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  • CHRONIQUES DE POURPRE 704 : KR'TNT ! 704 :LAISSEZ FAIRS / BOBBY LEE TRAMMEL/ SWALLOW THE RAT / HAROLD BRONSON / OUTSIDERS / ASHEN / AC SAPPHIRE / KRATON / ELVIS PRESLEY / GENE VINCENT+ SLIM JIM PHANTOM

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 704

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    02 / 10 / 2025

     

      

    LAISSEZ FAIRS / BOBBY LEE

    SWALLOW THE RAT / HAROLD BRONSON

    OUTSIDERS / ASHEN 

    AC SAPPHIRE  / KRATON / ELVIS PRESLEY  

        GENE VINCENT +  SLIM JIM PHANTOM

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 704

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock

     - Il faut toujours Laissez Fairs

     (Part Three)

             Comme tout le monde, l’avenir du rock se fait régulièrement piéger dans des conversations. Boule et Bill prennent un malin plaisir à causer de tout ce qui n’a aucun intérêt : la fucking politique, le fucking football et pire encore, les fucking bagnoles.

             Boule est le plus irascible :

             — T’as vu, les Zémirats, y vont encore augmenter l’prix du diesel à la pomp’ !

             Bill en bave de rage :

             — Sont bons qu’à enculer leurs chameaux ! T’en penses quoi de tout c’merdier, avenir du stock ?

             — Faut toujours Laissez Fairs.

             Après une longue minute de silence, Boule relance la machine :

             — T’as vu, les Zémirats y zont tous des Essuvés et des smartfonnes dernier cri, c’est-y-pas une honte ! Ça a pas l’air de t’choquer, avenir du trock !

             — Faut toujours Laissez Fairs.

             Bill s’en étrangle :

             — Tu trouves ça normal que les Zémirats y roulent dans des gros Essuvés alors que toi t’as qu’un vieux diesel tout pourri ?

             — Faut toujours Laissez Fairs.

             Boule et Bill examinent attentivement la bobine de l’avenir du rock. Ils le considéraient jusqu’alors comme un mec équilibré. Un mec comme eux, un Français de souche, avec des valeurs morales. Cette fois, ils ne cherchent plus à dissimuler leur déception. Boule reprend d’un ton menaçant :

             — Alors t’es d’leur côté ?

             — Vous ne comprenez rien. Faut toujours Laissez Fairs.

     

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             Avant de rentrer dans le vif du sujet, un petit correctif de rubricage s’impose : ce Part Three fait suite aux Parts One & Two qui s’intitulaient ‘Le loup des Steppes’, en mémoire des Steppes, le premier groupe de John Fallon. Mais depuis, la Seine a coulé sous le Pont Mirabeau, les Steppes appartiennent au passé (1984-1997), alors qu’avec les Laissez Fairs, John Fallon montre la direction de l’avenir. Le rock c’est par où ? C’est par là !

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             Cryptic Numbers sera donc le septième album des Laissez Fairs. Les six premiers albums sont épluchés dans les Part One & Two du Loup des Steppes. Si tu demandes à John Fallon ce qu’il écoute, il te répondrait certainement ce qu’a répondu un jour Allan Crockford à la même question : «Syd Barrett and the ‘Hooo.» T’as au moins deux Whoish cuts sur Cryptic, «Steal The Whole World» et «(Live In A) Garbage Can». T’y retrouves l’énergie des Who. Même power explosif. C’est dynamité dans la couenne du lard. Cut vainqueur et glorieux. Tellement anglais ! Même chose avec ce «(Live In A) Garbage Can» qui prend feu. L’incendie des Fairs ! British glorious blow up ! Pire que les Who ! Fallon explose le freakbeat ! Quel démon ! T’as aussi deux cuts directement inspirés de Syd Barrett : «Jennifer Down» et «Living In The Summer». Le Jennifer sonne comme une belle descente aux enfers à la Syd. C’est terriblement barré. Fallon tape au cœur du Syd System, avec un petit Wall of Sound. On retrouve bien sûr l’enfer du paradis dans «Living In The Summer». c’est exactement l’esprit du Piper, avec le wild embrasement et l’éclat de la modernité. Pas de meilleur hommage au génie visionnaire de Syd Barrett. Et puis t’as la Mad Psychedelia du «Chapter Three» d’ouverture de bal. Ça sonne même comme une Mad Psyché à l’agonie, t’as là un son unique au monde, qui va bien au-delà de tes expectitudes. Fallon monte à l’assaut de la surenchère. Il rejette aussi sec tout son dévolu dans la balance pour «Cryptic Friend». Il balaye tout sur son passage, il hisse son Fallon Sound au sommet du rock anglais. Il rivalise de power carnassier avec les Prisoners. On le voit plus loin bourrer le mou de «That Final Road» avec un killer solo de gras double mal embouché. Il lance ensuite une grosse attaque frontale digne de The Attack avec «Idiot Proof». Même sens du punch vinaigré. Et dans les bonus, tu tombes sur un «Primrose Hill» stupéfiant, un shoot d’heavy psychhhh de Fallonmania claironné aux arpèges marmoréens. Les Fairs s’hissent au sommet du genre.

    Signé : Cazengler, John Falot

    The Laissez Fairs. Cryptic Numbers. RUM BAR Records 2025

     

     

    Rockabilly boogie

    - Trammell trame quelque chose

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             Sacré Bobby Lee Trammell  ! Il a 14 ans quand Carl Perkins le fait monter sur scène au Netleton High School Auditorium, Arkansas, pour chanter un cut. Ça se passe bien «and Carl told me I should go and see Sam.» Sam le reçoit, mais il est trop busy. Il lui dit de répéter et de revenir dans deux ou trois semaines. No way ! Bobby Lee est trop impatient. Il décide de partir en Californie tenter sa chance - I didn’t have time to wait for Sun which was very stupid of me - C’est the Country legend Lefty Frizzel qui lui donne sa chance : une residency au Jubilee Ballroom de Baldwin Park, California. Un Country promoter nommé Fabor Robinson lui propose un million de $, et Bobby Lee lui rétorque fièrement que ça ne l’intéresse pas. Il fait 225 $ à l’usine Ford de 75 $ au Ballroom, et ajoute encore plus fièrement qu’il n’aurait jamais gagné tout ce blé en Arkansas ! Ça fait bien marrer Fabor Robinson qui lui file sa carte et qui lui dit qu’il pourra venir le trouver une fois qu’il aura réfléchi. Alors Bobby Lee se renseigne sur Fabor et le lendemain, il va chez lui à Malibu pour auditionner. Un mois plus tard, son premier single sort, «Shirley Lee», enregistré chez Fabor Robinson, avec James Burton et James Kirkland du Bob Luman Band.

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             On peut l’entendre sur une belle compile Bear, You Mostest Girl. «Shirley Lee» ! Wild energy. At the utmost ! Bobby Lee va chercher la pointe du Raz du wild rockab. Il est indomptatable ! Aw shirley Lee you’re the girl for me ! - Dans la foulée, t’as «I Sure Do Love You Baby», gratté au heavy drive de James Burton. Et puis bien sûr, Burton passe un solo acide !

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             Et crack, Bobby Lee part en tournée à travers tout le pays. Il joue au Louisiana Hayride - This was when I really started to tear up on all the shows - Il dit aussi qu’il était «much wilder than Jerry Lee or Little Richard.» Tout le monde veut voir Bobby Lee. Son single s’arrache. Il se retrouve sur ABC. Ricky Nelson adore «Shirley Lee» et en fait une cover. Bobby Lee est invité à chanter au Ricky’s TV show, mais Ozzy, le père de Ricky, le trouve trop rock’n’roll et lui demande de calmer le jeu. Même histoire que celle des Burnette Brothers. Bobby Lee envoie Ozzy sur les roses et commet une grosse erreur. Eh oui, un peu plus tard, il est avec Dorsey Burnette le jour où Dorsey récupère son royalty cheque et c’est le choc : 10 000 $. Bobby Lee comprend qu’il a encore perdu une occasion de fermer sa gueule. À cette époque, 10 000 $, c’est une véritable fortune.  Il comprend qu’il aurait dû composer des cuts pour Ricky Nelson, comme l’ont fait Dorsey et Johnny Burnette.

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             Il enregistre son deuxième single au Western Recorders d’Hollywood, «You Mostest Girl», mais on lui colle un big band et une chorale, et ça ne lui plaît pas, mais alors pas du tout ! - All I did was cut a, $5,000 flop - Alors Fabor Robinson retente le coup dans son home studio et cette fois ça marche. Mais bizarrement, le single ne décolle pas. Alors que c’est une bombe ! Un fabuleux drive d’heavy rockab. L’hit de Bobby Lee. Pur genius ! Aussi génial que Gene Vincent à Nashville ! Bobby Lee y reviendra plus tard pour une deuxième mouture, et cette fois, il va sonner comme Elvis. En B-side de Mostest Girl, on trouve «Uh Oh» un fabuleux rockab insidieux. Quelle merveille sexuelle !

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             Il repart en tournée et choque les gens à travers le pays. On le trouve «downright vulgar, ten times worse than Elvis Presley.» Interdiction de rejouer au Louisiana Hayride. Pas de Grand Ole Opry non plus. Fini la rigolade. Mac Curtis qui s’y connaît en cats de haut rang le qualifie de «real fire and brimstone cat», ce qui vaut pour le plus brillant des compliments. Quand il part en tournée avec Jerry Lee, Bobby Lee entre en concurrence avec le plus sauvage d’entre tous.

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             Et puis pendant les sixties, il devient «the first American Beatle». Ses fans l’accusent de trahison, mais il s’en fout : il survit - I kept working and these Beatles helped me 100% - Il loue des salles pour jouer, car personne ne veut le programmer. Il enregistre «New Dance In France» avec Travis Wammack on lead guitar et Roland Janes à la prod. En 1977, il se retrouve sur Sun, mais pas celui de Sam, celui de Shelby Singleton à Nashville.

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             Ça vaut vraiment la peine de continuer à écouter cette belle compile Bear, You Mostest Girl. Il faut le voir sauter sur Susie Jane dans «My Susie J My Susie Jane», bien relayé au déboulé, mais moins rockab. Puis on le voit glisser petit à petit dans la country et même le convivial atrocement con («Love Don’t Let Me Down»). Il suit son petit bonhomme de chemin, et nous on suit les yeux fermés son petit bonhomme de chemin. Retour à l’excellence avec «Twenty Four Hours» et «Am I Satysfying You», c’mon honey ! Bobby Lee reste le best wild cat de choc in town. Retour fracassant au rockab avec «Come On And Love Me». Il claque son baby comme un punk. Laisse tomber Sid Vicious, écoute plutôt Bobby Lee. 

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             On s’amuse bien avec l’Arkansas Twist de Bobby Lee. L’album est enregistré chez Chips Moman. Les cuts du balda sont assez classiques, mais intentionnels - Carolyn you’re all mine - C’est très cousu de fil blanc. Bobby Lee fait du rock’nroll, pas du rockab. La viande se planque en B. «It’s All Yout Fault» te réveille en fanfare : bel heavy groove d’attaque magique, pur Memphis Beat ! On découvre un grand chanteur avec «Uh Oh» et un jeu  de caisse claire superbe. La B ne sonne pas du tout comme l’A. Plus loin, un orgue à la Augie Meyers challenge «New Dance In France». Extraordinaire ramalama ! Encore de l’heavy groove d’orgue derrière Bobby Lee dans «You Make Me Feel So Fine». Quelle viande extravagante ! Bobby est un prince du Memphis Beat. Il a le meilleur son du monde. Il tape pour finir une cover de «Whole Lotta Shakin’». Bien sûr, il n’a pas la voix de Jerry Lee, mais il a du son et une stand-up énorme. Tu assistes ici à une fabuleuse montée en neige du Memphis Beat, un truc que reprendra à son compte Jim Dickinson. Mais là,  c’est  Chips  qui drive la bête et il transforme Bobby Lee en superstar !

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             Sur Toolie Frollie, Bobby Lee Trammell tape une belle cover de «Chantilly Lace». Grosse pulsion rockab et superbe presta du big Bobby Lee ! Il attaque son morceau titre d’ouverture de balda au pah pah ouh mah mah. Il a un petit côté Hasil Adkins. Bobby Lee reste un rocker assez puissant comme le montre «Betty Jean», tapé au pilon des forges. Il flirte avec le stomp. Son «Skimmy Lou» est plus rock’n’roll, mais avec une belle vitalité. Il ne mégote pas sur l’énergie. Avec «You Make Me Feel So Fine», on retrouve le rumble d’orgue d’Arkansas Twist. Il tape à la suite un fantastique boogie avec «Come On And Love Me». Il chante ça d’une voix de voyou qui guette le pékin moyen au coin de la rue. En B, il tape à l’efflanquée un slow rockab de classe supérieure, «Twenty Four Hours». On retrouve aussi le «Whole Lotta Shakin’ Goin’ On» de Jerry Lee et sa fantastique pulsion.   

    Signé : Cazengler, Trammell toi de tes oignons

    Bobby Lee Trammell. Arkansas Twist. Atlanta Records 1963

    Bobby Lee Trammell. Toolie Frollie. Dee Jay Jamboree 1984

    Bobby Lee Trammell. You Mostest Girl. Bear Family Records 1995

     

     

    L’avenir du rock

      Rat crawl

             Comme chaque année à la fin de l’été, l’avenir du rock convie ses amis à venir faire bombance sous son toit. Les voici attablés, prêts à festoyer. L’avenir du rock se lève et, s’aidant d’un petit clic-clic-clic de plat de couteau sur le cristal du verre, demande un moment de calme pour prononcer l’allocution de bienvenue :

             — Mes chers potes... Merci d’avoir ramené vos tronches de cakes.

             Les convives sourient mais n’en pensent pas moins. D’ordinaire, le langage de l’avenir du rock est un peu moins vernaculaire. Ceux qui le connaissent bien savent qu’il prépare un coup. Il poursuit, avec un bel accent des faubourgs : 

             — C’est un honneur que d’partager une gamelle avec des lascars d’vot’ acabit !

             Harold Ding ajuste son monocle et lance :

             — Tout l’honneur est pour nous, vieille branche !

             — Trêve de balivernes, les mecs ! Il est grand temps d’annoncer l’thème de la gamelle... Cette année, c’est le rat !

             Les convives s’attendent au pire. L’avenir du rock est tellement friand de trash qu’il est capable de lâcher des rats dans la pièce. Pour briser le silence qui suit l’annonce, Jean-Jean Valjean lance d’une voix de dindon inverti :

             — Dead cats dead rats ! Break on Trou to the river side !

             Jason Zon reprend la balle au bond :

             — Et si tu nous versais un coup de Rat Scabibine ?

             Émerveillé par la rock-inventivité de ses amis, l’avenir du rock éclate de rire. Sans transition, il annonce le plat de résistance, servi par deux putes : elles déposent devant chaque convive une assiette contenant un gros rat bouilli, complet, avec la queue.

             — Fini de rigoler, les gars, Swallow The Rat !   

     

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             Au temps d’avant, Third World War chantait «Doin’ the rat crawl». Le rat est toujours là, mais sous une autre forme : Swallow The Rat, un trio basé en Nouvelle-Zélande. Si tu creuses un peu, tu découvres que le guitariste est un expat texan. Et quand tu le vois jouer, tu sens nettement poindre en lui le vétéran de toutes les

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    guerres. Il s’appelle Brian Purington et il a joué dans des tas de groupes d’Austin, on ne va pas aller se fourvoyer là-dedans, car on y passerait la journée, et c’est un underground beaucoup trop ténébreux qui, comme beaucoup de choses, dépasse nos capacités limitées d’appréhension.

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             Swallow The Rat est un trio dont la loco s’appelle Hayden Fritchley, grand maître de l’hypno beat après Jaki Liebezeit. Fritchley est en plus l’une de ces perles rares qu’on appelle les batteurs chanteurs. Il tient bien la boutique du Rat. Et pour compléter le casting, t’as de l’autre côté de la scène un bassmatiqueur affûté qui fourbit un son rond et parfaitement appareillé au rat crawl. Tu rentres assez rapidement dans leur univers, car ils cultivent l’un des plus beaux Big Atmosphérix qu’on ait vus depuis le temps des Bury, et même le temps des Pixies. Dès qu’il écrase

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    sa grosse pédale Fuzz War, Purington déclenche l’apocalypse. Ce sont des apocalypses dont on raffole, car elles te jettent dans des tourbillons, elles te mettent la compréhension sens dessus sens dessous, elles t’évacuent en vrac dans l’havoc avide, elles te vident de ton vain, elles t’évident les ovaires, elles t’avalent les ovules, elles te volent ton havre, tu subis rubis sur l’ongle et tu dis amen quand ça s’amène,

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    t’es là pour ça, pour te faire éviscérer la cervelle, pour subir la tempête au Cap Horn, pour recevoir des gros paquets de mer en pleine gueule, et le Purington n’y va pas de main morte, il gratte des accords inconnus et se penche sur son manche pour faire jaillir des jus aigres et du poison sonique. S’il avait vécu au Moyen-Age, l’Inquisition l’aurait envoyé au bûcher. Les Swallowers ont le power, ils bâtissent de grandes zones hypno pour mieux sauter dans l’abîme. Sous sa casquette, Purington ourdit de sacrés complots contre l’équilibre sociétal. Il génère à la fois de la beauté et du chaos, c’est un sorcier des temps modernes.

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             Tu ramasses leur dernier album, South Locust, même si tu sais que tu ne vas pas retrouver l’intensité atomique du set. Mais au moins t’auras les carcasses. Et quelles carcasses ! Tu y découvres un truc qui t’a échappé pendant le concert : la

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    proximité avec l’early Sonic Youth. C’est flagrant dans deux cas : «Gravois Park» et surtout le «Cave» qu’ils ont joué dans la cave. C’est noyé d’excelsior, complètement soniqué du bilboquet. T’as du solide vrac d’havoc, ils font le lit du bedlam, ils traînent vraiment sous les jupes de Sonic Youth, mais en beaucoup plus pernicieux. L’autre smash joué dans la cave s’appelle «ZZK», un cut monté sur un mötorik à la Can, mais féroce, avec un bassmatic d’attaque frontale sur lequel Purington verse du vinaigre. Tu raffoles de cette morphologie. Tu retrouves aussi l’agressif «Idea Of South», ils écrasent tout sur leur passage, c’est noyé de big sound, ils te font le coup du flush suprême. Tu les prenais déjà au sérieux, et là c’est encore pire. On sent bien le wild as fuck dès le «Terra Nullius» d’ouverture de bal. Ils sont gavés de son comme des oies, Purington bâtit un gigantesque Wall of Sound. Tu retrouves ce bâtisseur dans «Chain Mail», ça dégouline d’heavyness maléfique, il te barde tout ça d’outrance, t’as l’impression que ça te colle à la peau. «Mind» est encore plus dangereux pour ta santé mentale, car c’est bien heavy, bien sans peur et sans reproche, solidement implanté dans la paume du beat. Fabuleuse essence d’excelsior parégorique ! Les cuts sont parfois très insidieux, comme ce «Small Plates», mais tellement volontaires, tellement rentre-dedans. Le déluge de feu est leur raison d’être.

    Signé : Cazengler, rat d’égout

    Swallow The Rat. Le Trois Pièces. Rouen (76). 15 septembre 2025

    Swallow The Rat. South Locust. Shifting Sounds 2023       

    Concert Braincrushing

     

    Wizards & True Stars

     - Harold on, I’m coming

     (Part Three)

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             Tiens revoilà le p’tit Harold Bronson, légendaire co-fondateur de Rhino. Rhino ? Mais  oui, bien sûr ! Rhino est à l’Amérique ce qu’Ace est à l’Angleterre, un gage de qualité. Aussi s’empresse-t-on de lire tout ce que gribouille le p’tit Harold. On l’aime bien, par ici. 

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             My British Invasion est son troisième book, et comme les deux précédents, c’est un book de fan extrêmement bien documenté. Bon d’accord, le p’tit Harold, c’est pas un styliste de la trempe de Stendhal ou de Louis Aragon, mais on ne lui en demande pas tant. Aussi longtemps qu’il nous racontera des histoires intéressantes, on lui ouvrira les bras.

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             Il procède par chapitres thématiques (Troggs, Spencer Davis Group, Manfred Mann, etc.). Il aborde aussi des thèmes que peu de gens songent à aborder : Emperor Rosko, les radios pirates, Granny Takes A Trip, Mike Chapman de Chinnichap, et quand il débarque à Londres, c’est pour interviewer Mickie Most. Notons aussi que ses chapitres sur le Spencer Davis Group et les Troggs sont pointus. 

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             Dans sa préface, il se plait à rappeler que l’Apple Records des Beatles servit de modèle au concept de Rhino Records - Conçu en août 1968 with high ideals, Apple incarnait la qualité que les fans pouvaient attendre des Beatles - Il cite d’ailleurs l’ouvrage de Richard DiLellos, The Longest Coacktail Party, qui narre le détail du «large number of naïve, absurd, hubristic and delusional projects.» Le p’tit Harold s’empresse d’ajouter que son collègue Foos et lui «did a lot of crazy things, but we always tried to keep our heads on straight.» En plus des disks, Rhino a aussi sorti des films et des books, ce qui n’est pas courant chez les record companies. Et comme Ace, Rhino s’est spécialisé dans les reds - Our goal was to provide an excellent package - des liners bien écrits et des photos rares - and a superior-sounding album.

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             Comme on le sait depuis Time Has Come Today - Rock And Roll Diaries 1967-2007, le p’tit Harold tenait un journal, et pour son panorama de la Brisish Invasion, il démarre en 1971, quelques années après la bataille. Il voit Sabbath sur scène (qui sont d’actualité, puisque l’Ozz vient de casser sa pipe en bois). Il les voit en septembre 1971 au Long Beach Arena. La foule est jeune dit-il et il se sent vieux, alors qu’il n’a que 21 ans - Black Sabbath’s music was simple but solid - Voilà tout est dit. Il est enchanté par le «good-natured demeanor» de l’Ozz, en contraste avec le sérieux des trois autres cavemen. Il aura l’occasion d’interviewer l’Ozz un an plus tard et le trouvera charmant - a willing and engaging conversationnist - qui avoue humblement que les Beatles sont ses chouchous. L’Ozz rêvait même de voir sa sœur épouser Paul McCartney. Puis c’est avec l’«heavy guitar sound» de «Really Got Me» que l’Ozz dit avoir découvert sa vocation.

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    Le p’tit Harold rencontre aussi Emitt Rhodes qui, comme McCartney, vient d’enregistrer un album solo sans titre tout seul. Il avoue ensuite sa déception à l’écoute d’Exile On Main Street - Few tracks were of a high standard - Les «songs» comme il dit sonnent comme des «uninspired jams and the sound was muddy.» Il trouve aussi que Keef chante mal son «Happy». Il voit aussi Ramatam sur scène au Whisky. Il trouve Mitch Mitchell pas très bon, April Lawton charmante, mais ça ne suffit pas à cacher la misère des «mediocre songs and arrangements». Et puis t’as Mike Pinera, l’ex-Iron Butterfly. Toute une époque ! Il règle aussi son compte au School’s Out d’Alice Cooper et ses «many negligible tunes». Mine de rien, on est d’accord avec le p’tit Harold sur pas mal de choses.

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             Après un vaste chapitre consacré aux Herman’s Hermits, il passe enfin aux choses sérieuses avec Manfred Mann. Il commence par demander à son lecteur : quel est le the most proficient British Band ?, c’est-à-dire compétent - Les Beatles ? Les Rolling Stones ? Les Yardbirds ? Les Who ? My answer; Manfred Mann - Il commence par les décrire, Manfred Mann et son collier de barbe, et les autres qui semblent se réveiller d’une nuit passée à dormir sur le plancher, mais, ajoute-il, «comme ils ne sont ni des bad boys comme les Stones, ni aussi charismatiques que les Beatles, ni des flashy showmen comme les Who, alors ils ne retiennent pas l’attention.» Le p’tit Harold rappelle que les deux Jones s’entendaient bien, à l’origine des temps, le Paul et le Brian. Ils enregistrent une cassette pour Alexis Korner, espérant décrocher un job au Ealing Jazz Club. Mais ça ne marche pas. Alors Brian demande à Paul s’il veut bien monter un groupe avec lui et Keef. Paul décline l’offre, car il vient de s’engager avec Manfred Mann. Il va vite devenir une «consumate pop idol». Manfred Mann vient du jazz et il comprend que s’il veut survivre, il doit enregistrer des commercial singles - It was jazz men trying to make a living - Puis Paul Jones quitte Manfred Mann. It was devastating. Il sera remplacé par Mike d’Abo.

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             Le p’tit Harold passe tout naturellement aux Yardbirds - I rank the Yardbirds third to The Beatles and The Rolling Stones on artistic innovation - Quand Clapton quitte le groupe, tout le monde est soulagé. Jeff Beck qui le remplace ne supporte pas de voir l’asthmatique Keith Relf sortir son atomiseur sur scène. «I’m joining an asthmatic blues band», s’exclame-t-il. Beck a tout de même des bons souvenirs des Yardbirds, surtout du soir où Giorgio Gomelsky l’a emmené voir jouer Howlin’ Wolf dans un club : «There were Negroes standing and sitting everywhere eating chicken and rice. And up the stage was Howlin’ Wolf dressed in a black dinner jacket and sitting on a stool playing some battered old guitar.» Les Yardbirds considèrent Giorgio comme le 6e membre du groupe. Ils le surnomment Fidel Castro. Mais il y a un problème de blé. Ils ne pensent pas que Giorgio les arnaque, mais c’est un mauvais gérant - He was bad with finances - Alors ils le virent, et bien sûr, ça lui brise le cœur. Simon Napier-Bell devient alors le manager des Yardbirds en avril 1966. Il les trouve charmants, «gentle souls with good manners». Mais ce n’est pas la même ambiance qu’avec Giorgio, le contact ne se fait pas. C’est là que les Yardbirds enregistrent Roger The Engineer. Puis ils sortent «Over Under Sideways Down» : Jeff Beck sort le riff sur sa fuzz-tone guitar. Pour le p’tit Harold, «Jeff is brillant. In my opinion, the best playing of his carrer was with the Yardbirds.» Et quand Samwell-Smith quitte les Yardbirds, «they lost the creative heart of the band.» C’est là qu’arrive Jimmy Page. Jim McCarthy raconte : «On jouait en Écosse, Beck et Page portaient des vestes militaires avec des German Iron Crosses et on leur a craché dessus. Jimmy seemed interested in instruments of perversion. Every now and then he’d talk about the Marquis de Sade.» Les Yardbirds passent à la vitesse supérieure. Mais Jeff Beck décroche, rate des concerts, et quand il joue, il commence à démolir son ampli. Il ne supporte plus d’entendre l’atomiseur de Keith Relf pendant qu’il passe un solo. À force d’absences et de sulking (c’est-à-dire qu’il boude) Jeff Beck est viré - He was more from a car mechanic background - et Chris Dreja d’ajouter : «He’s a slightly out of control egomaniac.» Les Yardbirds ne sont plus que quatre. Jim McCarthy : «The four of us was the best combination we’d had.» Simon Napier-Bell finit par se laver les mains du groupe, les qualifiant de «miserable bloody lot» et trouve que Paul Samwell-Smith et Jimmy Page sont les plus «troublesome». Il les refourgue à Mickie Most. C’est là que Peter Grant devient leur manager. On connaît la suite de l’histoire.  

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    Rosko sur RTL

             Parmi les objets de curiosité, le p’tit Harold épingle Larry Page qui fut manager des Kinks avant de se faire virer, puis manager des Troggs. Le p’tit Harold le rencontre, le trouve ni flamboyant ni excentrique, but he was a character. Dans le chapitre qu’il consacra à Rosko, il nous apprend que Rosko est américain, qu’il a grandi à Beverly Hills et qu’il fit embaucher Sly Stone dans une radio de San Francisco. Comme il avait appris le français au collège, Rosko s’installa à Paris et fit le DJ pour Eddie Barclay. Il étendit son règne impérial sur Radio Caroline et Rhino rêvait de consacrer un docu aux Radios Pirates. Le p’tit Harold évoque bien sûr Ronan O’Rahilly qui transforma un ferry néerlandais en Radio Pirate qu’il baptisa Caroline, en l’honneur de la fille de JFK récemment dégommé. Il avait paraît-il un buste de JFK dans son burlingue et lorsqu’il voyageait, il le faisait incognito, signant les registres du nom de Bobby Kennedy.

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             Le p’tit Harold rencontre aussi Andrew Lauder à Londres, qui vient tout juste de lancer un «local power trio», the Groundhogs. Il rencontre aussi Roy Wood qui n’est pas un «great concersationalist». Ses réponses sont courtes et conventionnelles. Roy Wood cite John Barry parmi ses références. Il dit aussi admirer Led Zep et les Carpenters. Le p’tit Harold rencontre aussi Hawkwind et trouve Lemmy «amiable despite  his intimidating 1950’ rocker look». Le p’tit Harold trouve le son d’Hawkwind «similar to Black Sabbath’s, mostly based around riffs», avec des hippie folk roots. Il ajoute qu’on qualifie leur son de space rock. Au moment où le p’tit Harold les voit, Robert Calvert vient de les quitter. Bien sûr, Lauder refile au p’tit Harold l’album que vient d’enregistrer Calvert, Captain Lookheed & The Starfighters - I preferred it to Hawkwind which I felt had been diminished by Calvert’s departure.

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              Le p’tit Harold rencontre Spencer Davis en 1971, longtemps après la bataille. Premier rappel : le Spencer Davis Group vient de Birmingham, deuxième ville d’Angleterre après Londres, d’où viennent aussi les Moody Blues, les Move, la moitié de Led Zep et bien sûr Sabbath. Quand il monte le Spencer Davis Group, Spencer Davis est déjà un vieux de la vieille : en 1962, il se produisait dans les coffeehouses berlinoises : il chantait Woody Guthrie, Joan Baez et Ramblin’ Jack Elliott. Puis à Birmingham, il voit le Muff Woody Jazz Band et note que le très jeune Stevie Winwood «played piano like Oscar Peterson, and he was incredible. He played the melodica in addition to singing». Il n’avait pas encore 15 ans et sonnait comme Ray Charles, «and it just knocked me sideways.» C’est là que Spencer Davis lui propose de monter un groupe. Stevie accepte à condition que son frère Muff soit de la partie. Ils récupèrent Peter York qui est un jazz drummer, et le Spencer Davis Group démarre en avril 1963. Tout le monde se met d’accord sur le nom de Spencer Davis Group. C’est toujours mieux que The Rhythm And Blues Quartet. Ils commencent à écumer la scène locale, et dans le public se trouvent des gens comme Robert Plant et Noddy Holder. Chris Blackwell leur décroche un contrat chez Fontana en août 1964. Ça ne traîne pas. Ils commencent par des covers : «Dimples» (John Lee Hooker), «Every Little Bit Hurts» (Brenda Holloway). Mais leurs premiers singles floppent, Puis ils tapent dans le «Keep On Running» du Jamaïcain Jackie Edwards, ils virent le côté ska pour le remplacer par un riff de fuzz inspiré de celui de Keef dans «Satisfaction». Gros succès. Puis attiré par l’hippie folky folkah, Stevie Windwood annonce son départ. Sa décision fait des ravages dans le groupe, alors que leur single «I’m A Man» est encore dans les charts. Et bien sûr, lors de son interview avec le p’tit Harold, Spencer Davis indique qu’il n’a jamais été payé au temps du Spencer Davis Group - On paper I had a lot of money, in the bank I had nothing. Where was it after all those smashes? - Dans la poche de Blackwell, de toute évidence. Classique.

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             On passe aussitôt aux Kinks et à «Really Gor Me», loud and raw comme chacun sait. Le p’tit Harold précise que Ray Davies avait son propre style, comme Dylan avait le sien. Par contre, Nicky Hopkins n’a pas une très haute opinion des Kinks : «Après le Village Green LP, j’ai arrêté de bosser avec eux. Ils ne m’ont pas payé pour les sessions, et j’ai fait aussi pas mal de télés avec eux. Je suis vraiment dégoûté. Sur l’album, Ray est crédité pour le chant, la guitare et le piano. Jeez ! I did seventy-five percent of the keyboard work and I didn’t get the proper credit. Je ne travaillerai plus jamais pour lui. They’re greedy bastards. Ray Davies is so tight his arse speaks when he walks.» Et crack !    

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             Au début de l’histoire des Troggs, on retrouve Larry Page. Après avoir été viré et poursuivi en justice par les Kinks, Larry Page ne rêvait plus que de vengeance. Pour ça, il devait trouver un autre groupe et en faire des hitmakers. On lui recommande les Troglodytes. On lui dit que leur cover de «Really Got Me» est meilleure que la version des Kinks. Page tient sa vengeance. Il signe le groupe et les rebaptise Troggs, comme il avait rebaptisé les Ravens en Kinks. Puis il rebaptise Reginald Maurice en Reg Presley et Ronnie Mullis en Ronnie Bond. Il demande ensuite à la boutique Take 6 de leur tailler des costards. Ce sont les fameux costards rayés qu’on voit sur la pochette du premier album des Troggs. D’une certaine façon, Larry Page a dû reformater ces quatre lascars originaires d’Andover, un bled paumé de l’Hampshire dont on qualifie les habitants de «country bumpkins» ou encore d’«hicks from the sticks». Larry Page leur fait enregistrer leur premier single sur du rab de temps de studio et Reg raconte qu’ils ont dû installer leur matos en un quart d’heure pour enregistrer ensuite «Wild Thing» et «With A Girl Like You» en vingt minutes. Reg dit aussi qu’il fait un solo d’ocarina, parque qu’il y en avait un sur la démo que Page leur a refilé. Les 45 minutes de leftover studio time ont été assez rentables puisque «Wild Thing» et «With A Girl Like You» ont été deux number ones, l’un en Angleterre et l’autre aux États-Unis. Ils enregistrent ensuite leur premier album en trois heures. Les cuts ne sont même pas terminés quand ils entrent en studio. Ronnie Bond raconte que Reg écrivait les paroles pendant que les trois autres enregistraient les backings. Le p’tit Harold indique que, comme les Beatles, les Troggs chantent des chansons d’amour, mais il ne s’agit pas du même amour : les Troggs privilégient un «lust-driven, sexually insatisfied caveman intent on ripping off the dress of the nearest appetizing girl and having a go at it.» Si les Troggs plaisent tellement à une certaine catégorie de la population, c’est sans doute à cause ou grâce à leur «we’re-tough-we-don’t-care punk attitude». On qualifie leur son de «simple» et le p’tit Harold les compare volontiers à Sabbath et aux Ramones. Quand on propose au gros billet aux Toggs pour une tournée américaine et un passage à l’Ed Sullivan Show, Larry Page refuse, car, radin comme il est, il craint de perdre de l’argent sur la tournée. Quand le Troggs apprennent la triste nouvelle, ils sont écœurés car bien sûr la décision a été prise sans eux, alors qu’ils rêvaient d’aller jouer aux États-Unis. Résultat : Page est viré. Ça fait tout de même la deuxième fois qu’il est viré par un groupe qu’il a lancé. Ce qui ne l’empêchera pas de sortir Trogglodynamite sans le consentement du groupe. Le p’tit Harold trouve que cet album est nettement inférieur au premier, ce qui est parfaitement juste. Mais après avoir viré Larry Page, les Troggs n’auront plus jamais un autre hit. Et bien sûr, l’Ozz adorait les Troggs et leur «very sexual» aspect.

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             Le p’tit Harold consacre l’un de ses plus gros chapitres au Dave Clark Five et plus précisément à Dave Clark qui débuta en achetant un drum set pour deux livres à l’Armée du Salut et qui apprit les rudiments. Un Dave qui avait quitté l’école à 15 ans, mais qui avait un sens aigu des affaires. Très tôt, il monte une publishing company pour le Dave Clark Five - Dave was a controlling person - C’est un mec spécialisé dans les arts martiaux, dont le karaté. Dave est aussi le producteur du Dave Clark Five, ce qui est nouveau à l’époque. Il trouve une combine pour avoir de l’écho sur «Glad All Over», son premier big hit. Dave est aussi le manager du groupe. D’instinct, il sait prendre les bonnes décisions et sait choisir ses collègues. Mike Smith est le musical genius du groupe, pianiste formé au conservatoire et co-auteur d’hits avec Dave. En 1964, Dave fait signer un contrat de 5 ans aux membres du groupe. Il les salarie : 50 £ par semaine, quatre semaines de congés payés et pas de royalties sur les ventes de disks. Ils devaient en outre rester disponibles 24 h/24, ils devaient prendre soin de leurs instruments, et suivre les consignes de Dave en matière de look : fringues et coupes de cheveux. Le line-up n’a pas bougé pendant les 9 ans qu’a duré le groupe. Petite cerise sur le gâtö : Dave, que le p’tit Harold surnomme Handsome Dave, est l’épitome du charme, quand il s’adresse à une gonzesse, il lui dit «luv» et se plaint qu’il est impossible de trouver une bonne tasse de thé aux États-Unis. Le Dave Clark Five plait tellement à Ed Sullivan qu’ils seront invités 12 fois dans son show, «more than any other rock band». Pour les tournées américaines, les DC5 rachètent un jet privé aux Rockefeller. Ils font peindre DC5 en grosses lettres sur le côté. Ils font 6 tournées américaines et du coup, le DC5 a plus d’hits aux États-Unis qu’en Angleterre. On qualifie leur son de «Tottenham Sound», ce qui les distingue du Mersey de Liverpool et de Londres. En 1965, ils sont plus populaires que les Herman’s Hermits et les Stones. Dave arrête le groupe en 1967. Bien sûr, Rhino veut leur rendre hommage avec une box, vu que les albums n’ont jamais été réédités. Dave qui avait récupéré les masters refusait de les céder. Il pensait qu’en bloquant les rééditions, la cote du DC5 allait monter. Et Comme il avait investi dans l’immobilier, Handsome Dave n’avait pas besoin de blé. Mais la cote du DC5 n’a jamais monté. Loin des yeux loin du cœur, comme on dit. Le p’tit Harold a beaucoup insisté pour convaincre Handsome Dave de faire une box en hommage au DC5, mais Handsome Dave a toujours dit non. 

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             On retrouve aussi l’interview de Mickie Most publiée dans Time Has Come Today - Rock And Roll Diaries 1967-2007, où Mickie explique qu’il n’a pas voulu produire les Stones car il les trouvait trop indisciplinés, arrivant en studio à minuit, alors qu’il voulait être rentré chez lui de bonne heure pour dîner en famille. L’interview de Mike Chapman est intéressante. Chinninchap ont d’une certaine façon inventé en glam. Mais le hits glam anglais (Mud, Showaddywaddy, Cockney Rebel, Slade et Wizzard) ne sont pas des hits aux États-Unis. Chapman bosse comme barman dans un club qui appartient au père de Nicky Chinn, et c’est là qu’ils se rencontrent. Ils  décident d’écrire des chansons ensemble et en 1971, ils démarrent avec «Funny Funny» pour les Sweet. Mickie Most prend Chinninchap sous son aile et leur demande de pondre des hits pour les glamsters qu’il enregistre sur son label RAK. Alors ils pondent. Cot cot ! Suzi Quatro, Mud, et puis Sweet. Quand ils se mettent au boulot, ils commencent par le titre, puis ils travaillent la mélodie et finissent avec les paroles. Ils composent «Little Wally» pour Sweet - Little Willie Willy won’t go home - Le côté comique de l’histoire, c’est que Willie est le slang de pénis. Chapman pense qu’il faut aller bosser aux États-Unis et il produit des albums pour Rick Derringer, Smokie, Suzi Quatro et Blondie.

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             On garde le meilleur pour la fin : Marc Bolan, John Lydon et les Zombies. C’est là où le p’tit Harold casse bien la baraque. Il est assez fasciné par Marc Bolan, il qualifie son style vocal de «subtle, sensual, direct and snarlingly animalistic.» Il le trouve très anglais, assez proche de Ray Davies, «and a dedicated follower of the fashion, modeling a magnetic gold-threated coat, black satin pants and girls orange Mary Jane shoes.» Quand le p’tit Harold lui demande pourquoi il ne joue pas de solos, Marc lui répond sèchement : «I do. On stage.» Il rappelle que «Get It On» sur scène dure 20 mn - I blow my head off and I play to the audience - Il s’enflamme et lance : «Look out, man, I’m really Marc Hendrix!» Il se calme un peu et rappelle qu’il n’a jamais été un «folkie» - I started with an electric rock band which was called John’s Children. I started with a 1962 Les Paul and a 400-watt stack.» Marc remet les pendules à l’heure : «There were three records: ‘My White Bicyle’ by Tomorrow, ‘Granny Takes A Trip’ by the Purple Gang and ‘Desdemona’ by John’s Chidren. Dynamite records. Dynamite! Those records are what you would call turntable hits. They got mass airplay - mass - but they didn’t sell a fucking record because they were three years too soon. Each one would be a number one, no doubt about it.» Il ajoute que l’underground a mis du temps à s’établir en Angleterre. Marc rappelle qu’il est monté sur scène en première partie de Van Morrison à l’âge de 17 ans. Le p’tit Harold lui demande pourquoi il a quitté les John’s Children et Marc dit qu’ils voulaient faire de lui un Monkee - When I left John’s Children, they took my guitar away. They took my Les Paul and sold it. They took my stack and sold it - Puis Marc va commencer à démystifier le star system - Don’t believe there’s security in being a star - Il indique au passage qu’il n’y a de sécurité nulle part, puisqu’on va tous mourir. Il espère pouvoir conduire le Royal Philharmonic Orchestra «because that’s what I hear in my head. If not, I’ll retreat into my country Welsh island and disappear. I’ll send bootlegs out.»

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             Le p’tit Harold est fan du Lydon’s book, No Irish No Blacks No Dogs. Il rêve de tourner un film adapté du book. Il rencontre Lydon à Santa Monica. Lydon a grossi. Le p’tit Harold le qualifie de «good conversationalist». Il faut trouver un scénariste pour adapter le book. C’est Jeremy Drysdale. Il passe 8 heures avec John Lydon et ils descendent 36  bières. Mais le projet va se casser la gueule. John Lydon demande si son personnage peut être joué par une femme, ou un gosse black, ou un vioque. Sur le moment c’est perçu comme une mauvaise idée, sauf que Todd Hayes va l’utiliser dans son portrait de Dylan, I’m Not There - I guess John was ahead of his time.

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              Autre groupe fétiche : les Zombies - Low budget horror movies were the rage with teens in the early sixties, so it was no surprise that original bassist Paul Arnold sugested ‘The Zombies’ - En 1964, ils ont déjà un problème de look - They looked like erudite schoolboys. Two even wore glasses - Le p’tit Harold se marre bien quand il ajoute que s’ils avaient été managés par Larry Page, celui-si les aurait déguisés en chimistes avec des blouses de laboratoire et des éprouvettes fumantes.   Comme «She’s Not There» se retrouve dans le Top Five américain, les Zombies sont expédiés vite fait au Murray the K’s Christmas Show at the Brooklyn Fox Theater. Ils se retrouvent à la même affiche que «Chuck Jackson, Ben E. King & The Drifters, The Shirelles, Dick & Dee Dee, The Shangri-Las, Patti LaBelle & The Bluebells, The Vibrations, Dionne Warwick, The Nashville Teens and The Hullabaloos.» Difficile à croire nous dit le p’tit Harold, mais les Zombies ont une grosse influence sur des gens comme les Byrds, Vanilla Fudge et Left Banke qui jouent des Zombies covers sur scène. Peu de temps après, nos cinq Zombies sont de retour aux États-Unis pour participer au Dick Clark Caravan of Stars, en compagnie de «Del Shannon, Tommy Roe, The Shangri-Las et dix autres artistes.» Ils arrivent aux Philippines pour jouer devant 10 000 personnes à l’Arenata Coliseum et on leur donne 300 $ à se partager en cinq. Ils sentent qu’il y a une petite arnaque. Puis on leur confisque leurs passeports et on leur donne des gardes du corps, pour soit-disant assurer leur sécurité. Les Zombies craignent pour leur vie. Rentrés au bercail sains et saufs, ils enregistrent Odessey & Oracle pour 4 000 $ (alors que les Beatles en avaient claqué 75 000 sur Sgt Pepper) et le p’tit Harold trouve que les chansons des Zombies sont bien meilleures que celles de Sgt Pepper. C’est le graphiste Terry Quirk qui s’est vautré en dessinant le titre : Odessey plutôt qu’Odyssey, mais personne ne l’a vu. Comme Rod Argent et Chris White empochent des royalties de compositeurs, les autres sont jaloux. Ils se plaignent de devoir prendre le métro alors et Rod et Chris roulent en bagnoles de sport. Et c’est là que le groupe splitte. Les trois autres sont obligés de prendre des jobs pour manger et payer leur loyer, car le groupe en tant que tel ne rapporte pas assez. Colin Blunstone bosse comme agent d’assurance, Hugh Grandy vend des bagnoles, et Paul Atkinson bosse dans une banque. Deux ans plus tard, ils sont tous de retour dans le music biz, Colin avec sa carrière solo, Hugh chez CBS, et Paul comme A&R chez CBS. L’un des premiers groupes que signe Paul n’est autre qu’Abba. De passage à Londres, Al Kooper achète quelques albums d’occasion sur King’s Road et flashe sur Odessey & Miracle qui «stuck like a rose in a garden of weeds». Comme il est A&R chez CBS, il parvient à convaincre son boss Clive Davis de rééditer l’album. Mais Odessey & Oracle ne se vend pas aux États-Unis. Tout le monde trouve l’album génial, mais il n’est pas assez commercial. Le groupe va se reformer en 2001 et en 2015, ils ont joué Odessey sur scène. Et voilà, c’est tout ce que le p’tit Harold peut en dire à l’époque. C’est déjà pas si mal.

    Signé : Cazengler, Bronson of a bitch

    Harold Bronson. My British Invasion. Vireo Book 2017

     

     

    Inside the goldmine

     - L’outsiding des Outsiders

             Tox portait bien son nom. Rien à voir avec les drogues. Ce qui était toxique en lui, c’était tout simplement sa connerie. Le pauvre ! Toutes les formules de Jacques Audiard le concernaient directement, à commencer par la plus célèbre, «Les cons, ça ose tout ! C’est même à ça qu’on les reconnaît.» Ou encore celle-ci, «Quand on mettra les cons sur orbite, t’as pas fini de tourner.» Dommage qu’Audiard n’ait pas connu Tox, car il se serait régalé. Il aurait pu dire de Tox un truc du genre : «Dommage qu’on ne taxe pas la connerie. Tox rapporterait une fortune à l’État.» Ou encore celle-ci : «Si la vie était bien faite, Tox serait élu roi des cons.» C’est vrai qu’on reconnaît Tox à sa connerie, car il osait tout. C’est vrai qu’il semblait tourner en orbite. C’est vrai qu’à chaque rencontre, il réveillait l’Audiard qui sommeille en nous. Ça devenait presque automatique. «Si les cons n’existaient pas, alors il faudrait inventer Tox.» Tox n’en finissait plus d’inspirer ton imaginaire. Au point où on en était, on finissait même par parodier Audiard : «Après la mort, l’esprit quitte le corps, sauf chez Tox.» Ou encore : «Si Tox pouvait se mesurer, il servirait de mètre-étalon.» Ou encore : «Quand on est con comme Tox, on porte un écriteau, on prévient.» Le pauvre Tox, il ne semblait se douter de rien. Il rentrait dans les conversations en prenant la posture d’un mec intelligent et tatoué, il gueulait un peu pour imposer un point de vue, sa petite voix criarde sonnait tellement creux qu’il nous faisait de la peine. Pire que ça : il nous faisait pitié. Mais bizarrement, quand les gens commencent à nous inspirer de la pitié, on les voit autrement. L’angle change. Le doute s’installe. On se sent devenir con. Le con n’est pas toujours celui qu’on croit. Et comme le disait si justement Audiard, «Un intellectuel assis va moins loin qu’un con qui marche.» C’est tellement vrai. Il faut parfois toute une vie pour le comprendre.

     

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             Pendant que Tox défraie la chronique, Tax règne sur l’underground néerlandais des mid-sixties. Tox et Tax sont tous les deux victimes de quiproquos, alors après avoir élucidé le mystère de Tox, penchons-nous sur celui de Tax.

             On  a longtemps considéré Wally Tax, le chanteur des Outsiders, comme l’équivalent de Phil May. Alors on a traqué les albums. Ça n’a pas toujours été très facile.

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             On avait à l’époque ramené de Londres une belle compile des Outsiders, Touch. Un Touch qui démarrait avec l’excellent «Story 16» et sa belle tension protozoaire. Cut aussi très Seeds, par son côté insistant. Plus loin, «Lying All The time» sonnait comme un cut des Byrds et il fallait attendre «That’s Your Problem» pour renouer avec les Pretties et les fameuses virées de wild bassmatic signée John Stax. En B, le morceau titre renouait avec la belle tension sixties agrémentée de coups d’harp et tout allait finir un mode dylanesque avec «Ballad Of John B» et «Thinking About Today». Du coup, on éprouvait une légère déception.

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             Puis t’as Pseudonym qui s’est mis à rééditer tout l’Outsidering, à commencer par C.Q. devenu C.Q. Mythology, un fat double album. Très bel emballage mais rien dans la culotte. Tu croises les cuts en version chantée et en version instro, mais tu ressors bredouille des quatre faces. Même déception qu’avec les reds Pseudonym de Q65.

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             Chaque fois que tu croises un bel Outsiders dans le bac de Born Bad, tu le sors et c’est un Pseudonym. Tu te fais encore avoir avec Afraid Of The Dark, un live enregistré en 1967 qui démarre sur «Bird In A Cage» et les coups d’harp de Wally Tax. Ils ont un son assez confus, animé par le bassmatic dynamique d’Appie Rammers. La viande est en B, avec «Story 16». Les coups d’harp de Wally Tax valent bien ceux d’Arthur Lee. Wally fait les Pretties et reprend toute la transe de Van the Man dans le pont de «Gloria» - So tight/ Awite - Il te chauffe ça au c’mon, c’est puissant et c’est même un fleuron du protozozo, ça monte bien en température. Dommage que tout ne soit pas de ce niveau chez les Outsiders. Ils se tirent une balle dans le pied avec la poppy popette d’«I Wish I Could». Ils sauvent les meubles en bout de la B avec un «Won’t You Listen» ramoné à la fuzz, c’est un gros ventre à terre, ils ne rigolent plus, Wally fait ton protozozo, et derrière, Appie Rammers fait de la haute voltige.

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             C’est avec Monkey On Your Back: Their 45s qu’ils s’en sortent le mieux. Ce fat double album rassemble tout le protozozo des Outsiders, à commencer par l’imparable «You Mistreat Me», même harsh, même désaille de la voyoucratie vocale que celle des Pretties. Pretties encore avec «Felt Like I Wanted To Cry» et «That’s Your Problem» : ils sont en plein dans les dynamiques des early Pretties. Pretties encore en D avec «Touch». On re-croise aussi le «Lying All The Time» qui sonne comme un hit des Byrds, et le «Ballad Of John B» plus dylanesque. Et puis en D, t’as ce «Talk To Me» qu’on dirait sorti d’un EP des Them : on y retrouve la tension de «Gloria» et de «Story 16». Le reste n’est pas bon.

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             Alors t’as aussi le photo sound book d’Hans Van Vuuren, The Outsiders - Beat Legends, paru en 2010. D’ailleurs, c’était le seul book au merch du Beatwave à Hastings. À l’époque de sa parution, Crypt le proposait dans son catalogue, alors on l’a rapatrié, car on s’attendait à monts et merveilles. Ni grand format, ni petit format, il se situe entre les deux. Autre avantage : c’est un photo book, c’est écrit dessus, comme le Port-Salut. T’as tout juste une introduction de deux pages en néerlandais et en anglais, donc t’as pas grand chose à te mettre sous la dent. Tu ne perds donc pas ton temps à lire les louanges d’un groupe que tu sais limité à une poignée de singles,  «That’s Your Problem», «Story 16» et «You Mistreat Me».

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    (1965)

             Quand il débute en 1961, le groupe s’appelle Jimmy Ravon & The Outsiders. Wally Tax y gratte ses poux. C’est en 1964 qu’ils deviennent les Outsiders avec Wally au chant et aux poux.  Le batteur Leendert Buzz Busch porte un collier de barbe et des lunettes à grosses montures noires, comme Manfred Mann. Ah l’esthétique des early sixties ! Tout un poème ! Par contre, Wally a déjà une bonne coupe de douilles, comme on disait alors. Et en 1965, il a les cheveux sur les épaules, comme son idole Phil May. Les Outsiders n’ont tenu que grâce au look et au timbre de Wally Tax. Alors évidemment, on tourne les pages et ça grouille de photos. Ils passaient leur temps à se faire photographier. Wally était un petit mec extrêmement photogénique. Il y a notamment un photo session dans un parc à Amsterdam. Ils commencent à enregistrer en 1965. On suit tout le déroulement de carrière page à page, en se demandant quel intérêt peut avoir ce genre de photo book. Sortie de leur premier single, «You Mistret Me» sur Op Art. Au catalogue d’Op Art, on voit aussi les Bintangs, et Peter  & the Blizzards. Tiens et les Zipps ! On les avait oubliés, ceux-là !

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             En 1966, les Outsiders ont le look parfait. On n’a d’yeux que pour le wild Wally, qui n’en finit plus d’afficher sa mélancolie néerlandaise. En 1966 sort «Lying All The Time». Ça a l’air de bien marcher pour eux, on les retrouve même en première partie d’un concert des Rolling Stones au Brabanthallen, Den Bosch. En 1966, ils viennent jouer à la Locomotive. En 1966, sort un autre single protozozo, «That’s Your Problem».

             De l’image, toujours de l’image, encore de l’image.

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             En 1966, ils jouent en première partie de Little Richard à l’Olympia. En 1967, les cheveux continuent de pousser. Ils apparaissent dans pas mal de petits canards pop anglais. On les voit aussi dans la caisse suspendue en l’air, dans le Port d’Amsterdam, où ya des marins qui dansent en se frottant la panse sur la panse des femmes, ils tournent, ils dansent comme des soleils crachés dans le son déchiré d’un accordéon rance.

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             Et soudain, on ne voit plus que Wally Tax, le voilà tout seul en couverture de Kink, avec un bouzouki. Et tout rentre dans l’ordre, les Outsiders reviennent au grand complet. Oh pas longtemps. Wally est trop photogénique. T’as des doubles entières consacrées au trop beau Wally, et crack, il enregistre On My Own en 1967.

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             Comme tous les autres à l’époque, les Outsiders se mettent à porter des grands chapeaux et deviennent des hippies. Fini les Pretties, ils sortent les flûtes et «Bird In A Cage». C’est foutu. Ils se déguisent avec des cols pelle à tarte comme les Young Rascals. Chute de l’empire Taxien. Pour chanter son single «Come Closer» à la télé, Wally se fait couper les cheveux. Enfin un petit peu. Il a l’air de porter une perruque.

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    1968 Amsterdam

             Sur les photos de 1968, ils ont encore de faux airs de Pretties. On voit même une photo de promo où ils ont l’air méchants. Sauf que Wally tient une flûte. Puis tout va s’écrouler avec le LP CQ. Et les barbes d’Appie et de Leendert se mettent à pousser. Pas si grave au fond, c’est même arrivé aux Kinks et aux Who.        

    Signé : Cazengler, taxé

    Outsiders. Touch. Emidisc 1976

    Outsiders. Afraid Of The Dark. Pseudonym 2010

    Outsiders. C.Q. Mythology. Pseudonym 2011

    Outsiders. Monkey On Your Back: Their 45s. Pseudonym 2012

    Hans Van Vuuren. The Outsiders - Beat Legends. Centertainnment 2010

     

    *

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            Nous le souhaitions depuis longtemps. Le premier album d’Ashen est arrivé. Nous suivons Ashen depuis plusieurs années, depuis leur début et même avant. Voici donc la chimère tant attendue.

    CHIMERA

    ASHEN

    (Out Of Line Music / 12 – 09 – 2025)

    Les chimères ne sont plus ce qu’elles étaient, elles ont bien changé.  Heureusement qu’il existe des artistes comme Mathieu Boudot, trafiquant d’images 3 D, pour nous donner accès à l’imaginaire de notre modernité. Ni pire, ni meilleure que les époques qui nous ont précédés ou de celles qui viendront après nous. C’est que les chimères ne procèdent pas de nous, elles sortent de notre cervelle dans laquelle elles nidifiaient, venues d’on ne sait où, comme l’indomptable Athéna surgit casquée, bottée, étincelante du chef fendu de Zeus. Mathieu Boudot sait les saisir en plein vol afin de les recouvrir d’une armure protectrice.

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    La couve de Chimera ressemble à ces groupes de statues qui parfois hantent les monuments aux morts de nos cités. Ce n’est sûrement pas la Victoire ailée qui marche en avant conduisant des essaims de soldats vers une mort inscrite sur les monumentales pierres granitiques des cimetières. Pourtant dans la gangue de son scaphandre intersidéral elle est si loin de ses petits hommes pétris d’argile rouge qui s’agrippent à sa haute stature dans le vain espoir qu’elle les emporte avec elle. L’Humanité s’accroche à son rêve comme l’âne à sa carotte… Au loin tout au bout d’une route s’ouvre une porte étroite… Il n’est pas interdit de rêver, c’est le rêve qui est interdit.

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    Clem Richard : vocal / Antoine Zimer : guitares / Niels Tozer : guitares / Tristan Broggia : batterie / 

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    You were always here : elle était là depuis toujours, des pas de palombes qui s’approchent, des coques d’œufs qui se brisent de l’intérieur, des notes qui tombent comme des gouttes d’eau dans la vasque qui les accueille, un souffle instrumental de gravité, comme un rideau inquiétant à la fenêtre qui s’agite en signe d’on ne sait quoi… Meet again : deux jours avant la sortie du disque est apparue une vidéo, intitulée Meet Again qui débute par la courte introduction précédente. Ashen nous a habitués à  de somptueuses vidéos inséparables de la sortie, étalée sur plus d’une année, de cinq titres en annonce de l’album sur lequel ils figurent. Le court film de Bastien Sablé proposé est moins esthétisant que les précédents et d’une  compréhension  davantage évidente. L’on y aperçoit le groupe en train de jouer mais l’on suit avant tout la marche d’un chevalier, d’ailleurs est-il deux ou sont-ils un, l’accoutrement est juste symbolique, une longue épée et une armure de pacotille, qui cherche-t-il, vers quel ennemi marche-t-il, pourquoi dégaine-t-il son arme trop grande pour lui, pourquoi tant de moulinets désordonnés contre l’invisiblee, quelle est cette épée plantée en terre, serait-ce une résurgence arthurienne d’Excalibur, ou  appartenait-elle à un ami dont elle désignerait la tombe. Peut-être même la tombe de notre chevalier… Nous n’en saurons pas davantage. La musique déboule, une espèce de flot symphonicco-post-metallicore, travaillé au corps par les assomptions batteriales, elle n’est qu’un faux-semblant absolument nécessaire et fondationnel, le déroulement éclosif de la tragédie, ramassée, exprimée, mimée par le chant de Clem Richard, elle est l’écrin chatoyant et hérissé, il est l‘écran noir et translucide de l’ubiquité de la parole qui révèle et recèle sans discontinuer.  Piétinement incessant d’une solitude romantisée qui se bat contre les fantômes du réel et du rêve. Cette brisure segaléenne entre le tigre du réel et le dragon de l’imaginaire, cet espace entre les deux mufles collés l’un à l’autre, cette lutte sans merci de l’autre contre l’un porte un nom, certains l’appellent porte de la folie, d’autres la nomment chimère. Chimera : déchirement, concassage sonore, vocal râpé,

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    crise de folie subite, l’instrumentation comme un feu qui monte et retombe  braise calcinante pour des retours de flammes d’une hauteur spectaculaire, le morceau sonne comme un appel au secours, à soi, à l’autre et au monde, la chimère est au-dedans, la pieuvre se bat contre elle-même et contre le roi absolu de moi-même que je suis et que je ne suis pas, empereur fou de soi-même qui rêve de meurtre et de sang, de crimes et de règlements de comptes, je suis le bourreau de moi-même et  l’Imperator de tous ceux qui ne sont pas moi, qui sont contre moi, si contre qu’ils sont en moi-même, qu’ils sont moi-même, que je suis eux, leur époux ou leur épouse, ils veulent me clouer de leurs glaives au dossier de mon trône sur la plus haute montagne de l’univers, je ne suis plus qui je suis, j’ignore mon nom, car je ne sais plus si je suis le monstre chimérique de moi-même, ou bien le sujet de mes sujets assujettis à leur haine de moi. Je suis l’œuvre au rouge de mes angoisses, j’ignore si elles viennent de moi ou si elles viennent de tout ce qui ne serait pas moi.  Crystal

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    tears : comme le précédent ce morceau a fait l’objet d’une vidéo. La précédente se déroulait au sommet d’une montagne, levez-vous orages désirés aurait pu être son titre, elle est l’appel à l’incandescence, elle défie la foudre et les Dieux, elle est la manifestation destructrice de la fureur mégalomaniaque humaine, elle en appelle à la destruction du monde et à l’auto-destruction de soi-même. Crystal Tears est tout le contraire. La scène se passe dans les antres terrestres, c’est la vidéo des profondeurs infernales, là où l’on expie  ses propres crimes en tâtonnant sans fin dans le labyrinthe de ses terreurs intimes. Moins d’exaltation, davantage de violence, musique compactée en bloc ténébreux d’anthracite, un vocal qui laboure ses propres entrailles, fracas intérieurs, sirènes d’alarmes, une boule de regrets qui dévale la pente de la folie sans frein, jusqu’à l’illumination intérieure, régression vers l’œuvre au blanc, le signe que quelque chose est en train de se révéler, une espèce de clarté étincelante qui pourrait vous servir de miroir si sa lumière n’était pas si aveuglante qu’elle vous empêche d’y voir, de reconnaître ce que vous savez déjà, une larme de cristal solidifié que l’on ne peut fendre ou fondre, qui ne coule pas qui restera toujours inaltérable figée en elle-même, fichée en vous comme une dent cariée. Une douleur inaltérable qui n’est pas sans rappeler la porte ouverte de la couve de l’opus. OblivionCe qu’il y a de terrible avec l’oubli c’est que l’on n’est jamais aussi près de ce que dont on voudrait se rappeler, une musique beaucoup moins torturée que les deux morceaux précédents, un chant ample signe d’espoir, l’on n’a jamais été aussi proche de l’extérieur de soi, des innombrables merveilles que nous offre la nature, un paradis certes encore à notre image, peuplé d’oiseaux de proie qui attendent que nous soyons dehors pour se précipiter sur nous et se disputer les morceaux pantelants de notre chair et de nos pensées, mais toutefois la promesse de nous extraire de notre bourbier, un magnifique et long solo de guitare nous berce dans cette illusion qui dure assez pour espérer que le plus dur soit derrière nous, mais la voix reprend, plus ample, insistante, ce n’est pas encore le retour de l’angoisse mais l’appel au secours à la Mère engendreuse et primordiale, pour qu’elle nous révèle les deux moitiés de l’œuf cosmique dont nous sommes issus, et nous persuade que les anges dinosauriens ne sont pas tous morts, que l’oubli n’est qu’un suaire que nous pourrions facilement déchirer. Chimera’s theme : instrumental, si l’on n’était pas qu’à la moitié du film, l’on pourrait aux premières secondes qui courent  croire à une happy end, que le prisonnier Zéro qui était si près de la porte de sortie s’évaderait si facilement de ses ennuis que ce n’est même pas la peine de nous le dire, mais quelques tapotements insistants nous alertent, la musique s’enraye avec ce bruit caractéristique d’une bande magnétique qui se bloque. Nous ne sommes pas naïfs, Wagner nous a appris que tout intermède lyrique n’est propice qu’à de proximales menaces.  Cover me red : Retour à la case départ. Encore plus violent. Encore plus déchiré. Davantage

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    une inclusion qu’une couche de peinture. Non plus le rouge alchimique mais le rouge du sang des blessures intimes et de l’hémoglobine suscitée par les agressions externes, selon cette musique qui s’entrechoque sur elle-même qui s’entasse, qui se recouvre, qui n’est plus qu’un hachis d’auto-grondements, qu’un grouillement de froissements comme si l’on appelait toutes les vipères du monde à venir nous recouvrir.  Altering : serait-ce le plus beau titre de l’opus, une intro style chevauchée des Walkyries, double partition, celle musicale et celle schizophrénique exposée par le vocal, suspendu sur l’abîme qui sépare ce que l’on est de ce que l’on pourrait être, deux rivages si éloignés que l’on ne sait plus sur lequel des deux bords de la faille l’on se tient, suspension de quelques notes, fragilité d’être dans l’entre-deux de soi-même, la voix s’élève pour plonger au fond de la chair qui l’émet, au sein du sang qui l’irrigue, symbiose instable en état de modification permanente, l’alternative insidieuse a pris les commandes, les deux mâchoires se refermeront sur moi et me dévoreront. Du sang sur les mains du meurtrier en puissance, la musique spongieuse glougloute comme un torrent qui se presse. Desire : à l’origine une vidéo de Bastien

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     Sablé, celle du désir rampant en soi, hors de soi, dans l’impossibilité de la solitude, à moins que ce ne soit le désir de l’autre, chimère extérieure de chair et de consomption, serpent musical furtif qui se lève brutalement pour mordre ou se fondre en moi, tous deux partagé par le même gouffre, vocal supplication, rejoins-moi, entre dans mon monde ou moi dans le tien, ce que je ne suis pas capable de faire, mais peut-être es-tu partagé par la même incapacité à t’exhaler de toi-même, rejoignons-nous, n’habitons plus qu’un même éspace-temps, mais n’es-tu pas qu’un phantasme solipsiste issu de mon esprit démembré, intensité musique et voix ne sont plus qu’un cri de haine ou de désir, es-tu ma chimère, es-tu inscrite dans le réel, es-tu mon désir, mais mon désir le plus vif n’est-il ma propre chimère, ne me désiré-je pas moi-même. Ne suis-je pas l’abysse dans lequel je plonge. Sacrifice (with Ten56) : être seul et si dépendant de sa souffrance, suite logique, après l’échec de l’autre, ne reste plus que la tentation du suicide, totalement cacophonique, grognements, grondements, mais peut-être sont-ce mes tourments qui désirent faire de moi une victime expiatoire de moi-même, même lorsque je suis enfermé dans le vase clos de moi-même je subis encore le déchirement métaphysique de ne pas être tout à fait moi-même et tout à fait autre. Habité par mes propres démons chimériques, expulsé de moi-même par ces mêmes démons. Clone of a clone : l’acceptation de soi et la non-acceptation de ne pas être soi, la première postulation comme un chant sous la voûte étoilée, sonorités éthérées alternent avec la pulsation râpée de se battre contre soi-même dans le seul but d’être le soi que l’on n’est pas. La situation est exposée, chacune des deux entités la répète à tour de rôle, à plusieurs reprises, pas de discussions, pas de tentatives de rapprochement. Chacun n’est que le clone de l’autre, ils s’auto-engendrent l’un et l’autre, si l’un des deux prenait le dessus, le vainqueur ne survivrait pas puisqu’il n’est que par cette béance qui les lie et les délie sans fin. Living in reverse : this is the end, cette fois c’est bien le générique de fin, non le héros ne meurt pas, c’est le metalcore qui cède le pas à l’ampleur lyrique, chaque instrument nous fait son petit numéro pour nous dire aurevoir, quant au chanteur il chante de toute son âme, il sait qu’il n’a rien réussi, il nous promet de s’améliorer, le pathos habituel de l’ivrogne qui jure qu’il arrêtera l’alcool, mais il n’y croit pas lui-même, lorsque la cassette s’arrête, un déclic et hop elle recommence, comme avant, comme après. Le héros retourne à sa solitude, ô combien peuplée de lui-même, il ne lui reste que son chien qui mourra avant lui, mais avec ou sans le canidé, tout recommencera, le serpent ne se mord pas la queue mais lorsqu’il est parvenu au bout de sa queue il remonte vers sa tête. Sempiternel aller-retour. L’on ne va jamais plus loin que soi-même. Plus loin que sa propre brisure.

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             Chimera est un chef-d’œuvre. Existe-t-il à l’heure actuelle un groupe français qui soit capable d’atteindre à une telle excellence. L’opus se tient en lui-même. Il ne court pas après de chimériques propensions à ne pas être soi. La voix, les paroles, l’instrumentation, collent parfaitement au concept qui les ont guidées et gardées de toute embardée. L’œuvre est une, enserrée dans la tour d’ivoire de sa beauté. Ashen peut être fier, quoi qu’ils fassent par la suite, musicalement parlant ou dans leur vie privée, ils ont déjà accompli quelque chose, ils ont créé une citadelle, un point de ralliement, d’orientation, que personne ne pourra jamais leur enlever.

    Damie Chad.

     

     

    *

            Toujours de petites perles sur Western AF, ce coup-ci deux d’un coup. L’une après l’autre, très différentes, je vous réserve la première pour la semaine prochaine. En priorité nous écoutons la deuxième Une véritable pierre précieuse, un saphir, aux yeux azuréens, des lèvres coquelicots, une peau de  lait, qui pourrait résister à une telle merveille. Pas moi.

    WEED MONEY

    AC SAPPHIRE

    (Bandcamp / 2024)

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             Elle ne chante pas encore. Elle n’est même pas sur la vidéo. A la place un van stationné au bord d’une route. Quand elle arrive elle explique qu’elle a pris soin de s’habiller en essayant de se mettre en accord avec le motif peint sur  la carrosserie  de son van préféré. Il appartient à une personnalité connue de Laramie (Wyoming) Shawn Hess, est-ce lui qui   l’accompagne à la guitare électrique soulignant de notes nostalgiques le chant de Sapphire. Quand elle ferme les yeux elle ressemble à une gamine, mais non elle est née en 1985, sa voix nous l’indique elle est marquée de toute la sage désillusion qu’apporte l’existence. Non pas que la vie soit particulièrement dure car tout dépend de soi, de ce que l’on a voulu traverser. Aucune plainte, un simple constat, sans haine ni ressentiment, juste le sentiment d’être ailleurs, de refuser d’être dupe de l’autre et de soi-même. Un vocal aérien, mais ce bluegrass est teinté de la tristesse indéfectible de ce qui pourrait se nommer le blues le plus gras. Son accoutrement prêterait à rire, un peu hippie, un peu pantalon rayé de clown, ses grosses bretelles, ses tatouages un peu trop kitch, presque un rythme envolé de valse, un tournoiement d’hirondelles dans le ciel qui parle de lui, qui parle d’elle, pas spécialement de lui et d’elle, il n’est plus là, elle est déjà partie, ce n’était qu’une escale, pas pire qu’une autre peut-être même mieux, mais les chemins qui se croisent sont destinés à se séparer. Pas un drame, pas une tragédie, tout dépend de la nature, pas les arbres ou les plantes qui nous entourent, la nôtre, celle qui fait que l’on est ainsi que l’on est, seul parmi les autres, seul parmi soi-même ? Deux mots qui qualifient la sienne, le miel des jouissances terrestres, la lune des songes et des rêves. Entre eux, entre tous, le lien ombilical de l’argent, une fumée d’herbe qui ne monte ni vers le ciel ni ne descend vers l’enfer. Juste une vie qui se consomme qui se consume doucement. Un bon moment qui passe et s’évanouit. Une voix qui berce et qui réveille. Qui vous tient éveillé pour mieux vous faire rêver. Et continuer à vivre.

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             Il existe aussi une Official Video du même morceau. Un peu décevante. Un peu trop réaliste. Un peu ménagère, un peu bobonne. Du moins à ses débuts, car si l’on reste dans le même décor, sweet home familial, tout se dérègle, plus rien ne coïncide, l’on se retrouve entre soi et soi, entre Sapphire et elle-même, entre la fumée du rêve et des œufs au plat que l’on qualifiera de brouillés. Il est indéniable que la magie opère, que le monde semble se décentrer de lui-même, sur lui-même.

             L’on reviendra plusieurs fois explorer le monde un peu labyrinthique d’AC Sapphire qui s’avère plein de surprises

    Damie Chad.

     

    *

    Vu le nom j’ai cru que c’étaient des grecs, vous connaissez  ma prédilection pour la péninsule hellénique, en plus des grecs qui font l’effort de s’exprimer en français, ben non, viennent du Luxembourg et comme tant d’autres ils parlent en anglais. J’ai hésité, mais ça avait tout de même l’air assez sombre, j’aime les trucs tordus, et puis dans les nouveautés il n’y avait rien de bien nouveau. Alors fonçons sur le Kraton. Grattons un peu.

    SPIRITUALITE SOMBRE

    KRATON

    (Bandcamp / Septembre 2025)

             Kraton vient du grec – en français l’on écrit ‘’craton’’, une phonétique un peu fragile pour ce mot qui chez le peuple d’Aristote signifie ‘’force’’. Les gratons définissent les aires géologiques continentales constituées des pierres les plus dures, il fut un temps on les désignait sous l’appellation (impropre) de boucliers hercyniens, les premiers gratons sont apparus voici deux milliard et demi d’années. Certes nous sommes encore loin de l’originelle formation de notre planète, mais demandez-vous pourquoi un groupe a pu choisir un tel nom. L’on imagine facilement une dimension primordiale, quelque chose de noir, de solide, de dangereux… Le titre de ce single n’incitant pas à l’optimisme l’on se dit que l’humanité, du moins ses êtres les plus sensibles, les plus éveillés, doivent être capables de ressentir les sombres émanations de cette puissance élémentale. Serait-ce un privilège ? Serait une malédiction intérieure ?

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             La couve tend à nous incliner vers la deuxième interrogation. L’Homme n’apparaît pas royalement installé à sa place, la centrale que souvent habituellement il s’adjuge, l’est mis à l’écart, sur l’espace libre rien de bien enthousiasmant, un fond grisâtre gercé de taches noires, pas davantage de couleur pour ce représentant de notre espèce qui est censée demeurer tout en haut de la pyramide animale. L’est sûr qu’il n’est pas heureux, l’est refermé sur lui-même, en proie à de sombres pensées qui l’obsèdent, dont son intelligence ne peut se rendre maître.

             Patrick Kettenmeyer : bass / Jacques Zahlen :  guitar / Mike Bertemes : vocals, / Ken Poiré : guitar / Véronique Conrardy : drums.

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             La photo du groupe est à l’unisson de la pochette. Donne envie de citer le titre Sombre comme la tombe où repose mon ami de Malcolm Lowry, ne sont peut-être pas nos amis mais sont sombres comme des cadavres, enfin des morts-vivants, leur esprit ne repose pas non plus, sont comme habités d’une idée monstrueuse, peut-être métaphysique, peut-être ultra-métaphysique. 

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    Spiritualité sombre : peut-être vaut-il mieux se passer de la vidéo sur YT, ce n’est pas qu’elle soit mauvaise ou trop minimaliste. Elle possède une force inhérente à sa mise en place. Les quatre boys formant un carré parfait, the girl sur sa batterie au fond, parfois l’angle de vue du montage change et s’attarde sur elle, surtout dans l’intro dans laquelle elle frappe incessamment les trois coups théâtraux du destin, pas du tôt beathoveniens, plutôt l’annonce d’une catastrophe qui a déjà eu lieu, entrée majestueuse mais une espèce de mélodie souterraine coulant lentement comme l’un des fleuves des enfers vient se greffer sur ces coups de semonce comme le serpent noir du désespoir qui ne vous quitte jamais, même si une mini-seconde il se pare de couleurs luminescentes,  Mike a crié le silence de sa solitude, il exècre cette impossibilité - est-elle native - à ne pas savoir voir la lumière, et tout se tait, un interlude de quelques notes lentes, des secondes qui se suivent et se ressemblent même si elles se teintaient d’une inexorabilité mélodique qui finit par s’effriter sous les pas lourds du vocal qui maintenant explose comme un rejet volcanique qui dégringole la pente fatidique de l’anéantissement du désir et de l’incompréhension humaine.  Si vous éteignez les images, le noir de l’ampleur sonore envahit votre pièce mentale, la vue relève de l’anecdotique, elle ne révèle rien de votre propre sort. La musique n’arrive pas qu’aux autres.

             En 2011, le groupe a sorti un mini-album Ker dont nous reparlerons.

    Damie Chad.

     

     

     *

             Dans la vie il faut choisir, par exemple entre Elvis : 350 photos inédites ou Unseen Elvis, candids of the King. Trois cent cinquante - l’on veut vraiment nous convaincre que l’on va nous en mettre plein la vue, quel déplorable esprit comptable et bourgeois qui sous-entend que l’on en aura pour notre argent. En plus des photos inédites, rien de mieux appâter le client ! Le titre original est beaucoup plus fort : Unseen Elvis, une promesse de mystère, presque un fantôme que personne n’a jamais vu, certes une approche d’Elvis, autant dire que l’on ne l’atteindra jamais, que nous ne serrerons jamais dans nos bras l’idole royale…

    Quant à traduire ‘’candids’’  par ‘’photos inédites’’ c’est ne pas jouer avec les fausses similitudes germinatives de l’anglais et du français, ce terme ne contient-il pas l’aveu d’une naïve fragilité destinée à finir brisée… Arrêtons de rêver à une langue des oiseaux poétique, contentons-nous de :

    ELVIS

    350 PHOTOS INEDITES

    JIM CURTIN

    (France Loisirs / 1992)

             Jim Curtin se présente comme un fan d’Elvis. Depuis toujours, depuis ses sept ans, depuis le jour où son père lui a offert son premier 45 tours d’Elvis : Return to Sender. Par la suite il a systématiquement acheté tous les disques, 45 et 33 Tours qui sortaient… L’a grandi, l’a fait une découverte : les pressages étrangers n’offraient pas les mêmes couves, ni même les mêmes titres, bref il s’est retrouvé avec cinq mille albums du King, vous y ajoutez tout le marketing imaginativement délirant: stylos, mugs, agendas, et les photos. Celles qu’il achetait, celles des magazines, celles qu’il s’est procurées auprès des fans… S’est débrouillé pour voir Elvis, sur scène bien sûr, mais aussi en privé, lui a offert une guitare acoustique modèle unique, puis une superbe ceinture… Oui il avoue que cette passion dévorante lui a coûté cher… Rien n’indique que c’est après avoir entendu Eddy Mitchell dans L’Epopée du Rock proclamer : ‘’ Le rock est notre vice / C’est la faute à Elvis’’ qu’il n’a pas hésité à monter sur scène pour interpréter les morceaux d’Elvis, avec les costumes adéquats…

    Traitez-le de collectionneur, de clone, ou de fou, de maniaque, pour ma part j’ai connu un clone de Claude François qui était bien plus heureux dans son rêve que bien de ses contemporains… D’ailleurs le fait de rédiger chaque semaine depuis des années des chroniques rock ne serait-il pas le signe d’un excessif dérangement obsessif…

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    Jim Curtin ne s’est pas arrêté à ce premier bouquin, l’a successivement, à ma connaissance, donné : Elvis And The Stars (1993), Elvis : Unknown Story Behind The Legend (1998), Elvis, The Early Years (1999), Christmas With Elvis (1999)… un passionné.

    Les photos occupent la majeure partie du livre, z ‘auraient pu inscrire la légende juste sous les clichés, nous ne les regarderons qu’en fin de chronique. La vie d’Elvis est découpée en cinq grandes périodes : Les années cinquante / L’Armée / Hollywood / Las Vegas, le retour, / La descente aux enfers. Chacune d’elles est précédée de quelques pages évoquant cette partie du parcours de l’idole. Je m’attendais à une hagiographie de fan transi. Il n’en est rien. Jim Curtin n’est pas dupe de son idole. Passion froide. Il ne tarit pas d’éloges sur les débuts d’Elvis, ce garçon a été un révélateur, de quelque chose de plus grand que lui : de la mutation de la société américaine, il est une espèce de marqueur social, toutes les contradictions historiales de l’après-guerre ont été relevées par l’apparition de ce garçon tranquille qui n’en demandait pas tant, il s’est retrouvé dans un tourbillon qui l’a emporté et dépossédé de lui-même. C’est grâce aux tempêtes de l’Atlantique que l’ancienne Rome a rencontré les premiers américains. Qu’ils ont pris pour des indiens, provenant de l’Inde… Z’en ont simplement conclu que la terre était ronde, ce qu’ils savaient déjà puisque la mythologie leur enseignait que l’Okeanos entourait la terre…  Remarquons qu’Elvis n’a pas empêché la terre de tourner, mais qu’un grand charivari s’est installé dans sa tête.

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    Le départ à l’Armée a été la première cassure dans la vie d’Elvis, approfondie par la mort de sa mère. Avant l’Allemagne tout était merveilleux pour Elvis, il volait de succès en succès, il n’avait même pas le temps de se demander quand cet ouragan triomphal s’arrêterait. On y a pensé pour lui. Le Colonel Parker et l’Establishment, les forces réactionnaires voyaient d’un mauvais œil ce garçon sans cause qui incarnait le désir de rébellion de toute une génération. Elvis a joué le rôle de l’idiot utile, le bon boy manipulé prêt à mourir pour sa patrie… C’est outre-Rhin qu’Elvis connaît les affres de la solitude, la mort de sa mère et  la peur de sa carrière arrêtée net par ce passage sous les drapeaux… En apparence tout se passe bien, beaucoup de bidasses aimeraient avoir fait le service militaire qu’a effectué Elvis, certes les manœuvres, les entraînements d’un côté, mas de l’autre sa maison personnelle, les amis et les filles autour de lui… Cadeau inespéré, Pricilla, le substitut de la maman morte, la pure et chaste jeune fille aimante à qui il peut se confier. Curtin nous présente une Pricilla beaucoup moins nunuche et beaucoup plus pragmatique que bien des biographes… L’Allemagne c’est aussi le moment durant lequel s’installe une espèce de faille tridimensionnelle dans l’esprit d’Elvis, l’amour romantique avec Priscilla, le besoin de continuer sa vie de garçons auquel les filles ne sauraient résister, jusque-là tout est normal pourrait-on dire, mais circonstance aggravante Elvis s’aperçoit de son incapacité à joindre  les deux bouts du sexe et de l’amour. Il aurait pu faire comme tout le monde naviguer au coup par coup entre la chair et le sentiment, mais l’inquiétude le ronge, le fait de ne pas pouvoir concilier ces deux postulations érotiques le plongent dans un sentiment d’angoisse, comment pourra-t-il  retrouver sa place de chanteur numéro 1 s’il n’est pas capable de surmonter cette contradiction intime, il n’est pas comme les autres, il se sent différent, un sentiment d’immense solitude l’accable... Pour mieux comprendre le désarroi d’Elvis il suffit de se rappeler qu’avant d’être l’inventeur du rock il ambitionnait de devenir chanteur de gospel. Nous voici face à un prétendant à l’amour du seigneur qui a opté pour la musique du diable. Toutefois nostalgique de sa native innocence.

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    Elvis s’effrayait du pire. Le pire fut qu’il obtint le meilleur. Les fans ne l’ont pas oublié, ses nouveaux morceaux se classent en tête du hit-parade, il vend des millions de disques, il engrange des millions de dollars. Le cinéma dont il a tant rêvé lui ouvre ses portes, Priscilla à ses côtés joue le rôle de la chaste fiancée, ou de la sainte vierge, substitut symbolique de la mère, bonjour doctor Freud, à Hollywood il enchaîne, actrices, starlettes, et amourettes de passage. Pour Curtin le responsable de la désagrégation de Presley porte un nom : Parker. Elvis engrange tant de succès qu’il vit sur une illusion. A tel point qu’il se pense assez fort pour consommer le mariage avec Priscilla, coup double puisque neuf mois plus tard, jour pour jour après la consommation, la sainte vierge enceinte se métamorphose en mère d’un ravissant bébé…  Il déteste les navets qu’il tourne, alors il compense par des achats compulsifs : voitures, chevaux, camions, ranchs… Le roi du rock a déserté son royaume, l’est devenu le paladin pâli d’une daube nauséeuse. Il n’est plus numéro 1, son compte en banque s’épuise…

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    Elvis se réveille, nouveaux enregistrements de qualité, le sursaut du retour sur scène éblouissant… Le King est de nouveau le King. Hélas renaissance inespérée, la machine à cash tourne à plein régime, la vache sera traite jusqu’à la dernière goutte de lait… Elvis ne vit plus sur un nuage doré, son ciel est orageux, Priscilla s’en va avec son amant, il dort mal, il grossit, il se bourre de cachets pour ne plus ressentir son insatisfaction chronique, sa solitude est immense, son découragement aussi, il prend conscience que sa vie lui a échappé, la mort prend sa place.

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    Reste les photos, la couleur ne devient prépondérante qu’à partir de la moitié des années soixante, je n’en retiens qu’une en blanc et noir, la pleine page 52, c’est fou comme il ressemble à Eddie Cochran !  Il y en a de très belles, de magnifiques portraits d’une beauté sauvage, mais ce ne sont pas les plus nombreuses.  Ni les plus parlantes.  Celles pléthoriques qui retiennent l’attention sont des photographies d’amateurs, des clichés parfois un peu flous, souvent maladroits, Elvis entouré de ses fans. De grandes quantités de filles, à plusieurs autour de lui, l’englobant de près, des enfants, des grandinettes prépubères, des jeunes filles, des femmes dont certaines qui ne sont pas là par hasard, le flot ininterrompu semble n’avoir jamais baissé. Preuve évidente de la proximité d’Elvis avec ses fans. Un fait étonnant : les grands absents sont les amateurs de rock’n’roll. Un signe révélateur. Je vous laisse l’interpréter.

    Damie Chad

                           

    *

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             Il est inutile de présenter Slim Jim Phamtom batteur des Strat Cats, le groupe au début des années quatre-vingt a ravivé les brandons du rockabilly qui couvaient sous la cendre. Un bel incendie qui quarante ans après refuse encore de s’éteindre… Slim Jim n’a jamais rencontré Gene Vincent mais son témoignage est important, tout comme Brian Setzer et Lee Rocker, ils en sont les héritiers. Le portrait qu’il en trace est des plus émouvants, des plus intuitifs et des plus respectueux.

    The Gene Vincent Files #9 : Slim Jim Phantom

    on the impact Gene & the Blue Caps had on the Stray Cats

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    Salut, Slim Jim Phantom des Stary Cats et dis-moi tout ce que tu veux savoir sur Gene Vincent (petit rire malicieux dans la série Return To Sender). Il y avait un jukebox au Max’s Kansas City, un  fameux club de rock’n’roll de New York, je suppose depuis les années cinquante là, Dylan y a débuté, tout un tas de gens ont joué durant la période Andy Warhol, c’était encore une grande sçène pour le punk rock durant les seventies, en 79, il y avait un jukebox et Be Bop A Lula et nous étions-là, nous faisions partie de la scène de New York, et nous avons entendu le titre, et je pense qu’il y avait aussi That’All Rifght Mama, Blue Moon of the Kentucky, Be Bop A Lula couplés à tout un tas de hits ultra-célèbres, que pour ma part je n’avais jamais entendus, c’était tout pareil pour Brian, et nous ne connaissions pas du tout cette musique, c’était époustouflant, qui étaient-ils et ce Gene Vincent, je ne connaissais pas réellement qui il était, en Amérique tout ce truc n’était pas aussi bien connu alors que plus tard nous avons découvert que c’était bien connu en Europe. Alors tu te précipites chez les boutiques de disques, Gene Vincent ils ne le possédaient pas dans leur assortiment, alors tu te rends dans un petit magasin de musique populaire qu’une ancienne greaser tenait chez elle... Gene Vincent c’était si essentiel si séminal,  que nous étions balayés comme par une tornade, je n’avais jamais entendu quelque chose comme cela, ce fut une énorme influence pour Brian,

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     je pense que Cliff Gallup était probablement le plus grand guitariste de tous les temps, et il eut une influence tellement énorme, vraiment énorme, qu’immédiatement du jour au lendemain, vous avons voulu ressembler à ça, nous avons voulu sonner pareillement, nous avons voulu tout connaître sur ce sujet. Ce fut de même pour Eddie Cochran, Elvis, Buddy Holly, Chuck Berry, Carl Perkins, et tous les autres. Mais Gene Vincent spécialement eut une énorme, énorme influence, immédiatement nous l’avons accaparé, c’était très rock et c’était très sauvage, et surtout il était un si grand chanteur, c’est comme cette veste ( Slim agrippe le col de sa veste), c’est pour cela que je la porte aujourd’hui, comme la veste de cowboy sur la couverture de son premier album, une boutique au centre-ville  en possédait une,  nous n’avions pas les moyens de l’acheter, la veste de Gene Vincent, nous avons fini par en avoir une, et nous la portions à tour de rôle, c’était  qui a porterait la veste de Gene Vincent, certains jours vous aviez les cheveux lissés, rabattus en arrière, et la touffe toute graisseuse sur le front  ‘’ Oh aujourd’hui tu te prends pour Gene Vincent, c’est super !’’   désormais il faisait partie de notre langage, une partie de toutes les choses que nous faisions étaient très, très influencées par Gene Vincent.

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    J’avais étudié et je savais jouer, mais nous étions à fond dans le jazz, nous étions de ces gamins studieux, on essayait d’apprendre la bon chemin et nous étions aussi autant à fond dans le punk rock que dans le blues, quant à moi en tant que drummer, le style de Dickie Harrel a tout englobé, il était encore swing tout en appuyant fortement sur les contretemps, techniquement il savait comment jouer, mais ça coulait de source et en même temps c’était très rudimentaire, c’était bon, je ne savais pas vraiment que ce style existait, soit tu tapais jazz, soit tu tapais rock, ça m’a totalement façonné cette manière de jouer sur les deux premiers disques, cette façon a résonné en moi  , c’était ce que je voulais faire dans telle partie du morceau, ça faisait sens pour moi, et vous savez les hurlements sur les breaks de guitare, nous étions-là-dedans, nous aimions cela si fort que nous le faisions sur tous les morceaux quand nous passions dans les bars de New York… quand nous sommes entrés en rockabilly, nous avons repris toutes ses chansons, toutes celles de ses deux premiers et géniaux albums, et toutes les Sun Sessions que nous connaissions, et tout ce que nous connaissions de cette music, et nous hurlions chaque fois que c’était possible et nous adorions cela. Nous avons rencontré les Blue Caps plus tard lorsque nous sommes revenus d’Europe, ce devait être en 82 ou 83 peut-être, et tout un tas de ces guys originaux, quelle chance ce fut, ce fut un frisson et un grand honneur, ils sont en quelque sorte heureux de nous de nous rencontrer, et nous avons joué, c’était probablement à Norfolk ou dans les environs, ce devait être à Norfolk en Virginie, Portsmouth , quelque endroit par-là, tous ces gars sont venus, Tommy Facenda, Bubba Facenda, Bebop Harrell, je pense à Johnny Meeks était-il là aussi, une fois ou l’autre j’ai rencontré la plupart des gars, mais je me souviens de la première fois qu’ils sont venus voir le show, ils étaient émus et ils nous remercièrent de garder cette musique vivante, parce que nous avions repris plusieurs morceaux de Gene sur le premier disque des Stray Cats et cela leur avait boosté leur carrière, ils avaient reçu de nombreux coups de téléphone ce qui leur avait permis de travailler davantage car il y avait un nouvel intérêt pour toute cette scène, que j’y sois parvenu ou non, en tant que musicien je voudrais continuer à jouer et aimer cette musique si j’avais pu obtenir un job régulier, je voudrais encore faire ça, si j’arbore encore cette veste c’est que j’aimerais encore avoir cette coiffure, quoi qu’il arrive ces gars étaient la meilleure preuve de cela, d’être ainsi capable de les aider de n’importe quelle manière c’était fantastique, et c’étaient vraiment de bons et fidèles cats, ils étaient encore branchés et volontaires, c’étaient des soldats du feu volontaires, tous les soldats du feu  volontaires de la caserne des pompiers se sont jetés sur le gâteau, c’est grandiose, moi aussi je suis un combattant du feu, ainsi je suis en quelque sorte

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    5Stray Cats sur scène interprétant Gene and Eddie

    relié à cela…  La chanson Gene and d’Eddie est trop belle, nous ne voulions pas reprendre une fois de plus leurs chansons, ces chansons dont nous manquions, nous jouions chaque Gene Vincent, chaque Eddie Cochran, mais nous avions envie de composer notre propre morceau et rendre en même temps hommage à ces deux gars. Gene and Eddie vous le savez sont ces deux gars, je me souviens c’était sur la route quelque part, Brian et moi étions en train de gratter notre  guitare lorsque nous avons eu l’idée que ce que nous faisions c’était comme jeter des citations issues de toutes les grandes chansons de Gene and Eddie, nous les découpions et nous les couchions sur le plancher de l’hôtel et essayons de voir lesquelles marchaient avec lesquelles, et ensuite nous est venue l’extraordinaire idée d’apposer la signature du riff de la guitare à chaque parole, c’était un procédé vraiment marrant, car c’était notre propre chanson que nous écrivions mais en même temps nous rendons notre hommage à ces gars, puis nous avons fait une vidéo et nous avons pu consulter l’ensemble des archives, ce fut un moyen de de visionner tous les vieux clips vidéos, je me souviens combien Dick Clark a été utile il nous a envoyé tout un lot de bandes d’American Bandstand, tout le monde aimait cette musique et  pour ainsi dire a fait ses débuts grâce à cela… comme tout un tas de rockers, je pense spécialement à ce second album, c’est probablement le plus grand album de rock’n’roll jamais enregistré, certainement tout en haut, certainement un de ceux que j’emporterais sur une île déserte je suppose avec le Sun Session… le second album de Gene Vincent

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    c’est quelque chose, Be Bop A Lula est indubitablement le titre le plus célèbre, le plus connu, mais n’importe quoi du second album, du premier aussi, mais comme il y a ce truc comme Race with The Devil, c’est tellement, tellement, tellement dur, si raide, si glissant, c’est, c’est, ça n’a jamais été dépassé, non ça ne l’a jamais été… je sais qu’en Europe, au Japon, en Australie, dans le monde entier,  Gene est le type est considéré comme le plus pur de l’americana, le produit américain par excellence, il est une sorte de légende, ayant une grande influence, et encore grandement aimé, beaucoup moins en Amérique, je ne sais pas pourquoi, nous ne l’avons jamais statufié… il existe une certaine scène ici maintenant, je pense que c’est l’effet des Stray Cats,  il existe davantage de sortes de rockabilly que quand nous avons été les premiers à commencer, disons les choses de cette manière, tout un tas de ces rock’n’rollers  des premiers temps ont été redécouverts, Gene naturellement puisqu’il était un des principaux, mais je ne sais pourquoi je vois ces kids japonais

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    avec des tatouages de Gene Vincent, et j’ignore pourquoi pas les kids américains, je ne sais pas vraiment pourquoi, ayant dit cela, il existe une scène ici, les choses ont changé davantage qu’avant, mais ce n’est pas la même chose qu’en Europe où il est une figure légendaire révérée, il a dû travailler dur, vraiment dur, Gene est actuellement plus chanceux que tout un tas de ces gars parce que Gene était toujours capable de jouer en France, en Allemagne, en Angleterre, il était une légende il avait la possibilité de s’y rendre et de jouer, tout un tas de ces chanteurs de rockabilly avaient cessé de jouer, je pense que d’une certaine manière Gene était favorisé, mais c’était parce qu’il avait exercé un tel impact, il était un symbole pour ces rockers, ces français, ces Teddy Boys, il était un symbole, je n’ignore rien de la méchanceté,  il a toujours bien chanté, même s’il n’a jamais forcé sa voix, je sais qu’il était accompagné par différents orchestres, et qu’il se démenait pour payer son loyer, comme tout un chacun,, mais il n’a jamais perdu sa voix, il chantait toujours bien mais l’industrie avait changé et des gars comme lui étaient laissés à l’arrière, il lui est arrivé ce qui arrive à pratiquement tous, à très peu d’exceptions près, chacun a ses hauts et ses bas dans le business de la musique, mais il a réussi à bosser malgré tout, je pense qu’il a connu une vie rude, je pense qu’il a beaucoup souffert avec sa jambe et je pense qu’il a vu des tas de gens qu’il avait influencés peut-être lui passer devant, mais il a toujours eu des contrats d’enregistrement, il a toujours joué et il a eu une certaine quantité de gens qui croyaient en lui, si je ne l’ai pas connu je ne suis pas sûr

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    qu’il était  le plus facile des cats à vivre, je ne sais pas, j’ai seulement entendu des rumeurs selon lesquelles il était difficile à vivre, d’après ce que j’ai lu que et que je n’ai pas aimé, je dis que je ne l’ai jamais rencontré, mais j’ai entendu qu’il vivait durement, qu’il était plein de tristesse, j’ai l’impression que sa vie ne s’est pas déroulée comme il aurait voulu, je pense que ce genre de problème vous sape le moral et vous gâte tout ce que vous faites, je pense qu’il ressentait une forme de tristesse, qui vous tombe dessus quand vous passez votre temps à accumuler des gigs pour parvenir à payer vos factures, et croyez-moi aussi bon que vous soyez, et quel que soit l’impact que vous ayez sur les gens, ou sur les musiciens qui vous ont quittés pour occuper une meilleure place sous les spotlights sous lesquels vous pensez que vous auriez dû être, je pense qu’il a eu ce qui peut facilement vous tomber dessus dans ce business, si tu deviens amer, il est difficile de remonter la pente, je pense au sommet qu’il avait atteint, vraisemblablement sans prendre soin de lui-même, je ne suis pas surpris, cela revêt l’espèce de mythe qu’il était devenu d’une teinte tragique, ainsi que tout le déroulement de sa vie. J’en prends acte, je le comprends, car je n’ai pas encore rencontré un seul rock’n’roller, un seul véritable gars, des  Beatles aux Rolling Stones, jusqu’aux Kinks, jusqu’aux Clash, jusqu’aux Sex Pistols, jusqu’à Lemmy, pas un seul de ces grands et authentiques rock’n’rollers parmi tous ceux que j’ai rencontrés dans ma vie, qui n’ait pas mentionné Gene Vincent comme l’une de leurs deux plus fortes influences.

    Transcription Damie Chad.

    Notes :

    Max’s Kansas City : restaurant, night-club qui de sa création en 1965 à sa fermeture  en 1981 fut fréquenté par toute la faune culturelle et underground de New York (et d’ailleurs). Les amateurs de rock possèdent souvent dans leur discothèque le disque du Velvet Underground :

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    Gene and Eddie : le morceau sur trouve sur l’album Blast Off sorti en 1989. Sur la photo ci-dessous les Stray Cats interprétant sur scène le morceau hommagial à Gene et Eddie : 

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    Cette vidéo, ainsi que beaucoup d’autres, est en accès libre sur la chaîne YT de VanShots – Rocknroll Videos

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 693 : KR'TNT ! 693 : BILLY CHILDISH / RAVEONETTES / WADE FLEMONS / LOWLAND BROTHERS / FRANKIE AND THE WITCH FINGERS / KID DAVIS & THE BULLETS / ASHEN / MOGRA / GENE VINCENT

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 693

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    05 / 06 / 2025

     

     

    BILLY CHILDISH / RAVEONETTES

    WADE FLEMONS / LOWLAND BROTERS

    FRANKIE AND THE WITCH FINGERS

    KID DAVIS & THE BULLETS

    ASHEN / MOGRA / GENE VINCENT

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 693

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Le rock à Billy

    (Part Three)

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             Sur la jaquette de cette belle bio de Ted Kessler, To Ease My Troubled Mind - The Authorized Unauthorized History Of Billy Childish, Wild Billy Childish se fait une tête de Singing Loin : le regard perdu dans le souvenir de ses aventures, il tire une bouffée sur sa pipe sculptée.

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             Pourquoi cette bio fait-elle partie des ouvrages déterminants de la rock culture ? Parce que le petit Kessler s’est imaginé pouvoir faire entrer un géant dans les 300 pages du book, et bien sûr, c’est raté, mais on respecte cette tentative, car en tant que telle, elle est assez brillante. Pour rendre sa tentative plus vivante, l’opiniâtre Kessler donne la parole à des tas de témoins, et ça prend une tournure très appropriée d’oral history.

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    Ted Kessler

             Pendant qu’ici sur les Chroniques on met le paquet sur l’œuvre rock, dans son tentative-book, Kessler met le paquet sur l’homme : il passe l’harem de Big Billy au peigne fin et rappelle qu’avant d’être la prolifique rock star underground que l’on sait, il est surtout poète, écrivain et peintre. Il expose aujourd’hui dans le monde entier. Et puis il vieillit. C’est le côté déplaisant du book : Kessler n’ose pas dire que Big Billy ralentit, mais c’est tout comme. Ce sont des choses qu’on n’aime ni lire ni voir. La traduction française du mot ‘rock’ est ‘jeunesse éternelle’. Donc pas question de nous pourrir la vie avec des histoires de ralentissement. Fuck it !

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             Dans son introduction, Stewart Lee se souvient de la première fois qu’il a vu Big Billy sur scène à Glastonbury, en l’an 2000 avec les Buff Medways. Il s’est exclamé : «This is absolutely amazing». Pour lui, ça revenait à voir les Who en 1966. Ce qu’il décrit s’appelle un coup de foudre. At first sight. Tu la vois et tu la veux. Il rend ensuite hommage à la période Dylanesque de Big Billy et la douzaine d’albums de The William Loveday Intention. Il qualifie ça d’overwhelming et ne trouve qu’une seule comparaison : Robert Pollard, sauf que, ajoute-t-il, «Billy Childish makes Robert Pollards look like Taylor Swift in terms of his engagement with the media.» D’ailleurs Big Billy revient sur l’affaire William Loveday Intention. Il dit qu’un jour, il en a marre de peindre, alors il a l’idée saugrenue de faire «a carreer in a year». Il est sans le moindre doute le seul au monde à pouvoir se lancer dans une telle aventure : une carrière entière en un an. Et quand on connaît la qualité des albums, force est de se prosterner jusqu’à terre.

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             C’est sa grand-mère qui s’appelait Loveday : Ivy Loveday. Quand Big Billy voit le jour en 1959, sa grand-mère l’enregistre sous le nom de William Ivy Loveday. Mais ça ne plait pas à John Hamper, son père, qui en 1960, corrige le tir en enregistrant son fils sous le nom Stephen John Hamper. Des noms qu’on va retrouver dans les aventures de Big Billy. Il développe très vite une passion pour les pseudos. À 6 ans, il se fait appeler Virgil. En 1972, il devient Horatio Hamper. En 1977, Gus Claudius. C’est aussi en 1977 que son pote Button Nose Steve le baptise Billy Childish - That one stuck - Quand il ouvre un compte pour son asso, il se fait appeler du nom de son mentor, Kurt Schwitters. En tant qu’éditeur, il est Bill Hamper. Et en tant que directeur d’Hangman Books, il est Jack Ketch. Quand il fonde Hangman Books en 1986, il qualifie ça de «non-profit making label specialising in releasing the unreleasable.» Et comme il ne veut faire aucun compromis avec la société et devenir l’esclave d’un salaire - the slave of wages - il choisit de vivre dans la pauvreté.

             Sa seule expérience salariale remonte eu temps où il bossait chez un tailleur de pierres, et pour être sûr de ne plus pouvoir y bosser, il s’est fracassé une main à coups de marteau. Il n’était donc plus un «member of the salaried workforce». Il est devenu un artiste, a musician, a writer and poet - He signed on the dole. Aux frais de la princesse.

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    Oeuvre de Tracey Enim

             Le petit Kessler attaque l’harem en expliquant que «the romantic relationships of his life are absolutely key.» Big Billy reconnaît qu’il avait plusieurs poules en même temps, «multiple relationships at once», il ne s’en cachait pas. Tracey Emin est l’une de ses premières poules. Elle témoigne longuement dans le book-tentative et rappelle que l’art de Billy était la même chose que sa musique : «It was LeadBelly, blues, rock’n’roll, two-beat.» Elle ajoute : «It had to be clear, it had to be obvious.» Puis en 1982, Tracey découvre que Big Billy s’est marié pendant qu’il était en couple avec elle - I was beyond devastated - Elle ne supporte pas l’idée qu’il ait pu se marier en cachette. Effectivement, Billy a épousé Shelia, mais ils n’ont pas eu de relations sexuelles. Shelia voulait juste un council flat à Brixton et pour l’obtenir, elle devait être mariée, alors Billy lui a donné un coup de main. Il dit aussi que l’appart serait un bon refuge, pour échapper à cette «sex-crazed woman that I was going out with.» Il parle de Tracey, bien sûr, et il ajoute, en mode tongue in cheek : «But as well as being a problem, the sex-crazed woman bit was the attraction.» Il y a mille façons de décrire une relation avec une nympho, mais celle de Big Billy est réellement délicieuse. Il utilise son langage punk. Mais attention, il ne faut pas entendre «punk» au sens de McLaren. Le punk de Big Billy est antérieur, comme il l’explique dans «Punk Rock Enough For Me», sur l’Acorn Man de CTMF : «John Lee Hooker without Santana is punk rock enough for me/ I said John Lee on a half track is punk rock enough for me/ Hendrix in Beatle boots is punk rock enough for me/ Freddie & The Dreamers are punk rock enough for me.» Et dans le couplet suivant, il ajoute The Beatles at the Star-Club et Joe Strummer & The 101ers - I said Keys To Your heart is punk rock enough for me - Dans le troisième couplet, il cite Billie Holiday, a cup of tea, Dostoievsky & Gogol, Knut Hamsun & John Fante, puis dans le couplet suivant, Bo Diddley, Son House, Robert Johnson, les Downliners Sect, puis Jimmy Reed, the Who, Buddy Holly, Bill Haley, Wire at the Roxy, et miming in the mirror is punk rock enough for me. Il définit un état d’esprit. Et quand le punk-rock est récupéré, Big Billy s’en écarte et continue d’évoluer à sa façon, c’est-à-dire en mode punk. Libre. Sans concession. Wild-as-fuck.

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             Après Tracey (et d’autres), il y aura Kyra, qu’il rencontre à Bruxelles. Elle vient s’installer à Chatham, pour remplacer Tracey. Et quand Big Billy entame une relation avec Holly Golightly, Kyra met Huddie, le fils de Big Billy, au monde. Il va rester 15 ans avec Kyra et plus tard, 22 ans avec Nurse Juju. Kyra témoigne elle aussi dans le tentative-book. Elle raconte que Big Billy lui autorisait une petite télé portative, mais elle devait la ranger quand elle avait fini de voir son émission - Billy had his rules - Puis sa relation avec Big Billy commence à se détériorer, car il picole un peu trop. Il voit d’autres femmes et menace Kyra de lui dire la vérité. Elle lui consacre toute sa vie et avoue qu’elle n’a rien en retour. Quand leur relation s’achève, Big Billy devient un peintre célèbre - Everything took off - Elle évoque bien sûr Thee Headcoatees, avec Sarah Crouch, Debbie Green et Holly Golightly qui à l’époque est la poule de Bruce Brand. Elles prennent modèle sur les Delmonas, dont Sarah avait fait partie. Thee Headcoatees vont enregistrer 5 albums et Kyra se souvient des répétitions dans la cuisine. Les gens disaient à Kyra qu’elle ne savait pas chanter et elle répondait : «I know, it doesn’t matter. It’s punk!». Elles sont même allées jouer au Japon. Elle garde un souvenir ému des tournées des Headcoatees avec les Headcoats. Puis ça se termine en eau de boudin, car Big Billy commence à fricoter avec Holly Golightly - That was horrendous - L’atmosphère est toute pourrie pendant la dernière tournée américaine. Elle voit Billy et Holly trafiquer avec «the label people and trying to make deals with them.»

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             Big Billy revient sur l’harem : ça ne pouvait pas être uniquement local, évidemment, il avait des gonzesses au Japon, Aux États-Unis, en Europe, à Londres - My bastion against the world scattered across the nations - Et Kessler de conclure : «But it had to stop, and so it did.» Et pendant qu’il baise avec Holly, Kyra lui annonce qu’elle est enceinte. Ce qui agace Holly.  

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    billy + Tracey : photographie : Eugene Doyen

             Puis le petit Kessler entre dans le vif du sujet : la force de la nature. Big Billy se lève le matin pour faire de la musique, pour peindre, pour écrire. Il prend en charge le groupe, trouve le gig, ramasse le blé et le partage à parts égales, au pub, après le gig. Eugene Doyen : «It was the truest sense of punk DIY thing you can imagine. He kept everyone busy.» Et l’Eugene d’enfoncer son clou : «That’s what Billy did. He just did the work.» Quand l’Eugene rencontre Big Billy, ils sont tous les deux fans de Dada. Puis l’Eugene va devenir le photographe de la Medway Scene.

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    Billy + Sexton

             Autre personnage clé de la légende childishienne : Sexton Ming. Doyen : «Sexton was a unique mind, a fantastic sense of humour; he was a bit like Captain Beefheart.» Il ajoute que Big Billy le soutenait à 100% : «We’re making music with Sexton. We’re going to put exhibitions of Sexton’s work on, we’ll sell his work, sell his albums, put his poetry on.» C’est dire la modernité d’esprit de Big Billy. Il monte The Phyriod Press en 1979 avec Sexton Ming.

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             C’est en l’an 2000 que la réputation de Big Billy a commencé à grossir, grâce à ses toiles, à ses books, à ses albums et à ses concerts. Il est devenu une influence. Et puis cette facilité qu’il a de monter des groupes. Quand Graham Day lui annonce qu’il quitte Thee Mighty Caesars à cause de son job de pompier, Big Billy fait rentrer sa femme Juju à la basse et change le nom du groupe qui devient The Chatham Singers, puis The Musicians Of The British Empire, et ensuite CTMF, toujours avec Wolf au beurre.

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             Sa principale activité reste néanmoins la peinture - Painting, he often says, is his main job - Il peint chaque lundi. Il admire Van Gogh et Munch en tant que «heights of modernist work» et «cutting edge». On décrit aussi Big Billy comme quelqu’un de très demandeur - Billy is the centre of the universe - Billy ne regarde pas la télé. Il ne va pas au cinéma ni voir les matchs de foot. Il ne collectionne pas les disks et se fout des charts comme de l’an quarante. Il n’écoute la radio (Radio 3) que le lundi quand il peint. Il n’aime pas trop aller voir des concerts - He doesn’t like  to be in a crowd of «grey-haired old cunts like me» - Quand Huddie qui a 23 ans joue sur scène, ajoute-t-il, les gens qui sont dans le public sont tous des grand-pères.

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             Et puis bien sûr, il y a les groupes. À commencer par les Pop Rivets et les racines sixties, «Hippy Hippy Shake» et «Watcha Gonna Do About It». Big Billy rappelle au passage que Big Russ «was the powerhouse behind the Pop Rivets». Premier album en deux ou trois jours, titré The Pop Rivets’ Greatest Hits, puis ils vont jouer en Suisse et à Hambourg et établir des connexions qui seront utiles par la suite pour les Milkshakes. La fin des Pop Rivets est assez calamiteuse : le drummer Little Russ quitte le groupe et t’as la girlfriend qui se prend pour la manageuse et qui dit à Big Billy qu’il devrait sonner plus comme Jimmy Pursey, «which didn’t go down well with me.» Le guitariste des Pop Rivets n’est autre que Bruce Brand. Lequel Bruce va commencer à s’intéresser aux drums - I took notice of drums whatsoever - Il s’aperçoit que personne ne joue plus comme au temps des sixties - It was either heavy rock or disco at the time - Et il y prend goût.

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             Et crack, aussitôt après les fin des Pop Rivets, Big Billy monte les Milkshakes - I wanted to do more rock’n’roll songs. I really liked Gene Vincent and wanted to go in that direction - Ça tombe bien, Mickey Hampshire adore lui aussi les Beatles du Star Club. Et à la demande de Big Billy, Bruce devient le batteur des Milkshakes. Sur scène, Big Billy et Mickey dansent en grattant leurs poux. Ils jouent essentiellement dans les pubs. Russ Wilkins rappelle qu’alors que tous les groupes voulaient quitter le circuit des pubs, les Milkshakes au contraire se battaient pour y rester - Those small venues are the best places to play - Tous ses meilleurs souvenirs de concerts sont dans les small venues. Quand il va voir Led Zep dans une grande salle, il trouve ça horrible - Yet seing the Damned at the Hope and Anchor was just earth-shattering - Russ revient un temps dans les Milkshakes pour remplacer Bertie à la basse. Les Milkshakes tournent essentiellement avec les Prisoners qui cultivaient un son plus psyché «and the muscular sixties mod-preening of the Small Faces.» Entre 1982 et 1984, Big Billy dit avoir enregistré 57 albums - 1984 : The Milkshakes release four albums around the world on the same day in an attempt to commit commercial suicide.

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             C’est aussi l’époque où Big Billy monte les Delmonas avec les girlfriends des Milkshakes : Hilary (copine de Russ), Sarah Crouch (aka Miss Ludella Black, copine de Mickey Hampshire) et Louise Baker qui doit être la copine de Bruce Brand. La seule copine de Milkshaker qui ne soit pas dans les Delmonas est celle de Big Billy, Tracey Emin, Mais comme Big Russ est marié et qu’il a des gosses, il doit quitter le groupe, remplacé par un fan nommé John Gawen. Et comme ça picole sec dans le groupe, Mickey décide d’en rester là. Russ : «Much too much booze, but just booze». No drugs.

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             Fin des Milkshakes. John Gawen chiale. Alors Big Billy décide de remonter Thee Mighty Caesars. Bruce : «Thee Mighty Caesars was basically the Milkshakes without Mick.» Mais Bruce n’aime pas trop jouer sans Mick - I didn’t like it without Mick - Big Billy demande à Graham Day de battre le beurre dans les Mighty Caesars - I told him I’d never played drums - Big Billy lui répond : «I know. That’s the point.» Les Mighty Caesars vont faire du «brutally basic garage rock» et Graham Day en chante les louanges : «It’s probably one of the favourite bands I’ve been in. I loved it.»

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             L’autre acteur clé de la légende childishienne n’est autre que Ian Ballard, le boss de Damaged Goods. Jamais de problème avec Big Billy. Il dit se contenter de sortir les albums - Si les gens attendent des miracles, alors ils ne sont pas sur le bon label. S’ils attendent un bon boulot et de la constance, alors ils sont sur le bon label - Il ajoute qu’un album de CTMF se vend à 2 000 ex. Les compiles se vendent mieux. Il aime bien Julie et admet qu’elle ne s’appelle pas Nurse Julie pour rien - She won’t fuck about - Ballard dit aussi que les choses se sont compliquées quand il bossait avec Holly Golightly, car la relation Big Billy/Holly s’est terminée en eau de boudin. Alors pour ne pas interférer, Ballard ne parlait ni d’Holly avec Big Billy ni de Big Billy avec Holly. Ballard qualifie la fin des Headcoats Headcoatgate. It was a mess.

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             Miss Ludella Black témoigne elle aussi dans ce book. Elle est avec Mikey Hampshire depuis 40 ans. Sa relation avec Big Billy a connu dit-elle des hauts et des bas - Plenty of ups and downs - Elle ajoute ça qui est rigolo : «He’s not very patient with me. So if I irrititate him, that’s the end of the conversation. He irrititates me too, but it’s only his opinion that counts, so we clash a lot.» Elle n’en reste pas moins énamourée de ses chansons : «I love singing his songs. Playing with him live has always been good.» Par contre, elle indique que Mick et Big Billy ne se parlent plus beaucoup. La fin des Headcoateees fut horrible, dit-elle. À cause de la relation qu’entretenait Big Billy avec Holly. En tournée, Sarah/Ludella partageait une chambre avec Kyra qui était encore la poule officielle de Big Billy, lequel Big Billy en partageait une autre avec Holly. Et chaque soir, Bruce qui était le copain officiel d’Holly s’asseyait derrière ses fûts, «stormingly brooding». Le pauvre Bruce était encore amoureux d’Holly, aussi grinçait-il des dents. Et pour couronner le tout, Kyra était enceinte de Billy. Ah quel bordel ! Alors que nous, on ne voyait que deux «good-time, sixties-styled garage-punk groups from Kent.»

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             Après la déconfiture des Headcoats et des Headcoatees, Big Billy monte les Buff Medways, avec l’ex-Daggermen Wolf au beurre - Forms a new group, the Friends of the Buff Medways Fanciers Association (named after an extinct breed of chicken) with Wolf Howard and Johnny Barker - Wolf : «When we started the Buffs, it was all the Who.» Wolf va aussi jouer dans les autres groupes de Big Billy, The Chatham Singers, CTMF et The William Loveday Intention. 

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              Et puis il y a ce qu’on appelle «l’affaire Jack White». White demande à Big Billy de faire une première partie à Londres pour lui, tout seul, «a solo blues set». C’est risqué. Mais Big Billy relève le défi - Good, I’ll do it - Le petit Kessler rajoute son grain de sel : «He always loves a disaster.» Le public applaudit sagement. Puis Jack White demande à Big Billy de peindre sur scène pendant que les White Stripes jouent pour Top Of The Pops. Le petit Kessler est mort de rire : «No way. You have got to be kidding. Forget it.» Alors vexé par ce refus et pour protester, Jack White écrit «B Childish» en grosses lettres sur son avant-bras. Quand il rentre aux États-Unis, il appelle Big Billy pour lui demander de jouer avec lui au Late Show With David Letterman. Big Billy lui répond : «Well, that would depend on whose songs we do - yours or mine.» Jack White le prend de travers. La relation s’envenime. Comme Big Billy dit toujours ce qu’il pense, il déclare dans une interview pour GQ qu’il n’aime pas les chansons des White Stripes - I can’t listen to that stuff. They don’t have a good sound - Jack White s’étrangle de rage et va sur Internet pour accuser Big Billy de plagiarism. Quand Big Billy décroche son téléphone pour appeler Jack et s’excuser, on lui répond qu’il ne peut pas parler à Jack White et qu’il ne faut plus essayer de l’appeler. Alors Big Billy va lui aussi sur Internet et il balance ça qui est du big Big Billy : «Though I have undoubtedly angered Jack White, I think it’s a bit nasty to accuse me of plagiarism merely because his former admiration of my work was not reciprocated. It all smacks of jealousy to me. I have a bigger collection of hats, a better moustache, a more blistering guitar sound and a fully developped sense of humour. The only thing I can’t understand is why I’m not rich.» Et dans le PS, il rebalance ça dans les dents du pauvre Jack White qui aurait mieux fait d’écraser sa petite banane : «But no matter who my influence may be, I would never stoop so low as to rip off Led Zeppelin.» Et il ajoute en guise de PPS hilarant : «I hope I’ve gone and offended Led Zeppelin now.»

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    Nurse Julie

             Et la vie de Big Billy reprend du poil de la bête avec la rencontre de Nurse Julie en Californie. Elle bat le beurre dans un groupe nommé the Stuck-Ups, «a punky new-wave thing.» Elle va jouer de la basse dans CTMF. Big Billy lui demande de composer des chansons pour CTMF. Il épouse Nurse Julie en l’an 2000 à Seattle. Nurse Julie est aux anges : «I’d never had that level of stability before. He had a house, he knew what he wanted to do and was on his path. He was offering me this huge amount of love, interest, excitement, creativity.» Big Billy lui demande de monter un groupe avec Kyra, so they did : the A-Lines - Julie learnt to play guitar and Kyra sang - Et le petit Kessler balance une chute superbe : «And there, at least, we have a tangible example of how being married to Julie Hamper has eased Billy Childish’s troubled mind.»  

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             Et puis, un jour qu’ils sont sur la route, Big Billy et Julie entendent «Visions Of Johanna». Alors Big Billy se tourne vers Julie et lui dit : «Bob Dylan is the best pop star who’s ever been isn’t it? I didn’t realise this before.» Julie answered in the affirmative. D’où l’épisode magique de The William Loveday Intention.

    Signé : Cazengler, débilly

    Ted Kessler. To Ease My Troubled Mind - The Authorized Unauthorized History Of Billy Childish. White Rabbit 2024

     

     

    L’avenir du rock

    - Rave on with the Raveonettes

             L’avenir du rock presse le bouton de la sonnette.

             — Driiiiiiiiiiiiiiing !

             La porte s’ouvre. Une vieille dame apparaît, tenant un plumeau à la main. Elle devait être en train de faire le ménage. D’une voix de petite souris, elle demande :

             — C’est pour quoi ?

             L’avenir du rock esquisse un sourire affable et, d’une voix claire, déclare :

             — Je vends des Raveonettes. Avec une bonne remise...

             — Des quoi ?

             — Des Raveonettes, chère madame.

             — Excusez-moi, monsieur, mais je ne comprends pas de quoi vous parlez...

             — Mais des Raveonettes ! Des Ra-ve-o-nettes !

             — Ça a quelque chose à voir avec les raviolis ?

             — Oh pas du tout !

             — Alors avec les savonnettes ?

             — Non plutôt avec le rave...

             — Ah oui, je comprends mieux... Ô rave Ô désespoir !

             — Non non, vous n’y êtes pas du tout, madame...

             — Alors, ça a forcément à voir avec ravénique ta mère !

             Le vieille pique une petite crise de fou rire. Ça faisait une éternité qu’elle ne s’était pas marrée comme ça. Et de voir la gueule atterrée de l’avenir du rock sur le palier avec son attaché-case, ça ne fait qu’aggraver les choses. Elle parvient à se calmer et lance d’une voix hystérique : 

             — Chuis sûre que ça a à voir avec César !

             — Quoi ?

             Elle lève alors le bras et brandissant son plumeau, elle crie de toutes ses forces :

             — Ravé César ! Ceux qui vont mourir te saluent !

             

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             Pas facile de vendre les Raveonettes en porte à porte. Il s’agit pourtant d’un article de très grande qualité. Pour les situer, disons qu’il s’agit d’un duo danois qui exploite depuis vingt ans l’héritage de Totor. Le Wall Of Sound n’a aucun secret pour Sune Rose Wagner et sa copine  Sharin Foo.

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             Ils refont surface cette année avec un concert parisien, et avec Sing, un album de covers, et pas des moindres, car t’as le «Goo Goo Muck» des Cramps, ils sont en plein dedans, avec tout le when the sun comes down/ And the moon comes up, et de sacrées dynamiques de machines, bien sûr, mais le fond est bon. Ils tapent aussi le «Venus In Furs» du Velvet à l’heavy drum bass de shiny shiny boots, c’est Sharin Foo qui le prend au chant, elle est presque aussi bonne que Nico. D’autres covers de prestige encore avec «Shakin’ All Over», plongée dans l’univers shaky du plus grand des Pirates, Johnny Kidd, via Vince Taylor superstar. Ils tapent aussi le «Leader Of The Pack» des Shangri-Las à la Totor. The impossible dream. Sune Rose Wagner l’a fait. Pur Totoring ! Bel hommage à Buddy Holly le Texas King avec «Whisky». Bel éclat pop, superbe allure ! Ça frise le coup de génie. Ils attaquent le «Return Of The Grevious Angel» de Gram Parsons au heavy stash raveony, ils t’éclatent cette merveille au Sénégal. Sans doute est-ce là le plus bel hommage jamais rendu à Gram Parsons, excepté le «Brass Buttons» de Something Happens, sur le fameux Tribute à Gram Parsons, Commemorativo. Avec ce «Return Of The Grevious Angel», les Rav rendent un hommage spectaculaire, gorgé de cosmic power extravagant. Encore plus stupéfiant : leur cover de «The Kids Are Alright», whoisssh en diable, ils l’attaquent en mode pop de Brill. Quel prodige ! Sune Rose Wagner réussit ce tour de force. Brill it baby ! Encore pire avec «The End» :  il prend le pathos des Doors en mode pop élégiaque, avec du power de perlimpinpin, des diapasons diaphanes dans la lumière orange d’un acid trip, la mélodie éclate en rosaces de solace, c’est du pur génie visionnaire. Ils tapent aussi une cover du «Love How You Love Me» des Paris Sisters, pour en faire une pop sépulcrale d’ampleur considérable. Tiens encore une cover miraculée : le «Will You Love Me Tomorrow» des Shirelles. Sune Rose Wagner est un magicien.

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             Évidemment, tu comptes bien les voir jouer tout ça sur scène. Eh bien, pas du tout. Que dalle ! Pas plus de Goo Goo Muck que de beurre en broche. Mais ils ont suffisamment de coke en stock pour remplir 90 minutes de set. And what a set, my friend ! Ils jouent tous les deux avec un batteur. Sharin Foo gratte le plus souvent

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    une gratte, elle ne prend la basse que sur trois quatre cuts. Ils préfèrent le son des deux guitares. T’en as pour ton billet, le petit Wagner plonge inlassablement dans ses vagues de Tannhäuser et chevauche ses Walkyries ad nauseum. Il pique de belles crises de poux et tiguilite dans un faste d’Exploding Plastic Inevitable. Il est l’anti-rock star par excellence, il parle d’une petite voix douce d’hermaphrodite fellinien et avoue timidement aux Parisiens qu’il est content d’être là. Ça fait vingt ans qu’il bat le pavé avec Sharin et il n’a pas pris une seule ride : un petit double menton est la seule trace de vieillissement, mais pour le reste, il conserve cette allure d’éternel adolescent qu’il arborait sur la pochette de Whip it On.

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             Bon, tu patauges un peu en début de set, car tu ne reconnais pas les cuts, mais tu retrouves assez vite tes marques avec «Love In A Trashcan» et «Sleepwalking» tirés de cet album faramineux paru voici 20 ans, Pretty In Black. C’est moins produit, car sur scène, mais ça reste de la grande pop de Brill, et ils enchaînent naturellement avec ce gros clin d’œil à Ronnie Spector, «Ode To L.A.», ils font même venir la voix de Ronnie sur scène. Plus loin, ils tapent dans l’infernal Whip It On avec les très velvetiens «Attack Of The Ghost Riders», «Do You Believe Her» et «My Tornado». Tous ces vieux cuts sonnent comme des cuts idéaux, enracinés dans le Velvet et les Mary Chain. Tu sens battre le cœur du mythe. C’est vrai qu’on perd la magie de la prod sur scène, mais ils compensent avec un joli sens aigu du bordel doomique et de l’évangélisme cosmique. Ils fonctionnent par grappes de trois. On identifie aussi sec l’«Hallucinations» de Lust Lust Lust, bien sûr suivi de «Blush» et de «Dead Sound», qui à l’époque flirtaient avec l’electronica, mais cette fois, le bordel scénique les sauve de la dérive hégémonique. Le dernier cut de set avant l’encore sera l’hypnotique «Aly Walk With Me», toujours tiré de Lust Lust Lust. Tu l’aimes bien l’Aly, ça te réchauffe le cœur de la retrouver sur scène. Sune et Sharin

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    sont en train de devenir tes meilleurs copains, comme le sont d’ailleurs les frères Reid. L’Aly est aussi l’occasion rêvée pour l’éternellement jeune Sune de reculer de trois pas afin de plonger dans une gigantesque vague d’excelsior sonique. C’est le moment que tu préfères, tu le vois plonger et kicker son kilo de killer. En rappel, ils vont taper cette pure Marychiennerie qu’est «That Great Love Sound». T’es vraiment ravi d’entendre ça. Ils tapent encore en plein cœur du mythe Reid, c’est l’un des plus beaux clins d’yeux qui se puisse imaginer. Avec ce genre de set, tu vas littéralement d’explosion en explosion. Occasion unique de re-visiter une œuvre overdosée de coups de Jarnac.

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             En 2002, Sune Rose Wagner et Sharin Foo s’étaient lancés dans une périlleuse entreprise : réactiver la grande pop du Brill Building. On peut les saluer pour leur courage. Réactiver l’âge d’or du Brill, ça suppose du génie composital et une certaine forme de polyvalence. Les couples légendaires comme Cynthia Weil & Barry Mann, Carole King & Jerry Goffin, Ellie Greenwich & Jeff Barry savaient écrire des mélodies imparables et des producteurs comme Phil Spector ou Jack Nitzsche savaient leur aménager un cadre grandiose. Wagner & Foo ont donc essayé de se hisser à ce niveau de perfection pop et on peut bien admettre qu’avec leur premier album, Chain Gang Of Love, ils y sont parvenus. Et ce, de façon très spectaculaire.

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    Tous les morceaux de cet album frisent l’énormité, tant au niveau de l’inspiration que de la production. Wagner & Foo se croyaient au Brill en 1963, et leur rêve est devenu réalité. Il suffit simplement d’écouter « Remember ». Ils nous plongent immédiatement dans la grandiloquence d’antan, avec les cloches, les harmonies vocales, le wall of sound, la profondeur, la puissance mélodique. Il ne manque rien de ce qui faisait la grandeur d’un hit des Ronettes. C’est dingue ce qu’ils sont bons. « Remember » sonne comme l’un des plus grands hits sixties, avec un côté insistant et une beauté plastique qui frise l’absolue perfection. Même chose avec « That Great Love Sound », où ils utilisent des machines, histoire de moderniser un peu. Mais on les sent déterminés. Ils embarquent leur truc avec la grosse énergie d’un Dylan de 1965 revu et corrigé par les Mary Chain. C’est le second hit planétaire de cet album. Il faut se faire à l’idée suivante : ce disque est mons-tru-eux. Les Danois parviennent même à surpasser les Américains du Brill dans le brasillage intempestif. Exemplaire ! Avec « Noisy Summer », on entre en trombe dans la puissance harmonique. Le chant à l’unisson du saucisson emporte tout. Sune Rose Wagner charrie une purée sonique ultime digne de celle d’Al Jourgensen. C’est le troisième hit planétaire de l’album. Comme William et Jim Reid, Wagner & Foo détiennent l’arme suprême : l’imagination. La B est encore plus spectaculaire. « Heartbreak Stroll » revient se lover dans le giron du Brill, mais avec un souffle de modernité supplémentaire. Sharin et Sune sonnent comme un groupe psyché américain des sixties. On retrouve ces racines psyché dans « Little Animal », puissant et irréprochable. On se régale de l’extrême pureté du chant psychout et des guitares ondoyantes. Même énergie fulgurante dans « Untamed Girls », encore un hit psyché gorgé de jus, d’éclat et d’ampleur sans précédent. Ça monte encore d’un cran dans le génie psyché avec « Chain Gang Of Love ». On se met à halluciner, on voit les chapeaux, les lunettes noires, les vestes à franges et les sourires américains s’agiter dans l’éclat de la lumière californienne. Sharin et Sune rendent un hommage considérable à cette culture psyché, le même genre d’hommage que lui rendit Joe Foster avec « Zé Do Caixão ». Ils se prennent aussi pour Suicide avec « The Truth About Johnny », mais ça leur va plutôt bien. On revient à la belle pop de haute voltige avec « New York Was Great », toujours chanté avec le prodigieux recul du psychout amphétaminé de chemises à fleurs et de colliers de dents d’ours.

             Grâce à cet album exceptionnel, Sharin & Sune devinrent des héros.

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             Du coup, on rapatria Whip It Off, un mini-album paru un an plus tôt. Bingo ! C’était aussi un très gros coup. « Attack Of The Ghost Riders » s’imposait immédiatement par l’éclair de son attaque et l’éclat de sa purée. Sharin et Sune faisaient passer les Cramps pour des enfants de chœur. Ils détrônaient tous les rois de la purée trash, puis, sans prévenir, Sune se mettait à jouer un petit solo tranquille. Comment ce fou avait-il réussi à échapper aux psychiatres ? Ils continuaient de détrôner les rois avec « Veronica Fever ». On les percevait alors comme des opportunistes danois plutôt doués. Fallait-il les classer parmi les faussaires de génie ? En tous les cas, « Veronica Fever » étonnait et stupéfiait en même temps. Puis Sune passait l’accord de ferraille ultime pour lancer « Do You Believe Her » et se montrait beaucoup plus radical qu’Oasis au niveau son. Ils nous livraient ensuite leur version de l’apocalypse avec « Cops On Your Tail » - Shine on - un cut littéralement implosé. Jamais encore on avait entendu un son aussi immonde, aussi sec et aussi violent. Ils visaient tout bêtement la démesure de la surenchère. Et ils bouclaient l’effarant bouclard de ce mini-album avec « Beat City », embarqué à la folie de la Marychiennerie, en pure perte de folie explosive, l’un des sommets du sonic trash.

             Avec ces deux albums, les Raveonettes avaient réussi l’exploit de s’imposer dans un marché garage alors extrêmement congestionné. Le revival garage battait son plein et les bons groupes pullulaient. La grande force des Raveonettes était de savoir mettre une mélodie en valeur grâce au son. 

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             Pretty In Black paru en 2005 vaut aussi le détour. Sune et Sharin chantent à l’unisson sur « Love In A Trashcan », une étonnante pièce pointilliste digne de Signac. Le jeu de guitare exacerbe le thème et le cut revêt par conséquent une classe internationale. Peu de gens savent exacerber la vulve d’un cut avec autant de dextérité. Ils le font sonner comme un vieux hit garage sexy californien. Sune prend un solo à la note qui coule. Il reproduit tous les poncifs. Ce mec est vraiment très fort. Il faut vraiment le prendre au sérieux. Il peut jouer comme Johnny Echols de Love. Avec « Sleepwalking », ils passent directement à la grande pop du Brill. C’est balancé dans le mur, et splish et splash, dans une grosse ambiance de prod extrémiste. Ça donne un étrange mélange d’Easybeats et d’Electric Prunes grillé dans le percolateur d’un Brill d’écho mortel. Il faut attendre « Twilight » pour renouer avec l’excitation libidinale et le vol des bourdons. Sune gratte ses notes sous un ciel d’orage, c’est chanté dans l’épaisseur d’un sixties sound et tiré au gimmickage supérieur. Ils chantent ensuite « Somewhere In Texas » à l’unisson. Rappelons au passage que le Danemark est l’antithèse du Texas. Mais ça n’empêche pas Sharin et Sune de revenir dare dare au big Brill Sound avec « Ode To LA ». En tous les cas, ils s’y croient. Pire encore, ils s’y projettent. Sharin se prend pour les Ronettes. La belle blonde miam miam tombe dans l’escarcelle sonique de Phil, mais Phil ne mange pas de ce pain-là. « Ode To LA » est une belle pièce de pop kitschy bitchy gorgée de tambourins, de female juice et de Ronnie Spector. Ils réussissent l’exploit de s’inscrire dans la mythologie.

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             Lust Lust Lust pourrait bien être l’un de leurs meilleurs albums. Évidemment, Richard Gottehrer - producteur légendaire et bête du Brill - est dans le coup. Ils attaquent avec « Aly Walk With Me » gratté à l’accord de Ricken. Bon d’accord, ça gratouille et soudain, au deuxième couplet, ça explose sous le crâne. Le cut se transforme comme par magie en bouillie sublime agitée de pulsions prédatrices. Ils sont incroyables, ils endorment le client et aussitôt après qu’il se soit assoupi, ils s’amusent à le Krakatoer, car c’est bien la démesure d’une éruption qu’on entend. Ça dégueule de partout. Une pluie de vomi sonique s’abat sur le malheureux qui s’est risqué à écouter ce disque. Ils sont très forts, nos deux Danois. On se croirait à l’Auberge Rouge. Personne n’en sortira indemne. Ils rééditent cet exploit avec « Hallucinations », qui s’ouvre sur une mélodie chant à la Mary Chain soudain étripée par un solo échappé d’on ne sait quel asile du XXe siècle. Toute la scène se déroule dans une tombe. Le solo s’éveille comme un zombie. Leur truc tourne un peu au procédé. Dommage. « Lust » est le genre de morceau qui une fois encore endort la méfiance, mais derrière, Sune joue ses solos à la note sèche dans une réverb d’écho analogique. Par chance, ils ne sont pas bons à tous les coups. Il vous faudra attendre « Blush » pour renouer avec le frisson pariétal. Ils poursuivent leur virée au pays du Brill et quand ils s’énervent, ils redeviennent subitement des héros. C’est précisément la raison pour laquelle on les adore. « Blush » ne demande qu’à exploser et ça explose. Ils nous plongent au cœur du son. Sune va fureter dans les couches et soudain, il tire l’overdrive, alors tout bascule dans la magie. Et là, on atteint les sommets. Un album des Raveonettes est proprement interminable, car il faut écouter chaque cut attentivement. Ils sont capables de tout, de hauts comme de bas et on ne sait jamais s’il faut les détester quand ils cèdent à la facilité ou les adorer quand ils atteignent des sommets. « You Want The Candy » est encore une pièce extraordinaire de power-pop trafiquée au son ultraïque. Ellie Greenwich aurait sans doute adoré ça. « Blitzed » sonne comme un exercice para-nubile de sexe adolescent. Encore une extraordinaire aventure énergétique. Ils réinventent le kitsch de la fièvre et c’est joué à la guitare avec une violence inconnue au bataillon, comme si Sune amenait une dimension nouvelle à la folie du juke - Our love is being blitzed - On a dans ce disque tout ce qu’il faut pour être heureux. C’est un trésor de pirate garage. « Sad Transmission » est encore une pièce de pop au crabe de génie, montée sur un groove admirable. Sune joue son solo là-bas dans la cuisine. Il faut entendre ce groove claqué aux castagnettes et ce solo qui vole dans le fond comme l’ombre de Dracula. Ce cut est une véritable purge. Et le solo percute la falaise de marbre de plein fouet. De là à déduire que Sune Rose Wagner a du génie, il n’y a qu’un pas qu’on franchit allègrement. Ses coups de fin de cut sont des coups du lapin. Sharin a tellement de chance de pouvoir fricoter avec ce mec. À la fin de « With My Eyes Closed », on voit encore un solo extraordinaire tomber du ciel. Par les cornes du diable, ce disque est un enfer !

             Les Raveonettes finissent par poser un sacré problème : ils creusent l’appétit. Chaque fois que sort un nouvel album, on se met à baver.

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             Paru en 2009, In And Out Control soulagerait n’importe quelle fringale. Avec « Bang », ils se prennent carrément pour Sonny & Cher. Et pif et paf ! Voilà un cut épique, vraiment digne de la préhistoire de la Chrétienté. Le beat est tellement puissant ! Encore du blast avec « Gone Forever ». Ces deux Danois sont des démons. Rarement on entendra Sharin chanter de manière aussi sexy. Encore du violemment bon avec « Last Dance ». Sharin monte au créneau, une fois de plus. Elle tape à bras raccourcis dans la grande pop. Elle chante même beaucoup trop bien. On pourrait cataloguer « Boys Who Rape » de pop du Brill tombée dans une bassine d’amphétamines. Absolument stupéfiant ! Sharin chante comme la nouvelle reine du Brill, même si le Brill a depuis longtemps disparu. Elle fait des avances à la mythologie et le son la rattrape pour la dévorer toute crue. Et au cœur du chaos, elle en rajoute encore et encore. S’ensuit une nouvelle pièce démentoïde avec « Heart Of Stone », qui compte probablement parmi les plus gros coups des temps modernes. Ils reviennent au beat de guitares psyché et c’est franchement stu-pé-fiant de qualité. Sune recherche l’esprit psycho-psyché d’Anton Newcombe. La fête se poursuit dans cette ambiance unique de groove psyché. Les Danois sont encore plus californiens que les Californiens. On tombe des nues. Puis Sharin chante « Oh I Burried You Today » dans le fond du studio avec le charme d’une femme aimante. On va de surprise en surprise. C’est précisément ce qui fait la grandeur des albums des Raveonettes. Dans « Drugs », on entend des chœurs de filles bizarres. C’est exactement ce qu’on entend au moment où le tangage s’accompagne d’une soudaine envie de vomir - whoo eh eh oh - et ça part. En fait, ça soulage de vomir. On a même l’impression que ça nettoie la cervelle. Alors les Raveonettes jouent leur petit beat de mal de mer. Leur dernier coup de Trafalgar s’appelle « Break Up Girls » : le cut semble couler en dégageant de la fumée. 

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             Et puis on vit le phénomène Raveonettes se dégonfler comme un ballon de baudruche, à cause de Raven In The Grave, un misérable album privé d’inspiration. Notre déception n’avait d’égale que la profondeur abyssale du vide que proposait ce disque. Pas de mélodies, pas de chansons, pas de rien. On ne croisait sur ce disque que des tentatives malheureuses. Pour Sharin & Sune, c’était la fin des haricots. Des morceaux comme « Summer Moon » n’étaient que morne plaine et la plupart des autres ressemblaient à du pâté de supermarché, un peu spongieux et sans goût. Le seul morceau sauvable de cet album était le premier, « Recharge & Revolt » qui sonnait comme du Mary Chain, avec des guitares en pointe, comme sur l’album Bandwagonesque de Teenage Fanclub. On se régalait de ce festin, même si le son trempait un peu dans le synthétique. C’était bien tenu, avec une touche anglaise.

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             Richard Gottehrer produit l’album Observator paru en 2012. Dès le premier cut, « Young And Cold », on sent que c’est un bon album. Pour ce balladif élégiaque, Sharin force sa voix et pénètre dans l’orgie d’une orchestration foisonnante. Ces gens-là ne semblent vivre que pour le son. Les orchestrations sont souvent fantômales. Elles se succèdent comme des saisons climatiques, et on passe du foggy nocturne au lumineux de clairière, comme c’est le cas avec « Observations ». Ils adorent torturer la pop et lui donner des atours préraphaélites. Ils adorent s’égarer la nuit dans les bois. Par son côté à la fois délicat et têtu, « Curse The Night » est un fantastique hommage au Brill. Alors que le beat s’installe dans le background, Sharin vise l’échappée belle et chante d’une voix de porcelaine. C’est très beau et ça se perd dans les couches de son, bien repris par des ouh-ouh-ouh amenés au ralenti. Ils passent ensuite à la petite pop replète avec « The Enemy ». La voix de Sharin illumine ces instants de pop. Elle ramène avec elle la grâce de sixties. En B, Sure Rose Wagner chante quelques morceaux, comme « She Owns The Streets ». Il sonne comme un vieux loup des sixties. Sharin vient se joindre à lui pour des chœurs magistraux. Ils recréent une magie qu’on croyait disparue. Le miracle se poursuit avec « Downtown », digne de la plus belle pop sixties californienne. On pense aux Byrds et aux Mamas & The Papas. Retour au Brill avec « Till The End ». Quelle prod !  Sune Rose Wagner chante et relance son truc indéfiniment, dans la splendeur d’un soir d’été. Sharin le rejoint à la brooklynaise, directe et dans détours.

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             Pe’ahi paraît en 2014. Sur la pochette, on voit un petit cran d’arrêt posé sur un fond vert d’eau. Si on l’écoute au casque, on est tout de suite indisposé par les machines. Ils flinguent successivement quatre morceaux et il faut attendre « Z-Boys » pour retrouver une pop de Brill apocalyptique. Ouf ! On se croit sauvé. Avec « A Hell Below », on ne peut pas espérer plus pop. Ils reviennent inlassablement à la source fatale qui est la pop du Brill. Deux autres titres mériteraient de défrayer la chronique : « When Night Is Almost Done » et « Summer Ends ». Le premier est une pop saturée de son. C’est à la fois beau et dingue. On a l’impression d’entendre un absolu de la grande pop oxygénée à l’extrême. Le second est une pop bien élevée montée sur un mouvement rampant, et comme l’ensemble est bien tempéré, ça passe comme une lettre à la poste. Ils cherchent à faire du Brill moderne, celui du temps des machines.

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             Et puis voici 2016 Atomized, ainsi nommé parce qu’ils firent chaque mois de l’année 2016 une chanson pour cet album. Trois coups de génie s’y nichent, à commencer par « Run Mascara Run », hit pop romantico bruité et mélodique - The palm trees burning down/ And your kisses are wild/ You smile at orange skies - Le deuxième coup de génie s’appelle « Wont You Leave Me Alone ». Elle lui dit qu’elle n’est pas faite pour lui -  Don’t sink your teeth in me/ try to understand where I’m at - C’est du pur druggy hell de bye bye tell me babe - You never had a chance/ I’m not the one you need - Belle démonstration de force ! C’est amené avec toute la puissance des Mary Chain. Troisième coup de magie pop avec « Fast Food ». Tout est explosé au son de Sune. C’est une horreur absolue, une désincarnation de l’incarnation. On parle ici de pop définitive. On assiste à l’assise du génie mélodique absolu : Sune Rose Wagner, oui, aussitôt après Totor. Il reste encore quelques grands cuts comme cet « Excuses », cut brillant, et même instinctif, au sens pop du terme. Sune y rase sa Rose. C’est vrai qu’on attend des miracles d’un mec comme Sune. Et puis t’as « Scout » - Looking so mean/ In faded jeans/ I’m ready to die - Encore un fabuleux décavement d’accès total, véritable blast caverneux d’extase à papa. Sune Rose Wagner envoie tout ça aux gémonies, il cherche un passage vers l’ailleurs. Difficile, à ce stade de décomposition orbitale. Dernier grand hit de cet album mirifique : « This Where It Ends », battu bizarrement et repris au bassmatic - Maybe one day/ I can live with myself - Sune envoie la légion au secours de son refrain magique. C’est énorme, sa pop emprunte une voie romaine. 

    Signé : Cazengler, saveonnette

    Raveonettes. Petit Bain. Paris XIIIe. 21 mai 2025

    Raveonettes. Whip It Off. Crunchy Frog 2002

    Raveonettes. Chain Gang Of Love. Columbia 2003

    Raveonettes. Pretty In Black. Columbia 2005

    Raveonettes. Lust Lust Lust. Fierce Panda 2007

    Raveonettes. In And Out Control. Fierce Panda 2009

    Raveonettes. Raven In The Grave. Vice Records 2011

    Raveonettes. Observator. Vice Records 2012

    Raveonettes. Pe’ahi. Beat Dies Records 2014

    Raveonettes. Sing. Cleopatra Records 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - Wade in the water

             Comment s’appelait-il déjà ? Ah oui, Fouad ! Petit et fluet, il ne prenait pas beaucoup de place. Il souriait toujours. On a dû lui demander une fois d’où il venait. De Tunisie. Mais il ne rentrait pas dans les détails. On se doutait que son père bossait à l’usine Renault. Il avait intégré notre petite bande sans rien dire de spécial. Il avait dû voir qu’il restait une place dans la bagnole, alors il avait demandé s’il pouvait venir avec nous. Pas de problème. Il était toujours bien habillé. Sa mère devait lui repasser ses pantalons car les plis étaient toujours parfaits. Elle devait aussi repasser ses chemises. Et ses petits mocassins noirs étaient toujours cirés. Il était bien coiffé. Il n’ouvrait le bec que si on lui posait une question. Il n’existait pas de mec plus gentil et plus transparent que Fouad. Quand on allait passer la soirée chez Jean-Claude, l’oncle qui tenait une boîte de nuit à la campagne, Fouad se mettait dans un coin et s’arrangeait pour ne pas se faire remarquer. Quand on arrivait à le déloger, il venait danser avec les autres et gardait le sourire. Il refusait poliment tous les verres qu’on lui proposait. On insistait, mais non. On rentrait à l’aube et on le déposait au pied du HLM où il vivait. Il nous serrait la main à tous les trois et nous souhaitait une bonne journée avant de disparaître dans la cage d’escalier. Au fil des mois, on avait fini par apprécier sa discrétion. On sentait qu’on pouvait lui faire confiance. On décida de lui proposer un baptême du feu. Il ne savait rien de nos activités «parallèles», alors on le mit au parfum. Ça n’eut pas l’air de l’effrayer. Il écoutait et restait concentré. N’importe qui à sa place aurait pris la fuite.  Mais il gardait son calme et hochait la tête en signe d’assentiment. On lui mit le «marché» dans les mains. Il s’agissait d’un braquage. Pas compliqué, tu entres, tu leur dis de se coucher au sol et tu fous ton calibre sous le nez du caissier. Il va te remplir le sac vite fait. On partage en 4. D’accord ? Fouad hocha la tête. Le lendemain, il mit sa cagoule, entra dans la banque. On attendait juste devant avec le moteur qui tournait. Fouad sortit de l’agence avec le sac plein, mais pas de pot, une balle le toucha dans le dos et le projeta en avant. On eut tout juste le temps de le récupérer et de filer. Les pruneaux sifflaient de partout. Il vivait encore. On alla le déposer dans sa cage d’escalier.            

     

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             Pendant que Fouad se fait trouer la peau, Wade trouait le cul de la meilleure Soul du monde, la Soul de Chicago, si tant est qu’elle ait un cul.

             Dans les early sixties, Wade Flemons fut une star de Vee-Jay, le grand label black de Chicago. Son premier hit fut «Here I Stand», un shoot de calypso demented. Wade Flemons fait partie des Soul Brothers arrivés dans le circuit avant la Soul. Il tapait pas mal d’hits signés Otis Blackwell et Curtis Mayfield. Il aurait pu devenir énorme, mais il est appelé sous les drapeaux en  1965 et ça va briser sa carrière. Deux ans plus tard, il tente de redémarrer avec Maurice White dans les Salty Peppers, qui vont ensuite devenir Earth Wind & Fire, mais sans Wade qui va alors sombrer dans les ténèbres, puis casser sa pipe en bois assez prématurément.

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             Pour se faire une idée du talent fou de Wade Flemons, l’idéal est de choper Here I Stand: 20 Greatest Hits. C’est le grand gourou de Chicago, Robert Pruter, qui en signe les liners. Wade Flemons est entre de bonnes mains. La compile reprend son unique album sans titre paru en 1960, plus huit autres vaillants cuts sans peur et sans reproche. Ça démarre bien sûr sur «Here I Stand», pur jus de Black Power. Il a un côté cha cha fabuleux, comme le montre «What’s Happening». C’est du wild r’n’b de juke magique. «Easy Lovin’» est l’un de ces grooves qui te font croire en Dieu, tellement c’est profond. Back street alley strut de Chicago. Flem est un prodigieux artiste. «It’s So Much Fun» sonne comme l’heavy balladif des jours heureux - It’s so much fun to be with you - Et puis voilà qu’il rend hommage à Jimmy Reed» avec «Ain’t That Lovin’ You Baby», bien axé sur l’axe, c’est du big barrelhouse avec des chœurs de jolly jollies, un solo de sax et un beurre au fond d’un son d’une étonnante résonance. Avec l’«At The Party» singé Curtis, il piétine les plates-bandes des petits culs blancs. Encore de la pop de zip zip boom avec «Keep On Loving Me», on le voit tournoyer comme Nicolas et Pimprenelle dans le Manège Enchanté. Il revient aux affaires sérieuses avec le «Please Send Me Someone To Love» de Percy Mayfield. Il le chante de l’intérieur du menton. Il fait la danse du canard sur «When It Rains It Pours», cut solide et bien déboîté, et il s’en va faire un tour à Broadway avec «That Other Place». Il tient rudement bien le choc du stay away from me baby.

             Avant de quitter cette planète, Jean-Yves m’envoya un ultime SMS pour me recommander l’écoute de Wade Flemmons et d’Harold Burrage.

    Signé : Cazengler, Wade Flemmard

    Wade Flemons. Wade Flemons. Vee-Jay records 1959 

    Wade Flemons. Here I Stand: 20 Greatest Hits. Vee-Jay Records 2000

     

     

    Lowland of thousand dances

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             Tu te demandes comment vont s’en sortir les Lowland Brothers : ils montent sur scène après Early James. Ils n’auraient peut-être pas dû prendre ce risque et accepter de jouer en première partie. Dès leur cut d’ouverture de set, on voit qu’ils

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    ne vont pas faire le poids, et pourtant leur son t’intrigue. Ces Dunkerquois ont un petit quelque chose qui s’appelle le feeling, et plus précisément le mec au chant, qui sous son bonnet, distille une Soul blanche d’une finesse extrême. Il s’appelle Nico Duportal et il n’est pas né de la dernière pluie. Il ne passe jamais en force, il fait

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    l’anguille, il opte pour la finesse et gratte des poux à discrétion sur la belle Jaguar blanche. Ils vont ramer, car ils savent qu’ils partent en mauvaise position, mais au fil des cuts, ils finissent par rétablir une sorte d’équilibre. T’as même hâte d’écouter leurs deux albums, pour retrouver l’éclat de certaines compos. Leur petit défaut

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    serait de vouloir jouer la carte du participatif, qui ne marche pas toujours en France. Par contre, ça marche très bien dans les églises en bois. Le club n’est pas une église en bois, mais bon an mal an, les gens claquent des mains à la demande. Et puis Duportal monte certains cuts au sommet du feeling, par la seule magie de sa voix. Il

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    ne t’en faut pas davantage. Pour un groupe qui part avec un handicap, c’est assez remarquable de les voir rafler la mise sur la seule foi de brillantes compos. Tu tends l’oreille et tu vois ce mec groover au micro comme un vétéran de toutes les guerres. Tu sais déjà qu’il faudra les revoir.

     

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             C’est avec un réel empressement qu’on s’installe pour écouter leur premier album sans titre paru en 2021. On retrouve cette belle Soul blanche bien balancée et l’excellent «Two Pounds Of Loaded Steel» qu’ils tapent en rappel. Duportal sait poser sa voix. Ses deux mamelles sont l’accent perçant et la science du smooth. Il sait aussi élever le ton. On le voit plus loin groover au paradis avec «Driftin’». C’est une merveille. «Share Your Load» est le cut d’ouverture de set, un cut puissant, monté sur un thème vainqueur, ils ouvrent des portes et l’infernal Max Bass vole le show avec un drive pharaonique. Ils swinguent encore la Soul avec «Love Reigns Over Me», un cut qu’ils placent en plein cœur de set. C’est une merveille absolue. Duportal pousse l’art de la Soul blanche dans les orties et vise l’imparabilité des choses. L’irrépressible Max Bass y fait encore des ravages. Tu te régales à écouter cet album, tu y retrouves tout leur enthousiasme scénique.

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             Bien sûr, tu retrouves les cuts qui t’ont tapé dans l’œil sur leur deuxième album, Over The Fence, et plus particulièrement ce «Shape Up» que Duportal groove au max des possibilités, et derrière les Brothers montent bien le groove en neige. C’est du pur Marvin d’I know Iaïeeeeee. Ce «Shape Up» est le cœur battant du set, un hit d’une ampleur considérable. Duportal re-rafle la mise avec un «Here Come The Shadow Heroes». Pas de problème, il peut chanter comme Eddie Kendricks, c’est un grand falsetteur devant l’éternel, il sait rester sur la note haute pour couler des couplets magiques. On retrouve l’excellent Max Bass dans «For A While» et tu te régales de cette belle atmo de Soul blanche. Les Brothers te soignent la Soul aux petits oignons. Oh quelle surprise : tu croises le nom de Don Cavalli, co-signataire d’un cut-hommage à Arthur Penn, «Little Big Man». Hélas, mille fois hélas, le cut ne fonctionne pas.  

    Signé : Cazengler, lowlarve

    Lowland Brothers. Le 106. Rouen (76). 16 mai 2025

    Lowland Brothers. Lowland Brothers. Wita Records 2021

    Lowland Brothers. Over The Fence. Underdog Records 2024

     

     

    Frankie teardrop

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             Avec un nom de groupe comme Frankie & The Witch Fingers, t’y vas en confiance. Tyva le cœur léger. Tyva en courant. Presqu’en sifflotant. D’ailleurs ça tombe bien, c’est le printemps. Au plus spongieux de ton for intérieur, tu te dis que tu vas passer une bonne heure au pied d’une magnifique brochette de rockers californiens. Et comme jolie petite cerise sur le gâtö, t’iras ramasser quelques beaux vinyles au merch. Il t’en coûtera un bon billet de 100, mais qu’est-ce qu’un billet de 100 comparé à l’univers ? Pffffff ! Rien ! Dans le feu de l’enthousiasme, tu monteras peut-être même jusqu’à 200, pfffff, tellement le grouillement graphique des pochettes psychédéliques agit sur tes muqueuses. D’ailleurs, avant le set, tu vas faire un tour au merch en éclaireur, histoire de t’humecter les trompes : ils sont tous là, bien étalés, comme des quartiers de viande, ou les poissons crevés du poissonnier, de 25 à 35 euros, pfffffff, tous en vinyles colorés, tous plus psychédéliques les uns que les autres, c’est à te damner pour l’éternité ! T’es déjà damné mais tu te re-damnes de bon cœur. Tu sens tes talbins palpiter au fond de ta poche. T’as même hâte que le set s’achève pour faire main basse sur toute cette collection de vinyles qui te font de l’œil comme le faisaient les putes, jadis, au bas de la rue Saint-Denis. Tu montes, chéri ? T’en bandes déjà.

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             Bon alors les voilà, les Fingers. Ils commencent par checker les instros pendant une éternité, ce qui n’est pas un bon présage. Check one ! Check one ! T’en repères deux en particulier : le blond au fond qui se prend pour John Dwyer, avec sa SG, son bermuda et ses tattoos jambaires, et la blonde à la basse qui s’est teint partiellement les cheveux en vert et qui porte une espèce de robe design-noire-moulante «à-ras-le-bonbon», comme le miaule Leo Ferré dans «C’est Extra». Elle va danser du pied droit pendant une heure et offrir aux smartphones qui la filment un sourire de madone punk. Les smartphones adorent ça. Les smartphones adorent n’importe

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    quoi. C’est leur raison d’être. La madone punk soigne son image et groove ses lignes de basse au mieux de ses possibilités. Dans son genre, elle est assez irréprochable. Ils se décident enfin à attaquer leur set. Tu entres assez facilement dans leur jeu. Ils développent une énergie qu’il faut bien qualifier de considérable. T’as un mec plutôt balèze au beurre, un autre qui tripote son synthé dans un coin, et un deuxième guitar slingler qui gratte les cordes d’une Strato, et qui prend des solos à consonance vaguement éruptive. Disons qu’il fait illusion. Ces braves Fingers font bien monter

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    leur neige, mais pour une raison X, ça n’accroche pas. Comme ils sont opiniâtres, ils vont tenter cut après cut de rafler la mise, mais la mise ne veut pas se laisser rafler. Bas les pattes ! Elle fait sa mijaurée. Alors ils insistent encore à coups de wild punk californien, le plus mauvais de tous, mais il plaît infiniment aux pogoteurs normands, ah il faut voir comme ça frétille dans la fosse ! T’as même un corps qui vole par-dessus les têtes et qui s’écrase malencontreusement sur les smartphones du premier rang. Ça devient assez burlesque. Crash dans les smartphones ! Et comme la mise continue de chipoter, les Fingers tentent le tout pour le tout, en tirant l’overdrive psychédélique, et t’as l’autre blondinet là-bas au fond qui fait son John Dwyer avec sa SG montée très haut sur la poitrine et ses tattoos jambaires, mais il n’est pas John Dwyer, il est même assez loin du compte. N’est pas Dwyer qui veut, baby. Et pour jouer un rock psychédélique californien digne de ce nom, il est préférable de s’appeler Anton Newcombe. Sinon, t’es mal barré.   

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    Signé : Cazengler, (bonne) Franquette

    Frankie & The Witch Fingers. Le 106. Rouen (76). 22 mai 2025

     

     

    *

             Waouh !!! quelle chaleur, cet air saturé d’humidité gluante, pas possible que je sois dans la bonne ville de Troyes, j’ai dû prendre une mauvaise sortie sur un giratoire, je dois être à  La Nouvelle Orléans, un peu distrait tout de même, j’ai traversé l’Atlantique sans m’en apercevoir, pourtant c’est bien le 3B au bout de la rue, remets-toi Damie, c’est le groupe que tu vas voir qui a effectué la grande bourlingue, des ricains, venus du Delaware, pour une tournée en Europe, un véritable experimental escape game en immersion totale avec la réalité américaine du rockabilly.

    TROYES - 3B – 31 / 05 / 2025

    KID DAVIS & THE BULLETS

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                    Z’ont mis le plus jeune au milieu. Avec sa casquette plate et ses cheveux longs Pat Kane arbore un look années 70. L’est solidement encadré, à sa droite Mickaël Rich Davis, cheveux court et Fender bleue, à sa gauche, Bobby Bloomindgale cheveux et collier de barbe neigeux au côté d’une immense upright agrémentée d’une monumentale volute. Nous avons exploré face à nous la base du triangle, ne reste plus qu’à rechercher, comme dirait René Char, le sommet dans lequel Paul Ramsey est  relégué  placidement assis, tout sourire, derrière sa batterie.

             D’abord on entend le son. Pas la musique. Le temps de nous accoutumer, à ce son inouï qui ne vient pas d’ailleurs mais de l’Amérique, sont sympas, ne se pressent pas, ne nous poussent pas, un instrumental, deux guitares, de temps en temps le riff survient, se déploie, disparaît, ni vu ni connu, c’est comme si on réapprenait à lire, l’on se cale sur les lettres les plus apparentes, les deux guitares, pour la couleur facile la Fender bleue pâle c’est Kid Davis in person, la bécane telecaster mordorée c’est Kane, c’est maintenant le temps de l’indécision, une chose certaine le puncher c’est Kid, quant à Pat l’on dirait qu’il ne casserait pas trois pattes à un canard, le mec fait semblant de gratouiller, puis lorsque  le capitaine Kid nous foudroie d’un coup de boule, le Pat qui n’est plus votre pot, vous fomente une torpille qui vous entortille dans les cordes du ring, du coup Kid rétorque par un percussif hâtif au-dessous de la ceinture, c’est là que Athéniens s’étreignent, impossible de savoir qui fait quoi, le résultat c’est le son prodigieux de ces deux guitares enchevêtrées. Apparemment la section rythmique marque le rythme, l’on les yeux sur les guitares, on leur fait confiance, lorsque brutalement le regard se pose par hasard sur les doigts  de Bloomindgale, des crochets, des pattes d’araignées qui courent vers une proie, on commence à comprendre pourquoi le son est si dense et en même temps si nerveux, l’air de rien il propulse la capsule sonore hors du champ de l’attraction terrestre, pas le temps de vous réjouir votre cerveau a enfin identifié le carillonnage de Paul Ramsey sur ses cymbales, vous distille un propergol solide capable d’édifier des pyramides.

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    (Photo : Michel Joubier)

             L’on a compris que l’on à faire à de super musicos. Alors pour ne pas trop nous perdre ils nous filent un super hameçon, un Summertime Blues torride, un Cochran adapté à nos temps de réchauffement climatique. Notre cœur de rocker palpite de bonheur. Surprise, après le hors d’œuvre suit le cours de rockabilly in extenso, pur jus d’americana. Pas de blabla, juste des faits. Par exemple vous voudriez savoir ce que c’est que le surfin, et paf ils vous embarquent dans un cours de glisse sur les grosses lames du Pacifique, tout ce que les guitares doivent savoir faire et comment contrebasse et batterie y mettent du cœur. Des pédagogues, prennent leur temps, la pente, la crête, la descente, les arrêts brusques les dérapages incontrôlés totalement contrôlés. Dix minutes de technique pure. Petite récréation : le slow brûlant, saisir sa cavalière, la faire tanguer longuement de tous les côtés, l’enivrer, ne plus la lâcher, enfin le coït terminal. Vont-ils nous refaire un rock pur jus ? Attention les gars n’oubliez pas le country, très roots, très cowboy, très ranchy, la course des long horns, le corral avec la bagarre qui va avec, la joie du cavalier solidaire sur son cheval, qui jumpe joliment, toute l’Amérique défile devant vous.

             Font une pause. Sidération générale L’on en profite pour reprendre nos esprits. C’est un peu comme si Aristote était venu nous faire un cours De la Nature du Rockabilly. Le deuxième set débute par Be Bop A Lula, Twenty Flight Rock, plus tard Rock This Town. Que du bon ! Dans leur style. Ne vous crachent pas le morceau, expédié-oublié, vous le cisèlent, vous en montrent les beautés cachées, ne vous le dés-art-iculent pas à la façon du Led Zeppe, un tempo légèrement ralenti pour vous en donner plus, les morceaux en sont transfigurés, Kid Davis se lâche, vocal uppercut à l’arrache et coup de tabac sur la Fender, c’est sa technique, des accélérations foudroyantes et aux copains de s’emparer du bébé pour l’emmailloter, le dorloter, lui faire risette, et chacun fait de son mieux, un festival, vous repeignent le troupeau d’éléphants en des couleurs que vous n’auriez jamais imaginées, les cordistes se partagent le vocal et Bloomingale nous étonne, certes il ne chôme pas sur son cordier, mais son vocal est extraordinaire, du country-cow comme vous n’en avez jamais entendu, des changements d’intonation mirobolants, un débit hyper fluide, et des espèces de yodels assassins à vous couper le souffle, abruptement la température  explose.

    Nouvelle pose. On ne le savait mais on n’avait encore rien vu, rien entendu. Un Honey Don’t manière de quitter le parking, un Johnny Cash à finir ses jours à Folsom, et le grand jeu. Durant les deux premiers sets,  Kid a un peu maltraité sa guitare, on ne dira rien de ses arrêts hyper brusques,  l’a commencé à la frotter contre le pied de son micro, vous savez les mauvaises habitudes, tout compte fait l’a décidé que de ne jouer que d’une seule main, laissant le micro prendre son pied à jouer en slide,  devant les acclamations, Billie debout sur deux tables lui laisse la place lorsque le Kid nous fait le coup de jouer avec sa guitare dans le dos, puis il la pose sur la table comme un dobro, humecte les cordes avec un fond de bière et s’amuse à passer les notes avec le cul d’un verre,  idem avec un portable qu’une âme compatissante lui tend, enregistrement direct live, c’est au tour d’un briquet allumé de remplacer le téléphone, un petit slow sirupeux pour calmer la poudrière, puis un Tear it Up à démâter un brick pirate, on ne veut plus les lâcher, des vieux loups de mer, trente ans qu’ils sont dans le circuit, sortent l’âme fatale le That’s Allrigt Mama d’Elvis.

    Quelle soirée ! Le rockabilly du Delaware ce n’est pas celui de la Champagne pouilleuse ! Ovations ? remerciements… Un dernier scoop : Béatrice la patronne à qui l’on doit toutes ces soirées merveilleuses a changé de coiffure ! The girl can help it !

    Damie Chad.

     

    *

             Dans notre livraison 683 du 27 mars 2025 nous regardions la dernière vidéo d’Ashen Crystal Tears, dans notre introduction nous déplorions l’absence d’un nouvel album qui regrouperait certains titres déjà parus en vidéo et d’autres nouveaux. Nos vœux ont été comblés. La sortie de l’album Chimera, 12 titres, est prévue pour le 13 juin de cette année. Coup double, en avant-première est parue ce 15 mai une nouvelle vidéo d’un des prochains titres.

    COVER ME RED

    ASHEN

    (Out Of Line Music  / Mai 2025)

    (Réalisation : Bastien Sablé)

    Clem : chant / Tristan : drums / Antoine : guitar / Niels : guitar.

             A première vue, je parle des six premières secondes c’est raté. Ashen et Sébastien Sablé le producteur de la vidéo nous ont habitué à des mises en scène davantage baroques. Tellement déçu par le décor minimaliste vous ne faites même pas attention à la statue toute rouge perdue dans les grosses lettres rouges qui accaparent  tout l’écran au milieu de ce hangar désertique. Un vaste local, genre parking sans voiture, atelier sans machine, pour les images suivantes, ils ne donnent pas dans l’originalité, dans ce grand ensemble vide, une formation rock, je trio de base, deux guitares blanches, un batteur derrière une batterie transparente, devant le chanteur haut rouge, large panta-jupe noir à pattes d’éléphanteau pataud. C’est à ce moment que vous entendez le son. Ce n’est pas tout à fait de la musique. Ce n’est pas du tout du noise non plus. Un son battérial et guitarique claqué. En avez-vous déjà entendu de semblable ? En tout cas, à voir les musiciens s’activer l’on en déduit que sa production doit exiger une énergie froide. Une espèce de fureur congelée.  Clem est au micro. Un vocal de rorqual. Un vocal de racal. Ne vous en voulez pas si vous n’avez jamais entendu ces deux animaux vagir. Le gosier de Clem émet un son

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     inqualifiable, un peu comme s’il passait une tringle de fer tout le long de son larynx, la seule chose que vous comprenez ce n'est pas qu’il n’est pas content, état de mal-grâce qui relève de l’anecdote circonstancielle, c’est qu’il n’est pas heureux ce qui trahit une état d’in-transe métaphysique. Jusque-là tout serait parfait s’il n’y avait pas cette ombre, grise, noire, rouge qui s’immisce un tiers de seconde entre les images. Clem vous regarde, ses cheveux bouclés, ses yeux pointus, ses mains crochues, désolé il ne s’intéresse pas à votre personne, il parle à quelqu’un, se tourne-t-il vers ses musiciens pour les scalper de son vocal agressif, il cause à lui-même, mais chaque fois que l’on pense en sa tête ne parle-ton pas à soi-même, plus grave, de temps en temps, le temps d’un éclair sa tunique rouge se couvre d’appendice dégoûtantes, des tuyaux d’extraterrestres ou des tubulures de homard ébouillanté, épouvanté. Etrange phénomène, l’inconnu rouge apparaît de plus en plus souvent entre les images, bientôt l’on ne sait plus s’il ressemble à Clem ou si c’est Clen qui lui ressemble, peut-être mêmes tous deux n’en forment-ils qu’un, mais chacun séparé de l’autre, les deux moitiés d’un androgyne platonicien qui se retrouveraient mais qui ne parviendraient pas à s’harmoniser en une seule identité harmonieuse,  maintenant Clem rampe sur le plancher à la manière d’une panthère rouge qui se serait mordue et recouverte de son sang, le monstre se rapproche, il grandit, sa tête doit toucher les verres du toit, prend la pose, il étend ses bras

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    maléfiques à la manière du Christ, il semble que désormais sa tête ressemble à celle de Clem, Clem crie, le monstre clemique hurle, est-il descendu de l’astral dans lequel il donnait l’impression de flotter, maintenant il mache sur le sol, d’un pas décidé, c’est le plus beau moment du clip, la musique s’arrête presque, on ne l’entend presque plus, et le délire tempétueux reprend, il vient, il se penche, il crie, la voix de Clem l’habite, à croire que c’est son frère jumeau qui ne lui ressemble pas, d’une autre nature, qui l’invective, peut-être souffre-t-il autant que Clem, peut-être est-il Clem lui-même, ou peut-être Clem est-il lui, l’on ne sait pas, l’on ne sait plus, Clem seul devant l’orchestre, il se tourne vers le trio, le morceau est fini, la crise schizophrénique est terminée. Tous marchent normalement, d’un pas serein Clem quitte la répétition. Croyez-vous qu’il ait vaincu le monstre, qu’ils ont fait la paix intérieure. Que l’un et l’autre ne sont que la continuation de son alter ego. Mais sous une autre forme.

             L’on est toujours séparé de soi-même. Et de l’autre.

             Splendide.

    Damie Chad.

     

    *

                Rien de plus attirant que ce que vous ne comprenez pas. Avec ce groupe vous êtes servi. Viennent de Buffalo, ville située tout près des chutes du Niagara. Les lieux d’où l’on provient s’immiscent-ils plus ou moins dans nos représentations du monde ? Disons que contrairement aux volatiles embruns neigeux dégagés par ce site touristique américain, leur musique roule une écume aussi noire que la nuit abysmale…

    ESSENCE OF THE VAST EXPANSE

    MOGRA

    (Ancestral Flame Production / Mars 2025)

    Mogra, je concède que c’est un mot gras, obscur dont la signification n’est pas évidente, consultez votre dictionnaire de botanique, attention ce n’est pas simple, trois plantes différentes revendiquent  leur appartenance à la famille des mogracées, dont une qui n’en fait pas partie, que voulez-vous il y a toujours des resquilleurs, pour les deux qui restent élisez la première acception, ignorez le Jasminum Sambac, si malgré ces conseils avisés vous hésitez, choisissez celle qui se nomme Tuvaraka en langue sanscrite. Considérée à tort par certains comme l’idiome originel de l’Humanité, que voulez-vous pour les plantes, davantage que pour tout autre vocable, il est normal de rechercher la racine. Si vous êtes atteint de la lèpre, mâchonnez quelques feuilles et quelques fruits de cet arbuste, le prince Rama en personne, pas n’importe qui, le héros mythologique du Râmayâna, une épopée indienne dont vous vous empresserez de lire les 84 000 vers aussitôt cette kronic terminée, s’est  ainsi débarrassé de cette terrible maladie…

    Pour l’identité du groupe je suppose que loin d’être des aficionados des Ramones, ils se contentent de se cacher derrière le mur de l’anonymat : Chris Wall : drums / Mick Wall : guitars / Mike Wall : guitars. En plus c’est nous qui devons avoir des oreilles pour les écouter.

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    Vos yeux sont-ils bons ? Vous en aurez besoin pour déchiffrer la couve. C’est tout noir avec une tache blanche. Immédiatement, vous pensez aux eaux mouvantes et tumultueuse du Niagara. Z’habitent tout près. Oui mais si vous fixez l’image une demi-minute, ne serait-ce pas un paysage nocturne de montagne sur lequel subsisteraient quelques arpents de neige. Perso je devine même le rebord pierreux d’un cratère de volcan dans lequel giseraient quelques névés résiduels. Vous n’êtes pas obligés de me croire.

    Je suis sûr que le Cat Zengler qui adore cette expression traduirait le titre : Essence of the vaste expanse par Extension du domaine de la lutte. Ce qui n’est pas mal du tout. Quant à moi, je me demande si quelque chose en train de s’épandre, un peu comme la couleur tombée du ciel de Lovecraft peut se plier aux règles philosophiques d’un cadre essentiel. Et si cette expansion n’était pas l’évocation de la lèpre qui étend son royaume blanc sur la chair d’un malade… Evidemment, il existe quelque chance pour que le terme de lèpre soit employé en un sens métaphorique de lèpre mentale. Dans ce cas-là vous avez sûrement besoin d’une cure urgente et mograïte…

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    En 2021, ils ont déjà sorti un EP de deux titres explicites. Une couverture explicite. Un oiseau de nuit (= Nött) une effraie blanche perchée entre deux branches dépouillées de feuilles d’un arbre dont la ramure nue s’inscrit sur l’abîme (= Abysm) de la nuit.

    Sur celui que nous écoutons les titres sont réduits à leur propre impersonnalité numérique :

    : imaginons un moteur de bathyscaphe en plongée, descente intérieure cela va de soi, les poissons grisâtres que vous entrevoyez lentement se mouvoir dans les eaux troubles des grandes profondeurs sont les concepts décolorés qui hantent vos pensées. Ils ne sont pas nombreux et ne se livrent à aucune gymnastique intellectuelle, ils s’approchent, vous ne savez point les retenir, ils glissent sans se presser, ils savent que jamais vous n’aurez assez d’influx et de vigueur pour les retenir dans votre pensée. Si la musique est si lente, si noire, c’est que vous êtes dans l’incapacité de penser, ce sont les concepts qui vous pensent, ils vous guident dans cette descente interminable, si le background est chargé d’angoisse, de grésillement mais aussi d’excitation, c’est uniquement parce que vous êtes l’objet passif de leurs réflexions, ils se livrent à une expérience qu’ils n’ont encore à ce jour jamais tentée, faire de l’homme pensant un homme pensé, vous voici sujet d’étude, une espèce d’éponge vivante alourdie par le poids de son ignorance passive, qui s’enfonce doucement, sans bruit, sans colère, sans curiosité en une dimension dont vous êtes incapable de fomenter ne serait-ce qu’un semblant d’idée. Pas de parole, vous subissez une espèce de scanner instrumental dont les résultats ne vous seront jamais communiqués, qu’en feriez-vous, quelles déductions pourriez-vous en tirer ? Aucune. Heureusement que votre pensée pense pour vous. Ne vous êtes-vous jamais douté, qu’à une stase superficielle de communication avec les autres, c’est le langage qui parle pour vous, qu’il vous enveloppe comme un suaire et que l’ossature conceptuelle forme le boulot de canon qui vous entraîne obstinément vers le fond. Musique amplifiée pour marquer votre stupide stupéfaction, de comprendre que vous n’êtes rien d’autre que le jouet de ce que vous n’êtes pas. II : sérénité musicale, vous êtes-vous engoncé dans le paradis, le nirvana ou tout autre état comateux de l’intelligence abolie, quelles sont ces vagues sonores qui vous assaillent, prenez-vous enfin conscience grâce à ces électrochocs, hélas déjà enfuis au loin, de qui ou de quoi vous êtes le résultat, bruissement, les concepts se hâtent-ils de fuir, ont-ils compris l’inanité de leur démarche, a-t-on une seule fois réussi à réveiller de sa léthargie une momie du désert enfouie dans les tombereaux des sables égyptiens, ce qu’il y a de sûr c’est que vous ne vous êtes jamais cru, avec raison, autrement que comme identifiable à vous-même, que comme cette infinitésimale présence endormie de vous-même, dont  déjà les spectographes braqués sur votre corps rendent compte de l’inanité.

    Damie Chad.

    P. S. : nous avons pu nous procurer le rapport scientifique qu’a suscité cette étude méticuleuse. Il est très court. De fait il n’y a rien à signaler si ce n’est la fiche technique que nous recopions in extenso : ‘’ Un mélange viscéral de post-black metal, de doom et de slowcore, agrémenté d'accords massifs imprégnés de distorsion provenant de Big Muffs vintage et d'amplis à lampes, vous plongeant dans une expérience atmosphérique et écrasante.’’ Est-il vraiment nécessaire d’ajouter que les amplis à lampes n’ont jamais ne serait-ce que par un seul petit clignotement qu’ils auraient rencontré en vous un minuscule atome de véritable présence.

     

    *

             La semaine dernière, dans notre présentation des premières images filmées de Gene Vincent, nous avons mangé notre pain blanc. Trois séquences extraites des Town Hall Party de Gene Vincent enregistrées en public. Certes des prestations télévisées un peu spéciale, rien à voir avec un véritable concert donné dans une ‘’véritable’’ salle de concert devant un public venu librement voir leur idole… Pour cette semaine nous retournons en arrière puisque nous commençons en 1956. Hélas nous n’aurons droit qu’à du playblack !

    *

    THE GIRL CAN’T HELP IT

    (01 / 12 /1956)

             Par contre niveau qualité d’image et sonore nous jouons sur du velours. Une séquence tirée d’un film à grand succès. Ce n’était pas un film pro-rock’n’roll. Une comédie : un producteur sur le déclin qui s’obstine à transformer la fiancée de son patron jouée par Jayne Mansfield  en chanteuse. Un seul problème, elle ne sait pas chanter. Pas de panique, les chanteurs de rock’n’roll, de véritables égosilleurs que l’on aperçoit sur les chaînes de télévision ne chantent pas mieux qu’elle… Un scénario pas très finaud mais qui permet de voir Little Richard, Eddie Cochran, Fats Domino, les Platters et bien sûr Gene Vincent. Un régal pour la jeunesse rock qui n’en croyait pas ses yeux, d’autant plus que La Blonde et Moi, bénéficiait d’une pellicule couleur ! Un must !

             Bien sûr les passages de nos idoles étaient, continuum du scénario oblige, de temps en temps entrecoupées de rapides images des acteurs ou d’interjections peu amènes, mais faute de grives l’on est prêt à avaler sans rechigner le moindre merle adjacent.

             La séquence est bien connue. Attention sur Beat Patrol TV lors des deux soli de guitare  apparaît une photo hommagiale à Cliff Gallup, l’auteur de ces déraillements guitariques jamais égalés… Pour la petite et la grande histoire du rock’n’roll les deux guitaristes originaux des Blue caps Cliff et Wee William sont rentrés à la maison, fatigués des tournées et… n’étant pas spécialement des mordus de rock’n’roll !

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             Certes la caméra s’attarde su Gene, qu’est-ce qu’il est jeune et beau ! L’on sent l’énergie et l’on devine qu’il  se retient, pas de pitreries s’il vous plaît, faut que les spectateurs en aient pour leurs mirettes. Certes ça tangue, mais le groupe reste à sa place, les plans de scène sont parfaits car la caméra les cadre tous, Paul Peek à notre gauche à la rythmique, Russel Willifred sur notre droite à la lead, Gene rayonnant au centre, au fond légèrement à droite Jack Neal à la contrebasse et au centre légèrement décalé par rapport à Gene, Dickie Harrell le batteur fou.

             Sur les murs de grands portraits de musiciens classiques. Il était prévu qu’à la toute fin de Be Bop A Lula les portraits des grands ancêtres s’écroulaient… Un beau symbole. Mais au montage la fin du morceau a été coupé… Aucun respect pour le rock’n’roll ! La fin iconoclaste de la séquence n’a jamais été retrouvée… A-telle vraiment été tournée…

    THE ED SULLIVAN SHOW

    (17 / 11 / 1957)

             L’émission Ed Sullivan Show diffusée le dimanche soir sur CBS de 1948 à 1971 est devenue mythique. Tous les grands artistes de ces années fastes se devaient d’y passer… L’on a beaucoup glosé à l’encontre d’Ed Sullivan, nous ne rentrerons pas dans ces stériles querelles. Nous rappellerons que ce ne lui fut pas toujours facile de s’obstiner à passer des artistes noirs sur l’antenne dans une émission de large audience regardée par un public blanc…

             Il m’étonnerait que notre présentateur ait connu le Sonnet 48 des Amours d’Hélène de Pierre Ronsard, pourtant la mise en scène choisie pour présenter  Gene Vincent et les Blue Caps dans la structure triangulaire dans laquelle sont enfermées le groupe présente d’étranges relations avec le poème du chef de la Pléiade…

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             Attention, émission diffusée en noir et blanc, ne nous plaignons pas, les costumes clairs de nos chers protagonistes permettent de mieux apprécier leurs mouvements.  Sept sur scènes regroupés en un triangle isocèle. A la base Gene flanqué de ces deuc clappers boys, Tony Facenda et Paul Peek. Au sommet tout en haut Dickie Harrel l’on ne voit pas sa batterie mais il lève si haut ses baguettes comme s’il s’apprêtait  planter ses banderilles dans le dos d’un taureau furieux, Max Lipscomb, flanqué de Jonhhy Meeks et de Bobby Jones fendent l’air de leurs Fenders.

             J’ignore si le réalisateur Jean-Christophe Averty a eu le privilège de visionner ces images, lui qui aimait au début des années soixante à bousculer le regard des spectateurs français en découpant en tranches géométriques les écrans des télévisions familiales… Car dans ce clip, les musiciens sont encadrés par deux couples de danseurs endiablés, confinés sur deux étroites  bandes verticales de l’écran désormais partagés en trois, Gene et ses sbires bleus, tantôt  au centre, tantôt sur la moitié gauche puis droite, successivement réfugiés dans la moitié supérieure et ensuite logiquement dans la moitié inférieure…

             Une mise en place qui évoque les mises  en scène des théâtres de Broadway, de temps en temps passe le fantôme de Charlot… Dans la gesticulation des Blue Caps, ils interprètent (en playback) Dance To The Bop l’on décèle aussi de la pantomime. Et peut-être même ne résisterons-nous pas à citer le black face. Les racines noires du rock’n’roll puisent beaucoup plus profond qu’on ne l’admet.

    BIG D JAMBOREE

    (  Octobre 1958)

    Il est difficile de dater avec précision ce troisième document, sur Beat Patrol 2 Gene Vincent Collection 1956 – 1965 il est daté avec in point d’interrogation du 24 octobre. Notons que le 25 octobre, Gene était à Los Angeles pour sa première participation au  Town Hall Party  Une vidéo unique apparue sur You Tube voici quelques années, l’auteur est anonyme. C’est un film. Pris au Big D Jamboree en 1958.

    Le Big D Jamboree est une émission à l’origine (1948) de radio puis très vite de télévision diffusée sur CBS, filmé au Sportatorium de Dallas. Cette émission, de la même veine que le Town Hall Party (voir livraison 692) était un passage quasi-obligatoire qui offrait aux artistes country un accès au Louisiana Hayrade et au Grand Ole Opry.

    Elle n’hésita pas à s’ouvrir à programmer la courbe ascendante country-hillbilly-rockabilly-rock’n’roll approuvée et soutenue par un public plus jeune : voici quelques participants issus du milieu rock : Carl Perkins, Johnny Carrol, Warren Smith, Ronnie Dawson, Charlie Feathers, Wanda Jackson auxquels nous ajoutons Johnny Cash, Willie Nelson, Lefty Frizzel, et bien sûr Hank Williams.

    David Dennard, il fit partie dans les années 60 du groupe Novas et une vingtaine d’années plus tard de Gary Myrick & The Figures… au nom de cette formation l’on sent le nostalgique, il se mit à rechercher dans Dallas des archives du Big D. Il découvrit ainsi Ronnie Dawson et fut bientôt attiré par Gene Vincent… Il finit par apprendre que le Country Music Hall of Fame de Nashville possédait des transcriptions sur acétate de concerts du Big D. Ces enregistrements furent effectués  par l’Armed Forces Radio Network pour soutenir le moral des boys envoyés en Corée. Hélas il ne trouva que seize enregistrements. Le reste se trouvait à la Bibliothèque du Congrès à Washington D.C.. Il trouva un trésor 120 disques, un seul attribué à Carl Perkins, tout le reste sans aucune annotation…

    Rectification : il avait cru trouver un trésor. La dizaine de disques qu’il confectionna à partir de ces acétates se vendirent à moins de 2500 exemplaires. Seul le cd The Lost Dallas Sessions de Gene Vincent, paru en 1998, réalisé à partir de 19 concerts de Gene atteignit 6000 exemplaires, tous pays confondus…

    Nous reviendrons sur ces Dallas Sessions, mais dans cette série nous nous intéressons aux images. Ultime notification qui possède son importance : la caméra de notre illustre inconnu n’enregistrait que les images. Pas le son ! Ne soyez pas déçus, un des enregistrements radio de David Dennard colle parfaitement, du moins nous faisons semblant de le croire, aux images…

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    Soyons juste, on n’y voit pas grand-chose. Ce serait un mensonge d’affirmer que l’on y voit que du noir. En fait c’est le rouge qui prédomine. Le rouge des costumes des scène des Blue Caps. Soyons précis, surtout celui des clappers boys. Dans son livre irremplaçable Gene Vincent Dieu du rock Jean-William Thoury cite Johnny Meeks et Max Lipscomb aux guitares, Clifton Simmons au piano, Bill Mack à la basse, Butch White à la batterie, et ne mentionne pas de boys aux jeux de mains et de vilains, font tout de même une prestation éblouissante, propulsent Dance to the bop à la vitesse d’un hors-bord, quant à Gene vêtu de sombre, tout comme la panthère Noire de Leconte de Lisle faut avoir des yeux aigus comme des flèches pour le distinguer dans l’obscurité, au début l’est à votre droite, ensuite il semble entouré de ses musiciens, par contre l’on discerne pour la première fois ses jeux de micros qui feront sa renommée. En tout c’est un joyeux foutoir, un superbe micmac qui donne une idée de ce que fut l’explosion rock…

    HOT ROD GANG

    (Mars 1958)

            Nous terminerons comme nous avons commencé par des images tirées d’un film. Nous ne nous attarderons pas sur le synopsis, puisque je possède la cassette que je présenterai dans un prochain épisode. Nous nous contenterons des trois morceaux que Gene interprète, en play-back. Contrairement à The Girl Can’t Help It, Hot Rod Gang ne bénéficie pas de la couleur…

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             Encore Dance in the Street mais personne ne se plaint, l’occasion de voir de plain-pied le jeu de scène de Gene Vincent and the Blue Caps, car c’est bien d’un groupe, à part entière, même si au fil des tournées les changements, les départs et les retours sont nombreux. Plus je regarde ces vidéos, plus je me dis que si Gene a été si rapidement oublié par le public américain malgré la reconnaissance et le respect qu’il avait acquis durant les trois premières années de sa carrière, et malgré un comportement un peu erratique dû à sa blessure et  l’alcool, c’est parce que chez ce rocker blanc dans son jeu de scène, de par son aisance, et la chorégraphie de ses boys, il y avait en ses prestations quelque chose d’indéfinissablement, inconsciemment, fautivement, ressenti par le public blanc, des origines noires du rock’n’roll. Ce qui est d’autant plus ironique c’est que Gene (n’oublions pas Eddie Cochran) est celui qui  a œuvré à la métamorphose du rockabilly en rock’n’roll… Gene au centre, Clifton Simmons totalement excentré à notre gauche en train d’abîmer son piano. Les Clappers, Facenda et Peek, moins délirants que sur la pellicule précédente, l’encadrent tels des serre-livres atteints d’une irrémissible maladie de Parkinson, gros plan sur le visage de Gene, visage épanoui, les yeux levés vers le ciel, à croire qu’il voit des oiseaux bleus voleter sur l’arc-en-ciel, et cette voix qui coule sans fin à la manière d’un torrent sautant de rocher en rocher, les Clappers jetés à genoux, les guitaristes inclinés, c’est à peine si l’on entrevoit Juvey Gomes aux tambours, l’on se dit que ça va s’arrêter mais ça continue comme si l’instant présent ne devait jamais se terminer. Félicitations pour les plans de la caméra.

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             Passons les scènes intermédiaires surtout que retentissent les premières notes de Baby Blue. Difficile de savoir si c’est la caméra ou la figure en lame de couteau de Gene - nous quittons les scènes intermédiaires légères, pour ne pas employer les mots gnangnan et rigolotes - nous entrons dans le drame, pourtant tout le monde sourit, Gene, ses acolytes et le public qui se dandine comme des canards qui vont à la marre… l’on ne sait pas pourquoi Gene chante Baby Blues mais l’on entend, l’on voit Antigone, cette pose tous à terre, la silhouette noire de Gene dressée tel le pistil du destin et les vestes blanches des musiciens pareilles aux pétales affalés d’une fleur fanée, sourire extatique sur les lèvres, à croire que la mort et l’éros sont une seule et même chose, et le déchirement final qui surgit comme le vent de la tentation de vivre, puis les dernières notes effacées, crépusculaires… It’s all over now, baby blue, ajoutera Bob Dylan.

    Damie Chad.

    A suivre.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 683 : KR'TNT ! 683 : DON NIX / MAIDA VALE / LARRY WALLIS / LINDA JONES / FONTAINES DC / THE COOPERS / ASHEN / NIGHTSTALKER

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 683

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    27 / 03 / 2025

     

    DON NIX / MAIDA VALE

      LARRY WALLIS / LINDA JONES  

    FONTAINES DC /THE COOPERS

     ASHEN / NIGHTSTALKER

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 683

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

    Wizards & True Stars

     - Superso-Nix

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             Par miracle, le fameux Road Stories And Recipes de Don Nix reparaît sous le titre Living High Laying Low. Non seulement il permet de se replonger dans les souvenirs passionnants de l’un des pères fondateurs du Memphis Sound, mais il permet aussi d’admirer l’une des plus belles photos de signature de contrat qu’on ait pu voir ici-bas : Don change la roue arrière d’une Cadillac tout en signant son contrat posé à terre. Assis par terre devant lui et adossé contre la bagnole, Denny Cordell, boss de Shelter Records, lit un journal et pointe un flingue sur Don. Et debout derrière Don se tient l’un de plus fabuleux dandys de la scène américaine, mister Tonton Leon en personne, en lunettes noires, cigare au bec et vêtu d’un costard croisé à rayures. Wow ! Voilà ce qu’on appelle une image ! Et elle donne bien le ton du livre.

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             Don Nix vient de casser la pipe en bois, aussi recueillons-nous au bord du trou pour un ultime hommage.

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             Comme Robert Gordon et Jim Dickinson, Don Nix fut un touche-à-tout de la scène de Memphis : il a démarré dans les Mar-Keys avec Packy Axton, Steve Cropper et Dickinson, puis il est devenu pote avec John Fry d’Ardent, Jim Stewart de Stax, Furry Lewis du blues et Leon Russell du Wrecking Crew - John Fry was the grandfather of Memphis music. Il y a trois personnages importants dans ma vie, en matière de music business : Leon Russell, John Fry et Jim Stewart. Leon m’a appris à produire, John Fry m’a donné la clé de son studio, de sorte que je pouvais aller y travailler quand je voulais. Jim Stewart m’a engagé comme producteur et compositeur et a fait paraître quatre des albums que j’ai produits - C’est sans doute Jerry Wexler qui donne la meilleure définition du Nix : «A pioneer mover-and-shaker (and one of the finest of the breed) [Nix] came out of the Memphis/Muscle Shoals matrix along with compeers like Steve Cropper, Packy Axton and Jimmy Johnson - These country-friend originals who took the left turn to the blues. And who left their incredible mark on American root music.» Voilà ce qui s’appelle un hommage. Don Nix peut être fier de ce coup de chapeau. Il évoque d’ailleurs le Memphis Sound à sa manière : «C’est un son qu’on ne pouvait pas mettre en boîte pour l’emmener à L.A. ou New York. Ce n’était pas seulement un son. C’était surtout des gens - les écrivains et les musiciens de Memphis - qui l’incarnaient.» Il cite alors les noms de Sam Phillips, Dewey Phillips, Jim Stewart, Estelle Axton et Willie Mitchell - C’est un son qui a explosé à la face du monde, mais dans les années soixante-dix, il était en train de mourir. Si vous me posez la question, je vous répondrai qu’il fut mortellement blessé le jour où Martin Luther King se fit descendre et depuis, le Memphis Sound n’en finit plus d’agoniser - Don raconte qu’après l’attentat qui coûta la vie au Dr King, les rapports de voisinage avec la population noire devinrent compliqués.

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             Il avait aussi d’autres amis, et d’ailleurs, c’est là-dessus qu’il termine son livre : «Mes meilleurs amis sont tous morts - George Harrison, Joe Cocker, Duck Dunn. Et la liste s’allonge. La musique a été toute ma vie. C’est que j’ai le plus aimé. J’ai eu le privilège de jouer avec le Stax band, le Wrecking Crew, avec mes amis à Muscle Shoals et tous les mecs d’Apple. Personne n’a eu une vie meilleure que la mienne. J’aurais pu mourir voici quinze ans, content d’avoir vécu tout cela.» Mais Don vit encore et on trouve son portait dans l’excellent Memphis Soul de Thom Gilbert. Il est même plutôt bien conservé.

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             À la différence de Jim Dickinson, Don Nix n’est pas un écrivain. Mais il fait des photos. Il dispose en outre d’une bonne mémoire et d’un caractère bien trempé : il décide en effet très tôt qu’il fera ce qu’il veut de sa vie et qu’il ne recevra d’ordres de personne. Il traîne avec Packy, Duck Dunn et Steve Cropper et monte sur scène pour la première fois en 1958. Il précise aussi que sa mère avait du sang indien dans les veines et son arrière-grand-père était un métis Cherokee qui servit dans le 5e de Cavalerie de Caroline du Sud pendant la Guerre de Sécession.

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             Il consacre des pages émouvantes aux derniers jours de Dewey Phillips, à Furry Lewis dont il fut particulièrement proche, à Joe Cocker qu’il côtoya pendant des mois, à John Mayall dont il fait un portrait sidérant, celui d’un homme de la Renaissance qui construisit sa maison de Laurel Canyon de ses propres mains. Mayall n’est pas seulement musicien : il est aussi tailleur de pierre, charpentier, il coud lui-même ses vêtements et adolescent, il vécut dans une maison en bois qu’il avait aussi construite de ses propres mains. Dans sa maison de Laurel Canyon se baladaient des filles nues. Comme Tonton Leon et David Crosby, Mayall pratiquait l’hédonisme, un mode de vie dont raffolait aussi Don. Un autre portrait sidérant, celui de Jeff Beck dont il fait la connaissance à l’époque de Beck Bogert Appice. Il ne supporte pas les deux Yankeees et il demande à Jeff comment il fait pour les supporter. Jeff lui répond que c’est une décision de son management, et même s’il n’est pas très content de se projet, il se dit décidé à jouer le jeu. Mais Don remarque que Jeff est un homme infiniment triste. Il paraît déprimé la plupart du temps, sauf quand il joue.

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             Comme Don a commencé par écumer les États-Unis d’Amérique avec les Mar-Keys, il regorge d’anecdotes et de road stories, comme par exemple ce souvenir de Lee Dorsey sur scène qui était tellement bourré qu’il fallait le faire asseoir pour qu’il chante quatre ou cinq chansons. Mais même soûl comme un Polonais, Lee chantait encore mieux que les autres. Les Mar-Keys ont aussi la chance d’accompagner Chuck Berry qui les prend à la bonne, sans jamais leur adresser la moindre parole. Don voit donc la naissance de Stax à Memphis, avec des nouvelles têtes qui traînent dans les parages, un jeune étudiant nommé Booker T. Jones, et un certain Isaac Hayes qui travaille à l’usine d’emballage de viande. C’est aussi l’époque ou Furry Lewis est balayeur municipal. Son parcours va de South Main à Beale Street, il pousse sa poubelle à roulettes et trimbale une guitare. À l’époque où Don réussit à le convaincre de venir enregistrer en Californie, Furry a 73 ans, une patte en moins, il fume à la chaîne et boit comme un trou.

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             Don fait aussi un bout de chemin avec Dale Hawkins qui ne dort jamais et qui ne peut pas rester en place plus de deux minutes. Trop d’amphètes - Il avait une Cadillac Coupe deVille et conduisait comme un dingue. Je n’avais jamais rien vu de tel. Il racontait des histoires et agitait les bras comme un pasteur - Pages fantastiques aussi consacrées à ce vieux Tonton Leon, l’un des producteurs les plus courus d’Hollywood, qui travailla avec Frank Sinatra et les Beach Boys. Don voit germer l’idée de Mad Dogs & Englishmen. Il voit même Tonton Leon voler le show à Joe Cocker qui au départ devait tourner avec le Grease Band, ceux qu’on voit dans Woodstock, mais comme Henry McCulloch et les deux autres n’ont pas pu obtenir leurs visas, Denny Cordell qui manageait Joe demanda à Tonton Leon de monter vite fait un groupe pour la tournée prévue. Pour Don, the Shelter People fut l’un des meilleurs groupes d’Amérique - It was without a doubt the best band west of the Mississippi.

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             Don eut aussi l’immense privilège de produire Albert King. Il ne fallait pas importuner Big Albert, car il écartait le revers de son veston pour montrer qu’il portait un calibre 45. C’était sa façon de dire que la discussion s’arrêtait là. Big Albert ne savait ni lire ni écrire, mais Don réussit à le mettre à l’aise avec ça, d’autant que Big Albert ne voulait pas que ça se sache. Quand Isaac Hayes lui colla les paroles d’une chanson qu’il venait d’écrire sous le nez, Big Albert quitta le studio. Il fallait donc ruser pour travailler avec lui. Un soir, Don lui dit : «Albert, je sais que tu ne sais ni lire ni écrire, mais si je savais jouer de la guitare comme toi, je m’en foutrais de ne pas savoir lire ou écrire.» Big Albert l’observa un moment et Don pensait qu’il allait sortir son flingue pour le descendre. Mais un grand sourire éclaira son visage : «I like you, Don. You all right.» Et Don ajoute : «Je n’oublierai jamais cet instant.» Eh oui, il venait de gagner la confiance de Big Albert, et pour le mettre à l’aise en studio, il se cachait derrière une banquette pour lui souffler les paroles des chansons. Quand Jim Stewart vit ça, il lança : «On aura tout vu !» (Now I’ve seen everything). Big Albert raffolait tellement du stratagème qu’il demanda à Don de mettre les paroles des chansons bien évidence dans la cabine de chant, de sorte que tout le monde pût croire qu’il savait lire, et Don bien sûr continuait de lui souffler les paroles en cachette. L’album de Big Albert que produisit Don Nix et pour lequel il écrivit huit chansons est le fameux Lovejoy. Il existe un autre album de Big Albert enregistré à Muscle Shoals et produit par Don qui n’est jamais sorti. Comme d’ailleurs un album des Swampers aussi produit par Don, et dont il avait l’air d’être fier.

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             Don rappelle qu’il adorait Muscle Shoals, qui se trouvait à trois heures de route de Memphis. Il a aussi la chance de travailler avec l’un de ses héros, Freddie King, a big man with a smile to match that immediately put us at ease.

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             Puis il monte les Alabama State Troupers avec Tarp Tarrant, le batteur qui a joué 13 ans pour Jerry Lee, Clayton Ivey aux keyboards, Wayne Perkins et Tippy Armstrong aux guitares. Il ajoute un deuxième batteur, Fred Prouty, qui jouait chez Rick Hall, et Brenda Patterson aux backing vocals - It was a hell of a band - Pour la photo, ils posent tous devant une église baptiste. Comme l’écriteau indiquait «The Mount Zion Middle Baptist Church», il baptisa son groupe the Alabama State Troupers with the Mount Zion Band And Choir. Le double album The Alabama State Troupers paraît sur Elektra en 1972. Attention, ce n’est pas un album facile. Don Nix propose en effet un capiteux mélange de country blues et de gospel, qui sont pour lui les racines du Memphis Sound. On entend donc Furry Lewis sur une face entière. Ce vétéran du Beale Street Sound joue fin et claque des petits coups de bottleneck. On l’ovationne. L’homme est d’une extraordinaire gentillesse - Hank you - Il chante le blues traditionnel des années vingt - And I went to the gypsy/ To get my hambone done - et il se moque gentiment des racistes dans «I’m Black» - Some people don’t like that colour/ But I sure like mine - On se régale de cette leçon de country-blues et de cette diction à l’ancienne. En D, on tombe sur une série de boogies ‘sudistes’. On y entend ce démon de Tarp battre le beurre et Brenda Patterson chante dans les chœurs de Zion. C’est du gros boogie rock seventies surchargé de chœurs de Zion. On se croirait chez Tonton Leon. Par contre, Don Nix commet une erreur : il met en avant Jeanie Greene pour chanter le gospel rock de «My Father’s House» et ça ne marche pas du tout, mais alors pas du tout. On sent les limites de la voix blanche. Jeanie n’a pas l’allant d’une Mavis. On trouve encore du gospel en B, notamment ce vieux classique repris par les Staples, «Will The Circle Be Unbroken». Don Nix respecte bien les fondamentaux du Memphis Sound System, malheureusement, c’est lui qui chante et pour chanter le gospel batch, il vaut mieux disposer d’une vraie voix et avoir la peau noire. Et quand Jeanie Greene reprend le lead dans «Mighty Time», même chose, elle se vautre. Il lui manque deux choses essentielles : le groove et la Soul. Brenda est un peu plus wild, comme on le constate à l’écoute de «Jesus On The Main Line». Elle s’énerve toute seule et cherche à incendier la plaine, mais tout le monde n’est pas Bonnie Bramlett. Voilà enfin un hit en B : «Yes I Do Understand», un gospel batch poppy joliment amené par la joyeuse assemblée. Excellent ! Et puis en C, Don Nix s’en va chevaucher dans la Sierra. S’ensuit un peu plus loin «Heavy Makes You Happy», un boogie-rock encore une fois digne de Tonton Leon. Ça sent bon la grosse équipe, le surnombre et les vétérans de toutes les guerres. Don Nix termine avec «Iuka», un gros boogie blues dans l’esprit de ce que faisait Johnny Winter. Il y va au guttural. On se croirait presque sur Johnny Winter And Live.

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             Il existe un autre album de Don Nix sur Elektra : l’extraordinaire Living By The Days paru en 1971. Tout est bien, là-dessus, ce qui semble logique étant donné que les Swampers accompagnent le vieux Don qui d’ailleurs dit d’eux : «The best backing-band at the point, maybe the best ever.» Par contre, on se demande pourquoi il porte un uniforme yankee sur la pochette. C’est une véritable insulte aux Rebs. Pur chef-d’œuvre que cet «Olena» qui sonne comme un vieux rock’n’roll, mais Claudia Linnear (sic) et Kathi McDonald font des chœurs de folles. Comme dans Mad Dogs & Englishmen, elles amènent une énergie hors normes. Il faut bien reconnaître que les Alabama State Troupers sont formatés sur Mad Dogs & Englishmen. On assiste à l’envol des guitares de Wayne Perkins et Jimmy Johnson. Un vrai festival ! Et ça continue avec l’«I Saw The Light» de Furry Lewis, fantastique partie de gospel batch avec les Mount Zion Singers derrière. Pure énormité que cette sinner prayer d’Hank Williams. S’ensuit un balladif de rêve intitulé «She Don’t Want A Lover», so solid stuff à l’Américaine, ultra-joué et harcelé par une guitare en embuscade. Quelle ampleur ! Cet album semble relever de l’indéniabilité des choses. Nix ressort le «Going Back To Iuka» qu’il avait composé pour Albert King, c’est joué au wild beat de Muscle Shoals. Ces mecs sonnent comme des punks et David Hood va même jusqu’à doubler dans les virages. Ils partent carrément en mode Stax de killer Stax - I’m going back to Iuka/ Back to where I belong - Ils repassent en mode gospel pour «Three Angels», encore une pure énormité. Les Mount Zion Singers, c’est quand même autre chose que le gospel choir des Stones dans «You Can’t Always Get What You Want» ! Mais ce sont les Stones qui ont décroché la timbale. On tombe ensuite sur un rock de mountain man des Appalaches, «Mary Louise», suis-moi, pilgrim, je vais te montrer le grizzly, pur jus d’Americana à la Nix. On retrouve les filles dans «My Train’s Done Come And Gone». Claudia et Kathi ! C’est du heavy balladif de Lord knows I’ve been gone way too long when I was weak/ She helped to make me strong, avec du solo de slide américain, Nix nique tout et derrière les filles t’explosent la rondelle des annales.

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             Paraît aussi en 1971 sur Shelter Records - le label de Denny Cordell et Tonton Leon - le premier album de Don Nix, In God We Trust. Il pose déguisé en cowboy sur une pochette traitée dans le design du billet vert. Au moins, on sait qu’on est en Amérique. Ce disque très orienté gospel ne pouvait que dérouter les amateurs de rock. Mais il vaut le détour, car Don Nix y réussit un sacré tour de passe-passe, avec le morceau titre qui fait l’ouverture du balda. On a là un vieux coup de country rock joué au violon de saloon. Attention, Don Nix joue avec les mecs de Muscle Shoals : Barry Beckett, Eddie Hinton, David Hood, ils sont tous là. Don Nix sait entretenir la flamme d’un cut, pas de problème. Il dispose de cette puissance intrinsèque. On entend bien David Hood bassliner sur «Golden Mansions» et derrière, les filles de Mount Zion sont superbes. Grâce à ces musiciens exceptionnels, Don Nix trouve l’élan du gospel. «I’ll Fly Away» est sans doute l’hit de l’album. «He Never Lived A Day Without Jesus» sonnerait presque comme du Neil Young, mais en moins pleurnichard. C’est une fois de plus un parti-pris de gospel church chic. On retrouve «Iuka» sur cet album. David Hood y enroule bien sa gamme.     

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                         Paru sur le sous-label de Stax Enterprise, Hobos Heroes And Street Corner Clowns date de 1973. À cette époque, Don Nix voyage à travers le monde et il enregistre un peu partout, à Londres, à Memphis et à Muscle Shoals. Avec cet album, il va plus sur le balladif. Mais il n’hésite pas à taper dans l’heavy blues avec «Black Cat Moan». Sur ce genre de chose, il est extrêmement crédible. Il chante avec un joli sens du raunch. Le coup de génie de l’’album est une version de «When I Lay My Burden Down» qu’il dédie à Fred McDowell. Il propose tout simplement un raccourci du Memphis Sound et même de l’Americana du Deep South. Il démarre en blues de cabane branlante et finit en gospel batch, et comme Claudia Lennear traîne dans les parages, eh bien ça explose. Fantastique exercice de style ! Il faut aussi écouter «Look What The Years Have Done», un balladif très impressionnant. Cet homme sait écrire des chansons, c’est indéniable. Voilà un balladif parfait au plan mélodique et bien saxé sur le pourtour.

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             En 1976, Gone Too Long paraît sur Cream Records, le label d’Al Bennet qui a racheté Hi Records. Attention, c’est un très bel album. Il s’y niche ce qu’on appelle des Beautiful Songs, à commencer par «Goin’ Thru Another Chance» qu’il chante d’une voix de vétéran du Memphis Sound. Il s’arroge toutes les prérogatives. Sa pop ne peut que plaire. Don Nix semble cultiver un goût pour l’envol. Il sait donner de la voile. Il fait partie des grands prêtres de l’Americana, dans ce qu’elle présente de plus rootsy. George Harrison traîne dans les parages et ça s’entend. Autre merveille : «Forgotten Town», un balladif visité par la grâce. Il chante avec brio. La basse enrichit considérablement le backing, avec une excellente enfilade thématique. Le mec joue en continu, avec un sens aigu de l’a-priori. Et puis, Don Nix finit l’album avec l’excellent «A Demain». Il duette avec une Française. Nix explore l’empire du slowah et la fille n’en finit plus d’allumer la romantica - Et puis un beau matin/ Tu recevras ces mots/ Je t’aime, je t’attends, viens - C’est à la fois infernal et somptueux, et elle ajoute - Nous oublierons alors que le temps a passé. Par contre, il se vautre avec une reprise trop empesée du «Feel A Whole Lot Better» des Byrds. Il en fait une sorte de gospel pop avec des chœurs vengeurs. Curieux parti-pris. Il tape aussi dans le «Backstreet Girl» des Stones. Il en fait du gospel avec une basse bien montée dans le mix. Sacré Don, il ne rate pas une seule occasion de se faire remarquer.

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             Skyrider parut en 1979 sur Cream, le label d’Al Bennett. On y retrouve bien sûr l’habituel mélange des genres nixien. Le morceau titre sonne comme un gros boogie-rock richement drapé d’orchestrations et des chœurs southerny. Don chante toujours avec un bel aplomb. On le voit ensuite taper dans la grande prétention poppy avec «Nobody Else». On voit aussi l’idéaliste poindre sous le cuir du desperado buriné par les années de vie sauvage sur la frontière. Et bien sûr, il règne ici un léger parfum de gospel batch. Dans «Maverick Woman Blues», Don évoque la Nouvelle Orleans. Il y rocke son shake et lâche du bon set me free. Disons que ça reste bon esprit, même s’il pompe le riff de «Get Ready». Même chose avec «Do It Again» : le riff est connu comme le loup blanc des steppes, mais on ne s’étonne plus de rien. Don propose ce qu’il a de meilleur en magasin, un funk rock sudiste un peu hybride et intéressant. On y retrouve d’ailleurs les Memphis Horns et tout le tralala. Don joue un petit coup de sax, histoire de nixer le mix. En B, il revient avec «I’ll Be In Your Dreams» à son vieux dada : le slowah de printemps, bien aéré et judicieusement orchestré. Il monte «All For The Love Of A Woman» sur le modèle de «Let’s Work Together», mais il y met une telle énergie qu’on lui donne l’absolution. Don Nix te nique ça bien, c’est un vieux routier, il avait déjà écumé toute l’Amérique au temps des Mar-Kays. Le guitariste est un bon, il s’appelle Rob Kendrick. Guitariste idéal pour un gaillard comme Don qui n’est pas né de la dernière pluie.       

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             Voilà trois bonnes raisons de rapatrier Back To The Well paru en 1993 : la première s’appelle «Out On The Road Again», un vieux boogie blues qui part sur un fantastique dady’s gone fishing. Don is back on the chain gang, il claque le beignet de la caillasse du meilleur son, comme il l’a toujours fait. Ce démon sait déverser un jus de boogie et l’autre démon qui gratte ses poux s’appelle Billy Crain. On a là l’un des meilleurs sons du Deep South. La deuxième raison s’appelle «Waiting For The Help». Don revient à son cher gospel batch, c’est un enragé, un mordu de la racine. Plus elle est sèche et ardue, plus il exulte. C’est ultra-joué. Derrière, les filles gueulent sweet Jesus et ça riffe au cul de slide. La troisième raison s’appelle «Fool’s Paradise», un extraordinaire slowah océanique. Don est à ses heures perdues un charpentier du songwriting, il connaît l’art des mortaises et il sait poser des toits de chœurs, et là, dans ce cas particulier, quel toit ! Encore du son dans «Dance Chaney Dance». Nix nique tout à dix kilomètres à la ronde. Il embarque son monde dans le tout venant, ce qui le rend héroïque et donc sacré. Avec «Plastic Flowers», il avertit : Don’t put plastic flowers on my grave ! Il se met en colère. Il sait aussi taper le vieux coup d’r’n’b, comme le montre «Cruise Control» - You better slow down - Et il termine avec l’excellent «Addicted To You». Il tape ça au vieux jus de nixitude - I don’t drink/ I don’t smoke - mais il a un problème avec le groove de cette fille, surtout son sweet love. Don Nix ne prend pas les choses à la légère, il joue ça au funk de groove de blues.   

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             Paru en 2002, Going Down. Songs of Don Nix est un classique indispensable. Pourquoi ? parce qu’il s’y niche des duos exceptionnels, notamment avec Bonnie Bramlett. Elle commence par venir exploser «Right Where You Want Me». Elle ramène toute son énergie criante de vie. Elle part à l’assaut du groove d’une voix pincée de reine du rodéo. C’est monté sur des accords de Stonesy. Quel fantastique exercice de style ! Elle revient groover le blues de «Same Old Blues». Steve Cropper sort sa plus belle Tele et Dan Penn radine sa fraise. Quel festin de rois ! Tout est allumé de l’intérieur. Steve Cropper joue au clair de lune pendant que Bonnie mouille sa syllabe et l’écrase dans le gras du menton. Elle s’arrache les ovaires et sonne comme une mama black, yeah, elle racle tout dans la salive, elle est bien la pire de toutes, la plus grande chanteuse blanche du monde. Elle revient illuminer «Like A Road Ready Home». Il faut voir comme elle shake son shook. Elle chante ça au meilleur chaud du South, elle chante pour de vrai et Steve Cropper joue comme un dieu grec. Autre duo des enfers avec Dan Penn dans «Palace Of The King». Un black nommé Audley Freed joue lead, il joue à l’exacerbette de la belette. Dan rocke son going down to Dallas. Il sait le faire, mais à la mode black, de l’intérieur du menton, il fait de l’hot de hutte - Going back to Dallas/ Living In The Palace of the King - Leslie West vient jouer le fameux «Going Down» avec Brian May. En fait, ils sont quatre leads sur cette reprise éculée. Bonnie est au fourneau et Max Middleton au piano. Ça tourne au vertige guitaristique, les leads coulent ensemble comme des vieux claquos oubliés. Dommage que Don n’ait pas la voix. Les leads vont se repaître de la charogne de Going Down pendant six minutes. Tous les solos sont gorgés de sève. Sur «Going Back To Iuka», Tony Joe White joue lead et Mayall claque des coups d’harp. Le pompon, c’est Billy Lee Riley. Don a de sacrés potes ! - You know the train that I ride/ I ride it all nite long - Fantastique Billy ! Il amène une autre profondeur. On retrouve Leslie West dans «Lying On The Highway» (il n’a rien perdu de sa grosse niaque), et Billy le héros dans «Everybody Wants To Go To Heaven».  

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             Sur la pochette d’I Don’t Want No Trouble paru en 2006, Don Nix est assis en salopette dans son jardin avec son dalmatien. Il semble posséder une belle petite maison à deux étages équipée du porch traditionnel, cette fameuse avancée qu’on retrouve à tous les coins de rue dans les chansons du Deep South. C’est là que se grattent les jolies mélodies au clair de la lune. Don nous refait le coup de l’heavy blues gospellisé avec «Hurt Somebody». Il ne risque pas de se faire une entorse à la cervelle. Nix n’est pas homme à forcer le destin. Il ramène tout le gospel batch qu’il peut dans son heavy blues et franchement, c’est très bien vu. Il fallait y penser. Il reste encore plus traditionnel dans les autres cuts, comme par exemple «Memphis Man» qu’il tape au vieux boogie de r’n’b rock’n’roll. Il ne risque pas l’embolie. Mais c’est bardé de son. L’animal s’y connaît, en la matière. Boogie rock toujours avec un «Snack Dab» bardé de chœurs de filles. Il est vrai qu’à son âge, Don ne va pas s’amuser à réinventer la poudre et encore moins le fil à couper le beurre. Il faut le voir tartiner son «Hole In The Sky». Ça sonne comme n’importe quel rock de vieux renard sur le retour. C’est même sur-produit. Nix y gueule comme un veau qu’on amène chez le boucher. En écoutant «One Step Ahead», on voit bien qu’il connaît toutes les ficelles du son. Le cut dégouline de son moderne, mais certainement pas de modernité. C’est ultra-joué au bottleneck d’heavy dude. Don y va de bon cœur. C’est ce qui fait sa force. On pourrait même ajouter que ça nous dépasse. Ils se prend aussi parfois pour un pionnier («Just About Had It»), et là ça devient compliqué. Il s’amuse aussi à jouer des boogies qui ne servent strictement à rien («Subject To Change»). On le voit même faire son vieux renard de charme («Crazy From The Heart»). Une fille chante ça avec lui, mais elle se révèle bien meilleure que lui. Il est encore capable de taper du très gros son, comme on le constate à l’écoute d’«Addicted To You» qu’il prend en mode gospel batch. C’est sa came.

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             On trouve aussi dans le commerce un album intitulé Passing Through. Don qui ne se refuse rien l’a enregistré chez Malaco. Il adore butiner toutes les mythologies régionales. Il démarre l’album avec un solide balladif, «Sit Down On Your love». Don a toujours de l’avenant. Il n’a aucun problème ni avec les impôts, ni avec la santé et ni avec Dieu. Il y va du tac au tac. Don est un amateur de big sound et d’horizons. Il adore aller loin vers l’Ouest, là où les montagnes lèchent le cul du ciel. Comme l’hydravion d’Howard Hugues, le cut met du temps à décoller, mais il finit vraiment par s’arracher de la surface du lac. Don tape dans le devenir de l’Americana. Il ne vit que pour l’ampleur, personne ne pourra jamais lui enlever ça. Ses cuts fondent bien en bouche. Comme la plupart de ses chansons, «She’s My Rock» sonne bien, même terriblement bien. Chaque fois, Don frise le Nix universaliste. Sa pop convainc. Et puis voilà «Roads». Il faut comprendre qu’avec Don Nix, on est dans le très gros truc. Une sorte de perfection. Son balladif prend la gorge et on tousse d’aise. C’est une sorte de délire technologique du groove sentimental. Fuck, comme ce mec est bon, même son solo de flûte passe comme une lettre à la poste. On ne peut pas dégommer Don Nix. L’homme est puissamment bon. Il amène le morceau titre au gospel batch. On y sent le poids d’un pathos énorme. Il tape un instro superbe avec l’«I Don’t Know Why I Care About You» joué au Grand Jeu de Malaco. Puis il renoue avec l’art de la grosse compo en s’interrogeant : «Where’s The Problem». Don a un don, indéniablement. Donc, ça semble logique qu’il s’appelle Don. Il boucle avec «I Belong To My Songs». Il y explique qu’il appartient à ses chansons et s’éclipse dans les fumerolles d’un balladif édifiant.

    Signé : Cazengler, Nix ta mère

    Don Nix. Disparu le 31 décembre 2024

    Don Nix. In God We Trust. Shelter Records 1971  

    Don Nix. Living By The Days. Elektra 1971                      

    Don Nix. The Alabama State Troupers. Elektra 1972

    Don Nix. Hobos Heroes And Street Corner Clowns. Enterprise 1973

    Don Nix. Gone Too Long. Cream records 1976

    Don Nix. Skyrider. Cream Records 1979        

    Don Nix. Back To The Well. Appaloosa 1993    

    Don Nix. Going Down. Songs of Don Nix. Evidence 2002   

    Don Nix. I Don’t Want No Trouble. Section Eight Productions 2006

    Don Nix. Passing Trough. Section Eight Productions 2008

    Don Nix. Memphis Man. Living High Laying Low. Mojo Triangle Books 2015

     

     

    L’avenir du rock

     - MaidaVale live in style in Maida Vale

     (Part Two)

             Lorsqu’ils voient arriver l’avenir du rock, les habitués du bar interrompent leur conversation. La ramasse de ce vieux schnock leur fait presque pitié. L’avenir du rock commande son double jaune sans glaçons, le siffle cul sec et en commande un deuxième aussi sec. Il adore faire jaser les cons. Et ça marche à tous les coups. En voici qui s’approche :

             — Dis donc, avenir du rock, dans ton état de décrépitude avancée, tu crois vraiment qu’c’est raisonnable de siffler des jaunes comme ça ?

             L’avenir du rock rote, et en commande un troisième.

             — C’est pas passe que t’es l’avenir du rock qu’y faut mépriser l’peuple !

             L’avenir du rock fait signe au patron :

             — Hep ! Patron ! Chuis à marée basse !

             Un autre habitué vole au secours du premier :

             — Pourquoi qu’tu causes encore à c’te vieux pédé ? Tu vois donc pas qu’il est bon pour la déchetterie ?

             — Non mais r’garde-moi comment qu’il est attifé avec ses godillots et son pal’tot ! C’est-y pas une honte de voir des vieux chtars pareils !

             — Y paraît qu’y va encore aux putes !

             — Arrhhhhh ! Sont pas dégoûtées les putes !

             — Y paraît même qu’y va encore voir des concerts de rock !

             Et là, l’avenir du rock se tourne vers les deux cons et leur balance, histoire de leur clouer le bec :

             — Vale que Vale !

     

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             Lorsqu’il se trouve coincé dans un plan délicat, l’avenir du rock parvient toujours à tirer son épingle du jeu. Et plus c’est délicat, meilleur c’est. MaidaVale, c’est exactement ça : le Vale que Vale du rock. 

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             C’est quand même pas mal de revoir les quatre petites Stockholm girls de MaidaVale dans un endroit plus ramassé, au fond d’une cave. Ça leur donne encore plus de power. Au Club, c’était bien, mais dans la cave, c’est mille fois mieux. Tu retrouves cette section rythmique infernale, directement inspirée de celle de Can, même dynamiques, même goût pour l’hypno explosif, la grande brune sur la Ricken s’appelle Linn, et la fille spirituelle de Jaki Liebezeit au beurre s’appelle Johanna. Rien qu’avec ça, t’as de quoi t’occuper. Johanna bat un beurre à la fois fin et puissant, elle fait parfois des petites grimaces animales, des rictus carnassiers, comme si elle laissait monter en elle un torrent d’adrénaline. T’en finis plus de la voir battre le beurre du diable. Et là-bas au fond, Linn mouline un bassmatic de rêve en secouant quasiment tout le temps les cheveux. Et là, tu sais que t’assistes à un vrai concert de rock. Ça joue ! Pour leurs deux copines, c’est du gâtö, la petite Sofia gratte des poux bien psyché sur sa Strato immaculée, elle tourne comme un manège, tricote des gammes gorgées d’écho et revient sur des power chords de la pire espèce, comme si elle enfonçait son clou dans la paume du beat. Dans le feu de l’action, elle reste incroyablement présente, car c’est bien d’un feu de l’action dont il s’agit avec MaidaVale, elles savent kicker les jams. Le son ricoche bien sous la voûte en briques

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    de la vieille cave. Et puis t’as Matilda au chant, elle montre un goût particulier pour les crises de Méricourt et les coups de tambourin. Tu lui donnerais le bon dieu sans confession, tellement elle est dans le coup, tellement elle rocke le boat, tellement elle shake le souk de la médina, c’est une rockeuse hors normes, elle chante de tout son corps, et là mon gars, ça rocke, t’es plus en face d’un groupe de branleurs à la mode. MaidaVale c’est le real deal, mais pour le savoir, il faut les voir sur scène.

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             Elles tapent bien sûr dans leur dernier album, l’excellent Sun Dog et attaquent avec «Give Me Your Attention» qui n’est peut-être pas le meilleur choix. Sur scène, ça ne marche pas, mais sur l’album, tu les vois foncer en rase-motte. Elles aménagent de grands ponts hantés par la space guitar. Tu n’en finis plus d’admirer la section rythmique. Elles enchaînent sur scène avec un «Control» plus Kraut, et même assez caverneux, Kraut de nez et d’esprit, avec une couche de keyboard par dessus. On sent poindre l’ambition. C’est avec «Wide Smile All Is Fine» que Linn commence à voler le show avec un beau thème de basse. T’as du mal à frémir avec «Daybreak». Elles cherchent la lumière avec «Pretty Places». Elles développent toujours une certaine richesse instrumentale, une réelle prégnance de la pertinence qu’on peut aussi qualifier de latence de l’essence. Voilà pourquoi il faut les prendre très au sérieux. Matilda chante «Faces (Where is Life)» d’une petite voix pointue et enchaîne comme sur l’album avec «Fools», beaucoup trop proggy. Elles visent le Big Atmospherix, mais on préfère quand ça prend feu. Elles finissent leur set avec des cuts de Madness Is Too Pure, «Transe» et «Gold Mind» et un «Perplexity» qui n’est pas sur le CD, uniquement sur l’LP. Bizarrement, elles ne jouent pas «Vultures», le dernier cut de l’album. Dommage, car la ligne de basse est un régal. Linn est la star du groupe, elle nourrit le son sur sa Ricken, elle laboure le Kraut en profondeur. Elle est la Millet du Kraut.

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    Signé : Cazengler, Maida Vain

    MaidaVale. Le Trois Pièces. Rouen (76). 4 mars 2025

    Concert Braincrushing

    MaidaVale. Sun Dog. Silver Dagger 2024

     

     

    Wizards & True Stars

    - Wallis the question ?

     (Part Two)

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             Quand en décembre 2019 Larry Wallis a cassé sa pipe en bois, nous lui avons rendu ici même un hommage en forme de tournée des grands ducs : Pink Fairies, Motörhead, Mick Farren, Deviants, Shagrat et solo. C’était bien le moins qu’on pût faire.

             Étant donné que vient de paraître une compile Cleopatra aussi gorgée de richesses qu’un galion espagnol en mer des Caraïbes au XVIIIe siècle, nous allons récidiver, car écouter la bombe qu’est Police Car/ The Anthology, ça équivaut à écouter Larry Wallis pour la première fois. Et pour rester dans la facilité des métaphores : attachons nos ceintures.

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             Tiens on va commencer par pondre un nouvel adage : Larry, ça tombe sous le sens. T’as le son d’entrée de jeu, avec le morceau titre et Larry qui feule dans le sonic storm «I’m a police car». Diable, comme on avait adoré le single Stiff à l’époque. D’ailleurs, Cleopatra a repris quasiment le même visuel pour sa pochette, la strato en moins. Dans ses liners, Roger Morton qualifie Lazza de true gentleman - He was one of the last true gentlemen in rock’n’roll - Morton s’échauffe lorsqu’il évoque l’arrivée de Lazza dans les Pink Fairies - Playing one of the most electrifying rock’n’roll guitar of the era, fast, loud and filthy as fuck - Rien de plus vrai. Cette compile ne te laissera pas respirer, car voilà qu’arrive «Leather Forever» qui sonne comme l’hymne du rock anglais, monté sur un glorieux bassmatic. Ça stompe dans toutes les backs alleys de London town. Non seulement Lazza est un crack du boom-hue, mais il compose des hits à la queue-leu-leu. Son «Meatman» en est l’un des exemples les plus frappants, il cisaille son heavy boogaloo à la base, il le fait danser au sommet d’un balancement d’heavy dude. Quel exploit ! Et ça dégénère, ça vire cro-magnon et ça s’envenime salement. Il pose sa wah comme une cerise sur le gâtö. Tout ce qu’il touche, il le transforme en or du rock : il fait d’«Old Enuff To Know Better» un fantastique shoot d’old enuff. C’est vraiment l’Enuff qu’on a envie d’écouter. Il gratte son «Crying All Night» à l’oss de l’ass de Ladbroke Grove. Quelle fantastique démesure underground ! Il s’emballe avec «I Think It’s Coming Back Again» et bat Motörhead à la course avec «Story Of My Life». Il y déboule avec une ferveur spectaculaire ! Ça dépote en permanence, chez Lazza, il sait aussi faire du Saints, mais sans la voix de Chris Bailey («I Can’t See What It’s Got To Do With Me»). Il refait son Pink Fairy dévastateur avec «Don’t Fuck With Dimitri» et fout le feu à la ville avec «Mrs Hippy Burning». Tout prend feu, avec lui. Feu encore avec «When The Freaks Hang Out». Il taillade son «I Love You So You’re Mine» à la scie sauteuse. Wild Lazza joue à la vie à la mort, et cette façon qu’il a de se rattraper au vol ! Son truc, c’est vraiment se cisailler à la base. Il pond une petite stoogerie ici et là («Downtown Jury») et rend un bel hommage aux Stones avec un cover de «Street Fighting Man». La compile s’achève avec un cut de Shagrat (pas le meilleur Shagrat) et un UFO, dont on se serait bien passé. Morton annonce d’autres volumes à paraître. Wait and see.  

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             Dans l’actu, tu retrouves aussi une belle compile Cleopatra de Motörhead, Lemmy & Larry Wallis : The Boys Of Ladbroke Grove. Tu peux te jeter dessus sans problème, car elle grouille de puces. Et des grosses ! T’en vois pas d’aussi grosses tous les jours. À commencer par cette version live at the Roundhouse d’«On Parole», c’est Motörhead à son sommet, avec Phast Eddie et Philthy Animal, c’est l’un des blasts les plus géniaux de l’ère fumante du blasting, et Philthy te bat ça si sec, franchement t’en reviens pas de cet over-power, tu comprends mieux pourquoi Motörhead fait partie des cracks du boom-hue. C’est bien sûr Lemmy qui se tape la part du lion dans cette compile explosive. Il fait une version de «Twist & Shout» qui bat toutes les autres à la course, accompagné cette fois par Scott Ian et Gregg Bissonette. Sans doute a-t-on là l’une des plus grosses covers du siècle passé, et t’as en plus des chœurs de candy avarié ! Stupéfiant ! Avec Mick Green et les Upsetters, Lemmy tape ensuite dans «Blue Suede Shoes», et oh boy, ça joue à la pure Méricourt, Lem is on fire ! Sans doute la plus belle cover de «Blue Suede Shoes», infernale, bien rentre-dedans. Lem fout encore le souk dans la médina avec «Paradise». Mick Green monte au braquo du Paradise. S’ensuit un «Keep Us On The Road», c’est le Motörhead de l’âge d’or, avec Fast Eddie et Philthy, Lem fout le feu au souk de la médina. Live 78, t’as pas idée ! Lem tient la dragée haute au blast. T’as bien sûr ta dose de proto-London punk avec le «Lone Wolf» des Pink Fairies, ce ne sont pas ceux de Lazza, mais ceux de Paul Rudolph, avec Alan Davey et Lucas Fox. Et Lazza dans tout ça ?, demande Jacques Chancel. Lazza arrive avec son «Police Car». Classique intemporel, mais face à Lem, il fait un peu pâle figure. On le retrouve plus loin avec George Butler et Andy Colquhoun pour «Crying All Night», et c’est bien bardé de barda. Bon, t’as deux versions de «Leather Forever», avec la grande clameur invulnérable. Lazza a encore du son à gogo, mais vraiment à gogo, sur «I Think It’s Coming» et plus loin «Seeing Double». Il n’en finit plus de foncer dans le tas. Il brûle de tous ses feux, et cut après cut, il entre dans la légende. Viva Lazza ! 

    Signé : Cazengler, Larry WC

    Larry Wallis. Police Car/ The Anthology. Cleopatra 2024

    Motörhead Lemmy Larry Wallis. The Boys Of Ladbroke Grove. Cleopatra 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - Lindanaïde

             Comment s’appelait-elle, déjà ? Ah oui, Baby Jam. On la surnommait la reine de la nuit. Pas très grande, très brune, elle parlait d’une voix un peu rauque et les connaisseurs la qualifiaient de brune sensuelle. Elle était pourtant casée et mère de famille, mais elle aimait trop la vie pour rester tranquille à la maison et regarder des conneries à la télé. Baby Jam couchait les gosses, puis elle annonçait à son mec qu’elle sortait faire un tour avec une copine. Pas de problème. Il était du genre conciliant. Il l’aimait assez pour comprendre qu’elle avait besoin de vivre selon ses besoins. C’était pour lui le seul moyen de ne pas la perdre. Elle prenait l’ascenseur et retrouvait sa copine au pied de l’immeuble. Puis elles partaient toutes les deux en vadrouille. Elles adoraient ça, l’aventure, le hasard des rencontres, la fréquentation des oiseaux de nuit. Personne n’a jamais vu Baby Jam dans les bras d’un autre mec. Les rumeurs allaient bon train, les gens racontaient qu’elle baisait avec n’importe qui, mais il n’existait absolument aucune preuve. Sa copine et elle faisaient une sorte de tournée des grands ducs, retrouvant dans les bars de nuit des copains et des copines, et tout ce petit monde finissait au Gibier de Potence, une sorte de cabaret perché sur la colline qui dominait la ville. Le Gibier fermait à quatre heures du matin et on y buvait du rhum arrangé à volonté. Chacun s’arrangeait avec la vie et profitait de la nuit. Baby Jam trônait au bar et se faisait payer des verres. On l’entendait rire, elle parlait de tout et de rien. Parfois un mec la draguait, ça l’amusait beaucoup, elle laissait faire jusqu’à un certain point, puis pour le calmer, elle lui expliquait gentiment que sa gueule ne lui plaisait pas, alors tout rentrait dans l’ordre. Tout ce cirque a duré quarante ou cinquante ans. Aujourd’hui, Baby Jam a pris un sacré coup de vieux, elle porte des lunettes à monture écaille et du rouge à lèvres. Elle tire ses cheveux bruns vers l’arrière pour se donner un petit air d’assistante de direction, mais sa gouaille est intacte. Tu la trouveras au bar du Gibier en train de siffler des verres de rhum tiède jusqu’à la fermeture. Elle attendra, comme elle l’a fait toute sa vie, qu’une bonne âme veuille bien la prendre en charge pour la déposer chez elle.

     

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             Pendant que Baby Jam savourait sa liberté, Linda Jones tentait de faire carrière. L’accomplissement d’un côté, l’abrègement de l’autre. Destin enviable d’un côté, destin tragique de l’autre.

             Contrairement aux Danaïdes, Linda Jones ne fut pas condamnée à remplir un tonneau percé. Elle fut condamnée à autre chose : l’obscurité. Lorsqu’elle cassa sa pipe en bois en 1972, elle n’avait que 28 balais. Elle était quasiment inconnue aux États-Unis. Seuls les Anglais la vénéraient. C’est la raison pour laquelle on la retrouve sur l’une des meilleures compiles de Northern Soul, celle de Rhino. David Godin parle d’une «enigmatic quality».

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             Son premier album s’appelle Hypnotized, un fat Loma de 1967. Tu donnerais ton père et ta mère en échange de «You Can’t Take It», un heavy r’n’b qu’elle fait décoller à coups d’you can’t take, elle te chante ça à l’efflanquée miraculeuse. Elle est encore très raw sur «I Can’t Stop Loving My Baby», elle est aussi directive que l’Aretha de l’âge d’or. Et en B, tu tombes sur une autre perle noire en forme de Beautiful Song, «If Only (We Had Met Sooner)», une Soul soûlante qui te donne le tournis.

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             Elle sort deux albums en 1972 :  Your Precious Love et Let It Be Me. Le premier est de toute évidence son meilleur album. Il grouille de puces. Elle attaque son morceau titre en ouverture de balda avec une stupéfiante énergie. Linda est la reine de la hurlette de Hurlevent. Elle chante encore «Don’t Go (I Can’t Bear To Be Alone)» au sommet de la Soul, avec une indicible audace. Elle brûle d’authenticité. Elle brasille de Soul, son «Stay With Me Forever» est extravagant d’intensité. Elle brasille à sa façon, ni comme Aretha, ni comme Brenda, c’est encore autre chose. Alors attention, car tout explose en B : si tu veux écouter l’un des plus beaux albums de Soul, c’est là, dès «Not On The Outside». Elle se veut océanique, avec des flux et des nappes d’orchestration, alors elle le devient. Elle tape un beau «Dancing In The Street» et boom, elle te roule le «Let It Be Me» de Gilbert Bécaud dans sa farine. Elle le travaille au corps de manière spectaculaire. Elle te transforme encore la Soul avec «I Can’t Make It Alone», elle en fait un tir de barrage, elle te la plombe en or, elle te la pétrit à Petra, elle te l’élève dans la hiérarchie, bref, elle sait tout faire. Elle se dirige vers la sortie en faisant son Aretha dans «Doggin’ Me Around», mais pas avec le même fruité de glotte, Linda est plus sèche, plus âpre, et plus violente dans sa hurlette. Elle ne laisse aucune chance au hasard, elle pousse à la roue, elle défonce la rondelle des annales, elle a du cran. Logique car c’est une crack. 

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             Et donc sur Let It Be Me, on retrouve fatalement le «Let It Be Me» de l’album précédent. Elle est sans doute la seule à savoir monter au ciel from scratch, c’est-à-dire sans élan. On ne reconnaît pas l’hit de Bécaud. Elle en fait de la Soul. Fantastique présence encore avec «Fugitive From Love». Such impact dit Diamond Jim Sears au dos de la pochette. Eh oui, que peut-on dire de plus ?  Le coup de génie de l’album se planque en B : «I’m So Glad I Found You», un fantastique shoot de Soul des jours heureux, elle rivalise de good timing avec Brenda Holloway, elle ajoute sa tripe au walking beat. Encore jamais vu un truc pareil. Linda forever !

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             Malgré les liners de David Godin et de Tony Rounce, Never Mind The Quality… Feel The Soul n’est pas un très bon album. C’est enregistré dans l’Ohio en 1970. Elle tape un vieux coup d’«If I Had A Hammer» qu’elle attribue à Sam Cooke, alors que c’est signé Pete Seeger. Elle aime bien son Hammer, on sent la vieille Soul Sister pleine de réflexes et pleine de jus. Puis elle fait son éplorée avec «That’s When I’ll Stop Loving You» - my latest recording - Elle gueule dans son micro, c’est la règle du jeu, mais ça devient pénible. Elle reste en mode heavy froti avec «For Your Precious Love». Elle s’y connaît en bosses dans les pantalons serrés, comme Carla quand elle chantait avec un Otis en rut dans la chaleur de Memphis. Elle rappe un peu et déroule son écheveau de lemme tell something I can’t say. Puis elle rend hommage aux Falcons avec une cover d’«You’re So Fine», mais elle est essoufflée. Sa cover ne vaut pas tripette, comparée à celle d’Ike & Tina. Elle finit avec un gros clin d’œil à Wicked Pickett et «I Found A Love».

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             La compile que concocte Kent avec Precious - The Anthology 1963-72 ressemble à un passage obligé. Tony Rounce te sert Linda sur un plateau d’argent - Black American music has never had a singer with the extraordinary vocal power of Linda Jones - Te voilà prévenu. Rounce parle même de full-on fire. Il dit aussi que certains voient Linda comme, «simply, the greatest female soul singer of all time.» Il ajoute qu’on peut la mettre au même niveau qu’Aretha, Gladys Knight, Irma Thomas and others of similar calibre. Parcours classique, gospel dans les églises, puis petits boulots ineptes dans des usines avant de rencontrer George Kerr, un doo-woper new-yorkais qui fit partie des Serenaders. Kerr l’entend chanter et comprend aussitôt qu’elle a du talent. Il rassemble la crème de la crème new-yorkaise pour accompagner Linda en studio, notamment Cornell Dupree au bassmatic et Bernard Pretty Purdie au beurre. En 2014, Rounce demande à Purdie s’il se souvient de Linda - Yeah, Linda Jones. Big gal. Very good. Very loud - Après un premier single sur Atlantic, Linda se retrouve sur Red Bird, en bonne compagnie, puisqu’il s’agit de Leiber & Stoller. Kerr sort l’effarant «You Hit Me Like TNT» sur Red Bird, mais Leiber & Stoller déclarent forfait, à cause des embrouilles de leur associé George Goldner qui joue aux courses et qui doit beaucoup trop d’argent à la mafia. Kerr fait alors la tournée des labels new-yorkais. Il va taper à la porte de Brunswick, mais on lui dit qu’ils sont délocalisés à Chicago et trop occupés à lancer Barbara Acklin. Le mec de Brunswick est gentil, il donne à Kerr l’adresse de Ron Mosseley chez Warner Bros. Kerr fait écouter «Hypnitozed» à Mosseley, et Jerry Ragovoy qui passait dans le couloir entend ça et dit : «That’s a hit!». «Hypnotized» sort sur Loma, un R&B subsidiary de Warner Bros.   

             Dès l’«Hypnotized» d’ouverture de bal, cette coquine de Linda fait vibrer sa glotte effrontément. On trouve hélas à la suite quelques singles de peu d’intérêt, Linda propose une espèce de Soul de MJC mal foutue, elle braille dans son micro. Elle y va de bon cœur. On ne peut pas lui enlever ça. Elle se bat pied à pied avec une Soul de débutante et boom, ça explose enfin avec le fameux «You Hit Me Like TNT» sorti sur Red Bird, un stupéfiant hit de juke, et là on dresse l’oreille. Il faut la voir ponctuer son texte sur le beat. Et voilà que s’ouvre un formidable festin de Soul, avec à la suite du TNT l’effarant «Give My Love A Try». C’est le début de la période Loma qui dure deux ans. Avec «Give My Love A Try», Linda explose autant que Lorraine Ellison ! Elle déborde encore de répondant et de super jus avec «A Last Minute Miracle», un fast r’n’b porté par des chœurs puissants. Elle le porte à la force de la glotte. Elle replonge ensuite dans l’heavy Soul de circonstance avec «What’ve I Done (To Make You Mad)». Elle se bat avec une énergie extraordinaire. Elle chauffe encore son «My Heart Needs A Break» avec un aplomb extraordinaire. Cut après cut, elle se révèle imbattable. C’est avec ce hit que prend fin la période Loma. En 1968, Warners vend plus d’albums que de singles et décide de fermer Loma. Linda est virée avec tous les autres. Kerr reprend son bâton de pèlerin. Il enregistre Linda et vend les cuts à des petits labels. La voilà encore par-delà la Soul avec «I’ll Be Sweeter Tomorrow», sorti sur Neptune, un label monté par Chess avec Gamble & Huff. Elle incarne tout le ruckus du Soul System, elle est dévorante, complètement all over. Elle monte encore à l’apogée de sa clameur avec «That’s When I’ll Stop Loving You», qui est en B-side du single Neptune, elle le porte à l’extrême pointe de la Soul. Elle semble dominer le monde. Pas de chance, Gamble & Huff ferment Neptune pour lancer leur prestigieux Philadelphia International.

             Elle finit par enregistrer sur Turbo, un petit label du New Jersey. On arrive dans le terrain miné des coups de génie avec «Can You Blame Me?», wild Linda y va au yeah yeah, elle ne lâche rien, elle n’en finit plus de remonter le courant, et elle te retombe dessus à bras raccourcis avec «I Do», elle hurle ça dans la plaine, Soul Sister pure et dure, ah il faut l’entendre hurler à la lune. Encore un cut gorgé de son avec «I Can’t Make It Alone» signé Goffin & King, et ça monte encore d’un sacré cran avec «Not On The Outside», elle a cette faculté de s’élever à la force de la glotte, elle se pâme dans un excelsior inexorable, Linda Jones est une géante. Et puis t’as encore cet «I’m So Glad I Found You» extraordinairement groovy, elle y va la cocotte, elle défonce les portes d’airain du palais de la Soul, elle fait la fête à elle toute seule et chante à la folie. Encore une compile dont tu sors rincé. Vraiment rincé.

    Signé : Cazengler, Lindabîmé

    Linda Jones. Hypnotized. Loma 1967

    Linda Jones. Your Precious Love. Turbo Records 1972

    Linda Jones. Let It Be Me. Turbo Records 1972  

    Linda Jones. Never Mind The Quality… Feel The Soul. Sequel Records 1997

    Linda Jones. Precious. The Anthology 1963-72. Kent 2016

     

    L’avenir du rock

     - Fontaines de jouvence

     (Part Two)

             Tous les témoignages concordent. Tous, sans exception. Lawrence d’Arabie, Stanley et Livingstone, Sylvain Tintin, Richard Francis Burton ont tous croisé l’avenir du rock dans le désert et sont catégoriques : il est complètement givré. Irrécupérable. À force de marcher pendant des mois et des années sous un soleil de plomb, il a fini par perdre la boule, ce qui paraît logique.  Tous ont essayé de converser avec lui, de lui redonner le goût des échanges courtois, le goût des petits commérages, tous ont essayé de lui apporter un peu de réconfort moral, de lui redonner foi en lui, foi en l’avenir, foi en Dieu, foi en l’être humain, foi en la gauche républicaine, foi en la science, et quand il répondait qu’il préférait le pâté de foi, nul ne s’en offusquait, car, par 60 degrés à l’ombre, une boutade se dessèche et meurt aussitôt. Tous sont unanimes pour dire qu’il vaut mieux le laisser errer dans son coin, tous affirment que de vouloir lui porter secours ne servirait plus à rien. Les témoins vont même plus loin, affirmant que ça lui rend service de le laisser errer dans le désert, que ça lui donne un certain cachet, car sa peau se parchemine. Son visage est tellement hâlé, disent certain, que ses yeux de fouine paraissent délavés, comme s’ils étaient clairs, ce qui n’est évidemment pas le cas. Cette errance lui permet en outre de conserver sa ligne, au moins il ne risque pas de ventripoter comme la plupart des mâles de son âge, tous ces lascars qui se plaignent de grossir alors qu’ils bouffent comme des vaches, de toute façon, ce n’est pas l’avenir du rock qui ira critiquer les gros lards, car il rate jamais une occasion, même dans le désert, de rappeler que les gros sont les meilleurs, notamment le gros Black et Leslie West. Le pire, c’est qu’il ne parle plus que de Fontaines, dans une région où elles n’existent pas. Bref, tout le monde le croit foutu. Si l’avenir du rock entendait tous ces cons, il serait mort de rire.

     

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             Les Fontaines dont il parle sont bien sûr les Irlandais de Fontaines D.C. Il n’est pas le seul à prêcher dans le désert : Stephen Troussé en tartine six pages dans Uncut. C’est pas rien. Il commence par qualifier leur quatrième album Romance d’astoshing, et parle même  d’«apocalyptic sci-fi stadium rock». Ah ces journalistes ! Ce qui rend les Fontaines éminemment sympathiques, c’est leur trouille de la gloire. Le chanteur Grian Chatten prévient tout de suite : «I’m not mad keen to get that big.» Et il ajoute, haletant : «I really, really don’t want us to turn into dickheads.» On ne sait pas qui il vise à travers ça, mais il vise, c’est sûr. Chacun mettra les noms qu’il voudra. Mais il sait que la gloire arrive. Pourquoi ? «Because we’re really good.» Troussé parle d’un «winning charm and modesty», même s’il frôle l’absurdité.  

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             Quatre albums en cinq ans, ça va vite. Troussé parle d’une «volicity that puts their peers to shame» et de «quantum leap». Il a du vocabulaire, l’ami Troussé, puisqu’il qualifie Dogrel d’«astonoshing rush-and-push debut», A Hero’s Death d’«assured consolidation», puis Skinty de «staggering, surreal letter of love and poison». Mais Troussé se surpasse en qualifiant «Starburster» d’«huge rambling panic attack that sounded like Korn covering Happy Mondays’ ‘Wrote For Luck’». Il qualifie aussi Carlos O’Cornell de «flame-haired guitarist and conceptualist» des Fontaines. Dans son élan, Troussé se met à sortir les comparaisons oiseuses : il compare Romance à l’Ocean Rain des Bunnymen, au Disintegration des Cure, à l’OK Computer de Radiohead, et d’autres qu’on ne va pas citer pour éviter de gaspiller de la place. Il se dit encore frappé par le «Technicolor» des cuts de Romance. Il parle enfin d’un album cinematic.  

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             Il a raison, Romance est vite bardé ! Les DC sont les rois du barda. Comme ils visent la démesure, les Fontaines s’en donnent les moyens. Mais les premiers cuts manquent de magie. Ils labourent la bouillasse d’une pop épaisse. Et puis tout à coup, ça swingue dans les voiles : le mec chante son «Here’s The Thing» au doux tordu et ça percute. Voilà l’Irish power, Grian Chatten chante à la déconnade et ça explose de grandeur. Oh yeah, il chante à l’évaporée dévastatrice et mine de rien, il rentre dans le chou d’un lard très fumant, ça groove dans l’épidermic, ça rocke le booty, aw quel fantastique racket d’Irish finish ! S’ensuit une belle montée en neige nommée «Desire». Ça redevient sérieux, tu commences à te prosterner. T’as pourtant déjà entendu cette surenchère de la démesure chez Adorable, mais les Fontaines plongent très loin au fond du Desire, ils battent tous les records du Grand Bleu. T’es estomaqué. On les voit encore chercher leur voie avec «Big». Grian Chatten appuie bien son chant, il a le bon timbre, pas de problème, un timbre pas trop oblitéré. Il ne manque aucune dent au timbre. Irish power pop ! Ils font les Pixies avec «Death Kink» et tout re-bascule dans l’excès qualitatif avec «Favourite» qui sonne comme un vieux hit insistant. Ah comme Grian Chatten chante bien ! Cette pop ne pardonne pas. Il chante à l’accent tranchant. Pur genius !

             C’est vrai que l’album sonne comme une grande aventure. Conor Curley raconte plus loin dans Uncut qu’il tire son énergie du cinéma, un art qu’il juge plus puissant que le rock et la littérature. Chatten dit aussi qu’il est «bored of talking about music, bored of talking about books.» Il dit chercher une nouvelle voie et se dit obsédé par Mickey Rourke dans Rumble Fish.

             Les Fontaines sont aussi partis en tournée américaine avec Artic Monkeys. C’est drôle comme leurs références ne sont pas bonnes. Chatten dit avoir flashé sur Blur à Wembley. Au moins avec Dean Wareham, on parle des vrais trucs, c’est-à-dire Lou Reed et le Velvet. Là on est dans autre chose. Il s’agit sans doute d’un problème générationnel.

             C’est O’Connell qui sauve les meubles en avouant qu’il a produit le nouvel album de Peter Perrett, The Cleansing. Et Perrett se dit fasciné par la voix de Grian Chatten - They’re lucky to have a singer with such an iconic voice. A Voice is everything - Peter Pan sait de quoi il parle. O’Connell devient rudement intéressant lorsqu’il aborde la question de la culture irlandaise : «Il y a beaucoup plus dans notre histoire que les prêtres et les curés. The weirdness of pagan Ireland.» Puis il fait l’éloge des groupes de sa génération, «us, Gilla Band, Lankrum», et de «something very irish about dissonance as a concept.» Et bien évidemment, l’article finit par se casser la gueule avec l’irruption des Spice Girls et de U2. C’est là que Chatten sort son fameux prêche contre les dickheads. Il se sent devenir narcissique, talking about myself, et bien sûr il sent que c’est le problème.  

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             Avant de conclure, il est bon de rappeler que Skinty Fia est un album raté. Ils font illusion le temps d’un «Big Shot» très Radiohead, mais les compos ne sont pas au rendez-vous. Il ne reste que la voix de Grian Chatten, cette voix intéressante au timbre profond, avec de jolis effets de baryton sur le so cold d’«How Cold Love Is». Mais globalement, rien n’accroche. Ils sont dans le manque à gagner, dans le laissé pour compte, dans le solde de tout compte, ils tentent encore de viser l’horizon avec «Roman Holiday», mais l’album devient un radeau de la Méduse. C’est la damnation du cerf, ils n’ont absolument aucune compo. Rien. Que dalle. C’est le l’arty-gros foutage de gueule et ça ne reprend vie à la fin qu’avec «Nabokov» qui est bien écrasé de son. Quelle tragédie. Cet album a dû traumatiser leur destin. 

    Signé : Cazengler, Fonteigne d’ici

    Fontaines D.C. Skinty Fia. Partisan Records 2021

    Fontaines D.C. Romance. Xl Recordings 2024

    Stephen Troussé : Last of the new romantics. Uncut # 330 - October 2024

     

    *

             La teuf-teuf fonce à donf. Pourquoi donc ? Parce qu’elle emprunte la 619 qui vous emmène à Troyes. Dont on peut dire qu’en France elle est l’équivalente rock de la mythique road 66. Un don des Dieux ! Moins longue que Le Don Paisible de Mikhaïl Cholokov mais au bout de la route, comme à la bataille navale, la case Trois B s’avère gagnante à tous les coups. Comment cela se fait-il, je n’en sais rien, faudrait demander à Béatrice la patronne par quel stratagème elle se débrouille pour ramener systématiquement  de bons groupes. Peut-être a-t-elle la main verte, mais sûrement the main feeling rockabilly.

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             Remarquez ce coup-ci elle avait deux bonnes cartes dans son jeu. Luky Will est déjà venu 3 B...   Le deuxième as depique elle ne le tenait pas dans sa menotte toute mignonnette, elle nichait dans la poigne la plus féroce du rocker le plus intrépide, vous avez reconnu Jerry Lou, le pianiste fou, une photographie sur laquelle l’indomptable Jerry Lee Lewis arborait fièrement le premier CD de Luky Will.

             Autant dire que je ne m’attendais pas une douce veillée de colonie de vacances, mes prédictions ont été comblées au-delà de toute espérance. L’est vrai que 3 B recevait la visite  d’un sacré groupe de coupeurs de têtes.

    THE COOPERS

    3B

    (Troyes / 21 – 03 – 2025)

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                Suis surpris dès mon entrée au 3 B. Peu de monde. La moitié des tables désertes. Une demi-heure plus tard je suis effaré. D’où sort cette foule ! Jamais vu autant, une marée humaine, tellement de presse que l’accès au bar sera interdit pendant tout le concert à ceux qui squattent les places près des musiciens, debout, chaises, et même assis par terre ! Ce n’est tout de même pas une soirée folk qui est prévue.

             Z’arrivent sourire aux lèvres, s’installent sans se presser, la pression monte, profitons du premier instrumental, un Chicago Blues mid tempo, un tantinet funky, ce n’est pas la tornade que l’on attend, mais non de Zeus, pas besoin de sortir de Polytechnique pour se rendre compte que l’on est devant de sacrés musiciens. Tout au fond Kevin, à l’affût derrière ses fûts, frappe mollement, mais quelle étrange décontraction, l’est toujours prompt à ouvrir ou clôturer n’importe quelle séquence, à sa droite c’est plus grave, je ne parle pas du bassiste, l’a une moustache terriblement sympathique, mais chaque fois qu’un de ses doigts touche une corde de sa basse, non, ce n’est pas une upright, plutôt une upsound, vous avez un son profond et moelleux, du chocolat fondu, est-ce pour cela qu’il est surnommé Pepito, juste devant lui, sous son chapeau, Lucky et sa Gretsch rouge-sang, tout ce que l’on peut dire c’est qu’il maîtrise salement sa bécane sanglante. Enfin à droite, Bruno aligné contre le mur, enfoncé dans le recoin vous pouvez ne pas le voir, mais pour l’entendre pas de problème, paisiblement assis sous sa casquette, ses doigts n’arrêtent pas de ricaner, chaque fois qu’il les pose sur son clavier, c’est comme s’il instillait un brin de folie foutraque dans l’ambiance qui ne parle pas à tourner à l’orage dès le deuxième morceau.

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             Faut comprendre, l’amateur très moyen de rockabilly connaît la plupart des morceaux, mais ils ont une manière très spécifique de les interpréter. Ne vous filent pas les titres à tire-larigot à la queue-leu-leu, bonjour-bonsoir voilà le boulot, non ils ne récitent pas leur leçon, ils interviennent à chaque instant, vous les reconstruisent, vous les dégobillent sans retard, mais vous les ressortent totalement métamorphosés. C’est qu’ils possèdent une arme invincible mais souterraine, ils swinguent comme aucun autre groupe de rockabilly, z’ont la pulsation primitive, mais ils ne le montrent pas, partent du principe que chaque morceau doit être mené comme un round de boxe, mais avec quatre boxeurs qui chacun à leur tour sort son uppercut dévastateur.         

     Lucky, il joue la surprise attendue, suspend son jeu, tourne la tête à droite eut à gauche comme s’il ne se rappelait plus de ce qu’il lui faut faire, mais quand il envoie le riff vous supputez dans votre pauvre cervelle la seconde exacte où il va le relâcher, pas maintenant, ni après, ni avant, à l’instant précis où il veut ( ne s’appelle pas Will pour rien), sur son Folsom Prison Blues vous donne une sacrée leçon sur la notion de la liberté de l’artiste, quand il veut, où il veut, il vous pose le bibelot à l’endroit exact où vous n’aurez jamais escompté qu’il soit là. Avec lui chaque écoute d’un seul morceau devient une aventure sonique.

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    Autre tactique. Celle de Kevin. Il tapote dans son coin. Vous pensez qu’il joue à la belote avec un comparse imaginaire. Le gars loin de tout, retranché dans son quant à soi. Ses camarades se retournent vers lui. Qu’est-ce que tu fous Kevin, on ne voudrait pas te déranger mais si tu faisais un petit truc ça nous aiderait bien, alors il leur adresse un petit sourire, le même que Napoléon avait jeté à Murat pour lui signifier qu’il pouvait mener la charge de ses douze mille cavaliers contre l’infanterie russe à Eylau, mais Kevin c’est la décharge, la canonnade en quinze secondes il vous jette le morceau par terre, l’emporte tout sur son élan,  rasé rasibus, et hop il vous refigure le building qui sort de terre transfiguré de pied en cap, vous impose sa vision du monde, et vous convenez qu’elle est beaucoup plus efficace que la vôtre. Ensuite mine de rien, il joue l’élève innocent qui n’a rien fait, ni vu, ni pris, l’œil aux aguets, prêt à repartir en guerre dès que nécessaire.

    Bruno, sur son piano Yamaha, l’est comme vous qui de temps en temps parsemez du parmesan sur votre plat de pâtes, distribue quelques notes pour accompagner, c’est sans préavis qu’il lance la galopade effrénée sur son clavier, ce qui ne l’empêche pas parfois, un doigt à demi replié de s’obstiner sans trêve sur une note qu’il doit avoir envie de détruire l’on ne sait pas trop pourquoi, c’est un peu comme l’étincelle, chère au président Mao Tsé Toung, qui était censée mettre le feu à toute la plaine, en tout cas avec lui, ça marche à tous les coups, le morceau accélère comme une fusée interplanétaire, z’avez l’impression qu’il penche d’un côté et que dans la seconde qui suit tout va s’effondrer happé par cette maudite descente vertigineuse, d’autant plus que l’air de rien Kevin tout en continuant à battre son beurre, attrape le clavier d’une main et le soulève pour accentuer la pente fatale, genre de facétie qui n’empêche pas Bruno de  continuer sa dégringolade de notes infinies.

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    Pépito met le paquet, à sa façon. N’attaque jamais de face. L’est comme ces motards qui se positionnent au cul de votre voiture et vous poussent à accélérer sans fin. Choisit un de ses camarades, et hop il se colle à lui, en toute innocence, un véritable boutefeu, vous avez l’impression qu’il suit la cadence, il l’englobe d’une sonorité voluptueuse, il suscite le désir d’une course éperdue et c’est parti jusqu’au bout de l’avenue, quand l’autre s’arrête il stoppe aussi sec pour mieux rappuyer sur l’accélérateur, l’a une préférence pour les Gretsch de Lucky, il passe à l’orange et la rouge ne l’arrête pas. 

    Le cercle se referme. Will ne se contente pas de sa guitare. Il mène le jeu. Au vocal, faut l’entendre débouler Good Golly Miss Molly, l’a le gosier de fer et de foudre, parfait pour  arracher les dégringolades sublimes, descendre les torrents foudroyants de Blue Suede Shoes et éparpiller  les éclats de grenade de Great Balls of Fire aux quatre coins du monde. En plus un véritable entertainer, en trois réparties il dope la salle qui n’en finit plus de hurler. D’un geste souverain il arrête la furie générale pour la catapulter un quart de seconde plus tard dans un grandiose tumulte.

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    Trois sets de feu. Etourdissants. Effervescents. Excaliburants. L’ordonne à tous de se lever et de danser. Et tout le monde obéit Dinguerie absolue le You Never Can tell de Chuck Berry avec Bruno et son piano bordel-line…. Béatrice la Patronne indique que l’heure… il est temps d’arrêter l’émeute. Les instruments sont posés à terre. Lucky s’empare du micro court se réfugier dans la densité du public, s’empare du micro et pratiquement a cappella il entonne I Saw The Light le gospel sacrilège d’Hank Williams que nous reprenons tous en chœur… c’est reparti pour trois classiques, l’on termine comme dans les années 70 avec un petit Johnny B. (very) Goode

    C’était la fin. Pas du tout, maintenant l’on passe aux riffs les plus célèbres, genre l’on fait feu de tout bois de Téléphone à Smoke on the Water

    Je m’arrête ici, pour que vous ne soyez pas jaloux. Merci à Béatrice et  aux Coopers. Ce n’était pas une soirée inoubliable mais un rock-choc immémorial.

    Damie Chad.

     

    *

    Ashen continue sa route. Profitent du printemps pour déposer un œuf dinosaurien dans nos pupilles, une nouvelle vidéo explosive. On ne les compte plus, sans compter Smell like Teen Spirit, ce fut Sapiens, Hidden, Outler, Nowhere, Angel, Chimera, Desire, toujours pas d’album, mais une stratégie qui porte ses fruits, Outler, commis par un groupe français, vient d’être crédité d’un million de vues sur Spotify. Voici donc le dernier opus, le dernier obus :

    CRYSTAL TEARS

    ASHEN

    (Official Music Video / Mars 2025)

    OUT OF LINE MUSIC

    Bastien Sablé a dirigé la vidéo qu’il a scénarisée en compagnie d’Ashen. Le site de Bastien Sablé est à visiter. Il a réalisé de multiples clips pour de nombreux (et nombreuses) artistes de la nouvelle variété française. De mirifiques décors, des mises en scène inspirées, dommage, selon mes goûts de rocker endurci, que les musiques ne soient pas souvent à la hauteur images qui les accompagnent.

    Mais pour celle-ci, la transcription mouvante de la  beauté formelle des hallucinations cryptiques échevelées est si parfaitement adaptée à l’univers spirituel darkside et à la violence fragmentale de la musique du groupe, que l’ensemble symbiotique s’inscrit sur les murs charbonneux de  notre nuit mentale en traits de feu sanglants significativement aussi éphémères qu’éternels…

    Où sommes-nous ? Dans une des sombres galeries des Indes Noires de Jules Verne, ou en un endroit encore plus dangereux, à ras-de-terre et de cendres des Champs Phlégréens, juste à la l’orée du porche de la caverne qui selon les Anciens conduisaient aux Enfers, au Royaume de la Mort, à moins que cette ombre noire qui chemine précautionneusement, son bras levé supportant un flambeau de lumière indistincte, ne soit un être humain vivant déjà mort. Cette ombre animale que l’on entraperçoit une demi-seconde ne serait-elle pas celle de Cerbère, le chien obturateur rendant impossible toute remontée.

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    Devant une muraille de schiste noir, le groupe joue, se démène, se trémousse assène la musique sous forme de lingots de plomb noircis, il crie, il hurle, il clame, il geint, il gesticule, il joue… son rôle de chambre noire de Chenonceau, Clem, l’Orphée mythique, n’est déjà plus qu’une âme, les vestiges remuants de ce qui a eu lieu, le vertige rampant de ce qui n’est plus, la dague est plantée dans le sol, en éclat de quartz, un éclair blanc de robe de reine morte, l’épée où se jeter et se percer le cœur, le groupe en transe paroxystique, et Clem qui s’approche précautionneusement, de la fleur de lys, de l’incisive géante d’un monstre antédiluvien, la forme blanche de la lance du Graal, folie noire, fantôme de pierre, albâtre qui grandit démesurément, le toucher, la toucher, est-ce lui, est-ce elle, cette Excalibur proéminente dont la lame froide arde et illumine, mais avant se reposer, se concentrer en soi, se poser les bonnes questions, faut-il s’adresser à lui, à elle, à soi-même, à cette énigme translucide, alors que l’on dit que la Mort est blanche, et ce menhir illuminatif, qui est-il ? Pourquoi ne serait-il pas moi. Serait-il l’autre. De l’autre côté du miroir. N’aurait-il pas la forme d’un cœur. Immortel puisqu’il ne bat plus. Confrontation avec l’autre de soi-même. Gerçure et brûlure à la jointure. L’orchestre exorcise sa fureur. Bersek de lui-même. Hurlement. Qui meurt là, qui tombe et s’affale sur la pierre druidique, qui titube et s’appuie sur le pilier christique. Communion. Extrême-onction sacrificielle. Le groupe massacre-t-il de désespoir sa musique noisique. Plus personne. Ne reste plus, sublime, immarcessible, que l’épée blanche qui semble s’élever vers le ciel. Serait-elle la représentation de l’aile d’un ange rilkéen. Celui élémental qui descend.

    Damie Chad.

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    Nota-Bene : L’œuvre au noir, la forme blanche n’évoque-telle pas la forme oblongue d’un cercueil, peut-elle être éblouissance. En quoi le tout se résorbe-t-il ! La forme blanche est-elle l’épée de la séparation ? De cet autre côté de nous-même que nous sommes et ne sommes point. Notre somme additionnelle n’est-elle égale qu’à la silhouette du 1 maladroitement tracée, cette frontière qui ne délimite qu’un même et unique royaume. Toute la douleur existentielle de cette dichotomie de nous-même qu’aucun scalpel de pierre ne parviendra jamais à séparer de nous-même car notre vie s’apparente si bien à notre mort que nous sommes tout aussi bien que nous ne sommes pas, ce tout que l’on voudrait ne pas être ou ce rien que l’on voudrait être.

    Une lecture plus simple, l’adieu à l’androgynie que l’on a été, que l’on a cru être et que l’on n’est plus. Cette coupure de l’autre qui n’est que la coupure de soi-même d’avec l’autre. Vouloir être dans une unique solitude et n’être plus que la solitude de soi-même. Un moins Un égale toujours Un. L’illusion posthume du 2. Le Un est toujours seul, séparé de sa propre multiplicité.

    Pour aider à réparer la fracture, Platon disait que l’on ne pouvait passer du Un au Deux, sans quoi le Un reste seul. L’a préconisé le principe de la dyade qui n’est autre que la reconnaissance du Deux, non pas en son unité, mais en sa dépendance à l’autre qui reste l’Un, ce qui de fait de la dyade le principe de la reconnaissance de la multiplicité infinie, qui n’est autre que le ravalement du Un, non pas en sa Unicité, mais en simple fraction élémentale de la répétition du Même.

    Le Même n’étant que la négation de l’unicité du Un. Or un Un qui n’est pas unique nous oblige à vivre  l’équivoque relationnel avec tout autre. A nous atomiser avec le n’importe quoi. Une espèce de suicide collectif métaphysique en quelque sorte. Commis par un seul.

    Damie Chad.

     

    *

    Vous avez des mots et des titres qui vous attirent plus que d’autres. J’avoue avoir pas mal barjoté sur le Midnight Rambler des Stones mais là je suis servi : un groupe qui se nomme Nightstalker, mais qui très vite aggrave son cas, ils sont grecs, d’Athènes, sont cités dans la mouvance de Rotting Christ, quant au titre de l’album jugez-en par vous-même,

    RETURN FROM THE POINT OF NO RETURN

    NIGHTSTALKER

    (Heavy Psych Sounds Sounds Records / Mars 2025)

             En langue anglaise ‘’starlker’’ désigne un rôdeur dont il vaut mieux se méfier, l’on ne sait ce qu’il manigance mais vous êtes sûr qu’il ne travaille pas au bonheur de l’humanité, il désigne aussi un chasseur lancé sur une piste qui n’appartient qu’à lui. Stalker c’est aussi le film du réalisateur soviétique – il eut quelques ennuis avec le régime – Andréi Tarkowski. Une étrange histoire d’un stalker mystérieux qui guide au travers d’une zone désolée et interdite deux voyageurs, un écrivain et un professeur, vers une mystérieuse cellule où vous atteindriez l’horizon zénithal de  l’absolu de vos désirs profonds… Le film est sorti en 1979, il a trouvé une étrange résonnance dans la zone interdite située autour de la centrale nucléaire de Tchernobyl explosée en 1986 dans laquelle certaines espèces animales semblent avoir développé une espèce d’armure biologique contre les radiations atomiques… Si vous partez du principe que l’Homme n’est qu’une espèce animale parmi tant d’autres, toutes les cogitations vous sont permises… Stalker est aussi le nom du blogue littéraire de Juan Asensio adonné à la dissection du cadavre de la littérature…  

             Le retour au point de non-retour doit-il être considéré comme une régression ou une avancée. Une deuxième chance ou la peur de s’enfoncer dans la logique d’un cheminement. De toutes les manières l’idée du retour n’implique pas-t-elle la notion de l’origine quel que soit le sens de votre marche qui, même si vous revenez sur vos pas, en reposant systématiquement chacun de vos pas dans vos propres empreintes vous oblige à dessiner l’idéelle figure d’un cercle nietzschéen…

             La pochette vaut le détour. Cette espèce de ville endômée, endoomée par une calotte humaine protectrice et emblématique – appréciez au-dessous l’espèce de péristyle morcelé, ces colonnes qui furent la fierté des cités grecques antiques et par-dessus le capillaire village rural  exhaussé sur les déclivités crâniennes du crâne, poussé tel un rêve, qui ne veut pas mourir et s’accroche désespérément aux superstructures de cet exo- squelette tombal et génital.   

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    Cette couve est d’Alexander Von Wieding, un illustrateur qui a beaucoup travaillé en  packaging et notices diverses en relation avec la production industrielle, amateur de blues depuis 2006 il s’est spécialisé pour la production de pochettes d’albums. Son Instagram regorge de photos de couves pour des groupes et des chanteurs dont j’ignorais l’existence. Idéal pour mesurer le gouffre de votre ignorance, car l’intérêt pour les images vous empêche de vous attrister sur vos manques de connaissances.

    Nightwalker fut fondé en 1989. Ce disque est leur septième album, ( + deux lives et quelques simples),

    Andreas Lagios : bass / Dinos Roulos : drums, percussions / Tolis Motsios : guitares / Argy : vocal, lyrycs, percussions.

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    Dust : si vous vous  attendez à une sereine méditation sur la poussière que vous êtes et sur la poussière que vous deviendrez, c’est râpé, la batterie bouscule vos synapses, des tourbillons sonores précipitent vos circuits cérébraux en une espèce de surdopéisation de vos neurones préférés.  Plus de chair  vous êtes comme sur la couve réduit à l’os de vos prétentions, comme quoi tout se passe dans votre tête, au-dehors tout se rétrécit, Argy vous prévient, tout a une fin, même ces jours que vous avez longtemps crus heureux. En quatre courtes strophes il vous indique le début de la catastrophe. Une seule consolation la guitare de Tolis, toujours ça de pris sur l’ennemi. Heavy Trippin’ : dur, dur docteur Arthur, un peu de méditation, la basse de d’Andreas vous y invite, mais les camarades haussent le niveau sonore, l’introspection silencieuse c’est terminé, pratiquement une confession publique obligatoire, modulée d’un vieux fond bluesy salement malmené, c’est beau comme du Verlaine mais ça remue comme Le Bateau Ivre de Rimbaud, vous avez vécu dans un rêve, du toc de chez toc-toc qui refuse la réalité, qui oublie le malheur de ses congénères, qui ne pense qu’à sa petite quiétude personnelle, c’est fou comme le temps s’allonge indéfiniment lorsque l’on tourne et retourne en soi-même, alors qu’autour de vous tout se désagrège à une vitesse supersonique. Il est temps de prendre les décisions qui s’imposent. Pour vous consoler les quinze dernières secondes du morceau sont superbes. Jamais entendu une semblable coda à décoder.

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    Uncut : je vous rassure, ils ne sont pas tombés dans un trip à l’acoustique, l’électricité ronronne à fond, à gros flocons, si vous ne me croyez pas vous avez une vidéo, en studio et sur scène, de vrais rockers ils jouent au billard à trois boules, pas à l’amerlok, toute la différence entre un traité d’Aristote et un roman naturaliste, ce dernier est bien plus simple mais nécessite moins d’aptitude intellectuelle, s’amusent aussi au flipper et z’ont des groupies à foison. Ce qui est un peu à contre-courant du scénario aujourd’hui fortement  conseillé parce qu’après qu’Andras nous a appris ce que l’on peut faire avec une basse, l’Argy, ce n’est pas de l’argile, l’est dur comme du granit, vous congédie sa copine sans fioriture, le temps des simagrées et des faux-semblants c’est terminé, pour les féministes concentrez-vous sur la machine de guerre de ce groupe, ils n’ont peut-être pas inventé le lait en poudre, mais c’est si puissant et si beau que dans vos cerveaux ils font pousser l’herbe qui nourrit les vaches.  Return from the Point of No Return : encore une vidéo, vous voyez l’Argy se livrer à ses petites activités matinales un peu de sport, un peu de bourbon, finit par se rouler un joint aussi gros qu’un bâton de maréchal, vous voyez le groupe jouer et

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    surtout vous entendez la mayonnaise, elle vous emporte sur le haut sommet de l’Empyrée, le Dinos, l’a la frappe dinosaurienne, vous berce dans les roulements incessants de ses toms, ne cédez pas à l’hypnose musicale, Argy est en train de mettre de l’ordre dans son existence, confond un peu son balai avec un char d’assaut, mais faut ce qu’il faut, ou vous êtes capable de retourner au point de non-retour ou vous ne l’êtes pas. Sachez repérer les cris en sourdine. L’art du hurlement souterrain n’est pas donné à tout le monde. Un morceau qui fait place nette. Shipwecked Powder Monkey : attention de l’eau dans les écoutilles, sont comme fatigués d’écoper, se reprennent vite, z’ont intérêt maintenant à se magner car ça entre par gros paquets, voici les temps de l’incertitude le moment où l’on s’aperçoit de l’équivalence de nos actes, que l’on fasse ceci ou cela, le résultat est identique, maintenant le groupe fonce en piqué et en escadrille, les choses t’échappent, vous filent les derniers enseignements, tu n’y peux rien, l’existe un point où l’avant devient l’après, à moins que ça ne soit juste le contraire, tu te dois avancer, mais c’est le temps qui te rattrape et te dépasse.  Guitare en chappe de plomb te percent les oreilles, te bercent dans ton incomplétude, dans ton impuissance programmée. Shallow Grave : cette basse trop grave, plus basse que la terre que tu as creusée pour enfouir tes rêves et ta volition,  voici donc le slow des grandes glaciations, la musique dodeline, au bout de la mort une renaissance, un rite de passage, les tisons de la guitare te réchauffent la musiquen se redressent tel un serpent prêt à se battre, fais le tour de tes anneaux mémoriels, ne te laisse pas enfermer dans le cercle vicieux de tes habitudes. Reviens à toi. Extrais-toi de ta propre tombe. Falling Inside : le retour en soi, une pierre qui dévale la colline, qui tombe, qui n’en finit pas de tomber, de plus en plus vite, le rythme s’accélère, il est trop impétueux pour que tu aies le temps d’avoir peur, le groupe explose littéralement, un élan dévastateur, créateur, tout au fond tu trouves ce que tu cherchais en vain depuis longtemps. En toi-même. Te voici redevenu toi-même. Tout voyage est intérieur. Tu es le retour et tu es en même temps le non-retour pour ne pas stagner. Flying Mode : le son est lourd, il ne trébuche pas, il s’amplifie, le tout est de ne pas s’appesantir en soi, de ne pas se confiner en une morale étriquée du bien et du mal, la zique prend son envol, faut savoir s’envoler, le chant devient encombré de parcelles de gai savoir, vivre ses rêves c’est déjà vivre, le cheval fou de la batterie trottine allègrement, bientôt il galope ardemment, rejoint par le reste de la horde, crinières pâmoisantes de guitares, toujours de l’avant, cris de joie, de victoire et de triomphe. Si vous restez à les écouter vous ne les rattraperez jamais.

             Enthousiasmant. A écouter attentivement, peuplé d’idées musicales inédites. Un groupe au sommet de son art. Testamentaire en le sens où les héritiers viendront boire. Source vive.

             Tellement bon que j’ai voulu en écouter davantage, j’ai choisi un titre choc :

    DEAD ROCK COMMANDOS

    (Small Stone Records / 2012)

    Pas tout à fait au hasard, d’abord une pochette d’Alexander Von Wieding qui n’est pas sans préfigurer un demi-quart de siècle à l’avance celle de Return from the point of no return, un peu moins réussie toutefois, quel sens donner à ce trognon de pomme déposé entre les mâchoires de cet animal monstrueux aux dents hyper développées de tyrannosaure, si ce n’est celle d’une éthique rock qui consiste à croquer la vie à pleines incisives mais en privilégiant uniquement les  meilleurs morceaux. N’est-ce pas normal que Kr(tnt ! qui vous propose chaque semaine les aventures de l’Avenir du Rock dans le désert d’Egypte se penchât aussi sur ces commandos du rock décédé, un titre d’autant plus énigmatique que si l’on en croit nos oreilles le cadavre en pleine forme s’agite beaucoup pour un moribond. 

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    Go get some : choc de zinc dézinguant, z’en remettent une couche et c’est parti pour le rock’n’roll, le vocal qui klaxonne comme une trompe pour vous avertir que l’avalanche déboule sur vous, trop tard vous êtes déjà enseveli dans les neiges éternelles, une guitare non décarbonée signale l’endroit de votre passage, de l’autre côté de la montagne noire. N’ayez crainte seulement une métaphore afin de vous inculquer la rudesse de l’art tonitruant de vivre rock’n’roll. Pas difficile vous cherchez à crever la gueule ouverte mais vous recracher les pépins de la mort pour ceux qui les ramasseront et s’en nourriront. Codicille de dernière importance : ou le rock ou le néant. La vie appartient aux excités. Soma : nouvelle somation. Vous la lancent à la balle dum-dum.  Très agréable, musicalement parlant si vous aimez le rentre-dedans, délectable aussi si vous suivez les conseils, pardon les ordres. Un combat au corps à corps, jouissance sexuelle tous azimuts, une guitare qui hennit de plaisir et le reste e la bande qui enfonce le clou dans les cercueils de chair. Dead Rock

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    Commandos : vous avez une vidéo pour vous aider à comprendre, le printemps qui s’éveille, la nature presque frémissante, déboulent en courant, tous habillés de noir, un moment pour comprendre qu’ils sont poursuivis, qu’ils sont vont être rattrapés, on se saisit d’eux, on leur recouvre la tête d’un voile blanc, sont emmenés sur les lieux de leur exécution, brutalement on les libère et on les place derrière leurs instruments, morale de l’Histoire, il y a commandos et commandos, les uns détruisent la planète et lobotomisent les populations et les autres se servent de leur musique pour se défendre et survivre. Riffs noirs et sombres à grandes enjambées vous assomment, eux aussi sont des commandos, les commandos du rock. Ceux qui cherchent à tuer le rock, ceux qui se battent pour qu’il survive. Le texte est beaucoup plus politique qu’il n’y paraît. One million broken promises : pompent plus vite et plus énergiquement que les shadocks, normal ce sont des shadrock, n’en profitent pas pour rejeter la faute exclusive sur le reste du monde, reconnaissent leurs torts, ils boivent, ils se droguent, reconnaissent qu’ils ont peur, qu’ils se dépatouillent mal, parce l’ombre de la mort les terrorise et que l’on meurt toujours seul. Rarement entendu une si grande probité intellectuelle chez les groupes heavy et metalleux. En plus ils vous l’assènent sans ambages et surtout sans repentir ni fausse honte.

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    Children of the sun : la vidéo vous évitera de croire qu’après une crise mystique subite le groupe se soit converti à l’idéologie hippie. Musique franche et directe assénée à pleines bouches, à pleins instruments, vidéo superbement mise en scène, toute simple mais pétillante d’intelligence, rock bien sûr mais avant tout une superbe pantomime des relations humaines, une traduction de cette complicité entre les individus qui les relie tels qu’ils sont avec toutes leurs différences. Les petites ironies de la vie, pour reprendre un titre de Thomas Hardy. Suffit de ne pas croire en la petite fleur bleue. Back to dirt : face B. Une lettre de bienvenue à un nouveau-né, elle n’est pas rédigée par Madame de Sévigné, la batterie vous met les points sur les i, la basse froisse le papier, le vocal bien fort pour que l’on n’ait pas besoin de le lui répéter quand il aura grandi, la guitare lui scie les planches pour son futur concert, on ne lui cache rien au petitou, il sort du trou de sa mère, il finira dans un trou de la terre, pour le reste débrouille-toi comme tu veux, un conseil fais-toi tout petit, et essaie de vivre jusqu’au jour de ta mort. Tu y passeras comme nous tous. Une tendresse en fer forgé. Keystone : une seule clef de voûte pour tenir une vie à peu près droite : le rock’n’roll. Qui balance pas mal avec des appuyés au forceps. Parce que t’es rock, t’en prends plein la gueule, tu t’en fous tu as toujours un temps d’avance sur les autres, mais surtout sur toi-même. C’est ainsi que je ne suis plus moi-même puisque je suis devenu moi-même. Me reste encore à apprendre à aimer. Rockaine : une guitare torturée, elle a dû écouter Jimi Hendrix, quel kaos dans sa tête, le moment du doute, tu t’es sorti de l’enfer pour entrer dans un autre, la batterie joue à l’éléphant dans le magasin de porcelaine, la basse repeint les murs en noir, obstination d’un pachyderme dans la toundra glacée qui essaie de trouver en lui-même un pâturage d’herbe fraîche, l’est pas près de brouter tout à son aise. The boogie man plan : mauvais plan. Encore plus violent que le précédent. Fait le point, l’a peur de tout, du quotidien et de l’exceptionnel. Un coup de projecteur sur Dead Rock Commando, encore une fois le groupe se démarque des autres, certes les instrus vous baladent dans un hachis parmentier saignant, vous aurez du mal à reconnaître vos oreilles embringuées dans ce vortex, mais au contraire de tous les groupes, il ne se cache pas derrière les mots, l’a la trouille de lui-même et encore plus des talibans. Talibang, le mot résonne, un défi civilisationnel, la déjante du rock’n’roll  face à la laideur du monothéisme sociétal. The underdog : entrée en fanfare, accueillez le héros, l’outsider que plus personne n’attendait plus, le voici, le voilà, il revient du vingt-quatrième dessous, faut entendre comme la batterie tape des mains, la guitare exulte, la basse monte haut, attention, les acclamations se voilent, l’outsider vous donne sa propre leçon de survie, vivez cachés, faites-vous oublier, rentrer dans un trou de souris, de toutes les manières pour les jeunes générations c’est trop tard. Affirmatif . Cinq sur cinq. Elles ne survivront pas.

             Musicalement, très brut de décoffrage. Du solide. Du résistant. Du béton armé. Peu d’imagination, mais c’est avec des pierres unidimensionnelles que l’on a bâti les pyramides. Question moral, il va descendre plus bas que les talons de vos santiags. Noir de chez noir. Ne vous reste plus rien à vous mettre sous la dent. Ah ! si un vieux trognon de pomme fossilisé. N’espérez rien. Claque rock. C’est que l’on appelle l’énergie du rock’n’roll ! A vous injecter en intraveineuse chaque soir, même dose au petit matin. Vous aurez de quoi opposer au cauchemar qui se profile à l’horizon. Médicamentation rock’n’roll du bon docteur :

    Damie Chad.