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  • CHRONIQUES DE POURPRE 696 : KR'TNT ! 696 : JON SPENCER / BRIAN WILSON - SLY STONE / MOVE / FIEP / THESE ANIMAL MEN / PATRICK GEOFFROY YORFFEG / MANIARD / GENE VINCENT /

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 696

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    26 / 06 / 2025

     

     

     JON SPENCER / BRIAN WILSON – SLY STONE

    THE MOVE / FIEP / THESE ANIMAL MEN

    PATRICK GEFFROY YORFFEG

     MANIARD  / GENE VINCENT

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 696

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

    Wizards & True Stars

     - Spencer moi un verre, Jon

     (Part Four)

     

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             Jon Spencer déboule vite fait sur scène. Il sort de son Twin Reverb une petite planchette de contre-plaqué qui doit faire 10 x 10 cm et sur laquelle sont gaffées deux vieilles pédales hirsutes. Premier gros pied de nez à la frime du rock. Il s’agenouille

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    et branche un jack d’un côté et un autre de l’autre. Pouf, c’est réglé. À côté du Twin Reverb, t’as un petit Peavey. Pouf, c’est tout. Deuxième pied de nez à la frime du rock. Pas de connard qui vient tester les guitares pendant une plombe. Spence porte un petit costard boutonné et des mocassins blancs. Pouf, troisième pied de nez à la frime du rock. Il a un nouveau Blues Explosion : Kendall Wind (bass) et Macky Spider Bowman (beurre) des Bobby Lees. Deux jolis spécimens de wild-as-fucking fuck.

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             Après le pouf, c’est le bhammm ! Car ça joue tout de suite. Right on ! On est pourtant habitué aux départs arrêtés du JSBX, mais là, ça semble encore plus explosif, car Bowman the man est un fantastique batteur extraverti, et Spence rentre aussitôt dans le chou de son vieux lard cabalistique, ça ramdame dans les brancards, ça groove dans les bastaings, ça percute dans les percoles, ça buzze le jerk, ça décorne les vikings, ça ricoche dans les racks, ça bigne dans la beigne, ça t’intercepte

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    le missile, ça te claque toutes les voiles, flip flop, ça rue dans le rock, ça riffe dans la rafle, ça tire à boulets rouges, ça te cloue ton vieux bec vite fait, ça remet bien ta maudite pendule à l’heure, t’auras jamais de rock plus raw que celui de Jon Spencer. Ça n’en finit plus de claquer la claquemure, de fracasser la rascasse, de te scier des branches, de t’allumer des lampions sous le crâne, ça n’en finit plus de t’alarmer et de t’appareiller, de t’emboîter et de te déboîter, tu sais où t’habites et en même temps

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    t’en es plus très sûr, tu localises des bribes à la volée, tu reçois le vieux «Skunk» d’intro entre les deux yeux, c’mon ! t’ouvres la bouche et t’avales «2 Kindsa Love», gloups, ça te survolte, ça te ramène dans le cœur du vieux raw, t’as même le vieil «Afro» qui date du temps d’Acme, Acme, baby, rrrrremember ? Alors oui ça claque dans tes cacatois, ça te burn le carbu, ça va et ça vient entre tes seins si t’as des seins, ou entre tes reins si t’as pas de seins, alors comme t’as pas de seins, c’est entre tes

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    reins, de toute façon, le groove fait exactement comme il a envie de faire, c’est lui qui décide, pas toi, oh et puis tu chopes ce vieux hit d’Acme, «I Wanna Make It All Right», ça descend bien ton avenue, ça sert bien tes intérêts, ça va dans ton sens, à un point extraordinaire, s’il est un mec sur cette planète habilité à groover l’I wanna make it all right, c’est bien ce démon de Jon Spencer. Il dégouline vire fait, mais garde son veston boutonné. Looka here ! Il est encore plus beau qu’Elvis, plus classe qu’Eddie Cochran, plus wild que Little Richard. Et puis comme d’usage avec cette

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    superstar, le set s’éternise et voilà qu’il claque le vieux riff de «Wail» avant de terminer par un prêche anthemic, l’occasion pour lui de saluer la mémoire de Little Richard et de rappeler qu’il est essentiel de rester Together pour lutter contre des fucking fascistes qui s’installent au pouvoir. S’il avait été maître à penser et candidat à un trône rock, il est évident qu’on aurait tous voté pour lui.

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             Tu vas te régaler à l’écoute de Sick Of Being Sick!, l’album qu’il vient d’enregistrer avec ses amis Bowman et Wind. C’est du Spencer grand cru, dès le «Wrong» qui sonne comme une attaque frontale de destruction massive, c’est le blast des cavernes new-yorkaises. Il n’a jamais été aussi défonce-man, oh c’mon ! Avec «Get Away», il retombe dans tous ces vieux travers de wild preacher, got to get away go ! Il faut le voir insister sur le go ! Toutes les dynamiques sont là, intactes, parées de leur somptueuses imparabilité. Quel sommet ! Fin explosive de balda avec «Out Of Place», il sort sa plus belle fuzz et ça pulse dans la purée fumante. C’est énorme, concassé, déstructuré, d’une modernité demented. Et en B ça repart de plus belle avec «Fancy Pants». Quelle dégelée ! Rien que de la dégelée ! La magie se remet en branle. Si t’as jamais vu de la magie se mettre en branle, c’est là. Et t’as Bowman qui te bat tout ça ultra-sec et ultra-net. Ce mec est un crazy cat. Et t’as tout le spirit qui monte, c’mon ! Spence passe un anti-solo dans «Guitar Champ» et en plus t’as la profondeur de l’écho. Ce Sick Of Being Sick! est sans le moindre doute l’un des meilleurs albums des temps modernes. Spence te rocke le boat comme personne. Tu participes à la fête en continu et la fête se termine avec «Disconnected», hey disconnected once again ! C’est pulsé au basmatic invasif et cette façon qu’il a de monter son once again !

    Signé : Cazengler, Spencer les fesses

    Jon Spencer. La Maroquinerie. Paris XXe. 4 juin 2025

    Jon Spencer. Sick Of Being Sick! Bronze Rat Records 2024

     

    Wizards & True Stars

     - The Sly is the limit (Part Four)

    & Brillant Wilson (Part One)

     

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             Zut ! Z’ont cassé leur pipe en bois ensemble. Enfin, à deux jours d’intervalle. Sly Stone et Brian Wilson. Même âge : 82 balais. Même coin : Californie. Même niveau : légendaire. Même magie : blanche pour le Beach, noire pour le Stone. Même genre d’art : céleste pour le Beach, total pour le Stone. Même constance : soixante ans pour le Beach, soixante ans pour le Stone. Même soif de dope : LSD pour le Beach, crack-boom pour le Stoned Stone. Même fuck you attitude : «I Just Wasn’t Made For This Time» pour le Beach, «Don’t Call Me Nigger, Whitey» pour le Stone. Même empreinte universelle : «Sail On Sailor» pour le Beach, «Dance To The Music» pour le Stone. Même punch in the face : «Do It Again» pour le Beach, «I Want To Take You Higher» pour le Stone.  Même hauteur : 20 m pour le géant Beach, 20 m pour le géant Stone. Même sens de l’œuvre : des centaines de compos magiques pour le Beach, des centaines de compos magiques pour le Stone. Même goût de l’amitié : Andy Paley pour le Beach, George Clinton pour le Stone. Même genre d’admirateurs : Tony Rivers & The Castaways, Harpers Bizarre, Eric Carmen et Explorers Club pour le Beach, Bobby Freeman, Billy Preston, Jim Ford et Iggy pour le Stone. Même imparabilité des hits : «Dierdre» pour le Beach, «Family Affair» pour le Stone. Même sens du particularisme viscéral : sens aigu des harmonies vocales pour le Beach, extrême délicatesse harmonique pour le Stone. Même don d’ensorcellement : «Vegetables» pour le Beach, «Everyday People» pour le Stone. Même sens de l’œuvre historique : Pet Sounds pour le Beach, There’s A Riot Goin’ On pour le Stone. Même sens de l’œuvre byzantine : «I Know There’s An Answer» pour le Beach, «Thank You (Fallettinme Be Mice Elf Again)». Même actu Ace : Do It Again - The Songs Of Brian Wilson pour le Beach et Everybody Is A Star (The Sly Stone Songbook) pour le Stone. Tu peux y aller les yeux fermés.

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             Do It Again - The Songs Of Brian Wilson fait partie des compiles atomiques d’Ace. T’es là au maximum de ce que peut t’offrir une compile en termes de beauté pure, de clameur mélodique, d’intemporalité des hits et de génie interprétatif. Vers la fin, tu tombes sur les Persuasions qui, avec une magistrale cover de «Darlin’», réussissent à marier la Soul avec Brian Wilson : t’as là le plus beau mariage qui se puisse imaginer. C’est la B-side d’un single, nous dit Kris Needs qui signe les liners. Tout le monde adorait les Persuasions, nous dit Needs. Il cite d’ailleurs Tom Waits : «These guys are deep sea divers. I’m just a fisherman in a boat.» Et t’as juste après Frank Black avec une version abrasivement géniale d’«Hang On To Your Ego», tirée de son premier album solo sans titre. Needs lui rend un sacré hommage, alléguant que le gros transforme le cut de Brian Wilson en «gruff-voiced 90s electro-disco chug.» En ouverture du balda, t’as une cover mythique : Wall Of Voodoo et «Do It Again». Facile pour les Wall, puisqu’ils tapent dans l’un des plus gros hits des sixties. La tension du génie wilsonien est palpable. Alors après, est-ce que tu vas aller écouter les Wall Of Voodoo ? Bonne question. Tu retrouves à la suite une autre tarte à la crème des seventies : The Rubinoos et «Heroes & Villains». Ils ont du courage et s’en sortent avec les honneurs. Ils jonglent avec les harmonies vocales. Première révélation avec Celebration et «It’s Ok». Celebration est un side-project de Mike Love, d’où la qualité. Needs y va de bon cœur : «‘It’s OK’ celebrated summer whoopee with quintessential upbeat Beach Boys bounce and sprightly ’Do It Again’ immediacy in the chorus.» Jan & Dean rendent hommage au génie organique de Brian Wilson avec «Vegetables». Dans cette compile, t’es en permanence au sommet de la pop. Une seule comparaison possible : les Beatles. Et voilà deux autres diables californiens, Bruce & Terry avec «Hawaii». Il s’agit bien sûr de Bruce Johnston et Terry Melcher. Ils caressent Brian Wilson dans le sens du poil à coups de do you wanna come along with me. Needs ne peut pas s’empêcher de rappeler que Bruce Jonhston allait devenir un Beach Boy et que Terry Melcher allait produire les Byrds et fréquenter Charlie Manson. Et puis voilà Epicycle qui explose la vague de «Wake The World». Needs dit le plus grand bien de ce groupe de Chicago : «It’s handled like a reverential mating between a Beatles White Album piano stroller and Gilbert O’Sullivan gone pailsey, recycled through a Californian hallucino-juicer.» Epicycle est le groupe des frères Ellis et Tom Clark. Needs rappelle encore qu’Ellis et Tom sont revenus plus tard avec trois albums de «60s-washed baroque pop peppered with unusual instruments obviously in thrail of mid-period Beach Boys.» Pour les formules catchy, tu peux te fier à Needs. Matthew Sweet & Suzanna Hoffs explosent eux aussi la vague de «Warmth In The Sun», tiré d’un album de covers, Under The Covers. Tu montes encore une fois au paradis. On reste dans un océan de pur jus révélatoire avec The King’s Singers et «Please Let Me Wonder». Quand il a composé ce hit, nous dit Needs, Brian Wilson venait tout juste de découvrir la marijuana. Les King’s Singers sont une chorale de TV show, mais Needs nous rassure en précisant que Bruce Johnston et Mike Love sont dans les chœurs. On croise aussi Louis Philippe («Little Pad», tiré de Smile, alors autant écouter Smile) et The Pearlfishers («Let’s Put Our Hearts Together», David Scott est dessus mais il finit par devenir pénible). Et puis tu te frottes les mains en voyant arriver Bruce Johnston avec une version de «Deirdre», le cœur palpitant de Sunflower. Il y va franco de port, le Bruce, mais ça vire diskö-beat à la mormoille et au lieu de faire wouahhhhh!, tu fais berrrrk !

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             Back to Sly. Ça se bouscule aussi au portillon sur Everybody Is A Star (The Sly Stone Songbook). Ce sont Ike & Tina Turner & The Ikettes qui fracassent l’«I Want To Take You Higher» en mille morceaux. Cover explosive pas des exploseurs, et t’as l’Ike qui la ramène au baryton. Tu retrouves aussi l’excellent Joe Hicks avec un «Life & Death In G & A» sorti sur Stone Flower, le label de Sly. Heavy groove ! Hicks ? Un seul album sur Stax. Révélation avec Eric Benét et «If You Want To Stay», joli funky strut, solidement contrebalancé, quasi sautillé, joué par des cracks du boom-hue. T’en as deux qui ne passent pas : Jeff Buckley avec «Everyday People» (vite soûlant. Il ne plaît qu’aux gonzesses) et Magazine avec «Thank You (Fallentinme Be Mice Elf Again)» (bassmatic anglais, mais ça devient trop prétentieux). Retour aux choses sérieuses avec The Hearts Of Soul et «Sing A Simple Song». Elles sont hollando-indonésiennes. Ça percute bizarrement, avec une voix décalée dans l’écho et un yeah yeah yeah descendant. Elles mettent bien en exergue les finesses harmoniques de Sly. Petit choc révélatoire avec John Lee’s Groundhogs et «I’ll Never Fall In Love Again». White funk power d’early Tony McPhee ! Cut mythique, car produit par Bill Wyman et sorti sur Planet, le label de Shel Talmy. Encore du pur jus de Sly genius avec Six et «I’m Just Like You» : on y retrouve les deux mamelles de Sly, le groove extrême et la modernité flagrante. Nouveau coup de Jarnac avec Rose Banks et «I Get High On You» : fabuleuse attaque de wild funk ! Rose est la poule de Bubba Banks, loubard black, «controversial figure», manager et beau-frère de Sly puisque Rose s’appelait Stone avant de devenir Banks. Bubba a réussi à décrocher un deal sur Motown pour Rose et a même produit l’album, alors qu’il n’y connaissait rien. Rose va vite divorcer. Iggy nous fait le coup du Pop genius avec sa cover de «Family Affair» qui n’est sur aucun album. L’Ig rentre bien dans la peau de Sly. Pure magie blanche et noire. On regagne la sortie avec deux autres coups du sort : The Third Degrees et «You’re The One» (heavy funk de génie, elles t’en mettent plein la vue), puis les Jackson 5 et «Stand!» (et tout le power juvénile des Jackson qui eux aussi t’en mettent plein les mirettes. Alec Palao qui signe les liners parle d’«instrumental riffery and ear-catching moves that were synonymous with Sly Stone music.»  

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             T’as une autre compile Ace consacrée aux hits de Brian Wilson : Songs Of Brian Wilson : Here Today. The Songs Of Brian Wilson. Passer à côté, ce serait faire insulte au génie d’Ace, et pire encore, à celui de Brian Wilson. Ça commence très fort avec un nommé Darian Sahanaja qui reprend «Do You Have Any Regrets» tiré de Sweet Insanity. En plein dans le wall of sound, et même de profundis. Much better ! Cet inconnu est un heavy dude, il plombe l’art de Brian Wilson à coups de marteau, c’est assez monstrueux, tous les ingrédients définitifs sont au rendez-vous. Le mec des liners dit que Sahanaja allait ensuite jouer un rôle considérable dans le travail de restauration de Smile qu’allait entreprendre Brian Wilson. Drian Sahanaja fait aussi partie des Wondermints. S’ensuit une version d’«Here Today» par Bobby Vee qui lui aussi est en plein dans le son. Explosif ! Bobby est dessus, real magic, love is here ! Il va droit au but. Il a été l’un des premiers à sauter sur Pet Sounds. Et on monte encore d’un cran avec les Tokens et «Don’t Worry Baby». Il faut faire gaffe avec les Tokens, ils sont capables de miracles. Ils savent éclater au sommet de leur art, ces mecs nous font tomber de la chaise quand ils veulent, ils maîtrisent l’art des bouquets d’harmonies vocales. Avec «Help Me Rhonda», Bruce & Jerry - c’est-à-dire Terry Melcher et Bruce Johnston - s’en tirent avec les honneurs et un solo de sax. On reste dans les choses sérieuses avec Jan & Dean et leur version de «The New Girl In School». Fantastique jus de Beachy pop, doo ran doo ! Nouvelle extension du domaine de la turlutte avec «Time To Get Alone» par Redwood. Mais rien sur eux dans les liners. Le «Don’t Hurt My Little Sister» des Surfaris est aussi une bénédiction pour l’oreille. Ces mecs sing leur glotte out. Nouvelle horreur sublime avec le «My Buddy Seat» des Hondells. Tout le monde cavale sous le soleil, dans cette compile. Le «She Rides With Me» de Joey & The Continentals est complètement dévastateur, tapé au heavy Beachy Sound, bouffeur d’asphalte, terrific de joie et de bonne humeur. Toute l’énergie des Beach Boys est là. Nouveau coup de génie avec Tony Rivers & The Castaways et «The Girl From New York». C’est littéralement explosé dans l’œuf. Les mecs jouent le psyché les pieds dans le plat, leur power dépasse les bornes. Voilà le wild drive dans son extrême, le drive le plus wild de l’histoire du drive, ça ouh-ouhte avec des breaks de basse dignes de ceux de Larry Graham. Tout aussi effarant, voilà un reprise du premier hit de Brian Wilson, «Surf City» par The Tymes. Belle attaque, t’es tout de suite baisé. On est en plein Beachy world, explosé de son, joué à la basse cra-cra, ces mecs te remontent les bretelles. Keith Green a onze ans quand il enregistre «Girl Don’t Tell Me». Terrifiant de teenage genius et produit par Gary Usher. Betty Everett fait aussi une belle version de «God Only Knows» et avec Carmen McRae, on reste dans le domaine des géantes. Elle explose «Don’t Talk (Put Your Head On My Shoulder)», elle prend la mélodie de Brian Wilson et la porte, elle grimpe jusqu’au sommet de l’art vocal. Elle devient la reine avec ce don’t talk, elle est royale de sublimité, elle traîne ses syllabes comme savait si bien le faire Billie Holiday. Le «Caroline No» de Nick DeCaro coule dans la manche, tellement ça dégouline de big jazz feel. Louis Philippe cherche à restaurer la monarchie avec «I Just Wasn’t Made For These Times» et Kristy MacColl boucle avec «You Still Believe In Me». Elle y épouse langoureusement la courbe de Brian Wilson.

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             Il existe un très beau tribute à Brian Wilson paru en 1990, Smile Vibes & Harmony. Quatre clients s’y partagent les lauriers, à commencer par Billy Childish avec un «409» qu’il faut bien qualifier de dément. Il le pulse au fuzz scuzz de Medway, c’est dire la suprême intelligence du Big Billy. Il a compris l’esprit de la plage. On pourrait dire la même chose de Michael Kastelic et des Cynics qui explosent littéralement «Be True To Your School». Après Mike Love, Kastelic est le meilleur chanteur de Beachy pop, ce mec a véritablement du génie, il sait faire exploser sa Beachy pop dans le beat serré. Quelle leçon de niaque ! Autre réussite patente : Mooseheart Faith avec «Wind Chimes». C’est amené au big drive de basse, et t’es baisé, car la strangeness règne sans partage, à la fois totémique et insidieuse. Et puis les Sonic Youth jouent «I Know There’s An Answer» aux heavy guitars. Ils savent exploser la gueule d’un cut dans leur mur du son et le Moore en profite, car il dispose d’une mélodie chant parfaite. Sinon, on voit les Records taper une copie conforme de «Darlin’», alors quel intérêt ? Et Nikki Sudden referme la marche avec «Wonderful/Whistle In». Nikki dispose d’une voix de rêve, alors il peut entrer dans le délire de Whistle In. Petit régal d’osmose - Remember the day-ay/ The night-ight/ All day long/ Whistle in.

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             Encore un passage obligé : Pet Projects - The Brian Wilson Productions, un autre coup fourré d’Ace. L’une des pouliches de Brian Wilson s’appelle Sharon Marie. On l’entend à deux reprises et notamment dans «Thinking Bout You Baby» qu’elle chante d’une voix de suceuse. On la retrouve vers la fin avec «Story Of My Life». Elle remet bien les choses au carré. Mais elle sur-chante tellement qu’elle semble chanter du ventre. Le coup de génie de cette compile est bien sûr le «Sacremento» de Gary Usher. Quelle bombe ! Cut rampant et terrific. Brian & Gary : wow ! C’est bardé de foxy lowdown et de chœurs qui volent bas. Brian et Gary Usher jouent encore avec le feu dans «That’s The Way I Feel». Admirable profusion de génie sonique. L’autre gros coup de Brian Wilson, c’est The Honeys, un trio féminin dans lequel se trouvent Marilyn, sa poule, et Diane la frangine de sa poule. Elles ont le feu au cul dans «The One You Can’t Have». C’est excellent car pimpant, plein de peps, plein de la vie de Brian. Elles continuent avec «Surfin’ Down The Swanee River», elles flirtent avec la magie, ça explose de vie tagada, elles y vont fièrement. Stupéfiante qualité ! On retrouve aussi American Spring, c’est-à-dire Marilyn et Diane, avec «Shyin’ Away». Elles chantent comme une Judee Sill qui serait devenue joyeuse. Le «Number One» de Rachel & The Revolvers impressionne durablement, mais c’est avec Paul Petersen qu’on frémit pour de vrai. Son «She Rides With Me» est une vraie daze de défonce on the beach. C’est même du glam on the beach. Ce vieux renard de Glen Campbell ramène sa fraise avec «Guess I’m Dumb». Il chante mal. On ne comprend pas que Brian le laisse chanter.

    Signé : Cazengler, Family Stome de chèvre/Brian Wilcon

    Brian Wilson. Disparu le 11 juin 2025

    Smile Vibes & Harmony. A Tribute To Brian Wilson. Demilo Records 1990

    Pet Projects. The Brian Wilson Productions. Ace Records 2003

    Here Today. The Songs Of Brian Wilson. Ace Records 2016

    Do It Again. The Songs Of Brian Wilson. Ace Records 2022

    Sly Stone. Disparu le 9 juin 2025

    Sly Stone. Everybody Is A Star (The Sly Stone Songbook). Ace Records 2025

     

    Wizards & True Stars

    - Move on up (Part One)

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             Il est des zactus qui font le bonheur des vieux fans fanés. Prenons un exemple : la parution de Flowers In The Rain - The Untold Story Of The Move. L’auteur s’appelle Jim McCarthy. Vue d’avion, cette actu paraît insignifiante. En 2025, le nom des Move ne signifie plus grand chose. On vit une époque bizarre où les gens écoutent des albums sur YouTube et s’abonnent sur Amazon pour écouter sur leur smartphone les nouveautés que préconise Rock&Folk. Et plus les groupes sont médiocres, plus ça plait. Bien sûr, quand on a eu la chance de vivre les explosions successives que furent celles du rock’n’roll des late fifties, du British Beat des sixties et du Punk 76, il est tout simplement impossible de se satisfaire de toute cette médiocrité ambiante, et encore moins des mœurs qui vont avec. Fuck it ! Ce n’est pas du passéisme, mais l’expression d’une exigence. Quand t’as écouté les Who et les Move en 1966, tu ne peux pas saisir l’intérêt de trucs comme Lady Gogo ou Michael Jackson. Même chose en littérature : tu ne peux pas passer de Paul Léautaud et de son mentor stylistique Stendhal à des zauteurs de polars, ou pire encore, de science-fiction.

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             Il est important de rappeler ceci : pour les gens d’une certaine génération, le nom des Move inspirait le plus profond respect. En France, on les prononçait ‘Ze Mouv’, alors qu’il fallait les prononcer ‘Ze Mooove’, et bien appuyer sur l’oooo pour accentuer le mystère qui entourait le groupe. «I Can Hear The Grass Grow» naviguait exactement au même niveau que «Strawberry Fields Forever», «Over Under Sideways Down», «Midnight To Six Man», «My Generation» et «The Last Time». Ce genre d’hit t’hookait pour la vie. T’avais les Move dans la peau, de la même façon que t’avais les Beatles, les Yardbirds de Jeff Beck, les Pretties, les Who et les Stones dans la peau. Et si on parle de mystère à leur propos, c’est tout simplement parce que les images du groupe étaient plus rares que celles des Beatles et des Stones. Tu croisais Brian Jones dans Salut les Copains, certainement pas les Move. 

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             Bon, le book de McCarthy n’est pas le book de siècle. Il avoisine les 400 pages, composé dans un corps 10 ou 11 et interligné serré. Ce choix typo t’impose un certain rythme de lecture, t’es obligé d’avancer lentement : c’est bien tassé mais instructif. Pour peaufiner le portrait du contexte, on pourrait ajouter sans vouloir être méchant que McCarthy n’est pas une fine lame, mais il cite à très bon escient. Dans Record Collector, Michael Heatley confirme que McCarthy «is no wordsmith». Son book est extraordinairement bien documenté et, petite cerise sur le gâtö, il a rencontré les gens qu’il fallait rencontrer. Mais bon, il faut s’armer de courage pour en venir à bout. Heatley : «The 400 pages of tightly packed text contains much of interest, but the whole requires considerable dedication to navigate.» On ne peut pas mieux dire.

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    Ace Kefford

             La légende des Move repose sur trois piliers : Tony Secunda, Ace Kefford et Roy Wood. Mais avant d’entrer dans le détail des trois piliers, voyons ce qu’on peut dire des Move en tant qu’entité. Au départ, ils sont 5 : Ace Kefford (bass), Roy Wood (poux), Trevor Burton (poux), Bev Bevan (beurre) et Carl Wayne (chant). Comme Sabbath, ils viennent de Birmingham, Brum City.  Des gens comme Tony Visconti les comparaient aux Beatles. Leur règne «of pandemonium and uproar» ne va durer que 4/5 ans. Ils se positionnent comme un «big feedback group based on the Who», mais tapent dans la collection de singles d’Ace Kefford, et font sur scène du «Motown with a big beat.» Ace collectionne surtout les singles Chess. On qualifie les Move de «super-charged Mod-soul cover band.» Dans le groupe, tout le monde chante. Leurs harmonies vocales sont imparables. Ils sont beaucoup trop doués pour leur époque. Ils touchent à tout : la pop, le r’n’b, et le freakbeat. Ace chante les covers de r’n’b et Trevor le «Something Else» d’Eddie Cochran. Roy Wood dispose d’un registre plus haut : c’est lui qui chante «Fire Brigade». Dans le Melody Maker, Nick Jones exulte : «The Move from Birmingham are a stark, loud, flashy hard punch.» Ils tapent une cover du «Stop Her On Sight» d’Edwin Starr. On qualifie leurs harmonies vocales de «soul Beach Boys». Ace chante aussi le «Morning Dew» de Tim Rose. C’est encore lui qui chante l’«Open The Door To Your Heart» de Darrell Banks. Tout est superbement trié sur le volet.     

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             Au temps de leurs débuts au Cedar Club de Birmingham, ils sont à la même affiche que Little Stevie Wonder, Doris Troy, Inez & Charlie Fox. Puis Tony Secunda leur booke une residency le mardi soir au Marquee Club à Londres. Ils prennent la suite des Who qui jouaient là chaque mardi. Ils partagent l’affiche avec Gary Farr & The T-Bones, un Gary qui voit Ace Kefford comme le leader des Move - The one with blond hair! This guy stands out! - Joe Boyd découvre les Move au Marquee : «They were so fucking loud.» Il flashe sur eux. Cet Américain vient de débarquer à Londres et a vu naître ce qu’il appelle le ‘rock’ aux États-Unis avec Bob Dylan à Newport : «It was definitively not rock’n’roll. It wasn’t pop. It was roots-based. In America, everything was based on American roots.» Et il sent aussitôt la différence avec les «Brummie kids and the LSD revolution.» Pour situer leur impact, Boyd cite Moby Grape et Vanilla Fudge. Il amène Jac Holzman voir jouer les Move au Mecca Ballroom. Holzman est impressionné par le groupe, mais le contact ne se fait pas dans la loge. Les Move ne savent pas qui est Jac et ne connaissent pas Elektra. Les Brum kids restent de marbre.

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    Tony Secunda

             Tony Secunda manage les Move. Roy Wood ne l’aime pas trop. Il s’en méfie un peu. Il lui met sur le dos la responsabilité de l’échec des Move aux États-Unis - The failure of the Move in America was down to bad management - We didn’t get the breaks. It was all madness with Secunda. I tried to distance myself from it as far as I could.

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    Carl Wayne

             Sur scène, les Move font feu de tout bois, avec des coups de hache et des stroboscopes. Carl Wayne démolit des télés et une Chevrolet à coups de hache. Un certain Allen Harris affirme que les Pink Floyd ont copié le light-show des Move. Par contre, côté finances, c’est pas terrible. On retrouve les petites arnaques habituelles. Trevor Burton affirme qu’il n’a jamais rien touché à l’époque : «I never got any royalties. I got about £1,000 I think at the end, for everything. Denny Cordell and Secunda had the rest, I think. God bless ‘em!».

    jon spencer,brian wilson + sly stone,the move,fiep,these animal men,patrick geffroy yorffeg,maniard,gene vincentTrevor Burton

             Quand Jimi Hendrix débarque à Londres, il fait des ravages. Tout le monde se fait boucler les cheveux : God, c’est-à-dire Clapton, Ace et aussi Trevor. C’est Jessie, la femme d’Ace, qui leur fait les permanentes. Mais les autres Move se foutent bien de leur gueule - the other members fell about laughing when they saw the new ‘Brum Fro’ perms - John Cooper Clarke les qualifie de «gone wrong Mods». Ce qui les isole un peu plus au sein du groupe. Car Ace et Trevor sont des acid heads, alors que les trois autres sont des beer guys. Le fossé se creuse entre les deux clans, comme il s’est creusé dans Hawkwind et dans Dr Feelgood : les speed-freaks d’un côté (Lemmy et Wilko) et les autres de l’autre. Ace et Trevor boivent l’acide au goulot. Trevor : «It was still legal then». Et il ajoute ça qui est important : «You never knew what the dosage was. I think Ace and I were some of the first people in England to do acid back then.» Trevor poursuit : «It was only Ace and me that took drugs in the Move. We were like kids in the sweet shop. Our other thing was amphetamines. Quand tu joues six soirs par semaine, t’as besoin d’un petit remontant.» Bien sûr, Ace en a abusé et Trevor dit qu’il était déjà «crazy» et que ça ne l’a pas arrangé - And he went off then rails - Et avec son Afro, il a perdu un peu de sa coolitude. Bev dit aussi qu’il portait  des «granny glasses», ce qui n’arrangeait rien. 

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             Les Move vont vite passer du r’n’b à un son plus West Coast, avec des reprises des Byrds, de Love et de Moby Grape. En 1967, nous dit Will Birch, «they were still ultra tight and ultra convincing on stage.» Et le groupe va commencer à se désintégrer. Secunda crée le scandale en s’attaquant au Premier Ministre Harold Wilson et les Move se retrouvent au tribunal. Ils virent Secunda et se rapprochent de Don Arden. Les Move tournent avec Pink Floyd, The Jimi Hendrix Experience et Amen Corner. On dit que ce package est l’un des «best ever to tour the UK.»

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    Hendrix + Trevor

             Début de la fin des haricots quand Ace quitte le groupe. Trevor prend la basse. Au lieu de partager à 5, ils décident de continuer en partageant à 4. Le groupe tient encore bien la route grâce au «Roy Wood eccentric but commercial songwriting.» Puis Trevor Burton quitte le groupe. Il n’a que 19 ans et il fréquente des gens comme Jimi Hendrix. Il ne supporte pas de voir ses collègues commencer à vouloir porter des peintures de guerre sur scène - Well thankfully I left before the warpaint came along - Il ne supporte plus non plus la pop ni «Flowers In The Rain» - I didn’t want to do pop music anymore - Il préfère le blues. Rick Price le remplace. Rick sent tout de suite la tension qui existe entre Roy Wood et Carl Wayne.

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             McCarthy évoque aussi la tournée américaine de 1969 : les Move traversent les États-Unis en bagnole, car ils n’ont pas de budget, donc pas d’avion. Ils montent sur scène au Grande Ballroom de Detroit avec les Stooges. Puis ils partagent l’affiche du Fillmore West de San Francisco avec Joe Cocker et Little Richard. Ils sont cinq dans la bagnole : Bev, Roy, Rick, Carl et Upsy, le road manager.

             Carl Wayne caresse pendant un temps l’idée de ramener Ace et Trevor (The fire of the band) dans le groupe, mais ça n’intéresse pas Roy qui préfère rester sur sa mouture Price/Bev/Carl. Carl se met en pétard et traite Roy d’égoïste. Fuck you ! Et il quitte le groupe.

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             Quand fin 1969 Carl Wayne quitte les Move à son tour, juste après «Blackberry Way», il est remplacé par Jeff Lynne. Avec les départs d’Ace, de Trevor et de Carl, «all the verve, the crazy fire, the wild energy - alas - was all well and truly gone», nous dit McCarthy. C’est là que Roy Wood se peint le visage et passe au very-heavy rock avec «Brontosaurus». En gros, les Move ont échoué là où ont réussi les Kinks, les Who et les Small Faces.

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             C’est l’occasion ou jamais de ré-écouter cette belle box blanche, The Move Anthology 1966-1972, parue sur Salvo en 2008. C’est de toute évidence le meilleur moyen de mesurer le power des Move sur scène. Commence par le disk 2, enregistré en février 1968 au Marquee. Boom badaboum dès «It’ll Be Me», un hit signé Jack Clement que tape Jerry Lee sur un single Sun, et là t’as une idée très claire de ce que veut dire the Move Power. Quel fabuleux ramdam ! Les Move sont alors le groupe le plus puissant d’Angleterre, avec les Who et les Small Faces. Dans le book qui accompagne la box, le mec indique que les vocaux ont été refaits, mais on s’en bat l’œil. Power des Move encore avec «Flowers In The Rain», rien à voir avec la version studio, ils avancent comme un bulldozer, puis t’as «Fire Brigade» tapé au power définitif. C’est gratté aux pires accords de London Town. Trevor Burton prend la chant sur «Somethin’ Else». Ils démolissent tout ! Carl Wayne reprend le micro pour «So You Want To Be A Rock’n’Roll Star», avec Trevor on bass. Ils défoncent la gueule des Byrds. Et ça continue avec «The Price Of Love», Roy Wood joue comme un dieu de la vraie note et ils t’explosent les Everlys aux harmonies vocales. Et ça repart de plus belle avec «(Your Love Keeps Lifting Me) Higher & Higher» et le «Sunshine Help Me» des Spooky Tooth. T’en reviens pas d’entendre un tel son, tout est rempli à ras bord. Ils proposent un mélange unique de Mammoth sound et d’harmonies vocales.

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             Ils attaquent le disk 1 (1966-1968) avec un pur shoot de protozozo, «You’re The One I Need» : du vrai raw to the bone, pure délinquance sonique. T’en avales ta gourmette. On sent bien la patte de Roy Wood dans «Night Of Fear» et «I Can Hear The Grass Grow» sonne comme un classique dès la première mesure. Fantastique pression, chœurs de génie, t’as là toute la magie du Swinging London. Ça te laisse béat. Puis tu tombes sur «Move» by the Move. Hello Jean-Yves. Ils y vont au Move move move !  Ils repartent ensuite au stop the train sur «Wave The Flag & Stop The Train». Quel beau beat ! Ace on bass ! Tu baves devant la fabuleuse fraîcheur de «Fire Brigade». C’est même l’hymne de la nostalgie.

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             Encore pas mal de puces sur le disk 3 (1968-1970). Plus d’Ace, mais une série de cuts qu’il faut bien qualifier de déments. À commencer par ce «Wild Tiger Woman» gorgé de power et de panache. Puis tu entres dans la période heavy des Move avec un «Blackberry Way» digne des Beatles, mais en plus heavy. Roy Wood enfonce encore bien son clou avec «Hello Susie», et t’as ce «Don’t Make My Baby Blue» vraiment digne des Small Faces. Roy Wood pousse l’heavyness dans les orties. Puis tu vas le voir injecter de l’Angleterre dans les Nazz avec un version tonitruante d’«Open My Eyes». Tout y est : le riff, les chœurs, le punch et le Roy d’Angleterre passe même un killer solo à faire baver d’envie Todd Rundgren.

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             On regagne la sortie avec le disk 4 (1969-1972), et tu vois le Roy d’Angleterre larguer les amarres avec un «Brontosaurus» heavy as hell. Ça bat encore tous les records d’heavyness avec le brillant «Turkish Tram Conductor Blues» - A train is coming down the line - il reprend bien le thème à la gratte. Avec son bassmatic, Rick Price vole le show sur «Feel Too Good». Rick est un bon, c’est la raison pour laquelle le Roy l’a intégré. Un  Roy qui attaque «Ella James» au pire gras double d’Angleterre. Il a aussi bien sûr une petite faiblesse pour les Beatles, on la retrouve dans «Tonight». L’allégeance du Roy aux Beatles est totale. Tu veux entendre l’une des intros du siècle ? Alors saute sur «Do Ya». C’est l’un des grands hits intemporels d’Angleterre - Do ya/ Do ya want my love - Il y a quelque chose de royal dans le festif du Roy. Et puis tu vas voir le refrain de «Chinatown» te tomber dessus - See the Western lady/ Walk in Chinatown - T’es dans la magie. Le Roy prend soin de ses sujets. 

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    Electric Light Orkestra

             Et petit à petit, Roy Wood commence à se lasser des Move. Il a d’autres idées en tête. Notamment Electric Light Orchestra. Il va se mettre au violoncelle et y transposer des riffs hendrixiens. Il enregistre quinze pistes de cello - It really was beginning to sound like some monster heavy metal orchestra - Puis il se lasse très vite d’Electric Light Orchestra et laisse Bev et Jeff Lynne le bec dans l’eau. Il va aussitôt monter Wizzard et caresser ses rêves spectoriens.

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             Wizzard revient aussi dans l’actu avec une petite box, The Singles Collection. Les vieux hits glam du Roy vieillissent admirablement bien, notamment «See My Baby Jive», qui est le summum du glam revu et corrigé par le Totor Sound. Le glam de Totor ? Le rêve impossible ! Même chose avec «Angel Fingers». Le Roy fait du Wall pur, on se croirait au Gold Star, avec un sax en prime. «Rock’n’Roll Winter» semble sortir d’un album des Ronettes. Tu restes en plein rêve avec «I Wish It Could Be Christmas Everyday». Le Roy pousse le bouchon de la prod dans les orties. Quelle allure royale ! Quelle déboulade ! C’est lui le Roy d’Angleterre. Wall of Totor Sound encore avec «This Is The Story Of My Love (Balls)». Il chante comme Ronnie Spector, il en est imprégné, il s’en sature à outrance, et il rajoute du sax, ce que n’osait pas faire Totor. Et puis t’as «Ball Park Incident», de wild glam de clameur certaine, le Roy y va au yeah yeah yeah. Il n’y a que les Anglais pour oser ce yeah yeah yeah. Le Roy vire gaga avec «You Got The Jump On Me». Joli retour aux Move. Alors attention, il pique aussi des crises classiques ou de ragtime, en mode jazz-band : c’est plus difficile d’accès, car complètement barré. Sur le disk 2, il envoie pas mal de cornemuses, de swing, d’heavy pop ultra-orchestrée, c’est très éclectique, mais on perd Totor et le glam. Ah la vie n’est pas toujours facile !

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             Dans son book, McCarthy consacre une place considérable à Tony Secunda. La stratégie de Secunda pour rendre les Move célèbres était simple : outrepasser les Who. McCarthy dit aussi que McLaren devait tout à Secunda dont il s’est inspiré pour lancer les Pistols - with his dark Svengali like management style - Secunda utilisait en gros les mêmes méthodes qu’Andrew Loog Oldham, Kit Lambert & Chris Stamp, et Don Arden. Il travaillait l’image du groupe comme l’avait fait le Loog avec les Stones. Sauf que les Move étaient un groupe de «self-styled hard nuts». Comme le fera McLaren après lui, Secunda aimait bien se montrer imprévisible. Les gens qui le côtoyaient le voyaient plus intéressé par le biz que par la musique. Il avait toujours des idées intéressantes, il adorait flirter avec l’illégalité, l’immoralité, voire le danger. McCarthy le compare à Lambert & Stamp et à Andrew Loog Oldham : «Secunda was perhaps the wildest and toughest of all them.» Il rappelle à la suite que Secunda a été «the driving force» derrière les Moody Blues, les Move, Marc Bolan, John Cale et Steeleye Span. C’est lui qui a poussé les Move à adopter un look de gangsters - The Move and Secunda were the most successful mariage of insane publicity, hit making and performative controversy and strength - Le seul groupe qu’on pouvait comparer aux Move était The Action. Secunda a tenté de les récupérer, mais ça n’a pas marché.

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             Marc Bolan surnommait Secunda ‘Telegram Sam’, ou encore ‘Sailor Sam’. Linda McCartney le comparait à un rat. McCarthy ajoute que Secunda a grenouillé dans Londres de 1965 aux années 70, puis il s’est installé aux États-Unis pour devenir agent littéraire, avant de casser sa pipe en bois en 1995, à l’âge de 55 ans. Il avait démarré dans l’organisation de combats de catch puis il s’est occupé de Johnny Kidd. Le Kidd était alors accompagné de Clem Cattini, Alan Caddy et Brian Greg. Ils jouaient pour 30 shillings la soirée, alors Secunda a fait monter les prix pour atteindre 100 ou 150 £ par soirée. Il va ensuite en Afrique du Sud fricoter avec Mickie Most puis remonte à Londres s’occuper de Lesley Duncan. Il passe aux choses sérieuses en découvrant les Moody Blues à Birmingham. La vie de Tony Secunda est un petit résumé du Swinging London. Quand les Move le virent pour le remplacer par Don Arden, Secunda est furieux et dit qu’il va mettre un contrat sur la tête d’Arden. Secunda fera aussi équipe toute sa vie avec Denny Cordell qui démarre en produisant le «Whiter Shade Of Pale» de Procol Harum. Secunda va même essayer de récupérer le management de Procol qui refuse - They refused to accept my guidance and adopted a prima donna manner. They turned down  £100,000 worth of engagements I had arranged for them and that’s an awful lot of bread - Puis il va manager Marc Bolan qui va vite le virer. Pour se venger, Secunda tente de lancer Steve Peregrin Took, mais cette histoire va tourner en eau de boudin, car Took se méfie de Secunda. Took recevait les visites d’un certain Syd Barrett qui remontait à Londres après être rentré chez sa mère à Cambridge. Selon Secunda, on entend Syd sur les enregistrements réalisés chez Took, les fameux «Took ramblings». Secunda tente aussi de prendre Lemmy en main, mais ça n’a pas débouché. Son dernier épisode managérial avec Marianne Faithfull fut bref : elle ne supportait pas les méthodes de Secunda. Il est aussi en contact avec Chrissie Hynde. Il approche aussi les Sex Pistols et s’intéresse plus particulièrement à Jamie Reid. Il conseille ensuite à John Cale de monter sur scène avec un masque à gaz. Secunda apprécie la madness de John Cale : «When the madness hit, it hit hard.»    

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    Tony Secunda

             McCarthy brosse aussi un long portrait de Chelita, la première épouse de Secunda, qui fut en 1970 engagée comme PR par June, la femme de Marc Bolan. Chelita conseillait Bolan en matière de mode. Elle était aussi dealer de coke. McCarthy affirme qu’à eux deux, Chelita et Tony Secunda fournissaient un bon quart de la coke qui circulait à Londres. Et pendant l’âge d’or de T. Rex, elle fut la poule de Mickey Finn. Pour décrocher de l’hero, elle est allée séjourner en 1979 à Trinitad. Elle était bien sûr l’amie d’Anita Pallenberg et de Marianne Faithfull. 

             Le vrai héros du Move book, c’est bien sûr Ace Kefford, lequel Ace déclarait dans une interview : «We’ve been brought up tough at school and on the streets.» Il parle de lui et de Trevor Burton. Il ajoute ça qui est marrant : «My mum and grandad both played the piano by ear. The style was with ‘boxing glove’ left hands.» Son père lui paye une basse - a pink Fender bass like Jet Harris had. I had the Jet Harris look too - Puis il devient Ace the Face. Sur scène avec les Move, Ace devient «a ladies’ magnet and a favourite.» Il joue avec «a dive bombing technique on bass, adding much gusto to the music.» Il gratte une Fender Precision blanche. Le son des Move est alors l’un des «heaviest and loudest music ever played aloud onstage before punk or metal.»

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             Au sein des Move, Ace n’est pas à l’aise, car il n’a aucune éducation. Les autres le lui font bien sentir. Bev : «We were pretty hard-nosed Brummies.» Puis le répertoire change : terminé les belles covers de r’n’b que chantait Ace. Il le vit assez mal. Il chante de moins en moins. Les Move deviennent le groupe de Roy Wood. Quand Ace propose ses compos aux autres, ça ne les intéresse pas. Lors d’une répète, Ace lance sa basse dans le mur et s’en va. Quand «Fire Brigade» paraît, Ace a quitté les Move. Avril 1968. Le même mois, Syd Barrett est viré de son groupe, le Pink Floyd. Un sort que partagent aussi Peter Green et Brian Jones. Roy Wood : «Ace left because he couldn’t handle it. Depuis le début du groupe, aucun de nous ne s’entendait bien avec lui. He was a very strange person. He was very agressive.» Robert Davidson : «Poor old Ace, he was the one who fell in the spring of 1968 and ended up in a mental hospital.» Ace reconnaît que l’acide l’a bien esquinté : «Me and Trevor Burton did loads of acid... But it screwed up my life man. Devastated me completely.» 

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             La légende d’Ace Kefford ne s’arrête pas là. D’où l’intérêt de choper le Move book. Après son retour à Birmingham, McCarthy indique d’Ozzy Osbourne et Jeff Beck sont allés à se recherche, le voulant comme chanteur/bassman. Ozzy a même réussi à le rencontrer pour lui proposer de jouer avec Blizzard Of Oz. Mais Ace le trouve trop cinglé et dit non - I was already an alcoholic then. Also, I didn’t really like heavy metal music. But the main reason was I hadn’t the guts - Cozy Powell l’appelle et lui dit que Jeff Beck le cherche pour chanter dans son groupe. Ace se rend à des répètes à Londres. Jeff lui dit : «After you left the Move, I came looking for you all over Birmingham. Not as a singer but as a bass player.» Ace est fier d’entendre ça, car les Move lui laissaient entendre qu’il n’était pas si bon - Jeff Beck said Jimi Hendrix had rated me and had recommanded me to him. What further proof do you need that you’re a good bass player?

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             Quelle surprise quand on écoute The Lost 1968 album jamais paru d’Ace Kefford. On le trouve sur une compile Castle : Ace The Face (The Lost 1968 Album… And More). Ace chante comme un crack, c’est ce que révèle «Oh Girl». Ace est un chanteur puissant. Par contre, il bouffe un peu à tous les râteliers : il peut faire son Cat Stevens («White Mask») et son Obladi Oblada («Lay Your Head Upon My Shoulder»). Il revient au Move System et à la grosse bass attack avec «Step Out In The Night», mais il faut attendre «Trouble In The Air» pour crier au loup. Et ça gratte sec derrière Ace. Le cut a une fantastique vie intérieure, avec des riffs de clairette et un son de gratte metal. Et tu entends Jimmy Page passer un killer solo flash sur «Save The Life Of My Child». Puis tu tombes sur une série de cuts de l’Ace Kefford Stand, avec les frères Ball et Cozy Powell. Ils démarrent par une somptueuse cover de «For Your Love». Les voilà sur les traces des Yardbirds, avec le beurre fatal de Cozy Powell. Dave Ball se tape la part du lion avec un guitarring flamboyant. Il charge encore bien la barcasse sur «Gravy Booby Jamm». La Jamm est emportée comme un fétu par la rivière en crue, the Ball is on fire, c’est un fou ! Ils tapent plus loin une belle cover de «Born To Be Wild» et le Dave Ball se barre en crouille-martingale. Et t’as un bassmatic de haute voltige sur «Daughter Of The Sun» : Denny Ball vole le show, pendant que son frère passe en roue libre. Ace The Face est partout. Il a la voix. Il monte encore un projet nommé Rockstar et enregistre un «Mummy» sur lequel il sonne exactement comme Ziggy. Il aurait pu devenir énorme !  

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             Qui dit Ace dit Trevor. Trevor n’a que 19 ans quand il quitte les Move. Il jamme avec Jimi Hendrix et les gens de Traffic. Il fait partie de Ball, un super-groupe qui a failli exploser et dont Jackie Lomax fut brièvement le chanteur. Mais Ball est resté lettre morte. En 1970, il joue avec Crushed Butler et enregistre 12 cuts avec le groupe. Ça devait sortir sur Wizard, le label de Secunda. On n’en saura pas davantage. Entre 1971 et 1972, Trevor joue avec les Pink Fairies. On l’entend sur deux cuts de What A Bunch Of Sweeties. Il devient session man pour Island et on l’entend sur le Backstreet Crawler de son pote Paul Kossoff - The Backstreet Crawler one I did with Paul is my favourite - Puis il développe une petite addiction à l’hero. Secunda lui ordonne de rentrer chez lui à Brimingham to clean up - or I was going to die - Trevor suit son conseil et quitte Londres - I went back home to me mothers (sic). I went cold turkey and cleaned myself up - Puis en 1975, il rejoint the Steve Gibbons Band et va y rester 8 ans. McCarthy évoque bien sûr les quelques albums enregistrés par Trevor sur le tard.

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             Il ne faut pas attendre des merveilles de Long Play. C’est un album gratté à coups d’acou. On y entend le vieux Move taper un «Hit & Run» autobiographique et brillant. C’est le seul cut de l’album qui vaille la corde pour le pendre. Trevor fait un peu de Dylanex avec «Poverty Draft», et tape une belle cover de l’«In The Aeroplane Over The Sea» de Neutral Milk Hotel, mais pour le reste, c’est très compliqué.

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             Par contre, tu peux mettre le grappin sur cet album du Trevor Burton Band : Blue Moons. Incroyable qualité du son, t’es hooké aussitôt «Little Rachael» et son joli gras double. Tu savais que les Move étaient une bande de surdoués, mais là, le Trevor t’en bouche un coin. Tu t’attends à un album classique de blues-rock et t’as un big album dans les pattes. Apparemment, le lead guitar s’appelle Maz Matrenko et ce démon de Trevor chante comme un cake. Ils passent en mode puissante country pour un «Buffalo River Home» assez déterminant. Trevor sait blower un roof et il finit à la folie douce de riding home. Il s’impose cut après cut. Sur «When It All Comes Down», le Maz se barre en sucette de solo d’espagnolade demented. S’ensuit un fantastique balladif intitulé «Out Of Time». Ça sonne comme un hit. Trevor lui donne des couleurs. Il sait forcer sa chique. Son «Out Of Time» vaut bien tous les grands balladifs de la Stonesy. Quel album ! Trevor ne prend pas les gens pour des cons. Il s’impose avec un bel aplomb. Avec «If You Love Me Like You Say», il te fait le coup de Freddie King revisité par les Anglais. Il fait le white nigger et y va au raw, et derrière t’as le Maz qui t’amaze. Il joue comme un dieu. On se prosterne une dernière fois devant «Mississippi Nights». Trevor sait rôder dans la paraphernalia urbaine. C’est un fantastique mover-shaker.

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             McCarthy fournit aussi pas mal d’infos passionnantes sur Don Arden. L’Arden commence par récupérer une agence, Galaxy Entertainment, qui gère les carrières des Move, d’Amen Corner, des Nashville Teens, de The Action et de Neil Christian. Il a essayé de lancer The Attack, avec David O’List, mais ça n’a pas marché. McCarthy rappelle un détail essentiel : l’Arden adorait le processus créatif. Il avait aussi investi dans le Star Club de Hambourg en rachetant des parts. Il fut brièvement le manager de Gene Vincent, mais leur relation prit fin le jour où Gene lui mit une lame sous le nez. Le meilleur hommage à Don Arden est celui que lui rend Andrew Loog Oldham : «Here was a Jew that ran London, and thank God!». Le Loog se dit d’ailleurs fasciné par «the larger-than-life characters like Don Arden.» Pour lancer les Small Faces, l’Arden fait appel à Kenny Lynch qui compose «Sha La La La Lies» en 5 minutes. Don Black ajoute à tout cela que Don Arden «was far more rock’n’roll thant Gordon Mills and Brian Epstein.» En 1974, Don Arden monte son label, Jet Records. On trouve dans son roster Lynsey de Paul, Gary Moore, Alan Price et Adrian Gurvitz. L’Arden manage aussi Sabbath. C’est là que Sharon Arden craque pour Ozzy et l’épouse. Et bien sûr, on va retrouver sur Jet l’Electric Light Orchestra de Jeff Lynne.

             Roy Wood va renaître des cendres des Move et s’adonner à sa passion pour le Totor Sound. C’est dirons-nous une évolution logique. Celle qu’a aussi vécue Brian Wilson. Lynsey de Paul sera sa poule pendant un temps. On l’entend d’ailleurs sur «Rock‘n’Roll Winter». Mais les albums de Wizzard, See My Baby Jive et Eddie & The Falcons vont flopper. Ceci fera d’ailleurs l’objet d’un futur chapitre.  

    Signé : Cazengler, The Mou

    The Move Anthology 1966-1972. Salvo 2008

    Wizzard. The Singles Collection. Cherry Red 2023

    Jim McCarthy. Flowers In The Rain. The Untold Story Of  The Move. Wymer Publishing 2024

    Trevor Burton. Long Play. Gray Sky Records 2018

    Trevor Burton Band. Blue Moons. MASC Productions 1999 

    Ace Kefford. Ace The Face (The Lost 1968 Album… And More). Castle Music 2003

     

     

    L’avenir du rock

     - La FIEP du samedi soir

             Campé devant le grand miroir en pied, l’avenir du rock s’ajuste. Il lisse sa flamboyante crinière noire, sort le col pelle à tarte pour bien l’étaler sur les revers de son veston blanc, tire d’un petit coup sec sur le bas du gilet boutonné pour éradiquer les derniers plis et fait glisser les semelles de ses boots pour tester une dernière fois le lissage des semelles en cuir. Il descend dans la rue en chantonnant un petit coup de diskö - You’re stayin’ alive/ Stayin’ alive - et se glisse dans la foule en tortillant bien du cul. Il sait qu’à la terrasse du coin de la rue sont installés Boule et Bill. Justement les voilà. Il retortille du cul de plus belle. You’re stayin’ alive/ Stayin’ alive !

             Boule l’interpelle :

             — Où tu cours comme ça, avenir du rock ? 

             L’avenir du rock s’arrête un moment à leur hauteur, esquisse un pas de danse tout en ondulant vigoureusement des hanches et répond sur l’air de «Stayin’ Alive» :

             — Ahhh Ahhhh Ahhhh 2001 Odyssey/ 2001 Odyssey !

             Boule et Bill sont stupéfaits. L’avenir du rock bat tous les records de concupiscence.

             Boule beugle :

             — Ma parole ! T’es devenu une vraie tapette !

             Bill brait :

             — Tu prends combien, chéri, pour me sucer ?

             L’avenir du rock éclate d’un grand rire cristallin et fait une pirouette sur lui-même, saute en l’air et retombe en ciseau pour faire le grand écart - You’re stayin’ alive/ Stayin’ alive - Il ramène aussi sec ses deux pieds l’un vers l’autre et se redresse comme par magie. Boule et Bill sont bluffés.

             — Où tu veux en venir, avenir du rock ?

             — La FIEP, les amis ! La FIEP !

             — Quoi la fieppe ?

             — Ah ce que vous pouvez être lents à la détente ! La FIEP du samedi soir !

     

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             Parfois, c’est ton jour de chance. Tu descends à cave et tu tombes sur un bon groupe. Alors t’es bien content. Ça te donne une bonne raison de continuer à vivre. Le groupe est hollandais et s’appelle FIEP. Rien à voir avec la diskö, rassure-toi. Parlent dans leur langue. Pas la grosse affluence, mais ça ne les dérange pas. On sent bien qu’ils ont envie de jouer. Ils sont là pour ça. Pour en découdre. Pour enfoncer leur clou dans la paume du beat. T’as deux ou trois mecs sur scène et au milieu une petite blonde en jupe courte avec un look ado, à cause de ses grandes chaussettes blanches. On apprendra par la suite qu’elle s’appelle Veerle Suzanna Driessen. Elle dégage quelque chose. Disons qu’elle rayonne.

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             Dès qu’ils mettent leur set en route, tu sens le souffle. Ils tapent une pop extrêmement énergétique et sont capables de belles montées en neige, le vertige ne leur fait pas peur. Ils vont très vite à percuter et quittent avec une aisance stupéfiante la pop bien construite pour basculer dans des morasses psyché du meilleur acabit. Et là tu ne dis pas oui, mais wow ! T’applaudis des deux mains, car leur élan est d’une sincérité à toute épreuve. T’es vraiment content de voir foncer cette équipe

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     d’Hollandais, ils ne semblent rien devoir à personne, ils proposent des cuts frais et extrêmement dynamiques, te casse pas la tête à essayer de les référencer, contente-toi de savourer leur originalité et leur goût pour le final en forme de champignon atomique, que tu retrouves notamment dans l’ébouriffant «Ha Ha». Si t’as ramassé leur album Fried Rice Moon Bliss au merch, tu vas y retrouver ce joyau en forme de fière évolution du domaine de la turlutte, avec en guise de final, une clameur

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    fantastiquement viscérale. T’es à la fois scié et projeté. Et au milieu de tout ce bordel, t’as la petite Suzanne qui gratte sa gratte en secouant les cheveux. Spectacle complet. Art total. C’est avec ce genre d’exploit qu’ils raflent la mise. À côté de la petite Suzanne, t’as un mec en short qui gratte sa Tele avec une agressivité peu banale, il met une telle opiniâtreté à gratter ses poux qu’il en casse une corde, mais il continue à jouer comme si de rien n’était. Franchement, la FIEP du samedi soir vaut le

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    détour. L’autre cut Kratoïque du set s’appelle «R U Reading», il se trouve lui aussi sur l’album. Ça part en mode poppy poppah et ça s’en va télescoper l’excès de plein fouet, mais avec une rare violence, et la clameur te disjoncte pour mieux te projeter dans la stratosphère, tu passes de l’état de lettre morte à celui d’ectoplasme. Ça veut dire que cette musique te sort de toi et t’exporte ailleurs. Tu n’en demandais pas tant. Il y a quelque chose d’incroyablement jubilatoire dans leur son. Sur scène, ils

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     sont absolument somptueux d’explosivité, tu crois que le cut va leur échapper, mais ils le contrôlent. Pfffff ! Rien qu’avec ces deux sommets du genre FIEPy, t’es gavé comme une oie. T’as tout ce que tu peux attendre d’un concert de rock : la fraîcheur de ton, l’explosivité bien calibrée, l’inexorabilité de la présence scénique, l’originalité des compos et des moments qui culminent pour atteindre la perfection de l’instant T.

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    Signé : Cazengler, FIEP de ne rien faire

    FIEP. Le Trois Pièces. Rouen (76). 2 juin 2025

    FIEP. Fried Rice Moon Bliss. Not On Label 2025

    Concert Braincrushing

     

     

    Inside the goldmine

     - Call me Animal

             Zyzany était baisé d’avance. Avec un nom pareil, t’as aucune chance dans la vie. Tu peux être gentil, intelligent, courtois, prévenant, honnête, sérieux, solvable, cultivé, tu peux avoir toutes les qualités, ça ne sert à rien. En plus Zyzany était assez beau. Il aurait pu plaire aux femmes. Mais dès qu’il disait s’appeler Zyzany, c’était foutu.

             — Comment t’as dit ?

             — Zyzany !

             — Non... Tu plaisantes ?

             Il aurait pu choisir un surnom, du genre Zyzou, ou Zazou, mais il ne voulait pas tricher. Il faisait partie de ces gens très purs qui partent du principe qu’une relation sentimentale repose sur l’acceptation totale de l’autre. Il pensait souvent à cette fiancée de Dieu dont Bruno Dumont fait le portrait dans Hadewijch. Il voyait la relation sentimentale de la même façon, comme un absolu. À sa façon, Zyzany était un mystique. L’amour pour lui était avant toute chose une lumière. Rencontrer une femme, c’était une façon de connaître la révélation. Dans sa grande naïveté, il pensait que ce désir de pureté était réciproque. Il ne savait pas encore qu’il allait passer sa vie à attendre. Il comptait trop sur la providence. Les gens trop purs sont à l’image des agneaux qu’on conduit au sacrifice. Zyzany n’espérait qu’une seule chose : pouvoir enfin partager avec une femme cette notion très pure de l’amour. Les années passaient et chaque fois que l’occasion se présentait, il s’échouait sur le même écueil :

             — Comment t’as dit ?

             — Zyzany !

             — Non... Tu plaisantes ?

             Considérant sa vie comme un échec, et las de se sentir inutile, il partit un beau matin randonner en haute montagne et alla se jeter dans une crevasse. Car il n’était bien sûr pas question pour lui d’aller encombrer un cimetière.

     

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             On peut dire sans crainte de commettre une erreur que Zyzany et These Animal Men ont connu le même destin : trop purs et incompris. Tombés dans l’oubli. Arrachons-les à l’oubli !

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             Il suffit d’une page dans Vive Le Rock pour réanimer d’antiques ferveurs. VLR consacre en effet sa rubrique ‘Rough Guide’ à la New Wave Of New Wave (NWONW), c’est-à-dire S*M*A*S*H et These Animal Men. Il s’agit en fait d’un buzz créé par la presse anglaise au début des années 90, juste avant la Britpop. Deux groupes seulement, mais quels groupes ! On reviendra sur S*M*A*S*H une autre fois.

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             These Animal Men auraient dû devenir énormes. En tous les cas, leurs trois albums valent vraiment le détour. Le Rough Guide mentionne les «controversial lyrics et les confrontational riffs inspired by the fire of punk», mais en fait les Animal Men allaient beaucoup plus loin. Des groupes ont tout le temps essayé de recréer le buzz des Pistols : The Towers Of London ou les early Manic Street Preachers, mais les ceusses qui ont vraiment failli y parvenir sont These Animal Men. Ils sont arrivés en plus au moment ou le Grunge ravageait l’Amérique, et au moment où la house et les raves ravageaient l’Angleterre. Seuls les Stones Roses indiquaient une autre voie.

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             Fans des Stones et des Clash, Julian Hewings et Patrick Murray montent donc These Animal Men à Brighton. Julian : «All the old rock’n’roll stars had started to feel guilty about how successful they’d been. It was trying to pull its big-boys trousers up and be a no-gooder. Fuck that shit, man!». Ils avaient en plus de vraies allures de rock stars, ils trimballaient des looks parfaits, de ceux qu’on ne voit plus guère aujourd’hui dans la presse anglaise, excepté Johnny Marr qui continue de se coiffer, ou Peter Perrett qui n’a jamais cessé de se coiffer.

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             Le nom du groupe vient d’une phrase qu’aurait prononcé Jules César lancé à la conquête de ce qui allait devenir l’Angleterre, c’est-à-dire la terre des Angles. Quand il a vu arriver les Angles, effrayé par leur laideur et leur crasse, il se serait exclamé : «Oh these animal men !» Le chemin a donc été long jusqu’à Oscar Wilde.

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             Bon, t’as trois albums, c’est pas la mer à boire. Le premier paraît en 1994 et s’appelle (Come On) Join The High Society. C’est un fantastique album. Julian Hewings qu’on surnomme Hooligan sonne comme l’early Bowie sur «Empire Building» et «Ambulance». Ses accents à la Ziggy ne trompent pas. Et t’as des lyrics fantastiques à base d’your misfit soul. Il règne sur cet album un fort parfum de glam-punk. Et puis t’as toutes les influences qui remontent à la surface : Small Faces dans «Flawed Is Beautiful (heavy glam-rock), Pistols dans «This Is The Sound Of Youth» (même hargne, wild as fuck), et Who dans «Too Sussed?» (Les accords de clairon sont ceux des Who, c’est un cut écarlate, d’une puissance rare, élucidé de l’intérieur par des chœurs extravertis). Encore du big glam-out avec «You’re Always Right», un glam incroyablement inverti, merveilleusement mouillé, sanctionné par un solo classique pur et dur. «Sitting Tenant» est aussi très clair sur ses intentions, car monté sur un big bassmatic de dub. Jah peut aller se rhabiller. Et en prime, t’as un refrain à la Ziggy. Cut emblématique encore avec «We Are Living» - Nicotine, acohol amphetamine we take it all - Sex & drugs & rock’n’roll à l’état pur. Quel album ! Et c’est passé à l’as, tu te rends compte ? Il finissent avec un slight return sur le morceau titre, bien dans l’esprit du «Rock’n’roll Suicide» de Ziggy.

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             Pochette bizarre pour Too Sussed?, mais morceau titre digne des Who, comme déjà dit. Ils développent exactement le même power ! C’est infernal de véracité Whoish crue. On se croirait sur Live At Leeds. S’ensuit une nouvelle giclée de grande pop anglaise avec «Speed King», et final en big solo flash. Mais en fin de balda, ils finissent par perdre le panache Whoish de Too Sussed. En B, «Who’s The Daddy Now» sonne comme une véritable entreprise de démolition, et ils passent au heavy balladif chargé de la barcasse avec «You’re Not My Babylon». Ils se montrent capables de très gros développements expiatoires.

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             Accident & Emergency sera donc le dernier album des Animal Men. Pochette fantastique, album fantastique, t’es là au max des possibilités qu’offre le rock anglais. T’as du heavy glam dès l’ouverture de balda avec «Life Support Machine», et ça continue avec «Light Emitting Electronical Wave», ça glamme dans la couenne du lard, c’est un glam puissant chanté à deux voix. Quel racket ! «24 Hours To Live» sonne comme un hit et ils plongent dans l’heavy groove Animal avec un «So Sophisticated» bien titillé de la titillette. Par contre, la B est moins bonne. Ils s’énervent un peu sur «Ambulance Man», mais ça reste de l’Animal de zone B.

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             Il existe aussi un mini-album chaudement recommandé : Taxi For These Animal Men. Pour deux raisons : «False Identification», bien secoué du bananier, et «Wait For It», avec son intro du diable et le bassmatic de congestion compulsive bien remonté dans le mix. «Wait For It» sonne comme un hit séculaire. Encore une belle énormité avec «You’re Always Right». Julian Hewings jette son dévolu dans la balance, c’est bardé du best barda in town. Fabuleux, coloré, vivant, one day ! Glissé dans la pochette, t’as un booklet grand format de 24 pages richement illustré qui documente leur voyage à New York pour un concert et une émission de radio dans le New Jersey.  En fait, le texte n’est pas très bon, Paul Moody n’a rien de très intéressant à raconter. Les Animal Men rencontrent l’écrivain Quentin Crisp et ils se font photographier avec lui.

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             Après la fin des Animal Men, Julian Hewings, Craig Warnock et Alexander Boag montent Mo Solid Gold avec le black ‘K’. Après enquête, on découvre qu’il s’appelle Kevin Hepburn. Et quand t’écoutes Brand New Testament, tu ne comprends plus rien : comment un album aussi génial a-t-il pu passer à la trappe ? Ce fut sans le moindre doute le meilleur album de 2001. T’as ce crack de K qui allume aussitôt avec «Prince Of The New Wave», vite soutenu par l’Hammond de Warnock et le punk guitarring d’Hooligan Hewings. T’as un mélange sidérant de black Soul et de punk-rock britannique. Cocktail définitif ! Tout est puissant et ultra-joué sur ce Testament. «Love Keep On» est assez proche de ce que fait The Heavy dans la déclaration d’intention. Et voilà l’explosif «Spooky Too» qui va bien au-delà des espérances du Cap machin-chose, ils percent les blindages, aw Lawd, ils travaillent une formule ambitieuse. Plus loin, t’as «Personal Saviour» monté sur un petit riff sixties de type Spencer Davis Group et K te chante ça comme un crack black. Il fait ensuite son Tom Jones avec «Ghost In My House». Big voice ! Et puis on va taper dans les coups de génie avec «On My Mind» et «Mo Trilogy». K chauffe bien son attaque  d’You’re/ You’re on my mind. Il y va au croon de charme et arrache littéralement le cut du sol, cette brute shoote comme un wild-as-fuck, il monte son you’re in my mind très haut, il fait autorité, il en fait une merveille historiographique, Aw K, Black Power man ! Quel aplomb d’airain ! T’as aucune comparaison. Il te plaque son cut au ciel avec un timbre cinglant et avec le power d’un dieu, tiens, on va en prendre un au hasard : Zeus ! Si tu veux bien imaginer un Zeus black. Avec «Mo Trilogy» c’est encore pire : il bat les Righteous Brothers à la course. K est un géant. Il monte même au-dessus des géants. Cette attaque en hauteur est unique au monde. Il monte une deuxième fois et t’explose l’Ararat qui s’dilate. L’album aurait dû smasher, au moins en Angleterre. T’en sors complètement scié.

    Signé : Cazengler, animé

    These Animal Men. (Come On) Join The High Society. Hi-Rise Recordings 1994

    These Animal Men. Too Sussed? Virgin 1994

    These Animal Men. Taxi For These Animal Men. Hi-Rise Recordings 1995

    These Animal Men. Accident & Emergency. Hut Recordings 1996

    Mo Solid Gold. Brand New Testament. Chrysalys 2001

    A Rough Guide To The New Wave of New Wave. Vive Le Rock # 99 - 2023

     

    *

             Il n’arrête pas, il joue d’à peu près tous les instruments, il dessine, il peint, il sculpte, il photographie, il lit, il écrit, il chante, il compose, il est blues, il est rock, il est jazz, il commet tous ces crimes et tous ses cris, tranquillou mais en transe intérieure, chez lui.

             Dans notre livraison 686 du 17 / 04 /2025 nous présentions un de ses objets sonores difficilement identifiables, en tant que serial-admirater nous récidivons, oreilles chastes n’écoutez pas, vous seriez les prochaines victimes. Toutefois nous vous accordons quelques minutes de répit avant que vous ne passiez à la casserole. Auditive.   

             Juste quelques notes préliminaires. Cette vidéo est un mix. Cette kronic aussi. J’y ai mêlé les cinq strophes du poème Danse sacrée avec le feu composé par GFY en hommage à Jimi Hendrix. L’œuvre sans guitare est composée pour deux instruments, Shehnai et percussions. Tous deux joués par GFY.

             Le Shehnai est un instrument indien, une espèce de flûte baryton pas très longue mais à hanche double. Il est utilisé lors de cérémonies dans les temples et accompagne de nombreuses festivités familiales. Le shehnai ne se joue pas en solitaire, il faut plusieurs shehnai (pour faire un chevaux suis-je tenté de dire) pour composer un orchestre. Je suppose que plus on est riche plus on se doit d’embaucher de musiciens. Au naubat ainsi formé vous ajouterez un khurdak qui comme chacun sait est une petite percussion. Le khurdak de PGY semble fait d’éléments de batterie et de cuisine. De break et de brocke.

    SACRED DANCE WITH FIRE

    PATRICK GEFFROY YORFFEG

    (YT / 2021)

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    Quelques notes comme un signal, un shehnai de trompette, P.G.Y veut-il alerter le monde. Lève fièrement la tête comme un légionnaire romain qui s’apprête à souffler dans un buccin, et le miracle se produit, en sourdine un deuxième shehnai se joint à lui, sont deux maintenant à jouer, à se répondre, un dialogue avec soi-même, est-ce pour cela que l’image se dédouble, que vous avez deux ombres qui marchent côte à côte comme disciple qui côtoie Aristote, une ombre facétieuse qui joue à l’ombre qu’elle n’est pas sur le mur, le son est-il aigu pour les tympans obtus, coupure infinitésimale, pas le temps de compter les décimales,  Geffroy nous tourne le dos, le voici qui tapote, comme s’il beurrait des biscotes, ne pas casser la cavalcade, et pendant que le gong  gondole et mirobole  son son, le cri perçant du shehnai revient,  combien sont-ils, n’empêche que Patrick ne l’écoute point accaparé par sa console sonore de timbalier au chagrin, tape de ses deux bras, s’en rajoute deux en surimpression, décalcomanie psychique hindienne, aspire-t-il à être Shiva, le dieu destructeur à mille mains, explose une pétarade de shehnais qui montent à l’assaut, le combat dure longtemps, l’image se couvre d’une teinte brun-rosé, il souffle dans son shehnai, l’art est-il avant tout un combat contre soi-même, une apocalypse criarde d’égo survolté qui se dynamite de

    Le roi soleil électrique

      perce le mur du son

        sur sa guitare noire

           Fender Stratocaster

            où mille doigts de feu

              dansent sur les cordes

                à la vitesse de l'éclair

                  jusqu'à fendre l'air.

     l’intérieur, avez-vous entendu le son du Shehnai le soir au fond d’un bois, si oui : j’ai le regret de vous annoncer que vous êtes déjà mort, imaginez un nid de serpents qui sifflent dans vos oreilles, le Geffroy l’a pas froid aux esgourdes, il fait comme s’il ne les entendait pas, il caresse la peau de ses tambours, il maillote avec délicatesse, il percute sans rut, le mec qui se fiche des stridences des cornemuses des régiments écossais, ces farouches highlanders qui filent droit vers lui dans son dos, lui cisèle la petite touche, celle qui amplifie la catastrophe, il orchestre sa symphonie du désastre comme s’il marquait précautionneusement le rythme d’un chant d’oiseau de Messiaen, ayant le souci que le passereau effarouché ne s’envolât vers de nouveaux cieux radieux, le shehnai lui il s’en moque, de temps en temps il se lance dans solo à circonvolutions multiples à la Miles Davis, ou alors avec ses copains dans une immonde klaxonade mexicaine, un petit coup de l’adieu aux armes martelée avec vigueur, suivi d’un concours de shehnai à qui sifflera le plus longtemps, le plus lointain, jusqu’à expiration, le PGY interrompt sa trépanation temporaire pour s’emparer

      Sur ce point orgasmique de l'univers

        c'est là que tout se joue,

          c'est aussi là que tout commence,

            jusqu'à dérive tire lyre

              les strates de la terre,

                dans la démesure azurée

                  de la note bleue

                     qui vibre à perdre haleine.

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    de son shehnai personnel et se lancer dans un interminable glissando sur le dos d’un do mineur qui tente le grand saut dans le néant, vers l’interruption de grossesse métaphysique, un contre-rut inédit, mais non il s’est échappé, il file tout droit, inutile de l’estabousier d’un grand coup de cymbale, parfois la musique se libère du musicien et s’en va battre la campagne, une fusée interplanétaire qui vous lape la voie lactée d’un seul coup de langue, et drôle de bruit elle s’enfonce dans un trou noir, le gong sort donc de ses gonds car il n'entend pas ne pas l’accompagner, l’entraide est le meilleur moyen de survivre a écrit Kropotkine, alors batucada de barricade et section de cuivres boisés partent ensemble, elles courent pour qu’on ne les rattrape, on croit qu’on ne les reverra jamais plus, surprise les voici, pour se faire pardonner le shehnain ous refile un solo de sax à s’y méprendre, puis

      Vibrations originelles

        à pleines dents,

           à pleine bouche

            de l’univers,

              où voûte crânienne

                 et voûte céleste

                  se confondent.

    un tremblement de trompette entre barrissement déchiqueté d’éléphant tuberculeux et un spasme méticuleux à la Ravaillac écartelé par quatre chevaux, serait-ce un adieu ou un appel, l’on ne saura jamais, nous parviennent des éclats, des brisures, des emballements, sans fin, sans fin,

      Oh Jimi !

        grand fleuve d'amour

          tu retournes

            à la source du blues océanique.

    un crépuscule qui ne veut ni s’éteindre ni se raviver, une stagnation inouïe, une splendeur symphonique sabotée à grands coups battériaux, rien n’est plus têtu qu’un Shehnai qui ne veut pas mourir, il expire, la dame aux camélias sur son lit de mort n’a jamais réussi à pousser de telles clameurs rauques, de tels vagissements de nouveau-né à peine jailli du ventre de sa mère que l’on se hâte d’enfouir tout de suite en terre dans un cercueil capitonné, car il est des présences inhumaines qui nous sont interdites.

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      Ta musique coule

        dans les veines du temps.

          Tu as ouvert en grand

            les portes des paradis artificiels

              où

                tout

                  vole

                    en

                      poussières

                        d'or

    Musique de nôtre temps, mais d’une autre temporalité.

    Damie Chad.

     

    *

             Il est des titres qui vous attirent. Surtout lorsqu’ils semblent aller à l’encontre des représentations les plus habituelles. Le point de départ de ce qui, in fine, a donné à Einstein l’idée de la théorie de la relativité est d’avoir entendu les clochers de sa ville, chacun fièrement dressé dans son quartier, sonner l’heure, pas tout à fait à la même heure, quelques secondes avant ou après, voire selon un intervalle d’une minute les uns par rapport aux autres. Vous en auriez conclu que les horloges étaient décalées qu’il y en avait sûrement plusieurs en retard ou en avance. Einstein en a simplement déduit que chaque clocher possédait son propre temps, ou ce qui revient au même, que le temps n’est pas le même selon l’endroit où il se trouve. Un  sophisme pensez-vous ? Qu’en savez-vous au juste ? Le propre du génie ne serait-il pas de tirer d’une observation primesautière, une règle qui exprimerait une loi fondamentale – n’oubliez pas que dans ce mot vous avez le fond mais aussi le mental, preuve qu’il se passe autant de choses dans l’univers que dans votre esprit. Bref jugez de ma stupéfaction lorsque m’est apparu le titre de cet album :

    FRAGMENTS OF TIME

    MANIARD

    (Bandcamp / Mai 2025)

             Ils ont sorti un premier EP trois pistes en 2013, z’ont dû se perdre durant un long moment dans une boucle de l’espace-temps, j’opinerais pour la Norvège, dont ils ne sont parvenus à s’échapper qu’en 2024 pour produire deux morceaux que l’on retrouve sur cet album.         

             Le groupe est domicilié à Bordeaux. J’imagine que Maniard est le nom d’un hameau perdu au fond de l’Aquitaine, mais je n’en sais fichtrement rien. Sont trois : honneur à la demoiselle : Tara Vanhatalo : basse / Thomas Vanhatalo : voix, guitare, claviers / Thibault Guezennec : drums.

    Plus prosaïquement parlant, la sœur et le frère avaient formé un groupe dans leur jeunesse, ils ont décidé de compiler sur cet album les morceaux qu’ils avaient écrits tout au long de tout cet entre-temps passé… Une manière somme toute proustienne de le retrouver…

    L’artwork attribué à Romain Meyraud est assez étrange, il oscille sans arrête entre abstraction lyrique cosmologique et personnages de bande dessinée déjantés, tout dépend du temps que vous passerez à le regarder.

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    Fragments of time : grondement lointain, qui grossit de plus en plus dans notre ouïe, pas d’image, nous sommes comme des aveugles qui s’apercevraient que nous situons juste au début du film, juste le défilement du générique, nous imaginons le choc titanesque entre quoi et quoi nous ignorons tout de la calamité qui va se produire, ben non on appréhendait le pire, l’on a droit à un résumé, soyons juste le speaker a un bel organe (demoiselles un peu de tenue) c’est beau, très poétique, on s’y laisserait prendre, la voix des sirènes homériques frappe encore, incroyable mais vrai c’est déjà fini, quelque part on a  pour notre argent, chrono en main, en deux minutes tout est dit, rien n’est caché, toute l’histoire de l’univers, certes pour les détails c’est râpé, je ne vous révèle pas les derniers épisodes, remerciez-moi pour les cauchemars évités, vous vous reconnaîtriez si facilement en heroes of tne very bad end. . Valley of the Gods : entrée fracassante, technicolorique, l’orage gronde les cymbales pépient comme les oiseaux du malheur du lac Stymphale, travail herculéen de Thibault sur sa batterie, le frère et la sœur vous roulent un riff qui huhule comme le tonnerre, tout reste en suspension, presque à mi-voix Thomas vous conte un conte fantastique, vous qui êtes promis par Baudelaire à devenir une putride charogne, vous voici conviés à un merveilleux voyage vers la vallée des Dieux, du coup le riffage bénéficie d’ un regain d’activité, vous avez un solo qui vous tire les tripes pars par les trous du nez, quelle merveilleuse odyssée, la tension monte, vous sentez que l’on va débarquer dans le nirvana, la musique se condense comme la poudre dans le fût du canon. Vous voici au stade ultime. Charogne tu es, charogne tu resteras. Forgotten songs & the Colossus : le tonnerre gronde sur la mer, les vagues sont violentes mais une guitare vous masse agréablement le cerveau, une douceur chantonne comme un chardonneret, faut que Thomast vienne vous raconter, du fin-fond d’on ne sait où des promesses peu agréables, les instrus font du bruit pour qu’on ne l’écoutiez point, mais le message passe. Ce n’est pas la première fois que vous accédez au cycle des renaissances, mais la statue du Commandeur, serait-ce le méchant ogre, s’érige au-dessus de l’univers. Son nom : il vaut mieux l’ignorer, le grand manipulateur. Définitif. Vous ne lui échapperez pas. Sont sympathiques ils vous tressent une longue guirlande musicale belle comme une illumination du sapin de Noël de votre enfance, elle clignote mollement. Ne rêvez pas c’est l’univers qui se désagrège. Black mountain : Brr ! Thomas scande selon une persuasive douceur l’hymne des pénitents de la montagne noire, un riff s’élève aussi mortel que le requiem de Mozart, Thomas ne cache plus son jeu, il éructe, il menace, il vomit, pourquoi Tara colorie-t-elle le monde de la noirceur de sa basse, Thibault enfonce les éclats de verre de la guitare tranchante de Thomas dans votre corps de supplicié, la souffrance mentale vous entraîne en une autre dimension, marche nuptiale claviérique, le grand secret vous est révélé, vous qui tentiez d’escalader la montagne noire, savez-vous qu’elle est formée de la cendre des morts, qu’à chaque instant elle grandit, et auriez-vous le courage de vous élever, participerez-vous au triomphe de la sombre montagne. The

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     machin roll on : Orgue séraphique, l’on vous a adressé une proposition, acceptez-la, refusez-la, on s’en fout, que vous soyez avec ou contre la machine du monde, elle continuera à fonctionner pareillement, sans vous ou avec vous, oui c’est un peu triste, les voix se font douces pour faire passer la pilule, vous voyez que dans votre malheur l’on fait tout ce que l’on peut pour apaiser votre désespoir. Inutile d’être triste. Ce sentiment disparaîtra avec vous.The walkin eye : boucan riffique. Le soleil vous gueule dessus. Se présente comme l’œil limpide de l’univers. Adorez-le, vénérez-le comme un Dieu, il connaît toute l’histoire, elle a défilé dans la prunelle de ses yeux, il a vu tant d’horreurs, maintenant il enrage, la mort triomphe, ne s’attaque-t-elle pas à lui aussi, après avoir vu périr l’l’humanité ne serait-il pas en train de dégénérer  à son tour. Le tapage musical veut-il imiter son entrée en agonie. Cassiopeia : Andromède la fille de Cassiopée fut sauvée in extremis, alors qu’elle était attachée nue sur un rocher attendant le monstre matin dépêchée par Poseidon pour la dévorer, par bonheur  Persée survint juste à temps. Une belle histoire qui se finit bien.  Inutile de vous en convaincre alors que votre corps est en train de pourrir dans l’irréversible processus de votre mort. L’espoir fait vivre même quand l’on est mort, c’est pour cela qu’au début quelques notes toute claires de clavier embaument votre imagination, ensuite ça se gâte, pas de souci à vous faire, la batterie qui pilonne ne vous laisse aucun espoir, mais l’ampleur sonore vous emporte vous et votre rêve, loin, très loin, en plein cœur des étoiles, mais vos forces vous abandonnent les remous de la désespérance vous assaillent, que trouverez-vous au bout de l’éternité de la mort, c’est un peu le morceau symphonique de l’opus, l’on est plus près du prog que de Black Sabbath, la musique océanique vous emporte, vous et votre cadavre êtes poussés dans la moulinette de la destruction, de ce maelström profond vous reviendrez, votre coops déchiqueté se reformera, votre âme reconstituée s’y logera et vous serez de retour. Victoire.… Scattered across an Ageing Cosmos : Le titre est un vers du premier morceau, le poème recommence, le poème continue, vous voici une nouvelle fois au début du cycle, vous vivrez et vous crèverez, Thomas exhibe toujours son bel organe, mais pourquoi ces étranges grésillements, la machine déraille-t-elle, coupure. Ce morceau encore moins long que la première fois. A chaque tour le monde s’use-t-il davantage… Un jour le retour ne reviendra plus. Vultures wait : Triste fin, chez Maniard, ils ne sont pas Mani-hard, vous avez droit à un cadeau, pas de fin d’année mais de fin de cycle. Ultime bonus track. Ne vous précipitez pas pour l’ouvrir, vous connaissez le contenu. Vous refont une fois de plus toute l’histoire. L’ouverture n’est pas vraiment gaie, normal c’est une fermeture. Tous les motifs de l’opus repassent dans vos oreilles. Un comprimé de quatre minutes. Toujours cette voix mixée en arrière, une idée merveilleuse, de quoi rabattre la vanité des chanteurs, toujours sur le devant de la scène et là tout au fond comme s’il coulait au fond de la Seine. Oui les vautours, comme toujours auront le dernier mot, ils vous attendent, imaginez-les perchés sur une branche commedans la B.D. de Lucky Luke, oui mes frères vous êtes malchanceux, car cette fois-ci, ils vous la font à la dernière mode, le monde renaît puis il meurt. Non il n’est pas détruit en un gigantesque feu d’artifice tuhu-bohuque final, se sont mis au goût du jour, on aurait espéré un scénario démentiel, les moustiques tigres, les fourmis rouges, les araignées noires, les extraterrestres, ben non, font comme dans les media mainstream et les réseaux  sociaux, ils nous refont le coup du changement climatique. Mais cette fois définitif. Perso je suis un peu déçu par cette tarte à la crème sans sucre ajouté. Vous n’êtes pas obligé de me suivre. Surtout que l’opus est  bon. En plus ils vous en donnent plus qu’ils n’en promettent. De simples fragments temporels, un peu des pages arrachées à un livre. Et plouf ils vous racontent l’Histoire de l’Univers depuis son auto-extraction du néant jusqu’à son extinction. Z’ont même le souci de ceux qui ont la comprenette lente, ils vous la racontent plusieurs fois. Et à chaque fois c’est un nouveau régal.

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             Un seul défaut pour faire plus vrai, ils auraient dû continuer jusqu’à la fin du monde. L’on ne s’en serait pas aperçu !

    Damie Chad.

     

    *

    C’est un ensemble de quinze vidéos, pas très longues, souvent constituées de plans fixes. Des interviews : une caméra, quelques questions, l'interviewé. Des témoins qui ont connu, travaillé, avec Gene Vincent parlent. Ils ont tous le sale défaut de s’exprimer en langue anglaise, mais il suffit de cliquer pour accéder aux textes prononcés. Ce n’est pas idéal, mais ça aide beaucoup. Elles ont été enregistrées par Kenneth van Schooten entre 2003 et aujourd’hui. La plupart de celles réalisées jusqu’en 2014 l’ont été par Julie Ragusa. Julie et Kennetfh possèdent les droits de ces productions. Ils nous permettent d’en profiter, remercions-les !

    Vous avez aussi d’autres vidéos rock’n’roll sur la chaîne YT : VanShots – RocknRoll Videos. Vous y trouverez aussi son Instagram, seulement neuf posts.  Notre méthode sera simple. Nous écouterons les vidéos dans l’ordre de leur numérotation.

    The Gene Vincent files #1: Lemmy talking about Gene Vincent and the early days of Rock and Roll.

             Bien sûr nous rencontrerons d’autres artistes dont les noms nous viennent plus souvent en mémoire dès que nous pensons à Gene Vincent. Commencer par le leader de Motörhead nous semble une bonne idée, c’est attirer sur Gene l’attention de trois générations, hard rock, heavy metal, et metal pour lesquelles il demeure peut-être un inconnu. Les amateurs de rock se souviennent que Lemmy a formé avec Slim Jim Phantom le groupe : The Head Cats.

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             Lemmy se souvient d’avoir entendu Be Bop A Lula en 57 ou 58. Il connaissait déjà Bill Haley et Elvis Presley. Mais celui à qui les gamins voulaient ressembler, c’était Gene Vincent. Il a rencontré en Angleterre quatre ou cinq fois backstage. Gene était toujours bon sur scène, même vers la fin, toutefois il buvait beaucoup pour supporter la douleur de sa jambe. L’était difficile d’accès à cause de son état. Question de musiciens Lemmy préférait  les Blue Caps même si l’orchestre de Little Richard jouait mieux. Oui il a assisté à la naissance su rock anglais. Cliff Richard était toujours souriant… Il préférait Billy Fury. Le rock plaisait d’autant plus aux jeunes que les parents haïssaient très fort ce genre de musique. Oui il a vu Gene pour la première fois en même temps que  les Gladiators. Il était accompagné par les British Blue Caps, des gars coiffés d’une caquette bleue… peut-être étaient-ce les Tornados. Sa chanson préférée de Gene est I’m Goin’ Home enregistrée avec les Sounds Incoporated. C’était le groupe parfait pour Gene.  Griff le saxophoniste faisait la roue tout en jouant du saxo. Pourquoi Gene était-il davantage connu aux USA qu’en Angleterre, tout comme Buddy Holly d’ailleurs, en Amérique Gene n’était pas dans  les clous, il n’était pas assez beau, ils n’ont pas su trouver le truc pour le promouvoir. Les américains n’aimaient guère le rock’n’roll, ils préféraient Bobby Ryddel.  Gene a compris qu’il pourrait faire davantage d’argent en Angleterre et en Europe, en France il était un Dieu, pour sûr Lemmy est au courant de  l’accident,  il hésite entre 1960 et 61, Eddie Cochran est mort, il ne l’a jamais vu sur scène, je me souviens très bien de tout cela. Les musiciens anglais qui ont du succès ont-ils été influencés par des gens comme Gene Vincent, alors que Gene connut des temps très durs ? Les gens aiment bien les vieilles choses mais aussi les nouveautés. Alvin Stardust était anglais, il connaissait Gene et Vince Taylor, il s’est habillé de cuir noir, il connaissait la chanson… Pourquoi Gene a-t-il eu tant de mal avec ses managers et les labels. Vous qui êtes dans le métier depuis quelques années comment doit-on faire pour avoir toujours du succès ? Je n’ai eu du succès que durant cinq ans, et puis le business c’est de la merde, ils se préoccupent de ce que vous vendez, c’est comme des boîtes de haricots, vous devez comprendre que ce sont des hommes d’affaires, ce ne sont pas des artistes, ce ne sont pas des amoureux  de musique, ce sont juste des hommes d’affaires, vous devez le comprendre, pas besoin de parier dessus, ce sont toujours les mêmes, vous savez c’est toujours pareil maintenant… pensez-vous que sa musique ait eu une influence sur les groupes dans lesquels vous jouez ? oui nous faisons ses morceaux, que nous avons l’habitude de faire. Nous faisons She she Little Sheila, Be Bop A Lula, puis dans un autre groupe nous jouions I’m Going Home, mais nous n’avions pas de saxophone, c’était moins bien,.. Pouvez-vous me dire l’influence de la musique de Gene Vincent sur la musique en général ? Je ne sais pas il est surtout considéré plutôt comme un symbole que comme un chanteur, car il n’a pas eu un tas de hits, vous savez il est un peu comme une icône en cuir noir, et cette étrange allure, ces jambes plantées comme des bâtons derrière lui, et cette façon de passer la jambe par-dessus le micro, c’était vraiment bon, et il a tourné comme cela durant des années et des années, il était comme Motörhead, comme cela oui, toujours le même, il n’est pas mort si jeune que cela, il devait avoir  quarante ans,  non trente-six, non non, il était plus vieux que cela, déjà dans la Navy, il déjà chanteur, il devait avoir dix-huit ans, si en 54 dans la Navy il les avait,  il devait être plus vieux que trente-six ans, n’est-ce pas. Ça se pourrait. Peu importe ce que je suppose, mais vous savez tout ce qui lui est tombé dessus, ses blessures et sa bouteille qu’il buvait avant d’entrer en scène et une autre en sortant, sans compter tout un tas de médicaments qu’il prenait probablement en plus, et je pense qu’il a tenu ce régime pendant

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    longtemps…  Pensez-vous qu’il a eu la reconnaissance qu’il méritait durant sa vie sachant tout cela ? Vous savez l’Amérique s’est vite détournéE de lui, quand il n’a plus eu de hits, après I’m Going Home, un hit qui n’était pas en Amérique, vous savez tout un tas de personnes ne reçoivent jamais la reconnaissance qu’ils méritent, je pense à Elvis, ce fut énorme, mais il n’a pas eu de reconnaissance pour la première partie de sa carrière, les gens se souviennent de Las Vegas, je veux dire que pour moi il a été le premier chanteur, le premier chanteur de rock’n’roll, je sais il y avait eu Bill Haley, mais nous ne parlons pas de la même chose ce petit gars enrobé avec son attache-cœur, rien à voir avec Elvis, la première icône, Gene Vincent était très loin de lui, je ne pense pas que beaucoup de ces gars n’ont pas eu une  reconnaissance semblable dans leur vie, quand ils étaient dans la fournaise. J’ai monté ce groupe de rockabilly the Head Cat, a side project, j’ai récolté des tas de remerciements de gens branchés rockabilly, vous savez nous parlons de ces vieux gars, Gene Vincent, Lemmy and the Rock Hats, il était un grand fan de Gene Vincent, vous savez ce n’est pas comme quand vous parlez à Gene Vincent, c’est à eux que vous parlez… Les Teddy boys et les Rockers vous disent-ils que vous faites partie de cette tribu ? Mon frère était Teddy Boy j’ai hérité de ses jackets plus tard, je n’étais pas assez vieux pour être un Teddy Boy, mais je me souviens de lui, je m’en souviens bien, ils avait l’habitude de me montrer les hameçons enfouis dans le tissu de leurs jackets, bref si vous vous emparez da la veste, vous n’allez pas bien loin, les vieux teddies restent dans leur territoire, ils ont l’habitude de gauler les noix entre eux, les américains ne comprennent pas que durant des années et des années vous seriez capable de faire un sort à n’importe quel américain, vous ne pourriez pas comprendre que l’on vient vers vous pour se battre, ils se battent comme s’il y avait toujours un léger avantage à être dans une entourloupe. Vous vous êtes battu un max ? Tout le monde se bat un peu quand vous avez quinze ans. Vous devez rester vivant à l’école, je pense que les gamins sont les personnes les plus cruelles sur cette terre. Si vous voulez un bon tortionnaire, embauchez un gamin. Merci beaucoup. 

    The Gene Vincent files #2: Billy Zoom sharing his experiences as a guitarist in Gene Vincent's band

    Zoom est un nom un peu étrange, X peut paraître inconnue, mais tout s’éclaire si l’on précise que Billy Zoom a formé le groupe X en 1977 à Los Angeles. Que l’on a souvent dénommé punk. Quand on aura rajouté que les punks ont réendosser le cuir, et que Ray Manzarek des Doors a produit les premiers albums de X, l’on se dit que l’interview du guitariste de Zoom risque de nous révéler quelle a été l’influence post-mortem de Gene Vincent sur le futur du rock, l’on rajoute les accointances de   The Clash avec Vince Taylor, et l’on se souvient de la kronic du Cat Zengler sur Johnny Rotten dont le père était un passionné de Gene Vincent…

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    Well, une agence d’Hollywood nommée Musicians Contact Service, une sorte d’agence de rencontre pour musiciens, un batteur avec des guitaristes par exemple ou s’il vous manque un bassiste dans votre groupe vous contactez le service, ils vous mettent en relation avec plusieurs personnes, Gene et son manager voulaient monter un orchestre pour Gene Vincent et ils voulaient une liste de guitaristes qu’ils voulaient embaucher, je suppose que Sterling le boss du Service a répondu, j’en ai seulement un à disposition, il vous ferait bien l’affaire, il est parfait, c’était moi, ils m’ont appelé, j’ai répondu que je   terminais un engagement avec Etta James.  Le temps de rentrer, un message m’attendait, disant si tu veux jouer avec Gene Vincent appelle ce numéro. J’ai été grandement surpris, le numéro que m’avait laissé le gars ne répondait pas, à cette époque nous n’avions pas de machine pour répondre, ils ont laissé un message à mon voisin, qui ne connaissait pas Gene Vincent, Gene Vincent, son manager habite in Laurell Canyon, je pars là-bas avec mon matos, je le sors et j’ai eu le job. Nous jouions déjà  dans un gros club de rock’n’roll sur Sacramento, nous étions quatre dans le groupe, un roadie, Gene, Marcy et les trois gamins, bref il y avait dix personnes et le manager de Gene avait réservé une seule chambre dans un motel, pensant que ce serait suffisant car il était le manager et tous les autres des idiots, nous avons dû nous fâcher, passer un tas de coups de téléphone, nous avons finalement obtenu une deuxième chambre, Gene, Marcy et les trois gamins dans l’une, et le groupe dans l’autre, le roadie dans une autre, voilà l’histoire, vous savez elle est typique de la manière dont les choses se sont  passées, toujours dans la plus totale inorganisation, quand nous allions discuter avec Gene chez son manager, il y a des pelletées de guitaristes dans le coin, Gene devait chanter tout de même, le manager n’avait aucune idée de la situation et de ce dont nous avions besoin, que nous ayons besoin d’un micro ou autre chose, alors j’ai dit j’ai un micro et un pied dans ma camionnette, prenons-les, ainsi Gene s’est branché  dans l’ampli de ma guitare et a pu chanter, durant les concerts Gene disait toujours : ne te tracasse pas pour le son original, fais juste comme tu le sens. Je me souviens que nous n’interprétions pas un maximum de morceaux de Gene, parce que l’on ne pouvait trouver des disques de Gene. Gene n’avait même pas un simple en distribution. Vous ne pouviez pas en commander, il n’y avait pas d’internet, ses disques n’étaient plus réédités depuis des années, les boutiques de disques n’en possédaient pas dans leurs rayons, si vous en vouliez il fallait aller en Angleterre, ou en France. Pour nous en souvenir, vous pouviez les écouter sur les radios comme quand on était jeune, nous jouions tout un lot de de Jerry Lee Lewis, des reprises de Chuck Berry, Gene avait récemment enregistré un album in Nashville il essayait de le sortir mais il était malheureusement incapable de faire un deal, il avait enregistré Sunday Morning Coming Down de Kris Kristopherson, qui fut plus tard reprise par Johnny Cash, à cette époque le morceau était tout nouveau, c’était la balade du set, je jouais de la flûte en intro et du piano électrique sur le pont,  sinon nous jouions Roll Over Beethoven et Whole Lotta Shakin’ Goin’ on, et des trucs dans le genre, et Be Bop A Lula, c’était il y a trente-cinq ans, nous avions un drummer nommé Tony quelque chose, un autre guitariste nommé Richard et j’ai oublié le nom du bassiste – n’était-ce pas Richard Cole ? Oui !  il jouait de la guitare, nous en jouions tous les deux, je jouais aussi du saxophone du piano électrique et de la flûte. Gene devait aimer il me demandait souvent de jouer du saxophone. Ce n’était pas une bonne période pour Gene, c’était avant le Revival des années 70, avant Happy Days, nous étions loin des grands temps du rock’n’roll, une dure époque pour lui, j’étais dans le groupe le seul, oui le seul, qui aimait cette musique, tous les autres passaient leur temps à se plaindre et maugréer de leur malaise de jouer ce style de musique face à des gens car ils pensaient que c’était vieillot et que ça datait, mais moi j’étais réellement excité… Oui nous avons fait une séance photo, Gene n’aimait pas les types qui étaient dessus, il m’en a donné une de lui, il m’ a donné cette chemise bouffante qu’il avait sans doute déniché à Carnaby Street, sur le cliché je portais un pantalon à patte d’éléphants hippie et cette nouvelle  jolie chemise bouffante, des photos je n’en ai eu aucun exemplaire parce que le manager n’a pas payé le photographe. Gene m’a montré dans sa maison en haut dans sa chambre il avait une étagère avec une douzaine de cartes d’anniversaires de chacun des Beatles et d’autres de stars anglaises et  d’autres méga-rock’n’roll stars, je me souviens de le voir en train de regarder tout cela et d’en avoir été impressionné. Il a vécu une grande partie des années soixante en Angleterre, et il était une sorte de légende, indifférent-au mépris des musiciens modernes qui se ressemblent tous, vous l’idolâtrez mais en Amérique il n’était vraiment pas très connu, vous savez une fois que vous n’êtes plus dans la playlist, l’on vous jette et c’est fini. Particulièrement par les temps qui courent, une fois que vous n’êtes plus dans les charts, ils s’en foutent. Je me souviens que dans les années soixante-dix, vous ne pouviez même pas acheter un disque d’Elvis, à l’exception de Blue Hawaï, vous ne trouviez aucun disque de rock’n’roll, vous ne pouviez pas acheter un disque de Chuck Berry, aucun album de Little Richard, ni d’Eddie Cochran, ce fut une belle découverte quand au milieu des années soixante-dix ils ont ressorti tout cette came, je connaissais déjà tout cela.  Je me souviens qu’il en parlait et racontait des histoires, je m’asseyais et rêvais d’avoir un magnétophone, car il racontait des anecdotes amusantes, que se promenant dans Soho il était tombé sur Duane Eddie en   travesti, sans connaître aujourd’hui Duane Eddie, c’était un garçon et vous comprenez l’étonnement qui s’ensuit… quel magnifique groupe possédait Sam Cooke, combien Eddie Cochran était le plus grand et comment s’il avait vécu il aurait dépassé Elvis, il était intarissable sur le sujet… l’on a raconté tant de choses sur lui, il était toujours sobre et avait l’esprit vif, et c’était agréable d’être avec lui pendant que nous bossions, j’ignore s’il montrait une face plus sombre à d’autres personnes, je ne l’ai jamais vue, si vous ne le connaissez pas mieux, vous avez besoin d’un long moment pour le comprendre, si vous commencez à croire et à penser, l’on vous taille facilementun costume dès que vous tourniez le dos, et vous êtes bien servi … Vous savez dans la musique les artistes sont toujours  tout en haut ou tout en bas, car   ils sont sans cesse occupés ou en train de travailler avec des entreprises qui ont à leur actif des centaines d’artistes, compagnies et manager sont travaillé avec des centaines d’artistes et ils savent s’y prendre et les exploiter. Avec le temps vous comprenez mieux comment vous arrivez au sommet… Il est mort

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    le douze octobre, je pense que c’était une ou deux semaines pendant lesquelles  je m’étais absenté. Il est parti e Angleterre, juste avant de mourir, ils auraient voulu que je parte, mais je n’avais pas confiance en son manager et son manager n’a pas voulu me donner un billet aller-retour, ils donnaient un seul ticket, j’ai dit : non, non, vous me donnez un aller-retour sinon je ne pars pas. Quelques semaines après, je conduisais sur la route de Laurel Canyon, je m’arrête pour prendre un auto-stoppeur et le gars me dit : tu sais Gene est mort. Vraiment je suis sûr que c’est une blague. Non il est revenu ici, il m’a tout expliqué et le monde s’est effondré. Je suppose qu’il a bu et il est mort. J’ai trouvé sa nécrologie dans Rolling Stone, à trente-six ans, il était joliment vieux ! Ce n’est pas à ce moment que j’ai pensé qu’il était mort  seulement  à trente-six ans, que ce n’est rien mais il semblait déjà à un vieux gars, moi j’en avais vingt-trois et j’ai pensé que ce serait bien si j’arrivais déjà à trente-six. Il est mort au commencement du Revival des années cinquante. Vous voyez Happy Days, American graffiti, Sha-Na-Na avait son émission à la télé, et les gens ont commencé à revenir vers le rock’n’roll, une résurgence, et ils ont commencé à rééditer les disques De Gene et d’Eddie, et ce fut le rockabilly revival fin seventies and early eighties, tout cela influencé par Gene et Eddie, et il n’était plus là ! Il aurait été fun de jouer avec Gene, j’ai réalisé que j’ai eu durant ces gigs beaucoup plus de plaisir qu’en toute autre occasion c’est alors que j’ai commencé à creuser davantage les vieilles musiques que les modernes, je n’aime pas la musique des années 70 mais j’ai débuté là, au moment où j’ai entrepris de retourner aux racines du rockabilly, si bien qu’au milieu des seventies j’ai fondé un groupe de rockabilly et ai enregistré des disques de rockabilly, je pense que Gene a eu une énorme influence sur un grand grand, très grand nombre de musiciens, certainement sur les Stray Cats qui ont été énormément influencés par Gene et Eddie Cochran, et particulièrement  par Gene pour nombre d’entre nous passionnés de New Rockabilly, Gene est le commencement, il est leur héros beaucoup plus, à tort ou à raison, qu’Elvis et Chuck Berry ou n’importe quel autre, Gene est le héros de ce nouveau culte, maintenant vous le savez ce culte a contaminé un couple de générations.

    Damie Chad.

    P.S. : sur X (surtout John Doe) : lire kronic de Patrick Cazengler : Kr’tnt : 527 du 18 / 10 / 2021

    A suivre.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 695 : KR'TNT ! 695 : LOU REED / GREEN MILK FROM THE PLANET ORANGE / WILD BILLY CHILDISH / DYNAMITE SHAKERS / DAVID WERNER / DAHUZ / GENE VINCENT /

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 695

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    19 / 06 / 2025

     

     

    LOU REED

    GREEN MILK FROM THE PLANET ORANGE

    WILD BILLY CHILDISH  

     DYNAMITE SHAKER / DAVID WERNER

     DAHUZ  / GENE VINCENT

      

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 695

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Le grand méchant Lou

    (Part Three)

     

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             Un tribute à Lou Reed ? Allez on y va. Il s’appelle The Power Of The Heart, et c’est un Light In The Attic de Record Store Day, c’est-à-dire le Grand Jour des Arnaques Planétaires. Tu rapatries le tribute pour trois raisons principales. Un, le

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    «Waiting For My Man» de Keith Richards, ou la rencontre improbable du Velvet et de la Stonesy, 60 ans après l’arrivée de Brian Jones à la Factory, avec Nico à son bras. Keef en fait une cover qu’il faut bien qualifier de mythique. Impossible de la qualifier autrement. Il prend le Waiting à la languide de London town - Hey white boy/ What you do in our town - Keef ramène à sa façon tout le beat urbain de ce vieux hit qui est l’une des racines du monde moderne. Deux, Maxim Ludwig & Angel Olson tapent «I Can’t Stand It» en mode wild-as-fucking-fuck. T’as tout le ramshakle du Velvet qui rapplique. Et trois, Greg Dulli & Afghan Wigs ramènent en B le Wig power dans «I Love You Suzanne». Dulli est l’un des géants du monde moderne. T’as aussi Joan Jett & The Blackhearts qui tapent «I’m So Free» avec tout le glam Angelino dont elle est capable, et Bobby Rush fait une version Deep South de «Sally Can’t Dance». Rickie Lee Jones ratatine «Walk On The Wild Side», elle est trop New Orleans, elle se vautre. Par contre, Lucinda Williams fait une belle cover de «Legendary Hearts». 

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             T’as un autre Light paru cette année qui vaut le déplacement : Why Don’t You Smile Now: Lou Reed At Pickwick Records 1964-65. Comme t’en finis jamais avec le Lou, t’es bien content de rapatrier ce Light. Et de sacrées surprises guettent l’imprudent amateur, à commencer par le protozozo des Roughnecks et «You’re Driving Me Insane». C’est d’une rare violence ! Pré-Velvet. Le Lou a déjà ça dans la peau. C’est lui qui chante, nous dit Richie Unterberger dans ses liners. Encore de l’early Lou avec The Beachnuts et «Cycle Annie», il y a déjà la voix et la stature. Là t’as tout, y compris le tongue-in-cheek. Pareil avec The Primitives et «The Ostrich». C’est noyé dans le Totor de yeah yeah ! Le «Soul City» des Hi-Lifes est assez wild, bien sous-tendu du contrefort, assez coriace. Et tout bascule dans le Totor Sound avec Ronnie Dickerson et «Love Can Make You Cry», elle se prend pour les Ronettes ! I Elle a du répondant la coquine ! On retrouve le Lou primitif dans les Primitives et «Sneaky Pete». Tout le poids du Velvet est déjà là. On se régale encore de Terry Phillips et «Wild One», early New York City rock, le mec est pop, mais il peut se fâcher. Tout ça date de 1964. On sent nettement la modernité. Avec «Why Don’t You Smile», les All Night Workers ne sont pas très loin des Righteous Brothers. Robertha Williams est là avec «Tell Mama Not To Cry», il faut la voir gueuler, mais elle impressionne. En fait, Robertha est Ronnie Dickerson. Les Surfsiders se prennent pour les Beach Boys avec des covers de «Surfin’» et de «Little Deuce Coupe». L’esprit de Brian Wilson rôde encore dans le «Sad Lonely Orphan Boy» des Beachnuts, et avec «I’ve Got A Tiger In My Tank», ils tapent encore dans le Beach Boys Sound. The Beach Boys in New York city ! C’est pour le moins inattendu.

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             Passons aux choses sérieuses : le book. On devrait dire Ze Book. L’auteur : Will Hermes.  Le titre : Lou Reed: The King Of New York. Récent. Jaune. Pas de titre sur la couve. Rien que la bobine du Lou. Il te toise. 500 pages. T’en as pour un moment. Tu vas pas t’en plaindre. T’es là pour ça. Pour lire des livres. Et celui-là sort de l’ordinaire. De façon spectaculaire.

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             Eh oui, amigo, il arrive que le sujet d’un book dépasse l’auteur. Les Anglais ont une expression parfaite pour qualifier ce genre de personnage : larger than life. Le Lou est un personnage hors normes. LA rockstar par excellence. Dépassé par l’hors normes du Lou, Hermes Trismégiste noircit ses 500 pages en pure perte. Le Lou lui échappe comme il nous échappe, on croit le connaître parce qu’on l’écoute depuis 50 ans, mais on ne sait rien. On croit qu’on sait, mais on ne sait rien. La vanité reste bien la pire des tares. La malédiction du genre humain. Plus tu te crois intelligent et plus t’es taré. Et plus on avance vers la mort, plus on mesure l’étendue de la tare. Heureusement, ce cirque va bientôt se terminer.

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    Lou Reed and L.A. and The Eldorados

             Le Lou, c’est d’abord un caractère. Après t’as le Velvet et encore après, quelques personnages en orbite, Delmore Schwartz, Barbara Rubin, Andy Warhol, John Cale, Nico, et Danny Fields, sur lesquels on va revenir. Mais sans le caractère, pas de Velvet. Quand le p’tit Lou prend des cours de guitare, le prof veut lui monter le solfège et le p’tit Lou l’envoie aussitôt sur les roses : «No no no, teach me to play the chords for this record.» Pas la peine de discuter. Quand il joue dans une équipe de basket, le p’tit Lou balance le ballon dans la gueule du coach pour se faire virer. Il monte son premier groupe dans les early sixties, L.A. & The Eldorados, il tape des covers de Ray Charles et de Jimmy Reed, mais il y glisse ses textes et veille toujours à ce qu’il y ait le mot fuck. Très vite le p’tit Lou se dit écrivain : «I’m just going to use music.» Le rock n’est qu’un prétexte. On a cru pendant 50 ans que le Lou était un rocker, alors qu’il était écrivain. Don Fleming qui est le curateur des archives du Lou dit aussi qu’il est écrivain, et non «rock and roll singer». L’idole du p’tit Lou : Delmore Schwartz. Le p’tit Lou boit ses paroles. Schwartz défend une théorie : l’art combine l’expérience vécue et celle qu’on fabrique. Le Lou va incarner cette théorie. Quand il est convoqué pour le draft, c’est-à-dire l’armée, le p’tit Lou avale du Placidyl et menace de buter tout le monde. Et tout le temps, il revient sur une obsession : work. Il dit qu’on a rien sans travail. Andy Warhol et son work ethic lui sert de modèle. Pour arriver quelque part, dit-il, «you should work very very hard. Work is the whole story. Work is litterally everything.» Le métier d’écrivain est celui qui demande le plus de travail. 

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             La télé et le cinéma n’ont aucun effet sur le p’tit Lou. «Movies didn’t do it for me. TV didn’t do it. It was radio that did.» Le premier disque qu’il achète est le «Fat Man» de Fatsy. Puis il flashe sur Hank Ballard, the El Dorados, the Cadillacs - all these bands that were doing four chords music. Four chords, that’s all you had to know - Il épure très vite. Il flashe encore sur le «Maybe» des Chantels, chef d’œuvre de «girl-group pop», «and one of the greatest songs in rock history.» En 1957, nouveau flash avec une cover de Fatsy, «I’m Walking», par Ricky Nelson. Flash encore sur les ritals du Bronx, Dion & the Belmonts et «I Wonder Why». Puis il se paye une Gretch hollow-body electric. Et il se met à composer des chansons. Hermes Trismégiste le dit mieux encore : «And he began figuring out how songs came together.» Tu ne bats pas l’anglais à la course dès lors qu’il s’agit de causer rock. 1958 : il a 16 ans quand il se retrouve pour la première fois dans un studio d’enregistrement, avec un chanteur noir nommé Phil Harris, mais aussi Mickey Baker et King Curtis. On bossant avec des blackos, il comprend immédiatement l’une des règles d’or : «I can’t sing black. I knew that right then. I said don’t ever try.» Les grandes lignes sont là : quatre accords et la voix blanche.

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    Tom Wilson

             Hermes Trismégiste considère le Velvet «to be one of the world’s greatest rock bands, alongside the Beatles, the Stones, Funkadelic and the Grateful Dead.» C’est une façon comme une autre de jeter les dés qui jamais n’aboliront le hasard, dans cet univers de tisane où l’on pleure et l’on rit comme on peut. On connaît l’histoire du Velvet par cœur, mais on y retourne. Ça grouille d’infos, dans Ze Book. Le trio Lou/Cale/Sterling Morrison se donne rendez-vous à deux pas du Columbia Studio A de la Septième Avenue où Bob Dylan enregistre Bringing It All Back Home avec Tom Wilson. Un Tom Wilson que le trio va bientôt rencontrer. C’est Angus MacLise qui ramène un book titré The Velvet Underground et tout le monde trouve que ça ferait un joli nom pour le groupe. Le Velvet est formé, mais personne ne veut chanter. Le Lou compose, mais il n’est pas à l’aise au chant. Il dit très vite à John Cale qu’il ne le considère pas comme un compositeur. Finalement le Lou va chanter. 

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             Le premier grand fan du groupe n’est autre que le journaliste Al Aronowitz. Puis Barbara Rubin entre dans la danse. Dylan traîne dans le coin, ainsi que Robbie Robertson, le guitariste de Ze Band. Cet imbécile de Robertson s’assoit pour écouter le Velvet jouer un cut, «and then he gets up and walks out in disgust.» Voilà pourquoi on a toujours détesté ce frimeur de Robertson : à cause de The Last Waltz et à cause du dégoût que lui inspire le Velvet. L’un des drug buddies d’Aronowitz n’est autre que Brian Jones. Lui, on est content de le croiser dans les parages. C’est vrai qu’à leurs débuts, les Velvet n’y allaient pas de main morte. Rob Norris : «Avant même de comprendre ce qui se passait, everyone was hit by a screeching surge of sound, with a pounding beat louder than anything we had ever heard.» John Cale se souvient que le Velvet jouait tellement fort que les gens s’enfuyaient en courant.

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             Andy Warhol cherchait un groupe pour animer sa Factory. Il avait fait un essai avec les Fugs, mais ça n’a pas marché. Ça ne pouvait pas marcher. Puis il rencontre le Lou au Café Bizarre sur West Third Street. Le Velvet y joue six soirs par semaine. La scène est minuscule et le Velvet joue pour des touristes. Sterling indique que Moe jouait du tambourin : pas de place pour son tom bass. Entrent ensuite en lice Billy Name et Gérard Malanga, puis Nico avec son «teutonic contralto croon» bien contrebalancé par le Diddley Beat de Moe Tucker. Tu te régales à chaque fois que tu relis les détails de cette histoire, car avant d’être l’histoire du Velvet, c’est celle de la Modernité. Et t’as Nico qui allume une bougie avant chaque début de set. John Cale ajoute que chaque set du Velvet est spécial.

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             Le Velvet enregistre un premier acétate au Scepter Sound de Florence Greenberg. Le Lou ne veut pas de Nico, mais Nico chante quand même. Elle est tellement stressée qu’elle pleure entre chaque prise d’«I’ll Be Your Mirror». Puis on envoie l’acétate chez Columbia qui n’en veut pas. No way. L’Ahmet d’Atlantic aime bien certains cuts mais il bloque sur «Venus In Furs». Elektra n’en veut pas non plus. No way. Le seul label qui dit oui est MGM/Verve Records. Pouf, le Velvet signe un contrat. L’A&R qui les signe n’est autre que Tom Wilson qui vient de quitter Columbia après avoir produit l’un des albums les plus prestigieux de l’histoire du rock : Bringing It All Back Home. Il va donc en produire un autre avec le Velvet. Eh oui, Tom Wilson n’est pas n’importe qui. Il a déjà eu dans les pattes Sun Ra, Cecil Taylor, les Mothers (qui haïssent le Velvet) et Van Dyke Parks. Il a aussi fait des stars de Simon & Garfunkel en remixant «The Sound Of Silence». Le Lou a donc du pot d’être tombé sur Tom Wilson. Le Lou profite de l’occasion pour barboter les 3 000 $ de l’avance : pas un sou ni pour Andy ni pour Paul Morrissey qui font pourtant partie du Velvet biz. Le Lou estime qu’il ne leur doit rien. La Modernité, c’est lui. Andy en restera affecté. La relation Andy/Lou est brisée. Il faut être carré avec Andy dès qu’on parle de blé.

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    Yardbirds : Waiting for the man ( live)

             Quand le Velvet débarque en Californie, c’est le choc des civilisations. Mary Woronov l’explique très bien : d’un côté le Velvet sous amphètes et de l’autre les hippies sous acide, d’un côté le Velvet homo et de l’autre les hippies homophobic, d’un côté les Californiennes aux gros nibards qui ouvrent les cuisses pour baiser sans discuter, et de l’autre le Velvet qui ne baise pas et qui préfère le SM, d’un côté les Californiennes qui cuisent leur pain et de l’autre le Velvet qui ne mange pas. Et puis il y a le son : le Velvet is on fire avec du feedback. Les Yardbirds de Jimmy Page sont l’un des rares groupes impressionnés par le Velvet. Jimmy Page les trouve «intenses». Les Yardbirds vont d’ailleurs reprendre «Waiting For The Man» sur scène. Le Velvet n’en finit plus de durcir son son à coups d’«hot-shit rock’n’roll guitar breaks». Hermes Trismégiste parle de «The Gift» comme d’un «two-chord saunter with droning solos that threatens to break into Them’s 1964 single «Gloria» for ten minutes straight.» Et puis t’as le stand-out, «Sister Ray», «a nineteen-minute groove monster that hurled forward with the breathlessness of a meth rush while feedback squalls flashed like heat lightning and Reed hollered out scenes of what sounded like a party to end all parties.» La prose d’Hermes Trismégiste flashe comme un stroboscope, t’auras jamais ce niveau d’intensité en langue française. Il est bon de rappeler que le rock se chante en anglais et qu’il s’écrit en anglais.

             Quand Andy fait asseoir le Lou pour lui expliquer qu’il doit faire évoluer son groupe, et qu’il doit y réfléchir, le Lou le vire sur le champ. Pourquoi ? Parce que, dit-il, la première chose à faire pour évoluer était de le virer - That was one of the things to do if we were going to move away from that - Andy est furieux. Le Lou : «He was really mad. Called me a rat. That was the worst thing he could think of.» Le Lou est plus déterminé que jamais. Il fait monter quatre micros sur sa Gretsch Country Gentleman, utilise une Tone Bender, (Vox distorsion box) et sort sur un AC100 - he was determined to make a noise supreme - Il prend Steve Sesnick comme manager. Calimero ne peut pas schmoquer Sesnick, il le traite de snake et l’accuse d’avoir «fucked up» sa relation avec Lou.

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             Lors de l’enregistrement de «Sister Ray», l’ingé-son Gary Kellgren craque. Il ne supporte pas le «meth-surging intensity», «stroboscopic din» de Sterling Morrison : il sort du studio et leur dit de l’appeler quand ils ont fini. Hermes Trismégiste se régale avec «Sister Ray», il en fait une page entière et raconte que pour finir le cut, «after seventeen breathtaking minutes, they drive the riff over a cliff.» «Sister Ray» restera le cut préféré de Peter Perrett.  

             Puis le Lou convoque Moe et Sterling Morrison au Café Riviera pour leur annoncer que Calimero est viré du Velvet. Il confie au pauvre Sterling la mission d’aller annoncer la bonne nouvelle à Calimero. Tout ceci est parfaitement détaillé dans What’s Welsh For Zen. En seulement un an, le Velvet est passé du stade de «fulcrum of a multimedia art extravaganza with Warhol (...) to a dark-matter psychedelic juggernaut navigating the outer limits of free-form improvisation and lock-groove hypnotcs to their current incarnation: a fairly straightforward rock and jamming in hippie dance hall.» Après l’élimination de Calimero et d’Andy, le Velvet continue d’avancer et le Lou nous dit Hermes Trismégiste «was at a creative peak» : 1969 est l’année du troisième album, avec «Reed’s most enduring songs.» Un an plus tard, ce sera fini.        

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             Voilà la fin des haricots. Moe tombe enceinte et Doug Yule bat le beurre pour enregistrer «Ocean». Ils enregistrent d’ailleurs le quatrième album sans elle - She was heartbroken - Le Velvet sans Moe et son mix de Diddley Beat et de Yoruba Beat n’est plus le Velvet. Doug Yule et son frère Billy n’ont jamais su jouer comme elle. Le Lou voulait un son plus commercial, d’où le retour  aux kits conventionnels. Fin de la Modernité. Le Lou venait de signer sur Atlantic et voulait faire un album «full of hits» - It was one reason the album was titled Loaded - Le Lou a 30 ans et il n’est pas devenu riche. Sterling Morrison prend ses distances, arrête la clope et la dope. Moe est retournée avec sa fille vivre chez ses parents à Long Island. Un soir, elle va voir ce qui reste du Velvet jouer au Max’s Kansas City et trouve le Lou assis dans l’ombre. Elle passe le bras sur ses épaules et lui demande : «Louie. What’s the matter?». Et le Lou lui répond qu’il quitte le Velvet. Moe voit le concert du Velvet ce soir-là, «But it wasn’t the Velvets.»  Le dernier concert du Velvet est celui qu’on trouve sur le Live At Max’s Kansas City, «one of the worst-sounding albums ever released», mais nous dit l’immanquable Hermes Trismégiste, «the music and spirit» de cet album «made Reed’s solo debut seem weak by comparison.»

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    Moe Trucker

             Et puis viendra le temps de la reformation et Billy Name s’extasie : «They sounded so rich and authentic - the same setup with the same tones and everything.» Mais dans le NME, le Lou jure qu’il ne rejouera jamais avec Calimero. Un Calimero qui supplie le Lou de continuer l’aventure du Velvet. En vain.

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    Lou / Sterling

             C’est le Lou et Sterling Morrison qui avaient formé le velvet. Morrison avait commencé par étudier la trompette, puis il s’est mis à la guitare, influencé par Chucky Chuckah, Bo Diddley, T-Bone Walker «and especially Mickey Baker». Il ne pouvait que s’entendre avec le Lou. Quand ils commencent à jouer ensemble, ils démarrent sur une cover d’Ike & Tina Turner, «It’s Gonna Work Out Fine». L’autre grande rencontre déterminante de l’early Lou, c’est l’hero. Il démarre en 1964, alors qu’il est encore étudiant à Syracuse. Puis à la Factory, il va passer au speed, «cheap, easy to get and mostly legal». Andy prend de l’Obetrol et Reed préfère le Dexogyn, «straight methamphetamine, stronger and longer-lasting.» Le Lou dira qu’il était sous amphètes «my whole life».

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             Au temps où il composait pour Pickwick. Terry Phillips lui demandait de composer «10 Californian songs», alors il composait 10 Californian songs. Puis 10 Detroit songs. Puis du surf. Avec les Roughnecks, il enregistre «You’re Driving Me Insane». Puis c’est «The Ostrich» avec les Primitives, qui sont un peu la racine du Velvet. La période Pickwick joue un rôle considérable dans le développement du Lou : il apprend à composer et à enregistrer.  Quand Calimero entre dans la danse, il se découvre un sacré point commun avec le Lou : «The only thing we had in common were drugs and an obsession with risk taking. That was the raison d’être for the Velvet Underground.» Calimero est impressionné par la «fuck-you attitude» du Lou. Ils partagent tout : les idées, les seringues et les hépatites. Le Lou et Calimero envisagent tout simplement de développer «a sort of aggro-avant-garde take on Phil Spector’s pop Wall of Soud - into something both commercially viable and artiscally earth-shaking.» Pas de meilleure définition du Velvet. L’avant-garde, Calimero la connaît par cœur : il vient de passer 18 heures à jouer les Vexations d’Erik Satie, une compo de 80 secondes répétée 840 fois. C’est bien que Satie soit mêlé à cette histoire : on reste au cœur de la Modernité. Et encore une fois, sans Calimero, pas de Velvet ni de Modernité. Calimero est formel : «We created a kind of music that nobody else in the world was making and that nobody had ever heard before.» Quand à Ludlow Street, le Lou dit à Calimero que «The Ostrich» est facile à jouer, «because all the strings are tuned to the same note», Calimero est complètement scié, «because that’s what we were doing with La Monte Young in the Dream Syndicate. It was pretty amazing, we couldn’t beleve it.» Ils ont d’autres points communs : Calimero est fier d’être l’étudiant «le plus haineux» de son école de musique.

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             L’autre acteur clé dans cette histoire est la Factory, un grand loft au quatrième étage du 231 East Forty-seventh Street, qui devient rapidement un «magnet for collabrators, peers, groupies, fame junkies, speed freaks and other hangers-on.» Andy Warhol devient une star, «widly successful, influential, inescapable.» Hermes Trismégiste fait défiler les «Warhol’s superstars», Edie Sedgwick en premier. Ces pages donnent le tournis. En 1965, Andy teste les Fugs pour animer la Factory, mais ça ne colle pas. Par contre, ça va coller avec le Velvet. Et même plus que coller. Super-coller. Bob Dylan passe à la Factory, mais il ne peut pas schmoquer Andy, et Andy le trouve «corny», ce qui n’est pas très flatteur.

             Calimero rappelle qu’au temps de la Factory, on appelait le Lou Lulu - I was Black Jack. Nico was Nico - Danny Fields ajoute que tout le monde était amoureux du Lou, «me, Edie, Andy, everyone.»

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             Et qui dit Factory dit bien sûr Nico, qui est déjà auréolée de légende quand elle débarque à la Factory au bras de Brian Jones : elle a joué pour Fellini et a pris des cours chez Lee Strasberg. Dylan sera aussi frappé par la beauté de Nico, allant jusqu’à l’appeler Rita dans «Motorspycho Nightmare» - Looked like she stepped out of La Dolce Vita - À Londres, elle avait déjà enregistré un single pour Andrew Loog Oldham sur Immediate, «I’m Not Sayin’», accompagnée par Brian Jones et Jimmy Page. Quand elle débarque à New York, elle montre son single à Andy et l’acétate du cut que Dylan a composé pour elle. C’est là qu’Andy a l’idée de la faire entrer dans le Velvet. Le Lou accepte à contre-cœur : «I was just this poor little rock and roller and here was this goddess.» Bien sûr le Lou va tomber amoureux d’elle, même si Sterling Morrison affirme : «Lou Reed in love is a kind of abstract concept.» Jusqu’à la fameuse rupture, lorsque Nico arrive en répète et déclare devant tout le monde : «I cannot make love to jews anymore.» Humilié, dévasté, le Lou va s’envoyer une bouteille entière de Placidyl. On reverra Nico à Monterey au bras de Brian Jones, puis elle va entamer une love affair avec Jimbo, qui commence à peine à décoller avec les Doors.

             Et puis t’as l’after-Velvet. Le Lou solitaire. Il doit se re-positionner. Construire un personnage, «a street punk Everykid». C’est Richard Robinson qui va relancer la carrière du Lou et lui décrocher un contrat chez RCA. Le Lou développe un «glam-ghoul look», celui que va shooter Mick Rock pour Transformer. Il va trimballer ce look de «Phantom of Rock», de «zombie-drag harlequin of decadence» et porter du cuir noir pendant un certain temps. Il monte sur scène complètement défoncé. Il bat tous les records.

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    Lou Reed et Robert Quine

             L’un des personnages clés de la période solo du Lou n’est autre que Robert Quine, l’ex-Voidoid - a lover of Richie Valens, John Lee Hooker, Jeff Beck, the Stones, and jazz, Coltrane in particular - Quine va devenir un «Velvet fanatic» : «White Light White Heat completely changed my life.» Quine est pote avec Lester Bangs et avec Eno avec lequel il explore les restaurants asiatiques. Après la fin des Voidoids, il contacte le Lou et lui propose de l’accompagner, à une condition : que le Lou «start playing guitar again with gusto.» L’idée de Quine était de re-créer «a Velvet Underground-style attack, with himself as a post-punk Sterling Morrison.» Des quatre ans qu’ils vont jouer ensemble, Quine trouve que la première «was really great». Ils enregistrent ensemble The Blue Mask. Puis la relation va se détériorer avec Legendary Heart. Quand Quine entend le mix, il s’aperçoit que le Lou l’a fait disparaître. Terminé.

             Quand le Lou rencontre David Bowie pour la première fois, ils cliquent. Bettye Kronstad : «Lou did kinda fall in love with him.» La même nuit, ils rencontrent Iggy au Max’s, un Iggy que Danny Fields a ramené à New York et dont Calimero vient de produire le premier album, avec les Stooges. Ah comme le monde est petit.

             Dans sa période calme, le Lou épouse un trans, Rachel Humphreys.

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    Lou & Bettye

             Puis il entame une relation mouvementée avec Bettye Kronstad, avec des yeux au beurre noir, aussi bien elle que lui, car elle ne se laisse pas faire. Il la frappe, alors elle le frappe. Le Lou bricole aussi avec Moogy Klingman qui avait auparavant bossé avec le Wizard & True Star Todd Rundgren. Et quand le Lou est attiré par Berlin, c’est surtout de façon littéraire, via le Goodbye To Berlin de Christopher Isherwood, le Berlin Alexanderplatz d’Alfred Döblin, et bien sûr le Cabaret de Bob Fosse. Puis il revoit son look et se fait un «Jean genet prisoner haircut», augmenté d’un collier de chien, de cuir clouté, et d’un ceinturon avec une boucle en bec d’aigle - His look was uncut gay leather bar. But to most straight rock fans, it simply read as post-glam hypermachismo - Et bien sûr, sa cote n’en finit plus de monter. Bowie le considère comme «the most important, definitive writer in modern rock.» Et il dit à Burroughs : «New York City is Lou Reed.» Quand le Lou enregistre Sally Can’t Dance, il laisse tomber des metal guitars d’Hunter & Wagner et va sur un son plus dansant, «the sort of music Rachel adored.» Il continue de se goinfrer d’amphètes et ne bouffe presque plus. Il ne vit alors que d’hot-dogs et de whisky. Sur scène, il parle beaucoup aux gens, et remet bien les choses au carré : «What’s wrong with cheap dirty jokes? Fuck you. I never said I was tasteful.» Pur Louism. Quand le Lou demande à Bowie de produire son prochain album, Bowie accepte à une condition : qu’il arrête la dope et la booze. Alors le Lou lui saute dessus, le gifle à deux reprises, l’attrape par le colbac et lui crie ça en pleine gueule : «Don’t you ever say that to me.» On ne fait pas la morale au Lou.

             Quand on lui demande ce qu’il pense des petits jeunes qui débarquent au CBGB, le Lou dit adorer Tom Verlaine, par contre, il déteste Brouce Springsteen : «He’s a shit.» Il trouve les Ramones fantastiques. Quand il entend une démo des Ramones pour la première fois chez Danny Fields, il s’exclame : «That’s the greatest thing I’ve ever heard.»    

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    Clive Davis, Lou Reed

             Puis Clive Davis prend le Lou sous son aile et le signe sur Arista. Davis : «It was good for the label. He was edgy, farsighted, independant and hugely influential.» Au début des années 80, le Lou est un homme neuf. Il fait gaffe à sa santé et pratique les arts martiaux. On passe complètement à autre chose. Il fréquente les réunions du Narcotic Anonymous et un jour un mec l’agresse : «Comment osez-vous vous pointer ici - you’re the reason I took heroin.» Le Lou se met à rouler en moto, il opte d’abord pour une Suzuki, puis pour une Harley V-twin Super Glide.

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             Il va ensuite fréquenter l’un des New-Yorkais les plus légendaires de son temps, Doc Pomus, que fréquentent aussi Dylan et Dr John. Mais la relation ne va pas durer longtemps, car Doc se chope un petit cancer en 1991. Le Lou va le voir à l’hosto et propose de lui ramener une télé couleur, mais Doc lui dit de ne pas se prendre la tête avec ça - Pomus was a black-and-white guy.

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    Lou & Laurie

             Le Lou vit sa dernière love affair avec Laurie Anderson. John Zorn : «It’s the love affair of a lifetime.» Le Lou essaye aussi de bosser avec Scorsese qui compte adapter au cinéma In Dreams Begin Responsabilities de Delmore Schwartz. Mais ça ne débouche pas. Scorsese propose aussi au Lou le rôle de Ponce Pilate dans The Last Temptation Of Christ, mais c’est Bowie qui récupère le rôle.

             Le Lou reconnaît qu’il a du pot d’avoir survécu à tout ce bordel de «substance abuse and the AIDS pandemic» : «I’ve put my dick in every hole avaliable.» Lucky Lou ! Pendant les dernières années de sa vie, il pratique le tai chi. Il balance ça à un journaliste : «Tai chi keeps your dick really big. Haven’t you figured that out yet?».

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             Hermes Trismégiste se penche longuement sur les héritiers du Velvet et notamment sur Peter Laughner qui était littéralement obsédé par le Lou : «Lou was my Woody Guthrie and with enough amphetamine, I would be the new Lou reed.» Mais il n’aura pas le temps. Hermes le miséricordieux cite d’autres héritiers : les Feelies, Yo La Tengo et son «feedback-loving writer-guitarist Ira Kaplan», Steve Wynn et son clin d’œil au Dream Syndicate de La Monte Young, Susanna Hoffs of the Bangles au temps de Rainy Day. Mais dans ses grandes largeurs miséricordieuses, Hermes Trismégiste omet de citer les Subsonics.

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             Les pages sur le déclin physique et la fin du Lou sont terrifiantes. Il faut les lire. Le Lou et Laurie Anderson passent une dernière nuit à papoter et à faire des exercices de respiration. Et puis à l’aube, le Lou demande à aller sur la terrasse - Take me to the light - Ce sont ses derniers mots. On a Sunday morning. Tout a une fin. Même le Lou.

    Signé : Cazengler, Lou ridé

    The Power Of The Heart. A Tribute To Lou Reed. Light In The Attic 2024

    Why Don’t You Smile Now: Lou Reed At Pickwick Records 1964-65. Light In The Attic 2024

    Will Hermes. Lou Reed: The King Of New York. Farrar, Straus & Giroux 2023

     

    L’avenir du rock

     - Green Milk cow blues

             Chaque fois que l’avenir du rock croise un squelette dans le désert, il s’agenouille pour examiner les dents. Il ne récupère que les dents en or. Comme elles sont généralement bien vissées dans la mâchoire, il a dû se fabriquer un petit marteau primitif pour les déloger. Bing ! Bing ! Bing ! En général, elles cèdent au bout de trois coups, quand la mâchoire explose. Il en a déjà pas mal dans sa poche. Ça peut toujours servir.

             — À quoi ? Se demande-t-il...

             — On verra bien, répond-il. L’essentiel est d’avancer. L’occasion fera le larron !

             Il repart d’un pas léger. Comme personne ne lui pose les questions, il se les pose. C’est l’un des luxes de la solitude conjoncturelle :

             — Ça ne te pèse pas trop sur la conscience de détrousser un cadavre ?

             Il réfléchit un court instant et répond :

             — Au contraire ! Avec sa dent en or, ce frimeur n’a eu que ce qu’il méritait !

             — Ta franchise l’honore !

             — Oui, j’en suis très fier.

             Il atteint le sommet d’une dune. Au loin, très loin, il voit quelque chose briller. Intrigué, il repart dans la direction du mystérieux objet brillant. Un jour de marche, et puis deux. Il finit par approcher de ce qui semble être une fourgonnette. Elle ressemble à ces food-trucks qu’on voit aujourd’hui un peu partout, avec un auvent levé et trois tabourets disposés devant le comptoir. Au-dessus de l’auvent est peint en grosses lettres baveuses le nom de ‘Thénardier’. L’avenir du rock approche et demande au gros commerçant :

             — Vous vendez à boire ?

             — Toutes les boissons du monde !

             — Alors servez-moi un verre de Green Milk From The Planet Orange !

             — Vous avez de quoi payer ?

             Alors d’un geste magnanime, l’avenir du rock jette sur le comptoir une poignée de dents en or. 

             — Paye-toi, misérable !

     

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             Green Milk From The Planet Orange ? Par sécurité, tu visionnes un clip vite fait sur YouTube. C’est pas que tu te méfies, mais on ne sait jamais. Le clip est filmé chez un disquaire. Tu les vois assis tous les trois sur des chaises. Le guitariste et le

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    bassiste sont assis de chaque côté du batteur et se font face. Ils mettent leur petit biz en route et tu fais la moue, car ça vire prog. Tu ne fais pas la moue longtemps, car leur prog s’énerve tout seul et soudain, tout explose, ils cultivent la montée en neige qui mène droit à l’apocalypse. Ils valent bien mille groupes garage.

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             Cette fois, c’est pas en marchant que tu descends à la cave, c’est en courant. Et tu retombes exactement sur le plan filmé chez le disquaire : les trois mêmes petits Japonais assis en comité restreint, la neige qui monte et ta mâchoire qui se décroche et qui te pend sur la poitrine comme une lanterne. Le petit batteur s’est mis en short pour jouer. Il s’appelle A. On n’avait encore jamais vu un batteur aussi fou, c’est sans doute le plus grand pétaradeur du mondo bozarro, il démultiplie les roulements à l’infini et shoote dans le cul du prog une énergie jusque-là inconnue. Les Green

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    Milk font du Can à la puissance mille. Leur prog te demande un temps d’acclimatation, mais une fois que t’es hooké, il ne te lâche plus. Si t’es sentimental, tu diras même que c’est pour la vie. Le bassiste n’en finit plus de trépigner sur sa chaise avec sa belle basse verte. Son collègue en face pique des crises de Méricourt qui font passer Damo Suzuki pour un enfant de chœur. Il s’appelle Dead K.

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             La preuve de tout ça se trouve sur Tragedy Overground, un CD d’un seul titre, le cut de 22 minutes qu’ils ont joué en dernier. Tout le set y est, intact : ça met du temps à se mettre en route, mais ça se met bien en route. Dead K te drive ça au long cours, soutenant son chant avec un tiguili avarié joliment délibéré, une gamme qui en dit long sur ses intentions hégémoniques. Et ça monte très vite en température,

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     t’as intérêt à en profiter, car t’es pas près de revoir un truc pareil, et derrière t’as le batteur fou A, un vrai diablotin on fire, il démultiplie ses rapatatata, et, suivant le principe du prog qui est de voyager, ils enquillent des niveaux jusque-là peu empruntés, ils font tout en même temps : ils créent un monde et pulsent dans les bastingages, histoire de créer une explosion infra-nucléaire, Dead K envoie une fuzz qui fond dans le Bessemer de Sister Ray, mais c’est encore autre chose, c’est beaucoup plus dynamique, t’as une sorte de frénésie bulbique, une pathologie uniquement accessible à des Japonais libres de tous leurs mouvements, et crois-le bien, c’est une aubaine que de retrouver cette propulsion infra-nucléaire sur un disk, ils t’explosent tous tes pauvres a priori, leur capacité démonique bat tous les records, Dead K part en vrille de wah et gueule dans son micro comme le mec de Guitar Wolf, yah ! Il est possédé par le diable d’Orient, c’est brillant et ça repart comme si de rien n’était. Ils battent largement Can à la course, ils cultivent une science du parcours prog, mais avec un souci constant d’énergie, ça brasille au plus haut point, ça te laisse comme deux ronds de flan et le fantastique tatapoumage t’envoie valdinguer dans l’apothéose. Tu crois qu’ils vont se calmer, mais non, ça repulse dans l’excès inverse, ils repoussent toutes les limites du genre, ils vont bien au-delà du concept de power-trio, le diablotin charge la chaudière en permanence, c’est du sans appel, Dead K hurle tout ce qu’il peut et ça bascule dans une démesure de Planète Orange. Un seul uh et la messe est dite.

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             Tu ne perdras pas ton temps à écouter le split live qu’ils ont enregistré avec Fuzzwolf, un groupe américain. Ce live s’appelle Let’s Split. Ah ils y vont de bon cœur les trois Milk, le petit diablotin te bourre bien le mou du son et ça part pour 20 minutes de prog intensif. Ils ne te laisseront aucun répit. Les Japonais sont souvent cruels. La férocité intensive est leur fonds de commerce. Ils sont capables d’allumer au plus haut point, de calmer le jeu et de revenir ensuite à la charge de la lutte finale. C’est la loi du prog à roulettes : tu passes par toutes les étapes, tu leur accordes des délais, tu attends qu’ils t’envoient au tapis, t’es là pour ça, tu tends la joue, vazy frappe, Green Milk, frappe si t’es un homme, alors ils frappent, ils sont marrants, ils ne lésinent pas sur la marchandise, surtout le diablotin, il pétarade ses roulements à une vitesse toujours plus accélérée, on se demande d’ailleurs comment il fait, serait-il un robot ? Il est trop rapide, et son collègue Dead K se met à gueuler dans son micro, on ne comprend rien à ce qu’il raconte, mais on est habitué avec les Japs, ils savent claquer le beignet d’un yaourt, c’est l’énergie qui les intéresse. Ils s’expatrient en fanfare, ils sont complètement déjantés, incapables de se rattraper, leur cirque est une merveille, tu crois entendre un groupe de rock vénusien, ça bascule dans un Tannhäuser de cyberspace et t’as évidemment la belle explosion finale battue comme pâtre par ce fou d’A.

    Singé : Cazengler, grise mine d’abonnette Orange

    Green Milk From The Planet Orange. Le Trois Pièces. Rouen (76). 2 juin 2025

    Green Milk From The Planet Orange. Let’s Split. Silver Current Records 2024

    Green Milk From The Planet Orange. Tragedy Overground. Not On Label 2025

     

     

    L’avenir du rock

     - Big ado Dynamite

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             Entre la dynamique et la dynamite, l’avenir du rock n’hésite pas un seul instant. Il commence par aller s’acheter un vieux costume du XIXe siècle aux Emmaüs, gris anthracite, un peu lustré, qu’il complète d’une chemise à col droit et d’une simple lavallière. Il niche dans la poche de son gilet assorti un chronomètre gousset qui lui permettra de calculer précisément la longueur des mèches. Enfin, la mousseline noire du pantalon tombe sur une paire de souliers en cuir verni et assez souples pour permettre la course en cas d’irruption inopinée des féroces inspecteurs de la Sûreté. Il envisage pendant un instant de se peindre le visage en bleu, en hommage à Pierrot Le Fou, mais il n’est pas question de finir aussi bêtement que ce pauvre Pierrot qui, après avoir allumé la mèche du chapelet de bâtons de dynamite qui lui ceinture la tête, cherche en vain à l’éteindre. Boum ! L’avenir du rock trouve ce boum trop Dada. Il préfère Ravachol. Alors là oui, ça a de l’allure ! Il s’est laissé pousser une belle moustache qu’il lustre à n’en plus finir, et comme il connaît bien ses classiques, il a transformé sa cuisine en antichambre des enfers, collectionnant des marmites anciennes récupérées chez des forgerons de villages, noircies par mille ans d’usage, et qu’il remplit jusqu’à la gueule de cloutaille, de vissaille, de mitraille, de limaille, de quincaille, de ferraille, de rocaille, de grenaille, de médailles, de rimailles, de vitrailles, de boustifaille, et schploufff et schplafff, il tasse et entasse en ricanant et en transpirant comme une brute atroce, le visage marbré d’éclats de lumière rouge, les yeux injectés de sang, il rue et il brait, et schploooufff et schplaafff, il arrose toute ça d’une crème de poudre noire, et avec un rire terrible qui s’en va ricocher sous le plafond calciné par les fumées, il plante sur son immonde gâtö des bâtons comme autant de bougies d’anniversaire, mais pas n’importe quels bâtons, amigo, des bâtons de Dynamite Shakers, pour être bien sûr que tout explose et que le capitalisme soit anéanti à tout jamais. Boum !

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             Quand tu les vois arriver sur scène, tu les trouves un peu verts. Tee-teen, oh ma tee-teen. Un concept jadis exploré par d’autres tee-teens : les Undertones, Shirley & Lee, ou encore les Collins Kids. Contexte tee-teen exacerbé par le guitariste du fond et la petite bassiste. Le guitariste du fond s’appelle Calvin, d’une rare maigreur, vêtu d’un short sexy, de collants noirs et d’un petit haut noir, il pèse tout au plus 30 kg, il gratte en jetant fréquemment la patte en l’air, il court énormément sur place et, petit détail capital, il sonne un peu comme Johnny Thunders. Sa gestuelle rappelle celle de Mick Jones qui avait déjà tout pompé sur Pete Townshend. Contrairement à ce qu’indique sa maigreur, il est extrêmement athlétique. On voit rarement des guitaristes aussi ollé-ollé, aussi dégourdis de la gambette. Dans une vie antérieure, il devait danser le French Cancan au Moulin Rouge. En combinant ce côté thunderien, la gambette folle et ce flux constant d’énergie, il menace en permanence de voler le show.

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             La petite bassiste s’appelle Lila-Rose. Elle opte pour un jeu beaucoup plus statique mais pas inintéressant. Elle vise l’efficacité, le radicalisme bassmatique. Le son suit. Derrière, t’as un excellent dynamiteur au beurre, il s’appelle François, et au milieu de tout ça, t’as une petite rock star en herbe, Elouan, qui tape des poses dignes de celles d’Eddie Cochran. Looka here ! Dommage qu’il ne gratte pas une Gretsch, l’illusion serait parfaite. Il met vite le set au carré, sait poser sa voix et partir en vrille de scorch quand il le faut. Si jeune et déjà complet ! 

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             Alors évidemment, les Dynamite Shakers concentrent tous les défauts propres aux groupes français : maladresse du mimétisme, manque de maturité compositale, absence totale d’hit. Ça fait cinquante ans qu’on a fait le tour du problème. Seuls les Cowboys, les Dum Dum et Weird Omen ont su créer un monde et échapper aux pièges du mimétisme. Scéniquement, le set des Shakers tient la route, mais tu sais que t’auras pas d’hit. Tu pourras tout au plus te contenter de secouer la tête. C’est déjà pas mal. Et puis soudain, tout bascule. Tu reconnais l’intro de «Strychnine». Ils

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     en tapent une version dé-vas-ta-trice ! Et là tu dis oui, mille fois oui, car tu vois bien qu’ils jettent toute leur énergie dans le dévolu. Les Shakers deviennent énormes, ils balayent tous les a priori. Leur cover de «Strychnine» est absolument herculéenne, une vraie bénédiction, elle passe en force, pas comme celle des Cramps, ils préfèrent dynamiter la leur, bien lui allumer la gueule, ils l’envoient carrément valser dans la stratosphère, et du coup, on oublie les compos qui ne fonctionnent pas et tous les problèmes liés à la malédiction des groupes français. Ils vont rééditer cet exploit en rappel avec une autre cover du diable, le «Feel Alright» des Stooges, qu’ils tapent en mode white light white heat d’explosion thermonucléaire, en mode aller simple vers le no way out, ils tapent d’ailleurs la magistrale version des Damned qui, t’en souvient-il, visait l’incontrôlabilité des choses. Avec deux covers, les Dynamite Shakers défoncent la rondelle des annales, et c’est à partir de là que tu les vois entrer dans la cour des grands. Vous reprendrez bien une dose de Dynamite ?

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             Alors boum ! Don’t Be Boring. Cet album sonne comme une belle collection d’énormités, dont celles qu’ils ont claquées sur scène, «Blow My Mind» et «What’s Going On». Accès direct ! Le Blow est monté sur un beau riff gaga, c’est même riffé à la vie à la mort, bien propulsé. On note au passage que Jim Diamond signe la prod de l’album. Ces cuts sont balèzes et classiques - I say hey what’s going on ! - Éclatants et solides à la fois. Par contre, quand c’est elle qui chante, ça ne fonctionne plus. L’album reprend du poil de la bête avec «Look How Fast It Goes», t’as tout le saint-frusquin, le gros beurre de soutien, le killer solo flash et la belle fin d’apocalypse. On se régale aussi d’«I Can’t Wait For You». Le riff est sain. Ils terminent avec «The Bell Behind The Door» qui est aussi leur cut de fin de set. Il est bien ramoné de la rémona. Ce Bell de fin est massif, riffé à l’oss. Ce sont les guitares qui dictent la loi. Le riff te met sur la voie du seigneur. La leçon de cette histoire ? Composer des hits n’est pas donné à tout le monde. On connaît par cœur le circuit des petites cavalcades françaises qui ne mènent nulle part. Les Shakers n’ont que des énormités, c’est déjà pas mal. Ils gardent les coups de génie pour la scène.

    Signé : Cazengler, dynamiteux

    Dynamite Shakers. Le 106. Rouen (76). 5 juin 2025

    Dynamite Shakers. Don’t Be Boring. Les Disques En Chantier 2024

     

     

    Wizards & True Stars

     - Le rock à Billy

     (Part Four)

     

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             La branche armée du mouvement révolutionnaire de Wild Billy Childish s’appelle CTMF (Copyright TerMination Front), autrement dit short for Chatham Forts. Fondé en 1974, The Medway Military Research Group donne ensuite naissance aux Chatham Forts. Cette organisation ultra-subversive va lâcher pas moins de 9 bombes en 10 ans, et causer dans le monde occidental des ravages sans précédents. Les trois principaux activistes de cette branche armée sont  Wild Billy Childish et ses deux bras droits, Wolf (le roi du beurre pète-sec) et Nurse Julie (alias JuJu Claudius, alias JuJu Hamper).

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             Leur premier méfait date de 2013 et pour mieux brouiller les pistes, il porte un nom bizarre : Die Hinterstoisser Traverse. Une sombre histoire d’alpinisme. Le mec qu’on voit sur la pochette n’est pas Billy Childish, mais Hinterstoisser, le mec mort pendant la descente d’un sommet qui s’appelle l’Eiger, dans les Alpes suisses. Toutes ces précisions proviennent bien sûr de sources bien informées. Fais gaffe si tu retournes la pochette, car on y voit un cadavre d’alpiniste qui pendouille au bout d’une corde. Wild Billy Childish n’a jamais fait dans la dentelle, ce que vient confirmer «Thatcher’s Children». On se croirait chez les Clash, tu entends même la bassline de London Calling. Puis avec «Joe Strummer’s Grave», il rend hommage à Strum en chantant comme Johnny Rotten - Richard Branson don’t shine ! - Tu l’as dit bouffi ! Et la dérilection se poursuit avec une cover gaga d’«Israelites», il rentre avec ses gros sabots dans le monde délicat de Desmond Dekker. Le résultat est ravissant. Il opère un bouclage de balda avec un fantastique shoot de gaga fantôme, «Dunkum Does As Dinkum Do», bien arrosé des coups d’harp de John Riley qui est aussi l’ingé-son de Rochester où se déroule l’enregistrement. En B, Wild Billy Childish revient à l’objet de sa fascination enfantine : les power chords des early Kinks, avec «The Kids Are All Square». Il n’existe rien de plus Childish que ça en Angleterre. Il te chante ça à pleine gueule. Même les instros sont lourds de conséquences sur cet album alpin : le morceau titre est gorgé d’heavy menace. Il tire le meilleur de l’Allemagne avec «Oh Mein Gott - Baader Meinhof», c’est-à-dire Baader, et puis Joseph Beuys. La fête se termine brutalement avec «Racist Attack» - Sittin’ at the bar/ Sippin’ at the jar - Il situe l’histoire en 1978, il fait sonner son eight en hate et fait du big fat cockney avec Johnny Rotten mister rastafari - Strutting with Johnny Rotten by my side.

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             C’est sur la pochette bizarre d’All Our Forts Are With You qu’on trouve les informations relatives à la création du Medway Military Research Group. On voit d’ailleurs nos quatre activistes en herbe sur la photo. Album bim bam boom car «On Moonlit Heath» ! Heavy chords des Who circa Shel Talmy. They got the power ! Claqué brutal d’«I Can’t Explain». Ils reviennent aux Who au bout de la B avec «All Our Forts Are With You (Reprise)», c’est whoish in the face, chœurs/basse/beurre, the Chatham Forts are with you ! Pur genius ! Wild Billy Childish et Dan Melchior sont des inclassables, des mecs qui à force de te bourrer le mou avec de bons albums finissent par t’épuiser la cervelle et le porte-monnaie. Le porte-monnaie, c’est compliqué, mais la cervelle, c’est bien. Car sinon, elle ne sert pas à grand-chose, si on te l’épuise pas, ta cervelle. Oh et puis tu aussi cette cover ex-plo-sive d’«I Just Wanna Make Love To You» en B, il y ramène tout le JuJu, tout le dark, tout l’écho du monde, c’est l’un des plus beaux hommages à Big Dix. Oh et puis cet «I Should Have Been In Art School» claqué aux heavy chords des early brutes, Wolf te tape ça à la cloche de bois, et c’est gratté à la pure disto du Kent, il appelle la guitar/guitar et ça part en dérapage contrôlé, le gaga protozozo du mighty Childish boy reste flambant neuf. Dans «The Musical Rogues», il sort son meilleur accent cokney pour dénoncer the musical rogues & the padys of the pots, the musical rogues & the handys of the hawk. Tu te débrouilles comme tu peux avec le cockney. Ce sacré Billy se valide tout seul avec «I Validate Myself», il y a au cokney de Chatham avec les chœurs magique de Nurse JuJu. Et re-bim bam boom avec le morceau titre - I know/ You/ Bâillebeee - il tartine son baby sur un riff-raff de Dave Davies, c’est gaga jusqu’à l’oss de l’ass, le bassmatic de Nurse JuJu traverse le cut sans mettre son clignotant, à la déglingue sourde, et Billy passe un solo de fin suspensif complètement délinquant. Inutile d’aller chercher ça ailleurs. Ça n’existe pas.     

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             Tu peux voir Nurse Julie sur la pochette d’Acorn Man. Et tu peux l’entendre chanter «Zero Emission» dans le balda. Le wild ride n’a aucun secret pour elle. Retour en force des coups de génie gaga dès «It’s So Hard To Be Happy». Wild Billy Childish harponne plus qu’il ne gratte, schlakkkk, aw yeah. Il fait encore ses frasques de flamboyant rocker avec «He Wore A Pagan Robe». Il reste l’ultime star de l’underground britannique. Son rock est d’une élégance définitive. Nurse Julie y va au sucre gluant dans «What Is This False Life You’re Leadin». Décadente et juvénile à la fois, et derrière, c’est raw ! Coup de génie encore en B avec «Curious Filters», tapé à l’early sixties gaga-punk de Muddy Waters, bien gorgé de fuzz du Kent. Avec «Punk Rock Enough For Me», Billy dresse son bilan, yeah yeah, au working out for me, et il cite en vrac Dostoïevski, Robert Johnson et Jimmy Reed. Puis il revient à son obsession pour Dave Davies avec «Acorn man (Slight Return)» : riff-raff de Really Got Me et solo trash. Franchement, que demande le peuple ?                 

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             Ah tu crois vraiment qu’ils vont se calmer ? Ha ha ha ha, fait SQ1, c’est-à-dire Square One. Crack-boom ! Retour direct à Dave Davies avec «By The Way Of Love & Hate», encore du Really Got Me revu et corrigé. Et Wolf est toujours exact au rendez-vous. Au bout de la B des cochons, tu vas tomber sur un magnifique clin d’œil à Bo avec «Cadillac». Tu as même les coups d’harp d’époque. Il reprend aussi un vieux groove sixties dans «A Fallen Tree» et l’arrose d’une fuzz tirée d’«I Can Only Give You Everything». Mais la bombe est à l’entrée du balda : «A Song For Kylie Minogue», et là il fait son Spencer Davis Group d’I just don’t know. Il croque la vie à pleines dents et ramène là-dedans le tiff d’orgue de «Gloria». Exactement le même climax. JuJu reste sur les accords de «Gloria» pour «Turn & Run». Tout reste ancré dans la magie des sixties et derrière elle, le Billy gratte sec. Sacrée déclaration d’intention avec «CTMF», not the first of many/ Maybe the last, et il gueule I’ll stand the time ! Cet album est littéralement hanté par les accords de «Gloria», comme le montre encore «When I Think About You».

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             La bobine du young Childish orne la pochette de Brand New Cage. Même chose : t’y vas les yeux fermés, car comme dans le cochon, tout est bon là dedans. Volent retour aux Who avec «You Destabilise Me». C’est encore «Can’t Explain». Pure explosion de crashin’ in. Nurse JuJu s’enhardit et chante pas mal de cuts sur l’album, notamment «Bullet Proof». Ah elle est vénale ! Elle chante aussi «It’s All Gone Wrong» et cet affreux Jojo de Billy y passe le pire et le plus gluant killer solo trash qui soit ici-bas. Il gratte ses vieux accords de protozozo dans «In The Devils Focus, et profite de l’occasion pour chanter comme un démon cockney. Et en B, il s’en va cavaler ventre à terre avec «Something’s Missing Inside», bien propulsé par Wolf et bien sûr, cet affreux Jojo de Billy ne rate pas l’occasion de passer le plus wild des killer solos trash. Il est à la fois incurable et LE modèle du genre

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             In The Devil’s Focus est un mini-album, mais un mini-album explosif. Il monte son «Billy B. Childish» sur le riff-raff d’«Hey Bo Diddley». Suprême auto-hommage - Billy Billy poor/ Billy Billy poor/ Billy Childish can’t teach ! - Il attaque son «You Gotta Lose» au wouaahhh yeah. Ça n’a l’air de rien comme ça, mais c’est encore un modèle du genre. Il pose son heavy blues rock sur le ravissant bassmatic de JuJu. C’est classique, mais éclatant de génie impénitent. Voilà, le ton du mini-album est donné. Avec le morceau titre, il fait du classic talking jive, bien monté sur le bassmatic pouet pouet de JuJu, et derrière, Wolf fouette la peau des fesses. Quelle leçon d’humilité ! «Empty» colle bien au papier. Billy chante au bord du précipice et gratte comme toujours des poux féroces. Surprise en taille en B avec «I’ve Done Something Rotten». Il y a du psyché dans le son et Wolf y bat la chamade aigrelette. JuJu attaque «Medway Trogglamania» au heavy pouet pouet, et l’heavy Billy y va au ding dong de King Kong, pur genius d’in terms of education. Puis retour au full blow out avec «Rusty Hook». Chaque album du CTMF est une aventure terrifiante. Tu ressors de celui-là en claquant des dents et en recommandant ton âme à Dieu.

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             La cerise sur le gâtö du CTMF est Last Punk Standing And Other Hits, à la fois par le contenant et le contenu. Tu les vois tous les trois, sur la colline et tu sais que l’album va te sonner les cloches. C’est d’ailleurs ce que tu préfères dans la vie : te faire sonner les cloches. JuJu attaque de front avec «It Hurts Me Still», elle est prodigieusement juste et délicieuse, elle est gaga-dirt jusqu’au bout des ongles, elle chante comme la Femme Fatale de l’Underground Britannique. Rien qu’avec ce cut, t’es content d’avoir chopé le Last Man Standing. Mais attends, c’est pas fini. Retour à Dave Davies et aux early Kinks avec «The Darkness Was On Me», les accords craquent comme du bois sec. Mêmes dynamiques ! Et sur «I Can Recall It All», Nurse JuJu claque le bassmatic de «Jumpin’ Jack Flash» ! Pire encore : Sur «Some Unknown Reason», ils jouent l’intro de Wanna Be Your Dog. Exactement la même progression d’accords. Gloups ! Une stoogerie ! Alors si c’est pas un clin d’œil, qu’est-ce que c’est ? Ce démon de Billy chante comme les Buzzcocks de Spiral Scratch sur «You Can’t Capture Time», au cockney des bas-fonds ! Ils finissent «Like An Inexplicable Wheel» en mode mad psyché, et maintenant, place aux coups de génie, à commencer par «Gary’s Song». C’est JuJu qui emmène cette oriflamme des silver sixties en enfer, à une fabuleuse allure. Ah il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie, si on ne veut pas mourir idiot. Puis Billy te swappe sur le tard ce wild shoot de childish breakout qu’est «The Happy Place». Te voilà encore sidéré. Il ne te lâche jamais la barbichette. Mais le pire est à venir : «Last Punk Standing», gratté au vieux protozozo de Zanzibar - I’ll give you an understanding ! - Il te roule dans la farine de l’heavy riff des Them. Te voilà une fois de plus au cœur du proto-punk anglais. 

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             La pochette de Where The Wild Purple Iris Grow s’orne d’un magnifique portait de notre héros. Nœud pap, chapeau et gros cigare, le voilà qui joue les dandys. Il en a largement les moyens. Alors attention, c’est encore du condensé de crack-boom-uhue. Ne serait-ce que pour la cover du «Ballad Of Hollis Brown» de Bob Dylan. Il la prend à la wild attack dylanesque, au rumble des enfers avec des coups d’harp véracitaires, c’est stupéfiant d’énergie et de brasillement. Sinon, cet album n’est rien d’autre qu’un gros tas de coups de génie. Désolé d’avoir à le dire, mais c’est vrai. Sans doute est-ce là le meilleur album de rock paru en 2021. La preuve arrive sur le plateau d’argent du morceau titre en ouverture de balda, un shoot faramineux d’heavy psychedelia, Billy cultive l’art gaga jusqu’au délire, il en fait un bouquet d’excelsior et c’est ravagé par du booming de bassmatic demented. Tu tombes à la suite sur un «Mystery Song» qui sonne comme un obscur hit sixties frappé à l’uppercut du far out. Billy chante ça comme s’il chantait le dernier rock du monde. Son rock reste d’une vérité criante, d’une rare authenticité, et il screame son ass off. Tu tombes encore de ta chaise avec ce «She Was Wearing Tangerine» monté sur la fantastique structure percussive d’un bassmatic on tiptoe - I walked out the hopsital - Il boucle ce fumant balda avec «Come Into My Life», un horrible monter bash vitriolé par un jus de disto. Apocalyptique ! C’est vraiment tout ce qu’on peut en dire. En B, il tape une version enflammée du «Train Kept A Rollin’» et il travaille son «You Say That You Love Me» à l’ancienne mode des Downliners Sect. Sans pitié pour les canards boiteux ! Coin coin. Tu t’imagines que le vieux Billy tourne en rond ? Pas du tout. Il réinvente en permanence le garage britannique. Il finit avec «The Same Tree», une pure giclée de British Beat des origines.

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             On retrouve sa fameuse red leatherette Klira guitar sur la pochette de Failure Not Success. Il déborde un peu sur son autre side projet, The William Loveday Intention, car il rend deux hommages à Bob Dylan : «Hanging By A Tenuous Thread» et «Bob Dylan’s Got A Lot To Answer For». Il trempe dans «Like A Rolling Stone», yeah hanging by a tenuous thread, et il embarque le deuxième à la fuzz. Il rend deux autres hommages de taille. Le premier à Richard Hell avec une wild cover de «Live Comes In Spurts», et le deuxième à Jimi Hendrix avec «Fire», un «Fire» qu’il jouait sur scène au Nouveau Casino, voici 20 ans. Il tape en plein dans l’Hendrixité des choses, il prend le Fire au petit chat perché Childishy et derrière tu as les chœurs demented de Nurse JuJu, wouuuhh let me stand/ By your fire, et bien sûr, Wolf bat le beurre du diable. Te voilà encore une  fois plongé dans la mythologie des temps modernes. Il ramène encore tout le power des Chatham Forts dans «Come Into My Life» et y passe un solo atrocement traîne-savate. Cet affreux Jojo de Billy est capable de tout. Comme d’ailleurs l’affreuse Jojote de JuJu.

    Signé : Cazengler, Billy Chaudepisse

    Wild Billy Childish & CTMF. Die Hinterstoisser Traverse. Squoodge Records 2013 

    Wild Billy Childish & CTMF. All Our Forts Are With You. Damaged Goods 2013     

    Wild Billy Childish & CTMF. Acorn Man. Damaged Goods 2014                   

    Wild Billy Childish & CTMF. SQ1. Damaged Goods 2016

    Wild Billy Childish & CTMF. Brand New Cage. Damaged Goods 2017

    Wild Billy Childish & CTMF. In The Devil’s Focus. Damaged Goods 2017

    Wild Billy Childish & CTMF. Last Punk Standing And Other Hits. Damaged Goods 2019

    Wild Billy Childish & CTMF. Where The Wild Purple Iris Grow. Damaged Goods 2021

    Wild Billy Childish & CTMF. Failure Not Success. Damaged Goods 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - Werner n’est pas verni

             Varnier s’était taillé une petite réputation dans l’underground franchouillard. Ce sont des réputations qui se mesurent à l’échelle d’une vie. C’était un gentil mec, un peu bavard, mais bon, il y a plus grave. Certains lui reprochaient aussi une certaine inertie. Il avait fanziné à la bonne époque et vendait quelques disques dans sa boutique à la ramasse. On ne se posait même pas la question de son honnêteté, ça se voyait comme le nez au milieu de la figure. Dans ce milieu, rares sont ceux qui inspirent une confiance automatique. Et comme il cultivait soigneusement son érudition, on tendait l’oreille lorsqu’au détour d’un interminable monologue, il recommandait un album. Comme on ne partageait pas systématiquement les mêmes goûts, on lui achetait parfois un album pour lui faire plaisir, ce qui est bien sûr la dernière chose à faire. Disons qu’il en pinçait pour le ventre mou du rock américain, une maladie bien française. C’est le travers des disquaires généralistes. En allant chez les disquaires spécialisés, on évitait ce genre de problème. Born Bad ne vendait que des bons disques. Rock On aussi. Alors que Varnier ne posait pas de problème majeur, sa compagne en posait un. On avait rarement vu une créature aussi haineuse, aussi malveillante. Une sorte de Némésis insidieuse. Elle rentrait dans les conversations sans se présenter, et à la première occasion, elle crachait son venin avec une rare violence. Alors on se tournait vers Varnier qui ne disait rien. Il semblait même tolérer cette brutalité verbale. Elle pouvait en outre basculer dans la vulgarité, tout ça dans le cadre d’une espèce de conversation mondaine. Elle retournait le moindre argument en accusation et vitupérait comme une atroce mégère, elle devenait hideuse, et ses longs cheveux bruns se transformaient soudain en serpents qui sifflaient. Alors on prenait la fuite, épouvanté par cette effroyable créature. Le traumatisme ne s’arrêtait pas là. Elle se manifestait la nuit dans des cauchemars. 

     

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             Pendant que Varnier perdait des clients à cause de cette abjecte pouffiasse, Werner cherchait à en gagner grâce à ses tentatives d’osmose avec Ziggy. Apparemment, Brent Rademaker, l’âme des Beachwood Sparks, est le seul qui ait flashé sur David Werner. Tentons d’y voir plus clair.

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             Nous voilà en plein glam avec Whizz Kid, un RCA Victor de 1974. David Werner se prend pour Ziggy. Il y va au seem to feel hazy dans le morceau titre. Apparemment, RCA a misé gros sur lui. La rondelle du label est un gros RCA orange, comme celui de Ziggy et du Transformer. Mais franchement, qui a besoin d’un nouveau Ziggy ? Il force encore le trait sur «The Ballad Of Trixie Silver», aw c’mon ! Il a chopé tous les réflexes et Mark Doyle fait le Ronno. En B, Werner passe au Mott avec «Love Is Tragic». Il se retrouve à la croisée de Mott et de The Hoople, ces deux albums si emblématiques. Il finit par retomber en plein Ziggy avec «The Death Of Me Yet», il a même la grosse cocote glam. C’est admirablement articulé, joué au ralenti glam. Très beau numéro de Mark Doyle - And oh so sweeter/ When I never know/ Never know your regerts - Il flirte avec le génie glam.     

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             Malgré sa belle pochette, Imagination Quota est un album raté. Dommage, car David Werner est un beau mec, comme le montre l’image, au dos de la pochette. Joli chapeau, présence indéniable. Il tente encore le coup avec de faux accents de Ziggy.

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    On sent un parti pris flamboyant. «Cold Shivers» cherche à décoller, mais ça ne décolle pas, en dépit de ces indéniables accents glammy. Il travaille bien son accent, mais il n’a pas les compos. Même problème que Billy Tibbals. Il a du monde derrière lui, des chœurs, du sax, tout le bataclan RCA, mais il lui manque l’essentiel : les compos. Son «When Starlight’s Gone» est assez digne de «Rock’n’Roll Suicide», avec le guitarring dramatique de Mark Doyle. David Werner se rapproche encore de Mott avec «Aggravation Non Stop», mais ça s’arrête là.  

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             Finalement, c’est son troisième album sans titre qui rafle la mise, en dépit de cette pochette très années 80. Cet Epic de 1979 est un très bel album de glam, avec Thom Mooney au beurre, eh oui, le batteur de Nazz ! Dès «What’s Right», t’as les accords de T Rex. Et ça continue avec «What Do You Need To Love», merveilleusement gratté par Mark Doyle. En bout de balda, Thom Mooney te bat «Eye To Eye» bien sec et net. Il drive sa loco comme Jean Gabin drive la sienne, c’est bien vu, ça tape en plein dans l’œil du cyclope ! En B, ils attaquent avec le big sound d’«Hold On Tight» et la fête glam se poursuit avec «Every New Romance». C’est très anglais dans l’approche, légèrement ralenti du bulbe. On peut même parler d’un coup de génie. On retrouve Ian Hunter sur «High Class Blues» et ça devient un heavy stomp Wernerien. C’est chanté à deux voix avec des clap-hands à la Glitter et des coups d’harp. C’est tellement bien senti, bien fourbi, bien garni ! David Werner compte parmi les beaux albums de glam, même s’il est arrivé après la bataille. En 1979, le glam était mort et enterré.

    Signé : Cazengler, Wer vide

    David Werner. Whizz Kid. RCA Victor 1974    

    David Werner. Imagination Quota. RCA Victor 1975  

    David Werner. David Werner. Epic 1979

     

    *

             Je cherchai un groupe, j’en ai trouvé un. Immédiatement. Un signe. Tout droit issu de l’antique Provincia romaine. Sans le savoir j’avais déjà choisi de les chroniquer. Juste une injonction instinctive de  la couve. N’était-ce pas le visage éblouissant d’Alexandre le Grand, l’idée s’est imposée à moi, au prime regard. Il faut toujours se méfier de soi-même. Devrait plutôt s’agir d’Apollon. Quand j’ai vu les titres des morceaux, ce n’était plus du désir, c’était un de ces ordres péremptoires que les Dieux de l’ancienne Grèce adressent à leurs sectateurs. Que voulez-vous tout le monde ne peut pas adorer Cthulhu. Quoique…

    DAHUZ

    (Bandcamp / Septembre 2019)

             Un trio. D’Aix en Provence. Peu de renseignements si ce n’est cette courte phrase de présentation : ‘’en l’honneur des déités oubliées et des boucs’’. A tout hasard rappelons que le Bouc est une incarnation symbolique du Diable. Comme quoi nos provençaux s’intéressent aussi  à la face la plus sombre du Soleil Noir.

             Je ne connais point de déité qui se serait nommée Dahuz. Peut-être ont-ils rajouté un Z à la fin de l’animal mythique bien connu des méridionaux. Ces sudistes célèbres pour leurs galéjades.  Un Z c’est un peu comme le tréma de Blue Öyster Cult. Cela ajoute une note metal. Le Dahu est cette bête  qui hante les flancs montagneux. Hélas comme il a deux pattes du même côté plus courtes que celles de l’autre, il ne peut marcher qu’en suivant les circonvolutions collineuses. Il suffit de les effrayer pour qu’ils perdent leur équilibre… Dahuz veulent-ils signifier par ce Z terminal une certaine défiance par rapport à certaines croyances. Que voulez-vous tous les dieux ne s’appellent pas Ormuz.

             L’artwork est de Jo Riou qui se définit en tant que graphic designer. Un adepte des représentations sinuosidales. Son œuvre toute entière, peut être aperçue et perçue comme un immense labyrinthe mental liquide. A condition de considérer que le métal chauffé à haute température délaisse sa forme solide pour se muer en coulées de feu neptuniennes. Comme par hasard il a commis de nombreuses pochettes et affiches destinées au milieu instrumental metal. Méta-mental-metal pourrait être sa devise.

             La couve du premier opus de Dahuz répond parfaitement à cette devise. Elle entrecroise les rhizomes de plusieurs mythes, celui du roi Arthur, celui de la montagne magique – magistralement repris sous sa forme philosophale par le roman éponyme de Thomas Mann – celui des  profondeurs infernales, celui d’Héphaïstos et de Siegfried, jusqu’à la méditative fonction royale telle qu’elle est exprimée par exemple  dans Le Seigneur des anneaux… Certains diront qu’elle est un accroche-rêves, perso je la définirais au contraire comme un propulseur irradiant de l’énergie noire des rêveries… qui  ne sont que des images dévastatrices en action. Toute méditation n’est qu’une condensation extrême de la volonté. L’arc que l’on bande avant de lâcher la flèche. La nuit n’est-elle pas la plus noire à l’instant où elle réfléchit la lumière. Qu’elle engendre.

             Le logo de Dahuz est de Charlotte Ward. Que signifie-t-il ? Qu’une simple merde, un malencontreux tortillon d’étron, peut se métamorphoser en reptile monstrueux. Et réversiblement. Serait-ce un symbole alchimique liée à la pierre de feu philosophale qui se doit d’être manipulée avec précaution. Gare au Dahu, cette bête handicapée qui claudique comme Satan. Ou Lord Byron.

    Alexandre Culoma : bass / Emmanuel Cadman : guitar, vocals  / Guillaume Spinetta : drums

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    Minos : quatre gros riffs et puis s’en vont. Sur le premier tellement lourd, vous avez l’impression d’être un ver de terre enfoui sous des kilomètres de terre en train de forer la galerie qui s’écroule et s’éboule derrière vous au fur et à mesure de son avancée. Un peu comme si l’on vous avait jeté dans une profonde fosse et que l’on ait rejeté sur votre corps des myriades de pelletées d’humus humide. A moins que vous ne vous trompiez de personne et que vous soyez Pasiphaé enfermée dans son taureau de bois, votre vulve ouverte face à l’orifice par où le taureau introduira son vit turgescent par lequel il vous ensemencera. Mais peut-être, êtes-vous seulement, l’enfant taurin conçu dans votre matrice de mère, fœtus déjà vagissant, et peut-être expulsé des entrailles  des entailles, ou alors êtes-vous enfermé à jamais sous les voûtes sombres du labyrinthe dans lequel vous a enfermé Minos. N’es-tu pas la bête idéale en attente de ton sacrifice. Puisque l’atmosphère change, ô si peu, n’est-ce pas le moment d’évoquer Minos, celui dont l’épouse était la fille du Soleil, et qui refusa de sacrifier le taureau blanc, ralentissement, le temps de clore une mélopée mortuaire et un deuxième riff survient aussi lourd que le précédent mais plus rapide avant de se désagréger en petits fragments comme la pile d’assiettes de Tante Uursule que vous avez exprès laissé tomber sur le plancher ciré, silence, comme des ricochets sur le requiem de la basse, pluie de cymbales, le rythme s’alentit, le riff tressaute, c’est le cœur du Minotaure qui tape, le fil d’Ariane que Thésée lui passe autour du cou l’empêche de respirer, n’écoutant que son courage la bête colérique se rue dans la mort avec la même force que son sperme qui avait jailli dans le vagin de sa mère vagissante de plaisir. Behemoth : instrumental : sombreurs épaisses, la batterie imite la queue du monstre qui se bat les flancs, avec une telle force que résonne la cuirasse de sa peau  plus solide et épaisse qu’un bouclier de bronze.  Vous ne rêvez pas, ces espèces de beuglements assourdissants et ses rires vicieux de la guitare sont bien ceux du monstre. Le Dieu de la Bible lui-même l’a pétri de ses mains, non pas de glaise humaine trop fragile mais de roche granitée coagulée, il ne lui a point insufflé le souffle chétif des petits hommes, mais la force vitale animale, et si le rythme est devenu aussi doux qu’un murmure de printemps, c’est que le frère de Léviathan roule dans sa tête le songe infini de sa violence qui jamais ne s’achève, l’on croirait entendre un poème de Leconte de Lisle, ses pensées pesantes viennent de loin comme ces éléphants impavides qui passent et s’éloignent dans les lointains obscurs du monde.  La tension monte, le groupe joue doucement comme s’il avait peur de tirer la bête énorme de sa léthargie, il est sûr qu’elle les écraserait, sans même peut-être s’en apercevoir, terribles glissandi, les voici sur la  pente fatale des pires cauchemars, qu’ils soient enfantés par la divinité ou nous-mêmes, tous  les rêves sont mortels, maintenant le bonhomme Behemoth charge de toutes ses forces, de tout son poids, il abat et écrase tout ce qui ce qui a malheur de gésir sur son passage, il pourrait être plus méchant, plus cruel, plus stupide, mais sans doute nous tient-il pour portions concises ces négligeables intrusions, il baisse la tête et se met à brouter l’herbe fraîche. Tel un pacifique hippopotame dont l’âme composerait un épithalame. Qu’il récitera le soir où il ira engrosser la sainte vierge. Sekhmet :

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     encore une fille du Soleil, égyptien cette fois, son père lui a donné ses rayons, elle porte crinière de lion, le riff vous prend des contours orientaux, il imite la spirale agressive des serpents, les prêtres entonnent un chant monocorde pour apaiser ces fureurs, le morceau remue, la basse voltige comme une fronde, montée rectiligne vers l’âtre, vers l’astre  de feu, son père lui a fait don de sa puissance, de son ardence destructrice, les guitares sonnent la charge, la batterie tournoie comme un moyeu de feu, elle est la forme et la force malfaisante du Soleil, vous ne trouverez que protection auprès de lui que si comme elle, vous vous allongez à ses pieds comme chien de défense et d’attaque fidèle.

    Dahuz chante la puissance protectrice du Soleil. N’oubliez pas que celui qui détient le pouvoir peut tout aussi bien vous détruire. Tout symbole est réversible. Ambivalence totale.

    CINERES MUNDI

    DAHUZ

    ( 06 - 06 - 2025) 

             Donc d’abord la couve. L’Artwork est signé par : Seek Six Silks. Drôle de signature. A priori ce Cherche Six Soies me semble souscrire à une esthétique japonaise. Je me risque Stick Six Silks, bâton à six soies cadrerait encore mieux avec le geste inspiré d’un maître calligraphe. Je subodore une âme poétique. Je me rends sur son Instagram. Vous y trouvez de tout. Des choses mignonnitoles et gentilles, des petits chats, la couleur rose et des dessins rigolos. Pratique un art auquel je me suis adonné dans ma jeunesse : la sérigraphie, il utilise différents supports. L’est comme le soleil, l’a deux faces, une claire, souriante. L’autre obscure, préoccupante. L’aime les lettrages pointus comme des herses ou des grills, se préoccupe de poésie, qu’il qualifie de bon marché, mais sa mise en page de Rimbaud exige le déplacement.

    Alexandre Culoma : bass / Emmanuel Cadman : guitar, vocals  / Guillaume Chomienne : guitar, backing vocals  / Guillaume Spinetta : drums

             Cinq ans se sont écoulés depuis le premier EP. Reprennent leur thématique ensoleillée. Au travers des mythes grecs, avertissent-ils. Comme s’il en était besoin !

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    Sol invictus : n’ont pas varié. Le morceau est bicéphale. Peut-être même tri-phallique. Faut toujours que l’homme ramène   son grain de sel qu’il veut plus gros et plus long que tous les autres. Une guitare supplémentaire certes, mais aussi une esthétique moins basique et riffique. De véritables compositions. Magnifiquement orchestrées mais sans renier le primitivisme initial. La formule Sol Invictus est lié au culte de Mithra, le Dieu des légions romaines. Sang de Taureau pour ensemencer le monde, et Soleil victorieux qui depuis le solstice de juin dépérit un peu plus chaque jour mais reprend de la force  au solstice de décembre. Un culte qui remonte au néolithique. Le son s’est étoffé, idéal pour marquer la puissance plénipotentiaire de l’astre souverain. Montée progressive, jusqu’au moment où le chant, humain trop humain, se déploie, un hymne à la magnificence, toutefois vanter l’invincible immortalité du Soleil, c’est aussi pour l’homme reconnaître sa propre mortalité, la grandeur de l’un est l’aune par laquelle nous mesurons notre petitesse, sur leur FB, ils ont annoncé la parution de l’album en présentant un extrait de ce titre accompagné d’images mettant en scène l’explosion d’une bombe atomique, la créature humaine n’a pas tardé à imiter son maître, l’on comprend aisément la gravité qu’acquiert l’orchestration, qui n’en continue pas moins sa route, la caravane humaine agrémente le récit de ses actions par les sortilèges de ses mots communicatifs. Plus un mensonge est vêtu de beaux habits, plus on y croit. Phaeton : instrumental : une épopée musicale. L’histoire de Phaéton se prête bien à un poème musical. C’est le drame de l’impétuosité de la jeunesse et de la tentation de la démesure. Comme un bourdonnement d’avion, de par le vrombissement des guitares la ressemblance ne s’arrête jamais, Phaéton désire conduire le char de son père Hélios, le dieu Soleil, qui refuse jusqu’au moment, où lassé par les objurgations de l’adolescent, il cède. Le char tangue un peu mais Phaéton retient les chevaux, la montée vers le zénith se passe tant bien que mal mais parvenu à l’apogée de sa course il tire en vain de toutes ses forces sur le rênes, la descente est vertigineuse, les coursiers prennent le mors aux dents, sentent-ils l’écurie, toujours est-il qu’ils accélèrent, ils s’en donnent à cœur joie, l’ivresse de la vitesse les grise,  Phaéton ne maîtrise plus rien, tantôt le char s’éloigne de la terre et le froid glace et stérilise la terre, tantôt il est trop près du sol, les rivières s’évaporent, les moissons brûlent - voici une succession de changements climatiques bien plus rapides que l’actuel ! -  les hommes  accablés par ces calamités en appellent aux Dieux. Du haut de l’Olympe Zeus dirige un trait de foudre sur l’apprenti ambitieux.  Phaéton bascule dans le vide et tombe dans les flots de l’Eridan. L’on n’ose même pas imaginer le final grandiose qu’aurait composé Wagner pour un tel final crépusculaire.   Dahuz se contente d’arrêter la musique sans effet tonitruant. Sans doute suivent-ils la leçon du tableau de Brueghel l’Ancien (1525 – 1569) intitulé La chute d’Icare. Dans lequel l’on aperçoit d’honnêtes travailleurs vaquer à leurs vaches et à leurs moutons. Point d’Icare. Si tout en bas, sur votre droite, la jambe qui sort de l’eau c’est Icare qui termine son plongeon… La leçon est claire : il y a ceux qui travaillent et ceux qui perdent leur temps à poursuivre des rêves insensés. Une leçon pré-marxiste. Nous préférons la dédicace de Villiers de L’isle Adam aux  lecteurs de ses Contes Cruels : Aux rêveurs ! Aux railleurs ! Hyperion : la mythologie grecque est assez complexe, pourquoi au morceau précédent le Soleil se nomme-il Hélios, au suivant Apollon et dans celui-ci Hyperion. Lenteur et tristesse. Keats conte l’histoire du groupe des titanides qui présidaient aux destinées du monde avant d’être détrônés par la génération des Olympiens  regroupés autour de Zeus, Saturne a été obligé d’abdiquer, Okeanos cède la place à Poseidon, Hyperion possède encore sa place et sa puissance, mais il doit reconnaître qu’Apollon est à même de le remplacer… Keats laissera ce poème inachevé… En Allemagne le premier roman d’Hölderlin porte un titre similaire. C’est aussi un échec, celui de la libération de la Grèce de du joug turc… Il ne s’agit pas d’un roman politique mais d’un roman poétique. Les insurgés ne perdent pas parce que militairement ils sont vaincus, ils sont vaincus parce qu’ils n’ont pas su garder le rayonnement de la pensée Hyperionique de l’antique Grèce… Parfois le Soleil est comme les hommes il subit de longues éclipses. Un background somptueux, sans brusquerie, une flamme, une bougie qui brûle et s’éteint doucement. C’est ainsi que le monde crépusculaire se métamorphose en tapis de cendres. Comme si Pompéi et Herculanum n’étaient qu’une image de l’extinction de toute une civilisation. Funestes cymbales qui résonnent dans les temples désertés.

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    Apollon : un morceau difficile comment rendre compte de la beauté solaire et lumineuse du dieu de la musique. Dahuz ne s’en pas tire mal, le morceau n’est qu’un écho de quelque chose qui a lieu et qui n’a pas encore disparu, qui subsiste… au début l’on entend la voix de La Bruja, elle psalmodie comme la prêtresse subjuguée et habitée par le Dieu qui à Delphes énonçait les sentences du Destin, toujours obscur, car la lumière mentale éblouit et aveugle, n’est-ce pas une réminiscence de l’Apollon loup, Apollon Lykeios descendu des mondes hyperboréens, porteur de la sagesse instinctive, animale, sauvage et destructrice… cliquettements, du Dieu qui s’éloigne, à pas de loup, emportant avec lui la beauté fracassante des choses divines qui ne sont pas accessibles aux hommes, un effleurement de basse tout bas, pour nous habituer à son absence capable d’illuminer notre monde et d’enflammer nos esprits. Un péan immortel qui nous enveloppe dans le souvenir de ce qui n’est plus mais qui subsiste, par-dessus tout. Le plus beau morceau de l’opus. Triomphal. En dépit des dernières notes fêlées. Preuve que l’absence du dieu corrompt encore le monde. Icarus : un deuxième Phaéton qui connaîtra un même destin. Ne cherchez pas Icare ni dans sa chute ni au plus près du soleil, Icare vous ressemble à tel point que vous êtes Icare, que nous sommes tous Icare. C’est Jean Yvon qui nous le dit en citant et récitant Baudelaire, les premiers mots du poème Les plaintes d’Icare des Fleurs du mal, il a voulu coucher avec les astres, c’est un désastre, un background qui tournoie lentement, une hélice d’avion qui pique vers la terre, en contrechant Emmanuel tente le chant alterné, Tu Tityre patulae recubans… joute entre le poëte et le musicien, entre la musique et la poésie, tous deux, toutes deux tombent, de haut, l’un n’est-il pas monté alors que l’autre descendait, peut-être l’abîme s’est-il éployé au moment exact de la jonction croisementale, nous ne saurons jamais ce que chacun a entrevu, peut-être une aile qui faisait signe de monter, peut-être une aile qui faisait signe de descendre. Qu’importe où s’arrête l’ascenseur, en haut ou en bas, vous n’aurez connu que la prostitution d’avoir aspiré à un rêve ensoleillé trop grand pour vous. Finale. Beaucoup de bruit. Pour rien. Rappelons-nous Nerval : Quiconque a regardé le soleil fixement…

             Nous n’avons fait qu’effleurer cette œuvre qui mérite une grande attention.

    Damie Chad.

     

    *

             Pour cette fois-ci, faute de temps personnel, une petite escapade dans les images Gene Vincent 1960 – 1965, dès la semaine prochaine nous revenons aux fifties.

    GENE VINCENT WITH THE BEAT BOYS

    RAI – TV ITALY : ROME / 28 Mai 1960 

             Les débuts sont surprenants, serait-on dans une émission télé pour les enfants ou un programme similaire à notre vieille Piste aux Etoiles, ce défilé de sulkies attelés à de ravissants poneys blancs et noirs (pour la simple raison que la télé-couleur n’existait pas encore en Europe), mais non les trois derniers appariteurs, trompettes et applaudissements, un véritable générique de film, clament en chœur les deux mots magiques : CENE VINCENT !

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             Gene apparaît en gros plan, vêtu de cuir noir, banane frontale embroussaillée  et regard halluciné que près de vingt ans plus tard nos british punks anglais n’ont jamais su teinter d’une même  lueur de folie. Vous coule un regard vicieusement ironique, la même consistance inquiétante qu’un cran d’arrêt qui se faufile dans votre dos, tout cela sur l’intro de Blue Jean Bop : la prestation de Gene est éblouissante, il se dandine comme une marionnette suspendue à un fil, se courbe vers le micro la bouche tordue en une souriante grimace d’ogre qui s’apprête à vous dévorer, penché, courbé en deux, jeu de jambe,  jeu de vilain, micro incliné vers la guitare de Joe Moretti. En moins de trois minutes la quintessence vincenale. Sexy Ways : une reprise d’Hank Ballard, Gene la réinterprètera sur l’album I’m Back and I’m proud ( 1970), un jeu de scène assez similaire au précédent, profitons-en pour admirer les Beat Boys, pas l’ensemble de tous les musicos de l’orchestre qui accompagnait Billy Fury, ne sont présents que Vince Cooze à la basse, souvent oblitéré par Gene en frontman, Red Reece à la batterie, l’a toujours un œil sur Vince ce qui ne l’empêche pas, l’air de ne pas y toucher, de produire un bruit sourd qui est pour beaucoup dans l’ambiance froide et épurée de l’enregistrement – sont tous les deux présents sur Pistol Packin’ Mama -  et bien sûr, l’air de s’amuser comme un gamin, Joe Moretti, ne cherchez pas les soli sur Restless et Shakin All Over  de Johnny Kid, rajoutez le Brand New Cadillac, de Vince Taylor, le It’s not usual de Tom Jones et plus surprenant le Mellow Yellow de DonovanJoe Moretti aura laissé un témoignage émouvant sur la personnalité de Gene…

    IT’S TRAD DAD

    FILM-CLIP / 1962

    SPACESHIP TO MARS

             Le clip est tiré  du film It’sTrad Dad réalisé par Richard Lester qui deux années plus tard deviendra célèbre pour avoir tourné Quatre garçons dans le vent avec les Beatles. Longtemps que je ne l’ai vu et j’en garde un souvenir de profonde insipidité. Il est vrai que je n’aime pas le cinéma, et pas trop les Beatles. Je n’ai pas vu It’s Trad Dad, je n’en dirais donc pas de mal, mais le scénario extrêmement périssable me semble révéler un fort manque d’imagination.  

             J’ai évidemment entendu parler de ce chef d’œuvre périssable pour la séquence, alors introuvable et invisible de Gene Vincent habillé en cuir blanc ! Un véritable tremblement de terre idéologique à l’époque. Difficile pour un artiste  de faire mieux pour casser son image.

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             Un playback à l’économie. L’on passe Spaceship to mars le morceau enregistré  le 30 / 11 / 1961 sous la direction de Norrie Paranor, l’on colle Gene Vincent vêtu de probité candide comme dirait Victor Hugo, tout au fond de l’image légèrement penché sur son micro mais trop pour qu’il n’ait pas l’air d’un prédateur prêt à bondir sur une proie innocente, pour les Sounds Incorporated qui l’accompagnaient en studio, pas de panique, l’on dispose en premier plan un manche de guitare (parce la guitare est l’instrument par excellence, je le dis au cas où quelques lecteurs de Kr’tnt ! ne le sauraient pas) et une courbe de saxo ( parce que peut-être était-ce dans la prude et perfide Albion de l’époque la seule manière de suggérer qu’entre les rondeurs d’un saxo et celles d’un être féminin il y aurait quelques similitudes très rock’n’roll). L’excuse est toute trouvée, le morceau est enregistré avec quatre saxophonistes. Que voulez-vous pour imiter une fusée qui décolle  vers Mars fallait un sacré turbo. L’on dit que Elon Musk a décidé de coloniser la planète rouge après avoir entendu Spaceship to Mars de Gene Vincent. Chers Kr’tntreaders soyez vigilants, I make a fake !

    DOCUMENT INA

    25 / 05 / 1963

             Des images sans son de Gene signant des autographes, est-ce en France ou en Belgique. L’on ne sait. Gene enveloppé dans épais manteau, il ne doit pas faire chaud en ce mois de mai, le climat était-il déjà en train de changer… se déplace avec des béquilles. Est-ce Dany Boy qui marche à ses côtés ? Les jeunes brandissent des 33 tours de Gene, s’amassent en une fervente cohue autour de lui, l’on aperçoit son regard magnétique… Derrière lui un adolescent avec un peu le même regard, comme si tout près de Gene il touchait enfin à sa ligne d’horizon. Qu’est-il devenu ? Le temps est anthropophage...

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    GENE VINCENT AND THE SUNLIGHTS

    BRUSSELS - 10  / 1 0 / 1963

              Un véritable petit film, avec intro et extro. Une voix off, qui s’interroge, cela ressemble à un documentaire sur les pygmées  des forêts africaines ramené par un courageux explorateur. Pas d’éléphants en fond d’écran mais des images qui nous donnent à voir une tribu de drôle de zèbres. Le ton n’est pas mélodramatique mais l’on sent que le speaker se retient, on ne sait jamais à quelles incartades peuvent se livrer ces individus aux mœurs étranges. Pensez, ils vont voir un concert de rock’n’roll ! Il est évident que la jeune génération évolue d’une manière bizarre. Non, je rassure  les lecteurs, ils ne sont pas armés de chaînes de vélos, propres sur eux, polis et, vous n’allez pas me croire, pas une once d’agressivité. Peut-être font-ils semblant, ne serait-ce pas une ruse de sioux… Une dernière précaution, le speaker tient seulement à vous présenter un document. Oui c’est une calamité, que peut-on y faire… Au moins vous aurez été prévenus de l’imminente fin de notre superbe civilisation. Ne venez pas vous plaindre, agissez tant qu’il est encore temps.

             Le spectacle est extraordinaire. Trois morceaux. Gene est accompagné par les Sunligths. Un groupe peu commun. Viennent de Roubaix, débauchent un belge, ce n’est pas une blague, et vogue la galère. A l’origine le groupe se nomme I Cogoni, origines italiennes obligent ! Ne sont pas du tout axés sur le rock’n’roll, ils interprètent des chansons populaires italiennes. Ils enregistrent un 33 tours gentillet chez Az, sont envoyés au Golf Drouot pour participer au Tremplin, et par le concours des circonstances se retrouvent embauchés pour accompagner Gene Vincent. L’on aurait pu s’attendre au pire. En fait ils se donnent à fond, mettent le paquet, ce ne sont pas les Blue Caps, mais presque. Sont jeunes, z’ont la niaque. Un zeste de folie plane sur leur prestation. Pour les fans de Gene, c’était un groupe mythique, on ne les avait pas vus mais ils avaient accompagné Gene. Lorsque en 1966 leur nouveau disque passe en radio, nous sommes une floppée à avoir un arrêt cardiaque, on y voit tout rouge et tout noir, c’est une reprise de Berthe Sylva Les roses blanches… perdus corps et âmes pour le rock’n’roll, oui mais ils sont sur scène derrière Gene Vincent : Serge Cogoni à la guitare, Aldo Cogoni à la guitare, Bruno Cogoni (étrange comme dans cette famille ils s’appellent tous Cogoni) à la guitare Jean-Paul Van Houtte à la basse.

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    Gene, petit nœud pap sur chemise blanche, combinaison de cuir noir largement échancrée se lance dans un Rocky Road Blues dévastateur, un vocal punching bull en furie, tressautent tous comme s’ils étaient au dernier stade de la maladie de Parkinson, les Sunligths vous ont un son ras-de-terre, très raw, d’une efficacité malsaine, garage pour voitures asthmatiques, oui, mais ils filent comme les vélomoteurs aux 24 heures du Mans dopés à l’éther. Gene sourit, lève les yeux au ciel et remue la tête comme s’il agitait l’encensoir sur votre cercueil le jour de votre enterrement. Les Lights sont à genoux autour de lui comme s’ils étaient en train d’adorer la Madone (normal chez les Italiens c’est génétique). Gene chante pour lui, le chant jaillit de l’intérieur, il est à mille galaxies très loin, sur sa propre planète. L’on enchaîne sur Be Bop A Lula, les spectateurs s’agitent, les deux guitares tournoient, la batterie s’effondre, Gene frappe le sol avec son micro, l’est Zeus lançant la foudre, d’ailleurs les trois cordistes entremêlés  gisent à ses pieds, z’ont du mal à se relever, un grand ramdam s’étend sur tout l’univers. Gene quitte la scène en boîtant bas, les jeunes exultent, l’on retrouve Gene dans les coulisses, le visage décomposé, l’est à bout épuisé, respirant difficilement, le revoici, il jette ses cannes s’accroche au micro et tout sourire, la tête sans cesse déhanchée il se lance dans un Long Tall Sally époustouflant, debout sur une seule jambe, l’autre repliée comme un flamant rock, la blessure doit le lancer salement  dès qu’il pose le pied à terre. Jeu de jambes, la lumière du soleil tombe à terre, l’uncle John et la petite Sally montée en graine passent un mauvais quart d’heure, le final est extraordinaire, un guitariste se prend pour un gisant de la Cathédrale de Saint-Denis à moins qu’il n’essaie d’imiter  un cadavre sur la chaussée suite à un accident de voiture, ça se discute, Gene traverse la scène à cloche-pied, s’arrête pour saluer,  et se dirige vers les coulisses récupérant au passage ses béquilles. L’on assiste à trente secondes d’interview. Juste le temps d’apprendre que le festival a été réalisé en son honneur, Yes sir, répond Gene.

             Le film se coupe à cet instant. L’en existe une autre version où l’on interroge les spectateurs à la sortie de salle. Les uns comblés, et l’intello de service qui essaie d’analyser et qui relativise, espérons pour ses subordonnés qu’il ne soit pas devenu cadre dans une entreprise. Il y a des gens vous leur montrer la lune du doigt, et ils ne voient que leur trou du cul.

    LIVE IT UP

    FILM-CLIP, LATE 1963

    TEMPTATION BABY

    (Alternate Film Version)

    Song and film produit by

    JOE MEEK

             Je n’ai pas vu le film, mais les intermèdes musicaux sont peuplés de beau monde, Heinz qui était dans les Tornados - à l’époque tout le monde, toutes générations confondues, a eu droit à Telstar, ce morceau sonne avec dix ans d’avance un peu comme Kraftwer. Heinz reste un des meilleurs artisans de la première génération du rock anglais. Présent aussi Ritchie Blackmore  avec son groupe les Outlaws qui sera appelé à un avenir d’un teinté d’une pourpre profonde, un certain Steve Marriott derrière une batterie et encore un célèbre inconnu, Mitch Mitchell destiné à jouer aux côtés d’un certain Hendrix.

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             Temptation Baby a été enregistré le 14 novembre 1963. La première fois que j’ai vu ce clip j’ai pensé que Gene, encore une fois habillé tout en blanc, s’activait autour d’une locomotive. Aujourd’hui je suis incapable de donner un nom à ce véhicule un tantinet monstrueux. Sur l’engin, vous avez une jolie fille, je me demande quel misogyne a eu l’idée saugrenue de lui faire porter ce chapeau qui lui donne l’air si cloche. Serait-ce le réalisateur Lance Comfort qui devait disparaître en 1966. La vengeance du chapeau, j’en suis sûr.

    LIVE AT THE ALHAMBRA

    Paris08 / 03 /1964

    BABY BLUE

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             Vous allez être déçus. L’image est magnifique, encore plus noire que le cuir le plus noir de Gene, les spectateurs ressemblent à des fantômes revêtus d’un suaire d’une blancheur immaculée, le chant de Gene est un sortilège comment peut-il transformer cette bluette aux paroles simplistes en drame shakespearien, les Shouts se donnent à fond, le batteur un peu trop métronomique si vous cherchez un défaut, bref si ce n’est pas plus-que-parfait c’est parfait. La déception vous tombe sur le coin de la figure à la fin du morceau. Justement à cet endroit précis. Le morceau n’est pas fini. L’est coupé brusquement aux deux-tiers. Juste l’extrait qu’ils ont gardé pour les actualités télévisées. Ils avaient réalisé plusieurs autres titres, rien n’est jamais reparu.  Une perte irréparable.

    LIVE AT THE CAVERN

    LIVERPOOL

    31 MARS 1965

    WHAT’D I SAY / WHOLE LOTTA SHAKIN’ GOIN’ ON

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             Il reste encore deux apparitions de Gene Vincent, l’une qui se situe avant celle-ci et l’autre après. Mais j’ai sauté sur celle-ci. Pour une simple et bonne raison, j’y ai assisté en direct. Non je n’étais pas en Angleterre, je n’ai jamais mis les pieds sur cette île. Par contre j’étais devant mon poste de télévision. Emission Âge tendre et tête de bois, spécial rock, un bon commencement avec Eddy Mitchell et Si tu n’étais pas mon frère. Ensuite gna-gna-gna, jusqu’à ce qu’Albert Raisner annonce un direct avec la Caverne de Liverpool, avec Gene Vincent, je ne saute pas de joie, je ne le connais pas vraiment, je ne le sais pas encore mais les dix minutes qui  suivent vont influer sur le reste de ma vie, j’ai treize ans, je regarde, je suis scotché. Indubitablement c’est le plus grand chanteur de rock’n’roll du monde. Le lendemain au matin je n’y pense plus. Au collège une grande gigue s’approche de moi, l’on ne s’est vraiment jamais parlé, bonjour-bonjour, elle s’approche de moi et tout de go :’’ Tu as vu hier soir ?’’ une fraction de seconde je me demande ce que j’ai pu voir qui apparemment concerne cette fille dont je ne connais rien, je vais lui demander de quoi elle veut parler mais illico elle ajuste le détail révélateur : ‘’ Gene Vincent !’’. C’est le déclic en un quart de seconde j’ai l’électricité à tous les étages…

             C’est une vidéo que je regarde souvent. Que dire aujourd’hui, avec le recul elle m’impressionne beaucoup plus que ce fatidique soir du 31 mars 1965.

             Damie Chad.

    A suivre.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 694 : KR'TNT ! 694 : LUCAS TROUBLE / CHEMTRAILS / JUDY CLAY / KAIROS CREATURE CLUB / ANTON NEWCOMBE / THUMOS / LOATHFINDER / 2SISTERS / GENE VINCENT /

    KR’TNT ! 

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 694

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    12 / 06 / 2025 

     

    LUCAS TROUBLE / CHEMTRAILS

    JUDY CLAY / KAIROS CREATURE CLUB

    ANTON NEWCOMBE / THUMOS   

    LOATHFINGERS / 2SISTERS

     GENE VINCENT

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 694

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Trouble boy

    (Part One)

             Quand dans «Trouble Boys», Dave Edmunds chantait King of hell raising in the neighborhood, il ne parlait pas de Lucas Trouble. Il aurait pu, mais ce ne fut pas le cas.

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             Lucas Trouble ne sort pas d’une chanson, mais plus modestement d’un patelin bourguignon du nom de Chagny, près de Chalon-Sur-Saône. C’est là qu’il a bâti sa légende, avec un grand chapeau, une grande gueule et surtout un studio, le Kaiser Studio, de la même façon que Lo’ Spider a bâti la sienne avec Swampland, à Toulouse.

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             Dans un volume bien dodu, Syned Tonetta brosse un portrait spec-ta-cu-laire du troublant Trouble. Dodu ? Ça veut dire 600 pages extraordinairement bien documentées. L’auteur semble parfois submergé par la démesure de son personnage : il doit gérer Rabelais au pays du rock ! Comment veux-tu faire entrer Rabelais dans notre époque et dans le rock ? Syned s’y attelle, il retrousse ses manches et fait comme fit Rodin, il pétrit l’argile de son golem rabelaisien. Schplifff schplaffff ! Fais gaffe, amigo, si tu mets le nez dans ce big book, tu vas te marrer comme une baleine. Car Rabelais c’est surtout de la grosse poilade. 

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             T’as la bobine du golem en couve, donc pas besoin de le décrire. L’œil allumé. L’a pas l’air commode. On croise souvent Vox dans les pages de ce big book, un Vox qui voit le golem ainsi : «Toujours la même menace dans le regard, le même air de bête prête à mordre.» Grrrrrrrrrrr...Histoire de situer la bête dans la cosmogonie, Syned a rapatrié une palanquée de surnoms, «Le Magnifique, le Mirobolant, Le Majestueux», ça passe par le «Lycanthrope libidineux», par le «Spiderman des consoles», et ça va jusqu’au «Vampire bourguignon», jusqu’au «lou-garou du son» et même jusqu’à «L’ogre de Chagny» et au «Killer of Coiffeur-Sound». Cette pauvre page vibre sous tes doigts tellement elle est chargée. Tu sens le terreau bourguignon et ses caves à pinard. Qui dit Rabelais dit aussi verte langue, alors un peu plus loin, Syned enfile comme des perles quelques expressions du golem. Certaines d’entre-elles en disent plus long sur le rock qu’un claqué d’accords en mi la ré : le golem «jambonne les groupies». Devant une bobine qui ne lui revient pas, il balance : «Qu’est-ce qui va pas ? T’as mangé ta grand-mère ?» Quand il claque le beignet d’un juron, c’est «fumier de bouc !» Chez le golem, tout est prétexte à déconner. Mais quand vient le temps du son, il veille à ce que ça sonne.

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             Syned annonce dès l’intro qu’il n’a pas fréquenté son golem. Nous non plus d’ailleurs, on eût pu, mais au temps des cerises, on a préféré fréquenter Lo’Spider et Swampland. Parce que Dig It! et parce que Gildas (Hello Gildas). Et pour bien enfoncer son clou dans la paume de la cosmogonie, Syned indique que la grande idole du golem fut Jeffey Lee Pierce, ce qui nous met tout de suite l’eau à la bouche. Eh oui, on adore les golems qui fréquentent le Gun Club. Et la filiation s’établit d’autant plus majestueusement que le cœur battant du book est un chapitre consacré aux Cowboys From Outerspace. Ils incarnent tout bêtement l’apex du Kaiser Sound. Golem/Cowboys, dream team from hell ! Te voilà en confiance, car Syned cite les Cramps, le Gun Club, les Ramones et «l’héritage sulfureux des Stooges et des New York Dolls.» Quand le golem agonise dans son lit médicalisé, c’est Michel Basly, nous dit Syned, qui vient passer trois jours à son chevet - Ils ont joué au petit train (électrique) tout un après-midi comme des enfants - Même là, tu te marres, car t’as l’image. Choo choo train ! 

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             Syned consacre des pages fulgurantes aux Cowboys qui sont en partie la création sonique du golem. Eh oui, sans golem, t’auras pas ce son. Les Cowboys tapent dans le dur : Gun Club, Chrome Cranks, Scientists, Cramps. Michel Basly remonte même jusqu’à ceux qu’il appelle «les sauvages» : Jerry Lee et Charlie Feathers. T’as rien sans rien, baby. Personne n’a jamais égalé la sauvagerie du Live At The Star Club Hamburg. Personne n’a jamais égalé la classe d’«One Hand Loose». Syned va loin dans l’apologie du dream team golem/Cowboys : il parle d’une «véritable osmose gravitationnelle» entre Michel Basly et le golem. Et ça va loin cette histoire, car il voit le golem comme le «quatrième Cowboy». Non seulement ça prend du sens, mais ça correspond tellement à la réalité ! Rappelons que les Cowboys sont encore aujourd’hui l’un des trois meilleurs groupes de rock en France, avec les Dum Dum et Weird Omen. Meilleurs parce que très en amont du reste, très modernes dans leur approche et très violents soniquement parlant. So far out ! Syned racle ses fonds de tiroirs pour situer les Cowboys, il parle de «rock crasseux» et de «punk orgastique». C’est bien gentil, mais ça va beaucoup plus loin que ça. T’es dans le beat des catacombes, la White Light/White Heat de la Death Party, dans le no way out apoplectique, quand Michel Basly pique sa crise sur scène, tu recommandes ton âme à Dieu, si t’en as une. Car Basly échappe à tout, il redore le blason de la sauvagerie originelle et on comprend qu’il ait pu crucifier le golem sur l’autel de la fascination. Syned cite dans ce chapitre brûlant la très belle compile/tribute au Gun Club, Salvo Of 24 Gunshots/Tribute To The Gun Club, un double album rouge vif paru en 2005, car on y trouve la cover que font les Cowboys du «Preaching The Blues» qu’avait tapé Jeffrey Lee en son temps. Ce Salvo fut à l’époque une véritable caverne d’Ali-Baba, car on y trouvait aussi l’extraordinaire cover désossée de «Lupita Scream» par les Gories, et puis des tas d’autres choses mirobolantes, les Cool Jerks de Jack Yarber, les Magnetix, les Demoliton Doll Rods, Speedball Baby, DM Bob. Pfffff ! Quelle époque ! T’en as encore les mains qui tremblent.

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    Syned Yonetta

             Et puis tu tombes sur le pot-aux roses : les troublants parallèles. Petit, le golem collectionne les petits drapeaux de pays métalliques qu’on trouvait dans les boîtes de langues de chat. Pouf ! Deuxième parallèle : il collectionne aussi les porte-clés ! Pouf ! Puis les timbres ! T’as fait pareil. En sixième, nous cafte Syned, le petit golem est entré en rébellion contre les professeurs. Pouf ! Au lycée, il redouble deux fois sa seconde. On est frappé par cette série de troublants parallèles. T’as redoublé aussi deux fois. Syned rajoute là-dessus une belle dose d’humour ravageur : le jeune golem va trouver le dirlo du lycée pour lui annoncer qu’il «démissionne», et que lui dit le dirlo ? «Ça tombe bien, j’allais vous virer !».

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             Autre troublant parallèle : le jeune golem fait un stage dans une imprimerie locale. Pourquoi une imprimerie ? Parce que son grand-père était typographe ! Tous ces détails revêtent une importance considérable. Le golem ne serait pas devenu le golem si son grand-père avait été charcutier. Pour les ceusses qui n’ont pas l’info, il faut savoir qu’au temps jadis, le métier de typographe rimait joliment avec l’anarchie, la vraie, celle des anars du XIXe. Il faut avoir étudié la typographie pour le savoir. Et avoir chopé le fameux Dictionnaire des Typographes.

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             Tiens encore un parallèle troublant : le jeune golem se pique de littérature. Et pas n’importe quelle littérature : celle de William Burroughs (il va baptiser son label Nova Express). Et puis voilà-t-y pas qu’on lui prête un livre sur «les pirates libertaires». Alors ça refait tilt. La lecture d’un petit ouvrage intitulé TAZ (Temporary Autonony Zone) nous transforma voici 30 ans de pied en cap : on mit en pratique la TAZ d’Hakim Bey. Quotidiennement. 365 jours par an. D’où ces chroniques. Déclarer son autonomie dans le monde du travail consiste à écrire un texte chaque jour, et à l’illustrer, quelles que soient les contraintes environnementales ou la pression des pics de charge. Tu rétablis ta liberté. Si tu la décrètes inviolable, elle le devient. C’est aussi simple que ça. 

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             Le premier LP que le petit golem ramène à la maison est Screamin’ Lord Sutch & Heavy Friends : le disque est pourri, mais la pochette fabuleuse, tu y vois Lord Sutch et sa Rolls Union Jack. On est aussi tombé dans le même panneau, à cause de la pochette. Il est d’ailleurs toujours dans l’étagère, à cause de la pochette. Un peu loin, le petit golem se retrouve avec des Genesis, des Yes et des King Crimson dans les pattes, mais fumier de bouc !, il décroche aussi sec. Patacam patacam !

             On voit donc le golem s’auto-pétrir au fond de la Bourgogne. Il se malaxe tout seul et s’en va la nuit dans la campagne gelée hurler à la lune, tout au moins l’imagine-t-on ainsi. À la différence des autres artistes, il ne crée pas son monde, il se crée. Le golem sort de terre. Quand il récupère une basse pour apprendre à en jouer, il plonge la maisonnée en enfer, nous dit Syned. Il va dans les bals pour se battre, et comme le temps est alors au glam, il porte des platform boots et du maquillage. On lit ces pages et on se fend la gueule en permanence. Un mec maquillé dans les rues de la Bourgogne, ça paraît inconcevable ! Pas pour un golem, fumier de bouc !

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    Vietnam Vterans : Mark Embatta au centre

             Dans les années 80, il fait de la petite new wave à la mormoille, jusqu’au moment où il rencontre un disquaire de Chalon, Mark Enbatta. Sa boutique s’appelle Sneakers. Avec un nom pareil, tu sais où tu mets les pieds. Le golem découvre (avec 10 ans de retard) Nuggets, mais il va vite rattraper son retard, l’asticot ! Terminé les textes en français, direction 13th Floor Elevators, Seeds et tout le tintouin, et bien sûr les Vietnam Veterans, le groupe de Mark Enbatta, qu’il intègre.     

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             Tiens, on va faire un petit break avec les Vietnam Veterans. On commence par rapatrier les deux Lolita, On The Right Track Now et Crawfish For The Notary, histoire de voir ce qu’ils ont dans la culotte. T’es vite happé par l’énergie qui se dégage d’On The Right Track Now et de «Dreams Of Today» que Mark Enbatta gratte sur les accords de Gloria. Il chante d’une voix de Sky bourguignon. Pas de problème. Il tape ensuite une belle cover d’«I Can Only Give You Everything», le vieux standard protozozo des Them. C’est bien raw to the bone. Dommage qu’on entende l’orgue. Ça ne s’y prête pas. Ils tapent une cover du Zombie de Roky qui ne fonctionne pas, mais celle d’«Hey Gyp» passe comme une lettre à la poste. On salue aussi le beau gaga moderne d’«Out From The Night». Globalement, c’est pas mal.

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             On retrouve la même teneur en vitamines sur Crawfish For The Notary, et ce dès «Is This Really The Time» qui sent bon le LSD. Tout sent le LSD ici. Retour au raw to the bone avec «This Life Is Your Life», c’est gratté au raw ultime, c’est même assez violent. Mark Enbatta claque les pires accords bourguignons. Le Kaiser shoote ensuite une grosse dose de shuffle dans «Burning Temples» et on revient à l’apothéose druggy avec «My Trip» - I’ll never get out of here - Mark Enbatta rocke encore le boat avec «Liars» et on replonge dans l’LSD sound avec une cover létale du big «Be My Baby» des Ronettes. C’est audacieux, car ils proposent le Wall of Sound bourguignon à base d’orgue. Effet garanti. C’est même assez poilant. Ils ne reculent devant aucune extrémité, ce qui est tout à leur honneur. 

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             Green Peas est un double album et la viande psychédélique se trouve sur le disk 2 : en C t’as ce fabuleux brouet lysergique, «Human Love». On sent bien le LSD. Enbatta est très Sky sur ce coup-là, il sort son meilleur raw psych et tiguilite à la mode de 1966. On sent qu’il écoute les bons disques. Et de l’autre côté, tu tombes sur une version qu’il faut bien qualifier d’historique du «Trip» de Kim. Superbe attaque ! Mark Enbatta le prend bien et s’en va naviguer dans l’océan psychédélique, il y va au let’s take a trip et scande LSD ! LSD !, comme le firent les Pretties en leur temps. L’A et la B ne sont pas aussi enthousiasmantes. Sur «You’re Gonna Fall», ils visent le rock symphonique à la Procol et c’est à côté. Quand elle est précieuse, leur pop devient problématique. On sent quelques velléités d’en découdre sur «Liars», et on retrouve enfin une belle dynamique de guitarring dans «Critics». Enbatta est un bon. Il décolle enfin. Il te trashe le cut sur un beat bien dressé vers l’avenir. On le revoit partir à l’aventure sur «Wrinkle Drawer». Dommage que le background soit si précieux. Sur ce disk 1, t’as pas mal de casse et des tentatives non abouties. Il faut attendre «Out Of The Night» au bout de la B pour renouer avec le gaga bourguignon. Enbatta jette tout son dévolu dans la balance et gratte bien ses trois accords. 

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             Paru en 1986, In Ancient Times est un petit album qui ne fait pas d’histoires. Mark Enbatta chante son «Let It Rain» d’une belle voix de canard, mais il est vite submergé par les nappes du golem hégémoniste. En Bourgogne, la pop peut vite virer bucolique, comme le montre «Run Baby Run». Si on cherche un bout de viande, il est en B. Le golem perruqué et poudré joue du clavecin sur «Wrinkle Drawer» et voilà qu’arrive un «Next Year» nettement plus décidé à en découdre. C’est même quasi anthemic. Avec ses nappes astrales, le golem se prend pour un cosmonaute. Et ça atteint des proportions considérables avec «Crooked Dealers». Ça devient même passionnant. Les albums des Veterans sont très particuliers. Tu y croises rarement des coups de génie, mais tu les écoutes attentivement. Ils ne se rattachent à rien de particulier, hormis la Bourgogne.   

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             Mark Enbatta fait des étincelles sur Catfish Eyes And Tales, notamment dans «Southern Comfort». On entend bien sa guitare psyché, il lâche un beau déluge d’acid freakout. Les Veterans ont la bonne distance pour développer. Le thème crée la tension et les nappes tentaculaires du golem nourrissent bien la Mad Psychedelia, alors tu te régales, c’est un beau délire. Ils raflent bien la mise. Mark Enbatta passe au gaga bourguignon avec «Time Is The Worst». Il fait même du protozozo, c’est un fin renard. Il part en solo d’extension du domaine de la turlutte, et repart même une deuxième fois. Tu sors du cut enchanté. S’ensuit un «Crying» qui se veut paradisiaque et qui l’est. Enbatta est infiniment crédible, il taille bien sa toute. Par contre, rien à tirer de la B. «Days Of Pearly Spencer» ? Écoute plutôt l’original, s’il est encore dans ta caisse de 45 tours.   

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             Dernier spasme des Veterans avec une belle compile, The Days Of Pearly Spencer. Ils démarrent d’ailleurs avec cette cover de David McWilliams. Le Kaiser fait les violons à l’orgue. Côté son, pas de problème. Puis ils tapent une autre cover, celle du fameux «500 Miles» qu’on connaît en France sous le nom de «J’entends Siffler Le Train». Belle prod, avec un bassmatic mixé devant, de l’acou en réverb et de l’orgue au fond. On appelle ça une prod de rêve. Et même une prod de rêve aérien, perdue dans l’écho du temps. Le Kaiser fait même entrer une disto sur le tard. S’ensuit un «Is This Really The Time» assez défenestrateur. Ils ont du power sous le pied, c’est tapé au tatapoum local et ça bat bien la campagne. Ils font du Spencer Davis Group in Burgundy avec «Burning Temples» et le Kaiser envoie le shuffle. T’as encore un son plein comme un œuf. Mark Enbatta refait son Sky sur «Don’t Try To Walk On Me», t’as vraiment l’impression d’entendre les Seeds. Il refait son Sky sur «You’re Gonna Fall». Tu as déjà entendu tous ces cuts sur les albums précédents, mais tu te re-régales de les ré-écouter. Et pouf, voilà ce «Dreams Of Today» qui sent si bon le LSD, car gratté aux accords de gaga sixties. Ils terminent avec deux covers de choc : «Be My Baby» (que le Kaiser groove au shuffle d’orgue) et une version longue de l’hymne bourguignon, «The Trip» - It’s time to take a trip - et le Mark y va à coups d’LSD ! LSD!, pendant vingt minutes. 

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             À un moment, Syned essaye de nous rassurer en nous expliquant que le golem a trois facettes : «Lucas Trouble, l’artiste talentueux, prolifique, multiple et unique avec le côté charmeur et malicieux», puis «le Kaiser, le type qui enregistre, insupportable, ‘monstre tortionnaire’, visionnaire», et «Jean-Luc, le gars normal, père de famille qui reçoit ses amis, l’ouvrier en bâtiment qui rénove sa maison (du Levant), supporter du club de rugby du coin.» Mais bon, on ne veut rien savoir de plus : le golem et basta ! Derrière sa Maison du Levant se trouve une carrière en forme de ravin qui devient vite objet de plaisanteries macabres. Il menace d’y jeter les dépouilles de ses ennemis et des gens qu’il aime pas. Quand Philippe Manœuvre propose de venir l’interviewer, le golem grommelle : «Ouais, Manœuvre, je vais le balancer dans la carrière avec les huissiers.» Tout est truculent avec le golem, on se fend la poire en permanence. Bon, il ne va pas jeter Manœuvre dans la carrière, mais lui avouer que son premier 45 tours fut le «Venus» de Shocking Blue, parce qu’il louchait sur les nibards de la chanteuse. S’il aime bien Steppenwolf, c’est à cause dit-il de sa «tronche de barbare intelligent».

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             Le golem livre d’épatantes considérations sur le monde. Il constate qu’il y a «beaucoup plus de beaufs que lorsqu’il avait 17 ans», et comme Marc Zermati, qu’il rencontrera un peu plus tard, il affirme que «la France n’est pas faite pour le rock’n’roll.» C’est parce qu’il lit l’article de Manœuvre que Marc débarque à Chagny avec Tony Marlow pour enregistrer Knock Out. Ça a clashé pendant l’enregistrement entre Marc et le golem, mais ils se sont rabibochés pendant le mastering.

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             Côté admirations, le golem admet un faible pour les grands allumés de service, Birthday Party, Roky Erickson, Davis Thomas, Red Crayola, Peter Hammill et bien sûr Captain Beefheart, tout particulièrement, précise Syned, Safe As Milk. Et puis les Damned. Syned ne rate pas l’occasion de rappeler le lien qui existe entre le Gun Club et les Damned : la coiffure gothique de Patricia Morrison. À cette belle liste, il faut ajouter les noms des Chrome Cranks que lui a fait découvrir Michel Basly, et puis tiens, Jon Spencer.

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             Le golem dispose de trois armes : le Kaiser studio, sa cave et son label Nova Express. Les trois sont indissociables. Qui dit studio dit prod. Le golem est obsédé par un son, le sien. Nul n’est mieux placé que Vox pour décrire l’art productiviste du golem : «Il élaborait ses hallucinatoires festins en maître queux anthropophage, malaxant, sculptant, tronçonnant, bariolant, balafrant, recollant, incisant, panachant, faucardant, affûtant, ciselant, amalgamant, façonnant jusqu’à obtenir la mixture voulue.»

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             Son label reste bien sûr underground. Pas de stratégie commerciale. «Au gré du vent», précise Syned. Producteur, musicien et label boss comme Beat-Man avec Voodoo Rhythm. Ou mieux encore, comme Totor avec son Wall of Sound, ses cuts magiques et Philles Records.

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             Étant donné que le golem a décidé de vivre du studio et de Nova, «la trésorerie est tendue». Syned rentre bien dans le détail des tarifs, comme il rentre dans le détail du matos et dans le détail des claviers qu’utilise le golem. Les détails sont vitaux si on veut comprendre à quel point ce type d’aventure est périlleux. Et par conséquent glorieux. Fuck les subventions, le golem bosse à l’arrache. «Vive les rebelles !» Plus on avance dans les détails et plus le golem devient sympathique. Tiens voilà ce qu’il déclare : «Si on part du principe que le rock’n’roll est une musique rebelle, c’est un peu bizarre d’être un rebelle subventionné par l’état.» Eh oui, t’as des groupes qui demandent du blé pour financer leurs conneries. Fuck it ! Le golem admet qu’il en bave. En plus, il n’est pas cher : 4 000 euros pour une semaine de studio + 1 000 CD (mixage, mastering et impression pochette compris). Syned rentre aussi dans les détails du graphisme des pochettes. Le golem bosse avec son pote José Womble, et là on se marre bien, car on retrouve nos deux compères devant un écran avec les bouteilles de pinard que le golem ramène de la cave, et les voilà qui se mettent à schtroumpher des typos et des images sur Photoshop, avec «un petit verre de rouge» à chaque tripotage de filtre, à chaque fusionnement de calque, jusqu’à ce qu’ils arrivent à ce que Syned, hilare, appelle «un compromis». Bosser une image à deux sur un écran, c’est un truc qu’on ne fait JAMAIS. Seul le golem s’y autorise, en évitant toutefois de toucher le clavier, car l’ordi reste l’ennemi satanique. Il faut donc partir du principe que les pochettes Nova Express sont le résultat de compromis avinés, ce qui les rend infiniment sympathiques. Et puis Syned aborde le chapitre de la distro et là, pareil, il donne tous les détails, et c’est passionnant de voir à quel point l’exercice est périlleux. Syned : «À la fin, Nova ne prenait que 10% sur les ventes effectuées par leurs soins. ‘Ça payait à peine le téléphone’, soupirait-il.» Et le golem ajoute que son label lui coûtait plus qu’il ne lui rapportait. Ça ne tenait debout que parce que le studio rapportait un peu de blé et qu’Emmanuelle, sa femme, bossait ailleurs. Le label, c’était «du bénévolat»

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             Qui dit Nova Express dit compiles. Syned dit sa préférence pour The Most Terrible Songs And Other Terrific Stories. On retrouve aussi Lo’Spider et son Jerry Spider Gang sur The Kaiser Fucks The New French Rock, ainsi que les Holy Curse et les Magnetix. On y revient dans un Part Two. 

             Et les Anglais dans tout ça ? Pas grand-chose. Le golem aurait bien aimé, mais à part un coup de fil de Brian James, rien. Que dalle. Il aurait bien aimé recevoir Jeffrey Lee et les Dum Dum Boys. Sob sob sob, regrets éternels.

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             Qui dit Chalon dit Jano et Nat et les Screaming Monkeys. On les croise enfin page 337 : vieil ami de Caligula Gibus, Jano fêta ses 40 ans avec un concert des Médiums à la Taverne, un endroit devenu culte, pour ses «bals costumés» et ses concerts. Vox fit de cette fête d’annive un solide compte-rendu dans Dig It!. Le golem, «avenant comme une potence», jouait de la basse ce soir-là. Plus remarquable encore : les Cowboys montèrent sur scène après les Médiums, et selon Vox, ils furent «bons mais nettement en-dessous des Médiums.» Comment est-ce possible ? Vox est aussi «conseiller» du golem : le visuel qui orne la pochette de Kaiser Southern Dark Country, c’est une idée à lui. Il s’agit de l’Écorché Et Son Cavalier d’Honoré Fragonard - Ce document avait été proposé par Vox pour une éventuelle utilisation.

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             Pour sa dernière séance d’enregistrement, le golem a reçu Tony Marlow. Tony était en trio avec K’ptain Kidd. Fabuleux album que ce More Of The Same, deuxième album tribute à Johnny Kidd. «Goin’ Back Home» t’arrive dans les dents comme un boulet de canon. T’as aussitôt la démesure de la flibuste ! Ça pilonne ! Le trio allume comme vingt bouches à feu. Le golem devait se frotter les mains. Il faut saluer son génie sonique. Encore un boulet dans les dents avec «Some Other Guy». Et puis un troisième, t’es plus à ça près : «Castin’ My Spell», claqué à la clairette de Tele. Tony fait son Barbe-Noire, il ravage tout, avec la bénédiction du golem. Ultime dream team !

             Ce book compte probablement parmi ceux qui font la fierté du Camion Blanc. Avec Lucas Trouble - L’Empereur Du Son Analogique, le métier d’éditeur underground reprend tout son sens. 

    Signé : Cazengler, le cas troublant

    Syned Tonetta. Lucas Trouble - L’Empereur Du Son Analogique. Camion Blanc 2018

     

     

    L’avenir du rock

     - Happy (Chem)trails

             Pas de pot : l’avenir du rock vient de tomber dans les pattes de la Gestapo. Direction la rue Lauriston et la baignoire dans la salle de bain du premier étage. La Gestapo soupçonne à juste titre l’avenir du rock de grenouiller dans la résistance. Klaus Barbock veut des noms. L’avenir du rock fait le malin.

             — Vous n’allez pas faire le malin très longtemps, avenir du rock !

             Deux gestapistes plongent la tête de l’avenir du rock dans la baignoire, pendant qu’un troisième lui introduit une barre à mine rouillée dans l’anus et l’enfonce d’un coup de pied.

             — Glou glou glou...

             L’avenir du rock tombe dans les pommes. Un toubib lui fait une piqûre. L’avenir du rock revient à lui et se met à chanter :

             — Shame Shame Shame/ Hey shame on you !

             Klaus Barbock se tourne vers ses sbires :

             — Ce nom vous dit quelque chose ?

             Les sbires font non de la tête. L’avenir du rock éclate de rire et lance :

             — Smiley Lewis !

             Klaus Barbock fait un signe de la main et les sbires replongent la tête de l’avenir du rock dans la baignoire.

             — Glou glou glou...

             Il retombe dans les pommes. Piqûre. Il ouvre un œil et balance :

             — Ain’t That A Shame !

             Et ajoute aussitôt, au vu des bobines gestapistes qui ne pigent rien :

             — Fats Domino !

             Connaissent pas. Baignoire. Plus chalumeau sur la plante des pieds.

             — Glou glou glou...

             Il retombe dans les pommes. Piqûre. Il ouvre un œil et balance :

             — Shame On You Crazy Diamond !

             Un des sbires glapit :

             — Herr Obersturmführer ! Arch Pink Floyd!

             L’avenir du rock explose de rire. Quelle bande de cons ! Pour les achever, il voulait balancer le nom de Chemtrails, mais il préfère en rester là et mourir de rire.

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             Bon d’accord : l’avenir du rock triche un peu : Chem ne se prononce pas «chème» mais «kème». Disons que s’il triche, c’est pour la bonne cause. Et à l’écrit, ça passe.

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             T’as deux genres de concerts : ceux des groupes que tu connais et ceux des groupes que tu ne connais pas. Et dans ceux des groupes que tu ne connais pas, t’en as encore deux genres : ceux que tu prépares et ceux que tu ne prépares pas. C’est-à-dire que tu n’écoutes rien en amont. T’anticipes pas. Tu décides d’y aller avec l’oreille fraîche. Chemtrails à la cave, t’y vas donc avec l’oreille fraîche. Tu n’as qu’une seule info : UK. Après leur set, tu apprendras qu’elles viennent de Manchester. Elles, oui, car il s’agit surtout d’elles, les deux cocotes qui grattent et qui chantent : Mia Lust et sa copine la grande Laura Orlova. Grande, il faut l’entre au

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    sens propre comme au figuré : par la taille, mais aussi par la présence scénique et cette façon qu’elle a de se barrer en vrille de garage-punk lorsqu’elle s’arc-boute pour prendre un solo. Elle a le killy-killy dans la peau. Elles sont accompagnées par une solide section rythmique, un bassmatiqueur de choc et un mec torse nu au beurre qu’on ne voit pas, car plongé dans les ténèbres. Mais lui, c’est le roi du bim bam boum. Les deux cocotes font le show. Dommage qu’il y ait un clavier à la mormoille devant. Elles tapent quasiment tout à deux grattes et mêlent leurs voix pour créer des dynamiques somptueuses. Si tu les vois un jour sur scène, tu vas te régaler, car elles tapent en plein dans l’œil du cyclope, sans la moindre frime. Elles

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    t’offrent un vrai concert de rock, excitant & sexy. Tu ne connais pas les cuts, mais tu tends bien l’oreille et tu localises les montées en puissance à base de Superhuman, elles entrent quasiment en transe et rockent le boat de la cave. Elles tapent aussi un Apocalyptic apocalyptique, avec une conscience professionnelle qui en dit long sur la pureté de leurs intentions. Elles concentrent toutes les dynamiques. Leur perfection symbiotique te fait baver. Tu n’avais pas vu autant de fraîcheur énergétique depuis des lustres. Chemtrails ! Elles pourraient bien devenir énormes, au moins autant, sinon plus que MaidaVale.

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             Si tu ramasses The Joy Of Sects au merch, tu vas aller de surprise en surprise.

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    Quel bel album de Chester pop ! Dès «Detritus Andronicus», tu dis oui, car tu sens cette féminité bien collante, bien prégnante, et t’as Mia qui chante au sucre protozozo. C’est du meilleur effet. Mia est plus sucrée que sa collègue Laura, on l’entend mieux encore sur l’album. Si elles virent un peu new wave sur «Sycophant’s Paradise», c’est à cause du clavier, mais elles restent très dynamiques, bien tape-dur, avec du bon son. Elles sont aussi capables d’aller rejoindre Liz Fraser au ciel de la pop anglaise («Mushroom Cloud Nine»). La viande se planque en B, comme le révèle l’imparable «Join Our Death Cult». Chester power ! Joli beat hypno. C’est dans la poche. Elles jouent sur les deux voix. Plus loin, t’as un cut en forme de giclée d’adrénaline, «Superhuman Superhighway», c’est nettement plus Kraut, baby. Au beurre, Liam Steers sait driver un beat ! Et ça continue dans la même veine avec «Apocalypstick». Elles sont fabuleuses d’à-propos. Elles ont de la texture, de la teneur, de l’excellence, elles savent déclencher l’enfer sur la terre et revenir au petit sucre de Manchester. Elles mêlent merveilleusement leurs deux sucres. Et ça bombarde ! Elles dégagent une énergie considérable. Laura chante avec un sucre canaille. Elle adore rentrer dans le chou du lard. Tu t’attaches à ces deux voix si différentes.  

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             Attention à Call Of The Sacred Cow : si tu l’écoutes, tu risques fort de tomber de ta chaise. Voilà ce qu’on appelle communément un killer-album ! Premier coup de Jarnac avec «A Killer Or A Punchline» qui sonne comme un hit. T’en reviens pas ! Mia Lust et sa copine la grande Laura Orlova ont un truc que d’autres n’ont pas. Et quand tu lis les crédits sur la pochette intérieure, tu vois que la petite Mia compose tous les cuts. Et le festin se poursuit avec l’incroyable «A Beautiful Cog In The Monolithic Death Machine» : belle énergie cognitive. Ça veut dire qu’elles cognent. Voilà encore un cut bourré à craquer d’énergie pop. Elles bouclent ce brillant balda avec «Lizard Empire», nouvel exploit chanté à l’accent pincé de Manchester, dans une ambiance de Brill. Quelle magnifique ampleur structurelle ! Franchement, t’en perds ton latin. T’as encore trois bombes en B, à commencer par un «Watch Evil Grow» assez apoplectique. Elles naviguent à la pointe de la renaissance pop de Manchester. La qualité des cuts te sidère pour de vrai. Nouveau coup de génie avec «Dead Air» et une stupéfiante attaque. C’est Mia Lust qui chante. Elle est aussi balèze que sa copine, car elle y va au sucre acide. Elles font un petit coup de Wall of Sound pour finir, avec «Overgrown». Cet album sonne comme un délire qualitatif d’un niveau peu commun.

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             Alors, il ne faut pas en rester là : tu sautes sur The Peculiar Smell Of The Inevitable. T’es estomaqué dès «Blurred Visions» et son tempo sauvage. Elles sont les reines du wild-as-fuck. Leur fonds de commerce est la fantastique tenue de route. Aucun temps mort sur cet album, elles font le canard sur «Rats» et puis elles bouclent le balda avec un «Naked Souls Get Swallowed» qui sonne comme un hit, bien lesté de power-chords. Tu salues la présence de leur prescience. Et ça repart de plus belle en B avec «Frightful In The Sunlight», bien profilé sous le vent et soutenu par un bassmatic grondant. La grande Orlova passe un joli petit killer solo et en prime, t’as des super-développements. Tout cela te met bien l’eau à la bouche. Et voilà qu’elles sonnent comme les Pixies sur «Uncanny Valley», c’est effarant d’attaque incisive et chanté au sucre. Elles jettent encore tout leur dévolu dans la balance de «Brother Connor» et bouclent avec un «Slag Heap Deity» en deux parties, un Heap vraiment joyeux, punchy en diable et de très haut niveau. 

    Signé : Cazengler, Shame trail

    Chemtrails. Le Trois Pièces. Rouen (76). 10 mai 2025

    Concert Braincrushing

    Chemtrails. Call Of The Sacred Cow. PNKSLM 2018

    Chemtrails. The Peculiar Smell Of The Inevitable. PNKSLM 2020

    Chemtrails. The Joy Of Sects. PNKSLM 2024

     

    Inside the goldmine

    - La clé de Judy Clay

             Nous avions tous rendez-vous à Bastille, chez Bofinger, pour une réunion informelle. Oh, nous n’étions pas nombreux, cinq personnes au total, Lady Cœur-de-Lyon qui avait eu l’idée de ce meeting, un couple de jeunes entrepreneurs, Baby Class et moi. Tous quasiment du même âge et membres actifs de la grande révolution technologique qui secoua le monde des arts graphiques, à la fin du siècle dernier. Baby Class avait elle aussi monté son agence, oh pas grand-chose, deux salariés et deux ou trois clients, mais bien située, rue d’Alesia. Nous témoignâmes de nos expériences respectives et échangeâmes quelques informations, notamment sur les fournisseurs, le fameux talon d’Achille de la profession. Baby Class était une jeune femme assez haute, aux cheveux courts, peu maquillée. Pas de bijoux. Elle ne souriait pas, et semblait livrée aux affres d’une indicible mélancolie. Ses très beaux yeux gris étaient comme voilés de tristesse. Cette conversation passionnante semblait néanmoins la divertir. Au sortir du meeting, elle annonça qu’elle prenait le métro, aussi lui proposai-je de la déposer dans son quartier. Elle accepta avec un sourire mystérieux. N’attendait-elle que ça ? Nous descendîmes par le Boulevard de la Bastille et traversâmes la Seine au Pont d’Austerlitz. Elle ne disait rien. Nous roulâmes en silence à travers les rues désertes. Il régnait dans la bagnole une sorte de plénitude. Elle me tutoya pour la première fois en me demandant de la déposer sur la place d’Alesia, et disparut. Quelques années plus tard, après que la tempête eût tout emporté, maison, arbres, business, je vis qu’elle cherchait quelqu’un pour bosser avec elle. Coup de fil. J’allais me présenter, mais elle me coupa sèchement : «Inutile, j’ai reconnu ta voix.» Elle m’accueillit le lundi suivant. Elle bossait toute seule dans un vaste local très bien éclairé. Elle donnait le matin les instructions sur le dossier à traiter, puis elle s’installait pour la journée derrière sa bécane. Pas un mot de la journée. Le cirque dura trois mois. D’un commun accord, nous rompîmes le contrat de travail. Vingt ans plus tard, passant dans le quartier, je vis que l’agence existait toujours. La plaque de cuivre figurait toujours à l’entrée de l’immeuble. J’appelai à l’interphone et elle me fit monter. Elle m’accueillit en souriant dans l’entrée. Elle n’avait pas changé. Elle semblait contente de me voir. Mais je n’en étais pas complètement certain.    

     

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             Qui de Baby Class ou de Judy Clay est la plus mystérieuse ? On ne le saura jamais, et c’est aussi bien comme ça.

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             On se souvient que Judy Clay fit sensation avec Billy Vera sur un bel album Atlantic, Storybook Children. Dans le civil, Judy Clay s’appelle Judith Grace Guions et vient non pas de Memphis, mais de Caroline du Nord. Elle chante très vite du gospel à Harlem et fréquente les Drinkards Singers. La chanteuse lead du groupe Lee Warwick prend Judith, 12 ans, sous son aile et l’installe chez elle, dans le New Jersey, en compagnie de ses deux filles Dionne et Dee Dee. Les Drinkards Singers se retrouvent vite fait au Madison Square Garden avec Clara Ward, Sister Rosetta Tharpe et Mahalia Jackson. Autant dire que Judith traîne déjà dans la cour des grands. Emily Drinkard allait devenir Cissy Houston. Dionne la lionne sera la première à accepter d’entrer dans le «secular world», suivie de près par Judith devenue Judy, qui va commencer à enregistrer en 1960, bien trop tôt. Mais quand elle voit Dionne la lionne devenir une superstar, elle pique une crise de jalousie et prend contact avec Jerry Wexler qui l’aide à sortir de son contrat Scepter pour l’envoyer enregistrer chez Stax qui «appartient» alors à Atlantic. Elle descend à Memphis pour être aussitôt prise en mains par Isaac le prophète. Elle retournera un peu plus tard avec Billy Vera enregistrer un album à Muscle Shoals, mais apparemment, c’est resté dans les étagères. Judy Clay aurait dû faire partie des très grandes Soul Sisters américaines, mais le sort en a décidé autrement. Pour gagner sa vie, elle fera des backings vocals. Elle finira par prendre sa retraite à Fayetteville, en Caroline du Nord et ne chantera plus qu’à l’église.

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             On la retrouve sur deux belles compiles : Blue Soul Belles - The Scepter & Musicor Recordings Volume Four, avec Marie Knight, et The Stax Solo Recordings avec Veda Brown.

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             C’est évidemment Marie Knight qui vole le show sur Blue Soul Belles - The Scepter & Musicor Recordings Volume Four. Mais Judy Clay se défend bien, on apprécie sa fantastique présence dans «My Arms Aren’t Strong Enough», un heavy balladif dégoulinant de détresse sentimentale. C’est tout de même un bonheur que de l’écouter. Elle s’épuise un peu dans la pop de Broadway et revient flamber la Soul new-yorkaise avec «The Way You Look Tonight», une Soul hyper-orchestrée et gorgée de chœurs. Elle sait aussi driver un wild r’n’b comme le montre  «You Busted My Mind» et l’«He’s The Kind Of Guy» tapé aux cloches de la 7e avenue est d’une incroyable musicalité. Elle entre dans les années de braise du r’n’b avec «Your Kind Of Lovin’» et son «Upset My Heart (Get Me So Upset)» est d’une qualité invraisemblable. Ça frise le popotin Stax. Et puis elle jazze son «That’s All» avec une classe sidérante. On passe à Marie Knight avec «Cry Me A River». Elle te crève les tympans. Marie Knight est l’une des pires screameuses de l’univers. Elle joue avec la Soul comme le chat avec la souris. Sur «Comes The Night», elle sonne comme Esther Phillips. Pur genius, feeling de voix et power all over. C’est la reine du par-dessus-les-toits. Encore de la haute voltige de Soul pop avec «That’s No Way To Treat A Girl». Elle fait pas mal de petite pop et renoue avec le génie dans «You Lie So Well», un r’n’b à la Motown motion. Elle y va la Marie !

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             Dans les liners de The Stax Solo Recordings, Tony Rounce nous rappelle que Judy est arrivée chez Stax en 1967, c’est-à-dire en plein âge d’or. Rounce raconte qu’en fouinant dans les archives de Stax,  Roger Armstrong a exhumé «My Baby Specializes», qu’on peut donc entendre pour la première fois sur The Stax Solo Recordings.

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             Sur cette compile, Judy Clay arrive à la fin. Ça permet de découvrir l’excellente Veda Brown et son «Take It Off Her (And Put It On Me)». Niaque et Staxy raunch : tout est parfait. Dans les liners, Tony Rounce nous apprend que Veda est originaire de Kennett, Missouri, et qu’elle a commencé par chanter à l’église. Un certain Jerry Robinson la découvre et Veda se retrouve à Muscle Shoals pour enregistrer ses premiers Stax cuts. Tu tombes ensuite sur «Short Stopping», un fantastique dancing strut. Tu te lèves et tu jerkes avec Veda. Elle est vraiment bien, la petite Veda. Même sur les cuts plus lents, elle sait se montrer pleine est entière, fabuleusement impliquée. Elle tape une mouture de «Fever» au grand battage et ça prend des allures de prophète Isaac, avec les percus du diable. Pur power encore avec «Guilty Of Loving You» et son «That’s The Way Love Is» sonne comme un slowah profondément circonstancié. Avec Veda, tout est bien. Elle a une classe invraisemblable. Elle sait aussi gérer la Soul progressive comme le montre «Who Wouldn’t Love A Man Like This». Et quand Judy arrive avec «Remove These

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    Clouds», elle passe au gospel batch et t’explose le cortex. Avec «Bed Of Roses», elle fait son Aretha. Même beefsteak ! «It’s Me» est un slow super-frotteur. Elle sait se frotter au mâle. On comprend que Wex ait bandé pour elle. Elle te fracasse vite fait le gros popotin de «Since You Came Along». Avec Aretha, Judy est l’autre reine de la Soul. «It Ain’t Long Enough» sonne comme une tranche de Soul joyeuse et pantelante. Elle fait encore la reine de Stax avec «Your Love Is Good Enough». C’est tout de même incroyable que des Soul Sisters du calibre de Veda et Judy Clay soient passées à la trappe.

    Signé : Cazengler, Clay-bar

    Judy Clay/ Marie Knight. Blue Soul Belles - The Scepter & Musicor Recordings Volume Four. Westside 2001

    Judy Clay/Veda Brown. The Stax Solo Recordings. Kent/Ace records 2008

     

    Road to Kairos

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             Finalement, t’auras passé une bonne soirée avec Kairos Creature Club, un trio venu tout droit de Jacksonville, en Floride, jusque dans la cave. Pas d’hit interplanétaire dans leur set, mais la réalité de leur verdeur artistique te conforte dans l’idée que l’underground résiste bien à la nécrose de médiocratisation rampante qui menace le monde moderne.

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             Le trio te met tout de suite à l’aise car zéro prétention et zéro frime. T’as deux petites gonzesses (beurre et poux) et un mec au bassmatic. Celle qui bat le beurre s’appelle Lena Simon. On sent qu’elle a du métier. Elle vient de La Luz. Celle qui gratte ses poux s’appelle Glenn Michael Van Dyke. Contrairement à ce qu’indique son nom, c’est une gonzesse et elle gratte une belle SG bordeaux, elle se planque sous une casquette et porte un futal en tartan écossais. Fière allure, mais surtout fière fluidité, elle sait filer le train d’un killer solo à rallonges, elle n’a aucun problème pour développer l’extension du domaine de la loose, et le groove du trio s’y prête plutôt bien. Ils sont tellement originaux qu’on ne peut les comparer à rien de

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    particulier, sauf peut-être aux shoegazers. Sur certains cuts, les Kairos sonnent très anglais. Il remonte de leurs ébats de curieux remugles shoegazy, de vagues échos de My Bloody Valentine ou des Pales Saints, dirons-nous, surtout quand ça vient de la batteuse. Elle adore laisser sa voix flotter en suspension. Elles se partagent le chant, tantôt c’est Glenn (qui se fait aussi appeler Billy Creature), tantôt c’est Lena (qui se fait aussi appeler Kairos). Sous sa casquette, le petite Glenn Michael Van Dyke joue pas mal sur les ambiguïtés et t’as intérêt à vérifier les choses pour éviter de raconter des conneries. 

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              Bon, leur début de set est problématique, comme il l’est généralement avec les groupes qu’on découvre, parce qu’on ne sait rien d’eux. Si on arrive avec les oreilles fraîches et zéro info, il faut un petit temps d’acclimatation. Le temps de rentrer dans leur jeu. Le temps que ça clique. Et on est content quand ça clique, car il arrive que ça ne clique pas. Soit tu t’ennuies, soit c’est pas bon, et tu montes au bar siffler ta Jupi. Cette fois, ça clique. T’es vraiment content d’être là et de partager ce moment avec la petite faune habituelle. Il reste une poignée de gens vraiment intéressants en Normandie et c’est là que tu les croises. On a tous en commun cette curiosité passionnée pour l’underground. On a tous envie de voir ces groupes inconnus exploser. On a tous envie de mettre le grappin sur l’album le plus fabuleux de l’underground le plus ténébreux. C’est presque une obsession. Et chaque fois, tu vois un groupe sorti de nulle part taper le Grand Jeu pour une assistance minimale, c’est-à-dire la poignée de gens intéressants. Alors forcément ça t’en bouche un coin. Au fil des cuts, les Kairos montent bien leur Club-out en neige et ça finit par culminer. Quoi de plus sexy que de voir un groupe inconnu culminer ?   

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             Alors culminons. L’album KCC luit d’un éclat rouge au cœur du merch des ténèbres. Tu y retrouves le point culminant du set, «Deleuzean». Lena y pose bien les bases de son univers. Te voilà en plein Bloody Valentine, ça sonne comme un hit et ça prend vite de l’ampleur. Elles sont encore très anglaises avec «Good Company», pur éther poppy poppah, et «Exile». La Luz rôde dans cette pop qui se veut américaine et qui ne l’est pas, et là t’as la Glenn qui part en wild solo de wah. En A, leur «Doom Funk» part d’un bon sentiment et prend sa petite vitesse de croisière groovytale. La belle pop de «Strangers» vise le frais-comme-un-gardon, même en mode shoegaze. Elle passe en force, mais non sans grâce. Et puis t’as l’excellent cut du mec à la basse, «Self Portrait». Il sait placer sa voix et faire l’imposition. Ça tient debout. T’as là un joli shoot de pop-rock. C’est la Glenn qui boucle l’affaire avec un «UK Club» instro qu’elle tape au bassmatic. Elle y fait un fantastique numéro de bassmataz.

    Signé : Cazengler, Craignos Creature Club

    Kairos Creature Club. Le Trois Pièces. Rouen (76). 26 mai 2025

    Concert Braincrushing

    Kairos Creature Club. KCC. Greenaway Records 2024

     

    Wizards & True Stars

     - Massacre à la ronronneuse

     (Part Four)

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             Le génie d’Anton Newcombe se trouve dans les albums. T’as une belle palanquée d’albums, donc une belle palanquée de coups de génie. Anton passe sa vie à composer. Pour le suivre, il faut des moyens. Ses albums sont tous très beaux. Ces gros vinyles coûtent la peau des fesses. Pour ceux qui n’ont ni le temps ni les moyens d’entrer de plain-pied dans l’œuvre d’Anton Newcombe, le plus simple est d’écouter cette fabuleuse rétrospective, Tepid Peppermint Wonderland, parue en 2004 et récemment rééditée. Anton y sort des cuts de tous ses albums, ce qui permet de voyager avec lui à travers les époques et de constater une chose : il reste en permanence dans le haut de gamme. Ce double album regorge d’énormités. «Who»

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    est un fantastique hommage druggy à Brian Jones, LE dandy du XXe siècle. On se régale du beat descendant de «Servo», une prophetic-song donavanesque, groove malsain de Californie, à la fois violent et enchanteur, la mort et le soleil, le doux rêve qui cajole l’horreur sanglante, pas de contraste plus dangereux. Il faut se souvenir que des tas de satanistes sont allés se faire dorer la pilule en Californie, devenant ainsi la honte du diable. Joel nous tambourine ce beau psycho-beat qu’est «If Love Is The Drug» dans une belle ambiance cauchemardesque chargée de fuzz distante et hantée par des voix de filles défoncées et des voix d’hommes émasculés. La force du collectif est de savoir monter en puissance. Salutaire et clinquant, «Straight Up And Down» claque aux accords du diable. Ça pue les drogues à dix kilomètres à la ronde. Cette psychedelia californienne se montre extravagante de puissance traversière, montée sur une mélodie hasardeuse digne des Stones, s’ils avaient osé aller jusque là. Nul doute que Brian Jones aurait osé. Alors Anton donne la main à son héros Brian Jones, la main dont il rêvait, et cette débauche psyché qu’il a incarnée avec tellement, oh tellement de flamboyance. Que tous les ennemis de Brian Jones aillent rôtir en enfer. Anton part en solo en l’honneur de son héros. «Anemone» s’installe dans le lent et le beau. On s’est grillé la cervelle, alors on a le temps de déconner et de laisser couler des accords pour jouer le groove de la ramasse. Voilà encore une pièce fabuleuse de décadence qui tombe vers l’avant - you should have picked me up - elle parle au ralenti, on est dans le break rouge d’un trip avancé, la raison échappe au regard, on ne sait plus où poser le pied, et c’est monstrueux de toxicité.

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             Le disk 2 est encore plus déterminant. Anton prend «That Girl Suicide» au chat perché puis ça part dans les impudeurs, avec des pointes de violence. C’est admirable de fourberie psychédélique. Anton a des idées fantastiques. Il redouble d’inspiration sauvage, avec un solo dégueulasse qui traverses les couches comme le ver la pomme. Heavy psyché avec «Evergreen», somptueux, emmêlé des crayons, rampé plus que rampant, signifiant le fin de l’élégance. Encore un hit fabuleux accroché à la gloire du quotidien avec «In My Life», plombé d’énormité et de riffs gluants. Rien qu’avec ça, il mérite sa couronne de superstar. Son rock est naturellement trashy. Il n’a pas besoin d’en rajouter. Avec «Mary Please», il s’amuse à sonner comme Oasis, dans le descendant et le druggy. C’est fabuleusement écroulé contre le mur, dément, lazy et pas pressé. Doucement. Quand on est défoncé, on y va doucement. Voilà ce que raconte la musique d’Anton Newcombe : le vertige sublime de la défonce. Comme Lou Reed, il en fait de l’art. Mais pas de l’art à la petite semaine. Puissance pure avec «Talk Action Shit», tambourin, sale garage, pur génie. Tout est là. Le rampage. Sourd et terrible. Il peut aussi sonner comme les Byrds si ça lui chante, et il le fait avec «This Is Why You Love Me» et on retombe sur l’un des hits du siècle, «Not If You Were The Last Dandy On Earth», la clameur - and you look good - suivie par une guitare aux abois, rien que la partie de guitare, c’est de la folie douloureuse, un rush d’héro dans le cerveau. Sur ce disk, tout est énorme, comme ce «Feel So Good», avec sa progression démente sur des violons, encore un hit psychédélique, encore une idée qui fait le moine. Anton Newcombe est un géant. Une voix ingénue sur prod sur une violonade à la «Walk On The Wild Side», et un solo suit comme un chien fidèle. Anton reprend la barre, aussi défoncé qu’elle. L’ambiance reste mortellement bonne, on s’habitue - I want to feel so good - à s’en faire péter la cervelle plutôt que la rate. Et puis arrive ce solo-chien malade de distorse. Et ça monte encore. Valencia rappelle que l’idée de Tepid Peppermint Wonderland était de capitaliser sur l’effet Dig!

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             Spacegirl & Other Favorites est le premier album du groupe sorti en 1995. Dès «Crushed», le premier morceau, on plonge dans l’heavy psychout. La caravane s’ébranle à travers les sables verts de Zabriskie, jusqu’à l’horizon où flotte le rond du soleil levant. Mystère des sables et puissance de la résonance, avec des lignes de basse errantes, magnificence crépusculée d’avance. Cette basse caoutchouteuse rôde comme une hyène, alors on l’observe avec l’air neutre qu’il faut toujours afficher, pour ne pas effrayer les hommes de la patrouille. Le souffle du Massacre est tellement puissant que le sable se ride en surface comme la peau d’une vieille pensionnaire de harem. Basse hyène de rêve dont la silhouette court sur l’horizon. On glisse assurément vers les lointaines régions de non-retour. C’est sur cet album que ce trouve «That Girl Suicide», monté comme un standard des Byrds, avec cette même insistance du son sacré. «When I Was Yesterday» est un autre groove à la Masssacre, amené doucement et versé dans des lacs tièdes, en amont des fourches caudines, là où nul humain n’est encore jamais allé, là où la perception atteint les limites de la transversalité, là où l’embellissement devient purement latéral. Mal dégrossi, Spacegirl ne fera que préparer le terrain pour Methodrone. D’ailleurs, ces deux chefs-d’œuvre de space-rock doom que sont «That Suicide Girl» et «Crushed» profiteront des deux voyages.  

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             Methodrone sort dans la foulée. Dès «Wisdom», on assiste à une belle montée en masse des accords sur le front de l’Est. Voilà encore un groove d’une rare puissance. Greg Shaw devait être ravi d’entendre ça. Valencia avoue qu’il est tombé sous le charme du BJM grâce à «She’s Gone» - Ça groove, ça secoue, ça voyage et ça s’entend à l’infini - C’est vrai, le BJM développe un fantastique sens du groove psychédélique qui n’est pas sans rappeler celui des 13th Floor. Pièce de groove éléphantesque, «She’s Gone» commence par traverser les jardins et puis devinez ce qui se passe ensuite ? «She’s Gone» entre dans le magasin de porcelaine, mais comme ce cut est raffiné, il ne casse rien. Il se glisse comme un chat entre les neurones de porcelaine. Anton baptise l’album Methodrone en l’honneur de Peter Kember, c’est-à-dire Sonic Boom, qu’il rencontre en studio à l’époque, ‘Peter, son jar de methadone and his drone band’. Sur le même album se trouve «Hyperventilation» qu’Anton voulait titrer «Iggy Pop Sonic Boom», avec un son qui dit-il est celui de «1969» à vitesse réduite. C’est du pur Spacemen 3, un groove méchant et sournois. Anton chante ça l’œil mauvais, il geint comme un voyou pasolinien qui prépare un mauvais coup, et puis ça explose. Des éclairs zèbrent le background du morceau. Notez enfin que Graham Bonnar de Swervedriver bat le beurre sur cet album. 

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             En 1996 paraissent trois albums : Their Satanic Majesties Second Request, Thank God For The Mental Illness et Take It From The Man. Anton met les bouchées doubles avec un Satanic Majesties rempli à ras bord de grooves infectueux. «All Around You» et «Cold On The Couch» groovent lentement et sûrement. On a là le vrai groove californien, bien huilé sous le soleil ardent et qui ne se nourrit que d’hallucinations. Les drogues sont bien meilleures sous le soleil exactement, comme chacun sait. Avec «Jesus», ils renouent avec le groove du Dandy, beau et dramatique, un peu hanté et légèrement ralenti. Avec un solo en note à note, Anton fabrique l’archétype de la drug-song parabolique, le politiquement druggy parfait. Doomé jusqu’à l’os et sonné au tambourin provençal, «Anemone» se niche sur cet album. Dans cette extraordinaire pièce d’à-propos, Anton veut demander quelque chose à sa copine, mais il ne se souvient plus quoi. Il essaye d’atteindre un objet de la main, mais il ne se souvient plus quel objet ni quelle main. Alors il écoute ce qu’elle dit, mais il ne sait pas de quoi elle parle. On est dans le groove de la vape. Anton raconte qu’il a fait venir un van rempli de gens drogués pour faire les chœurs d’«All Around You».

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             Quand on ouvre le gatefold de Take It From The Man, on tombe sur un petit texte d’Anton : il jure que le fantôme de Brian Jones est venu le trouver dans le studio pour lui demander de faire cet album. Brian lui a aussi demandé d’aller casser la gueule à Keef et à Mick parce qu’ils lui ont piqué son groupe, sa musique, sa fiancée et son blé. En prime, ils l’ont fait buter. Pour enregistrer cet album, Anton étudie les photos des Stones en studio. Il tente de reproduire leur technique de sonorisation des instruments. Il est obsédé par la magie des sixties. L’album est enregistré live. Quelle merveille psyché que ce «Who» rendu sauvage par des youihhh jetés en l’air, et doublé d’un riff incroyablement classieux ! Avec «Caress», on reste au centre du cercle des dolmens sacrés de la tradition écarlate du garage psyché, dans la quadrature du cercle magique Bomp. C’est d’une précieuse véracité. Le génie coule à flots dans les veines d’Anton Newcombe. Il passe au garage sévère avec le morceau titre. Il chante avec du venin plein la bouche et derrière, on entend des chœurs incroyablement défaits, des ouh-yeah incertains, posés au hasard des pulsions libidinales et ça continue pendant le solo d’harmo. Tout aussi garage mais plus ardu, «Monkey Puzzle» prend la gorge. Ils nous saupoudrent tout ça d’un son digne des Byrds. Album idéal pour les ceusses qui sont en manque de fascination. Valencia parle d’énergie atomique. Il compare même l’album au Raw Power des Stooges et aux early Beatles - That youthful hormonr-driven energy - Pour Joel, Take It From The Man est un ‘December’s Children nuts and bolts rhythm & blues sound’.

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             Et voici le troisième BJM de 1996, Thank God For The Mental Illness. C’est bien sûr Joel qu’on voit sur la pochette. L’album renferme un joli clin d’œil à Dylan avec un «13» digne de «Highway 61», bourré de gros gimmicks bloomiques à la sauce Newcombe. Voilà encore une énormité qui vaut le détour. Encore plus dylanesque, lancé à l’harmo des enfers, «Ballad Of Jim Jones» revisite par son épaisseur le mythe du folk-rock dylanesque. Avec ce son grandiose. Anton Newcombe renoue avec l’éclat des sixties compatissantes. Retour au heavy groove avec «Too Crazy To Care» : le regard embué, l’harmo dans la mélasse, le groove titube, il avance d’un pas hésitant en s’appuyant contre le mur. Pure druggy motion. Now next one, lance-t-il d’un ton sec. «Talk Action Shit» arrive. Avec cette jolie pièce de garage californien, violente et malsaine, Anton fait sa carne, alors que claque le tambourin. Anton shoote de la violence dans sa Stonesy. Que peut-on demander de plus au garage ? Rien. Juste sonner comme «Talk Action Shit». C’est pourtant pas compliqué. Thank God For The Mental Illness est d’autant plus admirable qu’on lit ceci sur la pochette : «Enregistré live le 11 juillet 1996 à la maison pour un coût total de 17,36 $. Pas de shit. Si vous n’appréciez pas, pas de pelle non plus pour ramasser le shit.» Anton Newcombe ne fournit pas la pelle à merde. C’est sa façon de vous dire d’aller vous faire cuire un œuf si vous n’aimez pas sa musique.

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             Give It Back parait l’année suivante et s’ouvre sur «Supersonic», un groove psyché de haut vol orientalisant. En s’inspirant des Byrds pour «This Is Why You Love Me», ils pondent un beau hit sixties joliment fileté à la mélodie et arpéggié en moderato cantabilisant. Ah l’excellence de la fragrance ! S’ils riffent si salement «Satellite», c’est pour en faire un coup de Jarnac malsain. Anton Newcombe s’ingénie en permanence à hanter les esprits. Il va là où ne vont pas les autres. C’est un tuteur d’aisance malodorante à la Maldoror. Pourquoi «Satellite» est un vrai hit pop sale ? Parce qu’il traîne des pieds. Et on retombe dans la magie du Last Dandy On Earth, le hit imparable amené à la hurlette de guitare, chanté à l’essoufflement, construit comme une lente montée inexorable qui finit par exploser en pah-pah-pah doublés de chœurs de Sioux - She’s like a sixties movie/ You know what I mean/ And you look so good/ And you look so wasted/ And baby I know why - S’ensuit un autre hit, «Servo», plus pop, dans l’esprit des plus grands hits californiens. On est en plein tournage de Dig! et Ondi Timor filme un Anton sûr de lui. Il sait qu’il a les hits, et il lance : «Move on over Dandy !», mais les Dandy Warhols ne parviendront jamais à ce niveau d’excellence.

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             Quand l’album Strung Out In Heaven est sorti en 1998, on faisait la fine bouche. La presse américaine en vantait les mérites, mais on trouvait l’album un peu mou du genou. Et pourtant, trois ou quatre bombes se nichent sur ce disque. «Going To Hell» est un gros hit psyché qui, bizarrement, ne figure pas sur la rétrospective. C’est un cut flamboyant remué par des explosions d’accords acides sous le soleil - I live in a dream but you’re living in hell - et ça enchaîne avec un solo en note à note, ça coule des cuisses, ça explose à l’horizon, c’est toujours du druggy rock conquérant sans concurrence. Belle intro à la note hurlante pour «Got My Eye On You», bien battu au beat, hommage aux diables dorés de Californie. Anton y va de bon cœur, son groove provoque toujours l’admiration et on entend un mec pianoter à l’envers. Vraiment dingue, comme si les flammes du brasier avaient des yeux bleus. «Love» est une bluesy love song lysergique à la Spiritualized avec un départ de fin de journée compliquée, poussif et lourd, ah non pas envie, péniblement poussé au beat et le morceau se remplit comme la baignoire de la mort. Et puis on a cette pièce de doom californien, «Wisdom», heavy en diable, l’autre hit de l’album, un rock qui descend en longueur et qu’Anton partage avec une fille. Alors ça devient sérieux, car elle amène de la sensualité psyché à cette affaire qui prend une ampleur fantasmagorique particulière. C’est claqué d’accords ralentis qui tombent tous les uns après les autres du haut de la falaise de marbre. Alors Anton reprend la main d’une voix ferme - but he said there’s no way - c’est puissant et dramatique - don’t you kill you - Effarant. Pour lui, c’est pas si compliqué d’effarer. Il pousse le bouchon, comme d’usage et il ramasse au passage toutes les brebis égarées. Sex drugs & rock’n’roll, baby. Dans le book de Valencia, Strung Out est peut-être l’album qui suscite le plus de commentaires. Comme il vient de signer sur TVT, Anton a du blé et sa conso d’héro augmente vertigineusement. La manager Dutcher transpire à grosse gouttes, car l’enregistrement de l’album financé par TVT n’avance pas. Valencia décrit le process laborieux. Les gens de TVT voient Strung Out comme un bon album, mais pas un hit album - It lacked the revved-up energy, attitude and big rock sound - Dutcher attribue cet échec à la pression qu’on mettait sur Anton à l’époque. TVT misait gros et la pression écrasa Anton.

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             Jim Jarmush apparaît sur la pochette de Bravery Repetition & Noise, paru en 2001. Comme Jarmush a choisi «Not The Last Dandy On Earth» pour figurer dans la Bande originale de Broken Flowers, Anton a voulu le remercier en choisissant cette photo pour la pochette de l’album. On y trouve le groove le plus druggy de la troisième dimension : «Open Eye Surgery». On voit rarement des grooves qui ont autant de mal à marcher droit. Celui-là titube. Son pas hésite. Il ne sait pas dans quelle direction aller. Le riff si adroitement joué semble lui aussi en décalage total. Mais le reste de l’album refuse obstinément d’avancer.

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             Pas mal de bonnes choses sur And This Is Our Music, paru en 2002, et notamment «Geezers» qui évoque les Stones de Satanic Majesties : même ambiance, mêmes bouquets de chœurs, tout nous renvoie à cet album maudit. L’ardeur groovy d’Anton Newcombe ne connaît pas de limites. «Here It Comes» est un balladif heavy et ralenti du bulbe. Anton va chercher ses frissons dans la gélatine du paradoxe. Le reste ne l’intéresse pas. C’est un égaré qui adore s’égarer. Une sorte de torpeur règne sur cet album et c’est pour cette raison qu’on le respecte et qu’on l’admire. C’est un pourvoyeur de non-lieux, un fabuleux diseur de non-aventure. «A New Low In Getting High» est digne de Buffalo Springfield. Bon beat, sévèrement embarqué, chant à la ramasse intestine. On retrouve la chaleur du californian hell. Voilà encore une petite merveille de groove dégingandé, parfaitement capable de sauver un album peu soigneux. 

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             Enregistré en Islande, My Bloody Underground commence mal. Anton demande qu’on lui apporte la tête de Paul McCartney. «Bring Me The Head Of Paul McCartney» est encore du psyché à la ramasse, bien pentu et très fumeux. Anton erre parmi les tournesols et les azurs marmoréens. Il coule une belle cascade psyché mirobolante. Retour à la mad psychedelia avec «Infinite Wisdom Tooth», allez les gars, tapez dans le pink du gras. C’est à la fois embarqué et embarquant. Jolie pièce de groove perturbé, avec une sorte de précipitation au niveau de la circulation sanguine, un vrai rush folâtre et brumâtre. On ne sait pas trop quoi penser. Tous les morceaux sont longs sur ce bloody disk, Anton est un mec qui a le temps. Pour lui, rien ne presse, il n’est pas comme les autres, ceux qui sont en prod. Notons au passage que le Mark Gardener de Ride joue sur l’album. Anton est fan du «Drive Blind» de Ride. On trouve aussi sur cet album une belle pièce de piano chopinée et étalée dans le temps : «We Are The Niagara Of The World». Anton tient ses fans par la barbichette. Pour les filles, on ne sait pas par quoi il les tient. Psyché toujours avec «Who Cares Why», vraie apologie des drogues et de la druggy motion, pas loin de l’exotisme hypnotique, bande-son du bon vieux trip, on la reconnaît dès les premières mesures. On entend son cœur battre. Le trip reste certainement l’expérience la plus insolite qu’on puisse faire dans une vie. God comme on adorait ça. La cervelle est faite pour la surchauffe et pour la chimie. Elle s’y prête bien. Anton a tout compris. Garage violent et grosse basse effervescente dans «Golden Frost», monstrueux space-rock à décrocher la lune. Et retour insolent à la Mad Psychedelia avec «Just Like Kicking Jesus», pièce extravagante et énorme, verte et mauve, à la ramasse de la mélasse, univers d’absorption, drug-song évanescente qui te coule dans le cerveau comme la speed-dance des dieux, une mer de bénédiction esquintée au LSD, probablement la plus belle drug-song de tous les temps. Plus la peine de prendre un acide, il suffit juste d’écouter ce cut pour partir au diable Vauvert en compagnie d’Anton le diable vert. Vraiment digne de Spiritualized. Et puis quoi encore ? «Monkey Powder», co-écrit avec Mark Gardener, nouvel univers, invitation au voyage en calèche à travers les Carpathes psychédéliques sous un ciel rouge de sang. Cet album signe le retour aux sources du BJM. Music first, songs later.

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             Paru en 2010, Who Killed Sgt. Pepper? est le premier album berlinois d’Anton. Il s’ouvre sur un tempo jive de zone B bien allumé qui s’appelle «Tempo 116.7 (reaching for dangerous levels of sobriety)», dans l’ambiance d’un studio abandonné des dieux. Pire encore, «Hunger Hnifur» semble chanté depuis le fond du studio. On ne sait pas trop qui joue sur cet album et on s’en fout éperdument. Le bon Samaritain Valencia nous apprend toutefois que Will Carruthers donne un petit coup de main spacemanien sur un «Let’s Go Fucking Mental» qui stagne dans les mêmes eaux que «Hunger Hnifur» : cet heavy jamming met un temps fou à gagner la surface. Anton va chercher des grooves druggy toujours plus exceptionnels. Au moins, il ne fait pas semblant. Let’s go fucking mental, la la la. Et puis on tombe sur «This Is The First Of Your Last Warnings», une espèce de druggy groove arabisant de la médina de la soute du souk à la dérive des derviches dessoudés. On assiste à l’arrivée de grosses notes de basse soutenues par des claquages d’accords acoustiques - eh oh - De la même manière que Jim Dickinson avec les Trashed Romeos, Anton Newcombe sait faire monter une grosse note de basse au moment opportun. On peut aussi qualifier «Super Fucked» de groove hypnotique à la ramasse de la rascasse. Anton chante ça de cette voix pâteuse qu’on dit idéale pour célébrer l’immanence de la décadence. 

             Même s’il est désormais installé à Berlin, le BJM continue de tourner dans le monde entier. Tous les gigs sont sold-out. Mais en 2011, il doit se faire interner suite à un violent épisode schizophrénique. Deux mois d’internement à St Joseph. Il ressort de l’hosto soigné et le crâne rasé. C’est là qu’il décide de se calmer. Il est mentalement et physiquement rincé.

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             Le deuxième album berlinois s’appelle Aufheben et paraît deux ans plus tard. Il choisit ce mot allemand signifiant à la fois détruire et préserver pour en faire un concept philosophique : la société doit détruire pour se construire, et donc se préserver, et il cite l’Allemagne en exemple. Au plan musical, il continue le travail de sape commencé depuis bientôt vingt ans : orientalisme groovitant («Panic In Babylon»), groove de machine à la noix de coco («Gaz Hilarant»), et groove Massacre pur avec «I Want To Hold Your Hand». Anton ne se casse pas la tête. Il groove, comme il sait si bien le faire. On reste en terrain de connaissance. Pas de surprise. Il nous refait le coup du vieux groove détaché du rivage qui part doucement à la dérive, monté sur le même vieux plan d’échappée et chanté à la voix mal réveillée d’une descente de trip. Il opère aussi un beau retour à la Stonesy avec «Stairway To The Party In The Universe» : on y entend poindre le thème de «Paint It Black», mais d’une manière fabuleusement subtile. Pas de gros sabots chez Anton Newcombe. C’est là où il se distingue. Il suggère. Dans «Seven Kinds Of Wonderful», on entend chanter des femmes de l’Irak antique. Quelle étonnante foison d’exotisme psyché ! Le joli groove de «Waking Up To Hand Grenades» se met en route pour le bonheur des petits et des plus grands. Il semble qu’Anton Newcombe soit entré dans un univers de rêveries hermétiques dignes de Paracelse.

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             Revelation sort en 2014, sous une pochette ornée d’un joli photo-montage psychédélique. Encore un double album. Anton ne lésine pas. Il veut que ses fans aient des beaux objets dans les pattes, alors il fait travailler des artisans sérieux. Sur ce nouvel album, on trouve pas mal de bonnes choses, et notamment «What You Isn’t», bien poundé, bien marqué en termes de territoire. Anton nous fait le coup de la pop qui prend son l’envol. Alors attention. C’est un hit. Un de plus. Oh, il n’est plus à ça près. On entend rôder une belle ligne de basse. Elle descend et elle remonte. On appelle ça une bassline de rêve. On entend les mêmes chez Baby Woodrose ou The Bevis Frond. Un hasard ? Mais non, il n’y a pas de hasard, Balthazar. Tous ces gens-là sont passés maîtres dans l’art de faire du bon psyché et des disques parfaits. Rien à voir avec les Black Angels et autres pompeurs de 13th Floor Elevators. Anton Newcombe vit le rock psyché de l’intérieur depuis plus de vingt ans, et après autant de bons disques, il n’a vraiment plus rien à prouver. La seule chose qui l’intéresse, hormis Brian Jones, c’est l’art suprême du groove. C’est ce que montre cette grosse basse lourde qui voyage dans le fond du cut. Bien sûr, il faut en plus un thème musical lancinant, comme c’est ici le cas. Ce groove est tellement bien foutu qu’on souhaiterait qu’il se déroule à l’infini et qu’il ne s’arrête jamais. «Memory Camp» est aussi une pièce de groove à la ramasse de la rascasse. Anton travaille ses beaux thèmes au doigt. Il gratte ses notes de bas en haut, contrairement à ce que font tous les autres guitaristes, qui grattent du haut vers le bas. Il est passé maître dans l’art d’inverser. Il continue d’explorer les arcanes de l’âtre suprême, celui qui ronfle en la demeure, avec des pointes de pâleur dans l’éclat des flammes. Ce Grand Œuvre psyché-philosophal n’appartient qu’à lui. Il est le maître des châteaux d’Espagne, riche comme mille Crésus et perclus de magies indolentes. Il revient au dandysme pour «Fool For Clouds». C’est de bonne guerre. Quand on dispose d’un si beau thème, autant en profiter et l’utiliser dans d’autres variations. Et puis il conclut son affaire avec un nouveau clin d’œil magistral aux Stones : «Goodbye (Buterfly)». Anton Newcombe manie une fois de plus l’excellence avec brio. Pendant que ses copains envoient les chœurs de «Sympathy For The Devil», il envisage de mourir, mais il risque de continuer à vivre pour l’éternité, comme son cousin Dracula. Son adieu aux armes est d’une classe terrifiante.  

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             En 2016, le BJM entre en studio pour des sessions qui vont donner deux albums, Third World Pyramid et Don’t Get Lost. Une véritable merveille de groove psyché se niche sur Pyramid : «Governement Beard». Back to the big sound, baby, le jingle jangle californien atrocement bien foutu, monté sur le sempiternel drive de basse. Tout l’art d’Anton est de savoir faire sonner un cut sixties aujourd’hui, et ça marche, bien au-delà des expectitudes. Et ça continue avec l’heavy grooves de «Don’t Get Lost», puis celui d’«Assigment Song Sequence». Druggy foggy motion. Encore un album de rêve ! En B, on tombe sur «Oh Brother», un instro groovy doucettement doucéreux et plutôt envoûtant. On apprécie pleinement cette compagnie. Anton Newcombe dégage tellement d’épaisseur humaine ! Une fille fait sa Hope Sandoval sur le morceau titre, petite merveille de groove d’anticipation fictionnelle. «The Sun Ship» referme la marche en sonnant comme le White Satin des Moody Blues, sans doute à cause de la flûte. Vieux relent d’ambiance familière. Comme c’est curieux...

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             On pourrait discourir à l’infinie de l’incontinence des critiques : dans l’un de ces fameux canards de rock, un critique avisé s’autorise à démolir le nouvel album d’Anton Newcome, Don’t Get Lost, sous prétexte de non-renouvellement ou d’on ne sait quoi. On a presque envie de dire à ce malheureux : «Tiens mon gars, voilà une guitare, montre-nous ce que tu sais faire.» Ce genre de mec est dangereux, car certains lecteurs n’achèteront pas l’album et passeront à côté d’un classique. Le pire dans cette histoire, c’est que ce nouvel album du BJM est fabuleux. Quand on suit Anton Newcombe à la trace depuis l’époque Bomp!, on s’épate de le voir encore capable de créer de la magie psychout. Tiens, d’ailleurs, il démarre ce double album avec «Open Minds Now Close», un groove atmosphérique impérial, monté sur le typical BJM beat. Le BJM renoue avec l’inconsolable méprise d’assise majeure. Et ça continue avec «Melody’s Actuel Echo Chamber», monté sur un beat du même acabeat. Wow the bass vibrations ! Paracelse Newcombe a percé tous les secrets de l’alchimie du son, alors bienvenue au paradis ! On connaissait le Keith Hudson Dub. Il faut désormais compter avec l’Anton Newcombe Dub, baby. Il finit cette face chargée avec «Resist Much Obey Little». Anton Newcombe crée l’événement en permanence. Il tape encore une fois dans le registre d’une belle pop hypno. L’heavy «Groove Is In The Heart» ouvre la B des anges. Une fille rejoint l’Anton qui se fend d’un solo déboîté du cartilage. Il passe au groove suspensif pour «One Slow Breath». Il navigue dans les eaux d’un «Murder Mystery» de type Velvet, mais rongé de résonances de bassmatic. Comme ce disque est fascinant ! Tiens, il termine sa B avec «Throbbing Gristle» et opère un superbe retour à l’hypno. Anton Newcombe reste le grand maître du groove. On sent des relents de Satanic Majestic planer dans ce cut, quelque chose d’implacable et d’ancien, au sens lovecraftien du terme, des rumeurs qui remontent comme des remugles d’antiques canalisations. Quelle puissance ténébreuse ! Anton serait-il un démon échappé d’un bréviaire ? Oh attendez, ce n’est pas fini ! Voilà qu’en C, il remet son bassmatic en avant du mix dans «Fact 67». Le sorcier du son se met à l’œuvre. Son cut est rempli à ras bord de good vibes. Et en D, il passe au groove urbain avec «Geldenes Heaz Menz», mais pas n’importe quel groove urbain : il se paye le luxe d’une ambiance à la Bernard Hermann, avec un taxi jaune qui glisse dans la nuit berlinoise. Fabuleux clin d’œil ! Même avec un brin de techno, ça passe comme une lettre à la poste. La preuve ? «Acid 2 Me is No Worse Than War». Anton Newcombe est un chef de meute, une rock star fondamentale, il ramène même l’Orient des portes d’Orion dans son orbite groovytale. Il passe à l’heavy rock pour «Nothing New To Trash Like You». C’est aussi sérieux qu’un hit, car monté à l’hypno et réhaussé au psychout. Anton Newcombe reste l’un des plus grands explorateurs d’univers soniques de notre époque.

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             Something Else paraît en 2018. Pour rien au monde, on ne voudrait rater un cut aussi parfait qu’«Hold That Thought». Ce qui frappe le plus, c’est la spectaculaire épaisseur du son. Anton Newcombe chante à la traînasserie de la Reine Pédauque, son cut sonne comme une évidence, c’est un hit, monté sur l’ultra-présence du bassmatic. Autre cut de bassman : «Skin & Bones». Anton joue des figures psychédéliques en surface, mais diable comme la basse gronde bien en dessous. C’est même une imprescriptible sarabande de miséricordes graves. Génie à l’état le plus pur ! On voit de nos yeux horrifiés la basse dévorer le son vivant. Il fait aussi sonner son «Animal Wisdom» comme du jingle-jangle monté sur un heavy groove délibéré. On retrouve ici cette capiteuse essence de psychedelia californienne à laquelle les premiers albums du BJM nous accoutumèrent. Anton insuffle sa vieille énergie dans «Psychic Lips» et libère un fantastique brouet de figures libres à la surface du pudding. L’Anton excelle de bout en bout, il se fond en permanence dans une fantastique résurgence. En B, on tombe sur l’excellent «Fragmentation» qu’il chante avec un détachement scandaleux, il ne fait aucun effort pour plaire, il s’éloigne toujours plus des contingences. Il termine cet album profondément jonestownien avec un «Silent Dream» qui sonne exactement comme l’«All Tomorrows’ Parties» du Velvet. Glacial, même ambiance, même mélodie, même sorcellerie. Sans doute ne l’a-t-il pas fait exprès. Exprès ou pas exprès, ça n’a strictement aucune importance.

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             2019 voit paraître un album titré The Brian Jonestown Massacre. Album magique ! Dès «Drained», on reconnaît le son à l’ancienne du BJM, cette belle basse dans le mix, juste sous la surface. C’est tout de suite de l’heavy stuff, car ça sonne comme un groove prédestiné. Le rock d’Anton Newcombe a toujours eu une dimension tragique, très littéraire, une profondeur de champ que n’ont pas forcément les autres groovers. Il joue dans l’état profond du son. Il joue dans l’épaisseur de la coalition. On reste dans l’heavy stuff psychédélique à la Newcombe avec «My Mind Is Filled With Stuff». On a là un tempo lourd visité par le vent léger d’un solo de guitare éthéré. «Cannot Be Saved» s’enfonce encore dans l’heavyness psychologique. Anton Newcombe est sans doute l’un des derniers à pouvoir sonner ainsi. Avec «A Word», le groove vole si bas qu’il flatte les fondements de la morale. Anton Newcombe est devenu un shaman berlinois. En B, il profite de ce long balladif qu’est «We Never Had A Chance» pour passer un beau solo à l’éthérée, parfaitement libre dans le ciel mauve de sa jeunesse enfuie. «Remember Me This» nous renvoie directement aux premiers albums du BJM. Même son bien tendu et bien dense, admirable cohérence de la prestance. Anton est à la fête et le psyché aussi. On a là tout le son dont on peut rêver, à la fois moderne et ancien. Il termine avec un «What Can I Say» qui se situe dans la veine des heavy grooves de l’Anton d’antan, à la fois calibré, balancé et solide, taillé pour l’éternité, chanté à l’extrême plaintive de vétéran de toutes les guerres salutaires. Wow !

    Signé : Cazengler, Newcon tout court

    Brian Jonestown Massacre. Spacegirl & Other Favorites. Candy Floss 1995

    Brian Jonestown Massacre. Methodrone. Bomp 1995    

    Brian Jonestown Massacre. Their Satanic Majesties Second Request. Tangible 1996

    Brian Jonestown Massacre. Take It From The Man. Bomp 1996

    Brian Jonestown Massacre. Thank God For Mental Illness. Bomp 1997

    Brian Jonestown Massacre. Give It Back. Bomp 1997

    Brian Jonestown Massacre. Strung Out In Heaven. TVT Records 1998

    Brian Jonestown Massacre. Bravery Repetition & Noise. Commettee To Keep Music Evil 2001

    Brian Jonestown Massacre. And This Is Our Music. Tee Pee Records 2002

    Brian Jonestown Massacre. My Bloody Underground. A Records 2007

    Brian Jonestown Massacre. Who Killed Sgt. Pepper? A Records 2010

    Brian Jonestown Massacre. Aufheben. A Records 2012

    Brian Jonestown Massacre. Revelation. A Records 2014

    Brian Jonestown Massacre. Tepid Peppermint Wonderland : A Retrospective. Tee Pee Records 2004

    Brian Jonestown Massacre. Third World Pyramyd. A Records 2016

    Brian Jonestown Massacre. Don’t Get Lost. A Records 2017

    Brian Jonestown Massacre. Something Else. A Records 2018

    Brian Jonestown Massacre. The Brian Jonestown Massacre. A Records 2019

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    Jesse Valencia. Keep Music Evil. The Brian Jonestown Massacre Story. Jawbone Press 2019

     

    *

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             Un morceau inédit de Thumos. Qui nécessite quelques explications. Thumos défend la cause animale. Il abandonne volontiers les droits d’un morceau pour soulager la souffrance animale. Il s’agit pour cette fois d’une compilation numérique de cinquante-deux morceaux de différents artistes à tonalités metalliques, concoctée par Fiadh Production, label New-Yorkais produit en l’honneur  de la Journée dédiée aux droits des animaux. L’intégralité des fonds récoltés seront versés au Fawns Fortress Animals Sanctuary situé dans le New Jersey. Refuge qui recueille les chiens de grande taille qui ont besoin d’abri et de bien-être.

             Le morceau de Thumos intitulé Charmides se trouve donc sur la compilation From The Plough… To The Stars.

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             Le quatre juillet 2025 sortira le prochain CD de Thumos intitulé The Trial de Socrates. La date n’est pas choisie au hasard. Le quatre juillet 2022, Thumos avait fait paraîtra The Curse of Empire, réflexion musicale sur la naissance et la chute des empires tout en remarquant que le futur de Etats-Unis qui se profilait à l’horizon les inquiétait quelque peu. L’intention de cette date symbolique de la parution de The Trial de Socrates (Le procès de Socrates) nous semble s’inscrire dans une même crainte quant à la trajectoire politique adoptée par leur pays.

             The Trial de Socrates, nous le chroniquerons lors de sa parution, est composé de seize titres, qui sont autant de titres de dialogues de Platon. Charmides est une piste ‘’ unrealeased’’ issue des sessions d’enregistrement de ce Procès de Socrate. Très logiquement le lecteur aura reconnu que Charmides est aussi le titre d’un dialogue de Platon.

             Ce n’est peut-être pas un hasard si ce dialogue a été écarté de la sélection finale de l’œuvre de Thumos. Les deux CD remplis à ras-bord ne pouvaient peut-être pas accueillir une piste de plus. Si ce fut le cas la question reste entière : pourquoi est-ce spécialement ce dialogue qui a été omis et pas un autre…

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    Le Charmide est une œuvre de jeunesse de Platon, notre philosophe n’avait pas encore acquis sa merveilleuse maturité. Toutefois l’on conçoit qu’un dialogue qui tente de répondre à la question qu’est-ce que la sagesse ? ait pu être utilisé par Thumos comme élément  en faveur de Socrate pour cette espèce de contre-procès posthume par lequel le groupe tente de laver des accusations portées contre le maître de Platon.

    Toutefois le procès intenté contre Socrate n’est pas un procès philosophique ou pour employer un terme davantage moderne un procès purement idéologique. C’est avant tout un procès politique, pour être plus précis : de vengeance politique.

    Charmide et son oncle Critias sont les principaux interlocuteurs qui répondent au questionnement de Socrate. Or la mère de Platon est la sœur de Charmide et la cousine de Critias. Charmide est donc l’oncle de Platon mais aussi le neveu de Critias (2) auquel il est apparenté par son grand-père qui s’appelait aussi Critias(1)

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    Critias

    Charmide, Critias, et Platon auront à des époques diverses été élèves de Socrate. Pour leur part Charmide et Critias feront aussi partie des trente     tyrans qui durant deux ans exerceront ce que pour faire vite nous appellerons une tyrannie au cours de laquelle ils décideront de détenir les rênes du pouvoir en ne  reculant devant aucune condamnation à mort et diverses exactions… Le parti démocrate ennemi des aristocrates accuseront Socrate d’avoir corrompu la jeunesse, surtout celle de Critias et de Charmide… Tous deux finiront par être tués lors d’une rixe entre rivaux politiques…

    Que dans son dialogue Platon fasse demander  par l’entremise de Socrate à Charmide puis à Critias de définir la sagesse, est pour lui une manière de démontrer que Socrate enseignait la sagesse à ses élèves, et d’un autre côté que malgré leurs passifs politiques Critias et Charmide n’étaient pas insensibles au problème de la sagesse qui selon Socrate consiste à savoir séparer le bien et le mal…

    Le problème, c’est que dans ce dialogue Charmide et Critias ne répondent pas par des inepties à Socrate et que sur la fin Socrate gagne la partie en utilisant des thèses avancées par ses deux interlocuteurs qu’il avait en premier temps juger nulles et non advenues. Le sage Socrate se comporte comme un vulgaire sophiste !

    Peut-être touchons-nous là à la raison pour laquelle Thumos n’a pas retenu leur évocation du Charmides de Platon.

    Charmides : Difficile de commenter ce morceau sans avoir entendu le reste de l’album afin de le situer dans la ligne d’avancée circonstancielle de l’album. L’impact sonore, cette ouverture battériale suscite l’idée de quelque chose de grave. Il est sûr que de s’interroger sur la nature de la sagesse induit le désir que cette réflexion aide à définir notre comportement, en d’autres termes selon nous-mêmes certes, mais surtout vis-à-vis des autres, de l’entière collectivité humaine que constitue la Cité. En sous-main est posée une question cruciale : comment gouverner la République d’une manière sage. L’enjeu est de taille car l’Etat doit agir selon le juste. Il semble que le riff initial ne progresse pas. Il avance, mais c’est comme s’il se perdait dans la propre répétition de sa recherche. Peu d’anicroches, aucune anfractuosité dialectique, au contraire à l’orée de son troisième tiers le morceau semble s’éterniser dans l’inanité non plus d’une parturience en acte mais dans une conversation un tantinet oiseuse qui ne progresse pas. La fin est brutale, comme si Socrate clôturait au plus vite, ayant compris que le dialogue est mal parti, mal abouti, et que parfois lorsque l’on est sur une mauvaise piste il est préférable d’arrêter les frais. Inutile d’accoucher d’un enfant mort-né. Un coup pour rien.

    Damie Chad.

     

    *

    Je l’avoue, c’est plus fort que moi, j’aime les tordus. Ce n’est peut-être pas plus grave qu’on ne le pense, mais soyons francs, peut-être êtes-vous porteurs de tares beaucoup plus profondes que les miennes. Non, ce n’est pas sûr, coupons la poire en deux, ça se discute. Mais le titre de cet album avec ses ‘’ torn roots’ m’a poussé à ma pencher sur ce cas qui m’a paru tout de même assez tourmenté. Je n’ai pas été déçu.

    BROKEN BRANCHES AND TORN ROOTS

    LOATHFINDER

    ( Gods ov War Productions / 30 - 05 - 2025)

    Taisent sur Bandcamp leur pays d’origine. En farfouillant sur leur FB vous découvrez sans trop de peine qu’ils sont polonais. Je ne sais pas pourquoi – en fait je le sais mais ne donnerai aucune explication à cette attirance – je tombe souvent sur des groupes originaires de Pologne.

    Je n’ai lu le titre qu’après avoir été happé par la pochette. L’artwork de Mirella Jaworska m’a interpellé. J’ai senti une artiste. Jeune encore, vingt-quatre ans et déjà un style que j’ai situé entre les icônes russes et Balthus.  La forte troublance de ses nus relève d’une peinture que je qualifierais de métaphysique. Le nom de Balthus évoque immédiatement Rainer Maria Rilke - suivez la piste des Lettres françaises à Merline de 1919 à 2922. Dans ses portraits Mirella Jaworska vise la transcription non pas du sujet représenté mais la survenue de la personne en tant que masque d’elle-même, Une œuvre qui se livre par les interstices séparatifs invisibles qui unit la présence à une autre réalité. Je ne vous renvoie pas à son Instagram, recueillez-vous et inclinez-vous.

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    A première vue, j’ai pensé à la dernière scène de 2001 Odyssée de l’Espace, la cohabitation entre le fœtus et la mort, entre l’origine et l’accomplissement.

    Pour les noms, le groupe, se cache derrière des chiffres. Sortez votre règle à calcul et engagez-vous dans la résolution de cette étrange non-équation afin de rentrer en adéquation avec vous-même.  Selon une transcription numérologique. Cela va de soi.

    XVIII :  vocals & lyrics  / IX : guitars / XI : Bass  / XIX / Drums.

    Grey Pilmigrage : Etrange morceau. D’ailleurs est-ce vraiment un morceau Ne serait-ce pas plutôt une profération. Certes il y a de la musique, grinceuse et grinçante, mais il est nécessaire de ne pas la considérer comme de la musique mais comme un accompagnement. C’est rugueux comme des pieds-nus qui se confrontent aux cailloux tranchants du chemin. Le titre ne nous l’indique-t-il pas, n’est-ce pas un pèlerinage, en route vers la chapelle périlleuse. Mais pourquoi celui-ci serait-il gris. Les pénitents ne portent pas ce costume médiéval. Ce sont leurs âmes qui sont grises. La scène se passe à notre époque. Ils le précisent, dans le présent immédiat, la chute de tous nos idéaux, la tiède pâleur de nos imaginations, nous sommes déjà loin de la valeur que l’on donnait à toutes choses, le vocal se transforme en ultime grognement de groin de cochon qui fouille en vain la terre à la recherche de la moindre nourriture, nous sommes à la fin, inutile de presser le pas, il est temps de reconnaître que nous sommes au bout de l’impasse. Peut-être faudrait opérer cette espèce de hara-kiri dorsal comme sur la pochette. Constat glacial. Cul-de-sac de notre

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    humanité. Difference : oui c’est différent, à la marche lourde et impavide succède une tornade, normal, acculés comme nous le sommes nous devons trouver une issue. Ne s’agit de jeter des plans sur le programme d’une prochaine humanité. Le dernier recours, la seule exit qui se présente est celle de notre humanité. Une métamorphose alchimique à l’intérieur de notre corps. Trouver la tangente, aspirer à cette spirale opérative qui nous permettra de ne plus être nous, de déboucher en un autre état d’être. Ne visons pas les étoiles imaginatives, soyons charnel, de plus en plus charnel, il suffit de s’insinuer en soi, d’exercer de violentes pressions ou de subtiles exactions, trouver un chemin entre nos organes, entre nos tissus, œuvrer dans l’infiniment petit, ce n'est pas notre petite personne que nous devons quitter, nous ne devons pas muer comme les serpents, abandonner une vieille peau pour une toute neuve, mais devenir serpents, que l’espèce humaine devienne une espèce animale, tel est notre but, une fois que nous serons un animal nous nous accouplerons et nous nous reproduirons comme des bêtes. Peel it of me : changer n’empêche pas de penser, il faut d’abord gérer le mouvement, ce n’est pas facile, le chant solitaire se multiplie, vitesse maximale, il faut marcher au pas de course, tous ensemble, tous ensemble, à la réflexion changeons-nous vraiment, la chair animale n’est-elle pas voisine de celle de l’animal humain, cette proximale consanguinité, n’entraîne-t-elle pas un même comportement qui se résoudra par l’arrivée en un nouveau cul-de-sac, faut-il continuer ce processus hautement mutilatoire quand on y pense, urgence ! urgence ! le vocal s’enflamme, la musique se déchaîne, ne sommes-nous pas enfermés dans une nouvelle folie qui n’est que de la commune démence humaine. Quand nous serons tous des bêtes deviendrons-nous les prédateurs que nous avons toujours été, ou serons-nous victimes de prédateurs supérieurs… Le doute destructeur s’empare de mon esprit. Les valeurs dont tu te réclames ont-elles un jour rapporté quelque chose, ne t’ont-elles pas jeté dans l’impasse dont tu essaies de t’extirper sans savoir à quoi tu t’engages… la mort ne sera-t-elle pas au bout de chemin, pareillement à ton état antérieur. Dead dogs : musique terreuse inéluctable, hurlements, confrontation avec la mort qui n’est autre que nous-mêmes, que nous soyons humain ou animal. Et si j’étais un chien comment agirais-je, mordrais-je la main du maître comme je peux mordre mon semblable ou ma femelle. Que serait ma chair de chien. Quel serait mon désir de chien. Serait-il inhumain. Ressentirais-je seulement mon désir de chien. Ne me manquerait-il pas le souffle canin. Pire encore, que feront ceux qui ne parviendront pas à se transformer en chien, ne donneraient-ils pas la chasse à tous les chiens. Est-ce pour cela qu’il y a tant de chiens morts autour de moi, ou alors peut-être que les hommes transformés en chiens ne peuvent vivre, étouffés de l’intérieur dans ce corps de chien qu’ils habitent mais dans lequel ils ne peuvent insuffler l’âme originelle de l’animal qu’ils sont devenus mais qu’ils ne sont pas, car originellement ce sont des hommes. Above the water : quelques grincements, le tourment sonore revient-il dans ma tête, il tourne dans ma caboche de cabot comme une fronde qui ne lâche pas son caillou. Il suffit de passer la ligne. Marx ne dit-il pas que l’homme a connu le goût de la pomme en la goûtant, n’est-ce point pareil, personne, aucune bête, ne connaîtra le goût du sang humain tant qu’elle n’aura pas mordu l’homme. Mais si je mords l’homme, ne suis-je pas en train de mordre le maître que j’étais, quel charivari dans ma tête d’homme ou de chien, je ne sais plus, compressage neuronal maximal, démesure de la folie et exaltation de la morsure de ce sang chaud que je bois avec avidité, ne me suis-je pas accompli charnellement en goûtant à cette transsubstantiation canine. Avez-vous déjà entendu un vocal qui ressemble tant aux aboiements d’une meute de chiens. Flies know first : bourdonnements monstrueux, les mouches sont dépositaires de la connaissance ultime, ne sont-elles les premières à se poser, amplitude de l’essaim des guitares, sur les cadavres, elles connaissent la fin de l’histoire tellement évidente qu’il n’est nul besoin de savoir le début, puisqu’elles ont toutes la même fin. L’homme se croit le supérieur inconnu, il n’est qu’un handicapé de la chaîne animale, sa carcasse est vouée à devenir le trône des mouches. Ne sont-elles pas au plus près de sa chair. Davantage que n’importe quelle femelle, ne pondent-elles pas leurs yeux à l’intérieur de sa peau, ne sont-elles pas les pourvoyeuses des larves qui le dévoreront, qu’ils soient simples chiens ou humains supérieurs ! La roue des existences tourne mais elle revient et s’arrête au même point. Moment d’alanguissement, de découragement, il n’est pas d’autre solution, pas de troisième voie entre la mort d’un chien ou la vie d’un homme. Ou vice-versa. Vous comprenez maintenant pourquoi après le constat d’une telle ultimité le vocal devient d’une violence extrême. En toute vanité. Broken branches and torn roots : accords tordus, exprès pour vous faire comprendre que vous arrivez au bout de chemin, non vous n’êtes pas encore morts, mais cela viendra. Inutile de chercher à vous déguiser en chien ou en autre chose pour échapper à votre sort funeste. Le vocal ne hurle pas, il est grave, c’est celui de l’acceptation, au cas où vous ne comprendriez pas, il commence à vous crier dessus, est-ce pour couvrir votre angoisse ou la sienne, peu importe, la situation est pourrie, elle ressemble à un arbre aux branches brisées dont on aurait arraché les racines, contente-toi de ce que tu as, de ce corps qui s’offre à toi et qui se pâme de toi comme toi tu te t’apothéoses dans cette chair complice. Ne cherche pas ailleurs. Que trouveras-tu de plus ? Rien de plus.

             Une réflexion métaphysique originale. L’on y reconnaît tout de même tout un soubassement biblique à la différence près que Dieu n’est pas prévu au programme. Les textes sont aussi beaux que la musique est violente.

             Une réussite. Sans commune mesure.

    Damie Chad.

     

    *

             Certains achètent des disques sur listes. Parmi eux, les plus enragés flashent sur le nom des groupes. Ainsi quand ils repèrent la mention  2Sisters leur esprit fantasmatique se met en branle. Ils se voient déjà entre Emina et Zibeddé dans Le Manuscrit Trouvé à Saragosse de Jean Potocki. Ecrivain polonais né en 1762, mort en 1815. Ils arrachent le paquet des mains du facteur, déchirent l’enveloppe et poussent un terrible cri d’insatisfaction, sur la couverture du disque, il n’y a pas deux filles, mais un homme et une fille. La moitié de leur rêve se brise. Illico ils envisagent-de mettre fin à leur existence en se tirant une balle de pistolet dans la tête.

             Heureusement avant de presser la détente ils jettent un coup d’œil de mépris sur ce couple inattendu et abhorré. In extremis un sourire se dessine sur leurs lèvres. Car que fomente notre tandem d’amoureux, certes un individu de sexe féminin et l’autre de sexe, hélas, masculin, mais détail d’importance il appert qu’ils sont en train de partager une tasse de café. Du coup ils ne ressentent plus d’animosité envers la pochette de l’album. 

             Lecteurs n’en déduisez pas trop vite qu’eux aussi aiment le café. Non, ils pensent seulement qu’ils ont failli commettre un geste éminemment Potockiste. Jean Potocki a passé la dernière année de sa vie à limer soigneusement le bouchon supérieur du couvercle de sa cafetière métallique, des historiens assurent qu’il s’agissait d’une théière, qu’il a pris soin de délicatement séparer du reste de l’ustensile. Au bout d’une longue année de travail assidu, ayant jugé que la bille parfaite qu’il avait obtenue pouvait parfaitement glisser dans le canon de son pistolet. Il s’est froidement tiré un coup de pistolet dans la cervelle.

             Je vous ai raconté cette histoire pour vous prévenir qu’un semblable coup de foudre démantibulera votre propre cerveau si vous vous apprêtez à écouter :

    SHE LIKES MONSTERS

    TWO SISTERS

    (M&O Music / Cd : 01 / 2025Vinyl : 05 / 2025)

             Donc la couve. Un peu Tea for Two. Et plus si affinité. Dans le style glamour années cinquante. La photo prend tout son sens quand on écoute le disque, toute la différence entre l’image policée extérieure et la bestialité qui rugit au fond de l’être humain.

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    Marchand Sébastien : basse / Miquel Nicolas : guitar / Azzam Charbel  : drums / Chazeau André : chant.

    Go ! Go ! : go!ûtez les trois premières secondes, si vous aimez les histoires de petite princesse parce qu’après c’est parti, ils envoient la purée dans la passoire de vos oreilles, les guitares déferlent, la batterie casse la baraque, et le vocal matraque, ensuite ils vous font le coup, pas du tout doux, ils s’amusent à s’arrêter brutalement, ce qui a l’air d’énerver le Chazz au chant, du coup les autres remettent le couvert, et vous assistez à l’écroulement de la Tour de Pise du côté par où elle penchait, la fin est superbe. Ces quatre gars maîtrisent l’énergie punk. Mais ce n’est pas fini. Vous avez la suite des aventures de la petite princesse. Death : tiens un nouveau disque de Presley, moi qui croyais qu’il était death, c’est dif de le croire, d’ailleurs ça dégénère en rockabilly déjanté, un psychobilly débilitant qui vous pousse à marcher sur le plafond de la salle-à-manger, non de Zeus à quoi qu’ils jouent, ils maîtrisent aussi le bon good old rock’n’roll. Normal il n’est jamais mort. She likes monsters : je ne sais si c’est vraiment la petite princesse du début qui aime les monstres, par contre le morceau en lui-même est carrément monstrueux, c’est à cause du dégel du permafrost, le fantôme du rock’n’roll des années 70 assoiffé et dégoulinant  de sang  reprend son œuvre destructrice des valeurs nauséabondes du vieux monde. Your song : je ne voudrais pas dire mais le Charbel n’arrête pas de foutre le bordel depuis le début, carrément insupportable, manie ses baguettes sur les drums comme s’il s’amusait à esclaffer des agrumes avec des grumes  de séquoias, à toutes fins utiles je signale que la fin du morceau est totalement dévastatrice, remarquez c’est une de leurs habitudes, vous déposent toujours une bombe atomique à la place de la cerise sur le gâteau. Ce chacal de Chazeau est particulièrement dangereux, chaque fois qu’il ouvre la bouche il allume un incendie. Quant à la guitare de Micky elle part à vrille, toujours au moment où on ne l’attend pas, genre je descends les pentes de l’Annapurna en skate. Bref, cette song est pour les rockers. Ske’s on hell of a lover :

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    Dessin : Sylvain Cnudde

    on retrouve notre princesse en galante compagnie, si vous ne comprenez pas, le Chazz vous commente le film à haute voix, le Micky vous mousse une escapade guitarite gratuite, on ne lui demandait rien et il vous sert le dessert d’une fulgurance soloïque. Vous croyez que vous allez vous en tirer sans trop de mal, pas de chance, c’est Seb, celui qui depuis le début vous fait ses coups basse en douce qui vous déboule une espèce de reptation épileptique qui vous pétrifie sur place. Hélas Charbel remet une pièce dans le jukebox et Charbel éructe comme une chamelle qui baraque. Shake Shake : au début vous vous dites, ils se reposent, ils vous refilent un truc comme il y en a toujours un bien-planplan-la-balance-monotone  dans tous les bons disques de rock’n’roll. Ben non, ces gars sont des inventifs, z’ont de l’imagination à revendre, c’est pour cela qu’ils vous signent un shake, en blanc et en couleur.  Toutes les dix secondes ils vous pondent patatrac un œuf de pâque. Mais où vont-ils dénicher leurs inventions. Burn : là vous hésitez, vous compulsez les encyclopédies, chaud brûlant dans vos neurones, quels sont les pourcentages exacts des ingrédients de ce tumulte, oui c’est du rock ‘n’roll, mais c’est tout autant du rhythm’n’blues. En tout cas un mix drôlement bien foutu. Les lecteurs sont assez grands pour décider par eux-mêmes. Moi j’écoute. Ce Burn vous file les burnes. Hammer : avec un tel titre vous vous attendez à un festival batterial, certes mais aucun des quatre ne veut laisser l’autre tirer les marrons du feu, prenons de la hauteur, ils jouent bien, mais ce n’est pas ce qui fait leur originalité. Si j’étais dans un groupe, je serais jaloux, je séquencerais les morceaux puis je scruterais comment ils agencent leurs séquences, comment les plans se suivent et ne se ressemblent jamais, mais le pire c’est qu’ils s’assemblent à merveille. Frunk bop a lula : attention les gars, chez Kr’tnt ! on est des fans de Gene Vincent, ils tapent dans l’alternatif, le frunk est-il du punk de traviole, retrouvent l’esprit de Dactylo Rock des Chaussettes Noires, z’ont tout compris, ou alors c’est l’instinct qui les guide. Ils s’en tirent comme des chefs… d’œuvre. That’s the way : au début je pensais qu’ils étaient partis pour un instrumental, mais quand on a un bon chanteur autant le faire bosser, de toutes les façons ils ont l’art et la manière. Les rayonnages de la bibliothèque sont remplis de bibelots. Une véritable ménagerie de verre. Made in Tennessee. Clinquant et incassable. They feel all rigth. Nous aussi. Walker : dernier morceau. Ils se lâchent. Les précédents stagnaient au-dessus de deux minutes. Ils doublent la mise. Ne pariez pas, ils sont les maîtres de la banque. Vous allez perdre. Ecoutez plutôt les pas qui s’éloignent et se perdent dans la nuit noire du rock’n’roll. N’oubliez pas le retour.

             Exceptionnel.

     

    *

             Je n’ai pas pu résister. Je comptais continuer avec des images. Mais j’ai trop parlé dans le précédent épisode des enregistrements de Gene Vincent recherchés et retrouvés par David Dennard pour ne pas les réécouter. Attention ce qui suit est FOR FANS ONLY !

    THE LOST DALLAS SESSIONS

    GENE  VINCENT

    AND HIS BLUE CAPS

    1957 - 58

    (Legends Of Big ‘’D’’ Jamboree  Series)

    (Roller Coaster Record1998)

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    My love : (In Love again) : une véritable démo. Gene seul, sans doute est-ce lui-même qui s’accompagne à  l’acoustique. La voix est d’une pureté infinie, l’on en oublie le diddley beat qui sera nettement plus marqué sur la version enregistrée à la Capitol Tower le 16 octobre 1958 et sera publiée sur le 33 tours Sounds like Gene Vincent qui paraîtra le 6 juin 1959. Gene chantonne plus qu’il ne chante, un magnifique petit bijou, une ciselure. Le morceau est de Grady Owens. (Voir plus bas). Hey Mama : (featuring Ronnie Dawson à la guitare : démo du même jour. Sorti en single en 1958

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    et en Angleterre le 11 novembre 1958 couplé avec Be Bop boogie boy. Ecoute un peu frustrante, rien  voir avec la version enregistrée chez Capitol, le 16 octobre 1958 il manque la force percussive et peut-être le savoir-faire de Ken Nelson. Ken Cobb est à la basse et Micky Williams à la batterie. Cette maquette est pratiquement décevante car il manque les célèbres oh ! oh !  oh ! improvisé de abrupto par Gene lors  de la session. L’air de rien le S glissant et propulsif de Say Mama qui remplacera le H aspirant et retenant de Hey Mama, c’est toute la différence d’un capot de deux-chevaux et le dessin de l’avant d’une Alpine Renault, pour rester dans des marques

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    Ed McLemore

    françaises. Lonesome boy : (Company Recording Studio de Dallas Sellers – Dallas. Texas ) : enregistré en septembre 58 sous la houlette d’ Ed McLemore, le patron, avec Johnny Meeks à la lead, Clifton Simmons qui se taille la part du lion sur ce morceau, Grady Owens à la basse et Clyde Pennington à la batterie. Le morceau sera publié pour la première fois sur le 33 Tours Gene Vincent Crazy Beat, sorti en mars 1963 en Angleterre et en France. Mais pas aux USA… Cette fois nous préférons cette version. Plus roots, plus épurée et pourtant porteuse d’une indicible tristesse. En 1963, le rock américain perd du terrain, quoique enregistré aux States cet album d’une indéniable qualité arrondit on ignore par quel miracle quelque peu les angles. In my dream : (Studio Version, ou plutôt en une chambre d’hôtel le 7 mai 1957 in Dallas) :

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    le morceau est de  Bernice Bedwell. Gene est avec Johnny Meeks, Dickie Harrel , Tommy Facenda et Paul Peek. La même équipe augmentée de Bobby Lee Jones à  la basse le 20 juin 1957 le mettra en boîte à la Capitol Tower. Il paraîtra sur l’album Gene Vincent Rocks ! And the Blue Caps Roll. Les deux versions, le slow plattersien par excellence qui tue, sont similaires. Je préférons la Capitol. Lotta lovin’ : (Studio version) : un des grands succès de Gene que l’on ne présente pas. Même lieu et même équipe que le précédent, toujours de Bernice Bedwell qui le recommandera à Ken Nelson. Un truc pas facile à chanter qui demande une super mise en place, pas étonnant qu’ils s’y reprennent à deux fois. Une véritable outtake ! Sortira en single couplé avec Wear my ring en juillet 1957. Lady Bug : même topo que pour les précédents… à part que le morceau dormira longtemps dans les tiroirs. Peut-être un peu trop de cymbales, reprise chez Capitol cette Lady un peu mieux équilibrée et parachevée aurait donné un très bon morceau. The night is so lonely (Version 1) / The night is so lonely (Version 2) : le titre enregistré le 14 octobre 1958 mais ne fut proposé à la vente en single, couplé avec Right now qu’en juin 1959.  Clifton Simmons

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    (Clifton Simmons debout au piano

    qui se défend très bien sur le morceau précédent a co-signé celui-ci avec Gene Vincent. Faut aimer ce style de ballade très lente, totalement dénudée. Perso je les surnomme le blues des white trash peoples. Attention si surdose : risque de suicide ; La deuxième prise ici proposée nous semble un peu trop maniérée, et un tantinet geignarde. Blue Jean Bop : (Live 58) : ce morceau et les trois suivants sont enregistrés live  au Big ‘’ D’’ Jamboree, je pense que le set est donné en intégralité, le jeu consistant à faire passer un maximum d’artistes en un minimum de temps, le public ne doit pas avoir le temps de s’ennuyer ou de se révolter si par hasard le chanteur ne lui plaisait pas. Pour Gene pas de de problème, il est présenté comme le chanteur rockabilly N° 1, il dégosille et dégobille son rock’n’roll à toute vitesse pour

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    Gene & Jerry Lou

    enchaîner sur Whole lotta shakin’ goin’ on : (live 58) : Gene et Jerry Lee s’appréciaient, le cat des villes et le rat des champs ont passé des nuitées particulièrement arrosées, Gene a gardé dans ses lives pratiquement jusqu’à la fin ce standard de Jerry Lou, sa structure permet de relancer l’ambiance à volonté, Gene se lance à plusieurs reprises dans des accélérations triumphiques, manière de survolter la foule qui n’en a pas besoin. Sans doute est-ce  Clifton Simmons au piano, il n’essaie pas de rivaliser avec Lewis, joue à la manière de Little Richard un doigt enfoncé à plusieurs reprises sur une touche. Dance to the bop : ( live 58) : est-ce cette même prestation dont nous avons vu les images muettes dans notre chronique de la semaine précédente mais agrémentée d’une bande sonore, il y a de fortes chances toutefois dans cette version-ci la batterie nous semble bien plus lourde comme si elle voulait s’adjuger tout l’espace, ce qui ne se renouvelle pas dans Lotta lovin’ : (live 58) : le morceau est bien parti, il clôturera en d’aussi parfaites condition… malheureusement le disc-jockey blablate tout fort sur l’entre deux long comme un désert sans fin…In my dreams : (home version) : ce morceau et les trois suivants sont enregistrés au 5921 Sherry Lane dans l’appartement qu’occupait Gene. Tom Fleeger qui cherche à récupérer les droits d’édition des morceaux dirige les opérations. Cette fois Gene entonne la macadam à pleine voix, il laisse les autres loin derrière, ce n’est pas souvent que l’on entend Gene chanter comme tout le monde à plein gosier, Facenda et Peek ne claquottent pas trop fort et Dickie ne s’emballe pas, le patron sort son bel canto, doucement les mouettes ! Lotta Lovin : (home version) : c’est lotta lov-in-vain, les clappers et Dickie sont à l’œuvre, mais devront tous s’y reprendre à deux fois avant que le robinet de bain moussant remplisse la baignoire sans se tromper. Nervous : (home version) : sont tous partis ne reste que Gene et Meeks.  Ils essaient un nouveau morceau, Gene nous réserve une nouvelle surprise, la prend à la Elvis, évidemment il se plante, alors que le titre aurait été parfait pour lui. Au finish c’est Gene Summers qui en héritera. On my mind : (home version) : Gene toujours

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    avec Meeks ne sait plus quoi inventer. Il ne chante plus, il siffle. En tout bien tout honneur. Pourquoi n’insistera-t-il pas ? Peut-être parce qu’il a compris que son sifflement ne possède aucun grain, aucune tessiture qui le distinguerait de tous les autres. Who’s pushing your swing ? :  (Darrell Glenn). Gene a aussi interprété ce titre d’Artie Shaw qui l’avait composé pour son fils Darrell Glenn. La version de Darrell ici proposée n’est pas mauvaise, s’en sort très bien

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    Darrell Glenn

    malgré sa voix un peu trop country, la voix plus coupante de Vincent agrémentée du saxo ténor de Jackie Kelso  du sax  baryton de Plas Johnson donne à ce morceau un petit côté jazz non négligeable. Il paraîtra en janvier 1960 couplé avec Over the Rainbow. Né en 1935 Darrell mourra en 1990. Son nom reste lié à Crying in the Chapel composé par son père, reprise par Elvis Presley. Git it  / Somebody help me / (Bob Kelly) : ce morceau et le suivant sont parus en septembre 1959 sur l’album A gene Vincent record Date. Eddie Cochran non-crédité a participé à ces

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    enregistrements. Tous deux écrits et ici chantés par leur auteur : Bob Kelly. Disc-jokey, compositeur, interprète Bob Kelly se débrouille comme un chef. Les deux versions de Gene sont, disons très proches de Kelly, mais décisives ;  I don’t feel like

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    rockin’ tonight : Grady Owens débarque pratiquement du jour au lendemain chez les Blue Caps pour remplacer au pied levé Paul Peek. L’amalgame se fera, Grady peut occuper pratiquement tous les postes. En plus d’In love again il signera aussi Lovely Rita et I love you pour Gene. Il continuera sa carrière accompagnant par exemple Johnny Carroll. Je ne me lèverai pas la nuit pour écouter ce morceau. Vous lui préfèrerez de beaucoup son 36 From Dallas. Lotta lovin’ : il s’agirait de la démo de présentation qui aurait été présentée à Gene. En tout cas Norton Johnson ne lui a pas présenté un produit sous-vitaminé, mais Gene en a fait autre chose : sa chose à lui.

    Damie Chad.

    Avec les précieux concours de Gene Vincent Dieu du rock’n’roll de Jean-William Thoury et de Gene Vincent : The story behind his songs de Thierry Liesenfeld.

    A suivre.