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  • CHRONIQUES DE POURPRE 671 : KR'TNT ! 671 :JESUS AND MARY CHAIN / HARLEM GOSPEL TRAVELERS / TINDERSTICKS / DAMNED / BOBBY PATTERSON / SPUNYBOYS / THE RED CLAY STRAYS / THUMOS / EMMANUEL LASCOUX

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    LIVRAISON 671

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    26 / 12 / 2024

     

    JESUS AND MARY CHAIN / HARLEM GOSPEL TRAVELERS

    TINDERSTICKS / DAMNED / BOBBY PATTERSON

    SPUNYBOYS / THE RED CLAY STRAYS

    THUMOS / EMMANUEL LASCOUX

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 671

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    Wizards & True Stars

    - The wind cries Mary Chain

    (Part Four)

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             La parution d’une autobio des frères Reid bat tous les records d’inespérette. L’événement revêt un aspect particulièrement significatif, car il s’agit d’un retour aux sources. Tu bois les paroles des frères Reid à la source, comme ce fut le cas avec Iggy dans Total Chaos. Plus de filtres, plus d’intermédiaires, plus d’articles douteux dans la presse, tu t’assois dans ton fauteuil, tu installes ce beau pavé entre tes mains moites et les frères Reid te parlent. Oui, ils te parlent à toi, pauvre pêcheur, et tu vis ça comme une sorte de privilège. L’essence d’une autobio, quand elle est réussie, est la proximité. Ce bon book t’apporte cette certitude. Ce sont leurs vrais mots, leur vraie voix, leur vrai humour. Et comme le premier à te parler de The Jesus & Mary Chain fut Jean-Yves (qui dans ces mid-eighties venait de se faire teindre les cheveux en rouge-orangé), alors ces retrouvailles avec le groupe relèvent du sacré.

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             Never Understood - The Jesus & Mary Chain fait 300 pages. Bonne couve, bon choix de papier, bon équilibre typo, un cahier central d’images, mais pas trop, et l’arme secrète du book est sa conception : il s’agit d’une oral history, Jim et William Reid racontent leur histoire, chacun à leur tour, et ça donne vie au book. D’où ce sentiment de proximité. Les frères McDonald ont utilisé le même procédé pour raconter leur histoire (Now You’re One Of Us - The Incredible Story of Redd Kross). Jim et William n’ont pas le même style. Jim qui est le cadet va plus sur le narratif pur et dur. William préfère la singularité et n’hésite pas à digresser pour éclairer à sa façon. Personnage fascinant. Mais ça on le savait déjà, grâce à ses compos.

             C’est Jim qui rappelle qu’avant toute chose, ils sont frères - We were misfits clinging together, It was us against the world, and it felt like we’d be that way for life - Dès le début, ils se considèrent comme des outsiders, et c’est ce qui va faire leur grandeur, comme elle a fait celles des Stooges et du Velvet. Comme tous les frères, ils passent leur temps à se chamailler, mais jamais quand il s’agissait d’art ou de musique, car ils se passionnaient pour les mêmes choses. William redit tout cela à sa façon, qui est prodigieusement espiègle : «Me and Jim were the elite, at least in our own minds. In the eighties, we used to feel like our joint opinion was the best opinion in the world, and sometimes we were right.» William revient aussi sur l’histoire des crédits des chansons, il rappelle que Jim a composé «Upside Down» et «Never Understand», mais quand dans le backstage, les gens félicitaient Jim pour «Reverence», William attendait que Jim corrige le tir, «but it seemed like he never did», et il met ça sur le compte de la coke - It’s not a drug that makes people inclined to share the credit - Tout n’est pas rose chez les frères Reid, comme d’ailleurs dans la plupart des fratries.

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             Côté roots, les frères Reid nagent dans l’opulence. Petit, William s’éprend pour les Beach Boys - an engine of sunshine - et il ajoute ça : «My mind opened up like a flower when I listened to them, but most of all it was the Beatles I grew up with.» Et dans la même page, il révèle qu’il a 64 balais at the time of writing, et il affirme qu’il va continuer, I’m always gonna make music, mais il se demande qui sera son public, just old men and women ? Eh oui, William, c’est ce qui te pend au nez. À l’Élysée Montmartre, la dernière fois, la moyenne d’âge semblait singulièrement élevée.

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             Anyway, les frères Reid sont tellement pauvres quand ils sont petits qu’ils n’ont même pas de tourne-disques. Alors ils vont chez des voisins écouter les Beatles et Bob Dylan. Puis en 1971, Ma & Da achètent enfin un tourne-disques, et pour Noël, William reçoit son premier cadeau, un single de Cher, «Gypsies Tramps & Thieves», suivi de «Without You» d’Harry Nilsson - Who I still think is a fucking genius - Pour Jim, en 1972-73, «Slade was the best band in the world», mais il dit que William en pinçait plus pour Bowie. William se souvient d’un copain d’école, Robert McArthur que tout le monde haïssait à cause de ses cheveux gras et de son big nose, mais Gawd, McArthur avait the Velvet Underground banana record, «and the first time I saw the cover of the Stooges was through him.» Alors William lui demande «What’s this?», et McArthur lui répond «This is Andy Warhol’s The Velvet Underground» et «This is Iggy and the Stooges.» William avoue qu’il ne comprendra que cinq ou dix ans plus tard, «when I was dancing round my bedroom to these records.» Jim, toujours plus linéaire dans son narratif, récapitule, d’abord les Beatles, puis le glam, puis le punk-rock et enfin le Velvet. Pour Jim, le Velvet banana «is the best record I’ve ever heard in my life and nothing else matters.» Puis il flashe sur Raw Power en 1977. Jim écoute Raw Power dans la piaule, «with dad shouting up the stairs ‘Turn that fucking racket down’.» Les deux frères passent leur temps à parler de musique, surtout de punk-rock. Ils en pincent particulièrement pour Suicide. Plus tard, ils vont en pincer pour les Orange Juice de Glasgow - They made amazing music - William cite aussi les Fire Engines d’Edimbourg - They still made a couple of my favourite records - Il cite «Candyskin» en particulier. Il dit même qu’il va l’emmener sur l’île déserte. Et William étend son cercle : «As well as the Pistols, The Clash and Subway Sect, there were The Velvet Undergound, The Thirteen Floor Elevators, Love and The Seeds.»  

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            Pas étonnant que les petits Jesus soient devenus ce qu’ils sont devenus, un cult band. Des princes du real deal. L’infaillibilité des choses plonge ses racines dans les disques cultes, c’est une évidence qui s’impose une fois de plus. On va retrouver le même processus dans l’autobio de Steve Wynn, comme on l’a retrouvé dans celle des frères McDonald.

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             William rappelle à plusieurs reprises qu’ils étaient très pauvres et que pour écouter les cuts qu’il aimait, il les enregistrait à la radio sur des cassettes - I used to buy boxes of ten awful cassettes for 99p to tape songs off the top 40 at my friend’s house - Il rappelle aussi que ce n’était pas évident de se cultiver à East Kilbride, en banlieue de Glasgow, parce que le seul film qu’on pouvait voir au cinéma d’East Kilbride, c’était Star Wars, «but I didn’t want to see Star Wars.» Un peu plus loin, Jim dit qu’on passait aussi Rambo au cinoche d’East Kilbride, «and it felt like everybody liked it except us.» Ouf, enfin quelqu’un qui trouve tout ça nul ! À la bibliothèque municipale, William découvre Can et Savador Dali. Il flashe aussi sur Lenny Bruce, qu’il trouve aussi rock’n’roll que Marlon Brando, James Dean, Andy Warhol et William Burroughs - I don’t know about you, but I include them all in the rock’n’roll family - Puis il cite Bryon Gysin, précisant au passage qu’il ne sait pas comment se prononce son nom, ne l’ayant jamais entendu prononcé par quiconque. Seulement lu. Puis William poursuit sa réflexion, et à travers tous les exemples qu’il cite, il commence à se dire qu’il n’est pas obligé de bosser à l’usine ou dans un fucking bureau, et il pense même qu’on peut survivre sa vie entière en restant créatif, quel que soit le domaine d’expression - You don’t have to lie in a pit of dispair, which at that point looked to be our only option - Et bien sûr, c’est le punk-rock qui leur montre la voie. Arrivent les Pistols et John Peel - Il passait une vingtaine de cuts que tu ne voudrais jamais ré-entendre et soudain il en passait un that would completely hook you - William ne rate pas une si belle occasion de rappeler le rôle qu’a joué Peely dans l’éducation des kids britanniques.

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             Jim rend un bel hommage à Johnny Rotten - Then he was everything we wanted to be - même si après, il s’est un peu perdu - He’s become a caricature of himself, like Morrisey - Jim ajoute plus loin qu’il n’était pas vraiment fan des Jam - I’m still not, to be honest - Il préfère nettement les Rezillos - That was a much better night out - Il se dit surtout fier d’avoir invité Fay Fife 45 ans plus tard sur l’enregistrement de Glasgow Eyes. Jim adore aussi Subway Sect et What’s The Matter Boy. Et l’un des meilleurs concerts qu’il dit avoir vu fut Buzzcocks at the Glasgow Apollo, à l’automne 1979, avec Joy Division en première partie. En fait, William explique que lui et Jim ont flashé sur Joy Division parce qu’ils étaient «so fucking uncomplicated and yet the whole thing was incredibly powerful.» Même chose avec Public Image - a great drum sound and incredibly simple bass and guitar sounds that made up this huge complex thing - Il trouve Jah Wobble et Keith Levene «talented to the level of genius». Jim dit qu’il est aussi allé voir les Cure à la même époque et qu’il s’est endormi pendant le concert.

             Côté dope, ils démarrent de bonne heure avec les magic mushrooms, surtout Douglas Hart et Jim. Jim rappelle qu’on en trouvait partout à East Kilbride et espère que c’est encore le cas. Jim aime bien se rappeler ses trips avec Douglas. Un jour, ils sont assis et ne se sentent pas bien. Ils commencent à croire qu’ils se sont empoisonnés et soudain, Jim dit à Douglas : «Wow Douglas, you’re glowing.» Jim avoue aussi qu’il a besoin d’être stoned pour approcher les filles, alors il va s’en donner à cœur joie - alcohol and cocaine were lying in wait for me - et de se trouver dans un groupe n’allait rien arranger. Plus loin, Jim évoque l’ecstasy, a lot of good times, mais au bout du compte, «it changed our brain chemistry in a negative way.» William compare les effets des drogues par rapport à la musique : avec le LSD c’est bien pendant quelques minutes, après ça se barre en sucette, avec les magic mushrooms, on tient une heure avant que ça ne se barre aussi en sucette, mais l’ecstasy «is probably the best drug in terms of being complementary to music, in that it just pounds the songs into your fucking brain.» Et William conclut en rappelant que, comme beaucoup de gens à l’époque, ils subissaient des dépressions qui pouvaient durer des semaines entières. Aussi recommande-t-il de ne pas approcher ces machins-là.

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             Saluons le style des deux frères. Jim dit à un moment que Laurence Verfaillie «would become the girlfriend who helped me make the transition from scruffy herbert to international gallery-going sophisticate.» Pas question de se prendre au sérieux. Encore faut-il savoir le dire.

             Quand William annonce à ses parents qu’il va quitter son job de misère pour faire du rock, ses parents poussent des hurlements, surtout que William, toujours un peu provocateur, leur dit : «This man in the bondage trousers has shown me the way.» Comment voulez-vous que des parents ultra pauvres de la banlieue de Glasgow y comprennent quelque chose ?

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             Les frères Reid tiennent bon. Ils vont former un groupe. Jim dit qu’ils sont fans de garage rock and sixties pop, mais il se demande pourquoi avant eux personne n’avait pensé à ça : «to put the most offensive, loud, screaming guitars over the top of the bittersweet melodies of The Shangri-Las.» C’est la grande idée des frères Reid. Jim qualifie l’idée de vision. Et il a raison.

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             La pauvreté. Parlons-en. Quand leur père est viré de son job à l’usine, il reçoit une indemnité. Alors il leur file three hundred quid each, 300 balles à chacun. C’est pas non plus une fortune.  Il pense que ses fils vont s’acheter une mobylette et se payer quelques leçons pour passer leur permis. Pas du tout ! Ils se payent un Portastudio, c’est-à-dire un Tascam quatre pistes rudimentaire. Leur père n’en revient pas. Il est même choqué. Un tape recorder ? Mais c’est avec le Portastudio qu’ils vont démarrer. Ils enregistrent des four-track demos et ce seront les cuts de Psychocandy. William s’achète une Gretsch Tennessean et une «Shin-ei fuzz pedal for a tenner». Et Jim te balance ça qui vaut pour parole d’évangile : «The Gretsch Tennessean, the Shin-ei pedal and the Portastudio from my dad’s redudancy payment, that was our roadmap out of hell.» Évidemment, dad ne va jamais retrouver de boulot. Ce qui va le détruire socialement.

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             Puis les frères Reid voient Kid Creole en couverture du NME - We thought ‘fuck this!’ We are not going to have this, we are going to start a band to get rid of this kind of shite! - Mais ils doivent d’abord se mettre d’accord entre eux. Jim ne voulait pas être le chanteur au départ - We basically had a big fight about who was gonna sing and he (Jim) lost - Ils ont joué à pile ou face - William won. I was the singer - Mais pour Jim, c’est pas évident. Il se dit l’être le plus timide du monde. Il va souvent tourner le dos au public, comme à l’Élysée Montmartre dans les années 80.

             C’est William qui propose le nom du groupe : «Oh what about The Jesus and Mary Chain?», et Jim lui répond : «That’s fucking brillant.» C’est en effet un nom original. Personne ne dira le contraire.

             Bon, le plus gros reste à faire. Ils ont un nom, des cuts, un son. Il faut maintenant trouver tout le reste : un batteur, un bassman, un label, un manager et des concerts. Pas si simple quand on sort d’un HLM de la banlieue de Glasgow. Ils jouent une première fois à Glasgow, branchent leurs guitares - It was just screeching feedback that filled the room - Ils ont quelques reprises, «Ambition» de Subway Sect, «Love Battery» de Buzzcocks, et «Vegetable Man» de Syd Barrett, mais Jim dit que dans le chaos de feedback, il était impossible de les reconnaître. Ils montent sur scène bourrés et n’en finissent plus de se chamailler. Ça fait partie du show. Jim : «Le fait qu’on savait ce qu’on faisait et qu’en même temps, on n’en savait rien, nous a donné the perfectly unsure foundation on which to construct our rickety edifice.» Les fondations du château de cartes ! Fantastique concept. Jim explique qu’à partir de ce premier show au Roebuck jusqu’à celui de Los Angeles 14 ans plus tard, lorsque le groupe s’est désintégré sur scène, il a toujours été défoncé (off my tits) - Or if not fully off my tits, certainly very much under the influence of something - William dit qu’il n’aime pas se mettre en avant et qu’il préfère rester dans l’ombre - Being the frontman wasn’t for me. Jim was born for that role, even though he would never admit it - Pour compléter le staff, t’as Douglas Hart with his two-string bass et Bobby Gillespie standing just behind us with two drums. Voilà les early Mary Chain, nous dit Jim, «stripped down to the bone, it looked great and it sounded great.»

             C’est Alan McGee qui les prend sous son aile. Il leur décroche un contrat avec Warners, mais ils auraient préféré rester sur Rough Trade, «just as it was for the Smiths, but there’s no going back, so fuck it», tranche Jim. Ce sera le bras de fer permanent avec Warners qui trouve que le son des Mary Chain n’est pas très commercial. Un mec du marketing de Warners leur dit : «If there wasn’t feedback, there would be really commercial songs.» Jim et William vont devoir se battre contre l’incompétence des gens de Warners pour s’imposer. Problème aussi avec McGee qui se prend pour McLaren et qui essaye de transformer les Mary Chain en nouveaux Pistols. Jim : «We wanted to be rock’n’roll stars like Marc Bolan and make the best music anyone had ever heard, whereas Alan wanted to be Malcolm McLaren Mk 2.» Jim avoue qu’il s’est un peu pris au jeu en faisant des déclarations fracassantes dans la presse anglaise : «Yeah we’re fantastic and eveybody knows it.» Et William corrige vite le tir en avouant qu’ils n’étaient pas faits pour la célébrité - I think we were meant for some weird outlier version of celebrity where we were too shy for people to actually look at us - Les analyses de William sont toujours d’une extrême finesse. Le mec qui a fait les choix typo du book a d’ailleurs choisi un Garamond pour composer les propos de William, et un Helvetica pour composer ceux de Jim. De la finesse dans la finesse. On avait rarement vu ça dans l’univers éditorial, sauf bien sûr au temps de Mallarmé (la haute voltige du Coup de Dés) et de Dada (l’exercice ultime de la liberté de composer). 

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    ( Le Coup de Dés /brouillon)

             Les Mary Chain se retrouvent en studio à Londres avec l’ex-Vibrator Pat Collier. Quand ils écoutent la cassette de l’enregistrement de Pyschocandy sur un lecteur normal, les frères Reid trouvent que ça sonne comme Dire Straits. Alors William retourne en studio rajouter des couches de feedback, «and it sounded much better». Quand les frères Reid font écouter Psychocandy aux gens de Warners, ceux-ci tirent la gueule, du genre «Is it a joke ?».

             L’obsession de Warners est de les associer avec ce qu’on appelle the world-class producers, les producteurs à la mode. Warners les colle dans les pattes de Stephen Street qui a produit les Smiths. Alors Jim et William poussent des cris : «This guy is trying to turn us into a fucking pub rock band.» Jim dit que ça sonne bien quand ils enregistrent, il va faire un tour au gogues et quand il revient, «all the guitars had been turned down.» Donc fuck it ! Puis Warners essaye de leur faire rencontrer Daniel Lanois et Jim se fend la gueule : «Warners even tried to put us in a room with Daniel Lanois, but that union was never written in the stars.»

             Puis Jim raconte le légendaire gig du Liverpool Poly, lorsqu’ils arrivent complètement défoncés sur scène - On avait tellement bu qu’on avait dû prendre des tonnes de speed pour dessoûler, but the industrial quantity wasn’t our smartest move so we went onstage totally off our tits and played ‘Jesus Fuck’ for about half an hour. It wasn’t music in any recognisable sense, just pure agression, but we were happy with the way it turned out - Jim résume en trois lignes le génie sonique des Mary Chain. Ils traversent aussi la pire des époques, l’époque Thatcher/Reagan/Madonna, où tous les groupes veulent devenir aussi célèbres que U2, mais Jim dit que les Mary Chain étaient déterminés to keep things scaled down and do our thing, et rester aussi éloignés que possible du bordel de «l’arena-friendly template». Ce qui leur vaut des inimitiés. Jim voit approcher un mec qui lui demande s’il fait partie des Mary Chain, Jim croit qu’il vient lui demander un autographe, mais le mec lui colle un pain dans la gueule. Pur jus de haine - The whole situation was started to feel dangerously out of control - C’est l’histoire des Pistols qui se répète. Tout le monde se souvient que Johnny Rotten a été attaqué à coups de machette dans la rue. L’Angleterre est un pays extrêmement dangereux pour les outsiders révolutionnaires, il ne faut jamais l’oublier. Les Mary Chain sont obligés de se faire oublier pendant quelques mois, le temps de calmer le jeu et de se débarrasser du «hooligan element» qui s’était rattaché à leurs concerts. Il leur fallait aussi se débarrasser d’Alan McGee qui capitalisait sur tout ce bordel dans la presse. Jim dit que McGee ne l’a pas trop mal pris. Leur troisième décision est de confier les rênes du groupe à Mick Houghton, et tout va changer, surtout l’ambiance des concerts. Les Mary Chain arrivent à l’heure, jouent leur full show et le public adore leur musique.

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             Pour évoquer l’enregistrement de «Some Candy Talking», William indique que Jim est un excellent bassman - It’s actually him on most of the records - Pour Darklands, William voulait Ian Broudie, mais ce fut Bill Price, qui avait produit Never Mind The Bollocks, un Bill Price génial qui leur dit que ce ne sera pas l’album de Bill Price, mais celui des Mary Chain. Il les met à l’aise et c’est d’autant plus crucial que William fait un peu de parano et se méfie de Warners comme de la peste.

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             Après avoir su résister aux fameux world-class producers que voulait leur imposer Warners, voilà qu’arrive sur le marché, à la fin des années 80, les rois de la noise américaine, Sonic Youth, Pixies et Dinosaur Jr, «all things that weren’t sonically a million miles away from what we’d been doing», s’amuse Jim. Puis c’est Nirvana. Et du coup les Mary Chain sont «à la mode». À la même époque, l’Angleterre voit l’avènement des Smiths et de My Bloody Valentine - I’d nerver really liked the Smiths, but I loved the Valentines, précise Jim le bec fin. Il ajoute que les Valentines ont la même fuzz pedal ! Pour enregistrer Honey’s Dead, les frères Reid investissent leur avance dans un studio, The Drugstore, «which was in Amelia Street in Elephant and Castle.» Jim rend aussi hommage aux Pixies qui ont repris «Head On» - a nice tip of the hat - Il rappelle dans la foulée qu’il s’est toujours méfié des journalistes anglais et qu’il n’a jamais copiné avec eux - The sad fact about music journalists is a lot of them are dicks - D’où le fameux «I Hate Rock’n’Roll» en 1995.

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             Jusqu’au bout, les Mary Chain auront constamment l’impression de nager à contre-courant et à la fin, dit Jim, la marée nous a emportés. Warners va bien sûr les lâcher. Le label n’est pas chaud pour sortir Munki, et leur dit que si quelqu’un d’autre veut le faire, alors ça sera très bien comme ça. Jim : «We were fully out in the cold. No record deal, no management. Happy fucking Christmas.»

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    (House of Blues)

             Et puis bien sûr t’as les shoote légendaires. C’est un classique des fratries : on les retrouve chez Ray et Dave Davies, chez Liam et Noel Gallagher. William se rappelle d’un épisode bien gratiné, avec la poule de Jim, la fameuse Laurence. Ça se passe dans le backstage à Tokyo et Laurence est en train de bouloter, nous dit William, all the macadamia nuts, c’est-à-dire toutes les noix de macadamia. Alors William ramasse le reste et vide le bol. Il dit ne pas se moquer de son accent, mais il la cite quand même : «You took all ze last of zose nuts!» et s’ensuit une grosse shoote entre elle et lui. En représailles, Jim ne lui a plus adressé la parole pendant trois mois. Cet épisode tragi-comique annonçait la fin du groupe. De toute façon, les relations sont compliquées, parce que, nous dit William, on était tout le temps bourrés et il prenait de la coke - And I was stoned, there was no way of us really reaching out to each other. Everything was broken - On sent chez lui une profonde amertume. Parce qu’ils sont issus d’un milieu très pauvre et qu’ils ont détruit tout ce qu’ils avaient réussi à construire. Alors Jim entre dans les détails. William et lui se sont engueulés dans le van, après un show à San Diego. Jim : «William voulait conduire le van alors qu’il était dans un état de cosmic inebriation, et j’ai menacé de le frapper.» Mais c’est Ben Lurie qui le devance. Et ça se termine en bagarre générale dans le van, Ben Lurie saute sur William, alors William saute sur lui, et Jim est en dessous des deux fighters, il prend des coups, un vrai carnage, mais en même temps, c’est assez comique - The shit had totally hit the fan - Les shootes des frères Reid sont assez burlesques. Le lendemain soir, Jim est tellement défoncé sur scène, at the House Of Blues à Los Angeles, qu’il ne sait plus où il est. Soudain, il aperçoit l’ennemi, c’est-à-dire son frangin, «There’s the bastard», pense-t-il, et il se met à l’interpeller : «You cunt! You fucking cunt!». Puis il se retourne et voit tous ces gens qui le regardent. Il réalise soudain qu’il est sur scène et que ces gens sont le  public. C’est le dernier concert des Mary Chain. Le lendemain, William quitte le groupe. 

             William trouve une explication à ce chaos final : «Did I mention that when Jim discovered cocaine he became a fucking asshole?» Les deux frères avaient toujours réussi à se réconcilier, mais avec la coke, c’était devenu impossible. Et pendant un an, Jim n’a pas cessé d’agresser son frère. L’arrivée de Ben Lurie dans les Mary Chain n’a fait qu’aggraver les choses : Lurie était du côté de Jim, et William devait en affronter deux à la fois. En studio, Jim et Laurie prenaient William pour leur larbin. Un coup de guitare par ci par là.

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             Pour Jim, la fin des Mary Chain est un énorme soulagement. Il ne roule pas sur l’or et il vit de loyers qu’il perçoit, il a de quoi se payer ses bières et ses pizzas, c’est le principal. Il monte Freeheat avec Ben Lurie, Nick Sanderson et Romi Mori qui avait bassmatiqué pour le Gun Club. Ils n’ont enregistré qu’un EP et un mini-album, mais ces deux-là valent largement le détour, à commencer par Don’t Worry Be Happy sur lequel se niche l’excellent «Nobody’s Gonna Trip My Wire» riffé à la vie à la mort et délibérément spasmatique ! Pure stoogerie, jouée dans les clameurs et les solos d’alerte rouge. Jim retrouve le chemin des voies impénétrables, les riffs gouttent de gras.

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     Le mini-album Retox est une perle noire, un véritable chef-d’œuvre inconnu. Dès «The Two Of Us», on retrouve le power-drive des Mary Chain, avec de la folie dans le son. S’ensuit un «Facing Up The Facts» effarant d’adversité, joué à l’heavy punk-rock d’Écosse. Ces gens-là sont dans une autre dimension. Jim joue la carte de l’heavyness maximaliste. Les solos de Ben Lurie sont aussi allumés que ceux de William, on rôtit dans le même enfer, c’est absolument dévasté de l’intérieur, on voit vraiment brûler la carcasse de la sidérasse Ils font aussi subir à «Shining On Little Star» les pires sévices de la marychiennerie. C’est claqué dans la douceur d’une chaude journée de violence urbaine, fabuleusement infectueux et ravagé jusqu’à la racine du thème. Jim chante cette horreur gluante avec une délectation morose et sauve l’honneur des Mary Chain. Le jus coule comme du venin le long de son cou.

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             Les frères Reid ne rentrent pas trop dans le détail de leurs vies privées respectives. William avoue cependant avoir essayé d’avoir des relations sentimentales stables. Quand il se lasse des tournées, il devient casanier. Sa poule Rona et lui ont deux chats qui s’appellent Jim et William. Et puis, William sort une fabuleuse anecdote. Il raconte que son père - my da - a pris l’habitude d’écouter le John Peel Show, bien sûr dans l’espoir d’y entendre ses deux fils. Mais il craque sur Billy Bragg et un soir qu’il passe à la téloche, da dit  : «Oh, this is a good one.» Alors les deux frères échangent un regard ahuri. Alors da leur dit : «He’s on John Peel a lot.» Ah bon, t’écoutes John Peel ? «Yeah I listen a couple of times a week to see if he plays youse (sic).»

             Jim en profite pour saluer deux ou trois ennemis, comme Paul Weller qui leur fait un beau doigt d’honneur on les croisant dans le studio de Top Of The Pops, ou encore David Gilmour qui est choqué de voir que William a peint sa Gretsch Tennessean en noir pour une émission de télé. William : «When David Gilmour walked by he was absolutely disgusted.» William voulait que sa gratte matche avec le noir des fringues qu’il portait. C’est pourtant pas difficile à comprendre. Apparemment ce n’est pas à la portée de tout le monde.

             William part s’installer en Californie. Il en a marre de se faire agresser dans le métro par des mecs qui s’en prennent à sa coupe de cheveux : «Oh you’ve got funny hair, why don’t you get your hair cut, mate?». Pour éviter que ça ne tourne mal, William se barre. Il se marie avec Dawn, une Américaine. Il installe sa famille à Redondo Beach, mais ça se passe mal, car les gens du coin n’acceptent pas Dawn qui est tatouée et qui a un anneau dans le pif.

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             Pour s’occuper intelligemment, William enregistre deux albums solo sous le nom de Lazycame : Saturday The Fourteenth et Finbegin. On n’y sent pas vraiment de volonté compositale. On les écoute si et seulement si on considère William comme un génie. Mais tout y est irrémédiablement privé d’avenir. William fait le con et saborde le navire. Il fait son super sucker. On entend à un moment un «Kissaround» gratté au coin du feu chez les hippies. William avait tout simplement décidé de nous courir sur l’haricot. Avec «Tired Of Fucking», il fait claquer ses vieux accords de Stonesy dans un lointain d’absurdité congénitale. Ah quelle belle arnaque ! William devient un génie de la crotte de nez. Il se croit même autorisé à faire du Schönberg.

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             Quant à Finbegin, c’est encore pire. Il gratte à coups d’acou et coupe à travers champs. Il tente un petit retour à l’electrak de la détraque avec «Rokit», et fait du bruitisme à la petite semaine dans «Fornicate». Il cherche les petites ambiances délétères et orientalise sa fucking daube.

             Quand Chevrolet utilise «Happy When It Rains» pour une pub, les frères Reid récupèrent un gros billet. Jim dit qu’il a remboursé son emprunt «and William bought a fancy car. I can’t remember what kind that was either - I’ve never owned a fancy car in my life.» William corrige le tir : «I didn’t buy a car, I bought a house - 6938 Camrose Drive in Hollywood, baby.» William va se taper «two Californian divorces», qui dit-il coûtent cher car il faut refiler à la divorcée la moitié de tout ce qu’on possède, même si le mariage n’a duré que quelques mois. Mais bon, comme il dit, «I had a good time and I’ve got my memories.» Merci William Reid de ces beautiful memories.

             Puis c’est la reformation, avec Phil King et Loz from Ride on drums, qu’on verra sur scène à Paris à deux reprises, puis une troisième fois sans Phil King. Ainsi va la vie.   

    Signé : Cazengler, fort Mary

    William & Jim Reid. Never Understood - The Jesus & Mary Chain. White Rabbit 2024

    Freeheat. Don’t Worry Be Happy. Hall Of Records 2000

    Freeheat. Retox. Outafocus Recordings 2001

    Lazycame. Saturday The Fourteenth. Hot Tam 2000

    Lazycame. Finbegin. Hall Of Records 2001

     

     

    L’avenir du rock

     - Travelers check

    (Part Two)

             Pourtant habitué aux hallucinations, l’avenir du rock n’en revenait pas : il vit descendre de la grande dune une gonzesse sur une moto. Elle portait du cuir noir et un gilet ouvert jusqu’au nombril. Ses grands cheveux rouges flottaient au vent. Elle portait des lunettes d’aviateur et du rouge à lèvres. Depuis des années qu’il errait dans le désert, l’avenir du rock n’aurait jamais imaginé voir arriver un truc pareil. Lawrence d’Arabie, oui, mais une amazone aux cheveux rouges sur une grosse moto, certainement pas ! Elle approcha rapidement et s’arrêta à quelques mètres de l’avenir du rock. Brrrrm bahbahbah... Brrrrm bahbahbah...

             — Elle a un joli bruit votre grosse moto...

             — C’est une Harley, mon chou.

             Brrrrm bahbahbah... Brrrrm bahbahbah...

             Elle parlait d’une voix d’homme, comme Amanda Lear. Bien que dans un piteux état, l’avenir du rock en fut troublé, mais comme il était complètement cramé, il ne pouvait pas rougir. Puis elle ajouta d’une voix encore plus douteuse :

             — 100 la pipe, 200 l’amour !

             — Ça m’aurait intéressé, mais il faut que je trouve une tirette. J’ai pas assez de liquide.

             Elle était très maquillée. L’avenir du rock qui n’y voyait plus très clair s’approcha pour l’examiner de près. Elle avait du poil sur la poitrine.

             — Zêtes pas une gonzesse ?

             — Si tu veux savoir, faut payer, mon chou.

             — Je suis l’avenir du rock, vous pourriez me faire crédit !

             — Harley Grosse Pelle Travelo ne fait pas de crédit, minable !

             — Ça tombe bien ! Je préfère Harlem Gospel Travelers ! Et de loin, pouffiasse !

     

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             On se souvient encore du set des Harlem Gospel Travelers comme si c’était hier. Les voici de nouveau à l’honneur avec un fabuleux troisième album, Rhapsody.

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    Et c’est d’autant plus un événement qu’ils tapent dans l’une des mirifiques compiles Numero Group, Good God! - A Gospel Funk Hymnal. Ifedayo Thomas Gatling s’est réduit de lui-même à Ifedayo, il mène la danse du son le plus moderne de Brooklyn, avec Eli Paperboy à la gratte et Jesse Barnes au bassmatic. Et t’as les chœurs d’anges du paradis, c’est-à-dire George Marage et Dennis Keith Bailey III. Choc esthétique dès «We Don’t Love Enough», une cover des Triumphs qu’on retrouve sur la compile  Good God!. On reste dans le génie éblouissant avec «Ever Since», un autre fabuleux shakedown de power Soul. Black Power ! Avec du Gospel batch in the mood. Ifedayo est un allumeur de première catégorie, un artiste fondamental, il dispose d’une voix colorée et d’un son. C’est tout de même incroyable que Paperboy soit mêlé à ça ! Ils reprennent le «God’s Been Good To Me» des Mighty Walker Brothers. Un nom pareil, ça ne s’invente pas. Ifedayo y ramène tout le power des Tempts, même développement d’I try ! I try ! On assiste encore à un carnage surnaturel dans «How Can I Lose», shoot de wild gospel avec des tambours, des tambourins et toute l’énergie du diable. Ifedayo chauffe ensuite son «Jesus Rhapsody Pt 1» au feu sacré de Junior Walker, c’est comme gorgé de Motor City Sound, mais sans le Sax. On trouve l’original de «Jesus Rhapsody Pt 1» sur Good God!, par Preacher & The Saints. Et puis t’as «Searching For The Truth», un gros fondu de gospel Soul fabuleusement conditionné, atrocement bien chanté, chaud et vivant, il y va au searching. Ifedayo est l’un des géants de notre époque.

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             Alors attention ! Il se pourrait bien que Good God! - A Gospel Funk Hymnal soit l’une des plus belles compiles de tous les temps. La moitié des 18 cuts sont de la pure dynamite. Pas étonnant que les Harlem Gospel Travelers aient louché là-dessus. Tiens, rien qu’avec le dernier cut, «Thoughs Were The Days» par LaVice & Company, t’es rassasié. Le mec chante comme un démon, il sonne comme un vrai génie démoniaque, un brin here comes the judge, à l’intro du hit de Shorty Long. Et juste avant, t’as le «Look Where He Brought Us» des Apostles Of Music, avec des filles qui font freedom, c’est du Richie Havens en plus hot. Quelle clameur ! La compile démarre avec Preacher & The Saints et «Jesus Rhapsody Part 1», que reprennent les mighty Travellers. Quel big sound ! C’est pas loin des Tempts. Il faut voir ça comme un sommet du Black Power. Puis t’as les 5 Spiritual Ones qui te fracassent «Bad Situation» : encore pire ! T’as les Tempts dans l’église en bois. Ils ont le power dans les reins, la bassline descend dans le couplet comme un Jamerson en folie, bad bad situation ! Bizarre que les Travelers n’aient pas retenu ce «Bad Situation». Car quel scorch ! Par contre, ils tapent le «God’s Been Good To Me» des Mighty Walker Brothers. Power immédiat. Encore pire que les Tempts. Dé-vas-ta-teur ! C’est le power de James Brown avec l’incognito en plus. Gospel genius ensuite avec Masonic Wonders et «I Call Him». Plus classique, mais terriblement insistant. Genius toujours avec l’«I Thank The Lord» des Mighty Voices Of Wonder. T’as le beat et l’argent du beat. Là, t’as Stax dans l’église en bois qui s’écroule, et une grosse black en roue libre qui te ravage tous les potagers. The Voices Of Conquest t’amènent «Oh Yes My Lord» au tribal antique. Stupéfiant ! T’as la démesure du son et l’oh yes my Lawd ! C’est avec la cover du «We Don’t Love Enough» des Triumphs que les Travelers ouvrent le balda de leur Rhapsody. Fantastique entourloupe ! Digne des Edwin Hawkins Singers. Même clameur de gospel black power. Et t’as plein d’autres cuts surprenants de qualité, Brother John Witherspoon t’explose «That’s Enough» au heavy popotin, en mode prêcheur, à coups de give up. Ce sont les Universal Jubileers qui sont sur la pochette de la compile, avec leurs vestes à carreaux. Il tapent leur «Chidhood Days» en mode wild gospel Soul de raw r’n’b. Ils te chauffent ça à blanc, t’en reviens pas de les voir à l’œuvre, t’en perds ton latin, tu ne sais plus où t’habites. Tout cela est à peine exagéré.

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             Intrigué par LaVice & Company, tu dig un peu et tu découvres l’existence d’un album sorti sur un petit label anglais, Jazzman Records : Two Sisters From Bagdad. C’est un objet curieux, t’as trois Soul Sisters et un mec déguisé en diable, LaVice Hendricks. Pendant les 3 ou 4 premiers cuts, tu essaies de savoir où ils veulent en venir. Le morceau titre se noie dans l’underground black. C’est même assez incompréhensible, tellement c’est underground. Leur «Fantasy» est weird, mais pas inintéressant. On retrouve le «Thoughs Were The Days» choisi par Numero Group pour son Good God! - A Gospel Funk Hymnal et c’est en fait la première apparition de LaVice Hendricks. Et puis le reste retombe dans la drouille. Tu t’attendais à un big album de gospel funk et tu tombes sur un mauvais artefact. Leur «Satan Baby» ne vaut pas un clou, mais l’album original paru en 1973 doit s’arracher pour une fortune.

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             Nouvelle caisse de dynamite : Good God! - Born Again Funk. Suite logique et donc explosive de Good God! - A Gospel Funk Hymnal. Pas compliqué : tu sautes de génie en génie (de JL Barrett et «Like A Ship» aux Gospel Soul Revivals et «If Jesus Came Today» (c’est-à-dire d’un heavy groove avec des chœurs demented d’Edwin Hawkins Singers au power de Black Power avec une bassline à faire baver James Jamerson, les Gospel Soul Revivals pulsent à la vie à la mort), tu sautes d’inconnu en inconnu (de Lucy Sister Soul Rogers et «Pray A Little Longer» aux Inspirational Gospel Singers et «The Same Thing I Took» (c’est-à-dire d’une Lucy qui sonne comme Aretha à une Inspirational Gospel Singer qui sonne encore plus comme Aretha). Tu sautes des Gospel Comforters et «Yes God Is Real» (r’n’b d’église en bois) au Golden Echoes et «Packing A Grip» (wild gospel d’église en feu). Tu sautes de Brother Samuel Cheatham et «Troubles Of The World» aux Jordan Travelers et un «God Will Answer» drivé à la basse funk. Et tu bascules enfin dans une apothéose de coups de génie avec Holy Disciples Of Chicago et «I Know Him» (pur Aw Lawd power, le groove des crocodiles), puis avec Little Chris & the Righteous Singers et «I Thank You Lord» (chant d’harmonies frisées avec une wah d’une sidérante modernité) et enfin  The Sensational Five avec «Coming On Strong Staying Long», un heavy r’n’b, c’est même du pur Junior Walker d’église en bois, tellement c’est incendiaire.

    Signé : Cazengler, Travelo

    Harlem Gospel Travelers. Rhapsody. Colemine Records 2024

    Good God! - A Gospel Funk Hymnal. Numero Group 2006

    Good God! - Born Again Funk. Numero Group 2010

    LaVice & Company. Two Sisters From Bagdad. Jazzman Records 2017

     

     

    Tindersticks en stock

    - Part Two

     

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             Toujours un bonheur que de revoir Stuart Staples & ses mighty Tindersticks sur scène. Deux heures de voyage dans l’ombilic des limbes garanties. Le dandy d’antan a pris du ventre, mais la voix est toujours là. Le voilà coiffé d’un petit chapeau mou, mais son élégance naturelle reprend le dessus et tu entres dans le monde qu’il crée pour toi au fil des cuts.

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    Et c’est un monde merveilleux. Pendant deux heures tu te sens protégé de l’autre monde, celui qui va pas bien, avec ses beaufs au pouvoir et les manipulations d’opinion qui vont avec. Le romantisme comme dernier rempart face à l’abominable marée d’intolérance qui monte jour après jour ? Faut pas rêver, le romantisme n’est qu’un songe, fragile par définition, et celui de Stuart Staples se limite à sauver deux heures de ta vie. Rien de plus. C’est déjà pas mal. Pendant ce concert qu’il faut bien qualifier d’hautement merveilleux, tu songes à tous ceux qui n’ont pu ou qui n’ont su en profiter. Car c’est là, à portée de tes yeux et de ta cervelle, deux heures de mélancolie urbaine distillée par cinq mecs d’apparence banale.

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    Les Tindersticks sont des anti-rock stars. Ils s’effacent au profit de leur art. Ils laissent le champ libre aux chansons et à la fabuleuse interprétation qu’en fait Stuart Staples, d’une voix fêlée, toujours colorée, tantôt d’essence préraphaélite, tantôt d’essence pointilliste, il ponctue et tisse des voiles, il module l’éther et irise l’affaire, il fait éclore et cueille pour offrir, Stuart Staples est l’un des artistes les plus intéressants à observer. Tu crois qu’il ne se passe rien, mais il est toujours en mouvement immobile. Son récital a la grandeur d’un long métrage d’Abel Gance. L’insondable teneur d’un tome de Zola. La classe de l’Importance Of Being Earnest d’Oscar Wilde. Il chante la plupart du temps les yeux fermés, comme s’il lisait à l’intérieur de lui-même pour diriger ses pas. Tu l’observes comme tu aurais observé Verlaine lorsqu’il déclamait ses vers au François 1er, sur le boulevard Saint-Michel. Stuart Staples est de cet ordre -là.

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             Oh et puis t’as les chansons, quasiment toutes celles du dernier album, Soft Tissue. L’heavy Tinder Sound de «The Secret Of Breathing» qu’il enchaîne avec «Turned My Back». Il se bat jusqu’au bout avec le Turn my back. Et toujours cette merveilleuse façon de caresser l’intellect. Dans le début su set, il tape un «Falling The Light» éclairé par un refrain lumineux - Falling the light on the grace of the day - qu’il enchaîne avec «Nancy», bercé par un léger parfum de calypso - Nancy/ Answer me - Big Tinder Sound de tension maximale - Nancy/ Nancy answer me - Vers la fin du set, on retrouve aussi ce «New World» bassmatiqué dans l’âme. Il groove comme Oscar Wilde, tel qu’Oscar Wilde grooverait s’il était de notre temps. Vers la fin du set, on retrouve aussi ce «Don’t Walk Run», et cette façon qu’il a de poser sur le groove son you need a place to fall et d’ajouter I need a place to hide. Alors il anticipe, it’s moving inside/ Me/ It’s moving inside me now/ Pulling on my strings babe, on sent le balancement du groove dans le pulling on my strings, c’est chargé d’Oh why’d you leave me babe, et il repart au need a place to hide qu’il susurre entre deux portes. En fin de set, il se perd avec «Soon To Be April», il tend la main alors que le courant l’emporte, il atteint le sommet du désespoir mélodique, la beauté inversée, il élève la mélancolie au rang d’art majeur.

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             En rappel, ils tapent «Pinky In The Daylight» et «For The Beauty» tirés de No Treasure But Hope, histoire de t’arracher un dernier spasme de félicité. Avec «For The Beauty», il semble vouloir se battre contre la maladie that’s killing me - For the beauty/ Give me something to ease - La guitare sonne comme une mandoline dans «Pinky In The Daylight», pareil, ça tient par le refrain magique - Pinky in the daylight/ Crimson at night/ Yeah I love you - Et là t’entends ce batteur black de jazz dément qu’on a vu à l’œuvre sur scène. Il s’appelle Earl Harvin, tu trouves son nom dans la kro d’un set des Tinder à Manchester, dans la page ‘Lives’ de Record Collector. Mais Beauty et Pinky ne sont pas les coups de génie de l’album. Les voilà : le premier s’appelle «The Amputees», Stuart y fait vibrer le bad d’I miss you so/ bad, et derrière, les Tinder swinguent le jazz. Pire encore : «Trees Fall», que Stuart tape en début de set, il le chante en suspension dans une très belle lumière préraphaélite. C’est du pur Tinder Sound haleté - Shall we sit in the dark and tell our old stories?, et il rebondit merveilleusement, and oh, it’s so dark in the stairs, il relance toujours au ‘and oh’, are we tied to those moments for good?, c’est de la poésie musicale, une authentique merveille respiratoire - Has the juice run out again - L’again enivre - The salt of our skin and the smell of the ocean - Stuart Staples offre avec son art poétique l’équivalent exact de ce qu’on amené en leur temps Baudelaire, Rimbaud et Verlaine, pour n’en citer que trois. Troisième coup de génie : «See My Girls». Ses filles prennent des pictures with their cameras/ they see the world and they sent it me home. Hallucinant. Ses filles voyagent dans le monde entier, et les vers de Stuart Staples ruissellent de richesses, Eiffel Tower, Grand Canal, Amazonia, the gates of Birkenau, the great Damascus, South Yemen, Jerusalem, the dolphins of Donegal, autant de mots qui scintillent d’une musicalité sans fin. Il swingue encore son chant dans «Tough Love» - This tough love changed me/ This tough love made me - C’est quasiment de l’heavy funk. Ah, les Tindersticks nous en auront fait voir de toutes les couleurs ! 

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             Ils tiraient un seul cut de l’avant-dernier album Distractions, «The Bough Bends», où l’on entend chanter les oiseaux. Cut épais et bien doux, coiffé par un thème musical très aérien. Ils visitent la stratosphère. C’est bien, les gars ! Mais s’il faut saluer un cut sur Distractions, c’est le «Man Alone» d’ouverture de bal, un cut interminablement bon, une vraie sinécure, montée sur le petit tribal Tinder. Stuart colle bien au heartbeat, il sait épouser une situation et la mettre à son avantage. Avec «Lady With The Braid», les Tinder passent en mode mambo et c’est vite effarant d’élégance. Stuart cueille les mots à la pointe du beat, l’effet est saisissant. Encore du Tinder Sound typique avec «You’ll Have To Scream Louder». Ça reste une samba d’aube mortelle et de chairs usées, d’essences félines sentant la jupe et de sang frelaté. Stuart Staples est le Des Esseintes des temps modernes. Ne l’a-t-on pas encore compris ?

    Signé : Cazengler, Pinderstick

    Tindersticks. Théâtre des Arts. Rouen (76). 26 novembre 2024

    Tindersticks. No Treasure But Hope. Lucky Dog 2019

    Tindersticks. Distractions. Lucky Dog 2021

    Tindersticks. Soft Tissue. Lucky Dog 2024

     

     

    L’avenir du rock

    - Au bonheur des Damned

    (Part Two)

             Politiquement parlant, l’avenir du rock a toujours penché du bon côté, c’est-à-dire du côté des damnés de la terre. Chaque matin, sous la douche, il entonne «Debout les Damned de la terre» à tue-tête. Il en fait vibrer les carrelages, la robinetterie et la porte vitrée. L’avenir du rock est tellement fasciné par le destin des Damned de la terre qu’il s’est fait tatouer une New Rose autour de l’anus et une Machine Gun sur la zigounette, comme ça au moins, aucune ambiguïté n’est possible. Mais étant donné que l’avenir du rock reste un concept, aucune interaction n’est possible, et par conséquent personne ne peut témoigner de la présence de ces deux tattoos insolites. Il faut donc le croire sur parole. Il met aussi un point d’honneur à se laver les mains avant chaque repas pour rester Neat Neat Neat, et il met un soin maniaque à répondre aux lettres qu’il reçoit au Fan Club. Lorsqu’il se rend dans un bal costumé, il porte un casque Born To Kill, non pas en hommage au Full Metal Jacket de Kubrick, mais en bon Damned de la terre qui se respecte, et si un imbécile d’antimilitariste vient l’insulter au bar, alors l’avenir du rock s’empare du pic à glace et lui court après en hurlant Stab Your Back ! L’avenir du rock n’a jamais fait dans la demi-mesure, et ce n’est pas aujourd’hui qu’il va s’y mettre. Il est trop tard. Au moindre coup de blues, il se fend d’un So Messed Up, et s’il se sent la proie d’une petite crise de mélancolie, il opte pour un petit coup d’I Can’t Be Happy Today. Par contre, quand tout va bien et qu’il sent les énergies telluriques bouillonner en lui, alors il éructe I Feel Alright. Au nom des Damned de la terre, il est capable de tout, comme par exemple de Smash It Up. Se calmer ? Lui ? L’avenir du rock ? C’est pas demain la veille.      

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             Il a raison de s’exciter l’avenir du rock, car vient de paraître Darkadelic, le nouvel opus des Damned de la terre. En 2017, les Damned fêtaient leur quarantième anniversaire. Pour des gens qu’on considérait comme les princes du chaos, c’est inespéré.

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    Dans le beau panorama qu’il leur consacre dans Vive le Rock, Nick Tesco rappelle qu’on les considérait comme les poor cousins des Clash et des Pistols. Dick Porter va beaucoup plus loin en disant qu’au pays des non-conformistes, les Damned sont les rois - Within a subculture that espouses non-conformity as a core value, the Damned represent the ultimate outsiders. Il rappelle aussi que tous les journalistes qui leur crachaient dessus ont depuis longtemps disparu alors qu’eux, les Damned, sont toujours là, fidèles à leur engagement originel : the fundamental idea of doing your own thing.

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             Le point de départ s’appelle Brian James, fan des Stooges, de Dolls et du MC5, qui tente de démarrer avec les Bastards à Bruxelles, mais il se sent seul, car personne ne connaît les groupes dont il parle. Même à Londres, excepté les Pink Fairies, qui savent que quoi parle Brian. Quand il revient vivre à Londres, il traîne un peu avec les fameux London SS et rencontre Rat qui a répondu à une annonce du Melody Maker. McLaren propose à Dave Vanian, qu’il a repéré, de chanter dans les Masters Of The Backside avec une guitariste nommée Chrissie Hynde. Le batteur, c’est Rat. Il faut aussi un bassman, alors Rat ramène Ray Burns qui à l’époque porte les cheveux longs et ressemble à Marc Bolan. Le futur Captain est alors timide et un peu nerveux. McLaren n’en veut pas dans le groupe : il le traite de bloody hippie. Le groupe commence à répéter. Ils font des reprises garage des Shadows Of Knight et ça ne se passe pas très bien. Rat dit : «This is going nowhere» et il indique à Dave qu’il connaît un mec intéressant, un visionnaire qui parle d’une nouvelle forme de musique. C’est Brian James. 

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             Dans un numéro d’Uncut de 2016, Peter Watts dresse un panorama complet des exploits du groupe en matière de destruction de chambres d’hôtels. C’est en France qu’ils se découvrirent un talent fou pour cet art habituellement réservé à des géants comme Keith Moon. Lors du premier festival punk qu’organisa Marc Zermati à Mont-de-Marsan, Jake Riviera et Nick Lowe découvrirent les Damned qui n’étaient encore que des débutants puisqu’ils ne montaient sur scène que pour la sixième fois. Riviera les voulait absolument sur Stiff.

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             Paru en 2023, Darkadelic est l’un de leurs meilleurs albums. Ça grouille de puces, tu vas te gratter pendant une heure, dès «The Invisible Man». Les Damned n’ont jamais sonné aussi sludge, avec le Vanian qui hurle comme un crucifié du Golgotha. C’est battu à la diable, noyé de son, ça coule de partout, le Vanian émerge à peine du chaos. Ah il faut le voir se débattre ! Nouvelle dégelée avec «Girl I’ll Stop At Nothing», wild punk des Damned de la terre, back to the basics, on se croirait sur le premier album, en 1977 ! Même énergie qu’au temps des premiers jours. Les Damned ont toujours su sonner le tocsin de London town, et le Captain fout le feu à l’immeuble. Ils passent sans ménagement au wild gaga avec «Leader Of The Gang», ils te déboulent dessus, tu reviens au point de départ, ils renouent avec leur fantastique élasticité, Paul Gray joue en roue libre dans le fond du son, et le Captain fait son Wayne Kramer, il n’en finit plus de faire son cirque dans ce rebondi paroxysmique. Cet album est assez explosif, ça mérite d’être noté, car les explosions se raréfient. Darkedelic est un gros tas de purée. Le Vanian trouve toujours une ouverture, quel que soit le cut. Il s’accroche au mur du son de «Bad Weather Girl», il agit en wild geezer, à mains nues. Bon, il faut reconnaître que certains cuts laissent perplexe : «You’re Gonna Realise» et «Beware Of The Clown» sonnent comme de la petite pop. Depuis que Brian James n’est plus là, c’est le bordel au dortoir. Et le Captain ne fait plus bander personne, comme au temps des tutus. Il faut attendre «Wake The Dead» pour voir l’album se réveiller. Big Vanian chante comme Hadès, le dieu des enfers. Il semble chanter du fond d’une caverne. Les Damned profitent de cette occasion en or pour rallumer le brasier, Paul Gray bousine une bassline demented et ils atteignent l’orgasme avec «Motorcycle Man». 

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             Les Damned ont fait un beau cadeau à leurs fans avec le double DVD Machine Gun Etiquette 25 Tour. On y trouve en effet tout ce qu’un fan des Damned peut espérer en ce bas monde. Les Damned attaquent leur concert du 25e anniversaire avec «Love Song» et «Machine Gun Etiquette» - Second Time Around - deux versions explosives. Peu de groupes savent blaster comme les Damned. Ah il faut les voir jouer «New Rose», puis Captain introduit une autre bombe atomique - It’s the MC5, God bless ‘em ! It’s called Looking At You ! - Il n’existe rien d’aussi dynamité dans l’univers du rock moderne. Captain se roule par terre à la fin du cut. Il n’a rien perdu de sa folie. Il faut aussi l’entendre jouer dans «Would You Be So Hot» : il sonne comme Peter Green ! Nouveau coup de blast nucléaire avec «Ignite», extraordinaire vitalité de ton vibrillonnée par un Captain Kramer débridé. S’ensuit une version absolument somptueuse d’«Eloise», bien soutenue à l’orgue. On a là du grand art de pop anglaise porté à son sommet par la dynamique des Damned et l’incroyable talent de Dave Vanian. Encore plus explosif : «Melody Lee», joué au blast damné pour l’éternité. On ne parle même pas de la version dévastatrice de «Neat Neat Neat» introduite par le vieux riff de basse. Sacré coup de génie tutélaire, et ça plonge dans la folie du punk-rock de London town. Et c’est pas fini, car ils tapent dans le «Break On Through» des Doors, Dave fait son Jim Morrison et ça tient admirablement bien la route. Les bonus pullulent sur le disque 2, à commencer par un concert filmé au Japon et des versions absolument démentes d’«Eloise», puis de «New Rose». Il faut bien dire que ces deux cuts sont des sommets de la pop anglaise. Au menu des bonus, on trouve aussi pas mal de petits films où Captain se laisse filmer : voyage en Allemagne, on a aussi des scènes de backstage, le making of de la vidéo de «Wot». On ne se lasse pas de voir ce mec qui est en fait l’héritier direct de Keith Moon : même ampleur, même odeur de soufre, même charme et surtout même explosivité scénique. 

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             En 2017, ça recommence à buzzer autour des Damned, avec notamment la parution de Don’t You Wish That We Were Dead, le film de Wes Orshoski, le réalisateur qui s’était occupé de Lemmy. Tout fan des Damned doit impérativement voir ce film. On a là un docu riche et dense, bardé de conneries de Captain et d’extraits de concerts anciens et modernes, on voit des témoins de la vague punk, même les cancéreux, les ex-members, on voit Rat Scabies écraser une larme, et puis un plan plutôt rare de Captain chez lui avec ses trois gosses. On nous rappelle au passage que les Damned, contrairement à la majorité des groupes punk, savaient jouer de leurs instruments - The Damned could play - Ils jouaient le rock’n’roll le plus incendiaire de leur temps - That’s rock’n’roll as Jerry Lee Lewis is rock’n’roll - Tiens et puis t’as Roger Armstrong qui rend hommage à Captain - A punk-rock Jimi Hendrix ! - Par contre, on voit l’autre moitié des Damned, Brian James et Rat Scabies avec Texas Terri, et au chant, Texas Terri est une véritable catastrophe ! L’un des passages les plus hilarants de ce docu est celui de la reformation du groupe originel Vanian/Scabies/James/Captain : sur scène, Captain annonce que «New Rose» est une compo de Guns’n’Roses. Brian James quitte la scène immédiatement. Fin de la reformation. Captain dit aussi un truc admirable : We should have died after making one fantastic album - Mais avec lui, on ne sait jamais si c’est pour rire ou pas. Sacré passage aussi dans les bonus, lors de l’évocation du fameux Anarchy Tour - Weird vibes - Brian James rappelle que personne ne leur adressait la parole. Comme l’Anarchy Tour démarrait le lendemain du Grundy Show, les Pistols étaient à la une de tous les canards et McLaren n’avait plus besoin des Damned qu’il a virés. Autre grand moment de rigolade : Captain nous fait visiter les chiottes de la salle des fêtes de Croydon qu’il nettoyait à une époque. Il raconte qu’il y vit T. Rex sur scène - What a fabulous job !, pensa-t-il. Il voyait les filles trépigner aux pieds de Marc Bolan - I want this job !

    Signé : Cazengler, damé du pion

    The Damned. Darkadelic. Ear Music 2023

    Born To Kill by Nick Tesco. Vive le Rock #41. 2017

    We’re Horrible English Hooligans by Peter Watts. Uncut #235 - December 2016

    Damned. Machine Gun Etiquette 25 Tour. DVD 2005

    Wes Orshoski. The Damned. Don’t You Wish That We Were Dead. DVD Cleopatra 2016

     

     

    Inside the goldmine

     - Patter noster

             Dans la vie, on rencontre rarement des personnages aussi épris d’eux-mêmes. Ivanoff cultivait bien son auto-culte. On l’imaginait dressé devant un miroir à se contempler tout en se caressant la barbe, une barbe qu’il taillait court, sans doute pour goûter l’indicible plaisir de s’entendre la gratouiller. On devinait tout cela en l’observant, et il n’y avait aucune malveillance à l’imaginer ainsi. Sa prodigieuse intelligence semblait exacerber son narcissisme jusqu’au délire. Tout le monde croit que l’intelligence aide à corriger les travers, mais chez lui, ça ne se passait pas du tout ainsi, bien au contraire. Ivanoff avait pendant vingt ans accumulé des connaissances qu’il sublimait et synthétisait pour les faire passer pour des visions. Lorsqu’on s’adressait à lui, on s’adressait à l’oracle des nouvelles technologies. Il semblait voir l’avenir, enfin, il voyait ce que personne ne pouvait voir. Il pouvait fasciner. On se noyait dans l’eau bleue de son regard. Il inspirait en même temps une sorte de confusion. On ne savait plus s’il fallait rire (tout en prenant garde de se retenir), ou s’il fallait cautionner l’homérique envolée de son discours. Il y avait quelque chose d’Hugolien en lui. Il ânonnait sur un ton monocorde qui finissait par devenir fluide, presque mélodique, semblable aux airs de flûte que jouent les charmeurs de serpents sur la place Jemaa el-Fna, à Marrakech. On ne savait plus s’il fallait se sentir fier de le fréquenter ou au contraire le fuir comme on fuit généralement les moi-je les plus détestables. Un jour que nous étions en réunion, il se produisit un incident qui permit d’en finir définitivement avec ce paradoxe. Pendant une pose, la conversation vint malencontreusement déraper sur une belle peau de banane : l’insécurité dans certains quartiers de Paris. C’est à ce moment-là qu’on réalisa qu’Ivanoff portait un pantalon couleur kaki de combattant, avec des poches à soufflets sur les côtés, car il en sortit un énorme cran d’arrêt. Face à nos mines consternées, il relança sa routine pédagogique pour nous expliquer qu’à notre époque il fallait se montrer prêt à tout, à tout moment, et que de toute façon, il n’y avait pas d’autre solution que la violence pour répondre à la violence. Il recyclait la téhorie de Malcolm X. Personne ne mouftait. Il ajouta, pour rassurer les dames présentes dans la salle, qu’il ne fallait pas se fier aux apparences et qu’il connaissait «des guerriers doux comme des agneaux».

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             Rien de tel que de passer d’un oracle à l’autre. Alors on dit adieu à l’oracle des nouvelles technologies pour introduire l’oracle de l’heavy funk de Soul, Bobby Patterson. On devrait dire l’immense Bobby Patterson. C’est grâce à The Heritage Of A Black Man, une compile Sam Dees, qu’on s’est intéressé à Bobby Patterson. John Ridley y rappelait que Sam Dees avait confié «What Goes Around Comes Around» à Bobby Patterson. Alors il n’en fallut pas davantage pour aller fouiner du côté de Bobby Patterson. Belle série d’albums, forte personnalité, on peut facilement le comparer à Bobby Parker. Au fil des albums, Bobby Patterson prend toutes les apparences d’une révélation. On découvre aussi que ce black Texan de Dallas sait tout faire : composer, produire et tourner pour la promo de ses singles.

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             Pas étonnant du coup que son premier album, It’s Just A Matter Of Time, soit devenu culte. Et si tu veux choper le pressage Paula Records, fais gaffe, il coûte la peau des fesses, comme dirait le Marquis de Sade. Une bonne red fera l’affaire. Patter attaque son album en mode hard r’n’b avec «If You Took A Survey». C’est un féroce, un admirable warrior, fantastique présence, grosse insistance. Les fans de Patter ne jurent que par «How Do You Spell Love», un slab d’heavy funk, il fait le show, pas de problème. Il rugit comme une panthère noire, à la façon de Wilson Pickett. L’autre hot spot de l’album se planque en B : «Right On Jody», encore très Pickett dans l’esprit, très back of my mind, Patter est précis, exact au rendez-vous. Pour un premier album, c’est coup de maître. Patter entre dans la galaxie des grands Soul Brothers.

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             Pas question de prendre un mec comme Patter à la légère, surtout quand on a dans les pattes un album comme Second Coming. Il y fait du big Patter, solid as hell, il y va au yeah ‘cos I’m down, il cadre bien son boogie-groove de blues («If He’s Getting The Thrills»). Patter te montre la voie, yeahh, il s’implique dans son process, il te tombe encore sur le râble avec «All We Have In Common», même si ça reste du cousu de fil blanc. Et voilà qu’il te groove la cage thoracique avec «You Can’t Steal Something», il plonge dans un lagon de good time, une vraie merveille. Et puis voilà la surprise du chef : «Right Place Wrong Time». Il a tout, le Patter : la classe et les orchestrations, il te groove tes nuits chaudes de Harlem, il ramène tout le gusto du Patterson de right place. Il passe au funk avec «Keep Your Hand To Yourself» et se couronne roi du groove avec «I’ll Take Care Of You». Il promet de faire gaffe à elle, son now now est sincère, il y va au groove d’oooh baby. Il se fond comme une anguille dans le slow groove d’«I’ve Just Got To Forget You», aw my Gawd, Patter est géant du fondu, il flirte en permanence avec l’épouvantable génie, quel album ! Il termine avec un «Fingers Do The Walking» plus funky. Mais pas n’importe quel funk, t’es chez Bobby, il te fait un funk de get down on the floor/ I’m gonna get my fingers do the walking/ I’ll get your love, c’est du niveau supérieur, il y va au I’ll get your love, pur jus de make the scene !   

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             Sur la pochette d’I’d Rather Eat Soup, Patter porte un beau costard blanc assorti à sa Les Paul blanche. Il se fend d’un duo d’enfer avec Lois Peoples sur «Charity Begins At Home». Il sort encore le grand jeu pour «It Ain’t All About The Sex», une espèce d’heavy check it out, Patter fait son heavy Bobby au now now now, il affirme que tout ne tourne par uniquement autour du sexe, now now now, ils touille bien son fonds de commerce à la Johnny Guitar Watson, il joue cette carte à plein, il ramène de la ferraille dans son groove, ça sent bon le Patter no-stair. Il a tout le répondant dont on peut rêver, il fait même du funk avec «Drink From Your Own Well», Patter n’est pas un amateur, son funk est sauvage, pas du tout maîtrisé, ah ah ah, il rigole entre deux rasades. Et sans transition, il passe au heavy blues avec «Talk Slow Blues», c’est du sérieux, il ne laisse rien au hasard, Patter est un pote, chez lui, une note est une note. Il chante son «When The Licking Stops» les jambes écartées, sa voix porte loin vers l’horizon. Il renoue avec Johnny Guitar Watson dans «My Weakness Is You», il a le même sens de la descente dans le weakness, my weakness is you girl.    

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             Fantastique album que ce Storyteller qui n’est pas si vieux, puisqu’il date de 1998. C’est un bel album de Black Power («Bricklayer», il te groove le dancing strut d’entrée de jeu - I’m a brick/ Brick/ layer), mais aussi de funk («I Got To Get Over» et «Yellow Pages», l’hard funk de Patter qui fait son JeeBee), mais il est surtout l’un des rois de la good time music («Let’s Do Something Diferent», «If Every Man Had A Woman Like You» et «It’s Got To Be Mellow», il adore la Soul des jours heureux, il t’emmène littéralement au paradis). Au paradis encore avec deux Beautiful Songs : ««I Fell Asleep (One Time Too Many)» et «I Can Help You Get Even With Him», merveilleux balladifs de satin jaune, ses slowahs collent bien au papier. Quel beau crooner ! Il sait se montrer intense en matière de dramaturgie. Et comme le montre «I’ll Take Care Of You», Patter sait aussi faire de l’art moderne.

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             Live At The Longhorn Ballroom aurait pu s’appeler Hot & Sexy. Patter chauffe la salle au scream, pulsé par la rythmique de James Brown. Il est ce que les Anglais appellent un performer of choice. Il joue le blues d’«I’ll Play The Blues For You» avec un niaque effroyable. Dans les zones de répit, il jazze ses notes, il joue liquide. Patter est un cake extraordinaire. Il rend hommage à la Nouvelle Orleans avec «Let The Good Times Roll», il ramène de l’accordéon dans le son. Tu veux savoir à quoi ressemble l’extrême beauté d’un heavy groove ? Alors écoute «Right Place Wrong Time». Patter est l’artiste suprême, il faut le voir se couler dans la Soul, les chœurs font «somebody !», et Patter reprend la main. Il rend ensuite hommage à James Brown avec «When Lickin’ Stops», il est partout, ah !. La grande force de Patter c’est d’allumer le funk sur la durée et de rester powerful. Au cœur de l’action, il se marre, ah ah, il crée les conditions de l’heavy funk long distance operator. Il termine avec l’un de ses vieux hits, «I’d Rather Eat Soup», il te swingue ça au long cours, il reste passionnant pendant 7 minutes, il est bel et bien le Patter Noster, il groove jusqu’au bout de la nuit au somebody else, une vraie merveille.

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             Patter grimpe sur sa moto pour la pochette de ce big album qu’est Back Out Here Again. Ce n’est pas une petite moto. Au moins une Harley. Patter tient sa Les Paul noire dans les bras et au dos, on le voit porter son blouson marqué Bobby Patterson. C’est donc un homme complet. On peut dire la même chose de l’album, cet album complet démarre en trombe avec le morceau titre, un shoot de wild boogie d’une rare violence. S’ensuit un pur coup de génie, «I Got Yo Hoochie», Patter l’amène avec une classe incroyable, il groove l’heavy blues et ouvre la Mer Rouge pour offrir le passage à un solo de sax. Il passe à l’heavy funk de Soul avec «Big Thigh Cutie Pie», c’mon Bobby, il te shake le juke vite fait ! Il atteint encore une profondeur de funk extraordinaire avec «A Good Man», il est tellement pur dans sa démarche qu’il frise le génie en permanence - A good man is hard to find - Il tranche encore dans le lard de la matière avec «How Do You Spell Love», hey, il force bien le passage ! Il a en plus un jeu très agressif qui l’absout de tous ses péchés. Avec «Must Be The Hood In Me», il bascule dans l’intimisme - I’m just the same old man/ Doin’ the best I can/ Yeahhhhh - Il te souffle son yeahhhh dans le cou et il termine avec une retake de «Big Thigh Cutie Pie», c’mon pie, ah hah, il est sur tous les fronts, Patter est le vainqueur suprême, il te fend le lard du groove en deux, il a cette énergie du c’mon baby et du yeahh, et des blackettes viennent rapper sur le butt du cut. Pur genius !        

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             Paru en 2014, I Got More Soul est encore un big album. Patter y fait du gospel avec «Everybody’s Got A Little Devil In Their Soul», il est just perfect, everybody ! Il groove le gospel, avec des chœurs de mecs. Il amène «Your Love Belongs Under A Rock» au heavy bassmatic, ça devient vite une merveille inexorable. Chez Patter, on se régale à chaque instant. On entend aussi un joli coin-coin de sax. Il fait plus loin de la petite pop de Soul avec «I Feel The Same Way». C’est dans l’esprit de Sam Cooke. Il est à l’aise dans tous les genres. Non seulement il est à l’aise, mais il excelle à tous les coups. Retour au groove de swamp avec «Can You Feel Me». Il passe en rampant et ne laisse bien sûr aucune chance au hasard. Il taille dans l’épaisseur du son. Il est l’un des rois méconnus du groove. Perché sur ton épaule, il croasse le groove des potences et te rappe la mort. Il replonge plus loin dans l’heavy funk avec «It’s Hard To Get Back», mais il le fait à la manière de Jimi Hendrix, au temps de «Killing Floor». Il gratte ça à la folie. S’ensuit un vieux slowah typique des surboums de 67, «I Know How It Feels». Il chante avec des mains baladeuses, Patter te ramène au jardin d’Allah, qui est le paradis sur cette terre. Il termine cet album qu’il faut bien qualifier d’album classique avec «The Entertainer Pt 1». Il est à la fois Johnny Guitar Watson et Spike Lee, il est là pour te donner du wild bonheur, il groove au petit bonheur la chance, fabuleux Patter, il te sert une ultime rasade d’heavy groove, celui qu’on destine généralement aux heavy groovers. 

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             Le petit conseil qu’on pourrait donner aux amateurs de grosses compiles serait de rapatrier celle que Westside consacre à Patter, How Do You Spell Love? (The Paula Recordings 1971-73). Rien que pour l’«Everything Good To You (Just Don’t Have To Be Good For You)», cut de Soul de rêve, Patter s’y montre puissant et solaire, il y va au aw no !, il n’en démord pas. Il fait aussi de l’excellent funk : «If Love Can’t Do It (It Can’t Be Done)», «Make Sure You Can Handle It» et «If You Took A Survey», il s’y montre digne de James Brown, c’est gratté et cuivré à outrance. Il attaque son Suvey au hey lookin’ In !, et rend un hommage spectaculaire à James Brown. Belle énormité encore que ce «What Goes Around Comes Around», son groove décolle très vite, Patter ne traîne pas en chemin. La dominante reste bien sûr le r’n’b, comme l’excellent «Right On Jody» - I got the feeling/ In the back of my mind ! - Patter touche à tout, surtout aux vulves, comme le montrent «Take Time To Know The Truth» ou le sexy «I Got My Groove From You», une merveille de groove ondulatoire. Il reste au paradis du groove pour «It Takes Two To Do Wrong» et nous re-pond un hit de juke avec «How Do You Spell Love». Une vraie merveille : scream + nappes de cuivres = la recette du bonheur. Il passe au wild r’n’b avec «Quiet Do Not Disturb», ça joue au raw primitif. Avec le vieux slowah «She Don’t Have To See You (To See Through You)», il se prend pour les Stones. Il prend «This Whole Funky World Is A Ghetto» à la petite attaque de pelle à tarte, il danse le cul en arrière, il y va à reculons, il yeah-ehhhhhte, il ergote comme un coq en pâte.

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             Si on veut se payer un dernier spasme royal, alors il faut écouter Taking Care Of Business, une belle compile Kent illuminée par le sourire de Patter. Ça grouille tellement de puces là-dedans ! Ses hits sont d’une fraîcheur garantie à 100%, il sonne comme Wilson Pickett et tout Stax avec «Soul Is Our Music», puis «I’m Leroy I’ll Take Her» t’envoie directement au tapis, c’est un heavy r’n’b à la «Tighteen Up» - Hey I’m li-Roy ! - Encore du pur jus de Wilson Pickett avec «Broadway Ain’t No Funky No More» et «Don’t Be So Mean», il a ce power, il shoute à outrance, encore du classic raw avec «Busy Busy Me», suivi à la trace par une horde de cuivres, et il calme le jeu avec un heavy balladif de Soul incendiaire, «Sweet Taste Of Love». Puis il fait son Sly avec «TCB Or TYA». Screamo primo ! Son génie explose au grand jour. Encore une Soul de prodigieuse qualité avec «Keeping It In The Family», suivi d’un heavy stomp de r’n’b chanté à la voix d’ange, «My Baby’s Coming Back To Me». Il est encore le roi du monde avec «Guess Who». Patter est une bête, c’est important de le signaler. Il sait aussi draguer au fond d’un lit comme le montre «You Taught Me How To Love» et son «I’m In Love With You» est exceptionnel de joie et de bonne humeur. Quel artiste ! Même trempe que Darrow Fletcher. Génie pur.

    Signé : Cazengler, Bobby Chatterton

    Bobby Patterson. It’s Just A Matter Of Time. Paula Records 1970

    Bobby Patterson. Second Coming. Proud Records 1996             

    Bobby Patterson. I’d Rather Eat Soup. Big Bidness Records 1998    

    Bobby Patterson. Storyteller. Good Times Records 1998

    Bobby Patterson. Live At The Longhorn Ballroom. Proud Records 2003

    Bobby Patterson. Back Out Here Again. Proud Records 2012    

    Bobby Patterson. I Got More Soul. Omnivore Recordings 2014

    Bobby Patterson. How Do You Spell Love? (The Paula Recordings 1971-73). Westside 2001

    Bobby Patterson. Taking Care Of Business. Kent Records 1991

     

    *

    Les Spuny sont de retour ! N’étaient pas partis. Un peu, oui si l’on veut, sont allés à Las Vegas, ont écumé l’Europe, z’ont même été au Japon, bref vous les trouviez un peu partout en concert. Plus de treize cents à leur actif. Par contre leur discographie n’est pas aussi longue que le pont de Tancarville, que voulez-vous vous ne pouvez pas être en même temps au four du studio et aux moulins de la scène. Trois ans et demi qu’ils n’avaient pas sortis un album, comme tout arrive en ce bas-monde, viennent de concocter une petite merveille.

    DESTINATION UNKNOWN

    SPUNYBOYS

    (BA ZIQUE / Novembre 2024)

             Faut avoir vu au minimum une fois les Spuny sur scène, au moins après vous savez que vous pouvez mourir sans regret. Une tuerie. Au fond Guillaume, chaque fois qu’il tape vous vous dites qu’il pourfend un coffre de pirates rempli de sequins, l’écho vous les éparpille sur le coin du museau et une pluie d’or tombe sur vous. Ô Danané ! Ô Zeus ! Oui, il abuse des obus perforants, mais quelle performance. Devant Rémi. Lui il ne fait strictement rien. C’est sa contrebasse qui se charge de tout le boulot, il essaie de la retenir, il lui monte dessus pour qu’elle ne s’enfuie pas, peine perdue, il la tient d’une main, elle tournoie, lui échappe, vire, virevolte et finit par s’envoler. Pour se donner une contenance devant un instrument si désobéissant, il chante, un peu à la peau-rouge, énervé du comportement déluré de son bâton de jeunesse, je me demande si je ne devrais pas dire de vieillesse car ça plus de quinze ans qu’ils sont ensemble. Enfin Eddie à la guitare. Ni devant, ni derrière. Ni sur le côté. L’est partout. Donnez-moi un guitariste comme lui, et je ferais aussi bien que les deux autres. Enfin, presque. Non, il n’a pas une guitare à six cordes comme tout guitariste bien élevé, il s’en sert comme d’un arc à six cordes.  Vous pouvez liker chacun de ses licks, les lance comme des flèches, toutes blessent et la dernière vous transperce, c’est simple chaque fois, dans l’interstice ténu qui sépare deux notes de ses commères, dans la vibration qui les unit, son trait pointe et cartonne, et quand ils ne lui laissent pas une place pour s’imposer, il s’en fiche et fiche son dard dare-dare sans retard  dans la cible impossible.

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             Dès que nos trois hallebardiers sont sur scène instantanément ils se transforment en rock machine. Poussent l’outrecuidance à ne jamais être une rock-mécanique. Certes ils jouent avec le rythme, et ils mumusent avec la mélodie, mais ils s’amusent avec les aléas, maîtrisent les accidents du terrain, les embardées, les sorties de route, le pot aux roses c’est qu’ils sont des virtuoses.

              Cachet de cire pour le nom du groupe, nos trois boys sont assis sur les marches qui mènent à une porte fermée dont ils ont l’air de se moquer. Ny portent aucune attention, ne sont pas en train de knockin’ on the heaven’ door, peut-être parce que le paradis c’est eux ! Remarquez le cadre dentelé, rêvent-ils d’un timbre à leur effigie ! L’artwork est de Jake Smithies.

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    A la console, Phil Almosnino a pris le rôle. Les boys n’ont pas choisi le dernier des tocards, z’ont opté pour le brocard, parsemé d’or et d’argent, a officié à la guitare avec les Dogs, les Wampas, Hallyday, plus une multitude d’autres… A première écoute l’on a envie de s’écrier, Destination Inconnue, se foutent de nous ils savent très bien où ils vont, ces gars ne sont pas perdus dans le brouillard, z’ont les yeux fixés sur la ligne bleue de l’herbe américaine. Faut comprendre, vont vous en faire voir de toutes les couleurs, vous allez visiter du pays, un groupe de rockab certes, mais le rockab n’est pas apparu par miracle un beau matin, il vient de loin, l’est né dans tous les Etats du pays, l’est vrai que certains ont été davantage prolifiques et essentiels que d’autres, l’a fallu du temps pour que le rockab se cristallise, si vous jetez votre cristallin dans sa transparence vous apercevrez la draperie diaprée de toutes ses origines, blues, jazz, folk, country, je vous épargne la panoplie, l’Afrique, l’Europe, les particularités régionales, et caetera, et caetera dixit Marcus Tullius Cicero, z’avez intérêt à avoir toute la palette en tête pour goûter au mieux cet album… 

    Fame in vain : vous refilent tout un  dictionnaire en deux minutes et vingt- deux secondes, un régal, n’avez pas repéré un truc que ça passe déjà à une autre surprise, attention ça se bouscule sur la bascule, ne soyez pas captivé par le galop, ils passent la ligne d’arrivée avant vous, vous êtes obligé de vérifier la pellicule  car vous avez raté le plus important, ne serait-ce que ces trois rattellements de contrebasse non électrifiée au tout-début, le glissement des pattes sur le parquet ciré d’une souris que le chat tire en arrière, ses incisives décisives refermées sur la queue du pauvre rongeur. Fame en vingt séquences. Good man deep down : ah ! cette guitare qui sonne comme les cloches de l’église de Carcassonne, l’on quitte l’efficacité rockab pour la suffisance égoïste du country, bien sûr au milieu vous avez ces broderies pas pickée au hanneton, une autre façon de raconter la même histoire, un peu moins glorieuse, mais quel régal que ces rodomontades du gars qui a tout vécu et qui détient la sagesse absolue, image de redneck réac, conservateur, con et stupide. Bref un homme comme les autres, comme nous. Better son since I’m dad : le même que le précédent. Exactement la même chose. Mais après la face nord, voici du côté du sud, la voix de Rémi resplendissante comme le soleil, la batterie de  Guillaume qui trotte gentiment, et la  guitare d’Eddie qui vous fout son grain de sel sur l’oiseau du bonheur qui s’envole. Que l’on regarde monter dans le ciel, l’on sait qu’il va s’évanouir dans l’immensité azurée, mais l’on garde l’illusion qu’il reviendra et acceptera de s’enfermer dans la cage de notre cœur. Blowin in the holwin wind : changement de programme. Hien quoi ? What it is ! Un scandale ! Une hérésie. Un truc interdit ! Qui ne devrait pas exister ! Ils ont osé, qu’on les colle contre un mur, avec de la glue extra-forte, qu’ils ne puissent pas s’échapper, et qu’on les fusille immédiatement ! Vous ne me croirez pas, vous direz que je mens. Pas du tout ! Ils se sont permis, en plein milieu d’un disque de rockabilly, d’introduire du jazz ! Du jazz oui ! Bon, sachons comme les philosophes grecs modérer notre courroux, transformer notre ire en juste réflexion, réfréner  notre colère mauvaise conseillère. Du jazz, soyons précis, exactement du swing. Remarquons, pas n’importe lequel, sont allés directement à l’essence de cette musique de nègres délurés, du swing ! En plus ça ne valse pas mal. L’est vrai que le swing a donné naissance au beat, et le beat est le cœur beattant du rockabilly. Qu’on leur pardonne, surtout qu’ils ne recommencent pas. En cachette, repassez-moi ce morceau, s’en sortent bien de cette avanie, il faut le reconnaître, en plus la voix de Rémi qui monte et descend à toute blinde dans l’ascenseur, c’est très bien. Coffee tox : enfin un rock’n’roll, un vrai, une guitare cochranesque, un piano démantibulé c’est Guillaume qui y touche, normal c’est un instrument à percussion, que dis-je à persécution, quand il vous tient il ne vous lâche plus, un vocal à la Little Richard, connaissent leurs classiques, en plus ils font durer le plaisir, remettent le couvert pour un second service, l’Eddie il poinçonne des hameçons sur sa gratte. Jugez de ma mansuétude, moi qui suis un intox au café je passe sous silence qu’ils terminent en réclamant une tasse de lait !

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    Destination unknown :  on était dans les cinquante, on pousse le curseur sur les sixties, vous font le coup du slow, quoi les Spuny un slow, ouvrez la fenêtre que je me défenestre, un slow aux racines blues et à l’arrache vocale. Tout dans l’intensité. Vous avez une vidéo qui vous explique : deux gaminos, deux frères de sang, deux tout jeunes rockers en herbe, deux flamboyants, un poteau d’Eddie qui a disparu. Un alter égo. L’autre moi qui n’a pas eu lieu. Un hommage, lancé comme une bouteille à la mer sur l’océan de la mort. Poignard poignant. Eddie a le mauvais rôle, celui de la poste restante. In dreams : morceau composé par PC Van Der Erf, chanteur, vous le connaissez sous le nom de Jake Smithies, voir plus haut : sur les premières notes vous parieriez la dernière chemise de votre voisin, à coup sûr un instrumental, ben non Rémi n’oublie pas de chanter. Un rock léger à la Buddy Holly, qui n’est pas sans rappeler Temptation Baby de Gene Vincent, ça sautille, ça grapille, ça file droit tranquille comme une torpille, l’air de rien avec trois petits coups de rien du tout Guillaume signale qu’il mène la cavalcade, Eddie imite le bruit de la machine à coudre électrique de votre grand-mère.  Et si la vie n’était qu’un rêve ? King of Royal Street : dans le même style que le précédent, côté rockab, une petite fille qui joue à la corde dans la cour de récréation, attention, changement de tempo, côté country pour le refrain, le jeune loup aux dents longues qui se la joue et se prend pour le président de la République, j’adapte car par ici on décapite les rois, le gars s’y croit, n’empêche que les instruments s’en foutent, sont tous les trois en train de tressauter à l’élastique. Prennent leur temps. Lily May : un rock gentillet, un peu passe-partout, n’y a qu’à se laisser porter, on écoute la bluette, se terminera-telle bien ou mal. On s’en fout. On se contente d’engranger dans nos neurones auditifs la symphonie rockab, n’arrêtent pas de se repasser le mistigri, une partie de tennis à trois, car la Lily May, elle n’est qu’un prétexte, elle compte pour du beurre, Rémi fait bien le joli cœur pour donner le change, mais l’on n'y croit pas une seconde. Two flames boogie : l’on repasse aux choses sérieuses, un peu de boogie pour effacer l’impression poppy du précédent, un vocal survolté, est-ce vraiment Rémi qui chante, ne s’y sont-ils pas mis à deux, une gratte qui fait le gros dos, une bat’ qui ronronne tel un tigre, le plaisir de jouer, la joie d’offrir, une guit’ qui défrise sa moustache, Guillaume qui enfonce les clous, Eddie qui envoie des signes de détresse, la contrebasse qui trace son chemin, Rémi joue à Jimmy Rodgers, tout va bien, le train peut dérailler, on s’en fout c’est trop bien. Two pizza in a row : deux pizzas (seraient-ce deux  objets transactionnels symbolique) yes, but very hot, on the rock, tout compte fait je me demande, le premier mouvement est souvent le meilleur, si on n’aurait pas dû les fusiller tout à l’heure, là ils se défoncent, sont partis, ne se retiennent plus, c’est un peu la charge de la cavalerie légère, foncent comme des madurles, nous on s’empiffre, on bouffe ces bienheureuses pizzas jusqu’à la boîte en carton, on en raffole. Do right do write : z’ont la recette, facile, vous faites ce qu’il faut et le morceau s’écrira tout seul. C’est le même tour de main que pour les pizzas précédentes, vous enlevez le morceau au triple galop, et vous laissez filer. A fond de train. Ah les fripons, ils n’ont aucun mérite, ils savent jouer, z’ont le rock au bout des doigts, au fond du gosier, entre nous soit dit si vous connaissez un groupe de rockab aussi bon, téléphonez-moi tout de suite. Je suis preneur. Meilleur inutile de chercher, vous ne trouverez pas. Driven by blues : ouf enfin un blues, un peu simili, c’est un blues qui sent un peu  le rock’n’roll, c’est congénital chez eux, ne peuvent pas échapper à leur malédiction congénitale, c’est leur destin, ils n’y peuvent rien, ils y peuvent tout. Dang me : tiens il y a deux semaines le Cat Zengler évoquait l’adaptation française par Hugues Aufray de  King of the road de Roger Miller, les Spuny reprennent ici un autre grand succès de Miller : une belle réussite, pas facile ces passages moitié chantés, moitié parlés, une gageure, Rémi se joue des difficultés, vous imite la pie qui chante comme s’il appartenait au cercle du 3,14, parvient même à nasiller un poil de plus que l’original, sont très fidèles, z’ont réussi à renforcer l’ossature du morceau, sans que rien n’y transparaisse, leur interprétation tient toute seule. Ils n’imitent pas, ils se réapproprient. Sont doués, ou plus exactement ils ont intégré l’esprit de la musique populaire américaine, comme s’ils étaient nés et avaient grandi outre-Atlantique. Pas de panique, des petits gars bien de chez nous !

             Cet opus est une merveille.

    Damie Chad.

     

     *

             L’assassin revient toujours sur les lieux de son crime. Je n’ai pas l’envie particulière de tuer quelqu’un ce soir, quoique l’on ne sait jamais, vous connaissez les gouffres intérieurs de l’âme humaine, simplement la semaine dernière, j’ai pris un grand plaisir à parcourir les vidéos de la chaîne Western AF, alors j’y reviens. J’ai hésité entre plusieurs artistes, cela peut être fatiguant, les country boys ont souvent le cœur en mille morceaux, par la faute d’une fille, ces sales garces, enfin un peu de tenue, messieurs, soyez des hommes, des purs, des durs, des comme moi. J’en ai enfin trouvé un peu différent, alors on écoute.

    THE RED CLAY STRAYS

    (FULL PERFORMANCE – LIVE AF / 30 – 07 – 2024)

    Ils ont commencé petit, en 2016 ils étaient un simple trio de reprises de bar en bar bars, là-bas en Alabama. Deux premiers albums auto-produits en 2022, un troisième en 2024 chez RCA, jugez du chemin parcouru, suivi d’un live de la même crèmerie. Le morceau Wondering why issu de  leur first album Moment of truth devenu viral sur Tik-Tok explique ce changement de statut XXL.

             Ne sont pas du tout au même endroit que Two Runner, sont dans un bar au Callaghan’s Irish Social Club de Mobile.

    Brandon Coleman : lead vocals ,guitar / Drew Nix : vocals, electric guitar  / Zach Rishel: electric guitar / Andrew Bishop : bass / John Hall : drums Sevans Henderson : keys.

             La vidéo commence en blanc et noir, l’on ne voit pas grand-chose mais la voix Brandon raconte qu’ils ont commencé à se produire dans ce bar, avec très peu de spectateurs et une frousse bleue voici six ans, le Callaghan’s est une institution vieille de soixante-dix-huit ans dans lequel il faut avoir jouer (même si vous venez en papamobile) à Mobile. Les voici tous les six qui se dirigent l’entrée éclairée…

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    Wanna be loved : les voilà sur scène, y vont tout doux, la caméra passe sur chacun, elle s’arrête souvent sur Brandon elle a raison, la mélodie s’installe, tout le monde attend une pause, l’est tout beau, ne vous fiez pas aux paroles, qu’est-ce que c’est ce demi-sel qui a besoin d’être aimé, encore un pleurnichard, non sa façon de se tenir, rien de bien original, mais de lui émane une force, et son visage, un peu en lame de couteau, n’ayez crainte il va vous l’enfoncer profond dans le cœur, pose les mots comme quand sur la paroi d’une montagne  l’on bascule des blocs de rocher sur ceux qui essaient de vous suivre, quant aux paroles elles ne sont pas si gnan-gnan que cela, prennent une dimension métaphysique, pas parce qu’il cite Dieu, parce qu’il doute de Dieu, ce qui n’est pas très grave, mais de lui, il est au fond du trou, il ne se fait plus confiance, il ne crie pas, il hausse la voix, il n’implore pas, il retourne le coutelas du scepticisme de soi-même contre lui-même. Tous arrêtent de jouer. Silence absolu. On entendrait voler un ptérodactyle mort depuis soixante millions d’années. Devil in my ear : attention, question ambiance, le précédent vous a des allures de bourrée auvergnate, les musiciens sont au taquet, Henderson caresse son clavier de la peau de ses doigts, une coulée de guitare, Brandon brandit son vocal, il ne hurle pas, il pose les maux et derrière l’orchestration colle au plus près de la montée en puissance et des glissades en descente, l’est loin, Brandon l’est tout seul, autre part, ailleurs, comme un vers tout nu traversé par l’hameçon de la douleur, le diable dans son oreille, l’a plutôt dans le sang, dans les veines, dans les brumes de son esprit, il crie une fois, l’est dans le vertige des médicaments, produisent des effets désastreux, il titube, il tient debout par miracle, en appelle encore une fois à Dieu qui le laisse se détruire tout seul, l’est le seul qui pourra se tirer de son marasme, c’est dur à dire et d’être franc, on ne parierait pas un dollar sur sa réussite. Lui-même n’hasarderait  pas un cent. No one else like me : un cas psychique, se prend pour un cas à part, les gars derrière ne poussent pas la roue, ce n’est pas qu’il pense qu’il n’existe pas un individu aussi exceptionnel que lui sur la planète, c’est qu’il est persuadé qu’il est le pire de tous les êtres humains, alors les copains l’accompagnent, parfois faut faire semblant d’être d’accord avec les grands malades, il crie, il s’accuse de tous les mots, alors derrière la symphonie éclate, les guitares glapissent comme un lot de renard pris au piège, mais maintenant c’est John Hall qui pique une crise, joue à l’infirmier taillé comme un malabar qui dans les lunatic asylums se charge des patients impatients, vous tape sur le récalcitrant comme s’il était le grand timbalier déchaîné du Berliner Philamorniker Orkestra interprétant La Chevauchée des Walkiries, tout le reste de la section lui emboîte le galop, le Brandon n’en moufte plus une, et les autres continuent sur leur lancée… Drowning : vous me faîtes rire avec la grande dépression de 29, c’est repartir pour les fonds souterrains, le Brandon l’a une voix blanche comme un cadavre, le band ne fait pas bande à part, pour un peu pour le consoler ils se transformeraient en un harmonium au fin-fond d’une église perdue, la basse aussi tubéreuse qu’un tubercule, font tous ce qu’ils peuvent, mais Brandon vous a de ces crises de délires à vous faire peur, les copains essaient de l’envelopper d’ouate, peine perdue il hurle comme un chien à qui vous venez de marcher sur la queue, folie du gospel. Silence absolu. Il doit être mort. Pas le chien. Brandon.

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             Sont sympas pour vous remettre de vos émotions il vous offre un générique de fin. Blanc et noir. Les trognes épanouies du groupe, agapes après concert. Après ce que vous venez d’entendre vous avez du mal à penser que ce sont de joyeux drilles. Cachent bien leur jeu. Jouent leur rôle à la perfection.

    THE RED CLAY STRAYS

     (Full Performance  / Live AF / Août 2023)

    Beaucoup apprécié leur prestation. On ne change pas une équipe qui gagne. Même personnel que sur la Performance précédente, ne manquent que les claviers de Sevans Anderson.

    Sont dans la Cité de Laramie. Cet enregistrement ressemble davantage à celui de Two Runner, le groupe seul dans une vaste pièce.  Sa diffusion sur le canal Western AF a concrétisé  le succès initial de Wondering Why sur Tik Tox.

    Un simili générique en noir et blanc, le groupe en train de rouler son matos. Une atmosphère beaucoup plus roots que la précédente session, n’oublions pas qu’elle se déroule un an après celle première, ne serait que par l’apparente froideur du lieu et le ton gris-bistre de l’ensemble.

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    Stone’s Throw :  un doigt sur une corde de basse, Brandon au micro pratiquement a capella, l’a une belle gueule, rappelle un peu celle d’Eddie Cochran, tout le morceau repose sur le vocal, les autres y vont mollo, mais pas mollasson, c’est un régal d’écouter les fuselages électriques des guitares,  interviennent avec des doigts de fées, la voix gagne en puissance, du pur country, une chanson type, sur la route du retour à la maison, nous ne les verrons pas arriver, nous les laisserons à un jet de pierre de la bicoque, juste la route et la fatigue, d’où viennent-ils dans quel village débarquent-ils, on ne le sait pas, juste un instant d’éternité, la route, et rien d’autre. Avant. Après. Aucune importance. L’immensité américaine. Killers : une ballade américaine. Finie l’immensité. Juste une vie. De misère. Il est né dans la rue, il retourne à la rue. American beauty, american reality comme disaient les autres… Une vie exemplaire, le Vietnam, la mort d’un gamin, la prison, j’abrège pour ne pas vous faire pleurer ou éclater… de rire, passer à côté de son existence. Que de temps perdu… Dieu n’est pas pressé de le rappeler. Glaçant.  Une voix qui mord, des guitares qui glissent tout doucement comme des serpents venimeux qui ne veulent pas se faire remarquer.

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    Wondering Why : lisez le texte. Une bluette à l’eau de rose. Pas étonnant que sur Tik Tox les fillettes aient adoré. Ben vous allez être déçus. Une espèce de blues qui pue des pieds, complètement déglingué. Vous raconte qu’il adore cette fille qui l’aime, l’a même un peu de mal à croire à son rêve, mais de la manière dont il plante ses mots, cous croiriez qu’il est en train d’enfoncer encore et encore un couteau dans son cadavre encore chaud.  A l’entendre chanter l’on se dit que ce mec doit être inapte au bonheur. Don’t Care : dans ce dernier morceau, tout est normal, la fille est partie, et lui n’est plus qu’une épave qui n’attend plus que la mort. L’est un tantinet désespéré. Elève la voix. Derrière ils font grincer les instrus comme l’enseigne rouillée de la maison du bonheur abandonnée. Certes c’est désolant. Mais le pire c’est que l’on est obligé de constater que les trois morceaux précédents, quelle que soit la situation, elle n’est pas souvent brillante, c’est toujours la même ambiance, la même déprime, l’histoire d’in gars qui n’arrive pas à coller avec le monde qui l’entoure, avec la vie, avec sa propre existence, avec lui-même.  Chante, s’exprime, avec un tel accent de véracité que vous croyez dur comme du fer à ce qu’il raconte. Si vous rajoutez que le reste du groupe n’en fait jamais trop, jamais trop peu, qu’ils collent à son vocal comme la poisse. Comme la mort à la vie. Vous êtes obligés de reconnaître que ces maraudeurs de l’argile rouge laissent derrière eux des traces inquiétantes. Très fort.

    Damie Chad.

     

    *

    Parfois la vie vous fait de drôles de cadeaux, je sais bien que c’est Noël mais ce n’est pas une raison pour exagérer ! Bien sûr le mythe de l’Atlantide est un gouffre sans fin, mais voici qu’un courriel me met en présence d’un deuxième continent totalement inconnu. Heureusement qu’un lien internet me permet d’aborder ce mystérieux rivage en quinze secondes, mais commençons par le commencement, je vous révèle sans plus tarder l’origine de cette invitation :

    THUMOS

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             J’ouvre l’image. Je reconnais : la couve de l’EP Atlantis que j’ai chroniqué dès sa sortie au mois d’avril de cette année. Etrange, z’auraient-ils réenregistré l’opus, ajouté un ou deux inédits… A première vue, rien de spécial. Nous suivons Thumos depuis longtemps. Rappelons que Thumos est un groupe instrumental post-metal, si cette étiquette désigne vraiment quelque chose, américain. Un des plus originaux, engagé dans une bizarre aventure musicale et intellectuelle qui consiste à rendre compte dans ses opus de la pensée philosophique de Platon. Ainsi nous a été donnée leur interprétation de La République et du Banquet deux des plus prestigieux dialogues de notre philosophe.

             Par ce paragraphe nous ouvrons une parenthèse pour ceux qui s’étonnent de ce type de projet, se demandant comment l’on peut donner une idée d’ouvrages platoniciens juste par l’emploi d’une musique dépourvue de toute parole. Nous les invitons à lire la chronique suivante sur Emmanuel Lascoux qui pose et propose une méthode, c’est ainsi qu’il faut la lire, de transposition d’une œuvre en un autre langage, avec d’autant plus d’intérêt qu’il s’agit de passer d’un texte grec vieux de deux mille cinq cents ans à notre français moderne…

             Avant de quitter Thumos, bien que ce soit le sujet principal de cette Kronic, notons que Thumos ne se livre pas à une tâche stérile à prétention étroitement culturelle. Il s’agit de lire Platon pour mieux comprendre notre propre relation à notre présence au monde, à notre civilisation qui n’est pas au mieux de sa forme, nous savons depuis Valéry qu’elles sont toutes mortelles, qu’en évoquant Atlantis, Platon  pose la problématique cyclique de la disparition de toute culturalité continentale… Plusieurs disques de Thumos font référence à ce questionnement fondamental en empruntant d’autres sujets à des ouvrages qui ne sont pas directement liés aux livres de Platon.

    GBHDL

    (autrement dit)

    GAMES, BRRRAAAINS & HEAD-BANGING LIFE

             Un site d’amateurs de jeux-vidéos et de fans de musique qui vous font bouger la tête, et de par la loi aristotélicienne de la causalité ce qui s’y trouve dedans : votre cerveau. Un sacré remue-méninge. Si vous désirez vous rendre tout de suite sur cette plate-forme tentaculaire munissez-vous d’un paquet de biscuits car il y a lire et à regarder. Or chaque année GBHDL livre son palmarès : les dix meilleurs albums de metal de  l’année et le top ten des dix meilleurs EP de l’année. Vous avez deviné : l’ EP Atlantis de Thumos remporte la première place.

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             Je me méfie toujours des hit-parades, que n’importe quel groupe soit plébiscité par des milliers voire des centaines de milliers de personnes, n’est pas selon moi un gage absolu  de qualité supérieure.... Je proviens du Symbolisme, je pense à Pierre Louÿs qui ne prévoyait d’imprimer sa revue de poésie La Conque à cent exemplaires pour cent lecteurs qu’il choisissait en envoyant les bons de souscription uniquement à ceux qu’il pensait être capables de lire les douze  livraisons prévues pour une seule année.

             GBHDL me surprend agréablement. D’abord il y a deux Tops Ten chacun établi par un seul individu : Brendan et Carl. Bref sont nominés en tout vingt EPs. En numéro 1 Brendan pose Tren Kills pour Blood for the Crown. Un titre qui immédiatement fait penser à Sex Pistols. Carl, vous l’avez deviné dépose une couronne de laurier sur l’EP Atlantis de Thumos.

             Un titre a motivé ma curiosité : des français, Ways et leur EP Are Wee Still Alive ? Nous les chroniquerons dans notre prochaine livraison.

    Damie Chad.

     

    *

             Ce n’est pas un rocker, l’on se demande bien d’ailleurs pourquoi les Dieux lui ont laissé la permission de vivre, il joue même du piano Mozart, Beethoven, Brahms et tout le bataclan, oui toute la clique classique, certes c’est un esprit ouvert, une qualité qui ne lui octroyait tout de même aucune chance d’avoir une chronique à son nom dans un blogue rock, z’oui mais il a l’âme grecque, et vous connaissez mon parti pris immodéré pour la Grèce, bref on l’écoute…

    EMMANUEL LASCOUX

            Dans la vie civile il exerce la noble profession, en voie de disparition, de professeur de grec. Vient de faire paraître une traduction de L’Illiade, un dangereux récidiviste, en 2021 il s’était attaqué à L’Odyssée. Chez POL. Comme il est musicien en ce mois d’octobre il a sorti un drôle de récit intitulé Le Poids des Pianos. Inutile de vous ruer dessus, ce n’est pas une bio sur Jerry Lou. Revenons à ses homériques traductions. Elles posent problème, ce ne sont pas des traductions. Attention ce n’est pas un tricheur, il est fidèle au texte, il n’en supprime pas des passages, il ne rajoute pas des épisodes non plus. Lui, il dit qu’il en propose une version. La sienne, il ne prétend pas qu’elle est meilleure ou supérieure à toutes les autres.

             Le mot version vous a fait pâlir, de mauvais souvenirs scolaires remontent à la surface de votre mémoire, parfois la mer recrache les débris de naufrages oubliés, entendez le mot version autrement. Prenons un exemple précis : si je vous dis que les Spunyboys (voir chronique supra) vous présentent sur leur tout nouvel album une version de Dang Me de Roger Miller, le mot ‘’version’’ ne suscite en vous aucun effroi, vous êtes en pays de connaissance, la reprise est un des éléments fondationnels du rock’n’roll.

             Les textes d’Homère c’est un peu comme le texte de Be Bop A Lula, l’un est écrit en grec et l’autre en anglais. Prenez le temps d’écouter la version des Chaussettes Noires du hit de Gene Vincent. Chinoisons un peu, Homère n’a jamais écrit ses deux méga-poèmes, à l’époque de leur conception, les Grecs ne savaient pas écrire, il les composait, les imaginait dans sa tête, il les récitait, il les chantait, il s’accompagnait d’une  lyre non électrifiée. Comme l’ensemble des deux poèmes comptent plus de vingt-cinq mille vers, vous imaginez le boulot. Négligeons tous ceux qui ont participé à cette œuvre collective…

             Essayez de réciter de tête deux cens vers de Victor Hugo au dîner de communion du petit dernier. Pas facile. Vous avez dans les tirades d’Homère des trucs, on dit des moyens mnémotechniques, pour réactiver la mémoire défaillantes, des répétitions, les fameuses épithètes homériques, Achille au pied léger, par exemple.

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    Emmanuel Lascoux part du principe qu’il y en avait d’autres qui n’apparaissent pas dans le texte en notre possession, les variations de timbre du récitant-chanteur, le débit plus ou moins rapides, les mimiques qui aident l’aéde, vraisemblablement diverses positions théâtrales du corps… Les Grecs écoutaient-ils religieusement l’artiste dans un silence absolu, Emmanuel Lascoux n’est pas en accord avec cette image d’Epinal, le vin circulait, certes les récits mythiques étaient captivants mais pour maintenir l’attention du public, le texte devait aussi emprunter des expressions et des moyens élocutoires en vigueur à l’époque de ces satanées récitations. Prenez exemple sur moi, puisque j’écris pour un public de rocker je me permets de glisser dans un texte portant sur les problèmes de traduction d’Homère une allusion au pumpin’piano de Jerry Lou.

    Emmanuel Lascoux s’est lancé dans une démarche similaire. L’a décidé d’utiliser le français qui se parle aujourd’hui. Un français qui suit les rythmiques des musiques qui nous entourent, les syncopes du jazz, les accentuations slamiques, l’impact sonore du rock, il n’hésite pas non plus a utiliser le langage sonore et interjectionnel des BD onomatopiques, bim, bam, boum ! Crac, boum, hue !

    Bref il nous livre une version peu académique de l’Illiade et de l’Odyssée. Certains adorent, d’autres se bouchent le nez. Lorsque les premières traductions d’Homère ont paru à la fin de la Renaissance, les littératures grecques et latines que l’on redécouvrait étaient considérées comme des modèles insurpassables, on les révérait, on drapait les textes originaux en les styles ampoulés, les plus déclamatoires les plus châtiés, les plus respectueux, les plus grandiloquents, dignes des Dieux et des Héros… Cette tradition s’est maintenue jusqu’à aujourd’hui même si des parodies de ces épopées ont assez vite vu le jour…

    Vous trouverez très facilement sur le net de multiples vidéos dans lesquelles Emmanuel Lascoux explique sa démarche. A un niveau théorique, mais aussi pratique. Il lit le texte grec, il lit plusieurs traductions d’un même fragment effectuées par plusieurs auteurs qui l’ont précédé, et donne de multiples extraits de son propre travail. Il prend soin de mêler à ses lectures le texte grec originel, dont il essaie par la même occasion de retrouver la musicalité originelle. Tentative peu évidente, aucun enregistrement sonore ne nous est parvenu de l’Antiquité ! Actuellement, c’est un peu la mode, l’on demande à l’Intelligence Artificielle de retrouver la prononciation ‘’ originelle’’ de langues ensevelies dans les catacombes du silence dont il ne nous reste que des écrits.

    Certains s’étonneront de cette chronique consacrée à Emmanuel Lascoux, c’est oublier un peu vite les années de tâtonnements que le rock’n’roll français a tenté avec beaucoup plus d’échecs que de réussites à adapter les textes américains et anglais des artistes d’outre-Manche et de l’autre bord de l’ Atlantique. Le passage d’une langue à l’autre n’est pas évident, créer des équivalences crédibles n’est pas une sinécure. Une simple évidence : beaucoup de groupes français utilisent l’anglais…  Ecoutez voir !

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 670 : KR'TNT ! 670 : THE DAMNED / LAWRENCE / JAKE CALYPSO / SHEL TALMY / RONNIE WALTER/ ROCKABILLY GENERATION NEWS/ TWO RUNNER / CLAUSTRA / POGO CAR CRASH CONTROL / CHARLES EAST / EDDY MITCHELL

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 670

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    19 / 12 / 2024

      

     THE DAMNED / LAWRENCE

    JAKE CALYPSO / SHEL TALMY / RONNIE WALTER

    ROCKABILLY GENERATION NEWS

    TWO RUNNER / CLAUSTRA  

    POGO CAR CRASH CONTROL / CHARLES EAST

     EDDY MITCHELL

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 670

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Au bonheur des Damned

    (Part One)

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             Alors les Damned, c’était comment ? Power ! Élysée ! Captain ! Second Time Around ! Tempête ! Cap Horn ! Démâtage ! Wild as phoque ! Punk-rock ! Ni-Ni-Ni Neat ! Rat ! Bim ! Bam ! Boom ! New Rose ! I don’t know why/ I don’t know why ! Tonnerre de Brest ! It’s a Love Song ! Moule à gaufres ! In my face ! Flash-back ! 1977 ! I break my heart to please/ Eloise ! Te voilà fétu pour deux heures, les Damned te charrient et t’emportent. Depuis 1977, les Damned t’ont toujours charrié. Ils n’ont fait que ça. T’adores te faire charrier. T’es fait pour ça. La vie et puis la mort, le temps t’emporte, et les Damned sont un groupe purement métaphorique, ils ont le même pouvoir que ce temps qui t’emporte. Alors tu t’en délectes. Pire, tu te livres. Tu assumes parfaitement ton destin de fétu. C’est même une occasion en or de l’assumer. C’est très physique et en même temps très abstrait. En plus, t’as le spectacle. L’un des meilleurs spectacles de rock qui se puisse imaginer ici-bas. Tu le sais depuis Mont-de-Marsan, en 1977 : t’avais jamais rien vu d’aussi wild sur scène que les Damned à Mont-de-Marsan, Dave Vanian torse nu dans le cagnard, un vrai snake, et puis Captain et Rat et Brian James comme autant de rock stars sorties de nulle part, surtout Brian James. Et quasiment cinquante ans plus tard, ça recommence, avec exactement le même genre d’intensité sauvage. Le même genre de wild-as-fuckiness. C’est plus joli en anglais.

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             L’Élysée est rempli à ras-bord de vieux punks. Tu les entends raconter leurs souvenirs du temps jadis. Tu vois tous ces T-shirts des Damned. T’attends des heures et les voilà. Ovation. Double ovation. Triple ovation. Bordel, voilà les Damned ! T’écarquilles bien les yeux. Radadadadadam ! Ouverture des hostilités avec «Love Song». Oui, parfaitement, radadadadadam, Paul Gray gratte l’intro historique que grattait jadis Algy Ward with a coin, et l’énorme machine de guerre des Damned se met en route. L’Élysée tangue comme un trois-mâts pris dans la tempête du Cap Horn, ça ondule merveilleusement, tu commences à prendre des coups dans le dos. Ils enchaînent avec «Machine Gun Etiquette» et la foule en délire reprend le second time around avec Dave Vanian. Second time around ! Clameur monumentale ! Second time around ! On se croirait dans un film révolutionnaire d’Abel Gance, avec ces milliers de figurants alignés sur la falaise. T’as clairement l’impression de vivre un moment historique. Les Damned fédèrent le monde entier ! Alors tu brailles avec les autres ! Second time around ! Tu vis l’un des sommets de la clameur du rock anglais. T’en peux plus ! Tu te gaves du bonheur de la clameur. Tu bloques l’instant pour l’éternité en gueulant comme un veau ! Second time around ! Tous les fétus gueulent. Ça n’en finit plus de gueuler. Ça n’en finit plus de finit plus ! Encore ! Encore ! Second time around ! Mais les hits des Damned ne durent que trois minutes et tu vas bloquer que dalle. La tempête se calme soudainement et les Damned entrent dans le ventre mou du set. C’est une chance. Sans ce retour au calme, l’Élysée se serait écroulé.

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             Sur scène, t’as quasiment la mouture originale, ne manque que Brian James. Rat vient faire des ronds de jambe devant la foule avant d’aller s’installer derrière son kit. Il est assez haut et semble solide, même avec sa tête de pivert déplumé. Au fond t’as Monty Oxymoron, et dans un coin Paul Gray sur sa basse Rickenbacker. Devant, t’as Dave Vanian, tout en noir, gants noirs, lunettes noires, et comme tu le vois d’assez près, tu constates qu’il n’a pas pris une seule ride, rien, pas la moindre trace de vieillissement. Un vampire ? Va-t-en savoir ! Voix intacte. Dave Vanian reste l’un des meilleurs.

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    Et pour compléter ce fastueux panorama, t’as Captain. C’est lui le héros, un vrai clown et l’un des rois du killer solo flash, il tape tous ses plans sur une SG, comme le faisait jadis Brian James. Sous son béret rouge, il multiplie les grimaces, il lève la patte en l’air, il fait le clown, mais joue comme un dieu. Captain, c’est l’Haddock du rock, le clown suprême, ton meilleur ami, le punk-rock à deux pattes, le dernier des Mohicans, le claqueur de claquemures, l’extrême onction, le polichinelle de la Comedia des temps modernes, le Don Quichotte de la punka, l’impératif de l’imparfait, l’en-veux-tu-voilà plein les mains, le zébulon en large et en travers, l’espace intermédiaire, le réfectoire des références, l’apologie du rigorisme, le médiateur des médiators, le beret rouge sur Kolwezi, le Victor des Gogos, l’essuyeur d’emplâtres, l’allons voir si la New Rose est éclose, oui, amigo, Captain c’est tout ça et beaucoup plus encore, l’Achab des accablés, le blé des pauvres, le pote aux roses, le Rose-Croix du Golgotha, le quota des cote-parts, le partisan du parmesan, le zan du zazou, le zou-prolétariat du rock, l’eurock des 27, le set d’étable, ça n’en finirait plus, avec ce mec-là, et pendant ce temps, les Damned déroulent leur répertoire, ils réveillent un peu le Cap Horn avec «I Just Can’t Be Happy Today» qui n’est malheureusement pas au niveau des cuts du premier album tarte-à-la-crème, par contre, ils explosent «Eloise», ce magnifique hit de Paul & Barry Ryan que bizarrement les gens n’aiment pas trop, mais pour Dave Vanian, c’est l’occasion de réaliser un véritable exploit, car il faut aller la chercher, l’Eloise ! Et il la trouve, à la pointe de sa glotte de vampire. Ils vont boucler le set avec «Neat Neat Neat» et nous jeter à nouveau dans les remous du Cap Horn. Ils vont faire deux rappels. Le premier avec «Curtain Call» et bien sûr «New Rose», et là, c’est l’apocalypse selon Saint-Qui-tu-veux. Puis Captain va revenir et se demander, à voix haute, au micro, quel est le meilleur moyen de finir. «Smash It Up» ? Eh oui, Captain ! Smash it Up ! Ah il aime bien smasher son vieux Smash It Up. Ça lui rappelle sa jeunesse et nous la nôtre. Fin de la rigolade : les Damned se barrent. Fallait bien t’y attendre.

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             Captain revient au micro une première fois pour balancer ça : «Marci (sic) Marc Zermati, Little Bob, Stiff Records.» T’en a des frissons dans le dos. Puis il revient une deuxième fois pour rebalancer ça : «Hope we’ll live long enough to be back.» Old punk Captain prend soin de ses fans. Nous aussi on espère être encore en vie la prochaine fois.

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             Personnage tout aussi fascinant que Captain, Dave Vanian entre dans la cour des grands avec le Mojo Interview, rubrique habituellement réservée aux têtes de gondole. Il s’agit pour Dave Vanian, et donc les Damned, d’une sorte de consécration. Il précise très vite qu’il ne donne jamais d’interviews car il considère que la musique parle d’elle-même, et il ajoute que dans ce monde obsédé par la transparence, il préfère préserver sa privacy. Il rappelle ensuite l’épisode de la formation des Damned, après l’échec des Masters Of The Backside, projet qu’avait monté McLaren avec Chrissie Hynde. Rat lui présente Brian et c’est parti. Dave Vanian voit tout de suite que ce mec a quelque chose d’autre - I knew he had something different - Ce qui pour Vanian fait la force des Damned, c’est qu’ils étaient quatre fortes personnalités - As individuals they would have been stars in their own right - et il ajoute : «It reminded me of a wild jazz band.» Quatre fortes personnalités, ça ne vous rappelle rien ? John, Paul, George & Ringo. Ou encore Johnny, Jerry, Walter & Billy. Ou encore Alex, Chris, Andy & Jody. Vous voyez le genre ? Oui, les Damned c’est exactement le même concentré de génie que les Beatles, les Heartbreakers ou Big Star. Et quand Pat Gilbert lui demande pourquoi il a choisi de devenir un vampire, Vanian prend une pause avant de répondre - I’ve always preferred my own company - Et quand bien sûr Gilbert aborde l’aspect drunken hellraisers du duo Captain/Rat, Vanian répond sèchement que ça a bousillé pas mal d’opportunités - It was a bit stupid, basically overgrown schoolboys stuff - Alors que les autres sifflaient des pintes, Vanian préférait un verre de brandy. Et quand ils roulaient leurs clopes, Vanian fumait des cigarettes russes - I just preferred the taste - Mais en matière de chaos, Dave Vanian préférait laisser faire. Ou plutôt feignait de ne rien voir. Il rappelle que Captain et lui n’ont jamais socialised together, and still don’t, mais ils s’entendaient bien pour composer, comme le montre Machine Gun Etiquette. Au plan business, Dave Vanian rappelle qu’il n’a jamais gagné un rond avec Stiff. Il a seulement commencé à se faire du blé avec MCA, mais pas tant que ça - Je ne me plains pas, mais les gens croient qu’on est millionnaires, comme Billy Idol, mais ça n’a jamais été le cas, loin de là - Et pour lui, deux choses n’ont jamais changé avec les Damned : «It never gets any easier and it’s never as glamourous as it should be.» Il finit par faire cette confidence extraordinaire : «Ce qui m’a toujours motivé, c’est que savoir que les Damned avaient toujours a new good album à venir. I’m amazed we’d lasted that long. But I’m very proud of what we’ve done.»

    Signé : Cazengler, damé du pion

    The Damned. Élysée Montmartre. Paris XVIIIe. 1er décembre 2024

    Pat Gilbert : The Mojo Interview. Mojo #293 - April 2018

     

     

    Wizards & True Stars

    - Lawrence d’Arabie

    (Part Four)

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             Tiens ! Un book sur Lawrence d’Arabie ! Comment cela se fait-ce ? Qui peut avoir eu cette idée saugrenue ? L’idée vient du cerveau d’un certain Will Hodgkinson qui, pour parvenir à ses fins, a passé un an à sillonner les rues de Londres et de ses interminables banlieues avec Lawrence d’Arabie, qu’il qualifie, pour les besoins de la postérité, de Street-level Superstar. D’où le titre de ce book événementiel : Street-level Superstar - A Year With Lawrence.

             Force est d’entrer dans la danse des superlatifs car Hodgkinson a raison. On tient là l’une des dernières superstars d’Angleterre. Street-level, pour ne pas dire underground. On a déjà épluché tout Felt, tout Denim, tout Go-Kart Mozart, tout Mozart Estate dans les Parts One, Two Three, on ne va donc pas y revenir, même si l’envie brûle les lèvres de rappeler que certains de ces albums atteignent des sommets.

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             Lawrence d’Arabie s’est taillé un petit look sur mesure, à base de casquette à visière bleue, de grosses lunettes noires, et de mèches de cheveux filasses, ce qui d’une certaine façon le plastifie. Il est sans âge. Il fait ce que Ziggy fit avant lui : il s’auto-invente, il s’auto-fige, il devient iconique. Il est entré dans la peau de son personnage et il s’y tient. Il le maîtrise. Il l’incarne à la perfection. Il a les albums qui lui permettent de jouer ce jeu qui pour lui n’est pas un jeu. C’est toute sa vie. Il mérite pour ça un immense respect. Le plus immense. Il ne demande rien d’autre que d’être Lawrence d’Arabie et de briller au firmament de la grande pop anglaise. C’est donc avec un terrible bonheur qu’on entre dans ce book, car Lawrence d’Arabie s’y exprime au long de 300 pages agréables au toucher, admirablement composées dans un corps 12 bien aéré, la vie circule bien dans l’interlignage, et l’esprit règne en permanence, car rien de ce que dit Lawrence d’Arabie ne va te laisser indifférent. Quelques images rassemblées à la fin et imprimées sur le bouffant semblent vouloir résumer la trajectoire terrestre de l’icône. Les gris sont lavés à cause du bouffant, mais les images parlent. On va donc pouvoir se livrer une fois encore à cette petite manie des fièvres citatoires, mais n’est-ce pas là le plus sûr moyen de donner envie de lire ?

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             Au dos, t’as six hommages de personnalités (dont Jarvis Cocker, Bobby Gillespie, Miki Berenyi), et les deux plus intéressantes sont peut-être celle de Brett Anderson qui explique en trois lignes que Lawrence d’Arabie s’est toujours situé entre le succès et l’échec - Lawrence’s destiny was to be something uniquely in-between - et puis celle de Lawrence d’Arabie himself qui est un chef-d’œuvre d’auto-distanciation : «Will has finally written his masterpiece. Glad I could be of service.» Il sublime ainsi l’aspect plastique de son personnage. Il se prête à l’auteur pour que celui-ci fasse un bon book. Tiens, Will, voilà Lawrence d’Arabie, cadeau ! C’est pour toi, prends ! Will prend.

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             Il n’empêche que Will et son icône ont parfois des échanges comiques. Un jour Lawrence dit à Will que «d’écrire mon book me fera le plus grand bien», et Will est obligé de le recadrer en lui disant que ce n’est pas lui, Lawrence qui écrit : «I am.» Et il enfonce son clou dans la paume de l’icône : «You are the subject, I’m the writer.» Lawrence revient à la charge en posant toutefois ses conditions. Pas question de citer certaines anecdotes, par exemple celle de l’omelette au fromage. Il argumente : «Ce n’est pas ce que les fans veulent lire.» Quels fans ?, lui rétorque Will. Alors Lawrence répond «The fans around the world», et Will lui dit que l’omelette au fromage sera dans le book. Et là, t’a Lawrence qui lâche : «No omelette is going in my book.» Du Dada pur.

             Alors Will plonge dans l’icône et s’en donne à cœur-joie. Il commence par la situer dans notre pauvre époque : l’icône méprise Internet et les smartphones, l’icône ne se nourrit que de crackers, de tasses de thé et de liquorice (réglisse), l’icône ne peut pas vivre sans projet - To be without purpose is the worst thing I can think of - L’icône s’avoue dégoûtée par la vulgarité de la vie moderne. Parce qu’elle n’a jamais eu de hit, l’icône est encore obligée à 61 ans de faire gaffe à tout, c’est-à-dire de compter ses sous, comme le font beaucoup d’entre-nous.

             Encore plus épineux : l’aspect relationnel, il y a des femmes, bien sûr, mais l’idéal est de rencontrer someone with the same record collection, ce qui dans la vraie vie n’arrive jamais. L’icône dit aussi avoir été morbidly obssessed with The Exoercist à l’âge de 11 ans (le book, pas le film), d’autant qu’on racontait à l’époque que ce n’était pas une fiction.

             L’icône mène une vie monastique, à base de livres, de disques et de fringues - Books are the house bricks of my world. Records are the slate roof. Clothes are the soft furnishing - Il évoque sa dernière copine, the French girl. Il se dit presque soulagé de l’avoir vue partir - I said, «I’ll never be in a relationship ever again.» I never have. I like my own company. The sex part, you forget about it after a while. And I wasn’t, what do you call it, testosterone-heavy. I was a two-minute wonder. They’re not missing much - L’icône s’est asexuée - I’ve been asuxual ever since - Terminé, la gaudriole.

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             L’icône parle très bien de sa condition. Ses amis Peter Astor et Douglas Hart trouvent des jobs. Pas Lawrence d’Arabie. Il prend l’exemple de Knut Hamsun qui préférait mourir de faim et manger du papier plutôt que de décrocher un job - Si quelqu’un le voyait par exemple faire la plonge, ça aurait détruit sa crédibilité, et c’est comme ça que je fonctionne. Quoi qu’il arrive, je suis un compositeur et un musicien, et je ne peux pas faire autre chose - Et il conclut ainsi : «I cannot admit I’m not an artist.» C’est ça ou rien. Crever la dalle, pas de blé : aucun problème. L’icône s’assume.

             Autre chose. Le genre de petit détail qui en dit long : l’icône ne supporte pas les lézards. Quand il est invité à jouer à Glastonbury, on lui dit qu’il va devoir dormir sous une tente. Une tente ? Pas question ! Il s’insurge : «Where are the cottages for the stars?». On lui redit la tente. Alors Lawrence balance : «What if a lizard runs over my face?».

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             Côté influences, il n’est pas avare de merveilles - Il avait 12 ans quand il a vu en 1972 T. Rex jouer «Metal Guru» à Top Of The Pops et ça a changé quelque chose en lui. ‘From then on, I was T.Rex mad. Je crois que j’étais amoureux de Marc Bolan. C’est le moment où j’ai su ce que je voulais faire de ma vie.’ - L’icône trouve sa vocation. Il avoue aussi un petit faible pour «unsung geniuses like Chicory Tip and Lieutenant Pigeon.» Il salue aussi les Vibrators - They had the sound I liked: fast and angry - et bien sûr David Bowie. Puis il traverse cette époque où tous les groupes anglais (Weather Prophets, Primal Scream et les Mary Chain) voulaient être le Velvet Underground, «mais il n’y a qu’un seul Velvet Underground». Puis il flashe sur Nick Drake et notamment «River Man». Puis sur l’«I Threw It All Away» de Dylan qui se trouve sur Nashville Skyline, un cut qui lui montre qu’il est possible de composer une «love song with subtlety and originality.» Taxi Driver reste son film préféré - Harvey Keitel est le mac, et sa scène avec De Niro m’a fait pleurer parce que je n’avais jamais vu d’acting aussi intense avant. It is uncompromising.

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             Retour sur Felt, dont le premier album, Crumbling The Antiseptic Beauty date de 1982. L’icône en devenir avait mis trois ans à mûrir ce projet «in his teenage bedroom in the Birmingham village of Water Orton: Felt allait enregistrer 10 albums en 10 ans, en suivant un tight musical and visual aesthetic. This was to be an art band, avec des photos en noir et blanc de Lawrence et de ses co-conspirators affichant des moues profondes, un look qui s’accordait parfaitement avec cette musique hazy and dream-like dominée par le jeu fluide du guitariste Maurice Deebank, un virtuose discret que Lawrence avait découvert dans le village et qu’il voyait comme son passeport pour la gloire.» C’est admirablement bien résumé. L’icône en devenir se dit fière d’avoir découvert un génie dans son village - In a small village of a couple of thousand people, right on my doorstep was a genius. I was very lucky - Le problème, c’est qu’à l’époque, l’icône en devenir flashe sur Television. Pas Maurice - Maurice didn’t know Television, didn’t hear Television, didn’t like Television, wasn’t bothered about Television. He thought punk was ridiculous and he didn’t care about the subtleties of the fashions I was interested in - Et donc, dès le départ, il y des tensions dans Felt.  

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             Et puis Lawrence impose sa loi : par de grattes sunburst et uniquement des médiators blancs. Comme Maurice a une gratte sunburst, il doit la faire repeindre en noir. Puis l’icône en devenir va se transformer en tyran, s’inspirant, nous dit Will, de Kevin Rowland qui réveillait ses Dexys Midnight Runners à 6 h du mat pour aller faire du jogging. Pour recruter, l’icône en devenir hésite : prendre un bassman parce qu’il sait jouer ou parce qu’il est bien habillé ? En tournée, il interdit aux autres Felt de picoler, il leur impose de porter un uniforme et d’avoir des étuis de guitares rectangulaires. Il veut aussi fouiller les sacs de voyage, pour voir si les fringues sont conformes. Il veut surtout voyager à bord de «cool vintage cars.» - Being tyrannical on tour was the dream and God knows I tried, but they didn’t like it. Didn’t like it at all. And unfortunately, I didn’t have the money to buy their loyalty - Il avait aussi demandé à Tom Verlaine de produire Felt et Verlaine avait répondu non, car les chansons de Felt n’avaient à ses yeux ni début, ni middle, ni fin, «no light or shade, no arrangements.» Et bien sûr pas question de reformer Felt - Lou Reed a reformé le Velvet Underground, but I’m stronger than him - Et il a joute ceci qui est terrible : «Je pense que Lou Reed voulait reformer le Velvet Underground pour avoir son heure de gloire - his day in the sun - et en faisant ça, il a détruit la magie du groupe. I would never dismantle the magic of Felt.» Et Will surenchérit : «And he never has.» Fin de Felt. Tout ce qu’on peut faire à ce stade des opérations, c’est réécouter les albums. On ne perdra pas son temps.

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             L’icône va ensuite se jeter dans l’aventure Denim. L’icône dit qu’au temps de Denim elle était à la recherche d’un Londres qui n’existait plus, «Terence Stamp’s London in particular, avec des groupes comme Middle Of The Road, the Glitter Band - but not Gary Glitter - et Opportunity Knocks.» Elle ajoute plus loin : «On top of this, j’aimais les chansons courtes, quinze minutes sur chaque face de l’album. Put it all together and you are up with Denim.» Will corrobore tout ça en rappelant que Back In Denim, paru en 1992, était en avance de trois ans sur la Britpop. L’icône se dit aussi fière d’avoir fait cracker John Leckie, un producteur qui avait bossé avec tous les cracks, «John Lennon, Phil Spector, Mark E. Smith, and I was the one who drove him over the edge.» L’épisode Denim le plus hilarant est celui de Denim On Ice, inspiré d’un concert du «progressive keyboard wizard» Rick Wakeman en 1975 au Wembley Empire Pool, et intitulé ‘The Myths & Legends Of The Knights Of The Round Table On Ice’. Will nous donne quelques détails : «Un horn player rond comme une queue de pelle tenta de poursuivre Guinevere alors qu’elle glissait sur la piste, un combat entre deux chevaliers ne put avoir lieu parce qu’il en manquait un, des patineurs lancés dans des figures mythiques se cassaient la gueule sur la glace, et Wakeman fut tellement affecté par ce désastre qu’il en fit une crise cardiaque à l’âge de 25 ans.» 

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             Après Denim, voilà venu le temps de Go-Kart Mozart et de Mozart Estate qu’il qualifie de «world’s first B-sides band.» Comme pour Felt, il veut que ça reste «a band that doesn’t drink.» Le rider du groupe spécifie : «Only chocolate, Cadburys Daily Milk ideally, alongside raw cashew nuts, pistachios and confectionnery. No tea because nobody can make it to my specifications, and the band want 0 per cent beer. A can of Coke for me, pas la grande bouteille qu’on ne peut pas emmener partout. C’est très simple - le rider le plus simple in the UK, I reckon.»

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             On croise aussi un fantastique hommage à Peter Astor. L’icône le découvre au temps de the Loft - The Jasmine Minks jouaient : great name, awful band. The Loft jouaient en première partie : awful name, great band - Et il ajoute plus loin : «Peter Astor allait devenir une big star et il avait tout : the looks, the songs, the image. Mais il a commis une fatale erreur : il a splitté son groupe au mauvais moment. He wanted complete control, and when he got complete control, it wasn’t as good.» Il rend aussi hommage au book de Jim Carroll - Jim Carroll’s teenage New York teenage drug memoir The Basketball Diairies - «I’ve still got it. Very good book.»

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             Le cœur battant du book, c’est l’hommage à Vic Godard. Il s’agit d’une admiration qui remonte au «September 1976 punk special» du 100 Club quand les Subway Sect «rejetaient la mode punk en faveur du gris, et composaient des sharp songs inspirées du cinéma et de la littérature française.» - Vic Godard fournit alors à Lawrence le modèle de ce que pouvait être une vision pop - Et l’icône en devenir d’ajouter ceci qui est assez royal : «Number One Subway Sect Fan in Birmingham was my official title.» Vic va devenir the guiding light de Lawrence d’Arabie. Au point d’affirmer : «He’s the best songwriter who ever lived.» Au moins, comme ça, les choses sont claires. Et boom, l’icône emmène son portraitiste Will à Kew, où vit Vic. Vic n’a jamais quitté Kew. En 2006, il s’est installé dans le «bungalow» avec son père Harry qui a aujourd’hui 102 ans. On le voit en photo dans les gris lavés des pages de fin. Vic, Will et Lawrence entrent tous les trois dans la chambre du vieux qui croasse : «I remember you.» Puis il ajoute en pointant le doigt vers Lawrence : «You’re in that terrible band.» Attention, on est chez les cracks en Angleterre, et les échanges nous dépassent. Et Vic avoue à l’icône transie d’admiration qu’il ne peut plus donner de concerts, car il s’occupe d’Harry à plein temps - I’m here the whole time looking after him - Vic va dans la kitchen et met l’eau à bouillir pour faire un thé. Will se marre : «C’est bien la première fois que je vois Lawrence accepter une tasse de thé chez quelqu’un.» Et puis t’as ça qui va t’envoyer au tapis : Lawrence d’Arabie compare le jeune Vic à Antoine, «the naughty but philosophical boy hero of Truffaut’s The 400 Blows.» Pas mal. Bien vu ! Personne n’est plus punk qu’Antoine Doinel. Tu vois le punk courir à la fin des 400 Coups. Punk car innocent. Quelle connexion ! Lawrence/Truffaut/Godard ! Lawrence et Will ont tout compris. Et c’est pas fini : Vic dit à Lawrence éberlué que son inspiration lui est venue à l’époque d’une photo de Richard Hell et Tom Verlaine dans Interview magazine - Tom Verlaine is wearing a budgie jacket and Richard Hell has a ripped jumper. I hadn’t heard a note of their music - Quand Lawrence voit Subway Sect pour la première fois en décembre 1977 au Top Rank, «it was the greatest concert he had ever seen.» L’échange se poursuit et Will nous dit que Lawrence est tellement excité en présence de son héros qu’il passe son temps à l’interrompre - Tu portais des pantalons gris et un flash jumper. I still do that combination to this day - Et Vic commence à balancer des infos de choc. Il explique par exemple que son amitié avec le guitariste Rob Symmons s’est cimentée quand il a découvert que le gardien de l’immeuble où Symmons vivait à Putney n’était autre que le père de Marc Bolan. Puis il y a l’histoire du bras de fer avec la manager Bernie Rhodes qui leur dit de trouver un batteur avec les cheveux courts - Alors on a cherché le batteur qui avait les cheveux les plus longs - Will assiste à cet échange de rêve et nous propose de méditer sur ça : «Alors que Vic Gogard expliquait d’une voix claire et lente sa façon de voir les choses, il apparaissait clairement qu’il disposait d’une nature aussi contradictoire que celle de Lawrence. Le punk-rock l’avait défini, mais ses héros étaient Hoagy Carmichael, Johnny Mercer, Irving Berlin, Cole Porter... All the old names, as he called them.» Vic ajoute qu’il est allé voir chanter Frank Sinatra en 1977, «right in the middle of punk». Mais il dit aussi avoir flashé sur «Something In The Air» de Thunderclap Newman, et «Somethin’ Stupid» de Frank & Nancy Sinatra - Rod Stewart’s Every Picture Tells A Story was the first album I bought. I loved Rod Stewart... until he went really shit - Puis il avoue sa passion pour Guy de Maupassant - Notre bibliothèque municipale avait tous les scripts des films de Jean-Luc Godard et je les recopiais pour mes chansons - Après le split de Subway Sect, Vic dit que Bernie Rhodes le payait «£50 pour écrire dix chansons par semaine.» Mais il n’en est rien sorti - Meanwhile, I wanted to get as far away from punk as possible, so I went towards jazz and swing on Songs For Sale. My upbringing allowed me to do that - Évidemment, cet album est l’un des favoris de Lawrence d’Arabie - To me, Songs For Sale is unquestionably the best album of the 1980s. It has the best songs; the best music, the best ideas, the tightest band. It was on London records, which is great, because that’s the label Denim signed on - Puis il demande à Vic ce que signifie cette phrase dans «Moving Bed» : «I may fall asleep while composing a verse, I may set myself alight again.» Et Vic lui explique : «It’s about gear» - Will développe : «Vic spent much of the 1990s on heroin, cleaning up in 1989 after becoming a postman, although he had a relapse in the late ‘90 after his mother died.»

             C’est l’occasion ou jamais de sortir les Vic de l’étagère.

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             Vic porte un beau smoking sur la pochette de Songs For Sale. Ce crack du croon est parfaitement à l’aise dès «Hey Now (I’m In Love)», il fait du Sinatra à l’anglaise. Notez bien les noms des cracks qui swinguent derrière Vic Sinatra : Chris Brostock on bass et Sean McLusky au jazz drum. Vic appelle sa fine équipe The Subway Sect. Ils swinguent encore comme des démons sur «Crazy Crazy». Tu peux y aller les yeux fermés. Hommage à Tony Bennett avec «Mr Bennett». En B, t’as encore deux merveilles de swing : «Dilletante», bien swingué sous le boisseau, et «No Style», au bout de la B, plus bossa. Vic Sinatra roule bien sa bossa. T’as là un cut puissant et léger, avec le piano en roue libre.  

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             Paru en 1993, The End Of The Surray People est un fabuleux album. Vic Godard y rend un hommage qu’il faut bien qualifier de mythique à Johnny Thunders dans «Johnny Thunders», c’mon boys ! Il siffle ! On suppose que c’est Edwyn Collins qui gratte les poux de Johnny T. C’est du pur mythe d’I’m gonna quit this town forever/ Quit this town for good/ Just like Johnny Thunders, avec les chœurs des Dolls et le bassmatic mirobolant et ultra malveillant de Paul Baker, ou de Clare Kenny, le saura-t-on jamais ? L’autre grosse pointure de l’album, c’est Paul Cook qu’on entend mener l’instro «Inbalance» tambour battant et qu’on retrouve plus loin dans «The Pain Barrier». Ah le Cookie sait battre le beurre ! Avec «Some Mistake», Vic Godard tape une pop godardienne d’excellence suprême. Présence miraculeuse ! Encore deux coups de génie sur cet album : «Talent To Follow» et le morceau titre à la fin. Pur génie que ce Talent, avec son bassmatic élévateur et les gimmicks flamboyants, Godard allume comme un punk de la première heure et ça donne la meilleure pop d’Angleterre. Et puis ce morceau titre que tu va réécouter en boucle, car c’est l’Americana de London town, admirable de singalong, Vic Vodard chante ça d’un ton prodigieusement inspiré, c’est gratté à coups de slide mirifiques. Les épithètes font la fête car c’est un cut magique ! Pas étonnant que Lawrence ait flashé sur Godard.

    , the damned, lawrence, jake calypso, shel talmy, ronnie walter, two runner, claustra, pogo car crash control, charles east, eddy mitchell,

             Et puis t’as la poisse. Une street-level superstar sans la poisse, ça ne serait pas crédible. Il est sûr de son coup avec «Summer Smash». Mais au moment du lancement officiel du single, la Princesse Diana se tape un summer smash en vrai sous un tunnel parisien. Le lancement officiel du «Summer Smash» de Lawrence est annulé. «It was over», said Lawrence. What happened next? «I Had a mental collapse.»

             Un designer de mode nommé Rick Owens voulait monter le «Mount Rushmore of ageing rock» avec des «craggy-faced rock characters». Alors il en choisit quatre : «the communist fashion victim Ian Svenonious, Saul Adamczewski from the South London grots the Fat White Family, and Peter Perrett of the punk-era band the Only Ones, a man to match Lawrence with his apparent indestructability in the face of a less-than-healthy lifestyle.» Si Rick Owens avait monté ce plan dans les sixties, il aurait sûrement choisi Ace Kefford, Syd Barrett, Brian Jones et Vince Taylor.

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             Un autre projet qui fait la fierté de l’icône : elle participe à la compile Light In The Attic And Friends, avec une cover du «Low Life» de Public Image Limited, «turning John Lydon’s caustic eulogy to Sid Vicious into a punk singalong with added easy-listening pizzazz.» Alors on l’écoute. Comme c’est du Light In The Attic, c’est un bel objet, un double album richement illustré mais mal documenté (le texte sur Barbara Lynn ne mentionne même pas le nom d’Huey P. Meaux). Ce ne sont que des covers. Lawrence est en B avec Mozart Estate et une version glammy du «Low Life». Il se répand bien sur la terre d’Angleterre. L’autre grand bénéficiaire de cette opération n’est autre qu’Iggy Pop avec une cover de l’«I’m In Luck I Might Get Picked Up» de Betty Davis. L’Ig se jette corps et âme dans la purée. Il n’a jamais été aussi Stoogien. Deux autres champions hors catégorie sauvent le projet : Barbara Lynn et Acetone. Barbara tape une cover de «We’ll Understand» à la vieille voix, c’est une vraie merveille de délicatesse black. Il faut attendre l’excellent «Plain As Your Eyes Can See» par Acetone, en D, pour flasher abondamment : vraie atmosphère, c’est même carrément envoûtant, deep & groovy, lourd de conséquences, avec un solo liquide. Les covers de Rodriguez («Slip Away» par Charles Bradley), de Wendy Rene («After Laughter») et du «Sad Old Man» de Karen Dalton par Mark Lanegan ne marchent pas.

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             Will cerne admirablement bien la personnalité de ce personnage complexe qu’est Lawrence d’Arabie. Vers la fin du book, il tente ce très beau résumé : «C’était un homme qui gueulait après ses musiciens s’ils jouaient une fausse note (ou une note juste), et qui leur tapait gentiment sur l’épaule lorsqu’ils sortaient de scène. Il avait de la sympathie pour les fous, les pauvres et les addicts, mais il avait aussi une forme d’admiration pour les gens riches et célèbres. C’était un célibataire qui allait au lit en rêvant de Kate Moss, un ascète que les privations avaient presque tué, un homme obsédé par le contrôle qui ne voulait pas que j’utilise le mot ‘just’, mais qui contribuait tellement à son book. Le monde allait dans un sens et Lawrence dans un autre, et je ne pouvais m’empêcher de penser qu’il en serait toujours ainsi.» Will fait le portait un excentrique britannique. Et il résume encore mieux, à la dernière page : «Quel est le prix du rêve ? Pour le payer, Lawrence a sacrifié sa santé, sa famille, ses relations et sans doute sa santé mentale pour l’art, la gloire, la pop et une vision singulière. Maybe sacrifice is the wrong word, though.» Il se pourrait que ce soit la définition d’un artiste. «Lawrence était destiné à parcourir sa route tout seul. Cette route pouvait être à Beckenham, Welling, Waltham Cross, ou n’importe à quel endroit où nous sommes allés pendant l’année que nous avons passé ensemble, mais cette route n’a ni point de départ et point d’arrivée et il se pourrait bien que Lawrence continue de parcourir cette route jusqu’à la fin de sa vie.» C’est beaucoup mieux écrit en anglais, bien sûr. Ce book est tellement bien écrit, et le personnage de Lawrence tellement bien cerné, qu’on se promet de le relire.

    Signé : Cazengler, le rance

    Will Hodgkinson. Street-level Superstar - A Year With Lawrence. Nine Eight Books 2024

    Light In The Attic & Friends. Light In The Attic 2023

    Vic Godard & The Subway Sect. Songs For Sale. London Records 1981

    Vic Godard. The End Of The Surray People. Postcard Records 1993

     

     

    L’avenir du rock

     - Hit the road Jake

    (Part Three)

             En bon descendant du singe, l’avenir du Rock aura passé toute se vie de concept à singer. Il singeait différemment selon les années. À l’aube des années 70, il adorait porter un masque de truite puant et un chapeau de quaker en l’honneur de son chouchou préféré, Don Van Vliet. Il lui arrivait aussi de porter un costard blanc auréolé de transpiration coloniale en hommage à Luke la main froide et à Calimero, ses deux littérateurs préférés, aussitôt après Houellebecq dont il a cherché à imiter la coiffure sans jamais y parvenir. Il adorait aussi se mettre en trave pour aller faire la New York Doll au bois de Boulogne et se faire casser la gueule dans les fourrés par des loubards de la Porte de Vanves. Dans la vie, il faut toujours savoir pousser le bouchon, et l’avenir du rock n’a jamais été pingre en la matière. Au contraire. Il s’est mis à bouffer comme un porc et à porter des lunettes d’aviateur pour défendre la mémoire d’Elvis que tous les cons du monde s’ingéniaient à calomnier. Et comme ça ne servait à rien, il s’est acheté une paire de lunettes à monture écaille et un veston d’un beau bleu électrique pour singer le Buddy de «Reminiscing». Bon, c’est vrai, il ne serait jamais allé jusqu’au look Brian Setzer car il faut en avoir les moyens capillaires, alors il a préféré opter à cette époque pour la boîte de cirage, les lunettes noires et le petit chapeau pour faire l’Hooky, se balader avec un flingot et chanter «Boom Boom Boom Boom». Il a aussi fait l’Indien avec une plume dans le cul pour honorer la mémoire de Linky Link, mais aussi celle de Marvin Rainwater, et s’il porte une salopette bien crade, avec de la vraie bouse, c’est bien sûr en l’honneur de Carl Perkins. Ah les culs terreux de Tiptonville, dans le Tennessee ! Il a bien sûr appris à cracher sa chique comme Charlie Feathers, à se curer les dents avec un cran d’arrêt comme Sonny Boy Williamson et à se faire sucer la queue pendant qu’il chante comme Jimbo. S’il t’accepte dans son intimité, l’avenir du rock te confiera qu’il n’a d’yeux que pour le punk-rock, d’oreille que pour le wild gaga des Gories, de goût que pour le rockab 56, de passion que pour la Soul d’Hi, d’envie que pour l’Hill Country blues de Como, avec en prime un faible pour le Calypso.   

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             Ça pourrait être la danse, mais l’avenir du rock parle bien sûr de Jake Calypso. En plus c’est pratique, car c’est un Français. Une sorte de superstar pas très connue, qui à l’inverse des superstars trop connues, ne fait que des bons disks. Jake Calypso multiplie les projets. En voici une nouvelle rafale.

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             Le nouvel album des Nut Jumpers vient de sortir : Generation Rock N’ Roll. Dans un monde idéal, chacun devrait le rapatrier. Un monde idéal, ça voudrait dire des millions de fans de Jake à travers le monde et donc de millions de rapatriements. Alors Jake pourrait se payer un Graceland du côté de Béthune et faire ce qu’Elvis n’a pas réussi à faire : continuer d’enregistrer des albums de rockab sauvage. Du rockab sauvage, t’en as plein dans Generation Rock N’ Roll : «Back In Black», t’as le slap qui fouette couenne du lard, t’en as aussi dans le morceau titre et dans «Stop Drinkin’ Still Play Rock’n’Roll». Jake reste fidèle au pulsatif des origines, celui de Bill Black. Alors attention, t’as Helen Shadow qui prend le chant sur «Chickies». Wow, comme elle est bonne, comme est fabuleuse d’à-propos, elle sait couiner ses fins de phrases. Et t’as trois cuts qui sonnent comme du Buddy Holly : «I Ain’t Messing Around», «So Good So Good» et «Pearly Doll Got Married», tous les trois embarqués au paradis, avec belle tension rockab et le chant Buddy. Comme sur son Tribute à Buddy, Fool’s Paradise, Jake refait de l’heavy Buddy sur fond de deep slap, c’est une merveille ! Avec «Don’t Know Where I’m Going», il va plus sur l’Elvis de «My Baby Left Me». Il est dessus. Et puis t’as cette autre merveille de French rock, «A Plein Cœur». Il enfonce les cracks du genre. C’est vaillant, beau et demented. 

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             Le Music For Females du Wild Boogie Combo est dédié à Hasil Adkins. Alors attention, fini la rigolade. Démarrage en trombe avec «She’s Mine», wild-catism de base et de rigueur ! Jake pousse des cris de souris. Il s’y jette à corps perdu. Avec Lux Interior, Jake est le seul à avoir pigé le principe d’Hasil. «Tornado», c’est tout bêtement la tornade du bulldozer, l’heavy weirdy weird, avec tout l’éclat de Buddy Holly. Heavy on the beat ! C’est même quasi-primitf, claqué à l’écho des cavernes. Jake explore et explose toutes les possibilités du rockab. Il retombe en plein Hasil avec «Bip Bop Boom». Il prend aussi «Bertha Lou» en mode heavy, il lui écrase le beat, il bat largement Tav Falco à la course, sur ce coup-là. Puis il fait son Jerry Lee avec «High School Confidential», il t’explose ça à coups de bop-a-school-high - Honey get your boppin’ shoes - Il y met toute son énergie et ça devient spectaculaire. Et puis, t’as ce «Roll Roll Train» écœurant de classe, gratté à la sourde, classique mais tellement gorgé de spirit. Il passe au trash-punk avec «Bonie Moronie». Il se couronne Empereur du blasting blast. Retour au pulsatif rockab avec «Baby Won’t Come Out Tonight», le beat est tellement détaché que ça frise le purisme extrême, Jake te gratte l’oss du beat à la sourde et chante exactement comme Hasil Adkins. Il pousse ensuite Buddy dans la friteuse trash-punk pour une version endiablée de «Rave On». Il reprend tout à zéro. C’est effarant d’explosivité. Il a encore la main lourde sur «Susie Q» et revient à Hasil avec «Woodpecker Rock», il en halète de sauvagerie, ah-ah-ah-ah ! Et ça continue dans l’Hasil avec le mighty «Chicken Walk», wild blast de Virgine, c’mon baby ! T’as peu d’albums d’un tel niveau de sauvagerie dans l’histoire du rock. Jake nous fait ses adieux avec le blast de la lutte finale, «Tore Up». Wild as fucked-up fuck !

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             Un nouvel album du Wild Boogie Combo paraît en 2020 : Black Hills Country Blues, avec un terril sur la pochette, comme on en voit dans les environs de Béthune. Lumière crépusculaire. Image en noir et blanc. Ça ne peut être que du noir et blanc. Influences : Junior Kimbrough, Fred McDowell, Dr Ross et Tony Joe White. L’heavy rumble de «Magic Pill» tombe en plein dans ce spot d’influences. Jake tape toujours en plein dans le mille. Plus loin, il secoue bien le cocotier d’«Eggs & Bacon», avec un admirable drive de c’mon baby. Il tape encore son «Baby Hold Me» au Mississippi beat, celui de Fred McDowell, tempo élastique noyé d’harp, sauvage et domestiqué à la fois. Incomparable. Puis il trempe son «Black Days» dans la mouise des dirt roads, mmmmm I don’t know. De la fantastique allure encore avec «Saturday Night Boogie». Jake est le cake du wild boogie, ça ne s’appelle pas le Wild Boogie Combo pour rien. Et il tape bien sûr un coup de Gospel batch avec «I Pray For Him». Tout sonne juste sur cet album. Pur jus d’Americana.

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             C’est Jake le gardien du temple, comme le montre Rockabilly Star. Cette fois le combo s’appelle Jake Calypso & His Red Hot et tu te prends «Rockabilly By Plane» de plein fouet. Tu l’as tout de suite dans le baba, c’est du big fat bop de don’t wait at the station. L’autre power-coup de génie de l’album est le morceau titre. Jake a tout le swagger des géants du rockab US, encore une merveille d’authenticité boppy, avec un killer solo flash de Christophe Gillet, l’un des cracks du real deal. La troisième perle noire de cet album est l’extraordinaire «She Bops Around The Clock», c’est même l’un des hits les plus faramineux du rockab moderne, il a tout : le yah!, le killer solo flash et le drive de bop. Ses yah! sont tellement purs ! Il fait encore de l’Americana avec «Blue Moon Bill», il te groove le rootsy rootsah avec un tact infernal, il fait aussi du Buddy avec «21st Century Boy» et du wild-catism avec «Alone With My Cabs & Dogs», bbbbbbopp it to the core ! Les Red Hot perdent un peu le rockab avec «My Baby Is Gone», mais en attendant, ils restent de sérieux clients.

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             Nouveau projet avec The Memphis Blues Cream et un fabuleux album, 706 Union Avenue. Ça commence avec «Bear Cat», un hommage délirant à Rufus Thomas - Jump & meow with the band - Jake y atteint l’un de ses sommets de tongue in cheek. Il tape ensuite le «Tiger Man» de Joe Hill Louis, heavy boogie down de Sun magic. Il tape à la suite le «Red Hot» de Billy The Kid Emerson, que va populariser Billy Lee Riley. Jake lui redonne sa fonction boogie originelle. Hommage à Pat Hare avec «I’m Gonna Murder My Baby», cover déchirante avec Earl The Pearl Banks on guitar ! Ça grouille de viande en B, à commencer par «Last Time» de Woodrow Adams, un heavy boogie tapé au Memphis Beat avec les coups d’harp de Vince Johnson. On reste dans la légende avec le «Barber Shop Boogie» de Willie Nix : hommage suprême au Sun Sound, c’est plein comme un œuf, et Jake chante à l’édentée, comme un Blackos. Jake dit aussi que Junior Parker «opened the way for the rockabilly guitar style», c’est vrai qu’avec «Love My Baby», on est aux sources de «Mystery Train». Et boom, tu prends la cover du «Come Back Baby» de Dr Ross en pleine poire, car Jake te gratte ça en mode proto-punk. Quel mélange ! C’est unique au monde : le proto et le Memphis Beat. Jake y injecte toute sa niaque rockab. S’il avait pu rencontrer Uncle Sam, il lui aurait redonné le goût d’enregistrer, aucun doute là-dessus. Nouvel hommage de poids à Joe Hill Louis, «the first overdriven & distorded guitar sound». Boom ! «Boogie In The Park» ! Jake et ses potes le tapent au train, au beat fouetté, avec un incroyable pouvoir d’évocation. C’est exactement ce pouvoir qu’avait en tête Uncle Sam. Chaque cut est ici taillé dans un son différent. Jake leur redonne à tous une forte personnalité. Exactement ce que fit Sam Phillips en son temps.

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             Tu vas faire une bonne opération en te tapant One Take Jake 2009/2019 et son petit frère, Second Take Jake 2010/2019. Ces deux compiles te permettent de revisiter toute l’œuvre de Jake Calypso. Il attaque l’One Take Jake avec un «My Baby Rocks» chanté de l’intérieur du menton. Il fait aussi le chicken de Rosco Gordon dans «Call Me Baby», tiré de Father & Sons. Retour à cet extraordinaire album que fut Vance Mississippi, avec le morceau titre, monté sur un beat primitif de caisse en bois, chanté au redneck growl pur, et quand Archie Lee Hooker, le neveu d’Hooky, entre dans la danse, alors ça explose en mode Boogie Chillun. Tiré aussi de Father & Sons, voilà l’indéfectible «Indian Boppin’». Jake y va au fast heavy bop de Charlie, au wild-catism délibéré. Il croone à la lune avec «I Was A Fool About You» et repart en mode hard bop avec «I’m Fed Up» encore tiré de cet album d’une incroyable qualité que fut Father & Sons. «Plans Of Love» sonne tout simplement comme un hit inter-galactique. C’est l’apothéose du cool. Il égrène les villes du Sud dans «Rock’n’Roll Train» tiré de Grandaddy’s Grease et te claque «Cause You’re My Baby» en mode Jerry Lee. Il a ce genre de niaque. Il sait aussi taper le Cajun comme le montre «C’est Ça Qu’est Bon». Dans «Born & Die», il salue tous ses héros, George Jones, Charlie Feathers, et Carl Perkins. Voilà un inédit : «Save Your Soul», pur jus d’Amaricana, avec un yodell du Kentucky. Le bop est au rendez-vous de «Baby That You Fall», et en fin de parcours, on tombe sur cette merveille qu’est «Cotton Field Day» et qu’on retrouvera sur le Blues Never Lies de Lonely Jake. Pur shake de champ. Il connaît ça par cœur.

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             La suite de ta bonne opération s’appelle Second Take Jake 2010/2019. Tu peux y aller les yeux fermés, alors yallah ! Ça pleut des cats & dogs, «You Killing Me» (tiré de Downtown Memphis, Jake y rivalise de grandeur tutélaire avec les rois du croon), «Ciderella» (gratté à la sourde, encore tiré de l’extraordinaire Grandaddy’s Grease), «Gonna Bring You Back» (bien claqué du beignet, tiré aussi de Grandaddy’s), «I’m A Real Cool Cat» (un smash de hard bop tiré des Lockdown Sessions, c’est hallucinant de verdeur bop !), «Babe Babe Baby» (pur jus de Sun rockab), et avec «Tell Me Lou», tu te croirais sur un single Meteor ou Starday, tellement c’est criant de véracité rockab. Coup de génie bop encore avec «Hey Barber Barber», avec tout le deepy deep de Vance, Mississippi, et qui dira la fantastique allure de «Torrid Love» ? Et t’as encore un mirifique hommage à Elvis avec «That’s All Right». T’es en plein cœur de Downtown Memphis. Et à la fin, t’as cette perle noire d’«If I Had Me A Woman», pur rootsy rockab. On se régale aussi de «Passion & Fashion», tiré de Father & Sons, pur jus d’Americana dans l’esprit d’O Brother. Jake montre une singulière aptitude à sonner vrai.

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             Grand retour des Hot Chickens en 2022 avec le joliment titré It’s Time To Rock Again. Alors oui, ça rocke le boat chez les Chickens avec, tiens, pour commencer, une cover ventre à terre de «Surfin’ Bird». Pur destroy oh boy ! Encore pire que celle des Cramps, ils y vont au ba-ba ooouh mama ! Autre stab de trash : «Unchained Melody». Vraiment ultimate, ils tapent ça au garage-trash fondamental. Jake joue avec le chant comme le chat avec la souris. Et tout l’album est un peu comme ça, débridé. Tiens, ‘coute cet «It Surely Ain’t The Rolling Stones» d’ouverture de bal. C’est bien sonné des cloches. Jake et ses deux potes te tapent ça au wild gaga sauvage. Wild as f-f-f-f-f-f-f-f-fuck. Impossible de qualifier ça autrement. Wild as fucking fuck ! Puisqu’on parle du loup, le voilà : «F***k You», gratté à la Gloria-mania. Suivi d’un gros clin d’œil endiablé à Chucky Chuckah : «Repose Beethoven» - Repose Beethoven/ Dans ta dernière demeure ! - Schmoll n’aurait pas fait mieux. À quand un tribute à Chucky Chuckah, Jake ? L’autre cover de choc, c’est bien sûr «L’Hymne À l’Amour», Jake y va au Piaf de si tu m’aimes et au Piaf de je me fou-ouuuhhh du monde entier ! Et ils repiquent une crise de wild-catism avec «We Are A Rock’n’Roll Trio». C’est leur fonds de commerce. Pur rockab de just set up and go ! Et avec «Take On Me», t’as tout le power du surnuméraire, mais au débotté.

    Signé : Cazengler, Calypso dans le vide

    Nut Jumpers. Generation Rock N’ Roll. Rhythm Bomb Records 2024

    Wild Boogie Combo. Music For Females. Chickens Records 2010

    Wild Boogie Combo. Black Hills Country Blues. Around The Shack Records 2020

    Jake Calypso & His Red Hot. Rockabilly Star. Around The Shack Records 2021

    The Memphis Blues Cream. 706 Union Avenue. Around The Shack Records 2022

    Jake Calypso. One Take Jake 2009/2019. Rock Paradise 2018

    Jake Calypso. Second Take Jake 2010/2019. Rock Paradise 2021

    Hot Chickens. It’s Time To Rock Again. Rock Paradise 2022

     

     

    Wizards & True Stars

    - Talmy ça où ?

    (Part Three)

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             Bon d’accord, il n’était plus très jeune, mais ça cause tout de même un choc d’apprendre que Shel Talmy vient de casser sa pipe en bois. Plus très jeune, ça veut dire qu’il datait d’une autre époque, un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, celui des débuts des Kinks, des Who et des Easybeats, pour n’en citer que trois. Eh oui, amigo, ces groupes doivent tout à cet expat américain transplanté à Londres, et qui avait le génie du son. Ils ne sont pas des masses à pouvoir se prévaloir de ce genre de génie. Avec Shel Talmy, t’as Totor, Uncle Sam, Joe Meek, Kim Fowley, Jim Dickinson, Brian Wilson, Jack Nitzsche, Chips Moman, Gary S. Paxton, Norman Petty, Todd Rundgren, Gus Dudgeon, Huey P. Meaux, Shadow Morton, Norman Whitfield, Gary Usher, Charles Stepney, Liam Watson, Allen Toussaint, Cosimo Matassa, Carl Davis, et puis Andy Paley qui comme par hasard vient lui aussi de casser sa pipe en bois. On a déjà longuement célébré ici même les génies soniques respectifs d’Andy Paley (Inside the goldmine, en 2022) et de Shel Talmy (en 2017), aussi n’allons-nous pas remettre le couvert, car ce serait abuser, même si ces deux-là méritent qu’on radote à tire-larigot. Car tout ce qu’ils ont approché et produit relève du passage obligé.

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             Ce sont les gens d’Ace qui se sont principalement chargés d’œuvrer pour la postérité de Shel Talmy, avec une série de compiles majeures (Making Time - A Shel Talmy Production (2017), Planet Beat - From The Shel Talmy Vaults (2018) et Planet Mod - From The Shel Talmy Vaults (2018)

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             Les gens d’Ace en firent paraître une quatrième : Shel’s Girls - From The Planet Records Vaults. Que de son, my son et ça prend des allures mirobolantes avec Perpetual Langley et cette vieille pop sucrée de Belfast teenage très spectorienne. C’est elle la star des Shel’s Girls, on la retrouve avec «We Wanna Stay Home» - My name is Perpetual - elle chante son jerk de juke pour Shel, elle est épouvantable de sixties fever. Elle réapparaît avec «Two By Two», feverish as hell, elle chauffe sa pop avec un style qui vaut tout l’or du monde, c’est salué aux trompettes mariachi yeah yeah. Ça vaut bien les Detroit Cobras ! Elle boucle la compile avec «So Sad». Shel fait du big ambiant autour de cette star invraisemblable. The Orchids ? Tu crois entendre les Beach Boys. «OO-Chang-A-Lang» dispose de la même énergie balnéaire, et Shel fait une fois encore son Totor. On trouve plus loin deux autres cuts des Orchids, «Gonna Make Him Mine», un jerk de petite vertu, et «Stay At Home», chef-d’œuvre de pop craze qu’elles chantent ensemble. Jamais entendu parler de Van Lenton, et pourtant son «You Don’t Care» vaut le déplacement. Elle chante ça au petit chien de sa chienne. Margo & The Marvettes vont plus sur le garage avec «Say You Will». C’est atrocement électrique, avec des shoots hirsutes de freakbeat. Le guitariste s’appelle Trevor Burns. L’«A Ladies Man» de Colette & The Bandits est assez définitif d’un point de vue jukeboxique, et Liz Shelley chante «Make Me Your Baby» au sommet de son art avec un certain côté magique. On est encore en plein Spector sound, et avec son grain de voix, elle rajoute de la poudre de Perlimpinpin dans le son. Pure magie que ce «Songs Of Love» de Dani Sheridan. La prod de Shel y poursuit son petit bonhomme de chemin pendant le solo de trompette. Dani est une bonne. On va de merveille en merveille sur cette compile, il n’y aucun mauvais cut là-dedans, le «Surrender» de The Plain & Fancy sonne comme le jerk du diable et Sherri Weine chante son «Don’t Forget» à la folie.

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             L’idéal serait de se jeter ensuite sur The Best Of Planet Records - A Shel Talmy Production, une belle petite compile RPM parue en l’an 2000. Ne serait-ce que pour y retrouver les fabuleux Untamed avec le très Whoish «It’s Not True», un hit signé Pete Townshend. Seulement 5 singles, mais quel carnage ! Ils tapent en plein dans la cocarde, au big bash out, ça joue à la revoyure. Plus loin tu retrouves la même équipe sous le nom de Lindsay Muir’s Untamed, avec un «Daddy Long Legs» savamment enlevé. Passionnant et toujours cette prod impeccable de l’ami Talmy. Les autres grosses poissecailles de l’ami Talmy sont bien sûr les Creation qu’on retrouve ici avec l’heavy blast de «Biff Bang Pow», encore en plein dans la cocarde, complètement Whoish, fruit  du génie combiné d’Eddie Phillips et de l’ami Talmy qui a su capter tout le jus de ces démons. Le «Too Much Of A Woman» des Curduroys sonne comme un hymne Mod, et côté bonnes surprises, t’as le John Lee’s Groundhogs de Tony McPhee avec «I’ll Never Fall In Love Again», c’est tendu, bien cuivré, bien sec. Prod maximale ! Côté Shel’s Girls, tu retombes sur Dani Sheridan et «Guess I’m Dumb». Elle est tellement impubère qu’elle fout le souk dans la médina du Swinging London. On retrouve aussi bien sûr Perpetual Langley avec «We Wanna Stay Home», c’est elle la star du sucre candy, la reine de la pop du diable, car elle t’emmène en enfer. Plus loin, elle sonne comme les Supremes avec «Surrender», c’est dire si l’ami Talmy a le bras long. Les Orlons se croient aussi chez Motown avec «Spinning Top».

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             Dans les liners RPM (que signe Jon Mojo Mills), l’ami Talmy chante les louanges des Untamed : «I thought the Untamed were too far ahead of the market.» «It’s Not True» sera le troisième single Planet. À une époque, Detour vantait bien les mérites des Untamed. C’est vrai qu’It’s All True paru en 1999 est un album compilatoire attachant. On y retrouve l’«It’s Not True» signé Pete Townshend et paru sur Planet. S’ensuit «Fever», une pure giclée de Mod craze, enregistrée au De Lane Lea Studio de Dean Street, à Soho, en 1967, au cœur du Swinging London. Lindsay Muir y passe un killer solo flash pas piqué des hannetons. Muir est un mec qui a beaucoup d’allure et qui aime bien les cuts atmosphériques comme «Little Brown Baby». Il s’y investit à fond. En B, on croise une honnête mouture de «Land Of 1000 Dances» et un «Hush Your Mouth» un peu hush poppy nappé d’orgue sucré. Il faut attendre «Where She Gone» pour frémir un coup. Albert Lee y gratte ses poux. C’est du British Beat de Muir à cuire, il chante à la bonne arrache paradoxale, et Albert fout le feu, il claque du killer flash pur. On regagne la sortie avec «Cry On My Own» et le fantastique bassmatic de Ronnie Thomas. Les Untamed sortent en beauté. Ils groovent le British Beat et Muir chante comme un white nigger famélique. 

    Signé : Cazengler, Talmygondis

    Shel Talmy. Disparu le 13 novembre 2024

    Shel’s Girls. From The Planet Records Vaults. Ace Records 2019

    The Best Of Planet Records - A Shel Talmy Production. RPM Records 2000

    The Untamed. It’s All True. Circle Records 1999

     

     

    Inside the goldmine

     - Walker brother

             Son étoile n’a pas brillé longtemps, à peine quelques années, mais elle brilla si bien qu’elle brille encore dans le souvenir des habitants de cette petite ville. Grâce à Walbyt, ils connurent une période de grâce divine. Oui, la ville entière se découvrit une passion nouvelle pour les disques rares et la musique populaire. On faisait la queue le long du trottoir pour entrer dans la modeste échoppe de Walbyt. Derrière son comptoir, il jonglait avec les pochettes, vantait les mérites d’artistes inconnus et multipliait les remises, alors les gens achetaient, puis ils revenaient le lendemain pour dire qu’ils étaient contents de leur achat - Qu’avez-vous d’autre à nous proposer dans les 9 euros, monsieur Walbyt ? - Alors Walbyt filait dans sa réserve et réapparaissait avec une belle pochette dans chaque main. Un vrai gamin ! Il gesticulait sur ses petites jambes. Les gens adoraient le voir à l’œuvre. Walbyt était en plus d’un abord agréable, son embonpoint faisait plaisir à voir, il avait une bonne bouille, le cheveu rare et les yeux très clairs. Comme il voyait la file d’attente s’allonger à l’extérieur, il s’efforçait d’écourter les apologies : «Excusez-moi d’être aussi expéditif, mais les gens attendent pour entrer...», alors les clients le rassuraient - Non non, Monsieur Walbyt, c’est nous qui nous excusons de prendre sur votre temps - Ils payaient et partaient après avoir chaudement serré la main de Walbyt. Pauvre Walbyt, il n’avait même plus le temps d’aller faire son petit pipi, car déjà d’autres clients s’arrimaient au comptoir et l’interpellaient - Monsieur Walbyt, faites-vous des remises sur les soldes ? - Ah comme Walbyt adorait conseiller ses clients ! C’était presque une vocation religieuse. On le voyait avec des ailes dans le dos, comme Damiel dans Les Ailes Du Désir, des grandes ailes blanches, bien duveteuses. Ses mains blanches distribuaient les cartes de fidélité. Il semblait descendre mollement parmi les vivants pour se porter garant de leur bonheur, pour les conforter dans leur intelligence, pour les entraîner dans les voies impénétrables de la félicité, pour assurer leur salut culturel. Walbyt veillait à tout cela en même temps. Sa rigueur et sa conscience professionnelle faisaient de lui un Saint. Jamais aucun disquaire en France n’avait prodigué autant de bienfaits à des prix défiant toute concurrence.

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             Walbyt n’est pas le seul bienfaiteur de l’humanité. L’autre s’appelle Walker. Ronnie Walker. Espérons qu’un jour le Vatican les canonisera tous les deux. Walbyt et Walker font bien la paire. Ils sont hélas aussi peu connus l’un que l’autre. Walbyt a disparu corps et âme, quant à Walker, personne ne sait qu’il existe, excepté ceux qui écoutent les Masterpieces Of Modern Soul compilées par les cakes de Kent. Une fois que t’as déniché ce fabuleux Philadelphia Soul Brother qu’est Ronnie Walker, t’en dors plus la nuit.

             Il est bon de rappeler que Philadelphie fut dans les années 70 le paradis de la sweet Soul music. Parmi les gens qui accompagnent Ronnie Walker en 1968, on retrouve bien sûr Thom Bell et Leon Huff. 

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             Côté discographique, c’est la croix et la bannière. Il existe un album qui a pour étrange particularité d’être introuvable, et une poignée de singles réservés aux collectionneurs. Miraculeusement, il existe sur le marché une petite compile Philly intitulée Someday. Alors on la chope et on la dévore toute crue. Ronnie Walker sonne un peu comme Lee Fields, mais avec du sucre en plus. Il monte très haut quand il veut («Ain’t It Funny») et fait montre d’une extraordinaire présence, même avec un son pourri («I’m Singing Goodbye»). Il est comme noyé dans un son provincial, mais il épouse le serpent de la caducée. Il fait dirons-nous de l’excellent menu fretin. On sent le manque de moyens, il faut juste lui laisser un peu de temps. Ça commence à chauffer avec «You’re The One» et «Thanks To You». Il tape pas mal de cuts au chat perché bien gras et bien gorgeous. Ronnie Walker s’affirme très vite comme un immense Soul Brother. Son falsetto est comparable à celui de Smokey Robinson. Et voilà le coup de génie tant attendu : «Precious». Il se montre fantastiquement intrusif. Voilà ce qu’on appelle un absolute beginner. Il attaque «Everything Is Everything» en mode angélique, juste en dessous du boisseau de la Soul. C’est un malin, le Ronnie, il va sous les jupes de la Soul pour faire son sucre. Si ce n’est pas du génie, alors qu’est-ce que c’est ? Il se montre fabuleux d’ingénuité. Il te chante encore «It’s A Good Feeling» au chat perché sucré de rêve, sa petite glotte rose en palpite frénétiquement. Il tape dans le sucre supérieur, c’est ce qu’il faut retenir de lui. Il crée encore de l’enchantement avec «Now That You’re Gone», et porté par un bassmatic dévorant, il te drive tout ça out of this world. Cette bassline descendante est un chef-d’œuvre d’art contemporain. Il te ravit encore l’assemblée avec «Guess I’ll Never Understand». Ronnie Walker est un artiste brillant, il défonce bien la rondelle des annales. S’il ne s’appelait Ronnie Walker, il faudrait l’appeler Jo-l’insistant. Son chat perché est d’une puissance terrible. Pourquoi n’est-il pas devenu une superstar ? Bonne question. Il pose toujours sa voix avec du power, il réalise chaque fois une performance qu’il faut bien qualifier d’extraordinaire. Avec «In Search Of Love», il monte au chat suprême. Encore un coup de génie avec «Now There Is You». Quand on voit Ronnie Walker au dos de la boîboîte, on est frappé par sa ressemblance avec Lee Fields. «Can You Love A Poor Boy» est plus diskoïde, mais ça reste chanté à la voix d’ange de miséricorde. C’est même de la magie pure. Il crée sa magie rien qu’avec un chat, comme le font d’ailleurs Aaron Neville et Eddie Kendricks.     

    Signé : Cazengler, Ronnie Water (closet)

    Ronnie Walker. Someday. Philly Archives 2000

     

    *

             Insensé, tout ce bruit, comment peaufiner une kronic avec ce grabuge de cris discordants. Malgré les fenêtres à triple vitrage, je suis incapable de me concentrer. Je sais c’est la rançon de la gloire, toutes ces groupies, au minimum une vingtaine, assommant ! Les clameurs redoublent, des cris d’effroi, elles s’y mettent toutes à l’unisson ‘’ Damiiiiie ! Damiiiiiiie vite ! Damiiiiiiiiiiiiiie ! Viens vite ! Au secours !’’ Je suis un rocker, je ne saurais laisser des demoiselles en danger de mort. J’entrouvre la fenêtre :

    • Que se passe-t-il mes douces colombes !
    • Enfin Damie viens vite, on l’a repéré, il en veut à ton domicile !
    • Viens nous aider à le retenir, il se débat, il va s’enfuir !
    • Il est armé ! Il prépare un attentat contre toi !
    • On l’a reconnu, il porte une barbe, ses habits sont tachés de sang, c’est un Islamiste !
    • Pas de panique ! j’arrive !

    Je saute dans mes santiags, en peau de cobra prélevée sur la bête encore vivante, toute neuves, n’ai même pas eu le temps d’enlever le certificat d’authenticité international BPP  (Britifh Plastic Petroleum). Je rafle la batte de baseball toujours prête à l’emploi à côté de la porte d’entrée et me précipite vers mon fan club qui caquette à qui mieux mieux comme une volée de pintades en furie. Elles sont quinze entassées par terre en couches superposées mouvantes, je comprends elles se sont ruées sur le terroriste, du poids de leurs corps elles tentent de le retenir.

    • Charmantes oiselles, relevez-vous, je suis là, je me charge tout seul de cet olibrius, laissez-moi faire, c’est une affaire d’homme, vous ne craignez plus rien puisque je suis là !

    Elles s’écartent, dans la cohue qui se retire j’entrevois des taches sanglantes sur ses vêtements, diable l’affaire est sérieuse. Le gars parvient à se relever, ses yeux accrochent mon visage, c’est vrai qu’il a une barbe ! Mais elle est blanche !

             - Allons Damie c’est moi, ton facteur. Tu vois bien que je suis déguisé en Père Noël, une opération promotionnelle de la Poste !

             - Il ment, il porte une fausse barbe !

             - Il porte deux boîtes explosives dans sa main gauche !

             - Enfin ! ce sont les deux derniers numéros de la revue rock préférée de Damie !

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 32

    JANVIER – FEVRIER - MARS (2025)

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            C’est Noël ! Sergio nous gâte ! Quelles sont les revues qui de nos jours proposent encore un papier glacé aussi épais à ses lecteurs, idéal pour les photos !  Pour mieux comprendre mon enthousiasme aux quatorze pages   consacrées par Jean-Louis Rancurel au grand Schmall j’invite le lecteur à lire ma déception, voir la dernière chronique de cette livraison, dans laquelle je fais part de ma déconvenue quant à la biographie d’Eddy Mitchell qui vient de paraître. Peu de textes mais agrémentés de clichés rares ou inédits, cela suffit pour que l’on ressente la ferveur que dégageait le personnage d’Eddy à cette époque (1964 – 1980), que l’on prenne conscience de cet émoi que suscita parmi une frange assez large de la jeunesse de notre pays sa présence. Ce n'est pas l’Eddy qui nous déroule son plan de carrière dans son dernier bouquin, mais le fan de rock qui cherche à apprendre, à connaître, à savoir, ce n’est pas la fièvre de l’or mais la fièvre du rock… Merci à Jean-Louis Rancurel de nous faire partager ses moments de combat pour le rock’n’roll. Un témoin capital.

             L’on change d’idole mais pas d’histoire. Bye-bye Eddy, respect à Crazy Cavan. Julien Bollinger nous raconte une renaissance, celle du rock ‘n’roll en Angleterre, on le croyait mort et enterré, au mieux en train de croupir dans les oubliettes de l’immémoire, son souvenir oblitéré par le tsunami de la pop-music et le raz-de-marée de la disco… Cavan ralliera à lui les derniers fans retranchés dans le souvenir des années cinquante et soixante, il suscitera la déferlante rockabilly qui s’étendra sur une bonne partie de l’Europe… son exemple exhumera des cendres froides de l’oubli jusqu’à la première génération des pionniers américains.  Lorsque l’effet de mode cessera, l’on retrouvera Cavan, imperturbable, fidèle à lui-même, qui regroupera autour de lui un public de fidèles et d’inconditionnels, une mouvance dont l’aventure dure encore de nos jours. Rockabilly Generation est un parfait exemple de cette continuité.

             Autres exemples, le Kustom Festival & Tattoo de Parmains et le Rock’n’roll in Pleugeneuc, entre tradition et renouvellement, les générations se suivent et ne se ressemblent pas tout à fait, les photos de Sergio mais aussi ses  perspicaces chroniques. La scène est le lieu incandescent de l’incessante survie du rock’n’roll.

             Un autre pionnier, Jean-Claude Coulonge, un rescapé de l’époque du premier rock français, qui n’a jamais abdiqué qui a continué le combat, soixante-cinq années au service du rock’n’roll, à lui seul autant que trois légionnaires romains ! Pour fêter ses quatre-vingt ans il prépare un petit quelque chose, une grosse fête…

             Si vous êtes aussi maladroit de vos mains que moi, abstenez-vous des quatre pages consacrées à Laurent Manet. Vous serez jaloux. Vous explique comment il confectionne ses figurines rock, des objets d’art, mais que de travail, de patience et d’habileté… Un artiste. Un créateur.

             Du nouveau dans les dernières pages, je vous laisse découvrir. Elles m’ont permis de me rendre compte que j’avais fait l’impasse sur le book Histoire du Rock, (années cinquante) j’ai dû filer passer la commande chez mon libraire.

             Encore merci pour ce nouveau numéro à Sergio et à toute l’équipe, un travail de fond et d’avant-poste…

    Damie Chad

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  6 Euros + 4,30 de frais de port soit 10,30 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 38 Euros (Port Compris), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( Rajouter 1,10 € ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! 

    ROCKABILLY GENERATION

    CRAZY CAVAN’N’THE RYTHM ROCKERS

    HORS-SERIE # 6 / JANVIER 2025

     

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             Une courte intro de Julien Bollinger. Le rock c’est le son, la scène et les disques. C’est aussi l’image. L’image rock donne sens au son. Tout fait sens dans une image rock. Elles se regardent, elles s’imposent, elles se décryptent.

             Rockabilly a su créer un lien de confiance avec Crazy Cavan. Les premières pages dévoilent les photos de la famille Grogan, L’album de famille. Cavan gamin. Ses frères. Ses sœurs. Sa mère, son père. Ses enfants. Toute une vie. L’on regarde, l’on s’interroge. L’on essaie d’être davantage voyant que voyeur. Pénétrer dans le mystère des êtres. De ce qui adviendra. De ce qui est advenu. Pourquoi devient-on ce que l’on est. La part de la volonté, le jeu des hasards, le destin… La photo la plus émouvante, celle où Cavan n’est pas, il y en a plusieurs, mais là il ne pouvait vraiment pas, c’est sa stèle funéraire réceptionnée par les amis et les proches.

             L’on respire. L’on entre dans la grande Histoire, le groupe, la scène, les concerts en France sont privilégiés. Beaucoup de noir et blanc pleines-pages. Le look, la dégaine, la pose, le charisme. La magie rock’n’roll, l’individu s’identifie à son propre signe, à ce qu’il est en lui-même à ce qu’il représente pour les autres. Une histoire collective détenue par un seul, éparpillée en beaucoup d’autres.

             Les Rhythm Rockers mais aussi Breathless le groupe de Colin and Pat deux frères de Cavan… Chacun vole de ses propres ailes, mais toujours la famille. Dans la famille Grogan, voici le fils, Joe. Lui aussi sera musicien. Il répond à une longue interview. Parle de son père. Un homme simple. La semaine au travail, le weekend sur la route. Ce n’est que plus tard que Joe comprendra l’importance et l’aura de son père, dans les milieux du rockabilly européen. Une envergure qu’il n’avait pas devinée auprès de cet homme attaché à sa mère, à ses enfants, à son pub, à la famille. Rocker sur scène, père de famille à la maison…

             Indispensable. La vie d’un homme. D’un être humain qui ranima la flamme du rock’n’roll. Peut-être pas grand-chose. Beaucoup pour beaucoup. L’on mesure la vie d’un homme à ses actes, à ses réalisations.

             Un bel hommage. Emouvant.

    Damie Chad.

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    *

             Même pas besoin d’attendre le sapin, le Père Noël m’a envoyé un cadeau, en avance. Le malheureux n’a pas pu passer  par la cheminée, je n’en ai pas. L’a déposé sur YT, comme je ne suis pas un égoïste, je partage avec vous.

    LIVE ON GERM

    TWO RUNNER

    (Western AF / 03 / 12 / 2024)

             Western AF est basé à Laramie, modeste cité située au sud-est de la ville de Cheyenne, dans l’Etat du Wyoming qui signifie lieu de grande prairie, pas étonnant que le symbole de cet état  situé juste sous le Montana soit un bison.

    Profitons de cette modeste leçon de géographie pour adresser un hommage fraternel aux glorieuses tribus des Natives.   

             Western AF, lire Western As Fuck, engrange des armes pour le futur, leur but est simple : ils accumulent des vidéos d’enregistrements live de chanteurs actuels (country) pour les archives de l’Histoire.  C’est ainsi que l’on construit des bibliothèques d’Alexandrie sonores.  

    Paige Anderson : vocals, guitar / Paige McGinnis : fiddle, vocals / Sean Newman : bass.

    Enregistré au Gryphon Thater qui appartient au Laramie Plains Civic Center.

    Le théâtre du Griffon ne doit pas accueillir plus de trois cents personnes, il est vide, nos trois artistes sont sur scène face à nous, tournent le dos à l’absence du public. Le mieux est de les laisser jouer. Derrière la caméra et au mixage : Will Ross.

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    Helmet : morceau magique, ce pourrait être une ballade enlevée, mais sous les coups d’archets et la cabrioles vocales de Paige se glisse une sourde mélancolie, une indécision teintée de joie de vivre modulée par la fragmentation du monde, pour décor vous avez le soleil resplendissant, pour action une course échevelée de moto, rappelons-nous le goût prononcé de Paige pour la motocyclette, mais le désir amoureux est niché dans la tête, sous le heaume, c’est lui qui poursuit l’objet de Délie, qui le retient prisonnier et l’instant est beaucoup plus métaphysique que physique. Comment avec cette tresse de mots simples Paige peut-elle donner accès à la l’aperture du sentiment en même temps le moins indocile et le plus rétif, qui allie la fougue du pur-sang à la foudre consumante. Le trio guitare-violon-contrebasse possède l’amplitude sonore des quatuors de Bartok. Fortune : deuxième inédit : magnifique, un titre pour le fiddle-king, il ne se prive pas d’étendre le royaume de sa tristesse, basse et guitare scandent le rythme, la voix de Paige survole, tout ce qu’elle a tu dans le premier morceau elle le suggère dans celui-ci, presque rien, cet instant suprême que l’on ne vit qu’une fois, les flammes vous brûlent et vous annihilent, il ne vous reste plus qu’à vivre après cette bribe d’absolu… Wild dream : une reprise de leur album Modern Cowboy : Paige arrache les mots comme sa moto arrache la route, elle crie et l’orchestre s’envole, une demande en mariage, Paige possède cette faculté de transcender le bonheur en quelque chose d’impossible alors qu’il s’offre à vous, à croire que les rêves que l’on pourchasse sans fin sont plus beaux que ceux que l’on réalise, même Dylan n’est jamais parvenu à mettre tant d’immensité dans ses paroles.

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    Where did you go : plus de couleur, rien que du gris, du noir et du blanc, violoniste et bassiste ont posé leurs instruments, se tiennent derrière, fredonneront du bout des lèvres en toute humilité, seule Paige et sa guitare, et sa voix, un morceau glaçant, presque rien, il semble que Paige ne retienne pas plus la mort que l’amour. Une émotion d’une intensité redoutable. Certains écrivent que cette chanson leur fait peur. Paige est toujours tout contre nous, jamais avec nous. Enfermée dans une solitude de haute poésie.

             Quatre morceaux irradiants.

    Damie Chad.

     

    *

    Il est des prisons sans barreau, Claustra doit en être une puisque j’y reviens ! Voici donc Victor plus victorieux que jamais.

    LA PRISON DE CHAIR

    CLAUSTRA

    (Bandcamp / Décembre 2017)

    Depressive death metal. Si vous voulez. Regardez la couve. Moi je dirais plutôt animal death metal. Un carré noir traversé de rayons d’un vert glauque, au centre ce torse, une force qui va, trainées de sang, christique ou auto-flagellé, l’on ne peut dire, une tête de goret avec ce groin sans bouche qui  dépasse de la muselière, une force animale en action que nul obstacle ne saurait arrêter.

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    Forever gone : vous pouvez trouver le morceau accompagné d’une image, un homme solitaire sous son parapluie qui s’éloigne, il marche seul, entre deux rangées de maisons basses, le paysage pluvieux n’est que la transposition de son âme. L’on comprend que la rue qui s’étend devant lui ne mène nulle part, qu’elle se poursuit toute droite sans but vers un infini inachevé. Une intro de douceur et de mélancolie, une mélodie close sur elle-même, telle une bulle de rêve, que l’on désirerait éternelle mais dont on pressent qu’elle a éclaté depuis longtemps. Elle réapparaîtra au milieu du morceau ourlée d’un murmure quasi inaudible, mais ces deux fragmences d’éternité sont à chaque fois chassées par l’inéluctabilité du chagrin et de la rage. Une tourmente de batterie, une guitare tempétueuse et non pas une voix, une morsure sanguinolente qui emporte avec elle la chair et la souffrance. Les jours de bonheur sont partis, auraient-ils duré, les amants ne s’en seraient-ils pas éjectés d’eux-mêmes, car tout fini par s’effilocher, même le monde, d’ailleurs tu l’as emporté avec toi  qui t’en es retranchée. La prison de chair : si vous désirez savoir à quoi ressemble ce morceau c’est simple demandez à votre toubib une injection lente de cyanure, choisissez bien votre praticien , lui faut du doigté car votre agonie ne doit pas durer plus de six minutes, si vous croyez qu’au bout du tunnel vous aurez l’illuminescence terminale, non ce serait trop beau, l’on ne s’évade pas de soi-même, toute chair est une prison, la vôtre de laquelle vous êtes incapable de sortir, celle des autres qui vous empêchent de rentrer dans leur tour charnelle. Une horreur glacée que vous écoutez sans fin comme un candidat au suicide qui tresse minutieusement tous les jours la corde pour se pendre, et quand tout est au point, le cordon peu ombilical casse misérablement sous son poids. Vous êtes comme lui, obligé de recommencer encore une fois. Seul : n’oubliez pas les boules Quies, la guitare grince comme une corde de pendu dans un poème d’Emile Verhaeren, et la voix une charge monstrueuse de cavalerie  sabre au clair, la batterie tire à coups redoublés, tout compte fait c’est lorsque l’on est seul que ça fait le plus de bruit à l’intérieur de soi-même, appréciez tout de même au deuxième tiers de la catastrophe ce Tupolev qui s’écrase sur la piste d’atterrissage de votre jardin, âmes sensibles détournez les oreilles, l’eau du chagrin accumulé trouve toujours une pente pour s’écouler, ici vous avez deux déversoirs, la consolation du pauvre, tu ne souffriras plus cette terre, la consolation du riche, maintenant que tu n’es plus là tu es toute à moi. Relisez les poèmes d’Edgar Poe. Bleack fantazy : la fantaisie fut une des mamelles du Romantisme, la fascination de la mort s’avère le seul absolu à notre portée, ce n’est pas Clara Schumann qui joue du piano mais ça y ressemble, une voix creuse comme la tombe, avant que ne tombent les grandes décisions, pas besoin de lui tirer les vers du nez, la rage enroue sa voix, grande envolée vocale et instrumentale, l’on se rue comme un cheval dans la mort, les orages désirés ruissellent de tonnerre, Clara revient pour la coda. Ou le coma. Coup de feu, ou coup de théâtre. Hôpital : pas de bruit, instrumental, c’est à l’intérieur que ça se passe. Quand on rate son coup, rate-t-on sa vie. Bouffer des arpèges par les racines améliore-t-il vos chances de survie. Selfhatred : avez-vous déjà entendu un morceau qui se fracasse, la batterie y est pour beaucoup, la tête contre les parois translucide d’une tour d’ivoire. Vous n’êtes pas près de sortir vivant d’un tel opus. Pas mort pour autant non plus. L’est comme le serpent qui se mord la queue pour se donner l’illusion d’avoir la langue plus longue. C’est un peu fou, d’ailleurs le vocal chargé de hargne et de rage, est insensé. Rappelle un peu le symbole de Victor Segalen dans Equipée, cette pièce de monnaie que se disputent entre leurs dents le Dragon de l’Imaginaire et le tigre du Réel. Le problème ce ne sont pas les deux animaux, l’est sûr qu’ils symbolisent vous et vous-même, mais la nature de cette sapèque, de cet enjeu essentiel, ne serait-ce pas mort ? 

             Quand je vois le nombre ridicule de personnes qui en cinq ans ont écouté ce pur chef d’œuvre, je préfère me taire…

    Damie Chad.

     

    *

    Je m’excuse de vous annoncer une mauvaise nouvelle, comme s’il n’y avait pas assez de malheur en notre monde, il est urgent que notre pays  déclare la guerre à l’Angleterre et qu’au plus vite vous envahissions la perfide Albion !

    DON’T GET SORE

    POGO CAR CRASH CONTROL

    ( YT / Décembre 2024)

    Z’avaient pris des vacances. Méritées. Après cinq ans de folie. Le temps de reprendre pied en soi-même et de s’interroger sur le futur du groupe. Sur son évolution, l’on ne peut pas refaire ad vitam aeternam la même chose. La vie vous pousse dans le dos, elle a toujours un poignard de prêt à vous planter entre les omoplates. Souvenez-vous du logo du groupe. Bref, revenir c’est mourir un peu. C’est aussi renaître beaucoup. Sans illusion non plus. Il faut payer l’addition. Physiquement ça se voit, ils ont changé. Z’étaient des adolescents attardés poussés en graines quand ils ont dit stop. Z’ont maintenant le faciès de jeunes adultes. Sont moins beaux. Sont plus affirmés. On n’y peut rien, ils se doivent d’y pourvoir un max.

    Après le clap de fin, le clip de la faim. Celle des fans, les lions de l’arène dépités de ne pas avoir eu leur ration de chrétiens depuis des mois. L’est réalisé Antonin N’kruma (son nom serait-il un hommage au leader panafricain), photographe. Produit par Jon Markon qui si j’ai bien compris serait aussi le producteur de l’album à venir.

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    Avis aux amateurs le clip déchire. Très original. Pas les images. Tout ce que l’on attend d’un groupe de rock. Je vous laisse découvrir. Amusez-vous à reconnaître des réminiscences d’anciens clips. Non, tout réside dans la structuration du morceau, plutôt sa fracturation, le mot facturation conviendrait mieux car il colle beaucoup plus aux lyrics, l’est dommage qu’il soit un peu trop connoté au monde des échanges commerciaux qui n’est pas du tout évoqué in the opus.  Ce clip qui ne dure que trois minutes est un véritable triptyque, images, sons et sens. Ne sont pas présentés sur trois panneaux différents, sont tous réunis en un seul, une espèce de puzzle mélangé dans un sac plastique transparent, il ne sera pas ouvert, on ne vous laisse pas aligner sagement  les pièces sur une surface plane et intangible, on l’agite devant vos yeux et à vous de deviner ce qu’il représente. Les idiots, ils sont toujours utiles, affirmeront, c’est une simple histoire d’amour. Turlututut chapeau pointu, les poncifs sont nocifs. Non, c’est une mise en scène. De quoi, d’un renouvellement. Tout d’abord sonique. Finies les grandes charges et décharges électriques. Bien sûr vous avez votre ration d’avoine, mais le picotin ne se bâfre pas en trois coups de langue, vous êtes prié de le savourer, de le mâcher doucement pour en ressentir toute la volupté, sachez faire la différence entre la jouissance des brutes et l’extase des esthètes, idem pour les voix, ce n’est plus le cri rageur du révolté nihiliste prêt à tuer son père et sa mère, vecteurs indubitables de l’ordre sociétal, les voix sont traitées, l’on a envie de dire instrumentalisées, oui mais c’est vous qui êtes manipulé. Pogo Car Crash Control a changé. Pardon, Pogo Car Crash Control chante qu’il change. Tout continue, rien n’est plus pareil. Il vous Crash son passé – qui est aussi le vôtre – à la gueule, vous envoie  la limousine pour les Car-embolages, ne vous bilez pas pour les Pogo frénétiques tout est sur Control. Ne vous inquiétez pas ! Pour une fois dans le rock français les paroles – un mix d’anglais et de langue autochtone - taisent plus qu’elles ne disent tout en énonçant clairement leur propos. Le groupe a atteint une maturité d’écriture tridimensionnelle sans égale.

             OK, Damie, les Pogo ont encore marqué le calendrier du rock hexagonal  d’une pierre rouge, mais est-il vraiment nécessaire d’envahir l’Angleterre pour cela, franchement on ne voit pas trop le rapport. C’est fou, il y a des gens à qui il faut tout leur expliquer : à première écoute ça m’a sauté aux oreilles. J’ai immédiatement pensé au dernier album des Howlin’ Jaws, peut-être parce que j’avais relu l’après-midi dans le Hors-Série de R&F la chro de Jean-William Thoury, si pertinente, induisant l’idée qu’ils avaient acquis et décroché la timbale dorée du son anglais, inaccessible aux mangeurs de grenouilles que nous sommes. Pogo et Howlin sont deux groupes radicalement différents, mais les Pogo viennent eux aussi de franchir le Rubicon, le rubis sur cube, d’un rêve inaccessible. Ces maudits rosbifs sont en train de voler nos groupes…

    Damie Chad.

     

    *

    Il vient du sud de l’Afrique, pourtant il s’appelle East, est-il un peu givré parce qu’il a perdu le nord, en tout cas il est à l’Ouest, encore un de ces artistes inclassables à qui le rock’ n’roll ouvre grand ses portes et dont ils font un lieu d’exhibition. Un peu d’étymologie toutefois : l’occident est le côté de la mort.

    GHOULS

    CHARLES EAST

    (2018)

    Il vient d’Oudtshoorn, ville de 30 000 habitants d’Afrique du Sud, sans doute n’aurais-je pas noté ce détail insolite, elle est la capitale mondiale de l’autruche d’élevage, du coup la photo de la couve m’a immédiatement emmené à penser que la longue silhouette longiligne qui s’affiche s’apparentait quelque peu et symboliquement à ce volatile qui ne parvient à voler, tout comme notre chanteur accaparé par le malaise existentiel de vivre.

    Charles East : piano, vocals, synthé / Jo Ellis : drums, synthés.

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    Germane : le piano et la voix, la voix et le piano. Auxquels très vite viennent se sous-perposer  puis se superposer des bruits synthétiques de mauvais alois. Une voix un peu à la manière de Bowie dans la façon de la poser mais pas du tout postée sur le même timbre. Voix claire et perforante. Une longue introspection. Le gars traîne une tristesse à faire pleurer les pierres. Est-ce un hasard s’il parle d’ibis, titre d’un poème d’Ovide exilé qui vilipende Auguste responsable de sa relégation hellespontique, l’a l’art de tourner le couteau du chant sept fois dans sa plaie alors qu’il n’arrête pas une seconde  de se dénigrer. It’s hold my viscera : guitars Anthony Mikael Gunther : pas pumpin’ piano mais presque, Charles étire sa voix vers l’aigu, les percus tamponnent et notre héros, c’est le cas de le dire, mythifie sa malédictive attrition vitale, se décrit comme un Dieu pourchassé par la méchanceté des hommes, Saturne est à ses trousses, peut-être ses viscères finiront-elles dans un vase canope au creux obscur d’une pyramide. Délire de persécution ou de grandeur. L’autoportrait frise la folie. Heka : dans la série je m’éclate à l’hécatombe d’Hécate vous trouverez difficilement mieux, une galopade pianistique, magnificat introït, une percussion pressurisée, un vocal qui s’étire les cordes vocales, dites-vous que le killer s’est éveillé bien longtemps après l’aube, qu’il porte un couteau et qu’il ressemble fortement à notre héros ou à un dieu, lequel des deux portera le premier coup ?

    VENOM

    (Avril 2020)

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    Single. Le seul qui bénéficie d’une couve couleur créditée à Eva Bachman. Toutefois une mise en abime, photos de famille en noir et blanc, le père, la mère, ce sale gosse de Charlie, un bouquet de fleurs séchées de mariée ou déposé sur une tombe ? L’est agrémenté d’un beau crâne rigoleur de toutes ses dents.

    Charles East : piano, vocal, lyrics, musics / Jo Ellis : guitars.

    Venom : le venin, commence mal, le bruit d’un mort qui repousse le couvercle de son cercueil, attention on n’est pas là pour jouer au zombi macabre, soyez subtil, le cercueil c’est vous, celui qui en sort on ne sait pas, est-ce l’Homme ou le Dieu, totalement parano, il craint ses semblables, il préfèrerait être un dieu cruel, sûr que les deux postulations s’équivalent, vous avouerez que le choix est difficile, en tout cas ce qui est sûr c’est qu’il chante comme un Dieu l’a de ces envolées lyriques, vous parieriez qu’il lui pousse des ailes dans le dos, l’a des retombées, des dégringolades dans les escaliers des catacombes, il souffre, il crie, il se tait, le silence sépulcral l’appelle, reprise il sort de son tombeau, le soleil de la cruauté.

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    L’existe une vidéo, devrait retirer les bébêtes folkloriques : les vers, le hibou ; le scorpion, l’araignée, le  serpent et ne garder que son corps nu et ses longs cheveux noirs au bas du mur blanc et ses reptations comme un désir de retour dans la matrice originelle…

    DEAD BEAT DANCE

    (Août 2023)

     Je ne veux pas dire que la couve d’Emma Freysen n’est pas ressemblante, le problème c’est que les photos de Charles East dégagent un aspect beaucoup plus inquiétant, oui mais elle illustre une reprise de la bande-son du film The Return of the Living Dead. Comme quoi Charlie East a de la suite dans les idées noires.

    Charles East : piano, vocal, lyrics / Marisca Rain : guitars, bass.

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    Parfait pour la musique de votre enterrement, seuls resteront jusqu’au bout ceux qui vous aiment vraiment ou ceux qui sont sourds. Rien à voir avec l’original punkitoïde des Damned. Avec Charlie, la plaisanterie est finie. Z’avez l’impression de valser dans les bras de la Camarde. Un filet de voix hagard, z’aurez du mal à discerner s’il sort de sa tombe ou s’il s’y rend, parfait contraste avec le tamponnage de fête foraine. A la moitié du morceau il glapit comme si on l’enterrait vivant. Que voulez-vous l’erreur est humaine. L’horreur aussi.

    I’M YOUR CONSEQUENCE

    (Brucia Records / EP / Mars 2024)

    Pour la couve je supposons une photo issue de l’enregistrement de l’auto-réalisée vidéo Venom. Nu lové  contre le mur, pour le crâne du bouc, ne pensez pas à Belzebuth mais plutôt au mouton noir qu’Ulysse égorge pour que les morts viennent à lui.

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    I’m your consequence : une chanson d’amour, l’on sent qu’il a été pris en main par un label, l’orchestration a été étoffée, elle étouffe un peu la voix, pour l’amour fou vous repasserez, c’est l’amour à mort, à la mort de soi dans l’offrande de l’autre, le morceau se développe comme une flamme qui prend de l’ampleur, dévoration ambigüe, qui culmine sur le souffle rauque, rock and goth, de la bête du désir. Une espèce de psaume offert à l’impuissance humaine d’une communion non sacrificielle. Drain : la suite de l’aventure. La fuite. Nous n’avons que des lambeaux. Rythme processionnaire. Qui chasse ? Qui est le gibier. Une litanie de la mort. Intérieure. Qui vous ronge du dedans. Des voix, est-ce la mienne, est-ce celle de l’autre qui est moi, ou celle des autres qui ne sont pas moi. Une longue mélopée. Sacrificielle. Être l’officiant. Être la victime. En même temps. Dans chaque cas, une terrible solitude. Dans les deux cas en même temps, une absolution égoïste.

             Charles East vient de sortir sur Brucia son premier album Dislocated.

    Ecoutez-le, vous entendrez le ricanement chevalin de la Mort résonner à vos oreilles. Le piano, la voix, la Mort, c’est tout.

             Cela vous suffira amplement. Pour vivre.

    Damie Chad.

     

    *

             A treize ans je me suis fait traiter d’assassin par ma mère parce que j’écoutais Si tu n’étais pas mon frère, un des meilleurs morceaux de rock français, j’avoue que le son était à fond, que mon Mélovox crachait fort, que c’était (au moins) la vingtième fois que le repassais le morceau. J’admets que les paroles n’étaient pas des plus doucereuses, mais enfin ce n’était pas un appel au meurtre, de surcroit ce n’était pas moi le responsable, je n’avais rien fait, puisque je n’ai jamais eu de frère, ma mère aurait dû le savoir, comme de toute manière depuis soixante ans les délais de prescription sont caducs et que le coupable ne risque plus rien, je vous refile son nom :

    EDDY MITCHELL

    AUTOBIOGRAPHIE

    (Le Cherche Midi / Octobre 2004)

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              Bref une ambiance rock’n’roll ! Le hic haec hoc c’est que cette autobiographie n’est guère rock‘n’roll. Schmall nous fait le coup du vieux sage. Le problème ce n’est pas qu’il soit vieux c’est qu’il soit sage. Lui qui a déjà réservé sa place au cimetière de Saint-Tropez nous fait le coup de Valéry dans son Cimetière Marin, Ô récompense…qu’un long regard sur le calme des Dieux. Il précise même son épitaphe au cas vous auriez envie d’aller verser quelques larmes sur le marbre funèbre  ‘’ Ne pas déranger’’. Un véritable message ‘’fun-éraire’’.

             Mais reprenons au tout début. L’est né à Paris dans le neuvième, il nous épargne ses années vagissantes, les remplace par les meilleures pages de son bouquin. L’évoque le Paris disparu, celui qui nichait ses terrains vagues au bas des Fortifs aujourd’hui remplacées par le périph bitumeux et ses immeubles bétonnés. Architecturalement ce n’était pas Versailles, par contre c’est-là qu’il a reçu sa première leçon de vie, la plus importante, qui fonde votre personnalité. Administrée par personne en particulier mais par l’ensemble de la population bigarrée, toutes origines et nationalités confondues. Misère et entraide, maigres salaires et grosse joie de vivre. Eddy le raconte davantage en détail dans P’tit Claude un autre de ses livres paru en 1994. C’est dans ce terreau multinationaliste, rien à voir avec nos Multinationales, que naissent ses choix politiques, il le proclame haut et fort, il n’est pas un partisan du Front National. Pas un révolutionnaire non plus, il paye ses impôts, il vote et pour Sarko et pour Macron

             L’est comme Rimbaud, c’est la vie qu’il faut changer. L’a d’abord changé sa vie à lui, c’est déjà beaucoup, ne finira pas comme son frère directeur d’une agence au Crédit Lyonnais, ses déplorables aptitudes naturelles l’on empêché de devenir voyou, les intellectuels de gauche de nos jours le qualifieront de transfuge de classe, lui il n’éprouve aucune honte, aucun regret de sa réussite. N’est pas le genre de gars à se prendre la tête. Il n’a pas oublié d’où il vient, il rend  hommage à l’amour et à la sécurité affective que lui ont donné ses parents.

             Ses goûts s’affirment peu à peu, le cinéma, virus inoculé par son père et son grand-frère, la lecture grâce à son oncle qui ramène des livres de toutes sortes, jusqu’au choc fatal : Bill Haley. C’est le seul pionnier à qui il rend un véritable hommage. Ce qui aide à comprendre son évolution vers une musique plus cuivrée, big band et crooner. N’est pas un grand fan d’Elvis. Un beau portrait de Gene Vincent en personnage borderline. Une demi page et c’est tout. Je n’insiste pas car lui-même ne s’attarde pas.

             Idem pour Les Chaussettes noires, l’en parle certes, mais pas du tout de ce qui passe autour. L’émulsion pétillante des sixties vous ne la verrez pas. L’on ne peut même pas l’accuser de name dropping. Mitchell n’apporte aucune révélation fracassante, ceux qui le suivent depuis longtemps, connaissent le topo habituel déjà raconté - avec détails supplémentaires -au fil des années en de nombreuses interviewes… Il braque la caméra sur lui, et elle ne le quitte pas, ce n’est pas qu’il désire monopoliser l’attention, à tout bout de paragraphe il donne l’impression de vouloir terminer au plus vite. Aurait-il l’intention de nous découvrir des choses inédites ? Pas du tout.

             Quelques pages sur son voyage à Memphis et la venue des musiciens américains à Paris. Profitez-en bien car lorsque quelques années plus tard il retournera rocker à Nashville, il ne s’attardera point… La route de Memphis il la parcourt à trois cents milles à l’heure et pas une voiture de flics pour l’obliger à ralentir. S’étend davantage sur sa période creuse du début des années soixante-dix. Mea culpa, c’est ma faute, trop sûr de moi, j’avais tort… Nous ressort le même baratin depuis un demi-siècle.

             Z’ensuite, Mitchell devient ennuyant. Nous parle de sa carrière cinématographique. Deux ou trois anecdotes, même pas croustillantes, une longue liste de films, ceux qu’il a fait, ceux qu’il n’a pas faits, le tournage ici ou là avec celui-ci ou celle-là… Pour la musique, énorme disette. Nous glisse un paragraphe de temps en temps pour notifier l’enregistrement d’un album – la lecture de la pochette s’avèrera plus instructive – notifie quelques tournées, et puis c’est tout. Circulez, il n’y a rien à voir, rien à entendre.

             Se fait vieux le grand Schmall, n’a plus envie qu’on l’emmerde, devient cossard, remet au lendemain ce qu’il peut faire le jour même, il fume moins, y va mollo-mollo sur la bouteille, se cantonne aux bons crus, l’a rayé le bourbon et le crotale qui frétille dedans pour vous sauter à la gueule dès que vous sabrez la bouteille…

             Les plus belles pages sont consacrées à Johnny, notamment à la tournée des Vieilles Canailles, l’on sent l’amitié qui unissait les deux hommes… Johnny apparaît beaucoup plus rock’n’roll qu’Eddy, qui le reconnaît sans peine.

             Si vous voulez retrouver l’Eddy qu’on aime, vous avez une vidéo sur le net, très courte, prise pendant le Covid, il est chez lui et tente de répondre à quelques questions-bateau posées par téléphone, Eddy essaie de jouer le jeu, mais il reste un rocker dans sa maison, un cat, un vrai gros matou, qui s’en vient se faire caresser par son maître et s’interposer entre lui et la caméra, une dernière séance très rock’n’roll !

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUE DE POURPRE 669 : KR'TNT 669 : LARRY JON WILSON / DANIEL ROMANO / SWERVEDRIVER / LAURENCE MYERS / CRACK SOUL /JUNIORE / THE SUPER SOUL REVUE / ONCE UPON THE END / FREDERIC GOURNAY / WILLIAM BLAKE

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 669

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    12 / 12 / 2024 

     

    LARRY JON WILSON / DANIEL ROMANO

    SWERVEDRIVER / LAURENCE MYERS

    CRACK CLOUD / JUNIORE /  THE SUPER SOUL REVUE

    ONCE UPON THE END / FREDERIC GOURNAY

    WILLIAM BLAKE

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 670

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Larry Jonagold

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             Dans un texte imprimé sur la pochette intérieure de Let Me Sing My Song For You, Jeb Loy Nichols raconte qui est Larry Jon Wilson. Larry Jon était un corporate qui bossait depuis dix ans dans la pétrochimie, jusqu’au jour où il est arrivé à Coconut Grove, en Floride. Et là il a flashé sur les drop outs débarqués de Greenwich Village - Singers that had left Greenwich Village in search of somewhere to be poor. A Kind of run down neo Nashville by the sea - C’est là qu’il rencontre Fred Neil ! Et qu’il devient un homme libre. Ça lui prend 5 ans. Il se laisse pousser les cheveux et se paye une grosse moto. Puis il va aller s’installer à Nashville en 1975. Tony Joe White avait déjà fait 6 albums, Townes Van Zandt 7, Mickey Newbury 8 et Kris Kristofferson 5.

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             Donnie Fritts refile le numéro de Larry Jon à Jeb Loy Nichols. Jeb l’appelle et Larry Jon lui déballe ses conceptions sur le music biz : pas question d’enregistrer pour un label qui a plus d’avocats que d’artistes. Et chaque fois qu’un label l’appelle, il voit les vautours tourner au-dessus de sa maison. Puis il indique que sa porte est ouverte - there’s always whiskey waiting, scotch too and a place to crash - Larry Jon est pote avec tout le monde - serveuses, mécaniciens, former lovers, musiciens, drifters, drinking buddies, bank tellers, trapeze artists, poltergeists. All who crossed his path - Fantastique personnage. Et il ajoute qu’il n’y a rien de tel qu’une bonne chanson pour apprendre ce qui vaut la peine d’être appris. Il dit aussi qu’il est du côté de celui qui vient APRÈS - the guy who comes in second place. That’s the guy I wanna have a drink with. Le mec qui a bossé dur, qui est resté correct, honnête et qui n’a jamais rien gagné. That’s the guy with the best stories - Et emporté par son élan, Larry Jon clame que «Mickey Newbury oughta be president. Oughta be in charge of the whole damn show.» Puis il se reprend et dit qu’il ne souhaiterait pas ça, même à son pire ennemi. Larry Jon parle comme un prophète. Jeb recueille ses paroles - Grace and mercy, he once said. Ce sont les deux qualités les plus nécessaires aux gens et celles qui manquent chez la plupart des gens - Il parle bien sûr de la charité chrétienne. Puis il ajoute à propos d’une femme trop riche qu’«une culture basée sur le cash, le profit et l’intérêt personnel n’est pas une culture, but a state of madness.» Il dit que ça lui a pris des années pour apprendre à ne pas merder - to learn how not to bullshit.

             Bruce Dees et Rob Galbraith, qui ont produit les trois premiers albums de Larry Jon disent que ses chansons sont some of the best stuff we ever cut. On les croit sur parole. 

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             Larry Jon Wilson enregistre New Beginnings en 1975. Ça sort sur Monument, le label de Roy Orbison. «Ohoopee River Bottomland» et «Canoochie Revisited (Jesus Man)» renvoient directement à Tony Joe White. On a des chœurs de rêve. C’est du pur jus de Muscle Shoals avec Reggie Young et Tommy Cogbill. Dans Canoochie, il développe son story-telling - I hope I see Kay Simmons here/ I sit next to her every chance I can - Fantastique groove, fantastique qualité du texte, fantastique présence. «Throught The Eyes Of Little Children» est la Beautiful Song par excellence. Il refait encore son Tony Joe avec «The Truth Ain’t In You» et aménage un petit rebondissement avec You don’t love Jesus. La B bascule dans la pure magie balladive avec «Lay Me Down Again». Cet homme est un magicien. Reggie Young fait des étincelles sur «Melt Not My Igloo».

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             Il faut voir la dégaine de Larry Jon au dos de la pochette de Let Me Sing My Song For You. Il a une bonne bouille, il pourrait être charcutier ou prof de latin. Il est bien coiffé, barbichu et porte une chemise brodée. Il sonne vraiment comme Tony Joe White, «Drowning In The Mainstream» ne laisse aucun doute. C’est exactement la même ambiance, le même ton. Derrière, tu entends Reggie Young gratter ses poux. Tout est intense et beau sur ce balda, «Sheldom Churchyard» est gratté à sec. Cut profond et brûlant de ferveur. «I Remember It Well» est extravagant de qualité. Tu sens le gros calibre, tout ici est de qualité, les choix compositaux et l’interprétation. Il attaque sa B avec «Think I Feel A Hitchhike Coming On». On sent poindre le Fred Neil en lui. Ampleur considérable, timbre chaud d’immersion universelle. Il revient à Tony Joe avec «Life Of A Good Man». Même power de cool dude.

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    Larry Jon est un artiste complet et même fondamental.

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             Il enregistre Loose Change à Muscle Shoals en 1977 et ça s’entend ! Il gratte aussitôt les poux du paradis sur «In My Song» et il t’installe au paradis avec ce big groove de Muscle Shoals qu’est «I Betcha Heaven’s On A Dirt Road». Comme t’es au paradis, t’en profites encore avec ce coup de génie qu’est «Shake it Up (One More Time)» et Reggie Young on fire. La classe de la compo te laisse coi. Larry Jon tape en plein dans l’œil du cyclope, et en plus, t’as le solo du paradis et les chœurs du paradis. Franchement, t’en demandais pas tant. Mais Larry Jon te donne tout ça. Il tape ensuite un heavy boogie de Mose Allison, «Your Mind Is On Vacation» et Larry Byron te gratte des poux de gras double. En B, t’entends encore Reggie Young faire les étincelles sur «July The 12th 1934» (que Larry Jon transforme en 1939 dans le chant). C’est gorgé de vie intrinsèque et chanté à l’oss de l’ass. Encore une merveille de délicatesse avec «Song For Jonah». Reggie Young y étincelle. Tu sors de cet album transi de bonheur.   

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             Sur Sojourner, notre héros Larry Jon tape une petite cover de Dylan, «I’ll Be Your Baby Tonight», à coup de bring the bottle over here/ I’ll be your baby tonight. Pure merveille. Il tape une autre cover en B, le fameux «Stagger Lee». Derrière, t’as Reggie Young et Tommy Cogbill, alors ça s’entend. Fantastique allure ! T’as tout : la voix, le swing et Reggie Young. En A, il tape aussi une cover du «You Mean The World To Me» de Mickey Newbury, avec une fantastique chaleur humaine. Deep inside Larry Jon ! Le coup de génie de l’album s’appelle «It’s Just A Matter of Time», un heavy groove signé Brook Benton. Larry Jon y met tout son art vocal, bien épaulé par Reggie et Tommy, les démons de Muscle Shoals, ex-American boys de Chips Moman.    

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             Paru en 2008, Larry Jon Wilson n’est pas son meilleur album, même si «Shoulders» te prend à la gorge. On l’entend inspirer avant d’attaquer le chant. Il tape une cover du «Heartland» de Dylan - My American Dream/ Fell apart as it seems/ Tell me what it means - Classic balladif country dylanesque, tell me what it means. Il renoue avec l’admirabilité des choses de Tony Joe dans «Feel Alright Again» et passe au confessionnal avec «I Am No Dancer» - I’m no dancer/ Girl/ But watch me more -  et il y va à l’I can move with you et à l’I am what I am. Puis on se régale encore  d’un «Rock With You» très dense, très profond, très intime, il y déroule son as long as I’m rocking with you. Dans ses fantastiques liners, Jerry DeCiecca raconte comment cet album fut enregistré à Perdido Key, une île qui se trouve à la frontière de la Floride et de l’Alabama. En 7 jours, ils ont enregistré 20 cuts - Cet homme hors du temps racontait des histoires d’auto-stop, de billard, de paternité, de gambling, drinking, women, et les amitiés qu’il a partagées avec Townes Van Zandt et Mickey Newbury - DeCiecca ajoute qu’à part «Shoulders» joué deux fois, tout l’album is all first and only takes.

    Signé : Cazengler, fort marri Jon

    Larry Jon Wilson. New Beginnings. Monument 1975

    Larry Jon Wilson. Let Me Sing My Song For You. Monument 1976

    Larry Jon Wilson. Loose Change. Monument 1977  

    Larry Jon Wilson. Sojourner. Monument 1979  

    Larry Jon Wilson. Larry Jon Wilson. Drag City 2008

     

     

    L’avenir du rock

    - Romano n’est pas un romanichel

    (Part Two)

             De loin en loin, l’avenir du rock invite ses amis à dîner. Il n’en reste plus des tas. Les gens ont fini par se lasser de ses facéties. Un dîner chez l’avenir du rock n’est jamais un dîner conventionnel, au sens où l’entendent la plupart des cons. Si l’un des invités se pointe avec des fleurs ou une bouteille de champagne, la première chose que fait l’avenir du rock c’est de balancer tout ça par la fenêtre, puis d’ajouter, avec une pointe de mélancolie dans la voix :

             — M’enfin, amigo, nous n’en sommes plus là.

             L’invité interloqué croit que le plus dur est passé, mais il se trompe.

             Il est bon de préciser à ce stade des opérations que chaque dîner chez l’avenir du rock est un dîner à thème. Ce soir-là, l’avenir du rock porte un petit chapeau manouche et une fine moustache dessinée au feutre. Au milieu du salon brûle un feu de camp !

             — Dis donc, avenir du rock, ne crains-tu pas de foutre le feu à tout l’immeuble ?

             — Pour cuisiner cette ragougnasse, il me fallait un feu michto, gadjo.

             Il règne une ambiance extraordinaire dans le salon. Le plafond est déjà noir de suie. Les flammes crépitent et une petite marmite danse mollement au-dessus du brasier. L’avenir du rock y trempe une cuillère en bois, la porte à ses lèvres et hoche la tête en manière d’assentiment, avant de s’essuyer la bouche avec la manche de sa veste rapiécée. Les enceintes de la stéréo bombardent une belle pompe manouche. On se croirait dans la roulotte de Tchavolo Schmitt.

             — Prenez place les amis. Asseyez-vous autour du feu.

             — Par terre ?

             — Ben oui, gadjo. Les chaises sont dans le feu.

             L’avenir du rock sert le ragoût dans des timbales en fer pas très propres et bien cabossées.

             — Mais où est le chat Pompon, avenir du rock ? Il n’est pas venu nous saluer ?

             — Il est dans ta gamelle, gadjo.

             Un silence de mort s’abat sur la petite assemblée. L’un des convives trouve le courage de briser le silence :

             — T’es un vrai manouche ou tu fais semblant ?

             — Pas manouche, gadjo. Juste Romano.

     

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             L’avenir du rock ne fait jamais rien au hasard. Même ceux qui prétendent le connaître tombent encore des nues. Pour honorer Daniel Romano, il lui fallait sortir le Grand Jeu.

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             Romano ? Crack ! C’est Andy Morten qui s’y colle dans Shindig!. En bon samaritain, Morten y va comme il faut y aller, album par album. Et t’en as un paquet. Un cas comme celui du Romano, ça se travaille album par album. Il tire son génie de sa prolixité - Across 15 years, 25 albums - Morten parle d’un chameleon-like Romano qui a émergé «as an unstoppable creative force, dont la musique enjambe les genres, défie les attentes et suscite l’adulation.» Eh oui, on y est. Adulation. One more time. Ian et Daniel Romano, nous dit Morten, ont construit un studio à Toronto et l’ont baptisé Camera Varda en hommage à Agnès Varda. Pas de meilleure entrée en matière pour un chapô Shindigois.

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              Morten est à Totonto pour causer du nouvel album de l’Outfit qui s’appelle Too Hot To Sleep. On y trouve un savant mix de Stonesy et de glam. «You Can Steal My Kiss» est de la pure Stonesy chantée du nez, avec les riffs de Keef en clairette d’alerte rouge. Quelle bonne aubaine ! En B, ils passent au glam-punk avec «Chatter». C’est insolent de bonne santé et battu à la diable. Puis ils tapent «Field Of Ruins» à la décadence suprême. Daniel Romano est la nouvelle superstar, qu’on se le dise ! L’écho ne trompe pas. Il est pire que Peter Perrett. Encore un fantastique délibéré d’Outfit avec «Generation End». C’est à la fois excellent, flamboyant, irrépressible, c’est le glam infectueux de Toronto. Bon alors après t’as Juliana Riolino qui chante «Where’s Paradise». Elle semble un peu énervée. On entend encore de vieux relents de Stonesy canadienne dans «State Of Nature», un fantastique brouet de brouette. Entrain considérable encore avec «All Of Thee Above». Il est évident qu’avec un son de cette envergure, ils vont tout fracasser. C’est même trop fantastique. «That’s Too Rich» flirte avec le Punk’s Not Dead. Il chante aussi le morceau titre à l’excédée congénitale. C’est plus fort que lui. Quel Romano ! Depuis la sortie de l’album, Juliana Riolino et le bassman Roddy Rosetti ont quitté l’Outfit.

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             Le Romano concède que Too Hot To Sleep est radicalement différent du précédent, La Luna, qu’il qualifie d’«eloquent, grandiose and carefully constructed.» Il ose même dire : «Too Hot To Sleep is the Live At Leeds to La Luna’s Tommy.» La Luna est effectivement une sorte d’opéra, avec une ouverture et un final. Mais d’une certaine façon, il prend les gens pour des cons. C’est très proggy. Tu croyais avoir échappé à ça et le Romano t’y ramène. Il flirte avec ce qu’il y a de pire : Queen.

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             Puis Morten entre dans le tourbillon des albums avec la première époque du Romano en tant que «guitar-picking troubadour», qui baptise son son «mosey» et qui enregistre Workin’ For The Music Man, Sleep Beneath The Willow et Come Cry With Me, le tout avec de l’«eclectic instrumentation, pedal steel and the full nudie suit and Stetson imagery of country music.» À ce petit jeu, le Romano est plutôt bon. Bizarrement, Come Cry With Me fait un carton en Hollande. S’ensuivent deux albums sur New West, 11 Great Mosey Originals et If I’ve Only One Time Askin’, puis c’est l’excellent Mosey, toujours sur New West, dont on a dit dans le Part One tout le plus grand bien qu’il fallait en penser, avec un son, nous dit Morten, qui rappelle «Dylan’s mid-60s mutant R&B and Lee Hazlewood desert noir.» Et ça continue avec Modern Pressure - Blonde On Blonde-era electric Dylan remains a touchstone, but there are bright indie pop moves and diversions into sitar-flecked psychedelia - Et Morten de s’extasier : «He plays and sings every note.» Quand un mec comme Morten écrit every note, ça veut bien dire ce que ça veut dire. Dans le Part One, on n’en finissait plus de crier au loup avec Mosey et Modern Pressure - Ce petit veinard  a tout : la voix, la liberté, l’horizon, l’underground - Ces deux albums qu’il faut bien qualifier de mirobolants illustrent la facette dylanesque de son œuvre. Morten ajoute que «Mosey and Modern Pressure had been recommanded by music friends of redoutable taste.» Et dans sa lancée, il te claque ça : «It wasn’t until 2020 that I fell for Romano’s music. And boy, did I fall hard.» Il en rajoute une dernière caisse : «Le fait qu’il ait mis son nom sur 9 albums cette année-là didn’t hurt.» Ça ne l’a pas choqué. Ça n’a choqué personne, seulement ton porte-monnaie. 

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             Morten cite à la suite deux albums Bandcamp, Nerveless et Human Touch. Le Romano est tellement obsédé par l’indépendance qu’il vend lui-même ses disks sur son Bandcamp. Et une fois la tournée terminée, les disks disparaissent du Bandcamp. Ils vont paraît-il sortir en tant que Volumes 1 et 2 dans la fameuse collection Archive Series. Puis c’est Finally Free que Morten compare à de l’Incredible String Band et à Leonard Cohen.

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             C’est en 2019 que le Romano monte l’Outift avec Juliana Riolini, David Nardi et Roddy Rosetti. C’est aussi une avalanche d’albums non officiels, Okay Wow, Super Pollen, et le digital-only Content To Point The Way. Et une semaine plus tard, Forever’s Love Fool. Deux semaines plus tard sort Spider Bite - Come on, keep up, fait Morten, hilare - un album «more hardcore punk thrills.» Et puis voilà Dandelion - for this writer the most consumate solo Daniel outing so far - possibly ever - Il cite les Beatles, les Zombies et les Kinks - It’s the perfect entry point for anyone who’s still reading this without knowing what’s going on - Et le Romano d’exulter : «1968 was the greatest year for music.» Et il cite «those two perfect Incredible Band records, oh man.»

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             Dandelion forme avec Mosey et Modern Pressure la triplette de Belleville Romanienne. Dandelion sonne comme un album de John  Lennon. Eh oui, Romano peut sonner comme John Lennon et rester original, comme le montre «If You Don’t Or If You Do». On sent chez lui une terrifiante facilité. Il sait tout et il peut tout. Lennon encore avec «Novus». Il sait rester délicieusement suave, avec derrière lui des délicatesses de poux divins. Ça gratouille dans la lumière du paradis. Avec «Plum Forever», il bascule en pleine psychedelia de la Beatlemania, cette psychedelia de questions/ Don’t ask me any questions, il s’y fond merveilleusement, everything’s turning over my love, c’est miraculeux de beauté purpurine, Plum, the new grass is grown. En B, il illumine à nouveau la terre avec «She’s In A Folded Wing (But Flying)», avec un son psyché softy de Beatlemania d’aile pliée. Il n’en finit plus de fourbir une pop admirablement fagotée. Suite de ce fantastique élan pop avec «Ain’t That Enough For You». C’est du forever, à chaque tentative.

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             Content To Point The Way est un album plus country. Cette fois, il se rapproche des Sadies. «Bits & Pieces» est une belle country raffinée qui colle bien au papier. Si t’aimes bien la country, t’es gâté. Mais pas de surprise. Tu ne rentres pas dedans, même si «I’m So Lost Without You» est une pure merveille de délicatesse.

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             Back to the Beatlemania avec Visions Of The Higher Dream. Trois cuts font vraiment illusion : «Lilac About Thy Crown», «Boy In A Crow-Skin Cape» et «At Times The Fools Sing Freely». Tu crois entendre chanter John Lennon. Même timbre, même imaginaire, même sens mélodique, même classe. C’est l’album lennonien par excellence. Fabuleux hommage. Le Romano recrée l’enchantement vocal d’«Across The Universe». «Girl In A Bath Full Of Tears» pourrait aussi se trouver sur le White Album, c’est dire le niveau de raffinement. Même chose pour «Nobody Sees A Lowered Face», t’es en plein White, avec les accords de «Pinball Wizard» en fin de cut. Tiens puisqu’on parle des Who, voilà «Where May I Take My Rest», en plein claqué de Ricken, en plein dans le delicatessen Whoish. Il chante encore son morceau titre à la glotte vainqueuse. Quel merveilleux caméléon ! Il ramène de la country dans la Beatlemania. Le Romano est surprenant d’exemplarité, c’est le roi de la surenchère du surnuméraire.

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             Sur How Ill Thy World Is Ordered, «all five membres are on blistering form.» L’Outfit explose. Morten parle d’un «set of songs that remains one of the most cohesive in the Romano catalogue.» Morten ajoute encore que Romano y sonne comme «Dark Horse-era George Harrison.» Il détecte aussi des échos de Bowie et des Who. Alors tu l’écoutes. T’es aussitôt bluffé par «A Rat Without A Tale». Le Romano est un enchanteur, il touille une heavy pop de rêve et t’as du killer solo à gogo. David Nardi te sonne les cloches alors que résonne une clameur fondamentale. T’es vraiment obligé de choisir tes mots. Et ça continue avec «How Ill Thy World Is Ordered». Le Romano te chante ça au petit sucre de dents de lapin. Ça reste puissant et saturé d’un son qui te laisse coi. Voilà l’heavy pop de «First Yoke» saluée aux trompettes de Jericho. C’est encore une fois plein comme un œuf. T’a ce mélange étourdissant de petit sucre pincé et de rafales de cuivres. Avec ceux des Lemon Twigs, les albums du Romano sont des preuves que tout va pour le mieux dans le monde du rock. C’est un véritable camouflet adressé aux rabat-joie. Le rock ne s’est jamais aussi bien porté. Le Romano fait de la psychedelia anglaise avec «Drugged Vinegar». Te voilà au cœur d’une magie chaude de chemises à fleurs, et toujours puissamment orchestrée. Et t’as ce «No More Disheartened By The Dawn» qui explose de grandeur de no more. Il a cette puissance de feu pop qui fait la différence avec les mange-ta-yande à la mode. Pourquoi ? Parce qu’il écoute les bons disks, comme les Lemon Twigs : Beatles, Byrds, Brian Wilson. T’as aucun équivalent du Romano, aujourd’hui. Il remplit ses albums de pop et navigue systématiquement au niveau de ses modèles : Dylan, les Beatles, les Who. C’est un puriste.

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             Lorsque Morten dit attendre son bundle How Ill Thy World Is Ordered/T-shirt qui arrive par la poste, voilà que sort sur Bandcamp White Flag, suivi d’un book of love poems. Morten est stupéfait par cette productivité et la qualité de cette productivité. Il compare le Romano à Guided By Voices et aux Oh Sees qui ont eux aussi leurs propres labels.

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             Forever Love S Fool est l’Archives Volume 5. Bon, alors, c’est un album très spécial qui se joue en 45 tours. Deux cuts de 10 minutes, un par face. Du prog, avec des accents lennoniens dans le chant. T’es pas très content de ton achat.

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             Puis le Romano s’acoquine avec la photographe Carson McHone, une petite gonzesse d’Austin. Sort le Live Fully Plugged In. C’est l’album Whoish. Le prodigieux caméléon a encore frappé. T’as les harmonies vocales des Who sur «God’s Children», c’est sidérant ! T’as même le gratté de Ricken ! Grosse attaque Whoish encore sur «Anyone’s Arms». Il ramène tout le swagger anglais dans son son. Il a percé le secret des Who : fondu d’harmonies vocales et power chords. Il ramène encore de la clairette exacerbée dans «First Yoke». Ça sent bon les Who ! Même chose avec «All The Reaching Trims», véritable festival d’accords Whoish. C’est Juliana Riolono qui ouvre le balda avec «Rhythmic Blood». Elle attaque de front, bientôt rejointe par ce glamster patenté qu’est le Romano. On sent bien les surdoués. La B est encore assez explosive. «She Was The World To Me» est extrêmement statique, et pourtant tonitruant. Ils laissent tomber les Who pour aller sur un son plus country et puis voilà l’infernal «A Rat Without A Tale», transpercé en plein cœur par un killer solo flash de David Nardi, véritable giclée d’inespérette d’espolette. Ils terminent avec «The Pride Of Queens», un puissant balladif de rêve. Te voilà encore une fois avec un big album dans les pattes.

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             Puis c’est Cobra Poems, ovationné dans le Part One, très branché sur les Stones et les Faces. On n’en finirait pas et c’est tant mieux.

    Signé : Cazengler, romanichel

    Daniel Romano. Dandelion. Archives Volume 6. You’ve Changed Records 2020

    Daniel Romano’s Outfit. Content To Point The Way. Archives Volume 4. You’ve Changed Records 2020

    Daniel Romano. Visions Of The Higher Dream. Archives Volume 3. Not On Label 2020

    Daniel Romano’s Outfit. How Ill Thy World Is Ordered. You’ve Changed Records 2020

    Daniel Romano’s Outfit. Fully Plugged In. You’ve Changed Records 2021

    Daniel Romano’s Outfit. La Luna. You’ve Changed Records 2022

    Daniel Romano. Forever Love S Fool. Archives Volume 5. You’ve Changed Records 2023

    Daniel Romano’s Outfit . Too Hot To Sleep. You’ve Changed Records 2024

    Andy Morten : The boy who could. Shindig! # 149 - March 2024

     

     

    Inside the goldmine

    - Baby you can Swervedrive my car

             Dans le civil, Serge Driver était (ou avait été) chauffeur. Mais pas chauffeur de bus. Chauffeur de gang. C’est lui qui garait la bagnole devant l’entrée de la banque et qui attendait les autres en laissant tourner le moteur. Il était encore miraculeusement en vie. Plutôt sec, assez grand, aux alentours de la cinquantaine, le cheveu encore noir et lustré, Serge Driver était toujours sur son trente-et-un, en costard noir, avec une chemise blanche, col ouvert. Il n’avait rien perdu de son élégance de voyou. Il traînait au bar jusqu’à la fermeture, buvait des cognacs mais ne montrait jamais aucun signe d’ébriété. Comme le patron tolérait la clope, il fumait. Dire qu’il était criblé de balles serait un euphémisme. Ses mains et son visage portaient pas mal de cicatrices. Elles lui servaient de fil conducteur lorsqu’il racontait sa vie au bar.

             — Tu vois ce trou dans la joue ? Et là sous le menton ? La balle est ressortie par là. C’était à Montpellier en 1971. Crédit machin, me souviens plus trop du nom de cette putain d’agence. Les condés nous ont arrosés comme des malades, on est tous repartis avec du plomb dans l’aile.

             Il avala une gorgée de cognac et posa le doigt sur un autre trou, cette fois dans la tempe.

             — Dans les films, tu vois les mecs se tirer une balle dans la tempe pour se fumer. C’est un truc de baltringue ! Le pruneau est entré par là et on sait pas où il est passé !

             — T’as pas mal au crâne ? 

             — Jamais. Gégé le glaçon s’est bien foutu de ma gueule : il a dit que ça m’avait foutu du plomb dans la cervelle.

             Puis il déboutonna sa chemise. On aurait dit qu’il avait été fusillé par un peloton d’exécution. Il commenta les trous un par un, telle date, tel endroit, untel sur le carreau, tant de condés fumés, le montant du butin. Puis il défit sa ceinture et baissa son pantalon. Pareil, il avait les cuisses couvertes de trous de balles. Il les commenta un par un. Serge Driver était une vraie encyclopédie du grand banditisme. Puis il finit par baisser son calbut, se retourna et se baissa :

             — Vous voyez ce trou de balle ? C’est le seul que les condés m’ont pas fait.

             Il lâcha un pet énorme et éclata d’un rire hystérique. Cette vulgarité jeta un froid. Nous quittâmes le bar profondément déçus. 

     

             Pendant que Serge Driver défraye la chronique dans un bar, Swervedriver la défraye dans l’histoire du rock anglais. Chacun son truc.

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             Dans l’histoire du rock anglais, les Swervedriver ont toujours occupé une place à part. Ils sont assez incatalogables, ce qui les rend éminemment sympathiques. Des tas de gens ont essayé de les faire entrer dans un bocal, rien à faire : trop gros, trop indomptables. Qualifions-les de fonceurs dans le tas, d’archanges du sonic trash, d’amateurs de tempêtes éclairées, d’exploitants de tourmentes. Ils font partie comme les Boo Radleys, Primal Scream et Oasis des groupes chouchoutés par Creation, à l’époque de son âge d’or.

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             Le premier album de Swervedriver, c’est Raise. Il n’est pas arrivé dans les bacs, non, pas du tout, il nous est tombé dessus. Ces quatre petits mecs sont les héritiers directs de Totor. Leur religion : the Wall of Sound. Raise est bourré à craquer de Wall, dès «Sci-fi Flyer», c’est même du Wall in the face, du napalm de sonic trash, et Adam Franklin pose son chant malovélant sur un son en mouvement, une espèce de floraison délirante. Leur groove a pour particularité d’aller très mal, de ne pas marcher droit, comme s’il était torché. On reprochait à l’époque aux Swerve  d’être trop shoegaze, de s’ennuyer en jouant. Mais quand t’écoutes «Son Of A Mustang Ford», tu comprends tout, car voilà un hit frit dans l’énergie, jeté dans le mur, c’est une fabuleuse dégelée d’échevelée, grattée à outrance, c’est aussi une vraie machine à remonter le temps, te voilà bombardé en 1990, soit trente ans en arrière, la Ford Mustang a marqué son époque, ils ont hissé leur paradigme avec la Ford Mustang, ils te jettent ça dans le sonic fog, les grattes s’entremêlent, et ça se vautre dans la bouillasse avec un killer solo trash à l’agonie. Retour au Wall avec «Rave Down», un Rave éclairé par le haut, presque mélodique, les grattes bâtissent, les dynamiques purulentes pullulent dans le beurre du diable, c’est un mic-mac épouvantable. Du Wall encore avec «Soundblasted» le bien nommé. Après une intro trompeuse, un déluge de Swerve arrive par la bande, mais il s’agit d’ailleurs d’un déluge embourbé. S’il fallait qualifier les Swerve d’un seul mot, ce serait ‘embourbé’. Les embardées embourbées, c’est ça, exactement. Pour finir, ils s’en vont mourir en mer étale.

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             Mezcal Head paraît trois ans plus tard. Pas de littérature ni de photos, juste un visuel et de la musique. Retour direct au Wall avec «Duel», épicé d’un soupçon de mélodie et lesté d’une grosse descente au barbu, le ciel s’affaisse sur la terre, you can’t ask why, on assiste à des chassés-croisés obliques entre les deux grattes émérites, ça grouille d’idées soniques et de grandeur, et c’est merveilleusement relancé. Tout est bien étalé sur la tartine, t’as là son très anglais, très dynamique, un son à part, très Swerve. On croise plus loin l’excellent «Last Train To Satansville». Attention, ce n’est pas Clarksville. Les Swerve font des embardées sous un certain boisseau et ça vire hypno avec un fat bass sound. Chaque cut a sa propre identité. Avec «Harris & Maggie», ils reviennent à la formule magique d’air hagard et de bouche béante, ils courtisent la clameur du néant. L’«A Change Is Gonna Come» n’est pas celui de Sam Cooke, ils optent pour une purée de wah furibarde et la calment aussi sec à la sortie du solo. Nouveau coup de Jarnac avec «Duress» : une wah en disto lui bouffe le foie. Spectacle atroce, languide, glauquissime, avec des remous dans les eaux troubles. Et puis Adam Franklin arrive avec sa voix tortueuse, il traîne pas mal dans la longueur. Duress est un beau cut dévoré vivant par des cannibales. En fait, les cuts sont longs. Les Swerve sont chronophages. Ils ne te bouffent pas le foie mais le temps dont tu disposes, ce qui est pire.

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             Ejector Seat Reservation est leur dernier album sur Creation. Sans doute le meilleur des trois. Ejector grouille littéralement de coups de génie, à commencer par «Bring Me The Head Of The Fortune Teller». Ah comme ils sont bons ! Ils tartinent leur big heavy psychedelia à la barbe de Dieu. Ils se montrent stupéfiants de verdeur, ils maîtrisent l’art des gros développements organiques, ça joue énormément. Le bassmatic avale très vite «The Other Jesus». Les Swerve ont un son unique, un sens du groove underground qui fait d’eux des géants. Les solos roulent comme des ouragans. Après le «Son Of A Mustang Ford», ils ramènent un «Son Of Jaguar E» plus poppy et bien arrosé. Le killer flasher est un fou, il traverse sans regarder. Et boom ! Voilà «I Am Superman», les Swerve y vont la plume au vent, rien ne peut les arrêter, Adam Franklin chante «Bubbling Up» au crevé de bouche ouverte, dans un oasis à sec, au fond d’un underground oublié de tous, et soudain, tout explose avec le morceau titre, le pur heavy rock des Swerve, just perfect, le bon poids, le bon aloi, l’excellence des British rockers avec des syllabes jetées et des accords de cuir noir, ça joue dans la mine d’or, ils tapent dans le même son que Grand Mal, même sens aigu du boogie pourri, des relances avariées, et de la nonchalance d’overdose. Dans ces années -là, les deux groupes qui cultivaient les Fleurs du Mal étaient Grand Mal et les Swerve, ils savaient s’allonger dans une fosse commune et continuer de faire de l’art, ils savaient ramper dans les ossements et se comporter comme des rock stars. La clameur qu’on entend ici est supra-sensorielle. Et ça continue avec «How Does It Feel To Look Like Candy». Somptueux ! Les Swerve arrosent le Candy de dégelées. Par l’éclat de leurs idées, ils se rapprochent des Mary Chain. Puis ils terminent avec «The Bird», une mad psyché de power pur, explosive, très Bandwagonesque.  

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             Puis les Swerve vont plonger dans le limbo des labels incertains. En 1997 paraît 99th Dream sur Zero Hour, un label qui porte bien son nom. Les Swerve relèvent bien le défi avec le morceau titre d’ouverture de bal, une symphonie de disto, une envergure sonique digne de Gustav Malher, ils proposent tout simplement une fantastique élévation du domaine de la psychedelia. Ils s’y prennent toujours de la même façon, avec un sens aigu de l’empathie transversale, ça bouillonne, c’est chaud et c’est doux, ça culmine dans les clameurs. Plus loin, tu vas tomber sur «These Times». Adam Franklin se prend pour Liam Gallagher, sauf que les grattes sont du Swerve pur. Superbe Beautiful Song coulée dans un Wall of Sound, une merveille de contre-collage de son et de poux. On reste dans l’extrêmement Beautiful avec «Electric 77». Même dans leur delta du Mekong, il se produit des événements extraordinaires. Ces mecs te drivent le Swerve avec une autorité qui tranche - Show me the way away - Les accents penchent et fascinent. Les montées en température sont leur fonds de commerce. S’ensuit un brillantissime «Stellar Caprice», puis ils te déversent sur le crâne un seau plein d’heavy pop-rock, «Wrong Treats», une heavy pop-rock bardée de poux, ça gratte dans tous les coins, ça explose en bouquets faramineux, tu as là tout le son du monde. Avec les Swerve, tu passes des soirées extraordinaires. Et la fête continue avec «You’ve Sealed My Fate», bien dense, avec des loops. Cet album est une merveille de port altier. Ils ramènent un brin de weird dans «In My Time» et flirtent avec «Season Of The Witch» sur «Expressway». On ne se lasse pas de cette omelette sonique qui se casse la gueule en permanence. Les Swerve sont les rois de la dégoulinade.   

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             Retour inopiné en 2015 avec cet I Wasn’t Born To Lose You qui pourrait bien être leur meilleur album. Tu aimes le Wall ? Alors écoute «Autodicact», mais au casque, de préférence, pour bien en profiter. Cette pop est tellement gorgée de son ! Les Swerve te gavent de l’un des meilleurs sons d’Angleterre. Adam Franklin et Jimmy Hartridge se répartissent les channels, ça joue à la démesure, ils te saturent tout d’excellence. S’ensuit un «Last Rites» plus dans l’esprit du wild Mezcal. Ils n’ont rien perdu de leur primal power, ça balance toujours dans des horizons embrasés, avec une stupéfiante vitesse de la prestance accorte. Encore plus infectueux et gratté aux deux grattes, voici «For A Day Like Tomorrow». Infernal ! Ils bourrent leur box de son et le chant s’y pose comme un papillon exotique d’une grande rareté. Sur cet album tombé encore une fois du ciel, tout est énorme, ils créent leur bulle de sonic trash et restent inexorablement inventifs. «For A Day Like Tomorrow» grelotte de son. Les Swerve savent monter une température en neige, comme le montre «Everso». Quelle belle tension harmonique ! C’est dingue ce qu’on peut raffoler de ce son. Les Swerve aiment à exploser en plein ciel, c’est leur péché mignon. On y entend de jolis éclats de Teenage Fanclub, de jolis éclairs de Tanahauser à l’épaule d’Orion, avec des accords en suspension. On croit qu’ils vont se calmer. Fatale erreur. «English Subtitles» explose sous ton nez. So very British, carillonné aux harmonies vocales, ils font les Byrds à l’Anglaise, ils montent encore plus haut que les Fannies. Puis ils tapent «Red Queen Arms Race» à la vilaine sature de Saturne. Ils passent en mode ‘mouvements limités’, la disto craque, c’est bon signe, la bête vit encore, les grattes des Swerve dévorent tout. Ils ne vivent que pour la saturation. Chez les Swerve, tout valdingue dans la carlingue. Ils ne sortiront jamais de leur tempête de sable. Dans «Lone Star», le chant d’Adam Franklin est comme assailli par des vagues de notes acides. Tu as toujours une gratte qui brame comme un éléphant de combat, ça balance en permanence entre la pop et Salammbô. Pour finir cet album qu’il faut bien qualifier de faramineux, voilà «I Wonder» qui bascule dans l’ignominie Swervy, une merveilleuse ignominie, une destruction de ta cervelle, neurone après neurone, ces mecs vont te grignoter et se régaler de ta chair frelatée, tu en suffoques d’extase, tout éclate en rosaces de la solace, c’est un incroyable power rosicrucien, ça se dissémine en rayons luminescents, les harmonies vocales se fondent dans l’effroyable poussière rougeâtre d’un crépuscule des dieux. En Angleterre, les Swerve sont certainement les seuls à cultiver cet art de la démesure viscontienne. Tu ne sors pas indemne de cette écoute. Si tu ne craignais pas d’abuser, tu dirais que tu vibres pour l’éternité.

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             Et voilà le petit dernier : Future Ruins. On y trouve un clin d’œil au Velvet : «Spilked Flower». Ça traînasse dans l’ancien beat purulent, you hit me with a spilked flower. L’énergie du beat est bien celle du Velvet, aucun doute là-dessus. Sur les autres cuts, ils reviennent à leur formule : la nappe de son qui se répand sur la surface de la terre. Rien de nouveau sous le soleil des Swerve. Toujours un peu le même déroulé, mais c’est un bon déroulé. Ils passent en mode tortue avec «Theeascending» et l’achèvent en apothéose. On retrouve l’heavy Swerve dans «Drone Lover», avec tout le poids des accords et le chant invertébré. Ils percutent leurs électrons dans la machine à vapeur. Et puis à un moment, on se pose des questions. «Everybody’s Going Somewhere & No One’s Going Anywhere : panne d’inspi ? Pause pipi ? Pause du peuple ? Plan pipo ? Heureusement, «Golden Remedy» vole à leur secours, miel épais, bien heavy, tentaculaire. Leurs connexions larvaires sont des merveilles. Si tu cherches l’exotisme sonique, c’est là. Encore un bel étendard avec «Good Times Are So Hard To Follow», ils te claquent ça bien au vent, ils ressortent leur vieux mic mac d’accords flottants, des grattes entrecroisées et ce chant qui se prélasse dans la mélasse comme un roi fainéant. Perdition assurée et magnifiée. Le «Radio Silent» de fin coule dans les abysses avec ses palmes, comme Enzo dans Le Grand Bleu

    Signé : Cazengler, Suaire d’hiver

    Swervedriver. Raise. Creation Records 1986

    Swervedriver. Mezcal Head. Creation Records 1993

    Swervedriver. Ejector Seat Reservation. Creation Records 1995  

    Swervedriver. 99th Dream. Zero Hour 1997

    Swervedriver. I Wasn’t Born To Lose You. Cobraside Distribution Inc. 2015

    Swervedriver. Future Ruins. Rock Action Records 2018

     

     

    L’eau rance de Laurence

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             Pour dire les choses franchement, le rapatriement du book dont on va parler ici est dû à une petite confusion : on feuilletait l’autre jour l’un de ces beaux mensuels rock publiés en Angleterre et, dans les pages «books», on est tombé sur la kro d’Hunky Dory (Who Knew?). Laurence Myers ? Ahhhh oui ! Alors on a fait, comme le font tous les gros cons qui se prennent pour des connaisseurs : «Tiens donc ! Le voilà enfin ! Le sbire du Loog ! L’homme de l’ombre ! Le second couteau d’Immediate !». Évidemment, on confondait avec Tony Calder. C’est en feuilletant le cahier central de photos qu’on a subitement réalisé que Laurence Myers n’était pas Tony Calder. Ce sont des choses qui arrivent, surtout aux gros cons.

     

             L’idée première était bien sûr d’en apprendre davantage sur l’un des grands chouchous d’ici, Andrew Loog Oldham. Raté. À ce stade des opérations, il ne restait plus qu’une seule chose à faire : lire l’usurpateur.

             Gros problème : les a-prioris négatifs s’accumulaient au portillon : couve putassière avec Ziggy et Iggy (qui sont pas Jerry Lee), titre emprunté à un album sacré, Laurence Myers n’est pas joli sur les photos, enfin bref, il y en avait à la pelle. Pour entrer dans ce book, il fallut donc discipliner les troupes et ramener le calme dans les rangs.

             Finalement, la lecture s’est révélée relativement agréable. Dire qu’Hunky Dory (Who Knew?) se lit d’un trait est à peine exagéré. Dans certaines circonstances, il faut savoir se montrer conciliant. Alors on concilie. Car c’est en concilisant qu’on devient conciliseron. Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, une solution s’est imposée au sortir de cette lecture en forme de conciliabule : on a tracé un trait vertical, pour mettre d’un côté les avantages et de l’autre les inconvénients, comme on le fait dans la vie courante, lorsqu’il faut prendre une décision importante.

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             Avant d’attaquer le gros tas des avantages, il est utile de rappeler que Laurence Myers est un comptable. Il tient les livres de comptes du rock. On le paye pour ça. Recettes/Dépenses/Taxes/Rétributions. Donc l’argent est au cœur de sa vie. Et comme il grenouille en plein Swinging London, il rencontre tous les grands tireurs de ficelles : Mickie Most, Don Arden, Peter Grant, Allen Klein, Andrew Loog Oldham et Tony Defries. Avec lui, on entre dans l’antichambre des magouilles du rock. Et dans certaines pages, il va même se montrer très technique, plus encore que Klein dans le book que lui consacre Fred Goodman (Allen Klein. The Man Who Bailed Out The Beatles, Made The Stones And Transformed Rock & Roll).

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             C’est avec Mickie Most que Myers démarre sa carrière. Most vient tout juste de lancer les Animals avec «House Of The Rising Sun». Most et Myers vont devenir amis et même passer des vacances ensemble. Myers ne rentre pas trop dans les détails. Il indique simplement que Most ouvrit à une époque son propre studio à St John’s Wood et que sa veuve Chris le tient encore aujourd’hui. Par contre, c’est avec le chapitre Don Arden que Myers rafle la mise. Il relate un épisode qui s’est déroulé en 1964 dans le bureau d’Arden. Big Man Arden venait d’organiser une tournée américaine des Animals et devait 6 000 £ au groupe et à leur manager, Mike Jeffery. Comme Jeffery était aux États-Unis à l’époque, il demanda à Mickie Most de voir Arden pour le persuader de payer ce qu’il devait. Myers assiste au meeting en tant que comptable de Most. Un Most qui explique à Myers qu’Arden ne comprend qu’un seul langage : la violence. Aussi, demande-t-il à l’armoire à glace Peter Grant d’assister au meeting pour intervenir en cas de grabuge. Ils se rendent donc tous les trois à Mayfair où se trouve le burlingue de Don Arden. C’est une scène qu’aurait pu filmer Scorsese. Myers nous restitue les dialogues dans leur intégralité. On se croirait dans le bureau de Don Corleone, lors de la première scène du Godfather. Ils sont tous les trois assis face à l’Arden. Quand Myers prend la parole, Arden lui demande qui il est. Alors Myers dit qu’il représente les Animals. Arden fait : «Oh, yeah?». Puis il demande à Most : «Who is this schmuck?». Et Most répond qu’il est le comptable. Alors Arden revient à Myers et lui balance : «Alors, comptable, qu’est-ce que tu veux ?». Sous-entendu ‘comptable de mes deux’. Myers répond comme un comptable : il veut juste le blé qu’Arden doit aux Animals. Arden hausse les sourcils. «Quel blé ?» Alors Myers sort sa petite note de comptable : «6 370 £.» Arden fait : «So?», c’est-à-dire «et alors ?». Myers ne se dégonfle pas, et lui dit qu’il doit payer. Pffff... Arden chiffonne la facture, la jette à la poubelle et tranche : «Fuck off.» Myers insiste. Alors Arden lui dit que s’il ne sort pas immédiatement de son bureau, il va passer par la fenêtre, comme Robert Stigwood. Myers raconte qu’il fut le premier à sortir, que Mickie Most le suivait, explosé de rire, et que Peter Grant est resté dans le bureau pour tout casser, comme c’était prévu. Bien sûr, Don Arden n’a jamais payé ce qu’il devait aux Animals, nous dit le comptable.

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             L’autre grosse poissecaille du book, c’est Allen Klein. Un Klein qui comme Myers démarre comme comptable pour le compte de Don Kirshner, au Brill Building, on the corner of Broadway and 49th Street in Manhattan. Comme le fait Myers en Angleterre, Klein est mandaté par ses clients pour auditer les comptes des record companies. Ils découvrent tous les deux que les record companies ont pour fâcheuse habitude de truquer les comptes, pour ne pas verser toutes les royalties sur les ventes dues aux artistes. Tous les moyens sont bons pour baiser les artistes. C’est Mike Jeffery qui introduit le loup dans la bergerie : il met Klein en contact avec Mickie Most, qui est alors le producteur des Animals, et sans doute le producteur le plus hot d’Angleterre, à cette époque. Klein débarque à Londres, au Grosvenor Hotel et propose un meeting à Most. Bien sûr, Myers l’accompagne au rendez-vous. Il nous fait donc entrer dans la suite qu’occupe Klein, un Klein qui les reçoit en robe de chambre avec une pipe au bec. Il fait venir du thé par le room service et donne un pourboire généreux ce qui, selon Myers, est censé impressionner ses visiteurs, but we were not. Et soudain, Klein balance son hameçon : «Mickie, I can get you a million dollars.» En sortant du rendez-vous, Mickie est écroulé de rire. Il prend même Klein pour un charlot - a bit of a joke - Mais Klein n’est pas un charlot. Pouf, il emmène Most chez EMI pour un rendez-vous. Clive Kelly, le managing director, leur demande s’ils veulent du thé et Klein répond sèchement : «No. We don’t want tea.» Puis il balance ça dans la barbe de Kelly : «Mickie’s not going to make any more records for you.» L’autre en face ne comprend pas : «I beg your pardon?». Alors, Klein répète lentement, et ajoute : «No more records from The Animals or Heman’s Hermits.» Klein audite les comptes et obtient toujours ce qu’il demande. Un million de dollars ? Pas de problème.

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             Klein va ensuite rencontrer Andrew Loog Oldham et gagner la confiance du Jag, puis des Stones, lors d’un rendez-vous à l’Hilton Hotel, on Park Lane. Puis il refait son cirque avec Decca pour re-négocier le contrat des Stones. Il rencontre Sir Edward qui s’inquiète de l’absence d’Eric Easton, le co-manager des Stones, et Klein lui met ça dans la barbe : «Eric ne joue pas dans le groupe. You can speak to me.» Comme chacun sait, Klein va devenir propriétaire des droits américains des Stones : masters & music copyrights. Une fortune. Après les Stones, Klein va avaler les Beatles. Même stratégie d’approche, un rendez-vous dans une suite au Grosvenor, l’hameçon du million de dollars, suivi de la technique de l’anaconda. Le comptable Myers se régale et nous en fait profiter.

             Myers rappelle aussi qu’Andrew Loog Oldham n’avait que 20 ans lorsqu’il approcha Brian Jones pour signer les Stones. En tant que managers, Eric Easton et le Loog prenaient 25 % des revenus du groupe. Le book grouille d’informations de ce genre, toutes d’une précision... comptable.

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             Et puis voilà l’autre grosse poissecaille du book : Tony Defries, et donc Bowie. Myers remonte au fameux séjour new-yorkais du team Bowie/Defries : rencontres avec Lou Reed puis Iggy. Quand Defries rentre à Londres, il dit à Myers qu’il peut manager Warhol, Lou Reed et Iggy. Myers qui est alors associé avec lui le met en garde : attention à ne pas avoir les yeux plus gros que le ventre (we were taking on more than we could chew). 1972, c’est aussi l’année où Alice Cooper débarque au Rainbow et Bowie affirme qu’il peut faire mieux. Il est alors en train d’enregistrer Hunky Dory. Sur l’album, on peut voir le logo de Gem Productions, qui appartient à Myers. Defries est son associé dans Gem. Et quand Myers voit Defries dépenser le blé de Gem, ça le rend malade - Les dépenses de Defries devenaient incontrôlables. Il insistait pour avoir toujours sur lui beaucoup de cash, afin de pouvoir se montrer généreux envers David et d’autres artistes (c’est-à-dire avec mon argent). Les gens traversaient l’Atlantique en avion aux frais de Gem. On louait des studios et des musiciens aux frais de Gem - La gueule du comptable ! Pire encore : il possède une petite maison à St John’s Wood et la prête à Iggy et à Williamson, pour la durée de leur séjour à Londres. Myers trouve Iggy poli et courtois jusqu’à ce qu’il découvre des traces de brûlure sur la moquette, «where he had made little fires, no doubt to warm spoons for eating soup.» Dans son délire de pingre, il se permet de faire de l’humour. Ah le saligot d’Iggy !

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             Heureusement, Defries se sépare de Myers et monte sa boîte, MainMan. Ouf ! Le comptable Myers s’éponge le front avec son grand mouchoir à carreaux. Defries qui a la folie des grandeurs monte même deux MainMan, MainMan London et MainMan New York. Comme il n’a pas un rond, Myers lui alloue un prêt de 40 000 $. Puis la machine new-yorkaise se met en route et s’emballe, avec Tony Zanetta, Dana Gillespie, la coke, le sexe. En plus du délire dépensier, il y a le sexual merry-go-round. Angie dit que David baisait tout ce qui traînait dans les parages, aussi bien les gonzesses que les mecs. Defries baise Dana puis il épouse Melanie, que lui a présentée Rodney Bigenheimer. Avec le recul, il apparaît finalement que tout ce cirque n’a aucun intérêt. Bowie finira par se débarrasser de Defries. Myers rappelle que Mick Ronson était payé 50 £ par semaine, les Spiders Trevor et Woody n’en touchaient que 30. Par contre, Mick Garson recevait 800 $ par semaine. Mick Ronson ne commencera à gagner du blé que lorsqu’il produira Your Arsenal pour Morrisey. Le portrait que Myers fait de l’aventure MainMan est extrêmement glauque.

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             Voyons maintenant les inconvénients. Ce book est un book de comptable. Un vrai livre de comptes. Et là, franchement, on ne se sent pas très bien en lisant certaines pages. Car elles révèlent une drôle de mentalité. Myers commence par raconter une soirée dans un restau chicos de Londres : ils sont quatre, lui et son épouse, Klein et la sienne. Et le jeu consiste à faire payer l’autre couple. Ce que Myers ne sait pas à l’époque, c’est que Klein n’a pas de blé, pas encore. Alors il déploie des trésors d’ingéniosité pour éviter le moment où le garçon présente la note, par exemple en allant danser avec son épouse à la fin du repas. L’épouse de Myers insiste pour que ce soit Klein qui paye, mais Myers va se faire baiser. On assiste à cette scène qui est un peu le concours des rats. Myers ne se rend même pas compte qu’il salit sa réputation en racontant ce concours de pingrerie. Il en raconte un autre encore pire. Cette fois il est à Cannes pour signer un deal avec un Japonais. Afin de bien ferrer sa prise, il l’invite à prendre le petit déjeuner au Carlton. Le Jap se pointe, et Myers lui énonce les points du contrat. Le Jap dit oui à tout. Mais au moment où Myers demande si le deal est fait, le Jap lui dit qu’il doit d’abord en parler à ses supérieurs - Je me suis rassis et il est parti, me laissant payer the outrageous price of breakfast for two at one of the most expansive hotels in Cannes - Plus loin, il raconte comment il s’est occupé à une époque de Glenn Wheatley, un ex-Masters Apprentice. Dans les années 2000, le pauvre Glenn s’est retrouvé au ballon suite à des démêlés financiers, puis il est venu à Londres et Myers lui a alloué un prêt de 10 000 £ - no paperwork, no payback date, no interest, which he said ‘saved his life - Apparemment, Glenn serait tiré d’affaire, mais, ajoute le comptable, «en dépit de plusieurs relances, il n’a jamais jugé utile de rembourser ce prêt. Disappointing.» Il y a des gens pour lesquels un sou est un sou.

    Signé : Cazengler, le rance

    Laurence Myers. Hunky Dory (Who Knew?). B&B Books 2019

     

     

    Automnales 2024

    (Crack, Juniore, Sin et les autres)

     - Part Two

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             Tu sors du concert d’un groupe qui sort de nulle part : Crack Cloud. Qu’est-ce que tu peux en dire ? Crack Cloud ? Taty cracké ? Taty cloudé ? Taty sorti des clouds ? Tu pourrais broder sur le thème-tarte à la crème du collectif canadien, mais tapatenvie. Non tapatenvie de rabâcher la vieille bouillasse de wiki-monkiki et de véhiculer ce gros tas de clichés qu’on véhicule au babar après le gros con-cert. Tapatenvie de rester au garde-à-vous devant l’idée fixe, tapatenvie d’ânonner l’«ah cétébien» du bon chrétien (tien, pas tin, mais au fond ça revient au même). Tapatenvie de rien du tout, en fait. T’es là avec tes mots à la main, face à l’immensité du champ des possibilités du quendiraton. La grande désolation des discours possibles. À perte de vue. Même ça, tapatenvie.

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             Pour situer les choses, avant que l’oubli ne les avale : sont six sur scène (pas loin du saucisson sec), sont jeunes, sont drivés par un batteur chanteur sculptural (qui s’alimente à la bombonne d’eau), t’en as deux qui grattent des poux et t’en as un qui sort son sax pour frire du free, plus une petite gonzesse là-bas par derrière et un Indien des Indes sur une basse à cornes. Sickh sans turban. Paria. Leur truc, c’est le trip. Ils tripent. Alors tu tripes. Comme t’as grandi à Caen, tu connais bien le trip. C’est bon le trip, avec les petites rondelles de carottes. Et la patate occasionnelle. Miam miam. Tu tripes tellement que tu les perds de vue. Ils vont par là, et toi tu vas par là. C’est un peu le but du trip. Le trip date du temps d’avant le GPS, c’est même fait pour se perdre. C’est en te perdant que tu deviens perdant. Loser. Et que tu fais des découvertes. La perdition est l’un des accès à la révélation. Mais pour le savoir, il faut s’être perdu pour de bon. Donc tu tripes, et tu te paumes. Vague conscience de silhouettes animées devant toi sur la scène, mais tu n’es pas là. Tu penses à tout à rien, tu écris des vers de la prose an attendant le jour qui vient. C’est toujours à cet endroit pas précis qu’Aragon te rejoint. Tu pars. Tu viens. Les applaudissements te ramènent dans la dimension des autres. Mais dès le cut suivant, tu repars en vadrouille. Les petits Crack Cloud n’inventent rien. Peter Hammill et David Jackson sont déjà passés par là, en 1970, avec Van Der Graaf, ils visitaient exactement les mêmes labyrinthes, et tu t’y perdais exactement de la même façon, tu ne les retrouvais qu’en bout de face lorsque le saphir ticitiquait. Outété ? Tétéou ? Là-bas.

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             Zont un album, comme dirait mon ami Damie. Un album planant, Red Mile. Planant par la pochette, pas par la pop impliquée. «Crack Of Life» veut plaire. Vilain défaut. Tu ne sais pas quoi faire de «Crack Of Life». Ça plaît et puis après ? Après t’as «The Medium». Le petit batteur sculptural chante à la dure. Il se croit sur scène. Oh ce n’est pas un défaut. C’est juste qu’il s’y croit. Mais globalement, on ne voit pas bien l’intérêt de tout ça. Pour parler franchement, ça n’en en aucun. T’as même pas le trip sur Red Mile. Ni les carottes. Ni la patate occasionnelle. Leur narratif est un peu déconvenu. «Lack Of Lack» renoue avec le set, car très alambiqué, avec un beau biseau saxé à l’unisson pas du saucisson, cette fois, mais du thème. Ça devient vite volumineux, on sent pointer le Van Der Graaf. Et ça devient un fier album avec «I Am (I Was)». Ils couvrent tous les territoires et développent un sens extraordinaire de la clameur, surtout sur le final. Ils cultivent très bien la porcelaine de sax («Ballad Of Billy») et puis voilà qu’ils referment la marche avec un «Lost On The Red Mile» assez puissant, mélancolique comme une colique, c’est-à-dire que ça coule tout seul, mais avec un petit air de revienzy. Et tu retrouves le solo du Sikh qui t’impressionnait tant sur scène.

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             Ce sont les Anglais qui ont commencé à s’emballer pour the French trio Juniore. Piers Martin les qualifie même de chic Parisian retro-rockers. Dans l’interview, Anna Jean dit qu’au départ le trio était mauvais - we were bad. We sounded like the Shaggs - Et Martin qui n’est pas un âne sort sa belle formule pour situer les parisiennes : «Juniore’s smouldering blend of surf rock, blues, ‘60s chanson and nouvelle vague ennui.» Puis il poivre sa soupe de subtiles références : Françoise Hardy, Nico, Mazzy Star, sauf que le son de Juniore n’a RIEN à voir ni avec Nico ni avec Mazzy Star. Anna Jean préfère employer la formule «yéyé noir», ce qui sonne plus juste. Elle dit s’intéresser à la mélancolie des sixties, c’est pourquoi on entend des échos de Gainsbourg dans leur son. Et paf, Martin qui n’est pas un âne indique qu’Anna est la fille du prix Nobel JMG Le Clezio. Et quand on évoque avec elle la chose après le concert, Anna dit que «c’est pas un secret de polichinelle», ce qui est une vraie réplique de fille d’écrivain. Et elle redit son admiration pour Françoise Hardy et la façon dont elle exprime sa tristesse dans ses chansons. Martin qui n’est pas un âne insiste sur le côté bittersweet du son d’Anna, mais elle préfère parler de «joyful apocalypse» et de «dark lyrics that you can dance to.»  

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             C’est exactement ce qui se passe sur scène. Après une demi-heure d’ennui profond, de total bore de bourre de mou, Anna Jean et ses trois complices déclenchent cette parfaite «joyful apocalypse». Et ça marche ! Au-delà de toutes les espérances du Cap de Bonne Espérance. T’en reviens pas du tout, surtout de la batteuse ! Elle bat son beurre là-bas au fond, avec une persistance et un power qui te laissent bien baba, elle bat avec un sens aigu du bahboum bahboum, c’est une vraie loco de powerhouse et elle n’en finit plus de s’abandonner, ses cheveux volent tellement qu’elle vole le show. Elle bat un beurre à la fois heavy et délié, elle te surprend à la sortie du virage et puis ces cheveux qui volent en permanence disent bien ce que ça veut dire. Elle amène de la Méricourt dans le yéyé noir, elle fabule les falbalas, elle démonte les réticules et elle dilate les renoncules, elle débraye le beat pour mieux féconder l’up-tempo, elle décaisse sa casse et roule sa poule avec des ramages raffinés qu’elle translate en rase-motte, elle bim-bam-boume ses deux toms bass et fait l’hurricane de blonde bomb shell, et puis, entre les deux eaux, Anna nous dit qu’elle s’appelle Swanny. Sois nique ta lope, soit bonne et bat, sois ni figue ni raisin, sois Swanny, eh oui, t’en as pas deux comme elle, et franchement, t’es bien content de voir jouer une batteuse de cet acabit, my dear Achab. Elle arrache Juniore à l’ennui qui commençait à engloutir le set, elle tire le groupe vers la surface, alors qu’il s’enfonçait dans les sables mouvants d’une pop mormoilleuse à la mode. Ah les trois autres lui doivent une fière chandelle. Les dynamiques explosives de «Panique», de «Magnifique», et d’«Ah Bah d’Accord», c’est Swanny, le big bah-boom de «Monumental» et du «Sauvage» final, c’est elle. Swanny ny-ny-neat !, comme diraient le Damned.

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             On retrouve «Monumental» et «Sauvage» sur leur dernier album, Trois Deux Un. C’est vrai que ce «Monumental» bien speedé du popotin sonne comme un hit de set. Elles n’inventent rien, juste du beat à l’air. Elles ne s’en sortent qu’avec les cuts musclés, comme «Sauvage». Dès que ça bombarde au beat à l’air, ça tient debout. Sinon, aucun espoir. Tu sauves encore «Déjà Vu», monté sur le bassmatic boing boing de Melody Nelson. Mais partout ailleurs, le chant est plombé. Paroles incompréhensibles. Volonté artistique ? T’as toute une série de cuts qui plantent les uns après les autres : «Amour Fou», «Grand Voyageur», «Méditerranée» et «En Fumée». C’est une hécatombe.

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             Deux ou trois bricoles intéressantes sur Un Deux Trois. À commencer par le petit stomp de «Grave». On les voit chercher les voies impénétrables de la pop, mais on ne comprend pas bien les paroles, car la prod est plombée. «Drôle d’Histoire» est encore plombé par la basse : elle dévore le son et couvre le chant. Le mix a la main lourde sur les fréquences basses. Le mixeur voulait une basse à la Melody Nelson, mais c’est pas bien maîtrisé. Du coup les cuts ne sont pas si bons. Encore du buzz pour des prunes. La voix ne sort pas non plus sur «La Vérité Nue». Mix pourri. Puis ça devient énorme avec «Bizarre» - J’me sens bizarre/ Bizarre bizarre - bien psyché dans l’intention. Dans «Tu Mens», elle lui dit : «Tu mens comme tu respires.» Et puis on tombe inopinément sur un sacré coup de génie pop : «Ah Bah d’Accord», un vieux stomp d’electro, ah bah oui ça fait danser le popotin et ça sonne comme un hit de juke, avec un solo d’orgue en intraveineuse. Ah bah d’accord ! Le bassmatic harassant joue bien le jeu.

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             Dans Shindig!, Anna cite les dix chansons qui ont influencé Trois Deux Un. À commencer par quatre Françaises, Françoise Hardy, of course, avec «Comme Tant d’Autres» («She’s the queen of yé-yé chanteuses» et elle prétend qu’elle n’est qu’une fille ordinaire alors qu’elle est une icône), puis Marie Laforêt avec «Mon Amour Mon Ami» («A Californian vibe with its 12-strings guitar, loud organ and cool tempo» et ce qui intéresse Anna, c’est cette «fashion of being light and dark at the same time.») T’as aussi Stone avec «Buffalo Bill» (compo de Gainsbarre) et Stella avec «Si Vous Connaissiez etc., etc., etc.» Encore une compo de Gainsbarre pour Marianne Faithfull («Hier Ou Demain»). Elle cite aussi les B-52’s comme «our favourite band of all times» et Planet Claire comme l’une de leurs «biggest inspirations». Elle parle encore de riffs «immensely catchy and impossible not to dance to.» Elle traite aussi Los Saicos de «best garage band». Elle passe aux choses sérieuses avec les Coasters et «Three Cool Cats», «one of our absolute favourites». Elle dit tenter de retrouver ce «smooth rock vibe» et de le dépasser. T’as encore du boulot. Et puis la cerise sur le gâtö, c’est Al Green avec «For The Good Times» - An endless source of inspiration, for the crisp drums and the smooth chords and luscious atmosphere - Eh oui, merci à Willie Mitchell, merci à Howard Grimes et aux frères Hodges - Nothing is as cool as an Al Green song, and nothing ever sounds quite like one - On est bien d’accord.

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             On se méfiait de tous ces groupes que Gabe Roth avait rassemblés sur Penrose Showcase Vol. 1. Il lançait alors son nouveau label de Soul, Penrose et, à l’écoute de cette belle galette chicos,  nous constatâmes avec effroi que dans son élan, le Gabe avait perdu les deux mamelles qui avaient fait la grandeur de Daptone, le funk et le raw r’n’b. Il optait désormais pour la Soul de charme. On a donc vu défiler les nouveaux poulains du Gabe, Thee Sacred Souls (Soul de charme qui colle bien au papier), Los Yesterdays (idéal pour le bar de la plage, à l’heure de l’apéro, avec les grosses coquines de service), le plus intéressant était sans doute Jason Joshua avec son parfum reggae très toxique. The Altons semblaient honteusement irréprochables, le mec poussait des petites pointes comme Aaron Neville, pas de problème, tu ne te faisais pas de souci pour son avenir. En B, Thee Sinseers tapaient l’heavy Soul de nuits chaudes de Spanish Harlem. En fait tous ces groupes avaient le même son et allaient exactement dans le même sens. Ce qui au sortir de l’écoute, nous laissa quelque peu circonspect. Beau, certes, mais affreusement mou du genou. On venait de se faire niquer en beauté avec les Black Pumas, on était donc devenu extrêmement méfiant.

             Et voilà que deux des groupes Penrosés, Thee Sinseers et The Altons, déboulent en Normandie dans le cadre d’une belle affiche : The Super Soul Revue. Thee Sinseers sont passés entre temps sur Colemine, car il semble que Penrose ait planté, ce qui n’a rien de surprenant. En première partie de la Super Soul Revue, tu retrouves Sugarmen 3, les rois de l’instro Soul jazz new-yorkais. T’as testé jadis un album et c’est bon, pas la peine d’insister. Patacam/patacam. T’as failli overdoser avec les albums du James Taylor Quartet, alors pas la peine d’insister.

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             T’espères sans trop y croire que les Altons vont chauffer la salle. Ils sont deux au chant : une blackette nommée Adriana Flores, et un chicano nommé Bryan Ponce qui gratte une Tele rouge. C’est lui l’Aaron Neville de la compile Penrose. Le mec est assez brillant, comme l’indique son prénom, il va chercher la finesse extrême du mou du genou et il fait sombrer la salle dans la torpeur. À côté de lui, Adriana Flores cherche à danser un peu, mais c’est impossible. Car ils tapent la pire Soul de charme qui ait jamais existé depuis l’âge d’or de la Philly Soul. Sur scène, c’est l’enfer. Rien ne groove. Ton corps se bloque et ta cervelle baigne dans un jus d’ennui carabiné. Flic floc. Tu passes ton temps à te demander ce que tu fous là. Et pourtant, tu te dis que ces mecs-là ont traversé l’Atlantique pour conquérir ta pauvre petite Asie Minable, alors on espère encore un miracle. Derrière, ils ont une batteuse blonde et à droite, t’as un gros chicano qui gratte des poux d’une délicatesse extrême, voire extrémiste.

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             Le gros chicano s’appelle Joey Quiñones. Il est en fait le chanteur des Sinseers qui déboulent sur scène en troisième partie, avec une section de cuivres complète, un batteur moustachu et un petit guitariste sec et dévoué. Et pour compléter cette fière équipe, on retrouve bien sûr Adriana Flores et le brillant Bryan Ponce aux chœurs sur la droite. Pendant une heure, tu vas te demander si le gros Joey Quiñones sera un jour une superstar. En a-t-il les épaules ? Et puis t’es bien désorienté, car la Soul n’est pas forcement l’apanage des chicanos. C’est très bizarre, tout cela t’intrigue, mais tu t’ennuies tellement que tu dis non à l’idée de rapatrier leur album sorti sur Colemine. Ça ne sera jamais mieux que ce que tu vois sur scène, et sur scène, ça ne marche pas, même si ces gens sont artistiquement très évolués, on pourrait même dire infiniment au-dessus de la moyenne. Encore faut-il savoir ce qu’on appelle la moyenne. Bon sujet de dissertation.

    Signé : Cazengler, Auto-naze 2024

    Crack Cloud. Le 106. Rouen (76). 19 septembre 2024

    Crack Cloud. Red Mile. Jagjaguwar 2024

    Juniore. Le 106. Rouen (76). 4 octobre 2024

    Juniore. Un Deux Trois. Outré Disque 2020

    Juniore. Trois Deux Un. Le Phonographe 2024

    Countdown to Ecstasy. Shindig! # 155 - September 2024

    Piers Martin. Juniore. Uncut # 275 - April 2020

    The Super Soul Revue. Le 106. Rouen (76). 16 novembre 2024

     

    *

    Quel intérêt aurait le conte de Perrault si le loup ne mangeait pas le petit chaperon rouge. Aucun. Je vais donc vous raconter une histoire qui se termine mal. Le problème c’est que c’est la vôtre. Tant pis pour vous. Commençons par le commencement :

    PRELUDE

    ONCE UPON THE END

    (CD / Bandcamp / 2019)

    Des français from Paris, le groupe s’est formé autour de Paul et Damien, très vite rejoints par Ludovic et Victor, ces deux-là nous les connaissons, voir dans notre livraison 668 la chronic consacrée  à Claustra, ils partiront en 2017 vers de nouvelles aventures.

             Sur leur premier opus l’équipe remaniée  aborde des  noms de guerre :

    Seditius : vocal / Koal : guitare rythmique / Loerk : lead guitar / Groly : basse / Chimey : drums

             Seditius s’est chargé de l’artwork de la couve. N’a pas cherché à vous tromper sur la marchandise. Ce n’est pas sur la plage sous les cocotiers à Bahamas comme durant vos dernières vacances, ou alors c’est après, je vous rassure :  c’est après maintenant, quoique si l’on regarde un peu les infos à la TV certains endroits du monde ressemblent étrangement à notre futur, restons optimiste : c’est pour après et pas dans très longtemps. Je vous révèle la vérité vraie, c’est après l’apocalypse, n’injuriez pas Dieu, pour une fois il n’y est pour rien, vue plongeante sur l’effondrement de la civilisation humaine. Ces gars-là quand ils racontent le petit chaperon rouge, ils commencent par la fin. Comme disait, voici deux mille ans, le poëte latin Horace, l’homme est un loup pour  l’homme. Un requin prêt à se dévorer la nageoire dorsale pour assouvir sa haine.

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    Killer sisters : on s’attend au moins à l’explosion d’une bombe atomique, non une guitare pointue presque guillerette, trop occupée pour faire du bruit, se contente du bruissement discret d’une scie égoïne remarquez la batterie vous file sans exagération des coups de hachoirs, mais sommes à l’époque post-atomique, la seule arme qui reste c’est celle du bon vieux couteau de cuisine, Seditius vous fait la grosse voix comme quand le loup se jette sur la grand-mère, ici les petits chaperons sont rouges de sang, scène de survivance cannibalistique, Orphée déchiré par les Ménades, nécessité fait loi, c’est atroce mais les spectateurs autour savent que bientôt ce sera un bon miam-miam, sont entre répulsion et admiration, les tueuses osent ce qu’ils ne font pas, ils seront les premiers à s’asseoir à la table du festin. Oui pas très ragoûtant mais mettez-vous à leur place, une scène de la vie quotidienne du monde qui vient, un vocal aussi prenant qu’un roman de Balzac. Moon Scavengers : prenons de la hauteur, Chimey tape comme un fou comme s’il voulait être un lanceur d’alertes, la guitare toujours un peu lointaine comme si elle ouvrait le bal de la folie sans vouloir se salir les mains, Seditius éructe, il commente le bilan de ces scènes d’inhumanité, nous prévient que les survivants sont en train de couper la branche de leur survie, la basse de Groly de joue à saute-mouton sur des ruisseaux de sang, la rythmique court comme si elle était poursuivie par les ombres de ses propres remords, les bandes de pillards qui tuent et se bâfrent n’iront pas très loin, ils finiront par se bouffer entre eux, ils n’hésiteraient pas à croquer la lune, l’Homme est aussi un prédateur pour l’univers. Fresque épique. The old ones : grave basse, le temps n’est plus à l’action mais à la réflexion, le vocal bulldozer remet les choses en place, l’Homme est un mythomane qui s’ignore, il cherche la vérité mais il ne trouve rien, réquisitoire d’une extrême violence, Dieu n’existe pas, l’Homme non plus, guitares en paquets et piquets de déclivités ardentes, l’instrumentation prend le relais des discours illusoires, elle écrit la partition des illusions perdues, même le néant n’existe plus, nous ne sommes rien, nous ne savons rien. Les Anciens l’ont su. Peut-être. Mais pas nous. Vaine exacerbation nihiliste. Requiem ante mortem. Froid dans le dos. Mort de toutes les légendes avant-coureuses de nos croyances. Dying concrete : retour à la réalité hurlante et perçante, la batterie tape sur les tours de béton comme la balle sur le jeu de quilles, ivresse de la destruction, le monde meurt et s’effondre, le vocal vaticine, en vain, colère et désespoir, les villes sont comme ces châteaux de sable abandonnés sur les plages que l’on n’essaie même de raffermir à coups de pelles car la marée montante du pur néant a déjà programmé leur fin, tant pis pour elles, je ne me battrai pas pour elles, de toutes les manières ne suis-je pas moi aussi programmé pour disparaître. Les guitares flambent avant de se consumer.

             Pour un premier EP, c’est EPouvantant, un son original, des lyrics parfaitement construits. L’on a tout de suite envie de connaître la suite.

    THE ALTAR

    (Bandcamp / Septembre 2019)

             Tentrom a pris la place de Chimey à la batterie. Ils annoncent que cet Autel solitaire est un hommage aux dieux puissants et intemporels du metal. Devraient ajouter aussi à Lovecraft. Seditius s’est chargé de la couve.

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             Très réussie. Séparés par une lagune  d’eau noire d’une ville titanesque quasi abandonnée, parmi laquelle errent de rares silhouettes humaines, les restes d’un temple, quelques pierres, une colonne, une ogive, témoignent de la présence enfouie des Dieux anciens.

             Festival de guitares, dès les premières notes l’on comprend que l’on est dans un morceau type de metal, un parangon monstrueux, une épure platonicienne même si la lourdeur du son fuyant et graisseux et les clameurs vocales pèsent de tous leurs poids pour contredire cette idée d’épure, du forgé d’orichalque extrait d’une météorite échappée des confins stellaires, question paroles, du cousu d’or mythologique, un chant adressé au Dieu tapi au creux de la terre qui dort. Qui attend.

             Un morceau un peu à part dans leur discographie. Cela aussi nous pouvons le faire affirment-ils. Sous-entendu mais nous vaquons à nos propres affaires plus urgentes. Si une personne ignorante vous demande : c’est quoi au juste le metal. Ne vous lancez pas de longues explications oiseuses. Faites-leur écouter ce morceau. Cela suffira. Dites-leur aussi que c’est très Cthulhurel !

     

    THE NEXT CHAPTER

    (CD / Bandcamp / Décembre 2021)

    Seditius : vocal / Koal : guitare rythmique, choeurs / Loerk : lead guitar, claviers, chœurs / Groly : basse /Tentrom : drums

             Un petit tour sur le FB et l’Instagram d’Egregore Design s’impose, c’est lui qui s’est chargé de la pochette. Dès les premières images vous entrez dans un univers, très metal, mais surtout dans le monde mental d’un artiste maître de sa démarche.

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             Une vision d’horreur. Ils posent devant les ruines d’une mégalopole. Qui sont-ils, les derniers moines soldats qui tentent de reconquérir un univers post-apocalyptique définitivement perdu, ou du moins d’en garder le précieux souvenir, quels dieux honoreraient-ils, l’un d’entre eux tient fermement la hampe du logo du groupe, dessiné par Daphné Vichot, comme un légionnaire de l’antique Rome brandissait l’enseigne des lettres fatidiques de la puissance romaine.

    Memories in the rust : juste une intro, au tout début comme le glissement d’une main sur une rambarde de fer rouillée, et puis le plein-chant d’une guitare adoubée du contre-chant d’un clavier, l’histoire a commencé il y a longtemps, robinet de la nostalgie de ce qui n’a pas été, que vous ne voudriez pas refermer, alors ils s’en chargent, il est temps de passer au chapitre suivant. Overseers : avant l’histoire, l’histoire a déjà commencé, le morceau avance lentement, ce qui n’exclut pas des séquences rapides, toute situation exige éclaircissements, renseignements, dénonciations, comme l’on déplie une carte pli par pli pour que chacun ait la possibilité de se faire une idée exacte de la situation, étape par étape, la batterie joue un peu à enfoncez- vous ça dans la tête, parfois le chant éructe, parfois il explicite, il existe deux niveaux d’êtralité, ceux qui pataugent dans le monde d’en haut en déshérence ou ceux qui cachés dans les vastes palais souterrains vous manipulent. Ce sont les mêmes qui par un goût insatiable du lucre ont mené le monde à sa perte. Ce sont eux qui depuis leurs bunkers vous surveillent et vous épient. Méfiez-vous. La structure du morceau n’est pas simple, elle ressemble à un fouillis indescriptible mais son ossature est d’une grande subtilité, ils commandent votre monde avec une telle dextérité que vous pouvez jouer leur jeu en croyant décider du votre.  Children of the dust : la hargne et la survie, un morceau coups de poings, se battre, sans pitié, les enfants d’un monde tombé en poussière  n’ont rien à perdre ni à gagner, simplement réussir à se tenir debout, sont des petits groupes soudés comme les doigts des mains qui ne se séparent pas de leurs squelettes, ils se débrouillent, ils oppriment les autres, manger ou être mangé, il n’y a pas d’alternative. Aucune sentimentalité. Juste la nécessité. N’en sont pas particulièrement fiers, mais pas du tout honteux non plus. Ils crient, ils bousculent, pour ne pas tomber, pour ne pas être piétinés. Ils sont les descendants des premiers survivants, ils ont leur loi, celle du plus fort, et leur code de fer, leur seule armure. Hollow : dans ce monde de brutes méfiez-vous des instants de douceurs, l’ennemi est parmi vous, en apparence des espèces de zombies solitaires, de terribles pièges, des hommes vides, qui ont abdiqué, des décervelés, des espèces de drones humains qui se livrent aux crimes et aux sabotages les plus inattendus, la tension croît, le vocal vous avertit, la musique accélère, ce sont les cadeaux empoisonnés des gardiens, ils sonnent creux, ils sont bourrés de dynamite, vous comprenez maintenant tout cet affolement qui règne dans ce titre. Demons in the sky : ne croyez pas que Satan et ses armées vont s’en mêler, non les démons qui tombent du ciel sont bien plus dangereux que ces pauvres diables de pacotille,  c’est sans doute pour cette raison que la ballade des peurs enfantines se mue en torrent de haine, ce qui tombe du ciel c’est l’horreur, les radiations atomiques et les pluies astringentes, l’orchestration se resserre comme si elle voulait créer un plafond protecteur, un parapluie qui ne protège pas, cris d’angoisses, cauchemars d’enfance, rien n’arrêtera ce déluge de feu invisible, ni imprécations, ni vaines protections, notre inhumanité de survivant n’est-elle pas le reflet de cette menace impitoyable.

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    Cries of the voiceless : encore une douce introduction, nous redoutons le pire, nous avons raison, un déferlement metallique ne viendra pas à notre secours, quelques notes de piano, un solo bémolisé de guitare, ce sera tout, il n’y a rien à recouvrir d’une cotte de maille. Il n’y a plus rien, ni oiseaux, ni poissons, ni bêtes, le monde est mort. The flesh harvest : âme sensible, le premier EP nous a offert une scène de cannibalisme tel qu’il devait être pratiqué au néolithique, si ce morceau est ultra-violent traversé de moments de tendresse insensée c’est parce que dans l’après-modernité rien se perd, on récupère sur les cadavres ou sur les mourants tout ce qui peut servir, comme les indiens qui utilisaient toutes les parties du corps des bisons, mais n’est-ce pas une espèce de satisfaction quand on y pense de voir nos lambeaux de chair revivre sur /et dans le corps des autres. C’est cela l’immortalité, l’évasion des damnés hors d’un monde pourri, plus de souffrance et cette survivance dans / et par le corps des autres. La seule salvation. L’unique échappatoire. Ride with the wind : fini de ramper, partons, fuyons les villes, soyons romantiques, transformons notre misère en une chevauchée fantastique, le morceau galope, un intermède pour souffler, mais la course repart, infatigable, la terre vide nous appartient, sensation de la plus grande liberté, nous ne nous arrêterons que lorsque nous serons parvenus au bord du monde, nous sommes des conquérants, nous avons retrouvé notre fierté, le monde nous appartient, on a voulu nous tuer mais nous sommes devenus tempête incoercible… Crimson dusk : nous avons conquis la terre, peut-être uniquement dans notre tête, mais ils ont tué le soleil. L’astre de vie ne rayonne plus. Il s’éteint , le brouillard s’empare de la terre, triste chanson, le background se traîne, il essaie de se relever de s’enfuir dans un dernier galop pour échapper à la sinistre réalité, le chant du cygne. Extinction : no happy end, pour que l’on comprenne mieux ils chantent en français, ils ne nous laissent aucun espoir, this is the end beautiful ( façon de parler) friends, il ne reste plus rien, si ce n’est la mémoire des spectres, tristesse certes, mais il subsiste encore la rage, celle de n’avoir pas gagné celle d’avoir perdu.

             Un superbe oratorio sur la fin du monde que l’Homme a détruit, mais élevé à la gloire de l’être humain, qui n’abdique jamais, même dans la plus grande déréliction, même dans la mort.

             Un chef d’œuvre.

     

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    ARCHIVES 200

    ( CD / Bandcamp / Avril 2024)

             Je n’avais pas écouté les opus précédents. J’avais trouvé étonnante ces archives 200, une faute de frappe, z’ont oublié le zéro pour 2000, mais non un peu partout c’est 200 et pas 2000. Proposent une explication : si votre cœur bat à 200 BMP, vous frôlez l’accident cardiaque. Deuxième étonnement pour ce nouvel EP, trois titres sont des reprises de leurs premiers opus. Un peu étrange tout de même. C’est vrai qu’il y a un changement dans le personnel.

    Ezalyr : chant /Koal : guitare rythmique / Loerk : guitare solo / Groly : basse /Tentrom : batterie.

             Physiquement Elazyr et Claustra se ressemblent étrangement, une unité androgynique étonnante, doublée ou dédoublé en quelque sorte. Dans notre prochaine livraison nous nous pencherons sur un album de Claustra  paru voici deux mois intitulé : La Prison de Chair.

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             La couve du CD, elle est de Dorian Becker, joue le jeu, elle représente une vieille K7 que l’on vient de déterrer peut-être deux cents ans après son inhumation, un témoignage laissé par une humanité mourante, une espèce de bouteille à la terre, un legs adressé à de nouveaux venus ou à quelques groupes épars qui auraient survécu… Il faut qu’il y ait une manifestation de certaines ‘’présences’’ si le groupe veut continuer à produire de nouveaux chapitres. En une courte phrase Once Upon The End évoque des’’ survivants lovecraftiens’’… Veulent-ils sous-entendre que tout se passe dans nos têtes…

    Dying concrete : le son est peut-être davantage ramassé, et les vocaux davantage découpés, comme mis en évidence, ces différences mettent en valeur la teneur magique et structurelle de la musique de Once Upon The End nous avons affaire à de sacrés musiciens, ce n’est pas qu’ils surpassent tous les autres, ils sont inventifs, ils travaillent et peaufinent tous les instants, ne s’endorment jamais sur le rosbeef, ni sous leurs lauriers, ont toujours une petite gâterie, une curiosité inédite  à vous proposer,  il est impossible de s’ennuyer en les écoutant. We are the dead : (featuring Claustra) : le seul inédit de l’Ep, à écouter et à réécouter, l’on dit que l’esprit arrive sur des pattes de colombe, oui mais ici c’est la mort qui déboule, alors ne vous étonnez pas de ces crises de démences terrifiantes, pourtant ce n’est pas le squelette légendaire qui joue au loup-garou, non la mort est en nous, nous sommes vivants et nous devons nous battre, l’expulser hors de notre âme, redevenir des guerriers, ce ne sont pas nos ennemis, le monde et la société, qui sont plus forts que nous, c’est nous qui ne sommes que faiblesse, nous détenons les clefs de notre paralysie mentale. Scavengers : une interprétation cosmique et prophétique à la mesure de notre monde qui lance des fusées pour coloniser Mars, les charognards que nous sommes se servent directement sur la bête, les guitares fusent tout droit comme les géants antiques qui voulaient escalader les Cieux, la foudre nous tombera dessus. Nous brisera dans notre élan. Le vocal brûle, la batterie boute le feu, et les guitares flambent. Le morceau explose comme un engin interplanétaire en plein ciel. The old ones : une intro lourde comme une pluie de plomb, l’on entend mugir les Anciens Dieux qui s’éveillent dans les sombres cavernes de la terre, ils sont déjà en marche, ils accourent, ils foncent sur nous, l’Humanité retient son souffle, elle attend entre espoir et désespoir, le calme avant la tempête, ce qui survient hors de toute nature, une force incoercible, la touche féminine de la voix d’Elazir ne nous sauvera pas. Peut-être passeront-ils à côté de nous sans nous prêter la moindre attention. Serait-il trop tard…

              S’il est un EP qui mérite la qualification d’opus post-apocalyptique, c’est bien celui-ci. Je sais l’Apocalypse on en parle souvent, mais vous avez fini par penser qu’elle était inscrite sur la liste aux abonnés absents. Ecoutez cet opus, vous vous apercevrez qu’elle est déjà passée. Accaparés par vos occupations subalternes vous n’avez rien vu, rien entendu. Heureusement que Once Upon The End veillait. Ils en apportent la preuve : ils ont pris la peine d’enregistrer une photographie sonique.

             Rien que pour vous ! Le méritez-vous ?

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    Damie Chad.

     

              

    *

              Nietzsche, le philosophe, disait que pour bien connaître un phénomène il fallait remonter à son origine, méthode généalogique dont il a démontré avec brio l’efficacité par exemple dans son ouvrage : Généalogie de la morale. Or voici que l’écrivain Frédéric Gournay s’est attelé à une tâche généalogique qui intéresse notre blogue rock, il nous présente donc sa propre induction généalogique du rock.  

    FREDERIC GOURNAY

             Vous ne connaissez pas Philippe Gournay, je vous rassure moi non plus, pour un premier aperçu je me contente de recopier sans vergogne sur son blogue personnel  quelques lignes d’auto présentation : Frédéric Gournay est né en 1969 et habite Paris. Il est auteur de romans (La course aux étoiles, Le mal-aimant, Contradictions, Faux-Frère), de divers essais [ …]. Il a   également publié dans la presse et sur internet des articles et des critiques, rassemblés dans des recueils intitulés Chroniques des années zéro, Textes en liberté et Futurs Contingents.                                        

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    Je me permets de rajouter le titre d’un autre de ses ouvrages : Métaphysique du Rock, dont je ne vous parlerai pas pour la bonne raison que je ne l’ai pas (encore) lu.

             Par contre sur son blogue il donne quelques extraits d’un autre de ses ouvrages Portraits de Social-Traîtres, du beau monde, à savoir Rimbaud, Nietzsche, Céline, Gauguin, Flaubert, Guy Debord ou encore Pierre Guyotat, notamment quelques pages de : Nietzsche et les 120 ans du rock.

             A l’option ‘’ l’on peut tout dire et n’importe quoi ‘’ il en est une autre : ‘’l’on peut tout dire mais pas n’importe quoi’’. Cela signifie que l’on ne s’embarque pas sans biscuit sur la mer des sargasses de la doxa.  Heidegger nous l’a appris : l’origine d’une chose ne réside pas obligatoirement en son commencement, elle peut se situer  avant et même après.  Tout est question du moment de son dévoilement. Pour Frédéric Gournay l’origine du rock’n’roll réside en la poésie. Nous pensons de même, selon notre modeste personne le rock’n’roll n’est que la dernière, ce qui ne signifie pas nécessairement l’ultime, manifestation du romantisme européen dont les prémices sont à rechercher au dix-huitième siècle  en Angleterre et en Allemagne, avant de se répandre comme une traînée de poudre… nous renvoyons à titre d’exemple  à notre kronic l’interprétation de La Fin de Satan de Victor Hugo par le groupe L’Oeuvre au Noir dans notre livraison (668) précédente.

             La thèse développée par Frédéric Gournay est loin d’être fantaisiste, ce qui ne vous interdit pas de ne point y souscrire, toutefois n’oubliez pas que les vues de l’esprit, à partir du moment où vous vous y intéressez un tant soit peu, se métamorphosent pour reprendre un titre de Victor Hugo en Choses Vues.   

             Que nous affirme Frédéric Gournay : que Nietzsche a en quelque sorte prophétisé et décrit l’advenue au siècle suivant du rock’n’roll par sa description de la post-musique wagnérienne dont il souhaitait l’avènement. Citations à l’appui, tirées d’Ecce Homo et de La Naissance de la Tragédie, Nietzsche définit la musique future puisant ses sources dans les chansons populaires. De même il affirme que les générations futures qui se reconnaîtront en ce nouveau courant seront plus agressives que les précédentes… Notre philosophe n’emploie pas les mots de rebelles et de blousons noirs… Frédéric Gournay évoque aussi la dichotomie Apollon / Dionysos, il ne profite pas de l’occasion pour citer Jim Morrison mais on lui pardonne d’autant plus que nous n’avons que les trois premières pages du texte.

             Nietzsche aurait-il préféré les Beatles au Rolling Stones, je n’en suis pas convaincu. La radicalité nietzschéenne se serait d’après moi davantage reconnue dans  les albums des Stooges… Reste selon moi toutefois un problème de taille que dans ce début d’article Frédéric Gournay n’aborde point, j’ignore si plus loin il y fait allusion.

    Le rock est traversé de multiples courants. Comme bien d’autres musiques. Notamment celle des compositeurs qui s’inscrivent dans la ‘’grande’’ musique classique. Que l’on ne se méprenne pas, que l’on n’en déduise pas que toute création musicale qui ne se revendique pas de la musique que parfois certains idéologues qualifient de ‘’bourgeoise’’ mériterait d’être qualifiée de ‘’petite’’… Or justement lorsque l’on considère le rock et la musique classique l’on s’aperçoit que ces deux formes s’éparpillent en multiples styles mais qu’il existe une courbe générale qui conduit chacune d’elles, au travers de mille pérégrinations parfois en totale opposition entre elles, à se jeter dans le delta du noise. Ce phénomène est peut-être beaucoup plus visible (surtout audible) si l’on considère le jazz qui culmine, certains diront qu’il s’avachit, dans la New Thing ou le Free. Les goûts et les jugements individuels peuvent diverger mais ne sont que les conséquences annexes, pour ne pas dire des dommages collatéraux, d’une forme qui naît, se développe, s’accomplit, et se termine en laissant libre cours à une nouvelle forme. Qui la subsume, la répète ou se perd en elle-même… Nous empruntons ici le mot ‘’forme’’ au vocabulaire platonicien, mais puisque nous parlons de Nietzsche nous n’oublions pas de casser l’idée éternelle à coups de marteaux aristotéliciens, pour lui apprendre que tout ce qui évolue finit par mourir un jour ou l’autre.

    Nietzsche s’est séparé de Wagner pour diverses raisons, il est hors de question de les analyser dans cette chronique, elles n’étaient pas toutes pas obligatoirement musicales, mais à l’écoute de la partition de  Tristan und Isold il en a jugé la musique trop dissolutoire, magnifiant l’instinct de mort au détriment de l’élan vital impératif. Trop de dissonances nihilistes pour l’auteur de Zarathoustra

             Nous y reviendrons après notre prochaine lecture de Métaphysique du rock.

    Damie Chad.

     

    *

             Dans notre livraison 664 du 07 / 11 / 2024 nous rendions compte du Troisième tome des Œuvres d’Austin Osman Spare des éditions Anima. Un superbe volume, de toute beauté, grand format idéal pour l’approche des textes, des dessins et des peintures du magicien. Voici qu’au courrier nous recevons de la part d’Anima une élégante plaquette que l’on se plaît à garder dans sa main, dans sa poche afin d’y revenir sans cesse, il y a près de soixante ans nous ne pouvions nous empêcher de tourner en nos menottes et sur notre tourne-disques Are you experienced ? de Jimi Hendrix.  Lisez le nom de l’auteur disparu depuis presque trois siècles et vous comprendrez le rapport du guitariste américain avec cet auteur et :

    LES PORTES DU PARADIS

    WILLIAM BLAKE

    Traduit par : VINCENT CAPES

    (Editions Anima / 2024)

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             L’innocence est-elle dans la poésie et l’expérience dans la peinture, peut-être est-ce le contraire, sûrement cette ambivalence est-elle  beaucoup plus subtile. William Blake, peintre et poëte, l’immortel scripteur des Chants d’Innocence et d’Expérience fascine. Poëtes, cinéastes, musiciens ne cessent de s’inspirer de William Blake. Question rock nous ne citerons que les Doors et Rotting Christ, nous leur avons consacré moultes chroniques. Ce n’est pas un hasard si nous nous attardons souvent sur les pochettes des disques. Elles sont pour les groupes non pas une manière de se distinguer mais de distinguer le miroitement de l’éclat de leur propre univers mental.

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             Il est des constellations qui s’attirent, dans notre chronique sur La Fin de Satan de Victor Hugo par L’Oeuvre au Noir nous évoquions John Milton qui écrivit Le Paradis Perdu, jugez de la concomitance William Blake illustra  Lost Paradise de Milton… Une excellente manière de passer ces fameuses portes du Paradis… Pour ceux voudraient s’y essayer nous recommandons la lecture d’Un Rameau dans la Nuit d’Henri Bosco.

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             Dans une courte préface Vincent Capes resitue cette œuvre de William Blake dans son implantation historiale. Le fonctionnement de l’opus est d’une simplicité extrême, sur chaque page une gravure, au-dessous de celle-ci, quelques mots, une phrase lapidaire, une sorte de formule proverbiale, de très courtes épigrammes non dénuées de mystère… Blake n’invente rien, il emprunte la structure des Livres d’Emblèmes qui connurent un énorme succès aux seizième et dix-septième siècles dans toute l’Europe. Ils étaient faciles à lire, le texte était bref et l’image retenait l’attention, il fallait la décrypter… Point de révélations fracassantes, illustration et lettrage dispensaient des préceptes moralisateurs ou de profondes vérités évidentes…

             Oui mais l’on ne peut s’empêcher de faire le lien avec les figures d’ordre symbolique et ésotérique du Tarot, d’autant plus que Le Songe de Poliphile (1467) de Francesco Colonna est réputé en tant que roman illustré pour  avoir inspiré les livres d’emblèmes. Rappelons que Le songe de Poliphile est un des livres fondateurs de l’ésotérisme occidental. A l’autre bout de cette étrange chaîne le lecteur se penchera sur les ‘’Painted plates’’ d’Arthur Rimbaud et s’efforcera de prêter à ses Illuminations ses vertus illuminatives… Un tel titre : Les Portes du Paradis n’incite pas à une lecture moutonnière et moralisante. Si de telles portes existent, la tentation de les passer et de revenir dans le paradis perdu  ne saurait que déplaire à toute obédience christique. Dans cet opuscule Blake emprunte le chemin du Retour, vers l’arbre de vie. De vie éternelle. Devenir soi-même un Dieu est le plus grand des péchés. Les contemporains de Blake le traitaient de fou. Quelques siècles auparavant il aurait été supplicié.

             En 1793, la page de titre est surmontée d’une espèce de dédicace : Pour les enfants, êtres d’innocence par excellence. Quelques mois plus tard elle sera remplacée par Pour les sexes, êtres d’expériences, ne sentez-vous pas comme une odeur de soufre… Première image, le frontispice, un enfant dans ses langes, sur sa botte de paille il ressemble à un papillon. Derrière lui, une larve attend son heure. Elle surmonte, elle festonne  une espèce d’entrée de grotte obscure, Victor Hugo emploierait l’expression Bouche d’Ombre. Une question qui s’interroge non pas sur l’existence de Dieu mais sur celle de l’Homme. La réponse est simple, elle dépend de celui qui répond.

             Suivent deux poèmes. Le premier sous la dédicace Pour les sexes. Seulement dix vers, une démolition en règle des premiers chapitres de la Genèse. Dix vers, mais si condensés qu’ils en deviennent hermétiques, le péché originel point pêchu, la punition par la Mort, est-il bon de figurer l’arche d’Alliance sur les autels ?  Si Dieu condamne l’Homme pourquoi l’Homme ne condamne-t-il pas Dieu. Œil pour œil ! Expéditif.

             Le second poème Les Clefs Des Portes, cinquante vers, plus complexe que le précédent en le sens où il explicite les parties ombreuses du premier en rajoutant davantage d’opacité. Des détails supplémentaires : le rôle de la femme, pas de quoi mécontenter les ligues féministes d’aujourd’hui, celui du Serpent à la langue fourchue, et celui de Dieu, qui s’est emmêlé les pinceaux qui a fait des portes du paradis celles de la Mort. Une seule consolation : si Dieu est néfaste séparation : l’Homme est immortel.

             Soyons jésuite, posons une hypothèse d’école : Blake ne serait-il pas un précurseur d’un certain mouvement contemporain du christianisme moderne effectuant une translation théologico-affective de l’amour du petit Jésus à la figure de Marie Madeleine, en tant que restauration érotique de la femme. Blake avancerait-il à mots cachés et à dessins décryptibles, instituant ainsi la poésie en tant que parole obscure et la peinture en tant que vision théophanique de la réalité des choses.

    Suivent ensuite seize images illustrées simplement de quelques mots. Le blanc et noir de la gravure interdit de les confondre avec des icônes russes. Elles en ont pourtant la force. Est-ce pour cela que la couverture de cette plaquette n’offre pas le spectacle sépulcral de l’encre noire de la mort mais se pare de l’éblouissance éclaircissante de l’or…  Il  existe une correspondance chiffrée dans le poème Les clefs Des Portes  qui permet de mieux comprendre ce que représente chacun de ces seize arcanes majeurs. Pour le titre de ce poème, pensez que Julien Green a mis en exergue d’un de ses plus mystérieux récits Les clefs de la mort une citation du premier chapitre  premierde l’Apocalypse : Je détiens les clefs de la mort.

    Enfin  la dernière image surmontée d’un poème de huit vers. A décrypter selon votre convenance. D’après moi explosif. Au pire un dynamitage en règle du christianisme depuis l’intérieur. Au mieux, une vision gnostique. Pour le mieux et le pire, songez que tout regard dépend de celui qui regarde. Comme ne le disait pas Johnny Hallyday : Blake is Blake.

    Quelle expérience peut-on tirer de sa propre innocence…

    Merci à Philippe Capes pour la traduction et l’édition de ce texte de William Blake.

    Ramifications germinatives.

    Damie Chad.