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  • CHRONIQUES DE POURPRE 601: KR'TNT 601: GENE CLARK / INSPECTOR CLUZO / ISAAC HAYES / POKEY LAFARGE / SWAMP RATS / MARLOW RIDER / MOONSTONE / BIRDS OF NAZCA / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 601

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    18 / 05 / 2023

     

    GENE CLARK / INSPECTOR CLUZO

    ISAAC HAYES / POKEY LAFARGE

    SWAMP RATS / MARLOW RIDER

     MOONSTONE / BIRDS OF NAZCA

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 601

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Last train to Clark’s ville

     - Part Two

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             Le grand spécialiste de Gene Clark s’appelle John Einarson. Ce canadien est aussi spécialiste d’Arthur Lee, ce qui ne gâte rien. Einarson compte donc parmi les becs fins de la rock culture. Par conséquent, on le suit à la trace, comme on suit des cracks comme Peter Guralnick, Mick Wall ou encore Richie Unterberger. Ce sont des gens qui ne prennent pas les choses du rock à la légère. On sort de leurs books ravi et grandi, ou, pour dire les choses plus crûment, un peu moins con qu’avant. Bon d’accord, dans l’absolu, ça ne change pas grand-chose d’être un peu moins con, mais tu admettras qu’il vaut mieux l’être un peu moins que de plus en plus. On se débrouille tous comme on peut, avec nos coquetteries et nos petites logiques à la mormoille.  

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             Einarson rend hommage à Gene Clark avec Mr. Tambourine Man: The Life And Legacy Of The Byrds’ Gene Clark, un book mastoc ramassé à sa parution en 2005 chez Smith, la librairie anglaise de la Rue de Rivoli. Stocké dans l’une des piles de stockage, le book a roupillé pendant presque vingt ans, son dos orangé s’est même décoloré, jusqu’au jour où parut la compile Ace consacrée à Gene Clark (You Showed Me. The Songs Of Gene Clark) épluchée la semaine dernière. Réveil brutal. Tout le monde sur le pont ! L’heure était venue de saluer cet immense artiste.

             Alors attention, les books d’Einarson ont une particularité : ils sont extrêmement bien documentés et d’une rare densité. Il faut généralement doubler le temps prévu pour en venir à bout. Comme Jawbone, l’éditeur Backbeat Books fait le choix d’une typo minimale et quasi-cryptique, un Garamond condensé en corps 10, une fonte d’érudit maniaque qui rend l’avance difficile. Tu croises des milliers d’informations à la seconde, les mots semblent en cacher d’autres, tu dois souvent t’arrêter pour reprendre ton souffle. C’est le prix à payer pour entrer dans les neuf cercles d’Einarson. Mais bon, on ne va pas commencer à chouiner, on n’est pas là pour ça.

             Einarson plante très vite le décor en qualifiant Gene Clark d’«Hillbilly Shakespeare, de psychedelic Johnny Cash et de cocaine-fuelled visonary and tragic figure.» En deux lignes, il résume presque ses 300 pages. Mais on veut en savoir plus. Einarson précise très vite qu’avant d’être musicien, Gene Clark est surtout poète. L’un des premiers à reconnaître le génie de Gene Clark, c’est Taj Mahal : «My God, the songs he wrote! He was a very deep man.»

             Bon, va faire comme les proches de Gene Clark, on va l’appeler Geno. On gagnera de la place. Geno a du sang indien dans les veines. Son père serait d’une ascendance Cree du Minesotta. Geno s’entend bien avec d’autres Indiens, comme Jesse Ed David et David Carradine. Il est né dans un milieu pauvre au Missouri, mais il grandit au Kansas, avec ses 11 frères et sœurs. Il a 18 ans quand il rejoint les New Christy Minstrels, et arrive à Hollywood en 1963. Pour la première fois de sa vie, il a une chambre pour lui tout seul. Les Minstrels ont alors beaucoup de succès et ils prennent l’avion chaque jour. Geno développe très vite une petite phobie de l’avion. Plus jeune, il a vu un avion s’écraser et vu des gens sortir en flammes. Alors très peu pour lui. Un jour, il oublie de se pointer à l’aéroport et les Minstrels partent sans lui. C’est la technique de Geno : quand un plan ne l’intéresse plus, il disparaît.

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             Le voilà tout seul à Los Angeles, avec sa douze, quelques fringues stylées et une vieille 1955 Ford convertible. Le country-boy de Bonner Spings, Kansas, se met à la recherche de kindred spirits pour jouer la musique des Beatles. Entre 1963 et 1964, la Beatlemania a explosé et Geno veut en faire partie. C’est au Troubadour que ça se passe. Geno y traîne tous les soirs.

             Et là Einarson piétine les plates-bandes de Johnny Rogan, puisqu’on assiste en direct à la genèse des Byrds. Le premier fan des Beatles que croise Geno est Roger McGuinn - La première fois que McGuinn les a entendus à la radio, il s’est mis à jouer leurs morceaux - Geno le voit gratter un Beatles’ tune sur sa douze au Troubadour : «Je me suis dit : ‘Man, this guy’s got the right idea!’ Je suis allé le trouver et lui ai dit : ‘Look, do you mind if I play with you? Et il a répondu : «No. Have a seat! J’avais aussi une douze. Et on a joué comme ça pendant trois semaines, en duo. On voulait devenir un duo dans le genre de Peter & Gordon, doing the English style. Et on s’est mis aussitôt à écrire des chansons.» McGuinn voyait plus un duo à la Chad & Jeremy. Sans Geno, McGuinn pense que les Byrds n’auraient jamais pu exister.

             Et voilà Croz qui débarque. Il a déjà une sale réputation. Mais il connaît Jim Dickson et il a un accès gratuit au World Pacific Studios. Ce sera son ticket d’entrée dans les Byrds. Jim Dickson grenouille depuis un certain temps dans le showbiz, nous dit Einarson, il a bossé avec Odetta, les Dillards et l’énigmatique Lord Buckley. Chris Hillman (bass) et Michael Clarke (beurre) viennent compléter les effectifs. Au début, les Byrds tentent de copier les Beatles. Chris Hillman : «We were trying to come up with the sound, which we did eventually.» Croz affirme qu’il est un meilleur harmony singer que McGuinn - That was my gift - Comme Geno a la meilleure voix, il est bombardé lead singer. En plus, il est plus joli que les autres et, petite cerise sur le gâtö, il compose. Croz et McGuinn s’inclinent. Non sans mal. Car les egos sont de taille, surtout celui de David Croz. Jim Dickson : «Si vous n’admettiez pas que David était the most marvelous in the world, then David was not happy with you.» Quand on demandait à Terry Melcher si Charles Manson était le mec le plus dangereux d’Hollywood, Melcher répondait : «Non, c’est David Crosby.» Croz entame une petite guerre d’usure contre Geno. Il lui dit que son timing chant/guitare n’est pas bon. On lui retire sa gratte. Geno doit jouer du tambourin sur scène. McGuinn se marre en douce : «David était un manipulateur et Gene was a little bit slower than him when it came to thinking.» Croz insiste pour dire que Gene n’était pas aussi bon que lui en tant que guitariste rythmique et qu’il était un bon front man : «He was a handsome dude and when he was standing up front there it gave the girls something to admire.» Les formulations de Croz restent délicieuses. On s’en pourlèche les babines. C’est vrai que Geno est une superstar dès le début. Denny Bruce : «Crosby était un peu joufflu et Chris était un chic type. Mais en termes de sex appeal, Gene et Micheal were kind of the Brian Joneses of the group.»

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             Le co-manager des Byrds Eddie Ticker pense que Geno a commencé à se retirer des Byrds quand on lui a sucré sa gratte et qu’il est devenu le Tambourine Man du groupe. Il l’a mal vécu. - He was a very nervous person - C’est Terry Melcher qui produit le premier single des Byrds, «Mr Tambourine Man». Le seul Byrd à jouer dessus, c’est McGuinn. Melcher a fait venir Hal Blaine, Larry Knechtel, Jerry Cole et Leon Russell (dont le piano sera effacé de la bande). McGuinn, Geno et Croz chantent, «Gene doubling Roger with Croz on high harmony», précise Einarson. Hillman et Clarke n’ont rien joué. Jason Ronard se souvient d’avoir posé la question à Dylan : «As-tu rendu Gene Clark célèbre ?», et il m’a répondu : «Non, c’est Gene Clark qui m’a rendu célèbre.» - They really put Dylan on the map - L’histoire des Byrds est au moins aussi intense que celles des Beatles, des Stones et de Dylan. C’est du concentré de tomates géniales.

             Geno compose 20 cuts en moyenne par semaine, mais McGuinn dit qu’une seule vaut le coup d’être enregistrée, ce qui, ajoute-t-il, est normal pour un auteur. Plus tard, Geno avouera s’être inspiré de «Needles & Pins» pour composer «I’ll Feel A Whole Lot Better». Dylan est l’un des premiers à reconnaître la qualité des compos de Geno. Jim Dickson : «We saw some value in Gene’s stuff, Dylan saw more.» Geno est en effet passé rapidement de l’esprit d’«I Want To Hold Your Hand» à celui de «Positively 4th Street». Du coup, c’est lui qui se fait du blé avec le publishing et ça crée des jalousies au sein des Byrds. McGuinn : «Il roulait en Ferrari et nous on crevait la dalle.» Ils sont jaloux, mais c’est Geno qui écrit les bonnes chansons. Il s’achète une belle baraque à Laurel Canyon, au 2014 Rosilla Place. Barry McGuire et Judy Henske habitent dans la même rue. Il fait la course à Mulholland avec Steve McQueen. Vroaaarr ! Geno a un petit côté James Dean. Le mec un peu sombre qui adore conduire vite - Gene was an extremely wild driver, crazy behind the wheel from the get-go - Il se fond dans le mode de vie hollywoodien. Jim Dickson : «Il s’habillait comme Sonny Bono». Il baise secrètement la belle Michelle Phillips, la femme de John Phillips. Einarson : «Il se voyait avec elle comme the king and queen of pop music.» Elle va d’ailleurs se faire virer des Mamas & The Papas, à cause de sa relation avec Geno. Côté dope, Geno ne touche encore à rien. Il se rattrapera un peu plus tard. Croz et McGuinn fument de l’herbe.

             Voilà les Byrds bombardés au premier rang, avec les Beatles et les Stones. Geno : «The shock of being put in that position, I’ll be real honest about it, I couldn’t handle it.» Geno ne se sent pas de taille pour le superstardom. Ce n’est pas son truc. Les avions, les télés, tout ce bordel. Hillman confirme : «The clashing of egos, money, godlike adulation et la présence de divers stimulants ont exacerbé une situation incroyablement fragile.» 

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             Derek Taylor qui s’est fâché avec Brian Epstein vient s’installer en Californie et pouf, il s’occupe des Byrds. Il devient l’instrument de leur succès planétaire. Eddie Tricker : «He just knew what rock’n’roll was all about.» Mais la première tournée anglaise des Byrds est une catastrophe. Petites salles, mauvais matériel, aucune présence scénique. Ils ont chopé la crève. Derek Taylor voulait que Brian Epstein voie ses nouveaux poulains. Malgré tout, Geno est ravi, car il rencontre les Beatles. Einarson précise qu’au moment où les Byrds débarquent en Angleterre, «Mr Tambourine Man» est number one, devant «Help» (# 2) et «Satisfaction» (# 3). Geno se souvient d’une soirée magique chez Brian Jones avec John Lennon et le roi George. Geno se sent très proche de Lennon. Il l’admire autant que Dylan.  

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             Lors de l’enregistrement de Turn Turn Turn, le deuxième album des Byrds, les équilibres changent au sein du groupe : McGuinn et Croz veulent placer leurs compos. Hillman : «McGuinn and Crosby just messed with him, constantly.» McGuinn prend le contrôle du groupe. Turn Turn Turn est bourré de mauvais cuts, choisis à la place des compos de Geno. D’un naturel timide, Geno écrase sa banane. Il sait que l’animosité vient du fait qu’il empoche plus de blé que les autres. Comme Brian Jones dans les Stones, Geno se trouve marginalisé. C’est drôle comme ces deux destins se ressemblent : ils sont tous les deux fondateurs de deux des groupes les plus importants de leur époque, tous les deux brillants et beaux, tous les deux incapables de se défendre, parce que ce n’est pas le pouvoir qui les intéresse, c’est la dimension artistique. Le parallèle Geno/Brian crève les yeux. Il n’est pas étonnant qu’ils aient passé autant de temps ensemble à bricoler des chansons. «Eight Miles High», bien sûr. C’est au moment d’aller faire la promo d’«Eight Miles High» à New York que Geno quitte des Byrds. L’avion est retardé pour un problème technique. Les passagers sont à bord. Geno se lève de son siège et sort de l’avion. Le voyant partir, McGuinn lui lance : «If you can’t fly, you can’t be a Byrd.» Terminé.

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             Selon Croz, la phobie de l’avion n’est qu’une partie du problème, chez Geno. Il pense qu’il s’agissait surtout d’un nervous breakdown : «Think about it: country boy from Missouri, 12 siblings, the suddenly L.A, and stardom. Bam! He wasn’t ready for it.» Croz tente de se disculper : «J’étais dur avec tout le monde. Je n’ai aucune patience avec les gens et je dis les choses comme je les pense. Mais je ne crois pas qu’il ait quitté le groupe à cause de moi.»

             En 1967, les Byrds sont cuits aux patates. Croz et Michael Clarke sont partis. Chris Hillman se barre en 1968. Croz : «The Byrds were done when Gene left.» Croz dit encore que les Byrds ont fait deux bons albums sans Geno, mais la magie était partie - And the Byrds were a magical chemistry - C’est chaque fois la même histoire : l’alchimie disparaît dès qu’on touche à l’équilibre originel.  

             En voiture Simone ! C’est parti pour la carrière solo. Geno monte Gene Clark & The Group avec Joe Larson des Grass Roots (beurre), Bill Rhineheart des Leaves (gratte) et Chip Douglas du Modern Folk Quartet (bass). Geno se met à boire comme un trou. Chip Douglas : «Soudain, Gene got a lot of Byrds money and went girl crazy and car crazy and started buying guns.» Jim Dickson emmène le groupe en studio, mais ça ne marche pas. Geno annonce aux autres qu’il dissout le groupe, mais il veut garder Joe et Bill - Chip I don’t want you in my group - Il ne donne pas de raison particulière. Geno retourne en studio avec Chris Hillman et Michael Clark, Bill Rhinehart, Glen Campbell et Jerry Cole. Leon Russell fait les arrangements. Et Jim Dickson fait venir des Gosdin Brothers pour les harmonies vocales. Eirnason ne tarit pas d’éloges sur ce premier album : «Gene Clark With The Gosdin Brothers est une anomalie. Bien ancrées dans le folk-rock, les chansons sont bien plus pop que celles des Byrds, avec de grosses influences des Beatles, de musique baroque et de Buck Owens.»

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             Il se pourrait bien que Gene Clark With The Gosdin Brothers soit le meilleur album des Byrds. Tu commences par prendre «Echoes» en pleine poire. C’est du heavy Clark, arrangé par Leon Rusell. Geno attaque à la racine du son et sonne comme la rock star américaine définitive. Il faut voir la maturité de son chant et l’heavy downhome de ses pénétrations. Il est sur toi, il te caresse l’intellect. Il approche et recule, comme d’une barcasse, alors que tu dérives sur l’océan. Geno vient te chanter l’extrême groove de la perdition psychédélique, tu sais que tu vas mourir, mais Gawd, quel réconfort. Il enchaîne ça avec deux autres coups de génie, «Think I’m Gonna Feel Better» et «Tried So Hard». Son power te dame le pion. Il chante avec un extraordinaire aplomb. Il y a va au still love you so bad. Il te fond les Byrds dans la country avec Tried So Hard, il est très en avance sur son époque. Il invente un son. Sans doute l’un des meilleurs sons d’Amérique. Il revient aux Byrds avec «Is Yours Is Mine». Il tombe dans l’excès d’excellence, c’est inquiétant. Il tortille son chant pour le ramener aux réalités du système. Il attaque son bal de B avec «So You Say You Lost Your Baby», cut quasi-mythique monté sur un beat gaga. Tu as là la meilleure psychedelia d’Amérique. Invraisemblable power composital ! Il incarne à lui seul l’avenir du rock. L’«Elevator Operator» qui suit est aussi énorme, une vraie dégringolade, il te clarke ça au right now. Cet album est l’un des meilleurs albums de rock de l’époque, il faut le savoir. Encore un coup de génie avec «Couldn’t Believe Her», il t’explose les Byrds, il détient ce pouvoir magique. C’est du Byrdsy sound à l’état pur. On le voit encore affronter son destin au menton volontaire avec «Needing Someone». Avec cet album, Geno est devenu un héros.

             Bizarrement, l’album ne marche pas, même si aujourd’hui il est devenu culte. Le problème c’est qu’à l’époque, CBS vendait aussi les albums de Byrds, et donc ils mettaient le paquet sur les Byrds, pas sur Geno. Geno entre ensuite en studio avec Gary Usher et Curt Boettcher. Ils enregistrent largement de quoi faire un album, mais Einarson ne sait pas où sont passées les bandes. C’est le fameux deuxième album solo de Gene devenu une sorte de monstre du Loch Ness. Tout le monde en parle, mais personne ne l’a vu. Comme les gens de CBS trouvent que Geno n’est pas viable commercialement, ils le virent. Jim Dickson pense que si Geno avait sorti un hit, les choses auraient été bien différentes. Le plus hallucinant dans toute cette histoire, c’est que Geno n’a fait que ça : pondre des hits. Cot cot ! «Echoes» ne serait donc pas un hit ? C’est le monde à l’envers !

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             Geno va se faire une spécialité : l’abandon de projets. Il n’en finit plus de composer des chansons géniales, mais ce sont des autres interprètes qui se les tapent, par exemple David Hemmings avec «Back Street Mirror». Geno passe ses journées à composer. Il évoque 200 ou 300 chansons dans un tiroir. C’est à cette époque qu’il rencontre The Rose Garden et qu’il leur file des chansons : «Only Colombe» et «Down By The Pier». Mais ils ne prennent que celles qu’ils sont capables de jouer, «Till Today» et «Long Time». Les démos de Geno avec The Rose Garden se trouvent sur le Gene Clark Sings For You dont on va parler plus loin.

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             Puis Geno devient pote avec Doug Dillard. «Ils adorent siffler des Martinis, ils adorent l’herbe et ils adorent l’acide», dit David Jackson qui joue de la basse avec eux. Tickner surenchérit : «Two guys with a drinking problem coming up.» Et un troisième larron, Daniel Moore ajoute : «Both of those guys were pretty hardy-party guys. They would go on for days. Je ne pouvais pas suivre. Une soirée, ça me suffisait et j’allais me coucher, mais eux, ils continuaient.» Ils jamment chez David Jackson à Beechwood Canyon avec Don Beck (mandoline) et Bernie Leadon (banjo et futur Eagle). Leadon dit que ce groupe était organique. Cette fine équipe finit par entrer en studio pour enregistrer The Fantastic Expedition Of Dillard & Clark. Geno s’entoure de spécialistes de la country mais il les entraîne vers le country-rock et la down-home good time music. Il a trouvé refuge chez A&M. Avec sa Fantastic Expedition, Geno crée de la magie dès l’ouverture du balda avec «Out On The Side», un shoot d’heavy country hantée, plombée et magnifique, opaque et lumineuse, ce que les critiques appelèrent the relaxed magic of Gene Clark. Globalement, ce Fantastic Voyage est un album de country rock chatoyant, illuminé par le violon de Bernie Leadon. L’autre énormité de l’album s’appelle «In The Plan», un Plan attaqué au banjo et la voix de Geno se pose comme la main de Dieu sur cette country primitive. C’est extrêmement puissant. La country de Dillard & Clark a une fantastique allure qui ne doit rien à celle de Nashville. «Don’t Come Rollin’» file à travers les collines ensoleillées, avec des coups d’harp et de banjo. On reste dans l’excellence avec «Train Leaves Her This Morning». Pur spirit, une fois encore. Ils attaquent «With Care From Someone» au fast banjo du Kentucky, c’est vite embarqué par une basse pulsative et monté en neige aux harmonies vocales. Une véritable énormité cavalante ! Doug Dillard est un fou du banjo. Les fans les plus fous de Geno ont forcément rapatrié la red de l’album parue en 2008 pour pouvoir entendre le mythique «Why Not You Baby», ce blast de country power qui est tellement puissant qu’il t’emporte comme un fleuve en crue. Geno a une façon unique de se fondre dans le groove. Il revient aux harmonies vocales lourdes et lentes pour mieux nous fasciner. Tout est surexcité ici, le violon, le banjo, tu ne trouveras jamais ça ailleurs. Et puis tu as une cover magistrale de «Don’t Be Cruel», un wild hommage à Elvis. Sous sa casquette de biker, Geno développe des énergies de wild cat. Rodney Dillard : «Those two guys were pretty wild.» Ils essayaient d’entrer dans les bars sur leurs motos - Trying to drive their motorcycles into the bar - Quand il ne refait pas la course poursuite de Bullit avec Steve McQueen, Geno roule en moto dans les bars.  

             Pour la promo de The Fantastic Expedition Of Dillard & Clark, ils doivent tourner un peu. Les voici à l’affiche du Troubadour. Vers 15 h, Geno et Doug vont boire des Martinis et prendre un acide dans le rade voisin, et quand ils montent sur scène à 21 h, ils sont out of it. Geno s’assoit sur son ampli et fixe le mur, quant à Doug, il saute à pieds joints sur un violon qu’il a posé au sol. Don Beck quitte le groupe sur le champ. Le concert est un désastre historique. Dommage, car les spécialistes trouvaient the Dillard & Clark Expedition bien meilleur que Poco ou les Burritos - Their music was way ahead of the others, more conceptual and concise than the Burritos», dit John McEuen - Il ajoute qu’avec moins de dope, ils auraient pu devenir énormes. Bernie Leadon rappelle qu’en plus d’une phobie de l’avion, Geno avait le trac sur scène - His fear of performing was legendary too - C’est pour ça qu’il picolait et se tapait des acides.   

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             Le deuxième album de Dillard & Clark s’appelle Throught The Morning Throught The Night. Avec Byron Berline au violon, le son est plus bluegrass. L’album réserve une bonne surprise : une cover de «Don’t Let Me Down». Belle hommage d’un géant à ces géants que furent les Beatles. Gene Clark américanise cette merveille océanique. Ça tient bien la toute, il chante à fendre l’âme. Même si on n’est pas trop fan de cette chanson, il en fait un chef-d’œuvre interprétatif. Son accent fêlé de trompe pas. Derrière, les autres pourvoient à la paix du monde. Sinon l’album est très country, comme le montre l’excellent «Kansas City Southern», ces mecs vont vite en besogne, ça joue au hard drive des Appalaches. Geno fait aussi un petit peu de psychedelia avec «Polly». Il a vraiment un son à part, une qualité de plaintif qui embellit la donne. Encore du big country batch avec «No Longer A Sweetheart Of Mine», puis une fast country de ventre à terre avec «Rocky Top» et toute la bande de Donna Washburn, Bernie Leadon, Sneaky Pete, Hillman et le banjo de Doug Dillard. Mais comme le groupe prend une direction trop bluegrass à son goût, Geno se retire - He was done with Dillard & Clark.

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             En 1971, il enregistre White Light. La tendance générale de l’album est le balladif sentimental. On sent le timoré derrière le country boy du Missouri. Il faut attendre le morceau titre pour crier au loup. Big country energy ! Gene Clark emmène sa country à l’aventure avec énormément de son, c’est extrêmement altier et mélodiquement solide. Et là on tombe sous le charme discret de la bourgeoisie Clark. Il attaque sa B avec «Spanish Guitar» et des coups d’harp mélancoliques. Il se répand bien dans le Dylanex. Pour Serge Denisoff, «‘Spanish Guitar’ is the first cousin of ‘Visions Of Johanna’ mixed with ‘Tom Thum Blues’, harmonica riff and all.» «Where My Love Lies Asleep» est encore plus mélancolique. On ne peut pas espérer meilleure tartine de Dylanex. Geno sait rester intense dans son élan. Il va sur le psyché rampant avec «Tears Of Rage». Il est extrêmement doué pour serpenter sous le boisseau de sa vieille psychedelia. «1975» renoue avec le big American rock. Quel superbe artiste ! Il tient bien sa chique, il chante à la mâchoire carrée avec des trémolos dans la voix. Geno est un loup solitaire. Einarson ne tarit plus d’éloges sur White Light : «It is a stunning work of sheer genius and Gene Clark’s highest watermark to that point.» Et il ajoute, éperdu : «Pour Lui, c’est la force des paroles et la mélodie qui portent les chansons.»

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             Enregistré en 1971, Roadmaster ne paraît qu’en 1973. Il pourrait bien être le meilleur album solo de Gene Clark. Il faut savoir que l’ancien manager des Byrds rêvait de voir les Byrds se reformer, et il a presque réussi son coup en ramenant Croz, McGuinn, Michael Clarke et Chris Hillman en studio pour deux cuts, «She’s The Kind Of Girl» et «One In A Hundred». C’est exactement le son des Byrds, on s’y croirait. Alors évidemment, comme McGuinn et Croz ne peuvent pas s’encadrer, ils viennent chacun leur tour enregistrer leurs pistes en re-re. «Here Tonight» sonne encore comme un cut des Byrds, avec ce sentiment de sunshining melancholia. Le bassman dément qu’on entend derrière n’est autre que le Flying Burrito Chris Ethridge. «Full Circle Song» sonne comme un coup de génie, c’est même un coup de génie musicologique, chargé de richesses à outrance. Geno crée des courants magiques. Encore une merveille avec «In A Misty Morning» auréolé du violon de Bernie. Ardent défenseur de la beauté, Geno se paye sur la bête. Peu d’artistes atteignent la pointe de ce paradigme. Geno est chaud et tendu, fabuleusement authentique et c’est à cet instant précis, dans le Misty Morning, que tu tombes à genoux. Geno est l’âme des Byrds et même l’âme du rock américain. Il faut le voir tartiner son «Rough & Rocky», il s’y prend comme un grand artiste, il fait corps avec la matière de son violon, ah comme ce Missouri boy peut être bon ! Il tape dans le heavy boogie pour son morceau titre - I’m a roadmaster baby/ And I spend my life on the road - Il cultive une fantastique présence d’entre-deux. Il y va doucement avec «I Remember The Railroad», tellement doucement que ça devient beau, down the road/ So I see. Même un simple balladif tapé au clair de la lune comme «Shooting Star» est beau. Geno laisse derrière lui une traînée argentée, il est là, dans l’ombre, au coin d’une nappe d’orgue, toujours génial. Mais les sessions ont été pour le moins chaotiques. Chris Hinshaw a fait venir Sly Stone et sa bande en studio, le budget a explosé et en représailles, A&M a tout bloqué. En plus, les gens d’A&M n’aimaient pas l’album. Pas assez commercial ! Le heavy metal se vend mieux à cette époque. Les bonnes chansons n’intéressent plus le grand public. 

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             Geno fréquente assidûment Jesse Ed Davis. Indien de souche, Davis vient d’Oklahoma et s’installe à Los Angeles, comme d’autres célèbres Okies, Toton Leon, Carl Radle et J.J. Cale. Geno et Davis adorent picoler et gratter des grattes toute la nuit. Un jour, Geno prête sa Porsche 914 à Davis. Quelques semaines plus tard, Davis refait surface et Geno lui demande où est la Porsche. Bousillée ! Geno est furieux. Beaucoup plus tard, en 1985, ils se rabibochent et envisagent de bosser ensemble. Tonton Leon se dit intéressé par leur projet. Mais Jesse Ed Davis fait une petite overdose dans une laverie automatique. Fin du projet.

             Les Byrds se reforment pour enregistrer un album sans titre. Croz ramène en studio «his incredly strong pot». McGuinn se marre : «Half a joint and you couldn’t do anything. We were stoned out of our minds the whole time. I don’t remember much recording. I remember just sitting around getting high.» Mais Geno ramène deux hits, «Full Circle», tiré des sessions abandonnées de Roadmaster, et «Changing Heart». Ils essayaient de brouiller les pistes en coupant les ponts avec le vieux son des Byrds, ce qui d’après Einarson est une erreur. Geno fait aussi deux covers de Neil Young, «Cowgirl In the Sand» et «See The Sky About To Rain». On reviendra dessus dans le Part Three.  

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             Quelques relents de Byrdsymania flottent encore dans No Other. Einarson rappelle que Geno est alors considéré comme «the king of Cosmic Cowboys». Mais contrairement aux rumeurs qui ancrent No Other dans la dope, Geno est sobre, comme le rappelle sa poule Carlie. Avec ses Byrds royalties, Geno s’est s’acheté une baraque du côté de Mendocino, à Albion, à l’intérieur des terres. Il s’y installe avec Carlie et c’est là que leurs deux fils Kelly et Kai vont grandir. On peut voir la baraque sur la pochette de Two Sides To Every Story. À cette époque, Geno fréquente Tommy Kaye, un mec qui a bossé comme head of A&R pour Scepter, à New York, notamment avec les Shirelles, Maxine Brown, Jay & The Americans, et puis aussi Link Wray. Il vient tout juste de produire Triumvirate, l’album de Mike Bloomfield, John Hammond Jr et Dr John, ainsi que l’album du bras droit de Dylan, Bob Neuwirth, sur Asylum. No Other est un album visité par la grâce, comme le montre «Life’s Greatest Fool», c’est évident, tout est là, dans la façon de swinguer le groove. Geno semble toujours négocier son entrée dans un heavy balladif country. Il ne jure que par le story-telling. Il saupoudre son morceau titre d’une pincée de psychedelia, mais il faut attendre «Some Misunderstanding» pour sentir ses naseaux frémir : tu as tout suite le gratté de poux psychédélique et le chant posé. C’est sa façon de renouer avec le génie, son génie. Il ouvre des horizons extraordinaires, il est dans le renouveau à chaque instant, il retape son but I know. Voilà la compo géniale par excellence. Il lui faut du temps pour la développer, et sa façon de plomber un ciel est unique. Avec «Lady Of The North», il replonge dans la dérive de Misunderstanding, même filet de chant mélodique, ça reste atrocement bon, même si c’est assez country. Il retourne toujours la situation à son avantage. Par contre, son «Strength Of Strings» est plus delta, comme si la Californie débarquait dans le delta. Il saupoudre tout ça d’un brin de psychedelia. Il n’a aucun espoir, ça s’entend. On se croirait parfois chez Procol Harum, c’est dire si la marée monte.

             Mais Geno doit souvent retourner à Los Angeles pour les sessions et il y retrouve sa bande de wild friends, «Kaye, Carradine, Barrymore, Dillard and Davis, all part of his Los Angeles drugs-and-booze persona», ce qui l’éloigne de Carlie et des enfants. C’est l’âge d’or de la coke. Dennis Kelley : «Tommy Kaye, Jesse Ed Davis and Gene really formed something of an Unholy Trio in regards to their bad habits.» Jason Ronsard ajoute : «Tommy Kaye was just a beautiful cat, but he did a little too much cocaine.» Tommy Kaye produit No Other et déclarera un peu plus tard : «It was my answer to Brian Wilson and Phil Spector as a producer.» C’est au dos de la pochette qu’on trouve le portrait de Geno efféminé. Le hic, c’est que David Geffen trouvait l’album mauvais et ne comprenait pas qu’on ait dépensé 100 000 $ pour seulement 8 cuts. Donc pas de promo, nouvel échec commercial pour Geno. Ça ne s’arrête pas là : Geno en veut tellement à Geffen qu’un soir, il est à deux doigts de lui mettre son poing dans la gueule. Geno se grille car Geffen est un homme de pouvoir. Chris Hillman : «That shut it down for Gene. Geffen had the power then. He’s a very powerfull man. You can’t do that to a guy like him.» Il existe pas mal de parentés entre Geno et le roi Arthur qui, de son côté, a aussi ruiné sa carrière en s’en prenant à Robert Stigwood. Einarson  considère No Other comme «a masterpiece», «too far ahead of its time, or merily out of its time». Et il conclut : «Artistiquement,  c’est un sacré compliment. Commercialement, it’s the kiss of death.»  No Other et Forever Changes même combat ? Tu l’as dit.

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             Two Sides To Every Story est un album très pépère, mais tu vas régaler d’au moins deux cuts : «Home Run King» et la cover d’«In The Pines». L’«Home Run King» est un admirable shoot de country-rock à la Clark. Doug Dillard tape ça au banjo. Derrière, tu entends aussi Emmylou Harris. C’est de la petite magie pure. La cover d’«In The Pines» est aussi une merveille de black girl/ Black girl/ Where did you sleep last nite, avec Dillard au banjo - In the pines/ Where the sun never shines - On ne sait si on préfère la version de Geno ou celle de Lanegan. Avec «Kansas City Southern», Geno s’en va rocker a chique et il finit en lonseome sound. Et puis en B, tu as «Marylou», gros shoot de Soul rock. Geno fait des choix pour le moins extraordinaires. Il est de toutes les sorties, avec à la clé un vieux killer solo. Au dos de la pochette, il n’est plus maquillé comme au dos de No Other, mais barbu, «like some cosmic mountain man». Cet album est aussi celui du split : Carlie s’est barrée avec les gosses. Geno rôtit en enfer.

             Eh oui, quand Geno picole, il devient violent. Carlie a eu la trouille. Surtout pour Kelly et Kai, les deux garçons : «Je ne dis pas qu’il était dangereux physiquement, mais au plan émotionnel, au plan mental.» En plus, quand il est en virée à Los Angeles, Geno baise avec une autre gonzesse.  Alors Carlie fermes les volets de la baraque d’Albion et se barre à Hawai, le plus loin possible, pour être sûre que Geno ne la retrouve pas - If he’s got drunk and found me, he’d kill me - Puis Carlie va basculer dans la dope, elle va free-baser, alors Kelly et Kai iront dormir à droite et à gauche. Pendant toutes les années 80 et 90, Carlie est fucked-up with drugs.

             Geno réussit à partir en tournée et s’en va jouer à Londres. Mais le NME le voit comme «the epitome of the slightly stumbing overweight, bearded hippie who drank and smoked too much.» Pas terrible. Il a perdu son charisme. À Los Angeles, il s’installe avec une certaine Terri Messina, une coke dealer - That’s when he started going crazy - Einarson rappelle que toute la communauté de Laurel Canyon tournait à la coke. Ken Mansfield : «That was the peak in Hollywood for all of us, when the drugging thing was just at the heaviest.» Einarson évoque un incident : ivre-mort,  Geno aurait selon David Carradine accosté Dylan dans une party et l’aurait insulté et traité de ‘no-talent wimp’. L’incident n’est pas confirmé, mais quand il a bu, Geno insulte facilement les gens et n’hésite pas à cogner. Il va dans les bars pour se battre. Il lance des couteaux. C’est un cosmic mountain man.  

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             Il finit par se rabibocher avec McGuinn et Hillman et par faire deux albums avec eux. Le premier est enregistré au Criteria studio, à Miami, par Ron et Howard Albert, les deux frères qui ont produit le Saturday Night Fever des Bee Gees. Les Albert brothers essayent de transformer les anciens Byrds en frères Gibb. Et pouf, ils font de McGuinn Clark & Hilman un album diskö. Tommy Kaye est écœuré, car ils ont réussi à bousiller l’une de ses chansons, «Release Me Girl». Dans la baraque que les trois Byrds louent à Miami règne une très mauvaise ambiance. Ils ne se parlent pas. Tommy Kaye rappelle que «Geno got heavily into cocaine and the downtown (slang for heroin).» Mais comme d’habitude, Geno ramène les bonnes chansons. Nick Kent descend l’album dans le NME : «This desperate enterprise is aimed at the lowest common denominator, lower than the Eagles.» L’année suivante, ils reviennent à Miami enregistrer City. Geno enregistre deux cuts et se barre. Sur la pochette, Geno flotte, au propre comme au figuré. Pareil, on y revient dans le Part Three.

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             Geno, Tommy Kaye, Andy Kadanes, Chris Hillman et the Mendocino All Stars entrent en studio pour enregistrer Firebyrd. L’album ne paye pas de mine, comme ça, mais c’est un album qui grouille de coups de génie. À commencer par «Something About You Baby», une vraie merveille de psyché Byrdsy tartinée sous le boisseau, bien pulsée à la Clark, c’est la rock song parfaite d’une étincelante superstar, dans sa défroque de loser patenté. Et ça continue avec «If You Could Read My Mind», une cover de Gordon Lightfoot qui d’ailleurs vient tout juste de casser sa pipe en bois. Geno tourne cette belle pop enchanteresse en coup de génie. Nouvelle équation : Geno + Gordon = chef-d’œuvre de beauté douce. Il retape aussi son vieux «Feel A Whole Lot Better», il le gratte bien sec et l’éclate non pas au Sénégal, mais aux harmonies vocales. Il a des backing vocals de rêve. C’est invraisemblable de beauté surnaturelle. Il fait éclore sa pop au sommet du lard, avec une absence totale de prétention. Il te convainc encore avec «Made For Love». Ses pop songs sont des grâces de Dieu. «Made For Love» est d’une pureté transparente. Il y a quelque chose de solaire en Geno. On ne se lasse plus de son comin’ around. Avec «Blue Raven», tu frises l’overdose. Trop de qualité. Il t’entraîne dans son délire. Pop song parfaite, une fois de plus. Il te plombe ça aux accords californiens, avec une flûte magique. Il fait aussi une nouvelle mouture de «Tambourine Man». Il y développe sa voix et une fantastique démesure de heavy pop-rock et le jingle jangle coule de source. Aucune trace des Byrds, juste du Clark. C’est un fantastique hommage au génie de Bob Dylan.

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             Il duette avec Carla Olson sur so Rebellious A Rebel, un Rhino de 1987.  Merci Rhino ! Carla s’est faite connaître en duettant avec Dylan sur l’album Infidels («Sweetheart Like You»). Les duos Geno/Carla sont forcément magiques, surtout le dernier, «Don’t It Make You Want To Go Home». Excellence à tous les étages en montant chez Carla. Elle ramène sa petite fraise rose et humide. On lui pardonne cette impudeur. Geno vole à son secours. Les merveilles pullulent sur cet album, tiens, écoute «Fair And Tender Ladies» et tu verras Maubeuge, c’est de la magie pure, même chose avec «I’m Your Toy (Hot Burrito #1)», heavy balladif de classe supérieure, ou encore «Why Did You Leave Me Today», Geno y ressort sa voix de superstar, il couvre sa pop de morgue languide. Geno est le roi des Beautiful Songs, il sait s’abandonner. C’est Carla qui fait le biz sur «Every Angel In Heaven» et elle file à la frontière mexicaine avec «Deportee (Plane Wreck At Los Gatos)» et Geno vole à son secours pour chanter les abus de la déportation. Big Americana ! Il redevient le roi du rodéo avec «Almost Saturday Night». Geno est un mec facile à suivre : il n’a que des grosses compos. So Rebellious A Lover est le dernier album officiel de Geno.

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             Under The Silvery Moon propose les sessions enregistrées avec Nicky Hopkins, Rick Danko, John York et Pat Robinson, le fameux CRY. C’est donc une résurrection, une de plus. Tu es accueilli par le souffle du big sound de «Mary Sue». Ça sent bon la légendarité. Geno en impose, il a une grosse équipe derrière lui. Il faut attendre un peu pour trouver les coups de génie. Tu en as au moins deux : «Sleep Will Return» et la reprise du «Will You Still Love Me Tomorrow» de Goffin & King. Il gratte quasiment son Sleep sur les accords de «Gloria», et il fait une version tentaculaire du Tomorrow. C’est digne de Totor, car bien monté en neige, absolument demented. On voit la cover décoller doucement, bien soutenue à l’orgue. Il te chante ensuite «Rest Of Your Life» au plastron, il te le placarde, il te le plaque au sol, il t’en fait tout un plat. Puis il repart en mode magie pure avec «My Marie». Si tu es sensible aux chansons fortes, alors c’est pas compliqué, tu vas pleurer toutes les larmes de ton corps. Geno navigue au sommet du pop art avec une classe écœurante. Il a une façon bien à lui de tourner ses syllabes, il force tous les passages vers la lumière. On le retrouve en Chevalier de la Table Ronde dans «Fair And Tender Ladies». Il est serviable et corvéable à merci. Geno est un homme simple. Il ne fait pas trop d’histoires, sauf quand il est défoncé. Puisqu’on en parle, voici «You Just Love Cocaine». Fantastique ode à la coke en stock, Nicky Hopkins te pianote ça vite fait bien fait. Geno n’en finit plus de shooter du power dans le cul flapi de l’Americana. On croise aussi un «Can’t Say No» tellement gorgé de power qu’il est inaudible. Aw comme ces sessions sont bonnes ! On sent aussi dans «Carry On» une présence de l’immanence et une liberté totale. Il fait sonner chaque seconde de «Nothing But An Angel» à la pure impénitence de big day out. Geno est à la fois un seigneur des ténèbres et un génie solaire - You are such an incredible thing - Cut après cut, il s’auto-porte à bouts de bras, il ne fait jamais n’importe quoi, il chante en flux tendu. Magnifique artiste !

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             La vie est drôle, parfois. Le même soir, le hasard des écoutes peut nous amener à naviguer dans des légendes aussi riches que celles de Gene Clark, d’Eddie Bo et de Joe Meek. Gypsy Angel - The Gene Clark  Demos 1983-1990 n’est pas à proprement parler un album légendaire, mais il participe de la légende de Gene Clark, au moins pour deux cuts dylanesques, «The Last Thing On My Mind» et «Day For Night». Clark ramène tout l’Ouest dans ses chansons, il vise les horizons perdus. Il cultive une sorte de beauté paumée, il clarke envers et contre tout. Il y a chez lui quelque chose de très conventionnel, balladivement parlant, même si tout est violemment interprété. Il pousse le bouchon de son Day à la dylanesque, il a ce côté hanteur de consciences issu du Midwest. Ses balladifs durent tous assez longtemps, sept minutes en moyenne, le temps du story-telling. Il gratte ses poux au coin du feu. Le gratté de «Mississippi Detention Camp» est très intense et très rootsy en même temps. Il va au Mississippi rechercher l’authenticité de son Missouri natal. Il connaît bien les ficelles du pisteur. Geno est un vétéran des sous-bois, il a croisé la piste des rebelles les plus célèbres. Il ne se nourrit que de racines de roots. Il ramène de vieux coups d’harp dans sa soupe au choux («Kathleen»). On l’aime bien, le vieux Geno, mais parfois, on s’ennuie comme des rats morts. Certaines rengaines n’offrent pas de prise. Il attaque toujours à la même arrache, il se morfond en permanence, «Your Fire Burning» flirte avec la Beautiful Song, mais avec lui, on ne sait pas. Il ne varie guère les plaisirs, tout est gratté sombrement, avec un faible espoir. Il termine avec le morceau titre, encore un balladif intensif. Il ne vit que pour ça. Son «Gypsy Rider» vibre d’authenticité. C’est sa raison d’être. Geno est un pur et dur. Pas question d’aller se compromettre. En grattant tout à sec, il fait de l’art sacré.

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             Sur Silverado 75. Live & Unreleased, il est accompagné par Roger White (gratte) et Duke Bardwell (bass). Einarson signe les liners, rappelant que les Silverados reprenaient des cuts de No Other. Quand ensuite Geno enregistre Two Sides To Every Story, il cesse de bosser avec les Silverados. Le set démarre avec le fat heavy country blues d’harp de «Long Black Veil» et Geno enchaîne avec l’un de ses classiques, «Kansas City Southern» - We’re going to do a train song for ya - Il en fait de la power-Americana, avec des rushes de fièvre et un son stripped down. L’ensemble est assez country, comme le montrent «Home Run King» et «Daylight Line». «Home Run King» est même de la heavy country, bien wild, dopée à coups d’harp et le gratté de poux sur «Daylight Line» est plutôt féroce. Tiens ! Voilà une énormité : «Set You Free This Time» - We’re gonna go back to 1965 with this song - Une merveille de Clark sound tirée de Turn Turn Turn, il t’allume aussi sec la cafetière, il est même over the top, à la dylanesque. Reprise de «No Other», aussi, monté sur un riff d’acou intrinsèque. Geno en profite pour revenir se lover dans le giron de nos imaginaires. Un miracle se produit, car c’est basique et beau à la fois. Il gratte son No Other à la perfe des perfes. Il ressort aussi son vieux «Spanish Guitar» qu’il gratte à outrance et qu’il arrose de coups d’harp. C’est d’une rare densité. Geno a des dons extrêmes. Il amène «Here Without You» au petit psyché et l’aplatit aussitôt au chant - Girl you’re on my mind/ it’s so hard to be here/ Without you - Il en fait un mélopif psychédélique. Il se montre encore fantastique de country rising avec «She Darked The Sun», il fond sa voix dans les épines des cactus. Si tu veux te lasser de Geno, tu devras te lever de bonne heure. Il termine avec la triplette du diable, «In The Pines» - And you shiver where the cold wind blows - «Train Leaves Here This Morning» et «Silver Raven» - Stand for one more you’ll like to hear - C’est le deuxième rappel, you better watch out. Le pauvre Geno repart sur son âne à Bethléem. C’est fin et plein d’esprit. Have you seen the silver raven ?

             Vu le parcours chaotique de Geno, les inédits pullulent. Einarson n’en finit plus d’en révéler. Après Two Sides To Every Story, Geno et Tommy Kaye envisagent en 1977 un autre projet, avec le KC Southern Band. Rien n’est sorti des sessions, mais Einarson dit que the KC Southern Band est «Gene’s finest backing band.» Plus loin, il signale l’existence des Glass House Tapes, enregistrées chez David Carradine  à Laurel Canyon, avec Tommy Kaye, Rick Clark (le frère de Geno), Garth Beckington et Jon Faurot. Six cuts. En 1982, nouveau projet : Geno, Hillman, Michael Clarke, Herb Pedersen (banjo) et Al Perkins (pedal steel des Flying Burrito Brothers). Le groupe s’appelle Flyte. Flyte tombe à l’eau. Il existe aussi des sessions enregistrées avec Laramy Smith.  

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             C’est encore Einarson qui se tape le booklet de Gene Clark Sings For You. Il explique que cet album enregistré en 1967 et gravé sur acétate a été redécouvert dans les archives de Liberty Records. Il ajoute que cet acétate est considéré par les fans de Geno comme l’Holy Grail. L’ex-manager des Byrds Jim Dickson rappelle que Geno composait tellement de chansons qu’il était impossible de tout enregistrer. Et si on les enregistrait pas, il les oubliait et passait à autre chose. En plus de l’album inédit, Omivore ajoute The Rose Garden Acetate, 5 cuts originaux que Geno enregistra avec The Rose Garden. Puis il abandonna les projet pour passer à la suite, c’est-à-dire Dillard & Clark et The Fantastic Expedition Of Dillard & Clark. Einarson pense qu’avec Gene Clark Sings For You, Geno était au sommet de son art, ce que vient confirmer «Past Tense», Dylanex et Byrdsy dans l’âme, tu as là tout le génie des Byrds qui déroule son tapis rouge. Il faut bien admettre que les Byrds, c’est Gene Clark, il est fabuleusement impliqué dans ce mythe. Geno te claque tout ça aux quinconces, il ramène encore du deep American feel dans «On Her Own», un vrai balladif de quincaille. Il confère à chacun de ses cuts une pureté manifeste. Avec «That’s Alright By Me», il fait une fast pop-rock d’hey hey, can’t see you, il flirte sans fin avec le Dylanex, il a cette ampleur extraordinaire. Il ramène des heavy chords dans «Down On The Pier» et il refait l’invétéré avec un «7:30 Mode» plus country. Pour le Rose Garden Acétate, il revient faire son Dylan de Greenwich Village («On The Tenth Street»). Il s’inscrit bien dans la veine du how much I remember you. Il drive ensuite «Understand Me Too» au heavy rumble d’acou. Il fait comme d’habitude : il tartine en surface et finit par convaincre - All I wanted to doo/ Is be with with yooou - Trop romantique. Ça ne pouvait pas marcher. C’est la raison pour laquelle Columbia l’a viré. Gene Clark n’a aucun support, alors il gratte à la vie à la mort. Dommage qu’il n’ait pas les grattes des Byrds sur cet EP. Il n’a que le chant et il réussit quand même à groover. Il tape son «Big City Girls» au heavy blues et c’est assez énorme. Il revient à l’essence des Byrds avec «Doctor Doctor».

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             Pour faire des économies, on peut se contenter d’une bonne compile. Echoes fera l’affaire, car on y retrouve tous les coups de génie épinglés précédemment, à commencer par le morceau titre et sa fantastique présence dramatique - You’re the tower in the sand - et puis, tu as aussi «Here Without You (sommet psychédélique), «So You Say You Lost Your baby» (Byrdsy groove et fantastique énergie), «Couldn’t Believe Her» et «Keep On Pushin’» (encore tirés de Gene Clark With The Gosdin Brothers, l’album définitif). D’ailleurs, quasiment tous les cuts de cet album se retrouvent sur la compile, «I Found You», «Elevator Operator». Gene Clark est l’artiste complet par excellence, sa pop magique chapeaute le rock californien. Et ça se termine avec deux cuts plus dylanesques, «The French Girl» et «Only Colombe».

             En fait, nous dit Einarson, le gros problème de Geno, c’est qu’il n’avait personne derrière lui, ni Elliot Roberts (manager de Neil Young), ni David Geffen, ni Albert Grossman. Geno va rester un sauvage, un country-boy/mountain man jusqu’à la fin. Quand il vit à Albion, il possède deux hachettes, six couteaux et une hache de combat. Il lance ses couteaux dans les portes en marchant, schlomp, schlomp ! Quand il décide de se reprendre en main et de se calmer, il découvre que personne ne veut de lui. Dans le biz, personne ne veut plus l’approcher. Trop sale réputation. On l’a vu entrer dans un bureau et sortir un flingue, playing the Godfather, péter les vitres des bagnoles et menacer de s’en prendre à la famille. Violents incidents. Quand Tom Petty enregistre une cover d’«I Feel A Whole Lot Better», Geno empoche 150 000 $ de royalties. Dès qu’il a du blé, il redevient fou. Saul Davis dit qu’il existe trois Genos : «Down-and-out Gene, hard on his luck. And regular Gene, the humble guy. Then there was the money-flowing Gene. And that meant trouble.» Il picole et il snorte again, alors qu’il avait réussi à se detoxer. C’est la fin des haricots. Il passe au crack et au free-basing, comme Croz, et tout le monde à Laurel Canyon, précise Terri. Geno perd sa voix, Tommy Kaye dit qu’il s’est chopé un petit cancer de la gorge. Un polype sur les cordes vocales. Alors pour se soigner, il picole. Il lui reste six mois à vivre. Il va tout de même chanter au Rock And Roll Hall Of Fame pour la consécration des Byrds. Hillman se dit fier de cette réunion honorifique, car, précise-t-il, 90 % des gens de groupes récompensés ne se parlent plus. Il cite l’exemple de Fogerty qui a refusé de laisser ses anciens copains de Creedence jouer avec lui - But we did - C’est en soi un exploit.  En 1991, Geno fait sa dernière apparition sur scène au Cinegrill à Los Angeles. Il est défoncé. Le set est aléatoire. Il a en plus perdu des dents lors d’une bagarre, deux jours avant les concerts. Sa voix chuinte. Les gens sont effarés par la médiocrité du set - The Cinegrill gig was just a mess - Quand Tom Slocum lui dit que son set est un désastre, Geno lui répond : «Sloe, it doesn’t matter anymore.»   

    Signé : Cazengler, tête à clarkes

    Gene Clark With The Gosdin Brothers. Columbia 1967

    Dillard & Clark. The Fantastic Expedition Of Dillard & Clark. A&M Records 1968

    Dillard & Clark. Throught The Morning Throught The Night. A&M Records 1969

    Gene Clark. White Light. A&M Records 1971

    Gene Clark. Roadmaster. A&M Records 1973

    Gene Clark. No Other. Asylum Records 1974

    Gene Clark. Two Sides To Every Story. RSO 1977

    Gene Clark. Firebyrd. Takoma 1984

    Gene Clark & Carla Olson. So Rebellious A Lover. Rhino Records 1987

    Gene Clark. Under The Silvery Moon. Delta Deluxe 2001

    Gene Clark. Gypsy Angel. The Gene Clark  Demos 1983-1990 Evangeline 2001

    Gene Clark. Silverado 75. Live & Unreleased. Collector’s Choice Music 2008

    Gene Clark. Gene Clark Sings For You. Omnivore Recordings 2018

    Gene Clark. Echoes. Columbia 1991

    John Einarson. Mr. Tambourine Man: The Life And Legacy Of The Byrds’ Gene Clark. Backbeat Books 2005

     

     

    Le culot des zozos de Cluzo

    - Part Two

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             Ça cluzote sec chez l’Inspector. Chaque album charrie son lot de pépites, comme autant de fleuves californiens au temps de la Ruée vers l’Or.

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             L’un des plus gorgés d’or gascon est sans doute The 2 Mousquetaires. Non seulement il est adapté d’Alexandre Dumas, mais il se présente sous la forme d’un petit album de BD et tu peux suivre en direct les aventures des Deux Mousquetaires, fabuleusement bien croqués par un nommé Chris Chaos from Taïwan. Tu feuillettes et tu tombes sur un prodigieux crobard de Curtis Mayfield flottant dans les airs avec sa strato blanche. Alors quand tu écoutes la cover qu’ils font de «Move On Up», tu tombes en double extase de métastase, car ils te l’explosent littéralement ! Là tu cries au loup pour de vrai, le gros jette toute sa graisse dans la balance. Tu as là un exemple parfait de ce peut être une cover de génie. Le gros hurle dans la tempête du paradis, ça joue ventre à terre et à couteaux tirés, le gros file dans l’azur comme un ballon de baudruche surréaliste, il est dans son trip de Move On Up et c’est battu à la diable gasconhette. Autre coup de génie : «Put Your Hands Up», le gros rappelle ses troupes à l’ordre et passe en mode heavy sludge. Il a même des cuivres. On se croirait sur le deuxième album des Saints. Power maximal ! Il t’embarque ça au scream. Puis il enfile la culotte de James Brown pour taper «Power To The People» au you got to move, il fuck les bobos dans «Fuck The Bobos», mais il fait à la dure, au heavy funk, son funk vaut largement celui de Bootsy - Are you ready/ Fuck the bobos - Il reste dans le fuckin’ fuck avec «Fuck Free Hugg», heavyness demented couronnée de succès et de cuivres, il navigue d’un port à l’autre, du funk au heavy sludge, il a ce pouvoir désarmant. Quand tu écoutes «The Two Mousquetaires Of Gasconha», tu as presque envie de laisser tomber les disques américains. Les deux zozos de Cluzo te cluzotent le gaga-punk de Gasconha avec le scream définitif. Tu as encore le wild et l’argent du wild avec «Wild & Free», il bombarde sur sa SG, I am & I am free, il connaît tous les tenants et les aboutissants des coups de tonnerre, il a tout le scream en magasin, il ramène des éléments de heavy sludge digne de ceux de Monster Magnet. Puis dans une chanson assez radicale, il envisage d’aller baiser Carla, la femme de l’ex-Président. Là on se marre, car c’est vraiment digne d’Alexandre Dumas.     

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             Les zozos de Cluzo prennent vraiment le plus grand soin de leurs fans. Ils conçoivent The French Bastards comme une petite pochette contenant douze vignettes cartonnées et le disk, chaque vignette illustre un cut et les lyrics sont imprimés au dos. On se régale d’entendre «F*** Micheal Jackson», car ça correspond exactement à ce qu’on pensait à l’époque. Au moins avec le gros, les choses sont claires. Dans la BD des Deux Mousquetaires, il étripait Sarkozy, Ben l’Oncle Soul et les bobos, cette fois, c’est cette super-crêpe de Michael Jackson qui passe à la casserole. Le gros commence par situer le contexte - I grew up in the 60s black Soul music/ Oh yeah - et pouf, il te fuck ça vite fait. Avec lui, ça ne traîne pas. Il aurait dû s’appeler Inspector Zorro. C’est quand même dingue quand on y pense, toute cette daube qui passait à la radio et qu’on devait supporter ! Autre chose : il n’existe rien de plus heavy sur cette terre qu’«Empathy Blues». Ça danse avec les loups, c’est-à-dire Monster Magnet et Leslie West, il t’explose tout ça au sommet de lard et s’en va screamer dans les Cevennes, exactement comme l’autre bête de Gévaudan, Frank Black. Même génie ! Il screame encore sa soupe aux choux dans le morceau titre. Encore plus plein qu’un œuf, voici «He’s Not The Man». Toujours ce mélange suprême d’heavyness et de scream, il t’explose cette matière organique cuivrée de frais, il s’agite dans un turmoil extrême, un sax s’empale sur la bassline, tu atteins là des zones inexplorées du sonic trash. Il arrive avec une disto de gras double dans «Giving Opinion Is Not A Job This Is A Right», encore une fois, il n’existe pas de disto plus heavy sur cette terre, il te tartine ses opinions au wait a minute. Si tu ne veux pas mourir idiot, tu devrais écouter «The Old Man», il y gratte ses poux intensément, c’est une rock star, alors il t’explose l’old man au scream demented, il monte très haut dans les estimes. Il ramène sa grosse voix de bélier dans «Trader Forever» et défonce la poterne au boom boom définitif.  

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                   Les zozos de Cluzo entrent en mode fast punk dans Gasconha Rocks. Cette horreur s’appelle «Hello/Goodbye Education». Le gros refait son Frank Black, tu n’en reviens pas de voir débouler avec une telle violence ! Voilà un gros de plus au panthéon des gros, avec Leslie West, Tad Doyle et Frank Black. Ça re-rue dans les brancards avec «Till Petrole Do Us Apart». Il amène ça au riff raff et ça se barre en sucette de zozos, et ce fou de Phil pousse bien à la roue. Avec les deux mousquetaires, tu n’en finis plus de t’extasier, ils flirtent en permanence avec le génie sonique, le gros se barre en chat perché d’inexpectitude, tu vois trente-six chandelles, c’est un parti-pris de pur genius cubitus, on en oublie la terre et sa population, la terre et ses religions, la terre et sa géopolitique, ça devient sérieux, battu comme plâtre et noyé d’arpèges scintillants. Ils te font rendre gorge. Ils campent dans le Punk’s Not Dead, avec «Black Spirit». Peu de duos peuvent enfiler autant de perles noires de destroy oh boy. Le gros s’arrache les ovaires au chat perché demented. Retour au big heavy rock avec «Garbage Beach», tu te crois en Amérique chez les géants du stoner de Dieu, chez les Nebula de la Mountain. Fuck ! C’est tout ce que ta pauvre bouche peut dire sous les coups de boutoir. C’est beaucoup trop balèze pour la France. Le gros est l’artiste complet par excellence, hard punkster et white nigger, il faut le voir arroser «The Duck Gut Blues» à coups de slide, poussé dans le dos par un beurre de baratte du diable. Retour à la politique avec «Move Over Monsanto», en mode heavy boogie down, c’est  le rock qui milite, le gros se fâche - Why ya took us for a raid y’all - Ça n’en finira donc jamais ?, comme le chantonnait jadis Mouloudji.

             Avec Gasconha Rocks, tu as un petit DVD-docu qui montre les deux zozos en tournée dans le monde : Espagne, Asie, Afrique du Sud. En fait, ce docu est une apologie du Do It Yourself : les deux zozos de Cluzo font tout eux-mêmes : le booking, le management, le marketing, la compta, les compos, les pâtés à la graisse de canard, ils conduisent les camions, ils font le merch, ils jouent même sur scène. Le gros dit que ça leur prend tout leur temps, environ 70 heures par semaine. Le docu ne nous épargne rien. Tu as même un admirateur qui dit, comme sur les marchés, que «c’est direct, du producteur au consommateur». Pas d’intermédiaires. Pas de parasites. Fuck the bobos. Un mec dit que les zozos de Cluzo se grillent en by-passant le système. Fuck the system ! Leur indépendance est leur power. On ne voit pas assez les oies, c’est dommage. Le docu finit par mordre le trait et donner une idée un peu trop angélique du DIY. Ça frise la parodie. Si tu veux comprendre pourquoi ils sont devenus énormes, tu dois les voir sur scène. Certainement pas sur YouTube. Tu peux aussi écouter les albums : tu ne t’ennuieras jamais. 

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             On monte encore d’un cran avec Rockfarmers qui est un double CD. La pochette nous montre les oies et la ferme. Le booklet grouille de petits crobards inspirés, dans une poignante volonté d’illustrer les scènes de la vue rurale quotidienne. Leur icono tient sacrément bien la route. Leur baraque fait rêver autant que leur musique. Le fou de la disto réapparaît dès le morceau titre d’ouverture de bal d’1, the SG wild king of heavy sludge. Si tu aimes bien Leslie West et les ogres du stoner, alors tu te régales. Il s’en va même siffler sur les remparts de Varsovie. Chacune de ses attaques de gratte viole ton intimité. Le gros est un hussard sur le toit. C’est l’occasion ou jamais de te faire limer par un hussard, c’est un trip très littéraire. Tu joues d’une certaine façon à la marelle du diable. Le gros te bourre la dinde avec ses deux SG. Ce cut d’intro est déjà en soi un roman. Voilà un double d’album qui s’annonce passionnant. Il va tenir ses promesses. Le gros devient complètement fou sur «Fisherman», cette horreur est un véritable coup de génie. Il développe tous ses chevaux vapeur et l’achève au scream délétère. Ah il faut aussi l’entendre gueuler «Kiss Me» dans sa ferme avec ses oies. Les zozos de Cluzo sont des pesticides atomiques. Voilà ce que révèle le «GMO & Pesticides» d’ouverture de disk 2. Il n’existe rien de plus destructeur en France. Le gros commence par le siffler à la Bronson et bascule aussitôt après dans le wild punk’s not dead, il pique sa crise et ça purge dans l’urge, ils atteignent à l’extrême dementia du real blast, ils font du pur Motörhead. Le gros tape ensuite «Alright Georges» au heavy blues, on entend bien la SG, c’mon, il y va au dur comme fer. Il a tout le son du monde, alors il en profite. Il s’enfonce dans les couches supérieures de la prod ultimate, c’mon Georges ! Il navigue exactement au même niveau que Frank Black. Il reprend son élan pour «Quit The Rat Race», tu ne pourras jamais le stopper en plein élan, il chante à la hauteur de sa niaque de mousquetaire, heavy as hell, il hurle comme un cochon qu’on égorge. Puis il la joue douce avec «Stars Are Leavin’», il chante à la voix d’ange de miséricorde, back in the day, au heavy gratté de coups d’acou, power all over, et ce démon barbu explose les stars. Nouveau coup de génie avec «Erotic», sa SG rue toute seule dans les brancards, ça part en mode full blown, le gros l’attaque au chat perché d’all time rock’n’roll, ça bat tout le monde à la course, il hurle son can’t stand et tu entres dans la cinquième dimension. Il passe en mode funk pour taper «Romana», il fait son white nigger, il chante au perçant er se remue le cul. Ah il faut le voir gratter les poux du funk sur sa SG. Le gros a tout pigé.  

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             Tu crois qu’ils vont se calmer avec le temps ? Pas du tout. Nouveau big album avec We The People Of The Soil. Pas de coups de génie, cette fois, uniquement des énormités. À commencer par «The Sand Preacher» qui semble sortir tout droit d’un album de Frank Black & The Catholics. Il pourrait aussi en remontrer à Jon Spencer avec «A Man Outstanding In His Field». Le gros fait le job, il fond sa voix à la surface du Soil, mais il ramène l’énergie de tous les démons de l’enfer. Il te claque ses notes de SG sur canapé de nappes d’orgue intrinsèques. Avec «Ideologues», il redevient classique, mais avec du son. Il monte au chat perché pour créer de l’émotion et de la profondeur. Il a même de faux accents de Jack Bruce. Décidément, c’est l’album des clins d’yeux aux superstars ! Avec le morceau titre, il te ramène sous la douche des enfers. On se croirait dans le «Season Of The Whitch» de Stylish Stills. Quel déluge de son ! Il termine avec une véritable triplette de Belleville : «Pressure On Mada Lands», «The Globalisation Blues» et «The Brothers In ideals». Il attaque son Mada Lands à l’Hendrixienne. Les lyrics ne sont pas crédibles, ils ne servent que de prétexte. On ne démarre pas avec «I was born on a beautiful island». On démarre avec «the night I was born, Lord I swear the moon turned a fire red». Puis il s’enfonce dans le blues de ferme avec Globalisation, il y va au Nashville Pussy, c’est de haut niveau, surtout qu’ils le font à deux. Il termine avec «The Brothers In Ideals», ce fabuleux auto-hommage qui sonne comme la preuve de leur intégrité et qui va donner son titre à l’album suivant.

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             Sur Brothers In Ideals, ils retapent des cuts d’albums précédent en mode unplugged. On retrouve donc l’excellent «Man Outstanding In His Fields», cette fois avec un S à Fields. Le gros fait son heavy country blues d’anti-gentleman farmer. C’est puissant et infiltrant. Tu as le groove et l’argent du groove, surtout quand il monte au chat perché avec la délicatesse d’un génie à peine sorti de sa bouteille. Il vise le surnaturel. Il y reste avec «Cultural Misunderstanding». Il entre au chat perché et ça redevient magique. Son «Globalisation Blues» sonne aussi comme une merveille. Il en fait un heavy country blues, une moisson géniale de notes inspirées. Il gratte aussi «Idéologues» avec rien. Il crée son monde à partir de rien. Il fond sa voix au chat perché psychédélique. On a l’impression qu’il hyper-chante. On se prosterne à ses pieds. Il invente l’Americana du Sud-Ouest et son morceau titre de fin d’album est un chef-d’œuvre de Soul du Soil. 

    Signé : Cazengler, affreux zozo

    Inspector Cluzo. The French Bastards. Ter A Terre 2010 

    Inspector Cluzo. The 2 Mousquetaires. Fuck The Bass Player 2012

    Inspector Cluzo. Gasconha Rocks. Fuck The Bass Player 2013 

    Inspector Cluzo. Rockfarmers. Fuck The Bass Player 2016

    Inspector Cluzo. We The People Of The Soil. Fuck The Bass Player 2018

    Inspector Cluzo. Brothers In Ideals. Fuck The Bass Player 2020

     

     

    Wizards & True Stars

     - Gousse d’Hayes (Part Two)

     

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             Chez Ace, on s’intéresse plus aux compositeurs qu’aux prophètes. C’est une démarche intellectuelle typiquement britannique. On privilégie l’humain au spirituel. Ace balance une belle illustration de ce singularisme avec Wrap It Up - The Isaac Hayes & David Porter Songbook, une nouvelle épître de la fameuse Songwriters Series qui a vu défiler toutes les têtes de gondole à Venise, depuis Leiber & Stoller jusqu’à Mann & Weil en passant par Goffin & King, Ellie Greenwich & Jeff Barry, et toute la bande de Tutti Quanti. Illustration, oui, car dès la pochette, Ace enfonce son clou, nous montrant l’Isaac jeune (en compagnie de David Porter et de Mable John), un Isaac terriblement humain, fils de rien, comme le furent avant de devenir prophètes des gens comme Jésus de Nazareth, Friedrich Nietzsche, Noam Chomsky, Mahatma Gandhi, Malcolm X ou encore Nelson Mandela. Fils de rien, en toute humilité, crâne rasé, ce jeune black pauvre ne sait encore rien de son destin de Black Moses, de Moïse nègre couvert de chaînes en or et de femmes lubriques, qui va régner pendant quelques années en tant que Spirit Of Memphis sur l’Amérique et quelques îlots de superstition en Europe.

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             Il n’empêche. Tony Rounce sent bien qu’avec Isaac, on touche au sacré. Il sait comme nous le savons tous, qu’Isaac c’est Stax, ou pour être plus précis, Stax c’est Isaac, de la même façon que Motown, c’est HDH. Pas de Motown sans HDH et pas de Stax sans Isaac. Autrement dit, sans Stax et Motown, pas de Soul dans l’Amérique des sixties. Une Amérique privée d’âme ? On peut dire que cette pauvre fédération d’états a frôlé la catastrophe. On a longtemps cru que l’âme des USA était le fameux American Dream. Grave erreur, car l’American Dream, apologie de la liberté, est un contresens bâti en partie sur l’esclavage des nègres et en partie sur le génocide des Native Americans, c’est-à-dire, les gens qui vivaient dans ces pays avant l’arrivée des colons blancs. Les colons sont un fléau biblique, un fléau qui a ravagé tout le continent africain, tout le continent américain, l’Océanie, une partie de l’Asie du Sud-Est et qui ravage encore aujourd’hui la Palestine. Bon, Rounce ne va pas jusque-là, d’abord parce qu’il n’a pas la place, mais aussi parce qu’il a des priorités éditoriales.

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             Pauvres parmi les pauvres, Isaac et David Porter étaient là dès les premiers jours, sur McLemore Avenue, tentant désespérément de décrocher un petit job chez Stax, même un job de balayeur. C’est Floyd Newman qui met la puce à l’oreille des blancs de Stax, leur vendant l’idée qu’Isaac a des pouvoirs surnaturels - Il entend tout ce que vous n’entendez pas - Forcément, ça intéresse les blancs. Isaac entre pour la première fois dans le studio Stax, non pour balayer, mais pour jouer du piano. Et pouf c’est parti ! Il s’associe avec David Porter, qui bosse dans l’épicerie d’en face. C’est une fabuleuse histoire qui démarre. Ils vont tout simplement devenir, en alternance avec HDH, les rois du monde, pendant quelques années, de 1965 à 1969. Pour mener à bien sa mission, Rounce a choisi 24 covers de hits composés pendant ce court laps de temps. Après Hot Buttered Soul, Isaac et David Porter cesseront leur collaboration, Isaac optant pour un parcours plus messianique, donc solo, par nature.

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             Alors évidemment, cette compile grouille de coups de génie, rien qu’avec le «60 Minutes Of Your Love» que prend en change l’excellent Homer Banks, t’es gavé comme une oie. C’est du wild as fuck, Homer Banks fout le feu. Rounce précise que cet hit demented est enregistré chez Willie Mitchell, at Hi, et pas pour Stax, mais pour Minit, le petit label lui aussi légendaire de Joe Banashak, à New Orleans. Puis c’est au tour de Freddie King d’aller foutre le souk dans la médina avec «Can’t Trust Your Neighbour» qu’Isaac et David Porter avaient composé pour Johnnie Taylor. Freddie enregistre sa mouture à Memphis, mais pas chez Stax, chez Ardent, accompagné par Duck Dunn et Al Jackson. L’immense Freddie King propose avec cette mouture une fantastique plongée dans le heavy blues, il y va au I found out, il claque son ah-ah à la solace perspicace. On parlait du loup, le voilà : Johnnie Taylor, avec «Toe Hold», histoire de rappeler qu’avec Isaac, il est le king of Stax, il te traîne la traînasse dans la bouillasse du caniveau, avec tout le popotin staxy que tu peux imaginer, c’est du très grand art, des accords carillonnent dans le muddy Stax. Johnnie, c’est Napoléon, il avance dans la Bérézina - Show me baby - Te voilà au paradis. Rounce nous dit aussi qu’Atlantic avait envoyé Sharon Tandy enregistrer une version de «Toe Hold» chez Stax. Archie Bell & The Drells tapent le morceau titre de la compile, «Wrap It Up», déjà enregistré par Sam & Dave. Mais la version d’Archie Bell te sonne bien la cloche, car alerte et svelte, les Drells te swinguent l’Isaac, Archie Bell est en caoutchouc, et tout ce fabuleux bordel est drivé au big Stax demento. Te voilà installé dans les couches supérieures de la Soul. Encore un coup de génie avec le duo Keith (Powell) & Billie (Davis) qui tape dans le saint des saints, l’un des hits de Sam & Dave, «You Don’t Know Like I Know». Ce sont des blancs, but aw my Gawd ! Ah oui, tu peux te signer, car c’est incendié au Piccadilly strut. Si le «Love Is After Me» que prend Charlie Rich est aussi un coup de génie, ça ne surprendra personne. Le vieux Charlie qu’on surnomme the silver fox trempe son biscuit dans le r’n’b et ça monte vite au rouge, dans l’enfer du mythe. On peut même parler de classe définitive. Tu as là le power d’Isaac + le Sun de Charlie. Cette cover fabuleuse date de sa période Hi en 1966, lorsqu’il commence à taper sérieusement dans le r’n’b, mais comme ça ne marche pas commercialement, the silver fox devra retourner à ses moutons, c’est-à-dire la country et poser déguisé en cowboy pour ses pochettes d’albums.  

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             Alors maintenant, les surprises : la première nous vient des  Hassles avec '' You got me Hummin' '', un autre hit de Sam & Dave : heavy Soul à tomber de sa chaise, boom badaboom, d’autant plus que ce sont des blancs ! Rounce les situe entre les Young Rascals et le Vanilla Fudge. Il nous apprend en outre que Billie Joel va faire partie du groupe. Parmi les repreneurs d’Hummin’, on trouve aussi les fameux Cold Blood de San Francisco. Encore une révélation avec Marcia Ball et «Never Like This Before». Encore une blanche ? Elle est superbe. Rounce la qualifie de South Louisiana R&B Queen et recommande son album Hot Tamale Baby. Encore une révélation avec les Soul Children et «The Sweeter He Is (Pt1 & 2)», c’est embarqué aux clameurs de gospel. Ils fondent le gospel dans le Black Power, c’est d’une puissance inexorable. Rounce nous explique que les Soul Children furent le dernier projet sur lequel ont travaillé Isaac et David Porter. Plus tard, David Porter continuera de bosser avec John Blackfoot Colbert et ses Soul Children. C’est encore un blanc qui crée la surprise avec «I’ve Got To Love Somebody’s Baby». Il s’appelle Peter Gallagher et il est très inspiré. Il fait un heavy job. Steve Cropper gratte sa gratte sur cette mouture. Tiens, encore une blanche, Rachel Sweet, qui fait un joli carton avec «B-A-B-Y». C’est très sucré, très blanchi, on est en droit de préférer la version de Carla. Mais c’est tellement gorgé de sucre que ça devient génial. C’est à ce type de phénomène que tu peux mesurer la portée des compos d’Isaac. On s’amourache aussi très facilement du duo d’enfer Edwin Starr & Blinky. Ils tapent «I’ll Understand» et ils s’entendent bien, car sur la photo du booklet, Edwin lui met la main au panier. Ah qui dira l’extrême beauté de l’Understand ? C’est Motown, nous dit Rounce, qui eut l’idée de pairer Starr & Blinky pour prendre la suite du duo Marvin/Tammi Terrell.

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             Et puis tu as les valeurs sûres, les inextinguibles, les gagnés d’avance, les ‘c’est-du-tout-cuit’, à commencer par les Righteous Brothers avec «Hold On I’m Coming». Ils tapent dans le sanctuaire d’Isaac, avec énormément d’écho, ils rivalisent de ferveur avec Sam & Dave, c’est extrêmement wild. Tu as aussi Aretha avec «You’re Taking Up Another Man’s Place», Ree fond dans la soupe d’Isaac, c’est la cuisine des dieux, elle fait comme d’habitude, elle explose au yeah yeah ahhh. Les ZiZi Top te fracassent littéralement «I Thank You». Billy Gibbons donne au son d’Isaac la bénédiction du Texas raw. Il n’existe rien de plus demented que cette cover - But you did/ But you did - Rounce parle d’un «groovy, downtempy essay», un essay qu’on retrouve sur l’excellent Deguello. Et puis bien sûr, Delaney & Bonnie viennent couronner le gâtö avec «My Baby Specializes». Bonnie reste la plus black des white chicks. La merveilleuse Mable John se trouve un peu avant la fin avec «Your Good Thing Is About To End» qu’elle chante à l’accent tranchant supérieur. On termine cette modeste revue de détail avec les chouchous d’Isaac, Sam & Dave et le hit définitif du Stax System, «Soul Man». Ah comme tous ces gens savaient illuminer la terre, en ce temps-là.

    Signé : Cazengler, Isac à vin 

    Wrap It Up. The Isaac Hayes & David Porter Songbook. Ace Records 2022

     

     

    L’avenir du rock - Coup de Pokey

     

             Chaque année, l’avenir du rock va dîner avec son ami Gé. Ils maintiennent ce rituel depuis plusieurs décennies. Ils réservent toujours la même table chez Bofinger. Gé reste égal à lui-même, avec sa figure joviale, ses cheveux châtain clair bouclés et sa belle moustache de Lord anglais. Malgré le temps qui passe, il ne vieillit pas. Il exerça un temps la prestigieuse fonction de DRH pour le compte d’une multinationale française. L’avenir du rock apprécie sa compagnie, car pour une fois, le rock ne figure pas au menu des conversations.

             — Dis donc, Gé, tu es drôlement bien conservé pour un DRH...

             — Oh la fonction n’était pas très fatigante. Secteur calme et salariés grassement rémunérés. Le rêve ! On se partageait le marché national avec Lafarge. Les commerciaux s’arrangeaient entre eux, comme les familles new-yorkaises de la mafia, si tu vois ce que je veux dire.

             — Tu veux dire que tu n’avais pas à subir les pressions endothermiques de la philologie conjoncturelle ?

             — Exactement ! On faisait de grosses économies sur les budgets publicitaires. Nous n’avions pas besoin non plus d’investir dans une tour à la Défense. Un seul étage suffisait. On y avait installé la com externe. Les services techniques et administratifs se trouvaient à la campagne, au vert, du côté de Mantes. La belle vie, quoi...

             — Oui c’est l’avantage de l’endémisme coercitif, ça donne de l’air aux ontologies tangentielles.  

             — Exactement ! En plus, nous avions le meilleur rendement économique de tout le secteur industriel, car nous ne consommions pas de matières premières, excepté le calcaire, c’est-à-dire peanuts. Une bonne carrière de proximité suffisait. C’est ce qui nous permettait d’investir à l’étranger et de racheter d’autres groupes industriels.

             — La facilité allait pourtant à l’encontre du jansénisme épistémologique qui te caractérise si bien...

             — Mais non, au contraire ! Je vais te donner une image : tu t’assois à une table de poker et à chaque tour, je dis bien à chaque tour, tu sors une quinte flush. C’est de cette facilité dont il s’agit. Tu as toutes les cartes en main. Si ton concurrent sort aussi une quinte flush, alors tu sors une quinte flush royale. C’est aussi simple que ça !

             — Aujourd’hui, ce serait plus compliqué...

             — Pourquoi donc ?

             — À cause de Pokey LaFarge ! Lui, c’est un carré d’as !

     

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             Sorti de nulle part, c’est-à-dire de Saint-Louis, Missouri, Pokey LaFarge exerce sur les gens une étrange fascination. Cet anti-Elvis au physique assez ingrat sort tout droit des gravures de mode américaines des années quarante. Son visage se caractérise par un dessin d’yeux tombant sous les tempes, et une bouche peu avenante que vient tordre une moue décadente. Il porte souvent un petit chapeau d’Américain moyen posé de travers sur le sommet du crâne, une cravate ou un nœud pap, et il gratte bien sûr de grosses grattes datant de Mathusalem. On l’a vu une première fois sur scène en 2015, accompagné d’un solide orchestre de vétérans de toutes les guerres confédérées, mais pour une raison x, ça ne marchait pas. On s’ennuyait rapidement. Il se montrait pourtant vivace, il posait bien sa voix sur des riches fouillis d’orchestration, ça banjotait et ça violonnait sec, mais ce qu’il véhiculait scéniquement nous passait largement au-dessus de la tête, comme d’ailleurs toute cette culture rootsy rootsah à laquelle nous ne comprendrons jamais rien, à moins d’être né à Nashville ou dans le Kentucky.

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             Huit ans plus tard, il fait un retour spectaculaire en Normandie. Il est tout prune, costard et gratte, il a rapetissé d’au moins trente centimètres depuis la dernière fois. Il arrive sur scène, se branche et boom ! Choc visuel immédiat ! Nouvelle approche d’un vieux mythe : celui de la rock’n’roll star. Le petit Pokey a tout pigé, il entre dans le set au raw de «Get It ‘Fore It’s Gone», il danse derrière son micro, il court sur place, il joue des jambes et fout le feu aux imaginaires.

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    Il est petit mais branché sur 100 000 volts, comme dirait Jo l’électricien, wild as fuck, comme dirait un cat Zengler en panne de vocabulaire, en attendant, tu en prends plein des mirettes, même les rockabs présents dans la salle sont sidérés - On voit que c’est des Américains, dit Dédé, c’est tout de suite en place ! - T’auras jamais plus d’en place qu’avec ce coup de Pokey en costard prune. Il fout une pression terrible, avec la classe hallucinante d’un petit homme qui ressemble à s’y méprendre à Buster Keaton.

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    Il chante en chef de meute, il hérite de tout le power du showbiz des Amériques, il devient pour un heure le maître du monde, un real deal à deux pattes. Pendant ce «Get It ‘Fore It’s Gone», on goûte à l’éclat du rock’n’roll, tel que l’ont inventé les pionniers dans les mid-fifties. Plus carré, plus brillant, plus classieux, ça n’existe pas. Il est petit, mais il sonne comme un géant. Il sait qu’il est bon, alors il génuflexe à tire-larigot. Un vrai carré d’as. Voix, compo, présence, tout est parfait.

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    Et attention, il est bien accompagné : Buffalo Bill à la stand-up, un barbu gratte ses poux et joue parfois de la trompette, et deux autres mecs complètent le backing : un jeune keyboardist et un beurreman de jazz robotique. Un seul cut, et tu n’en peux déjà plus, tu suffoques presque d’extase. Il enchaîne avec le «Rotterdam» et le «Fine To Me» de son dernier album et repart en mode killah kill kill avec l’«End Of The Rope» tiré de Rock Bottom Rhapsody. Il tire aussi «Yo Yo» et «Killing Time» de son dernier album, l’excellentissime In The Blossom Of Their Shade. Il n’hésite pas à claquer la valse macabre de «Fallen Angel» et le round midnite de «Lucky Sometimes».

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    Vers la fin du set, il fait monter une ravissante blondinette et en rappel, il envoûte toute la salle avec le closing-cut de Rhapsody, «Goodnight Goodbye (Hope Not Forever)», l’absolue huitième merveille du monde. Quand un mec t’enchante de la sorte pendant une heure, avec un final aussi magique, tu sais que tu viens d’assister au show d’une superstar, mais attention, pas d’une superstar à la mormoille, comme les fabriquent les médias, une authentique superstar, au sens où on l’entend artistiquement.

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             Une chose est certaine : les albums du coup de Pokey accrochent bien. Pokey serait donc plus un artiste de studio qu’une bête de scène. Pour s’en convaincre, il suffit de dénicher River Boat Soul paru en 2009. Au dos de la pochette, on découvre la photo de l’un de ces majestueux bateaux à roues à aubes du Mississippi. Et très vite, ce disque sonne comme la bande-son des aventures d’Huckleberry Finn. «La La Blues», c’est de la pure Americana, admirablement enlevée et tartinée d’harmo, et du meilleur. Quelle énergie et quelle classe ! Pokey ouvre la porte sur tout un monde, celui de l’Amérique d’AVANT cette fucking country music. Avec «Claude Jones», il passe carrément à la pompe manouche. Eh oui, Pokey va loin dans le fouillé des racines. C’est un rootseur de choc, du même calibre que Taj Mahal. Ce petit bonhomme est un touche-à-tout de génie. Sur disque, il est aussi infernal. Il revient au swing manouche avec «Hard Times Gone And Go». Ces mecs pourraient presque sonner comme Tchavolo Schmitt. On va aussi s’effarer de la mise en place de «Two Faced Tom», un cut bardé de coups d’harmo à la Dylan - Oh two faced Tom ! - Pokey traite la chose façon gospel. Il développe une véritable énergie de gospel blanc. Back to the manouche swing avec «You Don’t Want Me», extraordinaire d’agilité et là, Pokey nous ramène à l’embarcadère, c’est-à-dire à la Nouvelle Orleans. Il reste dans cette atmosphère fiévreuse pour «In The Graveyard Now». Un violon suit la cavalcade effrénée - He’s in the jailhouse now - Puis il attaque «Migraines And Heartpains» d’une voix de bas de menton et ça se met à banjoter. Et soudain, il attaque un solo à la Django. Évidemment, ces mecs font ce qu’ils veulent, ils naviguent à un très haut niveau et ils s’amusent tellement qu’ils lâchent une deuxième fournée. Pokey reste dans la pure Américana avec «Old Black Dog» et se révèle une fois encore agile et fiévreux. Il termine ce bel album avec un clin d’œil à Dylan qui avait aussi à ses débuts un petit côté Huckleberry Finn. «Daffodil Blues» est aussi une authentique merveille dylanesque. Pokey renoue avec l’esprit folky des grands horizons et sonne comme une sorte de messie condamné aux ténèbres de l’underground.   

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             Middle Of Everywhere sort en 2011. Voilà encore un album énorme. Si on aime la pure Americana, alors il faut écouter «River Rock Bottom», un slow jive de groove des années trente. Pokey est une sorte de magicien itinérant, en tous les cas, il sait créer les conditions de la magie. Quand on l’écoute, c’est un peu comme si on écoutait chanter son meilleur ami, c’est-à-dire son frère de sang, accompagné par des manouches, au pied des marches de la roulotte. Il est aussi dans le vieux groove des années trente pour «So Long Honeybee Goodbye». Il y passe un solo à la Django. Pokey et son orchestre jouent comme des dieux de fête foraine. Ils se permettent toutes les virtuosités. Ils swinguent leur truc jusqu’à l’oss de l’ass. Avec ce disque, on va de choc en choc, ces mecs sont beaucoup trop doués, comme on peut le constater à l’écoute d’«Ain’t The Same». Ils incarnent l’Americana mieux que personne. Sous son petit chapeau, Pokey chante comme un cake. C’est joué à la guitare claire. Pokey et ses amis sortent une vraie tambouille d’oreille fine grattée au banjo et râpée à l’harmo. On croit rêver. On frise l’overdose avec «Head To Toe», swingué au jump de jug des années trente. Et ça joue comme au temps de Django. Pokey sait aussi chanter le groove de charme. Avec sa voix, il peut vraiment tout se permettre. Il sonne comme un roi de bastringue, une sorte de Valentin le Désossé de bord du fleuve. Wow, quelle voix ! Et surtout quelle classe ! Il démarre «Shenandoah River» au gros strumming de rêve. Ça gratte dans la roulotte et c’est un peu comme si Pokey réinventait tout un tas de mythes, mais avec le swing. On tombe fatalement sous son charme. Pokey Lafarge & the South City Three pourraient bien être les meilleurs swingers d’Amérique. Retour à la Nouvelle Orleans avec «Keep Your Hands Off My Girl». Il sort le meilleur groove de trompettes traînardes qui se puisse imaginer ici bas. Pokey t’estomaque.

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             Il sort Pokey LaFarge en 2013 sur le label de l’autre frimeur installé à Nashville, Jack White. Par miracle, White ne joue pas sur l’album. Ouf ! On l’a échappé belle. Un spectaculaire portrait de Pokey orne la pochette de l’album. On croirait presque voir un portrait de Modigliani, tant l’équilibre des traits et des masses de couleur est parfait. Une véritable perle se niche sur cet album : «Kentucky Mae». Pokey nous chante ça à la gorge chaude. Il connaît toutes les ficelles du kitsch américain. Il tartine ça à la perfe. Il pourrait prétendre au trône de Cosmic American King. Ses disques emportent la bouche aussi sûrement que le piment de Cayenne, celui qu’on achète sur la Place du Coq. Il attaque cet album avec «Central Time», un jumpy jumpah d’Oumpapah. C’est admirable de swing et de légèreté. Il se pose sur la pompe du Wyoming pour soloter et joue des retours charmants et dignes des géants du swing. Nouveau coup de Jarnac avec «The Devil Ain’t Lazy», car on y entend un solo à la Django. En règle générale, ils s’arrangent pour rester dans le bon vieux swing de jug-band des années trente qu’ils dopent à la pompe manouche. Le petit Pokey recasse la baraque avec «Won‘tcha Please Don’t Do It», véritable carcasse de swing du Midwest. Il nous ramène à la Nouvelle Orleans avec «Day After Day», le son est plein, mais on ne retrouve pas le niveau de fouillis des enregistrements de Cosimo Matassa. Il chante ça du gras de la voix et ça joue à la Django, évidemment. Comme Tav Falco, Pokey s’intéresse au mambo. La preuve ? «Close The Door». Il termine ce bel album avec «Home Away From Home», une extraordinaire talking-song chargée de nostalgie - I’m following the ghost of Clifford Hayes/ On down to Carpet Alley where his jug band played - Fantastique. 

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             Sur la pochette de Something In The Water, il est assis à une table. Derrière lui, se tiennent deux femmes : une mégère en bigoudis et une bonniche quasiment à poil sous son tablier. Elle apporte à manger. Deux fabuleux clins d’yeux à Dylan se nichent sur cet album. À commencer par «Cairo Illinois». D’évidence, Pokey pourrait passer pour le nouveau troubadour de la fameuse Cosmic Americana. C’est vrai qu’il est moins beau que Gram Parsons, mais il est terriblement doué. Il sonne comme Dylan en 1965, il a tous les réflexes, comme par exemple la grosse envergure des retours de couplets et les riches coups d’harmo. Même chose pour «Achin’ A Fool», jolie pièce de jump sautillé au beat des Appalaches, et ça joue de la basse acou comme chez Hayseed Dixie. On note une fois de plus le grand retour des énergies fondamentales. Pokey chante du nez comme Dylan, avec la même niaque de verve verte. L’autre gros cut du disque est «When Did You Leave Heaven», un folk-blues chanté avec tout le feeling du monde. Ce mec ne se fout pas de la gueule des gens. Il sort un fabuleux groove de guitare à la ramasse et chante avec tout le luxe des années trente. Pokey LaFarge a choisi la voie de l’inclassabilité des choses. C’est bien. Il a raison. De nos jours, les foules semblent vouloir se tourner vers ce genre d’artiste. Typic atypic Cryptic ? Vous en aurez pour votre argent. Il chante son morceau titre d’une voix de canard particulièrement ingrate. Non seulement ce mec a une gueule d’empeigne, mais il chante en plus avec un côté Mickey Rooney assez éprouvant pour les nerfs. Par contre, «All Night Long» est vraiment digne des bastringues de Kansas City - Kansas City here I come - C’est joué au meilleur swing de jug d’Amérique. Et Pokey sort un final de pur New Orleans ! Il ramène ensuite les castagnettes pour «Goodbye Barcelona». Il se prend une fois encore pour Tav Falco et il a raison, car cette merveilleuse rumba d’alcoolique vaut le détour. Il joue «Far Away» à la finesse extrême et revient au pur New Orleans avec «Knockin’ The Dust Off». Il ramène sa gueule d’empeigne dans le spotlight et swingue comme un démon. 

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             Bon an mal an, Manic Revelations reste un bon album. Pour au moins trois raisons. La première est le cut d’ouverture de bal, «Riot In The Streets», vite embarqué au slap et propulsé par la caisse claire. Pokey tape des entrées de jeu superbes, c’est un artiste qui sait rafler une mise, son cut regorge de vie et de streets tonite. La deuxième raison s’appelle «Bad Dreams». On peut même parler de raison impérative, car quel coup de Jarnac ! Il chante aux dents de lapin, il fait son sucre sur le dos d’une belle mélodie, et ça devient littéralement énorme. Oui, Pokey LaFarge a du génie. La troisième raison d’appelle «Silent Movie», il chante ça d’une voix de rêve, au heavy charm, il groove son balladif et ramène son petit sucre à bon escient. Pokey forever ! Le reste de l’album est un mélange de petite pop transverse («Must Be The Reason» qu’il chante d’une voix de canard, pas de problème Pokey, on adore Donald Duck), de swing («Better Man Than Me»). Il travaille certaines compos aux brisures de rythme («Mother Narure»). C’est passionnant. Il lui arrive même de faire une pop qui ne sert à rien, comme chez Tom Petty, avec un léger accent cajun. Son «Going To The Country» est plus sexy, plus weird, plus inutile, plus connoté, plus nowhere out. De tout façon, on l’admire. Impossible de faire autrement.  

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             Sur la pochette de Rock Bottom Rhapsody, il fait son Tav Falco et costard blanc et danse avec un squelette. Attention, ce Rhapsody est un fuckin’ great album. Pokey est tout de suite on the beat avec «End Of My Rope», l’un des cuts du set sur scène. Et puis il passe au heavy beat merveilleusement plombé avec «Fuck Me Up», pas de problème, il te fuck up vite fait bien fait. Il chante ça à la petite bouillasse de LaFarge. Il fait des mélanges déments, après le fuck up, il tape dans le swing des années antérieures avec «Bluebird», puis il plonge dans le round midnite de voix de canard avec «Lucky Sometimes» - Even bums get lucky sometimes - Pas de doute, Pokey est un artiste complet. Il faut être confronté à son heayy jazz pour bien le comprendre. Il l’ose sur scène. Il dégage un truc sur chaque cut, même ses balladifs de rêve à la Fred Neil t’accrochent, comme ce «Just The Same». Il amène une valse à trois temps avec «Fallen Angel», ça marche à tous les coups. Sa niaque vocale n’en finit plus de te surprendre, il joue bien de sa voix puissante et perçante de petit garçon. Et puis voilà un nouveau coup de génie, «Storm A-Comin’». Il le prend au straight ahead et le monte en neige - There’s a storm a-comin’/ The temperature’s dropping - Ce petit homme est un héros, il est encore plus groovy que Tav Falco. Il propose un mélange intense qui le rend profondément attachant. Quand tu écoutes «Ain’t Coming Home», tu sais que tu écoutes chanter une authentique star américaine. Pokey construit tous ses cuts comme des cathédrales. Il a ce pouvoir. Il adore traînasser dans les grooves de vieilles valses incertaines. Il est éclairé de l’intérieur.

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             Et voilà In The Blossom Of Their Shade, le dernier album en date de Pokey. «Get It ‘Fore It’s Gone» ouvre à la fois le bal et le set sur scène. Fantastique swagger, power et gaz à tous les étages en montant chez Pokey. Il tape un beat de ‘Fore inconnu et puissant, il négocie son virage de génie sur un beat de bois verni, ce mec a trouvé la voie de l’hey hey hey. Le coup de Pokey est à la fois indéfinissable et excitant, à l’image de la pochette, où il danse un pas de deux avec ses faux airs de Buster Keaton. On retrouve plus loin le «Rotterdam» qu’il joue sur scène en mode fast valse. Comme Bowie, Pokey crée son monde. Il prend «Drink Of You» à la fantastique insistance, il te rentre sous la peau, il yodelle et devient indéniable. Avec «Fine To Me», il bascule dans une espèce d’exotica de la playa, il y va franco de port, au big sound. Même s’il groove son Fine To Me, on perd le génie de Get It ‘Fore. Son truc, c’est de mélanger les mélasses, il aime les valses incertaines et les effluves d’exotica rétro. Comme Tav Falco, il flirte avec le tango argentin («To Love Or Be Alone») et sait créer de l’ambiance. C’est un tentateur. L’Americana de wanna go home qu’il distille dans «Long For The Heaven I Seek» te monte droit au cerveau, d’autant plus massivement qu’on y entend le souffle du gospel, aw Lawd take me home ! Et puis voilà la cerise sur le gâtö : «Goodnight Goodbye (Hope Not Forever)», magnifique chanson d’adieu. Il est presque aphone, sur scène comme dans l’album, il n’a plus de voix - You’re the last face I see - Il embobine sa mélodie et nous avec, il chante aux dents de lapin, il t’ensorcelle et t’encorbelle, il t’emmène au somment de l’American songbook et d’une certaine façon, il vise, sans le savoir, l’intemporalité.

    Signé : Cazengler, Pokémon

    Pokey LaFarge. Place Barthélemy. Rouen (76). 30 mai 2015

    Pokey LaFarge. Le 106. Rouen (76). 28 avril 2023

    Pokey LaFarge & The South City Three. River Boat Soul. Free Dirt Records 2009

    Pokey LaFarge & The South City Three. Middle of Everywhere. Free Dirt Records 2011

    Pokey LaFarge. Pokey LaFarge. Third Man Records 2013

    Pokey LaFarge. Something In The Water. Rounder Records 2015

    Pokey Lafarge. Manic Revelations. Rounder Records

    Pokey Lafarge. Rock Bottom Rhapsody. New West Records 2020

    Pokey Lafarge. In The Blossom Of Their Shade. New West Records 2021

     

     

    Inside the goldmine

    - Swamp Rats d’égout

     

             S’il fallait cataloguer Bato, ce ne serait pas facile. D’abord parce qu’il faisait partie des gros clients de l’agence. Il dirigeait une énorme structure de formation et avait par conséquent d’énormes besoins managériaux. Mais il était surtout un homme d’esprit, un amateur de bons vins, de grands auteurs et d’expositions. Un lundi matin, en réunion de travail, il préféra nous parler de James Ensor plutôt que du dossier pour lequel nous étions convoqués. Il ne tarissait plus d’éloges sur cette toile d’Ensor qui s’appelle Vive la Sociale, il nous décrivait de mémoire toutes les trognes qu’y avait barbouillées Ensor, les têtes de mort, les masques figés à la Otto Dix, les pierrots fardés sortis tout droit des Enfants Du Paradis, son discours grondait comme un orage sur l’océan. Il levait les bras au ciel et sortait son mouchoir de temps à autre pour s’éponger le front. Bato était un homme assez haut, très brun, il portait des lunettes à grosses montures d’écaille et avait dans le regard cette malice à la Claude Chabrol. Le moindre rendez-vous de travail était prétexte à aller déjeuner dans les meilleurs restaurants du quartier et partout, il disait à la fin du repas : «Mettez ça sur mon compte !». Il n’accepta de notre part qu’une seule fois une invitation à dîner, parce qu’il s’agissait d’un lieu chargé d’histoire qu’il ne connaissait pas : la maison Fournaise sur l’île des Impressionnistes. Un habile promoteur avait réussi à transformer ce lieu historique en restaurant quatre étoiles. C’est sur là, sur ce balcon, qu’Auguste Renoir peignit Le Déjeuner Des Canotiers. Après un repas bien arrosé, nous allâmes marcher eu bord de Seine et Bato voulut grimper dans une barque, en souvenir de Guy de Maupassant. L’auteur de Boule de Suif venait là dimanche, à la belle saison, pour y culbuter des femmes de joie et pratiquer l’aviron. Nous trouvâmes des canoës un peu plus loin et partîmes au fil de l’eau. Bato pagayait comme un beau diable. Il rigolait et citait Maupassant dans le texte. Le grand air et le vin aidant, il se sentait pousser des ailes. Il se leva et, les bras au ciel, déclama la première phrase de Boule de Suif : «Petite, ronde de partout, grasse à lard, avec des doigts bouffis...» Il perdit l’équilibre, plouf ! Il coula à pic, emporté par le courant. On fit des recherches, mais les plongeurs ne retrouvèrent pas son corps. Nous sommes depuis persuadés qu’il a profité de l’incident pour disparaître.

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              Comme Maupassant avant lui, Bato a sûrement croisé les ragondins, qui sont des cousins éloignés (par la distance) des Swamp Rats. Ah les Swamp Rats de Pittsburg, quelle histoire ! Un seul album, une compile de leurs singles, Disco Still Sucks, mais quelle compile ! On peut même parler d’album légendaire. Et quelle légende ! Hocko et Bato même combat ! Deux candidats à la postérité, mais la postérité underground, la plus intéressante. Ils n’ont pourtant pas grand-chose à nous laisser, le Swamp Rats, juste trois cuts, la version la plus incendiaire de «Louie Louie», un «It’s Not Easy» tout aussi mal barré, et une version de «Psycho» qui fait trembler les murs de la ville, aussi sûrement que celle des Sonics. Bob Hocko attaque son «Louie Louie» avec un woaaahhhh d’antho à Toto - Gotta go now - Ils sont les shouters les plus wild du Wild West, ooooh no ! Une vraie volonté de trasherie, ils désaillent jusqu’à plus soif, aw noooo, Hocko fait son caveman, ses copains grattent leur va-tout et jettent leurs poux dans la balance. Ils finissent par tout foutre en l’air, la balance avec. Woaaahhh ! Ces mecs sont des ultraïstes de la fondamentalité des choses, des tenants de l’aboutissant du cavisme purulent, ils ne grattent pas des poux mais du pus, le pur pus purpirun d’«Hey Freak», le pus du rock humide des caves qui font peur. Ils font un «Hey Joe» bordélique, tellement bordélique qu’il est emmené par son propre poids, éperdu de vitesse et de mauvaise électricité. Ils bouclent l’A avec le wild gaga fin et racé d’«It’s Not Easy», admirablement taillé pour la route, joué sous un certain boisseau du swamp. Les Swamp Rats prennent tous les risques, à vouloir sonner comme des rats.

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             Ils attaquent leur B avec «No Friend Of Mine» qu’Hocko chante à l’éperdue délibérée, ce mec a du génie plein la bouche et une belle langue de fuzz lèche le cul du cut. Quelle version ! Ils rendent hommage aux Kinks avec «Till The End Of The Day» et détrônent les Blues Magoos avec leur cover de «Tobacco Road». Bien joué les gars, les rats bouffent les Magoos tout crus. Belle version délirante avec un gros pont de la rivière Kwai. Ils terminent avec une version complètement électrocutée de «Psycho». C’est encore autre chose que les Sonics, ça grésille à outrance. On n’avait encore jamais entendu un truc pareil, un tel parasitage du son, et tu as de démon d’Hocko qui hurle dans la tempête.

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             Dans les liners qui accompagnent le Disco Still Sucks paru sur Get Hip, Doug Sheppard parle de «snarling with fuzz guitar», de «demolition derby with crashing cars», mais on apprend que c’est Dave Gannon qui chante «Louie Louie», et non Hocko, même si nous dit Sheppard, Hocko est dans le studio au moment de l’enregistrement. Mais c’est bien Hocko qui screame le «Psycho» des Sonics qu’on va d’ailleurs retrouver sur le Back From The Grave Volume 1. Mais Hocko n’aime pas sa version : «It was too much screaming.» Hocko dit aussi que le son des Rats préfigurait de deux ans celui des Stooges et du MC5, eh oui, leurs singles datent de 1966. Seuls les Napoleon Wars qui se déguisaient comme Paul Revere & The Raiders sonnaient comme les Rats. En 1967, les Rats sortent leur troisième single, «No Friend of Mine»/«It’s Not Easy». Shalako : «We played through Super Beatle amplifiers.» Ils sont repris en mains en 1967 par un certain Censi et c’est la fin des haricots, car Censi leur demande de changer de son et d’image. What ?

    Signé : Cazengler, raté (et fier de l’être)

    Swamp Rats. Disco Still Sucks. Get Hip Recordings 2003

     

    *

    Vous avez eu Marlow Rider en clip, vous avez eu Marlow Rider en concert, et maintenant voici Marlow Rider en CD, mais où s’arrêteront-ils ?

    CRYPTOGENESE

    MARLOW RIDER

    ( CD / Bullit 16 / Mai 2023 )

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    ( Tony Marlow & Seb le Bison )

    Ce n’est pas que ce CD bénéficie d’une belle pochette, c’est qu’il est un superbe artefact rock n’roll, dû à Tristam De4 et Seb le Bison. Ah, ces lignes mouvantes jaune girafe et fauve fatidique qui vous stroboscopent le regard, avec au cœur de cette spirale infernale, la trombine de nos trois riders, stylisés par Tristam, statufiés en bustes profilés d’empereurs romains, du grand art !

    Ouvrez le gatefold, belle photo de Tony, ne perdez pas votre temps à l’admirer, vous en oublieriez jusqu’au sens du titre de cet album, modestement tracé au bas de la couve, ce beau portrait cache plus qu’il ne dévoile, faut l’ôter pour lire le texte qui nous explique le sens du titre Cryptogenèse. Tony se livre, à cœur ouvert, à cœur saignant, les années de formation et d’apprentissage, celles qui fondent la construction d’une vie d’homme et de rocker, avis à la population, Tony nous a déjà donné de bons albums mais celui-ci est à écouter comme le plus personnel, retour vers le passé, voyage au cœur de la fusion originelle, sans laquelle rien n’aurait eu lieu, ces moments décisionnels où l’être humain forge avec le marteau de sa volonté sur l’enclume du donné historial l’orichalque de sa destinée… Les lyrics révélés dans le livret ne sont pas des paroles vides de sens, mais pleines de sang.

    Fermez le gatefold, les bustes de nos trois riders ne sont plus que des ombres indistinctes, mouvantes, happées par le tourbillon stroboscopique du cycle de la vie qui recycle et redistribue nos atomes sur la partition du vivant, l’important est d’avoir été, d’avoir laissé une trace existentielle, comme par exemple, à l’intérieur, cette photo du groupe en pleine action, témoignage exclusif d’une existence vouée à la musique.

    Ne nous reste plus qu’à écouter cette galette spiralique, ce pemmicam électrique indispensable à notre survie.

    Tony Marlow : chant, guitare / Amine Leroy : contrebasse, chœurs / Fred Kolinski : batterie, percussions, choeurs

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    Hard drivin’ Rock’n’roll : un rock’n’roll, un simple morceau de rock’n’roll, que voulez-vous de plus ? Rien ! Que voulez-vous de moins ? Rien ! Marlow agite l’étamine pourpre du rock’n’roll d’entrée de jeu, précision historiale c’est Kolinski qui lance la cavalcade,  y va franc du collier,  le Marlou se hâte d’y ajouter le tranchant de sa voix, et c’est parti pour la fracturation de vos oreilles, z’ont le son idoine des pivoines épanouies, tout y est, les tambourinades effrénées, les ruptures rythmiques au millionième de seconde près, les reprises catapultées par la contrebasse survoltée d’Amine qui cogne comme le bélier sur les portes de la forteresse, le solo de guitare qui tue, l’entre-deux basse-batterie, et surtout cette envie d’être ensemble de jouer chacun son rôle selon une sublimation collective, Marlow chante cette vie de galérien du rock’n’roll qui n’abandonnerait pas sa place sur la nef partie à la conquête de la toison d’or. Le rock’n’roll n’est-il pas une musique orphique. Doctor Spike : l’autre face du rock ‘n’ roll, la noire, mais un noir de pures brillances, la musique plus lourde, elle cogne certes, mais qui est le sparring partner, un solo de guitare qui remet les proses pas roses en place, le groupe appuie où ça fait mal. Les beaux sourires avec les canines qui dépassent, ceux qui vous vendent du rêve, un shuffle imparable qui détruit les vitre miroitantes des illusions qui ne sont que des ombres noires. Sunshine of your love : reprise du vieil hymne solaire – missile sol-air – de Cream, que serait le rock’n’roll sans cet art hommagial, risqué et parfois iconoclaste de la reprise, les Riders s’y collent sans peur et sans reproche, gros challenge pour la contrebasse d’Amine qui délivre arcs-boutants et contreforts d’une solidité à toute épreuve, Fred n’a peur de rien, là où Ginger Baker se livre à un festival chipoteur d’un déluge de tapotements, il a choisi de marier tonnerre et résonnance, le Marlou dégaine sa voix et son jeu de guitare s’apparente à un  jeu de sabre, les Riders privilégient l’impact offensif à la subtilité éclatante de Cream. Pari tenu. Libertad : l’opus nous réserve bien des changements, l’on change pour ainsi dire d’hémisphère, du rock classique l’on passe à quelque chose de plus chaud, mais aussi brûlant, à la Santana, à option révolutionnaire, des paroles sans équivoque politique qui n’occultent en rien la dimension instrumentale du morceau, un régal, une fête une libération énergétique, une belle casserolade kolinskile, une bronca échevelée de big mama aminique et la guitare du Marlou qui tire à balles traçantes réelles. Highway chile : s’attaquer à Hendrix, quelle folie, suis allé réécouter Are you experienced, si novateur à l’époque mais qui aujourd’hui révèle l’évidence de son implantation originelle dans la séminalité du blues-rock dont il procède en droite ligne… : du coup la guitare de Marlow paraît sonner plus moderne, un prodigieux guitariste le Marlou, l’a tout assimilé et l’en a fait son miel, vous le recrache à sa manière, l’est méchamment accompagné par ses deux camarades, la voix mixée en avant et la guitare qui crie, une espèce d’exercice de style à la Queneau, mais ici à la manière indubitablement personnelle de Marlow. Javarock : non ce n’est ni la javableue ni la javablues, pas non plus la revendication identitaire nationaliste, simplement pour notre guitariste le désir de s’inscrire dans l’ici et maintenant mondain de son implantation géographique et historiale : Au titre précédent vous aviez  une reprise hendixienne, sur cet instrumental du pur Marlow créatif. Prière toutefois de ne pas faire l’impasse sur les deux autres Riders. Un morceau que je comparerais à ces échelles à saumons que l’on installe sur les barrages, le principe est simple, plus vous progressez plus ça devient dangereux, à chaque étage sa difficulté mais il faut aussi développer une force cinétique ascensionnelle de plus en plus rapide. Quant à Amine et Fred ils sont là pour les transitions, mais ils allongent et rehaussent les oxers, le Marlou n’esquive pas l’obstacle et s’en tire comme un chef. Le grand voyage : c’est celui qui relate l’arrivée du tout jeune Marlou en Corse, c’est aussi la traversée océanique qui sépare le rock américano-saxon du rock français, sur cette seconde partie de la galette Marlow chante en français, une gageure, un moteur d’avion sur laquelle se greffe un shuffle bluesy, non ce n’est pas triste, juste un acte initiatique qui sépare la vie en deux comme une pomme et si maintenant la guitare hennit c’est que la vie vous tend la moitié la plus juteuse. Pielza Eden : déjà plus rock, la batterie mène le bal, chant triomphal, guitare sarabande, joie sauvage, la sève qui monte, Fred est à la fête, le jeune Marlow découvre la joie de vivre, l’est déjà sur la route, pratiquement encore intérieure, mais sa boussole indique la bonne direction. Musique ou rien. De bruit et de fureur : son électrique, le rat des champs idylliques est devenu un cat des villes trépidantes, le décor change, la bande-son aussi, toute l’énergie de la jeunesse, la guitare gronde et la voix se creuse, seventy rock, l’outrance et la violence, la vie est un combat. Eclectic : pas électric si l’on en juge par l’intro très jazzy, la big mama d’Amine flirte avec les cymbales de Fred, l’on vire dans le funk, sur la piste de danse la guitare du Marlou se lance dans un cent mètres nage libre. Des chœurs de poids-lourds vous télescopent. Pas grave, la voix de Marlou mène la danse jusqu’au bout de la nuit. Comme un cran d’arrêt : un vent qui siffle, guitare espagnole, c’est l’heure de l’estocade, mots de haine et de dépits, voix coupante comme un cran d’arrêt, un sacré remue-ménage, chagrin d’amour, poison toujours, batterie maracas, épileptique à tous les coups l’on perd, à tous les coups l’on saigne, grand bazar des illusions perdues, un foutu bordel sonore. Le temps efface les blessures : le slow sixties que l’on espérait sans plus y croire, mi-figue, mi-raisin, chagrin d’amour ne dure qu’un jour, la guitare grince et griffe, pire que la souffrance, pire que la mort, l’indifférence apportée par la neige du temps qui recouvre tout. Désespoir absolu.

    Cette face B est à écouter comme un opéra rock. Elle forme un tout, un peu comme l’envers du décor de la brillance éruptive des six premiers morceaux. Le rock envers et contre tout, le rock jusqu’à l’amertume, que l’on assume, dont on ne regrette rien. L’acceptation de la sagesse n’est-elle pas une autre forme de la folie… Very rock’n’roll.

             Un disque de Tony Marlow. Non, un grand disque.

    Damie Chad.

     

    *

    Dans notre livraison 534 du 16 / 12 / 2021, nous chroniquions les deux premiers opus du groupe polonais Moonstone, respectivement parus en décembre 2019 et décembre 2021, nous n’avons pas été vigilant Moonstone a aussi sorti un album en décembre 2022, nous nous hâtons de le chroniquer, pour ce 17 mai 2023, Moonstone n’annonce-t-il pas la sortie d’un nouvel album.  

    SEASONS

    MOONSTONE

    ( Live EP / 2022 )

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    Depuis la pochette l’œil lunaire ne vous regarde pas. Sans doute a-t-il mieux à faire. D’ailleurs pourquoi s’intéresserait-il à vous, le mériteriez-vous par hasard ? ! L’est sûr que les étranges architecturales façades de falaises qu’il inspecte, à la manière d’un inquisitorial projecteur, sont plus captivantes que votre modeste et inutile personne. L’on ne sait pourquoi mais il est impossible de ne pas penser à L’aiguille Creuse de Maurice Leblanc qui écrivit de si obscurs romans… Ces parois verticales qui plongent leurs soubassements dans la mer offrent sur leurs frontons de bien étranges signes, une espèce d’alphabet cyclopéen indéchiffrable.

    L’artwork est de  Daria Prystupa. J’ai voulu en savoir plus, via son FB je suis arrivé sur son instagram hariyoshi_tattoo, à visiter, une artiste, tout ce qu’elle représente est nimbé d’une aura vénéneuse, des motifs mille fois revisités par des centaines de tatoueurs, auxquels elle donne une autre dimension, une aura qui n’appartient qu’à elle, ces encres sont celles dans lesquelles Baudelaire a trempé sa plume pour écrire Les fleurs du mal. Méfiez-vous de ses serpents, ils vous mordront l’âme et instilleront en vous un venin délicieux. Daria vit en Ukraine à Lviv, nous lui transmettons toute notre sympathie.

    Jan Maniewski : guitar, vocal / Volodymyr Lyashenko : guitar / Viktor Kozak : basse, vocal / Kacper Kubieri : drums.

    Nous invitons le lecteur à se reporter à la chaîne YT de Moonstone. Vous y trouverez plusieurs longues vidéos de différents gigs du groupe. Cet EP est un peu comme une carte d’invitation à vous rendre sur ces diverses expérimentations. Il est constitué de quatre morceaux enregistrés live. Le premier et le troisième sont des titres de leur premier album Moonstone et le deuxième de 1904.

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    Mushroom King : c’est comme les quatre saisons de Vivaldi mais en beaucoup mieux, ça agit immédiatement sans préavis, le tubercule d’un champignon mexicain géant s’installe instantanément dans votre cerveau, l’amanite phalloïde du rêve vous envahit, l’extase oronge vous ronge, la mer verte est ouverte, laissez-vous emporter par la houle des aventures intérieures, un sas de compression et la navigation commence, la lumière des étoiles klaxonne dans la nuit, par intermittence, stridences de guitares et grasses sargasses de basse, la batterie roule et tourneboule, effluves de contrées inconnues se mêlent à vos narines, sortilèges sonores, une large voix méditative vous pousse et vous emporte vers des courants plus violents, jamais vous n’auriez pensé que sur le fleuve de la mort paisible votre barque funéraire glisserait si vite… Spores : delta de basse, le fleuve se sépare mais ses deux bras sont aussi larges et si vous empruntez celui de droite vous naviguez en même temps sur le deuxième, la vie et la  morts ne sont qu’une seule et même chose, chacune se nourrit de l’autre, notes graves et batterie funéraire, qu’importe vous n’êtes que sur le verso de votre existence, un guitare se plante dans votre oreille, elle vous aide à revenir sur le recto de votre présence, la voix énonce la cruelle réalité de la fulgurance vitale, tout est noir, tout est sombre, votre mort s’empare de l’univers, elle noircit des millions de pages, le monde entier s’effondre en vous, rien de plus terrible ne saurait subvenir, point d’orgue, point final, tout peut recommencer, le roi est mort, vive le roi et vive la mort, il est difficile de comprendre le message, de lentes rafales de notes tombent en pluies maintenant diluviennes sur les vitres de votre conscience, la matière germine, les électrons se poussent et s’entrechoquent, c’est la danse, la sarabande des neutralités qui s’éveillent, un raz de marée dévastateur, la nature se mange elle-même, elle cannibalise sa propre substance et vous dévore anthropophagiquement, c’est le grand charivari des mouvements internes qui s’entrechoquent, une longue montée paroxystique et l’on entend des pas de velours d’un cadavre qui se lève et marche doucement dans la nuit de l’aube pour que personne ne le remarque.

    SulphurEye : l’œil de soufre était dans la tombe et vous regardait. L’Inquisiteur, celui qui ne vous a jamais quitté du regard même quand il regardait ailleurs, musique forte, trop forte pour que vous puissiez lui échapper, elle vrille comme des poignards que l’on vous enfonce dans les yeux, il a suivi tous vos actes et pire que cela il était aussi en vous et visionnait le film de vos pensées les plus secrètes que vous dérouliez comme une araignée qui tisserait la toile de son propre piège, rien ne lui a échappé, des barres musicales vous encagent, vous ne sauriez fuir, tout se ligue contre vous, maintenant vous savez que vous êtes vous et que vous êtes aussi l’œil de soufre qui vous épie, jamais vous n’échapperez à vous-même et encore moins au néant de votre inanité. L’univers n’est plus qu’un rideau mortuaire, le linceul dans lequel s’enveloppe le roi que vous avez été. Jamais vous n’échapperez à cet océan musical mugissant qui vous ensevelit. The day after : évidemment il n’est aucune séparation entre ces quatre morceaux, tout se tient le serpent de la mort tient dans sa gueule la queue du serpent de la mort, le jour d’après n’est que le jour précédent, harmoniques orientalisantes de guitares, la batterie bat ses silex rythmiques les uns contre les autres pour que naisse bientôt une étincelle capable de réanimer les cendres froides de votre passé, un long chemin s’ouvre devant vous, triomphal, victorieux, sinuosités méandreuses de la vie, la musique orientalisante, charme de serpent, vipère lubrique, elle se dresse sur elle-même, elle danse, elle se tord sur elle-même, elle a des torsions et des grâces de bayadères, accalmie, repos, reprendre son souffle, reptile se couche sur la terre, il s’épuise en courbes flasques, il se défait, il n’est plus rien, il s’identifie à la poussière du chemin, il raffermit ses atomes, il croule sous sa propre inertie, il ressemble à n’importe quoi et à n’importe qui, vous pouvez lui marcher dessus, vous ne vous en apercevrez même pas, et lui se taira, n’est-il pas comme vous, n’êtes-vous pas comme lui, ne formez-vous pas qu’un seul être indistinct, la guitare tirebouchonne, la batterie fait du bruit pour remplir l’indifférenciation des espaces indistincts, des bruits divers s’éparpillent, les cymbales frétillent doucement à la manière des queues de crotale, le serpent n’a-t-il pas mangé la fleur de l’immortalité au guerrier qui dort sans méfiance, Gilgamesh vit et vivra encore, mais le matin qui assistera à son réveil, sera comme la nuit de sa mort.

             Seulement quatre morceaux sur cet opus, mais si vous avez envie de poursuivre ce voyage sans fin, filez sur la chaîne YT de Moonstone, vous y trouverez beauté à volonté et poison à foison. Vous aurez toujours faim de cette histoire sans fin.

    Damie Chad.

     

    *

    Les Oiseaux de Nazca nichent à Nantes, ville dont nous saluons les luttes anti-gouvernementales et les explosives manifestations, se définissent comme un groupe de stoner rock. Refuseraient-ils de le revendiquer que leur nom les trahirait. Pas besoin d’avoir un diplôme d’ornithologue en poche pour reconnaître un oiseau de Nazca. Tout le monde en a vu. Leurs photographies s’affichent jusque dans les livres scolaires. Si vous désirez les admirer en vrai, achetez-vous un avion. Puis survolez le désert de Nazca, tout en bas du Pérou, un désert coincé entre l’océan Pacifique et la Cordillère des Andes. Ce sont des dessins qui peuvent atteindre des kilomètres de long, la plupart du temps d’une envergure de plusieurs dizaines de mètres, figures géométriques, humaines ou animales. Notamment des oiseaux du colibri au condor. Sont-ce des représentations de dieux ? Ou de grands dessins-offrandes aux Dieux ? Ils ont été tracés en ôtant les pierres de surface ferrugineuses et donc rouges pour laisser apparaître une couche de cailloux grisâtres. Apparue en – 500 et disparue vers + 200 la civilisation Nazca n’en continue pas moins de survivre dans l’imaginal de notre modernité.

    BIRDS OF NAZCA

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    Nos oiseaux ne sont que deux, Guillaume est à la guitare et Romuald à la batterie. Le lecteur ne s’étonnera pas de l’esthétique des pochettes. La civilisation Nazca reste mystérieuse, est-ce pour cela, pour ne pas donner l’impression de divulguer des secrets tus depuis deux millénaires que leurs morceaux ne comportent aucune parole…

    BIRDS OF NAZCA

    ( CD / Bandcamp / 31-08-2020 )

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    A fly in the helmet : batterie enjouée et guitare joyeuse, première surprise c’est la batterie qui fait son nid en premier dans votre oreille, la guitare donnant l’impression de voleter pour venir nourrir l’oisillon, déjà un beau jouvenceau heureux de voir sa mère battre des ailes pour se maintenir à sa hauteur, arrêt brutal, l’on attendait la mouche elle survient, un lointain froissement pratiquement inaudible, coups de tambours pour son arrivée, rien de grandiose, rien de dramatique jusqu’à ce  que la guitare déboule, entre nous soit dit elle sonne comme une basse, c’est parti pour quelque chose de plus riffique, s’enchaînent des séquences relativement courtes, ici la batterie fait miroiter ses plumes aux éclats de cymbale, la guitare s’inclinant régulièrement pour picorer des graines, attention nous entrons dans une deuxième coupure pour un moment d’attente, une espèce de noise mélodique chacun des deux instruments paradant comme pour une approche nuptiale, l’on se dirige vers une montée progressive du plaisir… sans explosion finale. Pas le temps de calculer l’on est déjà sans craquèlement dans Cracula : formation d’un riff, en voiture, pour deux minutes de vélocité, non, l’on freine doucement comme si un danger se profilait à l’horizon, la batterie tapote l’alerte et l’on repart, rien de plus roboratif qu’une fausse alerte. Cactus : ambiance plus sombre, n’a-t-on pas entendu comme un souffle de vent du désert, la batterie nous fait le coup de la grande menace qui s’approche à pas pesants, la guitare vous a de ces balancements d’ostensoirs rafraîchissants, mais l’on repart en mineur vers quelque chose de moins sombre, de davantage gris, la batterie écrase les épines du cactus une par une, la lymphe végétale gicle comme un cri de souffrance, surgit lentement la sourde énergie de la nature que rien ne saurait arrêter. Almucantar : procédé mathématique qui consiste à établir un cercle parallèle à l’horizon, un comme si l’on débitait une tranche de la sphère céleste, nos oiseaux veulent-ils mettre en relation cette opération géométrique dans l’espace intérieur avec le résultat de ces dessins gigantesques obtenus on ne sait pas trop comment par le peuple Nazca, en tout cas ils y vont mollo, pas cahin-caha mais presque, coup d’accélérateur aux trois-quarts du morceau mais tout se stabilise très vite, comme si l’on était content du résultat obtenu. Satisfaction spirituelle après l’effort mental.

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    Kanagawa : le titre est sorti en avant-première au mois de septembre 2021 avec pour couverture une représentation de la célèbre estampe La Vague d’Hokusai, dans le lointain en tout petit le connaisseur ne manquera pas de désigner le Mont Fuji, quel rapport avec le Nazca, le Mont Fuji que l’on présente comme la plus haute montagne japonaise, est aussi un volcan… voir titre suivant : le vent souffle, celui de la mer, ou du désert ? Pour la première fois le son prend de l’ampleur, une bourrasque lente, toutefois cette particularité est commune à tous les morceaux, il est impossible de parler de fuzz, nous le répétons l’impression d’une basse dont le volume sonore squatterait les amplis, entre nous rien n’évoque la houle destructrice d’Okusai, à la batterie Romuald en profite pour accentuer sa présence, tout se calme, clapotis de cymbales, profondeur guitarique, Romuald marque la cadence, quelques longueurs structurelles dans ce morceau. Volcano : étions-nous sur une fausse piste, nous rêvions d’éruptions fracassantes mais le Volcano Hummingbird n’est qu’n modeste colibri : pour une fois la batterie se fait pesante, la guitare se contente d’agiter ses ailes d’oiseau-mouche tel un bourdonnement incessant, bien sûr le passage de respiration habituel mais l’on repart aussi vite et aussi tumultueusement, le son s’intensifie et s’éloigne comme une escadrille de gros porteurs. Symposium : une voix, un chant sacré qui réveille la puissance tutélaire et menaçante de l’élément terrestre, grondement insatiable venu d’on ne sait où, qui ne saurait s’arrêter mais dont la batterie ordonne la cadence, tout se calme, ne reste plus que la voix de la prière aux oiseaux.  Vulture gryfus : cette nomenclature latine fait un peu peur, sa traduction en Condor des Andes est promesse de grandeur et de sérénité, le tire tient ses promesse, son amplifié et énergie sous-jacente, c’est la première fois que l’on a envie d’employer le mot riff même si l’on est plus près d’envolées successives, sans doute a-t-on atteint l’altitude supérieure, celle à laquelle on ne vole plus, celle où l’on plane, en se laissant porter par des courants invisibles, ce qui n’empêche pas que l’on monte encore, que l’on prend son essor vers le domaine des Dieux, rieurs et tapageurs, l’on croit être arrivés au summum, mais non, il y a comme une aspiration vers les demeures brûlantes du soleil. Arrêt brutal, s’est-on brûlé les ailes, entamons-nous une chute fulgurante ?

             L’opus est à l’image du vautour de la couve qui vaut le détour. Stoner, doom, tout ce que vous voulez mais avec le refus de l’emphase, de l’esbrouffe, et du kaos, ligne claire serait-on tenté de dire un peu à l’image des grands oiseaux dont les traits se distinguent sur le sol sombre de Nazca.

    HELIOLITE

    ( CD disponible en juin / Bandcamp / Mai 2023 )

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    Heliotite, la pierre du soleil, n’oublions pas la terre de feu, une continuité certaine avec l’opus précédent. Nous quittons un peu la civilisation Nasca, l’Amérique du Sud c’est aussi les Mayas, les Aztèques les Incas, sans oublier les Toltèques, nos deux nantais nous permettent ainsi de voyager dans plusieurs imaginaires mythologiques. Chaque morceau est agrémenté d’une image symbolique représentative.  

    Intro : trente secondes d’un son venu d’ailleurs pour vous abstraire de votre quotidien, pour vous mener à une autre représentation du monde, plus vieille, antique, immémoriale…

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    Inti raymi : (fête du soleil, voir notre Sol Invictus romain ou plus près de nous la Danse du soleil des Sioux) : entrée martelée, mettent le son, ne sont pas sur le onze, mais sur le dix, une espèce de rituel sonore, n’oublions pas les sacrifices humains, les cœurs arrachés, les pyramides dégoulinantes de sang. Ne parlez pas de cruauté ou de civilisations barbares, pensez à la notion d’offrande, à la grandeur démesurée des Dieux face à la petitesse animalculéenne de l’être humain qui n’a rien d’autre à offrir que lui-même. Une musique sans pitié qui va droit devant. La mort ou le soleil, c’est pareil.

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    Spheniscus : non ce n’est pas le phénix mais le Manchot de Magellan ou de Humbolt, au bout de la terre de feu, quel rapport avec les divinités antiques d’Amérique du Sud, je n’en sais rien, ces oiseaux peut-être mentionnés par Nazca pour symboliser ces peuples qui ont disparu sans laisser de trace comme les Yaghans , pêcheurs-cueilleurs dont on ne sait à peu près rien, sur lesquels le rouleau compresseur des invasions historiales est passé définitivement… : face à toutes mes incertitudes la musique se fait entendre, provocante presque, la guitare klaxonne, la batterie étourdit, on pourrait nommer ce traitement musical l’avancée de l’inéluctable, le j’y suis j’y reste de la présence de ce qui a été, de ce qui est toujours là, disparue mais ineffaçable, je marche à pas lourds sur la terre que j’ai désertée, mais que je la hante de la tonitruance de mes fantômes. Ce qui est mort est irrémédiablement immortel.

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    Gucumatz : de l’eau qui coule aux reflets miroitants, tintements brillants, n’y mettez pas la main, Gucumatz est la vipère au corps de plumes qui nage dans les profondeurs aquatiques, le son devient plus dur, plus éclatant, normal cette couleuvre n’est qu’un des noms du plus grand des Dieux, tout s’accélère et se surmultiplie en chatoyances multiples, cymbales triomphantes, vous la connaissez mieux sous le nom assourdissant de Quetzacoalt le serpent à plumes qui vole dans les airs et dans les imaginations, un trait de feu qui pourfend l’ait à la vitesse d’un avion à réaction, si maintenant nous n’entendons plus que quelques notes qui clochardisent et le vent qui souffle, c’est que le Dieu est insaisissable, le voici grincement fracturé d’une forte respiration battériale et la tête du serpent volant se déploie majestueusement, ses yeux sont soleils irradiants, il roule sur le monde à la manière des amas de cailloux qui dévalent les cordillères et écrasent toute présence humaine au fond des vallées, sont-ce des cris, des pleurs, mais l’avalanche recouvre le monde entier et n’en finit pas se glisser à la surface du globe, et puis subitement plus rien, juste un courant d’air d’onde musicale. Les Dieux passent comme les hommes. Mais pas de la même manière.

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             L’on prétend que les dessins du désert de Nazca étaient si grands pour que du haut du ciel les Dieux puissent les voir, c’est-là le sujet de l’opus précédent de Birds of Nazca. Cette Heliolite nous transporte du côté des Dieux, cette deuxième œuvre essaie de traduire le regard de ces Dieux qui ne voient que leurs images. Ne vous étonnez pas si cette musique est refermée sur elle-même, elle se suffit à elle-même, beaucoup plus forte, moins partagée, moins hésitante, moins pérorante, moins diserte, un bloc noir, une borne qui sépare l’infini diversité humaine de l’absolu inatteignable.

             Vous avez sur YT pas mal de concerts ou d’enregistrements live de Birds of Nazca. Regardez-les, écoutez-les, demandez-vous quelle sera leur prochaine étape. Une démarche très originale.

    Damie Chad.  

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 27 ( Apéritif  ) :

    143

    Le Chef ouvrit sans faire de bruit le tiroir de son bureau, il me fit signe de regarder, Molossito éprouvé par la journée de la veille s’était endormi sur un lit de Coronados, avec une douceur infinie et l’extraordinaire dextérité d’un joueur international de mikado le Chef parvint à extirper de dessous la pauvre bête exténuée le cigare dont il avait besoin, un Expeditivo N° 7, qu’il alluma avec soin :

    _Voyez-vous agent Chad, le monde se porterait mieux si nos dirigeants prenaient de temps en temps le temps non pas de jouer du tam-tam mais de méditer sur la brièveté de la vie en savourant un Coronado. Prenons un exemple particulier, vous-même agent Chad, certes vous n’êtes pas un grand de ce monde, au lieu de dézinguer cette cinquantaine de farfelus qui venaient enterrer un des leurs, si vous aviez simplement eu l’idée d’une halte méditative et coronadienne, ces pauvres fous seraient encore vivants, n’empêche que pour ces zozos venir dans un cimetière de bon matin relevait de la plus haute incongruité  matitunale, puisque tout le monde sait que La Mort nous y attend depuis le premier jour de notre naissance. Ces fous furieux n’avaient certainement pas lu – j’en jetterai un Coronado au feu – les œuvres complètes de Marguerite Marie Louise Gabrielle Ménardeau, sans quoi ils auraient manifesté une plus grande prudence.

    Nous devisions sereinement depuis quelques minutes sur les livres de Gabrielle Witkop lorsque le museau de Molossa effleura mon mollet gauche. Je levais la main. Nous nous tûmes. Aucun bruit. Nous restâmes longuement aux aguets. Le Chef s’abstint même de tirer sur son Coronado. Avec d’infinies précaution je me levai de ma chaise et à pas de loup je m’en fus coller mon oreille (la droite) sur la porte, rien pas un bruit ne me parvint de la cage d’escalier.

             _ Hum, hum ! Agent Chad, je crois que nous avons une visiteuse, il est midi passé, peut-être pourrions-nous l’inviter au restaurant !

    144

    La Mort ne fit pas de chichi pour accepter, en une seconde elle se matérialisa et nous adressa son plus beau sourire :

              _ Je dois reconnaître que vous êtes de parfaits gentlemen, je vous fais confiance pour le choix du trois étoiles, comment avez-vous deviné que je mourrai littéralement de faim !

              _ Quel humour Madame !

              _ Oui j’adore l’humour noir !

    145

    Notre entrée fut remarquée, à l’accueil Germaine – mais non chers lecteurs toutes les filles ne s’appellent pas Alice - ouvrit de gros yeux, en trente ans de maison n’avait jamais vu de telles dégaines, les deux chiens, Molossito ragaillardi par son somme coronadien commençant à zigzaguer en aboyant très fort entre les tables, nos deux perfectos râpés, l’épaisse panache de fumée noire échappée du Coronado du Chef,  l’étrange allure de cette vieille femme drapée dans une immense cape noire, ses mèches de cheveux blancs dépassant de son capuchon noir, ses yeux de braise et son visage blanc au sourire sardonique, les accoutrements de cette équipe improbable avaient dû lui déplaire. Elle alerta d’un prompt coup de phone le patron qui au vu de la carte officielle que lui tendit le Chef, s’exécuta illico en obséquieuses courbettes. En quelques instants nous fûmes conduits dans un salon privé, des garçons stylés qui furent très étonnés lorsque la dame âgée rejetant le parchemin à menus qu’on lui tendait décréta d’un ton mourant qu’elle se contenterait d’une épaisse tranche de mortadelle accompagnée d’une Mort Subite.

    146

    Notre vieille amie avait un sacré coup de fourchette mais il était manifeste qu’elle se dépêchait de terminer son repas poussée avant tout par une impérieuse envie de parler. Elle eut le tact d’attendre que nous ayons fini notre dessert avant de prendre la parole :

    • Bon passons aux choses sérieuses !
    • Entièrement d’accord avec vous chère Madame, j’allume tout de suite un Coronado, vous conviendrez avec moi, j’en suis certain, qu’il n’y a rien de plus sérieux au monde que l’art du Coronado, je suis d’ailleurs très étonné que ce peuple si subtil que sont les japonais n’aient pas pensé à trouver un de ces vocables dont ils ont le secret pour qualifier les arts ! Un manque civilisationnel d’autant plus regrettable que…
    • Vos chinoiseries m’insupportent, tenez-le-vous pour dit, je suis venu ici pour passer un marché avec vous !
    • Madame nous attendons vos propositions, sachez que nous les examinerons ave le plus grand soin et…
    • J’irai droit au but. D’abord je regrette que vous n’ayez apporté qu’une attention discrète à mes propos du matin, vous avez la comprenette attaquée par la fumée des infâmes cigares dont vous faites une compréhension, cela ne m’étonne pas puisque vous êtes un rocker !

    Les yeux du Chef étincelèrent, derechef il alluma un nouveau Coronado :

              _ Madame, vous sous-estimez ces doux êtres paisibles que sont les rockers, pourquoi croyez-vous que je vous ai invitée au restaurant, vos paroles m’ont paru assez claire, contrairement à l’agent Chad qui n’a rien compris, j’ai deviné ce que vous nous suggériez, j’ai établi le rapport entre cette intuition inexplicable entre la mort du rock’n’roll et la nécessité sans cause qui a entraîné le SSR au début de cette aventure dans les allées du Père Lachaise.

    Ce fut comme une lueur irradiante qui envahit mon esprit, en une seconde je compris tout, avec quelques heures de retard sur le Chef certes, toutefois je doute qu’au moment précis de ce récit l’intelligence de nos lecteurs ait reçu l’illumination nécessaire à l’élucidation de cette aventure.

    147

    Je ne pus m’empêcher de prendre la parole :

              _ C’est pourtant simple Madame, c’est vous qui avez décidé de tuer le rock ‘n’roll ! Vos manigances sont cousues d’un fil aussi blanc que celui dont on coud les suaires.

             _ Bien sûr c’est moi, mais vous ne savez pas pourquoi !

             _ Sans nul doute parce que vous détestez ce genre de musique !

             _ Depuis le temps que j’existe, cher jeune homme, l’engeance humaine a inventé tant de genres musicaux que je n’y fais plus attention, tous se valent à mes oreilles… En fait ce n’est pas le rock qui me gêne, ce sont les rockers !

              _ Parce qu’ils écoutent du rock ?

              _ Pas tout à fait, l’affaire est beaucoup plus complexe, c’est quand ils ne peuvent pas en écouter que cela devient dérangeant, mais laissons-cela, je suis venue pour vous proposer un contrat, j’ai préparé le document, il ne me reste plus qu’à recueillir votre assentiment. Tenez, lisez, signez !

    A Suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 595: KR'TNT 595 : TELEVISION / HORRORS / GEORGE HARRISON / INSPECTOR CLUZO / BARRETT STRONG / MARIE DESJARDINS / ROCKABILLY GENERATION NEWS /ASHEN / CÖRRUPT / JHUFUS / ROCKAMBOLESQUES

     KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 595

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    06 / 04 / 2023

     

    TELEVISION / HORRORS

    GEORGE HARRISON / INSPECTOR CLUZO

    BARRETT STRONG / MARIE DESJARDINS

    ROCKABILLY GENERATION NEWS ( 25 )

      ASHEN / CÖRRUPT / JHUFUS

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 595

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Television Personality - Part One

     

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             De tous les punks qui sont arrivés en France en 1977, ceux qui foutaient le plus la trouille étaient certainement les quatre zombies de Television. On tremblait devant la vitrine où se trouvait exposée la pochette macabre de Marquee Moon, suspendue par deux pinces à linge. Les médias de l’époque n’en finissaient plus de décrire l’état de dégénérescence dans lequel la société new-yorkaise avait sombré, mais c’est en voyant la pochette de Marquee Moon qu’on réalisait à quel point c’était grave. On scrutait les peaux grises de ces quatre pauvres hères, leurs mains pleines de veines et leurs regards fixés sur le néant. On connaissait leur premier single Ork, le faramineux «Little Johnny Jewel» chanté d’une voix incroyablement maniérée, et bien sûr, c’est en B-side que le destin du groupe se jouait, grâce à ce solo interminablement délictueux. Mais en dépit de ce signe avant-coureur, rien ne pouvait nous préparer à la séance d’électrochocs que nous réservait Marquee Moon. L’âme de ce quatuor de zombies portait le doux nom de Tom Verlaine. Il partageait les prérogatives guitaristiques de Television avec un certain Richard Lloyd.

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             On se doutait bien que Tom Verlaine n’était pas en bonne santé et qu’il finirait, comme tout le monde, par casser sa pipe en bois, aussi l’heure est-elle venue de lui rendre hommage. L’idéal pour mieux connaître ce singulier personnage est de plonger dans les mémoires de Richard Lloyd qui eut le privilège de le côtoyer pendant de longues années, sans pourtant être son ami et confident. Dans Everything Is Combustible, Lloyd n’en finit plus de rappeler que Verlaine mettait un point d’honneur à garder ses distances. L’ouvrage est passionnant car il permet de pénétrer au cœur du mythe de Television qui fut, au temps de Marquee Moon, un groupe relativement révolutionnaire.

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             Lloyd vit à New York lorsqu’il rencontre pour la première fois Verlaine qui ne s’appelle pas encore Verlaine. Ça se passe au Reno Sweeney’s, un club du Village, on the South side of 13th Street - this house of weirdos - Terry Ork qui héberge Lloyd l’emmène voir jouer un inconnu. Richard Hell est aussi présent ce soir-là, il connaît Verlaine. Ils viennent tous les deux du Delaware. Quand Verlaine arrive dans le bar en trimballant son ampli et sa guitare, Hell lui file un coup de main pour s’installer. Puis Hell arrange son look : il agrandit les trous de son T-Shirt. Verlaine se retrouve avec une épaule et un téton à l’air. C’est le début du look. Verlaine joue trois cuts seul sur scène en s’accompagnant à la guitare électrique. L’une d’elles est «Venus De Milo». Lloyd le trouve intéressant. Il trouve que Verlaine has «it». Les lyrics sont à double, voire à triple sens, et les mains de Verlaine sont trop larges pour le manche. Alors il joue comme Jimi Hendrix, en partie avec le pouce - The thumb way over on the fretboard - Lloyd flashe sur Verlaine. Et comme l’Ork veut rééditer l’exploit d’Andy Warhol avec le Velvet, c’est-à-dire mentorer un groupe à dimension historique, Llyod lui indique, aussitôt après le set de Verlaine, qu’il vient de lui trouver son Velvet. What ? L’Ork ne pige pas. Alors Lloyd explique à l’Ork que «Verlaine a quelque chose de spécial, mais il lui manque quelque chose, et ce quelque chose, c’est lui, Lloyd.» Puis il renverse le raisonnement en expliquant à l’Ork qu’il est lui-même «quelqu’un de spécial mais qu’il lui manque quelque chose, et ce quelque chose, c’est Verlaine.» En conclusion, si l’Ork réussit à les réunir tous les deux, il aura son Velvet.

             L’Ork les réunit et Television commence à bosser dur. Six heures par jour. Verlaine chante quatre cuts, Richard Hell quatre aussi, et Lloyd deux. Llyod dit aussi qu’Hell ne bosse pas du tout sa basse chez lui, il n’en joue qu’aux répètes. Il y déjà une petite rivalité entre Verlaine et Lloyd, chacun voulant jouer les solos. Il se mettent d’accord sur un 50/50, qui va ensuite devenir un 60/40, mais bon, Lloyd n’est pas un chipoteur. Verlaine montre les basslines à Hell, mais comme il ne bosse pas chez lui, ça reste compliqué. Hell ne vit que pour la scène. Lloyd aime bien son style - wacky and loopy - un style qui lui rappelle celui de McCartney, surtout quand il est stoned - Richard amenait un rogut whiskey called Wilson’s qu’on partageait ensemble - Tout le monde s’amuse bien dans Television, sauf Verlaine qui se plaint du poids de sa responsabilité en tant que directeur musical. Pour leur premier concert, début mars 1974, ils louent une salle, the Townhouse Theater. Ils invitent la crème de la crème : Nicholas Ray bourré - You guys are four cats with a passion - Lenny Kaye et d’autres luminaries. Ils ont acheté des bières pour se faire un peu de blé, mais comme ils n’ont pas réussi à tout vendre, ils sifflent le reste du stock à trois, Hell, Lloyd et l’Ork. Bien sûr, Verlaine ne boit pas. Lloyd n’a jamais vu Verlaine fumer d’herbe ni picoler - Je l’ai seulement vu boire un verre ou deux dans toute l’année - Verlaine avait essayé les drogues psychédéliques, mais ça ne lui avait pas plu. Au CBGB, on les prend pour des junkies ! Hell en est un, c’est sûr, mais Lloyd ne l’est pas encore. Et Verlaine jamais de la vie.

             Avant de monter sur scène, Verlaine se mouche. Puis il demande à Lloyd de vérifier qu’il ne reste pas une crotte de nez dans sa narine. C’est sa hantise - He was neurotic about it - Lloyd finit par l’envoyer promener. Verlaine demande ensuite à Hell qui l’envoie aussi promener. Sur scène, Verlaine ordonne à Hell d’arrêter de sauter partout. C’est le commencement de la fin. Après les concerts, Verlaine ne traîne pas avec ses collègues. Lloyd dit être allé en tout et pour tout quatre fois chez Verlaine et Verlaine n’est jamais venu chez lui. 

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             C’est l’Ork qui négocie un set au CBGB avec Hilly Krystal. Premier concert fin mars 1974. L’Ork demande à jouer le dimanche, jour de fermeture, et promet que si la recette n’est pas bonne, il complétera de sa poche. Banco, dit Hilly. Et voilà, c’est ainsi que se font les choses. Il suffit d’avoir l’idée et d’engager les gens. Lloyd rappelle qu’avant Television, deux groupes jouaient au CBGB : les Leather Secret, un groupe SM en cuir noir, et les Stilettos, avec Debbie Harry et Fred Smith qui deviendra un peu plus tard le bassman de Television.

             Au départ, Lloyd joue au milieu de la scène. Puis un jour, Verlaine demande à jouer au milieu de la scène et à chanter toutes les chansons. Lloyd n’aime pas trop le procédé, mais il ira jouer à gauche jusqu’à, dit-il, «la fin de ma carrière dans le groupe». Hell sent qu’il est devenu indésirable et se barre - C’est exactement ce que Tom voulait - Lloyd envisage aussi de se barrer car il considérait Hell comme l’un des moteurs de Television - He had the crazy movie star look and the action to go with - En plus, c’est Hell qui a proposé le nom du groupe.

             C’est avec l’Ork et l’Hell que Lloyd passe à l’héro. L’Ork les emmène chez ses contacts and the three of us would get stoned.

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             L’un des premiers à s’intéresser de près à Television c’est David Bowie. Il propose de produire le groupe - Of course Tom said no - alors Bowie ira produire Iggy avec le succès que l’on sait. De manière générale, Verlaine dit toujours non. Hall And Oates les envoient rencontrer le manager Tommy Mottola. Verlaine se chamaille avec Mottola sur une question de pourcentages. Quand ils sortent du bureau de Mottola, Lloyd demande à Verlaine pourquoi il l’a envoyé promener et Verlaine lui dit qu’il n’a pas envie de finir sur scène à Vegas. Quand McLaren est à New York, il louche sur Richard Hell et sur son look. Il propose à Verlaine de manager Television et Verlaine lui répond : «No way». C’est juste avant la formation des Pistols. Lloyd pense qu’avec McLaren, ils seraient devenus millionnaires, but Tom said no. Donc, pas de manager. Patti Smith tombe amoureuse de Verlaine, mais Verlaine ne tombe pas amoureux d’elle. La relation ne fait pas long feu. Verlaine est antisocial, nous dit Lloyd. Il raconte aussi que Verlaine voyageait sans bagages, juste un sac en plastique - Tout ce que faisait Tom, c’était fumer des clopes, boire du café et ressembler à un clochard. He was an absolute embarrassment to be around, but I had no choice - Autre caractéristique de cet incroyable personnage : il cultivait un mépris souverain pour tout ce qui n’était pas lui, et il croyait que les gens passaient leur temps à le copier, notamment, nous dit Lloyd, David Byrne et Lloyd Cole.

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             C’est Verlaine qui insiste pour que «Little Johnny Jewel» soit le premier single de Television. Lloyd dit jouer très peu là-dessus. Verlaine et Lloyd s’engueulent et Lloyd quitte le groupe. Il va être remplacé par Peter Laughner, l’excellent guitariste de Rocket From The Tombs. Un jour, Laughner arrive chez Verlaine et fait le con avec un flingue chargé. Il fout la trouille à tout le monde. Verlaine is freaked out. Fin de l’épisode Laughner qui de toute façon va casser sa pipe en bois aussitôt après, grâce à une bonne petite cirrhose. Alors Llyod réintègre le groupe, sans plus de formalités.

             En ce qui concerne le CBGB, Lloyd remet les choses au clair : c’est lui et l’Ork qui ont programmé les groupes pendant trois ans au CBGB. Quand l’Ork ne sait pas ce que vaut un groupe inconnu, Lloyd le sait - Terry Ork et moi furent plus responsables du succès du CBGB que ne le furent Tom Verlaine, Richard Hell ou encore Television.

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             Lorsque Television va jouer à Cleveland, ils assistent au sound check des Rocket From The Tombs. Cheetah Chrome qui est sous acide se bat avec Crocus Behemot, a rather large fellow. Quand il les voit jouer, Lloyd les trouve heavy and poweful. Il rêve de se joindre à eux. Il ne le fera que 25 ans plus tard, lorsqu’il deviendra membre du groupe. L’ironie de l’histoire, c’est que Peter Laughner voulait prendre la place de Llyod dans Television, mais c’est Llyod qui prendra la sienne dans Rocket From The Tombs (il joue sur Barfly). Quand il les voit sur scène à Cleveland, Lloyd dit que c’est l’un de leurs derniers shows. En splittant, le groupe donne naissance à Pere Ubu d’un côté, et aux Dead Boys de l’autre.

             Le premier à approcher Television pour un contrat, c’est Seymour Stein, le boss de Sire. Mais son offre est pauvre. Il propose un budget d’enregistrement de 6 500 $ et 1 000 $ d’avance. Il ne prend pas de risques, nous dit Llyod, car il reçoit 2 500 $ d’un label anglais quand il signe un nouveau groupe. C’est comme ça qu’il a eu Talking Heads, les Ramones et les Dead Boys. Il veut aussi Television, mais Verlaine ne veut pas lui adresser la parole. Il dit à Lloyd de se débrouiller avec lui. De toute façon, c’est non. Alors Stein leur prédit qu’ils finiront comme le Grateful Dead : «Rabid audience but very little radio play.» Ce qu’on appelle ici un succès d’estime.

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             Bon, ils finissent par signer avec Elektra. Verlaine veut signer seul, c’est-à-dire en son nom pour le groupe, mais le label dit non. Il doit signer avec Lloyd, Fred Smith et Billy Ficca - On pensait tous qu’on formait un groupe, sauf Tom qui envisageait de prendre le contrôle, petit à petit - Quand ils enregistrent Marquee Moon, ça fait déjà trois ans qu’ils jouent ensemble. Après avoir commencé à bosser avec Brian Eno et Allen Lanier, ils optent pour Andy Johns, le petit frère de Glyn Johns. Andy commence par mettre au point le son de la batterie. Elle sonne comme celle de Led Zep et Verlaine flippe : «Oh no no no, we don’t want big drums. We want small drums without all the effects on.» Andy est vexé car il dit que ce son de batterie est «sa signature». Il menace de rentrer en Angleterre. Il demande aux Television pourquoi ils veulent un son tout pourri. «C’est une spécialité new-yorkaise que de vouloir un son aussi pourri que celui du Velvet Underground ?», demande-t-il aux quatre Television ahuris. Bon, il est en colère, mais il reste pour le bifton. Verlaine réussit à le calmer.  

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            Elektra les prévient qu’il faut plus de temps pour concevoir la pochette que pour enregistrer. Alors ils anticipent et font appel au pote de Patti Smith, le photographe Robert Mapplethorpe. Quand Lloyd va faire des copies de la photo choisie sur un Xerox, il altère accidentellement l’image et c’est cette image altérée qu’on retrouve la pochette de Marquee Moon. À propos de cette image, Lloyd rapporte une anecdote tordante : Billy Ficca ne mangeait que des fruits et  légumes, notamment des carottes. Il en trimballait partout avec lui. «Billy ate so many carrots that he got carrotmania.» Sa peau est devenue orange, comme le montre la pochette de Marquee Moon. C’est la fin de la rigolade quand Llyod écoute l’acétate de Marquee Moon : il éclate en sanglots, car il ne retrouve pas le vrai son de Television - It did not sound as robust as it sounded in the studio - L’album sort en février 1977.   

             Marquee Moon est un album exceptionnel qui affiche le parti-pris d’un groupe à deux guitares clairvoyantes. Et dès «See No Evil», ils installent leur emprise. Ils entrent dans «Venus» comme ils entrent dans «Little Johnny Jewel», par la veine mélodique. De leur malaise et de leur goût pour le néant naît une réelle modernité. On le sait, le monde appartient à ceux qui n’attendent plus rien. Alors Tom Verlaine tombe dans les bras de la Venus de Milo - I feel sideways laughing/ With a friend from many stages - Ils tarabiscotent toutes les circonvolutions et misent sur l’extrême puissance de la prestance, leur son est humide comme le salpêtre d’un mur de cave et sent bon la terre des cimetières. À défaut de patiner merveilleusement, Verlaine déclame merveilleusement. Ils inventent le swing funkoïde avec «Friction», et le développent au tortillon de clairette. Ils sur-jouent aux entrecroisements de guitares d’avant-garde, ça va loin, leur histoire, ils développent l’hyper-ventilation musicologique, ils s’exacerbent à en tomber, ce qui ne doit pas être trop compliqué, vu qu’ils sont gaulés comme des gaufrettes. Cet album se met à sonner comme un monument baroque très spectaculaire, le son semble même se régénérer en permanence, comme s’il était sous perfusion. Et puis bien sûr, c’est avec le morceau titre qu’ils emportent la partie. Les tiguiliguili annoncent le maelström, les ponts réveillent les hideux démons de la prog, ils s’offrent de belles plongées dans les abysses et remontent en épingle au son d’un clairon digne du solo de Johnny Jewel. Par contre, la B édifie moins les édifices. «Elevation» est sans doute leur cut le plus connu, par son leitmotiv Elevation don’t go to my head, mais le côté trop déclamatoire, trop collet-monté les dessert. Trop sharp. Trop stiff. C’est Lloyd qui prend le solo sur «Elevation». Même s’il n’accroche pas véritablement, l’ineffable «Prove It» plait par les qualités mélodiques du solo. C’est une œuvre en soi, emboîtée dans une carcasse de rythmique Soul. Le retour de manivelle chant est une merveille. Ces diables de Verlaine et de Lloyd savent partir en solo, ils savent tirer des bordées vers l’horizon.

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             Dans Vive Le Rock, Duncan Seaman revient sur Marquee Moon et sur le fait que Verlaine et Lloyd jouaient des cuts longs à deux guitares, à la différence des autres groupes qui jouaient des cuts courts - two-minute smash-and-grab numbers - Pour Seaman, c’est cette différence qui fait de Marquee Moon l’un des albums essentiels de cette époque. Seaman fait un bref détour historique pour rappeler qu’Hell, Verlaine et Ficca arrivaient du Delaware et qu’avant de s’appeler Television, ils s’appelaient en 1973 les Neon Boys. On l’a vu, premier concert de Television en mars 1974 chez Hilly Krystal, puis ils commencent à partager l’affiche avec Patti Smith qui est alors poétesse improvisatrice. Pour l’enregistrement de Marquee Moon, Verlaine exige d’en être le producteur, associé à un ingé-son expérimenté qui est comme on l’a vu Andy Johns, fraîchement émoulu de Goat’s Head Soup. Les deux guitares sont multi-tracked ce qui donne ce distinctive interlocking sound qui nous plaisait tant à l’époque. Nick Kent salue l’album en le qualifiant  d’«inspired work of pure genius». Puis après le demi-échec d’Adventure, Verlaine va dissoudre le groupe. 

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             On reviendra sur Adventure dans un Part Two. Ils l’enregistrent avec John Jenson qui a bossé avec Jimi Hendrix à la fin de sa vie. Lloyd dit son exaspération d’avoir à attendre que Môsieur Verlaine ait fini d’écrire en studio les lyrics «for his silly little songs». Il trouve que ses chansons sont devenues «introverties». Il les compare même à des ongles incarnés. En studio, Verlaine devient un «crazy maker - someone who drives me insane with his shenanigans.» Verlaine devient de plus en plus dictatorial. Le groupe a même abandonné sa vieille méthode de vote à la majorité. Verlaine a pris le pouvoir. En puis, à l’été 1978, Lloyd reçoit un coup de fil de Verlaine, ce qui ne se produit jamais. Verlaine appelle pour dire qu’il quitte le groupe. Pour Lloyd c’est à la fois «un choc et un soulagement». Il en profite pour dire à Verlaine qu’il avait lui-même envisagé de quitter le groupe. Chacun part de son côté mais, comme le dit si bien Lloyd, l’idée d’une reformation n’est pas exclue. Elle va se produire en 1992.

             Il y aura donc d’autres albums de Television, comme on va le voir dans le Part Two. En 2007, Lloyd finira par quitter le groupe définitivement. S’il se barre, c’est parce qu’il en a marre que Verlaine fixe le montant de ses honoraires - I was tired of having my income determined by someone else - namely Tom Verlaine - Mais avec le recul, Lloyd se dit fier d’avoir joué dans Television, un groupe qui se moquait de ce que les gens pensaient - Television was a band that just didn’t care - We played our music and all of the rest could go to hell.  

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             Le regard que porte Lloyd sur le rock en général, et Television en particulier, apporte des éclairages passionnants. Richard Lloyd est ce qu’on appelle communément une force de la nature. Verlaine l’est aussi, de toute évidence, mais pas de la même façon. Les gens trop singuliers sont systématiquement critiqués. Lloyd en voulait certainement à Verlaine d’avoir gardé ses distances.  Le cœur de toute cette histoire n’est pas le lien qui unissait Llyod à Verlaine, mais celui qui unissait Hell à Verlaine, arrivés tous les deux à New York pour devenir poètes et conquérir la ville. Hell et Verlaine ont travaillé tous les deux chez Cinemabilia, une librairie spécialisée dans le cinéma, où travaillaient aussi Victor Bockris et Terry Ork. Hell et Verlaine se trouvent très exactement à l’origine de la scène punk new-yorkaise. Il faut relire l’autobio de Richard Hell, I Dreamed I Was A Very Clean Tramp pour se goinfrer de cette histoire passionnante. Dans un texte fascinant, Hell fait de Verlaine «the Mr. America of skulls», et de Llyod «a perfect male whore pretty boy face». Alors qu’Hell veut de la sauvagerie, il voit bien que Verlaine a une autre idée du son en tête, ces cristal-clear crisp sweet-guitar suites, et bien sûr, il voit le son du groupe subordonné à sa guitare. Leurs visions divergent radicalement. C’est pour ça qu’Hell part jouer dans les Heartbreakers avec Johnny Thunders. Lorsqu’on croise les deux lectures, celle de l’Hell book et celle du Lloyd book, on a une vision parfaite des racines de la scène punk new-yorkaise. Diable comme tous ces gens pouvaient être brillants ! Et visionnaires.

             Dans son book, Lloyd évoque souvent l’héro, qu’il commence à tester au lycée - By my late teens I had gone through just about every drug kwown to man - Il devient a full-fledged junkie au temps de Television, en compagnie de Richard Hell et de l’Ork. Contrairement aux autres, l’héro lui donne de l’énergie - I could drink all night and fuck all night and play guitar all night - Dans les toilettes du CBGB, les murs sont couverts de graffitis : on le surnomme ‘Mr Machine’ - I screwed like a machine - À Londres, Peter Perrett lui fait tester some very strong heroin et lui dit de faire gaffe, mais Lloyd se shoote toute la dose d’un coup et overdose. Il teste tout en permanence. Au fil du récit, il revient souvent sur sa passion pour les expériences. Il décrit aussi les effets des amphètes sur son corps. Ça le fascine. Il teste aussi l’homosexualité par curiosité. 

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             L’autre grande passion de Lloyd, c’est Jimi Hendrix, via son ami Velvert Turner. Vers la fin du book, Lloyd rapporte une scène extraordinaire : il va chez Velvert qui est sous angel dust, «one of the worst drugs you can possibly encounter». Rien qu’avec la fumée, t’es stoned, dit Llyod. Velvert est au pieu avec deux filles, en train d’en baiser une qui est aussi sous angel dust et qui lui crie : «Fuck me you black devil.» Tous les chapitres qu’il consacre à Velvert Turner sont des sommets du surréalisme psychédélique. C’est l’autre bonne raison de lire ce book. Velvert jouait aussi avec Arthur Lee. Il vivait même chez lui. Un matin, il se réveille brutalement avec des plumes qui volent autour de lui. Puis il voit Arthur Lee à la porte de la chambre, avec un flingue à la main. Il vient de tirer dans l’oreiller et lance à Velvert : «You stole my crack !». Pris de panique, Velvert sort du lit et saute par la fenêtre du deuxième étage avant qu’Arthur Lee n’ait eu le temps de tirer une deuxième fois. LA is that kind of place, conclut Lloyd.

             L’autre grand lien de Lloyd, c’est Anita Pallenberg qui flashe sur lui au CBGB - It was platonic love at first sight - Pas de sexe, juste du platonic love et du deep, ajoute Lloyd. Comme Anita vit avec Keef dans le Connecticut, Lloyd rencontre un Keef very friendly. Les pages où Lloyd narre cette relation sont aussi passionnantes que celles consacrées à Television. Plus on s’enfonce dans ce book, et plus on se dit qu’on est content d’être là.

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             Côté influences, Lloyd cite Jeff Beck qu’il a la chance de voir sur scène au Fillmore West avec le premier Jeff Beck Group, celui de Rod the Mod et de Ronnie Wood. Il cite aussi Jimi Hendrix, Buddy Guy, Magic Sam, Mike Bloomfield, Roy Buchanan, et les trois Kings, Albert, B.B. et Freddie. Il rencontre aussi John Lee Hooker qui le prend à la bonne et qui lui confie le secret du blues : il peut être joué sur une seule corde, qu’on remonte et qu’on redescend. Lloyd vérifie et découvre que certains solos de Jimi Hendrix sont effectivement joués sur une seule corde. Il donne tous les détails.

             Il rencontre aussi Danny Fields qui est déjà assez célèbre pour avoir managé Iggy & the Stooges et qui managera pas la suite les Ramones. Fields flashe sur Lloyd et l’héberge. Llyod accepte à une condition : no sex. Okay. Mais la condition ne tient pas longtemps et Fields cavale après Lloyd dans la baraque. Lloyd n’a vraiment plus envie de faire ce genre d’expérience et il dit non. Alors Fields lui propose un deal. Tu restes là devant moi et je me branle rien qu’en te regardant. Il n’empêche que Lloyd n’est pas à l’aise et à la fin du chapitre, il demande pardon à Danny. C’est là qu’il va s’installer dans le loft de Terry Ork. L’Ork est aussi homo, mais il fout la paix à Lloyd. La nuit, l’Ork bosse à la Factory d’Andy Warhol. Il fait des sérigraphies que signe Warhol et qui partent ensuite dans les galeries qui commercialisent son œuvre. L’Ork manage aussi la fameuse librairie Cinemabilia où bossent comme déjà dit Richard Hell et Robert Quine.

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             La dernière grande rencontre qu’il évoque dans ce bon book est celle de John Doe. Doe cherche un «New York ace» pour son nouvel album, Meet Joe Doe. Alors Lloyd prend l’avion pour Los Angeles. Meet Joe Doe est un bon album. On en parlait ici, quelque part en 2021. Et sous le pont Mirabeau coule la Seine, faut-il qu’il m’en souvienne...

    Signé : Cazengler, Télé pasteurisé

    Tom Verlaine. Disparu le 28 janvier 2023

    Television. Marquee Moon. Elektra 1977                         

    Richard Llyod. Everything Is Combustible. Beech Hill Publishing Company 2019

     

     

    Horrors boréales

     

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             Dans un vieux Mojo de 2009, Chris Ziegler saluait l’ascension météorique des Horrors, un gang de gamins qui se déclaraient influencés par les Scientists et les Stranglers. Pour leur premier album - Strange House - ils se planquaient derrière leurs coiffures et leur maquillage. Ils revenaient à la charge avec des machines pour un deuxième album, Primary Colours, inspiré cette fois par Joy Division, Neu! et Silver Apples. C’est justement là que se trouve le problème des Horrors : le côté caméléon. Pour savoir jouer à ce petit jeu, il faut s’appeler David Bowie. Car c’est un jeu extrêmement risqué. Si on change de son et qu’on n’a pas les moyens du changement, on perd la confiance des fans. Dommage, car on avait adoré les Horrors de la première heure.

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             Avec Strange House, les Horrors nous faisaient même le coup de la pochette New York Dolls, assis tous les cinq sur une banquette avec des chevelures extravagantes. La photo est en noir et blanc, bien entendu. Au plan musical, ils n’ont hélas rien à voir avec les Dolls. Ils font sensation en démarrant sur une cover du «Jack The Ripper» de Screamin’ Lord Sutch. Ils jouent adroitement la carte du boogaloo, les chœurs sont des horreurs définitives, c’est chanté à la démesure de Lux Interior. Mais après, ça bascule dans le gaga d’orgue bien sevré de pan la la, allez-y les gars, dansez ! «Count In Five» fait le taf, ces petits mecs se prennent pour Nuggets, les aw yeah de Faris Badwan valent bien ceux des Shadows Of Knight. C’est bardé de bonnes intentions, mais ça finit par se paumer sur la longueur («Draw Japan»). Les guitares de «Gloves» sont celles des Dolls et Faris Badwan chante avec des accents de Johnny Rotten. Il domine bien la situation avec «Little Victories», il dispose de ressources vocales inexplorées, il mène bien sa meute. «She Is The New Thing» est amené au mal de mer, c’est un ressac des Pixies. Les mauvaises langues diront qu’ils n’ont pas de patrie. Pareil pour «Sheena Is A Parasite» qui se retrouve à la croisée des chemins, entre gaga et Pixies, avec une dominante folie Pixy-Méricourt. Mais on les voit ensuite se diriger vers la new wave («Thunderclaps») et c’est pas beau. Leur crédibilité fond comme beurre en broche. Dommage, pour un album si bien amené.

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             Pour se remonter le moral, on s’est tous jetés à l’époque sur The Horrors EP, parce qu’il s’y niche une fantastique cover de «Crawdaddy Simone», le hit mythique des Syndicats. Une fille donne la réplique à Faris Badwan, wouahhh ! C’est explosif ! Leur dialogue bat tous les records de ferveur élégiaque. Ah il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie. Wouahhh ! Sinon, on retrouve leur version de «Jack The Ripper» qui reste un modèle de trash boogaloo et l’excellent «Sheena Is A Parasite» amené à la basse fuzz et chanté au scream pur, à cheval entre Frank Black et Peter Aaron. Dommage qu’ils n’aient pas continué d’explorer ce filon, car ils disposent d’une réelle énergie. En réécoutant «Excellent Choice», on découvre qu’ils utilisent les voix doublées du Velvet. «Death At The Chapel» est aussi une belle dégelée déflagratoire. Ils sont capables de tout. Et puis petite cerise sur le gâtö : on les voit tous les cinq au dos du digi avec leurs dégaines de Dolls. Wouaaahhh !

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             Deux ans plus tard arrive dans les bacs Primary Colours, l’album caméléon. Ils changent de son et passent à l’electro. En fait, ils cherchent leur voie, on se croirait chez les Psychedelic Furs, avec des petites virgules de new wave, dommage car Faris Badwan a une bonne voix, mais il fait sa pute, c’est plus fort que lui. Les quatre premiers cuts sont pénibles, ça pue l’arnaque, mais il y a un son et un horizon. Le peu de crédibilité qui leur restait disparaît avec «Do You Remember». Ils jouent avec le feu mais n’en ont pas les moyens. Les seuls capables de lever de telles tempêtes sont les Boo Radleys. Ces saintes Horrors sauvent leur album avec un «New Ice Age» amené au heavy drumbeat. Mais après, ça rebascule dans le sous-New Order, avec des cuts alimentés par des tensions de bassmatic et des synthés. Cette cloche se prend aussi pour Nico dans «I Only Think Of You». L’«I Can’t Control Myself» n’est heureusement pas celui des Troggs, et la suite tourne à la catastrophe. The horror.

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             Avec Primary Colours, on avait bien compris qu’ils avaient opté pour la new wave. Ce qui tendrait à confirmer Skying, une album encensé par la presse anglaise. Ils visent les grosses ambiances psychédéliques, c’est un son très anglais, très harmonique, peut-être un peu trop Britpop. Ils ont acheté des machines, c’est vraiment dommage. Ils jouent dans l’épaisseur des effets, ils font du Radiohead mais sans la qualité de Radiohead. Trop de machines. Ils tentent leur chance, cut après cut, et ça ne marche pas. On entend de très beaux chœurs de cathédrale dans «I Can See You Through», ils jouent leur petit va-tout et tartinent ça de prod all over. Ça devient enfin sérieux avec «Endless Blue», vite envenimé. On se croirait chez Grand Mal. Exactement le même son. Les Horrors se prennent pour Bill Whitten et ça devient enfin marrant, avec un son ravagé par des accords. Des accords, oui, mais des Panzani ! Puis ils amènent «Drive In» à la heavy psychedelia et ça marche. Ils ont le ticket to ride, ils jouent ça à la renverse sur canapé d’accords de réverb. Hélas après ça dégénère. Ils renouent avec la fucking Britpop dans «Wild Eyed», c’est délicat d’en parler car on croit se faire baiser à chaque fois et la suite devient carrément insupportable. Ils plongent dans des grooves de boogaloo assez empiriques et on finit par en avoir vraiment marre de leurs conneries.

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             Paru en 2014, Luminous est encore un album de machines. Dès «Chasing Shadows» on assiste au lever du soleil avec un parfum de psychelelia dans l’air et soudain, ça explose. Ils taquinent les cuisses de leur muse. Belle ampleur, en tous les cas. Mais ils retombent vite dans les travers de la Britpop avec «First Day Of Spring», sans doute subissent-ils une forte pression commerciale. Il y a dans leur son trop d’échos de groupes à la mode, dont on ne citera pas les noms pour ne pas salir le blog. «First Day Of Spring» sonne comme un atroce suicide hermaphrodite. En fait, on se demande pourquoi ces fans des Dolls et de Crawdadddy Simone ont viré new wave. C’est une énigme. Ils font du U2 avec un manche à balai dans le cul, et on ne peut vraiment rien faire pour les aider, à part acheter leurs albums et les écouter. Le pauvre Faris Badwan plonge son groupe dans la pire new wave jamais imaginée. Cet album est encore plus catastrophique que les précédents. «Falling Star» est un chef d’œuvre de soupe aux choux. Rrrrrrru ! Rrrrrrrru !

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             La pochette de V n’est pas belle : ils ont fabriqué un cœur avec des masques de cire. Côté son, ça ne s’arrange pas vraiment. Ils jouent la carte de la grosse electro house, c’est assez puissant, il faut bien le reconnaître. C’est la voix de Faris Badwan qui ne va pas. Il est trop britpoppé du ciboulot. Avec «Press Enter To Exit», ils repartent dans les machines. Trop de machines. On s’en doutait un peu, mais pas à ce point-là. Justement, ils ont un cut qui s’appelle «Machine», mais c’est joué à la basse avec des résonances. Ils en profitent pour redresser la barre, car c’est bien envoyé, in the face. Dommage que tout l’album ne soit pas de ce niveau. Ils sauvent cet album qui prend l’eau avec un «Weighed Down» amené aux guitares lointaines d’Arizona, celles de la Rivière Sans Retour et Faris Badwan fait sa rivière, alors ça devient un Big Atmospherix bien tempéré, assez convaincu et vite élevé sur les hauteurs. Ils attaquent «It’s A Good Life» aux machines et ils parviennent on ne sait comment à arracher la beauté du ciel. Alors là bravo ! 

    Signé : Cazengler, Horrorripilant

    Horrors. The Horros EP. Stolen Transmission 2006

    Horrors. Strange House. Loog 2007

    Horrors. Primary Colours. XL Recordings 2009

    Horrors. Skying. XL Recordings 2011

    Horrors. Luminous. XL Recordings 2014

    Horrors. V. Wolf Tone 2017

     

     

    Wizards & True Stars

    - Le roi George

     

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             George Harrison inspire un tel mélange de respect et d’admiration qu’on pourrait presque l’appeler le roi George. Mais lui n’aurait jamais accepté d’être bombardé roi. Tant pis, on va quand même le bombarder roi d’Angleterre. S’il faut un roi dans ce pays, autant que ce soit lui.

             En 2011, Martin Scorsese lui consacrait un film de quatre heures, l’excellent George Harrison: Living In The Material World, qui est du niveau de celui qu’il consacra en 2005 à Dylan, No Direction Home: Bob Dylan. Scorsese fait partie de ceux qui ont tout compris : il sait raconter la vie d’un homme exceptionnel. D’ailleurs, il ne s’intéresse qu’aux êtres exceptionnels, même s’il s’est bien vautré avec The Last Waltz. Peu importe, on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs. Le portrait qu’il brosse du roi George est une œuvre grandiose, d’une justesse imparable. Scorsese a compris que ce qui caractérisait le mieux le roi George était l’émotion qu’il suscitait à la fois en tant qu’homme et en tant qu’artiste. C’est l’enseignement de ce film. Dylan suscite la fascination, Iggy Pop suscite un sentiment de filiation, John Lydon, Ray Davies et Mark E. Smith suscitent l’anglophilie, la vraie, celle du working class, Godard suscite le sentiment du divin, Gainsbarre l’affection, mais le roi George est un cas unique en Angleterre : on a beau chercher, personne ne suscite autant d’émotion que lui, surtout pas Paul McCartney, encore moins Ringo Starr et malgré tout le respect qu’on lui doit, certainement pas John Lennon. Pendant quatre heures, Scorsese s’applique à montrer cette différence fondamentale qui existe entre George et les trois autres. Des quatre Beatles, George est celui vers lequel on tend naturellement. Il n’est rien sans les trois autres et les trois autres ne sont rien sans lui. Scorsese brosse son portait à petites touches, rappelant par exemple que McCartney - qu’on va appeler Macac pour gagner du temps - se réservait toujours l’A-side des singles, laissant la B-side à Lennon, jusqu’au jour où Lennon a imposé le «Something» du roi George en A-side. Globalement, Macac ne sort pas grandi de ce film. Il parle d’une voix forte de vieil homme. On envisageait de l’introniser dans la série «Wizards & True Stars», mais il suscite une telle antipathie quand il témoigne qu’on doit renoncer à cette initiative. Par contre, Lennon est le grand absent de ce film. Il ne témoigne pas, ce qui semble logique, vu qu’il s’est fait buter. L’autre grand témoin est bien sûr l’invulnérable Ringo - Le rock est notre vice/ C’est la faute à Elvis/ Nous l’avons dans la peau/ C’est la faute à Ringo - C’est lui, le vieux Ringo, qui réussit à nous faire chialer à la fin de cette saga. Il nous explique que le roi George atteint d’un cancer est allé finir ses jours en Suisse, alors Ringo se rend à son chevet. Le roi George est alité, il ne peut plus bouger. Ringo lui explique qu’il doit ensuite se rendre à Boston où sa fille est hospitalisée pour une tumeur au cerveau. Et le roi George lui dit d’une voix faible (que Ringo imite au mieux) : «Do you want me to come with you ?». Le vieux Ringo se met à chialer. «Ce sont ses derniers mots», précise-t-il. Il enlève ses lunettes noires pour s’essuyer les yeux. Cette scène à elle seule résume l’histoire de George Harrison.

             Scorsese se montre à la hauteur de son personnage. Même quand on a déjà vu ce film plusieurs fois, on a chaque fois l’impression de le redécouvrir. Scorsese est passé maître dans l’art de déterrer des images d’archives extraordinaires et de les coupler avec du rock, le meilleur qui soit. Chacun sait qu’il a collé le Jeff Beck Group dans la BO de Casino et les Stones dans celle de Mean Streets. Pour illustrer l’historique de l’après-guerre, Scorsese cale un extrait de «Count Your Blessings And Smile» de George Formby. Comme le roi George est un enfant de la guerre, Scorsese balance des images de bombardiers nazis au-dessus de l’Angleterre. On pense alors à Lemmy qui lui aussi est né sous les bombes, puis c’est la victoire sur fond d’«All Things Must Pass», et Scorsese passe directement aux racines du mythe, avec le cocky little guy qui s’appelle George Harrison et son copain d’école «dickensienne» Macac, un Macac qui nous dit que son poto George avait beaucoup de cheveux, a fucking turban. Tous les deux, ils partagent une passion pour l’art - Art was a great golden vision - Il s’agit bien sûr du rock’n’roll. Comme Macac a commencé à fricoter avec Lennon, il ramène George qui sait jouer de la guitare - He could play the guitah - On connaît l’histoire par cœur, mais ça reste tellement excitant. George rigole parce que Lennon n’a que quatre cordes sur sa guitare et ne sait pas qu’il en faut six. Le jeune roi pratique une sorte d’humour anglais très froid mais irrésistible. Par exemple il indique qu’au début les Beatles n’avaient qu’une seule ambition : «Ballrooms, the big deal.»

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             Et boom, Scorsese envoie tout ce petit monde à Hambourg. Voilà les plans couleur de la Reeperbahn, avec ses grosses putes allemandes, et puis voilà Klaus et puis Astrid la photographe, qui d’ailleurs témoignent tous les deux dans ce film. Klaus c’est Klaus Voorman, bien sûr, qui redit sa fascination pour les Beatles - So much personality - et c’est là qu’ils se mettent à porter du cuir noir, John, Paul, George, Pete Best et Stuart Sutcliffe. Ils dorment un temps dans un placard derrière l’écran d’une salle de ciné puis Astrid leur propose l’hébergement. Elle tombe amoureuse du beau Stuart dont l’histoire est superbement bien racontée dans un autre film, Backbeat, qu’il faut voir et revoir, car c’est probablement le meilleur film consacré aux Beatles. Tout le monde trouve George gracieux - The lovely sweet little George - Astrid trouve Paul et John so different  et pouf, catastrophe, Stuart meurt, en 1962. John qui n’a que 18 ans, est profondément affecté par ce drame. Retour à Liverpool. George place l’une de ses petits vannes mystérieuses : «How many Beatles does it take to change a light bulb ?» Le journaliste attend la réponse. «Four». Oui, il faut quatre Beatles pour changer une ampoule. Ça sent bon le Monty Python. On y reviendra.

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             Et boom badaboom les Beatles explosent, «I Saw Her Stranding There» et tu vois George prendre un solo de clairette exacerbée. Puis tu le vois sortir sa Rickenbacker. Toute l’imagerie du rock anglais est là, dans ces plans faramineux, tout vient de là, de George, son costard, ses boots et sa Ricken, une symbolique que cultiveront les Who comme les Byrds, le son, la classe. Les Beatles ne vieilliront jamais, car quel son ! Quelle énergie ! Autre personnage clé de cette histoire : George Martin, qui les rencontre en 1962. Et pouf, le label met la pression, il faut des hits et des albums, alors Macac et Lennon composent une chanson par jour, pas de problème, on a tout ce qu’il faut. George ne dit rien, il reste en retrait. Jusqu’au jour où il propose une compo, «Don’t Bother Me» - not particularly a good song, précise-t-il. C’est l’époque où Clapton devient copain avec George. Le loup entre dans la bergerie. Le roi George a pour épouse une très jolie petite blonde, Pattie Boyd, qu’on voit aussi témoigner dans le film. Plutôt bien conservée, pour une vieille Anglaise.

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             Le roi George expérimente le LSD par hasard. Il adore ça - I was in love with everything - C’est l’extase. Il décrit ses trips fabuleux. Il embraye directement sur Ravi Shankar et le sitar. Il recherche la perfection à travers la musique orientale. Shankar essaye d’expliquer à un journaliste anglais qui ne pige rien que la musique est une façon de communiquer avec Dieu. Pas besoin des mots, dit-il. Le roi George jubile : «My experience was of the best quality.» C’est ainsi qu’il définit sa quête : une recherche de la perfection. Dans sa façon de vivre, dans ses relations, dans sa musique. La perfection comme un art de vivre. C’est là qu’on commence à le prendre très au sérieux. Peu de gens dans l’histoire de l’art sont aussi résolument engagés dans ce type de quête. Après un épisode compliqué à Haight-Ashbury, le roi George laisse tomber le LSD et passe à la méditation. Il lui faut un maître et ce sera le petit Maharashi et sa voix de canard, de passage en Occident pour quelques conférences.

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             On arrive dans la zone la plus magique de l’histoire des Beatles, celle du White Album et Scorsese nous balance «Savoy Truffle». Les syllabes multicolores éclatent dans le purple haze - Cool cherry cream and a nice apple tart - tu entres dans le jardin magique de ton adolescence - Coconut fudge really blows down those blues - et tu tartines le But you’ll have to have them all pulled out/ After the Savoy truffle jusqu’à l’évanouissement. «Savoy Truffle» est un trip phonétique à part entière. Alors voilà Lennon qui entre dans ton champ de vision en costard blanc, Yoko qui évoque «Number Nine», l’une des clés du paradis, et voilà que Ringo quitte le groupe pendant les sessions du White Album  et qui revient - Reviens Ringo ! - Et puis on attend la plus importante, on sait que les notes vont surgir comme des fées au coin des images de Scorsese - See the love there that’s sleeping/ While my guitar/ Gently weeps - voilà donc l’un de tes morceaux préférés parmi tous les morceaux préférés du White Album - I look at the floor/ And I see it needs sweeping - tu chantais tout cela avec le roi George et ta peau frissonnait, car tout n’était ici que luxe, calme et volupté. «Why My Guitar Gently Weeps», c’était Baudelaire au XXe siècle. Mais à la différence de Baudelaire, George montait dans ses octaves, I don’t know why nobody told you et tu basculais dans un abîme de félicité.

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             Cet épisode magique prend fin lorsque Scorsese évoque la tension qui règne dans le groupe au moment de Let It Be, le roi George compose une merveille nommée «Something», puis «Here Comes The Sun» et ce little darling dansait au coin de ton esprit cette année-là, Little darlin’/ It’s been a long cold lonely winter, et puis voilà, les canards titrent Paul quits, c’est le fin du British Empire. Et George devient le roi d’Angleterre.

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             Il passe directement aux affaires royales : All Things Must Pass et Friar Park, son palais baroque. À disque royal, producteur royal : Totor débarque en costard noir et chemise rouge, il parle d’une voix de tenancière de lupanar et porte une perruque blonde, mais fuck c’est lui qui transforme «My Sweet Lord» en hit intemporel. L’œil brillant, Totor dit que le roi George a des centaines de chansons. C’est un roi, quoi de plus normal ? Ils passent douze heures sur le Sweet Lord, Totor qui se croyait le pire des perfectionnistes et dépassé par le roi George qui est encore pire que lui. Totor : «My Sweet Lord, that’s the hit !». Les autres trouvent la chanson trop religieuse. Totor tient bon. That’s the hit ! Quand un journaliste dit au roi George que cette chanson est intemporelle, il répond : «Oh is it ?». Puis il explique : «First its simplicity, and repetition. A mantra». Voilà la clé : le mantra.

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             C’est toujours un plaisir inégalé que d’ouvrir la box d’All Things Must Pass et d’en sortir ses trésors. On a salué longuement le charme pas discret de cette bourgeoisie fataliste lors de l’hommage à Totor, mais comme nous revenons faire un tour dans la cour des rois, nous allons nous replonger dans ce triple album qui fut, t’en souvient-il, l’un des plus hauts sommets de l’an de grâce 1970, un an pourtant riche en sommets. Aussitôt le balda lancé, force est d’admettre que le style du roi George est unique : mellow yellow, spirited au sens du spirit, de ce qui s’envole. Et puis... Uhm my Lord, le roi George entonne son chant avec une gourmandise distinguée, comme s’il était le vrai roi d’Angleterre, il faut le voir étaler «My Sweet Lord» au really want to show you Lord, il est le roi du gospel blanc et son gospel rivalise d’éclat avec l’Oh Happy Day, car bien monté en neige par l’autre génie de service, le Totor, et ça grimpe très vite au my-y-y Lord, en une belle apothéose de pâté de foi, hallelujah, la rythmique est une merveille de fouillis de beat et le roi George y tartine son miel de gratte. Tout cela est bien sûr joué au maximum des possibilités. Même quand le roi George fout le paquet avec «Wah Wah», c’est beau, mais beau vois-tu comme un paysage de Turner, ou pire encore, une plongée contemplative de Caspar David Friedrich. Beau et vif comme l’un de ces aplats carmins que Paul Gauguin appliquait sur ses toiles aux Marquises. Le roi George retrouve la veine mélodique de la beatlemania pour «Isn’t It A Pity». Totor te violonne ça vite fait bien fait jusqu’à l’horizon et le roi George ramène son pot de miel, tout cela reste très spectaculaire, comme si les génies respectifs de ces deux hommes se fondaient dans un ciel immense d’Eugène Boudin. On retrouve la magie mélodique en B avec «If Not For You», le roi George n’en finit plus de créer son joli monde d’harmonie et de miel de gratte, ce cut te cueille, c’est toi le fruit mûr qui se pose délicatement dans la bouche d’un roi et tu fonds dans ton propre jus sucré. Le roi George gratte la gratte du Paradis. En C, tu vas tomber sur un «Apple Scuffs» très dylanesque, secoué de gros coups d’harp mélangés au miel de gratte. Quel régal ! Tu ne sais plus si tu es le mangeur ou le mangé tellement le roi George te bouleverse les sens. Avec «Ballad Of Frankie Crisp», il propose une belle pop attachante de let it roll. On sent poindre dans sa joie de vivre l’ombre d’une immense mélancolie. Il y a du Goya en lui. «Awaiting On You All» permet de goûter à nouveau au génie productiviste de Totor, il donne à cette pop royale une profondeur incommensurable, une ampleur sans précédent. Tu ne croiseras pas tous les jours de telles convergences de génies. Une conjonction Totor/Roi George ne se produit qu’une fois par siècle. Totor ramène des trompettes mariachi dans l’«Art Of Dying» qui assombrit la D et on revient à la pop de suspension avec «Isn’t It A Pity», un cut tentaculaire qui s’étend aussi loin que porte le regard, et cette fois l’analogie avec Alfred Sisley s’impose naturellement. Le roi George clôt cet album fataliste avec «Hear Me Lord», une nouvelle rasade de purée spirited d’une fantastique ampleur. Sa voix évoque une matière très ancienne, il est à la fois l’océan et la montagne, le sable et l’écume, le vertige et la paix, la pierre et le bois, et Totor lui donne tous les pouvoirs du Wizard.

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             Le roi George a commencé à mépriser le matérialisme. Clapton en profite pour lui barboter Pattie, comme Keef a barboté Anita à Brian Jones. Clapton dit au roi George qu’il est amoureux de sa femme. Alors le roi lui répond : «Prends-là, elle est à toi.» Il n’est même pas fâché avec ce sale mec. Il a d’autres chats à fouetter, comme par exemple le Bengladesh. Le roi George s’engage pour le Bengladesh, il organise un benefit et porte un costard blanc comme celui de Lennon. On voit la belle Claudia Lennear danser dans les chœurs.

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             Dans sa quête de perfection, le roi George peaufine un son qu’on qualifié d’emotional. Il ne vise que la note juste. Puis sa voix se dégrade. On dit qu’il prend beaucoup de drogues. Il épouse Olivia et comme il est très lié aux Monty Python, il hypothèque son palais pour financer le tournage de La Vie De Brian. Quatre millions de dollars. C’est à cette époque que Lennon se fait buter à New York. Le roi George est en colère, angry que John n’ait pas quitté son corps in a better way. Quand Olivia lui annonce qu’on l’attend pour une récompense officielle, il refuse de s’y rendre - Find another monkey - Puis on tombe sur l’épisode tant attendu des Traveling Wilburys : pour le roi George, l’idée est de monter the perfect band. Il rassemble Roy Orbison, Bob Dylan et Jeff Lyne. Roy et lui chantent cette huitième merveille du monde qu’est «Handle With Care» - Everybody’s got somebody to lean on/ Put your body next to mine/ And dream on - Pur jus de roi George, dommage que Tom Petty frime autant. Puis arrive l’épisode dramatique de l’agression, une nuit, vers 4 h du matin, un mec rentre dans le palais du George pour le tuer et le rate. Alors pour le roi Geoge, le message est clair : il annonce qu’il doit se préparer à quitter son corps - À part l’amour du père pour son fils, I don’t see no reason to be here. À quoi bon tout cela, toute cette célébrité ? Toute cette fortune ?

    Signé : Cazengler, George Hérisson

    George Harrison. All Things Must Pass. Box Apple 1970

    Martin Scorsese. George Harrison: Living in the Material World. DVD 2011

     

     

    L’avenir du rock –

    Le culot des zozos de Cluzo

     

             L’avenir du rock aurait très bien pu s’appeler ‘Tu ne crois pas si bien dire’, ou mieux encore ‘Tu l’as dit bouffi’. Quelle relation avec le rock ? Aucune, c’est tout l’intérêt. Il pourrait aussi s’appeler ‘Aide toi et l’évidence t’aidera’, ou encore ‘À bonne évidence salut’. Ou encore ‘Il faut battre l’évidence quand elle est chaude’. Lorsqu’il croise son reflet dans un miroir, l’avenir du rock ne voit qu’une évidence. C’est à la fois son drame et son privilège : sa nature conceptuelle, comme celle de l’amour physique, est sans issue, hormis l’évidence. L’avenir du rock peut regarder en haut, en bas, à droite, à gauche, il retombe toujours sur l’évidence de son évidence. Dans la vraie vie, on appellerait ça un destin tragique. Dans le cas de l’avenir du rock, on appelle ça un schéma conceptuel forcé. Tu ne le sais sans doute pas, mais un concept peut aussi en baver, enfin c’est une façon de parler. Comme Atlas, l’avenir du rock est conçu pour porter le poids des évidences sur son dos. Ça ne paraît pas comme ça, mais les évidences peuvent peser des tonnes. Plus les évidences sont évidentes, plus elles pèsent lourd. Si tu veux chambrer l’avenir du rock, tu peux l’appeler ‘L’Atlas du rock’. Il ne sera pas fâché. Quand il en a marre de porter ses tonnes d’évidences, il fait son Sisyphe et les fait rouler sur la pente abrupte de l’Ararat, un schéma conceptuel d’autant plus cruel que la cause est juste, puisque ce sont des évidences ! Alors pourquoi s’inflige-t-il une telle corvée ? Pourquoi les évidences ne sont-elles pas de gros ballons multicolores flottant dans l’azur marmoréen ? Pourquoi s’épuise-t-il à faire rouler ses tonnes d’évidences sur une pente d’une telle raideur ? Parce qu’il entend bien assumer jusqu’au bout les aléas de son schéma conceptuel. Ça fait partie du job. Lorsqu’il arrive au sommet de l’Ararat et que sa tonne d’évidences lui échappe et bascule de l’autre côté pour dévaler la pente, l’avenir du rock s’assoit, allume sa clope et se dit que finalement une bonne tonne d’évidences dans la gueule de tous ces négativistes agglutinés en bas, c’est la meilleure des choses qui puisse leur arriver. Ça leur fermera une bonne fois pour toutes leur boîte à camembert. Après tout, l’essentiel est dans Lactel.  

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             Commence par dépasser tes a prioris (groupe français, bif baf bof, rock bio élevé à la ferme, baf bif bof, culturalisme régional, bof baf bif, réputation boogie rural, bif bof baf, white striping à la française, bif et baf et ratabof, en gros, tous les maux de la terre). Une fois que tu t’es débarrassé de toutes ces conneries et que tu te sens un peu moins élitiste, c’est-à-dire un tout petit moins con (mais pas trop), ça va mieux. Au pire, tu vas t’ennuyer pendant une heure. Alors, une heure, qu’est-ce donc comparé à l’univers ? Rien. Donc tout va bien dans ta pauvre tête de con.

             Tu retrouves ta chère barrière et les habitués du premier rang, toujours les mêmes. Tu regardes la première partie sans la voir, car tu penses à autre chose, une idée de conte. Il faut faire gaffe quand tu as des idées, elles peuvent t’échapper, il faut les matérialiser rapidement, mais sans ton ordi, c’est compliqué, alors il faut les amarrer dans ta tête, c’est-à-dire les construire, et tu mets en route le jeu des formulations, le premier jet est toujours fluide, tu sais que tu vas en perdre une grosse partie, alors tu reformules plusieurs fois tes phrases pour bien les mémoriser, ça demande un temps fou, ah il faudrait un bout de papier pour noter ça, mais pas de bout de papier, alors tu reprends tout au début, pour sauver ce qui reste de cette formulation d’intro si limpide, car c’est d’elle dont dépend toute la suite, oui car c’est dans les deux premières phrases que tu plantes le décor, que tu crées l’énergie du texte, tu y reviens, tu remanies et soudain les lumières s’allument et on te parle. C’est la fin de la première partie et tu as perdu le fil de ta formulation. Ah comme la vie peut parfois se montrer cruelle.

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             Et voilà qu’arrivent sur la grande scène les zozos de Cluzo. Le petit gros à la gratte s’appelle Malcolm et le maigre au beurre s’appelle Phil. Le petit gros annonce très vite qu’ils vont jouer les cuts de leur nouvel album, Horizon. Et hop, c’est parti ! Le gros gratte une bête à cornes, c’est-à-dire une Gibson SG bordeaux. Il est coiffé comme l’as de pique, autrement dit comme d’Artagnan, mais un d’Artagnan qui serait revu et corrigé par Abel Gance, très XIXe, avec la barbichette belzébutienne de Félix Fénéon, et dans ses tout petits yeux en trous d’aubépine, danse l’éclat vif d’une certaine malice. Non seulement il a du son, mais il aussi de la gueule, et il va vite basculer dans la démesure, et là mon gars, ça devient passionnant car tu as sous les yeux un artiste génial, une sorte de Pantagruel à la Leslie West, un personnage fabuleusement vivant et supra-doué, un petit gros comme on les aime avec des petites mains boudinées comme celles de Frank Black qui génèrent sur la gratte de fières giclées d’apocalypse, d’hallucinants ras-de-marée soniques, des vagues monstrueuses qu’il double d’arraches de glottes atrocement phénoménales, il se dresse dans sa tempête comme une sorte de Poséidon ivre de colère sourde, le cheveu en bataille et la bouche en entonnoir, il screame sa route à travers la jungle, il embrase les imaginaires agglutinés à ses pieds, il aspire le monde et recrache la vie, il illustre parfaitement le mythe des anciens dieux dressés dans les tourmentes, les cheveux dans les yeux, il développe tellement de puissance qu’il en devient surréaliste, mais on est bien embêté, car il n’existe pas de barbichettes chez les Surréalistes, des moustaches tout au plus, alors on va rester sur Abel Gance, car l’esthétique gancienne de la démesure convient parfaitement à notre gros bateleur.

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    Il n’est pas seulement gargantuesque, il est aussi et surtout homérique, tout le passif de la Méditerranée remonte en lui, comme sorti du sol et jaillissant à travers sa bouche grande ouverte, il screame du scream par paquets, il voue tout aux gémonies, il undergutte l’ultra-gut, ce bulldozer à deux pattes déblaye tout sur son passage, il te charrie le ramshakle, il te charrie avant les bœufs, non seulement il exhale des panaches de pur power incendiaire, mais il parvient au prix d’efforts surhumains à les rendre beaux, c’est-à-dire mélodiques. Sa sauvagerie le béatifie. On n’avait pas vu un tel diable depuis un bon moment, c’est-à-dire depuis Frank Black, lors de son dernier passage avec les Pixies. Eh oui, Malcolm Cluzo appartient exactement à la même caste, celle des gros géants géniaux.

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             Bon, d’accord. Son, physique, ça tient superbement la route. À deux, ils font plus de ramdam qu’un groupe à deux guitares. Au beurre, Phil Clouzo fait plaisir à voir. C’est même un bonheur pour l’intellect du spectateur. Il est partout dans le son, avec une exubérance qui rivaliserait presque avec celle de son collègue. Son beurre est une merveille de vivacité cinétique, un perpétuel ramshakle d’excelsior, c’est toujours un bonheur que de voir un vrai batteur à l’œuvre, il tient bon la rampe, il bat la campagne des chœurs, il sait que le gros s’appuie sur lui, alors il en rajoute, mais au bon sens du terme. Ah tu ne battras jamais ces deux mecs-là à la course. Tu as presque envie de dire aux White Stripes d’amener leur calepin et de prendre des notes. Mais aussi à plein d’autres groupes. Tu pourrais presque leur dire : «Notez bien et regardez comment on joue le rock, c’est pas compliqué : petit un, il faut un son, petit deux, une voix, petit trois, du bon beurre et petit quatre, des bonnes compos. C’est bien noté ?». Les zozos de Clouzo ont tout ça, et en plus, une certaine forme de génie, qu’on pourrait qualifier d’agraire, pour rigoler et faire écho aux petits discours de militant bio dont le gros abreuve la salle de temps en temps, une salle urbaine qui bien sûr ne se sent pas concernée par la problématique, mais bon, c’est pas grave, le gros est infiniment crédible, dès qu’il gratte sa gratte, il redevient un héros du rock, c’est -à-dire un hérock, a hero just for one day. On l’adore d’autant plus qu’il lance à un moment : «Tout le monde dit que le rock est mort ! Eh ben non. On prouve le contraire tous les soirs !» Et wham bam, il envoie rouler «Running A Family Farm Is More Rock Than Playing Rock N Roll Music», c’est le boogie rock le plus hot qu’on ait entendu depuis l’âge d’or de Nashville Pussy. Les deux zozos de Cluzo se transforment chaque fois en machine infernale. Il n’y a pas un seul passage à vide dans leur set. Ils maintiennent en permanence un très haut niveau d’intensité et de qualité. Le gros chante en anglais, mais diable comme il est bon. Il sonne comme une superstar, il tape dans l’immédiateté du rock, il hérite de toute cette culture du power et du riff, et il joue de sa voix comme d’un instrument. Il est constamment en équilibre entre ces deux pôles que sont Frank Black et Leslie West, mais avec un truc à lui en plus. C’est l’apanage des géants du rock.

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             Rien qu’avec les cuts d’Horizon, on est gavé comme des oies. Grosse ambiance dans la salle. Phil Clouzo va même faire un petit coup de stage-diving, histoire de rivaliser d’ardeur communicative avec les deux guitaristes d’Idles. On n’arrête plus de se dire : «Aw fuck comme ils sont bons !». Côté reprises, deux bonnes surprises : l’«Hey-Hey My My Rock’n’Roll Will Never Die» de Neil Young, un peu bateau, mais surtout l’extraordinaire «I Almost Cut My Hair» en hommage à Croz que le gros attaque à l’hendrixienne et qu’il sur-gueule dans la tempête des Cyclades, sa version est complètement démontée du bastingage, il hurle à l’accent fracassé, il est dans la divination Crozbique, il va chercher l’extrême de la screaminisation à s’en décrocher la mâchoire, tu ne peux pas aller plus loin dans l’exercice de la fonction sépulcrale, il s’en dilate la rate, il va au-delà de tout, il s’empale au sommet du lard, il s’en-dracularise de fureur abyssale, c’est le plus bel hommage à Croz qui se puisse imaginer ici-bas, il invoque le fantôme de Croz avec tellement de niaque qu’il finit par le matérialiser sous la forme d’un ectoplasme, comme dans une épisode du Professor Bell de Joan Sfar.

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             Et puis ils vont finir ce set mirobolant en mode destroy oh-boy : Phil Cluzo fout sa batterie en l’air, et ils t’explosent le concept de fin de sert à la cavalcade infernale. Tu as là tout le punk des Damned, de Kurt Cobain et de Keith Moon, un vrai concentré de tomate, cette vieille tradition du fuck shit up de fin de set, pareil, tu as presque envie de dire aux apprentis sorciers : «Amenez vos calepins les gars et prenez des notes !». Les zozos de Clouzo ont tout bon. Vivent les culs terreux !

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             Sur Horizon, les zozos de Clouzo ont encore plus de son, comme si c’était possible. Tu y retrouves les fameuses oies dont parlait le gros («Saving The Geese»), les oies qu’il a réussi à sauver quand les escadrons de la mort sanitaire abattaient tous les animaux de la région à cause de la grippe aviaire. Il amène ses oies au big riffing bien gras. C’est violent, d’une grande beauté et battu heavy, il chante son saving the geese à l’accent screamy demented, puis il part en solo d’explosion nucléaire, alors ça sonne comme un hit inter-galactique, il n’y a pas d’autre mot, et lorsque Phil Clouzo double au beurre, ça prend les proportions d’un Pandémonium. Tâte les oies pour voir, ça te donnera une idée de leur power. Il fait aussi du heavy boogie down de route 66 avec «Rockophobia», il opte tout de suite pour l’énormité, il y plonge le premier et tout le cut le suit, rock is dead long live rock, il n’en finit plus de clamer l’évidence de l’avenir du rock, rock ain’t dead, et pour ça, il va chercher un chat perché surnaturel. Il enchaîne ce blast avec «The Armchair Activist», fantastique shoot de punk’s not dead, le gros te rocke ta médina, fucking genius, c’est tellement plein de son que ça t’en bouche le coin, I’m an armchair activist ! Le gros a tous les pouvoirs, il va chercher du gros guttural de traffic jam pour «9 Billion Solutions», il passe encore en force, il porte le poids du monde comme l’avenir du rock porte le poids des évidences. Oh et puis il faut aussi écouter l’«Act Local Think Local» d’ouverture de balda. Il fait son Leslie West, il opte une fois de plus pour le passage en force, mais avec l’incroyable douceur de petits doigts boudinés, ça donne un extraordinaire cocktail de rentre-dedans et d’excellence de la persistance, le tout parfaitement tatapoumé par Phil Clouzo. Tu retrouves aussi sur l’album le fameux «Wolfs At The Door» embarqué au heavy Mountain side, le gros tape ça au gut des Landes et à la voix d’ange. Puis il passe à la bravado de type Nashville Pussy avec «Running A Family Farm Is More Rock Than Playing Rock N Roll Music». Il y va au scorch. C’est du blast à l’état pur, pas loin de ce que faisait Motörhead. Il s’en va ensuite te draper «The Outsider» de big atmospherix, c’est une vraie mine d’or, il a tout le power de Leslie West, il peut aller du grave de gut au pire chat perché. Il embarque son «Swallows» à coups de tasty crunchy little bugs et chauffe son morceau titre aux feux de la Saint-Jean, puis il l’empoisonne à la disto. Il est au-delà de tout.

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             Leur premier album sans titre est encore plus passionnant. Il pourrait même s’agir de l’un des albums du siècle, tellement c’est bien foutu. Ça démarre sur le morceau titre, «The Inspector Cluzo», un blast inexpugnable, ils plongent tout de suite dans les abysses du doom. Le gros envoie son chat perché et claque un riff à la revoyure. Les zozos de Cluzo te plongent littéralement la gueule dans leur soupe aux choux. Il faut les avoir vus sur scène pour comprendre la réalité de leur power. L’autre coup de génie s’appelle «Do You Make It Right», cut quasiment hendrixien, époque Band Of Gypsys. Le gros a déjà toutes les ressources. Il enchaîne avec «Turlulututututu», il te fait danser, il ramène dans son groove un fondu dément à la Lennon, that’s the meaning of love. «Do You Make It Right» est une œuvre d’art. Il donne corps à une autre idée avec «Two Days». Chaque fois, ça suit. Modernité à tous les étages en montant chez Malcolm. Il fait du genius de modernity à l’état le plus pur, il réussit un mélange sidérant d’heavy Al Green avec du riff garage. Fantastique pulsateur ! «Change #1» est très heavy, en plein trip d’à deux-on-y-va. Ce mec Malcolm est un monstre. Il te fait grimper dans les sphères supérieures du tonnerre. Tout dans cet album est bourré de power à l’état pur, tout se passe dans les petits doigts boudinés et dans le gras de la glotte, le gros n’en finit plus d’être aux aguets, on le voit même rapper le groove de Cluzo dans «Mad». Puis il passe au hard funk avec «Fuck The Bass Player» ! C’est un peu comme s’il avait joué dans les Famous Flames. Même énergie ! Il s’en va faire sa folle au sommet d’«US Food», c’est le big heavy funk system de Malcolm le héros. Ses descentes d’accords te donnent le tournis. Laisse tomber les White Stipes, écoute plutôt ces deux mecs-là. L’album est complètement jouissif. Le gros n’arrête jamais, il te remet le couvert avec «Yuppie Way Of Life Blues», il y joue un heavy groove de funk tendancieux, une vraie merveille de prévarication, ah il faut le voir plonger dans sa bouillasse et remonter à la surface !

             La suite au prochain numéro.

    Signé : Cazengler, sacré zozo

    Inspector Cluzo. Le 106. Rouen (76). 23 mars 2023

    Inspector Cluzo. The Inspector Cluzo. Ter A Terre 2008

    Inspector Cluzo. Horizon. Fuck The Bass Player 2022

     

     

     

    Inside the goldmine –

    Barrett de choc, pas de shit

     

             Dans sa vie, Barric n’a pas eu de chance. Pourtant fraîchement émoulu d’une grande école de commerce, bien buriné par un stage au sein d’un régiment de Spahis algériens, il entra dans la vie active par la petite porte, et, comme beaucoup d’autres, en sortit par la grande, après avoir frisé l’overdose de promotions. Il n’eut donc à son actif qu’une sorte de réussite sociale, rien de très appétissant. Le genre de truc dont on ne peut même pas se vanter au soir de sa vie. Un soir donc bien lugubre. La question est toujours la même : peut-on échapper à son destin ? Nous sommes tous bien placés pour savoir que ce n’est guère possible. Et donc, notre pauvre Barric se retrouva au soir de sa vie bien embarrassé, avec pour seule richesse une sorte de réussite sociale qui ressemblait à s’y méprendre à une vie ratée. Fasciné par le spectacle de sa déconvenue, il entreprit de vivre jusqu’à 100 ans pour pouvoir en examiner dans le détail tous les aspects. L’examen d’une vie ratée demande énormément de temps. Il se trouvait en outre dans les conditions idéales pour procéder à cette introspection qu’il voulait exhaustive : sa troisième épouse avait réussi à se débarrasser de lui en le «plaçant» dans un EPHAD, avec à la clé une bonne camisole chimique, histoire de le calmer s’il lui prenait la fantaisie de vouloir se trancher les veines, comme il menaçait régulièrement de le faire. Il passa les trois dernières années de sa vie assis sur le bord de son lit, prostré dans le silence. Il recevait de très rares visites, car il s’ingéniait à décourager les proches qui faisaient encore l’effort de s’intéresser à lui. En approchant de l’âge fatidique des 100 ans, il perdit sa mobilité et son élocution. Il bafouillait des mots incompréhensibles en bavant comme une limace. Il redevenait une sorte de gros bébé, c’était d’autant plus évident qu’il portait des couches. Son état physiologique empira très vite, il se mit à ressembler à un fœtus, sa peau devint un peu mauve, et un matin, alors qu’une aide-soignante lui changeait sa couche, il la renversa sur le lit, lui écarta les cuisses et s’enfourna dans son vagin. On le déclara «disparu sans laisser de traces». 

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             À la différence du pauvre Barric, Barrett a connu une existence beaucoup plus intéressante, puisqu’il appartenait au noyau de base de Motown, comme auteur-compositeur maison. Il bossait essentiellement avec Norman Whitfield. Ces deux poules aux œufs d’or, cot cot, pondaient les hits des Temptations, à commencer par «I Heard It Through The Grapevine», cot cot, mais aussi «Ball Of Confusion» et «Papa Was A Rollin’ Stone». Rien qu’avec ces trois bombasses atomiques, tu situes le niveau. C’est aussi Barrett Strong qui co-signe et qui interprète le fameux «Money (That’s What I Want)», connu comme le loup blanc et que tout le monde a repris.

             L’heure est donc venue de lui rendre hommage, étant donné qu’il vient de casser sa pipe en bois. En guise d’épitaphe, il conviendrait de graver dans le marbre de sa headstone : «Strong, c’est du solide !».

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             L’intérêt de sa discographie est qu’elle est maigre, donc on en fait (relativement) vite le tour. Maigre, mais de bonne qualité. Quand Berry Gordy déménage son bouclard à Los Angeles, Barrett reste à Detroit. Il signe sur Capitol et enregistre en 1975 l’excellent Stronghold. Il a l’air strong sur la pochette. Il attaque son balda au heavy r’n’b avec un «Do You Want My Love» bardé de son. Il a gardé les vieux réflexes Motown, avec des chœurs en place, un beurre solide et un bassmatic persistant. Les musiciens sont des inconnus, mais bons. Barrett finit son cut en groovytude parfaite. Et voilà qu’avec «Surrender», il fait son Marvin. Il est en plein dans «What’s Going On». C’en est troublant. Il a exactement les mêmes accents et la même orchestration. Il referme son balda avec le fantastique groove d’«Is It Time», une vraie merveille d’is it time. On l’aura compris, Stronghold est un album de groove. Il s’en va donc groover «I Wanna Do The Thang» sous le boisseau, en vieil habitué du snakepit et fait de «There’s Something About You» un r’n’b hardiment ramassé, ficelé comme un gigot, bien rond, bien dodu, bien Strong. Il passe au dancing r’n’b avec «Mary Mary You», sa voix éclot comme un chou-fleur dans la clameur d’Elseneur.

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             Barrett enregistre l’année suivante Live & Love. En voyant la pochette, on est un peu inquiet, car Barrett a des allures de diskö boy, mais il nous rassure aussitôt avec «Man Up In The Sky», un heavy groove de classe incontestable. Barrett est barré. Mais c’est avec sa version de «Money (That’s What I Want)» en ouverture de bal de B qu’il rafle la mise. Il fait du heavy Motown, mais tapé au maximum overdrive de Malaco, les filles derrière sont géniales, Dorothy Moore est dans les chœurs. Le fou à la gratte est le gratteur maison de Malaco, le fameux Dino Zimmerman. Il wahte son ass off. L’autre coup de génie de l’album se trouve aussi en B et s’appelle «Gonna Make It Right». Cut d’une rare puissance, Barrett jette tout son Strong dans la Soul, yeah oh yeah !, il remonte le courant à la force de ses écailles. Barrett Strong est un puissant remonteur de courant. Il sait aussi enchanter un balladif, comme le montre «Be My Girl». Encore un joli coup avec le morceau titre en fin de balda, too much confusion, il y va comme au temps des Tempts. Il y va carrément au raw de niaque d’arrache. Il finit avec une superbe cover de «Knock On Wood», il s’en tire avec les honneurs de Malaco, ah comme il est bon, il colle bien au palais. Logique, vu qu’il a un bon timbre. Solide Strong !

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             Avec Love Is You, il va plus sur la dancing Soul. Il conserve ses vieux réflexes, donc tout va bien. C’est quasi-Motown, aspergé de petites giclées de chœurs. On entend Dennis Coffey gratter son funk dans un «You Turn Me On» un brin diskoïde. Et puis voilà la merveille sauveuse d’album : le morceau titre. Et là, oui, mille fois oui, voilà un dancing groove gratté aux petites grattes funk. Fantastique allure, ça sent bon le Coffey chaud. En ce temps-là, on savait gratter ses poux. On entend même le riff de «Papa Was A Rolling Stone».

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             Bon, si tu veux entendre Barrett au temps de Motown, il existe une brave petite compile, The Complete Motown Collection. Alors attention, c’est pas terrible. Il vaut mieux se souvenir du Barrett compositeur de hits séculaires et oublier le Barrett interprète, d’autant que ça démarre sur «Money (That’s What I Want)», une belle tarte à la crème. Pour le reste, Barrett fait du early Motown qui, comme chacun sait, peine à jouir. Il peut parfois coller au palais avec un groove insidieux («You Know What To Do»), mais pas de hit à l’horizon, Capitaine Flint ! Il fait du gros groove de bas-étage avec «Whirlwind» - You know it hit me/ Like a whirlwind/ When your lips/ When your lips came close to mine - Il vire parfois calypso, parfois comedy act un brin cha cha cha, pourtant il est bon, mais il ne transcende pas l’inconscient collectif. À l’aube de Motown, le pauvre Barrett n’offre rien de probant. Avec «Misery», il est vite sur le pont du heavy groove, comme un bon matelot. Il sait carguer la grand-voile et affaler des vergues, pas de problème, il fait même du rock’n’roll avec «Let’s Rock». N’importe quoi ! Ses cuts n’ont pas d’avenir, sa heavy Soul n’accroche pas («Action Speaks Louder Than Words»). Il faut attendre «Who’s Taking My Place» pour sentir un frétillement du côté des naseaux. Et là, oui, il ramène du pur mama know, il devient le temps d’un cut le roi du groove. Mais juste le temps d’un cut. «Who’s Taking My Place» est même une merveille apocalyptique bien méritée, au bout de 15 cuts. Tout aussi dégourdi, voici «Suger Daddy», big Barrett is back in town avec un vrai jerk. Et le dernier joyau de l’époque Motown s’appelle «(I Don’t Need You) You Need Me», monté sur le modèle de Money. C’est du black rock. Ouh ! In the face ! Fantastique punch up de need me !

    Signé : Cazengler, bien barré

    Barrett Strong. Disparu le 28 janvier 2023

    Barrett Strong. Stronghold. Capitol Records 1975

    Barrett Strong. Live & Love. Capitol Records 1976

    Barrett Strong. Love Is You. Coup Records 1980

    Barrett Strong. The Complete Motown Collection. Tamla Motown 2004

     

    *

    Marie Desjardins n’est pas une inconnue pour les lecteurs de nos Chroniques de Pourpre, nous avons déjà chroniqué entre autres, le roman Ambassador Hôtel qui conte la vie imaginaire d’un chanteur de rock et la biographie du jazzman Vic Vogel Histoire de jazz et aussi repris certaines de ses chroniques consacrées à de grandes figures du rock… Voici que les Editions du Mont Royal (éMR), rééditent Ellesmere, roman paru en 2014 que nous n’avions pas hésité à qualifier de chef-d’œuvre dans notre Livraison 447 du 16 / 01 / 2020.

     ELLESMERE

    LA FAUTE

    MARIE DESJARDINS

     ( éMR / 2023 )

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    Un petit côté manga quand vous le prenez en main. Pas de panique, non ce n’est pas une version BD à la japonaise, simplement les éditions du Mont Royal offrent le texte en sa langue originale, le français, et en sa traduction anglaise réalisée par Julie de Belle. Les raisons de cette double entrée ne sont point mystérieuses, Marie Desjardins réside au Canada, et Pierre-André Trudeau éditeur a jugé qu’il était important de ne pas priver le lectorat anglophone canadien d’un texte de cette importance.

    Pour un lecteur français le titre Ellesmere s’avère énigmatique. Ellesmere est une île, aussi grande que le Sénégal, sise tout près du Groenland. Le Danemark qui régente l’ancienne terre verte des vikings a de toujours lorgné sur Ellesmere, le Canada n’a eu de cesse à s’opposer à ces intentions territoriales. En 1953, le gouvernement canadien propose à des familles inuites québécoises de s’installer sur cette île qui leur est présentée comme un territoire de chasse extrêmement giboyeux. Le raisonnement politique des autorités d’Ottawa est facile à comprendre : puisque des inuits de nationalité canadienne habitent sur cette terre il est logique que ce territoire appartienne au Canada…

    Tout est pour le mieux dans le meilleurs des mondes. A ce détail près, que les inuits débarqués sur l’île se retrouvent sous un climat arctique en des conditions déplorables par des températures extrêmes atteignant jusqu’à - 40°, sous des tentes plantées sur un sol de glace… Les souffrances endurées par ces exilés rejoints deux années plus tard par une nouvelle fournée d’immigrants sont atroces… En 1993 le gouvernement canadien se sent obligé de verser dix millions de dollars aux survivants, et de présenter ses excuses en 2008…  Cette nouvelle édition bénéficie d’un sous-titre : La faute, The offense en sa traduction anglaise…

            Nous voici donc partis pour une odyssée humaine, un livre de dénonciation, une charge politique sans concession, une généreuse défense d’un peuple opprimé. Non pas du tout.  Attention pas de méprise, Marie Desjardins ne prend pas fait et cause pour les monstrueux agissements de son pays, surtout pas, elle rappelle et condamne sans rémission les épouvantables traitements subis par ces populations inuites mais là n’est pas le sujet de son roman. L’on ne peut même pas dire que la tragédie d’Ellesmere est la toile de fond de son intrique. Là n’est pas son propos, il est tout autre, ce qu’elle nous montre c’est que la noirceur des âmes humaines est aussi dure et impitoyable que la blancheur gelée du sol d’Ellesmere.

             Le livre débute loin d’Ellesmere dans le cocon d’une maison familiale, le père, la mère et les trois enfants. Des blancs, pas des inuits. Le père est vétérinaire. La mère, parfaite épouse dévouée au tempérament d’artiste a bridé celui-ci pour s’occuper de son mari et de la fratrie. Le père ne se soucie que de Jess son fils aîné. Les deux autres ne sont que quantité négligeable. Dans son esprit Jess devra prendre la suite, il l’élève à la dure, l’emmène avec à toute heure du jour et de la nuit pour soigner vaches et chevaux malades ou décidés à mettre bas… Jess apprend la vie. Il serre les dents, ne se plaint pas. A ce régime il deviendra un enfant différent de tous les autres. Il sait ce qu’il veut. Adolescent il est déjà adulte, il a décidé de ne compter que sur lui-même. Il est un jeune gars, les filles lui courent après, il est un chef naturel, un meneur d’hommes, il ne connaît pas la peur, il ne s’interdit aucun excès, dans sa tête une chose est claire, de toute son existence il ne fera que ce qu’il désirera. A seize ans il partira de la maison.

             Une forte personnalité. Qui n’est pas sans effet sur le reste de la famille. Sa mère l’adore. Son petit frère le regarde vivre, il comprend tout, il intellectualise, il tire les leçons, il voit tout, il ne dit rien, c’est lui qui raconte l’histoire. Un narrateur qui ne croit pas en grand-chose. Ses jugements sur l’humanité sont sans appel. S’il n’est pas dupe des autres, il ne l’est pas non plus de lui-même. Un beau garçon, il attire les filles et les femmes se pâment, non seulement il est beau mais il a encore un atout supplémentaire sur tous les membres de la famille et sur la majorité de tous ses contemporains, il est doué, extrêmement doué. Il a hérité du tempérament artiste de sa mère, de son don pour le dessin et la peinture. Trois coups de crayon suffisent à étaler sa virtuosité. Ne s’en fait pour son avenir, il est tout tracé. Pas besoin de se fatiguer. La vie s’annonce si facile qu’il se rapproche de son oncle écrivain renommé, de son oncle ministre…

             Enfin la sœur, la petite dernière. Un ange empli de naïveté. Avant que vienne l’heure du sommeil Jess se rend dans la chambre des petits, Jess se glisse dans son lit et lui lit des histoires. Le petit frère observe, il écoute, il ne dit rien, il comprend tout, il est déjà revenu de tout. La sœurette adore son grand frère, lorsqu’il quitte la maison elle réfugie dans sa solitude et dans son occupation favorite, le dessin et la peinture, sous l’œil du puiné qui se moque d’elle. Secrète, enfouie en elle-même elle continue ses mièvres études de fleurettes.

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             Nous sommes à plusieurs milliers de kilomètres d’Ellesmere, mais puisque nous n’allons pas à Ellesmere elle arrive à nous. Elle ne se déplace pas comme la montagne du proverbe. Elle se présente à nous sous forme d’un tableau, d’un triptyque. Les enfants ont grandi, Jess vit sa vie, très sex and drugs, la petite sœur continue à peindre dans l’anonymat le plus complet, et notre narrateur dégote enfin une idée de génie. Il a entendu parler du scandale des inuits parqués sur l’île d’Ellesmere, ce sera le sujet de son tableau monumental. Du jour au lendemain, il devient célèbre, l’artiste vivant que l’on compare aux plus grands des siècles précédents. Il est riche à millions, il profite et abuse de la vie, de sa célébrité, des femmes, il boit, baise, fume, habite à la perfection son personnage de génie supérieur de l’humanité. Ce qu’il ne dit pas : sa petite sœur lui a apporté une aide décisive dans la mise en œuvre de son tableau, un jugement sûr, elle voit ce qu’il ne sait pas voir, les défauts de sa réalisation, il se moque d’elle, mais il obéit et corrige…

             Nous avons ici tous les éléments du drame. Chaque homme dans sa nuit s’en va vers sa lumière, dixit Victor Hugo. Un triptyque, trois enfants, trois destins. A part que Marie Desjardins inverse et mélange les problématiques. Elle joue avec le blanc et le noir. L’on a l’impression qu’ici chacun dans sa lumière intérieure s’enfonce dans son ombre. Il n’y a pas de bons et de méchants. Il n’y a que des faibles et des forts. Et parfois les plus faibles se révèleront les plus forts. Est-ce vraiment ce qui importe ? Tout ne finit-il pas par s’égaliser. Tous victimes et tous bourreaux si l’on envisage les choses à l’aune de soi-même. Tout dépend du jugement que le lecteur leur accordera. Que chacun construise, s’il le désire, le chemin de sa rédemption. La seule nécessité est de toujours garder les yeux ouverts, sur les gouffres que l’on côtoie et surtout sur soi-même.

             Marie Desjardins ne pose aucun jugement moral. Elle expose. Elle explose toutes les catégories sociales. Où et quand se situe la faute. Y en a-t-il une seule ? Pourquoi n’y en aurait-il pas plusieurs. A moins que la seule faute soit celle de vivre dans la réalité de sa propre vie. Cynisme et innocence ne sont-ils pas l’avers et le revers de la même mouvance que l’on nomme la vie. En sa nudité, en sa cruauté, en son masochisme, en son sadisme, en sa crudité, en son authenticité.  Ne sommes-nous pas vis-à-vis de nos semblables, de ceux qui nous sont les plus chers, de nos frères et de nos sœurs tantôt humains tantôt inhumains, comme les icebergs d’Ellesmere qui se détachent de la stabilité des banquises, qui dansent dans les courants violents, et s’entrechoquent les uns les autres, dans une espèce de fureur sacrée qui n’a d’autre but que de détruire les autres et de se détruire soi-même. 

             En cent-vingt pages, Marie Desjardins bouscule toutes les convenances, toutes les représentations sur lesquelles repose l’hypocrisie humaine, tant au niveau sociétal qu’individuel. On ne ressort pas indemne d’un tel livre. Le mieux serait de l’oublier, de ne pas s’appesantir sur son implacable déroulement, d’essayer de penser à autre chose, mais il agit tel un maelström, il vous force à vous pencher sur l’abîme du monde et lorsque la spirale vous happe et vous aspire, vous n’avez plus qu’une peur et qu’un espoir, celui de vous connaître enfin tel qu’en vous-même aucune éternité ne vous changera.

             Un chef d’œuvre.

             Merci à Marie Desjardins de nous ouvrir les yeux.

    Damie Chad.

     

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 25

    AVRIL - MAI – JUIN ( 2023 )

     

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    Un soleil de printemps pour accueillir la vingt-cinquième livraison de Rockabilly Generation News, avec cette fois non pas un mais deux pionniers. Sympa mais pas de quoi pavoiser, Johnny Powers est parti pour l’autre monde, on espère pour lui qu’il est meilleur que le nôtre, le 16 janvier de cette année, précédé de quelques jours par Charlie Gracie qui a plié bagage le 17 décembre 2022. Soyons cyniques, respectivement nés en 1938 et 1936, ils n’ont pas trop à se plaindre, d’autant plus qu’ils ont eu une vie bien remplie, des hauts et des bas bien entendus, mais qui n’en a pas connu, et ce privilège extraordinaire d’avoir fait partie des fondateurs de la plus belle musique du monde. La nôtre, celle des fans de rockabilly.

    J’exagère à peine, il existe d’autres musiques aussi belles et puissantes que le rockabilly, n’empêche qu’au lieu de présenter comme à mon habitude article par article le contenu du magazine, je vais le lire en diagonale, picorant de-ci de-là quelques phrases qui mises bout à bout veulent dire davantage qu’elles ne le paraîtraient lues séparément. Je commence par moi, le mot nôtre sur la dernière ligne du paragraphe précédent. Nôtre n’est pas un mot neutre. Je le retrouve sous d’autres formes par exemple dans l’interview de Lorenzo Chiara, chanteur et guitariste des Rotten Rockers, l’a cinquante-huit berges, quand il parle des fans il les définit comme ‘’ la famille’’, c’est chouette, ça illustre bien le rapport que son groupe ( comme beaucoup d’autres ) entretient avec les fans, mais une famille même élargie c’est tout de même un milieu assez étroit, si en plus on met cette expression en relation avec cette constatation : Un Teddy Boy en 1923 c’est un passionné qui maintient vivant un milieu qui est en danger. Sergio Katz qui mène l’interview remarque pour sa part ‘’ Crazy Cavan décédé, le mouvement Teddy Boy est vieillissant’’. Ce ne sont plus les pionniers qui désertent notre planète, mais la deuxième génération qui commence à prendre du plomb dans l’aile… Lorenzo est optimiste, il rencontre plein de jeunes formations, surtout en France, qui assurent la relève…

    Moi aussi, voici quelques semaines, dans ma série Rockabilly Rules, j’ai failli présenter Haylen, me suis ravisé au dernier moment ne la trouvant ni assez rock, ni assez rockabilly, et plouf ! RGN lui consacre sept pages ! Quelles magnifiques photos ! Merci Sergio ! Un drôle de pédigré tout de même pour une rockabilly girl, elle a participé à The Voice, à cette occasion  sa voix puissante  a fait le choix difficile du rhythm ‘n’ Blues, elle a intégré  un opéra rock, Le Rouge et le Noir, ce n’est pas que je n’aime pas l’opéra, ce n’est pas que je n’aime pas Stendhal mais l’on est plus près d’une comédie musicale à la française que de Quadrophenia des Who… n’empêche qu’elle se débrouille bien dans son interview, un personnage attachant, parle de sa passion pour les années cinquante, de ses origines iraniennes, l’a l’air de mordre la vie à pleines dents, je viens de regarder une vidéo sur un concert du 23 mars 2023, rhythm ‘n’ Blues oui, rockabilly non. J’attends de voir.

    Troisième ( ? ) génération. Déjà morte. La fille d’Elvis. Pas folle la guêpe, n’a pas cherché à faire du rock ‘n’ roll. S’est lancée dans la pop. Pas si mal que cela. Quand je compare avec Haylen, elle me paraît plus authentique.

    Retour aux origines des origines. Pas le blues cette fois, le country. Avec Charline Arthur, née en 1929, je n’apprécie guère sa voix mais elle a dans les années cinquante révolutionné le country par ses attitudes, une outlaw d’avant l’heure, mais féministe, ce qui change tout. L’article de J. Bollinger est passionnant. On y retrouve un personnage bien connu des fans de rock’n’roll, le fameux Colonel, Parker de son faux nom, l’avait les dents longues, et des idées qui rayaient le plancher, dès avant Presley il avait tout prévu et savait ce qu’il voulait faire.

    Ce numéro est passionnant.

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  6 Euros + 4,00 de frais de port soit 10 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 40 Euros (Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! Surtout que les numéros 1, 2, et 3 ne seront plus réédités, il en reste une vingtaine d’exemplaires, qu’on se le dise ! Avis aux amateurs !

      

    *

    Dans notre livraison 545 du 10 / 03 / 2022 nous présentions trois vidéos, Hidden, Outlier, Sapiens, du groupe Aschen dans lequel nous retrouvions Clem Richard, son groupe Fallen Eigh dissout, nous les avions suivis tout le temps de leur ( trop courte ) existence, les mois s’accumulaient et malgré la promesse de Clem de reformer un groupe le temps avait passé, le Covid a joué les prolongations, et quelle surprise de retrouver Clem dans une nouvelle formation, Ashen, preuve que la braise rougeoie toujours sous les cendres.

    ASHEN

    Ashen n’a pas encore sorti de disques. Leur démarche est différente. A ce jour ils ont produit quatre vidéos, les trois que nous avons déjà présentées et une toute dernière, façon de parler puisqu’elle est déjà parue depuis neuf mois. Ils ne sont pas pressés, ils ont opté pour le label Out Of Line / Music, basé à Berlin, tout de suite l’on pense l’on ne sait pourquoi à Low de David Bowie, ces dernières années ce label s’est intéressé à ces nouvelles musiques issues du rock et du metal. Du son certes mais aussi un certain parti-pris esthétique. S’il est un mot caméléon qui ne veut plus rien dire, c’est bien celui d’esthétisme, car il peut être employé pour définir tout genre de style. Disons qu’il s’agit de la recherche d’une beauté qui entretiendrait des relations suivies avec l’Ange du Bizarre, cher à Edgar Poe.

    NOWHERE

    (Dirigée par Ashen, filmée par Aurélien Mariat)

    ( YT / Bandcamp) 

    Clem Richard : vocal : / Antoine Zimer : guitars / Niels Tozer : guitar, additional vocals / Thibaud Poully ; bass / Tristan Broggeat : drums.

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    Mise en scène d’une idée. Noire. Le clip fonctionne à la manière de ces puzzles dont il suffit d’assembler les pièces pour parvenir au résultat final. Je n’évoque en rien une jolie biche dans un sous-bois, pensez simplement à tous ces fragments de votre vécu qui une fois accomplis représenteront votre existence, n’oubliez pas que lorsque le dernier aura trouvé sa place, à l’instant où il sera intégré au reste de votre composition, votre vie sera achevée, car toutes les bonnes choses ont une fin. A cette nuance près qu’ici il n’y a que de mauvaises choses. N’avez même pas besoin de comprendre les lyrics ou de lire les mots qui s’écrivent en grosses lettres pour signifier les étapes du chemin, il suffit d’entendre et de voir Clem chanter. Les quatre musicos derrière lui, tout de noir vêtus, guitares noires et logo noir tatoué sur la grosse caisse, ambiance définitivement sombre. Bien sûr il y a du soleil, ces teintes jaunes et mordorées en toile de fond, pensez au titre du roman Le soleil des morts de Camille Mauclair, et vous comprendrez.  Clem est magnifique, une marionnette enragée transcendée par le désespoir, son vocal aspire la musique mortuaire de ses congénères, une splendeur riffique sans égale, vous n’entendez que lui, il vous conte comment le soleil qui se couche au fond de l’eau n’aspire qu’à la mort, et qu’il ne remontera plus jamais de l’abîme terminal. Vous avez des petites scénettes mélodramatiques, dont une assez surréaliste, vous êtes à la croisée symbolique des chemins de Paul Valéry et Jim Morrison,  avec un peu de chance vous en avez déjà interprété deux ou trois dans votre vie, à votre corps défendant, à votre grand regret, mais Ashen ose ce qu’il ne faut pas faire, le clip séditieux, si vous n’êtes pas trop idiot, vous avez repéré cet insigne métallique, avec sa croix christique inversé, mais ce qu’ils inversent c’est le sacrifice de l’ordre du temple solaire, l’on ne meurt pas pour trouver un monde meilleur mais pour ne plus supporter notre monde actuel. Nihilisme in nihilo. L’ensemble est un pur chef d’œuvre.

             Reste maintenant à regarder Ashen en live. Plusieurs enregistrements amateurs sont à disposition, parfois les prises de vue ne sont pas au top, la voix de Clem et les musicos s’en sortent bien. Mais si l’on compare avec les vidéos chiadées de Out Of Line, l’on se dit que le groupe se défend bien, toutefois la distance avec le produit fini est trop grande, ce n’est pas que le groupe n’est pas capable, ce sont les moyens qui manquent. Le groupe est là, mais le show est absent. Sans doute faudrait-il un véritable metteur en scène et des moyens financiers adéquats. Ils ont le son mais ils n’ont pas l’image. Ce n’est pas de leur faute. Les structures du metal français n’ont malheureusement pas la capacité d’offrir à un groupe comme Ashen, non pas une simple scène pro, mais une machinerie capable de restituer live de véritables créations dignes d’un opéra. D’où l’importance de soutenir un groupe d’un tel niveau.

    Damie Chad.

     

    *

    Encore un groupe que l’on suit. Depuis leur début. Ce clip ils l’ont gardé au chaud durant un an et demi, c’est un morceau issu de leur Ep sorti au joli mois de mai 2022.

    JEALOUSY

    CÖRRUPT

    ( Clip / Hardcore Worlwide ( Official 4K version HCWW ) / YT  )

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    C’est court. Moins de deux minutes. Oui mais ça vous arrive comme un coup de batte baseball sur le coin de la figure. Idéal pour chasser les idées noires. La preuve c’est qu’au début vous ne voyez que du vert. Des verres aussi, enfin des cannettes et un pack de bières éventré, mais nous étudierons cela après. Pas de panique, aucun besoin de prendre des notes. Bref un beau vert, entre gazon artificiel de terrain de football et tapis de billard. Posons le décor, un semi canapé cuir de vache limousine directement importé de Chine, un reste d’agapes liquides jonchent le plancher, une télévision fracassée. Toute ressemblance avec les rues de Paris durant la grève des éboueurs ne serait pas malvenue, toutefois question précision historique le clip a été tourné avant. C’est tout. Moins de 100 secondes, chronomètre en main. Un haiku hardcore. (traduction française un : Aïe ! coup encore ).

    Nicolas Pignoux n’est pas un pignouf, c’est lui qui sous le nom de NPX Production a eu la charge de réaliser la vidéo. S’est amusé comme un petit fou. Les quatre joyeux drilles de Cörrupt aussi. Ne leur a pas demandé de jouer. Juste de faire semblant. Pas tous ensemble. Pour procéder l’a dû se constituer une collection d’images animées. Des espèces de figurines Panini, joyeuses ou grotesques in action. Ensuite les a montées à la manière d’un prestidigitateur. Hop, t’étais là, t’as disparu. C’est réglé comme un ballet d’opéra. Ne manque que les petits rats parmi les détritus. Une chorégraphie totalement loufoque qui débloque. Un film muet, mais avec une bande son. Les acteurs ne prennent pas leur rôle au sérieux.  S’il fallait trouver un titre ce serait lendemain d’orgie sans nu descendant l’escalier. Pas de panique, il n’y a pas d’escalier. Ne tombez pas des nues. Une soirée de mecs qui a mal tourné, une répète épileptique, une scène de jalousie peu orthodoxe. A moins que ce ne soit un groupe de rock emporté comme fétus de paille par le souffle du morceau qu’ils viennent d’enregistrer.

    Un malin NPX, lorsque le morceau est terminé et que l’on n’entend plus rien, nous refile quelques secondes de rabe, avec Cörrupt qui nettoie le studio à toute blinde. Des garçons bien élevés. Ils lisent même la bible.

    Damie Chad.

     

    *

    Mister Doom 666 signale sur YT la sortie du nouvel EP de Jhufus, combo madrilène qui depuis 2019 a sorti l’équivalent de six EP, le titre de ce septième nous interpelle, n’avions-nous pas chroniqué dans notre précédente livraison 594 du 30 / 03 / 2023 Myesis de Telesterion premier volet consacré aux Mystères d’Eleusis ? Nous voici donc de retour à Eleusis avant l’heure présumée… 

    BACK TO ELEUSIS

    JHUFUS

    ( Pistes Numériques sur Bandcamp / Mars 2023 )

    Une couve monumentale représentant le propylée donnant accès à la grande salle de réunion télestérique du complexe architectural du sanctuaire d’Eleusis. Il est étrange de remarquer qu’alors que les couves des précédents EP ne se laissent pas facilement décrypter au premier regard, pour ces cérémonies hélas trop mal connues d’Eleusis Jhufus n’hésite pas à nous en mettre plein la vue avec cette entrée cyclopéenne des plus imposantes.  

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    Kykeon recipe : le kykeon est ce breuvage encore non formellement identifié offert aux adeptes lors de l’initiation, était-il fabriqué à base d’orge, d’eau, de lait, de vin, les avis divergent, longtemps il prévalait l’idée que la céréale utilisée était le seigle. Ce qui change tout, l’ergot de seigle est un champignon parasitaire de cette céréale dont les effets sont similaires à ceux du LSD… L’on en déduisait donc que les fidèles étaient ainsi soumis à des visions qui devaient être le moment le plus important de l’initiation… dans les années 70 une autre thèse a prévalu, le kykeon aurait été une boisson inoffensive, les visions étant simplement des hallucinations auto-hypnotiques générées par l’esprit surexcité des fidèles, explication peu convaincante, de nos jours il semble convenu les mystères étaient d’ordre purement symbolique, ce qui se discute : un gargouillis de liquide qui coule dans votre gorge, s’y mêle une basse fuyante scandée de quelques émoluments de tapotements battériels, les guitares se joignent à la course, a-t-on atteint le palier terminal assez décevant, longtemps l’on croit que l’on restera coincé sur ce diapason, surviennent des clinquances sur lesquelles embrayent des halètements distordus de basse, des bourdonnements d’avions s’éloignent dans une autre direction, le trip commence-t-il lorsque les riffs se dispersent en guirlandes fleuries… Back to Eleusis : résonnances de basse hautement feutrées, la batterie imite la démarche des impétrants, le drumming laisse la place à une zizanie zigzagante de guitare, les sons deviennent plus fort comme s’ils traduisaient des éclatements psychiques, ouvertures perceptionnelles, décollement subit, un clavier joue aux grandes orgues, fréquences vibraphoniques en apnée, l’on atteint à un niveau d’être un peu spécial, tous nos sens semblent communiquer entre eux. The mysteries experience : un son venu d’ailleurs, résonnances d’étranges musicalités, pulsation battériale le son se déploie, nos oreilles sont devenues des antennes spéciales, largement déployées pour accueillir l’étrange nouveauté de ces glissements acoustiques, brutalement la musique nous assomme, des ondes radios permettent encore de nous repérer dans un espace coloré qui adopte de multiples formes, de faux tortillements vocaux imitent les chants indiens rapidement balayés par une nouvelle arrivée sonore bousculante, des vents d’espaces violents nous emportent et nous emmènent encore plus haut, nouveau palier de compression auditive, nous ne savons plus où nous sommes, des roulements de batterie nous tourbillonnent comme des feuilles mortes, nous déposent l’on ne sait où. Enlightement : stase finale, les rythmes s’apaisent, redescendrions-nous, ou serions-nous parvenus au faite de notre expérience, couleurs pastels, de doux et féériques tintamarres nous enveloppent de leur soie auditive, le son des guitares s’allongent à l’infini, si vous ne voyez pas Dieu c’est que vous êtes devenus une parcelle du divin, supporterez-vous la cascade fanfarique qui se déverse sur vous, il est des orgies sonores qui essaient de reproduire l’extase de votre mort, peut-être est-ce cela que l’on appelle l’immortalité cette longue fulgurance se déclinant en berceuse définitive.

    Pas du tout désagréable mais l’on est plus près d’un trip hippie à consonnance orientalisante que de l’outrance des Dieux de la Grèce antique. Humain, trop humain.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

     

    EPISODE 22 ( Allusif  ) :

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    Les derniers conseils du professeur Laffont avaient été clairs :

    _ Evitez les grosses émotions, pas de sport, pas d’exaltation, je vous conseille une soirée calme, pas d’excitation, écoutez de la musique classique, par exemple en buvant une tisane, couchez-vous de bonne heure, dans la nuit votre cerveau vous donnera accès aux souvenirs les plus secrets stockés dans le subconscient de M. Lechef.

    J’ai suivi les prescriptions à la lettre, j’ai tout de même remplacé la tisane par quelques verres de moonshine, je me suis demandé si je n’allais pas écouter le premier disque de Black Sabbath, j’ai résisté à la tentation en optant pour les Gymnopédies d’Eric Satie, bref à minuit je dormais comme un loir, Molossa étirée de tout son long contre mon flanc gauche et Molossito roulé en boule dans le creux de mon aisselle. Avec de tels gardiens à mes côtés, j’étais prêt à me risquer à forcer les portes nervaliennes de corne et d’ivoire des rêves du Chef.

    121

    Bien sûr un agent du SSR ne dort jamais vraiment, il sait qu’à tous moments un danger peut survenir, les ennemis du rock ‘n’ roll sont nombreux sur cette planète, prêts à se débarrasser de ces farouches gardiens de la nation-rock qui jour et nuit montent la garde dans le seul but de préserver de toute attaque ce trésor culturel qu’est le rock ‘n’ roll. Ainsi au plus profond de mon sommeil, je ne perds jamais totalement conscience puisque lorsque je dors quelque part en moi quelque chose me dit que je dors. De même lorsque je rêve je sais que je rêve…

    122

    J’ai tout de suite eu l’intuition souterraine que l’opération transmutative de nos subconscients n’avait pas marché. J’ai immédiatement reconnu le rêve dans lequel j’étais entré, il me visite souvent, il faut dire qu’il est particulièrement hilarant. Un restaurant huppé fréquenté par l’élite parisienne m’ayant refusé l’entrée à cause de mes deux chiens j’étais revenu une quinzaine de jours plus tard avec Le Chef. La salle fumeur était comble, au milieu du repas le Chef avait allumé un Farso y Atrapo, une nauséabonde odeur de boule puante s’était répandue à la vitesse d’une bombe atomique, alors que nous croulions de rire autour de nous c’était Hiroshima, les serveurs vomissaient dans les assiettes, les enfants suffoquaient, les mères poussaient des cris stridents, courageusement les maris se battaient pour s’échapper en premier de ce cloaque odoriférant… une belle partie de rigolade, que nous nous remémorions souvent le Chef et moi-même lors des heures creuses au local, tiens une variante, le patron s’avance vers nous, en guise d’excuses et de dédommagements il nous emmène visiter sa cave à cigares, c’est moins marrant, nous parcourons des kilomètres et des kilomètres de rayonnages, le patron a disparu, tous les deux mètres le Chef s’arrête, allume un cigare  et commence à commenter d’abondance ‘’ Voyez-vous Agent Chad ce Tornado 47 ne saurait en rien rivaliser avec la saveur d’un Coronado 29…’’ c’est alors que je comprends que Le Chef partage avec moi un même rêve et que je suis bien rentré dans son subconscient…

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    Je crois que désormais je pourrais écrire une thèse de quinze cents pages sur les voluptés coronadiennes, je le confesse je me suis légèrement ennuyé à parcourir les rêves du Chef… au terme de quatre ou cinq heures l’ambiance a changé, je me suis retrouvé à marcher, je dis ‘’je’’, mais ce n’est pas moi, c’est le Chef, j’ai du mal à savoir où je suis, je suis incapable de définir le type d’endroit dans lequel je me trouve, ce n’est que petit à petit que je réalise que mon chemin est bordé d’arbres, de plus en plus resserrés, ce doit être une forêt, je n’arrive pas à m’en persuader, cette forêt me semble factice, pourtant je la parcours, l’herbe est rase, l’air est vif, des suites interminables de bouleaux et des sapins, maintenant uniquement de sombres conifères à perte de vue, pourtant je n’y crois guère, c’est immense mais j’ai l’impression d’un décor de théâtre, une expression s’affiche dans mon esprit, je suis dans une forêt de papier, ma remarque est idiote, ce n’est que peu à peu en faisant la relation bois / papier que l’évidence s’impose à moi, je ne suis pas dans une forêt mais dans un livre, dans la description d’une forêt, celui qui marche c’est moi, en fait je me suis projeté dans la tête du Chef, c’est lui le lecteur et l’homme qui marche c’est bien moi, à chaque mot lu par le Chef une de mes jambes exécute un pas, dans son souvenir le Chef lit un livre et moi je suis comme un personnage off qui n’existe pas dans le souvenir, c’est un peu comme quand un instituteur lit une histoire à ses élèves, l’élève qui écoute dans ma tête vit l’histoire, il l’imagine,  se la représente, il la suit selon une démarche personnelle, dans un univers parallèle. Brusquement je me réveille, Molossa et Molossito à mes côtés hurlent à la mort. J’ai du mal à les calmer. J’ai saisi mon Rafalos sous l’oreiller. Suis-je bête, si j’étais en danger ils n’auraient pas fait de bruit Molossa m’aurait averti en posant son museau sur mon jarret, les chiens me mettent en garde, c’est dans mon rêve que le péril me guette, comment le savent-ils, je n’en sais rien, ils le sentent, je peux leur faire confiance, d’ailleurs comme s’ils voulaient que je replonge dans mon rêve Molossito se pelotonne tout contre mon cœur et Molossa se colle contre ma tête, tous deux au plus près de ces parties de mon corps qui courent de grands risques, frôlerais-je l’accident cardiaque, vais-je devenir fou, tels les spartiates de Léonidas au défilé des Thermopyles un agent du SSR ne recule jamais, je respire profondément et je ferme les yeux.

    124

    Je me retrouve dans la forêt toujours en train de marcher, toutefois ma perception a changé j’ai la pleine conscience d’être dans un livre, pour une raison objective sur ma droite j’entrevois une bordure blanche, je comprends que c’est le blanc latéral droit qui borde la page, je peux donc continuer à marcher dans la forêt mais aussi me mouvoir sur la page même, je décide  de remonter vers le haut dans l’espoir que le titre de l’ouvrage et pourquoi pas le nom de l’écrivain apparaissent comme en frontispice au-dessus du texte, un usage topographique somme toute courant. Il m’est beaucoup plus difficile de réaliser cette opération, je dois couper ligne par ligne en me faufilant dans les intervalles qui séparent les mots ou en me glissant entre les interstices plus ou moins étroits entre les lettres. Je procède difficilement, le rêve vire au cauchemar, quand je passe sous la barre d’un t elle se transforme en une monstrueuse branche de sapin sur laquelle mon front s’en vient cogner, les jambes des p des j, des y, des q se muent en racines qui s’enroulent autour de mes pieds, les c se transforment en gueule ouvertes qui essaient de me dévorer, les o roulent vers moi comme de monstrueuses barriques qui cherchent à m’écraser, les m se changent en pythons interminables, les nœuds coulant des e  m’enserrent le cou, des X majuscules me barrent le chemin, les i me jettent des coups de point, je ne me décourage pas, je persiste, je me cramponne, je repousse, j’opère détours sur détours, je progresse slowly but surely comme le chante Ray Charles, ça y est j’y suis, je suis tout en haut, les lettres se détachent devant moi, je ne sais pourquoi, je pense au Hollywood sign ces grosses lettres géantes blanches sur les flancs escarpés de la colline Lee à los Angeles qui désignent la ville mythique du cinéma. Attention les images vacillent, je comprends que mon rêve s’estompe, qu’il ne me reste que quelques secondes, je tente un saut désespéré, je vole comme un aigle à la vitesse du vent, me voici sur l’autre page, tout en haut je lève la tête et je déchiffre la deuxième inscription, chance ce n’est pas la même que celle que je viens mémoriser, ce coup-ci c’est le nom de l’auteur, je l’ai, je me réveille, le réveil affiche huit heures du matin.

    125

    Neuf heures du matin, j’ai roulé comme un fou furieux, essoufflé je pénètre en coup de vent dans le local, le Chef est assis au bureau, il allume un cigare :

              _ Agent Chad pour une fois je vous félicite pour votre exactitude !

              _ Chef, je ramène aussi deux indices, nous tenons enfin une piste sérieuse !

              _ Agent Chad, pas de précipitation, procédons avec ordre et méthode, commencez s’il vous plaît par le commencement !

    Le chef est tout ouïe. Sans cesse il me coupe et exige des détails, il rallume un Coronado, lorsque j’ai fini de raconter la scène du restaurant, l’épisode de visite de la cave à cigares le ravit :

            _ Ai-je vraiment dit qu’un Tornado 47 ne vaut pas un Coronado 29 ? Je devais être dans un bon jour, un Tornado 47 arrive péniblement à se hisser à la hauteur, que dis-je au niveau de cette morne plaine de Waterloo, si bien chantée par Victor Hugo, de ces cigarillos de bas étage confectionnés avec des débris de havanes récupérés dans les centres de tri des ordures cubains et que l’on vend aux fumeurs de pacotilles.

    Pendant trois heures et demie j’ai droit à une étude exhaustive sur les mérites respectifs des différences marques de cigares à notre disposition dans les bureaux de tabac de par notre vaste monde… Mais le Chef ne se laisse point emporter par sa passion :

             _ Enfin Agent Chad, venons-en au fait, arrêtez de pérorer sur les Coronados, vous n’y connaissez rien, quels sont donc ces deux fameux indices ?

    A suivre…