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gene vincent

  • CHRONIQUES DE POURPRE 665 : KR'TNT ! 665 : JOEL GION / EMPTY FULL SPACE / SILVER LINES / MYSTERY LIGHTS / CLIFF NOBLES / DREAMLONGDEAD/ HORRENDOUS / BEE DEE KAY DRIVES THE U.F.O. ZZZ / JAMES BALDWIN / GENE VINCENT

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 665

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    14 / 11 / 2024

     

     JOEL GION / EMPTY FULL SPACE / SIVER LINES

    MYSTERY LIGHTS /  CLIFF NOBLES

     DREAMLONGDEAD / HORRENDOUS

    BEE DEE KAY DRIVES THE U.F.O. ZZZ 

    JAMES BALDWIN / GENE VINCENT

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 665

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - ExtenGion du domaine de la lutte

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             Joel Gion revient en force dans l’actu avec une grosse autobio, In The Jingle Jangle Jungle, sous-titrée Keeping Time With The Brian Jonestown Massacre. On saute dessus pour deux raisons évidentes : un, Joel Gion était devenu le chouchou de Jean-Yves (hello Jean-Yves !), et deux, Joel Gion est sans conteste le rocker le plus drôle de l’histoire du rock, c’est en tous les cas le souvenir qu’on a tous de sa presta dans Dig!, le magic movie d’Ondi Timoner, qu’on a tous a-do-ré. 

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             Et voilà qu’arrive ce pavé de 350 pages d’une rare densité, tant par les choix typo que par la qualité du style. Joel Gion est un fantastique écrivain. Il brosse bien sûr un portrait somptueux d’Anton Newcombe, et nous narre dans le détail l’histoire du psychedelic underground de San Francisco dans les années 1990. In The Jingle Jangle Jungle a tout du passage obligé. Au prix d’un billet de trente, c’est pas cher payé pour un passage obligé, autrement dit un classique d’art rock contemporain. Alors, on va te dire une fois encore : «Ahhhh mais c’est écrit en anglais», et tu vas devoir répondre une fois de plus : «Tu passes ta vie à écouter des trucs chantés en anglais, alors où est le problème ?» Au bout de 50 ans, on finit par se fatiguer d’avoir à rétorquer la même réponse. Les Anglais ont un joli mot pour qualifier cette tare typiquement française qui consiste à écouter des chansons sans comprendre les paroles : nonsense.

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             Un seul mot pour qualifier l’humour de Joel Gion : dévastateur. Un seul mot pour qualifier son style : rock électrique (au sens où l’entend Eve Sweet Punk Adrien). Un seul mot pour qualifier ce rock book : chef-d’œuvre. Ce qui donne en résumé : un chef-d’œuvre de rock électrique dévastateur, à ranger dans l’étagère du haut à côté des deux Nick Kent, des trois Andrew Loog Oldham, des trois Sweet Punk Adrien, des Mick Farren et des quelques autres régulièrement cités.

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             L’humour ! Joel se pointe dans une gare routière pour se rendre à Portland, et arrivé à la caisse, il se dit ça : «I’d always wanted to ask in my best Edward G. Robinson voice, ‘Shaay, shee, when’s the next bus up to Portland? Shee, meah.’» Il dit aussi qu’une nuit, il était tellement défoncé qu’il s’est endormi sur les marches d’une église et qu’il a été réveillé par la foule de churchgoers qui arrivaient pour la messe : il bloquait la porte. Revolution is not supposed to be easy, rappelle-t-il en bas de page. Dans un autre passage hilarant, Joel raconte qu’Anton lui propose de goûter le DMT - I take a hit. It kinda tastes like a tire. As I exhale the smoke away from me, a computer grid-like psychedelic world is released that comes toward me and surrounds the smoke from every direction, seemingly a melding of another dimension which I am also surruounded by - Bref, ça lui monte aussitôt au cerveau, il trippe comme un malade. Il tombe sur le dos et Anton lui replie les genoux en cadence sur la poitrine, comme pour sauver un noyé, «Out with the bad... in with the good... out with the bad...» Le trip tourne au gag. Pure ExtenGion. Et quand il dit qu’il n’apprécie pas trop la coke, il explique que c’est en fait «the key factor in why my brain still functions enough to even be writing all of this today.»

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             Joel est un remarquable styliste rock. Cette langue purement rock est celle qu’on recherche chaque fois qu’on attaque une autobio. Là, crack, c’est immédiat. Ça, par exemple : «What I did not see coming was that from that night forward I’d begun the bonkers, out-of-my-head journey that would eventually lead me to the mental state where playing the tambourine as a life-identity role made perfect sense.» Oui, Anton ne lui demande qu’une seule chose sur scène : jouer du tambourin. En quatre lignes, Joel résume tout l’épisode Brian Jonestown Massacre. C’est aussi l’époque du renouveau de l’underground à San Francisco, et il a une formule magique pour exprimer ça : «The underground rave scene is one of today’s major subcultures, and tonight its San Francisco Bay Area guard are currently holding ceremony on the outer edge of America.» C’est à la fois somptueux et vrai : on eut clairement l’impression à l’époque que le Brian Jonestown Massacre réinventait le rock, comme Loose Gravel, les Charlatans et les Groovies l’avaient fait auparavant. Ils ramenaient l’élément fondamental qui est l’excitation. Et il a les mots pour décrire ce qui se passe sur scène avec le groupe, et notamment Jeff Davies, truly a guitar player’s player : «His fingers began dancing a fast motion can-can up and down the fretboard doing this rockabilly country twang thing then suddenly spun around to show bare, ferocious garage-rock fangs. A fusion of both gorgeous melody and rotten trash that traded off and combined into metamorphosed melodies fluttering all around him like vampire butterflies.» Cette langue riche et imagée, tu la bois comme tu bois l’eau au sortir du désert. Car c’est bien de cela dont il s’agit : savoir dire les choses du rock, que ce soit dans le vécu ou dans l’écoute. Joel jongle à n’en plus finir avec des trucs de son invention, du style «pilled-out whiskey speed buzz-ball», des caravanes entières de mots valises, des mots qui parlent tout seuls, et si tu es traducteur, tu sais que c’est intraduisible. Aussi intraduisible que le sont dans des styles différents, Henry Miller, Bukowski et Milton Mezz Mezzrow. Pour décrire le coup de pied dans la gueule que lui envoie Matt Hollywood, Joel tape ça sur son clavier : «Instead, what happens is whacked-out whiskey-wasted Matt goes into such a football style wind-up kick that it even includes a run-up step and he kicks me right in the face as hard as he can.» Tout ça pour dire que Matt prend son élan et frappe dans la tête de Joel comme dans un ballon de football. On le voit d’ailleurs dans le Dig! movie, ça se bagarre pas mal dans le BJM. Anton a le coup de poing facile.

             Quand il monte défoncé dans le van, Joel s’écroule sur le siège passager, la gueule contre la vitre «and not even trying to hide the fact that I am fucked.» Il a aussi cette façon de décrire les parties et les backstages qui est assez unique - Backstage at La Luna, there’s all kinds of intoxicating options and after doing some rounds of the markeplace I pass on the coke, weed, ecstasy, acid and do a take-up on my old spirit chemical, speed - Et puis ça qui en dit long sur sa désinvolture naturelle : «Not to say Beatles boots are the most comfortable shoes out there, because they aren’t. But they’re not supposed to be; neither is life.» Ces traits d’esprit le situent admirablement bien. Il conserve une distance par rapport au manège du rock, même s’il passe le plus clair de son temps à se défoncer, mais l’esprit reprend toujours le dessus. Même quand il dégueule  - It was a thin but long healthy squirt fountain of fire-engine-red Kool-Aid barf. The sight of this gets me going again and I start convulsing like a cat with a hairball -  Et pourtant le fête continue, le groupe monte sur scène - The show is going rock solid and for me this is one of those unusual moments in life where all high expectations are fulfilled - Il sait dire l’intense bonheur d’être sur scène. Comme Will Carruthers au temps des Spacemen 3 et de Playing The Bass With Three Left Hands, il sait de quoi il parle.

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             L’héros du book, c’est bien sûr Anton Newcombe. Quand Joel voit Anton sur scène pour la première fois avec le BJM, c’est en 1991, en pleine vogue shoegaze anglaise : des groupes comme Ride et Lush jouent à San Francisco. Pour Joel, le BJM sonne comme les Spacemen 3, mais il se sert de ses influences pour en faire «his own new thing». Joel est aussitôt fasciné par Anton - There is an indescribable natural aura about him, a drugless zen of the kind that is up to the observer to find, because he himself seems to be uncounciuous of it. Like a cool vibe that comes with a house; it just is - C’est finement observé. Un mal dégrossi aurait dit d’Anton qu’il est «fucking great», et Joel préfère le «drugless zen of the kind that is up to the observer to find». C’est toute la différence entre un écrivain et un mal gégrossi. Joel raconte l’enregistrement du troisième album du BJM, Take It From The Man, et comment Anton apporte les dernières touches au «Sonic Big Bang» - One hour ago it didn’t exist. Now it does - C’est la façon qu’a Joel de résumer en une formule le génie sonique d’Anton Newcombe.

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             Joel quitte parfois le groupe, mais Anton est toujours content de le revoir - Il s’était fait couper les cheveux après la débâcle du Viper Room, et là, il revenait à son look Mod, portant un simple navy-blue pullover et un Levis blanc. Il me voit à travers la pièce et me fait un grand sourire. Time to get back to work - Ce book est aussi l’histoire d’une fantastique amitié entre Joel et Anton. Un Anton qui remet souvent les choses au carré. Joel le cite : «Je veux juste qu’on soit the best band we can be.» Et plus loin, il repart de plus belle : «The Beatles, Ha! Right ... Les Beatles jouaient dix sets par jour en Allemagne et ils sont devenus the best band on the planet. Est-ce que les autres membres du groupe sont prêts à ça ? Je me pose la question. J’en ai marre de perdre mon temps avec des mecs qui se plaignent que c’est dur.» Il ne faut pas perdre de vue qu’Anton est une locomotive. Sans locomotive, les groupes ne vont nulle part. C’est pour ça qu’à un moment, les BJM ne sont plus que deux : Anton et Joel - Dean, Matt, Peter, Brad and Jeff were all gone now for their individual reasons - Anton continue d’avancer, il se maque avec un nouveau manager, Michael Dutcher - He’s a big Allen Klein type fo guy who has perhaps watched Martin Scorsese’s mafia films too many times - Mais il a, nous dit Joel, «proper industry connections». C’est là qu’Anton commence à porter une toque en fourrure, «David Crosby hat», une tunique blanche, un Levis blanc «and Easy Rider style yellow-lensed glasses» qui lui donnent «that psych-business casual look that signifies preparedness fort the next level.» Et puis ça, qui en doit long sur la nature profonde d’Anton Newcome : «Traditionally, Anton a toujours donné le meilleur de lui-même lorsqu’il était acculé dans les cordes. Je n’ai jamais vu personne réussir à évoquer the best elements of the tried and true and yet dismantle and distill them down into a sound totally anew. This is what they mean by the real deal.» C’est un hommage superbe à la modernité d’Anton Newcombe. Tous ceux qui ont écouté les albums du BJM depuis Methodrone en 1995 jusqu’à The Future Is Your Past savent de quoi Joel parle.

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    ( Jerome Green aux maracas)

             On a bien sûr dans le book tout le détail des aventures du BJM. Joel est engagé comme joueur de tambourin. Il faut juste qu’il trouve «the key to timing», pas facile lorsqu’on boit du rhum et qu’on monte sur scène avec des lunettes noires. Il doit se caler sur les instruments et jouer «from the inside» - The goal was to learn to feel the inside, not to play it - Il s’amuse bien avec cette notion d’inside. Il se voit comme Gene Clark, a tambourine-player frontman. Il cite d’autres cracks du tambourin : Nico, Mark Volman, Davy Jones des Monkees, et bien sûr «the original ‘maraca man’ in rock», Jerome Green, qui accompagnait Bo Diddley. Bring it to Jerome !

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             À l’époque, Joel découvre les Mary Chain sur scène au Fillmore - Their album Stoned & Dethroned provided many of my summer anthems - Il trouve que les frères Reid «looked like tousled versions of a ‘66 dandified Dylan who’d joined The Velvet Underground.» Et il rend hommage à l’un des hits les plus ultraïques de l’histoire du rock : «William Reid’s very impressive all-in-one beer chug during the noise solo section in the yet-to-be released ‘I Hate Rock’n’Roll’.» Il rend aussi un hommage bizarre aux Dandy Warhols : «They were playing the best music I’d seen from people my own age since I first saw The Brian Jonestown Massacre at the Peacock Lounge four years ago.» Eh oui, le «four years ago» ne fait pas de cadeaux. Le BJM était et reste toujours en avance sur son temps. C’est exactement ce qu’on voit dans Dig!. Le Dig! movie ne parle que de ça.

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             Joel évoque aussi Oasis. Il aime bien le son d’Oasis, pas Anton qui trouve que ça sonne trop Tom Petty. Mais Joel en pince véritablement pour «Columbia». Joel tente de faire copain-copain avec Noel Gallag en lui proposant «the most righteous speed you are ever gonna do», mais Noel Gallag lui dit «No thanks. We only do coke» et lui referme la porte du tour bus au nez, le laissant comme deux ronds de flan. L’autre grand cake qu’on croise dans ce book, c’est bien sûr Greg Shaw, qui vient de sortir Thank God For Mental Illness avec Joel sur la pochette, «doing my best Christopher Lee as Dracula.» - Greg was hyper-intelligent, an absolute sage of the cool side of guitar-based music - Joel avoue aussi une petite obsession pour Easy Rider. Il croise parfois Peter Fonda, mais ça ne se passe pas très bien. Joel assiste à une projection de The Hired Hand et à la fin, il y a un débat avec Peter Fonda. Alors Joel lève le doigt et demande : «I was wondering if you could explain what you meant when you said ‘We blew it’ toward the end of Easy Rider.» Fonda ne répond pas et indique à la salle qu’il est venu pour parler de The Hired Hand. Ce qui est humiliant pour le fan Joel. Il y revient à la dernière page de l’autobio, quand Anton lui raconte qu’il s’est retrouvé dans la queue du Sunset Ralph Supermarket et que Fonda a levé le pouce en signe d’admiration pour la façon dont Anton et sa poule Tara étaient habillés, «he was just all smiling and nodding at us like ‘Yeahhhh’h, then put his thumb up because he knew we knew and he was totally diggin’ it, ya know?» Évidemment pour Joel, c’est un choc, mais il répond : «That’s soo cool!» Because that’s exactly what it was.

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             Sur scène, à côté d’Anton en Levis blanc et en pull bleu marine, il y a Dean Taylor, good-looking sur sa gratte. Sur scène, Joel est systématiquement out of his mind - The amount of valium pills I’d taken along with whiskey and beer plus the fresh-from-the-garage-lab snorts added up to an equation that now has me slightly hovering above the stage floor during our entire set - Et bien sûr, il n’est pas le seul a être complètement défoncé. Joel disparaît de la circulation pendant l’enregistrement de Their Satanic Majesties Second Request, le quatrième album du BJM. Il dit que l’album sonne comme «a modern experimental version of classic experimental sounds; It didn’t sound like any other band from back in the day and especially not now.» Et il ajoute, émerveillé : «I was listening to one of my favourite albums I’d never heard, encoding itself into me in real time.»

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             Trois albums coups sur coup, Their Satanic Majesties Second Request, Thank God et avec Mental Illness qui vient de sortir : il est temps de partir en tournée - It’s time to roll hard with it, and yet somehow because of the drugs I still find myself currently go-go dancing the line between realist of the for-realest and complete fuck-up - Joel va nous décrire ça dans le détail. Les tournées sont un désastre complet : pannes de van, salles vides, bagarres, pas de blé, désertions. Joel avoue avoir oublié des épisodes entiers - Because from here, I have a drunken memory blackout - Il évoque le show catastrophique du Viper Room, où Anton vire tous les musiciens et leur pète la gueule. Ça bascule dans le chaos «with the rest of the band crawling on the stage floor in dazed confusion before being physically thrown out the stage door by club security.» C’est du sabotage. T’as les gens d’Elektra dans la salle. Anton détruit tout. On voit la scène dans le Dig! movie.

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             Chaque fois qu’on revisionne le Dig! movie, il paraît toujours plus sombre, plus violent, un peu comme Performance. Ça démarre pourtant sur un flash de modernité avec le BJM sur scène en 1995, c’est très anglais, avec Joel/bug eyes/maracas/Jack Flash/Brian Jones. Pour un groupe américain, c’est fabuleux d’anglophilie. Les commentaires vont bon train : le BJM interprète the past et se projette into the future, c’est exactement ça. Mais c’est le groupe d’Anton. Pas de place pour les compos de Matt Hollywood qu’on voit chanter «Give It Back». Le chaos est omniprésent. Joel dit qu’il a déjà 21 départs officiels du groupe à son actif. Ondi filme aussi the Larga house. Pas de meubles. Tout par terre. Puis t’as la première tournée américaine, avec des salles vides (Cleveland), et à New York, Anton vire Dave, le manager. Il récupère un peu de blé et achète un van pour aller tourner dans le Sud. Ondi filme le contrôle de police à Homer, Georgia. Le film est affaibli par tous les plans des Dandy Warhols qui eux deviennent des stars en Europe, avec de moins bonnes chansons. On retrouve Anton à New York en Crosby hat et patins à roulettes, il se casse la gueule. Not If You Were The Last Dandy On Earth ! Ce film est décidément violent, peut-être trop cru. Pas de tout repos.

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             Qu’on se rassure, Anton et Joel vont se réconcilier. Mais Anton remplace Joel sur scène par Sophie, sa poule française. Joel sait qu’il est plus proche d’Anton qu’elle ne l’est, parce qu’il a appris à cultiver avec lui «a power of unspoken understanding, a state of not needing  to verbalize every angle of our points.» Joel se retrouve à Portland avec le couple. Ils partagent un matelas tous les trois dans un studio. Joel n’est pas très bien - I was broke, dirty and my feet permanently hurt, but I loved it - C’est sa façon de dire l’abnégation. Il a tout quitté pour le groupe, un groupe qui est à la ramasse financièrement. Il ne possède de rien, il n’a même pas les bonnes pompes, mais il fait partie du BJM, et c’est ça le plus important. En 1997, Anton, Sophie, Matt, Brad, Dave et Joel redescendent en Californie pour un nouveau départ. Greg Shaw leur a loué une baraque au 3261 Larga, en échange de leur prochain album. Il y a en plus Peter Hayes, futur Black Rebel Motorcycle Club. Ils se répartissent les chambres - Joel et Matt dans le salon, Brad dans une chambre, en face, Peter, Jeff est dans un placard, Anton et Sophie ont une chambre avec une salle de bain. Dave a pris la petite pièce attachée au garage. Pas de meubles, bien entendu. Alors Brad ramène une télé et Anton soupire : «Great, now all we need is a cement truck.» Le concept de la Larga house est le même que celui de la Woodland Hills house, sur Ensenada Drive, où Captain Beefheart a séquestré son Magic Band pendant 6 mois, pour enregistrer Trout Mask Replica.

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             Puis il y a ce drug bust sur la route, tel qu’on le voit dans le film. Dean et Brad quittent le groupe. Ondi a une place dans son SUV pour rentrer en Californie, alors Joel ne peut pas résister, il en marre des errances et des pannes du BJM, et il décide de rentrer au bercail. Ne restent plus que trois survivants : «Anton, Matt et Peter would soldier on like The Kingston Trio or something.» Mais au moment de faire les adieux, on lui fait remarquer qu’il est le seul à avoir son permis de conduire, alors il est baisé - Fuuuck... Just like in The Godfather III, man. ‘Just when I thought I was out, they pull me back in!’ - Ils repartent et le van tombe en rade - the engine throws a rod - Ils se garent derrière les poubelles d’une station-service pour éviter d’attirer l’attention - For the next three days, we are a bunch of Californian hippie rock weirdos hiding in a van behind a garbage dumpster at a gas station in Butts County, Georgia - Toutes les situations que décrit Joel ressemblent à des gags : toujours cette distance et cette fabuleuse auto-dérision. Avant de devenir les superstars que l’on sait, le BJM est un gang de losers - After the New York disaster, the North Carolina disaster, and both Georgia disasters, we are all commited now to the grand delusions of surviving this whole thing - Ils collectionnent les disasters. Peter Hayes quitte le groupe pour aller monter The Black Rebel Motorcycle Club. Puis les derniers survivants abandonnent Anton qu’ils surnomment the mustache en pleine nuit, prenant garde de ne pas le réveiller - Puis on s’éloigne dans la nuit. Anton se réveillera demain matin pour voir qu’il est tout seul pour finir les deux dernières semaines de la tournée. Je me dis que j’ai quitté le groupe pour de bon, I’m gone for good - L’histoire du BJM n’est que ça, une succession d’incidents, un chaos constant. Anton va d’ailleurs finir la tournée tout seul. Pas de problème.

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             Il va bien sûr récupérer Joel. Puis c’est l’album du succès, Strung Out In Heaven.  Joel est fasciné de voir Anton en studio - How did he come up with those lyrics so off the cuff? Ce n’était certainement pas la première fois que je le voyais agir ainsi, et je ne l’ai jamais vu avec un carnet de notes en séance d’enregistrement. That guitar solo really is a barn burner thought - Joel veut dire qu’Anton a tout en tête. Il a reconstitué tout le BJM avec Charles (bass), Billy (beurre) et Adam (guitar).

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             Après avoir quitté le BJM, Joel entame une carrière solo. Pas de doute, son Apple Bonkers est un coup de maître. Dès «Smile», t’es face à un gros déplacement d’accords Jonestowniens. C’est dynamique et bardé de bada californien, le meilleur, celui de San Francisco. Et t’as un certain Robert Campanella on fuzz lead ! Deux cuts te renvoient directement au Brian Jonestown Massacre : «Mirage» et «Don’t Let The Fuckers Bring You Down». Heavy riffs de base, pur barrage d’accords crépusculaires. Joel ne sait faire que ça : du groove jonestownien. Ce mec Gion est une bénédiction, il perpétue bien le spirit d’Anton Newcombe. Classe inébranlable ! Quant au «Sail On», c’est une pure marychiennerie, avec le chant descendant les marches de l’escalier. Somptueux ! Joel a le grain de voix de Jim Reid. Il déclenche encore l’enfer sur la terre avec «Radio Silence». Il a ça dans la peau. Il peut même virer glammy dans les couplets de «Two Daisies». On sent bien le mec libre.

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             Son deuxième album sans titre date de 2017. Il vaut le détour pour deux raisons principales : la Beautiful Song «Come To Light» et le coup de génie «Conjecture». La flûte, c’est son truc à Joel : ça groove sur un bassmatic allègre dans «Come To Light». Il vise une sorte de félicité. S’ensuit l’excellent «Conjecture». Sa pop psyché est une aubaine pour l’humanité, une bénédiction tombée du ciel. Il flûte encore sa pop dans «Partner», et il y va au «Someday I’m gonna die/ I’m alive.» Il crée bien son monde. En B, il chante son «December» dans l’écho de la proximité. Il sonne très Peter Perrett sur «Gone» et vire psyché sur «Mercury In Retrograde». Grosse machine, bien graissée au gras double. Il cultive son côté Peter Perrett.

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             Back to the magic carpet book. Joel rend un hommage fulgurant à Brian Jones : «Brian is clearly the master of ceremonies, having just personally elevated them from a blues cover band with a psychedelicized makeover introducing sitars, marimbas, flutes, harpsichords, Eastern bells, maracas, piano, and for this time, ‘Lady Jane’, the dulcimer. Brian’s hand is bandaged and broken, which adds to the rebel menace as he plays it with aggression despite the injury.»

    Signé : Cazengler, Joel Fion

    Joel Gion. Apple Bonkers. The Reverberation Appreciation Society 2014

    Joel Gion. Joel Gion. Beyond Beyond Is Beyond Records 2017

    Joel Gion. In The Jingle Jangle Jungle. White Rabbit 2024

    Ondi Timoner. Dig!. DVD 2004

     

     

    L’avenir du rock

     - Empty Full Space ritual

             Boule et Bill viennent d’entrer dans le bar. L’avenir du rock sent venir l’embrouille. Il sait que les deux compères vont l’entreprendre pour essayer de l’asticoter. Boule attaque :

             — Alors ça va bien, avenir du rock ? Toujours avec un verre à moitié plein ?

             Et Bill d’ajouter, sur un ton philosophique :

             — Ou à moitié vide...

             Ils savent très bien que l’avenir du rock déteste ce genre de conversation. 

             — C’est comme dans la vie, avenir du troc, tu vois plutôt le bon côté des choses ?

             Et Bill d’ajouter, sur un ton énigmatique :

             — Ou le mauvais côté des choses ?

             Comme l’avenir du rock ne réagit pas, Boule met la pression :

             — Avec la gueule que t’as, on ne sait jamais si t’es bien luné !

             Et Bill d’ajouter, sur un ton méphistophélique :

             — Ou mal luné...

             — Si t’es à voile ou à vapeur !

             Et Bill d’ajouter, sur un ton épistémologique :

             — Si t’es du lard ou du cochon...

             — Si t’es de gauche ou d’extrême-droite !

             — Si t’es con ou si t’es pas con...

             — Si tu préfères Dieu ou bien le diable !

             — Si t’es rond ou si t’es carré...

             L’avenir du rock attend qu’ils se fatiguent et qu’ils tombent en panne d’argumentation pour vider tranquillement son verre, le poser, payer et leur dire, d’un ton bien clair, pour qu’ils mémorisent correctement :

             — Empty Full, Boule... Pour répondre à ta première question...

             — Quoi ?

             — Emp-ty Full. Tu veux pas en plus que je te l’écrive ?

     

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             L’avenir du rock parle bien sûr d’Empty Full Space, un quintet psyché parisien qui comme Slift, a décidé unilatéralement de rafler la mise. Toute la mise.

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             Soirée psyché dans la cave. Trois groupes. Tu pourrais flasher sur les trois, mais tu vas te contenter de bien flasher sur le deuxième, les Parisiens d’Empty Full Space. Sont pas psyché au sens où on l’entend généralement, avec des grandes tignasses et des habits colorés. Sont pas concernés par les lois du look. Vraiment rien à cirer. Mais sont concernés par les lois de l’excellence, et là amigo, ils battent pas mal de monde à la course. Ce sont les rois du far-out so far out, les cracks du freakout psycho-psyché à l’anglaise, t’entends même les spoutnicks d’Hawkwind, ils développent des courants qui te parcourent de la tête aux pieds, qui t’éclatent ton Sénégal et ta copine de cheval, qui te lèvent des tempêtes épidermiques, ils savent déclencher l’immarcescibilité des choses, leur viande grouille de molécules multicolores, te voilà une fois encore confronté à la réalité d’un vrai son et, comme chaque fois que ça se produit, tu espères secrètement que ce concert va durer pour l’éternité. Les cinq Empty Full Space sont absolument brillants, les deux guitaristes savent mêler les poux qu’ils grattent pour lever la pâte, et t’as ce petit mec sur sa Jag bleue qui s’arc-boute de tout son corps sur son manche pour tailler un costard à la mad psychedelia, avec un punch et une audace incroyables.

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    Les deux guitaristes se répartissent bien les interventions, mais c’est le petit mec sur la Jag bleue qui vitupère le plus et qui remplit son cosmos d’urgences et de stridences. Il savent créer un climat et faire sauter la Sainte-Barbe, ils connaissent toutes les ficelles du genre et ne semblent jouer que pour le plaisir des amateurs. Comme tu ne connais pas les cuts, tu te laisses porter. Et ce son te parle, ils sont d’une crédibilité absolue, tout est bien : le Dikmik indien là-bas au fond, le blond au beurre qui bat tout ce qu’il peut avec brio, et puis t’as ce bassman dans son coin d’ombre qui joue ces grandes échappées dont Lemmy s’était fait une spécialité au temps d’Hawkwind.

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    Tu retrouves dans leur son tout ce qui fait la grandeur des Heads, des Wooden Shjips, de Loop, des Telecopes et du Brian Jonestown Massacre, tu retrouves les énergies de Bevis Frond et de Bardo Pond. Et bien sûr tout le fabuleux ramdam d’Hawkwind. C’est inespéré de voir des inconnus au bataillon aussi brillants.  

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             Leur album s’appelle From The Limbo et sort sur un label espagnol, Spinda Records, qui est aussi le label de Maragda, le trio barcelonais qui va jouer après eux. C’est un bel album de Mad Psychedelia, tu y plonges aussitôt, dès le morceau titre d’ouverture de balda. C’est le space rock du meilleur acabit d’Akaba. Quelle respiration ! Ils jouent leur son comme s’ils s’ébrouaient dans une fontaine de jouvence. C’est même criant de justesse, avec un bassmatic voyageur. Leur «Morphogene» est plus tendu, comme cavalé à travers la plaine, une vraie farandole extra-terrestre, très Barrett, ça se déroule merveilleusement, ils dépotent le nec plus ultra tout en cultivant la dimension du voyage. Et avec «The Wheel», on assiste à des plongées somptueuses qui rappellent les grandes heures du duc de Bury. Les zones s’alternent brillamment, ah comme ils adorent plonger dans leur jouvence ! Ils te font le coup du tir de barrage d’accords magiques. En B, ils tapent «Amnesia» à la grosse attaque psychédélique. Ça coule comme de l’eau de roche, intense et colorée de wah. On a aussi des jolis vents mauvais et un riff bien heavy, bien écrasé sous le talon. Le bassman est un voyageur impénitent, un cadreur qui sait se décadrer à bon escient, avec un son bien rond. Son bassmatic a bon dos. Et ce bel album se dirige vers la sortie avec «2C». C’est le riff de basse qui tire le cut vers le haut, c’est bien hypno, ça file droit dans l’œil du cyclope. Les grattes rentrent violemment dans la danse, alors ça explose. T’as le power et l’argent du power, c’est-à-dire le power d’Hawkwind. Les petits Full Space s’exportent dans le cosmos.

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             Les trois Maragda n’auraient peut-être pas dû jouer après un groupe aussi brillant qu’Empty Full Space. On passe d’un son plein à deux guitares à un son moins plein. Les Barcelonais ne sont que trois, et même s’ils jouent comme des beaux diables, on sent comme un déficit. Le bassman de Maragda multiplie les prouesses techniques et le guitariste gratte sa Tele avec insistance, mais c’est un peu comme s’il leur manquait une guitare pour remplir le son. Ça tient la route, forcément, mais ils virent plus prog que psyché, les structures sont plus alambiquées, le bassman développe une énergie considérable, mais il leur manque l’étincelle de la Saint-Barbe.

             Par contre, ils ont deux albums au merch. Ton petit doigt te dit que c’est meilleur sur disk que sur scène. Alors zyva.

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             Leur premier album sans titre date de 2021. Il s’y niche une belle énormité : «The Calling». Pas de psyshé là-dedans, mais les clameurs sont volontaires, on sent les Barcelonais propulsés vers l’avenir et le sommet en même temps. Leur Calling sonne comme un hymne, avec son bassmatic élastique, ses reprises explosives, son slinging protubérant, là oui, t’as tout l’écho du monde et le barbu devient fou avec son bassmatic tonitruant. Sinon, ils restent assez prog, avec une quête permanente d’ampleur. Même si patacam/patacam, t’es impressionné et en même temps, c’est n’importe quoi. On les sent déterminés à vaincre. Les Barcelonais ne rigolent pas. Pluie d’acier sur la Catalogne ! En studio, ils sonnent mille fois mieux que dans la cave. La Tele prend de l’ampleur. Leur «Beyond The Ruins» est assez dévastateur. Ils lèvent tous les trois une véritable tempête sonique. C’est assez inattendu de la part des Barcelonais. Ils privilégient les belles dynamiques. C’est sûr, ils n’ont aucun problème ni de vélocité ni de motivation.

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             Tyrants enfonce bien le clou de la différence entre le studio et la cave. Et en écoutant le disque, t’as pas l’inconvénient des épaves qui dansent devant toi avec des verres de bière à la main. L’album est résolument prog, avec des spoutnicks par-dessus le marché. Les Barcelonais adorent la cavalcade, rien ne saurait les arrêter dans leur élan. Tu tombes rapidement sur une pièce montée nommée «Endless». Ça pulse à la vie à la mort. Ils ramonent bien la cheminée, avec un son plein comme un œuf, c’est vraiment bien remonté des bretelles, il s’agit même d’un hit, les canards boiteux ont intérêt à se tirer vite fait. Ils savent aussi lancer un assaut, comme le montre «My Only Link». Et puis on se régale de «Sunset Room», un cut extrêmement bien articulé. Le beurre, l’argent du beurre et le barbu sont des orfèvres en la matière, ils savent tramer un son et la Tele n’a plus qu’à s’y prélasser. Ils travaillent essentiellement sur l’extension du domaine de la lutte. Ils font chanter la montagne dans «The Singing Mountain» et partent en voyage avec «Godspeed». Le barbu fait le show avec un bassmatic entreprenant, et ça se termine en mode gros prog barcelonais avec «Loose». C’est un groove ensorcelé et le guitariste gratte des solaces extraordinaires qui rayonnent sur toute la Méditerranée. 

    Signé : Cazengler, Empty tout court

    Empty Full Space. Le Trois Pièces. Rouen (76). 5 octobre 2024

    Maragda. Le Trois Pièces. Rouen (76). 5 octobre 2024

    Empty Full Space. From The Limbo. Spinda Records 2024

    Maragda. Maragda. Spinda Records 2021

    Maragda. Tyrants. Spinda Records 2024

    Concert Braincrushing

     

     

    L’avenir du rock

     - The Silver machine

             — Hey, avenir du rock, si on te dit Silver, tu réponds quoi ?

             — Bon alors Boule, tu commences à me courir sur l’haricot avec tes petits questionnaires rock à la mormoille.

             — T’es vraiment un gros con, avenir du rock, tu connais même pas «Silver Machine» !

             — Mon pauvre ami, tu ne sais même pas de quoi tu parles ! Tu sais ce que c’est la Silver Machine ?

             — Ben oui, l’emblème du space rock, la fusée argentée, aille tooke a raïde in the silvère machine !

             — T’es encore plus con que je ne pensais ! Ça n’a jamais été une fusée !

             — C’est quand même pas une merguez ?

             — Et pourquoi ne serait-ce pas une merguez ? Tu ne savais pas que les merguez volaient ? Comme les cons ? Demande à Michel Audiard.

             — T’as raison, avenir du rock, j’en ai vu une qui volait l’autre jour ! Zzzzzzzzzzz ! Elle fumait un peu et lâchait derrière elle des gouttes d’huile parfumée, c’était beau ! Zzzzzzzzzzz ! Incroyablement beau ! C’est parce que tu m’en parles que je t’en parle, avenir du rock. Sinon j’aurais jamais osé.

             — Quand l’as-tu vue ?

             — Bah, vendredi tu sais, le jour des élections-piège-à-cons ! Elle traversait la Seine, du côté du Pont Mirabeau...

             — Alors on a vu la même ! J’y étais aussi, je sortais du métro à Javel. C’était une merguez bien dorée ! Pas trop brûlée ? Dans l’esprit d’une toile de Magritte ?

             — Oui, même que ça m’a donné faim !

             — Incroyable ! Viens là mon p’tit Boule que je t’embrasse !

             Bon laissons-les s’embrasser. L’avenir du rock aurait très bien pu dire à Boule que la Silver Machine était en réalité la mobylette que conduisait Robert Calvert, au temps où comme Nik Turner, il vivait encore à Margate. Il aurait pu aussi évoquer d’autres Silver de choc, comme les Silver Apples, les Silver Jews, mais surtout les Silver Lines.

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             Viennent d’où ? Sais pas. Parlent des bouts de français. Bonnejoue, new som’ lé lin’ argentte. Doivent être mexicains. Comme ça au pif. Sont jeunes. Joli nom de groupe : The Silver Lines. Zéro frime. Doivent être pauvres. Au fond, t’as un gros au bassmatic, et derrière, un tatoué au beurre. Et devant deux kids, rois de la zéro-frime, petits cheveux bouclés, T-shirt blanc pour le chanteur, et petit pull blanc & Tele blanche pour le guitariste. La ramènent pas. Mais ça joue tout de suite.

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    Et là tu fais wham bam ! Premier cut, c’est dans la poche. Gros son. Le kid au chant fait son Johansen. Oui t’as bien lu, les mains sur les hanches et du pur Johansen, sans les escarpins et sans Johnny T, ils font ça à l’anglaise, il a toutes les mimiques, t’es tout de suite dans le haut niveau, mais avec des kids à peine sortis de l’adolescence, ils ont le power et là t’es pas près d’en revenir, car ils te rockent le boat à l’ancienne, le kid Johansen charge la barque et il est fantastiquement bien soutenu car le tatoué bat le beurre du diable, mais à l’anglaise, et le gros au bassmatic tient bon la rampe en grattant des figures sophistiquées d’une effarante efficacité. Ils ont tout bon, tout bien pigé, ils s’ancrent dans la Stonesy, les Dolls, les Only Ones et les Saints, et franchement, dans le genre, on n’avait pas entendu un groupe aussi bon depuis des lustres. Pureté d’intention extrême. Leur set est criant de véracité, tout repose sur la qualité des compos et la voix du kid Johansen. On est toujours surpris de voir surgir de nulle part un groupe aussi bien éduqué. Mais soudain, le kid craque et sort de scène. Le gros vient eu micro et parle d’hiccups, c’est-à-dire de hoquet. En fait, c’est une crise d’angoisse. Il va revenir une demi-heure plus tard et fracasser la boutica, sous un tonnerre d’applaudissements.

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             Personne au merch. Et à la fin de la deuxième partie du concert (Man Man), les Silver Lines ont disparu avec leur maigre merch de deux singles. Le mec du merch d’à côté nous dit qu’ils ont plié bagage car ils avaient trop honte. Incroyable ! Fuck it ! L’un des meilleurs groupes anglais actuels ! Tout part en fumée, les singles et l’occasion de papoter. Reste plus que le Bandcamp.

             Tu y retrouves leur dernier EP, And The Lord Don’t Think I Can Handle It, et tout leur côté flamboyant te saute à la gueule, dès «Roaches», pur jus de garage-punk d’attaque en règle avec du wanna change my sex, et de la bravado à gogo. T’as tout là-dedans, les riffs séculaires, t’es pas venu pour rien, c’mon now, il a la voix de rêve, tout le power du because it’s you, cette façon de poser le chant sur un back-up explosif et bien sûr t’as les incursions thunderiennes dans le flot du flux. Avec «Cocaine», ils déclenchent un petit enfer sur la terre, bien sous-tendu par une horrifique cocote riffique, ça vole vite en éclats. Alors tu vas à la pêche aux infos, et tu découvres que les Silver Lines sont de Birmingham et que les deux kids en blanc sont deux frères, Dan Ravenscroft au chant, et Joe aux poux. Bon maintenant, il faut attendre la suite. Ne cachons pas notre impatience.

    Signé : Cazengler, Silver Lie

    Silver Lines. Le 106. Rouen (76). 1er novembre 2024

    Silver Lines. And The Lord Don’t Think I Can Handle It. Not On Label 2024

     

     

    Magical Mystery Lights Tour

    - Part Two

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             Ça doit bien faire la troisième fois que les Mystery Lights ramènent leurs fraises en Normandie. Mike Brandon est toujours aussi charismatique, mais il semble avoir pris un petit coup de vieux. Avec sa 335, il avait des airs d’Alvin Lee. Maintenant, il tire plus sur le Jorma Kaukonen tardif. Mais sur scène, il reste fidèle à sa légende de marsupilami : il saute partout. Boinggg ! Boinggg ! Il incarne bien la fameuse insoutenable légèreté de l’être dont Kundera fit jadis ses choux gras. S’il existait une épreuve olympique du marsupilamisme, il n’est pas certain que Keith Streng arrive en tête. Brandon accompagne toutes ses montées de fièvre de bonds cathartiques, il sait aussi sauter en extension et faire des ciseaux dédoublés en saut croisé. Le jeté d’épaule aérien n’a aucun secret pour lui. Force est d’admettre qu’il est plus athlète que garagiste. Il fait partie de ceux que les Anglais qualifient de performers. Il est tellement intense qu’il en devient intègre.

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    Mike Brandon est à la fois un rude coco et un fier rocker. On lui donnerait le bon dieu sans confession, et ce, dès le «Mighty Fine And All Mine» d’ouverture de set qui fait aussi l’ouverture de balda de Purgatory, leur cinquième album. Le set s’intitule d’ailleurs le ‘TV Eye Record Release Show’. Ils tapent un gaga californien très psyché, à la fois classique et offensif. Luis Alfonso Solano gratte des poux bien gras sur sa SG, il sort un son incroyablement agressif de bronco apache sur le sentier de la guerre, il doit confondre la fougue et la foudre. On voit bien que ces mecs sont tombés dans la marmite Nuggets quand ils étaient petits, ils sont tellement brillants qu’ils revitalisent cette très ancienne tradition, et du coup, ce vieux gaga parcheminé reprend des couleurs, et même une sacrée allure. Alors on s’est demandé en conseil restreint s’il fallait amener les Mystery Lights dans la cour des grands, soit en leur confiant les clés de l’avenir du rock, soit en les bombardant directement Wizards & True Stars, et puis finalement, le comité a décidé de les laisser tranquilles, de ne pas les accabler d’honneurs, de leur épargner le miroir aux alouettes, le mieux est qu’ils poursuivent leur petit bonhomme de chemin, qu’ils régalent les citadins avec des bons concerts bien survoltés et des albums bayardiens, c’est-à-dire sans peur et sans reproche. Ah on peut dire que les Normands adorent le gaga sans peur et sans reproche, comme si ce gentil Bayard californien qu’est Mike Brandon trouvait un écho dans cette ville saturée de moyen-âge qui pue la pucelle cramée.

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             Comme ses prédécesseurs, Purgatory sort sur Wick Records qui est en fait un subsidiary de Daptone. Comme Colemine, Daptone prospère sur la Soul, mais ne ferme pas la porte au rock quand il est bon. Alors si Colemine crée Karma Chief pour accueillir GA-20, Say She She et les Gabbard Brothers, Daptone crée Wick pour accueillir les mighty Mystery Lights.
        Purgatory est un album de Californiens très à l’aise, qui savent lancer une attaque de clairette au débotté de sept lieues. Ils sonnent très sixties, très Nuggets, c’est même pas loin des Remains et de tous ces machins-là. Ce sont des accros. Les tricotages de grattes sont superbes sur «Sorry I Forgot Your Name». Bon, ce n’est pas l’album du siècle, mais il y a de beaux éclats. On sent l’élan pathétique de l’early Airplane dans «Can’t Sleep Throught The Silence» et «Cerebral» sonne un peu comme «The Trip» de Kim Fowley. T’as vraiment l’impression d’entendre un vieil album sixties aventureux. «Automatic Response» sonne comme un bijou rare, on croit entendre Television, ils sont en plein Marquee Moon

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             Television ? Justement ! Tu retrouves «Little Johnny Jewel Parts 1 & 2» dans cette double page de Shindig! où Mike Brandon salue les «10 cuts that inform new album Purgatory». Et il n’y vas pas avec le dos de la cuillère : «Smart, playful, jazzy, forward-thinking punk.» Il dit aussi que ce single sorti sur Ork en 1976 - et qu’on pouvait acheter chez Givaudan sur le Boulevard Saint-Germain - était «mind-blowing» «to us as teenagers.» Il cite aussi les Thrills de 1967, quatuor de blackettes qu’il ne faut pas confondre avec les Thrills irlandais. Brandon flashe sur «Underneath My Makeup», b-side d’un single Capitol qui vaut bien sûr la peau des fesses. Brandon parle de «mesmering back-up vocals» et salue «l’incredible vocal delivery» de Donna Lynton. Il rend aussi hommage au Fred Cole de Dead Moon via l’un de ses side-projects The Western Front : il tire «Looking Back At Me» d’un EP. Parmi les inconnus au bataillon qu’il cite, t’as Gandalf et Paul Martin. Retour aux superstars avec les Rationals et «Sunset» - This song screams «Detroit»! - Il vante encore les mérite du «vocal delivery» de Scott Morgan, puis il passe directement à Soft Machine et «Save Yourself» - British jazz-infused psych rock from Canterbury - Et il ajoute ça qui sonne comme une parole d’évangile selon Saint-Rock : «Soft Machine has the same psychotic pop feel that we love so much about Syd Barrett.» Brandon a tout compris. On lui serre la pince. Et puis les Monks, avec «I Hate You», qu’il reprend d’alleurs sur scène - Everything about this song is perfect - et il revante les mérites de l’«animated vocal delivery» de Gary Burger. Voilà pourquoi les Mystery Lights sont un groupe passionnant. Ils illustrent fort bien le vieil adage : qui écoute bien châtie bien.

    Signé : Cazengler, Mystery Larve

    Mystery Lights. Le 106. Rouen (76). 8 octobre 2024

    Mystery Lights. Purgatory. Wick Records 2024

    Hearts of darkness. Shindig! # 156 - October 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - La noblesse de Nobles

             Harry Normal portait bien son nom. Rien ne dépassait. Brun, cheveu tallé court, lunetté de frais, physique passe-partout mais pas désagréable, Normal, tout était Normal en lui, son expression, son discours, sa taille, son odeur, sa carrière, sa camaraderie, et même sa simili-bienveillance paraissait Normale. En réunion, il ouvrait un eMac Normal et chacune de ses interventions qu’on aurait qualifiée ailleurs de pertinente nous paraissait Normale. Sa Normalité nous rassurait. Elle constituait même l’un des atouts majeurs de notre petit conglomérat. Ce n’est pas facile d’être Normal, Harry Normal en sait quelque chose, on le devine en l’observant. On se pose même la question : aimerait-on être Normal, aussi Normal que lui, probablement pas, mais c’est certainement plus reposant que d’être anormal, c’est-à-dire anticonformiste. L’anticonformisme, c’est comme une chaudière, il faut l’alimenter, avec des excès en tous genres, des incidents et des accidents, des déviances et des défiances, des maux et des mots, c’est un chantier quotidien et harassant, alors que la vie d’Harry Normal doit être de tout repos, alors forcément ça donne à réfléchir. Mais la vraie question qu’il faut se poser est la suivante : peut-on apprendre à devenir Normal ? Comment se conformer à la Normalité ? Faire l’Harry Normal n’est pas un jeu, plus on y réfléchit et plus on comprend qu’il faut produire des efforts surhumains, comme par exemple tuer le désir, tuer l’envie, tuer la fantaisie, mettre sa libido en laisse et lui interdire d’aboyer, faire une croix sur les paradis artificiels, et sans doute le pire, entrer dans l’univers médiatique de la Normalité, avec une vraie sincérité, trouver Normal ce qu’Harry Normal trouve Normal, les nouvelles du monde, la vie économique et la vie sociale, oh et la vie politique, humer avec force l’inconscient collectif pour vibrer à l’unisson, non pas du saucisson, mais de la Normalité, et le reste devrait suivre, le choix des vêtements, le lunettage, la coupe de cheveux, le rasage quotidien, le professionnalisme de la Normalité, et petite cerise sur le gâtö, l’insoutenable légèreté du non-être, épitome de la délivrance.

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             Aucune noblesse chez Normal, mais on en trouve à la pelle chez Nobles. La noblesse, c’est la Soul. Zéro Soul chez Normal, mais de la Soul à gogo chez Nobles. L’un éclaire l’autre. Le jour et la nuit. Normal et ses ténèbres, Nobles et sa lumière. 

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             Cliff Nobles est lui aussi une star de la Northern Soul. C’est d’ailleurs dans ces compiles infernales qu’on croise sa piste. Pour creuser un peu, il existe une excellente compile, The Phil-LA Singles Collection 1968-1972, parue en 2008. Le noble Cliff prend sa Soul à la petite arrache de glotte obstinée et revancharde. «The More I Do For You Baby» ? Alors là oui. Cliff est un Soul Brother en mocassins blancs. Ça bascule très vite dans le génie avec «This Love Will Last», c’est amené avec allure sous un certain boisseau. Tu te retrouves soudainement en compagnie de l’un des rois de l’underground de la Northern Soul, ah il faut le voir revenir à la charge ! Il y va au oh-oh-oh. Même topo avec «Love Is All Right», véritable percée dans la nuit de Philadelphie. Aw comme Cliff est bon ! Il coule son groove dans le moule du r’n’b, et c’est arrosé de cuivres. Pression rythmique énorme ! Il faut le voir épouser ses nappes de cuivres. Peu de gens atteignent ce niveau de pétulance. Il tape ensuite «Judge Baby I’m Back» au scorch to the raw, il tape vraiment dans le dur du scorch, au sock it to me baby ! Plus loin, tu vas tomber sur l’instro du siècle : «The Horse». Échappée par le haut, wild heartbeat, c’est pulsé par les cuivres et la rythmique bass/drums est demented, l’une des plus demented dans le genre. Selon les liners non signés, «The Horse» fut un hit énorme à l’époque où les instros paradaient en tête des charts. Ce sont les Anglais qui ont écouté «Love Is All Right», qui se trouvait de l’autre côté du single. Et pouf, en 1968, c’est devenu un hit de Northern Soul. Mais le pauvre Cliff doit sa légende à un instro sur lequel il ne chante pas - A legendary accident in rock’n’roll history, nous disent les mystérieux liners. 

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             Le Pony The Horse paru en 1969 n’est pas l’album du siècle. Le noble Nobles nous propose un assortiment de slow grooves d’allure latente, épicés de remugles de mambo mambique. On sent parfois poindre des pointes de Blue Beat. On en pince légèrement pour le «Wonder Baby» de bout d’A, ce heavy groove de baseball bat très New Orleans noyé de sax et de bassmatic. Le noble Nobles sait tailler un costard. En B, il ramène des chœurs de gospel dans l’épais brouet de son «Rock And Roll Angel» - C’mon darlin’/ Stop teasin’ me - Et la fête continue avec un «Rock A While» chargé à l’extrême, digne de Cosimo, et traversé par des solos de sax. Ça jerke, mais à l’ancienne, comme au bon vieux temps des jukes en bois. 

    Singé : Cazengler, Cliff nubile

    Cliff Nobles. Pony The Horse. Moon Shot 1969

    Cliff Nobles. The Phil-LA Singles Collection 1968-1972. Jamie Records Co. 2008

     

    *

    Ils sont grecs. D’Athènes. Ils ont d’office toute ma sympathie. Ils ont une deuxième qualité : ce sont des cousins lointains mais germains, peut-être  s’ignorent-ils n’ayant jamais su qu’ils existaient, un continent les sépare, mais il y a une communauté d’esprit entre C.I.A. Hippie Mind Control (voir notre livraison 661 du 17 / 10 / 2024) et :

    DERELICT

    DREAMLONGDEAD

    (Novembre 2024)

    Tessos Palaiologou : guitar, vocals, piano / Yiannis Poussios : Vocals / Leonidas Vranas : bass / Manos Glakamoumakis : drums / Achilles Champilas : guitars, synths, keyboards.

             Leur premier opus date de 2013, ils n’ont sorti en leurs cinq premières années qu’une quinzaine de titres qui dépassent facilement les dix minutes. Ils se sont arrêtés durant quatre années et reviennent avec une nouvelle équipe et ce nouvel opus. Les trois vocables qui composent le nom du groupe, pourquoi coaguler et rétrécir ce qui est censé être long et durer longtemps, incitent à la réflexion, serait-ce pour signifier qu’il faut examiner cette coagulation telle une sorte de palindrome d’un genre nouveau qui devrait se lire et se dé-lire, selon une lecture se jouant des structures grammaticales différentes des langues française et anglaise, de gauche à droite ou de de droite à gauche, selon les deux sens, le juste et le faux, soit la mort d’un long rêve soit le rêve d’une longue mort. Oui je sais souvent je délire, inutile de vous mettre en état de déréliction.

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             Ils n’ont pas choisi n’importe qui pour la couve. Un ‘’Sans-titre’’ de l’artiste polonais Zdzislaw Beksinski (1929 - 2005), toutes ses œuvres portent ce même ‘’ titre’’, Beksinski ne montre pas des choses à voir, il traduit des états d’âmes, rien n’est plus concret que les représentations de ses tableaux mais il faut les regarder comme des objets métaphysiques à parts entières. Il m’étonne que ces architectures flamboyantes et ces fragmences minérales closes sur elles-mêmes ne soient pas davantage présentes sur les pochettes de Death metal. Suivez mon exemple : au jeu de qui perd gagne, j’ai perdu un temps fou dans la contemplation de ses œuvres.

    TAPHOS

    Mortuary : étrange, certains s’écrieront inconvenant, la pochette n’est pas vraiment gaie, Taphos sigifie tombe, le titre Mortuary n’est en rien cocasse, mais les premières mesures de ce morceau paraissent joyeuses, heureusement que des growlements intermittents nous rappellent la triste situation qui nous est présentée. Tout dépend du regard que l’on porte sur les choses, ici ce n’est pas la foule des morts qui se lamentent sur leurs tristes sorts, c’est le Dieu ploutocrate  de la mort qui fait ses comptes, l’est heureux, tout va bien, tout marche à merveille, il traque les morts et les emporte en son royaume, la chasse est bonne, chant de triomphe et fanfares victoriales, n’est-il pas le maître absolu, celui qui détraque à volonté les horloges de la vie, est-ce pour cela que la musique devient plus lourde, que la batterie tape à la cadence du couperet d’une guillotine, le monde des vivants et des morts lui obéit, il est celui qui préside non pas à la marche du monde, mais à sa dé-marche car les marches si elles s’escaladent se descendent aussi, générique de fin, monumental, il est bien plus qu’un Dieu, il est le principe entropique du monde, des choses, des êtres vivants, des hommes, de tout ce beau monde qui court inévitablement vers sa fin. Victoire finale. Carnage : Changement d’ambiance, après le triomphe, voici  la folle fête, l’ivresse du hallali, écoutez ces cordes de guitares qui courent vers les tombes, c’est l’heure du repas, que faire des morts entassés dans les chambres froides de la mort, la mort est la reine des zombies, elle se rue sur les cadavres afin de les dévorer, ne sont-ce point les morts qui se bouffent eux-mêmes, un grand bâfrage généralisé, le sabbat, la danse des morts, la nef des fous, l’épave des anthropophages, kermesse et flonflons l’on n’est jamais plus heureux que lorsque l’on a le ventre plein… mais quelles sont ces résonnances cordiques, exprimeraient-elles le vide du néant, la situation s’assombrit, final liturgique, quelle tristesse philosophique si l’on  pense, à tous ces morts qui se dévorent et s’entretuent, finale grandiloquent, la passion de la destruction n’est-elle pas la passion de  de l’auto-destruction mais sous une autre forme, la mort descend l’escalier sans fin de sa propre mort. Imaginez la scène du film que vous tourneriez si vous étiez réalisateur, DreamLongDead vous a préparé la bande-son. A bouffer le navet par les racines !

    ANTARTICA

    Erebus :  deuxième partie de l(opus, nous rentrons dans sa saison hivernale, notez la structure, deux instrumentaux entourent le morceau central, celui qui donne son nom à l’ensemble. Des instrumentaux parce qu’avant et après une catastrophe aucune parole ne saurait en prédire ou en mesurer l’étendue. Le morceau n’est pas très long pourquoi le serait-il, son  titre désigne le lieu le plus obscur du noir absolu, palpitement du néant, synthétiseurs d’église, tourbillons de cymbales, vous avancez dans le noir, bruit d’outils est-ici l’atelier où l’on fragmente les os à la scie égoïne, vous tournez en rond, il est impossible d’aller plus loin que sa propre mort, le bruit s’amenuise, seul le silence est grand nous a appris Alfred de Vigny. Derelict : après le cœur de la nuit, vous entrez dans le froid de la mort, froid et mort ne sont-ils pas d’ailleurs la même chose, vous voici au zéro absolu, le morceau le plus long, sans doute parce qu’il est impossible de le faire durer éternellement, vous marchez dans la neige jusqu’à mi-cuisse, un bel accompagnement pour une scène de film décrivant un groupe d’explorateurs épuisés, titubants, explorant l’hiver d’une planète sans retour, hurlements d’agonie, même les ours blancs ne supportent cette froidure, ils gisent sur le dos, ils agitent spasmodiquement leurs quatre pattes levées vers le ciel noir, les ultimes paroles, vous découvrez la vérité de la terre maintenant aussi vide qu’un frigidaire géant, vous allez disparaître, comme ont déjà cédé place  les différents âges des temps historiques, préhistoriques, et toutes les époques antérieures, notre planète colonisée par des civilisations extra-terrestres, elles aussi n’ont fait que tomber, elles ont disparu, vous n’êtes un jalon pas plus nécessaire, peut-être moins important  que tous ceux qui vous ont précédés, vous êtes pénétrés de ces anciennes présences, existerait-il une mémoire de la mort à laquelle seule la mort vous permet d’accéder, ne portez pas votre regard vers le passé, d’autres nous suivront, ils viendront, ils ne seront pas spécialement sympathiques. Terror :  des pas qui s’approchent, non ce n’est pas vous, ce ne sont pas non plus ceux qui vous ont précédé, la chose étrangère qui se rapproche est bien plus terrifiques que vos devanciers qui comme vous ont passé l’arme à gauche, des inoffensifs, mais la musique se froisse comme si quelqu’un posait ses doigts sur la bande-son de votre mort, que vous veut-il, qui est-il, comparé à lui, si ce n’est ce tic-tac inexorable de l’horloge la musique deviendrait presque humaine comme si elle était produite par un groupe de death metal, elle perd son éclat, sa force, elle s’estompe, ne subsiste_plus que le battement d’un cœur, ce ne peut être le vôtre puisque vous êtes mort. N’est-ce pas terrifiant ? Si vous étiez sagement assis dans un cinéma (première fois que je m’aperçois que ce mot commence, quel sinistre hasard, comme cimetière) vous trouveriez le suspense de cette scène insupportable.

    XENO

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    Anark : ce titre terminal est paru une quinzaine de jours avant l’opus en son entier. Il a bénéficié d’une couve personnelle de Chris Printezis, son Instagram ne dévoile presque rien, un style assez proche de la bande dessinée toutefois sont exposés trop peu de posts pour en juger, par contre si vous avez du mal à voir ce que présente le dessin, avec un peu d’observation vous y arriverez parfaitement tout seul, bon prince je vous refile la solution. Une représentation du Kaos. Un peu naïve, un peu Goldorak, je le concède, essayons cependant de comprendre un tantinet. Dans la mythologie grecque l’Erèbe est le fils du Kaos, qui se place donc antérieurement à son fils, et qui est même primordial. Ce n’est pas un personnage mais une énergie inextinguible issu d’une fente, au fur et à mesure qu’elle jaillit en créant l’espace, elle perd de sa force, d’elle naissent les puissances les plus terribles, notamment l’Ananké, le destin de ce qui doit être auquel tout le monde doit se soumettre, même les Dieux Olympiens qui surviennent pratiquement en bout de course, juste avant nous les hommes… Le voici, tout clinquant, tout resplendissant, il était là avant tout le monde, s’il y en a un qui est l’Alpha et l’Omega c’est bien lui, la puissance irisante des riffs nous le confirment, il s’adjuge très vite la parole pour se présenter, il était là avant que ne commence le temps, il est le créateur séminal et l’exterminateur final, il donne naissance aux mondes pour les détruire ultérieurement, il s’amuse comme un enfant avec un jeu de cubes, la batterie imite l’empilement de ces jouets cosmiques et les guitares traduisent le chamboulement de ces constructions qu’il envoie rouler d’un coup de main dans les abysses du néant, il hurle, la musique y va mollo, comme quand vous jugez qu’il est inutile de contrarier d’un bambin qui pique une crise de delirium tremens, il meugle comme un rhinocéros, d’un coup de pied il joue au foot avec les planètes puis au billard avec les astres, ne le traitez pas d’irresponsable, ne lui infligez pas l’infâmante appellation d’anarchiste, il est le prince agrégatif et l’empereur du désagrégatif, il est Anark, l’Anarque, non pas celui d’Ersnt Jünger humain top humain mais le Cosmique, cet être qui se suffit à lui-même, cette force incommensurable qui n’a besoin ni de personne ni de rien  même pas de sa cosmicité, pour un peu cela deviendrait comique, mais tremblez car il détient les clefs de la mort entre ses mains et il s’en sert comme d’un hochet capricieux. Contrairement à Dieu, Anark ne meurt pas.

             Je vous laisse sur cette bonne nouvelle. Et ce disque aussi gai que terrific !

    Damie Chad.

     

    *

             Il est des titres qui vous attirent plus que d’autres. Celui-ci suscite les souvenirs de ma jeunesse et de mon maître en philosophie le poëte Pham Cong Thien  qui m’apprit à manier les concepts ontologiques. Qui à l’âge de ses seize ans fut qualifié d’ ‘’enfant génial du Vietnam’’ par la presse de son pays

    ONTOLOGICAL MYSTERIUM

    HORRENDOUS

    (Season of the Mist / Août 2023)

             Viennent de Philadelphie, entre 2005 et 2018, ils ont commis quatre albums remarquables et remarqués, ont disparu durant cinq ans pour revenir avec ce chef-d’œuvre.

    Jamie Knox : drums / Matt Knox : guitars, vocals / Damian Herring : guitars, vocal / Alex Kulick : bass.

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             La couve est signée par Alexander L Brown, lui-même guitariste et designer. Si vous parcourez son Instagram sa prédilection pour le blanc et noir vous marquera, l’on s’étonne même de l’orange effulgence de cet artwork. L’on savait que Cerbère avait trois têtes, maintenant l’on se souviendra que la bouche d’ombre possède trois crânes, soudés entre eux, à tel point que l’on ignore s’il en subsiste une, deux ou trois. Une réalisation alchimique qui a su métamorphoser la mort noire en pierre philosophale. Tout en lui infligeant le rappel de la formalité de sa provenance. Art de feu et d’incendie.

    The blaze : guitares discordantes, cordes assourdissantes, chuchotements de l’ombre, clameurs lointaines, glissandi infinis, flammes finales, séquences musicales alternées en toute vitesse, il se bouscule  tant de phénomènes obscurs dans ce comprimé agglutiné en cent soixante secondes, qu’il est nécessaire d’écouter et de réécouter encore cette gélule d’épopée qui se déploie en sa propre effervescence, l’histoire d’une montée impie, d’un pari insensé de prendre son essor afin d’être plus que le soleil du  ciel, qui chaque soir tombe et se meurt. Chrysopoeia (The Archeology of Dawn) : l’histoire d’un transmutation aurifique, horrifique aussi si l’on en croit le profil barbelé de ce morceau, impossible de saisir le fil de cette pétaudière, trop riche, trop intense, imaginez que vous visitez le dédalle labyrinthique des mille salles du palais de Knossos en quinze secondes, ou que l’on vous fasse boire de l’or potable et que l’on vous demande d’expliquer doctement ce qui se passe dans le tube de votre œsophage au fur et à mesure que le liquide dévale vers l’estomac, ce serait impossible la seule personne capable de vous comprendre serait vous seul, vous traversez le feu pour vous en extirper, et vous voudriez vous en tirer sans mal et en sortir frais comme les doigts de la rose de l’aurore, le tourment de cette musique qui concasse votre esprit ne vous laisse aucune chance, quel ramdam phonique, consolez-vous c’est d’une beauté extatique, le groupe ne vous laisse pas tomber il vous tire vers le haut avec ses pinces coupantes, un solo de guitare vous cloue sur la paroi pour vous empêcher de tomber, parfois la voix se fait douce comme une caresse avant de se muer en crise épileptique. Non, vous ne sortez pas indemne, l’on ne revit ni la mort tni la naissance du soleil sans y laisser des plumes. C’est exactement cela que l’on appelle l’épreuve du feu. L’ordalie métaphysique. Pour qui te prends-tu, Achilles ne l’a pas réussi. Comme toi il avait une blessure secrète. Neon Leviathan : nous quittons les mythes pour nous confronter au monstre fascinant de l’organisation humaine, nous sommes en pays de connaissance, peut-être est-ce pour cela que malgré l’emballement final , le hennissement guitarique et le hachis battérial sommes-nous dans un morceau monstrueux de death metal qui ressemble davantage à une civière de métal et de laboratoire qu’à la mort, vous ne bougez pas, vous ne risquez rien, si ce n’est une amélioration, quel est ce galimatias qui vous indique que la  science moderne est capable de vous faire traverser, ô comme c’est beau, ô comme c’est lyrique, ô comme c’est exaltant de n’avoir rien à faire si ce n’est de subir une transmutation alchimique dont votre corp sera l’athanor, le réceptacle et le résultat, gloire à la médecine moderne et sa nouvelle race d’opération, la guitare vous caresse, levez-vous, une nouvelle ère vous attend. Après l’épreuve vous avez touché votre récompense, l’expérience vous a transformé. Aurora neoterica : instrumental, ici tout n’est que calme et volupté, même si Matt fait un peu de bruit sur son tambour, te voici comme un homme nouveau, prêt à entonner de nouveaux chants, aurore poétique, tout a changé, rien ne changera jamais plus, tu as franchi une nouvelle étape, tu es un humain augmenté, crois-tu que tu pourrais un jour accéder à un tel bien être. Preterition Hymn : le rêve continue, la musique se fait douce comme la peau d’un fruit, pourquoi hurles-tu avec cette voix éraillée, est-ce la joie qui te rend fou, oui tu as atteint un stade supérieur, les Dieux eux-mêmes t’aideront dans tes désirs, dans tes faiblesses, oui je suis comme Enoch qui dans la Bible et le Ciel marchait aux côtés de Dieu. Il existe une Official  Music Veo sur la chaîne Y T de Season of the Mist, étrangement la beauté des images n’oblitère en rien, et aide à mieux saisir, la complexité de ce morceau. Cult of Shaad’hoa : exaltation suprême, je suis un guerrier invincible, je le crie, je le hurle, mon cœur résonne comme la batterie folle d’un groupe de death metal, je cours, je file, je grimpe, je m’élance, je m’envole, rien ne m’arrête, les Dieux m’adorent, je percerai le dôme du ciel, je trouerai l’azur souverain, je mène le char du soleil, là où je veux, quand je veux, comme je le veux, je suis le feu vivant. Exeg(en)esis : le métal exulte, il se contente de marmonner dans sa barbe, va-t-il trop loin, pour qui se prend-il, est-il le maître d’une nouvelle genèse, les guitares angéliques le couvrent de leur éclat, il se projette dans le jardin dans le jardin d’Eden, manifestement il se croit tout permis, il recrée le monde en expliquant le processus de sa propre création. Ontological mysterium : il ose se prendre pour Dieu, il ordonne le monde, est-ce la folie, est-ce de l’inconscience, que craint-il n’est-il pas le plus fort, Dieu ne marche-t-il pas à ses côtés, il est la vie, les guitares chantent, les tambours s’emballent, s’en aperçoit-il, y fait-il seulement attention, non ce n’est pas Dieu qui va le punir, le mal, l’échec, la mort surgira de sa profusion vitale, trop d’arbres tuent les arbres, trop d’herbes écrasent l’herbe, le mystère ontologique s’énonce ainsi ce n’est pas la vie qui naît du néant de la mort, c’est la vie qui produit la mort, Dieu n’est-il pas mort du seul fait qu’il ait existé… tout cela n’est-il pas déjà consigné dans les anciens écrits. L’exubérance de ce morceau ne court-il pas à sa propre extinction. The death Knell Ringeth : pour qui Dieu sonne-t-il le glas ! Sirènes d’alarme, le morceau tremble sur ses bases. Tu as voulu parler à Dieu et maintenant c’est lui qui te cause, d’une voix menaçante, ne cherche pas je suis au-dedans de toi puisque tu as voulu te prendre pour moi. La comédie est finie. J’aboie comme le chacal du désert, ma colère est telle les épines du figuier stérile, que veux-tu, misérable créature, la musique obéit au doigt et à l’œil, elle galope à une vitesse excédentaire, elle te pousse vers ton destin, tu as surpassé les Dieux, tu t’es pris pour mon égal, mais d’un coup de cuillère à pot je t’expédie dans le lieu de ta punition éternelle, en enfer !

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             J’espère que cette fin morale servira de leçon à tous les lecteurs présomptueux de ce site. J’avoue qu’elle me déçoit quelque peu. Enfin beaucoup. Elle n’est pas à la hauteur du jeu coruscant des musiciens, le synopsis tombe à l’eau, il traîne ses sabots dans une vieille histoire. Je me demande si c’est un vieux fond idéologique plus ou moins inconscient des racines puritaines de la Grande Américaine… Un défaut ontologique de fabrication !

             Toutefois ne boudons pas notre plaisir, c’est un bel opus qu’il vaut mieux écouter sans trop chercher à le comprendre. Ils ont raté l’opération alchimique, nous pensions qu’ils avaient trouvé la couleur de la pierre philosophale, c’était celle des flammes de l’enfer. Errare humanum est.

    Damie Chad.

     

    *

             Chose promise, chose due. Nous avons vu le concert la semaine dernière, au 3 B de Troyes, nous chroniquons maintenant le disque que nous en avons ramené.

    BEE DEE KAY DRIVES THE U.F.O. ZZZ

    (Sound  Flat Records / SFR-45_065 / Juin 2024)

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             Un disque, un vrai, un simple avec une pochette en carton aussi épaisse qu’ un porte-avions, sont des modestes, ne se sont pas mis sur la pochette, à la place ont écrit leur nom en gros, style dazibao maoïste qui bouffe presque la moitié de la couve, à côté ils vous offrent leur cœur, seraient-ils des monstres qui n’en auraient qu’un pour cinq, doivent se le passer à tour de rôle pourquoi pas, après tout les trois Grées terribles divinités grecques primordiales peu sympathiques ne possédaient qu’un seul œil qu’elles se refilaient de l’une à l’autre selon les nécessités, en tout cas ils doivent y tenir, pour ne pas le perdre ils l’ont attaché à une grosse chaîne, ne sont pas gars très soigneux puisque l’attache du médaillon semble cassée. Par contre j’ai appris quelque chose : je croyais que les initiales U.F.O. qui en anglais sont celles de Unidentified Flying Object signifiaient en notre douce langue françoise Ovni, pas du tout, c’est du français pure (enfin presque) souche, qui veut dire : Unique Fuckin’ Obsession, ZZZ

    You move me baby : légère tambourinade, Terric ouvre le menuet, pardon le remué, Bee Dee Kay est pratiquement le premier à entrer dans la danse. Benny lance illico le hérisson de sa guitare dans la cheminée, vous êtes averti ça va chauffer, Fi-Cel fait tourner le moulin à café de son Upright bass, en quinze secondes ils ont atteint leur vitesse de croisière, si vous vous croyez en classe touriste sur le pont d’un paquebot, c’est foutu, l’on sentait comme des ratés dans le moteur, c’était Grand Siffley  qui rongeait les câbles des freins, une fois son sabotage terminé, c’est fini, les haricots sont cuits, le sax se met à pétarader comme une Torpedo, il ondule comme le col du cygne  qui s’apprête à pénétrer dans le vagin de Léda, vous l’entendez hurler, des grincements éraillés de bicyclette sortie du grenier dans lequel elle était remisée depuis un demi-siècle, après l’on ne sait plus, Bee Dee Kay proclame qu’il est un chanteur de rockabilly, c’est vrai, hélas il est traversé par une folie meurtrière, il hurle comme un loup qui cherche à bouffer la lune, phénomène contagieux, ses camarades ne se retiennent plus,  la guitare de Benny vrille un max,  le sax se prend pour un éplucheur à patates et vous entendez le nid de crotales qui nichaient dedans qui détestent se retrouver pelés de la tête à la queue, la section rythmique se prend pour un régiment d’assaut, si à la fin du morceau vous en ressortez indemnes, c’est que vous avez eu de la chance. Beaucoup plus que Bee Dee Jay qui se retrouve à l’asile à skis.

    Wake up honey : si elle a besoin d’être réveillée après le tintouin qu’ils viennent de faire c’est qu’elle est sourde ou qu’elle est morte. Démarrent en trombe, la voix de Bee Dee Jay tressaute sur les cahots, Benny joue aux castagnettes sur sa guitare, le général Grant souffle dans son sax pour sonner la charge il n’arrête pas de barrir tel un troupeau de mammouths, Terric et Fi-cell foncent droit devant, personne ne les devancera, quelques lancées de poudre explosive de Benny pour terminer en beauté (convulsive), z’ont donné tout ce qu’ils avaient, Dee Bee Jay qui n’avait rien à distribuer nous offre l’essence vocale et explosive du rock’n’roll.

             Qu’existe-t-il de plus jouissif en ce bas monde ?

             Rien.

    Damie Chad.

     

     

    *

             Dans la vitrine de ma libraire c’est tout mignon, tout joli. Un livre pour les gamins, l’on fait de satanées belles choses pour les têtes blondes, remarquez, six ans révolus elles n’ouvrent plus un livre. C’est de qui ? zut alors c’est du sérieux, un Baldwin que je ne connais pas, un inédit en plus !

    LITTLE MAN, LITTLE MAN

    UNE HISTOIRE D’ENFANCE

    JAMES BALDWIN

    Et YORAN CAZAC

    (Denoel / Août 2024)

             Les jeunes lecteurs de KR’TNT ! ont toutes les raisons de ne pas le connaître. C’est rassurant, ça prouve qu’ils n’appartiennent ni à la CIA, ni au FBI, ni à quelques officines de services secrets. Au milieu des années soixante James Baldwin était le numéro trois d’une sacrée liste, les deux autres n’étaient pas n’importe qui, jugez-en par vous-mêmes, Malcom X et Martin Luther King ! 1965 pour le premier, 1968 pour le deuxième, en 1970   James Baldwin qui n’avait aucune envie de se reposer dans un cimetière éprouva l’irrépressible et salvateur besoin de trouver refuge en France… Il y mourut (de mort naturelle) en 1987.

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             C’était un homme dangereux. Pour un nègre il avait des idées trop claires. Un écrivain, un intellectuel. Homosexuel et antiraciste. Ça fait beaucoup pour un seul homme. L’avait de drôles d’analyses, il pensait que le christianisme était un cadeau empoisonné que les blancs avaient donné aux noirs : il est inutile que les esclaves qui bossent dur et souffrent un maximum se révoltent, puisque Dieu leur réserve une éternité de paradis. Il pensait aussi, il explique longuement dans ses essais, que le racisme gangrénait et causait autant de mal, en enfermant et en isolant les individus dans leurs ressentiments, à l’Amérique blanche qu’à l’Amérique noire.  Il affirmait aussi que le problème n’était pas résolu à plus ou moins long terme la situation exploserait. La montée dans les années soixante de l’idéologie de l’emploi de la violence dans le Black Panther Party avait tendance à porter crédit à ses thèses…

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             Nous avons déjà chroniqué en ce blogue plusieurs livres de James Baldwin, celui-ci est un peu différent. C’est bien un livre pour les enfants. Très instructif pout les grands. C’est aussi un livre de commande. Un peu spéciale. Elle provient de son neveu Tejan qui du haut de ses quatre ans lui demande pourquoi il n’écrit pas un livre sur… Tejan. Baldwin lui promet qu’il le fera. Il tiendra parole. Le livre paraîtra en 1976 avec les illustrations de son ami Yoran Cazac. Vous trouverez dans les différentes préfaces et postfaces des principaux protagoniste, témoins et participants de cette histoire.

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             Ce n’est donc pas un véritable inédit, un de ces manuscrits trouvés au fond d’un tiroir puisque le volume fut édité en Amérique. Mais l’œuvre de Baldwin est si foisonnante, romans, essais, théâtres, articles, correspondances… que ce livre illustré a été quelque peu occulté dans la mémoire collective. Ce n’est sûrement pas un hasard s’il a été sorti de par chez nous durant la campagne présidentielle américaine…

             Que nous conte ce Little Man ? Pas grand-chose et beaucoup. Les dessins de Yoran Carzac occupent la plus grande partie des pages, pour la petite histoire Cazac n’avait jamais mis les pieds à Harlem, lieu où se déroule le récit. Il s’est laissé guidé par les propos de Baldwin, les photos familiales qu’il lui a remises et quelques documents photographiques glanés de-ci de-là.  Entre nous soit dit nonobstant le fait que tous les personnages sont noirs, les teintes claires des aquarelles et l’innocence qui émane de ces vues familières de la vie de trois enfants auraient très bien pu être utilisées pour raconter une enfance provençale…

             Le récit possède une unité de lieu et une unité de profondeur. Bien sûr TJ s’échappe de temps en temps de la rue dans laquelle il habite, mais elle demeure l’axe central de l’action. Donc trois gamins, TJ et son ballon, WT qui ne rate une occasion pour danser, et Blinky la grande sœur (huit ans) qui les suit partout, qui de fait est là pour les surveiller. Ou plutôt, sachez apprécier la différence pour les protéger. De quoi au juste. A part jouer au ballon, rendre service aux voisines, acheter quelques sous de bonbons, ils ne font pas grand-chose, ne dites pas qu’avec les voitures un accident est vite arrivé. Il surviendra comme il se doit, pas grand-chose pour nous, un tantinet traumatisant pour des gaminos, mais rien de grave.

             Baldwin n’en dit pas plus, tout est bien qui commence et qui finit bien. Baldwin révèle tout. La grande menace. La grande défense. Pire que le racisme, la grande misère, les gens ne meurent pas de faim, mais de leurs vies étriquées, éteintes, et de leurs corollaires la drogue et l’alcool, portraits saisissants de voisins engoncés dans les cul-de-sac de leurs existences flétries. Juste un regard d’enfant qui voit tout sans tout comprendre, aucun réquisitoire, aucun jugement, juste la sensation d’une réalité estompée par la naturelle ignorance de l’enfance, jusqu’à cette intervention de la police, prémonitoire en le sens où elle ressemble à une feuille de calcul prévisionnel Excel, Yoran Cazac nous la transpose en images de comics économiques ou de série télévisée en blanc et noir…

             Face à ce quotidien implacable, rien. Si un filet de sécurité invisible. Les enfants ne sont jamais seuls, les adultes avec leurs failles ne sont jamais loin, de même les enfants sans le savoir apportent une aide précieuse aux adultes dans leurs difficultés, la communauté possède ses remparts, elle encaisse les coups mais tout comme la présence des leucocytes dans le sang elle possède ses moyens de défense prêts à atténuer et à stériliser l’entrée pathogène des virus… Les globules blancs défendent les corps noirs, ils ne sont d’ailleurs jamais tout à fait noirs non plus, Baldwin explore les teintes, nous dirons qu’ils sont dorés. Aussi précieux que l’or.

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             Quelques pages à ras d’enfance, Baldwin ne dit rien, il montre tout. Mieux il démontre. Sans une once de moraline. Sans discours étayé. L’art d’un grand écrivain.

    Damie Chad.

     

    *

    Je ne pourrais pas vous donner la date exacte, je l’ai notée quelque part mais je ne la retrouve pas, bref c’était en octobre, le matin, et j’étais en train de beurrer les biscotes…

    GENE VINCENT, MOI, ET LES AUTRES

    RETOUR DANS LE PASSE

    … de mon petit déjeuner. Une occupation sacrée à laquelle je consacre toute mon attention, avec le même soin que je prendrais, moi le kroniqueur branleur et branlant, si j’étais en train de préparer une libation propitiatoire en l’honneur de Poseidon, l’ébranleur de la terre. En tout cas, Poseidon doit encore ronflouter doucement sur un doux lit d’algues parfumées, il ne moufte pas, la matinée s’annonce calme, le tchou-tchou bienveillant de la cafetière électrique berce en moi les derniers relents de sommeil, la radio marche mais je ne l’écoute pas. L’art de beurrer une biscote  exige soin, application, et concentration, c’est un peu le contraire de l’origami, la matière friable que vous tartinez ne doit aucun cas plier et rompre sous la pression du couteau, la radio cause toujours, l’on est sur France-Inter qui s’infiltre dans mon oreille distraite et Claude Askolovitch débute sa chronique en évoquant un enfant que ses parents endorment au son d’Elvis Presley et de GENE VINCENT, je sursaute, ma cafetière aussi, est-ce que le nom de ces deux américains lui a rappelé les westerns de son enfance, toujours est-il qu’illico elle se transforme en locomotive à vapeur lancée à plein régime, son tchou-tchou vaporeux s’est instantanément métamorphosé en grondements terrifiants, au tintamarre qui envahit la cuisine j’en déduis qu’elle est poursuivie par une bande de peaux-rouges criards ivres de sang et de fureur, eux-mêmes pris en chasse par le Septième de Cavalerie qui galope ventre à terre de toute la force de ses clairons… bref je ne parviens pas à saisir le nom de cet individu ni la suite de sa carrière.

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             Que le nom de Gene Vincent soit prononcé avant sept heures du matin demande une enquête. Qui est cet enfant béni des Dieux que ses parents ont élevé dans la plus stricte orthodoxie rock’n’rollienne, comment a-t-il évolué, serait-il aujourd’hui devenu un chanteur de rock… Au plus vite je récupère le podcast de l’émission sur le net. Je vous livre son nom : il s’agit de Djubaka, son nom est fièrement claironné sur les antennes de France Inter chaque fois qu’est diffusé un morceau de musique. Il est le directeur musical de la chaîne. Disons que je ne partage pas ses goûts, je fais souvent la grimace, bon au moins il aura servi une fois à quelque chose dans sa vie puisque grâce à lui le nom de Gene Vincent est prononcé sur France-Inter.

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             L’histoire aurait pu se terminer là, mais le Démon de la perversité cher à Edgar Poe m’a poussé à en savoir plus. Qu’apprends-je sur lui, outre ses goûts musicaux, il avoue toutefois qu’il aime la noise music mais qu’il  n’en programme point sur Inter parce que cela déconcerterait le public aux oreilles sages.  Entre parenthèses le gars n’a pas l’air idiot, l’a une allure de dandy, tous les goûts sont dans la nature (sans doute parce que la nature, marâtre impitoyable, n’a pas de goût, cette assertion demanderait une lecture attentive de L’Ethique de Spinoza), mais lorsque l’on cherche l’on s’expose à trouver ce que l’on ne cherchait pas. En l’occurrence je ne cache pas que je dois être le centre de l’univers, puisque ma recherche me ramène très rapidement à ma modeste personne. Avec sa compagne Anne, Djubaka animent aussi la luxueuse revue papier Hey ! Modern Art & Pop Culture, je file illico sur le site, je clique un peu au hasard sur le nom d’un artiste et je tombe sur le magazine culturel de la ville de Pamiers, diable mon ordi est fatigué, je reclique et retombe sur le magazine culturel de la ville de Pamiers et j’apprends que Paul Toupet participe du 11 octobre au 21 novembre 2024 à l’exposition Harmonie ou Le milieu des Mondes organisée dans Le Carmel.

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             Lieu que je connais bien, puisque je suis né à Pamiers et que mon collège, aujourd’hui détruit (qui abritait aussi en ses murs multi-centenaires une école primaire) faisait face à ce Carmel, longtemps abandonné… Bref je remercie Djubaka, Gene Vincent et les mille chemins ouverts du monde de m’avoir ramené chez moi. Sur les lieux de mon enfance.

    Damie Chad.

            

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 627 : KR'TNT 627 : GENE VINCENT / FOMIES / COLIN ESCOTT / SAM COOMES / RONNIE DYSON / ARCHE / ACROSS THE DIVIDE / BILL CRANE / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 627

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    11 / 01 / 2024

     

    GENE VINCENT / FOMIES / COLIN ESCORT

    SAM COOMES / RONNIE DYSON

    ARCHE / ACROSS THE DIVIDE

    BILL CRANE / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 627

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Là où il y a du Gene, il y a du plaisir

    (Part Three)

     

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             Avec un tout petit peu d’imagination, on verra la Ford Consul rouler dans la nuit à tombeau ouvert, sur la route de Bath qui longe l’A4, en direction de Chippenham. George Martin est toujours au volant, et, assis à la place du mort, se trouve Patrick Thompkins, le mec de la Fosters, l’agence qui organise la tournée. Serrés comme des sardines sur la banquette arrière, on retrouve bien sûr Gene Vincent, Kim Fowley et Mick Farren. La Ford fonce dans la nuit éternelle.

             Gene boit du Jack au goulot et feuillette un canard.

             — Sont sympas, les cats de Rockabilly Generation ! Font un hors-série sur bibi ! Hey, Kim, z’en ont déjà fait un, non ?

             — T’as raison, c’est le deuxième. Pour un mec qu’a pas de chance, t’es gâté, mon poto.

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             — Attends voir ! Ya Damie Chad qui m’tire un sacré coup d’chapeau, yeah ! Écoutez-ça les mecs : «L’on dit que parfois, un étrange volatile vient se poser sur l’ardoise délavée qui porte son nom. Ce serait l’âme de son frère d’ombre, celle du grand poète Edgar Allan Poe et l’on entend alors une merveilleuse clameur que la brise de la nuit se dépêche de dissoudre... La grande Amérique utilitariste s’est de toujours détournée de ce chant alterné de destins brisés qui mêle l’amertume des sanglots et les brillances des désirs insatisfaits.»

             Un ange passe. Mick rompt le silence :

             — Damie donne du doom.

             — C’est quoi du doom ?

             — Un glacis littéraire ! Damie Chad a pigé qui tu étais, Gene. Il est l’un des rares. Peut-être même le seul. Il t’associe à Edgar Allan Poe et ça, c’est du real deal d’ultra-fan qui te voit dans le cosmos et qui connaît ta musique par cœur. C’est du so far out à travers les genres et les époques, c’est en plein dans le mille de la cyber-structure alluvionnaire, il va cueillir l’exactitude au cœur même de l’infini des connaissances... T’as vraiment une veine de pendu, Gene, Damie te Pym le pion en beauté, il te Raven la façade à l’evermore, il t’Usher au Roderick et rac, à la Madeline de Proust, il t’Ovalise le portrait et t’oblate à l’Oblong, ce qui n’est pas rien, si tu y réfléchis bien...

             — Oh Mick, je pige rien à ton délire de speed-freak. Tu m’courais déjà sur l’haricot avec ton baratin sur Richard III !

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             — Mais c’était pas du baratin, poto ! Quand tu portais du cuir noir et tes gants noirs, avec ton col relevé et ton gros médaillon en or, t’étais la réplique exacte du Richard III qu’incarna Laurence Olivier dans ce cult-movie tourné en 55. Mon hommage vaut bien celui de Damie. T’es un cat trop ultime, Gene. Too far out ! On est obligé de t’associer à des gens comme Poe ou Richard III, parce qu’on ne peut t’associer à rien d’autre.

             Kim éclate de rire :

             — Le Richard III du rock’n’roll ! Coincé dans ce rôle, tu ne pouvais vraiment pas sourire ! T’étais complètement baisé, Gene. Un mauvais garçon ne peut pas être gentil.

             Mick ajoute :

             — Tu collais parfaitement au portrait qu’on a fait de Lord Byron, un mec cinglé, mauvais et dangereux à fréquenter... T’étais un peu Dracula en Harley Davidson !

             — T’as tout faux mon gars ! Jamais eu d’Harley ! J’roulais en Triumph Tiger 500 cm3, celle qu’a Johnny Strabler dans The Wild One.

             — Quand cette bonne femme t’est rentrée dedans avec sa Chrysler, t’es devenu une sorte d’Achille en cuir noir, un demi-dieu trahi par sa condition de mortel.

             — On pourrait pas parler d’aut’ chose que d’ma patte folle ? Et puis vous pouvez bien la ramener tous les deux ! Question bad boys of rock’n’roll, vous êtes pas mal non plus ! Toi Mick avec ta passion pour les amphètes et l’anarchie, et toi Kim, avec tes petites arnaques et tes tonnes d’histoires de cul...

             — On t’arrivera jamais à la cheville, Gene. C’est pour ça qu’on t’admire. Avec Damie Chad, on forme un fan-club de choc.

             — Vous oubliez Jimbo, les mecs. On s’piquait la ruche ensemble au Shamrock, ce rade de Silver Lake, au bout d’Santa Monica Boulevard, à Hollywood. Ce rade est dev’nu ensuite le repaire des punks de L.A. Jimbo me disait qu’y m’devait tout, le cuir noir, la posture au pied de micro ! Tu t’souviens du grand Jimbolaya, Kim ?

             — Yep, mais j’aimais pas trop le voir débouler au studio avec sa faune, quand on enregistrait I’m Back And I’m Proud.

             — Un drôle de plan....

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             — Oui, mais vachement intéressant ! Clive Selwood et John Peel venaient de monter Dandelion Records. Selwood ratissait le secteur de Los Angeles et Peely celui de Londres. Selwood s’est aperçu que t’avais plus de contrat, et comme Peely était l’un de tes plus gros fans en Angleterre, ils t’ont proposé le deal du siècle, et comme ils voulaient le meilleur producteur de la West Coast, ils m’ont contacté. L’idée était de sortir un smash, et d’exploser la rondelle des charts. Quand t’es arrivé au studio, t’avais drôlement changé, tu ne ressemblais plus à un vampire, mais à un moine jovial.

             Mick éclate de rire :

             — Avec un p’tit côté Guy Debord, ce qui n’est pas si mal, au fond, pas vrai Kim ?

             — T’avais pris du poids, poto. Pour te faire honneur, j’avais rassemblé la crème de la crème du gratin dauphinois : Skip Battin des Byrds, toujours en taille basse rouge, Red Rhodes, le roi de la pedal steel, Jim Gordon, qui a battu le beurre sur Pet Sounds, mais aussi derrière Gene Clark et dans Mad Dogs & Englishmen, et puis ton ancien cat des Blue Caps, Johnny Meeks. 

             — Franchement, Kim, j’ai pas du tout aimé ta façon de m’accueillir quand j’me suis pointé au studio. Tu m’as r’gardé du haut de tes deux mètres de grande chipolata et tu m’as dit : «Alors, c’est toi Gene Vincent ?». T’as eu du cul mon pote que j’le prenne pas d’traviole !

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             — C’était pour te faire monter l’adréaline au cerveau, Byron de mes deux ! Je sais que tu m’as pris en grippe. C’était fait pour. 

             — Ah le pire, c’est quand tu m’as interdit d’boire !

             — Ah ouais, tu trimballais ton fucking attaché-case et tes trois bouteilles de Martini. T’étais pathétique. Glink glink. On t’entendait marcher dans la rue avec tes litrons. 

             — Alors tu m’as balancé d’un air mauvais : «Personne ne boit dans ce studio !». T’es un fucking tyran ! T’es pire qu’Hitler ! Personne n’a jamais osé m’parler comme ça ! 

             Kim éclate de rire.

             — Moi si, ma poule !

             Alors Gene se tourne vers Mick et lui dit :

             — Tu sais pas c’qu’il a encore osé m’balancer, à moi, Gene Vincent, cet enfoiré de chipolata ?

             — Vazy...

             — Il m’a fixé dans le blanc des yeux et m’a dit : «Hey toi, tu vas me chier une de tes grosses merdes pour teenagers !». C’est un miracle qu’il soit encore en vie, ce fucking bâtard ! J’ai failli lui balancer un coup de béquille en travers de sa gueule !

             — Plains-toi pas, Gene, il fallait bien planter le décor.

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             — Ah tu parles d’un décor ! Quand j’y r’pense, c’est vrai qu’c’était un bon deal, même avec un cat aussi crazy que toi. J’avais un vrai plan de bataille. C’est moi qu’a choisi l’titre, I’m Back And I’m Proud. Je trouvais que ça sonnait juste. Je voulais faire un disque très commercial, pour rev’nir dans les charts, et montrer que Gene Vincent n’était pas cuit aux patates. J’ai choisi trois cuts que j’aime bien : «Rockin Robin» de Bobby Day, «Sexy Ways» d’Hank Ballard et le «White Lightning» du Big Bopper. Mais avec Kim, on roulait pas à la même vitesse.

             — C’est sûr ! Skip Battin disait que t’étais un fucking perfectionniste, alors que moi, j’aimais bien aller vite. Une prise et au suivant ! Tu prétextais toujours que la première prise n’était pas bonne et tu voulais en faire d’autres.

             — J’en fais en général une vingtaine...

             — C’était hors de question, et tu veux savoir pourquoi ?

             — Vazy dis...

             — Parce que je m’ennuyais à crever T’avais l’air de te complaire dans une variété pathétique. Tu devenais atrocement conventionnel. Comme Elvis. On t’avait limé les crocs. T’avais perdu la niaque de «Bird Doggin’» et de «Woman Love». Je hais le ventre mou du rock américain ! Je te vois encore te trémousser sur ton tabouret quand tu chantais «Rainbow Of Midnight». Des légendes ramollo comme toi, j’en ponds dix chaque matin ! J’avais plus qu’une envie : t’attraper par le colback pour te faire bouffer ta béquille, ton cran d’arrêt et tes trois bouteilles de Martini.

             Mick ajoute, d’une voix sourde :

             — Johnny Meeks a même dit que vous avez tous les deux massacré cet album. Pourquoi t’as pas tapé dans Hank Williams, Gene ?

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             — Mais si, j’ai tapé dans l’Hank ! Ya «No. 9 (Lonesome Whistle)» sur I’m Back, et avant ça, j’avais déjà tapé des sacrément bonnes covers d’«Hey Good Lookin’» et d’«Your Cheatin’ Heart».

             — L’Hank c’est capital, car t’en es l’héritier direct ! Tu sais qu’à l’âge de quatorze ans, l’Hank tournait déjà avec les Drifting Cowboys, et qu’il buvait comme un trou.

             — Ouais, tout l’monde le sait...

             — Puis il est passé à la benzedrine et à l’hydrate de chloral, pour tenir le choc des tournées. Il s’est allumé la tirelire aux amphètes, comme Elvis.

             — Ça c’est ton rayon, Mick ! Mais tout c’que tu rabaches, on l’sait déjà...

             — Voilà où je veux venir : c’est lui, l’Hank, qu’a inventé le mythe romantique de l’auto-destruction systématique, en cassant sa pipe en bois à 29 ans sur la banquette arrière de sa Cadillac bleue, alors qu’il taillait la route pour Canton, Ohio. Bien avant Chucky Chuckah et Moonie, il baisait des mineures et tirait des coups de feu dans des chambres d’hôtel. Le monde de la country fourmillait d’ivrognes, de bagarreurs, et de fouteurs de merde qui ne furent pas excommuniés, mais l’Hank le fut. Tu sais pourquoi ?

             — Parce que c’était en vampire en Harley Davidson ?

             — Pfffff ! Parce qu’il injectait dans sa country du sexe pur, en plus d’une pointe de blues que lui avait transmise Tee-Tot, le mentor black de son enfance. L’Hank préfigurait le rock’n’roll. Au début des fifties, il terrorisait Nashville, mais des gosses comme toi, Gene, et comme Elvis, vous le dévoriez déjà des yeux. Toi et l’Hank vous avez le même look, l’œil hagard et le visage émacié des petits loubards à la dérive. Vous êtes tous les deux parfaitement incapables de gérer vos démons. Alors, vous vous laissez aller, drivés par l’alcool, la dope et le hurlement des guitares électriques.

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             — Dès fois, Mick, je trouve que t’en fais un peu trop. C’est vrai qu’Hank est un crack, mais l’Hank c’est l’Hank, et moi c’est moi. Chais pas pourquoi vous avez tous la manie d’vouloir me rattacher à d’autre zigs ? Pour montrer l’étendue de votre culture ? J’aimerais mieux qu’on m’calcule comme un p’tit mec de Virginie, capable de rocker des salles et d’enregistrer des chouettes 45 tours. Mick, je me souviens d’un passage que t’as écrit sur moi dans ton book, que j’ai bien aimé, comme le passage de Damie Chad, tout à l’heure. J’l’ai tellement bien aimé que j’l’ai appris par cœur, tu sais, c’est ton passage sur le show au London Palladium : «Cette fois, ce sont les Teddy Boys anglais qui par leur présence et la force de leurs acclamations créèrent les conditions d’un concert exceptionnel et purent pendant une demi-heure revivre leur jeunesse enfuie. Les Teds étaient sur leur 31, portant des vestes longues, des pantalons serrés, des creepers à semelles compensées. Ils sifflèrent les Impalas et les Nashville Teens qui jouaient en première partie, puis, quand Gene Vincent arriva sur scène, ils se mirent à hurler et à danser dans les allées, exactement comme en 1959, okay ?» Là, oui, ça m’va bien. C’est nickel-chrome. Ça colle à la réalité.

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             — Ouais, mais attends Gene, t’as raison, mais à côté de ça, tu ne peux pas empêcher les gens de te voir sous un autre angle. En devenant Gene Vincent, t’as pris pied dans c’que j’appelle la tragédie d’essence antique du rock’n’roll. Comprends bien que dans l’univers du rock - et avant ça, dans l’monde du jazz et du blues - y a eu des personnages comme Robert Johnson, Charlie Parker, Johnny Ace, puis des mecs comme Jimbo, Moonie et Sid Vicious, dont la personnalité se situait bien au-delà d’la musique qu’ils jouaient. Certains d’entre-eux furent pleinement acceptés comme étant représentatifs de leur époque et sont devenus les dieux de c’qu’il faut bien appeler des tribus des temps modernes, dont les racines plongent dans la nuit des temps et qui parviennent à s’adapter à notre époque.

             — J’pige rien à ton délire. Franchement, j’entrave que dalle. T’es trop intello pour moi, Mick. Je préfère Kim quand il m’insulte. Là, oui, je pige tout d’suite.

             — Bon d’accord, je vais te le dire autrement : sur le papier, Jimbo semble mille fois plus important, en termes de starisation, que tu ne l’as jamais été. Et pourtant, vos destins vous rendent égaux. Mais c’est toi Gene qui a inventé ce personnage du rocker qui donne tout son sens au rock’n’roll. Sans cet esprit à la fois destroy et romantique, le rock n’est plus qu’une simple musique de danse, comprrrrendo ? Pour te l’dire autrement, ta légende est absolument ir-ré-pro-cha-ble. Ça te va comme ça ?

             — Je l’savais déjà, Mick. Tu vas t’faire une entorse à la cervelle, si tu continues à délirer comme ça. Tiens bois un coup, tu dois avoir la gorge sèche, à force de baratiner.

             — Quand j’t’ai vu pour la première fois sur scène, c’était en 1961, à l’Essoldo de Brighton. T’as changé ma vie. Comme t’as changé celle de David Lynch. Tu sais pourquoi ?

             — Parce qu’il était un vampire en Harley Davidson ?

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             — Non, poto, parce que dans Wild At Heart, il te rend l’hommage définitif : il utilise  «Be-Bop-A-Lula» comme un motif musical et fait monter Sailor et Lula à bord d’une Cadillac El Dorado 1975 décapotable. Sailor porte la veste en peau de serpent que portait ton idole Marlon Brando dans The Fugitive Kind. Avec ce road movie, David Lynch a fait d’toi l’une des grandes icônes du kitsch démoniaque. À l’Essoldo de Brighton, ton col relevé encadrait ton visage cadavérique. T’étais aussi blanc que Dracula et des mèches trempées de sueur s’écroulaient sur son front. Tu levais les yeux vers un point imaginaire, perdu dans la voûte de l’auditorium, comme si tu fixais les anges malveillants qui tournoyaient et qu’on ne pouvait voir.

    Signé : Cazengler, madame sans gêne

    Rockabilly Generation Hors Série # 4 Spécial Gene Vincent - Janvier 2024

    Mick Farren. Gene Vincent: There’s One In Every Town. Do-Not Press 2004

    Gene Vincent. I’m Back And I’m Proud. Dandelion Records 1970

     

     

    L’avenir du rock

     - Travail de Fomies

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             Côté folies, l’avenir du rock en connaît un rayon. C’est même l’un de ses moteurs, il pousserait bien le bouchon jusqu’à s’en couronner l’épitaphe, s’il ne se retenait pas, ces folies qu’il sent rouler en lui comme des fleuves en furie, ces folies qu’il adore comme des déesses antiques, il se jette à leurs pieds, les Bergères et les Méricourt, et puis on le verra encore se prosterner jusqu’à terre devant les érudits aberrés, les stratèges de la science de la patate chaude jadis dénombrés par Charles Nodier, les quadrateurs du cercle et les Christs des oliviers nervaliens, le Raymond-la-science-inexacte de Locus Solus et le plein-chant des Chants de Maldoror d’un Ducasse qui cassa les caciques, les Contes Immoraux du colosse Pétrus pétri de Borel, oh et puis la Lettre À Dieu de l’incompatible Xavier Forneret qu’il faut bien sûr accoupler avec les hennissements d’Artaud le Momo, livré à lui-même avec Pour En Finir Avec le Jugement de Dieu, lors d’une si scélérate radiodiffusion, voilà tout ce qui captive profondément l’avenir du rock, voilà l’ensemble des mille pieuvres dont son crâne s’envahit, jusqu’à la fin des temps, il restera à l’écoute de ce bouillonnement souterrain de l’esprit libre, il jouira d’entendre cette pression mirifique lui battre les tempes, bah-boom, bah-boom, il acclamera encore tous ces antihéros qui surent arracher leurs chaînes et renier toute pudeur et toute mesure, toute espèce de contrainte morale ou esthétique, tout sentiment et tout matérialisme, pour enfin exister à la folie, et il replongera sans fin dans ce festin de destins mirifiques, au nombre desquels il compte l’ineffable Moonie d’au clair de la lune, et bien d’autres fabuleux hétéroclites du rock comme Roky le roquet, Syd Barrett-m’était-conté, Skip on-rolling-Spence, Vince my-Taylor-is-not-rich, et lorsqu’enfin, tel un Des Esseintes épuisé, il atteindra le fond de son filon de folies, l’avenir du rock abandonnera les folies pour passer aux Fomies.

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             Alors t’es là en train de siffler ta mousse au bar et soudain tu entends une explosion. Alors tu files vite fait à la cave voir ce qui se passe. Le groupe s’appelle Fomies. Cinq mecs entassés sur la petite scène, deux qui grattent leurs poux sur des bêtes à cornes, un bassman en plein élan cathartique, un steady beurreman, et derrière, noyé dans l’ombre, un mec claviote comme un damné. Dire que ces mecs sont explosifs, c’est un euphémisme. Ils cultivent une science du décollage qui en impose, ils arrachent littéralement leurs heavy krauty cuts du sol, comme le fit Howard Hughes avec son monstrueux hydravion, c’est exactement le même power, ils jouent vite et fort, mais ils ont en plus des réserves considérables, et leur jeu consiste à faire exploser le cut en plein ciel, ce qu’ils font avec une facilité déconcertante ! C’est à la fois sidérant et complètement réjouissant, leur power a quelque chose de surréaliste, c’est peut-être la première fois qu’on voit un groupe cultiver le meilleur hypno du monde, le Kraut, et soudain déclencher une explosion pour aller crever le ciel, bien sûr ils ne crèvent rien, car il se cognent à la voûte de la petite cave, mais leur élan est pur, et la maigre assistance saute partout. Impossible de résister à leur assaut. Dans un tel moment, tu assistes au twist des planètes. Le rock reprend tout son sens. Il redevient la forme d’art la plus immédiate, celle qui te saute à la gorge. Les Suisses font de l’art moderne exubérant, te voilà happé et happy. 

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             En plus, ces mecs sont d’une modestie parfaite, quand on leur dit qu’ils sont vraiment bons, ils disent merci. De toute évidence, ils savent qu’ils sont bons, mais ils ne la ramènent pas.  Ce sont des Suisses, basés à Vevey, pas très loin de Montreux, et bien sûr, ils écoutent les Osees. C’est la même énergie, et le petit mec au beurre vaut bien les deux batteurs de John Dwyer. Lui et son collègue bassman constituent une fière rythmique, ces rythmiques qu’ont dit invincibles et qui ont fait les beaux jours de Can et d’Hawkwind. Les Suisses tapent exactement au même niveau. Can et Hawkwind nous ont souvent fait sauter en l’air, alors avec Fomies, c’est exactement la même chose. La surprise est de taille.

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    Ils sont en deuxième position sur une prog de trois groupes, et bien sûr, il faut craindre pour la santé mentale du troisième groupe, les Italiens de Giöbia. D’ailleurs, ils sont dans la cave et assistent au carnage. Ils vont devoir redoubler d’efforts pour surpasser le power des Suisses, ce qui paraît bien sûr impossible. Personne ne peut jouer après Fomies. C’est tout de même dingue de tomber sur des groupes parfaitement inconnus qui sont aussi bons.   

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             Alors on fait une razzia au merch. Le bassman précise qu’ils ont joué essentiellement les cuts d’Ominous Prominence, leur dernier album. On espère retrouver les explosions du set. Ils démarrent d’ailleurs leur set avec le «Glass Pyramid» d’ouverture de bal d’Ominous Prominence, un cut travaillé au heavy doom suisse. Crédible. Visité par un solo à l’étranglée. Bardé de bon son. Et boom !, ils embarquent «Lakeside Fever» en mode Kraut. Énorme ! Dans la poche. De vrais diables. Ils développent avec frénésie, c’est exactement ce qu’on a vu sur scène. Belle dégelée de dévolu. C’est à toute épreuve. Plein d’accidents et de redémarrages. Hypno magique. Digne des grandes heures du duc de Dwyer. On retrouve aussi le «See» du set, bien arrosé de heavy riff raff. Ils s’inspirent encore du premier Sabbath, avec un son frais comme un gardon de Birmingham.Ils sont en plein Sab, ils concentrent les explosions pour mieux exploser. Mais ça traîne un peu en longueur et ça se dilapide. Ils renouent avec le génie dans «Barren Mind». Belle ampleur du geste. Ces mecs savent bâtir un petit empire. Ils restent sur la brèche. Puissants et toujours intéressants. Curieux cut que ce «Confusion» attaqué en mode Talking Heads, avec un riff de Stonesy. Ils reprennent la main avec un chant en lousdé. C’est vite torché, avec les Suisses. Et toujours ce beurre du diable. Fin d’album spectaculaire avec «The Eyewall» et «Chermabag», deux des hits du set, cavalés tous les deux à l’haricot du kraut, leur «Eyewall» file ventre à terre en territoire des spoutnicks, c’est brillant, plein comme un œuf, bourré de relances, une véritable aubaine. «Chermabag» repart de plus belle, ils tapent ça upfront, ça défonce les barrages et tu as même un solo de destruction massive dans la matière en fusion. Ils détruisent tout sur leur passage. L’herbe ne repousse pas après le passage de Fomies.

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               L’album précédent s’appelle Sudden Lag. Le morceau titre est l’un des cuts les plus explosif du set de Fomies. On retrouve bien le passage à l’acte dans la version studio. Ça sonne même comme un hit dès l’intro. Pure furia del sol. Les deux bêtes à cornes foutent le feu. Tu ne bats pas Sudden Lag à la course. Ces mecs ont tellement de souffle qu’ils te collent au mur. C’est extraordinairement bon. Les poux tombent à bras raccourcis sur le beat. Quel carnage ! Ils virent hypno Kraut histoire d’endormir la méfiance, tu commences à somnoler, ça gratte des poux dans la pénombre et le bassmatic commence à grignoter le foie du cut, c’est le moment que choisit ce démon du beurre pour relancer, mais il relance comme un porc, avec une animalité terrifiante, alors ça explose dans le ciel ! C’est leur truc. Et ça continue de monter par étapes, avec une sorte d’imparabilité des choses, on assiste sidéré au retour du couplet, ça joue dans l’ass de l’oss et ça monte encore pour exploser. Ils ne vivent que pour ça, l’explosion. Et les poux foutent le feu. Le «Noise Less Noise» d’ouverture de bal est lui aussi fougueux comme pas deux, bien propulsé dans l’orbite du Kraut, le mec bat à la bonne mesure, et à un moment, ils décollent. Ils font du pur Can. Comme Can, ils ont l’énergie du beat. Même chose avec «Foggy Disposition». C’est vite noyé de poux et ça explose. Ils montent leur «Ego Trip» sur un riff tiré du premier album de Sabbath. Fantastique clin d’œil ! Ils font sauter le compteur des distos. Avec «A9», ils filent en plein dans les Osees. C’est merveilleusement bien expédié, ils montent leur frénésie en neige, c’est très spectaculaire, ils vont s’encastrer délibérément dans des platanes à coups de solos transgressifs. Tu ne perds pas ton temps à écouter ces mecs-là.

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             Et puis tiens, cadö ! Oh merci ! Un petit EP. On ne crache pas dessus. Fakie Homie Surfboard. 5 Titres. Quelle belle aubaine, car en 2017, les Suisses étaient déjà dans l’énormité. Leur «Paul» est bien gorgé de gras double, bien dérouillé. Ils tapent encore dans l’excellence du patrimoine gaga sixties avec «Complication». C’est même violemment bon. Ils refont «Farmer John» à la dure. Ils optent pour le wild roll over. Sans doute l’un des meilleurs shoot de gaga d’Europe. Ils te jettent ça en l’air et ça retombe sur ses pattes. Uns merveille ! S’ensuit un «West Ocean Sunday» complètement bousillé du bât flanc, trituré au gras double, on entend les bêtes à cornes, c’est énorme, ils sont agiles et puissants, et le départ en solo vaut tout Johnny Thunders. C’est complètement inexpected. Donc génial. Suite de la fête au village avec «River». Ça taille la route ! Et pour finir, ils t’explosent «Primus», et ça chante à la vie à la mort. Ces mecs sont avec les Monsters les rois du wild Swiss gaga, et même du gaga tout court.

    Signé : Cazengler, Fomironton mirontaine

    Fomies. Le Trois Pièces. Rouen (76). 13 décembre 2023

    Fomies. Fakie Homie Surfboard. 2017

    Fomies. Sudden Lag. Hummus Records 2022

    Fomies. Ominous Prominence. Taxi Gauche Records 2023

     

     

    The Memphis Beat - Escott me, partner !

     

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             S’il est un grand Sunologue devant l’Éternel, c’est bien sûr Colin Escott. Son Good Rockin’ Tonight ressemble étrangement à un passage obligé. C’est en tous les cas l’ouvrage qui permet d’écouter tous les Sun cats en parfaite connaissance de cause. L’Escott les passe tous en revue, un par un, ils sont venus, ils sont tous là, comme dirait Charlot dans «La Mama». Le plus bel hommage est bien sûr celui que rend l’auteur à Sam Phillips, et Peter Guralnick se joint à lui dans la préface pour saluer le génie d’Uncle Sam. Il cite Cowboy Jack Clement : «Si Elvis était une star, alors Sam Phillips était une superstar.» En seulement une décennie, et en tant que one-man operation, Sam a selon Guralnick créé un monde auquel rien ne peut être comparé, the stylistic bedrock not just for rock’n’roll but for much of modern blues as well. Guralnick va loin, car il parle de vision historique, et c’est de cela dont il faut se souvenir. Guralnick re-cite cette phrase de Sam qu’on aime à croiser, lorsqu’il évoque Wolf : «This is where the soul of man never dies», et Guralnick ajoute dans la foulée : this is what Sun records was about. On ne peut espérer plus beau mélange de magie et de légende, ce sont les vraies racines du rock, tout vient de cet homme et des amis. It was in the Sun studio that rock’n’roll was born. L’Escott rappelle aussi que l’instinct de Sam était infaillible : en huit ans, il a découvert B.B. King, Wolf, Ike Turner, Rufus Thomas, Elvis, Johnny Cash, Jerry Lee, Carl Perkins, Charlie Rich, Roy Orbison et beaucoup d’autres. Une fois installé à Memphis, Sam se sentit environné par des gens de talent. Sa seule préoccupation fut de capter le feeling de tous ces gens. L’expertise musicale ne l’intéressait pas. Des professionnels auraient foutu Elvis et Johnny Cash à la porte. Par contre, Sam vit en eux deux diamants bruts. À part Sam, le raw n’intéressait pas les gens du business. Jim Dickinson rappelle que les yeux de Sam brillaient étrangement - You could look into his eyes and see whirling pools of insanity. You knew that he was looking down into your guts - C’est comme ça qu’il observait Wolf. Qu’il observait Elvis. Avec le feu sacré. Dévoré par la passion. Et Dickinson conclut : «Someting happened. That’s what he does that’s magic.» Chez Uncle Sam, tout marchait à l’adrénaline. Un bon chanteur ne l’intéressait pas plus que ça. Il voulait quelque chose de distinctif. Pour lui le plus important était la spontanéité. Quand en 1982, il évoque les techniques modernes et les overdubs, il traite tout ça de bullshit - I don’t go for it - Et il s’investit tellement dans ses artistes qu’il invente même la notion de producteur. Il crée un son à partir d’une atmosphère.

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             Pour évoquer le Memphis Sound, l’Escott cite Willie Mitchell qui avait remarqué qu’à Memphis, les musiciens jouaient légèrement en retard sur le beat - Behind the beat a little bit - Même le Bill Black Combo et Otis Redding, ajoute-t-il. Il y avait un demi-temps de retard sur le beat et il semblait que tout le monde allait se planter, mais ils balançaient pour se remettre sur le beat. Pour Willie Mitchell, on trouve aussi ce behind the beat dans le Memphis blues et chez Al Green.

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             L’Escott passe en revue toute l’équipe des pionniers blacks de Sun, Joe Hill Louis, Jackie Brenston & Ike Turner, Roscoe Gordon et bien sûr Wolf. Sam redit qu’il n’avait jamais vu des pieds aussi grands que ceux de Wolf - And I tell you, the greatest sight you could see today would be Chester Burnett doing one of those sessions in my studio. God what it would be worth to see the fervor in that man’s face when he sang - Sam fait une description apocalyptique de Wolf en studio - When the beat got going in the studio, he would sit there and sing, hypnotizing himself. Wolf was one of those raw people. Dedicated. Natural - Les blackos se passent le mot. B.B. King dit à Ike Turner qu’un blanc enregistre les nègres à Memphis. Sam tente de monter des deals avec Jules et Saul Bihari, puis avec Leonard Chess, mais c’est pas facile de faire des affaires avec des gens qui raisonnent plus en termes de profit qu’en termes de qualité artistique. L’un des premiers modèles de Sam est le «Boogie Chilling» De John Lee Hooker et son vrai premier coup d’éclat est bien sûr «Rocket 88» que dynamite Ike en studio derrière son Wurlitzer. Mais Sam avoue que Phil et Leonard le renard ne sont pas très honnêtes avec lui. Il finit par en avoir marre de se faire rouler la gueule par les frères Chess et les frères Bihari. Alors il monte Sun. Son frère Jud vient faire le promo-man. Little Milton est l’un des premiers à enregistrer sur Sun. Mais Milton est un caméléon, il fait du Fats Domino, du Elmore James, du B.B. King et du Guitar Slim. Ce n’est pas vraiment ce que Sam recherche. Il trouve plus de raw dans la guitare de Pat Hare qui accompagne James Cotton sur «Cotton Crop Blues». L’Escott parle d’un solo of extraordinary violence and passion. Ça date de 1954. Jusqu’à son départ de Memphis en 1954 avec Junior Parker, Pat Hare devint an early Sun trademark as well. Sam parle d’un mismatch of impedence sur son ampli, un Fender amp. Entre l’ampli crevé des Rhythm Kings d’Ike Turner et le mismatch de Pat Hare, Sam se régale.

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             1954, c’est aussi la naissance d’un mythe : Elvis. L’Escott rappelle qu’en 1954, la musique d’Elvis échappait à toutes les normes - How alien his music was - L’Escott s’émerveille encore de «Mystery Train» : il y a seulement trois instruments sur le disk, mais il sonne aussi bien que n’importe quel autre chart-topper. Elvis ne réussira plus jamais à sonner aussi bien qu’au temps de Sam - as fresh, as wild, as loose - Edwin Howard parle de la vie d’Elvis comme d’une tragédie : «Il aurait pu évoluer, étudier et voyager, mais il préférait rester dans le monde de son enfance, en louant des salles de cinéma, des manèges et en badinant avec des poupées. La quarantaine ne lui a pas réussi et le troisième âge aurait été obscène. Sa vie était devenue si lamentable qu’à mes yeux, sa mort l’est moins.» Mais grâce à Sam, Elvis a révolutionné le XXe siècle en donnant vie au rock’n’roll. Roy Orbison se souvient de la première fois qu’il vit Elvis sur scène : «First thing, he came out and spat out a piece of gum onto the stage. He was a punk kid. A weird-looking dude.»  Sam admire aussi le style de Bill Black - It was a slap beat and a tonal beat at one and the same time - C’est important, car il n’y a pas de batterie dans le studio. Sam rajoute de l’écho pour graisser le son. Et sur scène, Bill fait le show, alors que Scotty reste concentré sur sa guitare. Mais en 1955, Sam n’a plus un rond. Il vient de racheter les parts de Jud dans Sun et il se retrouve sur la paille, avec le Colonel qui rôde autour de lui comme une hyène. Sam doit se résoudre à vendre le contrat d’Elvis pour éviter de couler. Il craint surtout les poursuites du Colonel qui est devenu manager d’Elvis, en cas de défaut de paiement des royalties.

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             C’est là que débarque Johnny Cash, un artiste très limité aussi bien côté voix que côté jeu. Mais Sam fait une force de ces faiblesses. Cash ne s’embarrasse pas avec les scrupules. Il propose très vite son «Folsom Prison Blues» qui est un pompage note pour note du «Creshent City Blues» de Gordon Jenkins. Ce que Sam apprécie le plus chez Cash & the Tennessee Two, c’est l’originalité de leur son. Sam lance Cash et puis un jour il entend des rumeurs. Cash aurait signé un pré-accord avec Columbia qui prendrait effet à la fin de son contrat Sun. Sam n’y croit pas. En avril 1958, Sam va chez Cash, il sonne à la porte - Je l’ai fixé dans le blanc des yeux. John, on me dit que tu as signé un accord avec un autre label qui prend effet le jour de l’expiration du contrat Sun. Je veux que tu me répondes d’homme à homme : est-ce que c’est vrai ? J’ai su au moment où il ouvrait la bouche qu’il mentait. C’est la seule putain de fois où Johnny Cash m’a menti, et je savais la vérité ! Ça fait mal ! Ça fait très mal ! - Sam rappelle qu’il a consacré énormément de temps à Cash, et à Carl Perkins qui va lui faire le même coup. Il pense que Cash et Carl étaient jaloux de Jerry Lee auquel Sam consacrait alors énormément de temps et de moyens - Ils étaient tous très jeunes et il y avait énormément de jalousie - Sam avait réussi à faire du son de Cash, Luther Perkins et Marshall Grant le son le plus innovant et le plus original en country music depuis la mort d’Hank Williams. 

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             Sam tente aussi de faire une star d’Harmonica Frank, a modern-day hobo, un one-man band qui chantait d’un côté de sa bouche avec un harmo coincé de l’autre côté de la bouche, et qui s’accompagnait à la guitare. Sam avoue que s’il en avait eu les moyens financiers, il aurait fait de Frank Floyd une institution. Par contre, ça ne marchait pas avec Charlie Feathers. Un mélange de mauvais caractère, de poisse et d’erreurs d’appréciation lui firent prendre le chemin des bars minables, alors qu’il pouvait prétendre au rond du projecteur comme Carl Perkins, Elvis et Cash. Et à force de réécrire l’histoire, nous dit l’Escott, il est finalement devenu une star de la réécriture de l’histoire. L’Escott n’y va pas par quatre chemins ! Et puis se montrer impatient avec Sam n’était peut-être pas la meilleure chose à faire. D’ailleurs Sam dit que Charlie était quelqu’un de difficile - a little difficult to work with - Sam ajoute que Charlie racontait des histoires et qu’il finissait par y croire. À ses yeux, le talent de Charlie était dans la country - the blues feeling he put into a hillbilly song - Il aurait pu être the George Jones of his day. Par contre, Carl Perkins, c’est du pur honky-tonk - But you could never take the country out of Carl Perkins - L’Escott affirme que Carl travaillait dur pour échapper à un destin de fermier. En jouant son honky-tonk avec un blues feel, Carl allait inventer un son hybride qu’on allait appeler le rockabilly. Lui et Elvis étaient les seuls à savoir le faire, en 1954. C’est la femme du Carl qui un jour entend Elvis chanter «Blue Moon Over Kentucky» à la radio, dans la cuisine, et qui s’exclame : «Carl, that sounds just like y’all !» Et quand Sam voit débarquer Carl pour la première fois à Memphis, il voit tout de suite le paysan : «One of the greatest plowhands in the world !» Carl adore chanter bourré. L’Escott souligne que Carl en a un sacré coup dans le nez quand il enregistre «Her Love Rubbed Off». Il va même comparer le style douteux de Carl à celui de Jimmy Reed. Carl est comme Hank Williams, un poète rural, ses racines sont les Tennessee barrooms. L’Escott rapporte aussi des incidents de tournée avec Jerry Lee : dans la loge, il y avait Carl, Warren Smith et Jerry Lee qui parce qu’il venait de sortir l’un de ses big records annonçait qu’il passait en dernier. Alors Clayton Perkins qui sifflait une rasade de whisky et lança à Jerry Lee : «If you’re going on last, we’re gonna fight !» Et puis comme Cash, Carl est secrètement pré-signé par Columbia, alors que son contrat Sun n’a pas encore expiré. Mais comme tous ceux qui ont quitté Sam, Carl ne put jamais renouer avec la magie de ses débuts - We were trying 100 percent and Sam Phillips captured it - L’Escott rappelle aussi qu’aux yeux de gens comme les Beatles, Carl était un vrai héros.

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             Par contre Sam ne sait pas quoi faire de Roy Orbison. Il est obligé de le laisser partir, mais il avoue regretter de ne pas avoir essayé d’en faire un rocker. Sam engage Roland Janes car il voit en lui un allié précieux : un guitariste privé d’ego. Malcolm Yelvington réussit à passer son audition chez Sun grâce à «Drinkin’ Wine Spo-Dee-O-Dee», un vieux coucou qu’il joue en tournée depuis longtemps, mais il est beaucoup trop vieux pour la gloriole. Ray Harris veut lui aussi sa part du gâteau et prend le parti d’être le rockab le plus sauvage d’Amérique. Sam croit que Ray va faire une crise cardiaque en studio, tellement il s’excite. «Come On Little Mama» date de 1956. Les paroles sont incompréhensibles, les musiciens limités, la production douteuse, mais la performance est irrésistible. Du pur jus de Sam. L’autre grand mystère Sun, c’est Billy Lee Riley, que Sam cantonna dans le rôle de house-band member avec Roland Janes et J.M. Eaton. L’Escott ajoute que Riley avait l’un des hottest working bands in the mid-South. Sam : «Riley was just a damn good rocker, but man he was so damn weird in many ways.» Sam dit que Riley l’intéressait, mais ce n’était pas facile de travailler avec lui. Quand il buvait un coup, il devenait quelqu’un d’autre - I was disapointed we never broke him into the big time. His band was just a rockin’ mother ! - Le vrai problème c’est que Billy Lee Riley n’a pas de style personnel. C’est un caméléon, comme Little Milton, doté d’un talent indéniable mais qui manque de direction. Il commence par faire le hillbilly singer, puis il veut faire le Little Richard blanc, puis des instros, du blues, des Whiskey-a-Go-Go albums, de la country soul, et donc tout et n’importe quoi. Warren Smith n’a pas non plus décroché le jackpot. Il a le look et la volonté de réussir, mais ça ne suffit pas. Il arrive malheureusement au moment où Sam met le paquet sur Jerry Lee. Warren le vit si mal que dès qu’il tombe sur un disk de Jerry Lee, il le casse en mille morceaux.

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             Alors justement, Jerry Lee. Sam et lui étaient destinés à grimper au sommet ensemble - And together they defined all that is best in rock’n’roll - On croyait avoir atteint des sommets avec Carl Perkins et Elvis. Eh bien non, c’est avec Jerry Lee que tout explose. Quand Jerry Lee cite les stylistes, il déclare : «Al Jolson is Number One. Jimmie Rogers is Number Two. Number Three is Hank Williams. And Number Four is Jerry Lee Lewis.» Quand Jerry Lee débarque pour la première fois à Memphis avec son père Elmo qui a vendu treize douzaines d’œufs pour financer le voyage, Sam est en déplacement. C’est donc Jack Clement qui reçoit un Jerry Lee qui prétend jouer du piano comme Chet Atkins. Jack le voit jouer et en effet, c’est très impressionnant. Il enregistre une bande pour la faire écouter à Sam. Quand de retour à Memphis Sam écoute la bande, il entend quelque chose de spirituel dans le son. Il dit à Jack : «Va me chercher ce mec immédiatement !» Lorsque le scandale du mariage de Jerry Lee avec Myra éclate en Angleterre, Sam prend sa défense. Il est outré par la violence de l’acharnement médiatique. Roland Janes affirme que Jerry Lee veillait à montrer que le scandale ne l’affectait pas : «He’s a very deep person. He could be hurting and never let it show.» Pour Roland Janes, Jerry Lee est un homme extrêmement honnête qui pensait que les gens s’intéressaient surtout à sa musique, et non à sa vie privée. Erreur fatale qui va presque lui coûter sa carrière. Mais même si Jerry Lee se sent trahi, mais il sait garder la tête haute. Roland Janes ajoute qu’il aimait Jerry Lee comme un frère. Il était son guitariste en tournée, ne l’oublions pas. Il conclut qu’il ne trouve personne qu’on puisse comparer à Jerry Lee, et là-dessus, on est tous bien d’accord avec lui - I don’t think even he knows how great he is.

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             Sam reprend son bâton de pèlerin pour saluer Charlie Rich : «I don’t think I ever recorded anyone who was better as a singer, writer and player than Charlie Rich. It is all so effortless, the way he moves from rock to country to blues to jazz.» La saga Sun se termine en 1962 avec Frank Frost, le dernier grand artiste de blues enregistré à Memphis. Un DJ de Nashville affirme que l’album de Frost est le meilleur album de blues qu’il ait entendu, mais c’est un désastre commercial. Dernier spasme de Sun avec les Jesters et «Cadillac Man». Grosse équipe : Dickinson, Teddy Paige, et Jerry, le fils cadet de Sam.

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             Et puis voilà, Sam en a marre, il vend Sun à Shelby Singleton qui maintient Sun en vie au long des années soixante-dix, avec des gens comme Sleepy LaBeef qui arrive vingt ans trop tard. Et Jimmy Ellis, plus connu sous le nom d’Orion Eckey Darnell et que l’Escott étripe - His style began and ended with affectation - Après avoir vendu Sun, Sam reste un peu dans le business, mais pas trop. Il manage des stations de radio et gère son portefeuille d’actions. Il se dit intéressé à produire Bob Dylan et aide Knox et Jerry à produire John Prine en 1978. C’est là que Dickinson raconte l’anecdote du projet qu’il monte avec Knox et B.B. King. Knox demande à son père s’il veut bien assister à la session d’enregistrement de B.B. King et Sam refuse. No. Knox veut savoir pourquoi il refuse. Et Sam répond : «Tu ne peux pas aller voir Picasso et lui demander de peindre une petite toile vite fait.» Dickinson dit que sa réponse peut paraître présomptueuse, mais c’est la façon dont il voit les choses. Une fois qu’on sort d’une aventure créative, il est difficile d’y revenir - Everything in recording is input and output and when you lose that signal flow, you never get it back - Rien de plus vrai.

    Signé : Cazengler, Escocott minute

    Colin Escott & Martin Hawkins. Good Rockin’ Tonight. St. Martin’s Press 1991

     

     

    Sam Coomes is coming

     - Part Two

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             Il serait bon d’installer Sam Coomes sur le trône d’American Popland. Hélas, deux rois se partagent déjà le royaume d’American Popland : Robert Pollard et Frank Black. Sam le sait, il est condamné aux ténèbres de l’undergound, mais comme il dispose des lumières d’un esprit bien tourné, il fait contre mauvaise fortune bon cœur.

             Il assoit sa réputation sur une ribambelle d’excellents albums, ceux de Quasi qu’on ne cesse de recommander à tout va. Quasi est un duo basé à Portland dans l’Oregon. Aux côtés de Sam Coomes, on retrouve Janet Weiss, qui bat aussi le beurre dans Sleater-Kinney. Le déroulé d’albums qui suit va montrer à quel point ce duo constitue l’une des forces vives de la nation américaine.

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             Qui aurait acheté leur premier album, le mystérieux R&B Transmogrification paru en 1997 ? Pas grand monde. Spin a dû faire le buzz, à l’époque. Très vite, Sam Coomes impose un style unique, un mélange de libertarisme littéraire et de libéralisme mélodique. «Ghost Vs Vampire» relève du pur génie. Pourquoi ? Parce que c’est un cut digne des Beach Boys et hanté par des renvois d’accords qui évoquent l’âge d’or du Teenage Fanclub, c’est-à-dire Bandwagonesque. Sam précise que le fantôme n’est pas le rival du vampire - It’s not mine to choose if I win or lose/ But he who last laughs the loudest - C’est à celui qui rira le plus fort ! L’autre coup de génie s’appelle «Chocolate Rabbit», perdu au fond de la B et claqué aux accords du Teenage. Voilà encore une extraordinaire shoote d’ambivalence prévalente, ou de prévalence ambivalente, c’est la même chose - On Easter I got a rabbit/ The biggest I ever saw - Il lui croque la tête et trouve le chocolat du lapin de Pâques dégueulasse. Oh mais ce n’est pas fini ! Sam met en place avec cet album sa principale obsession : la mort. Si on retourne la pochette, on voit le dessin d’un piano-cercueil. Ça tombe bien, car il chante «My Coffin», une chanson lancinante dans laquelle il raconte nonchalamment qu’il construit le cercueil dans lequel on l’enterrera un beau jour, et il espère, dans pas longtemps - One day I shall die & I should hope it won’t be long - Dès «Ghost Dreaming» qui ouvre ce bal de vampires, Sam crée les conditions de l’étrangeté maximaliste. Il chante d’une voix de pinson argentique et implante le weird dans le ness latéral, créant ainsi la weirdness latérale. On a là du pur dada montagneux. Dans «The Ballad Of The Mechanical Man», il rappelle que soon, on sera tous morts, et cette idée le détend - Soon we’ll be all dead/ It makes me feel so comfortable - Il relativise même ses relations sentimentales, comme on le voit dans «In The First Place». Sur le mode d’un balladif traîne-savate extraordinairement décadent, Sam explique qu’au début, il croyait qu’elle lui appartenait, il croyait même que cette possession était réelle, mais au fond, si on y réfléchit bien, ce genre de chose n’a strictement aucune importance - But now it’s no big deal/ It doesn’t matter - Puis on entend Janet pulser le beat dans l’énorme «Two Faced». En B, Sam rappelle dans «When I’m Dead» que quand il sera mort, vous serez tous en vie, debout dans le funeral home, à vous demander ce que vous allez faire de ce dead body. Fantastique poète morbide ! Sam pourrait bien être le Maurice Rollinat du royaume de Popland.

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             L’année suivante sort Featuring Birds. C’est encore un disque bourré de coups de génie du calibre d’«I Never Want To See You Again». Sam s’y envole. On se croirait dans le White Album des Beatles - We purshase pleasure/ Pay for it with hurt/ And we rarely get our money’s worth - On se ruine à s’acheter du plaisir et c’est souvent pour des prunes, comme dirait Gide. Et ça continue avec «The Poisoned Well», ou il raconte qu’on a le choix entre deux solutions : soit mourir de soif, soit boire l’eau du puits empoisonné. Il en profite pour lâcher une petite confidence - You don’t live long but you may write the perfect song - Voilà sa deuxième obsession, après la mort : écrire la chanson parfaite. Avec «Our Happiness Is Guaranteed», Sam chante l’absurdité de son temps - Fed by TV, we rarely need to sleep - et il rappelle que le bonheur de l’Américain moyen est garanti et que les rêves ne servent à rien. Il fait avec «Sea Shanty» une fantastique dérive musicologique - You and I go drifting by the abandonned vessel of the everyday - Il décrit sa vie quotidienne comme une errance à bord d’un vaisseau abandonné. On tombe en B sur un chef-d’œuvre de désespoir latent, «You Fucked Yourself», joué sur une valse à deux temps. C’est dégoulinant d’auto-dérision - You changed your mind when it’s too late/ Self deceit is your worst mistake - Oui, il ne fallait pas changer d’avis, il était trop tard de toute façon, et te mentir à toi-même est la pire des erreurs. Il tape encore dans le registre de l’inutilité des choses avec «I Give Up» - It’s gone so wrong/ So long - Il arrête les frais. On prend ensuite «Repetition» en pleine poire, Janet et Sam duettent et ça se fond dans le lagon d’argent. Ils chantent sur un heavy groove désespérément beau - Tell me now/ What’s the use of a brain - C’est gorgé de son jusqu’à l’oss de l’ass, Sam et Janet pondent là une sorte d’apoplexie musicologique digne d’un Brian Wilson qui serait l’enfant caché d’Oscar Wilde et de la fée Morgane. Une façon comme une autre de dire qu’il s’agit d’un disk magick.

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             Field Studies est un album à trois faces, comme l’immortel Second Winter. Il s’y niche une petite merveille intitulée «The Stars You Left Behind». On croit entendre le Mercury Rev de Deserter’s Songs, the sound of the Catskill Montains, noyé dans des brumes d’harmonies somptueuses - Far away from everything/ Far away from everywhere/ No one hears you sing - Tiens, encore une Beautiful Song avec «The Golden Egg» où il explique que ses chansons n’ont absolument aucun sens - Don’t believe a word I sing/ Because it’s only a song and it don’t mean a thing - On trouve en B l’«Under A Cloud» franchement digne des Beatles, et d’une grande fraîcheur de ton. Avec «Bon Voyage», il chante une ode à la dérive des continents. Même quand il joue la carte du bastringue, comme c’est le cas avec «Birds», Sam garde l’œil rivé sur la mélodie. Et on se régalera de cette fable intitulée «A Fable With No Moral», dans laquelle il veut vendre son âme au diable pour avoir de quoi payer son loyer. Mais le diable n’envoie pas le chèque. Alors il décide d’aller vendre son âme dans la rue avec un écriteau. Soudain, le diable arrive au volant d’une Land Rover et dit à Sam que ce n’est pas à lui de vendre son âme. 

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             Paru en 2003, Hot Shit est certainement l’album de Quasi le plus connu. Ça démarre en fanfare avec le morceau titre qui encore une fois a tous les atours d’un coup de génie. Sam amène ça au slinging du Delta et Janet rentre dans le chou du cut en mode powerhouse weisspasienne. Ça donne un cut d’étrangement délicieux - Hot shit on a silver platter - On y assiste à une fantastique déglingue orchestrale ! Et ça continue dans une veine plus décadente avec un «Seven Years Gone» qui sonne comme un hit dès la première mesure. Une fois encore, Sam y crée un monde. Janet et lui se tapent ensuite une belle tranche de rock’n’roll avec «Good Time Rock’n’roll» - You got your crocodile boots/ I got my John The Conqueror root - Ils swinguent avec autant de classe que Chuck Prophet, et c’est pas peu dire ! Ils enchaînent avec «Master & Dog», une comptine d’une finesse remarquable, et qui bascule sans prévenir dans l’heavy fried-drenched psych à la Blue Cheer. Bam Bam, on entend même passer les éléphants de Scipion. Et pour finir le balda, voici «Drunken Tears» qui sonne comme le hit dont rêve Sam - So what if you’re not the genius/ You always thought you were - Il prend assez de distance avec son génie pour le tourner en dérision, et ça, les amis, ça vaut tout l’or du monde. Par contre, la B est complètement insignifiante.

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             Une joli petit coup de génie se cache sur l’album jaune intitulé When The Going Gets Dark : c’est le morceau titre, qui sonne comme un fantastique shoot de chanson à boire across the milky way. Sam le chante à la revoyure tarabiscopique. Il est vraiment le seul à pouvoir se permettre ce genre d’exhalaison. L’aut’hot hit de l’album se trouve au bout de la B des cochons : «Death Culture Blues». Sam et Janet cassent bien leur baraque. Sam joue comme un fou de Dieu - I’ve done my time/ I took my bath/ I’m back on track down the shining path - Et ça rime, en prime. On retrouve sa fameuse obsession morbide dès l’«Alice The Goon» d’ouverture de balda - Pull the plug/ Watch him die - Sam n’en finit plus d’étendre son empire sur la poésie avec des trucs du genre Sailing to the moon with Alice the Goon/ I’m Popeye the sailor man/ I live in a garbage can - Il est vraiment le Poe du rock (Hello Damie). On fait difficilement mieux en matière d’inventivité poétique. Avec «The Rhino», Sam va chercher l’insoutenable légèreté du hêtre. Il n’hésite pas non pas à taper dans le heavy groove hendrixien pour «Peace And Love», histoire de bien installer un texte terriblement désabusé. En B, on retombe sur le parallélisme avec Mercury Rev, grâce à «Poverty Sucks». Sam insinue même que ce n’est pas un péché que d’être pauvre.

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             American Gong pourrait bien être l’un des meilleurs albums du duo, ne serait-ce que pour «Repulsion» qui ouvre le balda. Oui, car voilà un hit pop bien battu en brèche, et Sam fait de la haute voltige sur le manche de sa guitare. Mine de rien, il bat tous les records. Il enchaîne avec un nouveau coup de génie intitulé «Little White Horse», qui raconte l’histoire d’un mec ordinaire, mais c’est délicieusement sur-orchestré. Il va de coup de maître en coup de maître avec «Everything & Nothing At All» puis «Bye Bye Blackbird» qui au premier abord se présente comme un hommage aux Beatles du White Album, mais Sam le pousse à un niveau purement exutoire. Il tire le rock de sa pop dans une vraie dimension poétique, et va puiser dans sa mélancolie des ressources insoupçonnables. Sam Coomes est un artiste ahurissant. Chaque fois, c’est un peu comme s’il divinisait sa parole - Bye bye blackbird/ Days are getting cold - Il swingue sa langue à outrance - Bye bye blackbird/ Fly into the sun - et à la fin, lorsqu’il arrive à l’article de la mort, il réclame la fameuse blanket of light, c’est-à-dire le linceul de lumière. Il se prépare à explorer l’au-delà dans «Death Is Not The End» - You’re off the hook/ But not for good - et se glisse dans la peau d’un suicidaire pour écrire les paroles de sa chanson - Everyday you cry like a child/ After a while you just get used to it - C’est tellement criant de vérité ! Et il met une mélodie chant superbe au service d’un texte épouvantablement explicite. Encore du texte de rêve dans un «Rockabilly Party» bardé de clameurs, joué au heavy riff et au mid-tempo dévastateur, avec un Humpty Dumpy assis on a fence, or on a wall as I recall/ It still don’t make no sense - Comme d’habitude, Sam ne parvient pas à donner du sens à sa vie. Il termine cet album fantasmagorique avec un clin d’œil aux Cajuns intitulé «Laissez les Bons Temps Rouler», mélodique en diable et donc parfait. Il revient en permanence sur l’à-quoi-bon, sur le lay the burden down pour renaître in le centre du soleil qu’il prononce en Français, évidemment.

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             Sam se lance en 2013 dans l’aventure risquée du double album avec Mole City. On ne peut pas dire que ce soit un album déterminant, ce serait exagérer. Par contre, tous les Dadaïstes sont unanimes pour se régaler du plantureux «Headshrinker» qu’on trouve en B. Oui car voilà du pur Dada sound - I think I must be blind/ Cause I never saw a word you said - Il pense qu’il est aveugle car il n’a jamais vu un seul des mots qu’elle prononce, et il ajoute que ce n’est pas compliqué de voir la lumière si c’est ce qu’on décide de faire. Voilà un chef-d’œuvre d’absurdité littéraire parfait et monté sur un tempo intriguant digne des pas de danse de Jean Arp au doux cacadou du Cabaret Voltaire, celui de Munich, évidemment. Avec «You Can Stay But You Gotta Go», Sam s’interroge encore une fois sur le sens de la vie, et constate la profonde vanité des choses - What it’s all about ?/ Haven’t got a clue - Quel sens ça peut avoir, il n’en a pas la moindre idée. On retrouve son goût pour la dérive surannée dans «See You On Mars» - I’m sailing on a slowboat to China/ Why should I care - On se croirait du côté de chez Swan. En B, on tombe sur un fantastique «Fat Fanny Land» joliment clap-handé - With her black leather boots & her Kevlar riot gear - et ça se termine comme d’habitude avec du game over. Sam renoue avec le grand art pour «Nostalgia Kills», un modèle de heavy rock américain, celui qui emporte la bouche et tous les suffrages de Suffragette City. On se croirait presque dans la démesure d’«Helter Skelter» et ce n’est pas peu dire ! En C, on tombe sur l’excellent «The Goat» joué au gras insistant et avec une aisance toujours aussi insupportable. Ce mec modélise son son comme J. Mascis, mais avec une approche plus plastique à la Rodin - I’ll be the goat any time you need it baby - Il se livre avec «Gnot» à un nouvel exercice de style à la Henri Michaux - I lead my life like it’s out on lean/ I guess my mind got a mind of its own - Il faut aller jusqu’à la dernière face, car c’est là que se niche l’effarant «New Western Way» dans lequel Sam prône le drop-out, c’est-à-dire fuir ce monde pourri des Mickey Mouse et autres gadgets des temps modernes pour retrouver les ciels et Raging Bull. C’est extrêmement littéraire, fabuleusement bien écrit et d’une justesse qui laisse rêveur.

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             Et puis voilà-t-y pas que Sam se fend d’un album solo, histoire d’ouvrir la brèche à de nouvelles fringales. L’album s’appelle Bugger Me et s’accompagne d’une beau douze pages, prétexte à déraison fictionnelle. Souvenons-nous d’une chose : Sam est un organiste, donc nous avons un album d’orgue et de strombolis electro, mais, car il y a un mais, la mélodie qui reste son arme fatale finit toujours par dominer la situation, et c’est exactement ce qui se passe dans «Stride On», l’étrangement beau cut d’ouverture de bal des Laze : envoûtement garanti. C’est même fabuleusement underground. On n’en attendait pas moins d’un loustic aussi éthique. Avec «Tough Times In Plastic Land», Sam passe au pur jus de tiptop Dada et tintinnabule sous la pleine lune au long de la rue de la Lune. You can’t argue with a crocodile, nous dit-il et il ajoute plus loin Ghost rider & Doctor Strange/ Hanging out on the astral plane - Voici donc le décor planté. Sam bâti un bel univers d’orgue. Il rebondit sur le dos du Dada Leg System. En B, on retrouve avec «Cruisin’ Thru» un faux air d’orge de barbarie, mais avec un objectif, comme dirait Bourdieu : la mélodie. Il se plaît à envoûter l’imprudent voyageur - Chuck out the old/ Suck in the new/ A stranger in my old town - Avec «Fordana», il épouse le galbe de la beauté antique et se répand à la surface du monde.  

    Signé : Cazengler, coomique troupier

    Quasi. R&B Transmogrification. Up Records 1997

    Quasi. Featuring Birds. Up Records 1998

    Quasi. Field Studies. Up Records 1999

    Quasi. Hot Shit. Touch And Go 2003

    Quasi. When The Going Gets Dark. Touch And Go 2006

    Quasi. American Gong. Kill Rock Stars 2010

    Quasi. Mole City. Kill Rock Stars 2013

    Sam Coomes. Bugger Me. Domino 2016

     

     

    Inside the goldmine

     - Dyson ardent

             Parce qu’il s’appelait Bison, on le surnommait Bison Futé. Mais en réalité, il n’était pas très futé. Pas fute-fute, comme on dit familièrement. N’importe qui à sa place aurait mal vécu d’être aussi mal surnommé. Bison l’acceptait plutôt bien, sans doute parce qu’il n’était pas très futé, donc moins susceptible que les gens qui se croient intelligents et qui ne le sont pas. L’avantage qu’avait Bison sur tous les cons, c’est qu’il n’avait aucune distance par rapport à lui-même : il se vivait en direct, d’homme à homme, pourrait-on dire. Il n’était pas du genre à s’observer dans un miroir et à ajuster des petites mèches noires. À sa façon, Bison avait compris un truc essentiel : ne jamais tourner autour du pot, c’est-à-dire son nombril, ce qui permet bien entendu de foncer. Alors Bison a toujours foncé. Chez lui, c’est génétique. Ce qui lui a permis de commettre quelques erreurs, qui sont, comme chacun sait, les clés de la connaissance. Bison a toujours fonctionné à l’instinct, il n’a jamais cultivé aucune idée de sa valeur, ça ne pouvait d’ailleurs pas lui traverser l’esprit. Bison sortait de chez lui, c’est-à-dire de sa tête, pour s’intéresser aux autres, mais à sa façon, très sommaire, très basique. Il créait ainsi des équilibres qui lui permettaient de vivre en paix avec les autres. Il devenait une sorte d’anti-Sartre, un surnom qui l’aurait bien fait marrer. De toute façon, il rigolait facilement : Bison futé ou anti-Sartre, c’est du pareil au même. Rencontrer Bison dans la rue et aller boire un café ou une mousse avec lui était chaque fois l’occasion de passer un moment paisible, pour ne pas dire agréable. Oh pas un moment de grâce, n’exagérons tout de même pas, mais on aurait échangé dix autres rencontres contre celle-ci. Le pur simplisme de son propos dessinait le cadre de la conversation et rien n’était plus jouissif que de veiller à ne pas le briser. Bison établissait à sa manière une sorte d’espace intermédiaire dans lequel il faisait bon fondre son propos, son temps, enfin tout ce qu’on peut offrir en de telles circonstances. On y goûtait cette plénitude qu’on ressent parfois, lorsqu’on contemple le ciel et que le temps s’arrête.

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             Pas de danger que surnomme Ronnie Dyson ‘Dyson Futé’. Dyson ardent lui va comme un gant. C’est sur Ready Or Not (Thom Bell Philly Soul Arrangements & Productions 1965-1978), la belle compile Kent consacrée à Thom Bell, qu’on a croisé la piste de Ronnie Dyson. Quand tu entends la voix du Dyson ardent, tu pars immédiatement à sa découverte. Il fit ses débuts dans Hair à Broadway. Son premier album parut sur Columbia, produit bien sûr par Thom Bell. Ce petit Soul Brother offre un rare mélange d’ingénuité et de maturité. 

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             Ingénu, comme le montre le portrait qui orne la pochette d’(If You let Me Make Love To You Then) Why Can’t I Touch You. Il a ce qu’on appelle un regard dévorant, ses deux grands yeux noirs plongent en toi. Il attaque son fantastique festin de Soul avec «I Don’t Wanna Cry». Il jette ses bras vers le ciel et s’impose comme un petit géant. Sa première cover est celle d’un cut de Laura Nyro «Emmie». Il en fait une belle tarte à la crème. Avec «I Just Can’t Help Believin’», il sert une grosse tranche palpitante de Soul des jours heureux. Quel tempérament ! Il chante d’une voix extrêmement colorée. Il peut monter très haut, comme le montre «She’s Gone». Ronnie Dyson est un fabuleux interprète. Il tape ensuite une cover de «Band Of Gold», un hit de Freda Payne signé Holland/Dozier/Holland. C’est plein d’allure et d’allant, plein d’all along the bay d’Along. Il boucle ce vaillant petit album avec une autre cover, celle du big «Bridge Over Toubled Water», idéal pour un brillant Soul Brother en herbe. Il en fait du gospel. C’est assez dément ! Soul on sailor ! Il mène bien sa barcasse.

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             C’est bien sûr Thom Bell qui produit One Man Band, un Columbia paru en 1973. Et là, wow !, oui, wow dès la pochette avec ce portrait du Dyson ardent à peine sortie de l’adolescence, et la fascination qu’il exerce s’accroît encore avec le morceau titre d’ouverture de balda, une pièce de Soul bien sentie, très orchestrée, qu’il chante à pleins poumons. Le Dyson ardent tape une Soul de bon aloi, pas très éloignée de Broadway. On sent la patte de Bell, le Gershwin black. Cette Soul est même un petit peu trop orchestrée, comme le fut celle de Brook Benton. En B, il tape une belle reprise du «Something» de George Harrison. On admire la fabuleuse attaque du Dyson ardent et les orchestrations du mentor Bell. Le Dyson ardent chante à la folie éperdue de la Soul. Il termine avec «The Love Of A Woman», un cut de fantastique allure embarqué aux percus, à la fois puissant et d’une élégance stupéfiante, un vrai coup de génie, le Dyson ardent chante tout ce qu’il peut, à la furie enchanteresse.  

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             Les deux meilleurs albums du Dyson ardent sont sans conteste The More You Do It et Love In All Flavors. Ils sont aussi énormes et aussi indispensables l’un que l’autre. The More You Do It grouille de pépites, tiens comme ce «Won’t You Come Stay With Me» planqué au bout de la B, un énorme groove signé Charles Jackson. Le Dyson ardent est un fabuleux Soul Brother, il expurge la pulpe du jus, ou le jus de la pulpe, c’est comme on veut. Fascinant Soul Brother. Comme il est ardent, il redouble d’intensité. Il attaque son balda avec l’«A Song For You» de Tonton Leon. Il chante ça à la prescience divine, celle qui ne pardonne pas. Il creuse sa Soul avec insistance. Le Dyson ardent chante d’une voix perçante et les compos de Charles Chuck Jackson & Marvin Yancy sont épatantes. Ce Jackson-là n’a rien à voir avec le grand Chuck Jackson. Charles Chuck Jackson est aussi le lead singer des Independants sur lesquels nous reviendrons dès que possible. Fantastique shoot de Soul des jours heureux avec «The More You Do It (The More I Like It)». C’est littéralement saturé de soleil et de Soul, il balance une Soul présente, étincelante, il chante au perçant pur avec une énergie de tous les diables. Il finit son balda avec un groove de 6 minutes, «You Set My Spirit Free», groove puissant et bien tempéré, nourri par des chœurs de filles délurées. Quelle virée ! Quel incroyable power ! De l’autre côté, «You And Me» sonne comme du Stevie Wonder, yeah yeah yeah, c’est du roule ma poule de première catégorie, une fast pop de Soul écarlate. Il tartine encore «Love Won’t Let Me Wait» dans le haut du panier, il se veut profondément intense, aux frontières du round midnite. Il sait aussi poser un yeah, comme on le voit faire dans «Lovin’ Feelin’». Il sonne comme un vétéran de toutes les guerres. Ronnie forever !

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             La pochette de Love In All Flavors est un peu bizarre : le visage de Ronnie Dyson est mal éclairé, alors sous son chapeau blanc, il est tout noir. Des petites putes noires se pressent autour de lui. Elles ont raison, car le Dyson est plus ardent que jamais. Boom dès «Ain’t Nothing Wrong». Il se couronne empereur du Groove à la cathédrale de Reims, il lève autour de lui des masses de chœurs chaleureux, sa Soul se fond dans la clameur de la Chandeleur. Il en fait une merveille suspensive, c’est probablement le groove de tes rêves inavouables, là tu entres dans l’artistry pure du Black Power. À sa façon, il survole toute l’histoire de la Soul avec une grandeur d’âme extraordinaire. Le Dyson ardent est un conquérant, aucune Asie Mineure ne saurait lui résister, surtout pas la tienne. Il dégouline de présence impériale. Encore un groove de qualité infiniment supérieure avec «Don’t Be Afraid». On peut même parler de qualité épouvantablement supérieure. Il y va au dur comme fer, il a le génie Soul chevillé au corps. Dommage qu’il soit passé à la diskö un peu plus tard. Il règne encore sur la Soul éternelle avec «I Just Want To Be There». Puis il attaque sa B avec le «Sara Smile» d’Hall & Oates, il s’enfonce dans ce délicieux dédale d’heavy Soul, il est mordant et présent à la fois, il chante sa Sara à tue tête, il devient un seigneur des annales de la Soul. C’mon ! Avec «Just As You Are», il est plus propulsif, le bassmatic va et vient entre ses reins, c’est définitivement énorme. Tout ce qu’il fait relève de la fantasmatique énormité catégorielle. «I Can’t Believe That» sonne comme la Soul d’un vrai héros. Il est magnifique et son album n’en finit plus de stupéfier. Il reprend la barre du groove avec «You’re Number One» et derrière les filles deviennent complètement folles, ah il faut voir ce lupanar ! Ronnie Dyon reste le seul maître à bord, il te drive ça d’une poigne de fer, il est l’un des grands drivers de son temps. Oui, il faut écouter «You’re Number One», Ronnie te groove ça dans le bas des reins, il te fond dans son beurre, il est ardent jusqu’au bout des ongles.  

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             Paru en 1979, If The Shoe Fits est un album résolument diskö. On sauve «Couples Only», la diskö des jours heureux, et le good time de «Long Distance Lover», car cet excellent chanteur qu’est le Dyson ardent dispose d’un timbre très précis, très oblitérant.

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             On reste dans le diskö avec Phase 2. Sur la pochette, Ronnie garde sa bouille d’enfant. Il chante d’une voix colorée et bien mûre. Il attaque sa B avec «Expressway To Your Heart», un petit shoot de diskö funk gentillet. Ronnie Tysonne bien son beat. C’est excellent. On sauve aussi «Foreplay», un petit soft groove. Ronnie propose une belle Soul de my my my. Il tient tête.

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             Son dernier album s’appelle Brand New Day, un Cotillon de 1983, beaucoup trop diskö pour les gueules à fuel, mais on se régale néanmoins d’«I Need Just A Little More», monté sur un beat sec comme un olivier. Fantastique ardeur ardente. Ah quel dommage que tout l’album ne soit pas de ce niveau. Il termine avec «You Better Be Fierce». Il tente sa chance et sa tentative est belle. Il s’agit de Ronnie Dyson, after all.

    Signé : Cazengler, Ronnie Bidon

    Ronnie Dyson. (If You let Me Make Love To You Then) Why Can’t I Touch You. Columbia 1970

    Ronnie Dyson. One Man Band. Columbia 1973   

    Ronnie Dyson. The More You Do It. Columbia 1976

    Ronnie Dyson. Love In All Flavors. Columbia 1977

    Ronnie Dyson. If The Shoe Fits. Columbia 1979  

    Ronnie Dyson. Phase 2. Cotillon 182

    Ronnie Dyson. Brand New Day. Cotillon1983

     

    *

    En voiture Simone, c’est reparti, première chronique rock de l’année, KR’TNT ! va encore rouler sa bosse. Pardon son Bossi. Car oui il s’appelle Simone Bossi. Non il n’a pas enregistré un disque mais une de ses photos m’a arraché l’œil. Le frontal, celui qui voit plus profond que les couleurs superficielles du monde.

    Remarquez ce n’est pas de sa faute. Je peux vous livrer les noms des coupables : Alexis Tytelman et Léo Leyzerowitz. From Paris (France). A eux deux ils forment Arche. Z’ont utilisé une de ses photographies pour la couve de leur premier opus. Ils l’ont un peu détournée, ceci n’est pas un reproche mais fait partie des aléas réceptionnels de toute œuvre livrée au public, en rajoutant au bas du cliché et le nom du groupe et le titre de l’album.

    EVERYTHING WILL DISAPPEAR

    ARCHE

    (Bandcamp - 23 / 12 / 2023)

    , gene vincent, fomies, colin escort, sam coomes, ronnie dyson, arche, ashen, bill crane, rockambolesques,

             A première vue l’entrée bétonnée d’un site militaire antiatomique. Un blockhaus de commandement et de survie. D’ailleurs l’appellation d’Arche ne participe-t-elle pas de cette notion de survivance post-apocalyptique, tout juste si l’on n’entrevoit pas la barbe blanche de Noé roupillant entre un tigre et un lion couchés à ses pieds. S’impose un sacré bémol à cette vision rassurante, la porte grand-ouverte de notre abri laisse à supposer qu’il n’est guère hermétique… Les trois termes du titre anglais dissipent la moindre parcelle d’espérance : rien ne subsistera ! Difficile d’être davantage nihiliste.

             Essayons de nous raccrocher aux petites herbes : ainsi sur YT la mention : leur projet : ‘’ Ils ( Alexis & Théo) ont à leur tour décidé de  prédire une période de grande désolation’’ n’incite point à l’optimisme… sur bandcamp leur succincte introduction : ‘’ Au commencement était le drone’’ veut-elle qualifier que leur structure musicale de base serait la répétition ou que l’utilisation militaire des drones aux frontières de l’Ukraine n’est qu’un avant-goût de notre futur immédiat…

             Rendons au neveu de César ce qui est à Auguste et à Simone ce qui est à Bossi. C’est bien l’empereur romain qui a donné l’ordre de fortifier l’éperon rocheux qui domine la ville suisse de Bellinzone.  L’idée était bonne. Elle bloquait un passage des Alpes qui permettrait à une armée ennemie de débouler par surprise sur l’Italie, au cours des siècles suivants elle fut sans cesse reprise. Au treizième siècle fut bâtie sur l’éminence l’immense forteresse de Castelgrande. Aujourd’hui transformée en musée. Les touristes devaient faire un super détour pour y accéder. En 1989 l’architecte Aurelio Galfetti aménagea et construisit au bas de l’amoncellement rocheux un ascenseur qui vous monte directement à l’intérieur du château. C’est l’entrée de cet ouvrage monumental qui est représentée sur la photo de Simone Bossi.

             Elle fait partie d’une série de dix clichés que vous retrouverez facilement. Un tour sur son instagram et sur son site s’impose. Bossi se définit par un seul mot : photographe. L’on aurait envie de préciser : photographe d’architecture. Mauvais aiguillage. Il ne photographie pas des monuments. Mais des morceaux d’habitation. Un bout de pièce, l’angle formé par deux murs, quelques marches d’escalier, une fenêtre. Ne vous file pas le plan d’ensemble. Ce qui l’intéresse c’est l’espace, et pour être plus précis le vide qu’englobe cet espace. Curieuse manière de procéder. Ne cherche pas à donner à voir. Sa motivation première, c’est de créer son espace, de le prendre au piège de sa présence. Ne confondez pas : pas la présence de l’espace en tant que tel ou telle, mais sa présence à lui, lorsqu’il clique sur son instamatic, c’est lui qui emprisonne toute sa personnalité, tout son passé, tous les instants accumulés depuis son enfance, qui se résument en quelque sorte par cette extimité vidique de son intimité existentielle. Une méthode mallarméenne d’abolir le hasard car ce qu’il photographie ce n’est pas un lieu quelconque ou exotique mais le lieu de sa propre présence reflétée par sa propre absence dans l’ici et l’éternité de l’instant. Rien n’aura eu lieu que son absence physique d’un lieu métamorphosé en espace métaphysique.

             Quand on y pense un tantinet le cliché est bien choisi, illustrer la future disparition de toute chose par une présence qui n’est qu’absence équivaut à doter le non-être de toute chose de sa propre êtralité. La vôtre et celle du non-être.

    Part 1 : ce n’est rien, un souffle sombre, issu de la bouche d’ombre, profond, lent, une exhalaison lointaine qui se perd d’elle-même avant de renaître d’elle-même, une corde de guitare, résonnance mélodique de deux secondes, ensuite comme une insistance à vouloir vivre, à ne pas disparaître, un éloignement vibratoire de plus en plus présence, une onde sonore qui semble s’enfler sans aucun apport extérieur, une espèce de vrombissement de mouche vibrionnée, infinie en le sens que chacune de ses parties ne saurait avoir d’autre présence que sa volonté à se maintenir, un vagissement de turpitude originaire de lointains confins, et cette note qui s’exalte, mais qui ne pourrait tenir que dans son déchirement, un truchement sonore indistinct, une onde qui voyagerait dans les confins du monde et dont on entend des remugles vibrationnels lorsqu’elle se heurte au mur de sa propre finitude. Part 2 : pas une entrée fracassante plutôt une sortie, qui ne tarde pas à s’agoniser de sa propre rumeur, glissements chuintés sur une corde de guitare, une espèce d’aller sans retour qui finit par revenir sur lui-même, un millepatte rampant dont les pattes explosent en un feu d’artifice de lumière noire, ce qui produit une espèce d’effulgence dramatique de dépliement, de reploiement sur soi-même, un écho comme d’une voix qui ne fut jamais prononcée, la matière sonore se voudrait-elle imitation humaine, un roulement de galets dans une gorge profonde, une faille sans fin dans laquelle elle réfugierait à la manière d’un serpent malade qui chercherait en vain sa queue lézardique dont il n’a jamais été doté.

             Deux guitares, un enregistrement live en studio. Un coup de dés dont les faces ne portent la gravure d’aucun chiffre. N’est-ce pas l’unique manière non pas de gagner mais de ne pas perdre à tous les coups. Douze minutes, douze secondes. Un chiffre typiquement mallarméen.

             Une arche prometteuse.

    Damie Chad.

     

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            Un petit tour sur le FB d’Across The Divide, nous suivons ce groupe depuis plusieurs années, que deviennent-ils, pas grand-chose à voir depuis plusieurs mois, ah si, un post d’une ligne, travaillent sur de nouvelles surprises, merci pour la précision ! Ah, non, sont tout de même gentils, pour nous faire patienter ils nous offrent une vidéo que nous nous nous dépêchons de regarder car elle date du 05 septembre 2003.

    ANOTHER DAY

    ACROSS THE DIVIDE

    (Official Music Video / YT / Septembre 2023)

    Another Day est le sixième et dernier morceau de l’EP Eternal, que nous avons chroniqué dans notre livraison 593 du 23 / 03 / 2023. Rappelons aux esprits distraits que rien n’est plus près de l’éternité que la mort. La musique d’Across The Divide n’est en rien joyeuse. Elle se tient aux bords les plus extrêmes de la fracture. Celle qui sépare ce qui a été de ce qui n’est plus. Sur quel bord exactement ? A vous de choisir. Dans notre présentation de l’EP nous assurions qu’Another Day était une chanson d’amour. Nous encouragions les partisans de la vie en rose de la considérer ainsi. Nous n’aimons guère chagriner les âmes tendres. Par honnêteté intellectuelle nous indiquions que l’on pouvait aussi la considérer autrement.

    La vidéo est créditée à Regan Macdowan, j’ignore tout de lui, je ne sais s’il en est le réalisateur ou l’un des personnages. Quoi qu’il en soit je n’ai jamais vu une vidéo qui permette d’écouter aussi bien une chanson. Généralement les clips permettent au mieux de voir la musique en la noyant sous un flot d’images, les clips miment, ici la vidéo interprète le morceau, un peu comme un orchestre interprète une symphonie de Brahms ou une danseuse étoile Le lac des Cygnes. Que de références classiques pour du rock’n’roll maugréeront les intelligences étroites.

    Je me hâte d’ajouter que nous sommes en pleine théâtralité classique française, respect absolu de la règle des trois unités, lieu, temps, action. Les trois offertes en un seul paquet bien ficelé. De plus comme il s’agit de musique nous sommes plus près de la gestualité d’un ballet classique que des allées et venues de personnages sur une estrade de bois. Enfonçons le clou pour qu’il fasse davantage mal, s’il fallait mettre cette vidéo en relation avec une autre œuvre ce serait avec l’opéra Madame Butterfly de Puccini.

    , gene vincent, fomies, colin escort, sam coomes, ronnie dyson, arche, ashen, bill crane, rockambolesques,

    Une pièce. Grande, quelconque. Ajourée. De nombreuses fenêtres. Une cage de verre dont on ne s’évade pas. Ils sont trois. Eliminons : Lui. A peine le verrons-nous traverser la pièce. De fait il n’est pas là. Il est absent. Il est parti. Celui par qui le malheur est arrivé. L’amant si vous voulez que nous lui accrochions une pancarte sur le dos. Donc ils ne sont plus que deux. Débarrassons-nous de celle qui restera jusqu’à la fin. Il est parti. Elle le regrette. Soyons dur et cruel, laissons-là à son triste sort. Enfin il y a Lui. Non ce n’est pas le même que le premier. C’est un danseur. Une projection du cerveau de l’esseulée. Il est beau, il danse comme un Dieu ( grec, évidemment), il traduit le chagrin, il se métamorphose en désespoir, c’est le chant du cygne, le cygne noir qui s’allonge à terre, replie ses bras comme des ailes, le voici refermé sur lui-même, recroquevillé, derniers soubresauts d’agonie d’un rêve qui ne survit pas à lui-même. Normal, dans le théâtre classique, il est interdit de faire mourir un personnage sur scène, alors c’est le rêve qui se charge d’incarner cette monstrueuse action.

    Maintenant rajoutons un soupçon d’ambiguïté, nous l’avons déjà dit, le clip est extrêmement dépouillé réduit à presque rien, à presque personne, du coup l’on entend beaucoup plus le vocal, c’est un homme qui chante, y a une seconde voix toute aussi virile en duo qui assombrit par moments l’atmosphère, l’on peut donc s’amuser (souvenez-vous de notre parti pris de cruauté) à permuter les rôles. Nous faisons confiance à nos lecteurs pour se livrer à ce petit jeu permutatif. En tous les cas souvenez-vous que quel que soit le côté de la fosse béante sur laquelle vous vous trouvez les chants les plus désespérés sont les plus beaux. Merci Musset.

    Damie Chad.

     

    *

            Amis rockers que feriez-vous si vous étiez à l’autre bout du monde ? Je vous entends rugir : du rock ‘n’ roll ! Félicitations, la seule bonne réponse attendue ! Prenons un exemple au hasard. Enfin presque, parce que des amis qui se sont exilés à plusieurs milliers de kilomètres de notre douce France, je les compte sur un seul doigt de mes deux mains. Je vous parle souvent de lui, d’Eric Calassou, là-bas en Thaïlande.  D’apparence il n’a pas changé ses habitudes, il écrivait en France, il écrit en Thaïlande, il prenait des photos en France, il prend des photos en Thaïlande, il peignait en France, il peint en Thaïlande, il composait de la musique en France, il compose de la musique en Thaïlande. Bref l’a continué à être ce qu’il était. Juste un petit truc qui cloche (à la façon d’Edgar Poe) il avait un groupe de rock en France, il ne l’a plus en Thaïlande. Bref chaque fois que je vous parle de ces dernières réalisations made in Thaïland, dans mon petit chapeau introductif je vous rappelle qu’Eric Calassou était aussi le meneur du groupe Bill Crane, or, voici : tout nouveau, tout beau :

    BABY CALL MY NAME

    BILL CRANE

    (You Tube)

             J’en conviens, si l’image correspond bien au titre de l’album se dégage d’elle un parfum suranné, à l’heure du portable invasif nous voici ramenés aux combinés gris à roulettes du siècle dernier. Esthétique que je me plais à qualifier de spartiate. Le minimum vital, rien de plus. Justement question minimal Bill Crane s’avère un groupe un soupçon tantinet squelettique. Pas de bassiste. Pas de batteur. N’évoquons même pas la possibilité d’un organiste ou, soyons fous, d’un trompettiste. Le trio de base du rock‘n’roll réduit à une seule personne. Après tout on n’est jamais mieux servi que par soi-même. Apparemment les musiciens de rock ne courent pas les rues en Thaïlande. Et puis il aurait fallu qu’ils s’approprient l’esprit Bill Crane, ce qui doit demander un certain effort. L’en faut davantage pour décourager un rocker isolé en pays asiate. Calassou n’a pas fait appel à l’Intelligence Artificielle, s’est branché sur l’application Garageband.

             Si vous en déduisez qu’Eric Calassou vous a fignolé un disque de rock ‘n’roll qui ressemble à un véritable disque de rock ‘n’ roll, à partir d’ ersatz sonores de seconde main, vous êtes dans l’erreur. Un disque de Bill Crane ne saurait être du simili Bill Crane. Certes du nouveau dans le stock Bill Crane mais pas du Bill Crane toc.

             Eric Calassou, n’est pas toc-toc. Je l’imagine assis devant son appli, sa guitare sur les genoux, l’a dû méditer un moment, ou peut-être a-t-il agi d’instinct. Je ne sais pas, mais le résultat est-là.  

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    Baby call my name : c’est un peu comme ces filles toute nues qui s’habillent avec trois fois rien, un peu de rouge à lèvres sur le bout rose de leurs seins. Et tout de suite c’est beaucoup mieux. Bon, la fille n’est pas là, ce n’est pas le problème. Je ne vous parle pas de la fille mais de la manière dont est composé le morceau. Derrière vous avez la machine, elle fait le minimum, vous savez ces couches de peinture monochrome que les peintres passent sur leurs toiles avant de commencer leur tableau. On arrive au plus dur, Eric n’a pas de pinceau, mais il l’a une voix, c’est elle qui va dessiner les arabesques qui donnent formes à la chose représentée. Difficile de la faire apparaître puisqu’elle est absente, justement le vocal vous dessine l’absence. Pas facile de représenter une chose qui n’est plus là. Faut utiliser la technique du trompe-l’œil, ici avantageusement remplacée par le trémolo du désespoir. Tout est dans la manière de répéter baby, call my name. Ne faut surtout pas exagérer non plus. L’on ne va tout de même pas se suicider pour une fille. Les rockers n’ont pas le cœur en pain de mie. Suffit de jouer le jeu. Pour les lyrics pas besoin de fignoler des alexandrins à la Lamartine, suffit d’y mettre un peu d’influx répétitif, tragediante y comediante, le larynx qui tremble ou s’énerve, les mots n’ont aucune importance, tout est dans l’intonation, le gamin devant son électrophone qui se prend pour Jagger, ou Robert Plant, n’atteint pas le rock’n’roll mais l’essence du rock ‘n’ roll. La fièvre sans la température. Juste l’attitude rock, ou vous l’avez ou vous ne l’avez pas. La gerce peut aller se rhabiller, si elle avait le bon feeling elle serait restée.  Retenez la leçon, vous ne trouverez pas meilleur professeur que Bill Crane. Hold me tight :  qu’est-ce que je disais, l’option suicide était inenvisageable, serre moi fort, elle s’est dépêchée de revenir, alors le gars lui sort le grand jeu, l’a investi sur sa voix de séducteur N°4, aussi forte que les grandes orgues de Saint-Sernin ( Toulouse), grandiose, pas croque-mort à la Johnny Cash, plutôt croque-motte si vous voyez ce que je veux dire, vous enduit le corps de la jeune fille d’un truc aussi gluant et lubrifiant que la bave de cobra en rut, la boîte à rythme clopine un peu à cloche-pied, elle vous gongue comme thanatos et vous ensuave comme éros,  mais c’est la guitare qui se tape tout le boulot, des espèces de feulements serpentiques auxquels personne ne résiste, d’ailleurs le Calassou oublie les paroles et vous sort le la-la-la du gosier de l’Iguane, le coup du charme obnubilant, l’est sûr de son effet, une espèce de slow-blues visqueux dans lequel on adore patauger. Move me : ce morceau est un peu la saison 2 du précédent. La basse vous creuse une tombe assez profonde pour contenir toute la famille, la batterie y va lentamente pero seguramente comme dicen los espagnolitos, sans se presser, utile mais futile, le Calassou prend son pied, vous l’entendez déglutir, le pire ce sont ses hoquets, venus tout droit du rockab, que vous ne reconnaîtrez pas parce qu’il les allonge démesurément en sifflets interminables de train qui résonnent sur les murs du tunnel dans lequel il s’est engagé. Vous ne savez pas si c’est du caviar ou des œufs de lump, vous en reprenez, vous vous goinfrez. Petite mort. Dance to the music : tiens un vrai bruit de machine vite écrasé par une basse de profundis, c’est la saison 3, en pire ou en mieux, tout dépend de la dose de stress-dance que vous vous pouvez supporter, en plus violent, en plus assourdissant, le Calassou vous le fait de temps en temps à la voix mentholée et très souvent à la résonnance marbrée au brou de noix, maintenant en arrière-fond  un gars fait du morse à moins que ce ne soit une grand-mère qui tricote une mantille de deuil, vous vous en moquez, il y a ces vlangs de guitares tranchants comme des couperets de guillotine qui vous découpent en tranches fines. L’on était parti sur un trip typiquement rock’n’roll, faut se l’avouer dans le genre blues funèbre vous êtes aux premières loges. Au fur et à mesure que s’écoulent les morceaux Calassou maîtrise de mieux en la machine, une percu tam-tameuse sonne le glas de vos oreilles fissurées, vous m’en direz des nouvelles. Am breaking now : vous croyez avoir tout vu, tout lu, tout entendu, ici c’est la voix de Jim Morrison en train de péter le câble qui le retenait à l’univers, le Calassou il ne fait pas dans la compromission, déjà au morceau précédent la valse binaire de l’histoire d’amour sur chaise bancale n’incitait pas à l’optimisme, l’on dirait qu’il a enregistré le bruit de fond d’une tempête mentale, à chaque seconde l’on descend six pieds sous terre, et l’on suit la marche nuptiale vers le néant, l’on a compris que si nous perdons la procession, c’en était fini de nous et surtout de tout. C’mon baby : respiration, de retour à l’ambiance du premier morceau, il nous le fait à la Presley, I want you, I need you, I love you, parfois ça fait du bien de se raccrocher aux valeurs sûres, des bruits de moteurs, une frappe de bûcheron canadien, l’on s’amuse comme des fous, délire rock, guitares klaxonnante. Clin d’œil à Cochran, cocard à la Bo Diddley. L’on est de retour chez nous dans la terre du rock’n’roll foutraque. I got the blues : pas besoin de vous faire un dessin, retour à l’essence du Delta, une autre forme de foutraquie, plus inquiétante, le blues est un crotale qui se réveille chaque matin dans votre cerveau, ne faut pas dormir la bouche ouverte aux rêves roses, le blues descend sur vous comme la nuit mentale sur le monde, si vous ne savez pas ce qu’est le blues écoutez ce seul morceau vous saurez tout : des percus africaines aux digues rompues du Mississippi. On ne le savait pas, mais apparemment il coule aussi en Thaïlande. Down on the corner : ah, un titre qui fleure bon le rockabilly et le country, écoutez-le et l’évidence s’imposera à vous, à l’origine venus de continents différents le blues et le country sont une seule et même pulsation née dans le sang des hommes. Issue d’une même résidence en un monde hostile. Les deux faces du même couteau que l’on s’enfonce dans la chair pour conjurer le malheur de vivre, ou la tentation d’exister. World without gun : c’est-y-quoi ? Un truc que vous n’avez jamais entendu, un chant d’espérance, une prière à qui vous voulez ( sauf à Dieu ) une espèce d’un nouveau genre en mutation, perso je le définirai comme une espèce mutante, un noise-gospel de la dernière génération. Avec un bruitage d’orgue de barbarie pour conjurer la barbarie humaine.  Déchirant. My life : l’a décidé de ne pas nous faire de cadeau, ne s’en fait pas non plus puisque à l’origine ce morceau s’intitulait In the darkness, une longue plainte, un cheval fourbu qui marche à l’amble, dans le désert de l’existence, son écurie ne sera qu’un squelette à moitié recouvert dans un désert de sable, tempo lent et voix ténébreuse expirante, la prière n’a été en rien exaucée… Magnifique. A ne pas écouter si vous êtes dépressif.  Get out of this town : retombée et désillusion. Le même thème que We ‘ve gotta get out of this place des Animals mais en plus désespéré, la ville est partout, le gars n’en sortira jamais, marche d’un bon pas, rien n’y fait, de fait il tourne en rond dans sa solitude, de temps en temps il imite le long cri du train qu’il ne prendra jamais. Il y a longtemps qu’il ne s’arrête plus dans sa caboche. Voix gravissime. Il hurle. Move me : Chinese Modern Remix : la surprise du chef, n’oublions pas que nous sommes en Thaïlande, version orientale. Au premier coup de gong peut-être évoquerez-vous le Schéhérazade de Rimski-Korsakov, erreur fatale, nous ne sommes plus à la même époque, le bruit recouvre la splendeur du rêve, une percu jacasse comme cent mille perroquets, et des stridences vous traversent la tête, un véritable cauchemar, la voix d’Eric tente de dompter le brouhaha, est-ce une façon de nous dire qu’il y a trop d’hommes sur notre planète.

             Ces onze titres sont une splendeur, Bill Crane touche aux origines et à l’essence du rock’n’roll. Génialement novateur.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll ! 

    10

             Le Chef semblait soucieux, il s’écoula un long temps (cinq secondes) avant qu’il n’allumât un Coronado :

             _ Agent Chad, inutile de nous perdre en raisonnements oiseux, nous devons nous livrer à quelques primaires vérifications expérimentales afin d’éclaircir quelque peu ce mystère insondable. Je prends le double des clefs de votre habitation provinoise, pendant ce temps volez-moi une voiture que vous stationnerez sur le trottoir devant l’entrée du service. Dès que je serai parti, procurez-vous un autre véhicule, laissez s’écouler deux heures de temps et retournez chez vous. A vitesse modérée, ne conduisez pas comme un fou selon votre mauvaise habitude, n’attirez en aucune façon l’attention sur votre personne, nous nous devons d’être discrets. Une fois à la maison, filez au lit, tirez les verrous de votre porte, allongez-vous et attendez-moi.

    11

             J’ai roulé tranquillou jusqu’ Provins. Molossa et Molossito allongés sur la banquette arrière. Un œil dans le rétro et l’autre sur mon Rafafos déposé sur mes genoux. Ses précautions se révélèrent vaines. Aucun incident notable ne survint. Je stationnai dans une rue adjacente de mon domicile et regagnai la porte d’entrée mes deux clebs sur les talons.

             _ Ho, les chiens, je sais que ce n’est pas l’heure, nous allons nous coucher !

             A peine eus-je ouvert la porte de ma chambre que les deux braves bêtes se précipitèrent sous le lit en aboyant frénétiquement. J’entendis un mouvement de reptation sous ma couche, mon Rafalos à la main je m’apprêtai à tirer lorsque la tête du Chef émergea :

             _ Agent Chad, point de nervosité la première de nos expériences vient de se terminer. J’allume un Coronado, au moins trois bons quarts d’heure que je m’en suis abstenu, un supplice odieux tout cela pour anéantir une possibilité qu’au fond de moi-même je jugeai improbable ! Nous pouvons désormais éliminer la proposition jaune.

             _ Chef vous supposiez que c’était la maffia chinoise qui nous s’était chargé d’enlever nos chiens !

             _ Agent Chad, vous me décevez, vous n’avez jamais lu Le mystère de la chambre jaune de Gaston Leroux, cette tentative de meurtre commise dans une pièce hermétiquement close !

             _ Donc vous supposiez que le ravisseur de Molossito et Molossa était caché sous le lit lorsque nous nous sommes couchés !

             _ Agent Chad, arrêtons de discutailler, ce n’est pas le cas, nous venons d’établir que les chiens l’auraient découvert, il est temps de vérifier l’hypothèse bleuâtre.

    12

             L’expérimentation dura près de trois heures. Mon rôle ne me demanda pas beaucoup d’efforts. A part tirer les trois verrous intérieurs de ma chambre et rester à bouquiner en compagnie de mes deux fidèles compagnons, ce ne fut pas très fatigant, mais lorsque le Chef tambourina sur la porte en hurlant que je pouvais ouvrir, à peine l’eus-je entrebâillée qu’un épais nuage de fumée bleuâtre m’assaillit. Au loin j’entrevis dans un halo bleuté la silhouette du Chef :

             _Agent Chad j’avoue que j’avais davantage d’espoir avec ma seconde hypothèse, notre ravisseur aurait pu par le trou de votre serrure insuffler un soporifique dans votre chambre, mais le clapet de sécurité dont vous avez équipé votre serrure s’est avéré totalement hermétique…

             _ Chef comment serait-il rentré puisque les verrous intérieurs étaient tirés !

             _ Agent Chad, très facilement, il vous aurait d’abord endormi vous et les chiens avec l’aide d’un narcotique quelconque, dans un deuxième temps grâce à ce que l’on appelle un Injonctif de Volonté il vous aurait inculqué l’ordre de tirer les verrous et de vous recoucher. Il serait alors rentré, aurait capturé les chiens puis avec l’aide du même IDV il vous aurait intimé l’ordre de de refermer les verrous et de vous rendormir.

             _ Chef, j’ai un soudain trou de mémoire pourriez-vous me rappeler ce que c’est que l’IDV, je ne sais comment mon système neuronal confond avec IGV…

             _ Agent Chad, en tant qu’Agent du Renseignement vous devriez vous tenir au courant des avancées de la science, un IDV est un produit qui s’administre sous différentes formes, gélules, solutions buvables, ou spray. Il permet à un patient d’être non seulement privé de toute forme de volonté mais surtout de devenir sensible à toute injonction donnée par une autre personne.

             _ Un peu comme les zombies du vaudou, Chef ?

             _ Exactement mais l’effet est loin d’être aussi efficace, il ne dure que deux ou trois minutes. Bref, trois ou quatre gros pschitt par le trou de la serrure et un ordre hurlé au travers de la porte, par exemple au mégaphone, pour que votre oreille le réceptionne et le transmette au cerveau, et le tour est joué !

             _ Chef, j’ai donc échappé à ce traitement diabolique !

             _ Exactement Agent Chad, ce qui ne résout pas notre affaire, il est temps de rentrer au Service et de méditer à tête reposée sur cette mystérieuse affaire.

    13

             Nous discutâmes longuement. Nous tombâmes rapidement d’accord sur un premier point : nos modestes personnes n’étaient pas dans la mire de nos ennemis, en tant que telles. Au travers de nous et nos chiens c’était le rock ‘n’ roll qui était visé. Pour quel mobile, nous n’en savions rien.

             Il était maintenant près de minuit et nous n’avions pas progressé d’un millionième de millimètre.

             _ Agent Chad, j’allume un dernier Coronado et nous partons nous coucher. A moins que vous n’ayez une dernière réflexion particulièrement pertinente à me proposer.

             _ Hélas Chef, à moins d’être le passe-muraille de la nouvelle de Marcel Aymé, je ne vois pas qui aurait pu rentrer dans ma chambre fermée à clef en traversant le mur !

             _ Bon sang, Agent Chad, pourquoi ne l’avez-vous pas dit plus tôt, cela nous aurait fait gagner du temps ! Pour sûr vous avez raison, ces gens-là connaissent le moyen de traverser les murs. Ils ne doivent pas être légion en France, nous les repèrerons assez facilement, faites-moi confiance, quelques heures tout au plus, le premier gars qui traverse un mur, il suffit de courir à toute vitesse de l’autre côté du mur pour le cueillir à sa sortie !

             _ Chef, vous êtes trop optimiste ! Jamais de ma vie je n’ai vu personne entrer dans un mur devant moi !

             _ Arrêtez d’énoncer de stupides évidences Agent Chad, tenez du coup…

    Le Chef sortit un Coronado hors de sa poche, le contempla avec vénération durant trois longues minutes, avant de se résoudre à le porter à sa bouche et de craquer une allumette.

             _ Agent Chad vous n’avez jamais vu quelqu’un qui marchait devant vous entrer dans un des murs qui bordaient le trottoir que vous suiviez pour la simple et bonne raison que vous n’aviez jamais imaginé que cela fût possible en ce bas-monde, l’on ne trouve que ce que l’on cherche, un peu comme le hasard objectif d’André Breton, qu’entre nous je n’aime pas du tout, un peu trop directif dans sa gestion du mouvement Surréaliste, une âme, non pas de dictateur, cette expression est trop élogieuse, bien plus petite que cela, une âme… une âme… de petit-chef ! Oui c’est bien le mot que je cherchais ! D’ailleurs existe-t-il un document quelconque d’après lequel on pourrait interférer qu’il ait eu l’occasion d’allumer une seule fois, un Coronado ?

             _ Non Chef, je n’ai jamais vu une photo de Breton en train de savourer un Coronado, je vous l’accorde, par contre je persiste à déclarer que je n’ai jamais un homme entrer dans un mur !

             _ Certes Agent Chad, je veux bien vous croire, pourtant dans cette même pièce pour ma part j’en connais au moins un.

             _ Quoi, Chef, vous en avez vu un ?

             _ Agent Chad, me prenez-vous pour un jocrisse, si j’en avais vu un je l’aurais immédiatement abattu d’un coup de Rafalos, n’oubliez pas que certaines munitions de mon Rafolos sonts capable de s’enfoncer de cinquante centimètres dans une épaisseur de béton précontraint, je ne vous parle même pas des façades de briques !

             _ Chef vous n’en avez pas vu, moi non plus, qui donc dans cette pièce aurait pu en voir !

             _ Agent Chad, pourquoi croiriez-vous que l’on s’en soit pris à Molossa et Molossito, nous tenons-là enfin une piste sérieuse !

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 625 : KR'TNT 625 : GENE VINCENT / ROCKABILLY GENERATION NEWS / BILLIE HOLYDAY / KIM GORDON / HOLLY GOLIGHTLY / ALABAMA SHAKES / BEVERLY GUITAR WATKINS / THE SIXTH CHAMBER / MOURNING DAWN / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 625

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    21 / 12 / 2023

     

    GENE VINCENT / ROCKABILLY GENERATION NEWS

    BILLIE HOLIDAY / KIM GORDON

    HOLLY GOLIGTHLY / ALABAMA SHAKES

    BEVERLY GUITAR WATKINS / THE SIXTH CHAMBER  

    MOURNING DAWN / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 625

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    AVIS AUX KR’TNTREADERS

    L’ANNEE FINIT MAL POUR VOUS !

    LA PROCHAINE LIVRAISON 626

    AURA LIEU SEULEMENT

    LE JEUDI 04 JANVIER 2024

    JOYEUSES SATURNALES !

     

     

    GENE VINCENT

    ROCKABILLY GENERATION NEWS

    HORS-SERIE # 4 / JANVIER 2024

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             Ne dites pas ‘’ je l’ai déjà’’, l’est vrai que de (très) loin les deux couleurs de fond à quelques nuances près sont identiques surtout si vous les comparez non pas à la lumière naturelle mais électrique, presque quatre années se sont écoulées entre la parution du Hors-série # 1 Gene Vincent La légende du rock et ce Hors-série # 4 Gene Vincent La légende du Rock. Ajustez vos lorgnons si vous ne me croyez pas, sur le premier vous n’avez que le chef de Gene Vincent, sur ce quatrième il ne lui manque que les jambes.

             Ne dites pas, bon une réédition, z’ont juste changé la couverture. Pas du tout. L’équipe de Rockabilly Generation News a voulu réparer une injustice. Le premier H.S. du mensuel avait été une aventure, un pari sur l’avenir. Pari réussi, à plusieurs reprises il a dû être réimprimé pour satisfaire la demande. Dans son sillage nous avons eu à droit à un H.S.  # 2 Crazy Cavan et un H.S. # Vince Taylor. Deux H. S. qui ont profité des enseignements de l’élaboration du # 1 : pagination passée de 32 pages à 48, photos mieux travaillées (quand on connaît la qualité habituelle des photos de RGN l’on entrevoit le niveau d’exigence de Sergio Kazh), des articles davantage pointus… A l’aune de ces paramètres la réédition du H. S. # 1 s’imposait.

             Que voulez-vous, nous petits froggies, on n’est pas comme les ricains du Rock’n’roll Hall Fame fondé en 1983 qui ont attendu 1998 pour introniser la figure de Gene Vincent en son panthéon…

    *

             Enfin retiré dans sa gangue de plastique, l’est dans notre main, l’on hésite avant de l’ouvrir, pour commencer on se contentera de feuilleter uniquement pour les documents photographiques, nombreux mais si habilement distribués que la mise en page est des plus aérées, l’on soupire deux ou trois fois avant de se lancer dans la merveilleuse et triste histoire de Gene Vincent.

             Pourquoi une telle ferveur autour du personnage de Gene Vincent, n’existe-t-il pas des milliers d’autres chanteurs de rock. Une voix exceptionnelle, d’une finesse absolue, un jeu de scène d’autant plus incomparable que basé sur son infirmité, une discographie qui comporte nombre de chef-d ’œuvres… Une carrière qui commence comme un conte de fées, une poignée d’amateurs au sens noble de ce terme qui se trouvent propulsés au-devant de la scène en quelques semaines.

    Certes il y a mal donne. Dès le début. N’ont pas suivi le premier précepte du savoir-faire américain : The right man at the right place. Ce petit noyau de musiciens qui l’entourent ce sont bien les right men. Mais ils ne sont pas à la bonne place. Tony Marlow nous parle de Cliff Gallup. Un guitariste incomparable. Cliff n’est pas un rocker dans l’âme, il n’est pas un révolté,   mais il a su se mettre à la hauteur des aspirations de Gene, comment a-t-il eu l’intuition de savoir ce que Gene désirait, personne n’a su l’expliquer. Tony nous l’explique historialement, musicalement, techniquement,  moins doué que Tony je dirai que Cliff à la guitare si clivante est l’explorateur de la brisure, l’est comme un funambule qui court à toute vitesse sur son fil et brutalement le voici qui marche bien au-dessus de son cordon, n’en finit point d’escalader le ciel jusqu’au point de rupture d’équilibre, il dégringole comme une pierre qui rebondit d’escarpements en escarpements pour dévaler la montagne, il plonge dans l’abîme et… par un inouï redressement incompréhensible il revient galluper sur le fil avec l’élégance et la précision d’un hélicoptère qui se pose sur votre pelouse. En plus vous avez le bruit syncopant des pales tournoyantes et du rotor pétaradant qui vous bouscule les tympans.

    Avec un tel talent, Cliff aurait pu amasser des dizaines de milliers de dollars en tant que guitariste de studio. Préfèrera retourner chez lui et animer bals et spectacles des patelins du coin… Poussera l’abnégation jusqu’à presque mourir sur scène. Le père tranquillou qui se paie un destin à la Molière…

    Mais il n’est pas le seul. Un à un, le numéro vous les présente, tous les musiciens de Gene durant ses premières années américaines le quitteront pour voguer en des eaux plus calmes. Pas pour rien que son groupe se nomme les Blue Caps.

    Le pire c’est que Gene s’habitue à tous ses changements. Le vent souffle, il reste le rock dans la tempête. Il se débrouille, il improvise, il ne comprend pas, et Capitol ne lui en donne pas les moyens, qu’il aurait besoin d’un staff stabilisé pour servir d’interface entre sa carrière et sa maison de disques…

    En 1959 la carrière américaine de Gene est mal partie, elle renaît en Europe. L’Angleterre et la France l’accueillent. La revue s’attarde davantage sur ses différentes venues en notre pays, triomphales au début des années soixante, mais sa popularité s’étiole au fur et à mesure que la décennie s’écoule jusqu’à la dernière tournée portée à bout de bras par des fans qui ne disposent pas des moyens financiers suffisants…

    Gene est un homme blessé, l’alcool sera pour lui un moyen de combattre la douleur de sa jambe brisée, cette souffrance physique sera confortée par un sentiment de déclassement et d’abandon, voire de trahison. Tous ses efforts pour revenir au premier plan se heurteront à un plafond de verre d’indifférence de la part des médias et du showbiz, la deuxième moitié des années 60 se transformera en un long purgatoire pour la plupart des pionniers. Mais l’homme se battra jusqu’au bout.

    Jusqu’à l’effondrement. Si pathétique que ce soit, un aigle blessé restera toujours un aigle. Qui sait voler plus haut que la plupart.

    Gene aura eu une influence capitale sur le rock français, une empreinte morale affirmeront certains, je n’aime point ce mot, l’attitude exemplaire de son existence vouée au rock‘n’roll ont marqué bien des esprits. Un demi-siècle après sa disparition, ce Hors-Série # 4 intitulé Gene Vincent la légende du rock est la preuve de la ferveur persistante autour de son nom et de son œuvre.

    Remercions Pascale Clech, Yolande Gueret, Gilles Vignal, Maryse Lecoultre, Tony Marlow, Brayan Kahz, Serge Poulet et Sergio Kazh qui ont œuvré à la réalisation de cet ouvrage indispensable autant pour les fans que les néophytes es rock’n’roll.

    A regarder, à lire, à méditer.

    Action Rock‘n’roll !

    Damie Chad.

    Pour un numéro : 12 € + 4, 30 € = 16, 30 €

    Pour deux numéros : 24 € + 6, 30 € = 30, 30€                                               

    Paiement chèque bancaire : à l'ordre de Rockabilly Generation News, à Rockabilly / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois /

    Paiement Paypal : (cochez : Envoyer de l'argent à des proches) maryse.lecoutre@gmail.com.

    FB : Rockabilly Generation News.

     

    *

    Une bonne nouvelle emmène une autre bonne nouvelle. A peine l’enveloppe enfermant le H. S. 4 Gene Vincent récupérée dans la boîte à lettres qu’une deuxième arrive deux jours après, elle aussi porteuse d’une nouvelle revue :

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 28

    JANVIER – FEVRIER – MARS ( 2024 )

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            Mais qu’est-ce donc que le rockabilly ? Sergio Kazh et sa démoniaque équipe ont décidé de répondre à cette question. Que le lecteur ne s’angoisse pas, ne se sont pas réunis durant trois mois en conclave pour rédiger un texte de quarante-huit pages en lettres minuscules afin de nous livrer tout ce que l’on voulait savoir et même tout ce que l’on ne voulait pas savoir sur le rockabilly. N’ont même pas pris la peine de synthétiser leur savoir en une courte phrase. Ont préféré adopter la méthode des plus grands maîtres Zen. Ce qui nous semble un étrange car le rockabilly ne nous est jamais apparue comme une musique particulièrement zen.

             Résumé de la méthode zen :

    1° : La question : Maître qu’est-ce que violence ?

    2 ° : La réponse : le Maître ne dit rien, il se contente d’envoyer un grand coup de pied sur la figure du disciple qui crache ses dents sur le tatami méditatif.

    3 ° : La conclusion : le Maître dit : Voilà c’est ça.

             Sont sympa chez Rockabilly Generation News : ils vous épargnent les phases 1 & 2. Passent directement à la troisième phase. En plus je vous aide à comprendre la phase 3 : Voilà le rockabilly c’est de la visite vivante.

             Et hop, et bop, dès la première séquence ils vous emmènent en tournée avec les Ghost Highway, vous les suivez partout : sur la route, à table, dans les coulisses, vous assistez aux répètes et aux concerts, et même, ils ne devraient pas, nous disent tout sur le prochain disque en préparation pour 2024.

             L’on a beaucoup suivi les Ghost avec Kr’tnt ! le blogue et le groupe sont nés à peu près en même temps. On les a accompagnés jusqu’à leur séparation en 2016. Ce qu’il y avait de fabuleux avec les Ghost c’est qu’ils avaient un nombre de followers qui les suivaient dans leurs déplacements. Une espèce de confrérie festive ambulante. Les heures chaudes du deuxième revival rockabilly. Une épopée comme peu de groupes français ont su en susciter… Quel plaisir de retrouver Phil, Jull et Arno en photo, sans oublier Brayan le petit nouveau au grand talent à la contrebasse, bref ils sont de retour ! Enfin !

              Musique vivante le rockabilly, pour vous en convaincre le deuxième chapitre nous parle de la renaissance du Festival Viva Pouligue’n’roll ! Trois longues années de dormition et les revoici, et ce n’est pas facile avec l’augmentation du prix des billets d’avion des musicos. Swamp Cats, Hudson Maker, Strike Band, The Jets. Oui ça en jette.

             Neuf pages (+ la couve) sur les T-Becker Trio, ce n’est pas un groupe qui monte, en deux ans sont déjà au sommet, Kr’tnt les a présentés deux fois en concert et ont chroniqué leurs deux CD’s. Racontent leurs parcours, Did, yes indeed, qui a joué avec le Blue Tears Trio, même que c’est le Cat Zengler de chez nous qui a dessiné une de leurs pochettes, l’a commencé par écouter les Chaussettes Noires puis l’a flashé sur les Stray Cats, l’est tombé dans la marmite du Rockabilly, n’en est plus jamais sorti. Tof, c’est pas du toc, l’est parti du néo-rockab vers les racines Hillbilly, Jump, ces vieilleries d’éternelle jeunesse, bourrées de dynamite. Je ne présente pas Axel, very well, un excellent contrebassiste mais quel exemple déplorable pour notre jeunesse, ne faisait pas ses devoirs à l’école, préférait   écouter ses disques de Jerry Lou et de Gene Vincent. Vous voyez où cela l’a mené... dans un des groupes les plus originaux et créatifs du pays…

             Musique ultra vivante le rockabilly, Notre Cat Zengler nous a déjà chroniqué plusieurs éditions de Béthune Rétro, ce coup-ci c’est l’appareil de Sergio qui vous le présente, l’on y retrouve entre autres :  Ghost Highway, Back Prints, Nelson Carrera… découvrez tous les autres par vous-même.

    La tête commence à vous tourner, trop de bruits, de rires, de danses de folie, je ne peux rien pour vous, Parmain, Kustom Festival & Tattoo vous accueille, T-Becker Trio, on se les arrache, groupes anglais, suédois, hongrois, parlent tous la même langue : l’idiome rockabilly !

    Rock’n’Roll in Pleugueneuc et Rocking Rhythm Party # 10, vous commencez à vous lasser, vous avez tort, vous commencez à penser que le rockabilly c’est de la mauvaise herbe, que ça pousse partout en folle France, vous avez raison, je ne citerai qu’un seul exemple Ervin Travis & His Band, le grand retour, au meilleur de sa forme, quel plaisir de retrouver Ervin, Nietzsche avait raison, ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort. 

    Heu, Damie tu n’as pas oublié quelqu’un. Pas du tout bande de brêles, j’ai gardé la meilleure pour la fin pour que vous voyiez au moins une fois dans votre vie la vie en rose. Dans sa précieuse rubrique Les Racines, Julien Bollinger présente The Maddox Brothers and Rose. Drôle de viandox survitaminé les Maddox, on en parle peu par chez nous, une espèce de Carter Family sous acide, rien ne leur a fait peur, même pas Elvis qui leur a rendu hommage, l’article est sous-titré ''Les raisins de la colère'', "les zinzins de la colère'' n’aurait pas été une erreur non plus. Certains ont créé le rock’n’roll. Cette tribu de déjantés avait déjà auparavant inventé la parodie du rock’n’roll.

    Imitons-les en parodiant Gene Vincent. Ce numéro 28 is A Rockin’ Date with Rockabilly Generation News.   Incontournable !

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  6 Euros + 4,30 de frais de port soit 10,30 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 38 Euros (Port Compris), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( Rajouter 1,10 € ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! 

     

     

    Wizards & True Stars

    - Holiday in the sun

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             Croisons donc les regards que portent Lee Daniels et James Erskine sur Billie Holiday, akaka Lady Day. Avec Billie Holiday Une Affaire d’État, le premier opte pour la tragédie. Il passe le plus clair de son temps, c’est-à-dire deux heures, à noircir considérablement le tableau. Victime de ses choix scénaristiques, Daniels conduit son biopic dans l’impasse : la tragédie tue l’art. On est là pour entendre chanter Billie Holiday, pas pour tremper dans l’eau sale des destins tragiques revus et corrigés par l’industrie hollywoodienne. Avec Billie, James Erskine opte pour le docu, mais un docu très particulier. Il repart de l’enquête menée par une certaine Linda Lipnack Kuehl dans les années 70. Elle comptait bien écrire une vraie bio de Billie, et elle interviewait des tas de gens qui l’avaient connue. Linda n’a pas réussi à mener son projet à terme, car elle a cassé sa pipe en bois dans des circonstances mystérieuses : officiellement, elle s’est jetée par la fenêtre de sa chambre d’hôtel. Aux yeux de sa frangine, il est nettement plus probable qu’un mec l’ait balancée par la fenêtre. Erskine a miraculeusement réussi à retrouver les enregistrements de Linda et il base tout son docu dessus. On ne peut pas faire plus véracitaire. En plus, le docu fait la part belle à Billie qu’on entend chanter énormément, et chaque fois, le swing de sa voix te serre le cœur.

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            Les mecs qui font des biopics ont un gros défaut : ils en rajoutent. Ils mordent le trait. Ils chargent la barque. Ils n’ont qu’une seule obsession : faire pleurer dans les chaumières. Et pour faire pleurer dans les chaumières, il faut commencer par tuer l’art. Alors pour tuer l’art, il y va à la pelle, le Daniels, il charge la chaudière, il bombarde, il noircit, il aggrave, il envenime, il ne laisse aucune chance à la véracité, allez hop, la mère qui est pute et la Billie violée à onze ans, allez hop, les maris gigolpinces qui lui tapent dans la gueule et qui la finissent à coups de pompe, allez hop les racistes du FBI obsédés par une seule chanson, «Strange Fruit» et qui l’accusent d’anti-américanisme, d’où l’affaire d’État, le biopic va même filmer les fucking sénateurs, ils ne la lâchent, en plus, ils lui foutent des fioles d’héro dans sa poche et l’envoient au ballon, allez hop, on réduit toute l’histoire, il ne reste plus que la persécution, et le bouquet final, c’est le lit de mort à l’hosto, avec un dernier interrogatoire de la gestapo américaine et c’est là que le biopiqueur vient poser sa pauvre petite cerise sur le gâtö : le pied de la Billie clamsée menotté au barreau du petit lit blanc. Il ne manque plus que la chanson de Berthe Sylva, «Les Roses Blanches». Avec ça, les chaumiers qui habitent des chaumières sont baisés : tout le monde chiale devant la téloche. Daniels a gagné la partie.

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             C’est Lester Young qui baptise Billie ‘Lady Day’. Alors Billie baptise Lester ‘Prez’, c’est-à-dire Président. Dans son biopic, Daniels montre Prez, bien sûr, coiffé d’un petit chapeau noir à la Mo’ Better Blues, mais il ne précise pas qu’il s’agit du grand Lester Young. Heureusement, Erskine rattrape le coup. Il nous montre Lester Young en vrai. La légende de Billie, c’est aussi et surtout Lester Young. Quand elle swingue son sucre, Lester entre avec elle dans le cercle magique. Ils sont comme frère et sœur. Ils sont indissociables - Baby make up your mind - Et les voix enregistrées par la pauvre Linda défenestrée commencent à sortir du passé : «Billie ne chantait que la vérité. Elle ne connaissait que ça.» Alors les entorses à la réalité n’en deviennent que plus insupportables. C’est pour ça que Linda se battait : pour rétablir la vérité, et Erskine lui emboîte le pas. Oui, Billie adorait les jurons : «Suck my ass motherfucker !». C’est aussi ce qu’elle dit dans le biopic au fucking agent du FBI qui lui demande une dernière fois de renoncer à chanter «Strange Fruit» : «Suck my black ass». Une belle façon de l’envoyer se faire foutre. Erskine revient aussi sur une autre réalité : l’œil au beurre noir. Pour les blackettes de cette époque, c’était une preuve d’amour - My man loves me - Une façon comme une autre de tourner la réalité en dérision. On retrouve ça aussi dans l’autobio de Bettye LaVette qui explique que toutes les chanteuses black étaient maquées à des proxos. On retrouve ça aussi dans les histoires d’Aretha et de Nina Simone. À chaque fois, tu as le mari black qui ramasse tout le blé et qui leur tape sur la gueule. He’s my man.

             Le biopic fait bien sûr la part belle à l’héro. Le flicard du FBI veut coincer the bitch on the drugs. Alors on a droit à tout le cirque : la bougie, la cuillère, le garrot, le shoot, le kick, un vrai mode d’emploi. On voit souvent l’actrice à poil. Quand elle baise, elle se fait prendre par le cul. Un cliché de plus. L’actrice est extrêmement belle et s’appelle Andra Day. Mais elle n’a rien de l’animalité de Billie. On a eu le même problème avec le biopic consacré à la Môme Piaf. Le mec qui a tourné ça ne devait pas savoir que Piaf était kabyle. Dans le cas de Billie comme dans celui de Piaf, l’animalité est l’élément déterminant.

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             Erskine remonte aux sources : Harlem années 30, Billie fume de l’herbe, elle écoute Bessie Smith, Louis Armstrong et Billy Eckstine, John Hammond la découvre. On la voit chanter «The Blues Are Brewing» à la télé avec Louis Armstrong, elle chante dans l’orchestre de Count Basie, un Basie que la pauvre Linda a réussi à interviewer - Call me Bill - sans doute le passage le plus étrange du docu. Puis un jazzman blanc nommé Artie Shaw la prend comme chanteuse. Ça ne s’invente pas. Billie tourne dans le Deep South et un jour, alors qu’elle allait pisser dans un champ de maïs, elle tombe sur une scène pas terrible : une ferme brûlée, le black pendu et ses gamines terrorisées qui chialent toutes les larmes de leurs corps. Le biopic ose mettre en scène cette abomination. Hollywood n’est plus à ça près. On se souvient tous de la version hollywoodienne de Shoah, cette grosse arnaque intellectuelle intitulée La Liste de Schindler. Claude Lanzman avait démontré avec Shoah qu’on ne pouvait pas aller plus loin, que son film était à la fois l’aboutissement et la raison d’être du cinéma. Pour se faire un gros billet, les biopiqueurs hollywoodiens sont passés outre et ont «exploité» le filon des camps. La scène de la ferme brûlée tape dans le même genre de registre : on émeut à bon compte, sans trop se poser les questions de base, notamment celles qui touchent à la moralité. L’horreur, comme dirait le Colonel Kurtz.

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             Alors Erskine laisse Bille nous dire les choses à sa façon : elle chante «Strange Fruit». Son visage est pur, la scène colorisée. Elle a presque les larmes aux yeux. Elle est d’une beauté sidérante. Elle attaque très bas au «Southern trees/ Bear a strange fruit» et module son sucre pour faire vibrer le «Blood on the leaves/ And blood at the root», tu n’as même pas besoin de comprendre l’anglais pour savoir que c’est d’une extrême gravité, mais portée par des vers, donc te voilà au sommet du lard le plus intense qui se puisse imaginer ici- bas - Black bodies swinging/ In the southern breeze - Ce sont les mêmes pendus que décrit François Villon - De ci de là selon que le vent tourne/ Il ne cesse de nous ballotter à son gré - Et d’un profond accord avec Léo Ferré et Billie, Villon s’exclame : «Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !». Remplis de toute la miséricorde du monde, Billie et Villon saluent toutes les victimes de la barbarie. C’est le chant des sirènes que ne pouvait entendre le FBI - Strange fruit hanging/ from the poplar trees - Quand Bille chante ça dans les clubs, les blancs quittent la salle. À la fin du biopic, on nous dit que Time Magazine a sacré «Strange Fruit» chanson du siècle. Au moins le biopic aura servi à ça. On dit aussi que personne à part Billie n’a eu le cran de chanter ça. Si Billie ne chante pas «Strange Fruit», personne ne le fera. Eh oui. Car c’est une chanson d’une rare violence véracitaire, et cette violence véracitaire est l’essence même de Billie - Pastoral scene/ Of the gallant south/ The bulging eyes/ And the twisted mouth - elle tord bien la bouche pour imiter le twisted mouth du pendu. Fascinante artiste ! Villon décrit lui aussi la scène pastorale - Pies, corbeaux nous ont crevé les yeux/ Et arraché la barbe et les sourcils - Billie et Villon t’obligent à regarder et à sentir - Scent of magnolias/ Sweet and fresh - l’atroce réalité de l’enfer au paradis - Then the sudden smell/ Of burning flesh - KKK & nazis même combat. Dommage qu’elle n’ait pas ajouté un couplet pour dire ça. Ces gens-là utilisent les mêmes méthodes, the sudden smell/ Of burning flesh. Bon il y a encore un couplet après ça, mais le mieux, c’est encore d’écouter Billie le chanter. 

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             Billie aime la vie, elle aime les hommes et elle aime le swing - Billie she’s a sex machine. She just wanted to get high. Simple as that ! - Elle fait son année de placard et se tient à carreau. Quand elle sort en 1948, elle remplit le Carnegie Hall. Mais elle n’a pas de pot avec les bonshommes : son manager John Levy est un indic du FBI, et son dernier mari dont on a oublié le nom lui a pompé tout son blé, et pire encore, il hérite de ses biens après sa mort. Et pour couronner le tout, un médecin lui annonce qu’elle s’est chopé une belle cirrhose. Donc pour elle, c’est cuit aux patates. Direction l’hosto. Miam miam pour les biopiqueurs de malheur.

             Et puis après le pot aux roses de «Strange Fruit», tu tombes dans le docu sur un autre pot aux roses : l’hallucinant témoignage de Jo Jones, qui battait le beurre pour Billie : «Elle est morte à l’hosto un dimanche. Elle sait qu’elle va mourir. Ils sont venus l’arrêter sur son lit de mort. Arrêtée à l’hôpital pour détention d’héroïne ! Dieu aide les États-Unis d’Amérique. Personne n’avait autant innové qu’elle. Nobody ! Tout ce qu’elle voulait, c’était chanter. Elle n’emmerdait personne. Elle roulait en Cadillac, et portait un vison, so what ? What’s wrong with that ? Pas le droit d’avoir une Cadillac et un vison ? Elle n’avait pas le droit d’avoir des diamants ? Non tout ça, c’est pas pour toi. You’re a negro. Stay in your place. Un bol de fayots et du riz, t’as besoin de rien d’autre. Faut voir tout ce qu’on a dû traverser ! - et là Erskine ramène les images en noir & blanc des lynchages, et Jo Jones enfonce son clou - Aucune chanteuse n’a enduré ce qu’elle a enduré. Le plus grand pays du monde ? The most stupid, the most racist people - Erskine ramène des images du KKK et Jo Jones poursuit son accusation - Even to this day ! I’ll leave as soon as I can. Je ne veux pas me prêter à cette mascarade. Le 17 juillet, jour de sa mort. J’ai refermé le cercueil de Miss Holiday et posé deux fleurs dessus.» Jo Jones a dit tout ce qu’il y avait à dire.

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             Avec son docu, Erskine ramène l’art. Il termine avec le dernier album, Lady In Satin et on voit des images spectaculaires de Billie émaciée. Billie forever.

    Signé : Cazengler, Holiday on ice

    Lee Daniels. Billie Holiday Une Affaire d’État. DVD 2021

    James Erskine. Billie. DVD 2021

     

     

    Pour Kim sonne le glas

     - Part One

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             Les Sonic Youth ont bien fasciné les foules, à l’époque des grands concerts à l’Élysée Montmartre. On s’est tous goinfrés comme des porcs de Goo et de Dirty, ces deux grands albums de wild gaga new-yorkais devant l’Éternel. On s’est aussi prosternés jusqu’à terre devant The Year Punk Broke, ce movie rock qui était censé encenser Sonic Youth, mais l’impétueux J. Mascis leur vola la vedette d’un coup de Wagon. Bref tout ça nous ramène au passif des années antérieures qu’on a tous vécu à la va-comme-je-te-pousse, bon an mal an, et cahin-caha. Des années qu’on aimerait pas trop revivre. Pourquoi ? On ne sait pas trop. Il y planait un soupçon de malaise généralisé, mais aussi personnel. Trop de blé, trop de gonzesses, trop de n’importe quoi. Le retour à la pauvreté et à la vie monastique fut une espèce de répit inespéré.

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             Sans doute était-ce la faute d’un album trop expérimental, toujours est-il qu’à une époque on a décroché brutalement de Sonic Youth, qu’on avait suivi depuis le début. Oui, on les tenait en haute estime, sans doute grâce à Spin, qui faisait alors référence en matière d’alt-rock US. Mais avec un album dont on a oublié le nom, Sonic Youth commit l’irréparable : prendre les gens pour des cons. On apprit dans la foulée que Thurston Moore trompait Kim, laquelle Kim le prit très mal et le groupe splitta. Sonic Cuckold, ça ne sonnait pas très bien.

             Revenons à l’essentiel : on savait pour les avoir vus sur scène, et pour avoir écouté les albums, que l’âme du groupe était en réalité Kim Gordon. On ne trompe pas sa femme quand celle-ci est un parfait rock’n’roll animal comme Kim. Mauvaise pioche, mon pauvre Moore. Au passage, il a perdu tout ce qui lui restait de crédibilité. Bien sûr, nous ne sommes pas là pour porter des jugements, mais casser un groupe pour une histoire de cul, c’est un peu n’importe quoi. C’est encore pire que de casser un groupe pour une piscine. Encore une fois, le rock est un art trop sacré pour être confié à des betteraviers.

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             Puisqu’elle souhaitait éclairer nos lanternes, Kim a publié ses mémoires, un petit book sans prétention titré Girl In A Band. Le ‘sans prétention’ est important, car ce n’est pas le rock book du siècle, loin de là. Kim n’a ni la niaque de Miki Berenyi (Fingers Crossed: How Music Saved Me from Success), ni celle de Viv Albertine (Clothes Clothes Clothes Music Music Music Boys Boys Boys). Plutôt que de chercher à atteindre le sommet d’un Ararat littéraire, Kim tourne autour d’un gros pot-aux-roses : la trahison de Thurston Moore. Elle donne tout le détail de son traumatisme. Moore la trompe en cachette. Il ment comme un arracheur de dents. Elle fouille dans son ordi et dans son smartphone. Elle trouve des messages coquins. C’est d’une banalité atroce. Pas de quoi en faire un plat. Et pourtant, ça la fout en l’air. Au moins, elle a appris un truc essentiel pour une gonzesse : ne jamais faire confiance à un mec.  

             À la lumière de cette lecture qui n’a rien d’insolite, on peut se fendre de deux brillants constats. Un, ce qui arrive à Kim, c’est ce qui arrive généralement à tous les couples qui forment un team créatif. Tu bosses et tu baises avec ton ou ta partenaire, c’est du 24/24 pendant des années et au bout d’un moment, ça coince, car la baise devient mécanique et le job roule trop bien, ce qui n’est pas bon signe. Le team s’endort sur ses lauriers et la flamme s’éteint. Phénomène quasi automatique. On appelle ça la routine. C’est généralement dans cette zone de faux calme que retentit l’appel des sirènes, et de là à changer de crémerie, il n’y a qu’un pas qui se franchit sans état d’âme. Seuls les couples aux nerfs d’acier peuvent survivre à ce genre de mésaventure. Kim n’a pas supporté de voir son mec aller tremper son biscuit ailleurs. Elle n’avait pas la force de caractère ni peut être l’intelligence de Geneva Morganfield qui savait pertinemment que Muddy faisait des gosses à droite et à gauche. Geneva eut la grandeur d’âme de l’encaisser pour ne pas perdre son Muddy. Son exploit fut surtout de réussir à l’accepter tel qu’il était - C’est la clé de tout - Kim a préféré virer Moore. Pas question d’un ménage à trois.

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             Dans les premières pages du book, Kim nous dit que le groupe tourne encore dans le monde entier, mais elle et Moore ne s’adressent plus la parole. Leur mariage aura duré 27 ans. Dernier concert de Sonic Youth à São Paulo, en 2011, le groupe boucle le set avec «Teen Age Riot» que chante Kim - Un mariage est une longue conversation, a dit quelqu’un, et la vie d’un groupe l’est aussi. Quelques minutes plus tard, les deux étaient terminés - Elle décrit le vide qui s’ouvre sous les pieds lorsque tout s’arrête. Ceux qui l’ont vécu savent ce que ça veut dire. La mort, sans vraiment mourir. Vers la fin du book, elle rebouche le vide : «J’éprouvais de la compassion pour Thurston et j’en éprouve encore. Ça me désolait de le voir perdre son mariage, son groupe, sa fille, sa famille et notre vie conjugale - et lui-même. Mais éprouver de la compassion n’est pas la même chose que de pardonner.» Elle est dure en affaires. On le voit très bien sur les photos. C’est le genre à dire : «Me prends pas pour une conne.»

             Constat numéro deux, il apparaît que Sonic Youth doit sa grandeur tutélaire à Kim Gordon. Pour comprendre la réalité de ce constat, il faut peut-être commencer par la fin, c’est-à-dire la période solo de Kim, et foncer droit sur Free Kitten et Body/Head, car Kim s’y révèle extraordinairement bonne. Débarrassée de son mec et des turpitudes de la vie conjugale, elle éclate le Sénégal avec sa copine pas de cheval mais de Pussy Galore, Julie Cafritz. C’est là, à cet endroit précis de l’alignement des planètes que tu comprends tout. Kim Gordon superstar !   

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             Le Nice Ass de Free Kitten est un Wiija de 1994. Et même un sacré Wiija ! C’est un album qui s’enracine dans la cacophonie, qui monte doucement, qui ramone le Raincoat («Proper Band»), qui cherche des noises à la noise, qui bascule dans le weird ahuri et complètement arty («Kissing Well»), qui rentre dans le chou du lard («Call Back»), ah, elles s’y connaissent en Grosse Bertha, un album qui bat tous les records de weirdy weird avec une pop infestée de sax («Revlon Liberation Orchestra»), et qui finit par atteindre au génie trash avec «The Boasta», un shoot de weirdy weird merveilleusement exécuté, tout ici est gratté à la revoyure de la déglingue, en vertu des sacro-saints principes de l’underground new-yorkais, et puis elles culminent avec un «Royal Flush» qui s’inscrit dans la lignée de Pussy Galore. Brillantissime ! 

             Kim rappelle dans son book qu’elle et Julie étaient inspirées par the American alt-rock band Royal Trux, c’est-à-dire Neil Hagerty et Jennifer Herrema - Royal Trux was rock swagger perfected, with minimum effort, et même s’ils étaient completely on drugs the whole time, the effect was both amazing and mysterious.

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             Avec Inherit, Kim et Julie s’installent dans le weirdy weird. Elle grattent leurs poux toutes les deux, et raffolent d’atonalités. Te voilà au parfum. J. Mascis vient faire un petit tour dans «Surf’s Up» et il ramène du jus dans cette soupe du diable. Elles vont continuer d’exploiter le filon du Sonic Weird. Leur «Free Kitten On The Mountain» est comme on dit bien balancé. «Roughshod» renoue avec la légendaire énergie new-yorkaise du Galore et de Sonic Youth, et elles enchaînent avec un «Help Me» complètement détraqué. Elles font leurs punkettes de MJC new-yorkaise et c’est noyé dans l’agit-prop d’avant-garde. Tout ce que tu peux dire, c’est : Wow !  Et comme le montre «The Poet», on voit bien que Kim amène l’énergie dans Sonic Youth. Ça se confirme ici, dans cette dépravation quantique, dans ce bel exemple de sauvagerie urbaine. Kim est rock jusqu’au bout des ongles. Et puis on tombe comme par hasard sur un «Bananas» bien banané. Elles sont marrantes, car elles font gicler un pur jus de New York City sound, elles sortent la grosse disto et font n’importe quoi. Et ça vire encore plus experiment avec un «Monster Eye» noyé d’envergure pétrifiée, ça gratte dans les remugles, ça flattes les bas instincts, ça caracole dans les dérives abdominales.

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             Par contre, le Straight Up de 1992 est un peu plus compliqué à gérer, même si Don Flemming est dans le coup. Kim et Julie optent pour la modernité décousue de no way out. Ça donne des cuts irrités et irritants, elles grattent des poux très sourds dans «Smacx», et derrière, ça gueule dans une sorte de dodécaphonisme. Arnold Schönberg y perdrait son latin. Mis à part les followers, qui pouvait être assez cinglé à l’époque, non seulement pour acheter ça, mais aussi pour l’écouter ? Elles battent tous les records d’impertinence, plus c’est incongru et plus c’est Kitten. Elles dépassent les bornes. Elles attaquent «Oneness» au riff de stoner malingre. On voit bien qu’elles s’entendent comme larrons en foire. L’«Oneness» est monté sur un sacré drive de disto malovelante et ça donne une belle giclée de purée grasse. On sent la patte de Don Flemming. Elles délirent complètement dans «Dick» - His name is/ His name issss ? - et Julie demande : «What’s his name Kim ?», Kim dit que c’est Richard, alors elles délirent sur Little Richard, Richard Lloyd et Keef Richards. You dick !

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             En 2019, Kim enregistre No Home Record, un petit album qu’il faut bien qualifier d’extraordinaire. Elle expérimente dès «Air BnB», elle gratte des poux bien trash et expédie tout ça très vite en enfer. Kim Gordon superstar ! Superbe explosion d’Air BnB ! Elle récidive avec «Murdered Out» qu’elle attaque aux cornes de brume, elle attaque le rock dans la nuit, avec une fabuleuse violence new-yorkaise imprégnée d’hip-hop. Il n’existe pas de son plus urbain. Elle gratte des poux demented, c’est éclatant de tell me out. Et puis voilà le coup de génie, l’imparable «Hungry Baby», elle tape ça au big trash out de so far out. Kim a le power, elle est capable de merveilleuses dégelées, elle fait du wild gaga sixties noyé de trash, Sonic Youth, c’est elle, plus de doute possible, son «Hungry Baby» est un véritable modèle du genre, il y va au yeah yeah, c’est stupéfiant d’excelsior, elle n’en finit plus de grandir, elle a le génie du trash rock absolu 

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             Kim rappelle qu’à l’époque où Julie cherchait un beurreman pour Pussy Galore, elle lui a présenté Bob Bert qui avait fait un bref séjour dans Sonic Youth. Kim se dit d’ailleurs très impressionnée par le Pussy Galore d’alors - Julie and her bandmate Jon Spencer were slightly scary, I remember, all black clothes with tons of ‘tude - Dommage qu’elle n’évoque pas davantage tous ces groupes qui ont fait la grandeur de l’underground new-yorkais. Elle évoque vaguement Lydia Lunch, mais elle s’en méfiait comme de la peste, car elle était toujours, dit-elle, «en train d’essayer de séduire Thurston». Elle se dit fan de Teenage Jesus & The Jerks, mais pas pote avec Lydia, car elle n’a pas confiance en elle. Elle flashe aussi sur Black Flag - One of the best gigs I’d seen before or since - elle se gave de l’hardcore punk d’Henry Rollins - scary, surreal, intimate - L’un de ses meilleurs amis n’est autre que J. Mascis, à qui Kurt avait proposé de rejoindre Nirvana. Elle est aussi fascinée par Iggy - I give Iggy credit for deconstructing the very idea of entertainment. What is a star? Is stardom a kind of suspended adulthood? Est-ce que ça se situe par-delà le bien et le mal ? Est-ce qu’une star est une personne en laquelle on doit croire, ou un démon, un preneur de risques qui va au bord de la falaise sans jamais tomber ?

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             Grâce à Mike Watt, elle rencontre le fameux Raymond Pettibon qui va dessiner la pochette de Goo, et des pochettes pour SST. Elle flashe aussi sur Karen Carpenter et lui consacre une bonne page. Bon d’accord, elle admet que les Carpenters flirtent avec l’easy listening, mais c’est dit-elle le film de Todd Hayes qu’ils faut voir, Superstar. Kim est fascinée par Karen - Karen n’est-elle pas le personnage quintessentiel de notre culture, cherchant à satisfaire les autres de manière compulsive, pour atteindre ce degré ultime de perfection qui restera toujours hors de portée ? Pour elle, c’était plus simple de disparaître, de s’évader de son corps et de trouver la perfection dans la mort - Karen Carpenter a cassé sa pipe en bois à coups d’anémie.

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    ( Artwork : Mike Kelley )

             Kim évoque aussi son ami de longue date Mike Kelley qui dit avoir démarré Destroy All Monsters après avoir vu Kim sur scène au Ann Arbor Festival, lors du deuxième gig de Sonic Youth. Elle porte aussi sur New York un regard critique. Le New York qu’elle voit aujourd’hui est une ville de consommation et de fric - Wall Street drives the whole country, with the fashion industry as the icing -  et plus loin, elle enfonce son clou - New York City today is a city on steroids. Cette ville ressemble à un dessin animé. La ville a perdu son authenticité - Ses pages sur la No-Wave sont les plus belles du book - L’un des plus gros attraits des No Wave bands était le fait que leur musique semblait abandonnée et abstraite. C’était ce que j’avais entendu de plus pur, de plus libre, très différent du punk-rock des seventies et du jazz des sixties, c’était plus expressionniste et ça allait plus loin que tout le reste. En contraste, le punk-rock semblait ironique, avec des slogans du genre : «On va détruire le rock corporate». Les No Wavers y allaient plus franchement : «On détruit vraiment le rock». Cette liberté de ton m’impressionnait. Je me disais : «Je peux faire ça.» -  Kim rappelle que la No Wave brassait large, depuis le cinéma, l’art vidéo, jusqu’au rock underground, mais tout restait inclassable, hors de portée des classifications des médias - Basically it was anti-Wave, which is why strictly speaking No Wave can’t even properly be called a movement at all et ne devrait même pas porter de nom. C’est aussi une réponse directe à la New Wave, plus commerciale, mélodique, danceable punk - Blondie, The Police, Talking Heads - qui était vue par des tas de gens comme a lame sellout, c’est-à-dire une atroce putasserie - Bien vu Kim, car c’est exactement de cela dont il s’agit : a lame sellout : Oh je voudrais m’acheter une maison à la campagne, alors on va enregistrer un peu de diskö ! Pour illustrer son éloge de la No Wave, Kim cite quelques noms : «Glenn Branca of Theatrical Girls qui venait du théâtre, et le théoricien de la guitare Rhys Chatham qui avait étudié avec La Monte Young et Philip Glass.» Elle ajoute qu’on qualifiait Sonic Youth de No Wave, mais c’est selon elle une erreur - We didn’t sound No Wave. We just built something out of it.

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             Justement, Sonic Youth, parlons-en. Kim dit qu’à leurs débuts, Lee, Thurston, Bob Bert qui battait alors leur beurre, et elle se repassaient un book sur le Velvet - Pour un raison X, c’est ce book qui a fédéré le groupe. On était donc branchés sur la même longueur d’onde. On était branchés sur le Velvet, mais on a titré notre album Bad Moon Rising, d’après le cut de Creedence Clearwater Revival, c’était notre mode de fonctionnement : emprunter un truc à la culture pop et lui donner un autre sens. Creedence était un faux-Southern country band de la même façon que nous étions un faux-Velvet Undeground band. Plus, the title was badass - Elle redit plus loin que Sonic Youth a toujours cherché à tromper les attentes des gens. Puis elle rentre dans l’intimité du groupe : elle explique que Lee et Thurtson chantonnaient leurs idées de riffs, «et je chantais les trucs les plus barrés et les plus abstraits.» Elle et Moore s’entendaient bien sur les aspects esthétiques, et se mettaient toujours d’accord sur les pochettes. Kim rappelle aussi qu’ils sont arrivés avec Evol sur SST, qui était alors le label phare de la scène underground américaine. Black Flag, les Meat Puppets, Hüsker Dü et les Minutemen étaient sur SST.

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             Lors de sa première tournée anglaise avec Sonic Youth, les journalistes harcelaient Kim avec la même question : «What’s it like to be a girl in a band?». Kim va recycler cette question stupide et en faire le titre de son book. Elle n’a d’ailleurs pas une très bonne opinion des journalistes anglais (cowardly and nonconfrontational). Chaque fois que Sonic Youth enregistre un nouvel album, le groupe choisit un nouvel endroit pour répéter. Kim dit que le meilleur était un local appartenant à Michael Gira on Sixth Dtreet and Avenue B. C’est là qu’ils enregistrent en 1988 Daydream Nation, ce double album, qui à la grande surprise du groupe, remporte un succès d’estime. En 1990, le groupe a déjà dix ans d’âge. C’est là qu’ils cherchent un gros label, et ce sera Geffen. Avec l’avance qu’ils reçoivent, Thurston et Kim se payent un appart sur Lafayette Street. Puis ils choisissent le crobard de Pettibon pour la pochette de Goo, ce qui ne plait pas à l’A&R de Geffen qui aurait préféré une glamourous picture of the band

             Elle évoque aussi le public de Sonic Youth : «Même quand vous êtes dans le rond du projecteur, vous ne comprenez pas vraiment de quelle façon vous inter-agissez avec les gens. D’une certaine façon, Thurston et moi semblions inter-agir avec des late baby boomer urbains, qui voulaient que leurs enfants soient des rock’n’roll babies, et qui ne voulaient pas vieillir de la même façon que leurs parents. Avec leurs enfants, ils avaient la musique en commun. Même s’ils avaient 40 ou 50 ans, ils avaient encore la flamme en eux, le rictus et le doigt. Avec le temps, il m’a semblé que Thurston et moi incarnions cette tendance.» Elle décrit avec une précision remarquable la faune du rock indé, et c’est vrai que Sonic Youth en fut en quelque sorte l’emblème.

             Dans un nouvel élan de franchise, Kim rappelle qu’au démarrage de Sonic Youth, «I really made an effort to punk myself out, pour perdre tout lien avec mes origines middle-class West LA.» Elle revient plus loin sur son look, comme si elle avait besoin de se justifier - I was going for a punky look, sans jamais croire que j’en étais digne. Plus tard, j’ai évolué vers un look garçon manqué with a sexy François Hardy cool.

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             Kim flashe surtout sur Kurt. C’est la grande rencontre de sa vie. Elle est aux premières loges quand Nirvana sort de l’anonymat - Nirvana seemed part-hardcore, part-Stooges but with a cheesy chorus-pedal effect that was more New Wave than punk - Là elle se vautre, Kurt n’a rien à voir avec la New Wave - Kurt Cobain was both incredibly charismatic and extremely conflicted. Il jouait une belle mélodie et soudain, il bousillait tout le matos. Personnellement, j’aime bien voir les choses s’écrouler. That’s real entertainment, deconstructed - Un soir, Kurt coince Kim dans le backstage pour lui parler : «Je ne sais pas quoi faire. Courtney pense que Frances m’aime plus qu’elle.» Pour Kim c’est un grand moment de vérité : Kurt qui a besoin d’aide s’adresse à elle ! - J’y repense et je n’ose même pas imaginer ce que fut leur vie dans le chaos des drogues, et j’ai du mal à croire qu’ils ont pu rester deux ans ensemble - Quand on lui apprend que Kurt vient de se tirer une balle dans la tête, Kim se dit choquée, «mais pas surprise». Elle ajoute qu’il s’était produit un incident pas très clair à Rome, une petite overdose. En se maquant avec Courtney, il avait dit-elle «pris une voie plus sombre, et ce n’était plus qu’une question de temps avant la complète auto-destruction.» Pour Kim, Kurt reste un mec gentil, très vulnérable - L’élément principal de son auto-destruction fut de choisir Courtney, dans le but de faire le vide autour de lui, et ça a détruit la petite communauté à laquelle il appartenait - Bon tout ça c’est bien gentil, mais Kim veut que les choses soient claires : «Je n’ai jamais voulu exploiter l’amitié qui me liait à Kurt, et même dans sa mort, je voulais le protéger, c’est pourquoi je culpabilise à écrire ces quelques lignes. Mais comme je l’ai déjà dit, je pense souvent à Kurt. Avec les gens qui cassent leur pipe violemment et trop jeunes, il n’y a jamais de fin. Kurt still move along inside of me, and outside too, with his music.». Merveilleux paragraphe, merveilleux hommage et merveilleux témoignage d’amitié.

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             Mais c’est lorsqu’elle parle d’elle que Kim devient passionnante - Après avoir joué pendant trente ans dans un groupe, c’est assez stupide de dire : «Je ne suis pas musicienne.» Pourtant, je ne me suis jamais considérée comme une musicienne et je n’ai jamais pris de cours. Je me considère comme une rock-star de bas étage (a lowercase rock star). Oui, je crois que j’ai une bonne oreille et j’adore le frisson qu’on éprouve à être sur scène. Et même en tant qu’artiste conceptuelle, il y a toujours eu un côté performance dans ce que je faisais.» Voilà comment Kim se situe, avec toute la modestie dont elle est capable. Du coup, on la réécoute beaucoup plus attentivement.

             Elle revient sur elle-même pour cette fantastique confession : «Dans ma vie, je n’ai jamais choisi de faire ce qui était facile ou prévisible. Je n’avais aucune idée de l’image que je donnais de moi sur scène et dans le privé, je souhaitais simplement rester anonyme. Être consciente de soi, c’est la mort de la créativité. Je me sentais bien quand j’avais enregistré un truc qui m’avait plu, ou quand j’étais sur scène et que le son était tellement puissant que le temps s’arrêtait, et je sentais le public respirer dans le noir comme un seul être.» 

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             Elle approche dangereusement de la fin du book et se fend d’un brillant constat de plus : «L’autre jour, je réfléchissais à la façon dont la musique avait évolué. Les années soixante étaient tellement merveilleuses. Plus qu’aucune autre décennie, elles incarnaient le temps où l’individu pouvait trouver une identité dans le mouvement musical. Ce n’est pas la même chose que l’identité sexuelle qui relève plus des années cinquante, il s’agit plus d’un éveil collectif, qu’illustrent parfaitement les filles hystériques pleurant ensemble dans les concerts, quelque chose de contagieux et de spontané. Puis à la fin des sixties, la tendance hippie a commencé à se mélanger avec le goût de l’argent et c’est là que le rêve s’est évanoui.»

    Signé : Cazengler, Kim Gourdin

    Kim Gordon. Girl In A Band. Faber & Faber 2016

    Kim Gordon. No Home Record. Matador 2019  

    Free Kitten. Straight Up. Pearl Necklace 1992

    Free Kitten. Nice Ass. Wiija Records 1994  

    Free Kitten. Inherit. Ecstatic Peace 2008

     

     

    Holly ne met pas le hola

     - Part One

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             Mine de rien, on assiste au grand retour d’une légende vivante. En mai 2004, elle débarquait au Café de la Danse avec une fière équipe : un London greaser à la stand-up, et un grand zouave tout décharné qui portait, bien vissée sur son crâne de piaf, une casquette de marin-pêcheur : Bruce Brand ! Il devait bien friser la soixantaine, avec un visage taillé à la serpe. Il brancha rapidement une demi-caisse Guild sur un petit ampli Fender à lampes, sortit d’une valisette bordélique une pédale fuzz en forme de méduse et la raccorda sur la Guild avec un câble de fer à repasser gainé de tissu blanc et noir. Holly est arrivée à la suite, auréolée de la légende des Headcoatees - notamment leur version de «Come See Me» rebaptisée «I’m Your Man» - Holly n’était plus la brune incendiaire qui avait envoûté Wild Billy Childish. Après pas mal de problèmes techniques, Holly mit finalement le groupe en route. Ils jouaient avec un son minimaliste terriblement sixties. Elle emmenait son public dans une sorte d’hillbilly londonien, très belle ambiance, faite de chaude intimité et de joyeuse simplicité. Le greaser se cabrait sur sa contrebasse et couvait Holly du regard. Elle alternait les balladifs country et les rengaines douce-amères. Puis elle mit le feu aux poudres en démarrant un rock sixties caoutchouté au slap, et vrillé bien sûr par un vaillant solo de fuzz. Bruce Brand écrasait sa méduse avec un air gourmand. Son corps bougeait avec élégance, il était d’une certaine façon le Monsieur Hulot du rock anglais, et pour finir les cuts, Holly dansait d’un pied sur l’autre. Avec sa musique sans prétention et ses musiciens de bric et de broc, Holly ramenait une incroyable fraîcheur.

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             En vingt ans, rien n’a changé : Holly installe sur scène la même ambiance : Bruce Brand est toujours là, sous sa casquette de marin-pêcheur, mais il bat le beurre. Et quel beurre ! On le considère comme l’un des meilleurs batteurs anglais.

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    Un jeune coq nommé Bradley a pris sa place à la gratte et d’une certaine façon, il va contribuer à l’excellence des ambiances, avec un jeu très funky, cette parcimonie du jeu black qu’on retrouve chez des géants comme Mabon Teenie Hodges ou encore Freddie Stone.

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    Et de l’autre côté, le greaser est toujours là sur la stand-up, avec un petit coup de vieux. Holly a aussi pris un petit coup de vieux, bien sûr, mais son charme reste intact. Elle est toujours aussi ravie d’être sur scène. C’est vrai qu’il règne dans le petit théâtre une bonne ambiance. Elle attaque avec le vieux «Crow Jane Blues» de Sonny Terry et Brownie McGhee, et elle va enfiler d’autres vieux classiques comme le «Mule Skinner Blues» de Jimmie Rodgers, et le «Sally Go Round The Roses» des Jaynetts qui tapa si bien dans l’œil de Leiber & Stoller et de Tim Buckley. Elle cultive toujours sa nonchalance et ses grooves cha-cha, elle balance au gré des vagues, elle enfile ses perles avec une aisance assez magistrale, avec une fluidité de ton qui n’en finit plus d’alimenter sa légende, oh bien sûr, pas de hits, pas de coups de génie, simplement de la good time music, celle qu’elle propose depuis trente ans, depuis le temps des Headcoatees.

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    Ah comme le temps passe. Elle ne cherche plus trop à rocker le boat, elle se contente de nous bercer de langueurs monotones et visiblement, les gens aiment ça. On ne gardera pas le souvenir de cuts en particulier, seulement le souvenir d’une heure de set extrêmement agréable, une sorte de petite leçon de groove à l’anglaise. Pour finir en beauté, elle fait revenir sur scène Big Russ Wilkins pour une version catchy du «Mellow Down Easy» de Little Walter.

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             Holly Golightly fait partie des artistes qu’on suit au fil des décennies, album après album, comme on suit Al Green ou Johnnie Taylor, car on sait par expérience que ce sont toujours de bons albums, même au bout de trente ans. Rien n’est plus fascinant que de voir un artiste évoluer dans le temps. Il est essentiel de savoir que les grands artistes mettent un point d’honneur à ne pas se répéter, simplement par respect du public. Et c’est toute la difficulté : continuer à exister artistiquement aussi longtemps devient une gageure, et il faut voir avec quel brio les grands artistes relèvent ce défi. Holly ? Allez, environ 25 albums, mais aucun qui ne soit inintéressant.

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             Son dernier album solo en date s’appelle Do The Get Along. On y retrouve l’équipe scénique : Bradley Burgess, Bruce Brand et le greaser Matt Radford. Il faut l’entendre slapper le bout de gras dans «Hypnotized» et elle y va au one kiss from/ Your lips/ I’ll be satisfied. C’est slappé à ras des pâquerettes de London town. Do The Get Along est d’abord un album de groove, «Pretty Clean» est un classic Holly jive, ça Golighte in the tight, et Bradley s’en donne à cœur joie, fantastique shake d’hipper all the time. Pus jus de r’n’b avec «The Get Along». Elle y va à la douce et derrière, le Brad joue à la parcimonie. Belle ouverture de bal avec «Obstacles», ça groove mais avec des pointes de Méricourt, et le Brad passe un solo de vif argent. On retrouve cette grande jiveuse qu’est Holly dans «I Don’t Know», un soft groove de sucre pur, elle tape dans la white black de légende, avec une prestance qui n’en finit plus de se conforter dans l’éclat des lips. Le slap contribue à la grandeur du sucre. C’est un round midnite d’excelsior. Sur «I’m Your Loss», Bruce met le conga beat au carré, ça joue énormément et le Brad passe un solo dépenaillé. Ça groove encore très sec sur «Quicksand», Holly chante au sucre pur et Bruce te percute ça au jazz beat.

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             Le dernier album en date d’Holly Golightly & The Brokeoffs s’appelle Clippety Clop. À part les vieux fans, qui va aller rapatrier ça aujourd’hui ? Holly fut à la mode, comme on dit. L’est-elle encore ? Le Clippety Clop porte bien son nom, car c’est un album consacré aux chevaux. Douze cuts sur le thème du cheval, à commencer par «Mule Skinner», un vieux groove primitif qu’elle tape au beat tribal d’heartbeat, avec des intrications de banjo. Pur jus de modern Americana au petit sucre. Elle y reste avec «Two White Horses», elle fait même de la brocante d’Americana, Just in time. In the face ! Il règne sur cet album une belle ambiance d’enveloppe collégiale, elle rassemble autour d’elle comme le ferait un messie. Mais si. Elle passe à la rengaine de ragtime pour «Pinto Pony», elle a du son, du poids dans la légende, elle sait taper un shoot et caresser l’Americana dans le sens du poil. Elle fait du classic blues primitif au sucre avec «Black Horse Blues», elle est marrante, très juvénile. Elle passe au sucre de trad avec «Kill Grey Mule», un classic boogie blues. Chaque album d’Holly sonne comme un événement. Elle racle les fonds de tiroir de l’Americana et c’est très intéressant. Elle revient au primitif avec l’excellent «Stewball», ça duette dans la kitchen, elle a ce talent fou de savoir créer du primitif au débotté.

    Signé : Cazengler, Holy shit !

    Holly Golightly. Théâtre Municipal Berthelot. Montreuil (93). Le 17 novembre 2023

    Holly Golightly. Do The Get Along. Damaged Goods 2018

    Holly Golightly & The Brokeoffs. Clippety Clop. Transdreamers Records 2018

     

     

    L’avenir du rock

    - Shaking with the Shakes

             L’avenir du rock erre toujours dans le désert. Au début, c’était une manie, c’est devenu au fil des mois un art de vivre. Dommage qu’il ne soit pas filmé pour la télévision, car il pourrait servir d’exemple. Il passe ses journées à trotter d’un point à un autre. Il se dit «allons par là», alors il va par là. Il s’est forgé une détermination à toute épreuve. Un esprit défaitiste dirait en le voyant errer qu’il n’a pas le choix. Ça ferait bien marrer l’avenir du rock que d’entendre ça. D’ailleurs il en est arrivé au point où il rit d’un rien. S’il trouve un coquillage dans le désert, il explose de rire. S’il croise Lawrence d’Arabie, il doit se mordre les lèvres, même craquelées de sécheresse, pour garder son sérieux et sauver les apparences. Il ne se passe pas un jour sans qu’il ne fasse de rencontre inopportune. Il a vu passer Rimbaud transporté par quatre coureurs de fond éthiopiens, mais comme le poète se disait pressé, il ne s’est pas arrêté pour contrepéter. Il a aussi croisé Jeremiah Johnson qui cherchait la route du Colorado. Toujours les mêmes embrouilles, avec ce mec-là. Agacé, l’avenir du rock a fini par perdre patience :

             — Tu me fatigues avec tes jérémiades, Jeremiah. T’as qu’à te payer un GPS !

             Le lendemain, sur qui qu’il tombe ? Dersou Ouzala !

             — Chuis paumé, avenil du lock. Ché pal où la Taïga ?

             — Tu vas Ouzala-bas et tu tournes à droite après la dune. Dersouboujou pi des gommes !

             Les seuls gens sérieux dans le désert, ce sont encore les conducteurs de caravanes. Rien n’a changé depuis des millénaires, depuis le temps des Mille et Une Nuits. L’avenir du rock adore voir onduler les caravanes sous la lune. Il s’approche pour les saluer, le buste bombé comme le serait celui d’un Chevalier du Temple, et lance d’une voix qu’il veut noble, claire et chargée de tout le prestige de l’Occident chrétien :

             — Akbar Allahbama !

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             C’est pour l’avenir du rock une façon déguisée de rendre hommage aux Alabama Shakes et à leur grosse chanteuse géniale, Brittany Howard. On cherche aussitôt la connection avec la scène légendaire d’Alabama, mais le seul nom qui apparaît est celui de Patterson Hood, un Patterson qui alerte très tôt ses managers. C’est la raison pour laquelle les Alabama Shakes atterrissent sur ATO Records, le label des Drive-By Truckers et de St Paul & The Broken Bones. Sinon, pas de liaison particulière avec Muscle Shoals ni les autres cracks locaux. 

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             Patterson Hood a eu raison d’alerter ses managers. Alerte à bord dès l’«Hold On» qui ouvre le bal de Boys & Girls. Quel shoot de wild groove ! C’est gorgé de son et Brittany couine dans le feu de l’action. Elle chante à l’insistance patentée. Elle enchaîne les coups de génie comme des perles, elle te shoute toute la Soul du monde dans «I Found You», ça devient vite insupportable de grandeur tutélaire, elle te sert sur un plateau d’argent un balladif immense explosé par des chœurs d’artichauts. Avec «Hang Loose», elle procède au relookage d’Ike & Tina Turner, c’est plus poppy mais chanté à outrance. La grosse Brittany est la reine des outrances de Saba. Boom encore avec «Rise To The Sun». Elle s’y fond avec délice, elle est superbe, groovy, pulpeuse, fantastique, c’est explosé en tête-à-queue. Ça spurge à l’extrême, elle arrose le plafond, elle s’assoit sur le son pour le compresser. Elle profite d’«Heartbreaker» pour aller s’écrouler dans les braises d’une heavy waltz, elle gueule à bon entendeur salut, et boom, ça repart de plus belle avec «Be Mine», une heavy Soul de grattes électriques, avec une Brittany on the run, encore un cut superbe, fin et puissant à la fois, une rare combinaison de chant et de gratté de poux vite montée en neige. Elle explose ses fins de cut sans foi ni loi. 

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             Petit conseil d’ami : rapatrie la red «10 Year Anniversary Edition», car ATO a rajouté un live des Shakes et toutes les bombes de l’album sont rallumées sur scène. Re-boom badaboom d’«Hang Loose» - C’mon Los Angeles - Heavy process, c’est plein comme un œuf. Re-boom d’«I Found You» qu’elle tape au big atmospherix. Elle a les mêmes poumons d’acier que Carla Bozulich, la diablesse de Geraldine Fibbers. Remember «Dragon Lady» ? Re-boom de «Be Mine». La grosse Brittany est l’une des facettes les plus dodues de l’avenir du rock. Elle sonne comme un juke-box à roulettes. Elle aligne une succession phénoménale de hits. Tu peux y aller les yeux fermés. Elle impose sa classe épouvantable avec «Going To The Party». Elle swingue sa Soul à la pire Méricourt qui soit ici-bas. Ça monte brutalement en température avec «Hold On». Elle le prend d’en haut, histoire de lui tomber dessus à bras raccourcis. Elle est complètement folle, encore plus folle que la Carla. Tu as là la plus extrême Soul pop d’Alabama. L’«Always Alright» qui suit est noyé d’orgue princier, celui de Dylan 1965. Re-boom de «Rise To The Sun», elle fait cramer sa fin de cut au ah-oh-ah-oh - Los Angeles, we have a last song for you - Boom ! «Heavy Chevy» ! Brittany est une superstar. 

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             Le deuxième album des Shakes est un tout petit peu moins dense que le premier, on entend même des machines, mais ce n’est pas une raison pour aller cracher dans la soupe. Il faut attendre «Dunes» pour voir Sound & Color prendre des couleurs. Brittany plonge dans le son à coups de losing it. Direction Big Atmospherix encore avec «Future People» et «Gimme All Your Love». Pas facile, car on entend des machines, elle tisse sa toile à la surface de l’electro. Elle a perdu ses poux. Elle rentre dans le chou de «Gimme All Your Love» avec un sacré punch, elle s’en va s’éclater la rate sur l’Ararat qui s’dilate, elle a ce genre de power. Elle est aussi capable de finesse comme le montre «This Feeling», et pourtant, quand on la voit en photo, on n’imaginerait pas autant de finesse en elle. Elle est capable de finasser autant que Linda Lewis. Elle revient au vat-en-guerre  avec «The Greatest» - and the five six seven eight - elle explose de trash punk, c’est du shaking d’alabamed du ciboulot, fabuleuse élévation du domaine de la turlutte. Elle reste merveilleuse de wild rockalama avec «Shoegaze», plus de machines, ça redevient clair comme de l’eau de roche. Puis elle plonge comme un gros aigle sur «Miss You». Brittany a du génie, il faut bien le reconnaître, elle y va à bras raccourcis, elle fait du froti de confrontation, elle est explosive, fais gaffe à toi, fais gaffe où tu mets les doigts. Pour finir, elle plonge dans son lagon avec «Over My Head». La grosse est une pro du plongeon. Elle plouffe dans son lagon d’argent et c’est magnifique. Tout est extraverti sur cet album, c’est chanté/chauffé à blanc et noyé de machines, mais ça abat des tas de barrières.

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             En 2019, Brittany Howard enregistre un premier album solo, Jaime. Elle l’attaque en mode heavy funk. «History Repeats» t’explose à la gueule. Comme tu as l’habitude des bas-fonds, tu n’es plus à deux dents près - Push me push me - Mais elle noie son power dans un hip-hop saturé. Dommage. S’ensuit un «He Loves Me» télescopé par du hard raw. En fait, c’est un album d’hip hop et d’electro, très éloigné de l’univers des Alabama Shakes. Elle retrouve ses marques avec «Stay High», mais dans un climat sonore trop saturé. Dommage. Elle chante son «Short & Sweet» au Love Supreme de charme chaud, mais au final, ce n’est pas l’album qu’on espérait.

    Signé : Cazengler, Alababa-cool

    Alabama Shakes. Boys & Girls. ATO Records 2012

    Alabama Shakes. Sound & Color. ATO Records 2015

    Brittany Howard. Jaime. ATO Records 2019

     

     

    Inside the goldmine

    - Watkins the dog

     

             Difficile de se garer du côté de la place des Ternes. Baby Bav attend paisiblement devant l’entrée du restaurant. On ne se voit que pour manger ensemble. Bonne nature, au propre comme au figuré, elle adore manger au restaurant, surtout celui-ci, qui est décoré de grappes de casseroles en cuivre. Elle s’installe sur la banquette. Elle doit peser cent kilos et mesurer un bon mètre quatre-vingt. Elle a un physique de rugbyman. Elle porte les cheveux coupés courts et teintés par mèches, des lunettes aux montures fines. Et puis bien sûr, une énorme poitrine, celle d’une idole de l’Antiquité, la déesse de la fécondité. Le garçon ramène sa fraise : «Madame désire une entrée ?». «Certainement !». Sa bonne nature lui permet de ne reculer devant aucun excès. Ce qu’elle confirme en insinuant qu’il n’est pas de domaine où sa prodigalité n’enfreigne les lois de la mesure. «Un foie gras de canard poêlé aux coings et vin de noix». «Et monsieur ?». «Des ravioles !». Ensuite ? «Madame prendra les médaillons de veau français farcis de morilles sur une tombée de pousses d’épinards, mousse légère de châtaigne et jus de veau.» « Et monsieur ?». «Le pavé de loup ! Wooooouuhhh !». «Merci monsieur. Désirez-vous boire quelque chose ?». «Mettez-nous un Bourgogne !». «Le Chassagne Montrachet Ab.de Morgeot 1er cru Fleurot Larose est très bien. Je vous le recommande vivement». Ouf ! nous voilà enfin débarrassés de l’obséquieux larbin. Baby Bav installe son regard un peu torve dans le mien. Une sorte de familiarité s’installe. Elle ne dit pas non à la solide rasade de vin de Bourgogne. Dommage qu’elle ne porte pas sa blouse d’infirmière. Impossible de quitter des yeux les lèvres de Baby Bav dont l’éclat brillant est en mouvement perpétuel. Elle lit parfaitement dans mes pensées. Quel bonheur que de la voir se repaître de ses médaillons de veau, de la voir saucer son assiette et aspirer bruyamment le pain goutteux. Avec un aplomb sans pareil, elle accepte la promesse câline d’un dessert. Ce sera un moelleux chocolat accompagné de glace vanille bourbon gratiné. Ah il faut la voir fondre comme un aigle sur l’immense assiette que lui dépose l’obséquieux ! Elle pousse la vénalité jusqu’à se faire une petite moustache de gourmandise. Elle raffole de la crème. Avec tout ce qu’elle a avalé, choisir une occupation pour passer le reste de l’après-midi risque d’être compliqué. «Nous devons hélas redescendre au parking.» «Emmène-moi où tu voudras», répond-elle. Dans la voiture, elle adopte à nouveau cette position primitive, avec les jambes très écartées. C’est un véritable appel aux mains baladeuses. Nous filons vers la Porte Maillot à la recherche d’un lieu de promenade. «Connais-tu les jardins de Bagatelle ?». Elle les connaît par cœur, elle commente les parterres fleuris. Elle approche tout avec une sensualité sidérante. On est en plein Fragonard. Elle finit par dénicher un chemin qui se perd dans un petit labyrinthe. Le chemin monte doucement vers une sorte de kiosque minuscule. Elle propose de s’asseoir pour admirer tranquillement le panorama. L’endroit est désert. Le silence s’installe. Quelqu’un dirait «un ange passe !», et Cocteau ajouterait «qui l’encule ?». Les minutes s’écoulent. Rien ne vient troubler cette paix étrange. Elle marmonne quelques vérités en fouillant l’horizon du regard. «Il ne faut jamais résister à ses envies», fait-elle d’un ton grave.

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             Pour une fois, on ne trouvera aucun point commun entre Baby Bav et Bev, c’est-à-dire Beverly Guitar Watkins, une black géniale qu’on découvrit jadis grâce à Mike Vernon et son label Blue Horizon. Bizarrement, Beverly Guitar Watkins est restée complètement inconnue. Tim Duffy dit d’elle qu’elle a joué avec Piano Red, qu’elle a monté en groupe avec lui en 1958, The Meter Tones, qui est devenu par la suite Dr Feelgood & The Interns. Quand le groupe splitte en 1966, elle accompagne l’ex Ink Spot Eddie Tigner - She plays low-dow, hard stompin’, railroad-smokin’ blues - Duffy dit aussi qu’elle joue comme un homme. Une photo nous la montre sur scène : elle ressemble à s’y méprendre à l’early Jimi Hendrix, wild as fuck. Quand on lui demande si elle a le trac, Beverly répond : «Scared of what? I’m not scared at all. When I hit the stage, I’m action. It’s just a natural thing.» Elle ajoute que pour jouer le blues, il faut le vivre, ce qu’elle a fait toute sa vie, qu’elle soit montée sur scène, ou qu’elle ait joué dans le métro d’Atlanta. Pour vivre, elle bosse dans les car wash - I believe I worked at every car wash in Atlanta - Quand on lui demande si elle va se calmer, Bev se marre : «Mon baby a grandi et a maintenant des enfants. Je préfère être sur la route. On the road again. Jumpin’ with my goodtime friends. This is what it’s all about. Rock on. Keep on. Look good, play good, get paid good.»

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             Sur la pochette de Back In Business, Beverly Guitar Watkins joue dans le désert, au milieu des cactus. Tu ouvres le BOOKLET et tu tombes sur une photo de Bev avec la guitare derrière la tête, image purement hendrixienne. L’album est produit par Mike Vernon et ça démarre avec le fabuleux «Miz Dr Feelgood» - They call me Miz Dr Feelgood hey hey hey - Elle tape bien son hey hey hey, on sent immédiatement la prestance d’une légende vivante, ça ne trompe pas, c’est du pur génius de Miz Guitar Legend, elle drive son boogie au hey hey hey de guttural extrême, et en prime, elle part en vrille, et ça te donne au final le boogie de tes rêves. L’autre coup de génie s’appelle «Impeach Me Baby», elle s’implique à fond dans l’Impeach et ramène son fabuleux guttural. Elle gratte sa gratte sur «Red Mama Blues», c’est elle la boss, elle allume, elle a fait ça toute sa vie, elle joue à bonne arrache, elle gratte des notes terribles. On s’effare encore de la classe d’un blues comme «Two Many Times» qu’elle joue à la clairette sensible. Elle est tout simplement parfaite. On est heureux de pouvoir l’écouter jouer «Tell Me Daddy» - C’mon daddy/ We could have some fun - Son boogie est du pain béni. Elle a du métier, ça s’entend. Elle termine avec le morceau titre, elle descend encore une fois à la cave, elle ramène l’arrache du boogie de Business et quand elle part en vrille de solo, tu tombes amoureux d’elle. Elle est si pure et dure.

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             On voit bien qu’elle ne rigole pas, sur la pochette de Don’t Mess With Miss Watkins. On y retrouve quasiment tous les hits de son premier album, à commencer par l’excellentissime «Miz Dr Feelgood», tu retrouves le power de la légende : raw du chant + solo de rêve, let’s rock ! Elle enchaîne avec «Impeach Me Baby» qu’elle prend aussi au raw, elle pose ses conditions, c’est une superstar. On croise aussi son vieux «Back In Business», elle est bien enragée, I’m on the road again. «Too Many Times» et «Red Mama Blues» sont aussi tirés du premier album, elle groove dans le son avec des licks in tow, oh yes I will, et elle part en clairette de yes I will avec une incroyable fluidité. Elle joue tout ce qu’elle peut. Mais il y a aussi des nouveaux cuts comme cette excellente cover de «The Right String But The Wrong Yoyo», dont la version la plus connue est celle de Carl Perkins, mais c’est aussi un cut de Piano Red. Bev en fait une petite merveille de jump. Elle prend encore le heavy groove de «Get Out On The Floor» à l’arrache. Elle est vraiment la reine de l’arrache. Là tu as tout : la légende inconnue, la voix et la guitare. Elle rentre dans le lard de son «Late Bus Blues» à la heavyness de don’t care about nobody, elle devient magique, oh yeah, elle drive son Late Bus à la coule, elle réinvente le slow groove de blues. Elle tape son «Sugar Baby Swing» au slap. Fantastique allure. Ça ne pardonne pas. Elle vise le swing suprême, ça vire jazz et là tu obtiens le maximum des possibilités. Puis elle amène «Baghdad Blues» à la traînasse de Baghdad. Elle rentre si bien dans le lard du heavy groove et en prime, elle te passe un solo de punk. Elle finit cet album miraculeux avec un big shoot de gospel, «Jesus Walked The Water» - he’s alright with me !

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             Ça vaut vraiment le coup d’aller voir ce qui se passe sous les jupes de Dr. Feelgood & The Interns. Il existe une petite compile Edsel parue en 1983 : What’s Up Doc? On s’y régale au moins de deux cuts : le jumpy jumpah de «Blang Dong», solide et brillant, et le «Don’t Let Me Catch You Wrong» au bout du balda, joliment gratté dans les virages. C’est pour l’époque d’une incroyable modernité. Le morceau titre est un solide rumble et on savoure la fantastique énergie de «Let’s Have A Good Time Tonight». Le Dr Feelgood William Lee Perryman est un seigneur des annales.

    Signé : Cazengler, Berverly de la société

    Beverly Guitar Watkins. Back In Business. Music Maker Relief Foundation 1999

    Beverly Guitar Watkins. Don’t Mess With Miss Watkins. DixieFrog 2007

    Dr. Feelgood & The Interns. What’s Up Doc ? Edsel 1983

     

    *

    Amis rockers ne phantasmez pas, rien qu’au titre vous salivez, désolé de vous décevoir, vous ne connaîtrez pas les délices de Capoue en pénétrant dans cette sixième chambre. Interdite, ai-je besoin de le préciser. Cette pièce célèbre, bien connue des initiés, est une bibliothèque. Spéciale. Vous la trouverez facilement. Par contre la porte est fermée à clef. Elle gîte tout au fond de l’Enfer. Elle ne contient que des livres. Secrets. Leur lecture interdite vous rendra fous. Le problème c’est que si vous n’allez pas à la sixième pièce, la sixième vient à vous. Elle est là, tout près. Deux lignes après celle-ci…

    BEYOND THE NIGHT VEIL

    THE SIXTH CHAMBER

    ( / 15- 11 – 2023)

    Rahne Pistor : Vocals, Pistor / Bobby Parker : bass / Erik Peterson : drums / Allan St Jon : keyboards

             Travaillent titre par titre. Puis ils les assemblent en un opus récapitulatif quand ils ont le nombre désiré. Ainsi Mythos et Crippled Souls réunissent chacun douze morceaux. Le groupe existe depuis 2001. Sont de Los Angeles.

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    Penny dreadful : vous croyiez quoi, être admis à compulser des vieux grimoires centenaires détenteurs de terribles secrets, non la sixième chambre risque de vous décevoir, les étagères sont remplies de pulps ces magazines à un penny que les gamins d’Amérique s’arrachaient, s’échangeaient et lisaient en cachette la nuit dans leur lit avec une lampe de poche, les Cramps les adoraient, mais The Sixth Chamber ils ne lisaient qu’exclusivement des trucs d’horreur à base d’ésotérisme frelaté. Avouons que l’illustration de la couverture est réussie. Tellement toc qu’elle semble vraie. Pour la zique, sortent le grand jeu, des hurlements de loups des Carpathes sortis tout droit du chenil de Dracula, un riff grandiloquent qui vous tombe dessus comme une lame de guillotine qui ne parvient à vous trancher la tête qu’à la neuvième tentative, et des chœurs qu’au petit déjeuner rien que d’y penser en beurrant vos biscottes vous avez les chocottes. Soyez courageux, répétez tout haut le cri de ralliement des chevaliers teutoniques dans les bacs à sable : Même pas peur ! Vous n’aurez pas davantage la frousse mais la version enregistrée live at The Universal Bar at North Hollywood le 29 / 11 / 2022, malgré les capes noires dont ils sont affublés et les samplers, est davantage crédible. Red-death masquerade : ce coup-ci vous irez tout droit à l’official vidéo : quoi de plus horrible que le baiser au lépreux ? Le baiser au vampire ! Gore, very gore. Du beau monde, Dani Divine, star ombreuse, outrage burlesque, Rahne Pistor vous raconte tout cela en dansant dans un cimetière, pas n’importe lequel, celui du Quartier français de la Nouvelle Orléans, bien connu des adorateurs du vaudou et des lecteurs d’Anne Rice…

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    Entre parenthèses les paroles de la chanson évoquent davantage Ane Rice qu’Edgar Poe. Soyons impartial le morceau n’a pas besoin des images, se suffit amplement à lui-même. Rien de novateur, mais l’on sent qu’ils ont du métier et qu’ils connaissent toutes les ficelles les plus grosses comme celles aussi fines que des cheveux d’anges. Déchus, pour sûr. Ceux que vous préférez. Wallpurgis night : l’on pense à Faust et à Goethe, erreur l’héroïne sort tout droit du Dracula de Bram Stoker. De beaux lyrics, pas tout à fait des ciselures symbolistes, mais terriblement efficaces. L’on voit la scène et l’on pénètre dans l’âme du vampire. Musicalement c’est idem. L’orgue nous emporte en un galop fou le long de la piste sanglante. L’Official Lyric Vidéo n’a pas bénéficié des mêmes moyens financiers que la précédente, l’on se prend à guetter les rares et belles images qui viennent de temps en temps se substituer au fond rouge sang sur lequel s’inscrivent les paroles. Necropolis : kitch ferait mieux ? le Led Zeppelin du pauvre, le violon en arabesque et en grotesque. Superbe vocal, lyrics à double sens le véritable maître de l’Egypte n’est-il pas le gardien de la nécropole dans lequel sont enterrés les dieux morts. La New Music Vidéo, est aussi kitsch, mais n’oubliez pas que Flaubert lui-même use dans ses romans de l’esthétique kitch, vous avez tout ce qu’il vous faut, de belles images sur les pyramides, couchers de soleil éblouissant garantis, chevaux arabes, beau profil d’aventurier, hiéroglyphes mystérieux, sourire du sphinx. La panoplie photographique du parfait touriste. Sarcophagus : plouf, l’on tombe dans les catacombes, attention une mise garde, ne vous perdez pas dans les galeries, une prière débitée à toute allure, guitares glissantes, certainement il est déjà trop tard.

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    L’Official Lyrics Vidéo est à regarder. Toute simple, ton ocre, le visage peint en blanc, quel acteur ce Rahne Pistor, se contente de se balancer sur place, vous regarde dans les yeux, et c’est tout. Un petit frisson insidieux, reprenez-vous, songez que ce n’est qu’une vidéo. Mais qui se cache dans ces couloirs mortuaires… Hades : vous tiquez, vous tiltez : c’est de moins en moins rigolo, vous voyez ce que c’est que de mettre les pieds là où on vous a dit de ne pas vous rendre, carrément malsain cette acoustique et cette voix qui supplie, les fantasmagories qu’il chantait étaient des projections magiques, maintenant vous êtes au plus près, à l’intérieur de sa tête, ce n’est point que ce n’est pas beau à voir, c’est que c’est carrément inquiétant. L’existe une vidéo, une seule image, tous les trois, debout immobiles, rapprochés, ne semblent pas très rassurés. Fermez les yeux et focalisez-vous sur le son du luth que joue Rahne Pistor, fil d’Ariane qui vous permettra de ressortir vivant se vous-mêmes. Blood of the prophet : grandes orgues, rien de grandiloquent ici, l’on s’attendrait à des cris, des hurlements, des bruits, non juste cette mélodie qui assombrit le monde, cette voix légèrement doublée, ces chœurs effondrés, ces touffeurs de backing vocal, l’écho du malheur se répand sur le monde. L’on a versé le sang du prophète. Murmures indistincts. La Music Lyric Video est superbe, d’une force extraordinaire, elle traduit le tragique des lyrics et du chant du morceau. Avec très peu de moyens elle rend sensible cette impression émerveillante de toucher à une dimension sacrée.  Hollow autumn : un camelot qui baratine, un monsieur loyal qui se vante, ne serait-ce cette musique noire l’on aurait envie de rire, mais cette fois-ci nous sommes définitivement à l’intérieur, solo chaise électrique, au-dedans de soi confrontés à nos aspirations les plus folles, celle de renaître de notre présence morte au monde, celle de revenir de notre immortalité. La dernière enceinte. La tour qui s’effondre, le phénix qui vit de ses brûlures les plus intimes. Remettez-vous, regardez la vidéo (Flashback 2009) le groupe joue Hollow Atumn en public, c’est rassurant, un groupe d’heavy rock qui se donne à fond sur scène. Au Key Club, in West Hollywood, Sunset strip, au moins vous avez la confirmation que quelque part dans le monde il existe encore des espaces ensoleillés. Soyons superficiels. Jump into the flammes : constat amer et invitation à passer le pas. Quitter ce monde cruel, ne pas hésiter à pénétrer dans l’anneau de feu, toute ordalie est une geste intime. Musique lourde et lente, la voix est une prière qui vous pousse dans le dos, la batterie ne desserre pas ses dents de vos mollets, certes la décision vous appartient. Croyez-vous que ce soit un plaisir pour le phénix que de plonger dans son propre feu. L’existe une Belly Dance Video de ce morceau. Une jeune femme Arriahda Lopez, danse, vraisemblablement inspirée par la Loïe Fuller, dans les montagnes colombiennes, près des ruines d’un temple souterrain, longs cheveux noir, présence presque trop charnelle, elle agite des voiles rouge et noir, cendres et feu, mort et vie, sur les dernières secondes une forme se tord dans des flammes. Les vidéos de La sixième chambre sont toujours surprenantes. /   

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    Existe une autre vidéo d’une ancienne version de ce morceau, une seule image très belle. Fond rose sur laquelle se dessine le long corps d’une femme nue. L’anti poupée Barbie, je dis cela pour que vous ne vous mépreniez pas. Vous la retrouvez encore plus belle pour accompagner le morceau Divine vous le retrouverez sur l’album Mythos. C’est cette dernière que nous vous offrons. Oui nous sommes trop bons. Portail to the realm of abyss : directement à la vidéo : ce n’est pas une chanson mais un fragment de l’apocalypse de St Jean récité par Rahne Pistor, joue le rôle du prédicateur des temps derniers, chapeau rond et canne à la main, la musique gronde, derrière lui un cheval de désolation dont les naseaux laissent échapper une fumée blanche, l’image est mouvante comme si elle était filmée au travers des flammes de flambeaux funèbres. Ces vidéos reposent sur un équilibre précaire, elles oscillent sans cesse entre parodie et réalité se gardant bien de tomber d’un côté ou de l’autre. Entrance to the waste land : l’on n’est jamais là où l’on croit être, cette gaste contrée, on l’imaginait à la suite du morceau précédent être l’enfer chrétien, il n’en est rien, nous sommes au cœur du monde lovecraftien, à l’entrée de la cité inconnue de Kadath, nous longeons l’orée de la cité dans le monde des morts où croît l’herbe miraculeuse qu’il faudrait escalader à la manière de Jack et son haricot magique pour parvenir au monde des rêves. La voix puissante et la musique forte et furtive nous y conduisent… Pour une fois l’Official Music Vidéo n’est pas à la hauteur des lyrics, Arriadha Lopez semble de trop, les différents personnages le guerrier, le ‘’ moine fou’’, tous les autres et même la prêtresse font trop images d’Epinal, il aurait suffi de la prestation de Rahne  Pistor seul, masque blanc et bâton de berger sans ouailles à la main, s’inclinant à terre et vaticinant en lui-même. The hallowed chamber : musique pratiquement symphonique, résonnances d’une guitare étrangement sixties, une image fixe, nous sommes dans la chambre sacrée, un autel vide, derrière en trois grandes absides trois immenses statues de Dieux assyriens. Un semblant de rayon de lumière translucide se pose sur l’autel, apparition fantomatique d’une espèce de coffre en bois, l’arche aux livres secrets que vous ne lirez jamais.

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             J’avoue avoir été surpris, je m’attendais à feuilleter un amerloc comics  et j’ai déboulé dans un étrange recueil de poèmes, page de gauche le texte et le chant, page de droite le dessin-vidéo. Une version moderne et parallèle aux poétiques expériences et innocences des chants de William Blake.

             Il est évident que Rahne Pistor est à la tête d’un projet esthétique qui essaie de joindre la boursouflure américaine à la culture gothique européenne. Travaille le son et l’image dans le but de produire une œuvre totale  à la manière de Wagner. Il est regrettable qu’il n’ait pas trouvé son Louis II de Bavière ou un mirifique producteur hollywoodien pour permettre une éclosion épanouissante à grande échelle de cette démarche souveraine.

             Je me plais à délirer sur son nom : Rahne est le nom d’une de ces New Mutants créés par Marvel, sous le pelage du loup vous trouvez la licorne, à moins que sous la peau de la princesse ne gîte la bête obscure, dans les deux cas, il ne faut point se fier à l’apparence des choses.

    Exemple sous l’art pompier du dix-neuvième siècle se cachent quelques uns de nos grands peintres, il suffit de savoir regarder. Sous les tombes se trouvent les morts. Sur les tombes exulte la vie. Sachez inverser, ne serait-ce que par un salvateur réflexe de survie nietzschéenne, non pas vos valeurs, mais votre regard.

    Pistor se traduit par Pistolet. De pistolet à Sex Pistol le lien s’établit de lui-même. Je ne suppose en rien une dévotion particulière de notre héros avec la musique des Pistols. Peut-être oui. Peut-être non. Je n’en sais rien.  Mais je ne peux m’empêcher de penser à la manière dont l’apparition du groupe de Johnny Rotten et du mouvement punk a fracturé les représentations que l’idéologie dominante occidentale se faisait d’elle-même. Elle se croyait translucide comme la plus belle et la plus précieuse des perles. Les iroquoises pointues de la punkitude   lui ont rappelé qu’elle avait malheureusement la consistance rocailleuse de la coquille de l’huître. Quant à l’animal qui l’avait sécrétée leur divine merveille, tout comme la classe ouvrière produit les richesses dont elle ne profite guère, était-ce un hasard si elle offrait la même molle gluance  vitreuse et expectorale qu’un crachat…

    Le Bandcamp de The Sixth Chamber offrira au lecteur qui le désirerait de plus amples informations, ils y trouveront de roboratives nourritures. De nombreuses vidéos sur You Tube attendent les esprits curieux, sans doute serait-il préférable de les visionner dans l’ordre chronologique de leurs apparitions. Tâche peu aisée, j’en conviens. Ne pas dédaigner leur instagram non plus.

    Damie Chad.

     

    *

    Une couve entraperçue un millionième de seconde, j’ai marné pour la retrouver, la honte pour moi, un groupe français que je ne connais pas, moi qui vous chronique des formations de toute l’Europe de la Russie aux Etats-Unis, sur bandcamp je m’aperçois qu’ils ont déjà pas mal d’enregistrements à leur actif. En plus ils ont changé plusieurs fois d’équipages, ça tombe mal pour moi, avec cette semaine surchargée d’activités extra-rock’n’roll débilitantes et obligatoires, en écoutant par-ci par-là, je m’aperçois que c’est méchamment intéressant, musicalement parlant. Alors faites comme moi, sur French Metal Webzine les trois chroniques que Murderworks a consacrées à ce groupe vous aideront à y voir plus clair, pardoom plus sombre.

    Les Dieux s’acharnent contre moi, le disque que j’avais dans le collimateur… ne paraîtra que le 12 janvier 2024. Pas de panique, le deuxième morceau du vinyl blanc à venir est sorti depuis plusieurs semaines.

    BLUE PAIN

    MOURNING DAWN

    (Bandcamp ( piste numérique) -_15 / 11 / 2023)

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             Super artwork. Statue de sel surgie de l’écume de la mer. Rien à voir avec Vénus anadyomène ! Une espèce de figure de proue fossilisée juchée au tout devant de l’étrave d’une épave déjà engloutie par la mer. Figure du remords et du regret des jours qu’une main lasse égrène pour l’éternité.  

    Laurent Chaulet : guitar, vocals / Frédéric Pathé-Brassur ; guitars / Vincent Buisson : bass / Nicolas Joyeux : drums / Featuring : Déhà.

             Musique somptueuse, le morceau n’atteint pas les six minutes mais il semble durer une éternité comme s’ils avaient réussi à capturer le temps et à l’enfermer dans une bouteille… à la mer, une fois que vous vous y êtes entré vous n’en ressortirez plus. L’est bizarrement bâti comme une symphonie qui aurait pris pour parti de recycler le même thème sous trois mouvements. Vous entendez mais surtout vous voyez se former en vous l’impassible mouvement de vagues monstrueuses qui surviennent et se renouvellent sans cesse à tel point que la lenteur de la répétition vous plonge dans le lent tourbillon d’une immense violence. Il existe des ruptures dans ce titre qui agissent comme des courants contraires qui se conjuguent pour créer l’illusion d’un perpétuel renouvellement. Le vocal joue le rôle du vent dont chaque bourrasque alimente une tempête infinie qui ne semble s’apaiser que pour gagner en intensité. Une pure merveille.

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             Z’ont sorti une Official Vidéo, à l’image du morceau. N’ont pas fait le choix de la clinquance exceptionnelle. Filmé et mixé à bout portant. N’ont fait confiance qu’en eux-mêmes, qu’à la force de leur musique. Pas de prise d’ensemble. On serait tenté de dire qu’ils ont privilégié les instruments au dépend des musiciens, les mouvements des corps serrés au plus près aux brillances des attitudes, les doigts des musiciens et les bouches des vocalistes et surtout pas les personnes. Vous êtes dans la musique et non dans le groupe, vous voyez le morceau prendre forme sous vos yeux, se construire pour ainsi dire de lui-même. L’ensemble crée un effet hypnotique qui met en valeur la composition d’auto-engendrement de ce morceau qui renaît sans cesse de lui-même.

             Ne reste plus qu’à entendre la sortie de l’album The foam of despair  sur Aesthetic Death.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

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    Death, Sex and Rock’n’roll !

    1

             Le Chef allumait un Coronado lorsque je déboulai dans le local. Il me regarda avec surprise, j’étais incapable de parler, j’avais monté les quatorze étages en courant, je m’affalai sur une chaise devant le bureau :

              _ Agent Chad, vous devriez arrêter de fumer, c’est mauvais pour la santé, vous rendez-vous compte qu’au doux temps de Sparte, le Sénat vous aurait admonesté en public, un guerrier du SSR se doit à chaque seconde de sa vie être en pleine forme pour combattre les ennemis du rock‘n’roll, j’espère que cette entrée éhontée ne se renouvellera pas de sitôt.

             _ Chef, c’est terrible !

             _ Remettez-vous, agent Chad, je fume un Coronado, le monde peut s’écrouler, tant que je tiens un Coronado au bout de mes lèvres toute situation ne saurait être jugée de critique ou d’inquiétante !

             _ Chef, le service est attaqué, nous venons de perdre nos deux meilleurs agents et…

             _ Du calme Agent Chad, vous me semblez affolé ce matin, laissez-moi le temps d’allumer un Coronado et je vous écoute de mes deux oreilles…

    2

             Le Chef soupira profondément :

             _ Agent Chad Je me permettrai de qualifier ce que vous venez de me raconter de bizarre. Je pense que nous devons agir méthodiquement, commençons par déblayer le terrain. Laissez-moi faire, pendant ce temps, reprenez votre sang-froid.

             Le Chef alluma un Coronado. Sa main hésita entre les deux téléphones, il se décida pour le rouge :

             _ Allo l’Elysée, mais non espèce de jean-foutre, passez-moi le Président au plus vite, ah c’est vous, est-ce que vous ne seriez pas en train de nous jouer un sale tour de votre façon, tout cela pour ne pas nous renouveler notre subvention, pour 2024.

             _ Ce serait avec plaisir, nous le regrettons mais avec toutes ces rock-stars qui en juillet prochain décideront de parader aux Jeux Olympique, nous avons hélas trop besoin de vous pour les recevoir.

             Le Chef reposa le combiné tout en saisissant dans son tiroir un nouvel Coronado :

             _ Voyez-vous Agent Chad j’aurais tendance à le croire, faudra que je me tienne à ses côtés, non Monsieur le Président ce n’est pas Keith Richards qui vient vous saluer, c’est Mick Jagger, maintenant Agent Chad soyez fort, le prochain appel risque de rendre inutile la poursuite de notre affaire.

             Mon cœur se serra, d’une main ferme le Chef s’empara du téléphone noir :

             _ Allo douce amie, comment allez-vous… arrêtez de minauder je suis sûr que vous êtes en pleine forme, je ne voudrais pas vous faire perdre votre temps si précieux, deux de nos agents les plus importants ont disparu, est-ce que vous ne les auriez pas occis par hasard.

             _ Je crains de vous décevoir, pardonnez mon humour noir, non je ne me suis nullement intéressé à vos agents depuis la fin de notre aventure précédente, excusez-moi en tant que bienfaitrice de l’Humanité j’ai encore à abréger les souffrances de sept ou huit agonisants, à l’Hôpital Américain. Je vous embrasse.

             Le Chef me regarda d’un air sombre.

             _ Agent Chad, nous ouvrons notre enquête, pourriez-vous répéter tout ce que m’aviez confié tout à l’heure, prenez votre temps, le moindre détail anodin peut se révéler important, je vous écoute le temps d’allumer un Coronado.

    3

             L’histoire était incroyable. J’avais quitté le service à dix-neuf heures mes deux chiens sur les talons. A vingt-heures trente, nous arrivions à Provins. Molossa et Molossito aboyèrent lorsque je passais devant Le chat qui pêche un os à moelle. Un nom étrange pour un restaurant. J’avais compris. Une demi-heure plus tard nous étions en train de dévorer une superbe côte de bœuf accompagnée de frites pour moi et d’une garniture de tripes à la mode de Caen pour mes deux animals, comme j’aime à les appeler.

             La journée à cavaler chez les derniers disquaires parisiens avait été rude. Nous ne nous attardâmes pas, notre troisième dessert avalé nous filâmes droit à la maison. Les chiens bondirent sur le lit. Je vérifiai la fermeture de toutes les ouvertures de la villa et tirai avec soin les trois verrous de la porte blindée de ma chambre. Un agent du SSR n’a pas le droit d’être surpris durant son sommeil. Avec mes deux cabotos je ne craignais aucune surprise intempestive. Un quart d’heure plus tard nous dormions tous les trois comme des bienheureux.

             Lorsque je m’éveillai, les chiens n’étaient plus à mes côtés. Je n’en fus pas surpris, quand ils avaient trop chaud ils avaient l’habitude de se prélasser sur la descente de lit. Un lion sauvage que j’avais tué en Afrique dans un grand magasin d’une seule balle entre les deux yeux. Ils n’y étaient pas ! Sous le lit non plus, et les verrous de la porte étaient encore tirés. Malgré tout j’ai fouillé toutes les autres pièces de la maison, puis en désespoir de cause le jardinet dont le portait était encore fermé à clef. J’ai crié leurs noms aux quatre vents, j’ai tourné en voiture dans Provins, sui revenu à la maison vérifier une nouvelle fois toutes les cachettes possibles et impossibles…

    4

             _ Voilà Chef vous connaissez la suite…

    Le Chef se taisait. Son Coronado se consumait entre ses doigts, il hésitait à parler :

             _ Agent Chad, ne le prenez pas mal, est-ce que vous n’auriez pas un peu exagéré sur le white spirit dans votre resto, vous savez ce whisky un peu raide dont de temps en temps vous êtes friand, peut-être avez-vous oublié vos chiens là-bas…

             _ J’y suis passé par acquis de conscience avant de prendre la route de Paris, j’ai même vérifié la malle arrière de la voiture, non Chef hier soir j’ai été aussi sobre que le chameau du désert.

             _ Si je me hasarde, juste une hypothèse d’école comme disent les Jésuites, à évoquer une quatrième présence dans votre chambre, féminine, qui se serait levée de grand-matin et qui serait repartie en emmenant les chiens, qui tout compte fait dans son esprit seraient plus intéressants que vous…

             _ Non Chef, jamais Molossa ne l’aurait suivie, trop contente d’en être débarrassée si vite…

             Le Chef paraissait soucieux. Il alluma un Coronado. Puis un autre, puis un autre. Pour ma part je gambergeais Mes pauvres toutous, que devenaient-ils, que personne ne leur fasse de mal. Je serrai les poings dans mes poches sur mes Rafalos. Le contact du métal froid, me rassénéra. D’abord agir ! D’abord tuer ! Réfléchir ensuite !

             La figure du Chef s’illumina, il alluma un Coronado :

             _ Agent Chad, je suis heureux de vous voir reprendre du poil de la bête. Je n’ai que deux mots à prononcer : Action immédiate !

    5

             Nous descendîmes les escaliers à toute vitesse. Je me précipitai au milieu de la route pour arrêter une voiture. Le pékin freina et m’abreuva d’injures par sa vitre ouverte, le Chef était déjà assis à ses côtés :

             _ Agent Chad, débarrassez-moi de ce paltoquet, dépêchez-vous, nous sommes pressés.

    J’attrapai le gars par le colbac, lui collai un pruneau (sans armagnac) dans la boîte crânienne, le rejetais sur le trottoir tout en prenant sa place au volant. Nous roulâmes comme des fous, vers la bonne ville de Provins, j’empruntai la voie de gauche, ainsi vous n’avez pas à perdre de temps à dépasser les lambins de service, ceux qui vous voient débouler face à eux s’écartent instinctivement d’eux-mêmes.

    Coronado à la main, le Chef philosophait :

    _ Voyez-vous Agent Chad à ma grande surprise je sens poindre en moi une âme d’animaliste, tout cela par la faute de Molossa et Molossito, s’il le faut je suis prêt pour les sauver à supprimer la moitié de l’humanité dont le changement climatique n’a pas encore réussi à nous débarrasser.

    J’eus du mal à trouver une place de stationnement devant Le chat qui pêche un os à moelle, la rue était encombrée de camions de pompiers et de fourgons de police.

    A suivre…