’expression ‘’un coup de dés’’, par la duplication technologique…

    Martin Heidegger aborde ces thématiques, notamment celle du sens de nos actes dans ses écrits sur Hölderlin, mais ne nous éloignons point trop de Snaw, revenons-y par une formule lapidaire : sous la peau le sang et le sens. Rappelons toutefois que le dernier poème de Mallarmé est une scène de danse et de sang nuptial.

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    Une note de Snaw nous indique que le groupe s’inspire autant de sombres mythologies que des scènes d’horreur et de désolation inspirées par Cormac McCarthy.  Est-ce parce qu’il est né en 1933 à Providence, patrie providentielle de Lovecraft, que les premiers romans de McCarthy s’inscrivent dans une veine gothique. Rappelons que le rock’n’roll n’est qu’un énième musical et existentiel surgeon de la littérature gothique née en Grande-Bretagne. Veine que McCarthy délaissera plus tard pour se rapprocher d’une inspiration nettement plus américaine. Une Amérique toutefois mythique, celle du western. La modernité, McCarthy l’évoquera à sa manière dans son livre le plus connu, La Route roman postapocalyptique. Dans ces trois univers historialement différents, l’auteur développe une semblable vision très noire de la condition humaine. Violences, viols et crimes sont présentés comme les vecteurs de la communication humaine, à laquelle il faut rajouter un incoercible désir de vengeance. Un univers primal, dominations triviales, cruautés gratuites, engrenages sans but, les combats cessent faute de combattants mais nous sommes très loin des glorieux héros de Corneille. Rajoutons que les westerns de notre auteur sont à cheval sur la poreuse frontière qui sépare les Etats-Unis du Mexique. Il existe plusieurs sortes de frontières, celles aléatoires qui séparent deux territoires et celles opératoires qui détachent nos gestes de notre corps… Notre pensée de nos actes.

    Symboliquement nous mettons en correspondance le précédent paragraphe avec la haute figure de l’Apache Géronimo, ses actes de résistance et de combat perpétrées des deux côtés de la frontière mexico-états-unisiniennes. A croire que la littérature n’est qu’une face, voire une interface, exemplaire de la réalité du conjointement d’une chose à une autre. De la mythologie avec l’existence par exemple.

    Regardons la pochette, en arrière-plan, cette file de figures pariétales, d’animaux, devant le danseur, pourquoi pas une danseuse, tête inclinée, le crâne dégarni de cheveux, tout comme le sexe semble  dépourvu de pilosité, mais marqué d’une fente totémique, reprise tout le long de la poitrine jusqu’au bas du ventre, l’idée surgit d’une entaille scarificatrice effectuée à dessein pour lui arracher la peau, une espèce de symbolisation mimétique du traitement des bêtes dépouillées, les bras écartés redoublés par des branchages qui seraient comme imitation des bois de cerfs, au bas de l’œuvre des saillies de rouge, une espèce de feu de broussailles qui court, à moins que ce ne soit l’effigie bondissante du sang du sacrifice. Sur l’Instagram vous trouverez plusieurs œuvres de la même veine. Chacune exigerait un commentaire…

    Jon Vayla : guitar, synths, Bass, vocals (1-7) / Andrew Trevenen :
    vocals / Robin Stone : drums.

    Sand : un bruit qui vient de loin, une fuite intemporelle un grondement martelé par un Robinson au fer forgé, une espèce de grognement et la voix de Vayla, qui vient d’on ne sait où, de ses entrailles ou de celles du danseur, du sacrificateur qui se sacrifie lui-même pour parvenir à une connaissance inatteignable pour ceux nombreux qui ne sauront jamais. A slaved stalker : entrée monumentale batterie hachoir qui prend le relais, très vite partie dans une course éperdue, lourdes tentures synthétiques, essaient-elles de voiler en vain  les clameurs de Trevenem, ralentissement lourds, le temps de reprendre souffle et pensée, de se mettre en liaison avec Stalker, le film de Tarkovski, ce guide qui vous mène dans le lieu de tous les désirs par lequel vous pourriez effectuer un retour immémorial vers les origines préhistoriales, à moins que ne soit à la semblance du  blogue Stalker de Juan Asensio une espèce de dissection du cadavre de l’Homme ou de la Musique, d’où cette descente impavide, cet enfoncement obligatoire dans la matière sonique, Robinson frappe de toutes ses forces pour nous rappeler que dans  le vecteur d’une chose ce qui est important ce n’est pas la chose mais le vecteur en lui-même, qu’il vaut mieux s’attarder sur le doigt qui montre la lune noire que sur l’astre pallide de Pallas, l’épaisseur phonique s’opacifie, c’est désormais elle qui nous guide et le guide est davantage opératif que le lieu où il nous mène.

    The black plains : étendue déserte, nous sommes au terme du retour, le bruissement originel s’intensifie dans nos oreilles, Robinson marque nos pas dans cet espace illimité qui n’est peut-être pas l’espace mais juste l’espace conceptuel de l’espace, sommes-nous à l’intérieur ou à l’extérieur de nos même, vociférations exagérantes de Trevenen, veut-il nous avertir de quelque chose de grave, par exemple que nous sommes dans la zone d’une frontière inconnue. Que nous connaissons très bien. La musique est une drache qui dégouline sur nous comme si elle avait l’intention de nous laver de nos soupçons. The Bolling sea : tourbillons grondeurs, régularité de la sinuosité orbique du plus grand des vortex, des chœurs flottent sur les écumes supérieure, l’on perçoit des milliers de voix, comme si elles voulaient, chacune d’entre elles, nous adresser un message, au bout d’un crescendo wagnérien, nous pénétrons en une totalité inhabituelle, une espèce de calme luxuriant dans le concert concret de l’assourdissance de vagues qui s’abattent sur nous pour réaliser une fusion entre nous et la puissance de la nature élémentale. The skin dancer : frôlements, grincements, houles sonores tumultueuses, les hordes de Gengis Khan au galop dans les plaines incommensurables, mais il faut aller plus loin, descendre encore plus bas dans les déchirures au fond du monde, notre danse épouse le sens giratoire des invasions déclinatoire jusqu’au tréfonds des tribus et puis des groupes obscurs, nous remontons la pente au fur et à mesure que nous la descendons. La danse est notre offrande, notre manière à nous de saisir la rotondité du monde dans nos bras, de l’encercler pour en prendre possession, pour nous en rendre maître.  Juste la capture de ce qui a été pour que ce qui n’est pas encore naisse de notre embrassement. Solitaire de nous-même au travers de nous-même. Columns of smoke : tant couru, tant descendu, que nous sommes au plus loin indicible, clameur écarlate sans fin, voici l’heure terrifiante du   doute, que tenons-nous entre nos mains, seraient-ce les fantômes phantasmatiques de nos désirs, Robinson cogne partout sur ces murailles de fumée obstinées, des cris inhumains en le sens où ils sont proférés par des gosiers qui ne sont pas ou qui sont au plus près de notre hominienne nature sauvage, de ces époques où nos paroles ne transmettaient aucun message car les signes symboliques de notre présence au fond des avens sans fin étaient notre seule façon de marquer notre originéité. Que nous ignorions. The low trail : tâtonnements expectatifs, serions-nous au plus bas de notre course, comme un chant de remerciements et de victoires s’élèvent, pas vraiment des chœurs célestes barytoniens, mais ils marquent une certaine satisfaction, un contentement de soi, assez étonnants. Friselis de verroteries, un rideau cliquetant que l’on écarte de la main. The Black plains II : des oiseaux noirs encombrent le ciel, leurs ailes immenses nous cachent le soleil intérieur. Celui de notre intelligence. Ils passent et ils repassent, ils planent indifférents. C’est pourtant le même endroit, nous ne les avions pas vus. Nous sommes en des âges terrifiques, des bruits indistincts, aussi puissants mais beaucoup plus calamiteux que les moteurs de notre modernité, le temps de réaliser que nous ne sommes pas bien loin, jute les pieds nus sur les plages sacrées des terreurs des horreurs humaines, à l’intérieur de notre peau, et nous dansons toujours sur les mêmes pulsions qui nous habitent, qui nous construisent, qui ne sont que l’argile liquide de notre sang que nous apprêtons à verser. Que nous soyons le sacrifié ou le sacrificateur. Deux ombres identiques.

    Damie Chad.

     

    *

    Même pas besoin de lire la quatrième de couverture, le titre suffit à motiver l’achat immédiat, le nom d’un des plus grands pionniers du rock’n’roll et l’auteur, il n’y a pas si longtemps nous avons chroniqué un de ses livres dans lequel il portait un témoignage déchirant sur Vince Taylor. Cerise magnanime sur le gâteau pour reprendre une expression du Cat Zengler, je l’emporte, au grand soulagement de la brocanteuse souriante pour un misérable euro. Dans un pays normalement civilisé l’on aurait dû être une trentaine d’individus à se disputer le bouquin à la manière des mendiants au banquet relaté par Homère dans l’Odyssée se bagarrant pour un os de poulet jeté à terre par les prétendants de Pénélope.

    LA GUITARE DE BO DIDDLEY

    MARC VILLARD

    (RIVAGES-NOIR / Avril 2003)

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             L’on ne présente pas Marc Villard, une bibliographie aussi longue que la liste des saints  de deux calendriers, des centaines de nouvelles, des romans, des recueils de poésie, des Bandes Dessinées, fictions et autofictions s’entremêlent en cette œuvre, toutefois rien de moins fictive que son écriture, elle reflète à merveille la réalité sordide de notre société, si vous aimez le jazz, le rock, les romans policiers, vous ne serez pas déçus. L’est né en 1948, n’a pas encore eu la mauvaise idée de passer  l’arme à gauche, l’est donc un contemporain capital de cette génération qui a pris l’explosion du rock’n’roll en pleine gueule.

    Oh, Damie c’est quoi ton livre que tu tiens à la main ? Un truc sur Bo Diddley ! C’est quoi, C’est qui ? Non je ne connais pas. Bref obligé une bonne dizaine de fois d’exécuter uno petito topo do Bo pour combattro l’ignoranço provinoisote. Alors, lorsque chez vous, vous ouvrez le bouquin, because you can’t judge a book by the cover, comme le dit fort justement le précepte diddléen, vous buvez du petit lait. Vous voici dans un univers paradisiaque, la moitié des personnages, un sur deux, cinquante pour cent, connaissent le nom de Bo Diddley et souvent peuvent vous en causer à satiété. 

    Je ne voudrais pas induire le lecteur en erreur, car ce petit coin de paradis que je semble vous promettre risque surtout de vous conduire en horreur. Désolé c’est en France le doux pays de l’insouciance, Paris-banlieue, je ne file pas les adresses exactes car je ne voudrais pas vexer les lecteurs qui par hasard crècheraient aux alentours. Une terre de misère et de crasse. La misère c’est dans les porte-monnaie, la crasse dans la tête. J’allais dire que la plupart des marionnettes de ce théâtre d’ombre tirent le diable par la queue, mais c’est souvent l’inverse, c’est  le diable qui les tire par la queue, bref le sexe est-là. Les passes ne sont pas chères, et les jambes s’ouvrent facilement. Une seule règle. Survivre. Jusqu’à la prochaine dose. Les amants de passage ne sont pas de preux chevaliers blancs.

    Environnement glauque. La commune humanité. Un milieu assez noir. D’ailleurs il y a, immigration oblige, beaucoup de noirs. Une belle couleur, celle de Bo Diddley, représentant émérite de ce peuple qui inventa le rock’n’roll. Mais pour le moment Bo n’est pas là. C’est sa guitare qui est l’héroïne du roman. Une véritable légende. Est-elle seulement à lui, quand elle lui a été livrée il ne l’a pas voulu, la couleur bleu-hawaïen ne lui a pas plu. Peut-être lui rappelait-elle trop le blues. Plus tard elle est passée dans les mains de Clapton, et puis elle a disparu… Et la voici sur la banquette arrière d’une belle bagnole stationnée dans la Cité des Glycines. Pourraves. Arsène n'est pas un gentleman-cambrioleur, juste un gamin de Paris que son père a foutu à la porte pour lui apprendre à vivre, oui c’est un malheureux il ne sait même pas qui est Bo Diddley, il vous tire la gratte sans problème…  Et la ronde infernale commence.

    Qu’est-ce qu’une guitare ? Un simple objet d’échange. Un objet de convoitise parfois. Les choses n’ont que l’importance qu’on leur accorde (de guitare). C’est la loi du marché. Certains s’en foutent, d’autres savent. Bref la guitare va passer de main en main. Un peu de sociologie (même si certains n’ont pas de logis) ne peut pas faire de mal, l’on voit du monde, l’on voyage dans tous les milieux, surtout ceux qui ne sont pas beaux, prostituées à la petite semaine, flics pourris, dealers tout aussi avariés, drogués aux abonnés absents, musiciens à la ramasse, population pour qui la fin du mois commence le un, ceux qui se battent (très rares) ceux qui se débattent ( plus nombreux), ceux qui combattent ( loi de la jungle), ceux qui portent des flingues, ceux qui tuent… Du beau monde.

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    Y a du sexe, oui mais il y a aussi son corollaire la mort, et puis enfin il y a Bo Diddley. On l’attend depuis le début. On a récolté des tas de renseignements sur sa vie, sur sa personnalité, la situation des nègres aux Etats-Unis, les paroles de ses chansons, mais le voici en chair et en os. Pour un concert, tous les pantins de l’histoire, enfin ceux qui ne sont pas morts, sont réunis dans la salle. Le Bo est accompagné par un groupe de jeunes inconnus, les Stray Cats si je me souviens bien. L’Histoire se finit bien. Le beau Bo récupère sa guitare. L’Histoire se finit mal, Bo se révèle à la hauteur. De ce monde de misère, de poisse et de crasse. Si les gens se sont reconnus dans le rock’n’roll c’est parce qu’il leur ressemblait, qu’il sortait de la misère, de la poisse, de la crasse, et que les idoles poisseuses, crasseuses et misérables en connaissaient autant qu’eux sur le sujet.

    Bo est-il beau ? Bo a-t-il été récupéré par les bobos ? Bo est-il le dernier des hobos ? Angoissante question, Marc Villard ne la pose pas, même s’il y répond à sa manière. L’est sympa, vous refile un lot de consolation. Une denrée rare. Par les temps qui courent. Oui mais ils courent depuis toujours. Vous ne voyez pas ? Voici le Bo aux roses : n’exagérons rien, ce n’est pas l’amour, tout au plus un désir authentique.

    La fin est incroyable, du coup je vais m’écouter pour me remettre un petit coup de Bo Diddley.

    Damie Chad.

     

    *

             Nous repartons dare-dare au pays des kangourous. Nous avons voulu en savoir davantage sur Snaw. Une piste s’est offerte à nous. Nous nous y engagions séance tenante.

    FLOAT BENEATH THE SUN

    JON VAYLA

    (YT – BC / 2018)

    Jon Vayla a produit cet opus en 2018. D’après les quelques lignes de son Banncamp nous pouvons déduire que Vayla a commencé sa carrière en produisant des œuvres de musique classique. Celui-ci a été composé comme une musique de film. Paul Robien, nous avons présenté la semaine dernière la vidéo-film qu’il a composée pour illustrer le titre The Crossing du premier opus de Snaw. Sur YT Jon Vayla propose un extrait de quatre minutes du film de Paul Robien consacré à Float Beneath the Sun. Apparemment pas une vidéo plaquée sur un morceau de musique, le morceau a été écrit sous forme de musique de film.

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    Float Benath the sun : extrait de quatre minutes sur YT : les premières images démentent le titre, apparemment personne ou aucune chose ne flotte, mais pour le soleil faudra attendre, nuit noire, nous serions plutôt dans les abysses avec de mystérieux points rouges qui clignotent, un truc blanc se discerne, trop inconsistant pour qu’on lui prête une concrétude quelconque, à la réflexion cela n’épouserait-il pas la forme d’une statue de plâtre,  on parierait pour un être féminin vu le semblant de draperies dont elle serait vêtue, et toujours ces petits pois rouges qui n’arrêtent pas de scintiller, un visage apparaît, un peu décevante, une figure de cheval, c’est animal possède une noblesse, mais soyons francs plutôt la tête arrondie, peu érotique, d’une tortue aux yeux brillants, les points rouges se concentrent sur un pli de la robe… qui dévoile comme un trou, un cratère, tiens le soleil, pas lui, mais sa lumière mordorée qui teinte maintenant l’espèce de chiffon orangé qu’est devenu notre objet d’observation,  notre statue ne serait-elle pas à l’arrière-plan bleutée, elle se tiendrait en apesanteur au-dessus de ce que maintenant nous supposons figurer l’épave abricotéé d’un bateau coulé depuis quelques siècles, sur lequel balbutient les petits points rouges comme des feux de Saint-Elme, l’objet bleu-blanc se métamorphose en amoncellement de roches et notre épave oronge adopte la forme d’un hibou, puis peut-être la gueule ouverte d’un serpent de mer, je ne peux vous en dire plus la vidéo n’en montre pas davantage.

             Vous avez eu l’image, il est temps de passer au son.

    Float beneath the sun : donc pas un morceau de rock, mais un générique de film… lent, pesant et sombre, à ce stade la bande pourrait se retrouver au générique de n’importe quel film. L’on attend la suite de quelque chose qui n’a pas encore commencé, une tragédie si possible, l’orchestration lente et noire n’incite pas à l’optimisme – ici l’on a dépassé la vidéo de Paul William Robien – c’est-là que l’on se rend compte de l’importance signifiante des images, si mystérieuses et incompréhensibles soient-elles, oui il survient, comme une accentuation de l’indicible, l’on sent une gradation, une scène d’angoisse, un nuage sombre qui point à l’horizon, nous sommes dans un manoir perché sur la colline maudite, sifflements à nos oreilles, la chose se rapproche-t-elle, l’on dirait que la bande-son baisse le ton pour mieux percevoir ce qui est en route, vers nous, pour nous, car à être dans un film autant en être le héros, derrière la porte, il n’y a qu’à ouvrir, pousser les deux battants de l’huis, rien, le son n’est plus qu’un murmure inaudible…

             Nos oreilles restent un peu sur leur faim. Nous aurions préféré que la vidéo durât douze minutes.

    Damie Chad.

     

    *

    Je ne suis pas sectaire, la preuve je n’aime que le rock. Mais ce soir pour vous montrer la largesse de mon esprit nous allons causer de house-music. Non Damie ne devient pas fou, souvenez-vous de ce qu’Heidegger disait des sentiers, non pas des chemins qui ne mènent nulle part, parce que tout le monde sait très bien que tous les chemins mènent à Rockme, mais des lacets de montagne qui tournent sur la gauche dans la direction de l’ouest et qui brusquement sans vous avertir et sans raison apparente s’infléchissent sur leur droite, vers l’est, en totale opposition rhumbique, au moment où l’on s’y attend  le moins. Bref, cette intro pour vous rassurer, j’ai besoin dans cette chronique d’évoquer la house music afin que vous compreniez mieux la chronique suivante. Moi-même si je n’avais pas effectué ce détour je n’aurais rien compris à ce dont je m’apprêtais à vous entretenir, j’aurais fait une fausse route.

    Au début, vers le milieu des années 80 l’on nous a vendu la house comme un mouvement venu d’en bas, une démarche anarchisante, des ados américains qui en avaient  marre d’écouter la musique que l’on fabriquait exprès pour eux, ils pensaient avec juste raison que l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même, une excroissance du DIY en quelque sorte, que l’on fabriquait dans sa chambre avec l’aide du synthétiseur paternel et d’une boîte à rythmes.  Une démarche.

    Oui mais cela c’était le fond de l’iceberg. Les gamins eux ils visaient la gloire, le sommet, la pointe étincelante illuminée par les rayons du soleil. Bref ils enregistraient leur chef-d’œuvre sur une K7 qu’ils envoyaient par la poste, ou qu’ils portaient eux-mêmes pour les plus courageux à l’adresse des boîtes où ils allaient s’éclater le samedi soir. La house compte la discö dans ses ancêtres. Nous sommes au deuxième étage de la fusée, celui des disc-jockeys à l’affût des idées nouvelles, ils permirent à la house une audience bientôt internationale…

    Dans les nineties je mène une émission hebdomadaire et littéraire sur Radio-Médiaval à Provins. Non, je ne sème pas de la house dans mon pré carré, d’autres s’en chargent, juste avant moi, sont là tous les jours ouvrables de  la semaine. Des passionnés, des novateurs, passent leurs propres disques et se rancardent régulièrement à Paris pour dénicher les dernières nouveautés venues des States. Ils en connaissent un max sur le sujet, même si vous n’aimez pas la house vous adorez les entendre causer, de vrais passionnés, l’anecdote qui tue et la verve incandescente de l’intransigeance, une attitude très rock en somme, même si leur musique scron-gneu-gneu… vous savez parfois l’ivresse provient du design de la bouteille et pas de l’alcool frelaté qu’elle contient. Ce n’est pas une émission de radio, vous avez l’impression d’une confrérie secrète qui prépare une révolution culturelle. Ils ont le bon créneau, 17 heures-19 heures, la sortie des lycées et l’heure des ‘’devoirs’’, ils touchent du monde, les lycéens très vite rejoints par les collégiens, z’ont un public en croissance exponentielle. Rien ne les arrêtera. Eh bien si, au bout de trois mois, sont en train de dévoyer l’audimat, l’on ne parle plus que de leur émission. Son audience surclasse toutes les autres. Au standard le téléphone ne sonne que pour eux. Presque des stars. Ils sont virés, du jour au lendemain, le venin de la jalousie est bien plus mortel que celui des vipères…

    Je ne sais pas ce qu’ils sont devenus, j’ai oublié leurs prénoms, Jean-Philippe me semble-t-il pour l’un, mais je tenais à leur rendre hommage pour ces heures de fan et de feu. A l’origine cette chronique ne leur était pas destinée, le souvenir a surgi tout seul, abordons maintenant le véritable motif de cette kronic, qui je vous le répète, comme les trains, en cache une autre. S’il vous plaît, ne risquez pas votre vie.

    C’est pourtant ce que font des centaines de jeunes italiens au début des nineties. Attention, ceci est une histoire triste, elle est sans doute exagérée, mais vous savez entre une histoire vraie et une légende, le devoir des chroniqueurs, des gros niqueurs diront ceux qui ne les aiment pas, est de vous proposer la légende.

    Le gouvernement italien s’en émeut : trop de jeunes meurent le samedi soir, enfin c’est plutôt le dimanche matin, très tôt. Ils rentrent de boîte. Ils ont dansé toute la nuit. Ils ont pris quelques pilules. Ils se sont démenés, livrés à fond, ils ont tout donné… Ils sont lessivés, exténués, crevés… Ce troisième participe passé s’avère prophétique, puisqu’ils vont l’être dans les minutes qui suivent. Il y a ceux qui s’endorment au volant et s’éclatent dans les décors, il y a ceux, je ne pense pas qu’ils connaissent James Dean mais ils vont partager un destin identique, ils ont le corps qui speede et le sang qui bouillonne, ils accélèrent à fond. Dans les deux cas le résultat des courses (à la mort) est du pareil au même. Sont ramenés chez eux dans leur cercueil.

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    Attention c’est ici que commence la légende. Des parents touchés par la disparition de leurs enfants, viennent parler aux disc-jockeys. Voici notre héros, il est le seul qui fera quelque chose. Pour calmer l’excitation des danseurs, pour leur permettre de souffler un peu, il décide en fin de nuitée de terminer par un morceau beaucoup plus lent. Il s’appelle Roberto Concina (1969 – 2017), il met sur sa platine un morceau qu’il a composé lui-même. L’a-t-il enregistré exprès pour le dernier instant de ses prestations, il dira que ce sont des photos d’enfants rapportées par son père de la guerre de Yougoslavie qui l’avaient ému.  Quoi qu’il en soit, il le nommera Children.

    Children ouvre un sous-genre de la house music, nommé dream trance ou dream house.

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    Il en vendra cinq millions d’exemplaires, sous son nom de de scène, Robert Miles Je suis désolé nous sommes obligés de l’écouter.  Il en existe sur le net une quantité assez impressionnante de versions notamment en public. J’ai écouté la Version Audio : quelques notes de piano du synthé et une boîte à rythmes, pas mal en son genre, je précise tout de suite que ce n’est pas le mien, j’ai trouvé le son un peu maigrelet, alors j’ai regardé la Dream Version, plus étoffée, plus lente, moins mécanique, du velouté. Sur la fin, un peu trop répétitive. Si vous voulez y passer la soirée, vous finirez, le choix est vaste, par dénicher celle que Concini a concoctée exprès pour vous…

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    Il existe une Music Vidéoréalisée par Matt Amos qui nous montre des images du monde qui défilent au-travers de la vitre d’une voiture dans laquelle se trouve une petite fille qui regarde, ou qui ne prête aucune attention à ce spectacle, elle dort, elle lit, elle sourit… C’est tout. C’est surtout cette vidéo qui nous intéresse particulièrement…

    Il est temps de passer aux choses sérieuses.

    *

    Or voici que Thumos vient de publier un single intitulé Children avec en bas de page de leur bandcamp la courte mention : ‘’ Originally from Robert Miles’’ d’où ma chronique précédente, car j’ignorais tout de Robert Miles. Surprenant, Thumos nous a habitué à traiter de sujets liés à l’Antiquité et à la philosophie. Dans leur Instagram, l’œuvre de Roberto Miles est qualifiée de chef d’œuvre. Je n’aurais jamais employé ce mot ultra-laudateur pour décrire ce morceau… La vie nous met souvent en face de nos contradictions. Quelle surprise, quel étrange choc  que de constater que Thumos groupe post-metal se réfère à un morceau de dream music. Rocker dans l’âme si je prononce le mot instrumental, les noms de Charlie Christian, de Link Wray, de Duane Eddie, d’Hank Marvin et d’une pléthore de guitaristes surgissent dans ma tête. A chacun son itinéraire. Parfois nous nous rejoignons avec quelques autres, cela nous réjouit, nous pensons que nous avons suivi des chemins parallèles, ce n’est pas obligatoire. Heidegger nous a prévenus, nos chemins de pensée partent d’un certain point qui nous est proprement individuel sans savoir au juste où ils nous mèneront… C’est peut-être pour cela qu’il ajoute que l’origine ne se situe pas obligatoirement au début d’un phénomène.

    CHILDREN

    THUMOS

    (BC – YT / Septembre 2024)

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             Aucun enfant sur la couve choisie par Thumos. N’est-ce pas bizarre ! Seulement deux adultes assis sur la margelle d’un bassin. Un couple : lui plus âgé, d’après son intentionnelle  ressemblance quasi-parodique avec Socrate nous le définirons comme un philosophe, nous ne proposerons aucun nom pour le deuxième personnage, disons une épouse. Couple + épouse, il ne manque que la progéniture… Que font-ils, leurs regards sont braqués sur l’eau du bassin, sont-ils perdus dans la vision de leur propre reflet. Reflet = réflexion. A quoi, à qui pensent-ils… Plonge-t-on deux fois notre regard dans la même eau, qu’elle soit vive ou stagnante. Quand l’eau ne bouge pas, les deux chevaux de notre esprit ne galopent-ils pas… Le blanc nous désigne-t-il l’idéalité du monde, et le noir infléchit-il la courbe de notre pensée vers les zones sombres de l’existence…

    Children : l’on est tout de suite surpris par l’épaisseur sonore, elle restera égale tout le long du disque, une introduction beaucoup plus sombre, presque cauchemardesque, elle fait presque peur, un tintement grinçant qui glace le sang, insensiblement l’on semble se diriger vers autre chose, l’on ne sait quoi, une rafale battériale, l’on est parti pour une ambiance pratiquement festive, plus tard comme une hésitation un retour vers la noirceur, mais l’on repart encore plus vite, encore davantage rythmée, une poussée de vent, l’instrumentation flageole sur elle-même.

             Deuxième hommage rendu à Robert Miles, Thumos offre lui aussi une version imagée de sa version.

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    Children : cette version porte comme en exergue l’image fixe qui accompagnait la version dream originale de l’album Dream Land , une paire d’yeux entourée de nuages blancs et de ciel bleu, mais les yeux se métamorphosent en taches noires et laissent place à des images de vieux films, sans préavis l’on plonge dans la misère noire, une petite fille nue devant une cabane en planches délabrées, la suite est l’avenant, nous devons être en Amérique du Sud parmi les couches les plus misérables de la population, images qui serrent le cœur… des enfants dans une cour d’école et des images d’une espèce de carnaval pitoyable, costume traditionnel, danses, musiciens, ça sent la misère à plein tube, l’on a envie d’affubler la caméra du terme d’ethnologique, regardez comme la misère est joyeuse, et tout le monde part en procession, cavaliers lancés au galop, femmes et enfants assis dans la poussière, enfin arrivent les enfants en rang, en habits uniformisés, en ordre, l’ordre règne… pas de souci à se faire. Les pauvres ne se révolteront pas.

             Une vidéo qui pousse à la réflexion.

    Damie Chad.

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 659 : KR'TNT ! 659 : BUDDY GUY / LEMON TWIGS / PETE MOLINARI / FLIRTATIONS / ACE RECORDS / ROCKABILLY GENERATION NEWS / TWO RUNNER / CHILDREN OF AEGEAN / GREAT GAIA / SNAV

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 659

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    03 / 10 / 2024 

     

    BUDDY GUY / LEMON TWIGS

    PETE MOLINARI / FLIRTATIONS / ACE

    ROCKABILLY GENERATION NEWS

    TWO RUNNER / CHILDREN OF AEGEAN

    GREAT GAIA  / SNAW

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 659

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

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    Wizards & True Stars

    - Holy Buddy

    (Part One)

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             L’idéal dans la vie serait d’écouter Buddy Guy. L’encore plus idéal serait de lire son autobio, co-écrite avec David Ritz : When I Left Home - My Story, un bon vieux book paru en 2012. Car quel book, Bob ! Des guys comme Buddy Guy, t’en croiseras pas des tonnes. Buddy est un gentil black de la Louisiane. On voit dès la photo de couve qu’il déborde de gentillesse. Quel sourire ! C’est un artiste complet : gentil et brillant. Il reste avec quelques autres cracks blacks l’incarnation parfaite du blues électrique. Andrew Lauder le qualifie à juste raison de chaînon entre Guitar Slim et Jimi Hendrix.

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             Quand il écrit son autobio, Buddy a 75 balais. Il vient jouer tous les ans à l’Olympia et tous les ans on se dit qu’on DOIT aller le voir, même chose avec George Clinton, et puis on n’y va pas. Parce que c’est limite. C’était limite d’aller voir Chucky Chuckah à la Villette, ce vieux schnoque génial sous sa casquette de yatchman, mais en même temps tu avais clairement l’impression d’arriver après la bataille. Tu préférais rester sur les délicieux souvenirs de son concert ruiné par Jerry Lee à la Fête de l’Huma, en 1973.   

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             Ton copain Buddy commence par le commencement : il a 9 ans et il commence à cueillir le coton avec son père et sa mère, et là, Buddy se met à parler dans sa fabuleuse langue de bluesman - I stood next to my daddy, who showed me how to do the job right - ça sonne comme un vers de blues, tu ne traduis pas : tu écoutes, ça groove. Qui aurait l’idée d’aller traduire les paroles d’un blues ? Dans les années 40, les blacks récupèrent un peu d’électricité, oh pas trop, juste de quoi alimenter une mauvaise ampoule et un vieux phonographe tout pourri. Ces rats de blancs dégénérés gardent toute l’électricité pour leurs sales frigidaires et leur sale bouffe de porcs racistes. Mais Daddy Guy ne dit rien, il est gentil, comme son fils. Tais-toi Buddy et cueille le coton du patron blanc. Sur le vieux gramophone tout pourri, il y a un 78 tours d’Hooky. Buddy est hooké, c’est-à-dire baisé : «Boogie Chillen». Tout part de là - That’s the record that dit it - Pour Ted Carroll, ce fut Bill Haley. Pour Buddy, ce sera Hooky. Puis à l’épicerie du village pourri, Buddy découvre le juke-box, et mieux encore : Muddy Waters et «Rollin’ Stone». Buddy bave. Il demande à l’épicier Artigo où vit Muddy. L’épicier Artigo lui répond «Chicago». Alors Buddy demande si c’est loin, Chicago et l’épicier Artigo lui répond «Real far».

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             Bon, Muddy et Hooky c’est bien gentil, mais les petites gonzesses du village, c’est encore mieux. Buddy est en rut et il t’explique qu’en Louisiane, le sol est tellement humide qu’il faut apprendre à baiser debout - That ain’t easy, but baby, when there’s a will, there’s a way - Il a 15 ans et il adore voir sa little honey lever la patte pour qu’il puisse l’enfiler délicieusement. Il explique plus loin que le blues et l’amour «sont gravés dans le même bois», que c’est la même chose, il est pareillement hanté par le blues et le sexe. Il a cette incroyable intelligence de reconnaître qu’il n’était pas très expérimenté - In the country, boys didn’t learn how to love so good - Buddy raconte aussi une anecdote épicée : un copain à lui baise une blackette dans la boue et au lieu de l’enfiler, il enfile la boue. La blackette lui dit qu’il n’y est pas, alors elle le nettoie et le fait entrer, mais le copain débande. What’s the matter honey? Ain’t it good to you?, et le mec répond que c’est meilleur dans la boue. Le chapitre s’intitule d’ailleurs ‘Love in the mud’.

             Daddy Guy passe aux choses sérieuses. Il sait que son fils rêve d’une gratte, alors il lui en paye une. Voilà le miracle. Dans cette pauvreté abjecte, Daddy Guy accomplit un miracle. Il rachète la gratte de Coot, un chanteur itinérant qui va dans les cabanes gratter quelques chansons pour une pièce ou un verre d’alcool. Coot ne vaut pas laisser sa gratte à moins de 5 dollars. Daddy Guy n’a pas les 5 dollars. Il n’en a que 4. Alors Coot accepte : «Four dollars and a little change might do it.» Alors Daddy Guy réussit à retrouver une pièce dans sa poche. Coot en veut une autre - I got a dime to go with it - Le destin de Buddy Guy vaut alors 4 dollars et 35 cents.

             Le vrai héros du book c’est peut-être Daddy Guy. Quand Buddy lui dit qu’il aimerait partir s’installer à Chicago, Daddy Guy lui donne sa bénédiction. C’est le passage le plus booleversant du book : «Son, if you wanna go, go. Tu ne dois pas te faire de souci pour nous. Je t’ai déjà dit que ta mama et moi n’allions pas mourir tant que tous nos enfants ne seraient pas bien installés and doing good. Quand tu seras à Chicago, you gonna find pretty woman who gonna wanna marry you. Marie-toi avec qui tu veux. Makes no difference to me. Marie-toi avec un éléphant si tu veux, c’est toi qui vas dormir avec. Quant à ton travail, rappelle-toi ceci : je ne veux pas que tu sois le meilleur en ville. I want you to be the best till the best comes around. You hear me, son?».

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             Et le vrai héros de Buddy, c’est Guitar Slim. Il flashe comme un dingue sur Guitar Slim - Slim had a record out, «The Things I Used To Do» that, after «Boogie Chillen» became the biggest record of my life - Buddy ne fait pas les choses à moitié. Il découvre Guitar Slim au Masonic Temple à Baton Rouge - dressed to kill - flaming red suit, flaming red shoes, flaming red-dyed hair - Il le décrit à l’œuvre dans le Temple, avec sa «beat-up Strat» qu’il joue bas, «low on his hip like a gunslinger», avec une bandoulière en fil à pêche et un jack de 100 m de long. Guitar Slim nous dit Buddy ne s’assoit jamais, il gratte ses poux derrière sa tête, gratte le dos au sol, gratte en sautant de la scène, gratte accroché dans les poutres. Il ajoute que Slim ne connaît pas les accords - Slim didn’t know no chords. He was single pickin’ with only two fingers, but those two fingers were causing a riot - Et wham bam : «I wanted to be Guitar Slim.»

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             Buddy donne sa définition du blues à plusieurs reprises. Comme déjà dit, le blues et le sexe pour lui sont une seule et même chose. Plus tard, il parlera du blues avec Muddy qui lui dit qu’il est bien obligé d’enregistrer des hit records, comme «Mannish Boy», «Still A Fool», il ne se plaint pas, pour lui l’essentiel est de maintenir le blues en vie - Just saying that these blues that you and me took from the plantation... man, I just don’t want them blues to die - Mais Buddy lui dit que lui non plus, il ne veut pas voir them blues crever. Et Muddy le visionnaire reprend : «It’s just something we gotta remember. The world might wanna forget about ‘em, but we can’t. We owe ‘em our lives. Wasn’t for them, we still be smelling mule shit.»

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             Plus tard, quand Buddy tourne en Europe avec the American Folk Blues Festival, il se fait huer parce qu’il est jeune et bien coiffé. Les Allemands pensaient, nous dit Buddy, que tous les bluesmen étaient en haillons, vieux et bourrés. Muddy avait été lui aussi déconcerté par la réaction des Européens qui ne voulaient que du blues pur, alors que ça n’existe pas - Blues ain’t no pedigree, it’s a mutt, c’est-à-dire un bâtard, et il ajoute avec un grand sourire : «As far as I’m concerned, mutts are beautiful.»

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    ( Leonard le renard)

             Qui dit Chicago dit Chess. Alors on y retourne, pas de gaieté de cœur, mais bon, sans Chess pas de Muddy, pas de Chucky Chuckah, pas de rien. Buddy commence par faire des sessions pour le compte de Chess. Mais il a du mal à rencontrer Leonard le renard. Le voilà en studio pour remplacer Hubert Sumlin et accompagner Wolf. Buddy a la trouille de Wolf. Il dit que s’il joue des fausses notes, Wolf va le frapper. Alors Willie Dixon (qui organise la session) lui dit que ça n’arrivera pas : la session va durer une heure et tu vas empocher 10 dollars. Buddy entre en studio et s’installe, et c’est là qu’il se fait traiter de motherfucker, pas par Leonard le renard qui le grand spécialiste des insultes, mais par Wolf. Buddy lui répond qu’il ne s’appelle pas motherfucker mais Buddy, alors Wolf dit que tout le monde chez Chess s’appelle motherfucker. Bonjour l’ambiance. Buddy voit qu’on a posé une bouteille de whisky sur le piano, il demande pourquoi à Big Dix qui lui dit que Leonard est rusé comme un renard - Leonard ain’t dumb. Il sait que les records qui ont le son du club se vendent bien, alors il veut le booze on the record. He wants to feel the fire that the folks get to feeling in the club - Puis Buddy découvre peu à peu la réalité matérielle des géants du blues de Chicago. Mis à part Muddy qui a une baraque au 4339 South Lake Park, les autres vivent ric et rac dans des petites piaules, et là, boom, il allume la gueule de Leonard le renard : «Je ne sais pas combien de disques vendait Chess et je ne connais pas les comptes. Par contre, je sais que Chess wasn’t big in sharing the profits.» Tout pour sa pomme, rien pour les motherfuckers nègres. Chaque fois qu’on tombe sur cette histoire, c’est la même chose : crise d’urticaire. Ce rat de Chess s’en foutait plein les poches, et nous on était tous là comme des cons à chanter les louanges du légendaire label Chess. Fuck it ! Et l’enculerie continue avec Chucky Chuckah, puis avec Bo Diddley qui font tous les deux danser les kids d’Amérique - Leonard made big money of Bo - Un Bo qui a fini dans la misère, obligé de vendre ses droits d’auteur pour financer les études de sa fille, tu vois un peu le travail ? Et boom, rebelotte avec Etta James. Buddy se marre : «Je ne dis pas que Leonard n’aime pas le blues, il l’aime, mais il aime encore plus l’argent. S’il pouvait faire du blé avec la polka, il enregistrerait de la polka.»

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             Puis un jour Big Dix dit à Buddy qu’il va enregistrer «First Time I Met The Blues», son premier single sur Chess. Chouette ! Buddy dit qu’il va casser la baraque, mais Big Dix lui répond qu’il n’en est pas question - Leonard likes his records a certain way. You can’t get all wild like you do on stage. Can’t play too crazy. Can’t fuck up the sound none like I seen you do in the clubs. Leonard likes his blues clean - Et voilà le travail. En plus de se faire arnaquer, Buddy se fait museler. Pire encore : Leonard veut que Buddy change de nom. C’est pas qu’il n’aime pas ton nom, lui dit Big Dix, il veut que tu sois un King - Buddy King or King Guy, something like that - Buddy ne veut pas, à cause de la confusion avec B.B. King et Freddie King. Big Dix argumente, disant que c’est précisément la confusion que recherche Leonard le renard - King is associated with strong-selling blues - Alors Buddy lui dit que Muddy don’t got no king in his name et Big Dix rétorque que Muddy est arrivé avant the kings. Mais Buddy refuse de changer de nom, car sa famille à Baton Rouge ne va pas savoir que c’est lui sur le single. Leonard le renard n’est pas jouasse, mais Buddy tient bon. Bien sûr, Leonard le renard fait main basse sur les droits. Mais à l’époque, Buddy s’en branle - I just wanted to make it - Buddy s’est marié et il montre fièrement son single à son beau-père qui éclate de rire : «Ils t’ont donné le disque à la place de l’argent ?». Buddy ne comprend pas. Le beau-père lui pose la question autrement : «Ils t’ont pas payé pour enregistrer ce disque ?». Buddy répond qu’il a signé un contrat et que si ça se vend bien, il touchera des royalties. Alors le beau-père explose de rire : «Son, when those royalties come in, dogs gonna be fucking pigs.» Oui, les poules auront des dents. Et Buddy de conclure : «The man was right». Nada.

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             Buddy fait aussi de très belles pages sur Chicago, la deuxième ville qu’il découvre après Baton Rouge. Il commence par évoquer les grands froids qu’il ne connaissait pas en Louisiane, puis les clubs, dont le fameux Bucket of Blood - I was playing my guitar when one cat drove an ice pick deep into another cat’s neck - Il fait aussi l’apologie de Theresa’s, l’un des clubs les plus légendaires du South Side. Il décrit la taulière comme «a mean-looking lady portant un tablier sale avec deux poches. Dans l’une se trouvait un flingot et dans l’autre une matraque. Theresa was no one to fuck with.» Il joue chez elle et attaque avec une cover du «Further On Up The Road» de Bobby Blue Bland. Buddy explique aussi qu’il démarre son set dans la rue et qu’il entre dans le club en jouant. Il a un jack de 100 m, comme son idole Guitar Slim.

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             Alors il en pleut des idoles à Chicago. Buddy les fréquente tous, Otis Rush, Earl Hooker. L’Otis qu’il décrit est celui des débuts - His guitar was on fire, man, he was something else - Comme tous les autres guitaristes de l’époque à Chicago, Otis Rush joue assis. Buddy monte sur scène avec lui, et Otis lui demande ce qu’il veut jouer - What you wanna play boy? - Buddy répond «Guitar Slim». Et il fout le feu, Otis le laisse jouer. Alors Buddy sort le grand jeu, comme Guitar Slim, gratte dans le dos et la foule adore ça - The more I did it, the louder the crowd - Buddy voit Earl Hooker comme un guitariste d’un niveau supérieur au sien - No way I could compete with the guitarists of the day. I’m talkin’ ‘bout Earl Hooker, the greatest slide man in the history of slides - Il cite dans la foulée Otis Rush, Magic Sam et Freddie King - They was masters, they was monsters, they was killers - De la part d’un killer comme Buddy, c’est quelque chose d’entendre ça. Il rencontre aussi Ike Turner en studio. Ike joue sur une Strat et Buddy se dit qu’il a choisi la bonne gratte. Ike dit aussi qu’il took up guitar because of Earl Hooker. Ike lui demande s’il connaît Earl, Buddy dit «I do» et Ike ajoute : «He got his shit from Robert Nighthawk. You heard him?», et Buddy dit «not yet. I wanna.» Ike lui recommande aussi très chaudement Gatemouth.

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    (Sonny Boy Williamson)

             Buddy voit aussi Lightnin’ Hopkins débarquer chez Chess. Big Dix essaye de lui vendre l’idée des «future royalties» et Hopkins l’envoie sur les roses - Fuck future royalties. Fuck Leonard Chess and fuck you, Willie Dixon. Royalties don’t mean shit to me - Au moins les choses sont claires. Lightnin’ veut 100 $ pour enregistrer un cut - You give me a hundred I give you a song - Lightnin’ sait que dans tous les cas il va se faire baiser. Alors il fait comme le fera plus tard Chucky Chuckah : d’avance et cash. Buddy assiste à la scène. Big Dix insiste, Lightnin’ ne cède pas. 100 $ ou rien. Buddy se dit que Lightnin’ a du pot, car lui, le Buddy débutant, il ne reçoit que 10 $ pour jouer en session. Voilà où en est le blues électrique à l’époque. Oh et puis Little Walter qui s’embrouille avec tout le monde, y compris Junior Wells. Buddy fréquente aussi Sonny Boy Williamson qui au breakfast est déjà assis devant un gros verre de whisky, et qui lance à Buddy : «Morning, motherfucker.» Tout le monde le croit rincé par l’alcool, mais quand il saute sur scène pour attaquer «Don’t Start Me Talkin’», «he burns the house down», nous dit Buddy. Comme Gainsbarre le fera plus tard, Sonny Boy indique que les docteurs qui l’avaient condamné ont tous cassé leur pipe en bois. Sonny Boy se marre comme un bossu. Buddy fréquente aussi B.B. King et il salue son humilité, B.B. n’a jamais chopé la grosse tête, nous dit Buddy. Il fréquente encore Big Mama Thornton. Un soir où il l’accompagne sur scène, il voit Big Mama perdre son dentier en chantant. Elle le ramasse, le remet et continue à chanter. La classe ! Du coup, Buddy rêve d’avoir un dentier pour le perdre en jouant et faire comme Big Mama. Il raconte aussi  une tournée aux États-Unis : ils sont quatre dans la bagnole, le chauffeur, Buddy, Big Mama et Hooky. Hooky et elle ne s’entendent pas très bien - Elle était trop autoritaire pour lui et il était trop contrariant pour elle - Buddy ajoute qu’il a passé son temps à se marrer pendant des heures, à les voir se chamailler - Laughing my ass off - Quand il évoque Jimi Hendrix, il le situe dans la lignée des «spacey players comme Ike Turner, Earl Hooker and especially Johnny Guitar Watson, but Jimi had the balls to carry it into new territory.» Last but not least, voilà Albert King - he was something else - Buddy en brosse le portrait d’un géant - He was also big as a bear and could be twice as mean. Albert stung them strings hard, and ain’t no doubt that he was one of the best. Fixed up a stinging style all his own. Je suis bien content de ne pas avoir eu à bosser pour lui.

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    ( Buddy Guy : Cognac Blues Passion)

             Buddy se forge un style particulier. Il démarre toujours son set à l’extérieur du club. Il ne joue jamais assis. Il peut aussi aller gratter dans les gogues. Il va s’asseoir en jouant à la table des dames seules. Il peut sauter sur le bar et jouer au sol sur le dos. Il joue aussi avec les dents, il joue entre ses jambes, comme le fera Jimi Hendrix. Et par-dessus tout, il maîtrise ce qu’il appelle the big-city electricity - I learned to ride high on electricity - Feedback, disto, Strat commotion, il connaît tout ça par cœur. 

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    ( Artistic,label de Cobra)

             Quand Leonard le renard et Big Dix se sont fâchés, Big Dix est allé bosser pour Eli Toscano chez Cobra Records. C’est Magic Sam qui lui refile le tuyau. Buddy qui vient d’arriver à Chicago est tout excité, car sur Cobra on trouve aussi Otis Rush, Harold Burrage et Betty Everett. Toscano a une petite boutique de disques avec un garage à l’arrière. C’est là que se trouve le studio, comme chez Fortune Records à Detroit, et chez Cosimo le héros à la Nouvelle Orleans. C’est là que Buddy rencontre Big Dix pour la première fois - Willie was a big man. Vingt ans de plus que moi. Il devait bien peser dans les 150 kg, but it was mainly muscle, not fat - Buddy le voit dévorer le poulet, de la même façon qu’il allait dévorer les droits d’auteur. Pour l’accompagner sur son premier single Cobra, Buddy a Big Dix on bass, Otis Rush on back-up guitare, Odie Payne on drums, Harold Burrage on piano & McKinley Eaton on baritone sax. Pardonnez du peu. Puis Eli Toscano va disparaître. Plus de Cobra. Plus de rien.

             En fait, Buddy va démarrer sa carrière en 1959, avec «You Sure Can’t Do» et «This Is The End» d’Ike Turner, ce single sur Artistic, un sous-label de Cobra que Toscano crée pour lui, puis il va sortir une ribambelle de singles sur Chess avant d’arriver chez Vanguard en 1968 pour son premier album.

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             On peut écouter «You Sure Can’t Do» sur une ravissante compile japonaise, This Is The Beginning. Buddy va y chercher le Little Richard au chant. Il a cette ressource extraordinaire ! Et puis voilà l’heavy blues du beginning «Try To Quit You Baby», il te chante ça à pleine gueule. Wild & heavy ! Voilà les deux mamelles de son destin. Il coule encore comme du miel avec «This Is The End». Il a déjà ce génie de l’heavy blues jouissif. Tu n’en finirais plus avec un mec comme lui. Tu as tout qui coule, le chant, les poux, c’est un paradis. Puis il accompagne Jesse Fortune, un black qui chante comme un crack. Sur «God’s Gift To Man», Big Dix lui donne la réplique. C’est du gospel batch. Jesse Fortune fait encore des étincelles dans «Heavy Heart Beat». Il est hallucinant de qualité. Puis Buddy reprend le chant sur «Baby Don’t You Wanna Come Home». Il est déjà un hard hitter, bye bye ! Il passe au heavy blues de rêve avec «I Hope You Come Back Home». Dans son genre, il est le roi du Chicago Blues claqué à l’ongle sec.

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             Et si tu veux écouter les singles Chess, alors mets le grappin sur une autre bonne vieille compile, The Complete Chess Studio Recordings. Buddy est le roi de l’Heartbreaking Blues, comme le montrent au moins cinq modèles du genre, à commencer par «I Found A True Love» sur le disk 1. Il joue en finesse et croise un solo de jazz de round midnite, ‘caus my baby she takes her time. Sur le disk 2, tu tombes sur «My Time After Awhile», le big Buddy blues, chanté à l’éplorée congénitale, puis «Mother In Law Blues» - I’m in love with you babe/ But your mother she got the moooo - et puis «I Suffer With The Blues», où il joue en filigrane dans le chant. Magnifico ! Il te screame encore «Leave My Girl Alone» à la folie - You better leave/ You better leave my girl alone - Te voilà prévenu. La plupart des cuts sont cuivrés de frais, parfois ça vire r’n’b («Slop Around»), parfois good time music («Baby (Baby Baby Baby)»), ou encore groove de jazz («Buddy’s Boogie»). Tout reste d’un très haut niveau virtuosic, avec souvent des solos de sax demented. Les petites déboulades n’ont aucun secret pour lui («Let Me Love You Baby») et on retrouve bien sûr le black cat bone à tous les coins de rue. Il claque de fantastiques solos d’ongle sec («Watch Yourself» et «Stone Crazy») et son «Hard But It’s Fair» fait référence. Quel fantastique artiste ! Il faut le voir jouer dans l’épaisseur du groove de «Molic» - You are born to die - Il est criant de vérité.  Son «Worried Mind» balaye tout le British Blues. C’est complètement aérien, avec une basse et un piano dans la couenne du son - Please stick around with me/ Some time - Et puis il faut entendre ce fat bassmatic dans «Night Flight». Big Dix ? Il compresse bien le son du mambo de Chicago dans «Every Girl I See», et on le voit se battre pied à pied avec ses two many ways dans «Too Many Ways». Il s’implique énormément dans ses heavy blues, toujours à la limite de l’arrachement des ovaires. 

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             Comme d’usage, on garde les meilleurs pour la fin. Les meilleurs ? Muddy, Wolf et Junior Wells. Et là ça ne rigole plus. Buddy a fréquenté tous les cracks de son temps, et il évoque tous ces cracks avec une édifiante bonhomie, t’as pas idée. C’est la raison pour laquelle il faut se plonger dans cette autobio, car Buddy porte sur ses contemporains un regard extrêmement bienveillant. Quand Buddy rencontre Mud pour la première fois, il est frappé par son apparence, ses pommettes hautes et l’éclat de sa peau très noire - His dark skin had a glow - Buddy lit l’homme dans son regard - His big eyes sparkled and showed me his mood - C’est encore l’époque où Mud se coiffe d’une pompadour - His hair worked in a doo was shiny and piled high on his head. He was something to see - Les mots de Buddy sont précieux : ils sont justes et black. Lors de cette première rencontre, Mud demande à Bud s’il aime le salami. Il voit que Bud crève de faim. Mud lui demande d’où il vient. Louisiane - You a farm boy? - «Yes sir», répond Bud. C’est ce qu’on appelle dans une vie un moment magique. Mud et Bud sont tous les deux des farm boys. Bud a suivi exactement le même chemin que Mud, arrivé à Chicago dix ans plus tôt. Leonard le renard demande à Muddy d’enregistrer un album de blues acoustique - He wants it to sound like ol’ time delta - Okay dit Mud, et il impose Buddy comme back-up guitar. Leonard n’en veut pas. Mud tient bon. C’est ça ou rien. Mud lui balance ceci : «Vous voulez the old music ? Well, ce jeune homme la joue même en dormant. Si vous le virez de la session, je rentre chez moi.» Alors Leonard le renard écrase sa petite banane. La scène se déroule en 1963. Non seulement Mud laisse Bud gratter ses poux avec lui, mais il le laisse aussi chanter. Bud est émerveillé : «Quand on a enregistré, j’ai mis ma chaise près de la sienne et j’ai plongé mon regard dans le sien. Je n’ai jamais cessé de sourire. C’est dire si j’étais heureux.» Encore un moment magique dans la vie de Buddy Guy. Certaines pages crépitent de bonheur. On sent le book vibrer dans les mains. Fantastique Buddy Guy et fantastique David Ritz. À la fin de la session, Leonard est ravi, et avec toute l’élégance de rat qui le caractérise, il lance à Bud : «You can sound like an old fart, can’t you?» Pour les ceusses qui ne seraient pas au courant, un fart est un pet. Prout. Leonard aurait dû s’appeler Prout. Leonard Prout. Les blacks de Chess étaient mille fois plus élégants que ce malotru. Puis Bud retrouve Mud à son retour d’une tournée anglaise. «How was England?». «Shitty», lui répond Mud. «They booed me again». Il avait joué à coups d’acou et ça n’avait pas plus aux Anglais, alors que lors de la tournée précédente, on reprochait à Mud de jouer trop fort sur sa Tele électrifiée - They don’t want no quiet-ass folk singer. They want loud - Mud ne sait plus ce que veulent «those English motherfuckers». Il dit même qu’ils ont la tête dans le cul. Mud évoque aussi ces «boys from London they was calling The Rolling Stones, named after one of Muddy’s lines». Mud se marre : «Ils en savent plus sur moi que je n’en sais moi-même.» Buddy rappelle un truc essentiel : Muddy était un homme fier. Il n’aurait jamais accepté de porter une tenue de travail de peintre, comme l’ont affirmé les Stones. Il arrivait toujours sur son 31 chez Chess, coiffé et nickel, costard repassé, pompes cirées - Muddy Waters knew that in Chicago, Illinois, he was boss of the blues - Quand sa femme Geneva casse sa pipe en bois, Muddy est secoué. Et en même temps, le voilà libre. Alors il fait venir chez lui tous les gosses qu’il a faits ailleurs. Buddy affirme que Mud adorait sa femme, mais il menait en parallèle sa vie d’homme. Buddy raconte aussi un concert chez Antone’s, à Austin, Texas, où les bluesmen sont rois - Down there in Texas they was blues crazy - Muddy joue sur scène, et comme c’est son annive, Buddy et Junior Wells le rejoignent avec un gâtö en chantant «Happy Birthday». Alors Mud dit au public : «See these here boys? I know ‘em since they was kids. I raised ‘em.» Moment magique. Un de plus. Mud vient aussi d’enregistrer un nouvel album avec Johnny Winter. Il ne trouvait pas de titre, et comme à sa grande surprise il venait de se remettre à bander, il a opté pour Hard Again - What do you think? - Quelle rigolade ! Buddy n’en finit plus d’adorer cet homme : «I just love saying his name. I just love telling everyone that Muddy Waters was my friend, that Muddy Waters was the man.»

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             The man ! Alors en voilà un autre : Wolf. Un jour Bud demande à Mud pourquoi Hooky a quitté Chicago pour aller s’installer à Detroit. Et Mud lui dit : «Johnny didn’t wanna be around all these heavy-hitters.» Alors Bud dit qu’il ferait bien d’aller lui aussi à Detroit et Mud lui dit non, car Wolf le cherche. What ? Wolf ! Et Mud indique que Wolf joue chez Silvio’s tôt le matin, à 7 h, au moment où les équipes de nuit des abattoirs débrayent - That’s when the Wolf really starts to howl - Mud lui recommande encore de ne pas trop jouer s’il accompagne Wolf, car il n’aime pas qu’on l’éclipse. Si ça ne lui plait pas, il te colle un tas dans la gueule. Buddy va chez Sylvio’s à l’aube et c’est le grand choc de sa vie : «‘Smokestack Lightning’ got wild. Vous n’avez rien vécu tant que vous n’avez pas traîné dans un club de Chicago à l’aube avec tout le monde high on hard whiskey and heavy blues.» Et boom encore avec «Sitting On Top Of The World», «‘cause, baby, he sure is.» Puis Hubert Sumlin vient trouver Buddy pendant le break pour le mettre à l’aise : «Si Wolf veut t’emmener en tournée, pas de problème, je suis d’accord.» Buddy lui répond qu’il ne veut pas prendre sa place. Mais Hubert lui, dit qu’il en a marre du Wolf bourré et brutal - S’il estime que je joue faux, il va me frapper, comme il frappe ses gonzesses - A bon entendeur, salut ! Quand Wolf vient trouver Buddy chez Theresa’s pour lui proposer le job et la tournée, Buddy refuse.

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             Plus tard, après qu’on ait repêché Toscano dans le Lac Michigan et que Leonard le renard et Big Dix se soient réconciliés, on lui propose une session pour accompagner un crack. Qui ? Wolf ! Buddy répond une fois de plus que Wolf a Hubert, et donc il n’a besoin de personne d’autre. Mais Wolf et Hubert se sont bagarrés. Alors Buddy accepte d’accompagner Wolf pour 10 dollars.  

             Et bien sûr, le big buddy de Buddy, c’est Junior Wells. Buddy lui consacre un chapitre entier - Junior Wells gets his own chapter in my book - Il dit aussi qu’il est l’un des craziest characters qui aient traversé sa vie. Il ajoute encore que cette collaboration ne fut pas de tout repos. Buddy le remercie chaleureusement : «tous les deux on a fait une musique que je n’aurais jamais fait tout seul. He inspired me.»

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             En 1972, Buddy Guy & Junior Wells enregistrent Play The Blues au Criteria de Miami. Cet Atlantic un véritable chef-d’œuvre, contenu comme contenant. Pochette magique pour un album magique. Ils démarrent avec un gros r’n’b des faubourgs, « A Man Of Many Words ». Junior mise gros - Let me tell you - et derrière Buddy coule ses rivières de diamants. C’est d’un feeling à peine croyable, le jour et la nuit avec A Man And The Blues. Buddy et Junior inventent une sorte d’enfer - au sens de la température - Le génie du blues s’exprime à travers eux. Junior s’en va screamer de plus belle, alors Buddy coule de plus belle. Aucun blanc ne saurait provoquer un tel frisson. Il faut à Buddy un valeureux screamer comme Junior, voilà le secret. Ensemble, ils sont énormes. Et le riff du cut vaut tout l’or du monde. Ils font ensuite un bon boogie blues, « My Baby She Left Me » et reviennent au heavy blues haut de gamme avec « Come On In This House/Have Mercy Baby ». Junior le prend de l’intérieur du ventre et il fait perler ses eh-youuuuh. Ils ont le pouvoir. They got the power, comme dirait Public Enemy. Ils sont les rois du blues. Ils ont une classe folle. Et ils mettent la ville à sac - mercy mercy babe - avec le feeling du diable. Ils rendent un bel hommage à T-Bone Walker avec « T-Bone Shuffle » et vont droit dans le boogie voodoo avec « A Poor Man’s Plea » que Junior chante avec une hallucinante autorité divine. La perle noire se trouve en fin de B : « Honey Dripper ». Ils amènent ça avec une infinie délicatesse et ils se mettent à sonner comme des anges noirs.

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             Buddy et Junior furent enregistrés à Montreux en 1978 pour un album live bien sympathique. Ils rendent hommage à Guitar Slim avec « The Things I Used To Do », ce vieux slow blues d’anticipation carabinée joué à la bonne franquette mélodique. Buddy chante et pousse des petits yahhh du meilleur effet. Ils essaient d’allumer « Help Me », mais ils le laissent sous le boisseau et ne le font pas exploser, comme sut si bien le faire Alvin. C’est Junior qui chante sur toute la B et il commence par exploser « Come On In This House ». Il fait goutter le jus de ses voyelles. Quel fabuleux shouter ! Puis il attaque « Somebody’s Got To Go » du gras du menton. Junior Wells n’est pas homme à se méprendre, bien au contraire. C’est un pro du gras de Chicago.

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             Junior fut le joueur d’harp qui remplaça Little Walter dans le groupe de Muddy - Chosen by Mud, he had to be great - Junior vient de West Memphis et il est arrivé à Chicago en 1946. Il avait 11 ans. Quand il demande à Sonny Boy Williamson II, c’est-à-dire Rice Miller, de lui montrer des trucs à l’harp, Rice l’envoie promener, «Motherfucker, you too dumb and stupid», et quand Junior insiste, Rice sort une lame. Dégage ! Puis Muddy prend Junior sous sa protection, devant un juge. Il se porte garant pour Junior qui allait droit au placard après une sale bagarre. Quand ils sortent du tribunal, Junior veut monter dans un bus et Muddy lui ordonne de monter dans sa bagnole. Junior renâcle, «Pas question, j’ai des trucs à faire», et il bouscule Muddy qui sort un flingot. Alors Junior obéit et monte dans la bagnole - That’s when I knew I had a daddy - C’est dire à quel point Muddy est une figure centrale de cette scène. Junior va bien sûr habiter chez Muddy. Geneva et Mud lui demandent un petit loyer et quand Junior apprend que d’autres mecs logent gratis, il sort une lame pour menacer Muddy. Fatale erreur. Muddy ne cille pas. Il se lève et bam, il gifle Junior. Puis il l’attrape par le colback et lui dit : «Je vais tellement de démolir la gueule que tu ne pourras plus jouer d’harp.» Alors Junior s’est calmé. Buddy ajoute que Junior avait un autre problème : il croyait que James Brown lui avait volé son thunder

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             Le dernier album en date du grand Buddy s’appelle The Blues Don’t Lie. Tout un programme. Il commence par dire qu’il laisse sa gratte parler à sa place avec «I Let My Guitar Do The Talking», un heavy blues de haut vol. Il raconte son enfance en Louisiane - I made my own rules - Et Buddy monte tous les étages de la démesure. Quel déluge de son, les amis ! Même Noé n’en reviendrait pas. Ça grouille de coups de génie sur cet album, tu vas commencer à te gratter avec «Symptoms Of Love», big boogie down. C’est là qu’il fait la différence. Il gratte ses gros poux sur sa Strato à pois, c’est solide et bien enfoncé du clou, il bourre sa dinde, le wild Buddy. Il est bien plus rock que ne le seront jamais les petits culs blancs. Tu te grattes encore avec «Well Enough Alone», il y va à coups de mojo et de black cat bone et il t’explose l’heavy boogie blues. Il dicte sa loi. Il redore le blason du Black Power. Il est plus funky avec «What’s Wrong With That». Il est assez extraordinaire, car il a tout le son du monde - Please tell me what’s wrong with that - Il veut savoir - I’ve been around the bush - Il connaît la chanson, ne prend pas Buddy pour un con ! Bobby Rush chante en lead et il se tourne vers son buddy Buddy : «Buddy Guy play some guitah for me !». Alors Buddy plays some guitah. Il passe ensuite au big boogie avec «House Party» - It’s Buddy Guy time - Il joue son va-tout de géant. Il est imparable par nature. Et par excellence. «Sweet Thing» sonne comme un heavy blues d’extasy, Buddy ramène de la pulpe dans le son, il gratte du jus, c’est plein comme un œuf, c’est l’heavy blues de la perfection. Grosse intro pour «Backdoor Scratching» et te voilà fixé par la fixture. Buddy se balade comme un crack. Et dans «Rabbit Blood», il te balance ça : «I swear the girl’s got rabbit blood/ I met no woman can do me like she does.» Il a génie du blues. C’est là que se joue son destin. On monte encore un cran dans l’apothéose avec le genius swing de «Last Call», il te groove le jive sans frémir et il termine ce round-up avec une glorieuse cover de «King Bee», il la tape à coups d’acou et à coups de Girl I can buzz around your hive. Sexe pur en hommage à un autre géant, Slim Harpo.

    Signé : Cazengler, Guy mauve

    Buddy Guy. This Is The Beginning. P-Vine Records 2001

    Buddy Guy. The Complete Chess Studio Recordings. MCA Records 1992

    Buddy Guy & Junior Wells. Play The Blues. Atlantic 1972

    Buddy Guy & Junior Wells. Live In Montreux. Black & Blue 1978

    Buddy Guy. The Blues Don’t Lie. RCA 2022

    Buddy Guy & David Ritz. When I Left Home. My Story. Da Capo Press 2012

     

     

    L’avenir du rock

     - Lemon incest

     (Part Three)

             Boule et Bill interpellent l’avenir du rock :

             — Ça fait trois fois que tu ramènes les Lemon Twigs, avenir du rock. Tu ne crois pas que t’exagères un peu ? T’as vraiment décidé de nous prendre pour des cons ?

             — Si vous écoutiez les albums, vous ne feriez pas ce genre de remarque. Vous seriez comme moi impatient de voir arriver le Part Four.

             — Pffffff, non seulement t’es un gros con, mais en plus, t’es prétentieux.

             — Noël Godin te traiterait même de pompeux cornichon, avenir du broc !

             — T’es pédant comme un phoque, avenir du troc. Tu serais pas fils unique par hasard ?

             — Mon cher Boule, tu me fais penser à une copine dont la laideur morale n’avait d’égale que sa laideur physique, mais lui dire, ça aurait pu certainement la blesser, alors que toi, tu survivrais à tout, même à ta propre vacuité. Tu me fais pitié, mon pauvre ami.

             — Oui, mais quand même, un Part Three sur les Lemon Twigs, c’est du rabâchage, dans le contexte d’une rubrique censée trier le bon grain de l’ivresse...

             — Pas l’ivresse, Bill, l’ivraie. Si tu veux qu’on discute un peu, apprends à parler le français.      

             — Boule a raison, t’as rien compris, avenir du rôt ! Tu te prends pour le nombril du monde. L’ivresse ! J’aurais pu te dire livresque ! Ou levrette, comme Limon qui lime ton twat de Twig !

             Boule embraye aussi sec :

             — Ou Lemon de Venus qui tweete une twarte à la crème !

             — Ou Limon du delta sous la twante de Twiggy !

             Boule et Bill rient de bon cœur. Ils sont très fiers d’avoir réussi à fermer le clapet de l’avenir du rock. Quelle sera leur prochaine étape ? Le diable seul le sait.

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             Si tu cherches les héritiers de Brian Wilson et des Beatles, pas compliqué : ils s’appellent The Lemon Twings. Leur nouvel album A Dream Is All We Know grouille de preuves.

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    La première preuve s’appelle «My Golden Years». Alors attention, ça part en mode wild pop drivée de main de maître, ça reste incroyablement tendu de bout en bout, monté sur un beat glorieusement turgescent et boom, ça se termine en final à la Brian Wilson. Chez les frères D’Addario, ça éclot de bout en bout. Tu veux encore du pur Beach Boys sound ? Alors saute sur «In The Eyes Of The Girl». The most perfect Wilson sound depuis Brian Wilson. Ils ré-explosent un univers déjà explosé, celui de la grande pop harmonique. Stupéfiant ! Qui aurait cru ça possible ? Tu veux les Byrds ? Alors saute sur «If You & Me Are Not Wise». Ils descendent en profondeur dans l’excellence des Silver Sixties, ils ramènent même le jingle jangle. Cet album des Lemon Twigs est sans le moindre doute le plus bel album sixties du XXIe siècle. Les frères D’Addario ré-allument tous les brasiers fondateurs : Beatles, Byrds, Beach Boys. Tu veux les Beatles ? Alors saute sur le morceau titre. Ça passe en force au All I know. C’est extrêmement Beatlemaniaque, ils réincarnent le génie de John Lennon. Là tu touches du doigt le real deal. Les frères D’Addario ont ce type de talent magique. Avec «How Can I Love Her More?», ils persistent tellement qu’il tapent dans un au-delà de la pop communément admise. Ils flirtent même avec le glam dans «Rock On (Over & Over)». Ah ils savent driver un stomp d’heavy glam, pas de problème, ils t’éclatent ton pauvre petit Sénégal et même ta copine de cheval. Ils sont fabuleux d’à-propos, mais le cul entre deux chaises, le glam et le «Do It Again» des Beach Boys de l’âge d’or. Encore de la magie pop dans «Peppermint Roses». C’est inspiré à pleins poumons.

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             Comme un bonheur n’arrive jamais seul, les voilà sur scène, Brian D’Addario sur une douze rouge pailletée qui sent bon les Byrds et tout le tintouin, et son frangin Michael sur une Ricken pour l’anglicité des choses de la vie, et là, franchement, t’as tout, absolument TOUT : le son, la classe, l’âge d’or des sixties, le punch, les harmonies vocales, l’anti-frime, la fraîcheur de ton, l’énergie, les boots, la virtuosité de bon escient, la basse Hoffner et même les monster drives de McCartney, les killer solo flash, les hits, à commencer par «My Golden Years», la magie scénique, les sauts en l’air,

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    le mouvement perpétuel, les Byrds («If You & Me Are Not Wise»), les Beatles («A Dream Is All I Know»), la magie pop («Peppermint Roses», exactement comme sur l’album), t’as aussi les mélodies, les intrications, les mics-macs d’arpèges à la Roger McGuinn, le sens du boogie («Rock On»), un professionnalisme à toute épreuve, en un mot comme en cent, t’as sous les yeux des superstars.

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    Zéro temps mort. Effervescence à tous les étages en montant chez Kate. Ils sont tellement brillants qu’ils dépassent un peu les bornes, t’es en permanence aveuglé par leur éclat, ils amènent la pop à un niveau jusque-là réservé aux Byrds, aux Beatles, aux Beach Boys et à Todd Rundgren. Et ils semblent le faire avec une facilité déconcertante. Ils évoluent sur scène avec des pieds ailés, et quand Brian attaque un drive de basse sur l’Hoffner, il carapate ses notes à coups de médiator, jouant deux fois plus de notes que n’en joua jamais McCartney. Et pour ce mec à peine sorti de l’adolescence, c’est encore un jeu. Il joue le visage couvert de cheveux, avec un sourire quasi-permanent.

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    Son frère Michael adore faire rigoler la salle. Il casse corde sur corde sur sa Ricken et continue sur une Tele. Ils font aussi tourner les instrus. Michael bat le beurre sur trois/quat’ cuts et il n’en finit plus de faire rouler les baguettes entre ses doigts. Tout n’est qu’un jeu. Le Grand Jeu. En 90 minutes, ils font le grand tour de la grande pop, la seule qui vaille, celle d’avant, cette pop magique qui n’a jamais pris une ride et qui n’en prendra jamais. L’extraordinaire complicité des d’Addario brothers te bluffe.

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    Comme les frères McDonald (Redd Kross), ils perpétuent une tradition instaurée par les frères Wilson et les frères Davies, qui est celle d’un brotherhood magique. En rappel, Brian revient jouer trois/quat’ cuts en acou, dont le fabuleux «Corner Of My Eye» tiré d’Everything Harmony, et que certaines personnes reprennent en chœur dans la salle. Pur showmanship à la John Lennon. Puis ils finissent en apothéose avec l’effarant «How Can I Love Her More» et une intrépide cover du «Runaway» de Del Shannon. Tu sors de là transformé.   

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             Ça crache des flammes dans les canards anglais : James McNair fait quatre pages de Lemon Twigs dans Mojo, et Jon Mojo Mills deux dans Shindig!. Les frères d’Addario n’en finissent plus de clamer leur allégeance aux Beatles et aux Beach Boys. On les traite d’ailleurs de Mersey-Beach. Ça fait bien marrer les deux frères - We love the simplicity of the Beach Boys sound, which was a combinaison of Chuck Berry and The Four Freshmen - Jon Mojo Mills les qualifie aussi d’«unstoppable». Sur scène, ils sont accompagnés par Reza Matin des Uni Boys, et un vieux copain, Danny Ayala. Michael D’Addario compare d’ailleurs Reza Matin à Bev Bevan, le beurre des Move. Pour Mills, «My Golden Years» sonne comme du «12-string Beatles meet Beach Boys with a dose of The Monkees and The Raspberries». Michael d’Addario cite aussi «a few key examples», «everything Zombies, The Stones’ ‘She’s A Rainbow’, The Left Banke.» Mills retrouve du Turtles dans «How Can I Love Her More» et Roy Wood dans «Church Bells», à cause du cello. Michael cite aussi Amen Corner, puis les Flying Burritos Brothers, The Mirage et The Notorious Byrds Brothers. Et Mills de conclure, affolé de bonheur : «The Lemon Twigs are the ultimate Shindig! band. Don’t miss this album. It won’t let you down.»  

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             McNair tape sensiblement dans le même registre : il les dit «beloved of Todd Rundgren, Colin Bluntstone and Big Star’s Jody Stephens», trois superstars qui les ont réclamés sur scène.  Michael et Brian se disent alarmés par le temps qui passe - The album is aiming for something timeless - Comme les Beatles, les Byrds et les Beach Boys avant eux, ils cherchent à enregistrer une pop intemporelle - Les gens qui ont enregistré nos albums favoris y ont mis beaucoup de soin. The Beach Boys being the absolute pinacle of that. That’s what we’re chasing - Et voilà qu’ils évoquent des albums solo à venir, Gifts - a goofy Fith Dimension/Jimmy Webb-style collaboration with Sean Lennon - un flexi-disc qui sera distribué gratuitement, et puis un album du père, Ronnie d’Addario, avec Todd Rundgren et le fils d’Al Jardine. Quand les frères d’Addario ont accompagné Todd sur scène en 2017, c’était pour eux comparable aux Teenage Fanclub accompagnant Alex Chilton - Your heroes love it when you’re a young band and you can just nail it - Le mot de la fin revient à une certaine Nathalie Mering : «Les Lemon Twigs ne sont pas vos typical hipsters. Ils essayent de créer des great pop songs dans un monde où tout le monde croit que tout a déjà été fait, et de leur part, c’est pretty brave, c’est-à-dire très courageux.»

    Signé : Cazengler, l’immonde twig

    Lemon Twigs. BBC. Caen (14). 25 septembre 2024

    Lemon Twigs. A Dream Is All We Know. Captured Tracks 2024

    James McNair : The Lemon Twigs. Mojo # 366 - May 2024

    Jon Mojo Mills. Sweet Vibrations. Shindig! # 150 - April 2024

     

     

    L’avenir du rock

     - Si Pete a ri, Molinari aussi

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             D’une certaine façon, l’avenir du rock préfère les gens qui rient à ceux qui pleurent. Il préfère les joyeux drilles aux bouches d’ombre et aux figures de cire du Musée Grévin, il préfère les Rabelaisiens et les boute-en-train aux épluchures humaines qui s’abreuvent de journaux télévisés et d’actualité politique, il préfère les hilares et les zutiques aux têtards desséchés et aux virtuoses de la déconvenue. D’un côté le pas ailé et de l’autre la semelle de plomb, d’un côté le verre à moitié plein et de l’autre le verre à moitié vide, d’un côté dix commandements dont le premier dit : «Tu riras tant que tu vivras», et de l’autre, dix commandements dont le premier dit : «Tu ne riras point», d’un côté le gardon et son écaille étincelante, de l’autre la tanche huileuse de vase puante, d’un côté l’aube de la vie et de l’autre le poids des ans, d’un côté «Je ris de me voir si belle en ce miroir», et de l’autre «Ô rage ô désespoir» et son corollaire en forme de train de marchandise, «N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ?», d’un côté le blanc des robes de printemps, et de l’autre le noir usé des mises de Presbytériens aussi calvitiés que calvinistes, d’un côté Hulot et de l’autre Godot, d’un côté tu mouftes et de l’autre tu ne mouftes pas, d’un côté chatouille-moi et de l’autre torture-moi, d’un côté Louis Armstrong et de l’autre les champs de coton, d’un côté le flatteur, c’est-à-dire Maître Renard, et de l’autre le flatté, c’est-à-dire Maître Corbeau, d’un côté la paix et de l’autre la guerre, d’un côté la liberté et de l’autre le profit, d’un côté Jean-qui-rit et de l’autre Jean-qui-pleure, d’un côté la Vache qui rit et de l’autre les abattoirs, d’un côté la mare aux canards et de l’autre le magret de canard, d’un côté les Oies du Capitole et de l’autre le foie gras et cet immonde corollaire que sont les grosses rombières réactionnaires, d’un côté le carrosse de Cendrillon et de l’autre le 4x4 dernier cri, d’un côté Charlot et de l’autre Hitler, d’un côté Moonie et de l’autre Thatcher, d’un côté l’horizon et de l’autre la tombe. Mille raisons pour lesquelles l’avenir du rock apprécie tant Pete Molinari.

             Qu’on ne se méprenne pas : Pete Molinari n’est pas un comique, même si par sa consonance, son nom laisse supposer le contraire. Pour l’avenir du rock, ça tombe sous le sens : Pete a ri, alors Molinari aussi. C’est du tout cuit. Un tout-cuit dont il aurait une (fâcheuse) tendance à abuser. N’étant pas d’une nature à se réfréner, l’avenir du rock y va de bon cœur.

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             Ben Graham y va aussi de bon cœur. Zou ! Quatre pages dans Shindig!. Pour dire quoi ? Pour dire qu’il forge «a musical triumph from the ashes of disillusionment.» Pas mal, le Ben. Un Ben qui indique en outre que Molinari s’est installé à Los Angeles avec sa femme Mila, la danseuse brésilienne. Originaire du Kent, Molinari se dit surtout américain, à cause de Dylan, Hank Williams, Leadbelly, Woody Guthrie and Billie Holiday. Il a commencé par s’installer à New York puis il est allé enregistrer Just Like Achilles à Los Angeles, histoire de s’enraciner dans le mythe de Laurel Canyon. Puis il est reparti à Rome enregistrer Wondrous Afternoon pour se ressourcer dans Motown et Burt. Il indique au passage que son père écoutait de l’opéra et il a grandi avec Maria Callas et Pavarotti, ceci expliquant cela. De père égyptien et de mère maltaise, with an Italian heritage, le p’tit Pite s’est retrouvé au carrefour des cultures. Mais ses principales influences sont ce que le Ben appelle «classic Soul music» : Motown, Stax, Burt Bacharach, Phil Spector, d’où l’idée de laisser tomber Dylan et de faire un album plus Soul avec Wondrous Afternoon.

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             Délicieuse galette de plastique noir ! Un style c’est sûr. Casquette pied de poule, lunettes noires et manteau en léopard, une espèce de mix Dylan 65/Flaming Groovies. Groove et voix de nez dès le morceau titre. Tu prends immédiatement ta carte au parti. «Wondrous Afternoon» sonne comme une ravissante Beautiful Song. Tu ne peux pas te tromper : le p’tit Pite sonne comme un élu. L’autre merveille événementielle se niche en B : «Always Letting Go». Pop de haut niveau, avec un groove aventureux. C’est d’une justesse infernale - Love is always letting go - «Cezanne Cezanne» ne concerne pas le peintre, mais une gonzesse qui s’appelle Cezanne. Avec «Narcissus», il va plus sur le r’n’b - Narcissus is your second name - Le balda est une chef-d’œuvre de groovytude, «Only When I Love» balance entre deux mers, et avec «You’re Poetry To Me», il prêche la paix sur la terre. Il te berce littéralement. Le p’tit Pite adore le groove. C’est un bec fin. Il reste poppy mais judicieux.

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             Comme il a grandi dans le Medway Delta, patrie des garagistes britanniques, il était logique que son premier album, Walking On The Map, soit produit par Wild Billy Childish «in the latter’s Chatham kitchen.» Le p’tit Pite était gosse quand Billy tournait «with his bands and stuff». Le p’tit Pite n’est pas une oie blanche. Il allait chez Billy lire ses books de poésie. L’album Walking On The Map date de 2006. C’est un énorme hommage à Bob Dylan. Le p’tit Pite fait du Dylanex pur et dur, au sucre insistant. Tout est monté sur les coups d’harp et tout est chanté avec une pince à linge sur le nez. Le p’tit Pite se prend clairement pour le nouveau Dylan. Bizarre que cet album sorte sur Damaged Goods qui est un straight label gaga. Le p’tit Pite remet sa pince à linge pour attaquer «The Ghost Of Greenwich Village». Il tape en plein dans la mythologie dylanesque. Il arrose «I Just Keep It Inside» de gros coups d’harp. Le pied de poule de son cache-col en laine renvoie bien sûr au costard pied de poule que Dylan portait à l’Albert Hall en 1965. Le p’tit Pite bascule de plus belle dans son délire dylanesque avec «The Ballad Of Bob Montgomery». Le pire, c’est qu’il en a les moyens. Il se veut insistant et tape en plein dans le mille. Il s’amuse avec un yodell de bonne franquette dans «What Use Is The Truth To Me Now», ce mec est superbe, il soulève de très vieilles vagues de fake Americana. Molinari aurait-il du génie ? Oui, de toute évidence. Tout chez lui sonne vrai : les coups d’harp, le gratté de poux, le chant pincé, il tape en plein dans le mille. Il frise parfois le ridicule («Alone & Forsaken»), mais on l’écoute. Il chante «A Lonesone Episode» d’une voix de canard, franchement si ce n’était pas écrit «Molinari» sur la pochette, on croirait entendre Dylan. Il n’en démord pas, jusqu’au bout de l’album, il reste en plein dedans, même ampleur de routine, même moteur artistique, même empreinte digitale.

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             Sur A Visual Landcape paru deux ans plus tard et enregistré chez Toe Rag, on retrouve du Dylanex : «One Stolen Moment», «Look What I Made» et «Sweet Louise» tapent en plein dans la mythologie. Le p’tit Pite doit être obsédé. Il y va à l’Absolutely Sweet Louise, clin d’œil appuyé à l’Absolutely Sweet Mary. Il refait sa fake Americana avec «Dear Angelina», pur jus de Tex-Mex d’El Paso à la Doug Sahm, c’est de bonne guerre. Et puis, voilà les coups de génie, à commencer par «It Came Out Of The Wilderness», fabuleux shoot d’exaction sucrière. Il a une voix très pointue, et derrière ça sonne comme au temps du Bringing It All Back Home. Terrific ! Vraie profondeur de champ, il ramène du génie dylanesque dans sa fière allure. C’est très métabolique. Encore de la profondeur de champ sur «Adelaine», et retour au grand art avec un «I Don’t Like The Man That I Am» beau et tendu. Oui, il a un truc, le p’tit Pite, avec son inside my head. Il est franc du collier - I can’t love you/ Cause I don’t like the man that I am - Sa franchise l’honore.

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             Avec A Train Bound For Glory, ses albums commencent à sonner comme des albums classiques. On le voit swinguer la pop-rock de «Streetcar Named Desire» avec une insolence de coming back again, les chœurs font shut up, shut up, c’est extraordinaire de bravado, et les vents de la ville emportent les poux qu’il gratte. Il renoue avec l’éclat de Streetcar dans «Willow Weep For Me». Le p’tit Pite la joue fine, il sait gérer les small dynamiques et il chante d’une superbe voix de canard. Quel artiste ! Encore plus musculeux, voici «Little Less Loneliness». Il shake son hip d’hipster, ça swingue sous le galure, le p’tit Pite est un fantastique mover shaker. Nouveau coup de Jarnac avec «New York City» tapé au heavy piano. Ptoufffhhh ! Il y va à l’heavy dumb d’I alive in New York City. Quelle débinade ! Il fait du power bananas. Il repique une petit crise de Dylanex avec le morceau titre. On se croirait sur Another Side Of Bob Dylan.

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             Il revient en force en 2014 avec Theosophy. L’album grouille de puces, tiens comme par exemple l’«Hang My Head In Shame» d’ouverture de bal, chanté à la voix de fiotte trempée d’écho, mais c’est énorme, bien balancé, c’est du Molinari de big time, avec son éclatante foison de poux. Il chante d’une voix d’escalope fine, c’est très spécial. Il faut s’y habituer. Attention à «Evangeline», car c’est du wild as fucking fuck. Sa voix colle bien au stomp. Le p’tit Pite sait claquer l’heavy pop d’un hit. «I Get It All Indeed» sonne un brin Velvet, t’as là un balladif sur-vitaminé embarqué à l’up-tempo. Il oscille parfois entre le Dylanex et la féminité («When Two Worlds Collide»), le p’tit Pite est un mec curieux et attachant. Il flirte en permanence avec le génie pop, comme le montre encore «What I Am I Am». il recherche l’effet Totor/Brill, il a cette volonté de vaincre à coups de Sweet Lord. Encore du rentre dedans avec «Mighty Son Of Abraham». C’est même assez religieux. Shindig! a raison de lui dérouler le tapis rouge. Ce furet de p’tit Pite fout son nez partout : le voilà dans l’heavy blues avec «So Long Gone». Il termine cet excellent album avec «Love For Sale», couché sur canapé d’heavy Sound. Il taille vraiment bien sa route. Il sait mettre son côté voix de fiotte en valeur et en faire un atout, une sorte de sucre avarié, un peu divin.

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             Paru en 2022, Just Like Achilles est un tout petit moins dylanesque que ses prédécesseurs. La seule trace de sa passion dévorante pour le grand Bob se trouve dans «Steal The Night». Il y ramène les deux mamelles dylanesques, la voix et le sens mélodique. Pour le reste, il cultive sa belle aisance du singalong. Il est si parfaitement à l’aise, il faut le voir chanter à l’encan dévolu ! «I’ll Take You There» est plus enjoué, plus orienté vers les hit-parades. Mais au fil du balda, on sent qu’il peine à fournir. Comme s’il se tarissait en s’éloignant de Dylan. Alors il y revient avec «Waiting For A Train». Il ouvre sa B avec la pop pure et fraîche de «You’ve Got The Fever», une vraie fontaine de jouvence. Et plus loin, il nous cale son morceau titre, un joli shoot de pop molinariste gorgeous et bien enlevée.

    Signé : Cazengler, Pete Molinaridicule

    Pete Molinari. Walking On The Map. Damaged Goods Records 2006

    Pete Molinari. A Visual Landcape. Damaged Goods Records 2008

    Pete Molinari. A Train Bound For Glory. Clarksville Recordings 2010

    Pete Molinari. Theosophy. Cherry Red 2014

    Pete Molinari. Just Like Achilles. Blind Faith Records 2022

    Pete Molinari. Wondrous Afternoon. Blind Faith Records 2023

    Ben Graham : Restless Soul. Shindig! # 145 - November 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - Un flirt avec les Flirtations

             Pour un flirt avec Fleur/ Je ferais n’importe qui/ Pour un flirt/ Avec Fleur. C’est en quelque sorte la chanson qu’on aurait pu chanter cette nuit-là. Le hasard qui fait toujours bien les choses avait rassemblé une équipe de fêtards autour d’une pompe à bière, quelque part au centre de la douce France/ Doux pays de mon enfance. Nous étions tous invités dans le cadre d’une université d’été. Mes universités/ C’était pas Jussieu/ C’était pas Censier/ C’était pas Nanterre, non c’était encore autre chose, en tous les cas, la pompe à bière était gratuite et les gens n’envisageaient pas d’aller coucher au panier. Grosse ambiance, sauvagement encouragée par la gratuité des choses. Tout le monde en avait comme on dit dans les bars ‘un sacré coup dans la gueule’. Alors ça rigolait et ça titubait, comme au temps des fêtes païennes, lorsqu’on s’abreuvait aux amphores. On se faisait des réflexions stupides du genre «oh j’ai jamais bu autant de bière», mais on s’amusait surtout à voir jusqu’où on pouvait aller trop loin. On causait avec les ceusses qui nous causaient, on rigolait d’un rien et puis soudain, un petit bout de femme surgit de nulle part pour engager la conversation. «On se connaît !». «Ah bon ?». Elle relata les circonstances. «Mais oui bien sûr !». Souvenirs d’une autre fête. Ses souvenirs étaient précis. Petite, cheveux teints en rouge, d’obédience punk, elle semblait parfaitement à l’aise dans la gestion des conversations prévues pour durer des heures, blih blih blah blah, et comme on se trouvait juste à côté de la fontaine de jouvence, on se ravitaillait mécaniquement. Elle ne disait jamais non, au contraire. Lady Fleur tenait remarquablement bien le choc. Admirable ! Elle semblait contrôler sa déliquescence cérébrale. Aussi increvable que la fontaine magique qui n’en finissait plus de transformer cette fête en beuverie dionysiaque. Lady Fleur chopait un titubeur de temps en temps pour me le présenter, Je suis sous sous sous/ Sous ton balcon/ Comme Roméo ho ho, ah comme on s’amusait bien en ce temps-là, un temps que les jeunes de vingt ans/ Ne peuvent pas connaître. Elle disparut au lever du jour. Et bien sûr, le fût de bière rendit l’âme. Il restait heureusement quelques bouteilles de vin sur la desserte.

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             À une autre époque, on chantait Pour un flirt avec les Flirtations, ce qui revient au même. Il s’agit de la magie des rencontres. Les Flirtations avaient en ce temps-là un hit faramineux, «Nothing But A Heartache», qui fédérait tous les états. Comme P.P. Arnold, ces trois blackettes américaines eurent l’idée géniale de faire carrière à Londres.

             Originaires de Caroline du Sud, Earnestine et Shirley Pearce montèrent les Flirtations en 1964 avec l’Alabamienne Viola «Vie» Billups. Vie commence par dire qu’elles sont bien meilleures que les Supremes, et comme elle a flashé sur les Beatles, elle dit aux sœurs Pearce qu’il faut aller à Londres, car c’est là que ça se passe.

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             Dans Shindig!, Andy Morten leur accorde huit pages, un vrai traitement de faveur ! Il rappelle que Vie tenait la barre. Elle savait que les Flirtations étaient énormes, alors direction London. Là au moins elles pourraient s’imposer. Elles débarquent en 1967, en plein Swinging London. C’est lors de leur deuxième voyage à Londres qu’elles s’installent dans un hôtel à Bayswater. Elles ont quelques contacts, dont l’agent des Foundations, this guy Rod, qui les amène chez Barry Class, le manager des Foundations. En sortant de chez Class, elles croisent Wayne Bickerton et Tony Waddington qui leur demandent si elles sont chanteuses.

             — Yeah !

             — Wait a minute !

             Bickerton les ramène chez lui et sa femme Carol leur chante les cuts qu’il compose avec Waddington. Ils ont des hits à leur proposer. Et quels hits ! Comme Bickerton est A&R chez Deram, il présente les Flirtations à son boss Dick Rowe qui les adore et qui les signe aussi sec. En 1968, elles ont déjà un contrat chez Deram, un producteur et des compos de tous les diables. Dès le lendemain, elles entrent en studio avec la crème de la crème du gratin habituel, Big Jim Sullivan, Herbie Flowers.

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             Les Flirtations furent d’une certaine façon les petites reines de la Northern Soul à domicile. Leur album Nothing Like A Heartache paru en 1969 s’appelle aussi Sounds Like The Flirtations. Pour parler crûment, c’est une bombe, mais une bombe particulière : une bombe de Soul anglaise dopée au big sound et bardée de chœurs d’écho à l’anglaise. Pour Andy Morten, c’est l’album parfait : «12 tracks that ooze class and sophistication.» Quelle classe ! Le morceau titre t’emporte aussitôt la bouche. Tu assistes à l’éclosion du good old fucking genius en plein cœur du Swinging London - Perfect combination of acid rock and sweet Soul - C’est Earnestine qui chante lead. Et ça continue avec «This Must Be The End Of The Line» et une prod extraordinaire de Wayne Bickerton, avec des trompettes. On reste dans le son Bickerton avec «Stay», l’absolute beginner des Flirts, elles t’alignent le Stay sur une harmonie vocale forcée vers le haut. Comme on l’avait déjà constaté avec Sharon Tandy, le son anglais peut être explosif. Nouvelle dégelée avec «How Can You Tell Me?», c’est Motown avec le freakbeat anglais. Power blast ! Elles te jerkent encore «Need Your Loving», elles sont comme bombardées au sommet, tu n’as même plus le temps de chercher tes mots, tellement ça palpite dans la marmite. Motown à la puissance dix ! Big beat so far out ! Tout est bourré de son jusqu’à la gueule, comme on le dit d’un canon.

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    Cet album est une totale apocalypse d’excelsior. Il pleut du son, petite bergère ! Range tes blancs moutons ! Ça monte encore d’un cran avec «Once I Had A Love», elles se cognent au plafond du haut de gamme, elle te clament tout à la clameur. Même plan que P.P. Arnold avec «Love Is A Sad Song». Soul de rêve en Angleterre. Elles pulsent jusqu’au délire. Si par bonheur tu as chopé la red RPM, tu vas t’étrangler avec des bonus de rêve : «Keep On Searching» et «Everybody Needs Somebody», tous les deux tapés à l’anglaise, au wild rocking blast, avec les voix des filles de Motown, c’est extrêmement vivace, elles chantent comme des folles et ça vire glam ! Elles tapent l’Everybody au power extra-sensoriel, dans un délire de violonades, le son claque à un point qu’on n’imagine même pas. Nouveau mélange de Motown et d’UK power.

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             Elles ont trois pages dans Uncut pour évoquer leurs souvenirs de débutantes, et plus précisément l’enregistrement du morceau titre de Nothing But A Heartache (aka Sounds Like The Flirtations). Earnestine commence par rappeler qu’il y avait trop de girl groups aux États-Unis. Elle dit aussi que Vie adorait les Beatles. D’où l’idée d’aller tenter le coup à Londres. Vie prend la parole : «So a wild woman like myself turned up and said ‘Let’s get on that plane.’» Tony Waddington qui va flasher sur elles donne d’impressionnantes précisions : «Earnestine is mezzo soprano, Shirley is more mezzo and Vie is contralto, so that makes for a good harmony, very solid.» Il ajoute que la voix d’Earnestine «really cuts through the mix.» Après la rencontre avec Tony Waddington & Wayne Bickerton, vient la session d’enregistrement chez Decca. Elles enregistrent live. Earnestine est frappée par la qualité des musiciens : Big Jim Sullivan et Herbie Flowers, «some of the best session players in London», confirme Shirley. Waddington explique que les hits américains sonnaient bien à l’époque, car les musiciens étaient des pros, alors qu’en Angleterre, les musiciens étaient des amateurs. C’est pourquoi il voulait des pros en studio. Il voulait les meilleurs. Elles vont devenir des petites reines de la Northern Soul et chanter au Wigan Casino.  

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             Viola «Vie» Billups se barre en 1971 pour démarrer une carrière solo sous le nom de Pearly Gates. Misty Browning la remplace, bientôt remplacée par Loretta Noble. En 1975, les sœurs Pearce et Loretta Noble enregistrent Love Makes The World Go Round qui reste un honnête album, même s’il est parfois un peu diskö-poppy. Un cut comme «Like Sister & Brother» n’aura jamais aucun impact sur l’avenir du genre humain. Il faut attendre le bout du balda pour trouver enfin du big flirt des Flirtations : «Lover Where Are You Now». Et en B, elles refont du pur Motown avec un «Mr. Universe» vraiment digne des Supremes, belle stature artistique et grosse emprise. Plus loin, elles renouent avec la grosse Soul orchestrée («One Night Of Love»). Elles chantent toutes les trois à pleine voix. Elles savent se montrer dynamiques et pleines d’allure. Même si «Trial By Fire» sonne comme de la Soul classique, elles brûlent de désir et montent bien à l’assaut.    

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             Par contre, Pearly Gates devient une petite Dancing Queen avec On A Winning Streak. C’est un album d’heavy diskö, elle ne fait pas dans la dentelle. Elle a même des cuts qui sonnent comme du late Motown («Lifting Go Of The Pain»). Avec «Whirlpool», elle fait de l’heavy r’n’b à la mode, mais chanté au power pur. Elle suit les évolutions disons commerciales de l’époque. Elle jette dans la balance tout son poids de vieille Soul Sister. Et voilà qu’elle fait son Esther Phillips avec «Days In New York». Superbe shoot de diskö de charme. Du coup, on dresse vraiment l’oreille. Elle tente chaque fois le tout pour le tout, elle est très sportive. «Stop For Love» sonne encore comme la diskö des jours heureux. Elle fait une cover de l’«Ain’t That Peculiar» de Smokey, puis rend hommage à Leiber & Stoller avec une cover de «Dancing Jones», et revient à sa chère hard diskö avec «You’ve Got It». Une chose est certaine : tu ne restes pas assis sur ta chaise. Trop content de danser avec Vie Billups. Bon, il y a aussi un DVD dans l’emballage, mais il doit être destiné aux vrais fans de diskö.

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             Le croiras-tu ? Les Flirtations refont surface cette année avec un extraordinaire come-back album, Still Sounds Like The Flirtations, titre qui fait écho au Sounds Like The Flirtations. Elles sont là toutes les trois, Earnestine Pearce, lead vocals, sa frangine Shirley et Viola Billups aux backing vocals. Attention, les trois premiers cuts flirtent avec des tendances diskoïdales, et elles passent aux choses très sérieuses avec «Memories», beaucoup plus r’n’b, et là ça devient passionnant, elles te développent le Memories avec des clameurs idoines. Ça devient fameux avec «You Don’t Live Here Anymore», elles l’ultra-chantent et font du Black Power en féminin. Ça éclate encore au Sénégal avec «(Keep Chasing) Blue Skies», elles renouent avec l’âge d’or des sixties, c’est une véritable merveille inconditionnelle, un must de real deal. Tu crois qu’elles vont se calmer ? Non, car voilà «Take It Back», un wild r’n’b, du pur Motown sous amphètes, elles y vont à l’I need you to prove it, elles t’explosent la rondelle des annales de Motown. Quelle aventure ! Elles montent encore d’un cran avec «No One Does It Like You», c’est admirable de véracité Soul, Earnestine chante comme la reine de Nubie, elle donne à ses accents une couleur écarlate et chaude, elle fait dérailler des syllabes dans le bonheur, l’art d’Earnestine te transporte, il faut l’entendre groover son ouh-ouh ouhhouhh, t’as l’impression de vivre un moment historique. Elle monte encore sur ses grands chevaux pour «Life Is Like A Mountain» - Don’t give in - Elle rue dans le rumble. Les Flirtations sont dans le vrai à un point qui dépasse l’entendement. Earnestine appuie encore ses syllabes dans «Thought I Knew You». Elle donne tout ce qu’elle a dans le ventre.

    Signé : Cazengler, fleurt fané

    Flirtations. Sounds Like The Flirtations. Deram 1969

    Flirtations. Love Makes The World Go Round. RCA Victor 1975

    Pearly Gates. On A Winning Streak. Night Dance Records 2010

    Flirtations. Still Sounds Like The Flirtation. Cargo Records 2024

    Nothing but a heartache. Uncut # 329 - September 2024

    Andy Morten : Walking down a street in London. Shindig! # 133 - November 2022

     

     

    Holiday on Ace

     - Part One

     

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             Les gens d’Ace font bien les choses. C’est même, dirons-nous, communément admis. Personne n’oserait dire le contraire. Ce postulat a la peau dure. Il avoisine désormais les cinquante ans d’âge. On parle d’Ace comme on parlait de la Bible au moyen-âge : la voie du salut, et en même temps la mère de tous nos vices. 

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             Histoire de re-défrayer une chronique qui n’en peut plus d’être défrayée, les gens d’Ace lâchent dans la nature quatre compiles en forme de bêtes fauves : The Best Of Ace Rockabilly va dévorer les fans de rockab, The Best Of Ace-Sixties Garage Punk va dévorer les derniers fans de gaga-punk, This Is Mod 1960-1968 ne va faire qu’une bouchée des fans de Mod craze, et This Is Street Funk 1968-1974 va engloutir tous crus les fans de funk. Des compiles d’autant plus féroces qu’elles ne sortent qu’en vinyle, ce qui leur donne une crédibilité à toute épreuve. Tu n’approches pas un vinyle de la même façon qu’un CD. 

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             Sur This Is Mod 1960-1968, tu retrouves ce vieux chouchou d’Arthur Conley, à la fois en recto de pochette et sur la B, avec «I Can’t Stop (No No No)». Et tu as encore plein d’autres vieux chouchous, c’est comme s’il en pleuvait, enfin, façon de parler, puisque le nombre de cuts se limite à 14, ce qui n’est pas dans les habitudes des gens d’Ace qui auraient une petite tendance à en rajouter. Si tu veux jerker comme un beau diable, alors écoute James Carr et l’impavide «Coming Back To Me Baby». C’est à Clarence Carter que revient l’insigne honneur d’ouvrir le balda, avec le plus évident des ‘dancing-floor fillers’, «Looking For A Fox». Ha ha ha ha, il rit comme un ogre et tu vois ses dents briller dans la nuit. Mais au lieu de t’enfuir, tu jerkes. Le Fox de Clarence pourrait bien être l’apanage du Mod craze. Tu les vois jerker, les Mods et les Modettes, dans la boom de la dansette. Et puis t’as Jimmy Hughes qui s’amène la bouche en cœur avec un version mellow d’«Hi Heel Sneakers». C’est autre chose que celle de Jerry Lee. Jimmy Hughes est magnifique de feeling black et de tact. Et puis au bout de la B, tu tombes sur le «Talkin’ Woman» de Lowell Fulsom, sa fantastique énergie et son ha ha you’re talkin’ too much. En B, t’as deux autres superstars d’Ace complètement inconnues, d’abord Darrow Fletcher, avec «The Pain Gets A Little Deeper», il met tout le feeling du monde dans son r’n’b. C’est incroyable que Darrow soit passé à l’as. On va dire la même chose de Mary Love qui casse bien la baraque avec «Lay The Burden Down». Elle sait rocker le boat, la petite Mary, elle est fabuleuse d’à-propos black.

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             Et voici la compile rokab de Keb Darge : The Best Of Ace Rockabilly. Elle se montre digne de ton étagère. Comme Keb compile, il commente ses cuts. Il prend bien soin de rappeler qu’il faut en baver pour trouver certains singles rockab. Il remercie aussi Barney Koumis, Boz Boorer et d’autres spécialistes londoniens. Keb en pince pour le slap, alors il démarre avec le «Blue Jeans & A Boy’s Shirt» de Glen Glen, ça percute la stand-up, ça te boppe le cul. Slap toujours en B avec Hal Harris et «Jitterbop Baby» - The first Ace 45 I bought - Il précise qu’Ace l’a sorti from the Starday masters en 1978. Oh le slap ! Qualité fondamentale de la musicalité ! Bien sûr, les Wild Cats pullulent sur cet album, à commencer par Benny Ingram et «Jello Sal», puis Pat Cupp & The Flying Sauvers et «Do Me No Wrong», ça jive sec, la Cupp est pleine. En fait, le pauvre Keb n’a pas grand chose à raconter sur ses singles. Max Décharné est beaucoup plus intéressant, il sait transmettre sa fièvre. Keb flashe aussi sur le bu bu bu bu baby de Billy Barrix dans «Cool Off Baby» et il a raison, le bougre. Il rappelle aussi que Billy Barrix fut le premier petit cul blanc signé sur Chess. Cinq cuts sur quatorze, c’est déjà pas mal pour une compile rockab. C’est même mieux que rien. 

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             Sur sa lancée, Keb Darge propose une autre compile : The Best Of Ace-Sixties Garage Punk. Keb te claque un bon coup de Chocolate Watchband, «Sweet Young Thing», bien dru et archétypal, et qui sent bon la Stonesy. «Their best outing» nous dit Keb. Il ajoute qu’avec l’arrivée de session musicians en studio, les Chocolate allaient perdre leur magie. Au niveau des têtes connues, t’as aussi The Litter avec le Minneapolis pounder «Action Woman». Pour le côté révélatoire des choses, il faut attendre Sandy Edmonds et sa cover du «minor hit» des Pretties, «Come See Me». Il tape dans le cœur du mythe, en plus poppy. Mais t’as pas mal de cuts qui ne marchent pas : Music Machine avec «The People In Me» ou The Knight Riders avec «I». En B, Keb tape dans les trésors de Norman Petty avec Venture 5 et «Good & Bad». T’as tout de suite du son. New Mexico ! Même chose avec The Fog et «Grey Zone». Cette fois, Keb tape dans Gary Paxton, l’autre génie tentaculaire de l’underground américain. En fait, ils sont trois : Norman Petty, Huey P. Meaux et Gary S. Paxton. Même niveau de légendarité que Kim Fowley. Le «Grey Zone» que Keb a choisi t’accroche car extrêmement psyché et même assez mystérieux. Keb l’a trouvé sur la compile d’Alec Palao, Lost Innocence. Et puis t’as The Lyrics avec «They Can’t Hurt Me», qui sonne comme un hit. En bas du verso de pochette, Keb raconte ses mésaventures de collectionneur. Il se dit fier d’avoir collé sur cette compile des trucs inédits. 

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             Et puis t’as cette petite bombe atomique : This Is Street Funk 1968-1974. Atomique à cause de Billy Garner et «Brand New Girl». Il a le diable au corps, le Billy. Il est encore pire que James Brown. C’est du pur jus de funky Black Power. On va le retrouver Inside The Goldmine. Il n’a enregistré qu’un seul album, l’excellent Super Duper Love. L’autre cake de la bombe atomique, c’est Billy Sha-Rae avec «Do It». Solid Detroit funk d’I need some. Billy est une vraie bête de Gévaudan black. Une poignée de singles et puis plus rien. T’a aussi Millie Jackson avec «Hypocrisy». Millie on le sait est l’une des plus parfaites incarnations du Black Power. Il faut entendre le deep beat de groove derrière elle ! On savoure aussi le délicieux Fatback groove du Fatback Band («Mister Bass Man»), et on retrouve Chet Ivey, salué Inside The Goldmine. Il tape ici un joli shoot de «Bad On Bad». L’autre grosse révélation de la bombe atomique, c’est The Two Things In One avec «Over Dose (Of You)». Solide funk de Soul. The Mello Matics font une belle cover de «Mother Popcorn», et Larry & Tommy une superbe resucée d’«Here Comes The Judge», bien bardée de barda, vraiment juteuse. Et puis t’as Eddy Giles qui fait son Wilson Pickett avec «Soul Feeling Pt1». Il connaît bien son affaire.

    Signé : Cazengler, Ace of EsHPAD

    Keb Darge. The Best Of Ace Rockabilly. Ace 2023

    This Is Mod 1960-1968. Kent 2024   

    This Is Street Funk 1968-1974. Kent 2024

    Keb Darge. Presents The Best Of Ace-Sixties Garage Punk. Ace Records 2024

     

    *

    _ Ah ! Charmante factrice, je vous attendais avec impatience !

    _ C’est gentil Monsieur Damie, mais que faites-vous devant votre portail avec cette winchester dans les mains ?

    _ Je surveille ma boîte à lettres ! Peut-être avez-vous dans votre sacoche, une enveloppe blanche à mon nom. Je ne veux pas prendre le risque que quelqu’un s’en empare, c’est urgent et c’est précieux ! Je suis prêt à abattre comme un chien toute personne qui voudrait s’en emparer !

    _ Oh, Monsieur Damie, vous êtes un grand romantique, je soupçonne que seule une tendre missive écrite par une jeune fille doit être capable de vous mettre en cet état de fébrilité avancée !

    _ Madame la factrice, vous êtes folle à lier si vous pensez qu’un feuillet rédigé par une quelconque femelle énamourée pouvait susciter en moi une telle fièvre ! Non c’est ma revue préférée dont je guette la venue !

    _ Une revue !!! tenez la voici !

    _ Enfin ! à franchement parler je pense que si vous ne me l’aviez pas apportée ce matin, de colère je vous aurais étendue raide d’une balle dans la tête !

    _ Quoi, Monsieur Damie, prêt à perpétrer un féminicide pour une vulgaire revue !

    _ Une revue de rockabilly, cela change la donne, charmante factrice je suis sûr que vous comprenez !

    _ Vous êtes un criminel en puissance, un phallocrate, un macho, un mâle blanc de plus de cinquante ans, un suppôt du patriarcat qui opprime les pauvres femmes comme moi depuis des millénaires, ça ne m’étonne pas, votre winchester, votre perfecto, vous vous prenez pour un cowboy, je parie que votre sale torchon doit être rempli de pauvres gars comme vous, qui exhibent à défaut de leur pénis leur grosse guitare rouge avec un manche aussi long que la tour Eiffel ! Vous vous prenez tous pour les rois du rock’n’roll !

    Evidemment j’aurais dû l’abattre d’une balle de winchester et la laisser agoniser sur le trottoir. Ce serait trop rapide, il faut qu’elle souffre, que tout le reste de sa vie elle ressente la honte d’avoir lancé une accusation mensongère. D’un geste vif je déchire l’enveloppe blanche et arrache le film plastique protecteur avec rage :

    _ Tenez regardez la couverture, lisez le titre et vous saurez comment les rockers vénèrent les êtres féminins : LINDA GAIL LEWIS LA REINE DU ROCK’N’ROLL.

    Elle pousse un cri et tombe évanouie sur son vélo. Je ne lui jette pas un regard, je monte en courant les marches de ma maison, j’ai une revue à lire :

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 31

    OCTOBRE –  NOVEMBRE – DECEMBRE (2024)

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             Il a fallu deux numéros spéciaux de Rockabilly Generation à Julien Bollinger pour raconter les premières années et le début de la carrière d’Elvis, l’aurait pu ressortir tout fier du brillant travail effectué, oui mais il possédaitt encore une foule d’anecdotes et d’histoires à nous rapporter… ce numéro 31 débute donc par cinq pages arrachées à la légende dorée d’Elvis Presley. Attention parfois c’est du toc…

             Certes sur la couverture et la page deux Linda Gail Davis vous sourit, mais avant de vous incliner devant la reine du rock’n’roll, va vous falloir traverser l’Enfer. Julien Bollinger vous oblige à regarder en face le Diable en personne. Vous le connaissez sous le nom de Colonel Parker.  C’est un peu ce que dans les Séries l’on appelle une préquelle, la biographie du Colonel jusqu’au moment où il se prépare à faire signer au petit gars de Tupelo le pacte faustien dont jamais il ne pourra se libérer… Un drôle de zèbre ce Colonel, mais un zèbre américain ce qui change tout, comme tout bon américain, il vient d’ailleurs, une fois qu’il aura mis le pied sur le sol amérindien il sera plus américain que tous les américains, l’acquiert l’âme d’un héros, d’un winner, d’un tricheur, parti de rien, il parvient au sommet, comme le lierre parasite qui s’enroule autour du séquoia pour mieux l’étouffer… La route n’est pas facile, il apprend vite. L’a le flair. L’a un seul Dieu : le dollar. Faut le suivre. Vous pensez qu’il tente de vivre. Fait mieux que cela. Il cherche ce qui lui manque. La poule aux œufs d’or. Ne croyez pas qu’Elvis sera la révélation de sa vie. Pas du tout. Pour Parker, Elvis n’est pas un début, juste une fin. Le dernier chiffre au bas de l’addition. Quand il trouve Elvis il a déjà expérimenté sur d’autres les moyens de se rendre maître d’Elvis. Cet article est à lire, il vous apprendra tout ce que vous ne savez pas sur la naissance du rock’n’roll, et surtout bien plus grave ce que vous savez. A la différence près que vous n’aurez jamais l’envergure du Colonel Parker. Même si vous chantez aussi bien qu’Elvis, ce qui a toutes les chances de ne pas être votre cas.

             Vous voulez Linda, oui mais d’abord il faut passer par Johnny. Pour la simple et bonne raison que c’est grâce à Johnny que Linda est à Romilly-sur-Seine et sur scène. Lisez, attardez-vous sur les très belles photos de Johnny, quelle dégaine et quel style, et vous saurez tout sur le Biker Trophy consacré à Hallyday, c’est à cette occasion que Linda Gail Lewis est venue chanter et que Rockabilly Generation l’a interviewée, Brayan et Anaël posent les bonnes questions et Linda se raconte, depuis son enfance. Nous ne retiendrons que l’admiration sans borne qu’elle porte à son frère Jerry Lou… Sergio nous emmène Backstage pour les photos de Linda, d’Annie Marie Lewis, de Danny B. Harvey de Maryse, de Brayan et d’Anaël.

             Fallait être à La Chapelle-en-Serval, belles voitures et beau monde : Barny And The Rhthm All Stars, Darrel Higham And The Enforcers, Matchbox avec Graham Fenton, Ghost Highway… Remarquez le Festival Mont-Dore présenté par Son organisatrice Muriel Hery, avec ses 13 groupes, sa philosophie un tantinet égalitaire, la prestation explosive des Hot Chikens, et chose rare sa gratuité, n’avait pas l’air mauvais non plus. Surtout que les photos grand-format de Sergio vous émerveillent les  mirettes.

             Je termine par une petite curiosité, Christelle, si j’ai bien compris, parce que la couture et moi… à partir de photos de nos idoles, par exemple Gene Vincent et Vince Taylor, elle fait établir une espèce de canevas, mais au lieu d’utiliser de simples fils à broder  elle rajoute des perles de différentes couleurs et obtient ainsi de superbes portraits.

             Y a encore quelques articles dont je n’ai pas parlé, juste pour vous laisser le plaisir de les découvrir.

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             Merci à Sergio Kazh et à son équipe, Rockabilly Generation News, est une revue indispensable à tous les amateurs de rock’n’roll !

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  6 Euros + 4,30 de frais de port soit 10,30 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 38 Euros (Port Compris), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( Rajouter 1,10 € ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! 

     

    *

             On ne s’ennuie pas à Pendleton, petite ville au cœur  de l’Oregon, état situé au-dessus de la Californie, au mois de septembre s’y déroule le célèbre Round-up de Pendleton – ne confondez pas avec le très glyphosatique produit méphitique de Monsanto – c’est juste un des rodéos les plus fameux des Etats-Unis. Vous ne désirez pas vous inscrire à ce concours ouvert à tous, nous n’insisterons pas non plus pour l’adjacente compétition des Bull Riders, ne craignez, nous avons une activité moins téméraire à vous proposer, le Jackalope Jamboree de Pendleton, festival de musique, trois jours, trois scènes, au mois de juin, artistes et groupes de blue grass et de country, qui s’étend sur trois jours au mois de juin.

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             Two Runner était sur scène, nous ne les verrons pas, elles ne sont pas cruelles, elles ont posté une vidéo (GemsOnVHS) enregistrée dans en pleine nature dans les environs. Rappelons que chaque année Gems organise un concours qui regroupe plusieurs centaines de concurrents, que Two Runner a remporté en 2022.

    STRAWBERRY RHINESTONE

    TWO RUNNER

    (YT / Field Recording / Septembre 2024)

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    Attention, profitez des toute premières secondes, elles permettent de voir un  des podiums du Jamboree, alors que la voix de Paige indique qu’elles vont refaire une prise, admirez la vision de ce palomino qui galope durant quelques secondes, il n’est pas là par hasard, même si par la suite il n’apparaîtra plus sur l’image, on ne perd pas au change puisque voici Emilie Rose et Paige Anderson debout en plein milieu d’un champ de blé, en arrière-fond s’élèvent des collines dépourvues de végétation…

    Une bluette, une chansonnette, presque rien, un presque rien qui trimballe la tristesse de toute l’existence, de toutes ces verroteries fragiles qu’elle nous tend, ne laissez pas passer votre chance, même si elle ne restera pas, elle s’éclipsera, tel le rêve d’un palomino que l’on ne retiendra pas, les songes sont ainsi ils s’éloignent, et se perdent l’on ne sait où, parfois les fruits que l’on mord nous embaument d’une saveur douce-amère.

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    La voix de Paige emplit l’immensité, sérénité et tristesse emmêlées, le ver est dans le fruit que l’on goûte, la mort habite les rhizomes de la vie, si tu cueilles le jour, tu cueilles en même temps la nuit qui suivra, et qui l’a déjà précédé… leurs deux voix s’emmêlent, elles fredonnent comme l’on s’étonne devant l’évidence, la guitare de Paige coule paisiblement, dans sa robe rouge Emilie promène son archet sur son violon, rafales de l’Inexorable destinée qui s’avancent à pas lents, pieds nus sur la terre sacrée des désirs vifs et des angoisses tues…

    Ne vous laissez pas submerger, Two Runner vous donne l’exemple, le morceau terminé elles éclatent de rire, le monde retrouve subitement sa beauté extravagante…

    Le courage de vivre, encore et encore…

    Damie Chad.

     

    *

    Je ne pouvais pas ne pas écouter, alors on embarque pour un périple touristique, avec un peu de chance un Dieu grec compatissant nous enverra quelque monstre pour égayer la journée…

    MYTHOLOGICA

    CHILDREN OF AEGEAN

    (Grooveyard Records / 2019)

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             Le format carré du CD ne rend pas justice au tableau de John William Waterhouse (1849 -1917), peintre britannique, très inspiré par la mythologie grecque, son œuvre est à voir sur Wikipedia, il fut proche des préraphaélites et des symbolistes, il n’y a pas que l’impressionnisme qui ait rayonné au dix-neuvième siècle… Ulysse et les Sirènes date de 1891.

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             Le disque est avant tout l’œuvre de Stavros Papadopoulos, compositeur grec, sur cet opus il joue la quasi-totalité des instruments : guitars, bass, keyboards. Un compositeur prolifique qui a aussi participé en tant que guitariste à plusieurs groupes rock. Vous le retrouvez ainsi avec le guitariste  Panagioti Zabourkis dans le groupe Super Vintage, il s’est principalement chargé de la guitare acoustique sur Enfants de la mer Egée.

             Chacun des dix instrumentaux du CD évoquent tour à tour un épisode de la mythologie grecque.

    Sizyphus : l’on a accusé Sizyphe de beaucoup de maux, il s’est joué des Dieux, pas des moindres : Hadès en s’échappant des Enfers, il aurait eu des vues sur Héra l’épouse de Zeus qui n’a pas apprécié… il fut condamné à pousser éternellement un énorme rocher au sommet d’une colline duquel il retombait systématiquement, étrangement Albert Camus l’athée l’a en quelque sorte déifié en en faisant le symbole de l’Humanité obstinée à combattre l’absurde de toute existence vouée à la mort… comment rendre la complexité d’un tel personnage, fourbe, voleur, arrogant, nietzschéen avant l’heure, avec une guitare et moins de six minutes, top chrono ! :  Un décor phonique de carte postale, flûte de berger et coucher de soleil sur la mer Egée, le temps se gâte, la nuit n’habite-t-elle pas l’âme de Sisyphe, la guitare comme un relent d’obscurité qui ne cesse de revenir, il ne s’amplifie jamais, Stavros ne conte pas les exploits et les sacrilèges du fondateur de Corinthe, il n’évoque sa terrible punition que par cette ombre qui mène résidence dans l’esprit de Sisyphe, la marque noire est présente depuis le premier jour de sa naissance dans la gélatine blanche du cerveau, elle n’a pas besoin de se développer, d’ailleurs le monde serait-il assez grand pour l’accueillir, simplement un signe. Le signe de la démesure. Néfaste. Delos : île minuscule au milieu de l’archipel des Cyclades, Délos fut une île sacrée, c’est elle qui permit à Léto, pourchassée par la vengeance d’Héra car enceinte des œuvres de Zeus, d’accoucher sur son territoire. Notez que si vous ne naissez pas vous ne pouvez pas mourir. Les Grecs n’ont jamais eu de problème avec la mort mais beaucoup avec l’immortalité. Qui parle de Délos évoque les Dieux qui y sont nés : : notes claires, Apollon n’est-il pas le Dieu du Soleil, bientôt rehaussées de riffs de guitares aussi étendus que l’immensité de la mer, le ton devient plus grave, une basse mordante, des électriques incisives, Apollon est aussi un Dieu terrible, un dieu-loup investi d’une puissance redoutable, mieux vaut ne point l’offusquer, quelques coups de toms précisent la menace, il est inutile que le Dieu bande son arc, tout redevient calme, le regard d’Apollon se pose sur les eaux. Que regarde-t-il ? Caryatis : la photo des Cariatides de l’Erecthéion est une des images les plus célèbres d’Athènes, se rappelle-t-on que les statues des Cariatides représentent des prêtresses d’Artémis de Laconie : voici donc Artémis la sœur d’Apollon, à sa manière aussi dangereuse que son frère, peut-être même davantage cruelle, elle est la beauté et la pureté, elle aime le sang, évitez de porter ses yeux sur sa nudité, nos Enfants Egéens lui rendent justice, des riffs d’or pur ensorcelants, mais des froncements de sourcils ébouriffés de colère, c’est en Laconie que réside Sparte l’Intransigeante et le territoire mythique de l’Arcadie originelle. Restez discrets. Morpheus : un Dieu que l’on attendait pour cette nuit, Morphée le Dieu du sommeil qui vous effleure de son ale noire, qui apporte les rêves mais qui surtout peut prendre n’importe quelle forme humaine pour apparaître dans votre sommeil, méfiez-vous de vos rêves ce sont des artefacts divins pour vous réconforter ou mettre à mal votre mental : un court repos, le son comme voilé, même lorsqu’il se déploie il semble venir de loin, un rythme langoureux, qu’êtes-vous en train de faire dans votre sommeil, dites-vous que ce n’est qu’un rêve trop tôt évanoui.

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    Argo : la nef divine qui porta Jason lorsqu’il partit avec les quarante plus grands héros de la Grèce pour la conquête de la Toison d’Or, aurait-il réussi si Orphée n’avait pas été de son côté, cette histoire est racontée dans une épopée dont aujourd’hui il ne reste pas un seul mot et qui servit vraisemblablement de modèle inspiratif  à Homère pour l’Odyssée… : inutile de porter un coquillage à votre oreille pour entendre les vagues et voler parmi l’écume et la mer les oiseaux ivres, Stavros ne nous présente pas les passages les plus palpitants de cette expédition guerrière, il insiste sur la longueur monotone de l’Aventure, les hauts-faits ne sont marqués que par quelques soubresauts. Mais le voyage des Argonautes s’est-il vraiment terminé un jour, à la fin du morceau l’on entend encore le bruit des vagues, preuve que le navire sillonne encore les routes de nos rêves… Symplegades : au milieu du détroit du Bosphore les Symplegades se dressaient deux énormes rochers qui ne cessaient de se rapprocher interdisant le passage des navires écrasés entre les deux énormes masses, certains affirment que Jason s’en remit au vol d’une colombe, d’autres maintiennent que par son chant Orphée immobilisa les deux rocs… : l’instant est palpitant, pas de quoi affoler le Capitaine Stavros, doit compter sur sa guitare comme Orphée sur sa lyre, pour se tirer de ce mauvais pas, à peine presse-t-il le tempo, il aiguise un peu les riffs, il étire les notes, Zabourkis est au contrepoint, veille à ce que la barre ne varie pas d’un degré, ne se hâtent pas avec lenteur comme la tortue de tonton La Fontaine, mais ils passent l’obstacle les doigts dans le nez. Wrath of Achilles : colère d’Achille, tout le sujet de l’Illiade,  nous espérons que Stavros va s’énerver, avant qu’Achille ne fasse du boudin sous sa tente, le fils de Thétis a commis quelques beaux carnages, et son courroux sera impitoyable : un beau début avec cette frappe de cloche qui renvoie à Mountain, oui Stavros a compris qu’il fallait hausser le ton, il monte le son, nous donne un peu l’impression que les remparts de Troie vont s’écrouler sur nous lorsque le riff se déploie, ce n’est pas mal du tout mais en sourdine l’on pense qu’il est capable de faire mieux, n’imitons pas l’impétueux Achille, ne boudons pas notre plaisir. Nymph : dommage que Stavros ne nous ait pas emmené dans le cheval de Troie pour participer à la destruction de Troie, nous sommes privés des meurtres, des viols, des pillages et des incendies : la guitare tresse des guirlandes en l’honneur de ces créatures mythiques et élémentales que sont les nymphes, c’est doux et c’est beau, languissant, un petit côté repos du guerrier, pas dégueu mais l’on aurait préféré quelque chose de plus viril que cet intermède yinique, ils doivent s’y trouver bien, ils font durer le plaisir. Penelope’s loom : célèbre scène de l’Odyssée, Pénélope défaisant la nuit ce qu’elle a tissé le jour… : pas de bruit, beaucoup d’acou, guitare glissante et fuyante, la tristesse d’une reine atterrée d’une si longue attente, une réussite. Pythea : non, pas la prêtresse de Rome qui prophétise la fin de Rome – celle de l’antiquité par là-même – mais celle du temple de Delphes, La Pythie enivrée par les vapeurs qui montent de l’antre du serpent, retour à Apollon : une entrée mélancolique, cet exil humain, cette différence, cette distance qui sépare l’Homme des Dieux, toute cette ignorance qui nous définit, ce manque de connaissance et d’incandescence auxquelles nous accédons par l’entremise des oracles, un peu comme si se dévoilait la trame complète de nos jours, cercles ridffiques qui s’enchaînent en un extraordinaire crescendo qui s’arrête au moment exact où l’on croit que la totalité inaccessible  va nous être dévoilée. Encore plus définitivement que quand Platon nous fait cruellement comprendre que nous n’avons accès qu’à des ombres de la réalité.

             L’ensemble est agréable à écouter toutefois il ressemble un peu à un dépliant touristique sur papier glacé. Stavros ne semble pas impliqué à cent pour cent dans la mythologie de son pays. Nous sert une série de belles images, mais cette mythologie ressemble un peu à une morthologie, il ne l’utilise pas pour décrypter notre époque.  Aucun projet de reviviscence n’est développé.

    Damie Chad.

     

    *

    Avec un nom de cet acabit, de grandes chances pour que ce soit un groupe grec. Pour une fois le flair du rocker n’a pas fonctionné, non cette bestiole provient des States, jamais entendu parler, en plus je ne sais même pas si c’est un groupe. En tout cas un truc un peu frappé de la cafetière, je sens que je vais aimer.

    OPUS DOOM

    GREAT GAIA

    ( YT / BC13 Septembre 2024)

    Z’on (vous comprendrez plus loin la subtilité de l’intentionnelle absence du T) déjà sorti un album en 2018 et deux EPs de cinq et six titres en 2019, voici tombé comme un aérolithe venu d’un ciel lointain sur notre planète barbare ce nouvel full-lenght-album.

    Autant j’apprécie le rose tyrien de la couve autant je ne puis retenir un sourire devant ce sage en prière communiale avec la Sagesse Suprême, l’on se croirait transporté près de soixante années en arrière chez nos cousins lointains les hippies d’Amérique. Par contre ces champignons hallucinogènes  au bas de la souche-trône ne me disent rien qui vaille, un peu trop bourrés de colorants, ressemblent trop à des à des amanites phalloïdes, exactement à des Calices de la Mort d’Agaric bulbeux, j’ai vérifié dans un traité de mycologie.  A consommer avec modération… Pour la couronne de cornes qui surmonte la tête de Craig Carloni (voir paragraphe suivant) il se surnomme lui-même : Magicien du Taureau à moitié cuit.

    Pour la distribution des rôles : Craig Carloni : song composition, vocalist, guitarist, bassist, Keyboardist-Synth, Drummer, Lyricist, Production, Art Director, Ego-freak (individu nombrilique), Jack of all cringe, master of… cringe ( serviteur de toute dérision, maître de l’auto-dérision).

    Cerberus : Guardian of the Underworld - Electric Pogo-stick-Bongos.
    David Attenborough - Spiritual Guru-Merch Guy. (guru spirituel, préposé aux produits dérivés)

    Craig Carloni (basé à Columbus capitale de l’Ohio, état situé sous le Lac Erié) principal artefactor de cet album ne se prend pas au sérieux, le rire cache parfois de profondes blessures. Pensez par exemple à quelques nouvelles grinçantes d’Edgar Allan Poe.

             Pour que vous ne soyez pas surpris, voici le court texte par lequel Great Gaïa se présente : Explorer sans cesse les profondeurs des royaumes cérébral, physique et spirituel à travers une séquence de fréquences et de tonalités

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    Godless : fusilli hélicoïdal de guitare et tout de suite la darkful prend les commandes, une entrée monumentale qui se décline en répétitives trouées de notes claires, un vocal à double-effet, voix masculine et voix féminine se répondent, l’on se croirait dans un opéra, grandiose, avec parties lyriques et répons choriques, de fait le morceau s’avère d’une richesse folle, toutes les trente secondes l’on change d’atmosphère, les séquences se suivent et ne se ressemblent pas tout en s’inscrivant dans une même unité, une guitare qui grogne, une partition digne d’une écriture classique, un growl caverneux du temps de l’âge de pierre, des tempêtes électriques et des tempos liturgiques, le pire c’est que cela ne provient pas de l’envie enfantine d’épater l’auditeur, genre regardez ce que je sais faire, tout est arqué selon la logique d’un mouvement de pensée métaphysique. Une simple constatation, froide comme la mort, serait-ce la mort nietzschéenne de Dieu comme le titre pousse à le penser, non la disparition d’un être aimé, la confrontation avec le scandale d’une l’irréfutable advenue, comparée à ce décès la mort de Dieu est sans importance, ou alors si Dieu est mort c’est toi l’être cher qui étais Dieu. Que puis-je faire, si ce n’est devenir Dieu moi-même -  j’éliminerai par ma totalité tous mes manques, mais ne suis-je pas mort à ta mort, ne pourrions-nous nous retrouver dans l’amour de notre divinité conjointe. Impératif néoplatonicien. Raisonnements de la survivance. Opus doom : une voix perdue, fluette, blanche mangée par les termites du remord et les mites de l’impuissance, l’a l’air comme la batterie de tintinnabuler contre toutes les portes, voix du dedans, cachée, enrouée comme si elle avait honte, il y a de quoi, il se promettait une survie divine et maintenant l’en viendrait à se suicider pour échapper à l’indicible tourment, la musique devient folle, donne l’impression de se cogner la tête sur les murs phoniques, montées et descentes de voix, vouloir sortir du cauchemar et s’en vouloir de vouloir clore l’obsession stupide de poursuivre cette histoire dont un des personnages a été pour toujours rayé de la carte du monde des vivants. Si l’on écoutait cet opus sur une K7 il semblerait que la bande elle-même s’accélèrerait pour arriver encore plus vite à la fin de ce désastre mental. Dead bog’s love : dans le bourbier, dans la tourbière, n’idéalisons pas le passé, ne l’idyllisons pas, remémoration des dernières scènes, pleine voix, couperet d’une note claire toutes les cinq secondes, tension électrique subite, que puis-je faire dans ma solitude, qui as-tu été au juste, et notre amour quel fut-il , peut-être vaut-il mieux l’enfouir sous une masse sonique, jusqu’à ce que la voix se casse comme ciblée par le cristal du doute. Temple of sleep : (ce morceau est dédié à Sarah Tietjen : 12 / 26 /19 6 – 03 / 01 / 2022  – RIP forever loved) : enfin nous savons le nom de la personne aimée, vocal larmoyant, pleurs pour elle qui est partie si jeune, déjà minée par sa vie précédente, larmes pour lui-même, condamné à un terrible dilemme, l’entend-elle, aperçoit-elle son chagrin, sera-t-il capable de l’aimer tout le restant de sa vie, devra-t-il en crever, peut-être existe-t-il des raisons supérieures à sa mort, mais te voici sous terre, est-ce que je serai capable d’aimer aussi fort quelqu’un d’autre, ô toi si tu revenais et qui me manques tant, ô moi qui ne suis que ton absence… de toute beauté, une élégie musicale de Tibulle, la musique se gonflant ou s’amenuisant à chaque mouvement de l’âme. Winterbloom : bise glacée, notes perdues dans la brume, un chant qu’à première audition l’on croirait vespéral, n’est-ce pas une nouvelle naissance qui gouttège, d’un genre particulier, car s’il est impossible de nous retrouver dans la vie, peut-être pourrions-nous communier dans la mort, ne me suffit-il pas de laisser le froid de mon âme gagner mon corps, pour que je parvienne à ressentir ce que tu ressens, gouttes de rosée congelées pleuvent sur mon corps, ne suis-je pas en train de mourir, de faire l’expérience mentale de la mort, une tentative, une éploration froide de mon corps vers ton corps, si nos âmes ne parviennent pas à se rejoindre ne serions-nous pas capable de nous réunir grâce à nos corps qui se reconnaîtront et se retrouveront dans la mer de glace  du trépas. Hélas, je ne suis pas mort puisque mon chagrin triomphe.

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    Ghost Flowers : miracle, sourire synthétique des claviers, les guitares chantent haut, aurions-nous réussi, sommes-nous réunis, ne formons-nous plus qu’un, nous ne sonnes plus séparés, aurions-nous retrouvé l’androgyne originel, l’unité sacrée de notre présence au monde, musique comme suspendue hors du temps, protectrice comme l‘oeuf de l’éros premier, nous étions glace et nous voici feu, tout cela dans ma tête devant ta tombe qui ne s’encombre plus du manque seul de lourds bouquets,  l’un sur terre, l’autre sous terre, nous venons de connaître un moment d’intensité communielle inespéré, je peux mourir et être-enterré à tes côtés, lève-toi dans la mort et rejoins-moi, nous sommes tous deux devenus des Dieux. Pour nous, c’est le moment de relire Annabel Lee d’Edgar Poe : ‘’  … et ainsi, toute l’heure de nuit je repose à côté de ma chérie – de ma chérie – ma vie et mon épouse dans ce sépulcre…’’. Eternity’s end : bulles phoniques, le moment de faire le point, la voix déroule son raisonnement, tout ce que j’ai vécu n’est-il pas splendeur émerveillante, n’est-il pas éructation tourmenteuse, la batterie bat le rappel du doute, ne sommes-nous pas, toi comme moi, et même nous deux-toi-moi, choses mentales ou êtres physiques  périssables, nés pour disparaître, même si un jour la réincarnation nous donnerait une nouvelle fois naissance, ne serions-nous pas encore voués à la mort, et si nous sommes les Dieux que nous avions désirés devenir, notre perfection aura-t-elle encore besoin du manque de l’autre. Sérénité. Guérison. Leshi : pourquoi y a-t-il des arbres alignés comme les vivants piliers de la nature dans le sonnet Les Correspondances de Baudelaire, ‘’qui laissent parfois sortir de confuses paroles’’… parce que Leshi est une divinité issue des mythologies slaves, dieu tutélaire des forêts, nous pourrions le comparer à nos faunes grecs et latins qui hantaient nos bois, ce dernier morceau est semi-instrumental en le sens où l’on entend comme des chuchotements, des voix inaudibles, des cris incompréhensibles, d’inquiétants grognements parsemés de sifflements d’oiseaux, peu à peu écrasés sous les massives frondaisons d’une musique englobante et souveraine. Il serait facile de décréter que notre amant est devenu un Dieu sylvestre s’ébattant parmi les broussailles sous des cimes centenaires… Il est certainement plus juste de l’entendre comme une interprétation panthéiste et spinozienne du cycle de la vie, voire une reprise des enseignements ésotériques d’Eleusis, nous mourons comme la graine pour engendrer ou revenir sous une autre forme.

             Cet Opus Doom est splendide, d’une épaisseur et d’une densité rarement égalée. Un véritable chant d’expérience. Merci à Craig pour cet opera-doom.

    Damie Chad.

     

    *

             Je n’aime pas que l’on maltraite les animaux, mais là mon éthique ne m’interdit pas d’exhiber ce cheval étique.

    A LIGHT SCALPING

    SNAW

    (YT – BCAoût 2024)

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    Sont de Perth. Ce n’est pas un petit patelin. La cité atteint les deux millions d’habitants. Capitale de Région Occidentale de  l’Australie. Détail intéressant elle s’est élevée au bord d’une rivière qui se nomme Swan. Entre Swan et Snaw, il existe quelques phoniques accointances… La Swan River a-t-elle été nommée ainsi parce que des colonies de cygnes se plaisaient sur ses flots bleus, je ne sais pas, par contre je peux vous affirmer que le palmipède snawéen qui nous intéresse doit être un cygne noir. Particulièrement noir. Si l’on s’en rapporte à la photo sur Bandcamp censée représenter les artistes, la bestiole adore nager en eau trouble.

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    Laissons les cygnes se pavaner majestueusement sur les eaux planes de la Swan pour examiner le cheval  qui orne la couve de du premier album du groupe. L’œuvre est de Marc Potts, je vous conseille de vous attarder longuement sur son Instagram. Une imagerie médiévale très personnelle, fascinante. Peut-être le nom de Rossinante, la pauvre  haridelle de Don Quichotte vous est-il venu à l’esprit, où alors certaines gravures de chevaliers d’Albretch Dürer. Actuellement Marc Potts vit en Espagne, anglais de naissance, il n’a pas oublié la culture de son pays, en quelques mots il nous apprend que son tableau représenterait, le Dieu sous la colline, autrement dit l’Old Crocken l’esprit du Dartmoor qui veille prêt à s’opposer à tout individu qui tenterait de coloniser ce paysage de landes sauvages… En outre un peu d’étymologie nous apprend qu’en vieil anglais ‘’snaw’’ signifie ‘’neige des collines’’. Si malgré le recoupement de ces indices vous ne croyez pas à l’existence de Crocken, vous avez tort. Tor Crocken est un amas de rochers célèbres au milieu du Parc National du Devon, si vous l’examinez attentivement avec un maximum de chance vous parviendrez à percevoir dans l’amoncellement  rocheux le visage de l’Old Crocken qui surveille les alentours… Si l’Old Crocken ne se montre pas, comptez les pattes du cheval, huit comme Sleipnir, la monture d’Odin. La lance que l’Old Crocken tient à la main le classe parmi les guerriers. Snaw veut-il nous signifier que sa musique est un combat.

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    Jon Vayla : guitar, synth, bass / Robin Stone : drums

    Trapped behind seam of the world :si le titre de ce morceau vous paraît mystérieux les lyrics ne vous apporteront aucune aide,  l’opus est composé de six pièces instrumentales , quelles sont donc ces coutures du monde piégeuses, le plus simple me paraît en un premier temps de se fier à la peinture de Marc Potts, d’imaginer l’Old Crocken prisonnier de sombres et interminables couloirs souterrains, image de la relégation des anciens Dieux délaissés par les hommes, nous pouvons même proposer une explication platement naïve de la monture efflanquée qui n’a plus eu depuis quelques centaines d’années l’occasion de brouter l’herbe tendre et savoureuse des collines, de même ce Dieu dépourvu de jambes ne signifie-t-il pas son impuissance à agir sur le monde, entendons le long clopinement battérial de ce cheval harassé, et ces incessantes noirceurs de tristesses propagées par  ces bouffées synthétiques ne sont-elles pas les délétères pensées qui roulent dans la tête de la Divinité mise au rancart par l’Humanité, un mort au rebut qui n’en finit pas de tourner en rond dans sa tombe cyclopéenne. Tout nous oblige à croire à un monde crépusculaire, une espèce de parade dérélictoire pour une pavane infantine révolue… Mais si tout cela n’était qu’un leurre, une métaphore de quelque chose à venir… Bodies of ashes : c’est la suite encore plus ténébreuse la claudication des sabots du harin se font plus lourdes, des vagues poudreuses de sonorités morbides soufflent sur vous, l’Old Crocken est-il en train de passer sous un cimetière, la cendre des morts est-elle mêlée à l’argile, modelée dans la glaise informe… silence, le son devient poignant, ces cendres sont-elles la prémonition de son destin, lui qui arpente depuis si longtemps les couloirs labyrinthiques du dessous de la terre finira-t-il lui aussi en poussière, le kaolin suprême des Dieux emmêlé à la terre rongeuse et élémentale, l’union inêtrale des humains et des Dieux enfin accomplie, klaxons de trompettes, comme quand devant les monuments aux morts les drapeaux des mémoires vacillantes s’inclinent… Toute métamorphose se termine-t-elle en l’ultime forme impalpable du rien… Billboards :  comme si l’on traînait d’énormes charges avec des flambées funèbres de consolation, l’on ressent comme un affaiblissement généralisé subitement démenti par un surgissement phonique, la batterie se taille la part du lion, elle ne rugit pas elle se contente de secouer sa crinière, la synthétisation orchestrale essaie de l’étouffer, elle y parvient mais s’amenuise jusqu’au silence, total, reprise d’une plainte, l’on n’entend plus le pas du cheval, voici des grelots de sanglots pour marquer sa disparition, serait-on au moment de l’extinction des feux, dans le lointain le pas saccadé de la monture d’Old Crocken revient, non pas à la charge, mais indubitablement obstiné, l’Old Crocken proclamatif ira jusqu’au bout, d’on ne sait trop quoi mais jusqu’au bout…The crossing : il existe une vidéo-film de Paul Rankin de ce morceau : que voit-on ? Pas grand-chose. Ne riez pas, où vous croyez-vous, vous pensez que je fais de l’humour, vous ne comprenez rien au film, je ne parle pas des premières images de Rankin, mais du mystère, suis-je obligé de spécifier que ce qui est mystérieux n’est jamais clair, l’opus dans sa démarche musicale avance dans le noir, nous sommes dans le souterrain, des pincées de lumières ne montrent rien, elles nous permettent de deviner des formes, sont-elles réelles ou des produits de notre imagination, le corridor archétypal agit-il comme le révélateur photographique de notre propre imaginaire,  ce qui est sûr c’est la silhouette incertaine de cette fille, qui est-elle, que fait-elle, elle marche, elle danse, est-ce sa façon à elle de vaincre le minotaure dont la musique engendre les barrissements, la lumière est devant, déboucherons-nous à la lumière, aurons-nous le temps, le monstre se rapproche, c’est un vieil homme, maintenant son tronc marche à côté de ses jambes, c’est bien l’Old Crocken, la légende, d’après certains, n’affirme-t-elle pas qu’il est capable de prendre la forme de n’importe quel individu, de n’importe quel animal, de n’importe quelle chose, tout à l’heure lorsqu’elle a improvisé une espèce de ballet, qu’elle a étendu les bras, qu’elle a pris et endossé d’étranges postures, qu’elle s’est enroulée sur elle-même, couchée à terre et qu’un semblant de seconde elle est apparue inerte, comme un bloc de rochers, simulait-elle le Tor Crocken, n’était-elle pas l’Old Crocken lui-même en représentation de lui-même, si vous voulez suivre, dirigez votre oreille vers la résonnance des pas, bruits magnétiques comme de grosses noix écrasées sous les pieds d’un destrier farouche, cela vous empêchera peut-être de ne pas céder à la tempête phonique finale, vous garderez ainsi votre équilibre mental. Vous en aurez besoin. A light scalping : tapotements fatidiques, ondes de musique par-dessus, gémissements électroniques, non pas des avertissements de recul comme sur les engins de chantier pour vous avertir qu’ils vont reculer, non, au contraire pour vous confirmer que vous avancez, que sûrement il serait préférable que vous reculiez, tant pis vous désirez savoir, si vous désirez rencontrer l’ Old Crocken, que redoutez-vous, un léger scalpage, vous êtes prêt à risquer votre tête, à moins qu’il ne s’agit que cette minuscule fenêtre de temps durant laquelle votre imparfaite humanité encontrera, voire entrera en contact avec l’immarcescible profusion du divin. Est-ce pour cela que la musique est si mélodramatique…. Bleak city :  la fin de l’histoire, la solution finale, la dissolution finale, les grandes orgues, les trompettes cérémoniales, les timbales au fond de l’orchestre semblent voilées, elles ne résonnent pas, elles grincent, ça grogne et ça se traîne comme si chacun de vos pas rayait le parquet ciré de vos ambitions, des tentures de musique se déchirent, l’orage gronde, il surgit dans votre intérieur pour s’enfuir par la fenêtre, il imite le bruit d’un moteur d’un avion, un vieux coucou qui se débat dans les forces sifflantes du vent, chute, trompes de deuil, annonce-t-elles votre enterrement, musique finale de western, tout le monde regroupé autour de la tombe, la musique a tout donné. La musique a tout repris. Vous êtes arrivé à destination dans la fosse des serpents sonores. Bienvenue dans la cité du bruit.

    Damie Chad