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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 29

  • CHRONIQUES DE POURPRE 582 : KR'TNT 582 : P. J. PROBY / SUEDE / DUSTY SPRINGFIELD / DRIPPERS / ADMIRAL SIR CLOUDESLEY SHOWELL / DESOLATE GRAVE / POBBY POE & THE POE KATS / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 582

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    05 / 01 / 2023

     

    P. J. PROBY / SUEDE

    DUSTY SPRINGFIELD / DRIPPERS

    ADMIRAL SIR CLOUDESLEY SHOWELL  

    DESOLATE GRAVE

     BOBBY POE & THE POE’S KATS

     ROCKAMBOLESQUES

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 582

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    La probyté de P.J. Proby

     

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             Pour présenter P.J. Proby, Simon Goddard cite Nik Cohn. Cohn qualifiait Proby de the great doomed romantic showman of our time. Le portrait de P.J. Proby se trouve en effet en couverture d’un petit roman de Nik Cohn intitulé I Am Still The Greatest Says Johnny Angelo, et pourtant, ce n’est pas un livre spécialement consacré à P.J. Cohn se livre à l’exercice de la fiction rock, dans ce qu’elle peut présenter de plus aléatoire, mais il précise tout de même dans sa préface que sa principale source d’inspiration est P.J. Proby : «Proby, pour tous ceux qui n’étaient pas là en 1965, était un solide gaillard originaire du Texas qui débarqua dans la British pop pour la ravager, comme John Wayne à Iwo Jima. Imaginez le Duke en costume de velours bleu avec des escarpins à boucles aux pieds et une coiffure de page du 18e siècle. Il créa la sensation, mais son talent pour l’auto-destruction surpassa encore ses prodigieux talents de chanteur et de showman et il disparut rapidement.» Cohn s’intéresse en fait à la notion de self-made gods, qu’on appellerait en France les demi-dieux. Il cite Elvis, white-trash mamma’s boy, Phil Spector qui devint un teen millionaire, et puis d’autres.

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             Simon Goddard accorde une belle interview à Proby dans Record Collector. Il a raison de se dépêcher car Proby atteint les quatre-vingt balais et se dit très surpris d’être encore en bon état. Comme Jerry Lee, il croyait qu’il ne dépasserait jamais les 27 ans. Pour situer Proby dans le temps, disons qu’il a commencé tôt, en 1959, à Hollywood. Il s’appelait alors James Marcus Smith et arrivait tout droit du Texas. Le secret de sa longévité ? I stopped drinking. Il s’est arrêté en 1992, quand il est tombé dans les pommes en Floride. Son cœur s’est arrêté cinq fois sur la route de l’hosto. Proby avoue avoir picolé toute sa vie. Ses parents lui donnaient de la bière quand il avait trois ans. Ça les amusait de voir baby Proby danser lors des barbecues. Quand on a ce type d’entraînement, on tient bien l’alcool - I’d been a professional drinker all my life - Il a rencontré Frank Sinatra et Dean Martin qui lui ont enseigné l’art de boire du matin au soir, à petites gorgées  - Just sip and sip and sip your drink - Proby dit avoir toujours préféré le bourbon. Il démarrait le matin avec trois Bloody Marys et continuait à la bière. Carlsberg Special Brew. Puis, il attaquait la bouteille de bourbon lorsque la nuit tombait.

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             Quand on lui demande qui est Proby, il répond qu’il se voit comme un acteur du Hollywood des années 30, c’est en tous les cas ce qu’il prétend être sur scène. Quand il sort de scène, il redevient Jimmy Smith. S’il choisit à une époque la queue de cheval et les chemises à jabots, c’est pour se différencier des autres looks, ceux d’Elvis avec la pompadour et des Beatles avec la coupe au bol. S’il porte la queue de cheval, c’est en souvenir d’Errol Flynn. S’il porte des escarpins à boucles, comme les pilgrims, et la chemise à jabot des pirates, c’est pour devenir un personnage de cinéma. Hollywood des années 30 !

             Proby raconte qu’à son arrivée à Londres, il est devenu pote avec John Lennon et allait chez lui chaque samedi. Puis il revient sur les Chelsea days, lorsqu’il partageait un appart avec Kim Fowley et Bongo Wolf. C’est la fête tous les soirs et en bon redneck qui se respecte, Proby accepte tout le monde sauf les homos. Jonathan King n’a pas le droit d’entrer. Et puis en 1965, il part en tournée en Angleterre avec Cilla Black. Lors du premier concert, il arrive sur scène et craque son pantalon. Kim Fowley vole à son secours et lui jette sur les épaules sa robe de chambre avec la carte du Texas brodée dans le dos. Évidemment, Proby ne prend pas l’histoire du pantalon craqué au sérieux - I took no notice because I thought it was a bunch of crap - Mais le comité de Mary Whitehouse déclare que Proby est obscène et la presse suit le mouvement, affamée de scandale. Proby est viré de la tournée et Tom Jones le remplace. Catastrophe ! Il est arrivé la même chose à Jerry Lee quand les journalistes ont découvert qu’il avait épousé sa cousine âgée de 13 ans. Mais comme Jerry Lee, Proby ne craint pas le scandale. À l’instar d’Errol Flynn, il agit en pur hellraiser, toujours en quête de chaos - I was living up the Hollywwod image.

             Alors Simon Goddard propose un jeu dangereux : il cite les mythes créés par la presse et demande à Proby de dire s’ils sont vrais ou faux. Premier mythe : Proby a descendu l’une de ses ex avec un fusil à air comprimé. Proby répond qu’il n’y a jamais eu de preuves. Deux : il quitte la scène en plein milieu d’un show en disant qu’il souffre d’une blennorragie. Vrai. Trois : il a assommé le patron de la BBC d’un coup de poing en pleine gueule. I sure did. Proby ne supportait plus d’entendre cet abruti de Billy Cotton JR faire référence aux split pants. Boum, son poing en pleine gueule. Résultat : The BBC banned me for eternity. C’est comme ça qu’on ruine une carrière. Alors Goddard lui demande s’il va écrire ses mémoires et Proby lui répond que c’est déjà fait, mais le texte est trop long. 500 pages ! Par contre, il bosse sur un projet de docu qui retracerait son histoire.

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             Sur son premier album paru en 1964, Proby ramène pas mal de hits américains. L’album s’appelle I Am P.J. Proby. On y retrouve le fameux «Rockin’ Pneumonia & The Boogie Woogie Flu» de Huey Piano Smith immortalisé par Jerry Lee. Ah il sait rocker, c’est un vrai Texan ! Son boogie woogie flu sonne si juste, sur ce heavy tempo à l’anglaise, avec du piano et de l’harmo à gogo. Il va droit au but du beat. N’oublions pas qu’il fut baptisé P.J. par Sharon Sheeley, la poule d’Eddie Cochran. Il tape aussi dans l’«I’ll Go Crazy» de James Brown. On trouve en plus pas mal de pop éplorée sur cet album. On le voit tartiner le nutella de «The Masquerade Is Over». C’est du Clyde McPhatter et Proby l’explose au firmament. Il sait faire de la soupe de neiges éternelles. C’est un maître chanteur, il tape dans le haut du panier et avec «Glory Of Love», il montre qu’il peut faire son Tony Benett et son Sinatra quand il veut. En B, il fait un peu de Beatlemania avec «Don’t Worry Baby» et bat les Beach Boys à la course. Il tape le «Question» de Lloyd Price à la big energy. Ce mec est en caoutchouc. Encore un superbe exercice de style avec «Just Call And I’ll Be There», full-bloody Proby treatment. Il fait aussi un shoot de Cajun avec «Louisiana Man» mais à Londres, c’est passé à l’as. Il termine avec le «Cuttin’ In» de Johnny Guitar Watson. Ce brave Proby sait choisir ses amis.     

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             Attention à ce P.J. Proby paru en 1965. Il y arbore un beau salad bowl digne des Beatles de Revolver. Fantastique pochette ! Et le contenu ne reste pas en reste, car il grimpe par-dessus les toits dès «The Neatness Of You» et tape dans le fantastique «Lonely Weekends» de Charlie Rich. Il va chercher le jazzy feel de Big Charlie. On note l’extraordinaire énergie du chant et de l’orchestration. Proby est tout simplement supérieur en tout, il ramène toute la big American music dans «If I Loved You», mais ça ne cadre pas du tout avec le swingin’ London. Son «When I Fall In Love» dégouline de mâle assurance - When I fall in love/ It will be for/ Ever - Il chante ça à pleine voix. C’est le roi du too many kisses, c’est nappé de violons à outrance. Proby se hisse au sommet de tous les arts. Il shoute «She Cried» dans le vent. Côté pulmonaire, il est imbattable. Il sonne comme un phare dans la nuit, à la limite, on ne verrait plus que lui. Dans «Secret Love», il est complètement explosé de son. Il gueule par dessus les toits, c’est l’un des chanteurs dont se souvient un siècle. Son «I Will Come To You» est terrifiant de présence. Il transforme la pop en or. Et voilà qu’il tape dans un hit de Berry Gordy, «Lonely Teardrops», pour en faire de la Soul demented. Les filles qui font les chœurs deviennent dingues, on entend des coups de trompette, on assiste là une explosion inespérée, ça gicle partout, un vrai tourbillon de culs de minijupes et de trompettes de la renommée, une vraie bombe atomique, et les chœurs sucent goulûment le beat des enfers. Pur génie !

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             La même année paraît In Town. Proby nous convie à sa table pour un nouvel album d’antho à Toto. Ce fabuleux crooner n’est toujours pas accepté en Angleterre. Trop puissant. Surdimentionné. À tous points de vue. Trop Broadway. Mais comment résister à ce «To Make A Big Boy Cry» ? Il se fond dans la pop orchestrale et l’explose quand elle ne s’y attend pas. Quel carnage ! Il chante ses lungs out. Pas de pire crooner que Proby. Même pas pop. Trop américain pour la pop de Carnaby. Avec «No Other Love», il tape dans le plus gluant des barytonnages. Il fait vibrer sa glotte comme s’il montrait sa bite, c’est pareil. Il tape dans Bécaud avec «Walk Hand In Hand». Il chante à la glotte vibrée comme du béton. Il en rajoute. Avec «People», il fait comme Elvis, il embarque les gens dans son giron à la con, il chante comme un dieu, il s’élève quand il veut. Tu ne trouveras jamais ça ailleurs, cette façon de grimper subitement dans la stratosphère. In Town est un bel album de croon. Proby sonne comme un géant qui observe la vallée. On ne pourra jamais lui enlever ça. Il fait encore un carton avec «If I Ruled The World», il remplit tout le spectre du chant, c’est une merveille. Comme Scott Walker, il est beaucoup trop hollywoodien pour Londres. Il est hors de proportion. 

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             Troisième album paru en 1965, Somewhere ne casse pas des briques, comme on dit sur les chantiers. Même si avec le morceau titre, Proby tape dans Leonard Bernstein. Big time on Broadway. Ve mec en a les épaules. C’est un stentor, il peut grimer là-haut sur la montagne. Mais l’album reste d’un niveau très intermédiaire, flirtant parfois avec la variété («Que Sera Sera») ou avec le pur shake de shook («Stagger Lee»). Il ramone bien la cheminée du vieux Stagger Lee. On le voit aussi souffler dans la bronches de la pop («Together») et là, il redevient l’admirable shooter que l’on sait. Il attaque sa B avec un heavy «Rockin’ Pneumonia» et termine en beauté avec deux merveilles inaltérables, «Question», tapé au heavy swing, ultra-orchestré, et «Hold Me», fantastique jerk de never let me go - Take me/ Anyway you take me - Il sonne comme les Beatles et c’est excellent.

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             Attention à Enigma. Cet album est une vraie caverne d’Ali-Baba, il regorge de trésors incomparables. Proby attaque down in Louisiana avec «Niki Hoeky» et swingue sa pop comme un blackos. On sent bien l’Américain à Londres. Quelle allure, quel tour de force ! Et tout l’album va s’aligner sur cette merveille d’aisance swampy. On entend des chœurs de rêve dans «Shake Shake Shake». Il tape deux reprises fabuleuses, le «Reach Out I’ll Be There» des Four Tops et l’«Out Of Time» des Stones. Il bouffe les Four Tops tout crus, il fait tout le shaking de Levi Stubbs aux mieux des possibilités et on se régale de l’incroyable ampleur du gaillard texan. Il a du c’mon girl plein la bouche. Avec le hit des Stones, il tente de rivaliser avec Chris Farlowe en s’attaquant au fin du fin, mais il ne monte pas aussi haut que Farlowe, il se contente de swinguer sa soupe avec une sainte ardeur. Il met cependant le cut en carré, comme un maître charpentier. Il travaille sa taille à la mortaise des enfers. En B, il s’en va taper dans Ashford & Simpson avec «I Wanna Tank You Baby». Il redevient white nigger et c’est excellent, vraiment digne de Motown et même de Stax, il groove sa Soul comme Sam & Dave. Et puis voilà qu’il passe au dylanex avec «I’m Twenty Eight». On reste dans la probyté céleste avec l’«Angelica» de Barry Mann & Cynthia Weil, cut de pop extraordinairement entreprenante. Il chante ça à l’éperdue. C’est utterly fascinant. Proby sait tout faire et ça continue avec «I Can’t Make It Alone» de Goffin & King, il va chercher systématiquement la grande ampleur, il en fait un stormer épouvantable et termine cet album béni des dieux avec l’excellent «You Make Me Feel Like Someone». Il va chercher la Soul extrême des Righteous Broters, c’est vraiment au niveau des hits de Phil Spector. On a là un album spectaculaire, tous mots bien pesés.

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             C’est Derek Taylor qui signe le texte au dos de ce Phenomenon paru en 1967. Nous voilà en plein dans l’âge d’or du grand Proby. En bon white nigger qui se respecte, il tape une fantastique mouture d’«Honey Hush». Il tape aussi dans Etta James avec «Work With Me Annie». Il n’en fait qu’une bouchée. En matière de r’n’b, il est imbattable. On voit à l’écoute de «Ling Ting Tong» qu’il dispose d’une vraie puissance de shoot bamala. Et le «Just Holding On» d’ouverture de balda est monté sur le riff d’«I’m A Man», celui du Spencer Davis Group, alors ça laisse présager du pire. Il est dans ce son. En B, il fait de «Butterfly High» un vrai hit de juke, c’est admirablement bien stompé. Ce mec chante comme un dieu, il ne faut pas l’oublier. Ils tape ensuite dans Wilson Pickett avec une cover de «She’s Looking Good». Proby peut rivaliser de raw avec the black panther, aucun problème. Encore un jerk sixties avec «Pretty Girls Everywhere». C’est chanté de main de maître avec des chœurs de filles superbes et quand il pique sa crise, on se régale. Il termine avec «Sanctification», un solide groove de probyté finement teinté de Tony Joe White, mais avec plus de mordant. C’est très straight et finement groové sous le boisseau d’argent.

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             Si on veut entendre un vrai chanteur, c’est là, sur un album comme Believe It Or Not. Proby est le roi des grands balladifs élégants qui s’étendent jusqu’à l’horizon. Le meilleur exemple est ce «Give Me Time» chanté à la grande clameur romantique. Avec «Turn Her Way», il montre qu’il peut monter plus haut que tous les autres, y compris Johnny Burnette. Il fait de la belle Soul avec «Cry Baby» et redouble d’élégance avec «I Apologize Baby». Mais la vraie énormité s’appelle «Judy In The Junkyard». Il termine l’album avec ce jerk psychédélique d’autant plus génial qu’il est inattendu. C’est le hit inconnu du swinging London.

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             On tient Three Week Hero pour un album culte. Pourquoi ? Parce que les New Yardbirds qui vont devenir Led Zep accompagnent Proby. En fait, il connaissait Jimmy Page depuis 1964, car c’est Page qui joue sur «Hold Me». Proby propose aux New Yardbirds de devenir son backing band, mais ils ont déjà des projets. Dommage. On note aussi la présence de Clem Cattini sur cet album. Malheureusement, Three Week Hero ne tient pas ses promesses, même si John Paul Jones fait des miracles sur «The Day That Lorraine Came Down».  Plus loin, «Empty Bottles» sonne comme un comedy act. C’est une chanson à boire et l’A se termine avec «Won’t Be Long», un petit jerk passe partout. Malgré tout le gratin dauphinois, on reste sur sa faim. Il faut attendre «I Have A Dream» pour entendre enfin chanter ce fantastique chanteur. On peut aussi se consoler en compagnie du «New Directions» de Lee Hazlewood, mais c’est encore du comedy act. Proby se prend ensuite pour Cash dans «Today I Killed A Man». Oh, il en a les moyens, n’oublions pas qu’il vient du Texas. Cet album se termine avec un medley de chansons américaines, «It’s So Hard To Be A Nigger/Jim’s Blues/George Wallace Is Rolling In This Morning». On y entend Jimmy Page jouer du Led Zep et Robert Plant de l’harmo. Ils sortent très exactement le son de «Dazed And Confused». Dommage que tout l’album de soit pas de ce niveau. C’eût été un smash.

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             Dans le cas où on éprouverait une admiration sans borne pour Proby, il faut écouter ce qu’il enregistra au début de sa carrière sous le nom de Jett Powers. On trouve sur le marché une compile intitulée California Licence. La licence en question orne la pochette : c’est un permis de conduire américain au nom de James Marcus Smith. Dès «Bop Ting-A-Ling», ça déconne. On reste sur l’impression que Proby a passé sa vie à faire les mauvais choix de chansons. Il tape soit dans la mauvaise variété, soit dans le kitsch dégoulinant. Il propose néanmoins une très belle version de «Stranded In The Jungle» et sauve l’album avec une version démente de «Stagger Lee». Here we go ! C’est joué à l’harmo hot as hell, au crash de drums, au solo d’éclate à la Dave Burgess et Proby screame comme un démon échappé d’un bréviaire. Dommage que les autres titres ne soient pas de cet acabit.

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             Belle pochette que celle d’I’m Yours paru en 1973. On y voit ce playboy de Proby sourire. Il est irrésistible. Attention, il reste à Broadway sur toute l’A. C’est extrêmement chanté, mais trop grand public. Il s’en va chercher le Sinatra du Perry Como dans le croon. Il devient plus accessible en B avec «Twilight Time» et une superbe envolée par dessus les toits. Proby force l’admiration. Et voilà qu’il tape dans l’«Only You» des Platters. C’est un lion. Il gronde comme le lion de la Metro Goldwyn Meyer. Fantastique version ! Il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie. Il va plus sur la pop avec «Sunday Goodbye» mais il chante à la force du poignet. Tout ce qui suit s’inscrit dans l’ampleur spectaculaire et il termine avec le fantastique sing-along du morceau titre, histoire d’affirmer son pouvoir magique.  

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               On dirait qu’il a passé son temps à monter des coups : voilà qu’il enregistre Focus Con Proby en 1977 avec le groupe Focus, l’une des figures de proue du jazz-rock expérimental. Que fout ce géant du stentoring dans un plan pareil ? La réponse se trouve sur l’album. En fait il n’y chante que très peu. On peut entendre de longs délires de Focus, mais on n’est pas là pour ça. Proby refait surface sur «Eddy», joli balladif servi sur un plateau d’argent par ces musiciens beaucoup trop brillants. On ne saurait espérer background musical plus riche. Mais l’album est beaucoup exotique. Focus dévore quasiment tout l’espace et notre pauvre Proby se trouve réduit à portion congrue.      

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             Curieusement, The Hero est devenu une sorte d’album culte. Paru en 1980, il n’offre pourtant rien d’extravagant. C’est comme d’habitude très chanté, mais Proby n’a pas les bonnes chansons. Il propose essentiellement une pop transie et sans espoir. Le seul cut qui sort du rang de l’A est ce «Memories Of You» joliment orchestré et presque joyeux. Mais ça reste de la variété, l’équivalent britannique d’Alain Barrière. En B, Proby rivalise de tempérament avec Elvis dans «What Did I Do To You». Eh oui, de la même manière qu’Elvis, il peut secouer la paillasse d’une petite variette à la mormoille pour en faire un hit.

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             Encore un album pétard mouillé avec Clown Shoes paru en 1980. Ça démarre avec de la variété catastrophique. C’est le côté commercial de la probyté qu’il vaut mieux ignorer. Au mieux, on peut parler de croon de séducteur texan transplanté à Londres. Il termine n’A avec un «Hold Me» qui sonne comme un hit de beatlemania. En plus, les cuts ne correspondent pas au track listing de la pochette, c’est un véritable carnage. Il faut attendre la fin de la B pour trouver un peu de viande et notamment cet «I Apologize» qu’il croone comme un seigneur des annales. S’ensuit une version live «Niki Hoeky» digne de Tony Joe White, mais il fait n’importe quoi, il reste planté comme une godiche dans le groove.      

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             Paru en 1990 sur J’Ace Records, Thanks vaut le rapatriement, au moins pour une raison : «I Will Always Be In Love With You». Avec ce croon, Proby s’installe dans le coin de l’oreille. Il se prélasse dans notre faculté à adorer la grandeur incommensurable. C’est là que les chœurs deviennent intéressants, c’est là où ce bouffeur de chattes devient fascinant, il shoote tout le feeling du monde de la pointe de sa langue. Il nous croone «Someone From Somewhere» du fond du cœur, oh yeah, il nous croone ça jusqu’à l’os du jambon de Broadway. Il faut savoir que Proby adore la rengaine sentimentale, donc il en bourre sa dinde. Il sait faire fondre la pop. En ouvrant le livret du CD, un violent parfum se dégage. Celui d’une femme qui aimait Proby à la folie. Proby est le dernier grand crooner de la romantica. Il retourne à Broadway avec «Stage Of Fools». C’est très spécial, il sur-chante all over the place. Il doit adorer se répandre. Il enchaîne avec un «Whenever Your Are» dégoulinant de romantica et passe au pathos avec un «Love Song To You» nappé d’orgue et superbe. Mais un tel album ne peut plaire qu’aux inconditionnels de P.J. Proby.  

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             On trouve dans le commerce un autre album de P.J. intitulé Heroes. Pourquoi Heroes ? Parce qu’il y fait une cover de Bowie. Bien vu ? Mal vu ? Bien vu, forcément, car il met en route des tambours spectoriens et il chante comme Moïse au sommet du mont Sinaï. He can be a hero, c’est le thème, et il sait le faire. Mais il fait tout pour que ça devienne hollywoodien, il revient à son point de départ pour faire du Cecil B. De Mille spectorien, les vagues de son s’abattent sur la cité, Proby s’élève lourdement, I could be a king ! But nothing ! Il s’étrangle dans la tourmente d’apocalypse. Seul un mec comme lui peut provoquer un tel séisme mythologique. Il explose l’art suprême d’Heroes dans un décor biblique. C’est stupéfiant ! Sa version éradique complètement celle de Bowie. Comme c’est un album de reprises, il se permet d’attaquer avec Mickey Newburry et son «American Trilogy». On le voit avancer dans «Hot California Nights» avec une écrasante puissance de probyté. Il est le roi du merry-go-round. He is The Vox. Il tape dans Joy Division avec «Love Will Tear Us Apart». C’est un carnage. Pire qu’un raid de renard dans un poulailler. Proby cherche à regagner des points dans les sondages, alors il tape comme un sourd. Même violence dans la façon dont il traite «Tainted Love». Pure violence texane. Celle que les Anglais n’ont pas compris. Il ne fait qu’une bouché du pauvre «Tainted Love». La version est tellement heavy qu’elle en devient réjouissante. Il chante avec toute la bravado du gutso. Avec «In The Air Tonight», il fait du gospel jungle à la Gainsbarre. Les grands esprits se rencontrent. 

             Ce texte est bien sûr dédié à Jean-Yves qui vénérait tellement P.J. Proby qu'il portait comme lui des escarpins à boucles.

    Signé : Cazengler, P.J. Probable

    P.J. Proby. I Am P.J. Proby. Liberty 1964    

    P.J. Proby. P.J. Proby. Liberty 1965

    P.J. Proby. In Town. Liberty 1965

    P.J. Proby. Somewhere. Liberty 1965

    P.J. Proby. Enigma. Liberty 1967

    P.J. Proby. Phenomenon. Liberty 1967            

    P.J. Proby. Believe It Or Not. Liberty 1968      

    P.J. Proby. Three Week Hero. Liberty 1969  

    Jett Powers. California Licence.

    P.J. Proby. I’m Yours. Ember Records 1973    

    P.J. Proby. Focus Con Proby. EMI 1977      

    P.J. Proby. The Hero. Palm Records 1980

    P.J. Proby. Clown Shoes. Meteor 1980      

    P.J. Proby. Thanks. J’Ace Records 1990     

    P.J. Proby. Heroes. TKO Magnum Music 1998  

    Simon Goddard : My brain fell out my nose. Record Collector #487 - Christmas 2018

    Nik Cohn. I Am Still The Greatest Says Johnny Angelo. No Exit Press 2003

     

     

    Blue Suede chou(chou) - Part Two

     

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             Brett Anderson chantait dans Suede, l’une des figures de proue de la Britpop des années de vaches maigres. Suede se détachait du troupeau bêlant grâce au high class glam touch de son chanteur. Il faut en effet ranger Brett Anderson dans la catégorie des géants du décadentisme à l’Anglaise, avec Kevin Ayers, Peter Perrett et David Bowie, bien sûr. En son temps, Brett Anderson sauva bien des compos médiocres grâce à sa diction merveilleusement maniérée.

             La presse anglaise raffole de Suede. Chaque réédition est saluée par des volées de cinq étoiles. Phénomène typiquement britannique, au même titre que New Order ou les Smith. Il faut être né de l’autre côté de la Manche pour pouvoir entrer dans ce type de mania. De la même façon qu’il faut être français pour savoir apprécier Barbara, Brel ou Léo Ferré. On n’imagine pas un seul instant un Britannique se prosterner jusqu’à terre devant «Il N’y A Plus Rien», cette fabuleuse apologie du néant, un néant qui reste la fin logique de tout. 

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             Brett Anderson connaît bien le néant. Le sien porte le nom de pauvreté. Il l’évoque longuement dans l’autobio qu’il vient de publier, Coal Black Mornings. L’ouvrage se présente comme ce qu’on appelait au XIXe un petit roman d’esthète, typique du genre par la pagination restreinte, les essoufflements de style et les poussées de sève lyrique mal calibrées. Sans doute est-ce à l’image de la musique de Suede et sans doute sont-ce ces travers qui donnent du charme à l’ouvrage. Toujours est-il qu’il se lit d’un trait d’un seul.

             Brett raconte son enfance et son adolescence à Hayward’s Heath, un patelin situé entre Londres et Brighton. Un endroit où il ne se passe rien, dit-il, et où il ne se passera jamais rien - Everyday lower-middle-class life - On entre avec lui dans une vraie maison anglaise, mais une maison qu’il décrit comme singulièrement minuscule. Son père gagne tout juste de quoi nourrir la famille. Il se passionne pour Litszt et conduit une BSA avec un side-car où monte parfois son épouse, terrorisée à l’idée d’abîmer sa permanente. Brett n’a qu’une sœur qui s’appelle Blandine. La famille n’achète que des fringues d’occasion, même les sous-vêtements. Et se nourrit chichement. Interdiction de gaspiller la nourriture. Comme chez tous les gens pauvres, la règle est de finir son assiette. Brett bricole des formules admirables pour décrire tout ça : «Ça m’a toujours rendu triste de penser que mes parents et leurs parents avant eux avaient vécu leur vie entre les quatre murs gris de la pauvreté, et je cherchais désespérément à trouver un sens à cet univers de vêtements d’occasion, de cantine gratuite pour les pauvres et de meaningless dead-end jobs, c’est-à-dire de petits boulots sans avenir.» Il est vrai que la pauvreté présente un aspect inexorable. Brett comprend rapidement qu’il est baisé d’avance et que cette condition va lui coller à la peau tout le restant de ses jours. D’ailleurs, il ne se fait pas de cadeaux : «J’étais une sorte de gamin morveux, larmoyant, élevé à la sauce en tube, au thé au lait et aux abats, occupé à regarder des images et généralement abattu - pas dépressif, mais vraiment sombre et légèrement dédaigneux.»

             L’ado Brett n’échappe pas à la règle : il découvre un jardin magique qui s’appelle le rock. Il fait des petits boulots pour pouvoir s’acheter son premier album, Never Mind The Bollocks. Voilà ce qu’il faut appeler un démarrage en trombe - Cet album fut le point de départ d’une passion à vie avec l’alternative music - D’ailleurs, il cite John Lydon a plusieurs reprises dans le cours des pages. Plus tard, il tombe sur le charme de The Fall - J’étais passionné par le surréalisme exacerbé de The Fall, This Nation’s Saving Grace et The Wonderful And Frightening World devinrent à mes yeux des albums sacrés - Il s’éprend ensuite de la petite pop synthétique des Pet Shop Boys - Ça devint un rituel, on s’endormait en écoutant «Rent» des Pet Shop Boys, un poème magnifique et intelligent traitant de la vie urbaine des années quatre-vingt, que j’adore encore et qui me rappelle toujours mes premiers jours à Londres, lorsque je devins amoureux de cette ville - Oui, cette ville qu’il apprend à connaître - Il y a quelque chose dans la taille de Londres qui me réconforte : l’anonymat, la profusion, l’énergie, les possibilités. Tout l’amour et tout le poison en même temps - Il cite aussi Felt, Five Thirty, Adorable et Midway Still, des groupes qui eurent leur petite heure de gloriole. Et Bowie, qu’il réécoute quand justement il était passé de mode - J’eus une période de redécouverte de l’early Bowie et je devins obsédé par «Quicksand», surtout sa façon d’amener the power, qui pour moi était la clé en matière de composition.

             Après avoir quitté la maison de ses parents pour aller s’installer à Londres, il continua de faire ce qu’il avait toujours fait : s’acheter des fringues d’occasion. Il adorait les vieilles chemises des seventies et les petits blousons en cuir qui ne coûtent que quelques livres chez les fripiers. Et sans s’en douter, il créait une mode à l’époque où Suede entrait dans le rond du projecteur : «Ces gens croyaient qu’il s’agissait d’un look travaillé, une sorte de kitsch. J’eus la grande joie de leur annoncer que nous portions ce genre de vêtements parce que nous étions très très très très pauvres - Il écrit very quatre fois - Et Mat ajouta un peu plus tard qu’on avait tous nettoyé les toilettes pour vivre.»        

             La vie à Londres n’est pas plus rose qu’à Hayward’s Heath : «S’il est vrai qu’on n’achète pas le bonheur avec de l’argent, le manque d’argent peut transformer la vie en enfer, et Londres est une ville particulièrement dure pour les pauvres. Dans l’Angleterre de John Major, faire la queue pour toucher l’allocation de chômage devenait insupportable à cause du spectacle de toute cette misère, aussi m’étais-je dit qu’il valait mieux chercher un job.» Qu’il ne trouve pas, évidemment.

             Quand il apprit que sa mère, lassée par vingt ans de vie commune, avait quitté son père, Brett redescendit vivre avec lui à Hayward’s Heath : «Mon père était complètement détruit. Il ne s’était douté de rien. Son monde fragile s’écroula le jour où il rentra du dépôt de taxis où il travaillait : il vit que les affaires de sa femme avaient disparu et il trouva une stark little letter sur le manteau de la cheminée.» La nuit, à travers les murs trop fins, Brett entendait son père sangloter dans la chambre voisine. À la misère matérielle s’ajoutait alors un misère affective qui allait emporter ce pauvre homme.

             Un peu plus tard, sa mère qui s’était réinstallée avec un autre homme mourait d’un cancer - La mort de ma mère m’a presque détruit. Je suis resté au lit pendant des jours et des jours - Il venait pourtant de rencontrer Justine qui fut son premier amour - One of the two great loves of my life - Au long de quelques pages, il lui rend hommage à sa façon, c’est-à-dire très discrète, très elliptique. Il ne sait pas qu’il faut apprendre à se méfier du bonheur. Il s’enfonce dans une routine affective jusqu’au jour où Justine rencontre un autre mec. Brett n’est pas plus équipé que son père pour encaisser un tel choc - Comme mon père avant moi, je m’étais habitué à l’indolence du confort affectif. Ma façon ridicule d’idéaliser la romance et mon manque total d’ambition ont dû rendre la vie commune particulièrement ennuyeuse - Et il ajoute : «Ça peut paraître étrange aux yeux des gens qu’un jeune garçon de vingt ans puisse être affecté de la sorte par un événement aussi prévisible qu’une rupture amoureuse. Il m’arrive parfois de me poser la question. Disons que je devais être quelqu’un de fragile, c’est vrai, mais aussi de totalement loyal envers ceux auxquels j’accordais ma confiance.» Tiens Justine, prends ça dans ta gueule. Et en plus c’est élégant. Rien n’est pire que la trahison - La rupture fut un sale moment, horrible même, émaillé de conversations téléphoniques interminables et de longues nuits passées à pleurer qui débouchaient sur des petits matins blêmes, lonely coal black mornings.  

             Le problème était que Justine jouait dans Suede. Une fois partie pour aller monter Elastica, Suede alla beaucoup mieux - Je ne dis pas ça par cruauté, mais après son départ, on y voyait beaucoup plus clair, ce qui n’était pas le cas avant.

             Brett finit son livre à l’aube du succès médiatique. Il nous épargne une énième resucée du success-story de Suede. Il se contente d’expliquer comment s’est formé le groupe : à partir de Mat, son vieux complice d’Hayward’s Heath, puis l’arrivée de Bernard Butler et du petit batteur Simon qui ressemblait tant à Topper Headon. Bernard Butler fut recruté sur annonce : «Groupe inexpérimenté mais important cherche guitariste. Dans le style : Smiths, Lloyd Cole, Bowie, Pet Shop Boys. Ni technicien averti, ni débutant. Il est des choses plus importantes que la virtuosité.»

             Brett voulait monter un groupe, mais il devait aussi apprendre à chanter : «Ça m’a pris du temps pour apprendre à chanter, pour surmonter mes inhibitions et prendre conscience de la violence et de la folie qu’il faut développer pour être capable de chanter, c’est-à-dire de se plonger dans un fleuve de feeling.» Il apprit aussi à se méfier du succès en voyant des artistes célèbres comme Cher et Peter Gabriel se pavaner dans les coulisses d’une émission de télé - the utter naffness of it all, c’est-à-dire la nullité de tout ça - Pour être honnête, j’ai toujours préféré la marginalité, cette impertinence salvatrice. J’ai toujours pensé que la parole des marginaux avait beaucoup plus de valeur et que la célébrité stérilisait les artistes.

             Brett sait qu’on lui reprochait son maniérisme un peu efféminé. Il s’en explique fort bien : «Les gens prenaient ça pour du racolage gay ou un clin d’œil au glam des seventies, mais quand j’y repense, je crois que j’ai essayé de combler le vide de ma vie affective par un ersatz de féminité.» Il développe le point assez longuement : «Avec le recul, cette démarche peut sembler douteuse et même pathétique, je ne suis pas très fier de la façon dont j’ai essayé de gérer ce problème, mais je vivais dans une sorte de confusion et au point de vue émotionnel, j’étais un peu à vif. Et d’une certaine façon, je n’étais pas encore adulte - very much unformed as a person.» Attention, le style de Brett est précis. On prend des risques à vouloir le traduire, le plus gros risque étant de dénaturer la précision de sa pensée.

             Mais quand son fils évoque l’idée de faire de la musique pour vivre, Brett s’inquiète : «S’embarquer dans une aventure aussi risquée serait ridicule, I’m sad to say. Pour que ça marche, il faut une détermination à toute épreuve, cette arrogance que donnent les œillères, une chance incroyable, tout cela semble tellement hors de portée, et à l’ère du digital, c’est complètement disproportionné.»

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             Tout commence comme on l’a dit dans le Part One avec «The Drowners», le single magique qui rendit Suede célèbre en Angleterre. Sort dans la foulée un premier album sans titre, l’une des pierres blanches de cette vague Britpop tant décriée. Quel album ! Ne serait-ce que pour «The Drowners». Ça coule dans la manche, heavy Gibson sound. Admirable ! Cœur de heavy beat anglais. Comme Bowie et les Pistols avant eux, ces kids créent leur monde - So slow down/ You’re taking me ahvah - L’un des hits du siècle dernier. Diction de rêve. Épais et si parfait. Brett créée de la magie à coups d’ahvah. Derrière, ça sonne comme du Ronson. On se retrouve dans la communauté des génies du rock, parfaite conjonction compo/son/chant/puissance. Pure intelligence du rock. On trouve d’autres choses sur l’album, comme «Metal Mickey», une sorte d’hymne du heavy glam. Nanard joue ça à bras raccourcis. Il y met tout son pâté de foi. Mais c’est difficile de rester au niveau de «The Drowners». Le «So Young» d’ouverture de bal s’impose par une présence vocale indéniable. Brett pose son bekause sur le canapé d’arpèges. On reste dans une certaine pop décadente avec «Animal Nitrate». De cut en cut, Brett se forge un personnage de rockstar tout à fait crédible. Il incarne parfaitement l’esprit du décadentisme britannique. Il se veut ambiancier. La réédition Edsel propose un disk de B-sides et là on tombe sur le heavy sludge de «My Insatiable One» - Oh he is gone - Brett et Nanard tapent en plein dans le mille du big atmospherix, ils savent gérer les vertigineuses chutes de son, ça coule comme un fleuve en crue, Nanard sait ouvrir les vannes - On the escalator/ We shoot paracetamol/ As the ridiculous world goes by - Autre grande B-side : «To The Birds» et son joli pont de crystal clear. Ces mecs savent sculpter un son dans le crystal clear de la pop anglaise. La voix de Brett mord divinement dans l’or blanc de la fulgure. Leurs montées héroïques semblent saluer le monde. Quelque chose d’héroïquement bon se dégage de Suede. On a là une authentique énormité sonique. Brett mène bien son bal. Il se hisse à l’apogée de son âge d’or. Et comme on le voit dans «He’s Dead», il adore les oh-oh et les ah-ah. Nanard n’hésite pas à sortir les pédales de distorse pour durcir le ton -  With all the love and poison of London - Encore une bonne bourre baroque avec un «Where The Pigs Don’t Fly» extrêmement enrichi par ce démon de Nanard, véritable apologue du heavy grunge. Il tortille tellement son son, my son. Il en devient l’âme catalytique, ses notes fondent comme le plomb dans l’Athanor. Il touille son gras à outrance. Avec «The Big Time», Brett fait comme Bowie : il ÉCRIT - I watch the slow hand/ Kill the day/ I see my starring role/ Tick away - Comment résister à un tel appel ? C’est en plus emmené à la trompette de Miles. Bowie devait fatalement admirer l’art prostré de Brett, surtout «High Rising». Dans cette prostration œcuménique, quelque chose de Bowie renaît comme un phœnix. De toute évidence, Brett ne plaira pas aux fans d’AC/DC. Il est beaucoup trop raffiné, au sens où le sont les vampires de 500 ans d’âge. On se plaît beaucoup dans cet univers de grands corridors balayés par les vents de Brett - Stop making me older/ Stop making me new - Il mérite des temples, d’autant qu’il sort de là dans un final éblouissant. Ils font aussi une spectaculaire cover de «Brass In Pocket». Le glam de Suede ! Parfait mélange vox/sound. Oh il faut aussi voir le DVD que propose Edsel avec cette réédition. Le clip de «The Drowners» est complètement foireux. Dommage. Il vaudrait mieux voir du early footage de Suede, quand ces gamins étaient encore dévoyés. Le clip de «Metal Mickey» est cruel pour Nanard, car on ne le voit même pas prendre son solo. Par contre, le clip US de «The Drowners» est une merveille, car filmé sur scène avec une image saturée au rouge. Le glam de Suede éclate et la beauté parfaite de Brett aussi, alors ça devient l’essence même du rock. Nanard porte du cuir noir, comme Elvis dans le 68 Comeback. Une merveille. Mais le film qui les montre aux Brit Awards avec «Animal Nitrate» les couvre de ridicule. On voit qu’ils ne savent pas bouger sur scène. C’est atroce. Nanard et Matt sont mal dans leur peau. Brett s’en sort de justesse. Mais à Sheffield, ils jouent pour un public conquis, et ça change tout. Les Anglais connaissent les paroles. Grosse ambiance. En plein Drowners, on arrache la chemise de Brett. Il se retrouve torse nu. Beau torso d’homme anglais. Belle ossature, comme dirait Jonesy. À Londres, Nanard fait pleuvoir des déluges de glam. C’est assez exceptionnel. Ces mecs n’ont que des chansons et du son. Et un magnifique chanteur. Il éclate au grand jour. So so young est une splendeur. Toute la salle saute en l’air. For sure. «Animal Lover» sonne comme l’un de plus grands hits d’Angleterre. C’est alarmant d’excellence. On a à la suite une version de «To The Birds» ultra-jouée. Et voilà ce qui fait la grandeur des Drowners : le contraste entre la violence de Nanard et la délicatesse du chant de Brett. Merveille intemporelle. Ils terminent avec un heavy «So Young» qui fait jerker the Brixton Academy.

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             Leur deuxième album s’appelle Dog Man Star. «The Wild Ones» le rend absolument indispensable. Car c’est là, dans ce cut, que tout se passe. Là et dans «The Drowners» : le génie de Brett Anderson - Sky high in the airwaves on the morning show - Ça coule tout simplement de source - But Oh, if you stay/ We’ll be the wild ones/ Running with the dogs today - C’est un miracle de la pop anglaise, comme le sont certains cuts des Beatles et de Mansun. C’est cette qualité de vision et ce stupéfiant retour d’If you stay. Il lui promet monts et merveilles. Il faut voir comme il fait couler son génie vocal dans le Niagara du grand Nanard. C’est joué à l’instar de l’inaccessible étoile. Magie pure. L’autre moment fort de l’album s’appelle «Black Or Blue». Brett s’embarque dans un trip hyper-orchestré, au-delà de toute expectative. Il chante comme un diable émasculé. C’est sa force. Il dépasse toute la Britpop. Il va trop loin. Il chante à la perfection de la perversion. On pourrait dire la même chose de «Still Life», balladif incroyablement digne. Brett fait face, into the night. Il faut le voir exploser le plafond. Vas-y petit Brett ! Il explose tous les plafonds de la pop anglaise. Il faut le voir amener la montée. He raises a storm, comme disent les Anglais. Edsel a aussi réédité cet album. On se régale une fois de plus d’un disk entier de B-sides, à commencer par l’impérial «My Dark Star». Mais c’est «Stay Together» qui emporte la bouche, littéralement dévasté par d’immenses vagues de son. Il y tombe les tonnes de sauce à Nanard. Il n’en finit plus de jouer au petit jeu des chutes de Niagara. «Killing Of A Flash Boy» frôle le hit glam à la Bowie. Le son parle pour lui, c’est indubitable. Brett renoue avec ses ambiances favorites dans «The World Needs A Father». Il nous replonge dans son big atmospherix baroque. C’est sa came. Il est aussi fort que Bowie à ce petit jeu. Il met toute sa foi dans son chant et se plaît à dérailler quand ça lui chante. On reste sous le charme de Brett avec «Modern Boys». Il continue de créer son monde. Il chante jusqu’à plus soif. Comme ce mec peut être brillant ! Fabuleuse approche de come into me/ Slippin’ away while the city sleeps - Quelle vision ! Digne de Paul Verlaine - Modern boys/ Hand in hand - Et il repart de plus belle - Yes the world calls my inter/ National/ So let the decades/ Die/ Let the parties/ Fall - C’est extrêmement fulgurant. On trouve vers la fin une version acou de «The Wild Ones». Brett y couronne son son avec des glissés de glotte somptueux. Il n’existe rien d’aussi décadent et d’aussi sexily beautiful. Ce coffret propose aussi un DVD et on s’y plonge avec délice, car Brett est beau : cheveux coiffés à l’arrière, une mèche sur la joue, un anneau à l’oreille, une chaîne autour du cou, les traits fins. Perfect. Mais les trois autres, ça ne va pas du tout. Cette merveilleuse déliquescence n’appartient qu’à de très rares kids anglais. Les années quatre-vingt dix, c’est l’époque où chaque chanson avait son clip vidéo. On a des très belles ombres chinoises pour «Pantomine Horse». C’est de l’art accompli. Le clip de «The Wild Ones» est monté sur des paysages romantiques. Brett monte sa mélodie au pinacle des swans dans l’éclat doré d’un crépuscule digne de Louis II de Bavière. Pour «Still Life», il veille à la beauté des choses : un vieil homme se déshabille et plonge longuement dans l’eau bleue. On trouve à la suite deux concerts filmés sur scène. Au Casino de Paris, en 1993, Brett recréait la magie de «The Drowners». Il recréait ce mélange étonnant de puissance et de finesse qui distinguait Suede des autres groupes. Nanard saute sur place. Il sur-joue son mish-mash. Grâce à sa teneur baroque et à son sens aigu de l’enjoyement, Brett passe comme une lettre à la poste. Quel commitment ! Nanard nous lie tout ça avec sa sauce. Il joue tout en sous-main de cousu main. Brett dégorge une belle version de «Stay Together». C’est un showman exceptionnel. On a là un rare mélange de chant/guitar de beauté formelle. C’est du niveau Bowie/Ronson, avec quelque chose d’immanquablement suedish. On les voit aussi donner un set acou à la Fnac. Nanard gratte «Still Life» à coups d’acou. Ça reste d’une rare beauté, évidemment. Dans l’interview qui suit, Brett indique qu’il a fait travailler Brian Gascoigne, le mec qui arrange les chansons de Scott Walker.

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             Coming Up parut deux ans plus tard. L’écrin plastique recelait pas mal de joyaux, notamment «By The Sea», une sorte d’immense balladif océanique. Brest semblait y déployer ses ailes blanches de Rossetti boy. Il chantait au plus profond du glam anglais, à coups d’accents sincères qui transportaient le cœur et qui transperçaient la peau - It’s by the sea we’ll bread/ Into the sea we’ll bleed - Il poussait le romantisme à son extrême. Mais le véritable joyau de l’album s’appelait «The Chemistry Between Us». On avait là le hit parfait, un bouquet d’accords de trankillity - But oh we are young and not tired of it - Brett le chantait à la glotte fondante, au kemistry de genius, il clamait dans la clameur. Dès le premier barrage d’accords, on savait qu’il s’agissait d’un hit imprenable - And maybe we’re not on our own - Brett plongeait dans un abîme de délices, Richard Oates grattait ça dans l’esprit du rêve et ça tournait à l’échappée belle, ça donnait un moment unique, assez rare, l’artiste se fondait dans son art et ça devenait complètement magique. Et Brett y allait à coups de kemistry et se fondait dans une ascension voluptueuse, dans un Graal d’absolu, là où se passaient véritablement les choses, il revenait inlassablement pour repulser sa pop vers le ciel, il libérait son génie visionnaire à belles giclées, ce sublime petit mec d’Angleterre créait l’événement comme Bowie avant lui, il créait de la beauté à s’en étourdir, à s’en brûler les ailes - Brûlent encore, même trop, même mal - Bon c’est vrai, les autres compos de l’album n’étaient pas toutes des huitièmes merveilles du monde, mais elles permettaient à Suede d’instaurer une sorte d’ambiance, un petit jus de décadence bienvenu dans les années de Britpop. Brett faisait la différence, car il CHANTAIT. Il savait pousser son modeste petit bouchon. Richard Oakes avait pris la place de Nanard et en compagnie de Brett, il entourloupait le glam de «Filmstar» à merveille - Play the game yeah yeah yeah - Que de son avait-on ! On sentait que Brett essayait de créer de la mythologie à tous les coins de rue, comme avec «Lazy» - You & me so lazy - Ça restait de la pop, mais avec du son, énormément de son, et soudain Richard Oakes partait en commotion sidérale et s’écroulait dans un pont d’arpèges de crystal clear. Quelle aventure ce fut ! Avec «She», ils passaient au stomp de Suede, à l’ode de la désaille, encore une fois chargé de son. Puis Brett jonglait avec le jargon de psycho & sex & glu dans «Beautiful Ones», il jargonnait à coups de bostik & bands & gangs et de time to kill, de gasoline et de machine. Il cherchait en permanence de Graal du glam, comme le montrait «Starcrazy», un electric-shock-bug-brush-air trop moddish. Brett rejetait la mode, mais la mode le rattrapait.

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             En voyant l’allure que prenait Suede dans la presse anglaise, on commençait à rechigner et à vouloir revenir vers des artistes plus biologiques. En gros, Suede commençait à sentir le renfermé et la Britpop, dans ce qu’elle pouvait offrir de plus insipide. On fit une ultime tentative de réconciliation avec Head Music, paru en 1999. Grand bien nous en prit. Si grand bien. C’est là que se niche un cut de génie intitulé «She’s In Fashion». On ne se méfie pas car ça commence avec un gratté d’acou de fête à Copacabana, et soudain, Brett éclate de tout son éclat au grand jour. S’ouvrent alors les digues de la décadence absolue. Un son extraordinaire balaye tout sur son passage, y compris nos a prioris à la con. Sublime shoot de fashion sound, une image du rêve absolu. Brett nous chante sa gasoline et ses cigarettes avec une rare délectation, voilà encore un hit séculaire, puissant et parfait. Et tout au long du final, ce diable de Brett grimpe et grimpe encore. Alors on réécoute l’album à la lumière de ce prodige. Oui, il faut suivre ce mec à la trace. C’est l’une des grandes voix d’Angleterre. D’ailleurs, comme Bowie, Brett vient de nulle part. Il ne défend qu’une chose, l’idée d’un son, et sa vision est pure, autant que pouvait l’être celle de Ziggy Stardust. «Electricity» ouvre le bal de cet album superbe. Brett table toujours sur les chutes du Niagara. Son truc consiste à pousser grand-mère dans les orties. Il raffole des effet de cathédrale, il a besoin de ça pour résonner, c’est un grand amateur de grandeur et de décadence. Après un départ qu’il faut bien qualifier de calamiteux, le cut s’achève sur un final éblouissant. Voici encore un haut lieu pour Brett Anderson avec «Everything Will Flow», balladif d’élégance suprême. Il y rayonne. Il n’en finit plus de tituber au bord de ses chères chutes du Niagara. Il maîtrise l’art de provoquer les frissons à coups de ha-ha-ha ah-ah. Au plan pop, c’est parfait. Et puis avec «Down», on sent qu’il cherche un passage vers la beauté formelle. Il ne recule devant aucune difficulté, il ne vit que pour l’ampleur mélodique. Si on aime bien les power chords, alors il faut écouter le morceau titre. Ce diable de Brett obtient désormais tout ce qu’il veut de la vie. S’il a su créer son monde, ce fut pour échapper à la pauvreté. Belle façon de se montrer digne. Il adresse un superbe clin d’œil à David Lynch avec «Elephant Man» - I am/ I am the Elephant man - sur fond de heavy cocotage de révolution industrielle. Et on voit qu’il maîtrise l’art de créer l’espace d’un cut avec «Indian Strings» : il y développe une réelle puissance dramatique. Il y excelle. S’ensuit «He’s Gone» et y on suit ce fabuleux seigneur de la dèche de la dole. Il taille sa route dans la matière mélodique et semble grandir avec la mélodie. Il finit par devenir grandiose et poignant à la fois.

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             Paru en 2002, A New Morning n’inspirait pas confiance à cause de sa pochette, mais l’écoute valait le détour. Et ce dès le «Positivity» d’ouverture de bal, une beautiful Song pleine d’élan vital - And the morning is for you/ And the birds sing for you/ And your positivity - Ce mec sait créer les conditions définitives. On trouve à la suite deux hits glam, «Lonely Girls» et Astrogirl». Richard Oakes claque «Lonely Girls» aux arpèges d’acou. Brett songwrite à tours de bras raccourcis et ça décolle comme si de rien n’était. C’est fou ce qu’on adore Brett - Lydia sings when she’s alone - C’est une ode aux filles - But never show the pain - Fantastique ! Avec «Astrogirl», Brett opère son numéro de charme. Ça marche à tous les coups. Il faut vraiment écouter ce mec chanter, il reste captivant. Il fait le Space Odissey in the future, c’est du pur délire ado glam, the sky goes on for you and me. S’ensuit une énormité intitulée «Untitled... Morning», amenée au groove de la rue des Lombards - And yes I’m just a stupid guy - Véritablement énorme ! On tombe plus loin sur «When The Rain Falls» - When the rain falls/ There’s magic in our lives - C’est là où Brett fait la différence. Ses cuts forcent l’admiration. Il termine ce brillant album avec «You Belong To Me» comme on belong to him, énorme cut de rock anglais, toute l’omniscience de Brett s’y trouve rassemblée. D’autres gros cuts hantent cet album solide, comme par exemple «One Hit To The Body» tapé aux gros accords de non-retour, ou encore «Lost In TV», où il rallume les feux du glam, et bien sûr «Beautiful Loser», big bad noise, Suede au plus musculeux - Well you beautiful Loser/ You’re coming down the hardway - Brett la bête tire sa song par les cheveux.

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             Paru après un long break de dix ans, Bloodsports s’ouvre sur une belle énormité nommée «Barriers». Brett sait créer un micro-climat, il tape dans la heavy pop - Will they love you/ The way I love you/ We jumped over the barriers - C’est énorme et comme d’habitude, très écrit. On ne se lasse pas de ce pathos mélodique. La beautiful song de l’album s’appelle «Sabotage». Brett maîtrise l’art des formules qui frappent - Alone in the climate of her greed - C’est là où il déploie ses petites ailes d’enfant défavorisé. Il devient émouvant à force de conviction artistique. S’il est un artiste remarquable en Angleterre, c’est bien Brett Anderson. Il crée sa beauté à partir de rien - And her will is done - S’ensuit un «For The Strangers» fabuleusement tendu aux guitares latérales. Ça ne tient que par la beauté tragique du chant - And it’s over so clear - Brett vise une sorte d’absolutisme impérieux, il est l’Hugo d’un Guernesey de la pop, ses balladifs sont d’authentiques merveilles entortillées. Il faut aussi écouter «Snowblind» car c’est bardé de son, ça saute dans les vu-mètres, ce dingue de Brett se jette dans des ravins. Il n’en finit plus de maintenir le cap des aménités compatissantes. C’est tellement bardé de son qu’on sent saigner les oreilles. Le casque vibre de toutes ses particules. Encore de la belle pop d’allure martiale avec «It Stars And Ends With You». On note la belle santé de ce groupe qui cling on by the nails to the sweet disaster. On retrouve des beaux effets atmosphériques dans «Sometimes I Feel I’ll Float Away». Avec un titre comme celui-ci, ça s’y prête. Frissons garantis. Avec Brett, on est toujours bien servi. Il sait ménager ses effets. Ça dégénère forcément en float away. Quel art de la pathologie ! Que de grosses compos ! Il nous y sert une fois encore le plus éblouissant des finals. Il termine avec un «Faultness» parfait - Celebrate the pale dawn/ Celebrate the birdsong - Il part au combat avec une détermination sans pareille. Il se pourrait bien que Brett Anderson soit le grand messie de la pop anglaise.

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             Ne prenez pas Night Thoughts à la légère. L’album ne compte pas moins deux coups de génie, à commencer par «I Don’t Know How To Reach You», groove déliquescent d’arpèges anglais - In the shadow of the cranes - Brett nous concocte un don’t know ho to reach you assez effarant. Il nous sort là un nouveau chef-d’œuvre de pop anglaise. C’est un hit d’une beauté désespérée - I turn away I close the book - C’est d’une qualité surnaturelle et Richard Oakes l’aplatit avec du son.  Ça se termine comme souvent chez Suede sur un final demented. Autre coup de génie : «Learning To Be», assez pur dans l’attaque au chant. C’est une sorte de merveille intimiste - When it’s over/ We go down the streets - On y trouve des sonorités magiques, il chante d’ailleurs le premier couplet avec un fort parfum de magie sixties. Il faut voir le travail qu’abat ce mec. Le cut de fin surprend aussi par son côté spectaculaire : «The Fur & The Feathers» aménage une sorte de sortie grandiose. Aussi grandiose que le «When You Are Young» d’ouverture, quasiment hollywoodien à force de puissance orchestrale. Brett clame dans le lointain. C’est Richard Oakes qui fait le show dans «Pale Snow». Superbe ambiance de pale & paper thin. Brett renoue avec la mort. «Tightrope» se veut aussi océanique et brutalement beau. Brett Anderson a appris l’art de s’imposer - Silence is everywhere.

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             Alors qu’on croyait le phénomène Suede éteint, paraît The Blue Hour, un album galvanique. Dès «Wastelands», Brett nous sert un superbe élan romantique, Oh my friend, il sait fêler ses tonalités dans l’azur prométhéen. Ce mec sait aller pervertir ses pulsions bucoliques - When the world is much too much/ Meet me in the wastelands/ Make a chain of flowers and the children in us play - Avec «Beyond the Outsiders», Suede passe aux arpèges anglais et ce diable de Brett monte vite en température. Il frôle le génie sonique de Mansun, les arpèges éclatent dans le panoramique et la mélodie se répand comme une traînée de feu - Come with us we’re small town dreaming/ We’re birds on a wire - Brett est un fantastique émulateur de climats. Back to glam avec «Life Is Golden» et sa belle attaque rebelle, you’re not alone, c’est du pur jus de Bowie, c’est explosé dans la fondue bourguignonne, le not alone implose dans le miroir, Brett fait les deux niveaux de voix dangereusement belles et ça dérape dans un excès de beauté déliquescente. On voit encore cet immense chanteur faire des siennes dans «All The Wild Places». C’est grandiose, et puis voilà que s’ensuivent deux véritables coups de génie suédois, «The Invisibles» et «Flytipping». Brett repart dans une quête évangélique digne de Jacques Brel, c’est lui qu’il faut suivre à la trace, il reprend les choses là où Bowie les a laissées après Hunky Dory. Brett explose son art au cœur de la magie du rock anglais, as funny how it’s always out of reach, on le sent dès l’intro, «Flytipping» sonne comme un hit intersidéral, on le sent dès l’and we watch as the lorries transport their precious loads, il se demande ce qui est à lui et ce qui est à elle, what is mine and what is yours, il bascule dans l’horreur du bonheur et repart en douceur, under the trees, c’est magnifique, shining things that turn into rust, il fait l’âne pour avoir du son, pas n’importe quel son - And I’ll pick your wild roses/ in the tunnel by the underpass - C’est stoogien à cet endroit du décadentisme. On a même un retour d’orgue digne de Whiter Shade Of Pale, on avait encore jamais vu ailleurs, et ça n’en finit plus de rebondir, ils sont dans leur truc. Brett tape dans le brut du Brit.

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             Sort enfin un docu sur ce groupe capital de la Bristish scene, The Insatiable Ones. Dans la presse, Brett s’empresse de rappeler que «The history of this fucking band is ridiculous», et il ajoute plus loin, «It’s like Machiavelli rewriting Fear And Loathing In Las Vegas». Pour Brett, cette histoire a toujours été on the edge and it never stops. Stephen Troussé qui chronique le docu dans Uncut parle de Suede comme d’un poisonous cocktail of ambition, lust and revenge. Le grand absent du docu, c’est Nanard Butler qui est quand même à l’origine du son. Sans Nanard, pas de Suede, pas de rien. La matière première du docu sort de la collection personnelle de vidéos de Simon Gilbert qui s’amusait à filmer le groupe un peu partout, en studio et dans le tourbus. Le docu revient aussi sur l’addiction au crack de Brett. Troussé va loin car il dit que personne n’a autant romantisé les drogues que Brett. On voit un Brett avec des yeux comme des ronds de flan tenter vainement de composer de la Head Music on a cheap synth.

    Signé : Cazengler, suédoigt dans l’œil

    Suede. Suede. Nude Records 1993 + Edsel 2011

    Suede. Dog Man Star. Nude Records 1994 + Edsel 2011

    Suede. Coming Up. Nude Records 1996

    Suede. Head Music. Nude Records 1999

    Suede. A New Morning. Epic 2002 

    Suede. Bloodsports. Warner Bros Records 2013

    Suede. Night Thoughts. Warner Music 2016 

    Suede. The Blue Hour. Warner Music 2018

    Brett Anderson. Coal Black Mornings. Little Brown 2018

    Suede. The Insatiable Ones. DVD

     

     

    Wizards & True Stars

    - Dusty chérie (Part One)

     

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             Dusty chérie restera pour tous les gens qui ont du goût la plus grande chérie de toutes les chéries. Cette Anglaise au physique ingrat fut tellement fascinée par la musique noire et les chanteuses noires qu’elle devint l’une des plus grandes chanteuses d’Angleterre, et comme Ace ne fait jamais les choses à moitié, voici que paraît l’inespérette d’espolette : Dusty Sings Soul, une compile écrasante de prodigiosité. Il n’existe pas de mot pour décrire ce gros tas de feeling, alors on en fabrique un sur le tas. Dans prodigiosité, il y a aussi religiosité, et même tant qu’on y est prodigalité. Enfin, on remplit le mot-valise comme on peut et on monte dessus pour pouvoir fermer le couvercle.

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             Dusty chérie est un monstre sacré au féminin, au même titre qu’Aretha. Au chant, elle ne se connaît pas de limites. Chacun sait que Dusty In Memphis est devenu un album culte, l’un des plus réussis de son époque. Chacun sait aussi que Dusty n’aimait pas les bonhommes et elle avait bien raison de les tenir à distance. Elle préférait les petites gonzesses. Madeline Bell et Martha Reeves comptaient parmi ses amies et confidentes. Dans cette merveilleuse bio officielle parue en l’an 2000, Dancing With Demons, Penny Valentine raconte dans le détail la passion qu’avait Dusty chérie pour les batailles de bouffe, qu’elle déclenchait chez elle lorsqu’elle recevait des gens pour dîner. Elle prétextait avoir oublié un plat à la cuisine et revenait avec une grosse tarte à la crème qu’elle balançait dans la gueule de ses invités. Et ça déclenchait les hostilités, tout le monde s’y mettait, c’était la règle. Pour elle, il n’y avait rien de plus drôle que de voir ses amis et ses relations barbouillés de crème au beurre ou de sauce tomate. Ça la rendait hystérique, elle ne pouvait plus s’arrêter de rigoler. Elle se roulait par terre dans les débris de tartes aux épinards et de gâteaux de riz, les pattes en l’air, elle rigolait à s’en arracher les ovaires. Tous les ceusses qui ont participé à des batailles de bouffe savent qu’il n’existe rien de plus hilarant que de voir la gueule de sa fiancée barbouillée de chantilly. Ça n’a pas de prix. On en rigole encore le lendemain lorsqu’on lave les murs. Et on recommence à la première occasion. Penny Valentine ajoute que les gens invités régulièrement chez Dusty chérie savaient exactement ce qui allait se passer lorsqu’elle se levait pour aller à la cuisine. La surprise était réservée aux novices. Ça permettait à Dusty chérie de faire le tri. Il y avait ceux qui revenaient dîner chez elle et ceux qui ne revenaient pas.

             Pour Dusty Sings Soul, Tony Bounce a choisi 24 cuts enregistrés entre 1964 et 1969, laissant volontairement de côté Dusty In Memphis et les sessions de Philadephie, car pour lui, ce sont des œuvres à part entière. Ces deux douzaines de cuts compilés démontrent selon lui, «why she will always be regarded as the UK’s foremost Soul singer of her time, and of all time.» Deux coups de semonce sur cette compile : «Take Another Little Piece Of My Heart» et «Welcome Home». C’est Erma Franklin, la grande sœur d’Aretha qui enregistra le Piece Of My Heart en premier, ce qui est logique, puisque ce hit faramineux est co-signé Bert Berns et Jerry Ragovoy. Erma faisait partie de l’écurie de Bert au grand pied. Dans le booklet, Bounce explique que Bert au grand pied cassa sa pipe en bois quelques semaines avant que Dusty chérie n’enregistre à son tour cette pure merveille. Elle y est accompagnée par ses trois amies de cœur, Madeline Bell, Lesley Duncan et Kay Garner. Mais ni Erma Franklin ni Dusty chérie n’auront autant de succès qu’en eut Janis avec sa version de Piece. En fait Dusty chérie tape dans le slow groove qu’on attribue à Janis, mais c’est tout à fait autre chose. Dusty le monte en neige pour mieux l’exploser dans l’azur immaculé, c’mon baby, il faut la voir monter son Piece, c’est d’une rare violence. C’est Chip Taylor, un autre très grand compositeur, qui signe «Welcome Home». Dusty chérie connaissait les versions de Garnet Mimms et de Walter Jackson, mais comme le dit si bien Bounce, elle voulait pousser le bouchon, kick the song up to the next level, et du coup, elle éclaire la terre entière, et en même temps, elle t’en fait de la charpie, elle explose le génie du pathos à coups d’into my life et ça flambe ! Elle en fait un hit définitif. Quand on le réécoute dans la foulée, on voit qu’elle est beaucoup plus progressive qu’on ne l’imagine : elle épouse le cut un temps puis elle le développe au well c’mon my baby, c’est un peu comme si elle gérait méthodiquement sa démesure, comme si elle commandait l’orgasme, elle le retient une première fois, babe it’s so good to be back home, elle stoppe juste avant chaque explosion. Il n’existe pas grand chose de comparable, à ce niveau de maîtrise sexuelle. Ne la laissez pas s’approcher d’«Oh No Not My Baby», car avec sa voix définitive, elle va l’envoyer au tapis. Elle chante ce hit signé Goffin & King à la pure niaque anglaise. Dusty chérie avait déniché cette merveille chez Maxine Brown, comme le fit d’ailleurs Manfred Mann qui en enregistra aussi une version, à l’époque. Ce fut aussi un hit pour les Shirelles, qui étaient les chouchoutes de Dusty chérie. Quand on dit qu’elle était fascinée par la musique et les chanteuses noires, c’est presque un euphémisme - It is well known that Dusty was a total Motown fanatic - Et boom elle tape dans le Marvin de 63 avec «Can I Get A Witness», elle fait le job, la blanche est bonne, elle te jerke ça vite fait !

             Ça va rester un principe chez elle : exploser les covers. Dusty chérie est tellement pleine de vie qu’elle peut chanter à la revoyure. Elle rend hommage à Aretha avec une fantastique cover de «Won’t Be Long» - Dusty breathes similar gospel fire into her version - épaulée par Madeline Bell et Doris Troy. Dusty chérie te jazze l’early groove les mains sur les hanches. Zorro Bounce a réussi à exhumer une version d’«All Cried Out», un hit paru en version tronquée, dit-il, alors il répare cette infamie avec la version intégrale du stereo mix, ce qui permet à Dusty chérie de te groover la chique. Elle devient de plus en plus black avec «Some Of Your Lovin’», elle te retient, elle t’oblige à observer son art, elle est totalement asexuée, mais en même temps elle dégouline de sexualité, elle est l’interprète idéale. En plus de Madeline Bell et de Lesley Duncan, Dusty chérie ajoute Kiki Dee dans les backings.

             L’une de ses grands chouchoutes est bien sûr Baby Washington, dont elle s’inspire beaucoup et dont elle reprend «That’s How Heartaches Are Made». Elle revient à Motown avec l’excellent «Ain’t No Sun Since You’ve Been Gone» signé Sylvia Moy et Norman Whitfield, un hit que reprendront aussi bien sûr les Tempts et Gladys Knight & The Pips. Sur sa version, Dusty chérie est bombardée de bassmatic et c’est atrocement bon. On l’attend au virage avec Burt pour «I Just Don’t Know What To Do With Myself». Magique. Après Burt, elle passe à Stax avec une cover d’«Every Ounce Of Strength», un hit de Carla qu’elle chante à tue-tête, tellement à tue-tête qu’elle en devient une furie magnifique. Ah il faut la voir à l’œuvre ! On s’épuise à vouloir la suivre. Difficile d’admettre qu’on est complètement largué.

             Et puis tu tombes sur «I Can’t Wait Until I See My Baby’s Face» qui est une sorte de synthèse de tout ce qui précède, car écrit par Jerry Ragovoy et Chip Taylor, auteurs dont Dusty chérie est friande, et interprété avant elle par les super-chouchoutes Aretha et Baby Washington, alors on ne peut pas espérer meilleure symbolique, en matière de cohérence de la prestance. Zorro Bounce ajoute qu’en plus de tout ça, Dusty chérie fit des backing sur la version qu’enregistra sa copine Madeline Bell, deux ans auparavant, version qu’on retrouve sur la compile Bell’s A Poppin’. Sur sa version, Dusty chérie groove la magie au xylo, elle symbolise l’outrecuidance des cuisses serrées dans la chaleur des sixties, elle en fait un hit blanc de tergal serré, elle est d’une telle modernité qu’on est obligé une fois encore de crier au loup. Elle rend hommage à Arthur Alexander avec une puissante cover d’«Every Day I Have To Cry» et boom, elle passe au Soul power avec «Love Power», we get love !. Avec «Am I The Same Girl», elle passe à une autre mouvance, celle d’Eugene Record, l’âme des Chi-Lites, mais aussi celle de Gamble & Huff et A Brand New Me, at Sigma Sound - Where she would record some of the greatest Soul music ever to come out of the City Of Brotherly Love - Zorro Bounce est déchaîné. Il termine sa compile avec «What’s It Gonna Be» - It would be unthinkable not to feature the track that most fans regard as Dusty’s best-ever Soul record - C’est enregistré en 1967 à New York avec Jerry Ragovoy, et en guise de backing vocals, la crème de la crème : Carole King, Nick Ashford, et Valerie Simpson. Zorro Bounce ne comprend d’ailleurs pas pourquoi «What’s It Gonna Be» n’est pas devenu un hit. Ça le dépasse. Et nous aussi. 

             Dans l’un de ses ultimes messages, Jean-Yves me confiait qu’il n’écoutait plus grand-chose, un peu de ci, un peu de ça et beaucoup de Dustry Springfield.

    Signé : Cazengler, Dustiti & Grosminet

    Dusty Sings Soul. Ace Records 2022 

     

     

    L’avenir du rock

     -  Drippers spirituels

             De temps en temps, l’avenir du rock disparaît de la circulation. Il met un panneau «Ne Pas Déranger» sur la porte de sa maison, il éteint son téléphone et il descend à la cave où est installé son générateur. C’est une machine à remonter le temps. Personne ne sait que cette machine existe. Ce n’est pas qu’il ne veuille pas partager, mais il craint surtout d’être pris pour un fou. Pris pour un con, il parvient à l’accepter, mais pour un fou, non. Il s’installe aux commandes de sa bécane et programme l’année de son choix sur un petit clavier digital. Tic tic tic tic tac. Il ferme l’écoutille, met le contact, un gros éclair vert traverse l’habitacle, quelques soubresauts et hop, comme dans une bande dessinée d’Edgar P Jacobs, l’avenir du rock se retrouve propulsé dans le passé. Il a choisi l’an 750 de notre ère et la Scandinavie. Il adore les Vikings et surtout boire avec eux de l’hydromel dans le crâne d’ennemis fraîchement décapités. La fréquentation des Vikings le régénère. Si la plupart des gens prennent des vitamines pour avoir du punch, l’avenir du rock préfère fréquenter les Vikings. À leur contact, il sent les énergies telluriques traverser son corps, le sang bouillonner dans ses veines, il chante avec eux les chants de guerre lors des festins où sont alignés tous ces fantastique guerriers, ces gaillards poilus et puants coiffés de casques ailés, il voit tous ces torses nus sanglés de cuir clouté luire à la lueur des flammes du brasier installé au centre de la grande hutte communautaire, ah quelle ambiance ! Ce mélange de primitivisme et de violence est tout de même unique au monde, se dit l’avenir du rock, ivre de liberté et d’hydromel, tellement ivre qu’il s’écroule dans le brasier, et, alors qu’il continue de chanter à tue-tête et qu’il commence à rôtir, on le retire du feu avec des harpons pour l’arroser d’hydromel et le mettre à sécher pendu par les pieds, comme un hareng. Lorsqu’il revient à lui, l’avenir du rock sent une drôle d’odeur. Il est assis aux commandes de sa machine et ses vêtements sont carbonisés. Une violente odeur de hareng fumé l’oblige à sortir de l’habitacle. Mais il tient absolument à rester dans l’ambiance de son voyage, alors il remonte en hâte au salon, se verse un grand verre d’eau de vie, et glou et glou, puis s’installe confortablement dans son fauteuil pour écouter les Drippers, les Vikings les plus barbares de tous les temps. Arrrgghhh ! 

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             Non seulement Arrrgghhh !, mais mille fois Arrrgghhh ! Le deuxième album des Drippers paru cette année porte bien son nom : Scandinavian Thunder.

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    Dès «5 Day Blues (2 Two Day Boogie)», tu as le real deal qui te tombe sur la tête, et pas n’importe real deal, celui de l’early punk, mais c’est beau car taillé sur mesure. Ces Vikings ont du souffle, ils arrosent le beat d’une chantilly de wah et t’en mettent plein la vue, ils lâchent l’élastique et ça part en pleine gueule du mythe. Et ça continue avec «Overlead», ils sont dans l’excellence du rebondi de Nine Pound Hammer, c’est le grand retour de ce son et des chutes du Niagara, c’est du Motörhead à la puissance 1000, bastonné dans le dos du beat, c’est du punk’s not dead sans peur et sans reproche, blast magnifique en qui tout comme en un chat sauvage aussi tigré qu’excessif. Pour compléter la triplette de Belleville, voici «No Stars», ils rallument le brasier du punk-rock scandinave, ça taillade dans les tibias, mais comme c’est beau ! Ils cocotent comme des vrais bouchers et ça chante à l’envers des rafales. Par les temps qui courent, peu de gens osent ainsi se jeter à l’eau. Ils perpétuent le wild as fuck des Hellacopters, avec encore plus de sauvagerie, comme si c’était possible. Les voilà au rendez-vous de «Shine No Light», ils ramènent toute la barbarie dont ils sont capables, ils n’ont pas d’états d’âme, ils arrosent, ils démolissent tout. Ces mecs ne baisseront jamais les bras. Il faudrait les leur couper. Nouvelle cavalcade avec «Rollin’ Aces», on dirait un drakkar éventré lancé dans une course folle. Ils visent l’insanité. Ils amènent «Shit Island Showdown» à la pluie d’excellence, c’est un fabuleux shuffle de killers Vikings, ils atteignent cette fois le génie sonique après l’avoir frôlé, cette fois la beauté sera explosive ou ne sera pas. Ils finissent par avoir ta peau, ils te bouffent la rate, tu ne peux pas leur échapper, ils jouent aux accords de feu.

             Vive Le Rock les appelle the Harbingers of action rock, c’est-à-dire les présages de l’action rock, ce qui leur va comme un gant. Le bassman/chanteur s’appelle Viktor Skatt. Pour lui une seule chose compte quand il compose avec ses copains : «It has to be fast. That’s the only rule.» Il donne sa définition de l’action rock : «Tu pars du 60s Detroit Sound, Stooges, MC5, all the good stuff, you take that and add a little punk attitude, a few glam riffs, you bring it up to date a little bit with more of a hard rock edge and somehow you end up with action rock.» Une vraie recette de cuisine Viking ! Skatt cite aussi les Hellacopters avec lesquels il dit avoir grandi et pour lui, ce son est le résultat du mélange du Detroit stuff avec des idées plus modernes. Et ce n’est pas un hasard si Tomas Skogsberg les produit : c’est lui qui a produit les Hellacopters. Skatt avoue aussi jouer du distorted bass en hommage à Lemmy.

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             Leur premier album s’appelle justement Action Rock. Il date de 2019. Pour les nostalgiques de Motörhead, c’est un album de rêve car il grouille de blasts, à commencer par l’«(Ain’t No) Shangri-La» d’ouverture de bal, c’est même un ultimate saturé de son, tu n’as rien au-dessus, même pas les Dwarves. On pourrait presque dire la même chose de «Gimme The Shakes», c’est un pétard enfoncé dans la gueule du crapaud, boum ! Si tu aimes le blast, alors c’est l’album qu’il te faut. C’est même ravagé par la guitare d’Attila. Encore un petit coup de blast pour la route ? Voilà «Langgatan», une sorte de wild ride à travers les plaines en feu. Tu ne peux plus échapper à ton destin. Ils tapent ensuite «White Light» à la pire insulte de fast beat. Non seulement ils explosent la rondelle des annales, mais le cut prend feu. Ils blastent encore à outrance leur «Day Turns To Night». On n’avait encore jamais entendu un ramdam pareil, même chez Zeke ou les Dwarves. Ça joue à la vie à la mort, beat de frappadingues avec des solos liquides. N’oublions pas les coups de génie. On en dénombre deux sur cet album : «Feldman’s Exit» et «Bottled Blues». Avec Feldman, t’es cavalé dessus par la cavalerie des Drippers. C’est la charge des Chevaliers Teutoniques. Tout vibre dans la baraque. Il n’existe rien d’aussi demented are go, avec en plus un solo au napalm, ça rampe sous les flammes, ces gens-là ne respectent rien. Ils repartent de plus belle avec «Bottled Blues», le pire stroumfphed-out punk blast de l’histoire de l’univers. Ils poussent tellement grand-mère dans les orties que ça devient congénital. Au sens où ça outrepasse le MC5. Les Drippers proposent un capiteux cocktail de solos à la dégueulade suprême et de rafales de coups de wah.  

    Signé : Cazengler, Dripère Fouettard

    Drippers. Action Rock. The Sign Records 2019

    Drippers. Scandinavian Thunder. The Sign Records 2022

     

     

    Inside the goldmine

    - Admirable Admiral

     

             Sur le chemin de sa tournée, le facteur Shovell ramassait des galets qu’il trouvait jolis. Il comptait bien les utiliser pour décorer la réplique du temple d’Angkor Vat qu’il construisait dans son jardin. Et pas qu’un petit temple, hein, non, un temple à l’échelle 1, sur trois étages, qu’il élevait tout seul, sans arpètes ni grues, seul avec la brouette en bois de son grand-père, sa truelle qu’il polissait chaque matin au réveil et une poulie de marine dont il se servait pour monter ses seaux de mortier blanc sur l’échafaudage. Il mettait un soin particulier à tarpouiner son mortier, il y jetant de la chaux et de la cendre pour lui donner du caractère et il passait des heures à rechampir ses façades, à les décorer de galets, et puis il charpentait et entuilait, sans jamais s’attacher, confiant qu’il était dans la précision de ses gestes. Il jouxta le palais d’Angkor Vat avec un autre palais, celui des Mille et Une Nuits dont il avait découvert une gravure dans la traduction de Richard Burton, un très beau livre emprunté à l’institutrice du village. Il éleva les huit minarets et réussit à polir les dômes pour qu’à la nuit la lune les éclaboussât de lumière. Il se lança ensuite dans la plus folle de ses entreprises : il éleva un sphinx de Gizeh à l’entrée de son jardin, mais il le modifia en lui collant un panneau noir sur l’œil, en souvenir de l’amiral Nelson qui était borgne. Il en était tellement fier qu’il se relevait la nuit pour aller l’admirer. Ça devait être au mois de mai, lorsque les nuits sont claires, qu’il entendit parler le sphinx :

             — C’est une chose de toute éternité que l’amitié intellectuelle, n’est-il pas vrai, facteur Shovell ?

             Clong ! Le facteur Shovell sentit sa mâchoire se décrocher et pendre comme une lanterne sur sa poitrine. D’une voix plus profonde encore, le sphinx poursuivait, l’œil fixé sur l’horizon :

             — Oooooh so cloudesley...

             Comme piqué par une guêpe, le facteur Shovell cavala jusqu’à son atelier. Il jeta dans sa brouette une belle plaque de marbre récupérée dans un cimetière qu’il avait repolie et empocha un poinçon et un marteau. Alors que le sphinx commençait à réciter la Légende des Siècles, le facteur Shovell grava «Admiral Sir Cloudesley Shovell» sur la plaque et la scella à l’avant de la patte avant droite.

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             Johnny Gorilla a-t-il visité le Palais Idéal du facteur Shovell ? C’est possible, il faudrait lui poser la question. En attendant, il existe actuellement en Angleterre un power trio qui s’appelle Admiral Sir Cloudesley Shovell. Magnifiques albums, magnifiques pochettes et magnifiques dégaines. Ces trois rumblers ancrés dans les seventies ont tout bon : le nom de groupe, le son, les motos. N’oublions pas la tête géante de perroquet qu’on retrouve sur les pochettes des deux premiers albums et qui crée une sorte d’identité visuelle. Détail de très grande importance : ces mecs portent des rouflaquettes dignes de celles de Jesse Hector au temps des Gorillas. Bien joué, Johnny Gorilla !

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             Leur premier album paru en 2012 s’appelle Don’t Hear It... Fear It. Le perroquet trône sur le recto de pochette, mais au verso, on les voit tous les trois, Johnny Gorilla au centre, photographiés dans un immeuble destroy, comme le furent les Saints pour la pochette de leur premier album. Ils l’attaquent avec un pscho-psyché à la Rosemary’s Baby, «Mark Of The Beast». Johnny Gorilla s’arrache bien la glotte. Derrière, ça joue très seventies. Bill Darlington bat le beurre comme un beau diable et Louis Comfort-Wiggett écrase le champignon du drive. Les amateurs de hard seventies vont bien se régaler. On a là un son très pulsé, très gonflé, très compressé. On reste dans le bon vieux heavy des intérêts menacés avec «Devil’s Island». Ces trois mecs réinventent le fil à couper le beurre de Black Sabbath, mais ça s’arrête là. Ils ne vont pas plus loin. Ils se limitent à réactiver un capharnaüm vieux de quarante ans. Louis Comfort-Wiggett en profite pour passer un solo de basse. Avec «Death», ils se veulent sacrément totémiques, heavy et sans appel. Break de basse dément. Comme le facteur Shovell, ils élèvent des constructions vertigineuses dans les hauteurs. Ces mecs ne peuvent pas se calmer, ils en sont parfaitement incapables. Ils se contentent de hurler au sommet de leur Ararat, parmi les éclairs de la tourmente sonique. Ils attaquent la B avec un «Red Admiral Black Sunrise» monté sur un beau riff de basse. C’est l’une des meilleures heavyness d’Angleterre, suspendue dans l’air brûlant d’un combat naval. L’amateur de heavy blues y retrouve automatiquement son compte. Big sound ! Ils sont bien sûr incroyablement prévisibles. Ils aimeraient bien rejoindre Monster Magnet dans les limbes de l’espace. Tony McPhee vient jouer un coup de slide sur «Scratchin’ And Sniffin’». Il en profite d’ailleurs pour placer l’un de ces solos fabuleux dont il a le secret.

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             Deux ans plus tard paraît Check ‘Em Before You Wreck ‘Em. Pochette toute aussi admirable que celle du premier album. L’homme à tête de perroquet rouge chevauche une Triumph anglaise. Ces mecs sont dans leur son comme ils sont dans leur look, sans concession. Ils n’ont pas l’intention de lâcher l’affaire. Johnny Gorilla s’énerve dès «2 Tonne Fuckboot», cut tentaculaire et tarabiscoté. Il chante ça avec de la bave aux lèvres. Il adore le tarabiscotage des seventies. Il s’amuse à rebricoler tous les vieux mythes du heavy rock des seventies : le chant braillard, le power-trio invincible, le son gras du bide et les coups de cloche. Avec «Captain Merryweather», il vise le heavy insoutenable. C’est tellement heavy que le plancher menace de céder sous le poids. Johnny Gorilla n’en compte pas moins s’élever jusqu’au sommet de la déshérence. Avec «Running From Home», il plonge dans la terre des ancêtres. Il adore charger la barcasse de la rascasse. Et le «Shake Your Head» qui ouvre le bal de la B se montre digne d’Edgar Broughton et des titans du proto-punk. Johnny Gorilla chante avec une voix de briseur de reins. On sent qu’avec «Bulletproof», ils reprennent les choses là où Bullet les avait laissées. Cool as fuck.

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             Deux ans plus tard arrive Keep It Greasy. Pas de perroquet, cette fois, une grosse dame tatouée a pris sa place. Comme l’indique le titre, Johnny Gorilla chante au greasy double. On se croirait sur un album Vertigo en 1972, au cœur des années de lycée pourries. C’est exactement le même son, avec des faux échos de Taste dans le chant. Johnny Gorilla vise le raw brûlant. Il n’en finit plus d’étaler son étalage. Il frise parfois le Nashville Pussy à l’Anglaise, bien greasy et bien collant. Johnny Gorilla est un sacré old timer, il n’hésite à multiplier les changements de rythme, les poussées de fièvre, les entrelacs aventureux et il se prête bien sûr dès qu’il peut au petit jeu du killer solo vipérin. On l’a bien compris, ce power trio est comme chargé d’histoire et d’énergie, et le diable sait si le puits des seventies est sans fond - I feel so tired ! 

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             Un quatrième album vient de paraître : Very Uncertain Times. Le perroquet est à l’intérieur et Serra Petale remplace Bill Darlington eu beurre. Cette fois, ils sonnent carrément comme Motörhead, les quatre premier cuts sont du pur Lemmy. La fête commence avec le morceau titre, ils sont tout de suite dans cette énergie inexpugnable, c’est l’ultime hommage au Lemmy des cheveux sales, du speed et du riff vainqueur. Ils sont dans ce rock qui ne veut pas lâcher prise. Tant que ces mecs-là joueront, le rock vivra. Ah il faut les voir dépoter leur heavy blast ! On reste dans la violence avec «The Third Degree», ils jouent la même carte, celle du power goûlu, de la fritte grasse et Gorilla part en virée en wah. Wow ! Il joue sa carte à la folie, il est partout dans le son, comme le fut Fast Eddie Clarke. Ils foncent dans leur tunnel extraordinaire, «Mr Freedom» pourrait figurer sur n’importe quel album de Motörhead, pure craze de bye bye Mr Freedom, Johnny Gorilla fait son Lemmy, avec le même gusto. Ils restent dans la veine Motörhead avec «Iceberg» puis nous balancent une énorme tartine de Gorilla avec «Blackworth Quarry». Ils claquent «Biscuits For Victor» au riffing absolutiste, quelle bonne aubaine, Ben ! Ils ne reculent devant aucun sacrifice, ils pèlent leur dard, ils optent pour l’opti, ils graissent des pattes et bourrent leur dinde. Il y a chez ces mecs-là une ferveur, un enthousiasme très contagieux. Bel album, en tous les cas. 

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             Avant ça, Johnny Gorilla avait un groupe nommé Gorilla et dont on ne peut que recommander l’écoute aux amateurs de gros son. Gorilla date de 2001 et sa pochette rouge renvoie bien sûr à celle du deuxième Grand Funk Railroad. C’est d’ailleurs comme ça qu’on l’a remarqué à l’époque sur le mur des nouveautés chez Gibert. Oh la belle pochette miam miam ! Ça doit être bien, ce truc-là. Bonne pioche ! L’album répond à toutes les attentes, dès «Good Time Rockin’», Johnny Gorilla l’attaque à la folie Méricourt, pas le temps d’en placer une, t’as la bouche emportée par un obus, awk awk, après tu peux faire des bruits mais tu vas pourrir la vie de ta mère et ta sœur qui bat le beurre, bon bref pendant ce temps, Johnny Gorilla envoie ses obus, c’est un fils de pute, un vrai fils de Motörhead, avec un truc en plus. La petite bassiste donne bien, elle aussi. «Coxsackie» sonne comme une horreur rampante, c’est heavy au point de se casser la gueule. Trop de poids, tu perds l’équilibre. Comme d’habitude, Johnny Gorilla tente d’incendier ses cuts par tous les bouts et pouf, il fait du MC5 avec «She’s Got A Car». Ce sont les accords du Burning. Retour à la heavyness avec «Nowhere To Go But Down», il passe au gros biz de Gorilla, il adore les Panzer Divisions, la lente avancée des forces du mal, ils sont dans le plantage des Plantagenet, les riffs suffoquent de tant de neige à Stalingrad, les voix ahanent dans l’horreur de la fin du monde, Johnny Gorilla bourre sa dinde de purée, c’est la technique de la cheminée, c’est un tortionnaire et tout explose dans la neige, sang caca boudin. Ils sont sublimes, forcément sublimes. Johnny Gorilla ne vit que pour le Sabbath, son «Forty Winks» est aussi du early Sab, il est amoureux d’Ozzy, pas de doute, il baigne dans cette friture extrême, il cultive l’art de la vrille de voyou, il est avec Ozzy le pire voyou d’Angleterre, il bat tous les autres à la course, derrière c’est chaud avec la basse fuzz, extraordinaire mélasse d’ex-voto à Toto. Ils explosent ensuite «Day Blindness» au sommet du lard anglais, guitare + bass + beurre, leur son vivace craque sous la dent, avis aux cannibales et aux amateurs de parfaite explosivité. Bien vu Gorilla !

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             Non seulement Gimme Some est un bon album, mais en plus il défonce la rondelle des annales. Ça explose dès l’accord d’intro de «Just Wanna Rock», pas de pire expédition que celle-là, Johnny Gorilla pulvérise tous les records de Motörhead et tous ceux du gunk punk undergut, il atteint l’autre dimension, il joue le blast de la vingt-cinquième heure. Sur le tard, Sarah Jane se fend d’un solo de basse qui vaut ceux de Jack Bruce et de John Entwistle, puis Johnny Gorilla revient dans la soupe au chou, c’est son truc. Avec «Double Neat», il bat tous les records de heavyness, on patauge dans le pire son de l’univers, ses accords et ses solos prennent feu, aw Gorilla ! Il faut entendre l’intro de basse de Sarah Jane dans «Gimme Some Gorilla», elle joue au rentre-dedans. Belle leçon de violence sonique à l’anglaise. Sarah Jane fait encore des siennes dans «Negative Space», elle joue un bassmatic excédé, elle slape la face du Gorilla alors que le Johnny du même nom sème le calme avant la tempête pour mieux brouiller les œufs. Encore une belle leçon d’anti-humilité avec un «Oaken Mind» dévoré de l’intérieur, my oaken mind ! Et quand arrive «I’m Dirty», tu sautes dans ton salon au son du big riffing de shot dead, Johnny Gorilla balance une vieille dégelé de serpillière trashcore, ces trois oiseaux sont indécrottables, ils sautent dans tous les coins, ça joue, ça gicle, c’est Gorilla. Power-trio absolu, fast and heavy. Johnny Gorilla joue sa heavyness à la sur-puissance. Toutes les compos se veulent aventureuses.

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             Allez, tiens, encore un big album de rock avec Rock Our Souls qui date de 2007. Ramassé aussi chez Gibert. C’est dingue comme le mot Gorilla peut attirer l’œil. Ça ouvre sur un «Come On Now» qui porte bien son nom, une espèce de petite horreur déflagratoire dans le coin du son. Sarah Jane on bass et Billy Gorilla au beurre, faisabilité à tous les étages, c’mon ! Billy Gorilla est le sosie de Johnny Ramone et Sarah Jane paraît à la fois blonde et brune, on se sait pas trop. Johnny Gorilla porte une cartouchière, comme Lemmy. Ils sont dans le revienzy de Sabbath avec «Vulture Tree» mais reviennent à Motörhead avec «Bludd Sucker». C’est embarqué directement en enfer. Dynamiques de Motörhead + break de basse et départ en vrille de wah du diable. Que peut-on demander de plus ? Sarah Jane ramone tout ça au bassmatic et Johnny Gorilla prend feu au chant. Quand ils tapent dans la heavyness («Preying Menace»), ils font de la heavyness transcontinentale. Puis ils expédient «Rok R Soles» en enfer. On voit ensuite «Hot Cars» prendre feu sous nos yeux, c’est en plus battu comme plâtre, on croit entendre l’early Motörhead, c’est le chaos total, hey hey hey, Johnny Gorilla fait son Fast Eddie, tout est joué au maximum overdrive.

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             Pas de surprise avec le Gorilla Vs Gritter paru en 2016 : c’est du Motörhead-alike pur et dur. D’ailleurs, les accords de «Both Barrells» sont ceux d’«Ace Of Spades». Même jus, mêmes pyromaniacs, mêmes fous dangereux. Ils tartinent la heavyness de «Slay Rider» à la main lourde, Johnny Gorilla ne s’embarrasse pas avec les détails de la dentelle, il y va à coups de pelle. Ils restent dans cette vieille heavyness des seventies pour «Grind Yer Down». Johnny Gorilla n’en démord pas, il ressort son meilleur accent lemmyen pour tailler la route. Power absolu ! De l’autre côté, les Gritter sont marrants, ils sortent quasiment le même son. Le pire, c’est que c’est excellent. Ils tapent dans le raw du raw. Tout est au même niveau d’identité. Bravo les gars !

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             Le dernier album en date de Gorilla s’appelle Treecreeper. Ils ne sont pas près de se calmer. Johnny Gorilla a même décidé de surpasser Lemmy. Ça te fait marrer d’entendre ça ? Et pourtant c’est vrai. Au moins sur deux cuts, «Gorilla Time Rock n Roll» et «Killer Gorilla». Il enfonce son Gorilla Time comme un suppositoire dans le cul du rock, ils sont tous les trois plus explosifs que Motörhead, comme si c’était possible ! Eh bien oui, c’est possible. Même gendre d’incendie, mais poussé à l’extrême. Même chose avec «Killer Gorilla», le dernier cut de l’album, c’est joué au cœur des flammes, ces mecs sont fans au point de porter des cartouchières, c’est stupéfiant de véracité, jusque dans le son et la façon de beugler au cœur du chaos. C’est très spectaculaire. Il faut bien sûr voir ça comme un hommage à Lemmy et à Fast Eddie Clarke. L’autre énormité de l’album s’appelle «Terror Trip». Ces mecs sont fous, ils n’hésitent pas à te casser les oreilles pour imposer leur son. Ils font la heavyness définitive. Ils enfoncent leurs clous seventies à coups de marteau de Thor. Dès «Scum Of The Earth», on sait qu’on arrive chez des barbares. Les pires qui soient. Johnny Gorilla fait son Lemmy à l’arrache, il est marrant car il en rajoute, ils jouent tous les trois à l’ultra-saturation, l’air devient irrespirable. Ils sont dans leur truc, il ne faut pas les embêter. Ça reste du heavy seventies rock chanté au cancer de la gorge. «Cyclops» est beaucoup trop extrême. Trop plongé dans les abîmes. Johnny Gorilla est un émule de la mule, il va chercher les vices des abysses, mais ses attaques matraquent. Le morceau titre surprend par sa construction, d’abord heavy puis speedé. Ça sent le crystal meth, cette affaire-là. On le voit à la qualité des effusions. Avec «Mad Dog», Johnny Gorilla arrive au pied de la falaise, mais il est vif et sait se montrer intéressant, c’est un guerrier, il tape ça à l’éclair de wah, c’est d’une rare présence, tous ses départs en solo sont des modèles du genre. Il nous claque ensuite «Ringo Dingo» derrière les oreilles. Ces mecs ont créé un monde extraordinairement vivant, un monde de claques, de Lemmy, de wah et de virées incendiaires, c’est un cocktail génial et capiteux. Johnny Gorilla gueule tant qu’il peut puis il part en maraude, alors ça devient inquiétant.

    Signé : Cazengler, Admiral Sir Cloudesly Savate

    Admiral Sir Cloudesley Shovell. Don’t Hear It Fear It. Rise Above Records 2012

    Admiral Sir Cloudesley Shovell. Check ‘Em Before You Wreck ‘Em. Rise Above Records 2014

    Admiral Sir Cloudesley Shovell. Keep It Greasy. Rise Above Records 2016

    Admiral Sir Cloudesley Shovell. Very Uncertain Times. Rise Above Records 2019

    Gorilla. Gorilla. Lunasound Recording 2001

    Gorilla. Gimme Some. Beard Of Stars Records 2004

    Gorilla. Rock Our Souls. Go Down Records 2007

    Gorilla Vs Gritter. HeviSike Records 2016

    Gorilla. Treecreeper. Heavy Psych Sounds 2019

     

    DESOLATE GRAVE

    ( Digital / Bandcamp / 04 - 01 - 2022)

    Presque un an de retard. Désolé je ne l’avais pas vu. Je ne veux pas dire que je n’avais pas remarqué sa sortie, mais que si je l’avais vu de mes yeux je l’aurais chroniqué séance tenante. Vous connaissez mon attrait pour les pochettes, mais celle-ci est particulière.

    Viennent de Gothenburg, la deuxième cité la plus peuplée de Suède derrière Stockholm, nous ne retiendrons de cette vaste métropole que trois détails, la monumentale statue de Poseidon, symbole de la ville, due à Carl Milles qui fut élève de Rodin à Paris, ce qui ne m’empêche pas de penser qu’il fut surtout influencé par Bourdelle,  enfin – je ne saurais passer devant une représentation d’une divinité grecque sans lui rendre hommage –deux autres traits davantage en relation avec cette chronique, Gothenburg possède un Opéra et une tradition de groupes de death metal mélodique. En fait ils ne viennent pas, Desolate Grave est un one man band Davis Pos Mauritzon.

    Une personnalité d’autant plus pratiquement inconnue sous nos latitudes qu’il se dissimule le plus souvent derrière l’appellation de son projet, ici Desolate Grave, nous en concluons qu’il ne tient pas à tirer gloire de son individualité patronymique, mais avant tout à nous transmettre ses visions du monde afin que l’effacement de sa personne les objectivise davantage.  Ce n’est pas ce que lui David Pos Mauritzon voit qui est important, mais la chose vue elle-même en le sens où elle nous concerne, non pas parce que sa présence est signalée par David Pos Mauritzon, mais parce que c’est à nous de la considérer en tant que ce qu’elle est. Par exemple : une menace.

    Remontons les traces de David Pos Mauritzon : Belarus Beaver : je pensais que Beaver signalait un ours de grande taille, de fait il désigne un animal paisible : le Castor. Du moins je le pensais jusqu’à ce que je découvre que les castors biélorusses sont particulièrement agressifs. Le premier post que je trouve sur le net est la mort d’un pêcheur tué par la jolie bestiole qu’il voulait photographier. Quoi qu’il en soit il existe trois albums de Belarus Beaver dont le style est qualifié de brutal beaver grind. Pour ceux qui l’ignorent le grind est un metal particulièrement très violent. Derrière ces trois albums ne se cache pas une colonie de castors mais vous l’avez deviné un certain David Pos Mauritzon.

    Bandcamp nous propose donc trois albums de Belarus Beaver. Question musique je me contenterai de deux adjectifs : brutal et mélodramatique, le gars se tape un délire sur les castors, l’ensemble tient du conte médiéval et du scénario de film ‘’animaliste’’ des années seventies, style invasion de fourmis, ou d’araignées géantes, ou de vers mangeurs d’hommes, sauf qu’ici les héros diaboliques sont des castors retors et méchants qui ont décidé de prendre le pouvoir sur toutes les autres espèces, la nôtre comprise… Pour vous donner une idée je recopie le titre – j’ai bien écrit le titre et pas les paroles – d’un des morceaux de cette monstrueuse saga castorienne : Archeological findings indicated that beavers were eating humans but for unknowm reasons were zombies so everyone died. L’écoute de ces trois albums risque de changer vos a-priori philosophiques sur ces pacifiques constructeurs de barrages.

    Les trois précédents albums sont parus entre juillet 2019 et juin 2022, en 2014 l’on retrouve Mauritzon dans le groupe ÖDÖLDS, l’album éponyme est apparemment un opus à la gloire de la bière, mais l’on est en droit de se   demander si la bière en question n’est pas une boisson qui se mêle à votre sang pour vous transformer en zombie… Je ne résiste pas à vous montrer la pochette.

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    En 2017, David Mauritzon participe à l’album To be drawm and to drown de SIGN OF CAIN, encore une couve appétissante, sur le label Apostasy Records, bel opus de metal mélodique qui se rapproche de celui que nous allons écouter.

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    DET SISTA STEGET

    DESOLATE GRAVE

    L’artwork est magnifique. Il est signé de Pontus Bratt, tatoueur de son métier Visitez son site ou son Instagram, ses motifs, fuselés et sanglants, valent le détour. De toutes les vignettes que j’ai visionnées et admirées, aucune ne témoigne du style adopté pour cet EP.  Le pire c’est que cette image n’est en rien originale. Des représentations idoines, par dizaines et centaines, vous sont déjà passées sous les yeux, BD, couves de disques, illustrations de livres, décors de cinéma. C’est justement pour cela qu’elle vous accroche. Parce que vous connaissez déjà. Le thème est ultra-simple ; une vision de fin de monde, un immeuble abandonné dans une ville dont instinctivement vous comprenez qu’elle n’est plus habitée, genre de description dont vous vous délectez par exemple chez Franck Thilliez lorsque les héros d’Atom(ka) entrent dans la zone interdite de Tchernobyl. Un paysage de fin du monde. L’impression est rehaussée par l’arrivée de ces trois survivants, l’on suppose frères et sœur d’une même famille que l’on voit de dos, qui n’en croient pas leurs yeux puisqu’ils utilisent ce que l’on devine être leur dernier fumigène pour percer l’obscurité. Des nuages noirs courent dans le ciel blafard. Faut-il y entrevoir une forme…

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    En suédois Det sista steget signifie : Le dernier pas, nous le traduirons pour mieux coller à l’image par Le point d’arrivée. D’où viennent-ils, où sont-ils parvenus, croire qu’une réponse géographique ou historiale nous éclairerait est illusoire, ils sortent d’un cauchemar et sont sur le point d’entrer dans un autre. Cette couverture est forte car elle est explicite, elle ne dévoile rien de précis et dit l’essentiel. Que nous aussi, dans un futur proche nous pourrions vivre une situation similaire. Elle ne laisse pas mille chemins ouverts, elle matérialise simplement l’image d’une possibilité. Parmi d’autres. Mais de préférence celle-ci.

    Je ne sais qui de l’artwork ou qui de l’enregistrement a, non pas précédé l’autre, mais illustré son conjoint.  Tous deux fonctionnent en miroirs, chacun des deux renvoyant à l’autre sont comme deux fleuves qui se jettent l’un dans l’autre. Serpents liquides qui se mordent la queue.

    Prelyudiya : un prélude, pour poser le son, un peu comme au début de la Tétralogie de Wagner, un grondement de parturience séminale, l’on comprend que le Drame est-là, qu’il gît dans sa propre latence, malgré la crête claire qui s’en détache, un peu comme la souple nageoire d’un squale géant dans le tourbillon central d’un maelström annonce que l’inéluctable se dirige vers vous. Nezariy : avancée forte et noire, ampleur sonique, une voix grunteuse égrène grain à grain de granit les mots porteurs d’angoisse et d’inquiétude, une marche funèbre qui se dirige vers vous, vous pensiez qu’il n'y avait personne, la voix vous susurre qu’il y a quelque chose, que vous pourriez confondre avec un reflet d’étoile, mais non, pas d’illusion, il n’y a plus de hasard. Ni objectif. Ni subjectif.  Trackhym : et la marche commence, l’onde sonore irrésistible qui enfle n’est pas sans évoquer le prélude implacable de Lohengrin, ce vers quoi l’on se dirige vient aussi à vous, il est inutile de garder quelque espoir, c’est le malheur qui approche, de qui sont ces pas lourds ? de la Chose ? ou des trois survivants hésitant et trébuchant ? la batterie est un glas lourd d’effroi et de désespoir, l’eau du malheur ruisselle sans fin, pluie d’horreur diluvienne… Intermediya : jamais un morceau n’aura porté aussi mal son titre, cet instrumental n’est pas un intermède, pour passer le temps ou se divertir, il correspond à la Mort d’Ysolde,  le frottis funèbre des cordes et l’élévation du mur spectral bouche l’horizon. Desolate Grave ne lui consacre que peu de temps, l’évidence destinale est patente. Lariysova : déjà la fin, elle prend son temps, toujours le même leitmotiv depuis le début, cette fois-ci plus éclatant, même si le rythme se rompt, même si l’on entend le murmure des survivants, ils ne sont plus que deux, ils ont compris que leur marche fantôme ne finira jamais, ils sont en quelque sorte condamnés pour l’éternité comme des Dieux qui atteignent leur crépuscule, d’autres viendront et prendront leur place, rien ne changera, toi qui entres ici abandonne tout espoir. Final grandiose. D’une lenteur démesurée. D’une ampleur vibrionnante. Comme s’il devait ne jamais se terminer dans la vraie vie. Qui n’est qu’une image de la fausse mort.

             Ceci n’est pas un disque mais une œuvre, à réécouter sans cesse et à méditer. D’une architecture beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. Un trou noir de death metal symphonique qui brille plus fort que la nuit, plus fort que les amas stellaires qu’il attire et avale.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKABILLY RULES ! ( 4 )

    N’oubliez jamais que toutes les règles sont faites pour être contournées, dépassées, chamboulées, piétinées, car l’important avant tout c’est d’avoir un cœur fidèle et rebelle !

    BOBBY POE & THE POE KATS

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    Bobby Nelson Poe né en 1933 à Vinita, trou perdu de l’Oklahoma, avait tout pour devenir un citoyen modèle américain. Le destin en a voulu autrement. Son histoire commence à Coffeyville dans le Kansas, il aime à rappeler qu’Emmett Dalton lors de l’attaque d’une banque y reçut vingt-trois balles mais qu’il survécut (en prison) à ses blessures. Ce n’est pourtant pas l’exemple de ce hors-la-loi qu’il commença par suivre. Un itinéraire sans bavure, une jeunesse dans les clous, il joue au foot (américain), travaille dans le pétrole, se marie pour fonder une famille, il écrira ses mémoires mais c’est un de ses fils qui raconte, bref il est sur la bonne voie ( sans issue ), oui mais en 1956 the Devil in disguise and in person, il s’appelle Elvis Presley , lui fourre de mauvaises idées dans la tête, genre il gagne un pognon de dingue depuis qu’il fait du rock’n’roll. Désormais Bobby passe son temps au boulot à chanter du Elvis, première consécration, ses coéquipiers le surnomment Elvis…

    Cherchez l’erreur, juste quelques jours avant, le soir de Noël 1955, l’est en club avec les copains du boulot qui lui offrent 20 dollars s’il ose chanter avec l’orchestre de jazz, des noirs qui évidemment ne connaissent pas Love me tender de Presley, Bobby ne se dégonfle pas, y va franco a capella pour une standing ovation. Le patron l’embauche illico à la condition expresse qu’il vienne avec son orchestre.

    Se débrouille pour trouver trois bons musicien du coin, seront les premiers du comté à jouer du rock ‘n’ roll. Quand la roue de la fortune tourne dans le bon sens… Bobby entend un gamin   chanter à la radio locale, belle voix à la Fats Domino, vous connaissez son nom, Big All Downing, l’a seize ans tout comme le guitariste Vernon Sandusky, Joe Brawley bat le beurre pour reprendre une expression favorite du Cat Zengler, jouent du Presley, du Fats, du Little Richard, du Jerry Lou, de l’Everly Brothers… sont renommés dans tout le sud du Kansas…

    Le succès naissant - figurez-vous qu’ils passent aussi à la tété ( locale) – Bobby quitte son boulot et commence à manger de la vache enragée. Envoie une chanson qu’il écrit pour Elvis à Scotty Moore qui lui conseille de la jeter au feu. Son père petit chanteur de country lui conseille de ne pas se faire d’illusion…  En fils obéissant il est prêt à retourner à son ancien taf…

    Un coup de téléphone providentiel le tire du marasme, c’est Jim Alley qui deviendra un célèbre ‘’faiseur de vedettes’’, l’a justement besoin d’un band comme les Poe Kats pour accompagner une future star, la queen du rockabilly, Wanda Jackson. Bobby et ses boys seront sur scène derrière Wanda durant deux ans ( 1957 – 1958 ) aux quatre coins des  Etats-Unis.

    La tournée n’est pas de tout repos. Peut-être vous êtes-vous demandé pourquoi Big Al Downing chantait comme Fats Domino, tout simplement parce qu’il est noir. Or dans le Sud des Etats-Unis, la plus grande démocratie du monde, un nègre dans un groupe de rock blanc à l’extrême limite on veut bien l’admettre durant un concert, mais dans un hôtel ou même dans les toilettes réservées aux blancs, vous conviendrez que cela fait désordre. Les soirées sont parfois très chaudes, frisent de temps en temps le lynchage…

    Bobby Poe and the Poe Kats doivent accompagner Wanda Jackson sur son prochain disque, enregistré à la Capitol Tower in Hollywood. Les fans de Gene Vincent dressent l’oreille, ils ont raison, Ken Nelson a prévu des musiciens pour étoffer le son : Buck Owens à la rythmique et Skeets McDonald à la basse. Le monde du rock est petit, il compte beaucoup d’appelés et peu d’élus…

    La même année 1958, le label White Rock Records contacte Bobby pour enregistrer un disque. Z’en enregistreont deux, le premier sera le single de Big Al Downing et le deuxième celui de Bobby Poe.

    DOWN ON THE FARM

    Al DOWNING ( with the Poe Kats )

    ( White Rock / 1958 )rock’nn’roll

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    Une guitare maigrelette qui a l’air de se moquer de vous en intro, ensuite c’est la grande débâcle, une batterie qui boome, un piano qui stompe à mort, plus tard il hennira comme le cheval de Jerry Lou, une guitare qui déchire, et c’est fini. Même pas cent secondes. Bien sûr il y a la voix De Al qui surplombe le tout, un oiseau de proie qui se laisse tomber du haut du ciel pour rebondir aussitôt vers le firmament céleste. Du grand art. Sera number one au Texas. Le label Challenge fondé par Gene Autry le rachètera et vous le retrouverez sur le coffret Rhino : Rocking Bones : 1950 Punk and Rockabilly. Une dénomination qui se suffit à elle-même. Face 2 : Oh Babe : moins endiablé que le précédent mais la voix est souvent plus assurée, l’a son martel en tête quand il ‘’ tapote ‘’ son piano, l’on ne sait pas trop où l’on est, au chant Al assure à la hongroise il monte debout sur les deux chevaux qui mènent le char du rockab, tantôt sur le blanc, tantôt sur le noir. N’en privilégie aucun.

    ROCK’N’ROLL RECORD GIRL

    BOBBY POE

    ( White Rock / 1958 )

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    Beaucoup plus sage que le précédent, un piano qui fait le gros dos, Bobby nous fait le coup de la voix sensuelle et plastique à laquelle aucune fille ne résiste, mais pour les récalcitrantes au milieu du morceau il nous imite Litlle Richard et Jerry Lou pour montrer de quoi il est capable, puis il revient pratiquement à sa voix du début. Agréable mais ne dépasse pas la fougue talentueuse de Big Al Downing. Lui aussi sera numéro un au Texas. Face B : Rock’n’roll boogie : une guitare qui ronronne tel un gros matou qui s’apprête à avaler douze souris d’un seul coup de langue. La suite tient ses promesses. Un peu l’impression que Bobby nous refile tous les plans du vocal rock qu’il connaît les uns après les autres sans nous laisser le temps de respirer. N’y a que la fin qui manque de niaque, le morceau se termine comme un final de crooner qui veut vous en jeter plein les oreilles. Un peu ringard, mais l’on pardonne car l’ensemble remue salement le cocotier. Cette face est supérieure à la précédente. Ne soyons pas trop sévère puisque Sam Phillips était prêt à racheter les masters pour Sun, mais Wesley Rose qui est détenteur des droits refuse…

             Sympathique certes, mais si l’on veut être réaliste, nationalement The Poe Kats ne sont rien qu’un orchestre d’accompagnement. Ils essaient de gagner la côte Est. Sur leur trajet ils ne manqueront pas de donner des concerts qui attireront du monde et connaîtront un grand succès, mais qui s’en souvient trois jours plus tard…

             Ils échouent dans un club The Wise Guys des quartiers chauds de Boston. Le guitariste précédent est allé voir ailleurs. Il s’appelle Kenny Polson et a enregistré avec Chuck Berry, les garçons avisés le rattrapent et lui broient les mains à coups de batte de baseball. De quoi refroidir vos ardeurs…

             En 1958 Lelan Rogers, frère de Kenny Rogers les contacte pour enregistrer à la New Orleans. Ce sera un single de Big Al Downing :

    MISS LUCY

    BIG AL DOWNING

    ( Carlton / 1958 )

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    Miss Lucy : Rien qu’au titre l’on sent que c’est bon, une espèce de folie à la Little Richard, Al n’atteint pas les mêmes aigus que son modèle mais il est emporté par la même fougue et l’orchestre balance aussi bien que les Upsetters, peut-être même avec un son plus lourd et plus sale. Face B :Just around the corner : une petite promenade sympathique, ça ressemble un peu à ce que Little Richard fera chez Fontana, mais en moins bien, moins rythmé, l’on a adouci les angles du funk, et limé les griffes du tigre. Pas grave Miss Lucy apaisera tous vos désirs et balaiera d’un balancement de hanche toutes vos déceptions.

             Bobby Poe est assez intelligent pour comprendre que lorsque l’on tient un bon cheval, il est inutile de vouloir courir à sa place. Les Pole Kats se défont mais se retrouveront sans cesse. Avec son mentor Lelan Rogers, Bobby va aider au développement de la carrière de Big All Downing. Certes le gros Al abandonnera le rawkabilly pur et dur, mais il conservera toujours la maîtrise incisive du piano, et sa voix qui s’adapte à tous les styles, il connaîtra à plusieurs reprises le succès notamment en 1963 avec Esther Phillips. Lorsque la british invasion débarquera aux States il trouvera sans problème des engagements dans les clubs.

             En 1964, Bobby Poe est derrière les Chartbusters, le groupe américain qui tiendra tête (pas pour très longtemps) à la déferlante anglaise, Vernon Sandusky en est le chanteur et le guitariste, Vince Gedeon ( rythmique ), John Dubas ( basse ), Mitch Corday ( batterie).

    THE CHARTBUSTERS

    ( Mutual Records / 1964 )

    She’s the one : entre Beach Boys et Beatles, bien fait mais rien de novateur. Sandusky nous offre un petit solo qui remue les charançons dans les haricots mais tout repose sur les harmonies vocales. Slippin thru your fingers : l’on s’attend à une niaiserie slow, mais l’intro d’harmonica est rassurante, ensuite on s’ennuie, rythmique, sautillant, dansant. L’harmo revient à plusieurs reprises, mais tout le reste c’est vraiment du sous-sous-Beatles.

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             Les morceaux qui suivront sont à l’avenant, il existe une compil sur Eagle Records, inutile de vous jeter par la fenêtre si vous ne l’avez pas, même si Vernon Sandusky vous décroche de temps en temps quelques croches qui à défaut de vous réconcilier avec l’’Humanité vous empêcheront peut-être si vous êtes en un de vos bons jours de déclencher l’apocalypse nucléaire. L’on est vraiment très loin du rockab ! Certes ils ont leur numéro 1 national, mais du statut de pionniers du rock ils sont passés à celui de suiveurs…

             La suite est moins évidente. L’on a l’impression que Bobby Poe est partout et nulle part. Il ressemble à l’homme qui a vu l’homme qui a combattu l’ours. L’est sans arrêt en relation avec quelqu’un qui connaît un des grands noms qui fait l’actualité, dans tous les genres possibles ou inimaginables… Doit bien tirer son épingle du jeu dans l’ensemble. On le lui souhaite. Vernon Sandusky poursuit un chemin parallèle il restera plus longtemps dans les instances country. Quand ils se retrouvent c’est pour monter un night-club qui flambera quelques jours après l’acquisition. Ce sera le début d’une série de procès dans lesquels Bobby parviendra à être disculpé systématiquement. Croyons-le puisqu’il le dit. Soyons bon prince, présomption d’innocence. Cela sent un peu la carambole et le grenouillage pour parler à la manière des dialogues des films des années cinquante.

             Bref Bobby Poe commence en rockabilly kid pour finir en affairiste. Un itinéraire classique. Nombreux sont les producteurs américains qui ont préféré mettre fin à leur carrière de jeune chanteur pour passer de l’autre côté. Ne lui jetons pas la pierre il a deux gamins à nourrir, il est davantage un entrepreneur, un promoteur de talents qu’un chanteur.  Jusqu’à la fin de sa vie il s’occupera de country music. En 2009, Bobby Poe & the Poe Kats sont intronisés au Kansas Music Hall of Fame. Bobby décèdera deux plus tard…

             Ces jeunes gens avaient du talent. Que leur a-t-il manqué pour percer au niveau national. Certainement un Colonel Parker pour les propulser sur une orbite haute. Bobby Poe et ses boys ont été en quelque sorte des free lance du Do It Yourself… Bobby a fini par embrasser le métier de celui qui leur a tant fait défaut.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 12 ( sous les tifs ) :

    62

    _ Agent Chad avait dit le Chef, soyons précis : avant de donner de nouvelles directives d’action, il avait allumé un Coronado, je me sens obligé de le préciser au nom de la vérité historique, voilà pourquoi je roulais comme un fou vers le cimetière, pas celui de Savigny , l’autre où repose mon Alice à moi, la seule, l’unique, la merveilleuse, les chiens gémissaient doucement sur la banquette arrière, ils avaient deviné que nous allions vers Elle, tous trois inconsolables, les veufs, les ténébreux, les princes d’Aquitaine à la tour abolie… nous avons chacun une piste, suivons-la chacun de notre côté, je pense qu’elles nous mèneront au même endroit.

    63

    Pendant que nous foncions à toute allure vers Alice, le Chef allumait un Coronado, il le fuma voluptueusement les yeux mi-clos. Chers lecteurs, ne le traitez pas de sybarite, c’est un homme d’action, il était comme le cobra qui s’apprête à frapper mais qui n’a pas encore décidé s’il attaquera sa future victime par-devant ou par-derrière. Son cerveau sériait toutes les possibilités, il s’écoula une longue demi-heure, subitement il décrocha le téléphone et commanda un taxi. Cinq minutes plus tard, assis à côté du chauffeur, il sortit de sa poche un Coronado, et deux secondes plus tard, son Rafalos 25.

    64

    J’arrêtai ma voiture devant la grille du cimetière. Nous n’avions fait que quelques pas dans l’allée principale, qu’une voix m’interpella :

    _ Monsieur, je vous reconnais avec vos deux chiens, c’est vous qui avez apporté cette magnifique gerbe en forme de fraise tagada, ah, notre petite Alice, si vous saviez combien tout le village l’a pleurée ! Tenez, regardez ces huit nouvelles tombes toutes fleuries, sur votre droite, les huit plus beaux jeunes gens du village sont enterrés-là, ils se sont suicidés autour de sa tombe, ils n’ont pas pu supporter de vivre sans elle.

    • Ah bon ! c’est terrible, ils devaient se marier avec elle ? Tous les huit ensemble, c’est un peu beaucoup, vous ne trouvez pas ?
    • Mais non, vous n’y pensez pas, elle était bien trop innocente pour avoir de ces pensées-là, la pauvre Alice, c’était un peu, sauf votre respect Monsieur, l’enfant demeurée du village, très gentille et tout sourire, incapable de voir le mal, tout le monde l’aimait bien et la surveillait un peu du coin de l’œil pour que personne ne puisse lui faire du mal. Les gars ont subi un choc à son décès, bref un soir ils se sont donnés rendez-vous autour de sa tombe et comme ils avaient peur de suicider ils se sont entretués à coups de fusil. C’est moi qui les ai ramassés au petit matin, pas beaux à voir, avaient sans doute utilisé de la chevrotine. Dans le village on était un peu estomaqués, on ne pensait pas que jeunes soient si romantiques… on les a enterrés au plus vite et l’on a fait attention à ce que ça ne s’ébruite pas beaucoup… un peu la honte pour les familles, vous comprenez…

    Je comprenais trop bien que l’on se moquait de moi. Je n’en fis rien paraître, adressai mes condoléances au cantonnier et me dirigeai vers la tombe d’Alice.

    65

             _ C’est étrange, dit le Chef, la plupart des chauffeurs de taxi détestent que l’on fume dans leur berline.

             _ C’est que voyez-vous Monsieur, j’ai assez d’expérience pour savoir qu’il ne faut point s’opposer aux désirs d’un client qui tient en main un Rafalos 25.

             _ Mes félicitations Chauffeur, je n’aurais jamais cru à voir votre carrure et votre visage taillé à la serpe que vous lisiez chaque soir avant de vous endormir quelques sentences tirées du manuel d’Epictète, vous êtes un sage Chauffeur, et en plus vous reconnaissez un Rafalos 25 au premier coup d’œil !

             _ Pour votre épi de tête je ne sais pas, mais pour votre Rafalos 25, tenez j’en ai deux dans mon vide-poche !

             _ Chauffeur, je devine en vous un amateur voire un professionnel !

             _ Il faut bien Monsieur, vingt-cinq ans de légion, ça vous apprend la vie !

             _ Ah ! j’avais demandé à Uber de ne pas m’envoyer un garçon coiffeur, je reconnais qu’ils tiennent à satisfaire le client !

             _ D’ailleurs si mon client voulait se donner la peine de m’indiquer la direction à prendre, ce serait parfait…

             _ Forêt de Laigue, si vous le voulez bien, ce n’est pas trop loin ?

             _ Rien n’est jamais trop loin quand on a un Rafalos 25 avec soi. Attendez, je débranche le compteur et tant que l’on n’y est appelez-moi Carlos, avec un client comme vous l’on sent tout de suite qu’il va falloir s’accrocher aux petites branches pour survivre !

             _ Vous ne croyez pas si bien dire, mais accélérez un peu Carlos l’on patauge à un misérable 160 km/Heure !

             _ Avec un Chef comme vous, je suis prêt à vous suivre jusques en enfer !

             _ Parfait c’est exactement là où nous allons !

             _ Enfin une course qui me plaît !

    Et tous deux s’exclamèrent ensemble : Race with the Devil !

    66

    La tombe avait été débarrassée de toutes ses couronnes, ne restait plus dans un mince vase de verre grumeleux que quelques fleurs des champs. Cette simplicité prouvait que celui ou celle qui les avait déposées connaissait bien Alice. Pendant longtemps je restais immobile, j’attendais un signe, Alice n’en avait-elle pas déjà envoyé un Chef pour qu’il se portât à mon aide dans la forêt de Laigue, en me rapprochant de sa tombe je pensais lui faciliter la tâche. Le temps s’éternisait, au bout de deux ou trois heures Molossito poussa une petite série de couinements.

              _ Molossito, tais-toi, un agent du SSR ne pleure jamais, conduis-toi comme un homme !

             _ Il ne peut pas Monsieur, c’est un chien !

    La voix était fluette, ce ne pouvait être qu’une gamine. C’en était une, d’une dizaine d’années, elle baissait la tête ses yeux fixés sur Molosito qui se pelotonnait dans ses bras, lorsqu’elle porta son regard sur moi, je sursautai, sa ressemblance avec Alice me stupéfiait…

              _ Qui, qui es-tu bégayais-je

               _ Je m’appelle Alice…

             _   Alice ! toi qui es morte !

             _ Non moi je suis vivante, c’est ma sœur qui est morte. Et vous vous êtes Monsieur Damie, Alice me parle beaucoup de vous, je vous ai reconnu en voyant Molossito, des deux chiens c’était son préféré, quand elle ouvrait un bocal de chamallows elle lui donnait toujours le plus gros !

             _ Si elle te parle c’est qu’elle est vivante !

              _ Non, c’est dans mes rêves, elle est morte, cette nuit elle m’a dit que vous viendrez ici et de vous dire qu’il vous fallait aller dans la forêt de…

             _ Dans la forêt de quoi ?

             _ Je ne sais pas une ombre noire s’est interposée, elle a juste eu le temps de crier  qu’elle vous aime !

    Déjà avec les chiens nous courrions vers la voiture…

    67

    • Chef, trois heures que nous marchons dans cette forêt et toujours rien !
    • Carlos, nous devons effectuer une trouée, mais je ne sais pas où exactement.
    • Une trouée, avec un demi régiment de commandos parachutistes je vous la fais en une heure, à deux c’est impossible
    • Ce n’est pas exactement une trouée, plutôt une fissure dans l’espace-temps !
    • Bien, une fissure je préfère, mais dans quel secteur !
    • Je n’en sais fichtrement rien !
    • Ah, bon si ce n’est que ça, il suffit d’adopter la tactique du fennec du désert. Vous ne la connaissez pas Chef, c’est ultra simple et ça marche à tous les coups. Dans le désert il n’y a que des dunes et des dunes, dans cette forêt il y a des arbres et des arbres, croyez-vous que le fennec explore toutes les dunes une par une pour tomber par hasard sur une proie, non il se contente de se promener calmement sans se presser puisqu’il applique justement la célèbre tactique du fennec dans le désert. Vous trouvez ça dans tous les livres d’étiologie animale.
    • K. Carlos, mais c’est quoi au juste cette fameuse tactique incomparable !!!
    • Chef laissez-moi prendre la tête de notre colonne d’infiltration et dans dix minutes nous serons devant votre satanée fissure !

    A suivre …

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 581 : KR'TNT 581 : CLIFF BENNETT / HAWKWIND / Dr JOHN / SUEDE / MAXAYN / THE MEMPHIS BLUES CREAM / BARABBAS / CÖRRUPT / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    LIVRAISON 581

    cliff bennett, hawkwind, dr john, suede, maxayn, the memphis blues cream, barabbas, cörrupt, rockambolesques,

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    29 / 12 / 2022

      CLIFF BENNETT / HAWKWIND

    Dr JOHN / SUEDE / MAXAYN

    THE MEMPHIS BLUES CREAM / BARABBAS

     CÖRRUPT / ROCKAMBOLESQUES

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 581

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

    *

    C’est une ancienne chronique parue le 18 / 09 / 2015 dans notre livraison 247, écrite par Pat Grand, une amie chère de toujours,

    aujourd’hui ses cendres ont été dispersées au vent…

    …semences des mondes qui viennent…

    NOTULES DE TOULOUSE

    LA DERNIERE CHANCE – 11 / 09 / 15 

    THE GRAVE DIGGERS / THE WILD ZOMBIE

    LES ENNUIS COMMENCENT

     

             L'ami Chad nous l'avait conseillé : ne ratez sous aucun prétexte Les Ennuis Commencent. Les voici annoncés à La Dernière Chance. Nous voilà donc partis, Eric et moi, non pas en teuf-teuf, mais en tram et en métro, très vite. Peur de ne pas avoir de place mais en fait nous nous sommes retrouvés une poignée de pèlerins devant le cabaret de La Dernière Chance. Nous sommes pressés de saisir la nôtre, mais nous attendons car la billetterie ne trouve pas la caisse.  Z’avaient fait la fête jusqu’à sept heures du mat la veille et effectuaient un sommaire nettoyage du lieu. Z'auraient dû se reposer, on n'aurait pas vu la différence, tout juste si  le tenancier  commençait à éponger le comptoir. Et nous voici en train de descendre un escalier, dans le noir profond - les mines de charbon ne sont plus à Decazeville - pour aboutir dans une petite salle avec une scène éclairée de trois mètres sur deux (difficile de se mouvoir pour les musicos ! ). Transportés dans un lieu comme il en existait il y a quarante ans, en une dimension non écologique où les gens fumaient sans que cela inquiétât qui que ce fût ! Heureusement nous n'étions que dix au départ pour finir une trentaine en fin de soirée. Z’avons vite compris en arrivant qu’il fallait bien choisir sa place car les semelles collaient tellement au sol - n'avait pas vu la couleur de l’eau depuis belle lurette – qu’une fois kitchés on ne pouvait plus bouger.

     THE GRAVE DIGGERS

             Dès le premier morceau de The Grave Diggers, de Toulouse, on comprend vite qu’on en ressortira tous sourds. Mais comme tu ne peux plus bouger car tes pieds sont collés... Groupe sympathique, bons techniciens, corrects mais bon, un peu «flou»,  nous jouent les génériques de Pulp Fiction» comme de  L'inspecteur Gagdet»….

    THE WILD ZOMBIES

             Puis arrivent The Wild Zombies, quatre gars de la ville rose, deux guitaristes, basse et batteur,  des colliers de dents autour du cou. Après une mise en scène : statuette Baron Samedi  et encens, ils jouent de la bonne musique, le chanteur a une belle voix  intéressante. Bons musicos. Nous ne sommes plus que six à les écouter, dommage car  la musique est nettement supérieure à celle du groupe précédent.

    LES ENNUIS COMMENCENT

             Gus Tattoo, le contrebassiste s’installe (je kiffe, comme dirait l'amie Béa, sur la contrebasse. J’en veux une comme ça, trop belle!). Puis arrive Atomic Ben, directly from Decazeville – un autre fils du Sud - je me précipite pour le prendre en photo et ne voilà-t-il pas qu’il pose en me disant : « d’habitude c’est le contrebassiste que l’on prend en photo! ». Suis contente, toute troublée... comme la photo! Ils paraissent tellement timides que l’on ne voit pas arriver le reste des musiciens, deux petits jeunes tout fins, Arno le guitariste et Hugo le batteur.

             Et puis, c’est le nirvana, bon n’exagérons pas mais quelle explosion!  Nous serons finalement une trentaine à jubiler pendant une petite heure seulement, car il a fallu laisser la place à un DJ, n'aurions-nous donc vécu que pour cette infamie ? Dommage, les Ennuis étaient bien partis pour jouer une heure de plus. On ne les tenait plus, et nous non plus. Enfin une super ambiance, de la bonne musique, de l’humour, des musiciens qui vous offrent, tout simplement, leur talent et leur amour en partage. Bref, la classe !!!

    Ils sortent leur dernier album le 28 novembre !

    LA VIE APRES LE CHARBON

    Et c’est complètement sourds que nous nous sommes extirpés de ce sol gluant mais sans regret d’être venus.

    Pat'

    Avec Bennett, c’est net

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             Il existe deux façons d’entrer dans l’univers de Cliff Bennett : soit par les compiles Mod,  soit par Toe Fat, le groupe qu’il a monté en 1970, après la fin des Rebel Rousers.

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             C’est grâce aux compiles Mod qu’on est retourné fureter du côté de Cliff Bennett & The Rebel Rousers, de Geno Washington & The Ram Jam Band ou encore de Jimmy James & The Vagabonds. Toutes ces vaillantes équipes shakaient cette London Soul si précieuse aux handy Mods de London town et du Nord de l’Angleterre. En matière de Soul blanche, les trois albums de Cliff Bennett & The Rebel Rousers, sont des must-have, à commencer par le premier, l’album sans titre paru en 1965, on y voit le Bennett faire son white nigger sur «Talking About My Baby», une cover de Curtis Mayfield. Il tape aussi l’«It’s Alright» de Curtis, c’est dire la classe du Cliff, taper dans Curtis n’est pas si commun. Il tape aussi dans Don Covay avec «Mercy Mercy» - Have mercy baby/ have mercy on me - Une vraie dégelée de coverture, c’est plein de spirit et même terrific ! Et puis tu as l’«I Can’t Stand It» d’ouverture de balda, ces mecs ont le feu au cul, ils jouent fast and wild, ils démultiplient les exploits, les questions/réponses d’I can’t stand it, ça échange dans le groupe, et ils filent ventre à terre, comme de prodigieux Soul scorchers des plaines, ils chauffent la marmite au no no no et ça repart toujours à la folie. Ils tapent aussi dans Smokey avec «You’ve Got A Hold On Me», les Anglais s’aventurent en plein territoire Motown, ils ont du courage et il faut les saluer pour ça, car s’aventurer en territoire Motown pourrait leur briser les reins, crack ! Mais avec Cliff, ça passe. Ils tapent aussi dans Jimmy Reed avec «Ain’t That Lovin’ You Baby», ils transforment le heavy rumble de Jimmy Reed en London bus, c’est un double decker de bonne humeur à la mormoille. Le «One Way Love» qui ouvre le bal de la B te réveillera si tu somnoles, en plus tu l’as déjà rencontré dans des écoutes de pas d’heure et tu dis que ce Cliff est vraiment bon. Encore une cover de choix avec le «Steal Your Heart Away» de Bobby Parker, Merveilleusement restitué.

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             Le Cliff fait encore quelques ravages sur Drivin’ You Wild, un beau mono paru en 1965. Il sauve les meubles de l’A avec un fantastique «Sweet Sorrow» signé Mann & Weil, gros shoot de Brill qu’il chante comme un crack. Mais c’est en B qu’il planque sa viande, il rivalise de scorching avec Tom Jones dans «Who’s Cheatin’ Who», puis il tape dans le dur avec «I’ll Be Doggone», gros shoot de r’n’b. Le Cliff est l’un des chanteurs qui allument le plus en Angleterre. Il refait son white nigger avec «Strange Feeling» et retape dans le Brill de Mann & Weil avec «I’ll Take You Home». Globalement, on est assez content du voyage.

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             C’est en 1967 que le Cliff enregistre l’excellent Got To Get You Into Our Life. C’est un pur album de white nigger, rien qu’avec la version de «Barefootin’» qui ouvre le bal de la B, il rend un sacré hommage à Bobby Parker. Il y met tout son soin, woow comme ce mec Bennett peut être net ! Toujours en B, il rend hommage au Stax sound avec «You Don’t Know What I Know», il en met plein la vue à Gawd, c’est fameux, le Cliff fait son Sam & Dave. S’ensuit une cover de «CC Rider Blues» amenée à l’orgue comme celle d’Eric Burdon et avec du raunch à la pelle. Le coup de génie se l’album sur trouve aussi sur cette B détonnante : «Stop Her On Sight (SOS)», fantastique énergie du beat, avec des cuivres en embuscade, c’est un fantastique shuffle à l’Anglaise. Et l’A dans tout ça ? Oh, elle n’est pas en reste avec sa version de «Roadrunner». Le Cliff en fait une version à la Jr Walker, il emmène Bo rôtir en enfer. Version faramineuse du «Got To Get You Into My Life» des Beatles. Et encore une belle énormité avec «It’s A Wonder», heavy pop Soul de Cliff, power & glory all over. C’est clair et net. Ce mec est effarant de grandeur totémique. Il frise le Wilson Pickett en permanence.

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             Paru en 1986, Got To Get You Into My Life est un Best Of qui permet de récupérer les singles, notamment le morceau titre. Leur version de «Got To Get You Into My Life» est aussi bonne que celle de McCartney. La grande spécialité du Cliff et de ses Rebel Rousers, ce sont les covers, et là, tu en trouves une tonne, et c’est du sérieux, principalement les hits signés Hayes/Porter, le dream team de Stax : «Hold On I’m Comin’» et «I Take What I Want», le Cliff les bouffe tout crus. Il reprend aussi le «CC Rider Blues» avec l’attaque d’orgue en forme de virevolte d’Eric Burdon et c’est embarqué au heavy stomp de Bristish Beat. Fabuleuse cover de «Back In The USSR», le Cliff est dessus, sans l’éclat vocal de John Lennon, mais avec une ferveur qui ne trompe pas. En B, il tape le «Barefootin’» de Bobby Parker, jerky jerk de Mod craze. Ah la classe des Rousers ! Il faut les entendre dans «Hurtin’ Inside», puissant rockalama avec un solo qui vient te claquer le timpani du beignet au cœur de l’action.

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             Sur Cliff Bennet Branches Out paru en 1968, on retrouve la cover d’«I Take What I Want» évoquée plus haut, une cover pleine d’urgence de white Cliff power, il en fait l’une des covers du siècle passé, aucun doute là-dessus. Il reprend aussi le «Good Times» des Easybeats pour le transformer en heavy r’n’b. Il le chauffe à blanc. Fucking genius ! Il tape dans deux cuts pas très connus d’Isaac, «Ease Me» et «I Said I Weren’t» qu’il chauffe encore à blanc. Le Cliff est l’un des grands white niggers d’Angleterre et cet album est un big album, un de plus à l’actif du Cliff. Encore un coup de Jarnac avec la cover du «Taking Care Of Woman Is A Full Time Job» de Joe Tex, un vrai shoot de wild r’n’b. Le Cliff est bien dans le Tex. Il fait aussi une belle cover du «Lonely Weekends» de Charlie Rich, il la tape au heavy swing avec une vraie voix. Il a tout bon. Et pour l’ouverture de son balda, il a choisi «You’re Breaking Me Up», une heavy pop cuivrée dans laquelle résonnent des accents de «Got To Get You Into My Life». Wow, ça sent bon les Beatles ! 

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             On change d’époque avec Cliff Bennett’s Rebellion paru en 1971. La pochette est volontairement imprimée à l’envers, c’est-à-dire que le disk sort par la gauche. Terminé le temps des covers de r’n’b. Le Cliff passe au rock blanc. Il ne fait que deux reprises sur cet album, le «Blues Power» de Clapton et le «Sandy Mary» de Peter Green, joué bien heavy. Le Cliff attaque son balda avec «Say You Don’t Love Me», un heavy balladif à la Bennett, propre et nett et sur «Please Say You’ll Come», un guitariste nommé Robert Smith fait des siennes. On ne lui en demandait pas tant. «LA» sonne comme un slow rock d’époque joué à la basse. Le bassman qui s’appelle John Gray est un bon. Avec le chant puissant du Cliff, ça passe comme une lettre à la poste.

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             En 1976, le Cliff se retrouve dans l’un des groupes de Mick Green, Shanghai, et donc sur l’album Fallen Heroes. Bon, ce n’est pas l’album du siècle, même si Mick Green est l’un des guitaristes les plus intéressants d’Angleterre. On n’échappe pas à une petite reprise de «Shakin’ All Over», puis ils passent au heavy boogie qui ne rigole pas avec «Lets Get The Hell Off This Highway». Pour Mick Green, c’est du gâtö, il tape même une partie de bluegrass en fast picking. Ils terminent l’A avec un «Nobody’s Fool» en forme de longue variation. C’est du gros Cliff et du gros Green. On peut leur faire confiance. Le «Candy Eyes» qui ouvre le bal de la B préfigure le Toe Fat à venir : heavy beat et grosse masse volumique. Alors le Cliff pose sa voix de big man dans l’écrin rouge d’une prod parfaite. S’ils ont autant de son, c’est parce que le groupe comprend deux bons guitaristes. En plus de Mick Green, un certain Brian Alterman fait des siennes sur «Over The Wall». Puis avec «Solaris», ils font une espèce de Led Zep bien heavy, avec deux solos de guitare structurels dignes de ceux de Jimmy Page, à l’époque des grands vertiges.  

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             Pour la petite histoire : Shanghai est un groupe qui existait avant l’arrivée de Cliff Bennett. C’était un quatuor assemblé par Mick Green et le chanteur était un black nommé Chuck Bedford. Leur premier album est une petite merveille qu’on ne peut que recommander chaudement. Il est même bien meilleur que Fallen Heroes. Shanghai est sorti sur Warner en 1974, et Chuck Bedford amène de la Soul dans le rock blanc, de la même façon que Ray Owen avait amené de la Soul dans Juicy Lucy. Alors, un chanteur black et un géant comme Mick Green, ça ne peut faire que des étincelles. L’album sonne vraiment bien, «Weekend Madmess» est une véritable énormité, avec l’envolée du sweet sweet madness. Et dans «Joy Joy Joy», le Green passe l’un de ces brillants solos dont il a le secret. Ils attaquent leur B avec «Hobo», à la systémique du totémique et calment le jeu avec «Sparks Of Time», un gratté à coups d’acou, mais porté par cette solide rythmique qui n’en finit plus d’épater. C’est plein de son, en permanence, ils proposent une incroyable variété de tons et d’attaques, «If You Can’t Live (You’re Dead)» est encore une bonne surprise. Le Soul Brother est de retour sur «Magic Lady». Diable, comme ce mec est bon ! Heavy loose de goose avec «Loose As A Goose», ils sont irréprochables de bout en bout. Bravo les gars !   

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             Toe Fat est donc la deuxième entrée dans l’univers de Cliff Bennett. Dans les early seventies, bon nombre de kids furent fascinés par la pochette surréaliste du premier album sans titre de Toe Fat, et pour eux, ce fut l’occasion de découvrir Cliff Bennett, qui était relativement inconnu en France. On trouvait aussi deux futurs Uriah Heep dans Toe Fat, Lee Kerslake (beurre) et Ken  Hensley (guitar), plus l’excellent bassman John Konas, un nom qui serait difficile à porter en France, mais en Angleterre, ça passe. Toe Fat date de 1970. Ils annoncent la couleur avec «That’s My Love For You», solide Toe Fat rock avec le Bennett on the cliff. Il est bien grimpé sur sa falaise, le vieux white nigger. Le hit de l’album s’appelle «Nobody», un heavy groove à la Status Quo, le Cliff mène grand train, il chante comme un seigneur de l’An Mil, c’est énorme, gras, seyant, imparable, Fat à souhait. C’est John Konas qui vole le show dans «But I’m Wrong». Tout est bien heavy sur cet album, ils embarquent «Just Like Me» au just like me et Ken Hensley fait un carnage dans «I Can’t Believe», on le voit sortir son agressivité au coin du bois. Retour au heavy boogie à la Status Quo avec «You Tried To Take It All», ils chargent la barque de Fat à outrance, et le Cliff y rajoute tout le gras double dont il est capable.

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             La même année paraissait Two. L’album est nettement moins dense que le précédent. Cliff Bennett fait son heavy bump, mais ce n’est pas très bon. Et quand tu penses que des gens vont sortir un gros billet pour ça, tu rigoles. «Indian Summer» sonne comme du conglomérat de pré-Uriah Heep et de post Rebel Rousers. C’est assez pauvre et même proggy. On sait que le prog est un cache-misère. On perd complètement l’énergie du premier album. Il ne faut pas être clerc de notaire pour voir que ces mecs sont cuits, et Cliff en premier. C’est un white nigger, il n’a rien à faire dans le prog anglais. Ils passent au heavy blues avec «There’ll Be Changes», comme s’ils n’avaient plus rien à dire. Toe Fat a perdu sa spécificité. Ils font du gros n’importe quoi. En B, Cliff Bennett tente de sauver les meubles avec «Since You’ve Been Gone», il y va au heavy guttural, c’est-à-dire à la force du poignet, mais on ne voit que ça, l’efficacité. Il reste l’un des meilleurs shakers d’Angleterre. Il reste dans le heavy Fat avec «Three Time Loser» et là ça devient intéressant. On le retrouve au sommet du cliff de marbre avec «Midnight Sun», prêt à plonger dans le lagon d’argent, tellement il se sent mythique. Mais ce ne sont en aucun cas les compos du siècle. Toe Fat est un groupe qui peine à jouir. Ils ont un problème de carence compositale. Cliff fait son cliff de marbre, il reste très concerné, il est parfois si impliqué qu’il en devient insupportable. Il fait comme il peut.    

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             En l’an 2000, Cliff Bennett entame une carrière solo avec Loud And Clear. Autant l’avouer : c’est une véritable rafale de covers, à commencer par le vieux «Got To Get You Into My Life» que chantait si bien McCatney à l’époque et que Cliff s’est approprié au temps des Rebel Rousers. Il chante toujours aussi bien son ooohhh every single day of my life, il remonte bien le courant, c’est un vrai saumon, le vieux Cliff. Il tape aussi un fantastique «Knock On Wood», il est tout de suite dans Stax, c’est quasiment automatique chez lui, il sature sa cover de classe de Cliff, il travaille ça au heavy groove de vétéran. Encore du pur jus de Stax avec «Soul Man», you got some ! Il revient à sa vieille obsession pour les Beatles avec une brillante cover de «Back In The USSR», cover magique, il la prend à sa façon, c’est plus âpre, très cuivré, in USSR you know how lucky you are ! La cerise sur le gâtö est sa cover d’«A Woman Left Lonely». Le Cliff est l’un des mieux placés pour taper dans Dan, il grimpe très vite très haut, Cliff est une âme sensible, donc légère, il peigne le Penn sans peine. Cliff Bennett est une bonne adresse. Si tu en pinces pour le r’n’b, alors tu as «Raise Your Hand». En matière de raw r’n’b, il est imbattable, et c’est cuivré de frais. Encore du purisme avec «You Don’t Miss Your Water». Fantastique présence. Comme il adore la Soul, il la traite comme une reine. 

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             Attention au Soul Blast! paru en 2001 : il fait un peu double emploi avec Loud And Clear. On y retrouve «Kock On Wood», «Soul Man», «Get Back», le «You Don’t Miss Your Water» de William Bell et l’«A Woman Left Lonely» de Dan Penn. Le vieux Cliff sait s’aplatir dans la heavy Soul, il sait s’accroupir pour couler le bronze du siècle. Mais il nous tape aussi le «See-Saw» de Don Covay. En fait, le vieux Cliff est le cover-man idéal, quand il s’engage, il est sérieux. 

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             Comme Cliff a de l’humour, il baptise son dernier album Nearly Retired. On voit bien sur la pochette qu’il a pris un coup de vieux, mais musicalement, il n’a jamais été aussi bon. Comme Tonton Leon, il se bonifie en prenant de la bouteille. La preuve ? «That’s The Way Love Is», il continue de viser l’énormité. Le voilà barré de nouveau dans le wild r’n’b, il est même d’une certaine façon assez révolutionnaire, aux frontières de la fusion, du funk et du heavy Cliff. Pur genius ! Là, tu as tout le wild side d’un vieux loup de mer. On retrouve le power du Cliff dans «Why Me», ça joue sec et net derrière Bennett, il reste fabuleusement enjoué, c’est cuivré à outrance. Il y a chez lui quelque chose d’inexorable. Son «Somebody To Love» arrache tout au passage, les espoirs et les arbres, il est trop puissant pour être honnête. Il a du power plein la voix, comme le montre encore «Love To Burn». Il reprend son costume de white nigger pour « A Fool In Love», il enfonce tous ses clous et se jette tout entier dans la balance. Superbe artiste ! Il orchestre son blues à outrance, comme le montre «I Sing The Blues». Il ira chanter jusqu’à la fin des temps et c’est exactement ce qu’on attend de lui. Encore un cut extrêmement puissant avec «That’s The Way I Feel», sa voix claque dans les ténèbres comme les portes d’airain de la cité des morts. Il nous fait aussi le coup de la petite morve de white hot r’n’b avec «Love Sickness», le white nigger rôde dans le coin, juste derrière the twilight zone.

    Signé : Cazengler, Cliff Bénêt

    Cliff Bennett & The Rebel Rousers. Cliff Bennett & The Rebel Rousers. Parlophone 1965

    Cliff Bennett & The Rebel Rousers. Drivin’ You Wild. Music For Pleasure 1965

    Cliff Bennett & The Rebel Rousers. Got To Get You Into Our Life. Parlophone 1967

    Cliff Bennett & The Rebel Rousers. Got To Get You Into My Life. See For Miles 1986

    Cliff Bennett & His Band. Cliff Bennet Branches Out. Parlophone 1968 

    Cliff Bennett’s Rebellion. Cliff Bennett’s Rebellion. CBS 1971 

    Shanghai. Shanghai. Warner Bros. Records 1974  

    Shanghai. Fallen Heroes. Thunderbird 1976  

    Toe Fat. Toe Fat. Parlophone 1970

    Toe Fat. Two. Regal Zonophone 1970   

    Cliff Bennett. Loud And Clear. Delicious Records 2000 

    Cliff Bennett. Soul Blast! Castle Pie 2001         

    Cliff Bennett. Nearly Retired. Wieerworld Presentation 2009

     

     

    Nik est niké

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            Chacun sait que la légende du proto-punk britannique repose sur six piliers : les Pretty Things, les Pink Fairies, Third World War, l’Edgar Broughton Band, les Deviants et bien sûr Hawkwind. Nik Turner qui fut l’un des membres fondateurs d’Hawkwind vient tout juste de casser sa pipe en bois, alors nous allons lui rendre hommage avec les moyens du bord.

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             C’est Carole Clerk qui nous raconte dans le détail l’histoire extraordinaire de Nik Turner dans son chef d’œuvre biographique, The Saga Of Hawkwind, une sorte de passage obligé pour tous les amateurs éclairés de rock anglais.

             En 1964, Nik passe l’été à Margate, une charmante station balnéaire du Sud de l’Angleterre, à vendre des chapeaux, des lunettes de soleil, des seaux et des pelles pour les gosses, des cartes postales et des conneries psychédéliques aux vacanciers. C’est là qu’il rencontre Robert Calvert, un marginal qui allait jouer un rôle capital dans la saga d’Hawkwind. Nik a un van, il monte régulièrement à Londres et flashe sur la scène underground, alors en plein essor. Comme il est passionné de jazz, il apprend à jouer du sax. Et boom, il retrouve Dave Brock qu’il avait déjà croisé en Hollande. Comme Nik a un van, Dave Brock et son pote Mick Slattery lui proposent un job de roadie dans le groupe qu’ils sont en train de monter. Quand l’été revient, Nik roule son duvet, grimpe dans son van avec Robert Calvert et fonce sur Londres. Le marchand de chapeaux fait ses adieux au front de mer. Le groupe commence à répéter. Dave : «Nik avait un sax. Il ne savait pas en jouer. Il soufflait dedans et produisait une sorte de  jazz d’avant-garde. On lui disait que ça sonnait bien et qu’il pourrait très bien monter sur scène. Puis Dikmik a acheté un générateur audio et une chambre d’écho. Il s’est mis à en jouer.» Nik confirme : «Je m’entendais bien avec Dave Brock. Je dormais chez lui, à Putney. Je jouais énormément sur mon sax ténor, il prenait sa guitare et on allait jouer dans les rues, à North London Poly.» Mais il existe déjà une petite différence entre eux. Dave : «On était des freaks planants, mais très franchement, c’était moi le patron. Il doit y avoir un capitaine à bord du vaisseau, autrement, on ne fait rien.» Nik ne voit pas les choses de la même façon : «Je croyais que le groupe était un groupe communautaire. Dave n’avait pas plus de responsabilité dans ce groupe que n’en avaient les autres.» Leurs points de vue légèrement différents allaient poser par la suite de sérieux problèmes : Nik allait se faire virer deux fois du groupe.

             Au commencement, le groupe n’a pas de nom. Alors ils se présentent comme Group X. Ils s’invitent dans un concert qui a lieu dans une église désaffectée, the All Saints Hall. Ils n’ont pas de morceaux, alors ils jamment. Le public est sidéré. Mick Slattery : «Dikmik bidouillait son générateur, Nik soufflait comme un dingue dans son sax, Dave et moi on jouait en feedback, comme Jimi Hendrix et Terry massacrait ses fûts. Les stroboscopes jetaient dans ce chaos une pointe de folie furieuse !». Présent dans l’église, John Peel flashe sur Group X. Il recommande à son voisin, un mec de l’agence Clearwater, de les signer. Nik Turner : «John Peel nous voyait comme des Sex Pistols de l’époque, comme quelque chose d’entièrement nouveau. On générait du chaos, on était sauvages et indomptables.» Clearwater les signe, mais il leur faut un vrai nom. Ils optent pour Hawkwind Zoo. Le zoo, c’est la façon dont ils se voient : une ménagerie de freaks hauts en couleurs. Hawkwind est le surnom de Nik, à cause de sa surproduction de pets et de mollards. Dave : «Nik pétait (wind)... C’était horrible. Et il se raclait la gorge, pour parler (hawking)... Il n’arrêtait pas.» John Peel intervient encore une fois pour leur conseiller de virer le Zoo pour ne garder qu’Hawkwind. Et voilà comment on lance un mythe.

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             En novembre 1969, Dave Brock, Nik Turner, Mick Slattery, Terry Ollis, John Harrison et Dikmik signent là où on leur demande de signer. Mais comme Mick Slattery décide de retourner au Maroc, il est remplacé par Huw Lloyd-Langton, lead guitar. Le premier album sans titre d’Hawkwind paraît sur Liberty en 1971. C’est là-dessus que se trouve l’excellent «Hurry On Sundown», gratté à coups d’acou. C’est la première mouture d’Hawkwind. Dave Brock balance les coups d’harp. Aw quel son ! Alors après, ça se gâte terriblement. Ils font un peu n’importe quoi, ça jamme dans tous les coins. Il faut attendre «Mirror Of Illusion» pour les voir renouer avec l’excellence et Dikmik envoie ses spoutniks. Il est essentiel de rappeler que Dick Taylor produit ce premier album.

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             Arrivé à Londres comme on l’a vu avec Nik Turner, Robert Calvert grenouille dans l’underground. Il est déjà all over In Search Of Space, mais il n’y chante pas. C’est sur cet album qu’on trouve l’énorme «Master Of The Universe». Dave Brock est l’un des grands rois du riff, c’est aussi solide que le «Silver Machine» à venir, même unité de l’unicité, même embolie de l’embellie, même solidité de la solidarité. L’autre bonne affaire de l’album est le «You Shouldn’t Do That» d’ouverture de balda, joué à la violence intentionnelle. Ah on peut dire que les Anglais savent battre la campagne du space-rock ! Ils proposent ici un bel élan d’hypno avec le sax tourbillonnaire de Nik Turner. Ils créent leur monde à la force du poignet. Fantastique énergie d’équipe, avec un line-up qui a déjà commencé à changer : autour de Dave Brock, on trouve Dave Anderson (bass), Dikmik & Del Dettmar (spoutniks) et Terry Ollis (beurre).

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             L’année suivante paraît l’un des meilleurs albums d’Hawkwind, Doremi Fasol Latido. Lemmy est entré dans la bergerie et Simon King a remplacé Terry Ollis. On assiste à l’incroyable décollage de «Space Is Deep», en plein cœur du cut. On entend aussi Lemmy jouer en solo dans «Lord Of Light». Il joue littéralement dans le cours du fleuve, son drive brouteur bouffe le Lord de l’intérieur. Il n’en finit plus de remonter à la surface du fleuve avec ses drives mécaniques. Encore une merveille avec «Time We Left This World Today», un cut frappé en plein cœur par un énorme break de basse signé Lemmy.  Ça vaut tous les breaks de Tim Bogert. Lemmy est un grand fracasseur, un titan du break, qu’on se le dise. Et ça repart de plus belle avec «Urban Guerilla». Comme ces mecs sont bons ! Ils bombardent comme des avions américains, avec cette basse sous-jacente qui avance en mode walking bass dans le chaos.

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             On trouve «Silver Machine» sur le Space Ritual Alive paru en 1973. C’est Robert Calvert qui écrit les paroles de cet albatross of a summer hit. Dans l’une de ses chroniques, Luke la main froide se marre car tout le monde croit qu’il s’agit d’un texte sur un vaisseau spatial alors qu’en fait Calvert raconte ses virées en mobylette à Margate, où il a grandi. Puis Calvert est promu Space Poët et se retrouve sur Space Ritual. La main froide a raison de dire que tout a été dit sur Space Ritual, mais à toutes les gloses, il préfère le slogan publicitaire qui accompagna la parution de l’album : «Ninety Minutes of Brain Damage». Voilà pourquoi Hawkwind et Luke la main froide nous sont si précieux. Sur ce fastueux album live, on retrouve tous les hits qui font déjà la réputation d’Hawkwind, à commencer par l’effarant «Master Of The Universe», proto-punk de bon aloi, fast tempo avec un bassmatic dévorant et des spoutniks. On retrouve aussi en D l’inestimable «Time We Left This World Today» qui cette fois repose sur les chœurs. Lemmy s’empresse de démolir ce cut infiniment totémique. Les coups de sax et les harangues sonnent comme des clameurs antiques. C’est très spectaculaire. Sur «Born To Go», Lemmy prend tout de suite la main avec son bassmatic mangeur de foie. Il met tout le cut sous tension. C’est extravagant ! En B, on l’entend encore chevroter dans «Lord Of The Light», survolé par le vampire Nik Turner. Ils jamment comme des dingues. C’est un album qui s’écoute et qui se réécoute sans modération. Un seul défaut : la guitare de Dave Brock se perd dans le mix. Lemmy et Nik Turner se partagent donc le festin. Ils se tapent une belle montée en température avec «Space Is Deep». Tous ces cuts sont parfaits, taillés pour la route. Ces punks d’avant le punk savent voyager dans l’espace. Nik Turner vient hanter «Orgone Accumulator» en B et on assiste à une pure Hawk Attack avec «Brainstorm». Grande allure, riff en avant toutes, heavy proto-push plein de poux et de spoutniks. Un riff que vont d’ailleurs pomper goulûment les Damned pour «Neat Neat Neat».  

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             Encore un big album l’année suivante avec Hall Of The Mountain Grill. Qu’est-ce qu’on a pu fantasmer à l’époque sur cet album et sur cette pochette ! Il faut bien dire qu’on était dingues d’Hawkwind comme de Third World War, d’Edgar Broughton et des Pink Fairies. Tous ces groupes relevaient du sacré et leurs albums ne décevaient guère. Sur Hall, se trouvent trois bombes, à commencer par «The Psychedelic Warlords (Disappear In Smoke)» : classic Hawk, bien riffé et superbement chanté, avec Dave Brock en tête de la meute. C’est un hit tentaculaire, assez tribal dans son essence, chanté à la clameur, avec une fantastique insistance de la persistance. Dave Brock nous plonge là dans un véritable lagon d’excelsior épistémologique. Sur la réédition d’Hall Of The Mountain Grill parue en 2014, on trouve en D la version single de ce hit fantastique. La deuxième bombe est un autre gros précurseur proto-punk : «You’d Better Believe It», un cut directement inspiré du Velvet, avec le délire de Nik Turner embarqué par le tourbillon. La troisième bombe s’appelle «Lost Johnny». Dave Brock l’embarque et le chante à la revoyure. On se régale aussi de «Paradox» et de son indéniable présence. Ces mecs savent mettre en marche l’armée d’un cut. Dans les bonus de la red, on trouve «It’s So Easy» monté sur les chœurs de «You Can’t Always Get What You Want». Quelle extraordinaire résurgence ! 

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             Leur dernier album sur United Artists s’appelle Warrior On The Edge Of Time. Belle pochette mais compos plus proggy. Nik Turner joue de la flûte, ce n’est pas bon signe. Ça turbine pourtant bien derrière, avec Lemmy et deux batteurs, Simon King et Alan Powell. On voit Lemmy se balader sur le beat d’«Opa-Loka». Dave Brock sauve l’A avec «The Demented Man», un balladif d’un très haut niveau mélodique. La viande se trouve au bout de la B avec deux cuts, «Dying Seas» et «Kings Of Speed». Tout le power d’Hawk est de retour, ça joue heavy au pays d’Hawk. Surtout sur «Kings Of Speed», et son fantastique déballage. Dave Brock sait générer des chevaux vapeur, c’est un exubérant, il doit être la réincarnation d’une locomotive du XIXe siècle. On entend même un violon dans cette volée de bois vert.

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             Astounding Sounds, Amazing Music est le dernier album d’Hawkwind où apparaît le nom de Nik Turner. Robert Calvert déclara au Melody Maker qu’avec Astounding Sounds, Amazing Music, ils visaient «le croisement d’une démarche intellectuelle avec la bande dessinée.» L’album vaut sacrément le détour, ne serait-ce que pour l’infernal «Reefer Madness» d’ouverture de balda. Comme toujours, Calvert se trouve mêlé au meilleur d’Hawk, ça part en heavy rffing. On ne se lasse pas de cette solidité, on y retrouve le beat du stomp anglais et un goût certain pour l’hypno. C’est même jazzé au sax par l’everlasting Nik Turner. Effarant ! Calvert chante «Steppenwolf» avec de faux accents à la Bryan Ferry. Son côté gothique décadent remonte à la surface. Et puis, il faut bien dire qu’il adore tout ce qui chevauche le gros beat. Avec Nik Turner, Calvert reste le meilleur maître de cérémonie qu’on ait pu voir dans Hawkwind. On retrouve de la belle hypno en B dans «The Aubergine That Ate Rangoon», visité au sax galactique de Nik Turner. Ces mecs travaillaient une vision du son intéressante. Encore du so solid stuff avec «Kerb Crawler». Dave y bat bien le nave.

             Bon, après avoir été viré comme un chien d’Hawkwind, Nik Turner ne va pas rester les mains dans les poches. Il va enregistrer des dizaines d’albums, avec notamment Inner City Limit, Nik Turner’s Fantastic Allstars, Nik Turner’s Outriders Of The Apocalypse, Nik Turner’s Sphynx, Space Mirrors, Space Ritual, The Imperial Pompadours, The Moor, et ce n’est pas fini, c’est un vrai délire, à l’image du grand Nik ta race, l’un des héros les plus attachants de la grande saga du rock anglais. Thank you for the ride, Nik Turner.

    Signé : Cazengler, Nik Tumeur

    Nik Turner. Disparu le 10 novembre 2022

    Hawkwind. Hawkwind. Liberty 1971

    Hawkwind. In Search Of Space. United Artists 1971

    Hawkwind. Doremi Fasol Latido. United Artists 1972

    Hawkwind. Space Ritual Alive. United Artists 1973

    Hawkwind. Hall Of The Mountain Grill. United Artists 1974

    Hawkwind. Warrior On The Edge Of Time. United Artists 1975

    Hawkwind. Astounding Sounds, Amazing Music. Charisma 1976

    Carol Clerk. The Saga Of Hawkwind. Omnibus Press 2006

     

     

    Wizards & True Stars

    - Oh Dr John I’m only dancing (Part Three)

     

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             Tout le monde le croyait mort et enterré. Dr John enterré ? Quelle rigolade ! Si tu vas faire un tour dans la Cité des Morts, under the Hoodoo Moon, tu le verras chanter, accompagné par the Jiving Skeletons, oui, l’orchestre des squelettes séculaires. Si tu domines ta peur et que tu approches, tu verras qu’ils portent tous des bicornes, des hauts de forme et des foulards noués autour du crâne, comme ceux des pirates, et qu’au fond de leurs orbites brille une lueur, plus loin, tu reconnaîtras Marie Lavaux, et si tu ouvres bien les yeux, tu verras aussi des milliers d’ombres, celles de ses dévôts, rassemblés là chaque nuit depuis des siècles. La vie dans la mort, la mort dans la vie. Un journaliste anglais approche son micro et Dr John croasse : «I have no plans to die during my lifetime.» Et il reprend sa litanie, «Walk on gilded splinters with the king of the Zuluuuuu.»  

             Le vieux Mac n’en finit plus de revenir aux racines du Gris-Gris, s’il le fait, c’est avec une classe affolante, tu entres chez lui à tes risques et périls, bienvenue brother, bienvenue en enfer. Il tend son art, I walked through the fire and I fly through the smoke, il devient le temps d’un mythe l’œil du typhon. On n’en connaît que deux aux États-Unis : lui et Jerry Lee Lewis. Mais Mac te titille son typhon avec une patte de lapin, com’ com’... Les deux grands sorciers du rock, Mac et Jerry Lee, avec, il faut bien l’admettre, des techniques différentes. Mais c’est exactement la même violence. Jerry Lee te précipite dans le chaos de l’enfer sur la terre - hellfire - parvenant au passage à le transformer en temple de vie, alors que Mac te précipite directement au royaume des morts, attention, la dégringolade peut être brutale - Get it burn it - tu vas rouler sur une pente, à travers un tunnel et tu ne pourras plus revenir en arrière - Things happen that way.

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             Chose curieuse, c’est le titre d’un album qualifié de «posthume» dans la presse anglaise. Pour une fois, les journalistes anglais n’ont rien compris. Pire encore : Things happen that way est qualifié d’album «country & western». De toute évidence, l’imbécile qui a écrit ça ne l’a pas écouté. Il n’y a rien de «country» chez Dr John. Comme Tonton Leon, il adore les grandes compos et chacun sait qu’Hank Williams et Willie Nelson en sont prodigues, il paraît donc naturel que Dr John tape dans le tas. Pas pour en faire de la soupe nashvillaise, mais plutôt un florilège macabre, une sorte de collier de fleurs de cimetière. Dans Uncut, Sharon O’Connell parle d’un easy-swinging record full of trans-generationel spirit, ce qui se rapproche un peu plus de la vérité. Le meilleur exemple est sans doute la reprise de l’«End Of The Line» des Traveling Wilburys. Il y duette à la lune avec Aaron Neville. Country & western ? Non, pur jus de New Orleans. L’ange Aaron te swingue grassement. La terre est grasse. Pour faire honneur au vieux Willie Nelson, Mac choisit «Funny How Time Slips Away». One two three four. Mac tape ça avec tout son feeling de white niggah de la Nouvelle Orleans, il groove le vieux Willie aux accents de gator, d’un ton chargé de gourmandise carnassière, il fait la différence avec les foies blancs, il injecte dans ce vieux classique éculé par tant d’abus une gigantesque dose de weidness mal blanchie. Mac le sorcier te plonge dans l’extrême mythologie de la Nouvelle Orleans, cette mythologie qui dans le cœur des kids du XXe siècle a remplacé celle de la Grèce antique, pourquoi, parce qu’elle leur parlait directement : Juju, Splinters, Hoodoo, Zulu, tu as le son des origines et celui de la fin de tout, et quand Mac revient au chant, I gotta now, il t’écrase ton petit champignon. Si tu ne comprends pas ça, alors tu n’as rien compris. Tout est là, dans le gras de l’interprétation, dans le fruit pourri du Mac tombé dans la mousse.  

             Mac salue le vieux Hank à deux reprises, d’abord avec «Ramblin’ Man», puis avec la vieille écultette d’«I’m So Lonesome I Could Cry», qu’on pourrait aussi qualifier de chanson parfaite. L’embêtant avec Hank, c’est qu’il n’a écrit que des chansons parfaites. Mac fait de l’art moderne avec «Ramblin’ Man», il le chante à l’éclate de glotte calleuse, en bon sorcier, il titille le jive avec sa patte de lapin, il swingue son jazz aux serpents à sonnettes, il est juste derrière le groove, dans l’ombre, tu le distingues à peine, plutôt que d’avoir peur, tu devrais l’admirer, il va même t’enlacer, python d’écailles luisantes, c’est le power de New Orleans, baby, et Mac t’invite à danser avec les morts de la Cité des Morts, c’est épais, son «Ramblin’ Man» te laboure bien la gueule. Si tu cherches de l’épais, c’est là. Bizarrement, il chante «I’m So Lonesome I Could Cry» à la voix qui va pas, mais comme on l’a déjà dit, la chanson est parfaite, alors ça passe. Il en fait une vieille chanson à boire de fin de soirée, il chante d’une voix grave, mais il faut entendre le grave au sens anglais, tombe, il te bouffe le Lonesome tout cru, sous sa casquette, et avec des mains couvertes de verrues.

             Le vieux Willie vient duetter avec lui sur «Gimme That Old Time Religion», un classique qu’a aussi repris Jerry Lee. Les deux vieux claquent leurs boîtes à camembert dans le brouillard du cimetière. Ils produisent un brouet qui se met à bouger, un phénomène organique un peu surnaturel et une petite black poppe le mot «Religion» à point nommé. Ils s’amusent à sonner comme des vieux pépères, mais ils figurent tout de même parmi les plus grandes stars des Amériques. Les filles reviennent avec parcimonie et ça donne un ensemble absolument dégoulinant de mythologie. Ça suinte de partout. Là tu as le nec du nec. Au point qu’on se sent parfois dépassé. Comme c’est souvent le cas lorsqu’on fréquente des sorciers.

             Quand il tape dans le heavy blues avec «Holy Water», le heavy blues a du mal à bouger. Trop écaillé. Trop gorgé de vieux jus. Vieille peau. Oh et puis l’odeur ! Atroce et superbe à la fois, pas loin de la définition du beau selon Baudelaire. Heavy blues si ancien, comme chanté à l’éclat du jour. Du coup, l’album «posthume» devient une sorte d’album inespéré, comme le fut d’ailleurs l’album «posthume» de Tonton Leon. Mac continue de bâtir sa légende avec «Sleeping Dogs Best Left Alone». Une façon de chanter unique au monde, des chœurs de blackettes l’épaulent. Il te swingue son Dogs à la pointe d’une glotte de junkie brother, il chante seconde après seconde, en une sorte de progression rampante qui renvoie cette fois au gros popotin du wild r’n’b de la Nouvelle Orleans. Restons donc dans la Cité des Morts avec «Give Myself A Good Talkin’ To», il chante cette fois par dessus la jambe, à cheval entre la vie et la mort, entre le groove et la gloire, entre le jour et la nuit, tout à coup, il devient évident que Mac est un vampire issu de temps très anciens. «Funny How Time Slips Away». Pourquoi est-ce si évident ? Parce qu’il sait rester ambivalent et délicieusement génial. Mais aussi parce qu’il enregistre un album «posthume». Seul un vampire peut s’offrir ce luxe désuet. Il te croake le clack du boogie biz. Il termine cette virée nocturne avec son morceau titre, un heavy balladif. Beware my friend, c’est probablement la dernière fois que tu entends chanter ce vieux sorcier/vampire/zombie, qui fut dans les années cinquante et soixante tellement fasciné par le peuple noir de la Nouvelle Orleans qu’il sombra dans l’osmose. Profite bien ce cet album «posthume», car il ne reste plus beaucoup de vampires sur cette terre. 

    Signé : Cazengler, Dr jauni

    Dr John. Things Happen That Way. Rounder Records 2022

     

     

    L’avenir du rock

    - Blue Suede chou(chou) (Part One)

     

             Pour l’avenir du rock, chaque (bon) groupe a son charme particulier. Chaque pays aussi. Oh, il ne les connaît pas tous, alors il ne va pas commencer à frimer, mais il aime bien rêvasser au souvenir de ceux qu’il connaît assez pour y avoir longuement séjourné. En matière de voyages, comme d’ailleurs en matière de musique, la nostalgie ravive l’éclat des souvenirs au point de les sublimer, ce qui peut générer une certaine distorsion, raison pour laquelle il est parfois bon d’aller soit revoir, soit réécouter, histoire d’ajuster les souvenirs à la réalité. Qu’il s’agisse des rues de Chelsea où il faisait bon déambuler, des rives de l’Amazone où il faisait bon bivouaquer à la tombée du jour, ou des jardins d’Allah qu’il faisait bon traverser pour rejoindre à dos de chameau les premières dunes du désert, le simple fait de retourner sur place remplissait le cœur d’aise, car rien de ce qui fit en première instance le charme de ces endroits n’avait subi la moindre altération, et s’il y avait distorsion, la cause en était toute autre : ces redécouvertes démultipliaient jusqu’au délire le capharnaüm émotionnel que chacun de nous héberge à bon compte. La plus belle chanson consacrée à la nostalgie est sans doute «Le Retour à Paris», lorsque le Fou Chantant fait valser dans ses bras son «Prendre un taxi/ Qui va le long d’la Seine», tu le sens le taxi, tu les vois les quais et les dômes des bâtisses, «et me r’voici/ Au fond du bois d’Vincennes», et plus loin, la chanson s’évanouit dans ses bras lorsqu’il roucoule «Bonjour... la vie/ Bonjour mon vieux soleil/ Bonjour ma mie/ Bonjour l’automne vermeil», un automne vermeil sans doute emprunté à la Chanson d’Automne de Paul Verlaine. Le jeu de la joie consisterait à transposer cette magie en d’autres lieux, «prendre un taxi/ Qui va le long d’la Thames», et remonter Park Lane jusqu’à Hyde Park, juste pour s’offrir le luxe de pouvoir chanter «et me r’voici/ Au fond du bois d’Hyde Park». Ah les possibilités sont infinies, s’il avait un peu de place, l’avenir du rock évoquerait aussi la Scandinavie dont l’art de vivre reste à ses yeux un modèle. Entrez dans une maison en Suède et le piège se refermera : vous souhaiterez y vivre le restant de vos jours.    

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             Même chose avec l’autre Suede, the London Suede. En 1992, tu entrais dans «The Drowners» et crac, t’étais baisé. Ils sont tous les deux Brett Anderson et Bernard Butler à Leyton quand ils travaillent sur la démo de ce qui va devenir l’un des joyaux de la couronne d’Angleterre, «The Drowners» : «Ça partait sur un gros beat tribal de boîte à rythme suivi de violentes vagues de guitare quasi-glam. On s’est regardés et on a su à ce moment-là qu’il se passait quelque chose. Je suis vite rentré chez moi avec la cassette et j’ai passé la nuit à écrire les paroles. Au matin on avait ‘The Drowners’, la chanson qui d’une certaine façon allait changer nos vies.» Brett Anderson raconte ça dans le premier volet de son autobio, Coal Black Morning, un petit book paru en 2018. Eh oui, tout est là, dans «The Drowners», l’absolute beginner par excellence. Le winner of it all. Le déluge du Niagara. Nanard does it well. Fabuleuses dégelées de dégringolade glam - You’re taking me ahh-ver - Ils savaient très bien à cet instant précis qu’ils détrônaient tous les autres - So slow down - Il fallait à l’époque se jeter sur cet instant de pure vérité - You’re taking me ahh-ver ! - De l’autre côté du single, on trouvait «To The Birds» que Nanard travaillait aussi au corps, et on sentait le maître chez Brett, il hantait sa song, il relevait tous les niveaux et il faisait passer l’idée d’un monde à lui, alors tout devenait extrêmement sacré. De tels singles nous tétanisaient à l’époque, cette pop sécrétait sa propre verve et semblait même vouloir dominer le monde. On ne pouvait que constater l’immense présence de Brett Anderson. Avec «My Insatiable One», ils revenaient au glam de king is come. Nanard encartait le glam dans son son, on s’en couvrait le visage, on s’en aspergeait le corps, aw king is come, ça sonnait tellement glam, dans la veine de Ziggy, soleil d’Angleterre, même génie, même volonté de plaire. Brett et Nanard faisaient la loi. Suede surfait sur cette vague de social thumbling down et Nanard nous solotait ça à la charcute.

             Suede, oui forcément. Et pour une fois, on va faire les choses à l’envers. On va commencer par la fin, c’est-à-dire leur dernier album, Autofiction, et le deuxième volet autobiographique d’Anderson, Afternoons With The Blinds Drawn, un petit book qui vient de paraître. On reviendra sur tout le reste dans un Part Two.

             L’album et le book sont comme qui dirait inséparables. Deux visuels sombres, dans des gris plombés, des niveaux de gris qui fluctuent entre 80 et 90 % au noir, ces gris qui jadis charbonnaient à l’impression, tellement le point de trame était chargé, l’angoisse suprême des conducteurs offset à l’époque, oh la la, ça va maculer, Colette ! Pour l’album, Brett est allongé sur un matelas, et pour le book, il pose torse nu et pensif dans une loge. L’album comme le book sont d’une austérité extrême, durs comme des falaises de marbre noir, chargés d’atmosphères pesantes.

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    Afternoons With The Blinds Drawn est un ouvrage extrêmement difficile à pénétrer, tant le style d’Anderson est dense, massif, quasiment privé de respiration. On pourrait presque comparer son style à celui de Marcel Proust, tant les phrases s’éternisent, tant les gris typo sont massifs, tout est très rectangulaire, comme privé de fantaisie. Privé de sensualité. Privé de dessert. C’est un ouvrage purement introspectif, Anderson va loin à l’intérieur de lui-même, sharp et sensible, il décortique ses sentiments jusqu’au délire presbytérien, et comme c’est extrêmement bien écrit, on le suit, mais le texte peine à jouir, la lecture est lente, constamment ralentie par des figures de style beaucoup trop soignées. Il faut beaucoup de temps pour venir à bout d’un chapitre. Mais comme c’est remarquablement bien écrit, on va jusqu’au bout. 

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             L’ouvrage est d’autant plus inattendu qu’Anderson annonçait à la fin de Coal Black Morning qu’il n’y aurait pas de suite. Il désirait s’arrêter aux portes de la gloire. Puis il a changé d’avis - Aussi suis-je assis là à écrire le book que je ne devais pas écrire, à évoquer les choses que je ne voulais pas évoquer. Je suppose que d’écrire ce book était inévitable. Je me demande ce qui m’a conduit là, sans doute un besoin enfantin de me faire entendre, un besoin criant de révéler mon histoire au monde entier - Ça lui permet néanmoins d’expliquer que la vie de rock star est une rude épreuve - Pour illustrer notre carrière, j’ai expliqué jadis que c’était comme si on s’était retrouvés tous les quatre dans un landau qu’on avait poussé du haut d’une colline. C’est la bonne métaphore. Toute cette époque fut très précaire, hors de contrôle et un peu terrifiante. Nous étions tous les quatre dans la poussette, hurlant dans le vent de la vitesse alors qu’on cahotait dans la circulation - Anderson garde une nostalgie de l’époque où il s’entendait bien avec Nanard. Ils composaient des hits ensemble, Nanard sortait les mélodies sur sa guitare et Anderson écrivait les lyrics - C’était une époque merveilleuse lorsque nous étions amis, on était très proches et on éprouvait le plus grand respect pour ce qu’on composait ensemble - Très vite, le groupe devient la coqueluche de la presse anglaise, avant même d’avoir enregistré un album, et c’est un privilège qu’ils vont payer très cher. Un jour, Anderson et son pote Mat le bassiste se promènent sur Great Marlborough Street et soudain, ils tombent sur la une du Melody Maker : c’est leur photo avec le titre ‘Best New Band in Britain’. Anderson ressent un malaise qu’il explique fort bien - Je suis triste, car beaucoup de gens voient encore Suede comme un buzz médiatique créé de toutes pièces dans le laboratoire ténébreux et Shelley-esque d’IPC, et bien sûr les gens devaient penser qu’on était les complices de ce crime et donc coupables du pire des péchés : l’inauthenticité. Bien sûr, à l’époque, on était galvanisés par ce heady rush qui bouleversait nos vies et on ne s’inquiétait pas vraiment des conséquences de ce buzz médiatique, mais avec le recul, je crois vraiment que les gens qui ont permis ce buzz et qui nous ont mis dans cette situation étaient à la fois irresponsables et aveugles - Anderson en tartine des pages entières, il décortique ce sentiment de culpabilité jusqu’au délire, comme le ferait un Jésuite qui se flagelle - Pour beaucoup de gens, nous avons toujours été un groupe ‘over-rated’ (surestimé) and ‘overhyped’, et ces critiques qui sont les conséquences de notre gloire précoce continuent encore aujourd’hui de me hanter - C’est vrai qu’à l’époque, les gens avaient une fâcheuse tendance à prendre Suede pour des branleurs, mais comme d’habitude, il s’agissait principalement des ceusses qui n’écoutaient pas les disques, car les disques étaient tout sauf des disques de branleurs. Avec un peu d’habitude, on avait appris à se méfier des buzz médiatiques et à faire le tri, pour ne se fier qu’à ce que nous racontaient les (bons) albums, par exemple ceux des Mary Chain, des Boo Radleys et bien sûr de Suede, car les albums allaient arriver tout de suite après le coup de bluff médiatique. Brett et Nanard comprirent que leur vie ne tenait qu’à un fil et qu’il fallait pondre vite fait un hit anglais, ce qu’ils réussirent à faire avec «The Drowners». Mais le buzz allait encore enfler. Brett raconte qu’au moment de la parution de leur premier album, ils se sont retrouvés en couverture de 19 magazines.

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             Non seulement Brett sait écrire des textes de chansons, mais il sait aussi choisir des visuels pour ses albums - J’ai toujours adoré voir comment une pochette peut définir et refléter la musique de l’album, voir comment le bon visuel peut être le synonyme des chansons - Alors il choisit un visuel d’Holger Trulzsch. Le modèle dont le corps nu est peint en bleu s’appelle Verushka. Brett Anderson crée son monde, exactement de la même façon que le fit Ziggy vingt ans auparavant. Et là, l’Anderson exprime sa fierté : «On avait réussi à développer un panache et un élan qui nous étaient propres, l’expression d’un son nouveau et éclatant, et le plus important c’est que je m’en félicite, because the songs were good.» Plus loin, dans le cours du récit, il revient sur ce qu’il appelle les big singers from the past - like Sinatra and Brel and Piaf, performers who could transform a song into a drama, et j’ai essayé de m’inspirer d’eux pour devenir plus mélomane - Il cite d’ailleurs l’exemple d’une chanson parfaite, «The Wild Ones», qui se trouve sur le deuxième album du groupe, Dog Man Star : «C’est la chanson que je choisirais si je devais en choisir une seule dans ma carrière, en tant que compositeur, et je dirais : ‘This is what I have done in my life’.» Ceux qui connaissent bien Suede savant que «The Drowners» et «The Wild Ones» sont leurs deux meilleures chansons.

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             Anderson ne traite en fait dans son livre que d’une seule obsession : la composition des chansons - Depuis l’enfance, j’ai été obsédé par la puissante interaction entre les paroles et la mélodie, et avec Bernard, je sentais qu’on devenait de vrais songwriters, un art qui me semble-t-il est perdu depuis des années - Il a tout compris, le jeune Brett, sans les chansons, tu n’es rien. Comme il ne cite personne, on va le faire pour lui : sans leurs chansons, John Lennon, David Bowie, Ray Davies, Martin Carr ne sont rien, sans parler des Américains. Anderson y revient inlassablement - Notre seule cupidité fut pour les chansons, la prochaine chanson, on la cherchait dans la chambre, comme on chasse des papillons argentés - Ils sont vite courtisés par les labels indépendants américains, car ils sont considérés comme les nouvelles sensations. The New British Invasion.

             Alors Anderson plonge dans l’art d’écrire des bonnes chansons - Pour moi, écrire à propos du sexe, c’était comme d’écrire à propos de la vie, explorer avec minutie, aller sous les couches pour observer l’échec et la peur, les moments d’hésitation et de confusion, avec un soin identique à celui qu’on met à observer les fonctions binaires dans lequel le genre est souvent confiné.

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             Il évoque aussi ses compagnons, la folie des tournées mondiales, le besoin de sentir la réaction du public, la vie du groupe, les tensions, les ruptures, la dope, mais rien, pas un mot sur les autres groupes. Si tu cherches des petits cancans, madame la commère, Anderson n’est pas la bonne adresse.

             Il revient aussi sur l’une de ses erreurs de jeunesse, une déclaration qu’il fit dans la presse - Je me voyais comme ‘un homme bisexuel qui n’avait jamais eu d’expérience homosexuelle’. C’est l’une des choses les plus stupides qu’il m’ait été donné de déclarer et elle sera certainement gravée sur ma tombe. Je regrette profondément d’avoir été un jeune homme si naïf, non parce que je mentais ou j’affabulais, mais parce que je n’avais pas compris à l’époque qu’il n’existe, en aucune manière, aucun espace pour la subtilité et les nuances dans les médias modernes, dès lors qu’on traite de sujets salaces - Il se repent aussi amèrement de s’être fait passer dans la presse pour un dandy, the overly English popinjay. Que d’erreurs de jeunesse ! C’est bien qu’un mec comme lui reconnaisse toutes ses erreurs. Ça ne doit pas être simple d’être une rock star en Angleterre quand on a vingt ans. On est pas loin de l’histoire d’Icare.

             Avec la quête du Graal, c’est-à-dire l’écriture des bonnes chansons, l’autre focus du book concerne la folie des tournées et la façon dont cette folie finit par détruire des relations entre les gens - La tournée américaine s’était transformée en une spirale d’agression passive et d’hostilité latente, on voyageait chacun de notre côté, on se boudait sur scène. Pour voir les relations se désagréger, les liens s’abîmer de façon irréparable, c’était le masterclass - Brett résume bien la chose : «Abrutissant : c’est la seule chose intéressante qui me vienne à l’esprit pour qualifier la vie en tournée.» (Il dit ça au sens anglais : numbing, pas au sens de la fatigue).

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             La tension monte tellement entre Nanard et Brett qu’un jour Nanard lance un ultimatum : soit lui, soit Ed, le manager, l’un des deux doit partir. Brett réunit le reste du groupe qui décide de garder Ed. Alors Nanard se barre. Et c’est la fin d’un brillant duo de compositeurs. Cette décision va lui rester sur le cœur - La décision que je pris ce jour-là de soutenir le coup de bluff de Bernard fut pour le pire comme pour le meilleur, un moment décisif dans ma vie, qui continuera de me hanter jusqu’à la fin de mes jours - Le problème c’est qu’ils ne connaissent personne pour remplacer Nanard. Anderson ne fréquente pas the London music scene - Le problème était que nous n’étions pas des gens qui traînaient avec les autres groupes. The London music scene ne m’intéressait pas, et après une brève période de fréquentation, l’anxiété liée à mes modestes origines sociales se transforma vite en névrose, une névrose favorisée par une gloire naissante, et l’arrivée des narcotics dans ma vie ne fit qu’empirer les choses - Suede est considéré par la presse comme fini. Kapout ! Un jour, Anderson reçoit au courrier une enveloppe avec une cassette : c’est la candidature spontanée d’un certain Richard Oakes qui voyant que la place était libre, proposait ses services. Miracle : «Richard est le musicien le plus doué avec lequel j’ai jamais travaillé.» Pris dans son élan, Anderson cite même Schopenhauer à son propos : «Le talent atteint la cible que personne d’autre ne peut atteindre, le génie atteint la cible que personne ne voit.» Wow, Brett ! Quel décochage ! Brett découvre ensuite que Richard s’intéresse essentiellement aux guitaristes post-punk comme Keith Levene et John McGreoch, et au «wiry surrealim of the Fall». Mais à l’été 1995, Brett constate que Suede est sur le déclin, la presse les voit comme un groupe anachronique or a cautionary tale and at last an irrelevance. La presse fait de lui un marginal irascible «qui ne fut jamais capable de pardonner à l’air du temps de continuer sans lui». Formule délicieuse.

             Et puis bien sûr la dope. Alors attention, nous ne sommes pas chez les Fat White, Anderson en fait une consommation abusive mais il n’en tartine pas ses pages comme le fait Lias Saoudi. Il indique seulement que l’addiction se transforme en quête de dose quotidienne, il décrit ça très bien, «une pulsion animale pour trouver la dose qui vous fera redevenir normal, qui vous permettra de ressentir les choses à nouveau.» Pourquoi recourir à la dope ?, il s’interroge au long de pages entières, il reconnaît son anxiété, ses petites névroses, sa parano, mais il ne trouve aucune trace de traumatisme dans sa vie qui lui permettrait de dire : «c’est la raison pour laquelle je me drogue !». Alors il y revient pour nous expliquer tout ça clairement : «En y repensant, la raison de mon entrée dans cette arène pitoyable, je dois bien l’admettre, était une simple quête d’échappatoire romantique, une façon d’emprunter les chemins transgressifs jadis empruntés par Aldous Huxley, John Lennon ou Thomas De Quincey, une quête de glamour pour un jeune citadin frustré, the glamour of the outré, une autre réalité par-delà les vies grises et suffocantes que menaient les gens qui nous entouraient.» Non seulement Brett Anderson est profondément honnête, mais il est en plus intéressant. Et comme il chante bien, ça en fait un artiste complet.

             L’addiction, il y revient le bougre - Je suppose que ça ne doit pas être très intéressant pour vous de lire l’histoire d’un homme qui recherche l’abstinence. On s’éloigne du mythique archétype Jungien de l’artiste rebelle - the bullshit, le guitar hero rock and roll lie - L’ironie de l’histoire, c’est que je consacre une grande partie des pages de ce livre à ma propre chute en spirale pour en faire la parodie d’une rock star camée, alors qu’en réalité, j’ai toujours détesté ces misérables clichés, des clichés que beaucoup de gens aiment secrètement, j’ai toujours espéré que la vraie nature artistique avait plus à voir avec le courage d’exprimer la vérité de sa vie plutôt que de rouler en Harley - Il en arrive assez vite à sa conclusion, qui est celle que ferait n’importe quel observateur affûté : «La théorie selon laquelle l’addiction et l’intempérance sont liées à des formes de créativité vient peut-être du fait qu’historiquement des tas de gens créatifs ont mené des vies dissolues. En fait, je proposerais bien une autre idée : pour moi, les gens créatifs étaient curieux des effets que procuraient the alterate states, (les états d’altération de l’esprit) mais une fois arrivés là, leur créativité s’est rarement développée.» Anderson ne cite pas de noms, mais on pense bien sûr à Syd Barrett. Mais à côté de ça, tu as des contre-exemples : Dr John et Keith Richards.

             Le book s’achève dans la tristesse : l’album A New Morning que Brett considère comme raté - I wish we hadn’t made this album - pour lui, même la pochette est ratée. S’ensuit bien évidemment le split du groupe. 

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             Bon, la bonne nouvelle, c’est qu’ils vont se reformer et enregistrer trois nouveaux albums, Bloodsports, Night Thoughts, The Blue Hour, qu’on épluchera dans le Part Two, puis un quatrième, paru cette année, le bien nommé Autofiction. Trois cuts y stand-outtent, tu t’en doutes : «The Only Way I Can Love You», «That Boy On Stage» et «It’s Always The Quiet Ones». Ils stand-outtent car ils battent tous les records de Big Atmospherix, Anderson n’en finit plus de remonter à l’assaut, c’est le roi du coup d’épée dans l’eau, l’héroïque popster par excellence, et ça ne doit pas être facile de faire du Suede après tant d’années. Avec «That Boy On Stage», il devient heavy on the sludge, c’est gorgé de guitares et de chant gloomy, tout se noie dans l’épaisseur du son. C’est la prod qui fait tout, ici, avec la voix. «It’s Always The Quiet Ones» sonne comme du classic Suede, bien mélodique et over the top. Ça confirme ce que raconte Anderson dans son book : chez Suede, tout est dans les chansons et Anderson n’en finit plus de chercher l’ouverture. Pour ça, il a besoin d’une belle cathédrale sonique. C’est avec «Black Ice» qu’on voit encore se distinguer ce très grand chanteur. Il fait vraiment le show. Il crée son monde en permanence, il travaille la grande pop atmosphérique, c’est un chanteur exceptionnel, tu y vas les yeux fermés. De toute évidence, ils cherchent le hit, mais c’est compliqué, tout ce qu’ils trouvent, c’est du son, des averses de son, et malheureusement, il leur arrive de retomber dans les routines de la Brit Pop. Autre petit défaut du Brett vieillissant : il a perdu son glamour, il chante parfois comme un vieil homme avec une voix privée de caractère. Dommage, il perd le Suede de The Drownvers pour aller chercher une pop matelassée et grise, à l’image de la pochette. Il reste cependant un charme discret, on tombe sous son emprise avec «What Am I Without You». Malheureusement, l’album s’achève sur une fausse note avec «Turn Off Your Brain And Yell», ils font de la soupe à la U2 orchestrée à outrance et fabuleusement inutile. Ils redeviennent ce qu’ils étaient au début : rien. Tout ce qu’il leur reste, c’est la prod. Il leur manque «The Drowners». Ni coup de Jarnac ni coup de Trafalgar dans l’Autofiction. Seulement trois bonnes chansons. Mais ça devrait suffire aux Suedois et aux Suedoises.

    Signé : Cazengler, suédoigt dans l’œil

    Suede. Autofiction. BMG 2022

    Brett Anderson. Afternoons With The Blinds Drawn. Abacus 2020

     

     

    Inside the goldmine - Maxayn fait le max

     

             Le soleil darde de tous ses rayons sur les collines d’Hollywood. John Phillips reçoit le gratin dauphinois du showbiz dans cette coquette villa de Bel Air qu’il vient tout juste d’acquérir. Parmi les invités, voici l’ambassadeur de la planète Mars avec ses appareils respiratoires et sa garde rapprochée. Voici Croz qui va de groupe en groupe, il buzz-buzz-buzze, distribue des stickers et des bonbons, mais réserve semble-t-il son freebasing à quelques privilégiés, ceux qu’il appelle les bathroom bimbos. Voici Arthur Lee qui arrive. Il gare sa Porsche au bord de la piscine.

             — Tu vois, la grosse qui danse si bien là-bas, c’est Mama Cass. Faut reconnaître que les grosses remuent plus d’air que les maigres, pas vrai ? Oh et ce petit mec bizarre là-bas, c’est un protégé de Dennis Wilson. Les gens l’appellent Charlie.

             — Charlie Manson ?

             — Oui, oui, un peu barré, on sait pas trop, il vit dans un ranch là-bas dans le désert avec une tripotée de gonzesses, toutes sous acide, c’est Owsley qui les fournit en direct, et l’autre un peu plus loin c’est Bobby Beausoleil, il revient d’un trip au Mexique, il deale du lourd, mais chut, faut pas en parler, paraît que des mecs du FBI ont infiltré les parties. Oh pas pour ce que tu crois. Ils veulent juste leur part du gâteau. Ah ah ah, c’est de bonne guerre ! Si j’étais agent fédéral, je ferais pareil. Faut bien arrondir les fins de mois, hein ? C’est pas en étant payé à coups de lance-pierre que tu vas pouvoir te payer tes douze grammes de coke par jour. Ah, on m’a dit que Truman Capote était là, mais déguisé.

             — En quoi ?

             — Bah chais pas trop. En cardinal de la ligue Évangéliste ou en Fu Manchu. Il adore se faire passer pour Fu Manchu, ce mélange d’exotisme et de cruauté lui sied à ravir. Tiens regarde là-bas, le chinetoque, ça pourrait bien être lui. On parie ? 500 $ ? Tope-là ! Et la fille là-bas en jumpsuit jaune... Tu sais qui c’est ?

             — Beuhhhh...

             — Elle s’appelle Maxayn. Très jolis seins. Fais gaffe elle est mariée.

     

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             Effectivement, son mari s’appelle Andre Lewis. En 1972, ils enregistrent un premier album simplement titré Maxayn.

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    C’est un classique. Il a pour première particularité de proposer deux covers des Stones, et pas des moindres puisqu’il s’agit de «Gimme Shelter» en B et de «You Can’t Always Get What You Want» en A. Et pour deuxième particularité de mixer le rock des blancs avec la Soul des blacks, alors ça donne des résultats étonnants. Comme Maxayn et ses amis injectent de la Soul dans un son déjà bien en place, ces hits des Stones montent encore d’un cran, ça groove in the face, à la puissance pure et dans «You Can’t Always Get What You Want», la descente de basse va et vient entre tes reins, alors les couplets magiques n’en swinguent que de plus belle. Marlo Henderson joue son bassmatic en contretemps, il est le roi de monde. Leur «Gimme Shelter» est différent de celui de Merry Clayton. Ils le travaillent à leur façon qui est plus épaisse, Maxayn est à l’aise avec le groove de la Stonesy, elle en fait un heavy groove avec du tikitik de keys à contre-emploi, elle arrache bien son Gimme du sol, elle le fait à la force du poignet, c’est très puissant, elle screame son ass off et fourbit un vrai modèle de Black Power. Elle frise l’hystérie. L’autre gros cut de l’album est le «Tryin’ For Days» d’ouverture de balda. Le mari Andre Lewis est un sacré funkster, un compagnon idéal pour Maxayn qui shake bien son petit funky butt. Wow, elle persiste et signe !

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             L’année suivante paraît l’excellent Mindful. Ils proposent en fait un heavy funk très influencé par Sly Stone, comme l’indique d’ailleurs le titre «Moan To The Music». Ils alternent les cuts de Soul funk ambitieuse avec des balladifs souples et languides qui sonnent comme de puissantes proliférations harmoniques («Stone Crazy»). Ils bouclent leur balda avec un «Tellin’ You» extrêmement élégant, un authentique shoot de Soul-blues. Le guitariste Marlo Henderson fait des merveilles et la petite qu’on entend derrière n’est autre que Pat Arnorld, alors t’as qu’à voir. Ils repartent de plus belle en B avec «Feelin’», nouvelle giclée de funk moderne à la Sly, ils y multiplient les cassures de rythme et les difficultés. On se retrouve une fois de plus avec un album parfait dans les pattes, ce que vient encore confirmer «Check Out Your Mind», un slow groove de funk qui se fourvoie bien sous le boisseau. Et puis les balladifs sont de vraies splendeurs («The Answer» et «I Want To Rest My Mind»). Ils restent au même niveau d’excellence jusqu’au bout du «Travelin’», un slow space groove d’inspiration maximale.  

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             Le dernier album de Maxayn s’appelle Bail Out For Fun. Au dos de la pochette, on les voit sauter en l’air tous les quatre. Cette fois le guitariste s’appelle Hank Redd. On l’entend gratter son petit funk insidieux sur «Life Is What You Make It». C’est encore une fois du funk à la Sly. Funky flavor ! Andre est là, lui aussi, l’homme à tout faire (moog, bass & drums). Leur funk est d’une grande délicatesse, une vraie dentelle de Calais. C’est Hank Redd qui joue du sax dans «Moonfunk». Il casse bien la baraque, l’Hank. Le hit de l’album se planque en B : «Trying For Days». C’est en fait un big shoot de r’n’b bien syncopé par ces rois du funky bootin’. Ils sont aussi bons que Sly, leur groove de basse se glisse sous la peau. Ce Trying sonne comme une fantastique extension du domaine de la lutte ouvrière. Ils font en plus durer le plaisir ad vitam æternam. Ces gens là ne lésinent pas sur les pelletées de charbon. Ils finissent avec un «Everything Begins With You» de rêve éveillé, une merveilleuse prestation du couple Lewis, Andre & Maxayn. Ils se lovent dans le doux du groove et nous emmènent séjourner le temps d’un cut au paradis.

    Signé : Cazengler, maxillaire

    Maxayn. Maxayn. Capricorn Records 1972

    Maxayn. Mindful. Capricorn Records 1973

    Maxayn. Bail Out For Fun. Capricorn Records 1974

    Inside the goldmine - Maxayn fait le max

     

    ROCKABILLY RULES !

    N’oubliez jamais que toutes les règles sont faites pour être contournées, dépassées, chamboulées, piétinées, car l’important avant tout c’est d’avoir un cœur fidèle et rebelle !

    706 UNION AVENUE

    THE MEMPHIS BLUES CREAM

    ( Around the Shack & Yokatta Records / ATSR CD 005 / Décembre 2022 )

    Jake Calypso : vocals, guitar / Earl ‘’ The Pearl’’ Banks : guitar / Vince Johnson : harmonica / Rodney Polk : drums / Gunnar Samson : piano / Stephane Bihan : upright bass , saxophone, Harmonica.

    Lors d’un concert au 3B de Troyes Jake Calypso de retour de son premier voyage dans le Sud des Etats-Unis me disait son rêve de vivre là-bas le restant de sa vie et d’être enterré dans cette terre où reposent les premiers bluesmen, souhaitons que la dernière partie de ce rêve ne se réalise pas avant longtemps. Les partisans racialistes du white rockabilly ne m’ont jamais convaincu, étonnant comme l’on peut être insensible à cette veine de sang noir qui irrigue le rock‘n’roll. Le delta du Mississippi s’ouvre sur un autre beaucoup plus large celui de la musique populaire américaine qui roule dans ses nombreux bras qui s’entrecroisent des influences diverses venues et d’Europe, et d’Afrique et d’Amérique.

    Cet album de Jake Calypso est un retour aux sources. Pas aussi difficiles à localiser que celles du Nil. L’adresse est connue, votre GPS vous y mènera sans problème, c’est à Memphis, Tennessee, 706 Union Avenue. C’est-là où en janvier 1950 Sam Phillips ouvrit son studio. Quatre ans ans plus tard un petit chat des collines, pas n’importe lequel, l’Hillbilly Cat Elvis Presley, s’en vint enregistrer quelques faces qui allaient révolutionner le monde. L’on a dit que Sam Phillips a inventé le rock’n’roll, c’est aussi faux que de prétendre que Christophe Colomb a découvert l’Amérique, l’on oublie souvent d’ajouter que s’il a ouvert son micro à de jeunes blancs-becs il était aussi talent-scout pour les disques Chess qui commercialisaient les artistes de blues, noirs comme il se devait. Le seul regret que Sam Phillips a exprimé bien après avoir vendu son studio c’est que débordé par la folle vague initiée par Elvis, Carl Perkins et Jerry Lou, il avait à l’époque délaissé les enregistrements des chanteurs noirs…

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    Pour la pochette le lecteur se reportera à notre livraison 573 du 03 / 11 / 2022 pour lire la splendide chronique hommagiale du Cat Zengler - la plus belle qui ait été écrite à la disparition du killer  - dans laquelle sont passés en revue quelques disques de Jerry Lee Lewis dont le fameux Rock & Roll Time.

    Dernière précision d’importance : avant d’écouter bien se souvenir que les musiciens regroupés autour de Jake Calypso n’avaient jamais joué ensemble avant ces enregistrements…   

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    Bear cat : surprise, ça déboule sur vous alors que vous vous attendez à quelque chose de sauvage, mais là c’est du wild de chez wild, cette batterie qui transbahute des tonnes pesantes de miel empoisonné et tout le reste de la bande qui vous griffe le dos sans pitié. L’original est de Rufus Thomas, n’allez pas chercher pourquoi l’on retrouve son nom dans l’aventure Sun et Stax. Tiger man : après l’ours le tigre, l’on reste entre bêtes indociles, Rufus Thomas s’est d’ailleurs empressé d’enregistrer  ce morceau signé par Joey Hill Louis, certes l’on retrouve le rythme chaloupé de base du blues mais l’on est en pleine tempête force 10, z’avaient dû avaler un alligator avant d’entrer dans le studio, mention spéciale pour Gunnar Samsom et son piano diabolique qui ne s’en laisse pas conter par le vacarme de ses acolytes, quant à l’oiseau Loison, vous connaissez sa prédilection pour les tapages nocturnes, l’est aussi à l’aise là-dedans que les quatre cavaliers dans l’apocalypse. Red hot : les amateurs connaissent, mais c’est une version basée sur l’original de Billy Emerson, vous pouvez être victime d’une interrogation métaphysique, sommes-nous dans un bastringue renommé ou un juke perdu, la réponse n'a aucune importance, l’est sûr que ça chavire dur, une grande fête nègre dionysiaque dont on a hélas perdu le secret depuis quelques décennies. Runnin’ around : je ne sais pourquoi l’on a souvent qualifié le style de Sleepy John Estes de geignard, Calypso se joue de cette réputation, l’a un vocal qui s’amuse à bouter le feu intonnatif, une véritable pièce de théâtre, le monologue du fou qui mord la vie à pleine dents, l’est méchamment secondé par Earl Banks à la guitare écarlate et Vince Johnson qui pousse son harmonica comme l’on enfonce un couteau dans le ventre d’un gars qui ne vous revient pas. Baby I’m coming home : ils avouent leur faute dans les notes, ils sont plus que pardonnés, normalement ils auraient dû nous le faire en mambo, ils ont oublié, faut dire qu’avec cette section rythmique qui transbahute des armoires à travers l’appartement, ils se sont laissé aller à une espèce de grand capharnaüm sonore, un tel remue-ménage que vous ne savez plus où poser le pied pour danser, mais quel régal ! I gonna murder my baby : un programme alléchant que son auteur Pat Hare se hâta de réaliser dans la vraie vie, nos musicos vous restituent la scène à merveille, vous croyez y assister en direct, vous tartine une épaisse couche de blues funèbre bien balancé sur laquelle chacun se laisse déborder par ses penchants les plus pervers, à écouter comment chacun s’implique dans la scène vous comprenez que l’espèce humaine est vraiment prédatrice, mélodrame en direct, grosse caisse de bateleur et tous les instruments tremblent à foison, c’est beau et grand-guignolesque, un art consommé du grotesque ainsi que l’entendait Edgar Poe.

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    Last time : beaucoup plus carré et bien enlevé, la voix de Calypso traîne de temps en temps sur les syllabes pour mieux repartir en sprint de jaguar, le piano et l’harmo se tirent la bourre, vous mènent la patache à un train d’enfer, ne vous disputez pas pour savoir qui arrivera le premier, c’est Stéphane Lebihan qui tient le morceau entre ses mains, c’est sa big mama qui cavalcade en tête du début à la fin, il trace le chemin pour tout le monde. Baker shop boogie : de ce temps-là les bluesmen étaient rarement des anges alors ne soyez pas étonnés si vous ressentez une certaine violence pour ne pas dire une brutalité prononcée dans cette huitième piste. Vous plongent dans l’ambiance tout de suite, la batterie halète comme une locomotive, l’harmo vous déchire les oreilles à tous les tours de roue, Calypso hurle tout son soul comme s’il courait sur les toits des wagons et le restant de l’équipe vous précipite dans le pétrin. Ne faites pas les fines bouches, ce pain-là vous ne le mangerez pas vous le dévorerez à pleines dents. Love my baby : guitare fine et tambourinade exaltée, l’est sûr que le phrasé et la rythmique rappellent Mystery Train, normal les deux morceaux sont de Junior Parker, la racine noire du rockabilly n’a jamais été aussi évidente, le Jake parfaitement à l’aise, l’ancien membre de Mystery Train se retrouve chez lui, alors les copains lui font un accompagnement aux petits oignons qui piquent et brûlent. Come back baby : Calypso devant et la bande qui suit, on ne risque pas de l’oublier, L’Oiseau revient, aussi ils reprennent derrière avec encore davantage de rage, Thierry Tillier des Hot Chickens met en marche la machine à laver non électrique, ce n’est pas la bougie du sapeur mais le boogie des tapeurs, vous avez envie que la baby ne revienne pas de sitôt rien que pour le plaisir que procure cette attente. Sweet home Chicago : le morceau précédent n’était qu’un canter d’entraînement, car attention l’on donne ici dans le mythique, le nom de Robert Johnson reste collé à ce morceau, alors ils y vont à fond, que le grand-père putatif n’ait pas à rougir d’eux, par contre sûr que ses os se sont entrechoqués dans sa tombe, ça swingue à mort, offrent tout ce qu’ils ont le bouquet de fleurs avec le revolver dedans, c’est maintenant que votre cœur tressaille, il ne reste plus qu’un morceau et tout s’est déroulé si vite avec un tel brio que vous n’avez pas vu le temps passer perdu au milieu de cette tourmente. Boogie in the park : l’on retrouve un titre de Joey Hill Louis, harmoniciste, batteur et guitariste renommé pour son heavy tune, autant dire un beau challenge pour nos impétrants qui se surpassent. Ce n’est pas très long mais ils ont laissé la gomme sur la chaussée des géants.

    Un disque de blues qui ne hulule pas le malheur du monde, vous refile une pêche extraordinaire, et remet même les pendules du blues à l’heure. Un groupe de guys survoltés qui ont refusé les poncifs et les idées toutes faites. Ne criez pas au scandale, Earl ‘’The Pearl’’ Banks en a vu d’autres, du haut de ses quatre-vingt-six ans, l’a tout vu, tout connu, des débuts du Sun Studio, à Beale Steet, l’a joué avec Joey Hill Lois et BB King et n‘a pas hésité une seconde à se joindre à cette Memphis Blues Cream réunie autour de Jake Calypso. Les vieux renards reniflent de loin les fromages alléchants.

    Dans notre précédente livraison Jake Calypso était avec les Hot Chickens pour It’s Time to Rock Again, et cette fois ci- c’était It’s Time  to Blues again. Entre nous soit dit, c’est le même esprit.

    Qui a dit que le bleu était une couleur froide ?

    Damie Chad.

     

    *

             Une chronique d’un genre nouveau, un peu, toute proportion gardée ce que Karl Marx et Friedrich Engels avaient initié avec leur Critique de la critique critique contre Bruno Bauer et consorts, cet acharnement critique était une manière de dévoyer le chemin de pensée idéaliste de la critique de la raison pure kantienne en faveur d’une analyse de plus en plus serrée et précise du rapport que les hommes entretiennent successivement avec la réalité vivante du monde.

             Disons qu’ici nous nous intéresserons avec ce que l’on pourrait dénommer la réalité mortelle du monde. Nous avons été subjugués par la force de LA MORT APPELLE TOUS LES VIVANTS du dernier album de BARABBAS, voir notre chronique 578 du 08 / 12 / 2022.

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             Ce CD a fait quelque bruit dans tous les sens du terme. Question phonation nous ne pouvons rien pour vous, nous vous renvoyons à vos chères oreilles, par contre nous allons explorer quelques articles relatifs à cet opus magnus.

    In ROCK HARD ( # 237 / Dec 2022 )                                   

    Une belle revue, des spécialistes de musiques dures, sombres, doom, etc… z’ont pas mis le Jolly Roger en couverture mais Mötor Head ce qui ne vaut guère mieux pour les tympans fragiles, bref Barabbas est entre bonnes mains, sont Album du Mois, et Charlélie Arnaud a programmé une interview, s’affichent tous les cinq sur la photo, cinq sombres monolithes posés sur un arrière-fond de trois croix granitiques, mais c’est Saint Rodolphe qui répond aux questions. Echanges de vue sur la situation du doom en France qui propose des groupes reconnus à l’étranger mais qui bénéficient hélas de par chez nous d’un maigre public. N’empêche assure notre vénéré Saint Rodolphe qu’ ’’il existe vraiment une scène doom traditionnel’’.

    Vous vous procurez Rock Hard si vous voulez lire la suite, notamment la réponse au choix du chant en français… C’est encore Charlélie Arnaud qui se charge de la Kronick – n’emploie pas le mot critique qui pèse un peu trop comme une épée de Damoclès – l’écrit trop bien Charlélie, ne le lisez pas, vous seriez obligé d’acheter le disque. En plus j’ai oublié de noter le super titre : Fais-moi la mort !

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    Attention, achetez la revue en kiosque c’est bien mais les abonnés ont droit à des documents sonores complémentaires.

    From MIEDZY UCHEM A MUZGIEM

    Ne soyez pas ignorants, c’est juste du polonais, un beau titre de blogue : entre l’oreille et le cerveau. Inutile de vous décourager devant la longue et interminable colonne de langue polonaise, descendez au bas de l’article vous avez la traduction en anglais. Se débrouillent bien nos amis polonais interviewent Saint Stéphane qui en profite pour glisser de nombreux noms de groupes français dans la discussion.

    Sur EKLEKTIC-ROCK

    Une courte et sympathique chronique en français pour ceux qui ne connaissent ni l’anglais, ni le polonais.

    Sur DESERT- ROCK

    Une chronique intelligente par des adeptes du genre, je ne résiste pas citer in extenso la phrase suivante : ‘’ En fin de compte, La Mort Appelle Tous Les Vivants est probablement l’un des meilleurs disques du genre sortis ces derniers mois, et pas seulement en France.’’ Signé : Laurent, de Pau, né en 1976. Un site à visiter.

    Sur le Webzine METAL INTEGRAL

    Jolie chronique élogieuse. Si la mort appelle tous les vivants, ce disque aimante en sa faveur les jugements de ses auditeurs : ‘’ ‘Le Cimetiere Des Reves Brises’ is sumptuous, and could well have been written as an ode to all doom bands who have passed before. ‘’

    Sur le fil du rasoir de THE RAZOR’S EDGE ROCK

    Belle intro de Matthew Williams : ‘’  J'aime ( I do like, en anglais c’est plus fort ) un album qui a une ouverture mystérieuse, et "La Mort Appelle Tous Les Vivants" des doomsters français Barabbas a certainement cela, car c'est comme un appel aux armes, avec les sirènes qui retentissent, à travers la voix hypnotique, construisant le anticipation, puis BOOM, le son monstrueux vous frappe alors que les guitares, les claviers, la batterie et la basse explosent tous dans la vie, et la puissance du riff ressort très, très clairement.’’

    Sur Loud TV

    Pratiquement un poème, un titre rilkéen : La voix des anges, je devrais recopier in extenso, je pioche au hasard : ‘’ Un voile grisâtre tombe, la beauté mortuaire de BARABBAS se lève, puis pas à pas prend forme innocemment dans le cœur de la noirceur du néant. Maintenant, la créature foule la terre, écrase le sol, et fait retentir sa force herculéenne. Emprunte ( le traducteur pourrait faire un effort ) menée tambour battant dans l’énergie délivrée d’un séisme metallique, aux relents nauséabonds dommesques. ‘’ 

    Sur MUSIPEDIA

    Une analyse titre par titre de l’album dans un article consacré à plusieurs groupes.

    J’ai passé sous silence tous les sites qui se contentent de noter la sortie de l’opus, pour la plupart en affichant la photo de la couve et en notant les titres un par un. De l’information pure qui semble être l’apanage des premiers grands sites de metal qui paraissent dépassés par un trop gros nombre de sorties ou qui peut-être voient le nombre de leurs chroniqueurs diminuer avec les années qui passent et qui usent…

    Oui l’album de Barabbas fait l’unanimité, mais peut-être le plus important c’est sans aucun doute la mise en évidence de ce réseau de passionnés à l’affût des nouveautés qui font circuler au minimum l’information et qui essaient de susciter le désir du lecteur par la force de leurs vocables.

    Damie Chad.

     

     

    *

    Appel à l’aide de Cörrupt, ils ont sorti une vidéo en octobre 2022, ne donnent pas de détails mais il y a eu problème de droits avec la Sacem, bref elle s’est retrouvée bloquée sur You Tube, ils ont dû gagner le bras de fer puisque ce 20 décembre elle est de nouveau visible, mais ces désagréments n’ont pas aidé à la faire connaître, si vous voulez supporter ce nouveau lancement n’hésitez pas à aller voir. Et surtout à entendre.

    C’est en batifolant sur Bandcamp que nous étions tombés par hasard sur Cörrupt. Le tréma bien sûr, et cette idée sous-entendue d’une corruption de notre monde actuel. Bref dans notre livraison 498 du 18 / 02 / 21 nous avons chroniqué leur premier EP, et pas du tout dégoûté dans la 455ième du 19 / 05 / 22 leur deuxième EP six titres au titre prometteur de Disgust. Nous avions aussi mentionné deux vidéos de concert de 2015, un peu passe-partout et beaucoup plus réussi un clip appétissant. D’où la nécessité de visionner le nouveau.

    LUST

    CÖRRUPT

    ( Hardcore Worlwide / 2022 )

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             C’est le premier titre de l’EP, possède une particularité quasi-inquiétante, sa longueur, il ne dépasse pas une minute quatorze secondes. Ce n’est pas que c’est court c’est que l’on est en droit de se demander comment l’on peut faire rentrer tant de violence en si peu de temps. Cörrupt ne propose pas une musique séraphique. Pour l’écouter vous avez une solution de rechange à portée de la main, il suffit de l’écouter plusieurs fois à la suite pour comprendre comment il fonctionne. Vous me direz que c’est la même chose avec une vidéo, pas tout à fait à mon humble avis, l’image doit signifier une plénitude en elle-même, sinon l’on se trouve face à un rush qui demande à être mis en forme, sans quoi l’on ressent une forte impression de brouillon ou de travail bâclé.

             De fait il n’en est rien. Il y a une unité dans cette vidéo. Remarquable, mais qu’il est difficile d’attribuer à un réalisateur ou à un monteur, puisque aucune nominale signature ne nous est proposée. Tout juste une minute, une tornade qui passe. Des éclairs de guitares qui se suivent et se juxtaposent. L’on a l’impression qu’elles ont la même impédance musicale que la batterie. Bref une série de claquements secs, sectionnés par deux-tiers de seconde de silence. A ce stade on se dit que le timing pourrait se prolonger à volonté. Oui mais c’est sans compter sans les inserts sur la gueule à favoris du chanteur, il est là le fil conducteur cette vision pas du tout omniprésente qui donne au chant toute son importance, une unidimensionnalité quasi-homérique, un peu comme dans une tornade ce ne sont ni les toits qui s’envolent, ni les murs qui s’effondrent qui témoignent sur son passage de sa violence,  mais la sensation au-travers de tous nos sens, de la puissance de son souffle irrépressible, cette vibration inhabituelle d’une ampleur déraisonnée qui permet de comprendre que l’on a affaire à un évènement herculéen exceptionnel. Que les débris épars ne sont que des détails superfétatoires et non nécessaires. Une vidéo dans laquelle l’image intensifie le son. Rare. Très rare. Ultra rare. Avec un peu de chance un exercice d’école à proposer dans toutes les écoles aux vidéastes amateurs.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 11 ( sous les ifs ) :

    56

    Le Chef alluma un cigare.

              _ Soyons justes, ce que racontent nos deux gaziers est assez proche de la réalité, ont arrangé la sauce à leur manière pour être considérés comme des héros par leur lectorat mais je me demande comment ils vont tirer leur épingle du jeu lors de la deuxième partie de la soirée.

              _ Ne me faites pas languir Chef, je suis toute ouïe, j’aime entendre votre voix grave de baryton, même Molossito et Molossa vous écoutent avec attention.

              _ Absolument d’accord avec vous agent Chad, la nature m’a doué d’un un bel organe viril, qui d’ailleurs est toujours une bonne entrée en matière avec les demoiselles, mais ne nous égarons pas, j’allume un Coronado et je reprends ma lecture.

    57

    Olivier Lamart : j’étais un peu étonné des déclarations péremptoires des deux agents du Service Secret du Rock ‘n’ roll prêts à éliminer la population de la terre entière pour une pochette de disque légèrement cornée et je m’apprêtais à leur faire part de ma stupéfaction, qui s’accentua encor plus lorsque je vis que tous deux avaient sorti de leur poche un superbe revolver d’une dimension impressionnante, je crus qu’ils allaient à l’instant mettre en action leur profession de foi, mais non ils ne tirèrent pas, ils se contentèrent de regarder fixement en direction de la grille du cimetière, et s’écrièrent en un ensemble parfait : 

              _ Pistol Packin’ Mama !

    J’avoue que je n’ai pas encore compris le sens de cette expression, mais suivant leur regard, j’aperçus au fond de l’allée comme une ombre qui se mouvait vers nous.

    Martin Sureau : elle avançait lentement, ce n’était encore qu’une silhouette, bientôt je discernais un long manteau noir dont les bords traînaient à terre, sous un capuchon l’on ne voyait qu’une face blanche qui avait l’air de rire, nous nous taisions tous, quand elle eut franchi une trentaine de mètres je sursautai, moi qui croyais qu’elle s’appuyait sur un long bâton, compris que sa main décharnée tenait… vrai de vrai, une faux ! C’est alors que dans le silence glacial retentit la voix moqueuse de la jeune Alice Grandjean :

              _ Tiens la vioque qui revient ! On va encore avoir droit à une leçon de morale !

    Et à notre profonde stupéfaction un dialogue s’engagea entre cette vieille femme, pour ne pas dire la Mort, mais qui pourrait la nommer autrement !

    • Insupportable gamine, veux-tu bien rentrer dans ta tombe immédiatement, dépêche-toi où je me fâche !
    • Tu dis toujours ça et rien ne se passe ! Si tu crois m’intimider avec tes menaces à la noix, tu ferais mieux de fermer ton claque-merde !

    Je me serais bien insurgé contre cette grossière façon de parler, la jeunesse se doit d’être déférente envers une vieille femme, fût-elle, et peut-être à plus juste raison, la Mort, mais Olivier Lamart devinant mon intention me fit signe de me taire.

               _ Ecoute petite, ce n’est pas parce que tu bénéficies d’un traitement de faveur que tu dois exagérer ! File-moi sous la pierre que je ne t’entende plus de la soirée !

               _ Pas question, des journalistes sont venus m’interviewer, je profite de l’occasion pour discuter un peu, on s’ennuie un max chez toi ! Messieurs, j’attends la question suivante !

    58

    Olivier Lamart : je me suis permis de m’immiscer dans cet invraisemblable dialogue :

               _ Alice Grandjean, je ne comprends plus rien, vous nous avez déclaré que vous étiez morte, tuée dans un accident de voiture, et je vous vois traiter avec désinvolture une vieille femme d’un âge respectable, seriez-vous des comédiennes en train de répéter une scène de théâtre pour la fête de fin d’année du lycée. Quant à vous madame, votre déguisement est certes très réussi, je me demande ce vous venez faire dans cet accoutrement digne d’Halloween dans ce cimetière !

               _ Je suis ici chez moi, par contre il ne me semble pas que vous soyez propriétaire d’une concession à perpétuité par ici, alors filez vite avant que je ne me fâche !

               _ Madame, laissez-nous faire notre travail de journaliste, en plus je vous avertis nous avons une permission spéciale du Président de la République pour pousser le plus loin possible nos investigations sur la personne d’Alice Grandjean !

    59

    Le Chef allumait un nouveau Coronado :

              _ Lorsque j’ai vu sa main se crisper sur la hampe de la faux je ne donnai plus très cher de la vie de Lamart, mais non elle s’est calmée.  Je suis curieux de savoir comment ils ont continué l’article, tenez lisez agent Chad, ce Coronado demande à être savouré avec soin.

    60

    Je me saisis du Parisien Libéré que me tendait le Chef, m’éclaircit la voix et entrepris de lire les quelques paragraphes qui terminaient le récit de nos deux chieurs d’encre, ainsi les appelait Jean Lorrain l’auteur de Princesses d’ivoire et d’ivresse :

    Donc toujours d’ Olivier Lamart : C’est à ce moment-là que les deux membres du SSR qui nous avaient invité à cette soirée commencèrent à tirer, des espèces de balles explosives qui arrachaient des morceaux du corps de la vieille femme, il en volait de tous les côtés, il nous a semblé qu’ils tentaient de se regrouper afin de reconstituer le corps, le plus terrible c’étaient les deux billes rouges – nous comprîmes au bout d’un instant que c’étaient ses yeux totalement dissociés et qu’une fois qu’elle les aurait réunis - quel cauchemar ces deux mains osseuses qui tentaient en vain de les saisir – nous serions en danger de mort, nos deux tireurs amorcèrent d’ailleurs une retraite sans s’arrêter une seconde de faire feu vers la sortie du cimetière, nous étions suivis par des lambeaux de squelette, des haillons de tissus noirâtres et ces infernales petites boules qui rougissaient de plus en plus férocement.

    Martin Sureau : une fois que nous eûmes la grille franchie, cette vision d’horreur s’évanouit… dans la voiture personne ne dit mot… Nous sommes revenus au plus vite au journal pour écrire cet article…

    Olivier Lamart : nous étions interloqués par le déroulement de cette soirée. Après en avoir longuement discuté entre nous nous sommes mis d’accord sur les trois points suivants :

    1°) Peut-être avons-nous été victimes d’une manipulation due au savoir-faire de l’Agent Chad et de son Chef.

    2°) Si ce n’était pas le cas, cette enquête remet en cause bien des certitudes sur lesquelles repose notre société.  Elle risque de saper la confiance que tous les citoyens éprouvent pour ainsi dire naturellement envers les autorités de l’Etat et de déboucher sur une crise politique de grande ampleur.

    3°) L’affaire est si extraordinaire que nous avons décidé de poursuivre cette enquête jusqu’au bout. Nous sommes certains que nous parviendrons à dissiper et à expliciter tous les mystères de cet étrange fait-divers. Rien ne saurait résister à l’analyse d’une pensée rationnelle. Nos lecteurs peuvent compter sur nous, il n’est nul besoin de s’affoler, nous parviendrons incessamment sous peu à repérer les investigateurs cachés dans l’ombre qui tirent les ficelles de ce scénario digne d’un film de Zombies. Nous sommes sûrs que nous communiquerons bientôt à nos lecteurs des révélations qui ramèneront ces étranges évènements à ce qu’ils sont en vérité : au-travers de puissantes mises en scène des actions d’intoxication du peuple français venues d’une puissance étrangère.

    Olivier Lamart et Martin Sureau.

    61

    Le Chef ralluma un nouveau Coronado :

               _ Avez-vous remarqué le changement de ton entre le début de l’article et la péroraison finale en trois points, je suis sûr qu’ils ont passé un coup de fil à Octave Rimont Commandant en Chef de la Gendarmerie de Seine & Marne qui s’est tout de suite mis en rapport avec l’Elysée qui a ordonné de minimiser cette affaire, décidemment plus nous avançons plus cette affaire se corse comme dirait Napoléon ! Agent Chad nous ne sommes pas encore sortis de cette auberge !

               _ Absolument d’accord avec vous Chef, mais cette fois-ci nous possédons un fil d’or que les autres seront incapables de discerner et qui nous mènera droit au cœur de l’imbroglio !

              _ Agent Chad, je double la mise, nous en possédons deux !

    A suivre…

  • CHRONIQUES DE POURPRE 580 : KR'TNT 580 : BILL GRAHAM / HARLEM GOSPEL CHOIR / SEX PISTOLS / GUIDED BY VOICES / BABY WASHINGTON / ROCKABILLY GENERATION NEWS 24 / HOT CHICKENS / OSE / CARACARA / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 580

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    22 / 12 / 2022

             BILL GRAHAM / HARLEM GOSPEL CHOIR

    SEX PISTOLS / GUIDED BY VOICES  

    BABY WASHINGTON

    ROCKABILLY GENERATION NEWS

    HOT CHICKENS / OSE / CARACARA

    ROCKAMBOLESQUES

     

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    Pas de gras chez Graham

     

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             Grand organisateur de concerts devant l’éternel, Bill Graham reste aux yeux de tous l’un des personnages clés de la grande saga du rock. Pour s’en convaincre définitivement, il suffit simplement de lire son autobio, un puissant book de 500 pages, Bill Graham Presents: My Life Inside Rock And Out. Puissant car publié sous forme d’oral history, donc vibrant, et la voix de Graham, c’est pas de la gnognote, amigo. Graham est un sacré gueulard, un déplaceur de montages, un rescapé de la mort, un authentique admirateur de grands artistes, un homme à idées, un homme clé, il est toujours là quand il faut, même s’il n’organise pas : Woodstock, Monterey, il s’y rend, pour voir, mais c’est lui qui fait The Last Waltz, qui fait le Live Aid, qui fait les Pistols au Winterland, et bien sûr tous les concerts légendaires aux deux Fillmore, l’East et le West, et quand on dit légendaires, ça veut dire Jimi Hendrix, Sly & The Family Stone, Miles Davis, plus toute la scène de San Francisco dont il est l’un des accoucheurs, et par la suite, il va emmener les Stones et Dylan en tournée. Le book est passionnant, Graham apporte des éclairages fantastiques sur pas mal d’artistes et d’événements, et à aucun moment, il n’envisage de lâcher la rampe, même s’il finit par fermer ses deux Fillmore. Pourquoi ? Parce qu’il ne supporte pas de voir changer les mentalités de ses interlocuteurs. Dans les années 80, le biz commençait en effet à évoluer, mais pas dans le bon sens.

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             On trouvera le vrai Bill dans les pages où il relate lui-même des incidents. Tiens on va en prendre un au hasard pour commencer. Première tournée américaine de Cream en 1967. Bill les fait jouer cinq soirs de suite au Fillmore West avec le Paul Butterfield Blues Band en tête d’affiche. Puis il met Cream en tête d’affiche six soirs de suite avec l’Electric Flag et Gary Burton. Six mois plus tard, il les refait jouer au Fillmore avec James Cotton et Blood Sweat & Tears. Le problème, c’est leur manager, Stigwood. Sur le côté de la scène, Bill a fait installer six chaises pour ses frangines et leurs maris. Stigwood se pointe entouré de deux gardes du corps et demande pour qui sont prévues ces chaises et on lui répond «Pour la famille de Monsieur Graham.» Alors un émissaire de Stigwood vient trouver Bill et lui dit : «Excusez-moi Bill, vous voyez, là-bas, c’est Robert Stigwood, the manager of the Cream. Il aimerait s’asseoir sur ces chaises. Je sais qu’elles sont prévues pour vos sœurs, mais vous pourriez peut-être trouver un autre arrangement ?». Alors Bill lui répond : «Pouvez-vous trouver un autre arrangement pour Monsieur Stigwood ?». L’émissaire le reprend : «No no no, il aimerait que ce soit VOUS qui trouviez un autre arrangement pour votre famille.» Alors Bill qui en a vu d’autres lui balance : «Dites-lui que ce n’est pas possible. Le show va commencer.» L’émissaire fait plusieurs allers et retours et finit par dire à Bill que Monsieur Stigwood se sent insulté - Savez-vous qui il est ? - Bill lui répond que oui, il sait qui il est. «Je suppose qu’il sait aussi qui je suis. Donc il doit savoir qui sont mes sœurs. Voulez-vous aller lui dire que mes sœurs ne bougeront pas de leurs chaises ?». Alors l’émissaire revient voir Bill et lui annonce que le groupe ne jouera que si son patron récupère ces chaises. Alors Bill installe ses sœurs sur les chaises, récupère quatre mecs de la sécurité et va trouver Stigwood pour se présenter : «I’d like to introduce myself.» Stigwood lui répond : «Yes, je sais qui vous êtes, Bill.» Alors le grand Bill abat son jeu : «Good. Soyons-en sûrs. Je suis Bill Graham. Vous êtes Robert Stigwood. C’est votre groupe. Ces trois dames sur scène, sont mes sœurs. Vous ne pouvez pas insulter mes sœurs de cette façon. Maintenant vous devez prendre une décision. Soit vous quittez cette salle tout seul, soit je vous fais sortir de force.» Et pouf, il le fait sortir de la salle, accompagné par deux de ses gros bras. Bill va ensuite trouver les trois Cream dans la loge pour leur expliquer ce qui vient de se passer et Ginger Baker résume la scène en une seule phrase : «Really? That’s marvellous. That IS marvellous.»

             Bill règle tous les problèmes d’homme à homme et le book grouille de problèmes, alors Bill monte au front et affronte les cons et puis aussi les connes, ça grouille sur la planète, tu n’as pas idée, et le book devient vite fascinant, rien que de voir cet homme à l’œuvre. On croit tous que le rock, c’est une amusette, un truc sympa, des guitares, des belles fringues et de la jolie musique, mais en fait, c’est un extraordinaire foutoir et il faut des gens de la trempe de Bill pour tout débloquer, tout orchestrer et épargner aux gens le spectacle du foutoir généré par les cons. C’est la raison pour laquelle il a besoin de ces 500 pages pour en parler. Comme le disait si justement Léon Bloy : «Il y a trop d’imbéciles, on ne peut pas tous les rosser.»   

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             Un autre épisode : Bill vient de lancer le Fillmore Eat à New York et il fait le tour du pâté de maisons pour voir si tout va bien. Il repère quatre kids de 10-12 ans qui donnent des coups de talon dans l’une des portes de secours du Fillmore. Bill leur dit d’arrêter de taper, et il poursuit son chemin. Quand il repasse devant eux, l’un des kids tape encore. T’as entendu ce que j’ai dit ? Et le kid lui répond «Fuck you !». Et il se remet à taper du talon dans la porte. Bill vient se camper devant lui : «Hey !» Le kid arrête et répond : «Yeah ?». Alors Bill lui dit qu’il vient d’acheter le bâtiment et qu’il s’appelle Bill. «What’s your name ?» «Rusty.» Alors il lui parle d’homme à homme : «Rusty, mettons les choses au clair. Je ne veux pas de cette merde ici.» Puis il leur demande à tous les quatre s’ils vivent dans le quartier. Et pouf c’est parti. Bill a établi le contact. Il leur propose aussitôt un petit job, surveiller la rue où on décharge les camions. Vous voulez voir les shows ? Vous entrez dans le bureau et vous y allez. Ici on fait gaffe aux camions et au bâtiment. Ça vous dit de surveiller ? Et pendant trois ans , les kids vont surveiller la rue pour Bill. Ils vont donner un coup de main à décharger pour quatre bucks an hour et vont voir presque tous les shows. «Je n’ai plus jamais eu de problèmes avec eux.» Voilà Bill. C’est ce genre de mec. 

             Ahmet Ertegun l’admire énormément : «Bill Graham n’avait peur de rien. De rien. Comme un guerrier invincible, il affrontait n’importe quelle situation, il passait à travers tout. Syndicats, gros durs, tout. Je le considère comme l’une des vraies légendes du rock’n’roll, parce qu’il disposait d’une incroyable vitalité et d’une forte personnalité. Bill Graham était un immigrant qui vint aux États-Unis avec des idées et des espoirs, et qui trouva une niche extraordinaire. Il s’est construit un monde.» Difficile d’imaginer plus bel hommage, surtout de la part d’un homme qui comme Bill vient de loin. Turquie pour l’un, Allemagne pour l’autre.

             Quand Ahmet dit que Bill ne craint personne, il s’appuie sur des faits réels. Quand Bill s’installe à New York, les Hell’s Angels ont un QG dans le même secteur. Bill programme un concert du Dead, et les Angels veulent entrer gratuitement. Chez Bill, tout le monde paye sa place. C’est la règle. Les Angels gueulent : «Open the fucking doors !». Et Bill leur dit non. Il fait face à une énorme meute. Il reçoit soudain une chaîne en pleine gueule. Il sent le sang couler. Mais il ne bronche pas. Il s’essuie le visage de la main et continue de les fixer du regard, sans rien dire. Rien ne se passe, alors que ça pouvait dégénérer. Silence. Alors ils s’en vont. «À partir de cet instant, nous dit Bill, je n’ai jamais plus eu de problèmes avec les Angels à New York. Comme j’avais tenu bon, ils sont allés tenter leur chance ailleurs.» Il a aussi de sérieux problèmes avec un gang anarchiste qui s’appelle The Motherfuckers. Comme il réclament un droit à s’exprimer, Bill leur file un bureau à l’intérieur du Fillmore, à l’étage. Ils font une feuille ronéotypée qu’ils distribuent dans les concerts. Et puis un jour, Bill tombe sur un texte qui ne lui plaît pas du tout : «On a entendu dire que Bill Graham a perdu ses parents dans un camp de concentration pendant la guerre. C’est une honte qu’il ne soit pas allé avec eux.» Alors Bill les vire du Fillmore à coups de pieds au cul.

             Oui, car Bill est un juif allemand rescapé de la Seconde Guerre Mondiale. Il fit partie d’un petit groupe d’enfants juifs envoyés en France, quand c’était encore possible. Le groupe gagnera ensuite l’Espagne puis l’Afrique du Nord. C’est à partir de Dakar qu’il rejoindra les États-Unis, à bord d’un navire. Il sera l’un des onze survivants du petit groupe d’enfants juifs. Il donne tous les détails. Il faut lire ça.

             Un autre incident captive bien l’attention : une équipe est en train de tourner Last Days At The Fillmore et Mike Wilhelm vient demander à Bill de mettre les Charlatans à l’affiche du dernier concert prévu au Fillmore. Wilhelm est habillé en biker, avec la casquette en cuir et les clous. Bill lui dit qu’il n’y a plus de place. No room. Ils échangent quelques mots et Bill lui dit qu’il préfère mettre au programme des groupes qu’il a déjà vus et qu’il aime bien, et donc les gens les aimeront bien aussi. Le problème c’est qu’il n’a jamais vu les Charlatans. Pas de chance. Alors, dépité, Wilhelm lui répond : «Yeah, well, well, I’d just like to say ‘Fuck you and thanks for the memories, man’, you know?» Bill raccompagne Wilhelm à la porte et lui dit : «La prochaine fois que tu me dis ‘Fuck you’, j’espère qu’il n’y aura pas de caméras dans les parages. Je te péterai les dents et te les enfoncerai dans les trous de nez, fucking animal !». Et Wilhelm lui dit : «Mais je ne te hais pas !». Bill enrage : GET OUTTA HERE! Sors d’ici immédiatement ! Viré le biker. Bill déteste qu’on lui manque de respect.

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             Last Days At The Fillmore vaut le coup d’œil, presque deux heures qui te font regretter d’avoir raté tous ces concerts, car c’est du haut niveau de San Francisco. Le film est sur YouTube,  on ne perd pas son temps à le visionner. Surtout qu’on voit Bill superstar régler ses problèmes au téléphone avec des gens qui ne respectent pas leurs engagements. Fuck yourself ! Tous les plans scéniques sont passionnants, ça commence avec Cold Bood et cette blonde qui y va, une vraie Soul scorcheuse, big bassman derrière, section de cuivres, c’est du solide. Même chose pour Boz Scaggs, l’ex-Steve Miller Band, il joue un immense balladif de big American rock avec un feeling inexorable, il chante à l’accent tranchant - get up make my life shine - il passe un solo magistral et c’est cuivré de frais. Avec The Elvin Bishop Band, il est la révélation du movie. On comprend que Bill ait craqué pour ces gens-là. Cold Blood, Boz et Elvin Bishop, c’est déjà énorme. On passe aux stars avec Hot Tuna. Bill les présente, Papa John Creech, Jack the crack sur sa basse Guild et «the sex symbol of Sandinavia, Jorma Kaukonen». Une sous-Janis avec des gros seins arrive sur scène : c’est Lamb, puis tu as Quicksilver, l’aristocratie psychédélique de San Francisco. Et bien sûr on s’ennuie comme un rat mort pendant It’s A Beautiful Day et le Grateful Dead. La tête d’affiche n’est autre que Santana. Carlos et son gang sont, avec le Dead, les grands chouchous de Bill. Et entre deux plans scéniques, Bill rappelle qu’il fit partie d’un groupe de 60 Jewish kids exfiltrés d’Allemagne quand c’était encore possible et seulement 11 sont arrivés vivants à New York. 

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             Après être entré aux États-Unis en 1941, Bill change de nom et grandit à New York. Il trouve le nom de Graham dans le bottin téléphonique. Comme il s’appelle Wolfgang Grajonca, les gens le charrient, «Hey junkie !». Il cherche un nom approchant en Graj ou en Grak et pouf, il tombe sur Graham - Je voulais un nom simple. Mais je le vis mal depuis, car je n’aime pas ce nom. Je l’ai jamais aimé. Je préférais Grajonca. Mais je n’aimais pas ce que les gens en faisaient - Toute la première partie du book est passionnante, car il entre bien dans tous les détails. Sa première passion est la musique latino, et un club, The Palladium, «at Fifty-five and Broadway, it cost a buck-fifty to get in.» Il raconte qu’il allait au Brooklyn College puis rentrait à Manhattan. «Go to the Palladium, throw my books into the checkroom and dance for hours on end. Till three or four in the morning.» Il ajoute qu’il lui arrivait d’aller directement au collège le lendemain matin. Nuits blanches au Palladium ! C’est extrêmement bien raconté, on se croirait chez Mezz Mezzrow. Il est dingue de Machito, de Tito Puente, de Tito Rodriguez - Everybody dancing and dancing and the entire ballroom would get off. We weren’t all making love at once but we were in the eye of this wonderful storm. Dancing inside this great groove. Time out, world - Et il continue : «Au milieu d’une chanson l’orchestre s’arrêtait, sauf le bassiste. Mais tout le monde continuait à danser. On claquait des mains pour garder le tempo et tout le monde succombait au charme de cette musique, des milliers de gens. On gardait le tempo pendant le solo de basse et l’orchestre revenait. Des milliers de gens. Tout le monde se sentait bien. Everybody felt so good.» Ce passage est capital, car il éclaire le destin de Bill : avec ses Fillmore, il va tenter de recréer ce qu’il vivait au Palladium : l’everybody felt good. Bill ne pense qu’aux milliers de gens dans la salle. «The Palladium a transformé ma vie.»

             D’où le Fillmore. Il commence par organiser ce qu’il appelle des benefits pour The Mime Troupe. Le Fillmore Auditorium appartient alors à un black, Charles Sullivan et Bill va le lui louer pour organiser ses premiers concerts, de décembre 1965 à juin 1968. C’est l’aube de la Scène de San Francisco. Pour son second benefit, il a Grace Slick and Darby Slick and the Great Society, the Mystery Trend avec Ron Nagle, et Frank Zappa le second soir. La grande spécialité de Bill va être de constituer des affiches hétéroclites. Quand il se sépare de Ronny Davis et de la Mime Troupe, il continue tout seul au Fillmore Auditorium. Pour le concert de fermeture, il a Creedence, Steppenwolf et It’s A beautiful Day. Le lendemain, il ouvre le Carousel qu’il rebaptise le Fillmore West, avec à l’affiche le Paul Butterfield Blues Band et Ten Years After. Il peut faire entrer 28 000 personnes dans son Fillmore. C’est Bill qui invente les light-shows et les posters, en plus du reste. Il est à lui tout seul une petite révolution culturelle. Quand il ouvre le Fillmore East à New York, il ambitionne de créer un Apollo pour les blancs - À l’Apollo on disait aux musiciens : «Tu as un truc à dire ? Monte sur scène et dis-le !». Quand tu montais sur scène au Fillmore East, tu savais ce que ça voulait dire. Sound, lights, special effects, light show. You want to show the world your stuff? Do it here. Le Fillmore East est devenu ce que j’espérais. Mais le prix à payer était trop élevé.

             Bill fait même du Fillmore une profession de foi, il est incroyablement déterminé : «À cette époque j’avais 35 ans. Ma génération avait été une génération passive. Mais sur les campus et in the Haight, les peintres et les musiciens s’agitaient, ils voulaient quelque chose de différent, ils ne voulaient pas suivre le modèle de la génération précédente. J’étais là à cette époque de ma vie, l’enjeu était beaucoup plus important que de réussir dans la vie. J’avais sous les yeux de théâtre de la vie. It was a living theater. Everybody was REAL.» Cette notion d’everybody est fondamentale. Bill ne se situe que par rapport à l’everybody. Le collectif, the people, c’est tout ce qui compte. Quand dans Last Days At The Fillmore, on le voit marcher à travers la foule qui fait la queue pour entrer au Fillmore, la caméra est sur son épaule et franchement, tu as l’impression de suivre le Christ, c’est une scène très particulière, les gens savent qui est Bill et lui montrent un immense respect.

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             Comme Totor, Bill est un fervent admirateur de Lenny Bruce. Quand il réussit à le faire jouer au Fillmore, c’est peu de temps avant la fin : «Je ne peux pas dire qu’il ait été bon sur scène. The performances were like eulogies to himself. Les gens n’ont vu qu’un artiste diminué par le harcèlement (a person who had been fucked with for a very long time). It was the living death of a genius (Un génie en train de mourir sur scène). Il s’est attaqué à la loi et il a perdu.» Bill ajoute que les Mothers Of Invention ont sauvé la soirée. «Lenny Bruce était nu sur scène, et vaincu. Six semaines plus tard, il était mort.»

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             À la demande de l’Airplane, Bill devient leur manager. Mais la relation est houleuse car comme le dit Bill Thompson, Bill ne les comprend pas - They had horrible fights - Pour Thompson, Bill était celui qui a rendu possible l’éclosion de la scène de San Francisco, «sans lui, rien n’aurait pu exister, mais il ne les comprenait pas». L’Airplane ne veut pas signer de contrat avec Bill. No way. Paul Kantner dit aussi que Bill ne comprenait rien au fonctionnement de l’Airplane qui était basé sur l’acceptation réciproque de tous les travers - Bill avait ses manies et nous avions les nôtres. Parfois, on s’entendait bien, parfois on ne s’entendait pas - En 1966, tous les groupes déboulent à San Francisco. Dave Rubinson rappelle que les meilleurs étaient Moby Grape et Steve Miller - Big Brother was terrible, c’est-à-dire pas terrible. The Airplane was terrible. The Warlocks who then became Grateful Dead were terrible. All these people, they were horrible - C’est aussi ce que dit Sly Stone qui est à cette époque producteur : il ne supporte pas d’entendre les Warlocks et les autres hippies. Il les considère comme des amateurs. Le seul groupe qui trouve grâce à ses yeux, c’est The Beau Brummels. Rubinson dit aussi que tous ces groupes jouaient du blues mais qu’ils ne savaient pas le jouer. En plus de Moby Grape et de Steve Miller, il salue aussi Sons Of Champlin.

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             Quand Bill programme Otis au Fillmore en décembre 1966, il tombe à genoux : «By far, Otis Redding was the single most extraordinary talent I had ever seen. There was no comparison. Then or now.» Bill raconte Otis sur scène, avec 18 musiciens, «the black Adonis, en costard vert, chemise noire, cravate jaune, he moved like a serpent. A panther stalking his prey. Knowing he was the ruler of the universe. Beautiful and shining, black, sweaty, sensuous, and passionate.» Bill n’en peut plus, c’est à longueur de page, et il ajoute : «C’est en voyant Jimi Hendrix que j’ai réalisé qu’Otis était là avant lui. Jimi fut le premier à avoir un public de blanches qui le désiraient ouvertement. Mais Otis was the predecessor.» Bill se souvient de ses trois soirs au Fillmore : «That was the best gig I ever put on in my entire life. Je le savais alors. Aucun doute là-dessus. Otis pour trois soirées au Fillmore. C’était aussi bon qu’une bonne partie de cul avec une femme qu’on aime vraiment. So was that.»

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             Bill fait aussi découvrir les Staple Singers aux Frisco kids - Mavis Staples for me was the same class as Aretha. They worked with Rahsaan Roland Kirk and Love - Il programme aussi Howlin’ Wolf - It was amazing - Bill récupère les numéros de téléphone de tous ces géants qui ne bossent pas avec des agences. Wolf lui refile par exemple le numéro de Big Joe Williams. Bill explique aussi qu’en 1966, les kids de 17 ans ne savaient pas qui étaient Chuck Berry, B.B. King ou Albert King. Mike Bloomfield et Jorma Kaukonen n’en finissent plus d’insister auprès le Bill : «Chuck Berry doit jouer au Fillmore !». Mais Chucky Chuckah ne veut pas venir jouer. «The Fillmore, man ? I don’t know.» Alors Bill prend l’avion et va le trouver chez lui à Wentzville, dans le Missouri. Chucky Chuckah accepte de venir jouer à trois conditions : tu fournis l’orchestre, tu fournis the Showman Amp et tu fournis la Cadillac à l’aéroport. Bill parvient aussi à faire venir Muddy Waters au Fillmore, à l’affiche avec Butterfield et l’Airplane - Tous les musiciens voulaient voir Otis, mais ils voulaient aussi tous jouer avec Muddy Waters. Otis Spann l’accompagnait et ils ont joué «Hoochie Coochie man» et «I’m A man», I spell M-A-N. Muddy was awsome - Et dans sa lancée, il ajoute : «Muddy was a lot like John Walker. He was older. He had that regal presence. He had lived throught a lot of shit but he didn’t make the world pay for it. Butterfield revered him. Il y a deux ou trois noms dans le business qui figurent on the top ten list of every musician I know. Muddy was one of those people.»    

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             C’est Bill qui lance Janis au Fillmore. Il la compare à Piaf - Au début, il n’y avait pas de stars. Les groupes jouaient, c’est tout. Puis ça a commencé. On la considérait comme une déesse. Ça a dû avoir un effet sur elle. Elle n’avait pas le choix, de toute façon. Elle est devenue star malgré elle. Les filles s’habillaient et se coiffaient comme elle. Ce n’était pas la même chose que Judy Garland ou Billie Holiday qui chantaient dans des clubs. Janis chantait dans toutes ces grosses salles qui sont apparues pendant les sixties. Le résultat est qu’une blanche originaire de Port Arthur, au Texas, est devenue une reine sociologique internationale. Mais elle était restée telle qu’elle était avant la starisation - Chet Helm, le boss de l’Avalon qui avait fait revenir Janis à San Francisco, pense que the Albert Grossman organization qui avait mis le grappin sur elle voulait en faire «the white Billie Holiday, the Blues singer. Down and out and junked out.»

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             Même plan avec Jimbo. Bill se dit big fan - De toute évidence, la gloire l’a affecté au point qu’il ne pouvait plus la supporter. À l’origine, Jim voulait être réalisateur, écrivain et poète. Mais soudain, le monde entier l’idolâtrait. Il fut le premier male sex symbol in rock. He and Hendrix -  Lors d’un concert à Cleveland, Jim dit qu’il vient de réaliser que toutes les femmes présentes dans la salle voulaient baiser avec lui. Même problème avec Jimi Hendrix, le premier artiste noir désiré massivement par des femmes blanches - They wanted to fuck him as a unit. After Otis, he was the first black sex symbol in White America - Quand Otis et Jimi ont disparu prématurément, ça a dû arranger pas mal de gens. On reste dans les monstres sacrés avec Miles Davis que Bill fait jouer au Fillmore West avec Stone the Crows et le Dead. L’idée de Bill était de faire découvrir la musique de Miles aux fans du Dead, mais l’idée ne plaisait pas à Miles. Alors Bill doit aller le voir pour le convaincre - Aller voir Miles, c’est comme d’aller voir le Dalai Lama. Obtenir un rendez-vous, ça peut prendre quatorze ans et demi. Tournez à gauche deux rues plus loin. Trouvez une cabine et appelez. On vous dira où aller. Mais rien de sûr. Il est peut-être là. Il devrait être là. J’ai fini par le rencontrer sur 127th Street and Lennox Avenue, à Harlem - Bill parvient à le convaincre car il lui parle de ses premières amours, Tito Punente, Celia Cruz et Dizzy Gillespie.

             Puis Bill fait jouer Roland Kirk - He destroyed me. La première fois, ce fut au Fillmore Auditorium en 1967. Comme j’avais aussi l’Airplane qui remplissait systématiquement, je pouvais programmer qui je voulais - Alors il programme the Afro-Haitian Ballet et en ouverture, Roland Kirk - Il arriva dans l’après-midi. Forte personnalité. Aveugle de naissance, je crois. Il portait des lunettes noires très bizarres, une robe africaine et une casquette tribale. Il parlait énormément, à propos des injustices, du racisme, de la fraternité et de l’égalité. Mais il était en colère. Comme Nina Simone - Jonathan Kaplan ajoute que Roland Kirk fut le meilleur concert qu’il ait vu au Fillmore - He could play anything.

             Après la fermeture des deux Fillmore, Bill et son équipe vont faire tourner les plus grands artistes de l’époque à travers les États-Unis : Dylan, CSN&Y, puis George Harrison.  

             Bien sûr, Bill ne touche pas aux drogues. Il ne boit que des trucs qu’il décapsule lui-même, il sait que les gens versent de l’acide dans les verres. Jerry Garcia : «La première fois que j’ai vu Bill, c’était à l’Acid Test de Longshorsemen’s Hall. Tu vois ce mec cavaler partout avec un clipboard, au milieu d’une total insanity, I mean total, wall-to-wall, gonzo lunacy. Tout le monde était défoncé sauf Bill. And I was having the greatest time in the world.» Bill qui est curieux va quand même tester les drogues : «Acid is heavy stuff. Je sais que j’ai une forte constitution, aussi pouvais-je gérer ça. J’ai fini par découvrir que je pouvais prendre certaines drogues, comme la mescaline, que j’aimais beaucoup. C’était parfait quand j’avais un peu de temps libre. Je mangeais un magic cookie et me sentais bien, pas d’effets secondaires and no bif to-do. Je me sentais vraiment bien pendant quelques heures. Mais je n’avais pas beaucoup de temps libre.»

             Un autre gros pathos tourne autour de The Last Waltz et de l’ego de Robbie Robertson. Selon Bill, Robertson a un énorme problème d’ego. Le projet part d’une idée de Robertson : concert d’adieu du Band après 16 ans on the road, avec des invités de prestige. Comme c’est organisé au Winterland, c’est Bill qui fait tout le boulot, et bien sûr, ça n’apparaît pas du tout dans ce film que «produit» Roberson et que tourne Scorsese. Un peu après le concert, on dit à Bill que Robertson veut lui parler au téléphone. Bill dit ok, alors qu’il appelle. Roberston finit par appeler et la conversation dégénère. Bill perd patience et lui balance ses quatre vérités. Toute la tirade qui suit est en capitales dans le book, ça veut dire que Bill gueule dans le téléphone : «You forgot to say Thank you, you Motherfucker! On a tous bossé comme des nègres pour toi et tu saluais la foule parce que tu es l’entertainer et tu as eu le culot de quitter le building sans dire merci à personne ? On t’a tout donné à l’œil ! Tout ! T Et tu n’as même pas été foutu de dire merci !» Bill lui raccroche au nez, «and that was it. It was the last time I ever talked to him.» Bon débarras.

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             Alors il faut voir The Last Waltz, même si on n’est pas trop fan de The Band. Des grandes stars de l’époque sont au programme : Doctor John qui a invité Bobby Charles (mais on ne le voit pas, le pauvre Bobby), Paul Butterfield, Muddy Waters, Clapton, Neil Young, Joni Mitchell, Neil Diamond et Van Morrison. Bill se dit très impressionné par Van the man - If you catch him on a good night, there is nobody like him - Il est aussi frappé par le talent des autres - La veille, lors des répétitions, I heard some of the greatest performances of all time. Muddy Waters, Doctor John and Joni were awsome - Pour Bill, The Last Waltz n’était pas un concert, «it was a night to remember. Robbie missed it. Scorsese missed it. J’ai essayé de leur expliquer cette nuit-là, Mais c’était comme de parler à un mur. Bon j’arrête de m’énerver avec ce truc-là.»

             Le film est très pénible. The Band est une épouvantable bande de frimeurs. Nombreux sont les gens par ici qui n’ont pas compris qu’un groupe aussi passe-partout ait pu avoir une telle renommée. Et puis quand on voit Robertson sur scène, on comprend que Bill n’ait pas pu le schmoker. Quel frimeur ! Enfin bref, ils font venir sur scène le vieux Ronnie Hawkins qui les fit démarrer comme backing band, c’est du sans surprise, avec «Who Do You Love». On est presque dans une caricature du rock américain. Ce ballet aseptisé de célébrités est tout ce qu’on déteste. Tu vas voir défiler les pires : Clapton, Ron Wood, et même Neil Young ne passe pas. Par contre, tu en as quelques uns qui parviennent à sauver l’honneur, enfin leur honneur, dans ce piège à cons, le premier étant Doctor John, en nœud pap rose et coiffé d’un béret, fantastique présence, il pianote comme Fess et ramène le jive de la Nouvelle Orleans dans cette foire à la saucisse. On voit hélas trop brièvement les Staple Singers et Pops chante un couplet qui fait oublier pendant une minute toute la frime des petits culs blancs. Van the Man tire aussi très bien son épingle du jeu, à l’époque, il est encore jeune et massif. On voit encore trois géants, Neil Diamond qui ramène tout le prestige du Brill, Joni Mitchell qui swingue incroyablement dans sa robe longue de belle hippie, et Butter qui ramène ses vieux coups d’harp de Chicago. Mais le héros de la soirée, c’est Muddy qui n’en finit plus de rocker l’«I Am Man» à coups d’I’m a mannish boy, d’I’m a hoochie-coochie man et d’I’m a rolling stone, comme si à lui seul il résumait toute l’histoire du rock américain. Et puis tu as aussi Dylan sous un chapeau blanc, pas sa meilleure époque, sur scène il traficote des petits dialogues complices avec les frimeurs et ça devient assez insupportable. Le concert se termine avec tout le monde en cœur autour de Bob pour une version d’«I Shall Be Released». Même Doctor John et Neil Diamond participent à cette foutaise. 

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             Bill a des ennuis avec Led Zep, surtout avec Peter Grant et ses méthodes de gangster - A lot of male agression came along with their shows - Bill raconte comment Peter Grant vient tabasser l’un de ses collaborateurs. C’est d’une incroyable violence. Au point que Bill craint pour la vie de son collaborateur. On est en plein Orange mécanique. D’ailleurs, Bonham s’habille en Droog. Et pouf Bill organise le concert des Pistols au Winterland de San Francisco. Bill aime bien leur son - They were the kings of punk hill. I liked the rawness, I liked some of their songs. They really kicked ass - Mais il doit se farcir McLaren. Même plan qu’avec Stigwood, l’Anglais prend Bill de haut et c’est une grave erreur. La scène que décrit Bill se déroule dans le backstage, où il rencontre McLaren qui insiste pour le voir - A short Peter Asher. Des taches de rousseur plein la gueule, comme dans une bande dessinée. Il porte un béret et brandit une canne. Assez brillant et bien branché. Il savait dans quelle époque il vivait. «Vous êtes Monsieur McLaren?», et il me répond : «Comment allez-vous ? You’re the Yank ?». Alors je lui dis : «Faites-moi une faveur. Ne m’appelez pas Yank. Call me Bill. Monsieur Graham. Appelez-moi comme vous voulez. Mais pas Yank - Puis Bill en vient directement au problème, car il y a un problème - McLaren dit : «On veut que Negative Trend joue avant nous.» I said : «J’ai entendu dire que vous envisagiez de ne pas jouer si Negative Trend ne jouait pas, c’est bien ça ?». Il répond : «Well, je suis sûr qu’on va trouver une solution» - Bill qui ne supporte pas le chantage va lui baiser la gueule en beauté. Il met Negative Trend au programme après les Pistols, et à la fin du set des Pistols, il dit à son régisseur d’envoyer la musique de «Greensleeves». À San Francisco, chacun sait en entendant «Greensleeves» qu’il faut évacuer la salle, alors la salle se vide complètement, et quand Negative Trend monte sur scène, la salle est vide. Celui qui va baiser la gueule à Bill n’est pas encore né.

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             Bon, il reste les Stones. Le plus gros morceau. Les Stones confient à Bill la tournée américaine de 1981. Bill : «We were dancing with Big Bertha. I mean, this was the Rolling Stones.» La tournée de 1981 est une méga tournée, an all-stadium tour, avec 35 semi-remorques. Bill assiste aux répétitions, à Longview Farm, dans le Massachusetts - J’entrais dans la grange où ils étaient installés and there was that sound. They worked very hard. Ils répétaient pendant des heures et des heures. Je savais alors que j’allais vivre une expérience similaire à celle que j’avais vécue avec Dylan en 1974. Je savais que si le groupe restait en bonne condition et qu’on éliminait tout le bullshit on the road, que s’il n’y avait pas de bras de fer ni d’engueulades, ça allait être énorme - Bien lancé, il continue : «Comprenez-bien ceci : Bill Wyman et Keith Richards n’étaient pas des gens normaux. Ils étaient des Rolling Stones. Ils appartenaient à la royauté depuis vingt ans.» Bill en prend plein la vue avec ces mecs-là. «Tous les deux jours, j’allais courir avec Mick. C’était une expérience nouvelle pour moi, car je travaillais avec un grand artiste aussi bien sur le plan créatif que conceptuel. Mais ils gardaient tout le contrôle. Ils pouvaient opposer leur veto à ce que je proposais. Tout se passait en tête à tête. Il n’y avait pas d’intermédiaire. C’est un peu comme s’ils peignaient. Je pouvais leur dire ce que je pensais des peintures. Et ils me donnaient leur avis.» C’est Bill qui choisit les premières parties. Pour un concert à Rockford, dans l’Illinois, il fait jouer les Go-Gos. Il fait aussi jouer Etta James et les Neville Brothers. Pour une date au Texas, Bill se tape une nouvelle embrouille, cette fois avec Bill Hamm, le manager de ZZ Top. Hamm ne veut qu’un seul Texas band à l’affiche du concert des Stones, et ce sera ZZ Top. Bill est donc obligé de virer Molly Hatchet, alors que les places sont vendues et les T-shirts imprimés. Il les remplace par The Fabulous Thunderbirds - L’émissaire d’Hamm rappelle. Désolé de vous dire ça, mais voici le message. Direct from Bill Hamm. ZZ Top ne joue pas si les Fabulous Thunderbirds jouent. Alors je lui dis : ça ne me pose aucun problème si ZZ Top ne joue pas. Si la presse me pose des question, je leur dirai la vérité sur ce qui s’est passé. Résultat : ZZ Top a joué toutes les dates. Mais comme je l’avais défié, Bill Hamm n’a jamais autorisé ZZ Top à rejouer pour moi. Quand ils jouent à San Francisco, ils bossent avec un autre promoteur - Bill sait tenir tête aux tyrans : «À mes yeux, des gens comme ZZ Top, mais surtout Bill Hamm, incarnent les abus de pouvoir qui sont monnaie courante dans les hautes sphères du rock’n’roll. Et ça continue encore aujourd’hui.» Bill a compris autre chose en faisant tourner les Stones : «Tous les groupes qui ont joué en première partie des Stones ont connu le succès. Ça leur a ouvert le marché. Ce fut le cas pour Stevie Wonder en 1972, pour Muddy Waters, B.B. King et Ike & Turner en 1969, pour les Neville Brothers et Tina en 1981.» Bill fait jouer Iggy Pop en première partie des Stones au Silverdome de Pontiac, dans le Michigan - He was a favourite of Keith’s. Il est arrivé en mini-jupe de cuir et en bas résille - Pour Bill, emmener les Stones en tournée dans le monde entier fut la consécration de sa carrière.

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             Il organise aussi le fameux Amnesty Tour, mais il en sort écœuré. «Aucun projet ne m’a autant attristé et épuisé que celui-là. Rien que de voir ce qui est arrivé à des gens confrontés au big ball game. Il fallait voir la façon dont ils se comportaient et dont ils parlaient aux autres gens. Je ne veux pas passer mon temps à gueuler pour expliquer aux gens qu’ils ont tort et que j’ai raison, mais dans ce cas-là, tellement de gens avaient tort. Les abus de pouvoir à très haut niveau ont battu tous les records.» C’est là que Bill entre en dépression. Il fait un bilan : «Mes problèmes relationnels et la culpabilité que j’éprouve à ne pas pouvoir préserver une relation sentimentale, l’incendie de mes bureaux à San Francisco, le Live Aid en 1985, l’Amnesty U.S.A en 1986, le concert en Russie en 1987, tout cela m’a enfoncé financièrement, mais tous ces événements n’avaient rien à voir avec le profit. Je cherchais une échappatoire.» La cerise sur la gâtö, c’est la rupture de sa relation professionnelle avec les Stones qu’il avait pourtant déjà emmenés en tournée aux États-Unis. Les Stones vont travailler avec une autre organisation et ils n’osent pas le lui dire en face - Ma force reposait sur la confiance que j’avais en moi et sur la foi que j’avais dans mes capacités. Mais cette fois, je me sentais privé de force - Quand il comprend qu’il a perdu la tournée américaine des Stones, Bill dit qu’il pense au suicide. «Pour la première fois de ma vie, ça apparaissait comme un choix. J’ai soudain compris que j’avais passé toute ma vie à ignorer les sérieux problèmes issus de mon enfance. Je me sentais coupable d’avoir survécu alors que d’autres étaient morts.» Bon, il finit par se reprendre, juste avant d’aller casser sa pipe en bois dans un accident d’hélicoptère. Vers la fin du book, il fait en effet un comeback extraordinaire : «My mind is back. J’ai les idées claires. J’ai retrouvé de l’énergie. Mais perdre les Stones, c’était comme de voir ma fiancée préférée devenir une pute.» 

    Signé : Cazengler, Bill gras double

    Bill Graham Presents: My Life Inside Rock And Out. Doubleday 1992

    Martin Scorsese. The Last Waltz. 1978

    Richard T. Heffron& Eli F. Bleich. Last Days At The Fillmore. 1972

     

     

    Besoin de personne en Harlem Davidson

     

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             Chaque fois qu’un Gospel Choir traîne dans les parages, ça recommence : on voit se pointer des solistes capables de rivaliser avec les plus belles stars de l’histoire de la Soul. Le Harlem Gospel Choir est nettement moins puissant que le Mississippi Mass Choir, mais les solistes, hommes comme femmes, sont de véritables bêtes de Gévaudan.

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    Quand ils viennent s’installer au-devant de la scène pour taper un cut en solo, c’est un véritable festival. On ne connaît pas leurs noms. Mais le gros black aux cheveux teints en rouge vaut largement Solomon Burke.

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    La petite black vaut largement Martha Reeves, elle chante avec toute la niaque d'Harlem, celle qui vient faire «Oh Happy Day» envoie l’Happy Day valdinguer dans les étoiles, et puis une grosse black lady vient taper un «Amazing Grace» qui bat tous les autres à la course.

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    Tu as aussi un petit barbu qui fait son Marvin Gaye l’air de rien, et le troisième mec du Choir tape des trucs plus reggae. Alors ça ne rigole plus. Ces gens sont invraisemblables, ils chantent tous et toutes dans des styles différents, et tu te retrouves avec un concert de Soul extravagant. Comme ils rendent hommage à Nina Simone, une big black lady vient taper «Ne Me Quitte Pas» et ça passe comme une lettre à la poste. Ils et elles font tous le show, tous les neuf, et comme ce sont tous des surdoués et qu’ils chantent des énormes classiques, ça monte droit au cerveau. Quand on parle de dimension artistique, il faut savoir de quoi on parle. Tout est là. Tu as d’un côté les vieux groupes français de la soirée New Rose et de l’autre l’Harlem Gospel Choir.

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    C’est malheureux à dire, mais choisis ton camp, camarade. Quand les blacks chantent, ils chantent, ils ne font jamais semblant, on le sait depuis soixante ans et ça se vérifie encore tous les jours, surtout quand on s’immerge dans un océan de grands albums de Soul, de blues, de funk, de gospel et de r’n’b. Sans parler de Sly Stone, de Jimi Hendrix et de Funkadelic. Tous ces gens te remplissent facilement une vie. Tu as de quoi t’occuper quand tu rentres dans la discographie de James Brown ou de George Clinton, quand tu repasses Motown au peigne fin, et puis Stax et Malaco et Hi et Ichiban, tu n’en finis plus de t’extasier, les possibilités sont infinies, et derrière tout ça, tu as un diable nommé Ace qui t’envoie des piqûres de rappel sous la forme de compiles fabriquées par des fans de la vingt-cinquième heures pour les fans de la première heure, et tous les habitués d’Ace le savent, chaque fois ça clique !

             Pour un artiste black, la question du niveau artistique ne se pose jamais : elle est innée. Il fut un temps où c’était pour eux une question de marche ou crève. Tu avais intérêt à être bon pour que les patrons blancs qui possédaient les labels te reçoivent dans leur studio et te payent pour quelques enregistrements. L’histoire de Skip James est l’une des plus parlantes : une bouteille de whisky pour une poignée de cuts qui allaient devenir des classiques du blues. Aujourd’hui, on vit dans un monde où les blancs n’ont même plus besoin de savoir chanter pour devenir riches et célèbres. On ne va pas citer de noms, mais vous les connaissez tous. Le mainstream grouille de gens ineptes. On doit vivre avec ça. De toute façon, on ne peut rien y changer. Le biz fait son biz et nivelle par le bas : télé, musique, tout part à la baisse, mais c’est une baisse qui dépasse toutes les expectitudes. Parce ce que ça correspond à la demande. Ça ressemble étrangement à la décadence de l’empire romain. Toujours le même refrain. Bon on va s’arrêter là, pas la peine d’aller se mettre la rate au court-bouillon.

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             L’Harlem Gospel Choir est accompagné par un beurrreman et un pianiste. À la sortie du concert, tu peux acheter un CD. Aucune information, tu n’y trouveras pas les noms des gens qui chantent. Ni les covers de Nina Simone. C’est encore autre chose. Tu y retrouves l’«Oh Happy Day», avec une bonne approche, mais ce n’est pas la merveilleuse approche scénique. L’«Oh Happy Day» passe un peu à la trappe. Aucune commune mesure avec ce qui se passe sur scène.  La version de «Souled Out» qu’on trouve sur ce CD vaut n’importe quel grand classique de Soul.   Ils prennent le prétexte du Lawd pour groover l’église en bois. Les filles font bien le Souled out, one more time ! I’m souled out ! Dommage qu’on ne trouve pas les noms des solistes. Aucune info non plus sur le site du Choir. La version d’«Amazing Grace» qu’on trouve sur l’album n’est pas non plus aussi brillante que la version live, mais elle lui tord quand même le cou.

    Signé : Cazengler, grosse pelle couard

    Harlem Gospel Choir. La Traverse (76). 30 novembre 2022

    Harlem Gospel Choir. CD Harlemgospelchoir.com

     

     

    Wizards & True Stars

     - Sex pactole (Part Three)

     

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             Ces derniers mois, Luke Haines et John Lydon, les deux plus belles bêtes de Gévaudan du rock anglais, se sont farci la même victime : Pistol, le fameux biopic TV consacré aux Sex Pistols. Crouch crouch ! Dévoré tout cru.

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             On a vu quelques images extraites de ce biopic dans la presse anglaise. Quelle poilade ! C’est d’un ridicule qui dépasse l’imagination. Les faux Pistols de la série TV n’ont strictement rien à voir avec les vrais. C’est tellement choquant qu’on comprend la Haine de Lydon et le souverain mépris d’Haines. Ce dernier consacre d’ailleurs sa chro du mois d’August aux biopics et attaque au «Hail hail the rock’n’roll biopic». Haines commence par dire qu’il y en a un sur cent de bon, et il ne comprend pas qu’avec un taux de réussite aussi bas, des réalisateurs risquent la faillite dans ce genre d’entreprise - I mean, vous avez intérêt à aimer Queen a bit too much to stump up for the horror that is Bohemian Rhapsody - Rassure-toi, Luke, on n’aime pas Queen. Puis il avoue avoir vu le premier épisode de Pistol, «Boyle’s disastrous TV-cation of Steve Jones’ Pistol memoir». Son TV-cation sonne étrangement comme defecation. Sans doute fait exprès, connaissant les pratiques de la main froide. Et il développe : «Voilà qu’arrivent les posh actor kids avec leur double-barrelled names, far too corn-fed and gym-friendly to believely mimic 70s herberts Cook and Jones.» C’est une langue extrêmement riche, comme le fut celle de Léon Bloy au temps où il pourfendait à la hache les prétentieux butors de la scène littéraire, ceux qu’il appelle les Belluaires et Porchers. Pour devenir le roi des pamphlétaires comme le fut Bloy en son temps, il faut une langue magnifique et terrible à la fois, et Luke l’a. Il décrit ensuite un Johnny Rotten «qui ne fait pas peur», la Nancy Steppin Stone et le pire du tout -worst of all - here are the 1976 mohicans. «Comme tous les fools, sauf Danny Boyle, le savent, the mohawk atop an English punk rocker was not seen until at last 1980.» Pas d’iroquoise au temps des Sex Pistols, tout le monde le sait, alors ?

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             Plutôt que d’écouter Nevermind The Bollocks, les gens vont aller voir cette prodigieuse supercherie. Dans Record Collector, John Lydon ne décolère pas. Il est encore plus enragé qu’au temps de «God Save The Queen» et du fascist regiiiime. Six pages d’interview, il commence par voler dans les plumes de Pandemic et des petites arnaques collatérales, celle des masques obligatoires et des vaccins - I like dilemmas, I like issues, I like problems - c’est dans sa nature, c’est grâce aux fucking problems qu’il écrit des chansons. Et puis Johnny Sharp le branche sur le récent combat judiciaire qu’il a mené contre la série TV Pistols et ses anciens collèges Jones, Cook et... Matlock, qui étaient tous les trois favorables à la diffusion de cette fucking TV-cation. Lydon n’y va pas par quatre chemins puisqu’il parle de very perverse, greedy situation. Évidemment, les trois autres font ça pour le blé - Ils sont allés devant un tribunal pour m’empêcher de donner mon avis - Il ajoute qu’il n’a jamais vu aucun script de la série, il ne savait pas non plus qui allait incarner son rôle à l’écran. Il a fini par découvrir sur Internet une image de lui et Nora, sa femme, incarnés par des gens qu’il ne connaît pas. C’est le bouquet ! Il insiste, on ne m’a jamais rien dit de ce projet - That’s fucking evil - Sharp insinue que des gens prétendent lui avoir parlé du projet. Indigné, Lydon se lève. C’est faux ! They did not. Coup d’épée dans l’eau, cause toujours mon bonhomme. On le prévient 4 jours avant la parution officielle alors que le projet est lancé depuis deux ans ! Deux ans que les acteurs ont été engagés et le tournage planifié - How come you left the main man while using his image all over the place? Fucking cunt liar. Et tout ça avec the corrupting influence of Disney’s Money.

             Ce que John Lydon dénonce, c’est à la fois la cupidité de ses anciens collègues et la scandaleuse récupération commerciale du phénomène sociologique que furent les Sex Pistols, la pire forme de récupération qui soit : l’américaine. Les Sex Pistols furent un groupe important pour pas mal de gens, non seulement parce qu’ils avaient du génie, mais aussi parce que Johnny Rotten incarnait parfaitement l’anarchie, qui par définition, est incorruptible. Elle en est même le symbole. Les médias américains se payent une belle tranche d’anarchie à bon compte. Le principe est révoltant. Mais on vit dans ce monde. Il ne faut plus s’étonner de rien. Le seul intérêt que présente ce nouvel épisode du nivellement par le bas est de pouvoir entendre hurler dans les causses notre bête de Gévaudan préférée.

             Le journaliste Sharp qui se prend pour un habile provocateur indique à Lydon qu’il a déjà vu deux épisodes de la TV-cation et, pour enfoncer son petit dard, il ajoute que l’acteur fait une bonne version du Rotten. Ça fout Lydon en rogne d’entendre ça : «Tu parles d’une «version» de moi ? Si tu veux faire ma connaissance, talk to me. Simple as that.» Plutôt que d’écharper Sharp, Lydon réussit miraculeusement à se calmer, et dit avoir chopé le trailer sur YouTube. Ça l’a bien fait marrer - On dirait une bande de middle-class kids in the student union bar (et il prend un accent maniéré) ‘Oh yaaaas, we’ve gawt to offer the kids chaos’, or some crap-arse line like that. It’s absurd! God almighty! - Et là Lydon explose, son poing tombe sur la table et toutes les bouteilles de San Pellegrino s’en vont valdinguer. Il a raison d’exploser, à sa place, on en ferait tous autant, God almighty!, il rappelle qu’il a mené seul un premier combat judiciaire contre McLaren pour réclamer les royalties qui étaient dues au groupe et il a gagné ce combat - I won the case - Mais ça ne s’arrête pas là : il a partagé en quatre, alors qu’il n’était pas obligé - I gave them equal rights as the end result - et bien sûr il ne comprend pas qu’aujourd’hui, les trois autres magouillent dans son dos pour l’écarter du projet de TV-cation. C’est dingue ce que les gens peuvent être retors. C’est dingue comme la nature humaine peut être pourrie. 

             Voyant John Lydon retrouver son calme, Sharp s’éponge le front et retitille la bête. Il fait l’hypocrite et s’inquiète : est-ce que cette sombre histoire de TV-cation ne va pas ternir la réputation des Sex Pistols ? Lydon hésite un moment à lui sauter dessus pour lui broyer la gorge. Il se retient et justesse et lui répond sèchement : «No. Ça va les ternir eux.» Voilà : la sentence est tombée. Les trois autres Pistols sont discrédités à perpétuité. Magnanime, Lydon ajoute que le projet aurait pu être intéressant s’ils l’avaient monté tous les quatre. Mais les trois fourbasses ont préféré agir en douce. Pour Lydon, ses anciens collègues sont «les rats qui coulent le navire». Tant pis pour eux. Lydon était la seule caution amorale du groupe. Plus important encore, il rappelle à Sharp que ces gens-là n’ont jamais été ses amis. Son seul ami fut Sid Vicious. Les autres formaient une petite clique avec McLaren. Ils étaient tous jaloux de la popularité de Johnny Rotten, forcément, c’est lui qu’on voyait en couve du NME et qu’on entendait chanter Anarchy, God Save et les dix autres hits intemporels. Des hits dont il a écrit les paroles. Lydon choisit d’ailleurs le fameux Great Rock’n’Roll Swindle comme exemple pour illustrer son propos : le film a été tourné sans lui. Raison pour laquelle c’est un tas de merde. Ça va loin, cette histoire, car il passe aux révélations : même au cœur de l’action, c’est-à-dire à l’apogée du mayhem, McLaren complotait dans l’ombre pour le remplacer. Pour lui, John Lydon, c’était une épreuve quotidienne que de faire partie des Sex Pistols - I managed to endure it. But as I said, just smile in the face of adversity - Et ça continue, ce sont les mêmes qui dégradent le mythe des Sex Pistols pour en tirer du blé facile, c’est exactement ce qu’ils ont fait avec The Great Rock’n’Roll Swindle. Soudain John Lydon lève les bras en l’air, il redevient le temps d’une tirade le rocker le plus pur d’Angleterre : pour lui, les Sex Pistols étaient un phénomène extraordinaire - It was something ferocious, Society-changing, Culturally significant, historical. And it has now become a silly little TV production - Alors comme le fit Léon Bloy en son temps, John Lydon pourfend les médiocres : «Ils étaient jaloux du fait que je pouvais aligner deux phrases ensemble - il prend alors une voix plus grave - ‘Duh, the trouble with John is he thinks too munch’. Ha ha ha ! Si tu veux connaître le point de vue de Steve Jones, c’est tout ce que tu peux espérer.» Complètement inconscient du danger, Sharp fout de l’huile sur le feu en ramenant le nom de Matlock dans la conversation : «Glen (Matlock) pensait que votre ego got out of control et que vous pensiez être à vous seul les Sex Pistols.» Lydon fume de rage. Au fond de ses yeux noirs brille un éclat meurtrier : «C’est un homme qui au tribunal a déclaré : ‘I just want the money.’ Voilà ce qu’il a dit au tribunal. Et maintenant il tente de s’excuser d’avoir dit ça.» On n’aimerait pas être à la place du pauvre Matlock, car c’est un déshonneur. Mais au point où on en est, ça n’a plus d’importance. Seul compte le point de vue de John Lydon. Il compte autant aujourd’hui qu’en 1977, quand on entendit pour la première fois «Anarchy In The UK».

             Intrigué par l’histoire du «remplacement» qu’évoquait Lydon, Sharp y revient. «Pensaient-ils à quelqu’un en particulier pour vous remplacer ?» Et Lydon répond, sec et net : «Yes! Malcolm.» Boom. Ça tombe comme une sentence. Lydon se marre, il rappelle, entre deux crises de larmes, que McLaren voulait aussi être maire de Londres.

    Signé : Cazengler, Johnny Roti

    Johnny Sharp : I’m alive by the skin of my teeth. Record Collector # 532 - June 2022

    Luke Haines : In the biopic of it. Record Collector # 534 - August 2022

     

     

    L’avenir du rock

    - Le Guided spirituel

     

             Invité au bal costumé du Bœuf sur le Toit, l’avenir du rock s’y rend déguisé en Jeanne d’Arc. Il n’a pas froid aux yeux. Il sait que des gros malins vont essayer de le faire cramer, alors il accroche un extincteur en bandoulière. En marchant, il fait un raffut de tous les diables - rrrang cling clang clong - car il porte une vraie amure, complète jusqu’aux gantelets et aux solerets d’acier. Sans compter l’extincteur qui cling-clongue sur l’acier, au dos du plastron. Pour renforcer l’impact mystique du personnage qu’il a choisi, il s’est maquillé comme une pute. Il ressemble à Riquita, le trave qui chantait Piaf chez Michou. Il entre, rrrang cling clang clong, et tombe aussitôt sur Hemingway déguisé en espadon. Tiens, voilà Cendrars déguisé en cul-de-jatte à la Buñuel ! Il lui reste encore un bras pour se mouvoir à l’aide du fameux fer à repasser emprunté à Man Ray. Blaise en bave. Pas simple, avec tous ces clous collés sur la semelle du fer. Cocteau est là, bien sûr, déguisé en planche à dessin et Raymond Radiguet tourne en orbite de rut, déguisé en spoutnik. Fargue déguisé en promeneur des Deux Rives converse avec Prévert déguisé en inventaire. Rrrang cling clang clong, l’avenir du rock va au buffet se servir une assiette de crudités et un verre de pif bien mérité. À côté de lui, Breton déguisé en Staline remplit ses poches de cuisses de poulet froid, sous l’œil amusé d’Igor Stravinsky, déguisé en printemps. Sur la petite scène, Arthur Rubinstein déguisé en Khali joue un air de jazz à six mains. Attiré par ses très jolis seins, l’avenir du rock se rapproche, rrang cling clang clong, de Joséphine Baker déguisée en carte postale érotique. Mais comme elle se fait draguer par Simenon, il retourne au buffet se servir un autre verre de pif. Un trave absolument délicieux vient trinquer avec lui.

             — Ravi de te trouver là, avenir du rock ! J’ai bien failli ne pas te reconnaître...

             — Permets-moi de te retourner le compliment, Marcel. Tu es ravissante.

             — Oh c’est une idée de Man Ray. On a fait quelques photos. Appelle-moi Rrose Sélavy, si tu veux bien.

             — Ravi de faire votre connaissance ma chère Rrose... Comme vous sentez bon, votre parfum me fait tourner la tête !

             — Ce parfum s’appelle Eau De Voilette. Mais dis-moi, avenir du rock, pourquoi as-tu choisi cet accoutrement ridicule ?

             — Voyons Marcel, c’est enfantin. Jeanne quitta Domrémy guidée par des voix. C’est dans tous les livres d’histoire !

             — Ah, Guided By Voices ! Alors là bravo, tu m’en bouches un coin coin d’esquimau aux mots exquis.

     

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             En fait, la vraie Jeanne d’Arc du rock, c’est Robert Pollard. Il entend lui aussi des voix. S’il a nommé son groupe Guided By Voices, ce n’est donc pas par hasard. Il se pourrait fort bien que Guided By Voices soit le groupe le plus mystique d’Amérique. Il faut bien sûr entendre mystique au sens où l’entendait Dreyer.   

             Guided By Voices est maintenant devenu une vieille habitude. Un album paraît ? Allez hop, rapatriement automatique. Ça fait trente ans que ça dure. Le groupe de Robert Pollard est probablement l’une des rares résurgences de l’American Dada, même si l’on sait que Dada est improbable aux États-Unis. C’est dirons-nous une façon de les situer sans vraiment les situer sur l’échiquier des relations internationales. Le groupe sort en moyenne deux albums par an et chaque album propose en moyenne trois ou quatre petites merveilles insolites. Les Guided fonctionnent de manière semble-t-il artisanale, ils enregistrent dans la cuisine, Robert Pollard fournit les textes et les prétextes, il colle sur ses pochettes des découpages à la Max Ernst et donne des titres libres comme l’air à ses albums. Il s’inscrit donc dans un process créatif permanent et cette constance lui vaut le respect d’un petit paquet de gens à travers le monde. Malgré ses cheveux blancs, Robert Pollard assure mieux que personne l’avenir du rock.

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             Dans Shindig!, Camilla Aisa dit la même chose, mais avec d’autres mots : «On a découvert que le lo-fi abruptness and fine melody flair, surrealistic lyrics and beer-fuelled garage sketches étaient non seulement compatibles mais aussi une combinaison explosive.» Elle en déduit qu’Uncle Bob, comme elle l’appelle, et ses amis Guided, sont devenus des cult heroes. Elle est très fière d’ajouter qu’Uncle Bob lui a accordé l’une de ses très rares interviews.

             Plutôt que de titrer ‘Wild flyer’s dulcet glue’, elle pense qu’elle aurait dû opter pour ‘Zen and the Art of Life According to The Four P’s’, les quatre P étant Pop, Psychedelic, Punk and Prog. Le résultat est the titanic discography de l’un des songwriters les plus prolifiques et elle rappelle qu’autour des Guided gravitent d’autres pollarderies : Circus Devils, Boston Spaceships, Cash Rivers & The Sinners et bien sûr tous les albums solo.

             Et hop voilà que commence la valse des références. Uncle Bob démarre comme tous les petits rockers américains par les Beatles on a TV screen puis il cite en vrac «Wire 154, the cover of In The Court Of The Crimson King, The Monkees, AC/DC et Cheap Trick. Too many to continue. REM’s Murmur, Selling England By The Pound, Carole King and Jimmy Webb.» Mais surtout la pop anglaise des sixties, il continue de fouiner à la recherche de new old music (the more obscure, the better), et parmi ses récentes découvertes, il cite Stray, T2, Janus et... Crushed Butler.

             En 2020, les Guided ont augmenté la cadence pour sortir trois albums, au lieu des deux habituels : Mirrored Aztec, Surrender You Poppy Field et Styles We’ve Paid For.

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             Avec Mirrored Aztec, ils ont opté pour la pochette psychédélique, osant même le gatefold, mais à l’intérieur on tombe sur un très beau collage d’Uncle Bob. Il produit un tel choc esthétique qu’on sait se trouver face à une œuvre d’art. Depuis le début, tout est étrange chez Uncle Bob et principalement la musique, comme le montre ce «Math Rock» en fin de balda - designed to drive Doug crazy - Doug étant Doug Dillard, le guitar hero des Guided. C’est une private joke, mais dans les pattes des Guided, ça prend une fière-très-fière allure. Encore du Dada pur en B avec «A Whale Is Top Notch» - I got pigeons and bees/ C’mon - Uncle Bob s’en donne à cœur joie et si on est amateur de liberté de ton et éventuellement lecteur de Jésus-Christ Rastaquouère, alors on se régale. Les Guided font aussi partie des meilleurs power-popsters d’Amérique, comme le montre «Bunco Men», pièce courte et ludique, bien lestée de power chords, so come on down. Chaque cut est sculpté comme un objet d’art, charmant et chantant, concis et ramassé - but I’m easier/ So get easier («Easier Not Charming») - «Lip Curlers» n’est en fait qu’un prétexte pour chanter et puis on tombe en B sur deux énormités, «Haircut Sphinx» - Haircut sphinx/ Drink and drink, qu’il termine avec l’énigmatique everywhere you blow the winds of change, comme s’il s’agissait d’un hommage à Dylan - et «The Party Rages On», l’un de ces cuts de rock surnaturels, typiques du Pollard total - Speaker was blown out/ Judah was thrown out.

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             On sent une belle petite baisse de régime sur Surrender You Poppy Field. On passe à travers toute l’A et en B, on devra se contenter d’une petit shoot ramollo de power-pop («Physician») et d’un simili regain de verdeur («Man Called Blunder»). Mais pour le reste, ceinture. Même la pochette est ratée. Uncle Bob en fait trop, ça serait marrant si tous les albums étaient bons, mais là il exagère. C’est un billet de vingt gaspillé pour des prunes, comme dirait Gide.

             Uncle Bob insiste pour dire qu’il n’y a pas de filler sur ses albums. Si certains semblent plus solides que d’autres c’est parce qu’il s’y trouve a larger number of great songs. Il tient à préciser que les Guided sont un song band et un album band - Un album band parce qu’il semble toujours exister un lien conceptuel entre la musique et l’imagerie - Il dit aussi qu’il existe des grands groupes qui ne sont pas nécessairement des album bands, ils ont des hits mais leurs albums ne sont pas forcément intéressants. Par contre, il sait que les Guided n’ont pas de hits - Good songs but no hits, so we’d better be an album band - Il revient aussi sur sa passion du collage, pour dire que les chansons sont comme ses collages, des montages qui finissent par fonctionner, du moins à ses yeux. Ça donne un wild playground with no closing time - I don’t know what I’m talking about most of the time. La signification vient un peu plus tard. So it’s a game we play together. A jigsaw puzzle - Uncle Bob revient sur l’art pour dire qu’il préfère l’art qui n’a pas de sens - I think art is far more interesting when it doesn’t make sense - Et bien sûr il cite Max Ernst et la fameuse «rencontre d’une machine à coudre et d’un parapluie sur une table d’opération».   

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             Styles We’ve Paid For arbore l’un de ces collages qui font la grandeur du Pollard total. Graphiquement parfait, comme l’est «In Calculus Stratagem» en B, un mélopic magique de deux minutes. L’autre énormité de l’album s’appelle «Mr Child», sévèrement riffé à la Guided motion, l’étendard de la pop claque au vent, crois-le bien. Ils ramènent aussi la cocote Guided pour «Megaphone Riley» et sortent du garage les bongos et les congas de Congo Square pour «They Don’t Play The Drums Anymore». On attend chaque fois des miracles d’Uncle Bob et il ne nous déçoit pas souvent. Ce qui frappe le plus dans les albums des Guided, c’est l’omniprésence de l’intelligence. C’est important de le signaler car une grande majorité des albums qui circulent sur le marché en manque tragiquement. Oh on ne va citer de noms, tu les connais bien, les toquards. Uncle Bob fait encore de la grande pop ensorcelante avec «Stops». Chaque cut se montre à la fois intéressant et original, même si on se dit chaque fois qu’on a déjà entendu ça dans un autre album des Guided. Le jeu consiste tout simplement à vivre dans le présent des Guided. Ils se tapent aussi une partie de samba Guided avec «Crash At Lake Placebo». Le titre à lui tout seul est tout un programme.

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             Et pouf, deux albums en 2021, It’s Not Them It Couldn’t Be Them It Is Them et Earth Man Blues. La pochette du premier s’orne d’un zozo ramonesque, clope au bec et mousse en main, avec en plus au dos un peu de poésie urbaine : une citerne marquée ‘Acid ranch’. «Dance Of Gurus» est l’un de ces coups de génie dont on sait Uncle Bob prodigue. Il crée un microcosme poppy avec une vraie histoire and the homeless man says/ Yeah headed home - Magie pure. Même chose en B avec «Cherub And The Great Child Actor». Cette fois, les Guided sonnent comme Bevis Frond, avec à la clé le surréalisme lyrique des lyrics. C’est un album riche en teneur, et ce dès «Spanish Coin», mid-tempo visité par des espagnolades et l’indicible mélancolie d’Uncle Bob, il termine avec des trompettes et c’est magnifique. Il allume ensuite «High In The Rain» aux lampions de la big power-pop. Tout est solide ici et savamment orchestré. Il faut entendre la basse naviguer dans «Flying Without A License» et en B, «I Wanna Monkey» effare dans la nuit - And quickly burning/ Like a New York cigarette - Quel punch ! Ces mecs s’y connaissent en matière d’heavy rock. «Black and White Eyes In A Prism» sonne comme une suite à l’infernal Cherub. Uncle Bob maîtrise aussi l’art de monter un balladif sur des heavy chords, comme le montre une fois encore «The Bell Gets Out Of The Way». L’album s’achève sur l’excellent «My (Limited) Engagement» - I need a slogan to cling to just a ringer for my engagement.

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             Earth Man Blues est donc le dernier album en date des Guided. Au premier coup d’œil, la pochette paraît ratée, mais il faut bien la regarder. Le petit garçon en costume bleu réapparaît à l’intérieur du liflet. Tu veux du Dada ? Tu as du Dada en B avec «Ant Repellent» - Ant repellant/ Ant repel ant - Ils délirent bien. Il font même un brin de glam avec «Sunshine Girl hello», encore une idée qui sert de prétexte à jouer. On est récompensé d’aller jusqu’au bout avec «How Can A Plumb Be Perfected?», car Uncle Bob y a glissé un refrain magique - How in a crowd could I blend in - «The Disconnected Citizen» bénéficie d’une belle ambiance tragique, soutenue aux violons et comme toujours, monsieur le cut est servi par un texte superbe - I’m taking you down here/ I’ll show you around there - C’est une authentique Beautiful Song. L’autre coup de génie de l’album s’appelle «Lights Out In Memphis (Egypt)». Encore l’occasion pour Uncle Bob de placer un refrain magique - Lights out in Memphis/ Isn’t any physical difference/ In Europe - et cette façon qu’il a de retomber sur Aluminium can Siberia. Il chante ces trois mots avec une gourmandise qui en dit long sur ses mensurations. Signalons aussi qu’il chante «The Batman Sees The Ball» d’une voix éreintée, dans un style unique en Amérique. Pour finir, nous dirons que les Guided sont les grands spécialistes de la fast pop («Dirty Kid School» et «Trust Them Now»), cette fast pop bien foutue qui rôde sous les remparts de Varsovie.

    Signé : Cazengler, Guided By The Vice

    Guided By Voices. Mirrored Aztec. Guided By Voices Inc. 2020

    Guided By Voices. Surrender You Poppy Field. Guided By Voices Inc. 2020

    Guided By Voices. Styles We’ve Paid For. Guided By Voices Inc. 2020

    Guided By Voices. It’s Not Them It Couldn’t Be Them It Is Them. Guided By Voices Inc. 2021

    Guided By Voices. Earth Man Blues. Guided By Voices Inc. 2021

    Camilla Aisa. Wild flyer’s dulcet glue. Shindig! # 97 - November 2019

     

     

    Inside the goldmine

     - Baby please don’t go

     

             Le voyant dessiner à longueur de temps, ses amis finirent par le mettre au défi :

             — Serais-tu capable de dessiner notre portrait ?

             Il accepta de relever le défi et passa ses soirées à croquer les trognes de ses amis. Les premiers portraits furent laborieux et la ressemblance laissait à désirer. Taquins, ses amis le surnommaient Picasso. Puis il parvint à maîtriser l’art de croquer un visage en appliquant une méthode intuitive : il commençait par dessiner l’ovale du visage, puis il y positionnait le dessin des yeux. Il savait qu’une fois le dessin des yeux abouti, il touchait au but. Le dessin d’un regard est la clé d’un portrait. Il se mit à travailler fiévreusement l’expression des regards, dont l’intensité variait en fonction de l’inflexion d’une courbe, aussi minime fût-elle. Il travaillait au trait et tentait de restituer au mieux le feu d’un regard. Un soir, l’un des amis de la bande ramena avec lui un homme plus âgé. Il devait avoisiner la quarantaine, il arborait un visage taillé à la serpe, un regard d’un bleu si clair qu’il en paraissait transparent et une mèche de cheveux couleur paille retombait lourdement sur son front. Il portait un marcel blanc et des tatouages de la légion sur les bras. Et quels bras ! De toute évidence, l’homme avait passé sa vie à se battre. Pas la moindre trace de complaisance chez cet aventurier. En entrant dans la pièce, il en vidait l’air. L’ami qui l’avait amené précisa qu’il s’appelait Wilfried et qu’il était allemand. Wilfried prit la parole :

             — Jai souhaiteraizz envoyezz ein portraizz de moi à ma fiancézz. Jai peux payézzz, si tu veux.

             — Un pack de bières, ça suffira. Comptez une petite heure pour la pose.

             Il prit la pose. Il avait une sacrée gueule.

             — Vous pouvez parler, si vous le souhaitez, mais continuez à me regarder, ne bougez pas trop la tête.

             Wilfried se mit à raconter ses souvenirs d’adolescent, l’école des SS à Prague, les uniformes noirs qui faisaient la fierté de tous les jeunes Allemands, la dague SS qu’on leur offrait comme un diplôme, et à mesure qu’il parlait, son regard s’enflammait. Sa voix se fit plus profonde, il semblait gronder en racontant la visite du Fürher venu féliciter l’élite de la Waffen SS, ach comme on étaizzz fierzz !, et au moment où il se mit à chantonner l’hymne SS, ses yeux se révulsèrent. Ce n’est que quarante plus tard, au moment où il se remémorait la scène pour l’écrire qu’il comprit que ce soir-là, sous l’apparence de Wilfried, le diable avait posé pour lui.

     

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             Il aurait aussi très bien pu dessiner le portrait qui orne la pochette du deuxième album de Baby Washington, Only Those In Love, paru sur Sue en 1965 : c’est en gros la même ambiance, ce dessin au trait qu’on utilise pour portraitiser, souvent par manque de moyens. On peut dessiner au crayon sur de simples feuilles de papier. Par contre, pour peindre, il faut des châssis, des brosses et des couleurs, c’est un autre investissement.

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             Baby Washington fait partie des early Soul Sisters. Elle ne vient ni de Detroit ni de Memphis, elle officie à New York. Only Those In Love est un bel album d’early Soul, dont le hit se planque au bout de la B, «Run My Heart», digne de ce qui se fait alors chez Motown. Elle ramène toute la Soul dans sa voix, elle a le gospel au ventre («Careless Hands»), elle tartine vaillamment cette Soul de l’aube des temps, c’est solide, bien chanté, bien orchestré, pas loin de ce que fait Mary Wells. Dans «Hey Lonely», elle se bat pied à pied avec l’oh yes you are. Baby Washington impose un style un peu rigide, elle chante toujours d’une voix ferme, elle envoie «The Clock» au tic toc et avec «It’ll Never Be Over For Me», elle finit par t’envoûter et te prendre dans ses bras de Soul Sister. On se régale aussi du charme désuet d’«I Can’t Wait Until I See My Baby’s Face», un peu cha cha cha dans l’esprit, mais chanté avec fermeté.

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             Son premier album paraît aussi sur Sue et s’appelle That’s How Heartaches Are Made. Comme il paraît en 1963, on est dans l’early Soul new-yorkaise pas très sexy. C’est une Soul trop orchestrée. Le «Doodlin» qu’on trouve en A sonne comme un classique de bonne chique qui ne décolle pas. Elle frise souvent la calypso («Hush Heart»). Elle voudrait bien danser, mais il faudra attendre un peu.

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             Belle pochette que celle de With You In Mind paru en 1968. L’album sent bon la Soul classique, surtout lorsqu’on voit Baby Washington au dos, vêtue d’un petit ensemble à rayures qui semble sortir de Carnaby Street. Et ça explose aussi sec avec «All Around The World», cover de Little Willie John produite par Henry Glover. Baby Washington est une sorte de Wilson Pickett au féminin, elle fait une merveille de ce vieux hit. Nouveau coup de Jarnac avec «I’m Calling You Baby», c’est digne de Junior Walker, l’incendie ronfle comme dans Shotgun. Ça swingue dans la ville en flammes ! Elle reprend en B le «People Sure Act Funny» d’Arthur Conley, elle le chante à la haletante de gros popotin new-yorkais. Baby Washington chante d’une voix étrangement mûre. Elle domine bien la situation. Elle ne met pas de sucre dans sa Soul, elle chante d’une voix plus grave, on sent sa poigne. Fantastique allure que celle d’«It’s A Hang Up Baby», big shuffle new-yorkais emmené par le big band brass.

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             Paru en 1971, The One And Only est assez décevant : mélange de calypso et de rock’n’roll, on perd la Soul. Baby Washington a des capacités mais on ne lui donne pas les bons morceaux. Elle tape son «Medecine Man» sur le mode de «Fever». C’est exactement la même ambiance. Elle termine avec l’excellent «Move On» - Move on baby/ Police are in the back - Voilà le hit, avec son solo de sax.

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             Si on aime les grands duos, alors il faut écouter l’album que Baby Washington & Don Gardner ont enregistré ensemble, Lay A Little Lovin’ On Me. On tombe aussitôt sous le charme du morceau titre qui ouvre le balda. Elle tape dans le dur et Don aussi. On a tout : la Soul de 1973, New York et les violons sur le toit. Don Gardner a un côté Barry White qui passe comme une lettre à la poste. Plus loin, Don vole le show avec «Just Stand By Me», un groove d’homme et Baby Washington revient ensuite à l’assaut avec «Baby Let Me Get Close To You». Elle dispose d’une énergie considérable. Mais c’est en B qu’elle va casser la baraque avec «Carefree». Quelle tranche de Soul ! Ils duettent sur «I Just Want To Be Near To You», c’est gorgé de Soul et d’Oooh baby. Dan revole le show avec «We’re Gonna Make It Big», il embrasse la Soul, il la serre dans ses gros bras poilus, fantastique Don Gardner ! C’est à Baby Washington que revient l’honneur de refermer la marche avec «Can’t Get Over Losing You». Elle ne parvient pas à surmonter son chagrin. Elle souffre en beauté.

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             Paru en 1968 I Wanna Dance est une compile qui présente deux avantages : un, le beau portrait de Baby Washington en robe de soirée. Elle est magnifique. Deux, l’occasion de réécouter ce coup de génie, «Carefree», tiré de l’album précédent. C’est la Soul des jours heureux, Baby Love l’emmène par-dessus les toits, elle pousse de toutes ses forces son carefree love. On se régale aussi d’«I Wanna Dance Pt1» et d’«I Wanna Dance Pt2», c’est très diskö, mais en mode slow groove et dans les pattes d’une Soul Sister comme Baby Washington, c’est quelque chose ! En B, on retrouve cette Soul solide qu’est «Just A Matter Of Time». Elle chante tout à gogo et nous rend gaga.

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             Ace frappe encore un grand coup en 1996 en compilant The Sue Singles de notre Baby Washington préférée. On en croise pas mal sur les deux premiers albums, mais chez Ace, le son n’est jamais le même. Il faut attendre «Standing On The Pier» pour frétiller, c’est du heavy standing, yes I am, qu’elle tape au heavy blues. On croise pas mal de cuts tatasses, un peu de cha cha cha, le tic toc de «The Clock», quelques hits ringards comme «Hey Lonely» et pouf on tombe sur «I Can’t Wait Until I See My Baby’s Face», le hit signé Jerry Ragovoy et Chip Taylor, que reprendra aussi Dusty chérie. Baby Wash y négocie une belle Soul de bossa nova. Comme Dionne la lionne, elle évolue dans le temps et voilà qu’arrive l’excellent «It’ll Never Be Over For Me», puis elle se montre encore plus entreprenante avec «Run My Heart». Elle est l’une des reines du jive. Son domaine, ce sont les jukes. En plus, elle a du Wall of Sound derrière elle. Encore un hit de juke avec «Doodlin’», elle croasse bien son doodlin’, ehhh ehhh. Elle fait du pur Motown avec un «You Are What You Are» et elle chante si bien qu’elle rivalise avec Aretha. Baby Wash explose «I Know» et elle se fend d’une belle «White Christmas» song. Elle la groove à la racine du genre.

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             Attention à cette compile Ace de Baby Washington And The Hearts parue en 2006 : The J&S Years. C’est une bombe atomique ! Après si tu te retrouves à l’hosto, tant pis pour toi, on t’aura prévenu. Mets ton casque ! On n’imaginait pas qu’il pût exister des singles aussi sauvages. La seule qui fait référence au power de Baby Washington & the Hearts, c’est Genya Ravan dans son autobio. Départ en trombe avec «You Needn’t Tell Me I Know», un heavy jump déchaîné, chanté dans la caisse avec une énergie du diable. Terrific ! Les blackettes ont le feu au cul et un sax vient envenimer les choses. Il n’existe pas de pire bombe sexuelle. Cinq titres s’enchaînent comme une rafale. «I Want Your Love Tonight» éclate dans un blast de juke. Ces filles sont complètement dingues. Et voilà qu’arrive un solo punk joué au note à note des bas-fonds du Bronx, ça tourne à l’apocalypse avec un piano incroyablement mélodique, elles sont possédées par le diable. Ça continue avec «Congratulations Honey». Baby Wash y va franco de port. Elle est la reine du massacre, elle chante avec une niaque de sale pute, avec le génie fragmenté des street chicks, Baby Wash t’explose ta pauvre compile et derrière tu as un sax qui gicle comme une bite au printemps. Ça continue avec «If I Had Known». Même le doo wop s’enflamme, ces gonzesses sont folles à lier, elle te déchirent le doo wop avec une violence jusque-là inconnue. Il y a 25 cuts sur cette compile et on peut bien dire qu’ils sont tous bons. Elles écrasent encore leur champignon avec «You Weren’t Home», elles font du punk de chicks avant la lettre, laisse tomber les Slits, elles chante à la dégueulade sévère, c’est du Bronx punk. Elles enchaînent hit de juke après hit de juke, elle réinventent le heavy blues avec «There Is No Love At All» et gavent leur groove de ruckus avec «There Must Be A Reason». C’est à tomber tellement c’est bon. Tout est bardé de son là-dedans, les murs de la ville tremblent avec le walking jump de «You Say You Love Me» et cette folle de Baby Wash allume tous les jukes du New Jersey avec «Every Day». Elle bouffe tout cru le heavy blues d’«I Hate To See You Go». Elle attaque «I Couldn’t Let You See Me Crying» de plein fouet, elle chante ça avec une candeur napoléonienne, elle surpasse tout, son power n’en finit plus d’ébahir. Elles tapent encore dans le dur avec «There Are So Many Ways», elles chantent au sucre de rentre dedans et là, tu as la Soul du paradis. Elles bronxent up «My Love Has Gone», c’est encore du pur genius, ça gueule dans le Bronx. «So Long Baby» arrive comme une vague et elle te cueille. Les Hearts sont le meilleur girl-group de l’époque, avec les Cookies et les Velvelettes. Elles montent chaque cut au chant de folles, c’est un délire permanent et Baby Wash revient au long cours du so long. Et la violence du beat sur «You Or Me Have To Go» ! Qui saura la dire ? C’est d’une extrême violence. Pur New York City Sound. Ces filles ont un truc, elles n’ont jamais lâché les rênes. Elles sont les reines des jukes. Dans les liners, Mick Patrick nous explique qu’entre 1955 et 1970, vingt blackettes sont passées dans les Hearts, la plus connue étant bien sûr Justine Baby Washington. On la surnomme Baby parce qu’elle est la plus jeune au moment où elle rejoint les Hearts. Baby Wash raconte qu’on l’a virée du groupe le jour où elle demandait une augmentation. Les autres lead vocalists s’appellent Lezli Valentine, Betty Harris, Hartsy Maye et Zell Sanders supervisait tout ce bordel.

    Signé : Cazengler, Washingtorve

    Baby Washington. That’s How Heartaches Are Made. Sue Records 1963

    Baby Washington. Only Those In Love. Sue Records 1965

    Baby Washington. With You In Mind. Veep 1968

    Baby Washington. The One And Only. Trip 1971

    Baby Washington & Don Gardner. Lay A Little Lovin’ On Me. Master Five 1973

    Baby Washington. I Wanna Dance. AVI Records 1978

    Baby Washington. The Sue Singles. Kent Soul 1996     

    Baby Washington And The Hearts. The J&S Years. Ace 2006

     

     

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 24

    JANVIER - FEVRIER – MARS

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    Cadeau de Noël dans la boîte aux lettres. Non ce ne sont pas les huit pages supplémentaires que le magazine nous offre, même pas pour un euro de plus, ne faisons pas les fines-gueules, ce n’est pas mal du tout, ça donne de l’épaisseur à votre millefeuille de papier préféré, mais le véritable cadeau c’est plus loin, page 29 pour ceux qui veulent tout savoir, une interview d’Ervin Travis. Le retour ! Ervin Travis pendant des semaines notre premier article lui a été consacré, puis nous avons arrêté, son calvaire semblait n’avoir jamais de fin, et au bout de plusieurs mois cela devenait pratiquement indécent, c’est que la maladie de Lyme ne pardonne pas, une sacrée saloperie qui vous crève à petits feux et qui ne vous laisse plus le goût de vivre. Nous avons chroniqué  disques et concerts d’Ervin Travis, un chanteur de rock’n’roll un peu à part, subjugué dès l’âge de treize ans par Gene Vincent, de la cover diront certains avec condescendance, très bien faite ajouteront les autres, mais c’est tout autre chose, c’est vrai que sa voix si proche des intonations de Vincent est bluffante et que ses prestations scéniques sonnent juste, mais chez Ervin cela va au-devant de l’hommage, c’est une espèce de transplantation d’âme, de mimesis platonicienne, rien à voir avec une vulgaire imitation, à comprendre comme l’établissement d’un lien direct avec ce qui a été pour le faire réapparaître sous forme d’image active idéelle. Bref Ervin va mieux – rien n’est définitivement gagné – mais il a reformé un groupe, les  Wild Blue Caps, et redonne des concerts. Courage et dignité sont les maîtres-mots de cette renaissance.

    Dans notre livraison 558 du  09 / 06 / 22, nous chroniquions le CD Super Tare du Rock’n’roll de Didier Bourlon. Au mois de Septembre 2022 Didier Bourlon devait être avec Charles Gustave sur la scène du festival Teddy Boys Riot Boppin de Commines avec Dan Cash. Très émouvante présentation de cette renaissance du festival par Virginia Marquelly dédié à sa mère décédée à soixante ans. La camarde ne s’est pas arrêtée en si bon chemin, Dan Cash est décédé. Très beau papier de Mark Twang évoquant la personnalité de Dan Cash, pas un contemporain d’ici et maintenant mais un gitan de partout et de toujours. L’a suivi son chemin à son gré, beaucoup à sa place auraient agi autrement mais Dan a toujours payé sa liberté Cash. Un homme que j’aurais aimé rencontrer.

    Belle photo de Jerry Lou en page 2, mais pas la rubrique habituelle de Greg Matthew dédiée au dernier des grands pionniers – elle suivra prochainement – par contre Sergio Kazh rend un bel hommage à Robert Gordon. Si l’on ajoute la rubrique Racines de Julien  Bollinger consacrée aux Delmore Brothers, notre subconscient nous induit à penser que le rockabilly est un cimetière rempli de gens vraiment irremplaçables. D’où l’intérêt de la parole donnée à Louie & The Hurricanes tout jeune groupe, une génération qui n’a pas pu voir les grands anciens sur scène et consciente que dans sa quasi-majorité les jeunes de leur âge (la vingtaine) sont à mille lieues de cette musique qu’ils ne connaissent pas, mais qui accrochent à leurs concerts, posent avec discernement le problème de la survie et de la reconstitution d’un public rockabilly, car il faut l’avouer le vivier actuel ne se renouvelle guère.

    L’est vrai que la longue interview de Salvatore Lissandrello leader de Strike groupe italien déjà sur la route depuis quatorze années semblent issu d’une période où la vie heureuse était plus facile, moins problématique…

    Sinon, revue des festival de l’été l’ Hangar Rockin’ en Suisse, La Forêt Fouesnant ( 29 ), et Rock’n’Roll in Pleugueness, de quoi nous réchauffer le cœur, preuve que le rock’n’roll is still alive ! Merci à Sergio Kazh de continuer le combat !

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  5,50 Euros + 4,00 de frais de port soit 9,50 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 37, 12 Euros (Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! Surtout que les numéros 1, 2, et 3 ne seront plus réédités, il en reste une vingtaine d’exemplaires, qu’on se le dise ! Avis aux amateurs !

     

     

    ROCKABILLY RULES ! ( N° 2 )

            C’est le Cat Zengler qui a décrété qu’il ne faut jamais perdre le de vue et d’oreille le rockabilly, d’où cette nouvelle rubrique hebdomadaire. L’on a commencé la semaine dernière avec Alis Lesley, nous continuons avec un groupe d’aujourd’hui (et de demain), par la suite nous oscillerons entre les débuts de cette funeste et festive – entourez en rouge l’adjectif que vous préférez - nuisance et ses avatars actuels. Rockabilly Rules, O. K. toutefois n’oubliez jamais que toutes les règles sont faites pour être contournées, dépassées, chamboulées, piétinées, car l’important avant tout c’est d’avoir un cœur fidèle et rebelle !

    IT’S TIME TO ROCK AGAIN

    HOT CHICKENS

    ( Rock Paradise Records / RPRCD55 / Septembre 2022 )

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    Hervé Loison : chant, basse, contrebasse, harmonica / Christophe Gillet : guitare et chœurs / Thierry Sellier : Batterie.

    Nouvel album des Hot Chickens, attention l’on retrouve les trois membres des Poulets Torrides sur d’autres opus par exemple en compagnie d’autres musiciens sur Jake Calypso and his Red Hod  dans deux ou trois siècles ceux qui tenteront de produire une discographie intégrale de ces trois lascars risqueront d’y perdre leur latin qu’ils n’auront jamais appris. L’on ne présente plus les Hot Chickens, disons simplement qu’ils sont un des trios les plus démentiels du rockabilly européen. 

             Sont beaux tous les trois dans leurs chemises imitation jaguar, le nec le plus ultra du vêtement rockabilly, vous regardent d’un air faussement méchants – z’ont dû s’amuser lors de la séance de pose – Hervé et Thierry désignent quelque chose hors-champ, ne se moqueraient-ils pas un peu de nous ! – l’on s’en moque car notre œil est fixé sur le logo – que voulez-vous quand on ne peut pas parader dans une pink thunderbird d’époque l’on s’offre un logo, c’est moins cher et celui-ci, cette crête de coq, mi-coiffe de guerrier Indien, mi-symbole menaçant du woodoo, est des mieux réussies. Félicitations à Helen Shadow, vous la retrouverez sur la pochette de Boogie in the Shack des Nut Jumpers.

    It surely ain’t the Rolling Stones : attention à la dégelée dans les oreilles, normal c’est l’album du dégel post-covid, alors les Chickens sortent leurs ergots, ne vous envoient pas la confiture de framboise à l’arsenic à la petite cuillère, superbement mis en place, une machine pour serial killer, ça chicore à pléthore, Hervé y va de son petit solo d’harmo, mais ce qui est fabuleux c’est qu’à chaque reprise, vous avez l’impression d’une gifle monstrueusement sèche, un peu garage, un peu sixties, totalement rock’n’roll. Good movies & rock ‘n’ roll : un mid-tempo pour reprendre les esprits si c’est possible car Thierry Sellier vous assourdit la trompe d’Eustache droite sans pitié tout en vous fragmentant la gauche en petits morceaux, juste le temps à Christophe Gillet de piquer un de ses petits solos qui n’a l’air de rien mais qui a tout pour vous faire pâlir d’envie, quant à Loison c’est du prodige, le rythme n’est pas extrêmement rapide mais il vous débite les lyrics plus vite que vous ne les lisez, tout en respectant la cadence chaloupée du morceau. Du grand art. L’hymne à l’amour : surprise, une reprise d’Edith Piaf, vous l’expédient à la manière des premiers groupes de rock français des années soixante, Sellier vous mène la cavalcade au galop de charge et Loison s’envole vers le septième ciel, est-ce du faux-toc ou du faux-maladroit, nos poulets rôtis peuvent tout se permettre, élevés en plein air ils sont à louer. We are a rock ‘n’roll trio : les Chickens sont très bon en rock’n’roll mais très faiblards en mathématiques, après la fameuse quadrature du cercle nous voici confrontés à la quadrature du trio, un truc difficilement défendable et pourtant ils remportent la victoire, trichent un peu puisqu’ils ont un deuxième guitariste Didier Bourlon qui fut pendant huit ans le premier guitariste des Hot Chickens, si vous n’aimez pas le rock’n’roll électrique des familles déjantées vous sautez la piste, sinon sautez dedans à pieds joints, le Bourlon déboulonne les riffs comme un fou furieux, magnifique ! Surfin bird : peut-être la meilleure monstruosité du disque, Christophe Gillet ne se retient plus et Hervé se lâche, vous ressuscitent le vieux hit des Trashmen, ce qui est d’autant plus remarquable qu’il n’est jamais mort. Puisqu’ils ont par deux fois évoqué les Stones nous dirons que ce n’est pas l’harmonie bien léchée des Beach Boys. Les Chickens ne sont pas des poules mouillées, ils pratiquent le surf uniquement dans les zones infestées de requins. It’s time to rock again ! : bougez-vous bande de blaireaux à canapés le temps du rock’n’roll est arrivé, Hervé vous chante les couplets à l’arrache Jerry Lou, sombres abrutis Thierry vous le martèle clairement sur sa caisse et vous réécoutez le morceau douze fois pour comprendre ce que Christophe et sa guitare fermentent activement à peu près au milieu du titre. Sorcellerie ! Take on me : a-ah, vous ne connaissez pas l’original, vous savez en alchimie on fait de l’or pur à partir de vil plomb, nos cocottes reprennent un tube des eighties pour s’amuser. Perso je dirai que quand la foudre tombe sur un bossu elle le foudroie, mais elle ne le fout pas droit pour autant.  Rocking at the Oxford bar : une petite rythmique blues pour commencer, l’incendie ne couve pas longtemps, sûr que l’on n’est pas à la cafétéria de l’Université d’Oxford mais à Béthune où l’Oxford café a pris la mauvaise habitude de recevoir les Chickens en concert, alors sont comme chez eux, débridés et sans gêne, même que Loison est tellement bien qu’il en oublie de chanter. Tout compte fait la vie des rockers est agréable. A vivre ou à écouter.  F**K you : un peu de haine aiguise la vie, l’est plus que bon de régler ses comptes avec les faux amis et les cloportes en tous genres, ça balance fort, pas le temps de s’ennuyer. A écouter pour taper sur son punching ball ou sur votre percepteur. Excellent. Parfait. Superbe. Repose Beethoven : le retour de Bourlon sur un des meilleurs titres ( 1964 ) du grand Schmoll, autant dire que ça balance terrible, défonce mortelle. Let’s go on : nous avons eu la haine, voici l’amour et l’amitié, un violon (merci Franny Lee) champêtre pour un rythme country, l’autre racine du rock’n’roll. Les Chickens remercient les fans qui les suivent depuis vingt-trois ans. Et qui ne lâcheront pas leur enthousiasme d’ici vingt-trois autres années. Unchained melody : certains trouveront cela iconoclaste, c’est vrai qu’ils débrident l’ensemble des chevaux-vapeurs, maintenant si l’on se souvient de la version originale de Todd Duncan, les Chickens qui cocoriquent à fond ne sont pas loin de l’esprit original, de cette outrance sentimentale exprimée si naïvement que l’on se sent induits à rire de ce qui devrait nous faire pleurer.

    Foutrement et foutraquement rock’n’roll ! Pépite rock.

    Dam Chad.

     

    *

    Si vous allez sur le Bandcamp d’OSE, question renseignements vous risquez d’être déçu, une seule indication ‘’France’’, les lecteurs de KR’TNT ! en savent davantage, nous avons déjà chroniqué plusieurs livres d’Hervé Picart. Par exemple son roman Aspergio Oscuro dans notre livraison 197 du 10 / 07 / 2014. Rappelons que Hervé Picart faisait partie de l’équipe de rédaction de la revue Best qui réunissait des pointures comme Michel Embareck et qu’il a enfiévré par ses articles sur le hard-rock et le prog l’imagination de bien de jeunes lecteurs… A la fin des années 70 il passe de la théorie à la pratique en fondant Ose. Le premier album Adonia paraît en 1978, on y retrouve Richard Pinhas dont le groupe Heldon suscita moulte controverses dans le public rock, une nouvelle voie s’ouvrait, post-Magma, post-King Crimson, musiques industrielle, électronique, noise, drone, prenaient leur envol…

    En 1982 s’acheva l’aventure OSE. C’est en 2021 qu’un nouveau chapitre commence à s’écrire, ceux qui veulent tout savoir materont la chaîne YT Ose Music Factory.

    L’album que nous présentons a été précédé au mois de mars de cette année de (Soundtrack for) H. P. lovecraft’s Nemesis. Plus que tentant, mais comment résister à Edgar Poe…

    (SOUNDTRACK FOR)

    EDGAR ALLAN POE’ S CITY IN THE SEA

    OSE

    (Novembre 2022 / A. N. / Bandcamp)

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    Opus synesthétique, évoquer par la musique seule un poème évidemment écrit avec des mots. Déjà difficile en soi-même. Mais Ose osa. Sûr que lorsque l’on s’attaque à un poème d’Edgar Poe, l’on met la barre très haut. Les poésies d’Edgar Poe sont un des grands chefs-d’œuvre de la poésie du dix-neuvième siècle. Pas très prisées en leur pays d’origine où Edgar Poe est tenu pour un auteur mineur, ne crions pas haro sur les amerloques, beaucoup par chez nous font la fine bouche devant le mince recueil qui les contient. Baudelaire et Mallarmé furent apparemment moins difficiles que nos contemporains, puisqu’ils s’essayèrent avec dévotion à les traduire. Il est vrai que dans ces poèmes l’auteur du Corbeau ne fit aucune concession, imaginez une bouteille d’alcool pur – pourquoi d’après vous Apollinaire titra-t-il son recueil Alcool - sans un milligramme d’eau. Une boisson peu propice à ravir les papilles de vos invités à l’apéritif du samedi soir.  Les poèmes d’Edgar Poe sont à lire comme des évocations, des visions, émanant des abysses intérieurs les plus profonds, là où les fantômes de nos rêves et de nos peurs ont perdu leur éclat fantomatique et se révèlent être tissés de la même matière que nous-mêmes. Ils agissent – toute grande poésie est opératoire - comme des trous noirs de dévoration où l’intérieur de nous-mêmes communique et engouffre l’extériorité du monde.

    The city on the sea est un poème à mettre en relation avec Le palais hanté qu’Edgar Poe inclut dans un de ses contes les plus célèbres – l’on ne compte pas les groupes de rock qui ont tenté de le mettre en musique – La chute de la Maison Usher

    Pas de paroles donc, toutefois, sur Bandcamp, chacun des douze morceaux est mis en relation avec quelques vers extraits des six strophes du poème.

    Far down the dim west :  la mort a choisi d’élever  son trône dans une cité sise à l’ouest dans la mer, imaginons une île à la Arnold Böcklin mais beaucoup plus monumentale, l’on attend une musique de diamant noir mais c’est un cristal de roche de gouttes d’eau qui tombent, chacune créant des vaguelettes concentriques, une vague de notes plus graves survient mais rien d’attentatoire à notre sérénité, telle une allée d’ifs taillés dans la roche de l’immobilité mais dont les cimes montent plus haut, une berceuse pour un sommeil éternel, et cet insecte dont les ailes tournoient sans jamais pouvoir s’évader, pourtant tout repos n’est-il pas éternel. Time-eaten towers : étrangeté de ce qui ne nous ressemble pas, ce monde éternel bouge beaucoup plus qu’on ne le croirait, presque comique quand on y pense de savoir que l’usure temps ronge même la ville de la mort. Notes obsédantes qui se jouent de nous et de tout. La danse macabre ne touche pas les morts mais les choses. Joyeusetés. Melancoly waters : les orgues de la mélancolie déploient leurs moires fastueuses, de doux ruissellement démentent cette vue de l’esprit, des notes s’éparpillent telles des fragmences de mensonges, rien ne passe, rien ne s’écoule, tout coule en un immense naufrage. From out the lurid sea : il est une lumière noire sous la mer qui ne vient pas des hauteurs sacrées, de quelle sombre inconnaissance est-elle constituée, elle rampe et se déploie lentement, elle s’agrippe aux pierres des tours, n’est-elle pas aussi immarcescible que la lueur dorée sacrée qui ne perce pas les ténèbres, ne serait-ce pas un combat de titans inaccessible aux yeux des humains, une lèpre contagieuse qui s’étend depuis le monde des profondeurs et qui dans l’ombre monte à l’assaut. Up domes, up spires, up fanes : magnificence de l’architecture, splendide cité, arpèges luxuriants comme des rivières de diamants, échos enchâssés et amoncelés, toute une érection de murs et de tours, étincelles musicales, la ville s’exhausse de toute son assourdissante beauté silencieuse. Shrine : tapotements désertiques, des orgues sérielles au loin, luxueuse est la cité, grandiose est cette ville, qu’aucun bruit n’altère, majestueuse est la mort qui depuis la plus haute tour étend son regard sur son domaine. Diamond eye : musique plus sombre, un peu de batterie électronique, mais rien de décisif, les tombes sont vides, on a envie de dire que la musique n’exprime rien, elle reste froide et insensible pour la bonne raison qu’il n’y a rien qui puisse faire l’objet d’une présence, situation terriblement ambigüe entre ce qui est sans être et les yeux vides des idoles. Wilderness of glass : comme des plaintes de violoncelles, chant du désert, notes en bulles de savon qui retournent au néant dès leur apparition, y a-t-il jamais eu quelque chose ici et autre part, le monde semble volatilisé et n’être plus que sa propre absence, désolation totale, plus rien ne bouge et n’a jamais bougé ailleurs. Etrangement l’auditeur ressent la densité du néant. No ripples, no heavings : étonnament ce morceau évoque les mêmes vers que le précédent, moins de romantisme et davantage de mélodrame, ici ce n’est pas la chose même, cette mer sans rides, sans clapotis, que l’on représente mais les sargasses de l’angoisse que l’objet du non-désir infuse dans les esprits. Tout est figé. A stir in the air : enfin quelque chose bouge et remue, l’eau musicale clapote gentiment, pas la grande joie, ni de forte liesse mais le sourire d’Aristote accueillant le mouvement, en un long crescendo transcendant ! Avec un peu de bonne volonté l’on se croirait au paradis.  Le vent se lève ! Wawes have now a redder glow : pas d’inquiétude, il n’y aura pas de happy end, les vagues qui se soulèvent ont une couleur rouge qui ne présage rien de bon. L’enthousiasme n’était-il pas une folie, ce qui arrive n’est pas de bon augure, la musique se lâche et enfle, elle tourne en rond sur elle-même, elle submerge le monde entier, quelle nouvelle apporte-telle si fièrement ? Hell rising : reprise en mineur, l’heure n’est pas à la délivrance, lorsque la cité dans la mer dominera le monde, l’Enfer la reconnaîtra comme sa souveraine, car il y a pire que la souffrance et les supplices, la mort, simplement la mort. L’opus se termine sur un rythme allègre, une espèce de gigue macabre totalement désincarnée, les plis d’un linceul qui vous enveloppe dans son suaire d’ennui pour l’éternité. De petits tournicotis-tournicotons électroniques s’en viennent grimacer dans le tourbillon final. L’on vous a bien eu. Tant pis pour vous.

    L’album ne se livre pas facilement. Il est à réécouter plusieurs fois pour en saisir les subtilités. Il faut dire que cette musique électronique n’atteint pas l’épaisseur d’un grand orchestre classique, ou la puissance d’un combo de rock ou de metal. Autre particularité, il ne semble pas que la visée initiale ait été de suivre le déroulement du poème d’Edgar Poe mais d’évoquer précisément certains mots, expressions ou passages, d’essayer de donner un équivalent sonore des gluances phoniques de la langue de Poe.  Les amateurs d’Edgar Poe apprécieront.

    Damie Chad.

     

    *

    Serait-ce que Villiers de L’Isle Adam nommait un intersigne. Pour cette deuxième chronique nous ne quittons ni H. P. Lovecraft, ni Edgar Allan Poe. Ce n’est pas de ma faute. Un corbeau m’a fait signe. Du moins je l’ai cru. Une image voluptueuse, un corbeau déchirant un cerveau humain. J’ai cliqué sur l’image suivante. Rien à dire (pour le moment). Je clique sur la troisième, pas vraiment indispensable. Je file sur le FB correspondant, une annonce de concert pour le 5 octobre 2022, rien d’original pour un groupe de rock’n’roll, oui mais big clic le nom de la ville : Providence ! La ville où Lovecraft naquit et mourut. Sur sa tombe ses admirateurs ont fait graver une de ses formules choc : ‘’ Je suis Providence’’, fabuleux jeu de mot qui joue avec l’importance géographique que la capitale de l’état de Rhodes Island occupe dans son univers et la critique radicale du christianisme que l’on ne manquera pas de relever dans cette déclaration d’un homme qui dans son œuvre créa la présence mythologique des Grands Anciens – dieux antérieurs à toutes mythologies biblique ou grecque - pour se moquer de la fragilité de la présomption humaine à être le centre de l’attention divine

    Dans notre livraison 292 du 01 / 09 / 2016 nous présentions les lettres d’amour d’Edgar Allan Poe à Sarah Helen Whitman, une idylle qui se déroula à Providence… Rappelons pour boucler la boucle que Sarah Whitman fut en relation avec Stéphane Mallarmé, le lecteur curieux trouvera dans Dagon de Lovecraft un étrange conte dont la structure ressemble à s’y méprendre à l’Igitur.  Les similitudes sont d’autant plus remarquables qu’Igitur fut publié à titre posthume en 1925 et que Dagon parut en 1919 dans la revue Vagrant.

    Est-ce par un hasard aboli que l’album se nomme :

    VAGRANT WITNESS CANTOS

    CARACARA

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    Mes connaissances ornithologiques étant extrêmement limitées, il y a de très fortes chances que mon corbeau soit un caracara, oiseau d’Amérique du Sud et du Sud des USA, grands rapace prédateur et nécrophage ( tout pour plaire ) de la famille des falconidés se déplaçant à terre sans difficulté ce qui coïncide au mieux avec le nom du groupe. Cantos – l’on ne peut s’empêcher de penser à Ezra Pound – les chants du témoin vagabond, de celui qui assiste et qui passe. ‘’ Etranger. Qui passait.’’ écrit Saint-John Perse dans la chanson liminaire d’Anabase.

    Ed Jamieson : guitars / Matthew Meehan : vocals / Christopher Colbath : bass / Matt Johnson : Drums, artwork.

    Au and nihl : ce n’est pas rien, c’est de l’or, une batterie qui chancelle le monde, une basse qui swingue et une guitare qui vous plante des poignards dans le dos chaque fois que vous le désirez secrètement sans oser le dire, et la voix se pose là-dessus comme un aigle dépose ses œufs sur les roches tutélaires du domaine d’Arnheim de Magritte, ensuite une cavalcade instrumentale sans précédent, tous ensemble mais chacun poursuit son jeu en toute indépendance, l’ensemble sonne méchamment juste, un enchevêtrement qui se donne à écouter comme un fil électrique torsadé que nulle cisaille ne saurait rompre, et Matheew Meehan qui vous mène le bal du masque rouge de la mort, vous ne savez plus où vous êtes mais vous suivez le rythme de cette marche de zombies partis l’on ne sait où ni pourquoi, mais il est évident que vous êtes à l’endroit où il faut être, quelque part dans une geste épique à l’assaut du néant, peut-être vers la maison maudite des cauchemars des helminthes qui rongent les cadavres au fond des cimetières, une morceau qui vous dépasse, qui joue plus vite que vous ne pouvez l’écouter, une rythmique infernale, une guitare qui froisse les riffs comme du papier argenté au cyanure et la basse qui court à sa perte dans un marécage sonique, vous aimeriez que ça ne se termine jamais et ça ne se termine jamais car maintenant votre sang coulera dans vos veines sur ce même rythme, jusqu’à la fin de votre vie, la basse finale écrase tout. Prodigieux. Preference : un grondement, une monstruosité qui vient de loin, le monstre s’approche et vous savez que rien ne l’arrêtera, la guitare klaxonne sans fin une alarme inutile et Meehan chante, tel Orphée pour endormir les monstres , la rythmique s’assouplit, la basse devient mélodique, des éclats de bronze résonnent, vous aimez cette ampleur sans précédent, la guitare chante à son tour, mais elle se tait devant la lourdeur des pas rapides de celui qui s’avance, qui écrase les arbres sur ses pieds tels des fétu de paille, un tsunami sonique vous balaie de la surface de la terre, des sons rauques de trompes d’animaux antédiluviens vous rompent la tête, ce morceau est une folie noire, vous transbahute dans des univers de violence inconnue,  des bruits d’eau serait-ce Dagon qui nage, qui sort des abysses pour prendre possession de son royaume, est-ce un moment de fête ou un catastrophe incommensurable, tout dépend de quel côté vous préférez regarder la chose innommable. Encore un morceau qui ne s’achève pas, qui hantera vos jours et vos nuits. Je suis une force qui va a dit Victor Hugo. C’est de ce niveau-là. The first : un début presque souriant, du déjà entendu, mais très vite cela devient inquiétant ce bourdonnement de mouche multi-géante qui vient de l’espace et dont l’ombre qui passe éteint la lumière du jour de la terre, la batterie bouscule cette narcolepsie brinquebalante, ce qui passe c’est le regard de celui qui passe et qui se contente de regarder, vous préfèreriez l’horreur mais vous êtes confrontés à l’insensible, à ce qui est au-delà de vous pour qui vous n’êtes rien, vous ne comptez pas, l’indifférence totale de ce qui vous dépasse, vous surpasse et qui s’éloigne sans se préoccuper de vous, criez, hurlez, agitez-vous, vous n’êtes qu’un tourbillon d’atomes inutiles promis à une dispersion dont personne ne s’apercevra. Morceau piège. Morceau traître. Vous pouvez en ressortir mort ou vivant. Cela n’affectera en rien la phénoménalisation du monde.  Zeno’s Meter : sonorités apaisante, il est nécessaire de vous concentrer si vous avez désiré de mesurer le monde avec le mètre de Zénon celui qui à chaque manutention vous éloigne de la moitié de la distance du point dont vous vouliez vous rapprocher, situation difficile le monde se carapate de vous au fur et à mesure que vous souhaitez vous  diriger vers lui, ne vous étonnez pas si la masse sonique vous paraît instable, elle glisse toujours du côté que vous n’espériez pas, reprenez souffle, ahanez, calculez, soupesez, discutez, bataillez, plus vous chercherez midi à quatorze heures davantage votre montre retardera, il y a pire que la violence, l’ironie qui se contente de sourire en vous regardant vous agiter, vous exaspérer, de l’infiniment grand ou de l’infiniment petit jamais vous ne vous rendrez maître, rire barbelé de guitare, cacophonie de basse et tintamarre drummique, jamais vous ne sortirez de la quadrature du cercle qui vous enferme en vous-même. Sardonique.      

    Quatre morceaux, sur le modèle des tétralogies antiques, trois drames pour commencer et une comédie pour finir. Tous doivent traiter du même thème.

    Les amateurs de doom, de stoner, de fuzz, de psyché adoreront, les autres aussi, premier opus tentaculaire, une pieuvre qui plonge ses bras dans toutes les directions et qui ramène une témérité novatrice. Un groupe qui promet. Une véritable providence pour les amateurs de rock .

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

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    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 10 ( exclusif ) :

    54

    LE PARISIEN LIBERE

    EXTRAORDINAIRES REBONDISSEMENTS

    LES MYSTERES D’ALICE  

    L’article intitulé Les mystères d’Alice de nos reporters Olivier Lamart et Martin Sureau relatif à leur incroyable aventure au cimetière de Savigny a déclenché de multiples réactions parmi nos lecteurs. Le journal a reçu un abondant courrier. L’affaire est tellement étrange qu’elle paraît une parodie de roman gothique. Hélas il n’en est rien. Olivier Lamart et Martin Sureau journalistes et chroniqueurs politiques jouissent d’une flatteuse réputation dans les milieux journalistiques et politiques. Eux-mêmes parlent d’une soirée de folie, mais leurs dires ont été corroborés par les membres des services de la gendarmerie et hospitaliers ainsi que par le Maire et les employés municipaux présents sur les lieux. Les faits étaient si extraordinaires que tous n’étaient pas loin de penser qu’ils avaient été victimes d’une hallucination collective. Pour cette raison l’ensemble des médias n’en a pratiquement pas parlé. Nos deux courageux collaborateurs n’ont pas tardé à se lancer dans de nouvelles investigations. Nous publions donc leurs effarantes révélations. Nous avertissons nos lecteurs que leurs propos risquent de les choquer dans leurs convictions les plus profondes, que les esprits fragiles s’abstiennent de les lire.

    La Rédaction. 

    Olivier Lamart :  Cette histoire était si invraisemblable que nous avons décidé de nous lancer dans une enquête méthodique. Nous avions rendez-vous à l’Elysée pour mettre au point l’interview que Monsieur Le Président de la République devrait nous accorder la semaine prochaine sur son projet d’allongement de départ de la retraite jusqu’à 77 ans. En fin d’entrevue nous avons évoqué nos mésaventures de la nuit précédente et profitant de l’occasion nous avons suggéré que si nous pouvions visiter la maison des parents d’Alice Grandjean, sise face à la grille du cimetière de Savigny, en compagnie d’un haut gradé de la gendarmerie nationale nous en serions très heureux.

    Martin Sureau : trois heures plus tard Octave Rimont Commandant en Chef de la Gendarmerie de Seine & Marne nous ouvrait la porte de la maison des époux Grandjean. La visite s’avérait décevante, une maison proprette d’une famille sans histoire, nous étions dans la chambre d’Alice et nous expliquions pour la troisième fois comment nous avions vu de loin en pleine nuit depuis notre voiture trois points lumineux et que nous avons pensé à des chats ou des chiens qui traversaient la route :

    • Pourquoi pas en effet sourit Octave Rimont, mais une bête à trois yeux ça n’existe pas et à penser qu’il y en avait deux mais que l’une d’elles était borgne, je n’en mettrai pas main au feu !

    Cette déclaration nous étonna, nous n’avions pas considéré ces trois yeux rouges d’une manière si froidement objective. Octave Rimont s’était tu et semblait perdu dans ses pensées, puis il fit lentement le tour de la chambre d’Alice. S’arrêtant devant le poster sur le mur :

    • Qui est cette personne ?
    • Voyons M. le Commandant en Chef, c’est Elvis Presley, le roi du rock’n’roll !
    • Ah, cette musique de sauvages, je n’ai jamais compris pourquoi notre jeunesse… mais oui j’y suis, suis-je bête, c’est enfantin, il n’y a qu’une seule personne qui corresponde à cela sur toute la région parisienne !
    • Quoi, un individu à trois yeux !
    • Ne dites pas de stupidité, je suis sûr qu’il y avait un chien et un homme !
    • Avec un seul œil !
    • Mais non avec un cigare, je peux même préciser qu’il fumait un Coronado !

    A peine croyable, nous avions pensé que Sherlock Holmes était devant nous mais il nous détrompa :

    • C’est le Chef du Service Secret du Rock’n’roll ! Nous avons souvent affaire avec lui, facile à reconnaître, il a toujours un Coronado dans le bec et est la plupart du temps suivi comme son ombre par l’agent Chad et ses deux chiens. Attention, le gouvernement ne les aime pas beaucoup, ils outrepassent souvent leurs prérogatives et ont la gâchette facile. Nous avons essayé à plusieurs reprises de les coincer, ce sont des retors, ils aiment tremper dans des affaires pas très claires, mais ils sont indispensables, Ce sont eux qui rédigent les notices nécrologiques des artistes de rock américains et anglais qui meurent, faut reconnaître qu’ils s’y connaissent et qu’aucun des conseillers du Président n’est capable de faire aussi bien. Bon donnant-donnant, je vous refile leur adresse et tenez-moi au courant des avancées de votre enquête.

    Olivier Lamart : les contacter a été facile. Ils nous ont reçu fort civilement. Pour nous mettre leurs molosses dans la poche nous leur avons offert un bocal de fraises Tagada. Bref le soir, nous arrêtons en leur compagnie notre voiture devant la grille du cimetière de Savigny. Simple visite de reconnaissance avait dit le Chef, il ne faut oublier aucun détail.

    55

    Martin Sureau : hasard ou intuition ? Nous nous dirigions vers la tombe de la famille Grandjean, du fond de l’allée nous aperçûmes une silhouette assise sur la pierre tombale. Elle se leva, courut vers nous, se jeta au cou de l’agent Chad qui à notre grande stupéfaction l’embrassa longuement. Ils se connaissaient ! Etions-nous victime d’une mystification ? Le Chef interrompit cette étreinte :

    • Alice, nous vous avons emmené deux journalistes du Parisien Libéré qui voudraient vous poser quelques questions.
    • Un journal de tocards ! super, j’ai plein de choses à déclarer, et ce n’est pas tous les jours que l’on donne la parole aux morts, messieurs je vous écoute !
    • Hum ? Excusez notre franchise, êtes-vous vraiment morte ?
    • Bien sûr, si vous ouvrez le caveau vous trouverez mon corps en voie de putréfaction avancée, tenez, touchez ma main !

    Elle était froide et dégageait une étrange odeur de pomme surie, je me demandai comment l’agent Chad pouvait l’embrasser à pleine bouche sans dégoût…

    • D’abord permettez-nous de vous présenter nos condoléances pour vos deux parents tués dans l’accident qui…
    • Ce n’était pas un accident !
    • Le maire a parlé d’un accident d’automobile et…
    • Ce n’était pas un accident, c’était un crime !
    • Un crime ? Qui soupçonnez-vous ?
    • Je ne soupçonne personne, je connais l’assassin.
    • Pourriez-vous nous donner son nom ?
    • Oui facilement, c’était moi !
    • Vous ? Comment vous avez saboté les freins et…
    • Pas du tout, un poids-lourd arrivait en face, j’ai donné un coup sur le volant que tenait mon père !
    • Mais c’est horrible !
    • Non c’est bête, j’ai sous-estimé la vitesse du camion, je pensais que mes deux parents seraient tués mais que je m’en sortirai indemne, une erreur fatale…
    • C’est horrible !
    • Hélas oui, je suis morte !
    • Et vos deux parents, vous n’avez pas de regret ?
    • Non aucun, c’étaient des vieux cons ! C’est bien fait pour leur gueule !
    • Excusez-nous, nous supposons une histoire d’inceste, votre père a abusé de vous et votre mère ne vous a pas crue !
    • Non, ce n’est pas ça, c’est pire !
    • Mais que peut-il y avoir de pire !
    • Ils ont cassé tous mes disques de rock ‘n’roll, même le premier Black Sabbath, celui que je préférais, je ne le leur pardonnerai jamais !
    • Mais vous êtes folle, vos parents qui vous ont donné la vie, c’est impensable !

    A ce moment le Chef a interrompu notre conversation :

    • Elle a raison, moi je suis prêt à tuer la moitié de l’humanité, si quelqu’un s’avise à écorner la moindre pochette d’un de mes disques !

    Sur ce l’Agent Chad a ajouté :

    • Moi de même, je tuerai l’autre moitié.

    Et le Chef alluma un Coronado.

    A suivre…