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  • CHRONIQUES DE POURPRE 610 : KR'TNT 610 : LINDA LEWIS / REVEREND PEYTON / HOUND DOG TAYLOR / EHPAD / JEAN KNIGHT / CRASHBIRDS / ASHEN / EVIL'S DOGS / IN DER WELT / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 610

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    07 / 09 / 2023

     

    LINDA LEWIS / REVEREND PEYTON

    HOUND DOG TAYLOR / EHPAD / JEAN KNIGHT

    CRASHBIRDS / ASHEN

    EVIL’S DOGS / IN DER WELT

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Shakin’ with Linda

    - Part Two

     

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             On peut se contenter d’écouter Funky Bubbles, cette délicieuse box pleine à ras bord de Linda Lewis, ou, plus simplement, se contenter de caresser son souvenir, une attention qui se révèle idéale lorsqu’on est un peu pingre ou gêné aux entournures. Mais on peut aussi plonger dans le vaste lagon d’argent de sa discographie. Ce serait dommage de se priver d’un tel plaisir. Remember, my friend, life is short !

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             Au commencement était non pas le verbe, mais The Ferris Wheel, un mixed race group comme on savait si bien les fabriquer en Angleterre. Et contrairement à ce qu’on croit tous, ce n’est pas Linda Lewis qui chante sur le premier album de Ferris Wheel, mais Diane Ferraz. Can’t Break The Habit est un très bon Pye de 1967, lesté de deux belles énormités : «Something Good (Is Going To Happen To You)» et «Number One Guy». Avec Diane, tu peux jerker sans crainte, d’autant que le Something Good est un cut d’Isaac. Avec «Number One Guy», les Ferris font du Motown in London town. Côté covers, ça ne chôme pas : ils retentent le coup du Vanilla Fudge avec «You Keep Me Hanging On». Ils la jouent heavy, mais ce n’est pas aussi assommant. Par contre, la cover du «B-A-B-Y» de Carla est fantastique, ils n’ont pas vraiment de son, c’est Diane qui fait tout le boulot. Il faut aussi saluer le duo d’enfer qui illumine «It’s Been A Long Way Home», le mec pousse Diane au top de cette Soul pop d’entre deux mers. Ça sonne comme une tentative désespérée. On dirait qu’ils vont se noyer.

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             Diane Ferraz quitte les Ferris pour élever ses deux gosses. Marsha Hunt la remplace, mais pas longtemps, et c’est Linda Lewis qui entre en lice pour le deuxième album sans titre, un Polydot de 1970. Ce Ferris est nettement moins dense que le premier. Il est surtout un peu proggy, un peu folky folkah, on s’attend à un bel album de Soul anglaise et pouf, c’est raté. Les sauveurs d’album se planquent en B, à commencer par «I Know You Well», belle pop ponctuée par le chat perché de Linda. On a un peu de Soul rock avec «Sunday Times» - Sunday times is on my mind - mais c’est avec «The Ugly Duckings» qu’on se régale, Michael Snow l’attaque, des vents d’orgue magique hantent le cut, et Linda entre à la fin pour le porter aux nues, à la note perlée de lumière, c’est là qu’elle devient notre héroïne.

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             Elle démarre sa belle carrière solo avec Say No More, un Reprise de 1971. Linda fait partie des artistes qu’on suit, comme on dit, au même titre que Joni Mitchell ou Laura Nyro, parce qu’il se passe des choses extraordinaires sur chaque album. Et pas seulement au niveau de l’interprétation. Linda Lewis compose et gratte ses poux. C’est une artiste complète qu’on est ravi de fréquenter une vie entière. Il y a du beau monde sur cet album : Chris Spedding, et Louis Cenamo, un bassman qu’on retrouve dans Renaissance avec Keith Relf, dans Colosseum et Steamhammer. L’ingé son n’est autre que le fameux Ken Scott qui est derrière Ziggy et Hunky. Cenamo groove «Come Along People» en profondeur, et Linda chante «The Same Song» au fil d’or fin. Elle est éclatante de bonté divine, quasi-évangélique. Quant à Sped, il rentre dans l’eau douce d’«Hampstead Way» avec un gros riff agressif qui lui permet de jouer sur les contrastes. La perle noire de l’album se planque en B : «I Dunno», elle y fait le petit train d’all my love/ I’m gonna give you all my love. Elle s’y connaît en magie, la coquine. 

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             Bel album que ce Lark, un Reprise de 1972. On y trouve deux de ses hits, «It’s The Frame» et «Rock A Doodle Do». On s’effare de la pureté de son fil mélodique, elle chante son Frame à la nubilité absolue, accompagnée par un arpège de cristal. C’est avec son Doodle qu’elle attaque la B et tu vas la voir éclater le Doodle. Globalement, elle tape dans le groove exubérant. Cet album est enregistré chez Apple (celui des Beatles) et produit par Jim Cregan. Elle conduit son lard au feeling pur dans «Feeling Feeling» et redore le blason du groove avec «Old Smokey» - I was born east of Old Smokey - Sa voix est à l’image de ses intentions : pure. Elle s’en va gratter «Waterbaby» sous le boisseau, à l’aquatique, et elle termine avec l’excellent «Little Indians».            

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                  Elle attaque son Fathoms Deep au «Fathoms Deep», c’est-à-dire au filet de voix pop et ça bascule aussi sec dans le groove de jazz. Pure merveille ! Elle groove toujours merveilleusement, dans la joie et la bonne humeur. En B, elle tape un «Guffer» à la Nick Drake, avec une stand-up, et puis voilà encore un hit : «On The Stage», elle attaque en poussant un petit cri de plaisir et pouf, un bassmatic exubérant l’embarque pour Cythère. Ce cut respire une fois encore la joie de vivre, elle est si magnifique quand elle fait exploser de joie.      

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             Et voilà, les albums vont se succéder, année après année. En 1974, elle débarque sur Arista avec Not A Little Girl Anymore. Elle est très sexy sur la pochette, et comme le veut la loi de l’époque, elle fait un peu de diskö, mais sa diskö n’est pas vulgaire, au contraire, «It’s In His Kiss» sonne comme de la diskö lumineuse. D’ailleurs, elle attaque l’album en mode pop lumineuse avec «(Remember The Days Of) The Old Schoolyard», elle groove sa pop au funky breaking down. On ne se lasse plus de son petit chat perché, il est si pointu sur «Rock And Roller Coaster». Elle attaque sa B avec un joli coup de génie, «Love Where Are You Now», soft groove infectueux. Elle reste fabuleusement douce et douée, elle s’en va éclater son chat perché au Sénégal. Encore de la pop enchantée avec «I Do My Best To Impress». Cet Arista d’aristo nage dans le bonheur. Linda te transforme en ville conquise. Alors merci Linda.

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             Si tu veux la voir à poil, sors la pochette de Woman Overbooard. Elle a des seins magnifiques. Attention, l’album est en partie produit par Allen Toussaint, alors fini de rigoler. Le hit se planque au bout du balda : «Dreamer Of Dreams», l’élégance suprême d’Allen Toussaint. Linda tape aussi dans un cut de Van McCoy, «Come Back And Finish What You Started», le dancing cut des jours heureux, comme toujours avec Van the man. En B, Linda signe ce hit fabuleux, «My Love Is Here To Stay». Elle a un sens aigu de la beauté, elle est virtuose en la matière, elle flirte avec Broadway, avec une fantastique assise de fantastique artiste. Elle termine cet album impressionnant avec «So Many Mysteries To Find». Linda reste la reine du soft groove sucré. Ses cuts n’en finissent plus de capter l’attention. Elle va et elle vient entre les reins de l’or du Rhin.    

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             Diable comme elle est belle, et ce des deux côtés de la pochette d’Hacienda View, un Ariola de 1979. Musicalement, elle s’y montre superbe de petite fraîcheur. Bon, c’est vrai, ce n’est pas un album indispensable, mais on l’écoute parce que Linda se casse le cul à composer des cuts, alors on lui doit un minimum de respect. Et quand on respecte un artiste, on l’écoute. Elle fait un petit dancing strut d’I’m so alone/ oh mama/ I’m comin’ home dans «109 Jamaica Highway» et elle groove son jazz dans «My Aphrodisiac Is You». Elle revient à Broadway en B avec «It Seemed Like A Good Idea At The Time», elle en a les moyens et les épaules, et elle tape un hommage à Doc Pomus avec une version up-tempo de «Save The Last Dance For Me». Bien vu, Linda ! Elle garde tout le jus de Doc. Et puis voilà qu’elle illumine la nuit avec «Sleeping Like A Baby», mais elle l’illumine au sucre pur. Linda est une fantastique petite souris noire, fluide et fluette, espiègle et sexy.        

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            Tu vas tomber sur une belle cover de «Take Me For A Little While», si d’aventure tu t’aventures sur A Tear And A Smile, un bel Epic de 1983. Ce «Take Me For A Little While» de l’excellent Trade Martin fut un hit pour Jackie Ross en 1965, puis repris par Evie Sands, puis par le Vanilla Fudge. Linda le tape avec de faux accents de Supreme, c’est dire si ça sent bon le Motown Sound. Elle redevient une divertisseuse de choc avec «Why Can’t I Be The Other Woman» et finit cette belle B en mode slow groove avec «I Can’t Get Enough».     

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             Le Second Nature de 1995  pourrait bien être l’un de ses meilleurs albums. C’est là qu’on trouve «Do Ya Know Dino», elle entre dans le Dino darling au prix d’un sexy groove. Son «Love Inside» est une merveille d’exotica, elle se prend pour Astrud Gilberto, elle a quelque chose d’inexorable dans sa façon d’approcher le Brazil. Elle tape ensuite son «Sideway Shuffle» au r’n’b d’hey now now, elle l’éclate vite fait, elle monte chercher le Soul Sister Summit dans le groove, il fallait y penser. Elle fait du wild groove avec «What’s All That About», elle y revient par derrière, à la voix grave, se hausse sur la pointe des pieds et revient au sucre magique. Ah comme on se sent bien en compagnie de Linda. Elle pourrait être une petite fiancée. Ou la mère de  l’univers, ce qui revient au même. Elle enchaîne avec un «Soon Come» assez puissant, très innervé, très intériorisé, et le finit en bouquet explosif. Fabuleuse artiste ! Chaque cut sonne comme une délicieuse aventure. Elle chante encore «Born Performer» au rentre-dedans. Il faut aussi la voir gratter ses coups d’acou dans «For Love Sake», à moitié renversée dans le groove - For love sake/ He touches me - Elle irradie le bonheur, il faut la voir au dos gratter son acou. Quelle image ! Encore une petite merveille avec «Love Plateau» - Take me to the left/ Take me to the right/ Take me to love plateau - Real deal de Brazil.

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             Elle sort deux double-albums en 1996, Whatever et On The Stage - Live In Japan. C’est l’occasion pour elle comme pour nous de réviser les leçons. Surtout sur le Live In Japan, car elle tape dans tous ses vieux hits, «My Love Is Here To Stay» (un vrai festival), «Old Smokey» (un enchantement), «Do Ya Know Dino» (coup de génie, elle chante la perfection du sucre subliminal - Dino darling/ You’re so charming), «On The Stage» (son entrain est très contagieux, elle sucre son groove de calypso), «Love Inside» (elle va loin, aussi loin que Joni Mitchell) et «Funky Chicken», qu’elle gratte toute seule et qu’elle groove à la Bobbie Gentry.

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             Whatever est aussi un double qui grouille de puces, suivant le même mode opératoire : groove, sucre de chat perché et douce exotica. Linda propose une belle petite pop tropicale qu’elle saupoudre de swing. Elle remplit ses quatre faces de groove coconut et de vibes exotiques. En C, elle groove sa chique à l’exotica humide avec «Doin’ The Right Thing», et elle passe au funk léger avec «Mr. Respectable». Son «Reach For The Truth» est fabuleusement groovy, drivé par un bassmatic têtu comme une mule. Il faut la voir l’emmener au sommet, en mode gospel batch ! Elle orne sa D d’une version calypso d’«He’s A Diamond» et tient son rang jusqu’au bout avec «Don’t Come Cryin’». Superbe, attachante, magique, elle a toutes les qualités.

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             La meilleure façon de refermer la marche est certainement de rapatrier deux beaux albums panoramiques, Live In Old Smokey et Hampstead Days (The BBC Recordings). Les deux albums sont des espèces de must-be musters. Live, Linda semble plus pétillante. Elle entre dans «For Love’s Sake» et «I Don’t Do Don’t» au petit sucre de prédilection. Elle monte son lard au plus pointu du chat perché. Elle est superbe, resplendissante d’ahhh yeah. Elle ne dit jamais non dans «Don’t Do Don’t». Plus loin, elle attaque «I Keep A Wish» au fil magique. Elle semble sortir d’Alice Au Pays des Merveilles, elle est terrifiante de candeur candy, une vraie juvenile d’under the pillow. Elle passe au Brazil avec «Love Plateau», elle ramène l’exotica des îles - Take me to the love/ To the love plateau - Elle groove dans l’ass des îles et elle enchaîne avec une autre merveille, «Do Ya Know Dino», ce soft groove d’élégance suprême qu’elle chantait déjà au Japon. Linda est une virtuose de la glotte humide et rose. Elle a 55 balais quand elle enregistre cet album chez Ronnie Scott. Elle annonce «Rock A Doodle Do» - This is a song I wrote back in the seventies. That was a hit - Ça sonne toujours comme un hit. Puis elle gratte «Grandaddy’s Calypso», elle charge bien sa barque de sucre, et pour finir, elle s’en va rejoindre les reines de Broadway avec «Can’t Help Lovin’ That Man Of Mine». Elle le power de Lisa, elle pousse sa romance assez loin, elle finit par éclater sa noix à force de génie vocal et de man of mine

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             Hampstead Days (The BBC Recordings) est un album d’une rare intensité. On y retrouve ses super-hits, «It’s The Frame» et «Rock A Doodle Doo», avec un Doo qui cette fois prend deux o. Elle entre dans sa magie avec une réelle ingénuité. Elle incarne ce qui est indivisible, par exemple la beauté. «More Than A Fool» est une grosse compo, elle éclate la rondelle du Sénégal, elle monte dans l’upper-class. Avec «Red Light Ladies», elle t’éclaire la lanterne, elle te rafraîchit à coups de lay lay, elle est fantastique de chlorophylle, elle gratte ses poux à la dure, elle est dans le Love Supreme, comme Coltrane, et s’en va tortiller son chant là-haut sur les remparts de Varsovie. Linda est franchement irréelle de beauté. Elle peut faire le show toute seule, avec sa gratte. «What Are You Asking Me For» est l’une des raisons pour lesquelles il faut écouter Linda : l’artiste fraîche et géniale par excellence. Elle monte directement au chat perché. Elle dégage une énergie considérable, elle est clairvoyante et écœurante de spirit, elle est pire qu’Alexandre le Grand, elle te prend pour l’Anatolie et te conquiert sans te demander ton avis. Linda est l’une des artistes les plus fondamentales de son époque, elle couvre tous les territoires, rien que par sa virtuosité vocale. «Lark» illustre parfaitement ce postulat. Elle attaque son «Funky Chicken» à coups d’acou et passe au fast groove congénital avec «On The Stage». Elle le prend littéralement à la pointe fine. Elle revient au Brazil avec «Gladly Give My Hand», et se bat pied à pied avec «What Are You Asking Me For», comme elle l’a toujours fait. Tout est beau sur cet album. Elle développe son «Waterbaby» à coups de développements subliminaux. Elle traîne dans la voie lactée avec «Not A Little Girl Anymore», elle sonne comme une Soul Sister perdue dans le jazz, elle a le power du Love Supreme, elle honore le job de Soul Sister. Elle repart fraîche et rose avec «I Do My Best To Impress». Cut sophistiqué, mais sa fraîcheur de ton l’impose. Linda superstar annonce «Love Where Are You Now» au petit sucre. Ah il faut la voir gueuler son love. Elle est au-dessus des lois et des toits. Elle part en mode fast groove pour «The Cordon Blues» - It’s about you, eatin’, drinkin’ or mixin’up together - fast groove de jazz, mais à un point qui te dépasse, elle le pointe au chant comme le fait Ella Fitzgerald, elle a ces réflexes d’un autre temps, dans un environnement de surdoués du jazz, elle tient bien la rampe et te swingue le Cordon Blues à la Méricourt, c’est effarant de power. Elle présente ses musiciens. Les applaudissements te pètent les oreilles. Elle termine avec «It’s In His Kiss», un vieux diskö hit qui date de Not A Little Girl Anymore, mais cette fois, elle explose le dancing beat, elle te tape ça au fast r’n’b, elle court elle court la Méricourt, elle fait les Ronettes sous amphètes, si tu ne veux pas mourir idiot, écoute cette mouture du Kiss, Linda est possédée par les démons, elles pousse des cris d’orfraie, ça patauge dans la déréliction, dans une Berezina d’endives trop cuites, ça part en pointe d’apoplexie, tu ne verras jamais rien de plus explosif que Linda avec un pétard dans le cul.

    Signé : Cazengler, Linda Levice

    The Ferris Wheel. Can’t Break The Habit. Pye Records 1967 

    The Ferris Wheel. Ferris Wheel. Polydor 1970  

    Linda Lewis. Say No More. Reprise Records 1971  

    Linda Lewis. Lark. Reprise Records 1972                

    Linda Lewis. Fathoms Deep. Raft Records 1973    

    Linda Lewis. Not A Little Girl Anymore. Arista 1974 

    Linda Lewis. Woman Overboard. Arista 1977    

    Linda Lewis. Hacienda View. Ariola 1979                

    Linda Lewis. A Tear And A Smile. Epic 1983    

    Linda Lewis. Second Nature. Turpin Records 1995  

    Linda Lewis. Whatever. Sony 1996                                                  

    Linda Lewis. On The Stage. Live In Japan. Turpin Records 1996

    Linda Lewis. Live In Old Smokey. Market Square 2005

    Linda Lewis. Hampstead Days (The BBC Recordings). Troubadour 2014

     

    Peyton c’est du beyton - Part Two

     

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             On ne se lasse plus d’écouter le Reverend Peyton. Voilà encore quatre albums absolument déterminants, deux albums de hard punk-blues et deux superbes albums de pure Americana.

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             Attaquons si vous le voulez bien par les deux bombes atomiques, The Whole Fam Damnily et Between The Ditches. Pochette graphique pour le premier, pochette photo-symbole pour le deuxième. Alors boom et même badaboom dès «Can’t Pay The Bill». Ah t’as voulu voir The Whole Fam Damnily, alors tu vas voir Vesoul, dans l’Indiana, tu ne peux pas résister à ça, le Rev te déloge d’une seule rafale de hard punk blues, le Rev, c’est Victor le Nettoyeur dans Nikita, il te déblaye tout, il fait du so far-out à la voix de gras double et au stomp des forges. Il sait déclencher l’enfer sur la terre avec deux fois rien, un beat tribal et son prodigieux présentiel apocalyptique. Sa voix résonne comme un tremblement de terre. Écho terrible ! Dis-toi bien une chose : le Rev ne débande pas, tout l’album est sur le même ton, hot as hell. Il t’explose les frites de «Mama’s Fried Potatoes» vite fait. Le Rev est un acteur de la révolution. Il convole en justes noces avec l’apocalypse. Il n’existe pas de pire punk que le Rev. En plus, il te claque du bottleneck à tire-larigot. Et ça continue avec «Worn Out Shoes» qu’il allume à coups d’harp. Là tu as un héros. Un vrai. Quand tu entends «DT’s Or The Devil», tu comprends que le Rev est un punk dans l’âme, mais enraciné dans le real deal du hard blues. Tout est wild as fuck sur cet album, «Your Cousin’s On Cops» te tombe dessus à bras raccourcis, le Rev ponctue l’enfer, mesure après mesure, c’est un délire de rage permanent, il s’oublie et ça n’en finit plus de basculer dans le génie. Il s’oublie à volonté. Il fait de la fast Americanana avec «The Creeks Are All Bad», c’est battu à la diable. Le Rev est le Nabuchodonosor du punk-blues. «Them Old Days Are Gone» prouve encore son écrasante supériorité. Oh la puissance du démarrage et du gratté, il chante ça à pleine gueule. Son pouvoir est considérable. Il attaque tout de front, il ne craint ni la mort ni le diable. Nouveau coup de génie avec «What’s Mine Is Yours», il est encore pire que Bukka White. Cet album est un chef d’œuvre de wild Americana, l’un des plus beaux hommages à la culture primitive du peuple noir.

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             On reste dans le même esprit avec Between The Ditches. Il te sonne les cloches dès «Devils Look Like Angels», il est déjà grimpé au sommet du genre, il tape au cœur du heavy punk blues, au heavy stomp des bois, avec une voix qui te coupe la chique, il actionne son heavy trash tout seul, on entend vaguement Breezy gratter derrière, mais le Rev bouffe toute la devanture. Ici, il devient Gargantua. Même topo avec «Something For Nothing», il t’explose tout ça vite fait à coups de bottleneck. Le Rev est l’un des mecs les plus violents du punk-blues. Il sait couver sous la cendre, il sait faire le nègre qui va se révolter, il sait faire monter la pression, c’est son cœur de métier. Encore un coup de génie avec «Shake ‘Em Off Like Fleas», il amène ça à la Fred McDowwell, au wild craze de Como, pur genius, il reprend toute la Méricourt des blacks à son compte, il monte tout au pire niveau d’alerte rouge, mais pour comprendre ce qui se passe, il faut l’écouter, et certainement pas sur un téléphone. Ce mec a du son, alors il faut du son. Il tape encore «The Money Goes» au heavy punk-blues et aux coups d’harp. S’il est un mec qu’il faut croire sur parole, c’est bien le Rev. Il te combine là une bonne séance de transe. Il réussit à calmer le jeu histoire de mieux exploser. C’est un modèle du genre. Il ramène le pulsatif du fleuve dans «Broke Down Everywhere». C’est cavalé à outrance. Il fait carrément du wild as Rev, avec toute l’énergie de l’Americana. Avec «Big Blue Chevy», il sonne comme Creedence, c’est presque trop rock’n’roll. Il rend hommage à Fog le héros. Il a aussi ce pouvoir. C’est d’une hauteur de vue indescriptible. Il faut le voir gratter la cocote de Creedence ! Son «Shut The Screen» sonne comme l’Americana du diable. Te voilà renseigné. 

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             Avec Peyton On Patton, le Rev rend hommage à Charlie Patton. Donc, on se retrouve en pleine Americana, du côté de Dockery, dans les années vingt. Le rev a même glissé un 78 tours, en plus du LP, dans la pochette, c’est dire s’il fait bien les choses. Dès «Jesus Is A Dying Bed Maker», tu sais où tu te trouves : aux racines du blues, mais le Rev a du génie, il te modernise les roots avec le fantastique balancement du chant, il joue à deux notes avec des libellules de bottleneck. Et ça repart de plus belle avec «Some Of These Days I’ll Be Gone». En B, il fait une version banjo de «Some Of These Days I’ll Be Gone». Il claque ça d’une grosse voix d’Indiana. Tout est beau sur cet album, si on aime le blues primitif. Le Rev chante à la vraie voix, avec une gourmandise non feinte. On sent que chez lui le blues est quelque chose de purement spirituel. Avec «A Spoonful Blues», il opère une magnifique descente au barbu. Le Rev n’a pas son pareil.   

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             Avec The Gospel Album, le Rev tape au cœur de l’Americana, celle du grand peuple noir.  Il tape une version énorme d’«I Shall Not Be Moved», il invente pour l’occasion le gospel trash-punk, il te blaste littéralement le gospel batch. C’est à la fois spectaculaire et fait maison. L’autre coup de Jarnac est sa cover de «Rock Island Line». Il te l’explose. Ne lui confie jamais ton Rock Island Line. Il gratte «Amazin Grace» à l’hawaïenne sur sa National, et prend «Let Your Light Shine» au chat perché de gros barbu. Il fait encore une version demented de «Glory Glory Hallelujah». Pas de chœurs, rien que de l’huile de coude. C’est battu à la diable. Le mec au beurre est un bon. Il tagadate le beat, et le Rev te chante ça à la revoyure extravagante. Il faut aussi saluer le «Blow That Horn» d’ouverture de bal. Typical Rev des enfers, voix grave, beat tribal, ça sort du plus profond des Amériques. On croit entendre le beat du «Fast Line Rider» de Johnny Winter. Petite cerise sur le gâtö : le label a packagé l’album dans une jolie petite boîte en fer. Tu as donc au total un bel objet, avec un contenu en cohérence avec le contenant. 

    Signé : Cazengler, Révérend Péteux

    Reverend Peyton’s Big Damn Band. The Gospel Album. Family Owned Records 2006 

    Reverend Peyton’s Big Damn Band. The Whole Fam Damnily. SideOne Dummy Records 2007

    Reverend Peyton’s Big Damn Band. Peyton On Patton. SideOne Dummy Records 2011

    Reverend Pyeton’s Big Damn Band. Between The Ditches. SideOne Dummy Records 2012

     

    Wizards & True Stars –

    My Hound Dog Taylor is rich

     

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             Sans Hound Dog Taylor, pas de Gories, pas d’Oblivians, pas de Cheater Slicks, pas de JSBX, pas de rien. C’est lui, Hound Dog, qui invente la formule gratte/gratte/beurre, le raw du raunch, le punk-blues - ferocious blues rock played on cheap guitars - Avec Goodnight Boogie - A Tale Of Guns Wolves & The Blues Of Hound Dog Taylor, Matt Rogers rend hommage à ce blackos qui avant d’inventer le power-trio à deux grattes, réussit l’exploit d’échapper aux cagoulards du Ku Klux Klan. Ça s’est passé dans le Mississippi, l’état le plus raciste d’Amérique, avec l’Alabama.

             Quand il a vu le jour en 1915, à Natchez, Mississippi, Hound Dog Taylor avait six doigts à chaque main. Sa mère passait son temps à recompter. Six et six ! Shit ! Ce genre de malformation est répertoriée, comme le sont les double bites ou les double têtes. Forcément, ça attire la curiosité. Tout le monde allait voir Hound Dog Taylor sur scène à Chicago pour recompter ses doigts. Nous en France, on examinait les pochettes de ses albums parus sur Alligator pour recompter ses doigts et effectivement, sur la pochette du troisième album posthume, Beware The Dog, on voit un sixième doigt à sa main gauche, celle qui tient la clope. Hound Dog a fini par en avoir tellement marre qu’un soir de cuite, il s’est coupé le sixième doigt de la main droite avec une lame de rasoir.

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             Hound Dog n’a pas eu la vie facile. En 1924, il a neuf ans et son beau-père met ses affaires  dans un sac en papier brun, sort un flingue de sa poche, le braque sur lui et lui dit de se tirer vite fait. Le gosse se barre avec sa sœur. Devenu adulte, Hound Dog fait comme les autres nègres, il bosse aux champs et ferme sa gueule. Il apprend à jouer du piano, puis il commande une gratte chez Sears Roebuck pour 3,25 $, nous dit Rogers qui est bien renseigné. Hound Dog a 20 ans, il admire Lonnie Johnson et Blind Lemon Jefferson. Il est haut et maigre. Il rencontre Elmore James dans le juke circuit. Hound Dog lui montre un cut qui vient de Robert Johnson, «Dust My Broom». C’est Elmore James qui deviendra célèbre avec «Dust My Broom», pas Hound Dog, qui le joue au bottleneck - Wasn’t no silver thing, just a broken off bottleneck. I was playing «Dust My Broom» in 1935. That’s my song. He (James) got the idea from me and put his own words to it. Everybody will say that I play like Elmore, but I don’t play like no damn Elmore. I taught myself everything I know. Started off playin’ slide. Listened to Blind Lemon, Lonnie Johnson, a whole bunch of cats - Et il termine son évocation d’Elmore ainsi : «Elmore was a nice guy, but in his younger days he was mean - just like I was mean - fight, shoot, do anything.»

             Au Mississippi, Hound Dog réussit à faire son petit bonhomme de chemin et à se faire connaître. En 1941, il est invité à jouer au King Biscuit Time, une émission diffusée par une station de radio située à Helena, en Arkansas, juste de l’autre côté de la frontière. L’émission est réputée, grâce à Sonny Boy Williamson II et Robert Lockwood. C’est là que B.B. King fera ses débuts. Hound Dog vit à Tchula, dans une ferme qui appartient à des blancs. Il conduit un tracteur, puis les patrons blancs lui proposent un job de chauffeur. Il doit conduire les gosses des patrons blancs aux surboums locales et les attendre dans la bagnole pour les ramener à la maison. Et bien sûr arrive ce qui doit arriver : une jeune blanche a envie d’une belle bite noire. Comme chacun sait, les relations inter-raciales sont punies de mort dans le coin. Une nuit, les mecs du KKK viennent planter une croix devant la cabane branlante d’Hound Dog et y mettent le feu. Il a juste le temps de se barrer par derrière et de se planquer dans les bois. Hound Dog sait que s’ils le chopent, ils le pendront. Strange fruit. Alors il prend la fuite vers le Nord - He ran like wolves had caught his scent.  

             Il prend un bus et débarque en 1942 chez sa sœur à Chicago. Il doit tout recommencer à zéro. Il a perdu le peu qu’il avait. Il doit trouver un job pour vivre. C’est là, à Chicago, que démarre la grande aventure musicale des HouseRockers, l’un des trios les plus wild de l’histoire musicale des Amériques.

             Rogers réussit l’exploit de nous transmettre avec son petit book toute l’énergie d’Hound Dog. Si le book est tellement spectaculaire, c’est bien sûr parce qu’Hound Dog Taylor est un homme spectaculaire, un homme qui joue une musique spectaculaire, mais aussi un homme traumatisé par la violence des racistes blancs, et qui sut, comme tous les grands artistes noirs, transcender cette terreur du blanc pour en faire de l’art. C’est une leçon qui mérite d’être méditée. Hound Dog invente littéralement le punk blues, il dépouille le blues de tout ce qui ne sert à rien pour ne conserver que le groove, le swing et le grit, il fait, nous dit Rogers, ce que les punks ont fait avec le rock’n’roll - He found ferocity in simplicity - et donc, il fallait inventer un nouveau son et une nouvelle façon de jouer. Kaboom !

             Hound Dog commence par prendre sa gratte et aller faire la manche à Maxwell. Rogers nous dépeint le Chicago des années 40, où tous les blackos jouent du blues au coin des rues pour quelques pièces de monnaie. Hound Dog se fait plus de blé qu’il n’en avait jamais vu - You know, you used to get out here on a good Sunday morning and pick you up a good spot, babe. Damnit, we’d make more money than I ever looked at - Il ajoute que tous les autres étaient là, «Muddy Waters was down there. Wolf was down there. Little Walter was down there. I’m over here. Jimmy Rogers too... And I had the biggest crowd.» Eh oui, Hound Dog n’est pas n’importe qui. Il sait gratter un gritty blues. Il picole, il adore le Canadian Club Rye Whisky, et il drague Freddie qui va devenir sa poule, enfin l’une de ses poules. Il propose de la ramener chez elle un soir - Miraculeusement he didn’t crash the car - Puis il se paye une gratte électrique - A hollow-body Harmony qu’il appelle «Old Mike» - et il devient un bluesman de Chicago.

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             Il devient pote avec Kid Thomas qui vient lui aussi du Mississippi et qui enregistre sur Federal. Mais ça ne se vend pas. Il demande à Hound Dog de jouer de la basse pour lui. En 1956, le groupe part jouer à Wichita, Kansas. À la fin de set, Thomas disparaît avec le blé du groupe. Baisé. Hound Dog appelle sa sœur Lucy à l’aide. Elle lui envoie les sous pour prendre un bus et rentrer à Chicago. Rogers nous apprend qu’un peu plus tard, Kid Thomas, réinstallé à Los Angeles, allait renverser accidentellement un gosse et le tuer. Quelques mois plus tard, le père du gosse allait choper Kid Thomas dans le parking du tribunal et lui coller une balle dans le crâne.   

             Robert Christgau qualifiait les HouseRockers de «Ramones of Chicago blues». On peut même parler de phénomène unique dans l’histoire du rock américain. Hound Dog, okay, mais aussi Brewer Phillips et Ted Harvey. Pendant des années, Hound Dog cherche des gens pour jouer avec lui. On lui balance le nom de Brewer. Il bosse dans le bâtiment. Il est costaud. Il a des grosses mains. Il joue sur une Tele, avec un son mordant - Sharp metallic edge and crunch - C’est exactement ce que recherche Hound Dog, «the perfect contrepoint to his fuzzy boogie.» Maintenant, il lui faut un beurre-man. C’est à l’enterrement d’Elmore James en 1963 qu’il le rencontre : Ted Harvey qui justement était le beurre-man d’Elmore. Harvey a 45 ans, un an plus jeune qu’Hound Dog. Comme son boss a cassé sa pipe en bois, Harvey est au chômage. Il file son numéro à Hound Dog. Mais il sait que son style trop jazzy ne colle pas avec le rocking blues style d’Hound Dog. Alors il demande conseil à Fred Below, the big-name blues drummer in Chicago (et accessoirement idole de Charlie Watts) : «Man you got to teach me the backbeat.» Below taught him well, ajoute Rogers. Hound Dog est fier de son nouveau beurre-man - He is about the best now - Il a évolué du «fast beat», the jazz drumming, vers le backbeat. Ce genre de détail n’a l’air de rien, comme ça, vu d’avion, mais quand on entend jouer Ted Harvey sur les trois albums des HouseRockers, on comprend mieux.

             Les HouseRockers vont casser la baraque pendant 10 ans à Chicago et ailleurs - Hey! Let’s have some fun! I’m wit’cha baby!», lance Hound Dog pour lancer le set. Une gorgée de Canadian Club, puis un cocktail, et une bière pas dessus et c’est parti ! - À force de fréquenter des génies, Matt Rogers devient un génie : «Taylor and the HoueRockers were big drinkers. They’d get loose, they’d get high, they’d get drunk, and they’d play.» En 1965, ça fait 23 ans qu’Hound Dog est à Chicago et ça fait 8 ans qu’il survit comme musicien pour une poignée de dollars chaque soir. Mais avec les HouseRockers, il devient le roi du monde. 

             La violence est omniprésente dans la vie d’Hound Dog. Parce que le KKK, et parce que Chicago, la ville la plus violente d’Amérique à l’époque où il y vit. On y dégomme des gens tous les jours. Il a toujours un flingue ou un rasoir sur lui. Tom Waits : «Dans le South Side of Chicago, au Cherckerboard Lounge, Hound Dog Taylor jouait pour un public chahuteur. Au premier rang, un poivrot l’asticotait, alors Hound Dog sortit un calibre 38 de sa poche, lui tira une balle dans le pied, remit le calibre dans sa poche et finit la chanson.» Rogers ajoute, tous mots bien pesés : «He was a troubled man in a troubled world.» L’autre plan classique : le patron de bar qui refuse de payer les musiciens. Rogers cite l’exemple d’Old Duke qui sort un flingue et qui leur dit : «You’re not getting any money.» En plus, il tient un chien méchant en laisse. Alors il ne reste plus qu’à partir. Rogers évoque aussi les shootes entre Hound Dog et son premier batteur, Levi Warren. Ils jouent à Florence’s et commencent par s’engueuler. C’est l’escalade verbale. Hound Dog prend sa gratte, Old Mike, et frappe Warren sur le crâne. Il frappe si fort qu’il casse Old Mike. Warren est sonné mais il réagit et file une rouste à Hound Dog. Brewer Phillips intervient et les séparer. Hound Dog est tellement furieux qu’il téléphone à Freddie pour lui dire d’amener son flingue. Pendant ce temps, Warren va dans sa bagnole chercher le sien. Heureusement, quelqu’un a appelé les flics. Rogers nous explique que ce type de soirée qui tourne mal est courante. Levi Warren quitte ensuite la ville pour aller accompagner Willie Mabon à Kansas City. Matt Rogers fait un excellent travail avec son book, il nous fait entrer dans le bar pour assister aux shootes entre Hound Dog et ses musiciens.

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             Chaque fois qu’Hound Dog et Brewer s’engueulent sur scène, ils posent leurs grattes et vont se battre dans la rue. Ils se crient dessus et frappent. Pour Iglauer, «c’était un mélange d’amour fraternel, de rivalité infantile et de Canadian Club.» Ils ne pouvaient pas s’empêcher de se battre. C’était leur façon d’être. Jusqu’au jour où Brewer quitte le groupe et là c’est la catastrophe, car personne ne peut le remplacer. Il reviendra, bien sûr. Il existe aussi des tensions entre Hound Dog et Iglauer, qui lui non plus, n’a pas de patience. Des ennuis aussi avec Big Mama Thornton qui sort un cran d’arrêt lorsqu’elle croise Brewer Phillips dans un sound check. Elle le confond avec Hubert Sumlin. Et puis un soir, dans une petite fête, Brewer balance des vannes, du genre, «j’ai vu ta femme faire la pute sur la 43e rue», alors Hound Dog sort de la pièce et revient avec un flingue. Hey Brewer ! Bam ! Une première balle dans la jambe. Brewer gueule : «Hound Dog what you shoot me for?», bam, une deuxième balle dans l’épaule, bam, une troisième. Le flingue s’enraye. Il y a de la fumée, du sang par terre, des gens choqués. L’ambulance et les flics arrivent. Hound Dog va au trou, Phillips à l’hosto. Brewer raconte la scène : «Hound Dog m’a tiré dessus trois fois. On commence par s’engueuler. Ça dégénère. And we go to war. Il sait que je peux lui casser la gueule. Si le flingue ne s’était pas enrayé, il m’aurait tué. Le premier coup de feu devait me faire peur. Mais ça ne m’a pas fait peur. Il voyait que je n’avais pas peur. Il m’a tiré dans la jambe. Juste là. La deuxième fois dans l’épaule. Et la troisième fois, dans le doigt.» En fait personne n’est surpris de cet incident. Ça faisait longtemps qu’Hound Dog menaçait de buter Brewer. Tout le monde le savait.

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             De tous les blackos de Chicago, le plus violent est sans doute Little Walter. En 1967, Hound Dog est invité à se joindre au American Folk Blues Festival qui tourne en Europe. Il est sixième sur l’affiche et tout seul sur scène. Puis il doit accompagner Little Walter et Koko Taylor, avec Odie Payne on beurre et Dillard Crume on bass. Mais ça se passe mal avec Little Walter. Toujours la même chose : alcool, dope, Little Walter est en plus irascible and quick to fight. Il a le visage couvert de cicatrices. Il porte une bague dont le diamant a la taille d’un glaçon. Little Walter se plaint d’Hound Dog à un journaliste : «Them damn country coons. What’s he doing with me? He ain’t no use at all... damn southern coon!». Quatre mois après la tournée, en février 1968, Little Walter casse sa pipe en bois, suite à une grosse shoote. Internal injuries. Il avait 37 balais. 

             Hound Dog et Brewer Phillips ont pour habitude de se battre. Ça revient constamment dans le récit. Un soir, Hound Dog tente de coller un coup de pied de micro à Brewer qui parvient miraculeusement à l’éviter. C’est le gros pied de micro rond en fonte qui pèse une tonne. Le pied nous dit Rogers fit un énorme trou dans le mur. Ils se tapent dessus, ils sortent les rasoirs, mais ils ne peuvent pas se priver l’un de l’autre sur scène. Ils savent qu’ensemble ils font des étincelles. Mais le succès tarde à venir. Ça fait 18 ans qu’Hound Dog est à Chicago quand il enregistre enfin son premier single «My Baby Is Coming Home»/«Take Five» sorti sur Bea & Baby, Hound Dog a déjà plus de quarante balais.

             Son surnom lui est donné par des potes qui le chambrent gentiment. Comme Hound Dog est toujours en train de draguer, les autres lui disent «You’re always on the hunt, like a hound dog.» Une autre version dit que c’est Magic Sam qui l’a surnommé Hound Dog. Il s’appelle en réalité Theodore Roosevelt Taylor.

             Freddie King est tellement impressionné par son «Taylor’s Boogie» qu’il va pomper le riff pour le recycler dans son «Hide Away» paru en 1961, et sur lequel les guitaristes de blues anglais vont se faire les dents. Hound Dog est plus déterminé que jamais à réussir : si Freddie King peut décrocher un hit with a Taylor tune, alors Taylor peut aussi.

             Hound Dog ne prend pas les blancs du blues au sérieux, ni Mike Bloomcield ni Paul Butterfield qui eux aussi écument les clubs de Chicago : «Can’t no white man sing the blues, and can’t no Negro sing no love song. He can play it. Oh hell yeah. I know some white cats who play some blues. It’ll make you stand up and look... but he can’t sing shit. He just can’t sing it.» Hound Dog nous dit Rogers a fière allure. Il porte toujours des pantalons trop grands, un petit chapeau de jazzman qu’on appelle the pork pie hat, et une chaîne autour du cou. Il fume des Pall Mall à la chaîne. Il enregistre un single avec Marshall Chess, mais ça n’est jamais sorti, car c’est le moment où Leonard le renard casse sa pipe en bois et où Chess disparaît.

             Bon les HouseRockers, c’est bien gentil, mais ça ne suffit pas. Pour faire de l’alchimie, il faut d’autres clavicules, mon petit Salomon. Alors deux blancs vont entrer dans l’athanor : Wesley Race et Bruce Iglauer, deux fans inconditionnels de blues, et surtout des HouseRockers. Race va même réussir à devenir l’ami d’Hound Dog. Race et Iglauer bossent tous les deux chez Delmark, le gros label de blues de Chicago.

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             Iglauer vient du Michigan et débarque à Chicago en 1969. Il est obsédé par le blues. Pourquoi débarque-t-il à Chicago ? Parce que dans un canard nommé Hoot, un mec dit que pour voir du vrai blues, il faut aller chez Jazz Record Mart et demander Bob Koester. C’est exactement ce que fait Iglauer. Koester et lui deviennent amis. Koester l’emmène dans les clubs. Et comme Koester est aussi boss de Delmark, il fait bosser Iglauer.

             Tout va bien jusqu’au jour où Iglauer voit Hound Dog sur scène at Florence’s - The sounds were so raw and distorded - Il est fasciné - He played fast shuffles, slow shuffles, and medium-tempo Jimmy Reed-style shuffles (known as lump-de-lumps), alternating with driving boogies, grinding stomps and romping up-tempo songs - C’est la fête au village ! Pour Iglauer, c’est «the happiest music I ever heard in my life. It was so infectuous, so rhythmic, it was so much fun. People were dancing in the aisles in front of the band. I fell in love with that band.» Un autre blanc vient assister à TOUS les concerts de HouseRockers, c’est Wesley Race. Hound Dog l’a repéré. Ils deviennent ami, et avec Freddie, Lucy (la sœur d’Hound Dog), la femme de Race, ils créent the HouseRockers Social Club. Il y a de la magie dans cette histoire.

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             Race et Iglauer papotent. Ils commencent à se dire qu’il faudrait enregistrer les HouseRockers. Et pas pour faire un petit single à la mormoile : non, ils rêvent d’un album. Ils soumettent le projet à Bob Koester qui les envoie sur les roses - It’s not going to happen - Alors que fait-on dans ces cas-là ? On casse sa tirelire et on crée un label. C’est exactement ce que vont faire ces deux petits culs blancs. Ils vont se saigner aux quatre veines. Il reste encore une étape importante : demander à Hound Dog s’il est d’accord pour enregistrer un album. Iglauer pose la question et Hound Dog répond cette phrase magique : «I’m wit’ you, baby, I’m wit’ you.» Iglauer amène les HouseRockers chez Sound Studios, sur Michigan Avenue. Il faut aussi trouver des titres pour les instros qui n’en ont pas. Matt Rogers sort le Grand Jeu : il donne tous les détails : Hound Dog gratte une Kingston guitar branchée sur un Sears Roebuck Silvertone amplifier, le même ampli que celui du grand Reverend Peyton. Brewer gratte sa vieille Tele et Ted Harvey bat son beurre sur son Slingerland drum set. L’ingé-son est un vétéran de toutes les guerres, un crack nommé Stu Black qui a bossé pour Chess et Delmark - I’ve done it all, from Howlin’ Wolf to Steppenwolf - Il presse le bouton «record» et bam, c’est parti ! Comme Hound Dog a besoin d’un public pour jouer, Race sort de la cabine de contrôle et prend une chaise, pour s’asseoir près de lui. Alors les HouseRockers se sont mis à jouer «like it was a wild Sunday». Merci Matt Rogers de nous amener dans le studio. En deux sessions, ils enregistrent 25 cuts.

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             Premier album absolument dément. Il sort en 1971. Il n’a coûté que 970 $. En plus, Iglauer verse 480 $ à Hound Dog pour les sessions (à quoi vont s’ajouter les royalties à venir) et 240 $ chacun, à Ted Harvey et Brewer. Après avoir payé les HouseRockers, il crée Alligator Records. Pour lui, le son d’Hound Dog est unique - Personne ne peut jouer comme lui, tous ces mecs peuvent jouer ses licks, mais pas sa musique. Car ils n’ont pas conduit un tracteur dans le Mississippi ou vu une croix en feu dans leur jardin ou dormi dans un fossé de drainage. Et je suis prêt à parier qu’aucun autre musicien ne peut jouer en buvant du Canadian Club du matin au soir - Toujours dans l’émerveillement, Iglauer ajoute : «Hound Dog était incroyablement fier. Le projet l’enchantait : enregistrer un album entier, avoir sa photo sur la pochette, voir des gens venir le trouver pour signer des autographes. He was sitting on top of the world. Il n’en revenait pas quand je lui ai versé les royalties.» Pour une fois, un petit cul blanc bosse proprement et ne prend pas les nègres pour des vaches à lait. C’est important de le signaler. Et c’est toute la différence avec les frères Chess qui ont d’abord pensé à leur gueule.

             Hound Dog Taylor And The HouseRockers est l’un des grands albums magiques de l’histoire du rock. À cause du contexte décrit ci-dessus, mais aussi et surtout à cause des cuts. Quelle pétaudière ! Iglauer est très fier d’en vendre 9 000 exemplaires la première année. Hound Dog nous met aussitôt à l’aise avec «She’s Gone», un boogie saturé joué à deux guitares. Ils rockent leur chique hard. Du vrai trash. Hound Dog pouvait jouer trois heures d’affilée sans s’arrêter. Ils tapent plus loin un heavy blues pleurnichard, «Held My Baby Last Night» et le plongent dans une friture de sature immature. C’est joué sur la corde basse et slidé crade. Mais vraiment crade. Ça sent bon l’Elmore. Hound Dog adore jouer hard and loud, selon son expression. Il adore aussi le Canadian Club, les armes et les femmes. On n’entend que ça dans sa musique. Il arrose «It’s Alright» de grosses giclées de trash guitar. Ils gorgent leur dirty boogie de dirty disto. Les solos sont concassés dans la structure. Hound Dog invente tout. Les rockers blancs n’ont fait qu’essayer de l’imiter, sans jamais y parvenir. Retour à l’Elmore avec «Wild About Baby», mais avec encore plus de panache. Hound Dog tape «I Just Can’t Make It» à la sauvette, il chante à la volée et on a bien le son des deux grattes vérolées. Puis il nous refait le coup du Heartbreaking Blues avec «It Hurts Me Too». Véritable apanage des alpages du heavy blues vinaigré à la disto. Ils te swinguent ensuite «44 Blues» à la Méricourt. Ted Harvey le bat si sec ! Perle rare. S’ensuit le gros classique d’Hound Dog, «Give Me Back My Wig», emmené à train d’enfer. Quel ramshakle ! Jamais vu un tel bordel ! Phillips passe un solo demented en morse. Ces trois blackos sont les vrais punks. 

             Hound Dog respecte tellement Iglauer qu’un soir, il lui dit : «Don’t spend your whole life hanging around with peopel like us.» Hound Dog pensait qu’Iglauer méritait de meilleures fréquentations que ce trio de trashers black incultes et alcooliques. Iglauer dit que ça lui a brisé le cœur qu’Hound Dog lui fasse un tel aveu. Matt Rogers dit qu’Hound Dog continue de faire des cauchemars, poursuivi par des loups et des chiens, alors il dort avec la télé allumée.  Il n’est bien que sur scène, avec les HouseRockers et un public venu faire la fête.

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             En tournée, c’est souvent Brewer qui conduit, car Hound Dog ne sait pas trop lire les panneaux. Et puis il est tout le temps en train de siffler son Canadian Club. Il ne bouffe rien. Brewer sait lire une carte. Ils roulent dans la Cadillac de Ted Harvey - They were doing it in style - Tous les trois, avec Iglauer. Direction la côte Est. C’est magnifiquement raconté. Matt Rogers donne une foule de détails tragi-comiques. On se croirait dans l’On The Road de Jack Kerouac. Des détails du genre : Hound Dog rentre de tournée et un gros paquet l’attend chez lui. C’est sa guitare Teisco qui lui avait été barbotée à Gary, dans l’Indiana, le mois précédent. Il y avait un petit mot dans le paquet qui disait que la guitare était too hard do play, so they were returning it.

             Hound Dog s’est forgé une réputation de bad ass guy. Quand il arrive en ville, les gens disent «Hound Dog’s coming». Les gens avaient un peu peur de lui. Même Wolf disait ça : «Hound Dog’s coming». Matt Rogers note aussi qu’il existe une connexion entre Hound Dog et Wolf. Wesley Race a une explication : «Wolf était traumatisé à l’armée, et on l’a laissé partir pour des raisons psychiatriques. Alors il se voyait comme une sorte de misfit. Et comme il voyait les deux mains à six doigts d’Hound Dog, ça créait un lien.» Wolf voyait Hound Dog comme un misfit. George Thorogood note que sur scène, Hound Dog et Brewer vont parfois jouer derrière leurs amplis. Il ne comprend pas. Il n’a encore jamais vu ça. Alors il leur demande pourquoi ils font ça et Hound Dog lui répond : «You don’t want to sit in front of the amplifier. It’s too fucking loud.» Thorogood dit aussi qu’il ne connaît personne qui puisse jouer sur scène avec autant d’alcool dans le sang. Lors d’un concert à Boston, Brewer est tellement rôti qu’Hound Dog demande à Thorogood de le remplacer. Pour Thorogood, c’est le moment le plus important de sa vie : taper avec Hound Dog et Ted Harvey une cover de «Boogie Chillen». Sur scène, Hound Dog adore présenter son groupe : «I want to introduce you to our drummer, Ted Harvey. And my guitar player, lead and bass, Mister Brewer Phillips. And honey, eveybody know the Hound!». La classe. L’épouvantable classe !  

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             Le deuxième HouseRockers s’appelle Natural Boogie. Les choses sont claires. On sait où on va. Robert Christgau dit d’Hound Dog qu’il est «a spiritual and cultural miracle». Ça commence à chauffer avec «See Me In The Evening». Les HouseRockers rockent the house, pas de problème. C’est une violente démonstration de swing, avec un côté cabane branlante dans le son. Hound Dog attaque son solo violemment, très bas. Chapeau, chaussettes, tout est là. Comme chez Wolf et John Lee Hooker, on ne voit que les chaussettes. Et dire qu’ils n’en portaient pas quand ils étaient gosses. Hound Dog est un fabuleux boogie man. Nouvel Heartbreaking Blues avec «Sitting At Home Alone», son de rêve, incroyablement sale. Un vrai cœur de métier. Ils redeviennent les rois de la désaille avec «One More Time». Nouveau shoot d’hysper-fast boogie en B avec «Roll Your Moneymaker», wild at heart, puis boogie déjanté avec «Buster’s Boogie». Il sait aussi faire le rampant, avec «Sadie» - I don’t love no one but you/ Dog cry I cry all night long - Il rend encore hommage à Elmore avec «Talk To My Baby», un look-alike de «Dust My Blues», mais ils ont une façon d’entrer dans le son qui vaut tout l’or du Rhin. Structure classique mais attaque géniale.

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             Avec ses trois coups de feu, Hound Dog envoie donc Brewer à l’hosto. Hound Dog sort du trou sous caution et veut continuer à jouer. Il demande à Iglauer de trouver un remplaçant. Iglauer propose à Magic Sam de remplacer Brewer, mais Magic Sam décline l’offre. Il a déjà son groupe. Mais c’est là qu’Hound Dog tombe malade. Il s’est chopé un petit cancer du poumon. La picole et les clopes. Ça va lui permettre d’échapper au tribunal pour homicide. Tous ses amis viennent le voir à l’hosto, Iglauer, Race, Harvey, et puis aussi Freddie et Lucy. Tout le monde sauf Brewer. Hound Dog insiste pour le voir, mais quand il était lui-même à l’hosto plus tôt dans l’année, Hound Dog n’est pas venu le voir. Alors Brewer fait pareil. Puis il finit par avoir pitié d’Hound Dog et il va le voir pour lui accorder son pardon.  

             — Nous ne sommes pas des chiens !, lance Brewer

             — Moi si !, répond Hound Dog.

             En le voyant dans cet état, Brewer comprend qu’Hound Dog ne sortira pas vivant de l’hosto. Hound Dog lui dit qu’il a une idée pour le groupe et lui demande de revenir avec Ted. Brewer lui dit qu’il revient avec Ted jeudi. Ils se serrent la main. Brewer dit :

             — I’ll see you, Jack. Hang in there.

             — Don’t worry. I’ll be around.

             Hound Dog ouvre les bras pour une accolade. Brewer se penche et le serre dans ses bras. Fantastique. La scène te fout par terre. Tu n’es plus dans le rock, tu es dans l’humain, dans ce qu’il y a de plus important au monde. Hound Dog a encore assez d’énergie pour serrer Brewer très fort contre lui. Brewer sent les ongles d’Hound Dog s’enfoncer dans son dos. Instinctivement, il comprend que c’est la dernière fois - It was the hug of a dying man - Matt Rogers fait là des pages spectaculaires, il tente de décrire les derniers instants d’Hound Dog qui voit défiler tout le chaos de sa vie - les loups, la croix du KKK, la violence urbaine de Chicago, la pauvreté, l’alcoolisme, la colère, le chaos, toujours le chaos, et il sombre dans le coma - Le 17 décembre 1975, Hound Dog s’en alla retrouver Kid Thomas et Little Walter et Elmore James et Robert Johnson et Peetie Wheastraw et Charley Patton - Et Rogers ajoute à la suite un autre symbole, celui qu’on entend sur Natural Boogie à la fin de «Goodnight Boogie», c’est-à-dire le dernier cut qu’il enregistra : on l’entend dire effectivement «Goodnight baby». Last words, of a kind.

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              Hound Dog : «When I die, don’t make a funeral. Have a party.» Alors, pour se remonter le moral, on peut écouter Beware The Dog. Hound Dog a cassé sa pipe en bois quand paraît Beware The Dog en 1976. C’est un album live. Boom ! «Give Me Back My Wig» ! Il faut entendre ce démon de Ted Harvey battre le beurre ! Hound Dog passe ensuite au big bad blues avec «The Sun Is Shining» et laisse son empreinte digitale dans le gamut spatio-temporel. Il sort une telle bouillie de son ampli crevé ! Il joue à la solace du grand Elmore. Attention avec «Kitchen Sink Boogie» ! Brewer joue lead. Il va partout, il rajoute des notes dans sa fluidité. Il en rajoute encore et encore. Une vraie plaie. Un jour sans fin. Une véritable incontinence. Un pluvieux, un déréglé, un pied dans la porte, celui-là ! Ils passent au country boogie blues avec «Comin’ Around The Mountain». Personne ne savait que ce genre existait. On trouve encore deux énormités en B. «Let’s Get Funky», proto-punk de Chicago, retentissant masterstroke, fabuleux de tension hypnotique, du Dog des enfers, joué à l’emporte-pièce. Hound Dog connaît forcément le North Mississippi Hill Country Blues pour jouer un truc comme ça. Il est tellement en avance sur son temps, il se marre - you alright ? Yeah ! - L’«It’s Alright» qui suit est une leçon de swing suprême donnée par le power-trio des origines du monde. C’est le boogie raw to the bone à deux grattes. Ted Harvey te bat ça souple. Les HouseRockers sont faramineux. Ils ne se connaissent pas de frontières. Pour eux, seul compte le son. Punk blues and attitude. On comprend qu’Iglauer se soit englué dans les HouseRockers. Et puis tu as les pochettes. Ça fait donc trois places réservées sur l’île déserte.

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             Les jusqu’au-boutistes d’Hound Dog iront aussi écouter la Deluxe Edition du premier album parue en 1999, pour se régaler du son remasterisé. C’est l’un des plus beaux disks qu’on puisse s’offrir. Puisque tout l’art du trio repose sur le son, le remastering donne des ailes aux vieux cuts d’Alligator. Il suffit simplement d’écouter «Wild About You Baby» pour tomber de sa chaise. Le son est sali à l’extrême. On retrouve la splendeur frelatée de «The Sun Is Shining» et «Roll Your Your Moneymaker» prend une allure de monstruosité cavalante. On retrouve aussi le swing outrancier de «Give Me Back My Wig» et «See Me In The Evening» est encore plus sournoisement beau que dans la version de 1974. On y goûte l’exemplarité de l’insidieux, le blues à ras la motte, très inspiré, contrôlé, humide et vibrant de pulsions animales. Leur version du «What’d I Say» de Ray Charles est rockée jusqu’à l’oss de l’ass. Avec «Rock Me», Hound Dog embarque tout le monde au foutoir. C’est un primitif qui sait rouler un heavy blues dans sa farine, voilà tout. Abominables giclées de slide dans «Take Five», puis boogie blues à la Hooky avec «She’s Gone» et enfin clin d’œil à Elmore avec «Ain’t Got Nobody». Hound Dog Taylor nous aura fait les quatre cents coups.

    Signé : Cazengler, Hound Dog t’aï l’heure ou t’aï pas l’heure ?

    Hound Dog Taylor & the House Rockers. ST. Alligator Records 1973

    Hound Dog Taylor & the House Rockers. Natural Boogie. Alligator Records 1974

    Hound Dog Taylor & the House Rockers. Beware of The Dog. Alligator Records 1976

    Hound Dog Taylor & the House Rockers. De Luxe Edition. Alligator Records 1999

     

     

    L’avenir du rock –

    EHPAD problème

     

             De temps en temps, l’avenir du rock se rend dans l’EHPAD du rock pour passer un moment avec quelques vieux copains. Ce sont toujours des moments joyeux. Pas de pathos. Rien que de l’énergie et des puits de connaissance. S’il t’accorde sa confiance, l’avenir du rock te dira que ces visites lui remontent le moral. Chaque fois, il a nettement l’impression d’entrer dans la cambuse d’une frégate de flibuste, ah il faut les voir, ces accidentés de la route du rock, ils ont les pattes qui flageolent un peu, le petit filet de bave aux lèvres, les mains qui bloblotent, mais côté ciboulot, ça turbine comme un réacteur de centrale nucléaire. Eh oui, ce carré d’as concentre un sacré morceau de la légende du rock : Dave Brock, Ian Hunter, David Thomas et Paul Simon savent encore se tenir. Ils savent qu’ils sont entrés dans la zone rouge, mais pas de problème, ils attaquent l’apéro au rhum et trinquent à la santé du Capitaine Flint. L’avenir du rock adore trinquer avec eux. Ils rigolent de bon cœur et racontent des souvenirs d’aventures tous plus extraordinaires les uns que les autres. Ils ont fait la légende du rock et le plus étonnant, c’est qu’ils continuent de l’alimenter. Chacun à sa façon. En bon débonnaire, l’avenir du rock leur dit qu’ils ont encore tout l’avenir devant eux. Puis il leur demande s’ils avancent sur de nouveaux projets, ce qui les fait bien marrer, car ils ne savent faire que ça, lancer des projets, alors ils remplissent les verres et charrient l’avenir du rock :

             — Ah ce que tu peux être con, avenir du rock ! T’as de ces questions !

             — Pas facile d’être au niveau de vieux crabes comme vous...

             — Mais non, t’as rien compris. Regarde-nous ! Est-ce qu’on la ramène ?

             L’avenir du rock comprend qu’il a encore perdu une occasion de fermer sa gueule. Il ne faut jamais faire semblant de s’inquiéter pour des gens qui n’ont pas besoin de ça. C’est une insulte à leur intelligence. Alors les quatre vieux crabes lèvent leurs verres et lancent à l’unisson :

             — EHPAD problème !

     

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             L’avenir du rock quitte l’EHPAD du rock sacrément ragaillardi. D’autant plus ragaillardi que ses quatre amis lui ont filé leurs derniers albums respectifs. Donc fauteuil, casque, rasade, écoute.

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             Comme chacun sait (ou ne sait pas), Ubu n’est jamais loin de Dada. Il en est même le Daddy. Boby (Lapointe) se serait bien amusé avec le Daddy de Dada, lui qui clamait haut et fort qu’avanie et framboise étaient les mamelles du destin. Ubu ramène son gros cul frippé et ses yeux pochés avec Trouble On Big Beat Street, du Dada pur et dur. Ubu travaille à l’artistique élastique exacerbée, l’apanage du Dada strut. Il travaille son argile au vinaigre. Il se veut âcre, le vieil empoté. Si tu n’es pas convaincu de la pureté de son dadaïsme, alors écoute «Nyah Nyah Nyah», qui est beaucoup plus grotesque. Ça a la forme d’un chou-fleur, avec un chant atroce. Oh mais ce n’est rien à côté de «Let’s Pretend», il croone comme un Bryan Ferry qui aurait un balai dans le cul, alors ça dépasse vite les capacités de ta sagacité. Encore plus weird : «Nothing But A Pimp» joué aux accords brutalement rabotés et ça continue de se déliter avec «From Adam», real deal de tourne-pas-rond. C’est pour ça qu’on est là, alors on ne va pas aller se plaindre. Globalement, Ubu règne encore en despote sur sa cavalerie de vieux crabes. Michele Temple est toujours là. Et les autres aussi. Ubu est tellement con qu’il s’imagine que le post-punk exacerbé intéresse encore les gens. Alors ça s’arrête et ça repart, comme à la pire époque. Mais mine de rien, tu plonges avec ravissement dans sa littérature frelatée d’hanging around. C’est malheureux à dire, mais ce gros escogriffe est essentiellement littéraire, comme le montre «Movie In My Head» - You see me coming/ You see me walking down the street - C’est très américain. Il rend hommage à Robert Johnson avec «Worried Man Blues», il chante à la pure Méricourt. Ubu, c’est toujours très spécial. Quand il plonge dans le satanisme sonique avec «Satan’s Hamster», ça fume. C’est plein de bad vibes à la Polanski. Pure hell ! Tu entends la voix du diable dans le chaos des enfers d’Ubu. Avec «Crazy Horses», il passe en mode heavy tagada Ubu, il chante d’une voix de vieux bouc dégoûtant, mais avec la force tranquille de François Mitterrand. Ah tu peux lui faire confiance, il te coule un bronze fumant quand il veut. 

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             Rien qu’à le voir sucrer les fraises, on ne le soupçonnerait jamais d’enregistrer encore à son âge d’aussi bons albums : Ian Hunter aura passé sa longue vie à édifier les édifices et à horrifier les orifices. D’où le titre de son nouvel album : Defiance Part 1. Un Part 1 qui en annonce un suivant, miam miam, et, petite cerise sur le gâtö, ça sort sur un label Sun ressuscité d’entre les morts. Avant de commencer à l’écouter, pince-toi pour être bien certain de ne pas rêver. L’Hunter-minable attaque son morceau titre en mode brillant fast rock. Le seul défaut, c’est qu’on y entend Slosh. Slosh, c’est encore pire que Stong ou Bonobo. Après, ça va mieux. L’Hunter-continental trempe dans le Dylanex avec «Bed Of Roses», comme au temps béni de Guy Stevens. Le vieux est braqué sur le passé, tare classique chez les vieux schnoques. Il invite Johnny Depp et Jeff Beck à jouer sur «No Hard Feeling». Le Beck tape son coup, il passe un solo de roi des îles, il sort le grand jeu, coups de wah et descente au barbu. L’Hunter de Milan bascule dans la magie. Il revient à Mott et à sa chère vieille Stonesy avec «Pavlov’s Dog». Guy Stevens voulait un cross Dylan/Stones et l’Hunter-national l’a incarné on peut dire à merveille. Et puis voilà Todd Rundgren sur «Don’t Tread On Me». Incroyable que Todd soit de la partie ! L’Hunter-marché allume bien au chant et Todd amène le surplus. Franchement, l’Hunter-cité sait composer. Tout est énorme sur cet album. Il y va le vieux crabe. L’«I Hate Hate» flirte avec le pur genius. Il invite Waddy Watchel à jouer sur «Angel». L’Hunter-mittent sait caler sa chique. Watchel joue les arpèges du paradis, ça s’élève largement au-dessus de la moyenne, même si, mélodiquement, c’est cousu de fil blanc. Voilà le hit de l’album : «Kiss N’ Make Up» avec Billy Gibbons. C’est tout suite allumé du Zizi. Ils vont bien ensemble, les vieux pépères. On assiste à l’alliance incertaine du British punter et du Texas rambler. Et là tu as le vrai son. Le Zizi enfonce son clou râpeux. L’Hunter-ligne finit en mode heavy boogie avec «This Is What I’m Here For», c’est son cœur de métier, le sel de sa terre, la prunelle de ses yeux globuleux, ah comme il est bon, il a toujours su chauffer le cul d’un cut, Guy Stevens l’avait bien compris.  

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             Il a l’air lui aussi complètement gâteux, le vieux Brock, mais si tu écoutes le dernier album d’Hawkwind, tu vas dresser l’oreille. The Furure Never Waits compte parmi les merveilles révélatoires de l’an 2023. Quel album ! Ça grouille de poux et d’outer-space, l’Hawk continue de fourbir son vieux bizz de buzz et pouf, voilà «The End», pur jus de Brock, ça gratte sec, Brock te refait le coup du big Hawk et ça vire proto, poto, t’en reviens pas ! Back to Notting Hill Gate 69, back to the wild as fuck des dopes et des domes, des ducks et des dudes, du doom et du moon, il faut voir l’Hawk plonger ses racines dans le vieux proto, ils connaissent par cœur l’équation magique : proto + punk = trente-six chandelles. C’est inespéré de pur genius d’Hawk sur le tard, ils descendent au barbu du meilleur rock anglais. Ces mecs vont vite en besogne, malgré leur âge avancé. Si tu te fais du souci pour l’avenir du rock, laisse tomber, tu as là du grand art de vieux briscards. Voilà qu’ils tapent le jazz-funk avec «They’re So Easily Distracted». Aucun problème d’articulation ni de circulation. Hawkwind reste aussi un groupe extrêmement sophistiqué. Ces mecs-là ne rigolent pas. Retour au proto avec «Rama (The Prophecy)», mais du proto de space rock, leur cœur de métier. Le vieux Brock reste dans l’esthétique Notting Hill Gate. Il reste un adepte de la prescience, alors à 80 balais, il y va de bon cœur. Prends exemple, amigo. C’est vite emballé et flanqué de tout le son du monde libre, tu ne battras jamais l’Hawk à la course. Ils finissent encore une fois par sonner comme des punks, ils grattent sans fin le ramalama d’Angleterre. Te voilà plongé dans le real deal. L’«USB1» rejoint les grands cuts de l’Hawk au paradis du space-rock et «Outside Of Time» explose littéralement sous tes yeux. Ils font du lard total, ça devient énorme, sidéral, avec des descentes spectaculaires, tu peux même écouter ça à jeun, tu voyages, c’est vertigineux, une authentique échappée belle, l’Hawk reste un groupe passionnant, aussi passionnant qu’au premier jour. C’est stupéfiant de grandeur marmoréenne, et quand on a dit ça, on n’a rien dit. Tu entres à nouveau sur le territoire de l’Hawk avec «I’m Learning To Live Today», c’est taillé dans une haie de riffs énormes, ça vibre de génie sonique, ils te fondent ça au mou dans l’œuf du serpent, back to Notting Hill, baby, mais avec de la grandeur apoplectique, ils t’envoient directement dans l’espace en perpétuant le riff ad vitam. Le vieux Brock termine cet album ahurissant avec «Trapped In This Modern Age» qu’il te claque en direct. Il n’en a plus rien à foutre. Il est entré dans la légende.

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             Et puis voilà l’autre asticot, Paul Simon. L’un des canards anglais a collé un 10/10 à son dernier album Seven Psalms, alors on est allé voir. Toujours la même voix et les grattés de poux sophistiqués. Il trace sa trace. Il attaque avec «The Lord» - The Lord is a virgin forest - Rien de plus que ce qu’on sait déjà. Pour la magie, il faudra repasser un autre jour. Il fait son petit biz. Ça peut durer une éternité, avec des mecs comme lui. Il enchaîne avec «Love Is Like A Bread» qu’il chante à l’agonie. On le sent aux abois. Mais aucune magie à l’horizon. Ça commence à sentir l’arnaque avariée. Avec les vieux, il faut faire gaffe. Ils peuvent te claquer dans les pattes. Tu veux zapper. Impossible. Ça reste sur le 1 ! T’es baisé. T’es obligé de tout écouter, même si ça ne te plaît pas. Tu maudis le journaliste anglais qui a collé 10/10 à ce tas de mormoille. Du coup on est obligé d’écouter toutes les conneries de cette vieille moute, et ça devient vite insupportable. Plus rien à voir avec «The Sound Od Silence» et «Homeward Bound». Il entre dans la forgiveness avec «Your Forgiveness», mais on ne lui fait pas confiance. Vieux pépère pitoyable, ridicule, avec sa vieille guitare. Rien que de la pipe en bois en devenir. On s’ennuie comme un rat mort. Popaul est d’un ennui mortel. Quelle arnaque intolérable ! Mine de rien, le label qui a tout mis sur la piste 1 a réussi à couler un Popaul en panne d’inspiration. Coulé, comme à la bataille navale.

    Signé : Cazengler, bon pour la casse

    Pere Ubu. Trouble On Big Beat Street. Cherry Red 2023

    Ian Hunter. Defiance Part 1. Sun 2023

    Hawkwind. The Furure Never Waits. Cherry Red 2023

    Paul Simon. Seven Psalms. Owl Records 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - Strangers in the Knight

     

             Rendez-vous avait été fixé par elle sur la place d’un village perdu au fond de l’Essonne, quelque part au diable Vauvert. Comme il venait du grand Ouest francilien, le périple représentait plus d’une centaine de kilomètres. Il faillit bien arriver en retard. Il fit son entrée dans le village à grande vitesse et à l’heure dite. Il trouva sans mal la place de la mairie et aperçut au loin cette très jolie blonde négligemment adossée à sa voiture de sport. Ses yeux clairs dardaient. Son front lisse quasiment dépourvu de sourcils accentuait jusqu’au délire le côté extrêmement perçant de son regard. Elle avait un petit côté slave à la Marina Vlady. Elle dégoulinait tellement de sensualité qu’elle frisait l’image d’Épinal. Leur premier échange de regards fut celui de bêtes fauves. Ils se toisèrent longuement, à courte distance. Il s’en fallut de peu qu’ils n’allassent se flairer. Se dressait là une belle louve dans la pertinence de sa quarantaine. Ses cheveux blonds étaient tirés vers l’arrière et le manteau sombre qu’elle portait enveloppait son corps de mystère. Sans transition, il exprima le désir de boire un verre, car disait-il, la traversée de la Sierra Das Mortes avait été un enfer - J’ai le gosier aussi sec que le cul du diable ! - ce qui la fit sourire. Elle indiqua qu’à cette heure, la seule taverne des alentours avait fermé ses portes et donc, elle proposa d’aller boire un verre chez elle - J’habite à deux pas ! - Alors d’accord ! Les deux voitures prirent la direction du soleil couchant et allèrent s’échouer mollement devant une maison isolée qui ressemblait à celle d’un garde-barrière. Ils entrèrent et furent accueillis par une belle odeur de moisi. Les murs de l’entrée étaient littéralement rongés par une lèpre d’humidité. Les pas y résonnaient. Le salon se fit plus accueillant, tout en longueur, douillet, bien chaud. De grosses poutres anciennes en ornaient le plafond, campagne oblige, et une banquette cossue tendait ses bras de chêne verni. Impossible de lui résister. Elle proposa l’habituelle collection d’apéritifs en tous genres. Il opta pour le scotch. Elle prit place en vis-à-vis et la conversation roula gaiement sur les collines rebondies de sujets variés. Elle se trémoussait en jupe de cuir assez courte. Au troisième verre de scotch, il lui proposa de changer de côté pour venir s’installer à côté de lui sur la banquette. Elle ne se fit pas prier. Dix secondes plus tard, il indiqua qu’il crevait d’envie de lui rouler une pelle. Il mit tant de sincérité dans sa requête qu’elle accepta sans discuter. Puis les langues s’en mêlèrent. Il perçut en elle l’imminence d’un orage. Pour corser l’affaire, elle offrait le spectacle d’un décolleté vertigineux. Elle bomba même le torse pour faciliter les initiatives. En matière de  préliminaires, elle pulvérisait tous les records. Les deux libidos rissolaient dans leur jus. Il s’octroya une reconnaissance sous le cuir de la jupe. Elle desserra les cuisses et il glissa un doigt sous la dentelle d’une culotte minimale. Il s’arrêta immédiatement - Tu es rasée ? - Elle plongea son regard perçant dans le sien - Ben oui. T’aime pas ? - Il se versa un verre de scotch et le remplit à ras bord, avant de s’élancer dans un couplet alchimique sur le thème de la Toison d’Or - Hermès Trismégiste insiste beaucoup sur ce point dans ses Tables d’Émeraude ! - Elle ne comprenait rien. Il vida son verre, se leva et avant de quitter la pièce, lui dit : «Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas. N’oublie jamais ça !»

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             Contrairement à ce qu’on pourrait croire, Jean Knight n’est pas un mec. Elle n’est pas non plus alchimiste, même si son nom la relie plus ou moins directement à la chevalerie et donc à l’âge d’or de la Toison d’Or.

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             La confusion vient de la pochette de Mr Big Stuff. Chaque fois qu’on croisait cet album dans un bac Soul/funk, on croyait que Jean Knight était le gros lard qui se pavane sur la pochette. Non, Jean Knight est une petite blackette originaire de la Nouvelle Orleans, découverte par Wardell Quezergue et lancée par les cocos de Malaco. «Mr Big Stuff» fut d’ailleurs l’un des premiers hits enregistrés chez Malaco, avec le «Groove Me» de King Floyd. La particularité de «Mr Big Stuff» est d’être monté sur les accords de «Walk On The Wild Side», même torpeur groovytale - Who do you think you are ? - La jeune Jean remet le gros lard en place. On trouve un petit coup de génie en fin de balda, «Take Him (You Can Have My Man)», heavy Soul de Malaco r’n’b claqué au riff vengeur. La jeune Jean flirte avec le génie du Black Power. On la voit aussi à l’œuvre sur «Don’t Talk About Jody». La jeune Jean est une bonne Soul Sister, une fière danseuse. On retrouve l’excellent Malaco r’n’b en B avec «Call Me Your Fool (If You Want To)», un r’n’b bien foutu et qui n’a pourtant rien à voir avec celui des voisins d’Hi ou de Stax. Il sonne différemment : la jeune Jean amène tout simplement une coloration New Orleans. On se régale aussi d’«One Way Ticket To Nowhere», ça reste de très haut niveau.

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              Malgré sa belle pochette, l’album de Jean Knight & Premium Keep It Comin’ est raté. Trop diskö pour les gueules à fuel. Il faut attendre «What Are We Waiting For» pour revenir au groove de la Nouvelle Orleans, mais ça vire atrocement diskö. Au vu de la pochette, on croit choper un bel album de Soul, mais pas du tout. On chope surtout une belle déconvenue. Le cut sauveur d’album se planque en B : «Anything You Can Do». C’est le funk qui sauvera le monde ! 

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             My Toot Toot paraît en 1985. Allen Toussaint est dans le coup, alors c’est du tout cuit. On a là un pur album New Orleans. Le morceau titre en est l’un des emblèmes - Dont mess with my toot toot - Fantastique beat cajun ! Elle retape son «Mr Big Stuff» au ah-ah yeah et les chœurs font ouuuh ! Ah il faut voir Jean rapper son fromage de who do you think you are. Puis elle rend hommage à Shirley & Lee avec une belle cover de «Let The Good Times Roll», d’autant plus somptueuse que jouée à l’accordéon. Si tu en pinces pour le beat Cajun, te voilà au paradis. 

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             Shaki De Boo-Tee ? On peut y aller les yeux fermés, même si avec «Bus Stop», ça démarre sur la diskö de la Nouvelle Orleans, mais c’est forcément bien foutu. Bien joué, Miss Jean ! Elle arrache son arrache au groove de heavy Bus Stop, elle est superbe, c’est même violemment bon. Elle tient la rampe de l’all nite long. Son «Bill» est un heavy slowah qui sent bon les origines de la racine. Mais c’est avec l’exotica du morceau titre qu’elle va rafler la mise. Schlooof ! Dans le genre, c’est assez puissant. Pur jus de New Orleans ! Elle passe au Cajun boogie avec «Rockin’ Good Way» et duette avec un sacré lascar. On ne sait pas comment il s’appelle, mais bon, c’est pas grave. Elle reste dans le Cajun avec «Lover Please», groove des enfers joué à l’accordéon, ça jerke chez les Cajuns, ne l’oublie jamais. Jean Knight ramène la fabuleuse persistance du groove Cajun. Nouveau temps fort de l’album avec «Who Is She (And What Is She To You)». Elle ramène du son à chaque cut, elle te groove ça à la Knight, tout l’album est bon, elle ne lâche rien, elle chante à la vie à la mort, elle gère sont «Don’t Break My Heart» au heavy groove de break my heart. On sent la black d’âge mur dans «Gonna Getcha Back», elle pèse ses mots - Out of my mind - et elle finit cette excellente virée avec deux enregistrements live, son vieux «Mr Big Stuff» qu’elle rappe, et «My Toot Toot» qu’elle tape en mode Cajun avec une énergie démesurée - Don’t mess with my Toot Toot !

    Signé : Cazengler, knight in white sauterne

    Jean Knight. Mr Big Stuff. Stax 1971   

    Jean Knight & Premium. Keep It Comin’. Cotillon 1981

    Jean Knight. My Toot Toot. Mairage 1985       

    Jean Knight. Shaki De Boo-Tee. Ichiban records 199

     

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    La première chronique de la rentrée ne sera ni longue ni joyeuse. L’annonce du concert du 27 juin dernier était le dernier des Crashbirds. Les cui-cui ne voleront plus ensemble. A la croisée des chemins Delphine Viane et Pierre Lehoulier ne suivent plus le même sentier. . Un coup au cœur, cela doit faire dix ans que nous les suivions, concerts, disques, vidéos, illustrations… Une image, un son, un concept : les trois clefs nécessaires à l’existence d’un grand groupe. Ils avaient tout, nous n’aurons plus rien. Certes un dernier album Unicorn devrait sortir… nous en avions déjà chroniqué les premiers morceaux… il nous reste un goût amer dans la bouche. Ce n’est pas la fin du monde, sûrement celle de la fin d’un monde, le nôtre puisque nous le partagions avec eux deux, leur talent, leurs sourires, leur ironie… Nous souhaitons à Delphine et à Pierre que leurs nouvelles vies soient douces.

    Damie Chad.

     

    *

    Deux formations françaises ont sorti en plein mois d’août une vidéo sur YT, deux sons différents, deux univers psychologiques divergents, deux groupes que nous aimons et suivons. Il est temps de regarder et d’écouter, Paul Claudel n’a-t-il pas décrété que l’œil écoute.

    ASHEN

    Reprenons le récit de l’histoire en train de se dérouler. Dans notre livraison 545 du 10 /03 / 2022 nous chroniquions quatre vidéos d’Ashen, : Sapiens, Hidden, Outler, le 18 / 05 / 2023 (in 595) c’était avec quelque retard au tour de Nowhere. Erreur fatale au mois de mai dernier nous avons fait l’impasse sur Angel.

    ANGEL

    ( Production : Ashen + Bastien Sablé )

    ( Official Music Video / 11 - 05 - 2023)

    Poully : bass / Tristan Broggeat : drums / Clem Richard : vocal : / Antoine Zimer : guitars / Niels Tozer : guitar, additional vocals / Thibaud.

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    Ne soyez pas déçus comme moi lorsque se profile les silhouettes noires du groupe après les quinze premières secondes cramoisies de l’intro, non ce n’était pas de la déception, mais de la peur, que ce cinquième opus d’Ashen ne soit pas au niveau des quatre précédents, après la foudre, après la chute de l’ange, après le foudroiement, un simple orchestre de rock, ils veulent rire, ce que l’on attend c’est du drame, de l’épopée, du grandiose. C’est exactement ce que nous offre Ashen. Attention, pas du pompier, pas du rutilant, pas du toc, non, du déchiré, du mythe, et pire que cela de l’amour. Donc un truc risible et cucul la praline, dans le texte anglais ils emploient un mot plus fort, non pas pour remplacer le mot love mais le mot armor qui signifie armure, désormais tout est dit. La vidéo peut se dérouler.

    Je ne crois pas que Bowie nous ait donné un clip aussi fort. La violence du rock’n’roll et la démesure humaine. L’ange n’est pas tombé bien loin, l’est enraciné dans la chair de Clem, avez-vous déjà entendu un mime hurler aussi fort. Superbe performance, l’ange est emmailloté dans le lange du corps de Clem, l’ange est folie, il est l’autre moitié de soi-même, celui qu’il faut tuer à moins que ce ne soit lui qui ne vous tue. Qui tient la flèche, qui tombe, n’est-ce pas vous qui forcez les portes du paradis dans lequel vous vous êtes enfermé ? Inversion des valeurs dirait Nietzsche. La métaphysique du désir psychique au tir à l’arc d’Apollon.

    Autrement dit dans le miroir où la démence furieuse se contemple vous n’apercevez que des éclats de beauté. Vous recevez la puissance du son et l’image, mouvante, d’une plénitude incertaine, des visions purpurales et des entailles d’engrammes… un montage d’une dextérité époustouflante, Bastien Sablé a su rendre l’impact sonore d’Ashen, chaque plan cisaille vos yeux et s’efface pour mieux s’incruster en vous comme une graine dont vous êtes incapable de prévoir à quels futurs excès elle vous conduira.

              Ashen est un groupe à part qui se distingue de tous les autres par une démarche créatrice originale d’une grande exigence formelle sans rien renier de l’essence libératoire du rock. Ashen témoigne d’une époque où les espaces de liberté collective s’amenuisent subrepticement, à tel point que l’individu surpris et désemparé se retrouve enfermé en une extrême solitude.  

    SMELLS LIKE TEEN SPIRIT

    ( Official Music Video / 04 - 08 – 2023 )

    ( Réalisation Alexis Fontaine)

    Dans la vie il faut s’attendre à tout, mais pas à ça. Sixième vidéo : Ashen se permet une reprise, pas un antique morceau de blues que seuls de par le monde douze ou quinze fanatiques connaissent et dont l’attribution est des plus incertaines.  Faut un culot certain pour s’attaquer au titre phare de Nirvana. C’est comme la porte du paradis vous pouvez cogner dessus de toutes vos forces sans qu’elle s’ouvre.  Aux âmes bien trempées dans le métal depuis leur plus tendre adolescence il n’est aucune formule d’orichalque qui ne soit interdite. Sur leur FB, dans un reels, Clem s’en explique en quelques mots vindicatifs : ‘’ Nirvana was the band that got me into rock music. So we decided to do a cover.’’ Rien à rajouter. Clair net et précis.

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             Une reprise ne saurait être une copie conforme. Une couve de Nirvana par Ashen doit d’abord avant tout ressembler au niveau sonore à du Ashen. Pas de déception le son est dans le droit fil des vidéos précédentes. Ashen ne singe pas et ne songe pas à se renier. Pour vous en convaincre regardez d’abord l’Official Music Video de Nirvana, celle avec les pom pom girls. Pour les images, Alexis Fontaine puise à la bonne source, celle de la dernière tournée d’Ashen avec While She Sleeps et Resolve, l’a réalisé l’irréalisable, une espèce de structure sonore dont l’arête des images s’estompe à peine apparues, un tourbillon tempétueux, il témoigne de sa présence par le fait même qu’elle s’absente         alors que la réalisation de Nirvana reste tributaire d’un art encore engoncé dans les représentations des tournages-télévisés. Ashen exhale un côté arty parfaitement assumé.

             Kurt crève l’écran, Clem le creuse. Question de personnalité, question d’époque. La rage désespérée de Kurt est encore un signe sinon d’espoir mais de rébellion, Clem est le reflet d’une génération qui n’y croit plus, les idéaux sont morts, il ne subsiste que des blessures, des trous béants dans lesquels l’individu se tapit et se réfugie dans une atonie de souffrance infinie. Les vers fourmillent généralement dans les cadavres, mais avant la mort l’on arrive à ce stade ultime où ils vous bouffent la tête du temps de votre vivant. Ce n’est pas que le futur n’existe plus, c’est que l’on traverse le vide de son absence. Et que l’on continue à vivre. Malgré tout. Malgré rien.

             Pas vraiment une adaptation. Une relecture éblouissante.

    Damie Chad.

     

    *

    Dans notre livraison 602, nous accueillions pour la première fois The Evil’s Dogs pour Havi destiné à être le titre d’ouverture de leur EP : Tales of the Ragnarock. Ils n’ont pas chômé cet été puisqu’ils présentent le deuxième titre :

    THUNDER

    THE EVIL’S DOGS

    ( Official Ia Music Video  / 13 - 08 – 2023)

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                 Des acharnés de la mythologie nordique – elle se prête à merveille aux grandes épopées sonore des groupes de hardrock - Havi était une ode de bruit et de fureur élevée à Odin le dieu des dieux, celui qui sacrifia un de ses yeux pour accéder à la connaissance, celle qui prédit la fin des Dieux lors du Ragnaröck, ultime combat qui opposera les Dieux, parmi tant d’autres monstres, à Fenrir le loup et aux ‘’chiens du mal’’…            

               Thunder est un chant élevé à la gloire de Thor, le dieu dont le marteau déclenche la foudre et le tonnerre dès qu’il le lance sur ses ennemis. Thor appelle tous les vikings morts à la guerre pour s’entraîner pour le dernier combat le Ragnaröck dont il annonce la venue. Au vu de la thématique l’on pressent que le morceau ne s’écoulera pas tel un long fleuve tranquille…

    Alex Lordwood : chant / Nico Petit : guitare / Agathe Bonford : basse / Michel Dutot : drums. Izo Diop : guest guitar ( From Trust ).

             Petite notification avant de commencer : peut-être aimez-vous le changement. Les douze premières secondes de la vidéo vous présentent la même image employée pour leur premier titre, patientez à la treizième fatidique vous changez d’univers. Peut-être pensez-vous que la mythologie scandinave c’est bien mais que depuis le monde a évolué. Vous ne pouvez trouver plus moderne. A la pointe de la technologie, utilisation de l’Intelligence artificielle pour illustrer le sujet. Trois sociétés ont apporté leur savoir-faire technologique. Les images produites me semblent procéder de deux sources différentes, des décors des premiers jeux-vidéo des années quatre-vingt-dix eux-mêmes issus des dessins pour livres documentaires historiques géographiques et animaliers destinés aux enfants in the seventies et de la peinture historique du dix-neuvième siècle que l’on qualifie hâtivement de pompière alors que son imagerie est aujourd’hui à la base de nos représentations imaginaires. L’influence filmique et de la BD ne sont pas non plus à dédaigner. Les tressautements infligés à ces images d’Epinal emmagasinés dans notre cerveau sont-ils à interpréter comme l’indication que nous avons affaire à des leurres qui ne reposent que sur des intuitions médiumniques ou d’hypothétiques réalisations humaines… Première vidéo rock de ce type que je visionne. Je suppose que ce ne sera pas la dernière.

             Par contre pour la musique il n’y a pas photo, trois coups de caisse claire et vous avez un nappé onctueux de guitare qui recouvre toute la plaine d’Asgard, le type d’intro dont vous rêvez, pour le coup vous ne faites plus gaffe aux images, une basse bourdonnante noyée dans un flot d’électricité, vous n’en demandez pas plus vous êtes comblé, vous avez simplement oublié qu’avec cette meute de chiennerie le mieux est toujours certain, trois nouveaux  petits coups de baguette magique, et hop vous réalisez qu’il manque un truc important, à la première syllabe prononcée Alex Lordwood vous envoûte, vous attendez un vocal enragé un tumulus de haine froide, une stridence sanguinaire, oui vous avez tout cela mais sans effusion de laryngite, sa voix détient tout cela comme la graine contient Yggdrasil, d’une amplitude extraordinaire elle se colle aux guitares comme l’écaille au serpent, mais cette chasse sauvage apporte en plus ce sentiment de la réversibilité des choses, cette nostalgie que ce qui est aujourd’hui, un jour, bientôt, ne sera plus, vous attendiez une brute sanguinaire, et c’est la sagesse d’un scalde qui s’impose,

    Encore trois petits tapotements du destin et la course frénétique reprend et flamboie, une guitare s’élève pointue comme la cime glacée d’un pic étincelant, que domine les derniers rayons d’un soleil déjà éteint de la voix lordwoodienne, surgit en final une apothéose de guitares  menée au triple galop sleipnirique d’une batterie qui depuis le début mène et scande la charge.

             Superbe. Si vous trouvez mieux passez moi un coup de fil. Electrique.

    Damie Chad.

     

    *

    Un mail de Lionel Beyet m’annonce la sortie d’un disque du groupe In Der Welt sur le label P.O.G.O. Records, In Der Welt, j’aurais certainement été au courant tout seul puisque je fais régulièrement un tour sur le site du label, le nom m’aurait interpellé, de l’allemand certes, ils sont français de Clermont Ferrand, mais pour les amateurs de philosophie, j’en suis un, la formule sonne aux oreilles, serait-ce un hasard, non puisque deux titres de l’album ne sont pas non plus sans résonnances heideggerriennes. 

    Heidegger n’est pas en odeur de sainteté parmi nos élites. Il est vrai qu’avant tout le monde il a clairement énoncé et annoncé l’arraisonnement de la pensée humaine et de la nature par la technologie. Il a aussi tracé une ligne de démarcation essentielle entre la pensée philosophique et la croyance (usez du terme ‘’pensée’’ si vous préférez) religieuse. C’est dans ce retour au fondement de la pensée philosophique dans l’originelle pensée grecque, comprenez une pensé a-chrétienne, qui lui a valu au début des années quatre-vingt une espèce de mise en accusation idéologique masquée sous des reproches politiques. J’ai pour ma part, en d’autres lieux, beaucoup écrit sur ce sujet. 

    Mais il est temps d’écouter In Der Welt.

    L’album est sorti en février 2023 sous forme d’une K7 (Les Disques Bleus). N’ayant pas laissé les amateurs indifférents la sortie en CD sur un label plus important s’est imposée.

    IN DER WELT

    ( Pogo 176 / Août 2023 )

    Thomas : guitare / Arno : voix / Aurélien : basse / Julien : batterie, artwork.

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    Persona : quel vocal, attendez-vous à être haché dans les mandibules d’un insecte géant, heureusement qu’à la fin une voix vous parle et vous réconforte en affirmant que vous êtes infini, de quoi vous redonner confiance  après ce déluge sonique qui vient  de s’abattre sur vous, post-metal hardcore si vous voulez, avec des instants de rémission, basse élastique, éboulements battériaux, lentes agonies, emphases atterrantes, ne portez aucun espoir en ces oasis, le sable du désert les a déjà ensevelies et la tempête reprend de plus belle, pas de panique votre avenir est certain, rien de bon ne peut vous arriver en ce monde. Ou dans le monde. Vous n’êtes personne, qu’un humain parmi des millions d’humains, vous portez tous le même masque, vous jouez tous le même rôle, interchangeables, le nihilisme serait donc l’essence de l’homme, la violence de ce premier morceau vous enjoint de répondre oui. Solace : ce n’est pas un morceau lent, disons qu’il se déplace lentement, une espèce de dinosaure freiné par son propre poids et qui se traîne en saccageant tout sur son passage, l’instrumentation s’en charge, pour vous aider à comprendre ils ont sorti une vidéo, non il n’y a pas de mastodonte antédiluvien, simplement un homme qui marche dans un désert sans fin, l’est étrangement accoudé sous son espèce de cape vampirique, ressemble au portrait caché du dernier des hommes nietzschéens revenu de tous ses accaparements, un peu comme vous quand la jeunesse s’effiloche, que tout fout le camp, que vous ne savez plus quoi devenir et que vous avancez vers vous ne savez quoi. Le morceau ne s’appelle pas Réconfort par hasard, notre dernier des survivant à lui-même trouve un cristal de roche, par réfraction il allumera un feu, qui le rassérènera, il s’incline vers la terre, il la salue, le monde lui insuffle son infinitude. Watchtower : il est devenu le gardien de la tour de guet, marche militaire quasi guillerette au début, vocal enragé, notre homme est prêt à bouffer le monde, à l’avaler d’un seul coup comme une pomme mal cuite, il semble qu’au bout de moment, il doute, la musique ralentit, mais il repart comme en quarante, l’est prêt à tous les combats, car vous ne vaincrez jamais si vous ne combattez pas, la musique devient assourdissante, elle froisse vos tympans, pourquoi tant de haine, d’appetite for the auto-destruction, une interview radiophonique vous apporte la solution, l’homme cède à sa propre pulsion de mort, il a besoin de mourir puisqu’il est une créature mortelle. Dans votre tour de guet le seul évènement notable qui apparaîtra sera la grande faucheuse qui se dirige vers vous… C’est-elle que vous attendiez. Dasein : terme ô combien Heideggerien, vous pourriez le traduire par existence, par votre manière d’être-là dans votre existence, en d’autres termes votre dasein est votre destin, In Der Welt n’a jamais joué aussi fort, aussi rapide, aussi percutant, voix et instruments pressés, atomisés, dans le mixer de la vie, tout passe trop vite, à la fin vous n’êtes plus là et la bobine biographique du film de votre vie tourne à vide. L’on n’échappe pas à ce que l’on est. Vous ne rajouterez rien de plus. Totem : un peu de répit dans ce monde de bruit et de fureur. Est-ce da la pluie revivifiante qui tombe, qui trombe, imaginez un théâtre d’ombre, un peu comme la caverne platonicienne, c’est vous qui agitez vos propres figurines, au début le jeu est plaisant, bientôt vous vous apercevez de l’inanité de votre occupation, même vos poupées totémiques deviennent harpies et se transforment en oiseaux de proie, qui vous attaquent, la musique fonce sur vous en piqué pour vous vous crever les yeux et vous défoncer la cabosse, n’oubliez pas ce qui vous tue est plus fort que vous, pas la peine de s’exciter. Certains jouets ne sont pas à mettre dans toutes les mains, non recommandés tant que vous n’êtes pas mort. Bye anxiety : cri libérateur, il est inutile de céder à l’angoisse heideggerienne qui étreint l’homme que la mort prive de son âme, hurlements orgasmiques, danse nietzschéenne, guitare, basse et batterie se détendent, elles atteignent à une plénitude encore jamais atteinte sur l’album, sûr une voix off nous prédit qu’après 2030 ce sera trop tard, et alors ? L’important n’est-il pas de vivre intensément tous les moments de notre vie, fussent-ils les derniers ou les avant-derniers. Well  done friends : feast of friends, acceptation nietzschéenne, amor fati, amour du destin qui nous est imparti, que nous nous sommes impartis, violence et grandiloquence, générique final de notre existence, une voix chuchote, que dit-elle, cela n’a pas d’importance, quelques bruits d’enfants de chiens peut-être… peut-être pas… il faut prendre ce qui est donné… Control : prendre le contrôle de sa vie, la voix ne hache plus, elle chante, joie et triomphe, intumescence backgroundale, ramdam total, le vent déferle, il emporte l’univers en une bourrasque vertigineuse, désormais vous êtes la guerre. Slow motion : changement de donne, et si tout cela n’était qu’illusion, n’est-il pas nécessaire de regarder le monde tel qu’il est, un désert de glace pétrifié, un antre obscur, aucune lumière dans la caverne de Platon, sursauts violents de vitalité, notes égrenées ambigües, tristes, nostalgiques, ironiques, la voix off est recouverte, engluée par le magma sonique, tout à la fin l’on n’entend qu’un seul mot. Vide. Le nihilisme n’aurait-t-il pas été surmonté. Serait-il insurmontable.

             De toute beauté, une musique noire, enfiévrée mais glaçante, un art qui se rapproche du dressage équin, qui exige maîtrise et dextérité, du post-metal hardcore philosophique. Une espèce rare, donc précieuse. Du grand art.

    Damie Chad.

     

    ROCKFLEXIONS ( 1 )

     

    Pour Madame Bellas,

    Les idées, quand elles ne sont pas platoniciennes, vont et viennent. Font trois petits tours dans notre cerveau, en règle générale, à part quelques unes qui nous sont chères, elles se tapissent dans un coin et se font oublier. Une pensée est le résultat d’un phénomène beaucoup plus élaboré. Elles naissent du télescopage de deux idées entre lesquelles nous n’avions jamais établi la moindre corrélation. Jusqu’au jour où se produit le déclic fatidique. La foudre qui surgit de l’entrechoc de deux gros nuages porteurs d’électricité statique n’agit pas autrement.

    Fin juillet dernier ( voir livraison 609 ) après la fin du concert de Juke Joints Blues nous discutions, quelle surprise,  de rock ‘n’roll avec Chris Papin… Une thématique connue : pourquoi notre génération avait-elle été à ce point traumatisée par cette musique. Vous connaissez la réponse : à l’époque il n’y avait rien d’autre. Et tous deux de raconter à preuve comment le soir dans notre lit, l’oreille sur le transistor nous attendions les fameuses séquences blues et rock de Pierre Lattès dans le Pop Club de José Arthur sur France Inter…

    Souvenirs, souvenirs. Oui, c’est quelques jours plus tard, alors que je ne pensais pas particulièrement à cette conversation qu’une évidence fulgurante s’est imposée à mon esprit. Alors que Chris et moi avions affirmé haut et fort qu’aucune autre génération avant nous n’avait faute de moyens technologiques appropriés pu expérimenter un tsunami musical aussi dévastateur, un démenti cinglant me fut infligé… par moi-même.

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    Comment depuis des lustres avais-je pu faire une telle impasse mentale alors que je n’ignorais rien d’un tel tohu-bohu intellectuel similaire qui s’était déroulé au dix-neuvième siècle notamment en France. La musique wagnérienne en fut la cause. Certes l’on ne pouvait écouter la musique de Richard Wagner à la radio ou acheter ses disques. Mais l’élite artistique européenne, peintres, musiciens, poëtes, comprirent que l’inouï venait de se produire. Je ne veux pas dire que l’on n’avait encore jamais entendu une musique si tonitruante, certes la rutilance des cuivres emplissait les oreilles, c’était autre chose qui était en jeu, de par sa magnificence l’écriture et le projet wagnériens imposaient un diktat existentiel aux auditeurs.

    Le monde n’en n’avait pas été changé, simplement désormais l’on ne pouvait plus continuer de vivre comme avant, votre vision du monde et votre attitude sous l’impulsion dévastatrice de cette entreprise musicale titanesque devenaient différentes, sur l’échiquier du vécu vous n’étiez plus un pion qui subissait votre destin, mais vous deveniez votre destin-même puisque vous vous imposiez l’obligeance de prendre en main la totalité des paramètres de votre existence. La vie devenait une suprême exigence.

    Ainsi le rock’n’roll.

    Damie Chad.

     

                                                                                                            

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 34 ( strombolif ) :

    192

    L’interphone de l’ascenseur grésille :

              _ Papa, sauve le petit chat, ne le laisse pas faire !

              _ Alice ne te mêle pas de ça, raccroche cet interphone et file au lit !

              _ Non Papa, je descends par les escaliers, je viens sauver le petit chat, essaie de te faire tuer avant le petit chat, je le récupèrerai !

               _ Ne vous donnez pas tant de mal, nous vous apportons tout de suite le chaton !

               _ Merci Monsieur, vous êtes trop gentil.

    193

    Quand nous entrons dans l’appartement, Alice arrache le chaton des mains de son père et s’enfuit dans sa chambre :

              _ Je m’occupe de lui, seuls Molossito et Molossa ont le droit de me suivre. Ce sont des héros ! Ce sont les copines qui vont être jalouses !

    La porte se referme vivement sur elle et les animaux.

    194

    Le père d’Alice assis sur un des canapés du salon a besoin de reprendre ses esprits. Tout sourire Carlos qui s’est adjugé le rôle de barman lui tend un grand verre de whisky empli à ras-bord :

              _ Buvez cela, vous avez besoin d’un petit remontant, excusez-moi pour la mise en scène mais sans cela vous n’auriez jamais voulu nous recevoir !

              _ J’avoue que les évènements se sont enchaînés si vite depuis que j’ai ramassé cette bestiole que je n’y comprends rien, si quelqu’un voulait bien m’expliquer !

             _ Avec plaisir Monsieur, le temps que j’allume un Coronado, je laisse l’agent Chad vous expliciter le coup du chat !

    195

    Je m’éclaircis la voix, je sens que ça va mal se passer, tant pis j’assume :

              _ C’est très simple, en début d’après-midi j’ai passé un coup de fil à votre fille ! Pour le numéro, celui de votre appartement est dans l’agenda interne du personnel de la Bibliothèque François Mitterrand, dont vous êtes le directeur, je me permets de vous le rappeler.

              _ Comment avez-vous osé, téléphoner à une enfant, c’est un scandale de quel droit, je me permets de préciser que si elle est en troisième, elle a deux ans d’avance, c’est une honte !

              _ Une enfant douée certes mais malheureuse, son rêve serait d’avoir un chat et vous ne vouliez pas, alors nous lui en avions procuré un !

              _ Je n’avais pas besoin de vous j’en ai trouvé un tout seul !

              _ Pas tout à fait Monsieur, j’ai chargé mes deux chiens de trouver un chaton abandonné et de le glisser derrière vous quand vous rentriez chez vous, ils ont magnifiquement rempli leur mission, vous pouvez les féliciter, sans eux votre fille serait malheureuse et pleurerait en cachette dans son lit comme tous les soirs comme elle me l’a confié au téléphone !

             _ Moi c’est la Brigade des Mineurs que je vais appeler, à l’instant !

    196

    Le Chef a manifestement terminé d’allumer son Coronado :

              _ Ne vous donnez pas cette peine, c’est inutile, le SSR, Service Secret du Rock ‘n’Roll, est hiérarchiquement au-dessus de tous les services de police et de gendarmerie du pays, seules les autorités suprêmes de l’Etat ont barre sur nous, laissons votre fillette en-dehors de cette affaire, peut-être voudrait-il mieux que vous parliez de sa mère !

    Le père d’Alice est devenu livide, il s’effondre sur son siège, Carlos se hâte de lui tendre une nouvelle médicamentation, il se tait un long moment, avant de se mettre à parler à voix basse :

              _ Quand je vous ai vu arriver en trombe dans la bibliothèque pour exiger le bouquin d’Oecila, j’ai compris que vous finiriez par tout savoir. J’ai essayé de me renseigner sur vous, c’est pour cela que nous avons fini par nous rencontrer sur le parking de Disney…

    Le chef emprunte une voix de psychanalyste éprouvé :

              _ Oui, oui, nous comprenons, mais votre épouse, parlez-nous d’elle, vous verrez, cela vous fera du bien !

              _ Quand je suis sorti premier de l’Ecole des Chartes, le ministère m’a proposé un stage à Moscou, j’ai accepté,  j’ai vite repéré dans le groupe d’étudiants à qui je donnais des cours de paléographie, une jolie étudiante, vive, intelligente, souriante, joyeuse… Ecila… j’en suis tombé amoureux, elle n’était pas insensible à mon charme, je le dis sans me vanter, mais au bout de deux ans si elle acceptait avec plaisir mes invitations, musées, spectacles, cinémas, promenades, nous étions toujours ensemble, mais je n’en étais pas plus avancé, pas le moindre baiser…

    Je sens que Carlos se prépare à intervenir, je lui fais signe de se taire, ce n’est pas le moment de nous expliquer que dans la Légion l’on tombe les filles comme l’on saute sur Kolwezy.

              _ Lors de mon départ elle m’a accompagné à l’aéroport, je m’apprêtais à lui faire la bise, elle n’a pas voulu, ses paroles m’ont suffoqué, figurez-vous qu’elle m’a dit : ‘’ j’espérais que vous m’auriez demandée en mariage et emmenée en France, je vois que c’est impossible, adieu Gabriel’’.

    Carlos lève les yeux au ciel, toutefois il s’abstient de tout commentaire. Après un moment répit Gabriel reprend son récit :

              _ Je ne suis pas parti, je l’ai demandé en mariage aussitôt, elle a souri puis elle a rajouté : j’accepte à condition que vous emmeniez ma sœur avec moi. C’est ce que j’ai fait. Nous avons été heureux, nous avons eu Alice, elle est morte voici deux ans. Voilà c’est tout.

    197

    Pour détendre l’atmosphère Carlos prépare une tournée apéritive. Le Chef fourrage dans sa poche pour en extirper un Coronado qu’il s’empresse d’allumer :

              _ Au nom du SSR Gabriel, je vous présente mes condoléances et celles de tout le service, je crois que vous avez besoin de repos, nous allons vous quitter au plus vite, mais avant une toute petite question, pas bien longue.

    Le Chef prend le temps d’exhaler un nuage de fumée :

              _ Et Oecila !

    Gabriel sursaute comme s’il avait été piqué par un serpent, ses yeux flamboient de colère, il se reprend :

    • Nous sommes allés la chercher… un voyage interminable… en train… nous avons traversé des forêts sans fin, si vous ne l’avez pas vue, il est impossible de se représenter l’immensité de la taïga russe. Nous avons débarqué dans un village perdu. Je pensai que le lendemain elle m’emmènerait visiter sa famille. Non, elle m’a emmené dans un cimetière, devant la tombe d’Oecila… Oui c’est étrange les deux sœurs avaient à peu près le même nom… Nous l’avons ramenée en France, un mal fou pour en avoir le droit, une chance le haut-fonctionnaire qui m’avait proposé le poste à Moscou était entre temps devenu conseiller du Président de la République…

    198

    Le Chef allume un cigare. Il est huit heures du matin et nous venons d’ouvrir le local. Tard dans la nuit, nous avons laissé Gabriel, manifestement brisé par sa confession. Il était inutile de continuer, il était incapable de rejouter le moindre mot. J’ai récupéré Molossa et Molossito pelotonnés contre Alice, le chaton endormi sur son épaule. Elle ne s’est pas réveillée quand les cabotos ont sauté du lit pour me rejoindre, nous sommes rentrés tous les trois chacun chez nous…  

              _ Agent Chad, je ne suis pas mécontent de notre dernière soirée. Les pièces du puzzle commencent à s’assembler.

             _ Un grand pas en avant Chef, je le concède, l’abîme de la perplexité reste toutefois grand ouvert devant nous. Prenons le cas de Gabriel par exemple.

             _ Agent Chad sans l’avoir consulté je suis sûr que Carlos classe ce type de bonhomme parmi les chifonnettes. Méfions-nous, il n’a pas tout dit, il serait bon que vous puissiez obtenir de sa fille quelques renseignements complémentaires.

             _ Oui, mais Carlos n’a pas tort, ce type n’est pas un rocker, nous sommes dans une drôle d’affaire, mais pas un seul mot de Gabriel ne laisse à penser en quoi cette histoire concerne le rock ‘n’ roll.

             _ Agent Chad je partage votre questionnement, je suis certain que nous allons bientôt finir par le savoir.

    A suivre…

     

     

     

     

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE : KR'TNT ! 531 :ROBERT GORDON / MERCURY REV / REIGNING SOUND / MICKEY LEE LANE / CRASHBIRDS / DELPHINE DORA / GOLEM MECANIQUE / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 531

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    25 / 11 / 2021

     

    ROBERT GORDON / MERCURY REV

    REIGNING SOUND / MICKEY LEE LANE

    CRASHBIRDS / DELPHINE DORA

    GOLEM MECANIQUE / ROCKAMBOLESQUES

     

    Gordon moi ta main et prends la mienne

    - Part One - Hey Mr. Staxman

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    Robert Gordon et Peter Guralnick ont un sacré don en commun : le souffle littéraire. En France, lorsqu’on parle de souffle, on pense à Balzac ou à Zola, a des gens capables de bâtir des sagas. Robert Gordon et son mentor Peter Guralnick sont de la même trempe, et plutôt que de nous raconter la grandeur et la décadence des bourgeois et des ouvriers du XIXe siècle, ils ont choisi de nous raconter la vie des grands artistes américains du XXe siècle. Dans le cas de ces deux hommes et de leurs ouvrages respectifs, on parle bien de littérature, aucune ambiguïté possible.

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    Robert Gordon nous raconte l’histoire de Stax dans Respect Yourself: Stax Records And The Soul Explosion. Ou plutôt l’apogée et la chute de l’Empire staxien, car il s’agit bien d’une épopée tragique, de l’écroulement d’un rêve, et pour parvenir à nous faire partager sa fascination pour Stax et tout ce que ça pouvait représenter au plan humain, Robert Gordon utilise les ressorts du roman. Cet ouvrage est un chef d’œuvre d’érudition et de passion, celle d’un homme blanc pour les artistes noirs, mais aussi pour sa chère city of Memphis - Memphis est une ville qui fredonne et qui vrombit. C’est un son constant qui fait partie du sol, du fleuve, de l’air et comme il est partout, on peut avoir du mal à le détecter - Voilà comment Robert Gordon lance un chapitre. Il rappelle un peu plus loin qu’on a toujours su apprécier les excentriques dans le Deep South, notamment à Memphis. Duck Dunn qu’on va retrouver plus loin dans les MG’s affirme qu’un certain Dewey Phillips a changé sa vie quand il était jeune. Eh oui, il préférait entendre à la radio Bo Diddley, Bill Doggett et Little Richard plutôt que les sérénades folkloriques du Grand Ole Opry. Pour Robert Gordon, le Memphis Sound commence avec «Green Onions». Il ressort aussi cette définition de Memphis à laquelle lui et Dickinson sont tellement attachés : Memphis, la ville où il ne se passe jamais rien, sauf l’impossible.

    Pour raconter cette histoire grouillante de héros, Robert Gordon va travailler dans une sorte de hiérarchie chronologique et tailler des costards sur mesure à tous les géants de Stax : Rufus Thomas, Carla Thomas, les Mar-Keys, William Bell, Booker T., Otis, Sam & Dave, Eddie Floyd et puis Isaac. Il va aussi évoquer la série de coups terribles qui vont envoyer Stax au tapis, à commencer par la mort tragique d’Otis, puis le vol des masters par Atlantic, la mort du Dr. King, l’éviction d’Estelle Axton puis celle de Jim Stewart et enfin le lâchage de Columbia qui va réduire à néant les efforts d’un Al Bell qui tentait de relancer Stax.

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    Robert Gordon ne nous raconte pas l’histoire d’un label, mais plutôt celle d’une famille. C’est son tour de force. Jim Stewart, sa sœur Estelle Axton et Packy, le fils d’Estelle, font presque figure de sainte trinité. Il s’agit en tous les cas du trio de base. En vérité, Estelle et Jim ont beaucoup de chance : ils sont élevés correctement, car on leur explique tout petits que tous les hommes naissent égaux aux yeux de Dieu. Mais Estelle et Jim ne vont pas non plus aller militer pour les droits civiques, ils sont comme ils sont. Comme Sam Phillips, ils ne voient pas de différence entre un blanc et un noir. On considère même Estelle comme le nucleus de Stax, tout le monde l’aime et elle aime tout le monde. Elle génère une sorte d’harmonie raciale dans son petit magasin de disques installé juste à côté de l’entrée du studio. C’est elle qui insiste pour qu’on sorte «Last Night» des Mar-Keys, pas seulement parce que Packy joue dessus, mais parce que c’est un hit et qu’à part elle, personne ne le voit ! Et pouf ! Elle en vend 2 000 dans son petit bouclard. Le single se vend à un million d’exemplaires dans tout le pays. Estelle : «I’ve never been as proud of a record in my life !» - Oui, de toute sa vie, jamais elle n’a été aussi fière d’un disque.

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    Jim Stewart est un curieux personnage. Wayne Jackson le décrit comme «country redneck fiddler in a black neighborhood» qui se passionne très vite pour l’aspect créatif de la production. Il fait ce que Sam Phillips fait avec Elvis et Johnny Cash, il fait travailler les gens jusqu’à ce que ça lui plaise. Exemple avec les MG’s qu’il fait travailler pendant des heures jusqu’à ce qu’ils groovent. Jim a une autre qualité : il n’achète pas les artistes qu’il produit. Quand Jerry Wexler lui propose de racheter le contrat d’Aretha pour 25 000 $, Jim dit non. Pourquoi irait-il payer une telle somme ? Il peut avoir Gladys Knight pour 5 000 $, mais c’est pareil, pourquoi payer une avance ? C’est le coût de production d’un album. Le mot avance ne fait pas partie de son vocabulaire. C’est la raison pour laquelle Aretha est allée enregistrer à Muscle Shoals. Ce n’est pas que Jim soit radin. Il a simplement des principes. Jim est fier de la créativité qui règne dans son studio : «Total involvement from everybody. Pas d’intérêts personnels ni de limites à ce que tout le monde peut apporter.» Quand ça commence à trop bien marcher, Jim embauche Al Bell pour l’aider à développer Stax, il partage son bureau avec lui. Ils ont des petits accrochages, mais globalement, ils s’entendent bien. Jim ne travaille que dans l’intérêt collectif de Stax. Il ne voit d’ailleurs pas que la nomination d’Al Bell affecte profondément Steve Cropper qui est depuis le début son bras droit et son meilleur allié. Steve éprouve une sorte de ressentiment. Pourquoi lui et pas moi ?

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    Packy Axton a toujours dit qu’il n’ambitionnait qu’une seule chose : devenir alcoolique. C’est que qu’affirme Don Nix qui ajoute : «Il adorait boire !». Mais il tapait un peu sur les nerfs de Jim Stewart, à cause de sa nonchalance, de ses tendances à l’irrévérence et surtout de son besoin constant de faire la fête. Packy joue dans les Mar-Keys et fait comprendre aux autres que ce groupe est son groupe, même si tout le monde sait que Steve l’a monté. Mais Packy leur cloue le bec en expliquant que sans sa mama, ils ne sont rien. Miz Axton tente de responsabiliser Packy en lui confiant la gestion du studio, mais Packy n’est pas fiable. L’alcool. Pour Jim, c’est un désastre. Il préfère que son associé Chips s’occupe du studio. Bien sûr, ça ne plaît pas à Estelle qui ne peut pas encadrer Chips. Ah les histoires de famille ! Packy est tellement alcoolisé que Jim ne veut plus le voir traîner au studio, ce qui devient très compliqué, vu qu’Estelle est co-propriétaire. Packy va mourir d’une cirrhose à l’âge de 32 ans. Son ami Johnny Keyes déclare : «They used to call Packy the Spirit of Memphis». Le plus bel hommage à Packy Axton est sans doute celui que lui rend Jim Dickinson dans ses mémoires. C’est Packy qui a ramené les Mar-Keys en studio. Steve, Duck, Don Nix et Wayne Jackson lui doivent une fière chandelle.

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    Chips Moman fait lui aussi partie des pionniers. Après avoir accompagné Warren Smith sur la route et les frères Burnette en Californie, puis Gene Vincent en tournée, un accident de voiture l’oblige à se reposer à Memphis. Chips connaît les studios californiens et Jim cherche à en monter un. Ça tombe bien ! Ils démarrent ensemble. Puis les choses vont vite se détériorer, car Chips fréquente une drôle de faune. Miz Axton suspecte la présence de drogues dans le studio. Chips est un flambeur, il vit au dessus de ses moyens et conduit des voitures de sport. Mais le problème est plus profond : Chips est un joueur et Jim un banquier conservateur. Jim joue du rock’n’roll sur une guitare électrique et Jim du violon country. Chips est une forte tête, mais il travaille pour le compte de Jim, dans la boîte de Jim. Alors ça finit par exploser. Un jour, Chips réclame son blé, il sait que les singles de Carla qu’il produit se vendent comme des petits pains. Et Jim lui répond qu’il peut aller se faire cuire un œuf. Ils s’engueulent dans le hall. Les mains sur les hanches, Jim toise Chips : «Si je t’ai roulé, tu n’as qu’à le prouver !» Chips répond : «Well okay then !» et sort de Stax en claquant la porte. Il monte dans sa TR3 et démarre en trombe. Jim dira qu’il ne voulait pas le voir partir. Il gérait Stax avec ce qu’il appelle an iron hand et il devait s’y tenir. L’avocat de Chips réussit à obtenir 3 000 $ de Jim et après un an passé à Nashville, Chips ouvre son studio American à Memphis.

    Don Nix joue dans les Mar-Keys avec Duck et Steve Cropper. Il voulait que les Mar-Keys sonnent comme le Willie Mitchell’s band qu’on pouvait voir sur scène au Plantation Inn de West Memphis, de l’autre côté du fleuve. Duck qui fait partie de la bande adore Hank Ballard & the Midnighters, les Five Royales, James Brown et Ray Charles. Tous ces kids sont dingues de musique noire. Vraiment dingues.

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    William Bell fait partie des pionniers de Stax. Quand Estelle sort les haut-parleurs du magasin, William fait partie des gosses qui dansent sur le trottoir. C’est Chips qui le voit chanter dans un club et qui lui propose de venir auditionner chez Stax. William connaît Estelle et aussi le studio, car il est déjà venu chanter des backing sur le «Gee Wiz» de Carla. Avec Chips, William se sent à l’aise. William n’est pas n’importe qui. Il envisage de faire des études de médecine, ce qui ne l’empêche pas d’enregistrer les premiers grands albums classiques de Stax. Et puis voilà Booker T qui groove son shuffle. Jim n’en revient pas d’entendre ce funky groove qui n’a pas de titre, tout le monde danse dans le studio, on baptise le morceau «Onions», puis quelqu’un suggère «Funky Onions», jusqu’à ce que Miz Axton lance : «Green Onions» ! C’est dans la poche de la postérité ! Pour dire à quel point c’est la fête chez Stax, à l’époque des pionniers. Tout le monde participe et les hits s’entassent.

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    Autre pionnier de poids : Isaac ! Il travaille aux abattoirs pour nourrir sa famille. C’est Floyd Newman qui lui donne sa chance, même s’il ne sait jouer du piano que d’une seule main. Mais Floyd sent qu’Isaac a quelque chose. Isaac sait quand il faut jouer et quand il ne faut pas jouer. Il a l’instinct et l’oreille musicale. Il s’entend à merveille avec ses nouveaux amis, Al Jackson, Steve Cropper, David Porter, it was like a big family. The Stax magic : talent and fun. Une histoire unique. Isaac se met très vite à porter des fringues très colorées, comme Elvis, d’ailleurs, du rose, du jaune, du vert chartreuse. Sam & Dave n’en reviennent pas de voir cet huluberlu au crâne rasé et en lunettes noires, assis derrière son piano, et l’autre mec, là, un nommé David Porter, qui ressemble à un assureur, dans son petit costume en alpaga. Oh, le pire, se plaint Sam Moore, c’est le patron, ce Jim qui travaille le jour à la banque et qui joue la nuit du violon dans un groupe de country ! En plus, il ne rigole jamais. Il ne pense qu’au business. En arrivant à Memphis, Sam Moore se met à chialer, car c’est Atlantic qui l’a envoyé enregistrer avec Dave dans cette baraque de dingues - Mais comment ont-ils pu nous faire un coup pareil ? - Sam prend les gens de Stax pour une bande de branquignoles et croit sa carrière foutue. Il ne se doute pas que Monsieur Vert Chartreuse et Monsieur Alpaga vont lui tailler des hits sur mesure et les coacher vers la gloire, oui car Sam & Dave, c’est d’abord Sam & Dave & Isaac & David. On n’avait encore jamais vu dans le monde une telle furia del sol. Sam le reconnaît : «Isaac Hayes, bless his heart, he gave me and Dave, the style, all the call and response, the horns became the background singers, the rhythm keeping the beat (Tout notre style, le chant à deux, le cuivres en back-up et la rythmique qui tient le beat, c’est Isaac Hayes).» Robert Gordon affirme que Sam & Dave sont devenus the greatest live act of all times. Si tu ne le crois pas, les preuves sont sur YouTube. Willie Hall dit d’Isaac qu’il est cool as shit, beau personnage qui ne prend pas de drogues, qui ouvre son troisième œil pour voir l’idée, et boom, elle est là, parfaite. C’est un peu comme chez Sam Phillips, les héros sont beaux.

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    La différence avec Motown saute vite aux yeux. Jim dit à Sam Moore : «Vous voulez rivaliser avec Motown ? Stop ! Motown’s vision is pop. You are raw soul.» Voilà en effet toute la différence. Là où Berry Gordy appliquait à son studio les méthodes des chaînes de montage automobile sur lesquelles il avait travaillé, chez Stax, on travaillait dans l’organique, dans le schploufff et le beep-beep yeah. Motown tourne comme une usine, Stax comme une maison où on s’amuse bien. Motown subit un joug autocratique, Stax fonctionne comme une big family qui accueille les gens. On lit HITSVILLE USA sur la façade de Motown et SOULSVILLE USA sur celle de Stax. Chez Stax, on invente the Memphis-Soul feeling, ce que les Américains appellent le laid-back, une façon d’atteindre la mesure suivante avec un bluesy feeling. Contrairement à Motown, Stax n’a aucun objectif commercial, mais ça marche quand même. C’est Isaac qui le dit : «Stax was down-to-earth, raw, very honest music that represented the common man - The common black man. It was real-life experiences on a very ethnic level. Stax was just a music of the people (Le son Stax était très basique, très brut, très honnête, il s’adressait aux gens ordinaires - aux noirs ordinaires. Stax illustrait la vraie vie, à un niveau purement ethnique. Stax était simplement la musique du peuple).»

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    Il est évident que Robert Gordon bave de joie dionysiaque en citant Isaac le prophète. On ne peut pas mieux dire les choses. Pourtant très pudibond, Jim finit aussi par avouer qu’il éprouve quelque chose de très fort pour cette musique. Pour lui, le job de Staxman devient a labor of love. Mais ce n’est pas aussi facile qu’on pourrait le croire : les gens de radio ne voient pas Motown comme de la musique noire, mais Stax, si. Pour que Stax s’installe dans les radios, il faut attendre que «Who’s Making Love» de Johnnie Taylor se vende à un million d’exemplaires. Mais la principale différence entre Motown et Stax se trouve dans la façon dont on traite les artistes. Duck dit que Motown leur roule la gueule, alors que chez Stax ils sont au contraire bien considérés - Treated fairly - On se croirait dans un conte de fées. C’est un conte de fées.

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    Chez Stax, tout le monde suit Al Jackson, le batteur miraculeux des MG’s. Booker T dit qu’Al joue entre le jazz et le blues. L’idole d’Al s’appelle Sonny Payne, le batteur de Count Basie. Autre grande particularité du son Stax : le matériel très basique. Pendant toute une époque, on enregistre sur une seule piste et on surnomme Jim the King of The One Track. Pas le droit à l’erreur, si ça plante, il faut tout recommencer. Quand les MG’s arrivent au studio, le matin, ils accrochent leurs manteaux et se mettent à jouer. Quand Jerry Wexler voit ça, il n’en revient pas. Aucun cérémonial, pouf, les mecs arrivent et jouent. Ça n’existe pas ailleurs.

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    Rufus Thomas figure lui aussi parmi les pionniers, grâce à son fantastique «Walking The Dog» que les Stones vont reprendre sur leur premier album. C’est Miz Axton qui découvre David Porter. Elle pense qu’il a du talent et l’encourage. Elle lui fait écouter les travaux d’équipes comme Bacharach/David ou Holland/Dozier/Holland pour qu’il comprenne bien l’intérêt de bosser en tandem. Pour vivre, David vend des assurances. Alors il se rapproche d’Isaac, et en papotant, ils se découvrent des intérêts communs. Soudain, David s’exclame : «I’m a lyric man, you’re a music man, let’s do like Holland-Dozier-Holland and Bacharach and David !»

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    Otis fait aussi partie des pionniers et son set à Monterey illustre l’âge d’or de Stax. Booker T raconte que la découverte de Monterey et de la Californie lui a changé la vie. Il y découvre un art de vivre, il n’avait jamais vu des gens s’habiller comme ça ni des restaurants donner de la nourriture aux pauvres. Pas de cops dans les rues. Pour un black de Memphis, c’est un choc ! Aucune tension dans la rue. Aucune trace de ségrégation. Duck tombe lui aussi amoureux de cet art de vivre et du look des hippies. Il se laisse pousser les cheveux. Et quand les MG’s montent sur scène pour accompagner Otis au Monterey Pop Festival, c’est quitte ou double. Ils arrivent avec leurs petits costards en mohair vert et leur boots. Ils sont les seuls à s’habiller encore comme ça dans toute la Californie. Contre toute attente, le set d’Otis casse la baraque ! C’est même un moment historique, le cross-over entre une culture black marginalisée et l’Amérique progressive, entre la deep Soul d’Otis & the MG’s et le monde hippie qui achète des disques. Comme Louis Armstrong, Sammy Davis Jr. et Sam Cooke avant lui, Otis réussit le cross-over. Robert Gordon s’extasie : «Great God almighty, Otis Reading was reaching that fabled shore», oui Otis atteignait la terre promise. Quel moment historique ! Après Monterey, Jim voit les ventes exploser. Stax blows up !

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    Jerry Wexler amène celui qu’il appelle the Black Panther chez Stax. Pour Wexler, Wilson Pickett est le chanteur parfait : «Quand James Brown pousse un cri, c’est un cri. Quand Wilson Pickett pousse un cri, c’est une note. Gros avantage.» C’est là chez Stax que Wilson Pickett enregistre «In The Midnight Hour». Mais il ne s’entend pas bien avec les Staxmen. Wicked Pickett n’est pas un ange. Il essaye d’acheter la sympathie des musiciens avec des billets de 100 $, alors ça ne passe pas. Jim prend son téléphone et dit à Wexler de ne plus lui envoyer ses stars. Dans le studio, Duck et les autres ne peuvent plus supporter Wicked Pickett : «Don’t bring that asshole down here again. We don’t want to put up with that crap.» Ils aiment bien bosser avec Tom Dowd et Jerry Wexler mais certainement pas avec Wicked Pickett. C’est la raison pour laquelle Wexler emmène Pickett chez Rick Hall à Muscle Shoals.

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    Et puis voilà Al Bell que Robert Gordon surnomme the Otis Redding of business. C’est un hyperactif qui fait deux choses à la fois. Avec son arrivée chez Stax, le label passe du contexte familial au big business. Al Bell est à la fois un business man et un prêcheur. Il dépasse tout le monde d’une tête. Al Bell commence par salarier les musiciens du studio, qui n’ont plus besoin d’aller jouer la nuit dans des clubs pour vivre. Les MG’s deviennent le house-band de Stax et accompagnent tous les artistes, qu’il s’agisse de Carla, d’Albert King ou des William Bell. Ils savent tout jouer, la pop, le blues, le jazz, la Soul. Al Bell salarie aussi Isaac et David. Duck dit qu’Al lui a sauvé la mise. Après la mort d’Otis et le départ de Sam & Dave, tout le monde croyait Stax cuit aux patates. Tout le monde sauf Al Bell qui refuse de voir Stax mourir. Il réagit en préparant une Soul Explosion, the new Stax Records. Al Bell va se battre jusqu’au bout, mais le destin va se montrer cruel avec lui.

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    Les premier gros revers de fortune est en effet l’accident d’avion qui coûte la vie à Otis et aux Bar-Kays. La maison Stax qui était si heureuse s’éteint brutalement. Stax devient un mausolée. Ben Cauley est le seul survivant de l’accident et il raconte comment il a flotté dans l’eau glacée pendant une demi-heure avant d’être repêché par les secours. Mais il voit ses copains couler. On repêchera le corps d’Otis le lendemain, attaché à son siège. Les autres Bar-Kays survivants sont ceux qui ne sont pas montés dans l’avion, James Alexander et Carl Sims. Ils vont voir Ben à l’hosto et le trouvent en état de choc, incapable de parler, les yeux fixes. C’est James Alexander qui doit identifier les corps et ça le rend dingue, car ce sont tous ses copains d’enfance. Les Bar-Kays venaient tous du même quartier pauvre et voulaient faire de la musique. Alors ils traînaient au studio Stax, comme Mac Rebennack traînait chez Cosimo, à la Nouvelle Orleans. Moyenne d’âge des Bar-Kays au moment de l’accident : dix-sept ans. Robert Gordon a raison d’insister pour dire à quel point cette tragédie a pu affecter les gens de Stax : Otis, le pilote Robert Fraser, le guitariste Jimmy King, le batteur Carl Cunningham, le saxophoniste Phalon Jones, l’organiste Ronnie Caldwell et le valet Matthew Kelly sont tous morts dans l’eau glacée du lac.

    S’ensuit un épisode tout aussi dramatique : en 1967, Warner Bros rachète Atlantic pour 17,5 millions de dollars, une offre qu’Ahmet Ertegun et Jerry Wexler ne peuvent refuser. Stax est obligé de trouver un autre partenaire. Le problème, c’est que Jim a signé avec Atlantic un contrat qu’il n’a pas lu. Jim fait confiance et c’est une grave erreur. Le contrat stipule qu’Atlantic - et donc Warner - est propriétaire des masters de la première époque, c’est-à-dire TOUS les hits Stax jusqu’en 1967. C’est-à-dire tout le travail de Jim, d’Estelle, de Steve, d’Isaac et de tous les pionniers. Jerry Wexler : «There was a clause whereby we owned the masters.» Ça veut dire que Stax ne possède rien. Stax ne perçoit que 15 % des royalties sur les ventes. En plus, Stax a financé TOUS les enregistrements. Ça ne coûtait pas un rond à Atlantic. Jim et Estelle étaient persuadés que leur travail leur appartenait. Mais avec ce contrat, ils ne sont que des sharecroppers, c’est-à-dire des métayers, comme les blacks des champs, ils n’ont rien. Ils bossent pour rien. Ce contrat que Jim a signé en 1965 est une catastrophe. Pour lui, la poignée de main a de la valeur. Pas pour Atlantic. Pour Stax, c’est la ruine et pour Atlantic, c’est bingo ! En signant ce contrat pourri, Jim a commis une faute impardonnable. Robert Gordon parle de corporate homicide. Dans son autobio, Wexler s’en sort comme il peut en affirmant qu’il n’était pas au courant de la clause. Il ajoute qu’il ne lit jamais les contrats. Il paye des avocats pour ça. Quand Wexler dit à Warner au moment du rachat qu’il faut rendre les masters aux gens de Stax, Warner répond : «No way. This is corporate property.» L’histoire est dégueulasse. Comment Jim, Estelle, Steve et les autres vont-ils pouvoir surmonter un coup pareil ? Pire encore, Sam & Dave sont sous contrat chez Atlantic et Wexler les récupère. Avec Otis, c’est eux qui faisaient les meilleurs ventes de Stax. Sam & Dave devaient TOUT à Stax. Mais Wexler dit que Sam & Dave ne sont qu’un prêt d’Atlantic à Stax. Pire encore : en les envoyant enregistrer à Muscle Shoals, Wexler brise leur carrière. La magie disparaît. Une vraie malédiction. Sam & Dave n’auront plus jamais de hits. Pour dire les choses crûment, Wexler tue Stax.

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    Mais ce n’est encore que le début des gros ennuis. En avril 1968, le Dr. King fait un discours depuis le balcon du Lorraine Motel et un blanc dégénéré l’abat d’une balle dans le cou. L’horreur. Non seulement c’est la fin d’une époque, mais le fait que ça se passe au Lorraine est insurmontable pour les gens de Stax, car c’est au Lorraine qu’ils faisaient leurs réunions du lundi matin. C’est au Lorraine que Steve et Eddie Floyd ont composé «Knock On Wood». Comme si on avait buté le Dr. King au 926 McLemore, où se trouve Stax. C’est la même chose.

    Jim revient sur tous ces événements tragiques. Après la mort d’Otis et celle du Dr. King, Stax n’était plus tout à fait Stax. Pour Jim, la première époque est ce qu’il appelle the pure time, le temps béni. Tout le monde s’impliquait dans cette aventure. «La boîte, c’était le studio, on enregistrait des chansons et tout le monde était excité.» Robert Gordon résume en trois lignes l’ampleur de cette tragédie : «La mort d’Otis et des Bar-Kays jeta un voile sur l’âme de Stax. La main basse que fit Atlantic sur les masters porta atteinte à la dignité de Stax. La mort de Martin Luther King blessa le cœur de Stax. Stax était en état de choc et son corps se refroidissait.»

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    Nouveau coup dur avec l’éviction de Miz Axton. Al Bell et elle ne s’entendent plus très bien. Al Bell doit faire évoluer Stax très vite, au plan corporate, et doit sortir Stax de la vieille structure familiale. Jim doit donc choisir son camp : sa sœur ou la boîte. Il choisit la boîte, car pense-t-il, beaucoup de gens en dépendent. Il faut donc racheter les intérêts de Miz Axton dans Stax. On lui verse 490 000 $ pour qu’elle se retire d’une boîte dont elle est co-fondatrice. Estelle ne se bat pas, c’est trop injuste - I decided to take my money and run - Le jour de la signature, on la voit sortir de la boîte qu’elle avait co-fondée la tête haute, son sac sous le bras, élégamment vêtue, une cigarette Parliament aux doigts. Miz Axton garde sa dignité. William Bell : «Quand elle est partie, on la suppliait de revenir.» Et il ajoute, les larmes aux yeux : «Oh noooo, our mother has left !» Robert Gordon conclut ainsi : avec son départ, the magic was gone. Beaucoup d’artistes disaient que l’endroit ne serait plus jamais le même. Et il n’est jamais redevenu le même. Le magasin de disques fut transformé en bureaux.

    Puis c’est au tour de Jim de jeter l’éponge. Après avoir vendu des parts de Stax à Gulf & Western, Jim et Al Bell cherchent un nouvel investisseur pour leur racheter ces parts. Gulf & Western revend bien sûr avec profit. Jim et Al Bel empruntent alors trois millions de dollars à Deutsche Grammophon. En six mois, ils remboursent l’emprunt, et versent un million de dollars supplémentaires pour se libérer de cet engagement. Jim n’en peut plus. Il voit que Stax génère du profit pour rien. L’ancien banquier voit bien qu’ils enchaînent Al Bell et lui les mauvaises décisions. C’est là qu’il jette l’éponge. Il veut vendre ses parts. Il ne veut même pas lire la paperasse. Al Bell négocie avec Columbia et récupère six millions de dollars. Il rachète les parts de Jim pour 2,5 millions de dollars et lui verse un bon salaire sur les cinq années suivantes avec un bout du compte un paiement final de 1,5 million de dollars le 3 janvier 1978.

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    Et malgré tout ça, Al Bell s’épuise à vouloir redresser Stax. Pour lui, les Staple Singers, Johnnie Taylor et Isaac représentent l’avenir de Stax. Il n’en démord pas : ce qui a été fait une fois peut être refait. Il est persuadé que Stax a conservé le plus important : les talents. Alors il invente the Soul Explosion ! Il sort en huit mois trente single et vingt-huit albums. Du jamais vu. Tout le monde s’y met, les MG’s, les Bar-Kays reconstitués, Rufus Thomas et Isaac avec Hot Buttered Soul. Pops Staples arrive chez Stax en 1968 avec ses Freedom Songs qui vont devenir des hits inter-galactiques. Sir Mac Rice compose «Respect Yourself» pour les Staple. Pops : «We want to sing about what’s happening in the world today !» Pops, c’est le Dylan du peuple noir et s’il débarque chez Stax, ce n’est pas un hasard. Johnnie Taylor, l’un des plus grands chanteurs d’Amérique, débarque aussi chez Stax, et ce n’est pas non plus un hasard, mon petit Balthazar. C’est même lui qui vend le plus, avec Isaac. Avec Al Bell aux commandes, l’argent coule à flots. Al Jackson conduit une Lincoln Continental, Steve une Buick Riviera et Duck une Excalibur jaune. Mais c’est Isaac qui donne à Stax sa nouvelle identité, et qui inaugure l’ère des concept albums, une ère dans laquelle vont s’illustrer Stevie Wonder, Marvin Gaye et Curtis Mayfield. C’est un nouveau marché. Il porte des chaînes en or qui symbolisent le pouvoir, alors qu’avant ces fucking chaînes symbolisaient l’esclavage. Isaac réinvente le black sexual power et fait passer James brown pour une drag queen. Isaac tombe toutes les femmes. Il les baise toutes, même les blanches. Les femmes sont folles de lui. Big crowds. Ça tombe bien, car Isaac ne vit que pour ça : les femmes. Avec Shaft, il inaugure une série de grandes BO de Soul Brothers : Superfly (Curtis), Trouble Man (Marvin), Black Caesar (James Brown), The Mack (Willie Hutch), Across 110th Street (Bobby Womack). Black director, black actors, black composer, c’est la fierté du peuple noir et tout cela grâce à Shaft et à ce démon d’Isaac. On le voit partout à la télé, en 1971, il a quatre albums de suite en tête des ventes, il roule en Rolls, il danse sur scène avec une femme au crâne rasé, il voyage avec son orchestre. Isaac devient l’un de ces monstre sacrés que seule l’Amérique peut enfanter. C’est Isaac qui renfloue Stax au moment du rachat des parts à Deutsche Grammophon. Pauvre Isaac, il cueillait le coton quand il était petit et maintenant, une pluie de dollars s’abat sur lui. Jusqu’au moment où tout s’évapore. Il perd tout, même ses copyrights. La tragédie continue.

    Stax est lâché par Columbia qui ne distribue pas les disques. Et l’argent ne rentre plus. Stax est en défaut de paiement. Alors les créanciers deviennent hystériques, d’autant plus hystériques que Stax est une boîte de blacks qui ont réussi, et ça dans le Sud, c’est très mal vu. En septembre 1974, Isaac traîne Stax en justice pour non paiement de royalties. Il réclame 5,3 millions de dollars. Al Bell le paye et lui rend ses masters, mais sur qui peut-il compter désormais pour redresser Stax ? Puis le fisc s’en mêle. Comme Stax n’a plus un rond, le fisc saisit les maisons. C’est le commencement de l’éviscération du Memphis Sound. Robert Gordon qui nous décrit tout ça est horrifié. Les créanciers finissent par obtenir la faillite par défaut de Stax, en décembre 1975. Stax ne doit que 1 910 $, ce qui est dérisoire, mais c’est une décision de justice. Il suffit de trois créanciers pour obtenir la faillite par voie de justice. Le 9 décembre, des mecs de la banque entrent chez Stax et lancent : «Vous avez quinze minutes pour quitter le bâtiment !». Al Bell n’en revient pas et il demande ce qui se passe. On lui rétorque que c’est une déclaration de faillite ! Al demande : «Combien ?», et le mec de la banque lui répond : «1 910 $ !» Alors Al lui dit : «Attendez, je vais vous les donner, je les ai dans ma poche !». Mais la procédure est enclenchée. Rien ne peut plus l’arrêter. On demande à Al d’indiquer l’endroit où sont rangés les masters. Le pire c’est qu’il n’a pas confiance dans cette équipe de sales mecs. Ils sont armés. Nasty nasty. Al va aux gogues se passer de l’eau froide sur le visage pour essayer de retrouver son calme. Un flic dit en douce à Al de se méfier, les mecs de la banque sont là pour le descendre. Al leur dit quand même qu’il ne se laissera pas intimider et demande s’il a le droit d’emmener quelque chose. On l’autorise à pendre une petite mallette en cuir et son répertoire téléphonique. Rien d’autre. On le fait passer par derrière. Al voit des blacks armés dans la rue. Il y a même une équipe privée qui filme la scène. Al est effaré. Il est escorté par des mecs armés. Soudain, un des mecs armés lui demande d’ouvrir sa mallette. Il comprend que c’est un piège et qu’on va prendre ce prétexte pour le descendre. Il jette la mallette. Il pense qu’il doit la vie à ce réflexe.

    C’est un peu le destin du peuple noir dans le Sud : on lui reprend tout ce qu’il possède à un moment donné. Pour eux, la justice n’existe pas et n’a jamais existé. Black people couldn’t get too high up without being taken down, nous dit Robert Gordon. Une société multimillionnaire gérée par un black ? No way. La banque finit par avoir la peau du nègre, et à lui filer la trouille en même temps. Vieux procédé. Al Bell perd son oasis de paix et connaît l’humiliation suprême d’être mis en joue, alors qu’il n’a commis aucun délit.

    Al rejoint la rue voisine de College Street accompagné d’un employé qu’il a appelé au secours. Il est sain et sauf et n’en revient pas. Ces maudits culs blancs dégénérés ont réussi à détruire Stax et tout ce que ça pouvait représenter. Robert Gordon : «Stax, l’esprit exubérant, la mission divine, la force de vie, the very deep Soul, la musique, Stax vient de mourir.»

    Ces maudits chiens galeux vont même commencer à démolir le bâtiment. Ben Cauley vient se planter sur le trottoir d’en face et joue un requiem sur sa trompette.

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    Il existe un pendant filmique de ce livre sur Stax, l’excellent documentaire Respect Yourself: The Stax Records Story sorti sur DVD en 2007. On a beau dire, un film vaut toujours mieux qu’un livre, dès qu’il s’agit d’un art aussi vivant que la musique. Ce docu est une véritable galerie de portraits : Jim Stewart (banker by day, fiddle player by night), Estelle Axton (school teacher et qui déclare : No colour. Only people. C’est magnifique). D’ailleurs le docu démarre là-dessus, Al Bell déclare : «You could come at the door at Stax and find freedom, harmony, music and no segregation.» D’autres légendes témoignent : Rufus Thomas encore en vie à l’époque qui se souvient de McLemore, Wayne Jackson, disparu lui aussi qui raconte : «La première fois que je suis allé dans un recording studio, I cut a Number one record and that was ‘Last Night’.» Eh oui, il jouait dans les Mar-Keys avec Steve Cropper, Duck Dunn, Packy Axton et Don Nix, des gens qui sont pour la plupart encore en vie. On voit aussi Jerry Wexler témoigner, il est très âgé, coiffé d’une casquette de marin breton et assez comique, à cause de ses grandes oreilles en chou-fleur. On salue le génie d’Estelle Axton qui faisait merveille dans son Satellite Record Shop. Elle savait ce qui marchait. Et le record shop devint le neighbourhood hangout. Tous les gens du quartier venaient y traîner. Et puis voilà le moteur de Stax, le black & white unit, unique à l’époque : Duck, Booker T., Steve & Al. On les voit jouer «Green Onions». Pure démence de la prestance ! Duck et Al font la loco. On va les revoir à deux reprises dans le docu : on les voit jouer ce cut magique qu’est «Time Is Right» sur scène dans les années soixante-dix : Steve et Booker T. échangent un extraordinaire regard de complicité. Comme on a pu rêver ado sur ce fabuleux thème mélodique ! Et à l’époque, Duck porte les cheveux longs. Puis on les retrouve dans une séquence de bonus, filmés live dans un petit studio. Il y accompagnent William Bell puis Eddie Floyd pour une version stupéfiante de «Knock On Wood». Duck est assis, il joue sur une basse rouge et la grosse main de Steve couvre tout le manche de sa guitare. Ils font partie des plus grandes légendes du rock, ne l’oublions pas. Et quand Otis arrive de Georgie et qu’il débarque à Memphis pour la première fois, les MGs l’accompagnent et on voit Steve passer un solo punk. Puis on tombe sur un spectaculaire spot vidéo couleur de «Respect». C’est Atlantic qui envoie Sam & Dave chez Stax. À l’époque Sam & Dave sont persuadés qu’ils sont cuits mais Isaac Hayes et David Porter s’occupent d’eux et Stax prend feu. Rien de plus hot que les hits Stax de Sam & Dave. On voit des extraits de concerts, ces deux mecs qui ne veulent plus s’arrêter et qu’on traîne de force dans les coulisses. Complètement hysterical ! Autre passage poignant : l’arrivée d’Al Bell chez Stax pour travailler avec Jim Stewart. Al se dit touché par le fait d’être respecté par un patron blanc. Et Rufus qui n’en finit plus d’enfoncer le clou de Stax : «Motown had the suits, Stax had the fun.» Puis tout s’assombrit avec la mort d’Otis et celle du Dr King (Room 306, Lorraine Motel). Alors Al Bell décide de réagir. Finger snap ! Le logo Stax ! The music refuses to die ! Le «Who’s Making Love» de Johnnie Taylor se vend plus qu’aucun autre hit Stax. Al Bell mise tout sur l’indépendance. Il lance 28 albums en même temps. Il y croit dur comme fer. Soul Explosion ! Ah il faut voir ça ! Hot Buttered Soul ! On sent toute la puissance de l’humanité de Memphis. Mavis témoigne elle aussi. Elle rappelle que Pops connaissait bien Al Bell - Pops was like a father to him - Et pouf voilà que Mac Rice apparaît, forcément, c’est lui qui écrit les patates chaudes des Staples ! Respect Yourself - If you don’t respect yourself/ Ain’t nobody gonna give a good cahoot/ Na na na na - Al Bell exulte : «We had a hit record !» Et puis après Wattstax, c’est la dégringolade. Stax coule à pic. Le label dépense plus d’argent qu’il n’en gagne. On revend la Cadillac en or d’Isaac et les manteaux de vison. La fin est horrible. Le rêve tourne au cauchemar. Et le pire, c’est qu’on a rasé McLemore, comme on a rasé Beale Street. Ah Memphis !

    Signé : Cazengler, Robert Gourdin

    Robert Gordon. Respect Yourself: Stax Records And The Soul Explosion. Bloomsbury Publishing 2013

    Robert Gordon & Morgan Neville. Respect Yourself : The Stax Records Story. DVD 2007

     

    Rev Party

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    Jonathan Donahue et ses amis de Mercury Rev ont bien marqué leur époque. Ils furent en quelque sorte des héros pour les amateurs de grande pop psychédélique. Ils rivalisaient de grandeur subliminale avec les Beatles du White Album et les Zombies. Un album comme All Is Deam se range dans l’étagère à côté du What’s Going On de Marvin Gaye, de Pet Sounds, de Forever Changes et de quelques autres albums parfaits. Beau comme un dieu, Jonathan Donahue incarne le rêveur moderne. On s’émerveillait à l’époque de le voir poser sa voix d’ange sur des fils mélodiques parfaits, alors qu’un plus loin un petit homme nommé Grasshopper rajoutait de l’enchantement en jouant au note à note des solos qui tendaient vers l’infini.

    Le parcours discographique de Mercury Rev n’et pas épais, mais il est assez varié et passionnant de bout en bout. Ils font partie des gens dont on attend des miracles.

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    Paru en 1992, Yerself Is Steam est considéré comme un swampy take on psychedelia. Grasshopper dit s’intéresser à l’époque aux drones de feedback et aux slow blues progressions de La Monte Young. Jonathan Donahue se dit très intéressé par l’avant-garde et les disques pour enfants. Il cite les noms de Tony Conrad, Terry Riley et Pierre Et Le Loup. Pop came last, dit-il. Pourtant, Yerself propose un sacré cut de pop, l’excellent «Chasing A Bee», véritable rêve de rock joué à outrance. Grasshopper montre déjà une belle disposition à entrer dans le lard d’un cut. C’est tellement beau que les bras t’en tombent. Avec ses invraisemblables percées de wah, Grasshopper vient viruler le laid-back vocal d’un Donahue en état d’extase avancée. Ils passent plus loin à la mad psychedelia avec «Friterring». Gratté à l’acou, ce cut préfigure Deserter’s Songs. Il développe un ruban de beauté, ce qu’on appellera plus tard le Rev Sound. Il leur faut sept minutes pour développer leur mad psychedelia. Cet admirable chanteur préraphaélite aux bras chargés de bracelets qu’est Jonathan Dohanue sculpte la beauté dans une falaise de marbre. Quelle merveille ! Le son semble visité de l’intérieur. Encore de la belle psychedelia avec «Syringe Mouth». Ils disposent alors d’une énergie considérable. On assiste à un fabuleux débat d’idées, à un grand déballage d’extases préméditées, Grasshopper se taille un chemin dans la jungle, yeah yeah yeah, ils cherchent des noises à la noise. Avec ce premier album, le Rev jouait déjà avec le feu, avec le doux et le dur, le riff d’acier et la voix d’ange déchu.

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    Un an plus tard, Mercury Rev se sépare du chanteur David Baker qui a la fâcheuse manie de quitter la scène en plein milieu du set. Boces est donc le dernier album du Rev sur lequel il chante. Pour Donahue, Boces est un peu l’album de la fin, au sens où un groupe devenu soit trop riche soit fauché n’a plus rien à dire. Ils reviennent à leur mad psychedelia avec «High Speed Boats», c’est même du pur jus de sixties swagger joué au trémolo devilish. Grasshopper monte vite en puissance. «Bronx Cheer» vaut pour une belle énormité. Ils nous claquent ça aux meilleurs accords de Rev. Les chœurs sont livrés à eux-mêmes et Grasshopper entre une fois encore dans le vif du sujet. Encore plus énorme, voici «Something For Joey». Quelle violence ! Une flûte vient faire la conne entre deux vagues d’énormité, c’est gagné d’avance, magnifico, demented à gogo, le Rev conquiert le monde avec une flûte. Du jamais vu. Si on aime le big atmospherix, alors il faut écouter «Moth Of A Rockette’s Kick». C’est une ode à la moth et à la rockette. Ils développent une fantastique ambiance, noient le cut dans un déluge de son, il pleut des cats and dogs, Donahue invoque les démons du Rev. C’est très spectaculaire et battu à la ferrure de pavé. Ce vampire de Grasshopper en suce la substantifique moelle et des chœurs de gamines viennent couronner le tout. Le Rev sait se montrer ahurissant. Ils jouent aussi «Trickle Down» à la folie douce. Ils se croient tout permis, alors ça gicle. Ils savent fourrer la dinde d’un cut. On assiste à des assauts de sauvagerie. On les prenait pour des gens pacifiques, mais ils nettoient la plaine au napalm de disto. On n’avait encore jamais vu ça ailleurs. Il faut aussi partir du principe qu’il se passe des choses étonnantes dans chaque cut, comme par exemple dans «Boys Peel Out» : voilà un cut très spongieux, joué au xylo et plein de swing. Ils pulsent ensuite «Downs Are Feminine Balloons» aux chœurs de pop pop pop qui rappellent ceux de Laurie Anderson et reviennent à la violence intermittente avec «Snarry Mouth».

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    See You On The Other Side est le premier album du Rev sur lequel Donahue prend le lead. Ils sont gonflés car ils ramènent des flûtes et des cors en pleine vague de Britpop. Donahue dit que cet album fragile et délicat est piétiné par l’armée des Huns, c’est-à-dire Oasis et Blur, à l’époque - We were so disconnected - Grasshopper dit aussi que les gens s’inquiétaient pour eux à l’époque, pas seulement à cause de leur musique, mais surtout à cause de leur consommation de drogues. Disons que ce magnifique album allume tous les lampions. Ils attaquent avec «Empire State», un cut de prog faussement progressif, joué dans la joie et la bonne humeur et qui tourne vite au festin de folie free. Le son déferle par dessus les toits. Le Rev est le champion du libératoire. Ils n’ont semble-t-il qu’une seule valeur : la démesure. Encore un solide zinzin de Rev avec «Young Man’s Stride». Ils rockent le shit du shook quand ils veulent. Grasshopper s’adonne une fois de plus à la violence extrême. Encore plus surprenant, voilà «Sudden Ray Of Hope», vieux groove d’élégance suprême éclairé par des éclairs de Rev. Ils électrifient le son à coups de crises, sans doute est-ce là une recette à eux. On ne se méfie pas et ça nous saute à la gueule. Chez eux, tout devient vite imparable. On tombe plus loin sur l’excellent «Racing The Tide» que Jonathan Donahue enlumine d’un I’m so closed et ça devient une sorte de rêve extraverti gorgé de notes de piano et d’excédents de lipides. Ils savent générer des richesses organiques. Ils connaissent tous les secrets de l’accélération des particules et ce démon de Grasshopper fout même le feu à la centrale. Quel démon ! Rien d’aussi intense que le Rev in full bloom avec un Grasshopper en maraude. Il est l’un des pires démons d’Amérique, il sait perforer le ciel, il va là où il veut. La fin de l’album est moins spectaculaire, mais on se régale quand même du groove psychédélique d’«A Kiss From An Old Flame» et ils tentent de singer le «Good Night Sleep Tight» des Beatles avec un charmant «Peaceful Night». Ils le font plus groovy, avec de l’orgue.

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    Quand ils enregistrent Deserter’s Song en 1998, ils ont clairement l’impression que c’est leur dernier album. Mais tous ceux qui connaissent bien cet album le considèrent comme l’équivalent moderne de Pet Sounds. Eh oui, Deserter’s et le suivant, All Is Dream sont des albums qu’on emmène sur l’île déserte. Ça grouille de coups de génie là-dedans, un vrai panier de crabes. Dès «Holes», on s’embarque tout seul pour Cythère - Time !/ All the long red lines ! - Ça commence comme ça. Jonathan Donahue chante à l’accent fêlé suprême - That flow into your dreams - On assiste à une fantastique extension du domaine de la chute existentialiste. C’est au-delà du beau. C’est le Rev. Back to the magic avec «Opus 40». Donahue lance sa merveille sur des pompes de violons, comme le firent les Beatles. Il chante au meilleur accent, again, et ça explose, aw my gawd, down the spine, Lord, by your side. Ça pourrait être John Lennon, car c’est un chant d’espoir. On reste dans le génie du Rev avec «The Funny Bird». Dès l’intro, on sait qu’il va nous bouffer tout cru. La voix de Donahue tombe du ciel comme la voix de Dieu. Sa voix s’éraille dans l’éclat azuréen. On est au sommet de l’art pop. Des vagues de beauté ravagent le paysage sonore avec un Grasshopper en franc-tireur, perché dans un arbre. C’est au-delà de tout ce qu’on peut attendre d’un hit de pop, c’est du what I want avec une tempête de Grasshopper, ils s’explosent là-haut sur la montagne. Ces mecs-là n’ont pas besoin de Phil Spector pour plonger la pop dans le chaudron des sorcières. On s’accroche à la rampe, en écoutant ça, comme si on franchissait le Cap Horn par une nuit de tempête. C’est un sonic storm exceptionnel. Pour les avoir vu jouer ça sur scène à l’Élysée Montmartre, on sait que les hits de Deserter’s valent tout l’or du monde. L’autre grand cut de l’album s’appelle «Endlessly». On a là une sorte de cauchemar mélodique souligné au thérémine. C’est effroyablement beau. Donahue chante d’une voix d’ingénue libertine, sa voix flotte dans l’air comme la mort. Il faut se pincer très fort pour échapper à cette incroyable expérimentation symphonique cousue de fil d’argent. Donahue hurle dans le néant. Ce mec est le Caligula des temps modernes. Il explose son «Goddess On A Hiway» dès le premier couplet et donne du fil à retordre à Cervantes. Grandeur et décadence du Rev. Leurs explosions sont des modèles du genre.

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    All Is Dream est sans doute leur album le plus spectaculaire, ne serait-ce que pour ces deux vers d’ouverture, dans «The Dark Is Rising» : «I dreamed of you on my farm/ I dreamed of you in my arms.» C’est d’autant plus poignant que Jonathan Donahue amène une chute philosophique : «But dreams are always wrong.» Fantastique invitation au voyage. Cet album propose l’un des plus gros shoots de symphonic psychedelia de tous les temps. Eh oui, «The Dark Is Rising» nous plonge dans une espèce de vertige hollywoodien. Donahue l’attaque au falsetto romantique, vite balayé par une trombe hollywoodienne, c’est le côté dur du Rev et Donahue revient comme la vague, à l’assaut du rocher. C’est un lécheur de lichen, un chineur de Lochness. Les nappes sont d’une rare violence - In my dreams/ I’m always strong - On reste dans le génie du Rev avec «Tides Of The Moon» - I wish you could see/ It ties you to me - Il chante de l’intérieur de l’hermaphrodisme, sur fond de tempête orchestrale extrême. C’est tout simplement imparable - I wish you could see/ It leads you to me - On a là toute la beauté suprême du Rev. En fin d’album, on tombe sur une sorte de triplette fatale : «You’re My Queen», «Spiders And Flies» et «Hercules». Donahue chante Queen aux abois du beat. C’est tendu à se rompre et monté sur des échelles de bassmatic. Avec Spider, on revient à la magie du Rev. Pas de retour possible - I can’t remember/ What was the season/ And what was the colour of your eyes - C’est beau à mourir. Donahue élève encore la pop du Rev au sommet de l’art, I can’t decide, c’est ça, exactement ça, le cool desire of death in your eyes. Il parle du souvenir qu’il n’a pas de la couleur de ses yeux. Et Grasshopper finit «Hercules» avec un solo de la fin du monde. On voit aussi Donahue prendre la mélodie de «Chains» à l’envers. C’est très spectaculaire, car construit sur des descentes par paliers dans les registres. Quel éclat céleste ! Ce démon de Donahue travaille ses chansons au corps, il leur brise les reins en les caressant, tout ce qu’il chante monte droit au cerveau, ça pschitte intensément. «Lincoln’s Eyes» sonne comme du saute au paf extrapolé et Grasshopper y hope plus que de raison. Ils gorgent aussi «Little Rhymes» d’adrénaline de Rev. On sort de tout ça épuisé mais ravi.

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    The Secret Migration rivalise de grandeur épique avec Deserter’s et Dream, même s’ils reviennent à des choses plus conventionnelles. Ils font de la pop, ils expérimentent. Donahue écrit à propos des oiseaux et des fleurs, et il se marre car il pense que les gens attendent plutôt des chansons d’amour. C’est dans la poche dès «Secret For A Song». Ça booste dans la stratosphère. Donahue sort sa plus belle voix sucrée de popster. Le Rev sait naviguer aux confins du réel. On a là l’une des plus belles psychedelias d’Amérique, avec les solos aventureux de Grasshopper. Ces mecs aiment la magie, de toute évidence. «In A Funny Way» fait partie de leurs plus belles chansons - On a summer day/ You can her call - On assiste à une fantastique cavalcade de bassmatic, Grasshopper éclate dans le cœur du cut et Donahue explose en plein ciel, oui, c’est du cinémascope - But in a funny way/ She reminds you of the fall - Même échappée belle avec «The Climbing Rose» : on en prend plein la barbe, quelle dégelée ! Grasshopper sort un solo chargé comme un Polonais un jour de paye. Super power ! Ça n’en finit plus d’exploser, ils montent sans cesse dans les étages. Leur génie consiste à mélanger le sucré de la pop avec le blast du power. «First Time Mother’s Joy» relève aussi de la magie. «Across The Ocean» est saturé de beauté, tellement saturé que le cut chevrote. Ce démon de Donahue attaque «Diamonds» par le côté, en biais. Il rentre par la tangente harmonique, avec des échos de dreams are always true. On lui fait aveuglément confiance. On aimerait qu’il existe des dizaines d’albums du Rev. «Diamonds» évoque la pureté de l’air d’un matin d’été. «In The Wilderness» renvoie à John Lennon, avec le power du Rev dans le dos. On les sent pressés d’exploser, mais ils négocient un retour au calme.

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    Snowflake Midnight va plus sur l’electro et se double d’un deuxième disk d’instros, Strange Attractor. Ils tentent d’échapper à cette pop qui ne leur convient plus. On retrouve dès le «Snowflake In A Hot World» la magie du chant de Donahue. On sent bien l’arrivée des machines dans le jardin magique. Mais l’electro finit par avoir le dessus et Donahue se fourvoie dans le beat de «Butterfly’s Wing». Il semble tenter le diable. Il tape à coups d’ailes de papillon. Dommage que le son soit si vulgaire. Puis on perd complètement la grandeur du Rev, même si dans «People Are So Unpredicable», Donahue essaye de se dédouaner des machines. Mais on ne se dédouane jamais totalement de Tanahauser et du marteau de Thor. L’affaire tourne au ridicule, on voit le pauvre papillon du Rev se heurter au pilon des forges synthétiques. C’est l’album raté du Rev. Ils n’ont strictement rien à proposer. Donahue le sait, deep inside his heart. Les gens attendent, tu sors un album et tu n’as rien à dire. Quelle déconvenue ! Donahue doit pleurer des larmes de sang dans sa cabane de jardin. Tout son univers s’est écroulé.

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    Avec The Light In You, il reprend ses esprits et chante comme l’ange Gabriel. Il nous propose avec «Queen Of Swans» une belle pop de pulsation rehaussée de coups d’harmo. On note aussi une belle progression harmonique dans «You’ve Gone With So Little For So Long». C’est extrêmement convainquant car beau, à l’image d’un panoramique olympien. Donahue redit son extase - Lying on your back/ How the sky fits in your eyes/ You will never know - Mais il est bien certain qu’avec une A pareille, ils ne parviendront pas à recréer la magie de Deserter’s Songs. La B sauve l’album avec deux cuts, à commencer par «Coming Up For Air», une pop très enjouée, même si les paroles refroidissent - My godness/ What was left of me/ Drove down the canyon to the sea - Il finit en dolphin - I took a ride after you left me in pieces/ Yes you did/ Yes you did - Fabuleuse mélancolie suicidaire. L’autre puissante merveille s’appelle «Moth Light» - If I was a moth/ I’d fly to the light in you - C’est délicieusement romantique - Let’s just give it one more try/ Ain’t got nothing to lose - Ils terminent avec un «Rainy Day Record» assez beau et monté sur un beat soutenu. Donahue envoie des clins d’yeux à tous ses copains, Wire, Thurston Moore, Elliott Smith, Terry Riley, Dream Syndicate et d’autres.

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    Jonathan le goéland se marre quand il parle de cet album paru en 2019, Bobbie Gentry’s The Delta Sweete Revisited - C’est comme si vous disiez à tout le monde que ces Technicolor guys from the Catskills vont reprendre un obscur album de country enregistré par une femme qui s’est retirée du showbusiness - Sans doute donne-t-il là la meilleure définition du Rev. Donahue pousse le bouchon très loin, car il ne prend aucun lead au chant. Il n’a que des invitées. Et quelles invitées ! Hope Sandoval vient chanter «Big Boss Man». Elle colle bien à la moiteur du Bayou. Elle sonne si juste. Derrière elle, ça joue à la petite éclate du Rev et ils se mettent à siffler dans l’orchestration. L’autre sommet de l’album est la version de «Morning Glory», avec Laeticia Sadier de Stereolab. Elle prend un mauvais accent grave à la noix, très pop, elle frise le sacrilège, mais elle finit par s’élever par dessus des toits et ça tourne à l’embellie. Suzanne Sundfor récupère «Tobacco Road». Toutes ces filles chantent un peu avec la même voix un peu putassière, comme si elles cherchaient à plaire, mais heureusement, le Rev veille au grain et monte le Tobacco Road en mayonnaise. Parmi les autres invitées, on trouve Norah Jones («Okolona River Bottom Band», mais voix trop mode, pas du tout Gentry), Carice Van Houten («Parchman Farm», chanté à la petite pression d’une chanteuse qui voudrait faire croire qu’elle a du caractère, mais heureusement Grasshopper part en maraude), Margo Price («Sermon», mais elle sonne comme une sorte de Vanessa Paradis). Ça remonte d’un cran avec Vashti Bunyan qui chante «Penduli Pendulum» comme une libellule. Elle renoue un peu avec le Rev. Le cut est même visité par les esprits. C’est extrêmement produit, au-delà de toute expectitude. Quand Beth Orton chante «Courtyard», on a presque envie de lui demander de la fermer. On se croirait dans un défilé de mode. Elles tentent toutes d’être plus intenses les unes que les autres et ça finit par fatiguer les méninges. On n’est pas là pour ça. La seule qui s’en sort bien est Hope Sandoval. Beth Orton gueule un peu trop. On trouve en bonus une version d’«Ode To Billy Joe» que le Rev confie à Lucinda Williams qui d’habitude ne déçoit guère. Mais elle le prend de haut. Sans la moindre sensibilité. Elle se sent obligée de gueuler, alors que ce n’est pas du tout l’esprit du cut. On l’a connue dans des jours meilleurs. Elle chante au tranchant, c’est une erreur stratégique. En vieillissant, Lucinda Williams a perdu tout ce qui faisait son charme. C’est catastrophique, car elle tente de passer en force, ce qui relève de l’hérésie.

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    Attentions aux albums des Harmony Rockets. On y retrouve bien Jonathan et Grasshopper, mais ce sont des albums de jammers. Paralyzed Mind Of The Archangel Void date de 1995. Le seul cut qu’on y trouve dure quarante minutes. Welcome in the void. On peut parler ici de psychedelia avancée et jouée entre amis. La voix de Jonathan est barrée, loin là-bas. Il faut vraiment adorer le Rev pour aller écouter ça. Skip Spence et Syd Barrett auraient adoré cet album.

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    Le quatrième album des Harmony Rockets s’appelle Lachesis/Clotho/Atropos et date de 2018. Ils semblent vouloir refaire le Floyd des origines, celui de Syd Barrett. Il faut écouter cet album de près. Comme l’indique le titre, il se compose de trois cuts. Avec «Lachesis», on se croirait revenu au temps béni d’«Astronomy Domine». C’est très ambiancier, très anti-commercial. On a là du gratté libre et délicat. Jonathan joue des Ondes Martenot. On entend ensuite Peter Walker gratter sa gratte dans «Clotho», mais il ne se mouille pas trop. Tous ces gens veillent à rester très psychédéliques. Ils sont obviously barrés comme Barrett, mais dans une autre dimension, la leur. C’est le mec de Sonic Youth qui bat tout ça si sec. Puis on voit «Clotho» basculer dans une heavy psychedelia hypnotique, bien drivée dans l’âme. Les violences deviennent surnuméraires, elles s’accumulent comme des comptes de trade. Ils terminent avec «Atropos», joué au getting de guetteur. Ils semblent guetter le groove du haut du gué. C’est assez magnifique. On entend les rumeurs dans les branches. Alors c’est gagné. Pur jus de gagné, profond et sans risque. Ils jouent à la guitare école, sans capote. Ça gicle dans la rosée du matin, loin des chancres et du system. Tout est beau, comme lavé à l’eau claire.

    Signé : Cazengler, Mercury Naze

    Mercury Rev. Yerself Is Steam. Beggars Banquet 1992

    Mercury Rev. Boces. Beggars Banquet 1993

    Mercury Rev. See You On The Other Side. Beggars Banquet 1995

    Mercury Rev. Deserter’s Songs. V2 1998

    Mercury Rev. All Is Dream. V2 2001

    Mercury Rev. The Secret Migration. V2 2005

    Mercury Rev. Snowflake Midnight. V2 2008

    Mercury Rev. The Light In You. Bella Union 2015

    Mercury Rev. Bobbie Gentry’s The Delta Sweete Revisited. Partisan Records 2019

    Harmony Rockets. Paralyzed Mind Of The Archangel Void. Big Cat 1995

    Harmony Rockets. Lachesis/Clotho/Atropos. Tompkins Square 2018

     

    L’avenir du rock

    - Le règne de Reigning Sound - Part Two

     

    Comme tout le monde, l’avenir du rock connaît des hauts et des bas. Il lui arrive de se lasser, non pas de la vie ou des femmes, mais du rock. Ce n’est pas qu’il perde confiance en lui et donc qu’il veuille prendre ses distances avec sa raison d’être, le rock, mais il lui arrive d’envier son collègue l’avenir de l’art. Ah comme il aurait aimé pouvoir se consacrer aux effervescentes émanations de l’expression picturale, il lui semble qu’elles requièrent autant d’espace mental que celles de l’expression mélodique, tous genres confondus, mais il devine qu’elles font appel à d’autres réflexes méthodologiques, par exemple ces ressorts qu’enfouit l’intellect au plus profond du dernier cercle. En vérité, ce que jalouse vraiment l’avenir du rock, c’est l’extraordinaire indépendance dont jouit l’avenir de l’art, car chacun sait que l’art ne doit rien à personne et ce depuis la nuit des temps et qu’il prétend plus facilement à l’universalisme qu’un rock empêtré dans ses modes et ses liens avec la littérature et le cinéma. Comme aimait à le fredonner notre cher Fumeur de Havanes, l’art n’a besoin de personne en Harley Davidson. L’avenir de l’art dispose en outre d’une énergie hallucinante, il est en perpétuel renouvellement, il est dans les rues, dans les esprits, dans les télévisions, il pourrait presque servir de modèle à l’avenir du rock. Alors, piqué au vif par un sursaut d’hyper-conscience, l’avenir du rock se précipite au sommet du mont Ararat et là, au milieu des éclairs et du tonnerre, il annonce à Dieu la naissance d’une nouvelle épiphanie qu’il baptise l’avenir de l’art du rock !

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    Il n’a pas l’air comme ça, le nouvel album de Reigning Sound - A Little More Time With Reigning Sound - mais c’est vrai qu’il ressemble à une œuvre d’art, et pas seulement à cause de la pochette. Musicalement, il revient par la bande et il remporte la victoire avec une bonne longueur d’avance. On a l’impression d’avoir entendu tous ces cuts dans les albums précédents, Greg Cartwright ramène le même son, le même enthousiasme et la même facilité à composer de très beaux cuts. Donc l’avenir lui appartient. Il nous ressert chaque fois le même shoot d’entertainment avec des chœurs de lads derrière, Reigning Sound signifie belle envolée ou tout ce qu’on voudra bien imaginer, mais l’idée de règne prévaut. Que ton règne arrive ! Son «Let’s Do It Again» sonne comme un hit judicieux nappé d’orgue par Alex Greene, toujours vert malgré l’âge. Le sound de Reigning Sound est d’une fraîcheur qui n’en finit plus d’en imposer. Peut-on encore parler de Memphis Sound ? Non bien sûr, puisque toute cette petite industrie s’est délocalisée, mais l’esprit est bien là. Les petits balladifs cartwrightiens de type «A Little More Time» et «Oh Christine» passent tous comme des lettres à la poste. Après les excès gaga-punk des Oblivians, le balladif est devenu le péché mignon du vieux Cart, il vise depuis longtemps la pulpe du lard et il s’en sort plutôt bien, car c’est un lard éculé par tant d’abus... Il n’a par contre rien perdu de ses vieux réflexes : son «I Don’t Need That King Of Lovin’» est bien claqué du beignet. On croirait entendre les early Groovies, à cause peut-être de la fraîcheur de ton et des dynamiques internes, qui sont d’ailleurs les deux mamelles de Cart. En B il redouble d’en-choo-choo-train avec «You Don’t Know What You’re Missing», petit shoot de pop-rock parfait. «Make It Up» sonne comme un hit de juke perdu dans l’océan des hits de juke. C’est un peu le problème des grands disques, ils finissent pas se perdre dans l’océan des grands disques. On en connaît tous des centaines, on peut même dire qu’il y en a à la pelle, c’est à la fois épuisant et réconfortant, ça dépend de l’état d’esprit du jour. Tu t’es levé bien luné, alors tu vois cette profusion d’un bon œil. Tu t’es levé avec la gueule en vrac, alors tu vois tout de travers et pfffff, un bon disque de plus ou de moins, qu’est-ce que ça va changer ? Il n’empêche que «Make It Up» incarne bien le power de l’ex-Ob, il le prend à la petite arrache, il l’emmène à la force du poignet, ce mec a toujours su s’imposer, depuis toujours, il continue de perpétuer cet art de big american rock. Il est même l’un des plus obsédés par cette tradition, avec Bob Mould, Chuck Prophet et quelques autres, ces mecs sont les derniers tenants de l’aboutissant, les derniers ténors du barreau, ils ont cette idée du big rock chevillée au corps et chaque fois qu’ils sortent un album, c’est une façon de dire : on ne lâche pas l’affaire, alors tu sors ton billet de vingt, il n’y a aucun risque, tu sais pertinemment que ça va être bien et même si ça reste du modeste rock underground, comme c’est ici le cas, tu te félicites de ton investissement.

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    Le vieux Cart rafle bien la mise en fin de B avec le spectaculaire «Just Say When» chanté à deux voix. On assiste à une brutale montée des taux d’adrénaline pop, le chant à deux voix envoie le cut valdinguer dans la magie et comme en plus c’est une grosse compo, ça te bilboquette le percuteur, c’est bourré de dynamiques internes, c’est d’une puissance qui en dit long sur la vision du Cart. Il vire au dylanex avec «You Ain’t Me». Ce clin d’œil au Dylan 66 est assez stupéfiant et puis voilà la cerise sur le gâteau : «On And On». Cette fois, ça y est, on est vraiment sur un big album, et même un very big album, n’ayons pas peur des mots ! Vert de Greene noie ça d’orgue et Cart nous déroule une fantastique ode à l’humilité - Happiness cannot be bought/ But you can purchase all the misery you want - Et là ce démon de Cart devient un géant parmi les géants, il claque sa chique en de mirifiques mécaniques atmosphériques.

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    C’est sans doute la première fois que Shindig! consacre six pages à Reigning Sound. Un événement ! Jon Mojo Mills commence par rappeler que le groupe n’a rien enregistré depuis sept ans et que, comme tout le monde, il s’est fait baiser pendant un an par Pandemic. Cart qui vit en Caroline du Nord raconte qu’il a monté Reigning Sound après le split des Oblivians en 2001 et qu’à l’époque, il commençait à composer pas mal de balades parce qu’il écoutait Gene Clark, les Everly Brothers, Doug Sahm, Del Shannon, Harry Nilsson, et ajoute-t-il, le premier Fairport Convention. Il prenait ses distances avec le gaga-punk et louchait sur les grosses compos. D’où le côté étrangement calme du premier Reigning Sound paru en 2001, Break Up Break Down, qui a l’époque a surpris tous les fans des Oblivians. Il s’agissait en effet d’un album raffiné, délicat et folky-folkah. La gueule qu’on tirait en écoutant ça... Globalement, Cart voulait sortir de la niche gaga-punk, il sentait bien qu’il fallait évoluer. Puis il est revenu au big sound avec Too Much Guitar avant de passer à la prod avec Mary Weiss, The Ettes et The Goodnight Loving. On l’a vu aussi jouer avec les Deadly Snakes, les Detroit Cobras, le ‘68 Comeback et les Tip-Tops. Autre side-project : The Parting Gifts avec Coco Hames des Ettes. Puis retour à Memphis pour enregistrer A Little More Time With Reigning Sound avec Scott Bomar. Cart précise que c’est enregistré live avec la formation originale du groupe.

    Signé : Cazengler, Ringard Sound

    Reigning Sound. A Little More Time With. Merge Records 2021

     

    Inside the goldmine - Mystery Lane

     

    Nous n’avions en tout et pour tout qu’un homard et un bidon d’alcool de contrebande pour célébrer Noël cette année-là. Et la fameuse permission de minuit. Nous nous étions mis tous les trois sur notre trente-et-un, dandys de la cloche de bois, décidés que nous étions à retourner la situation à notre avantage et faire, ainsi qu’on le dit communément, contre mauvaise fortune bon cœur. Cui-Cui portait son survêtement bleu clair lavé de la veille et Brahim une chemise à carreaux boutonnée jusqu’au col. De se retrouver assis tous les trois autour de la petite table en un moment aussi cérémonieux nous transperçait le cœur de bonheur. Nous rapprochâmes nos tasses que Brahim préposé au bidon remplit d’alcool et nous trinquâmes à la santé du petit Jésus en rigolant comme des bossus. Le visage si rond de Cui-Cui luisait dans la lumière blafarde et son rire perçant ricochait sur les murailles. Quant à Brahim, il semblait pour la première fois de sa vie s’abandonner aux joies de la bonne camaraderie. Son visage couvert de barbe et de balafres s’illuminait enfin. C’était un réel bonheur que de voir ses yeux étinceler. Pour cet homme dur, pour ce rescapé de l’enfer, c’était une façon d’exprimer sa confiance. Nous fîmes des manières pour nous répartir les quartiers de homard, Cui-Cui prenez donc la pince, Oh non, moi pas plendre pince, toi donner pince à Blahim, moi manger ventle, pendant que Brahim remplissait encore les tasses d’alcool avec un prodigieux sourire aux lèvres. Nous trinquâmes et nous trinquâmes encore. Cet alcool de contrebande montait droit au cerveau. Les murailles commençaient à chavirer et nous fûmes les trois pris d’une crise de fou-rire. Puis vint le moment des cadeaux. Cui-Cui extirpa de l’intérieur de sa veste de survêtement deux paquets qu’il nous tendit. Ils étaient enveloppés dans du papier journal. Brahim découvrit une bague sertie d’une pierre énorme qui devait être un diamant. Il refusa et voulut rendre l’objet à Cui-Cui, melci mon ami, c’est tlop beau pour moi, alors Cui-Cui insista, si toi plendre cadeau !, diamant du chef Ming, à Hong Kong, buté gang Ming, coupé doigt gang Ming et mis dans tlou du cul pour avion Flance, ha ha ha ! Alors Brahim passa l’anneau à son doigt et devint une sorte de prince de l’Atlas. Cui-Cui reçut comme cadeaux une barrette de shit de la taille d’une tablette de chocolat et un petit carnet rouge dans lequel il allait pouvoir écrire ses poèmes. Brahim qui apprenait à écrire reçut en plus du diamant du chef Ming un stylo-plume dont la plume dorée singeait l’or. Le petit paquet que me tendait Cui-Cui livra bientôt son secret : il contenait un CD. L’artiste s’appelait Mickey Lee Lane. Le visage cadré serré, il portait des lunettes noires façon Lou Reed au temps du Velvet et une longue mèche blonde lui ornait le front. Depuis lors, chaque année à Noël, en souvenir de Cui-Cui, Rockin’ On sonne les cloches à minuit.

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    Ce multi-instrumentiste new-yorkais qu’est Mickey Lee Lane n’a pas fini d’épater la galerie. Il démarre en 1957 avec de sacrées accointances (Alan Freed et Jerry Lee) et «Coffee And Toast», un solide bop rockab un peu pop, mais le beat derrière ne trompe pas. Mickey traîne au Brill, writing songs, knocking on doors, c’est la loi d’alors, tente ta chance, kiddy boy. Il frôle plusieurs fois le jackpot, puis c’est Bill Haley qui enregistre l’une de ses compos en 1960, «My Kind Of Woman». D’ailleurs, avec «Rock The Bop», il rend hommage à Bill Haley, his all-time favorite artist. C’est vrai que ce «Rock The Bop» a fière allure, Mickey sonne comme Gene Vincent à l’église, il swingue ça au beat rockab le plus pur qui soit ici bas, il y frise le génie à chaque instant, wow quel fan-tas-tique bopper ! Mickey se souvient aussi d’avoir tourné avec des tas de luminaries, Link Wray, the Isley Brothers, Neil Sedaka, the Four Seasons, Peter and Gordon, Paul Anka, les Coasters et combien d’autres encore ! Sa première version de «The Zoo» date de 1965 - Gimme the zoo by Mickey Lee Lane ! - belle dégelée d’énergie sauvage - Hey man what’s true - et il en refait une autre version en 1995, avec des cris d’animaux sauvages. Le coup de génie de Mickey c’est aussi «Shaggy Dog» qui sonne comme une petite descente aux enfers. Il swingue son bop à la bouche pleine. Il n’en finit plus de donner des leçons de bop («The Senor Class», «Night Cap»). L’autre coup de génie est bien sûr «Hey Sah-lo-ney», le mythic hey hey hey de Mystery Lane, c’est embarqué au pas-de-pitié-pour-les-canards-boiteux, il joue avec la main lourde du diable. Il amène aussi son «No Doofus» au wild cat strut. Ce mec a le génie du son, il groove dans la jungle avec des cris d’animaux. C’est franchement digne des Cramps. Encore une merveille indiscutable : «When It’s Rocking». Il drive ça en mode control freak. Et son «I’m Not Sure I Still Want To» monte vite en température. Ce mec gratte ses poux dans la lumière de sa légende, alors oui, I’m not sure ! On l’entend aussi pas mal rôder par en dessous («She Don’t Want To»), il peut se montrer très insidieux, c’est sa technique. Beware of the Lane ! Il faut le voir allumer son «Baby What You Want Me To Do», il a une patte, il gratte sa petite gratte et ça monte très vite en température. Il claque ses trucs avec les moyens du bord, mais ça tourne vite au wild de bonne compagnie. Même quand il fait du comedy act avec «Toasted Love», il ramène du big bass sound. Il chante «One And One Is Two» avec sa frangine Shonnie. Ils s’amusent bien.

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    Mickey est à cheval sur le cul entre deux chaises, mais jamais échec et mat. Il passe chaque fois comme une lettre à la poste, c’est ce qui le rend immensément désirable. Il raconte dans le booklet qu’à une époque il tournait tout seul et jouait tous les instruments sur scène. Même sa version de «Tutti Frutti» est bonne. Puis il va devenir ingé-son et en 1976, Artie Ripp l’engage chez Kama Sutra.

    Signé : Cazengler, Mickey Lee Larve

    Mickey Lee Lane. Rockin’ On. Roller Coaster Records

     

    *

    486... 507... 511... 515... 518... 525... vous ne comprenez pas ce que je fais, je le redis en anglais, Nowhere else... Mental hospital... Silence... You can't always get what you want... European slaves... The good all times... vous ne voyez pas, je vous l'exprime chronologiquement, Février... Avril... Mai... Juin... Juillet... Octobre... oui, ce sont les vidéos des Crashbirds que nous avons chroniquées en cette année 2021. Six vidéos en moins de douze mois, les esprits pointilleux rétorqueront, non cinq, only five, because la reprise des Stones date de 2011, eh bien non, chers comptables, six parce qu'ils viennent d'en sortir une nouvelle en ce mois de Novembre. Les lecteurs de la onzième heure s'exclameront : mais pourquoi tant de vidéos ! Nous leur répondons, GRAND A : parce que le covid pandémique a annulé les concerts ! GRAND B : depuis la levée de l'interdiction et l'institution du pass sanitaire ( ce mot qui contient le verbe taire ), les Crashbirds refusent de se livrer à la comédie de cet ausweis liberticide. Une attitude courageuse. Du coup dans leur chaumière bretonne, ils laissent libre cours à leur fantaisie...

    Excusez ma veine énumérative, mais cette fois ils ont changé de dimension, Henri IV... Henri V... Henri VI... Henri VIII... non Shakespeare n'a pas oublié Henri VII, évoque les conditions de son accession au trône dans Richard III, vous savez cette pièce où le roi Richard s'écrie : '' My Kingdom for a horse ! '', je pressens que certains sont perdus, le plus simple est de visionner l'opus :

    THE DEAD KING SON

    CRASHBIRDS

    ( You tube / Novembre 2021 )

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    Donc une vidéo. Non erreur fatale, pas une vidéo de plus, mais la suite d'une première vidéo, l'acte II aurait dit Shakespeare. Les Crashbirds ont adapté la leçon du grand Honoré. Balzac pour ceux qui ne sont pas de ses intimes. L'avait pris l'attitude de resservir les personnages de ses romans antérieurs dans le nouveau qu'il était en train d'écrire. Les Crashbirds ont adopté sa recette et l'ont adapté pour ce nouvel ouvrage. Souvenez-vous de The Good old times qui chantait les joies et les horreurs médiévales, non sans se permettre un léger clin d'œil à notre époque actuelle qui ne vaudrait pas mieux ( voir livraison 525 du 14 / 10 / 2011 ), mais ce coup-ci nous rentrons dans le vif de l'Histoire. La preuve, ils ont gardé le même décor, sous le même arbre le même trône royal, symbole et enjeu de toute puissance, d'ailleurs Pierre ne manque pas de s'y asseoir pour gratter sa guitare, c'est vrai que c'est un clip musical, mais enfin il oublie que le hérault ne raconte pas l'accession de Pierre 1er au siège suprême mais celle du fils du roi mort. Delphine, c'est-elle l'héraultine, parce qu'elle chantonne le récit elle connaît combien ces chaises royales sont périlleuses, aussi s'y risque-t-elle un tantinet mais point trop, elle préfère être la ballerine qui virevolte, la fofolle du monarque qui n'a aucune envie de risquer sa peau ( ce qui est très compréhensible car elle est déjà depuis le premier jour de sa naissance une reine de beauté ).

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    Quand le clip commence, le fils du roi occupe le trône. Quelle merveilleuse trogne de soudard affamé de sang et de crimes ! Et ce regard extasié avec lequel il inspecte d'un regard torve l'instrument de sa puissance, désolé chères lectrices, ce n'est pas ça, c'est son glaive moult ébréché dans les durs et longs combats, son âme frustre a du mal à mettre en ordre les séquences de sa vie, pense-t-il cet assassin à son père, ou, nous tombons-là dans les profondeurs les plus troubles de la psyché humaine, s'imagine-t-il vieillissant confronté à son propre fils ( d'assassin ) qui ne vaudra pas davantage que lui-même, nous côtoyons là des aspects insupportables des passions de l'âme. Le spectacle est si effrayant, qu'abandonnant son luth, Delphine préfère se plonger dans un antique livre d'images, qui hélas raconte la même histoire de laquelle elle essayait vainement de s'arracher, elle pousse alors des cris d'horreur à vous glacer les sangs, mais qui étrangement réchauffe la vigueur du fils du roi mort, quelle virilité dans sa manière de brandir son épée, une énergie que l'on pressent criminelle, qui pourrait s'opposer aux lois inéluctables des destins maudits, même pas Merlin – à sa barbichette blanche l'on reconnaît Pierre - l'enchanteur est désabusé il sait qu'il n'a pas le pouvoir d'arrêter le drame qui se prépare. Dieu merci, nous ne verrons pas le crime, Delphine nous le fait entendre, sa voix monte haut, plus fort que la Castafiore, et même plus fjord que la Castafiore car votre moelle épinière se congèle d'effroi, vous ne verrez qu'un poignard dégoulinant de sang, et la bouche ouverte en gueule de requin du fils du roi mort. Mais que se passe-t-il serions-nous dans un Hamlet revisité, les images obsédantes de son père bourdonnent-elles dans son esprit mélancolique, pourquoi Delphine pousse-t-elle ses hurlements de terreur, et pourquoi soudainement Delphine se met-elle à gambader tel un jeune poulain mené au pré, elle danse, elle sautille, elle tournoie, et s'immobilise tandis que Pierre bloque ses cordes pour mettre un point final à l'histoire.

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    Mais non le pire est devant nous. Le récit continue, mais il se tinte de philosophie. Et hop une petite danse guillerette, Pierre vous rythme une bourrée bretonne et Delphine se croit dans un dernier fest-noz. Une dernière image, sur le trône gît une marionnette abandonnée. Veulent-ils nous dire que les actions des misérables homidiens n'ont que peu de valeur, qu'il vaut mieux en rire qu'en pleurer. Que malgré ses drames, la vie ne vaut pas tripette, qu'elle n'est qu'une comédie. Une idée vous traverse l'esprit, devrais-je relire Shopenhauer, mais ce n'est pas fini, un chat s'est installé sur le trône, puis il saute de la chaise et disparaît, aurions-nous pénétré dans le rêve d'un chat ?

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    Certains lecteurs n'auront pas envie de remuer ces vastes interrogations en leurs méninges, qu'ils se contentent d'un regard esthétique, Pierre Lehoulier, Delphine Viane et Rattila pictures ont veillé à l'impact visuel, effets de lumières, bruyères mauves sur landes rousses, arbres centenaires aux formes étranges, nous voici transportés en Brocéliande, le tout magnifiée par le montage de Rattila Pictures, quant au pantalon vert de Delphine et sa veste en fourrure de guépard, elle vous hantera encore lorsque le dernier des rois aura été trucidé ( pour le bonheur de son peuple ) sur cette planète.

    Damie Chad.

    *

    Retour à Delphine Dora, deux œuvres, la première peut-être plus difficile. Mais rien n'est moins sûr.

    L'ESPRIT DU LIEU / LE LIEU DE L'ESPRIT

    DELPHINE DORA

    ( TITANIA TAPES / 2020 )

    ( Composition / Enregistrement / Mixage

    par Delphine Dora entre Décembre 2019Mai 2020 )

    Delphine Dora : voix, piano, piano préparé, clavier, synthétiseur, objets, field recordings, électronique.

    D'où un artiste tire-t-il son inspiration. Lui seul est à même de le révéler. Ce qui n'empêche pas le chroniqueur de se livrer à sa petite enquête. Il importe peu qu'il mette le pied sur la bonne piste, une fausse suffit si elle conduit à proximité de là où elle doit déboucher. Pour le moment nous délaissons cette notion de lieu, fût-il celui de l'esprit, nous nous contentons d'un maigre indice. Titania Tapes. C'est sur Bandcamp, un label cornaqué par Khan Jebane dont nous reparlons dans la chronique qui suit celle-ci. Ce dernier mois les USA ont vendu davantage de vinyles que de CD's. Ce retour au vinyl ne doit pas oblitérer la survie des cassettes. Quelques groupes, encore aujourd'hui, notamment en Californie, véhiculent leurs démos et leurs réalisations sur ce support fragile sur lequel il n'est pas facile de se repérer. Cette difficulté ( de localisation, si l'on y réfléchit ) induit à ne publier qu'un seul et long morceau sur chacune des deux faces. Titania Tapes ne produit que des enregistrements sur cassette. Leur catalogue est des plus réduits : huit réalisations à ce jour. La numéro 1 est de Golem Mécanique ( voir chronique suivante ) il est intitulé Maison Morte, la couve représente l'entrée d'une maison, porte ouverte, ce qui semble logique. Plus étonnant, les sept qui suivent offrent aussi des vues de maisons, extérieurs ou intérieurs. La numéro 2 de la série est celle de Delphine Dora. Un label qui n'affiche sur ses couvertures que le même type de lieu ( une maison ) et un opus nommé L'esprit du lieu / Le lieu de l'esprit. Voici d'étranges concomitances.

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    Face A : écouter cette face est difficile, non la musique n'est ni violente ni perce-oreille, mais il y a comme un problème, il n'y a rien. Attention cela ne signifie pas que vous êtes confronté à vingt minutes de silence, nous ne sommes pas chez John Cage, mais avez-vous réfléchi à la manière dont vous exprimeriez ( par exemple en peinture ) un lieu, je ne dis pas un endroit précis ( la Tour Eiffel, une maison hantée ) ou vague ( un coin de campagne, une rue ) non un lieu qui contienne tous les lieux, un lieu que vous décrivez, non pas un endroit qui pourrait servir de décor de cinéma, mais cette notion de lieu qui s'applique à tous les lieux. Les esprits rebelles s'insurgeront, pour que lieu ait lieu une présence humaine est nécessaire. Delphine Dora répond à cette objection : elle vous emmène au cinéma, elle triche un peu, un film sans image, elle est musicienne, elle n'a gardé que la bande-son, mais le son n'est pas très fort, le danger serait que l'auditeur visualise les scènes et reconstitue dans sa tête par exemple les meubles de la pièce qui ne sont pas expressément nommés dans le dialogue, pas trop de danger l'extrait de Zserelem est donné en langue originale, le Hongrois. Et la musique alors ? Toute douce. Discrète. Avec de légers arrêts. Pas une suite continue. Une voix lointaine, comme venue d'on ne sait où. Qui vient, qui croît, qui redescend. Qui se tait qui repart. Ne restent que des pépiements d'oiseaux et des notes de piano qui résonnent dans le vide, une voix qui chante comme si elle ne se souciait pas de l'instrument. Quand les notes atteignent une certaine densité la voix se rapetisse. Le film s'est arrêté depuis un moment, preuve qu'il n'était pas nécessaire, a servi de guide pour vous mener au centre du lieu, et le chant tourne autour de vous comme s'il voulait vous isoler dans le milieu du lieu, au milieu de rien. Peut-être faut-il faire l'expérience du vide pour saisir le lieu. C'est maintenant que surgit le bruit, des bruits, pas des pétarades, des tapotements, ne marcherait-on pas quelque part et ce bruit soudain de voix de quelqu'un qui parle, incompréhensible – exactement comme ces enregistrements que les chercheurs diplômés recueillent sur des bandes dans des lieux dits hantés ou bizarres – non nous ne sommes pas dans un film à frousse, mais il faut bien donner la parole à cette notion de lieu, en quelque sorte recueillir l'esprit du lieu, Dora ne chante plus, elle pousse de doux cris harmonieux, peut-être sont-ils semblables au chant du cygne qui se meurt, insistances prolongées d'orgue, tintements, le lieu se manifeste-t-il, la musicienne s'est-elle transformée en la voix du lieu, en l'esprit du lieu, est-ce elle qui est dans le lieu, où est-ce le lieu qui est en elle, des notes comme une pendule qui ne marquerait plus le temps mais le bruit du temps, des notes joyeuses scintillent, un bourdonnement les remplace, la-la-la, le moteur de la machine à avaler le temps ronronne. Plus rien. A-t-on touché l'esprit du lieu qui nous livrera le lieu.

    Face B : une voix, accompagné de sourds tambours, Delphine Dora lit. Des extraits de Vents de Saint John Perse. Nous devrions être dans le lieu de l'Esprit, mais l'esprit souffle où il veut, Vents est une épopée, celle de la partance, du désir de la race humaine de parcourir la terre, de fonder des civilisations qui engendrent les conquérants propres à entraîner leur peuple en une grandiose anabase. Cet élan de l'Homme à dépasser le songe des Dieux, Delphine Dora presque le chuchote, pose les mots telles des traces de pas sur les dunes qui prouvent que l'on est passé par là, que l'on est maintenant plus loin. Refus de se laisser enfermer dans l'immobilisme d'un lieu, car la terre entière est le lieu de l'Homme. Peu à peu la musique souffle plus fort comme si elle voulait effacer les vestiges de l'homme. Peut-être parce que l'homme se mesure aux Dieux, oubliant qu'il n'est qu'une chose périssable. Maintenant la musique imite le vent. Ritournelle, tout ne se vaut-il pas, les arpèges d'Haendel ou le bruit d'une roue de vélo. Tout n'est-il pas égal à zéro. Violoncelle funèbre pour accompagner Immer Dunkler de Trakl. Le poëte du déclin, Trakl et ses poèmes de l'enténébré, Trakl qui au travers des horreurs de la guerre de 14 a perdu confiance en l'Homme, ce qui ne serait pas si grave s'il n'avait pas surtout perdu depuis longtemps confiance en lui-même, la musique se gondole comme une roue voilée, elle meugle et mugit telle une vache qui a perdu son veau, gouttes de pluie et de tristesse, mélancolie, tristesse, toujours plus sombre, Trakl dont la lecture d'Heidegger a révélé que le regret de l'enfance perdue est celui d'une maison calme et bien chauffée sise au croisement de la terre et du ciel, des hommes et des Dieux, Georg Trakl est mort de cette perte irrémédiable, le lieu de l'esprit résiderait-il en ce carrefour métaphysique, ou en nous-même aussi inaccessible que l'ancien paradis, Delphine Dora prend la parole : il est temps de tirer un trait sur cette poésie inquiète et sa voix prend des couleurs, elle plaide pour un retour vers le réel, pas la grossière réalité des journalistes éparpillés aux quatre coins du monde, le lieu est en nous, dans le renouement à tout ce qui nous relie au monde et aux autres, elle ne le proclame pas, elle dit sans colère, sans emphase, le lieu est le réel, il est partout, il porte en lui les fragments du passé et il nécessite la restauration d'un ordre différent. Et la musique demanderez-vous. Elle est devenue, ce qu'elle a voulu. Pour une fois le son a transcendé le sens.

    Vents ( Saint John Perse ) / Immer Dunkler : ( Georg Trakl ) / Wintergang in a roll : ( Georg Trakl ) /Delphine Dora / Haendel : concerto para organo y orkesta N° 8, opus 7 ( Allegro 3 ) / Sylvia Hallet : roue de bicyclette tiré de Lumière aveugle III : in L'inattingible : Delphine Dora / Le Quan Nihn : ondes sinuosidales, extrait d'un workshop ENSA Bourges / Leila Bordreuil : violoncelle, Coïncidence tiré de Headflush

    Note 1 : C'est maintenant que l'on comprend le choix de l'extrait du film dans la Face A. ''Zserelem'' de Kàroly Makk signifie ''Amour''. Il relate le combat d'une jeune femme séparée dont la mari a été emprisonné ( nous sommes en 1954 en Hongrie ) qui raconte à sa belle-mère qu'il s'est enfui en Amérique où il commence une grande carrière dans le cinéma. Tout cela pour maintenir la vieille dame en vie et adoucir ses derniers jours. Cela lui permet de résister aux tracasseries policières dont elle est victime. La tendresse entre les êtres humains est présenté comme le dernier rempart contre l'oppression.

    Note 2 : Encore une œuvre ambitieuse. A écouter attentivement et à méditer longuement. Ces deux pistes de cassette n'expriment-elles pas la ligne de partage entre poésie et musique. Avec ce tour de force dans la A de faire de la musique le vecteur de l'inexprimable métaphysique de toute essence et dans la B de mettre en scène par le dire de la poésie le nihilisme de la poésie elle-même, le lieu étant positionné dans les îles de séparation et de convergence formées par le limon des deux fleuves, celui qui porte le son, celui qui charrie le sens, deux géants qui se combattent et s'entrelacent afin de mieux se séparer, pour mieux se réunir et recommencer leur infini manège. L'entre-deux n'étant que les îlots infertiles de ce que l'on nomme le réel. D'où la nécessité d'aller puiser de l'eau aux deux numinités créatrices pour rendre ces terres stériles habitables.

    IN ILLO TEMPORE

    Jolie Vue Festival

    ( Concert in Eglise de ST Saphorin / Suisse )

    ( 16 / 07 / 2021 )

    Delphine Dora : orgue et voix.

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    Effroi sacré : comment la petite poucette Delphine Dora arrivera-t-elle à ne pas se laisser manger par le vilain orgue ! Se confronte à un redoutable géant, vieux de plusieurs siècles dont la réputation sonore, religieuse et culturelle écrase tout sur son passage. Le combat est inégal, l'on comprend l'effroi que peut susciter une telle expérience. Un seul mot d'ordre, être soi, le seul moyen pour rester maître de cet instrument célestial et pompeux. Mais ne pas refuser la lutte, accepter d'entrer dans le cercle du sacré tracé sur le sol mental, et par ce geste d'acceptation chasser la peur humaine et la transformer en effroi sacré. Delphine Dora entre dans son propre défi, elle utilise l'orgue en catimini, un son qui vient de loin et qui perdure, un deuxième registre par-dessus, un peu plus cristallin mais de même niveau, Joue des tuyaux comme d'une flûte, elle chante, elle harmonise, elle glossalise, plus haut que l'orgue car il faut mettre le pied sur la nuque de la bête si l'on veut la vaincre, il est dessous et son timbre de fée psalmodie et domine le monde, il n'est plus qu'un mineur qui n'ose élever le ton, il a compris que le sentiment du sacré ne file pas la trouille, on ne l'entend pratiquement plus, il lèche le pied de cette voix flexible qui ne craint, ni lui, ni Dieu, ni personne, protégée par sa seule beauté. Litanie pourpre : n'empêche que l'expression ''effroi sacré'' sent un peu trop la liturgie christologique, la mention purpurale de ce deuxième titre fleure davantage le paganisme et le tapis d'ordalie, toujours cet orgue muselé très vite submergé par le chant, un cortège qui s'achemine avec lenteur, seules quelques notes parsemées surnagent de point en point, la voix s'est tue et l'orgue fait entendre sa plainte joyeuse, une brise légère pousse le radeau d'Ulysse, les prêtresses entonnent un péan en l'honneur d'Apollon, très doucement pour ne pas indisposer le Dieu Lycien, suivie de notes d'allégresse, le son s'étire de tout son long tel le python du sanctuaire, silence presque, impression de pas qui s'éloignent vers on ne sait où. L'Un primordial : Delphine Dora serait-elle parménidienne, à moins qu'elle ne pense à l'œuf germinatif de l'Éros, l'Un déplie lentement le lotus de la présence enfermée en elle même, les notes s'étalent tels de suaves pétales porteurs de l'immensité du monde, ils ne sont encore qu'à peine déployés, un peu de grandeur s'élève dans les notes finales, la voix n'a duré que quelques secondes, il est des spectacle auxquels on ne saurait ajouter... Cosmogonie étoilée : le son s'amplifie un minimum, ce que l'on entend porte un nom : la musique des sphères, sans doute roulent-elles à des vitesses inimaginables, mais les distances sont si grandes qu'elles paraissent avancer lentement, lors la voix s'élève pour traduire à nos pauvres oreilles de mortels l'harmonie suprême que leurs course grandiose émet. Time is the gift of eternity : musique plus sombre, les hindous disent que l'argent est la crotte de Brahma, il y a plus terrible encore cette éternité divine qui nous est accessible qu'en tant que temps, poison mortel que nous offre l'éternité, l'orgue élève la voix, est-il si sûr de sa victoire qu'il claironne, tout bas certes, mais il ne peut retenir son contentement, il ne parle pas, il verbiage, et lorsque nous défaisons l'enveloppe du cadeau empoisonné, l'on sent qu'il sourit, qu'il est heureux. La connaissance cachée : il existe sûrement une connaissance cachée, une illusion que les sages se passent de génération en génération, l'orgue chantonne avec bienséance, un peu comme s'il se retenait de rire à notre enterrement. Pneuma : le dernier souffle se confond-il avec le premier, notes solennelles, s'il n'y a de connaissance peut-être existe-t-il un secret. Non pas à percer. Percé depuis le premier jour. Un souffle de voix renaît des cendres de son silence, elle est la gaze sur la plaie, l'éosine sur le genoux de l'enfant. Elle souffle dessus et le mal disparaît. L'aube des temps : des notes comme des coups de pinceaux sur le matin du monde. L'orgue rayonne, mais en soleil timide, un sourire radieux de nouveau-né, qui prend son temps pour s'épanouir, les temps du grand-midi ne sont pas encore arrivés, l'astre déplie ses rayons bienfaisants un par un, une voix caresse les nuages roses de l'aurore, inutile de se presser, ces instants d'équilibre merveilleux sont trop rares pour que l'on hâte le pas, quelques notes d'allégresse contenues. Applaudissements. Retour à la réalité.

    Delphine Dora nous a conté la naissance du monde sans une seule fois avoir donné libre cours à l'ouragan des grandes orgues, elle a tenu le monstre en laisse, à peine s'il a eu la permission de murmurer mezza voce, en sourdine. Le piège était de répépiéger un ersatz de musique classique. Elle est au-delà. Elle est en elle-même. En un style de confluence de toutes les divergences. Autant alcyon dans la tempête que tempête autour de l'alcyon.

    Damie Chad.

    *

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    Deux cassettes parues sur le label Titania Tapes. La première de Golem Mécanique, nom de guerre musicale de Khan Jebane maître-d'œuvre du label Titania Tapes. Si sur la seconde le mot Golem est crédité d'un '' S '' c'est que Thomas Bell participe à cet opus. Thomas Bell est le créateur de Distant Voices : A contemporary space of artistic resistance & poetic resonnance dont nous reparlerons en une autre livraison.

    MAISON MORTE

    Golem MECANIQUE

    ( Titania Tapes 01 : sur Bandcamp )

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    Maison morte : bruissement de reptile répété, soupçon de bourdonnement, poème, récité en éventail, les lamelles se recouvrant, chant plainte, la mort est là, celle d'une maison, celle d'une enfance, celle de quelque chose qui a vécu, objurgation de pas dans le néant, une voix insistante appelant à entrer non par la porte sinon celle de la réceptivité du cœur et de l'esprit, parfois des éclats de bonheur, des vers dépareillés d'azur et de détresse, la maison est hantée, les voix se recouvrent, lorsque l'on a ouvert le ruissellement des présences qui tombent indéfiniment emmenant avec elles les fantômes d'un passé à jamais perdu, à jamais derrière la vitre des sens, sifflements insupportables, comme des reniflements de peurs, des bruits de fermeture éclair qui donne accès à une dimension improbable. Injonction de pleurs. Grincement de la grille rouillée des âmes enfuies qui se collent à vous en sangsues du désespoir. L'on ne sort pas indemne d'un tel enregistrement que les mots ont du mal à représenter. Ici les mots du poème sont intimement mêlés à l'objet sonore dont ils ne sont qu'un ingrédient, un peu comme dans la poésie classique les mots sont indissociables de la métrique formelle qui les porte. Virginie, souvenir de la maison défunte : bourdonnement suivi de stridences avec glougloutements par dessous de plus en plus forts, à la limite de devenir insupportables à des oreilles humaines de vivants, un moteur d'avion qui fore le temps, une voix de loin que l'on ne comprend pas, que l'on a du mal à entendre submergée par le vacarme du monde, elle chante, un disque usé, vrilles sonore, l'on aurait jamais cru que la mort puisse faire autant de bruit qu'une entreprise de démolition, la voix de ce qui ne veut pas mourir, qui est piégée dans les replis du temps, les décombres et les gravats, se fait plus forte, fontaine de didondaine didondon, la tutelle de la mort tue-t-elle, la mort est-elle morte, destruction implacable, la voix est devenue jappements de chiens, du moins se plait-on à l'entendre telle pour l'imaginer un bonheur simple, concassé, broyé, écrasé, réduit en poudre, barrissements de trompes, l'écho de l'ancien temps brouillé mais qui subsiste, que l'on noie sous des trémies de sable déversé, une autre voix funèbre surgit et disparaît, coups de masses ou claquements de talons hauts amplifiés, elle chante comme Gavroche sur la barricade du temps, elle éclate souveraine, claire comme de l'eau de roche, avant qu'un dernier assaut ne mette un point final à sa destruction à sa disparition.

    Peut-être plus difficile d'accès que la précédente à écouter ( play loud ) mais de ce tintamarre surgit une indéniable poésie. Tout cela à base de manipulations de bandes magnétiques, et de collectages, une poésie tissée à partir des débris du monde, construite afin de fracturer le temps. Par contraste total, nous conseillerions à l'auditeur de lire La vigne et la maison de Lamartine afin de mesurer les écarts et les béances du temps.

    BLACK METAL MASS TAPES

    ( Golem(s) mecanique )

    ( GOLEM mECANIQUE bANDCAMP /Avril 2021 )

    Golem Mécanique : electronic, tape, voice, redemption

    Thomas Bell : guitar, bass guitar, drum, voice, possession

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    Face A : Possession : une masse sonore qui fond sur vous et se stabilise, hélices d'avions en marteaux-piqueurs zébrées de déchirements de locomotives à vapeur, apaisement de quelques secondes le temps que surgisse une force menaçante ponctuée du trivial tintement grêle de ces sonnettes disposées sur les comptoirs afin d'appeler l'employé occupé ailleurs, bombardements et, plus inquiétante que ce déluge de fer et de feu, cette voix incompréhensible engluée et comme prisonnière de la tourmente sonore, du bruit comme des trompettes de garde et d'appels, chuchotements gutturaux insinués à votre oreille, est-ce le diable qui essaie de vous envoûter, hurlement pandémoniques, bruits horribles, la voix se fait présente, une pièce de monnaie sur le marbre d'un bar, résonances ineffables et insupportables, la voix plus claire devient tentante, feulement de bête visqueuse, bélier sur les portes de votre âme transformée en église du démon, chants rauques et lucifériens tambours victorieux, des lèvres douces sur votre tympan qui vous dispensent un discours de miel et de cauchemar. Face B : Adoration : harmonies tranchantes, une voix féminine erre dans ces ondées de guitares bruissantes et apaisantes l'on aimerait mieux saisir, juste un mot qui surnage '' néant '' peut-être une illusion imaginative, la douceur est maintenant remplacée par la voix rauque et masculine du démon, à laquelle s'enlace bientôt la féminine, non pas un dialogue, une lecture de litanies en latins, des contre-prières, des invocations... silence... assaut grandiloquent et monstrueux d'une instrumentation électrifiée, les metalleux adoreront cette déferlante sans pitié, est-ce l'éclat insoutenable du Mal qui hurle les soleils de la douleur et de la révolte de vivre, éclatements monstrueux de beauté, don spermatique de la vie exaltée en ses plus cruelles attirances, apaisement, nouvelle décharge sonore encore plus submergeante, borborygmes de vomissures, le serpent se complaît dans la l'ordure et la fange de la création, une guitare à vide et avide de dominance, la voix du prêtre récite l'absolution, celle angélique de la succube évoque les béatitudes bestiales, silence, grondement de tuyère, l'esprit du mal et du bien souffle où il veut. Ceci n'est qu'une interprétation.

    Deux morceaux assénés comme des uppercuts. Black metal et black beauty emmêlés.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    UNE TENEBREUSE AFFAIRE

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    EPISODE 08

    UNE INVITATION AU CINEMA

    Nous étions attendus. Le '' président '' n'était pas content, à peine avions posé le pied sur la première marche du perron qu'il nous houspilla, toutefois il me sembla qu'il était plutôt de bonne humeur. Derrière nous Molossa et Molossito la queue basse essayaient de faire bonne contenance.

    _ Alors les agents du Service Secret du Rock'n'roll sont fatigués ils s'arrêtent à l'hôtel au lieu de venir faire leur rapport, en plus vous abattez froidement une pauvre cliente qui se plaignait que vous faisiez du bruit !

    _ Pas du tout Monsieur le Président intérimaire, le Chef prit le temps d'allumer un Coronado, vos agents de la Défense du Territoire sont mal renseignés, elle empêchait le portable de l'agent Chad de sonner, alors que c'était votre personne qui nous appelait !

    _ Vous avez eu raison, si de simples citoyennes se permettent de se mettre au travers de la route du Président de la République, même intérimaire comme vous l'avez si opportunément rappelé, où va l'Etat, lorsque les intérêts vitaux du pays sont en jeu, il est interdit d'hésiter, je vous félicite pour votre réflexe, mais passons aux choses sérieuses, je vous invite au cinéma. Attention, c'est une avant première, le film ne sera rendu accessible à la population que pour les journaux d'information de 13 heures.

    L'avorton rentra dans la pièce, sans dire bonjour, il appuya sur un bouton et un grand écran se déroula sur le mur.

    _ Bien, prenons place mes chers invités chargés de chasser le fantôme de Charlie Watts, vous allez voir ce que vous avez raté en quittant précipitamment la soirée de la préfecture, évidemment nous avons effectué un montage à partir des différentes caméras de sécurité que notre service de Défense du Territoire a installées dans tous les lieux susceptibles d'accueillir des réunions politiques. Pour notre part nous avons suivi la soirée en direct depuis le début. Regardons, nous discuterons après.

    LE FILM

    Les conseillers entouraient le Préfet, ils entonnèrent la Marseillaise trois fois de suite. Manifestement ils ne connaissaient pas d'autres chansons aussi appropriées. Éméchés ils n'étaient pas en meilleur état que les cabots quand nous les avions quittés. La bouche pâteuse, une coupe de champagne à la main, le Préfet prit la parole.

    _ Messieurs je vous remercie, la route de l'Elysée nous est ouverte, qui pourrait nous arrêter ?

    _ Personne ! S'écrièrent tous ensemble les conseillers

    _ Oui vous avez raison ! Personne ! Pa même ce stupide fantôme de Charlie Watts !

    Les éclats de rire qui s'ensuivirent furent coupés net, lorsque la lumière s'éteignit. Sur l'écran on ne voyait plus rien, et puis sur un mur rayonna un point rouge, qui s'intensifia au fur et à mesure qu'il grandissait, il prit la forme d'un ibis rouge de plusieurs mètres de haut et devant lui se matérialisa le fantôme de Charlie Watts, souriant, autour de lui fusaient des cris et diverses imprécations, des bruits de galopades, certains profitant de de l'obscurité essayaient de se carapater, il y eut un '' ouf ! '' de soulagement lorsque la lumière revint, c'était trop tard Charlie Watts les attendait devant la porte, il avait fixé son masque de fer en forme de tête d'ibis sur son visage. Il claqua trois fois du bec et bondit sur la première victime qu'il égorgea sans préavis. Aucun n'en réchappa, Charlie Watts fut sans pitié, il en cloua quelques uns contre les lambris, quand ils retirait son bec les cadavres sanguinolents retombaient sur le plancher en position grotesque. Il avait gardé le préfet pour la fin, il lui arracha les yeux et le cœur qu'il déposa soigneusement dans un plat à petits fours. ( A mes pieds Molossa se pourlécha les babines ). Maintenant on n'entendait plus rien, silence de mort, il y eu un gros plan sur le bas des pantalons de Charlie ( Molossito remua la queue avec satisfaction ) il marchait en nous tournant le dos vers la silhouette de l'ibis rouge, qui diminua d'intensité, trente secondes plus tard elle avait disparu, Charlie Watts aussi.

    NOUVELLES INSTRUCTIONS

    Le Président était tout sourire.

    _ je reconnais que vous avez fait du beau boulot. D'abord ces vingt-sept jeunes gens, la France est glacée d'effroi, elle attend un sauveur, une poigne forte qui tient fermement les rênes de l'Etat et qui ne les lâchera pas. Ensuite vous vous éclipsez de la réunion du Préfet et hop une demi-heure après, le fantôme de ce Charlie Watts vient éliminer un prétendant à l'élection présidentielle, même le responsable de tous les services de Défense et Sécurité du Territoire – un semblant de sourire parcourut les lèvres de l'avorton – a reconnu qu'il aurait pu faire aussi bien, mais pas mieux. Je suis d'accord avec lui, avec son analyse et les conséquences qu'il en a tirées, mais je lui laisse la parole.

    L'avorton se leva et nous regarda fixement :

    _ Si vous n'êtes pas restés jusqu'à la fin de la réunion, c'est que vous saviez que le fantôme de Charlie Watts allait intervenir. Si vous le saviez c'est qu'il vous l'a dit. S'il vous l'a dit c'est parce que entre rockers il existe de facto une amitié et un service d'entraide. Donc voici les ordres : la tranquillité de la nation est en jeu, puisque vous êtes copain avec Charlie Watts, lors de votre prochaine rencontre, vous l'arrêtez et vous nous le ramenez ici. C'est tout simple, exécution immédiate !

    _ Oui, précisa le Président intérimaire, dès qu'il sera en prison, on profite de la colère populaire, j'organise dans les huit jours un référendum contre l''abolition de la peine de mort, et huit jours avant l'élection présidentielle on le guillotine, exécution immédiate, comme pour vous si je peux me permettre cette fine plaisanterie, Messieurs on ne vous retient plus, au plaisir de vous revoir vous et vos cabots avec Charlie Watts ficelé comme un saucisson ! Ah ! j'allais oublier, il serait bienséant de laisser dans la cour de l'Elysée la voiture de M. Lavor Tom que vous avez eu la délicatesse de lui emprunter.

    MARCHE TRIOMPHALE

    On nous fit sortir par une porte de service. Le Chef avait beau allumer Coronado sur Coronado, je le sentais inquiet, les chiens nous suivaient tandis que nous marchions sans but précis dans les rues de Paris.

    _ Chef, cet avorton est vraiment fort, il énonce des faussetés mais il retombe sur ses pattes comme un chat ! Quel chafouin ! Un concert d'aboiement s'éleva derrière nous.

    _ Agent Chad, je vous avais averti, ce n'est pas que j'ai toujours raison, c'est que je n'ai jamais tort, je... Un nouveau concert d'aboiements s'éleva encore une fois derrière nous.

    _ Holà, les cabotos du calme, ce n'est pas parce que j'ai prononcé une fois le mot chat qu'il faut manifester votre mécontentement, vous étiez plus sages à l'Elysée, vous n'avez même pas pensé à faire pipi en douce sur la moquette, ou mieux sur les chaussettes de l'avorton ! Manifestement vexés les cabots se turent. Pour recommencer aussitôt.

    _ Agent Chad ne nous laissons pas distraire, la situation est grave, je... Un concert de klaxons éclata derrière nous... pense que... au moins une trentaine de voitures klaxonnaient derrière nous... Agent Chad, occupez-vous de ce tintamarre, sans quoi je sors mon Beretta et j'envoie ad patres une douzaine de ces abrutis. Que voulez-vous Agent Chad, il y a des gens qu'il faut tuer pour leur apprendre à vivre !

    Je me retournais et n'en crus pas mes yeux. Certes une file d'une cinquantaine de voitures klaxonnaient, mais la cause était évidente. Molossito et Molossa s'étaient couchés sur la chaussée devant la première voiture, et l'empêchaient d'avancer malgré le feu qui était passé au vert. C'était un taxi qui tempêtait comme un fou derrière son volant. Je croyais qu'il était en colère mais lorsque je m'approchai je m'aperçus qu'il riait aux éclats. Je le reconnus, c'était Joël ! La portière arrière s'ouvrit et en sortirent trois joies filles, Noémie, Framboise et Françoise. Tous quatre rigolaient comme des tordus. Le Chef prit aussitôt la situation en main.

    _ Joël, montez sur le trottoir, oui, contre la porte cochère, bien, ils ne pourront même pas sortir pour se plaindre, ils sont bloqués, parfait, maintenant réunion de travail sur la terrasse de ce café. Garçon tout de suite, deux poulets rôtis pour ces chiens, ne me regardez pas avec des yeux de merlan frit, ils sont plus intelligents que vous ! Et vous Joël que faisiez-vous dans ce taxi.

    _ Les filles m'ont réveillé à cinq heures du matin, elles voulaient vous voir, j'ai volé un taxi, comme vous la Lambor, pour ne pas nous faire remarquer, j'ai imité la conduite de l'Agent Chad, jamais à moins de cent soixante, ça fait une heure que l'on tournait dans Paris, en comptant sur le hasard pour vous apercevoir, on cherchait une Lamborghini jaune, ne doit pas y en avoir des centaines dans Paris, l'on était arrêté à un feu rouge lorsque deux chiens sur le trottoir se sont mis à aboyer, vous connaissez la fin.

    _ Bien dit le Chef, la situation est grave, vous savez où nous sommes ?

    La réponse fut unanime :

    _ Oui Chef, dans le cul de l'ibis !

    A suivre...

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 525 : KR'TNT ! 525 : DESTINATION LONELY / CHIPS MOMAN / BURN TOULOUSE + SABOTEURS / St PAUL & THE BROKEN BONES / ROCKABILLY GENERATION NEWS 19 / LASKFAR VORTOK / CRASHBIRDS / GUY MAGENTA / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 525

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    14 / 10 / 2021

     

    DESTINATION LONELY / CHIPS MOMAN

    BURN TOULOUSE + SABOTEURS

    St PAUL & THE BROKEN BONES 

    ROCKABILLY GENERATION NEWS 19

    LASKFAR VORTOK / CRASHBIRDS

    GUY MAGENTA / ROCKAMBOLESQUES

     

    All the Lonely people

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    Tout est symbolique dans ce concert de Destination Lonely au Ravelin : relance de la noria gaga-punk après un an de silence étourdissant, rétablissement du contact avec un grand esprit disparu, ouverture du set avec un «Lovin’» qui ouvre aussi cet effroyable album qu’est Nervous Breakdown, resardinage dans un bar plein comme un œuf où respirer devient un exploit, il fallait bien pour synchroniser tout ça un son d’exception et boom c’est la barbarie sonique de «Lovin’» qui s’en charge.

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    Fils spirituels des Cheater Slicks, les Destination Lonely appliquent la même recette, deux guitares une batterie, avec une raison d’être : le blast gluant envenimé d’abominables fizzelures de wah. Lo’Spider mesure trois mètres de haut et crounche son cut comme le Saturne de Goya, ses dents étincellent dans le feu des spots, il love son «Lovin’» à la folie, il y met tout le désespoir du monde, il tape ça à l’hypertension, on n’aurait jamais cru ça de lui.

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    Puis ils vont enchaîner les brûlots, sans pitié ni remords, ces trois vétérans du gaga-punk inféodés à la pire engeance sonique des Amériques foncent dans le tas pour le plus grand bonheur d’une assistance littéralement engluée à leurs pieds. Burn Tooloose, c’est un fantasme qui prend ici son sens. Ça rôtit de plus belle avec l’«I Don’t Mind» tiré de l’album précédent puis ils enchaînent avec l’excellent ta-ta-ta de reins brisés, «Don’t Talk To Me» sorti en single, ils peuvent se payer ce luxe du tatata qui retombe sur ses pattes car le barbare Wlad joue bas et frappe à bras raccourcis, il y a du Bob Bert dans cet épouvantable démon.

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    Lo’Spider et Marco Fatal qui joue de l’autre côté se partagent le butin des cuts et il ne faut espérer aucun répit. Ils perpétuent la vieille tradition des sets gaga-punk qui ne font pas de prisonniers, comme aiment à le dire les commentateurs anglais. Et puis voilà cette version littéralement dégueulée d’«I Want You», chantée au cancer de la gorge avec des remugles de want you, ça coule avec des grumeaux de power et des molards de wah, pas facile de rendre hommage aux Troggs, mais leur sens aigu de la heavyness redore le blason du vieux symbole caverneux. Ils passent par une série de heavy blues envenimés, «I’m Down», «Waste My Time» et «Mudd». Ils bouclent ce set qu’il faut bien qualifier de surchauffé avec un «Gonna Break» victime de surtension et un «In That Time» dédié à Gildas et visité par des vents d’apocalypse.

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    Autant le dire tout de suite, les deux cuts qui ouvrent le bal de No One Can Save Me paru en 2015 sont des coups de génie : «Freeze Beat» et «Gonna Break».

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    C’est embarqué pour le Cythère des enfers aussi sec et c’est tout de suite explosif. Pas de meilleur moyen de plonger dans le bain, les deux guitares se mettent en branle pour une purée métronomique, avec des clameurs dans tous les coins. On comprend que ces trois mecs n’ont écouté que des bons albums. Ils aplatissent leur Freeze Beat dans un climat d’apocalypse. Le «Gonna Break» est du même acabit, c’est d’une violence peu commune, ça drive au plus près de la corde, ça dépote du naphta dans le gaga push, no way out, c’est leur mood, ils ne veulent pas qu’on s’en sorte, les solos flashent de plein fouet. On trouve un peu plus loin une autre monstruosité, «Black Eyed Dog», ils vont au fond du son avec de la ferraille en surface. On croyait que ce chaos génial était réservé aux princes du gunk punk américain, voilà la preuve du contraire, «Black Eyed Dog» dégueule bien. Lo’Spider le bouffe de l’intérieur avec un solo de renard du désert féroce et hargneux à la wah mortifère. C’est sur cet album que se trouve «Mud», le heavy blues que chante Marco Fatal, ils vont loin dans les méandres du mad muddy Mud, c’est screamé dans la meilleure tradition. Encore du trash maximaliste avec «Now You’re Dead», ils se payent même le luxe d’une petite escalade de trashcore. «Outta My Head» est vite embarqué au wild shuffle de gunk punk undergut, nouvel hommage aux princes du genre, ça file bon vent, ça fend la bise, ça te rentre dans la culotte et la wah revient te lécher la cervelle. Ils tartinent tant qu’ils peuvent, avec un Marco Fatal qui gueule comme un veau qu’on amène à l’abattoir. Il sent la mort dans «No One Can Save Me», alors il chante comme un dieu.

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    Paru en 2017, Death Of An Angel grouille aussi d’énormités à commencer par ce «Staying Underground» qui non seulement rôtit sous le soleil de Satan, mais qui perpétue bien la tradition du feu sacré, car là-dedans ça chante à la hurlette de Hurlevent. La guitare fait le sel de la terre. Retour aux enfers un peu plus loin avec «I Don’t Mind», et ça grésille dans le jus d’I don’t mind, ça hurle sur le bûcher, l’immense Lonely chante comme Jeanne d’Arc, c’est sûr, et les raids de guitare sont faramineux. On croit entendre une sorte de nec plus ultra de la folie sonique telle que définie par les Chrome Cranks, ‘68 Comeback et les Cheater Slicks. D’ailleurs, le «Dirt Preacher» d’ouverture de bal d’A est une cover des Gibson Bros. En B, on tombe nez à nez avec l’épouvantable «Only One Thing», tartiné de miel avarié, c’est un festin de barbarie primitive, ça grouille des finesses de licks, de petits phrasés indicibles, ça joue toujours dans le deepy deep du climaxing de watch me bleeding, alors on prie Dieu pour que tous nous veuille absoudre. Retour au purulent de basse fosse avec ce close to you de «Waste My Time», et toujours cette fabuleuse présence de la disto onctueuse et définitive, si bien calibrée dans l’écho de temps.

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    Attention, le Nervous Breakdown paru l’an passé est un gros album. A fat one. Pas seulement parce qu’il est double. Disons-le clairement : leur cover d’«I Want You» frise le génie purulent. C’est tout simplement le son dont on rêve la nuit. Même le «Lovin’» d’entrée de jeu vaut n’importe quel heavy sludge américain. Ils envoient une belle giclée de wah au plafond. Leur son lèche les bottes du diable. Tout sur cet album est joué au maximum des possibilités, surtout «Ann». Ils amènent leur morceau titre aux pires gémonies de génome, c’est inimaginable, ça riffe dans l’os de l’ox, ça blaste à gogo, ça vise l’ultra-saturation en permanence. On va de cut en cut comme si on sautait de brasier en brasier - Walking on gilded splinters - ces mecs transcendent l’idée du son en dignes héritiers de Ron Asheton et des anges déchus de l’underground. Ils flirtent en permanence avec le génie sonique pur. Même une balade incertaine comme «Day By Day» sonne comme un truc indispensable. «Je M’en Vais» est encore un baladif noyé dans l’écho du Voodoo et chanté en français. Dans sa petite pop de quand je t’ai dit que c’était pour la vie, il fait tout rimer en i, avec c’est fini, avec je n’ai plus envie, ils font du heavy Ronnie Bird de la fin du monde. Fred Rollercoaster blows «Sentier Mental» au sax et «Schizo MF» sonne comme un coup de beat in the face atrocement raw, big bad sludge hanté au ta ta ta. Ils écrasent «In That Time» au fond du fourneau avec du scream et des jus de guitare infects. Et soudain l’album décolle comme un immense vaisseau en feu, c’est extrêmement sérieux, bien investi, ça screame dans la matière du son avec des élongations de killer solo flash qui explosent toutes les attentes. Ces trois mecs ont avalé toutes les influences pour en expurger le prurit extatique, ça flirte avec la folie des Chrome Cranks, ça monte en intensité et le «Trouble» qui suit repart de plus belle, c’est du jus de déflagration, épais et noirâtre, ils sont dans l’excellence dévastatoire, ils jouent la carte du rentre dedans avec des killer solo flash qui n’en finissent plus de remettre toutes les pendules à l’heure. Ils tapent plus loin un heavy prog de six minutes, «Electric Eel», qui est aussi le nom d’un gang mythique. Ils s’amusent bien. Ils sont les rois du monde, mais ils ne le savent pas. D’ailleurs, ils s’en foutent. La wah prend le pouvoir. C’est un cut qui va longtemps te coller à la peau. Ils jouent dans un au-delà du son, ils jouent à la coulée du son, c’est quasiment organique. Certainement le meilleur hommage jamais rendu au wah-man par excellence, Ron Asheton. Ça dégouline de génie, ils jouent à l’esprit-es-tu-là. C’est la mouture ultime du son, la rédemption des oreilles, on les entend chanter dans la coulée, c’est comme s’il réinventaient le power, comme si pour eux la fournaise était un jeu. C’est la suite de Fun House avec du spirit et des voix, celles que Jeanne D’Arc entendit, même sur son bûcher.

    Signé : Cazengler, sans destination

    Destination Lonely. Le Ravelin. Toulouse (31). 18 septembre 2021

    Destination Lonely. No One Can Save Me. Voodoo Rhythm 2015

    Destination Lonely. Death Of An Angel. Voodoo Rhythm 2017

    Destination Lonely. Nervous Breakdown. Voodoo Rhythm 2020

     

    Le Moman clé - Part Two

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    Sort ENFIN un book sur Chips Moman : Chips Moman - The Record Producer Whose Genius Changed American Music. L’auteur on le connaît bien, c’est James L. Dickerson qui dans Going Back To Memphis nous racontait déjà l’épisode du redémarrage foiré de Chips à Memphis dans les années 80.

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    Dickerson, qu’il ne faut pas confondre avec Dickinson, pose sur Memphis le même regard que Robert Gordon, le regard d’une homme passionné par les artistes qui ont fait de cette ville le berceau d’un phénomène mondial qu’on appelle le rock’n’roll. Il utilise les mêmes méthodes que Gordon : il s’amourache des disques et s’en va rencontrer, quand ils sont encore en vie, ceux qui les ont enregistrés. Puis il rassemble tous ces portraits et nous donne à lire l’excellent Goin’ Back To Memphis, une somme qu’il faut ranger sur l’étagère à côté d’It Came From Memphis et de Memphis Rent Party (Robert Gordon), des trois tomes de Peter Guralnick (les deux Elvis et l’Uncle Sam), du Hellfire de Nick Tosches et bien sûr du I’m Just Dead I’m Not Gone de Jim Dickinson. Le héros de Dickerson n’est autre que Chips Moman et ça tombe bien, car il s’agit d’un vrai héros. La dernière image du livre nous montre Chips, sa femme Toni Wine et l’auteur assis tous les trois sur une balancelle, sous le porche de la Moman farm in Nashville, 1985. Cette image illustre bien la force du lien qui unit Chips et l’auteur. On peut aussi dire de ces pages consacrées à Chips qu’elles complémentent plutôt bien l’ouvrage que Ruben Jones a consacré au studio American et aux Memphis Boys (un ouvrage qu’on a d’ailleurs bien épluché dans l’hommage à Reggie Young mis en ligne sur KRTNT 403 le 24 janvier 2019).

    Le saviez-vous ? Chips portait une arme sur lui, un petit calibre 25 automatique fourré dans la poche arrière de son pantalon. Il l’expliquait ainsi : «Je sais me battre et prendre une raclée, mais je ne laisserai personne me buter. Si je tire, c’est pour buter celui qui voudra me buter.» Dickerson nous rappelle que Chips a collectionné les hits de 1968 à 1971 : 26 disques d’or pour des singles et 11 pour des albums. Avec American et les Memphis Boys, il a réussi à loger 83 singles et 25 albums dans les national charts. Joli palmarès pour un petit studio de Memphis. Il faut aussi savoir que Chips indiqua l’adresse d’une vieille salle de cinéma au 924 East McLemore à Jim Stewart et Estelle Axton quand il les entendit dire qu’ils cherchaient un local pour monter un studio. Il s’agit bien sûr de Stax. Ils formaient tous les trois une drôle d’équipe : Chips avec ses mauvais tatouages et ses réflexes de zonard (teenage vagabond), joueur invétéré (cartes et billard) et Jim Stewart le banquier aux manières bien lisses. C’est après leur brouille que Chips monte American et qu’il enregistre et produit une hallucinante kyrielle d’artistes, dont bien sûr Elvis. Chips dit d’Elvis qu’il n’était pas le plus grand chanteur du monde, mais il avait un son - J’ai travaillé avec des gens plus doués que lui, mais aucun d’eux n’était plus célèbre - C’est du Chips. D’aucuns disent qu’avec Chips, Elvis enregistra ce qu’il avait fait de mieux depuis le temps des Sun Sessions.

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    Quand Chips apprend qu’Elvis ne veut pas revenir chez lui à American et qu’il va enregistrer chez Stax avec les Memphis Boys, il décide de lâcher l’affaire, se sentant trahi, à la fois par ses musiciens et par la ville de Memphis. Cette nuit-là, il fit ses bagages. Le dernier client d’American fut Billy Lee Riley, avec «I Got A Thing About You Baby».

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    S’ensuit un épisode que Ruben Jones ne détaille pas trop dans sa bible : le retour de Chips à Memphis. Par contre, Dickerson peut entrer dans les détails car il en est l’artisan. L’aventure commence par une interview. Dickerson est journaliste. Il demande à Chips s’il regrette sa décision d’avoir quitté Memphis. Chips lui répond que c’était une grosse connerie. Depuis il a enregistré à Nashville, mais dit-il, my music is in Memphis. That’s where I learned it, that’s where I felt it - Puis Dickerson monte un projet fou : faire revenir Chips à Memphis en tant que héros de la scène locale, alors il mouille le maire Dick Hackett dans le projet. Hackett est intéressé et propose un bâtiment. Moman accepte de rentrer à Memphis et s’installe au Peabody, en attendant que son studio soit prêt. Il veut redémarrer avec un gros coup : la réunion des surviving stars of Sun Records. Et voilà que Jerry Lee, Cash, Roy Orbison et Carl Perkins radinent leurs fraises. Uncle Sam radine également la sienne. Memphis was ready to roll the dice. Chips met en boîte le Class Of ‘55 des Four Horsemen et à sa grande surprise, les gros labels font la moue. Ça n’intéresse personne ! Effaré, Chips voit revenir les réponses négatives. Ça sort trop de l’ordinaire. Ils ne savent pas comment commercialiser un tel projet. Le plus drôle de cette histoire est que les gros labels avaient dit la même chose à Uncle Sam en 1954. Invendable ! Alors Chips monte America Records avec des partenaires financiers et sort son Class Of ‘55 dont personne ne veut. Il décide à la suite d’enregistrer un nouvel album avec Bobby Womack pour MCA Records. Il tente aussi de proposer Reba &The Portables qu’il vient de signer à des gros labels, mais ça ne marche pas non plus. Womagic sort en 1986. C’est le troisième album que Chips produit pour Bobby qu’il considère comme l’un des géants de son temps.

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    Et puis un soir, Gary Belz qui fait partie des partenaires d’America appelle Chips. La conversation tourne au vinaigre et Selz traite Chips de mortherfucker. Chips raccroche calmement, monte dans sa bagnole et va trouver Selz au studio Ardent. Il entre et lui colle son poing en pleine gueule. Puis il lui dit : «Quand tu veux m’insulter, fais-le devant moi - You call me a name, you do it in my face.» La scène de Memphis allait ensuite retomber dans les ténèbres. Chips finit par refaire ses bagages et par retourner à Nashville. Son dernier round à Memphis fut un échec cuisant et Dickerson avoue en porter la responsabilité, en ayant été l’instigateur.

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    Dans Chips Moman - The Record Producer Whose Genius Changed American Music, Dickerson reprend bien sûr tout l’épisode du retour de Chips à Memphis et du pétard mouillé de Class Of ‘55, mais il développe un peu plus. Cette bio qu’il faut bien qualifier de solide comprend trois épisodes : les prémices, l’âge d’or et la fin des haricots.

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    Les prémices commencent à LaGrange, Georgie, d’où vient Chips, un surnom que lui donnent ses copains d’enfance, car il est doué au billard. Le surnom va rester (en réalité, il s’appelle Lincoln), ce qui ne lui convient pas trop - There have been a million times I wished I didn’t have it - Quand Chips s’installe en 1954 à Millington, en banlieue de Memphis, il fréquente les militaires de la base et flashe sur leurs tatouages. C’est là qu’il s’en fait faire deux sur le bras. Pour vivre, il repeint des stations services, mais quand Warren Smith lui demande de l’accompagner à la guitare, Chips saute sur l’occasion. En 1956 il devient pote avec Johnny et Dorsey Burnette. Quand Johnny décider d’aller rejoindre son frangin Dorsey à Los Angeles, il demande à Chips de l’accompagner et Chips ressaute sur l’occasion. C’est là qu’il va flasher sur un autre truc : la console de Gold Star. Pendant leur séjour, Johnny, Dorsey et Chips jouent dans des night-clubs. Nouvelle occasion faramineuse : quand Johnny Meeks quitte le backing-band de Gene Vincent, on demande à Chips de le remplacer. Chips ressaute sur l’occasion - The experiences of touring with Gene Vincent was light years away from his experiences in Memphis. There were no ‘normal’ days on the road with Gene Vincent - Mais nous n’en apprendrons pas davantage. En 1959, Chips et sa femme Lorrie rentrent à Memphis. Chips va trouver Uncle Sam chez Sun pour lui demander du boulot. Il parle de son expérience à Gold Star Studio et Uncle Sam lui demande ce qu’il y faisait, Chips répond qu’il jouait en session, alors Uncle Sam lui demande s’il a produit un disque, et Chips lui dit que non, mais il a vu comment bossaient les mecs de Gold Star. Et Uncle Sam lui répond : «Boy, producers are born, not made. Good luck.» Et c’est là que Chips embraye l’épisode Stax. On connaît l’histoire : Chips déniche la salle de cinéma au 926 East McLemore Avenue. Chips sait aussi qu’il faut cibler les black artists, comme l’avait Uncle Sam avant de cibler des blancs qui sonnaient comme les noirs. Puis c’est le décollage de Stax avec «Last Night» et les Mar-Kays, the hottest selling record in Memphis history. Avec les royalties de «Last Night», Chips se paye une baraque à Frayser, au Nord de Memphis, et une Triumph Leyland. C’est là qu’il comprend un aspect essentiel du biz : ce sont les compositeurs qui ramassent le plus de blé, pas les interprètes, ni les producteurs. Alors il va s’arranger pour avoir au moins deux compos à lui sur tous les albums qu’il va produire. Le premier compositeur/interprète que Chips engage chez Stax, c’est William Bell. Et puis un jour chez Stax, il découvre que Booker T & The MGs enregistrent dans son dos. Il est carrément exclu du projet d’enregistrement de leur premier album, alors qu’il est depuis le début le staff producer attitré. À ses yeux, ça n’a aucun sens, d’autant qu’il a fait décoller Stax, alors que Jim et Estelle bossaient encore à la banque. Chips sent qu’on cherche à le virer. Fin de l’été 62, il entre dans le bureau de Jim Stewart pour faire le point sur les finances. Jim lui dit qu’il n’a rien pour lui. Chips réclame ses 25%, alors Jim se lève et lui crache au visage : «I’m fucking you out of it !». Chips est sidéré. Wayne Jackson qui attendait dehors sur un canapé a tout entendu. Jim ajouta : «I fucked you et si tu peux le prouver, tant mieux, je suis le comptable et j’ai l’argent.» Chips est sorti du bureau en claquant la porte et n’est jamais revenu. Jim Stewart ne va pas l’emporter au paradis, comme on sait. Pendant un an, Chips se soûle la gueule. Grosse dépression. Il perd tout ce qu’il a : sa maison, sa bagnole. Il ne lui reste que sa femme et sa fille.

    Dickerson revient longuement sur la personnalité de Chips. L’homme a un charme fou mais en même temps, il souffre de bipolarité, d’où son incapacité à maintenir des relations dans la durée. Mais quand un médecin lui dit qu’il est bipolaire, Chips l’envoie sur les roses. Il ne supporte pas l’idée qu’on puisse le traiter de fou. Il sait qu’il n’est pas fou. Il veut juste trouver un moyen de contrôler ses changements d’humeur. Il tentera de se soigner à la cocaïne - self-medication - ce qui ne fera qu’empirer les choses. Quand après l’épisode Stax il reprend du service, il produit les Gentrys, mais le son ne lui plaît pas, trop rock, alors qu’il vient du rockab. Non seulement il éprouve une réelle aversion pour le rock, mais il ne supporte pas de voir jouer un groupe en studio dont les membres sont des musiciens amateurs. Ses préférences vont vers la Soul, la pop et le blues, certainement pas le rock. Petit à petit, Chips reprend des couleurs et commence à côtoyer de grands artistes. C’est Sandy Posey qui va le surnommer the Steve McQueen of the music business - He was good looking in that rugged Southern way, charismatic, drove a sports car and had his own airplane - Puis comme il l’avait fait pour Stax, Chips monte son house-band. Il engage des compositeurs : Mark James, Johnny Christopher et Wayne Carson Thompson, le mec qui compose pour les Box Tops. Chips sait que la chanson prime sur tout - The important part of producing is the song. If you get the songs, artists will do anything to be part of what you are doing. I got Mark James out of Texas. I got Dan Penn from Alabama - Quand on fait des compliment à Chips sur sa carrière de producteur, il veille à rester modeste : «Ça m’a pris des années pour comprendre qu’il n’y a rien d’extraordinaire là-dedans. C’est tout ce que je sais faire. Je me contente de réunir les meilleurs musiciens que je connaisse, les meilleurs compositeurs, les meilleurs interprètes, on entre en studio et on prend du bon temps.» Même Dickinson reconnaît que Chips est un fantastic producer, he can do business, which is why he was successful in Memphis while others were not - Mais en même temps, Chips passe son temps à éviter les journalistes. Il ne veut pas de publicité. Dans toute sa vie, il n’a donné que très peu d’interviews. Il ne voulait pas être the center of attention. Ça le fatiguait et ça ne lui correspondait pas. L’autre aspect de sa personnalité est la poisse, comme on va le voir dans l’épisode final du retour à Memphis.

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    Le deuxième épisode est celui de l’âge d’or d’American, qui d’ailleurs commence avec ce qui pour Chips est un cauchemar, l’album des Gentrys. Mais bon, ça lui permet de financer American et de monter son house-band avec Tommy Cogbill, Reggie Young, Gene Chrisman, Bobby Wood et Bobby Emmons. Chips qui est pourtant un bon guitariste dit que ces mecs étaient nettement supérieurs à lui - I’m not in their league - On appelle le groupe the 827 Thomas Street band qu’à Nashville on surnomme «those Memphis boys», un surnom qui va leur rester. Ils resteront d’ailleurs un groupe, jusqu’à ce que la mort les sépare : Bobby Emmons casse sa pipe en bois en 2015, Mike Leach en 2017 et Reggie Young en 2019. Chips rappelle qu’à une époque il avait de gros ennuis avec l’IRS et ses potes musiciens lui ont tout simplement proposé de l’argent pour l’aider à rembourser sa dette aux impôts - They are special people. Whatever I got is theirs if they want it. That’s the kind of relationship we got - Puis il y a l’épisode Dan Penn que Dickerson résume assez bien : ils ont la même allure, le même humour, la même façon de marcher, mais Chips ne considère pas Dan comme un chanteur qu’il pourrait enregistrer. Deux raison à ça : le caractère difficile de Dan Penn, his don’t-give-a-damn attitude, et le fait qu’il n’y a pas de demande sur le marché pour les blancs qui chantent comme des noirs.

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    Alors bien sûr, l’épisode American permet à Dickerson de lancer une fantastique galerie de portraits, à commencer par celui de Sandy Posey, puis voilà les Box Tops, l’occasion d’une grosse confrontation entre Chips et Dan - There was really kind of an antagonistic thing going on by this time, dit Dan à Peter Guralnick. Moman and I we’re opposites. If I said more bass, he’d put more trebble. I mean I’m overbearing myself but Moman is overbearing - C’est pour ça que «The Letter» est sorti avec ce son, parce que Chips se foutait de la gueule de Dan devant les autres, alors le son est resté cru. Fuck you kind of sound. «The Letter» fut pourtant the first No. 1 pop hit ever recorded in Memphis by Memphis artists. Dickerson rappelle aussi que Chips ne voulait pas des Box Tops en studio, seulement le chanteur Alex, et qu’il ne prenait pas non plus au sérieux les compos d’Alex, ce que le pauvre Alex vivait très mal.

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    L’un des épisodes capitaux de l’âge d’or d’American, c’est la venue de Wilson Pickett à Memphis. Wicked Pickett commence par composer «In The Midnight Hour» avec Steve Cropper, mais Jim Stewart appelle Wexler pour lui indiquer que Pickett n’est plus le bienvenu chez Stax - The singer was temperamental to the extreme - Pickett en voulait surtout à Cropper d’avoir rajouté son nom dans le crédit de Midnight Hour. Wexler laisse tomber Stax et envoie Pickett chez Rick Hall à Muscle Shoals. Mais Pickett qui est originaire d’Alabama n’est pas très content d’y retourner. La ville voisine de Tuscumbia est le quartier général du Ku Klux Klan. Et la population de Muscle Shoals est à 90% blanche, alors non, Wicked Pickett ne s’y fait pas. Arrive en renfort Bobby Womack, autre figure légendaire, assez mal vu pour avoir épousé la veuve de Sam Cooke aussitôt après qu’il ait été buté dans un cheap motel. Janis Joplin passa dit-on sa dernière nuit à picoler avec Bobby qui fut dans la foulée viré du backing-band de Ray Charles. L’inquiétude des mecs de Muscle Shoals à voir arriver Bobby et sa troubled history fait bien marrer Dickerson, des mecs qui ont en plus à gérer en studio deux explosive personalities. Wicked Pickett reviendra en 1967 enregistrer chez American, mais Chips n’est pas dans le studio. Il a eu du mal à produire Joe Tex et le seul black avec lequel ça s’est bien passé, c’est William Bell. Et comme Wicked Pickett a la réputation d’un mec difficile, aussi bien avec les blancs qu’avec les noirs, alors Chips n’assiste pas aux sessions. Il y a aussi de la tension avec B.J. THomas, l’un de ses artistes favoris - Artists are different. Some of them are singers, others are artists. Take B.J. Thomas. He was never a problem. he was a singer. (...) You would give him a song and he would sing his heart out - Un jour, B.J. et Chips ont une vilaine altercation. Dans une party, B.J. se goinfre de coke et revient trouver Chips dans son bureau pour lui demander où est le blé. Chips lui dit qu’il ne l’a pas, alors B.J. sort son couteau de chasse. Chips attrape un club de golf et se prépare au combat, mais B.J. est déjà sur lui et lui dit : «Si tu oses me frapper, tu es mort !». Bon bref, ça se termine bien, mais quand B.J. raconte l’histoire plus tard, il est horrifié à l’idée qu’il ait pu tuer Chips. Ce qui n’empêche pas Chips de le rappeler pour lui proposer d’enregistrer. Ce n’est pas qu’il pardonne, il oublie tout simplement l’incident. Il a des chansons pour B.J. et c’est tout ce qui compte. Dans la cabine, après l’enregistrement, Chips dit à ses amis : «You’re listening to one of the greatest singers in the world.» Pas mal, n’est-ce pas ?

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    L’autre épisode marquant de l’âge d’or d’American est celui de Dusty In Memphis, sur lequel on revient un peu plus loin. Dickerson rappelle juste que Dusty n’en pouvait plus d’entendre Wexler lui parler d’Aretha. Ça l’intimidait et ça lui foutait la trouille. Alors pour se venger, elle décida de contrarier Wexler - I drove Jerry crazy - Chips accepta de laisser son studio et son house-band à Wexler pour un tarif majoré et il quitta la ville. Quand Dusty entra en studio chez American, that was when the nightmare began for Wexler. Ce fut l’horreur Le jour où Wexler lui mit le volume à fond dans le casque, Dusty chérie lui balança un cendrier dans la gueule. Elle surnomma Tom Dowd «Prima-donna». Dionne la lionne est une autre méga-star venue chez Chips. Dionne est épatée par ce mec : «He’s a madman... but it was wonderful. We laughed a lot. And he knew what he was doing.» Et puis voilà Elvis. Dickerson nous ressort l’histoire des droits : le colonel Parker demande la moitié des droits des chanson de Chips et Chips dit non. C’est le premier qui ose tenir tête au colonel. La première semaine, Chips enregistre 21 chansons avec Elvis et après un break, 14 autres chansons. Chips le fait bosser, lui fait faire 20 ou 30 takes, et Elvis accepte, pas de problème, c’est un super-pro. En matière de charisme, Chips arrive aussitôt après Elvis, nous dit Dickerson. Les deux hommes s’apprécient. Chips s’aperçoit très vite que personne ne dirige Elvis. Le seul qui l’ait dirigé, c’est Sam Phillips. Depuis, rien, pas de direction artistique. D’où l’écroulement de sa carrière de chanteur. Chips est le seul qui ose parler de direction à Elvis, mais l’entourage essaye de l’en empêcher. Le colonel insiste : il exige la moitié du publishing de «Suspicious Mind». Chips se marre. Il ne cède pas. C’est la raison pour laquelle il n’a jamais pu retravailler avec Elvis. Dommage pour Elvis.

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    L’un des épisodes les plus sombres de la carrière de Chips fut le rejet des sessions de Jackie DeShannon pour Capitol. Bad luck. D’autant plus bad luck que les sessions sont reparues en 2018 (Stone Cold Soul - The Complete Capitol Recordings) et bien sûr, ce sont les meilleures sessions jamais enregistrées par Jackie DeShannon. Puis Chips tente de lancer la carrière de Billy Burnette, le fils de son pote Dorsey. Chips lui propose un contrat de chanteur/compositeur. Mais bon les échecs s’additionnent et Chips sent que le vent tourne. Il est temps de quitter Memphis.

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    Il remonte American à Atlanta en 1972 avec Bobby Emmons, Reggie Young, Mike Leach et Billy Burnette. Mais il se vautre. Il tente aussi de monter un label : Gibraltar Records. Il contacte Alex Chilton et Carla Thomas. Ça foire. Puis il s’installe à Nashville et tente de monter Triad Records avec Phil Walden, le mec qui manageait Otis et qui va monter ensuite Capricorn. Il prévoit de démarrer Triad avec Tony Orlando et surtout Robert Duvall qui enregistre en 1982 un album entier de country songs. Personne ne l’a jamais entendu. Chips n’a jamais réussi à le vendre à une major. Il bosse aussi avec The Atlanta Rhythm Section. Le succès revient enfin avec les Highway Men (Cash, Kristofferson, Waylon Jennings et Willie Nelson). C’est sur leur premier album qu’on trouve l’excellent «Desperados Waiting For A Train», repris par Jerry McGill.

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    Et puis voilà le troisième épisode de la bio, la fin des haricots. Chips réunit des financiers et envisage de recréer le prestige de Memphis, d’en refaire une capitale musicale. Le premier groupe qu’il signe est Reba & The Portables - This is the best group I’ve heard in years - Puis il commence à bosser sur des idées géniales : a Stax Records Reunion avec quatre des biggest talents. Puis il envisage an American Sound Studio Reunion. Troisième option : a Sun Studio Reunion et c’est celle qu’il choisit. Jerry Lee, Roy Orbison, Cash et Carl Perkins, avec en plus Uncle Sam qui assiste à la conférence de presse de lancement du projet. Pour Chips c’est du quitte ou double : il se retrouve assis sur un podium avec ses idoles, des idoles qui n’ont même plus de contrat ! Chips enregistre Class Of ‘55, mais aucune major n’en veut, ni à Nashville, ni à New York, ni à Los Angeles. La poisse ! Il le sort quand même mais la presse le flingue : one of the five worst albums of the year. Chips enregistre encore Womagic avec Bobby Womack, Womagic, et c’est à peu près tout.

    La chute est horriblement triste. Il est acculé à la faillite et perd de nouveau sa maison. Toni White le quitte. Comme il saute à la gorge d’un mec pendant son procès, il est condamné à 72 heures de placard, où on l’oblige à dormir sur un matelas tâché de sang. Dans les années 50 et 60, Chips avait joué le même rôle que Sun et Stax qui ont fait de Memphis a music city with a worldwide reputation. Quand on lui a demandé de revenir pour rétablir le prestige de Memphis, all he got was a public media lynching. Dickerson pense que Chips a été victime du Memphis curse, comme Elvis et Stax.

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    En dehors du travail de bénédictine de Roben Jones (Memphis Boys) qui raconte aussi dans le détail l’histoire de Chips, peu d’ouvrages s’appesantissent sur Chips Moman. Parmi les quelques auteurs qui l’ont approché - ou essayé de l’approcher - citons Warren Zanes et son excellent petit essai intitulé Dusty In Memphis, paru dans la collection 33 1/3. Chaque volume propose l’analyse d’un album classique. Dans son essai, Zane évoque la saga de l’enregistrement du fameux Dusty In Memphis. Cette opération artistico-médiatique menée par Jerry Wexler en 1968 fit connaître l’American studio de Chips Moman dans le monde entier, d’où son importance capitale. Même si à l’époque l’album n’a pas marché commercialement, on aurait tendance à le considérer aujourd’hui comme l’un des greatest albums of all time.

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    L’auteur n’est pas un amateur. Avant de finir prof de fac, il jouait dans les Del Fuegos. Il explique très bien pourquoi cet album acheté un dollar chez un soldeur l’a touché au point de vouloir lui consacrer un livre : il parle d’a particular piece of vinyl acheté par a particular person at a particular time. Il parle d’une relation qui s’établit dans le temps entre l’objet et l’auditeur. Il parle plus de l’expérience d’un disque que du disque lui-même. Il raconte comment il est immédiatement tombé sous le charme de «Son Of A Preacher Man». Comment n’y tomberait-on pas ? Il ajoute qu’il est difficile de résister à un cast of characters qui comprend Randy Newman, Gerry Goffin & Carole King, Burt Bacharach & Hal David, plus Barry Mann & Cynthia Weil, c’est-à-dire la crème de la crème du gratin dauphinois. Mais plus que tout autre character, c’est le Sud qui fascine Zane, ce petit mec de Boston, et il place en exergue cette jolie phrase tirée d’A Boys Book Of Folklore : «In the North, young men dream about the South. The more discriminating among them slide down the darkness and go straight to Memphis.» Voilà, le décor est planté. Et qui voit-on apparaître ? Stanley Booth, Dickinson et Chips Moman, la trilogie fatale. Fascination totale pour Stanley Booth qui a écrit les notes au dos de la pochette de Dusty in Memphis. Aux yeux de Zane, Booth est à l’image de Memphis, il peut devenir le contraire de ce qu’il semble être à tout moment - He won’t hurt you, but he might get strange - Il est à l’image d’un cliché de William Eggleston : banal, figé, saturé de couleurs vives et chargé de menace latente, de violence imminente. Il rencontre Booth grâce à Jo Bergman qui bossait pour les Stones à leur âge d’or et qui se retrouva chez Warner à l’époque où les Del Fuegos étaient sur le label. Elle établit le contact et quand Zane accompagné de trois copains débarque chez Booth au cœur de la nuit, Booth les fait entrer. Il ne dort pas, il travaille. Il compte les têtes et dit qu’il lui reste exactement le bon nombre de trips d’acide dans son frigo - We should probably eat it now before it goes bad - Zane note au passage qu’à part ces doses, il n’y a rien dans le frigo. No food.

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    Pour écrire son livre, Zane doit traquer Jerry Wexler. Est-il vivant ou mort ? Il passe par Andy Paley qui est un homme de ressources. Bingo, Andy connaît bien Wexler car ils siègent ensemble au comité du Rock’nRoll Hall of Fame. Ils ont d’ailleurs tous les deux refusé de nominer Springsteen, arguant que les Meters étaient tout de même largement prioritaires. Donc Wexler est vivant. Andy lui file le contact d’un Anglais qui réédite les albums d’Eddie Hinton et grâce à lui, Zane récupère deux adresses, l’une à Long Island et l’autre en Floride. Il écrit. Et puis un jour le téléphone sonne. Une voix rauque, un big accent new-yorkais : «This is Jerry Wexler calling for Warren Zanes.» Contact établi. Wexler demande à Zane s’il veut d’autres contacts. Et pouf, il balance les numéros de Chips Moman, de Tom Down, d’Arif Mardin, de Donnie Fritts.

    Alors Jerry raconte à Zane ce qu’il a déjà raconté dans son livre, The Rhythm And The Blues : le jeu des 80 démos qu’il fait écouter à Dusty et Dusty qui les rejette toutes - Out of my meticulously assembled treasure trove, the fair lady liked exactly none - Quand Dusty revient quelques mois plus tard écouter d’autre démos, Wexler ne se casse pas la tête : comme il n’a rien de neuf sous la main, il en sort 20 dans les 80 déjà testées et les fait écouter à Dusty chérie : banco ! Elle prend tout !

    Zane sort un autre épisode fascinant, tiré d’une histoire de Dickinson. On soupçonnait les gens d’Atlantic de se faire du blé sur le dos des studios du Sud. Un soir, Wexler se retrouve dans une party avec Sam Phillips et d’autres gens, dont Stanley Booth. Après le repas, Wexler essaye de passer son disque d’Aretha, mais Sam Phillips l’arrête aussitôt pour passer son disque de Tony Joe White. Sam ne passe qu’un seul morceau, toujours le même, «Got A Thing About Ya Baby». Over and over. Alors Wexler s’énerve : «Sam ! Baby ! You know I’m really hurt that you’re not listening to my Aretha record, baby !» Il essaye de remettre son disque et Sam l’arrête encore une fois. Il remet le Tony Joe et lance : «Goddam Jerry, that’s so good it don’t sound paid for !» Et vlan, prends ça dans ta gueule. Et Dickinson ajoute qu’il a souvent souffert de n’être pas payé. Et soudain, il comprend que l’arnaque fait partie de la production.

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    Zane n’en finit pas de rappeler que Wexler a consacré sa vie à la musique noire. Qu’il est viscéralement passionné par les musiciens noirs. Zane repêche encore une fabuleuse histoire dans The Rhythm And The Blues : Wexler raconte comment lui et Ahmet on découvert Professor Longhair dans une bourgade mal famée à la sortie de la Nouvelle Orleans. Il arrivent dans un tripot et entendent de l’extérieur un vrai ramdam. Mais quand ils entrent, ils ne voient qu’un seul musicien, Fess : un homme qui joue ces weird chords, qui utilise le piano comme une grosse caisse, and singing in the open-throated style of the blues shouters of old. «My god» I said to Herb, «We’ve discovered a primitive genius !». Croyant lui faire une fleur, les mecs d’Atlantic proposent un contrat à Fess qui répond en rigolant qu’il vient de signer chez Mercury. Voilà les racines d’Atlantic. Une magie qu’on retrouve à Memphis. Dans le cours des pages, Zane cite David Ritz, Peter Guralnick et Robert Gordon. Toujours les mêmes. Il n’oublie personne. Par contre, il consacre très peu de place à Dusty chérie, qui comme Wexler est fascinée par le Deep South et la musique noire. Chuck Prophet dit dans une réédition de Dusty In Memphis qu’elle ne se lavait jamais le visage, puisqu’elle se remaquillait par dessus l’ancien maquillage. Wexler confirme que Dusty passait chaque matin des heures et se maquiller - That was virtually an exercice in lamination - L’image est forte, Wexler parle de laminage, c’est-à-dire d’étalage de couches.

    Et ça se termine avec une interview loufoque de Stanley Booth. Quand Zane revient sur l’exploitation de Stax, de FAME puis d’American par Atlantic, Booth répond que personne ne savait lire un contrat chez Stax : «Ils durent apprendre quand le succès arriva, mais il était trop tard.» Et quand Zane lui demande quels sont ses cuts préférés sur Dusty In Memphis, Booth répond «Just A Little Loving» et «Breakfast In Bed», mais il ajoute que les versions de Carmen McRae accompagnée par les Dixies Flyers sont meilleures.

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    Alors bien sûr, à la lumière de cet éclairage, Dusty In Memphis sonne différemment. On retient surtout les quatre énormités que sont «I Don’t Want To Hear It Anymore», «The Windmills Of Your Mind», «In The Land Of The Make Believe» et «No Easy Way Down». Avec «I Don’t Want To Hear It Anymore», on voit que Dusty chérie fait ce qu’elle veut des compos. Elle semble moduler la splendeur du son. C’est là qu’on s’écroule dans un océan de béatitude, tellement elle chante bien. Elle fait grimper la mélodie du vieux Randy au sommet de l’art. Encore pire avec «The Windmills Of Your Mind», où elle tente de rivaliser de power avec le Vanilla Fudge. On entend Reggie Young jouer Brazil, c’est très audacieux. La voix de Duqty chérie semble voler comme une libellule dans une belle lumière rasante de printemps. On voit le niveau d’orchestration s’élever à chaque couplet, jusqu’au moment où Dusty s’en va arracher la beauté du ciel. Le génie visionnaire de Chips éclate dans le bouquet final. Elle revient à Burt avec «In The Land Of The Make Believe», ça jazze dans l’eau claire du lac enchanté. Rien d’aussi pur dans l’exercice de la délicatesse. C’est Dusty chérie dans toute sa splendeur, elle chante à la pointe de la glotte sur le fil d’argent d’une irréelle beauté mélodique. Reggie Young joue un peu de sitar. Memphis groove. Retour au slow groove avec le «No Easy Way Down» de Goffin & King. C’est la garantie d’une mélodie irréprochable. Dusty chérie y descend comme on descend dans l’eau verte d’un lagon, au paradis des tropiques. Admirable prestance. Dusty chérie pensait que l’idée de Jerry Wexler d’aller enregistrer à Memphis n’était pas bonne. Elle disait faire du big balladry, et non du hard R&B sound. C’est Reggie Young qui introduit «Son Of A Preacher Man» et Dusty chérie le chante à la suave. Quel coup de génie ! On découvre alors en elle une sorte d’immense vulnérabilité. On note aussi une fantastique émulation des Memphis Boys dans «Don’t Forget About Me». Il faut entendre Gene Chrisman lancer le beat et Tommy Cogbill le pulser au bassmatic. N’oublions pas ce chef-d’œuvre de deep Soul qu’est le «Breakfast In Bed» d’Eddie Hinton, qu’on trouve aussi sur l’album de Carmen McRae enregistré avec les Dixie Flyers.

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    Dans In My Wildest Dreams - Volume One, Wayne Jackson remercie quatre personnes en particulier : Estelle Axton, Jim Stewart, Chips Moman et Jerry Wexler. Il salue surtout le génie de Chips. American ? Si Chips a choisi un quartier pauvre pour s’installer, c’est uniquement parce que ça coûte moins cher. Jackson est là quand Elvis débarque avec tout son entourage chez American pour enregistrer la fameuse session. L’auteur raconte comment Chips réussit à virer ces pauvres mecs de RCA qui mettent leur grain de sel partout. Il prend le micro et s’adresse à l’assistance : «Soit vous produisez la session, soit je le produis. But somebody’s got to go ! Réfléchissez et faites-moi savoir votre décision.» Tout le monde est choqué, surtout Felton Jarvis : quoi, un producteur ose quitter une session avec Elvis ? Mais Jackson sait que Chips finit toujours par gagner. C’est Elvis qui va trancher après avoir tiré sur son cigare. Il passe son bras sur l’épaule de Felton Jarvis et lui dit : «Listen man, I really like the way this is going. Chips is doing a great job and it’s the greatest bunch of musicians I’ve ever been around. So let’s do this thing this way and keep it going. This song, In The Ghetto, it’s the best thing I’ve had my ands on in a long time and I can’t wait to sing it. Why don’t you boys just go out to the house and leave Red here with me. I’ll bring the tapes with me when I come home so we can have a listen. But right now don’t break my groove, man ! I need to be working, so let’s get in on here.» - And that was that. Fabuleux épisode.

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    Il faudrait aussi évoquer l’autobio de Bobby Womack, Midnight Mover - The True Story Of The World’s Greatest Soul Singer, mais ce ne pas utile de charger la barque. Elle risque de couler.

    Signé : Cazengler, Chips Momie

    James L. Dickerson. Chips Moman. Sartoris Literary Group 2020

    James L. Dickerson. Goin’ Back To Memphis. Schirmer Books 1996

    Warren Zanes. Dusty In Memphis. Continuum Books 2003

    Dusty Springfield. Dusty In Memphis. Atlantic 1969

    Wayne Jackson. In My Wildest Dreams. Volume One. Nashville 2007

    Roben Jones. Memphis Boys. The Story Of American Studios. University Press Of Mississippi 2010

     

    L’avenir du rock - Burn to lose

     

    Bernard pivote vers la caméra :

    — Chers amis, nous recevons cette semaine dans Apostruffes un invité de premier choix puisqu’il s’agit de l’avenir du rock. Avenir du rock, bonsoir...

    La caméra pivote vers l’avenir du rock qui hoche la tête. Puis elle repivote vers Bernard.

    — Contrairement à tous nos invités, vous ne publiez rien, mais vous jouez un rôle considérable dans l’extension du domaine de la lutte des cosmogénies para-culturelles. La possibilité d’une île, est-ce là une utopie, avenir du rock ?

    — L’utopie n’est pas tant dans le topo...

    — Vous voulez dire qu’elle s’ancre dans le sable mémoriel comme s’ancrent les piquets de tente ?

    — Pas du tout. Vous m’avez interrompu. Qui plus est, vous raisonnez à Anvers. Vous n’y êtes pas. Gardez-vous des tropismes du Cancer. Je suis là pour vous parler de l’underground... Down to the underground... En deçà des fondations des fonds à Scion, en deçà des cavités professorales et des entourloupes cadastrales, vous devez faire l’effort de comprendre que la vie grouille sous cette grande pierre... C’est là que se trouve la vraie vie, la vie qui mord, la vie qui pique, la vie qui rampe, la vie qui vit, la vie qui luit, la vie qui meurt, la vie qui dort, la vie qui mange, la vit qui chasse, la vie qui boit, la vie qui chie, la vie la vie, l’avis des autres, la vie cruciforme, l’avirond qu’est pas carré, la vie Tess d’Uberville, l’avi Maria, la vie nègre, la vie tupère, la vie d’ordure, la vie au long sur les toits, la vie d’ange...

    — N’oubliez pas les ratons lavoirs...

    — Vous prévertissez mon propos. Vous m’êtes donc redevable. Aussi allez-vous devoir répondre à une devinette. Êtes-vous prêt, Bernard ?

    — Je vous écoute, avenir du rock.

    — Un fan plus un fan, ça donne quoi ?

    — Fanfan la tulipe ?

    — Non, un fanzine et son lecteur. La clé magique de l’underground.

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    Francky Stein fait un fanzine qui s’appelle Burn Toulouse et un groupe, Saboteurs. Les deux sont extrêmement inspirés. L’album se récupère bien sûr de la main à la main et c’est ce qui fait sa valeur. Rien n’a plus de valeur que le troc underground. Les Saboteurs ne cachent rien de leurs influences : punk anglais, rockabilly et Sonics, l’album est un vrai festival de coups de cœur, puisqu’on y trouve deux reprises des Sonics, «Have Love Will Travel» (belle dégelée) et «The Witch» en B, bien torché, chanté au dark side of the boom. Ils prennent des faux airs de punks anglais pour taper l’«Astro Zombies» des mighty Misfits. Ils ont un sens aigu de la clameur. Ils tapent aussi le «Bad Man» des Oblivians au raw & brave, toujours avec ces clameurs dans le son. Et puis il y a ce fantastique «Here Today Gone Tomorrow» des Ramones, à la fois gaga et mélodique, méchant pourvoyeur de frissons et extrêmement bien envoyé. Ils restent dans les Ramones avec l’«Havana Affair» et le dotent d’une petite pointe anarchisante. La surprise vient du «Saboteurs» en ouverture de bal de B, joli shoot de rockabilly punkoïde, bien pulsé du beat, suivi d’un «6 Feet Underground» lancé au dark de cemetary et repris au beat rockab. Ces mecs ont de vaillants réflexes, ils savent cueillir un menton. Ils chantent «Moon Over Marin» à l’anglaise et balancent pour finir une version vicelarde de «Sweet Little Sixteen». Vicelarde ? Mais oui, bien wild et bien rockab, avec tous les développements ultra expected et une fabuleuse flambée d’énergie en prime. Wow, dix fois wow !

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    Francky a choisi le format poche pour Burn Toulouse, la Ville morose. Format de poche, c’est-à-dire l’A6, celui qui entre dans la poche arrière du jean. Les couvertures des numéros double zéro et triple zéro se débrouillent bien toutes seules. Elle n’ont besoin de personne en Harley Davidson : Cinéma & Rock N Roll, Punk, Underground, Surf, ça annonce bien la couleur, spécial Dick Dale pour le double zéro et Tom Waits & Iggy Pop pour le triple zéro. 28 pages et deux choses : un, dès l’édito, Francky annonce que son zine est fait à la main, sans adjonction d’ordi. Deux, tous les textes sont manuscrits comme ceux de Lindsay Hutton dans son fanzine, c’est du très haut niveau calligraphique. Chaque page est dessinée, illustrée à la volée et en prime, le sommaire ressemble à un festin royal : Dick Dale, Detroit Cobras, Mouse & The Traps, Damned et des tas d’autres choses à découvrir. Alors on part à la découverte de Silly Walk, avec une belle petite double illustrée par un portrait encré du groupe. Francky raconte leur histoire d’un ton badin. Bienvenue dans le confort douillet de l’underground spirit. Silly Walk nous dit Franky vient du fameux silly walk des Monty Python et il annonce la suite de l’histoire dans le numéro suivant, triple zéro, cette fois sous forme d’interview, ce qui permet de voir apparaître le crédo des influences, Heartbreakers, Saints, Clash, Damned et d’autres choses. Raoul cite en plus les Ramones, les Buzzcocks, les Stooges, les Cramps, les Dolls et les Beatles. Les illustrations crayonnées attirent bien l’œil, notamment le portrait de Dick Dale dans le double zéro, et puis il y a aussi cet hommage aux Detroit Cobras en deux parties, bien documenté et richement crayonné, Dexter Linwood n’hésite pas à entrer dans le détail labyrinthique des reprises, ainsi valsent les noms, Nathaniel Mayer, Hank Ballard, Gino Washington et ça continue dans le triple zéro avec l’épisode de la Nouvelle Orleans et la découverte de Slim Harpo, Benny Spellman, Earl King et tous les autres. Ça grouille de vie dans ce petit format. Francky entre en polémique avec ceux qu’il appelle les barnaqueurs et qui imposent les concerts au chapeau aux musiciens. Francky défouraille à coups d’articles de loi. Puis il honore le volet septième art du Burn avec John Landis et les Blues Brothers, puis Rock’N’Roll High School et les Ramones avant de retomber dans punk-rock city avec les Damned et une interview traduite par Henri-Paul et joliment illustrée. Dans triple zéro, Francky rend hommage à Herman Brood avec un épisode à suivre suivi de la suite et fin de Mouse & The Traps, occasion pour Francky de combler sans aucune rancune une lacune de Charlie Memphis - Tout le monde peut se trumper - Puis Francky remilite de plus belle pour l’abolition du chapeau dans les bars et pour la reconnaissance des musiciens. Quelles sont les solutions ? Révolution ! Il dresse ensuite une belle apologie des Livingstones, gang gaga-surf suédois et ça se termine en triple beauté avec les Damned. Signalons que Francky anime en plus une émission de radio sur FMR, qui s’appelle, tu l’auras deviné, Burn Toulouse. Façon pour lui de rendre hommage à Gildas qui menait lui aussi de front radio show et fanzine. Avec le même souci d’intégrité.

    Signé : Cazengler, burne tout court

    Saboteurs. Saboteurs. Vinyl Record Makers 2020

    Burn Toulouse # 00 - Double Zéro - Mars 2019

    Burn Toulouse # 000 - Triple Zéro - Mai Juin 2019

     

    Inside the goldmine

    - Les Broken Bones ne sont pas des bras cassés

     

    Il ne quittait pas des yeux l’exécuteur occupé à lui arracher ses dernières dents avec une longue tenaille. Parfois, leurs regards se croisaient. Celui de l’exécuteur n’exprimait rien, ni haine ni jouissance. Il obéissait aux ordres du centurion vautré dans un siège curule. Enchaîné à la muraille, Paul de Tarse subissait comme tant d’autres le martyre des Chrétiens de Rome. On commençait par leur arracher les dents, puis on leur brisait les jambes et on finissait par les décapiter. Il fit appel à toute sa volonté pour ne pas crier, mais il faillit défaillir tant la douleur lui taraudait la cervelle. Paul de Tarse bomba le torse et insulta l’exécuteur, le traitant d’arracheur de dents. Choqué, l’exécuteur protesta de sa bonne foi en répondant qu’il n’était pas un menteur. Le centurion lui ordonna de la fermer - Fermetta il becco - et de finir le jobbo. Alors Paul de Tarse traita le centurion de fasciste. Choqué, le centurion se leva et défourra son glaive. L’exécuteur prit le parti de Paul de Tarse et traita à son tour le centurion de sporco fascista. Le centurion approcha de l’exécuteur et lui plongea lentement son glaive dans le ventre. L’exécuteur s’agenouilla en levant le poing et en criant sporco fascista, sporco fascista ! Ah c’est pas malin !, fit Paul de Tarse. Le centurion essuya son glaive sur la tunique de l’exécuteur avant de le rengainer, puis il s’empara de la barre de fer qui servait à briser les jambes des martyrs. Il se mit en position de golfeur et frappa le genou droit de toutes ses forces. Avant de tomber dans les pommes, Paul de Tarse se dit que Broken Bones ferait un joli nom pour un groupe de rock.

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    Il semble que sa suggestion ait été retenue. C’est vrai que c’est un joli nom pour un groupe de rock : St. Paul & The Broken Bones. Ils sont apparus pour la première fois à la fin d’un article de Stephen Deusner consacré à Muscle Shoals, dans l’Uncut de november 2016. Deusner commence par brosser l’habituel panorama (Rick Hall, Arthur Alexander, Clarence Carter, Aretha, Duane Allman, Wilson Pickett, Swampers), puis passe par la période de déclin des années 80 avant de revenir à la renaissance, via le témoignage de Patterson Hood. Il semblerait que ce soient les Black Keys qui aient relancé l’activité du Muscle Shoals Sound System, avec leur album Brothers. Deusner consacre la dernière page de l’article au Soul revival de St. Paul & The Broken Bones, expliquant que ces petits mecs de l’Alabama ne se contentent pas de pomper la vieille Soul, mais la perpétuent à leur façon - avant gospel anthems with quasi psych lyrics and towering horn charts - À coup de wild performances, ils ont acquis une réputation de «one of the most exciting bands in the South». Ils ont même réussi à ouvrir pour les Stones.

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    L’héritage du Shoals Sound System serait donc dans les pattes des Truckers (par la filiation), des Broken Bones et des Alabama Shakes. L’autre activiste du mythe s’appelle John Paul White. Son groupe s’appelle CivilWars et son label Single Lock Records. C’est lui qui veille sur la relève, à commencer par St. Paul & The Broken Bones, mais aussi Belle Adair et Dylan LeBlanc. Il semblerait que Belle Adair soit plus country-folk que r’n’b. Dans l’encadré des Four new bands you need to hear, on trouve en plus de St. Paul & The Broken Bones et de Belle Adair un groupe nommé Firekid, qui est en fait un one-man band placé sous la houlette de Dillon Hodges, puis les Secret Sisters, deux sœurs nommées Laura et Lydia Rogers qui ont pour seul défaut de fricoter avec Jack White.

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    Comme Deusner se montrait particulièrement dithyrambique, on s’est jeté sur les deux albums, histoire de vérifier la véracité des dithyrambes. Révélation ! Et ce dès le premier album intitulé Half The City. On y retrouve le son de Muscle Shoals, ce feeling, dès «I’m Torn Up». Le groupe ne comprend que des blancs. Le chanteur s’appelle Paul Janeway. Il ahane comme un sphinx à la glotte éraillée et s’en va screamer d’épouvantable manière. La fête se poursuit avec «Don’t Mean A Thing». C’est extravagant de classe, balayé aux nappes de cuivres et cette folle équipe plonge dans des abîmes de big atmosphrix, tout est pulsé à la meilleure gageure du Shoals, à la puissance d’un fleuve qui emporterait tout, y compris le crépuscule des dieux. Paul Janeway enfonce son clou de Soul Man dans «Call Me» avec une extraordinaire prestance et ça repart de plus belle avec «Like A Mighty River», un cut hanté par des chœurs véridiques. La lumière du hit intercontinental rôde sous la roche et génère de la magie blanche. On croirait entendre les New York Dolls à Muscle Shoals, les ouuh-ouuuh créent une sorte d’émulsion mythique, a special flavor, et ce fou de Janeway se met à hurler. Une véritable trombe de transe ! Le «That Gow» qui suit colle parfaitement à l’idée que se fait le lapin blanc d’une merveille inconnue. Ils attaquent «Broken Bones & Pocket Change» à l’Otisserie de la Reine Pédauque. Sacré Paul, il avance sur les traces du messie palestinien, l’Otis qui prêchait la paix dans le désert. Paul Janeway se spécialise dans le frisson. Il sait atteindre le bas-ventre de la Soul pour la faire juter. Il monte ses énormités en neige. On assiste à un fabuleux excès de frottements torrides. C’est de la pulsion à l’état pur. Personne n’a jamais hurlé comme lui, ni Percy Sledge, ni Little Richard, il est complètement possédé. On continue avec «Sugar Dyed», un vieux r’n’b à la Stax motion. Ils connaissent toutes les arcanes. C’est encore un cut absolument définitif. Depuis l’âge d’or, on n’avait plus entendu de r’n’b aussi musclé. C’est encore pire que Wilson Pickett. Paul Janeway compte vraiment parmi les Soul Men d’exception. Il pousse tout à l’extrême. On assiste à une incroyable défenestration de la Soul. Il ré-attaque «Grass Is Greener» à l’Otisserie. Paul Janeway sait transformer un slowah en pyramide d’Égypte, en quadrature du cercle, en clavicule de Salomon et ça groove dans la mélodie, comme chez Marvin, avec des gros coups de trompette. On a là quelque chose d’affolant, d’intense, d’éclatant, de monté au dernier étage de la Soul et le scream est repris à la mélodie. Ils ne lâchent tien, comme on le constate à l’écoute de «Dixie Rothko». Paul Janeway hurle encore plus fort que Wilson Pickett, comme si une chose pareille était possible. Dernier round avec «It’s Midnight», fabuleuse fin de non-recevoir, encore un cut magnifique, hurlé face à l’océan de la Soul.

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    Par contre, leur deuxième album intitulé Sea Of Noise est nettement moins brillant. Pour ne pas dire foireux. Comme quoi, les choses ne sont jamais gagnées d’avance. On trouve tout de même sur cet album un «Flow With It» joliment jouissif et gorgé de son. Et un «Midnight On The Earth» puissant, car monté sur un beat tribal et animé par une bassline oblique. Paul Janeway chante ça dans les aigus, mais il se dégage du cut une sorte de vieux remugle de Saturday Night Fever. Encore un cut relativement étonnant avec «All I Ever Wonder», bien amené aux trompettes, comme chez Otis, et chanté à l’écrasée du talon. On tombe ensuite sur «Sanctify», une sorte de groove suspendu dans l’air mais un peu inutile. Ils semblent avoir perdu la foi. Paul Janeway cherche à percer les secrets et il finit par s’étrangler dans ses régurgitations, mais ça se termine en belle apothéose. Diable, comme leurs nappes sont belles ! Avec «Burning Rome», Paul Janeway retape dans le slowah Staxy noyé d’orgue et donc, voilà le travail.

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    Un nouvel album paraît en 2018 : Young Sick Camellia. Le grand retour de Paul Janeway s’opère dans «NASA», un cut qui sonne comme un groove de naturalia maximalia. Ce Soul Brother se fond dans l’éther de la NASA. C’est d’une puissance qui défie les lois et qui culmine, il screame au sommet de son art. Très spectaculaire. «Hurricanes» sonne comme de la romantica à la mormoille, mais Janeway fend bien l’âme. Il chante comme un dieu - I feel you’re coming like hurricanes - C’est une voix qui compte dans la compta, fascinant personnage ! Il passe directement au coup de génie avec «LivWithOutU». Il attaque sa diskö avec une hargne exceptionnelle, il chante comme un black qui ne veut pas finir sa vie dans les champs de coton, alors il swingue son shoot à la vie à la mort. Il joue avec les nerfs de l’auditoire, il frise les moustaches de Dieu, c’est une énormité cavaleuse, un hit de dance fructueux, une bible à livre ouvert et il faut le voir screamer sa Soul. Le dernier cut de l’album, «Bruised Fruit», vaut pour un froti-frotah imparable. Il shoote sa foi dans le slowah, c’est indéniable. Ce mec est vraiment très bon, il surchauffe sa Soul comme on surchauffe une poule. Il peut devenir très spectaculaire. D’autres cuts accrochent bien l’oreille du lapin blanc comme ce «Convex» chanté de main de maître à la voix perçante. C’est une Soul qu’on peut qualifier de moderne, accrocheuse et anguleuse. Le «Get It Bad» qui suit vaut pour un vieux shoot de r’n’b, singulier et terriblement convaincu d’avance. Les Broken Bones y vont de bon cœur, la rue s’ensoleille à travers une bruine d’harmonies vocales superbes. Peter Janeway pourrait bien devenir une star. Avec «Apollo», ils font un diskö funk infernal. Quelle débinade ! Janeway fait un disk de black star. Ils tapent «Mr Invisible» au beat thibétain et Janeway chante à la criarde du marché aux poissons. Quel admirable brailleur ! Il n’en finit plus de ramoner sa happiness.

    Signé : Cazengler, Bras cassé

    St. Paul & The Broken Bones. Half The City. Thrity Tigers 2014

    St. Paul & The Broken Bones. Sea of Noise. Records label 2016

    St. Paul & The Broken Bones. Young Sick Camellia. Red Music 2018

    Stephen Deusner. Sweet Muscle Shoals. Uncut #234 - November 2016

     

    ROCKABILLY GENERATION NEWS n° 19

    OCTOBRE / NOVEMBRE / DEEMBRE 2021

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    Nous sommes début octobre. Le monde va mal. Partout du nord au sud et de l'est à l'ouest. Tout s'écroule. Rien ne va plus. Toutefois il y a encore un dernier train qui arrive à l'heure. Inutile de téléphoner à la SNCF pour lui adresser vos félicitations. Nous ne parlons pas des tortillards de banlieue ni des TGV, mais d'une locomotive. Pas n'importe laquelle, la dernière locomo-rockabilly, fabrication française, la 19 qui se permet de tenir ses promesses et de paraître début octobre comme prévu. L'a traversé les temps de vaches maigres et pandémiques, fraîche comme une fleur.

    Avant de l'ouvrir, me suis permis un petit plaisir égoïste de collectionneur satisfait, me suis attardé sur la quatrième de couve. C'est beau comme les arcanes du tarot, les dix-huit couvertures des dix numéros précédents, plus les deux Hors-séries, le Spécial Gene Vincent, et le Spécial Crazy Cavan. Sergio Kash et son équipe peuvent être fiers de leur boulot. Sont en train de constituer une véritable somme de l'histoire du mouvement rockabilly hexagonal. Depuis ses débuts. Sans oublier les pays voisins.

    Série pionniers. Greg Cattez nous rappelle les grandes heures du premier rock'n'roll anglais. Celui d'avant les Beatles. Qui a essuyé les plâtres. Nous dresse un émouvant portrait de Billy Fury. Sa vie fut une course contre la montre. Contre la mort. Son cœur se brisa après quarante-deux années de mauvais service. Vivre vite et mourir jeune, n'est-ce pas un mode de vie rock'n'roll. Cette première génération du rock britannique eut le privilège de côtoyer les pionniers américains, les photos en apportent la preuve. Par contre ils subirent de plein fouet les pressions de leurs maisons de disques, qui partaient du principe que les slows larmoyants se vendaient mieux que les rocks brutaux.

    Un autre pionnier, français, Jerry Dixie – j'ai eu l'honneur d'assister à un de ces derniers concerts, un petit bout d'homme de rien du tout, presque timide et sûrement effacé, satisfait qu'on lui achète ses disques mais presque gêné de les vendre, et sur scène un grand Monsieur, suffisait qu'il ouvre la bouche pour se retrouver propulsé là-bas dans la grande Amérique mythique, le big country. Une longue interview dans lequel il se raconte, simplement, sans rien cacher de ses origines populaires, mais l'oisillon a su devenir un aigle et placer ses morceaux auprès de gars qui ont pour nom Ray Campi, pour n'en citer qu'un. Ecouter Jerry est un régal.

    Il est né à Rotterdam, et sur la couve l'on voit ses cheveux blancs et son visage de gars qui a beaucoup bourlingué, mais ce qu'il nous conte recoupe les dires de Jerry dans l'interview précédente, cette difficulté pour les adolescents et les jeunes de leur époque à trouver le moindre disque, à glaner l'infinitésimal renseignement sur l'histoire du rock'n 'roll. Fallait de la persévérance, beaucoup de chance, et des rencontres hasardeuses... Kees Dekker, davantage connu sous son nom de Spider, retrace son parcours de combattant, les groupes qu'il monte et qui se désagrègent peu à peu, ses jours de réussite qui s'effilochent, la faute à la vie. L'amour l'appelle en France où il fonde une famille et travaille dur pour élever ses enfants, c'est par chez nous qu'il se fera connaître avec les Nitro Burners, rock dur et sans concession, ils finiront par arrêter. Mais Spider n'abandonne pas, il est tout près de reprendre la route. Le rock chevillé au corps. Les Nitro Burners avec un nouveau batteur préparent leur retour.

    Sergio Kash se plaint. Ne faisait pas très beau au Mans cet été. Je le rassure en Ariège non plus. En contre-partie il a eu un super lot de consolation. Le Festival 72 du Mans, trois jours et trois scènes débordantes de groupes de rockabilly. Ne regardez pas les photos, tournez vite les pages, elles sont belles mais vous allez les salopéger avec votre bave envieuse.

    Le pire c'est que ça recommence avec la collection de clichés ( suivis de leurs commentaires ) qui retracent les quatre jours de Béthune Rétro. Que de souffrances morales infligées aux absents ! Pensez donc, Viktor Huganet, Jake Calypso, Barny and the Rhythm All Stars, Spunyboys, j'en passe je ne voudrais pas vous empêcher de dormir la nuit prochaine.

    Entre ces deux mastodontes Steven qui opte pour une solution autre, l'organisation de concerts pas tout à fait privés et pas vraiment ouverts. Entre cent et deux cent cinquante personnes, des amis, des connaissances, des connaisseurs. White Night ne veut pas céder au gigantisme, la fête doit rester à dimension humaine...

    Suivent les chroniques habituelle, une Association catalane ( non ce n'est pas pour danser la sardane ), les nouveautés disques, les photos backstage et cette bonne nouvelle finale, le retour de Dylan Kirk et ses Starlights trop longtemps au point mort pandémique, l'un en Angleterre, les trois autres en France, difficile vu les déplacements limités de ces derniers mois de se retrouver, ils ont survécu, normal, sont jeunes, sont beaux, sont rockabilly, trois raisons suffisantes !

    Magazine chic ( maquette et photos couleurs ), magazine choc ( 100 % Rockabilly ), revue pour les rockers !

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 4,95 Euros + 3,94 de frais de port soit 8,89 E pour 1 numéro. Abonnement 4 numéros : 36, 08 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents !

    CALIGULA LIVES

    LASKFAR VORTOK

    ( Immigrant Breast Next / 2013 )

    Normalement j'aurais dû être attiré par la pochette. Cela m'arrive souvent. C'eût été logique Laskfar Vortok, un drôle de lascar, se définit entre autres comme un artiste visuel. Au temps béni où l'on enfermait Antonin Artaud à l'asile, les psychiatres n'auraient pas hésité une demi-seconde, z'auraient opté immédiatement pour la camisole de force afin qu'il ne remuât point trop lors de la procédure d'ablation du cerveau. Regarder une seule de ses vidéos aurait suffi à convaincre ces doctes praticiens. Dans la série ménageons la chèvre et le chou tentons de les comprendre. Ces trucs colorés qui vous arrachent la rétine s'avèrent, pour employer un terme euphéménique, déstabilisateurs. Les temps ont changé, les avancées techniques de la modernité ont permis à de nombreux artistes de révolutionner l'art pictographique. De quoi déboussoler les amateurs de la vieille peinture à chevalet, mais ceci est une autre histoire que nous évoquerons plus tard. D'autant plus que la couve de cet opus n'a pas été réalisée par Vortok lui-même, mais par Darakalliyan et surtout parce que Caligula Lives est une œuvre musicale.

    Surfant sur le net sur le nom de Caligula – un nom prédestiné pour un groupe de metal supputai-je, je ne m'étais pas trompé ils sont légion aux quatre coins de la planète, mon instinct de rocker qui aime les choses indistinctes m'a emmené sur ce Caligula Lives. Que les âmes sensibles s'éloignent, le personnage m'a toujours fasciné. D'abord parce que l'étude de l'antiquité gréco-romaine me passionne, et aussi par ce qu'une fois que Auguste eût assis la puissance impériale, ses successeurs immédiats se retrouvèrent en une étrange situation. Tout leur était permis. Liberté totale accordée. Ils n'ont eu de cesse de céder à la tentation de repousser les limites et de déployer, à leurs risques et périls, les plus profonds aspects idiosyncratiques de leur personnalités, ces turpitudes filigranifiques que nos propres vies étriquées gardent secrètement camouflées au fond d'un gouffre dont nous vérifions chaque jour les gros cadenas qui les maintiennent prisonniers... Nous ne l'ignorions pas, les monstres les plus ignominieux sont au-dedans de nous, pas au-dehors. Hypocrite lecteur ne me condamne pas, ô insensé qui crois que je ne suis pas toi ! Tout comme moi tu n'es qu'un cul de basse-fosse d'ignominie !

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    L'Histoire n'a pas été tendre avec Caligula. Un monstre, un pervers narcissique, un fou à lier, les épithètes peu élogieuses ne manquent pas. Mais sa figure attire. Camus, dans le meilleur de ses livres, une pièce de théâtre sobrement intitulée Caligula, a tenté de décrire les rouages intellectuels qui ont guidé sa conduite. Il ne l'excuse pas, mais il aide à le comprendre. L'hypocrisie des courtisans et la veulerie du peuple qui se laisse si facilement berné par les miettes qu'on lui lance pour l'amadouer l'auraient dégoûté de la race humaine. D'où sa manie de pousser le système étatique de domination à fond les manettes, placer les gens face leur propre contradictions, à leur profond amour de la servitude. Volontaire, aurait ajouté La Boétie. J'encourage vivement les esprits libres qui aiment à s'écarter des vérités générales de l'historiographie officielle à se plonger dans Le César aux pieds nus ( consacré à Caligula ) de Cristina Rodriguez paru en 2002. De même Moi Sporus, prêtre et putain ( 2001 ) et Thyia de Sparte ( 2004 ), se dévorent goulument, les détracteurs vous avertiront, ce ne sont que réhabilitations romantiques de Néron et de l'idéologie couramment admise de la cité spartiate... Comme par hasard un mouvement se dessine chez les historiens actuels qui jugent que le portrait habituel de Caligula par l'historiographie traditionnelle dressé à partir des écrits de Suetone ne correspond pas obligatoirement à la réalité historiale...

    Non ce n'est pas un enregistrement live, l'expression Caligula Lives ( notez le ''s'' final qui démontre qu'il s'agit d'un verbe conjugué à la troisième personne du singulier ) correspond aux dernières paroles '' Je suis vivant ! '' proférées par l'Imperator lorsqu'il tombe sous les glaives et les poignards de la garde prétorienne...

    L'œuvre de Laskar Vortok ne comporte que trois titres qui synthétisent le singulier parcours et les derniers instants de l'Empereur fou, elle est à entendre comme ces Tombeaux que les poëtes du dix-neuvième siècle édifiaient en l'honneur de leurs pairs décédés... ne vous étonnez pas si la musique tumultueuse semble se résorber en des tourbillons d'une folie outrancière...

    Neos Helios : nouveau soleil, le morceau de l'ascendance, référence évidente au désir de Caligula – c'était un ordre mais la mort empêcha sa réalisation effective - que sa propre statue soit placée dans le Temple de Jérusalem. Caligula ne voulait sans doute pas remplacer le Dieu unique, lui qui avait déjà officialisé un culte impérial à son nom... Les esprits positifs concluront que le princeps était dérangé, ne vous étonnez donc pas si par hasard cette musique vous dérange. Ce n'est pas du rock, plutôt du noise-électro-disruptif, car comment évoquer ces froissements, ces glougloutements, ces éreintements de ressorts étirés au-delà de leurs capacités, suivis de ces envols lyriques aussitôt réprimés par des tambourinades intempestives et intraitables. Le tout ressemble à un bruit glauque de WC débouché et cette avalanche d'eau sale et grondeuse dans les canalisations caverneuses, un vortex de nuisances par lesquels Laskar Vortok nous place à l'intérieur de la tête de Caligula, dans ses crispations explosives de pensée, dans les rouages mêmes des combinaisons de ses neurones, et vous avez l'impression d'un engrenage dont les pignons s'enrayent, n'empêche que nous traversons aussi des zones de calme et de sérénité, l'effroyable succion se transforme en séquence idyllique, n'est-ce pas au milieu du kaos que nichent les Dieux, montagnes russes sonores, tout s'entrechoque, l'exaltation de l'aurore matitunale et les fracas insupportables de ces coques brisées sur les récifs nocturnes qui entourent et défendent l'île des Bienheureux. Pas de parole, juste cette musique dissonante, le haut et le bas, le beau et le laid, le bien et le mal, l'or et la boue, jumeaux inséparables, Laskar nous plonge au sein de la déraison caligulienne, pas de condamnation, à prendre ou à laisser, comme un bloc irradiant d'une énergie mortelle pour les humains qui ne supportent pas l'ambroisie divine qu'on leur offre. Lorsque le reptile de la folie se glisse et se love en votre âme, il tourne sans fin sur lui-même et vous n'arrivez jamais à l'arrêter. Incitatus : le nom du cheval préféré de Caligula, à qui il fit rendre tous les honneurs et édifier une écurie de marbre, on lui prête le projet d'avoir voulu le faire sénateur... Le morceau débute par une galopade, quoi de plus normal pour un canasson, mais très vite surgissent des brimborions de trilles pour exprimer toute la tendresse admirative que l'Imperator portait à son équidé favori. Ne nous y trompons pas, ce tintamarre jouissif décrit une histoire d'amour, l'alliance impossible entre la bête la plus fougueuse et l'homme indigne de son élégance. Entrecoupements de silences et mélanges de klaxonnades, pointillés de tumescences auditives, marques d'impatience, les sources historiques n'en parlent pas mais Laskar le suggère cette passion cavalosexuelle de ne plus faire qu'un avec sa monture, d'atteindre à la divinité en devenant centaure. Certains rêves sont plus fous que d'autres. Cryptoporticus on the Palatine Hill : nous avons eu du sexe dans le morceau précédent, très logiquement voici la mort. C'est dans un sombre couloir qui menait de son palais à l'arène dans lequel se déroulaient les jeux palatéens que Caligula a péri. Bruitisme funèbre, envolées d'orgue, belles tentures de pourpre que des bourdonnements insatiables de mouches recouvrent, des borborygmes, presque des paroles, comme si les derniers mots de l'Imperator étaient répétés à l'infini, le destin n'est pas en marche, il trotte allègrement vers sa victime, elle n'est déjà plus de ce monde – l'a-t-elle vraiment été une seule fois – les mouches s'envolent peut-être l'amplitude de la musique veut-elle nous faire accroire que dans le rêve terminal de Caïus Imperator elles se sont métamorphosées en aigles qui l'accompagnent vers l'Olympe en une suprême apothéose. Arrêt brusque de la musique, les simples mortels ne peuvent assister au festin d'accueil qui lui a été préparé.

    Je doute que la majorité des lecteurs de KR'TNT ! apprécient ce genre de musique... Quoi qu'il en soit Laskar Vortok a tissé un merveilleux linceul purpural à la mémoire de Caligula, honni parmi les hommes, admis parmi les Dieux. Si l'on porte créance à ce que nous nommons sa folie.

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    Avant de nous quitter il est temps de regarder la pochette de Darakalliyan. Au premier coup d'œil l'on ne discerne rien de précis, si ce n'est cet éclair de foudre jaune qui tombe du ciel et ce lambeau rose de pourpre tyrienne dans lequel culmine la flèche du zigzag de feu que notre sagesse attribuera à Zeus. Au-dessus ce n'est pas la voûte céleste mais la représentation de sphère ptolémaïque de l'orbe du monde, au-dessous s'agitent les hommes qui vivent sur et sous la croûte terrestre. Un peuple informe dont on n'aperçoit que des silhouettes blanches, couleur de l'âme des morts, qui s'agitent figées en des poses stéréotypiques, déjà à moitié dévorées par la glaise qui les happe, et d'autres déjà rongées par la noirceur de l'oubli à moins que ce ne soient les Parques ou les Normes qui veillent sur notre destinée... Une image sage, qui nous rappelle que nous ne sommes que des êtres humains. Fragiles et mortels.

    Damie Chad.

    Note : les termes de Neos d'Hélios sont pour nous Modernes qui connaissons la suite et la fin de l'Histoire Ancienne à mettre en relation avec l'expression Sol Invictus désignant le Dieu Soleil en l'honneur de qui deux siècles plus tard l'empereur Aurélien fit édifier un temple magnifique. Voir aussi sur un plan tout autant politique mais beaucoup plus intellectuel les développements de la philosophie néo-platonicienne qui furent avec le règne de Julien le chant du cygne du monde païen...

     

    THE GOOD OLD TIMES

    CRASHBIRDS

    ( vidéo / You Tube )

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    Tiens une nouvelle vidéo des Crashbirds, mais pourquoi en sortent-ils si régulièrement ces derniers temps ? Les réponses sont variées, faut bien que les grands enfants s'amusent, parce qu'ils en ont envie, parce qu'ils espèrent être repérés par un studio d'Hollywood et tourner une super-production aux States juste pour montrer aux petits frenchies ébahis qu'ils sont les meilleurs, tout simplement parce que ce sont des êtres libres et qu'ils font ce qu'ils veulent quand ils le veulent... je vous laisse cocher la case qui vous agrée, mais la dernière proposition se rapproche le plus de la bonne réponse. Ce qui coince avec les Crashbirds, c'est justement la liberté, non, rassurons-nous, ils ne sont pas encore en prison, mais c'est tout comme.

    Rappel historial : la pandémie, le premier confinement, tout le monde enfermé chez soi, une heure de sortie pour que le chien puisse arroser les trottoirs. Les groupes de rock – les autres aussi mais ce n'est pas ici le sujet – claquemurés à la maison, concerts interdits... sale temps, essaient de survivre comme ils peuvent, certains tournent des vidéos, beaucoup tournent en rond... Après des mois et des mois de ce régime sec, l'étau se desserre un peu. Ouf ! Non plouf ! L'Etat qui a acheté des millions de doses de vaccins inaugure une nouvelle stratégie, si vous désirez, sortir, boire un pot, ou participer à un concert, faites-vous inoculer le produit miracle et présentez votre pass sanitaire. Etrange comme cet adjectif fleure bon la cuvette WC dont on a omis de tirer la chasse. C'était juste une remarque philologique.

    Les râleurs professionnels que sont les français se précipitent en masse pour obtenir leur sésame, mais certains, des minoritaires refusent. Organisent des manifestations. Sans succès. Nous n'allons pas rouvrir le débat. Chacun se détermine selon son âme en perdition et son inconscience. Philosophiquement nous touchons-là aux limites du consensus démocratique majoritaire. Relisons Aristote et Platon.

    Les Crashbirds refusent de se plier à la passivité acceptatrice du pass, donc ils ne peuvent plus donner de concerts, dur pour un groupe, n'ont qu'à suivre le troupeau comme toute personne sensée. Z'oui, mais ils ont une éthique. Et même une éthique rock. Ne considèrent pas leur genre de musique comme une distraction. Le rock porte en lui-même des ferments de révolte, de rébellion, d'insoumission, de rupture, pensent-ils. Une attitude souvent revendiquée dans les paroles. Ainsi pour eux, il est inenvisageable de donner des concerts. Les milieux rock ne se sont pas, souvent pour des questions de pure survie économique, dans leur grande majorité pliés à une telle décision. Certes il y a de nombreux ( ? ) endroits où l'on ne vous demande pas de présenter le pass et où les organisateurs ne remarquent pas que vous n'êtes pas masqués, certains cafés-rock refusent d'organiser des concerts pour ne pas avoir à trier leurs clients... Pour ne pas se couper de leurs fans les Crasfbirds diffusent des clips ( ils en ont toujours proposé ) une visite de leur chaîne YT s'impose.

    Vous pouvez ne pas être d'accord avec les Crashbirds, pour notre part nous dirons que les gens qui mettent leurs actes en accord avec leurs idées sont une denrée rare et précieuse en ce monde de girouettes tourbillonnantes. Pas de notre faute si la phrase que je vous laisse méditer de de T. S. Eliot reste d'actualité '' Celui qui dans un monde de fugitifs prend la direction opposée aura l'air d'un déserteur ''…

    THE GOOD OLD TIME

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    Méprise totale de ma part, sur la première image, j'ai confondu, de loin j'ai pensé que cette espèce de guérite en planches, j'ai cru que c'était un de ces cabinets qu'au siècle dernier dans la série ''cachez ces culs que nous ne saurions voir'' l'on reléguait honteusement au fond du jardin, lamentable erreur, un crime de lèse-majesté, l'on aurait dû me rouer vif sur la place publique, car contrairement à toute attente, aux images suivantes il apparaît que c'est un trône royal. Z'auraient pu raboter et cirer le bois, mais Delphine ouvre un vieux grimoire et tourne les pages, pas de méprise possible, foi de licorne emblématique, nous sommes aux temps bénis du Moyen-âge, pour nous en convaincre le roi Pierre à la barbichette blanche et fleurie s'est adjugée le siège suprême. Je rassure tout de suite nos lectrices, ce n'est pas un mufle convaincu, souvent il laissera à la la Reine Delphine 1ère, le droit de s'asseoir sur le siège sacré. Quelle est belle notre reine adorée tour à tour dans son long manteau de brocard azuréen ou sa tunique de soie rouge ( que voulez-vous pour être reine elle n'en est pas moins femme et coquette ). Mais avec quelle grâce de baladin elle tient sa guitare ou se lance dans une mirifique pavane, ses saints pieds qui sautillent nous donnent l'impression de ne pas toucher terre...

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    Ne nous égarons pas. Oui, il était beau le bon vieux temps. Attention il ne s'agit pas du temps d'avant la pandémie. Nous sommes en ces temps radieux et médiévaux. Pour une fois la musique des Crashbirds a gagné en légèreté, moins entée dans la terre boueuse du blues triste, même légère, pas stupidement guillerette non plus, car les cui-cui n'oublient pas les vertus pédagogiques du rock 'n' roll, les images nous rappellent que le moyen-âge fut aussi une époque violente, châteaux-forts, tournois, combats de chevalier, le bon roi Carolus Magnus Petrus Lehoulier a laissé place à son fils, un jeune soudard ivre de sang et de batailles, vindicatif et inconscient qui n'a d'autres rêves que d'agrandir son fief et de partir aux croisades, son glaive ébréché témoigne de ses qualités guerrières. De quoi refroidir notre amour immodéré pour ces siècles lointains.

    D'ailleurs on les quitte ! Delphine ouvre un second livre, le drapeau français sur l'Elysée prouve que nous sommes en France, douce et sereine France, hélas l'embellie ne se prolonge pas, nous vivons l'époque des dictateurs, les estampes ( pas du tout japonaises ) qui se suivent décrivent une sombre époque, des bombes tombent sur des enfants, des lanceurs de missiles exécutent leurs tristes envois, des villes flambent, la musique s'alourdit, long passage musical, au cours duquel Pierre debout appuie sur l'accélérateur de sa guitare et Delphine s'adonne à une tarentelle désordonnée, bouquet final, feu d'artifice terminal.

    Triste constat : depuis le moyen-âge le monde ne s'est guère amélioré, nous ne nous servons plus d'épées mais d'armes de haute destruction... Le bon vieux temps ne dure-t-il pas encore ? Une nouvelle fois les cui-cui ont frappé fort, Un joyaux de plus à rajouter à la couronne des Crashbirds.

    Réalisé avec la complicité active d'Eric Cervera et de Rattila Pictures

    Damie Chad.

    RAUNCHY BUT FRENCHY ( 2 )

    COULEUR MAGENTA

    La nouvelle était tombée brutalement dans le flash d'information '' Mort de Guy Magenta '' sans plus. Un coin de la planète devait être en feu quelque part car le speaker ne s'était pas attardé, il l'avait juste ajouté qu'il avait quarante ans. C'était il y a longtemps, c'était en 1967. Depuis de l'eau a coulé sous le Pont Mirabeau ( sous tous les autres aussi ) et qui pense encore à Guy Magenta ! Sur le moment j'avais ressenti un petit creux à l'estomac, Guy Magenta je connaissais, l'était crédité pour la musique de Si tu n'étais pas mon frère d'Eddy Mitchell, un des meilleurs titres du rock français. Un truc percutant. Je me souviens encore qu'une après-midi alors que je le repassais pour la vingtième fois d'affilée ma mère excédée a surgi dans la pièce et a exigé que j'arrête immédiatement cette ordure, puis elle m'a traité d'assassin ! Sur ce elle a claqué la porte et j'ai remis le disque... Car j'étais un serial killer.

    Depuis 1965, j'étais fan d'Eddy Mitchell, parfois pour me rappeler le bon vieux temps, je file sur You Tube, et dans la série mes tendres années qu'elle était verte ma vallée je m'écoute une dizaine de hits de Schmoll... je me suis adonné à cet enfantillage pas plus tard que quinze jours d'ailleurs, mais cette fois j'ai tiqué, évidemment j'ai commencé par Si tu n'étais mon frère, j'ai enchaîné sur Société anonyme et là plouf sur les renseignements fournis sous la vidéo, je remarque que Guy Magenta est crédité, ah, oui Magenta, je ne m'attarde pas, j'ai un autre chat à fouetter l'envie subite d'écouter un autre de mes morceaux préférés ( que presque personne ne connaît ) de Mitchell : Fortissimo et là bingo les gogos, le nom de Guy Magenta s'affiche une nouvelle fois, je veux en savoir plus, je cherche, je trouve.

    C'est qu'une question subsidiaire angoissante me titille, je m'aperçois que la montagne possède une troisième face dont j'ignorais l'existence. O. K. ces titres je les ai aimés pour l'implication vocale du chanteur, et pour leurs textes, que voulez-vous je suis un littéraire. N'avais jamais pensé que les ai peut-être appréciés parce que c'était même le gars qui en avait composé la musique.

    Comme Marcel Proust j'avais du temps à perdre, aussi me suis-je enquis de la totalité des titres écrits par Guy Magenta pour Eddy Mitchell. Pas un max, seulement dix, leur collaboration ayant débuté en 1965 et terminé, par la force des choses, en 1967.

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    Mais qui est Guy Magenta ? Se nomme en vérité Guy Freidline, millésime 1927, un compositeur né dans une famille de musiciens qui recevra quelques leçons de guitare de George Ulmer, doué et prolixe, l'est un admirateur de Vincent Scotto, attention il ne fournit que la musique, laisse à d'autres le soin des paroles. Le genre de caméléon qui s'adapte à son environnement, dans les années cinquante l'on remarque sa signature sur les pochettes des vedettes d'alors, Lucienne Delyle, Annie Cordy, Rina Ketty, Dario Moreno, Gloria Lasso, auxquels on joindra Edith Piaf, Dalida, Sacha Distel... contrairement à beaucoup il a l'intelligence de ne pas cracher sur la nouvelle vague des années soixante, John William, Hughes Aufray, Olivier Despax, Les Champions, Claude François, France Gall, Frank Alamo, Petula Clark, Lucky Blondo, Noël Deschamps, Dick Rivers, Eddy Mitchel seront parmi ses clients, rien ne lui fait peur, saute les générations, capable de vous pondre une opérette, une musique de film, de la roucoulade, du yé-yé et du rock. Ça marche pour lui. Par contre ça roule moins bien. Se tue à Salbris au volant de la Jaguar qu'il vient d'acheter... Toujours mieux que de se faire envoyer ad patres par la bicyclette d'un écologiste qui vous percute sur un passage clouté. Une mort princière donc... Difficile de glaner quelques renseignements sur le net...

    Formulons notre question autrement : reconnaît-on la pâte Magenta dans ces dix titres mitchelliens, y a-t-il sans discuter dans ces dix cuts des gimmiks musicaux, une structuration singulière qui fassent que l'on reconnaisse le coup de patte magentique.

    Si tu n'étais pas mon frère : ( 1965 ) : parolier Ralph Bernet : à la base c'est quoi ce morceau, des écorchures de guitares sur une tambourinade infinie, une espèce de ressassement rythmique répétitif, une cavalcade nocturne. Une orchestration sans une once de graisse, une esthétique spartiate, difficile d'en tirer une conclusion définitive. Elle détruit les garçons : ( 1965 ) : parolier Ralph Bernet : niveau parole ce n'est pas Victor Hugo, ca tombe bien l'on n'écoute que la musique : très différent du précédent, pourtant si l'on y prête attention, il y a ce rebondissement rythmique, ce piétinement de la batterie qui n'est pas sans rappeler celle du précédent, lorsque ce phénomène se manifeste, comme par hasard ce sont les meilleurs passages du morceau. Serrer les dents : ( 1965 ) : parolier Ralph Bernet : nous avions deux indices, nous voici face à une évidence d'autant plus prégnante que l'on retrouve la même fragmentation saccadée comme si la musique se marchait sur les pieds ou avançait à tout petits pas pressés, le phénomène est d'autant plus marqué que ce n'est pas la batterie qui se charge du boulot, mais toute l'orchestration introductive des couplets, à chaque fois différente – de ce temps-là il y avait des arrangeurs qui cherchaient pour chacun des titres d'un album une couleur distincte - étrangement ce sont surtout les violons qui accentuent le schmiblick à l'instar de l'oiseau pépiant à tue-tête à ras de terre pour détourner le serpent qui s'avance vers le nid.

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    Les filles des magazines : ( 1965 ) : parolier Ralph Bernet : sorti sous forme de disque pirate, pochette blanche, agrémentée d'un tampon portant la mention Eddy Mitchell / Jimmy Page, couplé avec une version en anglais de What d'I said : je n'aime point trop ce morceau qui sur le sujet n'atteint pas la force érotique des Craquantes de Nougaro, mais là n'est pas le problème, pas besoin de coller son oreille sur les baffles, le truc c'est de ne pas suivre la guitare mais la batterie qui semble taper sur les tom par demi-tons, ce qui produit ce sautillement froissé caractéristique qui nous intéresse. Fortissimo : ( 1966 ) : parolier Ralph Bernet : changement d'époque, du rock l'on passe au rhythm 'n' blues, l'année suivante Mitchell s'envolera pour Muscle Shoals, la venue de James Brown à Paris n'y est pas pour rien... la guitare n'est plus qu'un faire valoir, les cuivres se taillent la part du lion, ils agitent leur crinière imposantes qui les rend redoutables, n'empêche que par-dessous la batterie ricoche sur elle-même, faut y faire attention car le morceau se déploie sous la forme d'une incessante gradation ascendante. Au temps des romains : ( 1966 ) : parolier Ralph Bernet : en ce temps-là Astérix occupait la première place des ventes en librairie, à rebours de la mode Mitchell le cria haut et fort il aurait vraiment été très bien au temps des ennemis implacables des irréductibles gaulois, le morceau est ponctué d'éclats de fanfares, les buccins triomphaux de l'empereur Trajan, lorsqu'ils se taisent vous saisissez venu du fond de l'antiquité le lourd claudiquement répétitif des légions en route vers la victoire.

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    Société anonyme : ( 1966 ) : parolier Ralph Bernet : hymne anarchiste ou critique impitoyable de la société capitaliste, je vous laisse juger par vous-même, rythmique envolée soutenue par des éclats intempestifs de cuivres, le morceau filoche dur, pas le temps de sauter d'un pied sur l'autre, mais la basse est légèrement décalée, ce qui introduit une espèce de tremblement qui accentue encore la galopade du chant et de l'accompagnement, avec en plus ces moments où la basse prend le devant de la scène et semble presser le temps comme si elle voulait recoller au gros de la troupe. Bye bye prêcheur : ( 1967 ) : parolier Frank Thomas, l'a écrit de nombreux succès pour Joe Dassin : un titre rentre-dedans et anti-curé, une spécialité de la première partie de la carrière du grand Schmoll, là c'est davantage fugace, il y a cet orgue d'église qui monopolise l'espace, mais ce rythme à deux temps précipités lors des refrains porte bien la marque de l'écriture de Magenta que nous recherchons. Je n'avais pas signé de contrat : ( 1967 ) : Frank Thomas et Jean-Michel Rivat écrivirent souvent ensemble, Rivat a laissé un souvenir périssable dans la mémoire du siècle en enregistrant muni d'une impressionnante perruque sous le nom d' Edouard : l'on n'entend pas grand-chose, la batterie trop mécanique écrase tout, trop mixée devant voilant les chœurs et surtout ces clinquances dégringolantes de guitare pas assez exhibées en avant pour savoir si leur répétition est vraiment un signe magentique. Le bandit à un bras : ( 1967 ) : parolier Frank Thomas : petite précision pour ceux qui entrevoient un western avec un pistolero manchot qui ne rate jamais sa cible, erreur sur toute la ligne, c'est ainsi que dans la perfide Albion l'on surnommait les machines à sous : enregistré à Londres, une utilisation très pertinente des cuivres, je ne m'en étais pas aperçu lors de sa sortie, sinon chou blanc et échec noir, sur toute la ligne, à aucun moment je n'ai découvert dans cette ultime piste une trace quelconque qui viendrait conforter mes hypothétiques déductions. Est-ce que cela a une réelle importance ? C'était juste un prétexte pour évoquer l'ombre perdue de Guy Magenta.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    UNE TENEBREUSE AFFAIRE

    EPISODE 02

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    LIMOGES

    Dés l'entrée de Limoges nous fûmes pris en charge par une dizaine de motards de la gendarmerie nationale, sirènes hurlantes à une vitesse excédentaire ils nous emmenèrent devant l'entrée de la préfecture. Molossito et Mlossa auraient bien aimé que nous prissions un selfie devant le majestueux bâtiment, mais nous fûmes rondement menés au pas de course jusqu'au QG de crise opérationnel dans lequel s'agitaient une dizaine de pingouins fonctionarisés manifestement en proie à une grand affolement. Le préfet en uniforme s'avança vers nous, le visage défiguré par un tic nerveux d'impatience. A peine avait-il ouvert la bouche que le Chef l'interrompit '' juste le temps d'allumer un Coronado'', j'en profitais pour insinuer que tout serait parfait en ce bas-monde si pouvait être mis à disposition de notre brigade canine un grand bol d'eau pure et deux assiettes de steak haché au poivre vert. Mes souhaits furent exécutés avec célérité, c'était fou comment en quelques heures la cote du SSR avait augmenté auprès des autorités !

    Ne restait plus qu' à écouter le préfet. Il explosa littéralement, jeta sa casquette sur le parquet ciré et en un accès de colère folle il la piétina sauvagement. '' Un volcan ! Un volcan ! Nous sommes sur un volcan !'' Sur le moment je crus que le Puy du Dôme s'était réveillé et était prêt à recouvrir le département d'un tapis de cendres et de lave brûlantes. Peut-être nous avaient-ils confondus avec une équipe de vulcanologues appelés de toute urgence, mais non c'était bien l'affaire Charlie Watts qui motivait cette nervosité.

      • L'a fallu que ça tombe sur moi hoqueta-t-il, les agents de défense du Territoire ont recensé en moins de vingt-quatre heures dix-sept apparitions aux quatre coins de la France du batteur de ces saltimbanques inconnus, les Trolling Fones, une histoire de fantômes tout juste bonne pour les vieilles femmes et à l'Elysée non seulement ils prennent l'affaire au sérieux, mais ils ont décidé que c'est ici dans la Haute-Vienne qu'ils envoyaient le SSR pour traiter l'affaire sous prétexte qu'un journaliste de France-Inter a signalé cette insignifiante anecdote dans un flash d'information. Une histoire abracadabrante, l'on veut couvrir la préfecture de la Haute-Vienne de ridicule, je suis sûr que le Président du Sénat qui assure l'intérim a un copain à placer, il profitera de cette stupide affaire pour me limoger. Limoges, ô ma ville sacrée, je ne me laisserai pas faire, je suis là pour veiller sur ta sécurité ! Quant à vous, vous vous débrouillez pour me coffrer ce pâle toqué qui joue au revenant dans notre si paisible campagne. Voici l'adresse du péquin, un incertain Joël Moreau, vraisemblablement un assoiffé notoire, qui a vu le spectre du dénommé Charlie Waters !

    UN TEMOIN CAPITAL

    Joël Moreau nous reçut dans son bureau de l'Université de Limoges, un homme affable, un intellectuel de haut-niveau, les étudiants qui nous avaient accompagnés jusqu'à sa porte nous apprirent avec fierté et respect que c'était l'un des mycologues européens les plus réputés.

      • ah ! Vous venez pour l'affaire Charlie Watts, je comprends le souci des autorités. Je suis le premier à reconnaître que c'est incroyable. Mais je l'ai reconnu sans problème, je suis un vieux fan des Rolling Stones, l'est passé devant moi, dans son costume noir à liserets blancs, la grande classe, et ce sourire mi-malicieux mi-énigmatique, je ne crois pas qu'il m'ait vu, du moins il n'en a pas donné le moindre signe, j'aurais bien aimé lui demander un autographe, mais je n'ai pas osé le déranger, j'ai aussi dépassé l'âge naïf de mes étudiants...

      • Vous l'avez aperçu sur le campus ?

      • Pas du tout, en pleine campagne, sur la lisière du Bois du Pendu, à une quinzaine de kilomètres d'ici, il devait être cinq heures de l'après-midi. J'ai signalé le fait à quelques collègues, l'un d'eux a dû parler et l'information a fini par tomber dans l'oreille du correspondant de France-Inter.

      • A titre tout à fait indicatif, Monsieur le Professeur que faisiez-vous dans ce con perdu, je suppose que vous aviez emmené avec vous une jolie étudiante...

      • Hélas non, j'étais seul, quant à ma présence en cet endroit elle est évidente, je suis professeur de mycologie, je cherchais des champignons !

      • Une dernière question, Monsieur le Professeur, croyez-vous aux fantômes ?

      • Pas du tout, mais je crois en Charlie Watts, j'ai assisté au premier rang à dix-sept concerts des Rolling Stones. Vous savez je suis un esprit positif, un scientifique, mais avec les Stones il faut s'attendre à tout !

    LE BOIS DU PENDU

    L'entente avec Joël – fini le protocolaire Monsieur le Professeur - avait été quasi-immédiate, nous aurions besoin de bottes de caoutchouc avait-il décrété, l'on passe d'abord chez moi pur récupérer deux vielles paires, il en profita pour nous montrer son impressionnante collection de bootlegs des Stones, et maintenant tassés dans sa Kangoo, nous montions vers le Bois du pendu.

    Joël stationna la voiture au haut d'une vaste colline herbue couronnée par un imposant bosquet de chênes. A la première portière ouverte Molosa et Molossito sautèrent hors du véhicule galopèrent en jappant vers les arbres.

      • Ils ont besoin de se dégourdir les pattes, qu'ils fouinent à leur aise, avec un peu de chance ils poseront le museau sur une piste ! Quant à nous, explorons l'endroit méthodiquement, serions-nous plus perspicaces que nos chiens interrogea le Chef en allumant un Coronado.

    Il n'en fut rien. Nôtre tâche se révéla aisée. Aucune broussaille n'encombrait le sous-bois, des sentiers zigzaguaient sans encombre parmi les fayards relativement espacés. Pendant notre exploration, Joël nous raconta qu'il avait vérifié la veille, la dénomination '' Bois du Pendu '' remontait au début du dix-huitième siècle, et qu'aucun évènement sinistre ne s'était jamais déroulé depuis ce temps lointain dans ce lieu que nous parcourions les sens en éveil. Nous eûmes beau scruter le sol nous ne relevâmes même pas la présence d'un mégot de cigarette ou d'un déchet de plastique.

      • Remarquons que ce n'est pas dans le bois que Charlie Watts m'est apparu mais lorsque j'étais en train de longer la lisière. Suivez-moi je vous montre l'endroit exact.

    Rien de particulier n'éveilla notre attention. Pourquoi exactement ici et pas ailleurs me demandais-je. Le Chef devait partager mon interrogation, il s'arrêta pensivement pour allumer un coronado, Joël en profita pour me désigner cachés dans l'herbe deux magnifiques cèpes, ils étaient déjà-là hier précisa-t-il.

      • Agent Chad, je ne pense pas que le fantôme de Charlie Watts se promenait ici pour cueillir des champignons, ne nous égarons pas, restons rationnels.

    C'est à ce moment-là que les chiens aboyèrent. Ils étaient loin, instinctivement je tournais la tête vers le lieu d'où nous parvenaient le son, à une centaine de mètres, au-dessus de nous, je n'en crus pas mes yeux, une silhouette noire venait vers nous, d'un pas nonchalant, sans se presser, le long de la lisière, les cabots le suivaient en hurlant à la mort mais cela n'avait pas l'air de gêner Charlie, car c'était lui, plus il se rapprochait de nous, plus nous étions sûrs que c'était bien lui !

      • Agent Chad, dès qu'il arrive à notre hauteur vous l'attrapez par le bras et vous le retenez, sans brutalité, n'oubliez pas que c'est Charlie Watts tout de même !

    Je m'exécutai, quand il fut à ma portée je tendis la main, mais elle ne rencontra que du vide, pas un gramme de chair et d'os, un fantôme, un vrai, il ne tourna même pas la tête vers nous, et passa son chemin tranquillement, trente mètres plus loin, il se volatilisa en une seconde. Nous étions abasourdis.

    Nous n'eûmes pas le temps de reprendre de nos esprits. Le portable du Chef, venait de sonner.

    A suivre....