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gene vincent

  • CHRONIQUES DE POURPRE 627 : KR'TNT 627 : GENE VINCENT / FOMIES / COLIN ESCOTT / SAM COOMES / RONNIE DYSON / ARCHE / ACROSS THE DIVIDE / BILL CRANE / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 627

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    11 / 01 / 2024

     

    GENE VINCENT / FOMIES / COLIN ESCORT

    SAM COOMES / RONNIE DYSON

    ARCHE / ACROSS THE DIVIDE

    BILL CRANE / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 627

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Là où il y a du Gene, il y a du plaisir

    (Part Three)

     

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             Avec un tout petit peu d’imagination, on verra la Ford Consul rouler dans la nuit à tombeau ouvert, sur la route de Bath qui longe l’A4, en direction de Chippenham. George Martin est toujours au volant, et, assis à la place du mort, se trouve Patrick Thompkins, le mec de la Fosters, l’agence qui organise la tournée. Serrés comme des sardines sur la banquette arrière, on retrouve bien sûr Gene Vincent, Kim Fowley et Mick Farren. La Ford fonce dans la nuit éternelle.

             Gene boit du Jack au goulot et feuillette un canard.

             — Sont sympas, les cats de Rockabilly Generation ! Font un hors-série sur bibi ! Hey, Kim, z’en ont déjà fait un, non ?

             — T’as raison, c’est le deuxième. Pour un mec qu’a pas de chance, t’es gâté, mon poto.

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             — Attends voir ! Ya Damie Chad qui m’tire un sacré coup d’chapeau, yeah ! Écoutez-ça les mecs : «L’on dit que parfois, un étrange volatile vient se poser sur l’ardoise délavée qui porte son nom. Ce serait l’âme de son frère d’ombre, celle du grand poète Edgar Allan Poe et l’on entend alors une merveilleuse clameur que la brise de la nuit se dépêche de dissoudre... La grande Amérique utilitariste s’est de toujours détournée de ce chant alterné de destins brisés qui mêle l’amertume des sanglots et les brillances des désirs insatisfaits.»

             Un ange passe. Mick rompt le silence :

             — Damie donne du doom.

             — C’est quoi du doom ?

             — Un glacis littéraire ! Damie Chad a pigé qui tu étais, Gene. Il est l’un des rares. Peut-être même le seul. Il t’associe à Edgar Allan Poe et ça, c’est du real deal d’ultra-fan qui te voit dans le cosmos et qui connaît ta musique par cœur. C’est du so far out à travers les genres et les époques, c’est en plein dans le mille de la cyber-structure alluvionnaire, il va cueillir l’exactitude au cœur même de l’infini des connaissances... T’as vraiment une veine de pendu, Gene, Damie te Pym le pion en beauté, il te Raven la façade à l’evermore, il t’Usher au Roderick et rac, à la Madeline de Proust, il t’Ovalise le portrait et t’oblate à l’Oblong, ce qui n’est pas rien, si tu y réfléchis bien...

             — Oh Mick, je pige rien à ton délire de speed-freak. Tu m’courais déjà sur l’haricot avec ton baratin sur Richard III !

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             — Mais c’était pas du baratin, poto ! Quand tu portais du cuir noir et tes gants noirs, avec ton col relevé et ton gros médaillon en or, t’étais la réplique exacte du Richard III qu’incarna Laurence Olivier dans ce cult-movie tourné en 55. Mon hommage vaut bien celui de Damie. T’es un cat trop ultime, Gene. Too far out ! On est obligé de t’associer à des gens comme Poe ou Richard III, parce qu’on ne peut t’associer à rien d’autre.

             Kim éclate de rire :

             — Le Richard III du rock’n’roll ! Coincé dans ce rôle, tu ne pouvais vraiment pas sourire ! T’étais complètement baisé, Gene. Un mauvais garçon ne peut pas être gentil.

             Mick ajoute :

             — Tu collais parfaitement au portrait qu’on a fait de Lord Byron, un mec cinglé, mauvais et dangereux à fréquenter... T’étais un peu Dracula en Harley Davidson !

             — T’as tout faux mon gars ! Jamais eu d’Harley ! J’roulais en Triumph Tiger 500 cm3, celle qu’a Johnny Strabler dans The Wild One.

             — Quand cette bonne femme t’est rentrée dedans avec sa Chrysler, t’es devenu une sorte d’Achille en cuir noir, un demi-dieu trahi par sa condition de mortel.

             — On pourrait pas parler d’aut’ chose que d’ma patte folle ? Et puis vous pouvez bien la ramener tous les deux ! Question bad boys of rock’n’roll, vous êtes pas mal non plus ! Toi Mick avec ta passion pour les amphètes et l’anarchie, et toi Kim, avec tes petites arnaques et tes tonnes d’histoires de cul...

             — On t’arrivera jamais à la cheville, Gene. C’est pour ça qu’on t’admire. Avec Damie Chad, on forme un fan-club de choc.

             — Vous oubliez Jimbo, les mecs. On s’piquait la ruche ensemble au Shamrock, ce rade de Silver Lake, au bout d’Santa Monica Boulevard, à Hollywood. Ce rade est dev’nu ensuite le repaire des punks de L.A. Jimbo me disait qu’y m’devait tout, le cuir noir, la posture au pied de micro ! Tu t’souviens du grand Jimbolaya, Kim ?

             — Yep, mais j’aimais pas trop le voir débouler au studio avec sa faune, quand on enregistrait I’m Back And I’m Proud.

             — Un drôle de plan....

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             — Oui, mais vachement intéressant ! Clive Selwood et John Peel venaient de monter Dandelion Records. Selwood ratissait le secteur de Los Angeles et Peely celui de Londres. Selwood s’est aperçu que t’avais plus de contrat, et comme Peely était l’un de tes plus gros fans en Angleterre, ils t’ont proposé le deal du siècle, et comme ils voulaient le meilleur producteur de la West Coast, ils m’ont contacté. L’idée était de sortir un smash, et d’exploser la rondelle des charts. Quand t’es arrivé au studio, t’avais drôlement changé, tu ne ressemblais plus à un vampire, mais à un moine jovial.

             Mick éclate de rire :

             — Avec un p’tit côté Guy Debord, ce qui n’est pas si mal, au fond, pas vrai Kim ?

             — T’avais pris du poids, poto. Pour te faire honneur, j’avais rassemblé la crème de la crème du gratin dauphinois : Skip Battin des Byrds, toujours en taille basse rouge, Red Rhodes, le roi de la pedal steel, Jim Gordon, qui a battu le beurre sur Pet Sounds, mais aussi derrière Gene Clark et dans Mad Dogs & Englishmen, et puis ton ancien cat des Blue Caps, Johnny Meeks. 

             — Franchement, Kim, j’ai pas du tout aimé ta façon de m’accueillir quand j’me suis pointé au studio. Tu m’as r’gardé du haut de tes deux mètres de grande chipolata et tu m’as dit : «Alors, c’est toi Gene Vincent ?». T’as eu du cul mon pote que j’le prenne pas d’traviole !

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             — C’était pour te faire monter l’adréaline au cerveau, Byron de mes deux ! Je sais que tu m’as pris en grippe. C’était fait pour. 

             — Ah le pire, c’est quand tu m’as interdit d’boire !

             — Ah ouais, tu trimballais ton fucking attaché-case et tes trois bouteilles de Martini. T’étais pathétique. Glink glink. On t’entendait marcher dans la rue avec tes litrons. 

             — Alors tu m’as balancé d’un air mauvais : «Personne ne boit dans ce studio !». T’es un fucking tyran ! T’es pire qu’Hitler ! Personne n’a jamais osé m’parler comme ça ! 

             Kim éclate de rire.

             — Moi si, ma poule !

             Alors Gene se tourne vers Mick et lui dit :

             — Tu sais pas c’qu’il a encore osé m’balancer, à moi, Gene Vincent, cet enfoiré de chipolata ?

             — Vazy...

             — Il m’a fixé dans le blanc des yeux et m’a dit : «Hey toi, tu vas me chier une de tes grosses merdes pour teenagers !». C’est un miracle qu’il soit encore en vie, ce fucking bâtard ! J’ai failli lui balancer un coup de béquille en travers de sa gueule !

             — Plains-toi pas, Gene, il fallait bien planter le décor.

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             — Ah tu parles d’un décor ! Quand j’y r’pense, c’est vrai qu’c’était un bon deal, même avec un cat aussi crazy que toi. J’avais un vrai plan de bataille. C’est moi qu’a choisi l’titre, I’m Back And I’m Proud. Je trouvais que ça sonnait juste. Je voulais faire un disque très commercial, pour rev’nir dans les charts, et montrer que Gene Vincent n’était pas cuit aux patates. J’ai choisi trois cuts que j’aime bien : «Rockin Robin» de Bobby Day, «Sexy Ways» d’Hank Ballard et le «White Lightning» du Big Bopper. Mais avec Kim, on roulait pas à la même vitesse.

             — C’est sûr ! Skip Battin disait que t’étais un fucking perfectionniste, alors que moi, j’aimais bien aller vite. Une prise et au suivant ! Tu prétextais toujours que la première prise n’était pas bonne et tu voulais en faire d’autres.

             — J’en fais en général une vingtaine...

             — C’était hors de question, et tu veux savoir pourquoi ?

             — Vazy dis...

             — Parce que je m’ennuyais à crever T’avais l’air de te complaire dans une variété pathétique. Tu devenais atrocement conventionnel. Comme Elvis. On t’avait limé les crocs. T’avais perdu la niaque de «Bird Doggin’» et de «Woman Love». Je hais le ventre mou du rock américain ! Je te vois encore te trémousser sur ton tabouret quand tu chantais «Rainbow Of Midnight». Des légendes ramollo comme toi, j’en ponds dix chaque matin ! J’avais plus qu’une envie : t’attraper par le colback pour te faire bouffer ta béquille, ton cran d’arrêt et tes trois bouteilles de Martini.

             Mick ajoute, d’une voix sourde :

             — Johnny Meeks a même dit que vous avez tous les deux massacré cet album. Pourquoi t’as pas tapé dans Hank Williams, Gene ?

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             — Mais si, j’ai tapé dans l’Hank ! Ya «No. 9 (Lonesome Whistle)» sur I’m Back, et avant ça, j’avais déjà tapé des sacrément bonnes covers d’«Hey Good Lookin’» et d’«Your Cheatin’ Heart».

             — L’Hank c’est capital, car t’en es l’héritier direct ! Tu sais qu’à l’âge de quatorze ans, l’Hank tournait déjà avec les Drifting Cowboys, et qu’il buvait comme un trou.

             — Ouais, tout l’monde le sait...

             — Puis il est passé à la benzedrine et à l’hydrate de chloral, pour tenir le choc des tournées. Il s’est allumé la tirelire aux amphètes, comme Elvis.

             — Ça c’est ton rayon, Mick ! Mais tout c’que tu rabaches, on l’sait déjà...

             — Voilà où je veux venir : c’est lui, l’Hank, qu’a inventé le mythe romantique de l’auto-destruction systématique, en cassant sa pipe en bois à 29 ans sur la banquette arrière de sa Cadillac bleue, alors qu’il taillait la route pour Canton, Ohio. Bien avant Chucky Chuckah et Moonie, il baisait des mineures et tirait des coups de feu dans des chambres d’hôtel. Le monde de la country fourmillait d’ivrognes, de bagarreurs, et de fouteurs de merde qui ne furent pas excommuniés, mais l’Hank le fut. Tu sais pourquoi ?

             — Parce que c’était en vampire en Harley Davidson ?

             — Pfffff ! Parce qu’il injectait dans sa country du sexe pur, en plus d’une pointe de blues que lui avait transmise Tee-Tot, le mentor black de son enfance. L’Hank préfigurait le rock’n’roll. Au début des fifties, il terrorisait Nashville, mais des gosses comme toi, Gene, et comme Elvis, vous le dévoriez déjà des yeux. Toi et l’Hank vous avez le même look, l’œil hagard et le visage émacié des petits loubards à la dérive. Vous êtes tous les deux parfaitement incapables de gérer vos démons. Alors, vous vous laissez aller, drivés par l’alcool, la dope et le hurlement des guitares électriques.

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             — Dès fois, Mick, je trouve que t’en fais un peu trop. C’est vrai qu’Hank est un crack, mais l’Hank c’est l’Hank, et moi c’est moi. Chais pas pourquoi vous avez tous la manie d’vouloir me rattacher à d’autre zigs ? Pour montrer l’étendue de votre culture ? J’aimerais mieux qu’on m’calcule comme un p’tit mec de Virginie, capable de rocker des salles et d’enregistrer des chouettes 45 tours. Mick, je me souviens d’un passage que t’as écrit sur moi dans ton book, que j’ai bien aimé, comme le passage de Damie Chad, tout à l’heure. J’l’ai tellement bien aimé que j’l’ai appris par cœur, tu sais, c’est ton passage sur le show au London Palladium : «Cette fois, ce sont les Teddy Boys anglais qui par leur présence et la force de leurs acclamations créèrent les conditions d’un concert exceptionnel et purent pendant une demi-heure revivre leur jeunesse enfuie. Les Teds étaient sur leur 31, portant des vestes longues, des pantalons serrés, des creepers à semelles compensées. Ils sifflèrent les Impalas et les Nashville Teens qui jouaient en première partie, puis, quand Gene Vincent arriva sur scène, ils se mirent à hurler et à danser dans les allées, exactement comme en 1959, okay ?» Là, oui, ça m’va bien. C’est nickel-chrome. Ça colle à la réalité.

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             — Ouais, mais attends Gene, t’as raison, mais à côté de ça, tu ne peux pas empêcher les gens de te voir sous un autre angle. En devenant Gene Vincent, t’as pris pied dans c’que j’appelle la tragédie d’essence antique du rock’n’roll. Comprends bien que dans l’univers du rock - et avant ça, dans l’monde du jazz et du blues - y a eu des personnages comme Robert Johnson, Charlie Parker, Johnny Ace, puis des mecs comme Jimbo, Moonie et Sid Vicious, dont la personnalité se situait bien au-delà d’la musique qu’ils jouaient. Certains d’entre-eux furent pleinement acceptés comme étant représentatifs de leur époque et sont devenus les dieux de c’qu’il faut bien appeler des tribus des temps modernes, dont les racines plongent dans la nuit des temps et qui parviennent à s’adapter à notre époque.

             — J’pige rien à ton délire. Franchement, j’entrave que dalle. T’es trop intello pour moi, Mick. Je préfère Kim quand il m’insulte. Là, oui, je pige tout d’suite.

             — Bon d’accord, je vais te le dire autrement : sur le papier, Jimbo semble mille fois plus important, en termes de starisation, que tu ne l’as jamais été. Et pourtant, vos destins vous rendent égaux. Mais c’est toi Gene qui a inventé ce personnage du rocker qui donne tout son sens au rock’n’roll. Sans cet esprit à la fois destroy et romantique, le rock n’est plus qu’une simple musique de danse, comprrrrendo ? Pour te l’dire autrement, ta légende est absolument ir-ré-pro-cha-ble. Ça te va comme ça ?

             — Je l’savais déjà, Mick. Tu vas t’faire une entorse à la cervelle, si tu continues à délirer comme ça. Tiens bois un coup, tu dois avoir la gorge sèche, à force de baratiner.

             — Quand j’t’ai vu pour la première fois sur scène, c’était en 1961, à l’Essoldo de Brighton. T’as changé ma vie. Comme t’as changé celle de David Lynch. Tu sais pourquoi ?

             — Parce qu’il était un vampire en Harley Davidson ?

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             — Non, poto, parce que dans Wild At Heart, il te rend l’hommage définitif : il utilise  «Be-Bop-A-Lula» comme un motif musical et fait monter Sailor et Lula à bord d’une Cadillac El Dorado 1975 décapotable. Sailor porte la veste en peau de serpent que portait ton idole Marlon Brando dans The Fugitive Kind. Avec ce road movie, David Lynch a fait d’toi l’une des grandes icônes du kitsch démoniaque. À l’Essoldo de Brighton, ton col relevé encadrait ton visage cadavérique. T’étais aussi blanc que Dracula et des mèches trempées de sueur s’écroulaient sur son front. Tu levais les yeux vers un point imaginaire, perdu dans la voûte de l’auditorium, comme si tu fixais les anges malveillants qui tournoyaient et qu’on ne pouvait voir.

    Signé : Cazengler, madame sans gêne

    Rockabilly Generation Hors Série # 4 Spécial Gene Vincent - Janvier 2024

    Mick Farren. Gene Vincent: There’s One In Every Town. Do-Not Press 2004

    Gene Vincent. I’m Back And I’m Proud. Dandelion Records 1970

     

     

    L’avenir du rock

     - Travail de Fomies

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             Côté folies, l’avenir du rock en connaît un rayon. C’est même l’un de ses moteurs, il pousserait bien le bouchon jusqu’à s’en couronner l’épitaphe, s’il ne se retenait pas, ces folies qu’il sent rouler en lui comme des fleuves en furie, ces folies qu’il adore comme des déesses antiques, il se jette à leurs pieds, les Bergères et les Méricourt, et puis on le verra encore se prosterner jusqu’à terre devant les érudits aberrés, les stratèges de la science de la patate chaude jadis dénombrés par Charles Nodier, les quadrateurs du cercle et les Christs des oliviers nervaliens, le Raymond-la-science-inexacte de Locus Solus et le plein-chant des Chants de Maldoror d’un Ducasse qui cassa les caciques, les Contes Immoraux du colosse Pétrus pétri de Borel, oh et puis la Lettre À Dieu de l’incompatible Xavier Forneret qu’il faut bien sûr accoupler avec les hennissements d’Artaud le Momo, livré à lui-même avec Pour En Finir Avec le Jugement de Dieu, lors d’une si scélérate radiodiffusion, voilà tout ce qui captive profondément l’avenir du rock, voilà l’ensemble des mille pieuvres dont son crâne s’envahit, jusqu’à la fin des temps, il restera à l’écoute de ce bouillonnement souterrain de l’esprit libre, il jouira d’entendre cette pression mirifique lui battre les tempes, bah-boom, bah-boom, il acclamera encore tous ces antihéros qui surent arracher leurs chaînes et renier toute pudeur et toute mesure, toute espèce de contrainte morale ou esthétique, tout sentiment et tout matérialisme, pour enfin exister à la folie, et il replongera sans fin dans ce festin de destins mirifiques, au nombre desquels il compte l’ineffable Moonie d’au clair de la lune, et bien d’autres fabuleux hétéroclites du rock comme Roky le roquet, Syd Barrett-m’était-conté, Skip on-rolling-Spence, Vince my-Taylor-is-not-rich, et lorsqu’enfin, tel un Des Esseintes épuisé, il atteindra le fond de son filon de folies, l’avenir du rock abandonnera les folies pour passer aux Fomies.

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             Alors t’es là en train de siffler ta mousse au bar et soudain tu entends une explosion. Alors tu files vite fait à la cave voir ce qui se passe. Le groupe s’appelle Fomies. Cinq mecs entassés sur la petite scène, deux qui grattent leurs poux sur des bêtes à cornes, un bassman en plein élan cathartique, un steady beurreman, et derrière, noyé dans l’ombre, un mec claviote comme un damné. Dire que ces mecs sont explosifs, c’est un euphémisme. Ils cultivent une science du décollage qui en impose, ils arrachent littéralement leurs heavy krauty cuts du sol, comme le fit Howard Hughes avec son monstrueux hydravion, c’est exactement le même power, ils jouent vite et fort, mais ils ont en plus des réserves considérables, et leur jeu consiste à faire exploser le cut en plein ciel, ce qu’ils font avec une facilité déconcertante ! C’est à la fois sidérant et complètement réjouissant, leur power a quelque chose de surréaliste, c’est peut-être la première fois qu’on voit un groupe cultiver le meilleur hypno du monde, le Kraut, et soudain déclencher une explosion pour aller crever le ciel, bien sûr ils ne crèvent rien, car il se cognent à la voûte de la petite cave, mais leur élan est pur, et la maigre assistance saute partout. Impossible de résister à leur assaut. Dans un tel moment, tu assistes au twist des planètes. Le rock reprend tout son sens. Il redevient la forme d’art la plus immédiate, celle qui te saute à la gorge. Les Suisses font de l’art moderne exubérant, te voilà happé et happy. 

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             En plus, ces mecs sont d’une modestie parfaite, quand on leur dit qu’ils sont vraiment bons, ils disent merci. De toute évidence, ils savent qu’ils sont bons, mais ils ne la ramènent pas.  Ce sont des Suisses, basés à Vevey, pas très loin de Montreux, et bien sûr, ils écoutent les Osees. C’est la même énergie, et le petit mec au beurre vaut bien les deux batteurs de John Dwyer. Lui et son collègue bassman constituent une fière rythmique, ces rythmiques qu’ont dit invincibles et qui ont fait les beaux jours de Can et d’Hawkwind. Les Suisses tapent exactement au même niveau. Can et Hawkwind nous ont souvent fait sauter en l’air, alors avec Fomies, c’est exactement la même chose. La surprise est de taille.

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    Ils sont en deuxième position sur une prog de trois groupes, et bien sûr, il faut craindre pour la santé mentale du troisième groupe, les Italiens de Giöbia. D’ailleurs, ils sont dans la cave et assistent au carnage. Ils vont devoir redoubler d’efforts pour surpasser le power des Suisses, ce qui paraît bien sûr impossible. Personne ne peut jouer après Fomies. C’est tout de même dingue de tomber sur des groupes parfaitement inconnus qui sont aussi bons.   

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             Alors on fait une razzia au merch. Le bassman précise qu’ils ont joué essentiellement les cuts d’Ominous Prominence, leur dernier album. On espère retrouver les explosions du set. Ils démarrent d’ailleurs leur set avec le «Glass Pyramid» d’ouverture de bal d’Ominous Prominence, un cut travaillé au heavy doom suisse. Crédible. Visité par un solo à l’étranglée. Bardé de bon son. Et boom !, ils embarquent «Lakeside Fever» en mode Kraut. Énorme ! Dans la poche. De vrais diables. Ils développent avec frénésie, c’est exactement ce qu’on a vu sur scène. Belle dégelée de dévolu. C’est à toute épreuve. Plein d’accidents et de redémarrages. Hypno magique. Digne des grandes heures du duc de Dwyer. On retrouve aussi le «See» du set, bien arrosé de heavy riff raff. Ils s’inspirent encore du premier Sabbath, avec un son frais comme un gardon de Birmingham.Ils sont en plein Sab, ils concentrent les explosions pour mieux exploser. Mais ça traîne un peu en longueur et ça se dilapide. Ils renouent avec le génie dans «Barren Mind». Belle ampleur du geste. Ces mecs savent bâtir un petit empire. Ils restent sur la brèche. Puissants et toujours intéressants. Curieux cut que ce «Confusion» attaqué en mode Talking Heads, avec un riff de Stonesy. Ils reprennent la main avec un chant en lousdé. C’est vite torché, avec les Suisses. Et toujours ce beurre du diable. Fin d’album spectaculaire avec «The Eyewall» et «Chermabag», deux des hits du set, cavalés tous les deux à l’haricot du kraut, leur «Eyewall» file ventre à terre en territoire des spoutnicks, c’est brillant, plein comme un œuf, bourré de relances, une véritable aubaine. «Chermabag» repart de plus belle, ils tapent ça upfront, ça défonce les barrages et tu as même un solo de destruction massive dans la matière en fusion. Ils détruisent tout sur leur passage. L’herbe ne repousse pas après le passage de Fomies.

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               L’album précédent s’appelle Sudden Lag. Le morceau titre est l’un des cuts les plus explosif du set de Fomies. On retrouve bien le passage à l’acte dans la version studio. Ça sonne même comme un hit dès l’intro. Pure furia del sol. Les deux bêtes à cornes foutent le feu. Tu ne bats pas Sudden Lag à la course. Ces mecs ont tellement de souffle qu’ils te collent au mur. C’est extraordinairement bon. Les poux tombent à bras raccourcis sur le beat. Quel carnage ! Ils virent hypno Kraut histoire d’endormir la méfiance, tu commences à somnoler, ça gratte des poux dans la pénombre et le bassmatic commence à grignoter le foie du cut, c’est le moment que choisit ce démon du beurre pour relancer, mais il relance comme un porc, avec une animalité terrifiante, alors ça explose dans le ciel ! C’est leur truc. Et ça continue de monter par étapes, avec une sorte d’imparabilité des choses, on assiste sidéré au retour du couplet, ça joue dans l’ass de l’oss et ça monte encore pour exploser. Ils ne vivent que pour ça, l’explosion. Et les poux foutent le feu. Le «Noise Less Noise» d’ouverture de bal est lui aussi fougueux comme pas deux, bien propulsé dans l’orbite du Kraut, le mec bat à la bonne mesure, et à un moment, ils décollent. Ils font du pur Can. Comme Can, ils ont l’énergie du beat. Même chose avec «Foggy Disposition». C’est vite noyé de poux et ça explose. Ils montent leur «Ego Trip» sur un riff tiré du premier album de Sabbath. Fantastique clin d’œil ! Ils font sauter le compteur des distos. Avec «A9», ils filent en plein dans les Osees. C’est merveilleusement bien expédié, ils montent leur frénésie en neige, c’est très spectaculaire, ils vont s’encastrer délibérément dans des platanes à coups de solos transgressifs. Tu ne perds pas ton temps à écouter ces mecs-là.

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             Et puis tiens, cadö ! Oh merci ! Un petit EP. On ne crache pas dessus. Fakie Homie Surfboard. 5 Titres. Quelle belle aubaine, car en 2017, les Suisses étaient déjà dans l’énormité. Leur «Paul» est bien gorgé de gras double, bien dérouillé. Ils tapent encore dans l’excellence du patrimoine gaga sixties avec «Complication». C’est même violemment bon. Ils refont «Farmer John» à la dure. Ils optent pour le wild roll over. Sans doute l’un des meilleurs shoot de gaga d’Europe. Ils te jettent ça en l’air et ça retombe sur ses pattes. Uns merveille ! S’ensuit un «West Ocean Sunday» complètement bousillé du bât flanc, trituré au gras double, on entend les bêtes à cornes, c’est énorme, ils sont agiles et puissants, et le départ en solo vaut tout Johnny Thunders. C’est complètement inexpected. Donc génial. Suite de la fête au village avec «River». Ça taille la route ! Et pour finir, ils t’explosent «Primus», et ça chante à la vie à la mort. Ces mecs sont avec les Monsters les rois du wild Swiss gaga, et même du gaga tout court.

    Signé : Cazengler, Fomironton mirontaine

    Fomies. Le Trois Pièces. Rouen (76). 13 décembre 2023

    Fomies. Fakie Homie Surfboard. 2017

    Fomies. Sudden Lag. Hummus Records 2022

    Fomies. Ominous Prominence. Taxi Gauche Records 2023

     

     

    The Memphis Beat - Escott me, partner !

     

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             S’il est un grand Sunologue devant l’Éternel, c’est bien sûr Colin Escott. Son Good Rockin’ Tonight ressemble étrangement à un passage obligé. C’est en tous les cas l’ouvrage qui permet d’écouter tous les Sun cats en parfaite connaissance de cause. L’Escott les passe tous en revue, un par un, ils sont venus, ils sont tous là, comme dirait Charlot dans «La Mama». Le plus bel hommage est bien sûr celui que rend l’auteur à Sam Phillips, et Peter Guralnick se joint à lui dans la préface pour saluer le génie d’Uncle Sam. Il cite Cowboy Jack Clement : «Si Elvis était une star, alors Sam Phillips était une superstar.» En seulement une décennie, et en tant que one-man operation, Sam a selon Guralnick créé un monde auquel rien ne peut être comparé, the stylistic bedrock not just for rock’n’roll but for much of modern blues as well. Guralnick va loin, car il parle de vision historique, et c’est de cela dont il faut se souvenir. Guralnick re-cite cette phrase de Sam qu’on aime à croiser, lorsqu’il évoque Wolf : «This is where the soul of man never dies», et Guralnick ajoute dans la foulée : this is what Sun records was about. On ne peut espérer plus beau mélange de magie et de légende, ce sont les vraies racines du rock, tout vient de cet homme et des amis. It was in the Sun studio that rock’n’roll was born. L’Escott rappelle aussi que l’instinct de Sam était infaillible : en huit ans, il a découvert B.B. King, Wolf, Ike Turner, Rufus Thomas, Elvis, Johnny Cash, Jerry Lee, Carl Perkins, Charlie Rich, Roy Orbison et beaucoup d’autres. Une fois installé à Memphis, Sam se sentit environné par des gens de talent. Sa seule préoccupation fut de capter le feeling de tous ces gens. L’expertise musicale ne l’intéressait pas. Des professionnels auraient foutu Elvis et Johnny Cash à la porte. Par contre, Sam vit en eux deux diamants bruts. À part Sam, le raw n’intéressait pas les gens du business. Jim Dickinson rappelle que les yeux de Sam brillaient étrangement - You could look into his eyes and see whirling pools of insanity. You knew that he was looking down into your guts - C’est comme ça qu’il observait Wolf. Qu’il observait Elvis. Avec le feu sacré. Dévoré par la passion. Et Dickinson conclut : «Someting happened. That’s what he does that’s magic.» Chez Uncle Sam, tout marchait à l’adrénaline. Un bon chanteur ne l’intéressait pas plus que ça. Il voulait quelque chose de distinctif. Pour lui le plus important était la spontanéité. Quand en 1982, il évoque les techniques modernes et les overdubs, il traite tout ça de bullshit - I don’t go for it - Et il s’investit tellement dans ses artistes qu’il invente même la notion de producteur. Il crée un son à partir d’une atmosphère.

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             Pour évoquer le Memphis Sound, l’Escott cite Willie Mitchell qui avait remarqué qu’à Memphis, les musiciens jouaient légèrement en retard sur le beat - Behind the beat a little bit - Même le Bill Black Combo et Otis Redding, ajoute-t-il. Il y avait un demi-temps de retard sur le beat et il semblait que tout le monde allait se planter, mais ils balançaient pour se remettre sur le beat. Pour Willie Mitchell, on trouve aussi ce behind the beat dans le Memphis blues et chez Al Green.

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             L’Escott passe en revue toute l’équipe des pionniers blacks de Sun, Joe Hill Louis, Jackie Brenston & Ike Turner, Roscoe Gordon et bien sûr Wolf. Sam redit qu’il n’avait jamais vu des pieds aussi grands que ceux de Wolf - And I tell you, the greatest sight you could see today would be Chester Burnett doing one of those sessions in my studio. God what it would be worth to see the fervor in that man’s face when he sang - Sam fait une description apocalyptique de Wolf en studio - When the beat got going in the studio, he would sit there and sing, hypnotizing himself. Wolf was one of those raw people. Dedicated. Natural - Les blackos se passent le mot. B.B. King dit à Ike Turner qu’un blanc enregistre les nègres à Memphis. Sam tente de monter des deals avec Jules et Saul Bihari, puis avec Leonard Chess, mais c’est pas facile de faire des affaires avec des gens qui raisonnent plus en termes de profit qu’en termes de qualité artistique. L’un des premiers modèles de Sam est le «Boogie Chilling» De John Lee Hooker et son vrai premier coup d’éclat est bien sûr «Rocket 88» que dynamite Ike en studio derrière son Wurlitzer. Mais Sam avoue que Phil et Leonard le renard ne sont pas très honnêtes avec lui. Il finit par en avoir marre de se faire rouler la gueule par les frères Chess et les frères Bihari. Alors il monte Sun. Son frère Jud vient faire le promo-man. Little Milton est l’un des premiers à enregistrer sur Sun. Mais Milton est un caméléon, il fait du Fats Domino, du Elmore James, du B.B. King et du Guitar Slim. Ce n’est pas vraiment ce que Sam recherche. Il trouve plus de raw dans la guitare de Pat Hare qui accompagne James Cotton sur «Cotton Crop Blues». L’Escott parle d’un solo of extraordinary violence and passion. Ça date de 1954. Jusqu’à son départ de Memphis en 1954 avec Junior Parker, Pat Hare devint an early Sun trademark as well. Sam parle d’un mismatch of impedence sur son ampli, un Fender amp. Entre l’ampli crevé des Rhythm Kings d’Ike Turner et le mismatch de Pat Hare, Sam se régale.

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             1954, c’est aussi la naissance d’un mythe : Elvis. L’Escott rappelle qu’en 1954, la musique d’Elvis échappait à toutes les normes - How alien his music was - L’Escott s’émerveille encore de «Mystery Train» : il y a seulement trois instruments sur le disk, mais il sonne aussi bien que n’importe quel autre chart-topper. Elvis ne réussira plus jamais à sonner aussi bien qu’au temps de Sam - as fresh, as wild, as loose - Edwin Howard parle de la vie d’Elvis comme d’une tragédie : «Il aurait pu évoluer, étudier et voyager, mais il préférait rester dans le monde de son enfance, en louant des salles de cinéma, des manèges et en badinant avec des poupées. La quarantaine ne lui a pas réussi et le troisième âge aurait été obscène. Sa vie était devenue si lamentable qu’à mes yeux, sa mort l’est moins.» Mais grâce à Sam, Elvis a révolutionné le XXe siècle en donnant vie au rock’n’roll. Roy Orbison se souvient de la première fois qu’il vit Elvis sur scène : «First thing, he came out and spat out a piece of gum onto the stage. He was a punk kid. A weird-looking dude.»  Sam admire aussi le style de Bill Black - It was a slap beat and a tonal beat at one and the same time - C’est important, car il n’y a pas de batterie dans le studio. Sam rajoute de l’écho pour graisser le son. Et sur scène, Bill fait le show, alors que Scotty reste concentré sur sa guitare. Mais en 1955, Sam n’a plus un rond. Il vient de racheter les parts de Jud dans Sun et il se retrouve sur la paille, avec le Colonel qui rôde autour de lui comme une hyène. Sam doit se résoudre à vendre le contrat d’Elvis pour éviter de couler. Il craint surtout les poursuites du Colonel qui est devenu manager d’Elvis, en cas de défaut de paiement des royalties.

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             C’est là que débarque Johnny Cash, un artiste très limité aussi bien côté voix que côté jeu. Mais Sam fait une force de ces faiblesses. Cash ne s’embarrasse pas avec les scrupules. Il propose très vite son «Folsom Prison Blues» qui est un pompage note pour note du «Creshent City Blues» de Gordon Jenkins. Ce que Sam apprécie le plus chez Cash & the Tennessee Two, c’est l’originalité de leur son. Sam lance Cash et puis un jour il entend des rumeurs. Cash aurait signé un pré-accord avec Columbia qui prendrait effet à la fin de son contrat Sun. Sam n’y croit pas. En avril 1958, Sam va chez Cash, il sonne à la porte - Je l’ai fixé dans le blanc des yeux. John, on me dit que tu as signé un accord avec un autre label qui prend effet le jour de l’expiration du contrat Sun. Je veux que tu me répondes d’homme à homme : est-ce que c’est vrai ? J’ai su au moment où il ouvrait la bouche qu’il mentait. C’est la seule putain de fois où Johnny Cash m’a menti, et je savais la vérité ! Ça fait mal ! Ça fait très mal ! - Sam rappelle qu’il a consacré énormément de temps à Cash, et à Carl Perkins qui va lui faire le même coup. Il pense que Cash et Carl étaient jaloux de Jerry Lee auquel Sam consacrait alors énormément de temps et de moyens - Ils étaient tous très jeunes et il y avait énormément de jalousie - Sam avait réussi à faire du son de Cash, Luther Perkins et Marshall Grant le son le plus innovant et le plus original en country music depuis la mort d’Hank Williams. 

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             Sam tente aussi de faire une star d’Harmonica Frank, a modern-day hobo, un one-man band qui chantait d’un côté de sa bouche avec un harmo coincé de l’autre côté de la bouche, et qui s’accompagnait à la guitare. Sam avoue que s’il en avait eu les moyens financiers, il aurait fait de Frank Floyd une institution. Par contre, ça ne marchait pas avec Charlie Feathers. Un mélange de mauvais caractère, de poisse et d’erreurs d’appréciation lui firent prendre le chemin des bars minables, alors qu’il pouvait prétendre au rond du projecteur comme Carl Perkins, Elvis et Cash. Et à force de réécrire l’histoire, nous dit l’Escott, il est finalement devenu une star de la réécriture de l’histoire. L’Escott n’y va pas par quatre chemins ! Et puis se montrer impatient avec Sam n’était peut-être pas la meilleure chose à faire. D’ailleurs Sam dit que Charlie était quelqu’un de difficile - a little difficult to work with - Sam ajoute que Charlie racontait des histoires et qu’il finissait par y croire. À ses yeux, le talent de Charlie était dans la country - the blues feeling he put into a hillbilly song - Il aurait pu être the George Jones of his day. Par contre, Carl Perkins, c’est du pur honky-tonk - But you could never take the country out of Carl Perkins - L’Escott affirme que Carl travaillait dur pour échapper à un destin de fermier. En jouant son honky-tonk avec un blues feel, Carl allait inventer un son hybride qu’on allait appeler le rockabilly. Lui et Elvis étaient les seuls à savoir le faire, en 1954. C’est la femme du Carl qui un jour entend Elvis chanter «Blue Moon Over Kentucky» à la radio, dans la cuisine, et qui s’exclame : «Carl, that sounds just like y’all !» Et quand Sam voit débarquer Carl pour la première fois à Memphis, il voit tout de suite le paysan : «One of the greatest plowhands in the world !» Carl adore chanter bourré. L’Escott souligne que Carl en a un sacré coup dans le nez quand il enregistre «Her Love Rubbed Off». Il va même comparer le style douteux de Carl à celui de Jimmy Reed. Carl est comme Hank Williams, un poète rural, ses racines sont les Tennessee barrooms. L’Escott rapporte aussi des incidents de tournée avec Jerry Lee : dans la loge, il y avait Carl, Warren Smith et Jerry Lee qui parce qu’il venait de sortir l’un de ses big records annonçait qu’il passait en dernier. Alors Clayton Perkins qui sifflait une rasade de whisky et lança à Jerry Lee : «If you’re going on last, we’re gonna fight !» Et puis comme Cash, Carl est secrètement pré-signé par Columbia, alors que son contrat Sun n’a pas encore expiré. Mais comme tous ceux qui ont quitté Sam, Carl ne put jamais renouer avec la magie de ses débuts - We were trying 100 percent and Sam Phillips captured it - L’Escott rappelle aussi qu’aux yeux de gens comme les Beatles, Carl était un vrai héros.

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             Par contre Sam ne sait pas quoi faire de Roy Orbison. Il est obligé de le laisser partir, mais il avoue regretter de ne pas avoir essayé d’en faire un rocker. Sam engage Roland Janes car il voit en lui un allié précieux : un guitariste privé d’ego. Malcolm Yelvington réussit à passer son audition chez Sun grâce à «Drinkin’ Wine Spo-Dee-O-Dee», un vieux coucou qu’il joue en tournée depuis longtemps, mais il est beaucoup trop vieux pour la gloriole. Ray Harris veut lui aussi sa part du gâteau et prend le parti d’être le rockab le plus sauvage d’Amérique. Sam croit que Ray va faire une crise cardiaque en studio, tellement il s’excite. «Come On Little Mama» date de 1956. Les paroles sont incompréhensibles, les musiciens limités, la production douteuse, mais la performance est irrésistible. Du pur jus de Sam. L’autre grand mystère Sun, c’est Billy Lee Riley, que Sam cantonna dans le rôle de house-band member avec Roland Janes et J.M. Eaton. L’Escott ajoute que Riley avait l’un des hottest working bands in the mid-South. Sam : «Riley was just a damn good rocker, but man he was so damn weird in many ways.» Sam dit que Riley l’intéressait, mais ce n’était pas facile de travailler avec lui. Quand il buvait un coup, il devenait quelqu’un d’autre - I was disapointed we never broke him into the big time. His band was just a rockin’ mother ! - Le vrai problème c’est que Billy Lee Riley n’a pas de style personnel. C’est un caméléon, comme Little Milton, doté d’un talent indéniable mais qui manque de direction. Il commence par faire le hillbilly singer, puis il veut faire le Little Richard blanc, puis des instros, du blues, des Whiskey-a-Go-Go albums, de la country soul, et donc tout et n’importe quoi. Warren Smith n’a pas non plus décroché le jackpot. Il a le look et la volonté de réussir, mais ça ne suffit pas. Il arrive malheureusement au moment où Sam met le paquet sur Jerry Lee. Warren le vit si mal que dès qu’il tombe sur un disk de Jerry Lee, il le casse en mille morceaux.

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             Alors justement, Jerry Lee. Sam et lui étaient destinés à grimper au sommet ensemble - And together they defined all that is best in rock’n’roll - On croyait avoir atteint des sommets avec Carl Perkins et Elvis. Eh bien non, c’est avec Jerry Lee que tout explose. Quand Jerry Lee cite les stylistes, il déclare : «Al Jolson is Number One. Jimmie Rogers is Number Two. Number Three is Hank Williams. And Number Four is Jerry Lee Lewis.» Quand Jerry Lee débarque pour la première fois à Memphis avec son père Elmo qui a vendu treize douzaines d’œufs pour financer le voyage, Sam est en déplacement. C’est donc Jack Clement qui reçoit un Jerry Lee qui prétend jouer du piano comme Chet Atkins. Jack le voit jouer et en effet, c’est très impressionnant. Il enregistre une bande pour la faire écouter à Sam. Quand de retour à Memphis Sam écoute la bande, il entend quelque chose de spirituel dans le son. Il dit à Jack : «Va me chercher ce mec immédiatement !» Lorsque le scandale du mariage de Jerry Lee avec Myra éclate en Angleterre, Sam prend sa défense. Il est outré par la violence de l’acharnement médiatique. Roland Janes affirme que Jerry Lee veillait à montrer que le scandale ne l’affectait pas : «He’s a very deep person. He could be hurting and never let it show.» Pour Roland Janes, Jerry Lee est un homme extrêmement honnête qui pensait que les gens s’intéressaient surtout à sa musique, et non à sa vie privée. Erreur fatale qui va presque lui coûter sa carrière. Mais même si Jerry Lee se sent trahi, mais il sait garder la tête haute. Roland Janes ajoute qu’il aimait Jerry Lee comme un frère. Il était son guitariste en tournée, ne l’oublions pas. Il conclut qu’il ne trouve personne qu’on puisse comparer à Jerry Lee, et là-dessus, on est tous bien d’accord avec lui - I don’t think even he knows how great he is.

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             Sam reprend son bâton de pèlerin pour saluer Charlie Rich : «I don’t think I ever recorded anyone who was better as a singer, writer and player than Charlie Rich. It is all so effortless, the way he moves from rock to country to blues to jazz.» La saga Sun se termine en 1962 avec Frank Frost, le dernier grand artiste de blues enregistré à Memphis. Un DJ de Nashville affirme que l’album de Frost est le meilleur album de blues qu’il ait entendu, mais c’est un désastre commercial. Dernier spasme de Sun avec les Jesters et «Cadillac Man». Grosse équipe : Dickinson, Teddy Paige, et Jerry, le fils cadet de Sam.

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             Et puis voilà, Sam en a marre, il vend Sun à Shelby Singleton qui maintient Sun en vie au long des années soixante-dix, avec des gens comme Sleepy LaBeef qui arrive vingt ans trop tard. Et Jimmy Ellis, plus connu sous le nom d’Orion Eckey Darnell et que l’Escott étripe - His style began and ended with affectation - Après avoir vendu Sun, Sam reste un peu dans le business, mais pas trop. Il manage des stations de radio et gère son portefeuille d’actions. Il se dit intéressé à produire Bob Dylan et aide Knox et Jerry à produire John Prine en 1978. C’est là que Dickinson raconte l’anecdote du projet qu’il monte avec Knox et B.B. King. Knox demande à son père s’il veut bien assister à la session d’enregistrement de B.B. King et Sam refuse. No. Knox veut savoir pourquoi il refuse. Et Sam répond : «Tu ne peux pas aller voir Picasso et lui demander de peindre une petite toile vite fait.» Dickinson dit que sa réponse peut paraître présomptueuse, mais c’est la façon dont il voit les choses. Une fois qu’on sort d’une aventure créative, il est difficile d’y revenir - Everything in recording is input and output and when you lose that signal flow, you never get it back - Rien de plus vrai.

    Signé : Cazengler, Escocott minute

    Colin Escott & Martin Hawkins. Good Rockin’ Tonight. St. Martin’s Press 1991

     

     

    Sam Coomes is coming

     - Part Two

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             Il serait bon d’installer Sam Coomes sur le trône d’American Popland. Hélas, deux rois se partagent déjà le royaume d’American Popland : Robert Pollard et Frank Black. Sam le sait, il est condamné aux ténèbres de l’undergound, mais comme il dispose des lumières d’un esprit bien tourné, il fait contre mauvaise fortune bon cœur.

             Il assoit sa réputation sur une ribambelle d’excellents albums, ceux de Quasi qu’on ne cesse de recommander à tout va. Quasi est un duo basé à Portland dans l’Oregon. Aux côtés de Sam Coomes, on retrouve Janet Weiss, qui bat aussi le beurre dans Sleater-Kinney. Le déroulé d’albums qui suit va montrer à quel point ce duo constitue l’une des forces vives de la nation américaine.

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             Qui aurait acheté leur premier album, le mystérieux R&B Transmogrification paru en 1997 ? Pas grand monde. Spin a dû faire le buzz, à l’époque. Très vite, Sam Coomes impose un style unique, un mélange de libertarisme littéraire et de libéralisme mélodique. «Ghost Vs Vampire» relève du pur génie. Pourquoi ? Parce que c’est un cut digne des Beach Boys et hanté par des renvois d’accords qui évoquent l’âge d’or du Teenage Fanclub, c’est-à-dire Bandwagonesque. Sam précise que le fantôme n’est pas le rival du vampire - It’s not mine to choose if I win or lose/ But he who last laughs the loudest - C’est à celui qui rira le plus fort ! L’autre coup de génie s’appelle «Chocolate Rabbit», perdu au fond de la B et claqué aux accords du Teenage. Voilà encore une extraordinaire shoote d’ambivalence prévalente, ou de prévalence ambivalente, c’est la même chose - On Easter I got a rabbit/ The biggest I ever saw - Il lui croque la tête et trouve le chocolat du lapin de Pâques dégueulasse. Oh mais ce n’est pas fini ! Sam met en place avec cet album sa principale obsession : la mort. Si on retourne la pochette, on voit le dessin d’un piano-cercueil. Ça tombe bien, car il chante «My Coffin», une chanson lancinante dans laquelle il raconte nonchalamment qu’il construit le cercueil dans lequel on l’enterrera un beau jour, et il espère, dans pas longtemps - One day I shall die & I should hope it won’t be long - Dès «Ghost Dreaming» qui ouvre ce bal de vampires, Sam crée les conditions de l’étrangeté maximaliste. Il chante d’une voix de pinson argentique et implante le weird dans le ness latéral, créant ainsi la weirdness latérale. On a là du pur dada montagneux. Dans «The Ballad Of The Mechanical Man», il rappelle que soon, on sera tous morts, et cette idée le détend - Soon we’ll be all dead/ It makes me feel so comfortable - Il relativise même ses relations sentimentales, comme on le voit dans «In The First Place». Sur le mode d’un balladif traîne-savate extraordinairement décadent, Sam explique qu’au début, il croyait qu’elle lui appartenait, il croyait même que cette possession était réelle, mais au fond, si on y réfléchit bien, ce genre de chose n’a strictement aucune importance - But now it’s no big deal/ It doesn’t matter - Puis on entend Janet pulser le beat dans l’énorme «Two Faced». En B, Sam rappelle dans «When I’m Dead» que quand il sera mort, vous serez tous en vie, debout dans le funeral home, à vous demander ce que vous allez faire de ce dead body. Fantastique poète morbide ! Sam pourrait bien être le Maurice Rollinat du royaume de Popland.

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             L’année suivante sort Featuring Birds. C’est encore un disque bourré de coups de génie du calibre d’«I Never Want To See You Again». Sam s’y envole. On se croirait dans le White Album des Beatles - We purshase pleasure/ Pay for it with hurt/ And we rarely get our money’s worth - On se ruine à s’acheter du plaisir et c’est souvent pour des prunes, comme dirait Gide. Et ça continue avec «The Poisoned Well», ou il raconte qu’on a le choix entre deux solutions : soit mourir de soif, soit boire l’eau du puits empoisonné. Il en profite pour lâcher une petite confidence - You don’t live long but you may write the perfect song - Voilà sa deuxième obsession, après la mort : écrire la chanson parfaite. Avec «Our Happiness Is Guaranteed», Sam chante l’absurdité de son temps - Fed by TV, we rarely need to sleep - et il rappelle que le bonheur de l’Américain moyen est garanti et que les rêves ne servent à rien. Il fait avec «Sea Shanty» une fantastique dérive musicologique - You and I go drifting by the abandonned vessel of the everyday - Il décrit sa vie quotidienne comme une errance à bord d’un vaisseau abandonné. On tombe en B sur un chef-d’œuvre de désespoir latent, «You Fucked Yourself», joué sur une valse à deux temps. C’est dégoulinant d’auto-dérision - You changed your mind when it’s too late/ Self deceit is your worst mistake - Oui, il ne fallait pas changer d’avis, il était trop tard de toute façon, et te mentir à toi-même est la pire des erreurs. Il tape encore dans le registre de l’inutilité des choses avec «I Give Up» - It’s gone so wrong/ So long - Il arrête les frais. On prend ensuite «Repetition» en pleine poire, Janet et Sam duettent et ça se fond dans le lagon d’argent. Ils chantent sur un heavy groove désespérément beau - Tell me now/ What’s the use of a brain - C’est gorgé de son jusqu’à l’oss de l’ass, Sam et Janet pondent là une sorte d’apoplexie musicologique digne d’un Brian Wilson qui serait l’enfant caché d’Oscar Wilde et de la fée Morgane. Une façon comme une autre de dire qu’il s’agit d’un disk magick.

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             Field Studies est un album à trois faces, comme l’immortel Second Winter. Il s’y niche une petite merveille intitulée «The Stars You Left Behind». On croit entendre le Mercury Rev de Deserter’s Songs, the sound of the Catskill Montains, noyé dans des brumes d’harmonies somptueuses - Far away from everything/ Far away from everywhere/ No one hears you sing - Tiens, encore une Beautiful Song avec «The Golden Egg» où il explique que ses chansons n’ont absolument aucun sens - Don’t believe a word I sing/ Because it’s only a song and it don’t mean a thing - On trouve en B l’«Under A Cloud» franchement digne des Beatles, et d’une grande fraîcheur de ton. Avec «Bon Voyage», il chante une ode à la dérive des continents. Même quand il joue la carte du bastringue, comme c’est le cas avec «Birds», Sam garde l’œil rivé sur la mélodie. Et on se régalera de cette fable intitulée «A Fable With No Moral», dans laquelle il veut vendre son âme au diable pour avoir de quoi payer son loyer. Mais le diable n’envoie pas le chèque. Alors il décide d’aller vendre son âme dans la rue avec un écriteau. Soudain, le diable arrive au volant d’une Land Rover et dit à Sam que ce n’est pas à lui de vendre son âme. 

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             Paru en 2003, Hot Shit est certainement l’album de Quasi le plus connu. Ça démarre en fanfare avec le morceau titre qui encore une fois a tous les atours d’un coup de génie. Sam amène ça au slinging du Delta et Janet rentre dans le chou du cut en mode powerhouse weisspasienne. Ça donne un cut d’étrangement délicieux - Hot shit on a silver platter - On y assiste à une fantastique déglingue orchestrale ! Et ça continue dans une veine plus décadente avec un «Seven Years Gone» qui sonne comme un hit dès la première mesure. Une fois encore, Sam y crée un monde. Janet et lui se tapent ensuite une belle tranche de rock’n’roll avec «Good Time Rock’n’roll» - You got your crocodile boots/ I got my John The Conqueror root - Ils swinguent avec autant de classe que Chuck Prophet, et c’est pas peu dire ! Ils enchaînent avec «Master & Dog», une comptine d’une finesse remarquable, et qui bascule sans prévenir dans l’heavy fried-drenched psych à la Blue Cheer. Bam Bam, on entend même passer les éléphants de Scipion. Et pour finir le balda, voici «Drunken Tears» qui sonne comme le hit dont rêve Sam - So what if you’re not the genius/ You always thought you were - Il prend assez de distance avec son génie pour le tourner en dérision, et ça, les amis, ça vaut tout l’or du monde. Par contre, la B est complètement insignifiante.

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             Une joli petit coup de génie se cache sur l’album jaune intitulé When The Going Gets Dark : c’est le morceau titre, qui sonne comme un fantastique shoot de chanson à boire across the milky way. Sam le chante à la revoyure tarabiscopique. Il est vraiment le seul à pouvoir se permettre ce genre d’exhalaison. L’aut’hot hit de l’album se trouve au bout de la B des cochons : «Death Culture Blues». Sam et Janet cassent bien leur baraque. Sam joue comme un fou de Dieu - I’ve done my time/ I took my bath/ I’m back on track down the shining path - Et ça rime, en prime. On retrouve sa fameuse obsession morbide dès l’«Alice The Goon» d’ouverture de balda - Pull the plug/ Watch him die - Sam n’en finit plus d’étendre son empire sur la poésie avec des trucs du genre Sailing to the moon with Alice the Goon/ I’m Popeye the sailor man/ I live in a garbage can - Il est vraiment le Poe du rock (Hello Damie). On fait difficilement mieux en matière d’inventivité poétique. Avec «The Rhino», Sam va chercher l’insoutenable légèreté du hêtre. Il n’hésite pas non pas à taper dans le heavy groove hendrixien pour «Peace And Love», histoire de bien installer un texte terriblement désabusé. En B, on retombe sur le parallélisme avec Mercury Rev, grâce à «Poverty Sucks». Sam insinue même que ce n’est pas un péché que d’être pauvre.

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             American Gong pourrait bien être l’un des meilleurs albums du duo, ne serait-ce que pour «Repulsion» qui ouvre le balda. Oui, car voilà un hit pop bien battu en brèche, et Sam fait de la haute voltige sur le manche de sa guitare. Mine de rien, il bat tous les records. Il enchaîne avec un nouveau coup de génie intitulé «Little White Horse», qui raconte l’histoire d’un mec ordinaire, mais c’est délicieusement sur-orchestré. Il va de coup de maître en coup de maître avec «Everything & Nothing At All» puis «Bye Bye Blackbird» qui au premier abord se présente comme un hommage aux Beatles du White Album, mais Sam le pousse à un niveau purement exutoire. Il tire le rock de sa pop dans une vraie dimension poétique, et va puiser dans sa mélancolie des ressources insoupçonnables. Sam Coomes est un artiste ahurissant. Chaque fois, c’est un peu comme s’il divinisait sa parole - Bye bye blackbird/ Days are getting cold - Il swingue sa langue à outrance - Bye bye blackbird/ Fly into the sun - et à la fin, lorsqu’il arrive à l’article de la mort, il réclame la fameuse blanket of light, c’est-à-dire le linceul de lumière. Il se prépare à explorer l’au-delà dans «Death Is Not The End» - You’re off the hook/ But not for good - et se glisse dans la peau d’un suicidaire pour écrire les paroles de sa chanson - Everyday you cry like a child/ After a while you just get used to it - C’est tellement criant de vérité ! Et il met une mélodie chant superbe au service d’un texte épouvantablement explicite. Encore du texte de rêve dans un «Rockabilly Party» bardé de clameurs, joué au heavy riff et au mid-tempo dévastateur, avec un Humpty Dumpy assis on a fence, or on a wall as I recall/ It still don’t make no sense - Comme d’habitude, Sam ne parvient pas à donner du sens à sa vie. Il termine cet album fantasmagorique avec un clin d’œil aux Cajuns intitulé «Laissez les Bons Temps Rouler», mélodique en diable et donc parfait. Il revient en permanence sur l’à-quoi-bon, sur le lay the burden down pour renaître in le centre du soleil qu’il prononce en Français, évidemment.

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             Sam se lance en 2013 dans l’aventure risquée du double album avec Mole City. On ne peut pas dire que ce soit un album déterminant, ce serait exagérer. Par contre, tous les Dadaïstes sont unanimes pour se régaler du plantureux «Headshrinker» qu’on trouve en B. Oui car voilà du pur Dada sound - I think I must be blind/ Cause I never saw a word you said - Il pense qu’il est aveugle car il n’a jamais vu un seul des mots qu’elle prononce, et il ajoute que ce n’est pas compliqué de voir la lumière si c’est ce qu’on décide de faire. Voilà un chef-d’œuvre d’absurdité littéraire parfait et monté sur un tempo intriguant digne des pas de danse de Jean Arp au doux cacadou du Cabaret Voltaire, celui de Munich, évidemment. Avec «You Can Stay But You Gotta Go», Sam s’interroge encore une fois sur le sens de la vie, et constate la profonde vanité des choses - What it’s all about ?/ Haven’t got a clue - Quel sens ça peut avoir, il n’en a pas la moindre idée. On retrouve son goût pour la dérive surannée dans «See You On Mars» - I’m sailing on a slowboat to China/ Why should I care - On se croirait du côté de chez Swan. En B, on tombe sur un fantastique «Fat Fanny Land» joliment clap-handé - With her black leather boots & her Kevlar riot gear - et ça se termine comme d’habitude avec du game over. Sam renoue avec le grand art pour «Nostalgia Kills», un modèle de heavy rock américain, celui qui emporte la bouche et tous les suffrages de Suffragette City. On se croirait presque dans la démesure d’«Helter Skelter» et ce n’est pas peu dire ! En C, on tombe sur l’excellent «The Goat» joué au gras insistant et avec une aisance toujours aussi insupportable. Ce mec modélise son son comme J. Mascis, mais avec une approche plus plastique à la Rodin - I’ll be the goat any time you need it baby - Il se livre avec «Gnot» à un nouvel exercice de style à la Henri Michaux - I lead my life like it’s out on lean/ I guess my mind got a mind of its own - Il faut aller jusqu’à la dernière face, car c’est là que se niche l’effarant «New Western Way» dans lequel Sam prône le drop-out, c’est-à-dire fuir ce monde pourri des Mickey Mouse et autres gadgets des temps modernes pour retrouver les ciels et Raging Bull. C’est extrêmement littéraire, fabuleusement bien écrit et d’une justesse qui laisse rêveur.

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             Et puis voilà-t-y pas que Sam se fend d’un album solo, histoire d’ouvrir la brèche à de nouvelles fringales. L’album s’appelle Bugger Me et s’accompagne d’une beau douze pages, prétexte à déraison fictionnelle. Souvenons-nous d’une chose : Sam est un organiste, donc nous avons un album d’orgue et de strombolis electro, mais, car il y a un mais, la mélodie qui reste son arme fatale finit toujours par dominer la situation, et c’est exactement ce qui se passe dans «Stride On», l’étrangement beau cut d’ouverture de bal des Laze : envoûtement garanti. C’est même fabuleusement underground. On n’en attendait pas moins d’un loustic aussi éthique. Avec «Tough Times In Plastic Land», Sam passe au pur jus de tiptop Dada et tintinnabule sous la pleine lune au long de la rue de la Lune. You can’t argue with a crocodile, nous dit-il et il ajoute plus loin Ghost rider & Doctor Strange/ Hanging out on the astral plane - Voici donc le décor planté. Sam bâti un bel univers d’orgue. Il rebondit sur le dos du Dada Leg System. En B, on retrouve avec «Cruisin’ Thru» un faux air d’orge de barbarie, mais avec un objectif, comme dirait Bourdieu : la mélodie. Il se plaît à envoûter l’imprudent voyageur - Chuck out the old/ Suck in the new/ A stranger in my old town - Avec «Fordana», il épouse le galbe de la beauté antique et se répand à la surface du monde.  

    Signé : Cazengler, coomique troupier

    Quasi. R&B Transmogrification. Up Records 1997

    Quasi. Featuring Birds. Up Records 1998

    Quasi. Field Studies. Up Records 1999

    Quasi. Hot Shit. Touch And Go 2003

    Quasi. When The Going Gets Dark. Touch And Go 2006

    Quasi. American Gong. Kill Rock Stars 2010

    Quasi. Mole City. Kill Rock Stars 2013

    Sam Coomes. Bugger Me. Domino 2016

     

     

    Inside the goldmine

     - Dyson ardent

             Parce qu’il s’appelait Bison, on le surnommait Bison Futé. Mais en réalité, il n’était pas très futé. Pas fute-fute, comme on dit familièrement. N’importe qui à sa place aurait mal vécu d’être aussi mal surnommé. Bison l’acceptait plutôt bien, sans doute parce qu’il n’était pas très futé, donc moins susceptible que les gens qui se croient intelligents et qui ne le sont pas. L’avantage qu’avait Bison sur tous les cons, c’est qu’il n’avait aucune distance par rapport à lui-même : il se vivait en direct, d’homme à homme, pourrait-on dire. Il n’était pas du genre à s’observer dans un miroir et à ajuster des petites mèches noires. À sa façon, Bison avait compris un truc essentiel : ne jamais tourner autour du pot, c’est-à-dire son nombril, ce qui permet bien entendu de foncer. Alors Bison a toujours foncé. Chez lui, c’est génétique. Ce qui lui a permis de commettre quelques erreurs, qui sont, comme chacun sait, les clés de la connaissance. Bison a toujours fonctionné à l’instinct, il n’a jamais cultivé aucune idée de sa valeur, ça ne pouvait d’ailleurs pas lui traverser l’esprit. Bison sortait de chez lui, c’est-à-dire de sa tête, pour s’intéresser aux autres, mais à sa façon, très sommaire, très basique. Il créait ainsi des équilibres qui lui permettaient de vivre en paix avec les autres. Il devenait une sorte d’anti-Sartre, un surnom qui l’aurait bien fait marrer. De toute façon, il rigolait facilement : Bison futé ou anti-Sartre, c’est du pareil au même. Rencontrer Bison dans la rue et aller boire un café ou une mousse avec lui était chaque fois l’occasion de passer un moment paisible, pour ne pas dire agréable. Oh pas un moment de grâce, n’exagérons tout de même pas, mais on aurait échangé dix autres rencontres contre celle-ci. Le pur simplisme de son propos dessinait le cadre de la conversation et rien n’était plus jouissif que de veiller à ne pas le briser. Bison établissait à sa manière une sorte d’espace intermédiaire dans lequel il faisait bon fondre son propos, son temps, enfin tout ce qu’on peut offrir en de telles circonstances. On y goûtait cette plénitude qu’on ressent parfois, lorsqu’on contemple le ciel et que le temps s’arrête.

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             Pas de danger que surnomme Ronnie Dyson ‘Dyson Futé’. Dyson ardent lui va comme un gant. C’est sur Ready Or Not (Thom Bell Philly Soul Arrangements & Productions 1965-1978), la belle compile Kent consacrée à Thom Bell, qu’on a croisé la piste de Ronnie Dyson. Quand tu entends la voix du Dyson ardent, tu pars immédiatement à sa découverte. Il fit ses débuts dans Hair à Broadway. Son premier album parut sur Columbia, produit bien sûr par Thom Bell. Ce petit Soul Brother offre un rare mélange d’ingénuité et de maturité. 

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             Ingénu, comme le montre le portrait qui orne la pochette d’(If You let Me Make Love To You Then) Why Can’t I Touch You. Il a ce qu’on appelle un regard dévorant, ses deux grands yeux noirs plongent en toi. Il attaque son fantastique festin de Soul avec «I Don’t Wanna Cry». Il jette ses bras vers le ciel et s’impose comme un petit géant. Sa première cover est celle d’un cut de Laura Nyro «Emmie». Il en fait une belle tarte à la crème. Avec «I Just Can’t Help Believin’», il sert une grosse tranche palpitante de Soul des jours heureux. Quel tempérament ! Il chante d’une voix extrêmement colorée. Il peut monter très haut, comme le montre «She’s Gone». Ronnie Dyson est un fabuleux interprète. Il tape ensuite une cover de «Band Of Gold», un hit de Freda Payne signé Holland/Dozier/Holland. C’est plein d’allure et d’allant, plein d’all along the bay d’Along. Il boucle ce vaillant petit album avec une autre cover, celle du big «Bridge Over Toubled Water», idéal pour un brillant Soul Brother en herbe. Il en fait du gospel. C’est assez dément ! Soul on sailor ! Il mène bien sa barcasse.

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             C’est bien sûr Thom Bell qui produit One Man Band, un Columbia paru en 1973. Et là, wow !, oui, wow dès la pochette avec ce portrait du Dyson ardent à peine sortie de l’adolescence, et la fascination qu’il exerce s’accroît encore avec le morceau titre d’ouverture de balda, une pièce de Soul bien sentie, très orchestrée, qu’il chante à pleins poumons. Le Dyson ardent tape une Soul de bon aloi, pas très éloignée de Broadway. On sent la patte de Bell, le Gershwin black. Cette Soul est même un petit peu trop orchestrée, comme le fut celle de Brook Benton. En B, il tape une belle reprise du «Something» de George Harrison. On admire la fabuleuse attaque du Dyson ardent et les orchestrations du mentor Bell. Le Dyson ardent chante à la folie éperdue de la Soul. Il termine avec «The Love Of A Woman», un cut de fantastique allure embarqué aux percus, à la fois puissant et d’une élégance stupéfiante, un vrai coup de génie, le Dyson ardent chante tout ce qu’il peut, à la furie enchanteresse.  

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             Les deux meilleurs albums du Dyson ardent sont sans conteste The More You Do It et Love In All Flavors. Ils sont aussi énormes et aussi indispensables l’un que l’autre. The More You Do It grouille de pépites, tiens comme ce «Won’t You Come Stay With Me» planqué au bout de la B, un énorme groove signé Charles Jackson. Le Dyson ardent est un fabuleux Soul Brother, il expurge la pulpe du jus, ou le jus de la pulpe, c’est comme on veut. Fascinant Soul Brother. Comme il est ardent, il redouble d’intensité. Il attaque son balda avec l’«A Song For You» de Tonton Leon. Il chante ça à la prescience divine, celle qui ne pardonne pas. Il creuse sa Soul avec insistance. Le Dyson ardent chante d’une voix perçante et les compos de Charles Chuck Jackson & Marvin Yancy sont épatantes. Ce Jackson-là n’a rien à voir avec le grand Chuck Jackson. Charles Chuck Jackson est aussi le lead singer des Independants sur lesquels nous reviendrons dès que possible. Fantastique shoot de Soul des jours heureux avec «The More You Do It (The More I Like It)». C’est littéralement saturé de soleil et de Soul, il balance une Soul présente, étincelante, il chante au perçant pur avec une énergie de tous les diables. Il finit son balda avec un groove de 6 minutes, «You Set My Spirit Free», groove puissant et bien tempéré, nourri par des chœurs de filles délurées. Quelle virée ! Quel incroyable power ! De l’autre côté, «You And Me» sonne comme du Stevie Wonder, yeah yeah yeah, c’est du roule ma poule de première catégorie, une fast pop de Soul écarlate. Il tartine encore «Love Won’t Let Me Wait» dans le haut du panier, il se veut profondément intense, aux frontières du round midnite. Il sait aussi poser un yeah, comme on le voit faire dans «Lovin’ Feelin’». Il sonne comme un vétéran de toutes les guerres. Ronnie forever !

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             La pochette de Love In All Flavors est un peu bizarre : le visage de Ronnie Dyson est mal éclairé, alors sous son chapeau blanc, il est tout noir. Des petites putes noires se pressent autour de lui. Elles ont raison, car le Dyson est plus ardent que jamais. Boom dès «Ain’t Nothing Wrong». Il se couronne empereur du Groove à la cathédrale de Reims, il lève autour de lui des masses de chœurs chaleureux, sa Soul se fond dans la clameur de la Chandeleur. Il en fait une merveille suspensive, c’est probablement le groove de tes rêves inavouables, là tu entres dans l’artistry pure du Black Power. À sa façon, il survole toute l’histoire de la Soul avec une grandeur d’âme extraordinaire. Le Dyson ardent est un conquérant, aucune Asie Mineure ne saurait lui résister, surtout pas la tienne. Il dégouline de présence impériale. Encore un groove de qualité infiniment supérieure avec «Don’t Be Afraid». On peut même parler de qualité épouvantablement supérieure. Il y va au dur comme fer, il a le génie Soul chevillé au corps. Dommage qu’il soit passé à la diskö un peu plus tard. Il règne encore sur la Soul éternelle avec «I Just Want To Be There». Puis il attaque sa B avec le «Sara Smile» d’Hall & Oates, il s’enfonce dans ce délicieux dédale d’heavy Soul, il est mordant et présent à la fois, il chante sa Sara à tue tête, il devient un seigneur des annales de la Soul. C’mon ! Avec «Just As You Are», il est plus propulsif, le bassmatic va et vient entre ses reins, c’est définitivement énorme. Tout ce qu’il fait relève de la fantasmatique énormité catégorielle. «I Can’t Believe That» sonne comme la Soul d’un vrai héros. Il est magnifique et son album n’en finit plus de stupéfier. Il reprend la barre du groove avec «You’re Number One» et derrière les filles deviennent complètement folles, ah il faut voir ce lupanar ! Ronnie Dyon reste le seul maître à bord, il te drive ça d’une poigne de fer, il est l’un des grands drivers de son temps. Oui, il faut écouter «You’re Number One», Ronnie te groove ça dans le bas des reins, il te fond dans son beurre, il est ardent jusqu’au bout des ongles.  

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             Paru en 1979, If The Shoe Fits est un album résolument diskö. On sauve «Couples Only», la diskö des jours heureux, et le good time de «Long Distance Lover», car cet excellent chanteur qu’est le Dyson ardent dispose d’un timbre très précis, très oblitérant.

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             On reste dans le diskö avec Phase 2. Sur la pochette, Ronnie garde sa bouille d’enfant. Il chante d’une voix colorée et bien mûre. Il attaque sa B avec «Expressway To Your Heart», un petit shoot de diskö funk gentillet. Ronnie Tysonne bien son beat. C’est excellent. On sauve aussi «Foreplay», un petit soft groove. Ronnie propose une belle Soul de my my my. Il tient tête.

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             Son dernier album s’appelle Brand New Day, un Cotillon de 1983, beaucoup trop diskö pour les gueules à fuel, mais on se régale néanmoins d’«I Need Just A Little More», monté sur un beat sec comme un olivier. Fantastique ardeur ardente. Ah quel dommage que tout l’album ne soit pas de ce niveau. Il termine avec «You Better Be Fierce». Il tente sa chance et sa tentative est belle. Il s’agit de Ronnie Dyson, after all.

    Signé : Cazengler, Ronnie Bidon

    Ronnie Dyson. (If You let Me Make Love To You Then) Why Can’t I Touch You. Columbia 1970

    Ronnie Dyson. One Man Band. Columbia 1973   

    Ronnie Dyson. The More You Do It. Columbia 1976

    Ronnie Dyson. Love In All Flavors. Columbia 1977

    Ronnie Dyson. If The Shoe Fits. Columbia 1979  

    Ronnie Dyson. Phase 2. Cotillon 182

    Ronnie Dyson. Brand New Day. Cotillon1983

     

    *

    En voiture Simone, c’est reparti, première chronique rock de l’année, KR’TNT ! va encore rouler sa bosse. Pardon son Bossi. Car oui il s’appelle Simone Bossi. Non il n’a pas enregistré un disque mais une de ses photos m’a arraché l’œil. Le frontal, celui qui voit plus profond que les couleurs superficielles du monde.

    Remarquez ce n’est pas de sa faute. Je peux vous livrer les noms des coupables : Alexis Tytelman et Léo Leyzerowitz. From Paris (France). A eux deux ils forment Arche. Z’ont utilisé une de ses photographies pour la couve de leur premier opus. Ils l’ont un peu détournée, ceci n’est pas un reproche mais fait partie des aléas réceptionnels de toute œuvre livrée au public, en rajoutant au bas du cliché et le nom du groupe et le titre de l’album.

    EVERYTHING WILL DISAPPEAR

    ARCHE

    (Bandcamp - 23 / 12 / 2023)

    , gene vincent, fomies, colin escort, sam coomes, ronnie dyson, arche, ashen, bill crane, rockambolesques,

             A première vue l’entrée bétonnée d’un site militaire antiatomique. Un blockhaus de commandement et de survie. D’ailleurs l’appellation d’Arche ne participe-t-elle pas de cette notion de survivance post-apocalyptique, tout juste si l’on n’entrevoit pas la barbe blanche de Noé roupillant entre un tigre et un lion couchés à ses pieds. S’impose un sacré bémol à cette vision rassurante, la porte grand-ouverte de notre abri laisse à supposer qu’il n’est guère hermétique… Les trois termes du titre anglais dissipent la moindre parcelle d’espérance : rien ne subsistera ! Difficile d’être davantage nihiliste.

             Essayons de nous raccrocher aux petites herbes : ainsi sur YT la mention : leur projet : ‘’ Ils ( Alexis & Théo) ont à leur tour décidé de  prédire une période de grande désolation’’ n’incite point à l’optimisme… sur bandcamp leur succincte introduction : ‘’ Au commencement était le drone’’ veut-elle qualifier que leur structure musicale de base serait la répétition ou que l’utilisation militaire des drones aux frontières de l’Ukraine n’est qu’un avant-goût de notre futur immédiat…

             Rendons au neveu de César ce qui est à Auguste et à Simone ce qui est à Bossi. C’est bien l’empereur romain qui a donné l’ordre de fortifier l’éperon rocheux qui domine la ville suisse de Bellinzone.  L’idée était bonne. Elle bloquait un passage des Alpes qui permettrait à une armée ennemie de débouler par surprise sur l’Italie, au cours des siècles suivants elle fut sans cesse reprise. Au treizième siècle fut bâtie sur l’éminence l’immense forteresse de Castelgrande. Aujourd’hui transformée en musée. Les touristes devaient faire un super détour pour y accéder. En 1989 l’architecte Aurelio Galfetti aménagea et construisit au bas de l’amoncellement rocheux un ascenseur qui vous monte directement à l’intérieur du château. C’est l’entrée de cet ouvrage monumental qui est représentée sur la photo de Simone Bossi.

             Elle fait partie d’une série de dix clichés que vous retrouverez facilement. Un tour sur son instagram et sur son site s’impose. Bossi se définit par un seul mot : photographe. L’on aurait envie de préciser : photographe d’architecture. Mauvais aiguillage. Il ne photographie pas des monuments. Mais des morceaux d’habitation. Un bout de pièce, l’angle formé par deux murs, quelques marches d’escalier, une fenêtre. Ne vous file pas le plan d’ensemble. Ce qui l’intéresse c’est l’espace, et pour être plus précis le vide qu’englobe cet espace. Curieuse manière de procéder. Ne cherche pas à donner à voir. Sa motivation première, c’est de créer son espace, de le prendre au piège de sa présence. Ne confondez pas : pas la présence de l’espace en tant que tel ou telle, mais sa présence à lui, lorsqu’il clique sur son instamatic, c’est lui qui emprisonne toute sa personnalité, tout son passé, tous les instants accumulés depuis son enfance, qui se résument en quelque sorte par cette extimité vidique de son intimité existentielle. Une méthode mallarméenne d’abolir le hasard car ce qu’il photographie ce n’est pas un lieu quelconque ou exotique mais le lieu de sa propre présence reflétée par sa propre absence dans l’ici et l’éternité de l’instant. Rien n’aura eu lieu que son absence physique d’un lieu métamorphosé en espace métaphysique.

             Quand on y pense un tantinet le cliché est bien choisi, illustrer la future disparition de toute chose par une présence qui n’est qu’absence équivaut à doter le non-être de toute chose de sa propre êtralité. La vôtre et celle du non-être.

    Part 1 : ce n’est rien, un souffle sombre, issu de la bouche d’ombre, profond, lent, une exhalaison lointaine qui se perd d’elle-même avant de renaître d’elle-même, une corde de guitare, résonnance mélodique de deux secondes, ensuite comme une insistance à vouloir vivre, à ne pas disparaître, un éloignement vibratoire de plus en plus présence, une onde sonore qui semble s’enfler sans aucun apport extérieur, une espèce de vrombissement de mouche vibrionnée, infinie en le sens que chacune de ses parties ne saurait avoir d’autre présence que sa volonté à se maintenir, un vagissement de turpitude originaire de lointains confins, et cette note qui s’exalte, mais qui ne pourrait tenir que dans son déchirement, un truchement sonore indistinct, une onde qui voyagerait dans les confins du monde et dont on entend des remugles vibrationnels lorsqu’elle se heurte au mur de sa propre finitude. Part 2 : pas une entrée fracassante plutôt une sortie, qui ne tarde pas à s’agoniser de sa propre rumeur, glissements chuintés sur une corde de guitare, une espèce d’aller sans retour qui finit par revenir sur lui-même, un millepatte rampant dont les pattes explosent en un feu d’artifice de lumière noire, ce qui produit une espèce d’effulgence dramatique de dépliement, de reploiement sur soi-même, un écho comme d’une voix qui ne fut jamais prononcée, la matière sonore se voudrait-elle imitation humaine, un roulement de galets dans une gorge profonde, une faille sans fin dans laquelle elle réfugierait à la manière d’un serpent malade qui chercherait en vain sa queue lézardique dont il n’a jamais été doté.

             Deux guitares, un enregistrement live en studio. Un coup de dés dont les faces ne portent la gravure d’aucun chiffre. N’est-ce pas l’unique manière non pas de gagner mais de ne pas perdre à tous les coups. Douze minutes, douze secondes. Un chiffre typiquement mallarméen.

             Une arche prometteuse.

    Damie Chad.

     

    *

            Un petit tour sur le FB d’Across The Divide, nous suivons ce groupe depuis plusieurs années, que deviennent-ils, pas grand-chose à voir depuis plusieurs mois, ah si, un post d’une ligne, travaillent sur de nouvelles surprises, merci pour la précision ! Ah, non, sont tout de même gentils, pour nous faire patienter ils nous offrent une vidéo que nous nous nous dépêchons de regarder car elle date du 05 septembre 2003.

    ANOTHER DAY

    ACROSS THE DIVIDE

    (Official Music Video / YT / Septembre 2023)

    Another Day est le sixième et dernier morceau de l’EP Eternal, que nous avons chroniqué dans notre livraison 593 du 23 / 03 / 2023. Rappelons aux esprits distraits que rien n’est plus près de l’éternité que la mort. La musique d’Across The Divide n’est en rien joyeuse. Elle se tient aux bords les plus extrêmes de la fracture. Celle qui sépare ce qui a été de ce qui n’est plus. Sur quel bord exactement ? A vous de choisir. Dans notre présentation de l’EP nous assurions qu’Another Day était une chanson d’amour. Nous encouragions les partisans de la vie en rose de la considérer ainsi. Nous n’aimons guère chagriner les âmes tendres. Par honnêteté intellectuelle nous indiquions que l’on pouvait aussi la considérer autrement.

    La vidéo est créditée à Regan Macdowan, j’ignore tout de lui, je ne sais s’il en est le réalisateur ou l’un des personnages. Quoi qu’il en soit je n’ai jamais vu une vidéo qui permette d’écouter aussi bien une chanson. Généralement les clips permettent au mieux de voir la musique en la noyant sous un flot d’images, les clips miment, ici la vidéo interprète le morceau, un peu comme un orchestre interprète une symphonie de Brahms ou une danseuse étoile Le lac des Cygnes. Que de références classiques pour du rock’n’roll maugréeront les intelligences étroites.

    Je me hâte d’ajouter que nous sommes en pleine théâtralité classique française, respect absolu de la règle des trois unités, lieu, temps, action. Les trois offertes en un seul paquet bien ficelé. De plus comme il s’agit de musique nous sommes plus près de la gestualité d’un ballet classique que des allées et venues de personnages sur une estrade de bois. Enfonçons le clou pour qu’il fasse davantage mal, s’il fallait mettre cette vidéo en relation avec une autre œuvre ce serait avec l’opéra Madame Butterfly de Puccini.

    , gene vincent, fomies, colin escort, sam coomes, ronnie dyson, arche, ashen, bill crane, rockambolesques,

    Une pièce. Grande, quelconque. Ajourée. De nombreuses fenêtres. Une cage de verre dont on ne s’évade pas. Ils sont trois. Eliminons : Lui. A peine le verrons-nous traverser la pièce. De fait il n’est pas là. Il est absent. Il est parti. Celui par qui le malheur est arrivé. L’amant si vous voulez que nous lui accrochions une pancarte sur le dos. Donc ils ne sont plus que deux. Débarrassons-nous de celle qui restera jusqu’à la fin. Il est parti. Elle le regrette. Soyons dur et cruel, laissons-là à son triste sort. Enfin il y a Lui. Non ce n’est pas le même que le premier. C’est un danseur. Une projection du cerveau de l’esseulée. Il est beau, il danse comme un Dieu ( grec, évidemment), il traduit le chagrin, il se métamorphose en désespoir, c’est le chant du cygne, le cygne noir qui s’allonge à terre, replie ses bras comme des ailes, le voici refermé sur lui-même, recroquevillé, derniers soubresauts d’agonie d’un rêve qui ne survit pas à lui-même. Normal, dans le théâtre classique, il est interdit de faire mourir un personnage sur scène, alors c’est le rêve qui se charge d’incarner cette monstrueuse action.

    Maintenant rajoutons un soupçon d’ambiguïté, nous l’avons déjà dit, le clip est extrêmement dépouillé réduit à presque rien, à presque personne, du coup l’on entend beaucoup plus le vocal, c’est un homme qui chante, y a une seconde voix toute aussi virile en duo qui assombrit par moments l’atmosphère, l’on peut donc s’amuser (souvenez-vous de notre parti pris de cruauté) à permuter les rôles. Nous faisons confiance à nos lecteurs pour se livrer à ce petit jeu permutatif. En tous les cas souvenez-vous que quel que soit le côté de la fosse béante sur laquelle vous vous trouvez les chants les plus désespérés sont les plus beaux. Merci Musset.

    Damie Chad.

     

    *

            Amis rockers que feriez-vous si vous étiez à l’autre bout du monde ? Je vous entends rugir : du rock ‘n’ roll ! Félicitations, la seule bonne réponse attendue ! Prenons un exemple au hasard. Enfin presque, parce que des amis qui se sont exilés à plusieurs milliers de kilomètres de notre douce France, je les compte sur un seul doigt de mes deux mains. Je vous parle souvent de lui, d’Eric Calassou, là-bas en Thaïlande.  D’apparence il n’a pas changé ses habitudes, il écrivait en France, il écrit en Thaïlande, il prenait des photos en France, il prend des photos en Thaïlande, il peignait en France, il peint en Thaïlande, il composait de la musique en France, il compose de la musique en Thaïlande. Bref l’a continué à être ce qu’il était. Juste un petit truc qui cloche (à la façon d’Edgar Poe) il avait un groupe de rock en France, il ne l’a plus en Thaïlande. Bref chaque fois que je vous parle de ces dernières réalisations made in Thaïland, dans mon petit chapeau introductif je vous rappelle qu’Eric Calassou était aussi le meneur du groupe Bill Crane, or, voici : tout nouveau, tout beau :

    BABY CALL MY NAME

    BILL CRANE

    (You Tube)

             J’en conviens, si l’image correspond bien au titre de l’album se dégage d’elle un parfum suranné, à l’heure du portable invasif nous voici ramenés aux combinés gris à roulettes du siècle dernier. Esthétique que je me plais à qualifier de spartiate. Le minimum vital, rien de plus. Justement question minimal Bill Crane s’avère un groupe un soupçon tantinet squelettique. Pas de bassiste. Pas de batteur. N’évoquons même pas la possibilité d’un organiste ou, soyons fous, d’un trompettiste. Le trio de base du rock‘n’roll réduit à une seule personne. Après tout on n’est jamais mieux servi que par soi-même. Apparemment les musiciens de rock ne courent pas les rues en Thaïlande. Et puis il aurait fallu qu’ils s’approprient l’esprit Bill Crane, ce qui doit demander un certain effort. L’en faut davantage pour décourager un rocker isolé en pays asiate. Calassou n’a pas fait appel à l’Intelligence Artificielle, s’est branché sur l’application Garageband.

             Si vous en déduisez qu’Eric Calassou vous a fignolé un disque de rock ‘n’roll qui ressemble à un véritable disque de rock ‘n’ roll, à partir d’ ersatz sonores de seconde main, vous êtes dans l’erreur. Un disque de Bill Crane ne saurait être du simili Bill Crane. Certes du nouveau dans le stock Bill Crane mais pas du Bill Crane toc.

             Eric Calassou, n’est pas toc-toc. Je l’imagine assis devant son appli, sa guitare sur les genoux, l’a dû méditer un moment, ou peut-être a-t-il agi d’instinct. Je ne sais pas, mais le résultat est-là.  

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    Baby call my name : c’est un peu comme ces filles toute nues qui s’habillent avec trois fois rien, un peu de rouge à lèvres sur le bout rose de leurs seins. Et tout de suite c’est beaucoup mieux. Bon, la fille n’est pas là, ce n’est pas le problème. Je ne vous parle pas de la fille mais de la manière dont est composé le morceau. Derrière vous avez la machine, elle fait le minimum, vous savez ces couches de peinture monochrome que les peintres passent sur leurs toiles avant de commencer leur tableau. On arrive au plus dur, Eric n’a pas de pinceau, mais il l’a une voix, c’est elle qui va dessiner les arabesques qui donnent formes à la chose représentée. Difficile de la faire apparaître puisqu’elle est absente, justement le vocal vous dessine l’absence. Pas facile de représenter une chose qui n’est plus là. Faut utiliser la technique du trompe-l’œil, ici avantageusement remplacée par le trémolo du désespoir. Tout est dans la manière de répéter baby, call my name. Ne faut surtout pas exagérer non plus. L’on ne va tout de même pas se suicider pour une fille. Les rockers n’ont pas le cœur en pain de mie. Suffit de jouer le jeu. Pour les lyrics pas besoin de fignoler des alexandrins à la Lamartine, suffit d’y mettre un peu d’influx répétitif, tragediante y comediante, le larynx qui tremble ou s’énerve, les mots n’ont aucune importance, tout est dans l’intonation, le gamin devant son électrophone qui se prend pour Jagger, ou Robert Plant, n’atteint pas le rock’n’roll mais l’essence du rock ‘n’ roll. La fièvre sans la température. Juste l’attitude rock, ou vous l’avez ou vous ne l’avez pas. La gerce peut aller se rhabiller, si elle avait le bon feeling elle serait restée.  Retenez la leçon, vous ne trouverez pas meilleur professeur que Bill Crane. Hold me tight :  qu’est-ce que je disais, l’option suicide était inenvisageable, serre moi fort, elle s’est dépêchée de revenir, alors le gars lui sort le grand jeu, l’a investi sur sa voix de séducteur N°4, aussi forte que les grandes orgues de Saint-Sernin ( Toulouse), grandiose, pas croque-mort à la Johnny Cash, plutôt croque-motte si vous voyez ce que je veux dire, vous enduit le corps de la jeune fille d’un truc aussi gluant et lubrifiant que la bave de cobra en rut, la boîte à rythme clopine un peu à cloche-pied, elle vous gongue comme thanatos et vous ensuave comme éros,  mais c’est la guitare qui se tape tout le boulot, des espèces de feulements serpentiques auxquels personne ne résiste, d’ailleurs le Calassou oublie les paroles et vous sort le la-la-la du gosier de l’Iguane, le coup du charme obnubilant, l’est sûr de son effet, une espèce de slow-blues visqueux dans lequel on adore patauger. Move me : ce morceau est un peu la saison 2 du précédent. La basse vous creuse une tombe assez profonde pour contenir toute la famille, la batterie y va lentamente pero seguramente comme dicen los espagnolitos, sans se presser, utile mais futile, le Calassou prend son pied, vous l’entendez déglutir, le pire ce sont ses hoquets, venus tout droit du rockab, que vous ne reconnaîtrez pas parce qu’il les allonge démesurément en sifflets interminables de train qui résonnent sur les murs du tunnel dans lequel il s’est engagé. Vous ne savez pas si c’est du caviar ou des œufs de lump, vous en reprenez, vous vous goinfrez. Petite mort. Dance to the music : tiens un vrai bruit de machine vite écrasé par une basse de profundis, c’est la saison 3, en pire ou en mieux, tout dépend de la dose de stress-dance que vous vous pouvez supporter, en plus violent, en plus assourdissant, le Calassou vous le fait de temps en temps à la voix mentholée et très souvent à la résonnance marbrée au brou de noix, maintenant en arrière-fond  un gars fait du morse à moins que ce ne soit une grand-mère qui tricote une mantille de deuil, vous vous en moquez, il y a ces vlangs de guitares tranchants comme des couperets de guillotine qui vous découpent en tranches fines. L’on était parti sur un trip typiquement rock’n’roll, faut se l’avouer dans le genre blues funèbre vous êtes aux premières loges. Au fur et à mesure que s’écoulent les morceaux Calassou maîtrise de mieux en la machine, une percu tam-tameuse sonne le glas de vos oreilles fissurées, vous m’en direz des nouvelles. Am breaking now : vous croyez avoir tout vu, tout lu, tout entendu, ici c’est la voix de Jim Morrison en train de péter le câble qui le retenait à l’univers, le Calassou il ne fait pas dans la compromission, déjà au morceau précédent la valse binaire de l’histoire d’amour sur chaise bancale n’incitait pas à l’optimisme, l’on dirait qu’il a enregistré le bruit de fond d’une tempête mentale, à chaque seconde l’on descend six pieds sous terre, et l’on suit la marche nuptiale vers le néant, l’on a compris que si nous perdons la procession, c’en était fini de nous et surtout de tout. C’mon baby : respiration, de retour à l’ambiance du premier morceau, il nous le fait à la Presley, I want you, I need you, I love you, parfois ça fait du bien de se raccrocher aux valeurs sûres, des bruits de moteurs, une frappe de bûcheron canadien, l’on s’amuse comme des fous, délire rock, guitares klaxonnante. Clin d’œil à Cochran, cocard à la Bo Diddley. L’on est de retour chez nous dans la terre du rock’n’roll foutraque. I got the blues : pas besoin de vous faire un dessin, retour à l’essence du Delta, une autre forme de foutraquie, plus inquiétante, le blues est un crotale qui se réveille chaque matin dans votre cerveau, ne faut pas dormir la bouche ouverte aux rêves roses, le blues descend sur vous comme la nuit mentale sur le monde, si vous ne savez pas ce qu’est le blues écoutez ce seul morceau vous saurez tout : des percus africaines aux digues rompues du Mississippi. On ne le savait pas, mais apparemment il coule aussi en Thaïlande. Down on the corner : ah, un titre qui fleure bon le rockabilly et le country, écoutez-le et l’évidence s’imposera à vous, à l’origine venus de continents différents le blues et le country sont une seule et même pulsation née dans le sang des hommes. Issue d’une même résidence en un monde hostile. Les deux faces du même couteau que l’on s’enfonce dans la chair pour conjurer le malheur de vivre, ou la tentation d’exister. World without gun : c’est-y-quoi ? Un truc que vous n’avez jamais entendu, un chant d’espérance, une prière à qui vous voulez ( sauf à Dieu ) une espèce d’un nouveau genre en mutation, perso je le définirai comme une espèce mutante, un noise-gospel de la dernière génération. Avec un bruitage d’orgue de barbarie pour conjurer la barbarie humaine.  Déchirant. My life : l’a décidé de ne pas nous faire de cadeau, ne s’en fait pas non plus puisque à l’origine ce morceau s’intitulait In the darkness, une longue plainte, un cheval fourbu qui marche à l’amble, dans le désert de l’existence, son écurie ne sera qu’un squelette à moitié recouvert dans un désert de sable, tempo lent et voix ténébreuse expirante, la prière n’a été en rien exaucée… Magnifique. A ne pas écouter si vous êtes dépressif.  Get out of this town : retombée et désillusion. Le même thème que We ‘ve gotta get out of this place des Animals mais en plus désespéré, la ville est partout, le gars n’en sortira jamais, marche d’un bon pas, rien n’y fait, de fait il tourne en rond dans sa solitude, de temps en temps il imite le long cri du train qu’il ne prendra jamais. Il y a longtemps qu’il ne s’arrête plus dans sa caboche. Voix gravissime. Il hurle. Move me : Chinese Modern Remix : la surprise du chef, n’oublions pas que nous sommes en Thaïlande, version orientale. Au premier coup de gong peut-être évoquerez-vous le Schéhérazade de Rimski-Korsakov, erreur fatale, nous ne sommes plus à la même époque, le bruit recouvre la splendeur du rêve, une percu jacasse comme cent mille perroquets, et des stridences vous traversent la tête, un véritable cauchemar, la voix d’Eric tente de dompter le brouhaha, est-ce une façon de nous dire qu’il y a trop d’hommes sur notre planète.

             Ces onze titres sont une splendeur, Bill Crane touche aux origines et à l’essence du rock’n’roll. Génialement novateur.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll ! 

    10

             Le Chef semblait soucieux, il s’écoula un long temps (cinq secondes) avant qu’il n’allumât un Coronado :

             _ Agent Chad, inutile de nous perdre en raisonnements oiseux, nous devons nous livrer à quelques primaires vérifications expérimentales afin d’éclaircir quelque peu ce mystère insondable. Je prends le double des clefs de votre habitation provinoise, pendant ce temps volez-moi une voiture que vous stationnerez sur le trottoir devant l’entrée du service. Dès que je serai parti, procurez-vous un autre véhicule, laissez s’écouler deux heures de temps et retournez chez vous. A vitesse modérée, ne conduisez pas comme un fou selon votre mauvaise habitude, n’attirez en aucune façon l’attention sur votre personne, nous nous devons d’être discrets. Une fois à la maison, filez au lit, tirez les verrous de votre porte, allongez-vous et attendez-moi.

    11

             J’ai roulé tranquillou jusqu’ Provins. Molossa et Molossito allongés sur la banquette arrière. Un œil dans le rétro et l’autre sur mon Rafafos déposé sur mes genoux. Ses précautions se révélèrent vaines. Aucun incident notable ne survint. Je stationnai dans une rue adjacente de mon domicile et regagnai la porte d’entrée mes deux clebs sur les talons.

             _ Ho, les chiens, je sais que ce n’est pas l’heure, nous allons nous coucher !

             A peine eus-je ouvert la porte de ma chambre que les deux braves bêtes se précipitèrent sous le lit en aboyant frénétiquement. J’entendis un mouvement de reptation sous ma couche, mon Rafalos à la main je m’apprêtai à tirer lorsque la tête du Chef émergea :

             _ Agent Chad, point de nervosité la première de nos expériences vient de se terminer. J’allume un Coronado, au moins trois bons quarts d’heure que je m’en suis abstenu, un supplice odieux tout cela pour anéantir une possibilité qu’au fond de moi-même je jugeai improbable ! Nous pouvons désormais éliminer la proposition jaune.

             _ Chef vous supposiez que c’était la maffia chinoise qui nous s’était chargé d’enlever nos chiens !

             _ Agent Chad, vous me décevez, vous n’avez jamais lu Le mystère de la chambre jaune de Gaston Leroux, cette tentative de meurtre commise dans une pièce hermétiquement close !

             _ Donc vous supposiez que le ravisseur de Molossito et Molossa était caché sous le lit lorsque nous nous sommes couchés !

             _ Agent Chad, arrêtons de discutailler, ce n’est pas le cas, nous venons d’établir que les chiens l’auraient découvert, il est temps de vérifier l’hypothèse bleuâtre.

    12

             L’expérimentation dura près de trois heures. Mon rôle ne me demanda pas beaucoup d’efforts. A part tirer les trois verrous intérieurs de ma chambre et rester à bouquiner en compagnie de mes deux fidèles compagnons, ce ne fut pas très fatigant, mais lorsque le Chef tambourina sur la porte en hurlant que je pouvais ouvrir, à peine l’eus-je entrebâillée qu’un épais nuage de fumée bleuâtre m’assaillit. Au loin j’entrevis dans un halo bleuté la silhouette du Chef :

             _Agent Chad j’avoue que j’avais davantage d’espoir avec ma seconde hypothèse, notre ravisseur aurait pu par le trou de votre serrure insuffler un soporifique dans votre chambre, mais le clapet de sécurité dont vous avez équipé votre serrure s’est avéré totalement hermétique…

             _ Chef comment serait-il rentré puisque les verrous intérieurs étaient tirés !

             _ Agent Chad, très facilement, il vous aurait d’abord endormi vous et les chiens avec l’aide d’un narcotique quelconque, dans un deuxième temps grâce à ce que l’on appelle un Injonctif de Volonté il vous aurait inculqué l’ordre de tirer les verrous et de vous recoucher. Il serait alors rentré, aurait capturé les chiens puis avec l’aide du même IDV il vous aurait intimé l’ordre de de refermer les verrous et de vous rendormir.

             _ Chef, j’ai un soudain trou de mémoire pourriez-vous me rappeler ce que c’est que l’IDV, je ne sais comment mon système neuronal confond avec IGV…

             _ Agent Chad, en tant qu’Agent du Renseignement vous devriez vous tenir au courant des avancées de la science, un IDV est un produit qui s’administre sous différentes formes, gélules, solutions buvables, ou spray. Il permet à un patient d’être non seulement privé de toute forme de volonté mais surtout de devenir sensible à toute injonction donnée par une autre personne.

             _ Un peu comme les zombies du vaudou, Chef ?

             _ Exactement mais l’effet est loin d’être aussi efficace, il ne dure que deux ou trois minutes. Bref, trois ou quatre gros pschitt par le trou de la serrure et un ordre hurlé au travers de la porte, par exemple au mégaphone, pour que votre oreille le réceptionne et le transmette au cerveau, et le tour est joué !

             _ Chef, j’ai donc échappé à ce traitement diabolique !

             _ Exactement Agent Chad, ce qui ne résout pas notre affaire, il est temps de rentrer au Service et de méditer à tête reposée sur cette mystérieuse affaire.

    13

             Nous discutâmes longuement. Nous tombâmes rapidement d’accord sur un premier point : nos modestes personnes n’étaient pas dans la mire de nos ennemis, en tant que telles. Au travers de nous et nos chiens c’était le rock ‘n’ roll qui était visé. Pour quel mobile, nous n’en savions rien.

             Il était maintenant près de minuit et nous n’avions pas progressé d’un millionième de millimètre.

             _ Agent Chad, j’allume un dernier Coronado et nous partons nous coucher. A moins que vous n’ayez une dernière réflexion particulièrement pertinente à me proposer.

             _ Hélas Chef, à moins d’être le passe-muraille de la nouvelle de Marcel Aymé, je ne vois pas qui aurait pu rentrer dans ma chambre fermée à clef en traversant le mur !

             _ Bon sang, Agent Chad, pourquoi ne l’avez-vous pas dit plus tôt, cela nous aurait fait gagner du temps ! Pour sûr vous avez raison, ces gens-là connaissent le moyen de traverser les murs. Ils ne doivent pas être légion en France, nous les repèrerons assez facilement, faites-moi confiance, quelques heures tout au plus, le premier gars qui traverse un mur, il suffit de courir à toute vitesse de l’autre côté du mur pour le cueillir à sa sortie !

             _ Chef, vous êtes trop optimiste ! Jamais de ma vie je n’ai vu personne entrer dans un mur devant moi !

             _ Arrêtez d’énoncer de stupides évidences Agent Chad, tenez du coup…

    Le Chef sortit un Coronado hors de sa poche, le contempla avec vénération durant trois longues minutes, avant de se résoudre à le porter à sa bouche et de craquer une allumette.

             _ Agent Chad vous n’avez jamais vu quelqu’un qui marchait devant vous entrer dans un des murs qui bordaient le trottoir que vous suiviez pour la simple et bonne raison que vous n’aviez jamais imaginé que cela fût possible en ce bas-monde, l’on ne trouve que ce que l’on cherche, un peu comme le hasard objectif d’André Breton, qu’entre nous je n’aime pas du tout, un peu trop directif dans sa gestion du mouvement Surréaliste, une âme, non pas de dictateur, cette expression est trop élogieuse, bien plus petite que cela, une âme… une âme… de petit-chef ! Oui c’est bien le mot que je cherchais ! D’ailleurs existe-t-il un document quelconque d’après lequel on pourrait interférer qu’il ait eu l’occasion d’allumer une seule fois, un Coronado ?

             _ Non Chef, je n’ai jamais vu une photo de Breton en train de savourer un Coronado, je vous l’accorde, par contre je persiste à déclarer que je n’ai jamais un homme entrer dans un mur !

             _ Certes Agent Chad, je veux bien vous croire, pourtant dans cette même pièce pour ma part j’en connais au moins un.

             _ Quoi, Chef, vous en avez vu un ?

             _ Agent Chad, me prenez-vous pour un jocrisse, si j’en avais vu un je l’aurais immédiatement abattu d’un coup de Rafalos, n’oubliez pas que certaines munitions de mon Rafolos sonts capable de s’enfoncer de cinquante centimètres dans une épaisseur de béton précontraint, je ne vous parle même pas des façades de briques !

             _ Chef vous n’en avez pas vu, moi non plus, qui donc dans cette pièce aurait pu en voir !

             _ Agent Chad, pourquoi croiriez-vous que l’on s’en soit pris à Molossa et Molossito, nous tenons-là enfin une piste sérieuse !

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 625 : KR'TNT 625 : GENE VINCENT / ROCKABILLY GENERATION NEWS / BILLIE HOLYDAY / KIM GORDON / HOLLY GOLIGHTLY / ALABAMA SHAKES / BEVERLY GUITAR WATKINS / THE SIXTH CHAMBER / MOURNING DAWN / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 625

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    21 / 12 / 2023

     

    GENE VINCENT / ROCKABILLY GENERATION NEWS

    BILLIE HOLIDAY / KIM GORDON

    HOLLY GOLIGTHLY / ALABAMA SHAKES

    BEVERLY GUITAR WATKINS / THE SIXTH CHAMBER  

    MOURNING DAWN / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 625

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    AVIS AUX KR’TNTREADERS

    L’ANNEE FINIT MAL POUR VOUS !

    LA PROCHAINE LIVRAISON 626

    AURA LIEU SEULEMENT

    LE JEUDI 04 JANVIER 2024

    JOYEUSES SATURNALES !

     

     

    GENE VINCENT

    ROCKABILLY GENERATION NEWS

    HORS-SERIE # 4 / JANVIER 2024

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             Ne dites pas ‘’ je l’ai déjà’’, l’est vrai que de (très) loin les deux couleurs de fond à quelques nuances près sont identiques surtout si vous les comparez non pas à la lumière naturelle mais électrique, presque quatre années se sont écoulées entre la parution du Hors-série # 1 Gene Vincent La légende du rock et ce Hors-série # 4 Gene Vincent La légende du Rock. Ajustez vos lorgnons si vous ne me croyez pas, sur le premier vous n’avez que le chef de Gene Vincent, sur ce quatrième il ne lui manque que les jambes.

             Ne dites pas, bon une réédition, z’ont juste changé la couverture. Pas du tout. L’équipe de Rockabilly Generation News a voulu réparer une injustice. Le premier H.S. du mensuel avait été une aventure, un pari sur l’avenir. Pari réussi, à plusieurs reprises il a dû être réimprimé pour satisfaire la demande. Dans son sillage nous avons eu à droit à un H.S.  # 2 Crazy Cavan et un H.S. # Vince Taylor. Deux H. S. qui ont profité des enseignements de l’élaboration du # 1 : pagination passée de 32 pages à 48, photos mieux travaillées (quand on connaît la qualité habituelle des photos de RGN l’on entrevoit le niveau d’exigence de Sergio Kazh), des articles davantage pointus… A l’aune de ces paramètres la réédition du H. S. # 1 s’imposait.

             Que voulez-vous, nous petits froggies, on n’est pas comme les ricains du Rock’n’roll Hall Fame fondé en 1983 qui ont attendu 1998 pour introniser la figure de Gene Vincent en son panthéon…

    *

             Enfin retiré dans sa gangue de plastique, l’est dans notre main, l’on hésite avant de l’ouvrir, pour commencer on se contentera de feuilleter uniquement pour les documents photographiques, nombreux mais si habilement distribués que la mise en page est des plus aérées, l’on soupire deux ou trois fois avant de se lancer dans la merveilleuse et triste histoire de Gene Vincent.

             Pourquoi une telle ferveur autour du personnage de Gene Vincent, n’existe-t-il pas des milliers d’autres chanteurs de rock. Une voix exceptionnelle, d’une finesse absolue, un jeu de scène d’autant plus incomparable que basé sur son infirmité, une discographie qui comporte nombre de chef-d ’œuvres… Une carrière qui commence comme un conte de fées, une poignée d’amateurs au sens noble de ce terme qui se trouvent propulsés au-devant de la scène en quelques semaines.

    Certes il y a mal donne. Dès le début. N’ont pas suivi le premier précepte du savoir-faire américain : The right man at the right place. Ce petit noyau de musiciens qui l’entourent ce sont bien les right men. Mais ils ne sont pas à la bonne place. Tony Marlow nous parle de Cliff Gallup. Un guitariste incomparable. Cliff n’est pas un rocker dans l’âme, il n’est pas un révolté,   mais il a su se mettre à la hauteur des aspirations de Gene, comment a-t-il eu l’intuition de savoir ce que Gene désirait, personne n’a su l’expliquer. Tony nous l’explique historialement, musicalement, techniquement,  moins doué que Tony je dirai que Cliff à la guitare si clivante est l’explorateur de la brisure, l’est comme un funambule qui court à toute vitesse sur son fil et brutalement le voici qui marche bien au-dessus de son cordon, n’en finit point d’escalader le ciel jusqu’au point de rupture d’équilibre, il dégringole comme une pierre qui rebondit d’escarpements en escarpements pour dévaler la montagne, il plonge dans l’abîme et… par un inouï redressement incompréhensible il revient galluper sur le fil avec l’élégance et la précision d’un hélicoptère qui se pose sur votre pelouse. En plus vous avez le bruit syncopant des pales tournoyantes et du rotor pétaradant qui vous bouscule les tympans.

    Avec un tel talent, Cliff aurait pu amasser des dizaines de milliers de dollars en tant que guitariste de studio. Préfèrera retourner chez lui et animer bals et spectacles des patelins du coin… Poussera l’abnégation jusqu’à presque mourir sur scène. Le père tranquillou qui se paie un destin à la Molière…

    Mais il n’est pas le seul. Un à un, le numéro vous les présente, tous les musiciens de Gene durant ses premières années américaines le quitteront pour voguer en des eaux plus calmes. Pas pour rien que son groupe se nomme les Blue Caps.

    Le pire c’est que Gene s’habitue à tous ses changements. Le vent souffle, il reste le rock dans la tempête. Il se débrouille, il improvise, il ne comprend pas, et Capitol ne lui en donne pas les moyens, qu’il aurait besoin d’un staff stabilisé pour servir d’interface entre sa carrière et sa maison de disques…

    En 1959 la carrière américaine de Gene est mal partie, elle renaît en Europe. L’Angleterre et la France l’accueillent. La revue s’attarde davantage sur ses différentes venues en notre pays, triomphales au début des années soixante, mais sa popularité s’étiole au fur et à mesure que la décennie s’écoule jusqu’à la dernière tournée portée à bout de bras par des fans qui ne disposent pas des moyens financiers suffisants…

    Gene est un homme blessé, l’alcool sera pour lui un moyen de combattre la douleur de sa jambe brisée, cette souffrance physique sera confortée par un sentiment de déclassement et d’abandon, voire de trahison. Tous ses efforts pour revenir au premier plan se heurteront à un plafond de verre d’indifférence de la part des médias et du showbiz, la deuxième moitié des années 60 se transformera en un long purgatoire pour la plupart des pionniers. Mais l’homme se battra jusqu’au bout.

    Jusqu’à l’effondrement. Si pathétique que ce soit, un aigle blessé restera toujours un aigle. Qui sait voler plus haut que la plupart.

    Gene aura eu une influence capitale sur le rock français, une empreinte morale affirmeront certains, je n’aime point ce mot, l’attitude exemplaire de son existence vouée au rock‘n’roll ont marqué bien des esprits. Un demi-siècle après sa disparition, ce Hors-Série # 4 intitulé Gene Vincent la légende du rock est la preuve de la ferveur persistante autour de son nom et de son œuvre.

    Remercions Pascale Clech, Yolande Gueret, Gilles Vignal, Maryse Lecoultre, Tony Marlow, Brayan Kahz, Serge Poulet et Sergio Kazh qui ont œuvré à la réalisation de cet ouvrage indispensable autant pour les fans que les néophytes es rock’n’roll.

    A regarder, à lire, à méditer.

    Action Rock‘n’roll !

    Damie Chad.

    Pour un numéro : 12 € + 4, 30 € = 16, 30 €

    Pour deux numéros : 24 € + 6, 30 € = 30, 30€                                               

    Paiement chèque bancaire : à l'ordre de Rockabilly Generation News, à Rockabilly / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois /

    Paiement Paypal : (cochez : Envoyer de l'argent à des proches) maryse.lecoutre@gmail.com.

    FB : Rockabilly Generation News.

     

    *

    Une bonne nouvelle emmène une autre bonne nouvelle. A peine l’enveloppe enfermant le H. S. 4 Gene Vincent récupérée dans la boîte à lettres qu’une deuxième arrive deux jours après, elle aussi porteuse d’une nouvelle revue :

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 28

    JANVIER – FEVRIER – MARS ( 2024 )

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            Mais qu’est-ce donc que le rockabilly ? Sergio Kazh et sa démoniaque équipe ont décidé de répondre à cette question. Que le lecteur ne s’angoisse pas, ne se sont pas réunis durant trois mois en conclave pour rédiger un texte de quarante-huit pages en lettres minuscules afin de nous livrer tout ce que l’on voulait savoir et même tout ce que l’on ne voulait pas savoir sur le rockabilly. N’ont même pas pris la peine de synthétiser leur savoir en une courte phrase. Ont préféré adopter la méthode des plus grands maîtres Zen. Ce qui nous semble un étrange car le rockabilly ne nous est jamais apparue comme une musique particulièrement zen.

             Résumé de la méthode zen :

    1° : La question : Maître qu’est-ce que violence ?

    2 ° : La réponse : le Maître ne dit rien, il se contente d’envoyer un grand coup de pied sur la figure du disciple qui crache ses dents sur le tatami méditatif.

    3 ° : La conclusion : le Maître dit : Voilà c’est ça.

             Sont sympa chez Rockabilly Generation News : ils vous épargnent les phases 1 & 2. Passent directement à la troisième phase. En plus je vous aide à comprendre la phase 3 : Voilà le rockabilly c’est de la visite vivante.

             Et hop, et bop, dès la première séquence ils vous emmènent en tournée avec les Ghost Highway, vous les suivez partout : sur la route, à table, dans les coulisses, vous assistez aux répètes et aux concerts, et même, ils ne devraient pas, nous disent tout sur le prochain disque en préparation pour 2024.

             L’on a beaucoup suivi les Ghost avec Kr’tnt ! le blogue et le groupe sont nés à peu près en même temps. On les a accompagnés jusqu’à leur séparation en 2016. Ce qu’il y avait de fabuleux avec les Ghost c’est qu’ils avaient un nombre de followers qui les suivaient dans leurs déplacements. Une espèce de confrérie festive ambulante. Les heures chaudes du deuxième revival rockabilly. Une épopée comme peu de groupes français ont su en susciter… Quel plaisir de retrouver Phil, Jull et Arno en photo, sans oublier Brayan le petit nouveau au grand talent à la contrebasse, bref ils sont de retour ! Enfin !

              Musique vivante le rockabilly, pour vous en convaincre le deuxième chapitre nous parle de la renaissance du Festival Viva Pouligue’n’roll ! Trois longues années de dormition et les revoici, et ce n’est pas facile avec l’augmentation du prix des billets d’avion des musicos. Swamp Cats, Hudson Maker, Strike Band, The Jets. Oui ça en jette.

             Neuf pages (+ la couve) sur les T-Becker Trio, ce n’est pas un groupe qui monte, en deux ans sont déjà au sommet, Kr’tnt les a présentés deux fois en concert et ont chroniqué leurs deux CD’s. Racontent leurs parcours, Did, yes indeed, qui a joué avec le Blue Tears Trio, même que c’est le Cat Zengler de chez nous qui a dessiné une de leurs pochettes, l’a commencé par écouter les Chaussettes Noires puis l’a flashé sur les Stray Cats, l’est tombé dans la marmite du Rockabilly, n’en est plus jamais sorti. Tof, c’est pas du toc, l’est parti du néo-rockab vers les racines Hillbilly, Jump, ces vieilleries d’éternelle jeunesse, bourrées de dynamite. Je ne présente pas Axel, very well, un excellent contrebassiste mais quel exemple déplorable pour notre jeunesse, ne faisait pas ses devoirs à l’école, préférait   écouter ses disques de Jerry Lou et de Gene Vincent. Vous voyez où cela l’a mené... dans un des groupes les plus originaux et créatifs du pays…

             Musique ultra vivante le rockabilly, Notre Cat Zengler nous a déjà chroniqué plusieurs éditions de Béthune Rétro, ce coup-ci c’est l’appareil de Sergio qui vous le présente, l’on y retrouve entre autres :  Ghost Highway, Back Prints, Nelson Carrera… découvrez tous les autres par vous-même.

    La tête commence à vous tourner, trop de bruits, de rires, de danses de folie, je ne peux rien pour vous, Parmain, Kustom Festival & Tattoo vous accueille, T-Becker Trio, on se les arrache, groupes anglais, suédois, hongrois, parlent tous la même langue : l’idiome rockabilly !

    Rock’n’Roll in Pleugueneuc et Rocking Rhythm Party # 10, vous commencez à vous lasser, vous avez tort, vous commencez à penser que le rockabilly c’est de la mauvaise herbe, que ça pousse partout en folle France, vous avez raison, je ne citerai qu’un seul exemple Ervin Travis & His Band, le grand retour, au meilleur de sa forme, quel plaisir de retrouver Ervin, Nietzsche avait raison, ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort. 

    Heu, Damie tu n’as pas oublié quelqu’un. Pas du tout bande de brêles, j’ai gardé la meilleure pour la fin pour que vous voyiez au moins une fois dans votre vie la vie en rose. Dans sa précieuse rubrique Les Racines, Julien Bollinger présente The Maddox Brothers and Rose. Drôle de viandox survitaminé les Maddox, on en parle peu par chez nous, une espèce de Carter Family sous acide, rien ne leur a fait peur, même pas Elvis qui leur a rendu hommage, l’article est sous-titré ''Les raisins de la colère'', "les zinzins de la colère'' n’aurait pas été une erreur non plus. Certains ont créé le rock’n’roll. Cette tribu de déjantés avait déjà auparavant inventé la parodie du rock’n’roll.

    Imitons-les en parodiant Gene Vincent. Ce numéro 28 is A Rockin’ Date with Rockabilly Generation News.   Incontournable !

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  6 Euros + 4,30 de frais de port soit 10,30 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 38 Euros (Port Compris), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( Rajouter 1,10 € ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! 

     

     

    Wizards & True Stars

    - Holiday in the sun

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             Croisons donc les regards que portent Lee Daniels et James Erskine sur Billie Holiday, akaka Lady Day. Avec Billie Holiday Une Affaire d’État, le premier opte pour la tragédie. Il passe le plus clair de son temps, c’est-à-dire deux heures, à noircir considérablement le tableau. Victime de ses choix scénaristiques, Daniels conduit son biopic dans l’impasse : la tragédie tue l’art. On est là pour entendre chanter Billie Holiday, pas pour tremper dans l’eau sale des destins tragiques revus et corrigés par l’industrie hollywoodienne. Avec Billie, James Erskine opte pour le docu, mais un docu très particulier. Il repart de l’enquête menée par une certaine Linda Lipnack Kuehl dans les années 70. Elle comptait bien écrire une vraie bio de Billie, et elle interviewait des tas de gens qui l’avaient connue. Linda n’a pas réussi à mener son projet à terme, car elle a cassé sa pipe en bois dans des circonstances mystérieuses : officiellement, elle s’est jetée par la fenêtre de sa chambre d’hôtel. Aux yeux de sa frangine, il est nettement plus probable qu’un mec l’ait balancée par la fenêtre. Erskine a miraculeusement réussi à retrouver les enregistrements de Linda et il base tout son docu dessus. On ne peut pas faire plus véracitaire. En plus, le docu fait la part belle à Billie qu’on entend chanter énormément, et chaque fois, le swing de sa voix te serre le cœur.

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            Les mecs qui font des biopics ont un gros défaut : ils en rajoutent. Ils mordent le trait. Ils chargent la barque. Ils n’ont qu’une seule obsession : faire pleurer dans les chaumières. Et pour faire pleurer dans les chaumières, il faut commencer par tuer l’art. Alors pour tuer l’art, il y va à la pelle, le Daniels, il charge la chaudière, il bombarde, il noircit, il aggrave, il envenime, il ne laisse aucune chance à la véracité, allez hop, la mère qui est pute et la Billie violée à onze ans, allez hop, les maris gigolpinces qui lui tapent dans la gueule et qui la finissent à coups de pompe, allez hop les racistes du FBI obsédés par une seule chanson, «Strange Fruit» et qui l’accusent d’anti-américanisme, d’où l’affaire d’État, le biopic va même filmer les fucking sénateurs, ils ne la lâchent, en plus, ils lui foutent des fioles d’héro dans sa poche et l’envoient au ballon, allez hop, on réduit toute l’histoire, il ne reste plus que la persécution, et le bouquet final, c’est le lit de mort à l’hosto, avec un dernier interrogatoire de la gestapo américaine et c’est là que le biopiqueur vient poser sa pauvre petite cerise sur le gâtö : le pied de la Billie clamsée menotté au barreau du petit lit blanc. Il ne manque plus que la chanson de Berthe Sylva, «Les Roses Blanches». Avec ça, les chaumiers qui habitent des chaumières sont baisés : tout le monde chiale devant la téloche. Daniels a gagné la partie.

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             C’est Lester Young qui baptise Billie ‘Lady Day’. Alors Billie baptise Lester ‘Prez’, c’est-à-dire Président. Dans son biopic, Daniels montre Prez, bien sûr, coiffé d’un petit chapeau noir à la Mo’ Better Blues, mais il ne précise pas qu’il s’agit du grand Lester Young. Heureusement, Erskine rattrape le coup. Il nous montre Lester Young en vrai. La légende de Billie, c’est aussi et surtout Lester Young. Quand elle swingue son sucre, Lester entre avec elle dans le cercle magique. Ils sont comme frère et sœur. Ils sont indissociables - Baby make up your mind - Et les voix enregistrées par la pauvre Linda défenestrée commencent à sortir du passé : «Billie ne chantait que la vérité. Elle ne connaissait que ça.» Alors les entorses à la réalité n’en deviennent que plus insupportables. C’est pour ça que Linda se battait : pour rétablir la vérité, et Erskine lui emboîte le pas. Oui, Billie adorait les jurons : «Suck my ass motherfucker !». C’est aussi ce qu’elle dit dans le biopic au fucking agent du FBI qui lui demande une dernière fois de renoncer à chanter «Strange Fruit» : «Suck my black ass». Une belle façon de l’envoyer se faire foutre. Erskine revient aussi sur une autre réalité : l’œil au beurre noir. Pour les blackettes de cette époque, c’était une preuve d’amour - My man loves me - Une façon comme une autre de tourner la réalité en dérision. On retrouve ça aussi dans l’autobio de Bettye LaVette qui explique que toutes les chanteuses black étaient maquées à des proxos. On retrouve ça aussi dans les histoires d’Aretha et de Nina Simone. À chaque fois, tu as le mari black qui ramasse tout le blé et qui leur tape sur la gueule. He’s my man.

             Le biopic fait bien sûr la part belle à l’héro. Le flicard du FBI veut coincer the bitch on the drugs. Alors on a droit à tout le cirque : la bougie, la cuillère, le garrot, le shoot, le kick, un vrai mode d’emploi. On voit souvent l’actrice à poil. Quand elle baise, elle se fait prendre par le cul. Un cliché de plus. L’actrice est extrêmement belle et s’appelle Andra Day. Mais elle n’a rien de l’animalité de Billie. On a eu le même problème avec le biopic consacré à la Môme Piaf. Le mec qui a tourné ça ne devait pas savoir que Piaf était kabyle. Dans le cas de Billie comme dans celui de Piaf, l’animalité est l’élément déterminant.

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             Erskine remonte aux sources : Harlem années 30, Billie fume de l’herbe, elle écoute Bessie Smith, Louis Armstrong et Billy Eckstine, John Hammond la découvre. On la voit chanter «The Blues Are Brewing» à la télé avec Louis Armstrong, elle chante dans l’orchestre de Count Basie, un Basie que la pauvre Linda a réussi à interviewer - Call me Bill - sans doute le passage le plus étrange du docu. Puis un jazzman blanc nommé Artie Shaw la prend comme chanteuse. Ça ne s’invente pas. Billie tourne dans le Deep South et un jour, alors qu’elle allait pisser dans un champ de maïs, elle tombe sur une scène pas terrible : une ferme brûlée, le black pendu et ses gamines terrorisées qui chialent toutes les larmes de leurs corps. Le biopic ose mettre en scène cette abomination. Hollywood n’est plus à ça près. On se souvient tous de la version hollywoodienne de Shoah, cette grosse arnaque intellectuelle intitulée La Liste de Schindler. Claude Lanzman avait démontré avec Shoah qu’on ne pouvait pas aller plus loin, que son film était à la fois l’aboutissement et la raison d’être du cinéma. Pour se faire un gros billet, les biopiqueurs hollywoodiens sont passés outre et ont «exploité» le filon des camps. La scène de la ferme brûlée tape dans le même genre de registre : on émeut à bon compte, sans trop se poser les questions de base, notamment celles qui touchent à la moralité. L’horreur, comme dirait le Colonel Kurtz.

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             Alors Erskine laisse Bille nous dire les choses à sa façon : elle chante «Strange Fruit». Son visage est pur, la scène colorisée. Elle a presque les larmes aux yeux. Elle est d’une beauté sidérante. Elle attaque très bas au «Southern trees/ Bear a strange fruit» et module son sucre pour faire vibrer le «Blood on the leaves/ And blood at the root», tu n’as même pas besoin de comprendre l’anglais pour savoir que c’est d’une extrême gravité, mais portée par des vers, donc te voilà au sommet du lard le plus intense qui se puisse imaginer ici- bas - Black bodies swinging/ In the southern breeze - Ce sont les mêmes pendus que décrit François Villon - De ci de là selon que le vent tourne/ Il ne cesse de nous ballotter à son gré - Et d’un profond accord avec Léo Ferré et Billie, Villon s’exclame : «Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !». Remplis de toute la miséricorde du monde, Billie et Villon saluent toutes les victimes de la barbarie. C’est le chant des sirènes que ne pouvait entendre le FBI - Strange fruit hanging/ from the poplar trees - Quand Bille chante ça dans les clubs, les blancs quittent la salle. À la fin du biopic, on nous dit que Time Magazine a sacré «Strange Fruit» chanson du siècle. Au moins le biopic aura servi à ça. On dit aussi que personne à part Billie n’a eu le cran de chanter ça. Si Billie ne chante pas «Strange Fruit», personne ne le fera. Eh oui. Car c’est une chanson d’une rare violence véracitaire, et cette violence véracitaire est l’essence même de Billie - Pastoral scene/ Of the gallant south/ The bulging eyes/ And the twisted mouth - elle tord bien la bouche pour imiter le twisted mouth du pendu. Fascinante artiste ! Villon décrit lui aussi la scène pastorale - Pies, corbeaux nous ont crevé les yeux/ Et arraché la barbe et les sourcils - Billie et Villon t’obligent à regarder et à sentir - Scent of magnolias/ Sweet and fresh - l’atroce réalité de l’enfer au paradis - Then the sudden smell/ Of burning flesh - KKK & nazis même combat. Dommage qu’elle n’ait pas ajouté un couplet pour dire ça. Ces gens-là utilisent les mêmes méthodes, the sudden smell/ Of burning flesh. Bon il y a encore un couplet après ça, mais le mieux, c’est encore d’écouter Billie le chanter. 

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             Billie aime la vie, elle aime les hommes et elle aime le swing - Billie she’s a sex machine. She just wanted to get high. Simple as that ! - Elle fait son année de placard et se tient à carreau. Quand elle sort en 1948, elle remplit le Carnegie Hall. Mais elle n’a pas de pot avec les bonshommes : son manager John Levy est un indic du FBI, et son dernier mari dont on a oublié le nom lui a pompé tout son blé, et pire encore, il hérite de ses biens après sa mort. Et pour couronner le tout, un médecin lui annonce qu’elle s’est chopé une belle cirrhose. Donc pour elle, c’est cuit aux patates. Direction l’hosto. Miam miam pour les biopiqueurs de malheur.

             Et puis après le pot aux roses de «Strange Fruit», tu tombes dans le docu sur un autre pot aux roses : l’hallucinant témoignage de Jo Jones, qui battait le beurre pour Billie : «Elle est morte à l’hosto un dimanche. Elle sait qu’elle va mourir. Ils sont venus l’arrêter sur son lit de mort. Arrêtée à l’hôpital pour détention d’héroïne ! Dieu aide les États-Unis d’Amérique. Personne n’avait autant innové qu’elle. Nobody ! Tout ce qu’elle voulait, c’était chanter. Elle n’emmerdait personne. Elle roulait en Cadillac, et portait un vison, so what ? What’s wrong with that ? Pas le droit d’avoir une Cadillac et un vison ? Elle n’avait pas le droit d’avoir des diamants ? Non tout ça, c’est pas pour toi. You’re a negro. Stay in your place. Un bol de fayots et du riz, t’as besoin de rien d’autre. Faut voir tout ce qu’on a dû traverser ! - et là Erskine ramène les images en noir & blanc des lynchages, et Jo Jones enfonce son clou - Aucune chanteuse n’a enduré ce qu’elle a enduré. Le plus grand pays du monde ? The most stupid, the most racist people - Erskine ramène des images du KKK et Jo Jones poursuit son accusation - Even to this day ! I’ll leave as soon as I can. Je ne veux pas me prêter à cette mascarade. Le 17 juillet, jour de sa mort. J’ai refermé le cercueil de Miss Holiday et posé deux fleurs dessus.» Jo Jones a dit tout ce qu’il y avait à dire.

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             Avec son docu, Erskine ramène l’art. Il termine avec le dernier album, Lady In Satin et on voit des images spectaculaires de Billie émaciée. Billie forever.

    Signé : Cazengler, Holiday on ice

    Lee Daniels. Billie Holiday Une Affaire d’État. DVD 2021

    James Erskine. Billie. DVD 2021

     

     

    Pour Kim sonne le glas

     - Part One

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             Les Sonic Youth ont bien fasciné les foules, à l’époque des grands concerts à l’Élysée Montmartre. On s’est tous goinfrés comme des porcs de Goo et de Dirty, ces deux grands albums de wild gaga new-yorkais devant l’Éternel. On s’est aussi prosternés jusqu’à terre devant The Year Punk Broke, ce movie rock qui était censé encenser Sonic Youth, mais l’impétueux J. Mascis leur vola la vedette d’un coup de Wagon. Bref tout ça nous ramène au passif des années antérieures qu’on a tous vécu à la va-comme-je-te-pousse, bon an mal an, et cahin-caha. Des années qu’on aimerait pas trop revivre. Pourquoi ? On ne sait pas trop. Il y planait un soupçon de malaise généralisé, mais aussi personnel. Trop de blé, trop de gonzesses, trop de n’importe quoi. Le retour à la pauvreté et à la vie monastique fut une espèce de répit inespéré.

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             Sans doute était-ce la faute d’un album trop expérimental, toujours est-il qu’à une époque on a décroché brutalement de Sonic Youth, qu’on avait suivi depuis le début. Oui, on les tenait en haute estime, sans doute grâce à Spin, qui faisait alors référence en matière d’alt-rock US. Mais avec un album dont on a oublié le nom, Sonic Youth commit l’irréparable : prendre les gens pour des cons. On apprit dans la foulée que Thurston Moore trompait Kim, laquelle Kim le prit très mal et le groupe splitta. Sonic Cuckold, ça ne sonnait pas très bien.

             Revenons à l’essentiel : on savait pour les avoir vus sur scène, et pour avoir écouté les albums, que l’âme du groupe était en réalité Kim Gordon. On ne trompe pas sa femme quand celle-ci est un parfait rock’n’roll animal comme Kim. Mauvaise pioche, mon pauvre Moore. Au passage, il a perdu tout ce qui lui restait de crédibilité. Bien sûr, nous ne sommes pas là pour porter des jugements, mais casser un groupe pour une histoire de cul, c’est un peu n’importe quoi. C’est encore pire que de casser un groupe pour une piscine. Encore une fois, le rock est un art trop sacré pour être confié à des betteraviers.

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             Puisqu’elle souhaitait éclairer nos lanternes, Kim a publié ses mémoires, un petit book sans prétention titré Girl In A Band. Le ‘sans prétention’ est important, car ce n’est pas le rock book du siècle, loin de là. Kim n’a ni la niaque de Miki Berenyi (Fingers Crossed: How Music Saved Me from Success), ni celle de Viv Albertine (Clothes Clothes Clothes Music Music Music Boys Boys Boys). Plutôt que de chercher à atteindre le sommet d’un Ararat littéraire, Kim tourne autour d’un gros pot-aux-roses : la trahison de Thurston Moore. Elle donne tout le détail de son traumatisme. Moore la trompe en cachette. Il ment comme un arracheur de dents. Elle fouille dans son ordi et dans son smartphone. Elle trouve des messages coquins. C’est d’une banalité atroce. Pas de quoi en faire un plat. Et pourtant, ça la fout en l’air. Au moins, elle a appris un truc essentiel pour une gonzesse : ne jamais faire confiance à un mec.  

             À la lumière de cette lecture qui n’a rien d’insolite, on peut se fendre de deux brillants constats. Un, ce qui arrive à Kim, c’est ce qui arrive généralement à tous les couples qui forment un team créatif. Tu bosses et tu baises avec ton ou ta partenaire, c’est du 24/24 pendant des années et au bout d’un moment, ça coince, car la baise devient mécanique et le job roule trop bien, ce qui n’est pas bon signe. Le team s’endort sur ses lauriers et la flamme s’éteint. Phénomène quasi automatique. On appelle ça la routine. C’est généralement dans cette zone de faux calme que retentit l’appel des sirènes, et de là à changer de crémerie, il n’y a qu’un pas qui se franchit sans état d’âme. Seuls les couples aux nerfs d’acier peuvent survivre à ce genre de mésaventure. Kim n’a pas supporté de voir son mec aller tremper son biscuit ailleurs. Elle n’avait pas la force de caractère ni peut être l’intelligence de Geneva Morganfield qui savait pertinemment que Muddy faisait des gosses à droite et à gauche. Geneva eut la grandeur d’âme de l’encaisser pour ne pas perdre son Muddy. Son exploit fut surtout de réussir à l’accepter tel qu’il était - C’est la clé de tout - Kim a préféré virer Moore. Pas question d’un ménage à trois.

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             Dans les premières pages du book, Kim nous dit que le groupe tourne encore dans le monde entier, mais elle et Moore ne s’adressent plus la parole. Leur mariage aura duré 27 ans. Dernier concert de Sonic Youth à São Paulo, en 2011, le groupe boucle le set avec «Teen Age Riot» que chante Kim - Un mariage est une longue conversation, a dit quelqu’un, et la vie d’un groupe l’est aussi. Quelques minutes plus tard, les deux étaient terminés - Elle décrit le vide qui s’ouvre sous les pieds lorsque tout s’arrête. Ceux qui l’ont vécu savent ce que ça veut dire. La mort, sans vraiment mourir. Vers la fin du book, elle rebouche le vide : «J’éprouvais de la compassion pour Thurston et j’en éprouve encore. Ça me désolait de le voir perdre son mariage, son groupe, sa fille, sa famille et notre vie conjugale - et lui-même. Mais éprouver de la compassion n’est pas la même chose que de pardonner.» Elle est dure en affaires. On le voit très bien sur les photos. C’est le genre à dire : «Me prends pas pour une conne.»

             Constat numéro deux, il apparaît que Sonic Youth doit sa grandeur tutélaire à Kim Gordon. Pour comprendre la réalité de ce constat, il faut peut-être commencer par la fin, c’est-à-dire la période solo de Kim, et foncer droit sur Free Kitten et Body/Head, car Kim s’y révèle extraordinairement bonne. Débarrassée de son mec et des turpitudes de la vie conjugale, elle éclate le Sénégal avec sa copine pas de cheval mais de Pussy Galore, Julie Cafritz. C’est là, à cet endroit précis de l’alignement des planètes que tu comprends tout. Kim Gordon superstar !   

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             Le Nice Ass de Free Kitten est un Wiija de 1994. Et même un sacré Wiija ! C’est un album qui s’enracine dans la cacophonie, qui monte doucement, qui ramone le Raincoat («Proper Band»), qui cherche des noises à la noise, qui bascule dans le weird ahuri et complètement arty («Kissing Well»), qui rentre dans le chou du lard («Call Back»), ah, elles s’y connaissent en Grosse Bertha, un album qui bat tous les records de weirdy weird avec une pop infestée de sax («Revlon Liberation Orchestra»), et qui finit par atteindre au génie trash avec «The Boasta», un shoot de weirdy weird merveilleusement exécuté, tout ici est gratté à la revoyure de la déglingue, en vertu des sacro-saints principes de l’underground new-yorkais, et puis elles culminent avec un «Royal Flush» qui s’inscrit dans la lignée de Pussy Galore. Brillantissime ! 

             Kim rappelle dans son book qu’elle et Julie étaient inspirées par the American alt-rock band Royal Trux, c’est-à-dire Neil Hagerty et Jennifer Herrema - Royal Trux was rock swagger perfected, with minimum effort, et même s’ils étaient completely on drugs the whole time, the effect was both amazing and mysterious.

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             Avec Inherit, Kim et Julie s’installent dans le weirdy weird. Elle grattent leurs poux toutes les deux, et raffolent d’atonalités. Te voilà au parfum. J. Mascis vient faire un petit tour dans «Surf’s Up» et il ramène du jus dans cette soupe du diable. Elles vont continuer d’exploiter le filon du Sonic Weird. Leur «Free Kitten On The Mountain» est comme on dit bien balancé. «Roughshod» renoue avec la légendaire énergie new-yorkaise du Galore et de Sonic Youth, et elles enchaînent avec un «Help Me» complètement détraqué. Elles font leurs punkettes de MJC new-yorkaise et c’est noyé dans l’agit-prop d’avant-garde. Tout ce que tu peux dire, c’est : Wow !  Et comme le montre «The Poet», on voit bien que Kim amène l’énergie dans Sonic Youth. Ça se confirme ici, dans cette dépravation quantique, dans ce bel exemple de sauvagerie urbaine. Kim est rock jusqu’au bout des ongles. Et puis on tombe comme par hasard sur un «Bananas» bien banané. Elles sont marrantes, car elles font gicler un pur jus de New York City sound, elles sortent la grosse disto et font n’importe quoi. Et ça vire encore plus experiment avec un «Monster Eye» noyé d’envergure pétrifiée, ça gratte dans les remugles, ça flattes les bas instincts, ça caracole dans les dérives abdominales.

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             Par contre, le Straight Up de 1992 est un peu plus compliqué à gérer, même si Don Flemming est dans le coup. Kim et Julie optent pour la modernité décousue de no way out. Ça donne des cuts irrités et irritants, elles grattent des poux très sourds dans «Smacx», et derrière, ça gueule dans une sorte de dodécaphonisme. Arnold Schönberg y perdrait son latin. Mis à part les followers, qui pouvait être assez cinglé à l’époque, non seulement pour acheter ça, mais aussi pour l’écouter ? Elles battent tous les records d’impertinence, plus c’est incongru et plus c’est Kitten. Elles dépassent les bornes. Elles attaquent «Oneness» au riff de stoner malingre. On voit bien qu’elles s’entendent comme larrons en foire. L’«Oneness» est monté sur un sacré drive de disto malovelante et ça donne une belle giclée de purée grasse. On sent la patte de Don Flemming. Elles délirent complètement dans «Dick» - His name is/ His name issss ? - et Julie demande : «What’s his name Kim ?», Kim dit que c’est Richard, alors elles délirent sur Little Richard, Richard Lloyd et Keef Richards. You dick !

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             En 2019, Kim enregistre No Home Record, un petit album qu’il faut bien qualifier d’extraordinaire. Elle expérimente dès «Air BnB», elle gratte des poux bien trash et expédie tout ça très vite en enfer. Kim Gordon superstar ! Superbe explosion d’Air BnB ! Elle récidive avec «Murdered Out» qu’elle attaque aux cornes de brume, elle attaque le rock dans la nuit, avec une fabuleuse violence new-yorkaise imprégnée d’hip-hop. Il n’existe pas de son plus urbain. Elle gratte des poux demented, c’est éclatant de tell me out. Et puis voilà le coup de génie, l’imparable «Hungry Baby», elle tape ça au big trash out de so far out. Kim a le power, elle est capable de merveilleuses dégelées, elle fait du wild gaga sixties noyé de trash, Sonic Youth, c’est elle, plus de doute possible, son «Hungry Baby» est un véritable modèle du genre, il y va au yeah yeah, c’est stupéfiant d’excelsior, elle n’en finit plus de grandir, elle a le génie du trash rock absolu 

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             Kim rappelle qu’à l’époque où Julie cherchait un beurreman pour Pussy Galore, elle lui a présenté Bob Bert qui avait fait un bref séjour dans Sonic Youth. Kim se dit d’ailleurs très impressionnée par le Pussy Galore d’alors - Julie and her bandmate Jon Spencer were slightly scary, I remember, all black clothes with tons of ‘tude - Dommage qu’elle n’évoque pas davantage tous ces groupes qui ont fait la grandeur de l’underground new-yorkais. Elle évoque vaguement Lydia Lunch, mais elle s’en méfiait comme de la peste, car elle était toujours, dit-elle, «en train d’essayer de séduire Thurston». Elle se dit fan de Teenage Jesus & The Jerks, mais pas pote avec Lydia, car elle n’a pas confiance en elle. Elle flashe aussi sur Black Flag - One of the best gigs I’d seen before or since - elle se gave de l’hardcore punk d’Henry Rollins - scary, surreal, intimate - L’un de ses meilleurs amis n’est autre que J. Mascis, à qui Kurt avait proposé de rejoindre Nirvana. Elle est aussi fascinée par Iggy - I give Iggy credit for deconstructing the very idea of entertainment. What is a star? Is stardom a kind of suspended adulthood? Est-ce que ça se situe par-delà le bien et le mal ? Est-ce qu’une star est une personne en laquelle on doit croire, ou un démon, un preneur de risques qui va au bord de la falaise sans jamais tomber ?

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             Grâce à Mike Watt, elle rencontre le fameux Raymond Pettibon qui va dessiner la pochette de Goo, et des pochettes pour SST. Elle flashe aussi sur Karen Carpenter et lui consacre une bonne page. Bon d’accord, elle admet que les Carpenters flirtent avec l’easy listening, mais c’est dit-elle le film de Todd Hayes qu’ils faut voir, Superstar. Kim est fascinée par Karen - Karen n’est-elle pas le personnage quintessentiel de notre culture, cherchant à satisfaire les autres de manière compulsive, pour atteindre ce degré ultime de perfection qui restera toujours hors de portée ? Pour elle, c’était plus simple de disparaître, de s’évader de son corps et de trouver la perfection dans la mort - Karen Carpenter a cassé sa pipe en bois à coups d’anémie.

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    ( Artwork : Mike Kelley )

             Kim évoque aussi son ami de longue date Mike Kelley qui dit avoir démarré Destroy All Monsters après avoir vu Kim sur scène au Ann Arbor Festival, lors du deuxième gig de Sonic Youth. Elle porte aussi sur New York un regard critique. Le New York qu’elle voit aujourd’hui est une ville de consommation et de fric - Wall Street drives the whole country, with the fashion industry as the icing -  et plus loin, elle enfonce son clou - New York City today is a city on steroids. Cette ville ressemble à un dessin animé. La ville a perdu son authenticité - Ses pages sur la No-Wave sont les plus belles du book - L’un des plus gros attraits des No Wave bands était le fait que leur musique semblait abandonnée et abstraite. C’était ce que j’avais entendu de plus pur, de plus libre, très différent du punk-rock des seventies et du jazz des sixties, c’était plus expressionniste et ça allait plus loin que tout le reste. En contraste, le punk-rock semblait ironique, avec des slogans du genre : «On va détruire le rock corporate». Les No Wavers y allaient plus franchement : «On détruit vraiment le rock». Cette liberté de ton m’impressionnait. Je me disais : «Je peux faire ça.» -  Kim rappelle que la No Wave brassait large, depuis le cinéma, l’art vidéo, jusqu’au rock underground, mais tout restait inclassable, hors de portée des classifications des médias - Basically it was anti-Wave, which is why strictly speaking No Wave can’t even properly be called a movement at all et ne devrait même pas porter de nom. C’est aussi une réponse directe à la New Wave, plus commerciale, mélodique, danceable punk - Blondie, The Police, Talking Heads - qui était vue par des tas de gens comme a lame sellout, c’est-à-dire une atroce putasserie - Bien vu Kim, car c’est exactement de cela dont il s’agit : a lame sellout : Oh je voudrais m’acheter une maison à la campagne, alors on va enregistrer un peu de diskö ! Pour illustrer son éloge de la No Wave, Kim cite quelques noms : «Glenn Branca of Theatrical Girls qui venait du théâtre, et le théoricien de la guitare Rhys Chatham qui avait étudié avec La Monte Young et Philip Glass.» Elle ajoute qu’on qualifiait Sonic Youth de No Wave, mais c’est selon elle une erreur - We didn’t sound No Wave. We just built something out of it.

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             Justement, Sonic Youth, parlons-en. Kim dit qu’à leurs débuts, Lee, Thurston, Bob Bert qui battait alors leur beurre, et elle se repassaient un book sur le Velvet - Pour un raison X, c’est ce book qui a fédéré le groupe. On était donc branchés sur la même longueur d’onde. On était branchés sur le Velvet, mais on a titré notre album Bad Moon Rising, d’après le cut de Creedence Clearwater Revival, c’était notre mode de fonctionnement : emprunter un truc à la culture pop et lui donner un autre sens. Creedence était un faux-Southern country band de la même façon que nous étions un faux-Velvet Undeground band. Plus, the title was badass - Elle redit plus loin que Sonic Youth a toujours cherché à tromper les attentes des gens. Puis elle rentre dans l’intimité du groupe : elle explique que Lee et Thurtson chantonnaient leurs idées de riffs, «et je chantais les trucs les plus barrés et les plus abstraits.» Elle et Moore s’entendaient bien sur les aspects esthétiques, et se mettaient toujours d’accord sur les pochettes. Kim rappelle aussi qu’ils sont arrivés avec Evol sur SST, qui était alors le label phare de la scène underground américaine. Black Flag, les Meat Puppets, Hüsker Dü et les Minutemen étaient sur SST.

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             Lors de sa première tournée anglaise avec Sonic Youth, les journalistes harcelaient Kim avec la même question : «What’s it like to be a girl in a band?». Kim va recycler cette question stupide et en faire le titre de son book. Elle n’a d’ailleurs pas une très bonne opinion des journalistes anglais (cowardly and nonconfrontational). Chaque fois que Sonic Youth enregistre un nouvel album, le groupe choisit un nouvel endroit pour répéter. Kim dit que le meilleur était un local appartenant à Michael Gira on Sixth Dtreet and Avenue B. C’est là qu’ils enregistrent en 1988 Daydream Nation, ce double album, qui à la grande surprise du groupe, remporte un succès d’estime. En 1990, le groupe a déjà dix ans d’âge. C’est là qu’ils cherchent un gros label, et ce sera Geffen. Avec l’avance qu’ils reçoivent, Thurston et Kim se payent un appart sur Lafayette Street. Puis ils choisissent le crobard de Pettibon pour la pochette de Goo, ce qui ne plait pas à l’A&R de Geffen qui aurait préféré une glamourous picture of the band

             Elle évoque aussi le public de Sonic Youth : «Même quand vous êtes dans le rond du projecteur, vous ne comprenez pas vraiment de quelle façon vous inter-agissez avec les gens. D’une certaine façon, Thurston et moi semblions inter-agir avec des late baby boomer urbains, qui voulaient que leurs enfants soient des rock’n’roll babies, et qui ne voulaient pas vieillir de la même façon que leurs parents. Avec leurs enfants, ils avaient la musique en commun. Même s’ils avaient 40 ou 50 ans, ils avaient encore la flamme en eux, le rictus et le doigt. Avec le temps, il m’a semblé que Thurston et moi incarnions cette tendance.» Elle décrit avec une précision remarquable la faune du rock indé, et c’est vrai que Sonic Youth en fut en quelque sorte l’emblème.

             Dans un nouvel élan de franchise, Kim rappelle qu’au démarrage de Sonic Youth, «I really made an effort to punk myself out, pour perdre tout lien avec mes origines middle-class West LA.» Elle revient plus loin sur son look, comme si elle avait besoin de se justifier - I was going for a punky look, sans jamais croire que j’en étais digne. Plus tard, j’ai évolué vers un look garçon manqué with a sexy François Hardy cool.

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             Kim flashe surtout sur Kurt. C’est la grande rencontre de sa vie. Elle est aux premières loges quand Nirvana sort de l’anonymat - Nirvana seemed part-hardcore, part-Stooges but with a cheesy chorus-pedal effect that was more New Wave than punk - Là elle se vautre, Kurt n’a rien à voir avec la New Wave - Kurt Cobain was both incredibly charismatic and extremely conflicted. Il jouait une belle mélodie et soudain, il bousillait tout le matos. Personnellement, j’aime bien voir les choses s’écrouler. That’s real entertainment, deconstructed - Un soir, Kurt coince Kim dans le backstage pour lui parler : «Je ne sais pas quoi faire. Courtney pense que Frances m’aime plus qu’elle.» Pour Kim c’est un grand moment de vérité : Kurt qui a besoin d’aide s’adresse à elle ! - J’y repense et je n’ose même pas imaginer ce que fut leur vie dans le chaos des drogues, et j’ai du mal à croire qu’ils ont pu rester deux ans ensemble - Quand on lui apprend que Kurt vient de se tirer une balle dans la tête, Kim se dit choquée, «mais pas surprise». Elle ajoute qu’il s’était produit un incident pas très clair à Rome, une petite overdose. En se maquant avec Courtney, il avait dit-elle «pris une voie plus sombre, et ce n’était plus qu’une question de temps avant la complète auto-destruction.» Pour Kim, Kurt reste un mec gentil, très vulnérable - L’élément principal de son auto-destruction fut de choisir Courtney, dans le but de faire le vide autour de lui, et ça a détruit la petite communauté à laquelle il appartenait - Bon tout ça c’est bien gentil, mais Kim veut que les choses soient claires : «Je n’ai jamais voulu exploiter l’amitié qui me liait à Kurt, et même dans sa mort, je voulais le protéger, c’est pourquoi je culpabilise à écrire ces quelques lignes. Mais comme je l’ai déjà dit, je pense souvent à Kurt. Avec les gens qui cassent leur pipe violemment et trop jeunes, il n’y a jamais de fin. Kurt still move along inside of me, and outside too, with his music.». Merveilleux paragraphe, merveilleux hommage et merveilleux témoignage d’amitié.

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             Mais c’est lorsqu’elle parle d’elle que Kim devient passionnante - Après avoir joué pendant trente ans dans un groupe, c’est assez stupide de dire : «Je ne suis pas musicienne.» Pourtant, je ne me suis jamais considérée comme une musicienne et je n’ai jamais pris de cours. Je me considère comme une rock-star de bas étage (a lowercase rock star). Oui, je crois que j’ai une bonne oreille et j’adore le frisson qu’on éprouve à être sur scène. Et même en tant qu’artiste conceptuelle, il y a toujours eu un côté performance dans ce que je faisais.» Voilà comment Kim se situe, avec toute la modestie dont elle est capable. Du coup, on la réécoute beaucoup plus attentivement.

             Elle revient sur elle-même pour cette fantastique confession : «Dans ma vie, je n’ai jamais choisi de faire ce qui était facile ou prévisible. Je n’avais aucune idée de l’image que je donnais de moi sur scène et dans le privé, je souhaitais simplement rester anonyme. Être consciente de soi, c’est la mort de la créativité. Je me sentais bien quand j’avais enregistré un truc qui m’avait plu, ou quand j’étais sur scène et que le son était tellement puissant que le temps s’arrêtait, et je sentais le public respirer dans le noir comme un seul être.» 

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             Elle approche dangereusement de la fin du book et se fend d’un brillant constat de plus : «L’autre jour, je réfléchissais à la façon dont la musique avait évolué. Les années soixante étaient tellement merveilleuses. Plus qu’aucune autre décennie, elles incarnaient le temps où l’individu pouvait trouver une identité dans le mouvement musical. Ce n’est pas la même chose que l’identité sexuelle qui relève plus des années cinquante, il s’agit plus d’un éveil collectif, qu’illustrent parfaitement les filles hystériques pleurant ensemble dans les concerts, quelque chose de contagieux et de spontané. Puis à la fin des sixties, la tendance hippie a commencé à se mélanger avec le goût de l’argent et c’est là que le rêve s’est évanoui.»

    Signé : Cazengler, Kim Gourdin

    Kim Gordon. Girl In A Band. Faber & Faber 2016

    Kim Gordon. No Home Record. Matador 2019  

    Free Kitten. Straight Up. Pearl Necklace 1992

    Free Kitten. Nice Ass. Wiija Records 1994  

    Free Kitten. Inherit. Ecstatic Peace 2008

     

     

    Holly ne met pas le hola

     - Part One

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             Mine de rien, on assiste au grand retour d’une légende vivante. En mai 2004, elle débarquait au Café de la Danse avec une fière équipe : un London greaser à la stand-up, et un grand zouave tout décharné qui portait, bien vissée sur son crâne de piaf, une casquette de marin-pêcheur : Bruce Brand ! Il devait bien friser la soixantaine, avec un visage taillé à la serpe. Il brancha rapidement une demi-caisse Guild sur un petit ampli Fender à lampes, sortit d’une valisette bordélique une pédale fuzz en forme de méduse et la raccorda sur la Guild avec un câble de fer à repasser gainé de tissu blanc et noir. Holly est arrivée à la suite, auréolée de la légende des Headcoatees - notamment leur version de «Come See Me» rebaptisée «I’m Your Man» - Holly n’était plus la brune incendiaire qui avait envoûté Wild Billy Childish. Après pas mal de problèmes techniques, Holly mit finalement le groupe en route. Ils jouaient avec un son minimaliste terriblement sixties. Elle emmenait son public dans une sorte d’hillbilly londonien, très belle ambiance, faite de chaude intimité et de joyeuse simplicité. Le greaser se cabrait sur sa contrebasse et couvait Holly du regard. Elle alternait les balladifs country et les rengaines douce-amères. Puis elle mit le feu aux poudres en démarrant un rock sixties caoutchouté au slap, et vrillé bien sûr par un vaillant solo de fuzz. Bruce Brand écrasait sa méduse avec un air gourmand. Son corps bougeait avec élégance, il était d’une certaine façon le Monsieur Hulot du rock anglais, et pour finir les cuts, Holly dansait d’un pied sur l’autre. Avec sa musique sans prétention et ses musiciens de bric et de broc, Holly ramenait une incroyable fraîcheur.

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             En vingt ans, rien n’a changé : Holly installe sur scène la même ambiance : Bruce Brand est toujours là, sous sa casquette de marin-pêcheur, mais il bat le beurre. Et quel beurre ! On le considère comme l’un des meilleurs batteurs anglais.

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    Un jeune coq nommé Bradley a pris sa place à la gratte et d’une certaine façon, il va contribuer à l’excellence des ambiances, avec un jeu très funky, cette parcimonie du jeu black qu’on retrouve chez des géants comme Mabon Teenie Hodges ou encore Freddie Stone.

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    Et de l’autre côté, le greaser est toujours là sur la stand-up, avec un petit coup de vieux. Holly a aussi pris un petit coup de vieux, bien sûr, mais son charme reste intact. Elle est toujours aussi ravie d’être sur scène. C’est vrai qu’il règne dans le petit théâtre une bonne ambiance. Elle attaque avec le vieux «Crow Jane Blues» de Sonny Terry et Brownie McGhee, et elle va enfiler d’autres vieux classiques comme le «Mule Skinner Blues» de Jimmie Rodgers, et le «Sally Go Round The Roses» des Jaynetts qui tapa si bien dans l’œil de Leiber & Stoller et de Tim Buckley. Elle cultive toujours sa nonchalance et ses grooves cha-cha, elle balance au gré des vagues, elle enfile ses perles avec une aisance assez magistrale, avec une fluidité de ton qui n’en finit plus d’alimenter sa légende, oh bien sûr, pas de hits, pas de coups de génie, simplement de la good time music, celle qu’elle propose depuis trente ans, depuis le temps des Headcoatees.

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    Ah comme le temps passe. Elle ne cherche plus trop à rocker le boat, elle se contente de nous bercer de langueurs monotones et visiblement, les gens aiment ça. On ne gardera pas le souvenir de cuts en particulier, seulement le souvenir d’une heure de set extrêmement agréable, une sorte de petite leçon de groove à l’anglaise. Pour finir en beauté, elle fait revenir sur scène Big Russ Wilkins pour une version catchy du «Mellow Down Easy» de Little Walter.

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             Holly Golightly fait partie des artistes qu’on suit au fil des décennies, album après album, comme on suit Al Green ou Johnnie Taylor, car on sait par expérience que ce sont toujours de bons albums, même au bout de trente ans. Rien n’est plus fascinant que de voir un artiste évoluer dans le temps. Il est essentiel de savoir que les grands artistes mettent un point d’honneur à ne pas se répéter, simplement par respect du public. Et c’est toute la difficulté : continuer à exister artistiquement aussi longtemps devient une gageure, et il faut voir avec quel brio les grands artistes relèvent ce défi. Holly ? Allez, environ 25 albums, mais aucun qui ne soit inintéressant.

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             Son dernier album solo en date s’appelle Do The Get Along. On y retrouve l’équipe scénique : Bradley Burgess, Bruce Brand et le greaser Matt Radford. Il faut l’entendre slapper le bout de gras dans «Hypnotized» et elle y va au one kiss from/ Your lips/ I’ll be satisfied. C’est slappé à ras des pâquerettes de London town. Do The Get Along est d’abord un album de groove, «Pretty Clean» est un classic Holly jive, ça Golighte in the tight, et Bradley s’en donne à cœur joie, fantastique shake d’hipper all the time. Pus jus de r’n’b avec «The Get Along». Elle y va à la douce et derrière, le Brad joue à la parcimonie. Belle ouverture de bal avec «Obstacles», ça groove mais avec des pointes de Méricourt, et le Brad passe un solo de vif argent. On retrouve cette grande jiveuse qu’est Holly dans «I Don’t Know», un soft groove de sucre pur, elle tape dans la white black de légende, avec une prestance qui n’en finit plus de se conforter dans l’éclat des lips. Le slap contribue à la grandeur du sucre. C’est un round midnite d’excelsior. Sur «I’m Your Loss», Bruce met le conga beat au carré, ça joue énormément et le Brad passe un solo dépenaillé. Ça groove encore très sec sur «Quicksand», Holly chante au sucre pur et Bruce te percute ça au jazz beat.

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             Le dernier album en date d’Holly Golightly & The Brokeoffs s’appelle Clippety Clop. À part les vieux fans, qui va aller rapatrier ça aujourd’hui ? Holly fut à la mode, comme on dit. L’est-elle encore ? Le Clippety Clop porte bien son nom, car c’est un album consacré aux chevaux. Douze cuts sur le thème du cheval, à commencer par «Mule Skinner», un vieux groove primitif qu’elle tape au beat tribal d’heartbeat, avec des intrications de banjo. Pur jus de modern Americana au petit sucre. Elle y reste avec «Two White Horses», elle fait même de la brocante d’Americana, Just in time. In the face ! Il règne sur cet album une belle ambiance d’enveloppe collégiale, elle rassemble autour d’elle comme le ferait un messie. Mais si. Elle passe à la rengaine de ragtime pour «Pinto Pony», elle a du son, du poids dans la légende, elle sait taper un shoot et caresser l’Americana dans le sens du poil. Elle fait du classic blues primitif au sucre avec «Black Horse Blues», elle est marrante, très juvénile. Elle passe au sucre de trad avec «Kill Grey Mule», un classic boogie blues. Chaque album d’Holly sonne comme un événement. Elle racle les fonds de tiroir de l’Americana et c’est très intéressant. Elle revient au primitif avec l’excellent «Stewball», ça duette dans la kitchen, elle a ce talent fou de savoir créer du primitif au débotté.

    Signé : Cazengler, Holy shit !

    Holly Golightly. Théâtre Municipal Berthelot. Montreuil (93). Le 17 novembre 2023

    Holly Golightly. Do The Get Along. Damaged Goods 2018

    Holly Golightly & The Brokeoffs. Clippety Clop. Transdreamers Records 2018

     

     

    L’avenir du rock

    - Shaking with the Shakes

             L’avenir du rock erre toujours dans le désert. Au début, c’était une manie, c’est devenu au fil des mois un art de vivre. Dommage qu’il ne soit pas filmé pour la télévision, car il pourrait servir d’exemple. Il passe ses journées à trotter d’un point à un autre. Il se dit «allons par là», alors il va par là. Il s’est forgé une détermination à toute épreuve. Un esprit défaitiste dirait en le voyant errer qu’il n’a pas le choix. Ça ferait bien marrer l’avenir du rock que d’entendre ça. D’ailleurs il en est arrivé au point où il rit d’un rien. S’il trouve un coquillage dans le désert, il explose de rire. S’il croise Lawrence d’Arabie, il doit se mordre les lèvres, même craquelées de sécheresse, pour garder son sérieux et sauver les apparences. Il ne se passe pas un jour sans qu’il ne fasse de rencontre inopportune. Il a vu passer Rimbaud transporté par quatre coureurs de fond éthiopiens, mais comme le poète se disait pressé, il ne s’est pas arrêté pour contrepéter. Il a aussi croisé Jeremiah Johnson qui cherchait la route du Colorado. Toujours les mêmes embrouilles, avec ce mec-là. Agacé, l’avenir du rock a fini par perdre patience :

             — Tu me fatigues avec tes jérémiades, Jeremiah. T’as qu’à te payer un GPS !

             Le lendemain, sur qui qu’il tombe ? Dersou Ouzala !

             — Chuis paumé, avenil du lock. Ché pal où la Taïga ?

             — Tu vas Ouzala-bas et tu tournes à droite après la dune. Dersouboujou pi des gommes !

             Les seuls gens sérieux dans le désert, ce sont encore les conducteurs de caravanes. Rien n’a changé depuis des millénaires, depuis le temps des Mille et Une Nuits. L’avenir du rock adore voir onduler les caravanes sous la lune. Il s’approche pour les saluer, le buste bombé comme le serait celui d’un Chevalier du Temple, et lance d’une voix qu’il veut noble, claire et chargée de tout le prestige de l’Occident chrétien :

             — Akbar Allahbama !

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             C’est pour l’avenir du rock une façon déguisée de rendre hommage aux Alabama Shakes et à leur grosse chanteuse géniale, Brittany Howard. On cherche aussitôt la connection avec la scène légendaire d’Alabama, mais le seul nom qui apparaît est celui de Patterson Hood, un Patterson qui alerte très tôt ses managers. C’est la raison pour laquelle les Alabama Shakes atterrissent sur ATO Records, le label des Drive-By Truckers et de St Paul & The Broken Bones. Sinon, pas de liaison particulière avec Muscle Shoals ni les autres cracks locaux. 

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             Patterson Hood a eu raison d’alerter ses managers. Alerte à bord dès l’«Hold On» qui ouvre le bal de Boys & Girls. Quel shoot de wild groove ! C’est gorgé de son et Brittany couine dans le feu de l’action. Elle chante à l’insistance patentée. Elle enchaîne les coups de génie comme des perles, elle te shoute toute la Soul du monde dans «I Found You», ça devient vite insupportable de grandeur tutélaire, elle te sert sur un plateau d’argent un balladif immense explosé par des chœurs d’artichauts. Avec «Hang Loose», elle procède au relookage d’Ike & Tina Turner, c’est plus poppy mais chanté à outrance. La grosse Brittany est la reine des outrances de Saba. Boom encore avec «Rise To The Sun». Elle s’y fond avec délice, elle est superbe, groovy, pulpeuse, fantastique, c’est explosé en tête-à-queue. Ça spurge à l’extrême, elle arrose le plafond, elle s’assoit sur le son pour le compresser. Elle profite d’«Heartbreaker» pour aller s’écrouler dans les braises d’une heavy waltz, elle gueule à bon entendeur salut, et boom, ça repart de plus belle avec «Be Mine», une heavy Soul de grattes électriques, avec une Brittany on the run, encore un cut superbe, fin et puissant à la fois, une rare combinaison de chant et de gratté de poux vite montée en neige. Elle explose ses fins de cut sans foi ni loi. 

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             Petit conseil d’ami : rapatrie la red «10 Year Anniversary Edition», car ATO a rajouté un live des Shakes et toutes les bombes de l’album sont rallumées sur scène. Re-boom badaboom d’«Hang Loose» - C’mon Los Angeles - Heavy process, c’est plein comme un œuf. Re-boom d’«I Found You» qu’elle tape au big atmospherix. Elle a les mêmes poumons d’acier que Carla Bozulich, la diablesse de Geraldine Fibbers. Remember «Dragon Lady» ? Re-boom de «Be Mine». La grosse Brittany est l’une des facettes les plus dodues de l’avenir du rock. Elle sonne comme un juke-box à roulettes. Elle aligne une succession phénoménale de hits. Tu peux y aller les yeux fermés. Elle impose sa classe épouvantable avec «Going To The Party». Elle swingue sa Soul à la pire Méricourt qui soit ici-bas. Ça monte brutalement en température avec «Hold On». Elle le prend d’en haut, histoire de lui tomber dessus à bras raccourcis. Elle est complètement folle, encore plus folle que la Carla. Tu as là la plus extrême Soul pop d’Alabama. L’«Always Alright» qui suit est noyé d’orgue princier, celui de Dylan 1965. Re-boom de «Rise To The Sun», elle fait cramer sa fin de cut au ah-oh-ah-oh - Los Angeles, we have a last song for you - Boom ! «Heavy Chevy» ! Brittany est une superstar. 

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             Le deuxième album des Shakes est un tout petit peu moins dense que le premier, on entend même des machines, mais ce n’est pas une raison pour aller cracher dans la soupe. Il faut attendre «Dunes» pour voir Sound & Color prendre des couleurs. Brittany plonge dans le son à coups de losing it. Direction Big Atmospherix encore avec «Future People» et «Gimme All Your Love». Pas facile, car on entend des machines, elle tisse sa toile à la surface de l’electro. Elle a perdu ses poux. Elle rentre dans le chou de «Gimme All Your Love» avec un sacré punch, elle s’en va s’éclater la rate sur l’Ararat qui s’dilate, elle a ce genre de power. Elle est aussi capable de finesse comme le montre «This Feeling», et pourtant, quand on la voit en photo, on n’imaginerait pas autant de finesse en elle. Elle est capable de finasser autant que Linda Lewis. Elle revient au vat-en-guerre  avec «The Greatest» - and the five six seven eight - elle explose de trash punk, c’est du shaking d’alabamed du ciboulot, fabuleuse élévation du domaine de la turlutte. Elle reste merveilleuse de wild rockalama avec «Shoegaze», plus de machines, ça redevient clair comme de l’eau de roche. Puis elle plonge comme un gros aigle sur «Miss You». Brittany a du génie, il faut bien le reconnaître, elle y va à bras raccourcis, elle fait du froti de confrontation, elle est explosive, fais gaffe à toi, fais gaffe où tu mets les doigts. Pour finir, elle plonge dans son lagon avec «Over My Head». La grosse est une pro du plongeon. Elle plouffe dans son lagon d’argent et c’est magnifique. Tout est extraverti sur cet album, c’est chanté/chauffé à blanc et noyé de machines, mais ça abat des tas de barrières.

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             En 2019, Brittany Howard enregistre un premier album solo, Jaime. Elle l’attaque en mode heavy funk. «History Repeats» t’explose à la gueule. Comme tu as l’habitude des bas-fonds, tu n’es plus à deux dents près - Push me push me - Mais elle noie son power dans un hip-hop saturé. Dommage. S’ensuit un «He Loves Me» télescopé par du hard raw. En fait, c’est un album d’hip hop et d’electro, très éloigné de l’univers des Alabama Shakes. Elle retrouve ses marques avec «Stay High», mais dans un climat sonore trop saturé. Dommage. Elle chante son «Short & Sweet» au Love Supreme de charme chaud, mais au final, ce n’est pas l’album qu’on espérait.

    Signé : Cazengler, Alababa-cool

    Alabama Shakes. Boys & Girls. ATO Records 2012

    Alabama Shakes. Sound & Color. ATO Records 2015

    Brittany Howard. Jaime. ATO Records 2019

     

     

    Inside the goldmine

    - Watkins the dog

     

             Difficile de se garer du côté de la place des Ternes. Baby Bav attend paisiblement devant l’entrée du restaurant. On ne se voit que pour manger ensemble. Bonne nature, au propre comme au figuré, elle adore manger au restaurant, surtout celui-ci, qui est décoré de grappes de casseroles en cuivre. Elle s’installe sur la banquette. Elle doit peser cent kilos et mesurer un bon mètre quatre-vingt. Elle a un physique de rugbyman. Elle porte les cheveux coupés courts et teintés par mèches, des lunettes aux montures fines. Et puis bien sûr, une énorme poitrine, celle d’une idole de l’Antiquité, la déesse de la fécondité. Le garçon ramène sa fraise : «Madame désire une entrée ?». «Certainement !». Sa bonne nature lui permet de ne reculer devant aucun excès. Ce qu’elle confirme en insinuant qu’il n’est pas de domaine où sa prodigalité n’enfreigne les lois de la mesure. «Un foie gras de canard poêlé aux coings et vin de noix». «Et monsieur ?». «Des ravioles !». Ensuite ? «Madame prendra les médaillons de veau français farcis de morilles sur une tombée de pousses d’épinards, mousse légère de châtaigne et jus de veau.» « Et monsieur ?». «Le pavé de loup ! Wooooouuhhh !». «Merci monsieur. Désirez-vous boire quelque chose ?». «Mettez-nous un Bourgogne !». «Le Chassagne Montrachet Ab.de Morgeot 1er cru Fleurot Larose est très bien. Je vous le recommande vivement». Ouf ! nous voilà enfin débarrassés de l’obséquieux larbin. Baby Bav installe son regard un peu torve dans le mien. Une sorte de familiarité s’installe. Elle ne dit pas non à la solide rasade de vin de Bourgogne. Dommage qu’elle ne porte pas sa blouse d’infirmière. Impossible de quitter des yeux les lèvres de Baby Bav dont l’éclat brillant est en mouvement perpétuel. Elle lit parfaitement dans mes pensées. Quel bonheur que de la voir se repaître de ses médaillons de veau, de la voir saucer son assiette et aspirer bruyamment le pain goutteux. Avec un aplomb sans pareil, elle accepte la promesse câline d’un dessert. Ce sera un moelleux chocolat accompagné de glace vanille bourbon gratiné. Ah il faut la voir fondre comme un aigle sur l’immense assiette que lui dépose l’obséquieux ! Elle pousse la vénalité jusqu’à se faire une petite moustache de gourmandise. Elle raffole de la crème. Avec tout ce qu’elle a avalé, choisir une occupation pour passer le reste de l’après-midi risque d’être compliqué. «Nous devons hélas redescendre au parking.» «Emmène-moi où tu voudras», répond-elle. Dans la voiture, elle adopte à nouveau cette position primitive, avec les jambes très écartées. C’est un véritable appel aux mains baladeuses. Nous filons vers la Porte Maillot à la recherche d’un lieu de promenade. «Connais-tu les jardins de Bagatelle ?». Elle les connaît par cœur, elle commente les parterres fleuris. Elle approche tout avec une sensualité sidérante. On est en plein Fragonard. Elle finit par dénicher un chemin qui se perd dans un petit labyrinthe. Le chemin monte doucement vers une sorte de kiosque minuscule. Elle propose de s’asseoir pour admirer tranquillement le panorama. L’endroit est désert. Le silence s’installe. Quelqu’un dirait «un ange passe !», et Cocteau ajouterait «qui l’encule ?». Les minutes s’écoulent. Rien ne vient troubler cette paix étrange. Elle marmonne quelques vérités en fouillant l’horizon du regard. «Il ne faut jamais résister à ses envies», fait-elle d’un ton grave.

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             Pour une fois, on ne trouvera aucun point commun entre Baby Bav et Bev, c’est-à-dire Beverly Guitar Watkins, une black géniale qu’on découvrit jadis grâce à Mike Vernon et son label Blue Horizon. Bizarrement, Beverly Guitar Watkins est restée complètement inconnue. Tim Duffy dit d’elle qu’elle a joué avec Piano Red, qu’elle a monté en groupe avec lui en 1958, The Meter Tones, qui est devenu par la suite Dr Feelgood & The Interns. Quand le groupe splitte en 1966, elle accompagne l’ex Ink Spot Eddie Tigner - She plays low-dow, hard stompin’, railroad-smokin’ blues - Duffy dit aussi qu’elle joue comme un homme. Une photo nous la montre sur scène : elle ressemble à s’y méprendre à l’early Jimi Hendrix, wild as fuck. Quand on lui demande si elle a le trac, Beverly répond : «Scared of what? I’m not scared at all. When I hit the stage, I’m action. It’s just a natural thing.» Elle ajoute que pour jouer le blues, il faut le vivre, ce qu’elle a fait toute sa vie, qu’elle soit montée sur scène, ou qu’elle ait joué dans le métro d’Atlanta. Pour vivre, elle bosse dans les car wash - I believe I worked at every car wash in Atlanta - Quand on lui demande si elle va se calmer, Bev se marre : «Mon baby a grandi et a maintenant des enfants. Je préfère être sur la route. On the road again. Jumpin’ with my goodtime friends. This is what it’s all about. Rock on. Keep on. Look good, play good, get paid good.»

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             Sur la pochette de Back In Business, Beverly Guitar Watkins joue dans le désert, au milieu des cactus. Tu ouvres le BOOKLET et tu tombes sur une photo de Bev avec la guitare derrière la tête, image purement hendrixienne. L’album est produit par Mike Vernon et ça démarre avec le fabuleux «Miz Dr Feelgood» - They call me Miz Dr Feelgood hey hey hey - Elle tape bien son hey hey hey, on sent immédiatement la prestance d’une légende vivante, ça ne trompe pas, c’est du pur génius de Miz Guitar Legend, elle drive son boogie au hey hey hey de guttural extrême, et en prime, elle part en vrille, et ça te donne au final le boogie de tes rêves. L’autre coup de génie s’appelle «Impeach Me Baby», elle s’implique à fond dans l’Impeach et ramène son fabuleux guttural. Elle gratte sa gratte sur «Red Mama Blues», c’est elle la boss, elle allume, elle a fait ça toute sa vie, elle joue à bonne arrache, elle gratte des notes terribles. On s’effare encore de la classe d’un blues comme «Two Many Times» qu’elle joue à la clairette sensible. Elle est tout simplement parfaite. On est heureux de pouvoir l’écouter jouer «Tell Me Daddy» - C’mon daddy/ We could have some fun - Son boogie est du pain béni. Elle a du métier, ça s’entend. Elle termine avec le morceau titre, elle descend encore une fois à la cave, elle ramène l’arrache du boogie de Business et quand elle part en vrille de solo, tu tombes amoureux d’elle. Elle est si pure et dure.

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             On voit bien qu’elle ne rigole pas, sur la pochette de Don’t Mess With Miss Watkins. On y retrouve quasiment tous les hits de son premier album, à commencer par l’excellentissime «Miz Dr Feelgood», tu retrouves le power de la légende : raw du chant + solo de rêve, let’s rock ! Elle enchaîne avec «Impeach Me Baby» qu’elle prend aussi au raw, elle pose ses conditions, c’est une superstar. On croise aussi son vieux «Back In Business», elle est bien enragée, I’m on the road again. «Too Many Times» et «Red Mama Blues» sont aussi tirés du premier album, elle groove dans le son avec des licks in tow, oh yes I will, et elle part en clairette de yes I will avec une incroyable fluidité. Elle joue tout ce qu’elle peut. Mais il y a aussi des nouveaux cuts comme cette excellente cover de «The Right String But The Wrong Yoyo», dont la version la plus connue est celle de Carl Perkins, mais c’est aussi un cut de Piano Red. Bev en fait une petite merveille de jump. Elle prend encore le heavy groove de «Get Out On The Floor» à l’arrache. Elle est vraiment la reine de l’arrache. Là tu as tout : la légende inconnue, la voix et la guitare. Elle rentre dans le lard de son «Late Bus Blues» à la heavyness de don’t care about nobody, elle devient magique, oh yeah, elle drive son Late Bus à la coule, elle réinvente le slow groove de blues. Elle tape son «Sugar Baby Swing» au slap. Fantastique allure. Ça ne pardonne pas. Elle vise le swing suprême, ça vire jazz et là tu obtiens le maximum des possibilités. Puis elle amène «Baghdad Blues» à la traînasse de Baghdad. Elle rentre si bien dans le lard du heavy groove et en prime, elle te passe un solo de punk. Elle finit cet album miraculeux avec un big shoot de gospel, «Jesus Walked The Water» - he’s alright with me !

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             Ça vaut vraiment le coup d’aller voir ce qui se passe sous les jupes de Dr. Feelgood & The Interns. Il existe une petite compile Edsel parue en 1983 : What’s Up Doc? On s’y régale au moins de deux cuts : le jumpy jumpah de «Blang Dong», solide et brillant, et le «Don’t Let Me Catch You Wrong» au bout du balda, joliment gratté dans les virages. C’est pour l’époque d’une incroyable modernité. Le morceau titre est un solide rumble et on savoure la fantastique énergie de «Let’s Have A Good Time Tonight». Le Dr Feelgood William Lee Perryman est un seigneur des annales.

    Signé : Cazengler, Berverly de la société

    Beverly Guitar Watkins. Back In Business. Music Maker Relief Foundation 1999

    Beverly Guitar Watkins. Don’t Mess With Miss Watkins. DixieFrog 2007

    Dr. Feelgood & The Interns. What’s Up Doc ? Edsel 1983

     

    *

    Amis rockers ne phantasmez pas, rien qu’au titre vous salivez, désolé de vous décevoir, vous ne connaîtrez pas les délices de Capoue en pénétrant dans cette sixième chambre. Interdite, ai-je besoin de le préciser. Cette pièce célèbre, bien connue des initiés, est une bibliothèque. Spéciale. Vous la trouverez facilement. Par contre la porte est fermée à clef. Elle gîte tout au fond de l’Enfer. Elle ne contient que des livres. Secrets. Leur lecture interdite vous rendra fous. Le problème c’est que si vous n’allez pas à la sixième pièce, la sixième vient à vous. Elle est là, tout près. Deux lignes après celle-ci…

    BEYOND THE NIGHT VEIL

    THE SIXTH CHAMBER

    ( / 15- 11 – 2023)

    Rahne Pistor : Vocals, Pistor / Bobby Parker : bass / Erik Peterson : drums / Allan St Jon : keyboards

             Travaillent titre par titre. Puis ils les assemblent en un opus récapitulatif quand ils ont le nombre désiré. Ainsi Mythos et Crippled Souls réunissent chacun douze morceaux. Le groupe existe depuis 2001. Sont de Los Angeles.

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    Penny dreadful : vous croyiez quoi, être admis à compulser des vieux grimoires centenaires détenteurs de terribles secrets, non la sixième chambre risque de vous décevoir, les étagères sont remplies de pulps ces magazines à un penny que les gamins d’Amérique s’arrachaient, s’échangeaient et lisaient en cachette la nuit dans leur lit avec une lampe de poche, les Cramps les adoraient, mais The Sixth Chamber ils ne lisaient qu’exclusivement des trucs d’horreur à base d’ésotérisme frelaté. Avouons que l’illustration de la couverture est réussie. Tellement toc qu’elle semble vraie. Pour la zique, sortent le grand jeu, des hurlements de loups des Carpathes sortis tout droit du chenil de Dracula, un riff grandiloquent qui vous tombe dessus comme une lame de guillotine qui ne parvient à vous trancher la tête qu’à la neuvième tentative, et des chœurs qu’au petit déjeuner rien que d’y penser en beurrant vos biscottes vous avez les chocottes. Soyez courageux, répétez tout haut le cri de ralliement des chevaliers teutoniques dans les bacs à sable : Même pas peur ! Vous n’aurez pas davantage la frousse mais la version enregistrée live at The Universal Bar at North Hollywood le 29 / 11 / 2022, malgré les capes noires dont ils sont affublés et les samplers, est davantage crédible. Red-death masquerade : ce coup-ci vous irez tout droit à l’official vidéo : quoi de plus horrible que le baiser au lépreux ? Le baiser au vampire ! Gore, very gore. Du beau monde, Dani Divine, star ombreuse, outrage burlesque, Rahne Pistor vous raconte tout cela en dansant dans un cimetière, pas n’importe lequel, celui du Quartier français de la Nouvelle Orléans, bien connu des adorateurs du vaudou et des lecteurs d’Anne Rice…

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    Entre parenthèses les paroles de la chanson évoquent davantage Ane Rice qu’Edgar Poe. Soyons impartial le morceau n’a pas besoin des images, se suffit amplement à lui-même. Rien de novateur, mais l’on sent qu’ils ont du métier et qu’ils connaissent toutes les ficelles les plus grosses comme celles aussi fines que des cheveux d’anges. Déchus, pour sûr. Ceux que vous préférez. Wallpurgis night : l’on pense à Faust et à Goethe, erreur l’héroïne sort tout droit du Dracula de Bram Stoker. De beaux lyrics, pas tout à fait des ciselures symbolistes, mais terriblement efficaces. L’on voit la scène et l’on pénètre dans l’âme du vampire. Musicalement c’est idem. L’orgue nous emporte en un galop fou le long de la piste sanglante. L’Official Lyric Vidéo n’a pas bénéficié des mêmes moyens financiers que la précédente, l’on se prend à guetter les rares et belles images qui viennent de temps en temps se substituer au fond rouge sang sur lequel s’inscrivent les paroles. Necropolis : kitch ferait mieux ? le Led Zeppelin du pauvre, le violon en arabesque et en grotesque. Superbe vocal, lyrics à double sens le véritable maître de l’Egypte n’est-il pas le gardien de la nécropole dans lequel sont enterrés les dieux morts. La New Music Vidéo, est aussi kitsch, mais n’oubliez pas que Flaubert lui-même use dans ses romans de l’esthétique kitch, vous avez tout ce qu’il vous faut, de belles images sur les pyramides, couchers de soleil éblouissant garantis, chevaux arabes, beau profil d’aventurier, hiéroglyphes mystérieux, sourire du sphinx. La panoplie photographique du parfait touriste. Sarcophagus : plouf, l’on tombe dans les catacombes, attention une mise garde, ne vous perdez pas dans les galeries, une prière débitée à toute allure, guitares glissantes, certainement il est déjà trop tard.

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    L’Official Lyrics Vidéo est à regarder. Toute simple, ton ocre, le visage peint en blanc, quel acteur ce Rahne Pistor, se contente de se balancer sur place, vous regarde dans les yeux, et c’est tout. Un petit frisson insidieux, reprenez-vous, songez que ce n’est qu’une vidéo. Mais qui se cache dans ces couloirs mortuaires… Hades : vous tiquez, vous tiltez : c’est de moins en moins rigolo, vous voyez ce que c’est que de mettre les pieds là où on vous a dit de ne pas vous rendre, carrément malsain cette acoustique et cette voix qui supplie, les fantasmagories qu’il chantait étaient des projections magiques, maintenant vous êtes au plus près, à l’intérieur de sa tête, ce n’est point que ce n’est pas beau à voir, c’est que c’est carrément inquiétant. L’existe une vidéo, une seule image, tous les trois, debout immobiles, rapprochés, ne semblent pas très rassurés. Fermez les yeux et focalisez-vous sur le son du luth que joue Rahne Pistor, fil d’Ariane qui vous permettra de ressortir vivant se vous-mêmes. Blood of the prophet : grandes orgues, rien de grandiloquent ici, l’on s’attendrait à des cris, des hurlements, des bruits, non juste cette mélodie qui assombrit le monde, cette voix légèrement doublée, ces chœurs effondrés, ces touffeurs de backing vocal, l’écho du malheur se répand sur le monde. L’on a versé le sang du prophète. Murmures indistincts. La Music Lyric Video est superbe, d’une force extraordinaire, elle traduit le tragique des lyrics et du chant du morceau. Avec très peu de moyens elle rend sensible cette impression émerveillante de toucher à une dimension sacrée.  Hollow autumn : un camelot qui baratine, un monsieur loyal qui se vante, ne serait-ce cette musique noire l’on aurait envie de rire, mais cette fois-ci nous sommes définitivement à l’intérieur, solo chaise électrique, au-dedans de soi confrontés à nos aspirations les plus folles, celle de renaître de notre présence morte au monde, celle de revenir de notre immortalité. La dernière enceinte. La tour qui s’effondre, le phénix qui vit de ses brûlures les plus intimes. Remettez-vous, regardez la vidéo (Flashback 2009) le groupe joue Hollow Atumn en public, c’est rassurant, un groupe d’heavy rock qui se donne à fond sur scène. Au Key Club, in West Hollywood, Sunset strip, au moins vous avez la confirmation que quelque part dans le monde il existe encore des espaces ensoleillés. Soyons superficiels. Jump into the flammes : constat amer et invitation à passer le pas. Quitter ce monde cruel, ne pas hésiter à pénétrer dans l’anneau de feu, toute ordalie est une geste intime. Musique lourde et lente, la voix est une prière qui vous pousse dans le dos, la batterie ne desserre pas ses dents de vos mollets, certes la décision vous appartient. Croyez-vous que ce soit un plaisir pour le phénix que de plonger dans son propre feu. L’existe une Belly Dance Video de ce morceau. Une jeune femme Arriahda Lopez, danse, vraisemblablement inspirée par la Loïe Fuller, dans les montagnes colombiennes, près des ruines d’un temple souterrain, longs cheveux noir, présence presque trop charnelle, elle agite des voiles rouge et noir, cendres et feu, mort et vie, sur les dernières secondes une forme se tord dans des flammes. Les vidéos de La sixième chambre sont toujours surprenantes. /   

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    Existe une autre vidéo d’une ancienne version de ce morceau, une seule image très belle. Fond rose sur laquelle se dessine le long corps d’une femme nue. L’anti poupée Barbie, je dis cela pour que vous ne vous mépreniez pas. Vous la retrouvez encore plus belle pour accompagner le morceau Divine vous le retrouverez sur l’album Mythos. C’est cette dernière que nous vous offrons. Oui nous sommes trop bons. Portail to the realm of abyss : directement à la vidéo : ce n’est pas une chanson mais un fragment de l’apocalypse de St Jean récité par Rahne Pistor, joue le rôle du prédicateur des temps derniers, chapeau rond et canne à la main, la musique gronde, derrière lui un cheval de désolation dont les naseaux laissent échapper une fumée blanche, l’image est mouvante comme si elle était filmée au travers des flammes de flambeaux funèbres. Ces vidéos reposent sur un équilibre précaire, elles oscillent sans cesse entre parodie et réalité se gardant bien de tomber d’un côté ou de l’autre. Entrance to the waste land : l’on n’est jamais là où l’on croit être, cette gaste contrée, on l’imaginait à la suite du morceau précédent être l’enfer chrétien, il n’en est rien, nous sommes au cœur du monde lovecraftien, à l’entrée de la cité inconnue de Kadath, nous longeons l’orée de la cité dans le monde des morts où croît l’herbe miraculeuse qu’il faudrait escalader à la manière de Jack et son haricot magique pour parvenir au monde des rêves. La voix puissante et la musique forte et furtive nous y conduisent… Pour une fois l’Official Music Vidéo n’est pas à la hauteur des lyrics, Arriadha Lopez semble de trop, les différents personnages le guerrier, le ‘’ moine fou’’, tous les autres et même la prêtresse font trop images d’Epinal, il aurait suffi de la prestation de Rahne  Pistor seul, masque blanc et bâton de berger sans ouailles à la main, s’inclinant à terre et vaticinant en lui-même. The hallowed chamber : musique pratiquement symphonique, résonnances d’une guitare étrangement sixties, une image fixe, nous sommes dans la chambre sacrée, un autel vide, derrière en trois grandes absides trois immenses statues de Dieux assyriens. Un semblant de rayon de lumière translucide se pose sur l’autel, apparition fantomatique d’une espèce de coffre en bois, l’arche aux livres secrets que vous ne lirez jamais.

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             J’avoue avoir été surpris, je m’attendais à feuilleter un amerloc comics  et j’ai déboulé dans un étrange recueil de poèmes, page de gauche le texte et le chant, page de droite le dessin-vidéo. Une version moderne et parallèle aux poétiques expériences et innocences des chants de William Blake.

             Il est évident que Rahne Pistor est à la tête d’un projet esthétique qui essaie de joindre la boursouflure américaine à la culture gothique européenne. Travaille le son et l’image dans le but de produire une œuvre totale  à la manière de Wagner. Il est regrettable qu’il n’ait pas trouvé son Louis II de Bavière ou un mirifique producteur hollywoodien pour permettre une éclosion épanouissante à grande échelle de cette démarche souveraine.

             Je me plais à délirer sur son nom : Rahne est le nom d’une de ces New Mutants créés par Marvel, sous le pelage du loup vous trouvez la licorne, à moins que sous la peau de la princesse ne gîte la bête obscure, dans les deux cas, il ne faut point se fier à l’apparence des choses.

    Exemple sous l’art pompier du dix-neuvième siècle se cachent quelques uns de nos grands peintres, il suffit de savoir regarder. Sous les tombes se trouvent les morts. Sur les tombes exulte la vie. Sachez inverser, ne serait-ce que par un salvateur réflexe de survie nietzschéenne, non pas vos valeurs, mais votre regard.

    Pistor se traduit par Pistolet. De pistolet à Sex Pistol le lien s’établit de lui-même. Je ne suppose en rien une dévotion particulière de notre héros avec la musique des Pistols. Peut-être oui. Peut-être non. Je n’en sais rien.  Mais je ne peux m’empêcher de penser à la manière dont l’apparition du groupe de Johnny Rotten et du mouvement punk a fracturé les représentations que l’idéologie dominante occidentale se faisait d’elle-même. Elle se croyait translucide comme la plus belle et la plus précieuse des perles. Les iroquoises pointues de la punkitude   lui ont rappelé qu’elle avait malheureusement la consistance rocailleuse de la coquille de l’huître. Quant à l’animal qui l’avait sécrétée leur divine merveille, tout comme la classe ouvrière produit les richesses dont elle ne profite guère, était-ce un hasard si elle offrait la même molle gluance  vitreuse et expectorale qu’un crachat…

    Le Bandcamp de The Sixth Chamber offrira au lecteur qui le désirerait de plus amples informations, ils y trouveront de roboratives nourritures. De nombreuses vidéos sur You Tube attendent les esprits curieux, sans doute serait-il préférable de les visionner dans l’ordre chronologique de leurs apparitions. Tâche peu aisée, j’en conviens. Ne pas dédaigner leur instagram non plus.

    Damie Chad.

     

    *

    Une couve entraperçue un millionième de seconde, j’ai marné pour la retrouver, la honte pour moi, un groupe français que je ne connais pas, moi qui vous chronique des formations de toute l’Europe de la Russie aux Etats-Unis, sur bandcamp je m’aperçois qu’ils ont déjà pas mal d’enregistrements à leur actif. En plus ils ont changé plusieurs fois d’équipages, ça tombe mal pour moi, avec cette semaine surchargée d’activités extra-rock’n’roll débilitantes et obligatoires, en écoutant par-ci par-là, je m’aperçois que c’est méchamment intéressant, musicalement parlant. Alors faites comme moi, sur French Metal Webzine les trois chroniques que Murderworks a consacrées à ce groupe vous aideront à y voir plus clair, pardoom plus sombre.

    Les Dieux s’acharnent contre moi, le disque que j’avais dans le collimateur… ne paraîtra que le 12 janvier 2024. Pas de panique, le deuxième morceau du vinyl blanc à venir est sorti depuis plusieurs semaines.

    BLUE PAIN

    MOURNING DAWN

    (Bandcamp ( piste numérique) -_15 / 11 / 2023)

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             Super artwork. Statue de sel surgie de l’écume de la mer. Rien à voir avec Vénus anadyomène ! Une espèce de figure de proue fossilisée juchée au tout devant de l’étrave d’une épave déjà engloutie par la mer. Figure du remords et du regret des jours qu’une main lasse égrène pour l’éternité.  

    Laurent Chaulet : guitar, vocals / Frédéric Pathé-Brassur ; guitars / Vincent Buisson : bass / Nicolas Joyeux : drums / Featuring : Déhà.

             Musique somptueuse, le morceau n’atteint pas les six minutes mais il semble durer une éternité comme s’ils avaient réussi à capturer le temps et à l’enfermer dans une bouteille… à la mer, une fois que vous vous y êtes entré vous n’en ressortirez plus. L’est bizarrement bâti comme une symphonie qui aurait pris pour parti de recycler le même thème sous trois mouvements. Vous entendez mais surtout vous voyez se former en vous l’impassible mouvement de vagues monstrueuses qui surviennent et se renouvellent sans cesse à tel point que la lenteur de la répétition vous plonge dans le lent tourbillon d’une immense violence. Il existe des ruptures dans ce titre qui agissent comme des courants contraires qui se conjuguent pour créer l’illusion d’un perpétuel renouvellement. Le vocal joue le rôle du vent dont chaque bourrasque alimente une tempête infinie qui ne semble s’apaiser que pour gagner en intensité. Une pure merveille.

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             Z’ont sorti une Official Vidéo, à l’image du morceau. N’ont pas fait le choix de la clinquance exceptionnelle. Filmé et mixé à bout portant. N’ont fait confiance qu’en eux-mêmes, qu’à la force de leur musique. Pas de prise d’ensemble. On serait tenté de dire qu’ils ont privilégié les instruments au dépend des musiciens, les mouvements des corps serrés au plus près aux brillances des attitudes, les doigts des musiciens et les bouches des vocalistes et surtout pas les personnes. Vous êtes dans la musique et non dans le groupe, vous voyez le morceau prendre forme sous vos yeux, se construire pour ainsi dire de lui-même. L’ensemble crée un effet hypnotique qui met en valeur la composition d’auto-engendrement de ce morceau qui renaît sans cesse de lui-même.

             Ne reste plus qu’à entendre la sortie de l’album The foam of despair  sur Aesthetic Death.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

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    Death, Sex and Rock’n’roll !

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             Le Chef allumait un Coronado lorsque je déboulai dans le local. Il me regarda avec surprise, j’étais incapable de parler, j’avais monté les quatorze étages en courant, je m’affalai sur une chaise devant le bureau :

              _ Agent Chad, vous devriez arrêter de fumer, c’est mauvais pour la santé, vous rendez-vous compte qu’au doux temps de Sparte, le Sénat vous aurait admonesté en public, un guerrier du SSR se doit à chaque seconde de sa vie être en pleine forme pour combattre les ennemis du rock‘n’roll, j’espère que cette entrée éhontée ne se renouvellera pas de sitôt.

             _ Chef, c’est terrible !

             _ Remettez-vous, agent Chad, je fume un Coronado, le monde peut s’écrouler, tant que je tiens un Coronado au bout de mes lèvres toute situation ne saurait être jugée de critique ou d’inquiétante !

             _ Chef, le service est attaqué, nous venons de perdre nos deux meilleurs agents et…

             _ Du calme Agent Chad, vous me semblez affolé ce matin, laissez-moi le temps d’allumer un Coronado et je vous écoute de mes deux oreilles…

    2

             Le Chef soupira profondément :

             _ Agent Chad Je me permettrai de qualifier ce que vous venez de me raconter de bizarre. Je pense que nous devons agir méthodiquement, commençons par déblayer le terrain. Laissez-moi faire, pendant ce temps, reprenez votre sang-froid.

             Le Chef alluma un Coronado. Sa main hésita entre les deux téléphones, il se décida pour le rouge :

             _ Allo l’Elysée, mais non espèce de jean-foutre, passez-moi le Président au plus vite, ah c’est vous, est-ce que vous ne seriez pas en train de nous jouer un sale tour de votre façon, tout cela pour ne pas nous renouveler notre subvention, pour 2024.

             _ Ce serait avec plaisir, nous le regrettons mais avec toutes ces rock-stars qui en juillet prochain décideront de parader aux Jeux Olympique, nous avons hélas trop besoin de vous pour les recevoir.

             Le Chef reposa le combiné tout en saisissant dans son tiroir un nouvel Coronado :

             _ Voyez-vous Agent Chad j’aurais tendance à le croire, faudra que je me tienne à ses côtés, non Monsieur le Président ce n’est pas Keith Richards qui vient vous saluer, c’est Mick Jagger, maintenant Agent Chad soyez fort, le prochain appel risque de rendre inutile la poursuite de notre affaire.

             Mon cœur se serra, d’une main ferme le Chef s’empara du téléphone noir :

             _ Allo douce amie, comment allez-vous… arrêtez de minauder je suis sûr que vous êtes en pleine forme, je ne voudrais pas vous faire perdre votre temps si précieux, deux de nos agents les plus importants ont disparu, est-ce que vous ne les auriez pas occis par hasard.

             _ Je crains de vous décevoir, pardonnez mon humour noir, non je ne me suis nullement intéressé à vos agents depuis la fin de notre aventure précédente, excusez-moi en tant que bienfaitrice de l’Humanité j’ai encore à abréger les souffrances de sept ou huit agonisants, à l’Hôpital Américain. Je vous embrasse.

             Le Chef me regarda d’un air sombre.

             _ Agent Chad, nous ouvrons notre enquête, pourriez-vous répéter tout ce que m’aviez confié tout à l’heure, prenez votre temps, le moindre détail anodin peut se révéler important, je vous écoute le temps d’allumer un Coronado.

    3

             L’histoire était incroyable. J’avais quitté le service à dix-neuf heures mes deux chiens sur les talons. A vingt-heures trente, nous arrivions à Provins. Molossa et Molossito aboyèrent lorsque je passais devant Le chat qui pêche un os à moelle. Un nom étrange pour un restaurant. J’avais compris. Une demi-heure plus tard nous étions en train de dévorer une superbe côte de bœuf accompagnée de frites pour moi et d’une garniture de tripes à la mode de Caen pour mes deux animals, comme j’aime à les appeler.

             La journée à cavaler chez les derniers disquaires parisiens avait été rude. Nous ne nous attardâmes pas, notre troisième dessert avalé nous filâmes droit à la maison. Les chiens bondirent sur le lit. Je vérifiai la fermeture de toutes les ouvertures de la villa et tirai avec soin les trois verrous de la porte blindée de ma chambre. Un agent du SSR n’a pas le droit d’être surpris durant son sommeil. Avec mes deux cabotos je ne craignais aucune surprise intempestive. Un quart d’heure plus tard nous dormions tous les trois comme des bienheureux.

             Lorsque je m’éveillai, les chiens n’étaient plus à mes côtés. Je n’en fus pas surpris, quand ils avaient trop chaud ils avaient l’habitude de se prélasser sur la descente de lit. Un lion sauvage que j’avais tué en Afrique dans un grand magasin d’une seule balle entre les deux yeux. Ils n’y étaient pas ! Sous le lit non plus, et les verrous de la porte étaient encore tirés. Malgré tout j’ai fouillé toutes les autres pièces de la maison, puis en désespoir de cause le jardinet dont le portait était encore fermé à clef. J’ai crié leurs noms aux quatre vents, j’ai tourné en voiture dans Provins, sui revenu à la maison vérifier une nouvelle fois toutes les cachettes possibles et impossibles…

    4

             _ Voilà Chef vous connaissez la suite…

    Le Chef se taisait. Son Coronado se consumait entre ses doigts, il hésitait à parler :

             _ Agent Chad, ne le prenez pas mal, est-ce que vous n’auriez pas un peu exagéré sur le white spirit dans votre resto, vous savez ce whisky un peu raide dont de temps en temps vous êtes friand, peut-être avez-vous oublié vos chiens là-bas…

             _ J’y suis passé par acquis de conscience avant de prendre la route de Paris, j’ai même vérifié la malle arrière de la voiture, non Chef hier soir j’ai été aussi sobre que le chameau du désert.

             _ Si je me hasarde, juste une hypothèse d’école comme disent les Jésuites, à évoquer une quatrième présence dans votre chambre, féminine, qui se serait levée de grand-matin et qui serait repartie en emmenant les chiens, qui tout compte fait dans son esprit seraient plus intéressants que vous…

             _ Non Chef, jamais Molossa ne l’aurait suivie, trop contente d’en être débarrassée si vite…

             Le Chef paraissait soucieux. Il alluma un Coronado. Puis un autre, puis un autre. Pour ma part je gambergeais Mes pauvres toutous, que devenaient-ils, que personne ne leur fasse de mal. Je serrai les poings dans mes poches sur mes Rafalos. Le contact du métal froid, me rassénéra. D’abord agir ! D’abord tuer ! Réfléchir ensuite !

             La figure du Chef s’illumina, il alluma un Coronado :

             _ Agent Chad, je suis heureux de vous voir reprendre du poil de la bête. Je n’ai que deux mots à prononcer : Action immédiate !

    5

             Nous descendîmes les escaliers à toute vitesse. Je me précipitai au milieu de la route pour arrêter une voiture. Le pékin freina et m’abreuva d’injures par sa vitre ouverte, le Chef était déjà assis à ses côtés :

             _ Agent Chad, débarrassez-moi de ce paltoquet, dépêchez-vous, nous sommes pressés.

    J’attrapai le gars par le colbac, lui collai un pruneau (sans armagnac) dans la boîte crânienne, le rejetais sur le trottoir tout en prenant sa place au volant. Nous roulâmes comme des fous, vers la bonne ville de Provins, j’empruntai la voie de gauche, ainsi vous n’avez pas à perdre de temps à dépasser les lambins de service, ceux qui vous voient débouler face à eux s’écartent instinctivement d’eux-mêmes.

    Coronado à la main, le Chef philosophait :

    _ Voyez-vous Agent Chad à ma grande surprise je sens poindre en moi une âme d’animaliste, tout cela par la faute de Molossa et Molossito, s’il le faut je suis prêt pour les sauver à supprimer la moitié de l’humanité dont le changement climatique n’a pas encore réussi à nous débarrasser.

    J’eus du mal à trouver une place de stationnement devant Le chat qui pêche un os à moelle, la rue était encombrée de camions de pompiers et de fourgons de police.

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 608: KR'TNT 608 : THIN LIZZY / PM WARSON / THE REVEREND PEYTON'S BIG DAMN BAND / O.C. TOLBERT / LOU REED / ROCKABILLY GENERATION NEWS / ALAIN COURAUD / GENE VINCENT / DEMONIO / MELT / MY DEATH BELONGS TO YOU / AMER'THUNE / ROCKAMBOLE

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    LIVRAISON 608

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    06 / 07 / 2023

     

    THIN LIZZY / PM WARSON

    THE REVEREND PEYTON’S BIG DAMN BAND

    O.C. TOLBERT / LOU REED  

    ROCKABILLY GENERATION NEWS 

     ALAIN COURAUD / GENE VINCENT / DEMONIO

      MELT / MY DEATH BELONGS TO YOU

     AMER’THUNE / ROCKAMBOLESQUES

     

     

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    NE CROYEZ SURTOUT PAS

    QUE NOUS PRENONS DES VACANCES,

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    AFIN QUE LE  31 AOÛT 2023

    VOUS PUISSIEZ ENFIN VOUS REPAÎTRE

    DE CES CHRONIQUES SANS LESQUELLES

    VOTRE VIE MANQUERAIT

    D’UNE INJECTION HEBDOMADAIRE

    DE ROCK’N’ROLL !

     

     

    Tête de Lynott

    - Part Two

     

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             Chacun de nous a eu sa dose, et même son overdose, de Lizzy, surtout les ceusses qui dévorent la presse anglaise, une presse toujours aussi friande du rise and fall of the Lizzy King, Phil Lynott. On voit même encore paraître des numéros spéciaux de Classic Rock consacrés à Lizzy. Oui, Lizzy fait vendre, mais pour de bonnes raisons, ce qui est rare, alors autant le signaler.

             Phil Lynott reste un cas unique dans l’histoire du rock anglais. Black, il n’avait aucune chance. De la même façon que Jimi Hendrix, il doit tout à son immense talent. Sur les 13 albums de Lizzy, tu vas trouver une série de hits qui comptent parmi les joyaux de la couronne. On considérait jadis les albums de Lizzy comme des huîtres, tu les ouvrais et tu pouvais trouver une perle, parfois deux. Et pas des petites perles, ces grosses perles noires qui embrasent ton imagination. 

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             Il existe une petite bio du Lizzy King, signée Mark Putterford : Phil Lynott: The Rocker. Putterford n’est pas Nick Kent. Il propose néanmoins un bon book, un book sans prétention, dont la discographie constitue l’épine dorsale. Putterford ne s’est pas cassé la tête, il avance par petites étapes, comme un pèlerin sur le chemin de Compostelle, et s’arrête à chaque album pour s’extasier et sombrer dans une sorte de béatification. Quand on connaît la qualité des albums, on sait qu’il n’y a rien de choquant dans cette posture. 

             Dans son intro, Putterford met le doigt sur ceux faits essentiels : Lizzy est «the first internationally successful Irish rock band», et Phil est devenu «the biggest rock star since Jimi Hendrix». Putterford cite aussi son «astonishing capacity for drinks and drugs». Il a raison de chanter les louanges de Phil qu’il qualifie de first real Irish rock star - A musician, a poet, a performer, a leader, a Lothario, a Casanova, a fighter, a charmer, a gambler, a gyspsy, a rogue, a cowboy, a renegade, a hellraiser, a hero... he was unique in every way - Pas mal comme hommage, non ? Il le qualifie plus bas d’Hollywood Romeo avec son œil caché et sa fine moustache, ses longues jambes gainées de cuir noir, style and charisma, Putterford n’en finit plus de s’extasier, et il a raison. Phil est un très beau mec. Il cite encore son cheeky grin, son sourire assassin. Et ça continue avec le côté proud, «the proud man, l’homme fier de sa mère, Philomena, et de ses deux filles, fier de sa couleur de peau et fier de sa patrie, l’Irlande.» Réciproquement, Dublin est une ville qui se montre toujours fière de lui. L’Irlande, nous dit Putterford, c’est aussi «James Joyce, Oscar Wilde, George Bernard Shaw, W.B. Yeats, Sir Thomas Moore, Brendan Behan, Oliver Goldsmith, Jonathan Swift and more.» 

             Smiley Bolger rappelle tout de même qu’avant Phil, il y avait Van Morrison - But he was a more cool-headed kind of guy - et Rory Gallagher - Tout ce qu’il voulait c’était rester en 65, still playing the guitar - Phillip was different. He was the party man. He was into the grace of a black man, the cool dude - Et il ajoute : «He had the looks. He had the style. He had the ideas. He used to say, ‘Give me half an idea and I’m away.’» Bolger le voit comme a natural rock-star. Phil qualifiait sa facette rock star de ‘me act’. Parfois, il admettait qu’il était «sick of himself». Phil devenait trop Phil. Geldorf ajoute que Phil fut the only true Irish rock star : «Van Morrison ne fut jamais considéré comme une rock star, parce qu’il ne ressemblait pas à une rock star, d’une part, et d’autre part, il ne voulait surtout pas ressembler à une rock star.» Phil va vivre the mythical rock star existence jusqu’au bout, et selon Geldorf, ce qui causera sa perte.

             Au début, Phil est fan de Jimi Hendrix. Il se passionne aussi pour Astral Weeks et Beck-Ola. Il flashe en plus sur l’Hang Me Dang Me d’Heads Hands And Feet, et notamment sur le bassman Chas Hodges, qu’on retrouve dans Chas & Dave - One of his main bass playing influences - Phil flashe aussi sur There’s A Riot Goin’ On de Sly & the Family Stone, et of course, sur le White Album. Wow ! On comprend mieux d’où sort de génie de Phil Lynott. Il adore aussi Humble Pie.

             L’homme clé dans le destin de Lizzy n’est autre que Ted Carroll, le futur Ace man. Il s’occupe d’eux quand le groupe s’appelle encore the Black Eagles. Phil et Brian Downey tapent des covers des Yardbirds et des Small Faces. Puis Phil chante dans Skid Row, avec Brush Shiels, and a kid from Belfast called Gary Moore. Mais Shiels vire Phil qui est pourtant son meilleur ami. En dédommagement, il lui apprend à jouer de la basse. Skid Row va continuer de son côté et fera une petite carrière riquiqui. C’est Phil qui va percer.

             Il apprend vite. Il montre une détermination à toute épreuve. Il monte Orphanage avec son copain d’école Brian Downey, puis rencontre Eric Bell, qui jouait alors dans John Farrell & The Dreams. Bell propose de monter un groupe. Phil pose ses deux conditions : jouer ses compos et jouer de la basse. Bell : «Well let’s give it a go.» Par sa détermination, Phil impressionne Bell Bell Bell et Brian Downey - he worked hard to achieve that distinctive Lizzy sound - C’est Bell Bell Bell qui trouve le nom du groupe dans un comics nommé Dandy : un personnage robot nommé Tin Lizzy, «the Mecanichal Maid», qu’ils transforment en Thin Lizzy. Et pouf c’est parti ! Ted Carroll les co-manage. Ils jouent en Angleterre avec notamment les Flirtations, ou encore l’Edgar Broughton Band.

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             Frank Rogers signe l’early Lizzy à Dublin et les envoie enregistrer leur premier album sans titre au studio Decca de West Hampstead, à Londres, là où les Stones et Mayall ont enregistré. Dès Thin Lizzy, Phil montre les prédispositions d’une superstar. La qualité des compos ne trompe pas, surtout quand il s’agit d’«Honesty Is No Excuse». Il est là, épique épique et colegram, troubadour d’afro Irish roots, précoce expert du big fat deepy deep mélodique. Il met un certain temps à poser les éléments, accompagné par Bell Bell Bell le bien nommé, et soudain le Phil à la patte déploie ses ailes immenses - And now I know/ I see the light/ And honesty was my only excuse - On tombe plus loin sur un «Ray Gun» quasi hendrixien que nous wahte le Bell Bell Bell comme le jour. Il faut entendre Phil chanter «Look What The Wind Blew In» à l’éclat de la revoyure. Il se situe déjà à l’extrême pointe du progrès. On le sent intimement déterminé à vaincre. Il dubline tout sur son passage. Il ramène déjà la notion de Dublin Cowboys, l’Americana irlandaise selon le Phil en aiguille. Une autre perle noire se niche en B : «Return Of The Farmer’s Son», fabuleux shake d’heavy jam. C’est le pinacle du power trio, avec le Brian qui bat son beurre et le Phil qui rôde dans ses basses œuvres. Le voilà lancé, rien ne l’arrêtera plus. Il termine ce très bel album avec «Remembering» qu’il attaque à l’éplorée, mais avec une réelle assise. Il bâtira son vaste empire sur cette assise. Lizzy se barre en mode jam power, c’est leur petit apanage, Phil adore taquiner la bête, et il redémarre au keep remembering

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             Tout aussi impressionnant, Shades Of A Blue Orphanage paraît l’année suivante. Le titre s’inspire des deux formations précédentes : le Shades of Blue de Bell Bell Bell et l’Orphanage de Phil & Brian Downey. Tu as trois perles noires dans cette huître : «Buffalo Gal», «Chanting Today» et le morceau titre. Phil y fait son retour de mélodiste magique, il affabule sa Buffalo Gal dans le vestibule, c’est un homme fin et doux, et derrière, Bell Bell Bell le bien nommé joue liquide. Lizzy, c’est déjà une affaire sérieuse. Ils vont tourner pendant dix ans avec une moyenne de trois perles par huître. Avec Chanting, Phil pose sa tension mélodique en appui sur les espagnolades de Bell Bell Bell. Phil chante à la merveilleuse arrache. Il y a du Lord Byron en lui, une sorte d’élan naturel vers l’absolu marmoréen. Et puis il peuple son morceau titre de personnages, the clever con, the good Samaritan, the ras claut man, the loaded gun, the charlatan et plus loin, the laughing cavaliero, the wise old commanchero, the desperate desperado, the gigolo from Glasgow, the good looking Randolph Valentino & the female Buffalo. Comme Dylan, il pose les fondations de sa mythologie.

             Pendant l’enregistrement de Shades Of A Blue Orphanage, Blackmore fait de l’œil à Phil. Il essaye de le débaucher pour monter un super-groupe nommé Baby Face avec Ian Paice et Paul Rogers. Quelques répètes, mais Phil préfère rester avec Lizzy plutôt que de tenter l’aventure avec le big name Blackmore. Fin de Baby Face. Blackmore rentre à la maison, chez Purple.

             C’est l’époque de la fameuse tournée avec Slade et Suzi Quatro, et Lizzy en première partie. À Liverpool, Lizzy se fait jeter au bout de deux cuts à coups de canettes. Mais c’est en voyant Noddy Holder driver son public que Phil pige tout. Il apprend littéralement son métier de performer lors de cette tournée. Chas Chandler vient même trouver Lizzy dans la loge : «Soit vous faites un effort, soit vous dégagez de la tournée. Vous êtes là pour chauffer le public, pas pour l’endormir !» Chas s’énerve, il a raison, «Sort yourselves out!». Ce sera la grande leçon. Mais le public anglais est féroce. Un mec lance à Phil : «Get off yer black arse - get back to Africa!». Phil garde son calme et répond : «Look pal, just give us a chance, eh?». Putterford restitue bien le style vocal de Phil, ce slang irlandais aux tonalités descendantes - Gigantic pair of legs and thick Irish accent.

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             Troisième et dernier album de l’époque Bell Bell Bell, Vagabonds Of The Western World. L’huître propose trois nouvelles perles noires : «Whisky In The Jar», «The Rocker» et «Song For While I’m Away». Le Whisky est sans doute le hit le plus connu de Lizzy, Phil le prend à la bonne arrache. Ils sont tous les trois parfaitement à l’aise dans leur bel univers mélodique. C’est monté au petit beurre du brillant Brian. Bell Bell Bell te claque la grosse intro de «The Rocker». L’énergie est purement hendrixienne - I’m a rocker/ I’m a roller too baby ! - Saluons aussi le heavy boogie blues de «Mama Nature Said» en B. Phil grimpe directement au sommet de son chat perché, il est toujours très héroïque, très élancé, très brillant et derrière, Bell Bell Bell te claque des riffs au bottleneck. Comme on l’a vu dans l’hommage qu’on lui rendait ici même en 2019, Eric Bell est un fiévreux virtuoso, un tisseur de toiles faméliques. Le clou du spectacle est bien sûr «A Song For While I’m Away», qui donnera son titre au docu consacré à Phil - You are my life/ You are my everything/ You are all I have - Fantastique orchestration, bien nappée de violons, c’est une merveille intimidante, Phil chante un fondu de tendresse chaude. Impossible de se lasser de ce mec. L’autre grande particularité de l’album est sa pochette. C’est la première que dessine Jim Fitzpatrick pour Lizzy. Comme Petagno avec Motörhead, Fitzpatrick va signer quasiment toutes les pochettes de Lizzy.

             Bell Bell Bell craque. Il ne tient pas la pression - I was losing my mind and I couldn’t handle it - Pour finir la tournée, Phil fait appel à Gary Moore qu’il connaît depuis le temps de Skid Row.  Phil aimerait bien continuer Lizzy avec Gary Moore, mais Moore est incontrôlable. En quelques mois, il fait un burn-out. Et il y a une petite rivalité entre Phil et lui. Moore capte l’attention et ça ne plaît pas trop à Phil. Moore se barre. De toute façon, il n’allait pas tenir. Phil teste ensuite John Du Cann pour une tournée en Allemagne, mais ça se passe mal entre Phil et lui. Du Cann se prend pour Blackmore. Encore des problèmes d’ego - He expected to be treated like a superstar - Frank Murray raconte qu’en arrivant en Allemagne, Du Cann a posé sa valise par terre, attendant que quelqu’un la porte, et Murray lui dit : «Look pal, in this band you carry your own fucking case!». Fin des haricots.

             Puis Phil remonte le groupe avec deux guitaristes. Il entre dans une ère nouvelle, celle du twin guitar attack de Scott Gorham/Brian Robertson. Gorham est un Californien installé à Londres, et Robbo vient d’Écosse. C’est à ce moment-là que Ted Carroll arrête de manager Lizzy pour se consacrer à son Rock On stall. Il va ensuite monter Chiswick Records et signer Motörhead.

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             Premier album du quatuor flambant neuf : Nightlife. Lizzy décroche une belle avance de Phonogram et Fitzpatrick dessine la pochette. Par contre, la relation avec le producteur Nevison tourne au cauchemar. Phil compose à bras raccourcis, toujours au sommet du lard. Ah il faut l’entendre groover son morceau titre sur sa basse, c’est d’une classe invraisemblable, un vrai tour de force melodico-bassmatique. En B, tu tombes sur «Philomena», c’est-à-dire sa mère. Cut mélodiquement pur, monté sur un brave petit mid-tempo. Pas trop de twin guitar attack sur cet album, sauf ici, à la fin du solo de «Philomena». Phil renoue avec l’Hendrixité des choses sur «Sha La La». Gorham et Robbo jouent au puissant délié de twin guitar, avec le buzz buzz de Phil. Brian Downey se tape la part du lion, c’est lui qui claque le beignet du cut. L’album s’achève avec «Dear Heart», une nouvelle merveille d’harmonie mélodique, doucement violonnée. Le bassmatic de Phil transparaît bien dans le mix, on ne le perd jamais de vue. Globalement, Nightlife est un album élégant. Ce «Dear Heart» te va droit au cœur.

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             Ils jouent les gros durs des Batignolles sur la pochette de Fighting. Ils sont marrants, car pas crédibles. Il y eut même, nous dit Putterford, une photo de Lizzy avec les pifs sanguinolents, mais le label l’a refusée. Comme Nevison a laissé un très mauvais souvenir, Lizzy s’auto-produit. Le «Rosalie» d’ouverture de balda tape dans la Stonesy. C’est quasiment «Happy», même sens de l’envol et de l’insistance. L’album est très classique, très boogie rock. Phil y va au ya ya ya sur «Suicide» et on retrouve le twin guitar attack en contrefort de «Wild One». On les voit essayer d’exprimer la violence dans «Fighting My Way Back», en exacerbant le riff et le beurre. C’est assez marrant. Ça pourrait presque marcher. On se régale aussi du «King’s Vengeance» en B. Il y a toujours du flourish et du blooming dans l’univers musical du grand Phil à la patte. Les morceaux pauvres de l’album sont ceux des autres (Robbo signe «Silver Dollar»). Retour au vrai son de Lizzy avec «Freedom Song» qui préfigure «Boys Are Back In Town».

             Phil flashe pas mal sur l’Amérique, comme le rappelle Putterford, «un pays où les hommes sont des cats et les femmes des chicks, la police des cops, et les barmen des bartenders, les autoroutes des highways et les trottoirs des sidewalks.» Il est fasciné par la culture américaine, par cette loi de la jungle qu’on retrouve bien sûr dans ses lyrics.

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             On parlait du loup, le voilà : «The Boys Are Back In Town» ouvre de bal de B de Jailbreak, un Vertigo sorti en pleine aube punk, en 1976. C’est le hit définitif de Lizzy. Tout le town est là, merveilleusement là. C’est balancé, chaloupé au bassmatic. Retour du Dublin Cowboy dans «Cowboy Song», Phil y ramène son Buffalo et son Romeo. Le morceau titre de l’album est bien gratté, mais il peine à jouir. Par contre, «Running Back» ne paye pas de mine au premier abord, mais ça devient du pur Lizzy. C’est avec cet album que le twin guitar attack entre en full bloom.  Gorham avoue que Wishbone Ash l’utilisait déjà avant eux, mais en moins agressif. Le twin va devenir «the Lizzy sound». Après la catastrophe graphique de Fighting, Fitzpatrick est de retour.

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             Pendant qu’il est à l’hosto pour une petite hépatite, Phil compose les cuts de l’album suivant, Johnny The Fox. Tu vas y trouver deux inexorables Beautiful Songs : «Borderline» et «Old Flame». Phil épouse la mélodie de Borderline, une véritable merveille d’élégance. On retrouvera cette qualité mélodique chez Midlake. Et en B, «Old Flame» sonne comme l’idéal Lizzy : chant mélodique enduit de Twin. C’est un son unique dans l’histoire du rock anglais. Dans «Johnny The Fox Meets Johnny The Weed», Phil travaille à l’insidieuse, avec un riff têtu comme une mule. Et avec «Massacre», il revient à ses chers Buffalos. C’est une obsession. On entend une belle mélasse de twin dans «Rocky». Ces mecs savent s’entremettre. Phil chante son «Fools Gold» sous l’alizé d’un twin douceâtre et il boucle cet album avec un «Boogie Woogie Dance» percé en plein cœur par un solo liquide. Lizzy reste sur des charbons ardents jusqu’au bout du Fox. Pour l’anecdote, il faut savoir qu’on a demandé à Fitzpatrick de dessiner la pochette de l’album alors que Lizzy n’avait pas encore choisi le titre. Il insiste auprès de Phil, «Just think of any title», alors Phil répond : «Ah call it Johnny The Fox, that’ll do.»

             Mais Phil a des problèmes avec Robbo, qui est incontrôlable. Robbo cogne. Phil demande à Gary Moore de partir en tournée américaine avec Lizzy. Robbo sait que Moore ne va pas rester avec Lizzy, il n’est pas trop inquiet.

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             Bad Reputation restera dans l’histoire du rock pour «Southbound», un chef-d’œuvre de ghost town mélodique, sucré au twin de rêve. Phil est dans son élément, c’est une merveille de contrôle des mesures, il sait driver une extra-balle de southbound. On retrouve ici le magicien, le fantastique pourvoyeur de chansons parfaites. Alors évidement, les autres cuts ont du mal à rester au même niveau. On trouve du twin bien moelleux, et même délicieux, dans «Soldier Of Fortune», et dans le morceau titre, joué nettement plus sous le boisseau. Scott Gorham joue tous les shoots de twin tout seul. Phil boucle avec un «Dear Lord» qu’il prend à l’éplorée, comme il sait si bien le faire, bien lubrifié par une lampée de twin. Pas de Robbo sur la pochette. Lizzy a voulu lui donner une leçon. Pas de Fitzpatrick non plus.

             Pendant la tournée américaine, Phil sniffe des tonnes de coke et prends des downers pour essayer de dormir un peu, mais il faut se réveiller de bonne heure pour monter dans le bus en partance pour la prochaine ville, alors Phil est de mauvaise humeur. Il cherche la bagarre.

             Puis Robbo revient dans Lizzy. Gorham est content, même si Robbo «is a fucking nutcase». Phil le tient à distance. Terrie Doherty : «Le problème de Robbo est qu’il était trop agressif. Il était toujours prêt à se battre avec quelqu’un, il m’a même menacé de me casser la gueule.» Dans les bars, Robbo, «completely out of it», cherche tout le temps la cogne. Quand on essaye de le calmer, il s’énerve encore plus. Alors Phil le chope et lui demande de s’excuser, ce qu’il ne fait pas. Robbo finit par être viré pour de bon - I was really just out of control, a complete asshole - Il boit comme un trou et prend du speed, ce qui n’arrange rien. Il se sent en permanence comme un bâton de dynamite, prêt à exploser. Il dit siffler à cette époque deux bouteilles de Johnny Walker Black Label par jour : «une demi-bouteille au soundcheck, une demi-bouteille juste avant de monter sur scène et une autre bouteille pendant le gig.» Maintenant, il sait qu’il s’est comporté comme un con - I now know what a prat I was. And we all know what a prat Phil was, parce qu’il n’est plus avec nous aujourd’hui - Pas mal, le Robbo. Il conclut ainsi : «Mais tu ne vois tes erreurs qu’une fois commises. Et alors, c’est trop tard.» Gary Moore le remplace. C’est son troisième stage en temps que «full time member» dans Lizzy en quatre ans.

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             C’est l’année suivante que paraît Live And Dangerous, considéré avec No Sleep Till Hammersmith comme l’un des meilleurs albums live de l’histoire du rock anglais. Facile pour Phil : il n’a que des hits. Comme Lemmy, d’ailleurs. Le balda est irrésistible. La marée commence à monter avec un «Emerald» gorgé de twin, et ils enchaînent avec «Southbound». Ah il faut le voir, le Phil, entrer dans son lagon d’’argent, suivi du twin le plus mélodique du monde. S’ensuit un medley «Rosalie/Cowgirl’s Song», heavy boogie de Bob Seger, idéal pour des blasters comme Lizzy. Avec les deux cocottes, ils ramènent tout le sel de la terre. La brutalité du riffing restera dans les anales. La B retombe complètement à plat et il faut attendre «The Boys Are Back In Town» en C pour reprendre de l’altitude. C’est le hit, pas de problème. On peut en dire autant de «Don’t Believe A Word». L’exercice du pouvoir doublé au twin, voilà le grand art de Lizzy, voilà sur quoi repose leur extrême crédibilité. Putterford rapporte une anecdote délicieuse. Chris O’Donnell évoque avec Bernie Rhodes la possibilité d’une double affiche Lizzy/Clash at the Roundhouse et Rhodes lui dit : «We don’t just do gigs, we make political statements. Everything has to be dangerous, do you understand?». Ça fait bien marrer O’Donnell qui appelle Phil pour lui suggérer un titre pour ce double album live : «How about Live and Dangerous?»

             Lizzy est l’un des rares groupes qui a su échapper à la purge punk. Phil a su garder sa street credibilty. Lizzy ne fait pas partie de ce qu’on appelle alors les dinosaurs. Phil est fin, il a tout compris : keep in the move. Il reçoit les punks chez lui. Sid & Nancy in the toilet - That fucking Sid he comes round here shooting up, il pose la seringue par terre, la ramasse et vlahhh straight back in his arm, it’s fucking terrible - Même si Phil en a vu d’autre, le Sid & Nancy in the toilet, c’est quelque chose ! Chez Phil, c’est porte ouverte et table ouverte - He was an open house, 24 hours a day - Phil est bien pote avec les London punks. Il monte une première mouture des Greedy Bastards avec Steve Jones, Paul Cook, Gary Moore, Scott Gorham, Brian Downey et Chris Spedding. Vient jouer qui veut. Les voilà sur scène à l’Electric Ballroom, «a few Lizzy songs, a few Pistols songs, le «Morotbiking» de Chris Spedding, le «My Way» de Sid Vicious and whatever.» Cette année-là, Phil joue aussi sur le So Alone de Johnny Thunders.

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             L’année suivante, Lizzy enregistre Black Rose à Paris avec Tony Visconti. Un Visconti qui sa plaint du Phil trop méticuleux : il peut passer en effet six ou sept heures sur un cut avant qu’il ne soit content de sa partie chant. Il a raison le Phil à la patte d’être méticuleux : ça engendre des coups de génie. Tu as deux perles dans l’huître : «Do Anything You Want To» et «Waiting For An Alibi». Gary Moore remplace Robbo. Le twin guitar attack est encore plus virulent qu’avant, et Phil y va à coups de compromise you, c’est plein de vagues de twin, Lizzy est au sommet du lard. Encore une chanson parfaite de Phil Lynott. «Waiting For An Alibi» sonne bien les cloches, avec la fantastique résonance de l’Alabaï dans les ponts de basse. Phil drive sa pop rock comme s’il drivait l’attelage d’une diligence et c’est couronné de fabuleux shoots de virtuosité signés Gary Moore et Scott Gorham. Leurs tours de twin donnent le tournis. «Toughest Street In Town» est plus poppy, mais Phil crée quand même l’événement, il produit du blossom et du blooming anthemic en permanence. Ses chansons sonnent pour la plupart comme des hits immémoriaux. On s’extasie encore à l’écoute de «Get Out Of Here», en B, car c’est chanté à la clameur sur de belles brisures de rythme et des relances mélodiques extraordinaires. Fitzpatrick se dit fier d’avoir dessiné les quatre Lizzy, surtout Phil : «Je lui ai mis les cheveux sur l’œil pour lui donner un petit air de Max la Menace, et un petit air de Little Richard avec la fine moustache (un look que va pomper Prince plus tard).»

             C’est pendant le séjour parisien que l’héro fait son entrée dans Lizzy, même si Gorham en prenait déjà quand il vivait encore en Californie. À partir de ce moment, ça ne s’arrêtera plus. Gorham : «It was always right there on the table, right in front of his face, all the time.» Mais Lizzy ne tape pas que l’hero, Lizzy tape tout - It was the real downfall of Thin Lizzy - Gorham ajoute : «We were living the image of the rock’n’roll band to the full, and it has to be said that we loved every minute of it.»

              Bob Geldorf rapporte une anecdote pas très glorieuse pour Phil. Geldorf vit alors avec une certaine Paula Yates. Un soir, Phil débarque chez eux et propose un rail à Bob qui sniffe sans savoir que c’est de l’hero. Il se retrouve aussitôt aux gogues en train de vomir ses tripes, et pendant ce temps, Phil file dans la piaule pour aller baiser Paula qui est couchée. Phil sort sa bite et dit à Paula : «This is my biggest gun, darling» !», ce qui ne la fait pas rire : «For fuck’s sake, don’t be so ridiculous, Phillip!». Geldorf : «Pour aller tirer ma poule, il m’a fait un rail d’hero qui m’a presque tué.» Mais au fond, il n’arrive pas à en vouloir à Phil. «Il tentait le coup, c’est tout. Comme il l’avait toujours fait. C’était pour rire. Et tu finis par en rire aussi.» Ces mecs-là ont un sacré savoir-vivre.

             Phil est donc un curieux mélange «de diamond geezer et de complete bastard, d’easy-going drinking pal et de moody ogre, the joker, the sulker», Putterford voit clair dans le jeu de cette superstar, «ce simple Irish boy qui regarde la télé avec sa grand-mère, et qui est aussi the international Playboy raging around the world in a chemically-induced frenzy.» C’est vraiment très bien senti et très bien écrit. 

             Chris O’Donnell rappelle que la vie de rock star est essentiellement constituée d’attente : avant les concerts, pendant les sessions d’enregistrement, d’où les drogues. Et puis après le rush d’adrénaline du concert, aller au lit ? Impossible ! Drugs ! 

             Mais ça reste tendu entre Phil et Gary Moore. Sur scène, ils s’insultent. Fuck you ! Pire encore : Don Arden fait de l’œil à Gary Moore. Il aimerait bien le signer en tant qu’artiste solo sur son label, Jet Records. En plus, sa girlfriend lui dit qu’il est trop bon pour Lizzy et qu’il devrait entamer une carrière solo. C’est à San Francisco que l’orage éclate entre Phil et Gary Moore. Scott Gorham doit jouer seul sur scène. Lizzy redevient brièvement un trio. C’est là que le manager Chris Morrison fait appel à Midge Ure pour rejoindre Lizzy en tournée. Ure joue dans Ultravox et accepte de dépanner Lizzy. Il prend l’avion pour l’Amérique. Phil compare Ure à Steve Marriott.

             Puis Phil embauche Snowy White, un mec réputé qui a joué avec «Peter Green, Linda Lewis, Al Stewart, Cockney Rebel et d’autres», nous dit Putterford.

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             Chinatown pourrait bien être le meilleur album de Lizzy. En B, tu as une nouvelle preuve du génie mélodique de Phil Lynott : «Don’t I». Il ramène de la mélodie dans le twin, et là, il atteint des sommets. Ce merveilleux artiste utilise le balladif pour prolonger sa vision. Cet homme est un ardent perfectionniste, un amoureux inconditionnel de la beauté. Il a su mettre le pouvoir mirifique du twin au service de la mélodie. Lizzy attaque «We Will Be Strong» au full twin guitar attack. Phil arrive à point nommé pour poser avec aplomb son will be strong. Le morceau titre sonne encore comme une fantastique machine, Brian Downey bat le beurre affreusement bien, il tape au beat rebondi. Cette fois, le twin se compose de Scott Gorham et Snowy White. Encore du classic Lizzy avec «Sweetheart». Phil a toujours un peu la même attaque au chant, son Sweetheart est beau comme un cœur, on ne se lasse pas de ce son gorgé de chœurs de lads et de twin. On se goinfre aussi de «Killer On The Loose» et de sa fantastique tension. Tu as là tout l’Irish power. L’«Having A Good Time» qui ouvre le bal de la B est encore une rock song à thème mélodique suspensif, l’une des grandes spécialités compositales du Phil à la patte. Pour l’anecdote, Fitzpatrick raconte que pour la première fois, on lui a donné un bon délai et un titre d’album - Je ne comprenais pas ce qui déconnait, car pour la première fois Lizzy semblait well-organized - Mais finalement ça finit par déconner pour de bon, car Lizzy a choisi le mauvais visuel pour le recto et le bon pour le verso. Mais Phil, qui se savait déjà iconique, préférait laisser planer le mystère sur la pochette, ce qui, de sa part, était extrêmement avisé.

             Sur scène, Snowy White n’est ni Robbo et encore moins Gary Moore. Il ne bouge pas. Bill Cayley, qui fait partie de l’équipe de tournée, raconte que les mecs du road crew se planquaient derrière le rideau avec des manches à balais pour le titiller et l’inciter à bouger sur scène.

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             Snowy White est encore là pour Renegade, paru en 1981, l’année de l’élection de François Mitterrand. Les perles sont en B : «No One Told Him» sonne comme un hit intemporel, un de plus à l’actif du grand Phil Lynott. Il sonne comme le roi du without you baby. Nouvelle rock-song parfaite, enveloppée au chaud dans la magnifique interprétation du Phil à la patte. Il termine Renegade en prenant son envol avec «It’s Getting Dangerous» - When we were young - C’est encore une fois du très grand art, du big Phil out, il développe sa mélodie, lui donne de l’air et des moyens, c’est assez fascinant de le voir à l’œuvre, de le voir s’élever dans son espace mélodique, il le fait en douceur, sans jamais forcer, when we were small, pur genius. Phil Lynott est le tenant de l’aboutissement. Snowy White est fier d’avoir joué sur cet album. Il estime que Lizzy «was a lot more song-oriented than most heavy bands.» Mais l’album connaît un retentissant échec commercial. Lizzy perd de la puissance. Lizzy runs out of steam.

             Snowy White se désintéresse de Lizzy. Il a pourtant adoré la première année de tournées, mais l’ambiance se dégrade, «Lizzy being Lizzy, repeating the same things over and over, c’est le problème de tous les groupes à succès, liés à une certaine image, à certaines chansons et à une façon de jouer sur scène.» Et puis Phil tient mal la pression du succès. Il picole et prend de l’hero - L’hero lui a permis de se relaxer avec l’idée de se retrouver au sommet - Même Chris O’Donnell en a marre de voir Phil et Lizzy se détériorer sous ses yeux - A once brillant band was turning into a pile of crap before my very eyes - Fin des haricots. Même Scott Gorham en a marre. Il dit à Phil qu’il se barre mais Phil réussit à le convaincre de faire encore un album et une tournée.

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             Phil embauche John Sykes pour enregistrer le dernier album de Lizzy, Thunder And Lightning. Malgré son titre prometteur, l’album retombe comme un soufflé. Le morceau titre est un peu metal. On sent une légère dérive. On perd complètement le Phil à la patte. Même les solos sont bizarres. On perd aussi le twin. On perd tout. En fait, lorsqu’on lit les crédits, on s’aperçoit que ça ne marche pas, lorsque Phil co-signe. Il retrouve sa veine avec «The Holy War», mais c’est trop tard, l’album est plombé. En B, ils sonnent comme un mauvais groupe de metal avec «Cold Sweat», et «Baby Please Don’t Go», qu’on trouve plus loin, est tout de suite plus lumineux, car signé Phil. Plus vivant, plus élégant, plus awsome, plus select. L’album et la carrière de Lizzy s’achèvent brutalement avec «Heart Attack». Adios amigos, thanks for the ride.

             Lizzy a gagné beaucoup de blé, nous dit Putterford, Jailbreak s’est vendu à 1,5 million d’exemplaires, mais tout a été dépensé : Phil voulait des avions et des limousines, pour les tournées américaines, il voulait des hôtels de luxe - He would insist on the rock star lifestyle - Chris Morrison lui dit que ça coûte cher, mais Phil s’en fout. Il indique que Lizzy coûtait à l’époque £500,000 a year, Phil veut que toute l’équipe soit salariée. Morrison ajoute qu’aujourd’hui, un groupe coûte £50,000 par an, alors on voit la différence. À la fin, il ne reste pas un rond.

             Le split de Lizzy est insupportable pour Phil. Il commence à déprimer, ce qui ne lui arrivait jamais. Fitzpatrick le voit prendre du poids, ce qui pour Phil est terrible, car il était très fier de son apparence. Rien n’empêche la dérive, tout part à vau-l’eau, son mariage, le groupe - Phil was so popular. Coke, speed, joints, champagne, anything you wanted, you could have it, dit Mark Stanway. Comme Phil ne supporte pas d’être seul, des tas de gens zonent chez lui, at the Ken Road house, jour et nuit. Porte ouverte, table ouverte, des gens dorment là pendant des mois. Robbo débarque en pleine nuit, John Sykes a sa chambre à l’étage, nous dit Sue Peters. 

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             Juste avant Thunder And Lightning, Phil enregistrait The Phil Lynott Album. Le problème c’est qu’on y entend de la diskö. Il rend hommage à sa fille Cathleen avec «Cathleen», a beautiful Irish girl, et il faut attendre «Ode To Liberty» en B pour renouer avec la bonne vieille heavy pop. C’est excellent. Il montre qu’il peut encore composer des hits. Il termine avec «Don’t Talk About Me Baby», un beau hit qui te réchauffe le cœur.

             On retrouve Phil inanimé chez lui le jour de Noël 1985. Il casse sa pipe en bois à l’hosto une semaine plus tard. On dit que c’est le «prolonged drug abuse» qui a eu sa peau. 36 ans, ça fait quand même un peu jeune. «Philip could eat and drink and do everything more than everyone else. He liked it like that», indique Smiley Bolger. Il était paraît-il solide comme un bœuf.

    Signé : Cazengler, Phil Gnognote

    Thin Lizzy. Thin Lizzy. Decca 1971

    Thin Lizzy. Shades Of A Blue Orphanage. Decca 1972

    Thin Lizzy. Vagabonds Of The Western World. Decca 1973

    Thin Lizzy. Nightlife. Vertigo 1974

    Thin Lizzy. Fighting. Vertigo 1975

    Thin Lizzy. Jailbreak. Vertigo 1976

    Thin Lizzy. Johnny The Fox. Vertigo 1976

    Thin Lizzy. Bad Reputation. Vertigo 1977

    Thin Lizzy. Live And Dangerous. Vertigo 1978

    Thin Lizzy. Black Rose. Vertigo 1979

    Thin Lizzy. Chinatown. Vertigo 1980

    Thin Lizzy. Renegade. Vertigo 1981

    Thin Lizzy. Thunder And Lightning. Vertigo 1983

    Phil Lynott. The Phil Lynott Album. Vertigo 1982

    Mark Putterford. Phil Lynott: The Rocker. Omnibus Press 2002

     

     

    PM at six p.m.

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             Il régnait sur ce parc d’attraction un tenace parfum d’ennui, qu’amollissait en le réchauffant un soleil ardent. Les esprits dylanesques appellent ça the Desolation Row caniculaire. On se souvient que Mark E. Smith haïssait l’été et préférait rester chez lui au frais - J’adore l’été, parce qu’en été je ne sors pas. Quand arrive le mois d’avril, les gens sortent comme des chiens, aussi je reste chez moi. Summer is hell - L’organisation du festival avait réussi l’exploit de dresser une petite scène en plein cagnard, ce qui semblait convenir parfaitement aux festivaliers appâtés par la gratuité de l’événement. Cette période de l’année marque l’apogée du fameux pantacourt, une coquetterie à laquelle le caveman moyen ne se prête guère.

             Histoire de varier les plaisirs, la prog cultivait l’éclectisme. Trois groupes étalés sur l’après-midi. Nous n’étions pas là pour les fruits de l’éclectisme, mais plutôt pour un certain PM Warson. Il devait être six p.m. lorsque PM est monté sur scène. 18 h en français.

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             Pour être tout à fait franc, PM en plein cagnard, ce n’était vraiment pas idéal. Ce jeune groover de London town propose une Soul-jazz très sophistiquée, qui conviendrait plutôt à un club de style round midnite, certainement pas au contexte décrit plus haut. En comme un cours d’eau longeait le parc, on entendait en plus glouglouter les petits flots bleus et quelques rires d’enfants occupés à s’éclabousser. Mélangez ça aux odeurs que dégageait le camion à pizza garé tout près et vous aurez une idée du malaise que dut éprouver PM sur scène. Pour corser l’affaire, il dut jouer devant une assistance réduite à portion congrue, le gros des festivaliers ayant préféré rester à bonne distance, à l’ombre des jeunes filles en fleur et des tamariniers. Par miracle, PM est un artiste passionnant, ce qui nous permit de tolérer des conditions aussi peu propices à l’éclosion de l’art. Alors il enfila ses perles, une par une, il joua softy-softah, accompagné d’une petite gonzesse à l’orgue, d’un excellent beurreman et d’un bassman jazzy qui groovait tout au doigt sur sa bonne vieille Fender. PM portait un chapeau de mover-shaker du jazz world et des lunettes noires. Il semblait sortir tout droit de Mo’ Better Blues, le chef-d’œuvre de Spike Lee. Et pour compléter ce tableau presque idyllique, PM sonnait exactement comme Nick Waterhouse. Il évoluait dans ce son, cet élégant groove de Soul Jazz que promotionne Eddie Piller sur son label Acid Jazz. Profitons de l’occasion qui nous est donnée pour rappeler qu’Acid Jazz et Daptone sont devenus les deux pôles de la modernité, et donc arbitres des élégances. Leur enfant caché s’appelle Colemine.

             Donc pas de problème. PM jouait sa carte avec brio. Il claqua une belle cover d’«I Don’t Need No Doctor». Il tapa même un bref instro de surf. Sur la plupart de ses cuts, il passait des solos flash extrêmement bien ficelés. Il boucla son set avec une autre cover, «The Letter», qu’il groova admirablement. Ce ravissant clin d’œil aux Box Tops fit danser la maigre assistance. On était vraiment ravi de l’avoir vu jouer, même dans ces conditions exotiques. Comme la scène était ouverte aux quatre vents, le groupe dut en plus surmonter le handicap d’une extrême déperdition du son. Quelques mots échangés après coup avec PM permirent de découvrir un personnage éminemment sympathique, comme éclairé de l’intérieur par un regard d’un bleu très vif. À tout hasard, on lui demanda s’il connaissait James Hunter. Pouf ! En plein pot aux roses : c’est son idole. Pas surprenant, quand on y réfléchit. Tous ces artistes fantastiques, James Hunter, Nick Waterhouse et PM Warson ont un sacré point commun : l’avenir leur appartient.        

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             PM a déjà enregistrés deux albums. Coup de pot, ils sont au merch. Le premier date de 2021 et s’appelle True Story. On y retrouve la cover d’«I Don’t Need No Doctor». Il en fait une cover qu’il faut bien qualifier d’évolutive. Le hit de l’album est une merveille nichée au bout de la B, «(Just) Call My Name», c’est un groove magique, qui se faufile comme une couleuvre de printemps, PM chante ça au coin du menton, à l’accent sinueux des nuits chaudes de Soho. Par contre, le «Losing & Winning» d’ouverture de balda va plus sur une ambiance à la «Fever», c’est un heavy groove de London town joué à pas feutrés dans la chaleur de la nuit. PM joue à fond sa carte de dark groover blanc, exactement comme le fait Nick Waterhouse. Avec «In Conversation», il force un peu la main du groove, il vise la fournaise sous le boisseau. Il fait du Waterhouse à l’Anglaise, et au fil des cuts, lui et ses musiciens semblent avoir de plus en plus de son. PM est un mec très fin, c’est l’image qu’on retient, celle d’un groover qui se faufile et qui place des petits solos bien ciblés.

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              Dig Deep Repeat date de l’an passé. On y trouve une nouvelle cover évolutive en deux parties, le fameux «Leaving Here» signé HDH, qu’enregistra en son temps Eddie Holland, puis repris par les Birds de Ron Wood et aussi - et surtout - Motörhead. PM tape sa version au wild groove de jazz et c’est excellent, comme réinventé. Il y revient pour un Pt 2 travaillé au shuffle d’orgue et au sax. C’est incroyable comme il le groove bien - Caught the right train/ Found the right place - C’est du pur London jive, tu ne saurais espérer plus jivy. Ce deuxième album est un festin de groove, et ce dès «Insider», pur jus de Waterhouse, c’est le même déballonnage de déballage, et des filles couinent «insider» derrière. C’est smoothé à l’orgue, très fin, très Mod Jazz. Jean-Yves aurait adoré cet album. PM retrouve son terrain de prédilection avec «Game Of Change», il tape ça de plein fouet avec une réelle élégance. Il se glisse encore partout avec «Never In Doubt», il est le gendre parfait, celui auquel on souhaite la bienvenue avec sincérité. Tout est bien lisse et bien foutu, pas d’histoire, ça coule de source. Voici son petit shoot de surf, «Dig Deep», puis retour au groove avec «Out Of Mind», puissant car bien balancé des reins, il joue un peu en crabe, il a des chœurs épisodiques qui entrent quand il faut, sa structure semble dessinée par Le Corbusier, un peu oblique, mais solide. Il s’enfonce dans l’excellence à la Waterhouse avec «Nowhere To Go». Ça finit par devenir envahissant. Disons que c’est le petit privilège du groove : il finit toujours par conquérir l’Asie mineure.

    Signé : Cazengler, PM enrayé

    PM Warson. Festival Rush. Union B. Malaunay (76). 25 juin 2023

    PM Warson. True Story. Légère Recordings 2021

    PM Warson. Dig Deep Repeat. Légère Recordings 2022

     

     

    L’avenir du rock

    Peyton c’est du beyton

    (Part One)

     

             Quand on demande à l’avenir du rock s’il va à l’église, il hausse les épaules. Mais il ne s’en va pas. Ça l’intrigue qu’on puisse lui poser une telle question. Oh ce n’est pas le fait qu’elle soit indiscrète, il s’inquiète plutôt de savoir pourquoi c’est resté un critère de jugement. À une autre époque, oui, mais aujourd’hui ? Les Révolutions sont passées par là, et les bouffeurs de curés ont dératisé les villes et les campagnes, en exterminant cette faune ecclésiastique qui pendant des siècles avait réussi à maintenir les populations dans la peur la plus abjecte. Comme tous les gens qui réfléchissent un peu, l’avenir du rock sait que la spiritualité ne se trouve pas dans le sein de l’église catholique. Elle se trouve dans chaque être, comme le voulait, à l’aube des temps, la gnose. Connais-toi toi-même. Si l’avenir du rock admire tant Tommy Hall, c’est justement parce qu’il professait la gnose à son petit auditoire de freaks psychédéliques. C’est la raison pour laquelle la musique du Thirteen Floor est tellement spirituelle, tellement révélatrice. Depuis, d’autres saints sont venus prêcher la bonne parole gnostique parmi nous. L’avenir du rock s’agenouille volontiers devant le Reverend Horton Heat qui professe à coups de Gretsch les principes gnostiques du rockab sauvage. Chacun trouve sa voie, le Reverend Horton Heat indique la direction. Viens par là, mon gars. 400 Bucks ! Tu y vas en courant. Un autre saint homme montre aussi la voie, le Reverend Beat-Man, plus austère parce que suisse, mais diablement œcuménique, il bat sa coulpe en mode binaire et parcourt le monde avec sa gratte et son big bass drum. Les adeptes du Reverend Beat-Man se comptent désormais par centaines, dit-on, dans les campagnes. C’est ce que les Catholiques n’ont jamais compris : si les curés avaient pensé à jouer du rockab, les églises seraient pleines à craquer. Au moins, les afro-américains sont moins cons, car ils savent rocker leurs églises en bois avec du gospel batch. L’avenir du rock est tombé en adoration pour un autre saint homme, le Reverend Peyton. Avec ses grattes et des doigts en or, il t’engnose dès le premier coup de bottleneck, et offre à chacun de ses adeptes d’un petit paradis personnel.

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             Si tu as la chance d’assister au soundcheck du Reverend Peyton’s Big Damn Band, tu sais que la soirée va être torride. Hot as hell. Car le Reverend est une bête de Gévaudan, mais pas le Gévaudan d’ici, le Gévaudan de l’Indiana. Son fury blues sort des bois les plus sauvages d’Amérique. Et quand on a dit ça, on n’a rien dit. Son expertise du roots punk-blues dépasse l’entendement. Il s’enracine dans Charlie Patton et Bukka White, mais joue avec le gusto d’un hard punkster. On cherche à le comparer, mais il est incomparable. Le seul qui s’en rapproche est sans doute Fred «Joe» Evans IV, le slinger fou de Left Lane Cruiser, mais force est de constater que le Reverend sort du lot.

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    L’homme est assez massif, large d’épaules, une sorte de gros dur des Batignolles de l’Indiana, il porte une barbe noire et une casquette de marlou, des beaux tatouages sur les épaules, un marcel blanc dans la journée, un noir dans la soirée, et une vraie salopette de farmer des backwoods. Son éthique est la même que celle d’Hasil Adkins, Sur scène il utilise sept guitares, bien rangées près de lui, des instruments chargés d’histoire, il se branche sur un petit rack de ricks et sort sur un ampli Silvertone. C’est l’enfer qui sort de son ampli. Il vise le loud. Il carillonne des quatre doigts et joue les basses à l’onglet du pouce. Cet homme a les allures d’une superstar, au bon sens du terme. Jamais le blues électrique ne s’est aussi bien porté.

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    Le voir à l’œuvre te permet de réaliser à quel point ce son reste essentiel. Tout vient de là et du gospel, et tout repart de là. Il attaque le set avec «My Old Man Boogie», tiré d’un album assez ancien, Big Damn Nation, mais c’est «Ways And Means» qu’on attend au virage, car c’est le cut qu’il sound-checkait, et là, mon gars, tu as l’un des hits du siècle, dans le genre descente au barbu, t’as pas mieux, il carillonne ses accords dans un délire de slide et joue un petit motif de basse à l’onglet de pouce. C’est un peu la même dynamique que le «Milk Cow Blues» des North Mississippi Allstars, mais en plus Peyton, c’est-à-dire ravageur. D’ailleurs, il annonce le cut en précisant qu’il en est très fier - Wayssss ‘n means, pour que tout le monde comprenne bien - Il lève tout simplement un véritable vent de folie.

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    Sa femme Washboard Breezy l’accompagne au washboard, un washboard qu’elle porte accroché autour du cou, et qu’elle gratte avec des gants rouges équipés de griffes d’acier. Et pour compléter cette piste aux étoiles, tu as un mec au beurre derrière qui bat son ass off, il est très spectaculaire et s’appelle Max Senteney. Beurreman américain, diabolique d’efficacité, qui ne ménage pas ses efforts. Il va souvent battre son beurre au bord de la Méricourt.

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    Comment peux-tu faire autrement, quand tu accompagnes le Tornado Peyton, l’un des plus grands guitaristes d’Amérique ? Il faut le voir balayer son manche de gestes larges et lâcher de véritables rafales d’accords, c’est à la fois violent et magnifique.

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    Le show est explosif. Bim bam boom du début à la fin. Ils tapent aussi le morceau titre de Poor Till Today et font bien le train avec l’imparable «Train Song». Rien à jeter chez le Reverend Peyton, il est bel et bien l’aw my Gawd du blues moderne. 

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             Tu plonges dans l’œuvre du Rev comme dans un lagon d’argent : chacun de ses albums sonne comme une bénédiction. Tiens, prends Big Damn Nation, au hasard. Six coups de génie. Tu découvres en plus que c’est produit par Jimbo Mathus. Le Rev attaque avec «My Old Man Boogie» qu’il reprenait sur scène. Il ramène tout le flux et tout l’influx du peuple noir. C’est chargé à ras-bord. Il gratte des frivolités dans l’enfer du beat. C’est puissant et sans pitié pour les canards boiteux. Le Rev joue le boogie des bois. Autre splendeur tentaculaire : «Worrying Kind». Il se fond avec ça dans un prodigieux heavy groove de black blues. Et ça continue avec «Left Hand George». Fatal ! Fantastiquement inspiré ! Il porte son chant à la force du poignet. Avec «Long Gone», il sonne encore plus black que les blacks, il joue à la syncope des trois notes. Tout est somptueux sur cet album. Il s’immerge dans l’excellence du big damn blues, le Rev est fou de black genius, comme le montre encore «Mud». «Plainfield Blues» sonne comme le blues le plus lumineux du fleuve. Il finit par échapper à toutes les catégories. Le Rev détient le power du fleuve. Il y a dans «Plainfield Blues» une énergie fondamentale. Il te repeint tout Dockery. Il ramène du punk dans le blues.

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             Chaque album du Rev sonne comme un passage obligé. The Wages n’échappe pas à la règle. Beau visuel, qu’on dirait peint par Wes Freed, le mec qui faisait les pochettes des Drive-By Truckers. Mais non, ce n’est pas Wes Freed, il s’agit d’un certain Shelby Kelley. Le coup de génie de l’album s’appelle «Clap Your Hands», qu’il reprend sur scène. C’est avec ça qu’il chauffe la salle. Il veut le clap your hands et le stomp your feet. Il peut déclencher l’enfer sur la terre. Il propose trois shoots d’Americana, à commencer par «Born Bred Corn Fed», qu’il prend au wild bottleneck. Toute l’Amérique résonne en lui. On dira la même chose de «Sugar Creek» - Take my baby back/ To Sugar Creek - C’est une Americana bien wild, bien poilue. Il ramène son immense talent dans «Just Getting By». Il fait l’une des meilleures Americanas de son temps, bien drivée et fluide. Son «Two Bottles Of Wine» est wild as superfuck, et puis avec «Train Song», il fait le train. C’est en plein dans le mille. Il redevient le white nigger de rêve. Il module toutes les substances, tous les jus informels. Le Rev est si bon que tu finis par écouter tous les cuts de tous ses albums mécaniquement. Ce mec te balaye tout, même le devant de ta porte.

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             So Delicious reste dans la même lignée : ça grouille de son et de génie révérentiel. Il attaque en mode colonne infernale avec «Let’s Jump A Train». La niaque est là, dès la première mesure. Il gratte sa National, et derrière, ça bat le tribal des sous-bois. Il shoote du punk dans son hard-blues rural. Quelle barbarie et quelle bravado ! Il enchaîne avec l’aussi énorme «Pot Roast & Kisses». Il tient la dragée haute à l’Americana. Il claque un thème ambivalent et s’appuie sur le hard beat. Que de musicalité ! Il amène un gratté de poux ardent et coloré, unique en son genre, un gratté multi-facettes. Un enchantement. Il joue encore son «Dirt» dans d’effroyables règles du lard. Il n’en finit plus d’enfoncer son clou dans la paume du blues messianique. Avec «Raise Hell», il fait exactement ce qu’il annonce : il raise hell. Il joue le punk-blues des origines de l’humanité, bien wild as cro-magnon. Plus loin, «Front Porch Trained» sonne comme un fantastique jump d’Indiana gratté au washboard et au bottleneck délibéré, il ramène toute l’énergie white trash et toute la Méricourt des bois. Il devient le white nigger le plus pur avec «Pickin’ Pawpaws». Il ne fournit aucun effort. Tu vas encore tomber de ta chaise avec «We Live Dangerous», il drive ça vite fait, fast and wild. Il mène sa barque en enfer. Il est all over the place, jusqu’au bout de la nuit, et il finit en beauté avec le mirifique «Music & Friends.

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             Comme le montre encore Front Porch Sessions, le Rev crée sa mythologie tout seul. Il n’a besoin de personne en Harley Davidson. Il n’en finit plus de défoncer la rondelle des annales. C’est un vieux bouc. Il ne rencontre aucune résistance. Avec «We Deserve A Happy Ending», il rentre dans les annales comme dans du beurre. Il profite de «When My Baby Left Me» pour faire son heavy white nigger, c’est puissant, ouvert sur l’univers, la force du Rev est d’ouvrir de nouvelles portes. Il tape «What You Did To The Boy Ain’t Right» au stomp des backwoods. Power du diable ! Il gueule dans sa cabane, c’est du pulsatif primitif, avec un écho terrifique, le Rev t’aplatit tout ça vite fait. Il couvre tous les domaines du genre, avec le souffle de sa voix chaude. Le solo de slide qu’il passe dans «One Bad Shoe» est une merveille apocalyptique. Tu suivrais le Rev jusqu’en enfer. Il fait encore tournoyer son bottleneck ad nauseum dans «It’s All Night Long». C’est la Méricourt du rodéo. Le Rev est un effarant virtuose. Puis il s’en va te shaker le gospel blanc de «Let Your Light Shine» au stomp du fleuve. Il gueule tout du fond du cut, le Rev est une bête, sans doute la meilleure bête du monde. Il repart à l’aventure avec «Cornbread & Butterbeans», accompagné de Breezy au washboard. Il reste égal à lui-même, c’est-à-dire effarant de wild présence, saturé de sous-bois. Il t’explose l’Americana en plein vol. Il porte tous ses atouts au sommet du lard. Il est à la fois un éminent spécialiste de l’Americana et un gratteur de poux hors normes. Il va bien au-delà de toutes les expectitudes.

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             Quand on les voit tous les trois sur la pochette de Poor Until Payday, on comprend bien que ça va chauffer. Et c’est exactement ce qui se passe. Boom dès «Dirty Swerve», slab de wild boogie blues. Embarqué sur le beat du diable. Le Rev secoue toutes les parties molles des cuts. Pendant que Breezy fait des chœurs sataniques, le Rev descend au barbu avec des doigts crochus. Te voilà transporté dans un Conte d’Andersen, dans l’âtre du diable, c’est l’apothéose de tous les apanages. Le Rev conduit le bal des vampires. Et ça continue avec «So Good», il va chercher le meilleur wild punk blues, c’est à la fois explosif et contenu, ça vaut tout le JSBX, avec toute l’énergie du genre, mais magnifiée. Comme le montre encore «Church Clothes», il surmonte tous ses cuts au chant pur. Le Rev est intrinsèquement black, l’éclat de sa voix ne trompe pas. Encore un coup de génie avec «Get The Family Together», c’est tout simplement l’heavy enfer sur la terre, le Rev cultive les menaces définitives, il intra-utérine les intérims, il ramène toute l’urgence du beat black, il fait du wild as Rev. Diable, comme sa pulsion est pure ! Sa barbarie l’est encore plus. Il harangue encore les harengs avec «I Suffer I Get Together», c’est l’Apollinaire du punk-blues, avec une barbe. Il termine cet album superbe avec «It Is Or It Ain’t». Tu retrouves tout le gaga du monde dans le boogie du Rev. Il finit par t’assommer à coups d’heavy slide. Il parvient toujours à ses fins. Ce saint homme est un démon.

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             Voilà encore un album qu’il faut bien qualifier de génial : Dance Songs For Hard Times. Il date de 2021, le dernier en date. C’est là que tu retrouves le cut magique joué sur scène, «Ways & Means», monté sur un riff obsédant, ces quatre notes grattées à l’onglet du pouce. Le Rev maintient une pression hors normes, il maîtrise l’excellence du hot rod blues, il faut le voir riffer à blanc, avec le thème qui revient. Il devient à moitié fou avec «Rattle Can», comme s’il chantait au dessus de ses moyens, puis il retourne écumer les archipels avec «Dirty Hustlin’». Oh le Rev est un pirate ! Il coule tous les vaisseaux qu’il croise. Que dire d’une abomination comme «I’ll Pick You Up» ? C’est sa façon de te tomber dessus avec une barbarie indescriptible. Tous ses cuts sont des idées géniales, tout est bourré d’énergie, chanté à pleins poumons et mené à train d’enfer. Que demande le peuple ? Ce Rev de rêve peut même taper un cut en mode fast jazz, comme le montre «Too Cool To Dance». Quel que soit le format, le Rev est à l’aise. Comme il t’aime bien, il te groove le jazz vite fait. Puis on le voit tenir «Sad Songs» par les cornes. Le Rev est le roi du hard punk-blues. Tu as là tout ce que pu peux désirer en la matière : c’est d’une rare puissance et chanté d’en haut. Le Rev condescend. Il relance et Breezy fait les chœurs. Un petit coup de stomp d’Indiana avec «Crime To Be Poor», et il repart en mode heavy blues avec «Til We Die». Le Rev reste un fervent cognoscente, et son chant une merveille d’authenticité. On le sent concerné à la vie à la mort. Il boucle avec un «Come Down Angels» des enfers, tu as le big Rev, le washboard et le fou au beurre - Come down angels/ Please come down - Il arrose tous ses cuts de prodigieuses giclées de blues électrique. Tout ce qu’il entreprend est visité par la grâce du power pur. Si tu aimes l’action, alors écoute le Rev, l’ultimate punk des bois.

    Signé : Cazengler, Reverend Péteux

    The Reverend Peyton’s Big Damn Band. The Backstage. Montrouge (92). 22 juin 2023

    The Reverend Peyton’s Big Damn Band. Big Damn Nation. Family Owned Records 2006

    The Reverend Peyton’s Big Damn Band. The Wages. SideOneDummy Records 2010

    The Reverend Peyton’s Big Damn Band. So Delicious. Shanachie 2015

    The Reverend Peyton’s Big Damn Band. Front Porch Sessions. Family Owned Records 2017

    The Reverend Peyton’s Big Damn Band. Poor Until Payday. Family Owned Records 2018

    The Reverend Peyton’s Big Damn Band. Dance Songs For hard Times. Family Owned Records 2021

     

     

    Inside the goldmine  

    Tolbert nique

             Nous formions en ce temps là un joyeux conglomérat. Tous un peu paumés, un peu peintres, un peu poètes. Si un mec comme Talbin faisait partie de cette fine équipe, c’est uniquement parce qu’il savait conduire une machine offset. Et l’offset constituait le cœur de notre activité. Sans cette bécane et son conducteur, nous n’existions pas. La revue tournait bien, on tirait à 5 000, on diffusait sur abonnements et on parvenait à assurer les équilibres vitaux, c’est-à-dire la croûte, les encres et le papier. On tirait en A3+ et on façonnait à la sortie : assemblage, pliage, piqure deux points, massicotage et routage. Talbin était beaucoup plus âgé que nous. Il portait en permanence une veste à carreaux. Physiquement, il se tenait encore bien. Il avait encore ses cheveux qu’il peignait soigneusement, les traits du visage assez fins, toujours rasé de frais, avec un léger soupçon de malice dans le regard. Une sorte de vieux beau. Talbin avait dû beaucoup plaire aux femmes. Il restait très solennel dans ses propos et n’aimait pas les questions trop personnelles. Alors évidemment, on passait notre temps à l’asticoter. Il s’arrangeait toujours pour paraître plus con qu’il ne l’était. C’était son système de défense. Il ne risquait pas de se voir entraîné dans une conversation sérieuse. Il savait aussi que les petites vannes s’arrêtaient d’elles-mêmes. Chacun sait que les charrieurs n’ont guère d’imagination. Talbin se contentait de charger ses rames, de monter ses plaques et de préparer ses encres. Lorsqu’il préparait ses couleurs Pantone, il utilisait une petite balance pour peser ses mélanges et ça nous épatait de le voir faire, car on croyait vraiment qu’il faisait n’importe quoi. Il participait à toutes les fêtes, notamment les fêtes de parution, car ça faisait partie des usages. Il aurait préféré rentrer chez lui s’occuper de son chat, mais il savait qu’il devait rester parmi nous. Ces fêtes étaient toujours des moments d’extrême dissolution. Nous avions initié Talbin aux agapes d’alcool, d’herbe et d’acides. Ce soir-là, nos moyens nous permirent de tester le speedball. Confiant et même jovial, Talbin inhala en singeant les autres, et comme il avait coutume de le faire, il se leva pour déclarer que la dope ne produisait aucun effet. Soudain il s’écroula à la renverse. Son crâne heurta le carrelage de l’atelier. Il venait de faire sa première overdose. 

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             Il n’existe bien sûr aucun lien de parenté entre Talbin et Tolbert, mais on se demandait à une époque s’il existait un lien entre Colbert et Tolbert. Des fouilles approfondies permettraient certainement d’y voir plus clair, mais en attendant, contentons-nous d’affirmer que Tolbert en impose, à la différence de Colbert qui imposait le peuple de France. Mieux vaut en imposer que d’imposer, comme chacun sait.

             Dans le booklet de la compile Black Diamond, Andy Croasdell rappelle qu’O.C. Tolbert n’a pas fait long feu : cassage de pipe en bois à 52 ans. C’est grâce aux gens d’Ace qui ont racheté les archives du producteur Dave Hamilton qu’on peut découvrir cet immense Soul Brother qu’est O.C. Tolbert. Parcours classique : fils de pasteur en Alabama. Bambin, l’O.C. chante à l’église. Comme les prêches ne rapportent pas gros, le père d’O.C. doit conduire le tracteur et cueillir du coton pour arrondir les fins de mois. L’O.C. cueille donc le coton. Quand Daddy Tolbert casse sa pipe en bois en 1966, l’O.C. monte dans le Nord et s’installe avec sa femme à Detroit. Il tape à la porte d’un gros label black qui lui dit de revenir dans un an. Vexé, l’O.C. se met à haïr les gros labels. C’est là qu’il se maque avec Dave Hamilton. L’histoire d’O.C. est classique, mais Croasdell la raconte très bien. Son récit est passionnant. Puis un certain Fat Man Jack Taylor entre dans le circuit avec son label Rojac. Sur son label, il a Big Maybelle. Croasdell insinue que Big Maybelle ne dépend pas de Jack Taylor que pour les royalties. Il parle bien sûr de dope. Comme Jack Taylor opère à New York, l’O.C. s’y installe, laissant sa femme Velma et ses deux fils à Detroit. Et comme Velma finit par en avoir marre de Detroit et de la violence urbaine, elle retourne s’installer à Selma, Alabama. Le couple tient le choc. L’O.C. descend régulièrement passer du temps en famille. À un moment, Croasdell insinue qu’O.C. fut garde du corps de Jack Taylor, ce que Velma réfute catégoriquement, arguant qu’O.C. était un homme bien élevé.

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             Black Diamond grouille littéralement de coups de génie, tiens, on va en prendre un au hasard : «Fix It». L’O.C. y va au hard drive de hard funk liquide, c’est dire si l’O.C. est bon, si l’O.C. a la niaque ! Il y va au scream de fix it, il prend feu, c’est exceptionnel de sauvagerie et derrière, ça joue à contretemps. Ah il faut entendre l’O.C. hurler ! Il t’invite plus loin à monter à bord du Gopsel Train dans «Ride The Gospel Train», c’mon get on board, il chante à la silicose de pur genius. Et pris en sandwich entre ces deux hits de rêve, tu as deux autres énormités, «Everybody Wants To Do Their Own Thing» et «Along Came A Woman». Derrière lui, ça joue à la folie, les petites guitares funky fuient dans la brousse, l’O.C. est un dur à cuire, il chante tout à la grosse arrache, il fait mal, tellement il martyrise sa glotte, il chante son gloomy r’n’b dans des lueurs de néon. Là, tu as une Soul hors du commun. Autre énormité digne de ce nom : «Hard Times» - Since my baby’s been gone - Il en bave, avec du woke up this morning. Ah comme il est raw ! Il gère le heavy groove comme on gère l’amour physique : avec un tact purement organique. Pas la peine de faire un dessin. Il tombe toujours sur le râble de son r’n’b avec une extrême violence. Avec «That’s Enough», il ramène le groove en enfer. Il y va l’O.C., c’est un vrai black de combat, il s’arrache encore la glotte sur «You Gotta Hold On Me». Ne commets pas l’erreur de prendre l’O.C. pour un branleur. Il passe par tous les états de la grande Soul de son temps, «You Got Me Turn Around» sonne comme un hit de r’n’b, et quand il rend hommage aux blackettes dans «Message To The Black Woman», il le fait avec une réelle profondeur d’intention. Fantastique Soul Brother ! Il t’en met encore plein la vue avec «Goodness», il fond sa niaque dans le groove, l’O.C. est un géant, Hello Goodness ! La séance d’électrochocs révélatoires se poursuit avec «Message To Mankind». L’O.C. est un scorcher extraordinaire. Tiens, encore une merveille avec «Rough Side Of The Montain», monté sur un heavy bassmatic. Si tu aimes la Soul, te voilà au paradis, amigo. Comme elle n’est pas rentrée cette nuit, l’O.C. lui demande : «Where Were You?». Il revient au gospel batch de son enfance avec «Somebody Is Here With Me», un mood vertueux de presbytérien dédié à Jésus. Il finit avec «All I Want Is You», du heavy O.C. de diamond ring qu’il tartine au baby baby baby ! Il remonte le courant à coups d’all I want is you, les cuivres pouettent comme des fanfarons à une table de banquet, pouet pouet, et l’O.C. navigue, comme on dit, dans la semoule, il avance, vaille que vaille, oh babe ! 

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             Pour les ceusses qui ne le sauraient pas, Dave Hamilton est un ancien guitariste de session pour Motown. De là à aller choper Dave Hamilton’s Detroit Funk (Rare And Unreleased Twisted Funk 1967-1975), il n’y a qu’un pas qu’on franchit allègrement. Car oui, quelle compile ! On y retrouve bien sûr l’O.C. avec «The Grown Folk Thing», shoot de hard funk, et «Message To Mankind», gros paté de pathos. On se prosterne devant les Barrino Brothers et «Just A Mistake», un fantastique shoot de r’n’b soufflé à l’énergie pure. Ils sont sur Invictus. Belle presta aussi de The Future Kind avec «The Devil Is Gonna Get You», un drive à la Screamin’ Jay. Mais le crack de la compile s’appelle Billy Garner, avec quatre bombes, à commencer par «Brand New Girl Part 1», un shoot de funk à la James Brown, il y va à la tête cognée, il t’emmène au cœur de la fournaise, c’est le hard funk de Detroit. Même topo avec «You’re Wasting My Time», Billy Garner rivalise directement avec James Brown - You make me so mad/ You’re wasting my time - Il y revient avec un Part 2, il y va le Billy, il charge la barcasse du relentless. Et puis voilà «I Got Some Part 1», suivi du Part 2, montés tous les deux sur un real deal de riff de funk. Dave Hamilton est un sacré point de repère.

    Signé : Cazengler, Tolbec dans l’eau

    O.C. Tolbert. Black Diamond. Kent Soul 2011

    Dave Hamilton’s Detroit Funk (Rare And Unreleased Twisted Funk 1967-1975). BGP Records 2006

     

     

    Wizards & True Stars

    - Le grand méchant Lou

    (Part One)

     

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             Mick Wall s’est bien amusé à épingler le côté tordu du grand méchant Lou. Le petit book qu’il lui consacre (Lou Reed The Life) est un véritable précis de décomposition, comme dirait Cioran, un mode d’emploi à l’usage des anti-carriéristes et des amateurs de néant, une ode à l’amer, une exégèse des pieux communs, un vrai Necronomicon. Eh oui, Mick Wall a très bien compris que Lou Reed ne supportait pas les cons, c’est-à-dire ceux qui ne comprennent rien. Comme Léon Bloy en son temps, il rêvait de les anéantir.

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             Lou Reed en a bavé. Pas facile d’être un artiste visionnaire incompris - A complete one-off, utterly misunderstood in his lifetime, poorly treated and ignorantly underevalued - Le mépris qu’affichait la critique rock pour Lou Reed ne date pas d’hier, elle remonte au temps du Velvet. Ne va pas croire que le Velvet était un groupe célèbre aux États-Unis, oh la la la, pas du tout. Lou Reed a créé un monde que le grand public ne comprenait pas, ne pouvait pas comprendre - La vérité, c’est que Lou Reed commence là où le rock s’arrête. Avant lui, le rock était de l’entertainment, avec lui, le rock devenait littéraire, dark, disturbing et incroyablement honnête. Son œuvre a plus à voir avec William S. Burroughs, Hubert Selby Jr., Andy Warhol et le brillant Delmore Schwartz, son mentor, qu’avec les Beatles et les Stones - Et Mick Wall conclut son introduction avec l’une de ces chutes spectaculaires dont il s’est fait une spécialité : «Voici donc mon hommage, sincère, écrit au speed, taché de sang, torché d’une façon que Lou, qui avait enregistré le premier album du Velvet Underground en quatre jours, aurait appréciée.»

             Et pouf, il attaque violemment - A jew. A fag. A junkie - Avec Mick Wall, on n’en finit plus de se marrer. Juif, pédé, junkie - À 17 ans, il avait atteint deux de ces objectifs, et ses parents l’envoyèrent subir des séances d’électrochocs, une thérapie en vogue dans l’Amérique des années 50, utilisée pour soigner les délinquants en herbe. Grâce à cette thérapie, Lou Reed allait rapidement atteindre le troisième objectif, junkie - C’est merveilleusement bien amené. Mick Wall le fait mieux qu’on ne le fera jamais. 

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             Un peu plus tard, quand Lou compose à la chaîne pour le compte de l’éditeur musical Pickwick, il se sent tellement frustré qu’il propose un jour «The Ostrich», a new dance-craze tune. Pour jouer, ça, nous dit Wally, Lou accorde ses six cordes sur la même note. Il s’en explique : «J’ai fait ça parce que j’ai vu un mec qui s’appelle Jerry Vance le faire. Il n’était pas vraiment un artiste d’avant-garde. Il bricolait. Il ne se doutait pas qu’il avait un truc, mais je l’ai vu.» Lou fait une parodie des cuts dansants de l’époque, «The Twist», «It’s Pony Time», mais il y fout son grain de sel - Take a step forward/ Step on your face - et, nous dit Wally, il remplace le refrain par un hurlement terrifiant. Ça va loin cette histoire, car Lou Reed se servira de ce modèle pour «Sister Ray». Avec «The Ostrich», il ouvre une porte. Deux ans plus tard, il joue de l’Ostrich guitar sur le premier album du Velvet. Pour Lou, ce n’est pas le son qui compte, c’est l’idée de la subversion. C’est la raison pour laquelle il va bien s’entendre avec John Cale, «jumeau intellectuel et provocateur d’instinct». Tous les deux, ils allaient créer «something new and possibly even dangerous.»

             Il faut bien comprendre que Lou Reed & John Cale, au même titre que les Stooges et Bob Dylan - et avant eux Elvis, Little Richard, Jerry Lee et Chucky Chuckah - sont les pionniers sans lesquels rien de ce qu’on aime aujourd’hui n’aurait pu exister.

             Mick Wall consacre pas moins de la moitié de son petit book au Velvet. Lou Reed & John Cale, oui, mais aussi Andy et Nico. C’est un tourbillon de légendes qui n’a rien perdu de sa fraîcheur, depuis l’époque de la découverte, via un article d’Actuel. Le Velvet de Lou Reed & John Cale s’appelle d’abord, comme chacun sait, The Primitives. Quand John Cale revient d’un voyage à Londres avec une pile de 45 tours des Who, des Small Faces et des Kinks, il demande à Lou Reed de laisser tomber son Dylan twang et d’évoluer sur un autre son, c’est-à-dire le sien, «ostinato piano and droning repetitive-to-the-point-of-screaming viola.» L’impulsion de John Cale est fondamentale. John Cale vient de l’avant-garde, et Lou Reed du rock. Lorsqu’elle est bien racontée, on se délecte chaque fois de la genèse du Velvet qu’on croit bêtement connaître par cœur. Mick Wall ramène son énergie dans ce qui est déjà une énergie. Il faut en effet comparer la genèse du Velvet à celle de Dada à Paris en 1919, lorsque Tristan Tzara vient retrouver Picabia qui vit alors chez Germaine Everling. C’est exactement le même Krakatoa de créativité, l’invention du fameux something new. Comme Tzara et Picabia en leur temps, John Cale & Lou Reed créent un monde. Mick Wall charge bien sa chaudière, ça y est, le Velvet avance, Sterling Morrison : «The path suddenly became clear. We could work on music that was different from ordinary rock’n’roll.» Le Velvet commence à jouer à la Cinémathèque, lors de la projection du Scorpio Rising de Kenneth Anger et là, Wally se régale : «Scorpio Rising mixait des thèmes occultes avec l’imagerie des bikers, le catholicisme, le nazisme et tout ce que les spectateurs camés à outrance pouvaient y lire.» Et boom, il fait entrer en scène Al Aronowitz, un hip American rock writer qui traînait en 1965 avec Brian Jones et qui manageait un groupe nommé The Mydle Class. Aronowitz propose 75 $ au Velvet pour jouer dans un lycée du New Jersey. Puis ils recrutent Moe Tucker qui ne touche pas aux drogues, une Moe qui bat debout, sans cymbales ni charley ni caisse claire, boom boom, metronomic, sur le tom bass, un son qui va devenir la signature du Velvet avec le crazed viola de John Cale et la deadpan voice de Lou Reed. Lou déclare en 2003 : «I think Maureen Tucker is a genius drummer.» Il dit même qu’elle a inventé cette façon de jouer. Toujours en 1965, le Velvet joue au Café Bizarre sur Bleeker Street. John Cale se marre, il rappelle que les seules personnes qui restaient pour les écouter jouer étaient ceux «qui étaient too drunk to leave.» Pas grave, on avance. S’ils sont pas contents, qu’ils se cassent. «Black Angel’s Death Song» est fait pour ça, pour que les gens se cassent, surtout que John Cale l’arrose d’un «distordant sonic hailstorm of manic electric viola.» Quand le patron du Café Bizarre chope Sterling pour lui dire que s’ils rejouent encore une fois ce «Black Angel’s Death Song», le groupe est viré. Pouf, ils le rejouent immédiatement, deux fois plus long et beaucoup plus fort. Virés ! Mais Barbara Rubin les a vus jouer au Café Bizarre et elle parle d’eux à Andy. Elle insiste. Viens les voir ! Bon d’accord. Andy rapplique avec elle et Gerard Malanga. Andy flashe !

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             Andy, c’est déjà un monde magique, le monde que chante Bowie sur Hunky Dory. La Factory, les portraits, et puis les personnages que cite Wally, Edie Sedgwick («le plus beau papillon dont on allait bientôt arracher les ailes»), Brigid Polk, et puis les drag queens venues de la rue comme Jackie Curtis et Candy Darling, et puis aussi la transgenre Holly Woodlawn. Et puis les superstars d’Andy, Ultra Violet et Baby Jane Holzer, et bien sûr d’autres superstars se pointent à la Factory, Wally les cite, Dylan, Jimbo, Leonard Cohen. Quand Lou voit Andy rappliquer au café Bizarre, il flashe. Et c’est réciproque. Lou ne sait pas qui est ce mec, mais il sait qu’il est one of us - And so smart with charisma to spare - Lou ajoute une remarque fondamentale : «But really so smart, and a, quote, ‘passive’ guy, he took over everything. He was the leader.» Lou sait tout de suite que ça va fonctionner, c’est hallucinant comme il le sent bien : «Bingo. Interest? The same. Vision? Equivalent. Un monde différent et il nous a intégrés. It was mazing. I mean, if you think in retrospect how does something like that happens? C’est incroyable. J’étais avec Delmore Schwartz qui m’a appris à écrire, et me voilà avec Andy where you get all the rest of it.» Mais Andy va encore plus loin que Lou Reed : il veut le remplacer au chant par Nico. L’idée est d’avoir sur scène «something beautiful» pour «contrebalancer the screeching ugliness they were trying to sell.»  

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             Nico ? Elle arrive en 1965 à la Factory au bras de qui ? Brian Jones, bien sûr. L’érudit Wall fait feu de tous bois : «Nico qui avait pris des cours chez Lee Straberg apparaissait sur la pochette de Moon Beams de Bill Evans paru en 1962 et avait joué deux ans plus tôt dans un film de Jean Poitrenaud, Strip-Tease, dont elle chantait le morceau titre composé par Serge Gainsbourg.» Andy demande deux choses à Lou : composer des chansons pour elle, et la laisser chanter sur scène. Lou est scié, Quoi ? «Comment aurait réagi John Lennon si Brian Epstein lui avait demandé de céder sa place au chant à Cilla Black ?» Wally se paye un petit délire avec ce comparatif, mais c’est exactement ça. Lou est le boss du Velvet et il s’offusque, mais il compose quand même «Femme Fatale» et «I’ll Be Your Mirror» pour Nico. Il lui file aussi «All Tomorrow’s Parties», «another post Ostrich wig-out». Nico ramène sur scène ce que Wally appelle le «monochrome European avant-gardism.» Et hop, on avance ! Andy invente le concept du show multimédia, «plus spectaculaire, plus innovant, more of a real art happening» que celui de Piero Heliczer, le show s’appelle Andy Warhol Uptight, qui va devenir The Exploding Plastic Inevitable.

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             C’est encore Andy qui pilote l’enregistrement de ce qu’on appelle tous «le premier Velvet». Quatre jour au Scepter Studio sur West 54th Street. Andy co-finance avec Columbia, mais à l’écoute des bandes, Columbia rejette le projet. Pareil pour ceux que Wally appelle «the A&R geniuses at Atlantic Records and Elektra Records» : ils n’en veulent pas. Berk. Andy réussit à passer un deal avec Verve qui fait partie d’MGM. Verve vient de signer les Mothers Of Invention. Andy négocie avec Tom Wilson qui a produit cinq albums de Dylan et le Freak Out des Mothers. Andy produit tout l’album sauf «Sunday Morning» que produit Tom Wilson. Ouf, le Velvet est entre de bonnes mains. Comme quoi ! Ça tient parfois à peu de choses. Lou reconnaît qu’Andy est leur protecteur - We were nothing. Qui pouvait nous critiquer ? Personne ne nous avait entendus. Comme ils ne pouvaient pas nous critiquer, ils ont critiqué Andy. C’était le cadet de ses soucis - Et il ajoute, au sommet de son dégoût pour la critique rock : «(Ils disaient :) comment peut-il produire un album ? Il n’est pas musicien.» Et Wally opte une fois encore pour une chute fantastique : «People were stupid. How many times did Lou have to tell ‘em?».

             Le Velvet va jouer sur la côte Ouest, mais leur son ne passe pas - These Velvet Underground motherfuckers looked like a bunch of junkies and fags - Lou Reed en a autant à leur service : «Well, we were also really, really smart and the (West Coast hippy) stuff was really, really stupid.» Et il croasse pour conclure : «It was purely a matter of brains.» Par contre, Jimbo flashe sur le Velvet, et notamment la danse du fouet de Gerard Malanga, dont il va s’inspirer pour sa danse shamanique. Il va aussi récupérer Nico. Et puis, «The End» s’inscrit comme chacun sait dans le prolongement d’«Heroin».

             Le Velvet est lancé, mais Lou envisage de se débarrasser d’Andy, de Nico et du «seemingly more calm, self-assured John Cale.» Le grand méchant Lou veut rester le seul maître à bord du Velvet. Rupture avec Andy. C’est la raison pour laquelle il n’existe pas de sérigraphie de Lou Reed. Rupture avec Nico qui enregistre en 1967 Chelsea Girls avec Tom Wilson. En juillet de cette année-là, elle se pointe au Monterey Pop Festival au bras de qui ? De Brian Jones.

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             Le Velvet enregistre son deuxième album au Mayfair avec Tom Wilson. Boom, «White Light/White Heat» ! Boom, «I Heard Her Call My Name» - another methedrine-spike of feedback and hollow backing vocals - Boom ! Wally consacre une page - UNE PAGE - à «Sister Ray» - an unheard of confluence of the male and the female - et Wally tire l’overdrive, c’est pour ça qu’on est là, pour le voir injecter son énergie dans l’high enegy du Velvet, et là ça devient de la littérature, tu comprends, tu n’es plus dans R&F - to its woozy, falling-out-of-your-seat fairground ride of crunching, whinning guitars, brutal, face-slapping drums and truly nightmarish pantom-of-the-opera keyboards, supplied by Cale by running the organ through a distorted guitar amp, c’est une étrange et terrifiante nouvelle forme de rock, dont personne ne soupçonnait l’existence, et que personne n’avait essayé d’explorer - Et là Wally délire complètement, la page est sublime, tout fan du Velvet devrait la lire et s’en repaître, car il parvient à dire avec des mots ce qu’on éprouve quand on écoute «Sister Ray», même cinquante ans après sa découverte.

             Le plus gros morceau reste à évacuer : John Cale. Cale sent bien venir le truc, il résiste. Il se bat pour préserver «the very soul of the Velvet Underground». Lou se bat pour «son rêve de rock stardom, pure and simple.» Alors Lou convoque Sterling et Moe dans une réunion pour leur annoncer que John est viré. Ils acceptent, mais nous dit Wally, Sterling n’a jamais pardonné à Lou. D’autant plus qu’il est chargé s’aller porter la bonne nouvelle à John Cale qui est écœuré par ce coup fourré. Il crie à la trahison. Pour aggraver les choses, le manager Sesnick publie un communiqué de presse annonçant le départ de John Cale, dans lequel Lou déclare : «Espérons qu’un jour John sera reconnu comme the Beethoven of his day.» C’est du pur grand méchant Lou, son cynisme dépasse les bornes. Mais Lou ne vit que pour ça : dépasser les bornes. C’est l’essence même du Velvet. Alors il ne faut s’étonner de rien. 

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             Le Velvet enregistre son troisième album sans titre. Et là, tu as «Pale Blue Eyes». Le Velvet perd son avant-gardisme et gagne en pureté pop. Puis c’est Loaded. Comme les mecs d’Atlantic voulaient que l’album soit «loaded with hits», Lou le baptise Loaded. Il se sent enfin libre - Free to sit down and actually write a song called «Rock And Roll». Free at last to be a star, goddammit, motherfucker - Lou engage Doug Yule et là, on commence à laisser tomber, parce que le Velvet n’a plus d’intérêt. Sterling se barre en 1971 et retourne enseigner à la fac. Pour le remplacer, Yule embauche en CDD Willie Alexander. Le problème, c’est que Yule se prend pour Lou. Il finira par le bouffer tout cru, et Lou quittera le groupe. Mort du Velvet et naissance d’un mythe. Voilà le genre d’épisode qui nous occupe la cervelle depuis cinquante ans : vie et mort du Velvet, vie et mort de Brian Jones, vie et mort de Jimi Hendrix, vie et mort d’Elvis et de Gene Vincent. Et tous les autres, ceux dont on parle ici. On a de quoi s’occuper. 

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             S’ensuit un sérieux passage à vide. Lou rentre chez ses parents et prend un job de typist. Puis, sous l’impulsion de Richard Robinson, il entame une carrière solo. Autant le dire tout de suite : le Lou Reed solo doit tout à David Bowie. C’est Robinson qui négocie un deal chez RCA pour Lou. Wally s’empresse de préciser que sans l’intervention de David Bowie, il est certain que Lou Reed n’aurait jamais pu poursuivre sa carrière solo, à la suite du two-album deal chez RCA, signé en 1971. Bowie est alors dans sa phase «Lauren Bacall», c’est-à-dire Hunky Dory. À ce moment-là, Lou Reed ressemble à un plombier. Il porte du denim et une coupe de l’armée - His air cut almost army short - En 1972, Lou va travailler un nouveau look et «s’habiller chez Hernando, sur Christopher Street, là où Andy Warhol achetait ses cuirs.» Il va se farder le visage de blanc et se barbouiller les yeux de mascara, comme on le voit sur la pochette de Transformer. 1972 ? Mais oui, le glam ! Lou a toujours vécu dans l’ombre de mentors : Delmore Schwartz, Andy, maintenant, c’est Bowie, le sauveur d’idoles en danger. Il vient de sauver Mott The Hoople, il va sauver Iggy, et maintenant, il propose de sauver Lou Reed. Mais il faut agit vite, car son calendrier est chargé. Si tu veux emmener Lou en studio, mon gars, c’est maintenant ! Early 1972. Direction le Trident, à Londres, le studio où Bowie a enregistré Hunky Dory et Ziggy Stardust, avec bien sûr Ken Scott qui a produit les deux albums. Ronno fait des arrangements qui stupéfient Lou. Un Lou qui se goinfre de downers et que Ronno trouve «laid-back». Il le voit s’asseoir et gratter sa gratte, oublieux du fait qu’il «was way out of tune». Ostrich guitar ? Paul Trynka ajoute que Lou «was extremely messed up. Like a parody of a drug fiend.» Mais bon, on avance. Bowie est de la partie, alors c’est comme avec Andy, il faut que ça avance. No time to lose. Trois backing tracks dans la journée, Ronno et Bowie font des chœurs déments. Bowie explose «Stallite Of Love», un vieux leftover du Velvet. De toute façon, Transformer grouille de hits. On n’avait encore jamais vu un album de cette qualité - The whole album was a hit from start to finish - Wally n’en finit plus de s’extasier. C’est bien qu’un mec comme lui s’extasie : «The songs were simply so good.» Il cite «Walk On The Wild Side» et «Perfect Day» comme faisant partie des meilleures qu’il ait jamais écrites. Ça crève les yeux. Et pouf, comme il l’a fait avec «Sister Ray», il part en délire sur le walking upright bass d’Herbie Flowers, les doo-doo-doo des Thunderhighs, les violons de Ronno lifted up, comme suspendus dans le ciel, et puis alors que le cake n’en pouvait plus de toute cette crème, nous dit Wally en proie à la pire extase, on fait entrer le sax de Ronnie Ross, le vieux prof de sax de Bowie, comme une sorte d’apothéose de la mort lente. Au dos de la pochette, on voit un mec avec une trique énorme. C’est Ernie Thormahlem, un pote à Lou, un Lou qui ajoute, goguenard : «We just put a banana down there.»

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             Mais Lou étant Lou, il ne supporte pas longtemps d’être le protégé de Bowie. Il va tout faire pour saborder le succès de Transformer, et à la première occasion, il va agresser violemment Bowie, auquel il doit tout, mais Lou étant Lou, il ne veut rien devoir à personne. Ce n’est pourtant pas difficile à comprendre ?

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             Pendant quelques années, Lou vit avec Rachel. Wally marche sur des œufs : «Rachel était-il un transsexuel ? Probablement pas. La rumeur disait que Rachel haïssait sa bite, mais rien n’indique qu’il s’est fait opérer. Lou adorait la bite de Rachel. Et alors ? Ça ne regarde personne. C’était le New York des années 70. Lou se battait tout le temps avec tout le monde.» Et Wally te refait le coup de la chute du siècle : «L’essentiel est de savoir que Rachel a rendu Lou heureux à cette période de sa vie, alors que le bonheur était devenu un concept inventé par les beaufs pour écarter les gens comme Lou et Rachel d’un monde auquel ils ne souhaitaient d’ailleurs pas participer.» Avant Rachel, Lou avait épousé Bettye, puis avait divorcé. Après Rachel, il épousera Sylvia, puis Laurie Anderson. Et puis, il reste les albums qui vont faire l’objet d’un Part Two. Un vrai continent. Saluons encore une fois l’extraordinaire écrivain rock qu’est Mick Wall, avec cette perle chopée dans l’huître  : «Like, hey man, a cat like Don Cherry ain’t gonna put up with no fag junkie shit, better getcha ass up there and wail, bro. Which, pleasingly, is exactly what Lou Reed now did.»

    Signé : Cazengler, Lou Ridé

    Mick Wall. Lou Reed: The Life. Orion 2014

     

     

    Talking ‘Bout My Generation –

    Part Seven

     

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             Alors tu ouvres le nouveau numéro de Rockabilly Generation et pouf, patapouf, aussitôt après le dossier Cash salué bien bas par Damie Chad la semaine dernière, sur qui tombes-tu ? Wild ! Pas le wild as fuck qu’on croise ici à tous les coins de rue, mais Wild tout court, le label rockab de Reb Kennedy, basé en Californie.

             Pour tous les fans de rockab, Wild est devenu en vingt ans the function at the juction, le real deal du ding-a-ding, le Rockamadour du Rockab, le phare dans la nuit, comme le fut In The Red Recordings au temps béni du raw gara-punk. Mis à part les singles, Wild ne sort pas trop de vinyles, essentiellement des CDs, des petits objets vendus au compte-gouttes par quelques disquaires TRÈS spécialisés. Quand tu arrivais sur le stand de ton disquaire préféré à Béthune, la petite box Wild était déjà dévalisée. Rentré à Paris, tu en trouvais quelques-uns chez Born Bad, mais c’était la croix et la bannière. Le mieux était encore le merch des groupes, quand par bonheur Béthune Rétro en programmait.

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             Rockabilly Generation consacre onze pages au Wildest Weekender qui s’est tenu en Hollade au mois de mars, avec vingt groupes. C’est à la fois un vrai festin d’images et une machine à remonter le temps, car on retrouve de vieilles connaissances, à commencer par Little Victor qu’on eut le privilège de voir stormer le Vintage Weekender de Roubaix en 2016. Little Victor porte toujours son fez. Il reste assez souple pour son âge, car une photo nous le montre à genoux avec sa gratte. Comme on a déjà salué en 2018 son excellent album, Deluxe Lo-fi, on ne va pas le re-saluer, mais on peut en profiter pour rappeler que cet album est un passage obligé pour tout fan de rockab averti. Signalons aussi les deux albums demented qu’il a mis en boîte avec Louisiana Red sur Ruf. Pareil, on a épluché tout ça en 2016, après que ce démon de Little Victor nous eût sonné les cloches au Weekender roubelaisien. Depuis, il n’a rien enregistré et c’est dommage. Le fait qu’il soit invité au Wildest Weekender préfigure peut-être l’imminence d’une actualité discographique. Little Victor de retour sur Wild ? On peut toujours rêver, ça ne coûte rien, comme dirait Jo-le-pingre.

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             Au rayon des vieilles connaissances, voilà Roy Dee & The Spitfires, un groupe qu’on avait découvert au Rétro 2017. Ils venaient tout juste de signer sur Wild, mais leur album ne parut que l’année suivante. Sur scène, Roy Dee et ses Portugais cassaient bien la baraque, ils portaient des casquettes de Gavroches et d’immenses anneaux de pirates aux oreilles. Leur look de gouapes des faubourgs tenait sacrément bien la route. À droite de Roy Dee, le slappeur fou volait le show. On savait en les voyant qu’ils allaient devenir énormes. En tous les cas, ils faisaient bien la différence, en 2017, dans une affiche extrêmement chargée. Ils étaient à l’exact opposé du rockab professoral qu’on devait parfois subir.

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             On retrouve aussi les Desperados, qui furent la révélation du Rétro 2015, quatre Chicanos toqués de rockab sauvage comme on l’aime. Diable comme ils étaient bons ! Ces Chicanos shootaient une grosse bouffée d’air frais dans le vieux rockab et lui redonnaient une nouvelle jeunesse. On avait salué bien bas leur album Won’t Be Broken. Wild, c’est d’abord un son, les fans ne s’y trompent pas. On devient accro et on finit par guetter tout ce qui sort sur Wild. Tiens, voilà Gizelle, qui fut tête d’affiche du Rétro 2013, mais ce n’était pas du rockab. Autre chose. Il faudrait peut-être réécouter, voir ce que c’est devenu.

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             Ce n’est pas fini ! Voilà Barny & The Rhythm All Stars, qu’on avait chopé au Rétro 2017, la même année que Wildfire Willie qui porte bien son nom, mais qui n’est pas sur Wild. Ils avaient un album sur Lenox, le légendaire disquaire de la rue Legendre. Par contre, Barny l’est, sur Wild, comme le fut son père Carl, sans doute le meilleur rockab français, un pionnier, puisqu’après avoir démarré sur Sfax, il est allé enregistrer trois fan-tas-tiques albums sur Wild, et là, mon gars, si tu veux entendre du real deal, c’est lui. Drunk But Thirsty ? Pochette démente, album dément, on a salué tout ça plus bas que terre ici-même en 2013. On avait vu Carl sur scène à Crépy et ce fut la révélation. C’est assez rare de voir un rockab français piquer une vraie crise d’épilepsie et se rouler par terre avec sa gratte et la bave rockab aux lèvres. Il vendait à l’époque de la main à la main son single Wild, «I’m Gone» qui est du même niveau que les classiques de Charlie Feathers. Wild as fucking fuck ! Carl reste un héros du rockab, et son fils Barny a pris la relève, avec la même formation. Pour une fois qu’on a une lignée digne de ce nom, profitons-en. D’ailleurs, l’une des deux photos de Barny dans le dossier Wild nous le montre à terre avec sa gratte. En 2017, on a aussi salué le premier album de Barny sur Wild, Young And Wild. Tous les albums évoqués ici sont des classiques du genre, tu peux y aller les yeux fermés. Surtout Carl.

             Pas mal de nouveaux noms dans les pages Wild, donc des découvertes en perspective. Miam Miam. Par contre, les anciennes têtes de gondole semblent avoir disparu : pas de Delta Bombers, ni de Stompin’ Riffraffs, ni de Pat Capocci, ni de Luis & The Wildfires, ni d’Omar Romero.

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             Alors l’occasion est trop belle : on va sortir l’Hog Wild d’Omar pour dire à quel point Wild est un label révolutionnaire. L’Hog Wild est l’un des albums les plus sauvages de l’Ouest. Pareil que pour Carl : pochette démente, album dément. Sur la pochette de l’édition spéciale, Omar les cheveux dans les yeux ! Et le sooooooon ! C’est du hard Wild ! On comprend que des mecs se fassent tatouer le logo Wild sur le bras. Pas de plus belle allégeance. Kaboom dès le morceau titre, Omar ramène l’énergie punk dans le rockab, c’est d’une beauté ultraïque, du magnifico de Chicano, coulent dans les veines d’Omar tout le génie de Charlie Feathers et tout le ramdam du proto-punk, il te claque le beignet de la praline, il violente le cul rose du slap, il pète et il clique en montant chez Kate. T’es sonné en deux minutes, dès le premier round. Mais tu y retournes. Le deuxième punch-up s’appelle «Step Back Baby», monté sur un riff fatal de Johnny Kidd, c’est quasi-Please Don’t Touch délinquant avec dans la glissade le super killer solo flash. Dire qu’il y a des gens qui croient que le rockab est un truc de vieux. Vazy Archibald prends ta gratte et essaye de sonner comme ça. À la fin du deuxième cut, on espère sincèrement qu’Omar va se calmer. Mais derrière lui joue un démon nommé Santiago Bermudez qui va clouer «You May Run» comme une chouette à la porte de l’église. Pire que ça : il te carillonne tout le beffroi d’effroi de pâté de foi. Chez Wild, les chicanos font la loi. Si tu es guitariste, écoute ce que fait Santiago Bermudez. Un autre Chicano accompagne Omar sur «That’s Fine». Il s’appelle Danny Angelo, il est fin et puissant, précis et présent. Avec «I’m Gone», Omar fait du Wild as chicano fuck. Big brawl ! Tout est bien sur cet album, le truc d’Omar, c’est le pur jus d’unstoppable. Il remet la pression plus loin avec «Gypsy Woman», il te carbonise ça vite fait à la calamine chicanotte et au put a spell on me ! Il repart sur des charbons ardents avec «Gonna Find You». C’est complètement ravagé de la façade et en prime, tu as un killer solo flash d’Angelo.

             Comme c’est une limited edition, tu as un deuxième CD d’outtakes et de démos, alors on ne va pas cracher dessus, d’autant qu’il attaque avec un «My Baby Don’t Breathe» tapé au déboîté de slap sans clignotant. Pure madness, la craze de la craze. Omar est un bon. Il est le meilleur indicateur de Wild, avec Carl. Plus loin, «Rock To It To My Baby» va t’envoyer au tapis, fais gaffe. Encore un vieux relent de Johnny Kidd dans «Put The Blame On Me» et nouveau coup de génie avec une démo d’«Everybody’s Trying To Be My Baby», tapé au pur slap, avec une gratte au fond du son. Omar devant, tout seul avec le slap, c’est quelque chose !   

             Alors merci Rockabilly Generation pour des onze pages en forme de bouffée d’air frais. 

    Signé : Cazengler, wild as phoque

    Omar Romero. Hog Wild. Wild Records 2007

     

    *

    Non ce n’est pas pour rien que j’ai mis la chro du Cat Zengler sur la présentation du label Wild dans Rockabilly Generation News ( 26 ) et que je l’ai faite suivre par une autre consacrée à Gene Vincent, c’est pour glisser entre les deux la photo d’Alain, il aurait préféré un papier sur Eddie Cochran, mais entre Wild et Gene Vincent, je sais qu’il se sent bien.

    Alain Couraud

    nous a quittés ce 02 juillet 2023

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    ( Si vous lisez KR’TNT ! c’est grâce à lui ! )

     

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    Vendredi 30 juin, aux alentours de 10 heures, je rentre les chiens dans la voiture, je démarre et roule la galère, la radio se met en route, sur France Inter, facile à deviner, Provins étant dans un trou, seules quelques grandes stations peuvent être écoutées, pour une fois le hasard fait bien les choses, Bruce Springteen cause dans le poste, dernière émission de l’année, Rebecca Manzoni qui présente Totemic livre en best-of de courtes séquences, lorsque Bruce Springteen a fini de parler résonnent les premières notes de

    BE BOP A LULA

    GENE VINCENT

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                    C’est Hervé Guibert qui parle, je connais un peu, voici quelques années j’ai chroniqué dans le mensuel Alexandre le premier tome de Le Photographe qui raconte les aventures du photographe Didier Lefèvre en Afghanistan… aucun rapport avec Gene Vincent mais Hervé Guibert raconte que ses parents possédaient le disque acheté à sa parution, c’est à l’âge de huit / neuf ans qu’il l’entend pour la première fois. Commotion immédiate il a l’impression d’entendre la voix d’un enfant comme lui, débordant de désirs comprimés et de vitalité débordante. Cela n’est pas étonnant, lorsque en 1967, dans sa séquence rock de 23 heures du Pop Club de José Arthur, Pierre Latttès interviewe Gene Vincent, je constate à ma grande surprise que Gene, le rocker sauvage, possède un timbre de jeune fille… les années passent mais Hervé Guibert n’en a pas fini avec Gene Vincent, il grandit, il entre au collège, il doit être en troisième lorsqu’ en français il étudie le mouvement poétique de La Pléiade cornaqué par Du Bellay et Ronsard. S’impose à lui comme une évidence que les vers du célèbre poème de Ronsard Mignonne, allons voir si la rose présentent la même facture octosyllabique que les lyrics de Gene Vincent… je vous laisse juge de cette assertion versificatrice, toujours est-il qu’il interprètera avec ses premiers groupes de rock cette littéraire adaptation. Preuve à l’appui il se lance en direct dans un frénétique Be Bop Lula ronsardien, ce n’est pas mal du tout et il reçoit les applaudissements du public.

             Nous l’en remercions, d’autant plus chaleureusement que Rock’n’Roll et Poésie sont les deux mamelles auxquelles nous nous abreuvons.

    Damie Chad.

     

     *

    Etrange comme les choses sont faites, en règle générale ceux qui proclament rechercher la lumière sont le plus souvent attirés par  l’obscurité, un peu comme nos lecteurs vous leur montrez en premier plan un cimetière ils ne regardent que le corps nu de la jeune femme relégué sur le côté, au moins avec Demonio vous êtes tranquilles, affichent leur objet de prédilection, le côté obscur de la force, dès leur dénomination, leur démonination suis-je tenté de dire, de surcroît je rassure les curieux, nous écoutons leur quatrième opus, les pochettes de leurs deux premiers parutions sont fémininement très suggestives.

    SEARCHING FOR THE LIGHT

    DEMONIO

    ( Piste numérique Bandcamp / Juin 2023)

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    Viennent d’Italie. Sont trois : Anthony :  stratocasters, vocals / Paolo : drums / Matteo : bass, production.

    La pochette est de ZZ Corpse, son Instagram est fort instructif quant à ses zones érogènes, elles se réduisent pratiquement à deux, éros et thanatos, il n’est pas le seul en ce bas monde, mais avec une force expressive attachante. A son actif : nombreuses pochettes, t-shirts, posters… Il est aussi membre du groupe argentin The  Black Furs, appellation très évocatrice.

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    Heavy dose : généralement dans les notes des pochettes les guitaristes sont annoncés comme des joueurs de guitars, parfois sans ‘’S’’ terminal, plus rares sont ceux qui se revendiquent d’une marque ou d’un modèle précis, pas pour rien qu’Anthony mentionne qu’il joue sur stratocaster, la strato il en use et en abuse pour notre plus grand plaisir, rien de plus râlant que le tigre dans sa cage qui ne pousse pas un seul rugissement et dédaigne de feuler, ici la strato gronde de la première à la dernière note de l’opus. Anthony n’a pas trop le temps de faire autre chose, or comme c’est lui qui se charge des lyrics, il évite les longues tirades, petits ruisseaux, entre sept et douze lignes. De l’éloquence spartiate, c’est un avantage, vous recevez le message en une seule dose, effet remède de cheval administré avec le coup de sabot qui va avec. A vous de vous débrouiller avec les effets secondaires qui ne sont pas répertoriés sur la boîte. Y-a-t-il une intro dans ce morceau ? Non vous êtes projeté dans un fleuve torrentueux qui vous emporte sans préavis, c’est sûr que tous les trois assurent le job sans discontinuer. Une basse trémoussante qui se niche dans le creux de votre oreille et qui ne le quitte plus sinon de temps en temps pour d’étranges circonvolutions dans votre conduit auditif, Paolo joue deux rôles en même temps, il fuse ses fûts comme l’on roulait les tonneaux de poudre et de rhum sur les bateaux pirates, comment fait-il pour ne pas oublier un millième de seconde de frapper ses cymbales qui claquent comme le vent dans la voile de misaine et gonflent le clin-foc à l’arracher. Anthony ne joue pas de la guitare, il la fait parler, courir, sonner, raisonner, frétiller, tirebouchonner, je crois qu’il y a douze mille verbes dans la langue française, vous comprenez que je ne vais pas vous recopier la liste, surtout que parfois elle se laisse aller à d’étranges sonorités venues de nulle part et d’ailleurs qui vous éblouissent et vous inquiètent… Question vocal, l’est fondu dans la masse sonore, se marie avec et ne se fait pas trop remarquer. Une ruse démoniaque, le démon vous parle tout bas pour que vous ouvriez tout grand vos oreilles, et hop il en profite pour s’introduire dans votre esprit. Ne vous étonnez pas si vos amis disent de vous que vous êtes habité par le démon. Fire guru : davantage bruissant, c’est le mystère des incarnations stonériennes, parfois vous écoutez et vous restez à l’extérieur, et parfois vous êtes dans la musique, elle s’installe en vous et vous êtes prisonnier de cette chaîne répétitive qui ne se répète jamais, c’est illogique certes mais c’est ainsi et la strato d’Anthony vous imite le vol du papillon qui s’envole plus haut que le ciel et qui déclenche en vous un tsunami d’émotions extatiques que vous ne pouvez contenir, un peu comme si vous étiez noyé dans votre propre sperme. Par-dessus le marché alors que vous vous prenez pour le roi tout puissant de l’univers, Demonio vous fait le coup du morceau-baisser-de-rideau-terminal, avec coup de frein brutal, chuintement instrumental et coup de baguette magique. I’m free : attention le morceau de la toute puissance, pire que l’anarchiste déclaration stirnérienne du Moi absolu, se moquent de vous, la strato dans un simili groove qui vous perce l’ouïe, la basse qui poinçonne les billets du concert commencé avant l’heure à toute vitesse, Paolo qui court à fond les caisses, relax max, je suis libre donc j’y vais tout doux, pas tout à fait un rythme d’enterrement, juste de belles sonorités planantes qui vous coupent en deux à la manière des chars à faux de Darius à Gaugamèles. Et ça s’arrête, pourquoi continueraient-ils puisqu’ils vous ont découpé en tranches de saucisson pour accompagner les apéritif-cubes. Shiva’s dance : vous devriez arrêter les substances illicites, vous devenez totalement fou, avec la rythmique vous êtes Nyarlathotep le dieu du chaos rampant qui agonise sur le sable du désert parmi les étrons des serpents, et de l’autre la strato vous ouvre les cercles divins et vous dansez le jerk avec Shiva la croqueuse d’hommes, et vous remuez vos jambes jusqu’à ce qu’elles soient usées, vous êtes devenu un cul-de-jatte, ce n’est pas grave la voix d’Anthony vous dévoile les secrets de l’univers et vous n’êtes plus qu’un tourbillon de sarabandes, de vous maintenant ne reste plus que votre tête, aussi le rythme diminue-t-il un peu, la strato hallucinante vous poignarde les yeux, elle vous emporte en un délire hendrixien vers la planère Mars rouge de votre sang. Death trip : trop beau, ça ne pouvait que bien finir, psychez-moi le camp de cette vie d’ici, ça roule et ça rolle plein rock avec ces strates de stratos que vous suivriez les yeux fermés de l’autre côté juste pour l’entendre vagir dans le désert, Matteo   passe le rouleau compresseur de sa basse sur les herbes du sentier du Paradis, mais la Strato nous fait le coup de la trompette de Jéricho qui vous réveillerait un mort, reprenez votre esprit. Reaching for the ligth : c’est le réveil, vous recouvrez vos esprits, l’est sûr que vous avez avalez la maxi-dose ce qui n’empêche pas cette diablesse de strato et  ses deux gardes du corps de foncer à la vitesse interplanétaire, descente sur le parachute ventral, ce qui souffle à Anthony l’envie de se taper un petit solo d’anthologie, juste pour montrer qu’il sait le faire, alors qu’il joue comme s’il baisait les étoiles, d’ailleurs les deux autres adoptent le background de croisière pour qu’on puisse admirer comment il s’envole haut très haut… quand il a dépassé les limites de l’univers on ne l’a plus entendu.

             On ne lutte pas contre un démon. Socrate se vantait d’en avoir un. Moi aussi, je peux vous donner son nom Demonio. Je vous le prête, n’oubliez pas de me le rendre.

    Damie Chad.

     

    A BAND CALLED MELT

    Ils sont trois et ils s’appellent Melt, ce qui m’a attiré c’est leur façon de titrer leur FB, c’est tout simple, tout bête, une formule à la Just Call Me Blue Berry, suffisant pour retenir l’attention. Z’et puis dans la courte définition du premier single qu’ils ont sorti ce mois de juin 2023ils se revendiquent de Led Zeppelin, pourquoi pas, Gérard de Nerval ne prétendait-il pas qu’il descendait de l’empereur romain Nerva…

    MELT

    PROBLEM CHILD

    ( Juin 2023 )

    Proviennent de Pittsburgh en Pennsylvanie, cité qui s’enorgueillit de posséder le plus grand musée américain consacré à un seul artiste, les fans de Lou Reed ne manqueront pas de le visiter puisqu’il s’agit d’Andy Warhol.Joey Troupe : guitar / James May : bass, vocals / J. J. Young : drums, vocals.  

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              La pochette pose tout de suite problème, elle est signée d’Emily Woodell, apparemment l’enfant a grandi, l’est devenu adulte, l’est au cœur de cible de quatre cercles colorés, s’affiche sur un fond cosmologique noir, l’est assez inquiétant avec ses lunettes noires. Une entrée classique, un groove s’installe, il peut mériter l’épithète zéplinesque. Dès qu’arrive le vocal ce n’est pas Robert Plant, mais le gars a la prudence de se cantonner dans le cercle de ses possibilités, question accompagnement manque un peu la pesanteur, la force de gravitation, du Dirigeable, ce sont les lyrics qui emportent le morceau, émanent d’eux un attrait mystérieux qui vous donne envie de comprendre l’incompréhensible. L’ensemble reste problématique. N’est-ce pas la preuve qu’ils sont parvenus à leurs fins ?

    DIVINER

    ( Juin 2023 )

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                Le problème s’éclaircit avec un deuxième single sorti quelques jours après le précédent. Une pochette moins inquiétante mais tout aussi curieuse. Cette fois ils sont deux, enfin un seul en duplicata dupliqué, toujours ses lunettes noires, une barbe plus fournie, toujours sces mêmes insignes sur son sweat-shirt blanc, à moins que ce ne soit un uniforme,  l’est comme le Dieu Janus regarde des deux côtés, mais une des faces de Janus donnait l’impression de voir le passé du monde et l’autre son avenir, ici notre enfant problématique semble s’interroger sur sa propre situation en notre monde. Bye-bye Led Zeppelin, du moins fuzz en pédale douce, une nonchalance rythmique typiquement américaine, sur laquelle se pose la voix, ça se corse bientôt, c’est que la situation est grave, au début le gars faisant semblant d’être comme tout le monde, arborait le visage souriant de l’américain moyen plein de bonne volonté. Dans sa tête il barjote méchamment, l’est un enfant des étoiles, abandonné sur la terre on ne sait dans quel but, l’aurait bien besoin d’un devin pour connaître son avenir, le chant et l’accompagnement imposent, la guitare ne fuzze plus elle fuse comme un engin interplanétaire… Splendide.           

              Pour nous aider à comprendre ils ont sorti an official video : Nos extra-terrestres sont des terrestres extra, des maris reconstruits pour les féministes – l’on ne dira jamais assez de mal de nos philosophes déconstructivistes – ils nettoient le parquet et ils repassent le linge, en ce bas-monde rien n’étant parfait il y a un résistant, une forte tête qui bouquine une canette à la main,  un chien se repose sur le canapé et brusquement tout change, des zébrures colorées parcourent l’écran, c’est la fête dans l’appartement, z’ont organisé une party dans l’appartement avec un mec déjanté déguisé en chat, rassurez-vous, les filles sont là et éclusent en rigolant les boissons, y a juste un gars dans ce charivari qui n’est pas à place, l’est protégé de l’ambiance collective par une ouate de solitude qui lui embrume le cerveau et le met hors-circuit, une copine compatissante mélanges quelques cristaux dans un verre  et en offre à l’assistance, le chat de la maison devient fou, transe collective bientôt tout un chacun vomit une espèce de mousse verdâtre et gluante, nos trois compères sortent dans nuit et portent leur regard vers le ciel noir, sont tous les trois tout seuls et  eux aussi commencent à vomir. Je vous laisse apprécier l’avant-dernière image, par contre la toute dernière est essentielle, c’est la couve de leur nouvel album à paraître le 07 / 07 / 2023 : Replica Man dont les trois derniers singles viennent de sortir.

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    SIGHT TO SEE

    ( Mai 2023 )

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                Evidemment on écoute illico, le lecteur intelligent les remettra dans l’ordre vinylique. Couve toujours d’Emily Woodell. Gros plan sur le bustier de notre problème maintenant enfantin, l’on voit entièrement le emblèmes qui ornent sa combinaison spatiale, Astronaut est-il écrit dessus. Vient juste d’arriver, déjà les curieux le photographient. Rires bruyants, intro élastique, la basse de James May est à la fête, la guitare de Joey Troupz s’attroupe autour de ces grondements bassmatiques, la batterie de J.J. Young les précipite dans leurs retranchements, ainsi se permettent-ils d’expliciter le pourquoi du comment de cet ‘’enfant’’ beaucoup plus perdu que l’homme qui tombait des étoiles de Bowie, ne comprend rien à rien, ni aux questions qu’on lui pose, font entendre un bruit d’engin spatial qui décolle et s’évanouit dans l’espace. On s’y croirait, on monterait dedans si ce n’était ce magnifique vocal désespéré qui pour un peu nous tirerait des larmes de crocodile.              L’histoire complète de cet E. T. adulte est-elle une métaphore pour décrire notre extra moderne solitude, la lecture de la phrase d’introduction sur le FB de Melt apporte une réponse glaçante : ‘’ a future we desserve’’ : le futur que nous méritons.

    Damie Chad.

     

    *

    THE WORLD SEEMS TO BE FADINGMY

    DEATH BELONGS TO YOU

    ( Funere / Octobre 2020)            

    Drôle de nom pour un groupe, vous n’avez pas tort ce n’est pas un groupe mais un homme seul. Enfin pas si seul que cela, l’a ses propres hétéronymes comme Pessoa le poëte portugais à la différence près que ces hétéronymes ne sont pas des personnages poétiques mais des effulgences musicales. Chacun de ses opus correspond à un état d’âme particulier, ou à une expérience dirigée, une espèce de rassemblement de forces élémentales en vue d’explorer des aspects du monde dont le commun des mortels préfère se détourner. C’est que beaucoup de gens sont davantage à l’aise pour explorer leur part communautaire que mortelle.           

              Bornyhake Ormenos, disons que c’est son nom d’artiste, mène de front plusieurs projets depuis 2010 à aujourd’hui, ainsi Ancient Moon, Astral Silence, Borgne, Décomposition, Diurnal, Enoid, Excreta, Lypectomy, Moisissure, Nivatakanachas, Pure, Porifice, Serpens Lumini, Snorre, de lui jusqu’à ce soir je n’avais croisé que The Two Boys Sandwich Club croyant avoir affaire à un groupe de rockabilly, aux premières notes je m’étais aperçu de mon erreur et n’avais pas poursuivi… Le lecteur aura remarqué que notre multiplex one man band emploie beaucoup de vocables français, une explication toute logique : Bornyhake est suisse. Attention en plus de ces hétéronymes il utilise aussi certains pseudonymes. N’entrevoyez aucune ironie dans l’adage suivant : pourquoi faire simple quand on sait faire compliqué. Le monde est vraisemblablement beaucoup plus complexe qu’on ne le suppute, alors pourquoi ne pas diversifier les moyens d’approche. Sur certains projets, Bornyhake peut être accompagné par d’autres musiciens.  

                 Toujours est-il que la phrase My death belongs to you a attiré mon attention, j’ai d’abord cru que c’était le titre d’un morceau, mais non, c’est celui du groupe, groupe réduit à une seule unité : celle de Bornyhake.

              Avant même d’écouter l’on peut s’interroger sur la manière d’interpréter le nom du ‘’groupe’’. Si l’on tient compte de l’image qui l’accompagne, elle est d’Ekahyn Rob, on peut facilement la comprendre comme une modulation ultra-romantique, selon laquelle l’on est prêt à mourir pour quelqu’un d’autre, peut-être déjà mort, peut-être vivant. Les esprits plus pondérés ou moins exaltés diront que tout un chacun fait ou fera la même expérience de la mort que quiconque. En ce cas la mort ne peut être mienne, elle est interchangeable avec toutes les autres, déjà réalisées ou à venir.

                Quant au titre, le monde semble s’affadir, signifie-t-il que le monde perd de son intérêt car la seule existence de la mort qui nous attend en atténue violemment les saveurs, ou au contraire que c’est l’attrait de la mort qui pourvoie le monde d’une fadeur décevante. Dans la première postulation la mort gâche le plaisir de vivre, selon la seconde la mort nous procure l’infini et suprême plaisir de mourir, auprès duquel la vivacité mondéenne perd tout éclat.

                Une courte note nous apprend que le projet My death belongs to you commence à 2013, sept longues années seront nécessaires à l’élaboration de l’opus composé à partir de nombreuses bandes enregistrées qui laissèrent à Bornyhake un goût amer de profonde insatisfaction… Il lui aura fallu retirer tous les éléments dont elles regorgeaient et les réorganiser d’une telle manière qu’ils deviennent significatifs. Si la mort lui paraissait obscure c’est parce que l’obscurité par laquelle il l’appréhendait n’était pas en elle mais en lui. La mort se brûle elle-même et se réduit en cendres blanches et volatiles – il ne donne aucune explication – et Bornyhake la considérait comme une œuvre au noir.

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    The morning after death : funèbre combien de fois devrai-je répéter cet adjectif pour qualifier cette musique auprès de laquelle le Requiem de Mozart manque de densité, coups de butoirs, une frayeur insondable, celle de l’inéluctable, déjà réalisé dont les pas lourds ébranlent les fondations de la raison humaine, une voix sourde parle, le sens des mots est inutile, ils éclatent comme des bulles de non-savoir et de piètre consolation, tumulte grumeleux, après la catastrophe la catastrophe est encore là, elle ne s’achèvera jamais, elle ne marche pas, elle n’avance pas, elle piétine, tout se délite, se fragmente, se désosse, terrible fatigue, hurlements de loups dans les tuyaux des grandes orgues sépulchrales, il faudrait que cela s’arrête, l’on ne stoppe pas la mort, elle est immobile, elle occupe le monde et le transforme en le monde de la mort. Tout est consumé. Tomorrow is the last day : notes aigrelettes, demain ne sera pas un autre jour, la musique revient encore plus violente, encore plus écrasante, le jour d’après est semblable au jour d’avant, il n’y en aura pas d’autres car il n’est plus possible qu’il existe d’autres jours, le son s’amplifie, il s’accroît et accapare tous les espaces temporel s du monde, la mort souffle dans sa trompette et lance sa malédiction aux hommes effondrés de son pouvoir unilatéral. Rien ne saurait résister, une grande fatigue encore une fois celle de l’assaut de ces vagues géantes et grondeuses qui envahissent le monde. Le jour d’après est pire que le jour d’avant, il est parti pour durer une éternité. Ce qui est répété deux fois procure un plaisir doublement victorieux. Des feuilles se détachent de l’arbre du monde. Mon tombeau : retour à soi-même, l’art du tombeau est un art total qui apporte une certaine autosatisfaction non négligeable, il est un cri de triomphe, un hululement grandiose qui perturbe les assises du monde, car ce qui croît, s’élève et se dresse est ce qui est le plus prêt de tomber, si je suis tombeau, le monde est mon tombeau et je suis le monde, le monde mort ou le monde vif, le son déborde et s’empare de l’entièreté de la terre.  Un dernier fracas, juste avant de reprendre la route, ton beau tombeau si beau. Tourne autour afin de… Your dark embrace : est-ce toi,  est-ce le noir, toujours la même lourdeur, où que tu ailles le pas de la mort m’accompagnera, une plainte, un hurlement, ce qui entre ou ce qui jaillit, le bruit devient assourdissant, est-ce normal que la mort reprenne encore des forces, elle semble détruire ce qui déjà n’existe plus, très grand excitation destructrice, noce de ce qui existe encore avec ce qui n’existe plus, folie submergeante, tout est arasé, réduit en pierres, en cendres, en poussières, rien ne saurait résister à cette étreinte sauvage, beuglements de bête ardente et du sacrificateur , tout dérape, tout s’emmêle, s’entrechoque, s’entredéchire, j’égrène les égrégores, de plus en plus gores. Tout est consommé. The world seems to be fading : résonnances de notes calmitudes, la marche reprend, un peu moins forte, est-ce ainsi que le monde s’érode, à moins que ce ne soit la mort qui brille maintenant de mille éclats de joie, dans ma poitrine, sur le monde, partout et ailleurs, des degrés d’intensité en moins, la bête deviendrait-elle civilisée, est-ce seulement une impression, quelque chose a-t-il voulu avoir lieu, un soupçon de fatigue, serait-ce le signe de la vieillesse du monde, pourquoi pas de la vieillesse de la mort, si vieille que l’on commence à s’y habituer, que rien n’est commencé, n'a commencé pour décréter un changement quelconque dans l’ordre immuable de l’apparence des choses. De celles qui sont vivantes. De celles qui sont mortes. Une cloche sonne. Sont-ce les marteaux désormais qui donnent l’heure. L’on ne pire qu’ils veulent nous réveiller. Peut-être juste nous dire au revoir. Une sonate d’adieu éternel. 

               Lugubre. Magnifique.

    Damie Chad.  

     

     LA MONNAIE DE LEURS PIECES AMER’THUNE

    ( Autoproduit  / 2012 )

     Sébastien Fournier, Mathieu Relin et Mickaël Denis

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              Ce qui frappe l’auditeur au premier abord, dès la première écoute, c’est l’humanisme, l’humanité des trois artistes.      

                Tout au long des sept titres de cet album se déploie le cri de révolte contre un monde qui cherche à faire passer les profits des puissants avant l’existence des hommes. Il ne s’agit pas là d’une indignation à bon compte, pour se donner bonne conscience, mais bien d’une condamnation sans appel de la destruction de ce qui est au cœur de l’existence humaine, de l’esprit humain. La recherche des profits pour leur accumulation et non pour permettre à la vie de se déployer dans toutes ses dimensions, la recherche des profits comme fin et non comme moyen est la négation même de ce qu’est, de ce que doit être la vie d’êtres de chair. 

               L’argent, non celui qui, fruit du travail, est nécessaire pour vivre, mais celui qui s’accumule dans les poches boursouflées de quelques uns, peut rendre amer, mais cette amertume est de celles qui font ressortir la richesse des saveurs du monde. Elle permet de lutter contre les tentatives d’adoucir les volontés de révolte, d’édulcorer les pensées, autrement dit elle est l’instrument qui appelle au réveil face aux discours mielleux et lénifiants dont nous sommes abondamment abreuvés, dans lesquels d’aucuns voudraient bien que l’on se noie avec la complicité de ceux qui devraient au contraire sonner le réveil. Le titre, La Monnaie de leurs pièces, montre bien que nous sommes plongés dans une lutte entre deux classes, deux visions de la société, deux conceptions du monde.

                Les compositions des trois compères permettent de mettre en valeur les mots de Mathieu Relin tout en laissant toute sa place à la musique. Cette recherche de l’équilibre entre ces deux pôles de la chanson contribue à donner plus de poids à cet engagement dont la présentation des trois membres du groupe, que l’on découvre à l’intérieur de la pochette, témoigne de manière exemplaire. Avec cette mesure au service de l’humanité, nous voyons encore la dénonciation de la démesure financière, de l’hybris de ceux qui veulent dépouiller le peuple de son pouvoir.

                Cet album est un appel à se souvenir que notre liberté ne se négocie pas, que l’Histoire de France est avant tout une histoire de lutte, lutte pour la liberté, lutte pour l’humanité, lutte pour l’humanité libre !

    Philippe Guérin (28/06/2023)

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 32 ( Exterminatif  ) :

    179

    Le père d’Alice s’approche de nous. Il m’adresse un regard haineux, je comprends qu’il n’a pas aimé mon entrée fracassante dans son bureau.

    _ C’est Alice qui a tenu à ce que ce livre vous soit remis, parce que vous étiez beau m’a-t-elle avoué – en moi-même je me dis que cette jeune Alice a du goût, un véritable sens esthétique développé – comme toujours depuis que sa mère est morte je cède à toutes ses lubies, j’ai retrouvé  ce volume dernièrement dans ses affaires de jeune fille que ma femme avait remisées dans une vieille valise au fond d’un placard, je ne savais même pas qu’il existait, il était dans une enveloppe sur laquelle elle avait tracé quelques mots : A remettre à celui qui viendra le chercher. Alice a décidé que c’était vous, je lui obéis, si ça ne tenait qu’à moi vous auriez été la dernière personne à qui j’aurais permis de le lire.

    Le directeur de la Bibliothèque Nationale attrape la main de sa fille et l’entraîne à grands pas. Ils n’ont pas fait vingt mètres qu’Alice lui échappe et court vers nous en criant :

    _ Papa, attends-moi, je fais un bisou aux chiens et on s’en va !

    Elle est déjà à genoux devant Molossa et Molossito qui l’accueillent en sautant de joie. Elles les caresse, elle ne nous regarde pas, mais entre deux ‘’ braves toutous’’ elle glisse à voix basse : ‘’ c’est moi qui l’ai mis dans la valise, maman me l’a donné la dernière fois que je l’ai vue à l’hôpital’’, elle rejoint son père excédé qui l’attendait : ‘’ Dépêche-toi papa, on va à Disney !’’. Tous deux s’éloignent main dans la main.

    180

    Carlos nous ramène au local. Il paraît soucieux. Comme il arrête la voiture pour nous permettre de descendre :

              _ Je suis peut-être un peu curieux mais qui de vous deux lira le livre en premier ?

    Le Chef qui a déjà entrouvert sa portière, allume un Coronado avant de répondre :

              _ Aucun des deux Carlos, seul l’Agent Chad le lira, c’est à lui qu’Alice l’a tendu, ce n’est pas un cadeau pour faire plaisir ou être gentil, c’est une transmission, quelque chose d’important, de sacré, d’une morte à un vivant.

              _ Chef, songez à ce livre que vous étiez en train de lire lorsque j’ai pénétré en rêve dans votre mental, je ne suis peut-être que l’un des maillons de la chaîne.

              _ Agent Chad s’il en était ainsi vous vous en apercevrez et vous me le ramènerez demain matin, laissez-moi avec Carlos nous trouverons bien un bon resto où nous pourrons inviter sa nouvelle Alice, rentrez chez vous Agent Chad et plongez-vous dans cette lecture que je pressens fort instructive.

    181

    Ils m’ont laissé avec les deux chiens. Ils passèrent une excellente soirée. L’Alice avait eu l’excellente idée d’amener avec elle une de ses amies, oui chers lecteurs, vous commencez à comprendre, elle se prénommait aussi Alice…

    Rentrés à Provins, après le repas Molossito et Molossa s’installèrent sur le sofa et fermèrent les yeux. J’ouvris une bouteille de Moonshine, m’installai à ma table de travail et me saisis du livre.

    182

    Je m’appelle Ecila, je suis née dans un pays de vastes forêts, c’est tout ce que je sais de moi, je suis incapable d’en savoir plus. Mon enfance fut solitaire, mes premiers souvenirs résident des courses vagabondes sous les cimes majestueuses d’arbres centenaires… Je me suis enfoncé avec Ecila sous le dôme majestueux de ces épaisses frondaisons, j’ai essayé de la suivre dans ces errements, plus j’ai avancé dans ma lecture plus je l’ai perdue de vue. Au bout d’une vingtaine de pages Ecila avait disparu, certes elle disait toujours ‘’je’’, c’était bien elle qui racontait son histoire, mais elle n’était plus là. Il était indubitable que c’était elle qui errait dans une vaste sylve, mais elle n’existait plus. Etrange sensation de lecture, la narratrice n’est plus là mais elle continue son récit.

    A la fin de ce premier chapitre, j’ai décidé une pause réflexive, je me suis versé deux grandes rasades de moonshine, peut-être la suite me permettrait de mieux comprendre. J’ai sursauté aux premières lignes du deuxième chapitre : Je m’appelle Ecila, je suis née dans un pays de vastes forêts, c’est tout ce que je sais de moi, je suis incapable d’en savoir plus… Je n’en croyais pas mes yeux le deuxième chapitre se révéla du début à la fin identique au premier.

    Je n’étais pas au bout de mes surprises, après trois rasades de moonshine j’attaquai le troisième chapitre qui était la simple répétition du premier et du deuxième. Peut-être d’infimes variations me permettraient-elles de comprendre, j’ai comparé minutieusement les trois textes, c’étaient bien les mêmes, je me suis même amusé de mesurer le blanc qui séparaient les mots, non les trois versions étaient identiques.

    Je le reconnais, oui j’ai bu quatre rasades de moonshine avant d’aborder le quatrième chapitre, cinq avant le cinquième, six pour le sixième. Je vous rassure il n’y avait pas de septième chapitre. Quel intérêt de recopier six fois la même chose ? 

    Etais-je bête, pas besoin de recopier, il suffit d’imprimer six cahiers identiques et de les relier, mais dans quel but ?

    A cinq heures du matin, je me suis endormi entre mes deux chiens…

    183

    Le Chef fumait un Coronado lorsque j’ouvris la porte du local. A son regard interrogatif j’ai compris qu’il avait dû se lever tôt pressé de recueillir mes impressions de lecture. Je lui ai tout de suite résumé le satané bouquin :

              _ C’est simple Chef, c’est une fille qui s’appelle Ecila qui se promène dans une forêt ensuite c’est une fille qui s’appelle Ecila qui se promène dans une forêt, après c’est une fille qui s’appelle Ecila qui se promène dans une forêt, c’est encore une fille qui s’appelle Ecila qui se promène dans une forêt, puis c’est une fille qui s’appelle Ecila qui se promène dans une forêt, enfin c’est une fille qui s’appelle Ecila qui se promène dans une forêt.

            _ Agent Chad je vous remercie pour ce résumé qui m’a si bien tenu en haleine que j’ai laissé s’éteindre ce Coronado, un roman passionnant, vous avez dû passer une soirée fertile en émotions, quand je pense qu’avec Carlos nous nous sommes contentés d’un bon repas qui s’est terminé par une petite sauterie avec sa nouvelle copine qui d’ailleurs avait emmené une de ses copines à elle. De la roupie de sansonnet si je compare à votre soirée.

              _ Chef permettez-moi de modérer vos ardeurs, lire vingt pages qui n’apportent rien à notre enquête s’avère un peu décevant, mais les lire six fois de suite c’est carrément ennuyeux…

              _ Agent Chad, je vous connais, vous avez dû agrémenter votre lecture de trois ou quatre bouteilles de moonshine, votre esprit trop embrumé n’a pas été capable de saisir le sens de ce roman aussi évident qu’un troupeau de pachydermes dans un couloir.

              _ Chef, à part de dire que le livre raconte six fois la même histoire, je ne vois point poindre le moindre éléphant significatif !

              _ Agent Chad pas d’éléphant je le concède puisqu’il s’agit d’un éléphant femelle, une éléphante si vous préférez !

             _ Chef, je ne comprends rien à vos chinoiseries !

             _ Agent Chad je vous trouve un tantinet obtus ce matin, laissez-moi éclairer votre lanterne.

    Le Chef allume un Coronado. Il prend son temps je le soupçonne de faire durer le plaisir :

               _ Agent Chad, je n’ai pas lu le livre, mais vous l’avez si bien résumé que j’ai tout compris. Il faudra aussi que vous fassiez un stage de perfectionnement CP pour que vous appreniez au moins à compter jusqu’à dix ! Voyez-vous Chad…

    Le Chef écrase son Coronado dans le cendrier, il en choisit un autre dans le tiroir de son bureau, le soupèse délicatement, le repose, en saisit un autre, ce doit être le bon puisqu’il l’allume :

              _ Non Chad, il n’y a pas six fois la même histoire dans ce livre, vous avez mal compris, il y a six Ecila !

    Je reçois une décharge électrique de six mille volts, mon cerveau tourne six fois sur lui-même dans ma boîte crânienne, illumination transcendantale, je viens de comprendre :

             _ Chef vous voulez dire que dans ce livre on ne voit que des filles qui s’appellent Ecila comme dans notre vie toutes celles que l’on rencontre s’appellent Alice !

              _ Bravo Chad vous progressez, toutefois dans votre bouquin vous avez trouvé six Ecila, rajoutez celle du titre vous en avez sept…

              _ Chef, votre lecture nous ouvre des perspectives infinies, serions-nous sur une application physique de la théorie de alephs de Cantor !

               _ Au fait Chad, sur le chemin du resto, j’ai passé quelques coups de téléphone, savez-vous que la mère de notre jeune Alice s’appelait Ecila ?

    A suivre…