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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 34

  • CHRONIQUES DE POURPRE 587 : KR'TNT 587 : MOGWAY / STAPLES Jr SINGERS / DAVID CROSBY / THOM BELL / URAL THOMAS / EUGENE CHRYSLER / G.O.L.E.M. / FRANCK HELEINE / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 587

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    09 / 02 / 2023

    MOGWAY / STAPLES Jr SINGERS

    DAVID CROSBY / THOM BELL 

    URAL THOMAS / EUGENE CHRYSLER   

     G.O.L.E.M. / FRANCK HELEINE   

    ROCKAMBOLESQUES

    Sur ce site : livraisons 318 – 587

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

    Smogwai

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             Bienvenue dans le smog des Scots, le smog de Mogwai. Mog qui ? Mogwai not ? Glasgow band, comme les Mary Chain, Primal Scream et les Fannies. Jusque-là tout va bien. Mogwai fut lancé dans les early noughties par un gros buzz NME. What ? Des petits mecs de Glasgow qui ne jurent que par les Stooges ? Trop beau pour être vrai. Tu cours chez ton disquaire, comme le disait jadis Paul Alessandrini dans l’early Rock&Folk. Tagada tagada, zavez le nouveau Mogwai ? Tiens mon gars, le vlà ! Paf, vendu ! Tu revenais chez toi la langue pendante pour écouter le buzz. Ah tu parles d’un buzz !

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    Tu te retrouvais le bec dans l’eau avec un Mogwai Young Team en forme de petite arnaque. Rien qu’avec les onze minutes de «Like Herod», tu mesurais l’étendue de l’enculerie. Onze minutes, c’est pas rien, même si au bout d’un moment, ça s’énerve un peu, même si quand s’élève un petit vent sonique, on commence à mieux comprendre le pourquoi du comment. Mogwai fait du gros zyva, de la noise de doom. Ici s’étend l’empire du doom, semble dire ce «Katrien» qui vient te doomer le bulbe. Ils ont tout en magasin, ils ont même du piano à la Satie dans «Radar Maker». L’eusses-tu cru, Fresh Egg ? Ils ont surtout des cuts inutiles et c’est la raison pour laquelle on décide d’en rester là. Fuck it ! Cette enfilade de cuts est insupportable, paumée, sans horizon. Rien, juste du son pour du son, pas de compo, pas de rien, no nothing. Pas de chanteur. Tu te fais baiser une fois, mais pas deux. Bon d’accord, il y a parfois des vents de sable, mais rien de constitué. Ils aiment bien Satie, ils y retournent («With Portfolio»). Sous prétexte de post-punk, ils font n’importe quoi. On comprend pourquoi Gildas méprisait la post. Ne va jamais là-dessus, car tu vas souffrir, surtout d’en bas. Ils repartent à la fin avec un hommage à Satan qui dure seize minutes, mais bon, écoute qui peut. Après, le plus difficile reste à faire : revendre cette daube épouvantable. Trouver un autre gobier.

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             Et puis, le mois dernier on tombe sur la chronique enthousiaste d’un journaliste anglais qui a lu l’autobio de Stuart Braithwaite, Spaceships Over Glasgow. Le journaliste parle d’un hilarious book. Stuart Braithwaite est le guitariste de Mogwai. La chronique a l’air tellement sincère qu’on décide d’aller y voir de plus près, sait-on jamais. Oh après tout, le risque de se faire enculer une deuxième fois n’est pas si terrible. On gaspillera tout au plus quelques heures de lecture, c’est-à-dire une goutte d’eau dans l’océan des lectures. On envoie les pésétas chez Book Depository et le Mogwai book arrive 48 h plus tard. Ouvrage relié, belle jaquette orange fluo, graphisme ésotérique, belle main du bouffant et beaux choix typo, les conditions semblent rassemblées : la relation de confiance peut se rétablir. 

             Stuart Braithwaite raconte sa vie très simplement. Pas la moindre trace de prétention, chez lui. D’ailleurs les photos du groupe vont dans le même sens : ces mecs sont des anti-rockstars. Aucun danger qu’ils plaisent aux filles. Même leurs fringues sont laides. Bien sûr, Braithwaite raconte l’histoire de Mogwai, un groupe dont on n’a rien à foutre, mais ce qui fait la force de son book, c’est l’aspect flaubertien, une certaine façon de raconter sa rocking Éducation Sentimentale : comment se construit un kid fan de rock dans l’Angleterre des années 80/90. Son book fonctionne comme un catalogue du bon goût. À part deux ou trois faux pas, toutes les références de Braithwaite sont bonnes : ça commence avec les Mary Chain et ça se termine avec Roky Erickson, en passant par les Stooges, le Velvet et des tas d’autres passages obligés. Ça te sécurise un lecteur.

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             Comme il est né en 1976, Stuart arrive un peu après la bataille. Il fait ses premiers pas dans la vie du rock avec Cure et Nirvana. En France, pays extrêmement défavorisé en matière de rock, certains kids s’alimentaient depuis longtemps d’un savant mélange de presse et de fanzines : Shake, Les Rockers de Jean-Claude Berthon, le Rock&Folk d’Yves Adrien, puis le Bomp! de Greg Shaw, le Creem de Dave Marsh, et la sainte trilogie NME/Melody Maker/Sounds - principalement le NME de Nick Kent et de Mick Farren - le Back Door Man de Phast Phreddie Patterson, puis dans les années 80/90 le Spin américain, Vox et Select en Angleterre, et parfois The Face. Tout cela a disparu, emporté par une nouvelle vague, Mojo/ Record Collector/ Classic Rock/ Vive Le Rock/ Uncut/ Shindig!, et toujours des zines, Ugly Things, Dig It!, Rock Hardi, et pour un petit shoot trimestriel de rockab, Rockabilly Generation. Avec tout ça, la dose mensuelle est garantie. Pas de place pour le reste.

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             D’une certaine façon, Stuart va rattraper son retard, dès 11 ans, avec un prof de guitare qui lui apprend à jouer «Heroin». Small Stuart ne sait pas qui est le Velvet - I presumed  that the Velvet Underground were all black - ni ce que sont les drogues, mais le cut lui plaît infiniment. Sa grande sœur écoute les Mary Chain et il comme il adore le son, il veut une guitare électrique. Puis sa frangine entre dans l’univers 4AD, avec les Pixies et les Cocteau, découverte à la suite d’Ultra Vivid Scene - one of the biggest bands on the planet - et puis Cure, qui dit-il, lui entre sous la peau. Et chaque mercredi, bien sûr, il dévore the holy trinity, NME/Melody Maker/Sounds, quelques TV shows comme Snub TV où il découvre les Cramps, Dinosaur Jr, puis les Spacemen 3 et «Revolution», et bien sûr l’inévitable Peely show sur Radio One - a show anything but predictable - Et ça continue avec Loop, Fields Of Nephilim et Silverfish. Vie classique de fan de rock en Écosse, mais Stuart trie sacrément sur le volet. Pas de daube chez lui. Il monte même un groupe avec des copains : Pregnant Nun, clin d’œil aux Mary Chain, dont il apprend les chansons pour pouvoir les massacrer sur sa gratte.

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             Comme ses parents sont extraordinairement bienveillants, il peut entrer rapidement dans la seconde phase de son Éducation Sentimentale : les concerts au Barrowland. Initiation avec Cure qui lui est entré sous la peau, notamment l’album Disintegration. Le concert est comme il dit spellbinding. Stuart commence alors à collectionner tout le vocabulaire du fan transi. Pour lui, Cure est le perfect teenage band. Il sort complètement sonné de son premier shoot de Cure au Barrowland. Il en tartine des pages entières. Puis c’est le concert des Mary Chain dont il se dit obsédé. Obsédé de leur fuck-the-world attitude. Époque Psychocandy - To me they epitomised cool - Il les voit comme the coolest band on the planet. Au point où il en était, il aurait pu sortir un truc du genre cool Raoul. Il revoit les Mary Chain au moment d’Honey’s Dead - The place was bedlam - Les Mary Chain sont le fin du fin. L’autre fin du fin, c’est Spacemen 3 covering The 13th Floor Elevators. Il commence à collectionner les guitar heroes. Voilà son trio de tête : J. Mascis, Poison Ivy et Robert Smith. Bizarrement, toutes ces influences n’apparaissent pas dans la musique.

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             Et comme dans toutes les histoires d’addiction, ça monte vite en température. Voilà qu’arrivent les Stooges - Their self-titled album was pretty much my bible - Puis son prof de guitare lui fait écouter Raw Power. Il est captivé par la férocité du son. It was perfect - The Stooges were Year Zero for the music we loved - Tous les misfits d’Écosse vont voir Iggy sur scène. L’«I’ve been dirt and I don’t care» sonne comme un mantra pour tous ces mecs-là. En rappel, Iggy balance son vieux Wanna Be Your Dog, and the place went ballistic, nous dit Stuart, le souffle court - I think it’s the perfect song. Simple, hypnotic, dumb and beautiful - Iggy finit avec «Search And Destroy», a whirlwind of chaos energy, and the crowd going apeshit - tout le vocabulaire de la folie du rock est là, Stuart en fait la collection, comme l’ont fait Baby Gillespie et Kris Needs dans leurs big fat autobios. Le rock est d’abord une affaire de langage, ce qu’ont bien compris ces trois cocos.

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             Et ça repart de plus belle avec Nirvana que Stuart découvre à Reading. «Smell Of Teen Spirit» hit me like a ton of bricks. C’est bien dit. Il succombe au mantra «A denial, a denial, a denial, a denial». Ah les mantras ! Le concert de Nirvana à Reading reste pour lui one of the best performances I’ve ever seen. Il voit aussi Dinosaur Jr exploser Reading avec «Freak Scene», nouveau coup d’apeshit ballistic bedlam. Il n’a plus de mots, il écume. Il louche aussi sur Kim Gordon, the epitome of nonchalance. En France, on a l’épitome de chèvre, en Angleterre, c’est plus raffiné. Reading 1991 est son premier festival. C’est là qu’est tourné l’excellent The Year Punk Broke. Stuart voit aussi les Sisters Of Mercy, Mercury Rev et Teenage Fanclub. Il adore Primal Scream, bien sûr, et l’«Everything Flows» du Teenage Fanclub is pretty much the perfect song, une de plus. En 1993, il voit la reformation du Velvet, puis les Buzzcocks, encore des chouchous, son favorite punk band. Côté disks, Stuart ne chôme pas : Hunky Dory, Lust For Life et Marquee Moon sont ses favoris, l’année où il s’installe à Édimbourg avec des copains. The perfect bands sont The Jimi Hendrix Experience, Nirvana et Motörhead. D’autres chouchous encore : Loop, Spacemen 3, The God Machine et Swervedriver. Toutes ses références sont parfaites.

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             C’est là qu’il monte Mogwai avec son pote Dominic. Il tire le nom du Gremlins de Spielberg : Mogwai est aussi un mot chinois qui veut dire démon. Et pouf c’est parti ! Première tournée avec Urusei Yatsura, un autre gang de Glasgow aujourd’hui oublié, mais qui a connu sa petite heure de gloriole. On propose à Mogwai une tournée américaine avec Ween, mais ils n’ont pas le blé pour partir en voyage. En 1996, ils font leur première Peel Session. Puis leur premier single est chroniqué dans le NME. Ils jouent en première partie de Pavement, dont ils vont rester très proches - We were obsessed with Pavement - Stuart voit Spiritualized sur scène et dit tout le bien qu’il en pense. Puis tournée américaine en première partie de Pavement, puis hommage aux Super Furry Animals - whose music we all loved - et à Arab Strap, hommage encore au Deserter’s Songs de Mercury Rev. À travers son histoire, Stuart fait une sorte de parcours sans faute. Hommage encore à Bardo Pond, «playing super loud, far-out psych-rock». Puis Mogwai fait la couve du numéro spécial No Sell Out du NME, l’un des numéros les plus légendaires de l’histoire du canard, dans lequel on trouve Fugazi et le comédien Bill Hicks. Hommage encore aux Texans d’And You Will Know Us By The Trail of Dead, «more punk rock than Sonic Youth», puis à Billy Duffy, guitariste du Cult : Stuart va le trouver pour lui dire qu’il a appris à jouer de la guitare à cause du solo qu’il passe dans «She Sells Sanctuary». Pixies, aussi, one of my favourite bands. Petites apologies encore d’Arab Strap, de The Twilight Sad et de David Pajo, le mec de Slint. Il n’a oublié personne ?

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             Les drogues ? Les Cramps ? Roky Erickson ? Non, pas d’inquiétude, il ne les oublie pas. Les drogues sont partout dans Mogwai, les Écossais n’arrêtent pas. Stuart dit qu’il a perdu ses cheveux à cause des excès. Il tape dans tout : booze, acid, E’s, pills, coke, tout ce qui traîne - We were a mess - Il jongle avec les expressions de la défonce, comme l’ont fait Baby Gillespie et Kris Needs avant lui, expressway to insanity, out of our fucking minds, continuing to get smashed, c’est exactement la même ambiance que dans Primal Scream qui se vantent d’être continually wasted. Stuart se croit un «hard partier» jusqu’au jour où il monte dans le tour bus d’Elastica - they were on another level - et il ajoute : «things got messy in ways I’d never witnessed before.» Tout monte toujours d’un cran, à mesure qu’on avance dans la vraie histoire d’un groupe. Et ça continue jour et nuit, nuit et jour, dans les festivals en Espagne, everyone was so fucked. Puis il finit par voir les Cramps, one of my favourite ever bands. Il finit en beauté avec Roky qu’il réussit à coincer en studio pour enregistrer «Devil Rides». À Austin, Roky commence par emmener Stuart chez un marchand d’ice cream qui vend un milkshake nommé Roky et qui fait la fierté de Roky. En studio, Stuart doit se pincer pour être sûr que ce n’est pas un rêve : il se retrouve avec son idole Roky qui chante une chanson qu’il a composée pour lui. C’est un bel aboutissement, pas vrai ?

             Mais la vraie merveille de ce book se trouve dans le dernier chapitre. Quand son père casse sa pipe en bois, Stuart voit son monde s’écrouler. Alors il parvient à exprimer sa douleur et c’est la plus belle page de ce book que devraient lire tous les fans de rock : «J’ai beaucoup rêvé de mon père après qu’il soit mort. Et ça continue. Il est toujours là. Pendant toute ma vie d’adulte, mon père est venu me chercher à l’aéroport pour me ramener à la maison. Même quand je vivais à Édimbourg, ce qui représentait pour lui trois heures de route. Il m’attendait à l’arrivée, souriant et toujours content de me revoir. Pendant le trajet en voiture, il me posait des questions sur mon voyage et me disait tout ce qu’il avait pu faire pendant ce temps. Alors après, j’avais du mal à descendre de l’avion et à revenir dans le hall d’arrivée de l’aéroport, sachant qu’il ne serait plus là pour m’accueillir. Ça a duré un bon moment, et puis ça s’est un peu atténué, car j’ai fini par me dire : ‘quelle chance j’ai eu de le voir là pendant toutes ces années’. C’était un wonderful man et j’ai eu la chance de l’avoir comme père.»

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             Du coup, on décide en comité restreint d’aller tester un autre album de Mogwai. Le choix se porte à l’unanimité sur Rock Action, à cause du titre. Même constat qu’auparavant : ils bâtissent leur empire sur du bruit. Franchement, tu n’es pas obligé de trouver ça bien. Tu n’écoutes que par curiosité, mais surtout par sympathie pour Stuart qui est de toute évidence un brave mec. Avec «Take Me Somewhere Nice», ils bricolent une grosse ambiance, mais rien d’autre. Ils tartinent leur heavy tartine avec du chant qui n’est pas du chant. C’est même un peu pénible. On est triste pour eux, car au fond, on les aime bien, puisqu’on écoute les mêmes disques. Quand tu n’as pas de voix, ça ne pardonne pas. Les petits sortilèges soniques ne marchent pas non plus. La voix murmure dans le son et c’est une catastrophe. Cette pauvre voix atone voix reste même au fond du son, complètement inexploitable. On se demande comment un label a pu les soutenir. Ça n’a pas de sens commercial. Stuart et ses copains tapent dans le smog d’outerspace, ils nous enfument, ils n’ont aucune chance de convaincre les pékinois. Il faut attendre «2 Rights Make 1 Wrong» pour que leur sauce prenne, ils font enfin du wild ambiant scottish et ça brûle très vite. Ils sauvent cet album qu’ils auraient dû appeler Boudu Sauvé Des Eaux.  

    Signé : Cazengler, smog on the water (closet)

    Stuart Braithwaite. Spaceships Over Glasgow. White Rabbit 2022

    Mogwai. Young Team. Chemikal Underground 1997

    Mogwai. Rock Action. PIAS Recordings 2001

     

     

    Les Staples ne sont pas les Staple

     

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             Soit on sait, soit on ne sait pas. Pour vraiment profiter du spectacle des Staples Jr Singers, le mieux est de savoir, et pour savoir, il faut avoir écouté When Do We Get Paid, un album miraculé sauvé des eaux par un petit label américain, Luaka Bop. Alors on sait, quand on les voit arriver sur scène, qu’ils vont nous faire du Wilson Pickett. Et ça va même au-delà de toute expectitude.

             Les liners de cet album miraculé sauvé des eaux nous apprennent que les Staples Jr. Singers sont en réalité les Brown d’Aberdeen, Mississippi, et, ajoutent les liners, ils ont commencé de bonne heure : Annie avait 11 ans, Edward 12 et R.C. 13. Ils écumaient les églises et les écoles sur les deux rives de la Tombigbee River. Ça ne s’invente pas, une histoire pareille. Comme ils écoutaient pas mal de secular music à la radio, ils se sont inspirés des Staple Singers pour se baptiser les Staples Jr. Singers. Annie adorait les Staple songs, oh yeah !, «because they had a meaning to them and a different style.» Pour elle, ça ressemblait beaucoup à ce que ses parents écoutaient. Elle rappelle que sa famille vivait dans la pauvreté, mais Daddy veillait toujours à ce qu’il y eût «à manger sur la table, des habits sur notre dos et un toit au-dessus de nos têtes. Alors ces chansons correspondaient à ce que nous vivions.»

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             Quand on écoute cet album miraculé sauvé des eaux, on est frappé par le mélange de primitivisme et de modernité du son. Les Staples Jr couplaient des rough and soul-infected rhythms - ce que le guitariste R.C. appelle «the new style» - avec des paroles qui évoquaient la rude condition des blacks pauvres dans le Deep South - «talking about trouble», dit Annie - Dans le morceau titre, Annie et Edward chantent «When do we get paid/ For the work we’ve done ?». Eh oui, il serait temps de s’en soucier, aux moins deux ou trois siècles de retard de salaires pour quelques millions d’esclaves. Ils tapent ça en mode heavy groove. C’est du pur Gospel Stax, intense et perlé de sueur.

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             Edward insiste beaucoup pour dire que les paroles de leurs chansons sont toutes tirées de leur vécu. Quand ils partaient en tournée, ils achetaient du matériel à crédit chez Mr. Buxton et le chargeaient dans le van que conduisait leur frère aîné, Cleveland. Ils tournaient partout sous la fameuse Bible Belt, «Minnesota, St. Louis, Memphis, Arkansas, Birmingham, all those places.» Ils ont fini par attirer l’attention des fameux Jackson Southernaires qui les firent jouer en première partie. Ils ont enregistré leur premier single en 1974 chez un certain Big John qui avait un studio à Tupelo : «Waiting For The Trumpet To Sound», qu’on retrouve bien sûr sur l’album, un gospel blues d’Ooooh Lawd keep on waiting. Un vrai petit coup de génie. La finesse du guitar slingin effare dans la nuit, et Annie te swingue tout ça à coups de keep on waiting. Leur Waiting passait pas mal à la radio et c’est avec Big John qu’ils enregistrèrent leur album en 1975, au Statue Recording Studio de Tupelo. Annie avait 14 ans, Edward 15 et R.C. 16. Toujours la même chose : une histoire pareille, ça ne s’invente pas.

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    ( Version originale : Brenda Records 1975 )

             Dès le «Get On Board» d’ouverture de bal, on voit que c’est enregistré avec les moyens du bord. Puis ils passent à la vitesse supérieure avec «I Know You’re Going To Miss Me», une vraie dégelée d’amateurs, ils tartinent un vieux gospel de Soul, c’est du raw, mais de l’excellent raw. Annie s’explose la rate à chanter son lead, elle est fantastique, elle en rajoute. Du coup, il règne dans cet album miraculé sauvé des eaux une ambiance extraordinaire. Ah tu te régales, tout est bien chez les Brown, le lead d’Annie, le guitar slinging de R.C. Avec «I’m Going To A City», ils basculent dans le heavy r’n’b amateur, ils y vont au get my ticket, c’est du pur primitif. L’album devient même fascinant, tu t’enfonces avec eux dans une jungle, une sorte de nowhere land inespéré. Encore une merveille imprescriptible avec «Trouble Of The World» et ils font avec «I Feel Good» une Soul d’excelsior. Annie taille bien la route avec «On My Journey Home» et ils finissent en beauté avec «I Got A New Home». Dans les liners, Annie est la première surprise : elle pensait que cet album génial avait disparu.

             Après l’album, les Brown ont continué leur petit bonhomme de chemin et sont passés à autre chose. Dans les années 80, le groupe compte 9 membres et devient The Brown Singers. Puis Annie se marie et elle monte les Caldwell Singers, alors qu’Edward et R.C. continuent avec les Brown Singers.  

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             Et les voilà tous les trois sur scène, Annie, Edward et R.C., le fantastique R.C. et son guitar slinging. Ils sont assis tous les trois, car plus très jeune, Annie pèse bien 200 kg mais elle te harponne une salle comme si elle harponnait un cachalot blanc, woufff !

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    Elle shake mille shooks, elle shoute avec le power du tonnerre, elle te sort des faux airs d’Aretha, quand elle se lève pour haranguer les harengs, elle devient une sorte de déesse africaine, une incarnation parfaite de la statuaire sacrée africaine qui représente la fécondité, et derrière elle, c’est un vrai ramshackle de wild gospel funk, deux guitaristes fabuleusement doués, un beurre-man et THE locomotive-man, un bassman beaucoup plus jeune qui joue comme James Jamerson, en descentes d’accords et en contrecarres de contrefort, c’est irréel de power, alors tu ajoutes ça au cirque que font Annie et Edward et te voilà au paradis du wild r’n’b d’église en bois. C’est carrément du Wilson Pickett servi sur un plateau d’argent.

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    Ils raflent toutes les mises, même les plus inimaginables, tu as là sous les yeux l’un de ces spectacles parfaits que le hasard des programmations rend possibles. Pendant une longue version de «When Do We Get Paid» - for the work we’ve done - la sono tombe en panne et pas de problème, Edward mène le bal a capella, ils ont assez de métier pour affronter les aléas de la technique moderne.

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    Ils font en fait très peu de cuts, mais ils les travaillent dans la durée. Ils mijotent les éruptions, ils groovent sous la cendre. Et puis tout explose avec «I’m Going To A City», Annie fout le feu au cachalot, elle lâche tous les démons de l’Afrique profonde sur l’Occident subjugué, c’est une épouvantable curée, un chaos régénérateur, tout le monde twiste dans la cambuse, Annie et ses frères nous ramènent aux origines du monde. Wild as fuck !

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    Signé : Cazengler, Instable Jr

    Staples Jr Singers. Le 106. Rouen (76). 31 janvier 2023

    Staples Jr Singers. When Do We Get Paid. Luaka Bop 2022

     

     

    Wizards & True Stars

    - Crosbibi Fricotin (Part One)

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             Nouveau trou dans l’eau avec la disparition de David Crosby, l’un des vrais héros de ce qu’on appelait autrefois la contre-culture américaine. Croz était un homme libre, un navigateur, un hédoniste invétéré, amateur de jolies femmes et de drogues. Il fait partie de ceux qui n’ont jamais commis de faute de goût en matière artistique et ça va même plus loin : à toutes les époques de sa carrière, sa seule présence rehaussait le prestige de ses collègues, que ce soit dans les Byrds, CS&N ou après, au long cours de sa carrière solo, une carrière qu’il faut bien qualifier de fastueuse et que tous ses fans ont suivie méticuleusement. Quand on connaissait son histoire, on savait qu’il n’allait pas faire long feu, surtout après une greffe du foie. C’est un miracle qu’il ait pu survivre aussi longtemps et continuer d’enregistrer des albums aussi magiques. Car c’est bien de magie dont il s’agit, une magie particulière qu’on appelle aussi le groove.

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             On venait tout juste d’écouter son dernier album, l’excellent For Free, quand la triste nouvelle est tombée. For Free est donc son testament artistique. Sur la pochette, Croz ressemble à l’un de ces vieux cowboys de Sam Peckinpah, il sort tout droit du fabuleux «Cowboy Movie» qui illumina jadis l’album rouge, If I Could Only Remember My Name, un «Cowboy Movie» qui hanta tant l’auteur des Cent Contes Rock qu’il en pondit un œuf. Cot Cot ! Ah il faut voir Croz attaquer «River Rise» à la sauvage de vieux crabe. Il t’embarque aussi sec, avec une énergie considérable. Il te fait une rock-song du meilleur niveau, ça scintille et ça flashe. C’est du Croz en liberté. Si tu cherches le coup de génie, il se trouve juste avant la fin et s’appelle «Shot At Me». Croz chante à l’édentée salivaire et gratte ses poux du limon - I was having coffee in my favorite place - Il voit entrer un fantôme - this haunted guy with a haunted face - et donc il nous fait un cut fantôme, il nous fait du groove indien - Head to the woods and laugh all the way/ Nobody shot at me today - C’est exactement du même niveau d’envoûtement que «Cowboy Movie». On trouve aussi deux Beautiful Songs sur For Free, «The Other Side Of Midnight» et le morceau titre. Il va chercher ses vieux horizons, c’est tout ce qui l’intéresse, ces soudaines montées en charge d’harmonies vocales. On croirait qu’il les a inventées. Il ouvre chaque fois un nouveau chapitre de la très grande pop américaine. Il chante face au soleil - How does love light shine from so high above/ Tell me - Il se connecte sur les anciennes magies de vestes à franges dans le crépuscule californien, c’est là que tu trouves la légende de Croz, il fait un fantastique testament psychédélique, il revient aux flux et aux reflux magiques du Californian Hell. Dans «For Free», il raconte l’histoire d’un musicien des rues - Across the street he stood and he/ Played real good/ On his clarinet for free - C’est un groove de jazz, il tape ça au playing real good for free, dans l’esprit de ce que fait Joni Mitchell - Maybe put on a harmony - C’est ce qu’il fait. Il termine cet album fascinant avec son testament : «I Won’t Stay For Long», joué au piano atonal.

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             En 2016, Croz est revenu au devant de la scène avec un album phare, Lighthouse. Il y redéploie dès l’ouverture sa pop spacieuse et élégante. La paix règne sur cet album, Croz bat doucement les cordes de sa gratte et chante son vieux groove océanique. Il prend «The Us Below» au trémolo de glotte sensible - Why must we be eternally alone - Il se pose de drôles de questions. C’est évident qu’on finit seul, quoi qu’il arrive. Avec «Look In Their Eyes», il va sur un son plus Brazil. On sent chez le vieux Croz un goût certain pour la brise tropicale et l’air parfumé du large. Il renoue aussi avec les accents magiques de CS&N et retrouve sa façon de forcer la note au chant. Le hit de Lighthouse ouvre le balda : oui, «The City» est une absolue merveille, swinguée au beat californien - All you can do is your best to stay in - Il re-développe sa fabuleuse énergie d’antan, like a wind, like a fire, il fait son best to stay in, oh yeah ! Fabuleux ! C’est claqué aux profonds accords d’acou. On sent remonter les vieilles énergies du Pacific qui datent du temps où régnaient sur la West Coast les Mamas & The Papas et CS&N. Il termine cet album phare en duettant avec Michelle Willis sur «By The Light Of Common Day». C’est beau, comme un ciel au-dessus de l’océan.

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             David Crosby éclairera le monde jusqu’à la fin des temps, c’est en tous les cas ce que prouve Sky Trails, paru l’année suivante. Il démarre avec un groove de jazz intitulé «It’s Got To Be Somewhere». Pas de groove plus groovy que celui de Croz. Il sait qu’il a du génie, mais il ne la ramène pas. Il se fond dans le groove, comme il l’a fait toute sa vie. C’est jazzé jusqu’à l’oss de l’ass - The book never lies/ Across the Santa Anna/ To the land of blue skies - La lumière se glisse dans la moelle des harmonies vocales. L’autre coup de génie de l’album s’appelle «Somebody Home», encore un groove jazzé aux neuvièmes diminuées. C’est d’une insondable profondeur. Croz chante à l’haleine chaude du vieux combattant, cette pureté fait la différence avec les autres prétendants au trône - When I look at my face/ I think there’s somebody home - C’est pointé à l’orgue céleste, prodigieusement autobiographique - One of these days/ I’ll get my courage up/ Sit down at your table/ Pour some coffee in my cup/ And I will tell you I love you - On l’entend faire des prodiges avec sa voix - Seen you weak/ but when you - et là il monte de plusieurs octaves - to me/ There’s somebody home - D’autres merveilles se nichent sur cet album béni des dieux, comme par exemple «Sell Me A Diamond». Il revient à l’avant-garde déconstructiviste qu’il affectionne tant. Il faut écouter cet homme attentivement, car il sait qu’il va mourir. Il chante encore ses chansons, comme s’il se trouvait à la fin d’un règne, avant que ne s’éteignent définitivement les spotlights. Il explose «Capitol» aux harmonies vocales, y dénonce la fake democracy et chante «Before Tomorrow Falls On Love» d’une voix de vieil homme, mais avec une âme - In that careless place and time - Extraordinaire ! Puis il s’en va jazzer «Curved Hair» à Bahia - The sky is a cavern open wide - et nous pond un groove de jazz dément. Ici, tout n’est que groove, calme et volupté.

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             Dans l’interview qu’il accorde à Ian Fortman en 2017, Croz revient invariablement sur l’un de ses sujets favoris : la politique. Il a de quoi faire puisque selon lui son pays n’est plus aujourd’hui qu’une bad joke. Et il traite son président d’asshole, ajoutant - Please quote me !  Oui, il veut qu’on le cite. Croz résume tout haut ce que tout le monde pense tout bas : les grosses boîtes investissent des millions de dollars dans le politique et quand les actions sont en baisse, ils demandent aux gens qu’ils ont acheté de déclencher une nice little war ici ou là, histoire de relancer le business - The United States is at best in a lot of trouble - Croz sait qu’il manque aujourd’hui une chanson comme «We Shall Overcome», pour les gens qui sont dans la rue. Quand il est questionné sur le freebasing qui a détruit sa vie et qui l’a conduit au ballon, Croz dit que oui, la progression de la drug culture et la mort de l’idéalisme des sixties étaient liées. Il rappelle qu’au même moment, on butait Kennedy et Martin Luther King. Quant aux guns, Croz rappelle qu’en son temps, on offrait aux kids de 12 ans comme lui des 22 long rifles, ça faisait partie des usages. Rien à voir avec ce qu’est devenu le mythe des guns dans les gangs - The gun itself isn’t the problem, the problem is the operator - Retirer les guns de la circulations aux States ? Tu rigoles, man ? Deux tiers des maisons ont des guns et personne ne voudra les rendre. Et questionné sur le racisme, Croz répond qu’Odetta et Josh White furent ses mentors.  

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             Nouvel album de pépé Croz en 2018, le bien nommé Here If You Listen. Autant le dire tout de suite : l’album renferme une sacrée pépite : une version de «Woodstock», le vieux hit de Joni Mitchell. Croz coule le bronze de la légende dans l’or du temps - We are stardust/ We are golden/ And we got to get ourselves/ Back to the garden - C’est imbattable. On observe aussi un fantastique retour aux harmonies vocales de CS&N dans «Other Half Rule» - Ego is the fever/ Runs hot and make ‘em blind/ Fuel for the fire/ That burns a man alive - Fantastique ferveur d’intimisme mélodique. Il propose aussi un très beau numéro d’équilibriste à plusieurs voix dans «Janet». Comme Scott Walker, tout ce que fait cet homme à l’article de la mort fascine au plus haut point. Il attaque l’A avec «Glory», un balladif océanique. Il y mêle sa voix à celles des filles - Let me be/ A glory in the sky - Ça swingue dans l’ouate. On reste dans une sorte de latence suprême avec «Vagrants Of Venice» et de vieux échos de CS&N viennent hanter «1974». Tout est très pacifique, infiniment doux et beau. Il sait traiter la paix intérieure en profondeur, comme l’indique «Your Own Ride» - It’s a matter of honor/ Having stirred up some light/ To spend my last hours/ Clearing the path for/ Your own ride - Il se montre de plus en plus éthéré avec «I Am No Artist» - I am no artist/ Lonely and supreme/ Needing no hand to touch/ No eyes to smile/ Only your lips - C’est une expérience unique que d’écouter ce vieil homme groover l’éther et remuer un passé si prestigieux. Il fait le show tout seul à l’acou dans «Balanced On A Pin» - This space I’m in - Il semble complètement détaché de la terre - It’s a bubble/ Balanced on a pin/ The space I’m in.

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             Avant de quitter ce monde ingrat, Croz aura su se montrer digne des caméras en acceptant de jouer son rôle dans le film que lui consacre A.J. Eaton. Sorti en 2019, ce film s’intitule Remember My Name. On se rappellera facilement du titre. C’est un vieillard qui apparaît à l’écran pour raconter son histoire favorite : il est dans les gogues d’un club de Chicago, défoncé comme il se doit, lorsque soudain Trane fait irruption en soufflant dans son sax. Brrrrzzzrrrrrzzzz ! Croz saute dans son fauteuil et fait avec ses lèvres le bruit du sax de Trane. Brrrrzzzrrrrrzzzz ! Stupéfait par la violence du son de Trane, Croz raconte qu’il s’affaisse en glissant le long du mur carrelé. Voilà de quelle manière un géant rend hommage à un autre géant. David Crosby salue John Coltrane. On se souvient que Croz fit partie des Byrds. Alors si on aime les Byrds, on se régale car on voit McGuinn raconter comment ils ont arrangé la gueule de «Mr. Tambourine Man» : pam pam pam ! Il donne ensuite la raison pour laquelle lui et Chris Hillman ont un jour pris leurs Porsches pour aller dire à Croz qu’il était viré : Croz faisait trop de politique - Too much politics and not enough music ! - Alors Croz décide d’acheter un voilier pour prendre le large. Il en repère un qui vaut 25 000 $ - Hey Peter Tork, tu peux me prêter 25 000 $ ? - Et Croz ajoute, du haut de sa belle intelligence : «L’océan est tellement réel, contrairement à Hollywood.» Il est tout de même recommandé de lire le volume 1 de son autobio, car il consacre des pages superbes au Mayan, ce fameux voilier. On verra ça dans un Part Two.

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             Croz revient à la caméra pour évoquer l’âge d’or de Laurel Canyon, avec notamment Cass Eliott et surtout Joni Mitchell qu’il considère toujours comme «la meilleure de nous tous». «C’est indéniable», ajoute-t-il d’un ton crozzy. Il rappelle qu’il a produit son premier album. Il en profite pour évoquer le souvenir de ces femmes qu’il adorait, Joni, Cass, Janis, «toutes brillantes, toutes cabossées, toutes solitaires». Il rappelle aussi que Dennis Hopper s’est inspiré de lui pour son personnage de biker cosmique dans Easy Rider. Puis il en arrive naturellement au chapitre des drogues dures. On lit la gourmandise sur son visage, il évoque le premier shoot d’héro, ah les drogues, dit-il, idéales pour «supprimer l’ici et maintenant». Mais les digressions philosophiques n’intéressent pas les gens du cinéma américain. Ils préfèrent les chicaneries à la con, alors Croz se voit contraint d’évoquer les tensions avec Nash. «On ne se parle plus.» Et Neil Young ? «Oh je ne suis pas fâché avec lui. C’est lui qui est fâché avec moi.» On le sent fatigué. On le soupçonne d’être aussi fatigué par les questions stupides des journalistes. Voilà un homme qui aurait beaucoup à nous dire sur l’hédonisme et on l’accule dans une sorte de Clochemerle à la mormoille. Il vaut mieux lire son autobio, l’air y est plus respirable. Le danger avec ce genre de film, c’est que les gens ne vont retenir qu’une seule chose : Croz est fâché avec Neil Young. Ça n’a strictement aucun intérêt. En plus, Eaton ose filmer Croz en train de prendre ses médocs. Mais heureusement, Croz parvient à conserver toute sa dignité. Comme il perd sa voix, il explique qu’il doit annuler des concerts. Ça sent la fin des haricots. On voit quelques extraits de tournée. Sur scène Croz gratte les accords de «Woodstock» sur une strato et forcément, c’est énorme. Avec ce film, il réussit néanmoins à offrir un sacré panorama de sa vie. Dans les dernières images, il regarde assez fixement la caméra et déclare : «Il faut savoir dire au revoir.» Ça n’est jamais facile de jouer son propre rôle.

    Signé : Cazengler, David Grosbide

    David Crosby. Disparu le 19 janvier 2023

    David Crosby. For Free. BMG 2021

    David Crosby. Lighthouse. Verve 2016

    David Crosby. Sky Trails. BMG 2017

    David Crosby. Here If You Listen. BMG 2018

    Ian Fortman : David Crosby Interview. Classic Rock #242 - November 2017

    A.J. Eaton. David Crosby - Remember My Name. 2019

     

     

    Inside the goldmine - Ring my Bell

     

             Sans doute étions-nous copains parce qu’on habitait le même quartier. Il était un peu plus âgé, ne payait pas de mine, il se coiffait comme l’as de pique à une époque où la coiffure devenait pour tous les ados la préoccupation principale, mais ce qui le caractérisait le mieux est qu’il avait ce qu’on appelait alors les pieds plats. On ne comprenait pas ce que ça voulait dire, mais ça s’entendait lorsqu’il nous arrivait d’aller courir sur le Grand Cours : cataplac cataplac. On allait chez lui passer le jeudi après-midi à jouer au jeu du Bac. À la radio, Richard Anthony chantait «Et J’entends Siffler Le Train». Ses parents étaient extraordinairement vieux, le père retraité, et la mère en retrait, tous les deux aussi blancs de cheveux que le Père Noël. La raison de ce copinage n’était pas vraiment Claude Bull, mais sa frangine Martine, une petite brune aux cheveux très raides et qui savait se montrer incroyablement docile quand il le fallait. Martine était sexy, à l’opposé de son frère qui ne l’était pas du tout. L’accès à Martine passait nécessairement par Claude Bull. Il venait de passer son permis et son père lui prêtait la Simca familiale, alors nous allions au bord de la mer, le samedi. Toute une bande, disons cinq, et le jeu consistait évidemment à monter à l’arrière avec Martine. Comme nous étions un peu serrés, il devenait enfantin d’entrer en contact avec elle par les cuisses et les jambes, et jamais elle ne cherchait à se décoller. Claude Bull conduisait prudemment. Nous allions nous baigner et la course vers l’eau était l’occasion d’entendre le fameux cataplac cataplac, mais aussi l’occasion inespérée de voir le joli cul de Martine serré dans un monokini de Prisunic. Pour son âge, elle était déjà bien formée. Elle devait elle aussi ressentir une forme de trouble car elle redoublait d’efforts pour rester de marbre. Claude Bull était déjà un peu gras pour son âge, mais il nageait bien. En Basse Normandie, les plages sont un paradis au mois de juin, et on peut passer des heures dans l’eau. Claude Bull aimait bien s’éloigner à la nage et ce jour-là, il me mit au défi de le suivre, alors que bien sûr, je n’avais qu’une seule idée en tête : retourner m’allonger sur la plage à côté de sa frangine pour voir sa peau hâlée sécher au soleil. T’es pas cap ! Alors nous partîmes au large. Il nageait devant. Lorsque nous fûmes assez éloignés, il se mit sur le dos pour faire la planche et attendit que je le rejoigne. Il passa son bras autour de mon cou et me plongea la tête sous l’eau. Une fois, deux fois, trois fois. Panique ! Puis avec un air que je ne lui connaissais pas, il murmura : «Si tu touches encore à ma sœur, je te tue.»

     

             Pendant que Claude Bull veillait sur sa sœur, Thom Bell veillait sur la Philly Soul. Ce qui finalement revient au même. Martine Bull et la Philly Soul, c’est la même chose, une histoire d’amour adolescente.

             Puisque Thom Bell vient de casser de sa pipe en bois, nous allons nous agenouiller et prier pour le salut de son âme. Il n’est pas très connu, mais gagne à l’être. 

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             Comme nous le rappelle Bob Stanley, l’histoire de Thom Bell est encore une histoire d’enfant prodige, puisqu’à 9 ans, il sait déjà jouer du piano et de la batterie. Il reçoit une éducation musicale classique et ne découvre la radio qu’à l’âge de 17 ans. Il tombe sur le «Tears On My Pillow» de Little Anthony & The Imperials et il se demande : «C’est quoi cette musique ?». Alors il dit à sa mère qu’il ne peut pas devenir pianiste classique et sa mère qui est jamaïquaine lui dit : «Just do what you have to do, whatever your heart say.» Il commence par enregistrer un single avec Kenny Gamble, un copain de lycée de sa frangine Martine.

             Quand il est jeune, Thom Bell admire deux personnages en particulier : Teddy Randazzo, le producteur de Little Anthony, et Burt Bacharach. Puisqu’on en est aux racines, Stanley indique que Dee Dee Sharp, les Orlons et les Delfonics sont à l’origine de ce qu’on appelle The Philly Soul. Gamble & Huff qui bossaient pour Cameo-Parkway décident alors de monter leur propre label, Philadelphia International Records. Thom Bell va énormément bosser avec eux en tant que producteur et arrangeur. Il insiste beaucoup pour dire qu’il ne fait pas de r’n’b mais de la musique - I hear oboes, and bassoons and English horns. But I’m lucky, I cross styles - Il parle surtout d’enthousiasme - I had my own language and I was able to do what I wanted do do. Il rappelle aussi comment il a démarré dans le business, à l’époque où il bossait encore pour Cameo-Parkway : «Motown marchait tellement bien que Bernie Lowe, Kal Mann et Dave Appell qui dirigeaient le label voulaient le même son. Ils avaient découvert que Motown avait son propre house-band, ce qui était nouveau à l’époque. Ils se sont demandé : ‘How can we do this?’. On leur a dit qu’il y avait ce petit black à l’étage en dessous qui savait lire des partitions et jouer du piano. Ils m’ont appelé dans le bureau du président et m’ont dit qu’ils voulaient un house-band comme celui de Motown. Pouvez-vous vous occuper de ça ? Je n’allais pas leur dire non ! Of course I can ! Vous voulez ça pour quand ? Demain ? Et j’ai rassemblé  des gens que je connaissais, Roland Chambers on guitar, Willie Walford on bass, Chester Slim on drums and me on piano.»

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             Très belle compile que ce Ready Or Not (Thom Bell Philly Soul Arrangements & Productions 1965-1978) paru sur Kent/Ace en 2020. La Philly Soul n’est pas aussi populaire en Europe que Motown ou Stax, mais c’est exactement le même genre de vivier de superstars, depuis les O’Jays jusqu’aux Spinners, en passant par Dee Dee Sharp. Justement, Dee Dee est là avec «What Kind Of Lady». Dee Dee tape dans le dur du dur, elle est énorme. Bob Stanley nous rappelle qu’elle a épousé Kenny Gamble et qu’on la rebaptisée Dee Dee Sharp parce qu’elle chantait en D sharp. L’autre smash de la compile, c’est le «You Make Me Feel Brand New» des Stylistics, une vraie bénédiction de precious love, une vraie merveille de sensiblerie explosive et de beauté contenue. Selon Stanley, Thom Bell aurait dit à Russell Thompkins, le lead des Stylistics, de baisser d’un ton, car il attaquait le lead trop haut et trop fort, «you don’t make sense, you just make noise». Alors Thompkins a baissé d’un ton et ils ont commencé à enregistrer ensemble une belle série de hits.  Par sa densité artistique, Ready Or Not rivalise avec les meilleures compiles Ace, ça grouille de géants, tiens comme les Spinners avec «Could It Be I’m Falling In Love», du rêve à l’état pur, les Spinners règnent sur la Soul avec grandeur, et puis tu as aussi Teddy Pendergrass avec «Close The Door», il chante à la voix sourde de vieux baroudeur, elle a intérêt à fermer la porte vite fait car Teddy est en rut, mais en rut de satin jaune, c’mon baby. Il y a aussi des blanches comme Laura Nyro qui duette avec Labelle sur «It’s Gonna Take A Miracle», Laura veut faire la black, elle est un peu maladroite, la Soul n’est pas son truc, alors elle tartine à la force du poignet et derrière, Labelle fait des chœurs de blanche. L’honneur d’ouvrir le bal revient à Archie Bell & The Drells avec «Here I Go Again». Ces mecs ne sont pas là pour rigoler. Tout ce qu’ils proposent est beau : le beat, la voix d’Archie, c’est du big biz. Stanley rappelle qu’après le succès de «Tighten Up» au Texas, Archie Bell & The Drells sont venus s’installer à Philadelphie. Tiens, encore une blanche, Dusty chérie, qui tape «I Wanna Be A Free Girl», elle entre sur la pointe des pieds mais sa voix fait loi. Elle est unique au monde par sa puissance. La révélation cette fois est Ronnie Dyson avec «One Man Band», groove classique mais chaud, avec une Sister derrière, en back-up. Ronnie Dyson est extrêmement féminin, ce qui lui valut pas mal d’ennuis à l’époque. Les Intruders proposent la Soul des jours heureux avec «Do You Remember Yesterday», une merveille. On note aussi l’incroyable stature du beat d’«I’m Doing Fine Now», le groupe s’appelle New York City. C’est une pépite. Encore de la heavy Soul de petite poule blanche avec Lesley Gore et «Look The Other Way», elle y va franco de port, elle est même assez spectaculaire. On se régale aussi du «You’ve Been Untrue» des Delfonics illuminé par une sacrée voix de cocote. C’est Thom Bell qui transforme The Five Guys en un trio qui devient les Delfonics et qui leur colle des violons, du timpani, du manual harpsichord et du piano électrique. En fait, Thom Bell expérimente avec les Delfonics. Encore du full bloom de Soul Sisters avec les Three Degrees et «What I See». On est là en plein Gamble & Huff, c’est chanté à la purée de Sisters.

    Signé : Cazengler, Tom Benne

    Thom Bell. Disparu le 22 décembre 2022

    Thom Bell. Ready Or Not (Thom Bell Philly Soul Arrangements & Productions 1965-1978). Kent Soul 2020

     

     

    L’avenir du rock

    - Tempête sur l’Ural

     

             Heureusement, l’avenir du rock n’a pas que des qualités. Il peut se montrer jaloux. Un concept qui serait jaloux ? Mais ça n’existe pas ! Bon d’accord, mais pour les besoins de la cause, l’avenir du rock doit parfois se résoudre à tricher. S’il veut parvenir à ses fins, il doit parfois tordre le bras à la logique. Tout le monde peut le comprendre et donc l’accepter. Pour corser encore un peu l’affaire, l’avenir du rock n’est pas jaloux d’une femme, comme c’est généralement le cas pour un homme, mais jaloux d’un topographe russe ! Un certain Vladimir Arseniev, chargé au tout début du siècle dernier d’établir les relevés topographiques de territoires inexplorés, non pas en Amazonie ou en Afrique centrale, mais au fond de la Sibérie, dans une vallée qui porte le doux nom d’Oussouri, à la frontière chinoise. Franchement, on se demande ce que l’avenir du rock est allé faire là-bas. Pourquoi n’est-il pas plutôt jaloux de Percy Fawcett ? Fawcett est bien gentil, te dirait l’avenir du rock, mais il n’a pas eu la chance de rencontrer Dersou Ouzala. Voilà donc le pot aux roses ! Eh oui, l’avenir du rock aurait tellement aimé voyager dans les forêts profondes de la Taïga en compagnie du vieux chasseur mongol, il aurait tellement aimé partager la sagesse de ce vieux crabe et éventuellement affronter cette tempête de neige pour voir Dersou construire en hâte l’abri de branches de bois qui allait leur sauver la vie à tous les deux. Rien de plus divin au plan sensoriel que de se faire sauver la vie par un vieux crabe aux yeux bridés. Oui, l’avenir du rock raffole des vieux crabes, c’est dans leur compagnie qu’il préfère s’immerger, car ils combinent d’antiques talents avec toute la sagesse du monde, ils parlent des yeux pour dire la grandeur d’un destin d’artiste, car Dersou est à sa façon un artiste puisque héros d’un cult-movie du grand Kurosawa et tous ceux qui ont cheminé dans les forêts profondes en sa compagnie se souviennent très précisément de lui. Alors chaque nuit, l’avenir du rock s’en va dans la forêt crier «Dersou !, Dersou !». 

     

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             Comme Dersou, Ural Thomas est un très vieux crabe. Ural ne vient pas de l’Oural, mais de l’Oregon. Comme Dersou, il a tout vécu et peut raconter des milliers d’histoires. On lui tend parfois un micro, mais c’est rare. En 1967, il est à Los Angeles et enregistre des bricoles d’une voix, nous dit Nigel Williamson, qui combine le grit d’Otis et le smooth de Smokey. Sur «Can You Dig It», Mary Wells, Merry Clayton et Brenda Holloway font les chœurs. Mais ça ne marche pas, il rentre chez lui à Portland, Oregon, travaille comme bell man dans un hôtel, et quand sa maison crame, il perd tout, alors il dort sous les ponts et lave sa chemise dans la rivière. Il survit pendant trente ans et puis un jour, il entre dans le record shop d’Eric Isaacson qui est aussi le boss du label Mississippi Records. C’est lui qui a réédité les albums de Dead Moon. Ural lui raconte son histoire et Isaacson, fils d’Isaac, tend l’oreille. Il décide de filer un coup de main au vieux crabe en rééditant les singles enregistrés à Los Angeles en 1967. Puis il lui présente un batteur. L’idée est qu’Ural remonte un groupe. Sait-on jamais !

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             Le résultat ne se fait pas attendre. Un premier album, The Right Time, sort en 2018. Alors il faut écouter le morceau titre de cet album enfanté dans la douleur puisqu’Ural appelle son groupe The Pain. Il a du son derrière lui sur «The Right Time», du big shuffle, alors il se jette dans le right time comme d’autres dans le courant du fleuve. Ural est un Soul Brother de la taille de James Brown. Même éclat ! C’est un cut infectueux, incroyablement moderne, traversé par des solos de sax. Son «Slow Down» d’ouverture de bal est aussi une belle bête d’oh yeah. Dommage que tout l’album ne soit pas du même niveau. Il semble faire une Soul éloignée des feux de la rampe. Il vise la good time music avec «Vibrations». Après tant d’années, il se pose. Il peut même faire de la Soul aérienne comme le montre «Smoldering Fire». On entend des belles guitares sixties dans «Time» et de la belle Soul d’Amérique dans «Smile» - What more can I say ?.

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             Et puis voilà Dancing Dimensions, l’un des très grands albums de l’an de grâce 2022. Fais gaffe, Ural va t’envoyer au tapis. Tu es tout de suite frappé par l’énormité du son. La voix d’Ural est la cerise sur le gâtö. Tu rentres dans le lagon du groove uralien avec «Heaven» - Heaven is the place I know - et soudain, avec «Do You Remember The Times We Had», Ural souffle sur l’Oural de la Soul. Il est l’Eole des fariboles, il roule ma poule dans la Soul de Seoul, Ural fait l’orage et l’azur, sometimes you got it/ Sometimes you don’t, et sa voix d’Uranus se fond dans les arrangements de cuivres, voilà que se dresse à l’horizon l’Ural de la Soul, jusqu’au firmament. Il atteint de nouvelles cimes du lard avec «Apple Pie (Oh Me Oh My)», son timbre particulier enchante, quel étrange mélange d’efficacité et d’élégance, et voilà qu’il fait l’Africain avec «Ol Safiya», buka-ah ! et ça swingue, les amis, ça monte comme la marée d’excelsior, petite guitare funk, cette énorme énergie déchire les tissus, ça devient dingoïde, avec des accords qui te restent en travers de la gorge. Cet album est un gisement de black genius à ciel ouvert. Ural devient un héros oral, un ô rage ô des espoirs pour la soif, on le suit comme on suivrait Jésus en Palestine, il est Ural l’oracle, son discours est d’une incroyable pureté d’intention. Et puis regardez la lumière que diffuse son visage ! Avec «Gimme Some Ice Cream», Ural gère la chose comme le fait le Ghost Dog de Jim  Jarmusch. Il est autonome, il est sur le coup, ne te fais pas de soucis pour lui. Ural revient souffler sur l’Oural de la Soul avec «My Favourite Song» et derrière lui, des petites gonzesses répètent tout ce qu’il dit - Let’s make some music, baby/ All nite long - Puis il explose le dream d’only dream avec «Hang Up On My Dream». Il te monte ça en neige de l’Oregon vite fait, il t’explose l’occiput du dream. À l’intérieur du digi, tu vois les petites photos d’Ural et tu comprends mieux les choses. Aucun doute : avec «Promises», il te chante l’avenir de la Soul.

    Signé : Cazengler, Urinal Tomate  

    Ural Thomas & The Pain. The Right Time. Tending Lover Empire 2018

    Ural Thomas & The Pain. Dancing Dimensions. Bella Union 2022

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    Nigel Williamson : No Pain No Gain. Uncut # 301 - June 2022

     

     

    GRAVITATIONAL OBJECTS OF LIGHT, ENERGY AND MYSTICISM

    G.O.L.E.M.

     ( Black Widows Records / Mars 2022 )

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    Ne pas confondre avec G.O.L.E.M., exactement la même graphie, qui réside en Allemagne, ceux qui nous intéressent viennent d’Italie. A regarder la photo vous allez m’accuser d’inadvertance, pas du tout, ce sont bien eux, et pas un ancien groupe des seventies, n’ont pas été congelés durant cinquante ans dans la glace dans le cadre d’une expérience scientifique, sont des jeunes gens de maintenant, même si la date de référence-rock qu’ils affichent haut et fort est 1972.

    Le mythe du golem appartient à la légende juive. A l’origine le golem est l’homme de glaise que Dieu n’a pas encore fini de modeler et qui n’a pas reçu le souffle divin lui octroyant son âme. Cinéma et littérature se sont emparés de cet être le transformant parfois en brute épaisse et assassine… Je suppute que si le groupe a adopté ce nom c’est pour nous rappeler que nous ne sommes que des êtres humains inachevés qui avons besoin d’être éclairés… Z’en ont fait un acronyme signifiant Gravitationel Object of Light, Energy and Mysticism, le titre de ce premier opus. Pour comprendre les trois premiers mots de cette auto-définition il est inutile de penser que ces objets gravitationnels de lumière seraient des engins extra-terrestres, mais tout simplement des photons. Pour faire encore plus simple : des atomes de lumière dépourvus de toute corporéité matérielle. Pour mieux comprendre, pensez à ces nouvelles théories de science physique ouvertes à la supposition d’atomes temporels… Que la lumière soit considérée comme une énergie n’étonne plus personne aujourd’hui, et que cette énergie puisse être entrevue par des esprits peu enclins aux méditations abstruses comme une divinité ou pourquoi pas comme Dieu l’Histoire des religions humaines en offre de multiples exemples, des intelligences davantage subtiles l’entreverront comme un sujet ou objet de réflexion (pensez au miroir qui réfléchit votre image ) permettant d’engager ainsi un dialogue entre l’Individu et l’Univers. Relation mystique puisque n’utilisant aucun des canaux dogmatiques et religieux reconnus. Le lecteur établira de lui-même le rapport avec les sérieuses ou fumeuses (vous barrez en rouge le terme qui ne vous agrée point) théories du New Age très en vogue dans la deuxième moitié des sixties et la première des seventies.

    Paolo Apollo Negri : Hammond organ and Synth / Marco Vincini : vocals / Emil Quatrini : electric piano and mellotron / Marco Zammati : bass guitar / Francesco Lupi : drums.

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    Devil’s Gold : point d’orgue dès la première seconde et développement jusqu’à un vrombissement qui devient orchestral, nous voici subitement projetés un demi-siècle en arrière, l’on se revoit en train d’écouter Deep Purple, ( plutôt Child in time que Smoke on the water ) tiens le morceau est déjà fini, non il ne fait que commencer, un hululement symphonique emplit vos oreilles l’on se croirait dans un générique d’Ennio Moricone, pas des Italiens pour rien, scène de la tentation, celle de l’or du diable, funèbre musique qui se charge de menaces, grand spectacle, l’orgue s’arrondit en queue de poisson. Introduction en toute beauté. Five obsidian suns : bruissement d’orgue, faut en prendre votre parti, dans cet opus il y a autant d’orgue que d’ogres dans les contes d’enfants, certes ce n’est pas un conte, ou alors initiatique, l’or félon est entré en nous, il ne nous reste plus qu’à céder au vertige du regard intérieur, du miroir qui ne reflète que le contenu du cauchemar qui nous habite, l’orgue se teinte de cymbales propitiatoires et maintenant se déroule une longue marche, arrêt brutal, le temps de permettre au vocal de se poser sur ce tapis d’orgalie, tapis de cendres et élévation continue, rupture temporelle, je suis devenu ce j’ai toujours été, celui qui m’habite, le Diable qui est en moi, c’est moi, je règne sur moi-même et sur mes rêves. Chœurs d’églises, liturgie sacrée pour mon couronnement intérieur. The logan stone : a cappella, une ballade acoustique, la musique survient telle une menace, sommes-nous dans un conte pour enfants ou dans un poème d’Edgar Poe, sous la pierre de lumière repose la fille du conteur, un clavier d’une tristesse infinie sonne le glas des illusions, celles de ceux qui croient que la pierre est porteuse de pouvoir, elle n’est que signe de chagrin, et du royaume du néant. A mon humble avis le titre le plus fort de l’opus. The man from the esmeralda mine : des gouttes d’eau et de piano, pas une ritournelle, un drame qui débute, une histoire que l’on se prépare à raconter, vague de claviers, belle voix, l’on regrette que sa parole soit trop souvent coupée par des poinçons synthétiques, l’on préfère lorsque la musique devient vague de submersion, un apologue celui de l’homme venu de loin qui n’a pas trouvé mieux que chez lui, alors l’orgue se déchaîne pour que la leçon pénètre en les lobes les plus profonds de votre cerveau, peut-être appuie-t-il un peu trop fort  mais le vocal se charge de colère, enfoncez-vous cela dans la tête ! L’orgue, tourbillon de glissandi, en rajoute un max au final. Marble eyes : une espèce de piano mécanique, faut jouer fort et faire tinter les oreilles de ceux qui ne veulent pas voir la réalité. Vocal écrasé de stupeur et de désespoir devant les marionnettes humaines qui agissent sans réfléchir, des lampées organiques interrompent ces cliquetis d’orgue de barbarie, la voix se fait lyrique, elle veut convaincre, elle délivre le message de l’espoir et de la délivrance, des temps nouveaux viendront, musique de manège enchanté et deux coups de poings de fin de symphonie pour terminer le morceau. Gravitational object of light, energy and mysticism : entrée solennelle, l’orgue angelus éparpille ses notes dans cette montée révélatrice, rythmique un peu simpliste, l’on attend mieux, le vocal étire les mots peut-être pour que nous comprenions enfin cette vision empédocléenne qu’il énonce et qu’il émonde car il prophétise que les contraires ne se combattront plus, un jour la paix règnera sans fin, autant la musique est belle, autant le message est décevant, une espèce de christianisme dilué homéopathiquement, une remarquable performance vocale, dommage que G.O.L.E.M. n’ait pas supprimé ces moments où le rythme piétine sur lui-même et interrompt l’apothéose musicale.

    De très bons passages, parfois l’on a l’impression qu’ils ont voulu mettre tout ce qu’ils savaient faire dans leur premier opus, quitte à rompre l’unité congénitale de chaque morceau mais l’ensemble reste de très haute tenue et l’on attend le prochain. Avec envie.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKABILLY RULES ! ( 9 )

    N’oubliez jamais que toutes les règles sont faites pour être contournées, dépassées, chamboulées, piétinées, car l’important avant tout c’est d’avoir un cœur fidèle et rebelle !

    *

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    C’est comme pour les filles, souvent vous ne savez pas pourquoi elles vous attirent, mais parfois si. C’est alors que ça devient dangereux. Idem pour le rock, et tous ses dérivés. Ainsi Eugene (très Craddock) Chrysler (très sixties), j’ai tout de suite su. L’attrait de la chute. L’image est parlante. Un vieux panneau de bois écaillé destiné aux automobilistes annonçant la proximité d’un parc d’attraction. Je n’aime guère ce genre de lieux, attire-fric et amusements de bas-étages. Mais celui-ci est un peu spécial. En grosses lettres un mot qui poignarde le cœur des rockers, hillbilly, pas de quoi me donner envie de m’y rendre, mais dessous il y a un gars, avec une veste blanche parsemée de grosses notes de musique, le genre de déguisements très Grand Ole Opry, il ne tient pas une guitare mais une contrebasse, l’a une mine sympathique, l’arbore un sourire enjôleur, n’est pas tout jeune mais n’est pas non plus un vieux crouton rassis, le mec qui y croit encore. Et qui y croira encore pendant longtemps. L’autre face de l’attrait de la chute. Ceux qui refusent, qui continuent le combat. Pas des malgré nous, des malgré tout.

    *

    Eugene Chrysler, toujours en activité, a réalisé quatre disques, I saw the light… but itw as neon ( 1994 ),  Hillbilly Shakespeare ( 2006), That’s Right ! nous écouterons dans cette première chronique que nous lui consacrons le dernier qui date de 2017. Hillbilly Fun Park existe réellement, il est situé dans la banlieue de New York près de Fort Ann, rien de spécifiquement hillbilly, simplement un golf miniature, aux pelouses impeccables. L’autre grande activité proposée consiste à choisir votre glace parmi les cinquante parfums proposés…

    HILLBILLY FUN PARK

    EUGENE CHRYSLER

    ( Carclo Records / 2017 )

    Hillbilly Fun Park : étrange, sachant qu’Eugene Chrysler a débuté entre 1979 et 1981 j’ai pensé aux Stray Cats avant même d’écouter, dès les premières mesures résonnent les premières mesures de Stray Cat Strut, et une fois le morceau  lancé plus lointainement et plus justement de Sixteen Tons, le même rythme chaloupé qui marche sur du beurre mou, les chœurs masculins en écho, le baryton de Chrysler magnifiquement en place, surprenant un beau solo de saxophone qui emporte avec lui les feuilles mortes des souvenirs et le temps enfui, vous n’y pensez pas en l’écoutant mais à la dernière note, malgré le rythme entraînant vous avez reçu un beau coup de poing de nostalgie en pleine face. Darlin’ : le morceau chagrin d’amour type du country, la pédal steel guitar larmoie dans l’armoire et pédale dans la choucroute des dernières supplications, oui mais il y a ce chœurs de copains qui sont censés appuyer où ça fait mal et qui en catimini semblent dire une de perdue et dix de retrouvées, dans le premier morceau nous avions la fausse joie du souvenir et dans ce deuxième le faux chagrin des rôles convenus. Eugène conduit sa Chrysler d’une façon ambigüe, appuie sur le champignon et le frein en même temps. Dementia : l’en existe une vidéo-officielle en noir et blanc sur YT, rythme saccadé, l’on quitte le country au costume admirablement repassé avec pli au pantalon amidonné pour quelque chose d’autre, l’on ne sait pas trop quoi au juste, une espèce de générique de film ou plutôt une scène prise en direct, sifflements et voix qui enfle, la basse se taille une belle galopade, le sax agonise, la pédale hulule, assez démentiel. Broke on Bob Wills music : hommage au roi du western swing, une des racines du rock’n’roll, les amateurs de WS n’écouteront pas le reste de l’opus, resteront focalisés sur celui-ci, une voix qui coule sans défaut, une pedal-steel qui se prend pour un violon, la contrebasse qui remplace avantageusement la batterie, un piano tuyère et un sax qui s’en vient danser, tout est parfait, un seul défaut l’envie pressante d’aller écouter Bob Wills. Speed trap : du boulot pour le guitariste, vraisemblablement Bill Kirchen de Commander Cody, pas mal de taf aussi pour le vocaliste, pas question d’avaler les  mots, diction claire jusqu’au bout, course de vitesse des intrus qui klaxonnent à la manière des automobilistes excédés et imitent les sirènes de police, non la pedal n’est pas douce, on accélère encore, la guitare sursaute à la vitesse de la lumière, et la course infernale continue. Tout s’arrête sur un humouristique dernier pouët-pouët. I cannot forget : retour au calme, big mama de velours et voix de bronze mou à faire pleurer les cafetières, la contrebasse se transforme en surfin’ guitar, la pedal pleurniche dans tous les mouchoirs de la terre, la féminine voix de Cindy Cashdollar double par-dessous celle d’Eugene, si vous n’avez pas pleuré, personne ne bramera à votre enterrement. Vous ne le méritez pas.

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    Eugene’s boggie : le morceau de bravoure, Eugene est à la contrebasse, ce n’est pas Blue-jean Bop mais blue-jean boogie, c’est syncopé comme Rip it Up et les chœurs cartonnent au marteau-pilon, le sax fait sa saxrabande, et l’on repart de plus belle. Très rock’n’roll. Uh uh honey : au titre l’on attend un truc dévastateur, mais non l’on se retrouve dans ces bandes de Presley où l’orchestre trotte imperturbablement et c’est la voix du King qui démontre qu’il est le meilleur chanteur du monde, elle donne sa valeur et son originalité à tout ce qu’il touche du bout des lèvres comme s’il avait mieux à faire ailleurs. Belle réussite. I’ve been better : le mec qui joue à l’homme, style je ne me vante pas mais j’ai fait mieux, encore une fois l’influence de Presley est patente, l’instrumentation est nettement meilleure, le sax aboie dans son coin, guitare feu d’artifice, cependant tout repose sur la justesse de cette voix sans faille, souple et accrocheuse. One more One more : un peu jazzy, une voix un peu fatiguée, le sax qui soloïse par-derrière, le piano qui prend ses aises et éparpille ses notes, pulsation noire souterraine, maintenant Eugene chante comme Sinatra pendant que la contrebasse monte les escaliers. Cut me down : mi-Presley-mi-Johnny Cash-totalement Eugene Chrysler, l’est doué et original le zigue, un solo de guitare à briser les béquilles d’un paralytique, le sax  trompette et ronchonne, les musicos sont à la fête, le genre de morceau qui passe tout seul, une écoute très Southern Comfort, à la fin vous êtes saoul comme une barrique. Big bad habit : une chanson de mec pour les mecs, entraînante, le sax infini tire la langue toutes les trois secondes, Eugene s’amuse, des inflexions pleines de sous-entendus que tout le monde comprend, même les filles, ça pétille de joie et étincelle de plaisir, ah ces mauvaises habitudes dont on ne peut se défaire c’est le sel de la vie !  Mr 1-4-5 : un, deux, trois, c’est parti, sur la pointe des pieds, du rythme sans excès mais de temps en temps ça boppe et ça explose, et puis ça rocke et enfin ça marche doucement comme quand vous rentrez chez vous totalement saoul sans vouloir réveiller votre copine et surtout sans faire de bruit en ouvrant le bar pour finir la bouteille de whisky. It is what is it : revenons aux choses sérieuses, enfin presque, Eugene expose sa philosophie de la vie, un classique du style country, les choses sont ce qu’elles sont, pas la peine d’en faire un drame, contrebasse à fond les ballons, pedal-steel souriante voire frétillante, le sax  saute de joie, ainsi tourne le monde,  tant que la cruche de l’existence ne se casse pas, pourquoi s’en faire… Plate glass window : un peu  à la Johnny Cash mais un Cash souriant, un peu le même genre que les trois précédents, le gars n’est pas un born again, n’est pas prêt de changer sa manière de vivre, voix enlevée, instrus en place, très typé country, l’on aurait peut-être aimé un titre différent des trois précédents. Too much coffee : ça commence comme un blues à la gueule de bois, alors le guy prend un café pour se remettre, puis un autre, puis un autre, bref vous voyez le profil le rythme de son cœur s’accélère et celui du morceau aussi, un modèle genre morceau de bravoure, rien n’y fait le gars retourne à sa somnolence bleue, un peu dommage l’on aurait préféré pour finir qu’il devienne épileptique.

             Attention à ce CD, plus vous l’écoutez d’infimes nuances tant instrumentales que vocales apparaissent. Eugene Chrysler en a écrit tous les morceaux, à première écoute l’esprit peut en sembler uniforme, mais c’est comme les couleurs de l’automne, si vous vous contentez d’un regard un tantinet rapide leur éclat vous ravit, toutefois s’y mêle insidieusement un sentiment de tristesse qui finit par prédominer. Les teintes mordorées sont aussi mort dorée. Sans doute existe-t-il aux States plusieurs centaines de chanteurs comme Eugene Chrysler, parler de lui c’est aussi leur rendre un hommage à tous, mais il y a chez Eugene Chrysler une sensibilité d’artiste qui mérite le détour. Nous y reviendrons.

    Damie Chad.

     

     

    MAIS QUE FONT LES AMATEURS DE METAL

    QUAND ILS N’ECOUTENT PAS DU METAL ?

     

    Question extra-musicale en quelque sorte. Les coulisses de l’existence. L’envers de l’histoire contemporaine dixit Honoré de Balzac dans un superbe roman à qui il a donné ce titre.  Pour la petite histoire, cet ouvrage traite des menées ‘’complotistes’’ royalistes, en France durant la Révolution et l’Empire. Si l’on y réfléchit bien l’envers n’est pas très loin de l’endroit…

    Nous sommes tombés sur cette vidéo pas tout à fait par hasard puisqu’ elle s’inscrivait dans une recherche qui n’a pas plus à voir avec le rock’n’roll qu’avec toute autre sorte de musique. 

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    Sont deux, assis à une table, le deuxième attirera l’œil des fans de metal pour une raison évidente, il arbore un T-shirt de Motörhead, le premier est en tenue davantage négligée, en short, il fait chaud la scène se passe en été ( 2020 ), il ne porte pas de T-shirt revendiquant avec ostentation une appartenance à la tribu metallique, à sa dégaine l’on devine toutefois qu’il n’est pas habitué au port du queue de pie. (Moi non plus). Par contre durant sa conférence à plusieurs reprises il se définira comme un amateur de metal.

    Le seul  mot de conférence risque de faire peur. Avec raison. D’abord le sujet n’est pas particulièrement facile, soyons franc il est assez prise de tête. Une deuxième raison, Franck Helaine, même si ce qu’il expose démontre une grande maîtrise de son sujet n’est pas un conférencier professionnel, il manque un peu de pédagogie.  Le lieu octroyé par la municipalité, à l’extérieur devant les portes fermées d’une salle communale ne permet pas une bonne vision des documents présentés.

    Mais comment Franck Helaine en est-il venu à présenter une conférence. Parce que plusieurs années auparavant il s’est retrouvé durant ses vacances coincé durant trois semaines dans un village qui n’offrait guère de distractions. N’avait à sa disposition qu’un seul livre. Mal lui en a pris, il n’y a rien compris. Ne vous moquez pas, d’abord il apporte la preuve que les fans de metal savent lire, deuxièmement son bouquin n’était pas un thriller haletant que l’on dévore en une soirée. Depuis pratiquement deux siècles personne n’a jamais rien compris à ce satané bouquin. Nombreux furent ceux qui s’y sont cassés les dents. Je ne devrais pas employer cet adjectif puisqu’il a été rédigé par un abbé de la sainte Eglise Catholique.

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    Vous ne comprenez ni comment alors que la moitié des groupes de metal sont plutôt obnubilés par Lucifer et l’autre moitié par les mythologies païennes ni pourquoi un fan de Metal passe son temps à lire un livre écrit par un prêtre catholique. Je pourrais vous dire que les voies de Dieu sont impénétrables, mais ce serait une mauvaise réponse.

    C’est que ce raconte notre abbé est totalement insensé, voire carrément idiot : il démontre que toutes les langues celtiques dérivent de l’anglais moderne. Devant de telles assertions vous refermez le bouquin et vous posez un vinyle ( de metal ) sur votre platine. Oui, mais pensons qu’un de nos plus grands poëtes ( français) Oscar Venceslas de Lubicz-Milosz n’en a pas moins écrit Les origines ibériques de peuple juif. (Ceci sera ma contribution personnelle au sujet qui nous préoccupe.)

    Tout le monde a le droit de délirer dans son coin, rétorquerez-vous. Oui mais notre abbé pour parfaire sa démonstration utilise une autre langue : celle des oiseaux. La langue des oiseaux fonctionne à partir de n’importe quelle langue. Elle consiste à lire les mots ou des suites de mots non pas tels qu’ils sont écrits et lus normalement mais de les découper syllabiquement et phonétiquement comme un langage crypté : exemple je viens demain = je vis en deux mains, selon le contexte vous comprenez je vis une double vie, où que vous êtes en de bonnes mains, le message peut paraître aléatoire mais celui qui le code l’adresse à quelqu’un qui sait ou qui découvre ou qui devine que ce texte en apparence d’une grande limpidité possède un autre sens. Pour corser la difficulté dans ce satané, pardon sacré bouquin ce sont des mots anglais qui doivent être décrypté selon une phonétique française. Comme quoi les voies du Seigneur peuvent être difficilement pénétrables… Les linguistes comprendront que la langue des oiseaux fonctionne à la manière des idéogrammes chinois, mais les idéogrammes sont cachés et c’est au lecteur de les trouver, voire de les créer. Ce qui ouvre à de multiples possibilités et aussi à de multiples interprétations, voire d’erreurs…

    Le livre de l’Abbé Boudet : La vraie langue celtique et le Cromlech de Rennes-Le-Bain est longtemps resté rétif à toute interprétation.  Franck Helaine ne l’a pas déchiffré en entier, loin de là, mais il a trouvé une clef qui fonctionne pour la première page, et qui permet d’en entrouvrir bien d’autres dans le reste de l’ouvrage. Il ne cache pas qu’il est conscient de l’immense tâche qui attend les chercheurs. Il lui a fallu presque dix ans pour arriver à un résultat significatif. Entendre qui puisse être objectivement vérifié. L’a su faire preuve d’une grande patience, et d’une grande agilité intellectuelle – l’aide d’un ordinateur ne suffit pas, il faut d’abord établir le principe de codage du décryptage. L’a redoré le blason des fans de metal ! Qui entre nous soit dit n’en n’’avait pas besoin. Le metal est vraisemblablement le genre issu du rock ‘n’roll qui fasse appel à l’imaginaire culturel le plus large.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 18 ( Abdelâtif  ) :

    89

    J’ai passé une mauvaise nuit. La sentence du Chef tournait dans ma tête, autant je sentais confusément qu’elle résumait parfaitement la situation, autant je ne voyais pas en quoi. Après l’avoir prononcé le Chef s’était muré en un silence aussi épais que la fumée dégagée par vingt-mille Coronados dans une pièce exigüe. D’ailleurs lorsque j’ouvris la porte du local je compris que je n’exagérai pas, le bureau était invisible noyé dans un brouillard coronadorien des plus épais, si je n’avais pas eu Molossa et Molossito, chacun accroché à une des jambes de mon pantalon pour me guider je crois que j’aurais mis plus de trois-quarts d’heures avant de trouver une chaise pour m’asseoir face à l’ombre fantomatique du Chef.

    • Heureux de vous revoir enfin agent Chad, j’avais justement besoin de vous poser une question importante pour tester vos connaissances culturelles.
    • Chef, je peux déjà vous dire que Marcel Proust est né en 1871 et mort en 1922 !
    • Agent Chad, soyons sérieux, vous êtes-vous déjà promené dans un cimetière musulman ?
    • Ce n’est pas tout à fait le genre d’endroit que je choisis pour mes promenades, même Rousseau, ne raconte jamais dans ses Promenades d’un promeneur solitaire qu’il visitait ce genre d’entrepôt funéraire, je…
    • Agent Chad, arrêtez de sortir votre culture wilkipedia à chacune de vos réparties ! Dites-moi plutôt pourquoi d’après vous sur les tombes des musulmans l’on trouve souvent un bol rempli d’eau ?
    • Ah, une question blague à Carambar ? c’est facile Chef, une ancienne habitude qui vient du désert, le passant assoiffé qui buvait dans le récipient donnait ainsi au défunt l’occasion de réaliser grâce à son entremise une bonne action qui était portée à son crédit, une espèce de bon point ce qui pouvait lui permettre de gagner le paradis. Les théologiens jugent que cette coutume relève de la pure superstition…
    • Agent Chad, je ne vous ai pas demandé un cours de théologie musulmane, cela ne vous dit rien ?
    • Chef rien du tout, je ne vois pas où vous voulez en venir !
    • Agent Chad, nul n’est parfait, moi-même aussi, figurez-vous qu’en relisant cette nuit toutes les notes que j’ai accumulées sur l’affaire qui nous préoccupe, j’ai trouvé une faute d’orthographe, le genre d’horreur à pousser au suicide mon institutrice de CM1, tenez, essayez de la trouver sur cette page ! Lisez !
    • Oh ! Oh ! Chef, votre institutrice vous aurait pardonné, les noms propres n’ont pas d’orthographe ! Juste un T oublié à la fin de Lamart, rien à voir avec une faute sur les participes passés des verbes pronominaux, je…
    • Agent Chad, je ne parle pas de l’absence de ce malheureux T, une simple étourderie due à la fatigue, non c’est beaucoup plus grave, relisez s’il vous plaît, votre honneur est en jeu et la suite de notre enquête aussi !

    Piqué au vif, concentré au maximum, j’ai relu avec attention le feuillet que m’avait tendu le Chef, j’avais beau me réciter à chaque mot les règles orthographiques d’accord ou d’usage, je dus m’avouer vaincu.

    • A part ce malheureux T à Lamart, Chef je peux vous certifier que cette feuille ne contient aucune faute d’orthographe !
    • Agent Chad, c’est normal que vous ne la repériez pas, dans vos propres notes que je me suis permis de relire, vous commettez exactement la même, à part que moi cette nuit elle m’a sauté aux yeux, j’étais en train d’allumer un Coronado, lorsque l’erreur m’est apparue dans toute son évidence, c’est pour cela que je me suis permis de vous demander pourquoi l’on trouve un récipient rempli d’eau sur certaines tombes musulmane !

    Je poussai un rugissement qu’un tigre de Tasmanie aurait facilement pris pour celui d’un mâle alpha de son espèce.

    • Bon Dieu ! (en réalité je criai Bordel ! mais il ne faut pas donner de mauvaises manières à nos jeunes lecteurs ) ça crève les yeux !

    89 Bis

    Note de l’éditeur : nous sommes certains que les lecteurs de cet ouvrage auront compris beaucoup plus rapidement que ce malheureux Agent Chad l’éblouissante démonstration du Chef. Evidemment les mots récipient d’eau sur les tombes, sont une allusion à Martin Sureau ( eau sur = Sureau ), quant à la faute commune au Chef et à l’agent Chad, nous devons la chercher sur Lamart, ce n’est pas Lamart qu’il faut lire mais Lamort. Nous donnons cette explication à toute fin utile pour les lecteurs pressés qui auraient omis de lire les 88 chapitres précédents.

    90

    Imperturbable le Chef fumait un Coronado. Quant à moi je roulais comme un fou, brûlant les feux rouges, et prenais les sens interdits à grande vitesse.

               _ Voyez-vous Agent Chad, nous faisions fausse route depuis le début, nous avions cru que Lamart et Sureau étaient de véritables journalistes, des supers pointures toujours les premiers arrivés sur tous les coups. Mais hier, ils étaient sur place, à l’intérieur du carambolage, avant nous en quelque sorte, ils s’en sortis vivants, indemnes sans même une bosse sur leur carrosserie pourquoi : parce qu’ils étaient protégés par la Mort, comment ont-ils pu être au courant de l’accident que nous allions provoquer, parce qu’il y allait avoir des morts, donc la Mort l’a pressenti, elle les a prévenus à l’avance… ces deux lascars sont des émissaires stipendiés de notre Dame la Mort, elle les envoie dès que les vivants s’intéressent un peu trop à Elle. Or comme vous lui aviez jeté un défi, elle essaie de nous mettre les bâtons dans les roues en nous les envoyant dans les pattes, c’est par eux qu’elle connaît ce que nous projetons de faire. Une petite entrevue avec ces paltoquets s’impose, c’est l’heure du bouclage, nous les trouverons sans peine dans leur bureau.

    91

    Le hall du Parisien Libéré était empli de monde. Dans une heure l’édition partait pour les rotatives. Des gens affairés couraient de tous les côtés. Personne ne faisait attention à nous, Molossa et Molossito se mirent à aboyer, la demoiselle de l’accueil les entendit et nous fit signe de la rejoindre dans sa cage vitrée :

              _ Je vous en prie messieurs faites taire vos chiens, oh, comme ils sont agréables, ô celui-ci vient de sauter sur mes genoux, qu’il est mignon ! Comment s’appelle-t-il ?

               _ Molossito ! – je pris mon sourire N° 4, surnommé le Ravageur – et vous mademoiselle auriez-vous la bonté de me faire part de votre prénom, je suis sûr qu’il doit être charmant !

             _ Alice ! – je dus rougir car elle ajouta – oh, je vois qu’il produit un certain effet sur vous, que puis-je pour vous ?

              _ Nous voudrions parler à Messieurs Lamart et Sureau !

              _ Impossible Messieurs, nous n’avons pas le droit de les déranger à cette heure-ci.

               _ Alice tentez un coup de fil, c’est urgent, dites que c’est de la part du Service Secret du Rock’n’Roll

    • J’adore le rock’n’roll, vous m’emmèneriez danser un de ces soirs ?
    • L’agent Chad – c’était la voix du Chef - se chargera de cette délicate mission, mais s’il vous plaît c’est urgent !

    L’on ne discute pas une intervention du Chef, Alice décrocha son téléphone échangea quelques mots puis se tournant vers nous.

              _ Vous devez être des gens importants, ils vous attendent dans leur bureau. C’est un peu compliqué je vous accompagne.

    Nous la suivîmes, empruntant force couloirs et escaliers. Elle s’arrêta devant une porte.

             _ Attendez quelques secondes, je vais vous annoncer, apparemment vous êtes des visiteurs de marque !

             _ Alice !

             _ Oui, euh, Agent Chad,

             _ Just call me Damie !

             _ Oui, Damie !

             _ Si vous êtes libre cette soirée peut-être pourrions-nous danser un peu de rock’n’roll ?

             _ Avec plaisir, je vous introduis tout de suite, je reviens vous chercher dans trente secondes ;

    Vive et légère elle disparut derrière la porte qu’elle referma derrière elle, nous n’eûmes pas attendre, un cri horrible retentit…

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 586 : KR'TNT 586 : JOHNNY POWERS / MICKEY STEVENSON / JEFF BECK / LLEWYN DAVIS / STOWALL SISTERS / TEENAGE ROCKABILLY ALCOHOLICS / BORDER CABALLERO / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 586

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    02 / 02 / 2023

    JOHNNY POWERS / MICKEY STEVENSON

    JEFF BECK / LLEWYN DAVIS / STOWALL SISTERS

    TEENAGE ROCKABILLY ALCOHOLICS

    BORDER CABALLERO / THE GREAT FORM   ROCKAMBOLESQUES

    Sur ce site : livraisons 318 – 586

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    Powers to the people

     

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             Johnny Powers, l’un des derniers géants de la première vague d’assaut, ceux qu’on appelait autrefois les pionniers, vient de casser sa vieille pipe en bois. Il reste, avec Charlie Feathers, L’Elvis période Sun, le Gene Vincent des sessions de Nashville pour Capitol, Johnny Burnette et une poignée d’autres, le wild cat du rockab par excellence. L’expression ‘rockab sauvage’ fut très certainement inventée pour lui. Son «Long Blond Hair Red Rose Lips» t’envoie aussi vite au tapis que «One Hand Loose». Pour saluer sa mémoire, nous mettons en ligne un conte tiré du volume II des Cent Contes Rock à paraître.

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             À l’aube des années cinquante, Detroit est la capitale de la construction automobile, la ville ouvrière par excellence. Elle attire toutes les familles pauvres, principalement celles du delta. Les noirs trouvent facilement du travail dans les usines de montage. Ils découvrent qu’on peut vivre dignement et toucher un salaire relativement décent. 

             Le petit blanc John Pavlik n’éprouve aucune attirance pour le chaos des chaînes de montage. Pour deux dollars, il rachète une guitare à un copain d’école et apprend à jouer quelques accords. Il intègre un groupe de country qui se produit dans les mariages et les bals locaux. Mais la country l’ennuie un peu. Un jour, il entend à la radio Jack Scott et un Elvis encore alors peu connu. Boom ! Vocation !  

             Jack et Devora Brown créent Fortune Records en 1946. Ce sont d’authentiques pionniers. Grâce à sa formation de pianiste classique, Devora peut détecter les talents. Elle repère Nolan Strong et les Diablos, un quintette noir de doo-wop et le lance. Impressionné par le flair de son épouse, Jack suit le mouvement. Pour une somme modique, les musiciens en majeure partie noirs peuvent enregistrer un disque et si un morceau accroche l’oreille de Devora, il sort sur Fortune Records. Les époux Brown sont ouverts à tous les styles : blues, doo-wop, gospel, hillbilly et même polka. Devora découvre aussi Andre Williams, dont elle apprécie la bonne humeur et l’immense talent, à la fois de compositeur et d’interprète. C’est avec Nathaniel Mayer et «Village Of Love» que Fortune Records connaîtra son plus gros succès. Andre Williams deviendra un peu plus tard le Black Godfather de la scène garage de Detroit et Nolan Strong sera la principale source d’inspiration des Temptations et de Smokey Robinson, futures stars de Motown.        

             Fin 56, Jack et Devora s’installent sur Third Avenue, dans un petit cube de béton. Ils séparent le cube en deux. Ils installent la boutique Fortune Records dans la moitié donnant sur l’avenue, et un studio rudimentaire à l’arrière. Le principe est simple : on enregistre dans le studio et on vend les disques dans la boutique, directement du producteur au consommateur. Fortune Records devient une véritable usine à hits. Leur production présente une particularité : un son cru, presque primitif, qui sera leur marque de fabrique et qui fera entrer les disques Fortune dans la légende. Les spécialistes du Detroit Sound ne jureront plus que par Fortune Records, Cub Koda en tête. 

             Grâce au bouche à oreille, le jeune John découvre l’existence de la boutique Fortune. Accompagné de Russ Williams et de Marvin Maynard, il s’y rend. 

              — Bonjour m’dame ! Mes amis et moi souhaiterions enr’gistrer un disk...

              Devora sort une fiche d’un tiroir et prend quelques renseignements : nom du groupe, style de musique, titres des deux morceaux, etc. John règle les cent bucks que coûte la séance d’enregistrement.

              — Vous avez de la chance, jeunes gens, le studio est libre. Vous pouvez vous installer. Je vous rejoins, le temps que mon mari prenne ma place.

             John et ses amis pénètrent dans l’autre pièce. Ils découvrent un sol en terre battue. Devora arrive et suspend deux micros, l’un au porte-manteau et l’autre au plafonnier. Elle passe ensuite dans un petit recoin vitré et s’assoit derrière une table où est posé un minuscule magnétophone.

              — Quand vous voulez, jeunes gens... Quel morceau allez-vous jouer en premier ?

              — Honey Let’s Go (to a rock’n’roll show) !

              — Honey Let’s Go (to a rock’n’roll show) take one !

             Le trio se lance dans l’interprétation d’un rock classique bien rythmé. John secoue sa banane et force sa voix pour sonner comme un dur. Devora trouve que ça manque un peu de substance. Elle fait venir les Diablos pour qu’ils musclent le son en claquant des mains et en chantant des chœurs de doo-wop. La séance s’achève. Sentant que le jeune John en veut, Devora lui accorde encore un moment :

              — Jeune homme, vous pouvez beaucoup mieux faire. Travaillez votre diction et mettez plus d’entrain dans votre prestation. Soyez plus féroce... Tâchez aussi de composer un hit, je sens que vous en avez la capacité.

              — Et l’enr’gistrement ?

              — Soyez sans crainte. Ça me plaît. Par conséquent, je le publie. Le disque sera dans la vitrine la semaine prochaine. Tous vos amis pourront venir se le procurer ici...

              — Merci m’dame !

              — Ah, jeune homme, encore autre chose... Changez de nom ! Pavlik, ça ne marchera jamais...

             John rentre chez lui avec un nouveau nom, Johnny Powers, cadeau de Devora. Il applique ses conseils à la lettre, écrit des chansons, travaille sa voix du matin au soir et recrute un guitariste nommé Stan Getz pour muscler le son de son groupe. Il casse sa tirelire pour se payer un blazer blanc et un pantalon mauve. Il peint «Johnny» sur le tablier de son acou et s’assure en se plantant devant le miroir que tout est en ordre.

             Johnny et son groupe décrochent des engagements dans quelques clubs de la région. Leur réputation de wild rockers grossit de semaine en semaine. Johnny a tellement travaillé sa voix qu’il peut imiter Elvis et hoqueter comme Gene Vincent. Il ne supporte pas les jours de relâche : il tourne en rond comme un ours en cage.

              — Calme-toi, Johnny... Ça nous fait du bien d’souffler un peu... Et puis, y faut qu’tu reposes ta voix... Si tu continues comme ça, tu vas sonner comme Ray Charles...

             Les autres rigolent comme des bossus.

              — Fuck le repos ! Faut qu’on fasse péter l’rockabbb ! J’ai une idée ! On va démonter le toit d’la bbbagnole et on va aller jouer au drive-in tous les quat’ ! Clark, tu prends ta caisse claire, Stan, tu bbbranch’ras l’ampli sur la bbbatterie et toi, Marvin, t’auras toute la bbbanquette arrière pour slapper ta bbbopping stand-up ! On mettra une bbbonne planche en-d’ssous pour que tu crèves pas la banquette !

             Ils filent au drive-in du coin et se garent sous l’écran. Ils attendent la fin de la séance et se lèvent. Clark envoie un roulement sur sa caisse claire et Johnny démarre un rockab endiablé. Tous les phares s’allument. Aveuglé, le quatuor met le turbo. Tous les garçons et les filles descendent de leurs voitures pour venir danser autour de celle de Johnny. Le patron du drive-in accourt :

              — Arrêtez-moi c’bordel tout d’suite ou j’appelle les flics !

             Johnny et ses amis se rassoient.

              — Bon, c’est foutu, les gars. On s’casse...

             Johnny met le contact et roule au pas jusqu’à la sortie. Il regagne l’avenue et jette un coup d’œil dans le rétro.

              — Putain ! Y nous suivent tous !

             Les trois autres se retournent et découvrent un spectacle hallucinant : tout le public du drive-in les suit en faisant des appels de phares. Johnny se gare dans un parking et le groupe se remet en place, debout sur les banquettes. C’est de la folie. Ils sont des centaines de couples à danser le rock’n’roll autour de la bagnole. Le lendemain soir, Johnny se gare sous le même écran et le groupe attaque un cut, avant même que la séance de projection n’ait commencé. Le patron accourt avec ses chiens. Johnny démarre et le drive-in se vide aussitôt. Grosse crise de rigolade. Ce petit jeu les amuse tellement qu’ils font la tournée des drive-in. Chaque fois, c’est le même scénario : l’ordre de déguerpir et le parking qui se vide.

             Gonflé à bloc, Johnny retourne en studio, cette fois chez Fox, pour enregistrer «Long Blond Hair Rose Red Lips», un rockab fulgurant qu’il vient se pondre :

              — Ouais j’t’aime babbby, j’aim’ ton style... Quand tu danses le bbbop, tu m’rends bbbarjot... J’t’aimais, mais j’t’aimerai deux fois plus... Bbbelle poupée bbblonde t’es bbbougrement bbbelle !

             Johnny fait littéralement bopper ses syllabes. Il va encore plus loin que Johnny Burnette, le roi des wild cats.

              — Ouais grandes mèches bbblondes, grosses lèv’ rouges... Quand tu danses le bbbop, mon cœur bbbat... J’t’aime tant, j’peux pas t’lâcher... Bbbelle poupée bbblonde j’t’aime comme un fou !

             Johnny secoue sa banane. Doublé par un hot slap, il fait swinguer ses syllabes avec une hargne de délinquant prêt à tout pour choquer le bourgeois. En l’espace de deux minutes, Johnny devient l’un des rois du rockab. Long Blond Hair déchaînera l’hystérie pendant plusieurs décennies. 

             Harold Douglas fait ses comptes. Il frôle la faillite. Les caisses de son drive-in sont vides.

              — Ah les sales mômes ! Va falloir sévir...

             Johnny et ses amis poursuivent leurs tournées sauvages. Ils rencontrent d’autant plus de succès que Long Blond Hair vient de sortir chez les disquaires de Detroit. Les gosses se l’arrachent. Une sorte de frénésie s’empare de la jeunesse locale. Garés devant l’entrée des drive-in, les gosses guettent l’arrivée de la Cadillac de Johnny. Lorsqu’il apparaît au bout de l’avenue, un concert de klaxons salue son arrivée. Johnny roule au pas, saluant ses admirateurs et un cortège se forme. Des centaines de voitures roulent jusqu’à un immense terrain vague et Johnny joue quelques chansons avant de repartir cueillir une autre troupe d’admirateurs pour l’emmener à l’autre bout de la ville. 

             Harold Douglas se mêle au cortège. Il va de terrain vague en terrain vague et suit le manège jusqu’au bout. Il file Johnny à travers les rues de Detroit et le voit déposer ses amis un à un, puis prendre la route d’Utica, au Nord de Detroit. Douglas éteint ses phares et se gare derrière la voiture de Johnny.

             Lorsqu’il retrouve ses amis le lendemain, Johnny porte des lunettes noires.

              — Hey Johnny, tu t’prépares pour Las Vegas ?

             Il enlève ses lunettes.

              — Oh Putain, les cocards ! C’est qui la brute qui t’a fait ça, Johnny ? Dis-nous son nom, on va aller lui démonter la gueule !

              — Du calme, les amis... J’sais pas son nom... Y m’a juste dit que si je rev’nais faire le con au drive-in, y m’couperait les roubignolles pour les faire mariner dans d’l’eau d’vie...

              — Te plains pas ! Tu pourras aller chanter à l’opéra !

             Tout le monde rigole, sauf Johnny.

              — Vous vous croyez drôles, bbbbande de bbbibards ? J’ai gambergé. On va s’organiser. On va bbboycoter tous leurs bbbouclards et y viendront nous lécher les bopping-bbbottes !

             Johnny met son plan en route. Pendant plusieurs semaines, le quatuor et ses hordes d’admirateurs se retrouvent sur des terrains vagues, à la périphérie de la ville. Plus aucun gosse ne va passer la soirée au drive-in. Toute la jeunesse de Detroit vient chanter Long Blond Hair en chœur avec son idole Johnny Powers. À la fin du set, Johnny donne le signal de la dispersion et il rentre chez lui, escorté d’une cinquantaine de voitures bourrées de fans armés de battes de base-ball.

             Harold Douglas, comme d’ailleurs tous les autres tenanciers, va se plaindre aux autorités. Les flics leur servent chaque fois le même refrain : tant qu’ils sont en compagnie de Johnny Powers, les jeunes ne font pas de conneries. Depuis quelques mois, le taux de délinquance a chuté à Detroit, ville réputée difficile.

             Les banques commencent à voir rouge. Harold Douglas reçoit une convocation. Le chargé d’affaires de la Banque du Michigan le somme de rembourser ses traites au plus tôt. Il agite la menace d’une saisie de ses biens personnels.

              — Vous avez deux semaines pour vous mettre à jour.

             Douglas réunit ses collègues dans un bar. Ils étudient toutes les solutions. Les plus pacifiques prônent la reconversion dans le camping ou les activités sportives. Les plus excités prônent le kidnapping, voire l’enrôlement d’un tueur à gages. Harold Douglas s’emporte. Il clame qu’il s’est endetté jusqu’au cou pour l’achat de son terrain, et il ne veut pas qu’une petite fiotte ruine les efforts de toute une vie de travail acharné. Il décide avec deux autres collègues aussi enragés que lui de prendre les choses en main.

              — Vous verrez, bande de lâches, d’ici une semaine, vous r’trouverez toute vot’ clientèle et vous viendrez m’serrer la pogne !

             Les trois hommes localisent rapidement l’endroit où se tient la fête improvisée. Allongés au sommet d’une petite crête, ils observent la foule à la jumelle.

              — Putain, Harold, ils sont des milliers ! Que veux-tu qu’on fasse ?

              — On va s’déguiser en tennyboppers et s’rapprocher d’l’orchestre...

              — Mais Harold, t’as plus un poil sur le caillou ! Comment tu veux jouer les tennyboppers avec la tronche que t’as ?

              — Les perruques, c’est pas fait pour les chiens, connard !

              — Et puis une fois qu’on s’ra là, qui qu’on fait ?

              — Shit ! T’as raison, j’avais pas pensé à ça... C’est vrai que pour l’kidnapper, on va avoir du mal... Le plus simple c’est d’le buter... J’ai un flingot dans la boîte à gants !

              — Mais t’es cinglé ! Tu crois que les mômes y t’laisseront partir comme ça ?

              — On jouera sur l’effet d’surprise... Vifs comme l’éclair ! Vous avez d’jà vu ça, dans les films de guerre, non ?

              — Harold, c’est n’importe quoi... Il faut repasser à travers des milliers d’bagnoles... C’est bien plus compliqué que d’traverser des barbelés ! Même si on court sur les toits, c’est impossible... Et puis, tu sais bien que tous les kids de Detroit sont armés et qu’y zont la gâchette facile... J’ai pas envie d’me retrouver troué comme une passoire...

              — Putain, vous commencez à m’courir sur l’haricot, tous les deux. Y faut que j’paye les traites la semaine prochaine, sinon, y m’sucrent la baraque ! C’est toujours moi qu’amène les idées, et vous, pauvres tartignolles, vous êtes là en train de m’critiquer ! Tirez-vous, j’vais m’débrouiller tout seul !

              — Pfffff... Tu vois bien qu’on n’peut rien faire... J’ai une idée, mais je sens qu’elle va pas t’plaire...

              — Si c’est une idée à la con, tu peux t’la carrer où j’pense !

              — Non, c’est une idée qui nous coût’ra rien et qui peut remplir les drive-in...

              — Alors vas-y, si elle coût’ rien...

              — Harold, il suffit simplement qu’on construise une scène sous l’écran géant et qu’on invite Johnny Powers à venir jouer juste après les projos... Il est balèze, ce petit Johnny, tu vois pas qu’c’est une star ? Les gosses vont revenir au drive-in et Johnny sera content... Ton banquier aussi. Tu vas même te faire des couilles en or !

              — Ha ha ha vous me faîtes marrer les gars... Vous m’avez bien r’gardé ? Vous croyez vraiment que j’vais baisser mon calbut et m’faire enfiler par Johnny Powers ? Ha ha ha !

             Au loin, Long Blond Hair résonne dans la chaleur de la nuit, repris en chœur par des milliers et des milliers de voix adolescentes. 

    Signé : Cazengler, Johnny Pomme de terre

    Johnny Powers. Disparu le 16 janvier 2023

     

     

    Mickey mousse

     

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             Avec Smokey Robinson, Norman Whitfield et Holland/Dozier/Holland, Mickey Stevenson est l’un des personnages clés de la saga Motown. Il n’est pourtant pas le plus connu. La publication (à compte d’auteur) de son autobiographie répare cette injustice et remet les pendules à l’heure. Pour le situer, Mickey Stevenson est le premier A&R de Motown, en charge des artistes et du répertoire, c’est-à-dire le pape aussitôt après le pape Berry Gordy. L’avenir artistique du label repose sur les épaules de l’A&R. On connaît la suite de l’histoire.

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             En complément des mémoires de Brian & Eddie Holland et de celles de Lamont Dozier, cette autobio apporte des éclairages précieux sur les racines de Motown. La page de garde nous indique que le book est tiré des pages manuscrites de Mickey. Il écrit avec un style très particulier, comme s’il parlait, dans un langage de la rue. Quand il évoque Smokey Robinson, il écrit «my brother from another mother». Pour évoquer la fin des haricots, c’est-à-dire la fin de sa carrière chez Motown, il utilise une formule fabuleuse : «Let’s see if I can lay this out for you without getting too emotional». C’est ainsi qu’il introduit l’épisode le plus pénible de sa carrière, lorsque Berry Gordy lui annonce qu’il lui retire le job d’A&R pour le confier à Brian Holland qui menace de quitter Motown. Gordy ne veut pas perdre sa poule aux œufs d’or : HDH. Mickey a aussi une façon très streetwise de raconter les embrouilles, comme par exemple cet épisode : il organise un concert pour sa femme Kim Weston à Detroit dans un club tenu par des mecs qui, selon son expression, n’étaient pas the cleanest guys in town, you know what I mean ? Comme le jeune pianiste est amoureux de Kim Weston et qu’elle n’est pas libre, il s’est enfermé dans une bagnole garée devant le club et s’est mis un gun sur la tempe. Il veut Kim, mais c’est compliqué, parce qu’elle est la poule de Mickey. Alors les mecs du club disent à Mickey de régler le problème vite fait, l’un d’eux dit «I don’t want the cops coming down on me, man, parce que s’ils me tombent dessus, on va devoir te tomber dessus. You see what I’m saying ?». Mickey utilise beaucoup cette tournure interro-insistante pour être sûr que tout le monde a bien pigé. He meant that my ass was on the line. En français, il dirait qu’il avait chaud au cul. Et avant d’aller régler le problème, Mickey ajoute : «I acted real calm.» La solution qu’il va trouver est toute simple : il laisse Kim Weston aller se jeter dans les bras du pianiste. Une de perdue, dix de retrouvées.

             Oui, Mickey s’exprime comme un voyou, mais il est l’A&R de l’un des labels les plus mythiques d’Amérique. On se croirait parfois dans un film de Scorsese, lorsque les dialogues sont taillés à la serpe et que les vies ne tiennent plus qu’à un fil. Du coup, ce ton donne au book un caractère unique, une dynamique d’histoire orale. Mickey Stevenson n’en finit de rappeler qu’il vient de la rue et qu’il aime les femmes, toutes les femmes. Cet homme est une force de la nature. Il suffit de le voir en une et en quatre de couve : il vieillit merveilleusement bien. Comme Denzel Washington dans le rôle d’un vieux gangster.

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             Il commence par donner sa recette magique, les cinq qualités qui l’ont aidé à devenir Mickey Stevenson : «1, capacité ; 2, savoir composer ; 3, le charisme ; 4, la concentration ; 5, tout faire pour rester le meilleur. Avec trois de ces qualités, vous devenez une star. Avec quatre ou plus, une superstar.» Il rappelle dans la foulée qu’il existe déjà une tonne d’ouvrages bien documentés sur Motown, dont un paquet de big autobios (Berry Gordy, Gladys Knight, Raynoma Gordy, Otis Williams, Mary Wilson, Smokey Robinson). Dans ses early days, Mickey voit Andre Williams sur scène et lui rend un sacré hommage. Il commence alors à traîner dans les clubs de Detroit, où tous les gens «are poppin’ their fingers and shakin’ their ass», comme dans l’«Around And Around» de Chucky Chuckah.

             Mickey indique aussi que la condition sociale des blacks qui bossent dans les usines de montage automobile n’est pas rose. Les blacks nous dit-il sont nettement moins bien payés que les blancs et pas question d’espérer ni promo ni augmentation de salaire - Si tu te plains, soit t’es viré, soit on te casse les deux jambes - Alors les blacks n’en parlaient pas trop, «ils faisaient avec, «vivant parqués comme du bétail dans des taudis appartenant à des blancs». Mickey promène un regard extrêmement critique sur le Detroit des années 50, époque de la grande migration. Les blacks quittaient le Deep South dans l’espoir d’une vie meilleure, mais en vérité, elle ne l’était pas vraiment.

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             Et la musique ? Mickey dit qu’il y a pris goût en tétant le lait de sa mère, Kitty ‘Brown Gal’ Stevenson, une chanteuse/compositeuse. Elle adorait monter sur scène à Harlem. Après son retour de l’armée, Mickey fait exactement comme Andre Williams : il refuse d’aller bosser à l’usine et choisit la rue, c’est-à-dire le jeu, les filles, gambling, whatever. Il rencontre Berry Gordy chez un coiffeur. Gordy a entendu parler de Mickey, il sait qu’il compose, et lui dit qu’à son retour de Chicago, où il doit retrouver Jackie Wilson, il lui proposera un rendez-vous. Ce qui nous conduit à la grande scène mythique du book. Mickey arrive chez Gordy qui le reçoit en sous-vêtements (stripped boxer shorts and a T-shirt). Gordy lui demande de lui présenter ses chansons. Comme ça ? Oui comme ça. Alors Mickey chante a capella. Berry lui dit qu’il a de bonnes chansons, mais que sa voix ne va pas. Mickey sent sa voilure tomber - All the wind went outta my sails - Il demande à Gordy de lui expliquer ce que ça veut dire. Alors Gordy se marre : «What I’m saying is - your voice is for shit!». Mickey croit que c’est cuit aux patates. Pas du tout ! Gordy lui propose le job d’A&R dans le label qu’il est en train de monter. On est à la racine de Motown. Comme Mickey ne comprend pas bien ce qu’est l’A&R, Gordy lui explique : «Artists and Repertoire. Votre responsabilité consiste à rassembler les artistes, les compositeurs, les producteurs et les musiciens adéquats pour fabriquer des hits. C’est ce que nous allons faire. Alors vous sentez-vous à la hauteur ?». Mickey dit okay. Et Gordy lui dit : «You’re the man.» Mickey lui demande combien il est payé. Alors Gordy lui explique le système compliqué des royalties. Mickey n’y pige rien, et il redemande combien il est payé par semaine. Gordy lui dit qu’il démarre à 25 $ par semaine et qu’il est libre le samedi et le dimanche. Mickey éclate de rire : «5 $ par jour ? Vous rigolez ?». Gordy rigole encore plus fort et ajoute : «Et tout le chili que vous pourrez avaler. Vous allez adorer le chili.» Et là Gordy commence à s’habiller.

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             Oui car dans la baraque de Gordy achète au 2648 West Grand Boulevard, et qui va devenir Hitsville USA, tout le monde mange à la cantine et c’est Raynoma, la femme de Gordy à l’époque, qui cuisine le chili. Gordy a pensé à tout, il a transformé le garage en studio, le fameux snakepit, la salle à manger en control room, le salon en salle d’accueil, et chaque autre pièce en salle de répète avec un piano et un magnéto. Aux yeux de Mickey et des autres pionniers du label, Berry Gordy poursuivait une sorte de quête. Chacun des pionniers appréciait son charisme, et son enthousiasme était contagieux. Il poursuivait un rêve - And soon it became our dream as well - Même esprit de famille qu’à Memphis, chez Stax. La seule différence est qu’à Detroit, chez Motown, il n’y a pas de blancs.

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             L’un des premiers grands artistes que signe Gordy est Marv Johnson. Mickey et Marv ne s’entendent pas très bien, c’est le moins qu’on puisse dire. Animosité réciproque - His ego was bigger than his ass - Mickey n’aime pas le voir «traîner dans sa big black Caddy with his silk suits on, smoking weed and talkin’ shit to the girls», alors que tout le monde l’attend en studio. Comme il était en charge de la musique, du studio et des musicien, Mickey n’admettait pas que certains déconnent avec ça - Including Mister Marv Johnson - Autre portrait fabuleux : celui de Martha Reeves qui entre un jour dans son bureau. Elle tape l’incruste. Elle veut absolument décrocher un contrat. Mickey n’arrive pas à la calmer. Il est soudain appelé dans le bureau de Gordy et à son retour, il trouve Martha assise à son bureau en train de prendre des messages. Il lui propose alors un job de secrétaire histoire de la calmer, mais Martha préférerait un job d’assistante. Mickey lui demande de ne pas trop pousser le bouchon. Mickey, Marvin Gaye et Ivy Jo Hunter viennent tout juste de composer une chanson pour Kim Weston, mais sa voix ne va pas. Martha qui est dans la pièce propose alors de la chanter. Boom ! «Dancing In The Street» ! Elle devient aussitôt une star. On connaît la suite de l’histoire. Évidemment, Kim Weston va mal le prendre. Mais bon, Motown a l’un des premiers hits internationaux. 

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             Mickey consacre aussi de grandes et belles pages aux Funk Brothers. Il les présente un par un, il faut aussi lire ce book pour ça, pour l’extrême qualité des hommages qu’il rend à des gens comme Benny Benjamin (never missed a beat), James Jamerson (rongé par l’amertume, car jamais crédité pour les milliers de hits sur lesquels il a joué), Earl Van Dyke, Eddie Bongo Brown (you could even smell the funk) et tous les autres. C’est Mickey qui nomme Earl Van Dyle bandleader à la place d’Ivy Jo Hunter qui ne le prend pas trop mal, puisqu’il reste dans les parages. Et puis les deux batteurs, arrivés après Benny Benjamin : Uriel Jones et Richard Pistol Allen, qu’on voit à l’œuvre dans le film culte Standing In The Shadow Of Motown.

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             Fabuleux portrait encore de Marvin Gaye, Soul mate que Mickey pense avoir croisé dans une vie antérieure. Alors que Mickey en bave avec les jeunes artistes, les garçons mais surtout les filles, Marvin est, comme il dit, une bouffée d’air frais. Avant d’être le chanteur que l’on sait, Mickey rappelle que Marvin est un fantastique batteur. Il épouse l’une des sœurs Gordy, Anna, et se voit crooner, un black Sinatra. Mais ça ne marche pas. Gordy confie une mission à Mickey : transformer Marvin en pop star - I want a hit record on him - On connaît la suite de l’histoire.

             Finalement, Mickey fabrique pas mal de superstars. Il consacre un chapitre entier à MR. Robinson, son «brother from another mother». Un chapitre aussi à Diana Ross. Mickey n’a jamais vraiment su ce qu’elle pensait de lui, mais elle lui a toujours montré du respect, ce qui, dit-il, est ce qu’on attend de gens qui bossent avec vous. Il ne s’aventure pas sur le terrain de Florence Ballard.

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             Et puis on en arrive au clash. Dans la hiérarchie Motown, le trio HDH est au sommet, grâce au succès des Supremes et des Four Tops. Ensuite vient Smokey, et Mickey arrive en troisième position. Il cite ensuite Marvin, Norman Whitfield, Ivy Jo Hunter, Barrett Strong, Harvey Fuqua et Johnny Bristol. Pour lui, Lamont Dozier est à la fois «un brillant compositeur et un hopeless romantic». Brian Holland est aussi un «all-round creative genius». Eddie est le cerveau. Il veut sa part du gâteau. Et il met la pression sur Gordy, comme il l’explique si bien dans son autobio, Come And Get These Memories. Eddie trouve que Gordy s’en fout plein les poches et ne laisse que des miettes à HDH. Alors pour le calmer, Gordy n’a d’autre solution que de lui refiler le poste d’A&R, car bien sûr, il n’est pas question de lui donner la part du gâteau qu’il réclame, c’est-à-dire un morceau de Motown. Le plus difficile reste à faire : convoquer Mickey pour lui faire avaler la couleuvre. Mickey entre dans le bureau. C’est comme si on y était. Gordy commence par lui proposer une augmentation de salaire, puis il lui propose de superviser des «special projects», comme par exemple aller creuser le marché des comédies musicales à Broadway pendant une semaine. Mickey lui dit qu’il ne peut pas lâcher son job d’A&R pendant une semaine, il y a trop de pression. Gordy lui dit qu’il a quelqu’un d’autre pour l’A&R. Mickey est scié. What ? Qu’est-ce que ça veut dire ? C’est une blague ? Alors Gordy lâche le morceau : Eddie Holland est nommé A&R. D’abord choqué, Mickey dit qu’il éprouve aussitôt après une immense déception. Mickey sort du burlingue, va trouver ses collaborateurs pour leur expliquer ce qui arrive et il se casse de cette fucking baraque. L’A&R Motown, ça représente des années de boulot. Il dit ne s’en être jamais remis.

             Mickey devient A&R indépendant et monte un label avec Clarence Avent, sous le patronage de MGM qui leur envoie des artistes signés sur MGM. Souvent des bras cassés, dit Mickey, sauf les Righteous Brothers. En fait, MGM qui a des gros problèmes attend de Mickey qu’il refasse un deuxième Motown, c’est-à-dire une vache à lait pour renflouer les caisses. Mickey est obligé de leur expliquer qu’il ne s’appelle pas Superman.

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             Mickey Stevenson n’a enregistré qu’un seul album, en tant qu’interprète, l’excellent Here I Am. Cette merveille date de 1972, et sa pochette rappelle celle de The Day The World Turned Blue de Gene Vincent. On tombe sous le charme d’Here I Am dès le morceau titre d’ouverture de balda, un cut extrêmement ambitieux et orchestré à gogo, Mickey explose sur tous les fronts. S’ensuit ce qu’il faut bien appeler un coup de génie : «Joe Poor (Loves Daphne Elizabeth Rich)». C’est à nouveau du très haut de gamme, Mickey chante et produit, c’est une Soul qui respire le grand air. L’autre coup de génie se trouve en bout de la B, «Gonna Be Alright» qu’il embarque au power pur, jolie fin de non-recevoir pour cet album superbe. Il rend hommage aux Beatles du White Album avec une cover inexpected de «Rocky Raccoon». Il a des chœurs de folles derrière lui, c’est plein d’allure et plein d’allant, il en fait de la Soul. Avec «Trouble’s A Loser» signé Leon Ware, il reste fabuleux de science infuse, il te prend par surprise, oooh babe et les filles ouah-ouhatent derrière. On le voit aussi faire du Broadway éploré avec «What Could Be Beter». Il fait le job, avec une pointe de Brill, c’est dire si Mickey Stevenson est un artiste complet.

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    Signé : Cazengler, Niqué Stevenson

    Mickey Stevenson. The A&R Man. Stevenson International Entertainment 2015

    Mickey Stevenson. Here I Am. Ember Records 1972

     

     

    Wizards & True Stars - Beck dans l’eau

     

             L’eusses-tu cru, Fresh Egg ? Fresh Egg, c’est le chef de la tribu des Pâtes Fraîches. Comme les Têtes Plates que rencontre Jeremiah Johnson, les Pâtes Fraîches sont des Indiens convertis au christianisme par les missionnaires, donc croyants. Si tu leur dis que Jeff Beck a cassé sa pipe en bois, les Pâtes Fraîches te croiront. Mais ils seront bien les seuls, car à part eux, tout le monde croyait au contraire que Jeff Beck était immortel. On voyait encore des photos de lui dans la presse anglaise ces dernières années, notamment dans les pages consacrées aux cérémonies officielles qu’on appelle outre-Manche les Awards. À la différence de tous ses contemporains qui ont vraiment très mal vieilli, Jeff Beck offrait le ravissant spectacle d’un homme extraordinairement bien conservé, comme si chez lui rien n’avait bougé depuis le temps des cerises du Jeff Beck Group : 70 balais et toujours la même coiffure, avec les petites mèches brunes sur les yeux, et les bras nus jusqu’aux épaules avec autour des biceps ces espèces de bracelets en métal qu’il affectionne depuis toujours. On vit un soir après un concert de L7 Donita Sparks signer des autographes sur le trottoir du Bataclan et porter les mêmes. Il semble que Mick Ronson en portait aussi sur la pochette de Play Don’t Worry, à moins qu’il ne se fût agi de gaffeur. Enfin bref, tu vois le principe.

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             Cette nouvelle, en plus d’être triste, nous laisse donc tous ébahis. On déteste voir ses héros se barrer, et Jeff Beck plus peut-être que tous les autres. On verra bien la gueule qu’on va tirer quand arrivera le tour d’Iggy, mais bon, pour l’instant il est toujours invulnérable, alors tout va bien. Il faudra quand même bien parvenir un jour à dire pourquoi Jeff Beck est le guitariste anglais le plus intéressant. Et ça ne date pas d’hier, puisque ça remonte aux Yardbirds.

             Pour pas mal de kids, les Yardbirds étaient avec les Pretties le groupe le plus fascinant d’Angleterre, à cause de Jeff Beck et de hits du genre «Over Under Sideways Down». Mais ce sont les Beatles et les Stones qui ont raflé la mise, en termes de popularité. Ça a recommencé un peu plus tard avec le Jeff Beck Group et ses deux premiers albums, Truth et Beck Ola : c’est Led Zep qui a cette fois raflé la mise. Jeff Beck est alors devenu une sorte de Raymond Poulidor du rock anglais, toujours en deuxième position. Adulé, certes, mais jamais couronné. C’est une belle injustice, car ni Jimmy Page, ni qui tu veux, ne lui sont jamais arrivés à la cheville. Jeff Beck a toujours eu un coup d’avance sur ses collègues guitaristes, grâce à son goût de l’aventure. Après avoir fait cracher au Blues électrique tout ce qu’il pouvait avoir dans le ventre, Jeff Beck est parti à l’aventure avec Wired.

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    Il a profité de l’occasion pour inventer un nouveau style : la contrecasse de syncope altermoite. Les journalistes français qui manquaient tragiquement de vocabulaire appelaient ça de la fusion. Jeff Beck créait un univers autonome, un univers résolu à en découdre. Pour ça, il lui fallait créer de nouvelles figures de styles. Écouter Wired à l’époque de sa parution n’était pas simple, on manquait de points de repère, mais comme on idolâtrait Jeff Beck, on l’écoutait vaille que vaille. À jeun ou pas à jeun, le résultat était le même. Au hasard des phases, il devenait poignant avec ses poignées de notes nées dans la douleur d’avant l’heure-c’est-pas-l’heure, il injectait ses contrecasses de syncopes altermoites et parvenait à rester fluide en même temps. D’une certaine façon, il subjuguait l’incohérence et imposait un non-style avec du style, en se calant sur un jazz-beat impénitent. Qui ne tente rien n’a rien, dit-on lorsqu’on impénitente le diable. Il taillait des florilèges dans ses rosiers, il avivait les dénuements de ses câbles, il étendait l’horizon de ses notes, il écaillait ses égrenages de grelots et les parait d’écarlate. Jeff Beck était un coloriste extraordinaire, il bleuissait le vent dans «Blue Wind», il était une sorte de savant de la savate ailée, un allié de la baratte en bois, il aménageait des coulées de lumière à la vitesse de l’éclair. Il n’existe pas de plus beau flashman que Jeff Beck, flashman fugueur de la Saint-Valentintin, il fuyait à travers les étoiles, il jouait comme mille, il pouvait tout jouer, des bruines, des pluies fines, des comètes en feu, des éclairs et des fleuves en crue, il était le roi des quatre éléments. Tout s’organisait autour de lui. Son «Play With Me» était digne des grands paysagistes anglais du XVIIIe siècle, des gens comme Turner et Constable, pour ne citer qu’eux. Il cultivait la démesure du classicisme.

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             Après avoir quitté les Yardbirds, Jeff Beck enregistre deux des fleurons de l’histoire du rock anglais, Truth et Beck Ola. Toute sa crédibilité vient de là. On écoutait Truth en 1969. Et depuis, on n’a plus jamais quitté Jeff Beck d’une semelle. On a beau connaître Truth par cœur, chaque fois qu’on le réécoute, c’est comme si c’était la première fois, dès «Shapes of Things», l’immédiateté du raw de Rod et Beck en filigrane dans le vélin d’Arches du blues, à la note bleutée, et cette descente au barbu sublime, cette fluidité de la touche, cette façon de tirebouchonner chaque note. Il enchaîne avec «Let Me Love You», le heavy blues rock le plus heavy d’Angleterre, dévoré de l’intérieur par le bassmatic de Ron Wood. Perfection absolue : vox + Beck + Wood, ils se traînent tous les trois dans la mélasse de la rascasse, Ron Wood joue devant et Beck par derrière, c’est un mix d’une effarante modernité. Il pleut encore du son dans «Morning Dew» et Beck fait roter sa guitare à l’entrée de «You Shook Me». Encore un heavy blues définitif. En B, tu vas encore tomber de ta chaise avec «Rock My Plimsoul», l’imbattable heavy boogie blues. Beck le joue au super gras double et Ron Wood brasse le meilleur bassmatic d’Angleterre. Jamais John Paul Jones n’a sonné comme ça sur aucun album de Led Zep. Le Jeff Beck Goup a tout inventé. «Blues De Luxe» est le Heartbreaking Blues par excellence, Rod the Mod vole le show en toute impunité. Et puis voilà la cerise sur le gâtö : «I Ain’t Superstitious». Beck fait sonner sa Les Paul comme un oiseau, croa croa, puis cui cui, il prend des libertés extrêmes, le blues l’ennuie alors il invente un nouveau langage sonique, il fait même parler sa guitare : «Maman ! Wouah wouah ! Ouin ouin !» et quand il part en vrille suicidaire, Ron Wood fait roter sa basse.

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             Le festin se poursuit avec Beck Ola, pareil, avec le même genre de démarrage en trombe, cette fois c’est «All Shook Up». Ah ah ha, fait Rod et derrière c’est le blitz, Rod fait le job et Beck bombarde, et au milieu de ce gros bordel, le bassmatic de Ron Wood ricoche dans tous les coins. On ne retrouvera plus jamais ce genre de dynamique explosive, sauf peut-être chez Cactus. «Spanish Boots», c’est en quelque sorte une formation professionnelle - Those Spanish are so long - On était hanté par ce cut à l’époque. Il faut voir le numéro de freakout que fait Ron Wood sur sa basse à la fin du cut. Même délire que John Cale à la fin de «Waiting For The Man». Nouvel hommage à Elvis avec une version complètement dégringolée de «Jailhouse Rock» et en B, on a du big Beck down the drain avec «Plynth (Water Down The Drain)». Il te riffe ça dans l’essence du bash out, et avec le raw de Rod sur la plaie ouverte, ça danse la java. Fabuleuses attaques de concasse, tout le rock moderne s’engouffre dans cette débinade, ça grouille d’arrêts et de redémarrages, de syncopes et de retours de manivelle, Rod ah-ahte et le Newman fouette la peau des fesses. Puis Rod sort son meilleur raw pour harponner l’«Hangman’s Knee» qui semble sortir tout droit d’un roman d’Herman Melville.     

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             Becky boy va tenter de rééditer les exploits du premier Jeff Beck Group avec un deuxième Jeff Beck Group et deux nouveaux albums : Rough And Ready, en 1971, et un album sans titre, l’année suivante. Pour remplacer Rod The Mod, Jeff Beck recrute Bobby Tench, un fantastique shouter/guitariste métis né à Londres et qu’on retrouvera un peu partout dans l’histoire du rock anglais. Il faut hélas se résoudre à l’avouer : Rough And Ready n’est pas l’album du siècle. On sent une nette tendance à flirter avec le Cream de Jack Bruce sur «Situation». Bobby Tench fait son Rod dans «Short Business», il miaule à la gorge chaude. En B, Jeff Beck tartine ses notes à la main lourde sur «I’ve Been Used», il redevient imprévisible. Il fait en sorte que chaque cut soit une aventure, pleine de rebondissements, de turn-overs, d’inexpectitudes, d’embellissements et d’avanies, de plages radieuses et de coulures de miel dans la vallée des plaisirs. Il perpétue son power et fait pleuvoir des pluies d’or, pendant que l’immense Bobby Tench retrouve les accents d’«Hangman’s Knee».

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             Jeff Beck Group est un album nettement plus puissant. Dès «Ice Cream Cakes», Becky boy se faufile dans le heavy Beck, il entre à la force d’une pince monseigneur dans le poulailler, alors Bobby Tench peut chanter comme un cake, ce qu’il fait très bien. Jeff Beck allume avec des notes tordues et joue à contre-emploi, comme s’il voulait inventer la modernité. On sent bien qu’il passe son temps à guetter le moment opportun. Comme au temps de Rod The Mod, il épouse le chant de Bobby Tench. Ils rendent un fantastique hommage à Bob Dylan avec une cover du «Tonight I’ll Stay Here With You» tiré de Nashville Skyline. L’hommage flotte dans l’air et Jeff Beck joue en filigrane. Il boucle ce diable de balda avec «I Can’t Give back The Love I Feel For You» d’Ashford & Simpson, version instro affreusement bien jouée. Il sublime la mélodie sur sa guitare. Et puis en B, il tape le «Goin’ Down» de Don Nix, bien lancé par Max Middleton au piano et par l’ooouhhh de Bobby Tench. Jeff Beck pavoise dans le fond du groove, il tartine en sourdine. Encore une facette de son génie : il entre dans le mur du son, comme le passe-muraille de Marcel Aymé, et envoie des sirènes dans les tréfonds de l’Iliade. Il est important de noter à ce stade des opérations que Jeff Beck et Bobby Tench font bien la paire, car ce sont des surdoués. Encore un coup de Beck avec «Definitely Maybe», un instro monté comme une pièce montée avec des notes qui coulent comme du caramel fondu, il joue sur son jeu et croise ses deux solos pour en faire des sœurs siamoises engluées dans le caramel.  

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             Comme Becky boy apprécie la compagnie des surdoués, il semblait logique qu’il enregistre un album avec Tim Bogert et Carmine Appice, le fameux BBA, qui comme le West Bruce Laing, te colle vite fait au mur. Sur «Black Cat Moan», Becky boy joue le blues. Carmine chante au ouuh ouuuh ouuuh et Tim Bogert croise le fer avec le Beck. Ça joue à l’entre-choc des entrelacs. Si tu aimes la guitare électrique, offre-toi cet album, tu vas te régaler. Ces albums des années 70 n’en finissent plus de regorger de richesses. Puis on les voit tous les trois se fondre dans la «Lady» à la manière de Jack Bruce dans Cream. Tim Bogert et Becky boy se livrent une fois de plus à une belle passe d’armes. Nouveau coup de génie avec la cover de «Superstition», secourue par un heavy renfort de cavalerie. Ils foncent en mode Vanilla, à l’effarence du bassmatic, au heavy beurre carminien, avec un Beck qui fuite dans les sinus. En B, on voit Becky boy soloter à la toison d’or dans le poppy «Why Should I Care», mais il solote en lousdé d’ambivalence, histoire de nous surprendre une fois encore. On assiste encore à un incroyable conglomérat des goûts dans «Lose Myself In You», une nouvelle confiture de télescopages. Ils abattent encore de la distance avec «Livin’ Alone». Quand ils abattent, on peut dire qu’ils abattent.

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             C’est à la même époque qu’il enregistre Blow By Blow. Belle pochette, Becky boy est encore dans sa période Les Paul. Comme Wired, c’est un album d’instros. Il fait du classic Beck, du sur-jeu de fleuve en crue. Il rend hommage aux Beatles avec une belle cover de «She’s A Woman» qu’il décore de rivières de diamants. Il cisèle lui-même ses pierres, le biseaute, les polit, tout cela à la vitesse de l’éclair. Derrière Becky boy, ça joue à l’élément déterminant, notamment dans «AIR Blower», alors il peut donner ses coups de Beck et exceller à tout-va. Il met encore la pression avec «Scatterbain», il s’enfonce sous des tunnels, il entraîne ses cohortes, il délaye des traînées de lumière, il ne s’essouffle jamais, son Technicolor a des profondeurs extraordinaires, ca grouille de nappes de violons et de frénésie rythmique. Quel voyage ! En B, il revient à sa chère main lourde pour «Thelonius» et passe à la vitesse supérieure avec «Freeway Jam». Il sait caresser la coque d’un cut pour qu’il taille la route. Il sait claquer un culbuteur avec tact. Chacun sait que Becky boy est collectionneur de voitures de sport. Puis il revient à l’un de ses péchés mignons, l’océanique, avec «Diamond Dust». Et comme souvent avec les océans, ça finit par se fondre dans un néant sublime de jazz bass et de pianotis à la Satie.  

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             Par contre, on a un gros problème avec les deux albums suivants, There & Back et Flash. Ce sont les années 80 et donc le son s’en ressent. On ne sauve qu’un seul cut sur Flash : la cover de «People Get Ready», parce que Rod la chante. Becky boy y fait son cirque habituel avec un phrasé mélodique hors normes, il étend chaque note à l’infini, il oint chaque note en sa sainteté. 

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    Sur There & Back, ils sont trois, avec Jan Hammer aux keys. Les cuts sont âpres. Becky boy ne s’en laisse pas compter. Il crée des petits événements ici et là, il jazze son «Space Boogie» à la concasse éperdue, c’est une vraie fuite en avant. Pas le temps de souffler. Toujours énormément de paysages, mais ça reste factuel et, pire encore, ça peut te laisser de marbre. Trop technique. Pas d’émotion.

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             Vingt ans plus tard, il refait surface avec ce qui pourrait bien être son album le plus magistral : Who Else. Toujours cette gueule de rockstar sur la pochette. Il expérimente de plus en plus, cette fois il joue avec l’acid house. «Psycho Sam» sonne comme le rock du futur, en tous les cas, ça sonnait comme le rock du futur en 1999. Le Beck dans les machines, l’eusse-tu cru ? Il invente l’excelsior technoïde, il gratte ses poux dans les flux virtuels. Il rejoue le blues avec «Brush With The Blues», mais il l’entraîne ailleurs. Il crée un monde qu’on pourrait baptiser l’ultra-world, un monde de sidération. Il te claque du beignet pur avec «Blast From The East», il vise la violence, mais pas n’importe quelle violence, la violence du sec et net, il réinvente au fil du jeu, il joue tout à contre-temps, il recycle ses vieilles contrecasses de syncopes altermoites. C’est là où il s’exprime le mieux : dans l’experiment, il prend le pouls du beat et reste extraordinairement actif dans l’acid pulsatif. De toute façon, il finit toujours par tout bouffer. Jeff Beck est un grand bouffeur d’univers. Il fait son Peter Green avec «Angel (Footsteps)», c’est-à-dire qu’il crée de la magie à la surface de l’océan. Il semble caresser des notes pures, puis il vise l’éclate avec «THX 138». Pourquoi Jeff Beck est-il le plus grand guitariste de sa génération ? Parce qu’il propose des climats à n’en plus finir. Il prolonge chaque note de guitare avec l’infini, il lance des initiatives en forme de ponts pour aller jouer dessus, il te crée des architectures en direct, il joue à la poursuite de son ombre, il va là où le vent le porte, Jeff Beck est un artiste infiniment libre, il crée ses fuites de toutes pièces, il est le maître de ses réalités, il s’inscrit dans les vertus d’un groove de percus, il échappe au catégoriel, Jeff Beck t’entraîne ailleurs, il te dit «viens, c’est par là», c’est un monde tectonique nouveau, il faudrait presque inventer un langage pour décrire cette modernité, ce flush effervescent et permanent. Il y a plus d’énergie chez Jeff Beck que n’en rêve ta philosophie, Horatio. La cerise sur le gâtö, c’est que tout l’album est instro. Pas de chant. Who Else sonne comme l’un des plus beaux albums de rock de tous les temps. Alors ? Alors Beck. Avec «Even Odds», il revient au heavy rock. Il a besoin d’y revenir, sans Rod The Mod ni Bobby Tench. Il peut faire le job tout seul. Il ramène tout le blues rock du monde dans cet excerpt, il claquote ses petites notes en dessous du tablier. Voilà encore une belle illustration de génie de ce musicien. Il finit son album au sommet de l’indépendance avec «Declan» et «Another Place». Tu goûtes chaque note d’un mec comme Beck, jusqu’à la dernière.

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             You Had It Coming est un album moins spectaculaire que Who Else, mais il réserve tout de même son petit lot de surprises. Jeff Beck commence par te servir «Earthquake» sur un plateau d’argent. Welcome in hell ! Il fracasse tout ce qu’il veut, il intercale des trucs à lui dans l’enfer sur la terre, il joue comme un roi d’Angleterre, mais il est l’antithèse du bon roi George, il tape dans des crânes et explose tout ce qu’il a envie d’exploser, même les Stooges et tous les autres. Quand tu es chez lui, tu fermes ta gueule et tu écoutes. Tu apprendras peut-être des choses. Jeff Beck explore pour toi les voies impénétrables. «Dirty Mind» sonne comme un instro dévoré de l’intérieur. Encore une fois, c’est une sorte de paradis pour l’amateur de guitare électrique. Il fait venir une chanteuse sur sa cover de «Rollin’ & Tumblin’», mais c’est avec «Nada» qu’il rafle encore la mise. Il joue son instro à la note ouvragée et le transforme en aubaine divine. On le voit creuser sa mine dans «Loose Cannon», il s’en va jouer dans des boyaux, il traverse des montagnes avec un jeu abrasif extraordinairement moderne, il multiplie les syncopes inachevées, chaque note est chargée d’intention, il bourre tout ça d’écho. Alors forcément, tu finis par le suivre comme un prophète. Avec «Rosebud», il t’indique la voie. C’est pas là. Il te trafique des passages improbables, il te joue le funk du printemps, il crée des pressions concentriques, il te parle dans l’oreille comme le font les dieux dans les songes, mais tu réalises que c’est sa guitare qui te parle dans l’oreille.

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             Sur Emotion & Commotion, il te fait une version d’«Over The Rainbow» en technicolor.  Il se fond dans le Rainbow à la note exacerbée, il devient une sorte de Walt Disney du rock, il crée des féeries, comme au temps, ou gamins, on découvrait Blanche Neige Et les Sept Nains sur grand écran au Majestic. Puis on le voit épouser «Nessum Dorma» à la note surnaturelle. Il nous rappelle une fois de plus qu’on peut créer un monde avec une guitare électrique. Il va cette fois chercher l’opéra à la note ultime. Dommage que Scorsese ne lui ait pas consacré un film comme il l’a fait à deux reprises pour Dylan. Jeff Beck est l’artiste complet par excellence, comme Bob Dylan, un artiste capable de performances hors du commun. Il attaque «Hammerhead» à la wah, puis il bâtit une cathédrale, il monte sa voûte à la note profonde, épaulé par des violons, et puis on le voit tarentuler un wild solo dans une profondeur de champ hallucinante. Il visite ensuite l’horizon avec «Never Alone». Il joue aussi loin qu’il peut, il installe son cut pour aller y promener ses notes de lumière comme des petits chiens. On a chaque fois l’impression qu’il joue les notes les plus aériennes de sa carrière. Sur cet album, il invite des chanteuses comme Imelda May. Pendant que Becky boy pique sa crise de destroy oh boy à la note fatale, Imelda nous ramène chez Blanche Neige.

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             On peut aussi rapatrier Performing This Week... Live At Ronnie Scott’s, qui est une sorte de Best Of enregistré live au Ronnie Scott Club de Londres, comme son nom l’indique. Becky boy y propose une rétrospective de sa carrière, puisqu’il attaque avec le vieux «Beck’s Bolero». Ça vaut vraiment le coup de l’écouter, car c’est une hallucinante performance. Becky boy décide de tout. Heavy blues ? Alors voilà «Eternity’s Breath» et sa pluie d’arpèges, au-delà du raisonnable. Comme c’est Beck le boss, il envoie son «Stratus» voler dans le ciel. Il souffle et ça vibre. Beck c’est Eole, le temps d’un cut. Il joue en vol plané sur des rythmiques infernales. Le mec qui fait un solo de jazz bass dans «Cause We’ve Ended As Lovers» s’appelle Tal Wikenfield. Becky boy a du pot d’avoir ce mec derrière lui. Il est encore ahead of the game sur «Behind The Veil», plus reggae, il joue à la pointe de la note avec des gestes inconvenants, mais il traite chaque note comme une princesse, il transforme son inconvenance en power. Et comme il n’a pas de chanteur, il fait chanter sa guitare («You Never Know»). Il en fait même une bouillasse atmosphérique, il la travaille à la wah, il persiflore dans les orifices de la décadence, il puise des ressources dans les vertiges, on se demande à son écoute si nos oreilles font bien le poids. Car quel cirque ! Justement, il fait le clown avec une note dans «Nadia». On se croirait chez Fellini, ce cut magique prend forme, Becky boy gonfle son ballon, il joue tout seul, comme un clown magicien. Puis il y va franco de port avec «Blast Form The East», ça dégouline de son, il fait la pluie et le beau temps, il joue à la note ronde. Il fait encore tinter l’or de ses notes éperdues avec «Angel (Foosteps)» et enchaîne avec cette dégelée d’Afro-Beck qui s’appelle «Scatterbrain», il déraille, il zigzague, il fait son punk virtuose, il télescope les interscopes, il fait tourner le rock en bourrique, c’est un tourbillon. Il revient au heavy blues avec «Goodbye Pork Pie Hat/Brush With The Blues», son vieux péché mignon, il s’amuse avec le vieux carcan des douze mesures et des accords en septième, il danse au cœur de l’atome du blues qui fond, il va toujours plus loin dans le fond de l’atome du blues, jusqu’à l’origine du concept. Il chevauche ensuite ses démons avec «Space Boogie», il joue à l’ivresse inversée, et revient à la heavyness de génie pur avec «Big Block». C’est le sommet du genre. Nouvel hommage aux Beatles avec «A Day In The Life», il travaille ça à la note savante. Il termine avec «Where Were You» où il fait siffler ses notes comme des oiseaux du paradis.

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             Son dernier album date de 2016 : Loud Hailer. Deux petites gonzesses l’accompagnent : Carmen Vanderberg et Rosie Bones. Et boom ! Voilà «The Revolution Will Be Televised», heavy as hell, un heavy blues rock chanté sous le boisseau par Rosie Bones avec un Beck qui rôde dans le son comme un dieu serpent. On assiste à la résurrection du meilleur guitariste anglais. L’autre coup de génie de l’album est le «Right Now» en ouverture de bal de B. Back to the heavyness, Becky boy est à la manœuvre. Spectaculaire ! Il redevient incendiaire comme au temps d’«All Shook Up». Il joue comme un diable. Tiens encore une belle énormité avec «Live In The Dark». la voix de Rosie Bones change la donne du Beck. Elle épouse bien la pression. On voit encore Becky boy sortir le grand jeu en fin de «Scared For The Children», un final en forme de chutes du Niagara. Le «Shrine» de fin de B somme comme du Leonard Cohen. Rosie Bones chante son shrine au sucre candy. Voilà tout.

    Signé : Cazengler, Jeff Bête

    Jeff Beck. Disparu le 10 janvier 2023

    Jeff Beck Group. Truth. Columbia 1968

    Jeff Beck Group. Beck Ola. Columbia 1969

    Jeff Beck Group. Rough And Ready. Epic 1971

    Jeff Beck Group. Jeff Beck Group. Epic 1972  

    Beck Bogert & Appice. Epic 1973

    Jeff Beck. Blow By Blow. Epic 1975  

    Jeff Beck. Wired. Epic 1976 

    Jeff Beck. There & Back. Epic 1977

    Jeff Beck. Flash. Epic 1980

    Jeff Beck. Who Else. Epic 1999     

    Jeff Beck. You Had It Coming. Epic 2000          

    Jeff Beck. Emotion & Commotion. ATCO Records 2008 

    Jeff Beck. Performing This Week... Live At Ronnie Scott’s. Eagle Records 2008

    Jeff Beck. Loud Hailer. ATCO Records 2016  

     

     

    L’avenir du rock - Guitar men

     

             Passionné de promenades insolites, l’avenir du rock remonte lentement une piste à travers un cimetière Crow. Comme chacun sait, les cadavres des guerriers Crow ne sont pas enterrés mais au contraire exposés sur des plates-formes en bois hautes d’environ deux mètres. C’est à la fois une façon pour eux d’échapper aux chacals et de se rapprocher du ciel où se trouve le Grand Esprit. Un peu plus haut sur la piste apparaît la silhouette d’un autre cavalier. Il descend lentement. L’avenir du rock le reconnaît : Jeremiah Johnson ! L’un de ces héros qui ne jouent pas de guitare électrique. Johnson s’arrête et, sur un ton excédé, dit à l’avenir du rock :

             — Bon ça va ! Je sais ce que vous allez me dire ! Que c’est interdit de traverser ce cimetière indien. Et puisque vous avez vu le film, vous savez que les Crows ont déjà massacré ma famille, alors c’est pas la peine d’en rajouter, sucker, la situation est déjà bien assez fucked-up comme ça !

             — Cessez vos jérémiades, Jeremiah. Vous vous fourrez le doigt dans l’œil. Je ne suis pas du genre à admonester les gens. Vous faites comme bon vous semble, vous êtes de toute évidence un grand garçon, autonome et responsable... Dites-moi, Jeremiah, vous allez peut-être pouvoir me renseigner. Je suis à la recherche de Butch Cassidy et Sundance Kid. Les auriez-vous croisés récemment ?

             — Lesquels ? Ceux de George Roy Hill ou ceux de Mateo Gil ?

             — Oh j’aime bien mater le Mateo, mais Hill reste le Roy, bien sûr !

             — Si c’est pas indiscret, pourquoi les cherchez-vous ? Ils n’aiment pas beaucoup les fouineurs de votre espèce !

             — Ne vous méprenez pas Jeremiah, je les cherche car j’ai besoin de bricoler une petite séquence d’introduction pour le blog de mon ami Damie Chad, vous voyez qui c’est ?

             — Oh oui, un redoutable desperado ! Alors ça change tout ! Je vais même vous faire une confidence : chaque mercredi je vais au saloon voir Dolorès, la pute de service. Pas pour ce que vous croyez, oh la la, pas du tout. Elle me prête son ordi portatif en bois de rose. Les Chroniques de Pourpre sont ma seule distraction.

             — Ravi de croiser un lecteur fidèle. Mais vous n’avez toujours pas répondu à ma question. Dois-je aller jusqu’en Bolivie pour les retrouver ?

             — Mais noooon ! Ils sont revenus dans les parages. La dernière fois que j’ai croisé leur piste, c’était... attendez voir... oui, du côté de Fort Davis !

             — Fort Davis, comme Llewyn Davis ?

     

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             Dans la cervelle de l’avenir du rock, un nom en appelle toujours un autre. C’est une réaction chimique classique. Elle se produit plus facilement lorsqu’on traverse un cimetière Crow. C’est aussi l’endroit idéal pour saluer les auteurs de films rock.   

             Inside Llewyn Davis et Once sont deux films qui ont énormément de points communs. À commencer par les visuels d’affiches : deux mecs avec leurs étuis à guitares. Llewyn Davis porte un gros chat sous son bras et l’Once est accompagné d’une petite gonzesse. Au vu de ces deux visuels, on pourrait craindre l’ennui : wouah, encore une histoire de folkeux, fuck it ! Mais Scorsese et Dylan nous ont appris à caresser les a prioris dans le sens du poil. Autre point commun : les deux mecs marchent dans la rue : Llewyn Davis dans les rues de Greenwich Village et l’Once dans celles de Dublin. C’est donc de l’urbain pur. Troisième point commun : les réalisateurs ont veillé à ne pas couper les cuts, on peut donc écouter quelques chansons incroyablement merveilleuses dans leur intégralité. Comme au temps de New York New York quand Scorsese donnait carte blanche à Liza Minnelli pour te broyer le cœur avec «But The World Goes Round» : tu chialais toutes les larmes de ton corps dans son fauteuil de cinéma. Avec le pionnier Scorsese, et maintenant John Carney (Once) et les frères Coen (Inside Llewyn Davis), l’avenir du rock n’a jamais été en de si bonnes mains. Carney, les frères Coen et leur absence totale de prétention démontrent qu’on n’a pas besoin de guitares électriques ni de santiags pour faire des films qui tapent dans le mille du rock. Ils ont compris une chose élémentaire : tout repose sur la qualité des interprètes et de leurs chansons. Ce qui fut valable voici soixante ans pour Bob Dylan (Don’t Look Back) l’est aujourd’hui pour Oscar Isaac (Inside Llewyn Davis) et Glen Hansard (Once). Ces deux mecs sont à la fois de prodigieux acteurs et de prodigieux musiciens. Chacun dans son style. Les scènes musicales de ces deux films redorent le blason du cinéma. Et lui redonnent en même temps une raison d’être. C’est du cinéma rock, qui navigue au même niveau que New York New York, The Commitments, The Blues Brothers, Easy Rider, l’Homme À La Peau de Serpent et Mystery Train.   

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             Avec Inside Llewyn Davis, les frères Coen retournent sur les traces de Dylan à Greenwich Village. Oscar Isaac campe l’un de ces folkeux qui jouaient au chapeau au Gaslight, le club où a démarré Dylan et qui fut, nous dit d’ailleurs Dylan dans Chronicles, le royaume de Dave Van Ronk. Le visuel de l’affiche s’inspire d’ailleurs de la pochette d’Inside Dave Van Ronk. Et comme petite cerise sur le gâtö, vers la fin du film, les frères Coen font monter sur scène un jeune branleur à la voix nasillarde. Il s’agit bien sûr de l’early Dylan. Les frères Coen proposent une reconstitution extraordinaire de ce lieu historique. On est tout de suite frappé par la qualité du gratté de poux et du chant d’Oscar Isaac, lorsqu’il chante «Hang Me Hang Me», l’histoire d’un mec qui va être pendu, aussi intense que l’«I Hung My Head» de Johnny Cash sur American IV - The Man Comes Around. C’est l’une des quatre scènes magiques de ce film. On les connaît les Coen, ils sont très forts en matière de reconstitution, on les a vus à l’œuvre dans O’Brother. Avec Llewyn Davis, ils se déchaînent : ils ne se contentent pas de filmer Oscar sur scène, ils reconstituent son quotidien de SDF, il dort où il peut, les Coen nous font même des plans de Freewhelin’ Bob Dylan dans la rue, sauf qu’Oscar est tout seul avec un chat. Pour la deuxième scène magique, les Coen montent un petit road movie pour emmener Oscar à Chicago. Fantastique ! Ils font du pur Kerouac : le chauffeur Johnny Five est à la fois le psychopathe de Fargo et Dean Moriarty, et le mec assis à l’arrière, joué par l’excellent John Goodman, est une sorte de Doc Pomus junkie. Cette séquence de road movie est hallucinante d’incredible véracité. Après quelques déboires, Oscar arrive en stop à Chicago, ça caille, il va trouver un patron de club pour essayer de décrocher un contrat. Le boss est bien sûr une sorte de William Burroughs lookalike qui demande à Oscar de chanter un truc pour voir ce qu’il a dans le ventre, alors Oscar s’exécute et bam ! il te chante «The Death Of Queen Jane» et tu sens les colonnes infernales de frissons ravager tes Vendées, car c’est d’une extrême pureté artistique. La troisième scène magique se déroule dans le studio Columbia à New York où évidemment Dylan est aussi allé enregistrer Highway 61 avec Michael Bloomfield. Un producteur Columbia paye Oscar pour accompagner Justin Timberlake et Adam Driver sur une sorte de cut farfelu, «Please Mr Kennedy» qui en fait est un véritable numéro de haute voltige. Dans les bonus du film, T Bone Burnett explique qu’il n’y a eu qu’une seule prise de cette scène. Une scène qu’on peut revisionner plusieurs fois quand on a le DVD sous la main. C’est du très grand art, ils chantent à trois et Adam Driver hulule et croasse, en hommage aux géants de l’Americana. La quatrième scène magique nous emmène dans une maison de retraite. Oscar rend visite à son père, encore une sorte de Burroughs, qui visiblement a perdu la parole. Oscar lui chante «The Shoals Of Herring», un chanson traditionnelle de pêcheurs de harengs que le père aimait bien - Sailed a million miles/ Caught ten million fishes/ We were hunting after shoals of herring - et comme les frères Coen ont de l’humour, le père apprécie tellement la chanson qu’il se chie dessus. On le sait parce qu’Oscar va trouver un infirmier pour lui demander de nettoyer le vieux. On ne peut pas rêver meilleure chute.

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             John Carney travaille différemment. Pas d’humour dans l’Once, seulement un talent fou. En fait Carney raconte la vraie histoire de Glen Hansard qui fut busker, c’est-à-dire chanteur des rues, quand il était ado. L’autre grand busker de l’histoire du rock, c’est bien sûr Dave Brock. Dave buskait comme une bête avant de monter Hawkwind. Carney filme donc Glen Hansard dans la rue où il a démarré, à Dublin, et rapidement, on assiste à une scène magique, comme chez les frères Coen : Hansard chante «Leave» tout seul avec sa gratte défoncée, mais il chante comme un dingue, et c’est là que l’autre personnage du film, la petite Tchèque, engage la conversation avec lui. Au début, on ne comprend pas d’où sort un mec aussi doué. Son «Leave» sonne comme un hit astronomique. Il va chercher un chat perché mélodique et crée des climats d’une rare densité, en s’accompagnant à coups d’acou. Plus loin, on le verra chanter un autre hit, «When Your Mind’s Made Up», qui sonne comme de l’early Radiohead, une sorte de Big Atmospherix qui s’en va chercher là haut sur la montagne des accents pétrificateurs. Comme on voit le vice partout, on imagine que l’Once et la petite Tchèque vont se retrouver au plumard, mais non, ça reste très prude, très irlandais. En fait elle est déjà maquée avec un Tchèque et elle a un gosse. Bon, c’est pas grave. Glen n’insiste pas. Il veut juste enregistrer quelques démos et aller tenter sa chance à Londres. Les choses prennent une drôle de tournure quand la petite Tchèque dit qu’elle sait jouer du piano. Ah bon ? Elle emmène Glen chez un marchand d’instruments. Le vendeur qui la connaît lui permet de jouer sur l’un des pianos, au fond du magasin. Alors Glen sort sa gratte pouilleuse, il lui montre un accord, puis un autre, elle suit au piano, pas de problème, et ils se mettent à chanter tous les deux «Falling Slowly». C’est l’une des scènes de pure magie qu’il faut avoir vu au moins une fois dans sa vie. Elle est d’ailleurs sur YouTube, comme tant d’autres choses. On verra par la suite Glen recruter d’autres buskers pour entrer en studio avec un ingé-son super-cool, c’est le petit quart d’heure romantique du film, avec des plans filmés sur la plage. Bon Carney s’en sort plutôt bien. Il a ses trois scènes magiques et il rejoint les frères Coen, Scorsese et Jarmusch au panthéon du cinéma rock.

    Signé : Cazengler, Llewyn dévisse

    John Carney. Once. DVD 2008

    Joel & Ethan Coen. Inside Llewyn Davis. DVD 2

     

     

    Inside the goldmine

    - Stovall mieux que deux tu l’auras

     

             Robinson a perdu toute notion de temps. N’importe qui à sa place en ferait autant. Chaque matin au lever du jour, il quitte la grotte où il s’est installé pour escalader le piton rocheux. C’est là qu’il observe des heures durant la baie et l’horizon. Y verra-t-il un jour apparaître une voile ? Il n’ose plus y croire après tout ce temps. Au début, il gravait un trait chaque jour sur la paroi de sa grotte, histoire de se situer dans le temps, mais il a fini par laisser tomber. Ces milliers de traits barrés par séries de sept ont fini par l’épouvanter. Du naufrage, il n’a pu sauver qu’un coffre. Oxydée par l’eau de mer, la serrure refuse de céder. Il n’a pas d’outils. Il a bien tenté de la forcer en frappant avec une grosse pierre, mais elle n’a jamais cédé. Et puis, il n’a plus de force dans les bras. Il ne se nourrit que de crabes et de baies. Il n’a rien, même pas de quoi se faire du feu. Il n’est plus qu’un sac d’os. Il a perdu ses dents et ses cheveux. Sa barbe descend jusqu’au nombril. Par chance, il n’a pas de miroir, car il se ferait peur. Pourtant bien construit mentalement, il se sait rendu aux portes de la folie.

             Un beau matin, le commandant Cousteau arrive au large de l’île. Il remonte son sous-marin en surface, le met à l’arrêt et gagne le rivage à bord du canot pneumatique. Il fait quelques pas sur la plage et aperçoit une grotte. Oh, une grotte ! Il allume sa lampe torche et pousse un autre oh d’étonnement. Oh un trésor ! La scène semble sortir tout droit d’un petit récit de piraterie : au beau milieu de la grotte se trouvent un coffre et un squelette ! En promenant le faisceau de sa lampe sur la paroi, il découvre des myriades de traits gravés. Oh des traits ! Il ouvre sa sacoche en cuir d’explorateur et en sort une perceuse. Bzzzzzzzz. Il perce plusieurs trous dans la serrure du coffre qui cède rapidement. Il soulève le couvercle. Oh ben zut ! Le coffre ne contient ni pièces d’or ni bijoux. Un seul objet : l’album moisi des Stovall Sisters. 

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             C’est vrai que sans télé, sans ordi, sans smartphone, le pauvre Robinson a dû s’emmerder comme un rat mort. On ne souhaite ça à personne, pas même à son pire ennemi. Quand bien même il aurait pu ouvrir le coffre, ça n’aurait rien changé, puisque de toute façon, il n’avait pas de tourne-disque. Qu’est-ce que ça peut être con, la vie, parfois.

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             Le destin de l’album des Stovall Sisters est un peu comparable à celui de Robinson : perdu dans l’océan. Pas n’importe quel océan, puisqu’il s’agit de l’océan des bons albums de Soul et de r’n’b que l’industrie du disque fabriquait industriellement dans les années soixante-dix. Alors comment découvre-t-on les Stovall Sisters ? Il existe un moyen bien simple qui s’appelle What It Is! Funky Soul And Rare Grooves, une box en forme de boîte de cigares du Pharaon parue en 2006 chez Rhino. Les Stovall Sisters figurent sur le disk 3 avec «Hang On There», un heavy groove emmené au big bassmatic. Derrière, ça roule comme chez Sly avec des nappes de cuivres qui sonnent bien les cloches. Le bassman s’appelle Doug Killmer. Alors bien sûr, quand on tombe là-dessus, on mène l’enquête. Qui sont les Stovall Sisters ?

             Trois blackettes basées à San Francisco et bien enracinées dans le gospel : Lillian, Netta et Joyce, trois girls issues d’une famille nombreuse (dix enfants), couvées par leur mère Della Stovall dans les années 50. Elles s’appellent God’s Little Wonders, puis en grandissant, The Valley Wonders. Alors bon, d’accord, encore du gospel. Oui, et plus que jamais. Il est dans l’air du temps. Les Stovall Sisters tapent dans le gospel Soul, de la même façon que les Como Mamas tapent dans le gospel d’Hill Country Blues, de la même façon que Marylin Scott tapait en son temps dans le gospel blues, de la même façon que l’immense Candi Staton tape dans tous les genres de gospel, de la même façon que les Sensational Barnes Brothers tapent dans le gospel de l’avenir du rock via le Memphis Beat, car les racines n’ont jamais été aussi vivantes et aussi nécessaires. C’est toute l’énergie d’une culture qui est en jeu, et plus les blacks s’y mettent et plus l’authenticité règne sur la terre comme au ciel.

             Installées à Oakland, elle évoluent vers le r’n’b, ce qui leur permet de chanter dans les clubs. Elles accompagnent Ike & Tina Turner - I think we were the 18th set of Ikettes, dit en rigolant Lillian au dos de la pochette.

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             Perdu dans l’océan, l’album des Stovall Sisters n’a aucune chance. C’est pour ça qu’il faut l’écouter. Elles aiment bien leur Lord alors elles font des miracles, mais des tout petits miracles, comme par exemple cette reprise du «Spirit In The Sky» de Norman Greenbaum qu’elles gospellisent à outrance. Elles font là un coup fourré extraordinaire, un vrai coup fourré de génie, puisqu’elles retournent ce vieux hit pop comme une crêpe et du coup il prend un double sens spirituel, et par le titre et par la dynamique. Et là les gars, il n’y a pas de meilleure dynamique que celle du gospel batch. Tout le rock’n’roll est là. Elvis et Jerry Lee viennent de là en direct. Commercialement, les Sisters n’ont aucune chance, mais elles chantent. L’album est paru sur Reprise, ce qui n’est pas rien. Il faut les voir embarquer «Sweepin’ Through The City» au gros beat popotin. C’est excellent, classique et glorieux à la fois. Comme le montre «Rapture», elles savent aussi manier le gospel nonchalant, un genre difficile. Elles filent comme les filles de l’air au doux balancement des alizés. Elles savent aussi se montrer délicieusement dévergondées, comme le montre «So Good». Quand elles piaillent, elles piaillent ! Elles ne font pas semblant. C’est plein de fraîcheur et d’intention. Elles reviennent inlassablement à leur passion pour God. Comme toutes les grandes chanteuses de gospel, elles n’hésitent pas à baiser avec God : «The Love Of God» n’est pas une vue de l’esprit, c’est une clameur sexuelle bien soutenue à l’orgue, bien churchy, mais churchy en bois, c’est important. En fin de B, elles s’adonnent à un autre sport, le shake de funk, avec «I Come To Praise Him». Ah il faut les voir s’abandonner avec la foi du charbonnier ! C’est solide et bien funked up.     

    Signé : Cazengler, Stovaille que vaille

    Stovall Sisters. The Stovall Sisters. Reprise Records 1971

    What It Is! Funky Soul And Rare Grooves. Rhino Records Box 2006

     

     

    ROCKABILLY RULES ! ( 8 )

    N’oubliez jamais que toutes les règles sont faites pour être contournées, dépassées, chamboulées, piétinées, car l’important avant tout c’est d’avoir un cœur fidèle et rebelle !

    Y VIVA ESPANA !

    1

    TEENAGE ROCKABILLY ALCOHOLICS

    SHE ‘S THE ONE TO BLAME

    (Triple-T Records 001 / 2019 )

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    Une pochette à ameuter l’ire vengeresse des ligues féministes, la stupeur du stupre, je ne sais pas pourquoi elle m’a attiré l’œil, moi en tant qu’amateur distingué d’art j’ai tout de suite filé la note sein sur sein, z’auraient pu ouvrir un parapluie en prenant le troisième titre, Feelin’ c’est tout de suite plus romantique, mais non là ils ont mis l’écriteau She’s the one to blame sur le paratonnerre pour attirer la foudre et se faire traiter de gros mâle occidental pur porc garanti, mais le plus osé ce n’est pas le dessin c’est le titre du groupe, énorme clin d’œil, enfin plutôt  coup de pied au cul, à la ligue repentante des alcooliques anonymes, j’ai beaucoup péché mais je ne recommencerai pas, je le jure jusqu’à la prochaine fois, z’ont coché toutes les bonnes cases, sex, drugs and rock’n’roll, tout pour se faire haïr des puritains de service. Le pire c’est l’utilisation éhontée des tactiques antidémocratiques qui consistent à accuser l’autre, une faible jeune fille innocente, du crime que l’on commet soi-même, car ce n’est pas elle, la seule que vous devez blâmer, l’unique fautif se nomme IVAN MORENO, il revendique son crime, l’a tout fait tout seul, chant et instruments. Un irrécupérable, un irrockupérable ! Pas plus de renseignement sur cet Ivan Moreno, sinon qu’il est de Madrid. Se présente aussi sous le nom de Bob McCurry.

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    She’s the one to blame : rien qu’à sa photo il était évident qu’ Ivan Moreno se revendique des Teddy-boys. Le choix de Crazy Cavan en premier titre nous le confirme. Une interprétation des mieux venues, drôlement bien foutu, le rythme, le vocal et l’esprit. Boogie bop dame : ce titre de Crepes ‘n’ Drapes se retrouvent systématiquement sur de nombreuses compilations Teds : question de goût, je préfère le vocal de cette version à l’original, même si les instrus sonnent davantage Rock que Ted. Feelin’ : une reprise de Johnny Kidd, de quoi faire plaisir à Tony Marlow, le seul rocker anglais qui tint tête à la vague Beatles and co, Ivan Moreno nous en offre une version totalement remodelé sur la rythmique Ted, et son originale interprétation vocale est des meilleures.

    Damie Chad.

    2

    BORDER CABALLERO

    Chronologiquement parlant il y a eu le country et ensuite le rockabilly, rien n’est plus juste sinon qu’entre les deux est venu s’intercaler un troisième larron, le western. Yes cher Damie , mais historiquement les premiers cowboys amenaient pâturer leurs vaches folles avant l’apparition du country ou alors il faut dire que les chants de cowboy ont posé un des fondements de la musique country, tut-tut braves gens, nous ne parlons pas de la même chose, les cowboys sont une chose et le western en est une autre, le western est lié au développement de l’industrie du cinéma, et est très vite devenu une mythification du personnage du cowboy historial. The Great Train Robbery, premier western date de 1903, le genre se développera très vite, Gene Autry est né en 1907, Roy Roger en 1910, le premier western parlant La piste des Géants de Raoul Walsh avec John Wayne date de 1930, Gene et Roy, nos deux acteurs-chanteurs, surnommés les cowboys chantants eurent un énorme succès, n’allez pas chercher midi à quatorze heures afin de comprendre pourquoi Hank Williams était dès son premier disque accompagné par His Drifting Cowboys… Bref country and western marchèrent pendant longtemps main… Avec le rockabilly le lien s’est quelque peu distendu…

    Or voici que sur une pochette je distingue le titre Border Caballero, tiens un disque de rockabilly, cavalier et frontière, deux thèmes typiquement westerners, je rajuste mon monocle, non ce n’est pas un morceau, c’est carrément le nom du groupe, à l’origine,  Border Caballero est un western muet de Sam Newfield qui date de 1936,  des connaisseurs, sont toute une horde sur la pochette, intéressant, écoutons expresso aurait dit Cicéro : 

    THE LOST SESSION AT ROCK PALACE STUDIO

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    ( Volume 1 -  Summer 17 )

    BORDER CABALLERO

    ( Border Caballero / 2021)

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    All I can do is cry : le vieux hit de Wayne Walker de 1956 avec Grady Martin à la guitare, un must du répertoire rockabilly : diable ils ont du souffle faut dire qu’avec une trompette et un sax ça donne un max, même que le singer est un peu en arrière, une bonne facture indéniable, mais vous n’avez pas encore tout entendu, rallongent la chantilly sur la religieuse, un finale instrumental qui vous donne envie de monter au rideau pour voir passer les extraterrestres dans le jardin, un truc festif-simili-ska, vrai-cuir-de-vache-parfumé-au-jazz, ces gars-là, ce n’est pas le chagrin qui les tuera. Ne serait-ce pas aussi un groupe de dance ? Burnin’ down the spark : quand vous l’entendez par Nancy Sinatra vous avez envie de la prendre dans les bras et de l’emmener chez vous pour la réchauffer la pauvre petite poulette, eux c’est un peu pareil, des trémolos dans la voix, les mêmes que ceux du torero qui s’apprête à mettre à mort le taureau, la métaphore m’est venue toute seule, mais la suite la confirme, avec le renfort des cuivres cela devient sublime, imaginez Romeo et Juliette de Shakespeare avec une fanfare qui entonne un pasodoble aux moments les plus poignants, ce sont bien des espagnols, de l’emphase à n’en plus finir, en plus c’est beau. 

    SURRENDER

    ( Avril 2013 )

    Featuring : Andreu ‘’ Lobo’’ Muntaner aka King Wolf : lead and backing vocal  /  Harry Palmer : guitar, drum, vocals / Guillermo Gosalbo : sax, flute / Marcos Ortega : trumpet / Gustavo Villamor : bass / Javi Entranable : percussions.

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    Une adaptation par Doc Pomus et Mort Shuman d’un morceau italien pour Elvis Presley.  Le morceau est dédié à Carlos Anguera. Quand vous cherchez vous avez l’impression que la moitié des espagnols s’appelle Carlos et l’autre Anguera. Elvis vous le fait à la mignonette prend sa voix de chaton abandonné sous la pluie, ne comptez pas sur la fierté de nos hidalgos pour mendier tendrement, prennent une voix grave comme si le sort du monde en dépendait, sortent l’as de pique romantique, sur la fin Harry Palmer se la joue ténor d’opéra, et les musicos se prennent pour un orchestre classique. Z’ont le sang chaud !

    ROCK’N’ROLL EP

    ( Février 2013 )

    Belle pochette western : difficile de faire mieux : la tronche de John Wayne avec un bandeau sur l’œil, ça lui apprendra à jouer aux Gilets Jaunes.

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    I won’t believe : quatre notes de piano, une cavalcade de trompette, et un super vocal, tout en subtilité, l’air de rien, de ne pas y toucher, c’est lui qui mène la charge, un solo de guitare aux sons étirés, et c’est reparti au trot vous ne vous sentirez jamais de trop car c’est d’un équilibre aérien.  Une réussite. Don’t leave me alone : vous attendez une pleurnicherie mais vous avez un gratté de guitare qui vous met les nerfs à vif, les cuivres s’en mêlent et un vocal ironique s’en vient guetter le trou de la souris, férocement original, en plus vous avez un déploiement orchestral moitié big band, moitié rockab. Des musiciens qui s’amusent ? Non des musicos qui savent s’amuser. Save my soul : un morceau qui ne s’écoute pas mais qui se regarde comme un western, déploiement de paysages grandioses, âme torturée et armes qui parlent. Le genre de truc que l’on attendait de Presley et qu’il n’a hélas jamais réalisé. Stories : intro groove funky, des cuivres au grand galop et un vocal en appel continu. Les parties musicales sont de véritables bijoux. Ces gars-là quand ils enregistrent ils se débrouillent pour faire quelque chose de follement original. Cet EP est un chef-d’œuvre.

    OXIDADO

    ( Youkali Music 107 / 2016 )

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    Lost : fredonnement musical, et toujours cette voix qui caracole jusqu’à ce qu’arrivent les trompettes de Jéricho qui font tomber les murailles, un piano qui déborde, le gars a perdu son âme, normal dans ce charivari ordonné à la perfection, murmures entendus, un scat d’un nouveau genre ? jusqu’à ce que les guitares balaient tout ça à la poubelle, alors là ils s’énervent vivement et la bande-son devient rutilante. Your dirty ways : cuivres à mort, le pattern est jazzy et la voix à cheval entre jazz et rockab, difficile de déterminer le dosage surtout que ces maudites trompettes accaparent vos oreilles, guitare écharpée, ce qu’il y a de bien avec ce groupe alors que les autres s’arrêteraient eux ils déroulent encore un tapis rouge, encore plus moelleux, encore plus râpeux. Je vais m’attirer des ennuis mais c’est beaucoup plus imaginatif que ce qu’avait fait Brian Setzer avec son big bazar. Where is my mechero : emballement de batterie et c’est parti mon kiki, les incendiaires sont de retour, un instrumental aux petits oignons qui font pleurer les de joie les yeux, s’amusent au surfin’ band, vous pouvez écouter tous les groupes de surfin que vous voulez, aucun n’a jamais produit un truc si différent. Ce n’est pas de la parockdie, c’est une autre manière de penser. I told you for love : maintenant ils s’amusent à dynamiter le doo-wop, un peu chanteur de charme qui ne se prend pas au sérieux, un peu twist, un peu Upsetters, un peu sixties, un peu rhythm’n’blues, un peu tout ce que vous voulez, le miracle c’est que cela tient merveilleusement en équilibre. Sont doués. Si vous n’avez pas tout compris, il y a un clip sur YT. Powder room : ça se boit comme du petit lait au piment d’espelette, nous refont le coup du sandwich au pain garni   avec tout ce que vous voulez dedans, une auberge espagnole, le mec frappe à la porte de la salle de bain et vous croyez qu’il vous ouvre celle du paradis. Un sacré ramdam. Your baby blue eyes : paru en 2015 sur la compil His * Panic Stomp 10 th Aniversario :  à fond de train, ça ressemble un peu à choo choo boogie, grand orchestre qui a perdu la pédale douce et qui ne parvient pas à débloquer le régulateur de vitesse… On s’en fout l’on est comme Yul Brynner l’on roule cheveux au vent. Oxidado : attention titre éponyme, changement d’atmosphère, instrumental, lumière blues tamisée et soul aux yeux pâles en sourdine, une guitare qui ronronne sixties, le slow qui tue dont vous ne sortirez pas vivant, le grand frisson, à l’espagnole, tragediante y comediante. If you love me : des cuivres qui miaulent comme des guitares, un mec enfoui dans son désespoir, quelle voix, d’une petite amourette de rien du tout ils font un générique de film à grand spectacle qui finit par rocker à mort, plus un sax qui rampe comme un crotale dans votre salle à manger. Play my rock’n’roll : retour au rock’n’roll pur et dur, savent tout faire, les instrus un par un prennent leur pied et la voix nage tête haute au-dessus des vagues de dix mètres de haut. Connaissent tous les plans. A croire qu’ils étaient là quand on les dessinait. Burning love : viennent de vous dessiner un éléphant, ce coup-ci ils en rencontrent un vrai. Surtout ne pas imiter, de toutes les manières Palmer n’a pas le même genre de voix, alors il éraille un peu et fouette cocher les boys derrière foncent dans le tas, ne s’en tirent pas mal, mais Elvis trois crans au-dessus.  Liar girl : dégustent la glace à la petite cuillère, ça balance l’escarpolette pas très haut mais gentiment, un tapis de trompette, une carpette de sax pour le chien qui aboie, l’on est parti pour le reste de la nuit. Freedom sounds : on l’attendait depuis le début, le générique de fin qui bouscule les fauteuils, le tsunami qui emporte tout, un départ de fusée de Canaveral pour les confins de l’univers, grandioses sonneries de trompettes l’aventure ne fait que commencer, bande-son du film, crépuscule tous azimuts, une guitare à la Shadow et un feu follet de trompette qui brûle sans fin…

    Un disque hors-norme. Querelle byzantine : certains prétendront que Border Caballero ont mis du rockab dans la musique de film, pas du tout ils ont introduit le genre générique dans le rockab, et cela sonne merveilleusement.

    HANG ‘EM HIGH

    ( Alternate Mix / Février 2018 )

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    A l’origine une œuvre écrite par Dominique Frontière (cela ne s’invente pas) et orchestrée par Ennio Morricone. Générique du film Hang Em High paru en 1968. Se débrouillent pas mal l’est vrai qu’ils font avec les moyens du bord, ne disposent pas de l’orchestre philharmonique du Danemark como el maestro italiano, mais pour ceux qui ont Apache dans les oreilles il est sûr que pour une fois la cuivrerie est de trop. Par contre l’on peut se demander si les Shadows n’ont pas été une des inspirations importantes pour les musiques de western de Morricone… En tout cas la preuve par neuf que l’influence westerner sur la musique de Border Caballero n’est pas un mythe. A notre connaissance ils n’ont plus rien enregistré de neuf depuis 2016 mais donnent toujours des concerts. Tous ces morceaux sont sur Bandcamp.

    Dam Chad.

     

     

    *

    J’avoue éprouver un attrait certain pour les choses, les gens et les conduites que je n’apprécie pas particulièrement, peut-être le possible des chemins que je n’emprunterai jamais. Une façon comme une autre de goûter à la multiplicité du monde pour mieux me résoudre à ma propre altérité.

    Je ne suis guère attiré par la musique de The Great Form, trop pink floydien pour un vieux rocker comme moi, ce qui ne m’interdit pas d’écouter, de prêter attention et d’essayer de comprendre. 

    The Great Form, beau nom pour un groupe, mais ce n’est pas un groupe, un gars tout seul qui se prénomme Alex. De Lincoln capitale de l’état du Nebraska. Facile à repérer sur une carte, sa frontière avec le Kansas peut être considérée comme la ligne dont le milieu indiquerait le centre des Etats-Unis.

    Le gars se présente en quelques mots : ‘’originaire du milieu de l’Amérique et produisant de la musique et de l’art conceptuellement épiques’’ puis tout aussi rapidement il parle de son album sur lequel il a travaillé durant cinq ans : ‘’ La première version de ce paysage sonore conceptuel. Cette première version est purement orchestrale, elle permet de vous immerger dans le psychadélique, le doom, la bonté. ‘’ . Je connaissais le filage de ces albums de BD que le dessinateur envoie à son coloriste, juste le dessin au trait sur un fond unanimement blanc, mais un album de musique offert au public sans la partie vocale prévue s’inscrit dans une démarche originale, d’ici l’été 2023 précise-t-il sur son FB, en prime il nous fait part de son envie, pour le moment irréalisable selon ses propres capacités d’en donner, une version imagée. Nous sommes donc pour reprendre une expression joycienne face à a work in progress. Démarche artistique qui témoigne d’une farouche volonté et nécessite une longue patience. Un seul hiatus pour moi dans cette présentation, psychadélic et doom sont des notions qui me parlent, par contre j’ai de grandes préventions envers la bonté, une qualité qui relève un peu trop du christianisme pour ma part. Idem pour les spiritualités orientalisantes entre nous soit dit. L’idée ne m’est jamais venue d’écouter de la musique pour baigner dans un monde de bisounours ou de résilience.

    THE RECURRENCE

    THE GREAT FORM

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    Pochette de feu. L’erreur serait de demander ce qu’elle représente. Chacun y pourvoira à sa manière. Disons que c’est un élément informe. Une substance pure au sens cartésien du terme, un de ces quatre éléments fondamentaux qui résolvent le cycle de la matière primaire, de la materia prima des alchimistes. Bref une image du kaos. Oui mais sur cette coalescence fondationnelle apparaissent trois formes géométriques, le carré, le cercle et le triangle. Les formes ! A percevoir comme l’antithèse absolue des Moires. Celles-ci engendrent le néant, mais les formes donnent forme et vie au monde cosmique. Le cercle n’est guère visible, sans doute parce qu’il est impossible de l’appréhender en sa totalité. Ne dites point que vous le discernez sans peine et que je ferais mieux de porter des lunettes. Il est des mots qui se doivent d’être interprétés avec subtilité. Si le carré délimite la stabilité de l’Être ou de l’Etant, si le triangle permet de localiser avec précision n’importe quel lieu du carré monde, le rôle du cercle est explicitement énoncé par le titre de l’album, récurrence en tant que répétition, que réitération, en tant qu’Eternel Retour. Alex n’est pas uniquement attiré par ‘’ l’art conceptuellement épique’’ les concepts philosophiques le titillent aussi pas mal.

    Ultime précision : sur bandcamp nous n’avons droit qu’à la couve, mais sur le FB et l’Instagram de The Great Form, nous avons en supplément cinq autres images – elles sont aussi animées - qui illustrent les cinq titres qui constituent l’album. Ce n’est pas pour rien qu’Alex aimerait à donner une version vidéo de l’opus. Pour l’instant nous considèrerons ces images comme les grandes arcannes qui permettent de suivre le chemin musical de pensée que nous propose The Great Form.

    johnny powers,mickey stevenson,jeff beck,llewyn davis,stowall sisters,teenage rockabilly alcoholics,border caballero,the great form,rockambolesquesSaturn rising : par la faute de Goya et son tableau Saturne dévorant ses enfants, Saturne a acquis une mauvaise réputation, elle n’est pas non plus totalement usurpée, mais c’est aussi lui qui présida à l’Âge d’Or durant lequel les hommes vivaient en paix, libres et égaux, c’est en souvenir de ces jours heureux que furent instituées dans l’antique Rome les fameuses Saturnales, jours d’agapes, de libations, et de frénésies diverses… si les Saturnales se déroulaient fin décembre, c’est  qu’en souvenir de l’Âge d’or Saturne était symboliquement censé se réveiller quelques jours avant le 21 décembre, jour du solstice qui marquait la fin de la nuit la plus longue… le réveil de Saturne est l’équivalent du Sol Invictus qui marque le triomphe des forces de la lumière et de la vie sur l’obscurité et la mort… Une récurrence de ce qui a été, nous sommes en plein dans le mythe de l’Eternel Retour… une rumeur qui se lève et qui point, un bruit qui revient sur lui-même et acquiert bientôt une résonnance intérieure qui semble se suffire à elle-même, des sons émergent de cette boule comme si le soleil dépliait un à un ses rayons, étirant ses bras d’une façon qui devient démesurée, des coups sourds surgissent, les rais s’abattent-ils sur les forteresses de la nuit, toujours est-il que le son se change en un essaim  de milliers d’insectes printaniers qui se réveilleraient en bruissant, des notes plus claires transpercent cette rumeur tels des étendards de victoires joyeux et festifs agités avec allégresse. Un bruit souterrain émerge et persiste, mais les notes embrasent notre ouïe, lestes et vives, s’élève un chant d’ode à la vie interminable qui ouvre ses corolles de toute beauté, primevères qui percent la neige froide et sont les fruits et les bruits avant-coureurs d’un éclat annoncé dont elles deviennent les héraults, l’on culmine à une certaine satiété qui elle-même se sent dépassée par une flamme vive et rassurante, toutefois l’ensemble marque le pas et paraît atteindre ses propres limites, le son se stabilise, une trompe sonne, ce n’est pas la trompette d’été mais l’écho réverbéré par ses murs limitatifs, il est évident que le phénomène parvient à sa propre culminance et s’éteint doucement car il ne peut aller plus loin que sa propre lumière. johnny powers,mickey stevenson,jeff beck,llewyn davis,stowall sisters,teenage rockabilly alcoholics,border caballero,the great form,rockambolesquesIcarus : nul besoin d’être un mythologue averti pour deviner que The Great Form évoque le mythe d’Icare. Pensons à Dedalus le roman de James Joyce. Fêter le soleil ne suffit pas. Les âmes les plus altières visent plus haut. Icare grâce aux ailes d’oiseau que son père lui a confectionnées, enivré par sa jeunesse, s’envole orgueilleusement vers le soleil, l’insensé qui croit l’atteindre, la cire qui maintient ses plumes sur son dos fond à la chaleur de l’astre solaire… chute inévitable, échec total. Profondeur d’une note grave, ces premières sonorités portent le deuil du héros et des insensés qui tiendraient à l’imiter. Une espèce de moteur de Spitfire prend son envol et bientôt de l’altitude, depuis la terre l’on ne l’entend plus mais résonnent ces coups de haches qui abattent les chênes pour le bûcher d’Hercule, qu’importe notre pilote pique droit vers les hauteurs du ciel, il monte et grimpe sans arrêt, bruissements de cymbales pour magnifier un certain balancement quasi érotique du désir de la victoire suprême… on ne l’entend déjà plus, ne nous parviennent que des sons ouatés venus d’au-dessus de la couche des nuages, mais il monte toujours, le pilote impérieux ne renonce pas à son rêve, nous sommes dans la carlingue avec lui agrippés de toutes nos forces au manche à balai, sommes-nous dans un trou d’air, l’avion ne virevolte-t-il pas comme une feuille morte, non il a repris son ascension, des notes funèbres reviennent identiques à celles du début mais porteuses d’une morbidité sans retenue, nous avions cru à une péripétie, nous étions juste cramponnés à notre rêve mais en réalité déjà il battait de l’aile et nous tombions…? Mais un rêve peut-il vraiment mourir ?  johnny powers,mickey stevenson,jeff beck,llewyn davis,stowall sisters,teenage rockabilly alcoholics,border caballero,the great form,rockambolesquesYggdrasil : nous changeons de mythologie, nous abandonnons la Grèce pour les pays du Nord. Yggdrasil représente l’arbre du monde, ou plutôt des mondes. Il est l’arbre sacré, l’axe du monde autour duquel s’articulent les niveaux ouraniens, célestes et souterrains de l’univers. Il est le tout et il est la partie. Acceptons-le ici comme le symbole d’une stabilité récurrente et d’une compréhension hégémonique humaine. C’est en restant pendu à Yggdrasil qu’Odin perça le secret des runes. Toute cette mythologie est admirablement mise en scène par Wagner dans sa tétralogie L’Anneau (référence explicite au mythe de l’Eternel Retour) du Nibelung. Pour ceux qui n’oseraient pas s’aventurer dans cette œuvre dense et touffue nous conseillerons la lecture de La Forêt Enchantée, d’Enid Blyton, oui l’auteur du Club des Cinq, directement entée sur le mythe de l’arbre yggdrasilien… douceur solide et douce solidité, nous sommes au centre de l’œuvre comme au milieu du monde, au point central vers  tout converge et d’où tout s’enfuit, au point de jonction et de césure entre absolu et infini, la structure musicale se perd dans le silence qui sépare deux notes comme le blanc typographique isole les lettres d’un même mot et la présence indéfectible de ces runes sonores, pierre de touche de toute érection verticale de sens, des notes isolées se dispersent pour mieux se rassembler en leur incomplétude, dans le trait d’union d’une mélodie sonore pastellisée qui peu à peu se teinte de teintes plus vives, comme sur ces cartes géographiques où les minuscules taches rouges désignent les endroits les plus escarpés de notre globe teinté du sang des songes que les étendues océaniques bleues, le vert végétatif des forêts et le jaune alluvionnaire des plaines exaltent. johnny powers,mickey stevenson,jeff beck,llewyn davis,stowall sisters,teenage rockabilly alcoholics,border caballero,the great form,rockambolesquesBlood and sänd : nous sommes ici dans toutes les mythologies car elles obéissent toutes à une même structure, après la mise en ordre du monde par les Dieux ou les puissances élémentales survient le temps des héros et des guerriers, les hautes époques épiques fondationnelles, mais les héros valeureux et les guerriers redoutables viennent à mourir, les sagas les plus tumultueuses sont vécues et écrites sur le sable de la mémoire humaine, nous voici plongés dans l’Âge De Fer notre monde d’égoïsme, de guerre et de pouvoir… Pas besoin de davantage d’explications, c’est notre temps présent. Le sable du temps sur les dunes du vécu qui s’effrite lentement sous les coups de râpe du vent patient, collez votre oreille à cette terre poudreuse, vous entendrez résonner les échos des caravanes d’antan, les soirs de repos autour d’un maigre feu les cordes des musiciens résonnent encore, le sablier s’écoule très lentement, maintenant l’orage des tempêtes gronde au loin, surgissent les hordes des pillards qui passent tout près, tournent autour de vous comme des vautour, entendez le tambour des sables inquiétant et porteur d’angoisse, la mort s’approche à pas lourd, le sang jaillit et gicle, c’est un torrent sans fin qui coule en charriant des hennissements de guitares agoniques, tout se calme, ce qui est passé est passé, tout se perd dans le filigrane du non-être, martellement guerrier, le drame est un perpétuel recommencement, il étend ses voiles funèbres tout le long du chemin de la vie, si monotonement qu’il est inutile de pousser des cris de désespoir, le vent emporte les poussières des ossements ou les recouvre pour les enfouir au plus profond, et tout recommence sans fin, imperturbablement… johnny powers,mickey stevenson,jeff beck,llewyn davis,stowall sisters,teenage rockabilly alcoholics,border caballero,the great form,rockambolesquesSamsara : mot d’origine hindou qui signifie renaissance. Nous pouvons employer un autre mot beaucoup plus explicite : réincarnation. La même doctrine que Platon, les âmes obligées de refaire un parcours de vie pour se dépouiller des scories de leur vie antérieure, celles qui n’ont pas su maîtriser leurs désirs de jouissance matérielle, qui n’ont pas su s’épurer de leur enveloppe terrestre, obligées de tourner sans fin dans la roue du monde si elles n’arrivent pas à atteindre le nirvana ou le monde des Idées… Il existerait donc une manière de rompre le cycle fatidique de l’Eternel Retour dans les marécages de la sensualité, à condition de s’abstraire de tout désir de se dépouiller de soi-même… Mais qui est prêt à une telle renonciation… Pas moi. Une simple promesse qui transforme l’espoir en croyance, le nid de serpents des religions avec impératifs moraux et catégoriques. Non merci. Lenteurs, nous avons tout notre temps pour explorer et errer dans tous les couloirs interminables du monde sub-lunaire, le son devient ténu, jusqu’à lors la partition donnait l’impression d’un bourdon continu graduellement augmentatif, avec par-dessus une espèce d’étirement cordique destiné à atomiser le temps en mille fragments temporels inépuisables, un son de guitare prend le dessus, sans doute tient-il en main la muserolle du cheval blanc du char de l’âme humaine et le conduit-il par les routes tortueuses vers les grandes avenues de la sagesse, des banderoles, des dazibaos de synthétiseur jalonnent la route, il vous faudra boire la coupe de la vie jusqu’à la lie,  reconnaissons-le c’est un peu long, ce ne sont pas ces notes claires de clavier qui nous raviront, sans doute est-ce pour cela que la musique devient plus lourde, est-ce pour signifier le poids du péché ou celui de la grâce de celui qui est sur le bonne route, qui ne peut plus se tromper, qui a rejeté l’erreur derrière lui, quelques notes réjouissantes, se moquent-elles ou évoquent-elles la lueur au bout du tunnel, cette fin devient longuette, aurions- nous fait fausse route, sommes-nous encore sur la chaussée de l’échec, l’auditeur en jugera d’après ses expériences personnelles… un son de sirènes terminales, seraient-celles d’Ulysse…

    La démarche intellectuelle m’agrée mais l’ensemble des morceaux est un peu trop longuet, il ne se passe pas grand-chose, évidemment si c’est toujours la même chose qui revient, cela semble normal… The Great Form qualifie son ambiance de heavy, nous voulons bien, mais même écouté très fort – selon les conseils d’Alex - nous dirons, toujours en vieux rocker qu’il s’agit d’un heavy moderato !

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 17 ( Vocatif ) :

    85

    Le Chef alluma avec cette volupté que je connaissais bien et qui toujours présageait que nous allions frapper un grand coup :

               _ Agent Chad, hier soir nous avons remporté grâce à votre esprit d’initiative, une première victoire sur notre épouvantail à moineaux, comme disait Héphaïstos il faut battre le fer tant qu’il est chaud, j’espère que la nuit vous a porté conseil et que votre esprit a fomenté une nouvelle stratégie qui nous permettra une nouvelle fois de lui river son clou. De cercueil si j’ose dire !

              _ Hélas Chef, la chouette d’Athéna est bien venue cette nuit me susurrer quelques conseils à l’oreille, mais les mots qu’elle a prononcés me semblent incompréhensibles, je les tourne et les retourne dans ma tête mais je n’arrive point à leur trouver un sens quelconque. Et surtout à entrevoir une relation   avec notre affaire. Jugez-en par vous-même, ils sont pourtant simples, une énigme digne d’Edgar Poe, en deux mots : ‘’ Oiseau blanc ‘’.

              _ Agent Chad, vous avez bien dit Oiseau blanc ?

              _ Exactement Chef, ‘’ Oiseau Blanc’’, totalement incongru, je…

              _ Agent Chad, c’est certainement parce qu’il était entouré d’intelligences étroites comme la vôtre que Napoléon a dû perdre l’Empire, c’est pourtant clair comme de l’eau de roche, d’une évidence irrémédiable, au lieu de gamberger dans votre bêtise, allez nous voler une voiture avec des sièges plus rembourrés que la précédente !

               _ Chef, je…

               _ Agent Chad, trêve de discussion oiseuse, moi aussi j’ai deux mots à tonner à vos esgourdes d’âne bâté : Action Immédiate !

    86

    Molossa et Molossito, les quatre pattes en l’air dorment profondément sur la banquette arrière, j’en conclus au sourire qui se dessine sur leurs babines que les sièges sont plus que moelleux. A mes côtés le Chef allume un Coronado :

              _ Agent Chad, ne vous trompez pas, surtout n’empruntez pas l’entrée de l’autoroute, prenez la sortie, en sens inverse bien entendu, si vous changez de file abstenez-vous de mettre votre clignoteur.

    J’ai compris. (Ne dites pas enfin, puisque vous vous n’avez rien pigé). L’oiseau blanc, les Dieux sont facétieux, ou alors mon esprit a eu peur des conséquences, s’agit juste du contraire, ce n’est pas l’oiseau blanc mais l’oiseau noir, celui du malheur ! Pour le moment je roule sur la bande d’arrêt d’urgence, ceux qui me croisent lancés à pleine vitesse klaxonnent, font des appels de phare, me traitent de fous ou de tarés, je ne les entends pas mais je le devine à leur mine atterrée et à leurs gesticulations grotesques, je n’en tiens aucunement compte et accélère.

               _ Très bien Agent Chad, quand je dirai go, vous couperez la route selon un angle de soixante degrés sur votre droite pour vous retrouver sur la troisième voie, faites attention, ils conduisent comme des inconscients !

    Nous laissons passer un gros lot de voitures attendant que le flot se tarisse entre deux vagues successives.

    • Go !

    Le Chef a bien calculé. Un poids-lourd surchargé sur la voie une a provoqué derrière lui un immense désir de dépassement sur les deux autres voies, un coup de volant, j’ai le temps de lui passer devant, sur les deux autres voies c’est la terreur, ces conducteurs du dimanche freinent à mort ce qui me laisse l’occasion de traverser toute la chaussée, derrière c’est un carambolage monstre, les voitures s’incrustent les unes dans les autres, certaines finissent sur le toit de celle qui les précédait, devant moi l’espace est libre, je suis donc maintenant  dans le sens normal de la marche. Je m’arrête en douceur. Nous descendons pour profiter du spectacle. Molossa et Molossito se ruent vers les carcasses enchevêtrées d’où émanent des gémissements et fusent des cris de douleurs, les deux braves bêtes se précipitent pour lécher les ruisseaux de sang qui se répandent sur l’asphalte.

    Paisiblement le Chef allume un Coronado, d’un air serein et satisfait il        contemple le monstrueux tas de ferrailles à quelques mètres de nous :

    • Belle manœuvre Agent Chad, essayons d’évaluer le nombre de morts, certes des innocents, mais pour la bonne cause, celle du rock’n’roll, plus tard leurs familles seront fières de leurs sacrifices, et s’en prévaudront auprès de leurs voisins. J’estime que nous avons dû occasionner une quarantaine de morts, je parie quarante-deux !
    • Quatre-vingt-trois, exactement !

    87

    C’est Elle. Nous ne l’avions pas vue arriver. Dans son long manteau noir elle n’a pas l’air contente :

              _ Encore vous ! J’aurais dû m’y attendre ! Vous croyez que je n’ai que ça à faire, quatre-vingt-trois morts supplémentaires non prévus, j’ai assez de boulot avec la guerre en Ukraine…

    Le Chef exhale la fumée voluptueuse fumée de son Coronado :

              _ Excusez-nous madame pour ce surcroît de travail, hier soir vous êtes partie si vite que vous avez oublié de nous donner votre numéro de téléphone, nous n’avions pas d’autres moyens pour obtenir un rendez-vous avec vous qu’en provoquant ces légers dommages collatéraux. Nous vous prions de nous excuser pour ce dérangement.

              _ Quittez ce ton obséquieux, je me demande pourquoi je ne vous ai pas encore tués tous les deux, vous et vos deux cabots !

              _ Comme c’est étrange Madame, nous nous posons la même question, pourquoi tant de mansuétude envers nous, alors qu’il suffirait d’un geste de votre part pour nous ôter la vie.

    J’interviens à mon tour dans la conversation :

              _ Si je peux me permettre une supposition Madame, je pense que c’est parce que vous ne voudriez pas priver la population terrestre d’un GSH, ce serait une véritable catastrophe pour l’Humanité !

              _ Jeune godelureau, tous les hommes sont égaux devant moi qu’ils roulent au GSH ou au GPL – un ricanement sinistre s’élève de sa bouche, elle est contente de son jeu de mot, de son jeu de mort – votre heure à tous les deux viendra à votre heure, ne soyez pas pressés, d’après mes observations sur les réactions de vos semblables c’est toujours trop tôt.

               _ Ce n’est pas grave, les actions que nous menons pour le rock’n’roll rendront nos noms immortels – le Chef alluma un Coronado – mais je profiterai bien de votre présence pour m’enquérir d’un détail qui me turlupine depuis le début de nos investigations !

              _ Je serais ravie de vous répondre, si cela ne dépasse pas mes capacités, cher Monsieur ! Toutefois attention, rappelez-vous que hier soir vous avez gagné trop rapidement à mon goût, le goût de la vengeance gerce les lèvres que je n’ai pas.

    • Juste une précision, justement sur la propriété que vous avez concédée hier soir à Carlos, puisque cette faille temporelle existe depuis plusieurs siècles, est-ce que…
    • Je vous arrête tout de suite, je ne peux rien vous dire à ce sujet, vous vous heurtez-là à des puissances qui ne sont pas de mon ressort, ou plutôt avec qui j’ai passé des accords secrets. Excusez-moi Messieurs mais il me reste à prélever les derniers signes de vie sur quelques agonisants.

    Comme la veille elle disparut en une fraction de seconde.

    88

    Durant notre conversation, les secours avaient commencé à arriver, forces de police, pompiers, Samu, ambulances, protection civile, secouristes, équipes de médecins… il était temps pour nous de filer sans attirer l’attention. Je démarrai et doucement je me faufilai entre les divers véhicules arrêtés en désordre sur la chaussée.  

    • Agent Chad, ralentissez, il me semble que nous sommes suivis.
    • Bizarre Chef, aucune ambulance n’a encore fait demi-tour pour ramener des blessés dans un hôpital, nous étions les seuls dont le nez pointait dans la bonne direction, c’est donc un véhicule qui s’est ou qui a été dégagé du carambolage…
    • Prenez l’air de rien, Agent Chad, elle s’apprête à nous doubler.

    Effectivement elle nous doubla. Nous la reconnûmes tout de suite. Sur sa portière s’étalait le logo du Parisien Libéré. Lamart et Sureau !

    • Bien ! dit le Chef en allumant un Coronado, maintenant nous avons la réponse que La Mort n’a pas voulu nous donner. Agent Chad, dans ce pays le rock’n’roll court un grave danger !

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 585 : KR'TNT 585 : TONY MARLOW / JON SPENCER BLUES EXPLOSION / DAVE DAVIES / LIAM GALLAGHER / SETTING SON / BLACK SKY GIANT / ICHI-BONS / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 585

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    26 / 01 / 2023

    TONY MARLOW / JON SPENCER BLUES EXPLOSION

    DAVE DAVIES / LIAM GALLAGHER

    SETTING SON / BLACK SKY GIANT

     ICHI-BONS / ROCKAMBOLESQUES

    Sur ce site : livraisons 318 – 585

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

    Marlow le marlou - Part Three

     

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             Si tu veux tout savoir sur Tony Malow, le plus simple est de lire sa fulgurante petite autobio parue dans Rockabilly Generation. Mais il faut aussi écouter les albums car ils jettent une sacrée lumière sur cet incroyable artiste qui a su traverser toutes ces décennies en restant fidèle à l’esprit rockab le plus pur. Les ceusses qui le critiquent sont comme d’habitude les ceusses qui n’ont pas écouté les albums. Toujours la même histoire. Une autre info en forme de petite cerise sur le gâtö : ses meilleurs albums sont produits par Marc Zermati.  

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             Dans un Part Two, on a déjà dit tout le bien qu’on pensait du 1,2,3… Jump des Rockin’ Rebels (Underdog 1982) et tout le mal qu’on pensait de leur premier album Rockin’ Rebels paru en 1979. Coincé entre les deux, tu as Frogabilly, paru aussi sur Underdog, un label monté par Dominique Lamblin et Marc après la première disparition de Skydog. Sur la pochette, les Rockin’ Rebels sont quatre, assis sur leurs motos, et à gauche, tu as le Marlou qui ne s’appelle pas encore Marlow. Il ressemble beaucoup à Robert Gordon. Et tu l’entends vite rafler la mise dans «Panhandle Rag» : il y joue la pompe manouche, et à l’époque, tu n’as pas beaucoup de gens capables de sortir un tel son sur la scène rock en France. On a un fantastique son de rockab dans «Dig That Crazy Beat», ça swingue sous l’Underdog, ça te boppe sur l’haricot, c’est excellent, on sent la patte de Marc à la prod. Encore un petit joyau rockab avec «Boogie Baby» et ils nous emmènent en B à la fête foraine avec «Gunfight Bop», excellent pulsatif vrillé de petits solotages d’apanage. Ça swingue encore dans «Rockin’ The Swamp» et le Marlou rend un superbe hommage à Carl avec «Hey Mr Perkins». Oh ils savent swinguer le Carl, hey hey Mr Perkins ! Oh daddy-O-rock !

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             On passe aux choses très sérieuses avec ce World Rocking paru sur Skydog en 2001. On le sent dès l’aéroport, comme dirait Nougayork, dès «Rock-A-Like That», ça joue sec et net dans le Skydog way of life, avec un solo claqué dans l’enfer des portes qui claquent. Le coup de génie de l’album est un autre Rock-A, «Rock-A-Bye Love», claqué aux heavy chords de wild Rock-A. Le Marlou casse bien la baraque, avec un slap pris dans la couenne du son. Marc Z et le Marlou abattent un travail de titans. Encore un joli coup de Jarnac avec «House Rocking (With A Texas Troubadour) Pt1» : le Marlou entre dans son pré carré. Il joue tout simplement comme un dieu.  Dans «Wild Cat On The Loose», il fait rimer ruby shoes avec cat on the loose, c’est remarquablement bien tenu en laisse. On le voit encore jouer all over «60 Thousand Feet», c’est ultra-drivé, ces mecs sont tous des virtuoses et le Marlou tisse une dentelle sempiternelle. Ils font bien le train avec «South-A-Bound Train», pas de problème. Encore un cut illuminé avec «House Of Swinging Lights». C’est dingue le terrain qu’ils parcourent, le Marlou chante sur la crête du son. Cet album est une merveille. Il passe au heavy swamp-rock avec «Crocodile Swamp», c’est excellent, dans la veine de Suzie Q. Puis il passe sans transition au gospel batch avec «Sunday Morning», mais avec du swing. I feel so good ! Il termine avec le heavy drifting d’«Here Comes The Drifter» et du yodell à gogo, puis avec un clin d’œil à Bo avec «Stampede». Sur ce coup-là, il des accents d’Elvis. Son impeccable, comme toujours sur Skydog.  

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             On reste sur Skydog avec les Rockin’ Rebels et Elvis Calling. En amuse-gueule, tu as une fantastique cover de «My Baby Left Me». On se croirait chez Uncle Sam, la voix en moins, mais le Marlou claque bien sa chique et ça reste une sacrée chique. Il ramène tout le stamina de la version originale. L’autre stand-out cut de l’album est sa cover de «Guitar Man». Il est dessus. Toutes ses covers d’Elvis sonnent juste, sauf peut-être «Burning Love», plus difficile à chanter. Il prend aussi «Gentle On My Mind» trop haut au chant, il est trop parisien, trop Batignolles sur ce coup-là, il passe à côté, il ne se profile pas assez. Par contre, son «Baby Let’s Play House» est une petite bombe, il est dessus avec une extraordinaire vitalité du son. La Marlou grimpe là au sommet de son art. Avec «I’m Coming Home», il tombe dans l’extrême beauté de l’Elvis mood. Là ça devient sérieux, c’est plein de son et d’esprit, d’une invraisemblable aisance, il claque des solos de contrefort qui illuminent la fête foraine, c’est du pur génie, il t’emballe si tu es une femme. Il fait aussi une belle version de «Come On Everybody». On le sent fabuleusement impliqué et en guise de cerise sur le gâtö tu as le solo flash du Marlou. 

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             Les deux premiers albums de Betty & The Bops sont aussi parus sur Skydog et comme les deux précédents, ils sonnent comme des passages obligés. Le premier qui n’a pas de titre s’appelle donc Betty & The Bops. On les voit tous les quatre sur la pochette et le Marlou gratte une belle gratte rouge. Ça démarre sur un bruit de moteur et Betty chante à la régalade pendant que le Marlou veille au grain. Puis ils passent au pur rockab avec «Good Rockin’ Mama» et un slap de rêve. Le coup de génie de l’album s’appelle «My Hand Some Man», un joli rockab attaqué de biseau. Terrific ! Avec du sax dans l’encoignure. Ici, le slap dicte sa loi. C’est tellement parfait que ça sonne comme un classique de 1956, avec un beat entêtant et les attaques restent biseautées jusqu’au bout, ça file à la cravache. On se régale aussi de la grosse intro d’«All Night Long». Ces mecs savent lancer une machine. Sur «Rockabilly Girl», le Marlou fait sa presta en clairette de Gibson rouge et il décroche le pompon. Le slappeur fou s’appelle Dominique Gimonet, il vole le show sur «Jump Jump» et «Hi Fi Baby» - He’s my baby/ I don’t mean maybe

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             Fantastique album que ce Pin-Up Confidential qui date de 1995. Démarrage en trombe de slap avec «Swimmin’ Through The Bayou». Toujours Gimonet au slap et la prod de Marc Z.  Tu as tout de suite la pulsion définitive, même si c’est monté sur le plus vieux riff du monde. Ils t’embarquent tout simplement en enfer. Et ça continue avec «Come On», toujours au paradis du slap, quel punch, tu le prends dans le ventre, come on ! Betty est magnifique, c’est rond et c’est pas carré, ça joue au pulsatif entre tes reins. On reste dans le pur jus de rockab avec «On A Rocky Road», bien visité par le Marlou. Il repartent plus loin de plus belle avec «Spanish Jungle». le Marlou y claque un solo d’intermittence et ils passent au swing avec «Ida Red». Le Marlou y sort ses plus beaux accords de jazz, il joue en filigrane dans la texture du swing, il mène le bal, c’est un géant. Il claque «Who’s Been Foolin’ You» à coups d’acou. C’est un heavy boogie blues de bienvenue, le Marlou claque ça sec aux chorus inventifs. Il est très certainement l’un des grands guitaristes du XXe siècle. The wild cats are back avec «Snake Eyed Boy». C’est lui qui chante ce pur rockab d’antho à Toto.   

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             Dans le Part Two, on a dit tout le bien qu’on pensait d’Hot Wheels On The Trail, avec le fantastique son Sfax. Retour sur Skydog en 2007 avec le premier album solo de Tony Marlow, Kustom Rock ‘N’ Roll. Extraordinaire album, il faut bien l’avouer. Pour la pochette, le Marlou grimpe sur sa bécane et se fait une petite banane. Il n’a vraiment pas besoin de la ramener, car tout le son du monde est là, dès le «Booze Fighters» d’entrée de gamme. Le bruit et la fureur ! Encore signé Marc & Tony. Ça pulse à cent à l’heure, ce démon joue à la vie à la mort, il fait couler des rivières de diamants. On imagine Marc dans sa cabine avec des yeux ronds comme des soucoupes, face au spectacle de ce guitariste. Eh oui, ces deux-là ne font que des bons albums. Il s’agit sans doute d’un cas unique en France. C’est tout de même incroyable que Marc ait soutenu le Marlou jusqu’au bout, allant même jusqu’à ressusciter Skydog pour sortir ses albums. Et puis voilà «The Missing Link» que le Marlou explose. Il explose tout ce qu’il touche, le swing, le rockab. Il pose bien sa voix sur le heavy pulsatif d’«Hot Rocking Mama» et ça devient vite génial. Le slappeur fou s’appelle Frank Abed. Avec «Cliff & Dickie», le Marlou rend un hommage vibrant aux Blue Caps. Il fait de la haute voltige et il en a les moyens. Puis ils s’en vont slapper «All Aboard» dans la gueule du loup. Le Marlou claque ensuite «Lonesome Rider» à la main lourde. Tout ce qu’il propose est bon, il chante au guttural de biker de banlieue puis il prend feu avec «Foolish Girl». Encore une fois, il est certainement le meilleur guitar slinger du continent. Il sait tout faire. Hommage à Chucky Chuckah avec «Uncle Berry», très haut niveau, il ramène tous les gimmicks. Tiens voilà un drum cut, «In Search Of Drums City», avec un Marlou en maraude, c’est du stash de jazz, mais avec un power considérable. Tu vas de surprise en surprise sur cet album. Il tombe plus loin sur le râble de «Big Sandy». Il te le claque derrière les oreilles, le Marlou est une brute magnifique, il enfonce bien le clou du before I die. Il termine cet album fantastique en mode doo-wop avec «Good Days Are Gone». Les chœurs sont marrants, ils font bomp bomp bomp comme des estomacs trop sollicités. Le Marlou s’amuse bien.

             Il y a un DVD avec l’album. Et pas n’importe quel DVD, un DVD Skydog ! On y trouve pas mal de choses intéressantes, notamment le clip de «The Missing Link» : un trio tape un coup de Surf craze incognito. Ils portent tous les trois des masques de catcheurs mexicains. Le guitariste joue sur une Dan Electro. Mais quand ils enlèvent leurs masques, ils sont tous les trois des Marlous. C’est donc un subterfuge. Et l’occasion de se souvenir que le Marlou faut autrefois un batteur. Le DVD propose ensuite un concert filmé à Boulogne en 2006 : le Marlou est accompagné sur scène par batteur et Betty Olsen à la stand-up. Le Marlou semble avoir grossi, en tous les cas, il porte un gros pantalon rouge qui ne l’amaigrit pas et il joue sur la Gretsch rouge assortie. Il nous fait le grand show Sun et montre à quel point il est un guitariste exceptionnel. Il joue son «Mystery Trrain» avec une délicatesse extrême, il n’en rajoute pas, ses figures de style sont tout bonnement des chefs-d’œuvre de dentelle de Calais. Jamais deux fois le même plan, byzantisme et fluidité à tous les étages en montant non pas chez Kate, mais chez Chet. Il élève encore le ton pour rendre un nouvel hommage à Elvis avec «My Baby Left Me» et comme si cela ne suffisait pas, il aligne le B-side, «Blue Moon Of Kentucky». Il est incroyablement crédible. Par contre, le «Stray Cat Strut» ne marche pas. Et avec la mèche qui lui tombe sur le front, il finit par ressembler à Jerry Lee. Exactement le même profil de killer. Espérons que tous les fans du Marlou aient pu voir ce concert, même en DVD. Car quel crack !

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             On reste sur Skydog pour l’excellent Knock Out qui date de 2009. Encore un album de Guitar Man et notamment une cover géniale de «Born To Be Wild», géniale car amenée au beat rockab - Hey baby/ Won’t you take a ride with me - Hommage suprême - Get the motor running - Il le prend à la bonne et l’arrose d’accords mortifères. Encore un cut de Guitar Man avec «Run Away From You», un petit groove bien cavalé et qui prend feu. Il fait encore la loi avec «Guitar Slinger». Tony Marlow est certainement le grand Guitar Slinger d’ici bas. Il claque sans peur et sans reproche. C’est un démon. Côté rockab, on est bien servi, tiens par exemple avec «Lou Cipher’s Place», il est en plein dans l’esthétique rockab avec des solos tirés à quatre épingles. Le slap fait des ravages dans «Get Krazy», pure rockab madness ! - Get krazy all nite long - C’est un véritable coup de génie, digne de Charlie Feathers et de Johnny Powers. On reste dans l’excellence rockab avec «Just The Talk Of The Town», ça te danse dans les oreilles, le slap d’Andras Mitchell est juste derrière le Marlou. Avec «Action Baby», il fait de l’Americana du Kentucky des Batignolles. Superbe ! Les autres cuts sont plus rock’n’roll, comme par exemple «A Furious One» qui porte bien son nom, joué vente à terre, ou encore «Fifty Nine Club» plutôt endiablé. N’oublions pas de saluer le «Ridin’ To The Ace» d’entrée de gamme que le Marlou chante à la glotte charbonneuse. Comme c’est enregistré chez Lucas Trouble et produit par Marc Z, tu as le meilleur son du monde. Mais ce sera le dernier album du Marlou sur Skydog.       

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              Avec Rockabilly Troubadour, il entame sa période Rock Paradise : deux albums solo et deux albums avec K’ptain Kidd, un tribute band à Johnny Kidd. Quand on le voyait chanter «Rockabilly Troubadour» sur scène, on ne le prenait pas vraiment au sérieux, sans doute parce qu’il chantait en Français. Et puis quand on écoute l’album, c’est complètement autre chose. Il cogne à la française et c’est assez demented. Peu de gens peuvent suivre. Ses solos frappent comme l’éclair. Ses textes en Français font le poids, ça dépote, avec de l’amour enchaîné et du nervous breakdown. En fait le Marlou s’impose comme poète du cuir et du baston dans «Le Cuir Et Le Baston» - Métro Simplon/ Pour une embrouille à deux francs - Il fait ce que Charles Trénet faisait en son temps, il chante soir et matin - Le début des rebelles/ Et on avait la vie belle - Il revient au rockab avec «L’ivresse». Mais contrairement au son Skydog, le slap est ici assez discret. Fatale erreur. Il devrait être à l’avant du mix. Le Marlou surprend encore avec son wild solo de clairette dans «Debout». Retour au rockab avec «Le Garage» - Sous le capot, ça tambourine - Rien de tel qu’un garage pour voir monter la température de la voisine. Il fait tout rimer avec garage. Avec «Le Prochain Train», il salue Johnny Burnette. Le Marlou va le chercher les yeux dans les yeux, il claque son train en français et passe des solos de clairette - Accident lumière blanche/ Je me sens bien - Il fait un «Get The Motor Runnin’» en deux parties - C’est pas l’enfer ici/ Pas non plus le paradis - et passe au fast rock’n’roll avec «Laissez-Moi Dormir» - Hey hey hey laissez-moi dormir - Il tape dans le tas, il chante dans le feu de l’action, c’est très puissant.  

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             Dans Surboum Guitare, on trouve un cut qu’il faut bien qualifier de mythique : «Quand Cliff Gallope». C’est l’hommage suprême au Gallopin’ Cliff Gallup. Le Marlou peut se permettre de jouer avec le feu. Quel swing ! - Cliff Gallup go bop go ! - Il sait même jouer le Gallup, comme d’ailleurs Jeff Beck. Autre pièce de choix : «Et La Fuzz Fut». Le Marlou finit par taper le big fuzz out. Encore un hommage de choix à Carl Perkins avec «Guitar Show» qui est en fait le vieux «Movie Magg». C’est un petit chef-d’œuvre d’Americana. Avec «Les Guitares Jouent», il adapte Lee Hazlewood en français, mais ça ne marche pas. Sans doute le côté trop Batignolles, trop volontariste. Avec «Tu Me Quittes», il fait l’Elvis de «My Baby Left Me» au slap, il tente le coup et ça passe. Le Marlou se dit bienheureux, il claque ses chords à la volée, il est rayonnant. Avec «Au Rythme Et Au Blues», il repart dans le Chucky Chuckah, on se croirait chez les Stones. Retour à son terrain d’excellence avec «Le Swing Du Tennessee». Le Marlou est unique en son genre, il engage de sacrées guerres intestines avec le slap. Comme il ne se refuse rien, il tape dans Duane Eddy pour «Jerk & Twang». T’en connais beaucoup des guitaristes français de ce niveau ?

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             Et puis voilà les deux tribute albums à Johnny Kidd. Le Marlou porte le patch du Kidd et monte K’ptain Kidd avec Gilles Tournon (bass) et Stephane Moufler (beurre) en 2015. C’est le morceau titre qui ouvre le bal de Feelin’, au pur baby baby de dark piraterie. Killer en diable. Il fait du heavy boatin’ de la flibuste sur «I Can Tell», il reprend le contrôle du love me no more, il croise avec ses hommes en mer des Caraïbes, ils sont marrants, ils se prennent pour des vrais pirates. Le Marlou s’est crevé un œil pour la pochette. Du coup il joue comme une bête. Il tape dans le dur des Portugais avec cette belle mouture de «Shakin’ All Over». Il est parfait dans l’idoine. Copie conforme. Il tape «Weep No More My Baby» d’une voix de Marlou, c’est joué à la pointe du fan club. Il tape encore dans l’excellence avec «Doctor Feelgood», mais Mick Green n’est pas là, même si le Marlou multiplie les attaques de piraterie. Il ramène une autre énergie qui est la sienne. Il est trop parisien pour faire l’Anglais. Dans ses pattes, «Longin’ Lips» devient une belle énormité. Il prend le chant d’«I Just Wanna Make Love To You» avec un courage indiscutable. C’est heavy et plein de jus. Puis il nous pulse un «Please Don’t Touch» au génie pur, il l’explose autant que le fit Lemmy en son temps, il le tape à la hargne pure. Il couve son groove sous la cendre, c’est une spécialité. Il termine avec une version française du Shakin’, «Le Diable En Personne». Il adore cogner dans les tibias.

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             Le deuxième album s’appelle More Of The Same et paraît la même année. Sans doute a-t-on avec ces deux albums le plus bel hommage à Johnny Kidd, en tous les cas le «Goin’ Back Home» est un véritable coup de génie. Le Marlou plonge dans la démesure de la flibuste avec une délectation extrême. C’est tellement pilonné qu’on croit entendre des rafales de coups de canon. Le Marlou outrepasse ses droits, il allume comme vingt bouches à feu. Il faut saluer son génie sonique. Même chose avec «Some Other Guy», tiré d’une rare BBC session pour une séance de heavy Kidd. Troisième bombe : «Castin’ My Spell» qu’il claque à la clairette de Tele. Le Marlou est diabolique, un vrai Barbe-Noire, il ravage tout, il est l’Attila de la flibuste. Il fait le tour du propriétaire, pas de problème. Avec «Restless», il épouse la moiteur des cuisses, il plonge dans le kitsch de fête foraine à coups d’accords de concorde. Tout ce qu’il joue est pur. Retour au swing avec «Bad Case Of Love» et il fait son Elvis sur «Ecstasy». Avec le temps, il a fini par apprendre à poser sa voix.   

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             Et pour finir ce petit panorama en beauté, voici l’album sans titre des Bandits Mancho paru sur Skydog en 2002. Big album de swing ! Le Marlou te met au parfum avec une entrée de gamme en forme de triplette de Belleville : «Nocturne Swing»/ «Pourquoi»/ «Paris Boogie». Welcome ! Doo wap bap-bap, ce démon de Marlou doo-woppe la Bastoche au bop-bop de swing fastoche, Frank Abed slappe et Gilles Ferré saxe. Avec «Pourquoi», tu as le meilleur swing de chaussettes et de cacahuètes, c’est le summum du swing, avec le solo de sax - Je ne veux que toi/ Tu ne veux que moi/ Je suis fou de toi/ Tu es folle de moi/ Mais ça ne colle pas/ Pourquoi ? -  Avec «Paris Boogie», il passe au swing de la Porte de Saint-Cloud, au swing de quel gâchis à Parmentier, il claque des solos déments et redore le blason de la poésie de Paris. Dans «Sammy La Débrouille», il fait son Verlaine - Dimanche matin aux Puces de Saint-Ouen/ Y’a de la chine dans l’air/ Vazy que j’t’embrouille/ Ni vu ni connu c’est Sammy la Débrouille - Il joue aussi avec le feu dans «Zazie & Le Zazou», car Zazie n’est pas zen au métro Saint-Lazare. Il fait tout le cut au Z de Zazie, du zoom au zizi en passant par la zizanie, c’est du pur zus, Zazie elle fait des bizous, mais le zig il veut du zazou. Et ça part en drive de zigounette et de zigouigoui. Fabuleux vent de liberté ! Pur Dada ! On le voit ensuite swinguer la petite Italie avec «Prima Donna». Il connaît tout et Marc Z lui amène une fabuleuse orchestration. Là tu as tout, même la Nouvelle Orleans - Au pays des Bandits Mancho/ Tout le monde est rigolo - Pur jus de Marlou - Ça balance terrible/ Dans la Petite Italie - Encore une fantastique leçon de swing avec «La Poupée De Magazine» : Slap + jazz guitar + sax, là c’est du sérieux. Marc Z est sur le coup. Fantastique leçon de swing. Swing toujours avec «Du Bon Côté» - Prends la vie du bon côté/ C’est une chouette philosophie - Hommage à la booze avec «J’vais M’en J’ter Un Derrière La Cravate». Il fait rimer la cravate avec l’alcool de patate, c’est un seigneur du swing - J’aime mieux ça que de m’casser une patte - et le Marlou part en vrille de swing. Il finit avec un autre coup de génie swing, «J’ai J’té La Clef» - C’est ça qu’est bon/ C’est ça qu’est bon - Il dit qu’il a j’té la cléf dans l’tonneau d’goudron, ah oui c’est bon, le Marlou est content, ça s’entend, il faut voir comme ça swingue ! C’est ça qu’est bon. Il naviguait alors dans les mêmes eaux que l’early Sanseverino. Magnifique artiste.

    Signé : Cazengler, Tony Marlourd

    Rockin’ Rebels. Frogabilly. Underdog 1980

    Rockin’ Rebels. World Rockin’. Skydog 2001 

    Rockin’ Rebels. Elvis Calling. Skydog 2005 

    Betty & The Bops. Betty & The Bops. Skydog International 1992 

    Betty & The Bops. Pin-Up Confidential. Skydog International 1995  

    Tony Marlow. Kustom Rock ‘N’ Roll. Skydog 2007

    Tony Marlow. Knock Out. Skydog 2009        

    Tony Marlow. Rockabilly Troubadour. Rock Paradise 2013   

    Tony Marlow. Surboum Guitare. Rock Paradise 2017 

    Bandits Mancho. Les Bandits Mancho. Skydog 2002

    K’ptain Kidd. Feelin’. Rock Paradise 2015

    K’ptain Kidd. More Of The Same. Rock Paradise 2015

     

     

    Spencer moi un verre, Jon - Part Three

     

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             On aurait pu surnommer Jon Spencer The Fantastic Prolific. Pendant vingt ans, cette espèce de projet conceptuel baptisé The Blues Explosion a alimenté les bacs des disquaires. Sans compter tout le reste qui a fait l’objet d’un Part Two. Ce trio qui passa de statut de Jon Spencer Blues Explosion à celui de JSBX prit dans les années quatre-vingt-dix l’allure d’un Graal. Le JSBX ne s’inscrivait dans aucune lignée. Leur grande force fut de créer un style de hot sharp shit à base d’exactions et de c’mon ! Look, son, modernité de ton, il ne leur manquait absolument rien pour devenir énormes. Ils remplissaient l’Élysée Montmartre. Jon Spencer fut à l’âge d’or du JSBX une parfaite réincarnation d’Elvis. Il portait d’ailleurs un ceinturon à boucle marquée Elvis. Et comme Elvis, Jon Spencer est non seulement un shouter hors normes, mais aussi l’un des hommes les plus iconiques de sa génération. Autant dire que ces vingt années de BXmania furent passionnantes. On guettait la parution de chaque nouvel album avec de la bave aux lèvres.

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             Premier filet de bave avec le sobrement titré The Jon Spencer Blues Explosion. Jon Spencer est passé de Pussy Galore au JSBX sans rien changer. Trash-boom à tous les étages. Le son, la dégaine, le mépris des lois, la délinquance latente, la sale teigne, tout est resté intact. L’album ne compte pas moins de deux coups de génie, «Rachel» et «Chicken Walk». Jon Spencer tape sa Rachel au rumble de hard boogie. Ils défoncent Rachel tous les trois à coups de raw to the bone, et ça hurle à la bravado. C’est du pure génie d’interpolation, ça râpe du raw dans la pression du boogie. Encore du pur jus de raw avec «Chicken Walk», ya ya ya, Jon Spencer rappe ses vocaux au gras du bide, ouh ! Let’s go ! il folâtre dans les culottes de cheval, c’est un vrai lièvre, il chante au sec et net, il a déjà tout le JSBX dans les mains, tout le scream d’apoplexie. Infernal ! Russell Simins se tape la part du lion dans «Eliza Jane» et «Biological», deux cuts de batteur : il bat ça à la diable comme Baba Chanelle. Pas de pire pilon que Russell Simins. Attention au «Write A Song» d’ouverture de bal. Ce genre de cut donne le ton d’un nouveau genre. Les journalistes vont l’appeler blues-punk. Mais ça va beaucoup plus loin que ça. Jon Spencer pousse le trash dans les épinards, il ne respecte rien. C’est battu à l’alternative. Il dit qu’il write a song, tu rigoles ? Il est complètement possédé, il hoquette du yeah yeah yeah comme un messie victime d’une embolie. Il enchaîne avec un «IEV» ultra violent, un vrai coup dans la gueule. Impossible de l’éviter. Pas la peine d’épiloguer. Si on aime les solos de guitare en forme de glou-glou dubitatif, alors il faut écouter «78 Style». Jon Spencer sait aussi s’exacerber, il peut refaire l’Artaud du Jugement de Dieu, il plonge son rock dans l’extrémisme rougeoyant. On tombe plus loin sur un «History Of Sex» claqué aux pires enclaves du conclave. C’est tendu et barré. Par contre, voilà un «Comeback» tapé au dépouillé de la dépouille. Les JSBX sont les princes de l’exaction. Ils emmènent leurs cuts au bagne du rock, pour qu’ils en bavent. Ils rockent leur hot sharp shit en toute connaissance de cause. Jon Spencer passe son temps à tartiner du heavy glissando de loneliness. Et ça va continuer ainsi pendant au moins douze albums. Bon courage, les gars !

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             Crypt-Style sort sur Crypt en 1992. On y retrouve tous les coucous du premier album, «Rachel», «Chicken Walk» et bien sûr «‘78 Style» avec son rentre-dedans et son solo à l’étranglette aigrelette. Ici tout est formaté pour blow-outer les usages, le JSBX sonne comme un destin auquel personne ne peut échapper. «Like A Hawk» rappelle Pussy Galore, mais en vol plané, et «Loving Up A Storm» sonne comme de la hot sharp shit de choc mal torchée. Judah Bauer joue en franc-tireur sur les arrières du sonic bash. Ils jouent «Support A Man» au gras double de saindoux. C’est comme s’ils coulaient le bronze d’un mythe. Avec «The Feeling Of Love», Jon Spencer cultive la folie douce sur un air d’harmo et «Kill A Man» se veut trépidé du bidet et assez abject dans son déballage. Spencer adore cisailler, c’est son péché mignon. Il va passer vingt ans à cisailler, concasser, démolir. Ça ne plaira pas à tout le monde, c’est le moins qu’on puisse dire.

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             L’année suivante paraît Extra Width. Début de l’ère Matador. Et c’est là qu’on trouve l’excellentissime «Soul Typecast», l’un des hits du JSBX, fabuleuse pépite de groove ramonée par le riff d’appui, un cut qu’aurait adoré Elvis. Judah joue à l’écartelée, il monte ça en hostilité dans un coin du groove et joue sur la longueur. Une folle vient crier ‘Typecast !’ sous le nez du riff. Quelle classe ! Ils passent en mode heavy blues contrebalancé pour «History Of Lies» - It’s fine and it’s cool at the same time - Ils ralentissent dans les virages et veillent au grain de la virulence. Ils réussissent parfois l’exploit de jouer des cuts frénétiques et statiques à la fois, comme ce «Black Slider» qui fait du sur-place. Et le «Pant Leg» qui ouvre le bal de la B sonne afro-cubiste moderniste d’entente cordiale. ««Hey Mom» vaut pour l’un des sommets du concassage. Spencer et ses deux lieutenants font parfois du son sans objet précis, ou plutôt de la déstructuration, pour être plus précis. Cet album paraît à la fois plus problématique et plus aventureux que le précédent, comme s’ils cherchaient une voie nouvelle. Le corollaire de cette hypothèse est un Bootleg intitulé Live 11-23-93. Intéressant, car sur scène, les cuts énergétiques frisent une sorte de démesure apoplectique, notamment «‘78 Style» embarqué au riffing élancé. Ils jouent le même riff dans «Sweat» - That’s the sweat/ Of the Blues Explosion - La dynamique du trio prend une allure infernale. «Soul Typecast» passe comme une lettre à la poste et «Water Main» se révèle absolument déterminant. C’est dingue comme on a pu adorer ce groupe sur scène.

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             Avec Orange, on entre dans une sorte d’ère classique. C’est ici qu’on trouve la version studio de «Sweat», l’autre grand hit du JSBX. Ils savent groover la couenne d’un cut. L’autre hit d’Orange est le «Brenda» qui ouvre le bal de la B. C’mon ! Il traîne sa Brenda dans le heavy beat sourdingue, Brendaaaa ! Il faut voir comme il la réclame. Par contre, dans «Bellbottoms», tout est déboîté de la clavicule et ils nous riffent «Ditch» à la torchère. C’est complètement ébaubi à la volée, claqué à la claquemure, ça gicle dans l’œil du typhon. Puis ils nous cavalent «Dang» ventre à terre, ça tagadate dans la pampa et ça ratiboise sans pitié. En prime, Spencer nous thérémine  tout ça jusqu’à la moelle. On sent une énergie considérable, sur cet album, peut-être même un peu trop. «Full Grown» sonne comme une overdose : trop de concasse, trop de démantibulage, trop d’esquisses de jambes brisées. Par contre, on se régale de «Flavor» et de sa belle déglingue. Ils nous tarpouinent ça dans la cuvette, même si la formule paraît tourner en rond dans l’arène des pommes.

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             C’est sur Mo’ Width que se niche la perle parmi les perles : «Memphis Soul Typecast». Voilà le hit parfait. Rusell attend un peu pour jouer. Doug Easley joue de l’orgue et ça sonne comme le Sir Douglas Quintet. Jon Spencer ramone son riff et Christina chante à la surface du meilleur groove de Blues Explosion of the United States of America, qu’elle répète, et derrière elle, Jon Spencer ramone son riff - Fried chicken & rice & coffee/ Mashed potatoes/ Italian dressing/ Blues explosion/ Mummmm ha ha ha ! - Elle éclate de rire. C’est le groove génital par excellence. L’un des joyaux de la couronne. L’autre coup de génie s’appelle «Out Of Luck» - Ouh ah ! - Il tremblotte de génie suicidaire, poussé dans le dos par le sax de Kurt Hoffman, c’est vite emballé et pesé, Spencer sort le Grand Jeu, c’est-à-dire les guitares et le sax. Joli coup de Stonesy avec «Wet Cat Blues». Spencer travaille son heavy blues au corps, il vise le non-respect des conventions. Il déguise sa Stonesy. Ce «Wet Cat Blues» pourrait très bien se trouver sur Exile, un album que Spencer connaît d’ailleurs très bien. «Afro» sonne comme un gaga groove intrinsèque, c’est-à-dire joué de l’intérieur. Awite ! C’est bardé de relances métaphysiques. Le groove de gratte est tellement présent qu’il semble intraveineux. Par contre, Spencer sort un son d’une incroyable sécheresse pour «Cherry Lime». Il chante dans le fond du son, loin derrière. Il n’est pas homme à se mettre en avant. Il pousse des hurlements déconnectés de la réalité. Il amène son «Johnson» au petit gratté de non-recevoir. Il sait très bien ce qu’il fait. Il œuvre en lousdé. Il se glisse derrière le groove. Spencer est un petit renard du désert. Il peut même miauler - Johnson ! Miaaaahhooo ! - Il sait allumer une mèche et doser le suspense. C’est tellement bien dosé qu’on s’incline. Ça finit bien sûr par exploser.

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             Autre grand classique du JSBX, Now I Got Worry paru en 1996. C’est l’album exacerbé par excellence, bien amené par «Skunky» que Spencer screame à gogo. Ça riffe et ça pulse dans la bouillasse. Le hit de l’album s’appelle «Wail», joué à l’insistance fondamentale. Belle dynamique de sex boogie, ju-ju-ju go to hell ! Fabuleuse énergie de l’idée. L’autre gros coup se trouve en B : «Firefly Child», amené au riff de destruction massive à la Blue Cheer. Il fallait oser le faire. D’autant que Spencer calme le cut incidemment avec des exercices de chat perché délinquant. En fait il pompe sans le savoir le riff du «Black Dog» de Jimmy Page. Si on aime le riff, alors il faut aussi aller regarder de près «2Kindsa Love», car ça riffe jusqu’à plus soif, dans un chaos étourdissant de cassures de rythme. Ils font de la cisaille industrielle. Il bouclent l’A avec un admirable clin d’œil à Rufus Thomas : «Chicken Dog». On entend même Rufus à l’entrée du cut. Ils nous jouent en B «Hot Slot» sous le boisseau du Blues Explosion - Ahhh gimme love - et passent au rumble de piano pour fusiller «Can’t Stop» dans les règles, avec du volume et une certaine distance altière.

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             Le live Controversial Negro sort dans le foulée, avec un portrait de Jagger sur la pochette. On y retrouve bien évidemment toute la quincaillerie du JSBX, le groove de gras du bide de type «Can’t Stop», do it do, il raconte n’importe quoi, un «Son Of Sam» screamé dans le gasoil de son a bitch, un «Skunk» en B qui ressemble au paradis du break de syncope, et «Fuck Shit Up» qui va encore plus loin dans la syncope de beat fucked up. Spencer ne jure que par le blast. Il chante comme un bouc en rut. Il hurle dans le désert. Tout est grillé d’avance. Russell Simins emmène «Hot Slot» à l’énergie rockab. «Get With It» ? Pas de pire punition au jardin de Sodome. Ça pulse et ça gueule. On voit bien qu’avec «Cool Vee», le JSBX s’inscrit dans l’action de son temps. Ils incarnent parfaitement le wild side du rock US, une espèce de free spirit incandescent. Ils roulent leur «Afro» comme une grosse chipolata dans la farine d’awite et se livrent à un extraordinaire festival de retours de manivelle dans «Blues Explosion». Une fois de plus, ils sonnent comme le groupe de rock américain idéal. Sharp & hot on heels. Fantastique festin de warghhhh !

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             Autre gros classique de la JXmania, voici Acme, paru en 1998 sous une belle pochette écarlate. Sans doute l’un de leurs albums les plus denses, qu’il faut écouter en fin de soirée, lorsque l’alcool et la compagnie sont triés sur le volet. On est bien obligé de parler d’un coup de génie avec «Talk About The Blues», car le JSBX envoie gronder des infra-basses. Ils jouent à la terrific heavyness du Loch Ness. Punchy and dark. Ça cogne bien l’estomac. L’autre cut mystificateur s’appelle «Do You Wanna Get Heavy». Il s’agit d’un fabuleux slow groove chanté à la glotte généreuse d’un authentique stentor et rehaussé d’une soudaine percée d’achalandage vitupérant. Avec «High Gear», ils reviennent au big bad riffing - High gear baby - Ils mutent le trash-punk en débinade inusitée. Encore une fois, il faut savoir le faire. Ils passent à la pop avec «Magical Colors». Ça leur va plutôt bien et ça nous repose de tous les excès de violence. Jon Spencer se fend là d’un joli groove de Soul. Étonnant revirement de la part de cette équipe de forcenés du concassage et du freakout. Ils reviennent aux infra-basses avec le «Lovin’ Machine» d’ouverture du bal de B, big heavy suburban sound. Ce démon de Spencer parvient tout simplement à inventer le trash-blues new-yorkais du futur. Rien de moins. On les voit aussi traîner «Give Me A Chance» dans une épaisse boue de disto. Ah comme ces brutes sont cruelles ! Elles ne respectent rien.

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             Paru la même année qu’Acme, Acme Plus grouille de grosses poissecailles, tiens comme ce «Wait A Minute» qui incarne l’exacerbation. Spencer fait bien monter sa sauce - Hold on !/ I can’t wait no more - À cet instant précis, il devient le maître du monde. Il sait faire monter une sauce. C’est le JSBX Sound par excellence, avec ses relents de ferveur géniale. Mais il est aussi capable de proposer des tas de cuts qui ne servent à rien comme «Get Down Lower». Il fait des ravages avec «Confused», c’mon do it ! Jon Spencer cherche un passage vers un monde meilleur, keep comin’ hey ! Il n’en finit plus de relancer, keep comin’ ! Confused ! I don’t know why ! I’m feeling so confused ! Magistral. Judah joue ensuite «Magical Colours» à la clairette de Die. C’est le côté angélique du JSBX. Spencer croone et challenge les filles des chœurs. Il revient plus loin avec un «Bacon» plus violent. On le sent déterminé à baconner, awite ! C’est bombardé d’électrons. Spencer sonne comme un B52 et derrière, Russell sonne comme le tambour des galères. Puis ils tapent «Blue Green Olga» au ouh ! et aux machines. C’est explosif - Ouh ! She is blue green/ She is blue/ And I love her/ yes I do - Spencer lance sa petite insurrection, so I do ! Ouh ! C’mon Olga ! Ouh ! Il est le plus fantastique pousseur d’ouh de l’histoire du rock. Back to the heavy groove avec «Heavy». Il nous groove son «Heavy» sous le boisseau. Il fait ça mieux que tous les autres, avec des coups de gratte bien pires. «Lap Dance» nous plonge une fois de plus dans l’excellence de l’apanage. Ils déroulent le tapis rouge de leur diskö beat pour Andre Williams. Spencer chante ensuite «Right Place Right Time» à l’excédée, il shake le vieux Right Place du Dr John à la démence de la prestance, il roule ça dans la fantastique farine. On est dans la spencerisation des choses et il enchaîne avec «Electricity» où volent des oiseaux d’acier. Ils rasent la ville et on entend des chœurs de punks anglais qui ont bu trop de bière. Retour des grandes énergies avec «New Year», il monte sur les barricades, do it ! Yeah ! Le JSBX ramène des relents de Third World War, tout est tellement noyé de riffalama qu’on finit par ne plus savoir quoi dire ni penser. Il nous en bouche encore un coin avec «TATB (For The Saints & Sinners)», un gospel batch à la JSBX, yeah fait la foule et un heavy bassdrum rentre dans la gueule du bénitier - Ah don’t play blues/ Ah play wock and awl - C’est télescopé de plein fouet, seul un fou du son comme Spencer peut réussir un coup pareil, ouh ! Sa voix oscille comme celle de Martin Luther King, il nous emmène aux confins de la pire légende - I saw a brand new day ! - Mais au bout d’un moment ça ne marche plus, comme le montre l’«Hell» qui suit. Le c’mon do it finit par générer du gros bâyé aux corneilles. Il termine cet album mirifique avec un slowah torride intitulé «I Wanna Make It All Right». Il connaît tous les secrets de l’insufflé. Il shoote tout son power entre les cuisses du cut. Quelle violence !

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             Ce Sideway Soul + Dub Narcotic System date de 1999 et Spencer fait du banana split dès «Banana Version». Il relance sa machine à formules avec une belle brutalité et nous gratte ça au big heavy shuffle d’I got the move et de come on now baby ! Son truc c’est d’allumer la gueule d’un cut, I got to do it ! Look out baby ! Il drive bien son hot sharp shit de choc. Il reprend plus loin les rênes de «Fudgy The Whale» et met Calvin Johnson au-devant de la devanture. Ils chantent ça à deux, yeah !  C’mon jump ! Spencer n’a aucune patience. Il nous claque ça les deux doigts dans le nez. Il ramène «Frosty Junction» comme une espèce d’emblème de la modernité. Il fait entrer un klaxon dans son groove de crocodile, c’est indécent, on peut même parler de belle idée inconvenante. On a là une vraie tentative de son, une réelle approche de l’inconvenance en tant que concept. Retour au heavy groove avec «Diamonds». Il trempe dans toutes les combines de baryton du diable, il soigne son cut au ripe the ice, yeah ! Pur jus de crazy diamond. Le morceau titre flirte dangereusement avec le heavy garage et génère du groove des enfers. Spencer gratte sa gratte dans le vide, c’mon do it ! Ils terminent avec un «Calvin’s On A Bummer» saturé de heavy boom boom. Spencer joue à l’attardée, il gratte de vieux relents, il sait de quoi il parle.

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             Sacré retour de manivelle que ce Plastic Fang qui date de 2002. Le coup de grisou de l’album s’appelle «Hold On», il y invoque les démons du Funky Broadway, baby baby ! Et ça gratte dans l’os du genou, il roule pour nous, hold on baby ! Let’s get it ! Après le coup de grisou, voilà le coup de génie : «She Said». C’est du JSBX explosif porté aux nues. Quel excellent puncher ! Il atteint l’inaccessible étoile. Il faut bien dire que le «Sweet N Sour» d’ouverture de bal vaut aussi le détour, car très dévastateur, summum du punch-up, Spencer soigne sa droite. Un départ en solo couronne son aura brûlante de détermination. Russell déboule derrière à la déboulade. Ces mecs ne s’accordent aucun répit. Avec «Money Rock’n’Roll», Spencer pulvérise ses records de c’mon let’s go et gratte le plus gras des gimmicks qu’on ait vu ici bas. Voilà un «Torn Up And Broke» assez rampant, chanté à l’haleine chaude. Il croone dans l’âme du son, et il a cette façon d’éclater le Pont des Arts du rock - I feel so hurt - Il n’y a que lui pour diluer une telle huile. Il s’agit là d’un album assez exceptionnel, tout est joué au délié de groove enrichi et le son suinte de réverb. Il repart de plus belle avec «Shakin’ Rock’n’Roll Tonight», get down ! C’mon rock’n’roll ! Il pousse bien le bouchon de l’interjection dans les orties, avec un solo gras à la clé. Il n’en finit plus de réinventer la façon de jouer le rock, well alrite ! C’mon ! «The Midnight Creep» sonne comme du typical JSBX, bien amené à la ramasse de la rascasse, Spencer harangue les bras cassés de l’underground, right now ! Il claque bien le cocotier des cloches, c’est même exemplaire. Il faut bien admettre que ça reste assez spectaculaire, babe c’mon ! Crazy as hell ! Il est indispensable de se plonger dans cet album pour en goûter la fleur. Tout est gonflé de son, bien ramoné de la cheminée. Slowah magnifique de ce «Mother Nature», comme orné de chœurs de Judah, c’est la Beautiful Song par excellence, claquée aux accords clinquants avec toutes la fièvre adolescente du gonna be wasted. Il termine avec un «Mean Heart» gratté à l’acou. Spencer sonne comme un desperado des Basses Alpes. Il passe par tous les défilés, c’est joué à l’excès de légendarité. Final apoplectique. Voilà encore un cut digne des plus gros hits du temps d’avant.

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             En 2004, le JSBX jouait à l’Élysée Montmartre pour la promo de Damage. Ni le concert ni l’album n’ont laissé un grand souvenir. Spencer prend son morceau titre à l’intimisme de la déconstruction et impose le stomp des ladies & gentlemen. Damage ! C’est heavy et bien épais. Ils réveillent les vieux instincts avec «Burn It Off», c’mon ! Spencer lance ses troupes de chœurs superbes, il fait sa soupe et vient couiner à l’encoignure du couplet. Voilà un cut réellement conçu pour enflammer. Ils proposent plus loin un «Crunchy» bien crunché, doté d’un bon groove de hardship. Spencer s’amuse bien, il est dans l’abattage de groove. Puis avec «Hot Gossip», il revient au vieux Memphis Soul Typecast. Get on up ! L’autre très gros cut de l’album s’appelle «Mars Arizona», c’est explosé de son, auto-submergé, martelé, pourri d’infra-basses, uh, c’mon ! Terrific ! Tout le son du monde est là, les basses dévorent le son, c’mon, on n’avait encore jamais entendu un truc pareil. Avec Jon Spencer, il faut rester sur ses gardes, ce mec est capable de coups de génie. La beauté plane sur «You Been My Baby» comme un vautour et ils amènent «Help These Blues» à la pompe Spencer. On tombe ensuite sur un «Fed Up And Low Down» assez démantibulé. On peut leur reprocher cette incartade, mais ils se rachètent avec un départ en virée de folie. Extraordinaire dévoyade ! C’mon !

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             Paru en 2012, Meat And Bone est l’archétype de l’album antipathique. La pochette nous offre le spectacle d’un gros tas de barback suspendu en l’air à côté d’un crochet de boucher. Il faut avoir l’estomac bien accroché pour aller écouter ça. Pas de hit, ici, mais du décarcassage. Ils violentent le beat du «Black Mold», le jouant au limon trash-blues avec des effets de complémentarité sonique du meilleur cru. Mais très vite, on s’aperçoit que le JSBX tourne en rond. Ce qui semble logique vu leur peu de goût pour la mélodie. Ils proposent un «Boot Cut» profilé sous le vent, comme porté par une bassline entreprenante. En B, «Bottle Baby» sonne comme un sauveur d’album avec son joli mélange de déclamation expéditive, d’exaction de buzz fuzz et d’arpèges luminescents. Ils touillent vraiment leur soupe en toute impunité. On sent une tentative de songwriting dans «Black Thoughts». Spencer aménage des climats et on accueille chaleureusement les relances aventureuses. Mais l’album peine à plaire. On se remonte le moral avec la photo du groupe qui orne le dos de la pochette. Russell Simins a grossi, Judah Buaer semble de plus mélancolique et Jon Spencer prend un tout petit coup de vieux, oh pas grand-chose. 

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             Freedom Tower. No Wave Dance Party 2015 paraît en 2015. Serait-ce le dernier album du JSBX ? Allez savoir. Ils nous refont le coup des infra-basses avec «Wax Dummy». C’est même du hip hop, du pur jus de New York Sound - Let’s get down - Le hip hop leur va comme un gant de cuir clouté. En A on trouve encore un «White Jesus» axé sur le vieux heavy groove. Avec cet album encore plus expérimental que les précédents, Spencer cherche la voie de la rédemption. En B, on tombe tout de suite sur l’excellent «Crossroad Hop», un heavy groove qui tourne en rond. Look out ! Ils ne savent plus comment avancer, mais ça ne les empêche pas d’enregistrer. C’est probablement le hit du disk, ils nous le bardent de gimmicks de blues, ça dégouline de gras, avec un brave beat bien fiable. Plus loin, Spencer chante «Dial Up Doll» avec de faux accents de Lou Reed. Stupéfiant dans l’approche du chant et la façon de battre les accords. C’est du panache de type Velvet et la nouvelle d’un rapprochement aussi inespéré, ça s’arrose.

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             Attention à Jukebox Explosion. Rockin’ Mid-90s Punkers, une compile parue en 2007 sur In The Red. C’est l’album du JSBX qu’il faut emmener sur l’île déserte. Larry Hardy a compilé des singles qui relèvent tous de l’énormité catégorielle. On y trouve deux clins d’yeux aux Stones, «Ghetto Man» et «Do Ya Wanna Get It». Steve Jordan joue sur «Ghetto Man» et Hardy dit qu’en studio Jordan interdit l’alcool et les jurons. C’est nous dit aussi Hardy un full tilt boogie punker. Steve Jordan est ce batteur génial qui joue dans les Xpensive Winos de Keef. Sur le puissamment chanté «Do Ya Wanna Get It», on retrouve Dr John au piano. Suprême fuzzbuster, pur jus de Stonesy. En B, trois énormités nous décrochent la mâchoire : «Bent», «Fat» et «Down Low». Hardy qualifie «Bent» de punkified monster et il a parfaitement raison. Jon Spencer fonce dans le mur du son et le percute avec tout le poids d’un bélier de l’antiquité. Motherfucker ! C’est l’un des cuts les plus fascinants du JSBX, tous mots bien pesés. Spencer chante «Fat» en miaulant. Il est admirable. C’est nous dit Hardy du heavy duty trashin’ et un sax chauffe le cut à la Fun House de Marrakech. «Down Low» est encore plus wild que le Far West de Buffalo Bill, d’autant que superbement battu par Russell et poivre. «Latch On» n’est que du pur jus de Pussy Galore, un cut qu’Hardy qualifie d’intense raver. Et il a raison, encore une fois. Ils jouent «Shirt Jac» à l’énergie rockab, belle dégelée d’hot sharp shit, hi speed raver, for sure. L’un des cuts vraiment spectaculaires de cette foire à la saucisse est la reprise du «Son Of Sam» de Chain & The Gang, rehaussée par le sax de Kurt Hoffman qui nous sort là un son irrationnel et provocateur - Son of a bitch ! - Encore un hommage à Rufus Thomas avec ce «Train #3» enregistré chez Doug Easley à Memphis, pas moins. Ah ! Uh ! Spencer encaisse bien les coups. Steering stomper nous dit Hardy en parlant de «Caroline». Il a encore raison, le bougre, pas de stomper plus sneering que celui-là. Puis le JSBX rend hommage à David Yow, le chanteur fou de Jesus Lizard, avec «Naked», car nous dit Hardy, Yow se mettait couramment à poil sur scène. On tombe plus loin sur une reprise du mighty «Get With It» de Charlie Feathers et Boss Hog fait irruption dans ce smokin’ romper qu’est «Showgirl PTS 1 & 2». Enfin bref, c’est un album qui ne craint ni la mort ni le diable. On y va les yeux fermés.

    Signé : Cazengler, Spencer les fesses

    Jon Spencer Blues Explosion. The Jon Spencer Blues Explosion. Caroline Records 1992

    Jon Spencer Blues Explosion. Crypt-Style. Crypt Records 1992

    Jon Spencer Blues Explosion. Extra Width. Matador 1993

    Jon Spencer Blues Explosion. Orange. Matador 1994

    Jon Spencer Blues Explosion. Mo’ Width. Au Go Go 1994

    Jon Spencer Blues Explosion. Now I Got Worry. Matador 1996

    Jon Spencer Blues Explosion. Controversial Negro. Matador 1997

    Jon Spencer Blues Explosion. Acme. Matador 1998

    Jon Spencer Blues Explosion. Acme Plus. Mute 1998

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    Jon Spencer Blues Explosion. Extra-Acme. Toys Factory 1999

    Jon Spencer Blues Explosion. Sideway Soul + Dub Narcotic System. K 1999

    Jon Spencer Blues Explosion. Plastic Fang. Matador 2002

    Jon Spencer Blues Explosion. Damage. Mute 2004

    Jon Spencer Blues Explosion. Meat And Bone. Bronzerat 2012

    Jon Spencer Blues Explosion. Freedom Tower. No Wave Dance Party 2015. Shove Records 2015

    Jon Spencer Blues Explosion. Jukebox Explosion. Rockin’ Mid-90s Punkers. In The Red 2007

     

    Wizards & True Stars

    - Le cas Dave est encore chaud (Part Two)

     

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             Dans la cour des grands, on croise aussi les frères Davies. Ces deux banlieusards ont monté dans les early sixties un joli fonds de commerce, les Kinks. Leur petit biz est même devenu une institution, du même ordre que celles des Stones ou des Who. Ray et Dave Davies ne sont rien l’un sans l’autre. On a en France une fâcheuse tendance à vouloir tout résumer à Ray, grave erreur, car pas de Kinks sans Dave. Les frères Davies ont quatre volumes autobiographiques à leur actif, deux chacun, mais nous allons donner la priorité à Dave pour entrer dans le jardin magique des Kinks.

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             Dans un récent numéro de Classic Rock, Dave acceptait gentiment de répondre aux questions de Rob Hughes. Dave atteint désormais l’âge canonique de 71 balais et refuse de lever le pied. Ah ces rockers, tous les mêmes ! Hughes s’étonne qu’on retrouve sous le lit de Dave des cartons remplis d’enregistrements de chansons inédites. Dave explique qu’il ne veut pas se confronter aux émotions que traduisaient ces vieilles chansons, alors il laisse ses fils Simon et Martin s’occuper de ça. Quand il revient sur l’âge d’or des Kinks, Dave tient à préciser des choses extrêmement importantes. Bon nombre de ses contemporains trouvaient un exutoire dans la dope et au beau milieu du carnaval qu’était le Swingin’ London, Dave s’est mis à réfléchir - I had to reassess my whole life - Oui, tout réévaluer. Ça le conduisit droit à un spiritual and emotional breakdown au début des seventies. Il se mit alors à pratiquer le yoga et à étudier l’astrologie. Il mit deux ans à se reconstruire - It can be a struggle to be human. It’s hard work for all of us - L’autre point fort de l’interview, c’est bien sûr l’évocation de leur jeunesse, lui et son frère Ray, et leurs six sœurs à Muswell Hill. Big family, des tas d’oncles et de tantes, des fêtes chaque dimanche, quelqu’un qui s’assoit au piano et toujours un banjo qui traîne. Voilà d’où viennent les Kinks. Et bien sûr, Dave annonce le scoop que tout le monde attend depuis longtemps : il va retrouver son frangin Ray en studio pour un nouvel album des Kinks.  

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             Quatre ans plus tard, Dave se re-confie, cette fois à Cam Cobb. Il repart du point de départ, l’objet de sa première fascination musicale : Lead Belly - I thought Lead Belly was a really interesting person - His character and  his life. And it shows how real his music was - Dave se souvient aussi des sixties comme d’un circus. Il voyait le music business comme un weird circus - That’s what the clown thing is about - Il évoque bien sûr «The Death Of A Clown». Quand il repense à toute cette époque, Dave se marre : «They kept telling me that I was a bit of a pin-up boy.» Son frère Ray et le manager Robert Wace le poussent à faire l’acteur. Il se dit fasciné par l’idée et rêve d’Hollywood. Mais ça ne marche pas. Dave se sent uncomfortable. Puis quand Pete Quaife annonce qu’il quitte le groupe, Dave sent que c’est la fin - I think a part of the Kinks died when Pete left - Et plein d’autres petites confidences. En fait Dave donne l’interview pour annoncer la parution de son deuxième volume de mémoires, Living On A Thin Line.

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             Bon book. Grouille d’infos. Pas le book du siècle, mais il s’agit des Kinks, after all. Et puis l’écrivain chez les Kinks, c’est Ray, pas Dave, à ce qu’on dit. On s’attendait en fait à un book introspectif, dans l’esprit des deux volumes autobiographiques de Brett Anderson, mais Dave opte pour le récit autobiographique classique, évoquant ses racines à Muswell Hill puis le Swingin’ London et ses excès. Il donne de ravissants petits coups de projecteur et repasse au peigne fin la discographie de ce groupe devenu Kult. Du coup, on ressort les albums de l’étagère. On croit toujours bien les connaître. Quelle prétention !

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             Pour lancer son récit, Dave relate l’attaque cérébrale dont il a été victime et qui a failli l’emporter. Il raconte ses deux semaines de convalescence chez Ray qui, dit-il, «se sont vite transformées en cauchemar». Oh ce n’est pas qu’il n’aime pas Ray, mais selon lui, Ray est un vampire qui pompe l’énergie des gens. C’est d’ailleurs ça qui fait de lui le songwriter qu’il est devenu, mais Dave ajoute qu’il faut être très strong pour le fréquenter. Comme Dave sortait de l’hosto et qu’il ne tenait pas debout, ses réserves d’énergie étaient à plat - For fuck’s sake! Ray, I love you, but really I don’t have much to give you at the moment - Voilà le style de Dave : ironique, Kinky, une pincée de slang, presque une parole de chanson. Puis il attaque le chapitre roots, rappelant que les deux guerres mondiales et le blitz ont rendu les working class people d’Angleterre très résistants. Il donne tous les détails, même l’adresse d’une famille devenue mythique, la famille Davies, au 6 Denmark Terrace, on Fortis Green, la route qui va d’East Finchley à Muswell Hill. C’est là que Mum and Dad Davies élèvent les futurs princes du Swingin’ London. Petits, les deux frères sont déjà extrêmement créatifs : ils inventent un langage pour communiquer entre eux. Dave cite un exemple : il dit à Ray «Ballo ballo, shiga shuga la ballo», et Ray sait exactement ce que ça veut dire. Puis Dave évoque ses trois passions d’ado : la musique, le foot et les filles. Il dit avoir commencé à se branler dès l’âge de douze ans, comme tout le monde. Sans la musique dit-il, il aurait sans doute fini voleur à la tire.

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             Alors commence la valse des premiers émois : Lead Belly, Charlie Gracie, Big Bill Broonzy, un Big Bill qu’il trouve très en avance sur son temps. Et puis Lonnie Donegan. Il flashe aussi sur la Symphonie En Ré Mineur de César Frank - It stopped me dead in my tracks - Tout cela ressemble à une fabuleuse éducation sentimentale. Il dit aussi détester l’école. Il a cinq ans et sa mère l’amène à l’école primaire le jour de la rentrée des classes. Dave décide que l’école ne lui plait pas et rentre chez lui. Il dit à sa mère : «Look, I’ve been to school and don’t like it.» Sa mère le ramène de force à l’école. Aucun souvenir des deux années suivantes. Il apprend à lire et joue au foot. Il réussit quand même à se faire virer un peu plus tard, et quand il voit sa mère éclater en sanglots, il la rassure - It’s all going to be fine - Et là, il attaque le chapitre le plus douloureux de son histoire : sa relation avec Sue. Ils sont ados et ils baisent tous les jours. Quand Sue est enceinte, Dave est ravi, mais les parents le sont moins. Ils décident de séparer le couple. Dave apprend par sa mère que sa fille s’appelle Tracey. Il devra attendre trente ans pour revoir Sue et sa fille. Il n’a jamais pardonné à sa mère d’avoir été complice de cette épouvantable machination. Il sort de cette histoire complètement traumatisé. Ce sont les pages les plus émouvantes de ce volume.

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             À cette époque, Ray et lui commencent à bricoler des idées sur le piano de Denmark Terrace. Ray joue un riff : c’est le riff de «You Really Got Me». Il le joue à deux doigts et Dave ramène sa guitare pour le jouer en accords. Deux jours plus tard, Ray écrit les paroles de ce qui allait être leur premier hit - Girl/ You really got me going/ You got me so I don’t know what I’m doing - On connaît ça par cœur. C’est un hymne. Puis Dave nous donne tout le détail de la deuxième session d’enregistrement de Really Got Me avec Shel Talmy, en juillet 1964. La première session a foiré lamentablement et là, c’est quitte ou double. Shel le sait. Il n’a plus droit à l’erreur. Terminé la réverb et l’echo bullshit, les frères Davies veulent du raw. Comme Mick Avory vient d’être recruté, il n’est pas encore assez expérimenté, aussi fait-on appel à Bobby Graham. Dans le studio, on voit aussi apparaître Phil Seaman, le mentor de Ginger Baker, et Jimmy Page, au cas où. Mais Dave met les choses au clair une bonne fois pour toutes : c’est lui qui joue le killer solo flash qui va devenir le modèle du genre. Dave rappelle qu’il était un agressive kid who wanted to play - It was my guitar sound and my guitar solo - Really Got Me sort en août 1964 et devient number one en Angleterre. Et l’un des fleurons du Swingin’ London, avec tous les hits des Stones, des Beatles, des Troggs, des Who et des Yardbirds. Avec sa reprise de Really Got Me, Jesse Hector réussira à récréer dix ans plus tard ce moment de pure frenzy : sans aucun doute le plus bel hommage jamais rendu à Dave Davies.

             Les frères Davies ont donc réussi à monter un groupe avec Pete Quiafe, copain d’école de Ray, et Mick Avory au beurre. Comme ni Dave ni Ray ne veulent jouer de la basse, c’est Pete qui en joue. Et comme il est guitariste, il fait un merveilleux bassman, comme le sont Noel Redding dans l’Experience, et Ron Wood dans le Jeff Beck Group. Dave dit de Pete qu’il était ahead of the game with the bass. Pete va rester dans le groupe jusqu’à The Kinks And The Village Green Preservation Society. Quant à Mick Avory, il avait joué un peu avec les Stones avant l’arrivée de Charlie Watts.  C’est leur tourneur Arthur Howes qui trouve le nom du groupe - We were ‘kinky’ in the way we looked and dressed - Dave fait bien sûr référence au kinky sex, c’est-à-dire le sexe coquin. Du coup, ça devient nous dit Dave un «risqué new name» qui ne manquera pas d’attirer l’attention. Dans l’entourage des Kinks, on retrouve aussi le fameux Larry Page qui avait tenté de devenir popstar en se teignant les cheveux pour devenir ‘The Teenage Rage’. Page est l’associé de Robert Kassner, le manager des Kinks. Ray et Dave finiront pas se débarrasser de Larry Page qui leur coûte un fortune et dont ils ne sont pas contents.

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             Quand sort le premier single des Kinks produit par Shel Talmy sur Pye, «Long Tall Sally/I Took My Baby Home», Dave n’a que 17 ans. Ils vont rester chez Pye jusqu’à Lola Versus Powerman And The Moneygoround, paru en 1970, qui, nous dit Dave, synthétise bien le style des Kinks - the album looked two ways at once, avec des paroles qui voletaient comme un papillon et a ‘fuck you’ attitude qui bourdonnait comme une abeille - Et bien sûr, Ray s’en prend aux aspects grotesques du music biz. Plus loin, Dave redéfinit le style des Kinks d’une formule extrêmement brillante : «A typical Kinks pull-together of rock and roll with occasional hints of vaudeville and dark humour.» Il rappelle aussi que depuis le début, les Kinks n’ont jamais voulu se couler dans le moule des Beatles. Et qu’ils ont toujours su sortir du lot. Mais en même temps, le groupe n’a jamais été très solide - On a toujours vécu avec la peur de voir le groupe se désintégrer - C’est le prix à payer pour la singularité. Le groupe va mourir de sa belle mort, c’est-à-dire de vieillesse. Quand ils sont invités au UK Music Hall Of Fame en 2005, on leur demande s’ils vont jouer tous les quatre. Compliqué dit Dave, qui vient de faire une attaque cérébrale, Ray vient de prendre une balle dans la jambe à la Nouvelle Orleans et Pete est dialysé. C’est Chrissie Hynde qui va jouer quelques hits des Kinks pour la cérémonie, pendant que les vieux pépères iront clopin-clopan se taper un curry au Fortis Green Tandori de Muswell Hill, à deux pas de Denmark Terrace - The last time the four of us original Kinks would be together - Le livre de la vie se referme toujours de la même façon. Avec cette image hautement symbolique, Dave Davies devient un fantastique écrivain.

             Back in the Swingin’ London, c’est-à-dire au paradis du sex, drugs & pop world. Sainte trilogie. Dave parle très bien du sexe. Il attire facilement les gonzesses et les petits mecs. On le trouve souvent au plumard with a gang of female groupies, pour reprendre son expression - Drugs and parties became so outrageous - Il partage une baraque avec Mick Avory on Connaught Gardens, il y a toujours des groupies partout and the bedrooms were never quiet. Il rappelle un postulat de base : «If you happened to be a member of a successful rock band, sex was everywhere.» Le sexe fait partie du jeu. C’est même le moteur principal, l’alibi du rock. Tu veux passer la soirée au Swingin’ London ? Dave te donne le programme : ça commence dans un pub de Carnaby Street, le Shakespeare Head ou le Blue Post, où tu vas trouver des drogues. Des amphètes, par exemple, les fameux Purple Hearts que tu avales avec un verre de vin blanc, puis tu peux tirer sur un joint. À la fermeture du pub, tu files au Flamingo, ou ailleurs, puis tu finis la nuit au Scotch of St James. Forcément, il y a un after, par exemple chez Dave à Muswell Hill, ou dans un hôtel à Kensington, pour partouzer. Et ça, c’est tous les jours. Too fast to live, too young to die, comme dirait l’autre. La vie est faite pour être vécue. Comme Dave est beau, il devient vite un dandy - Dandy, Dandy/ Where you gonna go now - Il est un dedicated follower of the fashion - The elegance of hipster trousers, jackets, boots ans belts. I loved Oscar Wilde style - Il admire aussi Brian Jones, dit de lui qu’il est le seul autre homme à Londres qui sache s’habiller. Brian Jones, Dave et Oscar Wilde constituent la seconde sainte trilogie du Swingin’ London. Il suffit de voir Dave sur la pochette d’Hidden Treasures : c’est du Wilde pur, même grâce indicible, même élégance naturelle. Dave se coiffe comme Wilde, avec la raie au milieu.

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             Pendant une tournée, Dave que sa mère appelle David, fait la connaissance d’un autre David, le futur Bowie qui à cette époque s’appelle encore Davie Jones. Bowie fait le rabatteur pour le compte de Dave et fait monter les gonzesses dans la chambre d’hôtel de Dave. Mais après cette tournée, ils n’auront plus l’occasion de se revoir. Lorsqu’il vit à Los Angeles, Dave rencontre le guitariste Reeves Gabrels dans un bar. Gabrels lui dit que Bowie démarre toutes les répètes de Tin Machine avec une cover des Kinks. Et puis souviens-toi que sur Pin Ups, Bowie rend hommage aux Kinks avec une cover magistrale de «Where Have All The Good Times Gone». Il reprendra aussi bien sûr «Waterloo Sunset».

             Comme les Kinks sont souvent à la même affiche que les Beatles, ils se fréquentent, mais ce n’est pas simple avec John Lennon. Il n’empêche que Dave voit l’influence de Lennon sur le groupe comme déterminante, sans lui, les Beatles ne seraient restés qu’un cute boy band de plus - He gave them attitude and grit - Et puis, il y a les fameuses shootes internes, pas toujours entre les deux frères. Dave raconte qu’un soir sur scène, Mick Avory lui a balancé une cymbale en pleine tête et qu’il s’est retrouvé à l’hosto. Tout le monde le croyait mort. À la suite de l’incident, Mick est viré. Les managers songent à le remplacer par Mitch Mitchell, mais finalement, ils le réintègrent dans le groupe. Pas de problème. Dave n’est pas rancunier. De toute façon, il passe son temps à dire que les Kinks sont en permanence au bord du désastre. Dave est aussi l’un des premiers à s’offrir la fameuse Flying V, d’abord faite pour Jimi Hendrix, puis commercialisée - this was the must-have guitar - Il paye 200 £ sa Gibson Futuristic.

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             Et puis, un matin, il se réveille au milieu d’un tas de corps endormis. Il se demande vraiment ce qu’il fout dans cette orgie. En 1967, il a 20 ans - Maybe it was time to grow up - Comme les chevaliers de la Table Ronde avant lui, Dave va partit en quête du Graal, c’est-à-dire la spiritualité. Mais c’est après un acid trip qui a failli mal tourner dans une chambre d’hôtel à New York qu’il change pour de bon. Il s’intéresse à la métaphysique, au mysticisme, à l’astrologie et au bouddhisme Zen - Absorbing all I could was like a rebirth - Il en parle longuement sans pourtant assommer son lecteur, car c’est le risque quand on fait étalage de ses connaissances. Il rend hommage à Aleister Crowley et à son Book Of Thoth, un précis d’interprétation du Tarot. Dave dit aussi que Crowley est devenu un peu fou à la fin de sa vie, mais, ajoute-t-il, who Am I to talk? We all go a bit mad. Il cite aussi Karl Jung «qui a essayé de comprendre ce qui se passait dans ce crazy inner world et comment il inter-agissait avec l’art et la musique.» L’enseignement que retient Dave et qu’il ambitionne de transmettre, c’est qu’en apprenant, on apprend à apprendre - Vous ne pourrez jamais apprendre tout ce qu’on peut apprendre, mais vous ne devez jamais cesser de continuer à apprendre. Humility and trust is the key - Dave survole son parcours initiatique avec une réelle élégance, et c’est la raison pour laquelle il faut lire son récit, car dans le genre, c’est un modèle. Très différent de ce que fait Dylan dans Chronicles. Dave est anglais, Dylan américain, ceci expliquant cela.

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             Puis il va remonter le long fleuve tranquille de la Kinkology, il évoque chaque album comme autant de points de repère, ce sont les jalons de sa vie. Il évoque longuement le Johnny Thunder qu’on croise dans The Village Green Preservation Society, personnage inspiré d’un biker de Muswell Hill qui s’est tué en moto. Dave rappelle aussi que Village Green entérine la fin de la première mouture des Kinks, car Pete quitte le groupe. Pour Dave, c’est la fin d’une époque, mais aussi la fin des real Kinks. Il n’empêche que le groupe continue et entre en studio pour enregistrer Arthur avec un nouveau bassman, John Dalton, qu’on verra à la Fête de l’Huma en 1974. Puis c’est Lola Versus Powerman And The Moneygoround, dernier album sur Pye, a very strong record, nous dit Dave. Puis voilà Muswell Hillbillies, the last album in the vein of earlier Kinks records. On reviendra sur tous ces albums fantastiques dans des Parts à venir. Dave ne cache pas son inquiétude à voir se développer la mégalomanie de Ray, il insinue que les Kinks deviennent alors Ray Davies’ backing band. Mais comme la vie est bien faite, Ray bascule soudain dans le néant : le jour de son anniversaire, sa femme Rasa quitte la baraque en douce, emmenant bien sûr leurs deux enfants. Ray est anéanti. C’est ce qui peut arriver de pire dans une vie d’homme. Dave dit que Ray n’a pas vu le coup venir. Et pourtant, les Kinks sont souvent en tournée aux États-Unis et passent leur temps à baiser des groupies. Dave parvient à gérer ce bordel avec sa femme Lisbet, une Danoise, mais chez Ray, ça n’est pas passé. C’est à l’époque de Preservation que les Kinks s’offrent un studio à Hornsely, le fameux Konk.

             Nous voilà en 1976 et Dave se dit fan de Johnny Rotten, parce qu’à leur façon, les Pistols reproduisent le modèle des Kinks - Naked agression or hilarious pisstake ? - Ray part s’installer à New York avec sa nouvelle épouse Yvonne et réussit à décrocher un contrat chez Arista, avec Clive Davis. Pour Dave, c’est encore un coup de génie de Ray. Ils enregistrent Sleepwalker. John Dalton quitte le groupe, remplacé par Andy Pyle. Au moment de Low Budget, Dave vit avec deux femmes : Lisbet, la mère de ses quatre fils, Martin, Simon, Christian et Russell, et Nancy, une Américaine rencontrée lors d’une tournée. Nancy met au monde un cinquième fils, Daniel, qui naît tout juste six mois après Russell, puis un sixième, Eddie. Pendant que Dave tente de faire tenir tout ça en équilibre, Ray se sépare d’Yvonne et se maque avec Chrissie Hynde, qui à l’époque tourne avec lui, alors forcément, ça crée des liens. Mais Dave s’inquiète car il voit bien que Ray n’a pas besoin d’un autre «mammoth ego». Il est sûr que leur relation ne va pas durer longtemps - They were two alpha cats, essayant tous les deux d’occuper le même territoire.

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             Les Kinks changent encore de label, les voilà sur MCA avec un nouveau manager, Nigel Thomas qui nous dit Dave peut bosser avec les Kinks puisqu’il a déjà bossé avec les Kray Twins  et Morrisey. Quand ils enregistrent leur 24e album Phoebia, ils pensent qu’il s’agit du dernier album des Kinks - But you know, never say never - Il leur faut 18 mois pour en venir à bout, c’est beaucoup trop long. Ray est revenu s’installer à Londres, mais Dave est parti s’installer à Los Angeles avec Nancy. Comme un océan sépare les deux frères, Dave dit que ça apaise leur relation. Et pouf, pendant une tournée, Dave rencontre Kate à Manchester. Leur relation va durer 15 ans.

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             Le dernier album des Kinks s’appelle To The Bone. Pourquoi ce titre ? Parce que c’est un retour aux sources, to the very earliest days of the band, dans le living room de Denmark Terrace.  Puis Dave rencontre Rebecca. Ainsi va la vie. Il termine cet excellente Kinkographie avec une chute spectaculaire : «La vérité, c’est que les gens vivent et les gens meurent. Je vais mourir un de ces jours, mais il se pourrait fort bien que je sois déjà passé dans le coin. Le jour de ma naissance, le 3 févier 1947, je suis descendu dans le canal utérin de ma mère et j’ai aperçu la lumière au loin. Oh fuck I thought. Here we go again.»        

             Dans un Part One mis en ligne sur KRTNT en 2013, on s’est penché sur son début de carrière solo, depuis AFL1-3603, paru en 1980, jusqu’à I Will Be Me, paru justement en 2013, un événement qu’on ne pouvait pas ne pas saluer.

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             Les albums de Dave Davies sont les albums de rock anglais dont on pourrait rêver chaque nuit. Pas besoin d’en rêver puisqu’ils existent dans la réalité, à commencer par le mirifique Belly Up paru en 2008, qui est en fait un album live enregistré au Belly Up en 1997. Et mirifique, c’est peu dire. Dave nous embarque dès «She’s Got Everything» avec un son fantastique et de la wild guitar à la clé. C’est aussi explosif que les premiers sets des Kinks. Petit conseil d’ami : écoute Dave Davies. Il passe aussi une version superbe du fameux «Susannah’s Still Alive», tiré du lost album jamais paru et qu’on retrouve sur Hidden Treasures. C’est fabuleusement kinky. Il tartine son Alive sur la brisure de rythme, oh Suzanne/ Still alive ! Il enchaîne avec «Creepin’ Jean», une autre merveille tirée elle aussi du Hidden Treasures. Puissance des enfers ! Fabuleuse débinade musicologique ! Dave Davies maîtrise l’art des relances particulières. Il joue tout au maximum des possibilités. L’album reste à un très haut niveau d’intensité, il est ultra perfusé de son, ça joue à deux guitares vibrillonnantes et Dave pose son chant là-dessus comme une cerise sur un gâtö. Chaque cut capte l’attention. Tiens, voilà «Wicked Annabella», une espèce de mad psyché congelée sur place et surchargée d’accords. Dave harangue à l’énormité catégorielle. Même les petits balladifs comme «Too Much On My Mind» flirtent avec le merveilleux. Dave va chercher son petit chat de dandy pour caresser le balladif. Et puis tout explose avec «Dead End Street». Il tape en plein dans le mythe. La foule n’en revient pas. Wow Dave ! Tu nous swingues la magie des Kinks ! Il le fait avec le power du dandy terminal. Il transfigure le mythe. Back to the roots avec «Milk Cow Blues», fabuleux shake de shook. Dave vise le stomp, comme à l’aube des Kinks. Nouvelle rasade mythique avec «I’m Not Like Everybody Else» et son riff universel, back to the silver sixties. Sauf que Dave ne chante pas ce hit comme Ray. Il nous stompe ça dans l’œuf du serpent et explose le deuxième couplet au chat perché. Il atteint la perfection. On croit qu’il va se calmer. Dave Davies se calmer ? Tu rigoles ? Pouf, voilà «All Day And All Of The Night». Imparable. L’apanage de Dave. Hot as hell, London 65. Dave devient l’Hadès du heavy riffing. Il tape ensuite une version de «Money» sur le même mode. N’oublions pas qu’on le tient pour l’inventeur du heavy rock en Angleterre. Il tape ensuite un «David Watts» à la pure sauvagerie, il l’embarque à fond de train, comme le veut la tradition du cut. Il tente de calmer les ardeurs de la foule avec «Unfinished Business», un puissant balladif qu’il prend au chat perché et achève le set d’un coup de «Really Got Me» joué en mode déflagratoire. Pas de pire Dave que Dave Davies. Il donne au rock anglais ses lettres de noblesse.

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             Paru en 2014, Rippin’ Up Time grouille aussi de coups de génie. Et ça démarre avec le morceau titre, saturé d’entrée de jeu. Dave nous passe une vieille dégelée de son à la ramasse de la rascasse, en bon seigneur qui se respecte. Il gère son rippin’ à la meilleure heavyness d’Angleterre. Effarant ! Le son semble fouillé dans ses fondations, il descend profondément - Rippin’ up time/ I’m out of my mind - La profondeur de sa heavyness outrepasse l’entendement - There is madness here - On voit les guitares ramper dans la couenne du son. Dave Davies a du génie, qu’on se le dise ! Avec «Front Room», il nous propose un joli brouet de puissante nostalgie. Il évoque l’époque où il apprenait à jouer le «Memphis Tennessee» sur sa guitare. Il joue son balladif aux accords sixties et chante ses vieux souvenirs d’un ton kinky. Il raconte les débuts des Kinks. Retour à la heavyness avec «Johnny Adams» puis «Nosey Neighbours», encore plus dévastateur. C’est du même niveau que Really Got Me. Même épouvantable swagger. À son âge, ce démon de Dave peut encore rocker comme un gamin. On l’attendait au virage : le solo fendu dans l’angle. Wow ! Il enchaîne ça avec un «Mindwash» dégoulinant de son. À force de nous épater, Dave Davies devient imprescriptible. Il sait tailler sa route. Puis on le voit sauter dans son vieux cut de jeunesse, «In The Old Days», c’est d’une excellence qui donne le vertige, il raconte la maison de la famille Davies - In the old days, when men were men/ In the old days, and Brittania ruled the waves - Alors oui, on s’enivre - Dancing in the front room/ Dad sings his favourite songs/ The music getting louder/ There’s a thumping from next doors - Puis il retrouve la veine de son frangin Ray pour «Through The Window», shoot de pop merveilleuse, pleine de collant, il chante avec le même accent décadent et du coup, ça accroche énormément, d’autant qu’il éclaire ça aux arpèges miraculeux. Des vagues de son viennent flatter le ventre du cut - The past is gone/ It’s all been said/ The road continues up ahead/ No regrets, what’s done is done/ The future is here with a brand new song - Cette baleine de son se balance dans l’océan du rock, folle de bonheur. Dave is the best.

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             Et quand il reprend tous des blasters sur scène, ça donne Rippin’ Up New York City Live. Comme dans Belly Up, il cale des vieux standards des Kinks, «I’m Not Like Everybody Else» et «I Need You». Il encorbelle ces vieux hits fantastiquement, il joue au délibéré. Fabuleuse présence riffique ! Il joue le heavy rock comme nobody else. C’est aveuglant de véracité intrinsèque. Il est l’âme du power sound. Il part en solo de dévastation latente, aw my Gawd, écoutez Dave Davies ! Il tape plus loin une version de «See My Friends» - One of my brother’s songs - Mais son «Rippin’ Up Time» ne reste pas en reste, ça rivalise de heavyness avec ses meilleurs coups d’éclat, il te riffe ça à la folie, il envoie rouler des rigoles de lave sonique, c’est un bonheur que d’entendre jouer ce survivant de l’âge d’or. Il explose au grand jour. Il passe des versions superbes de «Creepin’ Jean» et de «Suzannah’s Still Alive» et revient sur l’excellent «Death Of A Clown» qu’il prend à la glotte râpeuse. Ce Death aurait pu devenir un hit tellement c’est allumé à la bonne humeur. Il termine avec ce qu’il faut bien appeler la triplette fatale, à commencer par ce qui restera l’un des plus fameux hits des Kinks, «Where Have All The Good Times Gone». Dave le bouffe tout cru. Shout it out ! Pire que Bowie. C’est de l’heavy Dave, l’inventeur du genre. L’origine du monde. Il tape ça au power-blast de heavy doom, il jette ses couplets un par un down on the ground, c’est l’âme du rock anglais, Bowie l’avait bien compris. Il enchaîne aussi sec avec «All Day And All Of The Night» qu’on ne présente plus. Aw my Gawd ! Explosif ! Ce mec fout l’Angleterre par terre. Il nous explose ça dans un bouquet d’harmonies vocales all day and all of the night et il nous achève littéralement avec «You Really Got Me». Ah il faut le voir balancer sa purée. Tout le monde en prend plein la gueule. C’est du big Dave fondamental. Stupéfiante version avec un solo en forme de descente aux enfers.

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             On trouve sur Hidden Treasures les 13 titres du fameux lost album de Dave Davies. Le cirque dura quatre ans, de 1966 à 1970 : sortira ? Sortira pas ? Finalement, l’album n’est pas sorti. Les projets des Kinks avaient la priorité et les deux majors qui commercialisaient les Kinks, Warner aux États-Unis et Pye en Angleterre, ne parvenaient pas à se décider. Dave enregistrait des chansons qui paraissaient sur des singles, à commencer par l’excellent «Susannah’s Still Alive», si terriblement sixties dans son essence et monté sur un très joli drive de basse. Les cuts de Dave tiennent vraiment bien la route. On a là une sorte de psyché de brit pop kinky assez admirable, très travaillée, et le plus souvent d’une fantastique tenue, comme ce «Hold My Hand» tenace et bien intentionné, pur jus de gospel pop - Hold my hand/ And it’s gonna be alright - Le cas Dave s’impose. Avec «Are You Ready», il fait un folk emblématique, une chanson d’entraînement des foules, il chante à l’accent pointu et ferme. «Lincoln County» est digne des Small Faces, il évoque les pretty girls. Il passe au heavy blues de Muswell Hill avec «Mr Shoemaker’s Daughter» et ça sonne évidemment comme un hit de pub. Il n’y a que Dave Davies ou son frère pour aller chanter «Mr Reporter», cette espèce de petite pop charmante. On entend un beau drive de basse sur «Groovy Movies», pur jus de r’n’b à l’Anglaise. On passe ensuite aux singles avec un «I Am Free» amené à l’extrême heavyness. Ça sent bon l’underground. S’ensuit l’imparable «Death Of A Clown» claqué à coups d’acou, certainement le hit le plus connu de Dave. N’oublions pas «Creepy Jean» dont le son taille sa route, et puis tu as ce brillant «The Man He Weeps Tonight» joué au psyché rampant de sunshine pop, vraiment digne des Byrds.       

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            Paru en 2018, Decade se présente comme une collection de délicieuses resucées, à commencer par ce «Midnight Sun» qui sonne comme «Maggie May». C’est dans le ton du chant et dans certains échos de dynamiques internes. Mais dans les pattes de Dave, ça reste très sérieux. L’autre hit du balda s’appelle «Mystic Woman» - Hear my call/ Bring your juju - Il joue ça au groove du bayou, c’est fin et inspiré, comme tout ce qu’il entreprend. Sur «If You Are Leaving», il sonne un peu comme Roger Chapman. On se croirait sur le troisième album de Family, avec une pincée de Slim Chance dans le son, tu sais, la musicalité si particulière du Passing Show. Et la B ? Une merveille s’y niche : «Within Each Day». Très pop, avec de délicieux accents kinky d’I remember that day when you came in/ Giving my life a clever meaning. Avec «Same Old Blues», il s’engage dans un balladif entreprenant et très audacieux. Dave reste d’une élégance extrême. Un vrai dandy. Il finit sa B en Family motion. Il chante «Mr Moon» et «This Precious Time» à la Chap, c’est évident. Le son de Rog the Chap l’intéresse.    

    Signé : Cazengler, Davide abyssal

    Dave Davies. Belly Up. Meta Media Records 2008

    Dave Davies. Hidden Treasures. Universal 2011    

    Dave Davies. Rippin’ Up Time. Red River Entertainment 2014             

    Dave Davies. Rippin’ Up New York City Live. Red River Entertainment 2015

    Dave Davies. Decade. Red River Entertainment 2018      

    Dave Davies. Living On A Thin Line. Headline Publishing Group 2022

    Rob Hughes : Dave Davies. Classic Rock # 255 - November 2018

    Cam Cobb : Perfect Stranger. Shindig # 127 - May 2022

     

    L’avenir du rock

     - Pas de vague à Liam (Part Two)

     

             Pour rompre avec la routine et le confort intellectuel du swingin’ London, l’avenir du rock s’est installé dans un galetas du Quartier Latin. Quelle idée ! Il espère renouer avec le dénuement de Verlaine et recréer cette puissance d’idéalisme qui fascinait tant Mallarmé, «la puissance d’idéalisme que certifiait une pauvreté aussi simple». Le nouveau confort que recherche l’avenir du rock est celui d’une spiritualité lyrique. Il s’installe donc devant sa pauvre petite table, et alors que danse la lueur pâle d’une chandelle, il trempe sa plume dans l’encrier. D’une main rendue tremblante par l’excès d’excès, il allonge sur un mauvais parchemin le vers qui, pareil à l’omnibus de la petite ceinture, lui traverse lentement l’esprit :

             «Liam, te souvient-il, au fond du fookin’ paradis,

             De la gare de ‘Chester et des bloody trains de jadis,

             T’amenant chaque jour à London, au stade de Chelsea,

             Pour voir jouer Manchester City ?»

             L’avenir du rock sort alors de sa poche un mouchoir qui n’a plus du mouchoir que le nom et s’éponge un front qu’il voudrait aussi bombé que celui de Verlaine, avant de retremper fiévreusement sa plume dans l’encrier et de poursuivre l’inventaire de ses pérégrinations lyriques :

             «Jadis déjà ! Combien je me rappelle le temps d’Oasis

             Ta grâce sur scène à Knebworth, mince et leste, quelle catalyse,

             Comme un ange le long de l’échelle des célestes lavatorys,

             Ton sourire amical et filial était une hydrolyse,

             Tes yeux d’innocent, doux mais vifs, m’allaient dans la lucarne comme des penaltys,

             Ils m’allaient droit au cœur et pénétraient mes ombres de château d’Ys.»

             Secoué d’un dernier spasme lyrique, l’avenir du rock cassa sa plume en écrivant :

             «Mon pauvre Liam, ta voix d’étoile dans le ciel de Knebworth !»

     

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             Si on le laissait faire, l’avenir du rock ne tarirait plus d’éloges sur Liam Gallagher. Il n’est d’ailleurs pas le seul à penser le plus grand bien de cette immense rock star. La presse anglaise s’accroche à lui comme la moule à son rocher : et si Liam Gallag était la dernière rock star anglaise ? Et s’il était le nouveau messie ? Il faut le voir remplir Mojo de paroles d’évangile, du style : «Once you join a band, it’s your birthday everyday.» Quoi de plus vrai ? Histoire d’éclairer notre lanterne, il ajoute un peu plus loin : «Si tu ne te lèves pas chaque matin à six heures pour aller creuser des trous dans une route, ça veut dire que tu as réussi. Les Bouddhistes disent que every morning is another birthday, you know.» Non seulement il est avec Frank Black et Iggy le plus grand chanteur de rock actuellement en circulation, mais il fascine dès qu’il fait une observation - I mean, it’s really my birthday every fucking day ! - Il adore enfoncer son clou au marteau-pilon.

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             Ted Kessler parle de commercial rebirth. Ça veut dire qu’il n’a rien compris. Des artistes aussi parfaits que Liam Gallag, Frank Black, Iggy ou John Lydon n’ont pas besoin de rebirth ni de commercial rebirth. Ils sont tout simplement au-dessus de la mêlée et quoiqu’ils fassent, ce sera toujours bien. Les deux albums de Beady Eye sont énormes et les deux premiers albums solo de Liam Gallag le sont encore plus. Avant même que sorte son troisième album, Knebworth où il doit se produire est sold out. Amazing, dit Kessler. Mais non, pas amazing, normal, pour un mec de la trempe de Liam Gallag qui déclare : «Oui, c’est fantastique. Blows my mind. Mais je n’y pense pas trop. Oh peut être un petit peu, on the sly. Don’t tell anyone.» En plus, il se fout de la gueule de Mojo. Une tournée est prévue en juin, avec des rumeurs que Liam balaye aussitôt : «No ! Noel ne jouera pas avec nous. C’est dingue que des gens puissent imaginer ça. It’s not Spinal Tap, mate. Il sera planqué dans un coin, à penser qu’il vaut mieux jouer devant 2 000 personnes à Scumthorpe plutôt que devant 80 000 personnes à Knebworth. Il a eu sa chance.» Boom ! Alors qu’il se caresse pensivement le menton, il ajoute : «Cela démontre que tout ne repose pas uniquement sur celui qui écrit les chansons. Il arrive que ça dépende des personnalités. The voice. Les gens se moquent du chanteur, oh il n’a pas écrit les chansons, c’est l’autre qui a du talent, c’est l’autre qui est le cerveau du groupe. Maybe I’m the soul. C’est moi qui met la balle dans la lucarne. Mettre un but, c’est le plus difficile, pas vrai ?». D’un point de vue footbalistique, c’est imparable. Pure logique. Quand le silence s’installe dans la pièce, il le brise en demandant une clope - Got any fag ? - La moindre formulation est importante. Liam Gallag est une sorte d’Oracle de Delphe. N’en perdons pas une miette.

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             Pour son troisième album, il voulait faite un Stooges album. Il en a marre des balladifs - I’d love to do an angry record. No strings - Mais en fait, il se retrouve avec des balladifs et beaucoup de strings. «Some soulful pop in amongst the classic Gallagherisms», nous sort fièrement le Kessler. En fait les chansons sont bricolées à distance, à cause de Pandemic, et Liam les récupère à la fin pour les valider. Il veut que ça soit plus «Stones-y or whatever» et en conclusion, il sort une fabuleuse métaphore : «The clothes are already made. But I put them on, make them look good.»  C’est l’essence même de la rock’n’roll star : make things looking good. Ça a toujours fonctionné ainsi, depuis Brian Jones jusqu’à Liam, en passant par Iggy et Jimbo.

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            Et kaboom, «More Power» qui ouvre la bal de C’mon You Know arrive comme un hybride des Stones et de Spiritualized, avec des chœurs de gospel pubère. Liam arrive très vite et remet les pendules à l’heure. Power maximal, il t’éclate ton Sénégal - I wish I had more power - Liam se marre : «Basically, You Can’t Always Get What You Want.» Il parle de colère dans son texte. «What’s angry ? It’s passion. One day I’m chilled, the next I’m an angry cunt. Ça dépend de ce que j’ai bouffé. Ça dépend du temps qu’il fait.» Il ne veut pas analyser sa musique. Pour lui, l’essentiel est que ça sonne. Il laisse l’analyse aux autres. Power ? More Power ? Non ça ne le branche pas du tout. Il sait comment se fait un bon album : «I need to have a word with myself. J’ai besoin de me limiter à guitar, bass and drums. Ten songs, in your face - big good songs.» Et pour que les choses soient bien claires, il ajoute : «I need a total Beatles ban. And a Stones ban. Next time, I’m just gonna get in the studio with a band and bash it out. Not even mix it. Just have it as it’s coming off the desk.» On l’écoute en rigolant. Le rock ne risque pas de casser sa pipe en bois avec un mec comme Liam Gallag dans les parages.

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             En bons fouille-merde, les journalistes lui ont trouvé un petit problème de santé : il doit se faire opérer des hanches - My hips are fucked. J’ai de l’arthrite, bad - La bonne femme lui dit qu’il doit grimper sur le billard. No way. Et après les hanches, ce sera quoi ? Alors fini le jogging sur Hampstead Heath. On lui dit qu’il pourra recommencer à courir après l’opération. Et tu sais ce qu’il répond ? «I’d be like Louis Spence, throwing my leg over my shoulder while playing the flute», ce qui peut vouloir dire qu’il va ressembler à Louie Spence (un danseur célèbre en Angleterre), à jeter sa jambe par- dessus l’épaule tout en jouant de la flûte. Là, tout Mojo s’écroule de rire. Il dit qu’il se fout de la douleur - Pain is OK. My eyes are fucked. My hips are fucked, got the old thyroid. But we’re all going to die, pas vrai ? Or are we already dead ? - Kessler annonce que sonne l’heure de la philosophie. Liam développe : «Peut-être sommes-nous déjà au paradis. Ou en enfer. Comment peux-tu savoir où nous sommes ? How do you know dying is death ?» Comme personne ne l’interrompt, il continue : «Je ne crains pas la mort. Pourquoi devrais-je la craindre ? Ça va arriver de toute façon. C’est la même chose que d’avoir peur d’être né.»     

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             Et pouf, il envoie son morceau titre - C’mon you know/ It’s gonna be alrite/ C’mon you know - Il enfonce son clou au stomp. Pur jus de rock anglais. On peut même parler de cut décisif. La fête se poursuit avec «It Was Not Meant To Be», vieux shoot de pop anglaise, en plein cœur du swingin’ London. Il vend sa soupe, c’est un battant. Rien ne peut le faire reculer. C’est la constance de ‘Chester. On note aussi la brutalité des coups d’acou dans «World’s In Need», et kaboum ! Ça saute à nouveau avec «I’m Free». Après une grosse intro, le Gallag te saute dessus à bras raccourcis, il chante avec de la colère plein la bouche, c’est tellement bardé de son que ça chevrote. Les colonnes du temple dansent le twist. L’album est tout de même un peu étrange, Liam semble chercher des voies de passage vers les Indes - Go back to your prisoner/ Cause I’m free - On entend le ghetto blaster de Notting Hill Gate. S’ensuit un «Better Days» extrêmement embarqué, extrêmement orchestré, il traîne la savate au chant, c’est sa façon d’épouser son génie, ça devient énorme, ça monte comme la marée. Il impressionne encore plus avec «Oh Sweet Children», il a le même impact que John Lennon, le même poids dans l’histoire du rock. Gallag est l’égal des dieux. Mais le plus surprenant, c’est encore la pochette. La pochette n’est faite que de fans photographiés depuis la scène. C’est l’hommage de Gallag à ses fans, mais les images sont assez perturbantes. On se demande si tous ces gens ont accepté le principe. Sur le poster plié à l’intérieur, tu vois une mer de smartphones, ils font tous des photos du Gallag sur scène. Des centaines de smatphones. On vit dans ce monde. Loin du monde.

    Signé : Cazengler, Gallaguerre des boutons

    Liam Gallagher. C’mon You Know. Warner Records 2022

    Ted Kessler : You only live twice. Mojo # 343 - June 2022

     

     

    Inside the goldmine - Setting Son of a bitch

     

             L’homme qui vendait sa maison ne faisait aucun effort pour masquer ses manières aristocratiques. Le bleu de son regard était si clair qu’il en paraissait transparent. Il accompagnait chacune de ses phrases d’un geste de la main ample et gracieux à la fois. Il affirmait posséder de vraies toiles, celles que la nature lui offrait à travers les immenses baies vitrées donnant sur le bord de Seine. Voyez-vous, nous avons là les quatre saisons. Il restait extrêmement discret sur les origines de sa fortune, mais l’entremetteuse nous confia un peu plus tard que l’homme avait possédé au temps de sa jeunesse un grand hôtel à Opéra. Sans doute fatigué des rythmes urbains et du brouhaha haussmannien, il avait opéré un repli stratégique vers un bord de Seine qui était encore alors quasiment inhabité et fait installer sur cette fantastique terrasse ce qu’il appelait lui-même une « demeure en portefeuille». Il avait imaginé le principe de ce cube en ferraille déposé par une grue et doté d’un mécanisme clic-clac qui assurait disait-il le setting. Une fois le portefeuille ouvert, deux poutrelles métalliques enfilées dans des conduits prévus à cet effet raidissaient la structure pour l’éternité. Le cube offrait une vue imprenable que ce paysage d’Île de France qui fascina tant de peintres, de Pissaro à Sisley en passant bien sûr par Auguste Renoir. Mais pourquoi cet homme se séparait-il d’un tel paradis ? Son épouse qui était alors occupée à cuisiner des poivrons grillés souffrait disait-il des hanches et ne pouvait plus envisager de monter quotidiennement la volée de marches qui reliait le chemin de halage à cette gigantesque terrasse. Il ne laissait absolument rien transparaître de son dépit. Il affichait un calme olympien, se contentant de nous redire sa fierté d’avoir imaginé ce setting d’une simplicité enfantine. Pendant les six mois qui suivirent l’acquisition, nous vécûmes sous une tente installée dans le jardin. Nous n’osions rien toucher de ce qui avait fait le quotidien de cet homme extraordinaire. Quand nous apprîmes par la suite qu’il avait péri dans l’incendie de son écurie de chevaux de course, il nous parut évident qu’il s’était jeté dans les flammes. 

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             Le setting du danois Sebastian T.W. Kristiansen est légèrement différent, puisqu’il s’agit d’un groupe pop, The Setting Son, monté en 2007, que le légendaire Lorenzo Woodrose prend sous son aile. Il va d’ailleurs produire leur premier album, The Setting Son.

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             On ne sera donc pas surpris de se retrouver en plein dans une belle ambiance sixties, climat clairvoyant amené dans la délicatesse, c’est même un peu la fête au village, ça pulse à la basse de culs de basse fosse, comme chez Breughel l’ancien, ça éclot à l’éclat d’épaisse fuzz et globalement ça frise de futurisme de Marinetti. Ça monte soudainement en pression qualitative avec «All I Want Is You», fabuleux shake in the face de Setting Son, totally out of it. Tiens puisqu’on est dans les out of it, voilà un «Out Of My Mind» joué à la pure violence, c’est le wild gaga de Lorenzo. On reste dans le gaga avec «In A Certain Way», relevé à l’extrême, ils tapent ça au someone else, c’est violent et complètement washed out. Ils profitent de leur élan pour trasher «I Love You», une abomination gagapocaplytique jouée au fuzzcore de Tasmanie. On a là l’un des très beaux albums gaga du XXe siècle. Ce mec plonge dans «I’m A Loser» au I’m just a loser et il reste d’une crédibilité sans nom. L’album continue de foncer dans la nuit avec «I’m Down», c’est plein de fuzz et de nappes de Seeds, c’est excellent et on se régale de cette proximité avec le Grand Œuvre de Lorenzo Woodrose. Ah quelle belle overdose de gaga sixties ! Il ne faut pas se fier à la leur mine de gentils mecs, les Setting Son sont capables des pires exactions. Tout est parfait sur cet album, le festin de son s’achève avec «Desperate Soul» et «You Better Run Away From Me», noyé dans les extrêmes. Ce mec tord le cou de sa psyché.

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             Paru en 2008, Spring Of Hate bénéficie d’une belle pochette dessinée, surtout au dos où dansent six femmes nues qui ne cachent rien de leur intimité. Avec cet album, Sebastian T.W. Kristiansen propose une petite fast pop dans laquelle remontent à un moment des accents des Seeds («Soulmate»). Avec l’«Out Of Tune» qui clôt le balda, il va plus sur Mercury Rev. En B, on retrouve the Seedy motion dans «Creepy Crawlers». Même élan, même ambition, même lancinance. «Wrong From The Start» plaira aux amateurs de gaga pop, c’est très énergétique et bien secoué des cloches au shuffle d’orgue. Toute cette pop se tient merveilleusement bien. Guitare et orgue se relayent pour redorer le blason du son. On se régale encore de «Depression», un cut plein de jus avec de grandes vagues de shuffle et de soudaines montées de violence, comme d’ailleurs chez les Seeds. Si nos amis les Seeds enregistraient un nouvel album à notre époque, ce serait celui-ci. Les Setting restent dans la mouvance Seedy jusqu’au bout de la B avec «Demons In My Head» et «I Lost Control», ils taillent la route à la bonne énergie de lose control et avec tout le bataclan qu’on peut bien imaginer. 

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             Avec Before I Eat My Eyes And Ears, les Setting restent dans l’optique big pop de Bad Afro, ce que certains qualifient de bubblegum psych with strong melodies and hooks galore. Ils font preuve d’un réalisme catégoriel étonnant, «Above The Rest» passerait presque pour une pop d’orgue doucement bercée, bien dense avec les louves. On sent un soin qualitatif de tous les instants, comme chez Galileo 7. «Terrible Town» va plus sur le Swingin’ London, avec du shuffle sous-jacent et un beat à la Spencer Davis Group. Ils bouclent leur balda avec «All The Candy», un big brouet de pop alerte et spontanée que chante Emme Acs. Ces gens-là ont du répondant poppy et même power-poppy à revendre. L’énormité de l’album s’appelle «Death Breath». Ils font de l’éthéré à la Mercury Rev. On se croirait en Arizona. On retrouve Emma Acs dans «Butterface», elle y va à coups de butterface et ça pourrait bien être un hit, after all. Mais globalement, ils s’éloignent des Seeds et de Baby Woodrose. Ils finissent avec un shoot de pop éthérée nommé «La Luna». Ils vont chercher des horizons à la MGMT, une bruine de son parcellaire que traverse un filet d’orgue et des voix diffuses qu’on voit à la fin s’étioler en de délicieuses arabesques harmoniques.

    Signé : Cazengler, Settting Con

    Setting Son. The Setting Son. Bad Afro Records 2007

    Setting Son. Spring Of Hate. Bad Afro Records 2008

    Setting Son. Before I Eat My Eyes And Ears. Bad Afro Records 2012

     

     

    ROCKABILLY RULES ! ( 7 )

    N’oubliez jamais que toutes les règles sont faites pour être contournées, dépassées, chamboulées, piétinées, car l’important avant tout c’est d’avoir un cœur fidèle et rebelle !

     

    ICHI-BONS

    Une vidéo aux couleurs criardes vous arrache la gueule sur You Tube. Exactement le genre de troue-pupilles dont j’habillerais Kr’tnt si les lecteurs – nul n’est parfait - ne préféraient pas les couleurs médianes ni trop flashy ni trop obscures, s’agit d’un clip promotionnel pour le nouveau le nouvel EP deux titres d’Ichi-Bons, oui ils sont bons, donc on plonge tout de suite sur la vidéo et ensuite sur le disque :

    DUST OF LIFE ( Promo Vidéo )

    ANDREW FOERSTER

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    Comme toujours quand on rencontre un graphiste qui accroche les mirettes un détour par son Instagram s’impose, cette vidéo s’inscrit dans la continuité de son œuvre, le bonhomme aime les couleurs vives, une évidence qui crève les yeux, mais allez-y voir par vous-mêmes, comme il n’y a pas de hasard dans la vie vous trouverez deux posts sur les White Stripes, or le 22 septembre dernier les Ichi-Bons étaient en première partie de Jack White, ne cherchez pas l’erreur, il n’y en a pas.

    Des couleurs Prisunic qui fleurent bon l’insouciance proclamée des sixties, un bleu prunelle, un jaune orangina, un noir mat formica, quelques touches de blanc pour rehausser la crudité des pigments, le début est parfait, juste le temps de l’intro, tout est dans la couleur instrumentale, quelle parfaite sonorité de guitare, ça évoque l’intro de Brand New Cadillac de Vince Taylor même si ça n’a rien à voir, z’ensuite vous tombez sur le type de clash apocalyptique dont les aficionados de rockabilly raffolent, le genre de déchirure qu’a dû ressentir Ravaillac lorsque les quatre percheront l’ont déchiré d’un seul coup, c’est alors que vous aurez l’impression d’être victime de troubles visuels, l’image saute sur une ( sale ) mine, si votre cerveau a du mal à suivre ne l’accusez pas c’est que votre constitution n’est pas faite pour le rockabilly, c’est triste mais c’est comme ça, quand vous voyez s’afficher le nom des musiciens fautifs, respirez, vous avez survécu, si vous ne les voyez pas, pas d’inquiétude c’est que vous êtes mort. Vous êtes délivrés de notre monde de brutes et de fureur. Reposez en paix. L’épreuve ne dure pas une minute ! La suite est pour les survivants.

    Ne me demandez pas ce que signifie Ichi-Bons, en la langue des oiseaux nous traduirons par Ici (c’est) Bon, sinon nous y trouvons une consonnance asiatique, le guitariste et vocaliste ne se nomme-t-il pas Hideki Saito même si sur la vidéo il est dénommé Little Perkins, ce qui il faut l’avouer sonne beaucoup plus rockabilly. Mamo Banzai : basse, Paddy Burn : drums. Ne sont pas américains, enfin si, du Canada, de Toronto. Revendiquent trois racines pour leur musique : garage, surfin’, rockabilly.

    THE DUST OF LIFE / CAN’t STOP MOANING

    ( Trophy RecordsTR003 / Décembre 2022 )

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    The dust of life : barate boogaloo en toile de fond, genre explorateurs ventre à terre poursuivis par les cannibales, très logiquement Little Perkins vous projette le vocal à fond de train, mais le pire c’est cette note de guitare qui revient perpétuellement comme le tic-tac fatidique ( mais ici follement perce-oreille mélodieux ) de la bombe dans l’avion qui va exploser, la tension s’intensifie et c’est ici que la déflagration se produit, la basse se la joue de profundis compressé, Perkins est aux abois, le gars qui ne retrouve plus sa ligne de vie dans la paume de sa main, calmos, pas de panique, arrêt buffet, les cavaliers embrassent leurs cavalière, une demi-seconde de répit avant l’éclatement de l’auto-destruction finale. Can’t stop moaning : un titre qui sent le blues à plein nez, ben non, c’est de l’ultra-comprimé, le rockab des familles désunies ou d’assassins, un bocal, pardon un vocal avec le   crotale vivant à l’intérieur, Burn a beau essayer de l’écraser à coups de grosse caisse, cause perdue, apparemment ils ne savent pas garder leur sang-froid, la fin est une espèce de salmigondis de crise de folie généralisée. Ce quarante-cinq tours est le genre d’évènements qui vous réconcilie avec le monde dans lequel vous vivez, puisqu’il vous permet d’entendre de telles horreurs ! Splendide.

             Quand on a repéré un coupable  de bonnes choses ( c’est comme pour les mauvaises ) faut rechercher les antécédents, voici donc leur premier opus, la pochette sent l’artisanat du DYE, entre parenthèses celle du précédent dans la lignée des simples américains n’est guère folichonne. Voici donc :

    ICHI-BONS PRESENTS :

    SHOW ME THE ROPES / BLUE EYES & BLACK HAIR

    ( Digital Bandcamp / Sortie : 31 / 03 / 2022 )

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    Show me the ropes : une guitare qui sonne et une section rythmique qui groove à mort, c’est le vocal qui sert de locomotive, voix sonore légèrement en urgence qui hoquète presque comme un drapeau flagellé par un vent taquin, l’est vite rejointe par une surfin’guitar qui ne surfe pas mais qui fait résonner des cordes de pendus qui claquent au vent, ce coup-ci mauvais, et qui bientôt jette toute la vaisselle du bahut à terre pour mieux la piétiner. Décidément ces gars-là ne peuvent terminer un morceau sans se fâcher. Blue Eyes & Black Hair : un titre à la Red Cadillac and black moustache, mais beaucoup plus énervé que les versions de Bob Luman et de Warren Smith, ici l’on est dans le rawkabilly pur et dur des origines, une batterie qui tape, une basse qui cogne, une guitare qui étincelle de mille feux et un vocaliste qui scie la branche de l’arbre sur lequel il s’est posé et qui se dépêche pour ne pas avoir l’air de mourir idiot. L’art du rockab c’est celui de l’intention, tout est dans l’inflexion esthétique que l’on donne à sa vie. Old style, good style.

             Quand il n’y en a plus, il y en a encore :

    BLACK DICE DEMOS

    ( Digital Bandcamp / 24 – 03  - 2020 )

    L’ont accompagné d’une photo, jeune groupe timide qui n’ose pas la ramener pour leur premier concert. Ne pipent pas un mot, ils attendent d’être sur scène pour faire parler la foudre.

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    Don’t call me flyface : n’ayez pas peur lorsque fuse le cri, il n’y en aura pas d’autres (enfin si mais pas trop nous sommes dans un instrumental ), assument leur héritage de surfin’ group, se déchaînent à fond, n’apportent rien au surfin’ de l’époque originelle de Dick Dale mais ils y mettent tant de cœur et de hargne que l’on se régale. Je jure qu’après la quinzième écoute je passe au morceau suivant. The rockin’ Gipsy : attention ici on vous le met dedans à l’espagnole, le grand style une guitare avec robe à volants flottants, une batterie banderillas à répétitions, c’est pas du flamenco pathétique mais de l’esbroufe, la basse claque du talon, regardez comme l’on joue vite, attention, question guitare l’on est beaucoup plus près de Django Reinhart que de Manitas de Plata. Dans la vie tout est question de doigté. The black alley stroll : stroll is cool, entrevoyez la problématique : comment flamber lorsque l’on est coincé sur une rythmique pour jeunes filles de cinquante ans, dès le début ils allument la torpédo, mais peuvent pas tricher non plus, alors ils adoptent la démarche chaloupée de la file d’éléphants qui respecte les limitations de vitesse, z’avez la basse et la batterie qui marchent en tête, ne comptez pas sur elles pour accélérer la cadence, la bête vicieuse, elle est au fond, en apparence elle suit les autres avec la docilité de ces cancres tapis près du radiateur qui attendent que le maître ait le dos tourné au tableau pour lancer une boule puante, l’air de rien, la tête pensive du gars qui tente de résoudre une équation du douzième degré, et plang ! la guitare vous déracine un arbre d’un coup de rien en toute innocence et chlang ! une nouvelle frondaison s’écroule à terre, même qu’hypocritement la basse appuie plus lourdement sur ses pattes pour couvrir le bruit, et toute ces bêtes si sages rigolent à perdre haleine comme si elles venaient de lire une chronique de Damie Chad.

             Ichi-Bons nous refilent quelques bonus. Du tout nouveau, trois albums enregistrés live le trente septembre 2022

    LIVE @Linda RonstatdMusicHall. Tucson. AZ

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    Live in Tucson. Vol 1 : Down shiftin’ : on s’en doutait un instru pour se chauffer les doigts, sont vite bouillants, z’ouissez cette guitare qui vrombit pour s’arrêter et repartir en claquements de becs salés, la rythmique pied au plancher, criez et applaudissez, c’est terminé, deux minutes de bonheur, c’est peu ! Still on zero : encore plus court un petit début country pour varier les plaisirs et hop un beau vocal rockab style western qui tire dans tous les coins, un chanteur en voix off tellement on est pris par l’action. Sont doués ne méritent pas leur zéro. Striding throught my blues : une volée de notes dans la tradition blues exalté de sept secondes et accélération clivante genre chevauchée fantastique, un dilemme terrible vous attend, faut-il suivre la guitare ou le vocal, heureusement que le band passe devant ce qui vous évite de vous prendre pour Corneille, ça repart en plus doux ce qui vous permet d’allier tous les plaisirs, hélas le solo qui vient vous arrache l’épine dorsale, pour le reste disons que c’est blues suede shoes ! Castin my spell : entrée tamtamtivore, c’est beaucoup plus l’appel de la jungle que de la forêt, ça ronronne à la manière du tigre qui se lèche ses babines ensanglantées, beau jeu de basse rampante, guitare serpentine, vocal feu au plancher, la foule acclame.

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    Live in Tucson. Vol 2 : Run chicken run : les picotis de Link Wray et la guitare qui lance les graines dans le poulailler, l’est sûr que le poulet n’est pas élevé en batterie – pourtant elle ne perd pas l’occasion de se faire remarquer - ici ce n’est pas de l’industriel et ça sonne comme un combat de coq. Hep cat : fini les plaisanteries, un bon vieux rock’n’roll des familles, avec rien qui dépasse ( même pas deux minutes ) une voix cochranesque qui vous fout le ramdam, un petit solo salé, et un final démantibulé vitaminant. Le truc parfait. I’m gone : vous avez aimé le précédent, alors ils vous en refilent un autre sur le même modèle, en plus court car il ne faut pas trop gâter les enfants, sans quoi ils se conduisent dans la vie au mieux comme des voyous au pire comme des rockers. Snake eyes : l’on vous a déjà dit de ne pas jouer avec les serpents, ce sont des bêtes vicieuses et dangereuses, un petit instru de derrière les vipères, dans la deuxième partie vous avez une guitare qui imite les chatoyances charbonneuses du mamba noir, mettez-y l’oreille mais pas la main. A moins que vous ne vouliez finir comme Cléopâtre.

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    Live in Tucson. Vol 3 : The witch : un son différent de tout ce qui précède, un peu plus tonitruant et un vocal de chirurgien énervé qui a oublié son bistouri dans le ventre de son patient, l’est pas content hurle de toutes ses forces pour que le gars le lui rende. Blues eyes & black hair : pur rockab classique, difficile de dire si cette version est différente de celle de leur disque auto-produit , un chouïa plus énervée peut-être, mais cela se discute. Contentons-nous de jouir sans entraves comme l’on disait à l’époque. Show me the ropes : là, il n’y a pas photo, diantrement plus nerveux et un accompagnement beaucoup plus mélodramatique dans lequel se distingue un pointu solo qui sonne très Buddy Holly. The black alley stroll : ne rallongent pas la promenade, adoptent un pas davantage nonchalant, la guitare ronronne gentiment à la manière du chat qui attend l’ouverture de sa boîte de Canigou Ron Ron. Sur la fin on n’entend plus que ses voluptueux lapements de langue visqueuse.  Misirlou : ce n’est pas la misère qui nous tombe dessus mais le tube de Dick Dale (ça tombe bien on avait la dalle), nous le traitent à la hussarde, une belle cavalcade de trois mille chevaux qui foncent droit sur l’ennemi, c’est grisant, on s’y croirait, ça tonne de tous les côtés, la batterie ne sait pas être douce, la basse vous écrase, la guitare vous étripe, l’on est un peu maso alors on en redemande.

             Pas mal cette idée de trois quarante-cinq tours pour un concert, ne rêvons pas, pour le moment c’est en digital sur bandcamp, mais espérons qu’un jour ils concrétiseront, les photos des pochettes supposées reflètent bien l’ambiance, un appât pour les collectionneurs, le plus terrible pour les plus désargentés, lequel des trois choisir, dans chacun ils trouveront un morceau indiscutable… Dans tous les cas, tous les cats auront un vinyle d’un des groupes de rockabilly actuels prometteurs.

    Damie Chad.

     

    *

             J’avoue une prédilection certaine pour les gens qui possèdent une mythologie personnelle. L’on pourrait me rétorquer que chacun possède sa propre mythologie, certes seulement certains en ont davantage conscience que la masse des autres. Raison nécessaire et suffisante pour expliquer mon goût pour le Metal, le Stonner et le Doom. Les groupes de ces courants développent tant d’énergie que les textes qui les accompagnent ne sauraient se contenter longtemps d’historiettes sentimentales, pourquoi tant de bruit et de fureur pour des évènements d’une extrême banalité. Les musiques fortes exigent des textes d’une même ampleur. Le problème c’est que tout le monde n’est ni Homère, ni Virgile… Certains groupes ont compris la difficulté, puisqu’ils se sentent incapables de rivaliser – d’ailleurs le format ne le permet guère – avec La Pharsale ou La Divine Comédie, préfèrent se taire. Si pas de texte, nul besoin de chanteur. Seule reste la musique. Se développent ces dernières années des groupes instrumentaux. Ce n’est pas choisir la facilité. Comment se faire comprendre sans l’aide de mots et en se passant du plus bel des instruments : la voix humaine.

             Nous sommes face à une démarche très différente des groupes instrumentaux des années soixante, la problématique était toute autre, il s’agissait alors d’explorer les tessitures et les possibilités des nouveaux instruments électriques… tout nouveau, tout beau… les chanteurs ont très vite récupéré leur place… sur le devant de la scène…

             Mais essayons de comprendre comment l’on peut se faire comprendre sans prononcer un seul mot en écoutant l’opus suivant qui déjà se singularise par sa date de parution, ce premier janvier 2023.

    BLACK SKY GIANT

             Enfin presque, puisque déjà ils en utilisent ( en français ) cinq : le nom du groupe :  le géant du ciel noir. Que savons-nous d’eux ? Qu’ils sont de Rosario, la plus grande des villes de la province de Santa Fe, en Argentine. D’après les photos ils sont trois. Ils ont toutefois choisi d’apparaître en tant que Black Sky Giant.

    Un ciel noir ne porte pas à l’optimisme, néanmoins souvenons-nous que le vide interstellaire est noir, ce qui déjà octroie à ce géant une origine étrangère. Le mot géant en lui-même n’est pas neutre, dans nos souvenirs scolaires plane cette histoire de ces géants qui ont combattu contre les Dieux de l’Olympe, fait-il partie de cette cohorte, à ce point nous n’en savons rien, et puis les contes d’enfants sont aussi peuplés de géants souvent (mais pas toujours) patibulaires. Quoiqu’il en soit le fait qu’ils se déclinent en tant que géant du ciel noir nous incite à considérer qu’ils induisent en nous l’idée d’une dimension mythologique.

    Pour ceux qui veulent tout savoir et chercher, Black Sky Giant a antérieurement produit quatre autres albums à écouter comme des préquelles de celui-ci, il devient manifeste que le Black Sky Giant est autant le nom du groupe qu’un des personnages de cette saga…

    Autres indices : la pochette : due à Deliria Vision. Inconnu au bataillon, un tour sur son instagram nous propose une auto-définition lapidaire ‘’ Sci-fi & Horror Music Artwork’’, pas de tricherie sur le contenu qui suit. Beaucoup de pochettes de disques, à chaque fois un monde froid et cruel que l’on devine sans pitié, vous n’avez aucune envie de le visiter, une vision oniro-cauchemardesque d’un art qui n’est pas sans évoquer certaines lithographies de Salvador Dali mais que l’on pourrait définir comme de l’expressionisme architectural glacé qui ignorerait toute représentation de la fragilité humaine…

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    La pochette en elle-même n’est pas belle, elle est la représentation d’un monde que nos critères esthétiques ne permettent pas d’appréhender. Imaginez les statues géantes de l’Île de Pâques qui auraient été torturées et décharnées à dessein. Des pieux géants plantés en mer et sur terre en tant qu’avertissements sang frais à ceux qui voudraient aborder. Justement un bateau à voiles apparemment insensibles à ce paysage peu engageant fait cap vers le rivage. Le titre est très ambigu, les primigéniques annoncés sont-ils les aventuriers qui se préparent à aborder ou ceux qui ont construit l’imposante tour d’accueil qui se présentent à eux… L’on pense à un temple lovecraftien des Grands Anciens. Etrangement lorsque cette couve s’est présentée à moi j’ai tout de suite pensé à Fragment d’un Paradis de Jean Giono… Bref chacun apporte ce qu’il a dans la musette de son cerveau, livres, films, bande-dessinées, tableaux, œuvres musicales, le groupe fournit la bande-son à l’auditeur de produire les images mentales. Les titres sont assez éloquents, ils sont en rapport direct avec la pochette. L’écoute se transforme en une quasi-expérience de rêve dirigé nervalien, objectivement il n’y a que deux directions possibles, extérieure ou intérieure, un voyage astrale hors de soi pour effleurer ou toucher à une certaine objectivité mondaine ou une entrée en les abysses de soi-même pour descendre tout au fond de la mer consciente.

    Pour ceux qui craindraient à tort d’être dépourvus de l’imaginaire nécessaire, sur son bandcamp le groupe a laissé quelques phrases-béquilles, qui aident certes mais qui peuvent aussi être interprétées de différentes manières. L’ambiguïté ne mène-t-elle pas le monde ?

    PRIMIGENIAN

    Primigenian : ce morceau est de toute splendeur, l’impression de se trouver à l’intérieur des tuyères d’une fusée spatiale, une progression par palier, le son à chaque fois plus fort s’empare de vous et vous emporte, vous subissez des accélérations et des chutes de pression artérielles difficile à supporter, les guitares volent sans être exactement être aériennes car trop soudées à votre chair, un prélude qui ne raconte pas ce qui va arriver mais qui remémore tout ce qui s’est passé avant, vous n’en savez peut être rien, mais les sons sont porteurs de l’inconnaissance de votre connaissance, vous ne savez pas mais d’instinct vous comprenez que le voyage a été long et tumultueux, que vous êtes à l’aube d’un nouveau chapitre. At the gates : vous auriez une carte avec le relevé de la longitude et de la latitude vous seriez heureux, mais vous possédez mieux, un dessin, une carte au trésor, la pochette elle-même,  vous touchez au but, vous êtes en train de passer par la grande porte, la musique crie victoire, elle se transforme en une immense clameur de triomphe, super-générique de film d’action, la force du premier morceau multipliée par mille, vous êtes accueillis en vainqueur même si la basse chantonne que vous n’êtes pas au bout de vos surprises, une allégresse héroïque s’empare de votre esprit, que cette basse est magnifique, comment ne pas l’entendre, c’est sur elle que repose ce péan de louanges érigées en votre honneur. Le bonheur qui vous étreint n’en finit pas de s’épanouir en votre âme.  Stardust : tout va-t-il trop vite, la musique suit son rythme effrénée mais on a envie de dire qu’elle déroule sa sarabande sur un mode mineur, qu’elle murmure à votre oreille, souviens-toi que tu n’es que poussière d’étoile, une formule qui vous gonfle d’optimisme car être un fils des étoiles est plutôt flatteur, votre personne ne relève-telle pas de l’immensité de l’univers incommensurable… moderato, tu es aussi poussière, atome minuscule, regardez sur le dessin ces crânes d’hommes plantés sur des pilotis, ils paraissent énormes, selon les lois de la perspective si le bateau présente une taille ( soyons gentil ) modeste c’est que de fait il n’est pas bien grand, la taille d’un jouet de gosse, ta grandeur en prend un coup au moral, mais peut-être les primigenians vers lesquels nous nous dirigeons étaient-ils de super-géants ce qui expliquerait notre toute relative petitesse… The great hall : une musique venue d’ailleurs vous saisit, grandiose, elle sonne d’argent dans vos oreilles, vous n’êtes pas n’importe où, dans le grand hall, maestro jouez grandioso, fabuloso, extraordinario, incoroyablo, énormo, nous n’avons pas assez de mots, de vocables assez vastes pour évoquer l’émotion qui nous saisit, nous sommes ici au saint des saints, en le lieu sacré de la connaissance absolue et originelle, celle de nos grands ancêtres, pour un peu nous tomberions à genoux pour marquer l’extase vénérationnelle à laquelle nous succombons. Sonic thoughts : déferlement musical, un maelström sonore submerge notre esprit, dans quelques secondes nous allons savoir, allégresse, les livres de la loi primordiale sont dans nos mains, ils ne sont pas gravés dans la pierre ni sur des tables d’airains, il suffit de les prendre sur le piédestal sur lesquels ils reposent, nous ne savons pas à quoi ils ressemblent, mais c’est un message que les primigenians ont laissé pour que les civilisations futures qui viendront après eux – c’est nous – puissent posséder les secrets fondationnels de l’ultime sagesse. The foundationel found tapes : ceci n’est pas de la musique mais un bruit que nous connaissons bien, comment est-ce possible, se moquerait-on de nous, cette musique triomphatrice du début se charge d’étonnement, de discordances, de colère de déception, nous avons beau appuyez plusieurs fois et entendre ce satané déclic, rien ne vient nous contredire, la batterie marque le pas de notre grande tristesse, nous entendons des bruits que nous ne comprenons pas mais nous comprenons très bien que les primigenians que nous avons toujours considérés comme le peuple fondateur sont bien décevants, le support de leur savoir repose sur une simple cassette audio, un objet qui fait partie de notre préhistoire, nous leur sommes donc supérieurs, ce que nous avons recherché si longtemps nous le possédions depuis longtemps dans nos musées, dans nos greniers, dans nos souvenirs, la cassette en bout de course s’arrête.

    A vous d’interpréter cette histoire à votre convenance. Black Sky Giant veulent-ils nous dire que partout il y a de la bonne musique, sur toutes les latitudes, depuis des millénaires, perdue ou recueillie sur n’importe quel support… ou alors qu’il faut que nous fassions gaffe à notre imagination, que nous arrêtions de nous tourner des films, que nous ne confondions pas les vessies de nos rêves avec les lanternes de la réalité.

    Une leçon à méditer. Un superbe disque à écouter. Stoner estonnant et destonnant. Fable philosophique ?

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 16 ( Datif ) :

    82

    Pour une fois, reconnaissons-le, nous tournions en rond. La semaine qui suivit les facéties de la forêt de Laigue s’écoula tristement. L’opinion heureuse d’apprendre que le nouveau virus hyper-contaminant s’était tué lui-même goba l’hameçon. Plus de danger, honneur aux héros qui se sont sacrifiés, le gouvernement fit les choses en grand, deux cent trente-sept cercueils alignés dans la cour des Invalides, un jour férié, un discours du Président, retour au travail le jeudi matin, soulagement général… Pour sa part le SSR ne resta pas inactif, le Chef relut soigneusement le dossier dans lequel il prenait note de nos démarches antérieures et fuma dix-sept fois plus de Coronados que d’habitude, je fis un tour au cimetière de Savigny , refouillai en pure perte de fond en comble la maison d’Alice lycéenne, et me recueillis longuement devant la tombe d’Alice ( la seule, la vraie, l’Unique ) mais elle ne m’adressa aucun signe, j’attendis à la sortie de l’école espérant rencontrer sa petite sœur Alice mais elle n’était parmi la troupe d’enfants qui s’égaya telle une volée de moineaux affamés de liberté… Molossa trouvait le temps long, Molossito geignait de temps en temps sur le canapé. Le dimanche matin le Chef déclara qu’il allait les promener au Père Lachaise pour leur changer les idées et ajouta-t-il, ‘’ce paysage ravissant m’aidera à trouver l’inspiration’’.

    83

    Je profitais de leur absence pour corriger les rares fautes d’orthographe que par inadvertance j’aurais pu laisser dans les Mémoires d’un GSH, lorsque le téléphone sonna :

    • Allo ! c’est Carlos, rendez-vous ce soir à 19 heures au restaurant de L’Autruche Baguée, il y a du nouveau, et j’ai salement besoin d’un coup de main !

    A dix-neuf heures tapantes un maître d’hôtel huppé nous guida à l’intérieur de L’Autruche Baguée, un établissement super-classe, d’un coup d’œil j’intimais à Molossa et Molossito de ne se livrer à aucun débordement, au nombre de Bentleys et de Ferraris stationnées devant la porte, Carlos ne nous recevait pas dans une cantine populaire. A peine avions nous fait quelques pas qu’une charmante hôtesse se précipita vers nous :

    _ Bonjour Messieurs, je me prénomme Alice, c’est moi qui veillerai ce soir à votre bien-être, oh qu’ils sont choux !

    Abandonnant toute réserve elle se précipita sur Molossito, le couvrit de baisers, le serra fort contre sa poitrine, il en profita pour lui glisser très affectueusement une patte dans son corsage, ce qui n’eut pas l’air de la déranger, je remarquai que ce geste de simple cordialité parut la ravir… Dans une alcôve à l’écart Carlos nous attendait trônant en bout de table, Alice nous mena à notre place, le Chef à la droite de Carlos, moi-même à sa gauche, tous trois assez proches l’un de l’autre, précaution qui nous permettrait de parler à voix basse à la fin du repas, deux assiettes disposées à l’autre extrémité   attendaient Molossa et son fils, en chiens bien élevés ils se  hâtèrent de sauter sur la table pour déposer poliment leur arrière-train sur la nappe d’un blanc immaculé. Alice n’arrêta pas de les caresser chaque fois qu’elle nous apportait un plat. Pour cette soirée exceptionnelle le Chef n’alluma pas un seul Coronado, il ne porta à ses lèvres que des Coronadors. Il n’existe pas de différence entre un Coronado et un Coronador,   si la bague du Coronado est en carton, celle du Coronador est une véritable bague en or le plus fin, artistiquement ciselé par les plus grands artistes et parsemé de minuscule diamant d’une limpidité absolue. Dès que le Chef écrasait son cigare dans le cendrier je récupérai le joyau et le glissai subrepticement à un des doigts d’Alice chaque fois qu’elle m’apportait un morceau de pain. Elle rougissait de plaisir et ne songeait nullement à retirer sa main. Mais venons au fait. Je passe sur le menu, nous en étions à déguster un digestif de quarante ans d’âge , Carlos prit la parole :

    _ Je me suis pas mal débrouillé cette semaine, deux attaques de transports de fonds réussies, attention par des billets des lingots, mon avocat est entré en relation avec la famille d’Edinbourg, ils m’ont vendu le manoir de XXXXX pour soixante quinze millions de livres, ça ne les vaut pas et je ne compte pas finir mes jours en Ecosse, mais en forêt de Laigue oui. Or voyez-vous c’est un vieux secret de famille, ils sont au courant de la fissure temporelle qui dote ce manoir d’une double présence, une en Ecosse, l’autre en France. C’est-là où d’après eux se situe le fantôme qui au cours des siècles a assassiné quelques uns de leurs ancêtres qui avaient la mauvaise idée d’y dormir. Ils sont satisfaits de s’en débarrasser à si bon prix. Vous m’avez compris, j’ai besoin de vous, je compte m’installer chez moi dès ce soir, mais pour cela nous devons en exproprier ce fantôme qui n’est autre que la Mort !

    Au moment de prendre congé d’Alice je retins une de ces mains que je baisai respectueusement :

    _ Chère Alice, chacun de vos doigts porte déjà une bague, il m’en reste deux, je les passerais bien, l’une au téton de votre sein gauche, et j’agirais de même avec votre sein droit, uniquement si vous le désirez !

    Elle le désira.

    83

    La forêt de Laigue n’était plus surveillée. Molossa et Molossito nous conduisirent droit à la faille temporelle. La Mort nous attendait, sa face horrible ricanait, Alice toute émoustillée de l’aventure se collait à moi, elle ne se rendait pas compte du danger, ma main dans sa culotte était toute mouillée. Lorsque Carlos lui tendit le certificat d’expropriation en tant que locataire n’ayant jamais acquitté de loyer, elle ricana méchamment :

    _ Je veux bien vous laisser la place mais que me donnez-vous en échange ?

    _ Une tonne d’or !

    _ Carlos, j’ai vu votre nom sur une de mes listes, l’argent ne fait pas le bonheur, et puis une tonne je vous trouve un peu mesquin.

    _ Je partage mon avis Madame, ce n’est pas l’argent qui fait le bonheur, toutefois vous avez une fort mauvaise réputation dans ce monde-ci, si vous acceptiez d’être la présidente d’honneur du Service Secret du Rock ‘n’ roll, votre cote remonterait illico chez nos semblables, vous êtes détachée des valeurs mercantiles, le bonheur sans honneur est tout juste bon, alors acceptez l’honneur !

    _ Toi le vieux Chef Indien, d’abord tu empuantes l’atmosphère avec ton brûle-gueule, tu n’es qu’un beau parleur tu ne vends que du vent ! Peut-être que ton éternel second le Poulidor du SSR aura une proposition plus honnête !

    _ Vous qui adorez les Alice…

    _ Toutes les Alice du monde m’appartiennent quand je veux !

    _ Oui, mais moi je vous offre quelque chose en plus, madame Thanatos…

    _ AH ! Ah !, vous jouez au petit futé !

    _ Pas du tout, mais à Thanatos j’offre Eros !

    _ Jeune présomptueux vous voulez me faire l’amour !

    _ Je n’oserais pas, mais attendez, laissez-moi faire !

    En un tour de main je me déshabillai totalement, et fis subir à Alice le même traitement totalement enchantée de la tournure des évènements. Elle se coucha jambes écartées sur table :

    _ Dépêche-toi chéri, je suis pressée, arrête de discuter avec cette vieille saleté !

    _ Tout de suite, mais choses promises choses dues, laisse-moi enserrer tes deux tétons de ces deux anneaux d’or en signe d’alliance éternelle !

    _ Oui tout de suite !

    • Tiens voici, un gage pour ton âme et un autre pour mon âme !

    Je sentis l’électricité érectile de ces seins je me couchais sur elle, la caressai quelque peu, et bientôt mon vit vainqueur la pénétra, elle gémit, appuyée sur mes avant-bras je n’eus pas à la manœuvrer longuement, la mort s’était rapprochée de nous, elle baissa sa tête et posa le vide osseux de ses lèvres sur les lèvres d’Alice qui connaissait l’extase, son souffle se perdit dans la bouche d’ombre qui lui ravit la vie. Je me relevai vivement, la Macrabe me retint par le bras :

    • Vous avez échangé vos anneaux et vos âmes sur ses seins, elle est à moi, vous ne formez qu’un, toi aussi tu es à moi, je vais te donner le baiser de la Mort !

    J’ouvris ma main droite :

    _ Erreur gente Dame, regarde au dernier moment j’ai récupéré mon anneau, j’ai parjuré, elle est à toi seule, pas à moi !

    Elle blêmit de colère :

    _ Décampez de chez moi !

    Carlos s’interposa :

    _ Non tu es chez moi, tu as perdu, bye bye !

    _ C’est bon je disparais mais je me vengerai !

    En une seconde elle se volatilisa. Carlos se retourna vers nous tout sourire :

    _ Mes amis, je ne vous remercierai jamais assez, rentrez vite chez vous au chaud, il fait trop froid dans cette demeure, je ne voudrais pas que vous attrapiez un rhume par ma faute, ne vous en faites pas pour moi, je me réchaufferai en faisant subir les derniers outrages au cadavre d’Alice, encore chaud !

    Damie Chad