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isaac hayes

  • CHRONIQUES DE POURPRE 687 : KR'TNT ! 687 : DOUM DOUM LOVERS / DEAN WAREHAM / TERRY MANNING / ISAAC HAYES / DARRELL BANKS / LITTLE RICHARD / TELESTERION / CONIFER BEARD

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 687

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    24 / 04 / 2025

     

    DOUM DOUM LOVERS / DEAN WAREHAM

    TERRY MANNNING / ISAAC HAYES

    DARREL BANKS / LITTLE RICHARD  

     TELESTERION / CONIFER BEARD

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 687

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock

    - Doum Doum Doum Doum

    (Part Two)

             L’avenir du rock boit un coup au bar. Boule et Bill déboulent.

             — Ça va, avenir du frock ? T’as la trique ?

             — Da da !

             — Tu parles allemand, maintenant ? Tu sais bien qu’on peut pas schmoquer les boches... C’est pour nous provoquer, dis ?

             — Di di !

             — Dis-voir Boule... Franchement, t’as déjà vu un mec aussi con que l’avenir du toc ?

             Boule ricane un coup et lance :

             — Ah tu peux dire qu’y bat tous les r’cords, c’t’av’nir de mes deux... Sur la tête de ma mère, y a pas pire locdu ! C’est-y pas vrai, av’nir de mes couilles, qu’t’es un locdu ?

             Bill ajoute aussi sec :

             — Tiens j’te parie qu’y va t’répondre ‘du du’ !

             En plein dans le mille...

             — Du du !

             — Y nous prend vraiment pour des bidons !

             — Don don !

             — À part sortir ses petites conneries à la mormoille, y sait rien faire d’aut’ !

             — J’te parie qu’y va nous brancher sur les Dum Dum Boys et des Doum Doum Lovers... Tu vois pas qu’y prépare le terrain ?

             — Alors av’nir du kraut, t’en connais d’autres des Lovers machin ?

             — Everly Lovers !

     

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             Un an après un premier concert dans l’Eure, tu retrouves les Doum Doum Lovers sur scène dans la salle des fêtes du trou du cul du monde, quelque part dans l’Eure. T’en reviens pas de voir un groupe aussi bon se produire si loin de la civilisation. Et du coup, t’en conclus que c’est tant mieux. L’underground est sain et sauf, il respire le bon air de la campagne. T’es tout de suite frappé par l’énergie des Doum Doum. Non seulement elle est restée intacte, mais elle a prospéré. Kinou bat de plus en plus sec et net, et Jean-Jean rocke le boat comme Popeye the sailor. À deux, ils restituent l’extraordinaire exubérance du rock sixties - le temps de l’innocence - ils remettent du rose aux joues de cette vieille mythologie éculée par tant d’abus, ils redonnent du sens à la nostalgie, mais avec un punch qui en dit long sur la pureté de leurs intentions. S’il fallait les résumer en deux mots, ce serait fraîcheur de ton et brio. Leur set passe comme une lettre à la poste : pas de temps morts, rien que du bon flux. Cette incroyable fluidité est un modèle du genre.

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             Alors attention, il y a une petite nouveauté : ils viennent d’enregistrer Doum Doum Covers/ Subtle Songs For Lovers qui, comme son nom l’indique, est un album de covers, et pas des moindres. Ils commencent par taper le «Primitive» des Groupies dans leur premier tiers de set, et ça prend aussitôt des proportions considérables, car Jean-Jean le travaille bien au corps, il en fait jaillir la moelle, il en écrase bien les syllabes, et pendant qu’il gratte ses poux, tu grattes tes puces, car ça sent bon le fond de la caverne et les Cramps. Te voilà sur orbite. Tu vas encore valdinguer avec une superbe cover du «Five Years Ahead Of My Time» des Third Bardo, un autre sommet du genre, repris entre autres par Monster Magnet, les

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    Nomads et bien sûr les early Cramps. La version des Doum Doum est assez monstrueuse, Jean-Jean ramène les basses du diable sur sa gratte, il donne au Five Years une profondeur de champ jusque-là inégalée et prend son pied à jouer le thème dans l’épaisseur du son. Sa version vaut largement les trois pré-citées. Il enchaîne avec un autre killer-track, le «Trip» de Kim Fowley, et là, pareil, il te laisse comme deux ronds de flan, car il rappe comme Kim, sur le plus monstrueux des beats sixties, il te stompe ça vite fait bien fait. Non seulement le choix de covers est imbattable, mais le rendu vaut tout l’Or du Rhin, il passe chaque fois en force sans forcer, c’est quasiment un tour de passe-passe. Du pur Houdinisme ! Rien n’est plus

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    génial qu’une reprise bien sentie. T’as le cut et l’argent du cut. À deux, parviennent à défoncer la rondelle des annales, avec cette incroyable fraîcheur de ton qui les caractérise. Ils tapent encore le «Do You Love Me» des Contours, produit à l’aube des temps par Berry Gordy, une petite furibarderie qu’on aurait tendance à confondre avec celles des Isley Brothers. Ce démon de Jean-Jean passe en mode heavy blues pour taper l’«How Long Blues» de Leroy Carr et sort pour l’occasion un son de basse sur la gratte qui rappelle le son qu’avait Dave Edmunds au temps d’«I Hear You Knocking», ce son bien sourd qui t’entre aussitôt sous la peau. Ils

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    continuent de taper dans l’haut de gamme avec la version française de «Bird Doggin’», celle de Noel Deschamps, «Pour Le Pied», rebaptisée ici «Pour Le Fun». Kinou l’attaque de front, sur un ton mal intentionné et redonne vie à ce vieux hit entré en fanfare dans la légende. 

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             Petit conseil d’ami : saute sur les Doum Doum Covers, Subtle Songs For Lovers. Cet album entre dans la caste des très grands albums de covers. Tu veux des noms ? Cliff Bennett & The Rebel Rousers et Got To Get You Into My Life, Master’s Apprentices et Apprenticeship In The Garage 1966, Milkshakes et 20 Rock’n’Roll Hits Of The 50’s & The 60’s, Lazy Cowgirls et Radio Cowgirls, Mono Men et 10 Cool Ones, Melvins et Everybody Loves Sausages, Liverbirds et From Merseyside To Hamburg, The Memphis Blues Cream et 706 Union Avenue, Raveonettes et Sing, Robyn Hitchcock et 1967 Vacation In The Past, Junior Parker et Love Ain’t Nothin But A Business Goin’ On, Headcoats et Brother Is Dead But Fly Is Gone, Dirty Deep et A Wheel In The Grave EP, pour n’en citer que quelque-uns. On ne parle même pas des grands adorateurs du Velvet (Galaxie 500, Feelies, Subsonics), de Dylan (William Loveday Intention, aka Wild Billy Childish) ou des Stooges (Union Carbide Production ou encore Sour Jazz). Voilà dans quoi sont entrés les Doum Doum Lovers avec Doum Doum Covers. Ils t’en donnent un avant-goût sur scène, mais sur disque c’est encore pire. T’es tanké dès l’«Her Big Man» des Brigands. Fabuleuse rockalama, ampleur immédiate. Le drive est un modèle du genre. Et ça continue comme ça sur 13 autres cuts triés sur le volet. Ils tapent tous les deux dans l’un des fleurons de la crème de la crème, «A Question Of Temperature» des Balloon Farm, Kinou attaque ça au jungle beat et le Balloon prend tout de suite une fière allure. Le son est plein comme un œuf. Il faut les voir se jeter dans la bataille de la Temperature ! T’es vite frappé par la profondeur insolite des basses. Jean-Jean chante son «Nobody Knows You» à la Kim Fowley, un Kim qu’on retrouve à la fin avec «The Trip», Jean-Jean taille bien sa route sur un heavy beat surchargé de testo, il pousse bien le Kim dans ses retranchements, t’assistes à une fantastique foire d’empoigne. L’album va plus loin que le set : qualité ahurissante de l’écho et des basses, et ça cuivre à outrance. On se croirait revenu au temps où Chris Bailey ramenait des cuivres dans les Saints, ça prend un relief hallucinant. Ce Doum Doum Covers est un vrai coffre de pirate chargé de trésors : Jean-Jean rocke le beat du vieux «How Long Blues» de Leroy Carr et Kinou attaque sa cover de «Bird Doggin’» avec une belle violence salutaire : elle passe par Noel Deschamps et c’est cuivré de frais. Ils jouent l’«I’m Going All The Way» des Squires à bout de souffle, c’est gratté et battu à la hussarde, avec une énergie considérable et un brouet d’acou, et soudain, Jean-Jean siffle. Il re-siffle sur l’«1-25» des Haunted et ça prend un volume extravagant. T’as un solo de sax dans le «Do You Love Me» des Contours et il tape le «Primitive» des Groupies au heavy groove de basse. Kinou ramène tout le ramdam des sixties dans «La Machine», un vieux hit de Dani, et ça repart en mode stoogy pour le «Why» des Dirty Wurds. Jean-Jean nous dira après le concert qu’il tire ses covers des Peebles. Et puis bien sûr, tu retrouves le puissant «Five Years Ahead Of My Time» qui reste le cut chouchou de tous les becs fins. Cui cui !

    Signé : Cazengler, Dumb Dumb Loser

    Doum Doum Lovers. Saint-Léger-de-Rôtes (27). 6 avril 2025

    Doum Doum Covers. Subtle Songs For Lovers.

    L’avenir du rock - Doum Doum Doum Doum (Part Two)

     

    Wizards & True Stars

     - Wareham câline

     (Part One)

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             Non, Dean Wareham ne sort pas d’une (divine) chanson de Michel Polnareff, mais c’est tout comme. Dean Wareham fait partie des êtres visités par la grâce - Pour la vi-iie/ Ou peut-être plus/ Pour la vi-iie/ Ou peut-être moins - L’association Polna/Real Dean est assez automatique. Encore un titre de rubrique qu’il n’est au fond pas besoin de justifier.

             Dean Wareham est le real Dean. Et ce dès Galaxie 500, dès Luna et dès Dean & Britta. Galaxie 500, c’est une galaxie de 5 albums qui te font tourner la tête, car leur manège à toi c’est eux, et l’ouverture de ce Bal des Laze se fait avec l’aujourd’hui de toujours, Today.

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             Today éclot aussitôt avec «Flowers» et son attaque saignante de clairette transfigurée. Et t’as cette basse azimutée qui entre dans le son, c’est quelque chose ! De toute évidence, ils cultivent l’excellence, le Velvet Spirit, t’as aussitôt les dynamiques, c’est complètement extravagant de classe et de puissance. L’autre coup de génie de cet album s’appelle «Tugboat», un Tugboat fabuleusement monté en neige, ça ne pardonne pas. Le real Dean développe son petit biz, c’est un spécialiste de la montée en neige, et avec lui ça va vite, il te gratte tout ça en note à note inflammatoire et te fout l’Ararat en rut. Il développe encore son biz dans «King Of Spain», avec des syllabes élastiques et sa clairette doucereuse. Dans «Crazy», tu le vois cavaler ventre à terre à travers la plaine, en toute allégresse. Il peut se montrer très échevelé, et bien sûr, il joue la carte de la surenchère. Il gratte encore des poux divins dans «Pictures» et dans «Parking Lot», il y coule même une rivière de diamants. Il navigue au même niveau que Tom Verlaine, voilà, c’est pas compliqué. Le temps d’un cut comme «Don’t Let Your Youth Go To Waste», il devient le roi de la pop de velours et il entre au chant comme le ferait Nico. Il déverse encore des flots de clairette pure dans l’effarant «Temperature’s Rising», et ça monte comme la marée. Alors le real Dean s’en va jouer sa belle explosion finale. Il nous fait le coup quasiment à chaque fois.

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             L’idéal est de croiser les écoutes et les ré-écoutes avec la lecture d’une bien belle autobio, Black Postcards: A Memoir. Le real Dean s’y confesse avec un réel talent d’écrivain. L’homme est complet. On est en sécurité. T’as dans les pattes un Penguin book de 300 pages, composé en corps 10 mais bien interligné, ça va, tu ne t’esquintes pas trop les yeux. Le real Dean raconte essentiellement sa vie en tournée, et c’est passionnant, car il promène sur le monde un regard curieux et bien rock, il ne nous épargne rien des vans et des hôtels, aussi bien aux États-Unis qu’en Europe. Et bien sûr, il rencontre tous les gens intéressants, depuis Kramer jusqu’à Sonic Boom, en passant par Dave Berman, le mec des Silver Jews.

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             Il a quatre ans quand il subit son premier choc esthétique avec le «Georgy Girls» des Seekers, qui en Nouvelle Zélande étaient aussi énormes que le Beatles. Il les compare à Chad & Jeremy et aux Mamas & The Papas - Si nous passons toute notre vie à essayer de retrouver la magie de l’enfance, alors j’ai passé la mienne à essayer de recréer ce que j’ai éprouvé à l’écoute de «Georgy Girl», un mélange de beauté, de tristesse et d’extase - Et là tu sens l’écrivain, car en trois mots, il définit l’art des Galax. Il se souvient aussi que son père avait ramené à la maison l’Here Comes The Sun de Nina Simone, où se trouve ce qui reste selon lui la meilleure version de «My Way». Petit, il avait aussi flashé sur le Cocker’s Happy de Joe Cocker, où se trouve la fameuse cover de «With A Little Help From My Friends» - which he did far better than the Beatles - Il salue aussi les «Elvis’s live performances from the 1970s as some of the greatest recordings of the era. Les critiques se moquaient du King bouffi, mais qui avait un meilleur groupe en 1973 ? David Bowie ? I don’t think so. Les Rolling Stones ? Ils étaient bons, mais Get Yer Ya-Ya’s Out ne vaut pas That’s The Way It Is, un album live d’Elvis enregistré à Vegas et Nashville.» La famille Wareham quitte la Nouvelle Zélande pour l’Australie, puis en 1977, part s’installer à New York. Le real Dean a 14 ans. Il va acheter ses disques chez King Karol Records, 85e rue et 3e avenue, où bosse Bryan Gregory from the Cramps. Puis il découvre via son frère Anthony les Modern Lovers, Magazine, puis les Feelies, dont il qualifie le Crazy Rhythms de perfect record. Au lycée, il se passionne pour la philo, et cite Platon, David Hume et Bertrand Russell. Puis en cours d’Allemand, il flashe sur Bertol Bretch et Erwin Piscator. Il prend quatre cours de guitare, assez, dit-il pour apprendre quelques gammes pentatoniques lui permettant le soloing. Il flashe aussi sur le Paisly Underground, et notamment le Sixteen Tambourines de The Salvation Army, The Days Of Wine & Roses du Dream Syndicate et le Third Rail Power Trip de Rain Parade, le groupe de David Roback. Le real Dean a de bonnes bases. 

             Un jour, il flashe sur a «beautiful old car - a Galaxie 500.» Et hop c’est parti.

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             Dans Mojo, Roy Wilkinson claque six pages galactiques. Il chapôte en qualifiant les Galax de «neo-psychedelic jewel of late ‘80s American indie rock», grands amateurs des «two-chord beatitudes of the Velvet Underground». Le real Dean se dit bien sûr fan du Velvet. Avec Luna, il a joué en première partie du Velvet lors de la tournée de reformation. Et selon Wilkinson, les Galax sont devenus l’«archetypal cult band».

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             Les Galax se sont rencontrés à l’école, on Manhattan’s Upper East Side. Damon Kurkowski & Naomi Yang sont des «grad students at Harvard.» Comme Damon, le real Dean voulait jouer dans les Clash. Naomi en pinçait elle aussi pour le British punk. Damon & Naomi étaient en couple et le sont encore. Naomi apprend à jouer de la basse en écoutant les basslines de Joy Division qu’elle trouve «beautiful, perfect». Première répète en mai 1987. Ils commencent par taper des covers, «Where Have All The Flowers Gone» de Peter Paul & Mary, «I Can See Clearly Now» de Johnny Nash, «Just My Imagination» des Temptations et «Knocking On Heaven’s Door» de Bob Dylan. Ils jouent leur premier gig chez Dean - It was the best gig of my life - Un gig de 20 minutes, «and it was just perfect.» Le real Dean adore la perfection. Il ne vit que pour ça.

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             Damon flashe sur un album d’Half Japanese, découvre que c’est produit par un certain Kramer. Il lui téléphone. Kramer a déjà bossé avec les Butthole Surfers et les Fugs, puis il va sortir Ween et Daniel Johnston sur son label Shimmy Discs. En plus, son Noise New York Studio est abordable. Il enregistre le premier single des Galax, «Tugboat/King Of Spain», Tugboat étant un hommage à Sterling Morrison devenu a «real life tugboat captain», c’est-à-dire capitaine d’un remorqueur. Kramer se dit encore plus fier de Today, le premier album des Galax : «A living dream, like reading William Blake for the first time.»   

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             C’est la collaboration avec Kramer qui va faire basculer les Galax dans la légende. Kramer est une figure de légende dans l’underground : il a joué dans Schockabilly, dans Bongwater et dans B.A.L.L. Kramer a installé son studio au quatrième étage du 247 West Broadway, «just a wooden floor and brick walls.» Il a un 16 pistes. Kramer est un mec très maigre, «the skinniest  man I ever met», nous dit le real Dean, «and he smoked weed vigourously.» Le real Dean ajoute qu’il est fier de sonner comme Galaxie 500, et non comme les groupes qu’ils admirent tous les trois à l’époque, «Modern Lovers, Big Star, The 13th Floor Elevators, Love, Joy Division, or the Feelies.» Ailleurs, il cite encore les Moderne Lovers et Young Marble Giants comme des héros.

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             Leur premier album leur coûte 750 $ - it is still my favorite Galaxie 500 album - Ils se chamaillent un peu sur les crédits, le real Dean estimant qu’il a composé pas mal de trucs - chords, melodies, lyrics - alors pourquoi tout partager en trois ? Mais Damon et Naomi veulent tout partager en trois. Ils menacent de quitter le groupe si le real Dean n’accepte pas le partage à trois, «and that I should find another backing band.» Premier petit bras de fer. Page suivante, le real Dean se dit fier de faire partie d’un groupe avec Damon & Naomi, mais cet épisode lui laisse un drôle de goût dans la bouche «a new taste in my mouth». Il ajoute qu’avec ce type d’incident, le friendship is dead - Your friendship had been poisoned. Kaput !

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    Kramer

             Kramer est un mec bizarre. Il profite que le real Dean ait le dos tourné pour essayer de se taper sa poule, Claudia - That was Kramer - Kramer trouve Claudia hot, alors il tente le coup, mais le real Dean se marre : «I should have punched Kramer in the nose, but I knew he didn’t stand a chance of stealing my girlfriend away from me.» Le real Dean a de la chance, il peut dormir sur ses deux oreilles.

             Quand le real Dean et Kramer acceptent de participer à un benefit acou pour un fanzine, Damon & Naomi protestent : le real Dean n’a pas le droit de jouer sans les Galax. Damon dit que les décisions doivent être prises à trois. Mais le real Dean va faire quand même le benefit. Quand les Galax sont en tournée, Kramer monte sur scène avec eux, et au bout d’un moment, Damon & Naomi ne veulent plus de lui sur scène. Il monte quand même sur scène à Glastonbury. C’est Kramer. Il n’en fait qu’à sa tête. Damon & Naomi sont livides. Ils ne lui adressent plus la parole. Ça amuse beaucoup le real Dean. Un real Dean qui n’aime pas trop les grands festivals - On a joué sur la même scène que Melissa Ethridge, but missed her show. On a aussi raté les shows de Lenny Kravitz, Midnight Oil and all kinds of other stupid shit - Puis arrive the meatball incident. Les Galax dînent au restau avec Kramer, et Naomi commande  des boulettes d’agneau. Kramer s’en offense. Il est végétarien. Il dit à Naomi : «Have you ever looked into the eyes of a little lamb?» - Naomi told him to go fuck himself - Mais bon, c’est Kramer qui fait le son des Galax.

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             Puis les Galax simili-prennent feu avec On Fire, et au chant t’as un real Dean qui sonne vraiment comme Nico, et c’est pas peu dire. Il cultive bien cette ambiguïté, il s’ancre résolument dans la banane du Velvet, et fait monter le relentless comme la marée. Il peut aussi chanter comme une folle préraphaélite («Tell Me»), mais il ne manque jamais de ramener la purée de gras double au sortir d’un cut. Il base la véracité de ses couplets sur le son des clairettes et la pureté des intentions, il rivalise d’ailleurs de pureté intentionnelle avec les Feelies. Et le voilà qui entre à la vipérine dans «When Will You Come Home», et se met à gratter comme un sale crack, un Lou Reed amphétaminé et il développe sa petite affaire avec un gras de clairette toxique qui fait de lui un véritable Wizard. Tout est juteux et organique, sur cet album. Naomi Yang prend l’«Another Day» au chant. Ça a l’air mou du genou, mais en vérité, c’est très puissant. Le real Dean la rejoint sur le tard et fout le feu à la plaine. Il s’implique toujours de façon extraordinaire. Il refait sa Nico dans «Leave The Planet». Tous ses cuts sont infestés, sa psyché est une merveille de mimétisme velvétien. Le real Deal devient de plus en plus blonde germanique avec «Plastic Bird» et toujours ce final apocalytique. Toute la fin d’album est remontée des bretelles. Les échappées sont géniales, avec derrière ce son de basse toujours indépendant, dans son rôle de contrefort mélodique. Voilà un album qu’il faut bien qualifier de princier. On a pu détester ce côté mou du genou à l’époque, mais à la revoyure, il apparaît que c’est du très grand art. Le real Dean est le roi des échappées somptueuses, le final d’«Isn’t It A Pity» est un modèle du genre, une vraie fin en soi, élégiaque et magistrale. 

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             Pour beaucoup, On Fire est le keystone des Galax. Dans la presse rock, on comparait le real Dean à Neil Young, ce qu’il réfute. Il préfère citer les influences de Jonathan Richman et des Feelies. C’est Kramer qui le pousse à forcer sa voix : «Kramer pushed me to double things in falsetto.» C’est après On Fire que les tensions sont apparues. Damon & Naomi vivent à Cambridge, Massachusetts et le real Dean à New York, et le «200-mile drive» l’exaspère. Damon sent que le son des Galax bascule, «from self-consciousness to decadence.»

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             L’année suivante, ils rééditent l’exploit d’On Fire avec This Is Our Music. On y retrouve les mêmes composantes : le mimétisme velvétien et les échappées belles. «Fourth Of July» sonne comme un cut du Velvet. Le real Dean reste dans cette ambiance, avec un bassmatic joliment libre, et puis il part en vrille de velvétude. Il refait sa Nico sur «Spook», à coups de nearly lost my mind sur les accords d’«All Tomorrow’s Parties». Il tape ensuite «Summertime» sur les accords d’«Heroin». Même son d’intro, c’est comme suspendu entre rêve et réalité, et t’as toujours l’explosion finale. C’est vraiment la marque de fabrique des Galax. Coup de génie encore avec «Listen The Snow Is Falling». Noami prend le chant et c’est beau car elle ramène de la chaleur féminine. «Listen The Snow Is Falling» est aussi pur que «Pale Blue Eyes», et bien sûr, t’as la fin de cut apocalyptique, c’est complètement dévastateur avec un real Dean qui explose comme une bombe atomique. Ils enchaînent ensuite deux autres bombes atomiques, «Sorry» et «Melt Away». C’est la bassline qui t’emporte la bouche sur Sorry, Naomi gratte une incroyable mélodie souterraine. Le son des Galax, c’est l’éther d’une voix, une jolie dentelle de clairette et un bassmatic mélodique. Ce bassmatic omniscient qu’on retrouve dans Melt, elle devient la jouvence de la Galaxie, un Melt où le real Dean file vers son final en forme de firmament psyché subliminal, il atteint l’osmose de la psychose, c’est absolument stupéfiant d’universalisme. Ils sont tout simplement faramineux, écœurants d’élégance, surtout Noami et son bassmatic ouaté et mélodique qui donne une profonde identité au son des Galax. Serait-elle la maîtresse d’œuvre ? Elle va chercher des notes de bas de manche qui donnent des couleurs aux joues du cut, elle lui donne vie, et comme si tout cela ne suffisait pas, t’as des trompettes de Jéricho.

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    Damon & Noami

             Le real Dean appelle Damon & Noami pour leur dire qu’il veut quitter le groupe. Mais il reste encore un peu, pour quelques concerts. Et ça va tourner à l’obsession. Il ne peut plus les supporter - I want to live my life without you in it - Il répète encore qu’il aimait «Damon’s fluid, jazzy style on the drums, and Naomi’s simple and melodic bass parts. I liked Damon’s poetry and Naomi’s miniature paintings. But they were driving me crazy.»  

             Des dates sont bookées au Japon et Damon appelle le real Dean pour le lui annoncer, mais il reçoit une fin de non-recevoir : le real Dean quitte les Galax. Damon & Naomi sont choqués.

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             Le quatrième et ultime album des Galax s’appelle Copenhagen. C’est une sorte de best live et fatalement on retrouve ces merveilles que sont «Fourth Of July» qu’ils jouent à cœur ouvert, sans cacher leurs sentiments, «Summertime» où on croit entendre Nico chanter, «Sorry», monté sur un bush de beurre et un bassmatic minimaliste, «When Will You Come Home» où le bassmatic crée encore de l’enchantement et bien sûr le real Dean part en vrille d’excelsior. Tu retrouves aussi le sublime «Listen The Snow Is Falling», très Pale Blue Eyes, pur ô so pur ! Et bien sûr ils tapent une cover du Velvet : «Here She Comes Now». Ils y vont doucement mais sûrement, ils en font un traitement d’une pureté sidérale, et le real Dean revient en plein Nico avec «Don’t Let Your Youth Go To Waste», tiré de Today, cut signé Jonathan Richman, c’est du pur gothic Velvet, ils récréent exactement les conditions du gothique new-yorkais, tas le Grand Jeu warholien et t’as la basse de Naomi Yang qui descend en travers dans le mood, alors la température monte et le real Dean déclenche une fois de plus son champignon atomique.

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             Les Galax sont eux aussi passés par les Peel Sessions. On y retrouve toutes ces merveilles velvétiennes que sont «When Will You Come Home», «Flowers» et «Dont’ Let Your Youth Go To Waste», le real Dean refait sa Nico et passe des grands solos de wah, avec une fébrilité délibérée, quel pâté de foi ! Ça flirte en permanence avec le voile de la Factory, et l’acid freakout de Lou Reed. Ils poussent même le bouchon jusqu’à sonner comme un power trio, et après le dernier couplet de «Dont’ Let Your Youth Go To Waste», le real Dean part en vrille délétère, en Velvétien accompli. On trouve aussi sur ces Peel Sessions une cover du «Submission» des Pistols, d’où l’intérêt des Peel Sessions. Cover dévastatrice, mais sans la voix, bien sûr. Ils tentent l’ampleur. L’autre coup de génie est ce «Blue Thunder» sorti de nulle part et d’une beauté purpurine, bien monté aux harmonies vocales et que ne manque pas d’exploser l’atomique real Dean.

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             Si tu veux aller au fond de la Galaxie, c’est avec Uncollected (Rareties) paru en 1996. C’est vraiment le fond de la Galaxie. Tu y retrouves toute cette mélasse compassionnelle et ces harmoniques de basse qui te plaisaient tant dans les albums. Tu y croises «Blue Thunder» et son fantastique relent velvétique, tu le sens dès les premières mesures, et la belle bassline de Naomi Yang vient te caresser l’intellect, ils chantent à deux et font éclater leur Sénégal avec un sax in tow, et puis bien sûr le real Dean claque un solo final en forme de débinade apoplectique. Le real Dean a toujours cette voix de nez, cette voix de Nico masculin, il est encore pointu sur «Song In 3», il fait son Perlimpinpin et te tire-bouchonne un final explosif. Il challenge encore le Velvet avec «I Can’t Believe It’s Me», il sort des entourloupes à la Lou, il devient tellement Velvetien que ça finit par te troubler. C’est Naomi qui chante «The Other Side». Elle est magnifique, dommage qu’elle ne chante pas plus souvent. Et bien sûr, ça se barre en crouille-marteau de Dean machine. Il collectionne toutes les variations extraordinaires, et la rose n’en finit plus d’éclore au matin. Et voilà le pot aux roses de Ronsard : une version live de «Rain/Don’t Let Your Youth Go To Waste». D’où l’intérêt d’aller chercher ces petites compiles de fonds de tiroirs, car c’est là que se trouvent les vraies pépites. Comme par exemple la version d’«Anarchy In The UK» sur l’album live de Wild Billy Childish & the Blackhands, ou encore la version live at the Roundhouse d’«On Parole» par Motörhead, sur The Boys From Ladbroke Grove. Le «Rain» du real Dean est un sommet du genre - The first time in New York, dit-il avant d’attaquer directement en mad psyché, I don’t mind, et il part en killer killah killoh de mad freakout surnaturel. Il révolutionne le genre, il surjoue l’excelsior, le real Dean est un géant des catacombes, le Golem de la Mad, puis il bascule dans son Youth et ça prend des tournures pourfendues, des allures pantelantes, ça moud les épithètes, c’est exponentiel de panache, t’en suffoques d’extase, et ils font ça à trois ! Et le real Dean se livre une fois encore à une lutte finale explosive. Il est véritablement l’un des génies soniques du XXe siècle, qu’on se le dise !

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             Et pour surenchérir sur le thème «fond de la Galaxie», vient de paraître le mighty Uncollected Noise New York ‘88-’90, qu’on pourrait presque qualifier de tribute au Velvet. On n’y trouve qu’une seule cover du Velvet, «Here She Comes Now», sur le disk 2, bien amenée à l’élan lysergique. Le real Dean est un inconditionnel, il soigne sa Velvetude, il épouse le Lou au chant, il recrée les dynamiques infernales et ça menace d’exploser sous la cendre. Le real Dean fait d’«Here She Comes Now» un monstre d’élégance gothique, un chef-d’œuvre d’intégrisme Velvetique, et Damon Kurkowski bim-bam-boome au beurre, il bat bien la coulpe du Velvet, et t’as en plus ce bassmatic éhonté de Naomi Yang derrière, et petite cerise sur le gâtö, le real Dean qui te gratte les poux du diable, il ressuscite les basses œuvres du Velvet, il tisonne le cœur du pâté de foi et ça prend feu sous tes yeux, c’est de la dévotion extrême qui bascule dans le surnaturel, dans une clameur de la chandeleur. Il n’y a que le real Dean (et Glenn Mercer) pour rendre ainsi hommage au Velvet. Sur le même disk, tu retrouves «Blue Thunder» qui pourrait très bien être un cut du Velvet. Les accords d’intro et la mélodie chant sont typiques du Lou, en plus c’est saxé dans l’âme. Le real Dean réussit son coup avec cette mélopée sublime et il passe un solo de dingoïde en fin de cut. T’entends encore le bassmatic génial de Naomi Yang dans «Fourth Of July». Toujours du très haut niveau, avec le final inflammatoire. Le real Dean se met en branle dans la stratosphère. Il refait encore sa Nico dans «Moonshot». Il retrouve tout l’éclat gothique de l’égérie warholienne. Ne manque plus que l’harmonium. Il te gave comme une oie. C’est d’une densité extraordinaire. Sur le disk 1, tu trouves pas mal d’inédits, tiens, par exemple de «See Through Glasses» qui tape en plein Velvet, gratté dans l’absolu, avec le feu sacré du final explosif. Pareil avec «On the Floor» : inédit et wild as fuck, avec son final apocalyptique. Tu crois entendre le Lou dans «Can’t Believe It’s Me». Lou y es-tu ? Le real Dean est en plein dedans. On retrouve aussi le «King Of Spain» du premier album, Today. Le real Dean refait son Lou d’accent pincé. Et plus loin, sur «Song In 3», il refait le coup double, c’est-à-dire sa Nico et le final de poux demented. Tu retrouves encore cette voix de Nico devenue folle dans «I Will Walk», un autre inédit. Il retombe en plein dans le Lou avec «Cold Night» et la Méricourt entre en lice comme d’habitude à la fin du cut. Et pour finir ce faramineux disk 1, le real Dean sort «Ceremony» de sa manche, la cover de Joy Division, mais ça se met en route exactement comme un hit du Lou, et le real Dean rajoute sa mélodie chant au sommet du mimétisme. Si ce n’est pas de l’art, alors qu’est-ce que c’est ?

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             Dans son book, le real Dean évoque des tas de gens intéressants, à commencer par Calvin Johnson, le mec des Beat Happening, «qu’on appelait the Andy Warhol of Olympia, Washington, an unrepentant punk rocker and leader of the International Pop Underground. Calvin’s punk did not mean wearing a leather jacket and playing loud and fast.» Il ajoute que Calvin avait «a magnetic stage presence and a unique rock voice and wrote great songs that were both innocent and rebellious, but not twee.» Le real Dean voit aussi à l’époque Pussy Galore, «with four guitarists and no bass player», et Bob Bert qui bat le beurre sur un réservoir d’essence. Mais ce qui frappe le plus notre cher real Dean, c’est la tension qui règne dans le groupe - comme s’ils ne supportaient pas d’être ensemble dans la même pièce. Depuis j’ai appris qu’il y avait de la tension dans tous les groupes - Il voit aussi GG Allin dans la rue - Certaines personnes le voyaient comme the essence of rock and roll, a true bad boy, the second coming of Hank Williams. But Hank Williams n’a jamais pris de laxatifs avant de monter sur scène, so he could strip naked and poop on the stage - Il rencontre aussi un journaliste du Melody Maker, Bob Stanley - He was in a band too. They were called St. Etienne - Quand le real Dean lui demande quel instrument il joue, PolyBob lui répond : «It’s hard to explain.»

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             Le real Dean qui a du goût rappelle que les Screaming Trees était son «favorite Seattle band» - They were far more melodic than their peers - Et pouf il embraye sur l’apologie de Lanegan qu’il compare à Jimbo - Like Morrison, Lanegan  was a handsome and charismatic drunk, with long brown hair - Il ajoute que Lanegan était déjà ivre au sound-check de 16 h, et il adorait la cover que faisait Luna du «Don’t Let Your Youth Go To Waste» de Jonathan Richman.

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             On croise dans le book un petit paragraphe sur le mythe du premier perfect album. Le real Dean cite deux exemples : l’Is This It? des Strokes et le Marquee Moon de Television. Et crack, il embraye aussi sec sur le Velvet qui, après le premier perfect album, en ont fait «three more perfect, yet different.»  Oh et puis Lee Hazlewood ! - J’ai rencontré Lee Hazlewood quelques années plus tard et lui ai demandé comment il obtenait his great vocal sound. He said you put echo on the reverb (or was it reverb on the echo?), instead of on the voice itself, so that the voice retains its presence while still having a huge echo sound... like the voice of God - Par contre, le real Dean n’aime pas 16 Horsepower, avec lesquels il joue en Suisse - I’d never heard of them, and I confess I didn’t like them. I mean, I didn’t know them personallly, and I didn’t like their music or their instruments or their porkpie hats - Avec lui, c’est vite réglé. Par contre, il adore Stereolab, avec lesquels il joue à Barcelone - Sterolab was one of the best live bands in the world, one of those bands that comes along once in a while and changes the whole music scene (...) They were derivative on the one hand, but also startingly original - Il rend hommage à Carol Kaye qu’on entend jouer de la basse sur tous les gros hits californiens d’antan, et plus loin à Sonic Boom qu’il rencontre à Cleveland - Sonic was one of the two brillant minds behind Spacemen 3 - et il ajoute ça qui vaut son pesant de pesos : «Sonic is definetively a hedgehog», c’est-à-dire un hérisson. Ils vont d’ailleurs enregistrer ensemble tous les trois avec Britta un EP de remixes de L’Avventura - Sonic said thaht L’Avventura was one of the all time great albums - On voit tout ça dans le Part Two.

             Le real Dean est aussi pote avec David Berman qui sort tout juste de rehab «for addiction to crack» - Berman told of his descent into crack hell, qui en fait s’est terminée au Vanderbilt Hotel, où il prit une suite, ingested large quantities of crack and Dilaudid and Xanax, and contemplated suicide.

             Et puis cette façon qu’il a de régler leur compte aux cons : «Assis dans mon lit, je regardais le documentaire sur Metallica, Some Kind Of Monster. It was painful to watch. Le film montre ce qu’il y a de pire dans un groupe : l’impossibilité de prendre des décisions, le vote permanent, les discussions, les réunions. Metallica écrit des lyrics en comité. C’est dur à regarder. James Hatfield et ses bandmates ne sont pas des gens très sympathiques.» Et plus loin, il ajoute que «Metallica and U2 and REM are far more than rock and roll bands. They are institutions, corporations. And corporations have lives of their own.»  

             On n’en finit plus de croiser l’écrivain Wareham dans Black Postcards: A Memoir. On reconnaît souvent les grands écrivains à cette façon qu’ils ont de nous faire revenir deux pages en arrière pour relire un passage intriguant. Si tu veux remettre le souvenir du passage au carré, il faut revenir sur l’exacte formulation. L’exacte formulation est l’apanage des grands écrivains. Et derrière sa modestie, se cache le grand écrivain Wareham. Ceci par exemple : «But I don’t know culture from counterculture. Questions like that confuse me, and they don’t help when writing songs. Let the rock ctitics read Adorno and Anthusser. I will study Pops Staples and the Chocolate Watchband.» T’es plus dans Rock&Folk, amigo, t’es dans les pages du book d’un real deal nommé real Dean. Ça change tout. Pour «parler» du rock, il faut une certaine distance, disons une certaine hauteur. Tu l’as non seulement dans les pages du real Dean, mais tu l’as en plus dans ses albums. Fascinant personnage.

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    Terry Tolkin

             Il évoque sa rencontre avec Terry Tolkin, l’A&R de Rough Trade aux États-Unis - I liked Terry instantly. We liked a lot of the same music - Wire, Joy Division, the Comsat Angels, New Order, Lydia Lunch and Sonic Youth - Monsieur le bec fin continue de faire feu de tout bois. Il a aussi la chance d’être invité à faire la première partie du Velvet reformé, et la façon dont il évoque cet épisode te fait autant rêver que ça l’a fait rêver : «Recevoir le coup de fil pour faire la première partie du Velvet Underground fut un moment étrange. Je croyais avoir rêvé. Mais quelques semaines plus tard, je me suis retrouvé dans un dressing room à l’Edimburg Playhouse, avec Lou Reed, John Cale, Moe Tucker et Sterling Morrison qui répétaient ‘Venus In Furs’.» C’est pour lui une façon d’exprimer un accomplissement. Il le couronne un peu plus loin d’un autre souvenir, cette fois à Berlin, où il passe la soirée avec Sterling Morrison : «Notre soundman Gordon nous avait trouvé de l’ecstasy, which made the night even more special. Je me souviendrai toujours de ce retour à l’hôtel en Mercedes taxicab, on écoutait un live Velvets bootleg on German radio, enjoying the strange confluence of events, et je savourais la chance que j’avais d’être sur cette tournée.» Voilà ce qu’est le véritable écrivain rock, il te fait monter avec lui dans le Mercedes taxicab pour écouter le Velvet dans la nuit berlinoise. Ce book n’est fait que de ça : de souvenirs triés sur le volet et écrits dans un anglais parfait. 

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             Pour les besoins d’une meilleure compréhension, le real Dean cite Isaiah Berlin et sa théorie sur la différence qui existe entre le renard et le hérisson : «Le renard sait beaucoup de choses, dit Berlin, mais le hérisson ne sait qu’une seule chose, one big thing.» Alors notre real Dean développe : «Certains artistes sont des renards, Aristote, Pouchkine, Goethe, Picasso, Paul McCartney, Beck, they can do all kinds of dazzling things. Mais d’autres artistes sont des hérissions : Hegel, Nietzsche, Dostoïevski, Jackson Pollock, and Keith Richards. They stick with one idea.»

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             Quand avec Luna, il enregistre son cinquième album, il sait que c’est pas très bon. Il sort alors la théorie du cinquième album : tous les groupes se vautrent, sauf les Beatles - We were not the Beatles. No we were not - Il ajoute que la plupart des groupes ont de la chance quand ils passent le cap des deux premiers albums, et il développe : «Vos albums ne peuvent pas tous être great. Si vous avez de la chance et du talent, vous pouvez sortir une série d’albums remarquables, comme l’ont fait Bob Dylan, les Rolling Stones ou Stereolab. But it can’t continue forever.» Il propose ici une expertise, et s’appuie sur les bons exemples. 

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    Peter Hook concert hommage à Joy Division

             Mais ce qui te rassure le plus, en fait, c’est son humour. Un humour très très très sharp. Il se souvient par exemple d’un des premiers concerts des Galax au 9:30 Club à D.C., et là, pas de pot, il casse une corde dès le premier cut. Il doit alors emprunter la Les Paul Junior de Dave Rick which sounded all wrong. «I had a revelation at that moment. I would buy a second guitar, to be used in the event that I broke a string. That’s what the pros do.» Et ça qui est encore plus hilarant : les Galax font une cover du «Ceremony» de Joy Division, et Peter Hook montre à Naomi «the correct way to play ‘Ceremony’. Then, he gave Kramer a ride back to the hotel in his Jaguar XII2. Apparemment, il avait reconduit Ian Curtis chez lui le soir de son suicide. I wondered if it was the same Jag.»

             Plus loin, il se fend bien la gueule avec le fameux Josuah Tree. U2 a dit-il a passé un an en studio à expérimenter des trucs avec Daniel Lanois, Eno et Steve Lillywhite. Pas de problème pour des millionnaires. Et puis il te balance ça, alors que tu ne t’y attends pas : «I have a theory : if you put four monkeys in the studio for a year with Lanois and Eno and Lillywhite, they would make a pretty good record, too.»

             Il évoque aussi le bordel des backstage passes et l’after-show, et des «stupid questions about what kind of distorsion pedals we use», et crack, il lâche le morceau : «Certains groupes confient à un crew member la mission d’aller distribuer des backstage passes aux filles les plus jolies, mais pour nous, se livrer à ce type de pratique était une façon de mordre le trait. We may have been dogs, but we were not pigs.» Il se souvient aussi des insultes dont sont capables les Anglais, en concert - There are always a couple of English blokes who want to lob funny insults at you : «Don’t let your midle age go to waste!».

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             L’encore plus idéal est de voir le real Dean sur scène. Coup de chance, il débarque à Paris ! Alors t’y cours. Sur scène, avec ses vêtements clairs, il a une petite allure de manager, mais un manager décontracté qui bosserait dans une agence de com, une sorte de Directeur Artistique. Looké mais sans en avoir l’air. Il porte des lunettes de vue et ses cheveux grisonnent. Une petite soixantaine. Mais il a toujours fière allure. Sa copine Britta ressemble toujours à une ado, avec son petit nez

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    minuscule et son corps parfait. Elle va passer l’heure à tenter d’imiter Noami Yang dont les basslines enchantèrent jadis nos oreilles, mais ce n’est pas exactement le même jeu. Noami Yang voyageait beaucoup plus sur son manche. Britta tape majoritairement ses lignes au bas du manche et joue avec une infinie délicatesse. Pour le real Dean, c’est extrêmement confortable. Il est comme Lou Reed et le gros Black : il a ses manies. Le Lou voulait Moe et le gros voulait Kim. Comme tout est joué en mélodie, les lignes se croisent. Le bel encorbellement des lignes mélodiques est leur fonds de commerce.

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    Alors, autant l’avouer maintenant : t’es là pour ton shoot de Velvet Sound. Et tu vas l’avoir avec «Friendly Advice», montré sur un riff de basse monolithique, et là tu renoues avec la magie du Velvet. T’as ta dose. Ta big dose ! And I guess that I just don’ know. C’est en plein dans le mille du gonna try for the kingdom. C’est même au-delà de la magie. Tu vis l’instant à mille pour cent. Les notes te roulent sur l’épiderme, tu remercies les dieux du rock de t’offrir un tel festin de frissons, le real Dean est de dernier mec au monde capable te d’offrir ce cadeau insensé : la recréation du Velvet Underground. And I feel like Jesus’ son. Et ça va loin, car au fond là-bas, t’as Matt Popieluch qui fait son Sterling Morrison. «Friendly Advice» tape en plein dans l’œil du cyclope. Comme par hasard, Sterling Morrison jouait sur

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     ce «Friendly Advice» tiré du Bewitched de Luna. On le sait maintenant, le real Dean ne fait jamais rien au hasard. Ce «Friendly Advice» niché au cœur du set restera gravé dans ta mémoire jusqu’à la fin des temps. Le real Dean tire aussi deux cuts du premier Galax, «Flowers», toujours aussi sidérant de classe, et en rappel, «Tugboat», toujours aussi imparable, avec ces montées en température dont le real Dean s’est fait une spécialité. Sur scène, ce sont des cuts qui ne pardonnent pas et qui foutent le feu à ton imaginaire. Ils tirent aussi trois cut d’On Fire, le mighty «Snowstorm», «When Will You Come» et en rappel «Strange». Le real Dean te charge si bien la barcasse que tu coules sans crier gare et t’es bien content. Tu glou-gloutes au paradis. Tu te retrouves un peu plus tard dans les rues du XIIIe ivre de Velvetude. T’en fais des bulles, tellement t’exultes.

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    Signé : Cazengler, qui dort Dean

    Dean Wareham. Petit Bain. Paris XIIIe. 8 avril 2025

    Galaxie 500. Today. Aurora Records 1988

    Galaxie 500. On Fire. Rough Trade 1989    

    Galaxie 500. This Is Our Music. Rough Trade 1990 

    Galaxie 500. Copenhagen. Rykodisc 1997

    Galaxie 500. Peel Sessions. BBC 1996

    Galaxie 500. Uncollected (Rareties). Rykodisc 1996

    Galaxie 500. Uncollected Noise New York ‘88-’90. Silver Current Records 2024

    Roy Wilkinson : Made of... Mojo # 371 - October 2024

    Dean Wareham. Black Postcards: A Memoir. Penguin Publishing Group 2009

     

     

    Manning depression

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             Qui dit Ardent dit Terry Manning. Et comme Terry Manning vient de casser sa pipe en bois, allons faire un petit tour à Memphis pour lui rendre hommage.

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             Terry Manning arrivait d’El Paso où il avait joué dans le Bobby Fuller Four. Robert Gordon : «Son père était un pasteur qui déménageait souvent et Terry harcela ses parents pour qu’ils s’installassent à Memphis, ce qu’ils finirent par faire. Une semaine après leur installation, Terry se rendit chez Stax, frappa à la porte et dit : ‘Here I am’.»

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             Il va rester 20 ans chez Ardent, où bossa aussi Jim Dickinson. Terry travaille avec la crème de la crème de Stax, les Staple Singers, Booker T. & the MGs, Isaac Hayes. Il est le bras droit de John Fry qui sous-traite alors énormément pour le compte de Stax. John Fry indique que Dickinson cultivait un beau scepticisme envers le music business - which probably provided some guidance for a lot of people - Dans les pages d’It Came From Memphis, on trouve un bel hommage à Reggie Young, dont la façon de tirer les cordes de guitare aurait influencé George Harrison. À 20 ans, le jeune Young était déjà un vétéran. C’est lui qui jouait sur «Rocking Daddy» d’Eddie Bond, avant de jouer dans le Bill Black Combo et de mettre en place de son d’Hi Records. Justement, le Bill Black Combo tourna avec les Beatles et c’est là que le jeune George loucha sur la technique de Reggie.

             Robert Gordon rappelle que Terry Manning introduisit Chris Bell dans le microcosme Ardent de musiciens et de producteurs, tous jeunes, précise l’auteur, tous affamés d’avenir et de son.

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             Quand en 1968 Dickinson quitte Ardent, il prend le prétexte d’une mauvaise ambiance - a prevailing negativity - mais il ajoute que c’était entièrement de sa faute. Dickinson reviendra chez Ardent en 1972 pour finir son album Dixie Fried que John Fry va lui mixer à l’œil. Pour conclure sur sa période ingé-son chez Ardent, Dickinson affirme que John Fry est le meilleur ingé-son qu’il ait connu - He is a brillant tracking engineer and he’s the best mixer - Bon alors évidemment, après on a l’épisode Alex Chilton. Dickinson dit qu’à l’époque il n’a pas flashé sur les deux premiers albums de Big Star, mais il a fait Third en tête à tête - Head to head - avec Alex.

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             Dickinson ajoute qu’il connaît Chris Bell depuis qu’il est gosse. Un Bell qui comme Andy Hummel viendra commencer à traîner chez Ardent, mais après le départ de Dickinson. C’est la genèse de Big Star. Sur la compile Thank You Friends -The Ardent Records Story figure «Psychedelic Stuff» : Bell lui sonne les cloches, et comme tous les Ardent believers, il cherche des noises à la noise. On retrouve aussi Alex Chilton avec un «Free Again» noyé de bénédiction country, joué aux accords d’arc-en-ciel et claqué à la pedal steel aérienne. Terry Manning ramène là-dedans une dimension du son jusque-là inconnue : the Ardent thang. Justement on l’entend le Manning faire le méchant dans «Rocks». Il se met en colère avec sa petite voix anglaise, mais c’est avec «Guess Things Happen This Way» qu’il rafle la mise, car c’est complètement cisaillé du bulbique, Terry saute à l’assaut du rock, c’est shaké à coups d’accords anglais, il barde son cut de big barda, de huge bassmatic et de wild Memphis drive. Du coup, il devient l’un des géants du Memphis Beat.   

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             Terry Manning intervient assez longuement dans le booklet de Thank You Friends -The Ardent Records Story. Il rappelle qu’il est, comme Dickinson, un amateur de British Beat et raconte dans le détail la genèse d’Ardent, sur National Road. Il est d’ailleurs le premier salarié d’Ardent et il doit tout faire : ouvrir le matin, préparer les bandes, passer un coup de balai. La réceptionniste n’est autre que Mary Lindsay, la femme d’un Dickinson que Terry qualifie de director of entertainment. Il devait vraiment régner une belle ambiance là-dedans ! Tout le temps libre est utilisé pour expérimenter - That period was a lot fof fun. We had no rules, and did whatever we wanted, for better of for worse - John Fry laisse volontiers les clés. Il fait confiance à ses amis. Terry Manning apporte aussi un éclairage sur la transition Box Tops/Big Star : au temps des Box Tops, Alex souffrait de l’autorité de Chips Moman et de Dan Penn qui rejetaient systématiquement ses compos, alors Alex voulait un peu d’air, et cet air, il l’a trouvé chez Ardent, avec le copain Terry. Pour finir avec National 1960s, saluons l’immense Sid Selvige et son «Miss Eleana», car voilà un enjôleur de première catégorie. Comme le Penn, il sait tartiner un slowah.

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             En 1970, Terry Manning, enregistre Home Sweet Home sur son petit label Enterprise, qui dépend de Stax. Il démarre sur une grosse version du «Savoy Truffle» des Beatles, comme par hasard. Terry joue ses grosses lignes de basse comme un beau diable. Il joue tous les instruments, comme Todd Rundgren. Et puisqu’il bosse chez Ardent, il croise les pistes ardemment. Il rentre dans le chou des Beatles, mais il rallonge sa soupe à la truffe pendant de longues minutes, c’est dommage, car il ruine tous ses efforts. Chris Bell ramène son grain de sel dans «Guess Things Happen That Way» : technique somptueuse et originale. Chris Bell reste l’un des plus fervents interventionnistes de Memphis. Fabuleuse version du «Trashy Dog» qui sera repris par Alluring Strange, le groupe de Misty White. Big bassmatic. Ah comme c’est bon, joué ainsi à la rude énergie du beat. Terry attaque sa B avec une solide version de «Choo Choo Train». Il la prend plus punk, il la cisaille et la chante à l’énervée de comptoir. Il en fait une version têtue comme une bourrique. On tombe plus loin sur un «Sour Mash» instro assez puissant, et il boucle son bouclard avec un «Wanna Be Your Man» chanté à la force du poignet. Terry tente de créer l’événement. Pas facile. Il y a déjà beaucoup d’événements down there in Memphis.

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             Norton fit paraître en 2012 un truc plus ancien du Memphis boy : Terry Manning & The Wild Ones, Border Town Rock N’ Roll 1963. Bon, c’est du document d’archives et la plupart des cuts rassemblés par Norton ne ressemblent à rien. Le jeune Terry fait du garage en parpaing. Avec ce genre de disk, Norton se tire une belle balle dans le pied. Quand on écoute «You’re In Love», on se dit en rigolant que c’est l’une des pires mormoilles qui soit ici-bas. On se demande comme Billy Miller a pu sortir un disk aussi désastreux et le vendre quinze euros. Ça dépasse l’entendement, voyez-vous. Mais il faut cependant écouter ça jusqu’au bout, ne serait-ce que pour voir à quelle sauce ils nous servent «Sweet Little Sixteen». Arnaque parfaite. Si Billy a voulu prendre les gens pour des cons, c’est réussi. On reste dans l’agonie avec «Boney Maronie». Ça fait du bien de temps en temps d’écouter un disk bien pourri. On a là l’une des pires arnaques de tous les temps. Fuck it. On adore la mention : «All titles previoulsy unissued». Et pour cause.

    Signé : Cazengler, Terryne de campagne

    Terry Manning. Disparu le 25 mars 2025

    Terry Manning. Home Sweet Home. Enterprise 1970

    Terry Manning & The Wild Ones. Border Town Rock N’ Roll 1963. Norton Records 2012

    Thank You Friends. The Ardent Records Story. Big Beat Records 2008

    Robert Gordon. It Came From Memphis. Pocket Books 1995

     

     

    Wizards & True Stars

     - Gousse d’Hayes

     (Part Three)

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             Après un Part One consacré à la mighty box The Spirit Of Memphis, puis un Part Two consacré à Wrap It Up - The Isaac Hayes & David Porter Songbook, une compile Ace parue en 2022, Isaac le Prophète est de retour avec un Part Three de nouveau consacré à une compile Ace, Hot Buttered Singles 1969-1972.

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             Tony Rounce se charge des 16 pages du mini-booklet. Il n’a pas grand chose à raconter, hormis le fait que Jim Stewart ne voulait pas laisser Isaac le Prophète chanter, lui disant : «your voice is too pretty». Méchant connard ! Par contre, lorsque le DJ Alvertis Isbell, c’est-à-dire Al Bell, arrive au pouvoir chez Stax en 1968, ce sera un autre son de cloche. Al adore la voix d’Isaac le Prophète. Il voit même un market en lui. Lors d’une party bien arrosée et donc avec un gros coup dans la gueule, Isaac le Prophète, le père Crop, Duck Dunn et Al Jackson entrent en studio et enregistrent Presenting Isaac Hayes, qui n’est pas un album très commercial, loin s’en faut.

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             Après la rupture avec Atlantic et la perte de leur catalogue, Al Bell et Stax décident de repartir à zéro en 1969 avec 27 albums. Oui, 27 albums d’un coup. Allez hop tout le monde au boulot ! Al Bell demande bien sûr à Isaac le Prophète de participer à cette orgie de renaissance et Rounce se marre : «There was little expectation that his second album would change the face of black American music forever.» Eh oui, il évoque bien sûr Hot Buttered Soul, l’un des albums les plus révolutionnaires de l’histoire de la rock culture, avec Highway 61 Revisited, Electric Ladyland, The Velvet Underground & Nico et The White Album. Isaac le Prophète a carte blanche. Comme le studio Stax est over-booké, Isaac le Prophète va chez Ardent avec les Bar-Keys et le fils de Rufus Thomas, Marvell Thomas qui est pianiste. En quelques heures, ils mettent à plat Hot Buttered Soul. C’est là-dessus que tu croises la version longue du «By The Time I Get To Phoenix» de Jimmy Webb, dont une version courte figure que la compile Ace - I’m talking about the power of love, man - C’est un cut historique, c’mon c’mon c’mon, tu rentres dans la profondeur du Black Power, et t’es bien raccord avec la photo d’Isaac le Prophète enchaîné qui orne la pochette. Car c’est monté sur un lourd battement de cœur et un claquement hypnotique de cymbale, tu attends un peu et Isaac t’allume ça au chant, il injecte le power du Black Power dans le petit cul blanc de Jimmy Webb et ça devient mythique. Oui, tu plonges dans les tréfonds d’un paradis, et le Prophète te magnifie cette chanson parfaite à coups de call my name. Comme Phoenix fait un carton, Bell est obligé d’en sortir une version single de 7 minutes. Même chose pour «Walk On By» qui en fait 12 et qui redescend à 4 minutes pour le single. C’est d’ailleurs «Walk On By» qui ouvre le bal de cette compile prophétique. T’as l’immédiateté du Prophète - If you see me walking down the street - Il gronde son walk on by avec le pouvoir terrible d’un dieu de l’Antiquité.

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             Isaac le Prophète tape encore dans Burt avec «I Just Don’t Know What To Do With Myself» et «The Look Of Love». Il emmène les cuts de Burt en mode Stax avec des chœurs de filles. Tout ici est extrêmement arrangé, très aventureux, Isaac attaque Burt à la sourde, histoire de challenger la mélodie. Il rivalise de génie vocal avec Dusty chérie, tu le vois remonter le courant de la mélodie à la force du poignet. Ses compos ne sont pas en reste, comme le montre «Winter Snow», qu’il module à merveille d’une voix profonde. Il vise la pop par dessus les toits. Il fait aussi un chef-d’œuvre de l’«I Stand Accused» des frères Butler de Chicago. Il prend bien «Never Can Say Goodbye» par en dessous, puis tu tombes nez à nez avec «Theme From Shaft».

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             Isaac le Prophète comptait bien décrocher un rôle dans le film de Gordon Parks, mais comme Parks a déjà confié le rôle à Richard Roundtree, il demande à Isaac de composer la B.O. Boom ! «Theme From Shaft», amené à la cymbale, comme Phoenix, et repris à la wah black. C’est du grand art. On connaît Shaft par cœur, mais le fouetté de cymbale fascine toujours plus, t’y peux rien. Damn right ! Il y va le Prophète, il te groove ça entre les reins et ça te bat la coulpe au right on ! Rounce parle d’une «truly iconic piece of music.» Il a raison, l’asticot. Le double album Shaft reste nous dit encore Rounce LE «Stax’s best-seller and one of the best-selling soundtrack albums ever.» Isaac le Prophète a sauvé Stax. Provisoirement. Les fucking banquiers blancs allaient finir par avoir la peau de ce vaillant label black.

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             Le «Do Your Thing» de la compile est encore une version tronquée, qui passe de 20 minutes à 3, Isaac le Prophète chante ça d’une voix de catacombe. On croise ensuite une cover instro du «Let’s Stay Together» d’Al Green. Isaac y joue du sax et mine de rien, il vise la grandeur totémique urbaine. Il prend ensuite «Soulsville» à la voix mâle. Rounce annonce bien sûr une suite. On piaffe d’impatience. Cui cui cui ! Ou coin coin coin, c’est comme tu veux.

    Signé : Cazengler, Isac à main

    Isaac Hayes. Hot Buttered Singles 1969-1972. Ace Records 2024

     

     

    Inside the goldmine

    - Compte en Banks

             Durrell n’avait rien à voir avec l’écrivain anglais du même nom, Lawrence Durrell. On lui posait chaque fois la question et il répondait d’un air mauvais, que non, il n’était pas l’écrivain machin, mais par contre, il se forçait à sourire pour ajouter qu’il a-do-rait Francis Carco, qu’il avait chez lui une pièce en-tièèèèèère consacrée à Francis Carco, entière, t’as bien entendu ?, en-tièèèèère !, et il poursuivait en racontant qu’il possédait des traductions de Carco dans toutes les langues, même en japonais, en arabe et en serbo-croate, ben oui, pomme de terre, me regarde pas comme ça, en serbo-croate !, ça t’épate, hein ?, et il donnait tous les détails de ses in-quarto décorés d’eaux fortes, il citait les noms d’obscurs illustrateurs de presse, il se vantait aussi de posséder des tirages de tête dédicacés par l’auteur, il gesticulait, levait les bras au ciel, baragouinait que Carco ceci et cela, et que si t’étais pas content c’était pareil, il se rapprochait de toi et t’attrapait par le col pour te grogner sous le nez d’une voix sourde : ah tu connais pas Carco ?, ben dis donc, on est pas sortis de l’auberge avec une patate comme toi, et il repartait de plus belle, te branchait sur le Lapin Agile, sur Dorgelès et Mac Orlan et paf, il t’expliquait la bohème dans le moindre détail, toute la bohème de Montmartre, et avec un mec comme Durrell, ça durait la nuit entière, on vidait les cubis et on clopait tous les paquets de clopes, plus Durrell buvait et plus il s’agitait, il ressemblait à un volcan équipé d’ailes de moulin, mais un volcan qui menaçait à chaque instant d’entrer en éruption, et soudain, il éruptait, les baies vitrées tremblaient, des flots jaillissaient de sa gueule grande ouverte, et pis t’as Guillaume Apollinaire qui chante son Pont Mirabeau au bout de la table et pis t’as Max Jacob qui réajuste son monocle entre deux crises de rire, et pis t’as Utrillo qui boit comme un trou, oui, comme un trou !, et pis t’as Pascin qui songe déjà à se pendre, mais qui donne la change, le change, oui mon gars, le change ! Et toi espèce de cloporte, sers-moi donc à boire ! ventrebleu, qu’est-ce que c’est qu’cette baraque où ya plus rien à boire !, et soudain, ivre de colère et de délire volcanique, il donna un coup de poing sur la table tellement violent que les verres et les bouteilles tombèrent, il se leva d’un bond, pareil à Poséidon, renversa la table, et décida d’aller boire un dernier verre en ville avant d’aller se coucher.

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             Vaut mieux avoir Darrell à sa table que Durrell.

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             Darrell Banks est l’un des princes de la Northen Soul, il est donc logique qu’il s’en vienne briller inside the goldmine. Dans ses liners pour Kent, Tony Rounce parle d’une «short but brillant career» : quatre ans, deux albums et une poignée de singles - Elle commença avec le succès de son premier single, «Open The Door To Your Heart», en juillet 1966, et s’acheva avec la balle d’un flic en civil en février 1970 - En fait Darrell se tapait une certaine Marjorie Bozeman que se tapait aussi le flicard. Un jour, Darrell se pointe chez Marjorie, le flicard est là, une petite shoote éclate, le flicard sort son calibre et bam bam, une balle dans le cou et une autre dans la poitrine. Rounce oublie de nous dire si le flicard est blanc. Par contre, il précise que le flicard n’ira pas au trou, ce qui laisse supposer qu’il est effectivement blanc.

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             Rounce ne tarit pas d’éloges sur le pauvre Darrell, il parle de «best Southern and Northern Soul ever found on tape», et qualifie Darrell d’«one of the hardest acts to follow in the entire history of popular music». Rounce ne mâche pas ses mots et comme c’est l’un des plus grands spécialistes de la Soul, on prend ses paroles pour argent comptant. Parmi les supposées influences de Darrell, Rounce cite les noms qui brûlent les lèvres, ceux d’Archie Brownlee et de Clarence Fountain, les lead singers respectifs des Five Blind Boys Of Mississippi et des Blind Boys Of Alabama.

             Basé sur la côte Est, Darrell commence par écumer la scène de Buffalo, dans l’état de New York, puis il ira enregistrer à Detroit pour le compte d’Atlantic/ATCO. Rounce revient sur «Open The Door To Your Heart» qui pour lui est le hit Soul parfait, un hit qui sera repris par Jackie Wilson, Freddie Scott et Tyrone Davis.

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             C’est d’ailleurs «Open The Door To Your Heart» qui ouvre le bal de B de Darrell Banks Is Here. Ce bel ATCO de 1967 se doit de figurer dans toute discothèque digne de ce nom. Sur les dix cuts de l’albums, tu as huit coups de génie, voilà, c’est aussi simple que ça. Boom dès «I’ve Got That Feeling», un heavy r’n’b, avec Darrell, ça ne traîne pas. FSB ! Fast Soul Brother ! Et ça repart de plus belle avec «Look Into The Eyes Of A Fool», il te claque là un groove d’entre-deux, et il se coule dans la pocket d’«Our Love Is In The Pocket», un wild r’n’b franc du collier. En B, boom dès l’«Open The Door To Your Heart», Tony Rounce a raison de s’exciter sur ce big heavy r’n’b tapé au Darrell Feel de much time for my baby. Véritable crash test, pur r’n’b genius, le Darrell y va au sweet to me. Toute la B rôtit en enfer, le vieux Darrell embarque son «Angel Baby (Don’t You Ever Leave Me)» au yeah yeah yeah. Darrell Banks est un démon. Son «Somebody (Somewhere Needs You)» est plus classique mais wham bam quand même, car quel fast r’n’b, Darrell fonce au triple galop. L’heavy Darrell est de retour avec «Baby Watcha Got (For Me)», il ronfle comme un gros moteur Stax, il développe la même énergie que Sam & Dave, avec le côté aristocratique en plus. Power absolu ! Ça se termine avec «You Better Go». Darrell est une fine lame. Il est même la prunelle des yeux du r’n’b. Il chante comme s’il était un empereur sur son char.

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             Pas la peine d’aller cavaler après Here To Stay, l’album de Banks qui vaut la peau des fesses, il se trouve sur une belle compile Kent, I’m The One Who Loves You - The Volt Recordings. Avec le nom qu’il porte, Darrell Banks est un artiste tout de suite crédible. Il travaille ses grooves au raw, comme le veut la tradition Stax de l’époque. Mais curieusement, il n’a pas de hits. Il s’aventure sur les traces du grand Percy en reprenant «When A Man Loves a Woman». Bon, il n’a pas le même genre de guts, pas du tout. Il reste dans les limites de la bonne interprétation, comme si le génie ne l’intéressait pas. Ça nous fait des vacances. On se repose. Ras le bol des immenses artistes et des creveurs d’écrans. Avec Banks, on est tranquille, comme avec le Crédit Agricole. Il est le bon sens de la Soul près de chez toi. Il faut attendre «Beautiful Feeling» pour le voir enfin monter là-haut, pas à Rio, mais sur l’Ararat. Sa heavy Soul peut devenir stupéfiante. Il y fait un Big Atmospherix violonné à outrance. Tout s’écroule sous le poids de la Soul. On finit par comprendre que Banks navigue à un très haut niveau. Les petits hits de juke ne l’intéressent pas. Dans «Never Alone», il est même dépassé par les Sisters. Les bonus valent le détour, notamment «I’m The One Who Love You», un heavy r’n’b viollonné dans l’axe de l’angle, et comme il ramène toute sa niaque de Soul Brother, ça devient excellent. Il fait un peu de funk avec «Mama Give Me Some Water», mais c’est un funk à la mode Jean Knight et King Floyd, le funk Malaco. Il tape à la porte de derrière avec «My Life Is Incomplete Without You», et il casse la baraque pour de vrai avec «Beautiful Feeling», orchestré dans l’âme de la Soul. 

    Signé : Cazengler, Banks postale

    Darrell Banks. Darrell Banks Is Here. Atco Records 1967  

    Darrell Banks. I’m The One Who Loves You. The Volt Recordings. Kent Soul 2013

     

    *

            En règle générale l’oiseau bâtit son nid là où il se pose. Certains affirmeront que ce lieu mythique se trouve près des eaux puissantes et boueuses puissantes du Mississippi et qu’il se nomme la terre du blues. Ils n’ont pas tort. C’est une belle contrée originaire. D’autres diront que la zone d’élection est plus vaste, qu’elle est partout et nulle part sur pratiquement la moitié d’un continent, ils parlent de country et de folk. Eux non plus n’ont pas tort. Ils désignent un pays mythique par excellence. Mais pour moi, je fais partie de cette génération de jeunes européens pour qui le domaine d’Arhneim d’Edgar Poe qui confine à l’absolu touche à cette terre impalpable et génitrice, surnommée les pionniers du rock.

             Ses frontières sont floues, l’on peut les traverser sans s’en rendre compte où l’on met les pieds. Peu à peu il disparaît des cartes géographiques musicales, les rois du rock ont vite perdu leurs royaumes, en moins de dix ans ils sont devenus des princes en exil. Mais souvent l’on ne sait jamais si l’on marche sur des cendres ou des semences. Toutefois si l’on explore les sables des mémoires ensevelies l’on ne tarde pas à retrouver des traces, des artefacts, et des témoignages des principaux saigneurs de cette époque de gloire tapageuse et fulgurante. Cette semaine ce sera :

    THE MAN YOU COULD SEE ON THE SEA !

    THE MAN YOU COULD SEE ON THE  SKY !

    LITTLE RICHARD !

             C’est une vidéo qui m’est tombée inopinément sous l’œil. Je ne l’avais jamais regardée. Je n’aime pas les blablas officiels, les récupérations posthumes, les votes pour élire le plus grand ceci, le plus grand cela… Soyons franc, une petite dent (de cachalot colérique) contre le Rock’n’roll Hall of Fame. Depuis les premières nominations de l’année 1986. Du beau monde : Elvis Presley, Chuck Berry, James Brown, Ray Charles, Sam Cooke, Fats Domino, The Everly Brothers, Buddy Holly, Jerry Lee Lewis, Little Richard. Je sais bien que Gene Vincent n’a pas bénéficié de la même aura auprès du public américain que du public européen… En plus il n’y a pas non plus Eddie Cochran… Erreur monumentale qui sera réparée l’année suivante, 1987, avec toute une floppée de pionniers, Eddie Cochran bien sûr, mais aussi Bill Haley, Bo Diddley, Carl Perkins, Ricky Nelson, Roy Orbison… Pour Gene Vincent faudra attendre… 1998 !

             Otis Redding sera intronisé en 1989, son introducteur sera Little Richard. J’aime beaucoup Otis Redding mais j’avoue que j’ai regardé pour Little Richard. Otis est arrivé comme un cheveu sur la soupe. Des anglais. Certes l’on adorait les Rolling Stones, les Yardbirds, les Animals et tous les autres Britishs, mais ces englishes malgré leurs éminentes qualités possédaient une tare secrète. Ce n’était pas de leur faute, mais enfin le pays du rock’n’roll c’était quand même l’Amérique, aussi quand a déboulé Otis, ah, cette version de Satisfaction qui remettait la pendule des Stones à l’heure, mais aussi Wilson Pickett, Sam and Dave, Eddie Floyd, Arthur Conley et tous les autres, avec en prime champion toutes catégories James Brown, c’était bien le retour du rock’n’roll ! On l’appelait Rhythm’n’Blues mais ce n’était pas gênant, juste une question d’orchestration, priorité aux cuivres, rien  d’incompatible, ça groovait un max à faire s’effondrer la Tour de Babel sur ses bases… C’était bien parti pour un nouveau tour de piste, hélas tout a recommencé comme avant, un malheureux avion qui s’écrase, exit le rhythm’n’blues, la veine noire et palpitante du rock s’évanouit, ce sont les britains d’outre-manche qui colonisent les terres d’outre-atlantique…

             Que Little Richard soit l’introducteur d’Otis Redding au Hall of Fame tombe sous le sens. Tous deux sont originaires de Macon in Georgia. Le premier 45 tours d’Otis Fat Girl / Shout Bamalama sorti en 1961 est la preuve d’une filiation musicale indéniable…

             Juste quelques dates  qui ont de l’importance pour ce qui suit : Otis est né en 1941, il est mort en 1967. Little Richard est né en 1932. Otis Redding est intronisé en 1989, Little Richard a donc cinquante-six ans.

    LITTLE RICHARD INDUCTS OTIS REDDING

    INTO ROCK’N’ROLL HALL OF FAME

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             L’a de la gueule, de profil sur l’image arrêtée, chevelure bouclée, fine moustache, lunettes teintées, col de chemise noire, l’arrive sur scène sanglé dans une vaste veste de teinte sombre, verreries éparses clignotantes sous les projecteurs, tend la main à Jerry Wexler tous bras ouverts, accolade, le voici devant le pupitre sur lequel repose quelques feuilles de papier, il se penche vers les micros, c’est là que l’on s’aperçoit que les musicos entrevus en deux quarts de seconde ne sont pas là pour sonner de pharamineuses trompettes d’accueil, sans préavis Little Richard entonne I can’t turn you loose, quelle attaque, quelle voix, quel mordant, il n’a pas l’arrière-volupté du timbre d’Otis mais il vous transforme le titre  en un hymne de haute piraterie, s’appuie des deux mains sur le pupitre, et chante avec cette facilité déconcertante avec laquelle vous tournez votre petite cuillère chaque matin dans votre bol, les cuivres freinent à mort derrière comme quand vous faites une queue de poisson sur l’autoroute pour que le poids-lourd verse son chargement sur la voiture qui le suit, l’on sent que l’on va entrer dans le dur, déception, nous n’avons droit qu’au premier couplet ! Pas de panique nous n’allons pas perdre au change avec ce qui suit.

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             L’a terminé sur quatre ou cinq de ces pioulets – c’est ainsi qu’en Ariège que l’on surnomme le cri du poulet qu’un renard attrape par le col – qui firent sa célébrité, s’incline, l’a un de ces sourires de carnassier, oui mais attention c’est un nègre qui tient sa revanche – celle de tout un peuple longtemps soumis en esclavage – longtemps, trente ans qu’il n’avait chanté ainsi, et maintenant vous allez l’entendre pousser ces cris de femme blanche - le peu de public que l’on entrevoit est constitué de blancs – il rigole et la foule s’esclaffe, fermez-là, elles font oh ! et  les noires WHOU ! (comme les louves affamées a-t-on envie d’ajouter), il se sent bien, real dit-il, lui et Otis viennent du même endroit, et hop il enchaîne sur Sittin’ at the dock of the bay (la dernière chanson d’Otis sortie tout de suite après sa mort) je fais remarquer que tout en rigolant de la blancheur de ses dents colgate il a suggéré trois notions importantes, la sujétion, le sexe et la mort,  chante le hit avec le même désenchantement détaché qu’Otis, les lyrics ne sont pas joyeux, fait une drôle de gueule quand il l’interrompt, certains mo(r)ts portent plus que d’autres, alors il éclate de rire, rappelle qu’il n’a pas chanté depuis tant de temps, cite Tina Turner, fermez-la, et moi aussi je devrais chanter comme elle le fait si bien, vous devriez m’enregistrer, et je vis encore, je suis encore présentable, fermez-la, prenez-moi en photo, laissez l’homme noir, appuie sur le bouton que tu me voies tel que je suis, vous savez Otis et moi provenons de la même cité, il farfouille dans ses deux feuilles, non il ne lira rien, car il vient de là lui aussi, pourquoi riez-vous, j’ai été le premier gars de Georgie à devenir célèbre, parce que je suis le plus ancien, l’ancêtre et très jeune, James Brown je l’ai sorti de prison, maintenant il retourne dans le Sud, je pense que je devrais y aller avec lui – James Brown est alors en prison, condamné à six ans, il ressortira au bout de trois ans pour conduite en état d’ivresse et détention d’armes en feu – Vraiment je hais ce qu’ils ont fait à James, il est fantastique, il est le Godfather, si l’on me laissait pourrir autant de temps, il n’y aurait pas d’autre alternative, James doit se ressaisir, nous devons tous nous ressaisir. Vous savez Otis a commencé par Shout Lamabama, vous connaissez cette chanson, le rock’n’roll est all around the world, vous connaissez ma voix un peu haute, vous souvenez-vous, et il entonne I’ve been lovin’ you too long, mais il arrête trop vite, j’aime ses chansons, j’étais son idole, il aimait ces petits roulements dans ma voix, il en donne un exemple mais il ne peut s’empêcher de débloquer le turbo et se lance dans un whooooo ! à réveiller les derniers loups des Appalaches. Je me sens bien mais je n’ai que de l’eau sur ma table ! Rajoute quelques Wloo, celui-ci dédicacé à Phil Spector. Il enchaîne sur Fa-Fa-Fa-Fa…( Sad Song), l’on aimerait qu’il aille jusqu’au bout, mais il revient à Otis, son père était un preacher et lui aussi était un preacher, c’était un grand chanteur, je l’ai rencontré à New York, je ne l’ai pas rencontré à Macon, je lui ai donné cinquante dollars au Statler Hilton Hotel, je lui ai donné un autographe, et je lui ai filé une marque pour venir me voir dans ma chambre, je lui ai dit que j’avais besoin de parler, il m’a dit oui, mais il n’a pas voulu que je ferme la porte, Little Richard

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    explose de rire, je ne voulais rien faire juste l’entendre chanter, il a composé de grands morceaux, j’ai souhaité qu’il soit au Hall od Fame, mais il est parti, il a contribué à la musique du monde, et il est un pilier du rock’n’roll, quand je l’ai entendu interpréter Lucille ( 1964) j’ai cru que c’était moi, il se tourne vers l’orchestre, tiens un petit peu de Lucille, l’en fredonne un demi-couplet, il sonnait comme moi, j’ai cru que c’était moi, et quand j’ai su que c’était lui j’ai su que c’était un des plus grands chanteurs et un des plus grands compositeurs, dans lesquels je m’inclus, et aussi Jimi Hendricks, tous sont avec moi, James Brown, les Beatles, et Mick Jagger que je n’ai jamais rencontré, mais il était avec moi, te souviens-tu Mick que tu étais venu et que tu dormais sur le plancher car il n’y avait pas de lit pour lui, il ne peut pas oublier car c’était dur, il était dans la chambre de Bob Dill car la mienne était pleine comme un œuf, il s’esclaffe, l’était juste en train de faire son intéressant, il n’était pas si mort que ça, parfois il faut savoir s’arrêter, je ne suis pas en train de dire que le gagnant est méchant, ce soir le gagnant c’est Otis, nous tenons à remettre à Otis et à sa famille, elle doit être là, cette grande, grande récompense, et

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    je suis heureux d’être là et que c’est la première fois que j’ai chanté Lucille il y a trente ans et j’ai chanté le rock’n’roll depuis trente ans. Bonne nuit. Bon Dieu, une femme toute menue se glisse dans ses bras. Prenez-moi en photo avec cette lady, elle prend la parole dans quelques instants, tendez la main à ce monsieur, elle prend des mains la statue que Wexler lui remet, encore une photo avec la statuette, Zelma l’épouse d’Otis s’approche du micro, elle parle, pas très longtemps, mais l’on ressent son émotion et son chagrin encore présent si longtemps après la disparition d’Otis. Elle ne peut continuer, Little Richard l’accompagne doucement…

             Sans commentaire.

    Damie Chad.

     

    *

             590, 594, 617, voici un moment que nous suivons Telesterion. Vraisemblablement pas avec une attention soutenue puisque qu’au mois de septembre dernier nous avons laissé passer sa dernière production. Apparemment Demeter ne nous en a pas voulu. En effet Telesterion se donne pour but unique de chanter pour la déesse. Nous avons cru au début que Telesterion était un groupe grec, il s’agirait d’un seul individu qui serait américain. Voici donc, avec Thumos, deux groupes de la grande Amérique qui se consacreraient au legs de la Grèce Antique. Comme par hasard tous deux possèdent la même maison de disques…

    THEMESPHORIA

    TELESTERION

    (Snow Wolf Records / Septembre 2024)

             Les Themesphoria remonteraient-elles à près de mille ans avant notre ère sous forme de pratiques rituelles liées à l’agriculture dans le bassin méditerranéen… Ce qui est certain c’est que les Themestoria étaient des fêtes liées aux cérémonies des Mystères d’Eleusis. Il en reste encore des traces aujourd’hui dans nos sociétés modernes lorsque l’on explique à nos chérubins qui veulent tout savoir, on leur raconte que leur papa a planté une petite graine dans leur maman… Civilisation avancée nous entrevoyons le problème de la génération selon les progrès de nos médicales connaissances gynécologiques… les premiers peuples sédentaires s’inquiétaient davantage de leur survie alimentaire qui dépendait avant tout de la fertilité du blé… pour la problématique enfantine on aviserait plus tard…

             L’on a un peu tendance à rire jaune lorsque l’on prend connaissance des fameux mystères du sanctuaire sacré proche d’Athènes. Tant de bruit et de silence pour des évidences à la portée de nos élèves de CM1 ! Que la graine doive périr pour donner naissance à un épi de blé nous l’admettons, que cette force naturelle qui conduit la graine à périr pour renaître sous forme d’épi porteur de grains qui retombés en terre accepteront leur rôle de graines, la description de ce phénomène nous l’assimilons sans trop de peine, que le processus germinatif de la graine soit assimilé et associé à l’idée de force vitale propulsée par le phallus, nos lointains ancêtres, pas plus bêtes que nous, y ont souscrit sans difficulté. N’étaient point du genre à cacher ce témoin du désir turgescent.

             Tous ces processus nous ne les entrevoyons que sous leurs aspects platement réalistes.  La science nous a fait perdre le mystère des choses. Les grecs recouvraient de métaphysique la physique des choses. Humaines, trop humaines, les choses ne possédent que maigre valeur. La graine, symbolisée par Perséphone obligée de passer les mois d’automne et d’hiver sous la terre dans le royaume souterrain d’Hadès son mari, retrouvait le soleil durant  la majeure partie de l’année près de  sa mère, la déesse Déméter. Que trois Dieux soient mêlés au processus germinatif, voilà de quoi lui concéder une certaine majesté…

             Si vous avez du mal à sentir la présence des Dieux rôder autour des choses, consolez-vous, la plupart de vos concitoyens ne discernent point les idées platoniciennes au-dessus du moindre phénomène. Ne soyez pas désespérés, Aristote lui-même n’a jamais manifesté une grande créance aux théories de Platon.

             Si les Mystères d’Eleusis étaient ouverts aux femmes comme aux hommes, les femmes mariées (et peut-être de bonne famille) avaient seules le droit de participer aux Themesphoria. Est-ce à cause de cette suppression de la moitié des témoins que le secret de ces rites nous est mal connu, malgré leur réputation de cancanière à la langue affûtée, peut-être les femmes ont-elles su rester discrètes…

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             En règle générale les Themesphoria se déroulaient fin octobre et duraient trois jours. Certaines cités grecques optaient pour une période pouvant atteindre dix jours… Telesterion a opté pour quatre stases. Toutefois il rajoute cinq rites choisis parmi ceux que pratiquaient les prêtres chargés du culte. Nous y reviendrons.     

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             Différentes lectures de la signification des Themesphoria peuvent être proposées. Il en est une très rassurante :  ce seraient des cérémonies qui siéraient à la majesté des femmes mariées et à leur statut de génitrices. Dans la série ayons de beaux enfants forts et virils ils sont les garants de la survie future de la  Cité, les Grecs étaient très fortiches… Maintenant quand on touche au sexe des femmes une autre version transparaît. Lors de cérémonies liées aux cultes de la fécondité, par exemple durant les Lupercales  romaines, menées par les prêtres du dieu Faunus, les jeunes hommes s’armaient de lanières et se dispersaient dans la ville pour fouetter au hasard les femmes désireuses de tomber enceintes, nous ne sommes pas loin de jeux érotiques sado-érotiques… Pensons au scandale suscité par Jules César pour s’être introduit dans les cérémonies secrètes en l’ honneur de la Bonne Déesse ( = Fauna = Céres = Demeter) interdites aux hommes, durant lesquelles nos Dames de haute vertu s’adonnaient à de fortes libations alcoolisées et à certains jeux érotiques étrangement semblables à des orgies. Pour les curieux nous recommandons la lecture attentive du Dialogue des Courtisanes par Pierre Louÿs, nous ne donnerons pas ici la traduction de ce terme grec de ‘’Bobôn’’ désignant cet ustensile que ces péripapéticiennes utilisaient pour prendre un peu de plaisir dans cette vallée de larmes que serait notre séjour terrestre.

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             Nous pensons que nos lecteurs ont plus ou moins entendu parler de Perséphone fille de Déméter kidnappée par Hadès le Dieu des Enfers. Sa mère en larmes et désespérée s’en vint se plaindre à Zeus. Rappelons-nous que Perséphone est aussi la fille de son père : Zeus. Cette histoire est peu metooesque. Puisque sur les conseils de Zeus, malgré les ignobles épreuves à laquelle le dieu des Enders  soumit son cops innocent, Perséphone consentit à régner en compagnie de son mari sur le monde des morts. Phénomène d’emprise !  Comme quoi Eros et Thanatos…

             Il est toutefois un autre personnage lié de très près à cette histoire. Il s’agit d’une des plus vieilles déesses, Hécate, les rockers la connaissent car elle préside aux carrefours, endroit où toutes le mauvaises, mais aussi les bonnes rencontres peuvent se produire. C’est dans un carrefour que le diable in person apprit à Robert Johnson les adéquates positions des doigts sur les cordes d’une guitare. Dans notre modernité Hécate ne jouit pas d’une bonne réputation… c’est pourtant elle qui a  permis à bébé Zeus de ne pas être englouti dans le ventre de son père Kronos… C’est aussi elle qui servante de Déméter s’occupa du bébé Koré, signifiant jeune fille, premier nom que sa mère lui donna et qu’elle abandonna lorsqu’elle devint Perséphone, l’épouse d’Hadès.

             Lorsque Déméter désemparée ne savait plus quoi faire devant la mystérieuse disparition de sa fille, Hécate prit les choses en main, elle l’emmena chez Hélios le kronide  qui la dirigea vers Zeus… Mais avant que Zeus n’eût donné à Hadès l’ordre de libérer Perséphone, Déméter avait reçu accueil et assistance auprès de la reine Métaneiré à qui elle ordonna de faire bâtir dans la ville d’Eleusis un temple en son honneur. C’est de retour de son entrevue avec Zeus qu’elle initia le roi Kéléos et ses fils Triptolémos, Polyseinos, Eumolpos, Dioclès, aux rites secrets qui seront enseignés dans son temple à EleusisLeconte de Lisle dans ses traductions des Hymnes Homériques emploie le terme orgie pour désigner le contenu de ses rituels secrets…  Ce sont ces cinq rites dont Themesphoria nous indique qu’ils sont accomplis par les prêtresses de Déméter.        

             La couve de l’Ep dont nous n’avons pas réussi à découvrir la provenance nous semble moderne, empruntant autant à l’Art Moderne d’un Aubrey Beardsley  qu’à la bande dessinée, elle tranche avec celles des précédents artefacts de Telesterion.

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    Skira : qui en grec signifie ombre : cela pourrait s’intituler l’angoisse, la descente dans le noir des Enfers de Koré emportée par Hadès, des pas dans une galerie, quelqu’un qui porte un corps pesant, vision auditive toute hominienne, des chœurs incessants pour donner à cette interprétation la grandeur fastueuse de l’évènement en train de se dérouler, une espèce de contre-initiation charnelle, l’ouverture des grenades sanglantes du sexe percé de Perséphone, l’intuition qui lui est prodiguée de la signification de l’acte accompli, en dehors de toute limitation individuelle, la portée symbolique, de ce grain de grenade qu’elle a avalé qui l’a rendue immortelle puisqu’elle ne peut plus mourir, car même les Dieux immortels peuvent mourir s’ils ne peuvent plus se nourrir d’ambroisie et de nectar, nourriture sacrée des Dieux suscitée par les bienfaits de Déméter… Plus que l’épisode mythologique du rapt de Koré, l’ombre ici n’est qu’une des figures de la mort inéluctable. Anodos : joyeuses pincées de cordes et trot percussif, si skira désignait la descente de Perséphone dans la mort, anodos signifie montée, vers le soleil, le retour de Perséphone vers Déméter, le cycle de la vie qui se libère des liens du cycle de la mort, la fleur qui s’offre au soleil, la végétation qui renaît, l’éblouissance des forces de la nature, l’assurance du triomphe de la vie. Ce premier jour des Themesphoria donnait lieu à un défilé triomphal, sans doute y promenait-on les futures victimes animales  offertes à la déesse : chiens (pensez à Hécate et à Cerbère) et porcs (particulièrement utilisés dans des rites de fertilité dont Déméter et Koré  étaient de droit les principales bénéficiaires. Des morceaux de porcelets étaient enfouis dans des fossés creusés dans les champs, pour être récupérés plus tard et servaient alors d’offrandes sur les autels de la déesse afin qu’elle favorise les futures moissons. Tout parallèle avec le grain de blé transformé en épi s’impose naturellement.). Nesteia : rythme sans force. Musique grave et retenue. Ce deuxième épisode des Themesphoria surprend, il s’agit d’un jeûne propice au recueillement et à la réflexion. Toutefois il était conseillé de participer à cette cérémonie en ayant auparavant suivi durant trois journées une abstinence que l’on ne peut qualifier que d’ordre sexuel. Etait-ce pour ne pas se présenter à la cérémonie suivante le corps fatigué, les membres las, les chairs comblées… toujours est-il que l’on ne peut ne pas remarquer que le flux musical se charge d’une certaine tension, d’un tambourin insistant, d’une accumulation organique d’impatience comprimée. Kalligeneia : la troisième journée était vouée à fêter cette déesse censée vous aider à engendrer de beaux enfants, robustes et en pleine santé. S’agissait-il simplement d’offrandes de fleurs, de bijoux, de chevelures, dans l’espoir d’être exaucée ou d’une initiation sexuelle sous forme de mimes, ou de pratiques plus exhaustives. Nous n’en savons rien. Nous notons toutefois que ce morceau accumule séquences d’attente et moments de libération, certes l’ambiance n’est guère priapique et reste cantonnée dans un registre grave et contenu, il s’agit bien d’entrevoir cette initiation comme des instants sacrés et solennels qui confère à des gestes somme toute jouissifs une dimension énigmatique et mystérieuse que les non-initiées étaient censées ne pas connaître…

             Cet EP de Telesterion est d’un abord moins évident que les enregistrements précédents. Il demande quelques connaissances de base sans lesquelles il est difficile de pénétrer le sens ultime de cette musique qui reste celle de l’évocation de pratiques cultuelles de l’ancienne Grèce. Aujourd’hui le regard que nous portons sur ces cérémonies bâties à leur époque sur des observations archaïques les plus triviales, plongeant leurs racines dans la période néotlithique, nous les recevons après des siècles d’édification mythologiques d’une grande complexité car constituées de couches historiales diverses, elles-mêmes modulées par toutes ces réflexions raisonnantes léguées par la philosophie et la pensée sophistique du legs de la Grèce Antique.

    Damie Chad.

     

     *

             Sans être un linguiste réputé il y a des noms de groupe qui se traduisent facilement exemple : conifer beard = barbe de conifère.  Ce qui ne vous empêche pas de barjoter : les sapins étant des conifères voici votre barbe de conifère qui se transforme en barbe de sapin, par un subtil glissement vous obtenez barbe de sapeur. Du coup en gambergeant dans votre tête vous imaginez les sapeurs de la Grande Armée entrant dans l’eau froide de la Bérézina pour construire les ponts salvateurs, vous voici transporté en Russie, bingo ! justement le groupe qui porte le nom de Conifer Beard est de nationalité russe. Soyons précis : de Yelabouga (80 000 habitants) située sur un  affluent de la Volga à plus de neuf cents kilomètres de Moscou. Tout concorde, trois grands types costauds nantis d’une barbe, toutefois avouons-le  fièrement, plus modeste que celle des sapeurs de Napoléon, des adeptes de stoner rock. Des brutes épaisses sympathiques. Enfin presque. Sur leur Instagram vous avez une photo tous les trois debout devant une isba recouverte de neige accompagnée d’un texte écrit en Russe. Quand on pense que Tolstoï enfant parlait mieux le français que le russe, l’on se dit que l’on n’aurait pas besoin d’un traducteur pour comprendre. Or justement le texte traduit reste passablement compréhensible. Ce n’est pas que le traducteur soit mauvais, ce n’est pas que nos conifer men soient des analphabètes, c’est que nous sommes en présence d’un texte poétique. Bref des types qui méritent le détour, alors sans plus attendre l’on se penche sur :

    Странствий Сказ

    CONIFER BEARD

    (Février 2025)

             Oui nous les avons déjà rencontrés dans notre livraison 622 du 30 / 11 / 2023, et vous avez raison ce Странствий Сказ signifie bien RECIT DE VOYAGE. Nous sommes donc dans la grande tradition du récit de voyage russe dont le chef-d’œuvre reste  La Steppe (Histoire d’un voyage) d’Anton Tchekhov. Nous voici partis pour un étrange voyage.

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             Je ne suis pas un spécialiste de l’art graphique du vingt-et-unième siècle mais je ne crois pas m’avancer beaucoup en assurant que le 31 décembre 2299 la couve de ce disque ne sera pas élue comme une des dix images totémiques des cent dernières années qui se seront écoulées. Toutefois que signifie cette utilisation du blanc et noir alors que les productions précédentes de Conifer Beard ont toutes bénéficié d’une impression quadrichromique. Il ne faut point d’après moi expliciter que cette absence de couleur soit due à un manque de moyens pécuniers. Le groupe a voulu qu’il y ait une coalescence d’intention entre la pochette et le thème de l’album. Certes des centaines de verstes parcourues dans une sombre forêt recouverte de neige peut être facilement représentées en noir et blanc, mais il est deux sortes de voyages, ceux qui se déroulent en pleine nature et ceux intérieurs que l’âme effectue après le trépas. Le blanc du linceul et le noir funèbre s’imposent alors d’eux-mêmes.

    Artem Kornilov : guitar / Arsenil Kornilov : bass / Robert Nurunov : drums. Se partagent tous les trois le vocal.

    Зачин : Départ : apparemment nous sommes dans un avion, un vieux coucou, les vitres ouvertes, ou dans une voiture puisque l’on entend des cris d’oiseaux, un chœur lointain de femmes éplorées retentit, hurlements de loups, à moins que ce ne soit des chiens qui hurlent à la mort, des talonades de pas pressés, une cloche qui tinte rapidement, et bruits rassurants un combo de rock qui s’en vient tailler la route. Ясный Сокол : Faucon clair : vous avez une belle turbine rock de bon aloi, ça défile à mort, pas le temps de s’ennuyer, la batterie qui scande le rythme et les guitares qui brodent et surfilent à mort, vous êtes heureux, pourvu que ça dure jusqu’à la fin pensez-vous. Justement la voix, pas du tout ennuyeuse, elle se maintient sur la cime de la rythmique sans problème, mais si vous prêtez un tantinet attention à ce que cette voix un peu voilée vous suggère elle vous oblige à vous poser   une question, nous trouvons-nous au début ou à la fin, je sais c’est un peu le mystère de l’âme russe, et ce faucon qui vole vers le ciel et dont les ailes claires cachent la rougeur du soleil naissant, quel est ce dialogue qui s’instaure entre ce qui paraît être un chevalier médiéval et ce faucon de grande sagesse qui instruit l’âme – soyons réaliste avez-vous déjà vu des chevaliers à la pesante armure voler dans le ciel – qui s’envole dans le ciel après un dernier regard jeté vers le souvenir des siens aimés et chéris. Les guitares s’étirent  vers l’infini et le moteur de la vie s’emballe comme s’il savait que le voyage sera encore long. Pour ceux qui ont peur de se morfondre vous avez sur la vidéo un paysage de forêt enneigée qui se déroule sans fin. L’immensité de la taïga russe. С зарёй : L’aube heureuse : l’impression que la guitare joue au billard à trois boules avec la batterie, ne vous inquiétez pas pour savoir qui est la boule rouge, pour poser la question d’une autre manière si celui qui parle est un chevalier blessé qui chevauche à travers la forêt poursuivant un rêve perdu de fidélité, ou alors est-ce son âme en partance vers on ne sait trop quoi  qui se pense représentée en chevalier  cheminant vers le vide de la mort. Doit discuter ferme avec lui-même pour savoir s’il est encore vivant ou déjà mort, c’est que l’on ne peut représenter la mort qu’avec les mots et les images des vivants, ce qui, vous en conviendrez, aide à produire une certaine équivoque. ДухМакабра : L’esprit de mort : La chevauchée continue-t-elle de plus belle, si l’on en croit le rythme imperturbablement appuyé la galopade se poursuit mais le vocal comme légèrement reculé dans la musique, comme un intervenant, qui prend la parole sans se soucier de ceux qui sont en train de parler, tient un discours totalement identique mais pas tout à fait pareil, tiens cette cowbell qui résonne ne nous ordonne-t-elle pas de faire attention au temps qui passe, ne sommes-nous pas dans l’éternel présent d’un éternel retour qui revient incessamment sur lui-même. Mon cercueil n’est-il pas encore un jeune sapin  qui pousse dans la forêt enneigée, combien de fois n’ai-je pas serré la main de Dieu, je suis mort et la mort me suit, elle m’accompagne comme un serviteur fidèle, mais encore une fois voici l’heure fatidique, celle du retour. Пепел Станет Огнем : Feu de cendres : la guitare sonne comme les trompettes qui annoncent le retour du héros, l’est comme le phénix qui renaît de ses cendres, mais le rythme s’avère moins triomphal, comme si le retour n’était pas aussi certain, le retour n’est-il pas aussi le retour de la séparation, ce qui a été perdu une fois, est-il perdu pour toujours, est-ce pour cela que nous ne parvenons jamais à recoller les deux morceaux de la porcelaine la plus précieuse, le feu qui brûle le phénix n’a-t-il pas raison du phénix par le simple fait qu’il soit matière inflammable. Le morceau s’arrête brutalement, serait-ce pour ne pas répondre à la question. L’espoir fait-il vivre ou mourir.  Исход : Résultat : le vent se lève et souffle, quelqu’un aiguise une lame, chœur féminin, est-ce le chevalier qui se prépare au combat, sont-ce les derniers grésillements d’un feu qui finit de se consumer…

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             Nous n’en saurons pas plus. Le mystère du voyage reste ouvert ou fermé. Ce qui revient au même. Une culture russe nous aiderait peut-être à mieux comprendre, par exemple cette cabane sur pilotis est-elle une allusion à l’isba de Baba Yaha sur ses pattes de poulets… Existe-t-il une légende d’un chevalier russe entreprenant un tel périple…

             Ce qui est sûr c’est qu’avec cet EP Conifer Beard nous tient par la barbichette et nous file une tapette à démantibuler un ours.

    Damie Chad.

     

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 601: KR'TNT 601: GENE CLARK / INSPECTOR CLUZO / ISAAC HAYES / POKEY LAFARGE / SWAMP RATS / MARLOW RIDER / MOONSTONE / BIRDS OF NAZCA / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 601

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    18 / 05 / 2023

     

    GENE CLARK / INSPECTOR CLUZO

    ISAAC HAYES / POKEY LAFARGE

    SWAMP RATS / MARLOW RIDER

     MOONSTONE / BIRDS OF NAZCA

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 601

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Last train to Clark’s ville

     - Part Two

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             Le grand spécialiste de Gene Clark s’appelle John Einarson. Ce canadien est aussi spécialiste d’Arthur Lee, ce qui ne gâte rien. Einarson compte donc parmi les becs fins de la rock culture. Par conséquent, on le suit à la trace, comme on suit des cracks comme Peter Guralnick, Mick Wall ou encore Richie Unterberger. Ce sont des gens qui ne prennent pas les choses du rock à la légère. On sort de leurs books ravi et grandi, ou, pour dire les choses plus crûment, un peu moins con qu’avant. Bon d’accord, dans l’absolu, ça ne change pas grand-chose d’être un peu moins con, mais tu admettras qu’il vaut mieux l’être un peu moins que de plus en plus. On se débrouille tous comme on peut, avec nos coquetteries et nos petites logiques à la mormoille.  

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             Einarson rend hommage à Gene Clark avec Mr. Tambourine Man: The Life And Legacy Of The Byrds’ Gene Clark, un book mastoc ramassé à sa parution en 2005 chez Smith, la librairie anglaise de la Rue de Rivoli. Stocké dans l’une des piles de stockage, le book a roupillé pendant presque vingt ans, son dos orangé s’est même décoloré, jusqu’au jour où parut la compile Ace consacrée à Gene Clark (You Showed Me. The Songs Of Gene Clark) épluchée la semaine dernière. Réveil brutal. Tout le monde sur le pont ! L’heure était venue de saluer cet immense artiste.

             Alors attention, les books d’Einarson ont une particularité : ils sont extrêmement bien documentés et d’une rare densité. Il faut généralement doubler le temps prévu pour en venir à bout. Comme Jawbone, l’éditeur Backbeat Books fait le choix d’une typo minimale et quasi-cryptique, un Garamond condensé en corps 10, une fonte d’érudit maniaque qui rend l’avance difficile. Tu croises des milliers d’informations à la seconde, les mots semblent en cacher d’autres, tu dois souvent t’arrêter pour reprendre ton souffle. C’est le prix à payer pour entrer dans les neuf cercles d’Einarson. Mais bon, on ne va pas commencer à chouiner, on n’est pas là pour ça.

             Einarson plante très vite le décor en qualifiant Gene Clark d’«Hillbilly Shakespeare, de psychedelic Johnny Cash et de cocaine-fuelled visonary and tragic figure.» En deux lignes, il résume presque ses 300 pages. Mais on veut en savoir plus. Einarson précise très vite qu’avant d’être musicien, Gene Clark est surtout poète. L’un des premiers à reconnaître le génie de Gene Clark, c’est Taj Mahal : «My God, the songs he wrote! He was a very deep man.»

             Bon, va faire comme les proches de Gene Clark, on va l’appeler Geno. On gagnera de la place. Geno a du sang indien dans les veines. Son père serait d’une ascendance Cree du Minesotta. Geno s’entend bien avec d’autres Indiens, comme Jesse Ed David et David Carradine. Il est né dans un milieu pauvre au Missouri, mais il grandit au Kansas, avec ses 11 frères et sœurs. Il a 18 ans quand il rejoint les New Christy Minstrels, et arrive à Hollywood en 1963. Pour la première fois de sa vie, il a une chambre pour lui tout seul. Les Minstrels ont alors beaucoup de succès et ils prennent l’avion chaque jour. Geno développe très vite une petite phobie de l’avion. Plus jeune, il a vu un avion s’écraser et vu des gens sortir en flammes. Alors très peu pour lui. Un jour, il oublie de se pointer à l’aéroport et les Minstrels partent sans lui. C’est la technique de Geno : quand un plan ne l’intéresse plus, il disparaît.

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             Le voilà tout seul à Los Angeles, avec sa douze, quelques fringues stylées et une vieille 1955 Ford convertible. Le country-boy de Bonner Spings, Kansas, se met à la recherche de kindred spirits pour jouer la musique des Beatles. Entre 1963 et 1964, la Beatlemania a explosé et Geno veut en faire partie. C’est au Troubadour que ça se passe. Geno y traîne tous les soirs.

             Et là Einarson piétine les plates-bandes de Johnny Rogan, puisqu’on assiste en direct à la genèse des Byrds. Le premier fan des Beatles que croise Geno est Roger McGuinn - La première fois que McGuinn les a entendus à la radio, il s’est mis à jouer leurs morceaux - Geno le voit gratter un Beatles’ tune sur sa douze au Troubadour : «Je me suis dit : ‘Man, this guy’s got the right idea!’ Je suis allé le trouver et lui ai dit : ‘Look, do you mind if I play with you? Et il a répondu : «No. Have a seat! J’avais aussi une douze. Et on a joué comme ça pendant trois semaines, en duo. On voulait devenir un duo dans le genre de Peter & Gordon, doing the English style. Et on s’est mis aussitôt à écrire des chansons.» McGuinn voyait plus un duo à la Chad & Jeremy. Sans Geno, McGuinn pense que les Byrds n’auraient jamais pu exister.

             Et voilà Croz qui débarque. Il a déjà une sale réputation. Mais il connaît Jim Dickson et il a un accès gratuit au World Pacific Studios. Ce sera son ticket d’entrée dans les Byrds. Jim Dickson grenouille depuis un certain temps dans le showbiz, nous dit Einarson, il a bossé avec Odetta, les Dillards et l’énigmatique Lord Buckley. Chris Hillman (bass) et Michael Clarke (beurre) viennent compléter les effectifs. Au début, les Byrds tentent de copier les Beatles. Chris Hillman : «We were trying to come up with the sound, which we did eventually.» Croz affirme qu’il est un meilleur harmony singer que McGuinn - That was my gift - Comme Geno a la meilleure voix, il est bombardé lead singer. En plus, il est plus joli que les autres et, petite cerise sur le gâtö, il compose. Croz et McGuinn s’inclinent. Non sans mal. Car les egos sont de taille, surtout celui de David Croz. Jim Dickson : «Si vous n’admettiez pas que David était the most marvelous in the world, then David was not happy with you.» Quand on demandait à Terry Melcher si Charles Manson était le mec le plus dangereux d’Hollywood, Melcher répondait : «Non, c’est David Crosby.» Croz entame une petite guerre d’usure contre Geno. Il lui dit que son timing chant/guitare n’est pas bon. On lui retire sa gratte. Geno doit jouer du tambourin sur scène. McGuinn se marre en douce : «David était un manipulateur et Gene was a little bit slower than him when it came to thinking.» Croz insiste pour dire que Gene n’était pas aussi bon que lui en tant que guitariste rythmique et qu’il était un bon front man : «He was a handsome dude and when he was standing up front there it gave the girls something to admire.» Les formulations de Croz restent délicieuses. On s’en pourlèche les babines. C’est vrai que Geno est une superstar dès le début. Denny Bruce : «Crosby était un peu joufflu et Chris était un chic type. Mais en termes de sex appeal, Gene et Micheal were kind of the Brian Joneses of the group.»

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             Le co-manager des Byrds Eddie Ticker pense que Geno a commencé à se retirer des Byrds quand on lui a sucré sa gratte et qu’il est devenu le Tambourine Man du groupe. Il l’a mal vécu. - He was a very nervous person - C’est Terry Melcher qui produit le premier single des Byrds, «Mr Tambourine Man». Le seul Byrd à jouer dessus, c’est McGuinn. Melcher a fait venir Hal Blaine, Larry Knechtel, Jerry Cole et Leon Russell (dont le piano sera effacé de la bande). McGuinn, Geno et Croz chantent, «Gene doubling Roger with Croz on high harmony», précise Einarson. Hillman et Clarke n’ont rien joué. Jason Ronard se souvient d’avoir posé la question à Dylan : «As-tu rendu Gene Clark célèbre ?», et il m’a répondu : «Non, c’est Gene Clark qui m’a rendu célèbre.» - They really put Dylan on the map - L’histoire des Byrds est au moins aussi intense que celles des Beatles, des Stones et de Dylan. C’est du concentré de tomates géniales.

             Geno compose 20 cuts en moyenne par semaine, mais McGuinn dit qu’une seule vaut le coup d’être enregistrée, ce qui, ajoute-t-il, est normal pour un auteur. Plus tard, Geno avouera s’être inspiré de «Needles & Pins» pour composer «I’ll Feel A Whole Lot Better». Dylan est l’un des premiers à reconnaître la qualité des compos de Geno. Jim Dickson : «We saw some value in Gene’s stuff, Dylan saw more.» Geno est en effet passé rapidement de l’esprit d’«I Want To Hold Your Hand» à celui de «Positively 4th Street». Du coup, c’est lui qui se fait du blé avec le publishing et ça crée des jalousies au sein des Byrds. McGuinn : «Il roulait en Ferrari et nous on crevait la dalle.» Ils sont jaloux, mais c’est Geno qui écrit les bonnes chansons. Il s’achète une belle baraque à Laurel Canyon, au 2014 Rosilla Place. Barry McGuire et Judy Henske habitent dans la même rue. Il fait la course à Mulholland avec Steve McQueen. Vroaaarr ! Geno a un petit côté James Dean. Le mec un peu sombre qui adore conduire vite - Gene was an extremely wild driver, crazy behind the wheel from the get-go - Il se fond dans le mode de vie hollywoodien. Jim Dickson : «Il s’habillait comme Sonny Bono». Il baise secrètement la belle Michelle Phillips, la femme de John Phillips. Einarson : «Il se voyait avec elle comme the king and queen of pop music.» Elle va d’ailleurs se faire virer des Mamas & The Papas, à cause de sa relation avec Geno. Côté dope, Geno ne touche encore à rien. Il se rattrapera un peu plus tard. Croz et McGuinn fument de l’herbe.

             Voilà les Byrds bombardés au premier rang, avec les Beatles et les Stones. Geno : «The shock of being put in that position, I’ll be real honest about it, I couldn’t handle it.» Geno ne se sent pas de taille pour le superstardom. Ce n’est pas son truc. Les avions, les télés, tout ce bordel. Hillman confirme : «The clashing of egos, money, godlike adulation et la présence de divers stimulants ont exacerbé une situation incroyablement fragile.» 

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             Derek Taylor qui s’est fâché avec Brian Epstein vient s’installer en Californie et pouf, il s’occupe des Byrds. Il devient l’instrument de leur succès planétaire. Eddie Tricker : «He just knew what rock’n’roll was all about.» Mais la première tournée anglaise des Byrds est une catastrophe. Petites salles, mauvais matériel, aucune présence scénique. Ils ont chopé la crève. Derek Taylor voulait que Brian Epstein voie ses nouveaux poulains. Malgré tout, Geno est ravi, car il rencontre les Beatles. Einarson précise qu’au moment où les Byrds débarquent en Angleterre, «Mr Tambourine Man» est number one, devant «Help» (# 2) et «Satisfaction» (# 3). Geno se souvient d’une soirée magique chez Brian Jones avec John Lennon et le roi George. Geno se sent très proche de Lennon. Il l’admire autant que Dylan.  

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             Lors de l’enregistrement de Turn Turn Turn, le deuxième album des Byrds, les équilibres changent au sein du groupe : McGuinn et Croz veulent placer leurs compos. Hillman : «McGuinn and Crosby just messed with him, constantly.» McGuinn prend le contrôle du groupe. Turn Turn Turn est bourré de mauvais cuts, choisis à la place des compos de Geno. D’un naturel timide, Geno écrase sa banane. Il sait que l’animosité vient du fait qu’il empoche plus de blé que les autres. Comme Brian Jones dans les Stones, Geno se trouve marginalisé. C’est drôle comme ces deux destins se ressemblent : ils sont tous les deux fondateurs de deux des groupes les plus importants de leur époque, tous les deux brillants et beaux, tous les deux incapables de se défendre, parce que ce n’est pas le pouvoir qui les intéresse, c’est la dimension artistique. Le parallèle Geno/Brian crève les yeux. Il n’est pas étonnant qu’ils aient passé autant de temps ensemble à bricoler des chansons. «Eight Miles High», bien sûr. C’est au moment d’aller faire la promo d’«Eight Miles High» à New York que Geno quitte des Byrds. L’avion est retardé pour un problème technique. Les passagers sont à bord. Geno se lève de son siège et sort de l’avion. Le voyant partir, McGuinn lui lance : «If you can’t fly, you can’t be a Byrd.» Terminé.

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             Selon Croz, la phobie de l’avion n’est qu’une partie du problème, chez Geno. Il pense qu’il s’agissait surtout d’un nervous breakdown : «Think about it: country boy from Missouri, 12 siblings, the suddenly L.A, and stardom. Bam! He wasn’t ready for it.» Croz tente de se disculper : «J’étais dur avec tout le monde. Je n’ai aucune patience avec les gens et je dis les choses comme je les pense. Mais je ne crois pas qu’il ait quitté le groupe à cause de moi.»

             En 1967, les Byrds sont cuits aux patates. Croz et Michael Clarke sont partis. Chris Hillman se barre en 1968. Croz : «The Byrds were done when Gene left.» Croz dit encore que les Byrds ont fait deux bons albums sans Geno, mais la magie était partie - And the Byrds were a magical chemistry - C’est chaque fois la même histoire : l’alchimie disparaît dès qu’on touche à l’équilibre originel.  

             En voiture Simone ! C’est parti pour la carrière solo. Geno monte Gene Clark & The Group avec Joe Larson des Grass Roots (beurre), Bill Rhineheart des Leaves (gratte) et Chip Douglas du Modern Folk Quartet (bass). Geno se met à boire comme un trou. Chip Douglas : «Soudain, Gene got a lot of Byrds money and went girl crazy and car crazy and started buying guns.» Jim Dickson emmène le groupe en studio, mais ça ne marche pas. Geno annonce aux autres qu’il dissout le groupe, mais il veut garder Joe et Bill - Chip I don’t want you in my group - Il ne donne pas de raison particulière. Geno retourne en studio avec Chris Hillman et Michael Clark, Bill Rhinehart, Glen Campbell et Jerry Cole. Leon Russell fait les arrangements. Et Jim Dickson fait venir des Gosdin Brothers pour les harmonies vocales. Eirnason ne tarit pas d’éloges sur ce premier album : «Gene Clark With The Gosdin Brothers est une anomalie. Bien ancrées dans le folk-rock, les chansons sont bien plus pop que celles des Byrds, avec de grosses influences des Beatles, de musique baroque et de Buck Owens.»

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             Il se pourrait bien que Gene Clark With The Gosdin Brothers soit le meilleur album des Byrds. Tu commences par prendre «Echoes» en pleine poire. C’est du heavy Clark, arrangé par Leon Rusell. Geno attaque à la racine du son et sonne comme la rock star américaine définitive. Il faut voir la maturité de son chant et l’heavy downhome de ses pénétrations. Il est sur toi, il te caresse l’intellect. Il approche et recule, comme d’une barcasse, alors que tu dérives sur l’océan. Geno vient te chanter l’extrême groove de la perdition psychédélique, tu sais que tu vas mourir, mais Gawd, quel réconfort. Il enchaîne ça avec deux autres coups de génie, «Think I’m Gonna Feel Better» et «Tried So Hard». Son power te dame le pion. Il chante avec un extraordinaire aplomb. Il y a va au still love you so bad. Il te fond les Byrds dans la country avec Tried So Hard, il est très en avance sur son époque. Il invente un son. Sans doute l’un des meilleurs sons d’Amérique. Il revient aux Byrds avec «Is Yours Is Mine». Il tombe dans l’excès d’excellence, c’est inquiétant. Il tortille son chant pour le ramener aux réalités du système. Il attaque son bal de B avec «So You Say You Lost Your Baby», cut quasi-mythique monté sur un beat gaga. Tu as là la meilleure psychedelia d’Amérique. Invraisemblable power composital ! Il incarne à lui seul l’avenir du rock. L’«Elevator Operator» qui suit est aussi énorme, une vraie dégringolade, il te clarke ça au right now. Cet album est l’un des meilleurs albums de rock de l’époque, il faut le savoir. Encore un coup de génie avec «Couldn’t Believe Her», il t’explose les Byrds, il détient ce pouvoir magique. C’est du Byrdsy sound à l’état pur. On le voit encore affronter son destin au menton volontaire avec «Needing Someone». Avec cet album, Geno est devenu un héros.

             Bizarrement, l’album ne marche pas, même si aujourd’hui il est devenu culte. Le problème c’est qu’à l’époque, CBS vendait aussi les albums de Byrds, et donc ils mettaient le paquet sur les Byrds, pas sur Geno. Geno entre ensuite en studio avec Gary Usher et Curt Boettcher. Ils enregistrent largement de quoi faire un album, mais Einarson ne sait pas où sont passées les bandes. C’est le fameux deuxième album solo de Gene devenu une sorte de monstre du Loch Ness. Tout le monde en parle, mais personne ne l’a vu. Comme les gens de CBS trouvent que Geno n’est pas viable commercialement, ils le virent. Jim Dickson pense que si Geno avait sorti un hit, les choses auraient été bien différentes. Le plus hallucinant dans toute cette histoire, c’est que Geno n’a fait que ça : pondre des hits. Cot cot ! «Echoes» ne serait donc pas un hit ? C’est le monde à l’envers !

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             Geno va se faire une spécialité : l’abandon de projets. Il n’en finit plus de composer des chansons géniales, mais ce sont des autres interprètes qui se les tapent, par exemple David Hemmings avec «Back Street Mirror». Geno passe ses journées à composer. Il évoque 200 ou 300 chansons dans un tiroir. C’est à cette époque qu’il rencontre The Rose Garden et qu’il leur file des chansons : «Only Colombe» et «Down By The Pier». Mais ils ne prennent que celles qu’ils sont capables de jouer, «Till Today» et «Long Time». Les démos de Geno avec The Rose Garden se trouvent sur le Gene Clark Sings For You dont on va parler plus loin.

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             Puis Geno devient pote avec Doug Dillard. «Ils adorent siffler des Martinis, ils adorent l’herbe et ils adorent l’acide», dit David Jackson qui joue de la basse avec eux. Tickner surenchérit : «Two guys with a drinking problem coming up.» Et un troisième larron, Daniel Moore ajoute : «Both of those guys were pretty hardy-party guys. They would go on for days. Je ne pouvais pas suivre. Une soirée, ça me suffisait et j’allais me coucher, mais eux, ils continuaient.» Ils jamment chez David Jackson à Beechwood Canyon avec Don Beck (mandoline) et Bernie Leadon (banjo et futur Eagle). Leadon dit que ce groupe était organique. Cette fine équipe finit par entrer en studio pour enregistrer The Fantastic Expedition Of Dillard & Clark. Geno s’entoure de spécialistes de la country mais il les entraîne vers le country-rock et la down-home good time music. Il a trouvé refuge chez A&M. Avec sa Fantastic Expedition, Geno crée de la magie dès l’ouverture du balda avec «Out On The Side», un shoot d’heavy country hantée, plombée et magnifique, opaque et lumineuse, ce que les critiques appelèrent the relaxed magic of Gene Clark. Globalement, ce Fantastic Voyage est un album de country rock chatoyant, illuminé par le violon de Bernie Leadon. L’autre énormité de l’album s’appelle «In The Plan», un Plan attaqué au banjo et la voix de Geno se pose comme la main de Dieu sur cette country primitive. C’est extrêmement puissant. La country de Dillard & Clark a une fantastique allure qui ne doit rien à celle de Nashville. «Don’t Come Rollin’» file à travers les collines ensoleillées, avec des coups d’harp et de banjo. On reste dans l’excellence avec «Train Leaves Her This Morning». Pur spirit, une fois encore. Ils attaquent «With Care From Someone» au fast banjo du Kentucky, c’est vite embarqué par une basse pulsative et monté en neige aux harmonies vocales. Une véritable énormité cavalante ! Doug Dillard est un fou du banjo. Les fans les plus fous de Geno ont forcément rapatrié la red de l’album parue en 2008 pour pouvoir entendre le mythique «Why Not You Baby», ce blast de country power qui est tellement puissant qu’il t’emporte comme un fleuve en crue. Geno a une façon unique de se fondre dans le groove. Il revient aux harmonies vocales lourdes et lentes pour mieux nous fasciner. Tout est surexcité ici, le violon, le banjo, tu ne trouveras jamais ça ailleurs. Et puis tu as une cover magistrale de «Don’t Be Cruel», un wild hommage à Elvis. Sous sa casquette de biker, Geno développe des énergies de wild cat. Rodney Dillard : «Those two guys were pretty wild.» Ils essayaient d’entrer dans les bars sur leurs motos - Trying to drive their motorcycles into the bar - Quand il ne refait pas la course poursuite de Bullit avec Steve McQueen, Geno roule en moto dans les bars.  

             Pour la promo de The Fantastic Expedition Of Dillard & Clark, ils doivent tourner un peu. Les voici à l’affiche du Troubadour. Vers 15 h, Geno et Doug vont boire des Martinis et prendre un acide dans le rade voisin, et quand ils montent sur scène à 21 h, ils sont out of it. Geno s’assoit sur son ampli et fixe le mur, quant à Doug, il saute à pieds joints sur un violon qu’il a posé au sol. Don Beck quitte le groupe sur le champ. Le concert est un désastre historique. Dommage, car les spécialistes trouvaient the Dillard & Clark Expedition bien meilleur que Poco ou les Burritos - Their music was way ahead of the others, more conceptual and concise than the Burritos», dit John McEuen - Il ajoute qu’avec moins de dope, ils auraient pu devenir énormes. Bernie Leadon rappelle qu’en plus d’une phobie de l’avion, Geno avait le trac sur scène - His fear of performing was legendary too - C’est pour ça qu’il picolait et se tapait des acides.   

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             Le deuxième album de Dillard & Clark s’appelle Throught The Morning Throught The Night. Avec Byron Berline au violon, le son est plus bluegrass. L’album réserve une bonne surprise : une cover de «Don’t Let Me Down». Belle hommage d’un géant à ces géants que furent les Beatles. Gene Clark américanise cette merveille océanique. Ça tient bien la toute, il chante à fendre l’âme. Même si on n’est pas trop fan de cette chanson, il en fait un chef-d’œuvre interprétatif. Son accent fêlé de trompe pas. Derrière, les autres pourvoient à la paix du monde. Sinon l’album est très country, comme le montre l’excellent «Kansas City Southern», ces mecs vont vite en besogne, ça joue au hard drive des Appalaches. Geno fait aussi un petit peu de psychedelia avec «Polly». Il a vraiment un son à part, une qualité de plaintif qui embellit la donne. Encore du big country batch avec «No Longer A Sweetheart Of Mine», puis une fast country de ventre à terre avec «Rocky Top» et toute la bande de Donna Washburn, Bernie Leadon, Sneaky Pete, Hillman et le banjo de Doug Dillard. Mais comme le groupe prend une direction trop bluegrass à son goût, Geno se retire - He was done with Dillard & Clark.

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             En 1971, il enregistre White Light. La tendance générale de l’album est le balladif sentimental. On sent le timoré derrière le country boy du Missouri. Il faut attendre le morceau titre pour crier au loup. Big country energy ! Gene Clark emmène sa country à l’aventure avec énormément de son, c’est extrêmement altier et mélodiquement solide. Et là on tombe sous le charme discret de la bourgeoisie Clark. Il attaque sa B avec «Spanish Guitar» et des coups d’harp mélancoliques. Il se répand bien dans le Dylanex. Pour Serge Denisoff, «‘Spanish Guitar’ is the first cousin of ‘Visions Of Johanna’ mixed with ‘Tom Thum Blues’, harmonica riff and all.» «Where My Love Lies Asleep» est encore plus mélancolique. On ne peut pas espérer meilleure tartine de Dylanex. Geno sait rester intense dans son élan. Il va sur le psyché rampant avec «Tears Of Rage». Il est extrêmement doué pour serpenter sous le boisseau de sa vieille psychedelia. «1975» renoue avec le big American rock. Quel superbe artiste ! Il tient bien sa chique, il chante à la mâchoire carrée avec des trémolos dans la voix. Geno est un loup solitaire. Einarson ne tarit plus d’éloges sur White Light : «It is a stunning work of sheer genius and Gene Clark’s highest watermark to that point.» Et il ajoute, éperdu : «Pour Lui, c’est la force des paroles et la mélodie qui portent les chansons.»

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             Enregistré en 1971, Roadmaster ne paraît qu’en 1973. Il pourrait bien être le meilleur album solo de Gene Clark. Il faut savoir que l’ancien manager des Byrds rêvait de voir les Byrds se reformer, et il a presque réussi son coup en ramenant Croz, McGuinn, Michael Clarke et Chris Hillman en studio pour deux cuts, «She’s The Kind Of Girl» et «One In A Hundred». C’est exactement le son des Byrds, on s’y croirait. Alors évidemment, comme McGuinn et Croz ne peuvent pas s’encadrer, ils viennent chacun leur tour enregistrer leurs pistes en re-re. «Here Tonight» sonne encore comme un cut des Byrds, avec ce sentiment de sunshining melancholia. Le bassman dément qu’on entend derrière n’est autre que le Flying Burrito Chris Ethridge. «Full Circle Song» sonne comme un coup de génie, c’est même un coup de génie musicologique, chargé de richesses à outrance. Geno crée des courants magiques. Encore une merveille avec «In A Misty Morning» auréolé du violon de Bernie. Ardent défenseur de la beauté, Geno se paye sur la bête. Peu d’artistes atteignent la pointe de ce paradigme. Geno est chaud et tendu, fabuleusement authentique et c’est à cet instant précis, dans le Misty Morning, que tu tombes à genoux. Geno est l’âme des Byrds et même l’âme du rock américain. Il faut le voir tartiner son «Rough & Rocky», il s’y prend comme un grand artiste, il fait corps avec la matière de son violon, ah comme ce Missouri boy peut être bon ! Il tape dans le heavy boogie pour son morceau titre - I’m a roadmaster baby/ And I spend my life on the road - Il cultive une fantastique présence d’entre-deux. Il y va doucement avec «I Remember The Railroad», tellement doucement que ça devient beau, down the road/ So I see. Même un simple balladif tapé au clair de la lune comme «Shooting Star» est beau. Geno laisse derrière lui une traînée argentée, il est là, dans l’ombre, au coin d’une nappe d’orgue, toujours génial. Mais les sessions ont été pour le moins chaotiques. Chris Hinshaw a fait venir Sly Stone et sa bande en studio, le budget a explosé et en représailles, A&M a tout bloqué. En plus, les gens d’A&M n’aimaient pas l’album. Pas assez commercial ! Le heavy metal se vend mieux à cette époque. Les bonnes chansons n’intéressent plus le grand public. 

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             Geno fréquente assidûment Jesse Ed Davis. Indien de souche, Davis vient d’Oklahoma et s’installe à Los Angeles, comme d’autres célèbres Okies, Toton Leon, Carl Radle et J.J. Cale. Geno et Davis adorent picoler et gratter des grattes toute la nuit. Un jour, Geno prête sa Porsche 914 à Davis. Quelques semaines plus tard, Davis refait surface et Geno lui demande où est la Porsche. Bousillée ! Geno est furieux. Beaucoup plus tard, en 1985, ils se rabibochent et envisagent de bosser ensemble. Tonton Leon se dit intéressé par leur projet. Mais Jesse Ed Davis fait une petite overdose dans une laverie automatique. Fin du projet.

             Les Byrds se reforment pour enregistrer un album sans titre. Croz ramène en studio «his incredly strong pot». McGuinn se marre : «Half a joint and you couldn’t do anything. We were stoned out of our minds the whole time. I don’t remember much recording. I remember just sitting around getting high.» Mais Geno ramène deux hits, «Full Circle», tiré des sessions abandonnées de Roadmaster, et «Changing Heart». Ils essayaient de brouiller les pistes en coupant les ponts avec le vieux son des Byrds, ce qui d’après Einarson est une erreur. Geno fait aussi deux covers de Neil Young, «Cowgirl In the Sand» et «See The Sky About To Rain». On reviendra dessus dans le Part Three.  

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             Quelques relents de Byrdsymania flottent encore dans No Other. Einarson rappelle que Geno est alors considéré comme «the king of Cosmic Cowboys». Mais contrairement aux rumeurs qui ancrent No Other dans la dope, Geno est sobre, comme le rappelle sa poule Carlie. Avec ses Byrds royalties, Geno s’est s’acheté une baraque du côté de Mendocino, à Albion, à l’intérieur des terres. Il s’y installe avec Carlie et c’est là que leurs deux fils Kelly et Kai vont grandir. On peut voir la baraque sur la pochette de Two Sides To Every Story. À cette époque, Geno fréquente Tommy Kaye, un mec qui a bossé comme head of A&R pour Scepter, à New York, notamment avec les Shirelles, Maxine Brown, Jay & The Americans, et puis aussi Link Wray. Il vient tout juste de produire Triumvirate, l’album de Mike Bloomfield, John Hammond Jr et Dr John, ainsi que l’album du bras droit de Dylan, Bob Neuwirth, sur Asylum. No Other est un album visité par la grâce, comme le montre «Life’s Greatest Fool», c’est évident, tout est là, dans la façon de swinguer le groove. Geno semble toujours négocier son entrée dans un heavy balladif country. Il ne jure que par le story-telling. Il saupoudre son morceau titre d’une pincée de psychedelia, mais il faut attendre «Some Misunderstanding» pour sentir ses naseaux frémir : tu as tout suite le gratté de poux psychédélique et le chant posé. C’est sa façon de renouer avec le génie, son génie. Il ouvre des horizons extraordinaires, il est dans le renouveau à chaque instant, il retape son but I know. Voilà la compo géniale par excellence. Il lui faut du temps pour la développer, et sa façon de plomber un ciel est unique. Avec «Lady Of The North», il replonge dans la dérive de Misunderstanding, même filet de chant mélodique, ça reste atrocement bon, même si c’est assez country. Il retourne toujours la situation à son avantage. Par contre, son «Strength Of Strings» est plus delta, comme si la Californie débarquait dans le delta. Il saupoudre tout ça d’un brin de psychedelia. Il n’a aucun espoir, ça s’entend. On se croirait parfois chez Procol Harum, c’est dire si la marée monte.

             Mais Geno doit souvent retourner à Los Angeles pour les sessions et il y retrouve sa bande de wild friends, «Kaye, Carradine, Barrymore, Dillard and Davis, all part of his Los Angeles drugs-and-booze persona», ce qui l’éloigne de Carlie et des enfants. C’est l’âge d’or de la coke. Dennis Kelley : «Tommy Kaye, Jesse Ed Davis and Gene really formed something of an Unholy Trio in regards to their bad habits.» Jason Ronsard ajoute : «Tommy Kaye was just a beautiful cat, but he did a little too much cocaine.» Tommy Kaye produit No Other et déclarera un peu plus tard : «It was my answer to Brian Wilson and Phil Spector as a producer.» C’est au dos de la pochette qu’on trouve le portrait de Geno efféminé. Le hic, c’est que David Geffen trouvait l’album mauvais et ne comprenait pas qu’on ait dépensé 100 000 $ pour seulement 8 cuts. Donc pas de promo, nouvel échec commercial pour Geno. Ça ne s’arrête pas là : Geno en veut tellement à Geffen qu’un soir, il est à deux doigts de lui mettre son poing dans la gueule. Geno se grille car Geffen est un homme de pouvoir. Chris Hillman : «That shut it down for Gene. Geffen had the power then. He’s a very powerfull man. You can’t do that to a guy like him.» Il existe pas mal de parentés entre Geno et le roi Arthur qui, de son côté, a aussi ruiné sa carrière en s’en prenant à Robert Stigwood. Einarson  considère No Other comme «a masterpiece», «too far ahead of its time, or merily out of its time». Et il conclut : «Artistiquement,  c’est un sacré compliment. Commercialement, it’s the kiss of death.»  No Other et Forever Changes même combat ? Tu l’as dit.

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             Two Sides To Every Story est un album très pépère, mais tu vas régaler d’au moins deux cuts : «Home Run King» et la cover d’«In The Pines». L’«Home Run King» est un admirable shoot de country-rock à la Clark. Doug Dillard tape ça au banjo. Derrière, tu entends aussi Emmylou Harris. C’est de la petite magie pure. La cover d’«In The Pines» est aussi une merveille de black girl/ Black girl/ Where did you sleep last nite, avec Dillard au banjo - In the pines/ Where the sun never shines - On ne sait si on préfère la version de Geno ou celle de Lanegan. Avec «Kansas City Southern», Geno s’en va rocker a chique et il finit en lonseome sound. Et puis en B, tu as «Marylou», gros shoot de Soul rock. Geno fait des choix pour le moins extraordinaires. Il est de toutes les sorties, avec à la clé un vieux killer solo. Au dos de la pochette, il n’est plus maquillé comme au dos de No Other, mais barbu, «like some cosmic mountain man». Cet album est aussi celui du split : Carlie s’est barrée avec les gosses. Geno rôtit en enfer.

             Eh oui, quand Geno picole, il devient violent. Carlie a eu la trouille. Surtout pour Kelly et Kai, les deux garçons : «Je ne dis pas qu’il était dangereux physiquement, mais au plan émotionnel, au plan mental.» En plus, quand il est en virée à Los Angeles, Geno baise avec une autre gonzesse.  Alors Carlie fermes les volets de la baraque d’Albion et se barre à Hawai, le plus loin possible, pour être sûre que Geno ne la retrouve pas - If he’s got drunk and found me, he’d kill me - Puis Carlie va basculer dans la dope, elle va free-baser, alors Kelly et Kai iront dormir à droite et à gauche. Pendant toutes les années 80 et 90, Carlie est fucked-up with drugs.

             Geno réussit à partir en tournée et s’en va jouer à Londres. Mais le NME le voit comme «the epitome of the slightly stumbing overweight, bearded hippie who drank and smoked too much.» Pas terrible. Il a perdu son charisme. À Los Angeles, il s’installe avec une certaine Terri Messina, une coke dealer - That’s when he started going crazy - Einarson rappelle que toute la communauté de Laurel Canyon tournait à la coke. Ken Mansfield : «That was the peak in Hollywood for all of us, when the drugging thing was just at the heaviest.» Einarson évoque un incident : ivre-mort,  Geno aurait selon David Carradine accosté Dylan dans une party et l’aurait insulté et traité de ‘no-talent wimp’. L’incident n’est pas confirmé, mais quand il a bu, Geno insulte facilement les gens et n’hésite pas à cogner. Il va dans les bars pour se battre. Il lance des couteaux. C’est un cosmic mountain man.  

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             Il finit par se rabibocher avec McGuinn et Hillman et par faire deux albums avec eux. Le premier est enregistré au Criteria studio, à Miami, par Ron et Howard Albert, les deux frères qui ont produit le Saturday Night Fever des Bee Gees. Les Albert brothers essayent de transformer les anciens Byrds en frères Gibb. Et pouf, ils font de McGuinn Clark & Hilman un album diskö. Tommy Kaye est écœuré, car ils ont réussi à bousiller l’une de ses chansons, «Release Me Girl». Dans la baraque que les trois Byrds louent à Miami règne une très mauvaise ambiance. Ils ne se parlent pas. Tommy Kaye rappelle que «Geno got heavily into cocaine and the downtown (slang for heroin).» Mais comme d’habitude, Geno ramène les bonnes chansons. Nick Kent descend l’album dans le NME : «This desperate enterprise is aimed at the lowest common denominator, lower than the Eagles.» L’année suivante, ils reviennent à Miami enregistrer City. Geno enregistre deux cuts et se barre. Sur la pochette, Geno flotte, au propre comme au figuré. Pareil, on y revient dans le Part Three.

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             Geno, Tommy Kaye, Andy Kadanes, Chris Hillman et the Mendocino All Stars entrent en studio pour enregistrer Firebyrd. L’album ne paye pas de mine, comme ça, mais c’est un album qui grouille de coups de génie. À commencer par «Something About You Baby», une vraie merveille de psyché Byrdsy tartinée sous le boisseau, bien pulsée à la Clark, c’est la rock song parfaite d’une étincelante superstar, dans sa défroque de loser patenté. Et ça continue avec «If You Could Read My Mind», une cover de Gordon Lightfoot qui d’ailleurs vient tout juste de casser sa pipe en bois. Geno tourne cette belle pop enchanteresse en coup de génie. Nouvelle équation : Geno + Gordon = chef-d’œuvre de beauté douce. Il retape aussi son vieux «Feel A Whole Lot Better», il le gratte bien sec et l’éclate non pas au Sénégal, mais aux harmonies vocales. Il a des backing vocals de rêve. C’est invraisemblable de beauté surnaturelle. Il fait éclore sa pop au sommet du lard, avec une absence totale de prétention. Il te convainc encore avec «Made For Love». Ses pop songs sont des grâces de Dieu. «Made For Love» est d’une pureté transparente. Il y a quelque chose de solaire en Geno. On ne se lasse plus de son comin’ around. Avec «Blue Raven», tu frises l’overdose. Trop de qualité. Il t’entraîne dans son délire. Pop song parfaite, une fois de plus. Il te plombe ça aux accords californiens, avec une flûte magique. Il fait aussi une nouvelle mouture de «Tambourine Man». Il y développe sa voix et une fantastique démesure de heavy pop-rock et le jingle jangle coule de source. Aucune trace des Byrds, juste du Clark. C’est un fantastique hommage au génie de Bob Dylan.

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             Il duette avec Carla Olson sur so Rebellious A Rebel, un Rhino de 1987.  Merci Rhino ! Carla s’est faite connaître en duettant avec Dylan sur l’album Infidels («Sweetheart Like You»). Les duos Geno/Carla sont forcément magiques, surtout le dernier, «Don’t It Make You Want To Go Home». Excellence à tous les étages en montant chez Carla. Elle ramène sa petite fraise rose et humide. On lui pardonne cette impudeur. Geno vole à son secours. Les merveilles pullulent sur cet album, tiens, écoute «Fair And Tender Ladies» et tu verras Maubeuge, c’est de la magie pure, même chose avec «I’m Your Toy (Hot Burrito #1)», heavy balladif de classe supérieure, ou encore «Why Did You Leave Me Today», Geno y ressort sa voix de superstar, il couvre sa pop de morgue languide. Geno est le roi des Beautiful Songs, il sait s’abandonner. C’est Carla qui fait le biz sur «Every Angel In Heaven» et elle file à la frontière mexicaine avec «Deportee (Plane Wreck At Los Gatos)» et Geno vole à son secours pour chanter les abus de la déportation. Big Americana ! Il redevient le roi du rodéo avec «Almost Saturday Night». Geno est un mec facile à suivre : il n’a que des grosses compos. So Rebellious A Lover est le dernier album officiel de Geno.

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             Under The Silvery Moon propose les sessions enregistrées avec Nicky Hopkins, Rick Danko, John York et Pat Robinson, le fameux CRY. C’est donc une résurrection, une de plus. Tu es accueilli par le souffle du big sound de «Mary Sue». Ça sent bon la légendarité. Geno en impose, il a une grosse équipe derrière lui. Il faut attendre un peu pour trouver les coups de génie. Tu en as au moins deux : «Sleep Will Return» et la reprise du «Will You Still Love Me Tomorrow» de Goffin & King. Il gratte quasiment son Sleep sur les accords de «Gloria», et il fait une version tentaculaire du Tomorrow. C’est digne de Totor, car bien monté en neige, absolument demented. On voit la cover décoller doucement, bien soutenue à l’orgue. Il te chante ensuite «Rest Of Your Life» au plastron, il te le placarde, il te le plaque au sol, il t’en fait tout un plat. Puis il repart en mode magie pure avec «My Marie». Si tu es sensible aux chansons fortes, alors c’est pas compliqué, tu vas pleurer toutes les larmes de ton corps. Geno navigue au sommet du pop art avec une classe écœurante. Il a une façon bien à lui de tourner ses syllabes, il force tous les passages vers la lumière. On le retrouve en Chevalier de la Table Ronde dans «Fair And Tender Ladies». Il est serviable et corvéable à merci. Geno est un homme simple. Il ne fait pas trop d’histoires, sauf quand il est défoncé. Puisqu’on en parle, voici «You Just Love Cocaine». Fantastique ode à la coke en stock, Nicky Hopkins te pianote ça vite fait bien fait. Geno n’en finit plus de shooter du power dans le cul flapi de l’Americana. On croise aussi un «Can’t Say No» tellement gorgé de power qu’il est inaudible. Aw comme ces sessions sont bonnes ! On sent aussi dans «Carry On» une présence de l’immanence et une liberté totale. Il fait sonner chaque seconde de «Nothing But An Angel» à la pure impénitence de big day out. Geno est à la fois un seigneur des ténèbres et un génie solaire - You are such an incredible thing - Cut après cut, il s’auto-porte à bouts de bras, il ne fait jamais n’importe quoi, il chante en flux tendu. Magnifique artiste !

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             La vie est drôle, parfois. Le même soir, le hasard des écoutes peut nous amener à naviguer dans des légendes aussi riches que celles de Gene Clark, d’Eddie Bo et de Joe Meek. Gypsy Angel - The Gene Clark  Demos 1983-1990 n’est pas à proprement parler un album légendaire, mais il participe de la légende de Gene Clark, au moins pour deux cuts dylanesques, «The Last Thing On My Mind» et «Day For Night». Clark ramène tout l’Ouest dans ses chansons, il vise les horizons perdus. Il cultive une sorte de beauté paumée, il clarke envers et contre tout. Il y a chez lui quelque chose de très conventionnel, balladivement parlant, même si tout est violemment interprété. Il pousse le bouchon de son Day à la dylanesque, il a ce côté hanteur de consciences issu du Midwest. Ses balladifs durent tous assez longtemps, sept minutes en moyenne, le temps du story-telling. Il gratte ses poux au coin du feu. Le gratté de «Mississippi Detention Camp» est très intense et très rootsy en même temps. Il va au Mississippi rechercher l’authenticité de son Missouri natal. Il connaît bien les ficelles du pisteur. Geno est un vétéran des sous-bois, il a croisé la piste des rebelles les plus célèbres. Il ne se nourrit que de racines de roots. Il ramène de vieux coups d’harp dans sa soupe au choux («Kathleen»). On l’aime bien, le vieux Geno, mais parfois, on s’ennuie comme des rats morts. Certaines rengaines n’offrent pas de prise. Il attaque toujours à la même arrache, il se morfond en permanence, «Your Fire Burning» flirte avec la Beautiful Song, mais avec lui, on ne sait pas. Il ne varie guère les plaisirs, tout est gratté sombrement, avec un faible espoir. Il termine avec le morceau titre, encore un balladif intensif. Il ne vit que pour ça. Son «Gypsy Rider» vibre d’authenticité. C’est sa raison d’être. Geno est un pur et dur. Pas question d’aller se compromettre. En grattant tout à sec, il fait de l’art sacré.

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             Sur Silverado 75. Live & Unreleased, il est accompagné par Roger White (gratte) et Duke Bardwell (bass). Einarson signe les liners, rappelant que les Silverados reprenaient des cuts de No Other. Quand ensuite Geno enregistre Two Sides To Every Story, il cesse de bosser avec les Silverados. Le set démarre avec le fat heavy country blues d’harp de «Long Black Veil» et Geno enchaîne avec l’un de ses classiques, «Kansas City Southern» - We’re going to do a train song for ya - Il en fait de la power-Americana, avec des rushes de fièvre et un son stripped down. L’ensemble est assez country, comme le montrent «Home Run King» et «Daylight Line». «Home Run King» est même de la heavy country, bien wild, dopée à coups d’harp et le gratté de poux sur «Daylight Line» est plutôt féroce. Tiens ! Voilà une énormité : «Set You Free This Time» - We’re gonna go back to 1965 with this song - Une merveille de Clark sound tirée de Turn Turn Turn, il t’allume aussi sec la cafetière, il est même over the top, à la dylanesque. Reprise de «No Other», aussi, monté sur un riff d’acou intrinsèque. Geno en profite pour revenir se lover dans le giron de nos imaginaires. Un miracle se produit, car c’est basique et beau à la fois. Il gratte son No Other à la perfe des perfes. Il ressort aussi son vieux «Spanish Guitar» qu’il gratte à outrance et qu’il arrose de coups d’harp. C’est d’une rare densité. Geno a des dons extrêmes. Il amène «Here Without You» au petit psyché et l’aplatit aussitôt au chant - Girl you’re on my mind/ it’s so hard to be here/ Without you - Il en fait un mélopif psychédélique. Il se montre encore fantastique de country rising avec «She Darked The Sun», il fond sa voix dans les épines des cactus. Si tu veux te lasser de Geno, tu devras te lever de bonne heure. Il termine avec la triplette du diable, «In The Pines» - And you shiver where the cold wind blows - «Train Leaves Here This Morning» et «Silver Raven» - Stand for one more you’ll like to hear - C’est le deuxième rappel, you better watch out. Le pauvre Geno repart sur son âne à Bethléem. C’est fin et plein d’esprit. Have you seen the silver raven ?

             Vu le parcours chaotique de Geno, les inédits pullulent. Einarson n’en finit plus d’en révéler. Après Two Sides To Every Story, Geno et Tommy Kaye envisagent en 1977 un autre projet, avec le KC Southern Band. Rien n’est sorti des sessions, mais Einarson dit que the KC Southern Band est «Gene’s finest backing band.» Plus loin, il signale l’existence des Glass House Tapes, enregistrées chez David Carradine  à Laurel Canyon, avec Tommy Kaye, Rick Clark (le frère de Geno), Garth Beckington et Jon Faurot. Six cuts. En 1982, nouveau projet : Geno, Hillman, Michael Clarke, Herb Pedersen (banjo) et Al Perkins (pedal steel des Flying Burrito Brothers). Le groupe s’appelle Flyte. Flyte tombe à l’eau. Il existe aussi des sessions enregistrées avec Laramy Smith.  

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             C’est encore Einarson qui se tape le booklet de Gene Clark Sings For You. Il explique que cet album enregistré en 1967 et gravé sur acétate a été redécouvert dans les archives de Liberty Records. Il ajoute que cet acétate est considéré par les fans de Geno comme l’Holy Grail. L’ex-manager des Byrds Jim Dickson rappelle que Geno composait tellement de chansons qu’il était impossible de tout enregistrer. Et si on les enregistrait pas, il les oubliait et passait à autre chose. En plus de l’album inédit, Omivore ajoute The Rose Garden Acetate, 5 cuts originaux que Geno enregistra avec The Rose Garden. Puis il abandonna les projet pour passer à la suite, c’est-à-dire Dillard & Clark et The Fantastic Expedition Of Dillard & Clark. Einarson pense qu’avec Gene Clark Sings For You, Geno était au sommet de son art, ce que vient confirmer «Past Tense», Dylanex et Byrdsy dans l’âme, tu as là tout le génie des Byrds qui déroule son tapis rouge. Il faut bien admettre que les Byrds, c’est Gene Clark, il est fabuleusement impliqué dans ce mythe. Geno te claque tout ça aux quinconces, il ramène encore du deep American feel dans «On Her Own», un vrai balladif de quincaille. Il confère à chacun de ses cuts une pureté manifeste. Avec «That’s Alright By Me», il fait une fast pop-rock d’hey hey, can’t see you, il flirte sans fin avec le Dylanex, il a cette ampleur extraordinaire. Il ramène des heavy chords dans «Down On The Pier» et il refait l’invétéré avec un «7:30 Mode» plus country. Pour le Rose Garden Acétate, il revient faire son Dylan de Greenwich Village («On The Tenth Street»). Il s’inscrit bien dans la veine du how much I remember you. Il drive ensuite «Understand Me Too» au heavy rumble d’acou. Il fait comme d’habitude : il tartine en surface et finit par convaincre - All I wanted to doo/ Is be with with yooou - Trop romantique. Ça ne pouvait pas marcher. C’est la raison pour laquelle Columbia l’a viré. Gene Clark n’a aucun support, alors il gratte à la vie à la mort. Dommage qu’il n’ait pas les grattes des Byrds sur cet EP. Il n’a que le chant et il réussit quand même à groover. Il tape son «Big City Girls» au heavy blues et c’est assez énorme. Il revient à l’essence des Byrds avec «Doctor Doctor».

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             Pour faire des économies, on peut se contenter d’une bonne compile. Echoes fera l’affaire, car on y retrouve tous les coups de génie épinglés précédemment, à commencer par le morceau titre et sa fantastique présence dramatique - You’re the tower in the sand - et puis, tu as aussi «Here Without You (sommet psychédélique), «So You Say You Lost Your baby» (Byrdsy groove et fantastique énergie), «Couldn’t Believe Her» et «Keep On Pushin’» (encore tirés de Gene Clark With The Gosdin Brothers, l’album définitif). D’ailleurs, quasiment tous les cuts de cet album se retrouvent sur la compile, «I Found You», «Elevator Operator». Gene Clark est l’artiste complet par excellence, sa pop magique chapeaute le rock californien. Et ça se termine avec deux cuts plus dylanesques, «The French Girl» et «Only Colombe».

             En fait, nous dit Einarson, le gros problème de Geno, c’est qu’il n’avait personne derrière lui, ni Elliot Roberts (manager de Neil Young), ni David Geffen, ni Albert Grossman. Geno va rester un sauvage, un country-boy/mountain man jusqu’à la fin. Quand il vit à Albion, il possède deux hachettes, six couteaux et une hache de combat. Il lance ses couteaux dans les portes en marchant, schlomp, schlomp ! Quand il décide de se reprendre en main et de se calmer, il découvre que personne ne veut de lui. Dans le biz, personne ne veut plus l’approcher. Trop sale réputation. On l’a vu entrer dans un bureau et sortir un flingue, playing the Godfather, péter les vitres des bagnoles et menacer de s’en prendre à la famille. Violents incidents. Quand Tom Petty enregistre une cover d’«I Feel A Whole Lot Better», Geno empoche 150 000 $ de royalties. Dès qu’il a du blé, il redevient fou. Saul Davis dit qu’il existe trois Genos : «Down-and-out Gene, hard on his luck. And regular Gene, the humble guy. Then there was the money-flowing Gene. And that meant trouble.» Il picole et il snorte again, alors qu’il avait réussi à se detoxer. C’est la fin des haricots. Il passe au crack et au free-basing, comme Croz, et tout le monde à Laurel Canyon, précise Terri. Geno perd sa voix, Tommy Kaye dit qu’il s’est chopé un petit cancer de la gorge. Un polype sur les cordes vocales. Alors pour se soigner, il picole. Il lui reste six mois à vivre. Il va tout de même chanter au Rock And Roll Hall Of Fame pour la consécration des Byrds. Hillman se dit fier de cette réunion honorifique, car, précise-t-il, 90 % des gens de groupes récompensés ne se parlent plus. Il cite l’exemple de Fogerty qui a refusé de laisser ses anciens copains de Creedence jouer avec lui - But we did - C’est en soi un exploit.  En 1991, Geno fait sa dernière apparition sur scène au Cinegrill à Los Angeles. Il est défoncé. Le set est aléatoire. Il a en plus perdu des dents lors d’une bagarre, deux jours avant les concerts. Sa voix chuinte. Les gens sont effarés par la médiocrité du set - The Cinegrill gig was just a mess - Quand Tom Slocum lui dit que son set est un désastre, Geno lui répond : «Sloe, it doesn’t matter anymore.»   

    Signé : Cazengler, tête à clarkes

    Gene Clark With The Gosdin Brothers. Columbia 1967

    Dillard & Clark. The Fantastic Expedition Of Dillard & Clark. A&M Records 1968

    Dillard & Clark. Throught The Morning Throught The Night. A&M Records 1969

    Gene Clark. White Light. A&M Records 1971

    Gene Clark. Roadmaster. A&M Records 1973

    Gene Clark. No Other. Asylum Records 1974

    Gene Clark. Two Sides To Every Story. RSO 1977

    Gene Clark. Firebyrd. Takoma 1984

    Gene Clark & Carla Olson. So Rebellious A Lover. Rhino Records 1987

    Gene Clark. Under The Silvery Moon. Delta Deluxe 2001

    Gene Clark. Gypsy Angel. The Gene Clark  Demos 1983-1990 Evangeline 2001

    Gene Clark. Silverado 75. Live & Unreleased. Collector’s Choice Music 2008

    Gene Clark. Gene Clark Sings For You. Omnivore Recordings 2018

    Gene Clark. Echoes. Columbia 1991

    John Einarson. Mr. Tambourine Man: The Life And Legacy Of The Byrds’ Gene Clark. Backbeat Books 2005

     

     

    Le culot des zozos de Cluzo

    - Part Two

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             Ça cluzote sec chez l’Inspector. Chaque album charrie son lot de pépites, comme autant de fleuves californiens au temps de la Ruée vers l’Or.

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             L’un des plus gorgés d’or gascon est sans doute The 2 Mousquetaires. Non seulement il est adapté d’Alexandre Dumas, mais il se présente sous la forme d’un petit album de BD et tu peux suivre en direct les aventures des Deux Mousquetaires, fabuleusement bien croqués par un nommé Chris Chaos from Taïwan. Tu feuillettes et tu tombes sur un prodigieux crobard de Curtis Mayfield flottant dans les airs avec sa strato blanche. Alors quand tu écoutes la cover qu’ils font de «Move On Up», tu tombes en double extase de métastase, car ils te l’explosent littéralement ! Là tu cries au loup pour de vrai, le gros jette toute sa graisse dans la balance. Tu as là un exemple parfait de ce peut être une cover de génie. Le gros hurle dans la tempête du paradis, ça joue ventre à terre et à couteaux tirés, le gros file dans l’azur comme un ballon de baudruche surréaliste, il est dans son trip de Move On Up et c’est battu à la diable gasconhette. Autre coup de génie : «Put Your Hands Up», le gros rappelle ses troupes à l’ordre et passe en mode heavy sludge. Il a même des cuivres. On se croirait sur le deuxième album des Saints. Power maximal ! Il t’embarque ça au scream. Puis il enfile la culotte de James Brown pour taper «Power To The People» au you got to move, il fuck les bobos dans «Fuck The Bobos», mais il fait à la dure, au heavy funk, son funk vaut largement celui de Bootsy - Are you ready/ Fuck the bobos - Il reste dans le fuckin’ fuck avec «Fuck Free Hugg», heavyness demented couronnée de succès et de cuivres, il navigue d’un port à l’autre, du funk au heavy sludge, il a ce pouvoir désarmant. Quand tu écoutes «The Two Mousquetaires Of Gasconha», tu as presque envie de laisser tomber les disques américains. Les deux zozos de Cluzo te cluzotent le gaga-punk de Gasconha avec le scream définitif. Tu as encore le wild et l’argent du wild avec «Wild & Free», il bombarde sur sa SG, I am & I am free, il connaît tous les tenants et les aboutissants des coups de tonnerre, il a tout le scream en magasin, il ramène des éléments de heavy sludge digne de ceux de Monster Magnet. Puis dans une chanson assez radicale, il envisage d’aller baiser Carla, la femme de l’ex-Président. Là on se marre, car c’est vraiment digne d’Alexandre Dumas.     

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             Les zozos de Cluzo prennent vraiment le plus grand soin de leurs fans. Ils conçoivent The French Bastards comme une petite pochette contenant douze vignettes cartonnées et le disk, chaque vignette illustre un cut et les lyrics sont imprimés au dos. On se régale d’entendre «F*** Micheal Jackson», car ça correspond exactement à ce qu’on pensait à l’époque. Au moins avec le gros, les choses sont claires. Dans la BD des Deux Mousquetaires, il étripait Sarkozy, Ben l’Oncle Soul et les bobos, cette fois, c’est cette super-crêpe de Michael Jackson qui passe à la casserole. Le gros commence par situer le contexte - I grew up in the 60s black Soul music/ Oh yeah - et pouf, il te fuck ça vite fait. Avec lui, ça ne traîne pas. Il aurait dû s’appeler Inspector Zorro. C’est quand même dingue quand on y pense, toute cette daube qui passait à la radio et qu’on devait supporter ! Autre chose : il n’existe rien de plus heavy sur cette terre qu’«Empathy Blues». Ça danse avec les loups, c’est-à-dire Monster Magnet et Leslie West, il t’explose tout ça au sommet de lard et s’en va screamer dans les Cevennes, exactement comme l’autre bête de Gévaudan, Frank Black. Même génie ! Il screame encore sa soupe aux choux dans le morceau titre. Encore plus plein qu’un œuf, voici «He’s Not The Man». Toujours ce mélange suprême d’heavyness et de scream, il t’explose cette matière organique cuivrée de frais, il s’agite dans un turmoil extrême, un sax s’empale sur la bassline, tu atteins là des zones inexplorées du sonic trash. Il arrive avec une disto de gras double dans «Giving Opinion Is Not A Job This Is A Right», encore une fois, il n’existe pas de disto plus heavy sur cette terre, il te tartine ses opinions au wait a minute. Si tu ne veux pas mourir idiot, tu devrais écouter «The Old Man», il y gratte ses poux intensément, c’est une rock star, alors il t’explose l’old man au scream demented, il monte très haut dans les estimes. Il ramène sa grosse voix de bélier dans «Trader Forever» et défonce la poterne au boom boom définitif.  

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                   Les zozos de Cluzo entrent en mode fast punk dans Gasconha Rocks. Cette horreur s’appelle «Hello/Goodbye Education». Le gros refait son Frank Black, tu n’en reviens pas de voir débouler avec une telle violence ! Voilà un gros de plus au panthéon des gros, avec Leslie West, Tad Doyle et Frank Black. Ça re-rue dans les brancards avec «Till Petrole Do Us Apart». Il amène ça au riff raff et ça se barre en sucette de zozos, et ce fou de Phil pousse bien à la roue. Avec les deux mousquetaires, tu n’en finis plus de t’extasier, ils flirtent en permanence avec le génie sonique, le gros se barre en chat perché d’inexpectitude, tu vois trente-six chandelles, c’est un parti-pris de pur genius cubitus, on en oublie la terre et sa population, la terre et ses religions, la terre et sa géopolitique, ça devient sérieux, battu comme plâtre et noyé d’arpèges scintillants. Ils te font rendre gorge. Ils campent dans le Punk’s Not Dead, avec «Black Spirit». Peu de duos peuvent enfiler autant de perles noires de destroy oh boy. Le gros s’arrache les ovaires au chat perché demented. Retour au big heavy rock avec «Garbage Beach», tu te crois en Amérique chez les géants du stoner de Dieu, chez les Nebula de la Mountain. Fuck ! C’est tout ce que ta pauvre bouche peut dire sous les coups de boutoir. C’est beaucoup trop balèze pour la France. Le gros est l’artiste complet par excellence, hard punkster et white nigger, il faut le voir arroser «The Duck Gut Blues» à coups de slide, poussé dans le dos par un beurre de baratte du diable. Retour à la politique avec «Move Over Monsanto», en mode heavy boogie down, c’est  le rock qui milite, le gros se fâche - Why ya took us for a raid y’all - Ça n’en finira donc jamais ?, comme le chantonnait jadis Mouloudji.

             Avec Gasconha Rocks, tu as un petit DVD-docu qui montre les deux zozos en tournée dans le monde : Espagne, Asie, Afrique du Sud. En fait, ce docu est une apologie du Do It Yourself : les deux zozos de Cluzo font tout eux-mêmes : le booking, le management, le marketing, la compta, les compos, les pâtés à la graisse de canard, ils conduisent les camions, ils font le merch, ils jouent même sur scène. Le gros dit que ça leur prend tout leur temps, environ 70 heures par semaine. Le docu ne nous épargne rien. Tu as même un admirateur qui dit, comme sur les marchés, que «c’est direct, du producteur au consommateur». Pas d’intermédiaires. Pas de parasites. Fuck the bobos. Un mec dit que les zozos de Cluzo se grillent en by-passant le système. Fuck the system ! Leur indépendance est leur power. On ne voit pas assez les oies, c’est dommage. Le docu finit par mordre le trait et donner une idée un peu trop angélique du DIY. Ça frise la parodie. Si tu veux comprendre pourquoi ils sont devenus énormes, tu dois les voir sur scène. Certainement pas sur YouTube. Tu peux aussi écouter les albums : tu ne t’ennuieras jamais. 

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             On monte encore d’un cran avec Rockfarmers qui est un double CD. La pochette nous montre les oies et la ferme. Le booklet grouille de petits crobards inspirés, dans une poignante volonté d’illustrer les scènes de la vue rurale quotidienne. Leur icono tient sacrément bien la route. Leur baraque fait rêver autant que leur musique. Le fou de la disto réapparaît dès le morceau titre d’ouverture de bal d’1, the SG wild king of heavy sludge. Si tu aimes bien Leslie West et les ogres du stoner, alors tu te régales. Il s’en va même siffler sur les remparts de Varsovie. Chacune de ses attaques de gratte viole ton intimité. Le gros est un hussard sur le toit. C’est l’occasion ou jamais de te faire limer par un hussard, c’est un trip très littéraire. Tu joues d’une certaine façon à la marelle du diable. Le gros te bourre la dinde avec ses deux SG. Ce cut d’intro est déjà en soi un roman. Voilà un double d’album qui s’annonce passionnant. Il va tenir ses promesses. Le gros devient complètement fou sur «Fisherman», cette horreur est un véritable coup de génie. Il développe tous ses chevaux vapeur et l’achève au scream délétère. Ah il faut aussi l’entendre gueuler «Kiss Me» dans sa ferme avec ses oies. Les zozos de Cluzo sont des pesticides atomiques. Voilà ce que révèle le «GMO & Pesticides» d’ouverture de disk 2. Il n’existe rien de plus destructeur en France. Le gros commence par le siffler à la Bronson et bascule aussitôt après dans le wild punk’s not dead, il pique sa crise et ça purge dans l’urge, ils atteignent à l’extrême dementia du real blast, ils font du pur Motörhead. Le gros tape ensuite «Alright Georges» au heavy blues, on entend bien la SG, c’mon, il y va au dur comme fer. Il a tout le son du monde, alors il en profite. Il s’enfonce dans les couches supérieures de la prod ultimate, c’mon Georges ! Il navigue exactement au même niveau que Frank Black. Il reprend son élan pour «Quit The Rat Race», tu ne pourras jamais le stopper en plein élan, il chante à la hauteur de sa niaque de mousquetaire, heavy as hell, il hurle comme un cochon qu’on égorge. Puis il la joue douce avec «Stars Are Leavin’», il chante à la voix d’ange de miséricorde, back in the day, au heavy gratté de coups d’acou, power all over, et ce démon barbu explose les stars. Nouveau coup de génie avec «Erotic», sa SG rue toute seule dans les brancards, ça part en mode full blown, le gros l’attaque au chat perché d’all time rock’n’roll, ça bat tout le monde à la course, il hurle son can’t stand et tu entres dans la cinquième dimension. Il passe en mode funk pour taper «Romana», il fait son white nigger, il chante au perçant er se remue le cul. Ah il faut le voir gratter les poux du funk sur sa SG. Le gros a tout pigé.  

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             Tu crois qu’ils vont se calmer avec le temps ? Pas du tout. Nouveau big album avec We The People Of The Soil. Pas de coups de génie, cette fois, uniquement des énormités. À commencer par «The Sand Preacher» qui semble sortir tout droit d’un album de Frank Black & The Catholics. Il pourrait aussi en remontrer à Jon Spencer avec «A Man Outstanding In His Field». Le gros fait le job, il fond sa voix à la surface du Soil, mais il ramène l’énergie de tous les démons de l’enfer. Il te claque ses notes de SG sur canapé de nappes d’orgue intrinsèques. Avec «Ideologues», il redevient classique, mais avec du son. Il monte au chat perché pour créer de l’émotion et de la profondeur. Il a même de faux accents de Jack Bruce. Décidément, c’est l’album des clins d’yeux aux superstars ! Avec le morceau titre, il te ramène sous la douche des enfers. On se croirait dans le «Season Of The Whitch» de Stylish Stills. Quel déluge de son ! Il termine avec une véritable triplette de Belleville : «Pressure On Mada Lands», «The Globalisation Blues» et «The Brothers In ideals». Il attaque son Mada Lands à l’Hendrixienne. Les lyrics ne sont pas crédibles, ils ne servent que de prétexte. On ne démarre pas avec «I was born on a beautiful island». On démarre avec «the night I was born, Lord I swear the moon turned a fire red». Puis il s’enfonce dans le blues de ferme avec Globalisation, il y va au Nashville Pussy, c’est de haut niveau, surtout qu’ils le font à deux. Il termine avec «The Brothers In Ideals», ce fabuleux auto-hommage qui sonne comme la preuve de leur intégrité et qui va donner son titre à l’album suivant.

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             Sur Brothers In Ideals, ils retapent des cuts d’albums précédent en mode unplugged. On retrouve donc l’excellent «Man Outstanding In His Fields», cette fois avec un S à Fields. Le gros fait son heavy country blues d’anti-gentleman farmer. C’est puissant et infiltrant. Tu as le groove et l’argent du groove, surtout quand il monte au chat perché avec la délicatesse d’un génie à peine sorti de sa bouteille. Il vise le surnaturel. Il y reste avec «Cultural Misunderstanding». Il entre au chat perché et ça redevient magique. Son «Globalisation Blues» sonne aussi comme une merveille. Il en fait un heavy country blues, une moisson géniale de notes inspirées. Il gratte aussi «Idéologues» avec rien. Il crée son monde à partir de rien. Il fond sa voix au chat perché psychédélique. On a l’impression qu’il hyper-chante. On se prosterne à ses pieds. Il invente l’Americana du Sud-Ouest et son morceau titre de fin d’album est un chef-d’œuvre de Soul du Soil. 

    Signé : Cazengler, affreux zozo

    Inspector Cluzo. The French Bastards. Ter A Terre 2010 

    Inspector Cluzo. The 2 Mousquetaires. Fuck The Bass Player 2012

    Inspector Cluzo. Gasconha Rocks. Fuck The Bass Player 2013 

    Inspector Cluzo. Rockfarmers. Fuck The Bass Player 2016

    Inspector Cluzo. We The People Of The Soil. Fuck The Bass Player 2018

    Inspector Cluzo. Brothers In Ideals. Fuck The Bass Player 2020

     

     

    Wizards & True Stars

     - Gousse d’Hayes (Part Two)

     

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             Chez Ace, on s’intéresse plus aux compositeurs qu’aux prophètes. C’est une démarche intellectuelle typiquement britannique. On privilégie l’humain au spirituel. Ace balance une belle illustration de ce singularisme avec Wrap It Up - The Isaac Hayes & David Porter Songbook, une nouvelle épître de la fameuse Songwriters Series qui a vu défiler toutes les têtes de gondole à Venise, depuis Leiber & Stoller jusqu’à Mann & Weil en passant par Goffin & King, Ellie Greenwich & Jeff Barry, et toute la bande de Tutti Quanti. Illustration, oui, car dès la pochette, Ace enfonce son clou, nous montrant l’Isaac jeune (en compagnie de David Porter et de Mable John), un Isaac terriblement humain, fils de rien, comme le furent avant de devenir prophètes des gens comme Jésus de Nazareth, Friedrich Nietzsche, Noam Chomsky, Mahatma Gandhi, Malcolm X ou encore Nelson Mandela. Fils de rien, en toute humilité, crâne rasé, ce jeune black pauvre ne sait encore rien de son destin de Black Moses, de Moïse nègre couvert de chaînes en or et de femmes lubriques, qui va régner pendant quelques années en tant que Spirit Of Memphis sur l’Amérique et quelques îlots de superstition en Europe.

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             Il n’empêche. Tony Rounce sent bien qu’avec Isaac, on touche au sacré. Il sait comme nous le savons tous, qu’Isaac c’est Stax, ou pour être plus précis, Stax c’est Isaac, de la même façon que Motown, c’est HDH. Pas de Motown sans HDH et pas de Stax sans Isaac. Autrement dit, sans Stax et Motown, pas de Soul dans l’Amérique des sixties. Une Amérique privée d’âme ? On peut dire que cette pauvre fédération d’états a frôlé la catastrophe. On a longtemps cru que l’âme des USA était le fameux American Dream. Grave erreur, car l’American Dream, apologie de la liberté, est un contresens bâti en partie sur l’esclavage des nègres et en partie sur le génocide des Native Americans, c’est-à-dire, les gens qui vivaient dans ces pays avant l’arrivée des colons blancs. Les colons sont un fléau biblique, un fléau qui a ravagé tout le continent africain, tout le continent américain, l’Océanie, une partie de l’Asie du Sud-Est et qui ravage encore aujourd’hui la Palestine. Bon, Rounce ne va pas jusque-là, d’abord parce qu’il n’a pas la place, mais aussi parce qu’il a des priorités éditoriales.

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             Pauvres parmi les pauvres, Isaac et David Porter étaient là dès les premiers jours, sur McLemore Avenue, tentant désespérément de décrocher un petit job chez Stax, même un job de balayeur. C’est Floyd Newman qui met la puce à l’oreille des blancs de Stax, leur vendant l’idée qu’Isaac a des pouvoirs surnaturels - Il entend tout ce que vous n’entendez pas - Forcément, ça intéresse les blancs. Isaac entre pour la première fois dans le studio Stax, non pour balayer, mais pour jouer du piano. Et pouf c’est parti ! Il s’associe avec David Porter, qui bosse dans l’épicerie d’en face. C’est une fabuleuse histoire qui démarre. Ils vont tout simplement devenir, en alternance avec HDH, les rois du monde, pendant quelques années, de 1965 à 1969. Pour mener à bien sa mission, Rounce a choisi 24 covers de hits composés pendant ce court laps de temps. Après Hot Buttered Soul, Isaac et David Porter cesseront leur collaboration, Isaac optant pour un parcours plus messianique, donc solo, par nature.

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             Alors évidemment, cette compile grouille de coups de génie, rien qu’avec le «60 Minutes Of Your Love» que prend en change l’excellent Homer Banks, t’es gavé comme une oie. C’est du wild as fuck, Homer Banks fout le feu. Rounce précise que cet hit demented est enregistré chez Willie Mitchell, at Hi, et pas pour Stax, mais pour Minit, le petit label lui aussi légendaire de Joe Banashak, à New Orleans. Puis c’est au tour de Freddie King d’aller foutre le souk dans la médina avec «Can’t Trust Your Neighbour» qu’Isaac et David Porter avaient composé pour Johnnie Taylor. Freddie enregistre sa mouture à Memphis, mais pas chez Stax, chez Ardent, accompagné par Duck Dunn et Al Jackson. L’immense Freddie King propose avec cette mouture une fantastique plongée dans le heavy blues, il y va au I found out, il claque son ah-ah à la solace perspicace. On parlait du loup, le voilà : Johnnie Taylor, avec «Toe Hold», histoire de rappeler qu’avec Isaac, il est le king of Stax, il te traîne la traînasse dans la bouillasse du caniveau, avec tout le popotin staxy que tu peux imaginer, c’est du très grand art, des accords carillonnent dans le muddy Stax. Johnnie, c’est Napoléon, il avance dans la Bérézina - Show me baby - Te voilà au paradis. Rounce nous dit aussi qu’Atlantic avait envoyé Sharon Tandy enregistrer une version de «Toe Hold» chez Stax. Archie Bell & The Drells tapent le morceau titre de la compile, «Wrap It Up», déjà enregistré par Sam & Dave. Mais la version d’Archie Bell te sonne bien la cloche, car alerte et svelte, les Drells te swinguent l’Isaac, Archie Bell est en caoutchouc, et tout ce fabuleux bordel est drivé au big Stax demento. Te voilà installé dans les couches supérieures de la Soul. Encore un coup de génie avec le duo Keith (Powell) & Billie (Davis) qui tape dans le saint des saints, l’un des hits de Sam & Dave, «You Don’t Know Like I Know». Ce sont des blancs, but aw my Gawd ! Ah oui, tu peux te signer, car c’est incendié au Piccadilly strut. Si le «Love Is After Me» que prend Charlie Rich est aussi un coup de génie, ça ne surprendra personne. Le vieux Charlie qu’on surnomme the silver fox trempe son biscuit dans le r’n’b et ça monte vite au rouge, dans l’enfer du mythe. On peut même parler de classe définitive. Tu as là le power d’Isaac + le Sun de Charlie. Cette cover fabuleuse date de sa période Hi en 1966, lorsqu’il commence à taper sérieusement dans le r’n’b, mais comme ça ne marche pas commercialement, the silver fox devra retourner à ses moutons, c’est-à-dire la country et poser déguisé en cowboy pour ses pochettes d’albums.  

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             Alors maintenant, les surprises : la première nous vient des  Hassles avec '' You got me Hummin' '', un autre hit de Sam & Dave : heavy Soul à tomber de sa chaise, boom badaboom, d’autant plus que ce sont des blancs ! Rounce les situe entre les Young Rascals et le Vanilla Fudge. Il nous apprend en outre que Billie Joel va faire partie du groupe. Parmi les repreneurs d’Hummin’, on trouve aussi les fameux Cold Blood de San Francisco. Encore une révélation avec Marcia Ball et «Never Like This Before». Encore une blanche ? Elle est superbe. Rounce la qualifie de South Louisiana R&B Queen et recommande son album Hot Tamale Baby. Encore une révélation avec les Soul Children et «The Sweeter He Is (Pt1 & 2)», c’est embarqué aux clameurs de gospel. Ils fondent le gospel dans le Black Power, c’est d’une puissance inexorable. Rounce nous explique que les Soul Children furent le dernier projet sur lequel ont travaillé Isaac et David Porter. Plus tard, David Porter continuera de bosser avec John Blackfoot Colbert et ses Soul Children. C’est encore un blanc qui crée la surprise avec «I’ve Got To Love Somebody’s Baby». Il s’appelle Peter Gallagher et il est très inspiré. Il fait un heavy job. Steve Cropper gratte sa gratte sur cette mouture. Tiens, encore une blanche, Rachel Sweet, qui fait un joli carton avec «B-A-B-Y». C’est très sucré, très blanchi, on est en droit de préférer la version de Carla. Mais c’est tellement gorgé de sucre que ça devient génial. C’est à ce type de phénomène que tu peux mesurer la portée des compos d’Isaac. On s’amourache aussi très facilement du duo d’enfer Edwin Starr & Blinky. Ils tapent «I’ll Understand» et ils s’entendent bien, car sur la photo du booklet, Edwin lui met la main au panier. Ah qui dira l’extrême beauté de l’Understand ? C’est Motown, nous dit Rounce, qui eut l’idée de pairer Starr & Blinky pour prendre la suite du duo Marvin/Tammi Terrell.

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             Et puis tu as les valeurs sûres, les inextinguibles, les gagnés d’avance, les ‘c’est-du-tout-cuit’, à commencer par les Righteous Brothers avec «Hold On I’m Coming». Ils tapent dans le sanctuaire d’Isaac, avec énormément d’écho, ils rivalisent de ferveur avec Sam & Dave, c’est extrêmement wild. Tu as aussi Aretha avec «You’re Taking Up Another Man’s Place», Ree fond dans la soupe d’Isaac, c’est la cuisine des dieux, elle fait comme d’habitude, elle explose au yeah yeah ahhh. Les ZiZi Top te fracassent littéralement «I Thank You». Billy Gibbons donne au son d’Isaac la bénédiction du Texas raw. Il n’existe rien de plus demented que cette cover - But you did/ But you did - Rounce parle d’un «groovy, downtempy essay», un essay qu’on retrouve sur l’excellent Deguello. Et puis bien sûr, Delaney & Bonnie viennent couronner le gâtö avec «My Baby Specializes». Bonnie reste la plus black des white chicks. La merveilleuse Mable John se trouve un peu avant la fin avec «Your Good Thing Is About To End» qu’elle chante à l’accent tranchant supérieur. On termine cette modeste revue de détail avec les chouchous d’Isaac, Sam & Dave et le hit définitif du Stax System, «Soul Man». Ah comme tous ces gens savaient illuminer la terre, en ce temps-là.

    Signé : Cazengler, Isac à vin 

    Wrap It Up. The Isaac Hayes & David Porter Songbook. Ace Records 2022

     

     

    L’avenir du rock - Coup de Pokey

     

             Chaque année, l’avenir du rock va dîner avec son ami Gé. Ils maintiennent ce rituel depuis plusieurs décennies. Ils réservent toujours la même table chez Bofinger. Gé reste égal à lui-même, avec sa figure joviale, ses cheveux châtain clair bouclés et sa belle moustache de Lord anglais. Malgré le temps qui passe, il ne vieillit pas. Il exerça un temps la prestigieuse fonction de DRH pour le compte d’une multinationale française. L’avenir du rock apprécie sa compagnie, car pour une fois, le rock ne figure pas au menu des conversations.

             — Dis donc, Gé, tu es drôlement bien conservé pour un DRH...

             — Oh la fonction n’était pas très fatigante. Secteur calme et salariés grassement rémunérés. Le rêve ! On se partageait le marché national avec Lafarge. Les commerciaux s’arrangeaient entre eux, comme les familles new-yorkaises de la mafia, si tu vois ce que je veux dire.

             — Tu veux dire que tu n’avais pas à subir les pressions endothermiques de la philologie conjoncturelle ?

             — Exactement ! On faisait de grosses économies sur les budgets publicitaires. Nous n’avions pas besoin non plus d’investir dans une tour à la Défense. Un seul étage suffisait. On y avait installé la com externe. Les services techniques et administratifs se trouvaient à la campagne, au vert, du côté de Mantes. La belle vie, quoi...

             — Oui c’est l’avantage de l’endémisme coercitif, ça donne de l’air aux ontologies tangentielles.  

             — Exactement ! En plus, nous avions le meilleur rendement économique de tout le secteur industriel, car nous ne consommions pas de matières premières, excepté le calcaire, c’est-à-dire peanuts. Une bonne carrière de proximité suffisait. C’est ce qui nous permettait d’investir à l’étranger et de racheter d’autres groupes industriels.

             — La facilité allait pourtant à l’encontre du jansénisme épistémologique qui te caractérise si bien...

             — Mais non, au contraire ! Je vais te donner une image : tu t’assois à une table de poker et à chaque tour, je dis bien à chaque tour, tu sors une quinte flush. C’est de cette facilité dont il s’agit. Tu as toutes les cartes en main. Si ton concurrent sort aussi une quinte flush, alors tu sors une quinte flush royale. C’est aussi simple que ça !

             — Aujourd’hui, ce serait plus compliqué...

             — Pourquoi donc ?

             — À cause de Pokey LaFarge ! Lui, c’est un carré d’as !

     

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             Sorti de nulle part, c’est-à-dire de Saint-Louis, Missouri, Pokey LaFarge exerce sur les gens une étrange fascination. Cet anti-Elvis au physique assez ingrat sort tout droit des gravures de mode américaines des années quarante. Son visage se caractérise par un dessin d’yeux tombant sous les tempes, et une bouche peu avenante que vient tordre une moue décadente. Il porte souvent un petit chapeau d’Américain moyen posé de travers sur le sommet du crâne, une cravate ou un nœud pap, et il gratte bien sûr de grosses grattes datant de Mathusalem. On l’a vu une première fois sur scène en 2015, accompagné d’un solide orchestre de vétérans de toutes les guerres confédérées, mais pour une raison x, ça ne marchait pas. On s’ennuyait rapidement. Il se montrait pourtant vivace, il posait bien sa voix sur des riches fouillis d’orchestration, ça banjotait et ça violonnait sec, mais ce qu’il véhiculait scéniquement nous passait largement au-dessus de la tête, comme d’ailleurs toute cette culture rootsy rootsah à laquelle nous ne comprendrons jamais rien, à moins d’être né à Nashville ou dans le Kentucky.

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             Huit ans plus tard, il fait un retour spectaculaire en Normandie. Il est tout prune, costard et gratte, il a rapetissé d’au moins trente centimètres depuis la dernière fois. Il arrive sur scène, se branche et boom ! Choc visuel immédiat ! Nouvelle approche d’un vieux mythe : celui de la rock’n’roll star. Le petit Pokey a tout pigé, il entre dans le set au raw de «Get It ‘Fore It’s Gone», il danse derrière son micro, il court sur place, il joue des jambes et fout le feu aux imaginaires.

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    Il est petit mais branché sur 100 000 volts, comme dirait Jo l’électricien, wild as fuck, comme dirait un cat Zengler en panne de vocabulaire, en attendant, tu en prends plein des mirettes, même les rockabs présents dans la salle sont sidérés - On voit que c’est des Américains, dit Dédé, c’est tout de suite en place ! - T’auras jamais plus d’en place qu’avec ce coup de Pokey en costard prune. Il fout une pression terrible, avec la classe hallucinante d’un petit homme qui ressemble à s’y méprendre à Buster Keaton.

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    Il chante en chef de meute, il hérite de tout le power du showbiz des Amériques, il devient pour un heure le maître du monde, un real deal à deux pattes. Pendant ce «Get It ‘Fore It’s Gone», on goûte à l’éclat du rock’n’roll, tel que l’ont inventé les pionniers dans les mid-fifties. Plus carré, plus brillant, plus classieux, ça n’existe pas. Il est petit, mais il sonne comme un géant. Il sait qu’il est bon, alors il génuflexe à tire-larigot. Un vrai carré d’as. Voix, compo, présence, tout est parfait.

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    Et attention, il est bien accompagné : Buffalo Bill à la stand-up, un barbu gratte ses poux et joue parfois de la trompette, et deux autres mecs complètent le backing : un jeune keyboardist et un beurreman de jazz robotique. Un seul cut, et tu n’en peux déjà plus, tu suffoques presque d’extase. Il enchaîne avec le «Rotterdam» et le «Fine To Me» de son dernier album et repart en mode killah kill kill avec l’«End Of The Rope» tiré de Rock Bottom Rhapsody. Il tire aussi «Yo Yo» et «Killing Time» de son dernier album, l’excellentissime In The Blossom Of Their Shade. Il n’hésite pas à claquer la valse macabre de «Fallen Angel» et le round midnite de «Lucky Sometimes».

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    Vers la fin du set, il fait monter une ravissante blondinette et en rappel, il envoûte toute la salle avec le closing-cut de Rhapsody, «Goodnight Goodbye (Hope Not Forever)», l’absolue huitième merveille du monde. Quand un mec t’enchante de la sorte pendant une heure, avec un final aussi magique, tu sais que tu viens d’assister au show d’une superstar, mais attention, pas d’une superstar à la mormoille, comme les fabriquent les médias, une authentique superstar, au sens où on l’entend artistiquement.

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             Une chose est certaine : les albums du coup de Pokey accrochent bien. Pokey serait donc plus un artiste de studio qu’une bête de scène. Pour s’en convaincre, il suffit de dénicher River Boat Soul paru en 2009. Au dos de la pochette, on découvre la photo de l’un de ces majestueux bateaux à roues à aubes du Mississippi. Et très vite, ce disque sonne comme la bande-son des aventures d’Huckleberry Finn. «La La Blues», c’est de la pure Americana, admirablement enlevée et tartinée d’harmo, et du meilleur. Quelle énergie et quelle classe ! Pokey ouvre la porte sur tout un monde, celui de l’Amérique d’AVANT cette fucking country music. Avec «Claude Jones», il passe carrément à la pompe manouche. Eh oui, Pokey va loin dans le fouillé des racines. C’est un rootseur de choc, du même calibre que Taj Mahal. Ce petit bonhomme est un touche-à-tout de génie. Sur disque, il est aussi infernal. Il revient au swing manouche avec «Hard Times Gone And Go». Ces mecs pourraient presque sonner comme Tchavolo Schmitt. On va aussi s’effarer de la mise en place de «Two Faced Tom», un cut bardé de coups d’harmo à la Dylan - Oh two faced Tom ! - Pokey traite la chose façon gospel. Il développe une véritable énergie de gospel blanc. Back to the manouche swing avec «You Don’t Want Me», extraordinaire d’agilité et là, Pokey nous ramène à l’embarcadère, c’est-à-dire à la Nouvelle Orleans. Il reste dans cette atmosphère fiévreuse pour «In The Graveyard Now». Un violon suit la cavalcade effrénée - He’s in the jailhouse now - Puis il attaque «Migraines And Heartpains» d’une voix de bas de menton et ça se met à banjoter. Et soudain, il attaque un solo à la Django. Évidemment, ces mecs font ce qu’ils veulent, ils naviguent à un très haut niveau et ils s’amusent tellement qu’ils lâchent une deuxième fournée. Pokey reste dans la pure Américana avec «Old Black Dog» et se révèle une fois encore agile et fiévreux. Il termine ce bel album avec un clin d’œil à Dylan qui avait aussi à ses débuts un petit côté Huckleberry Finn. «Daffodil Blues» est aussi une authentique merveille dylanesque. Pokey renoue avec l’esprit folky des grands horizons et sonne comme une sorte de messie condamné aux ténèbres de l’underground.   

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             Middle Of Everywhere sort en 2011. Voilà encore un album énorme. Si on aime la pure Americana, alors il faut écouter «River Rock Bottom», un slow jive de groove des années trente. Pokey est une sorte de magicien itinérant, en tous les cas, il sait créer les conditions de la magie. Quand on l’écoute, c’est un peu comme si on écoutait chanter son meilleur ami, c’est-à-dire son frère de sang, accompagné par des manouches, au pied des marches de la roulotte. Il est aussi dans le vieux groove des années trente pour «So Long Honeybee Goodbye». Il y passe un solo à la Django. Pokey et son orchestre jouent comme des dieux de fête foraine. Ils se permettent toutes les virtuosités. Ils swinguent leur truc jusqu’à l’oss de l’ass. Avec ce disque, on va de choc en choc, ces mecs sont beaucoup trop doués, comme on peut le constater à l’écoute d’«Ain’t The Same». Ils incarnent l’Americana mieux que personne. Sous son petit chapeau, Pokey chante comme un cake. C’est joué à la guitare claire. Pokey et ses amis sortent une vraie tambouille d’oreille fine grattée au banjo et râpée à l’harmo. On croit rêver. On frise l’overdose avec «Head To Toe», swingué au jump de jug des années trente. Et ça joue comme au temps de Django. Pokey sait aussi chanter le groove de charme. Avec sa voix, il peut vraiment tout se permettre. Il sonne comme un roi de bastringue, une sorte de Valentin le Désossé de bord du fleuve. Wow, quelle voix ! Et surtout quelle classe ! Il démarre «Shenandoah River» au gros strumming de rêve. Ça gratte dans la roulotte et c’est un peu comme si Pokey réinventait tout un tas de mythes, mais avec le swing. On tombe fatalement sous son charme. Pokey Lafarge & the South City Three pourraient bien être les meilleurs swingers d’Amérique. Retour à la Nouvelle Orleans avec «Keep Your Hands Off My Girl». Il sort le meilleur groove de trompettes traînardes qui se puisse imaginer ici bas. Pokey t’estomaque.

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             Il sort Pokey LaFarge en 2013 sur le label de l’autre frimeur installé à Nashville, Jack White. Par miracle, White ne joue pas sur l’album. Ouf ! On l’a échappé belle. Un spectaculaire portrait de Pokey orne la pochette de l’album. On croirait presque voir un portrait de Modigliani, tant l’équilibre des traits et des masses de couleur est parfait. Une véritable perle se niche sur cet album : «Kentucky Mae». Pokey nous chante ça à la gorge chaude. Il connaît toutes les ficelles du kitsch américain. Il tartine ça à la perfe. Il pourrait prétendre au trône de Cosmic American King. Ses disques emportent la bouche aussi sûrement que le piment de Cayenne, celui qu’on achète sur la Place du Coq. Il attaque cet album avec «Central Time», un jumpy jumpah d’Oumpapah. C’est admirable de swing et de légèreté. Il se pose sur la pompe du Wyoming pour soloter et joue des retours charmants et dignes des géants du swing. Nouveau coup de Jarnac avec «The Devil Ain’t Lazy», car on y entend un solo à la Django. En règle générale, ils s’arrangent pour rester dans le bon vieux swing de jug-band des années trente qu’ils dopent à la pompe manouche. Le petit Pokey recasse la baraque avec «Won‘tcha Please Don’t Do It», véritable carcasse de swing du Midwest. Il nous ramène à la Nouvelle Orleans avec «Day After Day», le son est plein, mais on ne retrouve pas le niveau de fouillis des enregistrements de Cosimo Matassa. Il chante ça du gras de la voix et ça joue à la Django, évidemment. Comme Tav Falco, Pokey s’intéresse au mambo. La preuve ? «Close The Door». Il termine ce bel album avec «Home Away From Home», une extraordinaire talking-song chargée de nostalgie - I’m following the ghost of Clifford Hayes/ On down to Carpet Alley where his jug band played - Fantastique. 

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             Sur la pochette de Something In The Water, il est assis à une table. Derrière lui, se tiennent deux femmes : une mégère en bigoudis et une bonniche quasiment à poil sous son tablier. Elle apporte à manger. Deux fabuleux clins d’yeux à Dylan se nichent sur cet album. À commencer par «Cairo Illinois». D’évidence, Pokey pourrait passer pour le nouveau troubadour de la fameuse Cosmic Americana. C’est vrai qu’il est moins beau que Gram Parsons, mais il est terriblement doué. Il sonne comme Dylan en 1965, il a tous les réflexes, comme par exemple la grosse envergure des retours de couplets et les riches coups d’harmo. Même chose pour «Achin’ A Fool», jolie pièce de jump sautillé au beat des Appalaches, et ça joue de la basse acou comme chez Hayseed Dixie. On note une fois de plus le grand retour des énergies fondamentales. Pokey chante du nez comme Dylan, avec la même niaque de verve verte. L’autre gros cut du disque est «When Did You Leave Heaven», un folk-blues chanté avec tout le feeling du monde. Ce mec ne se fout pas de la gueule des gens. Il sort un fabuleux groove de guitare à la ramasse et chante avec tout le luxe des années trente. Pokey LaFarge a choisi la voie de l’inclassabilité des choses. C’est bien. Il a raison. De nos jours, les foules semblent vouloir se tourner vers ce genre d’artiste. Typic atypic Cryptic ? Vous en aurez pour votre argent. Il chante son morceau titre d’une voix de canard particulièrement ingrate. Non seulement ce mec a une gueule d’empeigne, mais il chante en plus avec un côté Mickey Rooney assez éprouvant pour les nerfs. Par contre, «All Night Long» est vraiment digne des bastringues de Kansas City - Kansas City here I come - C’est joué au meilleur swing de jug d’Amérique. Et Pokey sort un final de pur New Orleans ! Il ramène ensuite les castagnettes pour «Goodbye Barcelona». Il se prend une fois encore pour Tav Falco et il a raison, car cette merveilleuse rumba d’alcoolique vaut le détour. Il joue «Far Away» à la finesse extrême et revient au pur New Orleans avec «Knockin’ The Dust Off». Il ramène sa gueule d’empeigne dans le spotlight et swingue comme un démon. 

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             Bon an mal an, Manic Revelations reste un bon album. Pour au moins trois raisons. La première est le cut d’ouverture de bal, «Riot In The Streets», vite embarqué au slap et propulsé par la caisse claire. Pokey tape des entrées de jeu superbes, c’est un artiste qui sait rafler une mise, son cut regorge de vie et de streets tonite. La deuxième raison s’appelle «Bad Dreams». On peut même parler de raison impérative, car quel coup de Jarnac ! Il chante aux dents de lapin, il fait son sucre sur le dos d’une belle mélodie, et ça devient littéralement énorme. Oui, Pokey LaFarge a du génie. La troisième raison d’appelle «Silent Movie», il chante ça d’une voix de rêve, au heavy charm, il groove son balladif et ramène son petit sucre à bon escient. Pokey forever ! Le reste de l’album est un mélange de petite pop transverse («Must Be The Reason» qu’il chante d’une voix de canard, pas de problème Pokey, on adore Donald Duck), de swing («Better Man Than Me»). Il travaille certaines compos aux brisures de rythme («Mother Narure»). C’est passionnant. Il lui arrive même de faire une pop qui ne sert à rien, comme chez Tom Petty, avec un léger accent cajun. Son «Going To The Country» est plus sexy, plus weird, plus inutile, plus connoté, plus nowhere out. De tout façon, on l’admire. Impossible de faire autrement.  

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             Sur la pochette de Rock Bottom Rhapsody, il fait son Tav Falco et costard blanc et danse avec un squelette. Attention, ce Rhapsody est un fuckin’ great album. Pokey est tout de suite on the beat avec «End Of My Rope», l’un des cuts du set sur scène. Et puis il passe au heavy beat merveilleusement plombé avec «Fuck Me Up», pas de problème, il te fuck up vite fait bien fait. Il chante ça à la petite bouillasse de LaFarge. Il fait des mélanges déments, après le fuck up, il tape dans le swing des années antérieures avec «Bluebird», puis il plonge dans le round midnite de voix de canard avec «Lucky Sometimes» - Even bums get lucky sometimes - Pas de doute, Pokey est un artiste complet. Il faut être confronté à son heayy jazz pour bien le comprendre. Il l’ose sur scène. Il dégage un truc sur chaque cut, même ses balladifs de rêve à la Fred Neil t’accrochent, comme ce «Just The Same». Il amène une valse à trois temps avec «Fallen Angel», ça marche à tous les coups. Sa niaque vocale n’en finit plus de te surprendre, il joue bien de sa voix puissante et perçante de petit garçon. Et puis voilà un nouveau coup de génie, «Storm A-Comin’». Il le prend au straight ahead et le monte en neige - There’s a storm a-comin’/ The temperature’s dropping - Ce petit homme est un héros, il est encore plus groovy que Tav Falco. Il propose un mélange intense qui le rend profondément attachant. Quand tu écoutes «Ain’t Coming Home», tu sais que tu écoutes chanter une authentique star américaine. Pokey construit tous ses cuts comme des cathédrales. Il a ce pouvoir. Il adore traînasser dans les grooves de vieilles valses incertaines. Il est éclairé de l’intérieur.

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             Et voilà In The Blossom Of Their Shade, le dernier album en date de Pokey. «Get It ‘Fore It’s Gone» ouvre à la fois le bal et le set sur scène. Fantastique swagger, power et gaz à tous les étages en montant chez Pokey. Il tape un beat de ‘Fore inconnu et puissant, il négocie son virage de génie sur un beat de bois verni, ce mec a trouvé la voie de l’hey hey hey. Le coup de Pokey est à la fois indéfinissable et excitant, à l’image de la pochette, où il danse un pas de deux avec ses faux airs de Buster Keaton. On retrouve plus loin le «Rotterdam» qu’il joue sur scène en mode fast valse. Comme Bowie, Pokey crée son monde. Il prend «Drink Of You» à la fantastique insistance, il te rentre sous la peau, il yodelle et devient indéniable. Avec «Fine To Me», il bascule dans une espèce d’exotica de la playa, il y va franco de port, au big sound. Même s’il groove son Fine To Me, on perd le génie de Get It ‘Fore. Son truc, c’est de mélanger les mélasses, il aime les valses incertaines et les effluves d’exotica rétro. Comme Tav Falco, il flirte avec le tango argentin («To Love Or Be Alone») et sait créer de l’ambiance. C’est un tentateur. L’Americana de wanna go home qu’il distille dans «Long For The Heaven I Seek» te monte droit au cerveau, d’autant plus massivement qu’on y entend le souffle du gospel, aw Lawd take me home ! Et puis voilà la cerise sur le gâtö : «Goodnight Goodbye (Hope Not Forever)», magnifique chanson d’adieu. Il est presque aphone, sur scène comme dans l’album, il n’a plus de voix - You’re the last face I see - Il embobine sa mélodie et nous avec, il chante aux dents de lapin, il t’ensorcelle et t’encorbelle, il t’emmène au somment de l’American songbook et d’une certaine façon, il vise, sans le savoir, l’intemporalité.

    Signé : Cazengler, Pokémon

    Pokey LaFarge. Place Barthélemy. Rouen (76). 30 mai 2015

    Pokey LaFarge. Le 106. Rouen (76). 28 avril 2023

    Pokey LaFarge & The South City Three. River Boat Soul. Free Dirt Records 2009

    Pokey LaFarge & The South City Three. Middle of Everywhere. Free Dirt Records 2011

    Pokey LaFarge. Pokey LaFarge. Third Man Records 2013

    Pokey LaFarge. Something In The Water. Rounder Records 2015

    Pokey Lafarge. Manic Revelations. Rounder Records

    Pokey Lafarge. Rock Bottom Rhapsody. New West Records 2020

    Pokey Lafarge. In The Blossom Of Their Shade. New West Records 2021

     

     

    Inside the goldmine

    - Swamp Rats d’égout

     

             S’il fallait cataloguer Bato, ce ne serait pas facile. D’abord parce qu’il faisait partie des gros clients de l’agence. Il dirigeait une énorme structure de formation et avait par conséquent d’énormes besoins managériaux. Mais il était surtout un homme d’esprit, un amateur de bons vins, de grands auteurs et d’expositions. Un lundi matin, en réunion de travail, il préféra nous parler de James Ensor plutôt que du dossier pour lequel nous étions convoqués. Il ne tarissait plus d’éloges sur cette toile d’Ensor qui s’appelle Vive la Sociale, il nous décrivait de mémoire toutes les trognes qu’y avait barbouillées Ensor, les têtes de mort, les masques figés à la Otto Dix, les pierrots fardés sortis tout droit des Enfants Du Paradis, son discours grondait comme un orage sur l’océan. Il levait les bras au ciel et sortait son mouchoir de temps à autre pour s’éponger le front. Bato était un homme assez haut, très brun, il portait des lunettes à grosses montures d’écaille et avait dans le regard cette malice à la Claude Chabrol. Le moindre rendez-vous de travail était prétexte à aller déjeuner dans les meilleurs restaurants du quartier et partout, il disait à la fin du repas : «Mettez ça sur mon compte !». Il n’accepta de notre part qu’une seule fois une invitation à dîner, parce qu’il s’agissait d’un lieu chargé d’histoire qu’il ne connaissait pas : la maison Fournaise sur l’île des Impressionnistes. Un habile promoteur avait réussi à transformer ce lieu historique en restaurant quatre étoiles. C’est sur là, sur ce balcon, qu’Auguste Renoir peignit Le Déjeuner Des Canotiers. Après un repas bien arrosé, nous allâmes marcher eu bord de Seine et Bato voulut grimper dans une barque, en souvenir de Guy de Maupassant. L’auteur de Boule de Suif venait là dimanche, à la belle saison, pour y culbuter des femmes de joie et pratiquer l’aviron. Nous trouvâmes des canoës un peu plus loin et partîmes au fil de l’eau. Bato pagayait comme un beau diable. Il rigolait et citait Maupassant dans le texte. Le grand air et le vin aidant, il se sentait pousser des ailes. Il se leva et, les bras au ciel, déclama la première phrase de Boule de Suif : «Petite, ronde de partout, grasse à lard, avec des doigts bouffis...» Il perdit l’équilibre, plouf ! Il coula à pic, emporté par le courant. On fit des recherches, mais les plongeurs ne retrouvèrent pas son corps. Nous sommes depuis persuadés qu’il a profité de l’incident pour disparaître.

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              Comme Maupassant avant lui, Bato a sûrement croisé les ragondins, qui sont des cousins éloignés (par la distance) des Swamp Rats. Ah les Swamp Rats de Pittsburg, quelle histoire ! Un seul album, une compile de leurs singles, Disco Still Sucks, mais quelle compile ! On peut même parler d’album légendaire. Et quelle légende ! Hocko et Bato même combat ! Deux candidats à la postérité, mais la postérité underground, la plus intéressante. Ils n’ont pourtant pas grand-chose à nous laisser, le Swamp Rats, juste trois cuts, la version la plus incendiaire de «Louie Louie», un «It’s Not Easy» tout aussi mal barré, et une version de «Psycho» qui fait trembler les murs de la ville, aussi sûrement que celle des Sonics. Bob Hocko attaque son «Louie Louie» avec un woaaahhhh d’antho à Toto - Gotta go now - Ils sont les shouters les plus wild du Wild West, ooooh no ! Une vraie volonté de trasherie, ils désaillent jusqu’à plus soif, aw noooo, Hocko fait son caveman, ses copains grattent leur va-tout et jettent leurs poux dans la balance. Ils finissent par tout foutre en l’air, la balance avec. Woaaahhh ! Ces mecs sont des ultraïstes de la fondamentalité des choses, des tenants de l’aboutissant du cavisme purulent, ils ne grattent pas des poux mais du pus, le pur pus purpirun d’«Hey Freak», le pus du rock humide des caves qui font peur. Ils font un «Hey Joe» bordélique, tellement bordélique qu’il est emmené par son propre poids, éperdu de vitesse et de mauvaise électricité. Ils bouclent l’A avec le wild gaga fin et racé d’«It’s Not Easy», admirablement taillé pour la route, joué sous un certain boisseau du swamp. Les Swamp Rats prennent tous les risques, à vouloir sonner comme des rats.

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             Ils attaquent leur B avec «No Friend Of Mine» qu’Hocko chante à l’éperdue délibérée, ce mec a du génie plein la bouche et une belle langue de fuzz lèche le cul du cut. Quelle version ! Ils rendent hommage aux Kinks avec «Till The End Of The Day» et détrônent les Blues Magoos avec leur cover de «Tobacco Road». Bien joué les gars, les rats bouffent les Magoos tout crus. Belle version délirante avec un gros pont de la rivière Kwai. Ils terminent avec une version complètement électrocutée de «Psycho». C’est encore autre chose que les Sonics, ça grésille à outrance. On n’avait encore jamais entendu un truc pareil, un tel parasitage du son, et tu as de démon d’Hocko qui hurle dans la tempête.

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             Dans les liners qui accompagnent le Disco Still Sucks paru sur Get Hip, Doug Sheppard parle de «snarling with fuzz guitar», de «demolition derby with crashing cars», mais on apprend que c’est Dave Gannon qui chante «Louie Louie», et non Hocko, même si nous dit Sheppard, Hocko est dans le studio au moment de l’enregistrement. Mais c’est bien Hocko qui screame le «Psycho» des Sonics qu’on va d’ailleurs retrouver sur le Back From The Grave Volume 1. Mais Hocko n’aime pas sa version : «It was too much screaming.» Hocko dit aussi que le son des Rats préfigurait de deux ans celui des Stooges et du MC5, eh oui, leurs singles datent de 1966. Seuls les Napoleon Wars qui se déguisaient comme Paul Revere & The Raiders sonnaient comme les Rats. En 1967, les Rats sortent leur troisième single, «No Friend of Mine»/«It’s Not Easy». Shalako : «We played through Super Beatle amplifiers.» Ils sont repris en mains en 1967 par un certain Censi et c’est la fin des haricots, car Censi leur demande de changer de son et d’image. What ?

    Signé : Cazengler, raté (et fier de l’être)

    Swamp Rats. Disco Still Sucks. Get Hip Recordings 2003

     

    *

    Vous avez eu Marlow Rider en clip, vous avez eu Marlow Rider en concert, et maintenant voici Marlow Rider en CD, mais où s’arrêteront-ils ?

    CRYPTOGENESE

    MARLOW RIDER

    ( CD / Bullit 16 / Mai 2023 )

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    ( Tony Marlow & Seb le Bison )

    Ce n’est pas que ce CD bénéficie d’une belle pochette, c’est qu’il est un superbe artefact rock n’roll, dû à Tristam De4 et Seb le Bison. Ah, ces lignes mouvantes jaune girafe et fauve fatidique qui vous stroboscopent le regard, avec au cœur de cette spirale infernale, la trombine de nos trois riders, stylisés par Tristam, statufiés en bustes profilés d’empereurs romains, du grand art !

    Ouvrez le gatefold, belle photo de Tony, ne perdez pas votre temps à l’admirer, vous en oublieriez jusqu’au sens du titre de cet album, modestement tracé au bas de la couve, ce beau portrait cache plus qu’il ne dévoile, faut l’ôter pour lire le texte qui nous explique le sens du titre Cryptogenèse. Tony se livre, à cœur ouvert, à cœur saignant, les années de formation et d’apprentissage, celles qui fondent la construction d’une vie d’homme et de rocker, avis à la population, Tony nous a déjà donné de bons albums mais celui-ci est à écouter comme le plus personnel, retour vers le passé, voyage au cœur de la fusion originelle, sans laquelle rien n’aurait eu lieu, ces moments décisionnels où l’être humain forge avec le marteau de sa volonté sur l’enclume du donné historial l’orichalque de sa destinée… Les lyrics révélés dans le livret ne sont pas des paroles vides de sens, mais pleines de sang.

    Fermez le gatefold, les bustes de nos trois riders ne sont plus que des ombres indistinctes, mouvantes, happées par le tourbillon stroboscopique du cycle de la vie qui recycle et redistribue nos atomes sur la partition du vivant, l’important est d’avoir été, d’avoir laissé une trace existentielle, comme par exemple, à l’intérieur, cette photo du groupe en pleine action, témoignage exclusif d’une existence vouée à la musique.

    Ne nous reste plus qu’à écouter cette galette spiralique, ce pemmicam électrique indispensable à notre survie.

    Tony Marlow : chant, guitare / Amine Leroy : contrebasse, chœurs / Fred Kolinski : batterie, percussions, choeurs

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    Hard drivin’ Rock’n’roll : un rock’n’roll, un simple morceau de rock’n’roll, que voulez-vous de plus ? Rien ! Que voulez-vous de moins ? Rien ! Marlow agite l’étamine pourpre du rock’n’roll d’entrée de jeu, précision historiale c’est Kolinski qui lance la cavalcade,  y va franc du collier,  le Marlou se hâte d’y ajouter le tranchant de sa voix, et c’est parti pour la fracturation de vos oreilles, z’ont le son idoine des pivoines épanouies, tout y est, les tambourinades effrénées, les ruptures rythmiques au millionième de seconde près, les reprises catapultées par la contrebasse survoltée d’Amine qui cogne comme le bélier sur les portes de la forteresse, le solo de guitare qui tue, l’entre-deux basse-batterie, et surtout cette envie d’être ensemble de jouer chacun son rôle selon une sublimation collective, Marlow chante cette vie de galérien du rock’n’roll qui n’abandonnerait pas sa place sur la nef partie à la conquête de la toison d’or. Le rock’n’roll n’est-il pas une musique orphique. Doctor Spike : l’autre face du rock ‘n’ roll, la noire, mais un noir de pures brillances, la musique plus lourde, elle cogne certes, mais qui est le sparring partner, un solo de guitare qui remet les proses pas roses en place, le groupe appuie où ça fait mal. Les beaux sourires avec les canines qui dépassent, ceux qui vous vendent du rêve, un shuffle imparable qui détruit les vitre miroitantes des illusions qui ne sont que des ombres noires. Sunshine of your love : reprise du vieil hymne solaire – missile sol-air – de Cream, que serait le rock’n’roll sans cet art hommagial, risqué et parfois iconoclaste de la reprise, les Riders s’y collent sans peur et sans reproche, gros challenge pour la contrebasse d’Amine qui délivre arcs-boutants et contreforts d’une solidité à toute épreuve, Fred n’a peur de rien, là où Ginger Baker se livre à un festival chipoteur d’un déluge de tapotements, il a choisi de marier tonnerre et résonnance, le Marlou dégaine sa voix et son jeu de guitare s’apparente à un  jeu de sabre, les Riders privilégient l’impact offensif à la subtilité éclatante de Cream. Pari tenu. Libertad : l’opus nous réserve bien des changements, l’on change pour ainsi dire d’hémisphère, du rock classique l’on passe à quelque chose de plus chaud, mais aussi brûlant, à la Santana, à option révolutionnaire, des paroles sans équivoque politique qui n’occultent en rien la dimension instrumentale du morceau, un régal, une fête une libération énergétique, une belle casserolade kolinskile, une bronca échevelée de big mama aminique et la guitare du Marlou qui tire à balles traçantes réelles. Highway chile : s’attaquer à Hendrix, quelle folie, suis allé réécouter Are you experienced, si novateur à l’époque mais qui aujourd’hui révèle l’évidence de son implantation originelle dans la séminalité du blues-rock dont il procède en droite ligne… : du coup la guitare de Marlow paraît sonner plus moderne, un prodigieux guitariste le Marlou, l’a tout assimilé et l’en a fait son miel, vous le recrache à sa manière, l’est méchamment accompagné par ses deux camarades, la voix mixée en avant et la guitare qui crie, une espèce d’exercice de style à la Queneau, mais ici à la manière indubitablement personnelle de Marlow. Javarock : non ce n’est ni la javableue ni la javablues, pas non plus la revendication identitaire nationaliste, simplement pour notre guitariste le désir de s’inscrire dans l’ici et maintenant mondain de son implantation géographique et historiale : Au titre précédent vous aviez  une reprise hendixienne, sur cet instrumental du pur Marlow créatif. Prière toutefois de ne pas faire l’impasse sur les deux autres Riders. Un morceau que je comparerais à ces échelles à saumons que l’on installe sur les barrages, le principe est simple, plus vous progressez plus ça devient dangereux, à chaque étage sa difficulté mais il faut aussi développer une force cinétique ascensionnelle de plus en plus rapide. Quant à Amine et Fred ils sont là pour les transitions, mais ils allongent et rehaussent les oxers, le Marlou n’esquive pas l’obstacle et s’en tire comme un chef. Le grand voyage : c’est celui qui relate l’arrivée du tout jeune Marlou en Corse, c’est aussi la traversée océanique qui sépare le rock américano-saxon du rock français, sur cette seconde partie de la galette Marlow chante en français, une gageure, un moteur d’avion sur laquelle se greffe un shuffle bluesy, non ce n’est pas triste, juste un acte initiatique qui sépare la vie en deux comme une pomme et si maintenant la guitare hennit c’est que la vie vous tend la moitié la plus juteuse. Pielza Eden : déjà plus rock, la batterie mène le bal, chant triomphal, guitare sarabande, joie sauvage, la sève qui monte, Fred est à la fête, le jeune Marlow découvre la joie de vivre, l’est déjà sur la route, pratiquement encore intérieure, mais sa boussole indique la bonne direction. Musique ou rien. De bruit et de fureur : son électrique, le rat des champs idylliques est devenu un cat des villes trépidantes, le décor change, la bande-son aussi, toute l’énergie de la jeunesse, la guitare gronde et la voix se creuse, seventy rock, l’outrance et la violence, la vie est un combat. Eclectic : pas électric si l’on en juge par l’intro très jazzy, la big mama d’Amine flirte avec les cymbales de Fred, l’on vire dans le funk, sur la piste de danse la guitare du Marlou se lance dans un cent mètres nage libre. Des chœurs de poids-lourds vous télescopent. Pas grave, la voix de Marlou mène la danse jusqu’au bout de la nuit. Comme un cran d’arrêt : un vent qui siffle, guitare espagnole, c’est l’heure de l’estocade, mots de haine et de dépits, voix coupante comme un cran d’arrêt, un sacré remue-ménage, chagrin d’amour, poison toujours, batterie maracas, épileptique à tous les coups l’on perd, à tous les coups l’on saigne, grand bazar des illusions perdues, un foutu bordel sonore. Le temps efface les blessures : le slow sixties que l’on espérait sans plus y croire, mi-figue, mi-raisin, chagrin d’amour ne dure qu’un jour, la guitare grince et griffe, pire que la souffrance, pire que la mort, l’indifférence apportée par la neige du temps qui recouvre tout. Désespoir absolu.

    Cette face B est à écouter comme un opéra rock. Elle forme un tout, un peu comme l’envers du décor de la brillance éruptive des six premiers morceaux. Le rock envers et contre tout, le rock jusqu’à l’amertume, que l’on assume, dont on ne regrette rien. L’acceptation de la sagesse n’est-elle pas une autre forme de la folie… Very rock’n’roll.

             Un disque de Tony Marlow. Non, un grand disque.

    Damie Chad.

     

    *

    Dans notre livraison 534 du 16 / 12 / 2021, nous chroniquions les deux premiers opus du groupe polonais Moonstone, respectivement parus en décembre 2019 et décembre 2021, nous n’avons pas été vigilant Moonstone a aussi sorti un album en décembre 2022, nous nous hâtons de le chroniquer, pour ce 17 mai 2023, Moonstone n’annonce-t-il pas la sortie d’un nouvel album.  

    SEASONS

    MOONSTONE

    ( Live EP / 2022 )

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    Depuis la pochette l’œil lunaire ne vous regarde pas. Sans doute a-t-il mieux à faire. D’ailleurs pourquoi s’intéresserait-il à vous, le mériteriez-vous par hasard ? ! L’est sûr que les étranges architecturales façades de falaises qu’il inspecte, à la manière d’un inquisitorial projecteur, sont plus captivantes que votre modeste et inutile personne. L’on ne sait pourquoi mais il est impossible de ne pas penser à L’aiguille Creuse de Maurice Leblanc qui écrivit de si obscurs romans… Ces parois verticales qui plongent leurs soubassements dans la mer offrent sur leurs frontons de bien étranges signes, une espèce d’alphabet cyclopéen indéchiffrable.

    L’artwork est de  Daria Prystupa. J’ai voulu en savoir plus, via son FB je suis arrivé sur son instagram hariyoshi_tattoo, à visiter, une artiste, tout ce qu’elle représente est nimbé d’une aura vénéneuse, des motifs mille fois revisités par des centaines de tatoueurs, auxquels elle donne une autre dimension, une aura qui n’appartient qu’à elle, ces encres sont celles dans lesquelles Baudelaire a trempé sa plume pour écrire Les fleurs du mal. Méfiez-vous de ses serpents, ils vous mordront l’âme et instilleront en vous un venin délicieux. Daria vit en Ukraine à Lviv, nous lui transmettons toute notre sympathie.

    Jan Maniewski : guitar, vocal / Volodymyr Lyashenko : guitar / Viktor Kozak : basse, vocal / Kacper Kubieri : drums.

    Nous invitons le lecteur à se reporter à la chaîne YT de Moonstone. Vous y trouverez plusieurs longues vidéos de différents gigs du groupe. Cet EP est un peu comme une carte d’invitation à vous rendre sur ces diverses expérimentations. Il est constitué de quatre morceaux enregistrés live. Le premier et le troisième sont des titres de leur premier album Moonstone et le deuxième de 1904.

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    Mushroom King : c’est comme les quatre saisons de Vivaldi mais en beaucoup mieux, ça agit immédiatement sans préavis, le tubercule d’un champignon mexicain géant s’installe instantanément dans votre cerveau, l’amanite phalloïde du rêve vous envahit, l’extase oronge vous ronge, la mer verte est ouverte, laissez-vous emporter par la houle des aventures intérieures, un sas de compression et la navigation commence, la lumière des étoiles klaxonne dans la nuit, par intermittence, stridences de guitares et grasses sargasses de basse, la batterie roule et tourneboule, effluves de contrées inconnues se mêlent à vos narines, sortilèges sonores, une large voix méditative vous pousse et vous emporte vers des courants plus violents, jamais vous n’auriez pensé que sur le fleuve de la mort paisible votre barque funéraire glisserait si vite… Spores : delta de basse, le fleuve se sépare mais ses deux bras sont aussi larges et si vous empruntez celui de droite vous naviguez en même temps sur le deuxième, la vie et la  morts ne sont qu’une seule et même chose, chacune se nourrit de l’autre, notes graves et batterie funéraire, qu’importe vous n’êtes que sur le verso de votre existence, un guitare se plante dans votre oreille, elle vous aide à revenir sur le recto de votre présence, la voix énonce la cruelle réalité de la fulgurance vitale, tout est noir, tout est sombre, votre mort s’empare de l’univers, elle noircit des millions de pages, le monde entier s’effondre en vous, rien de plus terrible ne saurait subvenir, point d’orgue, point final, tout peut recommencer, le roi est mort, vive le roi et vive la mort, il est difficile de comprendre le message, de lentes rafales de notes tombent en pluies maintenant diluviennes sur les vitres de votre conscience, la matière germine, les électrons se poussent et s’entrechoquent, c’est la danse, la sarabande des neutralités qui s’éveillent, un raz de marée dévastateur, la nature se mange elle-même, elle cannibalise sa propre substance et vous dévore anthropophagiquement, c’est le grand charivari des mouvements internes qui s’entrechoquent, une longue montée paroxystique et l’on entend des pas de velours d’un cadavre qui se lève et marche doucement dans la nuit de l’aube pour que personne ne le remarque.

    SulphurEye : l’œil de soufre était dans la tombe et vous regardait. L’Inquisiteur, celui qui ne vous a jamais quitté du regard même quand il regardait ailleurs, musique forte, trop forte pour que vous puissiez lui échapper, elle vrille comme des poignards que l’on vous enfonce dans les yeux, il a suivi tous vos actes et pire que cela il était aussi en vous et visionnait le film de vos pensées les plus secrètes que vous dérouliez comme une araignée qui tisserait la toile de son propre piège, rien ne lui a échappé, des barres musicales vous encagent, vous ne sauriez fuir, tout se ligue contre vous, maintenant vous savez que vous êtes vous et que vous êtes aussi l’œil de soufre qui vous épie, jamais vous n’échapperez à vous-même et encore moins au néant de votre inanité. L’univers n’est plus qu’un rideau mortuaire, le linceul dans lequel s’enveloppe le roi que vous avez été. Jamais vous n’échapperez à cet océan musical mugissant qui vous ensevelit. The day after : évidemment il n’est aucune séparation entre ces quatre morceaux, tout se tient le serpent de la mort tient dans sa gueule la queue du serpent de la mort, le jour d’après n’est que le jour précédent, harmoniques orientalisantes de guitares, la batterie bat ses silex rythmiques les uns contre les autres pour que naisse bientôt une étincelle capable de réanimer les cendres froides de votre passé, un long chemin s’ouvre devant vous, triomphal, victorieux, sinuosités méandreuses de la vie, la musique orientalisante, charme de serpent, vipère lubrique, elle se dresse sur elle-même, elle danse, elle se tord sur elle-même, elle a des torsions et des grâces de bayadères, accalmie, repos, reprendre son souffle, reptile se couche sur la terre, il s’épuise en courbes flasques, il se défait, il n’est plus rien, il s’identifie à la poussière du chemin, il raffermit ses atomes, il croule sous sa propre inertie, il ressemble à n’importe quoi et à n’importe qui, vous pouvez lui marcher dessus, vous ne vous en apercevrez même pas, et lui se taira, n’est-il pas comme vous, n’êtes-vous pas comme lui, ne formez-vous pas qu’un seul être indistinct, la guitare tirebouchonne, la batterie fait du bruit pour remplir l’indifférenciation des espaces indistincts, des bruits divers s’éparpillent, les cymbales frétillent doucement à la manière des queues de crotale, le serpent n’a-t-il pas mangé la fleur de l’immortalité au guerrier qui dort sans méfiance, Gilgamesh vit et vivra encore, mais le matin qui assistera à son réveil, sera comme la nuit de sa mort.

             Seulement quatre morceaux sur cet opus, mais si vous avez envie de poursuivre ce voyage sans fin, filez sur la chaîne YT de Moonstone, vous y trouverez beauté à volonté et poison à foison. Vous aurez toujours faim de cette histoire sans fin.

    Damie Chad.

     

    *

    Les Oiseaux de Nazca nichent à Nantes, ville dont nous saluons les luttes anti-gouvernementales et les explosives manifestations, se définissent comme un groupe de stoner rock. Refuseraient-ils de le revendiquer que leur nom les trahirait. Pas besoin d’avoir un diplôme d’ornithologue en poche pour reconnaître un oiseau de Nazca. Tout le monde en a vu. Leurs photographies s’affichent jusque dans les livres scolaires. Si vous désirez les admirer en vrai, achetez-vous un avion. Puis survolez le désert de Nazca, tout en bas du Pérou, un désert coincé entre l’océan Pacifique et la Cordillère des Andes. Ce sont des dessins qui peuvent atteindre des kilomètres de long, la plupart du temps d’une envergure de plusieurs dizaines de mètres, figures géométriques, humaines ou animales. Notamment des oiseaux du colibri au condor. Sont-ce des représentations de dieux ? Ou de grands dessins-offrandes aux Dieux ? Ils ont été tracés en ôtant les pierres de surface ferrugineuses et donc rouges pour laisser apparaître une couche de cailloux grisâtres. Apparue en – 500 et disparue vers + 200 la civilisation Nazca n’en continue pas moins de survivre dans l’imaginal de notre modernité.

    BIRDS OF NAZCA

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    Nos oiseaux ne sont que deux, Guillaume est à la guitare et Romuald à la batterie. Le lecteur ne s’étonnera pas de l’esthétique des pochettes. La civilisation Nazca reste mystérieuse, est-ce pour cela, pour ne pas donner l’impression de divulguer des secrets tus depuis deux millénaires que leurs morceaux ne comportent aucune parole…

    BIRDS OF NAZCA

    ( CD / Bandcamp / 31-08-2020 )

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    A fly in the helmet : batterie enjouée et guitare joyeuse, première surprise c’est la batterie qui fait son nid en premier dans votre oreille, la guitare donnant l’impression de voleter pour venir nourrir l’oisillon, déjà un beau jouvenceau heureux de voir sa mère battre des ailes pour se maintenir à sa hauteur, arrêt brutal, l’on attendait la mouche elle survient, un lointain froissement pratiquement inaudible, coups de tambours pour son arrivée, rien de grandiose, rien de dramatique jusqu’à ce  que la guitare déboule, entre nous soit dit elle sonne comme une basse, c’est parti pour quelque chose de plus riffique, s’enchaînent des séquences relativement courtes, ici la batterie fait miroiter ses plumes aux éclats de cymbale, la guitare s’inclinant régulièrement pour picorer des graines, attention nous entrons dans une deuxième coupure pour un moment d’attente, une espèce de noise mélodique chacun des deux instruments paradant comme pour une approche nuptiale, l’on se dirige vers une montée progressive du plaisir… sans explosion finale. Pas le temps de calculer l’on est déjà sans craquèlement dans Cracula : formation d’un riff, en voiture, pour deux minutes de vélocité, non, l’on freine doucement comme si un danger se profilait à l’horizon, la batterie tapote l’alerte et l’on repart, rien de plus roboratif qu’une fausse alerte. Cactus : ambiance plus sombre, n’a-t-on pas entendu comme un souffle de vent du désert, la batterie nous fait le coup de la grande menace qui s’approche à pas pesants, la guitare vous a de ces balancements d’ostensoirs rafraîchissants, mais l’on repart en mineur vers quelque chose de moins sombre, de davantage gris, la batterie écrase les épines du cactus une par une, la lymphe végétale gicle comme un cri de souffrance, surgit lentement la sourde énergie de la nature que rien ne saurait arrêter. Almucantar : procédé mathématique qui consiste à établir un cercle parallèle à l’horizon, un comme si l’on débitait une tranche de la sphère céleste, nos oiseaux veulent-ils mettre en relation cette opération géométrique dans l’espace intérieur avec le résultat de ces dessins gigantesques obtenus on ne sait pas trop comment par le peuple Nazca, en tout cas ils y vont mollo, pas cahin-caha mais presque, coup d’accélérateur aux trois-quarts du morceau mais tout se stabilise très vite, comme si l’on était content du résultat obtenu. Satisfaction spirituelle après l’effort mental.

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    Kanagawa : le titre est sorti en avant-première au mois de septembre 2021 avec pour couverture une représentation de la célèbre estampe La Vague d’Hokusai, dans le lointain en tout petit le connaisseur ne manquera pas de désigner le Mont Fuji, quel rapport avec le Nazca, le Mont Fuji que l’on présente comme la plus haute montagne japonaise, est aussi un volcan… voir titre suivant : le vent souffle, celui de la mer, ou du désert ? Pour la première fois le son prend de l’ampleur, une bourrasque lente, toutefois cette particularité est commune à tous les morceaux, il est impossible de parler de fuzz, nous le répétons l’impression d’une basse dont le volume sonore squatterait les amplis, entre nous rien n’évoque la houle destructrice d’Okusai, à la batterie Romuald en profite pour accentuer sa présence, tout se calme, clapotis de cymbales, profondeur guitarique, Romuald marque la cadence, quelques longueurs structurelles dans ce morceau. Volcano : étions-nous sur une fausse piste, nous rêvions d’éruptions fracassantes mais le Volcano Hummingbird n’est qu’n modeste colibri : pour une fois la batterie se fait pesante, la guitare se contente d’agiter ses ailes d’oiseau-mouche tel un bourdonnement incessant, bien sûr le passage de respiration habituel mais l’on repart aussi vite et aussi tumultueusement, le son s’intensifie et s’éloigne comme une escadrille de gros porteurs. Symposium : une voix, un chant sacré qui réveille la puissance tutélaire et menaçante de l’élément terrestre, grondement insatiable venu d’on ne sait où, qui ne saurait s’arrêter mais dont la batterie ordonne la cadence, tout se calme, ne reste plus que la voix de la prière aux oiseaux.  Vulture gryfus : cette nomenclature latine fait un peu peur, sa traduction en Condor des Andes est promesse de grandeur et de sérénité, le tire tient ses promesse, son amplifié et énergie sous-jacente, c’est la première fois que l’on a envie d’employer le mot riff même si l’on est plus près d’envolées successives, sans doute a-t-on atteint l’altitude supérieure, celle à laquelle on ne vole plus, celle où l’on plane, en se laissant porter par des courants invisibles, ce qui n’empêche pas que l’on monte encore, que l’on prend son essor vers le domaine des Dieux, rieurs et tapageurs, l’on croit être arrivés au summum, mais non, il y a comme une aspiration vers les demeures brûlantes du soleil. Arrêt brutal, s’est-on brûlé les ailes, entamons-nous une chute fulgurante ?

             L’opus est à l’image du vautour de la couve qui vaut le détour. Stoner, doom, tout ce que vous voulez mais avec le refus de l’emphase, de l’esbrouffe, et du kaos, ligne claire serait-on tenté de dire un peu à l’image des grands oiseaux dont les traits se distinguent sur le sol sombre de Nazca.

    HELIOLITE

    ( CD disponible en juin / Bandcamp / Mai 2023 )

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    Heliotite, la pierre du soleil, n’oublions pas la terre de feu, une continuité certaine avec l’opus précédent. Nous quittons un peu la civilisation Nasca, l’Amérique du Sud c’est aussi les Mayas, les Aztèques les Incas, sans oublier les Toltèques, nos deux nantais nous permettent ainsi de voyager dans plusieurs imaginaires mythologiques. Chaque morceau est agrémenté d’une image symbolique représentative.  

    Intro : trente secondes d’un son venu d’ailleurs pour vous abstraire de votre quotidien, pour vous mener à une autre représentation du monde, plus vieille, antique, immémoriale…

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    Inti raymi : (fête du soleil, voir notre Sol Invictus romain ou plus près de nous la Danse du soleil des Sioux) : entrée martelée, mettent le son, ne sont pas sur le onze, mais sur le dix, une espèce de rituel sonore, n’oublions pas les sacrifices humains, les cœurs arrachés, les pyramides dégoulinantes de sang. Ne parlez pas de cruauté ou de civilisations barbares, pensez à la notion d’offrande, à la grandeur démesurée des Dieux face à la petitesse animalculéenne de l’être humain qui n’a rien d’autre à offrir que lui-même. Une musique sans pitié qui va droit devant. La mort ou le soleil, c’est pareil.

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    Spheniscus : non ce n’est pas le phénix mais le Manchot de Magellan ou de Humbolt, au bout de la terre de feu, quel rapport avec les divinités antiques d’Amérique du Sud, je n’en sais rien, ces oiseaux peut-être mentionnés par Nazca pour symboliser ces peuples qui ont disparu sans laisser de trace comme les Yaghans , pêcheurs-cueilleurs dont on ne sait à peu près rien, sur lesquels le rouleau compresseur des invasions historiales est passé définitivement… : face à toutes mes incertitudes la musique se fait entendre, provocante presque, la guitare klaxonne, la batterie étourdit, on pourrait nommer ce traitement musical l’avancée de l’inéluctable, le j’y suis j’y reste de la présence de ce qui a été, de ce qui est toujours là, disparue mais ineffaçable, je marche à pas lourds sur la terre que j’ai désertée, mais que je la hante de la tonitruance de mes fantômes. Ce qui est mort est irrémédiablement immortel.

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    Gucumatz : de l’eau qui coule aux reflets miroitants, tintements brillants, n’y mettez pas la main, Gucumatz est la vipère au corps de plumes qui nage dans les profondeurs aquatiques, le son devient plus dur, plus éclatant, normal cette couleuvre n’est qu’un des noms du plus grand des Dieux, tout s’accélère et se surmultiplie en chatoyances multiples, cymbales triomphantes, vous la connaissez mieux sous le nom assourdissant de Quetzacoalt le serpent à plumes qui vole dans les airs et dans les imaginations, un trait de feu qui pourfend l’ait à la vitesse d’un avion à réaction, si maintenant nous n’entendons plus que quelques notes qui clochardisent et le vent qui souffle, c’est que le Dieu est insaisissable, le voici grincement fracturé d’une forte respiration battériale et la tête du serpent volant se déploie majestueusement, ses yeux sont soleils irradiants, il roule sur le monde à la manière des amas de cailloux qui dévalent les cordillères et écrasent toute présence humaine au fond des vallées, sont-ce des cris, des pleurs, mais l’avalanche recouvre le monde entier et n’en finit pas se glisser à la surface du globe, et puis subitement plus rien, juste un courant d’air d’onde musicale. Les Dieux passent comme les hommes. Mais pas de la même manière.

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             L’on prétend que les dessins du désert de Nazca étaient si grands pour que du haut du ciel les Dieux puissent les voir, c’est-là le sujet de l’opus précédent de Birds of Nazca. Cette Heliolite nous transporte du côté des Dieux, cette deuxième œuvre essaie de traduire le regard de ces Dieux qui ne voient que leurs images. Ne vous étonnez pas si cette musique est refermée sur elle-même, elle se suffit à elle-même, beaucoup plus forte, moins partagée, moins hésitante, moins pérorante, moins diserte, un bloc noir, une borne qui sépare l’infini diversité humaine de l’absolu inatteignable.

             Vous avez sur YT pas mal de concerts ou d’enregistrements live de Birds of Nazca. Regardez-les, écoutez-les, demandez-vous quelle sera leur prochaine étape. Une démarche très originale.

    Damie Chad.  

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 27 ( Apéritif  ) :

    143

    Le Chef ouvrit sans faire de bruit le tiroir de son bureau, il me fit signe de regarder, Molossito éprouvé par la journée de la veille s’était endormi sur un lit de Coronados, avec une douceur infinie et l’extraordinaire dextérité d’un joueur international de mikado le Chef parvint à extirper de dessous la pauvre bête exténuée le cigare dont il avait besoin, un Expeditivo N° 7, qu’il alluma avec soin :

    _Voyez-vous agent Chad, le monde se porterait mieux si nos dirigeants prenaient de temps en temps le temps non pas de jouer du tam-tam mais de méditer sur la brièveté de la vie en savourant un Coronado. Prenons un exemple particulier, vous-même agent Chad, certes vous n’êtes pas un grand de ce monde, au lieu de dézinguer cette cinquantaine de farfelus qui venaient enterrer un des leurs, si vous aviez simplement eu l’idée d’une halte méditative et coronadienne, ces pauvres fous seraient encore vivants, n’empêche que pour ces zozos venir dans un cimetière de bon matin relevait de la plus haute incongruité  matitunale, puisque tout le monde sait que La Mort nous y attend depuis le premier jour de notre naissance. Ces fous furieux n’avaient certainement pas lu – j’en jetterai un Coronado au feu – les œuvres complètes de Marguerite Marie Louise Gabrielle Ménardeau, sans quoi ils auraient manifesté une plus grande prudence.

    Nous devisions sereinement depuis quelques minutes sur les livres de Gabrielle Witkop lorsque le museau de Molossa effleura mon mollet gauche. Je levais la main. Nous nous tûmes. Aucun bruit. Nous restâmes longuement aux aguets. Le Chef s’abstint même de tirer sur son Coronado. Avec d’infinies précaution je me levai de ma chaise et à pas de loup je m’en fus coller mon oreille (la droite) sur la porte, rien pas un bruit ne me parvint de la cage d’escalier.

             _ Hum, hum ! Agent Chad, je crois que nous avons une visiteuse, il est midi passé, peut-être pourrions-nous l’inviter au restaurant !

    144

    La Mort ne fit pas de chichi pour accepter, en une seconde elle se matérialisa et nous adressa son plus beau sourire :

              _ Je dois reconnaître que vous êtes de parfaits gentlemen, je vous fais confiance pour le choix du trois étoiles, comment avez-vous deviné que je mourrai littéralement de faim !

              _ Quel humour Madame !

              _ Oui j’adore l’humour noir !

    145

    Notre entrée fut remarquée, à l’accueil Germaine – mais non chers lecteurs toutes les filles ne s’appellent pas Alice - ouvrit de gros yeux, en trente ans de maison n’avait jamais vu de telles dégaines, les deux chiens, Molossito ragaillardi par son somme coronadien commençant à zigzaguer en aboyant très fort entre les tables, nos deux perfectos râpés, l’épaisse panache de fumée noire échappée du Coronado du Chef,  l’étrange allure de cette vieille femme drapée dans une immense cape noire, ses mèches de cheveux blancs dépassant de son capuchon noir, ses yeux de braise et son visage blanc au sourire sardonique, les accoutrements de cette équipe improbable avaient dû lui déplaire. Elle alerta d’un prompt coup de phone le patron qui au vu de la carte officielle que lui tendit le Chef, s’exécuta illico en obséquieuses courbettes. En quelques instants nous fûmes conduits dans un salon privé, des garçons stylés qui furent très étonnés lorsque la dame âgée rejetant le parchemin à menus qu’on lui tendait décréta d’un ton mourant qu’elle se contenterait d’une épaisse tranche de mortadelle accompagnée d’une Mort Subite.

    146

    Notre vieille amie avait un sacré coup de fourchette mais il était manifeste qu’elle se dépêchait de terminer son repas poussée avant tout par une impérieuse envie de parler. Elle eut le tact d’attendre que nous ayons fini notre dessert avant de prendre la parole :

    • Bon passons aux choses sérieuses !
    • Entièrement d’accord avec vous chère Madame, j’allume tout de suite un Coronado, vous conviendrez avec moi, j’en suis certain, qu’il n’y a rien de plus sérieux au monde que l’art du Coronado, je suis d’ailleurs très étonné que ce peuple si subtil que sont les japonais n’aient pas pensé à trouver un de ces vocables dont ils ont le secret pour qualifier les arts ! Un manque civilisationnel d’autant plus regrettable que…
    • Vos chinoiseries m’insupportent, tenez-le-vous pour dit, je suis venu ici pour passer un marché avec vous !
    • Madame nous attendons vos propositions, sachez que nous les examinerons ave le plus grand soin et…
    • J’irai droit au but. D’abord je regrette que vous n’ayez apporté qu’une attention discrète à mes propos du matin, vous avez la comprenette attaquée par la fumée des infâmes cigares dont vous faites une compréhension, cela ne m’étonne pas puisque vous êtes un rocker !

    Les yeux du Chef étincelèrent, derechef il alluma un nouveau Coronado :

              _ Madame, vous sous-estimez ces doux êtres paisibles que sont les rockers, pourquoi croyez-vous que je vous ai invitée au restaurant, vos paroles m’ont paru assez claire, contrairement à l’agent Chad qui n’a rien compris, j’ai deviné ce que vous nous suggériez, j’ai établi le rapport entre cette intuition inexplicable entre la mort du rock’n’roll et la nécessité sans cause qui a entraîné le SSR au début de cette aventure dans les allées du Père Lachaise.

    Ce fut comme une lueur irradiante qui envahit mon esprit, en une seconde je compris tout, avec quelques heures de retard sur le Chef certes, toutefois je doute qu’au moment précis de ce récit l’intelligence de nos lecteurs ait reçu l’illumination nécessaire à l’élucidation de cette aventure.

    147

    Je ne pus m’empêcher de prendre la parole :

              _ C’est pourtant simple Madame, c’est vous qui avez décidé de tuer le rock ‘n’roll ! Vos manigances sont cousues d’un fil aussi blanc que celui dont on coud les suaires.

             _ Bien sûr c’est moi, mais vous ne savez pas pourquoi !

             _ Sans nul doute parce que vous détestez ce genre de musique !

             _ Depuis le temps que j’existe, cher jeune homme, l’engeance humaine a inventé tant de genres musicaux que je n’y fais plus attention, tous se valent à mes oreilles… En fait ce n’est pas le rock qui me gêne, ce sont les rockers !

              _ Parce qu’ils écoutent du rock ?

              _ Pas tout à fait, l’affaire est beaucoup plus complexe, c’est quand ils ne peuvent pas en écouter que cela devient dérangeant, mais laissons-cela, je suis venue pour vous proposer un contrat, j’ai préparé le document, il ne me reste plus qu’à recueillir votre assentiment. Tenez, lisez, signez !

    A Suivre…

     

  • CHRONIQUE DE POURPRE 267 : KR'TNT ! 387 : GENE VINCENT-MICK FARREN / DALE HAWKINS / ISAAC HAYES / THE CACTUS CANDIES / EDDIE AND THE HEAD-STARTS / JAKE CALYPSO AND HIS RED HOT / THE CLASH / ROCKAMBOLESQUES ( 2 )

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 387

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    04 / 10 / 2018

    GENE VINCENT-MICK FARREN / DALE HAWKINS

    ISAAC HAYES / CACTUS CANDIES

    EDDIE AND THE HEAD-STARTS

    JAKE CALYPSO AND HIS RED HOT

    CLASH / ROCKAMBOLESQUES ( 2 )

     

    La mort solitaire de Gene Vincent

     

    Oh maman, maman

    Cette fois je m’en vais, c’est sûr

    Cette fois je vais en enfer

    Comme on me l’a toujours prédit

     

    Mon ulcère saigne

    Et ma jambe me fait mal

    Le whisky ne me soulage pas

    Et la morphine non plus

    Et dehors, autour de la caravane

    Il y a un monde que je ne comprends pas

     

    Ils ont changé les règles, maman

    Ils ont enlevé les ailerons de voitures

    Et Jim Morrison porte mes vieilles fringues

    On est en 1971, Maman, pas en 1957

    Be-Bop-A-Lula reçoit l’aide sociale, maman

    Elle a deux gosses horribles et une bouteille de sédatif

    Elle va se taper des chauffeurs routiers à la sortie de Bakersfield

    Dans la cabine d’un semi-remorque blanc

    Dix dollars la pipe

    Fais gaffe au levier de vitesse, ma poule

    Fais gaffe, entends-tu

     

    Il y a un gros nuage de fumée qui s’élève, maman

    Juste au-dessus de ma tête

    La fumée des Lucky Strike

    Avec leur vieux paquet rouge et blanc

    Les autres appellent, maman

    Ceux qui étaient là avant

    Hank Williams murmure

    Hank dit qu’il veut me payer un coup

    Et Eddie Cochran a écrit une nouvelle chanson

    Il veut me la jouer sur sa guitare noire

     

    Je vais m’en aller, maman

    Je m’en vais bientôt

     

    Il y a une femme qui attend

    Elle porte une robe rouge

    Cette ancienne Putain de Babylone

    Elle m’attend pour me mettre dans son lit

    Cette ancienne Putain de Babylone

    Elle m’attend pour m’emmener

     

    Je jure, maman

    Je jure devant Dieu

    Si j’en réchappe

    Je serai un homme meilleur

    Je suis foutu, maman

    Je ne vais pas passer à travers

    Je suis foutu, maman

    Je sens que mon ulcère saigne

    Je suis foutu, maman

    J’ai déjà du sang dans la bouche

    J’étais un roi, maman

    J’étais un roi

    Le Roi du Mal

    Le roi de la putain de jungle

    Et ils m’ont mis dans une cage

    Je me souviens très bien

    Ils disaient que j’étais saoul à «American Bandstand»

    Ils disaient que j’étais communiste

    J’ai été chassé par Dick Clark

    Et une bande de connards qui s’appelaient tous Bobby

     

    J’avais des Cadillacs, maman

    Tu as déjà entendu dire que les communistes avaient des Cadillacs ?

    Une Cadillac pour chaque jour de la semaine

    Et une Corvette blanche pour le dimanche

    Mais maintenant

    Il ne reste plus qu’une seule Cadillac

    Celle qui est noire et longue et en plastique

    Le corbillard, maman

    C’est la seule Cadillac pour mon avenir

    Le cimetière est tout près de la voie rapide, maman

    Un terrain qui serait désertique

    S’ils ne l’arrosaient pas

    Vingt-trois heures par jour

    Le cimetière est tout près de la voie rapide, maman

    On ne peut pas le rater

    Prends à gauche et suis l’odeur du diesel

    Continue le long de la 118

    Et tu entres dans le comté de Ventura

     

    Oh maman, maman, tu ne peux pas le rater

    C’est impossible que tu rates ce cimetière

     

    MICK FARREN

    Extrait de The Lonesome Death Of Gene Vincent... And 44 Others Poems And Lyrics

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    Écrit en 1992, publié pour la première fois en 1995

    Traduction de Patrick Cazengler

     

    Que dalle pour Dale

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    Billy Poore a très bien connu Dale Hawkins, ce crazy rockabilly cat originaire de Louisiane que Leonard Chess signa sur son label en 1957. Ce vieux renard de Leonard voyait Sam surfer sur Sun avec Elvis, alors il lui fallait vite un rockab et de fut Dale. Et hop, une petite quinzaine de 45 et un album vite fait. C’est avec «Susie Q» qu’il créa la sensation, comme chacun sait. James Burton qui allait plus tard rejoindre Ricky puis Elvis jouait sur ce classique indétrônable paru en 1957, ce qui ne nous rajeunit pas.

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    Pourtant, les historiens du rockab n’accordent jamais de chapitre à Dale. Que dalle pour Dale. On le cite pourtant à tire-larigot, Dale est toujours dans des packages à droite et à gauche, sur scène avec tous les moutons de Panurge de la vague rockab, tout le monde vante les vertus de «Susie Q», mais le seul à lui consacrer un quart de page, c’est Billy Poore, et encore, il apparaît sous le titre : Other Artists from the late fifties. Même pas de photo. Sans doute n’y a-t-il pas grand chose à raconter sur Dale, tout au moins pas autant de choses que sur Jerry Lee ou Elvis. Billy Poore insiste beaucoup sur la qualité de «Little Pig» et «See You Soon Baboon», mais ces vaillants hits rockab se noient dans la masse d’alors. Son cousin Ronnie Hawkins eut plus de chance.

    Dans une interview datant de 1986, Dale raconte qu’il traînait du côté de Shreveport en Louisiane quand il était gosse. Il bossait chez un disquaire - I was into a lot of blues - Eh oui, forcément, la Louisiane est le berceau de ce qu’on appelle le raw blues, celui de Slim Harpo et de Lightning Slim. Dale appréciait beaucoup le son de Scotty Moore, mais il avait déjà son son en Louisiane, that came from our heavy blues influence. Il avait même de riff de Susie Q en tête depuis un bon moment. Et puis un jour, il va l’enregistrer dans le studio d’une station de radio à Shreveport. Il envoie la bande à Leonard le renard. Il attend la réponse. Les semaines passent. Alors Dale envoie une copie de la bande à Jerry Wexler, chez Atlantic. Wexler voit immédiatement le hit potentiel, et fait savoir à Leonard le renard qu’il a intérêt à se magner le train - Chess had better do something or get off the pot - Voyant approcher les grosses pattes de Wexler, Leonard le renard se hâte de sortir le 45. Dale est très fier de son little record - Our little record, it sounded so much like Louisiana - Oui Dale dit sa fierté - The overall sound was our own, though, from our area of the country. Just a little bit of the blues, man.

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    «Suzie Q» fait l’ouverture du bal sur l’album Chess Oh Suzy-Q paru en 1958. Pur Chess Sound, admirabilité du beat et solos de rockab pur. Ce n’est pas l’album du siècle, mais Dale y joue la carte rockab. Il swingue son «Juanita» et le chante pointu, et derrière, ça boppe, pas comme à Memphis, mais ça boppe bien quand même. Dale pond encore un hit de juke avec «Little Pig» et en B, il fait son Tarzan dans «See You Soon Baboon», pur jus de comic strip. Il y fait tout rimer en oon - I says okay baboon/ I’m gotta find out soon - ce qui n’est pas facile. On a même droit à un solo de sax à la Lee Allen.

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    Un autre album Chess est paru en 1976, sous une pochette bordeaux. On y retrouve quasiment les mêmes cuts, «Susie Q», «See You Soon Baboon», «Little Pig», mais aussi des cuts marrants comme «Lulu» (joué au clair de son et au swing de clochettes, bien twisté du bilboquet), «First Love» (pur jus de diction rockab), et en B l’excellent «Wild Wild World» monté au format rock’n’roll classique d’it’s a one for the money. Il reprend aussi le «My Babe» de Big Dix, et comme il a le son Chess, il en profite.

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    Puisqu’on est dans les vieux trucs, on trouvait aussi autrefois dans le commerce un album Argo intitulé My Babe qui propose un choix de cuts déjà parus, comme le morceau titre, ou encore «Lulu», mais on y trouve un «La-Do-Dada» joliment allumé par des shoots de rockab. C’est un fascinant exercice de style d’apparence exotique, mais sacrément développé en interne. En B, il fait une solide reprise du «Ain’t That Lovin’ You baby» de Jimmy Reed. Oh bien sûr, ça ne vaut pas celle de Link Wray, mais ça vaut quand même le détour. Et puis il faut absolument écouter «Back To School Blues», un solide drive de rock d’une grande modernité. C’est peut-être là que Dale fait la différence, comme le fit Bo de son côté. Son drive de rock est infesté de luttes de guitares intestines, c’est extrêmement bien foutu et derrière, on a même des chœurs de filles délurées. Alors si la question est : faut-il écouter Dale Hawkins ?, la réponse est oui, mille fois oui.

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    Et en 1997, Norton s’est fendu d’une autre compile, Darevil. Sur la pochette, Dale gratte sa Gibson, comme d’ailleurs sur la pochette de son premier album Chess. Mais comme souvent chez Norton, ça sent le bric et le broc et les différences de niveaux ne pardonnent pas. On se régale cependant du morceau titre, Carl Adams y passe un killer solo. Il joue avec des doigts en moins et l’histoire de ce mec devient quasiment plus intéressante que celle de Dale qui a pour particularité de s’entourer des meilleurs guitaristes (James Burton et Roy Buchanan, par exemple). On retrouve d’ailleurs Buchanan sur «Superman» qui ouvre le bal de la B. Et qui bat le beurre ? DJ Fontana en personne.

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    Avec L.A. Memphis & Tyler, Texas paru sur Bell en 1969, on ré-ouvre le chapitre des albums mythiques. Comme on le voit sur la pochette, Dale change de look, il porte une petite frange, un pull blanc et un futal rayé. Comme à l’époque il traîne en Californie, ça s’explique. Attention, c’est un rassemblement de surdoués : James Burton, Ry Cooder et Taj Mahal jouent là-dessus. Dale commence par enregistrer ses basic tracks à L.A., puis il va tout remixer à Memphis, chez Ardent, avec Dan Penn et Spooner, et il apporte une touche finale dans un studio de Tyler au Texas, en compagnie de Mouse & the Traps et de Wayne Carson, le mec qui a composé «The Letter». D’où le morceau titre, «L.A. Memphis & Tyler, Texas» - I’d like to dedicate this song to the great cities where I’ve recorded - Et il attaque le fabuleux folk-rock de «Heavy On My Mind». Ry Cooder et James Burton y croisent le fer de leurs vélocités. Ça donne un groove de guitares clairvoyantes assez unique dans les annales. Dale tape une version d’«Hound Dog» au swamp-rock de classe supérieure. Il prend ça au pied levé, et ça effare, tellement c’est bon, rythmique infernale, très grosse intensité bayoutique, c’est joué en pure démarcation de ligne. Taj Mahal souffle dans son harmo. Trop de gens doués dans les parages, ça se sent. Et ça continue avec l’effarant «Back Street», amené au riff de boogie diabolo. Voilà un instro d’anticipation majeure, cuivré de frais par les Memphis Horns : hypno et beau, nocturne et bien profilé sous le vent du Sud. En B, il la-la-latte gaiement la pop de «La-La La-La», oh oui, il chante soir et matin, il chante sur son chemin, il va de ferme en château, il chante pour du pain et pour de l’eau. Il tape à la suite dans le «Candy Man» de Fred Neil. Ce choix l’honore. Chaque cut relève d’un choix tactile d’une finesse extrême. Bon, ça sonne cousu, mais Dale s’en bat l’œil, il adore le boogie de l’arrière pays et James Burton passe un solo flash. Dale est un bon. La preuve ? «Ruby (Don’t Take Your Love To Town)». Histoire atroce : le mec revient infirme de la guerre et comme il ne peut plus honorer sa femme, elle descend en ville se piquer la ruche et se faire limer. Le mec se dit qu’il est baisé - A fucked up song - Dale lui rend justice. C’est atrocement secoué du cocotier et lourd de conséquences. Il retape dans son vieux héros Jimmy Reed avec «Baby What You Want Me To Do». Dale le pulse à la mam-mam, goin’ up goin’ down, et il termine avec un joli coup de swamp funk, «Little Rain Cloud», co-écrit avec Dan Penn. Dale sort son meilleur falsetto, c’est alarmant de qualité boogy et les filles font aaah-aaah, on a là un pur drive d’intensité cabalistique, un véritable enfonceur de portes ouvertes. Dale adore faire le con.

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    C’est dans les mémoires de Don Nix que Dale refait surface. Don rencontre Dale au River Bluff hotel de Memphis et le trouve bien agité. En effet, Dale se goinfre d’amphètes. Au point qu’il ne supporte pas le moindre moment de calme - His worst enemy was a dull moment - Dale est à Memphis car il cherche des chansons destinées à Bruce Channel qu’il produit pour le compte de Bell Records et il sait que Don Nix compose. Don gratouille un truc et Dale saute en l’air : «That’s what we need ! Let’s go to Nasvillr and cut it !» Alors Don lui demande : «Quand part-on ?» Dale le regarde d’un air bizarre - Right now, man ! - Avec Dale, les choses ne traînent pas. Et Don raconte le voyage à Nashville - He had a brand new Cadillac Coupe de Ville and drove like a man possessed - Don n’avait encore jamais vu conduire un tel dingue. Le pied au plancher, en train de raconter des tas d’histoires, la bras en l’air. Il sortait des papiers de sa mallette alors que la Cadillac fonçait à 240 à l’heure. En arrivant à Nashville, Don se jure de ne plus jamais monter avec ce dingue et décide de rentrer à Memphis en bus. Ils s’installent pour la nuit dans un motel, mais pas question de dormir, car Dale ne dort pas. Il lit des trucs, en écrit, il marche inlassablement à travers la pièce. Don finit par croire que Dale a peur de s ‘endormir. Comme les gens qui ont peur de ne pas se réveiller, ou de rater un truc. Et le matin, ils entrent en studio à Nashville avec la crème de la crème du gratin dauphinois, dont DJ Fontana. Don se retrouve à produire les chansons d’un mec qui n’est même pas là. Ils enregistrent quatre titres. Quand Don veut savoir en quoi ça part, Dale lui dit que ça n’a pas d’importance, Bruce Channel peut tout chanter. Évidement, aucun des tracks enregistrés ce jour-là ne voient le jour. Puis Dale insiste pour rentrer à Memphis mais Don pose une condition : «I drive !». Okay then.

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    Quel album que ce Wildcat Tamer paru en 1999 ! On y trouve deux covers énormes, à commencer par l’«Irene» de LeadBelly. Dale revient à son vieux mode boogie de voix tranchante. Il fait une monstrueuse version de ce vieux classique éculé par tant d’abus. Et même une version complètement incendiaire, jouée au meilleur heavy beat d’époque. Il tape aussi dans le «Promised Land» de chickah Chuck. Il rend un somptueux hommage au vieux maître. Il chante à la glotte de tourneboule et joue le Southern boogie rap. Ce blanc chante comme un nègre, c’est dire s’il est bon. Cet album fourmille de merveilles, tiens comme le morceau titre qui ouvre le bal. Dale le prend au drive de rockab explosif. Il allume littéralement son Wildcat. Kenny Brown gratte derrière. Ces mecs sont complètement dingues ! Il revient au heavy blues pour «Going Down The Road». Dale sait de quoi il parle - Ain’t got no home/ But I’m gonna find a dollar bill - Retour à l’énormité avec «Change Game». Ça sonne comme du groove énervé de première nécessité. Ce diable de Dale développe de véritables sur-puissances et nous chante ça à la petite voix pointue. Il a le génie du son. Chaque cut sonne comme un hit. C’mon Kenny ! Alors voilà «Country Girl». Il rappelle Kenny Brown à l’ordre. Encore un slab de pur boogie swingué à la régalade. Kenny et lui tapent plus loin un «Take It Home» à l’énergie des vieux accords, et bien sûr, en vieux pro, Dale finit avec la cerise sur le gâteau, c’est-à-dire «Susie Q», mais une version plus heavy.

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    Avec Born In Louisiana, Dale nous fait le coup du 25 cm d’île déserte. Toute la B est énorme, emmenée tambour battant par un «Going Down The Road» joué au blues de cabane et claqué au petit coup d’essence mirifique. Dale fouette le delta blues de la Louisiane. Il faut le prendre très au sérieux car ce mélange de bottleneck et de stand-up monte directement au cerveau. On a là un pur chef-d’œuvre de sensibilité louisianaise. Il tape ensuite dans Leadbelly avec un somptueuse cover de «Goodnight Irene». C’est l’une des covers du Lead les plus inspirées qui se puisse imaginer ici bas. Dale lui donne de l’ampleur. Et ça continue avec «Summertime Down In South», pur jus de jigsaw puzzle down the good southern time. Il se pourrait qu’Hot Tuna vienne de là en direct. Ce cut est un enchantement. Avec le morceau titre, Dale frise le Tony Joe White, Il sait trousser un hit underground. Voilà encore une splendeur tendue et bien profilée. En A, on succombe assez facilement au charme de «Someday One Day» qui sonne comme un hit fougueux et immaculé. Dale a de sacrées dispositions. Il chante «Goodnight Sweetheart Goodnight» comme s’il entrait dans Rome en vainqueur, les bras chargés de bracelets. Encore un cut soigné avec «Women That’s What’s Happening». Il traite ça à la clarté de son et balance du bop à qui mieux-mieux. Quelle élégance sensorielle ! Sur ce petit album, tout est soigné au-delà du désirable.

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    Le dernier album en date de Dale s’appelle Back Down To Louisiana. Une cabane pourrie orne la pochette. À la première écoute, l’album peut paraître improbable, mais il finit par convaincre. On ira même jusqu’à s’exclamer : «Ça c’est du disque !» Dale opère un retour sidérant vers le rockab avec «Bang Bang». Quelle santé de bûcheron ! Dale fait son rockab by the bayou. Même chose avec «Word Song», claqué au boogie des seigneurs du bayou. C’est un nouveau slab de rockab net et sans bavure. Dommage qu’il n’y ait pas de slap. Le hit du disk pourrait bien être «Pretty Little Thing». Dale adore chevaucher son beat. Il sait se tailler un chemin dans la vie. Son boogie vaut vraiment tout l’or du monde. Good Lord, écoutez le gars Dale ! Avec le morceau titre, on reste dans le boogie blues des géants. «New Generation» sonne aussi comme une énorme dégelée de boogie motion. Dale joue ça à la petite distorse de Louisiane. Il a du répondant. Bon d’accord, c’est un son très classique mais pourquoi irait-il inventer la poudre ? Dans le booklet, on voit des photos incroyables : ses chats et deux flingots. On le voit aussi sur une Harley. Avec «Mighty Mississippi», il tape le blues du Missippe. Il connaît toutes les ficelles du Deep South Sound. Dale est l’un des blancs les plus crédibles du cheptel. Il va chercher son blues dans la terre de Louisiane. Il termine avec «Do The Thang», l’un des boogie-rocks dont il s’est fait une spécialité. Il chante ça à l’impavide. On ne croise pas tous les matins des artistes aussi doués que Dale.

    Signé : Cazengler, crève la dalle

    Dale Hawkins. Oh Suzy-Q. Chess 1958

    Dale Hawkins. L.A. Memphis & Tyler, Texas. Bell Records 1969

    Dale Hawkins. Dale Hawkins. Chess 1976

    Dale Hawkins. My Babe. Argo Records 1986

    Dale Hawkins. Daredevil. Norton Records 1997

    Dale Hawkins. Wildcat Tamer. Mystic Music & Entertainment 1999

    Dale Hawkins. Born In Louisiana. Goofin’ Records 1999

    Dale Hawkins. Back Down To Louisiana. Plumtone Music 2006

    Don Nix. Memphis Man. Road Stories & Recipes. Shirmer Trade Books 1997

    Billy Poore. Rockabilly. A Forty-Year Journey. Hal Leonard Corporation 1998

     

    Gousse d’Hayes

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    Quoi de plus juste que de qualifier Isaac Hayes de Spirit Of Memphis ? C’est en tous les cas ce que vient de faire Craft avec un coffret pas trop cher. L’objet se présente au format 45 tours, s’ouvre comme un livre et contient quatre disks encartés séparément dans des folders en carton extrêmement rigides. Collée sur la trois de ouvre, une petite pochette enserre un vrai 45 tours, la réplique d’un single rare. Sur la une, Isaac pose sous la devanture du fameux 926 McLemore Avenue, qui fut à l’origine un cinéma de quartier à l’ancienne. Un fronton proéminent surplombait la rue sur plusieurs mètres. Comme dans tous les lieux de spectacles aux États-Unis, on y composait les titres des films et les noms des artistes en grosses lettres rouges démontables. Au frontispice du 926 McLemore, on pouvait lire Soulsville U.S.A., et posé au dessus comme une statue, le mot STAX en très grosses lettres rouges qui s’éclairaient lorsque la nuit tombait sur la capitale mondiale du rock et de la Soul. Il était donc logique qu’Isaac y trônât.

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    Quand on tient ce coffret en main, on découvre qu’il vibre. Oui, c’est assez difficile à faire croire et pourtant, c’est vrai, il vibre. Tout ce qui touche à la personne d’Isaac Hayes relève du sacré. En voilà une nouvelle preuve. D’autant plus sacré que Robert Gordon signe le texte d’introduction. Les amateurs de Soul et tous les staxés notoires le savent : Isaac Hayes appartient à la lignée mythique de Memphis, au même titre que le King (Elvis) et the real King (Rufus). Mais Isaac eut plus de veine qu’Elvis, puisqu’il n’avait pas de fucking Colonel sur le dos, et plus de punch que Rufus puisqu’il inventa l’avenir de la Soul.

    Histoire prodigieuse que celle de ce messie : il part de rien, de triple zéro, orphelin élevé par ses grand-parents. Mickey Gregory : «In the beginning there was this little destitute kid that his grandmother referred to as Bubba Lee.» (Au commencement, il y avait ce gamin pauvre que sa grand-mère appelait Bubba Lee). Ses grand-parents étaient des sharecroppers, c’est-à-dire les métayers, ceux qui cultivaient la terre pour le compte des anciens esclavagistes et dont la mentalité vis-à-vis des nègres était restée intacte, malgré le treizième amendement qui avait aboli l’esclavage : les sharecroppers vivaient dans le même type de misère abjecte, sans autre horizon que de devoir travailler du matin au soir pour des prunes. Petit, Isaac rêvait de pouvoir entrer dans un lit bien chaud pour dormir, de pouvoir manger un vrai repas et de porter des habits décents. Et quand la «famille» s’installe à Memphis pour essayer de survivre un peu mieux, le petit Isaac dort la nuit dans des carcasses de bagnoles - I slept in junk cars in a garage - Puis la musique entra dans la vie d’Isaac comme l’air du printemps entre dans une maison. Il l’entendait lorsqu’il travaillait dans les champs, il l’entendait à l’église. Comme Aretha, comme Ray, comme Sam, comme Johnnie et comme tous les autres, Isaac chante à l’église et découvre le clavier. Comme nous tous, il entendit des choses à la radio qui allaient bouleverser sa vie. Comme Andre Williams qui grandissait en Alabama, Isaac entendait à la radio la musique des patrons blancs, le hillbilly - I was singing hillbilly before I was singing R&B -

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    Puis il entend Sister Rosetta Tharpe jouer de la guitare électrique. Coup de chance, car à cette époque, la seule musique noire programmée sur les radios était le gospel batch, mais en 1944, le gospel de Sister Tharpe était déjà du rock’n’roll. Isaac découvre ensuite la mythique station WDIA de Memphis, lancée en 1947 par deux blancs et qui devient grâce à Nat D. Williams la première radio destinée au public noir. Là, on ne rigole plus. En 1948, deux DJs de choc font leur entrée sur les ondes : B.B. King et Rufus. Tous les nègres qui vont devenir célèbres écoutent cette radio, de la même façon qu’on écoutait le hit-parade de SLC quand on était ados. Ces émissions ouvraient les portes donnant sur le fameux jardin magique auquel les adultes qui nous pourrissaient la vie avec leurs problèmes de cul et de fric n’avaient pas accès.

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    Isaac commence à chanter dans des concours et quand des gamines viennent le trouver pour lui demander un autographe, ça le fait bander. Il rêve d’en faire un métier, mais ce n’est pas si simple. Adulte, il se marie et se voit contraint de bosser dans un abattoir pour nourrir sa famille. Il vit l’horreur. Il ne dort plus la nuit - I walked in blood - En 1962, il réussit à entrer dans le petit studio de Chips Moman pour enregistrer avec son copain Sidney Kirk un premier single, «Laura We’re On Our Last Go-Round» qui est, vous l’avez deviné, celui qui est encarté sur la trois de couve du coffret vibrant. Mais à l’époque, Chips n’a pas de distributeur et le single disparaît sans laisser de trace. Isaac retourne bosser aux abattoirs. Back to the Killing Floor.

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    Il finit par décrocher un job de keyboardist dans le house-band d’un club. Ça lui permet d’aller traîner au 926 McLemore, car c’est là que se retrouvent les musiciens black de Memphis. Oh il n’entre pas encore au studio, mais juste à côté du studio, dans la boutique de disques de Miz Axton, la sœur du patron blanc Jim Stewart, un banquier reconverti dans le r’n’b.

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    Et c’est là où Isaac va basculer dans la vraie vie. Un certain Floyd Newman cherche un keyboardist. Vous ne connaissez pas Floyd Newman ? C’est logique. Il était ce qu’on pourrait appeler une star locale. Il jouait au Plantation Inn, de l’autre côté du fleuve, à West Memphis, en Arkansas. Le Plantation Inn joua exactement le même rôle que la radio WDIA : un rôle de catalyseur exceptionnel. Tous les pères fondateurs blancs du Memphis Sound passaient leurs nuits au Plantation Inn pour y apprendre la vie, le swing et la Soul. Steve Cropper, Dickinson, Packy Axton et Duck Dunn franchissaient le pont toutes les nuits pour aller s’encanailler et écouter la Soul primitive de Floyd Newman. Le disk 1 du coffret propose d’entendre «Sassy» qui est un modèle de shuffle en forme de wild ride in the Plantation Inn. Et Isaac s’immerge dans le monde magique de la musique : il veut devenir le nouveau Nat King Cole. Il s’en donne les moyens. Floyd Newman dit qu’Isaac connaissait tous les jazz tunes. Floyd dit aussi qu’Isaac a l’oreille absolue : s’il fait tomber une fourchette, il peut dire la note du cling. Floyd s’aperçoit aussi très vite qu’Isaac peut diriger un orchestre et distinguer le son de chaque instrument. Floyd finit par comprendre qu’Isaac est doué de pouvoirs surnaturels - Every note you heard on any of his music came outta his head, every note - Isaac peut dire aux autres musiciens ce qu’ils doivent jouer. Isaac entend la musique de l’univers.

    Quand Floyd Newman vient enregistrer «Sassy» chez Stax, Jim Stewart lui demande :

    — Dis donc, Floyd, ce mec qui joue du piano avec toi, tu crois que ça l’intéresserait de jouer sur quelques démos ?

    Oui, Jim Stewart cherchait quelqu’un pour remplacer Booker T. qui venait de quitter Memphis pour aller finir ses études dans l’Indiana. Ce que Jim Stewart ne savait pas, c’est qu’il venait de faire entrer la poule aux œufs d’or dans la bergerie.

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    Pour sa première session, Isaac doit accompagner Otis. Il a la trouille, car au fond, il n’est pas vraiment pianiste. Il n’a aucune formation. Il joue tout à l’oreille. Mais Otis est un mec dynamique et tout le monde adore bosser avec lui - It was like a party whenever Otis came to town - Isaac se sent comme dans une nouvelle famille. Pour la première fois de sa vie, il goûte au bonheur d’exister. Mais personne ne sait encore à quel point Isaac est doué. Seul Floyd Newman le sait.

    Jim Stewart voit les choses différemment : pour lui, Isaac est un nègre timide qui avance pas à pas et qui ne fait pas de vagues. Stewart va même jusqu’à imaginer qu’Isaac n’était pas conscient de son talent d’arrangeur et d’interprète. Son assistante black Deamie Parker analyse les choses un peu plus finement : pour elle, Isaac veut surtout échapper à la pauvreté - Serious poverty - Alors, oui, il évolue très vite, comme tous les gens pauvres et doués auxquels on donne une chance. Deamie rappelle qu’Isaac ne possédait que deux chemises et des chaussures bricolées qui ressemblaient à des bananes, qu’il avait une famille à nourrir et qu’il se battait pour survivre.

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    Isaac rencontre chez Stax David Porter, qui participait lui aussi aux concours de chant. Ils étaient même en compétition et ils se respectaient. David bosse chez Stax comme parolier et il cherche un collègue pour composer avec lui. Il lui fait une proposition qui ne se refuse pas : «Hey man, let’s hook up ! Devenons les Holland/Dozier/Holland, les Bacharach/David de Stax !». Et nos deux cocos se mettent à l’ouvrage, et quel ouvrage...

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    Ils allaient tout simplement composer des hits qui figurent parmi les plus grands hits du XXe siècle, ceux de Sam & Dave ou de Mable John. Et quand on enregistrait leurs chansons, ils dirigeaient les sessions, devenant ainsi producteurs. The Stax Sound, baby, c’est Isaac. Oh les MG’s bien sûr, mais le raw du raw, ce sont bien les hits de Sam & Dave qui l’incarnent. Rien n’est plus viscéralement staxy qu’«Hold On I’m Coming» ou «Soul Man». Pas de partitions, rien de prévu à l’avance. Isaac se mettait au piano et tout le monde commençait à jouer avec lui. C’est exactement ce qui fascina Jerry Wexler qui n’avait encore jamais vu des musiciens de studio jouer aussi librement avec des résultats aussi effarants. Évidemment, tous ces musiciens ne savaient pas lire une partition. Ils jouaient tous au feeling, y compris les cuivres, c’est-à-dire les mythiques Memphis Horns - Most Stax records were arranged as it happened, a spontaneous kind of atmosphere - Il n’y avait pas comme dans tous les autres studios de décompte du temps. C’est l’une des particularités de Memphis : priorité absolue au processus créatif, celui qui rend tout possible. C’est ce que rappelle Robert Gordon dans le texte qui présente un autre coffret, Keep An Eye On The Sky : la magie de Big Star ne fut possible que parce que John Fry ne comptait pas le temps.

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    Quand en été, le soleil tape dur, le studio Stax est irrespirable, comme d’ailleurs celui de Cosimo à la Nouvelle Orleans. Pour pouvoir continuer à travailler, Cosimo faisait venir un camion de glace pilée. Isaac et ses amis allaient au Lorraine Motel piquer une tête dans la piscine. L’endroit devint une sorte d’annexe de Stax. Bailey leur faisait griller des ailes de poulet et ils attendaient la fraîcheur du soir pour retourner au studio.

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    C’est là, au Lorraine, que Steve Cropper et Eddie Floyd composèrent «Knock On Wood». C’est le Lorraine qu’on voit sur la pochette du fameux Memphis Sol Today de Monsieur Jeffrey Evans et de son groupe, the Gibson Bros. C’est aussi là que Martin Luther King reçut une balle de gros calibre dans la gorge.

    Par contre, en hiver, ils se caillaient tous les miches chez Stax : il n’y avait qu’un seul radiateur pour toute cette grand pièce qui était comme on l’a dit une ancienne salle de cinéma. Tout le monde, nous dit Isaac, se regroupait autour du piano et de la batterie qu’on avait installés à côté du radiateur. Mais comme il régnait une bonne ambiance - family - ça ne posait aucun problème.

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    Lors d’une soirée d’annive, Al Bell, co-boss de Stax, chope Isaac qui est en train de vider une bouteille de champagne et lui dit :

    — Ike, let’s do an LP on you !

    — Hips !

    Pas de problème. Isaac embarque Duck et Al Johnson en studio, Al fait tourner la bande et ça donne Presenting Isaac Hayes. Pas de répète, rien que de l’impro et du feeling un soir de fête bien arrosé. Pur jus d’Isaac. Jazz and funk. Pas de gros succès, mais ça présageait de choses à venir. Et quand victime d’une magouille contractuelle d’Atlantic, Stax perd tout son catalogue, c’est-à-dire la propriété de tous les hits pondus par la family (Sam & Dave, Carla Thomas, Otis, MGs, Eddie Floyd, enfin tout, on imagine l’horreur), Al Bell décide de tout recommencer à zéro, partant du principe que ce qui a été fait une fois peut être refait, et mieux encore : les bloody yankees ont barboté le catalogue, mais pas le plus important, c’est-à-dire les talents. Al Bell décide de frapper un grand coup en faisant paraître 30 albums et trente singles d’un seul coup. Il veut faire de Stax la grosse Bertha de la Soul. Bien vu, Bell. Boom !

    Isaac demande s’il peut refaire un album pour faire partie des 30. Al lui dit of course.

    — Je peux le faire à mon idée ?

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    Al lui donne carte blanche. Et ça donne Hot Buttered Soul, le cœur battant du Memphis Sound, l’un des disques les plus révolutionnaires de tous les temps. Quatre cuts, dont une version longue du fabuleux «By The Time I Get To Phoenix» de Jimmy Webb qui met en scène le génie visionnaire d’Isaac Hayes. Plutôt devrait-on parler de conjonction de deux génies, ceux d’Isaac et de Jimmy Webb. C’est d’une beauté qui pourrait échapper au langage. On y entend vraiment battre un cœur, un pendulaire extraordinaire et profond, d’où le vibrant du coffret - And she’ll probably stop at lunch just to give her/ her sweet good thing a call - L’histoire se déroule comme une splendeur visionnaire, Isaac y malaxe à merveille l’axe mélodique de mama-mama, il tient dans le chaud de sa voix toute l’Americana d’anticipation, il chante au sommet du groove le plus charnel qui soit et replonge à plusieurs reprises dans le pathos océanique de Jimmy Webb - I hate to leave you, baby/ Yes I do - et c’est d’une telle puissance que l’envoûtement dure encore. Il dure depuis bientôt cinquante ans. On écoutait et on ré-écoutait alors cette version jusqu’à la nausée. Elle produit aujourd’hui sur les sens le même effet de stupéfaction et d’émerveillement combinés. Isaac raconte que quand il entendit Phoenix pour la première fois, ce fut bien sûr la version de Glen Campbell et il se dit : «God, comme cet homme devait aimer cette femme !» En transposant ce désespoir dans sa vision du monde, Isaac atteignait à l’universalité.

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    Les quatre disks sont thématiques : le disk 1 compile des choses du Soul Songwriter, le disk 2 les grands singles Volt et Enterprise (sous-marques de Stax) et le disk 3 des reprises. Le disk 4 s’appelle Jam Masters, et curieusement, on passe a travers. Par contre, les trois autres disks se présentent comme des tables de festin royal. Rien qu’à lire les menus, on bave à grands filets. Sur le disk 1 (Soul Songwriter), on tombe très vite sur «Candy» des Astors, co-écrit avec Steve Cropper, une vraie pépite de good time music, gee whiz, les Astors swinguent leur petite pop magique. Ça flirte avec Motown mais ça reste raw dans le son. On repère ensuite très vite la présence de l’immense Johnnie Taylor, celui qui remplaça Sam Cooke dans les Soul Stirrers. Il tape dans le heavy blues avec «I Had A Dream» et rêve que sa baby l’a quitté, tout ça dans une apothéose de chœurs de cuivres. Isaac signe les arrangements. Et pouf, voilà Sam & Dave et leur fameux «Hold On I’m Coming», un hit d’origine triviale, puisque David Porter était parti chier un coup en pleine session et comme Isaac s’impatientait, David lui répondait ça du fond des gogues : Hold on I’m coming ! Comme quoi, parfois la vie...

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    On reste dans les choses très sérieuses avec Mable John, la grande sœur de Little Willie John, descendue à Memphis redémarrer sa carrière après avoir été l’assistante personnelle de Berry Gordy à Detroit. Isaac et David lui ont écrit «Your Good Thing» et Mable s’impose par une fabuleuse présence. C’est l’une des très grandes Soul Sisters d’Amérique. Avec elle Isaac fait du sur-mesure, on a là une compo démente enracinée dans un jazz de cuivres et d’une rare beauté. Avec Carla Thomas, c’est un peu plus compliqué. Elle chante trop sucré, trop Motown et souvent des balladifs insipides. Et pourtant, «B A B Y» sonne comme un vieux jerk de juke - I love to call you baby - On a tous dansé là-dessus au casino de Saint-Valéry ou d’ailleurs.

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    Avec William Bell, on passe à ce qu’il faut bien appeler l’aristocratie de la Soul. William Bell est l’un des piliers de l’early Stax et son «Never Like This Before» n’a jamais pris une seule ride, depuis cinquante ans. C’est un pur Staxy romp, soutenu par les vaillants MGs et notamment un wild drive de Duck. C’est lui qui emporte ce cut au firmament de la Soul. Et puis tout à coup, on tombe sur un single de Charlie Rich, et quel single, baby, puisqu’il s’agit de «When Something Is Wrong With My Baby». On peut bien parler de présence indéniable. Ce mec créait alors de la magie. Il arrivait même à nous faire bouffer de la country. Il transforme ce balladif staxy en pure merveille. On peut dire la même chose du B-side, «Love Is After Me», gros shoot de r’n’b enregistré chez Hi, le concurrent de Stax. Ce disk 1 n’en finit plus de vomir ses énormités, ça repart de plus belle avec cette bouffeuse de son qu’est Judy Clay («You Can’t Run Away From Your Heart»), suivi du «Soul Man» de Sam & Dave, the epitom of Soul. S’ensuivent les Charmels et leur groove énorme digne de Burt («As Long As I’ve Got You»). Encore une solide rasade de Sam & Dave avec cet «I Thank You» incroyablement excédé qui nous amène à l’apothéose du Stax Sound System, c’est à la fois intolérable et indomptable, raw as hell - But you did -

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    Qui se souvient du grand Billy Eckstine, ce Soul Brother qui chantait avec tellement d’autorité ? Ce disk 1 s’achève avec deux bombes qui retombent un peu à plat, vu tout ce qui précède, mais c’est pas grave, on peut quand même les écouter : le «Can’t See You When I Want To» de David Porter et l’effarant «Show Me How» des Emotions. David se répand, dans son cut. Voilà un slowah staxé jusqu’à l’os. Ce diable de David chante jusqu’au bout du bout, mais de façon excessivement inspirée - Cos your loving is so good to me - Il adore la baiser, évidemment. Il exprime l’amour d’une bite noire pour un petit pussy black et c’est très beau, en tous les cas, bien plus beau que les histoires de cul racontées par nos vieux chanteurs de variétés. Oh et puis les Emotions ! Ils se livrent à l’exercice d’une groove d’underworld d’une sensualité ineffable, comme sous-cutanée. Isaac s’associe avec la pulpe du génie sensuel de la blackitude, et même du sexe d’undergut et soudain ça explose de manière orgasmique. Pur jus d’Isaac. Tu ne trouveras jamais ça ailleurs. Inutile de chercher.

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    Normalement, quand on sort du disk 1, on est sevré pour un bon mois. Le temps de digérer, les réécoutes et accessoirement, les retours à certains des disques pointés par cette compile, comme par exemple l’indispensable Mable John paru chez Ace. Ou encore, les premiers albums de William Bell sur Stax. Mais bon attention, avec ces gens-là, on n’en finirait plus.

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    Le disk 2 est entièrement centré sur Isaac. Même si on connaît bien ses albums, on écoute cette compile avec un plaisir non feint. Car tout est bien. Isaac fait partie des grands irréprochables de l’histoire de l’humanité. Passé l’extase de Phoenix, on entre dans le lagon d’une œuvre. On peut le voir jouer avec le groove dans «The Mistletoe & Me», comme un géant du Péloponèse, barbe et crâne rasé. Il va chercher des choses extrêmement sophistiquées, il orchestre sa pop outrance, se croit à Broadway et impose sa présence. On se prosterne jusqu’à terre devant «I Stand Accused», il s’y adonne au nec plus ultra de la rêverie intercontinentale, telle qu’elle apparaît parfois dans certains films de Claude Lelouch, il shoote sa Soul à l’emphase de la démesure, il est à la fois loin et près, on sent son haleine chaude dans le cou, quelque chose d’infiniment spirituel se dégage de son art. Il tape dans Burt avec «The Look Of Love» et on réalise un peu mieux à quel point on entre dans un monde artistique vraiment sérieux. Plus rien à voir avec la petite pop. Même quand il fait de la diskö avec «You Can Say Goodbye», Isaac secoue ses chaînes en or et fait rouler ses muscles sous une peau luisante. Il règne sur la terre comme au ciel, il groove la diskö comme s’il enfilait une pouliche, il staxe le son et chante d’une voix rauque, purement sexuelle, c’est bardé d’émois vocaux et de chaleur humaine, il ultra-chante, il peut grimper là-haut comme Dion, Dionne et d’autres. Et quand arrive le fameux «Theme From Shaft», la fascination qu’il exerce monte encore d’un cran, comme si c’était possible. Comme avec Phoenix, il instaure l’intemporalité - Who’s the black guy - Nous voilà au cœur du Soul System, pas loin de Sly et de James Brown, parmi les géants de cette terre.

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    En général, on décroche après Shaft. Il est humainement impossible d’écouter 22 titres d’Isaac à la suite. C’est à la fois trop dense et trop qualitatif. Ce genre de compile peut assommer un bœuf. D’autant que ça repart de plus belle avec «Do Your Thing», groové par les Bar-Kays. Black is beautiful et grosses nappes de cuivres. Imbattable. Isaac bat tous les records de groovytude avec «Let’s Stay Together» et se paye une bonne tranche de r’n’b avec son pote David dans «Ain’t That Loving You». On les sent capables tous les deux d’éclater la gueule du firmament, rien que pour rigoler. Il nous embarque plus loin dans un groove qu’il faut bien qualifier de magique intitulé «Rolling Down A Mountainside». Forcément, depuis Phoenix, on reste à l’affût. Saura-t-il recréer le même émoi ? Oui, il devient l’espace d’un cut le génie du mountainside. Il ramène les horizons de Phoenix - And I’ll be alrite/ Yeah - Il porte son art au loin, à la syllabe pulsative et nous plonge dans le génie d’un groove harassant, celui du all nite long. Isaac n’en finit plus de faire bander sa Soul.

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    Et voilà «Joy» qui donne son titre à l’album du même nom, comme taillé dans la matière du groove. Il semble qu’une fenêtre s’ouvre sur son monde et qu’il nous y invite. C’est le triomphe du groove. Pas de meilleure manière de qualifier l’art suprême d’Isaac. Il enchaîne avec l’extraordinaire «Wonderful», you-you-you, il n’en finit plus de sécréter de la magie noire, alors ça devient de plus en plus fascinant, son «Wonderful» prend des allures de hit bombastique, mais à dimension universelle. Il nous instrumente ça à gogo, bien sûr. Tout cela finit par devenir définitivement déterminant, une sort d’art total qui s’auto-détermine, it’s wonderful, Isaac fait danser son propre mythe. On se demande si les Beatles sont allés jusque là. Une dernière merveille avec «Someone Made You For Me», une sorte de slowah extravagant de qualité, mais une qualité qui devient intrinsèque, vois-tu, comme filigranée dans la matière du son. C’est un slowah parfait, une sorte de vison unique du romantisme. Isaac se retrouve à la fois seul au monde et immensément puissant.

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    Dans le coffret, Sam Moore lui rend un hommage terrible en affirmant qu’Isaac fut son gourou et qu’il inventa le Memphis Soul Sound. Sam dit lui devoir tout. Sam dit qu’Isaac montrait tout aux musiciens, à Steve Cropper, aux Memphis Horns, il leur chantait les arrangements, tu-lu-lu-tu-tu et les autres lui obéissaient au doigt et à l’œil, fiers de travailler avec un génie pareil. Comme Sam et Isaac avaient le même surnom, Bubba, Isaac rebaptisa Sam Blessed, c’est-à-dire béni, puis à l’usage ça devient Bless. Sam dit avoir aujourd’hui 81 ans et I truly am blessed, oui il se croit vraiment béni de Dieu, comme le voulait son mentor Isaac. Il ajoute les larmes aux yeux que Bubba lui manque et il espère que tous ceux qui vont acheter ce coffret commémoratif vont découvrir the brillance and the genius of Isaac Lee Hayes.

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    Des trois disks, le 3 est certainement le plus fascinant. Sa version du «Walk On By» de Burt n’a pas pris une seule ride depuis sa parution en 1969, voici presque cinquante ans. Isaac travaille la matière de la Soul comme l’aurait fait Rodin, c’est quelque chose de très physique qui relève du corps à corps conceptuel. On entend une fois de plus battre le cœur de Stax, très lentement, comme dans Phoenix - If you ever see me walking down the street/ Walk on by - On a là douze minutes de groove magique et de peau noire, porté par des Bar-Kays qui jouent le plus heavy des beats de Stax. Isaac avait tout compris. Il serre la mélodie contre sa poitrine, il l’étreint et la magnifie, il l’humanise et l’universalise - Goodbye/ So please/ Walk on by - On est chez Stax et la Soul brille comme le soleil de l’Égypte ancienne. Il reste chez Burt avec «I Don’t Know What To Do With Myself». Isaac prend Burt dans ses bras et l’embarque dans son univers d’humanité profonde, in the depth of Stax, c’est-à-dire les profondeurs de l’âme noire. Isaac le sauveur sauve la Soul mais aussi Burt qui n’a pas besoin d’être sauvé. Pourtant, ce géant exceptionnel s’intéresse à lui, alors faut-il voir ça comme un signe ? Et ta mélodie, Burt, ne semble-t-elle pas jaillir du buisson ardent ? Isaac tape ensuite dans le mirifique «Man’s Temptation» de Curtis Mayfield. Ça staxe en profondeur et ça prend vite une ampleur sidérante. Nous voilà chez Stax au temps d’Isaac, c’est chargé de son, de chœurs et d’or du temps. C’est chargé de magie et Isaac sublime encore les choses à coups d’octaves mercuriales, il flaubertise son gumbo et sodomise Salambô sous des cascades de diamants soniques. Isaac se bat dans la cage de la beauté pure et arrache ses chaînes en or. Tout aussi exceptionnel voici «The Ten Commandments Of Love». Il entre dans la vulve du groove comme dans du beurre. C’est exactement l’image que renvoie la sensualité du groove et le voilà parti pour limer à longueur d’heures. On monte encore d’un cran dans l’extatique avec une version explosive de «Stormy Monday», ultime hommage à T-Bone Walker. Il chante à l’éclatement des chaînes de l’esclavage, il explose le concept du blues, l’esclave libéré resplendit dans l’éclat des accords de cuivres. C’est admirable d’élévation. Il fait monter le big-band dans l’éclat de sa blackitude. C’est là qu’on réalise pleinement à quel point la musique appartient aux blacks, car aucun blanc ne peut chanter comme Isaac, c’est-à-dire à bras le corps. Si on veut encore se payer un petit coup d’extase vite fait, alors voilà «If Loving You Is Wrong». Isaac sait dérailler quand il faut. Il bouscule sa Soul comme on bouscule la gueuse au printemps, il laisse tomber une chape sur le blues et son timbre de feuleur léonin couronne la cérémonie. Dans un final éblouissant, Isaac emmène son peuple hors d’Égypte.

    Signé : Cazengler, l’Isac à main

    Isaac Hayes. The Spirit Of Memphis. Box Craft Recordings 2017

    29 / 09 /2018 / TROYES

    BOP ROCKABILLY PARTY 5

    CACTUS CANDIES / EDDIE AND THE HEAD – STARTS

    JAKE CALYPSO AND HIS RED HOT

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    La guerre de Troyes a bien eu lieu. Pas plus tard que hier soir. Puisqu'il faut le nom du coupable je vous le refile : Billy. Un récidiviste. Cinquième fois qu'il remet le couvert. Avec expo de voitures et divers stands d'automne toute l'après-midi. Et puis le soir, concert trois groupes. Réussit son coup à chaque fois, le Billy. Vous transbahute la programmation, la mairie s'exécute, et le peuple du rock exulte.

    CACTUS CANDIES

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    Plung ! Plong ! Pling ! Sont trois mais l'on n'entend qu'elle. Une vieille Kay – OK, l'a dû s'en amarrer des bateaux sur son quai - un peu délabrée, genre j'ai passé douze ans dans la grange avec les termites qui m'ont rangé la couenne du dos mais je sonnerai à merveille le glas de votre enterrement, Max Genouel est à ses côtés, lui tire sur les cordes comme l'on tire sur son précepteur entre les deux yeux, sûr de ne pas le rater, la upright chante haut, vous perce les furoncles de l'âme un par un et vous aimez ses clous de bronze enflammés qui vous embrasent le sang encore plus violemment que l'extase sexuelle. Normalement vous n'avez plus besoin de rien, vous avez atteint à une plénitude musicale qui se suffit à elle-même. Mais de l'autre côté de la scène l'on a décidé de doubler la mise. Hillbilly de mes deux ! Les ploucs marchent toujours par deux, et Jull à la guitare conduit la charrue à double-soc. Commence par trois notes graves et mûres qui ronronnent à la manière des épis d'or que la brise berce voluptueusement, et ses doigts remontent le manche, z'avez l'impression qu'il étrangle des poulets, et leurs corps palpitent un instant dans la lumière du soleil, mais il est déjà redescendu dans la cave sombre des largeurs sonores. Un sacré guitariste, note par note, mais chacune à elle seule contient le monde en elle-même, plus une petite portion de vos rêves personnels. Les boys sont au top. Un régal. Deux, mais abattent le boulot de quinze. Mais que serait-il sans la fermière ! Les mains nues dans sa robe à ramages. Lui suffit qu'elle ouvre la bouche pour que les deux autres disparaissent, que vous oubliez qu'ils existent – c'est terriblement injuste car c'est eux qui emplissent la grange de richesses agrestes – Lil'lOu Horneker se joue de leurs bienfaits, sa voix cabriole, un poulain fou qui saute les barrières et galope dans les prés de luzerne, mais un pur-sang que rien n'effraie, une facilité déconcertante, à l'aise partout, les boys s'y mettent, Jull vous chante trois morceaux la voix encore plus nasillarde qu'un péquenot du South, et Max nous pousse une goualante à la Johnny Cash, le timbre encore plus sépulcral qu'un cimetière abandonné, mais Lil'lOu claironne plus fort qu'un micro de rodéo, chantonne plus doux qu'une ondée printanière, se moque de vous à la manière d'une lanière de fouet, et vous laisse sur votre faim, à tel point qu'entre les quinze secondes qui séparent deux morceaux, vous vous demandez comment elle pourra encore vous surprendre et vous séduire. Un rêve qui devient réalité à chaque fois.

    Sans concession. Les Cactus Candies se contentent d'un maigre territoire. A cheval dans l'entre-deux du hillbilly et du rockabilly. Lâchent les Appalaches pour mieux s'agripper aux collines. Tiennent la salle en haleine. Repoussent sans arrêt l'horizon des grandes plaines. Honky Tanks qui foncent et Honky Tonk qui plante la tente. Toutefois sont des sédentaires. Ils ont le country rural, de la même manière que l'on avait le blues dans le Delta. Trichent un peu, car aux instruments vous avez deux cadors aux doigts d'or, savent tricoter et encore plus fricoter ensemble, faut voir, l'on dirait qu'ils s'écrivent des lettres, tu me fais ça et moi je te fais ci, se donnent le temps de se répondre, ils aèrent, laissent du champ, à chaque note le temps de résonner car ils savent que c'est la meilleure manière de vous faire déraisonner. Et Lil'lOu crie au loup, de délicieux frissons vous parcourent la moelle épinière... Ont tenu l'auditoire en haleine, saluent sous une nuée d'applaudissements.

    EDDIE AND THE HEAD-STARTS

    , Gene Vincent + Mick Farren, Dale hawkins, The Cactus Candies, Eddie and the Head-Starts, Jake C

    Même formule. Trio de choc. Contrebasse à droite. La même que celle qui servit aux Cactus Candies. Guitare à notre gauche. Eddie au milieu. Guitare rythmique sur le cœur, œil de velours, allure de caballero, sourire sur les lèvres. Méfiez-vous, commencent tout doux. A pas de puma des Rocky Mountains. Le rythme est comme en dessous. Un feu souterrain qui brûle mais qui ne fume pas. L'air de rien, ça cavale sec, mais ils sont encore dans la retenue, dans l'orthodoxie de ce qui se fait quand on veut s'amuser, sans délirer. Des charmeurs, promettent même de vous faire des bisous si vous achetez leurs disques. Des facétieux à l'air sérieux. Et patatrac, tout se détraque. Eddie commence par taper du talon, comme s'il écrasait un nid de serpents à sonnettes et rien ne va plus. En fait tout va très bien. D'une seconde à l'autre la guitare de Stéphane sonne différemment, il y a deux minutes elle était comme une guitare qui se respecte, sage comme une image, vous ourlait les licks sans un pli, comme Tante Agathe qui repasse vos chemises, brutalement la folie des grandeurs, sans avertissement se met à chanter comme un stradivarius, un orchestre symphonique à elle toute seule, c'est beau comme du Tchaikovsky, vous en met plein les oreilles, une mer infinie miroitante, en plus elle prend de la vitesse, le rythme s'accélère, à la contrebasse Thibaut vous cloue des étoiles dans le ciel, et Eddie s'envole, la voix qui monte et les pieds qui martèlent le sol, I Could Say, I wana Make Love, Speed Limit, la salle prend feu, le plancher brûle, et l'incendie des Head-Starts ravage tout ce qui bouge. Z'ont le rockab qui happe tout ce qui se risque à leur portée, la baleine blanche fonce sur vous, et vous admirez sa force, sa puissance, sa rapidité. Vous la suivriez en enfer et même plus loin encore. Cette voix d'Eddie, du piment enrobé de sucre, délectable et empoisonnée. Vous rend addict à la première bouchée, vous tue à la deuxième et vous ressuscite à la troisième. Un set qui passe trop vite. L'on aimerait arrêter le film, mais non sont pressés, vous emportent avec eux et quand c'est fini, que vous avez eu votre rappel, vous en auriez repris pour une heure de plus, mais non, vous êtes obligés de vous dire que la vie est trop longue et injuste. Une seule certitude consolatrice, tout l'auditoire pense comme vous.

    JAKE CALYPSO AND HIS RED HOT

    , Gene Vincent + Mick Farren, Dale hawkins, The Cactus Candies, Eddie and the Head-Starts, Jake C

    Eddie and the Head-Starts ont salement échauffé les esprits, ambiance chaud-brûlant dès que le Red Hot prend la relève. Clameur et ferveur. Loison ne sort pas de l'oeuf, sait évaluer une ambiance au premier pas sur la scène. Lève les yeux au ciel et déclare que dans cette église il est temps que s'élève la folle et gospelle prière du rockabilly, celle qui serpente dans l'entremêlement de ses racines les plus noires, «  Oh ! Lord ! » hurle-t-il, la salle rugit férocement certaine que l'on ne marche pas sur la queue du serpent du blues impunément, et nous voici au milieu des bayous en train de nourrir les alligators affamés.

    , Gene Vincent + Mick Farren, Dale hawkins, The Cactus Candies, Eddie and the Head-Starts, Jake C

    Le set commence par là où il finit habituellement. Dans la folie chaotique. Tout, tout de suite, et en même temps. Le Red Hot entre en incandescence à l'instant, Christophe Gillet n'est plus Christophe Gillet, l'est un somnambule qui dans une autre vie s'est appelé Christophe Gillet, n'est plus qu'un zombie en apnée qui passe les riffs à la vitesse de la lumière, de l'autre côté de la scène Guillaume Durrieux n'a pas plus de liberté, slappe sur sa basse spasmodiquement,

    , Gene Vincent + Mick Farren, Dale hawkins, The Cactus Candies, Eddie and the Head-Starts, Jake C

    blanc comme un linceul, en insuffisance respiratoire avancée, sont partis pour un marathon, préfèreraient crever sur place que ralentir le tempo une demi-seconde, derrière Thierry Sellier bouscule ses battements, vous vide un tombereau de toms sur les pieds, puis immobilise tout, prend le temps de figer le désastre, ce quart de seconde qui sue l'angoisse entre deux catastrophes soniques,

    , Gene Vincent + Mick Farren, Dale hawkins, The Cactus Candies, Eddie and the Head-Starts, Jake C

    et le monde s'écroule autour de vous, Jake n'est plus avec nous, l'est quelque part ailleurs, dans un tripot ou un clandé de la Nouvelle Orléans, retenu prisonnier volontaire en une bamboula vaudouïque, se nourrit de notre énergie, pour mieux nous la renvoyer.

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    Il chante, mais parfois la bête pousse son groin au travers de son gosier. Les filles sont devant la scène et couinent de plaisir à cet appel animal. L'a sorti son harmonica et nous déchire un blues en miettes. Tape du pied pour implorer l'esprit, et tout le monde hurle, à sa suite, dans un capharnaüm invraisemblable, et Dieu en personne descend sur scène. Même que sa Sainteté se saisit du micro solitaire, le fait tomber de son pied, et l'on entend distinctement qu'il reproduit, pour signaler sa présence spirituelle, exactement le même rythme que vient de marquer le talon calypséen. La salle hulule de joie, et à partir de ce moment-là, ce sont les chiens de la chienlit qui s'emparent des consciences. Car si la loi est la loi, les loas sont les loas.

    , Gene Vincent + Mick Farren, Dale hawkins, The Cactus Candies, Eddie and the Head-Starts, Jake C

    Hervé entre en éruption, saute partout, se colle à Christophe, frères siamois accrochés à leur guitare, Guillaume extatique se plante devant la scène, sommes plusieurs à tambouriner sur sa big mama, Calypso aimerait bien fracasser sa guitare, mais il se retient, de dépit il jettera son harmonica en l'air, lui marchera ( exprès ) dessus lorsqu'il retombe, se roule par terre, rampe sur le dos, se jette la tête en avant sur le ciment de la salle, se relève d'un magnifique roulé-arrière sur scène, s'en va se perdre dans la foule avec l'harmo récupéré, on hurle et on trépigne tous ensemble, autour de lui, le blues n'est à l'origine qu'un cri de reconnaissance qui attend sa réponse, jeu de howler festif, sans fin.

    , Gene Vincent + Mick Farren, Dale hawkins, The Cactus Candies, Eddie and the Head-Starts, Jake C

    A son invite une quinzaine de filles sont montées sur scène, s'empressent autour de lui, paradent toute fières, lascivement, le caressent, le tapotent, lui rentrent sa chemise dans son pantalon, vous le bichonnent comme un coq en pâte, l'en faudrait peu pour qu'elles le déchirent tel un moderne Orphée rockabillyen...

    , Gene Vincent + Mick Farren, Dale hawkins, The Cactus Candies, Eddie and the Head-Starts, Jake C

    Leur échappe de justesse, s'envole et se promène à bout de bras au travers de la foule, revient faire le poirier devant la grosse caisse et puis contre le cordier de la big mama qui s'aplatit comme crêpe dans la poêle à frire, lorsque Guillaume aura tant bien que mal réparé les dégâts, Jake tentera à nouveau l'aventure mais Damien enroule sa contrebasse autour de lui tel un torero qui se dérobe dans une véronique diabolique, transe totale, cinquante fois le Red Hot sonnera le final apocalyptique de la fin du set et cinquante fois Hervé reviendra à l'assaut, le chant collé à l'harmonica comme la bave aux lèvres des épileptiques... Il paraît que le set a pris fin, mais peut-être continue-t-il sans fin en une autre dimension.

    , Gene Vincent + Mick Farren, Dale hawkins, The Cactus Candies, Eddie and the Head-Starts, Jake C

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : NATHALIE GUNDALL / ERIC DUCHENE )

     

    THE CLASH

    LE BRUIT ET LA FUREUR

    STEPHANE LETOURNEUR

    ( OSLO Editions / 2012 )

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    Précisons-le, je ne suis pas un fan du Clash, je leur ai toujours préféré les Sex Pistols, que voulez-vous en France on a l'esprit dichotomique qui fonctionne un peu, non sur le principe du tiers inclus, mais sur celui beaucoup plus rudimentaire du binaire exclu : exemple : si vous aimez les Rolling Stones vous ne pouvez pas apprécier les Beatles, procédé fortement revendicativement identitaire mais un tantinet schismatique, dans les années soixante en notre doux pays il exista une guerre froide, parfois à crans d'arrêt tirés, entre les partisans de Johnny Hallyday et ceux d'Eddy Mitchell... une fois ceci posé je suis au regret d'apprendre aux amateurs du Clash que ce livre ne leur apportera rien mais que par contre, les natifs des dernières couvées entrant dans l'âge de fer pubère le liront avec intérêt.

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    Simple, clair, rapide, un petit chapitre ( très court ) sur le premier concert des Pistols, immédiatement suivis de quatre autres consacrés dans l'ordre à Mick Jones, Paul Simonon, Nicky Headon, Joe Strummer, assez bien faits, quatre parcours d'adolescents dans le Londres du début des années 70, l'analyse de quatre personnalités divergentes qui explique en partie les causes qui huit années plus tard présideront à l'éclatement du groupe en voie de convergence, une espèce de point focal du prochain futur inconnu ( le lecteur averti remarquera en l'expression précédente une espèce d'abstraction du concept du no future punk ).

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    Les trois chapitres suivants s'attardent sur la constitution du groupe, les répétitions, l'importance du manager Bernie Rhodes – ancien bras droit de Malcolm McLaren décidé à jouer sa propre carte – et la mise en place des fondamentaux idéologiques et musicaux du groupe. Révolte et culture noire en seront les deux tétines nourricières. Prédomine d'abord la dénonciation des coercitions sociétales et policières qui a pour conséquence la furieuse envie de kickouter la fourmilière de ce monde injuste, mais à cette exigence punk de refléter par un rock primaire et sans concession la laideur et la violence des conditions existentielles imposées par le système sera amalgamée l'espèce de philosophique indolence revendicative des musiques jamaïcaines des quartiers noirs de Londres, une sorte de blues à contretemps qui privilégie le mou au détriment du dur, la neige par rapport à la grêle – goûtez cette métaphore hivernale pour une musique tropicale - une radicalité qui préfère l'insinuation à la confrontation. L'on n'attaque pas la pierre à coups d'explosifs, ce sont les infiltrations d'eau dans les fissures naturelles qui la feront éclater lorsqu'elle se transformera en glace.

    Retour sur les Sex Pistols qui disent des gros mots à la télévision. Débute l'inénarrable épisode de l'Anarchy In the UK Tour – l'on y retrouve Johnny Thunders And The Heartbreakers - les municipalités outrées qui interdisent dix-huit des vingt-cinq concerts, un public pas toujours aussi déchaîné que la légende se plaît à le raconter, la tension qui couve au sein des Pistols qui virent Matlock et font entrer Sid Vicious... en quelques mots au milieu de ce capharnaüm, les Clash paraissent le groupe le plus stable...

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    The Clash sera le titre éponyme de leur premier album ( 1977 ), en vendront cent mille en import aux States, et flirteront avec le top ten des ventes in the Royal England. Le disque est bien reçu par la critique, la mécanique du succès se met en place. Mais lentement. Si la tournée White Riot qui suit est une réussite, le groupe n'a pas atteint sa stabilité économique, il a tenu à ce que le prix des places et des disques ne soient pas élevés et le contrat en trompe-l'œil de CBS, les obligera à une fuite en avant sempiternelle.

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    Give 'en Enough Rope, deuxième album ( 1978 ), cornaqué par Sandy Pearlman du Blue Öyster Cult qui parvient à préserver la rudesse de leur style tout en lui donnant un son plus ample aura en un premier temps moins de succès, les paroles se détachent des oripeaux gratuit de la violence punk mais les prestations scéniques qui gagnent en savoir-faire et en intensité coagulera une solide base de fans.

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    1979 sera l'année faste : le Pearl Harbour Tour sera leur conquête de l'Amérique. Leur triomphe est à mettre en regard avec le split des Sex Pistols qui s'y cassèrent les dents... Mais l'Histoire retiendra surtout la sortie de London Calling, un double album – vendu au prix d'un – qui restera leur titre de gloire. La pochette imitée d'Elvis Presley, le jungle-rythme d'Hateful emprunté à Bo Diddley - qui fit leurs premières partie aux USA – la reprise de Brand New Cadillac de Vince Taylor, est une manière d'afficher sans équivoque une filiation rock, l'aspect politique n'est pas marginalisé, Spanish Bomb évoque la Guerre d'Espagne au travers de la figure de Federico Garcia Lorca, et certains morceaux comme Wrong 'em Boyo présentent une obédience ska indiscutable...

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    Sandinista ! paraît en 1980. Ce triple album ( vendu au prix de deux ) équivaut au double-blanc de la discographie des Beatles. Un aspect fourre-tout, un parti-pris expérimental, une envie de suivre son inspiration sans vouloir faire du Clash à tout prix, chacun des membres y apporte ses petites pierres... mais l'on y trouve pas vraiment de diamants qui fassent la différence.

    Le double-blanc s'avèrera être le chant du cygne des Beatles – pour ma part je juge l'animal salement enroué... Sandinista ! qui se vend mal précipitera les tensions au sein du groupe, fatigues dues aux tournées incessantes pour combler les déficits, la dope n'a pas manqué, et les contradictions autour desquelles le groupe s'était culturellement et musicalement soudés deviennent de plus en plus déstructurantes, le succès gonfle l'affirmation des égos...

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    L'enregistrement du dernier album s'avèrera difficile. Glyn Jones qui a officié auprès des Stones de la grande période est appelé au secours, son intervention sauvera Combat Rock ( 1982 ) qui sera la meilleure vente du combo, mais c'est trop tard, après sa participation au US Festival organisé par Apple le groupe se désagrège...

    Rassurez-vous, le rock n'en est pas mort pour autant !

    Damie Chad.

    THE CLASH

    LA PUNK ATTITUDE

    NICK JOHNSTONE

    ( 2008 / Talents Publishing )

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    On prend les mêmes et on recommence ! Soyons juste, c'est ce bouquin-ci qui a dû servir de base de données pour le précédent. Le sous-titre est assez putassier, mais le livre est plus intéressant. Un format légèrement plus grand – c'est mieux pour les photos – mais à part les vingt premières pages d'introduction qui retracent l'ensemble de la carrière du groupe, le principe adopté pour les cent trente suivantes se révèle plus émotionnant. Chaque chapitre donne la parole aux protagonistes de la thématique traitée, une mosaïque de mini-témoignages tirés d'interviews accordées à différents médias, que ce soit durant l'épopée elle-même ou plus de vingt ans après, donnent l'impression d'être au cœur des évènements. Nos clashistes ne tirent pas la couverture à eux et ne cherchent pas à faire porter le chapeau au(x) copain(s), sont assez conscients de ce qui leur est arrivé. Ne sont pas dupes de leurs dérives. Ont commencé en groupe à clashs politiques de militants punks imbus de principes éthiques et ont fini par devenir par la force logique des nécessités un groupe à cash soumis aux impératifs financiers. Pas très longtemps, car ils se sont séparés avant que rien ne puisse plus arrêter la mécanique infernale. Strummer et Simonon avouent sans gêne que leur complicité s'est transformée peu à peu en compétition. Se la sont d'abord joués solidaires et puis solitaires. Le melon qui gonfle comme l'on dit à Cavaillon... Ensuite leur a fallu apprendre à vivre comme tout le monde, ont refusé d'être des hasbeens mais n'ont plus connu ce qu'ils avaient été. Plus difficile pour Strummer qui pour de sombres questions de contrats avec EPIC est resté sans pouvoir travailler dans la musique pendant onze ans. Se défend de toute amertume, prend la chose en philosophe. C'est du moins ce qu'il dit. Dans sa caboche je ne pense pas, on peut lire entre les mots que ce fut plus pénible qu'il ne s'en défend. Se sont réconciliés, et ont trouvé cela intelligent et humain... Mick Jones a fondé un autre groupe, Strummer est mort d'un arrêt cardiaque à cinquante ans, Paul Simonon est revenu à sa première passion : la peinture. Une autre vie, une autre mort...

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    Certes Clash a généré des milliers de groupes, l'on peut toutefois s'interroger sur les bienfaits de la généalogie lorsque U2 se réclame de votre héritage... Le punk hardcore n'aurait-il pas tiré de meilleures leçons de leur trajectoire... Maintenant se pose l'angoissante question : vaut-il mieux finir comme le Clash ou comme les Rolling Stones, trois petits tours et s'en vont à la trappe, ou la longue durée ? Pathos dans les deux cas ? Je vous laisse répondre à votre guise. Tous les chemins du monde ne mènent-ils pas au rock'n'roll !

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    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    FEUILLETON HEBDOMADAIRE

    ( … le lecteur y découvrira les héros des précédentes Chroniques Vulveuses

    prêts à tout afin d'assurer la survie du rock'n'roll

    en butte à de sombres menaces... )

    EPISODE 2 : L'EPOPEE FUNEBRE

    ( Vivace Vivace )

    , Gene Vincent + Mick Farren, Dale hawkins, The Cactus Candies, Eddie and the Head-Starts, Jacke Calypso and his Red Hot, The Clash,Rockambolesque 2,Isaac Hayes,

    Je n'ai même pas eu le temps de réveiller Cruchette que le Chef entrait, un paquet de croissants chauds à la main, le visage épanoui du sourire le plus jovial que je ne lui avais jamais vu arborer.

      • Debout là-dedans, bande de fainéants ! Oui Molossa tu peux manger la part de ton maître, je suis sûr que les nouvelles lui couperont l'appétit ! Agent Chad, je devrais vous limoger, chère Cruchette veuillez expliquer à notre cher collègue comment nous avons retrouvé sa trace !

      • C'est vous Chef qui avez préféré le prendre en filature depuis devant son domicile et non depuis Chez Popol, même que vous avez dit '' Avec cet olibrius, il vaut mieux se méfier''.

      • Bref, nous vous avons suivi du début à la fin de vos pérégrinations, nous avons toutefois momentanément suspendu notre action lorsque vous vous êtes arrêté avec votre espèce d'auto-stoppeuse sous le couvert de frondaisons touffues. Je ne tenais pas à ce que l'innocence de Cruchette soit pervertie par la désolante vision de vos agissements virilistes, je parierais douze boîtes de Coronados que selon vos déplorables habitudes vous lui glissâtes votre paluche dans la culotte, oseriez-vous prétendre que je me trompe, agent Chad ?

      • Non Chef, mais ce n'est pas ce que vous croyez, je...

      • Et ça, je ne vais pas le croire non plus !

    Et le Chef me lança un paquet de journaux tout frais imprimés, sentant encore l'encre, je n'eus même pas la peine de les ouvrir, la première page me suffisait amplement :

    DERNIERE MINUTE

    CRIME MONSTRUEUX A SAINT-MALO

    C'est en s'assurant que la lumière était bien éteinte dans les toilettes du Centre d'Art Municipal de Saint-Malo, que la concierge Mme Ginette S... avisa étendu sur le carrelage le corps sans vie d'une jeune femme, un couteau planté entre les deux omoplates. Appelé sur les lieux le commissaire Bertulle, eût tôt fait d'identifier la victime : Marie-Odile de Saint-Mirs âgée de 23 ans. Elle tenait encore dans sa main le récépissé de dépôt de l'œuvre qu'elle venait de déposer afin de participer au concours de la Biennale des Arts Conceptuels de Saint-Malo.

    L'enquête ne fait que commencer, mais déjà plusieurs témoins ont spontanément déclaré que lors de son arrivée, alors qu'elle se hâtait de descendre d'un véhicule qui l'avait emmenée, le chauffeur – genre petite frappe de banlieue affublée d'un blouson noir – lui aurait hurlé quelques brèves mais violentes menaces.

    Une édition spéciale du Matin-Malouin consacrée à cette affaire sera disponible dans les kiosques aux alentours de 12 heures.

     

      • Chef, c'est horrible, une si belle fille !

      • Mais non agent Chad, c'est fabuleux, nous ne pouvions pas rêver mieux, ce cadavre tombe à point, le Renard est sorti de son terrier. Pourquoi a-t-il frappé cette cette Marie-Odile, nous ne le savons pas. Mais il nous reste à le découvrir. Racontez-nous ce que vous avez fait hier soir.

      • Euh, rien Chef, Marie-Odile est arrivée à deux heures du matin, nous nous sommes couchés tout de suite, je me suis endormi direct, quand je me suis réveillé c'était Cruchette qui dormait à mes côtés.

      • Normal, nous sommes arrivés à cinq heures, tous les hôtels étaient pleins, vous ronfliez à poings fermés, vous étiez seul avec Molossa, j'ai laissé Cruchette s'étendre à côté de vous et je suis allé fumer quelques Coronados sur la plage...

      • Moi ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi Molossa n'a pas aboyé quand Marie-Odile est partie, s'exclama Cruchette.

      • Remarque pertinente, observa le Chef en tirant un Coronado de sa poche. Agent Chad, interdiction de sortir d'ici jusqu'à nouvel ordre, Cruchette allez acheter un costume à cet ostrogoth, ralliement ici à 12 heures, j'emmènerai l'édition spéciale du Malouin-Malin.

    EMOTION DU MIDI

    L'édition spéciale du Malouin-Matin n'apportait rien de nouveau. A part une déclaration du Président de la République, prononcée d'un ton ému – précisait-on – sur le perron de l'Elysée.

    ''La France, mère des arts, est touchée dans ce qu'elle a de plus profond, une de ses artistes les plus talentueuses, les plus prometteuses, est fauchée dans le printemps de son existence,lâchement assassinée, en tant que Président de la République Française je serai demain matin sur le parvis du Centre Communal d'Art de Saint-Malo, afin de lui rendre un dernier hommage.''

    - Il ne faudra pas rater cet événement décréta Cruchette, ça risque d'être aussi beau que le jubilé de la Reine d'Angleterre.

      • le Service Secret du Rock'n'roll ne saurait rester insensible à un tel drame, opina le Chef, venez Cruchette, une nouvelle robe pour assister à cet hommage me semble indispensable.

    L'INSOUTENABLE CEREMONIE

    '' Oui nous reprenons l'antenne, pour de bien pénibles moments, nos équipes ont travaillé toute la nuit afin que nos caméras vous permettent d'assister à cet hommage national à Marie-Odile de Saint-Mirs, cette jeune artiste ignominieusement assassinée en sa pleine jeunesse, chers télé-spectateurs, à l'instant une note de media-métrie m'apprend que vous êtes plus de vingt-cinq millions à suivre ce douloureux événement, les Malouins eux non plus n'ont pas manqué ce rendez-vous funèbre, près de trois mille personnes se sont tassées sur la petite place devant le Centre Municipal de Saint-Malo, c'est vraiment toute la population de la ville, au premier plan assis auprès de leurs instituteurs à même la chaussée vous remarquez les enfants des écoles, nos charmantes têtes blondes, l'avenir de la nation, et derrière eux c'est tout le peuple de France dans sa diversité qui se presse dans un silence oppressant, tous les âges sont là, nos anciens comme tout à gauche de votre écran cette vieille dame dans sa robe noire qui tient, l'on devine son ultime compagnon de misère, son pauvre chien en laisse d'une main tout en s'appuyant de l'autre sur sa canne blanche, mais la cité a aussi délégué ses équipages de marin-pêcheurs, des hommes rudes et virils, le visage taillé à la serpe par les embruns, admirez au centre de l'écran ce boucanier, une tête de forban, un cigare au bec, et cette larme silencieuse qui coule sur son visage, par contre la jeunesse n'a pas renoncé à sa fantaisie, ce jeune homme, un peu efféminé dans son costume framboise, à moitié caché derrière son immense carton à dessin, un artiste sûrement, mais voici que les portes du Centre s'ouvrent... la foule retient son souffle, apparaît le cercueil de Marie-Odile de Cinq-Mirs porté par quatre agents municipaux, l'on entend les gémissements de la mère soutenue par son mari et les pleurs de ses deux petites sœurs, quel insoutenable spectacle, ô combien je préfèrerais commenté un match de rugby, mais non la dure réalité est là, le directeur et le jury entier du la Biennale d'Art Conceptuel de Saint-Malo déposent religieusement le dernier chef-d'œuvre de Marie-Odile de Saint-Mars sur un piédestal de verre, un oh d'émerveillement s'élève de la foule qui ne peut retenir la déférence de ses applaudissements, le Président de la République entouré de ses agents de protection en profite pour se glisser devant le micro, une chape de chuchotements respectueux s'abat sur l'assistance : '' Mes chers concitoyens, je ne puis retenir mon émotion, et ma colère, votre présence me rassure, vous avez tous compris qu'en s'attaquant lâchement à une des artistes les plus douées de sa génération promise à une gloire nationale c'est à la France que l'on s'en prend. Mais permettez-moi d'abord, au nom de tous les français de m'adresser d'abord à cette famille éplorée, cette maman qui...'' Mais que se passe-t-il, mon dieu, c'est incroyable, le forban de tout à l'heure s'est rué sur le piédestal, il a déjà l'objet en main, c'est la panique, les enfants pleurent et crient partout, la foule s'éparpille dans tous les sens, mais les hommes de mains du président se précipitent sur lui, il jette en avant l'objet, à l'autre bout de la place le jeune homme au costume framboise le récupère, le forban ne se laisse pas faire, en trois prises de jiu-jitsu il se débarrasse de ses assaillants qu'il envoie rouler à terre, l'enfonce son cigare dans l'œil gauche de son dernier adversaire qui n'y voit plus rien et bat pathétiquement l'air de ses bras impuissants, désordre indescriptible, les gens hurlent, courent, se couchent sur le macadam, le forban a rejoint le jeune homme au costume framboise, ils n'iront pas loin, une voiture de gendarmerie leur coupe la route, un gendarme fait feu sur le jeune homme, son carton à dessin est un véritable bouclier de protection anti-balles, il s'agit bien d'un coup minutieusement monté, vraisemblablement de la mouvance islamiste, des citoyens se précipitent sur le président pour lui faire un rempart de leur corps, mais non il se défend, il n'entend pas fuir au moment du danger, il gesticule, il hurle, traite les policiers d'incapables, pris d'une fureur sacrée, il tape à coups de pieds sur le cercueil, un deuxième véhicule de police bouche l'issue, horreur ! les deux terroristes s'emparent de la vieille dame qui essayait de s'enfuir de toute la vitesse de ses maigres jambes, un policier en civil, regardez son brassard, se précipite, mais le chien bondit sur lui et le mord violemment aux couil..euh... au bas du ventre, il s'écroule sur la chaussée, le forban pose un pistolet sur la tempe de la vielle dame, elle est leur otage, ces bandits ne respectent rien, même pas une handicapée, les policiers désemparés reculent, le jeune homme s'installe au volant de la voiture de police la plus proche, le pirate force la vieille dame à monter, ils s'éloignent à toute vitesse, quel tumulte, quelle horreur, quel scandale, mais il me faut rendre l'antenne pour une coupure publicitaire...''

    SOIREE PIZZA

    Nous voici revenus dans notre QG. Dans la cuisine Cruchette enfourne quatre pizzas dans le micro-onde... Elle est enchantée de sa participation au grand-jeu de rôle de Saint-Malo. Le Chef examine le chef-d'œuvre de Marie-Odile, à sa mine de béotien dégoûté et au marteau qu'il tient en main, le lecteur comprendra qu'il ne goûte guère les subtilités de l'art conceptuel. Crac ! Le verre cassé, les feuilles arrachées, il s'empare du bristol bleu, le soupèse rêveusement, allume un Coronado, et glisse une lame de cutter dans l'épaisseur du mince carton, bingo, ce sont bien deux feuilles collées l'une sur l'autre, tenez agent Chad, cette gamine a écrit quelque chose dessus, à l'encre bleu-pâle, déchiffrez-moi ces pattes de mouche illisibles. Je lis non sans quelque mal, je pâlis et d'une voix blanche, j'annonce :

    AU SECOURS ! ROCK'N'ROLL !

      • Enfin nous voici au cœur du problème – le chef aspire longuement une bouffée de son Coronado – il ne m'étonnerait pas que nous ayons sous peu de la visite.

      • A table ! Les pizzas sont prêtes, triomphe Cruchette dans sa cuisine, je les emmène !

    C'est juste à ce moment-là que l'on frappa à la porte.

    ( A suivre )