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  • CHRONIQUES DE POURPRE 240 : KR'TNT ! 360 :CHUCK PROPHET / BLUE VOID / CRUCIFIED PINGUINS / TABULA RAZA / KOMTWA / SOCIAL CRASH / SONNY BOY WILLIAMSON ( I )/ MAGMA / JOHNNY HALLYDAY

     KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 360

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    08 / 02 / 2018

     CHUCK PROPHET / BLUE VOID / TABULA RAZA

    CRUCIFIED PINGUINS / KOMTWA / SOCIAL CRASH

    SONNY BOY WILLIAMSON

    MAGMA / JOHNNY HALLYDAY

     

    Prophet en son pays - Part One

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    Dans les années quatre-vingt, pas mal de gens appréciaient Green On Red. Comme tous les groupes de cette époque, Green On Red avait les défauts de ses qualités : le chanteur Dan Stuart pouvait parfois se montrer très surfait, presque insupportable, alors qu’à l’opposé, Chuck Prophet redoublait de finesse guitaristique. Il allait d’ailleurs montrer par la suite qu’il était bien meilleur au chant que le pauvre Dan Stuart.

    Le duo devait surtout sa réputation à Jim Dickinson, l’homme qui transformait le plomb en or. Enfin, en or, façon de parler, puisque les albums devenus cultes de Big Star et des Panthers Burns ne se vendaient pas. Dan et Chuck ne roulaient pas non plus sur l’or, avec leurs deux albums enregistrés à Memphis. Mais Dickinson qui avait du flair vit en Chuck Prophet l’un de ces guitaristes exceptionnels qui pouvait rivaliser d’aisance avec Charlie Freeman.

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    Enregistré au studio Ardent de Memphis, The Killer Inside Me date de 1987, ce qui ne nous rajeunit pas. Dès «Clarksville», Chuck Prophet fait des siennes en balançant un solo de Télé-stromboli bien tortillé. Le problème c’est que Dan Stuart chante d’une voix trop affectée et massacre pas mal de morceaux. On ne s’habitue pas à sa voix trop ingrate. Dans «Jamie», il tente de faire du Neil Young en jouant la carte de l’affect, mais non, ça ne marche pas. Chuck Prophet passe un solo acide au clair de la lune dans «WhisperingWind» et s’installe dans une sorte de halo supérieur. Ils basculent enfin dans le Memphis Sound avec un «Ghost Hand» embarqué à la guitare et pulsé à la stand-up. Dickinson y concocte un son fouillé, légèrement apoplectique et sature la batterie d’écho. Il joue aussi sur «Sorry Noami», sous le nom d’East Memphis Slim. Dan Stuart réapparaît en B pour patauger tragiquement dans l’Americana de carte postale. On note aussi une certaine faiblesse compositale, ce qui n’arrange rien. Chuck Prophet tente de sauver l’album en prodiguant vite fait des soins au morceau titre, sous la forme d’un space solo déterminant, et hop, terminus. Tout le monde descend.

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    Un an plus tard, ils reviennent à Memphis enregistrer Here Come The Snakes avec Dickinson et Roland Janes. Cette fois ils vont plus sur la Stonesy, avec un cut comme «Keith Can’t Read». Le pauvre Dan Stuart se prend pour Jagger, mais heureusement, Chuck Prophet claque ses chords avec classe - cling-a-clong - Il connaît le coup des allers et retours, c’est même affolant de keeferie contenue et du coup, on comprend que la star dans cette histoire, c’est Chuckeef et sa chuggling guitar. On entend Rene Coman jouer une belle ligne de basse sur «Rock’n’Roll Disease», et comme Dickinson produit, elle remonte bien dans le mix. Bienvenue dans le boogie des marais avec «Zombie For Love», un truc épais et admirable de grandeur vermoulue. Chuck Prophet fait le show en attaquant le thème en vrai Télé-boy. On a là le heavy Memphis groove avec Dickinson à la batterie. Quelle purée ! Chuck Prophet joue «Change» à outrance, comme le jouerait Steve Cropper. Encore un cut qu’on accueille à bras ouverts. Si on aime bien Dickinson, alors il faut écouter cet album attentivement. Retour au heavy groove de Memphis avec «Tenderloin» et dans «DT Blues», si mal chanté mais saturé de son. Ils font là le «Signed DC» de Love et diable comme Chuck Prophet joue bien, il explose la saturation, il va loin, bien au-delà de ce qu’on imagine. On trouve un disk entier de bonus dans la réédition de 2005, et c’est comme dans les coffrets de Big Star, ça grouille de surprises. Ouverture du bal avec «Fuzzy Mama». Chuck Prophet y sort le grand jeu, il joue de l’acid-rock et Télète à outrance. On tombe plus loin sur un «Yellow House» psyché et bardé de reverb - See the yellow house - que vient fracasser Chuck Prophet avec un solo de cirque en dérapage contrôlé. Il tape dans plusieurs registres à la fois, mais en un éclair. Il faut d’ailleurs réécouter ce truc plusieurs fois pour comprendre ce qui se passe. Retour au heavy rock avec «Five Til Five». Chuck Prophet y claque ses beignets d’accords au grand jour et ça se termine en apothéose. Nouvelle version de «Change». Chuck Prophet la joue à la pire violence riffique du continent. Il faudra s’en souvenir. Green On Red ne tient par le jeu de ce guitariste surdoué. Dickinson joue du piano sur «That’s The Way That The World Goes Round», mais Dan Stuart vient ruiner le projet avec sa voix surfaite.

    Même si Dickinson n’est plus dans les parages, les autres albums de Green On Red valent aussi le détour, ne serait-ce que pour savourer le travail de l’orfèvre Prophet.

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    Gas Food Lodging est un album qui sent bon la Stonesy et en particulier «This I Know». Chuck Prophet s’y fait très présent et joue son admirable shoot les deux doigts dans le nez. Curieusement, on finit par s’habituer à la voix de Dan Stuart. On se régalera aussi du vieux groove de «That’s What Dreams Were Made For», mid-tempo chargé de Télécast. Chucky Chuckah y télécaste coast to coast at any coast. Hélas, la voix de Dan Stuart se fait trop perçante. C’est même insupportable. De son côté, Chuck Prophet n’en finit plus d’élaborer un univers sonique incroyablement complexe, il glisse des accords inconnus dans ses architectures et comme Syd Barrett, il privilégie le crystal blue. En réalité, les albums de Green On Red sont ceux de Chuck Prophet. Il joue énormément, il joue à l’excès et tisse inlassablement des trames de son clair. Il remplit même les espaces intermédiaires. Dan Stuart massacre «Black River» et Chuck Prophet refait le show dans «Hair Of The Dog». C’est joué ultra-sec. Le solo qu’il passe vaut pour modèle, au moins autant que ceux de Jeff Beck dans Beck Ola. On a encore un brin de Stonesy dans «Easy Way Out». C’est un admirable balladif d’Americana avec de faux accents de «Beautiful World» - And I said to myslef - S’ensuit un autre balladif ensorcelant, «Sixteen Ways», terriblement joué et chanté à la Stuart. On finit par se laisser convaincre. D’autant que Télé-boy finit toujours par l’emporter. Il tente de sauver «The Drifter» trop mal chanté. Il part en solo d’aventure à la Neil Young, celui du temps béni de Weld. Justement, voilà Cortez the killer dans un «Sea Of Cortez» joué aux guitares entreprenantes et qui pourrait presque nous renvoyer à Zuma. Chuck Prophet est dans ce son. Ah il faut l’entendre partir en solo ! C’est beau, bien tiré et digne de la postérité.

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    Pas mal de son sur No Free Lunch, qui date de 1985. C’est très joué d’intro, dès «Time Ain’t Nothing». Dan Stuart pose très vite sa petite voix de nez et on a une belle compo de belle allure, un joli mid-tempo alerte et fier, bien nappé d’orgue par Cacavas. Que peut-on souhaiter de plus ? C’est excellent, très intentionnel et fermement orienté vers l’avenir. Chucky Chuckah y passe un solo de country rock d’une dépouille exemplaire. Il claque «Ballad Of Guy Fawkes» à coups d’acou puis s’en vient délayer quelques tortillettes à la suite. S’il joue un solo, ici, ce sera un solo vautour perdu dans le désert. En B, il vient hanter «(Gee Ain’t It Funny How) Time Sleeps Away)», en pur filigraneur. Il joue tout au bon vouloir de la note claire et le pauvre Dan Stuart redevient insupportable dans «Jimmy Boy», avec sa voix qui ne se pose pas, ni du côté de Neil Young, ni du côté de Dylan. Son nasillard perçant le rend profondément antipathique. On irait même jusqu’à croire que c’est délibéré. Encore un joli mid-tempo d’allure martiale avec «Keep On Moving». C’est là où ce groupe bizarre redevient irrésistible. D’autant que Chucky Chuckah joue avec une authentique distinction. Il balance l’un de ces solos lumineux dont il a le secret. On ne se lasse pas de ce guitar slinger.

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    Belle pochette pour This Time Around : un mec montre son tatouage de cave de HLM sur l’intérieur de l’avant-bras : «Born to lose». Joli programme. Le dos de pochette nous indique que les cuts sont enregistrés live in London. L’info importante c’est que Rene Coman joue de la stand-up, et pour un architecte de génie comme Chuck Prophet, c’est une aubaine que d’avoir ce mec derrière lui. Mais l’album n’est pas très spectaculaire. On y trouve un vieux coup de boogie, «Rev Luther», you know what I’m talking about, mais on passe à travers toute l’A et même à travers toute la B. Dommage, car Chucky Chuckah fait des merveilles dans son coin, il joue des solos étincelants, mais il est à l’arrière du mix, ce qui constitue une très grave erreur. On note aussi sur cet album la présence de Spooner Oldham. Mais globalement, This Time Around ne vaut pas tripette. On peut donc passer son chemin.

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    Al Kooper produit Scapegoats. On y entend donc beaucoup d’orgue Hammond, notamment dans cette beautiful song qu’est «Hector’s Soul». C’est tout simplement bardé d’horizons. - Dreaming is for losers who just can’t make it work/ Hector’s out of prison/ He’s gone bersek - et ce diable de Chuck Prophet fait tout basculer dans le vertige. Il n’existe rien d’aussi déterminant sur cette terre - Death by suffocation/ Get close everyday - L’autre merveille de cet album s’appelle «Shed A Tear». Nous voilà à Nogales, du côté de chez Sahm. Quel fabuleux strutting ! Ça sonne comme la meilleure Americana du midwest. Chuck Prophet joue comme un cowboy déluré - So I’ll buy you a beer/ And we’ll shed a tear for the lonesome - L’«A Guy Like Me» d’ouverture sonne très dylanesque avec ses nappes d’orgue. Chuck Prophet en profite pour faire claquer ses notes au grand jour. Quelle délectation ! Tout l’album baigne dans une ambiance d’Americana exceptionnelle. Chuck Prophet gratte tout en picking des Appalaches et Dan Stuart promène son cul sur les remparts de Varsovie. On a aussi un «Cold In The Graveyard» claqué aux accords de rock anglais - I ain’t here for the money honey - Chuck Prophet y bat tous les records d’élégance. Et quand il part en solo, ça devient très sérieux. Il taille dans le lard d’une grande envolée. Avec «Blowfly», ils s’offrent tous les luxes du Deep South, notamment les cuivres. Puis Dan Stuart joue lead sur «Sun Goes Down». On sent le laborieux. D’ailleurs, toute la magie de Chuck Prophet y brille par son absence. Quand on écoute «Baby Loves Her Gun», on entend le tempo de la mort qui approche. On n’imagine pas à quel point la mort peut approcher lentement - Baby not so fast/ She likes to take it slow.

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    Paru en 1992, Too Much Fun est le dernier album de Green On Red. Sacré son, et ce dès «She’s All Mine». Ça Télécaste aussitôt sous la mèche. Quel curieux mélange de chant mitigé et d’élégance guitaristique ! Mais ça passe comme une lettre à la poste, d’autant que derrière on a un joli beat et une belle basse. Les gros trucs se trouvent en fin d’album. Chuck joue «Man Needs Woman» à la réverb, c’est plein de sides of heaven et de crystal clear. Puis il se fâche un peu avec «Sweetest Thing», gros heavy rock de Télé. Chuck nous gratte de très bons accords, on peut lui faire confiance pour ça. C’est du solide. Il sait parfaitement provoquer la venue des choses. On ne résiste pas au charme de son boogie. Pure merveille que ce «Hands And Knees», un balladif qui semble cousu au premier abord et que Chuck Télécaste. Il y met toute sa grandeur d’âme et gratte le thème à la manière d’un génie bienveillant. Oui, il veille sur le destin de Green On Red. Et puis on tombe sur une incroyable surprise : avec «Rainy Days & Mondays», Dan Stuart se prend pour John Lennon. Voilà qu’ils se fondent tous les deux dans les Beatles. Ou encore dans Mercury Rev ou Gram Parsons, c’est comme on veut. En tous les cas, ils se fondent dans quelque chose d’extrêmement puissant. Oh il faut aussi écouter «Love Is Insane», car Chuck y wha-whate le groove et un solo de trompette free vient clore ce débat qui porte sur l’insanité de l’amour. Ils basculent aussi dans la pop avec «The Getaway». Ils le font au mieux des possibilités, d’autant que le Prophet vient miraculer l’ambiance et que Dan Stuart lâche des hey hey hey parfaitement languides. On croirait entendre George Harrison.

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    Si on aime entendre jouer ce Télé-boy surdoué qu’est Chuck Prophet, alors il faut se jeter sur les BBC Sessions. Tout y est joué, Télécasté, enrichi, fouillé de bout en bout. C’est un son très américain. Chuck Prophet sort le grand jeu dans «DT Blues», sosie-blues du fameux «Signed DC» de Love. On peut même dire qu’il joue le blues comme un dieu. Ah ces mecs savent monter un coup. «Fading Away» est là pour le prouver. Quel souffle ! Ce beau diable de Chuck allume toutes les figures de style une à une. Ils tapent ensuite dans la good-time music d’Amérique avec «Reverend Luther». Voilà, c’est toute la différence avec les Anglais, ils savent swinguer un shuffle de petite motion picture et Chuck joue les interventionnistes. On tombe plus loin sur une puissante version d’«Hair Of The Dog». Chuck y fait un festival. Il faut entendre son solo spatial ! On retrouve aussi le fameux «Zombie For Love» monté sur un vieux beat de type Mungo Jerry. Et derrière, ce démon de Chuck joue au clair de la lune. Chaque fois, quelque soit le style du cut, il taille des petits solos circonspects qui forcent l’admiration. Ce mec a tellement de talent qu’il peut varier les genres, comme sait si bien le faire Dick Taylor. Par contre, Dan Stuart ne rate pas une seule occasion de ruiner les cuts, comme c’est le cas avec «Sun Goes Down». Il ruine le blues. Il chante si mal que c’en est insultant. Heureusement, Télé-boy veille au grain. Il fait aussi son petit bonhomme de chemin dans «Frozen In The Headlights» et chucky chuckate l’effarant «Too Much Fun». On a chaque fois l’impression que Chucky-chuckah aménage un lit pour Dan Stuart. Qu’il lui met des draps propres pour qu’il s’y sente bien. Ils terminent avec une belle version de «Man Needs Woman». On ne se lassera jamais d’entendre ce Télé-boy. On l’entend remonter dans le son comme un saumon, il claque du Télé cast coast to coast et le pauvre Dan chante comme il peut. Sans Chuck, il est cuit. Dans le petit texte d’accompagnement, Dan Stuart indique que la rencontre avec John Peel ne s’est pas bien passée - I told him that if he did a session with us I would go down on him. What followed was a look of total horror (Je lui ai dit que s’il faisait une session avec nous je lui taillerais une pipe. Il m’a jeté un regard horrifié) - Ce manque de respect pour John Peel choque un peu, d’autant que Stuart conclut sur une note parfaitement méprisante : il traite Peely de hamster dans sa cage à vinyles.

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    Chuck Prophet enregistre deux albums avec Dickinson : Raisins In The Sun et Thousand Footprints In The Sand. Le premier paraît sur Rounder en 2001 et il vaut sacrément le détour, ne serait-ce que pour l’infernale version de «Stingbean». Voilà du pur jus d’Hooky boogie boogah scandé au c’mon c’mon c’mon et joué au heavy beat musculeux. Dickinson et Chuck Prophet chantent ensemble - Hey my heart concedes - Harvey Brooks est de la partie, d’où le son. Avec cet album, on se retrouve dans les meilleures conditions du Memphis Beat. Chuck Prophet fait le show dans «Old Times Again» et Dickinson joue comme Chopin sur son piano. Ils passent au r’n’b avec «Candy From A Stranger» et Harvey Brooks cuts it sharp. Nous voilà chez Stax et ce diable de Chuck Prophet chante à gorge déployée. Dickinson envoie des chœurs pas très catholiques. Il fait même le aw aw aw de l’alligator. Avec «Post Apocalyptic Observation», ils passent au garage, mais pas n’importe quel garage, celui de Memphis. Pure énormité - I won’t be carrying another/ Load - Wow ! Ils parviennent tout juste à se calmer avec «You Can Let Go Now». Chuck Prophet chante à la traînarderie et ramène des phrasés de guitare retardataires incroyablement juteux. C’est pour ça qu’il faut l’écouter. Il n’en finit plus de surprendre. Retour au boogie de Memphis avec «Chicken Fried». Ils sont tout simplement effarants de classe. Avec Brooks on bass, ça ne peut que ruer dans le rumble. Puis Dickinson chante l’un de ces balladifs dont il a le secret, «Nobody Loses» et ajoute ainsi un pierre blanche à la légende.

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    Thousand Footprints In The Sand est sorti sur Curdoroy, puis sur Last Call en 1997. Le groupe s’appelle Jim Dickinson And The Creatures Of Habit. Il est important de rappeler que sans Patrick Mathé et New Rose, nous n’aurions pas la possibilité d’écouter les disques exceptionnels de Jim Dickinson et d’autres figures de proue de la Memphis scene. Attention, ce n’est pas à proprement parler un album de rock. Dickinson adore taper dans les chants traditionnels. Au dos du pressage Curdoroy, Stanley Booth dresse une belle apologie de Dickinson. Il le compare à Dylan. Les deux hommes ont en commun le souci du contenu. Il est vrai qu’on ne va pas loin sans contenu. On s’en doute, Chuck Prophet joue comme un dieu sur cet album live qui s’ouvre sur une belle version de «Money Talks», un hit signé Sir Mac Rice. Dickinson chante au pur guttural. Il enchaîne avec un vieux standard de J.B. Lenoir, «Down In Mississippi». Il rend hommage à Furry Lewis, l’âme du blues de Memphis, puis à Dan Penn, avec «Pain And Stain», une chanson tiré de l’album ‘which never came out’, nous dit Dickinson, le fameux Emmet The Singing Ranger Live In The Woods. Il ajoute : «Ry Cooder said it was the best Dan Penn record.» Et dans l’un de ces grands moments d’humilité qui le caractérise, il lance : «I can’t sing like Dan Penn but use your imagination.» La B se veut radicalement country et on tombe sur une belle pièce de chevauchée sauvage, «Wildwood Boys» dans laquelle il raconte comment les gars du Missouri sont allés se battre contre l’Union pendant la guerre de Sécession - High-riding rebs from Missouri/ We rode for the great Quantrill/ Caught up by the battle and fury/ Back when just livin’ was hell - et qui après la guerre continuent de faire ce qu’ils savaient faire, c’est-à-dire chevaucher en bande et vivre dans les bois. Ils se mettent donc à attaquer des trains et des banques. C’est chanté avec une morgue extraordinaire et Jim Dickinson sort ses petites leçons de morale - The victory it goes to the strongest/ And only the strong will survive/ Survival is living the longest/ But nobody gets out alive - oui, les plus forts survivent, mais la moralité est sauve puisque tout le monde finit par casser sa pipe. Il clôt ce bel album avec une reprise spectaculaire du «Rocking Daddy» d’Eddy Bond, popularisé par Sonny Fisher - Well I’m rocking down in Tennessee - C’est swingué avec une rare sévérité.

    Signé : Cazengler, prophêtard

    Green On Red. Gas Food Lodging. Enigma Records 1985

    Green On Red. No Free Lunch. Mercury 1985

    Green On Red. The Killer Inside Me. Phonogram 1987

    Green On Red. Here Come The Snakes. 2CD set. Interstate Records 2005

    Green On Red. This Time Around. Off-Beat Records 1989

    Green On Red. Scapegoats. China Records 1991

    Green On Red. Too Much Fun. China Records 1992

    Green On Red. BBC Sessions. Cooking Vinyl 2007

    Raisins In The Sun. Evangeline 2001

    Jim Dickinson and the Creatures of Habit. Thousand Footprints in the Sand. Curdoroy 1992

    04 / 02 / 2018MONTREUIL

    LA COMEDIA

    RELEASE PARTY BLUE VOID et TCP

    ORGANISE PAR SOCIAL CRASH

    KOMTWA / TABULA RAZA

    CRUCIFIED PINGUINS / BLUE VOID

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    Direction La Comedia plein d'appréhension. Dimanche soir, pourvu que ne se répète pas le coup du punk basque, annonce du concert annulé pendant que la teuf-teuf volait sur la route, et un Montreuil quasi-désertique... Mais non, tout est bien qui commence bien. Comedia toute chaude et accueillante...

    KOMTWA

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    Ne pas confondre avec une pendule comtoise. Beaucoup plus méchant et éruptif. Du punk brut, sans décoffrage. Pouvez vous resservir des planches pour votre cercueil. Parce que Kwontat, ils n'en ont rien à foutre. C'est leur hymne, leur slogan préféré celui qu'ils feront incruster en lettres d'or dans la cuvette de leur WC. Massacre sans tronçonneuse mais à la batterie. Celui qui a passé les deux baguettes à ses doigts c'est le Mat, on ne lui jamais appris qu'il n'était pas en train de conduire une débroussailleuse, et c'est tant mieux. Car c'est un régal pour vos tympans. Ne fait pas les demi-toms ni dans la caisse trop claire, donne plutôt dans le style avalanche grondeuse et pales d'hélicoptères en furie. Un tournoiement sans fin. L'emporte tout dans son mouvement. Le Gal gratte et le Guzz gaze à la basse. Rien à faire sont emportés par le courant aspirant. Se démènent sur le marche-pied mais ils n'y peuvent rien, la musique est la proie d'une bactterie tueuse qui fonce vers les murs et les traverse sans s'en apercevoir. Cyclônotron infernal. A peine croyable, mais ils possèdent un chanteur. Vous vous demandez comment il parviendra à placer sa voix dans le capharnaüm sonore. Dans un premier temps vous remarquez qu'il s'est affublé d'un kilt à motifs vert et noir, vous tombez dans les réflexions machistes, les gars qui passent à trois cents à l'heure, ils vont freiner sec pour lui faire une place sur la banquette arrière. Le coup de l'auto-stoppeuse. Ben, non, le Gui s'adjuge la première place, au volant, dès qu'il ouvre la bouche. Peuvent rouler les potards sur le 124 les copains, lui il rugit plus fort. L'en a rien à foutre, mais à la manière dont il le déclare urbi et orbi vous êtes obligés de le croire sur parole. Ce n'est plus de la provocation mais de la profession philosophique. Une weltanschauung – comme l'écrivent les allemands – une vision cosmique, la proclamation de l'entéléchie punkoséïdale. Remarquez que le message passe mal, parce que vous, l'auditeur innocent, vous n'en avez pas rien à foudre du set de Komtwa. Le genre d'apéritif au cube des plus énergétiques. En plus la pendule komtwaque vous n'avez pas besoin de la remonter. Les voisins seront obligés de la détruire à coups de hache s'ils veulent dormir la nuit.

    TABULA RAZA

    Du passé faisons Tabula Raza. Moins de bruit, davantage de speed. Triangle de base – basse, batterie, guitare – affûté. Quelque part plus près de Steve Jones que de Sid Vicious. Refus du nihilisme dadaïste. Des politiques qui privilégient le sens et l'action directe. Des titres qui ne laissent aucune place au doute rongeur. En las Calles, Rapport de Force, Nouvelles Barricades. Ne donnent pas dans le consensus mou. Orientés à l'étamine noire. Drapé dans son perfecto, le chanteur n'hésite pas à lancer fièrement l'adage kropotkinien, A chacun selon ses nécessités, de chacun selon ses possibilités, un principe d'entraide de production et de consommation qui ne s'apprend pas sur les bancs de l'ENA. Musique fuselée et concepts bulldozers. Faut de tout pour détruire le vieux monde. Qui non seulement n'en finit pas de mourir mais qui de surcroît se porte comme un charme. Tabula Raza pousse à la roue. Rock torride et colère déployée. Ne confondent pas la communication avec le message. Des mots explosifs qui vous réduisent en poudre. Noire.

    CRUCIFIED PINGUINS

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    Durant la mise en place, z'avaient tout pour se faire aimer. La guitare de Clément froufroutant dans le blues, une autre, celle de Grégoire, difficile à tenir en laisse mais jappant comme un mâtin furieux qui s'en prend à votre postérieur, une batterie météorique, que demander de plus, qu'ils commencent au plus vite. Promettaient beaucoup mais choisirent les sentes de l'humour. Pas noir, l'absurde. Clément perdant un temps infini entre deux morceaux à des vannes vaseuses qui cassèrent le rythme du set. Je l'avoue les Pinguins m'ont un peu crucified. Veux bien entendre les phénomènes de distanciation, épiloguer sur l'auto-dérision – pratique toujours un peu démago - censée empêcher l'admiration béate de l'Artiste par le fan de base, mais le rock'n'roll me semble porteur d'une urgence indispensable. Dois reconnaître que j'ai été plus mauvais public que la moyenne de l'assistance.

    BLUE VOID

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    L'ai remarquée dès que je suis entré. Mais je ne savais pas. N'étaient que trois garçons sur la scène à installer le matos et à peaufiner les derniers réglages. Et quand à la sono, le signal de départ a été donné, j'ai été tout surpris de la voir sauter sur l'estrade et se saisir du micro. Les gars ont embrayé tout de suite. Pas des charlots, parfaitement en place à la première seconde, vous ont concocté un de ces backgrounds de rêve, un de ces profilés de braise pour les soirs d'ordalie, et encore je les soupçonne de savoir faire mieux, car là ils ne jouaient pas pour eux, mais pour elle. Aux petits soins, aux petits oignons. De ceux qui vous font pleurer des larmes de joie. Ensuite ce fut le pays des merveilles. Le pays d'Alice. Toute mince, les jambes fuselées en futal noir négligemment ouvert aux genoux, une taille de guêpe, toute longue, surmontée d'un brouillard de blondeur, les bras nus, un bustier à rendre jalouse Astarté, le haut du sein gauche scotché d'une croix noire, le bras droit tatouage-maori, et puis la voix qui gomme tout ce qui précède. Haute et claire. Derrière ils affutent le raffut, mais elle plane au-dessus. Une facilité déconcertante. Une aisance à vous transformer en malade mental. L'a débuté par un avertissement un tantinet mensonger : «  L'on fait du post-punk mélodique », post-punk, je n'ose pas contrarier mais pour la mélodie, elle est envoyée à la fronde. Ou alors ce qu'elle appelle mélodie c'est sa facilité à surfer sur les octaves. This Bomb is Mine décrète-t-elle d'entrée, vous le martèle d'une voix claire comme de l'eau de roche et haute comme la tour Eiffel, mais trois morceaux plus tard sur Junk set elle growle comme une mécréante. Mais ce n'est pas tout. Car non seulement elle envoie sec, mais elle nuance à la mitraillette, elle cisèle à la hache d'abordage, elle époussette au marteau-pilon. Les guys la suivent, lui cueillent des jonquilles, lui ramassent des violettes et lui coupent des roses, à toute vitesse, Marc ne passe pas les riffs, il n'en a qu'un par morceau mais vous le fait miroiter, étinceler et chatoyer, sous tous les côtés vous l'allonge et vous le rétrécit à volonté, idem pour Julo qui élastise sa basse, jamais au-dessus, jamais au-dessous du ton de la demoiselle et quant à Léonard devint marteau à laminer l'électricité cordique il racate à la hâte. You and the Hole, Volcano Girl, Waste Virgin Clothes – titres aux lyrics prometteurs mais pour le moment on écoute que cette voix de démone imprécative. C'est du dur vocal, du pur palatal, du sûr apical, de l'envoûtement subliminal, de la folie animale. L'a mis le feu à la salle, les filles dansent devant elle comme sorcières au soir de grand sabbat. La salle acclame, brame de joie et clame sa ferveur. Un set mené sans interruption, un incendie qui brûle tout sur son passage. Seront obligés de refaire This Bomb is mine en rappel parce que le rock'n'roll est une musique qui ne supporte pas la frustration.

    ( Polaroids : Ana Hyena )

     

    SOCIAL CRASH

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    Quatre groupes et pas l'ombre de Social Crash ! Normal Social Crash est une association à but non lucratif – percevoir en cette particularité une revendication de ne pas entrer dans le circuit de la capitalisation marchande - qui regroupe une douzaine de groupes de musiques turbulentes et de collectifs d'actions existentielles dissidentes, et édite un fanzine dont nous présentons ici le Numéro 2 paru en avril 2017. C'est Social Crash qui organisait la soirée de ce dimanche 4 février.

    Diy or dye. Principe vital de survie. Les dernières pages exposent avec schémas à l'appui tout ce dont vous avez besoin de savoir pour maîtriser un minimum de technique sonore indispensable pour que la musique que vous produisez atteigne les oreilles de vos auditeurs. Indispensable si vous montez votre groupe, mais nous nous pencherons davantage sur les textes de réflexion.

    Visuellement classieux mais le déchiffrement de la police ( pas celle que personne n'aime, l'autre de caractère ) nécessite un peu d'accroche, le Futur n'a pas d'Avenir – est une réflexion de la plus grande pertinence sur l'état de décomposition des mouvances anticapitalistes dites de ''gauche''. Nous ne prendrons qu'un seul exemple parmi tous ceux passés en revue : ces discours anti-racistes qui de glissements sémantiques en approximations théoriques en arrivent à épouser des causes qui vont à l'encontre de tout effort libératoire des individus. En plein dans le collimateur ces discours racisialistes de toute une partie de l'extrême-gauche actuelle qui présentent les identités religieuses les plus conservatrices comme des actes de résistance culturelle anticapitaliste alors qu'il vaudrait mieux les considérer pour ce qu'elles sont : la perpétuation d'une acceptation de soumission à des principes de dominations politiques et économiques en totale opposition à toute volonté de libération anticapitaliste... Cinq pages de la plus grande clairvoyance, un constat amer d'un punk ( peut-être à chien ) qui se permet d'appeler un chat, un chat.

    Un article sur la nécessité de l'abstention aux élections, un autre sur les liens entre artistes et mouvements sociaux, et une présentation de Tank Girl, l'héroïne d'Alan Martin et de Jamie Hewlett qui fut l'incarnation dessinée au début des années 90 d'une figure de femme libre dans sa tête et dans son corps, aux antipodes des normatives et habituelles représentations doucereuses de la féminité, dans ces mêmes temps de naissance du mouvement Riot Grrr...l aux Etats-Unis.

    Une revue punk qui en quelques pages se révèle bien plus pertinente que les discours à l'étouffoir que nous dispensent l'ensemble de nos tristes médias culturels officiels qui se piquent d'objectivité, cet art de ne jamais aborder par le bon bout les problématiques qui fâchent.

    Damie Chad.

     

    THIS BOMB IS MINE / BLUE VOID

    ( BV02 )

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    Guitare : Marc / Voix : Alice / Bass : Julo / Drums : Léo.

    This Bomb is mine : affirmation féminine, la voix minaude toute seule haut perchée mais les guitares et la batterie la poussent dans ses retranchements et c'est la grande explication, celle qui déchire, transperce les tympans, attise la colère, s'hystérise, ne s'arrête plus jusqu'à la fin brutale comme un couperet. Nom de Zeus quelle chanteuse ! Overlead : on a compris, n'y a plus qu'à se laisser entraîner, emporter par la fougue de la demoiselle. Les gars entament une partie de tennis à trois et la balle n'en finit pas de rebondir jusqu'au bout du rock 'n'roll. Elle, elle continue comme si de rien n'était. L'en a la voix qui miaule et puis qui s'enfonce dans votre cerveau comme la lame d'une serial killer. Volcano Girl : les boys partent en douceur vibrionnante, aucune inquiétude, la zamzelle vous développe une éruption grandeur nature, chaque fois qu'elle dit '' Oh'' vous perdez votre raison. Vous en ressortez sous une pluie de cendres. Pompei girl ! Chichek : c'est la reine lézarde qui run, run, run après sa liberté. Ne vous inquiétez pas les boys accélèrent le mouvement, c'est que l'on appelle une cause gagnée.

     

    Cette trombe is mine. Blue Void passe le balai sur les araignées qui encombrent le rock museal. Un son à eux, une voix à elle, un groupe soudé comme les quatre éléments qui composent l'univers du rock : le feu de l'arrogance, le vent des colères, l'eau des désirs, les terres brûlées. Si vous tenez à laisser un témoignage de vos égarements à vos petits enfants, ce disque est pour vous.

    Damie Chad.

     

    JOHNNY LEE WILLIAMSON

    ( Blues Archive / 222068-306 / 2004 )

    THE STORY OF THE BLUES

    ( Chapter 12 )

     

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    Petit coffret de deux CD's consacré à Sonny Boy Williamson ( I ) – John Lee - que vous ne confondrez pas avec Sonny Boy Williamson ( II ) – Rice Miller... Les deux harmonicistes sont de la même génération et peut-être de la même année, 1914. Toutefois John Lee meurt assassiné en juin 1948 alors que Rice Miller n'effectue son premier enregistrement qu'en 1951. Rice Miller qui participa à l'American Folk Blues festival reste en Europe beaucoup plus connu de par ce fait. Les amateurs de british blues ont dans leur discothèque les enregistrements effectués avec les Yarbirds et les Animals.

    Chapitre 12, ce n'est pas pour rien que la série de vingt est intitulée The Story of the blues, le livret ne se contente pas de présenter la carrière de Sonny Lee, sont aussi largement évoqués les musiciens qu'il croisa ou qui participèrent à ses enregistrements comme Big Bill Broonzy, Yank Rachell ou Muddy Waters.

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    Worried Me Blues : ( Aurora, 11 janvier 1937 : Sonny Boy Williamson : vocal, harmonica / Henry Townsend & Robert Lee McCoy (? ) : guitare ) : guitares minimalistes et harmonica déchirant. Nous sommes encore près du blues rural – ado dans années vingt Sonny n'a pas écouté l'harmoniciste Hammie Nixon ( qui accompagna Sleepy John Estes ) pour rien... bizarrement c'est sa voix qui passe en force qui nous montre que le blues est en train de s'affranchir d'une certaine rusticité au profit d'une accentuation instrumentale. Black Gal Blues : ( idem ) : le blues à l'état pur, Sonny qui se met en scène, et qui fanfaronne, en parle presque, le tout entrecoupé d'éclats d'harmo qui se plantent en vous comme des échardes de bois. Frigidaire Blues : ( idem ) : fait froid dans le dos. Les cordes s'affolent et un long solo d'harmo vous ferait presque oublier les attaques vocales de Sonny Lee d'une violence rare. On se rappellera que ces morceaux sont enregistrés dans une chambre d'hôtel en des conditions rudimentaires. Suzanna Blues : ( idem ) : un déboulé d'orgue à bouche à vous faire flipper, plus loin dans le morceau Johnny vous le fera bougonner d'une bien belle façon. Toute la violence du rock est déjà là. Early in the Morning : ( idem ) : l'heure du blues par excellence, celle des petits matins blêmes, ni la voix, ni l'harmonica ne triomphent, les guitares ahanent, vous vous êtes levé du pied gauche et vous avez marché en plein sur la merde du chien. Sachez en rire pour ne pas pleurer.

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    Sugar Mama Blues : ( Aurora, 5 mai 1937 : Sonny Boy Williamson / Robert Lee Mc Coy & Big Joe Williams : guitares ) : La voix qui gueule pour mieux implorer, les guitares qui pleurent, et l'harmo qui vous a de ces sanglots à vous hérisser les poils du cul. Tout ça pour une fille, oui mais l'occasion de faire un beau boucan. Skinny Woman : ( idem ) : plus léger, les instruments comme en sourdine, même l'harmo qui picore tout doucement, pour être un harmoniciste de génie, Sonny Lee n'en reste pas moins un grand chanteur. Rien qu'aux intonations vous comprenez ce qu'il conte. My Little Cornelius : ( Aurora, 3 mars 1938 Sonny Boy Williamson / Yank Rachell : mandoline, guitar / Big Joe Williams : guitare ) : la mandoline apporte un son nouveau. Aigrelet, comme ces petits vents qui vous cueillent le matin dès que vous mettez le nez dehors. L'harmo vient y mettre son gros paquet de sel iodé. Remettez le disque vous en avez oublié d'écouter la voix. Decoration Blues : ( idem ) : peut-être pour cela que Sonny Lee hausse le chant, les instrus sont là pour le bruit de fond, ils accompagnent. Mais c'est comme dans les films d'action si vous enlevez la musique, les scènes perdent les trois-quarts de leur intérêt. You Can Lead Me : ( idem ) : les cordes qui tressautent mais la voix devant mène le train, l'harmonica sert d'épice mais à la fin tout le paquet tombe dans la marmite et ça vous brûle la gorge à vous transformer en cracheur de feu. Miss Louisa Blues : ( idem ) la voix se prolonge infiniment sur des cordes qui rampent bas dans la poussière, l'harmonica ponctue fortement puis lui aussi se met à se traîner lamentablement malgré des velléités de colère. Sunnyland : ( idem ) : bienvenue au pays de Sunny qui vous fait la réclame dans la pure tradition des medicine shows. Un dialogue s'installe, l'orchestration est là pour vous convaincre, l'harmonica en perd ses dents, puisque l'on vous affirme que vous ne trouverez rien de mieux que la poisse du blues ! I'm Tired Tucking My Blues Away : ( idem ) : rythme guilleret, pas étonnant qu'aux States ils emploient le terme de terme de country-blues, car ici vous vous croiriez dans une cour de ferme des Appalaches. Un harmo qui n'a pas toutefois la nostalgie cowboy des grands espaces. L'est aussi coloré qu'un zoot suit acheté dans Beale Street. Beauty Parlor : ( idem ) : un blues davantage dans les normes, électrifiez-moi ça vous aurez un boogie d'enfer. Presque trop bien calibré pour emporter une parfaite adhésion.

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    My Babe I've Been Your Slave : ( Aurora, 17 juin 1938 : Sony Boy Williamson / Walter Davis : guitare / Yank Rachell : speech, guitar / Big Joe Williams : guitare ) : le blues dans toute sa splendeur. Un monument. Déclamation, proclamation, les guitares qui pleurent, et Yank Rachell qui ironise par en dessous. L'harmonica se fond dans le paysage. Doggin'My Love Around : ( Chicago, 21 juillet 1939, Sony Boy Williamson / Walter Davis : piano / Big Bill Bronzy : guitare ) : un piano qui jazze en bleu par dessous, l'harmonica qui miaule, le clavier qui goutte à goutte un peu à la Memphis Slim, et toujours ces départs de voix qui claquent comme des coups de feu. Et puis qui se transforment en oraison funèbre de clergyman devant la tombe ouverte. Little Low Woman Blues : ( idem ) : l'harmo qui piaille dans des aigus à vous fendre les oreilles, le piano répand la tristesse de son baume. Il existe différente manière de vous écorcher le cœur, la voix définitive n'en est pas la moindre. Sugar Mama Blues N° 2 : ( idem ) / un peu de sucre ? Vous voulez rire, l'harmonica supplie et la voix ne la ramène pas trop, le Sonny il vous éparpille des pincées de blues à vous faire chialer des larmes indigo. Heureusement qu'il y a le beat élastique par-dessous qui vous souffle de ne pas trop le prendre au sérieux. Sachez rester flegmatique. Good Gal Blues : ( idem ) : l'accent du sud traînant ronronne et câline. La guitare s'insinue, le piano joue à l'édredon et la voix vous essaie le coup du charme. Ça doit réussir car l'harmo en rajoute un max dans les rotondités. I'm not Pleasing You : ( idem ) : apparemment ça ne marche pas à tous les coups, Walter Davis accumule les notes à se faire passer pour Chopin, la guitare trémolise doucement et le chant se fait grave, l'harmo juste pour appesantir l'atmosphère pas joyeuse. Honey Bee Blues : ( idem ) : parfait, ne manque que les Rolling Stones pour nous l'interpréter avec un poil de plus d'arrogance. L'harmo aboie comme un chien, puis il miaule comme un chat, le piano se surpasse, il imite les bosses des dromadaires, la guitare broute comme un onagre du désert et le vocal est là-dedans aussi à l'aise qu'un dompteur dans la cage aux tigres.

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    She Wass A Dreamer : ( Chicago, 2 juillet 1941 / Sonny Boy Williamson / Blind John Davis : piano : Ransom Knowling : basse ) : piano et vocal enjoués, quelques coups d'harmo, un peu de ragtime et c'est part pour un petit trot d'amour cadencé. Fougu, pêchu et bien foutu. Vous donne envie de danser. Decoration Day Blues N° 2 : ( Chicago 17 mai 1940, Joshua Althemer : piano / Fred Williams : drums ) : plus pesant, la batterie impose le pas lourd de chevaux de labour, l'harmonica enfonce sa charrue, le piano s'éparpille en mottes de terre, la voix guide l'attelage.

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    Western Union Man : ( Chicago, 4 avril 1941 : Sonny Boy Williamson / Blind John Davis : piano / Big Bill Broonzy : Guitar / William Mitchell ( ? ) : didley ) : blues classique, le frère jumeau du précédent, tellement puissant que je n'arrive pas trouver les mots même à la dixième écoute. Springtime Blues : ( idem ) : l'harmo cui-cuite tel un oiseau, le piano vous emmène en promenade, attention pas trop vite. La voix plus grave et l'harmo plus aigu. War Time Blues : ( Chicago 17 mai 1940 : Joshua Althemer : piano / Fred Williams : drum ) : scansion jazzistique, voix élastique, piano flegmatique, en contrepartie vous avez l'harmo éraillé qui semble dérailler à chaque intervention. Shoppy Drunk Blues : ( Chicago 2 juillet 1941 : Sonny Boy Williamson / Blind John Davis : piano / Ranson Knowling : basse ) : chanson gaie d'ivrogne sautillant, semble siffler les verres aussi vite qu'il souffle. Autant vous dire tout le monde est content. Nous aussi. Qui a dit que l'alcool était un fléau ! Shotgun Blues : ( Chicago, 4 avril 1941 : Sonny Boy Williamson / Blind John Davis : piano / Big Bill Broonzy : Guitar / William Mitchell ( ? ) : didley ) : en pleine forme, baston blues, pas de temps à perdre. Le genre échauffourée qui vous met en forme, vous fait circuler le sang, avec en prime l'harmo qui devient fou. New Early In The Morning : ( Chicago 17 mai 1940, Sonny Boy Williamson / Joshua Altheimer : piano / Fred Williams : drum ) : les matins se suivent et ne se ressemblent pas; pète la forme, un gai-luron qui aime la vie, vous mène un train d'enfer. You Got To Step Back : ( Chicago 02 juillet 1941, Sonny Boy Williamson / Blind John Davis : piano / Ranson Knowling : basse ) : Johnny Lee fait un concours : essaie de chanter plus rapidement que son harmonica. Sur la ligne d'arrivée faudrait une photo pour départager. Avec une guitare électrique en plus, vous seriez transportés dans les plus beaux moments du studio Sun. Un must. Drink On Little Girl : ( Chicago, 4 avril 1941 : Sonny Boy Williamson / Blind John Davis : piano / Big Bill Broonzy : Guitar / William Mitchell ( ? ) : didley ) : calmons-nous, le serpent du blues déplie ses anneaux lentement, cela permet à Big Bill de nous montrer ce qu'il sait faire en trois secondes entre deux coups d'harmonica. Blind John Davis prend sa revanche dans le second tiers du morceau. My Baby Made A Change : ( idem ) : elle est partie, pas de quoi en faire un drame non plus, fait tout ce qu'il peut pour faire pleurer son harmo, mais le piano derrière est si entraînant que personne n'y croit même lorsqu'il récite ses poèmes bien fort dans le micro. Million Years Blues : ( Chicago 02 juillet 1941, Sonny Boy Williamson / Blind John Davis : piano / Ranson Knowling : basse ) : devait avoir envie de chanter ce jour-là Sonny Lee, occupe toute l'amplitude sonore, on porte moins attention au background musical même lorsqu'il se tait, l'a raison l'a une belle voix. S'il n'avait pas été harmoniciste l'aurait quand même laissé un nom .I Been Dealing With The Devil : ( Chicago 17 mai 1940 : Sonny Boy Williamson Joshua Althemer : piano / Fred Williams : drum ) : avec le piano l'on a l'impression qu'il a plutôt dealé avec le jazz qu'avec le diable. A la réflexion, ils y mettent tant de coeur qu'on ne leur en veut pas.

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    Broken Heart Blues : ( Chicago 11 décembre 1941 : Sonny Boy Williamson /Blind John Davis : piano / Charlie McCoy : guitare / Alfred Elkins : imitation basse / Washboard Sam ) : ou le studio était défectueux ou ils ont essayé de traduire le son des vieux jug-bands, l'on se croirait dans les années vingt. A s'y tromper. She Don't Love Me That Way : ( idem ) : la même session, cake-walk et dance-party. Excellent pour se remuer le popotin dans le sens du vent. C'est qu'il souffle fort le Sonny ! Coal And Ice Man Blues : ( Chicago, 4 avril 1941 : Sonny Boy Williamson / Blind John Davis : piano / Big Bill Bronzy & Charlie McCoy: Guitare ) : l'a beau appuyé sur le champignon de l'harmo Williamson, les deux autres n'entendent pas jouer les utilités, Big bill et son acolyte ramènent leur fraise l'air de rien, tout en douceur mais terriblement efficace. Springtime Blues : ( idem ) : pourquoi l'ont-ils remise une deuxième fois ?

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    I'm Gonna Catch You Soon : ( Chicago 02 juillet 1941, Sonny Boy Williamson / Blind John Davis : piano / Ranson Knowling : basse ) : va vous l'attraper, c'est sûr, l'en est tout joyeux, tout dans la voix coquine et les instrus à l'unisson. Genre Titi et Gros-Minet. Ça claudique des plus gentiment. Blues That Made Me Drunk : ( Chicago, 30 juillet 1942 : Sonny Boy Williamson / Blind John Davis : piano / Big Bill Broonzy : guitare / Alfred Elkins : bo ) : à la vôtre, les verres se suivent et s'entrechoquent, rythme impitoyable, l'alcool le rend bavard, élocution rapide. Tournée générale ! Come On Baby And Take A walk : ( idem ) : peut-être pas sur le wild side mais sûrement jusqu'au prochain juke-joint. Tournée des grands ducs. Moonshine pour tout le monde. Chauffent encore plus qu'un alambic sur le point d'exploser. Mellow Chick Swing : ( Chicago, 28 mars 1947 : Sonny Boy Williamson / Blind John Davis : piano / Big Bill Broonzy : guitare / Willie Dixon : basse / Charles Chick Sanders : drums ) : la jonction, vous remarquez la présence de Willie Dixon un des meneurs de jeu de Chess, c'est peut-être pour cela que Broonzy nous offre son plus beau solo : hommage de la ruralité à l'urbanité ? Williamson se retient, joue du bout des dents, harmonica écornifleur.

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    Un jalon important sur la route du rock'n'roll !

    Damie Chad.

     

    ROCK FRANCAIS

    in Eléments N° 170

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    Rock is snake. Se glisse partout. Là où on ne l'attendrait pas. Pleine page sur Magma dans le dernier numéro ( 170 / Février-Mars 2018 ) d'Elements, le magazine des idées, pour la civilisation européenne. Bel hommage d'Armand Grabois au groupe le plus original du rock français. Armand Grabois est un amateur de jazz, cela se sent. Il est vrai que Christian Vander provient du jazz, mais il eut l'intelligence de réfléchir à la puissance dégagée sur scène par les groupes américains et anglais. Il ne suffisait plus d'être bon musicien, et dès la fin des années soixante, le rock parachevait sa mue la plus importante, la dextérité musicale devenait une composante – pas nécessairement essentielle – de l'impact sonore. L'une des caractéristiques les plus singulières de Magma fut le refus de s'inféoder aux patterns du blues-rock américain. A l'époque c'était un crime de lèse-majesté. Remarquons toutefois que déjà les Stooges louchaient sur le verbatim orchestral jusqu'au-boutiste de Coltrane et que King Crimson ne restait pas insensible à l'agencement structurel de la musique de chambre... Magma revendiqua l'héritage de la musique classique européenne, organisa la fusion entre jazz et expressionnisme allemand. Au jazz Magma emprunta le décrochement rythmique incessant, à Malher et quelques autres une tonitruance monumentale et lyrique. Sur scène, dès la seconde mouture du groupe, les soli de Didier Lockwood mimaient de près les attitudes et les interventions des grands instrumentistes rock. Dès le début Magma attira à lui une partie du public rock français. Faut bien avouer que face aux pitreries de Martin Circus, le choix s'imposait...

    Magma fut plus qu'un groupe. Une aventure. Intellectuelle et spirituelle. Qui dure encore aujourd'hui. Mais Armand Grabois évoque avant tout le Magma des années soixante-dix. Magma sut créer sa propre mythologie, et Magma sut être - ce à quoi très peu de groupes réussissent – fascinant. Plus près du cobra royal que du serpent minute pour gens pressés et foules ignorantes. Si le rock relève d'une culture populaire, Magma se classa d'autorité dans une orbe de haute culture, en évitant tout pédantisme. Pourtant Magma ne mâchait ni sa musique ni ses mots. S'adressait au monde – notez que je n'ai pas écrit à son public - d'une manière comminatoire et, comble de l'arrogance, finit par ne plus édicter, vaticiner et prophétiser qu'en kobaïen un étrange langage forgé dans l'atelier des titans. Magma savait se rendre odieux. C'est ainsi que les fans vous reconnaissent. Un des grands secrets de l'intolérance rock'n'roll.

    En sa présentation Armand Grabois n'est pas exempt d'un parti-pris somptuairement élitiste – d'ailleurs de plain-pied avec l'univers du groupe – mais qui gomme quelque peu les rebelles aspects de l'habitus rock.

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    Changement de programme dans la rubrique cinéma. De Magma l'on passe à Johnny Hallyday. Pas le chanteur, l'acteur. Ludovic Malbreil nous épargne la filmographie complète. S'attarde sur les gros plans. Ceux qui nous montrent Johnny Hallyday de si près que le masque de l'acteur s'efface au profit de la gueule de l'homme. Cinématographiquement Johnny a tourné beaucoup de navets, pas mal de films ratés et deux ou trois pellicules culte. Je vous laisse établir vos listes personnelles. Ludovic Malbreil s'attarde sur les moments révélateurs de la lanterne magique. Ceux où l'acteur approximatif devient l'incarnation animale de notre modernité. Cinéma-Frankenstein se joue de ses acteurs, parfois la créature refuse de se laisser manipuler. Cela ne dure pas longtemps mais ces plans de quelques secondes nous servent de miroir éternels. Un bel hommage rendu à Johnny, très différent de ce vous trouvez dans les autres magazines.

    Damie Chad.