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lemon twigs

  • CHRONIQUES DE POURPRE 602: KR'TNT 602: FRED KOLINSKI / LOS ANGELES NUGGETS / MARLOW RIDER / LEMON TWIGS / ARTHUR LEE / DON VARNER / VINCE TAYLOR /EVIL'S DOGS / MOONSHINE / XATUR / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 602

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    25 / 05 / 2023

     

    FRED KOLINSKI / LOS ANGELES NUGGETS

    MARLOW RIDER / LEMON TWIGS

    ARTHUR LEE / DON VARNER

    VINCE TAYLOR / EVIL’S DOGS 

    MOONSTONE / XATUR

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 602

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

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    Sur le site je n’aime guère placer une de mes chroniques avant celles du Cat Zengler, car c’est souvent pour annoncer une mauvaise nouvelle. Ce mardi 16 mai, Fred Kolinski nous a quittés. J’adorais sa pause hiératique, derrière les futs, ses longs cheveux blancs de Roi des Aulnes tombant sur ses épaules, un musicien d’un abord facile, d’une grande modestie, attentif aux autres, pas un grand bavard mais ses paroles étaient réfléchies… Je ne savais pas que ce quinze avril 2023 aux côtés d’Amine Leroy et de Tony Marlow, ce serait la dernière fois que le verrais, il avait assuré les deux sets du concert sans faillir.

    Je recopie ci-dessous les mots de Tony Marlow, nous annonçant la triste nouvelle :

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    ( Photo : Christian Montajol )

    C'est avec une infinie tristesse que j'ai appris la nouvelle du décès de mon ami  Fred Kolinski mardi après-midi. La brutalité et la rapidité de son départ m'ont choqué. Victime d'un AVC fin octobre 2022 il avait tenu absolument à rejouer rapidement plutôt que de se reposer et il est allé jusqu'au bout de la route, jusqu'à ce dernier concert le 29 avril où il a été contraint de raccrocher les baguettes. La batterie et la scène étaient toute sa vie...

    Génération 54, il part à seize ans au festival de l’Île de Whigt, fréquente le Golf-Drouot, rentre début 70 à l’école Agostini et vit dans une communauté de batteurs où il côtoie Christian Vander.

    Dans la France des années 70 pas facile de vivre de la musique qu'on aime...
    Il joue dans de nombreux groupes alternant rock, blues, country ou variété notamment The Bunch ( avec qui il accompagne Johnny Hallyday), James Lynch, Long chris, Yvette Horner, Nina Van Horn, Rockin Rebels, Chris Agullo, Franky Gumbo, Ervin Travis, et dernièrement Marlow Rider et Alicia F !

    Cela faisait six ans qu'on rejouait ensemble et sa grande science de "rythmicien" a beaucoup aidé dans l'élaboration des 3 albums que nous avons enregistrés avec  Seb le Bison. Il avait également une grande aptitude à élaborer des chœurs qui sonnent et son caractère égal et bienveillant créait une ambiance sympa et décontractée.

    Fred nous t’avons accompagné ces derniers mois pour que tu puisses réaliser tes dernières volontés de ton vivant : aller jusqu’au bout de la scène. 

    Repose en paix Fred, tu vas terriblement nous manquer.

    Tony Marlow.

     

     

    She had to leave Los Angeles

     

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             C’est bien sûr John Doe qui chante «She had to leave Los Angeles» dans le morceau titre du premier album d’X paru en 1980, Los Angeles. Excellent cut, comme chacun sait. La référence à l’X est juste prétexte à titrer l’hommage que nous allons rendre à une big box Rhino post-Bronson, Where the Action Is! Los Angeles Nuggets: 1965–1968. Car oui, what a big box !

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             L’L.A. box vient d’une certaine façon compléter la Frisco box épluchée ici en septembre dernier (Love Is The Song We Sing: San Francisco Nuggets 1965–1970), puisque les deux Rhino boxes couvent sensiblement la même période. Elles donnent une idée plus que juste de l’impact qu’eut la scène californienne sur l’histoire du rock, un impact qu’il faut bien qualifier de révolutionnaire. Les deux Rhino boxes mettent surtout en lumière les différences qui existent entre les deux scènes : celle de San Francisco privilégie l’exotisme, avec un son d’essence purement psyché et un singulier mélange de modernité et de brocante. Sans doute à cause d’Hollywood, la scène de Los Angeles s’ancre dans la notion d’usine à rêve, avec un son plus commercial, plus plastique, terriblement américain, le son des clubs du Sunset Strip et des go-go girls. D’où le choix graphique d’illustration en couve.

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             Bon alors tu ramènes ta big box chez toi, tu t’installes dans ton fauteuil, tu prévois du temps, et comme elle se présente comme un livre, tu l’ouvres pour commencer à lire. Glups ! T’as rien à lire, hormis les trois petites introductions, et à la fin, tu as quatre pages qui te présentent les clubs du Strip où bien sûr tu n’es jamais allé, donc ça ne sert pas à grand-chose. Mais rien sur les racines de la scène. Rien sur sa dimension culturelle. Et très vite tu comprends qu’il n’existe pas de racines, et que cette scène est à l’image d’Hollywood : une fiction parfaite, destinée au public américain, et accessoirement au reste du monde. Pas de littérature dans cette big box, tout simplement parce qu’il n’existe pas de littérature à Los Angeles. Andrew Sandoval et Alec Palao n’ont rien à dire, parce qu’il n’y a rien à dire sur Los Angeles. Sur les groupes, oui, mais pas sur la ville. La culture littéraire locale, c’est le cinéma. Les monstres sacrés ne sont pas Baudelaire, Apollinaire, Stendhal ou Edgar Poe, ils s’appellent Eric Von Stroheim, Gloria Swanson, Robert Mitchum, Jack Nicholson, Peter Fonda et Dennis Hopper. Les classiques littéraires s’appellent The Night Of The Hunter, Chinatown, Sunset Boulevard et Easy Rider. Certains objecteront qu’il existe des auteurs de polars, mais le polar reste un genre mineur, enfermé, comme la science-fiction, dans ses limitations. Bukowski ? Oui, il a fait illusion, à une époque, mais ses recueils de nouvelles parus au Sagittaire étaient massacrés par la traduction. Un Buk qui se décrit le matin assis en train de chier, c’est difficile à traduire. Il vaut mieux le laisser dans sa langue originale. Il fait partie, comme Pouchkine, des «intraduisibles», de la même façon que les Pistols font partie des «intouchables». Quand on joue dans un cover band, on ne touche pas aux Pistols. Quand on traduit, on ne touche pas à Bukowski.

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             Le film on va dire le plus ‘littéraire’ et le plus représentatif de cette artificialité est sans doute Chinatown. C’est même un coup de maître. Pendant presque deux heures, Polanski monte une intrigue en neige, c’est un travail de virtuose, tout est magnifié, les acteurs, les crépuscules, les environnements urbains, les voitures, et le soufflé retombe dans une scène finale d’une hallucinante vacuité, puisque la clé de l’énigme n’est autre que le fruit d’une relation incestueuse. Tout ça pour ça ? Avec Chinatown, Polanski exacerbait tout le kitsch de la culture hollywoodienne, et bien sûr, la montagne ne pouvait qu’accoucher d’une souris. Cadreur exceptionnel, comme le furent Pasolini et Godard, Polanski démontrait que Los Angeles était une ville plate.

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             En son temps, Philippe Garnier tentait chaque mois dans R&F d’explorer l’univers culturel de Los Angeles. Il s’y était d’ailleurs installé avec cette intention. Dans des pages extraordinairement denses, il célébrait des gloires locales et disait sa passion pour des films qui avaient une sacrée particularité : on ne pouvait pas les voir en De la, si on vivait en province. Cette culture devenait donc doublement opaque, avec le côté un peu maniaco agaçant de l’élitisme. La culture n’a de sens que lorsqu’elle est accessible à tous. Bon, ça s’est arrangé quand il commencé à parler des Cramps. Et lorsqu’il a mis Bryan Gregory en couverture de ses Coins Coupés. Un Gregory qu’on a revu ensuite peint sur la façade du Born Bad de la rue Keller. Ah quelle époque !

             Donc pas de littérature dans l’L.A. box. Si tu veux t’instruire, il vaut mieux lire un autre grand format, le Riot On Sunset Strip de Domenic Priore. On y reviendra prochainement.

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             Bien sûr, chacun des 100 cuts de l’L.A. box est documenté, comme sont documentés tous les cuts rassemblés par les gens d’Ace dans leurs mighty compiles. Un petit paragraphe pour chaque cut, après, c’est à toi de prendre ta pelle et d’aller creuser, si tu veux en savoir plus. i git !, mon gars. Au menu, tu retrouves bien sûr les grandes têtes de gondole, Byrds, Love, Beach Boys, Doors, Mothers Of Invention, mais aussi une multitude de groupes moins connus et aussi passionnants. Et puis tu as des groupes dont tu connais les noms, mais pas le son, alors c’est l’occasion de faire plus ample connaissance. C’est que ce qu’on appelle l’apanage des compiles. Pour pallier à la carence littéraire de sa big box, Sandoval a imaginé quatre chapitres, d’où les quatre CDs. Le premier s’intitule ‘On The Strip’. C’est là, sur Sunset Strip, que s’est joué le destin de tous ces groupes, comme se jouait un peu plus tôt le destin de très grands artistes à Greenwich Village, où encore, à la même époque, le destin des Frisco bands au Fillmore et à l’Avalon Ballroom. Ce sont les Standells qui donnent le top départ avec l’imparable «riot On Sunset Strip», suivis par les Byrds qui, comme l’indique l’ami Palao, ont démarré au Ciro’s, en 1965. «You Movin’» est une démo superbe qu’on retrouve sur Preflyte, un Movin’ illuminé par un solo à la McGuinn, c’est-à-dire magistral. S’ensuit «You’ll Be Following», early raunchy Love, joué à la pire niaque d’Arthur Lee. On reste dans les superstars en devenir avec Buffalo Springfield («Go And Say Goodbye») et surtout Captain Beefheart & The Magic Band avec l’ultra-abrasif «Zig Zag Wanderer», real deal de proto-punk, zig zag ha ! Early Doors encore, avec «Take It As It Comes», délicat, très L.A., c’est l’époque où Jimbo, trop léger, rebondit dans le son, il n’est pas encore devenu roi. Bon, Spirit, ça ne marche pas à tous les coups («Girl In Your Eye»), par contre, les Seeds s’en sortent mieux avec «Tripmaker», wild punk vénéneux, extraordinaire de watch out. L’«It’s Gotta Rain» de Sonny & Cher reste du heavy groove sans plus, et les Association de Jules Alexander tapent dans l’«One Too Many Mornings» de Dylan. C’est bardé de son et même assez stupéfiant. On retrouve avec un plaisir non feint l’Iron Butterfly de Doug Ingle et l’heavy revienzy de «Gentle As It My Seem», hard punk psychotic, come here woman ! Après, on descend dans l’underground avec par exemple les Leaves et «Dr. Stone», plus connus pour leur version cavalée d’«Hey Joe». Leur «Dr. Stone» est bardé de son et chevauche un Diddley beat. Jim Pons fait encore partie du groupe. Il ira ensuite rejoindre les Turtles. En De la, on a longtemps considéré les West Coast Pop Art Expérimental Band comme les rois de l’underground et rapatrié vite fait leurs trois premiers albums. Mais bon, attention... On y trouve à boire et à manger. «If You Want This Love» est un brin poppy-popette, frappé en plein cœur par un gros solo de bluegrass craze. Tu te régales aussi du Bobby Fuller Four et de «Baby My Heart», il y va de bon cœur le Bobby, il roule son solo dans une belle farine de disto. «Fender driven rock’n’roll», nous dit Palao, «Tex-Mex origins» + «high-energy Hollywood sound». Il faut se souvenir que Bobby Fuller faisait partie des chouchous de Billy Miller, chez Norton. Palao cite Bobby comme étant «one of the ‘60s pop’s brightest talents». On se prosterne jusqu’à terre devant The Palace Guard et «All Night Long», très psyché-Dylan/Byrds, rongé par des lèpres de jingle-jangle, hootchy hootchy coo all nite long ! Tiens voilà un gang de surdoués, The Rising Sons, avec Ry Cooder et Taj Mahal, produit par Terry Melcher, un Melcher qui leur demande de jouer une «supersonic version» de «Take A Giant Step» (Goffin & King) «with some pychedelic touches». Fabuleux shoot de big California flavour. On retrouve toute cette musicologie sur le faramineux dernier album de Ry Cooder & Taj Mahal, Get On Board. Tiens, encore une fantastique énormité avec Kaleidoscope et «Pulsating Dream». Palao les compare aux Rising Sons, «organic and eclectic». Il trouve même que les Kaleidoscope ont plus d’accointances avec la scène de San Francisco, mais ils savaient reconnaître les mérites d’une bonne chanson. Encore une grosse équipe avec Music Machine et «The People In Me». C’est une façon de dire qu’il n’y a que des grosses équipes dans cette ville plate. Palao dit d’eux qu’ils sont «one of the most powerful groups of the era». Il parle aussi de «brutal, sonic-intellectual punch», à propos de «Talk Talk». Et pouf, voilà The Sons Of Adam avec «Saturday’s Son», du bon wild as fuck comme on l’aime, plein de son et de Saturday, de roule ma poule, d’harmonies vocales et de power all over. Ces mecs, nous dit Palao, étaient «the talk of the town», avec «guitar God Randy Holden with Fender jag slung low, Ramones-style, tore off savages riffs with uncompromising style.» Arrivent à la suite les Peanut Butter Conspiracy avec «Eventually», une fast pop on the run. Ces mecs te claquent le Peanut vite fait. Extravagante énergie ! Et tout ceci n’est qu’un petit aperçu. La principale caractéristique de cette scène, c’est la qualité de l’abondance.

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             Ce que vient confirmer le disk/chapter two, ‘Beyond The City» : Palao va chercher les groupes à l’extérieur, jusqu’à San Fernando Valley, Riverside et Bakersfield, chez Gary S. Paxton. Boom dès Thee Midniters avec «Jump Jive & Harmonize», pur proto-punk de c’mon baby. Tu peux y aller les yeux fermés, chicano rock, «and Thee Midniters will forever rule supreme», s’extasie Palao. Et leurs albums rulent supreme à des prix intouchables. Heureusement, Norton s’est fendu d’une bonne petite compile, In Thee Midnite Hour. Arriba ! Ces Chicanos sont bien wild. On sent très vite chez eux une attirance pour le proto-punk de type Question Mark. «Jump Jive & Harmonize» est en A, et en bout d’A, tu as une autre pépite proto-punk, «Down Whittier Blvd», véritable chef-d’œuvre de tension et de function at the junction, c’mon baby cruise with me ! Encore du ramdam en B avec l’une des plus belles covers d’«Everybody Needs Somebody To Love». Thee Midniters sont les vrais punks de Californie. Encore un shoot de big punkish town avec «Never Knew I Had It So Bad». Leur «Empty Heart» a aussi beaucoup d’allure et puis, petite cerise sur le gâtö, on se croirait chez les early Stones avec «Hey Little Girl».  

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             Retour au chapter two, ‘Beyond The City». Tu y retrouves aussi The Light et The Bush, deux groupes arrachés à l’oubli par Mike Stax dans Ugly Things, beaucoup plus légers que les chicanos, mais bon, tu as une belle énergie et de la fuzz dans le «Back Up» des Light. Si tu aimes bien la fuzz qui coule dans la manche, alors écoute les Premiers et «Get On The Plane» et là, oui, c’est digne des Troggs, ils font du fake English. Ils ont tout pigé. Ce sont les Premiers de la classe. Palao ajoute que Larry Tamblyn leur donnait un coup de main. Sur ce disk 2, les têtes de gondole sont les Electric Runes («Hideaway» pas terrible), les Turtles («Grim Reaper Of Love» forcément bien foutu) et Kim Fowley avec «Underground Lady», «the original rock’n’roll Zelig», dit Palao qui, bien remonté, ajoute qu’«Underground Lady» «is perhaps his most authentically punkoid moment as an artist». C’est bizarre qu’il dise ça, car I’m Bad grouille de punkoid moments autrement plus punkoid. Tu retrouves aussi Emitt Rhodes avec The Merry-Go-Round et «Listen Listen», fantastique shoot de pop de classe internationale. Alors les Spats, c’est autre chose : «She Done Moved» sonne comme le pire gaga de Los Angeles. Ah les carnes ! Il faut entendre ça. Sans doute sont-ils la révélation du disk 2, en tous les cas, on en redemande. Palao dit d’eux qu’ils étaient Orange County superstars. Il parle même de «chock full of raunchy, blue-eyed R&B and bright British rock in the mode of their idols The Dave Clark Five.» Avec Ken & The Fourth Dimension et «See If I Care», tu restes dans le hot gaga de Los Angeles. Juste un single et à dégager. Le Ken en question est le fils de Lloyd Johnson, un associé de Gary S. Paxton à Bakersfield. Merci Rhino d’avoir sauvé ce single. L’«He’s Not There Anymore» des Chymes sonne comme du porn nubile. Nouvelle révélation avec Opus 1 et «Back Seat’ 38 Dodge», instro de back seat, tension maximale, un must have been car il n’existe qu’un seul single. Même destin que Ken & The Fourth Dimension. Nouvelle claque avec Things To Come et «Come Alive» : ça joue à la réverb volante. Quant à Limey & The Yanks, ils y vont au Diddley beat avec «Guaranteed Love». Il n’y a pas de sot métier. Le «Love’s The Thing» de The Romancers Aka The Smoke Rings vaut bien les Seeds. Palao parle d’un «classic slice of chaos» et ajoute que le cut qui devait être un balladif fut transformé par «the bersek guitar-slinging of Albert ‘Bobby’ Hernandez.» Encore du wild L.A. punk avec The Deepest Blue et «Pretty Little Thing». Ces mecs sont les rois du lard inconnu. Ils ont du son à n’en plus finir. Pas loin des Pretties, en tous les cas. Tu te prosternes aussi devant The Whatt Four et «You’re Wishin’ I Was Someone Else», un groupe produit par Gary S. Paxton. On y retrouve le troubleshouter Kenny Johnson, il te chante cette pop pyché à pleine voix. Terrific !  Assez punk around the corner, voilà le «That’s For Sure» des Mustangs, encore des rois du proto-punk local, aussi balèzes que les Standells. Le Merrell de Fapardokly (Merrell & The Exiles) n’est autre que Merrell Frankhauser, que Palao traite de «fascinating character». C’est vrai que ni Mu, ni son «Tomorrow’s Girl» ne laissent indifférent. Wild L.A. psychout ! Un rêve de son come true. La vitalité de cette scène et le grouillement des pointures finissent par donner le tournis. 

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             Le disk/chapter 3 s’intitule ‘The Studio Scene’. Allez hop, on attaque avec les têtes de gondole, Jan & Dean («Fan Tan» belle pop californienne et chœurs déments, tirée de Carnival Of Sound), P.F. Sloan («Halloween Mary» qui t’éclate bien la noix à la Dylanex, il récupère tous les clichés, même les coups d’harp, mais avec du génie, Palao ajoute que Sloan agissait avec «an unparalleled intensity») et The Mamas & The Papas («Somebody Groovy» chanté sous le boisseau du groove et forcément énorme, une vraie huitième merveille du monde). On retrouve aussi avec plaisir les Knickerbockers avec un «High On Love» assez dingoïde. L’occasion rêvée de ressortir l’album de l’étagère.

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             Lies est un vieux Challenge US qui date de l’époque des auction lists de Bomp !. Pochette classique des années de braise, et pop classique des mêmes années. Très poppy L.A. et très beatlemaniaque dans l’approche des harmonies vocales. Fabuleusement enregistré par Bruce Botnick et Dave Hassinger. Pas la moindre trace de gaga, mais big energy au long cours. Les Knickerbockers offrent un mélange réussi d’American energy et de Beatlemania. Ce mec chante vraiment comme John Lennon et le wild solo de «Just One Girl» vaut bien ceux du roi George. En B, on tombe sur un «Whistful Thinking» arrangé par Leon Russell, avec un petit effet Wall of Sound. Tonton Leon te violonne encore «You’ll Never Walk Alone» et «Your Kind Of Lovin’». On a toujours gardé un souvenir ému de cet album.

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             On ressort aussi l’album de Keith Allison, car l’«Action, Action, Action» est irrésistible, c’est même du proto-punk, Keith Allison sort les grosses guitares et il fait entrer dans son lard un bassmatic monstrueux. Il va accompagner Bobby Hart et Tommy Boyce avant de rejoindre les Raiders. Véritable coup de génie que ce «Tin Angel (Will You Ever Come Down)» d’Hearts And Flowers, avec des harmonies vocales explosées au sommet du lard. Palao parle de «symphonic psych-pop». Le producteur n’est autre que Nick Venet. Belle révélation encore que Dino, Desi & Billy et «The Rebel Kind», produit par Lee Hazlewood. Dino n’est autre que le fils de Dean Martin. Leur wild gaga est une merveille, mais Palao dit que ce fut un flop commercial. Il n’empêche que c’est une vraie énormité. La grosse claque vient aussi de The Full Treatment et «Just Can’t Wait», un duo composé de Buzz Clidfford et Dan Moore. Un seul single et adios amigos. Incroyable ! Nouvelle extase avec The Lamp Of Childhood et «No More Running Around» : heavy pop de haut rang, encore un groupe à singles immensément doué. Une sorte de supergroupe de stars obscures dont Palao se plaît à décortiquer les curriculums. Oh et puis l’incroyable prestance de The Moon et «Mothers And Fathers». Alors évidemment, dans ce contexte, les Monkees ne sont pas crédibles, surtout que Palao choisit un cut de l’album foireux, Pisces Aquatius Capricorn & Jones. Par contre, il salue bien bas Lee Hazlewood et son «Rainbow Woman». Il a raison. Encore du son avec The Yellow Balloon et «Yellow Balloon», fils spirituels des Beach Boys. Fantastique énergie ! Occasion en or de ressortir l’album de l’étagère.

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             Encore un gros cartonne US chopé sur l’auction list de Suzy Shaw. Magnifique album, on les voit tous les cinq sur la plage et dès «How Can I Be Down», tu as le heavy Beach Boys Sound, c’est-à-dire l’American power, un son unique et la splendeur des harmonies vocales. Ils tapent leur «Stained Glass Wildow» au pah pah pah et s’envolent littéralement avec «Baby Baby It’s You», c’est plein de vie, le mec qui les produit a tout pigé, c’est un chef d’œuvre d’allégresse, avec la pure beauté formelle du son. Puis en bout d’A, tu tombes sur le morceau titre, et là tu bascules dans la magie californienne, The Yellow Balloon s’envole une fois de plus – Yellow balloon/ On a lovely afternoon – La B est plus pop, on perd la plage, mais ça reste gorgé de lumière. Tout n’est qu’élan sur cet album, un élan pareil à nul autre, notamment dans «Can’t Get Enough Of Your Love» - I love you more & more – Ils terminent avec une «Junk Maker Shoppe» plus musculeux, mais ce sont les biscotos de la plage.  

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             Le disk/chapter 4 s’intitule ‘New Direction’. Allez hop, on y va ! Une belle série de têtes de gondole : Stephen Stills & Richie Furay et «Sit Down I Think I Love You», petite chanson de Stylish Stills. Dans ses heavy chords, il ramène de la psychedelia. Tu n’en finiras plus d’admirer ce mec-là. Palao parle du «genesis of the Buffalo Spingfield sound». Eh oui, il a encore raison. Palao a toujours raison. Il faut bien finir par l’admettre. Et puis voilà la plus belle, Jackie DeShannon & The Byrds et «Splendor In The Grass», fantastique dimension mythique californienne, on a là le génie combiné d’une chanteuse exceptionnelle et des Byrds. On parlait d’eux dans le disk 3 : Tommy Boyce & Bobby Hart. Ils sortent du bois avec «Words». Et puis tu as aussi Gene Clark et «Los Angeles». Ses amis l’appellent Geno, alors Geno est vraiment le roi de la psychedelia, il ramène tout le son du monde dans son psychout de jingle jangle. Son «Los Angeles» date du temps où il jouait avec Laramy Smith. Tête de gondole encore avec Tim Buckley et «Once Upon A Time», où l’on voit le Tim s’enfoncer dans le gaga d’L.A. à sa façon, qui est excellente. Oh et puis bien sûr les Beach Boys et «Heroes And Villians», le power définitif, le real deal du California sound. Autre géant de la scène locale, voici Rick Nelson et «Marshmellows Skies», il propose une pop psyché nappée de musique indienne et ça tourne au cliché. Retour au point de départ avec les Byrds et «Change Is Now», tiré de Notorious Byrds Brothers, enregistré après le départ de Geno et le saccage de Croz. Ce chapter 4 s’achève en beauté avec la magie pure de Sagittarius et «The Truth Is Not Real», l’ultimate de Gary Usher & Curt Boettcher, aussi ultimate que Brian Wilson, un Sagittarius suivi de Love et «You Set The Scene» : aussitôt la première note, tu sais que tu es à Los Angeles, un Arthur Lee nous dit Palao «qui repoussa les frontières du traditional pop songwriting» avec Forever Changes. Parmi les moins connus, tu as The Rose Garden et «Here’s Today», un groupe puissant qui a disparu sans laisser de traces. Geno les prit un moment à la bonne et leur fila des cuts. Encore plus impressionnant, voici Nino Tempo & April Stevens et «I Love How You Love Me», fast and heavy pop avec des cornemuses. Nino venait de flasher sur le son des Byrds et il trouvait que les bagpipes sonnaient comme la douze de McGuinn. Fabuleux power ! Nino  était un proche de Totor et l’un de ses arrangeurs, et sa frangine April Stevens vient tout juste de casser sa pipe en bois. L’autre bonne surprise vient de Randy Newman et son énorme «Last Night I Had A Dream». Bizarre, car les rares tentatives d’écoute de ses albums se sont soldées par des bâillements d’ennui. La vraie surprise vient de Del Shannon et d’«I Think I Love You» : De la tout le power du monde derrière lui, mais ce n’est pas bon. Trop insidieux ? Va-t-en savoir. Et puis tu as plein d’autres luminaries, ça grouille de partout : Nilsson, Peter Fonda, Van Dyke Parks, Danny Hutton qui fut le chauffeur de Kim Fowley, Barry McGuire, tous plus légendaires les uns que les autres. On n’en finirait pas.

    Signé : Cazengler, Angeless and less

    Where the Action Is ! Los Angeles Nuggets : 1965–1968. Rhino Box set 2009

    Yellow Balloon. The Yellow Balloon. Canterbury 1967

    Knickerbockers. Lies. Challenge 1966

    Thee Midniters. In Thee Midnite Hour !!!! Norton Records 2006

     

     

    Marlow le marlou - Part Four

     

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             Au lieu de s’appeler Second Ride, le deuxième album de Marlow Rider s’appelle Cryptogenèse, c’est-à-dire engendré dans l’underground. Non seulement le message est clair, mais l’album est bon. Oh pas révolutionnaire ! Le Marlou préfère le confort des ténèbres aux coups de chaud des feux de la rampe. Pas question d’aller lécher les bottes des satrapes médiatiques. Par les temps qui courent, l’indépendance artistique devient un luxe, et la richesse ne se mesure plus en sacs d’or, comme au temps jadis, mais en termes d’intégrité. On est artiste aujourd’hui comme on était pirate au XVIIIe siècle, par goût de la liberté absolue. Et ce n’est pas un hasard si le Marlou a flashé sur Johnny Kidd, et qu’aujourd’hui il chante «Libertad» ! - Libertad for all the people/ Libertad the only symbol - Pas facile de faire rimer people avec symbol, mais dans le feu de l’action, ça passe comme une lettre à la poste. Ça claque au vent. On sent nettement chez le Marlou le goût des abordages, la haine de l’Espagnol - c’est-à-dire la pire incarnation de la cupidité doublée de brutalité - On sent aussi chez lui le goût du partage de butin à parts égales, son break your chains résonne dans l’écho des siècles, son free your mind sonne comme le cri de ralliement des gueux de la terre pressés de quitter l’Europe des oppresseurs pour partir à la découverte du monde libre.

             Les spécialistes de son histoire s’accordent à dire que la flibuste fut la dernière utopie, d’où sa force symbolique. On ne l’approche pas inopinément, on ne joue pas avec. L’un des souvenirs d’expos les plus vivaces est celui d’une petite expo consacrée à la piraterie, au Musée de la Marine, qui se trouvait alors au Trocadero. L’expo visait un public jeune, mais il y régnait une atmosphère pesante et comme chargée d’histoire. On y avait reconstitué le pont d’une frégate. Le clou de l’expo était le faux journal de Louis-Adhémar-Timothée Le Golif, dit Borgnefesse. Coup de génie en forme de pied de nez, aux antipodes d’Hollywood, un Hollywood qui a réussi à transformer la flibuste en gadget avec les quatre ou cinq épisodes des Pirates des Caraïbes. Comme d’habitude, Hollywood est complètement à côté de la plaque, en dépit des efforts de Johnny Depp qui n’en finit plus d’avoir le cul entre deux chaises, c’est-à-dire la starisation hollywoodienne et le rock, dont il est issu. On finit par comprendre qu’avec le temps, les anciens concepts sont dévoyés, parce que les époques ont changé. C’est valable pour Sade et la flibuste. Les pirates africains qui attaquent aujourd’hui les cargos pour les rançonner n’ont pas le panache du Capitaine Flint, et le divin Marquis serait chagriné de voir dans quoi son apologie des plaisirs de la chair a basculé. Aw my gode ! Aujourd’hui, les héritiers spirituels de la flibuste sont les aventuriers. Le Marlou en est un. Donc, écoute-le quand il chante ses aventures.

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             Il fait le récit de ses aventures en B et lie ses six cuts avec un texte autobiographique bien foutu. Il raconte qu’il débarque en Corse à l’âge de 8 ans. Son père découvrant l’île la baptise «paradis terrestre», comme le fit sans doute jadis le Capitaine Flint en découvrant une île des Caraïbes. Vroaaar, le Marlou démarre sa moto pour lancer «Le Grand Voyage», le Grand Voyage qui l’amena enfant en Corse à bord du DC3 Dakota, «à 8 000 pieds d’altitude» et crack, il te claque un solo de jazz au cœur du Grand Voyage, épaulé par le round midnite d’Amine. Bienvenue dans la légende de Tony Marlow, à 8 000 pieds d’altitude. Il passe en mode heavy rockab pour saluer l’hôtel restaurant «Pielza Eden» de son ami Olivier Giudicelli. Mise en place impeccable, l’Eden est monté sur un big bop de slap, all right now, c’est la douceur de vivre, les redémarrages sont fantastiques, tout repose sur ce beat qui va et qui vient entre tes reins. Belle tombée de l’all right now et fuite éperdue de la jeunesse en roue libre. C’est sa vision moderne du monde libre.

             Il passe en mode Blue Cheer pour «De Bruit Et De Fureur», il a largement les moyens du heavy beat sixties. C’est dingue comme Amine s’adapte bien, son slap gronde dans le son, au moins autant que la basse de Dickie Peterson. Pour couronner le tout, le Marlou part en vrille à la Leigh Stephens. Il fond sur le cut comme l’aigle sur la belette. Il profite de cet épisode pour saluer son vieil ami Marc Zermati. Souviens-toi qu’Hakim Bey situe les origines de la piraterie sur les côtes algériennes. Puis le Marlou passe carrément au funky but chic avec «Eclectic» et le souvenirs des bals populaires en Corse - La nuit la danse c’est chic - Il parle de «voûte étoilée» et des «retours au petit matin éclairés par le soleil levant.» On l’avait déjà remarqué à l’époque du Rockabilly Troubadour, il y a du Charles Trenet en lui. Amine ramène encore de la viande dans «Comme Un Cran d’Arrêt», une java du Balajo. Ce démon d’Amine appartient à la caste des inexorables. Il sait chevaucher un dragon. Et le Marlou conclut son mini-récit autobiographique avec cette chute sibylline : «Ceci n’est que le début, la genèse se termine, l’histoire continue...»

             De l’autre côté, le Marlou redit sa passion pour Cream et Jimi Hendrix. Sa version de «Highway Chile» vaut le déplacement : juste après le riff iconique, il part en pompe manouche. Quel sens du parti pris ! Il te joue ça dans la roulotte du diable et chante sous le boisseau, avec le riff qui revient. Et pendant le solo, Amine ramène la pulsion rockab. C’est fascinant, plein de modernité, le Marlou improvise sur le thème hendrixien. Quel hommage spectaculaire ! Ça fait encore plus drôle d’entendre le slap derrière «Sunshine Of Your Love». Le pauvre Amine doit jouer au ralenti de downhome, ça ne doit pas être simple, pour un mec comme lui qu’on a vu bombarder sur scène. On l’entend pulser le heavy beat pendant que le Marlou graisse la patte de son solo. Et puis il allume la gueule du «Doctor Spike» avec un vieux riff des Stones, jetant les sixties dans une sorte d’embolie symbiotique. Tout le dark de cette époque tient dans ce riff. Brillant exploit.

             Les deux albums de Marlow Rider sont sortis sur Bullit, le petit label de Seb Le Bison, que les fans de Rikkha et de Cookingwithelvis connaissent bien. Deux groupes qui datent d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, lorsque le rock flirtait avec le cabaret et qu’on renouait à la nuit tombée avec les mystères de la rue de la Lune. 

    Signé : Cazengler, Tony marlourd

    Marlow Rider. Crytogenèse. Bullit Records 2023

     

     

    L’avenir du rock

     - Lemon incest (Part Two)

             On amène l’avenir du rock à l’hôpital. Son cas est désespéré. Il est atteint d’une crise de fou rire que rien ne peut calmer, ni les douches froides, ni les suppositoires, ni les perfus, ni les électrochocs. Il se marre, il n’en finit plus de se marrer. Et ça ne fait marrer personne. Le professeur Mort-du-rock et son équipe sont à son chevet, consternés. Ils n’ont encore jamais vu un cas pareil. L’éminent professeur ne cache d’ailleurs pas son agacement. Il a déjà fait doubler la dose de sédatif. Mais ça ne change rien. L’avenir du rock se pâme de rire et la vue de l’équipe soignante consternée ne fait qu’aggraver les choses. À travers ses larmes de rire, il distingue confusément cette grappe de gueules d’empeignes. C’est vrai que le spectacle ne laisserait personne indifférent. L’adjointe du professeur tente une approche psychologique :

             — Mais enfin, avenir du rock, si seulement vous nous disiez pourquoi vous riez tant, peut-être pourrions-nous en profiter ?

             La question est à la fois tellement perfide et tellement stupide que l’avenir du rock s’en étrangle de rire. Il tousse et il pète. Puis il repart de plus belle, lorsque le professeur l’approche pour lui tâter le pouls.

             — C’est très curieux. Le pouls est normal, la tension est normale, la température est normale. Mais enfin, de quoi peut-il donc bien s’agir ?

             Excédé, le professeur pince le bras de l’avenir du rock pour voir s’il réagit à la douleur. Ça ne fait qu’aggraver encore les choses.

             — Rhhhha ha ha ha ha ! Rhhhha ha ha ha ha !

             — Ce patient commence à m’exaspérer, mademoiselle Izabotte. Je vais devoir opérer les zygomatiques. Nous sectionnerons ici... et là, juste sous les oreilles, et nous injecterons trois poches de plasma pour figer les risorius. Nous ne pouvons tolérer l’irrationnel dans ce service, comprenez-vous ?

             Personne ne conteste la barbarie du verdict professoral. Toujours en pleine crise, rhhhha ha ha ha ha !, rhhhha ha ha ha ha !, l’avenir du rock sort du lit, se dirige vers la petite armoire où sont rangées ses affaires, fouille dans la poche de sa veste et en sort un CD. Il se tourne vers le professeur et lui balance le CD en pleine gueule.

             — The Lemon Twigs, professeur. Ils me rendent heureux alors je ris.

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             L’avenir du rock tombe souvent dans le dithyrambe de bas étage, mais cette fois, il s’agit d’autre chose : le voilà victime d’une overdose de réjouissance extatique. Dans son bel article, Sarah Gregory corrobore les faits : «The Lemon Twigs are the kind of band that make you glad to be alive.» Elle n’y va pas de main morte, elle dit carrément qu’ils te rendent heureux d’être en vie. Elle n’a pas tort. Elle ajoute : «Ils tirent leur inspiration de tous les genres classiques de la musique populaire pour créer un intoxicating and unique nostalgia-infused blend of melody and tilemess instumentation.» Voilà, c’est ce qui réjouit le cœur de l’avenir du rock. Il n’a jamais été aussi rayonnant. Car oui, le dernier album des Lemon Twigs est une bombe du paradis. 

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             Les Shindiggers ne font pas n’importent quoi : non seulement ils te tartinent six pages sur les Lemon Twigs dans le dernier numéro, traitement de faveur généralement réservé aux superstars, mais en plus, ils t’offrent leur dernier album, Everything Harmony en cadeau de réabonnement. C’est un peu comme si, en 1968, ils t’avaient offert le White Album ou Forever Changes.

             Sarah Gregory dit encore que les deux frères D’Addario puisent dans «the most harmonious of the 60s bands (the obvious ones).» Elle cite des noms, Bowie, Dolls. On citera les nôtres.  Elle revient aussi sur leur destin : tout tracé puisque Daddy D’Addario est musicien/compositeur. Petits, ils se gavent d’home videos, de concerts enregistrés, Beatles, Beach Boys, Monkees, Dave Clark Five. Ils n’échapperont donc pas à leur destin. Daddy D’Addario leur apprend à chanter avant qu’ils ne sachent marcher. Bambins, ils travaillent déjà avec Dad & Mum sur les harmonies vocales d’un hit des Beach Boys, «You Still Believe In Me». C’est la joyeuse singing family. Puis à cinq ans, Brian apprend à battre le beurre. Deux ans plus tard, il gratte une gratte et compose des chansons. Il n’a que sept ans ! Quand ses mains sont assez grandes, il apprend à jouer les barrés. Alors il progresse très vite. Son frère Michael aussi. Même parcours : beurre, gratte, compos. À 10 et 12 ans, ils sont complets. Ils jouent dans des groupes. Ils jamment les Beatles.

             Ils rentrent dans le circuit professionnel au cours des années 2010, influencés par les Flaming Lips et MGMT, mais surtout les psych-rock indie popsters Foxygen. Comme les frères D’Addario, Jonathan Rado a démarré très jeune, il adore les Stones et le Velvet et don’t give a fuck de ce que pensent les gens. Comme Rado, Brian et Michael restent fidèles à l’esprit des albums qui les intéressent, Surf’s Up ou le White Album. Brian : «On pensait que c’était impossible de faire des albums qui sonnaient comme Surf’s Up ou le White Album de nos jours, puis quand on a entendu Foxygen, on a compris qu’on pouvait essayer.» Brian et Michael vont se rapprocher de Rado et même enregistrer avec lui.

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             Quand ils enregistrent Do Hollywood, ils ont 15 et 17 ans. Ils jouent tous les instruments. Rado est même venu donner un coup de main et co-produire. En fait, les deux frères expérimentent beaucoup, ce qui a pu rendre leurs premiers albums un peu déroutants. Ils considèrent leur parcours discographique comme un learning process. Quand Songs For The General Public est paru, Iggy s’est inquiété : «It’s just a little too good.»

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             À la fin de leur 3-LP contract avec 4 AD, Brian et Michael ont signé avec un petit label new-yorkais, Captured Tracks. Alors voilà Everything Harmony, «another twist in the tale», comme le dit si bien Sarah Gregory. Elle y trouve des influences des Byrds, des Burritos et de Simon & Garfunkel. Chacun cherche son chat. Michael : «It’s more about the songs.» Et il ajoute, avec une sorte de modestie désarmante : «I think the songs are good, certainly the recordings couldn’t be any better, the arrangements couldn’t be any better.» Sarah Gregory flashe sur «Corner Of My Eye» qu’elle voit sonner comme un mélange de Simon & Garfunkel, de Beach Boys et de Carpenters. Elle y trouve aussi du «90s Byrds-revivalist guitar twang». «Corner Of My Eye» se développe comme une pop de rêve, une pop de rêve saturée de lumière à la Francis Scott Fitzgerald, tu retrouves cette magie de la pop, douce et tendre, comme savait la distiller en son temps Todd Rundgren, les deux frères D’Addario outrepassent les limites de la bienséance, ils swinguent l’ouate d’I saw you twice before, rien qu’avec ce chef-d’œuvre de délicatesse, tu te figes, comme un chien d’arrêt. Michael dit avoir écrit les paroles de «Born To Be Lonely» après avoir vu l’Opening Night de John Cassavetes. Encore un fil harmonique magique, c’est un bal de Laze d’une irréalité définitive, te voilà invité dans la Pâtisserie de la Reine Pédauque arrosée de chantilly, ils te font la Chocolaterie de Charlie Wonka à deux, ils t’explosent la valse à deux temps, te voilà entraîné dans une spectaculaire parade magnifiée aux harmonies vocales, il croisent Rundgren avec Brian Wilson, il recréent le vertige des descentes extravagantes de qui tu veux, tu as le choix entre Jimmy Webb, Tonton Leon ou encore Burt. Tu tiens l’avenir du rock entre tes mains, il faut entendre l’exercice de cette insistance douceâtre. Cette façon de tenter la valse du diable est unique dans l’histoire.   

             Dès le «When Winter Comes Around» d’ouverture de bal, tu sens que c’est du sérieux. Tu sens la mise en bouche. Ces deux branleurs ont compris le sens de la marche. Ils noient leur son de pop. Et tout l’album va rester à ce niveau. On les retrouve avec «In My Head» dans une Beatlemania évoluée, un ersatz de White Album, c’est de cette qualité. Une pop aux pieds ailés. Stupéfiant. Ils te distillent ça à petites giclées de heavy pop luminescente à la Rundgren, avec des claqués d’accords dignes de ceux des Byrds. Tu sens bien que tu écoutes l’un des très grands albums du XXIe siècle, ils t’explosent ça aux harmonies vocales, au lalala de rêve impur. Tu te retrouves au final avec un hit séculaire. Ils attaquent «Any Time Of Day» au chat perché tanscendental et tu passes à la trappe de Père Ubu, t’es baisé, et c’est tant mieux, ils te plongent dans une Philly Soul de blancs vrillée à l’unisson du saucisson. Pour avoir une idée du niveau d’excellence de cette merveille, tu dois bien sûr l’écouter, mais pas sur YouTube, il te faut le son. Tout ici est monté en neige d’harmonies vocales, comme si Brian Wilson les dirigeait dans le studio, comme si Tonton Leon jouait du piano et que Jimmy Webb conduisant la section de cordes. Tu as là tout le power de l’ultimate. Au dessus, il n’y a plus rien. «What You Were Doing» tombe comme une sentence. Ça sonne comme du Nazz de Twigs, aw quel power, les grattes claironnent comme celles de Big Star au temps d’Ardent et le chant enflamme l’horizon. Dans cette épreuve de force harmonique, c’est un peu comme si tu avais toute la vie devant toi. Ces deux frangins te dévorent le foie - To make you wonder/ What you were doing - C’est littéralement spectaculaire ! Quand arrive «What Happens To A Heart», tu sais qu’ils vont te bouffer tout cru, d’autant que c’est amené au petit chant d’incidence parégorique. Et schlouff, ça monte très vite, ils empruntent le vieux chemin de Damas de la pop parfaite. On a même l’impression qu’ils réinventent la pop, ils s’élèvent comme deux archanges dans les cendres de la cathédrale à coups de now I know what happens to a heart/ When all it ever done is hurt - C’est balayé par des rafales de violons. La prod est terrifique.

             Les guitares de «Ghost Run Free» te scintillent au coin de l’oreille. Ces deux kids réaniment l’éclat de la pop sixties, celle des Hollies et des Searchers, en passant par P.F. Sloan, Arthur Lee et les Beatles. C’est puissant, zébré d’éclairs, affolant de crudité, tu as des petites voix qui éclatent dans le bouquet d’harmonies vocales. Aw c’est bon, laisse tomber, ce sont des dieux. Brouet magique d’éclat septentrional. Avec le morceau titre, ils jouent la carte de la pop orchestrale à fond. C’est une bénédiction pour la cervelle que d’entendre ces deux kids à l’œuvre. Si tu aimes bien qu’on te flatte l’intellect, c’est l’album qu’il te faut. Brian et Michael D’Addario sont les vrais héritiers de Brian Wislon, ils te tortillent encore un «New To Me» qu’il faut bien qualifier de magique. Quel que soit l’endroit, sur cet album, leurs harmonies vocales atteignent au sublime.

    Signé : Cazengler, l’immonde twig

    Lemon Twigs. Everything Harmony. Captured Tracks 2023

    Sarah Gregory : Growing up in public. Shindig! # 138 - April 2023      

     

     

    Wizards & True Stars

    - Le roi Arthur (Part One)

     

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             Il existe plusieurs moyens d’entrer dans le monde magique du roi Arthur. On a même l’embarras du choix. Le moyen le plus radical consiste à écouter les albums de Love, une quinzaine d’albums qui s’étalent sur environ 40 ans, depuis le premier Love LP en 1966 jusqu’à son cassage de pipe en bois à Memphis en 2006 (Il était revenu dans sa ville natale pour monter un projet avec des mecs de Reigning Sound et Jack Yarber). L’autre moyen d’entrer dans ce monde magique est bien sûr la bio de John Einarson, Forever Changes: Arthur Lee And The Book Of Love - The Authorized Biography Of Arthur Lee. Einarson est aussi comme on l’a vu un grand spécialiste de Gene Clark. Un autre moyen tout aussi radical consiste à visionner The Forever Changes Concert, un film tourné à Londres en janvier 2003, un set fabuleux qu’on a pu voir au Trabendo en 2004 avec, en première partie, Sky Saxon et une mouture moderne des Seeds. The Forever Changes Concert est aussi considéré comme son dernier album.

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             Ce qui frappe le plus quand on voit le roi Arthur sur scène, c’est sa prestance. Elle te frappe aussitôt, à l’écran. Au Trabendo on le voyait de profil et le souvenir d’une grande élégance reste précis, comme si ça datait d’hier. On voit parfois de véritables incarnations de l’élégance sur scène, Chuck Berry, Peter Perrett et le roi Arthur en sont les trois plus beaux exemples. Élégance à l’anglaise pour Peter Perrett, pure élégance animale pour Chucky Chuckah et le roi Arthur : la façon de bouger, le port de tête, l’extrême décontraction des membres, tout était incroyablement naturel chez ces mecs-là. Dans le film, le roi Arthur est souvent cadré serré et ça laisse l’impression d’une présence massive, alors qu’en réalité, il est très fin. Et puis, tu as les chansons. Il attaque avec «Alone Again Or», accompagné par les petits mecs de Baby Lemonade, rebaptisés Love + une section de cordes et une section de cuivres. Alors c’est du plein pot, l’Alone et le roi Arthur te bercent dans la douceur d’une brise d’arpèges magiques. Il faut le voir danser avec sa strato blanche. Il gratte ses cordes à  la main, en vrai Memphis cat. Le jeune black blond s’appelle Mike Randle et c’est un virtuose. Le roi Arthur s’est toujours entouré de virtuoses : Jimi Hendrix, Bryan MacLean, Gary Rowles, Jay Donnellan et Johnny Echols. Il déroule les cuts de Forever Changes comme on déroule un tapis rouge. Il chante «Andmoreagain» à la florentine, à la pointe de sa finesse intellectuelle. Il y a du préraphaélite en lui, il est à la fois complexe, baroque, irréel et beau comme un dieu. Il gratte toute sa dentelle de Calais sur sa strato blanche. Mais ça reste excessivement sophistiqué, et en même temps, c’est du typical L.A. sound, «The Daily Planet» sonne comme un mélange naïf de Beatlemania et de psychedelia. Il ne faut jamais perdre de vue que tous ces mecs-là étaient fascinés par les Beatles, Gene Clark et le roi Arthur les premiers. Il est donc logique que le Planet soit un brin beatlemaniaque, mais en même temps impénétrable, comme une femme nue qui se refuserait au mâle entré dans son lit. On voit ensuite «The Red Telephone» plonger dans un lagon d’attente surannée, comme s’il imaginait suivre son cours, au long de méandres harmoniques brusquement interrompus. L’un de ses admirateurs raconte quelque part que le roi Arthur concevait mentalement tous ses arrangements et les chantait à David Angel qui les transcrivait pour les musiciens de l’orchestre. Dans son Red Telephone, le roi Arthur articule de petites abysses symphoniques, il modèle des modules clairvoyants qu’il allège au maximum pour les débarrasser des contraintes morales ou esthétiques. Par contre, «Maybe The People» sonne comme un hit, monté sur une fantastique structure mélodique. Alors pour Mike Randle, c’est du gâtö, il gratte à cœur joie sur sa belle gratte immaculée, il double toute la structure mélodique en solo et crée une sorte d’intemporalité. C’est ce stupéfiant mélange de ferveur mélodique et d’incongruité qui fait la grandeur de cet art. Le roi Arthur rechausse ses dark shades pour attaquer «Live And Let Live» - There’s a bluebird sitting on the branch/ I’m gonna take my pistol - L’Art tire sur les piafs et le jeune black blond joue comme Jay Donnellan, le héros de Four Sail qui reste le plus grand album de Love. Encore une fantastique modernité de ton dans «Bummer In The Summer» gratté aux accords de Gloria et transpercé par un solo country affolant de prévarication. Booo ! Et blast encore avec «You Set The Scene», à coups de same old smile.

             Dans l’interview qu’il donne pour les bonus, le roi Arthur rend hommage à son groupe - They’re so dedicated - Il rappelle que cette musique a déjà 35 ans d’âge. En bon fayot, on s’empresse d’ajouter qu’elle n’a pas pris une seule ride. Et puis on tombe sur des bonus demented : toujours accompagné par les ex-Baby Lemonade, le roi Arthur tape un wild «7 And 7 Is», ça joue à trois grattes, le jeune black blond sur sa demi-caisse blanche, le roi Arthur sur sa strat et Rusty Squeezebox sur une Ricken. Encore plus wild as fuck, voilà «My Little Red Book», on croit rêver, tournez manège, le roi Arthur l’attaque au tambourin, back to the Sunset Strip en 1965 ! Il te fait ensuite trois solos d’harp dans «Signed D.C.», enchaîne avec «Stephanie Knows Who», avec un solo d’acid freak d’early psycehedelia, et boom, «August» tombe du ciel, le pur genius de Four Sail, restitué dans toute son intégralité magique sur scène. Il existe un morceau caché, on tombe dessus par hasard : une version longue de «Singing Cowboy», l’autre monster-hit tiré de Four Sail. Le roi Arthur fait chanter la salle. Coming after you/ Oouuhh Oouuh !

             L’autre moyen d’entrer dans le monde magique du roi Arthur est une petite box jaune qui ne payait pas de mine quand on l’a trouvée, et qui, à l’usage, se révèle déterminante. Une sorte de passage obligé pour les dévots du roi Arthur : Arthur Lee And Love. Coming Through To You - The Live Recordings 1970-2004. Au niveau de l’intensité arthurienne, on ne peut guère espérer mieux.

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             La box ne paye pas de mine, parce qu’elle est petite. Ridiculement petite, pour un personnage de la taille du roi Arthur. William Stout signe le portrait du roi psychédélique qu’on appelait autrefois the hip prince of Sunset Strip. Quatre disks : ‘the 1970s’, ‘the 1990s’, ‘the 2000s’ et ‘A Fan’s View’. On trouve rarement dans le commerce une dynamite d’une telle puissance. On a beau connaître les albums par cœur, toutes des versions live te retournent comme une peau de lapin.

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    Rien qu’avec ‘The 1970s’, t’es gavé comme une oie, mmffff mmfffff, t’en peux plus. C’est l’époque Four Sail, avec quelques cuts tirés de Forever Changes. Frank Fayad, George Suranovich et Gary Rowles accompagnent le roi Arthur. Rowles vient de remplacer Jay Donnellan qu’Arthur a viré après une shoote verbale. Arthur est un roi qui ne supporte pas qu’on lui tienne tête. Et boom, tu tombes très vite sur une version hendrixienne du «Bummer In The Summer» tiré de Forever, Fayad et son bassmatic battent la campagne. Il est encore plus volubile que Noel Redding. Et kaboom, ils enchaînent avec «August», tiré de l’autre meilleur album de Love, Four Sail. Ils font du florentin psychédélique, Gary Rowles te le monte fabuleusement en neige et le roi Arthur se fond dans la magie sonique. Boom-kaboom avec l’énorme cover de «My Little Red Book», il embrasse la niaque de la pop aux nerfs d’acier, please come back, le roi Arthur se fond cette fois dans le génie de Burt, il y ramène toutes la rémona du gaga d’L.A., et ça explose ! Ce n’est pas de la dynamite mais plutôt de la nitro. Ça saute au moindre mouvement. On est complètement dépassé par l’éclat turgescent de cette mélasse mélodico-psychédélique, Fayad et Rowles n’en finissent plus de faire exploser la magie arthurienne, c’est un cas unique au monde. Le roi Arthur te cloue vite fait «Product Of The Times» à la porte de l’église. Puis il tire «Keep On Shining» de Four Sail pour le chanter à la bonne arrache. Il y va au keep on. Tu as beau connaître ce cut par cœur, la version live te subjugue. Le roi Arthur joue sur les deux tableaux : le scorch et le groove psychédélique. On reste dans la magie scintillante de Four Sail avec «Good Times», et puis avec «Stand Out», il revient à sa passion : l’hendrixité des choses. Tu prends la basse de Fayad en pleine gueule et le roi Arthur multiplie les chutes de chant hendrixien. Le disk 1 s’achève avec un «Always See Your Face» saturé de basse et tiré lui aussi de Four Sail. On peut parler de heavyness extraordinaire, de point culminant du rock psychédélique californien. Même encore plus que californien : c’est arthurien.  

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             Le disk 2, ‘the 1990s’, est beaucoup plus calme. Le roi Arthur gratte tout à coups d’acou, souvent seul. On l’entend même siffler comme un beau merle sur «Five String Serenade». Il fait une brillante démonstration de heavy blues avec «Passing By/Hoochie Coochie Man». Puis il revient à Forever avec «Alone Again Or», il en fait une version d’une nudité absolue, presque transparente. Il en rigole, tellement c’est bon. Tu te prélasses dans l’artistry océanique du roi Arthur. On le connaît par cœur, le «Signed D.C.», et pourtant on l’écoute attentivement - Sometimes/ I feel/ So lonely - Puis il passe au fast gaga d’L.A., accompagné par les Cheetahs, avec «A House Is Not A Motel». Ça sent bon le shoot purificateur. Il faut le voir développer sa chique. Version explosive de «Can’t Explain», claquée aux wild accords de clairette. C’est à la fin du disk 2 que les Baby Lemonade font leur première apparition, avec trois cuts : «Signed D.C.», «Orange Skies» et «7 & 7 Is». Big Sound, Mike Randle injecte un power diabolique dans l’«Orange Skies», bienvenue dans l’abîme de la mad psychedelia, c’est gorgé d’arpèges dissonants, l’«Orange Skies» prend feu sous tes yeux globuleux. Encore plus dévastateur : «7 & 7 Is», le roi Arthur se transforme en Attila, il fonce à travers les plaines, il n’a jamais été aussi barbare, aussi ivre de démesure, ça joue à la vitesse maximale, légèrement au-dessus du sol.

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             Ce sont donc les Baby Lemonade de Mike Randle qu’on retrouve sur le disk 3, ‘the 2000s’. Dans son petit texte de présentation, Randle indique qu’il a accompagné le roi Arthur pendant 13 ans, avec un set essentiellement axé sur Forever Changes. En gros, c’est le son qu’on a sur le Forever Changes Concert évoqué plus haut, et c’est explosif. Le roi Arthur rappelle qu’«Alone Again Or» est signé Bryan MacLean, «my original guitah player». Boom ! Power demented ! Écrasant. Version est enregistrée dans un festival au Danemark. Celle de «Live And Let Live» est encore plus wild. Ils tapent ça au pilon des forges, curieux mélange de gros biscotos et d’arpeggios florentins, avec le solo d’acid freakout de Mike Randle. Nouveau blast avec «You Set The Scene». Pop à la Lee, avec un thème mélodique imparable. Randle allume mais le thème persiste et signe. Randle cultive le suspensif - I see your picture/ It’s in the same old frame - À l’écoute de tout ça, on réalise qu’il s’agit d’une pop difficilement accessible pour le public européen. Pourquoi ? Trop L.A., trop Strip, trop urban American. Tout Forever passe à la casserole, «The Red Telephone», «Andmoreagain», «The Daily Planet», c’est une descente aux enfers de Forever. Ce disk 3 s’achève avec le medley «Everybody’s Gonna Die/Instant Karma». Une sorte de groove universaliste.

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             Et voilà le disk 4, ‘A Fan’s View’, sans doute le plus attachant des quatre, car on y entend Bryan MacLean sur les premiers cuts, notamment un «Mr Lee» enregistré au Whisky A Go-Go. Son bordélique, mais son. Ça donne une idée de ce qu’on a pu rater. Il faut les entendre taper «I’ll Get Lucky Some Sweet Day (My Name Is Arthur Lee)» au heavy blues hendrixien. Une autre équipe joue sur «Little Wing». Le guitariste qui fait l’Hendrix s’appelle Berton Averrie. Le roi Arthur y va de bon cœur. Retour des Baby Lemonade sur «The Everlasting First», le cut mythique qu’Arthur enregistra avec son ami Jimi Hendrix. Mike Randle s’en donne à cœur joie. Il est invincible, hendrixien jusqu’au bout des ongles. Puis le roi Arthur déclare : «This is my Five String Serenade». Il la joue pour elle, pour Dianne. Encore une magnifique extension du domaine de la lutte avec «Que Vida», et puis, tant qu’on y est, effarons-nous de la présence harmonique exceptionnelle de «Listen To My Song». On entend à la suite un inédit, «My Anthem». Puis, attention, ça bascule dans le chaos des choses sérieuses avec «Robert Montgomery», tiré de Four Sail, bien fracassé au distro-power par le petit black blond Mike Randle. C’est embarqué en enfer, Randle mêle sa bave de killah kill kill aux descentes de chant du roi Arthur, tu as là l’un des blasts les plus purs de l’histoire du rock, ils atteignent une sorte de sommet, avec le génie d’Arthur Lee mêlé au génie de Mike Randle. Encore de la pop pressée et visitée par la grâce avec «Rainbow In The Storm» et ça se termine avec une version explosive de «Singing Cowboy», c’est d’un maximalisme qui bat tous les records, le roi Arthur te porte ça à bouts de bras, il dispose d’un power sonique effarant, c’est un déluge de son - Check him out, mister Miske Randle, yeah ! - Apocalyptique d’ooouhh oouuhh, et sabré par des cuivres ! Ooouhh oouuhh !

    Signé : Cazengler, Lee de la société

    Arthur Lee And Love. Coming Through To You. Box RockBeat Records 2015

    Arthur Lee And Love. The Forever Changes Concert. DVD 2003

     

     

    Inside the goldmine

    - Varner de la guerre

     

             Varnor était un jour descendu des montagnes. Sans doute élevé par des bêtes, il ne se préoccupait nullement de ce qui nous préoccupe tous, à savoir un minimum de sociabilité. Les notions de civilité et de propreté corporelle lui semblaient totalement étrangères. Il ne comprenait pas qu’on pût le saluer en lui disant bonjour. On le connaissait parce que la municipalité lui avait confié un job de balayeur, alors il balayait les rues du quartier en poussant des grognements. Il offrait le spectacle d’une trogne particulièrement ingrate, son visage était aussi bosselé que celui d’un boxeur amateur et pour couronner le tout, une mauvaise barbe et une sorte d’eczéma lui rongeaient la peau. D’épaisses arcades abritaient un regard clair. Il était bien bâti et semblait de taille à affronter n’importe quel adversaire, même un ours. Il semblait fasciné par les livres. Dès qu’il en voyait un dépasser d’une poubelle, il le ramassait. Avec les années, les gens du quartier s’habituèrent à lui, certains engageaient avec lui des petites conversations, mais il bégayait atrocement. Manifestement, les gens l’effrayaient. On sentait qu’il restait en permanence aux abois, comme une bête sauvage. Et puis, un jour, sans le faire exprès, il bouscula un homme qui sortait du bistrot, au coin de la rue de Vaugirard. L’homme exigea des excuses. Varnor ne comprenait pas. L’homme s’énerva, prenant l’attitude de Varnor pour une bravade et lui donna un coup de poing dans l’épaule. Alors Varnor s’empara du manche de son balai à deux mains et frappa l’homme en plein visage. L’homme s’écroula et Varnor continua de le frapper, jusqu’à ce qu’il eût brisé son manche de balai. Des gens tentèrent de le ramener au calme, il recula de quelques pas, et reprit sa tournée. Le seul problème, c’est que l’homme à terre était connu dans le quartier pour son appartenance au milieu. Deux semaines plus tard, l’homme blessé réapparut dans le quartier accompagné de trois gorilles. Chacun d’eux brandissait une barre à mine. Ils se dirigèrent vers le square où chaque midi Varnor prenait sa pause, assis sur un banc, au milieu des pigeons. Il ne les vit pas arriver, car il examinait l’un de ces livres récupérés dans une poubelle. Les coups se mirent à pleuvoir mécaniquement, comme au temps du supplice de la roue. Varnor s’était écroulé, mais ils frappaient encore. Son visage ressemblait à de la confiture. Ils le laissèrent pour mort. Six mois plus tard, Varnor réapparut dans le quartier pour reprendre son job. Il était défiguré. Les gens accueillirent son retour chaleureusement. Il fut touché par cet accueil. Dans l’atroce mic-mac de son visage mal cicatrisé, sa bouche privée de dents ânonnait un «me-me-me-me-mer-ci» qui vous transperçait le cœur.

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             Pendant que Varnor se faisait démonter la gueule, Varner chantait dans un micro. Contrairement à ce que pourrait laisser supposer son prénom, Don Varner n’est pas un parrain de la mafia, il n’est qu’un de ces obscurs Soul Brothers prodigieusement doués qu’il faut aller arracher aux ténèbres d’un immense underground, celui de la Soul. C’est dans les compiles qu’on coince ce genre de mec, et en l’occurrence, dans l’une des meilleures compiles de Soul qui soit ici-bas, That Driving Beat - A Collection Of Rare Soul Recordings.

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             Don Varner est bien connu des collectionneurs de Northern Soul. Il existe fort heureusement une brave petite compile RPM qui permet aux non fortunés de l’écouter confortablement : Finally Got Over ! Deep Soul From The Classic Era. Sur les 23 cuts compilés, on ne compte pas moins de 10 bombes atomiques, à commencer par «The Sweetest Story», où Don Varner semble bouffer toute la Soul, c’est puissamment orchestré, il chante comme un dieu et nous sort une Soul de génie pur. Plus loin, il attaque «He Kept On Talking» à la façon de Fred Neil, au frileux d’aube de Greenwich Village, et ce démon de Don porte ce hit signé Swamp Dogg jusqu’au paradis de la Soul, c’est d’une sensiblerie explosive, il rentre dans le lard de la pop avec tout le poids du monde, comme au temps de Peter Handke. Il attaque la comp avec «More Power To Ya», du pur jus de raw r’n’b, il chante au meilleur rauque d’Amérique, il est exceptionnel. Et ça continue avec «Handshakin’», c’est un enragé, un prodigieux shaker d’handshakin’, il noie sa Soul dans le Gospel. Ce mec groove la Soul dans le mood, il est l’une des parfaites incarnations du Black Power. Pulsé par un shuffle d’orgue, il rocke «Down In Texas» au baby take me back home. Il chante à la surface d’«I Finally Got Over» avec une puissance paranormale. Son «Power Of Love» est digne des Tempts et il rivalise de raw avec Wilson Pickett dans «You Left The Water Running», Don fait son Dan, il tape dans le dur du Penn. Il a tous les atours d’une superstar. Il tape plus loin dans «Tear Stained Face» au pire beat d’insistance, il le prend de biais pour le rendre plus dansant et ça devient de la Nowhere Soul, c’’est-à-dire une Soul qui n’est ni Southern ni Northern mais une Soul du firmament. Il tape aussi dans le «Meet Me In Church» de Joe Tex, alors inutile d’ajouter que ça monte vite en température ! Il a derrière lui les meilleurs chœurs de Gospel batch et tout le power du Black Power. Avec «Keep On Doing What You’re Doing», il passe au heavy groove de big dude. Don Varner n’entre dans l’arène que pour vaincre, il fait un peu de funk à la Stevie Wonder et c’est balayé par un vent de funk électronique. Il termine avec une fantastique triplette de Belleville : «When It’s Over», «Laying In The Gap» et «You Poured Water On A Drowning Man». C’est Eddie Hinton qui signe «When It’s Over» et Don Varner le prend au tsiwat tsiwat des Flamingos. C’est un mec fiable, il y va si on lui demande d’y aller. Il revient à son cher Gospel avec «Laying In The Gap», c’est son dada, alors il part foutre le feu à l’église en bois, le feu sacré, bien entendu. Puis il claque le dernier cut au heavy beat et on rôtit de bonheur, comme une merguez étendue sur un grill de barboque, Don Varner nous fait le coup du r’n’b qui défonce bien la baraque. Big Don is hot as hell.

             Dans le booklet, David Cole nous rappelle que Don Varner vient de Birmigham, Alabama. Il monte un jour à Chicago et chante dans des tas de clubs, il fréquente Percy Mayfield, et finalement il redescend en Alabama où un mec réussit à le convaincre d’enregistrer un single. Don Varner enregistre «I Finally Got Over», son premier single, chez Rick Hall. Puis il enregistre encore des tas de cuts au Quinvy/Broadway Sound studio, à Sheffield, Alabama. Et qui produit ? Eddie Hinton ! C’est aussi Eddie Hinton qui choisit les cuts pour Don - He was the one that was making all of the choices - Et comme ça ne marche toujours pas, le pauvre Don finit par aller s’installer en Californie. Il va hanter le circuits des clubs pendant des années, puis travailler pendant 18 mois avec Johnny Otis. Mais globalement, Don Varner n’est jamais monté sur le piédestal qui lui revient. 

    Signé : Cazengler, Varner de la gare

    Don Varner. Finally Got Over ! Deep Soul From The Classic Era. RPM Records 2005

     

    *

    Il n’était pas un chanteur de rock, il était le rock‘n’roll !

     

    La formule est belle encore faudrait-il parvenir à définir l’essence du rock ‘n’roll, tant est que les choses aient une essence – les philosophes en discutent – peut-être ne sont-elles que ce qu’elles sont, une fugitive apparence dans le domaine mouvant du possible. Ce qu’elles ont été, selon elles-mêmes, selon l’empreinte qu’elles laissent dans le monde et l’esprit de ceux qui en furent témoins  et de ceux qui en prendront connaissance.

    La destinée de Vince Taylor peut être résumée en deux mots, gloire et déchéance. Les grecs usaient de deux autres vocables, l’acmé et le déclin. Le premier diptyque fleure bon le romantisme, le culte du héros peut dégénérer en une sensiblerie pleurnicharde, pour cette raison Nietzsche proscrivait l’attitude romantique à laquelle il reprochait une approbation implicite de la mort. La formule antique nous confronte à une vision plus pessimiste du destin inhérent à tout être humain. Elle nous oblige aussi à nous interroger sur la notion de grandeur efficiente de toute existence humaine.

    VINCE TAYLOR

    L’ARCHANGE NOIR DU ROCK

    (ROCKABILLY GENERATION / H. S. N° 3 / Mai 2023)

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    Ce numéro fera date pour les fans de Vince Taylor. Mais aussi pour des amateurs de rock curieux qui ont bien entendu parlé de Vince, hélas trop vaguement pour en avoir une idée précise, souvenons-nous que Vince a déserté notre planète, voici plus de trente ans en 1991. Voici quarante-huit pages bourrées de photos légendaires mais aussi de documents plus rares, superbement mis en page par Sergio Kahz, le directeur-fondateur de Rockabilly Generation News, magazine dont KR’TNT ! a chroniqué les vingt-cinq numéros et les deux premiers Hors-séries dédiées à Gene Vincent et à Crazy Cavan parus à ce jour.  

    Le texte en son intégralité est de Jacky Chalard. La vie de Vince est racontée chronologiquement. De petits encadrés apportent quelques renseignements complémentaires nécessaires pour ceux qui n’ont pas connu les années soixante. Jacky Chalard, créateur du label Big Beat, que l’on pourrait définir comme un activiste rock, est des plus autorisés pour évoquer la tumultueuse existence de Vince Taylor, il s’est battu, avec quelques autres, bec et ongles pour le remettre en scène. Cette odyssée cruelle et terrifiante quand on y pense est une des plus belles légendes de l’histoire du rock’n’roll français.

    Vince est né en Angleterre. Son existence ressemble un peu au dieu romain aux deux visages : Janus, c’est aux Etats-Unis où sa famille s’est installée pour fuir une vie miséreuse qu’il aura par l’intermédiaire de la télévision, grâce à Elvis, la révélation du rock’n’roll, comme bien des adolescents de son âge. Mais pour lui ce sera différent. Peut-être même ne s’en aperçoit-il pas et n’en prendra-t-il conscience que quelques années plus tard. On a souvent parlé du magnétisme de Vince Taylor, bien des filles en furent les heureuses bénéficiaires. Singer Elvis n’est pas difficile, mais aspirer d’un seul coup cette grâce magique de l’Hillbilly Cat ne fut donné qu’à Vince, Vince a tout pris à Elvis, non pas son bagage musical issu du blues et du country de l’Amérique profonde et populaire, mais sa manière d’être sur scène, sa gestuelle, sa félinité, il est des savoirs instinctifs qui ne s’apprennent pas, qui ne se transmettent pas, ils se volent. Aucun gendarme ne vous arrêtera, mais c’est comme si vous avez avalé une flamme à l’intérieur de vous. Attention le feu brûle.

    Revenu en Angleterre, Vince décidera de devenir chanteur de rock. Un bon boulot pour un jeune homme désœuvré qui ne sait pas trop quoi faire. Il enregistrera trois disques. Dont Brand New Cadillac, un des plus grands classiques du rock. Est-il trop sûr de lui, un peu fantasque, en tout cas ce qui est sûr qu’il ne se fait pas que des amis avec les pontes du rock, ceux qui signent les contrats, ceux qui planifient (à court terme) les carrières…

    L’Angleterre est trop petite ( ou trop grande) pour Vince, personne ne l’attend aux States, par contre la France est une terre vierge qui ne demande qu’à être ensemencée. Vince frappe à la porte du destin, il ne fait pas parti de Duffy Power And the Bobby Woodman Noise mais il s’embarque avec eux pour Paris. Force-t-on la chance ou se présente-t-elle toute dorée sur un plateau ? Vince se sent-il le dos au mur, a-t-il l’intuition que l’occasion ne se représentera pas de sitôt, se transcende-t-il ?

    En quelques mois Vince conquiert la France. Ses concerts éblouissants et explosifs lui ouvrent toutes les portes. Il n’est pas devenu une vedette, il est La vedette. La coqueluche de la caravelle-set nationale et l’idole des blousons noirs. Barclay lui fait enregistrer à la va-vite quelques classiques du rock, et les distribue sur le marché…

    Vince sera la première victime de son succès. On lui imputera – la presse se déchaîne – le cassage du Palais des Sports ( fin 61 ), a-t-il conscience que le spectacle Twist Appeal ( Avril-juillet 62 ) aux Folies Pigalle le coupe de son public et que son image est discrètement manipulée, qu’il n’est plus tout à fait Vince Taylor, mais le produit Vince Taylor, en juin 63 il ne participera pas à la Fête de la Nation, ce n’est pas lui qui clôturera la soirée mais Johnny Hallyday.

    Une fêlure qui ne cessera de s’agrandir. Pourquoi ? Une raison simple : Vince Taylor est un phénomène, ses concerts sont magnifiques, oui mais Vince ne vend pas de disques. Barclay a beaucoup investi, en pure perte, il pensait avoir déniché le rival qui supplanterait Johnny, mais rien ne s’est réalisé comme il l’espérait. Le jeune coq agressif ne s’est pas métamorphosé en poule aux œufs d’or.

    Il ne suffit pas d’un million de manifestants pour faire tomber un gouvernement. Reste encore des millions et des millions de gens qui restent insensibles à l’esprit de révolte. En 1960, la jeunesse française a changé la donne mais les vieux étaient beaucoup plus nombreux que cette énorme bande d’allumés. Peu à peu les choses se sont calmées… Autre constatation, la France n’est pas un pays rock, certes il existe une minorité qui a su accueillir nombre de groupes ou de chanteurs que les States et les Anglais avaient rejetés ( Vince Taylor en est le parfait exemple ), mais depuis les années 80 la plus large fraction du public s’est entichée d’autres genres. Ce qui n’est peut-être pas une mauvaise chose. Une certaine clandestinité affûte les passions et pousse à la création.

    La carrière de Vince se poursuivra cahin-caha encore durant deux ans. C’est en 1965 que la catastrophe survient. Dans une soirée en Angleterre Vince avale en grande quantité, sans savoir ce que c’est, des pilules qui se révèleront être du LSD, son esprit ne redescendra jamais tout à fait… Crise de mysticisme, internement psychiatrique, errances diverses. Vince Taylor n’est plus qu’un has-been.

    Pas tout à fait. L’aura de Vince ne s’efface pas. Son magnétisme agit toujours. L’éblouissance de ses premiers concerts en France n’est pas oubliée. C’est peut-être la plus belle partie du roman de son existence. Vince n’a qu’un seul ennemi, lui-même. Des amis veillent, se regroupent, tentent de relancer sa carrière. Quelques rares instants de lucidité, des concerts magnifiques et d’autres pathétiques, il faut lire ces pages, Jacky Chalard ne cache rien, étrangement Vince en sort grandi. Un fou, un schizophrène, un maboul, tout ce que vous voulez mais qui détient une espèce de sagesse, l’est un chat qui retombe toujours sur ses pattes, un funambule qui trébuche sur le fil de la réalité, un équilibriste entre deux univers, le sien et le nôtre. 

    Jusqu’au jour où il déclarera qu’il n’a plus envie d’être Vince Taylor.

    Depuis ce jour nous sommes orphelins.

    Damie Chad.

    Attention, ce numéro tiré à 200 exemplaires est destiné à devenir très vite un collector recherché. Magazine 12 € + 4 € (poste) / Chèque à l’ordre de Rockabilly Generation News à l’adresse : Rockabilly Generation News / 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois.

     

    *

    Depuis le Hound Dog d’Elvis Presley jusques au Black Dog de Led Zeppelin en passant par le I wanna be your dog des Stooges, j’en passe et des meilleurs, le chien a toujours été le meilleur ami du rock’n’roll. Voici qu’il nous en arrive toute une meute, des cerbères à trois têtes, ce qui ne gâte rien.

    The Evil’s Dogs a déjà donné plusieurs concerts, leur logo nous permet de pronostiquer quelques aboiements féroces et enragés et nous avertissent qu’ils ne sont pas des adeptes de la musique relaxante. Mettent les choses au point sur leur FB en se définissant comme ‘’ un groupe inspiré par la mythologie nordique et la rock music’’. Leur futur premier EP ne s’intitule-t-il d’ailleurs pas Tales Of The Ragnarok ! Ne nous promettent pas un chien de leur chienne, ils nous offrent en avant-première le premier chiot de leur première portée. Nous en sommes ravis. Pardon havis !

    HAVI

    THE EVIL’S DOGS

    ( Vidéo You Tube / Mai 2023 )

    Alex Lordwood : chant / Nico Petit : guitare / Agathe Bonford : basse / Michel Dutot : drums. Izo Diop : guest guitar ( From Trust ).

    Havi est un autre nom d’Odin que l’on pourrait traduire par le Sage ou l’Initié, nous le connaissons mieux sous le nom de Wotan sous lequel il apparaît dans le cycle de L’Anneau des Nibelungen, la tétralogie de Wagner dont le quatrième volet : Le Crépuscule Des Dieux correspond à La Mort des Dieux que conte le Ragnarök de la mythologie nordique. Le Seigneur des Anneaux de Tolkien est fortement inspiré des vieilles Eddas islandaises. Mais contrairement aux récits en vieux norrois les forces du mal de Sauron perdent la bataille finale, alors que dans le Ragnarok les chiens du mal détruisent le monde des Dieux dont Odin est le chef. 

    Les lyrics d’Havi sont d’une rare densité si on les compare à de nombreuses autres évocations du Ragnarok par divers groupes de metal. En huit strophes ils nous plongent au cœur de la légende, ils commencent par évoquer l’initiation d’Odin qui à la fontaine de Mymir sacrifie son œil pour acquérir le grand savoir dont les deux corbeaux qu’ils portent sur ses épaules sont les symboles actifs, pouvant voyager l’un dans le passé du monde, l’autre dans son avenir. Odin détient le terrible secret, les dieux immortels sont mortels, ils ne sont immortels que dans le temps de leur monde, quand celui-ci périt eux-aussi périssent. ‘’On peut mourir d’être immortel’’ a écrit Nietzsche. La fin du morceau se termine sur le rassemblement des forces qui vont opposer les troupes d’Odin aux chiens du mal. Evil’s Dogs en bon anglais.

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             Je ne sais qui a eu l’idée géniale de la vidéo. A priori d’une pauvreté affligeante, le logo du groupe sur un fond noir durant les quatre minutes du morceau, oui mais il y a ces nuages de fumée que le vent apporte et emporte, l’idée non pas de la fuite du temps mais de la fin des temps odiniques. Le tout est en totale osmose et signifiance avec la vélocité du morceau. Splendeur des guitares, une course sleipnirienne échevelée au bout du monde dont la batterie de Michel Dutot reproduit l’infatigable galopade. Sur ce nappé fugitif, Alex Lordwood ne dépose pas sa voix, l’a cette intuition de faire en sorte qu’elle prenne la place des images d’un film reléguant ainsi le background musical de ses camarades à l’indispensable bande-son sans laquelle elles perdraient leur intensité. Admirable procédé alchimique de fusion non pas des contraires mais de la multiplicité des mots en l’unité organique musicale. Le groupe échappe ainsi à une grandiloquence par trop naïvement tapageuse, le plus grave des dangers dont sont atteintes trop de production metallifères. J’ai dû écouter le morceau plus de soixante fois tant il est insaisissablement magique. Tout au fond le sombre pouvoir de la basse d’Agathe Bonford, aussi profonde que l’occulte puissance de Mymir la source primordiale, Michel Dutot totalement fondu dans le chant des guitares, vous initie de rapides décélérations qui permettent la respiration architecturale du morceau, Nico Petit et Izo Diop sont à la fête, mènent le bal des ardences définitives et des brillances absolues du rock’n’roll. Enfin boule de foudre sur l’incendie le dernier tiers du morceau, Alex Lordwood dont le silence atteint à une scaldique dimension, et la course folle des guitares parfaitement maîtrisées. 

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    Merveilleusement mis en place. Un chef-d’œuvre.

    Vivement l’EP !

    Damie Chad.

     

    *

    Tenons nos promesses dans notre livraison 601 nous présentions Seasons paru en décembre 2022, or en ce mois de mai 2023 Moonstone sort un nouvel opus de six titres dont nous annoncions que nous le chroniquerions dès sa sortie. Le groupe a déjà donné aux mois de mars et d’avril en avant-première deux des titres de cet album chaque fois agrémentés d’une couverture.

    Nul besoin d’être muni d’un diplôme es études picturales pour décréter que ces deux images et la troisième qui agrémente Growth sont issues de la même main. Nous les analyserons tour à tour en le moment de leurs présentations. Invitons toutefois le lecteur à se rendre sur le FB ou sur l’Instagram de Lizard Matilda. Artiste et tatoueuse. A visionner ses réalisations vous comprendrez pourquoi elle est demandée dans les plus grandes villes de Pologne mais aussi d’Allemagne, du Pays-bas, de Norvège… Des traits d’une grande finesse, des entrelacs d’une merveilleuse sveltesse, les courbes harmonieuses dont elle orne les flancs des jeunes filles rehaussent leur native beauté. Ce n’est pas la nature qui imite l’art, selon Baudelaire, mais le serpent où les fleurs qui s’incarnent dans le corps humain, qui se transmuent en chair tentante…

    GROWTH

    MOONSTONE

    (CD – Bandcamp / Mai 2023)

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    De la faucille de la lune perle une larme de sang, lymphe astrale qui nourrit l’arbre du monde. Une image d’équinoxe sur la roue du monde, instant d’équilibre durant lequel, l’hémisphère sombre et l’hémisphère clair se rencontrent sur les limites de la terre, le ciel est noir et les profondeurs de la terre blanches. L’Yggdrasil étale aussi bien ses racines célestes vers le ciel que ses branches vers les profondeurs terrestre. Il n’est qu’un symbole, celui de l’Homme, étendant en vain ses bras impuissants dans toutes les directions, et dont la nuit de l’âme sera, pour citer les derniers mots de Gérard de Nerval, ‘’ blanche et noire’’.

    Jan Maniewski : guitar, vocal / Volodymyr Lyashenko : guitar / Viktor Kozak : basse, vocal / Kacper Kubieri : drums.

    Harvest : une guitare, une voix, un accompagnement de batterie, une ballade qui s’éternise, qui monte une route en lacets, pas trop haut car si l’on croit que l’orchestration finira par devenir dominante c’est une erreur, le morceau n’atteint pas les trois minutes, la voix reste égale, les lyrics jurent avec le titre, la récolte n’est pas opulente, elle ne correspond pas à ce que le mot promet, un arbre, une lune de sang, le sentiment d’une infinie solitude… une invitation peu enthousiasmante.

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    Bloom : Très belle illustration, l’arbre enfermé dans la prison lunaire, mais aussi dans son propre cercle, de la houppe de ses racines et celle de sa frondaison, l’arbre est coupé en deux dans l’entaille du tronc scintille une boule de lumière :  quelques notes égrenées, des gouttes de basse plombées, une batterie qui poursuit son chemin, lourde mais lente, ce qui n’ empêche pas ses roulements de prendre toute la place, bientôt relayée par un chant à plusieurs, la floraison n’a pas été plus joyeuse que la récolte, les guitares effectuent une montée en impuissance, jusqu’à l’arrêt, l’on repart plus vite, la batterie mène le train, il s’est perdu mais il a retrouvé son chemin de solitude, le chant comme un tampon d’ouate sur la plaie de l’âme, des étincelles de guitare nous avertissent qu’il ne changera pas de route, qu’il ira jusqu’au bout, une amplitude triomphale qui s’achève en grincements… Sun : encore une fois le début du morceau n’est pas en accord avec l’éclat du titre, ou alors il s’agit d’un soleil noir, un astre de peine, vocal en prière de pèlerin, la batterie semble arracher les rochers du chemin pour dégager l’avancée, règne tout de même un sentiment de sérénité angoissée, l’on ne presse pas le pas, faut prendre le temps d’écouter ce morceau plusieurs fois, pour le jeu d’attouchements de la  batterie, une fois pour la noirceur submergeante de la basse, quelques notes claires signe de sortie du marasme, dégagement ensoleillé. Night : lourdeur rythmique de la batterie, passons-nous du côté de l’hémisphère sombre, le titre nous incite à l’affirmer, et pourtant des résonnances cordiques nous apportent un démenti et même lorsque la basse s’en mêle, il n’en est rien, les lyrics proférés avec emphase nous invitent à croire que tout n’est pas noir dans l’Homme, son esprit crée ce qu’il désire, une lente cavalcade instrumentale nous force à sourire. Lust : Déploiement d’une note sombre, il ne faut jamais perdre l’espoir du désespoir, tout change si vite, la musique s’appesantit et bourdonne comme un bourdon de mort, le chœur des pèlerins qui se sont fourvoyés nous avertit que tout est perdu, la basse prépondérante ne nous laisse aucune chance, un drame se joue à l’intérieur et à l’extérieur de soi, la solitude est mauvaise conseillère, pour moi, comme pour toi. Toute luxure est une blessure.

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    Emerald : intro acoustique, notes pleines et larges, d’autres plus claires et tranchante, un chant doux se greffe sur cet accompagnement, Moonstone déploie toute son instrumentation, le chant s’intensifie, arrivent des notes lourdes de plénitude et le morceau s’embraye tout seul, le monde peut paraître froid mais la vie palpite sous cette glace apparente, une guitare chante le bonheur de reprendre et de continuer le chemin. Verdure émeraude des arbres, l’arbre s’est fait forêt, le chemin n’est pas terminé, il ne s’arrêtera jamais. Sur l’image l’arbre solitaire est le cœur d’un soleil épanoui.

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             Avec GrowthMoonstone a franchi un cap, il  atteint sa maturité, tout est merveilleusement équilibré dans cet opus, faut écouter les interventions de chaque instrument, faut même les guetter car ils donnent l’impression d’arriver juste au moment où leur intervention est nécessaire, un peu comme si le groupe avait enlevé tout ce qui aurait été de trop et ajouté ce qui aurait manqué, le disque est clos sur lui-même comme un œuf, un peu comme s’ils avaient éliminé le hasard. Prodigieux.

    Damie Chad.

     

    *

    J’aime les choses étranges, surtout celles que je ne comprends pas, du moins porteuses d’une certaine opacité, avec Xatur je suis comblé, viennent de Medellin, en Colombie. Ne nous attardons pas sur la sinistre réputation de la ville. Rien que le nom du groupe permet de gamberger, vient-il du latin, il signifierait alors, ce qui est donné, ne pensez pas au prochain cadeau que vous allez recevoir, mais à ce qui va vous tomber sur la tête, au sort funeste qui vous attend, cette étymologie hypothétique a le mérite d’être en parfaite communion avec le titre de leur premier opus.

    Grande première sur Kr’tnt !, c’est la première fois que nous présentons un groupe revendiquant son appartenance au Dungeon Synth, un sous-courant du Black Metal, né au début des années 90 en Norvège. Synth pour électronique, donjon pour les univers cruels ou merveilleux que ce mot moyenâgeux peut évoquer dans les imaginations qui aiment à s’évader dans d’autres mondes aussi cruels ou merveilleux que le nôtre…

    SICKNESS, WAR, HUNGER AND DEATH

    XATUR

    ( Album numérique sur Bandcamp / Mars 2023 )

    Maladie, guerre, famine et mort, le lecteur qui va à la messe tous les dimanches matin aura sans peine reconnu les quatre cavaliers de l’Apocalypse dont en chaire les prêtres annoncent la venue imminente depuis deux mille ans… Certains affirmeront qu’ils viennent si souvent faire un petit tour parmi nous qu’ils ne sont peut-être que des émanations métaphoriques du côté obscur de la nature humaine…

    Une belle couve, noire et rouge, à l’arrière-plan une espèce de damier de ce qui pourrait être des loges d’opéra ou d’amphithéâtre romain, avec à l’avant-plan un somptueux heaume de chevalier, digne d’un prince, ne porte-t-il pas d’ailleurs une couronne royale.

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    Wherewolf : musique hiératique, fréquences sombres, bourdonnantes, grognements de loups-garous alternés par des chœurs de moines, essaient-ils de prendre l’ascendance les uns sur les autres, s’adressent-ils un défi avant de se s’entretuer, s’élèvent les harmoniques d’un plain-chant sinistre et envoûtant, surgissent au bout d’un long moment des roulades répétées de tambours tandis que plane comme l’ombre de l’aigle de la mort sur un champ de bataille, les tambourinades se succèdent à cadences répétées.  Déboule sans préavis l’obscure splendeur de Sol negro : du soleil noir, dont la brillance obscurcit le monde, une note cristalline répétée et bientôt tournoyante, ô combien inquiétante, quelque chose d’inéluctable, une flèche qui se plante dans votre chair, arrêt brutal, en éclair nous traverse l’idée que le premier morceau décrivait l’avancée pestilentielle de la maladie à pas feutrés et celui-ci l’inéluctable stridence conquérante de la guerre.  Force with fire : lenteur mélodramatique sonore, l’on entend comme des chuchotements ou un ramassis de voix indistinctes, silence interrompu par des éclats battériaux, clignotements de notes translucides qui n’empêchent guère le doux martellement des baguettes de continuer, picotement de grêle, des voix incompréhensibles se font entendre, bruit de perceuses, ronronnements d’un bruit doux, la brosse que vous passez sur votre ventre pour apaiser les élancements de votre faim. Relato : sonorités lugubres, bruits de voix comme provenant d’une radio dont le curseur ne serait pas fixé au bon endroit de la station que l’on voudrait saisir, draperies funèbres tombent du plafond, l’angoisse vous saisit, le speaker se fait entendre il est encore difficile de le comprendre, tout à la fin l’on discerne le terme d’achèvement… serait-ce la mort ? Kansaru- ( Bajo lo occulto ) : guitare acoustique, chant à voix basse qui contraste avec le rythme enlevé, elle nous parle de la difficulté de vivre et de demeurer sur cette planète, la conscience des gens obscurcie par la peur, la souffrance, la misère et l’ignorance…Kansaru est un terme hindou qui désigne le forgeron. L’on sait comment cette antique profession, qui maniait le fer et le feu, de par sa connaissance expérimentale des éléments   primordiaux, fut à l’origine de la réflexion ésotérique, mais en-deçà de cet aspect, mieux vaudrait retenir l’idée du martelage incessant par lequel le fer soumis à rude épreuve devient objet, un peu comme l’être humain assailli par d’imparables fléaux parvient à progresser.

             Cet EP dépasse pas à peine le quart d’heure, malgré cette brièveté il s’impose comme un objet musical, un peu à part, propice à de nombreuses méditations. Nous a donné envie de visiter leur première démo.

    STAR CHAOS

    ( Bandcamp / Janvier 2023)

    Couve en noir et blanc pas très visible, qu’est-ce que cette figure qui occupe la place centrale du tableau, une tête ? de chien ? de mort ? Une boiserie atour du trône d’un roi ? Il semble avoir été un peu conçu selon un procédé anamorphosique, retenons toutefois les deux personnages à la faux qui se font face, ne les regardez pas trop longuement car le dessin se diluera en plusieurs autres formes, sur le couronnement du cadre mirez les deux gueules pirhaniques. peu avenantes qui s’affrontent

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    Intro : ( Portal of Creation ) : ne se mouchent pas avec la manche pour qualifier leur intro de portail de la création ! Remarquons que cette intro dure plus de trois minutes, considérons-là autrement qu’un simple hors-d’œuvre musical. Comment nommer cela ? Un bruissement amplifié, une douceur épanouie, un déroulement d’étoffe ou mieux : d’un tapis ordalique, une invitation à suivre ce sentier sur lequel vos pas, pas plus que votre âme, ne laissent de trace. La formule ‘’un arrêt brutal’’ messied à sa description, disons que ça s’arrête parce que l’on est arrivé au bout du bout. Open wings of Dragon : cri, la musique afflue comme le sang s’écoule d’un cou tranché, harcèlements de cymbales, serait-ce Siegfried qui forgerait son épée, de grandes orgues laissent échapper des flots de morgue, le son augmente, une écaille du monstre luit au soleil à moins que ce ne soit l’éclat d’une arme blanche brandie avec joie. Lord of the all Times : orgue en accordéon mortuaire, batterie et cymbales dissociées, une trompe entonne un refrain qu’elle se hâtera de répéter, est-ce l’annonce victorieuse d’un désastre, celui de quelque chose qui serait prête à s’effondrer, pour nous dire que la voûte du ciel étoilée n’est pas éternelle malgré les apparences, que le Dieu du temps mourra à la fin des temps. Otro (Elemental ritual of death) : sifflement sériel, une plainte violonique s’installe et grandit par-dessous le glissement infini de l’orgue, tous deux concomitants comme la mort qui accompagne toujours la vie et chemine à son côté, inflexion musicale, une plongée vers la terre, il est un autre dieu que celui qui détient les clefs du temps, celui qui ouvre les portes de la mort. Sans doute ont-elles été ouvertes car l’on n’entend plus rien.

             Belle zique, mais ces démos semblent plus disparates que le deuxième opus. Xatur ne recherche ni les effets ni la performance. Il dépose sa musique comme un papillon noir se pose sur une rose. Ce qui la rend encore plus exquise.

    Damie Chad.

     

    *

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 26 ( Additif  ) :

    148

    Dans mon rétro je vois le Chef tout chétif dans son vaste imperméable, l’a l’air d’un petit retraité qui lors de la promenade du chien profite de l’aubaine d’un banc public pour reprendre souffle, assis sur ses genoux Molossito a tout du vieux chien souffreteux, de temps en temps il se soulève pour frotter de sa tête la barbiche blanche du maître qui le caresse, une scène attendrissante qui emmène une larme émue à l’œil des rares ménagères de plus de cinquante ans qui empruntent cette rue huppée, elles leur adressent un sourire affectueux en passant près de leur couple  pitoyable. De temps en temps le maître toussote et son chien lève sur lui un regard inquiet. Le Chef n’allume pas de Coronado.

    Je me rengonce dans mon siège, Molossa invisible aux yeux des passants les plus curieux, couchée sur la moquette noire de la voiture de luxe que je viens de voler, est tout ouïe, elle analyse le moindre bruit, je peux lui faire confiance, elle me préviendra à la moindre alerte, selon nos calculs minutieux nous en avons pour deux longues heures d’attente.

    Je cherche dans la poche intérieure de mon Perfecto, l’exemplaire personnel de l’étrange grimoire parcheminé que la Mort nous a glissé à chacun, nous donnant vingt-quatre heures pour y apposer notre paraphe. Je le connais par cœur mais je ne peux m’empêcher de le relire, je plisse les yeux car l’encre grise – de la cendre des morts qu’elle a tirée d’une urne toute fraîche, comprenez encore chaude, n’est pas facile à déchiffrer. Elle nous a prévenus, l’écriture anguleuse, gothique pour employer son propre terme, elle s’est excusée de la maladresse de doigts squelettiques engourdis par les rhumatismes est difficilement déchiffrable, je me hâte de vous en livrer le contenu.

    149

    Accordance entre Moi, Madame la Mort, souveraine du Royaume des Non-Vivants et :

    Monsieur Lechef, communément surnommé Chef, responsable du Service Secret du Rock’n’roll, et son subalterne Damie Chad subalternement appelé Agent Chad, qui se prend, on ne sait pas pourquoi, pour un Génie Supérieur de l’Humanité,

    Accordance : selon laquelle je m’engage à oublier de les appeler et de les laisser vivre indéfiniment selon leurs désirs.

    Accordance : selon laquelle ces deux accordants susnommés mettront à partir du moment de leur signature interruption à leurs pérégrinations dans tous les cimetières de France, et porteront du même coup arrêt immédiat à l’enquête qu’ils poursuivent sans trop savoir où ils vont et de quoi ils se mêlent.

    Accordance : qu’en cas de refus de signature je m’engage le délai de vingt-quatre heures dépassé de les faire passer de la vie à trépas sans plus de cérémonie.

    Nos trois signatures au bas de ce parchemin faisant foi de nos engagements et de notre acceptance.

    Madame La Mort                           L. Lechef                          Agent Chad

     

    P.Scriptum : ces accodances couvent aussi la survie  indéfinie ou la mort immédiate des deux corniauds  répondants aux noms de Molossa et Molossito.

    150

    De retour au bureau le Chef avait allumé un Coronado :

    • Agent Chad, je sens le coup fourré !
    • Moi itou Chef, j’ai même l’impression à lire cette proposition comminatoire, que l’on se moque non pas de nous, mais du rock’n’roll.
    • Agent Chad je partage votre avis. Toutefois, dans votre phrase il est un mot passe-partout qui attire mon attention !
    • Chef le mot rock’n’roll ne saurait être un vocable passe-partout, c’est un mot sacré, c’est…
    • Pas d’exaltation Agent Chad, nous n’avons qu’un seul jour pour dénouer cette affaire. J’espère que vous me ferez la grâce de ne pas faire allusion à la vieille querelle des grammairiens qui débattent depuis des siècles si l’on peut classer le pronom impersonnel ‘’ on’’ parmi la liste des pronoms personnels, un sujet passionnant certes, mais se lancer dans une telle querelle ne nous ferait en rien avancer dans nos déductions.
    • Si je comprends bien Chef, vous aimeriez savoir qui ou quel ensemble de personnes je désigne lorsque j’emploie ce pronom ‘’on’’.
    • Exactement Agent Chad j’attends votre proposition.
    • A vrai dire Chef, je l’ignore !
    • Agent Chad, à franchement parler je n’en sais pas plus que vous !

    Il y eut un long silence qui me parut interminable.

    160

    Le Chef allumait un cinquième Coronado lorsqu’il rompit le silence :

    • Agent Chad, avez-vous remarqué que dans son papyrus notre vieille copine la Mort n’emploie pas une seule fois le mot rock’n’roll !
    • Oui Chef, en plus lors de notre discussion elle nous a bien fait remarquer qu’elle n’éprouvait aucune animosité particulière contre cette musique qui lui était indifférente.
    • Suivez-moi bien Agent Chad, dans cette affaire une seule solution s’impose, La Mort n’a rien de spécial contre nous, bref nous ne l’intéressons aucunement.
    • Chef, si l’univers était une partie de billard, j’interpréterais votre dernière assertion ainsi : notre amie est la boule qui sert à on ne sait qui pour nous pousser, nous pauvre petite boule du rock’n’roll innocente hors du tapis et nous faire disparaître dans le trou.
    • Agent Chad, vous devriez abandonner l’écriture de vos mémoires et vous lancer dans la poésie, votre métaphore est d’une clairvoyance sans égale, je sais maintenant où nous devons frapper, quelques coups de téléphone bien placés et nous serons fin prêts. Je m’en occupe, pendant ce temps allez voler une voiture, nous en aurons besoin.

    161

    Le museau de Molossa se presse contre mon mollet ( le droit ). Devant moi la rue est déserte, je caresse la crosse de mon Rafalos dans ma poche et appuie le bouton qui débloque l’ouverture du coffre arrière. Un coup d’œil dans le rétro sur le Chef me rassure d’une main il caresse la tête de Molossito_ le chiot fait des progrès il a lui aussi senti l’imminence du danger, peut-être Molossa lui a-t-elle envoyé un message télépathique, toujours est-il que la seconde main du Chef farfouille dans la poche de son imperméable comme s’il cherchait un susucre pour son toutou adoré.

    Je les vois, ils sont trois, deux baraqués qui en encadrent un beaucoup plus chétif en costume cravate. Ils ne jettent même pas un coup d’œil sur ma voiture, il est vrai que les vitres teintées, même celle du parebrise, me rendent invisible. Je compte doucement : un…deux…trois…quatre…cinq ! sans bruit je pousse la portière, celui de gauche, une balle de mon Rafalos lui rentre dans l’occiput, au même moment le Chef a envoyé une bastos dans le front du second garde-du corps, j’ouvre le coffre et enfourne le premier cadavre dans la malle, son rafalos collé sur la tempe du survivant le Chef l’invite cérémonieusement à prendre place à ses côtés, le gars s’exécute sans moufter, le deuxième cadavre a rejoint son collègue, peut-être devrais-je dire son ex-collègue, je m’installe au volant et démarre sur les chapeaux de roue. A mes côtés sur le siège avant Molossito remue la queue de contentement, pour la première fois il a accompli sa mission sans faillir.

    Sur le siège arrière notre otage n’a pas l’air d’aimer les chiens.

    • Ces sales clebs ont donné l’alerte, siffle-t-il entre ses dents, j’en suis sûr!

    Attention ce zigue pâteux n’est pas idiot, même dans les pires situations il ne perd pas ses facultés de raisonnement.

    Moi par contre je n’aime pas que l’on traite mes chiens de sales clebs, le suis certain que cet écart de langage lui portera malheur.

    A suivre

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 537: KR'TNT ! 537 : JOE BOYD / ROD STEWART / LEMON TWIGS / WENDY RENE / MOTHER MORGANA / ALEISTER CROWLEY / DICK RIVERS / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 537

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    13 / 01 / 2022

     

    JOE BOYD / ROD STEWART

    LEMON TWIGS / WENDY RENE

    MOTHER MORGANA / ALEISTER CROWLEY

    DICK RIVERS / ROCKAMBOLESQUES

    London Boyd

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    C’est un peu grâce ou à cause de Jac Holzman qu’on ressort de l’étagère l’autobio du Boston boy Joe Boyd, White Bicycles. Jac nomma Joe correspondant d’Elektra à Londres. Mais pour dire les choses franchement, on attaque le Boyd book avec une certaine appréhension car le nom de Boyd reste lié à la scène folk anglaise, Incredible String Band, Nick Drake et Fairport. Ce n’est pas l’univers de Mick Farren, if you see whant I mean. Et puis «My White Bicycle» n’est quand même pas la meilleure des références : ce n’est ni «Arnold Layne», ni «Strawberry Fields Forever» et encore moins «I Can Hear The Grass Grow». Dommage, car comme on va le voir, London Boyd avait aussi flashé sur les Move.

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    Chacun sait que les a-priori sont faits pour être dépassés. C’est leur raison d’être. Alors tu entres dans ce petit book la fleur au fusil et à ta grande surprise, ce texte vivifiant t’embarque aussi sec pour Cythère. Joe Boyd nous sert un cocktail surprenant, à base de vitalité du style, de background richissime, d’intelligence du regard, il frise parfois le Dylan de Chronicles, mais ce qui le hisse au niveau des grands mémorialistes que sont Robert Gordon et Peter Guralnick, c’est un sens aigu de l’histoire. Mac Rebennack dirait plutôt qu’il était au bon endroit au bon moment - The right place at the right time - Joe Boyd eut en effet la chance extraordinaire de vivre deux épisodes marquants de l’histoire du rock : le festival de Newport 65 (Dylan goes electric, accompagné par des membres du Paul Buttlerfield Blues Band), et l’UFO à Londres (découverte du Pink Floyd de Syd Barrett). Les vivre est une chose, les relater en est une autre. Et Joe Boyd nous les fait revivre comme si on y était. Voilà pourquoi il est nécessaire de lire ce petit book.

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    Voici ce qu’il dit du Newport 65 : «(Non seulement Dylan avait transformé ce festival) qui ne serait plus jamais le même, mais il avait aussi transformé la musique populaire et la ‘youth culture’. Tous ceux qui souhaiteraient raconter l’histoire des sixties sous l’angle d’un passage de l’idéalisme à l’hédomisme doivent situer le moment charnière autour de 9h30, le soir du 25 juillet 1965.» Un peu plus loin, Joe Boyd raconte qu’au moment où son ami Paul Rothchild se prépare à entrer en studio avec les Doors à Los Angeles pour enregistrer leur premier album, lui est sur le point d’entrer en studio avec le Pink Floyd à Londres pour enregistrer «Arnold Layne» - In 1966, the world was changing by the week - L’autre moment historique est le 14-Hour Technicolour Dream qui a lieu le 29 avril 1967 à l’Alexandra Palace - The underground was becoming the mainstream - avec à l’affiche Pink Floyd, Arthur Brown, Soft Machine, the Move, Tomorrow, les Pretty Things, John’s Children, Alexis Korner, the Social Deviants, Champion Jack Dupree, Graham Bond, Savoy Brown, the Creation et des tas d’autres luminaries.

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    Joe Boyd reste lucide sur l’impact des sixties et de ses idéaux : «L’idée que les drogues, le sexe et la musique pouvaient changer le monde m’a toujours semblé être d’une grande naïveté. Alors que les effets de la contre-culture grossissaient, ses valeurs se détérioraient. Alors que les revers politiques faisaient la une des journaux, les idéaux se diluaient plus tranquillement, mais quand même de façon marquante pour ceux qui le voyaient.» Joe Boyd fait bien sûr mention d’Altamont et d’autres faits divers, mais ce qui le choque le plus dans la dérive de la contre-culture, c’est cette image anecdotique tirée d’un roman de Michael Herr (Dispatches) : dans les hélicos, les mitrailleurs de l’armée américaine s’amusant à buter des fermiers vietnamiens pour le plaisir tout en écoutant Dylan et Hendrix sous leur cockpit headphones. Pour Joe Boyd, cette image met définitivement fin au mythe des sixties - That finished off what remained for me - Et il ajoute : «Aujourd’hui, quand les modes musicales changent, (les murs de la ville ne tremblent plus), ils sont couverts d’affiches publicitaires vantant les mérites de superficially subversive artists.» Joe Boyd nous épargne la liste des noms. On les connaît. Berk.

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    S’il craque pour Londres, c’est parce qu’en 1964, il se trouve à l’Hammersmith Odeon. À l’affiche, les Animals, les Nashville Teens, et les Swinging Blue Jeans qui ont comme invités Chuck Berry et Carl Perkins. Et là, Joe Boyd voit un truc incroyable : «White teenage girls screaming ecstatically at Chuck Berry», c’est-à-dire le pire cauchemar de l’Amérique, des blanches qui s’éprennent d’un nègre ! Mais ce n’est pas tout. Joe Boyd reconnaît une silhouette familière derrière le rideau, sur le côté de la scène. John Lee Hooker ! La nouvelle se répand vite fait dans le public. Des gamines commencent à crier : «Quoi ? John Lee ? Où ça ?». Et tout le monde se met à réclamer John Lee. John Lee ! John Lee ! Alors là, Joe Boyd est complètement scié : «C’est à ce moment-là que j’ai décidé de m’installer à Londres et de produire de la musique pour cette audience. En comparaison, America was a desert. Ces jeunes Anglais n’étaient pas une élite privilégiée, they were just kids, Animals fans. Et ils savaient qui était John Lee Hooker ! Aucun blanc en Amérique en 1964, excepté mes amis et moi, ne savait qui était John Lee Hooker.»

    À un moment donné, Joe Boyd a des ennuis avec la justice anglaise à cause des drogues. Joe Boyd n’est pas Keef, rassurez-vous, mais l’épisode lui a permis d’observer que la justice, anglaise comme américaine, s’en prend exclusivement à ce qu’il appelle the underclasses : «Pendant les sixties, les autorités s’effrayaient de voir autant de kids respectables prendre des drogues. À leurs yeux, c’était la fin de la civilisation. Aujourd’hui, les traders sniffent de la coke, des millions de kids prennent de l’ecstasy chaque week-end et la société continue de fonctionner normalement. Alors les autorités peuvent se concentrer sur les pauvres qui sont toujours aussi dangereux, en utilisant les lois anti-drogues à des fins d’intimidation et de rétribution.» Bien vu Joe !

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    Avant de débarquer à Londres, Joe Boyd fait aux États-Unis un parcours d’amateur sans faute. Dans les early sixties, il commence par bosser comme tour manager pour George Wein, le boss du Newport Festival : Joe accompagne en tournée les artistes de blues, de ville en ville, à travers les États-Unis, comme par exemple Sleepy John Estes et son harmoniciste Hammy Dixon.

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    Voici une belle anecdote : ils roulent toute la nuit et en arrivant à Syracuse, dans l’État de New York vers 8h45, ils voient un bar ouvert. Chouette ! Joe pense pouvoir entendre des histoires sur Robert Johnson et les Beale Street Sheiks pendant le petit déjeuner, mais ses espoirs fondent comme beurre en broche avec les bouteilles de bourbon qu’il doit acheter pour Sleepy John et Hammy - They were drunk by 9.30 and out cold by ten.

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    Joe Boyd accompagne aussi en tournée Brownie McGhee, Sonny Terry et le Reverend Gary Davis. Ils se produisent dans les coffee houses et les folk blues festivals - Originaires de Caroline du Sud, Brownie et Terry avaient suivi Leadbelly on to the 1940s folk circuit - Puis Joe nous brosse des trois personnages des portraits extrêmement pertinents : «Brownie était un habile finger-picking guitarist. Il était assez rond. Il marchait avec une cane et boitait. Derrière son apparente politesse, il y avait une énorme amertume : le fait d’avoir joué pendant des années pour des publics blancs avait laissé des traces. De son côté, Sonny était le génie du rural blues harmonica. Il était aveugle de naissance. Il était si gentil et si déférent derrière ses lunettes noires qu’on ne savait jamais ce qu’il pensait. J’ai découvert qu’une fois sortis de scène, Brownie et Sonny ne pouvaient pas se supporter. La seule chose sur laquelle ils arrivaient à se mettre d’accord, c’est qu’ils ne voulaient aucun contact avec le Reverend Gary, sans doute à cause d’une histoire ancienne.» Joe passe ensuite au Reverend Gary Davis, aveugle lui aussi. Pendant l’entre-deux guerres, il a sillonné les routes et prêché dans tout le Deep South. C’est dans le Bronx new-yorkais qu’on a découvert nous dit Joe «ses monumental skills in a long-forgotten ragtime picking style», et des tas de petits blancs sont venus chez lui prendre des cours de guitare - Gary avait une sacrée allure. Son menton était couvert de chaume gris. Il portait un chapeau fatigué et un vieux costume noir tout froissé. Quand ses lunettes noires glissaient sur son nez, on voyait le blanc de ses yeux d’aveugle. Un matin au breakfast, il horrifia Rosetta Tharpe et son mari/manager Russell : il attrapa d’une main tremblante l’œuf sur le plat qu’on venait de servir, le positionna au dessus de sa bouche ouverte, et, alors que le jaune d’œuf s’écoulait goutte à goutte sur sa chemise, il l’enfourna d’un bloc. Le blanc dégoulinant de graisse dépassait encore de sa bouche alors qu’il était en train de mâcher.

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    Joe Boyd adorait ces vieux personnages hauts en couleur, mais il avoue que de se s’occuper du Reverend Gary était un boulot à plein temps. Pour lui, il n’existait pas de meilleurs guitaristes que Sister Rosetta Tharpe et le Reverend Gary Davis. Joe accompagne aussi Rosetta en tournée, une Rosetta qui dit un jour à Joe : «By the time I was eighteen, I had my boots laced on up to my hips !». Quand elle eut des hits dans les années 40, Rosetta put acheter une maison avec son mari Russell à Philadelphie. Rosetta portait aussi nous dit Joe «une perruque rouge, un manteau de fourrure et des talons hauts. Elle était déjà allée jouer plusieurs fois en Europe» - Se retrouver assise pour le breakfast à côté du Reverend Gary, le genre d’homme qu’elle avait croisé 35 ans plus tôt sur les routes poussiéreuses de l’East Texas, ça n’était pas du tout ce qu’elle imaginait en acceptant de participer au Blues and Gospel Caravan qui allait débarquer en Angleterre. Encore un moment historique au crédit de Joe Boyd, qui en est l’un des acteurs, puisqu’il en est le tour manager - La tête d’affiche de la tournée était Muddy, un homme d’une extraordinaire dignité. Il se tenait très droit et s’habillait sharp. Il portait toujours un fedora, une petite cravate grise et une chemise blanche immaculée. Son regard était bon, mais il restait prudent avec moi - Joe Boyd vénère aussi the ceremonial priest of an exotic religion, Roland Kirk, «blowing continuous arpeggios in three-part harmony usisng his circular breathing technique».

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    Comme Joe grenouille dans le milieu des musicologues du blues, il finit par croiser ces deux croisés de la musicologie que sont Alan Lomax et Harry Smith. Lomax est allé dans les campagnes les plus reculées des Appalaches et du Deep South pour enregistrer ce qu’il appelle the field recordings. Quant à Harry Smith, il est connu dans le monde entier pour son masterful Anthology Of American Folk Music. C’est lui qui a enregistré Bukkah White. Et là Joe Boyd devient fascinant, car il nous dit pourquoi ces deux hommes sont tellement différents, cette différence qui existe entre l’avant-garde (Smith) et la old guard (Lomax), une différence qui allait conduire au fameux clash de Newport 65 : «Lomax était un ours, un coureur de jupons, un homme sûr de lui et de ses théories à propos de l’interconnexion entre les musiques des divers continents. En allant avec son magnétophone fréquenter les bagnards des chain-gangs du Mississippi et les Italiens qui exploitaient des champs de tabac, il avait développé des manières un peu rudes. Quant à Smith, il était devenu accidentellement collectionneur d’enregistrements de musique traditionnelle. C’était un homosexuel qui tournait des films expérimentaux, qui parlait plusieurs Native American languages et qui fumait fréquemment des joints. Sa collection de disques recouvrait presque entièrement le sol de sa chambre au Chelsea Hotel, pas très loin de l’appartement de Lomax on the West Side. Les chanteurs de folk new-yorkais préféraient les field recordings de Lomax, alors les musiciens de Cambridge, Massachusetts, préféraient les 78 tours commercialisés par Smith : Big Bill Broonzy, Jimmie Rodgers, the Carter Family et Blind Lemon Jefferson furent des stars des années 20 et 30 pour des raisons évidentes. Leur dimension artistique surpassait de très loin celles des amateurs qu’enregistrait Lomax. Alors Lomax voyait d’un sale œil cette commercialisation. Lors d’un dinner party à Londres dans les années 80, je lui fis remarquer que les folkloristes et les producteurs étaient des professionnels qu’on payait pour enregistrer de la musique destinée à un public ciblé. En guise de réponse, il m’invita à sortir pour continuer le débat à coups de poings.»

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    C’est à Cambridge, Massachusetts, en 1963, que Joe Boyd entend chanter Bob Dylan pour la première fois : «Je suis tombé au sol comme si on m’avait assommé. Pendant un long moment je n’ai pas pu bouger, et j’en avais les larmes aux yeux. (Ça se passait quelques mois après la crise des Missiles à Cuba). Aussitôt après ‘Hard Rain’, il enchaîna avec ‘Masters Of War’. Dans la petite pièce, la voix nasale de Dylan et son strumming de guitare vous enveloppaient.» Joe voit Dylan évoluer rapidement entre 1963 et 1965, il le voit échapper aux chapelles et prendre une avance considérable, prêt nous dit Joe à lancer l’assaut final sur la forteresse de l’American popular music - The next time our paths crossed, at the ‘65 Newport Folk Festival, I would help him storm the citadel - On est ravi que deux esprits aussi brillants se soient rencontrés.

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    Plus loin, Joe Boyd compare les deux cultures : l’anglaise et l’américaine. Il observe que les Anglais qui montent un groupe sont souvent plus originaux que ne le sont leurs collègues américains, trop respectueux de leurs racines musicales pour les recréer - Dylan, always the exception, was almost British par son insouciance, sa grâce vocale et la fluidité de sa technique de jeu - Et là, Joe Boyd pousse fabuleusement son raisonnement : «Dans une interview, Keith Richards explique qu’il n’avait au moment de sa rencontre avec Jagger qu’un seul EP, un EP que je connais bien sur Stateside, sous licence Excello, avec Slim Harpo d’un côté et Lazy Lester de l’autre. À force de l’écouter, ils ont rincé cet EP jusqu’à la corde. C’est une façon de voir les Stones comme une South-East London adaptation of the Excello style. S’ils avaient eu plus de disques, leur musique aurait sans doute été moins distinctive.» C’est sa façon de rendre hommage aux Anglais et à leur sens inné de la recréation.

    Quand il débarque pour la première fois à Londres au printemps 64, Joe voit les Pretty Things sur scène - I was impresssed, not so much by the derivative music, but by the show - Il trouve Phil May très efféminé. Plus tard il deviendra ami avec Phil et fera deux découvertes : «Un, l’autre talent de Phil est le tennis, dans les années 80, il m’a appris à améliorer mon revers. Et deux, Phil a toujours été bisexuel.»

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    C’est là que Joe Boyd apporte un éclairage fondamental sur la découverte du Paul Butterfield Blues Band : il se trouve un soir dans un club de McDougal Street, the Kettle of Fish, pour voir jouer Son House - the latest blues legend to emerge from the mists of history - À la même table, se trouve l’un des héros de Joe, Sam Charters, l’auteur de The Country Blues. Joe dit à Sam qu’il part à Chicago, mandaté par son boss George Wein pour rencontrer Muddy, et Sam lui dit : «Well there’s a band there you have to hear.» Joe se marre : «C’mon Sam, je sais tout de Magic Sam, de Buddy Guy, d’Otis Rush et de Junior Wells», des gens précise-t-il qui étaient alors encore inconnus. Et Sam lui dit non, «c’est un groupe avec des white kids et des black guys, led by an harmonica player called Paul Butterfield». Sam insiste pour que Joe aille les voir. Et il lui donne le nom du bar où joue ce groupe. Le lendemain matin, Joe appelle Paul pour lui raconter cette histoire. Paul prend l’avion pour Chicago immédiatement. Joe de son côté voyage en bus et arrive un peu plus tard. Bizarrement, cette info n’apparaît pas dans les deux Elektra books. Rothchild ne dit pas que l’info sur Butter venait de Joe, via Sam Charters. Joe et Paul se retrouvent donc dans ce bar de Chicago et quand Joe arrive, il voit Paul et Butter en train de se mettre d’accord sur les termes d’un contrat. Et quand Joe voit enfin jouer Butter, il est sidéré : «It was Chicago blues, hard edged and raw with nothing folk or pop about it.»

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    Retour au Newport 65. C’est Peter Yarrow de Peter Paul & Mary qui impose Butter au comité du festival. Les gens du comité sont attachés aux traditions et ne veulent pas entendre parler de modernité ni d’électricité. Joe : «Peter Paul & Mary étaient managés par Albert Grossman, l’ancien propriétaire d’un club de blues à Chicago qui était devenu l’équivalent américain de Brian Epstein. D’anciennes photos nous montrent un Grossman avec des petits yeux derrière des verres sans montures et vêtu d’un costume cravate. Depuis, ses cheveux étaient devenus gris et il portait des jeans. C’est Sally, sa femme, qu’on voit sur la pochette de Bringing It All Back Home avec Dylan. Grossman avait conduit Peter Paul & Mary au succès et il se préparait à y conduire Dylan.» Dans ce chapitre qu’il faut bien qualifier d’historique, Joe apporte des éclairages capitaux : «À l’exception du loyal Yarrow, le comité organisateur du Newport Folk Foundation haïssait Grossman.» Lomax qui faisait partie de ce comité organisait son Blues Workshop en marge du festival proprement dit. Il y programmait cette année-là Robert Pete Williams et Son House. Butter devait suivre et comme Yarrow l’avait imposé, Lomax l’avait accepté de mauvaise grâce. Alors pour introduire le set de Butter, il annonça some kids from Chicago qui ont besoin de tout un équipement électrique pour «essayer de jouer le blues». Grossman qui était aussi le manager de Butter était furieux. Au moment où Lomax passa devant lui, Grossman lui lança : «That was a real chicken-shit introduction, Alan», et Lomax bouscula Grossman. Puis, comme si ça ne suffisait pas, Lomax convoqua une réunion d’urgence du comité d’organisation, sans prévenir Peter Yarrow, bien sûr, pour un vote d’urgence : il voulait que le comité bannisse Grossman du festival - His crimes included not just the ‘assault’ on Lomax but being a source of drugs - Quand George Wein fut mis au courant de ce vote, il expliqua au comité qu’on ne pouvait pas virer Grossman, car tout le monde allait se barrer avec lui : Dylan, Peter Paul & Mary, Odetta et Butter, c’est-à-dire toutes les plus grosses stars du festival. Mais à ce moment-là, le pire est encore à venir : Dylan va passer à l’électricité ! Joe Boyd profite de l’épisode pour expliquer que Pete Seeger n’a jamais tenté de couper les câbles de la sono à coups de hache. Cette histoire dit-il est inventée de toutes pièces. Elle servait juste à illustrer le combat que se livraient les conservateurs et les modernistes.

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    Sur scène, c’est Joe qui branche Dylan. Al Kooper et Barry Godberg (keys), Mike Bloomfield (guitar), Jerome Arnorld (bass), Sam Lay (beurre) et Dylan montent sur scène pour l’un des épisodes les plus cruciaux de l’histoire du rock américain. Joe vérifie tous les réglages - Quand les musiciens furent prêts, j’envoyai mon signal au flashlight. The introduction was made, the lights came up and ‘Maggie’s farm’ blasted out in the night - Et Joe se rue devant la scène, dans la fosse réservée à la presse, pour suivre le concert - Si on le compare aux standards actuels, le son n’était pas très fort, mais en 1965 ce fut sans doute the loudest thing anyone in the audience had ever heard - Quelqu’un vient taper sur l’épaule de Joe pour lui dire qu’on veut lui parler dans le backstage. Alors il y va et tombe sur Lomax, Pete Seeger et Theo Bikel, furieux tous les trois : «Nous devez baisser le son, c’est bien trop fort !». Joe leur dit qu’il ne peut rien faire et qu’il faut aller à la régie. Ils lui ordonnent d’y aller pour faire baisser le son. Mais la régie, c’est Grossman, Yarrow et Rothchild qui trouvent eux que le niveau du son et bon - Tell Alan que le son est bon et dis-lui aussi qu’il aille se faire foutre - Yarrow accompagne l’injonction d’un doigt. Grossman et Rothchild éclatent de rire alors que Joe repart avec le message pour Lomax. Et c’est là que Joe Boyd, fabuleux écrivain et témoin de son temps, écrase le champignon : «Des paroles de chansons en roue libre, un mépris total des convenances et des valeurs établies, le tout accompagné by a screaming blues guitar and a powerful rhythm section, played at ear-spliiting volume by young kids. En 1965, les Beatles chantaient encore des chansons d’amour et les Stones jouaient a sexy brand of blues-rooted pop. Dylan c’était différent. THIS WAS THE BIRTH OF ROCK.» Et Joe ajoute : «Dylan avait laissé tomber the dialectic world of politic songs. Il chantait à présent his decadent, self-absorbed, brillant internal life. Il termina avec ‘It’s All Over Now Baby Blue’, crachant ses paroles avec le plus profond mépris à la gueule de the old guard.» Ces pages de Joe Boyd sur Dylan valent bien celles que Mick Farren lui consacre dans Give The Anarchist A Cigarette. Ils ont tous les deux perçu le génie de Dylan, un phénomène artistique qui est resté depuis lors inégalé. Ces trois books, le Farren, le Boyd et le Chronicles de Dylan appartiennent à la même communauté de pensée.

    Pour le remercier de l’avoir mis sur le coup de Butter, Paul Rotchild décroche un job pour Joe chez Elektra : Jac a décidé d’ouvrir un agence à Londres. Joe doit donc démissionner de son job pour George Wein. Sa mission à Londres va consister à découvrir de nouveaux talents pour continuer de moderniser Elektra.

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    Le premier groupe sur lequel Joe flashe, ce sont les Move. Chaque fois qu’un Américain débarque à Londres pour y séjourner, Joe l’emmène voir les Move au Marquee : John Sebastian, Zal Yanovsky, Paul Butterield, Mike Bloomfield, Jac Holzman, Phil Ochs et quelques autres y ont droit. Pour Joe, les Move sont aussi balèzes que les Who ou Hendrix qui ont été les révélations de Monterey : «Les Move étaient des ambitious working-class kids from Birmingham qui n’avaient aucune envie de révolutionner le rock, de prêcher l’amour et la paix ou de promouvoir les états seconds, tout ce qu’ils voulaient, c’était devenir riches et célèbres.» Joe fait un portait spectaculaire d’Ace Kefford, skeletal albino face - Ace went for the most powerful nail-your-chakras-to-the-seat-of-your-pants bass lines - Il voit Roy Wood comme un shaman-in-chief et Trevor Burton comme the innocent looking-one. Il qualifie leur musique de beer-drinker’s psychedelia - They made a far superior fist of deconstructing soul tunes than did Vanilla Fudge a year later - Alors Joe emmène Jac voir les Move dans leur loge à l’Edgbaston Mecca Ballroom. Il nous décrit la scène, et c’est comme si on y était : «(Cramped in the small room), Jac Holzman à la fois intimidant et impressionné, moi très sérieux, le Fagin-like Secunda and the monosyllabic Move. L’homme qui avait signé Jim Morrison et Arthur Lee était bien trop éloigné de son monde pour faire impression sur les Move.» Dommage. Les Move sur Elektra, ça aurait été le fin du fin, avec Love et les Doors.

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    À Londres, Joe Boyd croise donc ceux qu’il appelle les thugs - Les Thugs comme Grant et Don Arden ressemblaient à Lee Marvin dans Point Blank. Les exécutifs des maisons de disques installés dans leurs beaux bureaux n’imaginaient pas que des gens comme Grant et Arden pussent être aussi vicieux et aussi brutaux. Alors ces ronds de cuir acceptaient n’importe quoi parce qu’ils avaient peur. L’Américain qui suivait tout ça de près était bien sûr David Geffen - Selon Joe, il n’existait pas d’équivalent de ces thugs aux États-Unis. Les gens du Brill n’étaient absolument pas capables de gérer des artistes qui écrivaient leurs propres chansons et qui prenaient de l’acide. Comme Joe Boyd s’intéresse de près aux Move, il croise bien sûr Cordell & Secunda - Cordell & Secunda formaient la plus dépareillée des paires, mais ils eurent pas mal de succès entre 1966 et 1968 avec les Move, Procol Harum et Joe Cocker. Secunda venait de South London et avait grenouillé durant les early sixties dans le milieu du catch professionnel. Secunda était un gros dur de bandes dessinées, a reptilian hustler qui se vantait de ses séjours au placard. Il était vif d’esprit et doté d’un sinister charm. Cordell était aussi pimpant et relax que Secunda était moite et intrigant - Joe Boyd compare l’invasion du music biz par tous ces affairistes à l’invasion de l’Empire romain par les Wisigoths et les Ostrogoths : Lambert & Stamp (qui suivaient les traces d’Andrew Loog Oldham), Stigwood (qui se servait de Cream pour organiser l’avenir de Clapton), Mike Jeffreys (Joe l’écrit mal, il s’agit de Mike Jeffery, qui avait mis le grappin sur Chas Chandler et Jimi Hendrix), Chris Blackwell (masterminder de la carrière de Stevie Winwood), Chris Wright & Terry Ellis (Jethro Tull et Ten Years After), Peter Grant (Led Zep) - The Move en ratant leur conquête de l’Amérique, étaient l’exception - Oui, car Joe Boyd était convaincu que les Move pouvaient conquérir l’Amérique. Comme il est à Londres pour signer des groupes sur Elektra, il constate à un moment que pas mal d’occasions lui ont glissé entre les doigts : Stevie Winwood (à cause de Chris Blackwell), Cream (à cause de Robert Stigwood), Pink Floyd (à cause de Bryan Morrison), the Move et Procol Harum.

    C’est Joe qui rend le Pink Floyd célèbre à Londres dès 1966. Le Floyd n’est alors qu’un blues band fraîchement débarqué de Cambridge, mais Joe les trouve intéressants. Il fait écouter une démo du Floyd à Jac, mais Jac n’accroche pas. Tant pis. Alors que Joe cherche un autre label, Bryan Morrison lui brûle la politesse en emmenant le Floyd chez EMI. Comme Syd et les autres ont besoin de cash pour s’acheter une van, ils signent aussitôt pour récupérer l’avance. Cet échec laisse Joe assez amer.

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    Avec son copain John Hopkins, alias Hoppy, ils montent l’UFO fin 1966, parce qu’ils n’ont plus un rond. Joe ne bosse plus pour Elektra et Hoppy a cessé de travailler comme photographe pour International Times. L’UFO est au 31 Tottenham Court Road, sous une salle de cinéma. Le club est ouvert chaque vendredi soir de 10 h à 6 h du matin. Le soir de l’ouverture, le 23 décembre 1966, ils sont surpris de voir arriver autant de monde. En quelques mois, l’UFO fait connaître nous dit Joe «Pink Floyd, Soft Machine, the Crazy World of Arthur Brown, light-shows, tripping en masse and silk-screen psychedelic fly-posters». Hoppy et Joe louent le local à Mr Gannon, un homme charmant. Un soir, il prend Joe à part pour lui dire qu’il a le sentiment que certaines personnes fument de l’herbe - There’s a few people smokin’ dope in here - avec un trémolo à l’endroit du o de dope, nous dit Joe. Il répond alors à Mr Gannon : «Well, Mr Gannon, I can’t say this with absolute assurance, but I certainly hope you are mistaken.» Et Mr Gannon prend avec philosophie la répartie du Joe : «Well that’s as may be, and that’s as may be not, Joe. But all the same, je pense que ce serait une bonne idée de mettre le ventilateur en route.» Une fois que Bryan Morrison lui a barboté un Floyd qui est train de devenir énorme en Angleterre, Joe n’a plus qu’une obsession : trouver la groupe capable de remplacer le Floyd et de remplir l’UFO chaque vendredi. Tony Howard qui fait partie de la Morrison Agency revient vers Joe et lui propose de faire la paix. En signe de bonne volonté, il propose à Joe deux groupes gérés par l’Agency en remplacement du Floyd : Tomorrow et les Pretty Things. Alors Joe flashe sur les Tomorrow et ses concerts explosifs. D’où le titre de son récit. Avec son sens aigu de l’histoire, Joe estime les sixties vont de l’été 1965 jusqu’en octobre 1973 et connaissent leur pic le 1er juillet 1967 avec un set de Tomorrow at the UFO Club in London.

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    Joe croise aussi le chemin de Mick Farren et des Social Deviants. C’est Hoppy qui insiste pour que Joe vienne les voir répéter. Le résultat, c’est que Joe les trouve mauvais - Mick’s singing was devoid of melody and his group could barely play their instruments - Joe ne veut pas d’eux à l’UFO. Hors de question. Il dit à Hoppy qui insiste : «The Deviants would play UFO over my dead body.» S’ils veulent jouer à l’UFO, ils devront passer par dessus mon cadavre. C’est sans appel. Mais Mick Farren va se rendre indispensable en filant un coup de main aux entrées - Mick and his boys became a key part of my support team - Puis en avril 1967, Joe cède et laisse jouer les Deviants sur scène.

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    À la même époque, Joe entre dans sa période Incredible String Band, un duo folky folkah qu’il réussit à rapatrier sur Elektra. Jac en pince pour le folk, alors pas de problème. Joe pense que The Hangman’s Beautiful Daughter paru en 1968 est le meilleur disque qu’il ait produit. Alors autant prévenir les ceusses qui ne le savent pas : il faut vraiment aimer le folk pour entrer là-dedans. Dès «The Minotaur’s Song», on note une absence complète de magie et de mélodie. Mike Heron et Robin Williamson font dans le moyenâgeux. Il ne se passe rien. Mais les amateurs de folk obscur vont y trouver leur bonheur. Au fil des cuts, on observe que messires Heron et Williamson ne font aucun effort pour se rendre plus sympathiques. L’album tourne au cliché folk anglais. «Waltz On The New Moon» sonne comme une pauvre giclée de néant. On entend un glou glou dans «The Water Song», une chanson de troubadours. On est loin des Pink Fairies. Er avec «There Is A Green Crown», on est loin de Third World War. Pourtant c’est le même pays. L’album se réveille un peu avec «Swift At The Wind», un weird cut chanté à la plainte récurrente sur fond de gratté apoplectique. Le chant se veut immersif et la tendance est à la déchirure. Mais c’est vraiment tout ce qu’on peut en dire.

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    Le premier album d’Incredible String Band sur Elektra date de 1966 et n’a pas de titre. C’est du folky folkah pur et dur. Aucun espoir d’en sortir. La flûte double les coups d’acou, c’est assez rupestre, tout en restant soigneusement bucolique. Ils font même du festif de zyva mon gars avec «Schaeffer’s Jig». C’est le genre de truc qui doit faire baver Jac. Du vrai pur et dur à la mormoille. On ne saurait imaginer ni plus pur, ni plus dur. Heron et Williasmson sont dans leur petit monde bien hermétique. Ils attaquent «The Tree» à la flûte antique puis ils se prennent pour des mineurs du Kentucky avec «Empty Pocket Blues». C’est assez pointu car joué en picking des Appalaches. Ils font pas mal de fake Americana, et plus on écoute l’album et moins on leur fait confiance. On a l’impression avec «Niggertown» qu’ils prennent les gens pour des cons.

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    Paru l’année suivante, The 5000 Spirits Or The Layers Of The Onion est beaucoup plus intéressant, pour au moins trois raisons valables. À commencer par «Painting Box», un joli festival de gratté de poux, ah ça gratte sec dans le coin du springtime ! Ils grattent à la petite excédée avec une flûte en contrefort, et ça donne un mish mash assez puissant. Ces deux mecs sonnent comme les surdoués du régiment. L’autre point fort de l’album s’appelle «First Girl I Loved», une country pop anglais de niveau nettement supérieur. Il y a une fantastique énergie dans ce gratté de poux, c’est lui le gratté qui fait la grandeur du duo et ça devient tétanique car c’est bourré de feeling. Ils remontent aussi «Way Back In The 1960s» au country rock de String Band. C’est vraiment excellent, quel fabuleux brouet de fake Americana ! Non seulement ces deux Anglais se prennent pour des Américains, mais ils en ont en plus les moyens. Leur gratté de poux est sans doute le plus puissant d’Angleterre, c’est même trop américain pour être vrai. On comprend mieux pourquoi Joe a flashé sur eux. Les crin-crins inexorables de «Chinese White» ont dû plaire à Jac et le «No Sleep Blues» flirte avec Fred Neil. Ils sont dans une certaine richesse, un mélange de tradi Bribrit et d’Americana. Ils aiment bien jouer le cul entre deux chaises. Mais il faut leur reconnaître un sens aigu de la musicalité. Avec «The Mad Hatter’s Song», on les voit noyer leur soupe dans une psychedelia du tiers monde, c’est très étrange, ils soulignent leur do what you can aux instruments antiques. Ils adorent gratter de la fake Americana au bord de la Tamise. Leur parti-pris est de bousculer les préjugés, comme le montre «The Hedgehog’s Song». On finit par se faire avoir en beauté. Ces deux mecs sont beaucoup trop doués.

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    Sur le double album Wee Tam And The Big Huge paru en 1968, on trouve encore pas mal de petites friandises, notamment ce chef-d’œuvre fake Americana qui s’appelle «Log Cabin In The Sky». Il jouent ça au washboard et ça marche. Ils font ensuite de la dentelle de Calais avec «You Get Brighter», une dentelle de Calais florentine, bien détachée dans la lumière, c’est l’apanage du folk anglais. Comme souvent dans les trips, le mec ne lâche pas la rampe. Ils passent aux drug-songs avec «The Half Remarkable Question». Mike sort son sitar et Robin gratte ses poux, on se croirait à Marrakech. Ils ramonent bien les artères de la médina. Et comme le sitar favorise la montée au cerveau, ça devient de la pâmoison à rallonges. Joe nous dit que les String Band sont adeptes de la Sciento, mais on voit bien avec «Air» qu’ils sont aussi dans la dope. Ils font un peu d’orientalisme avec «Puppies», mais de l’orientalisme joyeux. Si on écoute ces albums, c’est uniquement parce que Joe Boyd dit avoir été remué, et comme c’est un homme de goût, on lui fait confiance. Mais il faut savoir se montrer patient. Avec son mélange de coups d’acou et de sitar, «The Yellow Snake» est presque beau, mais pour «Ducks On A Pond», ils partent en mode Bécassine. Une autre paire de manches.

    L’autre grand amour de sa vie de découvreur/producteur, c’est Nick Drake - There was something uniquely arresting in Nick’s composture - Joe pense que sa musique est «mystérieusement originale» et sa technique de guitare «complexe».

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    On comprend qu’il se soit passionné pour Nick Drake. Il suffit d’écouter les deux albums qu’il produisit pour Nick à Londres, Five Leaves Left en 1969 et Bryter Layter en 1971. Sur le premier se niche une véritable merveille d’intimisme Drakien, «The Toughts Of Mary Jane». Nick la nique à la magie pure, il a une façon unique d’instaurer son doux règne, c’est un mélange de magie et de brume, comme chez Robert Wyatt, c’est très pur, très rêvé, très attardé. On retrouve cette magie dans «River Man», gonna see the river man, Nick Drake fait régner une ambiance douceâtre et tiédasse, tout émane de sa voix et de sa façon de gratter ses poux. C’est violonné au plus mauve du crépuscule des dieux. Il crée l’ambiance à chaque retour de manivelle, avec un ton unique, une réelle chaleur de ton, c’est forcément inspiré, même si on ne court pas après le folk. Nick Drake ne travaille que dans la mélancolie fortement arpeggiée et donc mythifiée. Sa mélancolie est purement baudelairienne, elle fait écho à celle de Léo Ferré, «un désespoir qu’aurait pas les moyens». On reste dans l’éclat référentiel avec «Day Is Done» qui incarne l’aspect préraphaélite du rock anglais. Nick Drake propose une brume de son distinguée, très pure, très Burne-Jones, tu ne peux pas échapper au charme discret du vieux Nick. Il sonne tellement comme un port d’attache qu’on y jette l’ancre.

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    Bryter Layter est un peu plus sophistiqué et cette sophistication productiviste nous dit Joe ne plaisait pas à Nick. John Cale intervient sur deux cuts, «Fly» et «Northern Sky», qui sont un peu les points forts de l’album. Nick Drake attrape son «Fly» au vol, à la voix d’ange de nicotine qui va mal, please ! Il se fond dans sa mélancolie. «Northern Sky» symbolise la force de Nick Drake. C’est d’une rare puissance agonisante, ce mec pousse le bouchon de la beauté morose assez loin, il chante à la voix éteinte, mais il chante, il faut le savoir. Magnifique slow groove d’under the boisseau que ce «Poor Boy». Nick Drake navigue à la douce manœuvre de nobody knows, c’est très long, très orchestré, PP Arnold et Doris Troy font les chœurs, on entend du sax, on croit que Nick Drake touche au but, mais cette débauche de moyens l’indispose. Que fait-on dans ces cas-là ? On se suicide. Joe Boyd y revient longuement, sur ce suicide, une overdose d’antidépresseurs, officiellement. On revient à l’album et à l’«At The Chime Of A City Clock» qu’il chante sous le vent, c’est le goove suburbain. Il gratte ensuite «One Of These Nights First» dans l’ombre de l’underground, il tient son couldn’t be seen en haleine, c’est une merveille ténébreuse et lumineuse à la fois, on se love dans le giron du génie de Nick Drake, il est avec Syd Barrett et Robert Wyatt l’un des plus beaux artistes de son temps. Il chante littéralement sous le boisseau d’argent.

    Merci Joe Boyd pour ce beau livre et tous ces beaux albums.

    Signé : Cazengler, Joe Boit

    Joe Boyd. White Bicycles: Making Music in the 1960s. Serpent’s Tail 2007

    Nick Drake. Five Leaves Left. Island Records 1969

    Nick Drake. Bryter Layter. Island Records 1971

    Incredible String Band. The Incredible String Band. Elektra 1966

    Incredible String Band. The 5000 Spirits Or The Layers Of The Onion. Elektra 1967

    Incredible String Band. The Hangman’s Beautiful Daughter. Elektra 1968

    Incredible String Band. Wee Tam And The Big Huge. Elektra 1968

     

    Hot Rod - Part Two

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    Il n’est pas d’artiste plus intriguant que Rod The Mod. Considéré par beaucoup de gens comme un vendu, il n’en demeure pas moins un très grand artiste. Il fut un temps où le nom de Rod Stewart sonnait comme celui de Brian Jones ou de Ray Davies. Le Jeff Beck Group fut le plus grand groupe anglais de son temps, un groupe que Led Zep ne parvint jamais à égaler. Ceux qui ont vu les Faces sur scène savent qu’ils valaient largement les Stones, côté power, mais il ne leur manquait qu’une seule chose : des hits comme «Jumpin’ Jack Flash» ou «The Last Time». On ne va pas revenir sur l’époque Faces évoquée comme on l’a dit dans l’hommage à Ronnie Wood, on va se contenter d’explorer la carrière solo de Rod The Mod, une carrière qui a connu des hauts (très hauts) et des bas (très bas), comme toute carrière, surtout lorsqu’elle se mesure à l’échelle d’une vie. Il faut simplement garder bien présent à l’esprit que Rod the Mod est l’un des plus brillants interprètes de son époque. Son seul défaut fut peut-être de trop aimer l’argent. Mais comme Aretha ou Smokey Robinson qui ont eux aussi des discographies à rallonges, Rod réserve au gré des aléas quelques belles surprises.

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    Paru en 1969, le premier album solo de Rod The Mod porte deux noms différents : An Old Raincoat Won’t Ever Let You Down et The Rod Stewart Album. Il est aussi paru sous trois pochettes différentes : une belle en France avec une photo, une jaune aux États-Unis et une Vertigo en Angleterre qui donne le vertige. Avec cet album, Rod The Mod impose un style unique, un roddish sound qui est un mix de rock, de Soul et de folk assez capiteux car chanté au mieux des possibilités maximalistes. Il est essentiel de rappeler que ce premier album solo sort la même année que Beck Ola, un autre album classique de l’histoire du rock anglais. Le seul point commun entre Beck Ola et l’Old Raincoat est l’excellent «Blind Prayer», un heavy blues que Woody joue en sur-tension de bassmatic avec un Martin Pugh au devant du mix. Comme dans le Jeff Beck Goup, Woody joue en solo et il croise Pugh comme s’il croisait Beck, il le croise à n’en plus finir. Ces mecs savaient créer l’événement. L’autre coup de maître de l’album est la reprise de «Street Fighting Man», en ouverture de balda. Mickey Waller bat le beurre pendant que Woody & Pugh grattent leurs poux. Ils font de la Stonesy pure et dure et Woody quitte le cut en beauté avec un énorme solo de basse, comme John Cale dans «Waiting For The Man». On trouve encore une merveille sur cette A bénie des dieux : «Handbags & Gladrags», une mélodie signée Mike d’Abo. Rod The Mod ne fait qu’une bouchée de cette extrême pureté. Woody fournit le bassmatic adéquat, il joue en mélodie pressante et ses notes chevauchent les crêtes. Il joue un peu comme Ronnie Lane. D’autres merveilles guettent l’imprudent voyageur en B, à commencer par le morceau titre, l’Old Raincoat, avec un Woody qui chasse sur les terres du Comte Zaroff. Ce fantastique entertainer est de toutes les relances, il développe une énergie considérable. Keith Emerson joue sur «I Wouldn’t Ever Change A Thing» et le groupe de Rod ramène dans «Cindy’s Lament» autant de son qu’en ramenait le Jeff Beck Group, mais sans la folie de Jeff Beck. Ils terminent avec une version de «Dirty Old Town» chantée à la perfection et qui préfigure celle des Pogues.

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    Pendant toute la période Mercury/Vertigo, Rod The Mod va réussir à maintenir le rythme d’un ou deux hits par album, et pas des petits hits à la mormoille. Alors on décide de le suivre à la trace. Sur la pochette de Gasoline Alley, on retrouve l’old raincoat, mais vautré sur le trottoir, enfin, si on peut appeler ça un trottoir. Le morceau titre est un joli street folk que Woody joue en slide, avec Plonk Lane on bass. Ils s’amusent bien à jouer cette dentelle de Calais. Retour au vieux Bobby avec «It’s All Over Now», mais joué en mode Faces, c’est-à-dire heavy boogie de fin de soirée bien arrosée. C’est au tour de Plonk de faire le zouave à la basse. Il bat Woody à plates coutures. Il bouclent cette belle A avec une reprise du «My Way Of Giving» des Small Faces. Plonk se joint à Rod The Mod pour les chœurs et ça donne un résultat plutôt émouvant. Les deux hits sont planqués en B, à commencer par cette reprise de «Cut Across Shorty» délicieusement heavy. Rod met son énorme moulin en route, avec en sautoir le deep doom de Plonk. Ces mecs sont comme les éléphants, ils jouent énormément. Puis Plonk s’en va faire des merveilles sur sa basse dans «Lady Day». Il tisse un fil mélodique qu’il mêle à celui de Woody.

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    De tous les albums solo de Rod The Mod, Every Picture Tells A Story restera sans doute le chouchou des fans, à cause bien sûr de «Maggie May», hit de rêve pour tous les kids qui ont connu l’Angleterre des early seventies - Wake up Maggie/ It’s late september and I should be back to school - on a tous chanté ça en faisant du stop vers Londres. Effarante allure de Rod The Mod, avec la magie du beat de Mickey Waller - You stole my heart/ I couldn’t leave you If I tried - Si à l’époque on était romantique, on était baisé. L’autre coup de génie de l’album, c’est «Mandoline Wind», idéal pour un crack comme Rod. Il chante son Wind à merveille, dans un environnement de pedal steel et de mandoline. Le solo de mandoline est l’une des septièmes merveilles du monde. Le morceau titre entre aussi dans la catégorie des cuts vénéneux, car chargé de big sound et de big singing de gorge chaude. Rod The Mod propose aussi une sacrée triplette de Belleville : «That’s All Right», «Amazing Grace» et une reprise du «Tomorrow Is Such A Long Time» de Bob Dylan. Il fait aussi en B une reprise faramineuse d’«(I Know) I’m Losing You». Avec ce vieux hit des Tempts, Rod The Mod devient Rod The Mad. Il ramène tout le heavy power du Jeff Beck Group. Merveilleux déballage de big dumb sound. Lors du pont, les éléments se déchaînent, on assiste à une véritable escalade de la violence avec un Mickey Waller qui tribal tout seul dans sa cave.

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    On reste dans l’ère des grandes pochettes avec celle de Never A Dull Moment. On y voit un Rod The Mod rétro prostré dans son fauteuil. C’est en B que se niche l’excellente reprise d’«Angel». Hommage génial à Jimi Hendrix, avec Plonk on bass. Il joue en mélodie. On a là ce que le rock anglais peut offrir de meilleur. On retrouve Plonk et Woody dans «Time Blue», un cut digne de la couronne d’Angleterre. On retrouve aussi l’excellent mandoline-man Martin Quittenton dans «Lost Paraguayos». Ce son illustre aussi bien que le glam la magie de l’Angleterre des seventies et sur cette merveille, Woody joue de la basse. On l’entend aussi bassmatiquer derrière Rod sur «Italian Girls». Il semble que Rod ait trouvé sa voie, il a un vrai son, avec un Woody qui bombarde et un Quittenton qui brode. Par contre c’est Peter Sears qui joue de la basse sur «I’d Rather Go Blind», un heavy blues d’antho à Toto.

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    Le dernier album anglais de Rod The Mod s’appelle Smiler. Il pose en full regalia sur le devant, mais il faut aller voir à l’intérieur du gatefold (comme d’ailleurs dans celui de Never A Dull Moment) : on y voit toute l’équipe élargie : musiciens, entourage et même parents. Superbe photo de famille, avec un Woody en costard rouge, la rock star par excellence. D’ailleurs Woody se régale à jouer «Hard Road», ce fabuleux cut des Easybeats. Admirable shoot de Facy raunch. Ils s’amusent comme des gosses avec ce vieux boogie en caoutchouc. On trouve deux resucées de «Maggie May» sur cet album : «Lochinvar» et «Mine For Me», pourtant signé McCartney. Mais c’est avec ce pur hot Brit rock qu’est «Sailor», puis la reprise du «Bring It On Home To Me» de Sam Cooke que Rod The Mod donne la mesure de son génie. En B, il s’en va taper dans Goffin & King avec «(You Make Me Feel Like) A Natural Man». Dans la bouche de Rod, ça tourne à la magie.

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    Comme l’indique le titre, Rod The Mod quitte l’Angleterre en 1975 avec Atlantic Crossing. Adieu Plonk, Woody et le foot, voilà venu le temps du big american sound. C’est enregistré un peu partout, chez Hi, à Muscle Shoals, à Miami et du coup, on ne sait plus qui fait quoi. Par contre, on sait que Tom Dowd produit. On voit vite l’étendue du désastre : dans «All In The Name Of Rock’n’Roll», Rod The Mod perd tout le ruckus des Faces, même si les cracks de Muscle Shoals l’accompagnent (David Hood, Roger Hawkins, Al Jackson). Rod s’américanise pour un résultat dramatique. Il faut attendre ce «Stone Cold Sober» co-écrit avec Steve Cropper pour reprendre espoir, d’autant que Cropper gratte ça sec. Ça flirte avec la Stonesy. Et puis on se fait avoir avec la belle reprise d’«I Don’t Want To Talk About It» de Danny Whitten. Rod The Mod récidive un peu plus loin avec une fantastique interprétation de «This Old Heart Of Mine», un vieux hit signé Holland/Dozier/Holland. Signature de rêve, idéale pour un raucous comme Rod. Avec «Still Love You», il reproduit les dynamiques de «Maggie May». Il n’en finit plus d’aimer Maggie, I wouldn’t change a thing/ If I could do it all over again. Il crée vraiment une relation affective avec ses admirateurs. Pas facile de lâcher un mec comme Rod.

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    Rien n’indique sur le pochette d’A Night On The Town que l’album est enregistré à Muscle Shoals. On se croirait plutôt à la Maison Fournaise sur l’île de Chatou, là où fut peint le fameux Déjeuner des Canotiers. Bon ça reste du big Rod sound, mais avec un son trop américain. Il y a six guitaristes listés sur la pochette, du coup on ne sait pas qui joue sur «The Ball Trap». C’est vrai qu’on s’en fout. Sans l’Angleterre, Rod The Mod n’a plus de sens. Il n’est plus qu’un bon chanteur parmi tant d’autres. Il tente de refaire l’Angleterre des Faces à Hollywood, mais ça ne marche pas. L’album retombe comme un soufflé. Seul le morceau titre qui ouvre la Slow Face peut sauver cet album. C’est une merveilleuse rengaine. Il nous gagne à son corps défendant.

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    En 1977, rien à foutre de son Foot Loose & Fancy Free. Pffffff ! Pauvre ringard. On écoute tous les Buzzcocks ! «Hot Legs» ? Pffffff ! Il a des Vanilla derrière lui, Phil Chen on bass et le mec qui fait Woody s’appelle Jim Cregan. La voix de Rod est intacte, mais il est dans les hot legs. C’est la vie. Il faut attendre «You’re In My Heart» pour retrouver le styliste éblouissant. Sur la plupart des cuts, les Américains essayent de sonner comme des Anglais. Avec sa version de «You Keep Me Hanging On», Rod tente de rivaliser avec Mark Stein, mais ce n’est pas gagné, même s’il brûle bien le chant. Il termine avec «I Was Only Joking», une merveille de story telling - Suzy babe you were good to me - Pur jus de Rod The Mod américanisé. Il faut s’habituer à cette idée et ce n’est pas facile.

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    Suite de l’Américanisation des choses avec Foolish Behavior. On entre dans les années 80, c’est-à-dire la mort du rock. Alors Rod fait du boogie au bord de la piscine. On ne cherche même pas à savoir qui joue derrière lui, ça n’a plus aucun intérêt. Ah il y va le Rod avec son «Better Off Dead», il est devenu con comme une bite. Il a perdu l’art. Il va là où le biz le porte. C’est insupportable, mais il faut savoir que ça existe. On en souffre certainement autant que lui. Après tous ses grands albums, il est probable qu’il ait rechigné à se commercialiser à outrance. Il a encore de bons réflexes, comme le montre le morceau titre. Il nous dépasse quand il veut. Il est fantastique dans la fermentation de «My Girl» - She’s got a hold on me/ I mean my girl - Il revient comme un petit chat, mais c’est Rod la bête de sexe. Il chante son «Say It Ain’t Time» à l’extrême. Même dans des albums bizarres comme celui-ci, il peut chanter à la folie. Hot Rod.

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    C’est sur Tonight I’m Yours paru l’année suivante qu’on trouve sa version de «Just Like A Woman». Just perfect. The voice + the song. Dans le rôle du fan de Bob, Rod est parfait. Par contre, il fait un peu de diskö avec le morceau titre et ça coince. C’est l’occasion rêvée de dire du mal de ce chanteur extraordinaire. Il tape aussi dans le vieux hit d’Ace, «How Long». Ça marche à tous les coups. Un nommé Robin le Mesurier fait toutes les guitares. Mais le boogie de Hollywood n’a pas d’avenir («Tear It Up»). Rod parvient à sauver l’album à la force du poignet avec des trucs comme «Only A Boy» ou même «Jealous» qui frise pourtant le putassier. Il chante tellement bien qu’il finit par rendre tous ses albums attractifs.

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    Sur la pochette de Body Wishes, Rod porte un costard rouge Ferrari. On sauve un seul cut, là-dessus, «Move Me». Il y fait du hot Rod, il chante ça pied à pied, why don’t you move me ! Il chauffe à blanc le boogie rock de «Dancin’ Alone», mais ailleurs ça tourne à la putasserie. Son «Ghetto Blaster» est d’une atroce complaisance. Et la prod pue. L’époque veut ça. Mais c’est dans la pelle qu’il excelle, le Rod. Dès qu’il roule une pelle, comme dans «Strangers Again», avec sa petite langue de connard prétentieux, ça marche, et pourtant on le déteste d’avoir si mal tourné, mais bon, on l’écoute quand même. Sait-on jamais. On espère toujours une vieille resucée de Maggie May.

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    Camouflage est l’un de ses albums les plus putassiers. Il transforme l’«All Right Now» de Free en hit diskö. Comme il est millionnaire, il fait sa diskö des jours heureux. Il atteint probablement le fond artistique alors qu’il atteint le sommet de sa carrière de frimeur. Il tape maintenant dans la pop inepte («Heart Is On The Line»). Après Beck Ola, c’est intolérable. Quel gâchis ! Un si beau rocker ! C’est un suicide commercial, il devient une pauvre cloche avec son diskö funk de camouflage. Il a perdu toute sa crédibilité mais gagné des millions de dollars. Cet album est d’autant plus insupportable qu’on y voit une immense star se ridiculiser. C’est important de voir jusqu’où les gens sont capables d’aller.

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    On sauve le morceau titre sur Every Beat Of My Heart : il y redevient le magicien qu’on aimait bien. Mais pour le reste, il a perdu le fil. Il continue de chanter comme d’autres continuent de conduire. Comment a-t-il pu accepter de chanter une telle daube ? Ça restera un mystère. Au mieux du pire, il reste dans le vieux mode boogie-rock hollywoodien et fait du Rod. Il a du son, mais du son sophistiqué. Il a l’air de traîner dans un marigot, comme un vieux crocodile de luxe. Ça n’a plus de sens.

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    Après une série d’albums calamiteux, Rod semble reprendre son destin en main avec Out Of Order. On assiste au retour de la glotte parfaite dès «Lost In You». Sa glotte est son fonds de commerce, alors on ne va pas le blamer d’en avoir une aussi parfaite. Il est dans son son et son son marche, il est écœurant de frime, avec cette pochette de salon de coiffure, mais God, la voix est là. Il reprend l’habitude de retravailler ses chansons au corps comme le montre «My Heart Can’t Tell Me No». Il reprend le cap, il est le capitaine et c’est fantastique. Il retrouve les coudées franches et redevient l’immense artiste qu’il a été. Il fait une version diskö de «Nobody Knows You When You’re Down And Out», mais il la chante, c’est une version convaincue d’avance. Tout le monde a tapé dans ce vieux standard, Nina Simone, le Spencer Davis Group, Bobby Womack, mais Rod The Mod s’en sort avec les honneurs. Et voilà qu’il tape une version de «Try A Little Tenderness» et là t’es baisé. Il est dessus dès l’intro, à la chaleur de la voix. Il fait bien son Otis, oh yeah, il est le seul blanc à pouvoir retravailler la tenderness d’Otis, c’est merveilleusement orchestré, Rod patine dans le merveilleux verlainien, il creuse chaque syllabe dans le yeah yeah de so so easy, il redevient le chanteur de rêve qu’on adulait, le white niggah d’exception, il ramène le pathos dans les grandes orchestrations, les paquebots soniques qui traversent la nuit de Fellini et il monte sur le tard, comme Otis, mais sans aller jusqu’au gotta-gotta, dommage. Il termine avec un «Almost Illegal» amené à la Stonesy d’I said yeah. Le guitar slinger s’appelle Andy Taylor.

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    Paru en 1991, Vagabond Heart fonctionne aussi comme un sursaut. On y trouve trois merveilles à commencer par «Rebel Heart». Grosse prod. Il y ramène son swagger de London boy, putasssier oui, mais avec du son. Il fait un duo d’enfer avec Tina sur «It Takes Two». Il tape ça sec avec la Tina d’after Ike. Et puis il y a cet hommage miraculeux à Motown, «The Motown Song». Sinon, le vieux Rod se ressource aux fontaines de blé. Il cultive le charme puant de la bourgeoisie hollywoodienne. Mais bon, on l’écoute quand même. This is Rod, after all.

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    Suite de la phase de redressement artistique avec un troisième album bien foutu, A Spanner In The Works. Ça grouille de goodies là-dedans, à commencer par l’infernal «Muddy Sam & Otis» - I was only seventeen - Pas de plus bel hommage - Thank you Sam, thank you Otis, thank you Muddy for the times we shared/ For the sounds you made - Il n’y a que Rod qui puisse chanter ça à l’accent cassé. Autre énormité : «Delicious», fabuleux shake de big shakeout, ça joue à la déflagration orchestrale et c’est même assez raunchy, baby. Rod a conservé ses instincts carnassiers. Il rend encore un hommage à Sam Cooke avec «Soothe Me». Il remplit encore l’espace de façon extravagante avec «Purple Heather», il sort sa meilleure chaleur de ton, et cet enfoiré en abuse. «The Downtown Lights» prend vite des proportions de Beautiful Song. Comme c’est globalement un album de reprises, il tape aussi dans Tom Petty («Leave Virginia Alone») et Dylan («Sweetheart Like You», tiré de l’album Infidels). Tout ce que chante Rod est bon, c’est important de le rappeler, il chante à la vie à la Rod. De vieux relents de Maggie May remontent dans «Lady Luck» et le vieux «You’re A Star» de Frankie Miller lui va comme un gant.

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    Encore une photo de salon de coiffure pour When We Were The New Boys paru en 1998. Curieusement, il y fait une resucée d’«Oh La La», le vieux cut de Plonk et Woody. Ça joue à la folie Méricourt avec des violons irlandais. Rod colle à son destin. L’album est placé sous l’égide des Faces puisque ça démarre avec un «Cigarettes & Alcohol» qui perpétue la perpète des pépères. Puis il tape une cover du «Rocks» des Primal Scream. C’est assez brillant, plein de Rod, plein de power et plein de cuivres. Belle dégelée, en tous les cas. Il reprend plus loin l’«Hotel Chambermaid» de Graham Parker qu’il considère comme un concurrent. Hot Rod fout le paquet, il a toutes les guitares d’Hollywood derrière lui. Il ne fait qu’une bouchée du morceau titre, il adore redémarrer à l’épique du deuxième couplet, il ne manque plus que les cornemuses. Sacré Rod ! Il reprend aussi Skunk Anansie («Weak») et les Waterboys («What Do You Want Me To Do»). C’est du sans surprise.

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    Human sort sur Atlantic en 2001. Il y fait son numéro sur deux gros cuts, «To Be With You» et «Run Back Into Your Arms». Il ultra-chante au max du mix, comme il sait si bien le faire. Difficile de ne pas craquer face à tant de talent. Le jour où tu trouveras un mec qui chante mieux que lui, fais-le savoir. Il faut le voir aller chercher le groove. Avec «Peach», il propose un boogie assez convulsif, bardé de guitares et de violons. She was dark, il parle d’une petite black, il fait des confidences en mode rock’n’roll, et c’est excellent. Et pourtant l’album part du mauvais pied avec des trucs assez putassiers. Il faut attendre la fin de l’album pour retrouver la terre ferme, il ultra-chante «It Was Love That We Needed» et il nous refait le coup du big Rod avec «I Can’t Deny It», il chante tout ce qu’il peut, il devient moche avec son gros pif, mais il claque sa chique, le vieux Rod continue de passionner, il est à la fois le clown du système et un maître chanteur incontestable. Trente ans après ses débuts, il est toujours là, bon an mal an.

    En 2002, il entre dans une nouvelle phase, une sorte de consécration, qu’on appelle la phase du Great American Songbook, avec sept albums enregistrés sur huit ans. C’est une renaissance artistique, une façon de nous dire qu’il évolue bien. Il faut juste écouter cette série d’albums basés sur l’équation parfaite : the song + the voice. C’est du gagné d’avance.

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    Le volume 1 s’appelle It Had To Be You: The Great American Songbook et renferme deux pépites : «They Can’t Take That Away From Me» et «That Old Feeling». Le premier est signé Gershwin, c’est du swing joué à la pompe de jazz et Rod se situe au dessus des lois. Le deuxième est signé Chet Baker & Brook Benton, un classique du groove que Rod remonte au feeling, comme un saumon remonte le courant. Effarant ! La voix est là. Rod ne se sent plus pisser. Une merveille ! Il tape bien sûr dans Sinatra («The Way You Look Tonight» et «It Had To Be You»). Comme Bryan Ferry avant lui, il tape dans «Those Foolish Things», un vieux hit d’Ella et de Billie Holiday, Rod s’y colle et il rentre dans le lard du groove, alors forcément, on craque, tellement c’est beau. D’autres pures merveilles s’ensuivent, «Moonglow» et «I’ll Be Seing You» chanté aussi par Billie Holiday. Mais ce premier tour de manège finit par donner le tournis, surtout l’«Everytime We Say Goodbye» de Cole Porter, trop de swing, trop de professionnalisme, trop de son, trop de chant, on frise l’overdose. Tout est tellement glamourous, le vieux Rod explose toutes les turpitudes hollywoodiennes.

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    L’année suivante paraît As Time Goes By: The Great American Songbook Vol II. Même principe : des standards triés sur le volet chantés par l’un des plus grands interprètes du XXe siècle. Il se prend pour Chet Baker avec «I’m In The Mood For Love», c’est gonflé, mais ça passe. Le cut magique du Volume II est cette reprise d’«Until The Real Thing Comes Along», un heavy groove convaincu d’avance, c’est blanc mais c’est bien - My heart is yours/ What more can I say - Encore de la magie pure avec «I Only Have Eyes For You». Il entre dans le territoire sacré du doo-wop légendaire et ça tient en haleine. Il revient à Gershwin avec «Someone To Watch Over Me». C’est du très grand art, une merveille d’espoir et de swing. Il duette avec Queen Latifah sur «As Time Goes By» et ça tourne encore une fois à la magie pure - You must remember this/ A kiss is just a kiss - Irrésistible. Il rafle encore la mise avec le heavy groove de «Don’t Get Around Much Anymore». Il rafle toutes les mises. On le voit plus loin se prélasser dans «My Heart Stood Still», un vieux hit de Sinatra. Ces albums sont des bénédictions, à condition bien sûr d’aimer l’univers du croon.

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    Le volume III est sans doute le plus intense. Il s’appelle Stardust: The Great American Songbook Vol III et Rod attaque avec «Embraceable You» qu’il chante dans le gras du groove. Il enchaîne avec «For Sentimental Reasons», une Beautiful Song qu’il dévore à pleines dents, une merveille absolue d’I give you my heart, yeah yeah. On ne présente plus «What A Wonderful World». Rod entre dans l’eau magique du Wonderful World et Stevie Wonder l’accompagne à l’harmo. Il duette aussi avec Bette Midler sur «Manhattan», puis il swingue «Isn’t It Romantic» jusqu’à l’os. Avant Rod, ils sont tous passés par là : Ella, Chet Baker, Tony Benett et Mel Tormé. Encore un Gershwin avec «I Can’t Get Started», cette fois Rod fait son Louis Armstrong, il étale sa pâte dans le chant. Puis voilà «A Kiss To Build A Dream On», jazzé dans l’œuf du serpent, véritable apanage du swing d’antan, Rod est trop fort, trop subtil, il épuise la cervelle. Il duette enduite sur «Baby It’s Cold Outside» avec Dolly Parton et ses boobs. Elle sent bon le sexe. Retour à la racine du swing américain avec le «Night & Day» de Cole Porter. Ce swing galactique reste imbattable.

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    Il attaque Thanks For The Memory: The Great American Songbook Vol IV en duettant avec Diana Ross sur «I’ve Got A Crush On You». Cette vieille rosse de Ross ressort ses manières de courtisane, ça frise la putasserie et Rod paraît troublé. C’est très sexuel comme assemblage, elle ramène ses lèvres d’experte et ça devient vite équivoque. Nouveau duo de choc avec Chaka Khan et «You Send Me». Cette fois, ça chauffe ! Chaka ne lâche rien, elle arrive et balaye tout. Elton John a réussit à taper l’incruste dans «Makin’ Whoopee». Une chose est sûre : ce mec sait chanter. Encore une fantastique leçon de swing avec «Taking A Chance On Love». Il tient bon la rampe jusqu’au bout de ce volume IV, surtout avec «I’ve Got My Love To Keep Me Warm», il nous fatigue et il nous fascine en même temps, mais on l’encourage, vas-y Rod ! C’mon !

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    Le dernier volume du Great American Songbook paraît en 2010 et s’appelle Fly Me To The Moon: The Great American Songbook Vol V. Rod l’attaque avec un vieux hit merveilleux, «That Old Black Magic» qui date de 1942, du temps de Glenn Miller et de Judy Garland. Rod y plonge ses crocs d’artiste et de greedy man et en fait un hit de big heavy pré-American Sound. Puis cet enfoiré tape dans Charles Trenet avec «Beyond The Sea», il tente de récréer ce rêve de La Mer qui ne lui appartient pas, laisse tomber Rod, tu veux swinguer comme Charles ? Non, c’est Charles qui swingue, Rod sonne comme un parvenu américain, il oublie de swinguer la fin du cut, il n’a pas le power du fou chantant. Puis il va sur les terres d’Ella avec «I’ve Got You Under My Skin», c’est assez gonflé de sa part. Ce volume V est un drôle d’objet : à la fois une bénédiction (bien chanté) et une insulte aux interprètes originaux. Ces mecs-là se croient tout permis, et pourtant les reprises sonnent comme des hommages. Il file ensuite sur les terres d’Esther Phillips avec «What A Difference A Day Makes». Mais Rod ne fait pas le poids. Cette merveille appartient à Esther, Rod n’a pas le feeling intrinsèque qui fit la grandeur de Little Esther. Il retourne à la suite sur les terres de Sinatra avec «I Get A Kick Out Of You» et «I’ve Got The World On A String», c’est encore là que Rod est le plus à l’aise, dans le vieux groove de Cole Porter. Il revient à Sinatra avec «Fly Me To The Moon» et boucle avec le «Sunny Side Of The Street» de Louis Armstrong.

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    En 2006, il fait un album de reprises assez spectaculaire, Still The Same. Great Rock Classics Of All Time. Il démarre avec Fog et l’irrépressible «Have You Ever Seen The Rain». Son I know sonne si juste. Il est dans l’énergie de Fog - Coming down from a sunny day - Il fait bien sûr une cover de Dylan, «If Not For You», il caresse Dylan dans le sens du poil et fait de ce vieux shoot de romantica dylanesque une véritable merveille. Il tape aussi dans «I’ll Stand By You», l’un des slowahs les plus putassiers de l’histoire des slowahs et ça tient debout parce que c’est Rod. Puis il rentre dans le «Still The Same» de Bob Seger comme un renard dans un poulailler, il bouffe tout, la pop, le rock, les poules, les œufs, tout ! Il reprend aussi des trucs de Cat Stevens et des Eagles sur lesquels on ne va pas trop s’attarder et on file droit sur l’excellente cover de l’«Everything I Owe» de David Gates, le mec de Bread. Big heavy pop, fantastique énergie. Il décide de boucler avec une cover de «Crazy Love», mais face à Van Morrison, Rod ne fait pas le poids, oh la la, pas du tout.

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    Pour finir la phase des grands hommages compilatoires, voilà Soulbook. Cette fois, Rod rend hommages aux géants de la Soul, comme par exemple Stevie Wonder avec «My Cherie Amour». Évidemment, il l’avale tout cru. Quand il n’est pas le renard qui entre dans le poulailler, il est le crocodile qui rôde au bord du fleuve. Il fait ensuite un duo terrific avec Mary J. Blidge dans «You Make Me Feel Brand New», une belle Soul de chèvre chaud, et quand Mary arrive, elle dégouline de sensualité, alors Rod fait pouh pouh pouh ! Il tape aussi dans Jackie Wilson («Higher & Higher») et Smokey («Tracks Of My Tears»). Il manque tragiquement de crédibilité dans sa reprise de «Rainy Night In Georgia». Rod n’est pas Tony Joe White, c’est bon de le rappeler. Il s’en sort mieux avec ce vieux hit des O’Jays, «Love Train», composé par Gamble & Huff. Il avale cette fois la prunelle du black power.

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    Après cette cure de grandes chansons, Rod reprend son petit bonhomme de chemin avec des albums disons classiques. Il fait comme les copains, comme Totor, comme El Vez, comme Tav, comme les Beach Boys et comme les Four Tops un Christmas Album : Merry Christmas Baby. Il s’y montre encore pire que Totor, il cajole sa soupe, il n’y croit pas un seul instant mais il chante de tout son cœur. Il bat même tous les records. Il amène «Santa Claus Is Coming To Town» au groove de jazz. En fait il place son Christmas album sous l’égide du swing de jazz. Il duette avec Ella Fitzgerald sur «What Are You Doing On New Year’s Eve» et il fait le show avec «When You Wish Upon A Star». Il est dessus, il redevient le magicien que l’on sait.

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    Il marche sur la plage pour la pochette de Time, paru en 2013. Il attaque «She Makes Me Happy» au oh-ooh, il ramène sa vieille magie vocale pour redevenir Rod the Blow, il chante au oooh-woooh et rafle la mise. Il bénéficie d’une prod de rêve et reste l’un des grands chanteurs de son époque. L’autre énormité s’appelle «It’s Over», il reste l’immense chanteur que l’on sait, il fait de la pop américaine puissante qui finit par devenir énorme. On retrouve sa vieille puissance dans «Beautiful Morning». Il connaît les tenants et les aboutissants, rien ne peut lui résister, c’est bardé de son, avec un sax et des chœurs de Dolls, eh oui. Il refait son London boy avec «Finest Woman». Il sait driver un heavy boogie rawk à la mode des Faces, il est excellent à ce petit jeu-là, awite, il ressort toutes ses vieilles ficelles de caleçon, et les caleçons de Rod, c’est quelque chose. Côté compo, Rod est dans tous les coups, ce qui explique pourquoi le niveau général est faible. Très faible. Le vieux Rod fait de la soupe, alors du Rod The Mod fit en son temps des merveilles.

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    Another Country sort en 2015. Hollywood Rod porte une veste en cuir noir. Il attaque aux violons du pays avec «Love Is». Il donne aux Américains une petite dose de roots à la mormoille, on entend des cornemuses, du violon et encore du violon, c’est rempli à ras-bord. Voilà le Rod élevé au grain, il ramène toute la ferme à Hollywood. Ces mecs-là sont capables de tout et de n’importe quoi, il faut le savoir. C’est la raison pour laquelle on les admire et pour laquelle on continue d’acheter leurs disques, histoire d’assister à leur magnifique décadence. Si tu n’as pas vu ça, tu n’as rien vu. On a tous raté la chute de l’Empire romain. Pour se consoler, on a celle d’Hollywood Rod. Pour se faire un billet, il est capable de faire n’importe quoi. Comme il a une voix, il en profite. On en ferait tous autant. Avec «Please», tu en as pour ton argent, tu veux du Hollywood Rod ? Tu as du Hollywood Rod. Stay with me tonight. Oui, c’est ça, t’as raison. Son «Walking In The Sunshine» n’est pas orienté vers l’avenir, mais vers le tiroir-caisse. Il donne sa voix au biz de la dernière heure. Prod imbuvable, mais ça marche. Il fait encore du reggae de bar de plage («Love And Be Loved») et ramène ses fucking cornemuses dans «We Can Win». Le voilà emporté par le mainstream, il ne maîtrise plus grand chose. Hollywood Rod est devenu Fétu Rod. Il ramène tout le bataclan de la vieille Angleterre dans le morceau titre et renoue le temps d’un cut avec Rod the Pop («Batman Superman Spiderman»). Il sait encore allumer une pop de rêve. Globalement, ses derniers albums sont un peu spéciaux, un peu trop putassiers pour les gueules à fuel. Mais bon, de temps en temps, sa voix impose une sorte de respect.

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    Le dernier album en date s’appelle Blood Red Roses. Hollywood Rod est assis derrière le digi, en costard blanc. L’album réserve quelques bonnes surprises, passé le cap des diskö-kuts d’ouverture de bal. Il tente de nous refourguer ses vieux tours de magie avec «Farewell» et il développe pour l’occasion sa fantastique énergie balladive. C’est un hommage à Ewan Dawson, son vieux pote dont il parte dans l’autobio - Oh you/ Yeah you/ Were like a brother to me - Et là oui, on y va, car c’est balèze. Il nous refait le coup du vieux mage un peu plus loin avec le morceau titre, amené au son irlandais et dedicated to the great Ewan McColl. Il faut être à la hauteur pour écouter ça, on est vite dépassé par le génie cavalant d’Hollywood Rod. Cette fois il dépasse même l’entendement, c’est vite violent, avec le beat des origines. Il déclenche une incroyable furia del sol avec ses Roses, et ça débouche sur un final extravagant, plein d’énergie irlandaise montée en noise, hey hey ! Retour à la belle pop bien drivée avec «Rest of My Life», c’est putassier mais extrêmement bien foutu. Il tape dans le vieux «Rollin’ And Tumblin’» de Muddy, mais le Rollin’ à Hollywood, ça fait marrer. On entend une charge d’éléphants. Il fait encore deux coups d’éclat : «Julia» et «Honey Gold». Il chante comme une pauvre crêpe géniale, c’est ça le problème. Même s’il fait la pute, il est bon. Il fait tout le boulot, comme un vieux boxeur. Il crée un pathos énorme d’Honey Gold - Somebody is smiling down on you - Il est épatant, Hollywood Rod, le power est toujours là.

    Signé : Cazengler, Rote tout court

    Rod Stewart. An Old Raincoat Won’t Ever Let You Down. Vertigo 1969

    Rod Stewart. Gasoline Alley. Vertigo 1970

    Rod Stewart. Every Picture Tells A Story. Vertigo 1971

    Rod Stewart. Never A Dull Moment. Mercury 1972

    Rod Stewart. Smiler. Mercury 1974

    Rod Stewart. Atlantic Crossing. Warner Bros. Records 1975

    Rod Stewart. A Night On The Town. Riva 1976

    Rod Stewart. Foot Loose & Fancy Free. Riva 1977

    Rod Stewart. Foolish Behavior. Riva 1980

    Rod Stewart. Tonight I’m Yours. Riva 1981

    Rod Stewart. Body Wishes. Warner Bros. Records 1983

    Rod Stewart. Camouflage. Warner Bros. Records 1984

    Rod Stewart. Every Beat Of My Heart. Warner Bros. Records 1986

    Rod Stewart. Out Of Order. Warner Bros. Records 1988

    Rod Stewart. Vagabond Heart. Warner Bros. Records 1991

    Rod Stewart. A Spanner In The Works. Warner Bros. Records 1995

    Rod Stewart. When We Were The New Boys. Warner Bros. Records 1998

    Rod Stewart. Human. Atlantic 2001

    Rod Stewart. It Had To Be You: The Great American Songbook. J Records 2002

    Rod Stewart. As Time Goes By: The Great American Songbook Vol II. J Records 2003

    Rod Stewart. Stardust: The Great American Songbook Vol III. J Records 2004

    Rod Stewart. Thanks For The Memory: The Great American Songbook Vol IV. J Records 2005

    Rod Stewart. Still The Same. Great Rock Classics Of All Time. J Records 2006

    Rod Stewart. Soulbook. J Records 2009

    Rod Stewart. Fly Me To The Moon: The Great American Songbook Vol V. J Records 2010

    Rod Stewart. Merry Christmas Baby. Verve Records 2012

    Rod Stewart. Time. Capitol Records 2013

    Rod Stewart. Another Country. Capitol Records 2015

    Rod Stewart. Blood Red Roses. Decca 2018

     

    L’avenir du rock

    - Lemon Incest

     

    D’une nature secrète, l’avenir du rock n’avouera jamais qu’il se sent parfois dépassé. Sa conseillère en communication ne rate pas une seule occasion de le taquiner :

    — Vous voulez toujours paraître sûr de vous, mais on voit bien qu’il vous arrive de vous surestimer...

    — À quoi voyez-vous ça, Nadia ?

    — Votre nez ! La pointe frémit lorsque vous défendez un groupe auquel vous ne croyez pas tant que ça.

    — Vous me rassurez ! Au moins vous n’avez pas vu mon nez s’allonger !

    — Vous êtes bien égal à vous-même. Vous vous en sortez toujours par une boutade. Au fond, c’est ce qui fait votre charme.

    — Ma chère Nadia, dois-je vous rappeler que je vous paye pour me conseiller et non pour me draguer ?

    — Allez, soyez fair-play, avenir du rock. Je ne fais qu’utiliser vos méthodes. Juste pour vous montrer l’effet que ça produit.

    — Bon cessons de batifoler, ma chère Nadia. Nous avons une journée chargée. Par qui commençons-nous ?

    — Nous avons rendez-vous à 11 h avec les frères d’Addario.

    — Ah très bien !

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    Responsables d’un petit buzz en 2016, les frères d’Addario sont vite devenus célèbres. Leur groupe s’appelle Lemon Twigs et leur premier album Do Hollywood. Leur truc, c’est de se distinguer à tout prix. Leur exemple pourrait rappeler celui des pré-Sparks, du temps où ils s’appelaient Halfnelson. Les Twigs pourraient aussi prétendre à être les Bowie des temps modernes, ils ont cette modernité de ton chevillée au corps, comme le montre «As Long As We’re Together». Ils visent le délibéré, l’absence de frontières, ils échappent à toutes les particularismes, ils sont à la fois intimistes et présents. Ils transforment leur pop en art. Attention avec les Twigs, il faut s’attendre à tout sauf à de la pop conventionnelle.

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    Ils sont résolus à brouiller toutes les pistes. Leur «How Lucky Am I?» est à la fois très pur et inclassable, avec son piano et ses harmonies vocales. Encore plus déroutant, voici «Hi+Lo» et ses grosses cavalcades teutoniques sur la glace du lac gelé, leur monde se complexifie mais fascine en même temps, ils s’amusent à casser le concept du hit, ils le fracassent en mille morceaux. Ils finissent néanmoins en mode hit pop, high & low for you, et ça explose. Ces deux-là ne respectent rien. Ils s’amusent à sonner comme des cadors avec «I Wanna Prove To You», c’est alarmant et réconfortant à la fois et cette pop baroque éveille vite l’intérêt, tellement elle se situe aux antipodes de la soupe qu’on nous sert aujourd’hui. Leur légèreté de ton les préserve des commentaires haineux. Ils sont vivaces et perspicaces, leur pop est à la fois baroque et sans avenir, mais que d’élégance dans l’élocution ! Ils ne se prendront jamais au sérieux, et ça va les sauver. Avec «Baby Baby», ils entrent à nouveau dans un délire. Ils fracassent littéralement la commerciabilité des choses. Ils échappent à tous les cadres. Ils terminent avec «A Great Snake» et s’imposent avec tout le sérieux du monde. Cette démarche ne te rappelle rien ? Mais oui, Dada, mais les Twigs sont américains et donc c’est autre chose. Dada est trop profondément européen, trop Arpy, trop romano-Tzarique. Leur Snake est très gorgeous, très introduit dans la vulve, l’ambiance reste à l’impertinence, rien ici ne correspond à rien, mais en même temps ça a du poids. Ils finissent tout de même en mode Mercury Rev.

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    Go To School est un album qu’il faut faire l’effort d’écouter sans trop s’arrêter sur les textes, car c’est un mini-opéra et donc un projet ambitieux. Autant le dire toute de suite : ils sonnent exactement comme Big Star avec «Queen Of My School». C’est joué à la dégringolade d’Alex Chilton, même processus, mêmes guitares, même power du poppisme. La fin de l’album est nettement plus intéressante, avec des cuts comme «Never Know», une fantastique explosion de pop supérieure, ou encore «The Fire» qui sonne comme un vrai hit, une vraie leçon de maintien. Incroyable stature de la tenure, c’est chanté au creux du menton, les deux frangins poussent bien le bouchon et le thème musical est fantastique. Ils sont les maîtres de leur monde. S’ensuit une Beautiful Song, «Home Of A Heart (The Woods)», ils retapissent la pop au cul des Twigs et ils passent ensuite à la Stonesy avec «This Is My Tree». On retrouve les accents tranchants de Steve Harley dans «Never In My Arms Always In My Heart», et ce chant typique suivi à la guitare. Très anglais, décadent et baroque à la fois. Ils vont parfois faire un petit tour à Broadway («The Student Became The Teacher») et dans un rock world qui n’est pas vraiment le nôtre («Rock Dreams»). Ils échappent aux cadres et aux modes. Il faut attendre «Lonely» pour renouer avec la beauté. Ils finissant en saluant les Beatles du White Album avec l’indicible «If You Give Enough» joué au thérémine.

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    Et voilà qu’en 2020 paraît Songs For The General Public. Pour fêter l’heureux événement, Shindig! leur octroie deux pages. Leur intention était de faire something that is no bullshit, like Paul Revere & The Raiders. Les deux frangins adorent jongler avec les références. Ils citent volontiers le Street Legal de Dylan et l’Holland de Brian Wilson. Ils citent aussi les Stooges et les Dolls pour «Leather Together», avec un chant à la Pete Shelley. Ils ont raison de faire appel à ces noms magiques, car leur Leather est amené à la violence extrême. Ils savent déclencher les furies de non-retour. Ça prend une tournure incontrôlable et ça explose en folie Méricourt de yah yah yah. Le coup de génie de l’album s’appelle «Hog» - You’re my confidente/ Now once in a while you haunt/ My dreams/ They turn into nightmares/ The water into mud/ The bed is soaked with blood - Ils montent ça jusqu’au sommet de l’art - I’m not you ! - Avec le «Hell On Wheels» d’ouverture de bal et cet accent tranchant, on se croirait chez Steve Harley & Cockney Rebel. C’est assez surprenant et plein de vie. Ils créent leur monde en toute impunité, avec un joli brin de décadence. Leur pop est inclassable, assez enjouée et même enjouable. On pense bien sûr à Halfnelson. Cette pop baroque n’a aucun espoir de plaire, mais ce n’est pas son propos. Ils amènent «Fight» aux accords de hit, mais ce n’est pas un hit. Ils montent chaque fois au créneau, gorgés d’esprit des seventies, au propre comme au figuré, c’est-à-dire au son comme au look. «Moon» sonne comme de la heavy pop désespérée. Ces deux mecs sont d’une enviabilité sans nom, ils battent la campagne avec la pop sauvage de «The One» et son solo arc-en-ciel. Ils développent une énergie de tous les instants. Avec «Only A Fool», ils explorent des territoires inconnus, ils créent des fondus chauds et veloutés dans le cul du diable, c’est même beaucoup trop baroque. Mais en même temps, ils inventent un genre : le baroque explosif. Il faut savoir l’accepter. Mine de rien, ils fabriquent de la modernité.

    Signé : Cazengler, l’immonde twig

    Lemon Twigs. Do Hollywood. 4AD 2016

    Lemon Twigs. Go To School. 4AD 2018

    Lemon Twigs. Songs For The General Public. 4AD 2020

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    Jon Mojo Mills : Looking for a place to dream. Shindig! # 105 - July 2020

     

    Inside the goldmine

    - Wendy est la Rene

     

    Les deux flics de la patrouille ne rigolaient pas.

    — C’est quoi ton nom ?

    — Rene... Je suis Rene...

    Les deux cops échangèrent un regard chargé d’incertitude. Le plus gros des deux répondit au bout d’un instant :

    — Et mon cul, c’est du poulet ?

    — Mais si, officer, je suis Rene...

    — Tu vois, petite salope de négresse, mon copain il est pape. Ça t’en bouche un coin, pas vrai ?

    — Pape ?

    — Ben oui, si toi t’es reine, lui il est pape, tu piges ? Get It ?

    Elle commençait à paniquer. Elle comprenait qu’elle allait passer à la casserole... Elle portait une mini-jupe, ce qui devait encore plus les exciter, elle avait oublié son sac et il faisait une chaleur terrible, même au cœur de la nuit.

    — Je vous jure sur la bible que je suis Rene...

    Le flic maigre commença à déboutonner sa braguette.

    — Me suis jamais tapé une reine, ma bite va s’anoblir... Suis certain qu’elle va adorer ça...

    Le gros s’épongeait le front. D’un ton menaçant, il lui ordonna de se tourner :

    — Maintenant, tu remontes ta jupe et tu nous montres ton cul, magne-toi !

    Alors elle tenta sa chance. Elle se mit à chanter et à claquer des doigts :

    — I smell something in the air/ You know it smells like/ bar-B-Q !

    Les deux flicards semblèrent pétrifiés. Elle dansait et chantait avec une niaque extraordinaire.

    — If I had some I wouldn’t care because/ I like bar-B-Q !

    Ils furent comme entraînés par ce jerk de reine, le maigre se mit à danser avec sa bite à la main et le gros fit onduler ses poignées d’amour, les deux bras en l’air. Alors elle mit la gomme et prit son refrain au raw de Stax :

    — Well I like bar-B-Q/ You like bar-B-Q/ We like bar-B-Q/ You know I sure like bar-B-Q !

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    On trouve ce hit énorme sur une rétrospective de Wendy Rene parue en 2012 sur Light In The Attic : After Laughter Comes Tears (Complete Stax & Volt Singles + Rarities 1964-1965). «Bar-B-Q» fait partie des hits de ce qu’on appelle l’early Stax. Elle est marrante, la petite Wendy Rene, elle chante d’une voix aiguë sur le gros beat Stax, c’est complètement juvénile, elle s’amuse comme une folle. Comme tous les autres artistes signés sur Stax, Mary Fierson est arrivée avec son frère Johnny en 1963, au 926 East McLemore Avenue, pour tenter sa chance, et pouf, c’est Otis qui va la rebaptiser Wendy Rene. Wendy avait 16 ans et son frère 17 - We went down to the Stax recording company - Wendy avoua à Mister Stewart qu’elle avait des chansons et Mister Stewart lui demanda de les lui montrer. Ça lui plut et il demanda à voir les parents de Wendy pour la signature du contrat. Mister Stewart cherchait the next big thing et pensait l’avoir trouvé avec Wendy Rene et son frère Johnny.

    Wendy était fière car Monsieur Cropper, Booker T, Al Jackson et Packy l’accompagnaient. Puis en 1965, elle décida d’arrêter pour élever ses enfants. Stax insista pour qu’elle reprenne du service et participe à la tournée d’Otis en 1967, mais elle hésitait à revenir dans le biz et finalement elle déclina l’offre. Ce fut un sacré coup de pot, car c’est durant cette tournée qu’Otis et les Bar-Keys sont morts noyés, suite au crash de leur avion dans un lac du Wisconsin. Wendy l’avait échappé belle.

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    Il faut écouter Wendy Rene. Elle est adorable, si sucrée, si féminine. Comme Carla qui est encore au lycée à cette époque, elle fait des slowahs très staxy avec des chœurs de femmes languides. Elle parvient à arracher certains balladifs du sol, comme de «What Will Tomorrow Bring». Elle duette parfois avec son frangin Johnny dans les Drapels («Wondering When My Love Is Coming Home»). Elle fait pas mal de Carla Thomas, donc il faut aimer ça. Elle chante son «Crowded Park» pied à pied, c’est nappé d’orgue, un peu à la 96 Tears. Elle est très présente, mais pas aussi percutante que Rozetta Johnson. Bon, c’est vrai, on ne peut pas tout avoir. Il faut parfois accepter de changer ses désirs plutôt que le cours du monde, oh ce n’est pas facile, nous sommes bien d’accord, mais avec un peu de volonté, on peut espérer y parvenir. Light In The Attic fait bien les choses, puisqu’il s’agit d’un double album, alors la fête se poursuit en C avec un «Love At First Sight» bien embobinant. Avec «She’s Moving Away», elle lève une pâte de Soul bien épaisse. Elle n’a pas une voix très ferme, mais elle force la sympathie. Comme Carla, elle tartine tout ce qu’elle peut, elle y va de bon cœur, elle n’a pas de problèmes d’octaves, elle fait une Soul très primitive. Encore un joli groove de Staxy Soul avec «The Same Guy» et une belle basse au devant du mix. C’est excellent, un peu rampant et staxé jusqu’à l’os. Tout ici est ficelé au ras des pâquerettes de McLemore. Elle fait son gros popotin avec «Can’t Stay Away», c’est tellement épais qu’elle parvient à transcender la notion de primitivisme Soul. C’est toujours bien tartiné, jamais tartignolle. Wendy Rene propose une early Soul merveilleusement contrebalancée. Quelle fantastique présence ! Elle reste toujours au bord du faux, comme d’autres au bord du gouffre.

    Singé : Cazengler, Reine des pommes

    Wendy Rene. After Laughter Comes Tears (Complete Stax & Volt Singles + Rarities 1964-1965). Light In The Attic 2012

    *

    Encore une fois parmi les nouveautés la pochette m'a tenté. Comment résister aux sortilèges d'une fée, surtout si elle représente la déesse du destin ! Deux opus à l'actif de Mother Morgana. Des autrichiens. De la ville de Graz, grosse cité située à cent cinquante kilomètres de Vienne.

    RISE

    MOTHER MORGANA

    ( 06 Janvier 2022 )

    Katharina Franz : vocal, keyboards / Jacob Mayers : bass, lyrics / Stefan Höfler : drums / Fabian Gössler : guitare, enregistrement.

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    Artwork : Ines Peinhaupt. Trois des morceaux de cet album ont paru précédemment agrémentés de trois dessins reproduits à leur place ci-dessous. Le lecteur pourra méditer sur la différence des styles avec la pochette finale du CD. L'on y retrouve toutefois le corbeau à tête squelettique, est-ce celui qui siégeait sur l'épaule gauche d'Odin et qui connaissait l'avenir, celui-ci étant facile à prophétiser toute chose étant soumise à sa corruption dixit Aristoteles. Encore faudrait-il savoir qui se cache sous la mort. Mother Morgana le proclame, Rise est un concept-album. Si la pochette semble souriante, le sujet l'est moins. Comment retrouver son chemin intérieur lorsque l'esprit a craqué.

     

    Emptiness – Dream I : avancée sonore inaudible, une voix voilée s'élève incompréhensible, ce qui est sûr c'est qu'une monture trottine dans le brouillard, elle continue imperturbable malgré des herbes hautes de guitares qui tentent de l'arrêter, le voyageur continue son chemin, tout se tait, seul reste un chuintement de marécage. Ce premier rêve est juste un début de cauchemar.

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    Outcast and stranger : basse conciliante, il s'avance, on le voit, on ne l'entend pas, maintenant sa présence est indubitable, il parle mais à l'intérieur de bruits, imaginez sa voix comme un craquement de bruyère séchée, Katharina traduit ses paroles pour nous, elle conte son désarroi et crie son désespoir, pourquoi est-il empli de tant de sable de solitude, la musique continue toute seule, elle ne peut plus rien pour lui, elle a beau prendre de l'importance, ce que l'on perçoit c'est ce crissement de roue de charrette mal huilée qui se répète tel un appel au secours qui ne veut pas dire son nom.

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    Call me echo : galop fracassé de batterie et charge de guitares, éclats de synthétiseur, il-elle chante, tout bas, il-elle répète les mots que chacun de nous prononce dans sa vie, lui-elle les a aussi proférés, mais il-elle ne sait plus quand, où et pourquoi. Soubassement pianistique, il-elle se souvient qu'il fut un temps où il-elle se souvenait, la terrible incertitude de lui et d'elle-même assombrit les guitares qui pèsent lourd, le drame est là dans cette trahison du réel qui n'a pas été à la hauteur des rêves vécus. No hiding – Dream II : un clavier lance les étincelles d'un brasier qui rougeoie, la voix du cavalier se fait plus claire, juste quelques mots qui taisent plus qu'ils ne disent.

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    Rise : quelque chose arrive, une vague de musique, la mer qui bat les rochers, l'on dirait que Katharina retient sa voix tout en l'allongeant, elle n'en peut plus elle vocalise sur des escarpins de guitare, la chose est là, tout près, elle ne demande qu'à sortir, l'on pressent une bête informe, une bulle de souvenirs qui ne veulent pas se souvenir, un globo qui ne veut pas crever, du verre brisé qui se reconstitue avant que l'on ait pu voir, que l'on ait pu savoir, mais l'envie de passer outre, de se persuader qu'il importe peu de regarder les yeux crevés du passé, terrible combat de soi-même contre soi-même, passer oultre. Emotion : guitare klaxonnante et danse tournoyante, quelque chose au fond de soi, je ne sais pas quoi, mais je pressens, musique en danse du sabre, il est temps de régler ses comptes avec soi-même, d'abord avec la réalité du monde et des pantins qui me ressemblent qui le peuplent. Exaltation. Don't dive to deep – Dream III : intermède, des paroles qui ricanent, des notes de piano qui explosent, un grignotement de souris affairée qui dérange. Sea of vision : l'on cède toujours, l'on glisse, l'on s'enfonce dans le gouffre, est-ce une défaite ou une victoire, le monstre se précise, Katharina nous prend par la main et nous oblige à regarder les documents délavés, l'on sait que l'on brûle, tintements de cristal, hurlements de peur et de colère, il est impossible de reculer, la musique vous interdit de regarder par le trou de la serrure, l'instant de vérité approche. La mer musicale nous emporte. Farewell letter : lettre d'adieu et de trahison, lui et elle se répondent, batterie martelée et course rythmique, froissements sonores, vocal de colère et de dépit, un motif arabisant évoque la cruauté du monde et les yatagans de la souffrance et de la haine inassouvie. Veil of ilusions : tout doux comme des temps de rédemption, le morceau débute comme une symphonie, la voix de Katharina se charge d'y mettre le feu, les rêves les plus fous entrent en collision avec la réalité du passé, il n'est pas mort, il a retrouvé son égo, il sait qu'il faut avoir du courage pour briser les menottes que l'on s'est soi-même passées. Il est nécessaire de vivre avec soi-même si l'on veut aller de l'avant. I am you are me – Dream IV : quatrième instrumental, un piano qui joue classique, la voix parle, un peu voilée, mais l'on comprend que le passé ne nous quitte jamais, que les rêves brisés subsistent aussi dans leurs moments les plus délicieux, que personne ne pourra vous les enlever, qu'ils sont en vous comme la bosse est sur le dromadaire. Strange ways : délivrance, Katharina chante, un peu jazz, musicalement le morceau tranche avec tout ce qui précède même si les guitares et la batterie remplacent les cuivres et les violons, à mi-chemin le rock revient pour mieux s'éloigner, nous refait le coup deux fois, mais Katharina nous donne   l'impression d'être  un vieux crooner désabusé de l'existence qui n'en continue pas moins à se battre comme un lion face à la vie.

    Agréable à écouter mais pas vraiment rock. Le groupe a des idées, il lui manque le pétrole de la puissance. Le thème n'est pas vraiment original, il est souvent développé par les groupes de metal et de doom, la qualité du texte est toutefois à souligner.

     

    ENDONAUTICA

    MOTHER MORGANA

    ( Juillet 2019 )

    Katharina Franz : vocal, keyboards / Fabian Gössler : guitare / Michael Ambroschütz : bass /

    Martin Furian : drums / Jacob Mayers : texts.

    Artwork : Denica Denkmair

    Leur premier album. Un concept-album plus ou moins directement inspiré de 2001 Odyssée de l'espace de Stanley Kubrick et peut-être aussi du jeu Randonautica. La pochette, très belle en elle-même, trop emphatique, ne correspond pas à l'esprit de l'album.

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    Ignition : belle performance de Katharina sur un groove imperturbable, elle ne chante pas le dictionnaire, plutôt un dépliant publicitaire pour nous proposer un voyage hors des limites de notre monde, on l'imagine à Cap Canaveral, au pied d'une gigantesque fusée interstellaire, déguisée en Monsieur Loyal en train d'appâter le client, attention à sa voix de poupée siliconée, bouchez-vous les oreilles comme Ulysse, sans quoi vous partirez, une tuyère rugissante se superpose au groove et l'on vogue déjà vers les étoiles. Musique rotor, forte et puissante. Hybris : Un ton au-dessus. Le voyage n'est pas ennuyeux car l'on peut parcourir deux routes à la fois, celle des étoiles et celle intérieure qui nous permet d'explorer notre passé, Katharina nous enchante de sa voix aérée. Maintenant elle est prête à tout, à passer la porte de l'inconnu. Longue traversée musicale, solo de batterie et note de synthé attiseur terminales. Odyssey : des cordes de guitare et la voix de Katharina s'enroulent autour d'elles telles un serpent versicolore et venimeux, attention à la piqûre tout s'emmêle et se brouille malgré la netteté cristalline de ce vocal, nous avons dû beaucoup voyager, dans le film, nous sommes dans la dernière scène, que se passe-t-il au juste, sommes-nous victimes d'une illusion programmée ou dans le cerveau macrocéphale d'un bébé imaginatif. Profitons-en pour goûter l'orchestration, peu de moyens et beaucoup d'effets, ce que les paroles n'expliquent pas, le background le traduit. Magnifique. Whispering : où sommes-nous, dans un cauchemar, dans une illusion, dans une solitude sans fin, la voix de Katharina semble constituée de larmes gelées, parfois elle s'énerve, désire si fort retoucher à la réalité, mais la glaciation éternelle l'emprisonne une nouvelle fois, la guitare soloïse comme si elle devait attendre toute une éternité avant qu'elle ne se réveille. C'est si bien fait que l'on se croirait dans la partition d'une comédie musicale, préparée au millimètre près pour triompher à Broadway. Wild eyes : suspense et délire. Une voix si lointaine. A qui parle-t-elle et surtout d'où parle-t-elle, depuis les tréfonds de son angoisse métaphysique ou quelque chose de trivial est-il vraiment en train de se passer, groove-blues, lorsque la mort s'avance vers nous, quel masque porte-t-elle, le nôtre, celui de l'ennemi à soumettre auquel il faudra peut-être se montrer servile. Une guitare qui file, une batterie qui pointille, tout va très vite, tout va trop vite. Jusques où ? Point d'interrogation synthétique. Icarian : Quelques notes qui tombent. Tout est fini. Le corps se désagrège. Lentement mais sûrement. Le temps de traverser le silence et de passer de l'autre côté. De l'autre côté de la vie. Dans cet espace plat que nous nommons la mort. Qui n'est que l'autre nom de l'éternité. Elle est retrouvée. Qui ? Ô temps suspends ton vol ! Serait-ce l'amour, ou le rire démoniaque de l'ironie qui au bout des circonvolutions du tapis volant instrumental vous invite à entreprendre le voyage.

    Cet album est bien meilleur que le deuxième. Totalement différent. On ne croirait pas qu'il s'agisse du même groupe. La section rythmique d'origine n'est plus sur le deuxième album. Elle avait cet avantage de jouer clair, de se marier en voiles blancs et gazes transparentes avec les autres instruments qui paraissent avoir plus d'espace pour respirer. Ce qui distingue ce disque de beaucoup d'autres, c'est son originalité. Il ne suffit pas de posséder un concept, encore faut-il savoir le faire bouger. Ici l'on ne sait pas ce qu'il va se passer au morceau suivant. Tout est surprise. Tout est signifiant. L'auditeur est en attente, et jamais déçu. Pourtant le disque possède une unité sidérante. Sur Rise l'on pressent une bonne chanteuse, sur celui-ci elle nous confond de par son talent. Quelle facilité, quelle plasticité. J'espère que ce petit chef-d'œuvre ait été reconnu à sa juste valeur en Autriche.

    Damie Chad.

     

    *

    L'image est mystérieusement apparue sur ma page FB, apportée par une cigogne ai-je hypothésé en déchiffrant le titre L'enfant de la lune, whaou ! un album pour les tout-petits, avec ce bleu de couverture clinquant de Klein, cette tache jaune qui monopolise l'œil, en prime cette bonne grosse lune blanche, on se l'arrachera dans le coin-lecture des maternelles, lorsque mon regard est tombé sur le nom de l'auteur en bas à droite, j'ai compris mon erreur. L'affaire était beaucoup plus sérieuse.

    MOONCHILD

    ALEISTER CROWLEY

    ( Trad: Audrey Muller & Philippe Pissier )

    ( Editions Anima / Novembre 2021 )

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    D'ailleurs inclinez le volume ( devant, derrière, sans omettre le dos ) vers la lumière et vous verrez... Ce que vous devez voir. L'on ne présente plus Aleister Crowley ( 1875 – 1947 ) aux kr'tnt-readers. Les Beatles ont figuré sa figure sur la pochette de Sgt Pepper's Lonely Hearts Club Band, Jimmy Page a tenu à s'acheter le manoir du Magicien le plus célèbre du vingtième siècle, comme aime à le rappeler dans sa docte introduction Mark S. Morrison.

    Phillipe Pissier a déjà traduit en notre langue plusieurs traités de magie de Crowley. Je sais, le mot de magie ne semble pas trop sérieux aux esprits raisonnables, détendez-vous, souriez, cette fois-ci c'est un roman, vous voici soulagés, vous êtes prêts à vous lancer dans une lecture pour le moins abracadabrante – avec Crowley il faut s'attendre à tout – mais une fiction sans danger qui n'engage à rien puisque c'est un roman ! Bien sûr vous avez raison. Un roman certes, toutefois un roman de magie. Si vous êtes courageux continuez la lecture de cette phrase, car plus qu'un roman de magie, nous avons affaire à un roman magique.

    Peut-être n'êtes vous pas très versé en magie. Cela tombe bien. Moonchild peut être lu comme un manuel de magie pour débutants qui n'y connaissent rien. Facile à comprendre, il ne se présente pas comme un précis théorique, n'ayez crainte ce n'est pas votre maladresse qui est appelée à entrer en action. Les personnages du roman s'en chargent. Z'êtes dans votre fauteuil comme si vous regardiez un western à la télé. Toutefois un western ésotérique. Ce qui change la donne. Nous voici obligé d'explorer le premier tiroir à double-fond. Aucune tricherie. Même si Moonchild est un roman à clefs multiples. Vous bénéficiez d'un éditeur, Anima, sympa : en fin de volume une dizaine de pages vous révèlent l'identité véritable des différents personnages. Pour être un Mage, Crowley n'en fut pas moins un homme. Règle ses comptes avec le petit monde ésotérique de son époque. Vous voici transporté au cœur de la Société Hermétique de l'Aube Dorée, cette société secrète britannique à cheval sur les dix-neuvième et vingtième siècles qui compta parmi ses membres le poëte Williams Butler Yeats, rappelons que Crowley fut lui-même poëte et que nous étions en une époque où la poésie fut un des véhicules essentiels du Mystère...

    A la fin du dix-huitième siècle les sociétés secrètes traditionnelles s'effondrent. Raymond Abellio synthétisera ce phénomène politique sous l'appellation de dévoilement de l'ésotérisme. Les enseignements secrets seront à la portée de tous. Le Romantisme s'en saisira. L'entreprise magicke de Crowley, durant toute sa vie, consista à revisiter tous les éléments dispersés de l'ésotérisme traditionnel afin de les rassembler selon une méthode de grande efficience capable de préserver cet héritage séculaire en le transformant en arme de combat contre la déhiscence péréclitante du Monde Moderne. Un tel projet de conceptualisation hégémonique rencontra de multiples oppositions. Crowley empêcha bien des sommités reconnues de l'ésotérisme d'ésotériser en rond...

    Je vous ai promis un western. Un vrai, avec le combat impitoyable des affreuses tribus peaux-rouges contre les gentils cowboys. Donc pas de féroces Séminoles ni de Septième de Cavalerie en renfort au grand galop, nous avons mieux en magasin, pire aussi. Deux ordres secrets engagés en une lutte à mort. Rassurez-vous les forces du bien l'emporteront sur les forces du mal. A cette nuance près qu'il ne faut pas trop se précipiter d'entrevoir ces deux postulations selon un regard éthique. Le néophyte en prend plein le cerveau. Tactiques et mises en pratique sont longuement exposées. Notamment les fameux rituels de sorcellerie. Ce mot n'est pas employé une seule fois dans le livre, reconnaissez que le petit frisson qui a parcouru votre moelle épinière n'était pas désagréable. C'est beaucoup plus subtil que cela. L'est sûr que les programmes à la bave de crapaud et de sang de porc-épic prélevé dans un cadavre encore chaud de moine syphilitique décédé depuis exactement treize heures sont l'apanage du camp adverse, celui qui s'oppose à l'équipe dans laquelle Crowley s'est doublement enrôlé puisqu'il apparaît sous forme de deux personnages.

    Le livre n'abuse point de ces oripeaux. Il se présente avant tout comme une réflexion sur l'essence de la magie. Sans tirer vers l'abstraction abstruse. De simples discussions tenues en un vocabulaire des plus simples. Nous vivons dans la réalité du monde. Du monde que nous percevons. Avec nos sens. Il est donc toute une partie du monde dans lequel nous vivons que nos limites sensitives nous interdisent d'appréhender. Le monde est peut-être beaucoup plus étendu que nous ne le pensons. Dans les quatre directions de la boussole. Mais aussi en hauteur et en profondeur. Nous ne squattons qu'un étage. Pourquoi n'existerait-il pas d'autres êtres vivants qui batifoleraient à nos côtés, et au-dessous et au-dessus de nous. Sans que nous les remarquions. La magie est l'art d'entrer en contact avec ces entités très différentes de nous, de les appeler, de pactiser avec elles afin qu'elles nous aident à réaliser nos desseins les plus sombres comme les plus lumineux. Cette vision du monde n'est pas très éloignée de celle des anciens grecs qui imaginaient le monde comme un assemblage de sphères emboîtées les unes dans les autres, chacune sous l'égide de la puissance tutélaire d'un Olympien.

    Crowley, même s'il a rejeté avec violence le christianisme familial, restera marqué par la fantasmagorie culturelle chrétienne. D'où à première vue ce camp du bien opposé au camp du mal. Crowley est beaucoup plus subtil que cela. Le lecteur préfèrera connaître cet enfant de la lune, qu'est-ce qu'au juste un enfant de la lune. C'est un enfant conçu selon les effluves séléniques. Une opération difficile qui exige calme et précision. L'enjeu est de taille. Il faut trouver la mère. Qui se doit d'être en accord avec le projet. Ce n'est pas la partie la plus difficile. L'ennemi rôde autour de la maison-chrysalide. Beaucoup plus embêtant. Une sombre puissance est aux aguets. Ses agent seront éliminés. Il est temps de relire Le Masque de la mort rouge d'Edgar Poe. Vous pouvez monter la garde la plus attentive en dehors et dedans le bunker protecteur, le cheval de Troie est déjà au centre de la place-forte depuis le début.

    Régal du lecteur. Rituels et contre-rituels se succèdent. Nous qualifierons ceux de la partie adverse de visqueux. Imaginez les démarches et les bêtes répugnantes que vous associerez à cet adjectif. Intellectuels sont les rituels qui arrêteront ces hostiles et gluantes menées. Intellectuels parce que tout se passe dans la tête. Nous n'avons pas cité Edgar Poe au hasard, d'abord parce qu'il est nommé dans le roman, surtout parce que le poëte du Corbeau s'est beaucoup préoccupé de la notion de réversibilité. Que tend à nous laisser entendre Crowley ? Que tout rituel est réversible à l'image d'un symbole. Toujours est-il que les choses malgré les menées des uns et des autres s'arrangent d'elles-mêmes, au final beaucoup de bruit pour pas grand-chose, le drame tourne au vaudeville.

    Ne soyez pas déçu. Si votre pardessus est réversible vous pouvez le retourner autant de fois que vous le désirez. Le vaudeville se transforme en histoire sans fin. La magie serait-elle une occupation stérile qui mène à tout et à rien. Vous n'avez rien compris du tout. Moonchild n'est pas un livre de magie, mais un livre magique. Bis repetita placent. Allez chercher l'enfant de la lune chez sa nounou, et laissez jouer les hommes entre eux. Ils ont mieux à faire que de torcher les gosses. Mark Morrison prévient le lecteur moderne, Crowley était misogyne. Que ce roman ne tombe jamais dans les mains d'une sectatrice Me tooïste ! Gloire à Audrey Muller qui a participé à la traduction ! Les esprits faibles rajouteront une deuxième couche : la magie ne serait-elle pas une occupation futile, pas plus importante que la partie de foot que disputent les gamins du quartier sous vos fenêtres.

    Le livre n'est pas terminé. Ne manquez pas de lire l'épilogue qui nous raconte ce que deviennent les personnages. Le roman fut publié en 1929 – année de crise - mais écrit aux Etats-Unis, en 1917. Le but de Crowley n'était pas de rédiger un bon roman rempli d'étranges péripéties dans le but d'étonner et de captiver le lecteur. Moonchild est une œuvre macgicke et métapolitique. Elle est à lire comme un rituel destiné à entraîner les USA à entrer en guerre contre l'Allemagne et surtout à rappeler la nécessité d'une renaissance spirituelle de la modernité. Le roman lui aussi est réversible. Vous pouvez le relire.

    Damie Chad.

     

    RAUNCHY BUT FRENCHY ( 7 )

    HOLLY DAYS IN AUSTIN ( II )

    DICK RIVERS

    ( New Rose / 1991 )

    On prend les mêmes et l'on recommence. Pas exactement, ce serait trop simple.

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    Oh boy ! : rien à dire, ça change tout. Même orchestration, mais le vocal à pleine dents, c'est ainsi que l'on se rend compte de la difficulté de chanter en français ! Cette nécessité de resserrer les vocables de notre langue, de les compresser au maximum, de les réduire, de les mettre en bocal comme ces crotales que l'on jette vivant dans le moonshine et qui ne peuvent plus mordre malgré les torsades de leur agonie... Well, all right : ici, c'est un peu le contraire, Rivers chante trop ''français'', le titre paraît adopté de sa version française et non de Buddy, ce qui manque ce sont les nuances, ces courbures palatales de Buddy qui ne passe jamais en force. Heartbeat : absentes les effluves nasales de Buddy, Dickie bien à côté de la plaque, cette version anglaise fait regretter la french connection établie par Bernard Droguet avec le roman de Fitzgerald, les belles infidèles ont parfois beaucoup plus d'attrait que les épouses soumises à leur seul mari, s'affranchir en toute franchise est vraisemblablement le secret de toute adaptation – et non pas traduction – réussie. It doesn't matter anymore : doit être un grand fan de Buddy le petit Dickie pour reprendre pour la deuxième fois le titre le plus plat du rocker de Lubbock – Holly se cherchait plus qu'il ne s'était réellement trouvé, et le rock 'n' roll s'annonçait déjà comme la future cause perdue in the States – quoi qu'il en soit, en n'importe quelle langue, à Austin ils ont réussi à sauver les meubles et faire mieux que l'original. Ce qui entre nous n'était pas difficile. Malgré la multitude de ses possibilités Buddy n'était pas un chanteur de charme. Everyday : envoyez la musique, cette version enlevée est peut-être meilleure que la précédente, sûrement parce que le timbre de Rivers paraît beaucoup plus éloigné en langue originale de celui de Buddy, profonde coupure avec le monde de bisounours dans lequel nous plonge la douceur hollyenne. Not fade away : Vous préfèrerez la version sur Dick 'n' Roll et celle-ci à son homologue en langue verlainienne, please play loud, cela semble donner raison à ceux qui affirment que l'on ne peut chanter le rock 'n' roll qu'en idiome shakespearien, toutefois c'est mal poser le problème, même s'il existe de très belles et rares adaptations, le secret de la réussite consiste à créer et non à reprendre. Ce qui déjà effectue une brisure avec le déploiement du rock américain qui a énormément progressé de reprise en reprise. True love ways : l'a trouvé la parade Dickie pour nous offrir un somptueux cadeau, bye-bye Buddy, oubliez-le, Rivers se souvient de son ami lointain, la chante à la Elvis Presley, voix grave et profonde, d'une manière très différente de sa version française. Take your time : les bons plans, c'est comme la recette de cuisine dont on use et abuse dès que des invités se pressent à la maison, le vice d'Elvis reprend Rivers, nous sort de temps en temps – pas toujours car il ne faut pas exagérer – sa voix caverneuse, comme ce n'est pas tout à fait un slow, Dickie la laisse de côté sur les passages rythmiques. Wishing : passe en force Monsieur Rivers, certains trouveront qu'il est un peu cavalier envers Buddy, mais piquer un cheval aux hormones avant la course est de bonne guerre, surtout si l'on remporte la bataille. En plus il fait ressortir l'orchestration qui semble donner du clairon. Maybe baby : ce n'est pas meilleur, Dickie chante plus vite que ses chaussures. En français on pardonne, on feint de croire que l'on a mal entendu, mais en anglais c'est quelconque. De fait la meilleure version française de Maybe Baby c'est New York avec toi de Téléphone. Non créditée à Buddy. Reminiscing : la beauté de la version de Buddy c'est le sax qui écrase tout, le gars à lunettes se contentant de minauder tout autour, ce coup-ci Dickie y va plus à fond et j'ai l'impression qu'ils ont remis le sax devant. Vous préfèrerez la Rivers french touch. Crying, waiting, hoping : était-ce vraiment la peine de faire semblant de mâcher du chewing gum, certes Buddy était américain, mais il ne donnait pas l'impression de rouler un palot à un cheval quand il s'avançait pour embrasser une fille. On eût aimé un peu de distinction et non cette furia franchese trop balourde.

    Nous serons plus sévère envers cet Holly Days in Austin II, si le premier est une curiosité qui mérite le détour, ce second malgré quelques meilleurs scores ne ravira que les fans, s'avère dispensable. Ce qui n'oblitère en rien ce mémoire hommagial de Dick Rivers dédié à Buddy Holly.

    Damie Chad.

    P. S. : une triste nouvelle, la mort à l'âge de cinquante-six ans de Pascal Forneri, le fils de Dick Rivers. Il réalisa des clips notamment pour son père et pour Rachid Taha.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    Episode 14

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    CONFERENCE SOMMITALE

    Les filles toussaient. Le Chef avait passé toute la nuit à fumer Coronado sur Coronado afin d’élaborer le plan Alpha, d’épaisses volutes de fumée bleutée avaient envahi l’abri et rendaient l’atmosphère irrespirable, nous étions tous regroupés autour du Chef et attendions les directives.

    _ je vous sens tous tout ouïe serrés autour de moi comme un banc de sardines, pendant que vous dormiez, malgré les bruits suspects qui me parvenaient - les filles rougirent ou plutôt rosirent d'un rose socialiste libéral - mon vaste cerveau n’a point cessé de méditer un quart de seconde, voici donc le résultat de mes cogitations transcendantales.

    L’heure était grave, Molossa et Molossito se couchèrent aux pieds du Chef, et ne tardèrent pas à fermer les yeux, toutefois leur oreille gauche de temps en temps affligée d’un léger tiraillement trahissait leur attention, les braves bêtes étaient aux aguets et ne perdaient pas un mot des étonnantes analyses et terribles décisions auxquelles le Chef s’était livré :

    _ Il m’en coûte de le reconnaître, l’Avorton a raison - un oh ! de stupéfaction généralisée accueillit les paroles du Chef - chaque fois que le SSR intervient dans cette redoutable et incompréhensible affaire, les morts s’entassent à foison, à croire que ces impétrants y prennent du plaisir, cela ne peut plus durer !

    Le Chef alluma un Coronado, nous nous tûmes respectueusement durant cette délicate opération , une fois celle-ci terminée le silence s’installa. Au bout de cinq longues minutes je l’interrompis :

    _ Qu’allons donc nous faire ?

    _ Agent Chad, modérez vos ardeurs, je répondrai par un seul mot à votre interrogation angoissée, Rien !

    Cette fois-ci ce fut un Oh ! scandalisé qui jaillit de nos bouches, le pavillon droit des chiens se leva et s’abaissa signe de leur grande perplexité.

    - Je sens que le fait de ne pas bouger de toute la matinée vous effraie, vous avez peur de vous ennuyer, je le comprends, votre cervelet maigrelet ne peut se complaire à rouler de vastes interrogations, aussi je vous octroie une demi-heure de répit, sortez, précipitez-vous chez les marchands de journaux, achetez chacun une dizaine de revues et revenez les lire ici. Exécution immédiate.

    UNE SEANCE DE LECTURE

    Trente minutes plus tard, nous étions de retour, chacun surchargé d’un énorme paquet de diverses publications. Le Chef nous transmit ses dernières instructions.

    _ Sachez que nous ne faisons que suivre les leçons d’Edgar Allan Poe, un des plus grands esprits de l’Humanité, selon lequel il est inutile de se rendre sur les lieux d’un crime, la cause, et donc la solution, de toute affaire mystérieuse se trouve obligatoirement en dehors de celle-ci, hélas l’on ne peut pas être dans tous les coins du monde, par bonheur il existe des milliers de personnes qui se chargent de cette tâche, ce sont les journalistes sempiternellement à l’affût, ils collationnent tout ce qui leur tombe sous la main, sans réfléchir aux implications de leurs trouvailles qu’ils rangent dans les faits divers, donc lisez attentivement, l’un de vous finira par dénicher un indice qui orientera la suite de notre enquête.

    Pendant près de trois heures l’on aurait entendu une mouche marcher au plafond, la matinée fut studieuse, nous épluchâmes divers périodiques en long en large et en travers, hélas en vain. Sans doute y serions-nous encore si Molossito n’avait poussé un jappement. Nous nous étions immédiatement tous levés, heureux d’échapper à notre fastidieuse corvée pour déverrouiller la porte d’entrée et permettre au chiot d’arroser le gazon, Molossito nous tourna ostensiblement le dos, sauta lestement sur les genoux du Chef occupé à rêvasser sur son Coronado.

    _ Ah ! Ah ! Je subodore que ce jeune voyou a quelque chose à nous montrer, sans quoi il ne brandirait pas si fièrement une revue dans sa gueule, ah ! un choix canin intelligent : Trente millions d’amis, voyons voir, tiens une trace de truffe humide particulièrement baveuse page 33, écoutez-moi le titre de cet article : Le Trublion de la Tour Eiffel enfin arrêté ! Agent Chad voudriez-vous de votre voix mâle et virile nous lire cette prose que je pressens de première importance.

    De ma belle voix de baryton dont les modulations ne sont pas sans produire de délicieux frissons parmi la gent féminine je m’exécutais.

    _ Depuis plusieurs semaines les riverains de la Tour Eiffel avaient noté un changement anormal dans le comportement de leurs toutous chéris. Systématiquement leurs compagnons à quatre pattes se mettaient à aboyer comme des sauvages entre dix-sept et dix-huit-heures. La mairie alertée envoya un spécialiste qui assura que c’était la faute au changement climatique. Cette explication ne convainquit personne. Des citoyens excédés se réunirent et décidèrent de former une milice chargée de quadriller le quartier afin de découvrir l’origine de cette fureur canine. Après une longue enquête le coupable fut repéré. Une espèce de chanteur de rue qui de cinq à six heures du soir venaient chanter ( fort mal ) sous le parvis de la Tour Eiffel. La Mairie prévenue se défaussa de toute responsabilité en arguant de la liberté d’expression artistique qui reconnut-elle pouvait déplaire à certaines personnes et à certains chiens mais à laquelle elle ne saurait s‘imposer au nom des droits fondamentaux et démocratiques qui régissent notre société. Au moment où nous mettons sous presse nous sommes prévenus par un lecteur fidèle que hier soir à dix-huit heures pile un car de policiers procéda à l’arrestation du quidam qui rangeait son matériel. Le prévenu est en garde-à-vue au commissariat du dix-septième arrondissement, nous n’en savons pas plus. Nous espérons que cet abominable malotru qui se livre à des actes de tortures auditives sur de pauvres bêtes innocentes sera déféré au parquet et passera de longues années en prison.

    _ Agent Chad n’avez-vous pas honte, c’est votre chien qui ne sait pas lire qui trouve l’information capitale alors que vous n’avez cessé de regarder les illustrations de la revue pornographique : Gros Nibards et Petits Culs

    _ Oh ! firent les filles

    _ Il est évident que nous devons entrer en contact avec ce Neil Young, il est clair comme de l’eau de roche que l’on a voulu protéger ou mettre au frais ce rigolo, Agent Chad, débrouillez-vous pour vous faire arrêter par la police et rester en garde à vue dans la même cellule que ce gazier, revenez nous rendre compte de ses révélations. Exécution immédiate !

    TRAVAUX D’APPROCHE

    Lecteurs ne tremblez pas, il n’est aucune mission qui ne soit hors de portée d’un agent du SSR. Ma première idée fut de trucider une vielle mémé en pleine rue, d’être ceinturé et livré à la police par deux ou trois citoyens courageux. A la réflexion il n’était pas sûr que je sois emmené au commissariat du dix-septième. Je me devais d’agir avec discernement et subtilité. Rien ne sert de se précipiter. La réussite de toute entreprise tient de l’instant approprié à son déclenchement. En médecine ce principe est assuré par la chronobiologie qui consiste à administrer à un patient le médicament à l’heure à laquelle il lui sera le mieux approprié, les anciens grecs parlaient du kairos, cet instant propice garant de la réussite de votre action. Je passais la journée à me livrer à de menus achats, c’est à trois heures du matin que je sonnais à l’entrée du commissariat du dix-septième arrondissement. Je devais jouer serré, mais j’étais prêt, c’était maintenant ou jamais.

    A trois heures du matin je sonnais donc à la porte du commissariat. J’avais au préalable effectué quelques changements dans ma tenue. Pas grand-chose, j’avais pressé sur mes vêtements les nombreux steacks hachés que je m’étais procurés tout au long de la journée dans diverses boucheries. J’étais couvert de sang des pieds à la tête. Un guichet s’ouvrit, l’œil inquisiteur du préposé à l’accueil ne fut pas sans le remarquer

    _ Holà, Monsieur que vous arrive-t-il, vous avez été renversé par une voiture, je vous ouvre tout de suite !

    _ Merci Monsieur, c’est très gentil, non je n’ai pas été renversé par un chauffard, je viens de tuer ma femme, je ne l’ai pas fait exprès mais elle m’a énervé, elle voulait que je fasse la vaisselle !

    _ Ah, ça ne m’étonne pas, elles deviennent toutes folles ces temps-ci, elles ont de ces prétentions exorbitantes qui dépassent l'imagination, entrez, entrez, je vous prépare une tasse de café pour vous remettre !

    J’étais au cœur de la citadelle, la première partie de ma mission était accomplie. J’étais assez fier de moi, je l’avoue modestement.

    A suivre…