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  • CHRONIQUES DE POURPRE 602: KR'TNT 602: FRED KOLINSKI / LOS ANGELES NUGGETS / MARLOW RIDER / LEMON TWIGS / ARTHUR LEE / DON VARNER / VINCE TAYLOR /EVIL'S DOGS / MOONSHINE / XATUR / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 602

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    25 / 05 / 2023

     

    FRED KOLINSKI / LOS ANGELES NUGGETS

    MARLOW RIDER / LEMON TWIGS

    ARTHUR LEE / DON VARNER

    VINCE TAYLOR / EVIL’S DOGS 

    MOONSTONE / XATUR

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 602

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

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    Sur le site je n’aime guère placer une de mes chroniques avant celles du Cat Zengler, car c’est souvent pour annoncer une mauvaise nouvelle. Ce mardi 16 mai, Fred Kolinski nous a quittés. J’adorais sa pause hiératique, derrière les futs, ses longs cheveux blancs de Roi des Aulnes tombant sur ses épaules, un musicien d’un abord facile, d’une grande modestie, attentif aux autres, pas un grand bavard mais ses paroles étaient réfléchies… Je ne savais pas que ce quinze avril 2023 aux côtés d’Amine Leroy et de Tony Marlow, ce serait la dernière fois que le verrais, il avait assuré les deux sets du concert sans faillir.

    Je recopie ci-dessous les mots de Tony Marlow, nous annonçant la triste nouvelle :

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    ( Photo : Christian Montajol )

    C'est avec une infinie tristesse que j'ai appris la nouvelle du décès de mon ami  Fred Kolinski mardi après-midi. La brutalité et la rapidité de son départ m'ont choqué. Victime d'un AVC fin octobre 2022 il avait tenu absolument à rejouer rapidement plutôt que de se reposer et il est allé jusqu'au bout de la route, jusqu'à ce dernier concert le 29 avril où il a été contraint de raccrocher les baguettes. La batterie et la scène étaient toute sa vie...

    Génération 54, il part à seize ans au festival de l’Île de Whigt, fréquente le Golf-Drouot, rentre début 70 à l’école Agostini et vit dans une communauté de batteurs où il côtoie Christian Vander.

    Dans la France des années 70 pas facile de vivre de la musique qu'on aime...
    Il joue dans de nombreux groupes alternant rock, blues, country ou variété notamment The Bunch ( avec qui il accompagne Johnny Hallyday), James Lynch, Long chris, Yvette Horner, Nina Van Horn, Rockin Rebels, Chris Agullo, Franky Gumbo, Ervin Travis, et dernièrement Marlow Rider et Alicia F !

    Cela faisait six ans qu'on rejouait ensemble et sa grande science de "rythmicien" a beaucoup aidé dans l'élaboration des 3 albums que nous avons enregistrés avec  Seb le Bison. Il avait également une grande aptitude à élaborer des chœurs qui sonnent et son caractère égal et bienveillant créait une ambiance sympa et décontractée.

    Fred nous t’avons accompagné ces derniers mois pour que tu puisses réaliser tes dernières volontés de ton vivant : aller jusqu’au bout de la scène. 

    Repose en paix Fred, tu vas terriblement nous manquer.

    Tony Marlow.

     

     

    She had to leave Los Angeles

     

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             C’est bien sûr John Doe qui chante «She had to leave Los Angeles» dans le morceau titre du premier album d’X paru en 1980, Los Angeles. Excellent cut, comme chacun sait. La référence à l’X est juste prétexte à titrer l’hommage que nous allons rendre à une big box Rhino post-Bronson, Where the Action Is! Los Angeles Nuggets: 1965–1968. Car oui, what a big box !

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             L’L.A. box vient d’une certaine façon compléter la Frisco box épluchée ici en septembre dernier (Love Is The Song We Sing: San Francisco Nuggets 1965–1970), puisque les deux Rhino boxes couvent sensiblement la même période. Elles donnent une idée plus que juste de l’impact qu’eut la scène californienne sur l’histoire du rock, un impact qu’il faut bien qualifier de révolutionnaire. Les deux Rhino boxes mettent surtout en lumière les différences qui existent entre les deux scènes : celle de San Francisco privilégie l’exotisme, avec un son d’essence purement psyché et un singulier mélange de modernité et de brocante. Sans doute à cause d’Hollywood, la scène de Los Angeles s’ancre dans la notion d’usine à rêve, avec un son plus commercial, plus plastique, terriblement américain, le son des clubs du Sunset Strip et des go-go girls. D’où le choix graphique d’illustration en couve.

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             Bon alors tu ramènes ta big box chez toi, tu t’installes dans ton fauteuil, tu prévois du temps, et comme elle se présente comme un livre, tu l’ouvres pour commencer à lire. Glups ! T’as rien à lire, hormis les trois petites introductions, et à la fin, tu as quatre pages qui te présentent les clubs du Strip où bien sûr tu n’es jamais allé, donc ça ne sert pas à grand-chose. Mais rien sur les racines de la scène. Rien sur sa dimension culturelle. Et très vite tu comprends qu’il n’existe pas de racines, et que cette scène est à l’image d’Hollywood : une fiction parfaite, destinée au public américain, et accessoirement au reste du monde. Pas de littérature dans cette big box, tout simplement parce qu’il n’existe pas de littérature à Los Angeles. Andrew Sandoval et Alec Palao n’ont rien à dire, parce qu’il n’y a rien à dire sur Los Angeles. Sur les groupes, oui, mais pas sur la ville. La culture littéraire locale, c’est le cinéma. Les monstres sacrés ne sont pas Baudelaire, Apollinaire, Stendhal ou Edgar Poe, ils s’appellent Eric Von Stroheim, Gloria Swanson, Robert Mitchum, Jack Nicholson, Peter Fonda et Dennis Hopper. Les classiques littéraires s’appellent The Night Of The Hunter, Chinatown, Sunset Boulevard et Easy Rider. Certains objecteront qu’il existe des auteurs de polars, mais le polar reste un genre mineur, enfermé, comme la science-fiction, dans ses limitations. Bukowski ? Oui, il a fait illusion, à une époque, mais ses recueils de nouvelles parus au Sagittaire étaient massacrés par la traduction. Un Buk qui se décrit le matin assis en train de chier, c’est difficile à traduire. Il vaut mieux le laisser dans sa langue originale. Il fait partie, comme Pouchkine, des «intraduisibles», de la même façon que les Pistols font partie des «intouchables». Quand on joue dans un cover band, on ne touche pas aux Pistols. Quand on traduit, on ne touche pas à Bukowski.

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             Le film on va dire le plus ‘littéraire’ et le plus représentatif de cette artificialité est sans doute Chinatown. C’est même un coup de maître. Pendant presque deux heures, Polanski monte une intrigue en neige, c’est un travail de virtuose, tout est magnifié, les acteurs, les crépuscules, les environnements urbains, les voitures, et le soufflé retombe dans une scène finale d’une hallucinante vacuité, puisque la clé de l’énigme n’est autre que le fruit d’une relation incestueuse. Tout ça pour ça ? Avec Chinatown, Polanski exacerbait tout le kitsch de la culture hollywoodienne, et bien sûr, la montagne ne pouvait qu’accoucher d’une souris. Cadreur exceptionnel, comme le furent Pasolini et Godard, Polanski démontrait que Los Angeles était une ville plate.

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             En son temps, Philippe Garnier tentait chaque mois dans R&F d’explorer l’univers culturel de Los Angeles. Il s’y était d’ailleurs installé avec cette intention. Dans des pages extraordinairement denses, il célébrait des gloires locales et disait sa passion pour des films qui avaient une sacrée particularité : on ne pouvait pas les voir en De la, si on vivait en province. Cette culture devenait donc doublement opaque, avec le côté un peu maniaco agaçant de l’élitisme. La culture n’a de sens que lorsqu’elle est accessible à tous. Bon, ça s’est arrangé quand il commencé à parler des Cramps. Et lorsqu’il a mis Bryan Gregory en couverture de ses Coins Coupés. Un Gregory qu’on a revu ensuite peint sur la façade du Born Bad de la rue Keller. Ah quelle époque !

             Donc pas de littérature dans l’L.A. box. Si tu veux t’instruire, il vaut mieux lire un autre grand format, le Riot On Sunset Strip de Domenic Priore. On y reviendra prochainement.

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             Bien sûr, chacun des 100 cuts de l’L.A. box est documenté, comme sont documentés tous les cuts rassemblés par les gens d’Ace dans leurs mighty compiles. Un petit paragraphe pour chaque cut, après, c’est à toi de prendre ta pelle et d’aller creuser, si tu veux en savoir plus. i git !, mon gars. Au menu, tu retrouves bien sûr les grandes têtes de gondole, Byrds, Love, Beach Boys, Doors, Mothers Of Invention, mais aussi une multitude de groupes moins connus et aussi passionnants. Et puis tu as des groupes dont tu connais les noms, mais pas le son, alors c’est l’occasion de faire plus ample connaissance. C’est que ce qu’on appelle l’apanage des compiles. Pour pallier à la carence littéraire de sa big box, Sandoval a imaginé quatre chapitres, d’où les quatre CDs. Le premier s’intitule ‘On The Strip’. C’est là, sur Sunset Strip, que s’est joué le destin de tous ces groupes, comme se jouait un peu plus tôt le destin de très grands artistes à Greenwich Village, où encore, à la même époque, le destin des Frisco bands au Fillmore et à l’Avalon Ballroom. Ce sont les Standells qui donnent le top départ avec l’imparable «riot On Sunset Strip», suivis par les Byrds qui, comme l’indique l’ami Palao, ont démarré au Ciro’s, en 1965. «You Movin’» est une démo superbe qu’on retrouve sur Preflyte, un Movin’ illuminé par un solo à la McGuinn, c’est-à-dire magistral. S’ensuit «You’ll Be Following», early raunchy Love, joué à la pire niaque d’Arthur Lee. On reste dans les superstars en devenir avec Buffalo Springfield («Go And Say Goodbye») et surtout Captain Beefheart & The Magic Band avec l’ultra-abrasif «Zig Zag Wanderer», real deal de proto-punk, zig zag ha ! Early Doors encore, avec «Take It As It Comes», délicat, très L.A., c’est l’époque où Jimbo, trop léger, rebondit dans le son, il n’est pas encore devenu roi. Bon, Spirit, ça ne marche pas à tous les coups («Girl In Your Eye»), par contre, les Seeds s’en sortent mieux avec «Tripmaker», wild punk vénéneux, extraordinaire de watch out. L’«It’s Gotta Rain» de Sonny & Cher reste du heavy groove sans plus, et les Association de Jules Alexander tapent dans l’«One Too Many Mornings» de Dylan. C’est bardé de son et même assez stupéfiant. On retrouve avec un plaisir non feint l’Iron Butterfly de Doug Ingle et l’heavy revienzy de «Gentle As It My Seem», hard punk psychotic, come here woman ! Après, on descend dans l’underground avec par exemple les Leaves et «Dr. Stone», plus connus pour leur version cavalée d’«Hey Joe». Leur «Dr. Stone» est bardé de son et chevauche un Diddley beat. Jim Pons fait encore partie du groupe. Il ira ensuite rejoindre les Turtles. En De la, on a longtemps considéré les West Coast Pop Art Expérimental Band comme les rois de l’underground et rapatrié vite fait leurs trois premiers albums. Mais bon, attention... On y trouve à boire et à manger. «If You Want This Love» est un brin poppy-popette, frappé en plein cœur par un gros solo de bluegrass craze. Tu te régales aussi du Bobby Fuller Four et de «Baby My Heart», il y va de bon cœur le Bobby, il roule son solo dans une belle farine de disto. «Fender driven rock’n’roll», nous dit Palao, «Tex-Mex origins» + «high-energy Hollywood sound». Il faut se souvenir que Bobby Fuller faisait partie des chouchous de Billy Miller, chez Norton. Palao cite Bobby comme étant «one of the ‘60s pop’s brightest talents». On se prosterne jusqu’à terre devant The Palace Guard et «All Night Long», très psyché-Dylan/Byrds, rongé par des lèpres de jingle-jangle, hootchy hootchy coo all nite long ! Tiens voilà un gang de surdoués, The Rising Sons, avec Ry Cooder et Taj Mahal, produit par Terry Melcher, un Melcher qui leur demande de jouer une «supersonic version» de «Take A Giant Step» (Goffin & King) «with some pychedelic touches». Fabuleux shoot de big California flavour. On retrouve toute cette musicologie sur le faramineux dernier album de Ry Cooder & Taj Mahal, Get On Board. Tiens, encore une fantastique énormité avec Kaleidoscope et «Pulsating Dream». Palao les compare aux Rising Sons, «organic and eclectic». Il trouve même que les Kaleidoscope ont plus d’accointances avec la scène de San Francisco, mais ils savaient reconnaître les mérites d’une bonne chanson. Encore une grosse équipe avec Music Machine et «The People In Me». C’est une façon de dire qu’il n’y a que des grosses équipes dans cette ville plate. Palao dit d’eux qu’ils sont «one of the most powerful groups of the era». Il parle aussi de «brutal, sonic-intellectual punch», à propos de «Talk Talk». Et pouf, voilà The Sons Of Adam avec «Saturday’s Son», du bon wild as fuck comme on l’aime, plein de son et de Saturday, de roule ma poule, d’harmonies vocales et de power all over. Ces mecs, nous dit Palao, étaient «the talk of the town», avec «guitar God Randy Holden with Fender jag slung low, Ramones-style, tore off savages riffs with uncompromising style.» Arrivent à la suite les Peanut Butter Conspiracy avec «Eventually», une fast pop on the run. Ces mecs te claquent le Peanut vite fait. Extravagante énergie ! Et tout ceci n’est qu’un petit aperçu. La principale caractéristique de cette scène, c’est la qualité de l’abondance.

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             Ce que vient confirmer le disk/chapter two, ‘Beyond The City» : Palao va chercher les groupes à l’extérieur, jusqu’à San Fernando Valley, Riverside et Bakersfield, chez Gary S. Paxton. Boom dès Thee Midniters avec «Jump Jive & Harmonize», pur proto-punk de c’mon baby. Tu peux y aller les yeux fermés, chicano rock, «and Thee Midniters will forever rule supreme», s’extasie Palao. Et leurs albums rulent supreme à des prix intouchables. Heureusement, Norton s’est fendu d’une bonne petite compile, In Thee Midnite Hour. Arriba ! Ces Chicanos sont bien wild. On sent très vite chez eux une attirance pour le proto-punk de type Question Mark. «Jump Jive & Harmonize» est en A, et en bout d’A, tu as une autre pépite proto-punk, «Down Whittier Blvd», véritable chef-d’œuvre de tension et de function at the junction, c’mon baby cruise with me ! Encore du ramdam en B avec l’une des plus belles covers d’«Everybody Needs Somebody To Love». Thee Midniters sont les vrais punks de Californie. Encore un shoot de big punkish town avec «Never Knew I Had It So Bad». Leur «Empty Heart» a aussi beaucoup d’allure et puis, petite cerise sur le gâtö, on se croirait chez les early Stones avec «Hey Little Girl».  

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             Retour au chapter two, ‘Beyond The City». Tu y retrouves aussi The Light et The Bush, deux groupes arrachés à l’oubli par Mike Stax dans Ugly Things, beaucoup plus légers que les chicanos, mais bon, tu as une belle énergie et de la fuzz dans le «Back Up» des Light. Si tu aimes bien la fuzz qui coule dans la manche, alors écoute les Premiers et «Get On The Plane» et là, oui, c’est digne des Troggs, ils font du fake English. Ils ont tout pigé. Ce sont les Premiers de la classe. Palao ajoute que Larry Tamblyn leur donnait un coup de main. Sur ce disk 2, les têtes de gondole sont les Electric Runes («Hideaway» pas terrible), les Turtles («Grim Reaper Of Love» forcément bien foutu) et Kim Fowley avec «Underground Lady», «the original rock’n’roll Zelig», dit Palao qui, bien remonté, ajoute qu’«Underground Lady» «is perhaps his most authentically punkoid moment as an artist». C’est bizarre qu’il dise ça, car I’m Bad grouille de punkoid moments autrement plus punkoid. Tu retrouves aussi Emitt Rhodes avec The Merry-Go-Round et «Listen Listen», fantastique shoot de pop de classe internationale. Alors les Spats, c’est autre chose : «She Done Moved» sonne comme le pire gaga de Los Angeles. Ah les carnes ! Il faut entendre ça. Sans doute sont-ils la révélation du disk 2, en tous les cas, on en redemande. Palao dit d’eux qu’ils étaient Orange County superstars. Il parle même de «chock full of raunchy, blue-eyed R&B and bright British rock in the mode of their idols The Dave Clark Five.» Avec Ken & The Fourth Dimension et «See If I Care», tu restes dans le hot gaga de Los Angeles. Juste un single et à dégager. Le Ken en question est le fils de Lloyd Johnson, un associé de Gary S. Paxton à Bakersfield. Merci Rhino d’avoir sauvé ce single. L’«He’s Not There Anymore» des Chymes sonne comme du porn nubile. Nouvelle révélation avec Opus 1 et «Back Seat’ 38 Dodge», instro de back seat, tension maximale, un must have been car il n’existe qu’un seul single. Même destin que Ken & The Fourth Dimension. Nouvelle claque avec Things To Come et «Come Alive» : ça joue à la réverb volante. Quant à Limey & The Yanks, ils y vont au Diddley beat avec «Guaranteed Love». Il n’y a pas de sot métier. Le «Love’s The Thing» de The Romancers Aka The Smoke Rings vaut bien les Seeds. Palao parle d’un «classic slice of chaos» et ajoute que le cut qui devait être un balladif fut transformé par «the bersek guitar-slinging of Albert ‘Bobby’ Hernandez.» Encore du wild L.A. punk avec The Deepest Blue et «Pretty Little Thing». Ces mecs sont les rois du lard inconnu. Ils ont du son à n’en plus finir. Pas loin des Pretties, en tous les cas. Tu te prosternes aussi devant The Whatt Four et «You’re Wishin’ I Was Someone Else», un groupe produit par Gary S. Paxton. On y retrouve le troubleshouter Kenny Johnson, il te chante cette pop pyché à pleine voix. Terrific !  Assez punk around the corner, voilà le «That’s For Sure» des Mustangs, encore des rois du proto-punk local, aussi balèzes que les Standells. Le Merrell de Fapardokly (Merrell & The Exiles) n’est autre que Merrell Frankhauser, que Palao traite de «fascinating character». C’est vrai que ni Mu, ni son «Tomorrow’s Girl» ne laissent indifférent. Wild L.A. psychout ! Un rêve de son come true. La vitalité de cette scène et le grouillement des pointures finissent par donner le tournis. 

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             Le disk/chapter 3 s’intitule ‘The Studio Scene’. Allez hop, on attaque avec les têtes de gondole, Jan & Dean («Fan Tan» belle pop californienne et chœurs déments, tirée de Carnival Of Sound), P.F. Sloan («Halloween Mary» qui t’éclate bien la noix à la Dylanex, il récupère tous les clichés, même les coups d’harp, mais avec du génie, Palao ajoute que Sloan agissait avec «an unparalleled intensity») et The Mamas & The Papas («Somebody Groovy» chanté sous le boisseau du groove et forcément énorme, une vraie huitième merveille du monde). On retrouve aussi avec plaisir les Knickerbockers avec un «High On Love» assez dingoïde. L’occasion rêvée de ressortir l’album de l’étagère.

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             Lies est un vieux Challenge US qui date de l’époque des auction lists de Bomp !. Pochette classique des années de braise, et pop classique des mêmes années. Très poppy L.A. et très beatlemaniaque dans l’approche des harmonies vocales. Fabuleusement enregistré par Bruce Botnick et Dave Hassinger. Pas la moindre trace de gaga, mais big energy au long cours. Les Knickerbockers offrent un mélange réussi d’American energy et de Beatlemania. Ce mec chante vraiment comme John Lennon et le wild solo de «Just One Girl» vaut bien ceux du roi George. En B, on tombe sur un «Whistful Thinking» arrangé par Leon Russell, avec un petit effet Wall of Sound. Tonton Leon te violonne encore «You’ll Never Walk Alone» et «Your Kind Of Lovin’». On a toujours gardé un souvenir ému de cet album.

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             On ressort aussi l’album de Keith Allison, car l’«Action, Action, Action» est irrésistible, c’est même du proto-punk, Keith Allison sort les grosses guitares et il fait entrer dans son lard un bassmatic monstrueux. Il va accompagner Bobby Hart et Tommy Boyce avant de rejoindre les Raiders. Véritable coup de génie que ce «Tin Angel (Will You Ever Come Down)» d’Hearts And Flowers, avec des harmonies vocales explosées au sommet du lard. Palao parle de «symphonic psych-pop». Le producteur n’est autre que Nick Venet. Belle révélation encore que Dino, Desi & Billy et «The Rebel Kind», produit par Lee Hazlewood. Dino n’est autre que le fils de Dean Martin. Leur wild gaga est une merveille, mais Palao dit que ce fut un flop commercial. Il n’empêche que c’est une vraie énormité. La grosse claque vient aussi de The Full Treatment et «Just Can’t Wait», un duo composé de Buzz Clidfford et Dan Moore. Un seul single et adios amigos. Incroyable ! Nouvelle extase avec The Lamp Of Childhood et «No More Running Around» : heavy pop de haut rang, encore un groupe à singles immensément doué. Une sorte de supergroupe de stars obscures dont Palao se plaît à décortiquer les curriculums. Oh et puis l’incroyable prestance de The Moon et «Mothers And Fathers». Alors évidemment, dans ce contexte, les Monkees ne sont pas crédibles, surtout que Palao choisit un cut de l’album foireux, Pisces Aquatius Capricorn & Jones. Par contre, il salue bien bas Lee Hazlewood et son «Rainbow Woman». Il a raison. Encore du son avec The Yellow Balloon et «Yellow Balloon», fils spirituels des Beach Boys. Fantastique énergie ! Occasion en or de ressortir l’album de l’étagère.

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             Encore un gros cartonne US chopé sur l’auction list de Suzy Shaw. Magnifique album, on les voit tous les cinq sur la plage et dès «How Can I Be Down», tu as le heavy Beach Boys Sound, c’est-à-dire l’American power, un son unique et la splendeur des harmonies vocales. Ils tapent leur «Stained Glass Wildow» au pah pah pah et s’envolent littéralement avec «Baby Baby It’s You», c’est plein de vie, le mec qui les produit a tout pigé, c’est un chef d’œuvre d’allégresse, avec la pure beauté formelle du son. Puis en bout d’A, tu tombes sur le morceau titre, et là tu bascules dans la magie californienne, The Yellow Balloon s’envole une fois de plus – Yellow balloon/ On a lovely afternoon – La B est plus pop, on perd la plage, mais ça reste gorgé de lumière. Tout n’est qu’élan sur cet album, un élan pareil à nul autre, notamment dans «Can’t Get Enough Of Your Love» - I love you more & more – Ils terminent avec une «Junk Maker Shoppe» plus musculeux, mais ce sont les biscotos de la plage.  

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             Le disk/chapter 4 s’intitule ‘New Direction’. Allez hop, on y va ! Une belle série de têtes de gondole : Stephen Stills & Richie Furay et «Sit Down I Think I Love You», petite chanson de Stylish Stills. Dans ses heavy chords, il ramène de la psychedelia. Tu n’en finiras plus d’admirer ce mec-là. Palao parle du «genesis of the Buffalo Spingfield sound». Eh oui, il a encore raison. Palao a toujours raison. Il faut bien finir par l’admettre. Et puis voilà la plus belle, Jackie DeShannon & The Byrds et «Splendor In The Grass», fantastique dimension mythique californienne, on a là le génie combiné d’une chanteuse exceptionnelle et des Byrds. On parlait d’eux dans le disk 3 : Tommy Boyce & Bobby Hart. Ils sortent du bois avec «Words». Et puis tu as aussi Gene Clark et «Los Angeles». Ses amis l’appellent Geno, alors Geno est vraiment le roi de la psychedelia, il ramène tout le son du monde dans son psychout de jingle jangle. Son «Los Angeles» date du temps où il jouait avec Laramy Smith. Tête de gondole encore avec Tim Buckley et «Once Upon A Time», où l’on voit le Tim s’enfoncer dans le gaga d’L.A. à sa façon, qui est excellente. Oh et puis bien sûr les Beach Boys et «Heroes And Villians», le power définitif, le real deal du California sound. Autre géant de la scène locale, voici Rick Nelson et «Marshmellows Skies», il propose une pop psyché nappée de musique indienne et ça tourne au cliché. Retour au point de départ avec les Byrds et «Change Is Now», tiré de Notorious Byrds Brothers, enregistré après le départ de Geno et le saccage de Croz. Ce chapter 4 s’achève en beauté avec la magie pure de Sagittarius et «The Truth Is Not Real», l’ultimate de Gary Usher & Curt Boettcher, aussi ultimate que Brian Wilson, un Sagittarius suivi de Love et «You Set The Scene» : aussitôt la première note, tu sais que tu es à Los Angeles, un Arthur Lee nous dit Palao «qui repoussa les frontières du traditional pop songwriting» avec Forever Changes. Parmi les moins connus, tu as The Rose Garden et «Here’s Today», un groupe puissant qui a disparu sans laisser de traces. Geno les prit un moment à la bonne et leur fila des cuts. Encore plus impressionnant, voici Nino Tempo & April Stevens et «I Love How You Love Me», fast and heavy pop avec des cornemuses. Nino venait de flasher sur le son des Byrds et il trouvait que les bagpipes sonnaient comme la douze de McGuinn. Fabuleux power ! Nino  était un proche de Totor et l’un de ses arrangeurs, et sa frangine April Stevens vient tout juste de casser sa pipe en bois. L’autre bonne surprise vient de Randy Newman et son énorme «Last Night I Had A Dream». Bizarre, car les rares tentatives d’écoute de ses albums se sont soldées par des bâillements d’ennui. La vraie surprise vient de Del Shannon et d’«I Think I Love You» : De la tout le power du monde derrière lui, mais ce n’est pas bon. Trop insidieux ? Va-t-en savoir. Et puis tu as plein d’autres luminaries, ça grouille de partout : Nilsson, Peter Fonda, Van Dyke Parks, Danny Hutton qui fut le chauffeur de Kim Fowley, Barry McGuire, tous plus légendaires les uns que les autres. On n’en finirait pas.

    Signé : Cazengler, Angeless and less

    Where the Action Is ! Los Angeles Nuggets : 1965–1968. Rhino Box set 2009

    Yellow Balloon. The Yellow Balloon. Canterbury 1967

    Knickerbockers. Lies. Challenge 1966

    Thee Midniters. In Thee Midnite Hour !!!! Norton Records 2006

     

     

    Marlow le marlou - Part Four

     

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             Au lieu de s’appeler Second Ride, le deuxième album de Marlow Rider s’appelle Cryptogenèse, c’est-à-dire engendré dans l’underground. Non seulement le message est clair, mais l’album est bon. Oh pas révolutionnaire ! Le Marlou préfère le confort des ténèbres aux coups de chaud des feux de la rampe. Pas question d’aller lécher les bottes des satrapes médiatiques. Par les temps qui courent, l’indépendance artistique devient un luxe, et la richesse ne se mesure plus en sacs d’or, comme au temps jadis, mais en termes d’intégrité. On est artiste aujourd’hui comme on était pirate au XVIIIe siècle, par goût de la liberté absolue. Et ce n’est pas un hasard si le Marlou a flashé sur Johnny Kidd, et qu’aujourd’hui il chante «Libertad» ! - Libertad for all the people/ Libertad the only symbol - Pas facile de faire rimer people avec symbol, mais dans le feu de l’action, ça passe comme une lettre à la poste. Ça claque au vent. On sent nettement chez le Marlou le goût des abordages, la haine de l’Espagnol - c’est-à-dire la pire incarnation de la cupidité doublée de brutalité - On sent aussi chez lui le goût du partage de butin à parts égales, son break your chains résonne dans l’écho des siècles, son free your mind sonne comme le cri de ralliement des gueux de la terre pressés de quitter l’Europe des oppresseurs pour partir à la découverte du monde libre.

             Les spécialistes de son histoire s’accordent à dire que la flibuste fut la dernière utopie, d’où sa force symbolique. On ne l’approche pas inopinément, on ne joue pas avec. L’un des souvenirs d’expos les plus vivaces est celui d’une petite expo consacrée à la piraterie, au Musée de la Marine, qui se trouvait alors au Trocadero. L’expo visait un public jeune, mais il y régnait une atmosphère pesante et comme chargée d’histoire. On y avait reconstitué le pont d’une frégate. Le clou de l’expo était le faux journal de Louis-Adhémar-Timothée Le Golif, dit Borgnefesse. Coup de génie en forme de pied de nez, aux antipodes d’Hollywood, un Hollywood qui a réussi à transformer la flibuste en gadget avec les quatre ou cinq épisodes des Pirates des Caraïbes. Comme d’habitude, Hollywood est complètement à côté de la plaque, en dépit des efforts de Johnny Depp qui n’en finit plus d’avoir le cul entre deux chaises, c’est-à-dire la starisation hollywoodienne et le rock, dont il est issu. On finit par comprendre qu’avec le temps, les anciens concepts sont dévoyés, parce que les époques ont changé. C’est valable pour Sade et la flibuste. Les pirates africains qui attaquent aujourd’hui les cargos pour les rançonner n’ont pas le panache du Capitaine Flint, et le divin Marquis serait chagriné de voir dans quoi son apologie des plaisirs de la chair a basculé. Aw my gode ! Aujourd’hui, les héritiers spirituels de la flibuste sont les aventuriers. Le Marlou en est un. Donc, écoute-le quand il chante ses aventures.

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             Il fait le récit de ses aventures en B et lie ses six cuts avec un texte autobiographique bien foutu. Il raconte qu’il débarque en Corse à l’âge de 8 ans. Son père découvrant l’île la baptise «paradis terrestre», comme le fit sans doute jadis le Capitaine Flint en découvrant une île des Caraïbes. Vroaaar, le Marlou démarre sa moto pour lancer «Le Grand Voyage», le Grand Voyage qui l’amena enfant en Corse à bord du DC3 Dakota, «à 8 000 pieds d’altitude» et crack, il te claque un solo de jazz au cœur du Grand Voyage, épaulé par le round midnite d’Amine. Bienvenue dans la légende de Tony Marlow, à 8 000 pieds d’altitude. Il passe en mode heavy rockab pour saluer l’hôtel restaurant «Pielza Eden» de son ami Olivier Giudicelli. Mise en place impeccable, l’Eden est monté sur un big bop de slap, all right now, c’est la douceur de vivre, les redémarrages sont fantastiques, tout repose sur ce beat qui va et qui vient entre tes reins. Belle tombée de l’all right now et fuite éperdue de la jeunesse en roue libre. C’est sa vision moderne du monde libre.

             Il passe en mode Blue Cheer pour «De Bruit Et De Fureur», il a largement les moyens du heavy beat sixties. C’est dingue comme Amine s’adapte bien, son slap gronde dans le son, au moins autant que la basse de Dickie Peterson. Pour couronner le tout, le Marlou part en vrille à la Leigh Stephens. Il fond sur le cut comme l’aigle sur la belette. Il profite de cet épisode pour saluer son vieil ami Marc Zermati. Souviens-toi qu’Hakim Bey situe les origines de la piraterie sur les côtes algériennes. Puis le Marlou passe carrément au funky but chic avec «Eclectic» et le souvenirs des bals populaires en Corse - La nuit la danse c’est chic - Il parle de «voûte étoilée» et des «retours au petit matin éclairés par le soleil levant.» On l’avait déjà remarqué à l’époque du Rockabilly Troubadour, il y a du Charles Trenet en lui. Amine ramène encore de la viande dans «Comme Un Cran d’Arrêt», une java du Balajo. Ce démon d’Amine appartient à la caste des inexorables. Il sait chevaucher un dragon. Et le Marlou conclut son mini-récit autobiographique avec cette chute sibylline : «Ceci n’est que le début, la genèse se termine, l’histoire continue...»

             De l’autre côté, le Marlou redit sa passion pour Cream et Jimi Hendrix. Sa version de «Highway Chile» vaut le déplacement : juste après le riff iconique, il part en pompe manouche. Quel sens du parti pris ! Il te joue ça dans la roulotte du diable et chante sous le boisseau, avec le riff qui revient. Et pendant le solo, Amine ramène la pulsion rockab. C’est fascinant, plein de modernité, le Marlou improvise sur le thème hendrixien. Quel hommage spectaculaire ! Ça fait encore plus drôle d’entendre le slap derrière «Sunshine Of Your Love». Le pauvre Amine doit jouer au ralenti de downhome, ça ne doit pas être simple, pour un mec comme lui qu’on a vu bombarder sur scène. On l’entend pulser le heavy beat pendant que le Marlou graisse la patte de son solo. Et puis il allume la gueule du «Doctor Spike» avec un vieux riff des Stones, jetant les sixties dans une sorte d’embolie symbiotique. Tout le dark de cette époque tient dans ce riff. Brillant exploit.

             Les deux albums de Marlow Rider sont sortis sur Bullit, le petit label de Seb Le Bison, que les fans de Rikkha et de Cookingwithelvis connaissent bien. Deux groupes qui datent d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, lorsque le rock flirtait avec le cabaret et qu’on renouait à la nuit tombée avec les mystères de la rue de la Lune. 

    Signé : Cazengler, Tony marlourd

    Marlow Rider. Crytogenèse. Bullit Records 2023

     

     

    L’avenir du rock

     - Lemon incest (Part Two)

             On amène l’avenir du rock à l’hôpital. Son cas est désespéré. Il est atteint d’une crise de fou rire que rien ne peut calmer, ni les douches froides, ni les suppositoires, ni les perfus, ni les électrochocs. Il se marre, il n’en finit plus de se marrer. Et ça ne fait marrer personne. Le professeur Mort-du-rock et son équipe sont à son chevet, consternés. Ils n’ont encore jamais vu un cas pareil. L’éminent professeur ne cache d’ailleurs pas son agacement. Il a déjà fait doubler la dose de sédatif. Mais ça ne change rien. L’avenir du rock se pâme de rire et la vue de l’équipe soignante consternée ne fait qu’aggraver les choses. À travers ses larmes de rire, il distingue confusément cette grappe de gueules d’empeignes. C’est vrai que le spectacle ne laisserait personne indifférent. L’adjointe du professeur tente une approche psychologique :

             — Mais enfin, avenir du rock, si seulement vous nous disiez pourquoi vous riez tant, peut-être pourrions-nous en profiter ?

             La question est à la fois tellement perfide et tellement stupide que l’avenir du rock s’en étrangle de rire. Il tousse et il pète. Puis il repart de plus belle, lorsque le professeur l’approche pour lui tâter le pouls.

             — C’est très curieux. Le pouls est normal, la tension est normale, la température est normale. Mais enfin, de quoi peut-il donc bien s’agir ?

             Excédé, le professeur pince le bras de l’avenir du rock pour voir s’il réagit à la douleur. Ça ne fait qu’aggraver encore les choses.

             — Rhhhha ha ha ha ha ! Rhhhha ha ha ha ha !

             — Ce patient commence à m’exaspérer, mademoiselle Izabotte. Je vais devoir opérer les zygomatiques. Nous sectionnerons ici... et là, juste sous les oreilles, et nous injecterons trois poches de plasma pour figer les risorius. Nous ne pouvons tolérer l’irrationnel dans ce service, comprenez-vous ?

             Personne ne conteste la barbarie du verdict professoral. Toujours en pleine crise, rhhhha ha ha ha ha !, rhhhha ha ha ha ha !, l’avenir du rock sort du lit, se dirige vers la petite armoire où sont rangées ses affaires, fouille dans la poche de sa veste et en sort un CD. Il se tourne vers le professeur et lui balance le CD en pleine gueule.

             — The Lemon Twigs, professeur. Ils me rendent heureux alors je ris.

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             L’avenir du rock tombe souvent dans le dithyrambe de bas étage, mais cette fois, il s’agit d’autre chose : le voilà victime d’une overdose de réjouissance extatique. Dans son bel article, Sarah Gregory corrobore les faits : «The Lemon Twigs are the kind of band that make you glad to be alive.» Elle n’y va pas de main morte, elle dit carrément qu’ils te rendent heureux d’être en vie. Elle n’a pas tort. Elle ajoute : «Ils tirent leur inspiration de tous les genres classiques de la musique populaire pour créer un intoxicating and unique nostalgia-infused blend of melody and tilemess instumentation.» Voilà, c’est ce qui réjouit le cœur de l’avenir du rock. Il n’a jamais été aussi rayonnant. Car oui, le dernier album des Lemon Twigs est une bombe du paradis. 

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             Les Shindiggers ne font pas n’importent quoi : non seulement ils te tartinent six pages sur les Lemon Twigs dans le dernier numéro, traitement de faveur généralement réservé aux superstars, mais en plus, ils t’offrent leur dernier album, Everything Harmony en cadeau de réabonnement. C’est un peu comme si, en 1968, ils t’avaient offert le White Album ou Forever Changes.

             Sarah Gregory dit encore que les deux frères D’Addario puisent dans «the most harmonious of the 60s bands (the obvious ones).» Elle cite des noms, Bowie, Dolls. On citera les nôtres.  Elle revient aussi sur leur destin : tout tracé puisque Daddy D’Addario est musicien/compositeur. Petits, ils se gavent d’home videos, de concerts enregistrés, Beatles, Beach Boys, Monkees, Dave Clark Five. Ils n’échapperont donc pas à leur destin. Daddy D’Addario leur apprend à chanter avant qu’ils ne sachent marcher. Bambins, ils travaillent déjà avec Dad & Mum sur les harmonies vocales d’un hit des Beach Boys, «You Still Believe In Me». C’est la joyeuse singing family. Puis à cinq ans, Brian apprend à battre le beurre. Deux ans plus tard, il gratte une gratte et compose des chansons. Il n’a que sept ans ! Quand ses mains sont assez grandes, il apprend à jouer les barrés. Alors il progresse très vite. Son frère Michael aussi. Même parcours : beurre, gratte, compos. À 10 et 12 ans, ils sont complets. Ils jouent dans des groupes. Ils jamment les Beatles.

             Ils rentrent dans le circuit professionnel au cours des années 2010, influencés par les Flaming Lips et MGMT, mais surtout les psych-rock indie popsters Foxygen. Comme les frères D’Addario, Jonathan Rado a démarré très jeune, il adore les Stones et le Velvet et don’t give a fuck de ce que pensent les gens. Comme Rado, Brian et Michael restent fidèles à l’esprit des albums qui les intéressent, Surf’s Up ou le White Album. Brian : «On pensait que c’était impossible de faire des albums qui sonnaient comme Surf’s Up ou le White Album de nos jours, puis quand on a entendu Foxygen, on a compris qu’on pouvait essayer.» Brian et Michael vont se rapprocher de Rado et même enregistrer avec lui.

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             Quand ils enregistrent Do Hollywood, ils ont 15 et 17 ans. Ils jouent tous les instruments. Rado est même venu donner un coup de main et co-produire. En fait, les deux frères expérimentent beaucoup, ce qui a pu rendre leurs premiers albums un peu déroutants. Ils considèrent leur parcours discographique comme un learning process. Quand Songs For The General Public est paru, Iggy s’est inquiété : «It’s just a little too good.»

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             À la fin de leur 3-LP contract avec 4 AD, Brian et Michael ont signé avec un petit label new-yorkais, Captured Tracks. Alors voilà Everything Harmony, «another twist in the tale», comme le dit si bien Sarah Gregory. Elle y trouve des influences des Byrds, des Burritos et de Simon & Garfunkel. Chacun cherche son chat. Michael : «It’s more about the songs.» Et il ajoute, avec une sorte de modestie désarmante : «I think the songs are good, certainly the recordings couldn’t be any better, the arrangements couldn’t be any better.» Sarah Gregory flashe sur «Corner Of My Eye» qu’elle voit sonner comme un mélange de Simon & Garfunkel, de Beach Boys et de Carpenters. Elle y trouve aussi du «90s Byrds-revivalist guitar twang». «Corner Of My Eye» se développe comme une pop de rêve, une pop de rêve saturée de lumière à la Francis Scott Fitzgerald, tu retrouves cette magie de la pop, douce et tendre, comme savait la distiller en son temps Todd Rundgren, les deux frères D’Addario outrepassent les limites de la bienséance, ils swinguent l’ouate d’I saw you twice before, rien qu’avec ce chef-d’œuvre de délicatesse, tu te figes, comme un chien d’arrêt. Michael dit avoir écrit les paroles de «Born To Be Lonely» après avoir vu l’Opening Night de John Cassavetes. Encore un fil harmonique magique, c’est un bal de Laze d’une irréalité définitive, te voilà invité dans la Pâtisserie de la Reine Pédauque arrosée de chantilly, ils te font la Chocolaterie de Charlie Wonka à deux, ils t’explosent la valse à deux temps, te voilà entraîné dans une spectaculaire parade magnifiée aux harmonies vocales, il croisent Rundgren avec Brian Wilson, il recréent le vertige des descentes extravagantes de qui tu veux, tu as le choix entre Jimmy Webb, Tonton Leon ou encore Burt. Tu tiens l’avenir du rock entre tes mains, il faut entendre l’exercice de cette insistance douceâtre. Cette façon de tenter la valse du diable est unique dans l’histoire.   

             Dès le «When Winter Comes Around» d’ouverture de bal, tu sens que c’est du sérieux. Tu sens la mise en bouche. Ces deux branleurs ont compris le sens de la marche. Ils noient leur son de pop. Et tout l’album va rester à ce niveau. On les retrouve avec «In My Head» dans une Beatlemania évoluée, un ersatz de White Album, c’est de cette qualité. Une pop aux pieds ailés. Stupéfiant. Ils te distillent ça à petites giclées de heavy pop luminescente à la Rundgren, avec des claqués d’accords dignes de ceux des Byrds. Tu sens bien que tu écoutes l’un des très grands albums du XXIe siècle, ils t’explosent ça aux harmonies vocales, au lalala de rêve impur. Tu te retrouves au final avec un hit séculaire. Ils attaquent «Any Time Of Day» au chat perché tanscendental et tu passes à la trappe de Père Ubu, t’es baisé, et c’est tant mieux, ils te plongent dans une Philly Soul de blancs vrillée à l’unisson du saucisson. Pour avoir une idée du niveau d’excellence de cette merveille, tu dois bien sûr l’écouter, mais pas sur YouTube, il te faut le son. Tout ici est monté en neige d’harmonies vocales, comme si Brian Wilson les dirigeait dans le studio, comme si Tonton Leon jouait du piano et que Jimmy Webb conduisant la section de cordes. Tu as là tout le power de l’ultimate. Au dessus, il n’y a plus rien. «What You Were Doing» tombe comme une sentence. Ça sonne comme du Nazz de Twigs, aw quel power, les grattes claironnent comme celles de Big Star au temps d’Ardent et le chant enflamme l’horizon. Dans cette épreuve de force harmonique, c’est un peu comme si tu avais toute la vie devant toi. Ces deux frangins te dévorent le foie - To make you wonder/ What you were doing - C’est littéralement spectaculaire ! Quand arrive «What Happens To A Heart», tu sais qu’ils vont te bouffer tout cru, d’autant que c’est amené au petit chant d’incidence parégorique. Et schlouff, ça monte très vite, ils empruntent le vieux chemin de Damas de la pop parfaite. On a même l’impression qu’ils réinventent la pop, ils s’élèvent comme deux archanges dans les cendres de la cathédrale à coups de now I know what happens to a heart/ When all it ever done is hurt - C’est balayé par des rafales de violons. La prod est terrifique.

             Les guitares de «Ghost Run Free» te scintillent au coin de l’oreille. Ces deux kids réaniment l’éclat de la pop sixties, celle des Hollies et des Searchers, en passant par P.F. Sloan, Arthur Lee et les Beatles. C’est puissant, zébré d’éclairs, affolant de crudité, tu as des petites voix qui éclatent dans le bouquet d’harmonies vocales. Aw c’est bon, laisse tomber, ce sont des dieux. Brouet magique d’éclat septentrional. Avec le morceau titre, ils jouent la carte de la pop orchestrale à fond. C’est une bénédiction pour la cervelle que d’entendre ces deux kids à l’œuvre. Si tu aimes bien qu’on te flatte l’intellect, c’est l’album qu’il te faut. Brian et Michael D’Addario sont les vrais héritiers de Brian Wislon, ils te tortillent encore un «New To Me» qu’il faut bien qualifier de magique. Quel que soit l’endroit, sur cet album, leurs harmonies vocales atteignent au sublime.

    Signé : Cazengler, l’immonde twig

    Lemon Twigs. Everything Harmony. Captured Tracks 2023

    Sarah Gregory : Growing up in public. Shindig! # 138 - April 2023      

     

     

    Wizards & True Stars

    - Le roi Arthur (Part One)

     

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             Il existe plusieurs moyens d’entrer dans le monde magique du roi Arthur. On a même l’embarras du choix. Le moyen le plus radical consiste à écouter les albums de Love, une quinzaine d’albums qui s’étalent sur environ 40 ans, depuis le premier Love LP en 1966 jusqu’à son cassage de pipe en bois à Memphis en 2006 (Il était revenu dans sa ville natale pour monter un projet avec des mecs de Reigning Sound et Jack Yarber). L’autre moyen d’entrer dans ce monde magique est bien sûr la bio de John Einarson, Forever Changes: Arthur Lee And The Book Of Love - The Authorized Biography Of Arthur Lee. Einarson est aussi comme on l’a vu un grand spécialiste de Gene Clark. Un autre moyen tout aussi radical consiste à visionner The Forever Changes Concert, un film tourné à Londres en janvier 2003, un set fabuleux qu’on a pu voir au Trabendo en 2004 avec, en première partie, Sky Saxon et une mouture moderne des Seeds. The Forever Changes Concert est aussi considéré comme son dernier album.

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             Ce qui frappe le plus quand on voit le roi Arthur sur scène, c’est sa prestance. Elle te frappe aussitôt, à l’écran. Au Trabendo on le voyait de profil et le souvenir d’une grande élégance reste précis, comme si ça datait d’hier. On voit parfois de véritables incarnations de l’élégance sur scène, Chuck Berry, Peter Perrett et le roi Arthur en sont les trois plus beaux exemples. Élégance à l’anglaise pour Peter Perrett, pure élégance animale pour Chucky Chuckah et le roi Arthur : la façon de bouger, le port de tête, l’extrême décontraction des membres, tout était incroyablement naturel chez ces mecs-là. Dans le film, le roi Arthur est souvent cadré serré et ça laisse l’impression d’une présence massive, alors qu’en réalité, il est très fin. Et puis, tu as les chansons. Il attaque avec «Alone Again Or», accompagné par les petits mecs de Baby Lemonade, rebaptisés Love + une section de cordes et une section de cuivres. Alors c’est du plein pot, l’Alone et le roi Arthur te bercent dans la douceur d’une brise d’arpèges magiques. Il faut le voir danser avec sa strato blanche. Il gratte ses cordes à  la main, en vrai Memphis cat. Le jeune black blond s’appelle Mike Randle et c’est un virtuose. Le roi Arthur s’est toujours entouré de virtuoses : Jimi Hendrix, Bryan MacLean, Gary Rowles, Jay Donnellan et Johnny Echols. Il déroule les cuts de Forever Changes comme on déroule un tapis rouge. Il chante «Andmoreagain» à la florentine, à la pointe de sa finesse intellectuelle. Il y a du préraphaélite en lui, il est à la fois complexe, baroque, irréel et beau comme un dieu. Il gratte toute sa dentelle de Calais sur sa strato blanche. Mais ça reste excessivement sophistiqué, et en même temps, c’est du typical L.A. sound, «The Daily Planet» sonne comme un mélange naïf de Beatlemania et de psychedelia. Il ne faut jamais perdre de vue que tous ces mecs-là étaient fascinés par les Beatles, Gene Clark et le roi Arthur les premiers. Il est donc logique que le Planet soit un brin beatlemaniaque, mais en même temps impénétrable, comme une femme nue qui se refuserait au mâle entré dans son lit. On voit ensuite «The Red Telephone» plonger dans un lagon d’attente surannée, comme s’il imaginait suivre son cours, au long de méandres harmoniques brusquement interrompus. L’un de ses admirateurs raconte quelque part que le roi Arthur concevait mentalement tous ses arrangements et les chantait à David Angel qui les transcrivait pour les musiciens de l’orchestre. Dans son Red Telephone, le roi Arthur articule de petites abysses symphoniques, il modèle des modules clairvoyants qu’il allège au maximum pour les débarrasser des contraintes morales ou esthétiques. Par contre, «Maybe The People» sonne comme un hit, monté sur une fantastique structure mélodique. Alors pour Mike Randle, c’est du gâtö, il gratte à cœur joie sur sa belle gratte immaculée, il double toute la structure mélodique en solo et crée une sorte d’intemporalité. C’est ce stupéfiant mélange de ferveur mélodique et d’incongruité qui fait la grandeur de cet art. Le roi Arthur rechausse ses dark shades pour attaquer «Live And Let Live» - There’s a bluebird sitting on the branch/ I’m gonna take my pistol - L’Art tire sur les piafs et le jeune black blond joue comme Jay Donnellan, le héros de Four Sail qui reste le plus grand album de Love. Encore une fantastique modernité de ton dans «Bummer In The Summer» gratté aux accords de Gloria et transpercé par un solo country affolant de prévarication. Booo ! Et blast encore avec «You Set The Scene», à coups de same old smile.

             Dans l’interview qu’il donne pour les bonus, le roi Arthur rend hommage à son groupe - They’re so dedicated - Il rappelle que cette musique a déjà 35 ans d’âge. En bon fayot, on s’empresse d’ajouter qu’elle n’a pas pris une seule ride. Et puis on tombe sur des bonus demented : toujours accompagné par les ex-Baby Lemonade, le roi Arthur tape un wild «7 And 7 Is», ça joue à trois grattes, le jeune black blond sur sa demi-caisse blanche, le roi Arthur sur sa strat et Rusty Squeezebox sur une Ricken. Encore plus wild as fuck, voilà «My Little Red Book», on croit rêver, tournez manège, le roi Arthur l’attaque au tambourin, back to the Sunset Strip en 1965 ! Il te fait ensuite trois solos d’harp dans «Signed D.C.», enchaîne avec «Stephanie Knows Who», avec un solo d’acid freak d’early psycehedelia, et boom, «August» tombe du ciel, le pur genius de Four Sail, restitué dans toute son intégralité magique sur scène. Il existe un morceau caché, on tombe dessus par hasard : une version longue de «Singing Cowboy», l’autre monster-hit tiré de Four Sail. Le roi Arthur fait chanter la salle. Coming after you/ Oouuhh Oouuh !

             L’autre moyen d’entrer dans le monde magique du roi Arthur est une petite box jaune qui ne payait pas de mine quand on l’a trouvée, et qui, à l’usage, se révèle déterminante. Une sorte de passage obligé pour les dévots du roi Arthur : Arthur Lee And Love. Coming Through To You - The Live Recordings 1970-2004. Au niveau de l’intensité arthurienne, on ne peut guère espérer mieux.

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             La box ne paye pas de mine, parce qu’elle est petite. Ridiculement petite, pour un personnage de la taille du roi Arthur. William Stout signe le portrait du roi psychédélique qu’on appelait autrefois the hip prince of Sunset Strip. Quatre disks : ‘the 1970s’, ‘the 1990s’, ‘the 2000s’ et ‘A Fan’s View’. On trouve rarement dans le commerce une dynamite d’une telle puissance. On a beau connaître les albums par cœur, toutes des versions live te retournent comme une peau de lapin.

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    Rien qu’avec ‘The 1970s’, t’es gavé comme une oie, mmffff mmfffff, t’en peux plus. C’est l’époque Four Sail, avec quelques cuts tirés de Forever Changes. Frank Fayad, George Suranovich et Gary Rowles accompagnent le roi Arthur. Rowles vient de remplacer Jay Donnellan qu’Arthur a viré après une shoote verbale. Arthur est un roi qui ne supporte pas qu’on lui tienne tête. Et boom, tu tombes très vite sur une version hendrixienne du «Bummer In The Summer» tiré de Forever, Fayad et son bassmatic battent la campagne. Il est encore plus volubile que Noel Redding. Et kaboom, ils enchaînent avec «August», tiré de l’autre meilleur album de Love, Four Sail. Ils font du florentin psychédélique, Gary Rowles te le monte fabuleusement en neige et le roi Arthur se fond dans la magie sonique. Boom-kaboom avec l’énorme cover de «My Little Red Book», il embrasse la niaque de la pop aux nerfs d’acier, please come back, le roi Arthur se fond cette fois dans le génie de Burt, il y ramène toutes la rémona du gaga d’L.A., et ça explose ! Ce n’est pas de la dynamite mais plutôt de la nitro. Ça saute au moindre mouvement. On est complètement dépassé par l’éclat turgescent de cette mélasse mélodico-psychédélique, Fayad et Rowles n’en finissent plus de faire exploser la magie arthurienne, c’est un cas unique au monde. Le roi Arthur te cloue vite fait «Product Of The Times» à la porte de l’église. Puis il tire «Keep On Shining» de Four Sail pour le chanter à la bonne arrache. Il y va au keep on. Tu as beau connaître ce cut par cœur, la version live te subjugue. Le roi Arthur joue sur les deux tableaux : le scorch et le groove psychédélique. On reste dans la magie scintillante de Four Sail avec «Good Times», et puis avec «Stand Out», il revient à sa passion : l’hendrixité des choses. Tu prends la basse de Fayad en pleine gueule et le roi Arthur multiplie les chutes de chant hendrixien. Le disk 1 s’achève avec un «Always See Your Face» saturé de basse et tiré lui aussi de Four Sail. On peut parler de heavyness extraordinaire, de point culminant du rock psychédélique californien. Même encore plus que californien : c’est arthurien.  

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             Le disk 2, ‘the 1990s’, est beaucoup plus calme. Le roi Arthur gratte tout à coups d’acou, souvent seul. On l’entend même siffler comme un beau merle sur «Five String Serenade». Il fait une brillante démonstration de heavy blues avec «Passing By/Hoochie Coochie Man». Puis il revient à Forever avec «Alone Again Or», il en fait une version d’une nudité absolue, presque transparente. Il en rigole, tellement c’est bon. Tu te prélasses dans l’artistry océanique du roi Arthur. On le connaît par cœur, le «Signed D.C.», et pourtant on l’écoute attentivement - Sometimes/ I feel/ So lonely - Puis il passe au fast gaga d’L.A., accompagné par les Cheetahs, avec «A House Is Not A Motel». Ça sent bon le shoot purificateur. Il faut le voir développer sa chique. Version explosive de «Can’t Explain», claquée aux wild accords de clairette. C’est à la fin du disk 2 que les Baby Lemonade font leur première apparition, avec trois cuts : «Signed D.C.», «Orange Skies» et «7 & 7 Is». Big Sound, Mike Randle injecte un power diabolique dans l’«Orange Skies», bienvenue dans l’abîme de la mad psychedelia, c’est gorgé d’arpèges dissonants, l’«Orange Skies» prend feu sous tes yeux globuleux. Encore plus dévastateur : «7 & 7 Is», le roi Arthur se transforme en Attila, il fonce à travers les plaines, il n’a jamais été aussi barbare, aussi ivre de démesure, ça joue à la vitesse maximale, légèrement au-dessus du sol.

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             Ce sont donc les Baby Lemonade de Mike Randle qu’on retrouve sur le disk 3, ‘the 2000s’. Dans son petit texte de présentation, Randle indique qu’il a accompagné le roi Arthur pendant 13 ans, avec un set essentiellement axé sur Forever Changes. En gros, c’est le son qu’on a sur le Forever Changes Concert évoqué plus haut, et c’est explosif. Le roi Arthur rappelle qu’«Alone Again Or» est signé Bryan MacLean, «my original guitah player». Boom ! Power demented ! Écrasant. Version est enregistrée dans un festival au Danemark. Celle de «Live And Let Live» est encore plus wild. Ils tapent ça au pilon des forges, curieux mélange de gros biscotos et d’arpeggios florentins, avec le solo d’acid freakout de Mike Randle. Nouveau blast avec «You Set The Scene». Pop à la Lee, avec un thème mélodique imparable. Randle allume mais le thème persiste et signe. Randle cultive le suspensif - I see your picture/ It’s in the same old frame - À l’écoute de tout ça, on réalise qu’il s’agit d’une pop difficilement accessible pour le public européen. Pourquoi ? Trop L.A., trop Strip, trop urban American. Tout Forever passe à la casserole, «The Red Telephone», «Andmoreagain», «The Daily Planet», c’est une descente aux enfers de Forever. Ce disk 3 s’achève avec le medley «Everybody’s Gonna Die/Instant Karma». Une sorte de groove universaliste.

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             Et voilà le disk 4, ‘A Fan’s View’, sans doute le plus attachant des quatre, car on y entend Bryan MacLean sur les premiers cuts, notamment un «Mr Lee» enregistré au Whisky A Go-Go. Son bordélique, mais son. Ça donne une idée de ce qu’on a pu rater. Il faut les entendre taper «I’ll Get Lucky Some Sweet Day (My Name Is Arthur Lee)» au heavy blues hendrixien. Une autre équipe joue sur «Little Wing». Le guitariste qui fait l’Hendrix s’appelle Berton Averrie. Le roi Arthur y va de bon cœur. Retour des Baby Lemonade sur «The Everlasting First», le cut mythique qu’Arthur enregistra avec son ami Jimi Hendrix. Mike Randle s’en donne à cœur joie. Il est invincible, hendrixien jusqu’au bout des ongles. Puis le roi Arthur déclare : «This is my Five String Serenade». Il la joue pour elle, pour Dianne. Encore une magnifique extension du domaine de la lutte avec «Que Vida», et puis, tant qu’on y est, effarons-nous de la présence harmonique exceptionnelle de «Listen To My Song». On entend à la suite un inédit, «My Anthem». Puis, attention, ça bascule dans le chaos des choses sérieuses avec «Robert Montgomery», tiré de Four Sail, bien fracassé au distro-power par le petit black blond Mike Randle. C’est embarqué en enfer, Randle mêle sa bave de killah kill kill aux descentes de chant du roi Arthur, tu as là l’un des blasts les plus purs de l’histoire du rock, ils atteignent une sorte de sommet, avec le génie d’Arthur Lee mêlé au génie de Mike Randle. Encore de la pop pressée et visitée par la grâce avec «Rainbow In The Storm» et ça se termine avec une version explosive de «Singing Cowboy», c’est d’un maximalisme qui bat tous les records, le roi Arthur te porte ça à bouts de bras, il dispose d’un power sonique effarant, c’est un déluge de son - Check him out, mister Miske Randle, yeah ! - Apocalyptique d’ooouhh oouuhh, et sabré par des cuivres ! Ooouhh oouuhh !

    Signé : Cazengler, Lee de la société

    Arthur Lee And Love. Coming Through To You. Box RockBeat Records 2015

    Arthur Lee And Love. The Forever Changes Concert. DVD 2003

     

     

    Inside the goldmine

    - Varner de la guerre

     

             Varnor était un jour descendu des montagnes. Sans doute élevé par des bêtes, il ne se préoccupait nullement de ce qui nous préoccupe tous, à savoir un minimum de sociabilité. Les notions de civilité et de propreté corporelle lui semblaient totalement étrangères. Il ne comprenait pas qu’on pût le saluer en lui disant bonjour. On le connaissait parce que la municipalité lui avait confié un job de balayeur, alors il balayait les rues du quartier en poussant des grognements. Il offrait le spectacle d’une trogne particulièrement ingrate, son visage était aussi bosselé que celui d’un boxeur amateur et pour couronner le tout, une mauvaise barbe et une sorte d’eczéma lui rongeaient la peau. D’épaisses arcades abritaient un regard clair. Il était bien bâti et semblait de taille à affronter n’importe quel adversaire, même un ours. Il semblait fasciné par les livres. Dès qu’il en voyait un dépasser d’une poubelle, il le ramassait. Avec les années, les gens du quartier s’habituèrent à lui, certains engageaient avec lui des petites conversations, mais il bégayait atrocement. Manifestement, les gens l’effrayaient. On sentait qu’il restait en permanence aux abois, comme une bête sauvage. Et puis, un jour, sans le faire exprès, il bouscula un homme qui sortait du bistrot, au coin de la rue de Vaugirard. L’homme exigea des excuses. Varnor ne comprenait pas. L’homme s’énerva, prenant l’attitude de Varnor pour une bravade et lui donna un coup de poing dans l’épaule. Alors Varnor s’empara du manche de son balai à deux mains et frappa l’homme en plein visage. L’homme s’écroula et Varnor continua de le frapper, jusqu’à ce qu’il eût brisé son manche de balai. Des gens tentèrent de le ramener au calme, il recula de quelques pas, et reprit sa tournée. Le seul problème, c’est que l’homme à terre était connu dans le quartier pour son appartenance au milieu. Deux semaines plus tard, l’homme blessé réapparut dans le quartier accompagné de trois gorilles. Chacun d’eux brandissait une barre à mine. Ils se dirigèrent vers le square où chaque midi Varnor prenait sa pause, assis sur un banc, au milieu des pigeons. Il ne les vit pas arriver, car il examinait l’un de ces livres récupérés dans une poubelle. Les coups se mirent à pleuvoir mécaniquement, comme au temps du supplice de la roue. Varnor s’était écroulé, mais ils frappaient encore. Son visage ressemblait à de la confiture. Ils le laissèrent pour mort. Six mois plus tard, Varnor réapparut dans le quartier pour reprendre son job. Il était défiguré. Les gens accueillirent son retour chaleureusement. Il fut touché par cet accueil. Dans l’atroce mic-mac de son visage mal cicatrisé, sa bouche privée de dents ânonnait un «me-me-me-me-mer-ci» qui vous transperçait le cœur.

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             Pendant que Varnor se faisait démonter la gueule, Varner chantait dans un micro. Contrairement à ce que pourrait laisser supposer son prénom, Don Varner n’est pas un parrain de la mafia, il n’est qu’un de ces obscurs Soul Brothers prodigieusement doués qu’il faut aller arracher aux ténèbres d’un immense underground, celui de la Soul. C’est dans les compiles qu’on coince ce genre de mec, et en l’occurrence, dans l’une des meilleures compiles de Soul qui soit ici-bas, That Driving Beat - A Collection Of Rare Soul Recordings.

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             Don Varner est bien connu des collectionneurs de Northern Soul. Il existe fort heureusement une brave petite compile RPM qui permet aux non fortunés de l’écouter confortablement : Finally Got Over ! Deep Soul From The Classic Era. Sur les 23 cuts compilés, on ne compte pas moins de 10 bombes atomiques, à commencer par «The Sweetest Story», où Don Varner semble bouffer toute la Soul, c’est puissamment orchestré, il chante comme un dieu et nous sort une Soul de génie pur. Plus loin, il attaque «He Kept On Talking» à la façon de Fred Neil, au frileux d’aube de Greenwich Village, et ce démon de Don porte ce hit signé Swamp Dogg jusqu’au paradis de la Soul, c’est d’une sensiblerie explosive, il rentre dans le lard de la pop avec tout le poids du monde, comme au temps de Peter Handke. Il attaque la comp avec «More Power To Ya», du pur jus de raw r’n’b, il chante au meilleur rauque d’Amérique, il est exceptionnel. Et ça continue avec «Handshakin’», c’est un enragé, un prodigieux shaker d’handshakin’, il noie sa Soul dans le Gospel. Ce mec groove la Soul dans le mood, il est l’une des parfaites incarnations du Black Power. Pulsé par un shuffle d’orgue, il rocke «Down In Texas» au baby take me back home. Il chante à la surface d’«I Finally Got Over» avec une puissance paranormale. Son «Power Of Love» est digne des Tempts et il rivalise de raw avec Wilson Pickett dans «You Left The Water Running», Don fait son Dan, il tape dans le dur du Penn. Il a tous les atours d’une superstar. Il tape plus loin dans «Tear Stained Face» au pire beat d’insistance, il le prend de biais pour le rendre plus dansant et ça devient de la Nowhere Soul, c’’est-à-dire une Soul qui n’est ni Southern ni Northern mais une Soul du firmament. Il tape aussi dans le «Meet Me In Church» de Joe Tex, alors inutile d’ajouter que ça monte vite en température ! Il a derrière lui les meilleurs chœurs de Gospel batch et tout le power du Black Power. Avec «Keep On Doing What You’re Doing», il passe au heavy groove de big dude. Don Varner n’entre dans l’arène que pour vaincre, il fait un peu de funk à la Stevie Wonder et c’est balayé par un vent de funk électronique. Il termine avec une fantastique triplette de Belleville : «When It’s Over», «Laying In The Gap» et «You Poured Water On A Drowning Man». C’est Eddie Hinton qui signe «When It’s Over» et Don Varner le prend au tsiwat tsiwat des Flamingos. C’est un mec fiable, il y va si on lui demande d’y aller. Il revient à son cher Gospel avec «Laying In The Gap», c’est son dada, alors il part foutre le feu à l’église en bois, le feu sacré, bien entendu. Puis il claque le dernier cut au heavy beat et on rôtit de bonheur, comme une merguez étendue sur un grill de barboque, Don Varner nous fait le coup du r’n’b qui défonce bien la baraque. Big Don is hot as hell.

             Dans le booklet, David Cole nous rappelle que Don Varner vient de Birmigham, Alabama. Il monte un jour à Chicago et chante dans des tas de clubs, il fréquente Percy Mayfield, et finalement il redescend en Alabama où un mec réussit à le convaincre d’enregistrer un single. Don Varner enregistre «I Finally Got Over», son premier single, chez Rick Hall. Puis il enregistre encore des tas de cuts au Quinvy/Broadway Sound studio, à Sheffield, Alabama. Et qui produit ? Eddie Hinton ! C’est aussi Eddie Hinton qui choisit les cuts pour Don - He was the one that was making all of the choices - Et comme ça ne marche toujours pas, le pauvre Don finit par aller s’installer en Californie. Il va hanter le circuits des clubs pendant des années, puis travailler pendant 18 mois avec Johnny Otis. Mais globalement, Don Varner n’est jamais monté sur le piédestal qui lui revient. 

    Signé : Cazengler, Varner de la gare

    Don Varner. Finally Got Over ! Deep Soul From The Classic Era. RPM Records 2005

     

    *

    Il n’était pas un chanteur de rock, il était le rock‘n’roll !

     

    La formule est belle encore faudrait-il parvenir à définir l’essence du rock ‘n’roll, tant est que les choses aient une essence – les philosophes en discutent – peut-être ne sont-elles que ce qu’elles sont, une fugitive apparence dans le domaine mouvant du possible. Ce qu’elles ont été, selon elles-mêmes, selon l’empreinte qu’elles laissent dans le monde et l’esprit de ceux qui en furent témoins  et de ceux qui en prendront connaissance.

    La destinée de Vince Taylor peut être résumée en deux mots, gloire et déchéance. Les grecs usaient de deux autres vocables, l’acmé et le déclin. Le premier diptyque fleure bon le romantisme, le culte du héros peut dégénérer en une sensiblerie pleurnicharde, pour cette raison Nietzsche proscrivait l’attitude romantique à laquelle il reprochait une approbation implicite de la mort. La formule antique nous confronte à une vision plus pessimiste du destin inhérent à tout être humain. Elle nous oblige aussi à nous interroger sur la notion de grandeur efficiente de toute existence humaine.

    VINCE TAYLOR

    L’ARCHANGE NOIR DU ROCK

    (ROCKABILLY GENERATION / H. S. N° 3 / Mai 2023)

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    Ce numéro fera date pour les fans de Vince Taylor. Mais aussi pour des amateurs de rock curieux qui ont bien entendu parlé de Vince, hélas trop vaguement pour en avoir une idée précise, souvenons-nous que Vince a déserté notre planète, voici plus de trente ans en 1991. Voici quarante-huit pages bourrées de photos légendaires mais aussi de documents plus rares, superbement mis en page par Sergio Kahz, le directeur-fondateur de Rockabilly Generation News, magazine dont KR’TNT ! a chroniqué les vingt-cinq numéros et les deux premiers Hors-séries dédiées à Gene Vincent et à Crazy Cavan parus à ce jour.  

    Le texte en son intégralité est de Jacky Chalard. La vie de Vince est racontée chronologiquement. De petits encadrés apportent quelques renseignements complémentaires nécessaires pour ceux qui n’ont pas connu les années soixante. Jacky Chalard, créateur du label Big Beat, que l’on pourrait définir comme un activiste rock, est des plus autorisés pour évoquer la tumultueuse existence de Vince Taylor, il s’est battu, avec quelques autres, bec et ongles pour le remettre en scène. Cette odyssée cruelle et terrifiante quand on y pense est une des plus belles légendes de l’histoire du rock’n’roll français.

    Vince est né en Angleterre. Son existence ressemble un peu au dieu romain aux deux visages : Janus, c’est aux Etats-Unis où sa famille s’est installée pour fuir une vie miséreuse qu’il aura par l’intermédiaire de la télévision, grâce à Elvis, la révélation du rock’n’roll, comme bien des adolescents de son âge. Mais pour lui ce sera différent. Peut-être même ne s’en aperçoit-il pas et n’en prendra-t-il conscience que quelques années plus tard. On a souvent parlé du magnétisme de Vince Taylor, bien des filles en furent les heureuses bénéficiaires. Singer Elvis n’est pas difficile, mais aspirer d’un seul coup cette grâce magique de l’Hillbilly Cat ne fut donné qu’à Vince, Vince a tout pris à Elvis, non pas son bagage musical issu du blues et du country de l’Amérique profonde et populaire, mais sa manière d’être sur scène, sa gestuelle, sa félinité, il est des savoirs instinctifs qui ne s’apprennent pas, qui ne se transmettent pas, ils se volent. Aucun gendarme ne vous arrêtera, mais c’est comme si vous avez avalé une flamme à l’intérieur de vous. Attention le feu brûle.

    Revenu en Angleterre, Vince décidera de devenir chanteur de rock. Un bon boulot pour un jeune homme désœuvré qui ne sait pas trop quoi faire. Il enregistrera trois disques. Dont Brand New Cadillac, un des plus grands classiques du rock. Est-il trop sûr de lui, un peu fantasque, en tout cas ce qui est sûr qu’il ne se fait pas que des amis avec les pontes du rock, ceux qui signent les contrats, ceux qui planifient (à court terme) les carrières…

    L’Angleterre est trop petite ( ou trop grande) pour Vince, personne ne l’attend aux States, par contre la France est une terre vierge qui ne demande qu’à être ensemencée. Vince frappe à la porte du destin, il ne fait pas parti de Duffy Power And the Bobby Woodman Noise mais il s’embarque avec eux pour Paris. Force-t-on la chance ou se présente-t-elle toute dorée sur un plateau ? Vince se sent-il le dos au mur, a-t-il l’intuition que l’occasion ne se représentera pas de sitôt, se transcende-t-il ?

    En quelques mois Vince conquiert la France. Ses concerts éblouissants et explosifs lui ouvrent toutes les portes. Il n’est pas devenu une vedette, il est La vedette. La coqueluche de la caravelle-set nationale et l’idole des blousons noirs. Barclay lui fait enregistrer à la va-vite quelques classiques du rock, et les distribue sur le marché…

    Vince sera la première victime de son succès. On lui imputera – la presse se déchaîne – le cassage du Palais des Sports ( fin 61 ), a-t-il conscience que le spectacle Twist Appeal ( Avril-juillet 62 ) aux Folies Pigalle le coupe de son public et que son image est discrètement manipulée, qu’il n’est plus tout à fait Vince Taylor, mais le produit Vince Taylor, en juin 63 il ne participera pas à la Fête de la Nation, ce n’est pas lui qui clôturera la soirée mais Johnny Hallyday.

    Une fêlure qui ne cessera de s’agrandir. Pourquoi ? Une raison simple : Vince Taylor est un phénomène, ses concerts sont magnifiques, oui mais Vince ne vend pas de disques. Barclay a beaucoup investi, en pure perte, il pensait avoir déniché le rival qui supplanterait Johnny, mais rien ne s’est réalisé comme il l’espérait. Le jeune coq agressif ne s’est pas métamorphosé en poule aux œufs d’or.

    Il ne suffit pas d’un million de manifestants pour faire tomber un gouvernement. Reste encore des millions et des millions de gens qui restent insensibles à l’esprit de révolte. En 1960, la jeunesse française a changé la donne mais les vieux étaient beaucoup plus nombreux que cette énorme bande d’allumés. Peu à peu les choses se sont calmées… Autre constatation, la France n’est pas un pays rock, certes il existe une minorité qui a su accueillir nombre de groupes ou de chanteurs que les States et les Anglais avaient rejetés ( Vince Taylor en est le parfait exemple ), mais depuis les années 80 la plus large fraction du public s’est entichée d’autres genres. Ce qui n’est peut-être pas une mauvaise chose. Une certaine clandestinité affûte les passions et pousse à la création.

    La carrière de Vince se poursuivra cahin-caha encore durant deux ans. C’est en 1965 que la catastrophe survient. Dans une soirée en Angleterre Vince avale en grande quantité, sans savoir ce que c’est, des pilules qui se révèleront être du LSD, son esprit ne redescendra jamais tout à fait… Crise de mysticisme, internement psychiatrique, errances diverses. Vince Taylor n’est plus qu’un has-been.

    Pas tout à fait. L’aura de Vince ne s’efface pas. Son magnétisme agit toujours. L’éblouissance de ses premiers concerts en France n’est pas oubliée. C’est peut-être la plus belle partie du roman de son existence. Vince n’a qu’un seul ennemi, lui-même. Des amis veillent, se regroupent, tentent de relancer sa carrière. Quelques rares instants de lucidité, des concerts magnifiques et d’autres pathétiques, il faut lire ces pages, Jacky Chalard ne cache rien, étrangement Vince en sort grandi. Un fou, un schizophrène, un maboul, tout ce que vous voulez mais qui détient une espèce de sagesse, l’est un chat qui retombe toujours sur ses pattes, un funambule qui trébuche sur le fil de la réalité, un équilibriste entre deux univers, le sien et le nôtre. 

    Jusqu’au jour où il déclarera qu’il n’a plus envie d’être Vince Taylor.

    Depuis ce jour nous sommes orphelins.

    Damie Chad.

    Attention, ce numéro tiré à 200 exemplaires est destiné à devenir très vite un collector recherché. Magazine 12 € + 4 € (poste) / Chèque à l’ordre de Rockabilly Generation News à l’adresse : Rockabilly Generation News / 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois.

     

    *

    Depuis le Hound Dog d’Elvis Presley jusques au Black Dog de Led Zeppelin en passant par le I wanna be your dog des Stooges, j’en passe et des meilleurs, le chien a toujours été le meilleur ami du rock’n’roll. Voici qu’il nous en arrive toute une meute, des cerbères à trois têtes, ce qui ne gâte rien.

    The Evil’s Dogs a déjà donné plusieurs concerts, leur logo nous permet de pronostiquer quelques aboiements féroces et enragés et nous avertissent qu’ils ne sont pas des adeptes de la musique relaxante. Mettent les choses au point sur leur FB en se définissant comme ‘’ un groupe inspiré par la mythologie nordique et la rock music’’. Leur futur premier EP ne s’intitule-t-il d’ailleurs pas Tales Of The Ragnarok ! Ne nous promettent pas un chien de leur chienne, ils nous offrent en avant-première le premier chiot de leur première portée. Nous en sommes ravis. Pardon havis !

    HAVI

    THE EVIL’S DOGS

    ( Vidéo You Tube / Mai 2023 )

    Alex Lordwood : chant / Nico Petit : guitare / Agathe Bonford : basse / Michel Dutot : drums. Izo Diop : guest guitar ( From Trust ).

    Havi est un autre nom d’Odin que l’on pourrait traduire par le Sage ou l’Initié, nous le connaissons mieux sous le nom de Wotan sous lequel il apparaît dans le cycle de L’Anneau des Nibelungen, la tétralogie de Wagner dont le quatrième volet : Le Crépuscule Des Dieux correspond à La Mort des Dieux que conte le Ragnarök de la mythologie nordique. Le Seigneur des Anneaux de Tolkien est fortement inspiré des vieilles Eddas islandaises. Mais contrairement aux récits en vieux norrois les forces du mal de Sauron perdent la bataille finale, alors que dans le Ragnarok les chiens du mal détruisent le monde des Dieux dont Odin est le chef. 

    Les lyrics d’Havi sont d’une rare densité si on les compare à de nombreuses autres évocations du Ragnarok par divers groupes de metal. En huit strophes ils nous plongent au cœur de la légende, ils commencent par évoquer l’initiation d’Odin qui à la fontaine de Mymir sacrifie son œil pour acquérir le grand savoir dont les deux corbeaux qu’ils portent sur ses épaules sont les symboles actifs, pouvant voyager l’un dans le passé du monde, l’autre dans son avenir. Odin détient le terrible secret, les dieux immortels sont mortels, ils ne sont immortels que dans le temps de leur monde, quand celui-ci périt eux-aussi périssent. ‘’On peut mourir d’être immortel’’ a écrit Nietzsche. La fin du morceau se termine sur le rassemblement des forces qui vont opposer les troupes d’Odin aux chiens du mal. Evil’s Dogs en bon anglais.

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             Je ne sais qui a eu l’idée géniale de la vidéo. A priori d’une pauvreté affligeante, le logo du groupe sur un fond noir durant les quatre minutes du morceau, oui mais il y a ces nuages de fumée que le vent apporte et emporte, l’idée non pas de la fuite du temps mais de la fin des temps odiniques. Le tout est en totale osmose et signifiance avec la vélocité du morceau. Splendeur des guitares, une course sleipnirienne échevelée au bout du monde dont la batterie de Michel Dutot reproduit l’infatigable galopade. Sur ce nappé fugitif, Alex Lordwood ne dépose pas sa voix, l’a cette intuition de faire en sorte qu’elle prenne la place des images d’un film reléguant ainsi le background musical de ses camarades à l’indispensable bande-son sans laquelle elles perdraient leur intensité. Admirable procédé alchimique de fusion non pas des contraires mais de la multiplicité des mots en l’unité organique musicale. Le groupe échappe ainsi à une grandiloquence par trop naïvement tapageuse, le plus grave des dangers dont sont atteintes trop de production metallifères. J’ai dû écouter le morceau plus de soixante fois tant il est insaisissablement magique. Tout au fond le sombre pouvoir de la basse d’Agathe Bonford, aussi profonde que l’occulte puissance de Mymir la source primordiale, Michel Dutot totalement fondu dans le chant des guitares, vous initie de rapides décélérations qui permettent la respiration architecturale du morceau, Nico Petit et Izo Diop sont à la fête, mènent le bal des ardences définitives et des brillances absolues du rock’n’roll. Enfin boule de foudre sur l’incendie le dernier tiers du morceau, Alex Lordwood dont le silence atteint à une scaldique dimension, et la course folle des guitares parfaitement maîtrisées. 

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    Merveilleusement mis en place. Un chef-d’œuvre.

    Vivement l’EP !

    Damie Chad.

     

    *

    Tenons nos promesses dans notre livraison 601 nous présentions Seasons paru en décembre 2022, or en ce mois de mai 2023 Moonstone sort un nouvel opus de six titres dont nous annoncions que nous le chroniquerions dès sa sortie. Le groupe a déjà donné aux mois de mars et d’avril en avant-première deux des titres de cet album chaque fois agrémentés d’une couverture.

    Nul besoin d’être muni d’un diplôme es études picturales pour décréter que ces deux images et la troisième qui agrémente Growth sont issues de la même main. Nous les analyserons tour à tour en le moment de leurs présentations. Invitons toutefois le lecteur à se rendre sur le FB ou sur l’Instagram de Lizard Matilda. Artiste et tatoueuse. A visionner ses réalisations vous comprendrez pourquoi elle est demandée dans les plus grandes villes de Pologne mais aussi d’Allemagne, du Pays-bas, de Norvège… Des traits d’une grande finesse, des entrelacs d’une merveilleuse sveltesse, les courbes harmonieuses dont elle orne les flancs des jeunes filles rehaussent leur native beauté. Ce n’est pas la nature qui imite l’art, selon Baudelaire, mais le serpent où les fleurs qui s’incarnent dans le corps humain, qui se transmuent en chair tentante…

    GROWTH

    MOONSTONE

    (CD – Bandcamp / Mai 2023)

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    De la faucille de la lune perle une larme de sang, lymphe astrale qui nourrit l’arbre du monde. Une image d’équinoxe sur la roue du monde, instant d’équilibre durant lequel, l’hémisphère sombre et l’hémisphère clair se rencontrent sur les limites de la terre, le ciel est noir et les profondeurs de la terre blanches. L’Yggdrasil étale aussi bien ses racines célestes vers le ciel que ses branches vers les profondeurs terrestre. Il n’est qu’un symbole, celui de l’Homme, étendant en vain ses bras impuissants dans toutes les directions, et dont la nuit de l’âme sera, pour citer les derniers mots de Gérard de Nerval, ‘’ blanche et noire’’.

    Jan Maniewski : guitar, vocal / Volodymyr Lyashenko : guitar / Viktor Kozak : basse, vocal / Kacper Kubieri : drums.

    Harvest : une guitare, une voix, un accompagnement de batterie, une ballade qui s’éternise, qui monte une route en lacets, pas trop haut car si l’on croit que l’orchestration finira par devenir dominante c’est une erreur, le morceau n’atteint pas les trois minutes, la voix reste égale, les lyrics jurent avec le titre, la récolte n’est pas opulente, elle ne correspond pas à ce que le mot promet, un arbre, une lune de sang, le sentiment d’une infinie solitude… une invitation peu enthousiasmante.

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    Bloom : Très belle illustration, l’arbre enfermé dans la prison lunaire, mais aussi dans son propre cercle, de la houppe de ses racines et celle de sa frondaison, l’arbre est coupé en deux dans l’entaille du tronc scintille une boule de lumière :  quelques notes égrenées, des gouttes de basse plombées, une batterie qui poursuit son chemin, lourde mais lente, ce qui n’ empêche pas ses roulements de prendre toute la place, bientôt relayée par un chant à plusieurs, la floraison n’a pas été plus joyeuse que la récolte, les guitares effectuent une montée en impuissance, jusqu’à l’arrêt, l’on repart plus vite, la batterie mène le train, il s’est perdu mais il a retrouvé son chemin de solitude, le chant comme un tampon d’ouate sur la plaie de l’âme, des étincelles de guitare nous avertissent qu’il ne changera pas de route, qu’il ira jusqu’au bout, une amplitude triomphale qui s’achève en grincements… Sun : encore une fois le début du morceau n’est pas en accord avec l’éclat du titre, ou alors il s’agit d’un soleil noir, un astre de peine, vocal en prière de pèlerin, la batterie semble arracher les rochers du chemin pour dégager l’avancée, règne tout de même un sentiment de sérénité angoissée, l’on ne presse pas le pas, faut prendre le temps d’écouter ce morceau plusieurs fois, pour le jeu d’attouchements de la  batterie, une fois pour la noirceur submergeante de la basse, quelques notes claires signe de sortie du marasme, dégagement ensoleillé. Night : lourdeur rythmique de la batterie, passons-nous du côté de l’hémisphère sombre, le titre nous incite à l’affirmer, et pourtant des résonnances cordiques nous apportent un démenti et même lorsque la basse s’en mêle, il n’en est rien, les lyrics proférés avec emphase nous invitent à croire que tout n’est pas noir dans l’Homme, son esprit crée ce qu’il désire, une lente cavalcade instrumentale nous force à sourire. Lust : Déploiement d’une note sombre, il ne faut jamais perdre l’espoir du désespoir, tout change si vite, la musique s’appesantit et bourdonne comme un bourdon de mort, le chœur des pèlerins qui se sont fourvoyés nous avertit que tout est perdu, la basse prépondérante ne nous laisse aucune chance, un drame se joue à l’intérieur et à l’extérieur de soi, la solitude est mauvaise conseillère, pour moi, comme pour toi. Toute luxure est une blessure.

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    Emerald : intro acoustique, notes pleines et larges, d’autres plus claires et tranchante, un chant doux se greffe sur cet accompagnement, Moonstone déploie toute son instrumentation, le chant s’intensifie, arrivent des notes lourdes de plénitude et le morceau s’embraye tout seul, le monde peut paraître froid mais la vie palpite sous cette glace apparente, une guitare chante le bonheur de reprendre et de continuer le chemin. Verdure émeraude des arbres, l’arbre s’est fait forêt, le chemin n’est pas terminé, il ne s’arrêtera jamais. Sur l’image l’arbre solitaire est le cœur d’un soleil épanoui.

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             Avec GrowthMoonstone a franchi un cap, il  atteint sa maturité, tout est merveilleusement équilibré dans cet opus, faut écouter les interventions de chaque instrument, faut même les guetter car ils donnent l’impression d’arriver juste au moment où leur intervention est nécessaire, un peu comme si le groupe avait enlevé tout ce qui aurait été de trop et ajouté ce qui aurait manqué, le disque est clos sur lui-même comme un œuf, un peu comme s’ils avaient éliminé le hasard. Prodigieux.

    Damie Chad.

     

    *

    J’aime les choses étranges, surtout celles que je ne comprends pas, du moins porteuses d’une certaine opacité, avec Xatur je suis comblé, viennent de Medellin, en Colombie. Ne nous attardons pas sur la sinistre réputation de la ville. Rien que le nom du groupe permet de gamberger, vient-il du latin, il signifierait alors, ce qui est donné, ne pensez pas au prochain cadeau que vous allez recevoir, mais à ce qui va vous tomber sur la tête, au sort funeste qui vous attend, cette étymologie hypothétique a le mérite d’être en parfaite communion avec le titre de leur premier opus.

    Grande première sur Kr’tnt !, c’est la première fois que nous présentons un groupe revendiquant son appartenance au Dungeon Synth, un sous-courant du Black Metal, né au début des années 90 en Norvège. Synth pour électronique, donjon pour les univers cruels ou merveilleux que ce mot moyenâgeux peut évoquer dans les imaginations qui aiment à s’évader dans d’autres mondes aussi cruels ou merveilleux que le nôtre…

    SICKNESS, WAR, HUNGER AND DEATH

    XATUR

    ( Album numérique sur Bandcamp / Mars 2023 )

    Maladie, guerre, famine et mort, le lecteur qui va à la messe tous les dimanches matin aura sans peine reconnu les quatre cavaliers de l’Apocalypse dont en chaire les prêtres annoncent la venue imminente depuis deux mille ans… Certains affirmeront qu’ils viennent si souvent faire un petit tour parmi nous qu’ils ne sont peut-être que des émanations métaphoriques du côté obscur de la nature humaine…

    Une belle couve, noire et rouge, à l’arrière-plan une espèce de damier de ce qui pourrait être des loges d’opéra ou d’amphithéâtre romain, avec à l’avant-plan un somptueux heaume de chevalier, digne d’un prince, ne porte-t-il pas d’ailleurs une couronne royale.

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    Wherewolf : musique hiératique, fréquences sombres, bourdonnantes, grognements de loups-garous alternés par des chœurs de moines, essaient-ils de prendre l’ascendance les uns sur les autres, s’adressent-ils un défi avant de se s’entretuer, s’élèvent les harmoniques d’un plain-chant sinistre et envoûtant, surgissent au bout d’un long moment des roulades répétées de tambours tandis que plane comme l’ombre de l’aigle de la mort sur un champ de bataille, les tambourinades se succèdent à cadences répétées.  Déboule sans préavis l’obscure splendeur de Sol negro : du soleil noir, dont la brillance obscurcit le monde, une note cristalline répétée et bientôt tournoyante, ô combien inquiétante, quelque chose d’inéluctable, une flèche qui se plante dans votre chair, arrêt brutal, en éclair nous traverse l’idée que le premier morceau décrivait l’avancée pestilentielle de la maladie à pas feutrés et celui-ci l’inéluctable stridence conquérante de la guerre.  Force with fire : lenteur mélodramatique sonore, l’on entend comme des chuchotements ou un ramassis de voix indistinctes, silence interrompu par des éclats battériaux, clignotements de notes translucides qui n’empêchent guère le doux martellement des baguettes de continuer, picotement de grêle, des voix incompréhensibles se font entendre, bruit de perceuses, ronronnements d’un bruit doux, la brosse que vous passez sur votre ventre pour apaiser les élancements de votre faim. Relato : sonorités lugubres, bruits de voix comme provenant d’une radio dont le curseur ne serait pas fixé au bon endroit de la station que l’on voudrait saisir, draperies funèbres tombent du plafond, l’angoisse vous saisit, le speaker se fait entendre il est encore difficile de le comprendre, tout à la fin l’on discerne le terme d’achèvement… serait-ce la mort ? Kansaru- ( Bajo lo occulto ) : guitare acoustique, chant à voix basse qui contraste avec le rythme enlevé, elle nous parle de la difficulté de vivre et de demeurer sur cette planète, la conscience des gens obscurcie par la peur, la souffrance, la misère et l’ignorance…Kansaru est un terme hindou qui désigne le forgeron. L’on sait comment cette antique profession, qui maniait le fer et le feu, de par sa connaissance expérimentale des éléments   primordiaux, fut à l’origine de la réflexion ésotérique, mais en-deçà de cet aspect, mieux vaudrait retenir l’idée du martelage incessant par lequel le fer soumis à rude épreuve devient objet, un peu comme l’être humain assailli par d’imparables fléaux parvient à progresser.

             Cet EP dépasse pas à peine le quart d’heure, malgré cette brièveté il s’impose comme un objet musical, un peu à part, propice à de nombreuses méditations. Nous a donné envie de visiter leur première démo.

    STAR CHAOS

    ( Bandcamp / Janvier 2023)

    Couve en noir et blanc pas très visible, qu’est-ce que cette figure qui occupe la place centrale du tableau, une tête ? de chien ? de mort ? Une boiserie atour du trône d’un roi ? Il semble avoir été un peu conçu selon un procédé anamorphosique, retenons toutefois les deux personnages à la faux qui se font face, ne les regardez pas trop longuement car le dessin se diluera en plusieurs autres formes, sur le couronnement du cadre mirez les deux gueules pirhaniques. peu avenantes qui s’affrontent

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    Intro : ( Portal of Creation ) : ne se mouchent pas avec la manche pour qualifier leur intro de portail de la création ! Remarquons que cette intro dure plus de trois minutes, considérons-là autrement qu’un simple hors-d’œuvre musical. Comment nommer cela ? Un bruissement amplifié, une douceur épanouie, un déroulement d’étoffe ou mieux : d’un tapis ordalique, une invitation à suivre ce sentier sur lequel vos pas, pas plus que votre âme, ne laissent de trace. La formule ‘’un arrêt brutal’’ messied à sa description, disons que ça s’arrête parce que l’on est arrivé au bout du bout. Open wings of Dragon : cri, la musique afflue comme le sang s’écoule d’un cou tranché, harcèlements de cymbales, serait-ce Siegfried qui forgerait son épée, de grandes orgues laissent échapper des flots de morgue, le son augmente, une écaille du monstre luit au soleil à moins que ce ne soit l’éclat d’une arme blanche brandie avec joie. Lord of the all Times : orgue en accordéon mortuaire, batterie et cymbales dissociées, une trompe entonne un refrain qu’elle se hâtera de répéter, est-ce l’annonce victorieuse d’un désastre, celui de quelque chose qui serait prête à s’effondrer, pour nous dire que la voûte du ciel étoilée n’est pas éternelle malgré les apparences, que le Dieu du temps mourra à la fin des temps. Otro (Elemental ritual of death) : sifflement sériel, une plainte violonique s’installe et grandit par-dessous le glissement infini de l’orgue, tous deux concomitants comme la mort qui accompagne toujours la vie et chemine à son côté, inflexion musicale, une plongée vers la terre, il est un autre dieu que celui qui détient les clefs du temps, celui qui ouvre les portes de la mort. Sans doute ont-elles été ouvertes car l’on n’entend plus rien.

             Belle zique, mais ces démos semblent plus disparates que le deuxième opus. Xatur ne recherche ni les effets ni la performance. Il dépose sa musique comme un papillon noir se pose sur une rose. Ce qui la rend encore plus exquise.

    Damie Chad.

     

    *

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 26 ( Additif  ) :

    148

    Dans mon rétro je vois le Chef tout chétif dans son vaste imperméable, l’a l’air d’un petit retraité qui lors de la promenade du chien profite de l’aubaine d’un banc public pour reprendre souffle, assis sur ses genoux Molossito a tout du vieux chien souffreteux, de temps en temps il se soulève pour frotter de sa tête la barbiche blanche du maître qui le caresse, une scène attendrissante qui emmène une larme émue à l’œil des rares ménagères de plus de cinquante ans qui empruntent cette rue huppée, elles leur adressent un sourire affectueux en passant près de leur couple  pitoyable. De temps en temps le maître toussote et son chien lève sur lui un regard inquiet. Le Chef n’allume pas de Coronado.

    Je me rengonce dans mon siège, Molossa invisible aux yeux des passants les plus curieux, couchée sur la moquette noire de la voiture de luxe que je viens de voler, est tout ouïe, elle analyse le moindre bruit, je peux lui faire confiance, elle me préviendra à la moindre alerte, selon nos calculs minutieux nous en avons pour deux longues heures d’attente.

    Je cherche dans la poche intérieure de mon Perfecto, l’exemplaire personnel de l’étrange grimoire parcheminé que la Mort nous a glissé à chacun, nous donnant vingt-quatre heures pour y apposer notre paraphe. Je le connais par cœur mais je ne peux m’empêcher de le relire, je plisse les yeux car l’encre grise – de la cendre des morts qu’elle a tirée d’une urne toute fraîche, comprenez encore chaude, n’est pas facile à déchiffrer. Elle nous a prévenus, l’écriture anguleuse, gothique pour employer son propre terme, elle s’est excusée de la maladresse de doigts squelettiques engourdis par les rhumatismes est difficilement déchiffrable, je me hâte de vous en livrer le contenu.

    149

    Accordance entre Moi, Madame la Mort, souveraine du Royaume des Non-Vivants et :

    Monsieur Lechef, communément surnommé Chef, responsable du Service Secret du Rock’n’roll, et son subalterne Damie Chad subalternement appelé Agent Chad, qui se prend, on ne sait pas pourquoi, pour un Génie Supérieur de l’Humanité,

    Accordance : selon laquelle je m’engage à oublier de les appeler et de les laisser vivre indéfiniment selon leurs désirs.

    Accordance : selon laquelle ces deux accordants susnommés mettront à partir du moment de leur signature interruption à leurs pérégrinations dans tous les cimetières de France, et porteront du même coup arrêt immédiat à l’enquête qu’ils poursuivent sans trop savoir où ils vont et de quoi ils se mêlent.

    Accordance : qu’en cas de refus de signature je m’engage le délai de vingt-quatre heures dépassé de les faire passer de la vie à trépas sans plus de cérémonie.

    Nos trois signatures au bas de ce parchemin faisant foi de nos engagements et de notre acceptance.

    Madame La Mort                           L. Lechef                          Agent Chad

     

    P.Scriptum : ces accodances couvent aussi la survie  indéfinie ou la mort immédiate des deux corniauds  répondants aux noms de Molossa et Molossito.

    150

    De retour au bureau le Chef avait allumé un Coronado :

    • Agent Chad, je sens le coup fourré !
    • Moi itou Chef, j’ai même l’impression à lire cette proposition comminatoire, que l’on se moque non pas de nous, mais du rock’n’roll.
    • Agent Chad je partage votre avis. Toutefois, dans votre phrase il est un mot passe-partout qui attire mon attention !
    • Chef le mot rock’n’roll ne saurait être un vocable passe-partout, c’est un mot sacré, c’est…
    • Pas d’exaltation Agent Chad, nous n’avons qu’un seul jour pour dénouer cette affaire. J’espère que vous me ferez la grâce de ne pas faire allusion à la vieille querelle des grammairiens qui débattent depuis des siècles si l’on peut classer le pronom impersonnel ‘’ on’’ parmi la liste des pronoms personnels, un sujet passionnant certes, mais se lancer dans une telle querelle ne nous ferait en rien avancer dans nos déductions.
    • Si je comprends bien Chef, vous aimeriez savoir qui ou quel ensemble de personnes je désigne lorsque j’emploie ce pronom ‘’on’’.
    • Exactement Agent Chad j’attends votre proposition.
    • A vrai dire Chef, je l’ignore !
    • Agent Chad, à franchement parler je n’en sais pas plus que vous !

    Il y eut un long silence qui me parut interminable.

    160

    Le Chef allumait un cinquième Coronado lorsqu’il rompit le silence :

    • Agent Chad, avez-vous remarqué que dans son papyrus notre vieille copine la Mort n’emploie pas une seule fois le mot rock’n’roll !
    • Oui Chef, en plus lors de notre discussion elle nous a bien fait remarquer qu’elle n’éprouvait aucune animosité particulière contre cette musique qui lui était indifférente.
    • Suivez-moi bien Agent Chad, dans cette affaire une seule solution s’impose, La Mort n’a rien de spécial contre nous, bref nous ne l’intéressons aucunement.
    • Chef, si l’univers était une partie de billard, j’interpréterais votre dernière assertion ainsi : notre amie est la boule qui sert à on ne sait qui pour nous pousser, nous pauvre petite boule du rock’n’roll innocente hors du tapis et nous faire disparaître dans le trou.
    • Agent Chad, vous devriez abandonner l’écriture de vos mémoires et vous lancer dans la poésie, votre métaphore est d’une clairvoyance sans égale, je sais maintenant où nous devons frapper, quelques coups de téléphone bien placés et nous serons fin prêts. Je m’en occupe, pendant ce temps allez voler une voiture, nous en aurons besoin.

    161

    Le museau de Molossa se presse contre mon mollet ( le droit ). Devant moi la rue est déserte, je caresse la crosse de mon Rafalos dans ma poche et appuie le bouton qui débloque l’ouverture du coffre arrière. Un coup d’œil dans le rétro sur le Chef me rassure d’une main il caresse la tête de Molossito_ le chiot fait des progrès il a lui aussi senti l’imminence du danger, peut-être Molossa lui a-t-elle envoyé un message télépathique, toujours est-il que la seconde main du Chef farfouille dans la poche de son imperméable comme s’il cherchait un susucre pour son toutou adoré.

    Je les vois, ils sont trois, deux baraqués qui en encadrent un beaucoup plus chétif en costume cravate. Ils ne jettent même pas un coup d’œil sur ma voiture, il est vrai que les vitres teintées, même celle du parebrise, me rendent invisible. Je compte doucement : un…deux…trois…quatre…cinq ! sans bruit je pousse la portière, celui de gauche, une balle de mon Rafalos lui rentre dans l’occiput, au même moment le Chef a envoyé une bastos dans le front du second garde-du corps, j’ouvre le coffre et enfourne le premier cadavre dans la malle, son rafalos collé sur la tempe du survivant le Chef l’invite cérémonieusement à prendre place à ses côtés, le gars s’exécute sans moufter, le deuxième cadavre a rejoint son collègue, peut-être devrais-je dire son ex-collègue, je m’installe au volant et démarre sur les chapeaux de roue. A mes côtés sur le siège avant Molossito remue la queue de contentement, pour la première fois il a accompli sa mission sans faillir.

    Sur le siège arrière notre otage n’a pas l’air d’aimer les chiens.

    • Ces sales clebs ont donné l’alerte, siffle-t-il entre ses dents, j’en suis sûr!

    Attention ce zigue pâteux n’est pas idiot, même dans les pires situations il ne perd pas ses facultés de raisonnement.

    Moi par contre je n’aime pas que l’on traite mes chiens de sales clebs, le suis certain que cet écart de langage lui portera malheur.

    A suivre

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 601: KR'TNT 601: GENE CLARK / INSPECTOR CLUZO / ISAAC HAYES / POKEY LAFARGE / SWAMP RATS / MARLOW RIDER / MOONSTONE / BIRDS OF NAZCA / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 601

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    18 / 05 / 2023

     

    GENE CLARK / INSPECTOR CLUZO

    ISAAC HAYES / POKEY LAFARGE

    SWAMP RATS / MARLOW RIDER

     MOONSTONE / BIRDS OF NAZCA

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 601

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Last train to Clark’s ville

     - Part Two

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             Le grand spécialiste de Gene Clark s’appelle John Einarson. Ce canadien est aussi spécialiste d’Arthur Lee, ce qui ne gâte rien. Einarson compte donc parmi les becs fins de la rock culture. Par conséquent, on le suit à la trace, comme on suit des cracks comme Peter Guralnick, Mick Wall ou encore Richie Unterberger. Ce sont des gens qui ne prennent pas les choses du rock à la légère. On sort de leurs books ravi et grandi, ou, pour dire les choses plus crûment, un peu moins con qu’avant. Bon d’accord, dans l’absolu, ça ne change pas grand-chose d’être un peu moins con, mais tu admettras qu’il vaut mieux l’être un peu moins que de plus en plus. On se débrouille tous comme on peut, avec nos coquetteries et nos petites logiques à la mormoille.  

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             Einarson rend hommage à Gene Clark avec Mr. Tambourine Man: The Life And Legacy Of The Byrds’ Gene Clark, un book mastoc ramassé à sa parution en 2005 chez Smith, la librairie anglaise de la Rue de Rivoli. Stocké dans l’une des piles de stockage, le book a roupillé pendant presque vingt ans, son dos orangé s’est même décoloré, jusqu’au jour où parut la compile Ace consacrée à Gene Clark (You Showed Me. The Songs Of Gene Clark) épluchée la semaine dernière. Réveil brutal. Tout le monde sur le pont ! L’heure était venue de saluer cet immense artiste.

             Alors attention, les books d’Einarson ont une particularité : ils sont extrêmement bien documentés et d’une rare densité. Il faut généralement doubler le temps prévu pour en venir à bout. Comme Jawbone, l’éditeur Backbeat Books fait le choix d’une typo minimale et quasi-cryptique, un Garamond condensé en corps 10, une fonte d’érudit maniaque qui rend l’avance difficile. Tu croises des milliers d’informations à la seconde, les mots semblent en cacher d’autres, tu dois souvent t’arrêter pour reprendre ton souffle. C’est le prix à payer pour entrer dans les neuf cercles d’Einarson. Mais bon, on ne va pas commencer à chouiner, on n’est pas là pour ça.

             Einarson plante très vite le décor en qualifiant Gene Clark d’«Hillbilly Shakespeare, de psychedelic Johnny Cash et de cocaine-fuelled visonary and tragic figure.» En deux lignes, il résume presque ses 300 pages. Mais on veut en savoir plus. Einarson précise très vite qu’avant d’être musicien, Gene Clark est surtout poète. L’un des premiers à reconnaître le génie de Gene Clark, c’est Taj Mahal : «My God, the songs he wrote! He was a very deep man.»

             Bon, va faire comme les proches de Gene Clark, on va l’appeler Geno. On gagnera de la place. Geno a du sang indien dans les veines. Son père serait d’une ascendance Cree du Minesotta. Geno s’entend bien avec d’autres Indiens, comme Jesse Ed David et David Carradine. Il est né dans un milieu pauvre au Missouri, mais il grandit au Kansas, avec ses 11 frères et sœurs. Il a 18 ans quand il rejoint les New Christy Minstrels, et arrive à Hollywood en 1963. Pour la première fois de sa vie, il a une chambre pour lui tout seul. Les Minstrels ont alors beaucoup de succès et ils prennent l’avion chaque jour. Geno développe très vite une petite phobie de l’avion. Plus jeune, il a vu un avion s’écraser et vu des gens sortir en flammes. Alors très peu pour lui. Un jour, il oublie de se pointer à l’aéroport et les Minstrels partent sans lui. C’est la technique de Geno : quand un plan ne l’intéresse plus, il disparaît.

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             Le voilà tout seul à Los Angeles, avec sa douze, quelques fringues stylées et une vieille 1955 Ford convertible. Le country-boy de Bonner Spings, Kansas, se met à la recherche de kindred spirits pour jouer la musique des Beatles. Entre 1963 et 1964, la Beatlemania a explosé et Geno veut en faire partie. C’est au Troubadour que ça se passe. Geno y traîne tous les soirs.

             Et là Einarson piétine les plates-bandes de Johnny Rogan, puisqu’on assiste en direct à la genèse des Byrds. Le premier fan des Beatles que croise Geno est Roger McGuinn - La première fois que McGuinn les a entendus à la radio, il s’est mis à jouer leurs morceaux - Geno le voit gratter un Beatles’ tune sur sa douze au Troubadour : «Je me suis dit : ‘Man, this guy’s got the right idea!’ Je suis allé le trouver et lui ai dit : ‘Look, do you mind if I play with you? Et il a répondu : «No. Have a seat! J’avais aussi une douze. Et on a joué comme ça pendant trois semaines, en duo. On voulait devenir un duo dans le genre de Peter & Gordon, doing the English style. Et on s’est mis aussitôt à écrire des chansons.» McGuinn voyait plus un duo à la Chad & Jeremy. Sans Geno, McGuinn pense que les Byrds n’auraient jamais pu exister.

             Et voilà Croz qui débarque. Il a déjà une sale réputation. Mais il connaît Jim Dickson et il a un accès gratuit au World Pacific Studios. Ce sera son ticket d’entrée dans les Byrds. Jim Dickson grenouille depuis un certain temps dans le showbiz, nous dit Einarson, il a bossé avec Odetta, les Dillards et l’énigmatique Lord Buckley. Chris Hillman (bass) et Michael Clarke (beurre) viennent compléter les effectifs. Au début, les Byrds tentent de copier les Beatles. Chris Hillman : «We were trying to come up with the sound, which we did eventually.» Croz affirme qu’il est un meilleur harmony singer que McGuinn - That was my gift - Comme Geno a la meilleure voix, il est bombardé lead singer. En plus, il est plus joli que les autres et, petite cerise sur le gâtö, il compose. Croz et McGuinn s’inclinent. Non sans mal. Car les egos sont de taille, surtout celui de David Croz. Jim Dickson : «Si vous n’admettiez pas que David était the most marvelous in the world, then David was not happy with you.» Quand on demandait à Terry Melcher si Charles Manson était le mec le plus dangereux d’Hollywood, Melcher répondait : «Non, c’est David Crosby.» Croz entame une petite guerre d’usure contre Geno. Il lui dit que son timing chant/guitare n’est pas bon. On lui retire sa gratte. Geno doit jouer du tambourin sur scène. McGuinn se marre en douce : «David était un manipulateur et Gene was a little bit slower than him when it came to thinking.» Croz insiste pour dire que Gene n’était pas aussi bon que lui en tant que guitariste rythmique et qu’il était un bon front man : «He was a handsome dude and when he was standing up front there it gave the girls something to admire.» Les formulations de Croz restent délicieuses. On s’en pourlèche les babines. C’est vrai que Geno est une superstar dès le début. Denny Bruce : «Crosby était un peu joufflu et Chris était un chic type. Mais en termes de sex appeal, Gene et Micheal were kind of the Brian Joneses of the group.»

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             Le co-manager des Byrds Eddie Ticker pense que Geno a commencé à se retirer des Byrds quand on lui a sucré sa gratte et qu’il est devenu le Tambourine Man du groupe. Il l’a mal vécu. - He was a very nervous person - C’est Terry Melcher qui produit le premier single des Byrds, «Mr Tambourine Man». Le seul Byrd à jouer dessus, c’est McGuinn. Melcher a fait venir Hal Blaine, Larry Knechtel, Jerry Cole et Leon Russell (dont le piano sera effacé de la bande). McGuinn, Geno et Croz chantent, «Gene doubling Roger with Croz on high harmony», précise Einarson. Hillman et Clarke n’ont rien joué. Jason Ronard se souvient d’avoir posé la question à Dylan : «As-tu rendu Gene Clark célèbre ?», et il m’a répondu : «Non, c’est Gene Clark qui m’a rendu célèbre.» - They really put Dylan on the map - L’histoire des Byrds est au moins aussi intense que celles des Beatles, des Stones et de Dylan. C’est du concentré de tomates géniales.

             Geno compose 20 cuts en moyenne par semaine, mais McGuinn dit qu’une seule vaut le coup d’être enregistrée, ce qui, ajoute-t-il, est normal pour un auteur. Plus tard, Geno avouera s’être inspiré de «Needles & Pins» pour composer «I’ll Feel A Whole Lot Better». Dylan est l’un des premiers à reconnaître la qualité des compos de Geno. Jim Dickson : «We saw some value in Gene’s stuff, Dylan saw more.» Geno est en effet passé rapidement de l’esprit d’«I Want To Hold Your Hand» à celui de «Positively 4th Street». Du coup, c’est lui qui se fait du blé avec le publishing et ça crée des jalousies au sein des Byrds. McGuinn : «Il roulait en Ferrari et nous on crevait la dalle.» Ils sont jaloux, mais c’est Geno qui écrit les bonnes chansons. Il s’achète une belle baraque à Laurel Canyon, au 2014 Rosilla Place. Barry McGuire et Judy Henske habitent dans la même rue. Il fait la course à Mulholland avec Steve McQueen. Vroaaarr ! Geno a un petit côté James Dean. Le mec un peu sombre qui adore conduire vite - Gene was an extremely wild driver, crazy behind the wheel from the get-go - Il se fond dans le mode de vie hollywoodien. Jim Dickson : «Il s’habillait comme Sonny Bono». Il baise secrètement la belle Michelle Phillips, la femme de John Phillips. Einarson : «Il se voyait avec elle comme the king and queen of pop music.» Elle va d’ailleurs se faire virer des Mamas & The Papas, à cause de sa relation avec Geno. Côté dope, Geno ne touche encore à rien. Il se rattrapera un peu plus tard. Croz et McGuinn fument de l’herbe.

             Voilà les Byrds bombardés au premier rang, avec les Beatles et les Stones. Geno : «The shock of being put in that position, I’ll be real honest about it, I couldn’t handle it.» Geno ne se sent pas de taille pour le superstardom. Ce n’est pas son truc. Les avions, les télés, tout ce bordel. Hillman confirme : «The clashing of egos, money, godlike adulation et la présence de divers stimulants ont exacerbé une situation incroyablement fragile.» 

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             Derek Taylor qui s’est fâché avec Brian Epstein vient s’installer en Californie et pouf, il s’occupe des Byrds. Il devient l’instrument de leur succès planétaire. Eddie Tricker : «He just knew what rock’n’roll was all about.» Mais la première tournée anglaise des Byrds est une catastrophe. Petites salles, mauvais matériel, aucune présence scénique. Ils ont chopé la crève. Derek Taylor voulait que Brian Epstein voie ses nouveaux poulains. Malgré tout, Geno est ravi, car il rencontre les Beatles. Einarson précise qu’au moment où les Byrds débarquent en Angleterre, «Mr Tambourine Man» est number one, devant «Help» (# 2) et «Satisfaction» (# 3). Geno se souvient d’une soirée magique chez Brian Jones avec John Lennon et le roi George. Geno se sent très proche de Lennon. Il l’admire autant que Dylan.  

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             Lors de l’enregistrement de Turn Turn Turn, le deuxième album des Byrds, les équilibres changent au sein du groupe : McGuinn et Croz veulent placer leurs compos. Hillman : «McGuinn and Crosby just messed with him, constantly.» McGuinn prend le contrôle du groupe. Turn Turn Turn est bourré de mauvais cuts, choisis à la place des compos de Geno. D’un naturel timide, Geno écrase sa banane. Il sait que l’animosité vient du fait qu’il empoche plus de blé que les autres. Comme Brian Jones dans les Stones, Geno se trouve marginalisé. C’est drôle comme ces deux destins se ressemblent : ils sont tous les deux fondateurs de deux des groupes les plus importants de leur époque, tous les deux brillants et beaux, tous les deux incapables de se défendre, parce que ce n’est pas le pouvoir qui les intéresse, c’est la dimension artistique. Le parallèle Geno/Brian crève les yeux. Il n’est pas étonnant qu’ils aient passé autant de temps ensemble à bricoler des chansons. «Eight Miles High», bien sûr. C’est au moment d’aller faire la promo d’«Eight Miles High» à New York que Geno quitte des Byrds. L’avion est retardé pour un problème technique. Les passagers sont à bord. Geno se lève de son siège et sort de l’avion. Le voyant partir, McGuinn lui lance : «If you can’t fly, you can’t be a Byrd.» Terminé.

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             Selon Croz, la phobie de l’avion n’est qu’une partie du problème, chez Geno. Il pense qu’il s’agissait surtout d’un nervous breakdown : «Think about it: country boy from Missouri, 12 siblings, the suddenly L.A, and stardom. Bam! He wasn’t ready for it.» Croz tente de se disculper : «J’étais dur avec tout le monde. Je n’ai aucune patience avec les gens et je dis les choses comme je les pense. Mais je ne crois pas qu’il ait quitté le groupe à cause de moi.»

             En 1967, les Byrds sont cuits aux patates. Croz et Michael Clarke sont partis. Chris Hillman se barre en 1968. Croz : «The Byrds were done when Gene left.» Croz dit encore que les Byrds ont fait deux bons albums sans Geno, mais la magie était partie - And the Byrds were a magical chemistry - C’est chaque fois la même histoire : l’alchimie disparaît dès qu’on touche à l’équilibre originel.  

             En voiture Simone ! C’est parti pour la carrière solo. Geno monte Gene Clark & The Group avec Joe Larson des Grass Roots (beurre), Bill Rhineheart des Leaves (gratte) et Chip Douglas du Modern Folk Quartet (bass). Geno se met à boire comme un trou. Chip Douglas : «Soudain, Gene got a lot of Byrds money and went girl crazy and car crazy and started buying guns.» Jim Dickson emmène le groupe en studio, mais ça ne marche pas. Geno annonce aux autres qu’il dissout le groupe, mais il veut garder Joe et Bill - Chip I don’t want you in my group - Il ne donne pas de raison particulière. Geno retourne en studio avec Chris Hillman et Michael Clark, Bill Rhinehart, Glen Campbell et Jerry Cole. Leon Russell fait les arrangements. Et Jim Dickson fait venir des Gosdin Brothers pour les harmonies vocales. Eirnason ne tarit pas d’éloges sur ce premier album : «Gene Clark With The Gosdin Brothers est une anomalie. Bien ancrées dans le folk-rock, les chansons sont bien plus pop que celles des Byrds, avec de grosses influences des Beatles, de musique baroque et de Buck Owens.»

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             Il se pourrait bien que Gene Clark With The Gosdin Brothers soit le meilleur album des Byrds. Tu commences par prendre «Echoes» en pleine poire. C’est du heavy Clark, arrangé par Leon Rusell. Geno attaque à la racine du son et sonne comme la rock star américaine définitive. Il faut voir la maturité de son chant et l’heavy downhome de ses pénétrations. Il est sur toi, il te caresse l’intellect. Il approche et recule, comme d’une barcasse, alors que tu dérives sur l’océan. Geno vient te chanter l’extrême groove de la perdition psychédélique, tu sais que tu vas mourir, mais Gawd, quel réconfort. Il enchaîne ça avec deux autres coups de génie, «Think I’m Gonna Feel Better» et «Tried So Hard». Son power te dame le pion. Il chante avec un extraordinaire aplomb. Il y a va au still love you so bad. Il te fond les Byrds dans la country avec Tried So Hard, il est très en avance sur son époque. Il invente un son. Sans doute l’un des meilleurs sons d’Amérique. Il revient aux Byrds avec «Is Yours Is Mine». Il tombe dans l’excès d’excellence, c’est inquiétant. Il tortille son chant pour le ramener aux réalités du système. Il attaque son bal de B avec «So You Say You Lost Your Baby», cut quasi-mythique monté sur un beat gaga. Tu as là la meilleure psychedelia d’Amérique. Invraisemblable power composital ! Il incarne à lui seul l’avenir du rock. L’«Elevator Operator» qui suit est aussi énorme, une vraie dégringolade, il te clarke ça au right now. Cet album est l’un des meilleurs albums de rock de l’époque, il faut le savoir. Encore un coup de génie avec «Couldn’t Believe Her», il t’explose les Byrds, il détient ce pouvoir magique. C’est du Byrdsy sound à l’état pur. On le voit encore affronter son destin au menton volontaire avec «Needing Someone». Avec cet album, Geno est devenu un héros.

             Bizarrement, l’album ne marche pas, même si aujourd’hui il est devenu culte. Le problème c’est qu’à l’époque, CBS vendait aussi les albums de Byrds, et donc ils mettaient le paquet sur les Byrds, pas sur Geno. Geno entre ensuite en studio avec Gary Usher et Curt Boettcher. Ils enregistrent largement de quoi faire un album, mais Einarson ne sait pas où sont passées les bandes. C’est le fameux deuxième album solo de Gene devenu une sorte de monstre du Loch Ness. Tout le monde en parle, mais personne ne l’a vu. Comme les gens de CBS trouvent que Geno n’est pas viable commercialement, ils le virent. Jim Dickson pense que si Geno avait sorti un hit, les choses auraient été bien différentes. Le plus hallucinant dans toute cette histoire, c’est que Geno n’a fait que ça : pondre des hits. Cot cot ! «Echoes» ne serait donc pas un hit ? C’est le monde à l’envers !

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             Geno va se faire une spécialité : l’abandon de projets. Il n’en finit plus de composer des chansons géniales, mais ce sont des autres interprètes qui se les tapent, par exemple David Hemmings avec «Back Street Mirror». Geno passe ses journées à composer. Il évoque 200 ou 300 chansons dans un tiroir. C’est à cette époque qu’il rencontre The Rose Garden et qu’il leur file des chansons : «Only Colombe» et «Down By The Pier». Mais ils ne prennent que celles qu’ils sont capables de jouer, «Till Today» et «Long Time». Les démos de Geno avec The Rose Garden se trouvent sur le Gene Clark Sings For You dont on va parler plus loin.

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             Puis Geno devient pote avec Doug Dillard. «Ils adorent siffler des Martinis, ils adorent l’herbe et ils adorent l’acide», dit David Jackson qui joue de la basse avec eux. Tickner surenchérit : «Two guys with a drinking problem coming up.» Et un troisième larron, Daniel Moore ajoute : «Both of those guys were pretty hardy-party guys. They would go on for days. Je ne pouvais pas suivre. Une soirée, ça me suffisait et j’allais me coucher, mais eux, ils continuaient.» Ils jamment chez David Jackson à Beechwood Canyon avec Don Beck (mandoline) et Bernie Leadon (banjo et futur Eagle). Leadon dit que ce groupe était organique. Cette fine équipe finit par entrer en studio pour enregistrer The Fantastic Expedition Of Dillard & Clark. Geno s’entoure de spécialistes de la country mais il les entraîne vers le country-rock et la down-home good time music. Il a trouvé refuge chez A&M. Avec sa Fantastic Expedition, Geno crée de la magie dès l’ouverture du balda avec «Out On The Side», un shoot d’heavy country hantée, plombée et magnifique, opaque et lumineuse, ce que les critiques appelèrent the relaxed magic of Gene Clark. Globalement, ce Fantastic Voyage est un album de country rock chatoyant, illuminé par le violon de Bernie Leadon. L’autre énormité de l’album s’appelle «In The Plan», un Plan attaqué au banjo et la voix de Geno se pose comme la main de Dieu sur cette country primitive. C’est extrêmement puissant. La country de Dillard & Clark a une fantastique allure qui ne doit rien à celle de Nashville. «Don’t Come Rollin’» file à travers les collines ensoleillées, avec des coups d’harp et de banjo. On reste dans l’excellence avec «Train Leaves Her This Morning». Pur spirit, une fois encore. Ils attaquent «With Care From Someone» au fast banjo du Kentucky, c’est vite embarqué par une basse pulsative et monté en neige aux harmonies vocales. Une véritable énormité cavalante ! Doug Dillard est un fou du banjo. Les fans les plus fous de Geno ont forcément rapatrié la red de l’album parue en 2008 pour pouvoir entendre le mythique «Why Not You Baby», ce blast de country power qui est tellement puissant qu’il t’emporte comme un fleuve en crue. Geno a une façon unique de se fondre dans le groove. Il revient aux harmonies vocales lourdes et lentes pour mieux nous fasciner. Tout est surexcité ici, le violon, le banjo, tu ne trouveras jamais ça ailleurs. Et puis tu as une cover magistrale de «Don’t Be Cruel», un wild hommage à Elvis. Sous sa casquette de biker, Geno développe des énergies de wild cat. Rodney Dillard : «Those two guys were pretty wild.» Ils essayaient d’entrer dans les bars sur leurs motos - Trying to drive their motorcycles into the bar - Quand il ne refait pas la course poursuite de Bullit avec Steve McQueen, Geno roule en moto dans les bars.  

             Pour la promo de The Fantastic Expedition Of Dillard & Clark, ils doivent tourner un peu. Les voici à l’affiche du Troubadour. Vers 15 h, Geno et Doug vont boire des Martinis et prendre un acide dans le rade voisin, et quand ils montent sur scène à 21 h, ils sont out of it. Geno s’assoit sur son ampli et fixe le mur, quant à Doug, il saute à pieds joints sur un violon qu’il a posé au sol. Don Beck quitte le groupe sur le champ. Le concert est un désastre historique. Dommage, car les spécialistes trouvaient the Dillard & Clark Expedition bien meilleur que Poco ou les Burritos - Their music was way ahead of the others, more conceptual and concise than the Burritos», dit John McEuen - Il ajoute qu’avec moins de dope, ils auraient pu devenir énormes. Bernie Leadon rappelle qu’en plus d’une phobie de l’avion, Geno avait le trac sur scène - His fear of performing was legendary too - C’est pour ça qu’il picolait et se tapait des acides.   

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             Le deuxième album de Dillard & Clark s’appelle Throught The Morning Throught The Night. Avec Byron Berline au violon, le son est plus bluegrass. L’album réserve une bonne surprise : une cover de «Don’t Let Me Down». Belle hommage d’un géant à ces géants que furent les Beatles. Gene Clark américanise cette merveille océanique. Ça tient bien la toute, il chante à fendre l’âme. Même si on n’est pas trop fan de cette chanson, il en fait un chef-d’œuvre interprétatif. Son accent fêlé de trompe pas. Derrière, les autres pourvoient à la paix du monde. Sinon l’album est très country, comme le montre l’excellent «Kansas City Southern», ces mecs vont vite en besogne, ça joue au hard drive des Appalaches. Geno fait aussi un petit peu de psychedelia avec «Polly». Il a vraiment un son à part, une qualité de plaintif qui embellit la donne. Encore du big country batch avec «No Longer A Sweetheart Of Mine», puis une fast country de ventre à terre avec «Rocky Top» et toute la bande de Donna Washburn, Bernie Leadon, Sneaky Pete, Hillman et le banjo de Doug Dillard. Mais comme le groupe prend une direction trop bluegrass à son goût, Geno se retire - He was done with Dillard & Clark.

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             En 1971, il enregistre White Light. La tendance générale de l’album est le balladif sentimental. On sent le timoré derrière le country boy du Missouri. Il faut attendre le morceau titre pour crier au loup. Big country energy ! Gene Clark emmène sa country à l’aventure avec énormément de son, c’est extrêmement altier et mélodiquement solide. Et là on tombe sous le charme discret de la bourgeoisie Clark. Il attaque sa B avec «Spanish Guitar» et des coups d’harp mélancoliques. Il se répand bien dans le Dylanex. Pour Serge Denisoff, «‘Spanish Guitar’ is the first cousin of ‘Visions Of Johanna’ mixed with ‘Tom Thum Blues’, harmonica riff and all.» «Where My Love Lies Asleep» est encore plus mélancolique. On ne peut pas espérer meilleure tartine de Dylanex. Geno sait rester intense dans son élan. Il va sur le psyché rampant avec «Tears Of Rage». Il est extrêmement doué pour serpenter sous le boisseau de sa vieille psychedelia. «1975» renoue avec le big American rock. Quel superbe artiste ! Il tient bien sa chique, il chante à la mâchoire carrée avec des trémolos dans la voix. Geno est un loup solitaire. Einarson ne tarit plus d’éloges sur White Light : «It is a stunning work of sheer genius and Gene Clark’s highest watermark to that point.» Et il ajoute, éperdu : «Pour Lui, c’est la force des paroles et la mélodie qui portent les chansons.»

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             Enregistré en 1971, Roadmaster ne paraît qu’en 1973. Il pourrait bien être le meilleur album solo de Gene Clark. Il faut savoir que l’ancien manager des Byrds rêvait de voir les Byrds se reformer, et il a presque réussi son coup en ramenant Croz, McGuinn, Michael Clarke et Chris Hillman en studio pour deux cuts, «She’s The Kind Of Girl» et «One In A Hundred». C’est exactement le son des Byrds, on s’y croirait. Alors évidemment, comme McGuinn et Croz ne peuvent pas s’encadrer, ils viennent chacun leur tour enregistrer leurs pistes en re-re. «Here Tonight» sonne encore comme un cut des Byrds, avec ce sentiment de sunshining melancholia. Le bassman dément qu’on entend derrière n’est autre que le Flying Burrito Chris Ethridge. «Full Circle Song» sonne comme un coup de génie, c’est même un coup de génie musicologique, chargé de richesses à outrance. Geno crée des courants magiques. Encore une merveille avec «In A Misty Morning» auréolé du violon de Bernie. Ardent défenseur de la beauté, Geno se paye sur la bête. Peu d’artistes atteignent la pointe de ce paradigme. Geno est chaud et tendu, fabuleusement authentique et c’est à cet instant précis, dans le Misty Morning, que tu tombes à genoux. Geno est l’âme des Byrds et même l’âme du rock américain. Il faut le voir tartiner son «Rough & Rocky», il s’y prend comme un grand artiste, il fait corps avec la matière de son violon, ah comme ce Missouri boy peut être bon ! Il tape dans le heavy boogie pour son morceau titre - I’m a roadmaster baby/ And I spend my life on the road - Il cultive une fantastique présence d’entre-deux. Il y va doucement avec «I Remember The Railroad», tellement doucement que ça devient beau, down the road/ So I see. Même un simple balladif tapé au clair de la lune comme «Shooting Star» est beau. Geno laisse derrière lui une traînée argentée, il est là, dans l’ombre, au coin d’une nappe d’orgue, toujours génial. Mais les sessions ont été pour le moins chaotiques. Chris Hinshaw a fait venir Sly Stone et sa bande en studio, le budget a explosé et en représailles, A&M a tout bloqué. En plus, les gens d’A&M n’aimaient pas l’album. Pas assez commercial ! Le heavy metal se vend mieux à cette époque. Les bonnes chansons n’intéressent plus le grand public. 

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             Geno fréquente assidûment Jesse Ed Davis. Indien de souche, Davis vient d’Oklahoma et s’installe à Los Angeles, comme d’autres célèbres Okies, Toton Leon, Carl Radle et J.J. Cale. Geno et Davis adorent picoler et gratter des grattes toute la nuit. Un jour, Geno prête sa Porsche 914 à Davis. Quelques semaines plus tard, Davis refait surface et Geno lui demande où est la Porsche. Bousillée ! Geno est furieux. Beaucoup plus tard, en 1985, ils se rabibochent et envisagent de bosser ensemble. Tonton Leon se dit intéressé par leur projet. Mais Jesse Ed Davis fait une petite overdose dans une laverie automatique. Fin du projet.

             Les Byrds se reforment pour enregistrer un album sans titre. Croz ramène en studio «his incredly strong pot». McGuinn se marre : «Half a joint and you couldn’t do anything. We were stoned out of our minds the whole time. I don’t remember much recording. I remember just sitting around getting high.» Mais Geno ramène deux hits, «Full Circle», tiré des sessions abandonnées de Roadmaster, et «Changing Heart». Ils essayaient de brouiller les pistes en coupant les ponts avec le vieux son des Byrds, ce qui d’après Einarson est une erreur. Geno fait aussi deux covers de Neil Young, «Cowgirl In the Sand» et «See The Sky About To Rain». On reviendra dessus dans le Part Three.  

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             Quelques relents de Byrdsymania flottent encore dans No Other. Einarson rappelle que Geno est alors considéré comme «the king of Cosmic Cowboys». Mais contrairement aux rumeurs qui ancrent No Other dans la dope, Geno est sobre, comme le rappelle sa poule Carlie. Avec ses Byrds royalties, Geno s’est s’acheté une baraque du côté de Mendocino, à Albion, à l’intérieur des terres. Il s’y installe avec Carlie et c’est là que leurs deux fils Kelly et Kai vont grandir. On peut voir la baraque sur la pochette de Two Sides To Every Story. À cette époque, Geno fréquente Tommy Kaye, un mec qui a bossé comme head of A&R pour Scepter, à New York, notamment avec les Shirelles, Maxine Brown, Jay & The Americans, et puis aussi Link Wray. Il vient tout juste de produire Triumvirate, l’album de Mike Bloomfield, John Hammond Jr et Dr John, ainsi que l’album du bras droit de Dylan, Bob Neuwirth, sur Asylum. No Other est un album visité par la grâce, comme le montre «Life’s Greatest Fool», c’est évident, tout est là, dans la façon de swinguer le groove. Geno semble toujours négocier son entrée dans un heavy balladif country. Il ne jure que par le story-telling. Il saupoudre son morceau titre d’une pincée de psychedelia, mais il faut attendre «Some Misunderstanding» pour sentir ses naseaux frémir : tu as tout suite le gratté de poux psychédélique et le chant posé. C’est sa façon de renouer avec le génie, son génie. Il ouvre des horizons extraordinaires, il est dans le renouveau à chaque instant, il retape son but I know. Voilà la compo géniale par excellence. Il lui faut du temps pour la développer, et sa façon de plomber un ciel est unique. Avec «Lady Of The North», il replonge dans la dérive de Misunderstanding, même filet de chant mélodique, ça reste atrocement bon, même si c’est assez country. Il retourne toujours la situation à son avantage. Par contre, son «Strength Of Strings» est plus delta, comme si la Californie débarquait dans le delta. Il saupoudre tout ça d’un brin de psychedelia. Il n’a aucun espoir, ça s’entend. On se croirait parfois chez Procol Harum, c’est dire si la marée monte.

             Mais Geno doit souvent retourner à Los Angeles pour les sessions et il y retrouve sa bande de wild friends, «Kaye, Carradine, Barrymore, Dillard and Davis, all part of his Los Angeles drugs-and-booze persona», ce qui l’éloigne de Carlie et des enfants. C’est l’âge d’or de la coke. Dennis Kelley : «Tommy Kaye, Jesse Ed Davis and Gene really formed something of an Unholy Trio in regards to their bad habits.» Jason Ronsard ajoute : «Tommy Kaye was just a beautiful cat, but he did a little too much cocaine.» Tommy Kaye produit No Other et déclarera un peu plus tard : «It was my answer to Brian Wilson and Phil Spector as a producer.» C’est au dos de la pochette qu’on trouve le portrait de Geno efféminé. Le hic, c’est que David Geffen trouvait l’album mauvais et ne comprenait pas qu’on ait dépensé 100 000 $ pour seulement 8 cuts. Donc pas de promo, nouvel échec commercial pour Geno. Ça ne s’arrête pas là : Geno en veut tellement à Geffen qu’un soir, il est à deux doigts de lui mettre son poing dans la gueule. Geno se grille car Geffen est un homme de pouvoir. Chris Hillman : «That shut it down for Gene. Geffen had the power then. He’s a very powerfull man. You can’t do that to a guy like him.» Il existe pas mal de parentés entre Geno et le roi Arthur qui, de son côté, a aussi ruiné sa carrière en s’en prenant à Robert Stigwood. Einarson  considère No Other comme «a masterpiece», «too far ahead of its time, or merily out of its time». Et il conclut : «Artistiquement,  c’est un sacré compliment. Commercialement, it’s the kiss of death.»  No Other et Forever Changes même combat ? Tu l’as dit.

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             Two Sides To Every Story est un album très pépère, mais tu vas régaler d’au moins deux cuts : «Home Run King» et la cover d’«In The Pines». L’«Home Run King» est un admirable shoot de country-rock à la Clark. Doug Dillard tape ça au banjo. Derrière, tu entends aussi Emmylou Harris. C’est de la petite magie pure. La cover d’«In The Pines» est aussi une merveille de black girl/ Black girl/ Where did you sleep last nite, avec Dillard au banjo - In the pines/ Where the sun never shines - On ne sait si on préfère la version de Geno ou celle de Lanegan. Avec «Kansas City Southern», Geno s’en va rocker a chique et il finit en lonseome sound. Et puis en B, tu as «Marylou», gros shoot de Soul rock. Geno fait des choix pour le moins extraordinaires. Il est de toutes les sorties, avec à la clé un vieux killer solo. Au dos de la pochette, il n’est plus maquillé comme au dos de No Other, mais barbu, «like some cosmic mountain man». Cet album est aussi celui du split : Carlie s’est barrée avec les gosses. Geno rôtit en enfer.

             Eh oui, quand Geno picole, il devient violent. Carlie a eu la trouille. Surtout pour Kelly et Kai, les deux garçons : «Je ne dis pas qu’il était dangereux physiquement, mais au plan émotionnel, au plan mental.» En plus, quand il est en virée à Los Angeles, Geno baise avec une autre gonzesse.  Alors Carlie fermes les volets de la baraque d’Albion et se barre à Hawai, le plus loin possible, pour être sûre que Geno ne la retrouve pas - If he’s got drunk and found me, he’d kill me - Puis Carlie va basculer dans la dope, elle va free-baser, alors Kelly et Kai iront dormir à droite et à gauche. Pendant toutes les années 80 et 90, Carlie est fucked-up with drugs.

             Geno réussit à partir en tournée et s’en va jouer à Londres. Mais le NME le voit comme «the epitome of the slightly stumbing overweight, bearded hippie who drank and smoked too much.» Pas terrible. Il a perdu son charisme. À Los Angeles, il s’installe avec une certaine Terri Messina, une coke dealer - That’s when he started going crazy - Einarson rappelle que toute la communauté de Laurel Canyon tournait à la coke. Ken Mansfield : «That was the peak in Hollywood for all of us, when the drugging thing was just at the heaviest.» Einarson évoque un incident : ivre-mort,  Geno aurait selon David Carradine accosté Dylan dans une party et l’aurait insulté et traité de ‘no-talent wimp’. L’incident n’est pas confirmé, mais quand il a bu, Geno insulte facilement les gens et n’hésite pas à cogner. Il va dans les bars pour se battre. Il lance des couteaux. C’est un cosmic mountain man.  

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             Il finit par se rabibocher avec McGuinn et Hillman et par faire deux albums avec eux. Le premier est enregistré au Criteria studio, à Miami, par Ron et Howard Albert, les deux frères qui ont produit le Saturday Night Fever des Bee Gees. Les Albert brothers essayent de transformer les anciens Byrds en frères Gibb. Et pouf, ils font de McGuinn Clark & Hilman un album diskö. Tommy Kaye est écœuré, car ils ont réussi à bousiller l’une de ses chansons, «Release Me Girl». Dans la baraque que les trois Byrds louent à Miami règne une très mauvaise ambiance. Ils ne se parlent pas. Tommy Kaye rappelle que «Geno got heavily into cocaine and the downtown (slang for heroin).» Mais comme d’habitude, Geno ramène les bonnes chansons. Nick Kent descend l’album dans le NME : «This desperate enterprise is aimed at the lowest common denominator, lower than the Eagles.» L’année suivante, ils reviennent à Miami enregistrer City. Geno enregistre deux cuts et se barre. Sur la pochette, Geno flotte, au propre comme au figuré. Pareil, on y revient dans le Part Three.

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             Geno, Tommy Kaye, Andy Kadanes, Chris Hillman et the Mendocino All Stars entrent en studio pour enregistrer Firebyrd. L’album ne paye pas de mine, comme ça, mais c’est un album qui grouille de coups de génie. À commencer par «Something About You Baby», une vraie merveille de psyché Byrdsy tartinée sous le boisseau, bien pulsée à la Clark, c’est la rock song parfaite d’une étincelante superstar, dans sa défroque de loser patenté. Et ça continue avec «If You Could Read My Mind», une cover de Gordon Lightfoot qui d’ailleurs vient tout juste de casser sa pipe en bois. Geno tourne cette belle pop enchanteresse en coup de génie. Nouvelle équation : Geno + Gordon = chef-d’œuvre de beauté douce. Il retape aussi son vieux «Feel A Whole Lot Better», il le gratte bien sec et l’éclate non pas au Sénégal, mais aux harmonies vocales. Il a des backing vocals de rêve. C’est invraisemblable de beauté surnaturelle. Il fait éclore sa pop au sommet du lard, avec une absence totale de prétention. Il te convainc encore avec «Made For Love». Ses pop songs sont des grâces de Dieu. «Made For Love» est d’une pureté transparente. Il y a quelque chose de solaire en Geno. On ne se lasse plus de son comin’ around. Avec «Blue Raven», tu frises l’overdose. Trop de qualité. Il t’entraîne dans son délire. Pop song parfaite, une fois de plus. Il te plombe ça aux accords californiens, avec une flûte magique. Il fait aussi une nouvelle mouture de «Tambourine Man». Il y développe sa voix et une fantastique démesure de heavy pop-rock et le jingle jangle coule de source. Aucune trace des Byrds, juste du Clark. C’est un fantastique hommage au génie de Bob Dylan.

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             Il duette avec Carla Olson sur so Rebellious A Rebel, un Rhino de 1987.  Merci Rhino ! Carla s’est faite connaître en duettant avec Dylan sur l’album Infidels («Sweetheart Like You»). Les duos Geno/Carla sont forcément magiques, surtout le dernier, «Don’t It Make You Want To Go Home». Excellence à tous les étages en montant chez Carla. Elle ramène sa petite fraise rose et humide. On lui pardonne cette impudeur. Geno vole à son secours. Les merveilles pullulent sur cet album, tiens, écoute «Fair And Tender Ladies» et tu verras Maubeuge, c’est de la magie pure, même chose avec «I’m Your Toy (Hot Burrito #1)», heavy balladif de classe supérieure, ou encore «Why Did You Leave Me Today», Geno y ressort sa voix de superstar, il couvre sa pop de morgue languide. Geno est le roi des Beautiful Songs, il sait s’abandonner. C’est Carla qui fait le biz sur «Every Angel In Heaven» et elle file à la frontière mexicaine avec «Deportee (Plane Wreck At Los Gatos)» et Geno vole à son secours pour chanter les abus de la déportation. Big Americana ! Il redevient le roi du rodéo avec «Almost Saturday Night». Geno est un mec facile à suivre : il n’a que des grosses compos. So Rebellious A Lover est le dernier album officiel de Geno.

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             Under The Silvery Moon propose les sessions enregistrées avec Nicky Hopkins, Rick Danko, John York et Pat Robinson, le fameux CRY. C’est donc une résurrection, une de plus. Tu es accueilli par le souffle du big sound de «Mary Sue». Ça sent bon la légendarité. Geno en impose, il a une grosse équipe derrière lui. Il faut attendre un peu pour trouver les coups de génie. Tu en as au moins deux : «Sleep Will Return» et la reprise du «Will You Still Love Me Tomorrow» de Goffin & King. Il gratte quasiment son Sleep sur les accords de «Gloria», et il fait une version tentaculaire du Tomorrow. C’est digne de Totor, car bien monté en neige, absolument demented. On voit la cover décoller doucement, bien soutenue à l’orgue. Il te chante ensuite «Rest Of Your Life» au plastron, il te le placarde, il te le plaque au sol, il t’en fait tout un plat. Puis il repart en mode magie pure avec «My Marie». Si tu es sensible aux chansons fortes, alors c’est pas compliqué, tu vas pleurer toutes les larmes de ton corps. Geno navigue au sommet du pop art avec une classe écœurante. Il a une façon bien à lui de tourner ses syllabes, il force tous les passages vers la lumière. On le retrouve en Chevalier de la Table Ronde dans «Fair And Tender Ladies». Il est serviable et corvéable à merci. Geno est un homme simple. Il ne fait pas trop d’histoires, sauf quand il est défoncé. Puisqu’on en parle, voici «You Just Love Cocaine». Fantastique ode à la coke en stock, Nicky Hopkins te pianote ça vite fait bien fait. Geno n’en finit plus de shooter du power dans le cul flapi de l’Americana. On croise aussi un «Can’t Say No» tellement gorgé de power qu’il est inaudible. Aw comme ces sessions sont bonnes ! On sent aussi dans «Carry On» une présence de l’immanence et une liberté totale. Il fait sonner chaque seconde de «Nothing But An Angel» à la pure impénitence de big day out. Geno est à la fois un seigneur des ténèbres et un génie solaire - You are such an incredible thing - Cut après cut, il s’auto-porte à bouts de bras, il ne fait jamais n’importe quoi, il chante en flux tendu. Magnifique artiste !

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             La vie est drôle, parfois. Le même soir, le hasard des écoutes peut nous amener à naviguer dans des légendes aussi riches que celles de Gene Clark, d’Eddie Bo et de Joe Meek. Gypsy Angel - The Gene Clark  Demos 1983-1990 n’est pas à proprement parler un album légendaire, mais il participe de la légende de Gene Clark, au moins pour deux cuts dylanesques, «The Last Thing On My Mind» et «Day For Night». Clark ramène tout l’Ouest dans ses chansons, il vise les horizons perdus. Il cultive une sorte de beauté paumée, il clarke envers et contre tout. Il y a chez lui quelque chose de très conventionnel, balladivement parlant, même si tout est violemment interprété. Il pousse le bouchon de son Day à la dylanesque, il a ce côté hanteur de consciences issu du Midwest. Ses balladifs durent tous assez longtemps, sept minutes en moyenne, le temps du story-telling. Il gratte ses poux au coin du feu. Le gratté de «Mississippi Detention Camp» est très intense et très rootsy en même temps. Il va au Mississippi rechercher l’authenticité de son Missouri natal. Il connaît bien les ficelles du pisteur. Geno est un vétéran des sous-bois, il a croisé la piste des rebelles les plus célèbres. Il ne se nourrit que de racines de roots. Il ramène de vieux coups d’harp dans sa soupe au choux («Kathleen»). On l’aime bien, le vieux Geno, mais parfois, on s’ennuie comme des rats morts. Certaines rengaines n’offrent pas de prise. Il attaque toujours à la même arrache, il se morfond en permanence, «Your Fire Burning» flirte avec la Beautiful Song, mais avec lui, on ne sait pas. Il ne varie guère les plaisirs, tout est gratté sombrement, avec un faible espoir. Il termine avec le morceau titre, encore un balladif intensif. Il ne vit que pour ça. Son «Gypsy Rider» vibre d’authenticité. C’est sa raison d’être. Geno est un pur et dur. Pas question d’aller se compromettre. En grattant tout à sec, il fait de l’art sacré.

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             Sur Silverado 75. Live & Unreleased, il est accompagné par Roger White (gratte) et Duke Bardwell (bass). Einarson signe les liners, rappelant que les Silverados reprenaient des cuts de No Other. Quand ensuite Geno enregistre Two Sides To Every Story, il cesse de bosser avec les Silverados. Le set démarre avec le fat heavy country blues d’harp de «Long Black Veil» et Geno enchaîne avec l’un de ses classiques, «Kansas City Southern» - We’re going to do a train song for ya - Il en fait de la power-Americana, avec des rushes de fièvre et un son stripped down. L’ensemble est assez country, comme le montrent «Home Run King» et «Daylight Line». «Home Run King» est même de la heavy country, bien wild, dopée à coups d’harp et le gratté de poux sur «Daylight Line» est plutôt féroce. Tiens ! Voilà une énormité : «Set You Free This Time» - We’re gonna go back to 1965 with this song - Une merveille de Clark sound tirée de Turn Turn Turn, il t’allume aussi sec la cafetière, il est même over the top, à la dylanesque. Reprise de «No Other», aussi, monté sur un riff d’acou intrinsèque. Geno en profite pour revenir se lover dans le giron de nos imaginaires. Un miracle se produit, car c’est basique et beau à la fois. Il gratte son No Other à la perfe des perfes. Il ressort aussi son vieux «Spanish Guitar» qu’il gratte à outrance et qu’il arrose de coups d’harp. C’est d’une rare densité. Geno a des dons extrêmes. Il amène «Here Without You» au petit psyché et l’aplatit aussitôt au chant - Girl you’re on my mind/ it’s so hard to be here/ Without you - Il en fait un mélopif psychédélique. Il se montre encore fantastique de country rising avec «She Darked The Sun», il fond sa voix dans les épines des cactus. Si tu veux te lasser de Geno, tu devras te lever de bonne heure. Il termine avec la triplette du diable, «In The Pines» - And you shiver where the cold wind blows - «Train Leaves Here This Morning» et «Silver Raven» - Stand for one more you’ll like to hear - C’est le deuxième rappel, you better watch out. Le pauvre Geno repart sur son âne à Bethléem. C’est fin et plein d’esprit. Have you seen the silver raven ?

             Vu le parcours chaotique de Geno, les inédits pullulent. Einarson n’en finit plus d’en révéler. Après Two Sides To Every Story, Geno et Tommy Kaye envisagent en 1977 un autre projet, avec le KC Southern Band. Rien n’est sorti des sessions, mais Einarson dit que the KC Southern Band est «Gene’s finest backing band.» Plus loin, il signale l’existence des Glass House Tapes, enregistrées chez David Carradine  à Laurel Canyon, avec Tommy Kaye, Rick Clark (le frère de Geno), Garth Beckington et Jon Faurot. Six cuts. En 1982, nouveau projet : Geno, Hillman, Michael Clarke, Herb Pedersen (banjo) et Al Perkins (pedal steel des Flying Burrito Brothers). Le groupe s’appelle Flyte. Flyte tombe à l’eau. Il existe aussi des sessions enregistrées avec Laramy Smith.  

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             C’est encore Einarson qui se tape le booklet de Gene Clark Sings For You. Il explique que cet album enregistré en 1967 et gravé sur acétate a été redécouvert dans les archives de Liberty Records. Il ajoute que cet acétate est considéré par les fans de Geno comme l’Holy Grail. L’ex-manager des Byrds Jim Dickson rappelle que Geno composait tellement de chansons qu’il était impossible de tout enregistrer. Et si on les enregistrait pas, il les oubliait et passait à autre chose. En plus de l’album inédit, Omivore ajoute The Rose Garden Acetate, 5 cuts originaux que Geno enregistra avec The Rose Garden. Puis il abandonna les projet pour passer à la suite, c’est-à-dire Dillard & Clark et The Fantastic Expedition Of Dillard & Clark. Einarson pense qu’avec Gene Clark Sings For You, Geno était au sommet de son art, ce que vient confirmer «Past Tense», Dylanex et Byrdsy dans l’âme, tu as là tout le génie des Byrds qui déroule son tapis rouge. Il faut bien admettre que les Byrds, c’est Gene Clark, il est fabuleusement impliqué dans ce mythe. Geno te claque tout ça aux quinconces, il ramène encore du deep American feel dans «On Her Own», un vrai balladif de quincaille. Il confère à chacun de ses cuts une pureté manifeste. Avec «That’s Alright By Me», il fait une fast pop-rock d’hey hey, can’t see you, il flirte sans fin avec le Dylanex, il a cette ampleur extraordinaire. Il ramène des heavy chords dans «Down On The Pier» et il refait l’invétéré avec un «7:30 Mode» plus country. Pour le Rose Garden Acétate, il revient faire son Dylan de Greenwich Village («On The Tenth Street»). Il s’inscrit bien dans la veine du how much I remember you. Il drive ensuite «Understand Me Too» au heavy rumble d’acou. Il fait comme d’habitude : il tartine en surface et finit par convaincre - All I wanted to doo/ Is be with with yooou - Trop romantique. Ça ne pouvait pas marcher. C’est la raison pour laquelle Columbia l’a viré. Gene Clark n’a aucun support, alors il gratte à la vie à la mort. Dommage qu’il n’ait pas les grattes des Byrds sur cet EP. Il n’a que le chant et il réussit quand même à groover. Il tape son «Big City Girls» au heavy blues et c’est assez énorme. Il revient à l’essence des Byrds avec «Doctor Doctor».

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             Pour faire des économies, on peut se contenter d’une bonne compile. Echoes fera l’affaire, car on y retrouve tous les coups de génie épinglés précédemment, à commencer par le morceau titre et sa fantastique présence dramatique - You’re the tower in the sand - et puis, tu as aussi «Here Without You (sommet psychédélique), «So You Say You Lost Your baby» (Byrdsy groove et fantastique énergie), «Couldn’t Believe Her» et «Keep On Pushin’» (encore tirés de Gene Clark With The Gosdin Brothers, l’album définitif). D’ailleurs, quasiment tous les cuts de cet album se retrouvent sur la compile, «I Found You», «Elevator Operator». Gene Clark est l’artiste complet par excellence, sa pop magique chapeaute le rock californien. Et ça se termine avec deux cuts plus dylanesques, «The French Girl» et «Only Colombe».

             En fait, nous dit Einarson, le gros problème de Geno, c’est qu’il n’avait personne derrière lui, ni Elliot Roberts (manager de Neil Young), ni David Geffen, ni Albert Grossman. Geno va rester un sauvage, un country-boy/mountain man jusqu’à la fin. Quand il vit à Albion, il possède deux hachettes, six couteaux et une hache de combat. Il lance ses couteaux dans les portes en marchant, schlomp, schlomp ! Quand il décide de se reprendre en main et de se calmer, il découvre que personne ne veut de lui. Dans le biz, personne ne veut plus l’approcher. Trop sale réputation. On l’a vu entrer dans un bureau et sortir un flingue, playing the Godfather, péter les vitres des bagnoles et menacer de s’en prendre à la famille. Violents incidents. Quand Tom Petty enregistre une cover d’«I Feel A Whole Lot Better», Geno empoche 150 000 $ de royalties. Dès qu’il a du blé, il redevient fou. Saul Davis dit qu’il existe trois Genos : «Down-and-out Gene, hard on his luck. And regular Gene, the humble guy. Then there was the money-flowing Gene. And that meant trouble.» Il picole et il snorte again, alors qu’il avait réussi à se detoxer. C’est la fin des haricots. Il passe au crack et au free-basing, comme Croz, et tout le monde à Laurel Canyon, précise Terri. Geno perd sa voix, Tommy Kaye dit qu’il s’est chopé un petit cancer de la gorge. Un polype sur les cordes vocales. Alors pour se soigner, il picole. Il lui reste six mois à vivre. Il va tout de même chanter au Rock And Roll Hall Of Fame pour la consécration des Byrds. Hillman se dit fier de cette réunion honorifique, car, précise-t-il, 90 % des gens de groupes récompensés ne se parlent plus. Il cite l’exemple de Fogerty qui a refusé de laisser ses anciens copains de Creedence jouer avec lui - But we did - C’est en soi un exploit.  En 1991, Geno fait sa dernière apparition sur scène au Cinegrill à Los Angeles. Il est défoncé. Le set est aléatoire. Il a en plus perdu des dents lors d’une bagarre, deux jours avant les concerts. Sa voix chuinte. Les gens sont effarés par la médiocrité du set - The Cinegrill gig was just a mess - Quand Tom Slocum lui dit que son set est un désastre, Geno lui répond : «Sloe, it doesn’t matter anymore.»   

    Signé : Cazengler, tête à clarkes

    Gene Clark With The Gosdin Brothers. Columbia 1967

    Dillard & Clark. The Fantastic Expedition Of Dillard & Clark. A&M Records 1968

    Dillard & Clark. Throught The Morning Throught The Night. A&M Records 1969

    Gene Clark. White Light. A&M Records 1971

    Gene Clark. Roadmaster. A&M Records 1973

    Gene Clark. No Other. Asylum Records 1974

    Gene Clark. Two Sides To Every Story. RSO 1977

    Gene Clark. Firebyrd. Takoma 1984

    Gene Clark & Carla Olson. So Rebellious A Lover. Rhino Records 1987

    Gene Clark. Under The Silvery Moon. Delta Deluxe 2001

    Gene Clark. Gypsy Angel. The Gene Clark  Demos 1983-1990 Evangeline 2001

    Gene Clark. Silverado 75. Live & Unreleased. Collector’s Choice Music 2008

    Gene Clark. Gene Clark Sings For You. Omnivore Recordings 2018

    Gene Clark. Echoes. Columbia 1991

    John Einarson. Mr. Tambourine Man: The Life And Legacy Of The Byrds’ Gene Clark. Backbeat Books 2005

     

     

    Le culot des zozos de Cluzo

    - Part Two

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             Ça cluzote sec chez l’Inspector. Chaque album charrie son lot de pépites, comme autant de fleuves californiens au temps de la Ruée vers l’Or.

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             L’un des plus gorgés d’or gascon est sans doute The 2 Mousquetaires. Non seulement il est adapté d’Alexandre Dumas, mais il se présente sous la forme d’un petit album de BD et tu peux suivre en direct les aventures des Deux Mousquetaires, fabuleusement bien croqués par un nommé Chris Chaos from Taïwan. Tu feuillettes et tu tombes sur un prodigieux crobard de Curtis Mayfield flottant dans les airs avec sa strato blanche. Alors quand tu écoutes la cover qu’ils font de «Move On Up», tu tombes en double extase de métastase, car ils te l’explosent littéralement ! Là tu cries au loup pour de vrai, le gros jette toute sa graisse dans la balance. Tu as là un exemple parfait de ce peut être une cover de génie. Le gros hurle dans la tempête du paradis, ça joue ventre à terre et à couteaux tirés, le gros file dans l’azur comme un ballon de baudruche surréaliste, il est dans son trip de Move On Up et c’est battu à la diable gasconhette. Autre coup de génie : «Put Your Hands Up», le gros rappelle ses troupes à l’ordre et passe en mode heavy sludge. Il a même des cuivres. On se croirait sur le deuxième album des Saints. Power maximal ! Il t’embarque ça au scream. Puis il enfile la culotte de James Brown pour taper «Power To The People» au you got to move, il fuck les bobos dans «Fuck The Bobos», mais il fait à la dure, au heavy funk, son funk vaut largement celui de Bootsy - Are you ready/ Fuck the bobos - Il reste dans le fuckin’ fuck avec «Fuck Free Hugg», heavyness demented couronnée de succès et de cuivres, il navigue d’un port à l’autre, du funk au heavy sludge, il a ce pouvoir désarmant. Quand tu écoutes «The Two Mousquetaires Of Gasconha», tu as presque envie de laisser tomber les disques américains. Les deux zozos de Cluzo te cluzotent le gaga-punk de Gasconha avec le scream définitif. Tu as encore le wild et l’argent du wild avec «Wild & Free», il bombarde sur sa SG, I am & I am free, il connaît tous les tenants et les aboutissants des coups de tonnerre, il a tout le scream en magasin, il ramène des éléments de heavy sludge digne de ceux de Monster Magnet. Puis dans une chanson assez radicale, il envisage d’aller baiser Carla, la femme de l’ex-Président. Là on se marre, car c’est vraiment digne d’Alexandre Dumas.     

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             Les zozos de Cluzo prennent vraiment le plus grand soin de leurs fans. Ils conçoivent The French Bastards comme une petite pochette contenant douze vignettes cartonnées et le disk, chaque vignette illustre un cut et les lyrics sont imprimés au dos. On se régale d’entendre «F*** Micheal Jackson», car ça correspond exactement à ce qu’on pensait à l’époque. Au moins avec le gros, les choses sont claires. Dans la BD des Deux Mousquetaires, il étripait Sarkozy, Ben l’Oncle Soul et les bobos, cette fois, c’est cette super-crêpe de Michael Jackson qui passe à la casserole. Le gros commence par situer le contexte - I grew up in the 60s black Soul music/ Oh yeah - et pouf, il te fuck ça vite fait. Avec lui, ça ne traîne pas. Il aurait dû s’appeler Inspector Zorro. C’est quand même dingue quand on y pense, toute cette daube qui passait à la radio et qu’on devait supporter ! Autre chose : il n’existe rien de plus heavy sur cette terre qu’«Empathy Blues». Ça danse avec les loups, c’est-à-dire Monster Magnet et Leslie West, il t’explose tout ça au sommet de lard et s’en va screamer dans les Cevennes, exactement comme l’autre bête de Gévaudan, Frank Black. Même génie ! Il screame encore sa soupe aux choux dans le morceau titre. Encore plus plein qu’un œuf, voici «He’s Not The Man». Toujours ce mélange suprême d’heavyness et de scream, il t’explose cette matière organique cuivrée de frais, il s’agite dans un turmoil extrême, un sax s’empale sur la bassline, tu atteins là des zones inexplorées du sonic trash. Il arrive avec une disto de gras double dans «Giving Opinion Is Not A Job This Is A Right», encore une fois, il n’existe pas de disto plus heavy sur cette terre, il te tartine ses opinions au wait a minute. Si tu ne veux pas mourir idiot, tu devrais écouter «The Old Man», il y gratte ses poux intensément, c’est une rock star, alors il t’explose l’old man au scream demented, il monte très haut dans les estimes. Il ramène sa grosse voix de bélier dans «Trader Forever» et défonce la poterne au boom boom définitif.  

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                   Les zozos de Cluzo entrent en mode fast punk dans Gasconha Rocks. Cette horreur s’appelle «Hello/Goodbye Education». Le gros refait son Frank Black, tu n’en reviens pas de voir débouler avec une telle violence ! Voilà un gros de plus au panthéon des gros, avec Leslie West, Tad Doyle et Frank Black. Ça re-rue dans les brancards avec «Till Petrole Do Us Apart». Il amène ça au riff raff et ça se barre en sucette de zozos, et ce fou de Phil pousse bien à la roue. Avec les deux mousquetaires, tu n’en finis plus de t’extasier, ils flirtent en permanence avec le génie sonique, le gros se barre en chat perché d’inexpectitude, tu vois trente-six chandelles, c’est un parti-pris de pur genius cubitus, on en oublie la terre et sa population, la terre et ses religions, la terre et sa géopolitique, ça devient sérieux, battu comme plâtre et noyé d’arpèges scintillants. Ils te font rendre gorge. Ils campent dans le Punk’s Not Dead, avec «Black Spirit». Peu de duos peuvent enfiler autant de perles noires de destroy oh boy. Le gros s’arrache les ovaires au chat perché demented. Retour au big heavy rock avec «Garbage Beach», tu te crois en Amérique chez les géants du stoner de Dieu, chez les Nebula de la Mountain. Fuck ! C’est tout ce que ta pauvre bouche peut dire sous les coups de boutoir. C’est beaucoup trop balèze pour la France. Le gros est l’artiste complet par excellence, hard punkster et white nigger, il faut le voir arroser «The Duck Gut Blues» à coups de slide, poussé dans le dos par un beurre de baratte du diable. Retour à la politique avec «Move Over Monsanto», en mode heavy boogie down, c’est  le rock qui milite, le gros se fâche - Why ya took us for a raid y’all - Ça n’en finira donc jamais ?, comme le chantonnait jadis Mouloudji.

             Avec Gasconha Rocks, tu as un petit DVD-docu qui montre les deux zozos en tournée dans le monde : Espagne, Asie, Afrique du Sud. En fait, ce docu est une apologie du Do It Yourself : les deux zozos de Cluzo font tout eux-mêmes : le booking, le management, le marketing, la compta, les compos, les pâtés à la graisse de canard, ils conduisent les camions, ils font le merch, ils jouent même sur scène. Le gros dit que ça leur prend tout leur temps, environ 70 heures par semaine. Le docu ne nous épargne rien. Tu as même un admirateur qui dit, comme sur les marchés, que «c’est direct, du producteur au consommateur». Pas d’intermédiaires. Pas de parasites. Fuck the bobos. Un mec dit que les zozos de Cluzo se grillent en by-passant le système. Fuck the system ! Leur indépendance est leur power. On ne voit pas assez les oies, c’est dommage. Le docu finit par mordre le trait et donner une idée un peu trop angélique du DIY. Ça frise la parodie. Si tu veux comprendre pourquoi ils sont devenus énormes, tu dois les voir sur scène. Certainement pas sur YouTube. Tu peux aussi écouter les albums : tu ne t’ennuieras jamais. 

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             On monte encore d’un cran avec Rockfarmers qui est un double CD. La pochette nous montre les oies et la ferme. Le booklet grouille de petits crobards inspirés, dans une poignante volonté d’illustrer les scènes de la vue rurale quotidienne. Leur icono tient sacrément bien la route. Leur baraque fait rêver autant que leur musique. Le fou de la disto réapparaît dès le morceau titre d’ouverture de bal d’1, the SG wild king of heavy sludge. Si tu aimes bien Leslie West et les ogres du stoner, alors tu te régales. Il s’en va même siffler sur les remparts de Varsovie. Chacune de ses attaques de gratte viole ton intimité. Le gros est un hussard sur le toit. C’est l’occasion ou jamais de te faire limer par un hussard, c’est un trip très littéraire. Tu joues d’une certaine façon à la marelle du diable. Le gros te bourre la dinde avec ses deux SG. Ce cut d’intro est déjà en soi un roman. Voilà un double d’album qui s’annonce passionnant. Il va tenir ses promesses. Le gros devient complètement fou sur «Fisherman», cette horreur est un véritable coup de génie. Il développe tous ses chevaux vapeur et l’achève au scream délétère. Ah il faut aussi l’entendre gueuler «Kiss Me» dans sa ferme avec ses oies. Les zozos de Cluzo sont des pesticides atomiques. Voilà ce que révèle le «GMO & Pesticides» d’ouverture de disk 2. Il n’existe rien de plus destructeur en France. Le gros commence par le siffler à la Bronson et bascule aussitôt après dans le wild punk’s not dead, il pique sa crise et ça purge dans l’urge, ils atteignent à l’extrême dementia du real blast, ils font du pur Motörhead. Le gros tape ensuite «Alright Georges» au heavy blues, on entend bien la SG, c’mon, il y va au dur comme fer. Il a tout le son du monde, alors il en profite. Il s’enfonce dans les couches supérieures de la prod ultimate, c’mon Georges ! Il navigue exactement au même niveau que Frank Black. Il reprend son élan pour «Quit The Rat Race», tu ne pourras jamais le stopper en plein élan, il chante à la hauteur de sa niaque de mousquetaire, heavy as hell, il hurle comme un cochon qu’on égorge. Puis il la joue douce avec «Stars Are Leavin’», il chante à la voix d’ange de miséricorde, back in the day, au heavy gratté de coups d’acou, power all over, et ce démon barbu explose les stars. Nouveau coup de génie avec «Erotic», sa SG rue toute seule dans les brancards, ça part en mode full blown, le gros l’attaque au chat perché d’all time rock’n’roll, ça bat tout le monde à la course, il hurle son can’t stand et tu entres dans la cinquième dimension. Il passe en mode funk pour taper «Romana», il fait son white nigger, il chante au perçant er se remue le cul. Ah il faut le voir gratter les poux du funk sur sa SG. Le gros a tout pigé.  

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             Tu crois qu’ils vont se calmer avec le temps ? Pas du tout. Nouveau big album avec We The People Of The Soil. Pas de coups de génie, cette fois, uniquement des énormités. À commencer par «The Sand Preacher» qui semble sortir tout droit d’un album de Frank Black & The Catholics. Il pourrait aussi en remontrer à Jon Spencer avec «A Man Outstanding In His Field». Le gros fait le job, il fond sa voix à la surface du Soil, mais il ramène l’énergie de tous les démons de l’enfer. Il te claque ses notes de SG sur canapé de nappes d’orgue intrinsèques. Avec «Ideologues», il redevient classique, mais avec du son. Il monte au chat perché pour créer de l’émotion et de la profondeur. Il a même de faux accents de Jack Bruce. Décidément, c’est l’album des clins d’yeux aux superstars ! Avec le morceau titre, il te ramène sous la douche des enfers. On se croirait dans le «Season Of The Whitch» de Stylish Stills. Quel déluge de son ! Il termine avec une véritable triplette de Belleville : «Pressure On Mada Lands», «The Globalisation Blues» et «The Brothers In ideals». Il attaque son Mada Lands à l’Hendrixienne. Les lyrics ne sont pas crédibles, ils ne servent que de prétexte. On ne démarre pas avec «I was born on a beautiful island». On démarre avec «the night I was born, Lord I swear the moon turned a fire red». Puis il s’enfonce dans le blues de ferme avec Globalisation, il y va au Nashville Pussy, c’est de haut niveau, surtout qu’ils le font à deux. Il termine avec «The Brothers In Ideals», ce fabuleux auto-hommage qui sonne comme la preuve de leur intégrité et qui va donner son titre à l’album suivant.

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             Sur Brothers In Ideals, ils retapent des cuts d’albums précédent en mode unplugged. On retrouve donc l’excellent «Man Outstanding In His Fields», cette fois avec un S à Fields. Le gros fait son heavy country blues d’anti-gentleman farmer. C’est puissant et infiltrant. Tu as le groove et l’argent du groove, surtout quand il monte au chat perché avec la délicatesse d’un génie à peine sorti de sa bouteille. Il vise le surnaturel. Il y reste avec «Cultural Misunderstanding». Il entre au chat perché et ça redevient magique. Son «Globalisation Blues» sonne aussi comme une merveille. Il en fait un heavy country blues, une moisson géniale de notes inspirées. Il gratte aussi «Idéologues» avec rien. Il crée son monde à partir de rien. Il fond sa voix au chat perché psychédélique. On a l’impression qu’il hyper-chante. On se prosterne à ses pieds. Il invente l’Americana du Sud-Ouest et son morceau titre de fin d’album est un chef-d’œuvre de Soul du Soil. 

    Signé : Cazengler, affreux zozo

    Inspector Cluzo. The French Bastards. Ter A Terre 2010 

    Inspector Cluzo. The 2 Mousquetaires. Fuck The Bass Player 2012

    Inspector Cluzo. Gasconha Rocks. Fuck The Bass Player 2013 

    Inspector Cluzo. Rockfarmers. Fuck The Bass Player 2016

    Inspector Cluzo. We The People Of The Soil. Fuck The Bass Player 2018

    Inspector Cluzo. Brothers In Ideals. Fuck The Bass Player 2020

     

     

    Wizards & True Stars

     - Gousse d’Hayes (Part Two)

     

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             Chez Ace, on s’intéresse plus aux compositeurs qu’aux prophètes. C’est une démarche intellectuelle typiquement britannique. On privilégie l’humain au spirituel. Ace balance une belle illustration de ce singularisme avec Wrap It Up - The Isaac Hayes & David Porter Songbook, une nouvelle épître de la fameuse Songwriters Series qui a vu défiler toutes les têtes de gondole à Venise, depuis Leiber & Stoller jusqu’à Mann & Weil en passant par Goffin & King, Ellie Greenwich & Jeff Barry, et toute la bande de Tutti Quanti. Illustration, oui, car dès la pochette, Ace enfonce son clou, nous montrant l’Isaac jeune (en compagnie de David Porter et de Mable John), un Isaac terriblement humain, fils de rien, comme le furent avant de devenir prophètes des gens comme Jésus de Nazareth, Friedrich Nietzsche, Noam Chomsky, Mahatma Gandhi, Malcolm X ou encore Nelson Mandela. Fils de rien, en toute humilité, crâne rasé, ce jeune black pauvre ne sait encore rien de son destin de Black Moses, de Moïse nègre couvert de chaînes en or et de femmes lubriques, qui va régner pendant quelques années en tant que Spirit Of Memphis sur l’Amérique et quelques îlots de superstition en Europe.

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             Il n’empêche. Tony Rounce sent bien qu’avec Isaac, on touche au sacré. Il sait comme nous le savons tous, qu’Isaac c’est Stax, ou pour être plus précis, Stax c’est Isaac, de la même façon que Motown, c’est HDH. Pas de Motown sans HDH et pas de Stax sans Isaac. Autrement dit, sans Stax et Motown, pas de Soul dans l’Amérique des sixties. Une Amérique privée d’âme ? On peut dire que cette pauvre fédération d’états a frôlé la catastrophe. On a longtemps cru que l’âme des USA était le fameux American Dream. Grave erreur, car l’American Dream, apologie de la liberté, est un contresens bâti en partie sur l’esclavage des nègres et en partie sur le génocide des Native Americans, c’est-à-dire, les gens qui vivaient dans ces pays avant l’arrivée des colons blancs. Les colons sont un fléau biblique, un fléau qui a ravagé tout le continent africain, tout le continent américain, l’Océanie, une partie de l’Asie du Sud-Est et qui ravage encore aujourd’hui la Palestine. Bon, Rounce ne va pas jusque-là, d’abord parce qu’il n’a pas la place, mais aussi parce qu’il a des priorités éditoriales.

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             Pauvres parmi les pauvres, Isaac et David Porter étaient là dès les premiers jours, sur McLemore Avenue, tentant désespérément de décrocher un petit job chez Stax, même un job de balayeur. C’est Floyd Newman qui met la puce à l’oreille des blancs de Stax, leur vendant l’idée qu’Isaac a des pouvoirs surnaturels - Il entend tout ce que vous n’entendez pas - Forcément, ça intéresse les blancs. Isaac entre pour la première fois dans le studio Stax, non pour balayer, mais pour jouer du piano. Et pouf c’est parti ! Il s’associe avec David Porter, qui bosse dans l’épicerie d’en face. C’est une fabuleuse histoire qui démarre. Ils vont tout simplement devenir, en alternance avec HDH, les rois du monde, pendant quelques années, de 1965 à 1969. Pour mener à bien sa mission, Rounce a choisi 24 covers de hits composés pendant ce court laps de temps. Après Hot Buttered Soul, Isaac et David Porter cesseront leur collaboration, Isaac optant pour un parcours plus messianique, donc solo, par nature.

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             Alors évidemment, cette compile grouille de coups de génie, rien qu’avec le «60 Minutes Of Your Love» que prend en change l’excellent Homer Banks, t’es gavé comme une oie. C’est du wild as fuck, Homer Banks fout le feu. Rounce précise que cet hit demented est enregistré chez Willie Mitchell, at Hi, et pas pour Stax, mais pour Minit, le petit label lui aussi légendaire de Joe Banashak, à New Orleans. Puis c’est au tour de Freddie King d’aller foutre le souk dans la médina avec «Can’t Trust Your Neighbour» qu’Isaac et David Porter avaient composé pour Johnnie Taylor. Freddie enregistre sa mouture à Memphis, mais pas chez Stax, chez Ardent, accompagné par Duck Dunn et Al Jackson. L’immense Freddie King propose avec cette mouture une fantastique plongée dans le heavy blues, il y va au I found out, il claque son ah-ah à la solace perspicace. On parlait du loup, le voilà : Johnnie Taylor, avec «Toe Hold», histoire de rappeler qu’avec Isaac, il est le king of Stax, il te traîne la traînasse dans la bouillasse du caniveau, avec tout le popotin staxy que tu peux imaginer, c’est du très grand art, des accords carillonnent dans le muddy Stax. Johnnie, c’est Napoléon, il avance dans la Bérézina - Show me baby - Te voilà au paradis. Rounce nous dit aussi qu’Atlantic avait envoyé Sharon Tandy enregistrer une version de «Toe Hold» chez Stax. Archie Bell & The Drells tapent le morceau titre de la compile, «Wrap It Up», déjà enregistré par Sam & Dave. Mais la version d’Archie Bell te sonne bien la cloche, car alerte et svelte, les Drells te swinguent l’Isaac, Archie Bell est en caoutchouc, et tout ce fabuleux bordel est drivé au big Stax demento. Te voilà installé dans les couches supérieures de la Soul. Encore un coup de génie avec le duo Keith (Powell) & Billie (Davis) qui tape dans le saint des saints, l’un des hits de Sam & Dave, «You Don’t Know Like I Know». Ce sont des blancs, but aw my Gawd ! Ah oui, tu peux te signer, car c’est incendié au Piccadilly strut. Si le «Love Is After Me» que prend Charlie Rich est aussi un coup de génie, ça ne surprendra personne. Le vieux Charlie qu’on surnomme the silver fox trempe son biscuit dans le r’n’b et ça monte vite au rouge, dans l’enfer du mythe. On peut même parler de classe définitive. Tu as là le power d’Isaac + le Sun de Charlie. Cette cover fabuleuse date de sa période Hi en 1966, lorsqu’il commence à taper sérieusement dans le r’n’b, mais comme ça ne marche pas commercialement, the silver fox devra retourner à ses moutons, c’est-à-dire la country et poser déguisé en cowboy pour ses pochettes d’albums.  

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             Alors maintenant, les surprises : la première nous vient des  Hassles avec '' You got me Hummin' '', un autre hit de Sam & Dave : heavy Soul à tomber de sa chaise, boom badaboom, d’autant plus que ce sont des blancs ! Rounce les situe entre les Young Rascals et le Vanilla Fudge. Il nous apprend en outre que Billie Joel va faire partie du groupe. Parmi les repreneurs d’Hummin’, on trouve aussi les fameux Cold Blood de San Francisco. Encore une révélation avec Marcia Ball et «Never Like This Before». Encore une blanche ? Elle est superbe. Rounce la qualifie de South Louisiana R&B Queen et recommande son album Hot Tamale Baby. Encore une révélation avec les Soul Children et «The Sweeter He Is (Pt1 & 2)», c’est embarqué aux clameurs de gospel. Ils fondent le gospel dans le Black Power, c’est d’une puissance inexorable. Rounce nous explique que les Soul Children furent le dernier projet sur lequel ont travaillé Isaac et David Porter. Plus tard, David Porter continuera de bosser avec John Blackfoot Colbert et ses Soul Children. C’est encore un blanc qui crée la surprise avec «I’ve Got To Love Somebody’s Baby». Il s’appelle Peter Gallagher et il est très inspiré. Il fait un heavy job. Steve Cropper gratte sa gratte sur cette mouture. Tiens, encore une blanche, Rachel Sweet, qui fait un joli carton avec «B-A-B-Y». C’est très sucré, très blanchi, on est en droit de préférer la version de Carla. Mais c’est tellement gorgé de sucre que ça devient génial. C’est à ce type de phénomène que tu peux mesurer la portée des compos d’Isaac. On s’amourache aussi très facilement du duo d’enfer Edwin Starr & Blinky. Ils tapent «I’ll Understand» et ils s’entendent bien, car sur la photo du booklet, Edwin lui met la main au panier. Ah qui dira l’extrême beauté de l’Understand ? C’est Motown, nous dit Rounce, qui eut l’idée de pairer Starr & Blinky pour prendre la suite du duo Marvin/Tammi Terrell.

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             Et puis tu as les valeurs sûres, les inextinguibles, les gagnés d’avance, les ‘c’est-du-tout-cuit’, à commencer par les Righteous Brothers avec «Hold On I’m Coming». Ils tapent dans le sanctuaire d’Isaac, avec énormément d’écho, ils rivalisent de ferveur avec Sam & Dave, c’est extrêmement wild. Tu as aussi Aretha avec «You’re Taking Up Another Man’s Place», Ree fond dans la soupe d’Isaac, c’est la cuisine des dieux, elle fait comme d’habitude, elle explose au yeah yeah ahhh. Les ZiZi Top te fracassent littéralement «I Thank You». Billy Gibbons donne au son d’Isaac la bénédiction du Texas raw. Il n’existe rien de plus demented que cette cover - But you did/ But you did - Rounce parle d’un «groovy, downtempy essay», un essay qu’on retrouve sur l’excellent Deguello. Et puis bien sûr, Delaney & Bonnie viennent couronner le gâtö avec «My Baby Specializes». Bonnie reste la plus black des white chicks. La merveilleuse Mable John se trouve un peu avant la fin avec «Your Good Thing Is About To End» qu’elle chante à l’accent tranchant supérieur. On termine cette modeste revue de détail avec les chouchous d’Isaac, Sam & Dave et le hit définitif du Stax System, «Soul Man». Ah comme tous ces gens savaient illuminer la terre, en ce temps-là.

    Signé : Cazengler, Isac à vin 

    Wrap It Up. The Isaac Hayes & David Porter Songbook. Ace Records 2022

     

     

    L’avenir du rock - Coup de Pokey

     

             Chaque année, l’avenir du rock va dîner avec son ami Gé. Ils maintiennent ce rituel depuis plusieurs décennies. Ils réservent toujours la même table chez Bofinger. Gé reste égal à lui-même, avec sa figure joviale, ses cheveux châtain clair bouclés et sa belle moustache de Lord anglais. Malgré le temps qui passe, il ne vieillit pas. Il exerça un temps la prestigieuse fonction de DRH pour le compte d’une multinationale française. L’avenir du rock apprécie sa compagnie, car pour une fois, le rock ne figure pas au menu des conversations.

             — Dis donc, Gé, tu es drôlement bien conservé pour un DRH...

             — Oh la fonction n’était pas très fatigante. Secteur calme et salariés grassement rémunérés. Le rêve ! On se partageait le marché national avec Lafarge. Les commerciaux s’arrangeaient entre eux, comme les familles new-yorkaises de la mafia, si tu vois ce que je veux dire.

             — Tu veux dire que tu n’avais pas à subir les pressions endothermiques de la philologie conjoncturelle ?

             — Exactement ! On faisait de grosses économies sur les budgets publicitaires. Nous n’avions pas besoin non plus d’investir dans une tour à la Défense. Un seul étage suffisait. On y avait installé la com externe. Les services techniques et administratifs se trouvaient à la campagne, au vert, du côté de Mantes. La belle vie, quoi...

             — Oui c’est l’avantage de l’endémisme coercitif, ça donne de l’air aux ontologies tangentielles.  

             — Exactement ! En plus, nous avions le meilleur rendement économique de tout le secteur industriel, car nous ne consommions pas de matières premières, excepté le calcaire, c’est-à-dire peanuts. Une bonne carrière de proximité suffisait. C’est ce qui nous permettait d’investir à l’étranger et de racheter d’autres groupes industriels.

             — La facilité allait pourtant à l’encontre du jansénisme épistémologique qui te caractérise si bien...

             — Mais non, au contraire ! Je vais te donner une image : tu t’assois à une table de poker et à chaque tour, je dis bien à chaque tour, tu sors une quinte flush. C’est de cette facilité dont il s’agit. Tu as toutes les cartes en main. Si ton concurrent sort aussi une quinte flush, alors tu sors une quinte flush royale. C’est aussi simple que ça !

             — Aujourd’hui, ce serait plus compliqué...

             — Pourquoi donc ?

             — À cause de Pokey LaFarge ! Lui, c’est un carré d’as !

     

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             Sorti de nulle part, c’est-à-dire de Saint-Louis, Missouri, Pokey LaFarge exerce sur les gens une étrange fascination. Cet anti-Elvis au physique assez ingrat sort tout droit des gravures de mode américaines des années quarante. Son visage se caractérise par un dessin d’yeux tombant sous les tempes, et une bouche peu avenante que vient tordre une moue décadente. Il porte souvent un petit chapeau d’Américain moyen posé de travers sur le sommet du crâne, une cravate ou un nœud pap, et il gratte bien sûr de grosses grattes datant de Mathusalem. On l’a vu une première fois sur scène en 2015, accompagné d’un solide orchestre de vétérans de toutes les guerres confédérées, mais pour une raison x, ça ne marchait pas. On s’ennuyait rapidement. Il se montrait pourtant vivace, il posait bien sa voix sur des riches fouillis d’orchestration, ça banjotait et ça violonnait sec, mais ce qu’il véhiculait scéniquement nous passait largement au-dessus de la tête, comme d’ailleurs toute cette culture rootsy rootsah à laquelle nous ne comprendrons jamais rien, à moins d’être né à Nashville ou dans le Kentucky.

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             Huit ans plus tard, il fait un retour spectaculaire en Normandie. Il est tout prune, costard et gratte, il a rapetissé d’au moins trente centimètres depuis la dernière fois. Il arrive sur scène, se branche et boom ! Choc visuel immédiat ! Nouvelle approche d’un vieux mythe : celui de la rock’n’roll star. Le petit Pokey a tout pigé, il entre dans le set au raw de «Get It ‘Fore It’s Gone», il danse derrière son micro, il court sur place, il joue des jambes et fout le feu aux imaginaires.

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    Il est petit mais branché sur 100 000 volts, comme dirait Jo l’électricien, wild as fuck, comme dirait un cat Zengler en panne de vocabulaire, en attendant, tu en prends plein des mirettes, même les rockabs présents dans la salle sont sidérés - On voit que c’est des Américains, dit Dédé, c’est tout de suite en place ! - T’auras jamais plus d’en place qu’avec ce coup de Pokey en costard prune. Il fout une pression terrible, avec la classe hallucinante d’un petit homme qui ressemble à s’y méprendre à Buster Keaton.

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    Il chante en chef de meute, il hérite de tout le power du showbiz des Amériques, il devient pour un heure le maître du monde, un real deal à deux pattes. Pendant ce «Get It ‘Fore It’s Gone», on goûte à l’éclat du rock’n’roll, tel que l’ont inventé les pionniers dans les mid-fifties. Plus carré, plus brillant, plus classieux, ça n’existe pas. Il est petit, mais il sonne comme un géant. Il sait qu’il est bon, alors il génuflexe à tire-larigot. Un vrai carré d’as. Voix, compo, présence, tout est parfait.

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    Et attention, il est bien accompagné : Buffalo Bill à la stand-up, un barbu gratte ses poux et joue parfois de la trompette, et deux autres mecs complètent le backing : un jeune keyboardist et un beurreman de jazz robotique. Un seul cut, et tu n’en peux déjà plus, tu suffoques presque d’extase. Il enchaîne avec le «Rotterdam» et le «Fine To Me» de son dernier album et repart en mode killah kill kill avec l’«End Of The Rope» tiré de Rock Bottom Rhapsody. Il tire aussi «Yo Yo» et «Killing Time» de son dernier album, l’excellentissime In The Blossom Of Their Shade. Il n’hésite pas à claquer la valse macabre de «Fallen Angel» et le round midnite de «Lucky Sometimes».

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    Vers la fin du set, il fait monter une ravissante blondinette et en rappel, il envoûte toute la salle avec le closing-cut de Rhapsody, «Goodnight Goodbye (Hope Not Forever)», l’absolue huitième merveille du monde. Quand un mec t’enchante de la sorte pendant une heure, avec un final aussi magique, tu sais que tu viens d’assister au show d’une superstar, mais attention, pas d’une superstar à la mormoille, comme les fabriquent les médias, une authentique superstar, au sens où on l’entend artistiquement.

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             Une chose est certaine : les albums du coup de Pokey accrochent bien. Pokey serait donc plus un artiste de studio qu’une bête de scène. Pour s’en convaincre, il suffit de dénicher River Boat Soul paru en 2009. Au dos de la pochette, on découvre la photo de l’un de ces majestueux bateaux à roues à aubes du Mississippi. Et très vite, ce disque sonne comme la bande-son des aventures d’Huckleberry Finn. «La La Blues», c’est de la pure Americana, admirablement enlevée et tartinée d’harmo, et du meilleur. Quelle énergie et quelle classe ! Pokey ouvre la porte sur tout un monde, celui de l’Amérique d’AVANT cette fucking country music. Avec «Claude Jones», il passe carrément à la pompe manouche. Eh oui, Pokey va loin dans le fouillé des racines. C’est un rootseur de choc, du même calibre que Taj Mahal. Ce petit bonhomme est un touche-à-tout de génie. Sur disque, il est aussi infernal. Il revient au swing manouche avec «Hard Times Gone And Go». Ces mecs pourraient presque sonner comme Tchavolo Schmitt. On va aussi s’effarer de la mise en place de «Two Faced Tom», un cut bardé de coups d’harmo à la Dylan - Oh two faced Tom ! - Pokey traite la chose façon gospel. Il développe une véritable énergie de gospel blanc. Back to the manouche swing avec «You Don’t Want Me», extraordinaire d’agilité et là, Pokey nous ramène à l’embarcadère, c’est-à-dire à la Nouvelle Orleans. Il reste dans cette atmosphère fiévreuse pour «In The Graveyard Now». Un violon suit la cavalcade effrénée - He’s in the jailhouse now - Puis il attaque «Migraines And Heartpains» d’une voix de bas de menton et ça se met à banjoter. Et soudain, il attaque un solo à la Django. Évidemment, ces mecs font ce qu’ils veulent, ils naviguent à un très haut niveau et ils s’amusent tellement qu’ils lâchent une deuxième fournée. Pokey reste dans la pure Américana avec «Old Black Dog» et se révèle une fois encore agile et fiévreux. Il termine ce bel album avec un clin d’œil à Dylan qui avait aussi à ses débuts un petit côté Huckleberry Finn. «Daffodil Blues» est aussi une authentique merveille dylanesque. Pokey renoue avec l’esprit folky des grands horizons et sonne comme une sorte de messie condamné aux ténèbres de l’underground.   

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             Middle Of Everywhere sort en 2011. Voilà encore un album énorme. Si on aime la pure Americana, alors il faut écouter «River Rock Bottom», un slow jive de groove des années trente. Pokey est une sorte de magicien itinérant, en tous les cas, il sait créer les conditions de la magie. Quand on l’écoute, c’est un peu comme si on écoutait chanter son meilleur ami, c’est-à-dire son frère de sang, accompagné par des manouches, au pied des marches de la roulotte. Il est aussi dans le vieux groove des années trente pour «So Long Honeybee Goodbye». Il y passe un solo à la Django. Pokey et son orchestre jouent comme des dieux de fête foraine. Ils se permettent toutes les virtuosités. Ils swinguent leur truc jusqu’à l’oss de l’ass. Avec ce disque, on va de choc en choc, ces mecs sont beaucoup trop doués, comme on peut le constater à l’écoute d’«Ain’t The Same». Ils incarnent l’Americana mieux que personne. Sous son petit chapeau, Pokey chante comme un cake. C’est joué à la guitare claire. Pokey et ses amis sortent une vraie tambouille d’oreille fine grattée au banjo et râpée à l’harmo. On croit rêver. On frise l’overdose avec «Head To Toe», swingué au jump de jug des années trente. Et ça joue comme au temps de Django. Pokey sait aussi chanter le groove de charme. Avec sa voix, il peut vraiment tout se permettre. Il sonne comme un roi de bastringue, une sorte de Valentin le Désossé de bord du fleuve. Wow, quelle voix ! Et surtout quelle classe ! Il démarre «Shenandoah River» au gros strumming de rêve. Ça gratte dans la roulotte et c’est un peu comme si Pokey réinventait tout un tas de mythes, mais avec le swing. On tombe fatalement sous son charme. Pokey Lafarge & the South City Three pourraient bien être les meilleurs swingers d’Amérique. Retour à la Nouvelle Orleans avec «Keep Your Hands Off My Girl». Il sort le meilleur groove de trompettes traînardes qui se puisse imaginer ici bas. Pokey t’estomaque.

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             Il sort Pokey LaFarge en 2013 sur le label de l’autre frimeur installé à Nashville, Jack White. Par miracle, White ne joue pas sur l’album. Ouf ! On l’a échappé belle. Un spectaculaire portrait de Pokey orne la pochette de l’album. On croirait presque voir un portrait de Modigliani, tant l’équilibre des traits et des masses de couleur est parfait. Une véritable perle se niche sur cet album : «Kentucky Mae». Pokey nous chante ça à la gorge chaude. Il connaît toutes les ficelles du kitsch américain. Il tartine ça à la perfe. Il pourrait prétendre au trône de Cosmic American King. Ses disques emportent la bouche aussi sûrement que le piment de Cayenne, celui qu’on achète sur la Place du Coq. Il attaque cet album avec «Central Time», un jumpy jumpah d’Oumpapah. C’est admirable de swing et de légèreté. Il se pose sur la pompe du Wyoming pour soloter et joue des retours charmants et dignes des géants du swing. Nouveau coup de Jarnac avec «The Devil Ain’t Lazy», car on y entend un solo à la Django. En règle générale, ils s’arrangent pour rester dans le bon vieux swing de jug-band des années trente qu’ils dopent à la pompe manouche. Le petit Pokey recasse la baraque avec «Won‘tcha Please Don’t Do It», véritable carcasse de swing du Midwest. Il nous ramène à la Nouvelle Orleans avec «Day After Day», le son est plein, mais on ne retrouve pas le niveau de fouillis des enregistrements de Cosimo Matassa. Il chante ça du gras de la voix et ça joue à la Django, évidemment. Comme Tav Falco, Pokey s’intéresse au mambo. La preuve ? «Close The Door». Il termine ce bel album avec «Home Away From Home», une extraordinaire talking-song chargée de nostalgie - I’m following the ghost of Clifford Hayes/ On down to Carpet Alley where his jug band played - Fantastique. 

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             Sur la pochette de Something In The Water, il est assis à une table. Derrière lui, se tiennent deux femmes : une mégère en bigoudis et une bonniche quasiment à poil sous son tablier. Elle apporte à manger. Deux fabuleux clins d’yeux à Dylan se nichent sur cet album. À commencer par «Cairo Illinois». D’évidence, Pokey pourrait passer pour le nouveau troubadour de la fameuse Cosmic Americana. C’est vrai qu’il est moins beau que Gram Parsons, mais il est terriblement doué. Il sonne comme Dylan en 1965, il a tous les réflexes, comme par exemple la grosse envergure des retours de couplets et les riches coups d’harmo. Même chose pour «Achin’ A Fool», jolie pièce de jump sautillé au beat des Appalaches, et ça joue de la basse acou comme chez Hayseed Dixie. On note une fois de plus le grand retour des énergies fondamentales. Pokey chante du nez comme Dylan, avec la même niaque de verve verte. L’autre gros cut du disque est «When Did You Leave Heaven», un folk-blues chanté avec tout le feeling du monde. Ce mec ne se fout pas de la gueule des gens. Il sort un fabuleux groove de guitare à la ramasse et chante avec tout le luxe des années trente. Pokey LaFarge a choisi la voie de l’inclassabilité des choses. C’est bien. Il a raison. De nos jours, les foules semblent vouloir se tourner vers ce genre d’artiste. Typic atypic Cryptic ? Vous en aurez pour votre argent. Il chante son morceau titre d’une voix de canard particulièrement ingrate. Non seulement ce mec a une gueule d’empeigne, mais il chante en plus avec un côté Mickey Rooney assez éprouvant pour les nerfs. Par contre, «All Night Long» est vraiment digne des bastringues de Kansas City - Kansas City here I come - C’est joué au meilleur swing de jug d’Amérique. Et Pokey sort un final de pur New Orleans ! Il ramène ensuite les castagnettes pour «Goodbye Barcelona». Il se prend une fois encore pour Tav Falco et il a raison, car cette merveilleuse rumba d’alcoolique vaut le détour. Il joue «Far Away» à la finesse extrême et revient au pur New Orleans avec «Knockin’ The Dust Off». Il ramène sa gueule d’empeigne dans le spotlight et swingue comme un démon. 

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             Bon an mal an, Manic Revelations reste un bon album. Pour au moins trois raisons. La première est le cut d’ouverture de bal, «Riot In The Streets», vite embarqué au slap et propulsé par la caisse claire. Pokey tape des entrées de jeu superbes, c’est un artiste qui sait rafler une mise, son cut regorge de vie et de streets tonite. La deuxième raison s’appelle «Bad Dreams». On peut même parler de raison impérative, car quel coup de Jarnac ! Il chante aux dents de lapin, il fait son sucre sur le dos d’une belle mélodie, et ça devient littéralement énorme. Oui, Pokey LaFarge a du génie. La troisième raison d’appelle «Silent Movie», il chante ça d’une voix de rêve, au heavy charm, il groove son balladif et ramène son petit sucre à bon escient. Pokey forever ! Le reste de l’album est un mélange de petite pop transverse («Must Be The Reason» qu’il chante d’une voix de canard, pas de problème Pokey, on adore Donald Duck), de swing («Better Man Than Me»). Il travaille certaines compos aux brisures de rythme («Mother Narure»). C’est passionnant. Il lui arrive même de faire une pop qui ne sert à rien, comme chez Tom Petty, avec un léger accent cajun. Son «Going To The Country» est plus sexy, plus weird, plus inutile, plus connoté, plus nowhere out. De tout façon, on l’admire. Impossible de faire autrement.  

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             Sur la pochette de Rock Bottom Rhapsody, il fait son Tav Falco et costard blanc et danse avec un squelette. Attention, ce Rhapsody est un fuckin’ great album. Pokey est tout de suite on the beat avec «End Of My Rope», l’un des cuts du set sur scène. Et puis il passe au heavy beat merveilleusement plombé avec «Fuck Me Up», pas de problème, il te fuck up vite fait bien fait. Il chante ça à la petite bouillasse de LaFarge. Il fait des mélanges déments, après le fuck up, il tape dans le swing des années antérieures avec «Bluebird», puis il plonge dans le round midnite de voix de canard avec «Lucky Sometimes» - Even bums get lucky sometimes - Pas de doute, Pokey est un artiste complet. Il faut être confronté à son heayy jazz pour bien le comprendre. Il l’ose sur scène. Il dégage un truc sur chaque cut, même ses balladifs de rêve à la Fred Neil t’accrochent, comme ce «Just The Same». Il amène une valse à trois temps avec «Fallen Angel», ça marche à tous les coups. Sa niaque vocale n’en finit plus de te surprendre, il joue bien de sa voix puissante et perçante de petit garçon. Et puis voilà un nouveau coup de génie, «Storm A-Comin’». Il le prend au straight ahead et le monte en neige - There’s a storm a-comin’/ The temperature’s dropping - Ce petit homme est un héros, il est encore plus groovy que Tav Falco. Il propose un mélange intense qui le rend profondément attachant. Quand tu écoutes «Ain’t Coming Home», tu sais que tu écoutes chanter une authentique star américaine. Pokey construit tous ses cuts comme des cathédrales. Il a ce pouvoir. Il adore traînasser dans les grooves de vieilles valses incertaines. Il est éclairé de l’intérieur.

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             Et voilà In The Blossom Of Their Shade, le dernier album en date de Pokey. «Get It ‘Fore It’s Gone» ouvre à la fois le bal et le set sur scène. Fantastique swagger, power et gaz à tous les étages en montant chez Pokey. Il tape un beat de ‘Fore inconnu et puissant, il négocie son virage de génie sur un beat de bois verni, ce mec a trouvé la voie de l’hey hey hey. Le coup de Pokey est à la fois indéfinissable et excitant, à l’image de la pochette, où il danse un pas de deux avec ses faux airs de Buster Keaton. On retrouve plus loin le «Rotterdam» qu’il joue sur scène en mode fast valse. Comme Bowie, Pokey crée son monde. Il prend «Drink Of You» à la fantastique insistance, il te rentre sous la peau, il yodelle et devient indéniable. Avec «Fine To Me», il bascule dans une espèce d’exotica de la playa, il y va franco de port, au big sound. Même s’il groove son Fine To Me, on perd le génie de Get It ‘Fore. Son truc, c’est de mélanger les mélasses, il aime les valses incertaines et les effluves d’exotica rétro. Comme Tav Falco, il flirte avec le tango argentin («To Love Or Be Alone») et sait créer de l’ambiance. C’est un tentateur. L’Americana de wanna go home qu’il distille dans «Long For The Heaven I Seek» te monte droit au cerveau, d’autant plus massivement qu’on y entend le souffle du gospel, aw Lawd take me home ! Et puis voilà la cerise sur le gâtö : «Goodnight Goodbye (Hope Not Forever)», magnifique chanson d’adieu. Il est presque aphone, sur scène comme dans l’album, il n’a plus de voix - You’re the last face I see - Il embobine sa mélodie et nous avec, il chante aux dents de lapin, il t’ensorcelle et t’encorbelle, il t’emmène au somment de l’American songbook et d’une certaine façon, il vise, sans le savoir, l’intemporalité.

    Signé : Cazengler, Pokémon

    Pokey LaFarge. Place Barthélemy. Rouen (76). 30 mai 2015

    Pokey LaFarge. Le 106. Rouen (76). 28 avril 2023

    Pokey LaFarge & The South City Three. River Boat Soul. Free Dirt Records 2009

    Pokey LaFarge & The South City Three. Middle of Everywhere. Free Dirt Records 2011

    Pokey LaFarge. Pokey LaFarge. Third Man Records 2013

    Pokey LaFarge. Something In The Water. Rounder Records 2015

    Pokey Lafarge. Manic Revelations. Rounder Records

    Pokey Lafarge. Rock Bottom Rhapsody. New West Records 2020

    Pokey Lafarge. In The Blossom Of Their Shade. New West Records 2021

     

     

    Inside the goldmine

    - Swamp Rats d’égout

     

             S’il fallait cataloguer Bato, ce ne serait pas facile. D’abord parce qu’il faisait partie des gros clients de l’agence. Il dirigeait une énorme structure de formation et avait par conséquent d’énormes besoins managériaux. Mais il était surtout un homme d’esprit, un amateur de bons vins, de grands auteurs et d’expositions. Un lundi matin, en réunion de travail, il préféra nous parler de James Ensor plutôt que du dossier pour lequel nous étions convoqués. Il ne tarissait plus d’éloges sur cette toile d’Ensor qui s’appelle Vive la Sociale, il nous décrivait de mémoire toutes les trognes qu’y avait barbouillées Ensor, les têtes de mort, les masques figés à la Otto Dix, les pierrots fardés sortis tout droit des Enfants Du Paradis, son discours grondait comme un orage sur l’océan. Il levait les bras au ciel et sortait son mouchoir de temps à autre pour s’éponger le front. Bato était un homme assez haut, très brun, il portait des lunettes à grosses montures d’écaille et avait dans le regard cette malice à la Claude Chabrol. Le moindre rendez-vous de travail était prétexte à aller déjeuner dans les meilleurs restaurants du quartier et partout, il disait à la fin du repas : «Mettez ça sur mon compte !». Il n’accepta de notre part qu’une seule fois une invitation à dîner, parce qu’il s’agissait d’un lieu chargé d’histoire qu’il ne connaissait pas : la maison Fournaise sur l’île des Impressionnistes. Un habile promoteur avait réussi à transformer ce lieu historique en restaurant quatre étoiles. C’est sur là, sur ce balcon, qu’Auguste Renoir peignit Le Déjeuner Des Canotiers. Après un repas bien arrosé, nous allâmes marcher eu bord de Seine et Bato voulut grimper dans une barque, en souvenir de Guy de Maupassant. L’auteur de Boule de Suif venait là dimanche, à la belle saison, pour y culbuter des femmes de joie et pratiquer l’aviron. Nous trouvâmes des canoës un peu plus loin et partîmes au fil de l’eau. Bato pagayait comme un beau diable. Il rigolait et citait Maupassant dans le texte. Le grand air et le vin aidant, il se sentait pousser des ailes. Il se leva et, les bras au ciel, déclama la première phrase de Boule de Suif : «Petite, ronde de partout, grasse à lard, avec des doigts bouffis...» Il perdit l’équilibre, plouf ! Il coula à pic, emporté par le courant. On fit des recherches, mais les plongeurs ne retrouvèrent pas son corps. Nous sommes depuis persuadés qu’il a profité de l’incident pour disparaître.

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              Comme Maupassant avant lui, Bato a sûrement croisé les ragondins, qui sont des cousins éloignés (par la distance) des Swamp Rats. Ah les Swamp Rats de Pittsburg, quelle histoire ! Un seul album, une compile de leurs singles, Disco Still Sucks, mais quelle compile ! On peut même parler d’album légendaire. Et quelle légende ! Hocko et Bato même combat ! Deux candidats à la postérité, mais la postérité underground, la plus intéressante. Ils n’ont pourtant pas grand-chose à nous laisser, le Swamp Rats, juste trois cuts, la version la plus incendiaire de «Louie Louie», un «It’s Not Easy» tout aussi mal barré, et une version de «Psycho» qui fait trembler les murs de la ville, aussi sûrement que celle des Sonics. Bob Hocko attaque son «Louie Louie» avec un woaaahhhh d’antho à Toto - Gotta go now - Ils sont les shouters les plus wild du Wild West, ooooh no ! Une vraie volonté de trasherie, ils désaillent jusqu’à plus soif, aw noooo, Hocko fait son caveman, ses copains grattent leur va-tout et jettent leurs poux dans la balance. Ils finissent par tout foutre en l’air, la balance avec. Woaaahhh ! Ces mecs sont des ultraïstes de la fondamentalité des choses, des tenants de l’aboutissant du cavisme purulent, ils ne grattent pas des poux mais du pus, le pur pus purpirun d’«Hey Freak», le pus du rock humide des caves qui font peur. Ils font un «Hey Joe» bordélique, tellement bordélique qu’il est emmené par son propre poids, éperdu de vitesse et de mauvaise électricité. Ils bouclent l’A avec le wild gaga fin et racé d’«It’s Not Easy», admirablement taillé pour la route, joué sous un certain boisseau du swamp. Les Swamp Rats prennent tous les risques, à vouloir sonner comme des rats.

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             Ils attaquent leur B avec «No Friend Of Mine» qu’Hocko chante à l’éperdue délibérée, ce mec a du génie plein la bouche et une belle langue de fuzz lèche le cul du cut. Quelle version ! Ils rendent hommage aux Kinks avec «Till The End Of The Day» et détrônent les Blues Magoos avec leur cover de «Tobacco Road». Bien joué les gars, les rats bouffent les Magoos tout crus. Belle version délirante avec un gros pont de la rivière Kwai. Ils terminent avec une version complètement électrocutée de «Psycho». C’est encore autre chose que les Sonics, ça grésille à outrance. On n’avait encore jamais entendu un truc pareil, un tel parasitage du son, et tu as de démon d’Hocko qui hurle dans la tempête.

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             Dans les liners qui accompagnent le Disco Still Sucks paru sur Get Hip, Doug Sheppard parle de «snarling with fuzz guitar», de «demolition derby with crashing cars», mais on apprend que c’est Dave Gannon qui chante «Louie Louie», et non Hocko, même si nous dit Sheppard, Hocko est dans le studio au moment de l’enregistrement. Mais c’est bien Hocko qui screame le «Psycho» des Sonics qu’on va d’ailleurs retrouver sur le Back From The Grave Volume 1. Mais Hocko n’aime pas sa version : «It was too much screaming.» Hocko dit aussi que le son des Rats préfigurait de deux ans celui des Stooges et du MC5, eh oui, leurs singles datent de 1966. Seuls les Napoleon Wars qui se déguisaient comme Paul Revere & The Raiders sonnaient comme les Rats. En 1967, les Rats sortent leur troisième single, «No Friend of Mine»/«It’s Not Easy». Shalako : «We played through Super Beatle amplifiers.» Ils sont repris en mains en 1967 par un certain Censi et c’est la fin des haricots, car Censi leur demande de changer de son et d’image. What ?

    Signé : Cazengler, raté (et fier de l’être)

    Swamp Rats. Disco Still Sucks. Get Hip Recordings 2003

     

    *

    Vous avez eu Marlow Rider en clip, vous avez eu Marlow Rider en concert, et maintenant voici Marlow Rider en CD, mais où s’arrêteront-ils ?

    CRYPTOGENESE

    MARLOW RIDER

    ( CD / Bullit 16 / Mai 2023 )

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    ( Tony Marlow & Seb le Bison )

    Ce n’est pas que ce CD bénéficie d’une belle pochette, c’est qu’il est un superbe artefact rock n’roll, dû à Tristam De4 et Seb le Bison. Ah, ces lignes mouvantes jaune girafe et fauve fatidique qui vous stroboscopent le regard, avec au cœur de cette spirale infernale, la trombine de nos trois riders, stylisés par Tristam, statufiés en bustes profilés d’empereurs romains, du grand art !

    Ouvrez le gatefold, belle photo de Tony, ne perdez pas votre temps à l’admirer, vous en oublieriez jusqu’au sens du titre de cet album, modestement tracé au bas de la couve, ce beau portrait cache plus qu’il ne dévoile, faut l’ôter pour lire le texte qui nous explique le sens du titre Cryptogenèse. Tony se livre, à cœur ouvert, à cœur saignant, les années de formation et d’apprentissage, celles qui fondent la construction d’une vie d’homme et de rocker, avis à la population, Tony nous a déjà donné de bons albums mais celui-ci est à écouter comme le plus personnel, retour vers le passé, voyage au cœur de la fusion originelle, sans laquelle rien n’aurait eu lieu, ces moments décisionnels où l’être humain forge avec le marteau de sa volonté sur l’enclume du donné historial l’orichalque de sa destinée… Les lyrics révélés dans le livret ne sont pas des paroles vides de sens, mais pleines de sang.

    Fermez le gatefold, les bustes de nos trois riders ne sont plus que des ombres indistinctes, mouvantes, happées par le tourbillon stroboscopique du cycle de la vie qui recycle et redistribue nos atomes sur la partition du vivant, l’important est d’avoir été, d’avoir laissé une trace existentielle, comme par exemple, à l’intérieur, cette photo du groupe en pleine action, témoignage exclusif d’une existence vouée à la musique.

    Ne nous reste plus qu’à écouter cette galette spiralique, ce pemmicam électrique indispensable à notre survie.

    Tony Marlow : chant, guitare / Amine Leroy : contrebasse, chœurs / Fred Kolinski : batterie, percussions, choeurs

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    Hard drivin’ Rock’n’roll : un rock’n’roll, un simple morceau de rock’n’roll, que voulez-vous de plus ? Rien ! Que voulez-vous de moins ? Rien ! Marlow agite l’étamine pourpre du rock’n’roll d’entrée de jeu, précision historiale c’est Kolinski qui lance la cavalcade,  y va franc du collier,  le Marlou se hâte d’y ajouter le tranchant de sa voix, et c’est parti pour la fracturation de vos oreilles, z’ont le son idoine des pivoines épanouies, tout y est, les tambourinades effrénées, les ruptures rythmiques au millionième de seconde près, les reprises catapultées par la contrebasse survoltée d’Amine qui cogne comme le bélier sur les portes de la forteresse, le solo de guitare qui tue, l’entre-deux basse-batterie, et surtout cette envie d’être ensemble de jouer chacun son rôle selon une sublimation collective, Marlow chante cette vie de galérien du rock’n’roll qui n’abandonnerait pas sa place sur la nef partie à la conquête de la toison d’or. Le rock’n’roll n’est-il pas une musique orphique. Doctor Spike : l’autre face du rock ‘n’ roll, la noire, mais un noir de pures brillances, la musique plus lourde, elle cogne certes, mais qui est le sparring partner, un solo de guitare qui remet les proses pas roses en place, le groupe appuie où ça fait mal. Les beaux sourires avec les canines qui dépassent, ceux qui vous vendent du rêve, un shuffle imparable qui détruit les vitre miroitantes des illusions qui ne sont que des ombres noires. Sunshine of your love : reprise du vieil hymne solaire – missile sol-air – de Cream, que serait le rock’n’roll sans cet art hommagial, risqué et parfois iconoclaste de la reprise, les Riders s’y collent sans peur et sans reproche, gros challenge pour la contrebasse d’Amine qui délivre arcs-boutants et contreforts d’une solidité à toute épreuve, Fred n’a peur de rien, là où Ginger Baker se livre à un festival chipoteur d’un déluge de tapotements, il a choisi de marier tonnerre et résonnance, le Marlou dégaine sa voix et son jeu de guitare s’apparente à un  jeu de sabre, les Riders privilégient l’impact offensif à la subtilité éclatante de Cream. Pari tenu. Libertad : l’opus nous réserve bien des changements, l’on change pour ainsi dire d’hémisphère, du rock classique l’on passe à quelque chose de plus chaud, mais aussi brûlant, à la Santana, à option révolutionnaire, des paroles sans équivoque politique qui n’occultent en rien la dimension instrumentale du morceau, un régal, une fête une libération énergétique, une belle casserolade kolinskile, une bronca échevelée de big mama aminique et la guitare du Marlou qui tire à balles traçantes réelles. Highway chile : s’attaquer à Hendrix, quelle folie, suis allé réécouter Are you experienced, si novateur à l’époque mais qui aujourd’hui révèle l’évidence de son implantation originelle dans la séminalité du blues-rock dont il procède en droite ligne… : du coup la guitare de Marlow paraît sonner plus moderne, un prodigieux guitariste le Marlou, l’a tout assimilé et l’en a fait son miel, vous le recrache à sa manière, l’est méchamment accompagné par ses deux camarades, la voix mixée en avant et la guitare qui crie, une espèce d’exercice de style à la Queneau, mais ici à la manière indubitablement personnelle de Marlow. Javarock : non ce n’est ni la javableue ni la javablues, pas non plus la revendication identitaire nationaliste, simplement pour notre guitariste le désir de s’inscrire dans l’ici et maintenant mondain de son implantation géographique et historiale : Au titre précédent vous aviez  une reprise hendixienne, sur cet instrumental du pur Marlow créatif. Prière toutefois de ne pas faire l’impasse sur les deux autres Riders. Un morceau que je comparerais à ces échelles à saumons que l’on installe sur les barrages, le principe est simple, plus vous progressez plus ça devient dangereux, à chaque étage sa difficulté mais il faut aussi développer une force cinétique ascensionnelle de plus en plus rapide. Quant à Amine et Fred ils sont là pour les transitions, mais ils allongent et rehaussent les oxers, le Marlou n’esquive pas l’obstacle et s’en tire comme un chef. Le grand voyage : c’est celui qui relate l’arrivée du tout jeune Marlou en Corse, c’est aussi la traversée océanique qui sépare le rock américano-saxon du rock français, sur cette seconde partie de la galette Marlow chante en français, une gageure, un moteur d’avion sur laquelle se greffe un shuffle bluesy, non ce n’est pas triste, juste un acte initiatique qui sépare la vie en deux comme une pomme et si maintenant la guitare hennit c’est que la vie vous tend la moitié la plus juteuse. Pielza Eden : déjà plus rock, la batterie mène le bal, chant triomphal, guitare sarabande, joie sauvage, la sève qui monte, Fred est à la fête, le jeune Marlow découvre la joie de vivre, l’est déjà sur la route, pratiquement encore intérieure, mais sa boussole indique la bonne direction. Musique ou rien. De bruit et de fureur : son électrique, le rat des champs idylliques est devenu un cat des villes trépidantes, le décor change, la bande-son aussi, toute l’énergie de la jeunesse, la guitare gronde et la voix se creuse, seventy rock, l’outrance et la violence, la vie est un combat. Eclectic : pas électric si l’on en juge par l’intro très jazzy, la big mama d’Amine flirte avec les cymbales de Fred, l’on vire dans le funk, sur la piste de danse la guitare du Marlou se lance dans un cent mètres nage libre. Des chœurs de poids-lourds vous télescopent. Pas grave, la voix de Marlou mène la danse jusqu’au bout de la nuit. Comme un cran d’arrêt : un vent qui siffle, guitare espagnole, c’est l’heure de l’estocade, mots de haine et de dépits, voix coupante comme un cran d’arrêt, un sacré remue-ménage, chagrin d’amour, poison toujours, batterie maracas, épileptique à tous les coups l’on perd, à tous les coups l’on saigne, grand bazar des illusions perdues, un foutu bordel sonore. Le temps efface les blessures : le slow sixties que l’on espérait sans plus y croire, mi-figue, mi-raisin, chagrin d’amour ne dure qu’un jour, la guitare grince et griffe, pire que la souffrance, pire que la mort, l’indifférence apportée par la neige du temps qui recouvre tout. Désespoir absolu.

    Cette face B est à écouter comme un opéra rock. Elle forme un tout, un peu comme l’envers du décor de la brillance éruptive des six premiers morceaux. Le rock envers et contre tout, le rock jusqu’à l’amertume, que l’on assume, dont on ne regrette rien. L’acceptation de la sagesse n’est-elle pas une autre forme de la folie… Very rock’n’roll.

             Un disque de Tony Marlow. Non, un grand disque.

    Damie Chad.

     

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    Dans notre livraison 534 du 16 / 12 / 2021, nous chroniquions les deux premiers opus du groupe polonais Moonstone, respectivement parus en décembre 2019 et décembre 2021, nous n’avons pas été vigilant Moonstone a aussi sorti un album en décembre 2022, nous nous hâtons de le chroniquer, pour ce 17 mai 2023, Moonstone n’annonce-t-il pas la sortie d’un nouvel album.  

    SEASONS

    MOONSTONE

    ( Live EP / 2022 )

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    Depuis la pochette l’œil lunaire ne vous regarde pas. Sans doute a-t-il mieux à faire. D’ailleurs pourquoi s’intéresserait-il à vous, le mériteriez-vous par hasard ? ! L’est sûr que les étranges architecturales façades de falaises qu’il inspecte, à la manière d’un inquisitorial projecteur, sont plus captivantes que votre modeste et inutile personne. L’on ne sait pourquoi mais il est impossible de ne pas penser à L’aiguille Creuse de Maurice Leblanc qui écrivit de si obscurs romans… Ces parois verticales qui plongent leurs soubassements dans la mer offrent sur leurs frontons de bien étranges signes, une espèce d’alphabet cyclopéen indéchiffrable.

    L’artwork est de  Daria Prystupa. J’ai voulu en savoir plus, via son FB je suis arrivé sur son instagram hariyoshi_tattoo, à visiter, une artiste, tout ce qu’elle représente est nimbé d’une aura vénéneuse, des motifs mille fois revisités par des centaines de tatoueurs, auxquels elle donne une autre dimension, une aura qui n’appartient qu’à elle, ces encres sont celles dans lesquelles Baudelaire a trempé sa plume pour écrire Les fleurs du mal. Méfiez-vous de ses serpents, ils vous mordront l’âme et instilleront en vous un venin délicieux. Daria vit en Ukraine à Lviv, nous lui transmettons toute notre sympathie.

    Jan Maniewski : guitar, vocal / Volodymyr Lyashenko : guitar / Viktor Kozak : basse, vocal / Kacper Kubieri : drums.

    Nous invitons le lecteur à se reporter à la chaîne YT de Moonstone. Vous y trouverez plusieurs longues vidéos de différents gigs du groupe. Cet EP est un peu comme une carte d’invitation à vous rendre sur ces diverses expérimentations. Il est constitué de quatre morceaux enregistrés live. Le premier et le troisième sont des titres de leur premier album Moonstone et le deuxième de 1904.

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    Mushroom King : c’est comme les quatre saisons de Vivaldi mais en beaucoup mieux, ça agit immédiatement sans préavis, le tubercule d’un champignon mexicain géant s’installe instantanément dans votre cerveau, l’amanite phalloïde du rêve vous envahit, l’extase oronge vous ronge, la mer verte est ouverte, laissez-vous emporter par la houle des aventures intérieures, un sas de compression et la navigation commence, la lumière des étoiles klaxonne dans la nuit, par intermittence, stridences de guitares et grasses sargasses de basse, la batterie roule et tourneboule, effluves de contrées inconnues se mêlent à vos narines, sortilèges sonores, une large voix méditative vous pousse et vous emporte vers des courants plus violents, jamais vous n’auriez pensé que sur le fleuve de la mort paisible votre barque funéraire glisserait si vite… Spores : delta de basse, le fleuve se sépare mais ses deux bras sont aussi larges et si vous empruntez celui de droite vous naviguez en même temps sur le deuxième, la vie et la  morts ne sont qu’une seule et même chose, chacune se nourrit de l’autre, notes graves et batterie funéraire, qu’importe vous n’êtes que sur le verso de votre existence, un guitare se plante dans votre oreille, elle vous aide à revenir sur le recto de votre présence, la voix énonce la cruelle réalité de la fulgurance vitale, tout est noir, tout est sombre, votre mort s’empare de l’univers, elle noircit des millions de pages, le monde entier s’effondre en vous, rien de plus terrible ne saurait subvenir, point d’orgue, point final, tout peut recommencer, le roi est mort, vive le roi et vive la mort, il est difficile de comprendre le message, de lentes rafales de notes tombent en pluies maintenant diluviennes sur les vitres de votre conscience, la matière germine, les électrons se poussent et s’entrechoquent, c’est la danse, la sarabande des neutralités qui s’éveillent, un raz de marée dévastateur, la nature se mange elle-même, elle cannibalise sa propre substance et vous dévore anthropophagiquement, c’est le grand charivari des mouvements internes qui s’entrechoquent, une longue montée paroxystique et l’on entend des pas de velours d’un cadavre qui se lève et marche doucement dans la nuit de l’aube pour que personne ne le remarque.

    SulphurEye : l’œil de soufre était dans la tombe et vous regardait. L’Inquisiteur, celui qui ne vous a jamais quitté du regard même quand il regardait ailleurs, musique forte, trop forte pour que vous puissiez lui échapper, elle vrille comme des poignards que l’on vous enfonce dans les yeux, il a suivi tous vos actes et pire que cela il était aussi en vous et visionnait le film de vos pensées les plus secrètes que vous dérouliez comme une araignée qui tisserait la toile de son propre piège, rien ne lui a échappé, des barres musicales vous encagent, vous ne sauriez fuir, tout se ligue contre vous, maintenant vous savez que vous êtes vous et que vous êtes aussi l’œil de soufre qui vous épie, jamais vous n’échapperez à vous-même et encore moins au néant de votre inanité. L’univers n’est plus qu’un rideau mortuaire, le linceul dans lequel s’enveloppe le roi que vous avez été. Jamais vous n’échapperez à cet océan musical mugissant qui vous ensevelit. The day after : évidemment il n’est aucune séparation entre ces quatre morceaux, tout se tient le serpent de la mort tient dans sa gueule la queue du serpent de la mort, le jour d’après n’est que le jour précédent, harmoniques orientalisantes de guitares, la batterie bat ses silex rythmiques les uns contre les autres pour que naisse bientôt une étincelle capable de réanimer les cendres froides de votre passé, un long chemin s’ouvre devant vous, triomphal, victorieux, sinuosités méandreuses de la vie, la musique orientalisante, charme de serpent, vipère lubrique, elle se dresse sur elle-même, elle danse, elle se tord sur elle-même, elle a des torsions et des grâces de bayadères, accalmie, repos, reprendre son souffle, reptile se couche sur la terre, il s’épuise en courbes flasques, il se défait, il n’est plus rien, il s’identifie à la poussière du chemin, il raffermit ses atomes, il croule sous sa propre inertie, il ressemble à n’importe quoi et à n’importe qui, vous pouvez lui marcher dessus, vous ne vous en apercevrez même pas, et lui se taira, n’est-il pas comme vous, n’êtes-vous pas comme lui, ne formez-vous pas qu’un seul être indistinct, la guitare tirebouchonne, la batterie fait du bruit pour remplir l’indifférenciation des espaces indistincts, des bruits divers s’éparpillent, les cymbales frétillent doucement à la manière des queues de crotale, le serpent n’a-t-il pas mangé la fleur de l’immortalité au guerrier qui dort sans méfiance, Gilgamesh vit et vivra encore, mais le matin qui assistera à son réveil, sera comme la nuit de sa mort.

             Seulement quatre morceaux sur cet opus, mais si vous avez envie de poursuivre ce voyage sans fin, filez sur la chaîne YT de Moonstone, vous y trouverez beauté à volonté et poison à foison. Vous aurez toujours faim de cette histoire sans fin.

    Damie Chad.

     

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    Les Oiseaux de Nazca nichent à Nantes, ville dont nous saluons les luttes anti-gouvernementales et les explosives manifestations, se définissent comme un groupe de stoner rock. Refuseraient-ils de le revendiquer que leur nom les trahirait. Pas besoin d’avoir un diplôme d’ornithologue en poche pour reconnaître un oiseau de Nazca. Tout le monde en a vu. Leurs photographies s’affichent jusque dans les livres scolaires. Si vous désirez les admirer en vrai, achetez-vous un avion. Puis survolez le désert de Nazca, tout en bas du Pérou, un désert coincé entre l’océan Pacifique et la Cordillère des Andes. Ce sont des dessins qui peuvent atteindre des kilomètres de long, la plupart du temps d’une envergure de plusieurs dizaines de mètres, figures géométriques, humaines ou animales. Notamment des oiseaux du colibri au condor. Sont-ce des représentations de dieux ? Ou de grands dessins-offrandes aux Dieux ? Ils ont été tracés en ôtant les pierres de surface ferrugineuses et donc rouges pour laisser apparaître une couche de cailloux grisâtres. Apparue en – 500 et disparue vers + 200 la civilisation Nazca n’en continue pas moins de survivre dans l’imaginal de notre modernité.

    BIRDS OF NAZCA

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    Nos oiseaux ne sont que deux, Guillaume est à la guitare et Romuald à la batterie. Le lecteur ne s’étonnera pas de l’esthétique des pochettes. La civilisation Nazca reste mystérieuse, est-ce pour cela, pour ne pas donner l’impression de divulguer des secrets tus depuis deux millénaires que leurs morceaux ne comportent aucune parole…

    BIRDS OF NAZCA

    ( CD / Bandcamp / 31-08-2020 )

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    A fly in the helmet : batterie enjouée et guitare joyeuse, première surprise c’est la batterie qui fait son nid en premier dans votre oreille, la guitare donnant l’impression de voleter pour venir nourrir l’oisillon, déjà un beau jouvenceau heureux de voir sa mère battre des ailes pour se maintenir à sa hauteur, arrêt brutal, l’on attendait la mouche elle survient, un lointain froissement pratiquement inaudible, coups de tambours pour son arrivée, rien de grandiose, rien de dramatique jusqu’à ce  que la guitare déboule, entre nous soit dit elle sonne comme une basse, c’est parti pour quelque chose de plus riffique, s’enchaînent des séquences relativement courtes, ici la batterie fait miroiter ses plumes aux éclats de cymbale, la guitare s’inclinant régulièrement pour picorer des graines, attention nous entrons dans une deuxième coupure pour un moment d’attente, une espèce de noise mélodique chacun des deux instruments paradant comme pour une approche nuptiale, l’on se dirige vers une montée progressive du plaisir… sans explosion finale. Pas le temps de calculer l’on est déjà sans craquèlement dans Cracula : formation d’un riff, en voiture, pour deux minutes de vélocité, non, l’on freine doucement comme si un danger se profilait à l’horizon, la batterie tapote l’alerte et l’on repart, rien de plus roboratif qu’une fausse alerte. Cactus : ambiance plus sombre, n’a-t-on pas entendu comme un souffle de vent du désert, la batterie nous fait le coup de la grande menace qui s’approche à pas pesants, la guitare vous a de ces balancements d’ostensoirs rafraîchissants, mais l’on repart en mineur vers quelque chose de moins sombre, de davantage gris, la batterie écrase les épines du cactus une par une, la lymphe végétale gicle comme un cri de souffrance, surgit lentement la sourde énergie de la nature que rien ne saurait arrêter. Almucantar : procédé mathématique qui consiste à établir un cercle parallèle à l’horizon, un comme si l’on débitait une tranche de la sphère céleste, nos oiseaux veulent-ils mettre en relation cette opération géométrique dans l’espace intérieur avec le résultat de ces dessins gigantesques obtenus on ne sait pas trop comment par le peuple Nazca, en tout cas ils y vont mollo, pas cahin-caha mais presque, coup d’accélérateur aux trois-quarts du morceau mais tout se stabilise très vite, comme si l’on était content du résultat obtenu. Satisfaction spirituelle après l’effort mental.

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    Kanagawa : le titre est sorti en avant-première au mois de septembre 2021 avec pour couverture une représentation de la célèbre estampe La Vague d’Hokusai, dans le lointain en tout petit le connaisseur ne manquera pas de désigner le Mont Fuji, quel rapport avec le Nazca, le Mont Fuji que l’on présente comme la plus haute montagne japonaise, est aussi un volcan… voir titre suivant : le vent souffle, celui de la mer, ou du désert ? Pour la première fois le son prend de l’ampleur, une bourrasque lente, toutefois cette particularité est commune à tous les morceaux, il est impossible de parler de fuzz, nous le répétons l’impression d’une basse dont le volume sonore squatterait les amplis, entre nous rien n’évoque la houle destructrice d’Okusai, à la batterie Romuald en profite pour accentuer sa présence, tout se calme, clapotis de cymbales, profondeur guitarique, Romuald marque la cadence, quelques longueurs structurelles dans ce morceau. Volcano : étions-nous sur une fausse piste, nous rêvions d’éruptions fracassantes mais le Volcano Hummingbird n’est qu’n modeste colibri : pour une fois la batterie se fait pesante, la guitare se contente d’agiter ses ailes d’oiseau-mouche tel un bourdonnement incessant, bien sûr le passage de respiration habituel mais l’on repart aussi vite et aussi tumultueusement, le son s’intensifie et s’éloigne comme une escadrille de gros porteurs. Symposium : une voix, un chant sacré qui réveille la puissance tutélaire et menaçante de l’élément terrestre, grondement insatiable venu d’on ne sait où, qui ne saurait s’arrêter mais dont la batterie ordonne la cadence, tout se calme, ne reste plus que la voix de la prière aux oiseaux.  Vulture gryfus : cette nomenclature latine fait un peu peur, sa traduction en Condor des Andes est promesse de grandeur et de sérénité, le tire tient ses promesse, son amplifié et énergie sous-jacente, c’est la première fois que l’on a envie d’employer le mot riff même si l’on est plus près d’envolées successives, sans doute a-t-on atteint l’altitude supérieure, celle à laquelle on ne vole plus, celle où l’on plane, en se laissant porter par des courants invisibles, ce qui n’empêche pas que l’on monte encore, que l’on prend son essor vers le domaine des Dieux, rieurs et tapageurs, l’on croit être arrivés au summum, mais non, il y a comme une aspiration vers les demeures brûlantes du soleil. Arrêt brutal, s’est-on brûlé les ailes, entamons-nous une chute fulgurante ?

             L’opus est à l’image du vautour de la couve qui vaut le détour. Stoner, doom, tout ce que vous voulez mais avec le refus de l’emphase, de l’esbrouffe, et du kaos, ligne claire serait-on tenté de dire un peu à l’image des grands oiseaux dont les traits se distinguent sur le sol sombre de Nazca.

    HELIOLITE

    ( CD disponible en juin / Bandcamp / Mai 2023 )

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    Heliotite, la pierre du soleil, n’oublions pas la terre de feu, une continuité certaine avec l’opus précédent. Nous quittons un peu la civilisation Nasca, l’Amérique du Sud c’est aussi les Mayas, les Aztèques les Incas, sans oublier les Toltèques, nos deux nantais nous permettent ainsi de voyager dans plusieurs imaginaires mythologiques. Chaque morceau est agrémenté d’une image symbolique représentative.  

    Intro : trente secondes d’un son venu d’ailleurs pour vous abstraire de votre quotidien, pour vous mener à une autre représentation du monde, plus vieille, antique, immémoriale…

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    Inti raymi : (fête du soleil, voir notre Sol Invictus romain ou plus près de nous la Danse du soleil des Sioux) : entrée martelée, mettent le son, ne sont pas sur le onze, mais sur le dix, une espèce de rituel sonore, n’oublions pas les sacrifices humains, les cœurs arrachés, les pyramides dégoulinantes de sang. Ne parlez pas de cruauté ou de civilisations barbares, pensez à la notion d’offrande, à la grandeur démesurée des Dieux face à la petitesse animalculéenne de l’être humain qui n’a rien d’autre à offrir que lui-même. Une musique sans pitié qui va droit devant. La mort ou le soleil, c’est pareil.

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    Spheniscus : non ce n’est pas le phénix mais le Manchot de Magellan ou de Humbolt, au bout de la terre de feu, quel rapport avec les divinités antiques d’Amérique du Sud, je n’en sais rien, ces oiseaux peut-être mentionnés par Nazca pour symboliser ces peuples qui ont disparu sans laisser de trace comme les Yaghans , pêcheurs-cueilleurs dont on ne sait à peu près rien, sur lesquels le rouleau compresseur des invasions historiales est passé définitivement… : face à toutes mes incertitudes la musique se fait entendre, provocante presque, la guitare klaxonne, la batterie étourdit, on pourrait nommer ce traitement musical l’avancée de l’inéluctable, le j’y suis j’y reste de la présence de ce qui a été, de ce qui est toujours là, disparue mais ineffaçable, je marche à pas lourds sur la terre que j’ai désertée, mais que je la hante de la tonitruance de mes fantômes. Ce qui est mort est irrémédiablement immortel.

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    Gucumatz : de l’eau qui coule aux reflets miroitants, tintements brillants, n’y mettez pas la main, Gucumatz est la vipère au corps de plumes qui nage dans les profondeurs aquatiques, le son devient plus dur, plus éclatant, normal cette couleuvre n’est qu’un des noms du plus grand des Dieux, tout s’accélère et se surmultiplie en chatoyances multiples, cymbales triomphantes, vous la connaissez mieux sous le nom assourdissant de Quetzacoalt le serpent à plumes qui vole dans les airs et dans les imaginations, un trait de feu qui pourfend l’ait à la vitesse d’un avion à réaction, si maintenant nous n’entendons plus que quelques notes qui clochardisent et le vent qui souffle, c’est que le Dieu est insaisissable, le voici grincement fracturé d’une forte respiration battériale et la tête du serpent volant se déploie majestueusement, ses yeux sont soleils irradiants, il roule sur le monde à la manière des amas de cailloux qui dévalent les cordillères et écrasent toute présence humaine au fond des vallées, sont-ce des cris, des pleurs, mais l’avalanche recouvre le monde entier et n’en finit pas se glisser à la surface du globe, et puis subitement plus rien, juste un courant d’air d’onde musicale. Les Dieux passent comme les hommes. Mais pas de la même manière.

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             L’on prétend que les dessins du désert de Nazca étaient si grands pour que du haut du ciel les Dieux puissent les voir, c’est-là le sujet de l’opus précédent de Birds of Nazca. Cette Heliolite nous transporte du côté des Dieux, cette deuxième œuvre essaie de traduire le regard de ces Dieux qui ne voient que leurs images. Ne vous étonnez pas si cette musique est refermée sur elle-même, elle se suffit à elle-même, beaucoup plus forte, moins partagée, moins hésitante, moins pérorante, moins diserte, un bloc noir, une borne qui sépare l’infini diversité humaine de l’absolu inatteignable.

             Vous avez sur YT pas mal de concerts ou d’enregistrements live de Birds of Nazca. Regardez-les, écoutez-les, demandez-vous quelle sera leur prochaine étape. Une démarche très originale.

    Damie Chad.  

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 27 ( Apéritif  ) :

    143

    Le Chef ouvrit sans faire de bruit le tiroir de son bureau, il me fit signe de regarder, Molossito éprouvé par la journée de la veille s’était endormi sur un lit de Coronados, avec une douceur infinie et l’extraordinaire dextérité d’un joueur international de mikado le Chef parvint à extirper de dessous la pauvre bête exténuée le cigare dont il avait besoin, un Expeditivo N° 7, qu’il alluma avec soin :

    _Voyez-vous agent Chad, le monde se porterait mieux si nos dirigeants prenaient de temps en temps le temps non pas de jouer du tam-tam mais de méditer sur la brièveté de la vie en savourant un Coronado. Prenons un exemple particulier, vous-même agent Chad, certes vous n’êtes pas un grand de ce monde, au lieu de dézinguer cette cinquantaine de farfelus qui venaient enterrer un des leurs, si vous aviez simplement eu l’idée d’une halte méditative et coronadienne, ces pauvres fous seraient encore vivants, n’empêche que pour ces zozos venir dans un cimetière de bon matin relevait de la plus haute incongruité  matitunale, puisque tout le monde sait que La Mort nous y attend depuis le premier jour de notre naissance. Ces fous furieux n’avaient certainement pas lu – j’en jetterai un Coronado au feu – les œuvres complètes de Marguerite Marie Louise Gabrielle Ménardeau, sans quoi ils auraient manifesté une plus grande prudence.

    Nous devisions sereinement depuis quelques minutes sur les livres de Gabrielle Witkop lorsque le museau de Molossa effleura mon mollet gauche. Je levais la main. Nous nous tûmes. Aucun bruit. Nous restâmes longuement aux aguets. Le Chef s’abstint même de tirer sur son Coronado. Avec d’infinies précaution je me levai de ma chaise et à pas de loup je m’en fus coller mon oreille (la droite) sur la porte, rien pas un bruit ne me parvint de la cage d’escalier.

             _ Hum, hum ! Agent Chad, je crois que nous avons une visiteuse, il est midi passé, peut-être pourrions-nous l’inviter au restaurant !

    144

    La Mort ne fit pas de chichi pour accepter, en une seconde elle se matérialisa et nous adressa son plus beau sourire :

              _ Je dois reconnaître que vous êtes de parfaits gentlemen, je vous fais confiance pour le choix du trois étoiles, comment avez-vous deviné que je mourrai littéralement de faim !

              _ Quel humour Madame !

              _ Oui j’adore l’humour noir !

    145

    Notre entrée fut remarquée, à l’accueil Germaine – mais non chers lecteurs toutes les filles ne s’appellent pas Alice - ouvrit de gros yeux, en trente ans de maison n’avait jamais vu de telles dégaines, les deux chiens, Molossito ragaillardi par son somme coronadien commençant à zigzaguer en aboyant très fort entre les tables, nos deux perfectos râpés, l’épaisse panache de fumée noire échappée du Coronado du Chef,  l’étrange allure de cette vieille femme drapée dans une immense cape noire, ses mèches de cheveux blancs dépassant de son capuchon noir, ses yeux de braise et son visage blanc au sourire sardonique, les accoutrements de cette équipe improbable avaient dû lui déplaire. Elle alerta d’un prompt coup de phone le patron qui au vu de la carte officielle que lui tendit le Chef, s’exécuta illico en obséquieuses courbettes. En quelques instants nous fûmes conduits dans un salon privé, des garçons stylés qui furent très étonnés lorsque la dame âgée rejetant le parchemin à menus qu’on lui tendait décréta d’un ton mourant qu’elle se contenterait d’une épaisse tranche de mortadelle accompagnée d’une Mort Subite.

    146

    Notre vieille amie avait un sacré coup de fourchette mais il était manifeste qu’elle se dépêchait de terminer son repas poussée avant tout par une impérieuse envie de parler. Elle eut le tact d’attendre que nous ayons fini notre dessert avant de prendre la parole :

    • Bon passons aux choses sérieuses !
    • Entièrement d’accord avec vous chère Madame, j’allume tout de suite un Coronado, vous conviendrez avec moi, j’en suis certain, qu’il n’y a rien de plus sérieux au monde que l’art du Coronado, je suis d’ailleurs très étonné que ce peuple si subtil que sont les japonais n’aient pas pensé à trouver un de ces vocables dont ils ont le secret pour qualifier les arts ! Un manque civilisationnel d’autant plus regrettable que…
    • Vos chinoiseries m’insupportent, tenez-le-vous pour dit, je suis venu ici pour passer un marché avec vous !
    • Madame nous attendons vos propositions, sachez que nous les examinerons ave le plus grand soin et…
    • J’irai droit au but. D’abord je regrette que vous n’ayez apporté qu’une attention discrète à mes propos du matin, vous avez la comprenette attaquée par la fumée des infâmes cigares dont vous faites une compréhension, cela ne m’étonne pas puisque vous êtes un rocker !

    Les yeux du Chef étincelèrent, derechef il alluma un nouveau Coronado :

              _ Madame, vous sous-estimez ces doux êtres paisibles que sont les rockers, pourquoi croyez-vous que je vous ai invitée au restaurant, vos paroles m’ont paru assez claire, contrairement à l’agent Chad qui n’a rien compris, j’ai deviné ce que vous nous suggériez, j’ai établi le rapport entre cette intuition inexplicable entre la mort du rock’n’roll et la nécessité sans cause qui a entraîné le SSR au début de cette aventure dans les allées du Père Lachaise.

    Ce fut comme une lueur irradiante qui envahit mon esprit, en une seconde je compris tout, avec quelques heures de retard sur le Chef certes, toutefois je doute qu’au moment précis de ce récit l’intelligence de nos lecteurs ait reçu l’illumination nécessaire à l’élucidation de cette aventure.

    147

    Je ne pus m’empêcher de prendre la parole :

              _ C’est pourtant simple Madame, c’est vous qui avez décidé de tuer le rock ‘n’roll ! Vos manigances sont cousues d’un fil aussi blanc que celui dont on coud les suaires.

             _ Bien sûr c’est moi, mais vous ne savez pas pourquoi !

             _ Sans nul doute parce que vous détestez ce genre de musique !

             _ Depuis le temps que j’existe, cher jeune homme, l’engeance humaine a inventé tant de genres musicaux que je n’y fais plus attention, tous se valent à mes oreilles… En fait ce n’est pas le rock qui me gêne, ce sont les rockers !

              _ Parce qu’ils écoutent du rock ?

              _ Pas tout à fait, l’affaire est beaucoup plus complexe, c’est quand ils ne peuvent pas en écouter que cela devient dérangeant, mais laissons-cela, je suis venue pour vous proposer un contrat, j’ai préparé le document, il ne me reste plus qu’à recueillir votre assentiment. Tenez, lisez, signez !

    A Suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 534 : KR'TNT ! 534 : JAC HOLZMAN / DARRYL READ / BARRY RYAN / TAME IMPALA / MOONSTONE / LEA CIARI / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 534

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    16 / 12 / 2021

    JAC HOLZMAN / DARRYL READ

    BARRY RYAN / TAME IMPALA

    MOONSTONE / LEA CIARI

    ROCKAMBOLESQUES

    Jac of all trades - Part One

    moonstone,léa ciari,rockambolesques ep 11;

    Fort heureusement, les acteurs majeurs du showbiz américain ne sont pas tous des truands. Une infime minorité de parfaits gentlemen réussirait presque à sauver la réputation de cette industrie ravagée par la plus brutale des cupidités. Les gentlemen les plus connus sont Uncle Sam, Ahmet Ertegun et Jac Holzman, comme par hasard, trois patrons de labels indépendants. Pendant qu’Uncle Sam lançait à Memphis la plus grande révolution culturelle du monde moderne, Ahmet Ertegun et Jac Holzman œuvraient à New York, dans des secteurs honorifiques : la black music d’Atlantic pour Ertegun et le folk d’Elektra pour Holzman. Sun, Atlantic et Elektra ? Une sainte trinité.

    Tout le monde connaît Elektra, grâce aux Doors, aux Stooges et au MC5. Mais le label grouille de trésors, puisque son histoire s’étend sur 30 ans de mouvement perpétuel, ce tinguelinage culturel qui au long des sixties et des seventies n’en finissait plus de révéler des artistes plus extraordinaires les uns que les autres, et Jac Holzman brassait large puisqu’il lança Jim Morrison, Arthur Lee, Tim Bucley, Fred Neil, Iggy Pop, Paul Butterfly, pour n’en citer que quelques-uns.

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    Nous disposons de deux bibles pour entrer dans le détail de cette histoire passionnante, l’autobio de Jac Holzman parue en l’an 2000, Follow the Music: The Life And High Times Of Electra Records In The Great Years Of American Pop Culture, et un ouvrage encore plus volumineux de Mick Houghton, Becoming Elektra: The True Story Of Jac Holzman’s Visionary Record Label, paru en 2010. Le plus intense est bien sûr l’autobio, mais les deux volumes se complètent bien, il faut juste se donner du temps pour en venir à bout, car ce sont des grands formats de 300 et 400 pages chargés comme des canons de flibuste jusqu’à la gueule. Et on retrouve sur les deux couvertures le papillon d’Elektra qu’on aimait tant voir sur les rondelles de nos vieux disques des Doors et des Stooges, ces disques dont on écoutait un cut chaque matin pour se donner du courage avant de partir au fucking lycée. Five to one, baby/ One in five !

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    En plus d’avoir un flair de cocker pour les rockers légendaires, Jac Holzman présente l’immense avantage d’être un homme intelligent. On en apprécie d’autant plus sa compagnie. Il crée son label en 1950 et le baptise du nom d’une déesse grecque, fille d’Agamemnon, Électre, soit Electra en anglais, qu’il modernise avec un K. Il trouve que le K apporte un solid bite, du mordant, comme dans Kodak. Quant au papillon, il viendra dix ans plus tard. Pour financer son label, Jac ouvre une petite boutique de disques sur la 10e rue, à New York, The Record Loft. Un soir il aperçoit un black planté devant sa vitrine. Comme il pleut à verse, l’homme est trempé. Il le fait entrer et lui propose un siège. L’homme est charmant, extrêmement poli, c’est un musicien de jazz qui joue au Village Vanguard, just a few blocks away. Then he told me his name: Charlie Parker.

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    Cette petite anecdote pourrait à elle seule résumer Jac Holzman. Toutes les rencontres qu’il évoque ressemblent à des tours de magie. Si pendant dix ans il ne sort que des albums de folk, c’est parce que dit-il le rock’n’roll lui passe par dessus la tête. Pas de contenu. Il vit près de Greenwich Village, là où se produisent tous les géants du folk, Dave Van Ronk, Fred Neil, Dylan et les autres - My day was defined and circumscribed by the village - La 14e rue constituait la frontière nord de son univers. Jac commence par tomber raide dingue de Judy Henske. Il affirme que Mama Cass s’est modelée sur Judy. D’ailleurs Judy témoigne dans le book. Jac rappelle qu’elle jouait en première partie de Lenny Bruce lorsqu’elle vivait sur la côte Ouest - The Lenny Bruce audience were the hard-bitten Hollywood habitués. They were so hip, so mean, c’mon, the meanest audience on earth - Tout ça pour dire que Judy en avait vu des vertes et des pas mures - J’ai eu du succès à Tulsa, à Oklahoma City, à Boulder, à Chicago. Mais ça n’a pas trop bien marché à Indianapolis et au Canada. J’ai joué une fois à Biloxi, Mississippi, ils me crachaient dessus. Mais ça a bien marché à Cleveland - Jac la découvre sur scène à Los Angeles - Cet humour raunchy, cette voix énorme, elle pouvait secouer les vitrines en chantant, elle tapait du pied si fort pour marquer le tempo qu’elle fit un trou dans le plancher. Je la voulais pour Elektra - Mais Judy n’est pas facile à gérer - I was a troubled beatnick, pas question de me faire porter une robe. La plupart du temps, j’avais des vertèbres cassées suite à des motorcycle accidents and stuff. I was on the other side - Un certain Michael Ochs affirme que Judy Henske fut la première superstar du mouvement - She was this real Bessie Smith type gutsy singer, but white - Judy confirme : «Tout ce qui m’intéressait was the life of being on the road. It was really fun. J’adorais aussi aller en studio, car je chantais tout le temps. Je voulais juste entrer, chanter et retourner à ma vie. I liked drifting, c’est-à-dire la dérive, j’en avais rien à foutre de rien.»

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    Deux albums de Judy sortent sur Elektra en 1963 et 1964, Judy Henske et High Flying Bird. Pour la pochette du premier, les gens d’Elektra ont réussi à la convaincre de porter une robe. On trouve une belle énormité en B, «Every Night When The Sun Goes In», un blues qu’elle chante à la dure, à la Judy. Elle travaille son jive à la force du poignet, Judy est une puissante chanteuse, elle force bien ses syllabes. Elle tape son «Empty Red Blues» au jazz New Orleans. La plupart des cuts sont enregistrés live et elle fait bien rigoler son public. C’est là sur cet album que se trouve sa fameuse version de «Wade In The Water» qu’elle chante au power du gospel batch. Pour «Hooka Tooka», elle crée une ambiance de mama chalk’d tobacco, elle est assez géniale, elle chante tous ses cuts à l’énergie maximaliste.

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    High Flying Bird est un album nettement supérieur. On la sent plus concentrée dès le morceau titre en ouverture de bal d’A. Elle se rassemble sur la chanson. On a là la vraie dimension du rock d’Elektra. Avec «Til The Real Thing Comes Along», on passe aux énormités, elle rentre dans le lard du heavy blues comme elle seule sait le faire. Elle se jette dans le son et chante tout à l’accent fatal. Elle est à fleur du peau. En B elle revient au blues avec «Blues Chase Up A Rabbit», elle est idéale pour le rabbit, cet heavy blues de cool Colorado rain. Avec «Glod Bless The Child», elle passe au round midnite, elle est black dans l’âme, comme Nina Simone. On sent bien qu’elle a roulé sa bosse partout à l’écoute de «Good Old Wagon», car c’est de la pure Americana. Et c’est avec le round midnite qu’elle excelle, et notamment ce fantastique «You Are Not My First Love». Tout est bien sur cet album, il faudrait aussi saluer «Lonely Train» et «Charlotte Town», bien développés au Judy power.

    Mick Houghton rajoute son petit grain de sel dans son pavé biblique - Becoming Elektra: The True Story of Jac Holzman’s Visionary Record Label - Judy quitte Elektra parce que ça ne fonctionne tout simplement pas. Elle va enregistrer son meilleur album avec son mari Jerry Yester, Farewell Aldebaran sur le label d’Herb Cohen, Bizarre. Cohen est inconsolable : «Elle a eu du succès, mais pas avec ses disques. Elle a joué dans tous les grands clubs, elle est passé au Judy Garland Show à la télé ce qui à l’époque était énorme. Bette Midler a pris Judy comme modèle.»

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    Et pendant que Jac séjourne à Los Angeles en repérage pour Elektra, John Hammond signe Dylan sur Columbia. Jac reconnaît qu’il a loupé Dylan. Quand il écoute son premier album, il se dit sidéré par le talent de Dylan. Même si dit-il l’album ne marche pas. Il reviendra souvent sur Dylan, rappelant qu’il est arrivé à New York très jeune, «se modelant sur les expériences de vies de Leadbelly et Woody Guthrie - But he did have - and in depth - the power of his beliefs - Bob Neuwirth affirme que Dylan n’est pas arrivé à New York par accident - He was career-oriented.

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    À l’été 1963, au terme d’un séjour d’un an de prospection à Los Angeles, voyant qu’il ne s’y passe rien, Jac décide de rentrer à New York. Il a déjà 13 ans de bouteille avec son label et c’est là qu’il a avec Paul Rothchild ce qu’il appelle «the single most important conversation of my professional life». Rothchild s’en souvient comme si c’était hier : «Appalachian ballads, Child ballads, bluegrass and all versions of the blues, up to and including electric. Tous ces gens chantaient the truth avec leur cœur. Et quand on ajoute à l’équation Dylan et les Beatles, ça donne une formule explosive. C’est prêt à sauter. Il y a tous ces gens bourrés de talent, tous ces gens qui vont changer la façon dont on fait la musique populaire.» Paul et Jac voient exactement la même chose - Paul et moi aspirions aux mêmes choses à New York. On a parlé pendant deux heures et plus je l’écoutais, plus j’adorais sa façon de penser la musique. On partageait tous les deux la même conviction : faire des disques, c’était comme d’entrer dans les ordres, une vocation plus qu’une carrière - Voilà pourquoi Jac Holzman est un personnage important dans l’histoire du rock américain : il nourrit une vision et tombe sur les gens qui la partagent. Et plus il dénote chez Paul «an obvious energy and a hip hustle, couplés avec une intelligence supérieure et une perception aiguë de la musique et du music business». Alors Jac lui propose un job chez Elektra : «Je veux que vous cessiez de bosser pour les autres compagnies et que vous écrémiez les clubs pour moi. Je veux que vous apportiez the street music to this company.» C’est exactement ce que va faire Paul Rothchild qui comme Ahmet Ertengun passe toutes ses nuits dans les clubs new-yorkais. Jac demande à Paul s’il peut produire dix albums par an, et Paul rétorque : «No Problem.» C’est cette fantastique coalition d’intelligences qui va permettre l’avènement d’un roi, the Lizard King.

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    C’est donc Paul qui va produire l’un des plus beaux albums de tous les temps, le Bleeker & MacDougal de Fred Neil : «Il était sur Elektra. On m’a puni pour mes péchés en me demandant de le produire. He was a brillant songwriter and a total scumbag. Il était le prototype de l’artiste pas fiable, the original rock flake. On prévoyait des séances, et soit il venait, soit il ne venait pas. C’est le mec qui a composé «Candy Man», Roy Orbison en a fait un hit, et le jour où il l’a composé, il est allé au Brill Building le vendre à 20 publishers pour fifty bucks each. This is not a nice man. C’est le genre de mec qui allait chez Izzy Young, «Izzy je joue ce soir et je n’ai pas de guitare», et Izzy lui répondait : «Freddie, tu me dois déjà vingt guitares, but I love you, tiens prends cette douze cordes.» Et Freddie arrivait au club fucked up, he was always fucked up, je l’ai vu dans cet état au moins dix fois, il était incapable d’accorder sa guitare, alors il la fracassait en mille morceaux sur scène. Une guitare qui ne lui appartenait pas.» Bon, Paul n’aime pas Fred Neil, il n’empêche que l’album est l’un des grands albums magiques du monde enchanté d’Elektra. Fred Neil jouait dans les clubs de Greenwich Village pour quelques dollars. Il grattait sa douze et embarquait le public dans un univers de balades mirifiques. On en trouve une douzaine, pas moins, sur Bleeker And MacDougal. Il attaque avec le Bleeker qui donne son titre à l’album, un gros groove débraillé et il installe immédiatement un mélange de profondeur, de chaleur et d’intense proximité. Il dit qu’il veut rentrer à la maison - I wanna go home - «Blues On The Ceiling» relève du miracle, avec son parfum jazzy. Un filet de fumée opiacée t’effleure la peau - I’ll never get off this blues alive - On monte encore d’un cran dans le vertige sensoriel avec «Little Bit Of Rain». On pense immédiatement au «Pale Blue Eyes» du Velvet, à cause des accents similaires et de cette profondeur émotionnelle d’une rare beauté. Fred Neil laisse flotter sa mélodie au timbre chaud. Il nous refait Folsom avec «Other Side Of This Life» (repris par les Lovin’ Spoonful, les Youngbloods et le Jefferson Airplane). C’est quasiment le même son - mais sans le tagadac - la même ampleur et la même pente. «Mississippi Train» est une petite merveille d’americana bluesy bardée d’harmo. Fred bourre sa dinde d’une farce de classe hargneuse. Pareil pour «Travellin’ Shoes», tapé à la Dylan, sur une fabuleuse mélodie descendante, et John Sebastian souffle comme un dingue dans son harp. C’est exaltant, embarqué comme pas deux, gratté à l’os, mélodiquement parfait - My travellin’ shoes ! - C’est le morceau de folk-rock idéal, bourré d’énergie et de classe vocale. Puis on ira de grosse surprise en grosse surprise jusqu’à la fin de cet album hors compétition. «The Water Is Wide» vaut pour une belle bluette inspirée, chaudasse et vaste, comme l’indique le titre. Profondeur et vibrato restent les deux mamelles de Fred, rocking blues boy de rêve. Et si on aime le blues joué en picking, alors on se régalera de «Yonder Comes The Blues». Composé pour Roy Orbison, «Candy Man» est une belle pièce montée sur des accords à la Bobbie Gentry - C’mon babe let me take you by the hand - C’est une fois de plus gratté sec et dévoyé à l’harmo. Fred pousse les mêmes coups de baryton qu’Ike Turner. «Gone Again» frappe par l’ampleur du ton - Can you hear the whistle/ On on on/ On that lonesome train ! - Retour au shuffle mythique du train des blues de base - I’d loved to stick around/ But you know I’ve got to go again - Et ça tourne à l’hypno avec les coups d’harmo dans le feu de l’action - I love you baby/ But you’ve got to understand right now !

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    L’Houghton est d’accord avec nous : «C’est un album de chansons classiques enregistré par l’un des chanteurs de folk les plus importants. It’s intense, deeply personal, introspective, bluesy and melodic.» Il ajoute un peu plus loin qu’avec cet album, Fred invente le folk-blues, «fondant le blues, la pop, le folk, le gospel et le jazz, avec cette voix qu’Odetta disait impossible à capturer - Fred’s voice is a healing instrument.» Sur sa lancée, l’Houghton consacre de très belles pages au grand Fred Neil. Il commence par citer Jac qui comme Paul n’apprécie guère Fred pour ses qualités humaines : «Même s’il est certainement très apprécié aujourd’hui, it isn’t for his humanity.» Et crack, prends ça dans ta barbe ! Mais celui qui connaît bien Fred, c’est Herb Cohen : «Sa plus grosse chanson est ‘Everybody’s Talking’, enregistrée in one take. Il a écrit ça en cinq minutes, dans les gogues, parce que je ne voulais pas le laisser sortir du studio. Il avait enregistré neuf titres (pour son premier album Capitol de 1966) et il en fallait encore un. Fred disait qu’il n’avait plus rien et qu’il voulait partir. Il est allé aux gogues, s’est fait un shoot et cinq minutes plus tard il est revenu et a dit : I’m just going to do this once. Il l’a chantée une fois et on l’a emmené à l’aéroport. Trois ans plus tard, Nilsson l’a enregistrée et Fred a gagné tellement de blé avec cette seule chanson qu’il pu prendre sa retraite.» Dans le Village, Fred traîne avec les gloires locales, Bob Gibson, Dino Valente et Len Chandler. Il hérite de tout le talent des pionniers du folk-blues, Josh White, Leadbelly, Lonnie Johnson et Ray Charles - It was one of his crowd, Dino Valente, who introduced Neil to Vince Martin -

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    Bon, l’album de Vince Martin & Fred Neil paru en 1964, Tear Down The Walls, n’est pas l’album du siècle, mais on le recommandera chaudement aux fans de Fred Neil, surtout pour ce «Baby» embarqué à l’échappée belle. Fred the sailor est la barre, il chante à la bonne franquette de la bonne franchise et se fond dans le groove comme un poisson dans l’eau. Tout aussi idéal pour Fred the sailor, le «Weary Blues» d’Hank Williams, un heavy blues tapé au be cryin’ et au sweet mama please come home, le pauvre Vince Martin claque sa chique et Fred revient dans le chant pour arracher le blues du sol. C’est un album chanté à deux voix et tapé à coups d’acou, très typé, très Greenwich Village des early sixties. Le baryton de Fred domine, le pauvre Vince Martin ne fait pas le poids. Il est avalé par le star system de Fred. Ils font une belle version de «Morning Dew», ils la tapent à deux voix, Fred renchérit sur le copain Vince, walk me out in the morning dew my honey, puis Fred enchaîne cinq de ses cuts, notamment le rampant «I Get ‘Em». Fred Neil est le roi des rampants

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    Fred avait déjà du métier. Quand il voyageait avec son père qui vendait des jukeboxes dans le Sud, Fred avait rencontré Buddy Holly et Roy Orbison au Texas. D’ailleurs, une fois installé à Greenwich Village, Buddy et Fred vont manger ensemble au restau. Les grands esprits se rencontrent toujours, dit-on. Puis l’Houghton entre dans le cœur du sujet : l’héro. Une héro qui rendait ses relations avec le biz compliquées. L’Houghton cite Jac : «Fred Neil was an artist’s artist. Il écrivait très bien, il avait une voix fantastique, mais travailler avec lui était un enfer. Il cherchait à intimider les gens via son manager Herbie Cohen. Comme il ne jouait pas très souvent, ses apparitions étaient des événements. Il était feignant et n’a pas enregistré grand chose. En qualité, oui, mais il a très peu enregistré. On lui a rendu sa liberté après Bleeker & MacDougal.» L’Houghton rappelle aussi que Mort Shuman a fait la photo de Fred sur la pochette de Bleeker & MacDougal, une photo aussi iconique que celle du Freewheeling de Dylan, et c’est pas peu dire. Toujours sur sa lancée, l’Houghton affirme que Fred Neil a influencé des gens comme Gram Parsons, Stephen Stills, Paul Kantner, Tim Buckely, David Crosby, et il ajoute, au sommet de son élan : «On a dit que Crosby Stills & Nash prévoyaient de s’appeler The Sons Of Neil, bien que Stills ne l’ait pas confirmé.» Stephen Stills embraye aussi sec : «Fred était mon mentor à New York quand j’essayais de percer sur la scène folk, dans les mid sixties. Il a fini par haïr cette scène et il est parti s’installer à Key West, en Floride, aussi loin que possible de Greenwich Village. Je garde de très bons souvenir de ce mec, je l’adorais, il était extrêmement drôle, et quelle voix ! Il m’a fallu des années pour pouvoir apprécier ses chansons, cette façon qu’il avait de chanter très bas. Le gens disent qu’on devait s’appeler The Sons Of Neil ? Je ne m’en souviens pas. Mais c’est possible, car il avait une énorme influence.» Et Croz en rajoute une petite louche : «Freddie taught me a lot. C’était un chanteur de folk extraordinaire, certainement l’une des meilleures voix qu’on ait pu entendre. He was crazy and self destructive, but, oh man, could he sing. Ce mec très talentueux n’était pas fait pour le monde commercial. Et plus ça devenait commercial, plus il disparaissait. Jusqu’au moment où il a complètement disparu.» Fantastique témoignage. Pas étonnant que Crosby & Stills aient fait de grands albums.

    Jac va rester toute sa vie fidèle à ce principe : «I just wanted to make records I gueninely loved and believed in». Quand on lui demandait quels étaient les disques qui l’avaient le plus influencé, Jac répondait toujours Koerner Ray & Glover - Their music m’a aidé à décider ce que je voulais faire avec Elektra. Continuer à faire du folk ou enregistrer Koerner Ray & Glover ? La réponse était claire. L’Houghton affirme que Koerner Ray & Glover «jouaient le country-blues comme des punks, fast and furious.» Il ajoute que lorsque Jac rencontre les Beatles en 1965, John et George se disent fans de Koerner Ray & Glover.

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    C’est vrai qu’il se passe des choses très intéressantes dans le premier album de Koerner Ray & Glover, Lots More Blues Rags And Hollers. Leur «Black Dog» d’ouverture de balda est un pur jus d’Americana, ils grattent leurs poux tous les trois - It’s a full 19 strings in action - la 7-string guitar de Spider John Koerner et la douze de Dave Snaker Ray donnent un son très fouillé, d’une incroyable musicalité, fine hillbilly blues from an Ernest Stoneman Family record, pas étonnant que ça plaise tant à Jac. Sur l’«Honey Bee» de Muddy, Tony Glover joue des coups d’harp au bord du fleuve. On salue l’extrême pureté de la démarche. Avec «Crazy Fool», ils passent au primitif, Spider John Koerner travaille des arcanes d’acou primitifs. Ils récidivent plus loin avec «Fine Soft Land». Dave Snaker Ray chante tellement bien qu’on croit entendre le vieux Big Joe Williams qui est photographié avec eux. Ils rendent hommage à Billie Holiday avec «Lady Day», ils racontent son histoire - She got real sick - et grattent à la suite «Freeze To Me Mama» à la folie de 1963. C’est vrai qu’ils auraient pu devenir des punks. «Ted Mack Rag» arrive à point nommé pour nous rappeler que ce registre rootsy reste assez âpre, et ils reviennent au protest song avec le «Fannin Street» de Leadbelly. Pour finir, un petit shoot d’early blues du fleuve avec «Can’t Get My Rest At Night», suivi de «What’s The Matter With The Mill», un bon vieux shoot d’Americana de blancs.

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    L’année suivante, Koerner Ray & Glover sont de retour avec The Return of Koerner Ray & Glover. Ils ne pouvaient pas trouver titre plus idéal que celui-ci. Ils profitent de leur élan pour nous proposer un beau festival d’Americana («Titanic» et «Poor Howard»), ça gratte encore aux 19-strings, ça joue à fond de cale d’Americana, au fouillis country-honky de fairly well. Un peu revêche au premier abord, leur Americana finit par devenir lumineuse. Et quand ils jouent le blues («You’ve Got To Be Careful»), ce n’est pas du blues, monsieur, c’est de la dentelle de Calais du fleuve. Chez ces gens-là, monsieur on a des carottes dans des cheveux qu’ont jamais vu un peigne. Ils vont sur la black avec «Looky Looky Yonder», ouh wah ! C’est quasiment du chain-gang chanté a capella, avec des chaînes aux pieds. Ils tapent aussi dans le «Statesboro Blues» de Sleepy John Estes au fouillis universaliste. Rien à voir avec le version magique de Taj Mahal sur son premier album. Le trio en fait une merveille de rootsitude grattée à la moelle d’osso bucco des enfers. En fait, ils tournent un peu autour du pot, avec le même modèle («Eugene C»), ils rootsent les roots aux petits oignons, ils sont purs comme des bonnes sœurs qui ont trouvé leur vocation, on ne peut pas imaginer plus pure pureté. Ils sont même indécrottables, comme le montre «Goin’ To The Country», c’est une country de bouseux de la blouse de blues, on se croirait dans le pays de Caux, ça rootse sec dans les roustons rustiques. Ils tapent «I Don’t Want To Be Terrified» au punk d’around the Koerner, ils amènent ça au Somethin’ else. Ça chante encore à la black dans «Lonesome Road», s’ils n’étaient pas en photo sur la pochette, on se ferait avoir. Retour à l’extrême pureté des intentions avec «England Blues», mais les crocodiles finissent par bâiller aux corneilles. Ils jouent dans toutes les règles du lard, on peut leur faire confiance, il n’en manque pas une. Peu de traditionalistes sont allés aussi loin dans l’exégèse des lieux communs de l’Americana : on peut citer les noms de Ry Cooder, de John Fahey et dans une moindre mesure, de Mike Wilhelm. Ils restent dans leur délire avec «Packin’ Truck». On peut leur faire confiance, ils veillent à maintenir du bon niveau, une rectitude de la rootsitude. Il faut les voir exceller dans l’excavation de regains de blues gutter.

    En fait, Jac pousse le bouchon assez loin : il vaut faire d’Elektra un label hip, avec un Paul qui traîne dans les clubs pour copiner avec les hipsters, les cajoler et éventuellement les signer. Paul could do that. Ça s’appelle un concept. Leur premier gros coup, c’est le Paul Butterfield Blues Band. Quand Paul les harponne, Jac ne sait pas où cette histoire va les entraîner. Ils sont trop en avance sur leur époque. Dans le book, Paul raconte comment ce coup est arrivé : il est à Cambridge, Massachusetts pour le jour de l’an 1965 et un mec le branche sur Paul Butterfield, «The best music I’ve heard in my entire life. You should go there right away.» Le mec en question, c’est Joe Boyd, mais Paul ne le dit pas. C’est en lisant l’autobio de Joe Boyd qu’on tombe sur le pot-aux-roses. Bon, Paul saute dans l’avion et débarque à 3 heures du matin chez Big John’s, le club où joue Paul Butterfield - And I heard the most amazing music. It was thrilling, chilling - changed my entire genetic code - À la fin du set, Paul chope Butter et lui propose de le signer sur Elektra. Ça discutaille pendant dix minutes pour le principe et finalement Butter accepte. Puis il demande à Paul s’il est fatigué et Paul dit non, «I’m on fire!». «Great», fait Butter, «I’ve got this buddy playing at an after-hours club over on the South Side. Pepper’s Lounge». Ils entrent au Pepper’s et c’est Muddy Waters. Puis Butter dit qu’il aimerait avoir Michael Bloomfield dans le groupe, mais Bloomy ne veut pas jouer avec lui. Alors Paul chope Bloomy dans un club et lui demande s’il aimerait bien venir enregistrer un album à New York avec Butter. Aussi sec, Bloomy répond : «Sure!» - Fuck it ! Butter n’en revient pas - He is sitting there with his jaw on the table - Ils vont ré-engistrer l’album trois fois, car Paul est atteint de perfectionnite aiguë. Lorsque la premier tirage de l’album est pressée, Paul l’écoute, mais il dit non, ça ne va pas. Il dit à Jac :

    — Jac I got a problem.

    — Quoi ?

    — Je veux refaire the Butterfield album.

    — You want to do what ?

    Jac ne comprend pas, l’album est fabriqué, prêt à être distribué. En fait, Paul veut retrouver le son qu’il a entendu quand il est entré pour la première fois chez Big John’s à Chicago. «We don’t have that on tape. We have a pale facsimile. I want to record them live for a week.» Jac réfléchit un instant et dit : «Not a bad idea.» Avec le recul, Jac pense que cette décision n’était pas raisonnable, mais «Rothchild had my artistic sensibility convinced». Paul ré-engistre le groupe au Café Au Go Go, un club folk en face du Bitter End et fait venir the recording trucks. Ils enregistrent plusieurs soirs de suite, mais Paul n’y trouve pas son bonheur. Il dit à Jac qu’«it sucks beyond your wildest expectations. We have nothing.» Alors Jac s’écrie : «Oh my God!!! What are you going to do now?». Alors Paul dit qu’il va retourner en studio to get it right. Et Jac dit ok. Finalement, l’album coûte 50 000 $ ce qui à l’époque est une somme énorme, mais l’épisode montre bien à quel point Jac veille au grain. Cet album est devenu un énorme classique, comme d’ailleurs pas mal d’albums Elektra.

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    Ce premier Butter paraît en 1965. Sur la pochette, le groupe pose devant l’échoppe d’un marchand d’herbe. On compte deux blackos superbes dans les rangs du groupe, Sam Lay et Jerome Arnold, alors que Bloomy et Butter ressemblent à des freluquets. Par contre, sur la deuxième photo de la pochette, on les voit sur scène dans l’effarance du blues. Ils attaquent avec «Born In Chicago» - I was born in Chicago in 1941/ Well my father told me son you’re going well - Jerome Arnold joue de la basse folle sur «Shake Your Money Maker» et Sam Lay y tape le beat du diable. C’est Elvin Bishop qui rappelle que Sam et Jerome jouaient avec Wolf avant de jouer avec Butter. Mais on n’entend pas Bloomy. Il est perdu au fond du mix ! Bravo Paul ! Et ça commence à déconner quand Butter se prend pour Little Walter dans «Blues With A Feeling». Puis il se ridiculise en voulant imiter Muddy dans «Got My Mojo Working». En B, «Our Love Is Drifting» tente de sauver l’album à coup de heavy blues insistant et ils se vautrent encore une fois en tapant dans le «Last Night» de Little Walter. Butter fait pitié. Il subissait le même sort que Mayall en Angleterre : les blancs ne faisaient pas le poids face aux géants du blues électrique : Muddy, Wolf, Junior Wells et tous les autres.

    Pour Paul, Butter était le boss, a tough guy - He was the guenine article: feeling the blues. Je crois qu’il a été l’un des plus grands bandleaders de ce pays. Même niveau que Benny Goodman et Nelson Riddle.

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    L’année suivante paraît East-West, le dernier album avec Bloomy. Ils tapent directement dans Robert Johnson avec «Walking Blues», c’est cousu, affreusement cousu. Mais à l’époque, ils ne le savent pas. Puis Bloomy pose «I Got A Mind To Give Up Living» dans l’écrin blanc du Chicago Blues. Malheureusement, Butter chante comme un blanc qui n’a pas de crédit. Le «Work Song» qui clôt l’A est cousu jusqu’à l’os. Bloomy a eu raison de se faire la cerise. La viande se trouve en B, d’abord avec «Mary Mary» que Butter chante à l’insidieuse, puis avec le morceau titre, monté sur un gros drive de jam à la revoyure. Jerome Arnold pulse un drive de bille en tête. Butter passe ses coups d’harmo et ça vire à l’orientalisme cabalistique. Monstrueux car novateur. Elvin Bishop abat ses cartes. L’incroyable de la chose est qu’on remonte à travers ce groove halluciné jusqu’à l’origine des temps puis Bloomy coule de la Soul dans l’Asie mineure d’un art majeur, son miel mêle la Mésopotamie au beat nombriliste de l’ombilic des limbes et il repart à l’aventure, comme si de rien n’était.

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    The Original Lost Elektra Sessions du Paul Butterfield Blues Band est une sorte de passage obligé : Rothchild a réussi à retrouver les masters du premier enregistrement, celui qu’il a fait mettre à la benne. C’est une révélation et ces early cuts sont certainement bien meilleurs que ceux de l’album officiel, ne serait-ce que pour la version punkish d’«Our Love Is Drifting», tapée au wild boogie de Chicago. C’est carrément du proto-punk, rien de plus wild, ces mecs sont les killers du South Side, monster drive, cette façon de claquer le riff est unique. Ils jouent le beat des squelettes de l’underground avec une réelle violence de la pugnacité - It’s too late babe/ Our love is drifting - Ils jouent tous leurs trucs sec et net, comme cet «Hate To See You Go», violent et punkish, claqué à l’harmo, Butter est le roi des punks, ces mecs sont des dingues de blues, you know babe, c’est là où Butter fait son beurre, si tu cherches les punks du blues, c’est là. Ils restent dans le heavy punk de rock me avec «Rock Me», Butter y va au sun goes down, c’est du punk de rock me slow. Ça joue à l’enfer de la ferraille derrière Butter. Pour l’époque, la version d’«Help Me» est assez révolutionnaire. Même chose avec «Lovin’ Cup». Ils passent au heavy blues avec «It Hurts Me Too». Encore du punk-blues avec «Ain’t No Need To Go No Further» et ce démon de Butter profite de «Going Down Slow» pour traîner sa hure dans un gutter de way no more.

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    Jac assistera fasciné au fameux concert de Newport 65 lorsque Dylan goes electric - C’était l’électricité mariée au contenu - C’est là qu’il prend conscience d’un son, le rock - It was like a sunrise after the storm, when all is clean, all is known - Et comme des gens sifflent le Dylan electric, Jac n’en revient pas, «je n’arrivais pas à comprendre que ces gens n’entendaient pas the wonderful stuff I was hearing.» Pour Paul Rothchild, cet épisode de Newport symbolise la fin d’une époque et le début d’une autre. Pas de précédent historique, ajoute-t-il - This is a young Jewish songwriter with an electric band that sounds like rock and roll - Et Paul se dit fier de Jac qui à l’opposé des vieux crabes du folk trouvait Dylan génial - J’étais très fier de Jac, le voyant choisir l’inconnu plutôt que le confort de ce qui était alors connu - Et Jac ajoute : «I followed my instinc and my heart. I followed the music.» Par contre, Elvin Bishop n’est pas du tout fasciné par Dylan : «J’ai rencontré Dylan. Nice guy, mais je reste partagé. Je trouvais qu’il ne savait pas chanter ni jouer de l’harmonica. J’avais accompagné Little Walter et c’était autre chose. Mais Dylan n’avait pas besoin de ma sympathie. Le meilleur souvenir que j’ai de Newport, c’est le moment passé avec Mississippi John Hurt et Mance Lipscomb : on s’est sifflé tous les trois a half pint of whiskey.»

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    Jac repère les Lovin’ Spoonful, il les veut sur Elektra, mais les Spoonful demandent une avance de 10 000 $. Jac répond : «No way, I have never given an artist 10 000 $ and I can’t start now.» Finalement les Spoonful vont ailleurs et Jac est inconsolable. Il les voyait comme «an electrical extension of what Elektra had been doing. L’année suivante, on entendait «Summer In The City» all over radio, with its pulse and urgency, that gritty New York rooftop feeling, it was exactly the kind of powerful music I wanted.»

    Dans le cours du fleuve, Jac avoue un goût prononcé pour le cannabis. Il organise chez lui des soirées musicales où l’on se goinfre de cannabis cookies - People floating away in their private reverie, head soirées. Grass was cheap. We’re talking $150 a kilo, though it didn’t have the potency of today’s product, but it certainly cooked up well - L’autre aspect fondamental du cat Jac est qu’il roule en scooter dans les rues de New York.

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    Puis on arrive à l’un des chapitres les plus fascinants de la saga Elektra : Love and Arthur Lee. Quand Jac les voit sur scène à Los Angeles, il est impressionné, car ils reprennent le «My Little Red Book» de Bacharach & David - Hip but straight. Et Arthur Lee & Love going at it with manic intensity. Five guys of all colours, black, white and psychedelic - That was a real first. My heat skipped a beat. I had found my band - Herbie Cohen qui les a découverts pour Jac rappelle qu’à l’époque Arthur Lee & Love crevaient la dalle et qu’ils vivaient tous les cinq dans une chambre d’hôtel. Arthur demande une avance cash de 5 000 $, Jac dit OK, meet me at the bank. Il file le cash, Arthur l’empoche et dit aux membres du groupe de l’attendre à l’hôtel. Cinq heures plus tard, Arthur réapparaît au volant d’une two doors gull-wing gold Mercedes 300 qu’il a payée 4 500 $. Il explique à ses copains consternés qu’il fallait un moyen de transport pour le groupe, so we can get around to the gigs. Puis il donne 100 $ à chacun de membres du groupe qui ne mouftent pas, nous dit Herbie Cohen qui assiste à la scène. Hilare, Jac ajoute : «That car was just big enough for him, his girlgriend and his brand new harmonica.»

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    Jac signe Love pour trois ans et six albums. Mais très vite, Arthur dit à Jac qu’il va casser le contrat, sous prétexte qu’il était mineur au moment de la signature. Donc le contrat n’est pas valable. Personne ne connaît l’âge d’Arthur. Jac : «He was a heavy ingester of substances and he wasn’t Dorian Gray.» Arthur dit qu’il veut bien re-signer chez Jac, à condition d’avoir a higher royalty, a ten percent, parce qu’il a dix membres dans le groupe. Et tu sais ce que lui répond Jac ? : «By that logic, the Mormon Tabernacle Choir gets a one hundred-ten percent royalty.» Jac lui accorde 7% et Love reste sur Elektra. Selon l’Houghton, Jac trouve Love fresh, exotic and deliciously weird. Jac : «Le background d’Arthur Lee était le Memphis R&B, mais Love intégrait toutes les valeurs traditionnelles de la pop. Ils reprenaient ‘My Little Red Book’, after all. Love n’était rien de plus ou de moins qu’Arthur’s conception of what it should be - a terrific band with tons of enrgy and crazy as loons. That appealed to me. Lorsqu’il y a un élément de danger, quand on ne sait pas ce que le groupe fera à la prochaine étape, ça m’attire. Bland bands need not apply.»

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    Bruce Botnick qui enregistre Love et qui dans la foulée va enregistrer les Doors est fasciné par Arthur : «Je n’ai jamais entendu personne parler comme Arthur. Il était sous acide 24 h/24, or smoking hemp-something. He was so high all the time that he wasn’t high. Il était arrivé à ce qu’on appelle l’état de clear light. Je garde un souvenir ému d’Arthur, because he was a very, very gentle human being.» Le fils de Jac qui s’appelle Adam a aussi des souvenirs extraordinaires d’Arthur : «Arthur m’a emmené chez lui. Il roulait vraiment très vite et j’avais la peur de ma vie, mais en même temps je trouvais ça extraordinairement excitant. Je savais juste qu’il n’aurait pas d’accident de voiture. Il avait l’une de ces maisons où la piscine rentre à l’intérieur du salon. On s’est assis et on a écouté le premier album du Jimi Hendrix Experience, Are You Experienced. On disait qu’Arthur et Jimi avaient monté un groupe ensemble longtemps avant Love. Je pense qu’Hendrix aurait bien aimé qu’Arthur lui écrive des textes de chansons. Ils auraient formé l’un des meilleurs groupes de tous les temps. Arthur adorait Jimi Henrix et il repassait inlassablement l’album. Il se levait et disait : ‘Je dois absolument réécouter cet album une fois de plus.’ Et il remettait ‘Purple Haze’.» Et puis comme Arthur déteste voyager, Jac ne peut pas organiser la promo du premier album. Jac insiste pour qu’il vienne à New York rencontrer le staff d’Elektra qui a bossé dur pour Love, mais Arthur ne reste que 36 heures. Les quatre albums de Love parus sur Elektra ne marchent qu’en Californie et en Angleterre, où nous dit Jac, il bénéficie d’une énorme réputation «precisely because he was so mysterious and refused to travel». Jac pense qu’Arthur ne voulait pas s’éloigner de ses connections - Which is not to minimize the importance of connections - Les tournures de Jac Holzman sont toutes somptueuses. À l’image des artistes qu’il prend sous son aile.

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    Bon, les albums de Love sont épluchés ailleurs. Jac indique que c’est Bruce Botnick qui a sauvé Forever Changes. Malgré les tensions, il a adoré travailler avec Arthur : «J’adorais son étrange sens de l’humour. Mais pendant les dernières sessions, il m’a balancé des choses que je n’ai pas réussi à encaisser, je n’étais pas assez mûr pour ça. C’était trop intellectuel pour moi. J’ai appelé Jac et lui ai demandé de retirer mon nom de l’album. C’est pourquoi on peut lire que l’album est produit par Arthur Lee. Mais je suis fier d’y avoir participé.» Jac confirme : «Il était très difficile de travailler avec Arthur qui était un downer et donc extrêmement critique envers les gens qui bossaient avec lui. Il faisait rarement un compliment, parce qu’il se sentait supérieur. Mais en même temps, il n’a pas réussi à montrer au monde son vrai talent. Arthur est l’un des génies que j’ai rencontrés. But genius needs focus and intent, otherwise it just discharges into the ground.»

    Puis l’Houghton salue Love Four Sail, le quatrième et dernier album de Love sur Elektra et l’un des plus grands disques de rock de tous les temps. Arthur avait reformé Love avec Jay Donnellan qu’il vira aussi sec pour le remplacer par Gary Rowles.

    C’est à cette époque que Paul Rothchild est envoyé au placard pour une valise de shit. Au procès, Jac soutient Paul, évidemment - Jac était courageux car à l’époque personne n’aurait osé témoigner pour une personne accusée de trafic de drogue - Ce courage s’appelle l’élégance. Et c’est ce qui fait la force d’Elektra, on retrouve cette élégance aussi bien dans les choix musicaux que dans les comportements humains. Jac ne sait même pas si Paul est un vrai dealer. Il s’en fout - I never knew and I never asked - Pendant que Paul moisit au placard, Jac lui verse son salaire et donne du travail à sa femme Terry. Paul va y rester sept mois avant d’obtenir une condi. Il rentre chez lui, prend une douche, dort un bon coup et le lendemain matin il est au bureau, chez Elektra.

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    Les gens qui fréquentent Jac lui trouvent d’autres qualités : «Jac had style, mystique. He was mysterious. On ne pouvait pas le situer. Personne ne savait dans quelle direction il avançait, mais lui le savait.» Sa collaboratrice Suzanne Helms dit qu’il est l’un des esprits les plus vifs qu’elle ait connu, avec David Geffen. Jac continue d’appliquer sa formule : «Rassembler les meilleurs talents, faire en sorte que le process fonctionne bien et assurer le résultat.» Et il ajoute pour que les choses soient bien claires : «Suivre la musique signifie bien plus que de traquer les tendances. Chaque fois que je m’interrogeais sur un enregistrement, j’ai toujours obtenu la réponse en écoutant la musique, jusqu’à ce qu’elle m’indique ce que j’avais besoin de savoir.» Le résultat de tout ça est qu’à l’époque, un artiste ou un groupe devient aussitôt important, parce qu’il est signé sur Elektra. C’est un label qui fascine le jeune Lenny Kaye. Il louche surtout sur le premier album de Love - Chaque album paru sur Elektra était intéressant, je trouvais les artistes fascinants. C’était une pure démarche intellectuelle (Definitely intellectually challenging). Aucun label ne ressemblait à Elektra. They were cutting edge - C’est d’ailleurs pour ça que son Nuggets paraît sur Elektra un peu plus tard. Danny Fields arrive aussi dans la boucle, très vite Jac l’impressionne : «Jac always wanted to do the right thing for the right reason. I never saw hypocrisy or venality or political ambition.» La meilleure preuve aux yeux de Nina, la femme de Jac, c’est qu’il n’a jamais eu de procès - Jac would always say «I’m not in the suing business, I’m in the music business - Aux yeux de Bill Graham, Jac est un saint : «He ran his label in a much more humane fashion.» Et Tony Glover ajoute le coup de dé qui jamais n’abolira le hasard : «He was the first rich guy I met that wasn’t an asshole.» Jann Wenner, le fondateur de Rolling Stone, raconte qu’un jour il est venu trouver Jac pour lui emprunter du blé : «He said ‘sure’ in a second.»

    Paul Rothchild va encore bien plus loin que tous ces apologues : «Je pense que Jac doit être le père du genre humain, parce qu’il a dû être son propre père quand il était jeune. Il a dû se débarrasser de ce père qui n’en fut pas un et créer une autre autorité en lui, trouver ses propres règles de vie.» Jac embraye aussi sec pour dire que Paul tape en plein dans le mille, comme d’habitude. Comme son père n’était pas capable de briser sa carapace, Jac a commencé à l’imiter jusqu’au moment où dit-il il a compris qu’il devait se recréer comme quelqu’un de plus bienveillant - At first it felt like an act mais au bout d’un moment c’est devenu naturel.

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    Avec les Doors, on touche encore une fois au cœur du mythe Elektra. C’est Arthur qui insiste pour que Jac vienne un voir un groupe au Whisky. Jac est fatigué, il descend d’avion et il ne sait rien de ce mystérieux groupe - Quel que fut le groupe, Arthur en avait une haute opinion, et comme j’avais une très haute opinion d’Arthur, je suis resté - Il s’agit des Doors - And they did nothing for me. Il y avait un autre groupe qui jouait au Whisky et que j’adorais, j’ai même essayé de les signer : Buffalo Springfield. Mais Ahmet Ertegun d’Atlantic s’est montré plus convainquant que moi. Elektra était beaucoup plus petit qu’Atlantic qui avait sorti un nombre incroyable de hit singles. Avec Love j’avais mis un pied in the rock door et j’avais besoin d’un autre groupe pour donner plus de crédibilité à Elektra, mais les Doors ne me plaisaient pas. Jim est agréable à regarder, but there was no command. Peut-être que j’avais des idées trop conventionnelles, mais leur musique n’avait pas le rococo des autres groupes de l’époque, on était en 1966, en plein Revolver des Beatles. Une petite voix intérieure me disait que ce groupe avait autre chose à offrir que ce que j’entendais et je suis revenu les voir sur scène. Finalement le quatrième soir, je les ai entendus. Jim générait une énorme tension, il fonctionnait comme une sorte de trou noir, il aspirait toute l’énergie de la salle - Et voilà c’est parti, Jac a pigé les Doors. Il flashe notamment sur la reprise d’«Alabama Song» - Aha! Kurt Weil, Bertold Bretch. These Doors are not just California pretty boys, they actually have some brains - Paul Rothchild produit le faramineux premier album et Bruce Botnick l’enregistre. Botnick dit pouvoir compter les moments magiques en studio sur les doigts de la main et l’enregistrement de «The End» en fait partie. Jac dit que Paul a pris d’énormes risques avec les Doors, car il les poussait à se surpasser - He was able to get them to want to perform for themslves and for their audience in a way that transcended ‘going into the studio’, because they weren’t just going into the studio, they were going into the soul of the music - Voilà, c’est encore du Jac, du paragonnage de visionnaire. Il voit les Doors comme un groupe strange and dangerous. Quand ils partaient en tournée, nous dit Jac, personne ne savait à quoi s’attendre : nous voilà donc au cœur d’un mythe qui s’appelle le rock. Il faut se souvenir que le cuir noir n’était pas encore très répandu au temps des Doors. C’était réservé aux bikers et aux gays. Quand Jimbo débarque sur la côte Est, he knocked New York on its ass, nous dit Ray. Un Jimbo qui devient vite ingérable. Paul : «Control is a word that didn’t work around Morrison.» Jac préfère rester à l’écart, il évite de traîner avec les artistes dont il s’occupe - Devenir trop proche, ça érode l’autorité et l’objectivité et on peut avoir un jour besoin des deux - Quand Jim traîne au bar avant de monter sur scène, il siffle des vodkas à la chaîne. Bill Siddons qui est le road manager des Doors demande au barman combien Jim a sifflé de verres, le mec ne sait pas, alors Bill demande à voir l’addition : 26 verres ! Jimbo ramène souvent des copains bourrés au studio et Paul se charge de les virer. Robby Krieger : «Some heavy, heavy scenes. Heavy pill taking and stuff. That was rock and roll to the fullest, I would say.» Tout ce qui touche aux Doors est héroïque. C’est pour ça qu’on s’ennuie tellement depuis que Jimbo est mort.

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    L’Houghton rappelle que Botnick est celui qui a eu la relation la plus longue et la plus suivie avec les Doors. Botnick peut donc dire en quoi les Doors sont différents des autres groupes californiens - There were no peace-and-love vibes et le seul lien qu’ils avaient avec la scène acid-rock de San Francisco, the Dead and Quicksilver, c’est l’improvisation. Et à Los Angeles, ils n’avaient rien à voir avec les Byrds et les Mamas & the Papas - Il ajoute : «Ils étaient très forts pour les mélodies et amazing pour les lyrics. Les Doors se foutaient des tendances, notamment du folk-rock alors en vogue à Los Angeles. On ne trouvait dans leur son rien de ce qui faisait alors le son des sixties, pas de douze cordes, pas d’harmonica, même pas de basse. Ils étaient à part.» Ray Manzarek renchérit : «On a créé une nouvelle musique américaine qui était universelle : un rock band américain qui commentait l’Amérique. On a exploré night and day, ying and yang, we loved Orson Welles and the music of Howlin’ Wolf, en d’autres termes, darkness. Ou encore Muddy Waters chantant ‘Hoochie Coochie Man’. On écoutait Miles Davis, with its dark overtones. Une musique qui proposait a deep dark psychological poetry. On aimait beaucoup l’opening d’Allen Ginsberg sur Howl : ‘I saw the best minds of my generation destroyed by madness.’ Les Doors sont issus de tout ça : city of night, Raymond Chandler’s Los Angeles, Nathaniel West’s Miss Lonelyhearts and Days Of The Locust.» L’Houghton confirme que cette descente dans l’underbelly of America s’illustre parfaitement sur la pochette fellinienne de Stange Days.

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    Paul Rothchild voit Jimbo comme un mage qui invoque the dark forces et qui est avalé par elles - It’s very hard to control the madness that such a conjure brings - Mais toujours selon Paul, c’est ce que Jimbo voulait, il trouvait ça intéressant, c’est ce qu’il recherchait, the madness. À quoi Jac ajoute, goguenard : «En mars 1969, Jim a provoqué l’ultimate out-of-control experience. The word came that he had exposed himself in full view of concert audience in Miami.» Tu noteras l’élégance de l’expression. Un Français moyen aurait dit : «Il a sorti sa queue devant tout le monde à Miami.» Jac se marre bien avec cette histoire. On sait qu’il n’existe aucune preuve d’exhibition, même pas une photo - If It had happened it would have been a sight to remember - La belle expression, a sight to remember. Et Bruce Botnick ajoute : «The Great White Shaft.» Ray rebondit à son tour : «The sheer heft! An avenger! A Terrible object! The destroyer!». Ils sont tous pliés de rire avec ces conneries. Mais Jac conclut : «Mais personne n’a pu voir the weapon being brandished. Personne dans le backstage. Personne sur scène, ni John, ni Ray, ni Robby.»

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    Pour garder les Doors sur Elektra, Jac leur fait des cadeaux princiers et monte leur royalty rate à 7 %, puis à 10 %. Il leur refile aussi 25 % du publishing pour les remercier de leur fidélité - That was the right and proper thing for me to do - Bill Siddons est sidéré par la générosité de Jac : «Ça lui a coûté des millions de dollars, car c’est ce que valait le catalogue des Doors, mais en échange il a obtenu leur loyauté.» Comme chacun sait, Paul Rothchild va arrêter de produire les Doors au moment de LA Woman. Il trouve les chansons mauvaises - Two good songs, «LA Woman» and «Riders On The Storm» and the rest is lounge music. Two weeks into production, I quit - C’est Bruce Botnick qui prend le relais : «On enregistré l’album en dix jours. Le jour du mixage, il y eut le tremblement de terre. J’ai fini de mixer et suis allé voir Jac chez Elektra avec les Doors, mais sans Jim qui ne venait jamais - Et Jac s’est assis et s’est mis à pleurer.» Oui, il avait raison de pleurer Jac car LA Woman est de toute évidence le couronnement de sa carrière. Jac dit avoir été inquiet suite aux propos négatifs de Paul, «but the album knocked me out, song after song.» On l’évoque longuement ailleurs, dans ‘Ka-Doors - Part One’, mis en ligne en mars dernier.

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    Quand Jac apprend la mort de Jimbo à Paris, il est complètement secoué - Jim’s death affected me more than the death of my dad or my grandparents - Il explique à la suite que ça équivalait à perdre quelqu’un qui avait occasionné dans sa vie «des changements tellement profonds que les choses ne furent plus jamais les mêmes après». C’est Bill Siddons qui dans ce livre fascinant dit les choses les plus définitives sur Jimbo : «L’une des manies de Jim était de vous pousser le plus loin possible dans vos retranchements pour vous faire sortir de vous-même et pour être qui vous étiez vraiment. Il faisait ça avec tout le monde. J’ai eu avec lui de longues conversations et j’ai dû finir par le faire taire car il m’entraînait dans des schémas de pensées que je ne savais pas maîtriser. He could be the biggest asshole in the world. Et il était l’un des mecs les plus gentils qu’il m’ait été donné de connaître. Ce mec que les gens percevaient comme quelqu’un de cinglé et d’arrogant était en fait l’être plus sensible et le plus développé au niveau esprit qu’on puisse imaginer. There was a gentle, generous human soul there. Et ce dont je me souviens le mieux, c’est sa générosité.»

    On croise aussi Tim Buckley sur Elektra, un Buckley fucked up on heroin at the Chelsea Hotel - It was trouble behind my perception, nous dit James Jackson. Un Buckley qui va faire quatre albums sur Elektra, tous devenus un peu cultes.

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    Son premier album sans titre paraît sur Elektra en 1966. Cette année-là, on avait avec les Troggs, les Pretties, les Kinks, les Who, les Stones et tous les autres zigotos d’autres chats à fouetter. On est revenu sur Tim Buckley un peu plus tard, comme on allait sur Love ou les Doors, via Elektra, en quête d’une certaine modernité. Paul Rothchild produit l’album, Bruce Botnick l’enregistre et Jack Nitzsche fait les arrangements. Buck bénéficie donc des services d’une grosse équipe. On voit tout de suite qu’il échappe à tous les genres. Il a dérouté plus d’un cargo. Il ne chante pas, il fait des oraisons, comme Jacques Brel. Il se livre à des dérives octogonales, va là où le vent le porte. Il fit déjà partie des inclassables, comme Brel, Scott Walker ou Captain Beefheart. Il fait du Buck comme Brel faisait du Brel. Comme Dylan fait du Dylan. C’est tout ce qu’il faut comprendre. Et à partir de là, c’est simple. Pourtant Buck ne se vend pas. Buck ne doit sa survie artistique qu’à son génie d’auteur et d’interprète. Et à Jac Holzman qui croyait autant en lui qu’il croyait en Jimbo et en Arthur Lee. Ce qui frappe à l’écoute de cet album, c’est le côté bien décidé de Buck. Il semble te dire : «viens !». Alors tu y vas. Ce genre d’invitation n’est pas très courant. Buck te propose un univers même pas psychédélique, juste un univers de sensations. Il peut chanter d’une voix d’ange, mais on préfère penser qu’il chante comme un dieu, et ça établit aussi sec ce qu’on appelle un contrat de confiance. Il chante à la régalade et nous enchante. C’est pas compliqué. Cet album regorge d’ambiances. On en pince surtout pour «It Happens Every Time», une Beautiful Song qu’il prend à la clairette d’élan patriotique. Cut idéal pour l’amateur de beauté pure. C’est l’album du vif argent.

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    Sur la pochette de Goodbye And Hello, Coco Bel Œil nous décoche un franc sourire. Pochette parfaite. Quand on ressort l’album, on est frappé par la singularité du ton de Buck. Il psalmodie plus qu’il ne chante, avec des accents tranchants et souvent pelucheux. Comme Brel, il cherche les voies impénétrables de la dérive astronomique, il chante à la puissance hertzienne et compresse son feeling dans une nuisette de bas des reins, comme s’il visait la perfection de la perversion. En fait, il vise l’envol élégiaque, c’est son truc, mais il nous faudrait des ailes pour pouvoir le suivre. Sa religion, c’est la tension. Il en joue. Si ce cut s’appelle «Hallucinations», ce n’est pas pour rien. Avec «I Never Asked To Be Your Mountain», il préfigure Jonathan Richman et se livre à l’exercice d’un final apocalyptique. Buck n’en finit plus de jouer les indicibles. Il brouille les pistes au long cours. Il peut aussi chanter des petites conneries et puis voilà «Morning Glory», la dérive d’excellence par excellence, sous le voile à peine clos, Buck bouge encore, il veut encore prodiguer ce groove inespéré de beauté baudelairienne, c’est très spécial, on suit car on l’adore, mais c’est pas gagné. Comme il a dû ramer pour convaincre les convaincus ! Pas si simple. Les légendes, vois-tu, c’est comme le pâté, on les tartine comme on veut, sans vraiment savoir.

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    Encore une belle pochette pour Happy Sad, un album nettement plus détendu que les autres. Buck y propose avec «Strange Feeling» un rock confortable et ensoleillé, destiné aux gens qui ont du temps et de grandes baies virées, un rock plus jazzé, bien balancé des hanches, avec l’extraordinaire Lee Underwood on guitar. Buck sonne comme une centrale marémotrice. Avec le buzz de «Buzzin’ Fly», il propose un heavy groove californien à califourchon. Deux dérives mêlent leurs langues, celle de Buck et celle d’Underwood. Ces mecs brillants s’étalent sur la longueur, Underwood épouse la dérive de Buck, I miss you so. Tout l’album s’imprègne de cette ambiance mercuriale, avec le bruit des vagues, histoire de nous faire rêver, nous autres, les parvenus jusqu’ici. Tiens, comme c’est étrange : avec «Love From Room 109 At The Islander», Buck et Underwood s’amusent à prendre les gens pour des cons, enfin ceux qui ont des grandes baies vitrée ensoleillées et des charmantes épouses qui sentent la lavande. Bon, parfois, c’est un peu moins pompeux et on retrouve ce qu’on aimait bien chez Buck au départ, la perdition, comme avec «Dream Letter» qui ouvre le bal de B. C’est joué au xylo. Mais on n’écoute même pas ce qu’il raconte tellement on s’ennuie. Cut un peu gluant, un peu Cave dans l’esprit, Buck a besoin de se répandre. Alors vas-y mon gars, répands-toi. Quel dommage ! L’album s’annonçait si bien. On attend des miracles d’un mec comme Buck, mais il a du mal à fournir.

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    Son dernier album pour Jac s’appelle Lorca, comme le poète. Sur le morceau titre, Buck ramène sa ramasse existentielle et l’ami Lee pianote. Il pianote même sauvagement. Buck fait ramer sa voix, comme aux galères. «Lorca» sonne comme une merveille tentaculaire. L’ami Lee pianote de plus en plus et Buck chante à la perdition définitive. C’est une merveille délivrée de ses chaînes, enfin libre, avec un son unique dans l’histoire du rock. On suivra donc Buck jusqu’en enfer. Avec «Anonymous Proposition», Buck sonne comme un Brel déguisé en hippie californien qui se passionnerait pour le crépuscule de Big Sur, assis en compagnie d’Henry Miller. Il chante du plus profond de son âme. Désolé, les gars, d’avoir recours à des formules aussi ringardes, mais c’est la seule façon d’exprimer ce qu’est le blues, comme dirait l’autre asticot. C’est beau et plein de jazz, mais du jazz manouche, avec le round midnite d’une stand-up. Buck est l’un de ces géants des Amériques dont parle Dylan dans Chronicles. En B, Buck nous fait le coup du petit groove de congas avec «I Had A Talk With My Woman». Quel dommage que la pochette de cet album soit si foireuse, car Buck est ici au sommet de son art. Il groove son petit business perditionnaire et ça pourrait durer des heures qu’on ne s’ennuierait pas. On entend des belles guitares à la Croz dans «Driftin’», un drive de psychedelia magique. Pur jus de Croz. Lee Underwood monte ça bien en neige. Et la voix de Buck se perd là-bas au loin. Underwood est un génie, il distille une sorte de pureté groovytale dans sa façon de jouer et dont Buck s’enivre - I’ve been drifting in between/ What used to be - C’est vrai qu’il va de plus en plus loin. Cet album miraculeux s’achève avec le fast ride de congas de «Nobody Walkin’», Buck lance une sorte de fiesta frénétique et il devient héroïque, même si ça reste un groove typique de l’époque, mais Buck se met en roue libre, il dicte ses lois et voilà qu’arrive un solo de wild piano, quelle sinécure !

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    Les autres gros cultes d’Elektra sont bien sûr le MC5 et les Stooges. C’est l’époque Danny Fields qui devient tout de suite pote avec John Sinclair, le manager du MC5 - I thought he was a fantastic man. He was funny, il aimait la bonne bouffe, il aimait sortir, il aimait avoir des plans, il aimait causer. Et c’était un businessman. Il parlait le même langage que les gens du music business. J’ai l’ai virtuellement signé, lui ai serré la main et l’ai assuré que l’approbation de Jac ne serait qu’une simple formalité - Eh oui, Danny sait ce qu’il faut pour Jac qui est d’accord : «Danny had immaculate taste for the arcane and he knew I’d go for it.» Jac sait que l’arrivée du MC5 et des Stooges chez Elektra va faire grincer les dents de ses principaux collaborateurs, mais l’engagement politique du MC5 l’intrigue - Pour moi Sinclair n’avait rien de nouveau. Je m’étais fait les dents avec Phil Ochs. Sinclair avait plus de cheveux que Phil, il était plus violent, wild, woolly, intelligent et d’abord facile. Sinclair voulait le succès du groupe et Elektra était un label hip. La signature se fit aussitôt, dans les meilleures conditions. Les révolutions sont des événements immédiats et je voulais les enregistrer dans le feu de l’action, which meant right away - Tout se passe bien avec le premier album, puis ça dégénère assez vite. Bruce Botnick indique que le groupe défèque sur scène pour protester, puis ils barbotent l’équipement du studio où ils commencent à enregistrer le deuxième album. Alors Jac leur envoie un télégramme leur suggérant d’aller chercher un autre label. Ils traversent la rue pour aller signer chez Atlantic.

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    Danny propose les Stooges à Jac en même temps que le MC5. Jac est impressionné par Iggy qu’il situe beyond Jim Morrison - You had to be ready for something beyond stock outrageous - Chacun sait que les Stooges n’ont pas marché commercialement mais qu’ils ont inspiré autant de gens que le Velvet. Danny Fields dit que les deux albums des Stooges were way ahead of their time. Il parle même d’avant-garde - I thought it was the perfect group - Et nous aussi, on pense la même chose. Danny reprend : «J’aimais le MC5 pour leur vitalité, leur power, leur impact sur de grosses audiences et le carnaval qu’ils développaient sur scène. Mais j’aimais surtout les Stooges pour la pureté de leur son, de leurs chansons et de leur lyrics.» Et emporté par la flamme, il poursuit : «Sans les Stooges, il n’y aurait jamais eu de punk rock, de Sex Pistols, de Ramones, aucun des groupes qui furent importants dans les seventies. S’il n’y avait eu ni les Stooges et le Velvet, il n’y aurait plus rien d’intéressant aujourd’hui.»

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    Jac aime bien Danny Fields : «J’ai été vraiment charmé par des gens comme Frazier Mohawk et Danny Fields. J’aime bien avoir ce type de personnages dans mon orbite. Frazier still has an eye for the unusual.» C’est lui qui ramène en effet les Holy Modal Rounders chez Jac. Par contre, c’est Danny Fields qui présente Nico à Jac. The Marble Index est enregistré en quelques jours. Frazier Mohawk : «Le budget était très limité et le studio minuscule. On a enregistré la nuit, quand le studio était plongé dans le noir. Je suis tout de suite tombé amoureux de Nico. C’était un rêve que de travailler avec elle. Belle, théâtrale, and a marvellous human being. Les gens la trouvaient glaçante à cause de sa voix, mais elle était de compagnie très agréable et riait beaucoup. Il y avait beaucoup d’hero. Nico and I were stoned the whole time. Le fait d’être dans le même état qu’elle m’a permis de me concentrer sur la musique.»

    Comme tous les albums de Nico, The Marble Index est exclusivement réservé aux fans de Nico. On y retrouve l’ambiance glacée. Très difficile de rentrer là-dedans. C’est complètement barré. Très Nibelungen. Elle fait du germanique, pas toujours juste et c’est très loin du Velvet. «Ari’s Song» est plombé dès l’arrivée du chant. C’est très spécial, paumé, oui, elle semble complètement paumée. Bizarre que Jac ait pu entrer dans ce son. Il faut faire gaffe avec Jac, certains de ses premiers coups de cœur sont très ésotériques. Nico n’est pas faite pour le rock, elle est faite pour la légende. Il faut attendre le dernier cut, «Evening Of Light» pour trouver la perle noire : elle y crée du flux, c’est indéniable. C’est une fantastique cut de junk, joué à l’irréelle, dans un environnement supérieur. Et là on dit amen et merci à Jac.

    John Cale dit que Marble Index «is an artefact, not a commodity». Il ajoute : «You can’t sell suicide.» Il a raison, l’album ne se vend pas. Et bon prince, Jac déclare : «Sales are not the only benchmark.» Mais chez Elektra, Bill Harvey qui est le directeur des ventes ne peut pas schmoquer Danny Fields. Il ira même jusqu’à entrer dans son bureau pour lui péter la gueule. Jac : «Danny was let go by Bill Harvey who said : ‘I can’t stand Danny Fields, he’s wrecking the label, either he goes or I go.’ And I said OK, tu peux le virer. Maintenant je regrette profondément d’avoir autorisé ça. Danny Fields was smart, with excellent taste : highly outspoken, frequently outrageous.» Danny aurait pu ramener les Ramones chez Elektra.

    L’autre gros coup d’Elektra, c’est Delaney and Bonnie, enfin surtout Bonnie. Jac l’a repérée : «Bonnie was one hell of a singer, the best white blues chick singer I’d ever heard. Blonde à la peau claire but sounding so black. À 17 ans, elle avait chanté avec Ike & Tina Turner à Saint-Louis, elle fut une Ikette pendant trois jours avec une perruque noire et du fond de teint pour s’assombrir la peau.»

    L’Houghton nous rappelle que Delaney & Bonnie étaient the hottest act in the San Fernando Valley, ils faisaient partie d’un loose collective qui comprenait Gram Parsons, Leon Russell, Mac Rebbenack et Rita Coolidge. Le couple avait un backing band terrible, Bobby Whitlock, Carl Radle, Jim Keltner, Jim Price, Bobby Keys, qui dès qu’on leur proposa en 1970 d’accompagner Joe Cocker sur la tournée Mad Dogs & Englismen, mirent les voiles. Tous sauf Whitlock. Delaney & Bonnie n’avaient plus de groupe.

    Ils signent sur Elektra, mais Jac n’aime pas beaucoup Delaney : «I just didn’t like him. Il était sur le label parce qu’on lui a proposé un bon deal, et son manager voulait qu’il soit sur Elektra, mais Delaney always thought we were small potatoes, qu’on était pas dignes de lui. Avant même que l’album ne sorte sur Elektra, il essaya de le vendre à Apple, mais ce n’était pas possible, car le contrat était signé avec nous. Il était le prisonnier de son ego, burning the bridges with everyone.» Puis le couple pose vite un problème, car Delaney est tout le temps bourré et Bonnie most of the time mad. Jac évoque des problèmes terribles avec Delaney : «It was the only artist with whom I ever had major personal problems. Je dirigeais la compagnie et je ne pouvais faire de bons disques qu’avec des gens que je respectais. Il y avait chez Elektra des stars beaucoup plus importantes qui ne se conduisaient pas aussi mal que Delaney.» En fait Delaney se plaint que l’album ne se vend pas. Ça le rend agressif. Un jour il appelle Jac qui est en voyage en Angleterre pour lui dire qu’il est à Aardvark, Texas, là où vit son père, et qu’il n’y a aucun album de Delaney & Bonnie dans le local store - Il me disait : «Si demain, les albums ne sont pas dans ce magasin, je viens en Angleterre pour te buter.» Je lui ai répondu qu’il pouvait lui-même se charger d’y déposer ses albums. Ensuite qu’il pourrait aller terroriser un autre label, parce que je le libérais de son contrat. Enregistrer pour Elektra est un privilège qui marche dans les deux sens, pour l’artiste comme pour le label et personne ne peut me menacer.» Puis j’ai appelé David Anderle qui s’occupait du groupe, et qui avait eu lui aussi des problèmes avec Delaney. Il y a eu 15 secondes de silence et il a dit d’un ton très calme : «Well Jac, go look in the mirror and be proud of yourself.» So Delanay & Bonnie went to Atlantic, new home of the MC5... - À quoi, David Anderle ajoute : «And drove Ahmet Ertegun and Jerry Wexler crazy.» Fantastique façon de relater les événements.

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    Jac est le premier à reconnaître qu’Accept No Substitute paru en 1969 est excellent. Bonnie y fait des étincelles. Elle explose au moins trois cuts, à commencer par «When The Battle Is Over», qu’elle attaque à la black. Elle s’insinue dans le groove avec une voix de petite souris noire et elle transforme la Battle en pure staxerie. Même chose avec «Dirty Old Man», toujours très deep Soul dans l’esprit et bien monté aux chœurs. Il faut entendre Bonnie tartiner ses syllabes comme une géante de la Soul. Elle dégage autant d’animalité que toutes les grandes Soul Sisters. Elle embarque aussi «Soldiers Of The Cross» au combat. Elle invente carrément la deep Soul blanche. Elle sait se montrer énorme, d’autant que Jim Keltner double sur le tard du cut. Ça vire gospel frénétique et Bonnie s’active comme une diablesse. On entend aussi Rita Coolidge sur cet album. Elle chante dans les chœurs. Toute l’équipe est là, Leon Russell, Bobby Keys et Jim Price, Carl Raddle et Jim Keltner, bref tous les gens qui vont quitter Delaney & Bonnie pour aller accompagner Joe Cocker dans Mad Dogs & Englishmen.

    Bon, il manque encore un paquet de gens, mais on verra ça dans un Part Two.

    Pour se développer, Jac essaye d’embaucher Clive Davis, qui se disait mal loti chez Columbia. Jac lui propose «a thirty percent stake over time et l’opportunité de bosser en tandem, pour joindre nos forces. Il prit le temps d’y réfléchir, puis il déclina l’offre. Ça devait le gêner de bosser for a boutique label sans avoir l’infrastructure d’un gros label comme CBS derrière lui. Pourtant, c’est exactement ce qu’il fera plus tard avec Arista, mais en 1969, il n’était pas prêt.»

    Puis quand Elektra grossit, Jac n’a plus le temps de rien. Il bosse chez lui car au bureau il est constamment interrompu. Il se compare à un joueur de tennis qui joue contre cent adversaires en même temps. Il bosse tous les soirs tard et se lève de bonne heure chaque matin, et hop ça recommence. Puis apparaissait des crevasses dans sa relation avec Paul Rothchild. La décision finale appartient toujours à Jac, mais il laisse Paul monter ses projets, même si parfois Jac sent que ce n’est pas bon. Il cite l’exemple de Rhinoceros, a Rothchild-confected supergroup.

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    Puis quand il s’aperçoit avec le succès des Doors qu’il n’a pas les réseaux de distribution nécessaires, Jac sent qu’il doit fusionner. Il pose la question à Jerry Wexler qui vient de fusionner avec Warner : «Comparé à celui d’un label indépendant, que vaut le réseau de distribution d’une grande compagnie ?», et Wexler lui répond que le pire réseau de grosse compagnie sera toujours meilleur que la distribution d’un indépendant. Jac sent que l’ère de la distribution indépendante s’achève et qu’il faut intégrer un grand groupe. Il sait qu’Elektra ne survivrait pas au racket institutionnel des grosses structures qui prennent la distribution en charge. Il vend Elektra à Warner. C’est le début de l’ère WEA, Warner/Atlantic/Elektra, chaque label conservant la maîtrise de ses choix artistiques. Il ne restera que trois ans dans la multinationale et quittera son job de président pour aller s’installer à Maui dans le Pacifique - Pendant 23 ans Elektra fut toute ma vie. Tout en moi me disait que ce cycle s’achevait et arrivait à sa fin naturelle. Les seventies n’avaient pas été aussi prometteuses au plan musical. Mais quelqu’un devait veiller sur ma société et la solution que se semblait évidente était David Geffen. C’est Paul Rothchild qui dit tout le bien qu’il faut penser du nouveau boss d’Elektra : «Quand David Geffen est entré dans les eaux californiennes en tant que manager, les requins sont entrés avec lui et toute l’ambiance a changé. It became: ‘let’s make money, music is a by-product.’»

    Le fin d’Elektra sous la houlette de David Geffen n’est pas jojo. L’Houghton donne tous les détails, c’est le management à l’américaine, on vire en masse pour faire des économies.

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    Pour se remonter le moral, on peut écouter la petite compile encartée dans la troisième de couve de Follow The Music, l’autobio de Jac. Elle propose 26 cuts et couvre toute l’histoire d’Elektra, y compris les artistes de la première époque, ceux dont on n’écoutera jamais les albums, car ils sont terriblement spéciaux. C’est le folk des années 50, Jean Richie, Susan Reed, Frank Warner, Cynthia Goody, tous les caprices de Jac. Il y a aussi des blacks, Sonny Terry et Josh White. On tombe sur l’Americana pré-pubère de Kathy & Carol («Wondrous Love») puis ça rebascule dans le vieux Theodore Bikel et la pire de toutes, Jean Redpath qui roule des r, ah la garce ! Le premier gros truc est le «Banjo In The Hollow» des Dillards, ils sont encore pires que dans Deliverance, ils explosent tout à coups de banjos. À sa façon, Judy Henske défonce tout aussi, mais avec sa voix, dans une version somptueuse de «Wade In The Water». Judy is on fire ! Koerner Ray & Glover font une apparition avec une chanson de chain gang et là c’est pas terrible, on ne joue pas avec ces choses-là. On arrive dans le secteur des grandes voix avec Tom Rush et une version solide de «Milk Cow Blues». Admirable, grosse énergie new-yorkaise, trois albums sur Elektra qu’il faut explorer. S’ensuit le «Got My Mojo Working» du Butterfield Blues Band, ça joue sec et net avec Bloomy et Butter ne rigole pas. On monte au cran supérieur avec le jazz blues de Fred Neil. Fantastique «Blues On The Ceiling», magie pure du son et de la voix - I’ll never get out of this crazy blues alive - Grosse surprise avec The Incredible String Band, gentle folk-rock mais avec un drive, des guitares partout, c’est assez impressionnant. Quant à Phil Ochs, il est trop énervé. Il gratte comme un con, il chante à la colère pure, alors ça ne peut pas marcher. On est surpris par le timbre extrêmement chaleureux de Tom Paxton, par l’autorité féminine de Judy Collins et c’est à Tim Buckley que revient l’honneur de fermer la marche.

    Signé : Cazengler, Jacques Holsmerde

    Jack Holzman. Follow the Music: The Life and High Times of Electra Records in the Great Years of American Pop Culture. First Media Books 2000

    Mick Houghton. Becoming Elektra: The True Story of Jac Holzman’s Visionary Record Label. Outline Press Ltd 2010

    Judy Henske. High Flying Bird. Elektra 1963

    Judy Henske. Judy Henske. Elektra 1963

    Koerner Ray & Glover. The Return of Koerner Ray & Glover. Elektra 1964

    Koerner Ray & Glover. Lots More Blues Rags And Hollers. Elektra 1965

    Vince Martin & Fred Neil. Tear Down The Walls. Elektra 1964

    Fred Neil. Bleeker & MacDougal. Elektra 1965

    Paul Butterfield Blues Band. The Paul Butterfield Blues Band. Elektra 1965

    Paul Butterfield Blues Band. East West. Elektra 1966

    Paul Butterfield Blues Band. The Original Lost Elektra Sessions. Elektra Tradition 1995

    Delaney & Bonnie. Accept No Substitute. Elektra 1969

    Tim Buckley. Tim Buckley. Elektra 1966

    Tim Buckley. Goodbye And Hello. Elektra 1967

    Tim Buckley. Happy Sad. Elektra 1969

    Tim Buckley. Lorca. Elektra 1970

    Nico.The Marble Index. Elektra 1968

     

     

    Inside the goldmine

    - Darryl de poudre

    moonstone,léa ciari,rockambolesques ep 11;

    — À vot’ bon cœur, m’sieurs dames... À vot’ bon cœur...

    L’aveugle assis au coin de la rue de la Convention psalmodiait tout le jour, de l’aube jusqu’à la nuit tombée. Un haut chapeau cabossé trônait au sommet de son crâne et comme le vieil homme portait passée autour du torse une trompette antique, on l’appelait Jéricho.

    — À vot’ bon cœur, m’sieurs dames... À vot’ bon cœur...

    Suffisants et ventripotants, les bourgeois du quartier passaient sans même lui jeter un regard. Ils ne craignaient pas le mépris de l’aveugle puisque celui-ci ne pouvait les voir. Ça leur conférait une sorte d’impunité qui, soyez-en sûrs, n’eut pas soulagé cette conscience qui leur faisait si cruellement défaut. Seuls les voyous du quartier, craignant sans doute de finir comme l’aveugle à mendier dans les rues, lui jetaient un sou. Cling !

    — Sank you Paris match, milord !, croassa l’aveugle d’un ton guilleret.

    L’aveugle le voyait-il ? L’apache eut un doute et il repartit d’un pas pressé, un sourire aux lèvres, en direction de la Seine qu’il franchit au Pont Mirabeau pour gagner Auteuil. Il alla s’enfouir dans l’ombre d’une porte cochère pour guetter une demeure bourgeoise. Il attendit le milieu de la nuit, s’introduisit dans le parc et escalada la façade jusqu’au balcon. En échange de la moitié du butin escompté, un vieux serviteur lui avait indiqué qu’une fois entré dans le salon par le balcon, il verrait un coffre. L’apache tailla la vitre au diamant, claqua le coupe et passa la main pour atteindre l’espagnolette. Il traversa le salon à pas de loup et vit le coffre, près de la cheminée. Il sortit d’une vaste poche intérieure un pied de biche et une tenaille de chirurgien de marine. Il entreprit de faire céder le premier gond. Puis le second. Il déboîta ensuite le lourd battant du coffre. Quelle ne fut pas sa stupéfaction ! Le coffre ne contenait ni argent, ni bijoux, juste un microsillon.

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    Crushed Butler, lit-on en haut de la pochette, Uncrushed, lit-on en bas et au milieu, trois graines de violence posent dans les éboulis d’un immeuble de banlieue écroulé. N’importe quel amateur de proto-punk aurait pu rassurer l’apache. En effet, ce microsillon de Crushed Butler vaut tout l’or du monde, enfin, de manière symbolique, entendons-nous bien. En fait, il ne vaut pas un clou sur Discogs. Mais bon, pour certaines personnes, c’est un Graal. Uncrushed ! Au seul prononcé du mot, certains visages s’illuminent. «My Son’s Alive» et sa fantastique heavyness éreintée, travelled down to Mexico, et puis «Ractory Grime» et ses syncopes cardiaques tirées tout droit du «Fire» de Jimi Hendrix. Fantastique osmose hectorienne ! Mais il y a aussi le glam d’«Highschool Dropout» et le Sabbing de «Love Fighter» : Jesse Hector y hallucine dans les mauves du premier Sab. Et puis il y a un DVD glissé dans la pochette : on y voit les trois Crushers répéter dans une cave, filmés en plan fixe, avec un Jesse Hector qui saute partout, tel un étalon sauvage.

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    Quel album étrange que ce Beat Existentialist enregistré en 1993. Darryl Read y propose une version surprenante de «Band New Cadillac». Il veut rendre hommage à Vince Taylor, alors il s’y colle. Il cherche l’écho et la canaille, il y va de bon cœur, mais il va dans le mur, c’mon sugar, personne ne peut égaler la grandeur de Vince Taylor. Le pauvre Darryl se vautre à coups de she ain’t coming back. Il tape aussi dans l’excellent «Gin House» rendu célèbre par Amen Corner. Ce vieil heavy blues remonte jusqu’à Bessie Smith, et Darryl y rôde comme un loup affamé. Il rend un bel hommage à Dylan avec son «Blue Fandango Man». Une vraie osmose, il fait son Dylan 66 à merveille, il ramène tout, même le masterplan et le Baltimore. Le hit du disk s’appelle «Shake Off The Devil». En fait ce sont les chœurs de filles qui en font la grandeur. L’univers photographique de l’album est rudement intéressant : on y trouve du perfecto et du sein tatoué. Darryl y joue son rôle de prince des ténèbres à la perfection. Il ramène bien son stranger dans «Love Is A Perfect Stranger». Dans «Vipers Of Harlem», il mugit comme un bœuf chargé d’ouvrir la voie. C’est comme toujours chez lui, excellent, plein de son et plein de filles qui font des chœurs.

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    En 1999, Darryl Read s’acoquine avec Ray Manzarek pour enregistrer Freshly Dug. Bon alors attention, il s’agit d’un exercice de style censé rééditer l’exploit poétique de Jimbo, lorsqu’il enregistra An American Prayer. Darryl Read lit ses textes et Manzarek l’accompagne au piano. Alors pour tromper l’hydre de la monotonie, ils varient habilement les genres. Ça devient vraiment intéressant quand ça vire jazz («Man O Jazz» ou «Behind The Beat»), et bizarrement Manzarek devient bon. Il est aussi capable de jouer le piano d’aube blême («Cup Of Dark») et de créer la sensation. On finit par succomber au charme discret de l’ensemble. Darryl est assez drôle avec ses petits poèmes de reptile family («The Plumes Of Fire») mais au fond on voit bien que Manzarek rafle la mise avec son excellence pianistique («Azur Skies»). Tout est très poétique sur cet album, très piano-advanced. Ils sont dans un son qui nous dépasse, puisque ça les concerne eux, directement. Darryl ramène sa poésie dans le giron du big Ray piano man («Broken Highways») et cet album hautement littéraire se termine avec «Last Poets Land». Du coup, Darryl Read devient un immense poète underground, un de plus.

     

    En 2002 paraît un autre album de Darryl Read, l’excellent Shaved qui s’ouvre sur une reprise stupéfiante de «You’re A Better Man Than I». Darryl Read se transforme en Max la Menace pour redynamiser les Yardbirds, dans l’éclat du chant proto-punk et des guitares flamboyantes. Darryl joue de la guitare mais le monster break est signé Geoff Knwoles. C’est Dave Goodman, the Pistol man, qui joue de la basse. Ce n’est donc pas un hasard si «Programme» sonne comme un cut des Pistols. Darryl y déploie la même ampleur, la même démesure, pas de problème, c’est un énorme shoot de big English rock. Puis il passe à Dylan avec «Love Falling Like Rain». Il fusille ça au riffing définitif, c’est terrifiant d’à-propos. Il tape chaque fois dans le mille : Crushed Butler, Third World War, les Yardbirds et maintenant Dylan. Aw my Gawd que de son ! On se croirait sur l’un des grands albums de Mick Farren, ça tape dans le haut de gamme imputrescible. Et le roi s’écria : «Mon royaume pour un Darryl !». Il y a bien sûr des cuts plus faibles mais il revient sur le tard avec une somptueuse cover de «Positively 4th Street». Il se rassasie du génie de Dylan, et réussit une fois de plus l’exploit d’y associer la pure Brit energy. Dans les pattes des proto-punks britanniques, le Dylanex ne pardonne pas.

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    Le Collectomatic Vol. 1 paru en 1997 ressemble étrangement à un passage obligé. Pourquoi ? Parce que Darryl Read y commente ses cuts, et là, on en a pour son argent. On a tout le détail d’«On The Street Tonight», vieux shoot de rock underdog, artefact du proto-punk, composé avec Jim Avery et enregistré en 1975. Le cut est ressorti en 2013 sur un single qu’on pouvait commander chez Crypt, à Hambourg. L’ex-Silverhead Steve Forrest joue de la basse et le lead guitar, Darryl bat le beurre et chante. La démo n’a pas plu, à l’époque. Darryl explique qu’au moment de Crushed Butler et d’«On The Street Tonight», il tentait de convaincre les mecs des labels que le proto-punk allait bientôt exploser, ce qu’il fit deux ans plus tard, avec les Pistols et tous les autres. Darryl et Jesse Hector avaient pas mal d’avance. «Back Street Urchin» date de 1976 et Steve Forrest joue aussi dessus. Ça sonne un peu comme les Pink Fairies, un peu éparpillé au gré des couplets, pour ne pas dire décousu. Manque de lien, manque de prod. On tombe un peu plus loin sur une puissante cover de «Play With Fire» enregistrée à Berlin. Avec «Trouble In The House Of Love», il fait autorité - We’ve got trouble in this house of love - Il sait rôder sous le boisseau. Et puis voilà le coup de génie : «The Devil In Black Leather» co-écrit avec Terry Stamp. Comme son nom l’indique, le cut parle de Gene Vincent, c’est groové dans le lard fumé, Stamp plays the slide guitar, pas de drums, Darryl tape sur un chaise en plastique. Rien plus mythique que ce genre de Black Leather. Terry Stamp est l’auteur de «La Punka Morbida», solide groove underground enregistré à LA - Body surfing South on the San Diego freeway - «Vipers Of Harlem» qu’on trouve sur Beat Existentialist est aussi co-écrit avec Terry Stamp. C’est d’ailleurs à cette époque que Darryl fait la connaissance de Ray Manzarek. Plus loin, il reprend le «Teenage Dream» de Marc Bolan pour en faire un bijou Dylanex. C’est dingue ce qu’il sait bien le faire. Il rend aussi hommage à Bo Diddley avec «Walking In Shadows» et à Captain Beefheart avec «Full Speed Ahead».

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    Si en 2013, on commandait chez Crypt l’«On The Streets Tonight» paru sur Last’ Year’s Youth Records, c’était pour pouvoir l’écouter jusqu’à plus-soif, comme on écoutait jadis nos précieux EPs des Pretties et d’Eddie Cochran, debout devant le tourne-disques. Il est bien le petit Darryl sur ce 45 tours. La guitare de Steve Forrest sonne comme une trompette, mais Darryl sonne comme un vrai proto-punk. La structure est classique, mais l’à-propos ne l’est pas. Il n’y a que des mecs comme Terry Stamp, Phil May, Steve Peregrin Took, Mick Farren ou Jesse Hector pour chanter avec un telle fureur apache.

    Signé : Cazengler, Darryl Raide (manche à balai dans le cul)

    Cruched Butler. Uncrushed. Crush Records 2013

    Darryl Read. Beat Existentialist. Rock Chix 1993

    Darryl Read & Ray Manzarek. Freshly Dug. Ozit-Morpheus Records 1999

    Darryl Read. Shaved. Madstar Records Ltd 2002

    Darryl Read. Collectomatic Vol. 1. White Label Records 1997

    Darryl Read Group. On The Streets Tonight. Last’ Year’s Youth Records 2013

     

    Il faut sauver le soldat Ryan

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    Tous les ceusses qui écoutaient la radio dans les années soixante se souviennent parfaitement d’Éloise. Ah comme ça gueulait dans la radio - Eloise/ Eloise/ You know I’m on my knees/ Yeah I said please/ You’re all I want so hear my prayer/ My prayer - Les frères Ryan n’y allaient pas de main morte. Ils sont même entrés dans l’histoire avec ce hit considérable que les Damned avaient repris sur l’album Anything. Dave Vanian rivalisait de virevoltes octaviennes avec l’excellent Barry Ryan qui comme beaucoup de gens célèbres en 1967 vient de casser sa pipe en bois, aussi allons-nous lui rendre un modeste hommage. Pour les situer, Paul & Barry Ryan figuraient dans le peloton de tête des grands popsters britanniques.

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    Leur premier album Two Of A Kind paru en 1967 est une merveille absolue. On trouve en bout de la B deux cuts produits par Les Reed, «‘Twas On A Night Like This» et «Silent Street», un Les Reed qui se prend véritablement pour Totor, il ramène tout le saint-frusquin et ça tourne à la fantastique exaction productiviste. Barry Ryan chante «Silent Street» à l’extrême power du Silent Street, et Les Reed le monte en neige, au maximum des possibilités de la pop anglaise. En bout d’A, Ivor Raymonde, autre monstre sacré, produit «Am I Wasting My Time». Présence inexorable, les frères Ryan travaillent leur pop au corps. Avec «Hey Mr Wiseman», les frères Ryan rivalisent de vélocité avec Moby Grape. Ils vont vite et bien, c’est fast and beautiful et ça joue derrière à la fantastique énergie. Ils font aussi une cover des Yardbirds, «I Can’t Make Your Way» bien pop, avec une guitare suceuse. Cette belle pop anglaise pressurisée est l’un des joyaux de la couronne du roi Ryan. Ils tentent aussi le diable avec une cover du fameux «You Don’t Know Like I Know» de Sam & Dave. Ils le blanchissent, on perd la niaque, mais il faut saluer l’effort. Ils démarrent leur album avec une autre cover, «That’ll Be The Day», un hommage sucré au grand Buddy Holly. Les Anglais adorent Buddy Holly. Et sur «Love, You Don’t Know What It Means», les frères Ryan sonnent comme les Hollies, alors t’as qu’à voir. Globalement, ils se situent avec cet album au cœur de l’âge d’or du British Beat des reins.

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    Si tu veux mesurer le génie du soldat Ryan, inutile de sortir ton mètre-ruban, un simple Best Of suffira, comme par exemple celui que propose Repertoire : The Best Of Paul & Barry Ryan. Attention, c’est un double CD d’une rare densité. Il faut partir du principe que le soldat Ryan est un chanteur extraordinaire, que son frère Paul lui compose des chansons extraordinaires et qu’il bénéficie en prime d’une prod extraordinaire : bienvenue dans le saint des saints du Swinging London. Trois énormités guettent le chaland sur le disk 1 : «Have You Ever Loved Somebody», «I’m Telling You Later» et «Rainbow Weather». Ce sont trois fantastiques dégelées de pop anglaise, le Telling You Later est monté aux harmonies vocales des Hollies avec du shaking de glotte en prime. C’est même complètement saturé d’harmonies vocales. Le Rainbow Weather est amené à la cloche de bois et le soldat Ryan s’en va chanter ça au sommer du lard. «Have Pity On The Boy» - Baby pity on the boy - et «Carry The Blues» sont deux modèles de prod. Tout ici est gorgé d’écho et d’allure. Les frères Ryan chantent comme des Mods, à la folie du can’t you see. Même le rocky «There You Go» sonne comme une énormité, tellement c’est bien orchestré. Ils ont du son à un point inespéré. Ils surpassent tous les tenants et tous les aboutissants d’Angleterre, y compris les early Bee Gees et les Hollies. Paul et Barry Ryan sont de puissants seigneurs. Ils attaquent même leur «I Love You You Love Me» à la cornemuse. Ils font des fantastiques numéros de chant à deux voix («Keep It Out Of Sight» qui n’est pas celui de Wilko). On croit entendre les Beatles dans «Pictures Of Today» et on entend un guitar hero dans «Reincarnation Games». Le soldat Ryan se réserve le disk 2 et attaque avec l’un des plus grands hits des sixties, «Eloise». C’est une fantastique envolée mélodique avec la tension des tambourins, on a là un hit exceptionnel de Swinging Londonnery - Every night & day/ I break my heart/ To pliiiiise/ Eloiiiiise - Le soldat Ryan grimpe à l’Anglaise, avec une niaque très particulière qui n’appartient qu’aux dandys britanniques, une niaque chaude, bien timbrée, bien dans les knees. Il se paye en chemin des ponts à la Brian Wilson et finit à la Wilson Pickett. Barry Ryan est l’artiste complet par excellence. À côté d’«Eloise», «Kitsch» reste sans doute l’une des meilleures introductions à l’art fumant du lard fumé. Le soldat Ryan chante ça à l’efflanquée carabinée, comme il chante Eloise, il va chercher l’effort suprême dans l’heavily orchestrated, il sait monter son Kitsch en neige, c’est puissant et bien cadencé, au sens des cadences infernales, vraiment très impressionnant, il va chercher les effets maximalistes, «Kitsch» est un cut qui kicke, très harnaché, très caparaçonné, très flamboyant, bourré de farce de layers comme une dinde de Noël, le soldat Ryan s’en va hurler son beautiful word au sommet du mont Ararat comme s’il était le Moïse du Swinging London. L’autre coup de génie, c’est «I’ll Be On My Way Dear», amené au heavy beat de gaga brit, au monster push. Le soldat Ryan s’en va screamer au bout du lac, ça sonne comme du proto-punk, c’est un passage obligé pour un DJ car on a là l’un des cuts les plus définitifs du Swinging London. Barry Ryan l’explose. En fait, les frères Ryan combinent bien les climats, ils se donnent tous les moyens. Ils sont dans l’exercice de la puissance. Leur pop chargée reste invariablement du meilleur goût. «The Hunt» se développe comme un hit de Jimmy Webb. Le soldat Ryan chante à l’extrême pulsion du gig, il accompagne ses compos et les enlace. Dans «It Is Written», il a des chœurs terribles derrière lui, les girls sont explosives, c’est une véritable clameur et Barry fait son dandy, il sait monter par dessus les toits. Encore une énormité avec «Sanctus Sanctus Hallelujah», il claque sa pop quand il veut. Mélodiquement parlant, son Sanctus reste exceptionnel. Il fait du Tamla anglais avec «Give Me A Sign» et son «Alimony Money Blues» sonne comme un hit des Kinks. Il retrouve les accents épiques d’«Eloise» dans «We Do It Together», bref, pour qui ne connaît pas le soldat Ryan, ça peut être une révélation.

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    On ne perd pas son temps à entrer dans les cinq albums que le soldat Ryan a enregistrés entre 1969 et 1972. Les pochettes sont toutes superbes. Bienvenue dans la grand art du Swinging London avec Barry Ryan, un Raymond Polydor arrivé premier en 1969. Le hit s’appelle «I See You», un enchantement. On se régale aussi du «Makin’ Eyes» en ouverture de bal de B et de cet environnement orchestral solide comme un bœuf. Tout est très ambitieux sur cet album, très composé. Dans le «Man Alive» qui boucle le bal d’A, on observe une fantastique tension d’I’m alright et d’I’m OK. Le soldat Ryan chante son «Not Living Without Her Love» au timbre Brit pur, d’une voix ample et âpre à la fois, et d’une résonance exceptionnelle. Il est l’un des très grands chanteurs de son temps. On ne se lasse pas de sa magnitude et de sa clameur.

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    Si on ouvre le gatefold du Barry Ryan Sings Paul Ryan paru la même année, on voit les deux frères au travail, Barry debout et Paul de dos assis au piano. Mais on voit surtout deux des plus belles superstars d’Angleterre. Ce sont des dandys londoniens, ils portent la même chemise blanche à motifs imprimés et d’énormes rouflaquettes. En plus, l’album est monstrueux. On se prosterne devant «Why Do You Cry My Love» : grande pop, vraie voix, grand élan. Ils continuent de baigner dans l’excellence avec «The Colour Of My Love». Paul & Barry Ryan naviguent au même niveau que Lennon & McCartney et que Jimmy Webb. Ils cultivent l’art pop. D’ailleurs, la pochette offre une troublante ressemblance avec celle du Twelve More Times de P.F. Sloan. «Eloise» boucle le bal d’A avec le même power vocal et composital. Le soldat Ryan s’en va chanter là-haut sur la montagne, c’est un hit à la fois épique et fascinant. Même power et même ambition que «MacArthur Park». En B, ils font avec «My Mama» un heavy pathos spectaculaire. Le soldat Ryan clame son amour à sa mère. Tout ici est formaté au sommet du lard, cette pop gorgée de vie et de power flirte avec le surnaturel.

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    On trouve deux belles énormités sur Barry Ryan 3 : «Follow Me» et «We Did It Together». Avec le Follow Me, ils font du Jimmy Webb de London town, c’est de la heavy pop dotée de développements orchestraux assez mirifiques, c’est plein d’énergie et d’excellence de la prestance. «We Did It Together» ouvre le bal de la B et laisse échapper des échos de «Let’s Spend The Night Together». Le soldat Ryan orchestre au chant toute la démesure du Swinging London. Encore de la belle pop orchestrée avec «Stop The Wedding». Le soldat Ryan se coule dans son moule avec une élégance qui en bouche un coin. Il finit encore une fois au shouting de star. Ils font de la Soul blanche avec «In The Shelter Of My Heart». Présence inexpiable, comme toujours. Et puis on a cette pop alerte et vive, «Better Use Your Head», dressée face à l’horizon, avec son jabot et sa mâchoire volontaire, une pop de dandy absolu. C’est sur cet album qu’on trouve «Kitsch» dont on a déjà dit le plus grand bien. Barry barrit bien sa dandy pop et grimpe son beautiful word dans les volutes de trompettes antiques. Les vagues de violons libèrent des staccatos d’effluves capiteuses.

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    Le dandy Ryan orne la pochette de Red Man. Toute la viande est en B, cette fois, à commencer par «Dance To The Rhythm Of The Bard», un cut extrêmement bien contrebalancé et orchestré à l’anglaise, avec cette voix en figure de proue, toujours bien profilée. «Show Me The Way» est une pop qui se donne les moyens de ses ambitions, avec notamment l’adjonction de chœurs d’église somptueux. Le soldat Ryan mérite bien ça. Le hit de l’album, c’est «I’ve Been Around», pur jus de good time music, anglicisme à toute épreuve et ampleur considérable, à la fois digne du Brill Building, du Swinging London et de Broadway. Il termine l’album avec un «It Is Written» superbement orchestré - I’ve been down so long/ I could not say - Il chante à la fantastique persistance de Jesus Christ/ He will care for me et il repart à l’assaut du ciel.

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    Retour du dandy jaboté pour Sanctus Sanctus Hallelujah. On y trouve l’excellent «Alimony Honey Blues» digne des Kinks comme on l’a dit, mais aussi de Ronnie Lane. Le «LA Woman» d’ouverture de bal de B n’est pas celui des Doors et les frères Ryan retrouvent leur veine avec «I Think You Know My Name», une belle pop ambitieuse gorgée de développements. Le morceau titre est une merveille inexorable, une pop de gospel londonien signée Paul Ryan, bien au-delà des attentes de camping camp. Avec «Storm Is Brewing», les frères Ryan se fâchent, ils ramènent du gros riff anglais, on se croirait sur le premier Sabbath, c’est exactement le même son. Par contre, ils sonnent comme les Monkees avec «When I Was A Child». On entend les riffs de «Last Train To Clarksville». Le soldat Ryan ramène du heavy beat dans «Slow Down» et cette fois il frise le Lennon. Il boucle l’album avec un «From My Head To My Toe» signé Russ Ballard, grande pop anglaise, bien bâtie et dans les pattes de Barry, ça prend de l’allure, beaucoup d’allure.

    Signé : Cazengler, Barry rillettes

    Barry Ryan. Disparu le 28 septembre 2018

    Paul & Barry Ryan. Two Of A Kind. Decca 1967

    Paul & Barry Ryan. The Best Of Paul & Barry Ryan. Repertoire Records 1998

    Barry Ryan. Barry Ryan. Polydor 1969

    Barry Ryan. Barry Ryan Sings Paul Ryan. MGM Records 1969

    Barry Ryan. Barry Ryan 3. Polydor 1970

    Barry Ryan. Red Man. Polydor 1971

    Barry Ryan. Sanctus Sanctus Hallelujah. Polydor 197

     

    L’avenir du rock

    - Tame ça ou Tame pas ça ?

     

    Contrairement à ce que tout le monde croit, la vie de l’avenir du rock est un vrai cauchemar. Dans la rue, les gens l’accostent sans arrêt :

    — Que pensez-vous du dernier album de Catarina Shit ? Téléramax en dit le plus grand bien !

    — Savez-vous si Jean-François Asshole va remporter les élections ?

    — Dites-moi, avenir du rock, pensez-vous comme moi que les Bleus vont écraser la Patagonie, ce soir, au stade de France ?

    Eh oui, l’infaillibilité peut détruire une vie. Alors l’avenir du rock n’a plus que deux solutions : changer de sexe ou altérer volontairement son jugement. Il écarte rapidement la première solution car les cons vont sauter sur l’occasion pour l’appeler Madame Soleil. Alors, il opte pour la deuxième solution, au risque d’y perdre son honneur. Mais bon, au point où en sont les choses...

    moonstone,léa ciari,rockambolesques ep 11;

    Si on souhaite tester la faillibilité des choses, Tame Impala est le cobaye idéal. Ce groupe de la nouvelle vague psyché fut porté aux nues par les Shindigers - Kevin Parker (...) shows how psychedelia can move with the times - Alors que fait le fidèle lecteur de Shindig! ? Il se penche sur le cas du Lonerism paru en 2012.

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    On y trouve en effet de la mad psychedelia, notamment dans «Mind Mischief», joué à la heavyness de gros consommateurs d’acide. Ça groove au nowhere land, ça se perd dans des Sargasses, du coup on s’y prélasse. C’est un son qui emporte la cervelle comme le ferait un boulet rouge à l’abordage. Même chose avec «Keep On Lying» joliment nappé d’orgue et fabuleusement embarqué pour Cythère. Ça s’étend à longueur de temps, bien élancé aux guitares. Avec «Elephant», les Tame nous font du glam de Tame. Ils renouent avec l’énergie du riff glam et ça sonne comme un hit des Beatles. Tout aussi digne des Beatles, voici «Nothing That Has Happened So Far Has Been Anything We Could Control». On sent que ces Australiens de Perth adorent le son. Quand on écoute «Be Above It», on se croirait convié à une fête. Ces mecs imposent un son qui se répand, plein d’écho, lancé comme une passerelle vers l’avenir. On se demande bien quel rêve poursuivent ces mecs dans «Apocalypse Dream». Ils font leur petit business de voix écloses dans la douceur des matin blêmes. C’est très spécial. Ça prend un peu la gorge. C’est quasiment du symbolisme à la Fernand Khnopff. Ils réussissent leur coup. Ils créent la sensation sans effort. Le son des Tame se répand en continu dans les plaines, ils créent leur monde, indéniablement. On devrait plutôt parler de voyage musical, car tout est très changeant. Encore un cut terriblement impliqué avec «Music To Walk By». Ils s’inscrivent dans le temps. Ils marquent les esprits. Ils montent même sur leurs grands chevaux pour un «Why Don’t They Talk To Me» poppy et alerte. Voilà encore l’un de ces disques bien foutus mais noyés dans la masse.

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    Leur premier album s’appelle Innerspeaker et date de 2010. Dès «It’s Not Meant To Be», on les sent motivés. Ils sont très psyché dans l’esprit. Ils sont dans leur trip, faut pas les embêter. C’est plein de son et de bonne volonté, mais pas de voix ni de mélodie. C’est tout sauf une chanson. Impala n’est pas là. Par contre, si on cherche la viande, elle se trouve dans «Alter Ego», une pure merveille, ils arrivent en vol plané et explosent dans l’œuf du serpent, et là on peut dire que ça devient monstrueux. L’autre smish smash de l’album s’appelle «Runway Houses City Clouds». Ils grimpent à la surface avec les moyens de l’excellence psychédélique, c’est très gonflé de leur part. Ils sont là dans une sorte de génie du son, des processus se mettent en route et on s’en effare. Quant au reste, c’est très varié. Avec «Desire Be Desire Go», ils se prennent pour les rois du gaga, c’est assez violent et plein de pouet-pouet, alors forcément ça sonne un peu les cloches. Dommage que le chanteur n’ait pas de voix. Son everyday ressemble à un radis noir. «Why Won’t You Make Up Your Mind» sonne comme une belle expectation psychédélique destinée aux cervelles fragilisées. Leur truc finit par exploser, c’est prévu. «Solitude Is Bliss» a de jolies jambes et les solos s’écoulent dans la rivière. Ces mecs sont un peu des diables, ils créent des ambiances de non-retour, leur mélange finit par devenir hautement toxique. Disons pour faire court qu’ils produisent un psyché racé et acéré. Même sans voix, «Expectation» atteint des profondeurs. Ces mecs sont dans l’épaisseur du son et savent finir en beauté : certaines fins comme celle-là sont spectaculaires. «The Bold Arrow Of Time» sonne comme un chèque en blanc sur le compte du rock. Ces mecs jouent leur va-tout au heavy blues graveleux. Ils sont capables de tout, ce qui les rend sympathiques. Ils terminent avec «I Don’t Really Mind». L’album est tellement chargé de son qu’il menace en permanence de couler. Ils amènent ce final cut au petit drive de disto et ça prend vite des proportions extravagantes. Bravo pour ce festival de heavy psycho-pot-au-feu.

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    Le Live Versions paru en 2014 est un excellent album. Attention, les synthés brouillent les pistes sur toute l’A, même si les thèmes récurrent, grâce à une dominante élégiaque. En fait ce sont les thèmes qui captivent. C’est en B que se joue le destin de l’album, et ce dès «Halfull Glass Of Wine», qui renoue avec les guitares, c’est même assez heavy, une bonne aubaine, avec un petit cœur de métier hypno. Très bonne emprise. On reste dans l’hypno dodelinant avec «Be Above It». On retrouve cette qualité mélodique superbe, même si c’est relayé par des machines. On reste dans la grâce avec «Feels Like We Only Go», chant très mélodique, certains accents pointent sur la mélancolie du Robert Wyatt des Windmills, mais c’est lointain. Les ambiances sont superbes, encore une finesse mélodique édifiante dans «Apocalypse Dreams», ce mec crée la sensation, il déploie ses climax comme savait si bien le faire Todd Rundgren en son temps. Ça donne au final un ersatz paradisiaque.

    moonstone,léa ciari,rockambolesques ep 11;

    Et puis les choses commencent à se gâter avec Currents, paru l’année suivante. Ils sont comme qui dirait passés à autre chose, à un son plus synthétique, et là, ça coince, même si «The Moment» vaut pour une belle pop envahissante. Mais dans cet album, il n’y a pas plus de psyché que de beurre en broche. Si le Tame de Currents est psyché, alors la concierge de l’immeuble est la sœur du pape. Et ta sœur, elle bat le beurre ? Les Tame ta mère sont passés à la pop orchestrale qui pète plus haut que son cul, une petite pop d’orchestral manœuvre in the dark, ils articulent leur petit monde au chat perché, mais franchement, il n’y a pas de quoi se damner pour l’éternité. «Eventually» sonne comme une petite pop de pétales. On y va ou on n’y va pas. Chacun cherche son chat. «Gossip» manque tragiquement de power mélodique, ils n’ont pas de wall, et pas grand chose dans la culotte. Leur pop vire trop electro et ça coince. On finit par ne plus entendre que les synthés. Les guitares ont complètement disparu et ça commence à craindre. Fuck the machines. Dans «Disciples», le mec se prend pour Dwight Twilley, il chante au petit chat pelé perché, mais ça ne marche pas, car bien sûr la magie se fait porter pâle. Tame is lame. Ils essaient de revenir avec du son dans «Reality In Motion», mais les fucking synthés dévorent tout, comme le feraient des crabes des cocotiers affamés de chair fraîche. Ils nous font le coup de la larmoyante avec «Love/Paranoia», mais la crédibilité s’est barrée depuis longtemps. Elle est partie se coucher. Cet album méprise les conventions de Genève et se situe au delà de toute forme de médiocrité. Tame ta mère ! Ils sont dans un délire de synthés et font injure aux lois sacrées du psyché so far out. Ils croient faire sensation en réhabilitant les machines, mais ça ne marche comme ça.

    moonstone,léa ciari,rockambolesques ep 11;

    Allez, soyons magnanimes et donnons-leur une chance de se racheter avec The Slow Rush. Hélas, les machines sont toujours là. Tame peine à jouir. Ça pue la boîte à rythme. Kevin Parker est dans un son qui ne va pas bien. Trop electro, pas de guitares, c’est pénible. On s’emmerde comme un rat mort. C’est bien, car chaque fois qu’on s’emmerde comme un rat mort, on pense à Choron. Plus on avance dans l’album et plus ça plonge dans l’electro. Ni Bardo Pond ni Wooden Shjips ne nous infligeraient une telle confiture de déconfiture. Et le Parker fait son petit numéro de chat perché et en plein «Posthumous Forgiveness», il nous sert en prime un solo de synthé. On se croirait chez Rick Wakeman. Berk ! Nous voilà au paradis de l’electro shit de choc, c’est tragique, tout est sevré de synthé, tout sonne faux. Si c’est ça le psyché du futur, laisse tomber. Tame n’offre aucun échappatoire, les tentatives d’enrichissement de l’uranium échouent lamentablement. Le problème est qu’on attend monts et merveilles d’un groupe qui n’a plus grand chose sous la capote, à part un synthé en forme de saucisse plate. Ils vont même pousser l’ignominie jusqu’à injecter du simili-reggae dans l’electro-shit de «Lost In Yesterday». Ils finissent par battre tous les records de putasserie avec «It Might Be Time». Et comme si ça ne suffisait pas, ils te font le coup de lapin avec le diskö-funk de «Gimmer». Whoah !

    Signé : Cazengler, Impala peine de discuter

    Tame Impala. Innerspeaker. Modular Recordings 2010

    Tame Impala. Lonerism. Modular Recordings 2012

    Tame Impala. Live Versions. Modular Recordings 2014

    Tame Impala. Currents. Fiction Records 2015

    Tame Impala. The Slow Rush. Island Records 2020

    *

    Des groupes qui se prénomment Moonstone vous en trouvez pratiquement dans tous les pays. Celui-ci vient de Pologne. De mémoire si je ne m'abuse c'est le premier groupe polonais que nous chroniquons. Quand j'ai vu qu'ils étaient basés dans la cité de Krakow j'ai cru qu'ils provenaient des abysses du Kraken, seulement de Cracovie. Deux opus à leur actif, le dernier est paru ce 03 décembre 2021, avant de l'écouter nous tendons l'esgourde gauche sur leur première production, en décembre 2019.

    MOONSTONE / MOONSTONE

    ( Interstellar Smoke Records / 2019 )

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    The oncoming : bizarroïde, à peine une minute et demie et vous ne savez pas quoi en penser, tout ce que vous pouvez désirer est dans cette mini-boîte magique, de belles sonorités cordiques, une espèce de sifflement interstellaire sous-jacent, des éclatements d'orages continus, rien d'assourdissant, un trop-plein sonore des plus agréables. Mushroom king : dés la première seconde une curieuse voix de fausset nous raconte une courte histoire à dormir debout, étrange musicalement ce n'est que la reprise de l'introduction, une réplique à l'identique, on avance lentement, ne se pressent pas, le fuzz fuse par-dessous, l'on pressent quelque chose mais quoi, pas cette espèce de cantique majestueux et lorsque l'on croit le morceau fini, ils mettent en marche le sèche linge, vite fait bien fait, vous comprenez au moins le champignon sur la pochette, le morceau est dédié à ce monarque, mais quel est son royaume. Pale void : méfions-nous des champignons, vous mènent facilement par le bout du nez en voyage, pas de panique l'on s'élève sans secousse sur un tapis volant, l'a déjà quitté la stratosphère, une guitare claironne le riff sempiternel qui vous emporte de plus en plus vite, cette accélération est amortie par la batterie qui ralentit le rythme alors que basse et guitare grimpent maintenant dans l'espace intersidéral, la voix que vous entendez n'est pas la musique des sphères mais un chant sacré processionnaire, fermez les yeux l'espace est noir mais l'œil de la lune éclaire votre âme, vous marchez sur la voie lactée, la voix vous appelle, montez et planez, vous êtes bercé par un mouvement ouaté qui vous enfonce toujours plus profondément vous ne savez pas dans quoi, la basse vous caresse, la batterie devient tribale et le bonheur vous envahit, vous êtes redevenu le bébé que vous n'êtes plus, vous buvez le lait à même le sein virginal de Diane la chasseresse. Ash and stone : la guitare s'assombrit, la batterie appuie lourdement, la basse balaie vos émotions, qui êtes-vous pour croire que l'on pose ses lèvres sur les dômes sacrées de Séléné sans contre-partie. Il est des laits qui sont trop beaux pour les simples mortels, ce suc nourricier comporte une part sauvage, elle n'est pas destinée à votre faible constitution, un chœur d'avertissements s'éloignent dans le lointain, la musique est omniprésente et en même temps elle semble s'éclipser alors qu'elle vous écrase de plus en plus violemment, vous ne savez plus qui vous êtes, pas très grave vous n'êtes pas grand-chose, mais elle l'Immortelle que vous veut-elle, votre cœur s'emballe, tout va trop vite, vous étiez tapis de cendre et maintenant la pierre brûlante qui roule sans fin, lancée comme un boulet de canon, troupeau de chevaux sauvages, galopant au-delà du zodiaque. SulphurEye : sans préavis dans l'orbite de l'œil de soufre. Vents violents et pluies acides. Vous ne saviez donc pas où vous mettiez vos ailes frelatées, grandiloquence menaçante, la basse est une flamme de bougie qui manque d'oxygène, vous voici dans un pays sombre et désolé, mille lumières vous assaillent, du pareil au même, cet instant s'appelle la mort, la voix vous cloue au piloris de votre souffrance, la batterie martèle votre condamnation sans appel, vous avancez dans le dernier corridor, le background devient plus lourd, tu n'en réchapperas pas, énorme poussée dans votre dos, on ne résiste pas une telle force, la musique incoercible s'éteint doucement, vous ne l'entendez déjà plus. Une seule consolation vous n'aurez pas à vous plaindre. La lune froide comme une pierre clignera-t-elle de l'œil en lorgnant votre cadavre inutile.

    Superbe chausse-trappe, Moonstone vous offre les reflets chatoyants des pierres de lune, vous aimeriez les garder prisonniers de votre regard, mais ils sont changeants, insaisissables, un nuage qui passe, une inclination de votre tête et la pierre change de couleur, peu à peu les reflets s'assombrissent et la tête ricaneuse de la mort vous sourit... Cependant l'ensemble vous ensorcèle du début à la fin.

    1904 / MOONSTONE

    ( GSHIRS005 / 2021 / Bandcamp ))

    ( Pre-order : diponible en vinyl, CD, cassette, au 30 / 01 / 2022 )

    Une couve bien mieux réussie que la précédente qui laissait l'amateur dans l'expectative. En arrière-fond mais dominant l'image, la lune, au centre un monolithe commémoratif, érigé au milieu d'une place, pointe vers le ciel. Derrière les bâtiments, les cimes de hauts sapins teintent l'atmosphère d'une touche funèbre. A quoi correspond la date de 1904 : la mise en train d'un soulèvement populaire contre l'occupation russe en 1905, je n'en sais rien.

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    Magma : le premier Ep de Moostone ressemblait un peu à un conte pour les enfants, il se terminait mal certes, mais ici l'ambiance est d'entrée et de facto beaucoup plus noire. Une longue suite que l'on pourrait qualifier de musicale si ce n'était qu'un très court espace réservé au vocal. A lire les lyrics, l'on s'attend à une énorme tonitruance sans fin, pas du tout, de la mutation géologique décrite par les paroles, Moostone n'exprime que l'inéluctabilité du phénomène géophysique. L'orchestration est grave mais pas forte. L'on assiste au déploiement de quelque chose de monstrueux, comme vu de haut, observé d'un avion par un pilote qui n'entendrait rien mais qui serait aux premières loges du cataclysme, il ne peut rien faire pour s'y opposer, alors il jouit esthétiquement de la fureur des éléments, une lave rouge issue des profondeurs de la terre ravage la planète. Grandiose et magnifique, Moonstone tisse un linceul musical, un voile noir horrifique qui recouvre les continents, la musique se soulève comme la respiration d'un mourant, un immense géant de pierre, qui chercherait à reprendre souffle, qui tousse d'angoisse et de terreur, sans ostentation, écrasement carcasseux de batterie, scie de guitare, turbine de la basse. Tout s'apaise pour mieux redémarrer, une guitare qui égrène un vent triste de sanglots, l'acmé de la catastrophe est dépassé, l'horreur continue, si victorieuse qu'elle en paraît paisible. Plus rien à prouver. Tout est accompli. Nostalgie de ce qui est et qui triomphe, tout se précipite, le dernier effort, le drap dont on recouvre le cadavre, le moment crucial de l'adieu, la terre a gagné, les hommes n'existent plus. Tsunami écologique. Flonflon de l'extinction humaine. Définitive. La vengeance est assouvie. L'engeance détestable anéantie. Spores : quels sont ces bruissements, ces notes de basse comme si un débutant faisait ses gammes, l'on croyait qu'il n'y aurait pas de suite, que le sujet était mort et enterré, que l'espèce humaine avait été annihilée, si l'on en juge par la montée instrumentale progressive il n'en est rien, les atomes dispersées et enfouies des œufs du serpent de la vie venimeuse, s'interpellent et s'accouplent entre eux, un nouveau cycle est en préparation, nette coupure dans le morceau, l'on ne suit pas pas à pas toute l'évolution, l'on use de la métaphore pour traduire l'idée que toute existence est tissée de sa propre mort, l'on nous raconte l'histoire du roi mort dont les enfants s'emparent de la couronne non pas pour préserver le royaume mais pour affirmer leur volonté de puissance, dans l'unique but de tuer leurs semblables, la musique se calme comme désabusée, même plus la peine de chanter, parler suffit, la ronde continue tout lentement, voici qu'elle tournoie et virevolte sur elle-même à toute vitesse, une toupie folle que rien n'arrête et qui sème la terreur et la désolation, le plus terrible c'est que cela importe peu, qu'elle tourne vite ou lentement la meule n'en broiera pas moins la quantité de grains à moudre, vis sans fin ni commencement, lorsque tout aura été réduit en poussière, les spores se reconstitueront et tout recommencera. Eternellement.

    Plus sombre, plus tragique, plus désespéré que le précédent, mais bien plus beau, un chef-d'œuvre du stoner-doom. Terriblement pessimiste. Schopenhauerien. Le monde comme volonté d'impuissance à se surmonter.

    Damie Chad.

    *

    Amis rockers nous ne parlerons pas ici de lindy hop, ni de jerk, ni de pogo, ni de toutE autre danse en relation directe avec la musique rock. De fait nous n'évoquerons pas la danse en tant que danse se déroulant devant nos yeux, mais de représentation graphique de la danse. Notons que toute représentation de danses quelles qu'elles soient, tous styles confondus, ne sont que représentations de mouvements. Le lecteur kr'tntiste réticent à ce genre d'exercice pourra jouer au jeu chinois de la métaphore en répondant à la question suivante : si le rock 'n' roll est un art que représente-t-il ?

    0

    Léa Ciari se définit comme artiste plasticienne. Soyons plus précis, peinture, photo, vidéo, musique. Je l'ai entendue interpréter divinement les Gnossiennes d'Eric Satie. Non elle n'est pas spécialement rock 'n' roll, serait plutôt jazz, l'aime aussi jouer et chanter au piano les vieilles rengaines populaires d'Italie et d'ailleurs, mais dans cette chronique je n'évoquerai en rien cet aspect musical. Me contenterai d'explorer une partie de sa production graphique, ce dernier mot est assez approximatif, mais je n'en connais pas d'autre qui me satisfasse. L'expression '' arts plastiques'' ne me plaît guère, ressemble un peu trop à celle de '' sandwichs composés '' qui contiennent on ne sait trop quoi. Je préfèrerais employer les termes d'arts synesthésiques qui ouvrent à l'idée de plusieurs arts ou moyens d'expression emmêlés, nous entrons là en des ratiocinations superfétatoires quant à ce qui suit.

    Le lecteur intéressé trouvera sur son FB nombre de photos de ses représentations picturales et photographiques, notamment la série de 81 éléments intitulée Dance.

    QUAND LEA CIARI DANSE

    1

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    Blanc acrylique sur fond noir. Cette esquisse n'est pas sans évoquer une certaine idée de la nudité. Juste suggérée par l'échancrure des corsages. Le flou rapide des vêtements n'empêche pas la netteté des formes. S'en dégage non pas la prégnance du groupe mais l'idée de la force. Elles dansent, fixées dans leur immobilité, elles ne vieilliront plus, le pinceau de Léa Ciari les a arrachées de leur danse, les a immortalisées dans un bref instant de papier, les a détachées d'elles-mêmes, leur a permis d'échapper à la vie vivante du temps qui passe et qui déjà n'est plus.

    2

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    C'est un peu comme si l'on repassait un film à l'envers. Cette photographie précède la vue précédente. Représente-t-elle la réalité d'un spectacle, disons qu'elle est déjà la réalité travestie par le regard et le travail de la photographe. Nous ne croyons pas à une simple prise de vue objective. L'art est un traficotartge. L'on n'expose pas, l'on impose. Que font ces femmes ? Vers quoi tournent-elles leurs regards ? Implorent-elles ? Sont-elles Les Suppliantes d'Eschyle ? A vrai dire l'on s'en moque, elles sont la représentation de quelque chose dont on ignore tout, si ce n'est cet aperçu que Léa Ciari daigne nous montrer.

    3

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    L'on ne sait pas davantage, mais l'on sait mieux. Léa Ciari a rajouté du rouge. Un nuage de sang sur le mur décrépit du haut. Voici nos danseuses comme arrosées de cette rosée sanglante qui teint leur vêtement. Ne serait-ce pas une lumière ensoleillante qui les éclaire et leur distribue en partage l'orange de l' espérance. L'image est terriblement ambigüe. L'artiste se joue de nous. Nous sommes la plaque sensible, à moitié positive, à moitié négative, le verre d'eau à moitié rempli de nos impressions. Cédons-nous aux vertiges de l'interprétation, la photographe s'amusera-t-elle à varier les couleurs pour juger des effets des différentes teintes. Qui mène la danse, l'artiste, la technologie ou le hasard ?

    4

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    Acrylique manifestement inspiré de la série précédente, trois danseuses isolées du groupe, toujours cette impression de femmes d'Afrique qui baissent en s'accroupissant très légèrement leur centre de gravité ce qui leur permet de soutenir sur leur tête de lourdes charges, autant sur les trois premières images l'on pensait à un ballet classique mis en scène d'une façon moderne, autant maintenant l'on est convaincu qu'il s'agit de danse contemporaine. Le rouge a perdu toute référence sanguine, il recouvre le mur, comme si l'on dansait devant le rideau, quant à nos trois danseuses leurs visages arborent le look des joyeuses commères shakespeariennes, nous tutoyions le drame antique, nous voici dans la réalité humaine quotidienne. Quasi aristophanesque. Avec de mêmes lettres vous composerez des histoires différentes, le peintre évoque autres spectacles du monde en usant des mêmes formes, des mêmes couleurs.

    5

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    Elles étaient trois, elles sont deux. Acrylique. Pure, serais-je tenté d'écrire, couleurs et motif. L'on n'est pas loin des Danseuses de Degas et pourtant à cent mille lieues. Cela ressemble à une ébauche. Ce qui est très bien. Hélas, cela ressemble encore plus à notre monde, qui se déglingue. Ce qui est beaucoup plus inquiétant. Trop fragile, trop hâtif, des essais de mouvements qui ne respirent pas la beauté, trop humbles, trop maladroits. Des filles honteuses qui n'osent pas nous regarder en face. Léa Ciari accompagne ce chef-d'œuvre d'une citation de Pina Baush qui déclare que le mouvement de la danse commence quand les mots se taisent et quand le geste isolé s'arrête. Notons le défi relevé par Léa Ciari, sûr que sur un tableau le mouvement est stoppé, figé en son élan, que le peintre ne peut rivaliser avec le danseur, mais la danse est un acte fugace qui meurt dès qu'elle cesse, alors que la peinture reste en elle-même en son fragment stabilisé de mosaïque mouvante. Si je devais qualifier ceci j'inventerais le terme d'art-post, non pas celui qui continue ce qu'il y a eu avant, mais qui arrive après tout ce qui a précédé. Il ne lui reste plus rien à signifier, sinon que nous sommes au bord de l'abîme. Est-ce un hasard si une des œuvres suivantes s'intitule : Danser jusque sur le bord des abîmes.

    6

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    Si la peinture est l'art qui reste, que reste-t-il dans cette acrylique. Nous et notre représentation du passé. Un simili de fresque sur un mur blanc desquamé de son vert-empire. Qui fut encadré d'un rouge pompéien aujourd'hui bien terni, au premier plan,une singerie peu héroïque de l'Héraklès de Bourdelle et une Vénus au bain pas assez dénudée, derrière des ombres, ce ne sont pas les âmes des morts ensevelis sous les cendres du Vésuve, mais nous-mêmes, nous les contemporains, réduits à des masses indistinctes, des curieux sans entrain, des touristes désabusés, qui nous penchons sur les représentations d'avant-temps, que nous regardons avec les filtres de notre impuissance à vivre pleinement. Une toile qui nous dit que notre monde a perdu ses dieux, ses héros, et que ses couleurs s'estompent.

    7

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    Nous ne sommes plus sur la photo, nous sommes sur le plateau. Les danseurs se débrouillent mieux sans nous. Notre regard ne les amoindrit pas. Ils ne miment plus notre atonie, mais la vie. La photo a cet avantage de saisir le vivant sur le vif, alors que le pinceau reconstitue la construction mentale du peintre par laquelle il s'est emparé en premier temps du monde suite à laquelle il la retransmet à celui qui regarde son œuvre. Un jeu de miroirs brouillés, les choses ne nous parviennent que par une vitre ici comme opacifiée, rayée, salie à dessein, toute illuminée d'une pluie d'orangeade bienfaisante, qui redonne à ses acteurs l'énergie et la joie de vivre. Les œuvres de Léa Ciari sont à regarder comme des triptyques mentaux. La chose s'efface devant sa représentation pour mieux culminer en elle-même, en autre-même selon le guetteur obstiné à l'affût de quelque chose qui n'est plus mais qui subsiste.

    8

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    La danse est-elle une renaissance. Le geste de l'artiste est-il une remémoration d'instants perdus. La vision du spectateur des retrouvailles avec une antériorité souveraine. Une vue d'un ballet actuel, des danseuses aux gestes qui miment l'antique, sans doute existe-t-il une éducation commune à tous, une espèce de padeïa grecque de nos représentations historiales, qui surgit à tout instant et s'intercale dans les interstices de toute présence au monde. Il n'est pas besoin de visiter les galeries pour apprendre à peindre ou à photographier, la réalité s'impose à nous, pas celle qui s'étale devant, celle qui resurgit de l'oublieuse mémoire, Platon traite de cela dans le Sophiste en devisant du travail de l'artisan, sa démonstration s'applique aussi à l'artiste, cet artisan de l'art-tison, la flamme qui dévore les chairs humaines d'Achille pour frayer un chemin à sa part immortelle.

    9

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    Tribute to Pina Baush, acrylique sur papier. Et si l'on posait la question béotienne par excellence. Qu'est-ce que cela représente ? Elémentaire cher Watson. D'abord surtout pas deux danseuses qui dansent. Ce serait trop simple. D'ailleurs sont-elles vraiment deux. La forme toute jaune, ne serait-elle pas la codification figurative de la position qu'occupait à la seconde antérieure la seule danseuse vraiment représentée. L'espace, le lieu qu'elle vient de quitter, admettons cher Cherlock, n'est-ce pas chercher midi à quatorze heures, que vouloir symboliser l'endroit que notre corps vient de quitter ? Je le concède volontiers cher Watson, l'on pourrait imaginer une longue file de fantômes destinés à indiquer toute sa progression sur des kilomètres de marche, mais le sujet du tableau n'est pas la marche. Regardez les deux mains pointées sur les seins, et cet espace de peau nue dévoilée par la tunique, ces deux jambes légèrement repliées, et ce regard vers le haut, non Léa Ciari n'a pas peint la marche, mais l'instant fatidique où la danseuse s'arrache à l'attraction terrestre, c'est à un envol que nous assistons. Apprenons à regarder non la réalité montrée mais l'intention suggérée.

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    Regardez cette photographie. Dans les marges Léa Ciari a inscrit une phrase de Paul Valéry ( l'ami de Rilke a beaucoup écrit sur la danse ) : '' Il faut être léger comme l'oiseau et non comme la plume '' la plume n'a aucun mérite le vent l'emporte, la danseuse tout comme l'oiseau doit s'arracher au sol, regardez celle-ci, fagotée dans sa robe telle une lourde futaille cerclée de fer, seule sa cambrure révèle son envol, et bien plus que son envol son désir, désir de femme et désir d'envol, n'en forment plus qu'un, avez-vous pensé à l'érotisme véhiculé par la danse. Dans la série vous trouverez des couples enlacés, le bal du 14 juillet si vous voulez, ce ne sont-là que reconstitution naïve de l'idée du désir qui vole de l'un à l'autre. Ici la danseuse n'appartient à personne, elle se s' appartient même plus, elle n'est que désir d'envol, et si elle s'envolait, pour parodier Rilke, quel ange voudrait bien danser avec elle ?

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    La réponse est ici. Aucun, si le danseur est habité par le mythe de Narcisse, spectateurs regardez-moi, puisque je ne peux me voir, vous serez mon miroir. L'intérêt d'un peintre ou d'un photographe pour la danse réside en cet attrait de représenter non pas le danseur, mais la représentation de lui-même que le danseur ne voit pas. De figurer le mouvement par une image statique. Mais la danse emprunte aussi au mythe d' Icare que nous résumerons par les expressions consacrées, plus dure sera la chute, qui trop étreint mal embrasse, dès que l'on s'arrache à l'air dans le but d'évoluer dans l'éther, l'échec est sans appel. Cette photographie en est la représentation la plus frappante. L'on n'empiète pas dans le domaine des Dieux, sans dommage. Corps blanc étendu devant une muraille de pourpre.

    12

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    Puisque la photographie et le pinceau ne suffisent pas, ne faudrait-il pas faire appel à un troisième art. Celui de la statuaire. Certes les statues des Dieux ne sont pas des Dieux, mais les statues des danseurs restent des danseurs. La pétrification n'abolit pas tout à fait la chair. Ces Cariatides ne soutiennent pas le ciel, elles sont fixés au sol, sont des guerriers, des guerrières qui restent debout, l'échec les tue mais elles restent en vie, elles barrent l'espace, elles le délimitent, elles séparent le monde du possible de celui de l'impossible, elles sont des bornes dressées à la gloire de toute démesure humaine.

    13

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    Certains n'y croient pas. Ils espèrent encore en la lutte avec l'ange. Ils n'ont pas compris que l'on est toujours seul, que l'ange n'est que nous-même. Nous brassons l'air. Nous gesticulons d'invraisemblables mouvements, nous saisissons à bras le corps le vide qui nous entoure, nous donnons des coups de pied au néant. La danse est un sport de combat. Le danseur ne se bat que contre lui-même, par la décomposition des mouvements, toujours cette zénonienne fragmentation cruelle de l'espace que l'on occupe mais que l'on ne saurait franchir d'un centimètre, Léa Ciari dénonce l'apparence de la réalité, nous bougeons davantage dans notre tête que nous ne traversons la fragmence mosaïcale du monde. Le danseur glisse sur l'illusion de sa propre victoire.

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    Qu'est-ce ? Un corps morcelé. Mangé, bouffé, récuré jusqu'à l'os, creusé jusqu'au vide. L'on connaît l'ogresse : la danse. Celle qui se confronte à la danse, n'en ressort pas entière. Elle est le risque total. Elle sculpte le corps, elle massacre à la tronçonneuse. Elle pulvérise sa propre représentation, tout ce qu'elle touche, elle le tord, elle le détruit, elle presse les chairs comme une éponge pour en extraire le suc de ces gestes de toute beauté qui nous stupéfient. Mais encore debout. Chevalier sous sa cotte de maille. Prêt à recommencer le combat. Écuyère en équilibre sur une jambe, bras absents, Galatée sans cesse renaissante de son immobilité première, nous tourne le dos pour mieux s'affronter au monstre invisible de sa volonté.

    15

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    Si vous estimez que Léa Ciari peint la danse comme au cirque vous filmez l'acrobate en haut du chapiteau en espérant secrètement qu'il tombe, vous vous trompez. Léa Ciari au travers des autres ne peint et ne photographie que soi. Cet autoportrait le prouve. La voici désir de son propre reflet. Elle n'est pas la danseuse qui déchire l'espace, elle traverse le mur qui le circonscrit, de tous ses clichés retravaillés, réajustés à sa vision, de tous ses pinceaux, elle n'a fait que donner l'illusion de coller des aplats graphiques sur la muraille mouvante et amphionesque de la danse, dans le désir illimité de l'arrêter en plein vol avant qu'elle ne s'écrasât au sol, elle était de l'autre côté, cela ne lui suffisait pas, elle surgit dans le ballet, karatéka métaphysique elle brise la dialectique des briques pour se fondre à son désir physique, qui danse et palpite sur ses feuilles de papier. Et nous regarde. Sans nous voir.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    UNE TENEBREUSE AFFAIRE

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    EPISODE 11

    FIN DE SOIREE

    Le Chef referma placidement la porte. Il ne paraissait guère inquiet. Molossa et Molossito s'extrayèrent de dessous leur coussin et agitant leur appendice caudal s'en vinrent gratter l'huis que le Chef venait de fermer.

    _ Quelles bêtes intelligentes ! Elles ont préféré se coucher que d'ouvrir à un simili fantôme – il prit le temps d'allumer un nouveau Coronado – regardez, je rouvre et qui rentre ?

    C'était Rouky, tout heureux de retrouver ses copains qui lui firent fête. Le Chef caressa la tête du Golden :

    _ L'a dû s'ennuyer terriblement avec son handicapé, l'est prêt à suivre n'importe qui, n'est-ce pas Agent Chad, où n'importe quoi, par exemple cette espèce de baudruche ectoplasmique qui nous apporte un message qui n'en est pas un... nous découvrirons bien un jour ce qui se cache derrière cette étrange manigance, concentrons-nous sur le fantôme de Charlie Watts, une fois que nous l'aurons coincé, l'aura des renseignements à nous fournir nettement plus intéressants qu'une feuille blanche. Il se fait tard, il est temps de dormir, demain nous partons en chasse.

    REVEIL MATINAL

    Le reste de la nuit s'écoula paisiblement, quoique la vérité historique m'oblige à rapporter que le début en fut kaotisé par de nombreux ébats sur lesquels je ne m'étendrai pas, que voulez-vous la nuit tout.e.s les chat.e.s sont gris.e.s, le lecteur aura remarqué ce premier essai d'écriture inclusive. Me suis réveillé de bonne heure. Alors que je m'étirai une idée philanthropique me traversa l'esprit. L'on est toujours trop bon, j'ignorais alors quelle catastrophe elle allait déclencher, si j'avais su je serais resté couché. En fait j'en doute, le métier d'agent secret n'est-il pas d'affronter le danger si grand soit-il. Je vous laisse méditer... Ce n'était pas très original, j'avais décidé de ramener des croissants pour les dormeurs.

    MATINEE CHANCEUSE

    De la boutique s'exhalaient d'appétissants effluves, derrière son comptoir la boulangère souriait :

    _ Bonjour Madame, je voudrais soixante croissants.

    _ Oh ! Oh ! Monsieur a une grosse faim, à moins que Monsieur ne soit directeur de colonie de vacances !

    _ Pas du tout, nous sommes six, avec trois chiens, en comptant six viennoiseries par individu, nous en sommes à cinquante-quatre, j'arrondis à soixante car je déteste mégoter !

      • Oh ! Oh ! Monsieur et ses amis ont de l'appétit, je ne peux que vous féliciter, ces six croissants supplémentaires trouveront bien acquéreur, j'en suis certaine, n'est-ce pas Monsieur Neil !

      • Je l'affirme Madame Gisèle, je me porte volontaire !

    Quelle ne fut pas ma surprise lorsque je me retournais pour dévisager le client derrière moi qui se proposait de participer à la sainte table du petit déjeuner, je le reconnus immédiatement. Portait les mêmes cheveux longs et le même T-shirt Neil Young qu'à notre première rencontre. Pendant que Madame Gisèle s'affairait dans l'arrière-boutique pour empaqueter mon maigre en-cas matutinal, Neil s'approcha de moi et me souffla dans l'oreille droite :

    _ Je suis sûr que vous ne me croirez pas, j'ai revu Charlie Watts !

    PETIT DEJE INSTRUCTIF

    Nous nous assîmes dans le premier troquet

      • Cher Neil, puisque vous me faites l'honneur de bien vouloir terminer ces six croissants en trop, permettez-moi de vous offrir quelques bols de café afin de les accompagner.

    Le gaillard ne refusa pas. Pendant un long moment il ne dit pas un mot, trop occupé à engloutir sa nourriture. Ensuite nous échangeâmes des banalités sur le temps, l'ingratitude humaine, la beauté de Madame Gisèle, et la recette de la soupe au pistou. Je ne ferai pas languir davantage le lecteur, j'en viens tout de suite à la partie de notre si philosophique conversation qui vous intéresse :

    _ Avez-vous deviné ce que je fais dans la vie, il n'attendit pas ma réponse, je suis guitariste, tous les jours je donne un concert au pied de la Tour Eiffel, devant des centaines de personnes, le public est si enthousiaste qu'au bout d'une demi-heure, la police est obligée de m'exfiltrer, je ne me plains pas, que voulez-vous, c'est le lot quotidien des rockstars poursuivis par des fans en furie.

    _ Je suppose que vous chantez du Neil Young !

    _ Exactement, je commence tous les après-midi à cinq heures tapantes, venez me voir ce soir, vous ne serez pas seul, ne croyez pas que j'extravague ou que je me vante, à chaque fois Charlie Watts s'arrête quelques minutes, puis il me quitte sur un dernier petit signe de la main, un gars vraiment sympathique, il n'est pas obligé, enfin, nous sommes tout de même collègue en quelque sorte !

    _ Oui mais vous vous êtes vivant, et lui il est mort !

    _ Mort ou vivant il sait reconnaître la bonne musique, Charlie Watts un connaisseur, je le suivrais bien, je n'ose pas, j'essaie de voir quelle direction il prend, ce n'est jamais la même !

    LES GRANDES DECISIONS

    Mes croissants n'eurent aucun succès. Les chiens se sacrifièrent. Le Chef alluma un Coronado et prit les décisions qui s'imposaient :

    _ Quatre heures tout le monde sous la Tour Eiffel. Joël posté sous le pilier nord. Noémie pilier Sud. Françoise pilier Est. Je me charge du pilier Ouest. Framboise au plus près de notre guitariste, Agent Chad pour vous récompenser de votre renseignement, vous serez chargé de la mission la plus délicate, vous volez une ambulance et vous vous arrêtez sur le boulevard juste devant la Tour Eiffel, c'est interdit, toutefois la police n'osera rien dire, dès que vous verrez Charlie Watts s'éloigner, descendez du véhicule et prenez-le en chasse discrètement. Quant à vous les chiens, cachez-vous, je ne veux pas vous voir, accrochez-vous un touriste anodin, dès que Charlie Watts s'éloignera vous suivrez de loin l'Agent Chad, nous vous suivrons à vous, si l'Agent Chad a besoin d'aide, deux d'entre vous se porteront à ses côtés et un troisième retournera sur ses pattes pour nous avertir de presser le pas. Vous avez tous compris.

    _ Oui Chef, bien Chef !

    _ Ouah ! Ouah ! Ouah!

    LE GRAIN DE SABLE

    A quatre heures nous étions tous à notre poste. J'avais garé l'ambulance de telle sorte que je pouvais voir mes camarades jouer les touristes, l'air de rien. A cinq heures moins cinq je reconnus la silhouette de Neil, outre ses cheveux et son T-shirt il portait sa guitare, un pliant et petit ampli. Ils s'installa et commença à jouer. Les gens passaient devant lui sans s'arrêter. Devait toutefois être content puisqu'une jeune fille décida d'assister à son set. Molossa avait fait la conquête d'une vieille grand-mère qui le caressait en lui racontant ses malheurs. Molossito dragua ostensiblement une petite fille qui n'hésita pas sous l'œil attendri de ses parents à partager sa barbe à papa avec lui.

    Brutalement je le vis ! Joël avait agité un chapeau dont il avait pris soin de se munir. De derrière le pilier Nord surgit Charlie Watts. Il était seul et se dirigeait vers Neil. Jusque-là tout allait bien. Mon cœur s'arrêta de battre. Rouky manquait d'entraînement. Il avait mal interprété la consigne. Il s'extirpa de dessous d'une voiture de police et se mit à suivre un touriste. Sauf qu'il se colla aux basques de Charlie Watts et ne le quitta plus d'une semelle ! Charlie n'en parut pas dérangé. Il se retourna et lui gratta la tête. Le batteur des Stones s'arrêta devant Neil durant une dizaine de minutes, Rouky s'assit bravement à ses côtés. Quand Charlie adressa de sa main un signe d'au revoir à Neil Rouky lui emboîta le pas comme s'il était son maître...

    Cela ne me disait rien de bon, mais je descendis de l'ambulance et débutai ma filature. Assez facile à ses débuts. Charlie se dirigeait ostensiblement vers le passage clouté, je devinai qu'il allait emprunter le Pont Alexandre III. Il me précédait d'une trentaine de mètres. Il avait déjà parcouru la moitié du pont lorsqu'il s'arrêta. De l'air désinvolte d'un curieux il semblait admirer la Seine. Tout se passa très vite. Brusquement Charlie Watts se baissa prit Rouky dans ses bras, franchit d'un bond léger le parapet et se jeta dans le vide. Ce fut si rapide que personne ne s'en aperçut.

    _ Jamais entendu parler d'un fantôme qui se suicide, pensai-je !

    J'avais affaire à un mort qui n'était visité par aucune idée morbide. L'avait sauté dans une péniche, cale ouverte, chargée de sable, il courait joyeusement me semblait-il sur ce désert artificiel poursuivi par Rouky qui s'amusait à se glisser entre ses jambes...

    Une truffe humide se posa sur mon mollet. Moossa ! Au bout du pont j'entendis les aboiements perçants de Molossito, braves bêtes, je le rejoignis en courant. Tous trois nous dégringolâmes la pente qui donnait sur les quais, des coups de feu claquèrent derrière nous, une ambulance nous dépassa toutes sirènes hurlantes, Joël semblait avoir perdu le contrôle du véhicule, les gens s'enfuyaient de tous côtés en hurlant, le Chef abattait systématiquement les maladroits qui ne s'écartaient pas assez vite pour qu'ils ne soient pas écrasés par la voiture. Les filles descendirent toutes pâles du véhicule, ses deux roues-avant engagées au-dessus de la Seine. Le Chef prit le temps d'allumer un Coronado :

      • Agent Chad, nous arrivons à temps pour la croisière, ne vous inquiétez pas si vous n'avez pas votre billet !

    A suivre...