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  • CHRONIQUES DE POURPRE 693 : KR'TNT ! 693 : BILLY CHILDISH / RAVEONETTES / WADE FLEMONS / LOWLAND BROTHERS / FRANKIE AND THE WITCH FINGERS / KID DAVIS & THE BULLETS / ASHEN / MOGRA / GENE VINCENT

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 693

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    05 / 06 / 2025

     

     

    BILLY CHILDISH / RAVEONETTES

    WADE FLEMONS / LOWLAND BROTERS

    FRANKIE AND THE WITCH FINGERS

    KID DAVIS & THE BULLETS

    ASHEN / MOGRA / GENE VINCENT

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 693

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Le rock à Billy

    (Part Three)

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             Sur la jaquette de cette belle bio de Ted Kessler, To Ease My Troubled Mind - The Authorized Unauthorized History Of Billy Childish, Wild Billy Childish se fait une tête de Singing Loin : le regard perdu dans le souvenir de ses aventures, il tire une bouffée sur sa pipe sculptée.

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             Pourquoi cette bio fait-elle partie des ouvrages déterminants de la rock culture ? Parce que le petit Kessler s’est imaginé pouvoir faire entrer un géant dans les 300 pages du book, et bien sûr, c’est raté, mais on respecte cette tentative, car en tant que telle, elle est assez brillante. Pour rendre sa tentative plus vivante, l’opiniâtre Kessler donne la parole à des tas de témoins, et ça prend une tournure très appropriée d’oral history.

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    Ted Kessler

             Pendant qu’ici sur les Chroniques on met le paquet sur l’œuvre rock, dans son tentative-book, Kessler met le paquet sur l’homme : il passe l’harem de Big Billy au peigne fin et rappelle qu’avant d’être la prolifique rock star underground que l’on sait, il est surtout poète, écrivain et peintre. Il expose aujourd’hui dans le monde entier. Et puis il vieillit. C’est le côté déplaisant du book : Kessler n’ose pas dire que Big Billy ralentit, mais c’est tout comme. Ce sont des choses qu’on n’aime ni lire ni voir. La traduction française du mot ‘rock’ est ‘jeunesse éternelle’. Donc pas question de nous pourrir la vie avec des histoires de ralentissement. Fuck it !

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             Dans son introduction, Stewart Lee se souvient de la première fois qu’il a vu Big Billy sur scène à Glastonbury, en l’an 2000 avec les Buff Medways. Il s’est exclamé : «This is absolutely amazing». Pour lui, ça revenait à voir les Who en 1966. Ce qu’il décrit s’appelle un coup de foudre. At first sight. Tu la vois et tu la veux. Il rend ensuite hommage à la période Dylanesque de Big Billy et la douzaine d’albums de The William Loveday Intention. Il qualifie ça d’overwhelming et ne trouve qu’une seule comparaison : Robert Pollard, sauf que, ajoute-t-il, «Billy Childish makes Robert Pollards look like Taylor Swift in terms of his engagement with the media.» D’ailleurs Big Billy revient sur l’affaire William Loveday Intention. Il dit qu’un jour, il en a marre de peindre, alors il a l’idée saugrenue de faire «a carreer in a year». Il est sans le moindre doute le seul au monde à pouvoir se lancer dans une telle aventure : une carrière entière en un an. Et quand on connaît la qualité des albums, force est de se prosterner jusqu’à terre.

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             C’est sa grand-mère qui s’appelait Loveday : Ivy Loveday. Quand Big Billy voit le jour en 1959, sa grand-mère l’enregistre sous le nom de William Ivy Loveday. Mais ça ne plait pas à John Hamper, son père, qui en 1960, corrige le tir en enregistrant son fils sous le nom Stephen John Hamper. Des noms qu’on va retrouver dans les aventures de Big Billy. Il développe très vite une passion pour les pseudos. À 6 ans, il se fait appeler Virgil. En 1972, il devient Horatio Hamper. En 1977, Gus Claudius. C’est aussi en 1977 que son pote Button Nose Steve le baptise Billy Childish - That one stuck - Quand il ouvre un compte pour son asso, il se fait appeler du nom de son mentor, Kurt Schwitters. En tant qu’éditeur, il est Bill Hamper. Et en tant que directeur d’Hangman Books, il est Jack Ketch. Quand il fonde Hangman Books en 1986, il qualifie ça de «non-profit making label specialising in releasing the unreleasable.» Et comme il ne veut faire aucun compromis avec la société et devenir l’esclave d’un salaire - the slave of wages - il choisit de vivre dans la pauvreté.

             Sa seule expérience salariale remonte eu temps où il bossait chez un tailleur de pierres, et pour être sûr de ne plus pouvoir y bosser, il s’est fracassé une main à coups de marteau. Il n’était donc plus un «member of the salaried workforce». Il est devenu un artiste, a musician, a writer and poet - He signed on the dole. Aux frais de la princesse.

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    Oeuvre de Tracey Enim

             Le petit Kessler attaque l’harem en expliquant que «the romantic relationships of his life are absolutely key.» Big Billy reconnaît qu’il avait plusieurs poules en même temps, «multiple relationships at once», il ne s’en cachait pas. Tracey Emin est l’une de ses premières poules. Elle témoigne longuement dans le book-tentative et rappelle que l’art de Billy était la même chose que sa musique : «It was LeadBelly, blues, rock’n’roll, two-beat.» Elle ajoute : «It had to be clear, it had to be obvious.» Puis en 1982, Tracey découvre que Big Billy s’est marié pendant qu’il était en couple avec elle - I was beyond devastated - Elle ne supporte pas l’idée qu’il ait pu se marier en cachette. Effectivement, Billy a épousé Shelia, mais ils n’ont pas eu de relations sexuelles. Shelia voulait juste un council flat à Brixton et pour l’obtenir, elle devait être mariée, alors Billy lui a donné un coup de main. Il dit aussi que l’appart serait un bon refuge, pour échapper à cette «sex-crazed woman that I was going out with.» Il parle de Tracey, bien sûr, et il ajoute, en mode tongue in cheek : «But as well as being a problem, the sex-crazed woman bit was the attraction.» Il y a mille façons de décrire une relation avec une nympho, mais celle de Big Billy est réellement délicieuse. Il utilise son langage punk. Mais attention, il ne faut pas entendre «punk» au sens de McLaren. Le punk de Big Billy est antérieur, comme il l’explique dans «Punk Rock Enough For Me», sur l’Acorn Man de CTMF : «John Lee Hooker without Santana is punk rock enough for me/ I said John Lee on a half track is punk rock enough for me/ Hendrix in Beatle boots is punk rock enough for me/ Freddie & The Dreamers are punk rock enough for me.» Et dans le couplet suivant, il ajoute The Beatles at the Star-Club et Joe Strummer & The 101ers - I said Keys To Your heart is punk rock enough for me - Dans le troisième couplet, il cite Billie Holiday, a cup of tea, Dostoievsky & Gogol, Knut Hamsun & John Fante, puis dans le couplet suivant, Bo Diddley, Son House, Robert Johnson, les Downliners Sect, puis Jimmy Reed, the Who, Buddy Holly, Bill Haley, Wire at the Roxy, et miming in the mirror is punk rock enough for me. Il définit un état d’esprit. Et quand le punk-rock est récupéré, Big Billy s’en écarte et continue d’évoluer à sa façon, c’est-à-dire en mode punk. Libre. Sans concession. Wild-as-fuck.

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             Après Tracey (et d’autres), il y aura Kyra, qu’il rencontre à Bruxelles. Elle vient s’installer à Chatham, pour remplacer Tracey. Et quand Big Billy entame une relation avec Holly Golightly, Kyra met Huddie, le fils de Big Billy, au monde. Il va rester 15 ans avec Kyra et plus tard, 22 ans avec Nurse Juju. Kyra témoigne elle aussi dans le tentative-book. Elle raconte que Big Billy lui autorisait une petite télé portative, mais elle devait la ranger quand elle avait fini de voir son émission - Billy had his rules - Puis sa relation avec Big Billy commence à se détériorer, car il picole un peu trop. Il voit d’autres femmes et menace Kyra de lui dire la vérité. Elle lui consacre toute sa vie et avoue qu’elle n’a rien en retour. Quand leur relation s’achève, Big Billy devient un peintre célèbre - Everything took off - Elle évoque bien sûr Thee Headcoatees, avec Sarah Crouch, Debbie Green et Holly Golightly qui à l’époque est la poule de Bruce Brand. Elles prennent modèle sur les Delmonas, dont Sarah avait fait partie. Thee Headcoatees vont enregistrer 5 albums et Kyra se souvient des répétitions dans la cuisine. Les gens disaient à Kyra qu’elle ne savait pas chanter et elle répondait : «I know, it doesn’t matter. It’s punk!». Elles sont même allées jouer au Japon. Elle garde un souvenir ému des tournées des Headcoatees avec les Headcoats. Puis ça se termine en eau de boudin, car Big Billy commence à fricoter avec Holly Golightly - That was horrendous - L’atmosphère est toute pourrie pendant la dernière tournée américaine. Elle voit Billy et Holly trafiquer avec «the label people and trying to make deals with them.»

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             Big Billy revient sur l’harem : ça ne pouvait pas être uniquement local, évidemment, il avait des gonzesses au Japon, Aux États-Unis, en Europe, à Londres - My bastion against the world scattered across the nations - Et Kessler de conclure : «But it had to stop, and so it did.» Et pendant qu’il baise avec Holly, Kyra lui annonce qu’elle est enceinte. Ce qui agace Holly.  

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    billy + Tracey : photographie : Eugene Doyen

             Puis le petit Kessler entre dans le vif du sujet : la force de la nature. Big Billy se lève le matin pour faire de la musique, pour peindre, pour écrire. Il prend en charge le groupe, trouve le gig, ramasse le blé et le partage à parts égales, au pub, après le gig. Eugene Doyen : «It was the truest sense of punk DIY thing you can imagine. He kept everyone busy.» Et l’Eugene d’enfoncer son clou : «That’s what Billy did. He just did the work.» Quand l’Eugene rencontre Big Billy, ils sont tous les deux fans de Dada. Puis l’Eugene va devenir le photographe de la Medway Scene.

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    Billy + Sexton

             Autre personnage clé de la légende childishienne : Sexton Ming. Doyen : «Sexton was a unique mind, a fantastic sense of humour; he was a bit like Captain Beefheart.» Il ajoute que Big Billy le soutenait à 100% : «We’re making music with Sexton. We’re going to put exhibitions of Sexton’s work on, we’ll sell his work, sell his albums, put his poetry on.» C’est dire la modernité d’esprit de Big Billy. Il monte The Phyriod Press en 1979 avec Sexton Ming.

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             C’est en l’an 2000 que la réputation de Big Billy a commencé à grossir, grâce à ses toiles, à ses books, à ses albums et à ses concerts. Il est devenu une influence. Et puis cette facilité qu’il a de monter des groupes. Quand Graham Day lui annonce qu’il quitte Thee Mighty Caesars à cause de son job de pompier, Big Billy fait rentrer sa femme Juju à la basse et change le nom du groupe qui devient The Chatham Singers, puis The Musicians Of The British Empire, et ensuite CTMF, toujours avec Wolf au beurre.

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             Sa principale activité reste néanmoins la peinture - Painting, he often says, is his main job - Il peint chaque lundi. Il admire Van Gogh et Munch en tant que «heights of modernist work» et «cutting edge». On décrit aussi Big Billy comme quelqu’un de très demandeur - Billy is the centre of the universe - Billy ne regarde pas la télé. Il ne va pas au cinéma ni voir les matchs de foot. Il ne collectionne pas les disks et se fout des charts comme de l’an quarante. Il n’écoute la radio (Radio 3) que le lundi quand il peint. Il n’aime pas trop aller voir des concerts - He doesn’t like  to be in a crowd of «grey-haired old cunts like me» - Quand Huddie qui a 23 ans joue sur scène, ajoute-t-il, les gens qui sont dans le public sont tous des grand-pères.

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             Et puis bien sûr, il y a les groupes. À commencer par les Pop Rivets et les racines sixties, «Hippy Hippy Shake» et «Watcha Gonna Do About It». Big Billy rappelle au passage que Big Russ «was the powerhouse behind the Pop Rivets». Premier album en deux ou trois jours, titré The Pop Rivets’ Greatest Hits, puis ils vont jouer en Suisse et à Hambourg et établir des connexions qui seront utiles par la suite pour les Milkshakes. La fin des Pop Rivets est assez calamiteuse : le drummer Little Russ quitte le groupe et t’as la girlfriend qui se prend pour la manageuse et qui dit à Big Billy qu’il devrait sonner plus comme Jimmy Pursey, «which didn’t go down well with me.» Le guitariste des Pop Rivets n’est autre que Bruce Brand. Lequel Bruce va commencer à s’intéresser aux drums - I took notice of drums whatsoever - Il s’aperçoit que personne ne joue plus comme au temps des sixties - It was either heavy rock or disco at the time - Et il y prend goût.

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             Et crack, aussitôt après les fin des Pop Rivets, Big Billy monte les Milkshakes - I wanted to do more rock’n’roll songs. I really liked Gene Vincent and wanted to go in that direction - Ça tombe bien, Mickey Hampshire adore lui aussi les Beatles du Star Club. Et à la demande de Big Billy, Bruce devient le batteur des Milkshakes. Sur scène, Big Billy et Mickey dansent en grattant leurs poux. Ils jouent essentiellement dans les pubs. Russ Wilkins rappelle qu’alors que tous les groupes voulaient quitter le circuit des pubs, les Milkshakes au contraire se battaient pour y rester - Those small venues are the best places to play - Tous ses meilleurs souvenirs de concerts sont dans les small venues. Quand il va voir Led Zep dans une grande salle, il trouve ça horrible - Yet seing the Damned at the Hope and Anchor was just earth-shattering - Russ revient un temps dans les Milkshakes pour remplacer Bertie à la basse. Les Milkshakes tournent essentiellement avec les Prisoners qui cultivaient un son plus psyché «and the muscular sixties mod-preening of the Small Faces.» Entre 1982 et 1984, Big Billy dit avoir enregistré 57 albums - 1984 : The Milkshakes release four albums around the world on the same day in an attempt to commit commercial suicide.

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             C’est aussi l’époque où Big Billy monte les Delmonas avec les girlfriends des Milkshakes : Hilary (copine de Russ), Sarah Crouch (aka Miss Ludella Black, copine de Mickey Hampshire) et Louise Baker qui doit être la copine de Bruce Brand. La seule copine de Milkshaker qui ne soit pas dans les Delmonas est celle de Big Billy, Tracey Emin, Mais comme Big Russ est marié et qu’il a des gosses, il doit quitter le groupe, remplacé par un fan nommé John Gawen. Et comme ça picole sec dans le groupe, Mickey décide d’en rester là. Russ : «Much too much booze, but just booze». No drugs.

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             Fin des Milkshakes. John Gawen chiale. Alors Big Billy décide de remonter Thee Mighty Caesars. Bruce : «Thee Mighty Caesars was basically the Milkshakes without Mick.» Mais Bruce n’aime pas trop jouer sans Mick - I didn’t like it without Mick - Big Billy demande à Graham Day de battre le beurre dans les Mighty Caesars - I told him I’d never played drums - Big Billy lui répond : «I know. That’s the point.» Les Mighty Caesars vont faire du «brutally basic garage rock» et Graham Day en chante les louanges : «It’s probably one of the favourite bands I’ve been in. I loved it.»

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             L’autre acteur clé de la légende childishienne n’est autre que Ian Ballard, le boss de Damaged Goods. Jamais de problème avec Big Billy. Il dit se contenter de sortir les albums - Si les gens attendent des miracles, alors ils ne sont pas sur le bon label. S’ils attendent un bon boulot et de la constance, alors ils sont sur le bon label - Il ajoute qu’un album de CTMF se vend à 2 000 ex. Les compiles se vendent mieux. Il aime bien Julie et admet qu’elle ne s’appelle pas Nurse Julie pour rien - She won’t fuck about - Ballard dit aussi que les choses se sont compliquées quand il bossait avec Holly Golightly, car la relation Big Billy/Holly s’est terminée en eau de boudin. Alors pour ne pas interférer, Ballard ne parlait ni d’Holly avec Big Billy ni de Big Billy avec Holly. Ballard qualifie la fin des Headcoats Headcoatgate. It was a mess.

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             Miss Ludella Black témoigne elle aussi dans ce book. Elle est avec Mikey Hampshire depuis 40 ans. Sa relation avec Big Billy a connu dit-elle des hauts et des bas - Plenty of ups and downs - Elle ajoute ça qui est rigolo : «He’s not very patient with me. So if I irrititate him, that’s the end of the conversation. He irrititates me too, but it’s only his opinion that counts, so we clash a lot.» Elle n’en reste pas moins énamourée de ses chansons : «I love singing his songs. Playing with him live has always been good.» Par contre, elle indique que Mick et Big Billy ne se parlent plus beaucoup. La fin des Headcoateees fut horrible, dit-elle. À cause de la relation qu’entretenait Big Billy avec Holly. En tournée, Sarah/Ludella partageait une chambre avec Kyra qui était encore la poule officielle de Big Billy, lequel Big Billy en partageait une autre avec Holly. Et chaque soir, Bruce qui était le copain officiel d’Holly s’asseyait derrière ses fûts, «stormingly brooding». Le pauvre Bruce était encore amoureux d’Holly, aussi grinçait-il des dents. Et pour couronner le tout, Kyra était enceinte de Billy. Ah quel bordel ! Alors que nous, on ne voyait que deux «good-time, sixties-styled garage-punk groups from Kent.»

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             Après la déconfiture des Headcoats et des Headcoatees, Big Billy monte les Buff Medways, avec l’ex-Daggermen Wolf au beurre - Forms a new group, the Friends of the Buff Medways Fanciers Association (named after an extinct breed of chicken) with Wolf Howard and Johnny Barker - Wolf : «When we started the Buffs, it was all the Who.» Wolf va aussi jouer dans les autres groupes de Big Billy, The Chatham Singers, CTMF et The William Loveday Intention. 

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              Et puis il y a ce qu’on appelle «l’affaire Jack White». White demande à Big Billy de faire une première partie à Londres pour lui, tout seul, «a solo blues set». C’est risqué. Mais Big Billy relève le défi - Good, I’ll do it - Le petit Kessler rajoute son grain de sel : «He always loves a disaster.» Le public applaudit sagement. Puis Jack White demande à Big Billy de peindre sur scène pendant que les White Stripes jouent pour Top Of The Pops. Le petit Kessler est mort de rire : «No way. You have got to be kidding. Forget it.» Alors vexé par ce refus et pour protester, Jack White écrit «B Childish» en grosses lettres sur son avant-bras. Quand il rentre aux États-Unis, il appelle Big Billy pour lui demander de jouer avec lui au Late Show With David Letterman. Big Billy lui répond : «Well, that would depend on whose songs we do - yours or mine.» Jack White le prend de travers. La relation s’envenime. Comme Big Billy dit toujours ce qu’il pense, il déclare dans une interview pour GQ qu’il n’aime pas les chansons des White Stripes - I can’t listen to that stuff. They don’t have a good sound - Jack White s’étrangle de rage et va sur Internet pour accuser Big Billy de plagiarism. Quand Big Billy décroche son téléphone pour appeler Jack et s’excuser, on lui répond qu’il ne peut pas parler à Jack White et qu’il ne faut plus essayer de l’appeler. Alors Big Billy va lui aussi sur Internet et il balance ça qui est du big Big Billy : «Though I have undoubtedly angered Jack White, I think it’s a bit nasty to accuse me of plagiarism merely because his former admiration of my work was not reciprocated. It all smacks of jealousy to me. I have a bigger collection of hats, a better moustache, a more blistering guitar sound and a fully developped sense of humour. The only thing I can’t understand is why I’m not rich.» Et dans le PS, il rebalance ça dans les dents du pauvre Jack White qui aurait mieux fait d’écraser sa petite banane : «But no matter who my influence may be, I would never stoop so low as to rip off Led Zeppelin.» Et il ajoute en guise de PPS hilarant : «I hope I’ve gone and offended Led Zeppelin now.»

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    Nurse Julie

             Et la vie de Big Billy reprend du poil de la bête avec la rencontre de Nurse Julie en Californie. Elle bat le beurre dans un groupe nommé the Stuck-Ups, «a punky new-wave thing.» Elle va jouer de la basse dans CTMF. Big Billy lui demande de composer des chansons pour CTMF. Il épouse Nurse Julie en l’an 2000 à Seattle. Nurse Julie est aux anges : «I’d never had that level of stability before. He had a house, he knew what he wanted to do and was on his path. He was offering me this huge amount of love, interest, excitement, creativity.» Big Billy lui demande de monter un groupe avec Kyra, so they did : the A-Lines - Julie learnt to play guitar and Kyra sang - Et le petit Kessler balance une chute superbe : «And there, at least, we have a tangible example of how being married to Julie Hamper has eased Billy Childish’s troubled mind.»  

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             Et puis, un jour qu’ils sont sur la route, Big Billy et Julie entendent «Visions Of Johanna». Alors Big Billy se tourne vers Julie et lui dit : «Bob Dylan is the best pop star who’s ever been isn’t it? I didn’t realise this before.» Julie answered in the affirmative. D’où l’épisode magique de The William Loveday Intention.

    Signé : Cazengler, débilly

    Ted Kessler. To Ease My Troubled Mind - The Authorized Unauthorized History Of Billy Childish. White Rabbit 2024

     

     

    L’avenir du rock

    - Rave on with the Raveonettes

             L’avenir du rock presse le bouton de la sonnette.

             — Driiiiiiiiiiiiiiing !

             La porte s’ouvre. Une vieille dame apparaît, tenant un plumeau à la main. Elle devait être en train de faire le ménage. D’une voix de petite souris, elle demande :

             — C’est pour quoi ?

             L’avenir du rock esquisse un sourire affable et, d’une voix claire, déclare :

             — Je vends des Raveonettes. Avec une bonne remise...

             — Des quoi ?

             — Des Raveonettes, chère madame.

             — Excusez-moi, monsieur, mais je ne comprends pas de quoi vous parlez...

             — Mais des Raveonettes ! Des Ra-ve-o-nettes !

             — Ça a quelque chose à voir avec les raviolis ?

             — Oh pas du tout !

             — Alors avec les savonnettes ?

             — Non plutôt avec le rave...

             — Ah oui, je comprends mieux... Ô rave Ô désespoir !

             — Non non, vous n’y êtes pas du tout, madame...

             — Alors, ça a forcément à voir avec ravénique ta mère !

             Le vieille pique une petite crise de fou rire. Ça faisait une éternité qu’elle ne s’était pas marrée comme ça. Et de voir la gueule atterrée de l’avenir du rock sur le palier avec son attaché-case, ça ne fait qu’aggraver les choses. Elle parvient à se calmer et lance d’une voix hystérique : 

             — Chuis sûre que ça a à voir avec César !

             — Quoi ?

             Elle lève alors le bras et brandissant son plumeau, elle crie de toutes ses forces :

             — Ravé César ! Ceux qui vont mourir te saluent !

             

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             Pas facile de vendre les Raveonettes en porte à porte. Il s’agit pourtant d’un article de très grande qualité. Pour les situer, disons qu’il s’agit d’un duo danois qui exploite depuis vingt ans l’héritage de Totor. Le Wall Of Sound n’a aucun secret pour Sune Rose Wagner et sa copine  Sharin Foo.

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             Ils refont surface cette année avec un concert parisien, et avec Sing, un album de covers, et pas des moindres, car t’as le «Goo Goo Muck» des Cramps, ils sont en plein dedans, avec tout le when the sun comes down/ And the moon comes up, et de sacrées dynamiques de machines, bien sûr, mais le fond est bon. Ils tapent aussi le «Venus In Furs» du Velvet à l’heavy drum bass de shiny shiny boots, c’est Sharin Foo qui le prend au chant, elle est presque aussi bonne que Nico. D’autres covers de prestige encore avec «Shakin’ All Over», plongée dans l’univers shaky du plus grand des Pirates, Johnny Kidd, via Vince Taylor superstar. Ils tapent aussi le «Leader Of The Pack» des Shangri-Las à la Totor. The impossible dream. Sune Rose Wagner l’a fait. Pur Totoring ! Bel hommage à Buddy Holly le Texas King avec «Whisky». Bel éclat pop, superbe allure ! Ça frise le coup de génie. Ils attaquent le «Return Of The Grevious Angel» de Gram Parsons au heavy stash raveony, ils t’éclatent cette merveille au Sénégal. Sans doute est-ce là le plus bel hommage jamais rendu à Gram Parsons, excepté le «Brass Buttons» de Something Happens, sur le fameux Tribute à Gram Parsons, Commemorativo. Avec ce «Return Of The Grevious Angel», les Rav rendent un hommage spectaculaire, gorgé de cosmic power extravagant. Encore plus stupéfiant : leur cover de «The Kids Are Alright», whoisssh en diable, ils l’attaquent en mode pop de Brill. Quel prodige ! Sune Rose Wagner réussit ce tour de force. Brill it baby ! Encore pire avec «The End» :  il prend le pathos des Doors en mode pop élégiaque, avec du power de perlimpinpin, des diapasons diaphanes dans la lumière orange d’un acid trip, la mélodie éclate en rosaces de solace, c’est du pur génie visionnaire. Ils tapent aussi une cover du «Love How You Love Me» des Paris Sisters, pour en faire une pop sépulcrale d’ampleur considérable. Tiens encore une cover miraculée : le «Will You Love Me Tomorrow» des Shirelles. Sune Rose Wagner est un magicien.

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             Évidemment, tu comptes bien les voir jouer tout ça sur scène. Eh bien, pas du tout. Que dalle ! Pas plus de Goo Goo Muck que de beurre en broche. Mais ils ont suffisamment de coke en stock pour remplir 90 minutes de set. And what a set, my friend ! Ils jouent tous les deux avec un batteur. Sharin Foo gratte le plus souvent

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    une gratte, elle ne prend la basse que sur trois quatre cuts. Ils préfèrent le son des deux guitares. T’en as pour ton billet, le petit Wagner plonge inlassablement dans ses vagues de Tannhäuser et chevauche ses Walkyries ad nauseum. Il pique de belles crises de poux et tiguilite dans un faste d’Exploding Plastic Inevitable. Il est l’anti-rock star par excellence, il parle d’une petite voix douce d’hermaphrodite fellinien et avoue timidement aux Parisiens qu’il est content d’être là. Ça fait vingt ans qu’il bat le pavé avec Sharin et il n’a pas pris une seule ride : un petit double menton est la seule trace de vieillissement, mais pour le reste, il conserve cette allure d’éternel adolescent qu’il arborait sur la pochette de Whip it On.

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             Bon, tu patauges un peu en début de set, car tu ne reconnais pas les cuts, mais tu retrouves assez vite tes marques avec «Love In A Trashcan» et «Sleepwalking» tirés de cet album faramineux paru voici 20 ans, Pretty In Black. C’est moins produit, car sur scène, mais ça reste de la grande pop de Brill, et ils enchaînent naturellement avec ce gros clin d’œil à Ronnie Spector, «Ode To L.A.», ils font même venir la voix de Ronnie sur scène. Plus loin, ils tapent dans l’infernal Whip It On avec les très velvetiens «Attack Of The Ghost Riders», «Do You Believe Her» et «My Tornado». Tous ces vieux cuts sonnent comme des cuts idéaux, enracinés dans le Velvet et les Mary Chain. Tu sens battre le cœur du mythe. C’est vrai qu’on perd la magie de la prod sur scène, mais ils compensent avec un joli sens aigu du bordel doomique et de l’évangélisme cosmique. Ils fonctionnent par grappes de trois. On identifie aussi sec l’«Hallucinations» de Lust Lust Lust, bien sûr suivi de «Blush» et de «Dead Sound», qui à l’époque flirtaient avec l’electronica, mais cette fois, le bordel scénique les sauve de la dérive hégémonique. Le dernier cut de set avant l’encore sera l’hypnotique «Aly Walk With Me», toujours tiré de Lust Lust Lust. Tu l’aimes bien l’Aly, ça te réchauffe le cœur de la retrouver sur scène. Sune et Sharin

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    sont en train de devenir tes meilleurs copains, comme le sont d’ailleurs les frères Reid. L’Aly est aussi l’occasion rêvée pour l’éternellement jeune Sune de reculer de trois pas afin de plonger dans une gigantesque vague d’excelsior sonique. C’est le moment que tu préfères, tu le vois plonger et kicker son kilo de killer. En rappel, ils vont taper cette pure Marychiennerie qu’est «That Great Love Sound». T’es vraiment ravi d’entendre ça. Ils tapent encore en plein cœur du mythe Reid, c’est l’un des plus beaux clins d’yeux qui se puisse imaginer. Avec ce genre de set, tu vas littéralement d’explosion en explosion. Occasion unique de re-visiter une œuvre overdosée de coups de Jarnac.

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             En 2002, Sune Rose Wagner et Sharin Foo s’étaient lancés dans une périlleuse entreprise : réactiver la grande pop du Brill Building. On peut les saluer pour leur courage. Réactiver l’âge d’or du Brill, ça suppose du génie composital et une certaine forme de polyvalence. Les couples légendaires comme Cynthia Weil & Barry Mann, Carole King & Jerry Goffin, Ellie Greenwich & Jeff Barry savaient écrire des mélodies imparables et des producteurs comme Phil Spector ou Jack Nitzsche savaient leur aménager un cadre grandiose. Wagner & Foo ont donc essayé de se hisser à ce niveau de perfection pop et on peut bien admettre qu’avec leur premier album, Chain Gang Of Love, ils y sont parvenus. Et ce, de façon très spectaculaire.

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    Tous les morceaux de cet album frisent l’énormité, tant au niveau de l’inspiration que de la production. Wagner & Foo se croyaient au Brill en 1963, et leur rêve est devenu réalité. Il suffit simplement d’écouter « Remember ». Ils nous plongent immédiatement dans la grandiloquence d’antan, avec les cloches, les harmonies vocales, le wall of sound, la profondeur, la puissance mélodique. Il ne manque rien de ce qui faisait la grandeur d’un hit des Ronettes. C’est dingue ce qu’ils sont bons. « Remember » sonne comme l’un des plus grands hits sixties, avec un côté insistant et une beauté plastique qui frise l’absolue perfection. Même chose avec « That Great Love Sound », où ils utilisent des machines, histoire de moderniser un peu. Mais on les sent déterminés. Ils embarquent leur truc avec la grosse énergie d’un Dylan de 1965 revu et corrigé par les Mary Chain. C’est le second hit planétaire de cet album. Il faut se faire à l’idée suivante : ce disque est mons-tru-eux. Les Danois parviennent même à surpasser les Américains du Brill dans le brasillage intempestif. Exemplaire ! Avec « Noisy Summer », on entre en trombe dans la puissance harmonique. Le chant à l’unisson du saucisson emporte tout. Sune Rose Wagner charrie une purée sonique ultime digne de celle d’Al Jourgensen. C’est le troisième hit planétaire de l’album. Comme William et Jim Reid, Wagner & Foo détiennent l’arme suprême : l’imagination. La B est encore plus spectaculaire. « Heartbreak Stroll » revient se lover dans le giron du Brill, mais avec un souffle de modernité supplémentaire. Sharin et Sune sonnent comme un groupe psyché américain des sixties. On retrouve ces racines psyché dans « Little Animal », puissant et irréprochable. On se régale de l’extrême pureté du chant psychout et des guitares ondoyantes. Même énergie fulgurante dans « Untamed Girls », encore un hit psyché gorgé de jus, d’éclat et d’ampleur sans précédent. Ça monte encore d’un cran dans le génie psyché avec « Chain Gang Of Love ». On se met à halluciner, on voit les chapeaux, les lunettes noires, les vestes à franges et les sourires américains s’agiter dans l’éclat de la lumière californienne. Sharin et Sune rendent un hommage considérable à cette culture psyché, le même genre d’hommage que lui rendit Joe Foster avec « Zé Do Caixão ». Ils se prennent aussi pour Suicide avec « The Truth About Johnny », mais ça leur va plutôt bien. On revient à la belle pop de haute voltige avec « New York Was Great », toujours chanté avec le prodigieux recul du psychout amphétaminé de chemises à fleurs et de colliers de dents d’ours.

             Grâce à cet album exceptionnel, Sharin & Sune devinrent des héros.

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             Du coup, on rapatria Whip It Off, un mini-album paru un an plus tôt. Bingo ! C’était aussi un très gros coup. « Attack Of The Ghost Riders » s’imposait immédiatement par l’éclair de son attaque et l’éclat de sa purée. Sharin et Sune faisaient passer les Cramps pour des enfants de chœur. Ils détrônaient tous les rois de la purée trash, puis, sans prévenir, Sune se mettait à jouer un petit solo tranquille. Comment ce fou avait-il réussi à échapper aux psychiatres ? Ils continuaient de détrôner les rois avec « Veronica Fever ». On les percevait alors comme des opportunistes danois plutôt doués. Fallait-il les classer parmi les faussaires de génie ? En tous les cas, « Veronica Fever » étonnait et stupéfiait en même temps. Puis Sune passait l’accord de ferraille ultime pour lancer « Do You Believe Her » et se montrait beaucoup plus radical qu’Oasis au niveau son. Ils nous livraient ensuite leur version de l’apocalypse avec « Cops On Your Tail » - Shine on - un cut littéralement implosé. Jamais encore on avait entendu un son aussi immonde, aussi sec et aussi violent. Ils visaient tout bêtement la démesure de la surenchère. Et ils bouclaient l’effarant bouclard de ce mini-album avec « Beat City », embarqué à la folie de la Marychiennerie, en pure perte de folie explosive, l’un des sommets du sonic trash.

             Avec ces deux albums, les Raveonettes avaient réussi l’exploit de s’imposer dans un marché garage alors extrêmement congestionné. Le revival garage battait son plein et les bons groupes pullulaient. La grande force des Raveonettes était de savoir mettre une mélodie en valeur grâce au son. 

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             Pretty In Black paru en 2005 vaut aussi le détour. Sune et Sharin chantent à l’unisson sur « Love In A Trashcan », une étonnante pièce pointilliste digne de Signac. Le jeu de guitare exacerbe le thème et le cut revêt par conséquent une classe internationale. Peu de gens savent exacerber la vulve d’un cut avec autant de dextérité. Ils le font sonner comme un vieux hit garage sexy californien. Sune prend un solo à la note qui coule. Il reproduit tous les poncifs. Ce mec est vraiment très fort. Il faut vraiment le prendre au sérieux. Il peut jouer comme Johnny Echols de Love. Avec « Sleepwalking », ils passent directement à la grande pop du Brill. C’est balancé dans le mur, et splish et splash, dans une grosse ambiance de prod extrémiste. Ça donne un étrange mélange d’Easybeats et d’Electric Prunes grillé dans le percolateur d’un Brill d’écho mortel. Il faut attendre « Twilight » pour renouer avec l’excitation libidinale et le vol des bourdons. Sune gratte ses notes sous un ciel d’orage, c’est chanté dans l’épaisseur d’un sixties sound et tiré au gimmickage supérieur. Ils chantent ensuite « Somewhere In Texas » à l’unisson. Rappelons au passage que le Danemark est l’antithèse du Texas. Mais ça n’empêche pas Sharin et Sune de revenir dare dare au big Brill Sound avec « Ode To LA ». En tous les cas, ils s’y croient. Pire encore, ils s’y projettent. Sharin se prend pour les Ronettes. La belle blonde miam miam tombe dans l’escarcelle sonique de Phil, mais Phil ne mange pas de ce pain-là. « Ode To LA » est une belle pièce de pop kitschy bitchy gorgée de tambourins, de female juice et de Ronnie Spector. Ils réussissent l’exploit de s’inscrire dans la mythologie.

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             Lust Lust Lust pourrait bien être l’un de leurs meilleurs albums. Évidemment, Richard Gottehrer - producteur légendaire et bête du Brill - est dans le coup. Ils attaquent avec « Aly Walk With Me » gratté à l’accord de Ricken. Bon d’accord, ça gratouille et soudain, au deuxième couplet, ça explose sous le crâne. Le cut se transforme comme par magie en bouillie sublime agitée de pulsions prédatrices. Ils sont incroyables, ils endorment le client et aussitôt après qu’il se soit assoupi, ils s’amusent à le Krakatoer, car c’est bien la démesure d’une éruption qu’on entend. Ça dégueule de partout. Une pluie de vomi sonique s’abat sur le malheureux qui s’est risqué à écouter ce disque. Ils sont très forts, nos deux Danois. On se croirait à l’Auberge Rouge. Personne n’en sortira indemne. Ils rééditent cet exploit avec « Hallucinations », qui s’ouvre sur une mélodie chant à la Mary Chain soudain étripée par un solo échappé d’on ne sait quel asile du XXe siècle. Toute la scène se déroule dans une tombe. Le solo s’éveille comme un zombie. Leur truc tourne un peu au procédé. Dommage. « Lust » est le genre de morceau qui une fois encore endort la méfiance, mais derrière, Sune joue ses solos à la note sèche dans une réverb d’écho analogique. Par chance, ils ne sont pas bons à tous les coups. Il vous faudra attendre « Blush » pour renouer avec le frisson pariétal. Ils poursuivent leur virée au pays du Brill et quand ils s’énervent, ils redeviennent subitement des héros. C’est précisément la raison pour laquelle on les adore. « Blush » ne demande qu’à exploser et ça explose. Ils nous plongent au cœur du son. Sune va fureter dans les couches et soudain, il tire l’overdrive, alors tout bascule dans la magie. Et là, on atteint les sommets. Un album des Raveonettes est proprement interminable, car il faut écouter chaque cut attentivement. Ils sont capables de tout, de hauts comme de bas et on ne sait jamais s’il faut les détester quand ils cèdent à la facilité ou les adorer quand ils atteignent des sommets. « You Want The Candy » est encore une pièce extraordinaire de power-pop trafiquée au son ultraïque. Ellie Greenwich aurait sans doute adoré ça. « Blitzed » sonne comme un exercice para-nubile de sexe adolescent. Encore une extraordinaire aventure énergétique. Ils réinventent le kitsch de la fièvre et c’est joué à la guitare avec une violence inconnue au bataillon, comme si Sune amenait une dimension nouvelle à la folie du juke - Our love is being blitzed - On a dans ce disque tout ce qu’il faut pour être heureux. C’est un trésor de pirate garage. « Sad Transmission » est encore une pièce de pop au crabe de génie, montée sur un groove admirable. Sune joue son solo là-bas dans la cuisine. Il faut entendre ce groove claqué aux castagnettes et ce solo qui vole dans le fond comme l’ombre de Dracula. Ce cut est une véritable purge. Et le solo percute la falaise de marbre de plein fouet. De là à déduire que Sune Rose Wagner a du génie, il n’y a qu’un pas qu’on franchit allègrement. Ses coups de fin de cut sont des coups du lapin. Sharin a tellement de chance de pouvoir fricoter avec ce mec. À la fin de « With My Eyes Closed », on voit encore un solo extraordinaire tomber du ciel. Par les cornes du diable, ce disque est un enfer !

             Les Raveonettes finissent par poser un sacré problème : ils creusent l’appétit. Chaque fois que sort un nouvel album, on se met à baver.

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             Paru en 2009, In And Out Control soulagerait n’importe quelle fringale. Avec « Bang », ils se prennent carrément pour Sonny & Cher. Et pif et paf ! Voilà un cut épique, vraiment digne de la préhistoire de la Chrétienté. Le beat est tellement puissant ! Encore du blast avec « Gone Forever ». Ces deux Danois sont des démons. Rarement on entendra Sharin chanter de manière aussi sexy. Encore du violemment bon avec « Last Dance ». Sharin monte au créneau, une fois de plus. Elle tape à bras raccourcis dans la grande pop. Elle chante même beaucoup trop bien. On pourrait cataloguer « Boys Who Rape » de pop du Brill tombée dans une bassine d’amphétamines. Absolument stupéfiant ! Sharin chante comme la nouvelle reine du Brill, même si le Brill a depuis longtemps disparu. Elle fait des avances à la mythologie et le son la rattrape pour la dévorer toute crue. Et au cœur du chaos, elle en rajoute encore et encore. S’ensuit une nouvelle pièce démentoïde avec « Heart Of Stone », qui compte probablement parmi les plus gros coups des temps modernes. Ils reviennent au beat de guitares psyché et c’est franchement stu-pé-fiant de qualité. Sune recherche l’esprit psycho-psyché d’Anton Newcombe. La fête se poursuit dans cette ambiance unique de groove psyché. Les Danois sont encore plus californiens que les Californiens. On tombe des nues. Puis Sharin chante « Oh I Burried You Today » dans le fond du studio avec le charme d’une femme aimante. On va de surprise en surprise. C’est précisément ce qui fait la grandeur des albums des Raveonettes. Dans « Drugs », on entend des chœurs de filles bizarres. C’est exactement ce qu’on entend au moment où le tangage s’accompagne d’une soudaine envie de vomir - whoo eh eh oh - et ça part. En fait, ça soulage de vomir. On a même l’impression que ça nettoie la cervelle. Alors les Raveonettes jouent leur petit beat de mal de mer. Leur dernier coup de Trafalgar s’appelle « Break Up Girls » : le cut semble couler en dégageant de la fumée. 

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             Et puis on vit le phénomène Raveonettes se dégonfler comme un ballon de baudruche, à cause de Raven In The Grave, un misérable album privé d’inspiration. Notre déception n’avait d’égale que la profondeur abyssale du vide que proposait ce disque. Pas de mélodies, pas de chansons, pas de rien. On ne croisait sur ce disque que des tentatives malheureuses. Pour Sharin & Sune, c’était la fin des haricots. Des morceaux comme « Summer Moon » n’étaient que morne plaine et la plupart des autres ressemblaient à du pâté de supermarché, un peu spongieux et sans goût. Le seul morceau sauvable de cet album était le premier, « Recharge & Revolt » qui sonnait comme du Mary Chain, avec des guitares en pointe, comme sur l’album Bandwagonesque de Teenage Fanclub. On se régalait de ce festin, même si le son trempait un peu dans le synthétique. C’était bien tenu, avec une touche anglaise.

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             Richard Gottehrer produit l’album Observator paru en 2012. Dès le premier cut, « Young And Cold », on sent que c’est un bon album. Pour ce balladif élégiaque, Sharin force sa voix et pénètre dans l’orgie d’une orchestration foisonnante. Ces gens-là ne semblent vivre que pour le son. Les orchestrations sont souvent fantômales. Elles se succèdent comme des saisons climatiques, et on passe du foggy nocturne au lumineux de clairière, comme c’est le cas avec « Observations ». Ils adorent torturer la pop et lui donner des atours préraphaélites. Ils adorent s’égarer la nuit dans les bois. Par son côté à la fois délicat et têtu, « Curse The Night » est un fantastique hommage au Brill. Alors que le beat s’installe dans le background, Sharin vise l’échappée belle et chante d’une voix de porcelaine. C’est très beau et ça se perd dans les couches de son, bien repris par des ouh-ouh-ouh amenés au ralenti. Ils passent ensuite à la petite pop replète avec « The Enemy ». La voix de Sharin illumine ces instants de pop. Elle ramène avec elle la grâce de sixties. En B, Sure Rose Wagner chante quelques morceaux, comme « She Owns The Streets ». Il sonne comme un vieux loup des sixties. Sharin vient se joindre à lui pour des chœurs magistraux. Ils recréent une magie qu’on croyait disparue. Le miracle se poursuit avec « Downtown », digne de la plus belle pop sixties californienne. On pense aux Byrds et aux Mamas & The Papas. Retour au Brill avec « Till The End ». Quelle prod !  Sune Rose Wagner chante et relance son truc indéfiniment, dans la splendeur d’un soir d’été. Sharin le rejoint à la brooklynaise, directe et dans détours.

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             Pe’ahi paraît en 2014. Sur la pochette, on voit un petit cran d’arrêt posé sur un fond vert d’eau. Si on l’écoute au casque, on est tout de suite indisposé par les machines. Ils flinguent successivement quatre morceaux et il faut attendre « Z-Boys » pour retrouver une pop de Brill apocalyptique. Ouf ! On se croit sauvé. Avec « A Hell Below », on ne peut pas espérer plus pop. Ils reviennent inlassablement à la source fatale qui est la pop du Brill. Deux autres titres mériteraient de défrayer la chronique : « When Night Is Almost Done » et « Summer Ends ». Le premier est une pop saturée de son. C’est à la fois beau et dingue. On a l’impression d’entendre un absolu de la grande pop oxygénée à l’extrême. Le second est une pop bien élevée montée sur un mouvement rampant, et comme l’ensemble est bien tempéré, ça passe comme une lettre à la poste. Ils cherchent à faire du Brill moderne, celui du temps des machines.

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             Et puis voici 2016 Atomized, ainsi nommé parce qu’ils firent chaque mois de l’année 2016 une chanson pour cet album. Trois coups de génie s’y nichent, à commencer par « Run Mascara Run », hit pop romantico bruité et mélodique - The palm trees burning down/ And your kisses are wild/ You smile at orange skies - Le deuxième coup de génie s’appelle « Wont You Leave Me Alone ». Elle lui dit qu’elle n’est pas faite pour lui -  Don’t sink your teeth in me/ try to understand where I’m at - C’est du pur druggy hell de bye bye tell me babe - You never had a chance/ I’m not the one you need - Belle démonstration de force ! C’est amené avec toute la puissance des Mary Chain. Troisième coup de magie pop avec « Fast Food ». Tout est explosé au son de Sune. C’est une horreur absolue, une désincarnation de l’incarnation. On parle ici de pop définitive. On assiste à l’assise du génie mélodique absolu : Sune Rose Wagner, oui, aussitôt après Totor. Il reste encore quelques grands cuts comme cet « Excuses », cut brillant, et même instinctif, au sens pop du terme. Sune y rase sa Rose. C’est vrai qu’on attend des miracles d’un mec comme Sune. Et puis t’as « Scout » - Looking so mean/ In faded jeans/ I’m ready to die - Encore un fabuleux décavement d’accès total, véritable blast caverneux d’extase à papa. Sune Rose Wagner envoie tout ça aux gémonies, il cherche un passage vers l’ailleurs. Difficile, à ce stade de décomposition orbitale. Dernier grand hit de cet album mirifique : « This Where It Ends », battu bizarrement et repris au bassmatic - Maybe one day/ I can live with myself - Sune envoie la légion au secours de son refrain magique. C’est énorme, sa pop emprunte une voie romaine. 

    Signé : Cazengler, saveonnette

    Raveonettes. Petit Bain. Paris XIIIe. 21 mai 2025

    Raveonettes. Whip It Off. Crunchy Frog 2002

    Raveonettes. Chain Gang Of Love. Columbia 2003

    Raveonettes. Pretty In Black. Columbia 2005

    Raveonettes. Lust Lust Lust. Fierce Panda 2007

    Raveonettes. In And Out Control. Fierce Panda 2009

    Raveonettes. Raven In The Grave. Vice Records 2011

    Raveonettes. Observator. Vice Records 2012

    Raveonettes. Pe’ahi. Beat Dies Records 2014

    Raveonettes. Sing. Cleopatra Records 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - Wade in the water

             Comment s’appelait-il déjà ? Ah oui, Fouad ! Petit et fluet, il ne prenait pas beaucoup de place. Il souriait toujours. On a dû lui demander une fois d’où il venait. De Tunisie. Mais il ne rentrait pas dans les détails. On se doutait que son père bossait à l’usine Renault. Il avait intégré notre petite bande sans rien dire de spécial. Il avait dû voir qu’il restait une place dans la bagnole, alors il avait demandé s’il pouvait venir avec nous. Pas de problème. Il était toujours bien habillé. Sa mère devait lui repasser ses pantalons car les plis étaient toujours parfaits. Elle devait aussi repasser ses chemises. Et ses petits mocassins noirs étaient toujours cirés. Il était bien coiffé. Il n’ouvrait le bec que si on lui posait une question. Il n’existait pas de mec plus gentil et plus transparent que Fouad. Quand on allait passer la soirée chez Jean-Claude, l’oncle qui tenait une boîte de nuit à la campagne, Fouad se mettait dans un coin et s’arrangeait pour ne pas se faire remarquer. Quand on arrivait à le déloger, il venait danser avec les autres et gardait le sourire. Il refusait poliment tous les verres qu’on lui proposait. On insistait, mais non. On rentrait à l’aube et on le déposait au pied du HLM où il vivait. Il nous serrait la main à tous les trois et nous souhaitait une bonne journée avant de disparaître dans la cage d’escalier. Au fil des mois, on avait fini par apprécier sa discrétion. On sentait qu’on pouvait lui faire confiance. On décida de lui proposer un baptême du feu. Il ne savait rien de nos activités «parallèles», alors on le mit au parfum. Ça n’eut pas l’air de l’effrayer. Il écoutait et restait concentré. N’importe qui à sa place aurait pris la fuite.  Mais il gardait son calme et hochait la tête en signe d’assentiment. On lui mit le «marché» dans les mains. Il s’agissait d’un braquage. Pas compliqué, tu entres, tu leur dis de se coucher au sol et tu fous ton calibre sous le nez du caissier. Il va te remplir le sac vite fait. On partage en 4. D’accord ? Fouad hocha la tête. Le lendemain, il mit sa cagoule, entra dans la banque. On attendait juste devant avec le moteur qui tournait. Fouad sortit de l’agence avec le sac plein, mais pas de pot, une balle le toucha dans le dos et le projeta en avant. On eut tout juste le temps de le récupérer et de filer. Les pruneaux sifflaient de partout. Il vivait encore. On alla le déposer dans sa cage d’escalier.            

     

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             Pendant que Fouad se fait trouer la peau, Wade trouait le cul de la meilleure Soul du monde, la Soul de Chicago, si tant est qu’elle ait un cul.

             Dans les early sixties, Wade Flemons fut une star de Vee-Jay, le grand label black de Chicago. Son premier hit fut «Here I Stand», un shoot de calypso demented. Wade Flemons fait partie des Soul Brothers arrivés dans le circuit avant la Soul. Il tapait pas mal d’hits signés Otis Blackwell et Curtis Mayfield. Il aurait pu devenir énorme, mais il est appelé sous les drapeaux en  1965 et ça va briser sa carrière. Deux ans plus tard, il tente de redémarrer avec Maurice White dans les Salty Peppers, qui vont ensuite devenir Earth Wind & Fire, mais sans Wade qui va alors sombrer dans les ténèbres, puis casser sa pipe en bois assez prématurément.

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             Pour se faire une idée du talent fou de Wade Flemons, l’idéal est de choper Here I Stand: 20 Greatest Hits. C’est le grand gourou de Chicago, Robert Pruter, qui en signe les liners. Wade Flemons est entre de bonnes mains. La compile reprend son unique album sans titre paru en 1960, plus huit autres vaillants cuts sans peur et sans reproche. Ça démarre bien sûr sur «Here I Stand», pur jus de Black Power. Il a un côté cha cha fabuleux, comme le montre «What’s Happening». C’est du wild r’n’b de juke magique. «Easy Lovin’» est l’un de ces grooves qui te font croire en Dieu, tellement c’est profond. Back street alley strut de Chicago. Flem est un prodigieux artiste. «It’s So Much Fun» sonne comme l’heavy balladif des jours heureux - It’s so much fun to be with you - Et puis voilà qu’il rend hommage à Jimmy Reed» avec «Ain’t That Lovin’ You Baby», bien axé sur l’axe, c’est du big barrelhouse avec des chœurs de jolly jollies, un solo de sax et un beurre au fond d’un son d’une étonnante résonance. Avec l’«At The Party» singé Curtis, il piétine les plates-bandes des petits culs blancs. Encore de la pop de zip zip boom avec «Keep On Loving Me», on le voit tournoyer comme Nicolas et Pimprenelle dans le Manège Enchanté. Il revient aux affaires sérieuses avec le «Please Send Me Someone To Love» de Percy Mayfield. Il le chante de l’intérieur du menton. Il fait la danse du canard sur «When It Rains It Pours», cut solide et bien déboîté, et il s’en va faire un tour à Broadway avec «That Other Place». Il tient rudement bien le choc du stay away from me baby.

             Avant de quitter cette planète, Jean-Yves m’envoya un ultime SMS pour me recommander l’écoute de Wade Flemmons et d’Harold Burrage.

    Signé : Cazengler, Wade Flemmard

    Wade Flemons. Wade Flemons. Vee-Jay records 1959 

    Wade Flemons. Here I Stand: 20 Greatest Hits. Vee-Jay Records 2000

     

     

    Lowland of thousand dances

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             Tu te demandes comment vont s’en sortir les Lowland Brothers : ils montent sur scène après Early James. Ils n’auraient peut-être pas dû prendre ce risque et accepter de jouer en première partie. Dès leur cut d’ouverture de set, on voit qu’ils

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    ne vont pas faire le poids, et pourtant leur son t’intrigue. Ces Dunkerquois ont un petit quelque chose qui s’appelle le feeling, et plus précisément le mec au chant, qui sous son bonnet, distille une Soul blanche d’une finesse extrême. Il s’appelle Nico Duportal et il n’est pas né de la dernière pluie. Il ne passe jamais en force, il fait

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    l’anguille, il opte pour la finesse et gratte des poux à discrétion sur la belle Jaguar blanche. Ils vont ramer, car ils savent qu’ils partent en mauvaise position, mais au fil des cuts, ils finissent par rétablir une sorte d’équilibre. T’as même hâte d’écouter leurs deux albums, pour retrouver l’éclat de certaines compos. Leur petit défaut

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    serait de vouloir jouer la carte du participatif, qui ne marche pas toujours en France. Par contre, ça marche très bien dans les églises en bois. Le club n’est pas une église en bois, mais bon an mal an, les gens claquent des mains à la demande. Et puis Duportal monte certains cuts au sommet du feeling, par la seule magie de sa voix. Il

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    ne t’en faut pas davantage. Pour un groupe qui part avec un handicap, c’est assez remarquable de les voir rafler la mise sur la seule foi de brillantes compos. Tu tends l’oreille et tu vois ce mec groover au micro comme un vétéran de toutes les guerres. Tu sais déjà qu’il faudra les revoir.

     

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             C’est avec un réel empressement qu’on s’installe pour écouter leur premier album sans titre paru en 2021. On retrouve cette belle Soul blanche bien balancée et l’excellent «Two Pounds Of Loaded Steel» qu’ils tapent en rappel. Duportal sait poser sa voix. Ses deux mamelles sont l’accent perçant et la science du smooth. Il sait aussi élever le ton. On le voit plus loin groover au paradis avec «Driftin’». C’est une merveille. «Share Your Load» est le cut d’ouverture de set, un cut puissant, monté sur un thème vainqueur, ils ouvrent des portes et l’infernal Max Bass vole le show avec un drive pharaonique. Ils swinguent encore la Soul avec «Love Reigns Over Me», un cut qu’ils placent en plein cœur de set. C’est une merveille absolue. Duportal pousse l’art de la Soul blanche dans les orties et vise l’imparabilité des choses. L’irrépressible Max Bass y fait encore des ravages. Tu te régales à écouter cet album, tu y retrouves tout leur enthousiasme scénique.

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             Bien sûr, tu retrouves les cuts qui t’ont tapé dans l’œil sur leur deuxième album, Over The Fence, et plus particulièrement ce «Shape Up» que Duportal groove au max des possibilités, et derrière les Brothers montent bien le groove en neige. C’est du pur Marvin d’I know Iaïeeeeee. Ce «Shape Up» est le cœur battant du set, un hit d’une ampleur considérable. Duportal re-rafle la mise avec un «Here Come The Shadow Heroes». Pas de problème, il peut chanter comme Eddie Kendricks, c’est un grand falsetteur devant l’éternel, il sait rester sur la note haute pour couler des couplets magiques. On retrouve l’excellent Max Bass dans «For A While» et tu te régales de cette belle atmo de Soul blanche. Les Brothers te soignent la Soul aux petits oignons. Oh quelle surprise : tu croises le nom de Don Cavalli, co-signataire d’un cut-hommage à Arthur Penn, «Little Big Man». Hélas, mille fois hélas, le cut ne fonctionne pas.  

    Signé : Cazengler, lowlarve

    Lowland Brothers. Le 106. Rouen (76). 16 mai 2025

    Lowland Brothers. Lowland Brothers. Wita Records 2021

    Lowland Brothers. Over The Fence. Underdog Records 2024

     

     

    Frankie teardrop

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             Avec un nom de groupe comme Frankie & The Witch Fingers, t’y vas en confiance. Tyva le cœur léger. Tyva en courant. Presqu’en sifflotant. D’ailleurs ça tombe bien, c’est le printemps. Au plus spongieux de ton for intérieur, tu te dis que tu vas passer une bonne heure au pied d’une magnifique brochette de rockers californiens. Et comme jolie petite cerise sur le gâtö, t’iras ramasser quelques beaux vinyles au merch. Il t’en coûtera un bon billet de 100, mais qu’est-ce qu’un billet de 100 comparé à l’univers ? Pffffff ! Rien ! Dans le feu de l’enthousiasme, tu monteras peut-être même jusqu’à 200, pfffff, tellement le grouillement graphique des pochettes psychédéliques agit sur tes muqueuses. D’ailleurs, avant le set, tu vas faire un tour au merch en éclaireur, histoire de t’humecter les trompes : ils sont tous là, bien étalés, comme des quartiers de viande, ou les poissons crevés du poissonnier, de 25 à 35 euros, pfffffff, tous en vinyles colorés, tous plus psychédéliques les uns que les autres, c’est à te damner pour l’éternité ! T’es déjà damné mais tu te re-damnes de bon cœur. Tu sens tes talbins palpiter au fond de ta poche. T’as même hâte que le set s’achève pour faire main basse sur toute cette collection de vinyles qui te font de l’œil comme le faisaient les putes, jadis, au bas de la rue Saint-Denis. Tu montes, chéri ? T’en bandes déjà.

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             Bon alors les voilà, les Fingers. Ils commencent par checker les instros pendant une éternité, ce qui n’est pas un bon présage. Check one ! Check one ! T’en repères deux en particulier : le blond au fond qui se prend pour John Dwyer, avec sa SG, son bermuda et ses tattoos jambaires, et la blonde à la basse qui s’est teint partiellement les cheveux en vert et qui porte une espèce de robe design-noire-moulante «à-ras-le-bonbon», comme le miaule Leo Ferré dans «C’est Extra». Elle va danser du pied droit pendant une heure et offrir aux smartphones qui la filment un sourire de madone punk. Les smartphones adorent ça. Les smartphones adorent n’importe

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    quoi. C’est leur raison d’être. La madone punk soigne son image et groove ses lignes de basse au mieux de ses possibilités. Dans son genre, elle est assez irréprochable. Ils se décident enfin à attaquer leur set. Tu entres assez facilement dans leur jeu. Ils développent une énergie qu’il faut bien qualifier de considérable. T’as un mec plutôt balèze au beurre, un autre qui tripote son synthé dans un coin, et un deuxième guitar slingler qui gratte les cordes d’une Strato, et qui prend des solos à consonance vaguement éruptive. Disons qu’il fait illusion. Ces braves Fingers font bien monter

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    leur neige, mais pour une raison X, ça n’accroche pas. Comme ils sont opiniâtres, ils vont tenter cut après cut de rafler la mise, mais la mise ne veut pas se laisser rafler. Bas les pattes ! Elle fait sa mijaurée. Alors ils insistent encore à coups de wild punk californien, le plus mauvais de tous, mais il plaît infiniment aux pogoteurs normands, ah il faut voir comme ça frétille dans la fosse ! T’as même un corps qui vole par-dessus les têtes et qui s’écrase malencontreusement sur les smartphones du premier rang. Ça devient assez burlesque. Crash dans les smartphones ! Et comme la mise continue de chipoter, les Fingers tentent le tout pour le tout, en tirant l’overdrive psychédélique, et t’as l’autre blondinet là-bas au fond qui fait son John Dwyer avec sa SG montée très haut sur la poitrine et ses tattoos jambaires, mais il n’est pas John Dwyer, il est même assez loin du compte. N’est pas Dwyer qui veut, baby. Et pour jouer un rock psychédélique californien digne de ce nom, il est préférable de s’appeler Anton Newcombe. Sinon, t’es mal barré.   

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    Signé : Cazengler, (bonne) Franquette

    Frankie & The Witch Fingers. Le 106. Rouen (76). 22 mai 2025

     

     

    *

             Waouh !!! quelle chaleur, cet air saturé d’humidité gluante, pas possible que je sois dans la bonne ville de Troyes, j’ai dû prendre une mauvaise sortie sur un giratoire, je dois être à  La Nouvelle Orléans, un peu distrait tout de même, j’ai traversé l’Atlantique sans m’en apercevoir, pourtant c’est bien le 3B au bout de la rue, remets-toi Damie, c’est le groupe que tu vas voir qui a effectué la grande bourlingue, des ricains, venus du Delaware, pour une tournée en Europe, un véritable experimental escape game en immersion totale avec la réalité américaine du rockabilly.

    TROYES - 3B – 31 / 05 / 2025

    KID DAVIS & THE BULLETS

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                    Z’ont mis le plus jeune au milieu. Avec sa casquette plate et ses cheveux longs Pat Kane arbore un look années 70. L’est solidement encadré, à sa droite Mickaël Rich Davis, cheveux court et Fender bleue, à sa gauche, Bobby Bloomindgale cheveux et collier de barbe neigeux au côté d’une immense upright agrémentée d’une monumentale volute. Nous avons exploré face à nous la base du triangle, ne reste plus qu’à rechercher, comme dirait René Char, le sommet dans lequel Paul Ramsey est  relégué  placidement assis, tout sourire, derrière sa batterie.

             D’abord on entend le son. Pas la musique. Le temps de nous accoutumer, à ce son inouï qui ne vient pas d’ailleurs mais de l’Amérique, sont sympas, ne se pressent pas, ne nous poussent pas, un instrumental, deux guitares, de temps en temps le riff survient, se déploie, disparaît, ni vu ni connu, c’est comme si on réapprenait à lire, l’on se cale sur les lettres les plus apparentes, les deux guitares, pour la couleur facile la Fender bleue pâle c’est Kid Davis in person, la bécane telecaster mordorée c’est Kane, c’est maintenant le temps de l’indécision, une chose certaine le puncher c’est Kid, quant à Pat l’on dirait qu’il ne casserait pas trois pattes à un canard, le mec fait semblant de gratouiller, puis lorsque  le capitaine Kid nous foudroie d’un coup de boule, le Pat qui n’est plus votre pot, vous fomente une torpille qui vous entortille dans les cordes du ring, du coup Kid rétorque par un percussif hâtif au-dessous de la ceinture, c’est là que Athéniens s’étreignent, impossible de savoir qui fait quoi, le résultat c’est le son prodigieux de ces deux guitares enchevêtrées. Apparemment la section rythmique marque le rythme, l’on les yeux sur les guitares, on leur fait confiance, lorsque brutalement le regard se pose par hasard sur les doigts  de Bloomindgale, des crochets, des pattes d’araignées qui courent vers une proie, on commence à comprendre pourquoi le son est si dense et en même temps si nerveux, l’air de rien il propulse la capsule sonore hors du champ de l’attraction terrestre, pas le temps de vous réjouir votre cerveau a enfin identifié le carillonnage de Paul Ramsey sur ses cymbales, vous distille un propergol solide capable d’édifier des pyramides.

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    (Photo : Michel Joubier)

             L’on a compris que l’on à faire à de super musicos. Alors pour ne pas trop nous perdre ils nous filent un super hameçon, un Summertime Blues torride, un Cochran adapté à nos temps de réchauffement climatique. Notre cœur de rocker palpite de bonheur. Surprise, après le hors d’œuvre suit le cours de rockabilly in extenso, pur jus d’americana. Pas de blabla, juste des faits. Par exemple vous voudriez savoir ce que c’est que le surfin, et paf ils vous embarquent dans un cours de glisse sur les grosses lames du Pacifique, tout ce que les guitares doivent savoir faire et comment contrebasse et batterie y mettent du cœur. Des pédagogues, prennent leur temps, la pente, la crête, la descente, les arrêts brusques les dérapages incontrôlés totalement contrôlés. Dix minutes de technique pure. Petite récréation : le slow brûlant, saisir sa cavalière, la faire tanguer longuement de tous les côtés, l’enivrer, ne plus la lâcher, enfin le coït terminal. Vont-ils nous refaire un rock pur jus ? Attention les gars n’oubliez pas le country, très roots, très cowboy, très ranchy, la course des long horns, le corral avec la bagarre qui va avec, la joie du cavalier solidaire sur son cheval, qui jumpe joliment, toute l’Amérique défile devant vous.

             Font une pause. Sidération générale L’on en profite pour reprendre nos esprits. C’est un peu comme si Aristote était venu nous faire un cours De la Nature du Rockabilly. Le deuxième set débute par Be Bop A Lula, Twenty Flight Rock, plus tard Rock This Town. Que du bon ! Dans leur style. Ne vous crachent pas le morceau, expédié-oublié, vous le cisèlent, vous en montrent les beautés cachées, ne vous le dés-art-iculent pas à la façon du Led Zeppe, un tempo légèrement ralenti pour vous en donner plus, les morceaux en sont transfigurés, Kid Davis se lâche, vocal uppercut à l’arrache et coup de tabac sur la Fender, c’est sa technique, des accélérations foudroyantes et aux copains de s’emparer du bébé pour l’emmailloter, le dorloter, lui faire risette, et chacun fait de son mieux, un festival, vous repeignent le troupeau d’éléphants en des couleurs que vous n’auriez jamais imaginées, les cordistes se partagent le vocal et Bloomingale nous étonne, certes il ne chôme pas sur son cordier, mais son vocal est extraordinaire, du country-cow comme vous n’en avez jamais entendu, des changements d’intonation mirobolants, un débit hyper fluide, et des espèces de yodels assassins à vous couper le souffle, abruptement la température  explose.

    Nouvelle pose. On ne le savait mais on n’avait encore rien vu, rien entendu. Un Honey Don’t manière de quitter le parking, un Johnny Cash à finir ses jours à Folsom, et le grand jeu. Durant les deux premiers sets,  Kid a un peu maltraité sa guitare, on ne dira rien de ses arrêts hyper brusques,  l’a commencé à la frotter contre le pied de son micro, vous savez les mauvaises habitudes, tout compte fait l’a décidé que de ne jouer que d’une seule main, laissant le micro prendre son pied à jouer en slide,  devant les acclamations, Billie debout sur deux tables lui laisse la place lorsque le Kid nous fait le coup de jouer avec sa guitare dans le dos, puis il la pose sur la table comme un dobro, humecte les cordes avec un fond de bière et s’amuse à passer les notes avec le cul d’un verre,  idem avec un portable qu’une âme compatissante lui tend, enregistrement direct live, c’est au tour d’un briquet allumé de remplacer le téléphone, un petit slow sirupeux pour calmer la poudrière, puis un Tear it Up à démâter un brick pirate, on ne veut plus les lâcher, des vieux loups de mer, trente ans qu’ils sont dans le circuit, sortent l’âme fatale le That’s Allrigt Mama d’Elvis.

    Quelle soirée ! Le rockabilly du Delaware ce n’est pas celui de la Champagne pouilleuse ! Ovations ? remerciements… Un dernier scoop : Béatrice la patronne à qui l’on doit toutes ces soirées merveilleuses a changé de coiffure ! The girl can help it !

    Damie Chad.

     

    *

             Dans notre livraison 683 du 27 mars 2025 nous regardions la dernière vidéo d’Ashen Crystal Tears, dans notre introduction nous déplorions l’absence d’un nouvel album qui regrouperait certains titres déjà parus en vidéo et d’autres nouveaux. Nos vœux ont été comblés. La sortie de l’album Chimera, 12 titres, est prévue pour le 13 juin de cette année. Coup double, en avant-première est parue ce 15 mai une nouvelle vidéo d’un des prochains titres.

    COVER ME RED

    ASHEN

    (Out Of Line Music  / Mai 2025)

    (Réalisation : Bastien Sablé)

    Clem : chant / Tristan : drums / Antoine : guitar / Niels : guitar.

             A première vue, je parle des six premières secondes c’est raté. Ashen et Sébastien Sablé le producteur de la vidéo nous ont habitué à des mises en scène davantage baroques. Tellement déçu par le décor minimaliste vous ne faites même pas attention à la statue toute rouge perdue dans les grosses lettres rouges qui accaparent  tout l’écran au milieu de ce hangar désertique. Un vaste local, genre parking sans voiture, atelier sans machine, pour les images suivantes, ils ne donnent pas dans l’originalité, dans ce grand ensemble vide, une formation rock, je trio de base, deux guitares blanches, un batteur derrière une batterie transparente, devant le chanteur haut rouge, large panta-jupe noir à pattes d’éléphanteau pataud. C’est à ce moment que vous entendez le son. Ce n’est pas tout à fait de la musique. Ce n’est pas du tout du noise non plus. Un son battérial et guitarique claqué. En avez-vous déjà entendu de semblable ? En tout cas, à voir les musiciens s’activer l’on en déduit que sa production doit exiger une énergie froide. Une espèce de fureur congelée.  Clem est au micro. Un vocal de rorqual. Un vocal de racal. Ne vous en voulez pas si vous n’avez jamais entendu ces deux animaux vagir. Le gosier de Clem émet un son

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     inqualifiable, un peu comme s’il passait une tringle de fer tout le long de son larynx, la seule chose que vous comprenez ce n'est pas qu’il n’est pas content, état de mal-grâce qui relève de l’anecdote circonstancielle, c’est qu’il n’est pas heureux ce qui trahit une état d’in-transe métaphysique. Jusque-là tout serait parfait s’il n’y avait pas cette ombre, grise, noire, rouge qui s’immisce un tiers de seconde entre les images. Clem vous regarde, ses cheveux bouclés, ses yeux pointus, ses mains crochues, désolé il ne s’intéresse pas à votre personne, il parle à quelqu’un, se tourne-t-il vers ses musiciens pour les scalper de son vocal agressif, il cause à lui-même, mais chaque fois que l’on pense en sa tête ne parle-ton pas à soi-même, plus grave, de temps en temps, le temps d’un éclair sa tunique rouge se couvre d’appendice dégoûtantes, des tuyaux d’extraterrestres ou des tubulures de homard ébouillanté, épouvanté. Etrange phénomène, l’inconnu rouge apparaît de plus en plus souvent entre les images, bientôt l’on ne sait plus s’il ressemble à Clem ou si c’est Clen qui lui ressemble, peut-être mêmes tous deux n’en forment-ils qu’un, mais chacun séparé de l’autre, les deux moitiés d’un androgyne platonicien qui se retrouveraient mais qui ne parviendraient pas à s’harmoniser en une seule identité harmonieuse,  maintenant Clem rampe sur le plancher à la manière d’une panthère rouge qui se serait mordue et recouverte de son sang, le monstre se rapproche, il grandit, sa tête doit toucher les verres du toit, prend la pose, il étend ses bras

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    maléfiques à la manière du Christ, il semble que désormais sa tête ressemble à celle de Clem, Clem crie, le monstre clemique hurle, est-il descendu de l’astral dans lequel il donnait l’impression de flotter, maintenant il mache sur le sol, d’un pas décidé, c’est le plus beau moment du clip, la musique s’arrête presque, on ne l’entend presque plus, et le délire tempétueux reprend, il vient, il se penche, il crie, la voix de Clem l’habite, à croire que c’est son frère jumeau qui ne lui ressemble pas, d’une autre nature, qui l’invective, peut-être souffre-t-il autant que Clem, peut-être est-il Clem lui-même, ou peut-être Clem est-il lui, l’on ne sait pas, l’on ne sait plus, Clem seul devant l’orchestre, il se tourne vers le trio, le morceau est fini, la crise schizophrénique est terminée. Tous marchent normalement, d’un pas serein Clem quitte la répétition. Croyez-vous qu’il ait vaincu le monstre, qu’ils ont fait la paix intérieure. Que l’un et l’autre ne sont que la continuation de son alter ego. Mais sous une autre forme.

             L’on est toujours séparé de soi-même. Et de l’autre.

             Splendide.

    Damie Chad.

     

    *

                Rien de plus attirant que ce que vous ne comprenez pas. Avec ce groupe vous êtes servi. Viennent de Buffalo, ville située tout près des chutes du Niagara. Les lieux d’où l’on provient s’immiscent-ils plus ou moins dans nos représentations du monde ? Disons que contrairement aux volatiles embruns neigeux dégagés par ce site touristique américain, leur musique roule une écume aussi noire que la nuit abysmale…

    ESSENCE OF THE VAST EXPANSE

    MOGRA

    (Ancestral Flame Production / Mars 2025)

    Mogra, je concède que c’est un mot gras, obscur dont la signification n’est pas évidente, consultez votre dictionnaire de botanique, attention ce n’est pas simple, trois plantes différentes revendiquent  leur appartenance à la famille des mogracées, dont une qui n’en fait pas partie, que voulez-vous il y a toujours des resquilleurs, pour les deux qui restent élisez la première acception, ignorez le Jasminum Sambac, si malgré ces conseils avisés vous hésitez, choisissez celle qui se nomme Tuvaraka en langue sanscrite. Considérée à tort par certains comme l’idiome originel de l’Humanité, que voulez-vous pour les plantes, davantage que pour tout autre vocable, il est normal de rechercher la racine. Si vous êtes atteint de la lèpre, mâchonnez quelques feuilles et quelques fruits de cet arbuste, le prince Rama en personne, pas n’importe qui, le héros mythologique du Râmayâna, une épopée indienne dont vous vous empresserez de lire les 84 000 vers aussitôt cette kronic terminée, s’est  ainsi débarrassé de cette terrible maladie…

    Pour l’identité du groupe je suppose que loin d’être des aficionados des Ramones, ils se contentent de se cacher derrière le mur de l’anonymat : Chris Wall : drums / Mick Wall : guitars / Mike Wall : guitars. En plus c’est nous qui devons avoir des oreilles pour les écouter.

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    Vos yeux sont-ils bons ? Vous en aurez besoin pour déchiffrer la couve. C’est tout noir avec une tache blanche. Immédiatement, vous pensez aux eaux mouvantes et tumultueuse du Niagara. Z’habitent tout près. Oui mais si vous fixez l’image une demi-minute, ne serait-ce pas un paysage nocturne de montagne sur lequel subsisteraient quelques arpents de neige. Perso je devine même le rebord pierreux d’un cratère de volcan dans lequel giseraient quelques névés résiduels. Vous n’êtes pas obligés de me croire.

    Je suis sûr que le Cat Zengler qui adore cette expression traduirait le titre : Essence of the vaste expanse par Extension du domaine de la lutte. Ce qui n’est pas mal du tout. Quant à moi, je me demande si quelque chose en train de s’épandre, un peu comme la couleur tombée du ciel de Lovecraft peut se plier aux règles philosophiques d’un cadre essentiel. Et si cette expansion n’était pas l’évocation de la lèpre qui étend son royaume blanc sur la chair d’un malade… Evidemment, il existe quelque chance pour que le terme de lèpre soit employé en un sens métaphorique de lèpre mentale. Dans ce cas-là vous avez sûrement besoin d’une cure urgente et mograïte…

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    En 2021, ils ont déjà sorti un EP de deux titres explicites. Une couverture explicite. Un oiseau de nuit (= Nött) une effraie blanche perchée entre deux branches dépouillées de feuilles d’un arbre dont la ramure nue s’inscrit sur l’abîme (= Abysm) de la nuit.

    Sur celui que nous écoutons les titres sont réduits à leur propre impersonnalité numérique :

    : imaginons un moteur de bathyscaphe en plongée, descente intérieure cela va de soi, les poissons grisâtres que vous entrevoyez lentement se mouvoir dans les eaux troubles des grandes profondeurs sont les concepts décolorés qui hantent vos pensées. Ils ne sont pas nombreux et ne se livrent à aucune gymnastique intellectuelle, ils s’approchent, vous ne savez point les retenir, ils glissent sans se presser, ils savent que jamais vous n’aurez assez d’influx et de vigueur pour les retenir dans votre pensée. Si la musique est si lente, si noire, c’est que vous êtes dans l’incapacité de penser, ce sont les concepts qui vous pensent, ils vous guident dans cette descente interminable, si le background est chargé d’angoisse, de grésillement mais aussi d’excitation, c’est uniquement parce que vous êtes l’objet passif de leurs réflexions, ils se livrent à une expérience qu’ils n’ont encore à ce jour jamais tentée, faire de l’homme pensant un homme pensé, vous voici sujet d’étude, une espèce d’éponge vivante alourdie par le poids de son ignorance passive, qui s’enfonce doucement, sans bruit, sans colère, sans curiosité en une dimension dont vous êtes incapable de fomenter ne serait-ce qu’un semblant d’idée. Pas de parole, vous subissez une espèce de scanner instrumental dont les résultats ne vous seront jamais communiqués, qu’en feriez-vous, quelles déductions pourriez-vous en tirer ? Aucune. Heureusement que votre pensée pense pour vous. Ne vous êtes-vous jamais douté, qu’à une stase superficielle de communication avec les autres, c’est le langage qui parle pour vous, qu’il vous enveloppe comme un suaire et que l’ossature conceptuelle forme le boulot de canon qui vous entraîne obstinément vers le fond. Musique amplifiée pour marquer votre stupide stupéfaction, de comprendre que vous n’êtes rien d’autre que le jouet de ce que vous n’êtes pas. II : sérénité musicale, vous êtes-vous engoncé dans le paradis, le nirvana ou tout autre état comateux de l’intelligence abolie, quelles sont ces vagues sonores qui vous assaillent, prenez-vous enfin conscience grâce à ces électrochocs, hélas déjà enfuis au loin, de qui ou de quoi vous êtes le résultat, bruissement, les concepts se hâtent-ils de fuir, ont-ils compris l’inanité de leur démarche, a-t-on une seule fois réussi à réveiller de sa léthargie une momie du désert enfouie dans les tombereaux des sables égyptiens, ce qu’il y a de sûr c’est que vous ne vous êtes jamais cru, avec raison, autrement que comme identifiable à vous-même, que comme cette infinitésimale présence endormie de vous-même, dont  déjà les spectographes braqués sur votre corps rendent compte de l’inanité.

    Damie Chad.

    P. S. : nous avons pu nous procurer le rapport scientifique qu’a suscité cette étude méticuleuse. Il est très court. De fait il n’y a rien à signaler si ce n’est la fiche technique que nous recopions in extenso : ‘’ Un mélange viscéral de post-black metal, de doom et de slowcore, agrémenté d'accords massifs imprégnés de distorsion provenant de Big Muffs vintage et d'amplis à lampes, vous plongeant dans une expérience atmosphérique et écrasante.’’ Est-il vraiment nécessaire d’ajouter que les amplis à lampes n’ont jamais ne serait-ce que par un seul petit clignotement qu’ils auraient rencontré en vous un minuscule atome de véritable présence.

     

    *

             La semaine dernière, dans notre présentation des premières images filmées de Gene Vincent, nous avons mangé notre pain blanc. Trois séquences extraites des Town Hall Party de Gene Vincent enregistrées en public. Certes des prestations télévisées un peu spéciale, rien à voir avec un véritable concert donné dans une ‘’véritable’’ salle de concert devant un public venu librement voir leur idole… Pour cette semaine nous retournons en arrière puisque nous commençons en 1956. Hélas nous n’aurons droit qu’à du playblack !

    *

    THE GIRL CAN’T HELP IT

    (01 / 12 /1956)

             Par contre niveau qualité d’image et sonore nous jouons sur du velours. Une séquence tirée d’un film à grand succès. Ce n’était pas un film pro-rock’n’roll. Une comédie : un producteur sur le déclin qui s’obstine à transformer la fiancée de son patron jouée par Jayne Mansfield  en chanteuse. Un seul problème, elle ne sait pas chanter. Pas de panique, les chanteurs de rock’n’roll, de véritables égosilleurs que l’on aperçoit sur les chaînes de télévision ne chantent pas mieux qu’elle… Un scénario pas très finaud mais qui permet de voir Little Richard, Eddie Cochran, Fats Domino, les Platters et bien sûr Gene Vincent. Un régal pour la jeunesse rock qui n’en croyait pas ses yeux, d’autant plus que La Blonde et Moi, bénéficiait d’une pellicule couleur ! Un must !

             Bien sûr les passages de nos idoles étaient, continuum du scénario oblige, de temps en temps entrecoupées de rapides images des acteurs ou d’interjections peu amènes, mais faute de grives l’on est prêt à avaler sans rechigner le moindre merle adjacent.

             La séquence est bien connue. Attention sur Beat Patrol TV lors des deux soli de guitare  apparaît une photo hommagiale à Cliff Gallup, l’auteur de ces déraillements guitariques jamais égalés… Pour la petite et la grande histoire du rock’n’roll les deux guitaristes originaux des Blue caps Cliff et Wee William sont rentrés à la maison, fatigués des tournées et… n’étant pas spécialement des mordus de rock’n’roll !

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             Certes la caméra s’attarde su Gene, qu’est-ce qu’il est jeune et beau ! L’on sent l’énergie et l’on devine qu’il  se retient, pas de pitreries s’il vous plaît, faut que les spectateurs en aient pour leurs mirettes. Certes ça tangue, mais le groupe reste à sa place, les plans de scène sont parfaits car la caméra les cadre tous, Paul Peek à notre gauche à la rythmique, Russel Willifred sur notre droite à la lead, Gene rayonnant au centre, au fond légèrement à droite Jack Neal à la contrebasse et au centre légèrement décalé par rapport à Gene, Dickie Harrell le batteur fou.

             Sur les murs de grands portraits de musiciens classiques. Il était prévu qu’à la toute fin de Be Bop A Lula les portraits des grands ancêtres s’écroulaient… Un beau symbole. Mais au montage la fin du morceau a été coupé… Aucun respect pour le rock’n’roll ! La fin iconoclaste de la séquence n’a jamais été retrouvée… A-telle vraiment été tournée…

    THE ED SULLIVAN SHOW

    (17 / 11 / 1957)

             L’émission Ed Sullivan Show diffusée le dimanche soir sur CBS de 1948 à 1971 est devenue mythique. Tous les grands artistes de ces années fastes se devaient d’y passer… L’on a beaucoup glosé à l’encontre d’Ed Sullivan, nous ne rentrerons pas dans ces stériles querelles. Nous rappellerons que ce ne lui fut pas toujours facile de s’obstiner à passer des artistes noirs sur l’antenne dans une émission de large audience regardée par un public blanc…

             Il m’étonnerait que notre présentateur ait connu le Sonnet 48 des Amours d’Hélène de Pierre Ronsard, pourtant la mise en scène choisie pour présenter  Gene Vincent et les Blue Caps dans la structure triangulaire dans laquelle sont enfermées le groupe présente d’étranges relations avec le poème du chef de la Pléiade…

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             Attention, émission diffusée en noir et blanc, ne nous plaignons pas, les costumes clairs de nos chers protagonistes permettent de mieux apprécier leurs mouvements.  Sept sur scènes regroupés en un triangle isocèle. A la base Gene flanqué de ces deuc clappers boys, Tony Facenda et Paul Peek. Au sommet tout en haut Dickie Harrel l’on ne voit pas sa batterie mais il lève si haut ses baguettes comme s’il s’apprêtait  planter ses banderilles dans le dos d’un taureau furieux, Max Lipscomb, flanqué de Jonhhy Meeks et de Bobby Jones fendent l’air de leurs Fenders.

             J’ignore si le réalisateur Jean-Christophe Averty a eu le privilège de visionner ces images, lui qui aimait au début des années soixante à bousculer le regard des spectateurs français en découpant en tranches géométriques les écrans des télévisions familiales… Car dans ce clip, les musiciens sont encadrés par deux couples de danseurs endiablés, confinés sur deux étroites  bandes verticales de l’écran désormais partagés en trois, Gene et ses sbires bleus, tantôt  au centre, tantôt sur la moitié gauche puis droite, successivement réfugiés dans la moitié supérieure et ensuite logiquement dans la moitié inférieure…

             Une mise en place qui évoque les mises  en scène des théâtres de Broadway, de temps en temps passe le fantôme de Charlot… Dans la gesticulation des Blue Caps, ils interprètent (en playback) Dance To The Bop l’on décèle aussi de la pantomime. Et peut-être même ne résisterons-nous pas à citer le black face. Les racines noires du rock’n’roll puisent beaucoup plus profond qu’on ne l’admet.

    BIG D JAMBOREE

    (  Octobre 1958)

    Il est difficile de dater avec précision ce troisième document, sur Beat Patrol 2 Gene Vincent Collection 1956 – 1965 il est daté avec in point d’interrogation du 24 octobre. Notons que le 25 octobre, Gene était à Los Angeles pour sa première participation au  Town Hall Party  Une vidéo unique apparue sur You Tube voici quelques années, l’auteur est anonyme. C’est un film. Pris au Big D Jamboree en 1958.

    Le Big D Jamboree est une émission à l’origine (1948) de radio puis très vite de télévision diffusée sur CBS, filmé au Sportatorium de Dallas. Cette émission, de la même veine que le Town Hall Party (voir livraison 692) était un passage quasi-obligatoire qui offrait aux artistes country un accès au Louisiana Hayrade et au Grand Ole Opry.

    Elle n’hésita pas à s’ouvrir à programmer la courbe ascendante country-hillbilly-rockabilly-rock’n’roll approuvée et soutenue par un public plus jeune : voici quelques participants issus du milieu rock : Carl Perkins, Johnny Carrol, Warren Smith, Ronnie Dawson, Charlie Feathers, Wanda Jackson auxquels nous ajoutons Johnny Cash, Willie Nelson, Lefty Frizzel, et bien sûr Hank Williams.

    David Dennard, il fit partie dans les années 60 du groupe Novas et une vingtaine d’années plus tard de Gary Myrick & The Figures… au nom de cette formation l’on sent le nostalgique, il se mit à rechercher dans Dallas des archives du Big D. Il découvrit ainsi Ronnie Dawson et fut bientôt attiré par Gene Vincent… Il finit par apprendre que le Country Music Hall of Fame de Nashville possédait des transcriptions sur acétate de concerts du Big D. Ces enregistrements furent effectués  par l’Armed Forces Radio Network pour soutenir le moral des boys envoyés en Corée. Hélas il ne trouva que seize enregistrements. Le reste se trouvait à la Bibliothèque du Congrès à Washington D.C.. Il trouva un trésor 120 disques, un seul attribué à Carl Perkins, tout le reste sans aucune annotation…

    Rectification : il avait cru trouver un trésor. La dizaine de disques qu’il confectionna à partir de ces acétates se vendirent à moins de 2500 exemplaires. Seul le cd The Lost Dallas Sessions de Gene Vincent, paru en 1998, réalisé à partir de 19 concerts de Gene atteignit 6000 exemplaires, tous pays confondus…

    Nous reviendrons sur ces Dallas Sessions, mais dans cette série nous nous intéressons aux images. Ultime notification qui possède son importance : la caméra de notre illustre inconnu n’enregistrait que les images. Pas le son ! Ne soyez pas déçus, un des enregistrements radio de David Dennard colle parfaitement, du moins nous faisons semblant de le croire, aux images…

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    Soyons juste, on n’y voit pas grand-chose. Ce serait un mensonge d’affirmer que l’on y voit que du noir. En fait c’est le rouge qui prédomine. Le rouge des costumes des scène des Blue Caps. Soyons précis, surtout celui des clappers boys. Dans son livre irremplaçable Gene Vincent Dieu du rock Jean-William Thoury cite Johnny Meeks et Max Lipscomb aux guitares, Clifton Simmons au piano, Bill Mack à la basse, Butch White à la batterie, et ne mentionne pas de boys aux jeux de mains et de vilains, font tout de même une prestation éblouissante, propulsent Dance to the bop à la vitesse d’un hors-bord, quant à Gene vêtu de sombre, tout comme la panthère Noire de Leconte de Lisle faut avoir des yeux aigus comme des flèches pour le distinguer dans l’obscurité, au début l’est à votre droite, ensuite il semble entouré de ses musiciens, par contre l’on discerne pour la première fois ses jeux de micros qui feront sa renommée. En tout c’est un joyeux foutoir, un superbe micmac qui donne une idée de ce que fut l’explosion rock…

    HOT ROD GANG

    (Mars 1958)

            Nous terminerons comme nous avons commencé par des images tirées d’un film. Nous ne nous attarderons pas sur le synopsis, puisque je possède la cassette que je présenterai dans un prochain épisode. Nous nous contenterons des trois morceaux que Gene interprète, en play-back. Contrairement à The Girl Can’t Help It, Hot Rod Gang ne bénéficie pas de la couleur…

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             Encore Dance in the Street mais personne ne se plaint, l’occasion de voir de plain-pied le jeu de scène de Gene Vincent and the Blue Caps, car c’est bien d’un groupe, à part entière, même si au fil des tournées les changements, les départs et les retours sont nombreux. Plus je regarde ces vidéos, plus je me dis que si Gene a été si rapidement oublié par le public américain malgré la reconnaissance et le respect qu’il avait acquis durant les trois premières années de sa carrière, et malgré un comportement un peu erratique dû à sa blessure et  l’alcool, c’est parce que chez ce rocker blanc dans son jeu de scène, de par son aisance, et la chorégraphie de ses boys, il y avait en ses prestations quelque chose d’indéfinissablement, inconsciemment, fautivement, ressenti par le public blanc, des origines noires du rock’n’roll. Ce qui est d’autant plus ironique c’est que Gene (n’oublions pas Eddie Cochran) est celui qui  a œuvré à la métamorphose du rockabilly en rock’n’roll… Gene au centre, Clifton Simmons totalement excentré à notre gauche en train d’abîmer son piano. Les Clappers, Facenda et Peek, moins délirants que sur la pellicule précédente, l’encadrent tels des serre-livres atteints d’une irrémissible maladie de Parkinson, gros plan sur le visage de Gene, visage épanoui, les yeux levés vers le ciel, à croire qu’il voit des oiseaux bleus voleter sur l’arc-en-ciel, et cette voix qui coule sans fin à la manière d’un torrent sautant de rocher en rocher, les Clappers jetés à genoux, les guitaristes inclinés, c’est à peine si l’on entrevoit Juvey Gomes aux tambours, l’on se dit que ça va s’arrêter mais ça continue comme si l’instant présent ne devait jamais se terminer. Félicitations pour les plans de la caméra.

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             Passons les scènes intermédiaires surtout que retentissent les premières notes de Baby Blue. Difficile de savoir si c’est la caméra ou la figure en lame de couteau de Gene - nous quittons les scènes intermédiaires légères, pour ne pas employer les mots gnangnan et rigolotes - nous entrons dans le drame, pourtant tout le monde sourit, Gene, ses acolytes et le public qui se dandine comme des canards qui vont à la marre… l’on ne sait pas pourquoi Gene chante Baby Blues mais l’on entend, l’on voit Antigone, cette pose tous à terre, la silhouette noire de Gene dressée tel le pistil du destin et les vestes blanches des musiciens pareilles aux pétales affalés d’une fleur fanée, sourire extatique sur les lèvres, à croire que la mort et l’éros sont une seule et même chose, et le déchirement final qui surgit comme le vent de la tentation de vivre, puis les dernières notes effacées, crépusculaires… It’s all over now, baby blue, ajoutera Bob Dylan.

    Damie Chad.

    A suivre.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 683 : KR'TNT ! 683 : DON NIX / MAIDA VALE / LARRY WALLIS / LINDA JONES / FONTAINES DC / THE COOPERS / ASHEN / NIGHTSTALKER

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 683

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    27 / 03 / 2025

     

    DON NIX / MAIDA VALE

      LARRY WALLIS / LINDA JONES  

    FONTAINES DC /THE COOPERS

     ASHEN / NIGHTSTALKER

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 683

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

    Wizards & True Stars

     - Superso-Nix

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             Par miracle, le fameux Road Stories And Recipes de Don Nix reparaît sous le titre Living High Laying Low. Non seulement il permet de se replonger dans les souvenirs passionnants de l’un des pères fondateurs du Memphis Sound, mais il permet aussi d’admirer l’une des plus belles photos de signature de contrat qu’on ait pu voir ici-bas : Don change la roue arrière d’une Cadillac tout en signant son contrat posé à terre. Assis par terre devant lui et adossé contre la bagnole, Denny Cordell, boss de Shelter Records, lit un journal et pointe un flingue sur Don. Et debout derrière Don se tient l’un de plus fabuleux dandys de la scène américaine, mister Tonton Leon en personne, en lunettes noires, cigare au bec et vêtu d’un costard croisé à rayures. Wow ! Voilà ce qu’on appelle une image ! Et elle donne bien le ton du livre.

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             Don Nix vient de casser la pipe en bois, aussi recueillons-nous au bord du trou pour un ultime hommage.

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             Comme Robert Gordon et Jim Dickinson, Don Nix fut un touche-à-tout de la scène de Memphis : il a démarré dans les Mar-Keys avec Packy Axton, Steve Cropper et Dickinson, puis il est devenu pote avec John Fry d’Ardent, Jim Stewart de Stax, Furry Lewis du blues et Leon Russell du Wrecking Crew - John Fry was the grandfather of Memphis music. Il y a trois personnages importants dans ma vie, en matière de music business : Leon Russell, John Fry et Jim Stewart. Leon m’a appris à produire, John Fry m’a donné la clé de son studio, de sorte que je pouvais aller y travailler quand je voulais. Jim Stewart m’a engagé comme producteur et compositeur et a fait paraître quatre des albums que j’ai produits - C’est sans doute Jerry Wexler qui donne la meilleure définition du Nix : «A pioneer mover-and-shaker (and one of the finest of the breed) [Nix] came out of the Memphis/Muscle Shoals matrix along with compeers like Steve Cropper, Packy Axton and Jimmy Johnson - These country-friend originals who took the left turn to the blues. And who left their incredible mark on American root music.» Voilà ce qui s’appelle un hommage. Don Nix peut être fier de ce coup de chapeau. Il évoque d’ailleurs le Memphis Sound à sa manière : «C’est un son qu’on ne pouvait pas mettre en boîte pour l’emmener à L.A. ou New York. Ce n’était pas seulement un son. C’était surtout des gens - les écrivains et les musiciens de Memphis - qui l’incarnaient.» Il cite alors les noms de Sam Phillips, Dewey Phillips, Jim Stewart, Estelle Axton et Willie Mitchell - C’est un son qui a explosé à la face du monde, mais dans les années soixante-dix, il était en train de mourir. Si vous me posez la question, je vous répondrai qu’il fut mortellement blessé le jour où Martin Luther King se fit descendre et depuis, le Memphis Sound n’en finit plus d’agoniser - Don raconte qu’après l’attentat qui coûta la vie au Dr King, les rapports de voisinage avec la population noire devinrent compliqués.

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             Il avait aussi d’autres amis, et d’ailleurs, c’est là-dessus qu’il termine son livre : «Mes meilleurs amis sont tous morts - George Harrison, Joe Cocker, Duck Dunn. Et la liste s’allonge. La musique a été toute ma vie. C’est que j’ai le plus aimé. J’ai eu le privilège de jouer avec le Stax band, le Wrecking Crew, avec mes amis à Muscle Shoals et tous les mecs d’Apple. Personne n’a eu une vie meilleure que la mienne. J’aurais pu mourir voici quinze ans, content d’avoir vécu tout cela.» Mais Don vit encore et on trouve son portait dans l’excellent Memphis Soul de Thom Gilbert. Il est même plutôt bien conservé.

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             À la différence de Jim Dickinson, Don Nix n’est pas un écrivain. Mais il fait des photos. Il dispose en outre d’une bonne mémoire et d’un caractère bien trempé : il décide en effet très tôt qu’il fera ce qu’il veut de sa vie et qu’il ne recevra d’ordres de personne. Il traîne avec Packy, Duck Dunn et Steve Cropper et monte sur scène pour la première fois en 1958. Il précise aussi que sa mère avait du sang indien dans les veines et son arrière-grand-père était un métis Cherokee qui servit dans le 5e de Cavalerie de Caroline du Sud pendant la Guerre de Sécession.

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             Il consacre des pages émouvantes aux derniers jours de Dewey Phillips, à Furry Lewis dont il fut particulièrement proche, à Joe Cocker qu’il côtoya pendant des mois, à John Mayall dont il fait un portrait sidérant, celui d’un homme de la Renaissance qui construisit sa maison de Laurel Canyon de ses propres mains. Mayall n’est pas seulement musicien : il est aussi tailleur de pierre, charpentier, il coud lui-même ses vêtements et adolescent, il vécut dans une maison en bois qu’il avait aussi construite de ses propres mains. Dans sa maison de Laurel Canyon se baladaient des filles nues. Comme Tonton Leon et David Crosby, Mayall pratiquait l’hédonisme, un mode de vie dont raffolait aussi Don. Un autre portrait sidérant, celui de Jeff Beck dont il fait la connaissance à l’époque de Beck Bogert Appice. Il ne supporte pas les deux Yankeees et il demande à Jeff comment il fait pour les supporter. Jeff lui répond que c’est une décision de son management, et même s’il n’est pas très content de se projet, il se dit décidé à jouer le jeu. Mais Don remarque que Jeff est un homme infiniment triste. Il paraît déprimé la plupart du temps, sauf quand il joue.

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             Comme Don a commencé par écumer les États-Unis d’Amérique avec les Mar-Keys, il regorge d’anecdotes et de road stories, comme par exemple ce souvenir de Lee Dorsey sur scène qui était tellement bourré qu’il fallait le faire asseoir pour qu’il chante quatre ou cinq chansons. Mais même soûl comme un Polonais, Lee chantait encore mieux que les autres. Les Mar-Keys ont aussi la chance d’accompagner Chuck Berry qui les prend à la bonne, sans jamais leur adresser la moindre parole. Don voit donc la naissance de Stax à Memphis, avec des nouvelles têtes qui traînent dans les parages, un jeune étudiant nommé Booker T. Jones, et un certain Isaac Hayes qui travaille à l’usine d’emballage de viande. C’est aussi l’époque ou Furry Lewis est balayeur municipal. Son parcours va de South Main à Beale Street, il pousse sa poubelle à roulettes et trimbale une guitare. À l’époque où Don réussit à le convaincre de venir enregistrer en Californie, Furry a 73 ans, une patte en moins, il fume à la chaîne et boit comme un trou.

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             Don fait aussi un bout de chemin avec Dale Hawkins qui ne dort jamais et qui ne peut pas rester en place plus de deux minutes. Trop d’amphètes - Il avait une Cadillac Coupe deVille et conduisait comme un dingue. Je n’avais jamais rien vu de tel. Il racontait des histoires et agitait les bras comme un pasteur - Pages fantastiques aussi consacrées à ce vieux Tonton Leon, l’un des producteurs les plus courus d’Hollywood, qui travailla avec Frank Sinatra et les Beach Boys. Don voit germer l’idée de Mad Dogs & Englishmen. Il voit même Tonton Leon voler le show à Joe Cocker qui au départ devait tourner avec le Grease Band, ceux qu’on voit dans Woodstock, mais comme Henry McCulloch et les deux autres n’ont pas pu obtenir leurs visas, Denny Cordell qui manageait Joe demanda à Tonton Leon de monter vite fait un groupe pour la tournée prévue. Pour Don, the Shelter People fut l’un des meilleurs groupes d’Amérique - It was without a doubt the best band west of the Mississippi.

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             Don eut aussi l’immense privilège de produire Albert King. Il ne fallait pas importuner Big Albert, car il écartait le revers de son veston pour montrer qu’il portait un calibre 45. C’était sa façon de dire que la discussion s’arrêtait là. Big Albert ne savait ni lire ni écrire, mais Don réussit à le mettre à l’aise avec ça, d’autant que Big Albert ne voulait pas que ça se sache. Quand Isaac Hayes lui colla les paroles d’une chanson qu’il venait d’écrire sous le nez, Big Albert quitta le studio. Il fallait donc ruser pour travailler avec lui. Un soir, Don lui dit : «Albert, je sais que tu ne sais ni lire ni écrire, mais si je savais jouer de la guitare comme toi, je m’en foutrais de ne pas savoir lire ou écrire.» Big Albert l’observa un moment et Don pensait qu’il allait sortir son flingue pour le descendre. Mais un grand sourire éclaira son visage : «I like you, Don. You all right.» Et Don ajoute : «Je n’oublierai jamais cet instant.» Eh oui, il venait de gagner la confiance de Big Albert, et pour le mettre à l’aise en studio, il se cachait derrière une banquette pour lui souffler les paroles des chansons. Quand Jim Stewart vit ça, il lança : «On aura tout vu !» (Now I’ve seen everything). Big Albert raffolait tellement du stratagème qu’il demanda à Don de mettre les paroles des chansons bien évidence dans la cabine de chant, de sorte que tout le monde pût croire qu’il savait lire, et Don bien sûr continuait de lui souffler les paroles en cachette. L’album de Big Albert que produisit Don Nix et pour lequel il écrivit huit chansons est le fameux Lovejoy. Il existe un autre album de Big Albert enregistré à Muscle Shoals et produit par Don qui n’est jamais sorti. Comme d’ailleurs un album des Swampers aussi produit par Don, et dont il avait l’air d’être fier.

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             Don rappelle qu’il adorait Muscle Shoals, qui se trouvait à trois heures de route de Memphis. Il a aussi la chance de travailler avec l’un de ses héros, Freddie King, a big man with a smile to match that immediately put us at ease.

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             Puis il monte les Alabama State Troupers avec Tarp Tarrant, le batteur qui a joué 13 ans pour Jerry Lee, Clayton Ivey aux keyboards, Wayne Perkins et Tippy Armstrong aux guitares. Il ajoute un deuxième batteur, Fred Prouty, qui jouait chez Rick Hall, et Brenda Patterson aux backing vocals - It was a hell of a band - Pour la photo, ils posent tous devant une église baptiste. Comme l’écriteau indiquait «The Mount Zion Middle Baptist Church», il baptisa son groupe the Alabama State Troupers with the Mount Zion Band And Choir. Le double album The Alabama State Troupers paraît sur Elektra en 1972. Attention, ce n’est pas un album facile. Don Nix propose en effet un capiteux mélange de country blues et de gospel, qui sont pour lui les racines du Memphis Sound. On entend donc Furry Lewis sur une face entière. Ce vétéran du Beale Street Sound joue fin et claque des petits coups de bottleneck. On l’ovationne. L’homme est d’une extraordinaire gentillesse - Hank you - Il chante le blues traditionnel des années vingt - And I went to the gypsy/ To get my hambone done - et il se moque gentiment des racistes dans «I’m Black» - Some people don’t like that colour/ But I sure like mine - On se régale de cette leçon de country-blues et de cette diction à l’ancienne. En D, on tombe sur une série de boogies ‘sudistes’. On y entend ce démon de Tarp battre le beurre et Brenda Patterson chante dans les chœurs de Zion. C’est du gros boogie rock seventies surchargé de chœurs de Zion. On se croirait chez Tonton Leon. Par contre, Don Nix commet une erreur : il met en avant Jeanie Greene pour chanter le gospel rock de «My Father’s House» et ça ne marche pas du tout, mais alors pas du tout. On sent les limites de la voix blanche. Jeanie n’a pas l’allant d’une Mavis. On trouve encore du gospel en B, notamment ce vieux classique repris par les Staples, «Will The Circle Be Unbroken». Don Nix respecte bien les fondamentaux du Memphis Sound System, malheureusement, c’est lui qui chante et pour chanter le gospel batch, il vaut mieux disposer d’une vraie voix et avoir la peau noire. Et quand Jeanie Greene reprend le lead dans «Mighty Time», même chose, elle se vautre. Il lui manque deux choses essentielles : le groove et la Soul. Brenda est un peu plus wild, comme on le constate à l’écoute de «Jesus On The Main Line». Elle s’énerve toute seule et cherche à incendier la plaine, mais tout le monde n’est pas Bonnie Bramlett. Voilà enfin un hit en B : «Yes I Do Understand», un gospel batch poppy joliment amené par la joyeuse assemblée. Excellent ! Et puis en C, Don Nix s’en va chevaucher dans la Sierra. S’ensuit un peu plus loin «Heavy Makes You Happy», un boogie-rock encore une fois digne de Tonton Leon. Ça sent bon la grosse équipe, le surnombre et les vétérans de toutes les guerres. Don Nix termine avec «Iuka», un gros boogie blues dans l’esprit de ce que faisait Johnny Winter. Il y va au guttural. On se croirait presque sur Johnny Winter And Live.

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             Il existe un autre album de Don Nix sur Elektra : l’extraordinaire Living By The Days paru en 1971. Tout est bien, là-dessus, ce qui semble logique étant donné que les Swampers accompagnent le vieux Don qui d’ailleurs dit d’eux : «The best backing-band at the point, maybe the best ever.» Par contre, on se demande pourquoi il porte un uniforme yankee sur la pochette. C’est une véritable insulte aux Rebs. Pur chef-d’œuvre que cet «Olena» qui sonne comme un vieux rock’n’roll, mais Claudia Linnear (sic) et Kathi McDonald font des chœurs de folles. Comme dans Mad Dogs & Englishmen, elles amènent une énergie hors normes. Il faut bien reconnaître que les Alabama State Troupers sont formatés sur Mad Dogs & Englishmen. On assiste à l’envol des guitares de Wayne Perkins et Jimmy Johnson. Un vrai festival ! Et ça continue avec l’«I Saw The Light» de Furry Lewis, fantastique partie de gospel batch avec les Mount Zion Singers derrière. Pure énormité que cette sinner prayer d’Hank Williams. S’ensuit un balladif de rêve intitulé «She Don’t Want A Lover», so solid stuff à l’Américaine, ultra-joué et harcelé par une guitare en embuscade. Quelle ampleur ! Cet album semble relever de l’indéniabilité des choses. Nix ressort le «Going Back To Iuka» qu’il avait composé pour Albert King, c’est joué au wild beat de Muscle Shoals. Ces mecs sonnent comme des punks et David Hood va même jusqu’à doubler dans les virages. Ils partent carrément en mode Stax de killer Stax - I’m going back to Iuka/ Back to where I belong - Ils repassent en mode gospel pour «Three Angels», encore une pure énormité. Les Mount Zion Singers, c’est quand même autre chose que le gospel choir des Stones dans «You Can’t Always Get What You Want» ! Mais ce sont les Stones qui ont décroché la timbale. On tombe ensuite sur un rock de mountain man des Appalaches, «Mary Louise», suis-moi, pilgrim, je vais te montrer le grizzly, pur jus d’Americana à la Nix. On retrouve les filles dans «My Train’s Done Come And Gone». Claudia et Kathi ! C’est du heavy balladif de Lord knows I’ve been gone way too long when I was weak/ She helped to make me strong, avec du solo de slide américain, Nix nique tout et derrière les filles t’explosent la rondelle des annales.

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             Paraît aussi en 1971 sur Shelter Records - le label de Denny Cordell et Tonton Leon - le premier album de Don Nix, In God We Trust. Il pose déguisé en cowboy sur une pochette traitée dans le design du billet vert. Au moins, on sait qu’on est en Amérique. Ce disque très orienté gospel ne pouvait que dérouter les amateurs de rock. Mais il vaut le détour, car Don Nix y réussit un sacré tour de passe-passe, avec le morceau titre qui fait l’ouverture du balda. On a là un vieux coup de country rock joué au violon de saloon. Attention, Don Nix joue avec les mecs de Muscle Shoals : Barry Beckett, Eddie Hinton, David Hood, ils sont tous là. Don Nix sait entretenir la flamme d’un cut, pas de problème. Il dispose de cette puissance intrinsèque. On entend bien David Hood bassliner sur «Golden Mansions» et derrière, les filles de Mount Zion sont superbes. Grâce à ces musiciens exceptionnels, Don Nix trouve l’élan du gospel. «I’ll Fly Away» est sans doute l’hit de l’album. «He Never Lived A Day Without Jesus» sonnerait presque comme du Neil Young, mais en moins pleurnichard. C’est une fois de plus un parti-pris de gospel church chic. On retrouve «Iuka» sur cet album. David Hood y enroule bien sa gamme.     

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                         Paru sur le sous-label de Stax Enterprise, Hobos Heroes And Street Corner Clowns date de 1973. À cette époque, Don Nix voyage à travers le monde et il enregistre un peu partout, à Londres, à Memphis et à Muscle Shoals. Avec cet album, il va plus sur le balladif. Mais il n’hésite pas à taper dans l’heavy blues avec «Black Cat Moan». Sur ce genre de chose, il est extrêmement crédible. Il chante avec un joli sens du raunch. Le coup de génie de l’’album est une version de «When I Lay My Burden Down» qu’il dédie à Fred McDowell. Il propose tout simplement un raccourci du Memphis Sound et même de l’Americana du Deep South. Il démarre en blues de cabane branlante et finit en gospel batch, et comme Claudia Lennear traîne dans les parages, eh bien ça explose. Fantastique exercice de style ! Il faut aussi écouter «Look What The Years Have Done», un balladif très impressionnant. Cet homme sait écrire des chansons, c’est indéniable. Voilà un balladif parfait au plan mélodique et bien saxé sur le pourtour.

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             En 1976, Gone Too Long paraît sur Cream Records, le label d’Al Bennet qui a racheté Hi Records. Attention, c’est un très bel album. Il s’y niche ce qu’on appelle des Beautiful Songs, à commencer par «Goin’ Thru Another Chance» qu’il chante d’une voix de vétéran du Memphis Sound. Il s’arroge toutes les prérogatives. Sa pop ne peut que plaire. Don Nix semble cultiver un goût pour l’envol. Il sait donner de la voile. Il fait partie des grands prêtres de l’Americana, dans ce qu’elle présente de plus rootsy. George Harrison traîne dans les parages et ça s’entend. Autre merveille : «Forgotten Town», un balladif visité par la grâce. Il chante avec brio. La basse enrichit considérablement le backing, avec une excellente enfilade thématique. Le mec joue en continu, avec un sens aigu de l’a-priori. Et puis, Don Nix finit l’album avec l’excellent «A Demain». Il duette avec une Française. Nix explore l’empire du slowah et la fille n’en finit plus d’allumer la romantica - Et puis un beau matin/ Tu recevras ces mots/ Je t’aime, je t’attends, viens - C’est à la fois infernal et somptueux, et elle ajoute - Nous oublierons alors que le temps a passé. Par contre, il se vautre avec une reprise trop empesée du «Feel A Whole Lot Better» des Byrds. Il en fait une sorte de gospel pop avec des chœurs vengeurs. Curieux parti-pris. Il tape aussi dans le «Backstreet Girl» des Stones. Il en fait du gospel avec une basse bien montée dans le mix. Sacré Don, il ne rate pas une seule occasion de se faire remarquer.

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             Skyrider parut en 1979 sur Cream, le label d’Al Bennett. On y retrouve bien sûr l’habituel mélange des genres nixien. Le morceau titre sonne comme un gros boogie-rock richement drapé d’orchestrations et des chœurs southerny. Don chante toujours avec un bel aplomb. On le voit ensuite taper dans la grande prétention poppy avec «Nobody Else». On voit aussi l’idéaliste poindre sous le cuir du desperado buriné par les années de vie sauvage sur la frontière. Et bien sûr, il règne ici un léger parfum de gospel batch. Dans «Maverick Woman Blues», Don évoque la Nouvelle Orleans. Il y rocke son shake et lâche du bon set me free. Disons que ça reste bon esprit, même s’il pompe le riff de «Get Ready». Même chose avec «Do It Again» : le riff est connu comme le loup blanc des steppes, mais on ne s’étonne plus de rien. Don propose ce qu’il a de meilleur en magasin, un funk rock sudiste un peu hybride et intéressant. On y retrouve d’ailleurs les Memphis Horns et tout le tralala. Don joue un petit coup de sax, histoire de nixer le mix. En B, il revient avec «I’ll Be In Your Dreams» à son vieux dada : le slowah de printemps, bien aéré et judicieusement orchestré. Il monte «All For The Love Of A Woman» sur le modèle de «Let’s Work Together», mais il y met une telle énergie qu’on lui donne l’absolution. Don Nix te nique ça bien, c’est un vieux routier, il avait déjà écumé toute l’Amérique au temps des Mar-Kays. Le guitariste est un bon, il s’appelle Rob Kendrick. Guitariste idéal pour un gaillard comme Don qui n’est pas né de la dernière pluie.       

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             Voilà trois bonnes raisons de rapatrier Back To The Well paru en 1993 : la première s’appelle «Out On The Road Again», un vieux boogie blues qui part sur un fantastique dady’s gone fishing. Don is back on the chain gang, il claque le beignet de la caillasse du meilleur son, comme il l’a toujours fait. Ce démon sait déverser un jus de boogie et l’autre démon qui gratte ses poux s’appelle Billy Crain. On a là l’un des meilleurs sons du Deep South. La deuxième raison s’appelle «Waiting For The Help». Don revient à son cher gospel batch, c’est un enragé, un mordu de la racine. Plus elle est sèche et ardue, plus il exulte. C’est ultra-joué. Derrière, les filles gueulent sweet Jesus et ça riffe au cul de slide. La troisième raison s’appelle «Fool’s Paradise», un extraordinaire slowah océanique. Don est à ses heures perdues un charpentier du songwriting, il connaît l’art des mortaises et il sait poser des toits de chœurs, et là, dans ce cas particulier, quel toit ! Encore du son dans «Dance Chaney Dance». Nix nique tout à dix kilomètres à la ronde. Il embarque son monde dans le tout venant, ce qui le rend héroïque et donc sacré. Avec «Plastic Flowers», il avertit : Don’t put plastic flowers on my grave ! Il se met en colère. Il sait aussi taper le vieux coup d’r’n’b, comme le montre «Cruise Control» - You better slow down - Et il termine avec l’excellent «Addicted To You». Il tape ça au vieux jus de nixitude - I don’t drink/ I don’t smoke - mais il a un problème avec le groove de cette fille, surtout son sweet love. Don Nix ne prend pas les choses à la légère, il joue ça au funk de groove de blues.   

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             Paru en 2002, Going Down. Songs of Don Nix est un classique indispensable. Pourquoi ? parce qu’il s’y niche des duos exceptionnels, notamment avec Bonnie Bramlett. Elle commence par venir exploser «Right Where You Want Me». Elle ramène toute son énergie criante de vie. Elle part à l’assaut du groove d’une voix pincée de reine du rodéo. C’est monté sur des accords de Stonesy. Quel fantastique exercice de style ! Elle revient groover le blues de «Same Old Blues». Steve Cropper sort sa plus belle Tele et Dan Penn radine sa fraise. Quel festin de rois ! Tout est allumé de l’intérieur. Steve Cropper joue au clair de lune pendant que Bonnie mouille sa syllabe et l’écrase dans le gras du menton. Elle s’arrache les ovaires et sonne comme une mama black, yeah, elle racle tout dans la salive, elle est bien la pire de toutes, la plus grande chanteuse blanche du monde. Elle revient illuminer «Like A Road Ready Home». Il faut voir comme elle shake son shook. Elle chante ça au meilleur chaud du South, elle chante pour de vrai et Steve Cropper joue comme un dieu grec. Autre duo des enfers avec Dan Penn dans «Palace Of The King». Un black nommé Audley Freed joue lead, il joue à l’exacerbette de la belette. Dan rocke son going down to Dallas. Il sait le faire, mais à la mode black, de l’intérieur du menton, il fait de l’hot de hutte - Going back to Dallas/ Living In The Palace of the King - Leslie West vient jouer le fameux «Going Down» avec Brian May. En fait, ils sont quatre leads sur cette reprise éculée. Bonnie est au fourneau et Max Middleton au piano. Ça tourne au vertige guitaristique, les leads coulent ensemble comme des vieux claquos oubliés. Dommage que Don n’ait pas la voix. Les leads vont se repaître de la charogne de Going Down pendant six minutes. Tous les solos sont gorgés de sève. Sur «Going Back To Iuka», Tony Joe White joue lead et Mayall claque des coups d’harp. Le pompon, c’est Billy Lee Riley. Don a de sacrés potes ! - You know the train that I ride/ I ride it all nite long - Fantastique Billy ! Il amène une autre profondeur. On retrouve Leslie West dans «Lying On The Highway» (il n’a rien perdu de sa grosse niaque), et Billy le héros dans «Everybody Wants To Go To Heaven».  

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             Sur la pochette d’I Don’t Want No Trouble paru en 2006, Don Nix est assis en salopette dans son jardin avec son dalmatien. Il semble posséder une belle petite maison à deux étages équipée du porch traditionnel, cette fameuse avancée qu’on retrouve à tous les coins de rue dans les chansons du Deep South. C’est là que se grattent les jolies mélodies au clair de la lune. Don nous refait le coup de l’heavy blues gospellisé avec «Hurt Somebody». Il ne risque pas de se faire une entorse à la cervelle. Nix n’est pas homme à forcer le destin. Il ramène tout le gospel batch qu’il peut dans son heavy blues et franchement, c’est très bien vu. Il fallait y penser. Il reste encore plus traditionnel dans les autres cuts, comme par exemple «Memphis Man» qu’il tape au vieux boogie de r’n’b rock’n’roll. Il ne risque pas l’embolie. Mais c’est bardé de son. L’animal s’y connaît, en la matière. Boogie rock toujours avec un «Snack Dab» bardé de chœurs de filles. Il est vrai qu’à son âge, Don ne va pas s’amuser à réinventer la poudre et encore moins le fil à couper le beurre. Il faut le voir tartiner son «Hole In The Sky». Ça sonne comme n’importe quel rock de vieux renard sur le retour. C’est même sur-produit. Nix y gueule comme un veau qu’on amène chez le boucher. En écoutant «One Step Ahead», on voit bien qu’il connaît toutes les ficelles du son. Le cut dégouline de son moderne, mais certainement pas de modernité. C’est ultra-joué au bottleneck d’heavy dude. Don y va de bon cœur. C’est ce qui fait sa force. On pourrait même ajouter que ça nous dépasse. Ils se prend aussi parfois pour un pionnier («Just About Had It»), et là ça devient compliqué. Il s’amuse aussi à jouer des boogies qui ne servent strictement à rien («Subject To Change»). On le voit même faire son vieux renard de charme («Crazy From The Heart»). Une fille chante ça avec lui, mais elle se révèle bien meilleure que lui. Il est encore capable de taper du très gros son, comme on le constate à l’écoute d’«Addicted To You» qu’il prend en mode gospel batch. C’est sa came.

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             On trouve aussi dans le commerce un album intitulé Passing Through. Don qui ne se refuse rien l’a enregistré chez Malaco. Il adore butiner toutes les mythologies régionales. Il démarre l’album avec un solide balladif, «Sit Down On Your love». Don a toujours de l’avenant. Il n’a aucun problème ni avec les impôts, ni avec la santé et ni avec Dieu. Il y va du tac au tac. Don est un amateur de big sound et d’horizons. Il adore aller loin vers l’Ouest, là où les montagnes lèchent le cul du ciel. Comme l’hydravion d’Howard Hugues, le cut met du temps à décoller, mais il finit vraiment par s’arracher de la surface du lac. Don tape dans le devenir de l’Americana. Il ne vit que pour l’ampleur, personne ne pourra jamais lui enlever ça. Ses cuts fondent bien en bouche. Comme la plupart de ses chansons, «She’s My Rock» sonne bien, même terriblement bien. Chaque fois, Don frise le Nix universaliste. Sa pop convainc. Et puis voilà «Roads». Il faut comprendre qu’avec Don Nix, on est dans le très gros truc. Une sorte de perfection. Son balladif prend la gorge et on tousse d’aise. C’est une sorte de délire technologique du groove sentimental. Fuck, comme ce mec est bon, même son solo de flûte passe comme une lettre à la poste. On ne peut pas dégommer Don Nix. L’homme est puissamment bon. Il amène le morceau titre au gospel batch. On y sent le poids d’un pathos énorme. Il tape un instro superbe avec l’«I Don’t Know Why I Care About You» joué au Grand Jeu de Malaco. Puis il renoue avec l’art de la grosse compo en s’interrogeant : «Where’s The Problem». Don a un don, indéniablement. Donc, ça semble logique qu’il s’appelle Don. Il boucle avec «I Belong To My Songs». Il y explique qu’il appartient à ses chansons et s’éclipse dans les fumerolles d’un balladif édifiant.

    Signé : Cazengler, Nix ta mère

    Don Nix. Disparu le 31 décembre 2024

    Don Nix. In God We Trust. Shelter Records 1971  

    Don Nix. Living By The Days. Elektra 1971                      

    Don Nix. The Alabama State Troupers. Elektra 1972

    Don Nix. Hobos Heroes And Street Corner Clowns. Enterprise 1973

    Don Nix. Gone Too Long. Cream records 1976

    Don Nix. Skyrider. Cream Records 1979        

    Don Nix. Back To The Well. Appaloosa 1993    

    Don Nix. Going Down. Songs of Don Nix. Evidence 2002   

    Don Nix. I Don’t Want No Trouble. Section Eight Productions 2006

    Don Nix. Passing Trough. Section Eight Productions 2008

    Don Nix. Memphis Man. Living High Laying Low. Mojo Triangle Books 2015

     

     

    L’avenir du rock

     - MaidaVale live in style in Maida Vale

     (Part Two)

             Lorsqu’ils voient arriver l’avenir du rock, les habitués du bar interrompent leur conversation. La ramasse de ce vieux schnock leur fait presque pitié. L’avenir du rock commande son double jaune sans glaçons, le siffle cul sec et en commande un deuxième aussi sec. Il adore faire jaser les cons. Et ça marche à tous les coups. En voici qui s’approche :

             — Dis donc, avenir du rock, dans ton état de décrépitude avancée, tu crois vraiment qu’c’est raisonnable de siffler des jaunes comme ça ?

             L’avenir du rock rote, et en commande un troisième.

             — C’est pas passe que t’es l’avenir du rock qu’y faut mépriser l’peuple !

             L’avenir du rock fait signe au patron :

             — Hep ! Patron ! Chuis à marée basse !

             Un autre habitué vole au secours du premier :

             — Pourquoi qu’tu causes encore à c’te vieux pédé ? Tu vois donc pas qu’il est bon pour la déchetterie ?

             — Non mais r’garde-moi comment qu’il est attifé avec ses godillots et son pal’tot ! C’est-y pas une honte de voir des vieux chtars pareils !

             — Y paraît qu’y va encore aux putes !

             — Arrhhhhh ! Sont pas dégoûtées les putes !

             — Y paraît même qu’y va encore voir des concerts de rock !

             Et là, l’avenir du rock se tourne vers les deux cons et leur balance, histoire de leur clouer le bec :

             — Vale que Vale !

     

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             Lorsqu’il se trouve coincé dans un plan délicat, l’avenir du rock parvient toujours à tirer son épingle du jeu. Et plus c’est délicat, meilleur c’est. MaidaVale, c’est exactement ça : le Vale que Vale du rock. 

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             C’est quand même pas mal de revoir les quatre petites Stockholm girls de MaidaVale dans un endroit plus ramassé, au fond d’une cave. Ça leur donne encore plus de power. Au Club, c’était bien, mais dans la cave, c’est mille fois mieux. Tu retrouves cette section rythmique infernale, directement inspirée de celle de Can, même dynamiques, même goût pour l’hypno explosif, la grande brune sur la Ricken s’appelle Linn, et la fille spirituelle de Jaki Liebezeit au beurre s’appelle Johanna. Rien qu’avec ça, t’as de quoi t’occuper. Johanna bat un beurre à la fois fin et puissant, elle fait parfois des petites grimaces animales, des rictus carnassiers, comme si elle laissait monter en elle un torrent d’adrénaline. T’en finis plus de la voir battre le beurre du diable. Et là-bas au fond, Linn mouline un bassmatic de rêve en secouant quasiment tout le temps les cheveux. Et là, tu sais que t’assistes à un vrai concert de rock. Ça joue ! Pour leurs deux copines, c’est du gâtö, la petite Sofia gratte des poux bien psyché sur sa Strato immaculée, elle tourne comme un manège, tricote des gammes gorgées d’écho et revient sur des power chords de la pire espèce, comme si elle enfonçait son clou dans la paume du beat. Dans le feu de l’action, elle reste incroyablement présente, car c’est bien d’un feu de l’action dont il s’agit avec MaidaVale, elles savent kicker les jams. Le son ricoche bien sous la voûte en briques

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    de la vieille cave. Et puis t’as Matilda au chant, elle montre un goût particulier pour les crises de Méricourt et les coups de tambourin. Tu lui donnerais le bon dieu sans confession, tellement elle est dans le coup, tellement elle rocke le boat, tellement elle shake le souk de la médina, c’est une rockeuse hors normes, elle chante de tout son corps, et là mon gars, ça rocke, t’es plus en face d’un groupe de branleurs à la mode. MaidaVale c’est le real deal, mais pour le savoir, il faut les voir sur scène.

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             Elles tapent bien sûr dans leur dernier album, l’excellent Sun Dog et attaquent avec «Give Me Your Attention» qui n’est peut-être pas le meilleur choix. Sur scène, ça ne marche pas, mais sur l’album, tu les vois foncer en rase-motte. Elles aménagent de grands ponts hantés par la space guitar. Tu n’en finis plus d’admirer la section rythmique. Elles enchaînent sur scène avec un «Control» plus Kraut, et même assez caverneux, Kraut de nez et d’esprit, avec une couche de keyboard par dessus. On sent poindre l’ambition. C’est avec «Wide Smile All Is Fine» que Linn commence à voler le show avec un beau thème de basse. T’as du mal à frémir avec «Daybreak». Elles cherchent la lumière avec «Pretty Places». Elles développent toujours une certaine richesse instrumentale, une réelle prégnance de la pertinence qu’on peut aussi qualifier de latence de l’essence. Voilà pourquoi il faut les prendre très au sérieux. Matilda chante «Faces (Where is Life)» d’une petite voix pointue et enchaîne comme sur l’album avec «Fools», beaucoup trop proggy. Elles visent le Big Atmospherix, mais on préfère quand ça prend feu. Elles finissent leur set avec des cuts de Madness Is Too Pure, «Transe» et «Gold Mind» et un «Perplexity» qui n’est pas sur le CD, uniquement sur l’LP. Bizarrement, elles ne jouent pas «Vultures», le dernier cut de l’album. Dommage, car la ligne de basse est un régal. Linn est la star du groupe, elle nourrit le son sur sa Ricken, elle laboure le Kraut en profondeur. Elle est la Millet du Kraut.

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    Signé : Cazengler, Maida Vain

    MaidaVale. Le Trois Pièces. Rouen (76). 4 mars 2025

    Concert Braincrushing

    MaidaVale. Sun Dog. Silver Dagger 2024

     

     

    Wizards & True Stars

    - Wallis the question ?

     (Part Two)

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             Quand en décembre 2019 Larry Wallis a cassé sa pipe en bois, nous lui avons rendu ici même un hommage en forme de tournée des grands ducs : Pink Fairies, Motörhead, Mick Farren, Deviants, Shagrat et solo. C’était bien le moins qu’on pût faire.

             Étant donné que vient de paraître une compile Cleopatra aussi gorgée de richesses qu’un galion espagnol en mer des Caraïbes au XVIIIe siècle, nous allons récidiver, car écouter la bombe qu’est Police Car/ The Anthology, ça équivaut à écouter Larry Wallis pour la première fois. Et pour rester dans la facilité des métaphores : attachons nos ceintures.

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             Tiens on va commencer par pondre un nouvel adage : Larry, ça tombe sous le sens. T’as le son d’entrée de jeu, avec le morceau titre et Larry qui feule dans le sonic storm «I’m a police car». Diable, comme on avait adoré le single Stiff à l’époque. D’ailleurs, Cleopatra a repris quasiment le même visuel pour sa pochette, la strato en moins. Dans ses liners, Roger Morton qualifie Lazza de true gentleman - He was one of the last true gentlemen in rock’n’roll - Morton s’échauffe lorsqu’il évoque l’arrivée de Lazza dans les Pink Fairies - Playing one of the most electrifying rock’n’roll guitar of the era, fast, loud and filthy as fuck - Rien de plus vrai. Cette compile ne te laissera pas respirer, car voilà qu’arrive «Leather Forever» qui sonne comme l’hymne du rock anglais, monté sur un glorieux bassmatic. Ça stompe dans toutes les backs alleys de London town. Non seulement Lazza est un crack du boom-hue, mais il compose des hits à la queue-leu-leu. Son «Meatman» en est l’un des exemples les plus frappants, il cisaille son heavy boogaloo à la base, il le fait danser au sommet d’un balancement d’heavy dude. Quel exploit ! Et ça dégénère, ça vire cro-magnon et ça s’envenime salement. Il pose sa wah comme une cerise sur le gâtö. Tout ce qu’il touche, il le transforme en or du rock : il fait d’«Old Enuff To Know Better» un fantastique shoot d’old enuff. C’est vraiment l’Enuff qu’on a envie d’écouter. Il gratte son «Crying All Night» à l’oss de l’ass de Ladbroke Grove. Quelle fantastique démesure underground ! Il s’emballe avec «I Think It’s Coming Back Again» et bat Motörhead à la course avec «Story Of My Life». Il y déboule avec une ferveur spectaculaire ! Ça dépote en permanence, chez Lazza, il sait aussi faire du Saints, mais sans la voix de Chris Bailey («I Can’t See What It’s Got To Do With Me»). Il refait son Pink Fairy dévastateur avec «Don’t Fuck With Dimitri» et fout le feu à la ville avec «Mrs Hippy Burning». Tout prend feu, avec lui. Feu encore avec «When The Freaks Hang Out». Il taillade son «I Love You So You’re Mine» à la scie sauteuse. Wild Lazza joue à la vie à la mort, et cette façon qu’il a de se rattraper au vol ! Son truc, c’est vraiment se cisailler à la base. Il pond une petite stoogerie ici et là («Downtown Jury») et rend un bel hommage aux Stones avec un cover de «Street Fighting Man». La compile s’achève avec un cut de Shagrat (pas le meilleur Shagrat) et un UFO, dont on se serait bien passé. Morton annonce d’autres volumes à paraître. Wait and see.  

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             Dans l’actu, tu retrouves aussi une belle compile Cleopatra de Motörhead, Lemmy & Larry Wallis : The Boys Of Ladbroke Grove. Tu peux te jeter dessus sans problème, car elle grouille de puces. Et des grosses ! T’en vois pas d’aussi grosses tous les jours. À commencer par cette version live at the Roundhouse d’«On Parole», c’est Motörhead à son sommet, avec Phast Eddie et Philthy Animal, c’est l’un des blasts les plus géniaux de l’ère fumante du blasting, et Philthy te bat ça si sec, franchement t’en reviens pas de cet over-power, tu comprends mieux pourquoi Motörhead fait partie des cracks du boom-hue. C’est bien sûr Lemmy qui se tape la part du lion dans cette compile explosive. Il fait une version de «Twist & Shout» qui bat toutes les autres à la course, accompagné cette fois par Scott Ian et Gregg Bissonette. Sans doute a-t-on là l’une des plus grosses covers du siècle passé, et t’as en plus des chœurs de candy avarié ! Stupéfiant ! Avec Mick Green et les Upsetters, Lemmy tape ensuite dans «Blue Suede Shoes», et oh boy, ça joue à la pure Méricourt, Lem is on fire ! Sans doute la plus belle cover de «Blue Suede Shoes», infernale, bien rentre-dedans. Lem fout encore le souk dans la médina avec «Paradise». Mick Green monte au braquo du Paradise. S’ensuit un «Keep Us On The Road», c’est le Motörhead de l’âge d’or, avec Fast Eddie et Philthy, Lem fout le feu au souk de la médina. Live 78, t’as pas idée ! Lem tient la dragée haute au blast. T’as bien sûr ta dose de proto-London punk avec le «Lone Wolf» des Pink Fairies, ce ne sont pas ceux de Lazza, mais ceux de Paul Rudolph, avec Alan Davey et Lucas Fox. Et Lazza dans tout ça ?, demande Jacques Chancel. Lazza arrive avec son «Police Car». Classique intemporel, mais face à Lem, il fait un peu pâle figure. On le retrouve plus loin avec George Butler et Andy Colquhoun pour «Crying All Night», et c’est bien bardé de barda. Bon, t’as deux versions de «Leather Forever», avec la grande clameur invulnérable. Lazza a encore du son à gogo, mais vraiment à gogo, sur «I Think It’s Coming» et plus loin «Seeing Double». Il n’en finit plus de foncer dans le tas. Il brûle de tous ses feux, et cut après cut, il entre dans la légende. Viva Lazza ! 

    Signé : Cazengler, Larry WC

    Larry Wallis. Police Car/ The Anthology. Cleopatra 2024

    Motörhead Lemmy Larry Wallis. The Boys Of Ladbroke Grove. Cleopatra 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - Lindanaïde

             Comment s’appelait-elle, déjà ? Ah oui, Baby Jam. On la surnommait la reine de la nuit. Pas très grande, très brune, elle parlait d’une voix un peu rauque et les connaisseurs la qualifiaient de brune sensuelle. Elle était pourtant casée et mère de famille, mais elle aimait trop la vie pour rester tranquille à la maison et regarder des conneries à la télé. Baby Jam couchait les gosses, puis elle annonçait à son mec qu’elle sortait faire un tour avec une copine. Pas de problème. Il était du genre conciliant. Il l’aimait assez pour comprendre qu’elle avait besoin de vivre selon ses besoins. C’était pour lui le seul moyen de ne pas la perdre. Elle prenait l’ascenseur et retrouvait sa copine au pied de l’immeuble. Puis elles partaient toutes les deux en vadrouille. Elles adoraient ça, l’aventure, le hasard des rencontres, la fréquentation des oiseaux de nuit. Personne n’a jamais vu Baby Jam dans les bras d’un autre mec. Les rumeurs allaient bon train, les gens racontaient qu’elle baisait avec n’importe qui, mais il n’existait absolument aucune preuve. Sa copine et elle faisaient une sorte de tournée des grands ducs, retrouvant dans les bars de nuit des copains et des copines, et tout ce petit monde finissait au Gibier de Potence, une sorte de cabaret perché sur la colline qui dominait la ville. Le Gibier fermait à quatre heures du matin et on y buvait du rhum arrangé à volonté. Chacun s’arrangeait avec la vie et profitait de la nuit. Baby Jam trônait au bar et se faisait payer des verres. On l’entendait rire, elle parlait de tout et de rien. Parfois un mec la draguait, ça l’amusait beaucoup, elle laissait faire jusqu’à un certain point, puis pour le calmer, elle lui expliquait gentiment que sa gueule ne lui plaisait pas, alors tout rentrait dans l’ordre. Tout ce cirque a duré quarante ou cinquante ans. Aujourd’hui, Baby Jam a pris un sacré coup de vieux, elle porte des lunettes à monture écaille et du rouge à lèvres. Elle tire ses cheveux bruns vers l’arrière pour se donner un petit air d’assistante de direction, mais sa gouaille est intacte. Tu la trouveras au bar du Gibier en train de siffler des verres de rhum tiède jusqu’à la fermeture. Elle attendra, comme elle l’a fait toute sa vie, qu’une bonne âme veuille bien la prendre en charge pour la déposer chez elle.

     

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             Pendant que Baby Jam savourait sa liberté, Linda Jones tentait de faire carrière. L’accomplissement d’un côté, l’abrègement de l’autre. Destin enviable d’un côté, destin tragique de l’autre.

             Contrairement aux Danaïdes, Linda Jones ne fut pas condamnée à remplir un tonneau percé. Elle fut condamnée à autre chose : l’obscurité. Lorsqu’elle cassa sa pipe en bois en 1972, elle n’avait que 28 balais. Elle était quasiment inconnue aux États-Unis. Seuls les Anglais la vénéraient. C’est la raison pour laquelle on la retrouve sur l’une des meilleures compiles de Northern Soul, celle de Rhino. David Godin parle d’une «enigmatic quality».

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             Son premier album s’appelle Hypnotized, un fat Loma de 1967. Tu donnerais ton père et ta mère en échange de «You Can’t Take It», un heavy r’n’b qu’elle fait décoller à coups d’you can’t take, elle te chante ça à l’efflanquée miraculeuse. Elle est encore très raw sur «I Can’t Stop Loving My Baby», elle est aussi directive que l’Aretha de l’âge d’or. Et en B, tu tombes sur une autre perle noire en forme de Beautiful Song, «If Only (We Had Met Sooner)», une Soul soûlante qui te donne le tournis.

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             Elle sort deux albums en 1972 :  Your Precious Love et Let It Be Me. Le premier est de toute évidence son meilleur album. Il grouille de puces. Elle attaque son morceau titre en ouverture de balda avec une stupéfiante énergie. Linda est la reine de la hurlette de Hurlevent. Elle chante encore «Don’t Go (I Can’t Bear To Be Alone)» au sommet de la Soul, avec une indicible audace. Elle brûle d’authenticité. Elle brasille de Soul, son «Stay With Me Forever» est extravagant d’intensité. Elle brasille à sa façon, ni comme Aretha, ni comme Brenda, c’est encore autre chose. Alors attention, car tout explose en B : si tu veux écouter l’un des plus beaux albums de Soul, c’est là, dès «Not On The Outside». Elle se veut océanique, avec des flux et des nappes d’orchestration, alors elle le devient. Elle tape un beau «Dancing In The Street» et boom, elle te roule le «Let It Be Me» de Gilbert Bécaud dans sa farine. Elle le travaille au corps de manière spectaculaire. Elle te transforme encore la Soul avec «I Can’t Make It Alone», elle en fait un tir de barrage, elle te la plombe en or, elle te la pétrit à Petra, elle te l’élève dans la hiérarchie, bref, elle sait tout faire. Elle se dirige vers la sortie en faisant son Aretha dans «Doggin’ Me Around», mais pas avec le même fruité de glotte, Linda est plus sèche, plus âpre, et plus violente dans sa hurlette. Elle ne laisse aucune chance au hasard, elle pousse à la roue, elle défonce la rondelle des annales, elle a du cran. Logique car c’est une crack. 

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             Et donc sur Let It Be Me, on retrouve fatalement le «Let It Be Me» de l’album précédent. Elle est sans doute la seule à savoir monter au ciel from scratch, c’est-à-dire sans élan. On ne reconnaît pas l’hit de Bécaud. Elle en fait de la Soul. Fantastique présence encore avec «Fugitive From Love». Such impact dit Diamond Jim Sears au dos de la pochette. Eh oui, que peut-on dire de plus ?  Le coup de génie de l’album se planque en B : «I’m So Glad I Found You», un fantastique shoot de Soul des jours heureux, elle rivalise de good timing avec Brenda Holloway, elle ajoute sa tripe au walking beat. Encore jamais vu un truc pareil. Linda forever !

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             Malgré les liners de David Godin et de Tony Rounce, Never Mind The Quality… Feel The Soul n’est pas un très bon album. C’est enregistré dans l’Ohio en 1970. Elle tape un vieux coup d’«If I Had A Hammer» qu’elle attribue à Sam Cooke, alors que c’est signé Pete Seeger. Elle aime bien son Hammer, on sent la vieille Soul Sister pleine de réflexes et pleine de jus. Puis elle fait son éplorée avec «That’s When I’ll Stop Loving You» - my latest recording - Elle gueule dans son micro, c’est la règle du jeu, mais ça devient pénible. Elle reste en mode heavy froti avec «For Your Precious Love». Elle s’y connaît en bosses dans les pantalons serrés, comme Carla quand elle chantait avec un Otis en rut dans la chaleur de Memphis. Elle rappe un peu et déroule son écheveau de lemme tell something I can’t say. Puis elle rend hommage aux Falcons avec une cover d’«You’re So Fine», mais elle est essoufflée. Sa cover ne vaut pas tripette, comparée à celle d’Ike & Tina. Elle finit avec un gros clin d’œil à Wicked Pickett et «I Found A Love».

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             La compile que concocte Kent avec Precious - The Anthology 1963-72 ressemble à un passage obligé. Tony Rounce te sert Linda sur un plateau d’argent - Black American music has never had a singer with the extraordinary vocal power of Linda Jones - Te voilà prévenu. Rounce parle même de full-on fire. Il dit aussi que certains voient Linda comme, «simply, the greatest female soul singer of all time.» Il ajoute qu’on peut la mettre au même niveau qu’Aretha, Gladys Knight, Irma Thomas and others of similar calibre. Parcours classique, gospel dans les églises, puis petits boulots ineptes dans des usines avant de rencontrer George Kerr, un doo-woper new-yorkais qui fit partie des Serenaders. Kerr l’entend chanter et comprend aussitôt qu’elle a du talent. Il rassemble la crème de la crème new-yorkaise pour accompagner Linda en studio, notamment Cornell Dupree au bassmatic et Bernard Pretty Purdie au beurre. En 2014, Rounce demande à Purdie s’il se souvient de Linda - Yeah, Linda Jones. Big gal. Very good. Very loud - Après un premier single sur Atlantic, Linda se retrouve sur Red Bird, en bonne compagnie, puisqu’il s’agit de Leiber & Stoller. Kerr sort l’effarant «You Hit Me Like TNT» sur Red Bird, mais Leiber & Stoller déclarent forfait, à cause des embrouilles de leur associé George Goldner qui joue aux courses et qui doit beaucoup trop d’argent à la mafia. Kerr fait alors la tournée des labels new-yorkais. Il va taper à la porte de Brunswick, mais on lui dit qu’ils sont délocalisés à Chicago et trop occupés à lancer Barbara Acklin. Le mec de Brunswick est gentil, il donne à Kerr l’adresse de Ron Mosseley chez Warner Bros. Kerr fait écouter «Hypnitozed» à Mosseley, et Jerry Ragovoy qui passait dans le couloir entend ça et dit : «That’s a hit!». «Hypnotized» sort sur Loma, un R&B subsidiary de Warner Bros.   

             Dès l’«Hypnotized» d’ouverture de bal, cette coquine de Linda fait vibrer sa glotte effrontément. On trouve hélas à la suite quelques singles de peu d’intérêt, Linda propose une espèce de Soul de MJC mal foutue, elle braille dans son micro. Elle y va de bon cœur. On ne peut pas lui enlever ça. Elle se bat pied à pied avec une Soul de débutante et boom, ça explose enfin avec le fameux «You Hit Me Like TNT» sorti sur Red Bird, un stupéfiant hit de juke, et là on dresse l’oreille. Il faut la voir ponctuer son texte sur le beat. Et voilà que s’ouvre un formidable festin de Soul, avec à la suite du TNT l’effarant «Give My Love A Try». C’est le début de la période Loma qui dure deux ans. Avec «Give My Love A Try», Linda explose autant que Lorraine Ellison ! Elle déborde encore de répondant et de super jus avec «A Last Minute Miracle», un fast r’n’b porté par des chœurs puissants. Elle le porte à la force de la glotte. Elle replonge ensuite dans l’heavy Soul de circonstance avec «What’ve I Done (To Make You Mad)». Elle se bat avec une énergie extraordinaire. Elle chauffe encore son «My Heart Needs A Break» avec un aplomb extraordinaire. Cut après cut, elle se révèle imbattable. C’est avec ce hit que prend fin la période Loma. En 1968, Warners vend plus d’albums que de singles et décide de fermer Loma. Linda est virée avec tous les autres. Kerr reprend son bâton de pèlerin. Il enregistre Linda et vend les cuts à des petits labels. La voilà encore par-delà la Soul avec «I’ll Be Sweeter Tomorrow», sorti sur Neptune, un label monté par Chess avec Gamble & Huff. Elle incarne tout le ruckus du Soul System, elle est dévorante, complètement all over. Elle monte encore à l’apogée de sa clameur avec «That’s When I’ll Stop Loving You», qui est en B-side du single Neptune, elle le porte à l’extrême pointe de la Soul. Elle semble dominer le monde. Pas de chance, Gamble & Huff ferment Neptune pour lancer leur prestigieux Philadelphia International.

             Elle finit par enregistrer sur Turbo, un petit label du New Jersey. On arrive dans le terrain miné des coups de génie avec «Can You Blame Me?», wild Linda y va au yeah yeah, elle ne lâche rien, elle n’en finit plus de remonter le courant, et elle te retombe dessus à bras raccourcis avec «I Do», elle hurle ça dans la plaine, Soul Sister pure et dure, ah il faut l’entendre hurler à la lune. Encore un cut gorgé de son avec «I Can’t Make It Alone» signé Goffin & King, et ça monte encore d’un sacré cran avec «Not On The Outside», elle a cette faculté de s’élever à la force de la glotte, elle se pâme dans un excelsior inexorable, Linda Jones est une géante. Et puis t’as encore cet «I’m So Glad I Found You» extraordinairement groovy, elle y va la cocotte, elle défonce les portes d’airain du palais de la Soul, elle fait la fête à elle toute seule et chante à la folie. Encore une compile dont tu sors rincé. Vraiment rincé.

    Signé : Cazengler, Lindabîmé

    Linda Jones. Hypnotized. Loma 1967

    Linda Jones. Your Precious Love. Turbo Records 1972

    Linda Jones. Let It Be Me. Turbo Records 1972  

    Linda Jones. Never Mind The Quality… Feel The Soul. Sequel Records 1997

    Linda Jones. Precious. The Anthology 1963-72. Kent 2016

     

    L’avenir du rock

     - Fontaines de jouvence

     (Part Two)

             Tous les témoignages concordent. Tous, sans exception. Lawrence d’Arabie, Stanley et Livingstone, Sylvain Tintin, Richard Francis Burton ont tous croisé l’avenir du rock dans le désert et sont catégoriques : il est complètement givré. Irrécupérable. À force de marcher pendant des mois et des années sous un soleil de plomb, il a fini par perdre la boule, ce qui paraît logique.  Tous ont essayé de converser avec lui, de lui redonner le goût des échanges courtois, le goût des petits commérages, tous ont essayé de lui apporter un peu de réconfort moral, de lui redonner foi en lui, foi en l’avenir, foi en Dieu, foi en l’être humain, foi en la gauche républicaine, foi en la science, et quand il répondait qu’il préférait le pâté de foi, nul ne s’en offusquait, car, par 60 degrés à l’ombre, une boutade se dessèche et meurt aussitôt. Tous sont unanimes pour dire qu’il vaut mieux le laisser errer dans son coin, tous affirment que de vouloir lui porter secours ne servirait plus à rien. Les témoins vont même plus loin, affirmant que ça lui rend service de le laisser errer dans le désert, que ça lui donne un certain cachet, car sa peau se parchemine. Son visage est tellement hâlé, disent certain, que ses yeux de fouine paraissent délavés, comme s’ils étaient clairs, ce qui n’est évidemment pas le cas. Cette errance lui permet en outre de conserver sa ligne, au moins il ne risque pas de ventripoter comme la plupart des mâles de son âge, tous ces lascars qui se plaignent de grossir alors qu’ils bouffent comme des vaches, de toute façon, ce n’est pas l’avenir du rock qui ira critiquer les gros lards, car il rate jamais une occasion, même dans le désert, de rappeler que les gros sont les meilleurs, notamment le gros Black et Leslie West. Le pire, c’est qu’il ne parle plus que de Fontaines, dans une région où elles n’existent pas. Bref, tout le monde le croit foutu. Si l’avenir du rock entendait tous ces cons, il serait mort de rire.

     

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             Les Fontaines dont il parle sont bien sûr les Irlandais de Fontaines D.C. Il n’est pas le seul à prêcher dans le désert : Stephen Troussé en tartine six pages dans Uncut. C’est pas rien. Il commence par qualifier leur quatrième album Romance d’astoshing, et parle même  d’«apocalyptic sci-fi stadium rock». Ah ces journalistes ! Ce qui rend les Fontaines éminemment sympathiques, c’est leur trouille de la gloire. Le chanteur Grian Chatten prévient tout de suite : «I’m not mad keen to get that big.» Et il ajoute, haletant : «I really, really don’t want us to turn into dickheads.» On ne sait pas qui il vise à travers ça, mais il vise, c’est sûr. Chacun mettra les noms qu’il voudra. Mais il sait que la gloire arrive. Pourquoi ? «Because we’re really good.» Troussé parle d’un «winning charm and modesty», même s’il frôle l’absurdité.  

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             Quatre albums en cinq ans, ça va vite. Troussé parle d’une «volicity that puts their peers to shame» et de «quantum leap». Il a du vocabulaire, l’ami Troussé, puisqu’il qualifie Dogrel d’«astonoshing rush-and-push debut», A Hero’s Death d’«assured consolidation», puis Skinty de «staggering, surreal letter of love and poison». Mais Troussé se surpasse en qualifiant «Starburster» d’«huge rambling panic attack that sounded like Korn covering Happy Mondays’ ‘Wrote For Luck’». Il qualifie aussi Carlos O’Cornell de «flame-haired guitarist and conceptualist» des Fontaines. Dans son élan, Troussé se met à sortir les comparaisons oiseuses : il compare Romance à l’Ocean Rain des Bunnymen, au Disintegration des Cure, à l’OK Computer de Radiohead, et d’autres qu’on ne va pas citer pour éviter de gaspiller de la place. Il se dit encore frappé par le «Technicolor» des cuts de Romance. Il parle enfin d’un album cinematic.  

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             Il a raison, Romance est vite bardé ! Les DC sont les rois du barda. Comme ils visent la démesure, les Fontaines s’en donnent les moyens. Mais les premiers cuts manquent de magie. Ils labourent la bouillasse d’une pop épaisse. Et puis tout à coup, ça swingue dans les voiles : le mec chante son «Here’s The Thing» au doux tordu et ça percute. Voilà l’Irish power, Grian Chatten chante à la déconnade et ça explose de grandeur. Oh yeah, il chante à l’évaporée dévastatrice et mine de rien, il rentre dans le chou d’un lard très fumant, ça groove dans l’épidermic, ça rocke le booty, aw quel fantastique racket d’Irish finish ! S’ensuit une belle montée en neige nommée «Desire». Ça redevient sérieux, tu commences à te prosterner. T’as pourtant déjà entendu cette surenchère de la démesure chez Adorable, mais les Fontaines plongent très loin au fond du Desire, ils battent tous les records du Grand Bleu. T’es estomaqué. On les voit encore chercher leur voie avec «Big». Grian Chatten appuie bien son chant, il a le bon timbre, pas de problème, un timbre pas trop oblitéré. Il ne manque aucune dent au timbre. Irish power pop ! Ils font les Pixies avec «Death Kink» et tout re-bascule dans l’excès qualitatif avec «Favourite» qui sonne comme un vieux hit insistant. Ah comme Grian Chatten chante bien ! Cette pop ne pardonne pas. Il chante à l’accent tranchant. Pur genius !

             C’est vrai que l’album sonne comme une grande aventure. Conor Curley raconte plus loin dans Uncut qu’il tire son énergie du cinéma, un art qu’il juge plus puissant que le rock et la littérature. Chatten dit aussi qu’il est «bored of talking about music, bored of talking about books.» Il dit chercher une nouvelle voie et se dit obsédé par Mickey Rourke dans Rumble Fish.

             Les Fontaines sont aussi partis en tournée américaine avec Artic Monkeys. C’est drôle comme leurs références ne sont pas bonnes. Chatten dit avoir flashé sur Blur à Wembley. Au moins avec Dean Wareham, on parle des vrais trucs, c’est-à-dire Lou Reed et le Velvet. Là on est dans autre chose. Il s’agit sans doute d’un problème générationnel.

             C’est O’Connell qui sauve les meubles en avouant qu’il a produit le nouvel album de Peter Perrett, The Cleansing. Et Perrett se dit fasciné par la voix de Grian Chatten - They’re lucky to have a singer with such an iconic voice. A Voice is everything - Peter Pan sait de quoi il parle. O’Connell devient rudement intéressant lorsqu’il aborde la question de la culture irlandaise : «Il y a beaucoup plus dans notre histoire que les prêtres et les curés. The weirdness of pagan Ireland.» Puis il fait l’éloge des groupes de sa génération, «us, Gilla Band, Lankrum», et de «something very irish about dissonance as a concept.» Et bien évidemment, l’article finit par se casser la gueule avec l’irruption des Spice Girls et de U2. C’est là que Chatten sort son fameux prêche contre les dickheads. Il se sent devenir narcissique, talking about myself, et bien sûr il sent que c’est le problème.  

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             Avant de conclure, il est bon de rappeler que Skinty Fia est un album raté. Ils font illusion le temps d’un «Big Shot» très Radiohead, mais les compos ne sont pas au rendez-vous. Il ne reste que la voix de Grian Chatten, cette voix intéressante au timbre profond, avec de jolis effets de baryton sur le so cold d’«How Cold Love Is». Mais globalement, rien n’accroche. Ils sont dans le manque à gagner, dans le laissé pour compte, dans le solde de tout compte, ils tentent encore de viser l’horizon avec «Roman Holiday», mais l’album devient un radeau de la Méduse. C’est la damnation du cerf, ils n’ont absolument aucune compo. Rien. Que dalle. C’est le l’arty-gros foutage de gueule et ça ne reprend vie à la fin qu’avec «Nabokov» qui est bien écrasé de son. Quelle tragédie. Cet album a dû traumatiser leur destin. 

    Signé : Cazengler, Fonteigne d’ici

    Fontaines D.C. Skinty Fia. Partisan Records 2021

    Fontaines D.C. Romance. Xl Recordings 2024

    Stephen Troussé : Last of the new romantics. Uncut # 330 - October 2024

     

    *

             La teuf-teuf fonce à donf. Pourquoi donc ? Parce qu’elle emprunte la 619 qui vous emmène à Troyes. Dont on peut dire qu’en France elle est l’équivalente rock de la mythique road 66. Un don des Dieux ! Moins longue que Le Don Paisible de Mikhaïl Cholokov mais au bout de la route, comme à la bataille navale, la case Trois B s’avère gagnante à tous les coups. Comment cela se fait-il, je n’en sais rien, faudrait demander à Béatrice la patronne par quel stratagème elle se débrouille pour ramener systématiquement  de bons groupes. Peut-être a-t-elle la main verte, mais sûrement the main feeling rockabilly.

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             Remarquez ce coup-ci elle avait deux bonnes cartes dans son jeu. Luky Will est déjà venu 3 B...   Le deuxième as depique elle ne le tenait pas dans sa menotte toute mignonnette, elle nichait dans la poigne la plus féroce du rocker le plus intrépide, vous avez reconnu Jerry Lou, le pianiste fou, une photographie sur laquelle l’indomptable Jerry Lee Lewis arborait fièrement le premier CD de Luky Will.

             Autant dire que je ne m’attendais pas une douce veillée de colonie de vacances, mes prédictions ont été comblées au-delà de toute espérance. L’est vrai que 3 B recevait la visite  d’un sacré groupe de coupeurs de têtes.

    THE COOPERS

    3B

    (Troyes / 21 – 03 – 2025)

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                Suis surpris dès mon entrée au 3 B. Peu de monde. La moitié des tables désertes. Une demi-heure plus tard je suis effaré. D’où sort cette foule ! Jamais vu autant, une marée humaine, tellement de presse que l’accès au bar sera interdit pendant tout le concert à ceux qui squattent les places près des musiciens, debout, chaises, et même assis par terre ! Ce n’est tout de même pas une soirée folk qui est prévue.

             Z’arrivent sourire aux lèvres, s’installent sans se presser, la pression monte, profitons du premier instrumental, un Chicago Blues mid tempo, un tantinet funky, ce n’est pas la tornade que l’on attend, mais non de Zeus, pas besoin de sortir de Polytechnique pour se rendre compte que l’on est devant de sacrés musiciens. Tout au fond Kevin, à l’affût derrière ses fûts, frappe mollement, mais quelle étrange décontraction, l’est toujours prompt à ouvrir ou clôturer n’importe quelle séquence, à sa droite c’est plus grave, je ne parle pas du bassiste, l’a une moustache terriblement sympathique, mais chaque fois qu’un de ses doigts touche une corde de sa basse, non, ce n’est pas une upright, plutôt une upsound, vous avez un son profond et moelleux, du chocolat fondu, est-ce pour cela qu’il est surnommé Pepito, juste devant lui, sous son chapeau, Lucky et sa Gretsch rouge-sang, tout ce que l’on peut dire c’est qu’il maîtrise salement sa bécane sanglante. Enfin à droite, Bruno aligné contre le mur, enfoncé dans le recoin vous pouvez ne pas le voir, mais pour l’entendre pas de problème, paisiblement assis sous sa casquette, ses doigts n’arrêtent pas de ricaner, chaque fois qu’il les pose sur son clavier, c’est comme s’il instillait un brin de folie foutraque dans l’ambiance qui ne parle pas à tourner à l’orage dès le deuxième morceau.

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             Faut comprendre, l’amateur très moyen de rockabilly connaît la plupart des morceaux, mais ils ont une manière très spécifique de les interpréter. Ne vous filent pas les titres à tire-larigot à la queue-leu-leu, bonjour-bonsoir voilà le boulot, non ils ne récitent pas leur leçon, ils interviennent à chaque instant, vous les reconstruisent, vous les dégobillent sans retard, mais vous les ressortent totalement métamorphosés. C’est qu’ils possèdent une arme invincible mais souterraine, ils swinguent comme aucun autre groupe de rockabilly, z’ont la pulsation primitive, mais ils ne le montrent pas, partent du principe que chaque morceau doit être mené comme un round de boxe, mais avec quatre boxeurs qui chacun à leur tour sort son uppercut dévastateur.         

     Lucky, il joue la surprise attendue, suspend son jeu, tourne la tête à droite eut à gauche comme s’il ne se rappelait plus de ce qu’il lui faut faire, mais quand il envoie le riff vous supputez dans votre pauvre cervelle la seconde exacte où il va le relâcher, pas maintenant, ni après, ni avant, à l’instant précis où il veut ( ne s’appelle pas Will pour rien), sur son Folsom Prison Blues vous donne une sacrée leçon sur la notion de la liberté de l’artiste, quand il veut, où il veut, il vous pose le bibelot à l’endroit exact où vous n’aurez jamais escompté qu’il soit là. Avec lui chaque écoute d’un seul morceau devient une aventure sonique.

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    Autre tactique. Celle de Kevin. Il tapote dans son coin. Vous pensez qu’il joue à la belote avec un comparse imaginaire. Le gars loin de tout, retranché dans son quant à soi. Ses camarades se retournent vers lui. Qu’est-ce que tu fous Kevin, on ne voudrait pas te déranger mais si tu faisais un petit truc ça nous aiderait bien, alors il leur adresse un petit sourire, le même que Napoléon avait jeté à Murat pour lui signifier qu’il pouvait mener la charge de ses douze mille cavaliers contre l’infanterie russe à Eylau, mais Kevin c’est la décharge, la canonnade en quinze secondes il vous jette le morceau par terre, l’emporte tout sur son élan,  rasé rasibus, et hop il vous refigure le building qui sort de terre transfiguré de pied en cap, vous impose sa vision du monde, et vous convenez qu’elle est beaucoup plus efficace que la vôtre. Ensuite mine de rien, il joue l’élève innocent qui n’a rien fait, ni vu, ni pris, l’œil aux aguets, prêt à repartir en guerre dès que nécessaire.

    Bruno, sur son piano Yamaha, l’est comme vous qui de temps en temps parsemez du parmesan sur votre plat de pâtes, distribue quelques notes pour accompagner, c’est sans préavis qu’il lance la galopade effrénée sur son clavier, ce qui ne l’empêche pas parfois, un doigt à demi replié de s’obstiner sans trêve sur une note qu’il doit avoir envie de détruire l’on ne sait pas trop pourquoi, c’est un peu comme l’étincelle, chère au président Mao Tsé Toung, qui était censée mettre le feu à toute la plaine, en tout cas avec lui, ça marche à tous les coups, le morceau accélère comme une fusée interplanétaire, z’avez l’impression qu’il penche d’un côté et que dans la seconde qui suit tout va s’effondrer happé par cette maudite descente vertigineuse, d’autant plus que l’air de rien Kevin tout en continuant à battre son beurre, attrape le clavier d’une main et le soulève pour accentuer la pente fatale, genre de facétie qui n’empêche pas Bruno de  continuer sa dégringolade de notes infinies.

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    Pépito met le paquet, à sa façon. N’attaque jamais de face. L’est comme ces motards qui se positionnent au cul de votre voiture et vous poussent à accélérer sans fin. Choisit un de ses camarades, et hop il se colle à lui, en toute innocence, un véritable boutefeu, vous avez l’impression qu’il suit la cadence, il l’englobe d’une sonorité voluptueuse, il suscite le désir d’une course éperdue et c’est parti jusqu’au bout de l’avenue, quand l’autre s’arrête il stoppe aussi sec pour mieux rappuyer sur l’accélérateur, l’a une préférence pour les Gretsch de Lucky, il passe à l’orange et la rouge ne l’arrête pas. 

    Le cercle se referme. Will ne se contente pas de sa guitare. Il mène le jeu. Au vocal, faut l’entendre débouler Good Golly Miss Molly, l’a le gosier de fer et de foudre, parfait pour  arracher les dégringolades sublimes, descendre les torrents foudroyants de Blue Suede Shoes et éparpiller  les éclats de grenade de Great Balls of Fire aux quatre coins du monde. En plus un véritable entertainer, en trois réparties il dope la salle qui n’en finit plus de hurler. D’un geste souverain il arrête la furie générale pour la catapulter un quart de seconde plus tard dans un grandiose tumulte.

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    Trois sets de feu. Etourdissants. Effervescents. Excaliburants. L’ordonne à tous de se lever et de danser. Et tout le monde obéit Dinguerie absolue le You Never Can tell de Chuck Berry avec Bruno et son piano bordel-line…. Béatrice la Patronne indique que l’heure… il est temps d’arrêter l’émeute. Les instruments sont posés à terre. Lucky s’empare du micro court se réfugier dans la densité du public, s’empare du micro et pratiquement a cappella il entonne I Saw The Light le gospel sacrilège d’Hank Williams que nous reprenons tous en chœur… c’est reparti pour trois classiques, l’on termine comme dans les années 70 avec un petit Johnny B. (very) Goode

    C’était la fin. Pas du tout, maintenant l’on passe aux riffs les plus célèbres, genre l’on fait feu de tout bois de Téléphone à Smoke on the Water

    Je m’arrête ici, pour que vous ne soyez pas jaloux. Merci à Béatrice et  aux Coopers. Ce n’était pas une soirée inoubliable mais un rock-choc immémorial.

    Damie Chad.

     

    *

    Ashen continue sa route. Profitent du printemps pour déposer un œuf dinosaurien dans nos pupilles, une nouvelle vidéo explosive. On ne les compte plus, sans compter Smell like Teen Spirit, ce fut Sapiens, Hidden, Outler, Nowhere, Angel, Chimera, Desire, toujours pas d’album, mais une stratégie qui porte ses fruits, Outler, commis par un groupe français, vient d’être crédité d’un million de vues sur Spotify. Voici donc le dernier opus, le dernier obus :

    CRYSTAL TEARS

    ASHEN

    (Official Music Video / Mars 2025)

    OUT OF LINE MUSIC

    Bastien Sablé a dirigé la vidéo qu’il a scénarisée en compagnie d’Ashen. Le site de Bastien Sablé est à visiter. Il a réalisé de multiples clips pour de nombreux (et nombreuses) artistes de la nouvelle variété française. De mirifiques décors, des mises en scène inspirées, dommage, selon mes goûts de rocker endurci, que les musiques ne soient pas souvent à la hauteur images qui les accompagnent.

    Mais pour celle-ci, la transcription mouvante de la  beauté formelle des hallucinations cryptiques échevelées est si parfaitement adaptée à l’univers spirituel darkside et à la violence fragmentale de la musique du groupe, que l’ensemble symbiotique s’inscrit sur les murs charbonneux de  notre nuit mentale en traits de feu sanglants significativement aussi éphémères qu’éternels…

    Où sommes-nous ? Dans une des sombres galeries des Indes Noires de Jules Verne, ou en un endroit encore plus dangereux, à ras-de-terre et de cendres des Champs Phlégréens, juste à la l’orée du porche de la caverne qui selon les Anciens conduisaient aux Enfers, au Royaume de la Mort, à moins que cette ombre noire qui chemine précautionneusement, son bras levé supportant un flambeau de lumière indistincte, ne soit un être humain vivant déjà mort. Cette ombre animale que l’on entraperçoit une demi-seconde ne serait-elle pas celle de Cerbère, le chien obturateur rendant impossible toute remontée.

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    Devant une muraille de schiste noir, le groupe joue, se démène, se trémousse assène la musique sous forme de lingots de plomb noircis, il crie, il hurle, il clame, il geint, il gesticule, il joue… son rôle de chambre noire de Chenonceau, Clem, l’Orphée mythique, n’est déjà plus qu’une âme, les vestiges remuants de ce qui a eu lieu, le vertige rampant de ce qui n’est plus, la dague est plantée dans le sol, en éclat de quartz, un éclair blanc de robe de reine morte, l’épée où se jeter et se percer le cœur, le groupe en transe paroxystique, et Clem qui s’approche précautionneusement, de la fleur de lys, de l’incisive géante d’un monstre antédiluvien, la forme blanche de la lance du Graal, folie noire, fantôme de pierre, albâtre qui grandit démesurément, le toucher, la toucher, est-ce lui, est-ce elle, cette Excalibur proéminente dont la lame froide arde et illumine, mais avant se reposer, se concentrer en soi, se poser les bonnes questions, faut-il s’adresser à lui, à elle, à soi-même, à cette énigme translucide, alors que l’on dit que la Mort est blanche, et ce menhir illuminatif, qui est-il ? Pourquoi ne serait-il pas moi. Serait-il l’autre. De l’autre côté du miroir. N’aurait-il pas la forme d’un cœur. Immortel puisqu’il ne bat plus. Confrontation avec l’autre de soi-même. Gerçure et brûlure à la jointure. L’orchestre exorcise sa fureur. Bersek de lui-même. Hurlement. Qui meurt là, qui tombe et s’affale sur la pierre druidique, qui titube et s’appuie sur le pilier christique. Communion. Extrême-onction sacrificielle. Le groupe massacre-t-il de désespoir sa musique noisique. Plus personne. Ne reste plus, sublime, immarcessible, que l’épée blanche qui semble s’élever vers le ciel. Serait-elle la représentation de l’aile d’un ange rilkéen. Celui élémental qui descend.

    Damie Chad.

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    Nota-Bene : L’œuvre au noir, la forme blanche n’évoque-telle pas la forme oblongue d’un cercueil, peut-elle être éblouissance. En quoi le tout se résorbe-t-il ! La forme blanche est-elle l’épée de la séparation ? De cet autre côté de nous-même que nous sommes et ne sommes point. Notre somme additionnelle n’est-elle égale qu’à la silhouette du 1 maladroitement tracée, cette frontière qui ne délimite qu’un même et unique royaume. Toute la douleur existentielle de cette dichotomie de nous-même qu’aucun scalpel de pierre ne parviendra jamais à séparer de nous-même car notre vie s’apparente si bien à notre mort que nous sommes tout aussi bien que nous ne sommes pas, ce tout que l’on voudrait ne pas être ou ce rien que l’on voudrait être.

    Une lecture plus simple, l’adieu à l’androgynie que l’on a été, que l’on a cru être et que l’on n’est plus. Cette coupure de l’autre qui n’est que la coupure de soi-même d’avec l’autre. Vouloir être dans une unique solitude et n’être plus que la solitude de soi-même. Un moins Un égale toujours Un. L’illusion posthume du 2. Le Un est toujours seul, séparé de sa propre multiplicité.

    Pour aider à réparer la fracture, Platon disait que l’on ne pouvait passer du Un au Deux, sans quoi le Un reste seul. L’a préconisé le principe de la dyade qui n’est autre que la reconnaissance du Deux, non pas en son unité, mais en sa dépendance à l’autre qui reste l’Un, ce qui de fait de la dyade le principe de la reconnaissance de la multiplicité infinie, qui n’est autre que le ravalement du Un, non pas en sa Unicité, mais en simple fraction élémentale de la répétition du Même.

    Le Même n’étant que la négation de l’unicité du Un. Or un Un qui n’est pas unique nous oblige à vivre  l’équivoque relationnel avec tout autre. A nous atomiser avec le n’importe quoi. Une espèce de suicide collectif métaphysique en quelque sorte. Commis par un seul.

    Damie Chad.

     

    *

    Vous avez des mots et des titres qui vous attirent plus que d’autres. J’avoue avoir pas mal barjoté sur le Midnight Rambler des Stones mais là je suis servi : un groupe qui se nomme Nightstalker, mais qui très vite aggrave son cas, ils sont grecs, d’Athènes, sont cités dans la mouvance de Rotting Christ, quant au titre de l’album jugez-en par vous-même,

    RETURN FROM THE POINT OF NO RETURN

    NIGHTSTALKER

    (Heavy Psych Sounds Sounds Records / Mars 2025)

             En langue anglaise ‘’starlker’’ désigne un rôdeur dont il vaut mieux se méfier, l’on ne sait ce qu’il manigance mais vous êtes sûr qu’il ne travaille pas au bonheur de l’humanité, il désigne aussi un chasseur lancé sur une piste qui n’appartient qu’à lui. Stalker c’est aussi le film du réalisateur soviétique – il eut quelques ennuis avec le régime – Andréi Tarkowski. Une étrange histoire d’un stalker mystérieux qui guide au travers d’une zone désolée et interdite deux voyageurs, un écrivain et un professeur, vers une mystérieuse cellule où vous atteindriez l’horizon zénithal de  l’absolu de vos désirs profonds… Le film est sorti en 1979, il a trouvé une étrange résonnance dans la zone interdite située autour de la centrale nucléaire de Tchernobyl explosée en 1986 dans laquelle certaines espèces animales semblent avoir développé une espèce d’armure biologique contre les radiations atomiques… Si vous partez du principe que l’Homme n’est qu’une espèce animale parmi tant d’autres, toutes les cogitations vous sont permises… Stalker est aussi le nom du blogue littéraire de Juan Asensio adonné à la dissection du cadavre de la littérature…  

             Le retour au point de non-retour doit-il être considéré comme une régression ou une avancée. Une deuxième chance ou la peur de s’enfoncer dans la logique d’un cheminement. De toutes les manières l’idée du retour n’implique pas-t-elle la notion de l’origine quel que soit le sens de votre marche qui, même si vous revenez sur vos pas, en reposant systématiquement chacun de vos pas dans vos propres empreintes vous oblige à dessiner l’idéelle figure d’un cercle nietzschéen…

             La pochette vaut le détour. Cette espèce de ville endômée, endoomée par une calotte humaine protectrice et emblématique – appréciez au-dessous l’espèce de péristyle morcelé, ces colonnes qui furent la fierté des cités grecques antiques et par-dessus le capillaire village rural  exhaussé sur les déclivités crâniennes du crâne, poussé tel un rêve, qui ne veut pas mourir et s’accroche désespérément aux superstructures de cet exo- squelette tombal et génital.   

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    Cette couve est d’Alexander Von Wieding, un illustrateur qui a beaucoup travaillé en  packaging et notices diverses en relation avec la production industrielle, amateur de blues depuis 2006 il s’est spécialisé pour la production de pochettes d’albums. Son Instagram regorge de photos de couves pour des groupes et des chanteurs dont j’ignorais l’existence. Idéal pour mesurer le gouffre de votre ignorance, car l’intérêt pour les images vous empêche de vous attrister sur vos manques de connaissances.

    Nightwalker fut fondé en 1989. Ce disque est leur septième album, ( + deux lives et quelques simples),

    Andreas Lagios : bass / Dinos Roulos : drums, percussions / Tolis Motsios : guitares / Argy : vocal, lyrycs, percussions.

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    Dust : si vous vous  attendez à une sereine méditation sur la poussière que vous êtes et sur la poussière que vous deviendrez, c’est râpé, la batterie bouscule vos synapses, des tourbillons sonores précipitent vos circuits cérébraux en une espèce de surdopéisation de vos neurones préférés.  Plus de chair  vous êtes comme sur la couve réduit à l’os de vos prétentions, comme quoi tout se passe dans votre tête, au-dehors tout se rétrécit, Argy vous prévient, tout a une fin, même ces jours que vous avez longtemps crus heureux. En quatre courtes strophes il vous indique le début de la catastrophe. Une seule consolation la guitare de Tolis, toujours ça de pris sur l’ennemi. Heavy Trippin’ : dur, dur docteur Arthur, un peu de méditation, la basse de d’Andreas vous y invite, mais les camarades haussent le niveau sonore, l’introspection silencieuse c’est terminé, pratiquement une confession publique obligatoire, modulée d’un vieux fond bluesy salement malmené, c’est beau comme du Verlaine mais ça remue comme Le Bateau Ivre de Rimbaud, vous avez vécu dans un rêve, du toc de chez toc-toc qui refuse la réalité, qui oublie le malheur de ses congénères, qui ne pense qu’à sa petite quiétude personnelle, c’est fou comme le temps s’allonge indéfiniment lorsque l’on tourne et retourne en soi-même, alors qu’autour de vous tout se désagrège à une vitesse supersonique. Il est temps de prendre les décisions qui s’imposent. Pour vous consoler les quinze dernières secondes du morceau sont superbes. Jamais entendu une semblable coda à décoder.

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    Uncut : je vous rassure, ils ne sont pas tombés dans un trip à l’acoustique, l’électricité ronronne à fond, à gros flocons, si vous ne me croyez pas vous avez une vidéo, en studio et sur scène, de vrais rockers ils jouent au billard à trois boules, pas à l’amerlok, toute la différence entre un traité d’Aristote et un roman naturaliste, ce dernier est bien plus simple mais nécessite moins d’aptitude intellectuelle, s’amusent aussi au flipper et z’ont des groupies à foison. Ce qui est un peu à contre-courant du scénario aujourd’hui fortement  conseillé parce qu’après qu’Andras nous a appris ce que l’on peut faire avec une basse, l’Argy, ce n’est pas de l’argile, l’est dur comme du granit, vous congédie sa copine sans fioriture, le temps des simagrées et des faux-semblants c’est terminé, pour les féministes concentrez-vous sur la machine de guerre de ce groupe, ils n’ont peut-être pas inventé le lait en poudre, mais c’est si puissant et si beau que dans vos cerveaux ils font pousser l’herbe qui nourrit les vaches.  Return from the Point of No Return : encore une vidéo, vous voyez l’Argy se livrer à ses petites activités matinales un peu de sport, un peu de bourbon, finit par se rouler un joint aussi gros qu’un bâton de maréchal, vous voyez le groupe jouer et

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    surtout vous entendez la mayonnaise, elle vous emporte sur le haut sommet de l’Empyrée, le Dinos, l’a la frappe dinosaurienne, vous berce dans les roulements incessants de ses toms, ne cédez pas à l’hypnose musicale, Argy est en train de mettre de l’ordre dans son existence, confond un peu son balai avec un char d’assaut, mais faut ce qu’il faut, ou vous êtes capable de retourner au point de non-retour ou vous ne l’êtes pas. Sachez repérer les cris en sourdine. L’art du hurlement souterrain n’est pas donné à tout le monde. Un morceau qui fait place nette. Shipwecked Powder Monkey : attention de l’eau dans les écoutilles, sont comme fatigués d’écoper, se reprennent vite, z’ont intérêt maintenant à se magner car ça entre par gros paquets, voici les temps de l’incertitude le moment où l’on s’aperçoit de l’équivalence de nos actes, que l’on fasse ceci ou cela, le résultat est identique, maintenant le groupe fonce en piqué et en escadrille, les choses t’échappent, vous filent les derniers enseignements, tu n’y peux rien, l’existe un point où l’avant devient l’après, à moins que ça ne soit juste le contraire, tu te dois avancer, mais c’est le temps qui te rattrape et te dépasse.  Guitare en chappe de plomb te percent les oreilles, te bercent dans ton incomplétude, dans ton impuissance programmée. Shallow Grave : cette basse trop grave, plus basse que la terre que tu as creusée pour enfouir tes rêves et ta volition,  voici donc le slow des grandes glaciations, la musique dodeline, au bout de la mort une renaissance, un rite de passage, les tisons de la guitare te réchauffent la musiquen se redressent tel un serpent prêt à se battre, fais le tour de tes anneaux mémoriels, ne te laisse pas enfermer dans le cercle vicieux de tes habitudes. Reviens à toi. Extrais-toi de ta propre tombe. Falling Inside : le retour en soi, une pierre qui dévale la colline, qui tombe, qui n’en finit pas de tomber, de plus en plus vite, le rythme s’accélère, il est trop impétueux pour que tu aies le temps d’avoir peur, le groupe explose littéralement, un élan dévastateur, créateur, tout au fond tu trouves ce que tu cherchais en vain depuis longtemps. En toi-même. Te voici redevenu toi-même. Tout voyage est intérieur. Tu es le retour et tu es en même temps le non-retour pour ne pas stagner. Flying Mode : le son est lourd, il ne trébuche pas, il s’amplifie, le tout est de ne pas s’appesantir en soi, de ne pas se confiner en une morale étriquée du bien et du mal, la zique prend son envol, faut savoir s’envoler, le chant devient encombré de parcelles de gai savoir, vivre ses rêves c’est déjà vivre, le cheval fou de la batterie trottine allègrement, bientôt il galope ardemment, rejoint par le reste de la horde, crinières pâmoisantes de guitares, toujours de l’avant, cris de joie, de victoire et de triomphe. Si vous restez à les écouter vous ne les rattraperez jamais.

             Enthousiasmant. A écouter attentivement, peuplé d’idées musicales inédites. Un groupe au sommet de son art. Testamentaire en le sens où les héritiers viendront boire. Source vive.

             Tellement bon que j’ai voulu en écouter davantage, j’ai choisi un titre choc :

    DEAD ROCK COMMANDOS

    (Small Stone Records / 2012)

    Pas tout à fait au hasard, d’abord une pochette d’Alexander Von Wieding qui n’est pas sans préfigurer un demi-quart de siècle à l’avance celle de Return from the point of no return, un peu moins réussie toutefois, quel sens donner à ce trognon de pomme déposé entre les mâchoires de cet animal monstrueux aux dents hyper développées de tyrannosaure, si ce n’est celle d’une éthique rock qui consiste à croquer la vie à pleines incisives mais en privilégiant uniquement les  meilleurs morceaux. N’est-ce pas normal que Kr(tnt ! qui vous propose chaque semaine les aventures de l’Avenir du Rock dans le désert d’Egypte se penchât aussi sur ces commandos du rock décédé, un titre d’autant plus énigmatique que si l’on en croit nos oreilles le cadavre en pleine forme s’agite beaucoup pour un moribond. 

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    Go get some : choc de zinc dézinguant, z’en remettent une couche et c’est parti pour le rock’n’roll, le vocal qui klaxonne comme une trompe pour vous avertir que l’avalanche déboule sur vous, trop tard vous êtes déjà enseveli dans les neiges éternelles, une guitare non décarbonée signale l’endroit de votre passage, de l’autre côté de la montagne noire. N’ayez crainte seulement une métaphore afin de vous inculquer la rudesse de l’art tonitruant de vivre rock’n’roll. Pas difficile vous cherchez à crever la gueule ouverte mais vous recracher les pépins de la mort pour ceux qui les ramasseront et s’en nourriront. Codicille de dernière importance : ou le rock ou le néant. La vie appartient aux excités. Soma : nouvelle somation. Vous la lancent à la balle dum-dum.  Très agréable, musicalement parlant si vous aimez le rentre-dedans, délectable aussi si vous suivez les conseils, pardon les ordres. Un combat au corps à corps, jouissance sexuelle tous azimuts, une guitare qui hennit de plaisir et le reste e la bande qui enfonce le clou dans les cercueils de chair. Dead Rock

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    Commandos : vous avez une vidéo pour vous aider à comprendre, le printemps qui s’éveille, la nature presque frémissante, déboulent en courant, tous habillés de noir, un moment pour comprendre qu’ils sont poursuivis, qu’ils sont vont être rattrapés, on se saisit d’eux, on leur recouvre la tête d’un voile blanc, sont emmenés sur les lieux de leur exécution, brutalement on les libère et on les place derrière leurs instruments, morale de l’Histoire, il y a commandos et commandos, les uns détruisent la planète et lobotomisent les populations et les autres se servent de leur musique pour se défendre et survivre. Riffs noirs et sombres à grandes enjambées vous assomment, eux aussi sont des commandos, les commandos du rock. Ceux qui cherchent à tuer le rock, ceux qui se battent pour qu’il survive. Le texte est beaucoup plus politique qu’il n’y paraît. One million broken promises : pompent plus vite et plus énergiquement que les shadocks, normal ce sont des shadrock, n’en profitent pas pour rejeter la faute exclusive sur le reste du monde, reconnaissent leurs torts, ils boivent, ils se droguent, reconnaissent qu’ils ont peur, qu’ils se dépatouillent mal, parce l’ombre de la mort les terrorise et que l’on meurt toujours seul. Rarement entendu une si grande probité intellectuelle chez les groupes heavy et metalleux. En plus ils vous l’assènent sans ambages et surtout sans repentir ni fausse honte.

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    Children of the sun : la vidéo vous évitera de croire qu’après une crise mystique subite le groupe se soit converti à l’idéologie hippie. Musique franche et directe assénée à pleines bouches, à pleins instruments, vidéo superbement mise en scène, toute simple mais pétillante d’intelligence, rock bien sûr mais avant tout une superbe pantomime des relations humaines, une traduction de cette complicité entre les individus qui les relie tels qu’ils sont avec toutes leurs différences. Les petites ironies de la vie, pour reprendre un titre de Thomas Hardy. Suffit de ne pas croire en la petite fleur bleue. Back to dirt : face B. Une lettre de bienvenue à un nouveau-né, elle n’est pas rédigée par Madame de Sévigné, la batterie vous met les points sur les i, la basse froisse le papier, le vocal bien fort pour que l’on n’ait pas besoin de le lui répéter quand il aura grandi, la guitare lui scie les planches pour son futur concert, on ne lui cache rien au petitou, il sort du trou de sa mère, il finira dans un trou de la terre, pour le reste débrouille-toi comme tu veux, un conseil fais-toi tout petit, et essaie de vivre jusqu’au jour de ta mort. Tu y passeras comme nous tous. Une tendresse en fer forgé. Keystone : une seule clef de voûte pour tenir une vie à peu près droite : le rock’n’roll. Qui balance pas mal avec des appuyés au forceps. Parce que t’es rock, t’en prends plein la gueule, tu t’en fous tu as toujours un temps d’avance sur les autres, mais surtout sur toi-même. C’est ainsi que je ne suis plus moi-même puisque je suis devenu moi-même. Me reste encore à apprendre à aimer. Rockaine : une guitare torturée, elle a dû écouter Jimi Hendrix, quel kaos dans sa tête, le moment du doute, tu t’es sorti de l’enfer pour entrer dans un autre, la batterie joue à l’éléphant dans le magasin de porcelaine, la basse repeint les murs en noir, obstination d’un pachyderme dans la toundra glacée qui essaie de trouver en lui-même un pâturage d’herbe fraîche, l’est pas près de brouter tout à son aise. The boogie man plan : mauvais plan. Encore plus violent que le précédent. Fait le point, l’a peur de tout, du quotidien et de l’exceptionnel. Un coup de projecteur sur Dead Rock Commando, encore une fois le groupe se démarque des autres, certes les instrus vous baladent dans un hachis parmentier saignant, vous aurez du mal à reconnaître vos oreilles embringuées dans ce vortex, mais au contraire de tous les groupes, il ne se cache pas derrière les mots, l’a la trouille de lui-même et encore plus des talibans. Talibang, le mot résonne, un défi civilisationnel, la déjante du rock’n’roll  face à la laideur du monothéisme sociétal. The underdog : entrée en fanfare, accueillez le héros, l’outsider que plus personne n’attendait plus, le voici, le voilà, il revient du vingt-quatrième dessous, faut entendre comme la batterie tape des mains, la guitare exulte, la basse monte haut, attention, les acclamations se voilent, l’outsider vous donne sa propre leçon de survie, vivez cachés, faites-vous oublier, rentrer dans un trou de souris, de toutes les manières pour les jeunes générations c’est trop tard. Affirmatif . Cinq sur cinq. Elles ne survivront pas.

             Musicalement, très brut de décoffrage. Du solide. Du résistant. Du béton armé. Peu d’imagination, mais c’est avec des pierres unidimensionnelles que l’on a bâti les pyramides. Question moral, il va descendre plus bas que les talons de vos santiags. Noir de chez noir. Ne vous reste plus rien à vous mettre sous la dent. Ah ! si un vieux trognon de pomme fossilisé. N’espérez rien. Claque rock. C’est que l’on appelle l’énergie du rock’n’roll ! A vous injecter en intraveineuse chaque soir, même dose au petit matin. Vous aurez de quoi opposer au cauchemar qui se profile à l’horizon. Médicamentation rock’n’roll du bon docteur :

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 664 : KR'TNT ! 664 : TCHOTCHKE / DARTS / JACKIE DESHANNON / LIVERBIRDS / CHRIS CLARK / BEE DEE KAY DRIVES THE U.F.O. ZZZ + MARY / ASHEN / ACROSS THE DIVIDE / AUSTIN OSMAN SPARE

    KR’TNT ! 

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 664

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    07 / 11 / 2024

     

     

    TCHOTCHKE / DARTS / JACKIE DESHANNON

     LIVERBIRDS / CHRIS CLARK

    BEE DEE KAY DRIVES THE U.F.O. ZZZ + MARY

    ASHEN / ACROSS THE DIVIDE

    AUSTIN OSMAN SPARE

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 664

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock

     - Tchotchke de choc

             — Comment pouvons-nous te choquer, avenir du rock ?

             — Ça risque d’être très difficile...

             — Si on te traite de gros con, ça va bien te choquer, non ?

             — Pas le moins du monde. C’est un fait que j’assume avec fierté.

             — Alors si on te traite de petite bite, tu vas blêmir, non ?

             — Vous ne connaissez pas les privilèges de l’hermaphrodisme, bande d’ignares...

             — Ah tu vas le prendre vraiment très mal si on te traite de sale juif !

             — Pfffff, c’est d’une banalité qui frise l’indigence, ou pire encore, le manque d’imagination. Comment veux-tu que ça puisse me choquer ? Par contre, si tu me traites de sale nègre, là, oui, c’est intolérable.

             — Bon alors, on va te clouer le bec pour de bon en te traitant de sale beauf...

             — C’est effectivement ce qui peut arriver de pire à un être humain. Chaque fois que t’en croises un, t’es partagé entre deux façons de réagir : le dégoût ou la compassion. Les beaufs se reproduisent comme les rats, ça prolifère, t’en as partout, même dans ta famille et tes cercles rapprochés. Tu soulèves une pierre sur le bord du chemin et tu les vois grouiller. Spectacle dégoûtant ! Les beaufs c’est ça, mais si tu traites de beauf quelqu’un qui ne l’est pas, ça ne sert à rien. C’est une injure gratuite, qui fait autant d’effet qu’une balle à blanc. C’est un coup d’épée dans l’eau. Désolé d’avoir à vous dire ça, les amis, mais votre notion de choc est complètement dépassée. Aujourd’hui, on ne parle plus de choc mais de Tchotchke. Attention, amigos, ce n’est plus du tout la même chose. 

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             T’arrive devant la scène avec la gueule enfarinée. Trois petites gonzesses déboulent sur scène. Tu ne sais même pas comment elles s’appellent. Bof, une première partie des Lemon Twigs, ça devrait pas être trop mal.

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    Devant toi, la petite bassiste s’applique et ramène, par sa seule présence, toute la fraîcheur du monde dans le set. Là-haut, sur son estrade, la batteuse/chanteuse allume ses cuts un par un, et là-bas, de l’autre côté, la guitariste gratte sa Strat sans effet, elle reste en mode clairette. On l’aura compris : zéro frime.

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    Tout est dans les chansons. En fait, elles jouent une pop très dépouillée, mais au fil des cuts, tu sens comme le poids d’un envoûtement sur ta pauvre vieille cervelle. Tu comprendras mieux plus tard, quand tu apprendras qu’elles ont enregistré leur album chez les frères d’Addario, ce qui est un sacré gage de qualité. Il est parfois bon de ne rien savoir quand tu vois un groupe sur scène. Tu juges sur pièces. C’est bon ou c’est pas bon. Les Tchotchke, c’est bon, et même super-bon. Cut après cut, elles étendent leur empire et ça te monte vite au cerveau.

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    La batteuse s’appelle Anastasia Sanchez, elle navigue exactement au même niveau que Curt Boettcher, elle sait vriller son chant pour créer de la magie pop, notamment sur «Oh Sweetheart One», ce chef-d’œuvre de candy pop collante et dégoulinante de candeur, monté sur une structure d’une ahurissante simplicité.

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    Derrière son micro et ses fûts, Anastasia vrille des couplets d’une indicible beauté. Tu vas retrouver cet objet d’art pop indubitable sur leur album sans titre. L’autre merveille du set s’appelle «Dizzy», qui sonne comme une fabuleuse descente dans le lagon d’argent de la pop, ces trois gonzesses sont aussi ambitieuses que les Lemon Twigs, elles flirtent elles aussi avec le génie pop de Brian Wilson. Elles tapent plein de merveilles qui ne figurent même pas sur l’album, franchement, t’en reviens pas de toute cette qualité. T’as l’impression que le monde pop s’enfonce dans la médiocrité, et tout à coup, les Tchotchkettes et puis les Lemon Twigs te remettent les pendules à l’heure. Alors tu reprends espoir. Grâce à ces deux groupes, les Byrds, les Beatles et Brian Wilson restent d’actualité. Ils sont aussi précieux que l’air qu’on respire.

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             L’album sans titre des Tchotchke est une petite merveille, cela va sans dire. T’es tout de suite dans le haut de gamme avec «You’ll Remember Me», belle pop ambivalente, d’essence impérissable, elles disposent de cette faculté extraordinaire à savoir vriller le chant pop. C’est du Brill d’obédience vertigineuse, quasi spectorienne sur le bonus track. Anastasia chante comme une reine de Nubie blanche. On recroise ces deux coups de génie que sont «Dizzy» et «Oh Sweetheart One», mais tu vois aussi Anastasia swinguer «Come On Sean» à la pointe de la glotte, et sur «What Should I Do», tu entends les frères d’Addario. Ce fantastique cut de salubrité publique sonne comme un hit du Brill. On croise aussi ce «Don’t Hang Up On Me» joué sur scène, une pop d’essence cristalline et aérienne. Elles s’en donnent toutes les trois à cœur joie, franchement c’est un bonheur que de les voir sur scène chanter cette merveille d’exubérance. Et comme l’album est bien produit, tu retrouves tout le punch de la version scénique. Nouveau coup de Jarnac avec «Whish You Were A Girl» : fantastique shoot de Brill, ah on peut dire qu’elles Brill au firmament, Anastasia mène sa pop flamboyante qui explose en solaces d’excelsior au moindre refrain. Et avec «Longing Delights», tu retrouves toute la folie des Lemon Twigs dans cette apothéose de pop wilsonienne.

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    Signé : Cazengler, le poids des mots, le tchotchtk des fautes

    Tchotchke. BBC. Caen (14). 25 septembre 2024

    Tchotchke. Tchotchke. Tchotchke Records 2022

     

     

    She Darts it right

     - Part Three

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             Sur scène, les Darts restent imbattables. Incompressibles. Irréprochables. Indéfectibles. Inévitables. Immédiates. Inoculables. Infaillibles. Irrésistibles. Immatures. Infectueuses. Impondérables. Indémodables. Intarissables. Indubitables. Mais prenons garde, car à force de plasticité gaga, elles finiront par nous insupporter autant que les Fleshtones. Pas besoin de sortir de Saint-Cyr pour savoir que le gaga est un genre dramatiquement limité, surtout le gaga-dorgua, celui des Fuzztones et des Lords Of Altamont en particulier. Les gangs de gaga-dorgua passent leur vie à vouloir briser une routine qu’ils ne briseront jamais, car la routine est leur spécificité. La routine d’orgua est leur ADN. Seuls Question Mark & The Mysterians ont su briser le sort de la routine gaga-dorgua. Ils ont dû pour ce faire verser 96 larmes. Cry cry cry.

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             Un set des Darts s’avale d’un trait, pas de problème. Comme tous les sets, celui des Darts connaît des hauts et des bas, de beaux hauts dirons-nous, et des bas pas beaux. Jusques là, rien de nouveau. Fidèle à sa tradition, Nicole Laurenne multiplie les antics, à défaut d’être la reine du rodéo, elle est celle des cabrioles, elle bat même Jake Caveliere à la course, elle adore s’allonger au sol et faire tomber son Farfisa sur elle, elle adore empêcher sa guitariste de jouer en l’enlaçant comme un boa constrictor, elle adore sauter sur place, d’ailleurs, elle ne fait que ça, elle est très athlétique, incapable de rester calme plus de trois secondes. Elle observe bien le rituel du gaga-dorgua qui consiste à chasser les temps morts, tout doit sautiller en permanence, l’énergie doit couler à flots, ça doit pulser dans les tubulures, ça doit couiner dans les circuits. C’est drôle comme ce genre parvient à survivre, malgré ses limites. On continue d’aller voir ces groupes sur scène et, pire encore, on continue de ramasser les disks au merch. Cette manie pourrait s’apparenter à une bonne petite pathologie. T’es là, et dans les moments de grande intensité, tu te demandes pourquoi t’es là. T’en sais rien. Tu vois tout ça de l’extérieur. Tu ne peux pas faire semblant d’être le fan que tu n’es plus.

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    Alors tu observes, essayant désespérément de ne pas trouver le spectacle (dans son ensemble) grotesque. Quel sens ont les Darts aujourd’hui ? C’est en te posant ce genre de question que tu peux espérer y voir plus clair.

             Au pire, le set te fatigue. Au mieux, il te remonte un peu le moral. Dans l’in between, ça grouille de considérations :

             — Ouais, c’est bien de perpétuer la tradition.

             — Ouais, tant que des groupes comme les Darts monteront sur scène, le cœur du rock continuera de battre.

             — Ouais, elle en fait un peu trop, mais il vaut mieux en faire trop que pas assez.

             — Ouais, ça fait vingt ans qu’elle se maintient à niveau.

             — Ouais, elle est l’une des meilleures dans son genre, aussi bonne que la Flavia des Courettes et la Jackie des Jackets.

             — Ouais, les Darts, ça darde !

             — Ouais, c’est sûr qu’on va retourner les voir le mois prochain. Encore une bonne soirée en perspective ! Ouais ! Mille fois ouais !

             — Ouais, avec les Darts, c’est du zyva automatique. Tu ne te poses des questions qu’une fois arrivé sur place.

             Effectivement, tu te prends au mot et t’y retournes. Cette fois, dans ton spot préféré, au Petit Bain, là où ça rocke le boat pour de vrai. Quand elles déboulent sur scène, elles balaient le souvenir des deux premières parties, c’est tout de suite américain, c’est tout de suite en place, c’est tout de suite les Darts, c’est tout de suite wham bam, c’est tout de suite «Underground» et tout de suite suivi de «Graveyard», c’est tout de suite du 100 à l’heure, c’est tout de suite mal barré pour les canards boiteux, c’est tout de suite claqué du beignet, c’est tout de suite exactement la même set-list qu’à Rouen un mois auparavant, alors tu n’as plus qu’à te laisser porter, elles font tout le boulot, tu veux ta rasade ?

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    Elles te la servent sur le meilleur des plateaux d’argent, et t’as une salle bourrée de fans. Au moins ceux-là ont payé. Nicole Laurenne ressort tout son bataclan, la course sur place, le dos au sol avec le Farfisa sur le ventre, et toute la fantastique présence scénique dont elle est capable. Elle rampe pas mal, elle semble en donner encore plus aux Parisiens et puis c’est dit-elle le dernier set d’une tournée qui a commencé au mois d’avril. Le centième ! Elle devrait en avoir marre, mais elle y va. Elle est encore meilleure qu’avant, et le set des Darts prend du relief, le jeu de scène est bien rôdé, t’en veux pour ton billet ? Tiens-en voilà pour ton billet.

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    Ça rocke à outrance, les deux bras droits de Nicole Laurenne s’en donnent à cœur joie, elles voyagent pas mal sur scène, et derrière, la petite  Mary Rose aux cheveux verts bat un beurre de tous les diables, elle ne fait pas dans la dentelle. Nicole Laurenne communique bien avec le public, elle a fait des progrès en français. Et puis elle a cette façon de lancer les cuts qui tape chaque fois en plein dans le mille, la main droite sur le clavier et, face au public, elle court sur place en secouant les cheveux. Elle court très vite, on a même l’impression qu’elle accélère.

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    Et au bout d’une heure de bons et loyaux services, elles finiront de gaver les oies : t’auras exactement le même rappel qu’à Rouen, avec «Love Tsunami», «Shit Show» et «Liar». Ensuite ? Eh bien ensuite, tu sortiras de là sonné et ravi. T’auras vu trente-six chandelles et, last but not least, t’auras aussi vu le real deal des girl-groups contemporains. Et t’auras bien mérité un dernier tonic à la cantine.

             Et les disks dans tout ça ?

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             Avec Snake Oil, tu t’aperçois que Christina Nunez vole bien le show avec son fat bassmatic, notamment dans le morceau titre d’ouverture de bal. Les Darts sont folles : elles attaquent à la stoogerie avec un bassmatic pétaradé. Ah comme elle patate bien, la grosse Christina ! Elle est mixée à l’avant du son et ça lui donne de sacrées coudées franches. Les Darts adorent filer tout droit, comme le montre encore «Love Tsunami», et on assiste toujours au même déroulé. Nicole Laurenne compose tout, elle contrôle tout le monde des Darts. Même le merch, c’est elle. Elle tape son «Love Song» en mode Big Astmospherix assez hellish. Avec «Underground», on assiste à un fabuleux déroulé périphérique, elle rafle la mise à coups de put it down, elle adore faire exploser ses cuts, en studio comme sur scène. Avec elle, ça se remet en route vite fait. Elle tape son «Donne Moi Tout» en français. Dommage que le chant soit noyé dans la morasse. Les derniers fans de gaga-dorgua vont forcément bien se régaler avec cet album qui a pour principal mérite celui d’exister.  

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             Comme elles traversent une grosse crise de productivité, elles sortent un tout nouvel album : Boomerang. Pochette superbe, avec une sorte de graphisme crypté. Ambiance murs tagués du CBGB. Elles repartent de plus belle à la conquête du Mondo Bizarro, elles enfoncent bien leur clou dans la paume de la routine et attaquent au gros tatapoum. Il faut attendre «Pour Another» pour frémir sincèrement. Belle attaque de bassmatic invasif. Elles développent un fantastique heartbeat. Christina Nunez gratte un sacré thème, il faut bien admettre qu’elle est l’une des cracks du bassmatic moderne. Puis les Darts replongent dans leur fontaine de jouvence avec un «Liar» classique mais bienvenu, et ça explose plus loin avec «Photograph». C’est encore Christina qui attaque ça en coupe réglée. Pas de pitié pour les canards boiteux ! Darty for real ! Elle lâche encore un bassmatic de destruction massive sur «Hell Yeah». En fait, c’est elle, la grosse, la star des Darts. Belle énormité encore avec «Night». Toujours cette fantastique énergie pulsative, même dans les cuts lents. Le turbo processeur est de retour avec «Welcome To My Doldrums» : basse pouet pouet et drive d’orgua, véritable effusion d’effervescence, c’est brillant et dévastateur. Du coup, t’as hâte de les revoir sur scène. C’est comme si tu ne pouvais plus t’en passer.

    Signé : Cazengler, Dark

    Darts. Le 106. Rouen (76). 22 septembre 2024

    Darts. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 19 octobre 2024

    Darts. Snake Oil. Alternative Tentacles Records 2023

    Darts. Boomerang. Alternative Tentacles Records 2024

     

     

    Wizards & True Stars

     - Shine on De Shannon

     (Part One)

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             On va profiter d’une petite actu sur la belle Jackie DeShannon pour lui consacrer un Part One plus que bien mérité. S’il en est une qui entre de plain-pied dans la cour des Wizards & True Stars, c’est bien elle. Dans Record Collector, Lois Wilson indique que la belle Jackie atteint l’âge canonique de 83 balais et qu’elle se produit encore - Still performing - Elle a fait ça toute sa vie. Elle dit ne pas se souvenir d’un seul instant où elle ne composait pas, ou ne chantait pas.

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    (Sharon Sheeley & Eddie Cochran)

             Pas compliqué la vie : il suffit de devenir pote avec les Beatles quand ils font leur première tournée américaine en 1964. Puis t’as les Byrds et les Searchers qui reprennent tes compos. Alors ça devient easy. «When You Walk In The Room», c’est elle, et la naissance du folk-soul-rock de Laurel Canyon, c’est encore elle avec, justement l’album Laurel Canyon. C’est assez con à dire, mais il n’existe pas de blonde plus légendaire que la belle Jackie. Elle a aussi pas mal tapé dans Burt («What The World Needs Now Is Love»). Elle est très prématurée, elle se fait connaître à l’âge de 13 ans sous le nom de Sherry Lee, et à 16 ans sous le nom de Jackie Dee. En 1960, elle signe un publishing deal avec Liberty et devient pote avec Sharon Sheeley, la poule d’Eddie Cochran, qui a déjà pondu des hits pour Eddie et Ricky Nelson. Cot cot ! Elles bossent ensemble, Jackie fourbit la mélodie et elles tapent les lyrics ensemble. Mais son deal chez Liberty n’est pas bon. Ils veulent la voir composer, pas chanter. Elle parvient quand même à enregistrer un premier album en 1963. Elle y tape trois covers de Dylan. Elle voulait faire tout l’album avec des covers de Dylan, mais les mecs de Liberty n’ont pas voulu. Pourquoi ? Parce qu’ils n’ont rien pigé à Dylan. On y reviendra dans un Part Two, car cet album est un gros morceau. Elle raconte aussi qu’elle a dû se battre pour enregistrer le «Needles & Pins» de Sonny Bono et Jack Nitzsche - Liberty didn’t like that song either. They thought it was strange. But I put my foot down this time. I knew I had to do it - Eh oui, elle a eu raison de tenir bon. C’est l’un des plus beaux hits d’Amérique. 1963 ! Elle est déjà très en avance sur son temps. Le seul qui la comprenne, c’est Jack Nitzsche. Ensemble, ils écoutent Malher, Stockhausen, Wolf et Robert Johnson. Il n’y a pas de hasard, Balthazar. En 1963, les Searchers sont à Hambourg avec les Beatles et Cliff Bennett. Ils découvrent «Needles & Pins». Flash immédiat - We were awestruck by the song - La même année, ils tapent leur cover de «When You Walk In The Room». Pendant la fameuse tournée américaine des Beatles en 1964, le public hue les premières parties, même les Righteous Brothers. La seule qui tient le choc, c’est la belle Jackie.   

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             En 1965, elle rencontre Burt. Elle flashe sur «What The World Needs Now Is Love». Mais Burt ne veut pas lui filer la chanson. Pourquoi ? Parque que Dionne la lionne n’a pas voulu l’enregistrer - she turned it down - Pareil pour Timi Yuro qui l’a aussi refusée. Hal David insiste. Burt cède. Ce sera le hit que l’on sait. Et bien sûr, Dionne la lionne va se dépêcher de l’enregistrer.

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             En 1966, les Byrds accompagnent la belle Jackie quand elle enregistre «Splendor In The Grass». Croz : «Jackie was amazing. She was an inspiration and she was fun. She’s a one-off original.» Les Byrds tapent une belle compo de Jackie sur leur premier album, «Don’t Doubt Yourself Babe». C’est l’année où Los Angeles explose - So many clubs on Sunset. It was wonderful - C’est là qu’elle enregistre le fabuleux Laurel Canyon. Derrière elle, on retrouve Dr John au piano, Barry White dans les chœurs. Elle ouvre la voie pour Joni Mitchell et Carole King.

             Elle quitte Liberty en 1970, et Capitol lui bousille son Songs en 1971 (on y revient plus loin). Elle débarque ensuite sur Atlantic. Wexler l’envoie aussitôt à Memphis. Elle enregistre Jackie chez Chips. Autour de Chips, Arif Mardin, Tom Dowd et Wexler s’entassent dans la cabine. Les Memphis Boys assurent le backing de Jackie superstar. Pour les becs fins, Jackie navigue exactement au même niveau que Dusty in Memphis. Pareil, on y revient dans un Part Two.

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             Voilà-t-y pas qu’Ace réédite son album de covers de Ray Charles, Nothing Can Stop Me. Liberty Records Rareties 1960-1962 - I’m really proud of them - Elle explique qu’à l’époque elle savait tout faire, du Burt, du Ray Charles, du Needles, du Dylan, et son label voulait qu’elle reste dans un genre bien défini, alors qu’aujourd’hui, dit-elle, on demande aux artistes de se diversifier. Elle prend l’exemple de Rod The Mod - Back then, my diversity was a curse. But I was actually ahead of the curve.

             Alors oui, on saute sur Nothing Can Stop Me. Liberty Records Rareties 1960-1962. Elle est en effet très jeune sur la photo de pochette. Mais elle chante son Ray d’une voix rauque, presque black. Elle est très sauvage. Elle aurait pu taper du rockab. Avec «I Got A Sweetie», elle claque un gospel black de petite vertu. Par contre, elle force trop son «What’d I Say», elle y va au tell you mama de bonne bourre. Elle jette toute sa niaque dans la balance de «Georgia On My Mind» et devient fabuleuse d’à-propos dans «Hallelujah I Love Her So». Yes I know ! Elle s’en sort vraiment avec les honneurs. Comme toujours chez Ace, les bonus grouillent de puces. On la sent folle de Ray. On la voit twister près du juke sur «Stand Up & Testify» et son «Baby (When Ya Kiss Me)» est de très haut niveau, fast & battu sec, avec des violons. On est frappé par la qualité des interprétations et des orchestrations. Elle devient folle avec «That’s What Boys Are Made Of» et ça se termine avec l’heavy pop de «Don’t You Feel Sorry For Me», fantastique cut d’époque avec le solo de sax et les clap-hands.

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             Chez Ace, on ne fait jamais les choses à moitié. Nos amis anglais ont entrepris de compiler tous les singles de Jackie sur trois volumes. C’est très consistant, très passionnant et recommandé pour les longues soirées d’hiver. Le volume 1 couvre la période Liberty - qui était aussi le label de Bobby Vee, de Johnny Burnette et d’Eddie Cochran - de 1960 à 1963. Certains morceaux sortis du contexte des albums redeviennent des bombes, d’où l’intérêt de ce genre de compile. On note aussi que les premiers singles de Jackie sonnent comme ceux des Coasters et de Brenda Lee. Elle faisait sa gutturale des cavernes. Elle bricolait un rock de fille et elle se battait bien avec son micro. Elle a commencé à virer jerk avec « Ain’t That Love » qu’elle prenait d’une voix fêlée et qu’elle chantait comme une bête fauve. Elle révélait son animalité. Elle prit à partir de là l’habitude de se racler la gorge et de se faire passer pour une méchante. Elle enregistrait aussi pas mal de slows super-frotteurs qui ont dû favoriser l’éclosion du baby-boom américain. Avec « Needles And Pins », on entrait enfin dans le vif du sujet : elle devenait l’inventeuse de la pop moderne. Elle tirait ça d’une voix de meneuse qui cinquante après impressionne toujours autant. Elle montrait au passage sa passion pour le gospel avec « Oh Sweet Charriot » et balançait un hit de r’n’b digne des Supremes, « Till Ya Say You’ll Be Mine » qui explosait de vigueur éclatante. Et bien sûr on avait à la suite l’éclair de génie du Walk In the Room, avec ses tambourins et ses maracas, un point de repère dans l’histoire du rock.

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             Avec le volume 2, on monte en puissance. Il est à cheval sur Liberty et Imperial, et couvre la période qui va de 1964 à 1967. On y retrouve cette monstruosité punk, cette énormité de jerk de cave qu’est « It’s Love Baby ». Sur « Don’t Turn Your Back On Me », Jimmy page bat le riff. Complètement légendaire. « A Lifetime Of Loneliness » est une merveille de Burt mélodiquement parfaite. Riche car travaillée dans l’essence même du capiteux. Elle remonte au signal pour fracasser le plafond de verre. Cette fille là, mon vieux, elle est terrible ! On assiste à une montée d’intensité quasi-orgasmique. Puis elle chante « I Remember The Boy » à la cantonade. Elle montre sa puissance en tapant dans le haut de la mélodie. Elle s’y révèle la fabuleuse shouteuse qu’on va retrouver ensuite au fil des albums. C’est ferrailleux, solide. Elle dégouline de classe. Elle joue son folk-rock princier en montant dans les octaves et elle fait sauter tous les bouchons. Monstrueux. On retrouve le fabuleux « Come And Get Me » de Burt et « Splendor In The Grass », où les Byrds l’accompagnent. Avec tous ces singles extraordinaires, elle atteint son âge d’or. Ce volume est le plus dense des trois.

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             Le volume 3 couvre la période 1967-1970, jusqu’à la fin de son contrat avec Imperial. On la sent attirée par le son hollywoodien, car elle commence par sortir une série de singles trop produits (« Changin’ My Mind », « It’s All In The Game » et « I Keep Wanting You »). Avec « Me About You », on la voit embobiner la mélodie. Elle joue à la superstar hollywoodienne, elle mène sa barque et tout le monde se prosterne à ses pieds. Elle fait rêver l’Amérique blanche. « Effervescent Blue » est une pure merveille insolite chantée à la manière de Diana Ross. C’est d’une classe extrême. Elle s’y révèle l’égale des grandes shouteuses de jazz. Elle brise les mythes sur ses genoux. On retrouve le beautiful folk-rock de « Laurel Canyon » et ce furieux hit qu’est « What Is This », tout secoué de guitares. « Always Together » est une belle pièce lumineuse qu’elle éclaire de sa voix. Imbattable. C’est à ce genre de single qu’on voit la grandeur d’une interprète. Elle a une façon particulière de monter son feeling dans la lumière de l’harmonie. Encore une pure merveille avec « Keep Me In Mind », mid-tempo élégant et mélodique, prodigieusement inspiré et qu’elle amène à sa façon pour en faire une pop étrangement veloutée et artistement décolletée. On retrouve aussi l’éclat de « Brighton Hill » qu’elle passe au filtre hollywoodien. Elle ne s’arrête jamais. Elle enfile les hits comme des perles. Les gentils compileurs d’Ace ont aussi pensé à mettre l’effarant medley « You Keep Me Hanging On/Hurt So Bad », version ultime et mortelle randonnée, elle en fait de la charpie, comme le fit le Vanilla Fudge. Les trois derniers singles sont faramineux : « It’s So Nice » (hit soul), « Mediterranean Skies » (incroyablement moderne pour l’époque) et « Bird On the Wire ».

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             Dans sa collection « Songwriters », Ace a bien sûr pensé à bricoler un volume Jackie DeShannon qui s’intitule Break-A-Way. Ça commence avec la version endiablée de « Break-A-Way » d’Irma Thomas, qui est accompagnée par un batteur drôlement énervé. On tombe ensuite sur le « When You Walk In The Room » des Searchers qui fut l’un des groupes préférés de Mark E Smith. Idéal pour les soirées sixties. Hit parfait. Ces mecs-là avaient tout l’arsenal : l’énergie et les harmonies vocales. Cher reprend « Comme And Stay With Me ». Elle préfigure Chrissie Hynde. Cher est sublimement punkoïde, même si la chanson vire poppy avec des clochettes à tous les coins de rues. Cher était une vraie hargneuse. Elle connaissait tous les secrets du frisson. Mais on trouve aussi pas mal de déchets : les reprises des Fleetwoods, d’Helen Shapiro, de Dick Lory, de Brenda Lee, de Peter James et de Dobie Gray ne volent pas haut. « Carrying A Torch » par Wynona Carr vaut le détour, car c’est magistralement interprété. La valse des déchets se poursuit jusqu’à la reprise de « Splendor In The Grass » par les Boys et leur gros son gloomy, mais c’est facile, car la chanson est bonne. Les Boys sonnent comme des Byrds, mais ce sont des filles. On a là un pur joyau de Californian Hell. Fabuleuse reprise de « Should I Cry » par les Concords. Leur version est complètement dévoyée. S’ensuit un autre chef-d’œuvre, « Thank You Darling » repris par Rick Nelson, chanteur exceptionnel. Autre merveille : « Would You Come Back » par Eddie Hodges, traitée au laid-back alcoolisé du matin difficile et joliment ramassé dans le titubant. Une autre perle avec « Day Dreaming Of You » par les Fashionnettes, exercice de style admirable signé par un girl-group kitschy. C’est aux Byrds que revient l’insigne honneur de refermer le cortège avec une version exceptionnelle de « Don’t Doubt Yourself Babe » qu’ils traitent à la mode de l’apothéose. On en n’attendait pas moins des Byrds.          

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             Le volume 2 consacré à la songwriteuse vient de sortir : She Did It. The Songs Of Jackie DeShannon Volume 2. Comme le précédent, cet album dégage un petit parfum de dynamite. S’il en est une qui sait écrire des chansons, c’est bien Jackie. Les volumes Ace jettent une lumière crue sur les grands artistes. Elles sont un complément indispensable à la discographie de ces artistes, surtout dans le cas de Jackie. C’est à Dorothy Morrison que revient l’honneur de taper dans « Put A Little Love In Your Heart », un gros r’n’b monté sur la basse. Dorothy se montre digne des géantes de Stax. On retrouve un peu plus loin le grand Dave Berry et « I’ve Got My Tears To Remind Me », avec l’énergie du Swinging London. Pure merveille d’antiquaire. Brenda Lee tape dans « My Baby Likes Western Guys » et elle y va au guttural. Elle s’arrache tout, mais on salue la beauté du geste. On retrouve la grandeur des Ronettes pour « He Did It » vieux hit sixties sha-la-la-té et extrêmement juteux. Gros choc émotionnel avec Marianne Faithfull qui reprend « With You In Mind » au gothique moyenâgeux. Elle en fait même un peu trop et se prend pour Guenièvre. Par contre, les Righteous Brothers ne rigolent pas. Dans leurs pattes, « Burn On Love » devient une monstruosité, ils chauffent la tambouille et multiplient les renvois de voix au loin. Avec Jackie, on retrouve l’équation magique Spector/Righteous. Encore une merveille oubliée : « Each Time » par les Searchers. Fantastique écho. Ces mecs de Liverpool auraient mérité d’exploser comme les Beatles. Et puis on tombe sur la perle de l’album : « The Greener Side » par Tammy Grines. Véritable énormité, elle chante à la ramasse du dévolu. Pur génie. Tammy Grines est terrifiante de classe. Encore un génie avalé par l’oubli : PJ Proby. Il tape dans « The Other Side Of Town ». Il grimpe très vite dans les violonades. PJ est le roi indétrônable des stentors. Puis on tombe sur « Till You Say You’ll Be Mine » chanté par Olivia Newton John qui bénéficie d’une prod à la Spector. Incroyable mais vrai. La fête se poursuit avec « I Shook The World » par Bob B Sox & The Blue Jeans, pur r’n’b de grande cuvée, vrai hit de juke, mais ça on le savait depuis longtemps. Delaney Bramlett chante « You Have No Choice » tout seul comme un pauvre malheureux et Rita Coolidge vient nous rappeler avec « I Wanted It All » qu’elle fut l’une des grandes chanteuses américaines. Même chose avec les Carpenters et « Boat To Sail », pure merveille pop qu’il faudra bien un jour redécouvrir. C’est l’avantage des compiles bien foutues (comme les sont quasiment toutes les compiles Ace) : on voyage à travers l’histoire du rock et on fait de belles rencontres. Alors on se dit : Oh il faudra que je revienne ici. Et là !

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             Vient de paraître All The Love - The Lost Atlantic Recordings, des morceaux pilotés par Jerry Wexler et qui ne figurent pas sur les deux albums Atlantic de Jackie, Jackie et Your Baby Is A Lady. Elle attaque avec « When I’m Gone », un fantastique balladif sensible. Ne prenez pas Jackie à la légère, c’est une femme fantastique. Elle sait tenir un mid-tempo avec intégrité. Elle a autant de classe que Dylan. Elle sait driver un hit. Encore un beau balladif avec « Drift Away ». Et elle passe à la country-motion avec « All The Love That’s In You ». Elle chante un peu comme Vanessa Paradis, elle est marrante. En fait, elle cherche le petit hit de la joie et de la bonne humeur. Elle nous sort là le joli groove des jours heureux, chanté à la petite voix sucrée et c’est orchestré de main de maître, on peut faire confiance à Tom Dowd et Arif Mardin, l’A-team de Jerry Wexler. On sent aussi une fantastique aisance sur ce joli folk-rock qu’est « Grand Canyon Blues ». Avec « If You Like My Music, », Jackie fait autorité - My music ! - Elle tient à préciser les choses sur un gros fond de nappes d’orgue. On tombe plus loin sur « Spare Me A Little Of You », un fantastique balladif pulsé à coups d’acou. Puis elle reprend le fameux « Don’t Think Twice It’s Alright » de Dylan. Courage ma fille ! Tiens bon la rampe ! Jackie est très forte. S’ensuivent quatre bonus pour le moins exceptionnels : un « Sweet Sixteen » de fantastique allure, un « Flamingos Fly » d’incommensurable ampleur, un « Santa Fe » qui sonne exactement comme un groove de rêve et « The Wonder Of You » qui va ta laisser seul, définitivement seul.

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             Après le re-parution des Lost Atlantic Recordings, voici celle des Complete Capitol Recordings, une sorte de nouveau passage obligé. On y retrouve tout ce qui fait la grandeur de cette artiste, à commencer par l’immense « Stone Cold Soul », une compo signée Mark James. C’est l’époque où Jackie enregistre à Memphis, chez Chips Moman et il faut entendre cette country Soul prodigieusement inspirée. Reggie Young joue des déluges sur sa guitare et Tommy Cogbill multiplie ses triplettes de Belleville sur le manche de sa basse. On a là une pure énormité et cette folle de Jackie s’accroche au Stone à coups de yeah-eh-eh. Allez, on va dire qu’on a là la meilleure pop de tous les temps. Chips laissait entendre que ces sessions avec Jackie comptaient parmi ses préférées. Magnifique version du « Child Of Mine » signé Goffin & King. Elle chante au timbre sucré, quasi-nubile, et passe sans crier gare au timbre fêlé. Elle regorge de feeling et Reggie Young fait des prodiges sur son acou. Elle tape ensuite dans un cut d’Emmit Rhodes, « Love Till You Die » et renoue avec le génie dans « Seven Years From Yesterday », un shoot d’heavy pop de Soul of American, joué sous un certain boisseau, à la Bobbie Gentry. Elle chante sa Soul avec la foi du pâté de foi et ça donne le Memphis swamp. En réalité, elle fait ce qu’elle veut, sa voix lui permet toutes les audaces. Elle tape plus loin dans George Harrison avec « Isn’t It A Pity ». Elle reprend sa voix nubile pour clamer isn’t it a pity/ Isn’t it a shame, elle atteint des profondeurs réellement dramatiques. Le plus stupéfiant de toute cette histoire, c’est que l’ensemble des cuts enregistrés chez Chips ne vont pas plaire à Capitol. Hop, à la fosse ! Ils rejettent ce «Sweet Inspiration» pourtant signé Dan Penn & Spooner Oldham. C’est pourtant du pur Deep South genius - I need a sweet inspiration - C’est du gospel batch de Memphis, il ne manque plus que les Edwin Hawkins Singers. C’est Johnny Christopher, l’un des songwriters d’American, qui signe « Johnny Joe From California ». C’est un hit, et pourtant il finit lui aussi à la fosse. Le monde à l’envers ! D’autant qu’elle le pousse à fond. Il faut bien dire que tout est extrêmement produit, ici, Chips ne rigole pas avec l’American mood. « Now That The Desert Is Blooming » et « Sleeping With Love » sont d’authentiques modèles productivistes. Reggie Young gratte à l’arrière et c’est embarqué au big heavy Memphis sound. « Gabriel’s Mother’s Highway » est un cut d’Arlo Guthrie, elle embarque ça aux chœurs de gospel et passe à Van Morrison avec « And It Stoned Me », nouveau shoot de Memphis Sound sur le compte du Van. Chips en fait une fois encore une merveille productiviste. Mais comme tout cela ne plait pas à Capitol, elle doit enregistrer l’album Songs à Hollywood et là, ce n’est plus du tout le même son. On a quelque chose de beaucoup plus commercial. Le « West Virginia Mine » déjà enregistré à Memphis retombe sur Songs comme un soufflé. Un violon y remplace le piano de Bobby Emmons, c’est chanté au bazar de l’Hôtel de ville. Atroce. « Bad Water » sonne comme du rock US m’as-tu-vu à la Dolly Parton et dans « Ease Your Pain », Capitol balance des chœurs de gospel d’Hollywood, autant dire du Walt Disney. Ça n’a pas d’âme, pas de chien, pas de rien. L’album a tous les défauts du coup foireux : prod sèche, pas de grain, l’anti-Chips. Merci Capitol ! 

    Signé : Cazengler, Jacky Dechochotte

    Jackie DeShannon. You Won’t Forget Me. The Complete Imperial/Liberty Singles. Vol. 1. Ace 2009

    Jackie DeShannon. Come And Get Me. The Complete Imperial/Liberty Singles. Vol. 2. Ace 2011

    Jackie DeShannon. Keep Me In Mind. The Complete Imperial/Liberty Singles. Vol. 3. Ace 2012

    Break-A-Way. The Songs Of Jackie DeShannon. 1961-1967. Ace Records 2008

    She Did It. The Songs Of Jackie DeShannon Volume 2. Ace Records 2014

    Jackie DeShannon. All The Love - The Lost Atlantic Recordings. Real Gone Music 2015

    Jackie DeShannon. Stone Cold Soul - The Complete Capitol Recordings. Real Gone Music 2018

    Jackie DeShannon. Nothing Can Stop Me. Liberty Records Rareties 1960-1962. Ace Records 2024

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    Lois Wilson : Lady of the canyon. Record Collector # 558 - June 2024

     

     

    Bye Bye (Liver)birds

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             Pas le book du siècle ni le girls-group du siècle, pas non plus la compile du siècle ni les covers du siècle, mais bon, l’un dans l’autre, tu passes un bon moment avec les Liverbirds de Liverpool. Les deux survivantes du groupe, Mary McGlory (bass) & Sylvia Saunders (beurre) ont croisé leurs souvenirs pour pondre - cot cot - une autobio : The Liverbirds. Our Life In Britain’s First Female Rock’n’Roll Band. L’idéal est de croiser ces souvenirs croisés avec l’écoute d’une solide compile Big Beat des Liverbirds parue en 2010, From Merseyside To Hamburg - The Complete Star-Club Recordings.

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             La grande force du book est qu’il te ramène à l’aube de l’âge d’or du rock anglais, lorsque tout se passait à Liverpool et au Star-Club de Hambourg. Comme l’éditeur a dû leur demander d’entrer dans les détails, elles ne t’épargnent rien du contexte socio-économique du working-class system de Liverpool : les familles, les jobs des parents, l’eau courante/pas l’eau courante, les zécoles, les zozos et les zinzins des zazimuts. Mary et Sylvia sont intarissables. Ce n’est pas que tu t’ennuies, mais bon, t’es là pour le Star-Club et la Cavern. Mary s’y rend avec ses cousines Veronica et Rita, et qui-qu’elles voient sur scène ? Les Beatles ! Et t’as John Lennon qui annonce au micro : «This is another song that we wrote ourselves.» Et là Mary nous explique : «As the band ripped into ‘Please Please Me’, the audience went into a frenzy.» Alors les filles décident qu’elles veulent faire ça : jouer du rock sur scène. Elles vont trouver les Remo Four qui sont eux aussi au pied de la scène et leur demandent où ils achètent leurs instruments.

             On est en 1963. Sylvia a 16 ans. Elle se pointe chez le marchand Rushworth & Dreaper’s. Elle dit au vendeur qu’elle veut une batterie - I’d like a kit of drums - Elle flashe sur un kit noir et blanc. Le vendeur l’observe et lui demande comme elle va payer. «I’ll pay weekly.» Il lui demande son âge. Sixteen. Le mec lui dit qu’elle ne peut pas. Soit daddy soit mummy. Il lui file le formulaire. Sylvia rentre chez elle et colle le formulaire sous le nez de sa mère : «Mother, sign that.» La mère répond : «What now, Syl?». Et Syl ne se déballonne pas : «Me and Val are gonna form a group. We’re going to play rock’n’roll.» Et la mère fait : «Oh, all right.» T’es à Liverpool, amigo, chez des gens éclairés.

             Val, c’est Valerie Gell, la guitariste qui a cassé sa pipe en bois en 2016. L’autre guitariste, la blonde Pamela Birch a aussi cassé sa pipe en bois en 2009. Des quatre, Val est la plus douée : elle peut jouer les cuts des Shadows et le «Peter Gunn» de Mancini. Le groupe devait s’appeler les Squaws, puis elles ont choisi les Liverbirds qui sont des oiseaux d’acier fixés sur un bâtiment du front de mer. La légende dit que si les Liverbirds s’envolaient un jour, Liverpool disparaîtrait.

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             En 1963, tous les kids de Liverpool veulent monter des groupes. Le succès des Beatles fait des ravages dans toutes les couches de la société, surtout chez les plus pauvres - Même si vous veniez d’un milieu pauvre, vous pouviez avoir un vie différente - Elles bossent tant et si bien qu’elle finissant par jouer six fois à la Cavern. Elles n’aiment pas Lennon qui est un provocateur : il affirme que les filles ne savent pas jouer de guitare. John Wiggins, le copain de Sylvia, a un jour collé Lennon au mur parce qu’il avait été trop insultant. T’apprends des tas de petites choses comme celle-ci. Le regard des filles sur les Beatles est extrêmement intéressant.

             Mary doit lâcher son boulet chez Hunters, une usine à viande froide. Elle n’a pas le courage d’aller annoncer sa démission, aussi envoie-t-elle son père. Son père revient et lui annonce qu’elle a fait une grosse connerie, parce que le boss a dit qu’elle avait un bel avenir dans la viande froide. Mary est sciée : «A big future in cold meats?».

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             En novembre 1963, elles jouent au Co-op Ballroom de Nuneaton avec des débutants, les Rolling Stones. Le Jag a 20 piges. Les gosses bombardent la scène de petits pains fourrés à la crème. Les Stones parviennent à éviter les missiles, sauf Charlie coincé derrière sa batterie. Mary dit qu’il finit le show couvert de crème. C’est moins pire que d’être couvert de glaviots, after all.  Et grâce aux Stones, les Liverbirds passent de la Beatlemania à un son plus raunchy - a grittier, bluesy direction - Elles vont vraiment commencer à taper dans Bo et dans Chucky Chuckah. Elles jouent aussi au Club a’Gogo de Newcastle, dont les stars locales sont les Animals, pareil, avec du gritty plein les pattes. En février 1964, elles jouent avec un «new band called the Kinks». C’est Ray qui leur dit que Sheila, la cousine de Mary, n’est pas bonne, et il leur présente Pam, «wearing a black cap, striped jacket and Chelsea boots.» Pam la blonde, qui flirte avec Ray Davies, et qui remplace Sheila. Les Loverbirds sont enfin au complet : Sylvia, Mary, Val & Pam. Elles peuvent partir à la conquête du Star-Club.

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    ( Assis à son bureau Manfred Weissleder)

             Elles partent à Hambourg au moment où Brian Epstein s’intéresse à elles. Trop tard. Elles sont déjà dans le bateau. Pareil, Larry Page qui s’occupe des Kinks leur fait aussi une offre qu’elles déclinent. C’est le boss du Star-Club, Manfred Weissleder, qui va s’occuper d’elles.

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             Et là, on entre dans l’un des endroits les plus mythiques de l’histoire du rock. Sylvia et Mary regorgent de détails fascinants sur le Star-Club. Elles nous apprennent que les barmaids sont les stars du Star-Club. Si elles t’ont à la bonne, ça va marcher. Dans le cas contraire, tu peux renter en Angleterre. Si elles aiment un groupe, elles allument les lampions au-dessus du bar. Le premier soir, les Liverbirds se retrouvent sur scène devant 2 000 personnes ! C’est énorme ! Alors, elles mettent le paquet - It was like something ignited and the audience went wild - Comme à Liverpool. Ça explose dans la salle. Elles démarrent avec «Road Runner». Mary et Pam courent sur scène en jouant - Pam looked like a big glamourous cavewoman.

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             Tu retrouves ce «Road Runner» sur la compile. La cover est tout simplement fabuleuse, le son est sec et Sylvia bat un beurre terrific.

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    (Klauss Woorman en 2018)

             Et le sexe dans tout ça ? Sylvia est la première à en parler : «Même si Mary et moi avions fait le vœu de rester vierges jusqu’au mariage, on a vite changé d’idée et je fus la première à craquer. En décembre 1964, j’étais au pieu avec Klaus Voorman, my first love.»

             En matière de girl-bands, les seules concurrentes sont Goldie & The Gingerbreads, des Américaines. Elles sont restées un mois au Star-Club, en attendant leurs visas pour l’Angleterre, où elles étaient invitées par les Stones et les Animals qui les avaient vues à New York dans une party chez Warhol pour la superstar fashion icon Baby Jane Holzer. Mary indique cependant que Goldie & The Gingerbreads avaient un son trop «bombastic power pop» pour le Star-Club qui en pinçait plus pour le rock’n’roll. Les Allemands préféraient les Liverbirds.

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             C’est Manfred qui les emmène en studio enregistrer leur premier album. Il a monté son label pour promouvoir les groupes qu’il programme sur scène. L’album des Liverbirds (Star-Club Show 4) est le quatrième, après les Searchers, les Rattles et Lee Curtis & The All-Stars. Elles démarrent avec un premier single, une cover du «Shop Around» de Smokey, qu’on retrouve bien sûr sur la compile Big Beat. Elles tapent là dans l’œil du cyclope et y ramènent toute l’énergie des Pirates - Oh yeah you’d better shop around/ Yeah - Leur deuxième single est un gros clin d’œil à Bo, «Diddley Daddy», qu’elles font bien rampant - Yeah Bo Diddley/ He’s a gun slinger/ He rides again - Tu retrouves tous les cuts de Star-Club Show 4 sur la compile, à commencer par ce «Talking About You» de fantastique allure, avec du Merseybeat clair et net et sans bavure, et un fabuleux solo de clairette. Fantastique cover de «You Can’t Judge A Book By Looking At The Cover» : niaque incroyable, bassmatic dynamique à l’anglaise, et Pam au let’s go yeah ! Leur «Johnny B Goode» est assez imbattable, énergie du diable et section rythmique stupéfiante.

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             Leur deuxième album, More Of The Liverbirds, est encore plus impressionnant, car elles tapent dans des hits superbes : «For Your Love» des Yardbirds (belle crise de craze), «Around & Around» (irréprochable), «Peanut Butter» de Chubby Checker, hey c’mon now !, «Oh No Not My Baby» de Goffin & King (cover gorgée de feeling), «Heatwave» (elles font bien Martha), «Long Tall Shorty» de Don Covay (wild sound, ça vaut largement les Milkshakes), «He’s About A Mover» de Doug Sahm (en plein dans l’œil du cyclope texan), et puis tu croises aussi sur la compile une cover de «Before You Accuse Me», où elles sonnent comme des Américaines, avec tout le chien de Liverpool - Before you accuse me/ Take a look at yourself - Et si tu adores Bo, alors tu vas te régaler de «Bo Diddley Is A Lover». ça vaut tout Lord Rochester. Yeah yeah Pam Birch !

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             Sylvia couche aussi avec Bob Garner, qui joue avec Tony Sheridan et qui ira ensuite rejoindre les Creation. Elle aime bien Bob, mais comme elle dit, ils sont, elle et lui, so busy touring it didn’t last. Les Liverbirds se mettent à tourner dans l’Europe entière et deviennent des big stars. Elles sont au hit-parade allemand avec «Diddley Daddy» et «Peanut Butter». Pam la blonde chante tout ça merveilleusement. C’est aussi elle, nous dit Sylvia, qui insiste pour taper une cover d’«Heatwave». C’est encore l’époque où on a le droit de conduire bourré sur la route, et Johnny Kidd, nous dit Sylvia, aimait boire un coup et prendre le volant. Bing ! Car crash sur la route.  Johnny Kidd était une star énorme au Star-Club.

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             Elles voient aussi Jimi Hendrix jouer au Star-Club trois soirs de duite. Elles sentent que le son change, «moving from beat pop to psychedelic sounds.» Le rideau se lève sur un Jimi qui claque le premier accord de «Foxy Lady». C’est aussi le big time pour les drugs. Mary en voit à gogo backstage, des amphètes qui ne coûtent rien ou presque, «known as the Preludin and Captagon» et qu’on va surnommer les «Prellies», que les Stones appelaient aussi «Mother’s Little Helper». Elles retrouvent d’ailleurs les Stones à Dortmund, elles sont au bar de l’hôtel et Brian Jones qui arrive demande à Pam si elle a de la coke. C’est la tournée Between The Buttons. Pour Mary, ce souvenir est important, car c’est la dernière fois qu’elle voit Brian Jones vivant.

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             Puis le groupe va entamer son déclin. Il ne reste plus que Pam et Mary dans les Liverbirds quand elles partent au Japon. Chris et Dixie ont remplacé Val et Sylvia. Le dernier concert des Liverbirds a lieu en août 1968. Sylvia se souvient que les Liverbirds sont arrivées à Hambourg en 1964. Elles ne devaient rester que six semaines et elles sont restées quatre ans, pendant lesquels elles ont enregistré deux albums et fréquenté Chucky Chuckah, Jimi Hendrix, Johnny Kidd, the Remo Four, the Big Six, testé les drogues et le sexe. Quatre ans de paradis. Le Star-Club qui avait ouvert ses portes en 1962 les fermera 14 mois après la fin des Liverbirds, au jour de l’an 1969, «the very last day of the sixties.» Comme Sam Phillips et d’autres géants avant lui, Manfred Weissleder «had lost interest».

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             Bon alors, après, les Liverbirds font des gosses, enfin, celles qui sont mariées. Puis elles se reforment et on les qualifie d’«original punks». Elles participent à la Big Beat Party, à Hambourg, avec Gerry & The Peacemakers, les Troggs, Dave Dee Dozy Beaky Mick & Titch, Ian & The Zodiacs, Lee Curtis, les Pirates sans Johnny Kidd et Screaming Lord Sutch. C’est la formation originale des Liverbirds qui déboule sur scène, Val, Pam, Sylvia et Mary, avec Barbara pour filer un coup de main sur les solos.

             Puis Pam qui a toujours fumé 40 Dunhills par jour chope un petit cancer et casse sa pipe en bois au moment où on lui enlève un poumon. Val va ensuite valdinguer dans les décors. It’s only rock’n’roll. 

    Signé : Cazengler, livide bird

    Mary McGlory & Sylvia Saunders. The Liverbirds. Our Life In Britain’s First Female Rock’n’Roll Band. Faber & Faber 2024

    The Liverbirds. From Merseyside To Hamburg - The Complete Star-Club Recordings. Big Beat 2010

     

     

    Inside the goldmine

     - Quelle Clark !

             Baby Click dansait tout le temps. Même quand il n’y avait pas de musique, elle papotait en se dandinant d’un pied sur l’autre et en hochant la tête sur un rythme qu’elle était la seule à entendre. Au début, ça t’épatait, tu enviais son feeling. Wouah Baby Click tu danses le jerk au Palladium ! De toute évidence, elle était restée ancrée dans les sixties. En plein trip Teenie Weenie Boppie ! Ses fringues, ses expressions, ses sourires, ses enthousiasmes, sa ligne, tout était sixties. Pas un poil de graisse. Une vraie jerkeuse. Un corps magnifique. Pour elle, la vie consistait à jerker. Jamais un mot sur son histoire sentimentale. Rien sur son parcours professionnel. Devenue retraitée, elle était restée incroyablement désirable. Quelques mecs lui tournaient encore autour, mais ça la faisait rire de bon cœur, et hop, elle se mettait à danser et à claquer des doigts. Elle adorait quasiment tout : la Soul, le funk, le garage quand il était dansant, la pop, bien sûr, on l’a aussi vue danser sur des trucs compliqués, mais elle avait cette facilité qui lui permettait d’adapter les mouvements de ses jambes et de ses hanches à toutes sortes de déboires rythmiques, et plus tu la voyais hocher la tête sur le beat, plus tu l’admirais. Admirer une femme, c’est une façon déguisée de la désirer. Mais tu savais bien au fond que ça n’irait pas plus loin. Pourtant, c’est toujours elle qui revenait à la charge, qui proposait des plans, des voyages et des soirées, elle restait à l’affût de tout ce qui pouvait être intéressant, elle multipliait des situations de proximité, les bises d’adieu dans les parkings étaient parfois tendancieuses, et elle accepta même un jour de venir boire un verre à la maison au retour d’un trip parisien, mais au moment de basculer dans l’irréparable, elle demanda à écouter des choses qu’elle aimait à la folie, «T’as pas Sam & Dave ?». Alors on sortait le stock de Stax et ça repartait pour une heure ou deux de jerk endiablé, elle tombait la veste et jerkait toute seule jusqu’à l’aube. Puis elle te remerciait pour cette excellente soirée, faisant bien sonner l’«excellente», et rentrait chez elle. Une heure plus tard, tu recevais un SMS te disant qu’elle était bien rentrée, qu’elle avait passé une excellente soirée et qu’elle avait hâte de récidiver. De toutes les allumeuses connues au bataillon, Baby Click était sans conteste la plus merveilleuse.

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             C’est une façon comme une autre de prendre ses Click et ses Clark. Autant Baby Click est brune, autant Chris Clark est blonde. Alors on prend ses Clark mais pas ses Click, et on file chez Motown. Quoi ? Une blonde chez Motown ? Ça par exemple ! Eh oui, Chris Clark s’est pointée un beau jour de 1963 dans le bureau de Berry Gordy et lui a chanté on the spot une tonitruante mouture d’«All I Could Do Was Cry» d’Etta James. Troublé, Gordy l’a gardée. Mais avant d’essayer d’en faire une star, il va lui demander de bosser deux ans à la réception.

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             Quelques singles sur VIP et boom premier album sur Motown en 1967, l’excellent Soul Sounds. Il faut la voir taper «Love’s Gone Bad», un hit signé HDH, elle est dans le bain jusqu’au cou, wild as Motown fuck ! Elle tape plus loin dans l’«If You Should Walk Away» de Frank Wilson, elle te le drive dans les règles, pas de problème. Elle finit ce brillant balda avec une cover de «Got To Get You Into My Life», elle pique sa crise de Beatlemania à la belle attaque, mais elle n’a pas le raunch de McCartney. En B, elle tape dans Smokey avec «From Head To Toe», elle a tout, les clap-hands et la classe qui va avec. Dernier smash de l’album, un «Until You Love Someone» signé HDH. C’est tout de suite happy comme pas deux - You can’t be happy/ Until you love someone - Ah elle y va, la White Negress, comme on la surnomme en Angleterre.

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             Son deuxième album s’appelle CC Rides Again et sort en 1969 sur le label rock de Deke Richards, un jeune producteur blanc signé par Berry Gordy. Au dos, elle est grimpée sur un éléphant, une idée de Deke Richards. C’est un album de covers, dont la plus spectaculaire est celle d’«You’ve Made Me So Very Happy», l’hit de Brenda Holloway. Chris Clark n’a pas la niaque de Brenda, mais elle attaque au mieux de sa voix blanche de blanche - You treated me so kind - C’est sans doute l’une des plus belles chansons d’amour de tous les temps, avec celles de Piaf et d’Esther Phillips - I’m so glad you/ Came into my life - Et elle tartine avec passion - Thank you babe - Elle explose de bonheur. C’est le sommet du genre. Elle fait aussi une petite cover de «Spinning Wheel», elle n’a pas la niaque de David Clayton Thomas, mais elle s’y frotte bien, avec son bon feeling de blanche noircie. Et puis voilà la chanson magique, co-signée par Deke Richards et l’arrangeur Van De Pitte : «How About You». Chris Clark épouse la magie pop - Baby I love you/ How about you - C’est quasiment du Burt. Elle se vautre lamentablement avec «With A Little Help From My Friends», elle en fait de la petite pop, dommage, mais elle fait du «One» de Nilsson un jerk de fantastique allure. Elle écrase bien son champignon. Elle se frotte à ses risques et périls à l’«In The Ghetto» et tape son «Get Back» dans le fond de la casserole.  

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             Le petit conseil qu’on pourrait donner aux fans de Chris Clark serait de rapatrier The Motown Collection : on y trouve les deux albums Motown pré-cités, et une montagne de cuts inédits. Encore une fois, on saute en l’air quand on découvre la qualité d’inédits comme «Ask My Girl». Quoi ? C’est un véritable coup de génie pop groové chez Motown et signé HDH. C’est incompréhensible qu’un tel smash soit resté dans un tiroir. Et attends, c’est le premier d’une série de 25. Le compileur en a rempli un CD entier. Encore un pur hit Motown avec «Everything’s Good About You». Du HDH encore avec «Take Me In Your Arms (Rock A Little While)» et voilà un hit signé Mickey Stevenson, «In The Neighbourhood». C’est une blondasse qui te claque le beignet de Motown. Ambiance «Something To Remember» (Ray Charles) avec «I Just Can’t Forget Him», et elle repart à l’assaut des charts avec «If You Let Me Baby», tout est bon, sur ce CD d’inédits, Chris Clark finit par sonner comme une black, elle chante parfois d’une voix fêlée et joue un peu avec le feu, elle n’est jamais très loin de la vérité. Et pouf, voilà qu’elle tape «Crying In The Chapel», elle se prélasse dans l’excellence de la chapelle. Plus loin, elle défonce encore la rondelle des annales avec un «He’s Good For Me» bombardé au bassmatic Motown. Chris Clark monte sur tous les coups. «Bad Seed» et «Something’s Wrong» t’envoient directement au tapis, elle y va au wild r’n’b d’I got to lose. Elle bascule à n’en plus finir dans le génie r’n’b. Tout est alarmant de véracité, ici. Elle excelle, cut après cut. Une vraie sinécure. C’est tout de même dingue que Chris Clark ne soit pas devenue superstar ! On s’en étonnera encore dans 10 000 ans. 

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    Signé : Cazengler, Chris Clown

    Chris Clark. Soul Sounds. Motown 1967

    Chris Clark. CC Rides Again. Weed 1969 

    Chris Clark. The Motown Collection. Motown 2005

     

     

     

     

    *

    La teuf-teuf roule dans la nuit. Mais elle possède deux phares lumineux pour se guider, alors que moi les neurones de mon esprit pataugent dans la plus profonde des pénombres. Tout cela par la faute de Béatrice la patronne et son incroyable affiche, d’où a-t-elle sorti ce groupe au nom impossible, cela demande quelques éclaircissements, jugez-en par vous-même :

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    BEE DEE KAY DRIVES THE U.F.O. ZZZ & GUEST

    3 B / Troyes / 02 – 11 - 2024

            Pas grand-monde, j’arrive de bonne heure, la salle se remplit doucement mais sûrement, la curiosité du public est en attente, à première vue, un groupe de rockabilly comme les autres, la contrebasse, la batterie, et la guitare en témoignent, avec en plus, goutte d’eau qui fait déborder le vase, ce saxophone argenté sur son perchoir. Les quatre musiciens apparaissent, pas de panique, l’on va tout savoir.

    PREMIER SET

             Paniquons, pour du rockabilly c’est rudement fort, mais tellement bon. Un mur d’airain infranchissable. La guitare de Benny, d’habitude c’est lui qui règle (à merveille) le son des groupes qui passent au 3 B, est implacable, sèche, dure, genre no prisonners, derrière lui la baratte qui n’en rate pas une ne vous laisse aucune chance, quant à la up-right elle n’est pas à l’unisson, elle ne joue pas, elle pousse au crime. Jusque-là tout serait parfait. Mais nous allons vite apprendre qu’il existe un stade supérieur à la perfection. L’axe du mal existe, c’est le sax. Ce n’est pas un sax, c’est un sabre d’abordage, l’est le premier à se jeter sur l’ennemi, avez-vous déjà entendu un sax mugir avec cette force, mille cerfs en rut qui brament, il rauque et il rocke au-dessus de la normale, de l’anormal, dix mille gouttières de zinc qui s’effondrent, ce n’est pas l’appel de la forêt, c‘est le scalpel du diable, une tonitruance gargantuesque, un tel déluge sonique surhumain ne serait-il pas dû au changement climatique, la Bible s’est trompée, ce n’est pas la trompette du jugement dernier, c’est le saxophone de la mort irrémédiable pour tout le monde. En tout cas l’on adore et ce quatuor fastueux aussi, puisqu’ils enchaînent derechef un autre instrumental.

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             Je l’ai remarquée dès que j’ai eu franchi le seuil, dans sa robe noire, chevelure rousse et visage impassible, elle m’a tout de suite rappelé la sombre silhouette de Moïra, la moire noire du Destin, sur la couverture d’un ancien livre de poche du roman éponyme de Julien Green, et là tout s’éclaire, en quelques mots Benny nous met au parfum pour ce premier set ils accompagneront, c’est ici que l’identité du guest est enfin révélée : Mary. Apparemment Mary n’a peur de rien, elle se pose tout tranquillou devant le micro en avant de nos quatre gladiateurs surphoniques comme s’ils étaient un orchestre à cordes de musique de chambre.

             Ne sont pas des mufles mais ils ne mettent pas de pantoufles à leurs instrus, un peu  moins de clinquanteries mais un son si épais que nul couteau ne saurait couper. Ambiances sixties, privilégiez le rumble au slow frotti-frotta langoureux. Vous pensez que Mary va poser sa voix sur ce magma de feu. Point du tout, elle impose son vocal avec une facilité déconcertante, sans forcer, sans peine, cette aisance incroyable tient à la densité de ses émotions et de la passion qu’elle porte aux titres qu’elle interprète, on la sent habitée d’une ferveur secrète mais palpable, elle ne chante pas, elle voue un culte à ce répertoire fondateur. Pas de simagrées, elle ne cherche pas à amadouer le public, c’est à prendre ou à laisser. Et le public du 3 B, qui s’y connaît un tantinet, n’en laisse pas une miette, chaque morceau est ponctué de longs applaudissements et de vifs vivats. Elle s’en ira comme elle est venue, avec une simplicité, une humilité de diva qui a accompli sa tâche, qui s’est acquittée d’une dette envers la musique qu’elle aime.

             Les cadors du quatuor reprennent les rênes pour deux ou trois morceaux. Je ne m’attarderai pas, nous revenons longuement sur eux pour le set suivant. Par contre je vous demanderai avec la plus grande insistance d’interdire à vos enfants la lecture du paragraphe suivant.

    DEUXIEME SET

             Benny est revenu le premier. Il s’empare de sa guitare et s’évertue de répéter inlassablement une même note, une manière, pensions-nous naïvement, de rappeler au turbin ses trois copains attardés derrière le rideau des coulisses. Ils arrivent sans se presser et s’affairent en toute quiétude autour de leurs instruments.

             Le grand avec sa verte argentée et son saxo c’est Grant Seeflay, pas du genre à siffler la fin se la partie au plus vite, le mec assis au fond avec sa veste noire et son col blanc n’a pas l’air méchant se prénomme tout de même Terric ( vous êtes prévenu), accoudé sur sa contrebasse il porte le surnom d’un amie de Fantômette : Fi-Cell, z’oui mais c’est peut-être la corde pour vous pendre, bon ça y est ils rejoignent Benny de Jongh qui répète inlassablement la même note, attention, de plus en plus stridente, et les trois autres vous pondent en douceur et profondeur une purée de poix phonique des plus inquiétantes, l’ambiance se tend, si l’on y réfléchit un tant soit peu c’est un tantinet étrange, l’on se croirait dans un château en Ecosse perdu sur ce promontoire brumeux, près du lock Ness, les notes effilées comme un poignard maltais de Benny ressemblent de plus en plus à ce glas terrifiant qui résonne dans Le Mystère de Cloomber de Conan Doyle, c’est alors que l’Innommable se produit, une voix, non un borborygme dégoûtant d’Oran Outang dérangé surgit de nulle part, une espèce de grondement issu du gosier d’un lion préhistorique,  à mes côtés Jerry, mais oui vous connaissez le saxophoniste des Monarchs que nous avons vus au 3 B il n’y a pas si longtemps, ses yeux comme les miens, se portent sur les musicos, z’ont tous la boucle close et à des kilomètres du micro, en tout cas le monstre invisible insiste, sans doute un chat monstrueux de quinze mètres de haut, devant la peur d’une de ses petites filles une maman décide de rapatrier toute sa nichée à l’autre bout du café, elle n’a pas tort, c’est un truc à rattraper une jaunisse, d’autant plus qu’il semble s’instaurer une course entre les musicos et cette voix hideuse d’outre-tombe, ils ont beau augmenter le son, la bête immonde les couvre de ses tonitruances vomitoires, pire elle se rapproche, maintenant elle est tout près, les yeux de l’assistance se fixent sur le bas du rideau des coulisses, ils remuent salement, la bête nuisible et gévaudanique sort, elle se porte à quatre pattes sur le devant de la scène, je le reconnais c’était le mec à mes côtés qui mirait la prestation de Mary, l’a enfoncé le micro dans sa bouche, l’émet des barrissements d’éléphant en colère, il se relève, retire le micro de ses amygdales, et sourit à la foule. Ouf nous l’avons échappé belle. C’est donc lui Bee Dee Kay.

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             Intro fabuleuse, Jerry qui a vu des centaines de concert me confie à l’oreille, qu’il n’a jamais vu une telle entrée en matière. Digne d’Hasil Adkins, de  Screamin’ Jay Hawkins, de Lord Sutch, de tous les embrochés de la cafetière du rock’n’roll. Maintenant que le prologue est terminé si vous croyez que vous allez redescendre vers le rockabilly carré et sans bavure comme le buffet que votre grand-mère astique toutes les semaines, vous êtes dans l’erreur. Ce n’est plus du rockabilly, ce n’est pas du rock’n’roll, c’est la folie du rockabilly et la fureur du rock’n’roll. De l’after-rockak, de l’after-rock, nos quatre mousquetaires instrumentaux ne jouent pas, et Bee Dee Kay ne chante pas. Ils miment. Ne criez pas parodie, contentez-vous du paradis. Ils connaissent tous les plans à merveille, ils vous édifient des palais sonores hallucinatoires,  Dee Bee s’amuse, vous a des poses pharamineuses, une seconde il est John Kay et à la suivante David Bowie, le mâle et l’androgyne, la brute et le truand, il n’est pas le bon parce qu’il le meilleur, le voici Elvis et Gene Vincent, ce coup-ci il se vautre sur le comptoir tel un Lux Interior, chacun y aura reconnu ses propres figures tutélaires du rock’n’roll, vous vous croyez en plein délire, et plaf un geste, et tout s’écroule, Terric d’un seul break envoie en éclats the wall of sound, Fi-Cell s’introduit dans la brèche tel un bulldozer, le saxo de Grand Seeflay tousse comme un tuberculeux, la guitare de Benny se transforme en lance-flammes pour réduire en cendres les derniers déchets, l’on est au cœur de catastrophe, à un millimètre de l’anéantissement, et hop ça repart comme en quarante, comme si de rien n’était, quelle maîtrise, quelle virtuosité. Ah le sourire d’enfant de Bee Dee ! ce grand gaillard aux tempes argentées, il batifole, il s’amuse comme un gosse qui casse son train électrique pour le transformer en soucoupe volante U.F.O. ZZZ, nous transporte sur une autre planète, celle du rock’n’roll, la vraie, la délirante, la fracassante, l’upercutante, celle de l’éternelle jeunesse du débordement vital.

    TROISIEME SET

             Malgré l’heure tardive, nous aurons droit à un troisième set. Pas très long, le temps de revoir Mary nous offrant deux magistrale versions de Jezebel, et Funnel of love, le group prend son envol mais au troisième morceau Béatrice la patronne nous rappelle que sur la planète terre toutes les choses ont une fin. Hélas, les meilleures aussi.

             Lot de consolation j’ai récupéré leur unique 45 tours, nous reparlerons de Bee Dee Kay Drives the U.F.O. ZZZ dès la semaine prochaine !

    Damie Chad.

     

     

    *

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             Depuis combien de temps suivons-nous Ashen ? Depuis toujours. Je ne vous donnerai pas de date, pour une fois vous serez privés de récapitulatifs. Il y a des groupes qui touchent à l’intemporel. Non pas parce qu’ils se prévalent d’obscurs mythes originels ou qu’ils s’en aillent cogner dans les obscures contrées du futur morturial dans le but inavoué que l’on puisse prendre connaissance de l’écho morcelé de leur choc intrusif dans l’inconnaissable, simplement parce qu’ils s’inscrivent dans le présent de la présence du monde dans lequel ils vivent, ou pour être plus exact, dans lequel ils tentent de survivre.

    SACRIFICE

    ASHEN (feat. ten56)

    (Out Of Line Music / Official Visualizer / Juin 2024)

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    Pour une fois nous n’avons pas droit à une de ces vidéos mystérieusement attirantes et déchirantes auxquelles le groupe nous a habitués. Pour autant l’on ne nous a pas jeté un os sans viande en pâture, nous offrent un riche faisceau de symboles qui nous inclinent à de clivantes rêveries.

    Un rouge que d’instinct l’on n’aime pas. Rouge cœur de taureau immolé en hécatombe sur l’autel propitiatoire. Les Dieux ont-ils accepté le sacrifice ? Sur ce fond voici un œuf. Un rouge éclatant. Triomphal. Ne serait-ce ces nervures cramoisies dont il est parcouru on reconnaîtrait en lui l’œuf d’Eros originel de la plus vielle mythologie grecque. Les lyrics qui apparaissent nous interdisent cette appropriation. C’est un œuf, certes, mais plein de son trop-plein, prêt à éclater. Ici il n’est point question d’ovule générationnelle, c’est œuf est une tête. Trop pleine, trop peine, prête à exploser. Cet œuf n’est pas neuf, il est mûr, il est arrivé à maturité, à son immaturité. C’est l’œuf de la folie, souvent il reste en nous stérile, il ne donne naissance à aucune créature, on l’oublie, on ignore qu’il repose dans le lit douillet de notre cervelle, dans laquelle éclosent nos pensées les plus sublimes. Il tourne sur lui-même dans son coquetier de bois, comme s’il était fier de lui, il nous dévoile toute son ovoïdité, comme si nous n’avions d’autres tâches à effectuer, si ce n’est de l’admirer.

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    Sans préavis, un deuxième symbole. La forme d’un avion furtif, une flèche d’indien, à moins que ce ne soit le trait empoisonné de Zénon d’Elée qui ne parvient jamais à sa cible, presque rassurant puisqu’il n’atteindra jamais la mort dont il ne nous transpercera pas, mais alors quelle est sa cible, à ce poignard effilé, à cette épée d’obsidienne, à ce sabre de samouraï destiné à porter le fatal coup du seppuku létal, lui aussi tourne sur lui-même, tel un missile qui cherche sa proie et s’obstine à calculer l’angle de la plus forte nuisance.

    Un troisième objet, à croire que l’on scrute les vitrines d’un musée. Celui-ci possède un piédestal de marbre sur lequel est ancré un avant-bras couronné d’une main, paume ouverte, levée vers le ciel, arborant à son poignet un collier de perles de bois. Entre ses doigts elle tient un objet, elle tourne sur elle-même, il est difficile de se le représenter, serait-ce dans le cercle de fer forgé la silhouette d’un cheval, qui porterait un cavalier, de petite taille, serait-ce Alexandre le Conquérant sur Bucéphale, non plutôt le cheval noir de l’attelage platonicien de notre intelligence,  la monture rétive qui refuse de marcher droit, qui cherche à nous faire dérailler, certes nous ne sommes pas un train, mais notre esprit est censé suivre les rails du logos … même si parfois en toute inconscience nous piquons droit vers la folie.

    Voilà, nous n’en verrons pas davantage. Nos trois symboles reviennent. Ne sont pas des marionnettes qui font trois petits tours et s’en vont, tournoient lentement d’une manière prémonitoirement menaçante, est-ce que le cheval d’orgueil  que nous avons aperçu une première fois fut une illusion d’optique, car maintenant nous reconnaissons entre les doigts un des cinq sigils affichés tout en haut de l’écran, seraient-ils appropriés aux cinq membres du groupe…

    Damie, si tu nous parlais un peu du son et de la song, c’est tout de même un peu important en musique, écoutez l’on raconte que lorsque Attila est sorti du ventre maternel, dans son poing fermé il tenait un caillot de sang, eh bien les gars ce morceau ressemble à ce caillot de sang que le fléau de Dieu avait arraché en passant aux entrailles de sa mère, il palpite, l’on sent que rien ne pourra arrêter son rythme insatiable, une barbaque qui refuse de s’éteindre, à cette différence près, ce n’est pas de la viande qui bat mais de la folie, de la folie pure.  

    Admirez la prouesse vocale de Clem, il ne chante pas, s’échappe de lui un gargouillement hideux de souffrance mentale, vous y croyez, vous le voyez recroquevillé sur lui-même, refermé en ses pensées délirantes comme une huitre schizophrène qui tenterait à tout prix de s’enfuir de sa coquille, il veut tout et n’importe quoi, le royaume souverain de sa solitude et le désir de s’exiler de lui-même auprès des autres qui le rejettent, à moins que ce ne soit lui qui  les expulse hors de sa misérable sphère d’appropriation du monde dont il refuse la présence. Quant à la musique vous ne l’entendez même pas, comment Ashen est-il parvenu à établir cette osmose visqueuse indissoluble entre vocal et instrumentation, à tel point que la musique chante et que la voix joue.  Salmigondis indiscernable, hachis indubitable, purée inépuisable, mais dès que ce bruit gloutouneux entre dans vos oreilles, il se transforme en nectar ouïtisque, il se produit une alchimie auditive qui métamorphose les stridences de la folie, les vacarmes expectorés par une âme malade, les ramonages hallucinatoires, en le chant des sirènes dont seuls de rares héros  homériques eurent  jouissance…

    Ne croyez pas vous en tirer à si bon compte, ce mal-être exprimé par Ashen ne vous concerne peut-être pas, mais il vous donne un aperçu de ce qui se passe dans la tête de la génération actuelle qui entre dans l’âge adulte. Le monde qui les attend est kaotique. Ils en ont la prescience, ils en expriment la dureté imminente, trop courageux pour refuser le suicide, il ne leur reste que cette notion d’auto-sacrifice qu’ils acceptent car ils ne veulent pas endosser le rôle de victimes sacrifiées. Le monde est fou, mais le seul refuge qui leur soit encore accessible, le dernier rempart dérélictoire qu’ils peuvent lui opposer s’avère être leur propre folie.

    Très fort.

    Damie Chad.

    *

    Encore un groupe que nous suivons depuis longtemps. En octobre 2022 nous avions regardé leur vidéo Unforgotten, en février 2023 ce fut le tour d’Eternal suivi d’Another Day au mois de septembre, voici le tour de :

     ACROSS THE DIVIDE

    AWAY

    (Avalone Studio / Août 2024)

    Rendons à César les lauriers qui lui reviennent. Alexandre Lhéritier est le responsable d’Avalone Studio, il s’est chargé de l’enregistrement du morceau.

    Pour les images il nous est spécifié : IA generated vidéo. Sans plus. Il serait intéressant de savoir quelle part de liberté l’Intelligence Humaine aura laissée à l’Intelligence Artificielle. A moins qu’il ne faille inverser les termes de la question.

    Le résultat est là : de belles images. Elles n’illustrent pas vraiment les paroles du morceau. Elles lui apportent même un plus que je qualifierai d’interprétation écologique du texte. A croire que le poids des mots est moins fort que le choc des images.

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    L’Intelligence Artificielle ne crée pas, elle produit. Entre nous, parmi les écrivains : peu créent et beaucoup produisent. Nous retrouvons le même pourcentage différentiel chez les peintres. Les premières soixante secondes sont splendides, vous ne savez pas où vous trouvez exactement, sont-ce des illustrations anglaises d’un livre d’enfants, sont-ce des images inspirées par les photos de la forêt de Mortefontaine chère à Gérard de Nerval, ou par des scènes du Seigneur des Anneaux, en tout cas notre Intelligence Artificielle connaît les bois de Watteau et toute la période romantique de la peinture occidentale… Nous aurions aimé qu’elle nous donne un aperçu de la manière dont nos descendants représenteront les arbres en l’an, barrez au choix la partie du mot qui ne vous convient pas, de dis/grâce 2524… Toutefois aurions-nous su entrevoir le futur en cette curiosité éloignée. Tout comme l’IA, nous procédons mais nous ne précédons pas.

    Que nous conte la chanson ?  Une histoire banale. Celle de tout le monde. Du gars qui aimerait être ailleurs. Non pas aux Amériques, de lui-même, de sa vie étriquée, de son impuissance à être ce qu’il voudrait être, libre et supérieur, non pas aux autres mais à lui-même. Beaucoup d’espoir, beaucoup de rêve, mais encore davantage de doute et de peur… il aimerait que quelqu’un le rejoigne mais il ne possède rien… A la vue des images en nous armant de cynisme nous demanderions s’il vit dans les bois…

    Des colères, des remontrances, des encouragements, les voix se succèdent, se répondent, s’entraident, se poussent en avant en un très bel oratorio. Symphonie vocale qui se marie magnifiquement au vert sombre des houppes, aux éclairs de feu orangé, aux instants impulsifs de notre vie ne sommes-nous pas des incendies dévastateurs sous les frondaisons de nos chairs intérieures. Tout homme n’est-il pas une forêt première qui brûle ?

    J’aurais aimé écrire le contraire, parce que la maudite technique bla-bla-bla, parce que la singulière grandeur de l’Homme bla-bla-bla, parce que bla-bla-bla, je vous donne trois heures et je ramasse les copies, mais non je dois le reconnaître, ici les images artificielles, les paroles et les musiques humaines se confortent mutuellement, elles s’allument de reflets réciproques, elles se chargent de mystères et s’interpénètrent de telles manières que seules et séparées elle perdraient de leur force persuasive et de leur aura magique.

    Across the divide nous surprend toujours.

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    Damie Chad.

     

    *

             Les choses ne sont jamais difficiles. Certaines d’entre elles s’avèrent subtiles. Nous pénètrerons donc en notre sujet par l’évocation d’un groupe de rock. Blondie ! Les trognes des lecteurs s’illuminent. Ah ! Deborah ! Désolé, mais je voulais parler de Chris Stein. Vous préférez Debbie, je comprends, toutefois Chris est un mec intéressant. Tiens saviez-vous que Chris possédait un tableau de Spare ? Non, vous voudriez des détails, alors plongez-vous dans :

    ŒUVRES

    AUSTIN OSMAN SPARE

    (Tome III)

    Editions Anima / Octobre 2024

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    Nous avions déjà  krotntniqué les tomes I et II, parus en 2017 et 2021, ce troisième opus, cornaqué par VINCENT CAPES, s’annonce fastueux par le grand nombre de reproductions de dessins et de peintures d’OSMAN SPARE, un régal pour les yeux et l’esprit. Nous évoquerons tour à tour mais en un ordre qui ne suivra pas celui du volume les traductions de textes de SPARE établies par PHILIPPE PISSIER, ainsi que l’ensemble des diverses contributions éclairantes qui permettent quelque peu d’entrevoir la portée opérative de l’œuvre de celui qui reste, avec Aleister Crowley, un des plus grands représentants de la Magie du vingtième siècle.

    Si vous n’éprouvez aucune accointance particulière avec la Magie, je vous conseille de débuter votre lecture par l’avant-dernier texte du volume.

    LES ANGES FOSSILES

    ALAN MOORE

             Les amateurs de bande dessinée et de Death Metal ont reconnu le célèbre auteur de From Hell. Né en 1953, Alan Moore n’en n’est pas moins relié à la personne d’Alexandre le Grand. Le lien qui les unit n’est pas tant l’admiration que notre dessinateur  porterait au Conquérant, la légende raconte que Philippe II de Macédoine ne serait pas son père, il serait né de l’étreinte de sa mère Olympias avec un de ses pythons – était-ce une énième métamorphose de Zeus - qui partageaient sa couche… Or Alan Moore s’est revendiqué adepte de Glykon, serpent mythique d’origine macédonienne adoré au deuxième siècle de notre ère par les romains. Voilà de quoi faire lever les yeux au ciel à bien des lecteurs qui auront vite fait de juger l’auteur de cet article, rédigé en 2002, comme un huluberlu, ne nous étonnons pas s’ils s’apprêtent à aborder le texte avec réticence.

             Ils seront surpris. Agréablement. Moore manie la verve avec autant de dextérité que le crayon. Il est aussi écrivain. Les pages qu’il consacre à la description des milieux occultes vous feront rire aux éclats. Le marteau d’Héphaïstos n’a aucun secret pour lui. L’a l’humour qui tue. Se refuse à prendre aux sérieux les agissements des occultistes modernes, les anges fossiles ce sont eux. Ne leur concède rien. Selon lui des magiciens de pacotille, engoncés dans l’imitation naphtalinatoire, s’avèrent totalement inopératifs.

             Après une telle charge, quel avenir pour la Magie. Moore ne se dérobe pas. La Magie ne saurait être ni une psychologie, ni une science. Ni autre chose. Sa seule chance de survie réside en un renouvellement de ses pratiques. Foin des rituels, remisez déguisements et tenues  au vestiaire, un peu d’inventivités et de création, chers mages ! La Magie doit être considérée comme un art majeur, musique, peinture, et celui le mieux approprié : la littérature. L’artiste n’est-il pas par essence celui qui suscite le désir… Vingt pages grand-format, d’une plénitude exceptionnelle.

    TABLEAUX D’UNE EXPOSITION

    DAVID TIBET

    (2002)

             Musicien, poëte, féru d’occultisme, David Tibet fut inspiré entre autres  aussi bien par Blue Öyster Cult, sans doute un indice qui explique pourquoi son groupe Current 93 fut un des pionniers de la musique industrielle que par The Incridible String Band d’où sa dérive, ce mot ici dépourvu d’intention péjorative, néo-folk.

             Ce texte est très court. David Tibet visite une exposition de tableaux de Spare. Sa préférence va au tableau représentant un petit garçon beau comme Apollon. J’ai l’habitude d’avertir les lecteurs de ce blogue, méfiez-vous d’Apollon. Non prévenu David Tibet tombe dans le piège. La couleur des yeux du petit garçon change à chacun de ses regards. Il faut donc aussi se méfier des peintures d’Austin Spare. Jusqu’à la mort.

    MIROIRS VIRTUELS EN TEMPS SOLIDE

    GENESIS BREYER P-ORRIDGE

    (1995)

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    Si Spare (1886-1956) peignit et écrivit, s’il fut un artiste pour reprendre le terme d’Alan Moore, il n’en fut pas moins un Mage. Dans cet article, P-Orridge analyse plusieurs œuvres de Spare, il ne se livre pas dans ses commentaires à une critique artistique, il n’examine les dessins qu’en dévoilant les desseins de leurs exécutions. En quoi ces œuvres sont-elles, au-delà de leur réussite graphique, des pratiques magiques ?  Spare ne cherche pas à agir sur les autres, ni pour les séduire, les influencer, s’attirer leur faveur, ou les maudire. La seule personne qui l’intéresse, c’est lui-même. Ses autoportraits en témoignent. Ce n’est pas qu’il veuille par stupide vanité se présenter sous ses plus beaux aspects. Soit il recherche les moments qui, notamment par la pratique de la magie sexuelle, lui ont permis d’atteindre des étapes de maîtrise fondamentale, soit il tente de parfaire par son dessin cette maîtrise magique en travaillant sur lui-même, en parvenant à atteindre des états de conscience de pleine puissance qui lui permette de s’affranchir de son incarnation historiale, pour pénétrer dans la dimension suivante. Certains collectionneurs ont éprouvé le besoin impératif de se débarrasser de dessins de Spare, car ils avaient l’impression d’une présence inquiétante dans ces feuilles de papier… Autosuggestion ?  Pensez à Honoré de Balzac, à Oscar Wilde, à Edgar Poe…  Puisque l’on parle de Maître Corbeau, pensons à cet opuscule de Ghemma Quiroga Galdo dans lequel elle tente de démontrer que l’auteur a tenté de rester en vie, de ne pas mourir, en inoculant son esprit, un peu comme l’on fait une transfusion sanguine, dans l’encre de ses livres…

    Tout cela est bien beau, oui mais après ? P-Orridge sort le grand jeu. N’oublions pas qu’il fut l’initiateur de Throbbing Christle, c’est un rockeur, et il le prouve. Nous voici dans une méditation métaphysique de haute intensité. L’on change de niveau. A partir de Jean Cocteau l’on effectue la traversée du miroir. Bien sûr d’un certain côté les tableaux sont comme des miroirs, le rôle est inversé, ce sont eux qui nous regardent. Oui, mais qu’y a-t-il dans un miroir. Non, ce n’est pas vous, le miroir ne reflète que l’espace. Celui qui lui fait face, celui qui est en lui, le miroir permet de faire la jonction entre l’intérieur et l’extérieur. C’est ce que l’on appelle la traversée des miroirs. Evidemment tout va de travers, nous avons oublié le troisième comparse, l’élément primordial. Non pas l’éther, le temps. Le temps ne serait-il pas, non pas une espèce unissive d’espace-temporel, mais une fragmentation d’atomes de temps qui dispersés tous azimuts ont pour fonction de structurer l’espace. Sans temps vous n’avez plus d’espace. Vous n’avez que du vide. Vous n’avez plus rien. Vous pouvez même vous amuser à affirmer que vous avez tout, que vous avez le plein, puisque vous accédez à la surface non-réfléchissante du miroir. Celui-ci est alors envisagé non selon sa fonction mais selon sa chosité. ( Je renvoie le lecteur intéressé à la lecture de Qu’est-ce qu’une chose de Martin Heidegger ). Si tant est qu’il existe encore un miroir. Le temps est la chose la plus concrète de toutes les choses qui existent et dans le monde intérieur (les idées nouméniques) et le monde extérieur (la matière phénoménale). Le temps ne passe pas. C’est lui qui permet le passage. Vu sous cet angle, vous avez là la possibilité de passer par la mort d’une incarnation à un état autre.

    AVENTURE DANS LES LIMBES

    1944 – 45

    AUSTIN OSMAN SPARE

            Une série de dessins de Spare que le lecteur aura intérêt à regarder longuement parallèlement aux tableaux commentés par P-Oridge. Pour notre part nous nous contenterons de réflexions générales quant à l’art de Spare. L’on évoque souvent Aubrey Beardsley lorsque l’on s’interroge sur Osman Spare. Beardsley le mignon, Spare le cru. Ce genre de synthétisation abrupte, je préfère d’autres parallèles. Par exemple ce qui rassemble et sépare Gustav Klimt d’Egon Schiele. Il ne s’agit pas d’opposer les tenants de l’Art pour l’Art aux partisans propédeutiques de l’Expressionisme. Simplement le constat que ces frères siamois artistiques diffèrent avant tout par la maniérisation érotique de la femme dont ces familles d’esprit usent. Et abusent, je rajoute ce verbe pour que les ligues féministes ne m’intentent pas un procès.

    SATYROS DUX

    1945

    AUSTIN OSMAN SPARE

             Une deuxième série de dessins de Spare. A peine-écrivez-vous le mot femme que les satyres se radinent. Et cette fois-ci pas n’importe lequel, le chef. Il faut le dire : c’est plus fort que Picasso. Nous ne nous focalisons pas sur le trait, tous les personnages mythologiques du Catalan, ne sont que des ornements. Sont dans les tableaux pour faire antique. Au même titre qu’un tronçon de colonne. Chez Spare, les personnages ne se donnent pas systématiquement la peine de se mettre nu. Sont généralement habillés. Ces vingt dessins sont à lire comme une bande dessinée. A chacun d’imaginer son scénario. L’essentiel ne réside pas là. Ce serait oublier el Pintor. C’est lui donne corps et sens à chaque vignette. Nous ne nous risquerons pas à une lecture personnelle. D’autant plus qu’en toute fin du volume, quelqu’un d’autre s’en charge.

    VISIONS DE DIONYSOS

    2011

    JOHN ZORN

             Le lecteur se rendra sur YT écouter The Satyr’s Play (Visions of Dionysus) Ode I, II, III, IV, V, VI, VII, VIII, IX, X composé en hommage à Austin Osman Spare. L’ensemble dépourvu de paroles ne m’a guère convaincu… John Zorn est un musicien d’avant-garde qui a beaucoup produit s’inspirant de toutes sortes de musiques populaires américaines du jazz au classique.

             Le texte est une espèce de poème-rituel divisé en huit séquences, vous le préfèrerez au disque, un peu disert, un peu répétitif, sans surprise… Des sonorités que je me permettrai de qualifier d’agrestes, en rien novatrices. Texte d’une autre texture, requérant plusieurs niveaux de lectures. Aussi bien sur la numérologie sacrée que diverses et rapides évocations, philosophiques, ésotériques, sophistiques… En quelque sorte il peut se lire comme une réponse aux volontés de dépoussiérages de l’occultisme traditionnel souhaité par Alan Moore.

    RITUEL DE LA VENUE DU JOUR

    AUSTIN OSMAN SPARE

             Avant tout l’on y sent l’influence évidente de Crowley, mais cette page ressemble à des notes écrites pour soi-même. Ce rituel malgré son imagerie égyptienne apparaît surtout non pas comme une invocation héliaque mais une adresse au soleil intérieur que chacun porte en soi.

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    DEDICACé A CELUI QUI VEUT

    ET A CELUI QUI DEMANDE

    (1951)

    AUSTIN OSMAN SPARE

             Encore un texte rédigé pour soi-même et en même temps un avertissement au disciple. Spare ne fait pas l’aumône au disciple éventuel. Il   abhorre cette race de clones. Peut-être est-ce pour cela que l’on relève quelques accents nietzschéens dans le dernier paragraphe. Zarathoustra en pleine forme.

    LE SABBAT DES SORCIERES

    (1951)

    AUSTIN OSMAN SPARE

             D’abord un texte de réflexion sur la nature du Sabbat. Rien à voir avec la Nuit de Walpurgis de Goethe. Le mot sabbat désigne l’acte sexuel pratiqué en tant que pratique magique. Ce à quoi elle permet d’atteindre. A lire les pages restantes l’on a l’impression que l’on se trouve devant des notes préparées pour un cours, Spare en professeur consciencieux qui réunit toutes les pièces afférentes au sujet afin de palier  toute demande hypothétique d’un étudiant ou d’une étudiante. L’on ne peut s’empêcher de penser qu’il ne croit pas vraiment en l’efficacité de son cours théorique. Il est nécessaire de s’affronter à la pratique.

    DU MENTAL  AU MENTAL

    ET COMMENT PAR UN SORCIER

    (1951)

    AUSTIN OSMAN SPARE

             Soyons héraclitéen : l’on ne se baigne jamais deux fois dans le fleuve de la pensée pour la simple raison que le fleuve de la pensée est partout, que l’on y est plongé en plein dedans, en plus il ne possède aucune rive… Pour une fois Spare se montre pédagogue. Il passe carrément aux applications techniques :  il vous démontre comment en deux ans vous pouvez devenir un as de la divination. Le courant de pensée de vos voisins se mêle à vos pensées. Un peu d’entraînement et un jeu de cinquante-deux cartes suffisent à répondre à toutes les questions d’un consultant inquiet pour son avenir. Cela n’a rien de magique au sens trivial du terme. Il suffit de le savoir et d’être conscient de ces confluences qui s’interpénètrent. Spare vous répète que c’est relativement facile… Les détails et les exemples qu’il fournit ne sont pas particulièrement stupides, mais vous quittez ces cinq pages en vous disant qu’il se contente de refiler le minimum, quelques encouragements, et puis vous êtes assez grand pour vous débrouiller par vous-même. Répétons-le, Spare n’est pas Crowley, il n’essaie pas de vous enseigner, de vous transformer, il respecte votre liberté. Le sorcier n’est pas un maître. Son but n’est pas d’instaurer envers vous un lien de domination ou de sujétion.

    AXIOMATA ou MICROLOGUS

    (1951)

    AUSTIN OSMAN SPARE

             D’abord remercions Philippe Pissier pour la clarté de  la traduction de ce texte fondamental. Mini-logos : mon œil (d’Horus – et même d’horreur tant vous êtes saisi par la force de ce texte), maximus logos je vous l’assure. Je ne sais pas si le grand Friedrich accepterait que ces sept pages de fragments numérotés soient ajoutées en appendice à une édition du Gai Savoir mais elles n’amoindriraient  en rien la pensée du solitaire d’Engadine. Tout y est : Dieu, l’Homme et même le Surhomme. Un exposé, un concentré de gaya scienzia explosif. A lire ce texte crucial – pensez à l’idée  qui fut clouée sur la croix – la continuité entre la pensée magique et la pensée philosophique devient une évidence. Un phénomène de trans-capillarité de deux traditions d’appréhension de l’être et de la chose, de l’être de la chose et de la chose de l’être. D’où l’importance du Mot qui transporte et l’Idée et la Chose. Ce texte est un miroir qui permet la traversée de la transparence de deux modes de pensée que l’on présente communément comme antagonistes et irréconciliables. Logos Pontifex !

    GALERIE

    (Dessins, Croquis, Aquarelles, Peintures)

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             Si les mots vous restent incompréhensiblement mystérieux regardez les dessins. Ce n’est pas un hasard si cette partie essentielle du volume est placée juste après le Micrologus. S’il est évident que chez Spare l’écriture cherche à éclaircir sa propre pensée et non à dispenser un enseignement, quel rôle a-t-il dévolu à l’exercice pictural, était-ce pour lui, vis-à-vis d’un public indélicat ou non auto-préparé, une manière d’obscurcir le but de ses entreprises, tant intimes qu’extimes, en leur offrant le trompe-l’œil ou le paravent de l’apparence première de ses opérations relatives aux choses magiques. Galerie présente plus de cent pages de dessins et de peintures effectués entre 1904 et 1956. S’il fallait résumer le travail magique de la peinture de Spare en deux mots, ce serait : nudité et portrait. Dans les deux cas, que ce soient les corps ou les têtes, il s’agit d’établir une projectivité pénétrative dans la chair ou l’esprit, de l’autre ou de soi-même, afin non pas de se les approprier mais en opérant un agrandissement de soi-même. Les dessins sont alors à considérer comme les écorces mortes de ce qui a eu lieu et pour les esprits avertis autant d’indices qui servent à concevoir et à comprendre.

             C’est fini… Non, ne faites pas les glavioteux, les treize pages de l’index des noms propres, elles ne sont pas fourrées en fin de volume, fourmillent de renseignements, si vous n’y apprenez rien, c’est que vous ne l’avez pas lu.

             Ce tome III est une petite merveille, vu la taille du mastodonte l’adjectif grande serait mieux approprié, quand on pense à Audrey Muller qui s’est chargée de la relecture, on la plaint, mais je crois que grâce à la présence de son chat roux (comme Osman Spare) à ses côtés on se dit qu’elle a bénéficié d’une véritable aide de sorcière.

             Ce livre n’est pas un livre de plus sur Spare, c’est un objet de première nécessité  pour apprendre à méditer, à réfléchir, à concevoir. Indispensable à ceux qui désirent être eux-mêmes. Et surtout plus qu’eux-mêmes.

    Damie Chad.