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tony marlow

  • CHRONIQUES DE POURPRE 585 : KR'TNT 585 : TONY MARLOW / JON SPENCER BLUES EXPLOSION / DAVE DAVIES / LIAM GALLAGHER / SETTING SON / BLACK SKY GIANT / ICHI-BONS / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 585

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    26 / 01 / 2023

    TONY MARLOW / JON SPENCER BLUES EXPLOSION

    DAVE DAVIES / LIAM GALLAGHER

    SETTING SON / BLACK SKY GIANT

     ICHI-BONS / ROCKAMBOLESQUES

    Sur ce site : livraisons 318 – 585

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

    Marlow le marlou - Part Three

     

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             Si tu veux tout savoir sur Tony Malow, le plus simple est de lire sa fulgurante petite autobio parue dans Rockabilly Generation. Mais il faut aussi écouter les albums car ils jettent une sacrée lumière sur cet incroyable artiste qui a su traverser toutes ces décennies en restant fidèle à l’esprit rockab le plus pur. Les ceusses qui le critiquent sont comme d’habitude les ceusses qui n’ont pas écouté les albums. Toujours la même histoire. Une autre info en forme de petite cerise sur le gâtö : ses meilleurs albums sont produits par Marc Zermati.  

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             Dans un Part Two, on a déjà dit tout le bien qu’on pensait du 1,2,3… Jump des Rockin’ Rebels (Underdog 1982) et tout le mal qu’on pensait de leur premier album Rockin’ Rebels paru en 1979. Coincé entre les deux, tu as Frogabilly, paru aussi sur Underdog, un label monté par Dominique Lamblin et Marc après la première disparition de Skydog. Sur la pochette, les Rockin’ Rebels sont quatre, assis sur leurs motos, et à gauche, tu as le Marlou qui ne s’appelle pas encore Marlow. Il ressemble beaucoup à Robert Gordon. Et tu l’entends vite rafler la mise dans «Panhandle Rag» : il y joue la pompe manouche, et à l’époque, tu n’as pas beaucoup de gens capables de sortir un tel son sur la scène rock en France. On a un fantastique son de rockab dans «Dig That Crazy Beat», ça swingue sous l’Underdog, ça te boppe sur l’haricot, c’est excellent, on sent la patte de Marc à la prod. Encore un petit joyau rockab avec «Boogie Baby» et ils nous emmènent en B à la fête foraine avec «Gunfight Bop», excellent pulsatif vrillé de petits solotages d’apanage. Ça swingue encore dans «Rockin’ The Swamp» et le Marlou rend un superbe hommage à Carl avec «Hey Mr Perkins». Oh ils savent swinguer le Carl, hey hey Mr Perkins ! Oh daddy-O-rock !

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             On passe aux choses très sérieuses avec ce World Rocking paru sur Skydog en 2001. On le sent dès l’aéroport, comme dirait Nougayork, dès «Rock-A-Like That», ça joue sec et net dans le Skydog way of life, avec un solo claqué dans l’enfer des portes qui claquent. Le coup de génie de l’album est un autre Rock-A, «Rock-A-Bye Love», claqué aux heavy chords de wild Rock-A. Le Marlou casse bien la baraque, avec un slap pris dans la couenne du son. Marc Z et le Marlou abattent un travail de titans. Encore un joli coup de Jarnac avec «House Rocking (With A Texas Troubadour) Pt1» : le Marlou entre dans son pré carré. Il joue tout simplement comme un dieu.  Dans «Wild Cat On The Loose», il fait rimer ruby shoes avec cat on the loose, c’est remarquablement bien tenu en laisse. On le voit encore jouer all over «60 Thousand Feet», c’est ultra-drivé, ces mecs sont tous des virtuoses et le Marlou tisse une dentelle sempiternelle. Ils font bien le train avec «South-A-Bound Train», pas de problème. Encore un cut illuminé avec «House Of Swinging Lights». C’est dingue le terrain qu’ils parcourent, le Marlou chante sur la crête du son. Cet album est une merveille. Il passe au heavy swamp-rock avec «Crocodile Swamp», c’est excellent, dans la veine de Suzie Q. Puis il passe sans transition au gospel batch avec «Sunday Morning», mais avec du swing. I feel so good ! Il termine avec le heavy drifting d’«Here Comes The Drifter» et du yodell à gogo, puis avec un clin d’œil à Bo avec «Stampede». Sur ce coup-là, il des accents d’Elvis. Son impeccable, comme toujours sur Skydog.  

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             On reste sur Skydog avec les Rockin’ Rebels et Elvis Calling. En amuse-gueule, tu as une fantastique cover de «My Baby Left Me». On se croirait chez Uncle Sam, la voix en moins, mais le Marlou claque bien sa chique et ça reste une sacrée chique. Il ramène tout le stamina de la version originale. L’autre stand-out cut de l’album est sa cover de «Guitar Man». Il est dessus. Toutes ses covers d’Elvis sonnent juste, sauf peut-être «Burning Love», plus difficile à chanter. Il prend aussi «Gentle On My Mind» trop haut au chant, il est trop parisien, trop Batignolles sur ce coup-là, il passe à côté, il ne se profile pas assez. Par contre, son «Baby Let’s Play House» est une petite bombe, il est dessus avec une extraordinaire vitalité du son. La Marlou grimpe là au sommet de son art. Avec «I’m Coming Home», il tombe dans l’extrême beauté de l’Elvis mood. Là ça devient sérieux, c’est plein de son et d’esprit, d’une invraisemblable aisance, il claque des solos de contrefort qui illuminent la fête foraine, c’est du pur génie, il t’emballe si tu es une femme. Il fait aussi une belle version de «Come On Everybody». On le sent fabuleusement impliqué et en guise de cerise sur le gâtö tu as le solo flash du Marlou. 

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             Les deux premiers albums de Betty & The Bops sont aussi parus sur Skydog et comme les deux précédents, ils sonnent comme des passages obligés. Le premier qui n’a pas de titre s’appelle donc Betty & The Bops. On les voit tous les quatre sur la pochette et le Marlou gratte une belle gratte rouge. Ça démarre sur un bruit de moteur et Betty chante à la régalade pendant que le Marlou veille au grain. Puis ils passent au pur rockab avec «Good Rockin’ Mama» et un slap de rêve. Le coup de génie de l’album s’appelle «My Hand Some Man», un joli rockab attaqué de biseau. Terrific ! Avec du sax dans l’encoignure. Ici, le slap dicte sa loi. C’est tellement parfait que ça sonne comme un classique de 1956, avec un beat entêtant et les attaques restent biseautées jusqu’au bout, ça file à la cravache. On se régale aussi de la grosse intro d’«All Night Long». Ces mecs savent lancer une machine. Sur «Rockabilly Girl», le Marlou fait sa presta en clairette de Gibson rouge et il décroche le pompon. Le slappeur fou s’appelle Dominique Gimonet, il vole le show sur «Jump Jump» et «Hi Fi Baby» - He’s my baby/ I don’t mean maybe

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             Fantastique album que ce Pin-Up Confidential qui date de 1995. Démarrage en trombe de slap avec «Swimmin’ Through The Bayou». Toujours Gimonet au slap et la prod de Marc Z.  Tu as tout de suite la pulsion définitive, même si c’est monté sur le plus vieux riff du monde. Ils t’embarquent tout simplement en enfer. Et ça continue avec «Come On», toujours au paradis du slap, quel punch, tu le prends dans le ventre, come on ! Betty est magnifique, c’est rond et c’est pas carré, ça joue au pulsatif entre tes reins. On reste dans le pur jus de rockab avec «On A Rocky Road», bien visité par le Marlou. Il repartent plus loin de plus belle avec «Spanish Jungle». le Marlou y claque un solo d’intermittence et ils passent au swing avec «Ida Red». Le Marlou y sort ses plus beaux accords de jazz, il joue en filigrane dans la texture du swing, il mène le bal, c’est un géant. Il claque «Who’s Been Foolin’ You» à coups d’acou. C’est un heavy boogie blues de bienvenue, le Marlou claque ça sec aux chorus inventifs. Il est très certainement l’un des grands guitaristes du XXe siècle. The wild cats are back avec «Snake Eyed Boy». C’est lui qui chante ce pur rockab d’antho à Toto.   

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             Dans le Part Two, on a dit tout le bien qu’on pensait d’Hot Wheels On The Trail, avec le fantastique son Sfax. Retour sur Skydog en 2007 avec le premier album solo de Tony Marlow, Kustom Rock ‘N’ Roll. Extraordinaire album, il faut bien l’avouer. Pour la pochette, le Marlou grimpe sur sa bécane et se fait une petite banane. Il n’a vraiment pas besoin de la ramener, car tout le son du monde est là, dès le «Booze Fighters» d’entrée de gamme. Le bruit et la fureur ! Encore signé Marc & Tony. Ça pulse à cent à l’heure, ce démon joue à la vie à la mort, il fait couler des rivières de diamants. On imagine Marc dans sa cabine avec des yeux ronds comme des soucoupes, face au spectacle de ce guitariste. Eh oui, ces deux-là ne font que des bons albums. Il s’agit sans doute d’un cas unique en France. C’est tout de même incroyable que Marc ait soutenu le Marlou jusqu’au bout, allant même jusqu’à ressusciter Skydog pour sortir ses albums. Et puis voilà «The Missing Link» que le Marlou explose. Il explose tout ce qu’il touche, le swing, le rockab. Il pose bien sa voix sur le heavy pulsatif d’«Hot Rocking Mama» et ça devient vite génial. Le slappeur fou s’appelle Frank Abed. Avec «Cliff & Dickie», le Marlou rend un hommage vibrant aux Blue Caps. Il fait de la haute voltige et il en a les moyens. Puis ils s’en vont slapper «All Aboard» dans la gueule du loup. Le Marlou claque ensuite «Lonesome Rider» à la main lourde. Tout ce qu’il propose est bon, il chante au guttural de biker de banlieue puis il prend feu avec «Foolish Girl». Encore une fois, il est certainement le meilleur guitar slinger du continent. Il sait tout faire. Hommage à Chucky Chuckah avec «Uncle Berry», très haut niveau, il ramène tous les gimmicks. Tiens voilà un drum cut, «In Search Of Drums City», avec un Marlou en maraude, c’est du stash de jazz, mais avec un power considérable. Tu vas de surprise en surprise sur cet album. Il tombe plus loin sur le râble de «Big Sandy». Il te le claque derrière les oreilles, le Marlou est une brute magnifique, il enfonce bien le clou du before I die. Il termine cet album fantastique en mode doo-wop avec «Good Days Are Gone». Les chœurs sont marrants, ils font bomp bomp bomp comme des estomacs trop sollicités. Le Marlou s’amuse bien.

             Il y a un DVD avec l’album. Et pas n’importe quel DVD, un DVD Skydog ! On y trouve pas mal de choses intéressantes, notamment le clip de «The Missing Link» : un trio tape un coup de Surf craze incognito. Ils portent tous les trois des masques de catcheurs mexicains. Le guitariste joue sur une Dan Electro. Mais quand ils enlèvent leurs masques, ils sont tous les trois des Marlous. C’est donc un subterfuge. Et l’occasion de se souvenir que le Marlou faut autrefois un batteur. Le DVD propose ensuite un concert filmé à Boulogne en 2006 : le Marlou est accompagné sur scène par batteur et Betty Olsen à la stand-up. Le Marlou semble avoir grossi, en tous les cas, il porte un gros pantalon rouge qui ne l’amaigrit pas et il joue sur la Gretsch rouge assortie. Il nous fait le grand show Sun et montre à quel point il est un guitariste exceptionnel. Il joue son «Mystery Trrain» avec une délicatesse extrême, il n’en rajoute pas, ses figures de style sont tout bonnement des chefs-d’œuvre de dentelle de Calais. Jamais deux fois le même plan, byzantisme et fluidité à tous les étages en montant non pas chez Kate, mais chez Chet. Il élève encore le ton pour rendre un nouvel hommage à Elvis avec «My Baby Left Me» et comme si cela ne suffisait pas, il aligne le B-side, «Blue Moon Of Kentucky». Il est incroyablement crédible. Par contre, le «Stray Cat Strut» ne marche pas. Et avec la mèche qui lui tombe sur le front, il finit par ressembler à Jerry Lee. Exactement le même profil de killer. Espérons que tous les fans du Marlou aient pu voir ce concert, même en DVD. Car quel crack !

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             On reste sur Skydog pour l’excellent Knock Out qui date de 2009. Encore un album de Guitar Man et notamment une cover géniale de «Born To Be Wild», géniale car amenée au beat rockab - Hey baby/ Won’t you take a ride with me - Hommage suprême - Get the motor running - Il le prend à la bonne et l’arrose d’accords mortifères. Encore un cut de Guitar Man avec «Run Away From You», un petit groove bien cavalé et qui prend feu. Il fait encore la loi avec «Guitar Slinger». Tony Marlow est certainement le grand Guitar Slinger d’ici bas. Il claque sans peur et sans reproche. C’est un démon. Côté rockab, on est bien servi, tiens par exemple avec «Lou Cipher’s Place», il est en plein dans l’esthétique rockab avec des solos tirés à quatre épingles. Le slap fait des ravages dans «Get Krazy», pure rockab madness ! - Get krazy all nite long - C’est un véritable coup de génie, digne de Charlie Feathers et de Johnny Powers. On reste dans l’excellence rockab avec «Just The Talk Of The Town», ça te danse dans les oreilles, le slap d’Andras Mitchell est juste derrière le Marlou. Avec «Action Baby», il fait de l’Americana du Kentucky des Batignolles. Superbe ! Les autres cuts sont plus rock’n’roll, comme par exemple «A Furious One» qui porte bien son nom, joué vente à terre, ou encore «Fifty Nine Club» plutôt endiablé. N’oublions pas de saluer le «Ridin’ To The Ace» d’entrée de gamme que le Marlou chante à la glotte charbonneuse. Comme c’est enregistré chez Lucas Trouble et produit par Marc Z, tu as le meilleur son du monde. Mais ce sera le dernier album du Marlou sur Skydog.       

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              Avec Rockabilly Troubadour, il entame sa période Rock Paradise : deux albums solo et deux albums avec K’ptain Kidd, un tribute band à Johnny Kidd. Quand on le voyait chanter «Rockabilly Troubadour» sur scène, on ne le prenait pas vraiment au sérieux, sans doute parce qu’il chantait en Français. Et puis quand on écoute l’album, c’est complètement autre chose. Il cogne à la française et c’est assez demented. Peu de gens peuvent suivre. Ses solos frappent comme l’éclair. Ses textes en Français font le poids, ça dépote, avec de l’amour enchaîné et du nervous breakdown. En fait le Marlou s’impose comme poète du cuir et du baston dans «Le Cuir Et Le Baston» - Métro Simplon/ Pour une embrouille à deux francs - Il fait ce que Charles Trénet faisait en son temps, il chante soir et matin - Le début des rebelles/ Et on avait la vie belle - Il revient au rockab avec «L’ivresse». Mais contrairement au son Skydog, le slap est ici assez discret. Fatale erreur. Il devrait être à l’avant du mix. Le Marlou surprend encore avec son wild solo de clairette dans «Debout». Retour au rockab avec «Le Garage» - Sous le capot, ça tambourine - Rien de tel qu’un garage pour voir monter la température de la voisine. Il fait tout rimer avec garage. Avec «Le Prochain Train», il salue Johnny Burnette. Le Marlou va le chercher les yeux dans les yeux, il claque son train en français et passe des solos de clairette - Accident lumière blanche/ Je me sens bien - Il fait un «Get The Motor Runnin’» en deux parties - C’est pas l’enfer ici/ Pas non plus le paradis - et passe au fast rock’n’roll avec «Laissez-Moi Dormir» - Hey hey hey laissez-moi dormir - Il tape dans le tas, il chante dans le feu de l’action, c’est très puissant.  

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             Dans Surboum Guitare, on trouve un cut qu’il faut bien qualifier de mythique : «Quand Cliff Gallope». C’est l’hommage suprême au Gallopin’ Cliff Gallup. Le Marlou peut se permettre de jouer avec le feu. Quel swing ! - Cliff Gallup go bop go ! - Il sait même jouer le Gallup, comme d’ailleurs Jeff Beck. Autre pièce de choix : «Et La Fuzz Fut». Le Marlou finit par taper le big fuzz out. Encore un hommage de choix à Carl Perkins avec «Guitar Show» qui est en fait le vieux «Movie Magg». C’est un petit chef-d’œuvre d’Americana. Avec «Les Guitares Jouent», il adapte Lee Hazlewood en français, mais ça ne marche pas. Sans doute le côté trop Batignolles, trop volontariste. Avec «Tu Me Quittes», il fait l’Elvis de «My Baby Left Me» au slap, il tente le coup et ça passe. Le Marlou se dit bienheureux, il claque ses chords à la volée, il est rayonnant. Avec «Au Rythme Et Au Blues», il repart dans le Chucky Chuckah, on se croirait chez les Stones. Retour à son terrain d’excellence avec «Le Swing Du Tennessee». Le Marlou est unique en son genre, il engage de sacrées guerres intestines avec le slap. Comme il ne se refuse rien, il tape dans Duane Eddy pour «Jerk & Twang». T’en connais beaucoup des guitaristes français de ce niveau ?

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             Et puis voilà les deux tribute albums à Johnny Kidd. Le Marlou porte le patch du Kidd et monte K’ptain Kidd avec Gilles Tournon (bass) et Stephane Moufler (beurre) en 2015. C’est le morceau titre qui ouvre le bal de Feelin’, au pur baby baby de dark piraterie. Killer en diable. Il fait du heavy boatin’ de la flibuste sur «I Can Tell», il reprend le contrôle du love me no more, il croise avec ses hommes en mer des Caraïbes, ils sont marrants, ils se prennent pour des vrais pirates. Le Marlou s’est crevé un œil pour la pochette. Du coup il joue comme une bête. Il tape dans le dur des Portugais avec cette belle mouture de «Shakin’ All Over». Il est parfait dans l’idoine. Copie conforme. Il tape «Weep No More My Baby» d’une voix de Marlou, c’est joué à la pointe du fan club. Il tape encore dans l’excellence avec «Doctor Feelgood», mais Mick Green n’est pas là, même si le Marlou multiplie les attaques de piraterie. Il ramène une autre énergie qui est la sienne. Il est trop parisien pour faire l’Anglais. Dans ses pattes, «Longin’ Lips» devient une belle énormité. Il prend le chant d’«I Just Wanna Make Love To You» avec un courage indiscutable. C’est heavy et plein de jus. Puis il nous pulse un «Please Don’t Touch» au génie pur, il l’explose autant que le fit Lemmy en son temps, il le tape à la hargne pure. Il couve son groove sous la cendre, c’est une spécialité. Il termine avec une version française du Shakin’, «Le Diable En Personne». Il adore cogner dans les tibias.

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             Le deuxième album s’appelle More Of The Same et paraît la même année. Sans doute a-t-on avec ces deux albums le plus bel hommage à Johnny Kidd, en tous les cas le «Goin’ Back Home» est un véritable coup de génie. Le Marlou plonge dans la démesure de la flibuste avec une délectation extrême. C’est tellement pilonné qu’on croit entendre des rafales de coups de canon. Le Marlou outrepasse ses droits, il allume comme vingt bouches à feu. Il faut saluer son génie sonique. Même chose avec «Some Other Guy», tiré d’une rare BBC session pour une séance de heavy Kidd. Troisième bombe : «Castin’ My Spell» qu’il claque à la clairette de Tele. Le Marlou est diabolique, un vrai Barbe-Noire, il ravage tout, il est l’Attila de la flibuste. Il fait le tour du propriétaire, pas de problème. Avec «Restless», il épouse la moiteur des cuisses, il plonge dans le kitsch de fête foraine à coups d’accords de concorde. Tout ce qu’il joue est pur. Retour au swing avec «Bad Case Of Love» et il fait son Elvis sur «Ecstasy». Avec le temps, il a fini par apprendre à poser sa voix.   

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             Et pour finir ce petit panorama en beauté, voici l’album sans titre des Bandits Mancho paru sur Skydog en 2002. Big album de swing ! Le Marlou te met au parfum avec une entrée de gamme en forme de triplette de Belleville : «Nocturne Swing»/ «Pourquoi»/ «Paris Boogie». Welcome ! Doo wap bap-bap, ce démon de Marlou doo-woppe la Bastoche au bop-bop de swing fastoche, Frank Abed slappe et Gilles Ferré saxe. Avec «Pourquoi», tu as le meilleur swing de chaussettes et de cacahuètes, c’est le summum du swing, avec le solo de sax - Je ne veux que toi/ Tu ne veux que moi/ Je suis fou de toi/ Tu es folle de moi/ Mais ça ne colle pas/ Pourquoi ? -  Avec «Paris Boogie», il passe au swing de la Porte de Saint-Cloud, au swing de quel gâchis à Parmentier, il claque des solos déments et redore le blason de la poésie de Paris. Dans «Sammy La Débrouille», il fait son Verlaine - Dimanche matin aux Puces de Saint-Ouen/ Y’a de la chine dans l’air/ Vazy que j’t’embrouille/ Ni vu ni connu c’est Sammy la Débrouille - Il joue aussi avec le feu dans «Zazie & Le Zazou», car Zazie n’est pas zen au métro Saint-Lazare. Il fait tout le cut au Z de Zazie, du zoom au zizi en passant par la zizanie, c’est du pur zus, Zazie elle fait des bizous, mais le zig il veut du zazou. Et ça part en drive de zigounette et de zigouigoui. Fabuleux vent de liberté ! Pur Dada ! On le voit ensuite swinguer la petite Italie avec «Prima Donna». Il connaît tout et Marc Z lui amène une fabuleuse orchestration. Là tu as tout, même la Nouvelle Orleans - Au pays des Bandits Mancho/ Tout le monde est rigolo - Pur jus de Marlou - Ça balance terrible/ Dans la Petite Italie - Encore une fantastique leçon de swing avec «La Poupée De Magazine» : Slap + jazz guitar + sax, là c’est du sérieux. Marc Z est sur le coup. Fantastique leçon de swing. Swing toujours avec «Du Bon Côté» - Prends la vie du bon côté/ C’est une chouette philosophie - Hommage à la booze avec «J’vais M’en J’ter Un Derrière La Cravate». Il fait rimer la cravate avec l’alcool de patate, c’est un seigneur du swing - J’aime mieux ça que de m’casser une patte - et le Marlou part en vrille de swing. Il finit avec un autre coup de génie swing, «J’ai J’té La Clef» - C’est ça qu’est bon/ C’est ça qu’est bon - Il dit qu’il a j’té la cléf dans l’tonneau d’goudron, ah oui c’est bon, le Marlou est content, ça s’entend, il faut voir comme ça swingue ! C’est ça qu’est bon. Il naviguait alors dans les mêmes eaux que l’early Sanseverino. Magnifique artiste.

    Signé : Cazengler, Tony Marlourd

    Rockin’ Rebels. Frogabilly. Underdog 1980

    Rockin’ Rebels. World Rockin’. Skydog 2001 

    Rockin’ Rebels. Elvis Calling. Skydog 2005 

    Betty & The Bops. Betty & The Bops. Skydog International 1992 

    Betty & The Bops. Pin-Up Confidential. Skydog International 1995  

    Tony Marlow. Kustom Rock ‘N’ Roll. Skydog 2007

    Tony Marlow. Knock Out. Skydog 2009        

    Tony Marlow. Rockabilly Troubadour. Rock Paradise 2013   

    Tony Marlow. Surboum Guitare. Rock Paradise 2017 

    Bandits Mancho. Les Bandits Mancho. Skydog 2002

    K’ptain Kidd. Feelin’. Rock Paradise 2015

    K’ptain Kidd. More Of The Same. Rock Paradise 2015

     

     

    Spencer moi un verre, Jon - Part Three

     

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             On aurait pu surnommer Jon Spencer The Fantastic Prolific. Pendant vingt ans, cette espèce de projet conceptuel baptisé The Blues Explosion a alimenté les bacs des disquaires. Sans compter tout le reste qui a fait l’objet d’un Part Two. Ce trio qui passa de statut de Jon Spencer Blues Explosion à celui de JSBX prit dans les années quatre-vingt-dix l’allure d’un Graal. Le JSBX ne s’inscrivait dans aucune lignée. Leur grande force fut de créer un style de hot sharp shit à base d’exactions et de c’mon ! Look, son, modernité de ton, il ne leur manquait absolument rien pour devenir énormes. Ils remplissaient l’Élysée Montmartre. Jon Spencer fut à l’âge d’or du JSBX une parfaite réincarnation d’Elvis. Il portait d’ailleurs un ceinturon à boucle marquée Elvis. Et comme Elvis, Jon Spencer est non seulement un shouter hors normes, mais aussi l’un des hommes les plus iconiques de sa génération. Autant dire que ces vingt années de BXmania furent passionnantes. On guettait la parution de chaque nouvel album avec de la bave aux lèvres.

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             Premier filet de bave avec le sobrement titré The Jon Spencer Blues Explosion. Jon Spencer est passé de Pussy Galore au JSBX sans rien changer. Trash-boom à tous les étages. Le son, la dégaine, le mépris des lois, la délinquance latente, la sale teigne, tout est resté intact. L’album ne compte pas moins de deux coups de génie, «Rachel» et «Chicken Walk». Jon Spencer tape sa Rachel au rumble de hard boogie. Ils défoncent Rachel tous les trois à coups de raw to the bone, et ça hurle à la bravado. C’est du pure génie d’interpolation, ça râpe du raw dans la pression du boogie. Encore du pur jus de raw avec «Chicken Walk», ya ya ya, Jon Spencer rappe ses vocaux au gras du bide, ouh ! Let’s go ! il folâtre dans les culottes de cheval, c’est un vrai lièvre, il chante au sec et net, il a déjà tout le JSBX dans les mains, tout le scream d’apoplexie. Infernal ! Russell Simins se tape la part du lion dans «Eliza Jane» et «Biological», deux cuts de batteur : il bat ça à la diable comme Baba Chanelle. Pas de pire pilon que Russell Simins. Attention au «Write A Song» d’ouverture de bal. Ce genre de cut donne le ton d’un nouveau genre. Les journalistes vont l’appeler blues-punk. Mais ça va beaucoup plus loin que ça. Jon Spencer pousse le trash dans les épinards, il ne respecte rien. C’est battu à l’alternative. Il dit qu’il write a song, tu rigoles ? Il est complètement possédé, il hoquette du yeah yeah yeah comme un messie victime d’une embolie. Il enchaîne avec un «IEV» ultra violent, un vrai coup dans la gueule. Impossible de l’éviter. Pas la peine d’épiloguer. Si on aime les solos de guitare en forme de glou-glou dubitatif, alors il faut écouter «78 Style». Jon Spencer sait aussi s’exacerber, il peut refaire l’Artaud du Jugement de Dieu, il plonge son rock dans l’extrémisme rougeoyant. On tombe plus loin sur un «History Of Sex» claqué aux pires enclaves du conclave. C’est tendu et barré. Par contre, voilà un «Comeback» tapé au dépouillé de la dépouille. Les JSBX sont les princes de l’exaction. Ils emmènent leurs cuts au bagne du rock, pour qu’ils en bavent. Ils rockent leur hot sharp shit en toute connaissance de cause. Jon Spencer passe son temps à tartiner du heavy glissando de loneliness. Et ça va continuer ainsi pendant au moins douze albums. Bon courage, les gars !

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             Crypt-Style sort sur Crypt en 1992. On y retrouve tous les coucous du premier album, «Rachel», «Chicken Walk» et bien sûr «‘78 Style» avec son rentre-dedans et son solo à l’étranglette aigrelette. Ici tout est formaté pour blow-outer les usages, le JSBX sonne comme un destin auquel personne ne peut échapper. «Like A Hawk» rappelle Pussy Galore, mais en vol plané, et «Loving Up A Storm» sonne comme de la hot sharp shit de choc mal torchée. Judah Bauer joue en franc-tireur sur les arrières du sonic bash. Ils jouent «Support A Man» au gras double de saindoux. C’est comme s’ils coulaient le bronze d’un mythe. Avec «The Feeling Of Love», Jon Spencer cultive la folie douce sur un air d’harmo et «Kill A Man» se veut trépidé du bidet et assez abject dans son déballage. Spencer adore cisailler, c’est son péché mignon. Il va passer vingt ans à cisailler, concasser, démolir. Ça ne plaira pas à tout le monde, c’est le moins qu’on puisse dire.

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             L’année suivante paraît Extra Width. Début de l’ère Matador. Et c’est là qu’on trouve l’excellentissime «Soul Typecast», l’un des hits du JSBX, fabuleuse pépite de groove ramonée par le riff d’appui, un cut qu’aurait adoré Elvis. Judah joue à l’écartelée, il monte ça en hostilité dans un coin du groove et joue sur la longueur. Une folle vient crier ‘Typecast !’ sous le nez du riff. Quelle classe ! Ils passent en mode heavy blues contrebalancé pour «History Of Lies» - It’s fine and it’s cool at the same time - Ils ralentissent dans les virages et veillent au grain de la virulence. Ils réussissent parfois l’exploit de jouer des cuts frénétiques et statiques à la fois, comme ce «Black Slider» qui fait du sur-place. Et le «Pant Leg» qui ouvre le bal de la B sonne afro-cubiste moderniste d’entente cordiale. ««Hey Mom» vaut pour l’un des sommets du concassage. Spencer et ses deux lieutenants font parfois du son sans objet précis, ou plutôt de la déstructuration, pour être plus précis. Cet album paraît à la fois plus problématique et plus aventureux que le précédent, comme s’ils cherchaient une voie nouvelle. Le corollaire de cette hypothèse est un Bootleg intitulé Live 11-23-93. Intéressant, car sur scène, les cuts énergétiques frisent une sorte de démesure apoplectique, notamment «‘78 Style» embarqué au riffing élancé. Ils jouent le même riff dans «Sweat» - That’s the sweat/ Of the Blues Explosion - La dynamique du trio prend une allure infernale. «Soul Typecast» passe comme une lettre à la poste et «Water Main» se révèle absolument déterminant. C’est dingue comme on a pu adorer ce groupe sur scène.

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             Avec Orange, on entre dans une sorte d’ère classique. C’est ici qu’on trouve la version studio de «Sweat», l’autre grand hit du JSBX. Ils savent groover la couenne d’un cut. L’autre hit d’Orange est le «Brenda» qui ouvre le bal de la B. C’mon ! Il traîne sa Brenda dans le heavy beat sourdingue, Brendaaaa ! Il faut voir comme il la réclame. Par contre, dans «Bellbottoms», tout est déboîté de la clavicule et ils nous riffent «Ditch» à la torchère. C’est complètement ébaubi à la volée, claqué à la claquemure, ça gicle dans l’œil du typhon. Puis ils nous cavalent «Dang» ventre à terre, ça tagadate dans la pampa et ça ratiboise sans pitié. En prime, Spencer nous thérémine  tout ça jusqu’à la moelle. On sent une énergie considérable, sur cet album, peut-être même un peu trop. «Full Grown» sonne comme une overdose : trop de concasse, trop de démantibulage, trop d’esquisses de jambes brisées. Par contre, on se régale de «Flavor» et de sa belle déglingue. Ils nous tarpouinent ça dans la cuvette, même si la formule paraît tourner en rond dans l’arène des pommes.

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             C’est sur Mo’ Width que se niche la perle parmi les perles : «Memphis Soul Typecast». Voilà le hit parfait. Rusell attend un peu pour jouer. Doug Easley joue de l’orgue et ça sonne comme le Sir Douglas Quintet. Jon Spencer ramone son riff et Christina chante à la surface du meilleur groove de Blues Explosion of the United States of America, qu’elle répète, et derrière elle, Jon Spencer ramone son riff - Fried chicken & rice & coffee/ Mashed potatoes/ Italian dressing/ Blues explosion/ Mummmm ha ha ha ! - Elle éclate de rire. C’est le groove génital par excellence. L’un des joyaux de la couronne. L’autre coup de génie s’appelle «Out Of Luck» - Ouh ah ! - Il tremblotte de génie suicidaire, poussé dans le dos par le sax de Kurt Hoffman, c’est vite emballé et pesé, Spencer sort le Grand Jeu, c’est-à-dire les guitares et le sax. Joli coup de Stonesy avec «Wet Cat Blues». Spencer travaille son heavy blues au corps, il vise le non-respect des conventions. Il déguise sa Stonesy. Ce «Wet Cat Blues» pourrait très bien se trouver sur Exile, un album que Spencer connaît d’ailleurs très bien. «Afro» sonne comme un gaga groove intrinsèque, c’est-à-dire joué de l’intérieur. Awite ! C’est bardé de relances métaphysiques. Le groove de gratte est tellement présent qu’il semble intraveineux. Par contre, Spencer sort un son d’une incroyable sécheresse pour «Cherry Lime». Il chante dans le fond du son, loin derrière. Il n’est pas homme à se mettre en avant. Il pousse des hurlements déconnectés de la réalité. Il amène son «Johnson» au petit gratté de non-recevoir. Il sait très bien ce qu’il fait. Il œuvre en lousdé. Il se glisse derrière le groove. Spencer est un petit renard du désert. Il peut même miauler - Johnson ! Miaaaahhooo ! - Il sait allumer une mèche et doser le suspense. C’est tellement bien dosé qu’on s’incline. Ça finit bien sûr par exploser.

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             Autre grand classique du JSBX, Now I Got Worry paru en 1996. C’est l’album exacerbé par excellence, bien amené par «Skunky» que Spencer screame à gogo. Ça riffe et ça pulse dans la bouillasse. Le hit de l’album s’appelle «Wail», joué à l’insistance fondamentale. Belle dynamique de sex boogie, ju-ju-ju go to hell ! Fabuleuse énergie de l’idée. L’autre gros coup se trouve en B : «Firefly Child», amené au riff de destruction massive à la Blue Cheer. Il fallait oser le faire. D’autant que Spencer calme le cut incidemment avec des exercices de chat perché délinquant. En fait il pompe sans le savoir le riff du «Black Dog» de Jimmy Page. Si on aime le riff, alors il faut aussi aller regarder de près «2Kindsa Love», car ça riffe jusqu’à plus soif, dans un chaos étourdissant de cassures de rythme. Ils font de la cisaille industrielle. Il bouclent l’A avec un admirable clin d’œil à Rufus Thomas : «Chicken Dog». On entend même Rufus à l’entrée du cut. Ils nous jouent en B «Hot Slot» sous le boisseau du Blues Explosion - Ahhh gimme love - et passent au rumble de piano pour fusiller «Can’t Stop» dans les règles, avec du volume et une certaine distance altière.

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             Le live Controversial Negro sort dans le foulée, avec un portrait de Jagger sur la pochette. On y retrouve bien évidemment toute la quincaillerie du JSBX, le groove de gras du bide de type «Can’t Stop», do it do, il raconte n’importe quoi, un «Son Of Sam» screamé dans le gasoil de son a bitch, un «Skunk» en B qui ressemble au paradis du break de syncope, et «Fuck Shit Up» qui va encore plus loin dans la syncope de beat fucked up. Spencer ne jure que par le blast. Il chante comme un bouc en rut. Il hurle dans le désert. Tout est grillé d’avance. Russell Simins emmène «Hot Slot» à l’énergie rockab. «Get With It» ? Pas de pire punition au jardin de Sodome. Ça pulse et ça gueule. On voit bien qu’avec «Cool Vee», le JSBX s’inscrit dans l’action de son temps. Ils incarnent parfaitement le wild side du rock US, une espèce de free spirit incandescent. Ils roulent leur «Afro» comme une grosse chipolata dans la farine d’awite et se livrent à un extraordinaire festival de retours de manivelle dans «Blues Explosion». Une fois de plus, ils sonnent comme le groupe de rock américain idéal. Sharp & hot on heels. Fantastique festin de warghhhh !

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             Autre gros classique de la JXmania, voici Acme, paru en 1998 sous une belle pochette écarlate. Sans doute l’un de leurs albums les plus denses, qu’il faut écouter en fin de soirée, lorsque l’alcool et la compagnie sont triés sur le volet. On est bien obligé de parler d’un coup de génie avec «Talk About The Blues», car le JSBX envoie gronder des infra-basses. Ils jouent à la terrific heavyness du Loch Ness. Punchy and dark. Ça cogne bien l’estomac. L’autre cut mystificateur s’appelle «Do You Wanna Get Heavy». Il s’agit d’un fabuleux slow groove chanté à la glotte généreuse d’un authentique stentor et rehaussé d’une soudaine percée d’achalandage vitupérant. Avec «High Gear», ils reviennent au big bad riffing - High gear baby - Ils mutent le trash-punk en débinade inusitée. Encore une fois, il faut savoir le faire. Ils passent à la pop avec «Magical Colors». Ça leur va plutôt bien et ça nous repose de tous les excès de violence. Jon Spencer se fend là d’un joli groove de Soul. Étonnant revirement de la part de cette équipe de forcenés du concassage et du freakout. Ils reviennent aux infra-basses avec le «Lovin’ Machine» d’ouverture du bal de B, big heavy suburban sound. Ce démon de Spencer parvient tout simplement à inventer le trash-blues new-yorkais du futur. Rien de moins. On les voit aussi traîner «Give Me A Chance» dans une épaisse boue de disto. Ah comme ces brutes sont cruelles ! Elles ne respectent rien.

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             Paru la même année qu’Acme, Acme Plus grouille de grosses poissecailles, tiens comme ce «Wait A Minute» qui incarne l’exacerbation. Spencer fait bien monter sa sauce - Hold on !/ I can’t wait no more - À cet instant précis, il devient le maître du monde. Il sait faire monter une sauce. C’est le JSBX Sound par excellence, avec ses relents de ferveur géniale. Mais il est aussi capable de proposer des tas de cuts qui ne servent à rien comme «Get Down Lower». Il fait des ravages avec «Confused», c’mon do it ! Jon Spencer cherche un passage vers un monde meilleur, keep comin’ hey ! Il n’en finit plus de relancer, keep comin’ ! Confused ! I don’t know why ! I’m feeling so confused ! Magistral. Judah joue ensuite «Magical Colours» à la clairette de Die. C’est le côté angélique du JSBX. Spencer croone et challenge les filles des chœurs. Il revient plus loin avec un «Bacon» plus violent. On le sent déterminé à baconner, awite ! C’est bombardé d’électrons. Spencer sonne comme un B52 et derrière, Russell sonne comme le tambour des galères. Puis ils tapent «Blue Green Olga» au ouh ! et aux machines. C’est explosif - Ouh ! She is blue green/ She is blue/ And I love her/ yes I do - Spencer lance sa petite insurrection, so I do ! Ouh ! C’mon Olga ! Ouh ! Il est le plus fantastique pousseur d’ouh de l’histoire du rock. Back to the heavy groove avec «Heavy». Il nous groove son «Heavy» sous le boisseau. Il fait ça mieux que tous les autres, avec des coups de gratte bien pires. «Lap Dance» nous plonge une fois de plus dans l’excellence de l’apanage. Ils déroulent le tapis rouge de leur diskö beat pour Andre Williams. Spencer chante ensuite «Right Place Right Time» à l’excédée, il shake le vieux Right Place du Dr John à la démence de la prestance, il roule ça dans la fantastique farine. On est dans la spencerisation des choses et il enchaîne avec «Electricity» où volent des oiseaux d’acier. Ils rasent la ville et on entend des chœurs de punks anglais qui ont bu trop de bière. Retour des grandes énergies avec «New Year», il monte sur les barricades, do it ! Yeah ! Le JSBX ramène des relents de Third World War, tout est tellement noyé de riffalama qu’on finit par ne plus savoir quoi dire ni penser. Il nous en bouche encore un coin avec «TATB (For The Saints & Sinners)», un gospel batch à la JSBX, yeah fait la foule et un heavy bassdrum rentre dans la gueule du bénitier - Ah don’t play blues/ Ah play wock and awl - C’est télescopé de plein fouet, seul un fou du son comme Spencer peut réussir un coup pareil, ouh ! Sa voix oscille comme celle de Martin Luther King, il nous emmène aux confins de la pire légende - I saw a brand new day ! - Mais au bout d’un moment ça ne marche plus, comme le montre l’«Hell» qui suit. Le c’mon do it finit par générer du gros bâyé aux corneilles. Il termine cet album mirifique avec un slowah torride intitulé «I Wanna Make It All Right». Il connaît tous les secrets de l’insufflé. Il shoote tout son power entre les cuisses du cut. Quelle violence !

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             Ce Sideway Soul + Dub Narcotic System date de 1999 et Spencer fait du banana split dès «Banana Version». Il relance sa machine à formules avec une belle brutalité et nous gratte ça au big heavy shuffle d’I got the move et de come on now baby ! Son truc c’est d’allumer la gueule d’un cut, I got to do it ! Look out baby ! Il drive bien son hot sharp shit de choc. Il reprend plus loin les rênes de «Fudgy The Whale» et met Calvin Johnson au-devant de la devanture. Ils chantent ça à deux, yeah !  C’mon jump ! Spencer n’a aucune patience. Il nous claque ça les deux doigts dans le nez. Il ramène «Frosty Junction» comme une espèce d’emblème de la modernité. Il fait entrer un klaxon dans son groove de crocodile, c’est indécent, on peut même parler de belle idée inconvenante. On a là une vraie tentative de son, une réelle approche de l’inconvenance en tant que concept. Retour au heavy groove avec «Diamonds». Il trempe dans toutes les combines de baryton du diable, il soigne son cut au ripe the ice, yeah ! Pur jus de crazy diamond. Le morceau titre flirte dangereusement avec le heavy garage et génère du groove des enfers. Spencer gratte sa gratte dans le vide, c’mon do it ! Ils terminent avec un «Calvin’s On A Bummer» saturé de heavy boom boom. Spencer joue à l’attardée, il gratte de vieux relents, il sait de quoi il parle.

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             Sacré retour de manivelle que ce Plastic Fang qui date de 2002. Le coup de grisou de l’album s’appelle «Hold On», il y invoque les démons du Funky Broadway, baby baby ! Et ça gratte dans l’os du genou, il roule pour nous, hold on baby ! Let’s get it ! Après le coup de grisou, voilà le coup de génie : «She Said». C’est du JSBX explosif porté aux nues. Quel excellent puncher ! Il atteint l’inaccessible étoile. Il faut bien dire que le «Sweet N Sour» d’ouverture de bal vaut aussi le détour, car très dévastateur, summum du punch-up, Spencer soigne sa droite. Un départ en solo couronne son aura brûlante de détermination. Russell déboule derrière à la déboulade. Ces mecs ne s’accordent aucun répit. Avec «Money Rock’n’Roll», Spencer pulvérise ses records de c’mon let’s go et gratte le plus gras des gimmicks qu’on ait vu ici bas. Voilà un «Torn Up And Broke» assez rampant, chanté à l’haleine chaude. Il croone dans l’âme du son, et il a cette façon d’éclater le Pont des Arts du rock - I feel so hurt - Il n’y a que lui pour diluer une telle huile. Il s’agit là d’un album assez exceptionnel, tout est joué au délié de groove enrichi et le son suinte de réverb. Il repart de plus belle avec «Shakin’ Rock’n’Roll Tonight», get down ! C’mon rock’n’roll ! Il pousse bien le bouchon de l’interjection dans les orties, avec un solo gras à la clé. Il n’en finit plus de réinventer la façon de jouer le rock, well alrite ! C’mon ! «The Midnight Creep» sonne comme du typical JSBX, bien amené à la ramasse de la rascasse, Spencer harangue les bras cassés de l’underground, right now ! Il claque bien le cocotier des cloches, c’est même exemplaire. Il faut bien admettre que ça reste assez spectaculaire, babe c’mon ! Crazy as hell ! Il est indispensable de se plonger dans cet album pour en goûter la fleur. Tout est gonflé de son, bien ramoné de la cheminée. Slowah magnifique de ce «Mother Nature», comme orné de chœurs de Judah, c’est la Beautiful Song par excellence, claquée aux accords clinquants avec toutes la fièvre adolescente du gonna be wasted. Il termine avec un «Mean Heart» gratté à l’acou. Spencer sonne comme un desperado des Basses Alpes. Il passe par tous les défilés, c’est joué à l’excès de légendarité. Final apoplectique. Voilà encore un cut digne des plus gros hits du temps d’avant.

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             En 2004, le JSBX jouait à l’Élysée Montmartre pour la promo de Damage. Ni le concert ni l’album n’ont laissé un grand souvenir. Spencer prend son morceau titre à l’intimisme de la déconstruction et impose le stomp des ladies & gentlemen. Damage ! C’est heavy et bien épais. Ils réveillent les vieux instincts avec «Burn It Off», c’mon ! Spencer lance ses troupes de chœurs superbes, il fait sa soupe et vient couiner à l’encoignure du couplet. Voilà un cut réellement conçu pour enflammer. Ils proposent plus loin un «Crunchy» bien crunché, doté d’un bon groove de hardship. Spencer s’amuse bien, il est dans l’abattage de groove. Puis avec «Hot Gossip», il revient au vieux Memphis Soul Typecast. Get on up ! L’autre très gros cut de l’album s’appelle «Mars Arizona», c’est explosé de son, auto-submergé, martelé, pourri d’infra-basses, uh, c’mon ! Terrific ! Tout le son du monde est là, les basses dévorent le son, c’mon, on n’avait encore jamais entendu un truc pareil. Avec Jon Spencer, il faut rester sur ses gardes, ce mec est capable de coups de génie. La beauté plane sur «You Been My Baby» comme un vautour et ils amènent «Help These Blues» à la pompe Spencer. On tombe ensuite sur un «Fed Up And Low Down» assez démantibulé. On peut leur reprocher cette incartade, mais ils se rachètent avec un départ en virée de folie. Extraordinaire dévoyade ! C’mon !

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             Paru en 2012, Meat And Bone est l’archétype de l’album antipathique. La pochette nous offre le spectacle d’un gros tas de barback suspendu en l’air à côté d’un crochet de boucher. Il faut avoir l’estomac bien accroché pour aller écouter ça. Pas de hit, ici, mais du décarcassage. Ils violentent le beat du «Black Mold», le jouant au limon trash-blues avec des effets de complémentarité sonique du meilleur cru. Mais très vite, on s’aperçoit que le JSBX tourne en rond. Ce qui semble logique vu leur peu de goût pour la mélodie. Ils proposent un «Boot Cut» profilé sous le vent, comme porté par une bassline entreprenante. En B, «Bottle Baby» sonne comme un sauveur d’album avec son joli mélange de déclamation expéditive, d’exaction de buzz fuzz et d’arpèges luminescents. Ils touillent vraiment leur soupe en toute impunité. On sent une tentative de songwriting dans «Black Thoughts». Spencer aménage des climats et on accueille chaleureusement les relances aventureuses. Mais l’album peine à plaire. On se remonte le moral avec la photo du groupe qui orne le dos de la pochette. Russell Simins a grossi, Judah Buaer semble de plus mélancolique et Jon Spencer prend un tout petit coup de vieux, oh pas grand-chose. 

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             Freedom Tower. No Wave Dance Party 2015 paraît en 2015. Serait-ce le dernier album du JSBX ? Allez savoir. Ils nous refont le coup des infra-basses avec «Wax Dummy». C’est même du hip hop, du pur jus de New York Sound - Let’s get down - Le hip hop leur va comme un gant de cuir clouté. En A on trouve encore un «White Jesus» axé sur le vieux heavy groove. Avec cet album encore plus expérimental que les précédents, Spencer cherche la voie de la rédemption. En B, on tombe tout de suite sur l’excellent «Crossroad Hop», un heavy groove qui tourne en rond. Look out ! Ils ne savent plus comment avancer, mais ça ne les empêche pas d’enregistrer. C’est probablement le hit du disk, ils nous le bardent de gimmicks de blues, ça dégouline de gras, avec un brave beat bien fiable. Plus loin, Spencer chante «Dial Up Doll» avec de faux accents de Lou Reed. Stupéfiant dans l’approche du chant et la façon de battre les accords. C’est du panache de type Velvet et la nouvelle d’un rapprochement aussi inespéré, ça s’arrose.

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             Attention à Jukebox Explosion. Rockin’ Mid-90s Punkers, une compile parue en 2007 sur In The Red. C’est l’album du JSBX qu’il faut emmener sur l’île déserte. Larry Hardy a compilé des singles qui relèvent tous de l’énormité catégorielle. On y trouve deux clins d’yeux aux Stones, «Ghetto Man» et «Do Ya Wanna Get It». Steve Jordan joue sur «Ghetto Man» et Hardy dit qu’en studio Jordan interdit l’alcool et les jurons. C’est nous dit aussi Hardy un full tilt boogie punker. Steve Jordan est ce batteur génial qui joue dans les Xpensive Winos de Keef. Sur le puissamment chanté «Do Ya Wanna Get It», on retrouve Dr John au piano. Suprême fuzzbuster, pur jus de Stonesy. En B, trois énormités nous décrochent la mâchoire : «Bent», «Fat» et «Down Low». Hardy qualifie «Bent» de punkified monster et il a parfaitement raison. Jon Spencer fonce dans le mur du son et le percute avec tout le poids d’un bélier de l’antiquité. Motherfucker ! C’est l’un des cuts les plus fascinants du JSBX, tous mots bien pesés. Spencer chante «Fat» en miaulant. Il est admirable. C’est nous dit Hardy du heavy duty trashin’ et un sax chauffe le cut à la Fun House de Marrakech. «Down Low» est encore plus wild que le Far West de Buffalo Bill, d’autant que superbement battu par Russell et poivre. «Latch On» n’est que du pur jus de Pussy Galore, un cut qu’Hardy qualifie d’intense raver. Et il a raison, encore une fois. Ils jouent «Shirt Jac» à l’énergie rockab, belle dégelée d’hot sharp shit, hi speed raver, for sure. L’un des cuts vraiment spectaculaires de cette foire à la saucisse est la reprise du «Son Of Sam» de Chain & The Gang, rehaussée par le sax de Kurt Hoffman qui nous sort là un son irrationnel et provocateur - Son of a bitch ! - Encore un hommage à Rufus Thomas avec ce «Train #3» enregistré chez Doug Easley à Memphis, pas moins. Ah ! Uh ! Spencer encaisse bien les coups. Steering stomper nous dit Hardy en parlant de «Caroline». Il a encore raison, le bougre, pas de stomper plus sneering que celui-là. Puis le JSBX rend hommage à David Yow, le chanteur fou de Jesus Lizard, avec «Naked», car nous dit Hardy, Yow se mettait couramment à poil sur scène. On tombe plus loin sur une reprise du mighty «Get With It» de Charlie Feathers et Boss Hog fait irruption dans ce smokin’ romper qu’est «Showgirl PTS 1 & 2». Enfin bref, c’est un album qui ne craint ni la mort ni le diable. On y va les yeux fermés.

    Signé : Cazengler, Spencer les fesses

    Jon Spencer Blues Explosion. The Jon Spencer Blues Explosion. Caroline Records 1992

    Jon Spencer Blues Explosion. Crypt-Style. Crypt Records 1992

    Jon Spencer Blues Explosion. Extra Width. Matador 1993

    Jon Spencer Blues Explosion. Orange. Matador 1994

    Jon Spencer Blues Explosion. Mo’ Width. Au Go Go 1994

    Jon Spencer Blues Explosion. Now I Got Worry. Matador 1996

    Jon Spencer Blues Explosion. Controversial Negro. Matador 1997

    Jon Spencer Blues Explosion. Acme. Matador 1998

    Jon Spencer Blues Explosion. Acme Plus. Mute 1998

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    Jon Spencer Blues Explosion. Extra-Acme. Toys Factory 1999

    Jon Spencer Blues Explosion. Sideway Soul + Dub Narcotic System. K 1999

    Jon Spencer Blues Explosion. Plastic Fang. Matador 2002

    Jon Spencer Blues Explosion. Damage. Mute 2004

    Jon Spencer Blues Explosion. Meat And Bone. Bronzerat 2012

    Jon Spencer Blues Explosion. Freedom Tower. No Wave Dance Party 2015. Shove Records 2015

    Jon Spencer Blues Explosion. Jukebox Explosion. Rockin’ Mid-90s Punkers. In The Red 2007

     

    Wizards & True Stars

    - Le cas Dave est encore chaud (Part Two)

     

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             Dans la cour des grands, on croise aussi les frères Davies. Ces deux banlieusards ont monté dans les early sixties un joli fonds de commerce, les Kinks. Leur petit biz est même devenu une institution, du même ordre que celles des Stones ou des Who. Ray et Dave Davies ne sont rien l’un sans l’autre. On a en France une fâcheuse tendance à vouloir tout résumer à Ray, grave erreur, car pas de Kinks sans Dave. Les frères Davies ont quatre volumes autobiographiques à leur actif, deux chacun, mais nous allons donner la priorité à Dave pour entrer dans le jardin magique des Kinks.

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             Dans un récent numéro de Classic Rock, Dave acceptait gentiment de répondre aux questions de Rob Hughes. Dave atteint désormais l’âge canonique de 71 balais et refuse de lever le pied. Ah ces rockers, tous les mêmes ! Hughes s’étonne qu’on retrouve sous le lit de Dave des cartons remplis d’enregistrements de chansons inédites. Dave explique qu’il ne veut pas se confronter aux émotions que traduisaient ces vieilles chansons, alors il laisse ses fils Simon et Martin s’occuper de ça. Quand il revient sur l’âge d’or des Kinks, Dave tient à préciser des choses extrêmement importantes. Bon nombre de ses contemporains trouvaient un exutoire dans la dope et au beau milieu du carnaval qu’était le Swingin’ London, Dave s’est mis à réfléchir - I had to reassess my whole life - Oui, tout réévaluer. Ça le conduisit droit à un spiritual and emotional breakdown au début des seventies. Il se mit alors à pratiquer le yoga et à étudier l’astrologie. Il mit deux ans à se reconstruire - It can be a struggle to be human. It’s hard work for all of us - L’autre point fort de l’interview, c’est bien sûr l’évocation de leur jeunesse, lui et son frère Ray, et leurs six sœurs à Muswell Hill. Big family, des tas d’oncles et de tantes, des fêtes chaque dimanche, quelqu’un qui s’assoit au piano et toujours un banjo qui traîne. Voilà d’où viennent les Kinks. Et bien sûr, Dave annonce le scoop que tout le monde attend depuis longtemps : il va retrouver son frangin Ray en studio pour un nouvel album des Kinks.  

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             Quatre ans plus tard, Dave se re-confie, cette fois à Cam Cobb. Il repart du point de départ, l’objet de sa première fascination musicale : Lead Belly - I thought Lead Belly was a really interesting person - His character and  his life. And it shows how real his music was - Dave se souvient aussi des sixties comme d’un circus. Il voyait le music business comme un weird circus - That’s what the clown thing is about - Il évoque bien sûr «The Death Of A Clown». Quand il repense à toute cette époque, Dave se marre : «They kept telling me that I was a bit of a pin-up boy.» Son frère Ray et le manager Robert Wace le poussent à faire l’acteur. Il se dit fasciné par l’idée et rêve d’Hollywood. Mais ça ne marche pas. Dave se sent uncomfortable. Puis quand Pete Quaife annonce qu’il quitte le groupe, Dave sent que c’est la fin - I think a part of the Kinks died when Pete left - Et plein d’autres petites confidences. En fait Dave donne l’interview pour annoncer la parution de son deuxième volume de mémoires, Living On A Thin Line.

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             Bon book. Grouille d’infos. Pas le book du siècle, mais il s’agit des Kinks, after all. Et puis l’écrivain chez les Kinks, c’est Ray, pas Dave, à ce qu’on dit. On s’attendait en fait à un book introspectif, dans l’esprit des deux volumes autobiographiques de Brett Anderson, mais Dave opte pour le récit autobiographique classique, évoquant ses racines à Muswell Hill puis le Swingin’ London et ses excès. Il donne de ravissants petits coups de projecteur et repasse au peigne fin la discographie de ce groupe devenu Kult. Du coup, on ressort les albums de l’étagère. On croit toujours bien les connaître. Quelle prétention !

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             Pour lancer son récit, Dave relate l’attaque cérébrale dont il a été victime et qui a failli l’emporter. Il raconte ses deux semaines de convalescence chez Ray qui, dit-il, «se sont vite transformées en cauchemar». Oh ce n’est pas qu’il n’aime pas Ray, mais selon lui, Ray est un vampire qui pompe l’énergie des gens. C’est d’ailleurs ça qui fait de lui le songwriter qu’il est devenu, mais Dave ajoute qu’il faut être très strong pour le fréquenter. Comme Dave sortait de l’hosto et qu’il ne tenait pas debout, ses réserves d’énergie étaient à plat - For fuck’s sake! Ray, I love you, but really I don’t have much to give you at the moment - Voilà le style de Dave : ironique, Kinky, une pincée de slang, presque une parole de chanson. Puis il attaque le chapitre roots, rappelant que les deux guerres mondiales et le blitz ont rendu les working class people d’Angleterre très résistants. Il donne tous les détails, même l’adresse d’une famille devenue mythique, la famille Davies, au 6 Denmark Terrace, on Fortis Green, la route qui va d’East Finchley à Muswell Hill. C’est là que Mum and Dad Davies élèvent les futurs princes du Swingin’ London. Petits, les deux frères sont déjà extrêmement créatifs : ils inventent un langage pour communiquer entre eux. Dave cite un exemple : il dit à Ray «Ballo ballo, shiga shuga la ballo», et Ray sait exactement ce que ça veut dire. Puis Dave évoque ses trois passions d’ado : la musique, le foot et les filles. Il dit avoir commencé à se branler dès l’âge de douze ans, comme tout le monde. Sans la musique dit-il, il aurait sans doute fini voleur à la tire.

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             Alors commence la valse des premiers émois : Lead Belly, Charlie Gracie, Big Bill Broonzy, un Big Bill qu’il trouve très en avance sur son temps. Et puis Lonnie Donegan. Il flashe aussi sur la Symphonie En Ré Mineur de César Frank - It stopped me dead in my tracks - Tout cela ressemble à une fabuleuse éducation sentimentale. Il dit aussi détester l’école. Il a cinq ans et sa mère l’amène à l’école primaire le jour de la rentrée des classes. Dave décide que l’école ne lui plait pas et rentre chez lui. Il dit à sa mère : «Look, I’ve been to school and don’t like it.» Sa mère le ramène de force à l’école. Aucun souvenir des deux années suivantes. Il apprend à lire et joue au foot. Il réussit quand même à se faire virer un peu plus tard, et quand il voit sa mère éclater en sanglots, il la rassure - It’s all going to be fine - Et là, il attaque le chapitre le plus douloureux de son histoire : sa relation avec Sue. Ils sont ados et ils baisent tous les jours. Quand Sue est enceinte, Dave est ravi, mais les parents le sont moins. Ils décident de séparer le couple. Dave apprend par sa mère que sa fille s’appelle Tracey. Il devra attendre trente ans pour revoir Sue et sa fille. Il n’a jamais pardonné à sa mère d’avoir été complice de cette épouvantable machination. Il sort de cette histoire complètement traumatisé. Ce sont les pages les plus émouvantes de ce volume.

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             À cette époque, Ray et lui commencent à bricoler des idées sur le piano de Denmark Terrace. Ray joue un riff : c’est le riff de «You Really Got Me». Il le joue à deux doigts et Dave ramène sa guitare pour le jouer en accords. Deux jours plus tard, Ray écrit les paroles de ce qui allait être leur premier hit - Girl/ You really got me going/ You got me so I don’t know what I’m doing - On connaît ça par cœur. C’est un hymne. Puis Dave nous donne tout le détail de la deuxième session d’enregistrement de Really Got Me avec Shel Talmy, en juillet 1964. La première session a foiré lamentablement et là, c’est quitte ou double. Shel le sait. Il n’a plus droit à l’erreur. Terminé la réverb et l’echo bullshit, les frères Davies veulent du raw. Comme Mick Avory vient d’être recruté, il n’est pas encore assez expérimenté, aussi fait-on appel à Bobby Graham. Dans le studio, on voit aussi apparaître Phil Seaman, le mentor de Ginger Baker, et Jimmy Page, au cas où. Mais Dave met les choses au clair une bonne fois pour toutes : c’est lui qui joue le killer solo flash qui va devenir le modèle du genre. Dave rappelle qu’il était un agressive kid who wanted to play - It was my guitar sound and my guitar solo - Really Got Me sort en août 1964 et devient number one en Angleterre. Et l’un des fleurons du Swingin’ London, avec tous les hits des Stones, des Beatles, des Troggs, des Who et des Yardbirds. Avec sa reprise de Really Got Me, Jesse Hector réussira à récréer dix ans plus tard ce moment de pure frenzy : sans aucun doute le plus bel hommage jamais rendu à Dave Davies.

             Les frères Davies ont donc réussi à monter un groupe avec Pete Quiafe, copain d’école de Ray, et Mick Avory au beurre. Comme ni Dave ni Ray ne veulent jouer de la basse, c’est Pete qui en joue. Et comme il est guitariste, il fait un merveilleux bassman, comme le sont Noel Redding dans l’Experience, et Ron Wood dans le Jeff Beck Group. Dave dit de Pete qu’il était ahead of the game with the bass. Pete va rester dans le groupe jusqu’à The Kinks And The Village Green Preservation Society. Quant à Mick Avory, il avait joué un peu avec les Stones avant l’arrivée de Charlie Watts.  C’est leur tourneur Arthur Howes qui trouve le nom du groupe - We were ‘kinky’ in the way we looked and dressed - Dave fait bien sûr référence au kinky sex, c’est-à-dire le sexe coquin. Du coup, ça devient nous dit Dave un «risqué new name» qui ne manquera pas d’attirer l’attention. Dans l’entourage des Kinks, on retrouve aussi le fameux Larry Page qui avait tenté de devenir popstar en se teignant les cheveux pour devenir ‘The Teenage Rage’. Page est l’associé de Robert Kassner, le manager des Kinks. Ray et Dave finiront pas se débarrasser de Larry Page qui leur coûte un fortune et dont ils ne sont pas contents.

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             Quand sort le premier single des Kinks produit par Shel Talmy sur Pye, «Long Tall Sally/I Took My Baby Home», Dave n’a que 17 ans. Ils vont rester chez Pye jusqu’à Lola Versus Powerman And The Moneygoround, paru en 1970, qui, nous dit Dave, synthétise bien le style des Kinks - the album looked two ways at once, avec des paroles qui voletaient comme un papillon et a ‘fuck you’ attitude qui bourdonnait comme une abeille - Et bien sûr, Ray s’en prend aux aspects grotesques du music biz. Plus loin, Dave redéfinit le style des Kinks d’une formule extrêmement brillante : «A typical Kinks pull-together of rock and roll with occasional hints of vaudeville and dark humour.» Il rappelle aussi que depuis le début, les Kinks n’ont jamais voulu se couler dans le moule des Beatles. Et qu’ils ont toujours su sortir du lot. Mais en même temps, le groupe n’a jamais été très solide - On a toujours vécu avec la peur de voir le groupe se désintégrer - C’est le prix à payer pour la singularité. Le groupe va mourir de sa belle mort, c’est-à-dire de vieillesse. Quand ils sont invités au UK Music Hall Of Fame en 2005, on leur demande s’ils vont jouer tous les quatre. Compliqué dit Dave, qui vient de faire une attaque cérébrale, Ray vient de prendre une balle dans la jambe à la Nouvelle Orleans et Pete est dialysé. C’est Chrissie Hynde qui va jouer quelques hits des Kinks pour la cérémonie, pendant que les vieux pépères iront clopin-clopan se taper un curry au Fortis Green Tandori de Muswell Hill, à deux pas de Denmark Terrace - The last time the four of us original Kinks would be together - Le livre de la vie se referme toujours de la même façon. Avec cette image hautement symbolique, Dave Davies devient un fantastique écrivain.

             Back in the Swingin’ London, c’est-à-dire au paradis du sex, drugs & pop world. Sainte trilogie. Dave parle très bien du sexe. Il attire facilement les gonzesses et les petits mecs. On le trouve souvent au plumard with a gang of female groupies, pour reprendre son expression - Drugs and parties became so outrageous - Il partage une baraque avec Mick Avory on Connaught Gardens, il y a toujours des groupies partout and the bedrooms were never quiet. Il rappelle un postulat de base : «If you happened to be a member of a successful rock band, sex was everywhere.» Le sexe fait partie du jeu. C’est même le moteur principal, l’alibi du rock. Tu veux passer la soirée au Swingin’ London ? Dave te donne le programme : ça commence dans un pub de Carnaby Street, le Shakespeare Head ou le Blue Post, où tu vas trouver des drogues. Des amphètes, par exemple, les fameux Purple Hearts que tu avales avec un verre de vin blanc, puis tu peux tirer sur un joint. À la fermeture du pub, tu files au Flamingo, ou ailleurs, puis tu finis la nuit au Scotch of St James. Forcément, il y a un after, par exemple chez Dave à Muswell Hill, ou dans un hôtel à Kensington, pour partouzer. Et ça, c’est tous les jours. Too fast to live, too young to die, comme dirait l’autre. La vie est faite pour être vécue. Comme Dave est beau, il devient vite un dandy - Dandy, Dandy/ Where you gonna go now - Il est un dedicated follower of the fashion - The elegance of hipster trousers, jackets, boots ans belts. I loved Oscar Wilde style - Il admire aussi Brian Jones, dit de lui qu’il est le seul autre homme à Londres qui sache s’habiller. Brian Jones, Dave et Oscar Wilde constituent la seconde sainte trilogie du Swingin’ London. Il suffit de voir Dave sur la pochette d’Hidden Treasures : c’est du Wilde pur, même grâce indicible, même élégance naturelle. Dave se coiffe comme Wilde, avec la raie au milieu.

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             Pendant une tournée, Dave que sa mère appelle David, fait la connaissance d’un autre David, le futur Bowie qui à cette époque s’appelle encore Davie Jones. Bowie fait le rabatteur pour le compte de Dave et fait monter les gonzesses dans la chambre d’hôtel de Dave. Mais après cette tournée, ils n’auront plus l’occasion de se revoir. Lorsqu’il vit à Los Angeles, Dave rencontre le guitariste Reeves Gabrels dans un bar. Gabrels lui dit que Bowie démarre toutes les répètes de Tin Machine avec une cover des Kinks. Et puis souviens-toi que sur Pin Ups, Bowie rend hommage aux Kinks avec une cover magistrale de «Where Have All The Good Times Gone». Il reprendra aussi bien sûr «Waterloo Sunset».

             Comme les Kinks sont souvent à la même affiche que les Beatles, ils se fréquentent, mais ce n’est pas simple avec John Lennon. Il n’empêche que Dave voit l’influence de Lennon sur le groupe comme déterminante, sans lui, les Beatles ne seraient restés qu’un cute boy band de plus - He gave them attitude and grit - Et puis, il y a les fameuses shootes internes, pas toujours entre les deux frères. Dave raconte qu’un soir sur scène, Mick Avory lui a balancé une cymbale en pleine tête et qu’il s’est retrouvé à l’hosto. Tout le monde le croyait mort. À la suite de l’incident, Mick est viré. Les managers songent à le remplacer par Mitch Mitchell, mais finalement, ils le réintègrent dans le groupe. Pas de problème. Dave n’est pas rancunier. De toute façon, il passe son temps à dire que les Kinks sont en permanence au bord du désastre. Dave est aussi l’un des premiers à s’offrir la fameuse Flying V, d’abord faite pour Jimi Hendrix, puis commercialisée - this was the must-have guitar - Il paye 200 £ sa Gibson Futuristic.

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             Et puis, un matin, il se réveille au milieu d’un tas de corps endormis. Il se demande vraiment ce qu’il fout dans cette orgie. En 1967, il a 20 ans - Maybe it was time to grow up - Comme les chevaliers de la Table Ronde avant lui, Dave va partit en quête du Graal, c’est-à-dire la spiritualité. Mais c’est après un acid trip qui a failli mal tourner dans une chambre d’hôtel à New York qu’il change pour de bon. Il s’intéresse à la métaphysique, au mysticisme, à l’astrologie et au bouddhisme Zen - Absorbing all I could was like a rebirth - Il en parle longuement sans pourtant assommer son lecteur, car c’est le risque quand on fait étalage de ses connaissances. Il rend hommage à Aleister Crowley et à son Book Of Thoth, un précis d’interprétation du Tarot. Dave dit aussi que Crowley est devenu un peu fou à la fin de sa vie, mais, ajoute-t-il, who Am I to talk? We all go a bit mad. Il cite aussi Karl Jung «qui a essayé de comprendre ce qui se passait dans ce crazy inner world et comment il inter-agissait avec l’art et la musique.» L’enseignement que retient Dave et qu’il ambitionne de transmettre, c’est qu’en apprenant, on apprend à apprendre - Vous ne pourrez jamais apprendre tout ce qu’on peut apprendre, mais vous ne devez jamais cesser de continuer à apprendre. Humility and trust is the key - Dave survole son parcours initiatique avec une réelle élégance, et c’est la raison pour laquelle il faut lire son récit, car dans le genre, c’est un modèle. Très différent de ce que fait Dylan dans Chronicles. Dave est anglais, Dylan américain, ceci expliquant cela.

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             Puis il va remonter le long fleuve tranquille de la Kinkology, il évoque chaque album comme autant de points de repère, ce sont les jalons de sa vie. Il évoque longuement le Johnny Thunder qu’on croise dans The Village Green Preservation Society, personnage inspiré d’un biker de Muswell Hill qui s’est tué en moto. Dave rappelle aussi que Village Green entérine la fin de la première mouture des Kinks, car Pete quitte le groupe. Pour Dave, c’est la fin d’une époque, mais aussi la fin des real Kinks. Il n’empêche que le groupe continue et entre en studio pour enregistrer Arthur avec un nouveau bassman, John Dalton, qu’on verra à la Fête de l’Huma en 1974. Puis c’est Lola Versus Powerman And The Moneygoround, dernier album sur Pye, a very strong record, nous dit Dave. Puis voilà Muswell Hillbillies, the last album in the vein of earlier Kinks records. On reviendra sur tous ces albums fantastiques dans des Parts à venir. Dave ne cache pas son inquiétude à voir se développer la mégalomanie de Ray, il insinue que les Kinks deviennent alors Ray Davies’ backing band. Mais comme la vie est bien faite, Ray bascule soudain dans le néant : le jour de son anniversaire, sa femme Rasa quitte la baraque en douce, emmenant bien sûr leurs deux enfants. Ray est anéanti. C’est ce qui peut arriver de pire dans une vie d’homme. Dave dit que Ray n’a pas vu le coup venir. Et pourtant, les Kinks sont souvent en tournée aux États-Unis et passent leur temps à baiser des groupies. Dave parvient à gérer ce bordel avec sa femme Lisbet, une Danoise, mais chez Ray, ça n’est pas passé. C’est à l’époque de Preservation que les Kinks s’offrent un studio à Hornsely, le fameux Konk.

             Nous voilà en 1976 et Dave se dit fan de Johnny Rotten, parce qu’à leur façon, les Pistols reproduisent le modèle des Kinks - Naked agression or hilarious pisstake ? - Ray part s’installer à New York avec sa nouvelle épouse Yvonne et réussit à décrocher un contrat chez Arista, avec Clive Davis. Pour Dave, c’est encore un coup de génie de Ray. Ils enregistrent Sleepwalker. John Dalton quitte le groupe, remplacé par Andy Pyle. Au moment de Low Budget, Dave vit avec deux femmes : Lisbet, la mère de ses quatre fils, Martin, Simon, Christian et Russell, et Nancy, une Américaine rencontrée lors d’une tournée. Nancy met au monde un cinquième fils, Daniel, qui naît tout juste six mois après Russell, puis un sixième, Eddie. Pendant que Dave tente de faire tenir tout ça en équilibre, Ray se sépare d’Yvonne et se maque avec Chrissie Hynde, qui à l’époque tourne avec lui, alors forcément, ça crée des liens. Mais Dave s’inquiète car il voit bien que Ray n’a pas besoin d’un autre «mammoth ego». Il est sûr que leur relation ne va pas durer longtemps - They were two alpha cats, essayant tous les deux d’occuper le même territoire.

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             Les Kinks changent encore de label, les voilà sur MCA avec un nouveau manager, Nigel Thomas qui nous dit Dave peut bosser avec les Kinks puisqu’il a déjà bossé avec les Kray Twins  et Morrisey. Quand ils enregistrent leur 24e album Phoebia, ils pensent qu’il s’agit du dernier album des Kinks - But you know, never say never - Il leur faut 18 mois pour en venir à bout, c’est beaucoup trop long. Ray est revenu s’installer à Londres, mais Dave est parti s’installer à Los Angeles avec Nancy. Comme un océan sépare les deux frères, Dave dit que ça apaise leur relation. Et pouf, pendant une tournée, Dave rencontre Kate à Manchester. Leur relation va durer 15 ans.

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             Le dernier album des Kinks s’appelle To The Bone. Pourquoi ce titre ? Parce que c’est un retour aux sources, to the very earliest days of the band, dans le living room de Denmark Terrace.  Puis Dave rencontre Rebecca. Ainsi va la vie. Il termine cet excellente Kinkographie avec une chute spectaculaire : «La vérité, c’est que les gens vivent et les gens meurent. Je vais mourir un de ces jours, mais il se pourrait fort bien que je sois déjà passé dans le coin. Le jour de ma naissance, le 3 févier 1947, je suis descendu dans le canal utérin de ma mère et j’ai aperçu la lumière au loin. Oh fuck I thought. Here we go again.»        

             Dans un Part One mis en ligne sur KRTNT en 2013, on s’est penché sur son début de carrière solo, depuis AFL1-3603, paru en 1980, jusqu’à I Will Be Me, paru justement en 2013, un événement qu’on ne pouvait pas ne pas saluer.

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             Les albums de Dave Davies sont les albums de rock anglais dont on pourrait rêver chaque nuit. Pas besoin d’en rêver puisqu’ils existent dans la réalité, à commencer par le mirifique Belly Up paru en 2008, qui est en fait un album live enregistré au Belly Up en 1997. Et mirifique, c’est peu dire. Dave nous embarque dès «She’s Got Everything» avec un son fantastique et de la wild guitar à la clé. C’est aussi explosif que les premiers sets des Kinks. Petit conseil d’ami : écoute Dave Davies. Il passe aussi une version superbe du fameux «Susannah’s Still Alive», tiré du lost album jamais paru et qu’on retrouve sur Hidden Treasures. C’est fabuleusement kinky. Il tartine son Alive sur la brisure de rythme, oh Suzanne/ Still alive ! Il enchaîne avec «Creepin’ Jean», une autre merveille tirée elle aussi du Hidden Treasures. Puissance des enfers ! Fabuleuse débinade musicologique ! Dave Davies maîtrise l’art des relances particulières. Il joue tout au maximum des possibilités. L’album reste à un très haut niveau d’intensité, il est ultra perfusé de son, ça joue à deux guitares vibrillonnantes et Dave pose son chant là-dessus comme une cerise sur un gâtö. Chaque cut capte l’attention. Tiens, voilà «Wicked Annabella», une espèce de mad psyché congelée sur place et surchargée d’accords. Dave harangue à l’énormité catégorielle. Même les petits balladifs comme «Too Much On My Mind» flirtent avec le merveilleux. Dave va chercher son petit chat de dandy pour caresser le balladif. Et puis tout explose avec «Dead End Street». Il tape en plein dans le mythe. La foule n’en revient pas. Wow Dave ! Tu nous swingues la magie des Kinks ! Il le fait avec le power du dandy terminal. Il transfigure le mythe. Back to the roots avec «Milk Cow Blues», fabuleux shake de shook. Dave vise le stomp, comme à l’aube des Kinks. Nouvelle rasade mythique avec «I’m Not Like Everybody Else» et son riff universel, back to the silver sixties. Sauf que Dave ne chante pas ce hit comme Ray. Il nous stompe ça dans l’œuf du serpent et explose le deuxième couplet au chat perché. Il atteint la perfection. On croit qu’il va se calmer. Dave Davies se calmer ? Tu rigoles ? Pouf, voilà «All Day And All Of The Night». Imparable. L’apanage de Dave. Hot as hell, London 65. Dave devient l’Hadès du heavy riffing. Il tape ensuite une version de «Money» sur le même mode. N’oublions pas qu’on le tient pour l’inventeur du heavy rock en Angleterre. Il tape ensuite un «David Watts» à la pure sauvagerie, il l’embarque à fond de train, comme le veut la tradition du cut. Il tente de calmer les ardeurs de la foule avec «Unfinished Business», un puissant balladif qu’il prend au chat perché et achève le set d’un coup de «Really Got Me» joué en mode déflagratoire. Pas de pire Dave que Dave Davies. Il donne au rock anglais ses lettres de noblesse.

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             Paru en 2014, Rippin’ Up Time grouille aussi de coups de génie. Et ça démarre avec le morceau titre, saturé d’entrée de jeu. Dave nous passe une vieille dégelée de son à la ramasse de la rascasse, en bon seigneur qui se respecte. Il gère son rippin’ à la meilleure heavyness d’Angleterre. Effarant ! Le son semble fouillé dans ses fondations, il descend profondément - Rippin’ up time/ I’m out of my mind - La profondeur de sa heavyness outrepasse l’entendement - There is madness here - On voit les guitares ramper dans la couenne du son. Dave Davies a du génie, qu’on se le dise ! Avec «Front Room», il nous propose un joli brouet de puissante nostalgie. Il évoque l’époque où il apprenait à jouer le «Memphis Tennessee» sur sa guitare. Il joue son balladif aux accords sixties et chante ses vieux souvenirs d’un ton kinky. Il raconte les débuts des Kinks. Retour à la heavyness avec «Johnny Adams» puis «Nosey Neighbours», encore plus dévastateur. C’est du même niveau que Really Got Me. Même épouvantable swagger. À son âge, ce démon de Dave peut encore rocker comme un gamin. On l’attendait au virage : le solo fendu dans l’angle. Wow ! Il enchaîne ça avec un «Mindwash» dégoulinant de son. À force de nous épater, Dave Davies devient imprescriptible. Il sait tailler sa route. Puis on le voit sauter dans son vieux cut de jeunesse, «In The Old Days», c’est d’une excellence qui donne le vertige, il raconte la maison de la famille Davies - In the old days, when men were men/ In the old days, and Brittania ruled the waves - Alors oui, on s’enivre - Dancing in the front room/ Dad sings his favourite songs/ The music getting louder/ There’s a thumping from next doors - Puis il retrouve la veine de son frangin Ray pour «Through The Window», shoot de pop merveilleuse, pleine de collant, il chante avec le même accent décadent et du coup, ça accroche énormément, d’autant qu’il éclaire ça aux arpèges miraculeux. Des vagues de son viennent flatter le ventre du cut - The past is gone/ It’s all been said/ The road continues up ahead/ No regrets, what’s done is done/ The future is here with a brand new song - Cette baleine de son se balance dans l’océan du rock, folle de bonheur. Dave is the best.

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             Et quand il reprend tous des blasters sur scène, ça donne Rippin’ Up New York City Live. Comme dans Belly Up, il cale des vieux standards des Kinks, «I’m Not Like Everybody Else» et «I Need You». Il encorbelle ces vieux hits fantastiquement, il joue au délibéré. Fabuleuse présence riffique ! Il joue le heavy rock comme nobody else. C’est aveuglant de véracité intrinsèque. Il est l’âme du power sound. Il part en solo de dévastation latente, aw my Gawd, écoutez Dave Davies ! Il tape plus loin une version de «See My Friends» - One of my brother’s songs - Mais son «Rippin’ Up Time» ne reste pas en reste, ça rivalise de heavyness avec ses meilleurs coups d’éclat, il te riffe ça à la folie, il envoie rouler des rigoles de lave sonique, c’est un bonheur que d’entendre jouer ce survivant de l’âge d’or. Il explose au grand jour. Il passe des versions superbes de «Creepin’ Jean» et de «Suzannah’s Still Alive» et revient sur l’excellent «Death Of A Clown» qu’il prend à la glotte râpeuse. Ce Death aurait pu devenir un hit tellement c’est allumé à la bonne humeur. Il termine avec ce qu’il faut bien appeler la triplette fatale, à commencer par ce qui restera l’un des plus fameux hits des Kinks, «Where Have All The Good Times Gone». Dave le bouffe tout cru. Shout it out ! Pire que Bowie. C’est de l’heavy Dave, l’inventeur du genre. L’origine du monde. Il tape ça au power-blast de heavy doom, il jette ses couplets un par un down on the ground, c’est l’âme du rock anglais, Bowie l’avait bien compris. Il enchaîne aussi sec avec «All Day And All Of The Night» qu’on ne présente plus. Aw my Gawd ! Explosif ! Ce mec fout l’Angleterre par terre. Il nous explose ça dans un bouquet d’harmonies vocales all day and all of the night et il nous achève littéralement avec «You Really Got Me». Ah il faut le voir balancer sa purée. Tout le monde en prend plein la gueule. C’est du big Dave fondamental. Stupéfiante version avec un solo en forme de descente aux enfers.

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             On trouve sur Hidden Treasures les 13 titres du fameux lost album de Dave Davies. Le cirque dura quatre ans, de 1966 à 1970 : sortira ? Sortira pas ? Finalement, l’album n’est pas sorti. Les projets des Kinks avaient la priorité et les deux majors qui commercialisaient les Kinks, Warner aux États-Unis et Pye en Angleterre, ne parvenaient pas à se décider. Dave enregistrait des chansons qui paraissaient sur des singles, à commencer par l’excellent «Susannah’s Still Alive», si terriblement sixties dans son essence et monté sur un très joli drive de basse. Les cuts de Dave tiennent vraiment bien la route. On a là une sorte de psyché de brit pop kinky assez admirable, très travaillée, et le plus souvent d’une fantastique tenue, comme ce «Hold My Hand» tenace et bien intentionné, pur jus de gospel pop - Hold my hand/ And it’s gonna be alright - Le cas Dave s’impose. Avec «Are You Ready», il fait un folk emblématique, une chanson d’entraînement des foules, il chante à l’accent pointu et ferme. «Lincoln County» est digne des Small Faces, il évoque les pretty girls. Il passe au heavy blues de Muswell Hill avec «Mr Shoemaker’s Daughter» et ça sonne évidemment comme un hit de pub. Il n’y a que Dave Davies ou son frère pour aller chanter «Mr Reporter», cette espèce de petite pop charmante. On entend un beau drive de basse sur «Groovy Movies», pur jus de r’n’b à l’Anglaise. On passe ensuite aux singles avec un «I Am Free» amené à l’extrême heavyness. Ça sent bon l’underground. S’ensuit l’imparable «Death Of A Clown» claqué à coups d’acou, certainement le hit le plus connu de Dave. N’oublions pas «Creepy Jean» dont le son taille sa route, et puis tu as ce brillant «The Man He Weeps Tonight» joué au psyché rampant de sunshine pop, vraiment digne des Byrds.       

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            Paru en 2018, Decade se présente comme une collection de délicieuses resucées, à commencer par ce «Midnight Sun» qui sonne comme «Maggie May». C’est dans le ton du chant et dans certains échos de dynamiques internes. Mais dans les pattes de Dave, ça reste très sérieux. L’autre hit du balda s’appelle «Mystic Woman» - Hear my call/ Bring your juju - Il joue ça au groove du bayou, c’est fin et inspiré, comme tout ce qu’il entreprend. Sur «If You Are Leaving», il sonne un peu comme Roger Chapman. On se croirait sur le troisième album de Family, avec une pincée de Slim Chance dans le son, tu sais, la musicalité si particulière du Passing Show. Et la B ? Une merveille s’y niche : «Within Each Day». Très pop, avec de délicieux accents kinky d’I remember that day when you came in/ Giving my life a clever meaning. Avec «Same Old Blues», il s’engage dans un balladif entreprenant et très audacieux. Dave reste d’une élégance extrême. Un vrai dandy. Il finit sa B en Family motion. Il chante «Mr Moon» et «This Precious Time» à la Chap, c’est évident. Le son de Rog the Chap l’intéresse.    

    Signé : Cazengler, Davide abyssal

    Dave Davies. Belly Up. Meta Media Records 2008

    Dave Davies. Hidden Treasures. Universal 2011    

    Dave Davies. Rippin’ Up Time. Red River Entertainment 2014             

    Dave Davies. Rippin’ Up New York City Live. Red River Entertainment 2015

    Dave Davies. Decade. Red River Entertainment 2018      

    Dave Davies. Living On A Thin Line. Headline Publishing Group 2022

    Rob Hughes : Dave Davies. Classic Rock # 255 - November 2018

    Cam Cobb : Perfect Stranger. Shindig # 127 - May 2022

     

    L’avenir du rock

     - Pas de vague à Liam (Part Two)

     

             Pour rompre avec la routine et le confort intellectuel du swingin’ London, l’avenir du rock s’est installé dans un galetas du Quartier Latin. Quelle idée ! Il espère renouer avec le dénuement de Verlaine et recréer cette puissance d’idéalisme qui fascinait tant Mallarmé, «la puissance d’idéalisme que certifiait une pauvreté aussi simple». Le nouveau confort que recherche l’avenir du rock est celui d’une spiritualité lyrique. Il s’installe donc devant sa pauvre petite table, et alors que danse la lueur pâle d’une chandelle, il trempe sa plume dans l’encrier. D’une main rendue tremblante par l’excès d’excès, il allonge sur un mauvais parchemin le vers qui, pareil à l’omnibus de la petite ceinture, lui traverse lentement l’esprit :

             «Liam, te souvient-il, au fond du fookin’ paradis,

             De la gare de ‘Chester et des bloody trains de jadis,

             T’amenant chaque jour à London, au stade de Chelsea,

             Pour voir jouer Manchester City ?»

             L’avenir du rock sort alors de sa poche un mouchoir qui n’a plus du mouchoir que le nom et s’éponge un front qu’il voudrait aussi bombé que celui de Verlaine, avant de retremper fiévreusement sa plume dans l’encrier et de poursuivre l’inventaire de ses pérégrinations lyriques :

             «Jadis déjà ! Combien je me rappelle le temps d’Oasis

             Ta grâce sur scène à Knebworth, mince et leste, quelle catalyse,

             Comme un ange le long de l’échelle des célestes lavatorys,

             Ton sourire amical et filial était une hydrolyse,

             Tes yeux d’innocent, doux mais vifs, m’allaient dans la lucarne comme des penaltys,

             Ils m’allaient droit au cœur et pénétraient mes ombres de château d’Ys.»

             Secoué d’un dernier spasme lyrique, l’avenir du rock cassa sa plume en écrivant :

             «Mon pauvre Liam, ta voix d’étoile dans le ciel de Knebworth !»

     

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             Si on le laissait faire, l’avenir du rock ne tarirait plus d’éloges sur Liam Gallagher. Il n’est d’ailleurs pas le seul à penser le plus grand bien de cette immense rock star. La presse anglaise s’accroche à lui comme la moule à son rocher : et si Liam Gallag était la dernière rock star anglaise ? Et s’il était le nouveau messie ? Il faut le voir remplir Mojo de paroles d’évangile, du style : «Once you join a band, it’s your birthday everyday.» Quoi de plus vrai ? Histoire d’éclairer notre lanterne, il ajoute un peu plus loin : «Si tu ne te lèves pas chaque matin à six heures pour aller creuser des trous dans une route, ça veut dire que tu as réussi. Les Bouddhistes disent que every morning is another birthday, you know.» Non seulement il est avec Frank Black et Iggy le plus grand chanteur de rock actuellement en circulation, mais il fascine dès qu’il fait une observation - I mean, it’s really my birthday every fucking day ! - Il adore enfoncer son clou au marteau-pilon.

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             Ted Kessler parle de commercial rebirth. Ça veut dire qu’il n’a rien compris. Des artistes aussi parfaits que Liam Gallag, Frank Black, Iggy ou John Lydon n’ont pas besoin de rebirth ni de commercial rebirth. Ils sont tout simplement au-dessus de la mêlée et quoiqu’ils fassent, ce sera toujours bien. Les deux albums de Beady Eye sont énormes et les deux premiers albums solo de Liam Gallag le sont encore plus. Avant même que sorte son troisième album, Knebworth où il doit se produire est sold out. Amazing, dit Kessler. Mais non, pas amazing, normal, pour un mec de la trempe de Liam Gallag qui déclare : «Oui, c’est fantastique. Blows my mind. Mais je n’y pense pas trop. Oh peut être un petit peu, on the sly. Don’t tell anyone.» En plus, il se fout de la gueule de Mojo. Une tournée est prévue en juin, avec des rumeurs que Liam balaye aussitôt : «No ! Noel ne jouera pas avec nous. C’est dingue que des gens puissent imaginer ça. It’s not Spinal Tap, mate. Il sera planqué dans un coin, à penser qu’il vaut mieux jouer devant 2 000 personnes à Scumthorpe plutôt que devant 80 000 personnes à Knebworth. Il a eu sa chance.» Boom ! Alors qu’il se caresse pensivement le menton, il ajoute : «Cela démontre que tout ne repose pas uniquement sur celui qui écrit les chansons. Il arrive que ça dépende des personnalités. The voice. Les gens se moquent du chanteur, oh il n’a pas écrit les chansons, c’est l’autre qui a du talent, c’est l’autre qui est le cerveau du groupe. Maybe I’m the soul. C’est moi qui met la balle dans la lucarne. Mettre un but, c’est le plus difficile, pas vrai ?». D’un point de vue footbalistique, c’est imparable. Pure logique. Quand le silence s’installe dans la pièce, il le brise en demandant une clope - Got any fag ? - La moindre formulation est importante. Liam Gallag est une sorte d’Oracle de Delphe. N’en perdons pas une miette.

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             Pour son troisième album, il voulait faite un Stooges album. Il en a marre des balladifs - I’d love to do an angry record. No strings - Mais en fait, il se retrouve avec des balladifs et beaucoup de strings. «Some soulful pop in amongst the classic Gallagherisms», nous sort fièrement le Kessler. En fait les chansons sont bricolées à distance, à cause de Pandemic, et Liam les récupère à la fin pour les valider. Il veut que ça soit plus «Stones-y or whatever» et en conclusion, il sort une fabuleuse métaphore : «The clothes are already made. But I put them on, make them look good.»  C’est l’essence même de la rock’n’roll star : make things looking good. Ça a toujours fonctionné ainsi, depuis Brian Jones jusqu’à Liam, en passant par Iggy et Jimbo.

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            Et kaboom, «More Power» qui ouvre la bal de C’mon You Know arrive comme un hybride des Stones et de Spiritualized, avec des chœurs de gospel pubère. Liam arrive très vite et remet les pendules à l’heure. Power maximal, il t’éclate ton Sénégal - I wish I had more power - Liam se marre : «Basically, You Can’t Always Get What You Want.» Il parle de colère dans son texte. «What’s angry ? It’s passion. One day I’m chilled, the next I’m an angry cunt. Ça dépend de ce que j’ai bouffé. Ça dépend du temps qu’il fait.» Il ne veut pas analyser sa musique. Pour lui, l’essentiel est que ça sonne. Il laisse l’analyse aux autres. Power ? More Power ? Non ça ne le branche pas du tout. Il sait comment se fait un bon album : «I need to have a word with myself. J’ai besoin de me limiter à guitar, bass and drums. Ten songs, in your face - big good songs.» Et pour que les choses soient bien claires, il ajoute : «I need a total Beatles ban. And a Stones ban. Next time, I’m just gonna get in the studio with a band and bash it out. Not even mix it. Just have it as it’s coming off the desk.» On l’écoute en rigolant. Le rock ne risque pas de casser sa pipe en bois avec un mec comme Liam Gallag dans les parages.

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             En bons fouille-merde, les journalistes lui ont trouvé un petit problème de santé : il doit se faire opérer des hanches - My hips are fucked. J’ai de l’arthrite, bad - La bonne femme lui dit qu’il doit grimper sur le billard. No way. Et après les hanches, ce sera quoi ? Alors fini le jogging sur Hampstead Heath. On lui dit qu’il pourra recommencer à courir après l’opération. Et tu sais ce qu’il répond ? «I’d be like Louis Spence, throwing my leg over my shoulder while playing the flute», ce qui peut vouloir dire qu’il va ressembler à Louie Spence (un danseur célèbre en Angleterre), à jeter sa jambe par- dessus l’épaule tout en jouant de la flûte. Là, tout Mojo s’écroule de rire. Il dit qu’il se fout de la douleur - Pain is OK. My eyes are fucked. My hips are fucked, got the old thyroid. But we’re all going to die, pas vrai ? Or are we already dead ? - Kessler annonce que sonne l’heure de la philosophie. Liam développe : «Peut-être sommes-nous déjà au paradis. Ou en enfer. Comment peux-tu savoir où nous sommes ? How do you know dying is death ?» Comme personne ne l’interrompt, il continue : «Je ne crains pas la mort. Pourquoi devrais-je la craindre ? Ça va arriver de toute façon. C’est la même chose que d’avoir peur d’être né.»     

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             Et pouf, il envoie son morceau titre - C’mon you know/ It’s gonna be alrite/ C’mon you know - Il enfonce son clou au stomp. Pur jus de rock anglais. On peut même parler de cut décisif. La fête se poursuit avec «It Was Not Meant To Be», vieux shoot de pop anglaise, en plein cœur du swingin’ London. Il vend sa soupe, c’est un battant. Rien ne peut le faire reculer. C’est la constance de ‘Chester. On note aussi la brutalité des coups d’acou dans «World’s In Need», et kaboum ! Ça saute à nouveau avec «I’m Free». Après une grosse intro, le Gallag te saute dessus à bras raccourcis, il chante avec de la colère plein la bouche, c’est tellement bardé de son que ça chevrote. Les colonnes du temple dansent le twist. L’album est tout de même un peu étrange, Liam semble chercher des voies de passage vers les Indes - Go back to your prisoner/ Cause I’m free - On entend le ghetto blaster de Notting Hill Gate. S’ensuit un «Better Days» extrêmement embarqué, extrêmement orchestré, il traîne la savate au chant, c’est sa façon d’épouser son génie, ça devient énorme, ça monte comme la marée. Il impressionne encore plus avec «Oh Sweet Children», il a le même impact que John Lennon, le même poids dans l’histoire du rock. Gallag est l’égal des dieux. Mais le plus surprenant, c’est encore la pochette. La pochette n’est faite que de fans photographiés depuis la scène. C’est l’hommage de Gallag à ses fans, mais les images sont assez perturbantes. On se demande si tous ces gens ont accepté le principe. Sur le poster plié à l’intérieur, tu vois une mer de smartphones, ils font tous des photos du Gallag sur scène. Des centaines de smatphones. On vit dans ce monde. Loin du monde.

    Signé : Cazengler, Gallaguerre des boutons

    Liam Gallagher. C’mon You Know. Warner Records 2022

    Ted Kessler : You only live twice. Mojo # 343 - June 2022

     

     

    Inside the goldmine - Setting Son of a bitch

     

             L’homme qui vendait sa maison ne faisait aucun effort pour masquer ses manières aristocratiques. Le bleu de son regard était si clair qu’il en paraissait transparent. Il accompagnait chacune de ses phrases d’un geste de la main ample et gracieux à la fois. Il affirmait posséder de vraies toiles, celles que la nature lui offrait à travers les immenses baies vitrées donnant sur le bord de Seine. Voyez-vous, nous avons là les quatre saisons. Il restait extrêmement discret sur les origines de sa fortune, mais l’entremetteuse nous confia un peu plus tard que l’homme avait possédé au temps de sa jeunesse un grand hôtel à Opéra. Sans doute fatigué des rythmes urbains et du brouhaha haussmannien, il avait opéré un repli stratégique vers un bord de Seine qui était encore alors quasiment inhabité et fait installer sur cette fantastique terrasse ce qu’il appelait lui-même une « demeure en portefeuille». Il avait imaginé le principe de ce cube en ferraille déposé par une grue et doté d’un mécanisme clic-clac qui assurait disait-il le setting. Une fois le portefeuille ouvert, deux poutrelles métalliques enfilées dans des conduits prévus à cet effet raidissaient la structure pour l’éternité. Le cube offrait une vue imprenable que ce paysage d’Île de France qui fascina tant de peintres, de Pissaro à Sisley en passant bien sûr par Auguste Renoir. Mais pourquoi cet homme se séparait-il d’un tel paradis ? Son épouse qui était alors occupée à cuisiner des poivrons grillés souffrait disait-il des hanches et ne pouvait plus envisager de monter quotidiennement la volée de marches qui reliait le chemin de halage à cette gigantesque terrasse. Il ne laissait absolument rien transparaître de son dépit. Il affichait un calme olympien, se contentant de nous redire sa fierté d’avoir imaginé ce setting d’une simplicité enfantine. Pendant les six mois qui suivirent l’acquisition, nous vécûmes sous une tente installée dans le jardin. Nous n’osions rien toucher de ce qui avait fait le quotidien de cet homme extraordinaire. Quand nous apprîmes par la suite qu’il avait péri dans l’incendie de son écurie de chevaux de course, il nous parut évident qu’il s’était jeté dans les flammes. 

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             Le setting du danois Sebastian T.W. Kristiansen est légèrement différent, puisqu’il s’agit d’un groupe pop, The Setting Son, monté en 2007, que le légendaire Lorenzo Woodrose prend sous son aile. Il va d’ailleurs produire leur premier album, The Setting Son.

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             On ne sera donc pas surpris de se retrouver en plein dans une belle ambiance sixties, climat clairvoyant amené dans la délicatesse, c’est même un peu la fête au village, ça pulse à la basse de culs de basse fosse, comme chez Breughel l’ancien, ça éclot à l’éclat d’épaisse fuzz et globalement ça frise de futurisme de Marinetti. Ça monte soudainement en pression qualitative avec «All I Want Is You», fabuleux shake in the face de Setting Son, totally out of it. Tiens puisqu’on est dans les out of it, voilà un «Out Of My Mind» joué à la pure violence, c’est le wild gaga de Lorenzo. On reste dans le gaga avec «In A Certain Way», relevé à l’extrême, ils tapent ça au someone else, c’est violent et complètement washed out. Ils profitent de leur élan pour trasher «I Love You», une abomination gagapocaplytique jouée au fuzzcore de Tasmanie. On a là l’un des très beaux albums gaga du XXe siècle. Ce mec plonge dans «I’m A Loser» au I’m just a loser et il reste d’une crédibilité sans nom. L’album continue de foncer dans la nuit avec «I’m Down», c’est plein de fuzz et de nappes de Seeds, c’est excellent et on se régale de cette proximité avec le Grand Œuvre de Lorenzo Woodrose. Ah quelle belle overdose de gaga sixties ! Il ne faut pas se fier à la leur mine de gentils mecs, les Setting Son sont capables des pires exactions. Tout est parfait sur cet album, le festin de son s’achève avec «Desperate Soul» et «You Better Run Away From Me», noyé dans les extrêmes. Ce mec tord le cou de sa psyché.

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             Paru en 2008, Spring Of Hate bénéficie d’une belle pochette dessinée, surtout au dos où dansent six femmes nues qui ne cachent rien de leur intimité. Avec cet album, Sebastian T.W. Kristiansen propose une petite fast pop dans laquelle remontent à un moment des accents des Seeds («Soulmate»). Avec l’«Out Of Tune» qui clôt le balda, il va plus sur Mercury Rev. En B, on retrouve the Seedy motion dans «Creepy Crawlers». Même élan, même ambition, même lancinance. «Wrong From The Start» plaira aux amateurs de gaga pop, c’est très énergétique et bien secoué des cloches au shuffle d’orgue. Toute cette pop se tient merveilleusement bien. Guitare et orgue se relayent pour redorer le blason du son. On se régale encore de «Depression», un cut plein de jus avec de grandes vagues de shuffle et de soudaines montées de violence, comme d’ailleurs chez les Seeds. Si nos amis les Seeds enregistraient un nouvel album à notre époque, ce serait celui-ci. Les Setting restent dans la mouvance Seedy jusqu’au bout de la B avec «Demons In My Head» et «I Lost Control», ils taillent la route à la bonne énergie de lose control et avec tout le bataclan qu’on peut bien imaginer. 

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             Avec Before I Eat My Eyes And Ears, les Setting restent dans l’optique big pop de Bad Afro, ce que certains qualifient de bubblegum psych with strong melodies and hooks galore. Ils font preuve d’un réalisme catégoriel étonnant, «Above The Rest» passerait presque pour une pop d’orgue doucement bercée, bien dense avec les louves. On sent un soin qualitatif de tous les instants, comme chez Galileo 7. «Terrible Town» va plus sur le Swingin’ London, avec du shuffle sous-jacent et un beat à la Spencer Davis Group. Ils bouclent leur balda avec «All The Candy», un big brouet de pop alerte et spontanée que chante Emme Acs. Ces gens-là ont du répondant poppy et même power-poppy à revendre. L’énormité de l’album s’appelle «Death Breath». Ils font de l’éthéré à la Mercury Rev. On se croirait en Arizona. On retrouve Emma Acs dans «Butterface», elle y va à coups de butterface et ça pourrait bien être un hit, after all. Mais globalement, ils s’éloignent des Seeds et de Baby Woodrose. Ils finissent avec un shoot de pop éthérée nommé «La Luna». Ils vont chercher des horizons à la MGMT, une bruine de son parcellaire que traverse un filet d’orgue et des voix diffuses qu’on voit à la fin s’étioler en de délicieuses arabesques harmoniques.

    Signé : Cazengler, Settting Con

    Setting Son. The Setting Son. Bad Afro Records 2007

    Setting Son. Spring Of Hate. Bad Afro Records 2008

    Setting Son. Before I Eat My Eyes And Ears. Bad Afro Records 2012

     

     

    ROCKABILLY RULES ! ( 7 )

    N’oubliez jamais que toutes les règles sont faites pour être contournées, dépassées, chamboulées, piétinées, car l’important avant tout c’est d’avoir un cœur fidèle et rebelle !

     

    ICHI-BONS

    Une vidéo aux couleurs criardes vous arrache la gueule sur You Tube. Exactement le genre de troue-pupilles dont j’habillerais Kr’tnt si les lecteurs – nul n’est parfait - ne préféraient pas les couleurs médianes ni trop flashy ni trop obscures, s’agit d’un clip promotionnel pour le nouveau le nouvel EP deux titres d’Ichi-Bons, oui ils sont bons, donc on plonge tout de suite sur la vidéo et ensuite sur le disque :

    DUST OF LIFE ( Promo Vidéo )

    ANDREW FOERSTER

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    Comme toujours quand on rencontre un graphiste qui accroche les mirettes un détour par son Instagram s’impose, cette vidéo s’inscrit dans la continuité de son œuvre, le bonhomme aime les couleurs vives, une évidence qui crève les yeux, mais allez-y voir par vous-mêmes, comme il n’y a pas de hasard dans la vie vous trouverez deux posts sur les White Stripes, or le 22 septembre dernier les Ichi-Bons étaient en première partie de Jack White, ne cherchez pas l’erreur, il n’y en a pas.

    Des couleurs Prisunic qui fleurent bon l’insouciance proclamée des sixties, un bleu prunelle, un jaune orangina, un noir mat formica, quelques touches de blanc pour rehausser la crudité des pigments, le début est parfait, juste le temps de l’intro, tout est dans la couleur instrumentale, quelle parfaite sonorité de guitare, ça évoque l’intro de Brand New Cadillac de Vince Taylor même si ça n’a rien à voir, z’ensuite vous tombez sur le type de clash apocalyptique dont les aficionados de rockabilly raffolent, le genre de déchirure qu’a dû ressentir Ravaillac lorsque les quatre percheront l’ont déchiré d’un seul coup, c’est alors que vous aurez l’impression d’être victime de troubles visuels, l’image saute sur une ( sale ) mine, si votre cerveau a du mal à suivre ne l’accusez pas c’est que votre constitution n’est pas faite pour le rockabilly, c’est triste mais c’est comme ça, quand vous voyez s’afficher le nom des musiciens fautifs, respirez, vous avez survécu, si vous ne les voyez pas, pas d’inquiétude c’est que vous êtes mort. Vous êtes délivrés de notre monde de brutes et de fureur. Reposez en paix. L’épreuve ne dure pas une minute ! La suite est pour les survivants.

    Ne me demandez pas ce que signifie Ichi-Bons, en la langue des oiseaux nous traduirons par Ici (c’est) Bon, sinon nous y trouvons une consonnance asiatique, le guitariste et vocaliste ne se nomme-t-il pas Hideki Saito même si sur la vidéo il est dénommé Little Perkins, ce qui il faut l’avouer sonne beaucoup plus rockabilly. Mamo Banzai : basse, Paddy Burn : drums. Ne sont pas américains, enfin si, du Canada, de Toronto. Revendiquent trois racines pour leur musique : garage, surfin’, rockabilly.

    THE DUST OF LIFE / CAN’t STOP MOANING

    ( Trophy RecordsTR003 / Décembre 2022 )

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    The dust of life : barate boogaloo en toile de fond, genre explorateurs ventre à terre poursuivis par les cannibales, très logiquement Little Perkins vous projette le vocal à fond de train, mais le pire c’est cette note de guitare qui revient perpétuellement comme le tic-tac fatidique ( mais ici follement perce-oreille mélodieux ) de la bombe dans l’avion qui va exploser, la tension s’intensifie et c’est ici que la déflagration se produit, la basse se la joue de profundis compressé, Perkins est aux abois, le gars qui ne retrouve plus sa ligne de vie dans la paume de sa main, calmos, pas de panique, arrêt buffet, les cavaliers embrassent leurs cavalière, une demi-seconde de répit avant l’éclatement de l’auto-destruction finale. Can’t stop moaning : un titre qui sent le blues à plein nez, ben non, c’est de l’ultra-comprimé, le rockab des familles désunies ou d’assassins, un bocal, pardon un vocal avec le   crotale vivant à l’intérieur, Burn a beau essayer de l’écraser à coups de grosse caisse, cause perdue, apparemment ils ne savent pas garder leur sang-froid, la fin est une espèce de salmigondis de crise de folie généralisée. Ce quarante-cinq tours est le genre d’évènements qui vous réconcilie avec le monde dans lequel vous vivez, puisqu’il vous permet d’entendre de telles horreurs ! Splendide.

             Quand on a repéré un coupable  de bonnes choses ( c’est comme pour les mauvaises ) faut rechercher les antécédents, voici donc leur premier opus, la pochette sent l’artisanat du DYE, entre parenthèses celle du précédent dans la lignée des simples américains n’est guère folichonne. Voici donc :

    ICHI-BONS PRESENTS :

    SHOW ME THE ROPES / BLUE EYES & BLACK HAIR

    ( Digital Bandcamp / Sortie : 31 / 03 / 2022 )

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    Show me the ropes : une guitare qui sonne et une section rythmique qui groove à mort, c’est le vocal qui sert de locomotive, voix sonore légèrement en urgence qui hoquète presque comme un drapeau flagellé par un vent taquin, l’est vite rejointe par une surfin’guitar qui ne surfe pas mais qui fait résonner des cordes de pendus qui claquent au vent, ce coup-ci mauvais, et qui bientôt jette toute la vaisselle du bahut à terre pour mieux la piétiner. Décidément ces gars-là ne peuvent terminer un morceau sans se fâcher. Blue Eyes & Black Hair : un titre à la Red Cadillac and black moustache, mais beaucoup plus énervé que les versions de Bob Luman et de Warren Smith, ici l’on est dans le rawkabilly pur et dur des origines, une batterie qui tape, une basse qui cogne, une guitare qui étincelle de mille feux et un vocaliste qui scie la branche de l’arbre sur lequel il s’est posé et qui se dépêche pour ne pas avoir l’air de mourir idiot. L’art du rockab c’est celui de l’intention, tout est dans l’inflexion esthétique que l’on donne à sa vie. Old style, good style.

             Quand il n’y en a plus, il y en a encore :

    BLACK DICE DEMOS

    ( Digital Bandcamp / 24 – 03  - 2020 )

    L’ont accompagné d’une photo, jeune groupe timide qui n’ose pas la ramener pour leur premier concert. Ne pipent pas un mot, ils attendent d’être sur scène pour faire parler la foudre.

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    Don’t call me flyface : n’ayez pas peur lorsque fuse le cri, il n’y en aura pas d’autres (enfin si mais pas trop nous sommes dans un instrumental ), assument leur héritage de surfin’ group, se déchaînent à fond, n’apportent rien au surfin’ de l’époque originelle de Dick Dale mais ils y mettent tant de cœur et de hargne que l’on se régale. Je jure qu’après la quinzième écoute je passe au morceau suivant. The rockin’ Gipsy : attention ici on vous le met dedans à l’espagnole, le grand style une guitare avec robe à volants flottants, une batterie banderillas à répétitions, c’est pas du flamenco pathétique mais de l’esbroufe, la basse claque du talon, regardez comme l’on joue vite, attention, question guitare l’on est beaucoup plus près de Django Reinhart que de Manitas de Plata. Dans la vie tout est question de doigté. The black alley stroll : stroll is cool, entrevoyez la problématique : comment flamber lorsque l’on est coincé sur une rythmique pour jeunes filles de cinquante ans, dès le début ils allument la torpédo, mais peuvent pas tricher non plus, alors ils adoptent la démarche chaloupée de la file d’éléphants qui respecte les limitations de vitesse, z’avez la basse et la batterie qui marchent en tête, ne comptez pas sur elles pour accélérer la cadence, la bête vicieuse, elle est au fond, en apparence elle suit les autres avec la docilité de ces cancres tapis près du radiateur qui attendent que le maître ait le dos tourné au tableau pour lancer une boule puante, l’air de rien, la tête pensive du gars qui tente de résoudre une équation du douzième degré, et plang ! la guitare vous déracine un arbre d’un coup de rien en toute innocence et chlang ! une nouvelle frondaison s’écroule à terre, même qu’hypocritement la basse appuie plus lourdement sur ses pattes pour couvrir le bruit, et toute ces bêtes si sages rigolent à perdre haleine comme si elles venaient de lire une chronique de Damie Chad.

             Ichi-Bons nous refilent quelques bonus. Du tout nouveau, trois albums enregistrés live le trente septembre 2022

    LIVE @Linda RonstatdMusicHall. Tucson. AZ

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    Live in Tucson. Vol 1 : Down shiftin’ : on s’en doutait un instru pour se chauffer les doigts, sont vite bouillants, z’ouissez cette guitare qui vrombit pour s’arrêter et repartir en claquements de becs salés, la rythmique pied au plancher, criez et applaudissez, c’est terminé, deux minutes de bonheur, c’est peu ! Still on zero : encore plus court un petit début country pour varier les plaisirs et hop un beau vocal rockab style western qui tire dans tous les coins, un chanteur en voix off tellement on est pris par l’action. Sont doués ne méritent pas leur zéro. Striding throught my blues : une volée de notes dans la tradition blues exalté de sept secondes et accélération clivante genre chevauchée fantastique, un dilemme terrible vous attend, faut-il suivre la guitare ou le vocal, heureusement que le band passe devant ce qui vous évite de vous prendre pour Corneille, ça repart en plus doux ce qui vous permet d’allier tous les plaisirs, hélas le solo qui vient vous arrache l’épine dorsale, pour le reste disons que c’est blues suede shoes ! Castin my spell : entrée tamtamtivore, c’est beaucoup plus l’appel de la jungle que de la forêt, ça ronronne à la manière du tigre qui se lèche ses babines ensanglantées, beau jeu de basse rampante, guitare serpentine, vocal feu au plancher, la foule acclame.

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    Live in Tucson. Vol 2 : Run chicken run : les picotis de Link Wray et la guitare qui lance les graines dans le poulailler, l’est sûr que le poulet n’est pas élevé en batterie – pourtant elle ne perd pas l’occasion de se faire remarquer - ici ce n’est pas de l’industriel et ça sonne comme un combat de coq. Hep cat : fini les plaisanteries, un bon vieux rock’n’roll des familles, avec rien qui dépasse ( même pas deux minutes ) une voix cochranesque qui vous fout le ramdam, un petit solo salé, et un final démantibulé vitaminant. Le truc parfait. I’m gone : vous avez aimé le précédent, alors ils vous en refilent un autre sur le même modèle, en plus court car il ne faut pas trop gâter les enfants, sans quoi ils se conduisent dans la vie au mieux comme des voyous au pire comme des rockers. Snake eyes : l’on vous a déjà dit de ne pas jouer avec les serpents, ce sont des bêtes vicieuses et dangereuses, un petit instru de derrière les vipères, dans la deuxième partie vous avez une guitare qui imite les chatoyances charbonneuses du mamba noir, mettez-y l’oreille mais pas la main. A moins que vous ne vouliez finir comme Cléopâtre.

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    Live in Tucson. Vol 3 : The witch : un son différent de tout ce qui précède, un peu plus tonitruant et un vocal de chirurgien énervé qui a oublié son bistouri dans le ventre de son patient, l’est pas content hurle de toutes ses forces pour que le gars le lui rende. Blues eyes & black hair : pur rockab classique, difficile de dire si cette version est différente de celle de leur disque auto-produit , un chouïa plus énervée peut-être, mais cela se discute. Contentons-nous de jouir sans entraves comme l’on disait à l’époque. Show me the ropes : là, il n’y a pas photo, diantrement plus nerveux et un accompagnement beaucoup plus mélodramatique dans lequel se distingue un pointu solo qui sonne très Buddy Holly. The black alley stroll : ne rallongent pas la promenade, adoptent un pas davantage nonchalant, la guitare ronronne gentiment à la manière du chat qui attend l’ouverture de sa boîte de Canigou Ron Ron. Sur la fin on n’entend plus que ses voluptueux lapements de langue visqueuse.  Misirlou : ce n’est pas la misère qui nous tombe dessus mais le tube de Dick Dale (ça tombe bien on avait la dalle), nous le traitent à la hussarde, une belle cavalcade de trois mille chevaux qui foncent droit sur l’ennemi, c’est grisant, on s’y croirait, ça tonne de tous les côtés, la batterie ne sait pas être douce, la basse vous écrase, la guitare vous étripe, l’on est un peu maso alors on en redemande.

             Pas mal cette idée de trois quarante-cinq tours pour un concert, ne rêvons pas, pour le moment c’est en digital sur bandcamp, mais espérons qu’un jour ils concrétiseront, les photos des pochettes supposées reflètent bien l’ambiance, un appât pour les collectionneurs, le plus terrible pour les plus désargentés, lequel des trois choisir, dans chacun ils trouveront un morceau indiscutable… Dans tous les cas, tous les cats auront un vinyle d’un des groupes de rockabilly actuels prometteurs.

    Damie Chad.

     

    *

             J’avoue une prédilection certaine pour les gens qui possèdent une mythologie personnelle. L’on pourrait me rétorquer que chacun possède sa propre mythologie, certes seulement certains en ont davantage conscience que la masse des autres. Raison nécessaire et suffisante pour expliquer mon goût pour le Metal, le Stonner et le Doom. Les groupes de ces courants développent tant d’énergie que les textes qui les accompagnent ne sauraient se contenter longtemps d’historiettes sentimentales, pourquoi tant de bruit et de fureur pour des évènements d’une extrême banalité. Les musiques fortes exigent des textes d’une même ampleur. Le problème c’est que tout le monde n’est ni Homère, ni Virgile… Certains groupes ont compris la difficulté, puisqu’ils se sentent incapables de rivaliser – d’ailleurs le format ne le permet guère – avec La Pharsale ou La Divine Comédie, préfèrent se taire. Si pas de texte, nul besoin de chanteur. Seule reste la musique. Se développent ces dernières années des groupes instrumentaux. Ce n’est pas choisir la facilité. Comment se faire comprendre sans l’aide de mots et en se passant du plus bel des instruments : la voix humaine.

             Nous sommes face à une démarche très différente des groupes instrumentaux des années soixante, la problématique était toute autre, il s’agissait alors d’explorer les tessitures et les possibilités des nouveaux instruments électriques… tout nouveau, tout beau… les chanteurs ont très vite récupéré leur place… sur le devant de la scène…

             Mais essayons de comprendre comment l’on peut se faire comprendre sans prononcer un seul mot en écoutant l’opus suivant qui déjà se singularise par sa date de parution, ce premier janvier 2023.

    BLACK SKY GIANT

             Enfin presque, puisque déjà ils en utilisent ( en français ) cinq : le nom du groupe :  le géant du ciel noir. Que savons-nous d’eux ? Qu’ils sont de Rosario, la plus grande des villes de la province de Santa Fe, en Argentine. D’après les photos ils sont trois. Ils ont toutefois choisi d’apparaître en tant que Black Sky Giant.

    Un ciel noir ne porte pas à l’optimisme, néanmoins souvenons-nous que le vide interstellaire est noir, ce qui déjà octroie à ce géant une origine étrangère. Le mot géant en lui-même n’est pas neutre, dans nos souvenirs scolaires plane cette histoire de ces géants qui ont combattu contre les Dieux de l’Olympe, fait-il partie de cette cohorte, à ce point nous n’en savons rien, et puis les contes d’enfants sont aussi peuplés de géants souvent (mais pas toujours) patibulaires. Quoiqu’il en soit le fait qu’ils se déclinent en tant que géant du ciel noir nous incite à considérer qu’ils induisent en nous l’idée d’une dimension mythologique.

    Pour ceux qui veulent tout savoir et chercher, Black Sky Giant a antérieurement produit quatre autres albums à écouter comme des préquelles de celui-ci, il devient manifeste que le Black Sky Giant est autant le nom du groupe qu’un des personnages de cette saga…

    Autres indices : la pochette : due à Deliria Vision. Inconnu au bataillon, un tour sur son instagram nous propose une auto-définition lapidaire ‘’ Sci-fi & Horror Music Artwork’’, pas de tricherie sur le contenu qui suit. Beaucoup de pochettes de disques, à chaque fois un monde froid et cruel que l’on devine sans pitié, vous n’avez aucune envie de le visiter, une vision oniro-cauchemardesque d’un art qui n’est pas sans évoquer certaines lithographies de Salvador Dali mais que l’on pourrait définir comme de l’expressionisme architectural glacé qui ignorerait toute représentation de la fragilité humaine…

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    La pochette en elle-même n’est pas belle, elle est la représentation d’un monde que nos critères esthétiques ne permettent pas d’appréhender. Imaginez les statues géantes de l’Île de Pâques qui auraient été torturées et décharnées à dessein. Des pieux géants plantés en mer et sur terre en tant qu’avertissements sang frais à ceux qui voudraient aborder. Justement un bateau à voiles apparemment insensibles à ce paysage peu engageant fait cap vers le rivage. Le titre est très ambigu, les primigéniques annoncés sont-ils les aventuriers qui se préparent à aborder ou ceux qui ont construit l’imposante tour d’accueil qui se présentent à eux… L’on pense à un temple lovecraftien des Grands Anciens. Etrangement lorsque cette couve s’est présentée à moi j’ai tout de suite pensé à Fragment d’un Paradis de Jean Giono… Bref chacun apporte ce qu’il a dans la musette de son cerveau, livres, films, bande-dessinées, tableaux, œuvres musicales, le groupe fournit la bande-son à l’auditeur de produire les images mentales. Les titres sont assez éloquents, ils sont en rapport direct avec la pochette. L’écoute se transforme en une quasi-expérience de rêve dirigé nervalien, objectivement il n’y a que deux directions possibles, extérieure ou intérieure, un voyage astrale hors de soi pour effleurer ou toucher à une certaine objectivité mondaine ou une entrée en les abysses de soi-même pour descendre tout au fond de la mer consciente.

    Pour ceux qui craindraient à tort d’être dépourvus de l’imaginaire nécessaire, sur son bandcamp le groupe a laissé quelques phrases-béquilles, qui aident certes mais qui peuvent aussi être interprétées de différentes manières. L’ambiguïté ne mène-t-elle pas le monde ?

    PRIMIGENIAN

    Primigenian : ce morceau est de toute splendeur, l’impression de se trouver à l’intérieur des tuyères d’une fusée spatiale, une progression par palier, le son à chaque fois plus fort s’empare de vous et vous emporte, vous subissez des accélérations et des chutes de pression artérielles difficile à supporter, les guitares volent sans être exactement être aériennes car trop soudées à votre chair, un prélude qui ne raconte pas ce qui va arriver mais qui remémore tout ce qui s’est passé avant, vous n’en savez peut être rien, mais les sons sont porteurs de l’inconnaissance de votre connaissance, vous ne savez pas mais d’instinct vous comprenez que le voyage a été long et tumultueux, que vous êtes à l’aube d’un nouveau chapitre. At the gates : vous auriez une carte avec le relevé de la longitude et de la latitude vous seriez heureux, mais vous possédez mieux, un dessin, une carte au trésor, la pochette elle-même,  vous touchez au but, vous êtes en train de passer par la grande porte, la musique crie victoire, elle se transforme en une immense clameur de triomphe, super-générique de film d’action, la force du premier morceau multipliée par mille, vous êtes accueillis en vainqueur même si la basse chantonne que vous n’êtes pas au bout de vos surprises, une allégresse héroïque s’empare de votre esprit, que cette basse est magnifique, comment ne pas l’entendre, c’est sur elle que repose ce péan de louanges érigées en votre honneur. Le bonheur qui vous étreint n’en finit pas de s’épanouir en votre âme.  Stardust : tout va-t-il trop vite, la musique suit son rythme effrénée mais on a envie de dire qu’elle déroule sa sarabande sur un mode mineur, qu’elle murmure à votre oreille, souviens-toi que tu n’es que poussière d’étoile, une formule qui vous gonfle d’optimisme car être un fils des étoiles est plutôt flatteur, votre personne ne relève-telle pas de l’immensité de l’univers incommensurable… moderato, tu es aussi poussière, atome minuscule, regardez sur le dessin ces crânes d’hommes plantés sur des pilotis, ils paraissent énormes, selon les lois de la perspective si le bateau présente une taille ( soyons gentil ) modeste c’est que de fait il n’est pas bien grand, la taille d’un jouet de gosse, ta grandeur en prend un coup au moral, mais peut-être les primigenians vers lesquels nous nous dirigeons étaient-ils de super-géants ce qui expliquerait notre toute relative petitesse… The great hall : une musique venue d’ailleurs vous saisit, grandiose, elle sonne d’argent dans vos oreilles, vous n’êtes pas n’importe où, dans le grand hall, maestro jouez grandioso, fabuloso, extraordinario, incoroyablo, énormo, nous n’avons pas assez de mots, de vocables assez vastes pour évoquer l’émotion qui nous saisit, nous sommes ici au saint des saints, en le lieu sacré de la connaissance absolue et originelle, celle de nos grands ancêtres, pour un peu nous tomberions à genoux pour marquer l’extase vénérationnelle à laquelle nous succombons. Sonic thoughts : déferlement musical, un maelström sonore submerge notre esprit, dans quelques secondes nous allons savoir, allégresse, les livres de la loi primordiale sont dans nos mains, ils ne sont pas gravés dans la pierre ni sur des tables d’airains, il suffit de les prendre sur le piédestal sur lesquels ils reposent, nous ne savons pas à quoi ils ressemblent, mais c’est un message que les primigenians ont laissé pour que les civilisations futures qui viendront après eux – c’est nous – puissent posséder les secrets fondationnels de l’ultime sagesse. The foundationel found tapes : ceci n’est pas de la musique mais un bruit que nous connaissons bien, comment est-ce possible, se moquerait-on de nous, cette musique triomphatrice du début se charge d’étonnement, de discordances, de colère de déception, nous avons beau appuyez plusieurs fois et entendre ce satané déclic, rien ne vient nous contredire, la batterie marque le pas de notre grande tristesse, nous entendons des bruits que nous ne comprenons pas mais nous comprenons très bien que les primigenians que nous avons toujours considérés comme le peuple fondateur sont bien décevants, le support de leur savoir repose sur une simple cassette audio, un objet qui fait partie de notre préhistoire, nous leur sommes donc supérieurs, ce que nous avons recherché si longtemps nous le possédions depuis longtemps dans nos musées, dans nos greniers, dans nos souvenirs, la cassette en bout de course s’arrête.

    A vous d’interpréter cette histoire à votre convenance. Black Sky Giant veulent-ils nous dire que partout il y a de la bonne musique, sur toutes les latitudes, depuis des millénaires, perdue ou recueillie sur n’importe quel support… ou alors qu’il faut que nous fassions gaffe à notre imagination, que nous arrêtions de nous tourner des films, que nous ne confondions pas les vessies de nos rêves avec les lanternes de la réalité.

    Une leçon à méditer. Un superbe disque à écouter. Stoner estonnant et destonnant. Fable philosophique ?

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 16 ( Datif ) :

    82

    Pour une fois, reconnaissons-le, nous tournions en rond. La semaine qui suivit les facéties de la forêt de Laigue s’écoula tristement. L’opinion heureuse d’apprendre que le nouveau virus hyper-contaminant s’était tué lui-même goba l’hameçon. Plus de danger, honneur aux héros qui se sont sacrifiés, le gouvernement fit les choses en grand, deux cent trente-sept cercueils alignés dans la cour des Invalides, un jour férié, un discours du Président, retour au travail le jeudi matin, soulagement général… Pour sa part le SSR ne resta pas inactif, le Chef relut soigneusement le dossier dans lequel il prenait note de nos démarches antérieures et fuma dix-sept fois plus de Coronados que d’habitude, je fis un tour au cimetière de Savigny , refouillai en pure perte de fond en comble la maison d’Alice lycéenne, et me recueillis longuement devant la tombe d’Alice ( la seule, la vraie, l’Unique ) mais elle ne m’adressa aucun signe, j’attendis à la sortie de l’école espérant rencontrer sa petite sœur Alice mais elle n’était parmi la troupe d’enfants qui s’égaya telle une volée de moineaux affamés de liberté… Molossa trouvait le temps long, Molossito geignait de temps en temps sur le canapé. Le dimanche matin le Chef déclara qu’il allait les promener au Père Lachaise pour leur changer les idées et ajouta-t-il, ‘’ce paysage ravissant m’aidera à trouver l’inspiration’’.

    83

    Je profitais de leur absence pour corriger les rares fautes d’orthographe que par inadvertance j’aurais pu laisser dans les Mémoires d’un GSH, lorsque le téléphone sonna :

    • Allo ! c’est Carlos, rendez-vous ce soir à 19 heures au restaurant de L’Autruche Baguée, il y a du nouveau, et j’ai salement besoin d’un coup de main !

    A dix-neuf heures tapantes un maître d’hôtel huppé nous guida à l’intérieur de L’Autruche Baguée, un établissement super-classe, d’un coup d’œil j’intimais à Molossa et Molossito de ne se livrer à aucun débordement, au nombre de Bentleys et de Ferraris stationnées devant la porte, Carlos ne nous recevait pas dans une cantine populaire. A peine avions nous fait quelques pas qu’une charmante hôtesse se précipita vers nous :

    _ Bonjour Messieurs, je me prénomme Alice, c’est moi qui veillerai ce soir à votre bien-être, oh qu’ils sont choux !

    Abandonnant toute réserve elle se précipita sur Molossito, le couvrit de baisers, le serra fort contre sa poitrine, il en profita pour lui glisser très affectueusement une patte dans son corsage, ce qui n’eut pas l’air de la déranger, je remarquai que ce geste de simple cordialité parut la ravir… Dans une alcôve à l’écart Carlos nous attendait trônant en bout de table, Alice nous mena à notre place, le Chef à la droite de Carlos, moi-même à sa gauche, tous trois assez proches l’un de l’autre, précaution qui nous permettrait de parler à voix basse à la fin du repas, deux assiettes disposées à l’autre extrémité   attendaient Molossa et son fils, en chiens bien élevés ils se  hâtèrent de sauter sur la table pour déposer poliment leur arrière-train sur la nappe d’un blanc immaculé. Alice n’arrêta pas de les caresser chaque fois qu’elle nous apportait un plat. Pour cette soirée exceptionnelle le Chef n’alluma pas un seul Coronado, il ne porta à ses lèvres que des Coronadors. Il n’existe pas de différence entre un Coronado et un Coronador,   si la bague du Coronado est en carton, celle du Coronador est une véritable bague en or le plus fin, artistiquement ciselé par les plus grands artistes et parsemé de minuscule diamant d’une limpidité absolue. Dès que le Chef écrasait son cigare dans le cendrier je récupérai le joyau et le glissai subrepticement à un des doigts d’Alice chaque fois qu’elle m’apportait un morceau de pain. Elle rougissait de plaisir et ne songeait nullement à retirer sa main. Mais venons au fait. Je passe sur le menu, nous en étions à déguster un digestif de quarante ans d’âge , Carlos prit la parole :

    _ Je me suis pas mal débrouillé cette semaine, deux attaques de transports de fonds réussies, attention par des billets des lingots, mon avocat est entré en relation avec la famille d’Edinbourg, ils m’ont vendu le manoir de XXXXX pour soixante quinze millions de livres, ça ne les vaut pas et je ne compte pas finir mes jours en Ecosse, mais en forêt de Laigue oui. Or voyez-vous c’est un vieux secret de famille, ils sont au courant de la fissure temporelle qui dote ce manoir d’une double présence, une en Ecosse, l’autre en France. C’est-là où d’après eux se situe le fantôme qui au cours des siècles a assassiné quelques uns de leurs ancêtres qui avaient la mauvaise idée d’y dormir. Ils sont satisfaits de s’en débarrasser à si bon prix. Vous m’avez compris, j’ai besoin de vous, je compte m’installer chez moi dès ce soir, mais pour cela nous devons en exproprier ce fantôme qui n’est autre que la Mort !

    Au moment de prendre congé d’Alice je retins une de ces mains que je baisai respectueusement :

    _ Chère Alice, chacun de vos doigts porte déjà une bague, il m’en reste deux, je les passerais bien, l’une au téton de votre sein gauche, et j’agirais de même avec votre sein droit, uniquement si vous le désirez !

    Elle le désira.

    83

    La forêt de Laigue n’était plus surveillée. Molossa et Molossito nous conduisirent droit à la faille temporelle. La Mort nous attendait, sa face horrible ricanait, Alice toute émoustillée de l’aventure se collait à moi, elle ne se rendait pas compte du danger, ma main dans sa culotte était toute mouillée. Lorsque Carlos lui tendit le certificat d’expropriation en tant que locataire n’ayant jamais acquitté de loyer, elle ricana méchamment :

    _ Je veux bien vous laisser la place mais que me donnez-vous en échange ?

    _ Une tonne d’or !

    _ Carlos, j’ai vu votre nom sur une de mes listes, l’argent ne fait pas le bonheur, et puis une tonne je vous trouve un peu mesquin.

    _ Je partage mon avis Madame, ce n’est pas l’argent qui fait le bonheur, toutefois vous avez une fort mauvaise réputation dans ce monde-ci, si vous acceptiez d’être la présidente d’honneur du Service Secret du Rock ‘n’ roll, votre cote remonterait illico chez nos semblables, vous êtes détachée des valeurs mercantiles, le bonheur sans honneur est tout juste bon, alors acceptez l’honneur !

    _ Toi le vieux Chef Indien, d’abord tu empuantes l’atmosphère avec ton brûle-gueule, tu n’es qu’un beau parleur tu ne vends que du vent ! Peut-être que ton éternel second le Poulidor du SSR aura une proposition plus honnête !

    _ Vous qui adorez les Alice…

    _ Toutes les Alice du monde m’appartiennent quand je veux !

    _ Oui, mais moi je vous offre quelque chose en plus, madame Thanatos…

    _ AH ! Ah !, vous jouez au petit futé !

    _ Pas du tout, mais à Thanatos j’offre Eros !

    _ Jeune présomptueux vous voulez me faire l’amour !

    _ Je n’oserais pas, mais attendez, laissez-moi faire !

    En un tour de main je me déshabillai totalement, et fis subir à Alice le même traitement totalement enchantée de la tournure des évènements. Elle se coucha jambes écartées sur table :

    _ Dépêche-toi chéri, je suis pressée, arrête de discuter avec cette vieille saleté !

    _ Tout de suite, mais choses promises choses dues, laisse-moi enserrer tes deux tétons de ces deux anneaux d’or en signe d’alliance éternelle !

    _ Oui tout de suite !

    • Tiens voici, un gage pour ton âme et un autre pour mon âme !

    Je sentis l’électricité érectile de ces seins je me couchais sur elle, la caressai quelque peu, et bientôt mon vit vainqueur la pénétra, elle gémit, appuyée sur mes avant-bras je n’eus pas à la manœuvrer longuement, la mort s’était rapprochée de nous, elle baissa sa tête et posa le vide osseux de ses lèvres sur les lèvres d’Alice qui connaissait l’extase, son souffle se perdit dans la bouche d’ombre qui lui ravit la vie. Je me relevai vivement, la Macrabe me retint par le bras :

    • Vous avez échangé vos anneaux et vos âmes sur ses seins, elle est à moi, vous ne formez qu’un, toi aussi tu es à moi, je vais te donner le baiser de la Mort !

    J’ouvris ma main droite :

    _ Erreur gente Dame, regarde au dernier moment j’ai récupéré mon anneau, j’ai parjuré, elle est à toi seule, pas à moi !

    Elle blêmit de colère :

    _ Décampez de chez moi !

    Carlos s’interposa :

    _ Non tu es chez moi, tu as perdu, bye bye !

    _ C’est bon je disparais mais je me vengerai !

    En une seconde elle se volatilisa. Carlos se retourna vers nous tout sourire :

    _ Mes amis, je ne vous remercierai jamais assez, rentrez vite chez vous au chaud, il fait trop froid dans cette demeure, je ne voudrais pas que vous attrapiez un rhume par ma faute, ne vous en faites pas pour moi, je me réchaufferai en faisant subir les derniers outrages au cadavre d’Alice, encore chaud !

    Damie Chad

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 539: KR'TNT ! 539 :TONY MARLOW / BRYAN MORRISON / COSMIC PSYCHOS / ADORABLE / JIM MORRISON / GREY AURA / HECKER / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 539

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    27 / 01 / 2022

     

    TONY MARLOW / BRYAN MORRISON

    COSMIC PSYCHOS / ADORABLE

    JIM MORRISON / GREY AURA

    HECKER / ROCKAMBOLESQUES

     

    L’avenir du rock

    Marlow le marlou (Part Two)

     

    Fatigué du charme des palaces décatis de Marrakech et du confort boiseux des chalets suisses, l’avenir du rock opte cette année-là pour des vacances populaires. Il se réjouit à l’avance d’aller passer trois semaines dans un camping des gorges du Tarn en compagnie des représentants de ce qu’on appelait autrefois la classe ouvrière. Ah il s’en réjouit à l’avance, l’idée des grands verres de Pastis à l’apéro le fait baver. Et ça ne rate pas, il se retrouve dès le premier jour coincé derrière une petite table de camping en compagnie d’une équipe de joyeux drilles, les occupants de l’emplacement voisin. L’homme qui mène la bacchanale a la main lourde sur le Pastis et sa femme qui est bien ronde et qui manque tragiquement de conversation passe son temps à aller pêcher des glaçons dans la glacière tout en bouffant des olives à la chaîne. Un autre couple participe aux agapes et l’avenir du rock comprend qu’ils sont apparentés. C’est l’heure la plus bruyante du camping. Tous les vacanciers «font l’apéro», comme ils disent. L’avenir du rock comprend au bout de cinq minutes qu’il ne tiendra pas trois semaines dans cet enfer.

    — Une petite rincette, avenir du rock ?

    — Ce n’est pas de refus. Au point où nous en sommes.

    Alors que le jour baisse, le niveau de la bouteille de Pastis baisse aussi. L’avenir du rock sent monter une petite gerbe, il s’excuse, va dégueuler vite fait derrière la caravane de ses hôtes, et revient en s’excusant de cette interruption. La dame ronde lui propose un sopalin pour s’essuyer la bouche. Puis l’hôte fonce dans la caravane et revient avec un litron de Pastis tout neuf. Soucieux du confort intellectuel de son invité, il lui demande, tout en lui servant une énième rasade de coyote, s’il lit des livres.

    — Oh ça dépend.

    L’hôte ne se satisfait pas de cette réponse évasive. Il décide d’investiguer :

    — Connaissez-vous Dashiell Omelette, avenir du rock ?

    — Comme ça, de nom, l’Omelette maltaise, c’est ça ? Mais ce n’est pas ma tasse de thé, voyez-vous.

    — Et Raymond Chandeleur, vous l’connaissez ?

    — Ah oui, j’aime bien Tony Marlow !

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    Bon l’avenir du rock se mélange un peu les crayons. Ce n’est pas parce qu’il est bourré, mais parce qu’il en fait exprès. Il ne sait pas alimenter ce genre de conversation, par contre, il profitera de la moindre occasion pour dire le plus grand bien qu’il pense de Marlow Rider, c’est-à-dire Tony Marlow en trio, et son nouvel album, First Ride.

    Eh oui, quel album ! On les voit tous les trois sur la pochette intérieure, Tony enlooké sixties et encadré du brillant Amine (stand-up) et du non moins brillant Fred Kolinski (beurre). Quand on a vu jouer Amine sur scène, on sait qu’il est fou et qu’il est avec Al Rex (Comets) et James Kirkland (Shadows de Bob Luman) l’un des rois du slap. C’est un bombardeur, un pourvoyeur, un démolisseur, un empêcheur de tourner en rond. Mais avec cet album on va assister à un phénomène surprenant. Ah tu crois que tu vas entendre douze slabs de rockab sauvage ? Non.

    Marlow le marlou ne te prend pas en traître. Sur la pochette intérieure, il déclare : «Mes guides spirituels d’adolescent planent au dessus de ce disque : Jimi Hendrix, Cactus, Peter Green’s Fleetwood Mac, Johnny Winter, Cream, Deep Purple MK II, Rory Gallagher, Paul Kossof et... Johnny Hallyday.» Puis il salue la mémoire de Marc Zermati, «qui ne pourra pas écouter cet album qui lui aurait fait plaisir». Oui, car les ceusses qui ont eu la chance d’entrer chez Marc ont vu cette petite photo de Jimi Hendrix prise lors de son premier set à l’Olympia. Marc adorait raconter le souvenir extraordinaire qu’il conservait de ce show et de la soirée à l’hôtel d’Hendrix qui s’ensuivit.

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    Jimi Hendrix ? Tony Marlow en bourre la dinde de sa B avec trois covers, et c’est d’autant plus gonflé qu’il n’a ni la voix ni les doigts de Jimi Hendrix, mais fuck it, il aime tellement ça qu’il y va et c’est la raison pour laquelle qu’on l’admire : Marlow le marlou est un fan qui s’adresse à des fans. Il ouvre donc son bal de B avec un hommage direct, «Jimi Freedom», c’est un peu maladroit, mais il parvient à retrouver le son qu’avait l’ami Jimi sur «Freedom», le cut d’ouverture de balda sur Cry Of Love, l’album posthume. Fabuleuse performance. Il enchaîne aussi sec avec «Fire», l’un des hits les plus explosifs de l’Experience. Tony a le courage d’aller taper dans l’intapable, hey baby ! Ses deux amis déploient des trésors d’ingéniosité pour recréer la magie de l’intapable hendrixien et wow, ça percute dans la syncope. Il faut les saluer pour cet exploit. Tony part en solo sur un droppin’ blast d’Amine, ils jouent le jeu du breaking à fond et les chœurs sont d’une justesse effarante. Plus loin, ils tapent un «Hey Joe» à la française, sur un tempo plus enlevé. Évidemment, ça réveille de vieux souvenirs. En plus Tony le fait bien, son Jojo. C’est dans cette version qu’on trouve cette élégante expression : «Pourquoi t’as d’la chance plein les doigts ?», remember ?, et il ajoute, comme le fit Jojo en son temps : «En naissant/ T’as marché dans quoâ ?». Ils développent d’incroyables dynamiques d’up-tempo, c’est une merveille, Kolinski tatapoume allègrement et Amine joue balloche. Ces gars-là, mon vieux, ils sont terribles ! S’ensuit une version solide de «Purple Haze». Ses intros hendrixiennes sont toutes parfaites, il les joue rubis sur l’ongle. Il chante du Purple Haze haut perché, à la Johnny, c’est assez réussi et Amine ramène un pounding extrêmement pouf pouf. C’est là qu’il faut saluer Amine, car il sait adapter son jeu. Toujours en B, Tony chante «Sur La Route Du Temps» en français et part sur une espèce de beat anglais qui n’est pas inintéressant. On pense bien sûr à sa référence au Deep Puple MK II, comme il dit. Il termine cette B lourde de conséquences en mode rockab avec «Rowdy». L’une des qualités de cet album et la parfaite maîtrise d’une diversité des genres.

    Mais attention, les coups de génie se planquent de l’autre côté. Marlow le marlou chante «Debout» en français, vite repris par le beat d’Amine. Notre marlou national fait son Johnny avec les genouuux. Il recrée l’accent. C’est vraiment bien qu’il y ait encore des mecs qui veuillent sonner comme leurs idoles. Et boom, ça explose avec «Shut Up». Marlow le marlou passe en mode sixties, monte par dessus sa voix et fond son shut up dans une purée à la Cream. Ces chœurs sont une merveille inespérée et ce marlou de Marlow part en solo liquide. Il connaît toutes les ficelles et franchement, on se régale. Ça monte encore d’un cran avec «Among The Zombies» - walking through the streets of the city - C’est faramineux de rockabilly fever - The traffic is like a raging sea/ Ah ah ! - Il injecte encore un gros shoot de beat rockab dans le son sixties de «Mutual Appréciation». Il réussit là où se vautrèrent jadis les Jack Rabbit Slim : il met le beat de reins rockab au service de la wild énergie des sixties. Il a tout compris.

    Et comme si tout cela ne suffisait pas, l’album de Marlow Rider est un cadeau de Damie Chad, ce qui le rend doublement précieux.

    Signé : Cazengler, Tony marlourd

    Marlow Rider. Fast Ride. Bullit Records 2021

     

    Morrison attelle

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    Si Morrison attelle, c’est parce qu’il joue au polo. Rien à voir avec les Doors. L’homonymie s’arrête là. Il ne faut pas confondre Morrison attelle et Morrison Hotel. D’un côté Jimbo picole et de l’autre, Bryan Morrison polote avec les princes de sang du Royaume Uni. Ce n’est pas le même monde et pourtant, les deux Morrison ont un point commun : le rock.

    Chez Jimbo, le rock est roi, le rock se bouffe aux mythes. Chez Bryan Morrison, le rock est ric et rac. Son autobio ne tient pas la distance. Dommage car ça démarre sur des chapeaux de roues avec les Pretties, Syd Barrett et Marc Bolan pour finir dans le fossé avec «Saturday Night Fever», George Michael, le prêt-à-porter et le polo, un polo qui d’ailleurs finira par avoir sa peau. L’auteur va faire une chute de cheval dont il ne se remettra pas. Son autobio, Have A Cigar! est parue après sa disparition, au terme de deux ans de coma. Destin épouvantable.

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    Un drôle de mélange s’affiche sur la couverture : Pink Floyd, T.Rex, The Jam and George Michael. Il faut se faire violence pour accepter l’idée que ce mélange soit logique. Aux yeux d’un homme d’affaires britannique, il l’est. Après avoir soutenu Ray Charles, Ruth Brown et Professor Longhair, Ahmet Ertegun a lui aussi mal tourné puisqu’il a fini par signer les rois du rock FM, Yes, INXS, Foreigner et Genesis. Ce sont les lois de business. Cette façon de voir les choses ne correspond en rien à celle d’un fan de rock. Pour entrer dans les pages de ce type de livre, il faut savoir accepter la logique d’une pensée différente. Ça peut aller loin, car ça veut dire accepter de voir un homme riche comme Morrison faire étalage de ses goûts pour les toiles des peintres modernes, les voitures de sport, les marques de prêt-à-porter, les parfums qui vont avec et la médiocrité musicale des années 80 dont la meilleure illustration sont les groupes qu’il avait en charge à cette époque, Wham! et Haircut One Hundred. Au début de cet itinéraire qui est celui d’une réussite exceptionnelle, il y a bien sûr un fan, mais la nécessité de générer du profit passe ensuite par d’autres fourches caudines, Claudine.

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    Bryan Morrison trouve sa vocation en février 1957 lorsqu’il voit Bill Haley & The Comets au Dominion Theatre sur Tottenham Court Road. C’est la première tournée anglaise du vieux Bill et aw my God, les Brits n’ont encore jamais vu un bordel pareil ! - His live show hit me like a steam hammer - Le vieux Bill envoie Bryan direct down the ground, surtout quand l’autre fou d’Al Rex se jette sur sa stand-up pour jouer les pieds en l’air. Six ans plus tard, Morrison ressortira l’idée afin de convaincre Vivian Prince de quitter sa batterie pour ramper au sol. C’est ici que naît la tradition du batteur fou des Pretty Things, qu’entretiendra Skip Allan.

    Avec les Pretties, on entre dans le quartier chaud du livre. Un jour de 1963, un certain Dick Taylor vient trouver le brillant Bryan pour lui demander de mettre son groupe à l’affiche d’un concert. Bryan lui demande quel est le nom du groupe. Dick lui répond :

    — «The Pretty Things.

    — The what ?

    — C’est le nom du groupe. The Pretty Things.»

    Coup de cœur ! Love at first sight. Bryan adoooore le nom de ce groupe - I was stuck immediately by the uniqueness of this name. It was totally fresh and original, and I felt a certain inexplicable excitement - La scène se déroule juste avant l’explosion des Beatles avec «She Loves You» - Rock’n’roll was in the air - Bryan sent que tout va changer. C’est l’avènement du swingin’ London - Something magical was about to happen - Il est comme les autres, Andrew Loog Oldham, Joe Boyd, Shel Talmy, Guy Stephens, at the right place at the right time, il arpente gaiement Denmark Street, que tout le monde appelle Tin Pan Alley, et où sont rassemblés tous les éditeurs. Au bout de la rue se trouve Regent Sound, the little studio of the day, mais on peut s’arrêter en chemin à la Gianconda, un café où grenouillent les musiciens, les auteurs et les publishers, un petit monde doré dont Bryan va bientôt faire partie. Il va être publisher/manager, c’est décidé ! Il organise l’un de ses premiers concerts au fameux 100 Club, sur Oxford Street. Comme Joe Boyd, Bryan rappelle que le music biz à cette époque est une jungle pleine d’Ostrogoths et qu’il faut rester sur ses gardes - You had to watch your back in every way.

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    ( Jack Baverstock )

    Bon les Pretty Things c’est bien gentil, mais goddamnit !, il faut un contrat avec une maison de disques. Bryan rencontre l’A&R man de Fontana, Jack Baverstock dans un restaurant. Entre la poire et le cheese, Jack balance sur la table le contrat et lance d’une voix d’outre-tombe : «Get the boys to sign this and we’ll make a record.» Il n’y avait nous dit le débutant Bryan ni négociation ni avance - On a signé pour cinq ans et ce fut la fin de la discussion - C’est parti pour les Pretties, seven gigs a week, screaming girls, les promoteurs et la presse. Comme les Pretties se font vite une sale réputation, les journalistes veulent en croquer. Pour percer, Bryan devine intuitivement qu’il faut créer l’événement, avec du mayhem, c’est-à-dire du chaos. C’est là qu’il demande à Vivian Prince de faire son numéro de batteur fou. Il supplie le groupe de tenter le coup du mayhem. Mayhemez-vous, les gars ! Alors ils essayent et c’est le mayhem ! Puis le riot. C’est l’hystérie en Angleterre. Après «Rosalyn», Bavertock emmène les Pretties en studio enregistrer leur premier album. Mais Vivian Prince est tellement défoncé qu’il vomit sur sa batterie et tombe de son tabouret à deux reprises. Écœuré, Baverstock quitte le studio en claquant la porte et en hurlant qu’il ne peut pas travailler avec ces animaux-là. On fait alors venir Bobby Graham pour produire l’album. Ça tombe à pic car comme il est aussi batteur, il peut remplacer Vivian Prince qui vient de s’écrouler pour la troisième fois et pour de bon. Ce sont les Pretty Things, after all. Pour donner à manger à la presse, Bryan organise l’éviction des Pretties du 13 Chester Street en août 1965 : ça fait la une des tabloïds et des TV news. Sacré Bryan, il bosse comme Tony Secunda, il fait des coups, il magouille. Puis il tente de lancer les Pretties dans le circuit des tournées internationales. Comme il n’arrive pas à les envoyer aux États-Unis, il les envoie en tournée en Nouvelle Zélande avec Sandie Shaw et Eden Kane. C’est la fameuse tournée chaotique à laquelle Ugly Things consacra jadis un fabuleux hors-série, Don’t Bring Me Down Under. C’est là que Vivian Prince s’illustre en jouant le yogi dans les halls d’hôtel, avec dans sa poche un homard mort. Les kids viennent nombreux méditer avec lui, et ça peut durer des heures. Bien sûr, conformément à la théorie du mayhem, chaque concert tourne à l’émeute. Résultat des courses : le parlement néo-zélandais vote le bannissement à vie des Pretties. Aux yeux des fans, c’est le couronnement de leur carrière.

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    Alors après le mayhem, Bryan réfléchit à l’étape suivante. Il sent confusément qu’il faut un hit. Pour lui, ni «Rosalyn» ni «Don’t Bring Me Down» ne sont des hits. Il raisonne en termes de worldwide hit, tu comprends, ce n’est pas la même chose. Il rencontre Donovan à la Giaconda qui lui file une démo de «Tangerine Eyes». Puis le Dylan publisher en Angleterre lui fait écouter «Mr Tambourine Man» qui n’est pas encore devenu le hit que l’on sait. Bryan adooooore cette chanson. Love at first sight. Il essaye de la refourguer aux Pretties qui tirent une méchante gueule. Bryan est persuadé qu’avec «Mr Tambourine Man», ils seront en tête des charts dans le monde entier, mais pour Phil et Dick, c’est absolument hors de question. No way. Ils restent fidèles à Bo. Bryan dit alors sa déception au Dylan publisher qui le réconforte en lui disant que la vie est ainsi faite, parfois ça va bien, parfois ça va mal. D’ailleurs, ajoute-t-il, un groupe américain vient tout juste de reprendre «Mr Tambourine Man». Ah bon ? Bryan demande le nom du groupe. Le Dylan publisher lui répond : «The Byrds». Bryan voit subitement ses derniers espoirs s’envoler, avec les millions de singles qu’il aurait pu vendre dans le monde. Il dit adieu à la chance - We had lost initiative and never got it back - Encore heureux qu’il n’ait pas proposé «No Milk Today» aux Pretties.

    La morale de cette histoire, c’est que les Pretties ont continué à faire de très grands albums sans jamais vendre leur cul. Bizarre que Bryan Morrison n’ait pas compris ça à l’époque. Mais encore une fois, la logique du rocker ne correspond en rien à celle de l’affairiste qui ne vise qu’une seule chose : le profit. Et quand on sait que le profit, le vrai, passe par les grosses ventes, c’est-à-dire le nivellement pas le bas, ça conduit tout droit aux fléaux du XXe siècle que sont la new wave, le rock FM et les méga-stars à la mormoille. D’un côté les puristes s’appauvrissent, de l’autre côté les pommes de terre s’enrichissent. That’s only rock’n’roll.

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    Bryan a la main verte puisqu’après les Pretties, il récupère Syd Barrett et son groupe, le Pink Floyd. Il commence par persuader les managers Peter Jenner et Andrew King de lui confier l’organisation des tournées du groupe dont la réputation grossit beaucoup trop vite. C’est là qu’il arrache le Floyd des mains de Joe Boyd. Il met ensuite le groupe dans les pattes d’EMI. Bryan a réussi à négocier une avance de 5 000 £, ce qui était encore très rare en 1967. Il se dit fasciné par Syd Barrett (mais ça ne va pas durer longtemps) : «Syd était l’un de ces people who seemed to have it all : the looks, the intelligence and, more importantly, the ability to write great songs.» Les difficultés liées à ces bonnes vieilles drugs of choice ne tardent pas à surgir. Syd entre en studio mais refuse de jouer. Alors Bryan déclare : «Syd would have to go.» Et il développe : «Le premier album du groupe, The Piper At The Gates Of Dawn, paraît en août, mais comme Syd est incapable de jouer sur scène ou de participer aux interviews, ça agit sur le moral des autres membres du groupe. Le bassiste Roger Waters qui va devenir le porte-parole du groupe m’annonça qu’il avait trouvé un guitariste pour remplacer Syd. C’est David Gilmour.»

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    Attention, l’histoire ne s’arrête pas là. Syd Barrett disparaît pendant un moment de la circulation. Bryan indique qu’il s’est installé au London Hilton Hotel, sur Park Lane : «Il y avait trois postes de télévision, allumés tous trois, et une douzaine de guitares dispersées au sol. Syd Barrett était devenu une sorte de Howard Hughes du rock et il réglait de faramineuses notes d’hôtel hebdomadaires qui nous faisaient passer pour des pauvres. Il avait gagné beaucoup d’argent et il le dépensait rapidement. Fin 1968, il avait retrouvé la santé et semblait mener une existence normale, même s’il se tapait de temps en temps un petit freak out.» Bryan rôde dans les parages de Syd car il est encore son agent. Il est question d’un album solo, mais c’est loin, très loin, d’être évident. Bryan connaît les chansons que Syd a composées, et il les trouve superbes. Les séances sont compliquées, car Syd chante un couplet puis il s’arrête pour regarder dans le vide - Un jour, il chantait assis sur un tabouret, et au milieu du deuxième couplet, on l’a vu s’endormir. Puis il s’est cassé la gueule, avec le micro et le tabouret. L’incroyable de cette histoire est qu’il ne s’est pas réveillé. Il a dormi là pendant une demi-heure - Puis Syd prend l’habitude de venir voir Bryan dans son bureau pour réclamer des avances sur royalties. Comme il achète des guitares, il a besoin de cash. Un jour, il sonne, Bryan ouvre et il tombe sur Syd qui le fixe bizarrement. Au moment où Syd va lui coller son poing dans la figure, Bryan lui bloque le bras. Alors Syd mord la main de Bryan, mais en vrai, au sang - Stop Syd ! Stop ! - Bryan doit le frapper pour lui faire lâcher prise. Syd tombe en éclatant de rire. The Madcap Laughs - Not a laugh of joy, but an ever-increasing pitch of hysteria - Bryan est complètement scié et sa secrétaire Cora s’évanouit. Syd reviendra une fois au bureau de l’Agency pour demander à Cora si Morrison veut bien le reprendre comme client et redevenir son manager. No way. C’est la dernière fois que Morrison le voit. Il conclut le Syd Chapter en disant ce que tout le monde sait : Syd est allé vivre the happy life à Cambridge.

    La morale de cette histoire ? Syd a fini par échapper à tous ces mecs-là, les agents, les managers, les collègues du groupe qui ne valent guère mieux. Il faut voir ça comme une victoire et non comme une défaite.

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    En 1967, the Bryan Morrison Agency a le vent en poupe : ils sont agents et managers du Pink Floyd, des Pretty Things, de Soft Machine, d’Incredible String Band et de Keith West, un Keith West qui invite un jour Bryan à déjeuner pour lui annoncer qu’il le vire. Fired ! Quand Bryan demande pourquoi il est viré comme un chien, Keith West répond : «You’re useless. My records never made number one.» Puis arrive ce qui doit arriver : «En très peu de temps, il s’est retrouvé avec un hit sur les bras, mais pas de travail. Je m’empresse d’ajouter que je n’étais pas vraiment traumatisé par sa décision de me virer. His next record was a flop and he never had another hit.» C’est le destin des artistes qui ne sont pas correctement managés : ils vont droit à la fosse. L’Angleterre est la plus grande fosse commune de l’histoire du rock.

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    Bryan devient aussi l’agent/publisher de Marc Bolan - Faire connaître des groupes comme Tyrannosaurus Rex et le Pink Floyd, c’était extrêmement difficile, to say the least. Les médias ne s’intéressaient pas encore aux groupes underground. Pendant les deux années suivantes, j’ai essayé en vain de faire passer les chansons de Bolan à la radio, mais je me suis chaque fois heurté à des refus. La seule exception fut John Peel. Sur Top Gear, il passait les disques des gens qu’il appréciait et plus particulièrement Tyrannosaurus Rex. Bon nombre de groupes de cette époque doivent leur succès à John Peel - Puis le succès arrive et Bolan s’entoure d’une cour - And the court of king Bolan was created. From here on in, Marc engulfed himself in the Presley style of omnipotence. C’est ce qui a conduit Marc à la faillite, non pas à cause de sa musique, mais à cause des conseils financiers qu’on lui donnait - Après Syd, Bryan perd donc Marc.

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    Un jour, Bryan raconte qu’il va trouver Chris Blackwell chez Island pour lui emprunter 3 000 £ dont il a besoin pour empêcher la saisie de sa maison. Blackwell ne dit pas non, mais en échange, il demande l’un des groupes signés par l’Agency. Il veut le groupe que Bryan vient tout de juste de signer : Free. Bryan lui répond : «Plutôt crever.» Alors Blackwell lui dit qu’il ne peut pas l’aider, mais il insiste : «Free n’a pas encore signé de contrat avec une maison de disques, alors signez-les avec moi, cédez-moi les droits du groupe et je vous donne l’argent dont vous avez besoin.» Bryan résiste. Il oppose un no-no. Pas question de céder les droits. Un publisher ne cède jamais les droits. Never. Puis il se casse. Quatre jours plus tard, voyant la menace d’une saisie se préciser, il appelle Blackwell pour dire qu’il accepte de céder - I was sick as a dog - C’est ainsi que Free est arrivé sur Island. Au terme d’une discussion de chiffonniers.

    En 1969, Bryan en a marre de toutes ces conneries, et il décide de revendre son Agency à NEMS, une société montée par Brian Epstein pour manager les Beatles, Cilla Black, Gerry & The Pacemakers et d’autres. À l’intérieur de NEMS, il va continuer de bosser comme agent, mais ce n’est plus lui qui prend les risques financiers.

    Forcément, Bryan Morrison croise aussi des gens de la pègre londonienne. Pas de Swingin’ London sans la pègre. Il n’a pas affaire aux jumeaux Kray mais aux Dixon Brothers qu’il rencontre dans un pub de l’East End pour leur demander un service, mais quand il entend parler des moyens envisagés, il abandonne et se carapate aussi vite qu’il le peut. Bien sûr, les Dixon Brothers se pointent quelques temps après à l’adresse de l’Agency pour demander du cash à Bryan, oh pas grand chose, 150 £, et ils promettent de s’en aller. Bryan commence par dire non puis il finit par comprendre qu’il vaut mieux payer. Il a encore besoin de ses deux jambes et de ses deux bras.

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    Les années passent et en 1976, Bryan reçoit un coup de fil d’un certain Malcolm McLaren : «On ne se connaît pas, Bryan, mais je connais votre parcours dans le music business, et votre goût de l’avant-garde et de la new wave. Une nouvelle vague arrive et je suis le manager du best band in the world.» Bryan lui demande quel est le nom du groupe et McLaren lui répond : «The Sex Pistols.» Ah ah, comme c’est intéressant. Bryan dresse alors un parallèle entre Brian Epstein et McLaren, un McLaren qui propose à Bryan de bosser avec lui, et pour le convaincre, il l’invite à venir voir jouer les Sex Pistols. Le 23 avril 1976, Bryan débarque au Nashville Rooms. Chapitre pénible. Il se dit impressionné par l’énergie du groupe, jusqu’au moment où Johnny Rotten fait le con avec le salut nazi et les slogans qui vont avec. Pour Bryan Morrison, c’est rédhibitoire. Hop, terminé. Au fond, il n’était pas aussi intéressé qu’il le prétend. La preuve ? Quelques pages plus loin, il fait l’apologie de George Michael.

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    C’est à peu près tout ce qu’on peut dire de ce recueil de souvenirs. Les épisodes ne sont que des épisodes, after all. Les maniérismes de Bryan Morrison constituent probablement la vraie richesse de ce book. Pour qui aime lire la langue anglaise bien écrite, certaines formules méritent l’effort citatif, tiens comme celle-ci : «Je reçus un appel de Vic Lewis, asking me to pop up to see him in his luxuriously appointed office on the first floor of Hill Street. I sat down and was poured the ever-ready cup of tea in a fine bone china teacup. Vic was always pedantic about being surrounded by and using the best.» On entend presque sa voix et on sent bien sûr l’odeur du cigare. Cette façon de décrire une ambiance est typiquement anglaise, mais on est là dans une Angleterre tout de même un peu huppée, n’est-ce pas ? Plus loin, il décrit son patrimoine de parvenu distingué : «By 1970, in spite of my apparent disdain for money, I seemed to be enjoying its fruits, with a beautiful Grade II-listed, sixteenth-century manor house in Oxted, Surrey, and a pied-à-terre in London with all the various accoutrements. The only thing that I needed to complete the picture was a wife and family.» Alors évidemment, tout lecteur d’Oscar Wilde en version originale sera troublé par l’insidieuse proximité des styles, par cette parenté d’élocution. Alors Bryan Wilde va rencontrer the wife : «Elle s’appelait Greta van Rantwyk and after about three months of manoeuvring we had dinner in a restaurant in Beauchamp Place. Everything was set for the birth of one of those great eternal love stories - the candles, the food, the wine. Everything was perfect, or was it ?» Il fait un petit saut de ligne pour relancer l’irrémédiable Oscarisation des choses : «There was one small detail that I hadn’t counted on - It seemed she wasn’t too keen on me - (Bryan suppute qu’il ne lui plaît pas) - Later I was to discover that she felt I was too flash. My black leather clothing, zip-up jacket and tight-fitting trousers, plus the black Aston Martin DB7 sitting by the front door were simply too much. She was probably right; I was a bit flash.» Et puis pour finir, Bryan raconte ses démêlés avec un couturier anglais, une association financière qui se termine en eau de boudin : «It took me quite some time to persuade him that principle came before profit - pour Bryan, les principes d’abord, le profit ensuite - Something I think that he never understood. As the years go by, I feel that less and less people understand this, a sad indictment of the world we live in.» Comme bon nombre d’entre-nous, Bryan Morrison n’aime pas trop l’époque dans laquelle il vit.

    Signé : Cazengler, Bryan Saucisson

    Bryan Morrison. Have A Cigar!: The Memoir Of The Man Behind Pink Floyd, T. Rex, The Jam and George Michael. Quiller Publishing Ltd 2019

     

    Cosmic trip

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    Les Cosmic Psychos étaient déjà là dans les early eighties, et ils continuent aujourd’hui de foncer tout droit dans leur bush. Ce trio est un cas à part, mais aussi l’un des phares de l’underground. Quelle que soit l’époque où on entre dans leur histoire musicale, c’est intéressant. Bien sûr, une certaine frange de la population va les traiter de bourrins, mais ça ne gêne pas les Cosmic. Ça les amuse. Ils en font un jeu, avec les tâches de bière et les dents pourries. À une époque, il fallait choisir entre Michael Jackson et les Cosmic Psychos, alors le choix était vite fait. C’mon down !

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    La principale caractéristique des Cosmic Psychos, c’est le tout-droit. Ils foncent tout droit. Leur premier EP Down On The Farm paraît en 1985. Ils sont trois, Ross Knight (bass vocals), Bill Walsh (drums) et le guitariste Peter Jones qui amène «Custom Credit» au riff de la menace. C’est excellent et assez hypno. Basses avant toutes avec un filet de bave psyché dans le fond du son. Quant au beurre, il reste fluet. En fait, ils dépotent un petit gaga-punk qui avance comme un rouleau compresseur. C’est leur marque. Ils n’ont que ce son-là et ils l’exploitent à gogo. Ils font donc toujours un peu le même cut, yeah yeah, avec le même son caverneux et cette petite purée en fond de déco trash. Ils atteignent rapidement leurs limites. Le meilleur cut de l’EP est sans doute «Gangrene Dream» en B : ils mettent un discours d’Hitler en musique. C’est le plus trash des trucs.

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    Leur premier album sans titre Cosmic Psychos date de 1987. Dès «Decadence», on est dans le bain d’un punk-rock hypnotique. La basse rôde dans le ciel comme un gros ptérodactyle. Ils sont parfaits dans leur rôle de punksters monolithiques. Ils foncent dans le bush et la basse de Ross Knight hante le son. Bill Walsh bat «No Complications» bien tribal, mais avec de spectaculaires descentes de roulements. Ces mecs sont inclassables, ils montent sur les coups comme d’autres montent sur les braquos. On est ravi de l’excellente qualité du son et du beat. Ils tentent le diable en B avec un heavy «Jellyfish», ils honorent à leur façon le heavy blues rock des seventies. Et paf, ça repart de plus belle avec «Can’t Come In», ils foncent tout droit, c’est tout ce qu’ils savent faire. Avec eux, Punk’s not dead.

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    Leur deuxième album s’appelle Go The Hack. Ils posent au crépuscule sur un bulldozer, ce qui colle bien à leur image d’Aussie gaga-punks. Et pouf ! Ils foncent tout droit dès «Lost Cause». Ils adorent foncer tout droit, alors ils foncent tout droit. Avec «She’s Cracking Up», ils font un excellent numéro de power trio. Leur son est un mélange brutal de droit devant et de marteau pilon, arrosé de chœurs de cracking up. Quand on écoute «Out Of The Band», on pense bien sûr aux Ramones. Même sens de la scie. Ils emmènent encore leur gaga-punk à fière allure en B avec «Pub». Même lorsqu’ils passent en mid-tempo, ils restent dans la tempérance de bonne mesure, avec de la cisaille et du bon beat métronomique. Ils scandent le BIT de «Back In Town» à qui mieux mieux, ça prend des allures d’hymne sur un beau tempo à la Ramones. Bon bref, tout ça reste très longiligne. Ils terminent avec le morceau titre qui sonne comme un punk anglais, avec un solo de trash-wah. De toute façon, c’est excellent.

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    Paru en 1990, Slave To The Crave est un album live at the Palace. Départ en trombe avec l’excellent «Decadence». Ross mène le bal à la basse fuzz. Il parle avec l’accent cockney aussie, c’est un vieux barboteur. Les deux bombes sont «Quarter To Three» et «Stink». Ah ces giclées de wah ! Ils savent créer les conditions de l’embrasement. Rien de plus rougeoyant qu’une giclée de wah sur fond de beat hypno. Bill Walsh drumbeate «Stink» à la folie Méricourt. Quelle violente giclée de manhood ! Ils sont relentless, comme on dit en Angleterre. Ils sont quasi-anglais dans l’approche du punk-rock, quasi Johnny Moped. Bush not dead ! Ils se mettent en colère en B avec «David Lee Roth» - Suck me off ! - On ne les changera pas.

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    Encore une belle gamelle de punk and fuck avec Blokes You Can Trust sorti sur Amphetamine Records en 1991. Ils restent fidèles à leur mad frenzy, le genre battu à la diable par Bill Walsh, et bien sûr l’autre dingue est toujours là, le Robbie Watts, avec sa chemise à carreaux. Robbie va loin dans la démesure, c’est pour ça qu’on l’aime bien. Ces mecs font leur truc dans leur coin, il ne faut pas les déranger. Tiens, voilà «Dead Roo», punk-rock relentless avec un Robbie en maraude. Ce mec est le roi des somptueuses giclées de sperme sonique. Ces trois mecs sortis du bush jouent leur truc à la vie à la mort. Alors bien sûr, certains diront que Ross Knight chante mal et toi tu leur répondras : vas-y, prends le micro et chante ! Pas facile de faire du Psycho. D’une certaine manière, c’est du grand art. Robbie Watts fait le gros du boulot, il organise les fleuves de lave, il veille à tirer ses notes et part en vrille à point nommé. C’est un bonheur que d’entendre ce mec jouer de la guitare. Il est un peu comme Fast Eddie, always on the run. Pas de surprise avec un titre comme «Hooray Fuck». Cho-cho hooray ! Ils sont dans l’énergie renouvelable, ils n’arrêtent jamais et Robbie part en vrille assassine à la Ron Asheton. Ils s’entendent tous les trois comme larrons en foire. Qui saura dire l’excellence de la Psychomania ? Voilà «Never Grow Old», véritable déclaration d’intention et Robbie Wallts nous fracasse ça d’entrée de jeu. Ça devient vite infernal, bien pulsé par ce batteur fou qu’est Bill Walsh. On entend même Robbie claquer des chorus fantômes dans les interstices. Ces mecs ne s’ennuient jamais et nous non plus. Robbie joue comme un conquérant et ce fou de Walsh bat tout ce qu’il peut battre, il est comme une loco, celle de Jean Gabin qui fonce la nuit vers le Havre, à grands renforts de roulement intestins.

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    C’est avec Palomino Pizza paru en 1993 et produit par Mike Mariconda à Melbourne que les Psychos déploient leurs ailes. Il foncent tout droit dès «Rain Gauge» et développent un power à la Motörhead. Ils font de l’ultra-rock, comme Lemmy. Ils sont hallucinants de tout-droitisme, ils filent sur le fil, pied au plancher. On les voit plus loin faire décoller le gros bolide de «GOD». Le cut devient passionnant car des événements surviennent sur le tard, notamment la wah de Robbie Watts, c’est même une wah phénoménale, on assiste à une élongation du domaine de la turlutte, ces trois mecs sont puissants, peu de gens sont capables de mener un tel train d’enfer en maintenant l’intérêt en éveil. Thanx Mariconda for this one. Bill Walsh vole le show dans «Champagne Sunday», ce batteur fou bat ça à la savage punk. Les Psychos développent encore une énergie punkoïde dans «Shut Up». Ces mecs n’arrêtent jamais, ô grand jamais, ils savent couler un bronze fumant. Ils se situent dans une certaine énormité. Ils terminent avec un «Shove» allumé aux renvois de chœurs, sous un gratin de heavy Cosmic. Bizarrement, ce cut ne figure pas sur la track-list de l’album. Il faut savoir qu’il existe et qu’il est bon.

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    Les Psychos passent au pur blast avec Self Totalled paru en 1995. Tu prends «Bullet» en pleine poire, t’es baffé direct par le bass blow, les amplis vibrent, les Psychos jouent à la sature extrême et c’est bienvenu. Leur blast rivalise de deafening avec celui de Motörhead, ils jouent comme des diables et explosent la rondelle des annales. Seuls les Australiens sont capables d’une telle violence sexuelle. Prod exceptionnelle. Le mec a su garder le vibré des baffles, l’essence même du rock. Là, tu as tout, le drum et la voix en peu derrière et le pulsatif devant. Chez eux tout est ramoné à la ramonade, ils nous font le coup de la logorrhée de heavy bassmatic. Sur cet album, Ross Knight s’appelle Slapper Jackson et Robbie Watts devient Fess Parker. Nouvelle explosion avec «The Man Who Drank Too Much». Pur blast, Bill Walsh volerait presque le show. Oh ils font aussi du gaga-punk avec «Bad Day» et redorent le blason d’un vieux mythe, celui du power trio. Walsh bat ça à la dure. Il est monstrueux. C’est dingue ce qu’il développe. On ne croise pas tellement de groupes capables de développer un tel power. Les Psychos sont un phénomène. C’est l’un des pires albums de blast qu’on puisse écouter ici bas. Leur folie flirte avec le génie, il y a de la stoogerie dans leur côté destroy. Stupéfiant ! Encore une crise de folie Méricourt avec «Thank Your Mother For The Rabbits». On reste avec ça dans la stupéfiante violence de la puissance sonique. Ces trois mecs valent n’importe quelle armée, ils se situent au-delà de tout et l’autre, là, qui part en vrille de wah ! Il va d’ailleurs ravager le «Neighbours» d’après. Ces mecs jouent tout à bride abattue. On croise plus loin un «Almost Home» bien déflagré, bardé de grosse saucisse d’aussie blast et Robbie Watts ne rate pas une occasion de passer un killer solo flash. Diable, comme ce mec peut être bon. Il incarnerait presque la rectitude. Bon batteur, bon guitariste, bonne voix, les Psychos ont tout l’apanage en magasin. Ils foncent ventre à terre dans leur heavy psychotic bush - I couldn’t give a fuck - claque Ross Knight dans «Come On». Il a raison, rien a foutre, claque ton bush, Ross, don’t give a fuck. C’est avec cet album qu’on prend vraiment les Psychos au sérieux, au moins autant que Motörhead.

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    Ils nous tapent une petite pochette à la Dwarves pour Oh What A Lovely Pie. Les photos à l’intérieur du trois volets ne te seront d’aucun secours. Les filles sont à poil, mais pas comme chez les Dwarves. L’album sort en 1997 et on l’accueille à bras ouverts. Ils démarrent avec un «Can’t Keep A Good Man Down» heavy on the brawl. C’est du Psychos de la pire engeance, du demented are go surmonté au win it over, chanté à la rascasse et percuté de plein fouet par un solo de wah. En gros, ils bardent à l’excès. Avec «Hammer», «Guns Away», «Moll» et «Breathless», on peut parler de génie. Leur son est une marée montante, les coups de wah aplatissent l’occident, Robbie Watts flashe sa purge en permanence, pure bush genius. Ils balayent les frontières avec «Guns Away», le solo prend feu, ils rivalisent d’audace avec les Stooges, tout est arrosé de wah en feu, c’est du trash killer wah, ça bat à la vie à la mort et la basse fuzz fait l’interface. «Moll» monte encore d’un cran, comme si c’était possible. Ici, le power enfile le génie qui adore se faire enfiler. On voit le chant tituber dans l’écho des riffs. Les Psychos deviennent des géants. Impossible d’imaginer une pire équipe et une pire maîtrise. Ils restent dans l’extrême punk-out avec «Breathless». No way out, on les suivrait jusqu’en enfer. Et ça continue comme ça jusqu’au bout de la nuit, dégelée après dégelée, ils s’arrangent pour nous maintenir en éveil comateux, avec des cuts visités par des vents mauvais. «Creepin’» sonne comme une stoogerie. Leur «Super Vixen» va encore bien au-delà des Ramones et des Aussies. Ils sont dans un power trip et c’est passionnant. Ils font le punk’s not dead à eux tout seuls, ils l’éclatent au qui mieux mieux et bien sûr Robbie Watts passe un solo killer flash histoire de raviver les braises, le Vixen put a spell on me bascule dans la magie cosmique, on les vénère pour cette constance de la prestance et si tu veux entendre le pilon des forges, il est dans «Chainsaw».

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    Le molosse qui gronde sur la pochette de Dung Australia annonce bien la couleur. Pas de pires Demolition Doll Lads que les Psychos. On se fait immédiatement sauter à la gueule par «If You Want To Get Out Of It». Merveilleuse violence, c’est un bienfait pour la rate, ils aplatissent tout sur leur passage, avec en queue de cortège l’inévitable solo en flammes de John Mad Macca McKeering, le remplaçant du pauvre Robbie Watts qui vient de casser sa pipe en bois. Rassure-toi Mad Macca est aussi psychoïde que Robbie Watts. Ils atteignent avec cet album une espèce de maîtrise du son absolutiste. Ross Knight explose tout au chant. Un certain Keiran Clancy amène le renfort d’une deuxième guitare et Dean Muller a remplacé Bill Walsh au beurre. Les Psychos restent dans leur délire extrémiste. Ils défoncent «20 Pot Screamer» à la pure dementia, ils labourent les côtes du son, c’est tout ce qui les intéresse. Ils ont tellement de son qu’on s’en effare, les rasades de killer solos ne servent qu’à détruire et on tombe plus loin sur un «Miss Me» explosé d’entrée de jeu, ces mecs sont d’épouvantables monsters, ils battent tous les records de lourdeur et de verdeur. Ça bat tellement que le son chevrote. Existe-t-il pire force de frappe sur cette terre ? Non. Ça démolit dans la démolition, les flammes du solo coulent dans le courant du fleuve, ils jouent le beat des soudards, ils sont à la fois excellents et impitoyables, leur maîtrise dépasse un peu la capacité des mots. Certains cuts sont plus classiques, mais tout est bourré de son jusqu’à la gueule, comme on le dit d’un canon de flibuste. Ils attaquent «Follow Me Home» à la belle avoine, ils créent de la joie et de la bonne humeur au cœur des enfers, tout est énorme ici, et l’autre fou n’en finit plus de tapisser les murs de giclées de wah. Ils finiraient presque par devenir trop énormes et par nous donner la nausée, mais en même temps, ils jouent l’un des meilleurs rocks de l’histoire du rock. «Bee Sting» sonne comme du gaga punk supérieur, claqué du beignet dans l’absolutisme défenestré. Les guitares dévorent tout. «Dollar Each Way» vaut pour l’une des plus belles coulées d’heavyness d’Australie et «Skirt Lifter» pue le cramé de wah. Ah quels diables ignobles ! Leur démesure finit par foutre la trouille. One two three, hommage aux Ramones avec «Anarchy In Boondall». Ils rockent ça à la vie à la mort, c’est bourré de vie, de gratté de grattes et de chant à la bonne franquette.

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    En 2011 paraît Glorius Barsteds. Ils gagnent toujours en power, battle punk forever. «Hate Drunkenness Vandalism Demolition» sent bon la démesure tribale. Et dans «Hoon», le solo prend feu. Comme d’habitude, tout est extraordinairement bardé de son. John McKeering démolit «Bull At A Gate» qui ouvre le bal de la B. Il s’amuse à rentrer dans le lard des cuts au moment le plus opportun. Il continue de faire sauter la B avec «3rd Strike». McKeering visite ça en profondeur. Il crée une source de jouvence permanente et l’album devient mirobolant. McKeering est partout, on le voit surgir dans «Nude Shellas On Motorbikes Drinking Beer» et ça reste puissant jusqu’au bout de la nuit. Ils finissent avec un «Wake Up Rocket» fantastiquement heavy.

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    Hooray Fuck - Live At The Tote qui s’appelle aussi I Love My Tractor pourrait bien être le meilleur album des Psychos. C’est un live. La pochette d’Hooray reste sur l’esthétique des premières pochettes, avec le beau ciel bleu derrière les Psychos, mais la pochette de Tractor est marrante, car on voit trois mecs se rouler par terre devant la petite scène où jouent ces démons de Psychos. Là dessus, tout est bon, il n’y a rien à jeter. Ils démarrent avec un «Pub» dévastateur, Dean Muller bat ça à la vie à la mort et Ross Knight gueule comme un con. Big heavy Cosmic blast ! Ils font du high energy atmospherix à trois, ils balancent une vraie dégelée de no way out, à la Cosmic ultraïque. Mad Macca est un dieu de la wah. Alors si tu aimes la basse fuzz, il te faut écouter «Nice Day To Go To The Pub». Mad Macca prend feu, une fois de plus, ça blaste all over et ça wahte par dessus la basse fuzz, et bien sûr ce démon de Ross is on fire. Et ça continue de cavaler à travers la plaine avec «Mortician», ces mecs n’en finissent plus de redorer le blason du blast, mais un blast en surchauffe, cramé de l’intérieur. On les voit repartir aussi sec à chaque fois pour une autre dégelée, et le gros arrose tout de wah brûlante. Avec «I’m Up You’re Out», Ross fait du heavy punk aussie. Il est magnifique de screaming, il prend tout en frontal. C’est dingue comme ces mecs savent tenir la distance. Chaque cut est pulsé dans le ventre du rock. Leur passion pour le bulldozer prend ici tout son sens. Leur violence ricoche dans le son, c’est en tous les cas ce que montre «Dead In A Ditch». Ils sont dans l’expression de la violence salvatrice. Il n’existe pas grand chose au dessus des Psychos. Encore une belle envolée avec «Quater To Three». Ils savent très bien ce qu’ils font. This is the real blast, my friend. Les accords rayonnent dans la chaleur du blast. Ces trois mecs ont tout : l’aussie, la wah et le hard beat. Quel bonheur de voir cette wah tout dévorer. Chaque cut sonne comme une invasion. Ils cherchent chaque fois le maximalisme de la violence sonique et parviennent à la maîtriser pour en faire une sorte d’anti-art. «Go The Hack» sonne comme un pandémonium, c’est un blast à toute épreuve qui date du temps de leurs débuts. Retour de la basse fuzz avec «20 Pot Screamer», ils syncopent leur beat et ils deviennent complètement fous avec «Back In Town». Ils vont très vite en besogne et ça devient incontrôlable, Dean Muller remet tout ça au carré. Mais on sent bien qu’ils sont irrécupérables, on voit bien avec «Lost Cause» qu’ils ont du mal à s’arrêter. Ils font plaisir à voir. Ils restent les tenants du titre, blasters forever. C’est sans doute leur tenue de route qui impressionne le plus. Ils font un «David Lee Roth» punk as hell, c’est le blast définitif, touch me out !, et ils bouclent avec «Hooray Fuck», c’mon cunt ! Ah les fous !

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    Si on fait l’effort de rapatrier ce gros picture-disc qu’est Cum The Raw Prawn, on sera bien récompensé. Les Psychos s’améliorent en vieillissant et gagnent en véracité combinatoire. Pour preuve, voici «Bum For Grubs», une belle giclée de Cosmic trippe, ça wahte dans tous les coins, ils sont exceptionnels. Ils mènent le power à la trique et McKeering wahte comme un beau diable, Il fout le feu quand il veut. Ils atteignent une sorte de maturité avec «Come And Get Some» et leur aisance à driver un beat les préserve de toute critique. Ah quelles belles vagues de wah ! Ils ne sont pas près de se calmer. En B, ils terminent leur morceau titre à coups de fuck you et de fuck yourself. Ils développent encore un potentiel d’acier avec «Ack-Ack» et la wah expiatoire de McKeering vient lécher les bollocks du Cosmic beat, elle se répand dans l’air comme un vent de flammes. Pour finir en beauté, ils explosent en plein vol avec «Didn’t Wanna Love Me», une énorme dose de Cosmic blow.

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    Leur dernier album en date s’appelle Loudmouth Soup. Il date de 2018. Curieusement, il n’est pas aussi intense que certains de leurs albums précédents. Ils transforment «100 Cans Of Beer» en bulldozer sonique, c’est-à-dire en heavyness incommensurable et il faut attendre «Moon Over Victoria» pour refrétiller, car John McKeering joue les accords des Stooges. Les Psychos restent dans le décorum du fucking hell avec le fuzzed-out bass sound de «Mean» et là, mon coco, tu vas entendre McKeering passer l’un de ces killer solos dont il a le secret. Et puis arrive le cut mythique par excellence : «To Dumb To Die» qui est en fait un hommage à Roky Erickson, car c’est «Two Headed Dog» revu et corrigé par les Psychos. Ils se situent d’emblée au firmament de l’underground universel - I’m too dumb to die/ I don’t know why I’m too dumb to die - Roky doit se marrer dans sa tombe. Retour des cavalcades infernales avec «Rat On The Mat». On assiste à l’explosion d’un power trio. Quelle équipe ! Ils font sauter tous les vieux concepts et Ross Knight se tape un final au finish à l’anglaise, aw, hell ! Ils bouclent Loudmouth Soup en allant vers le fleuve avec «Last Stand». On est bien content de les accompagner, même s’ils nous font parfois des tours pendables.

    Signé : Cazengler, Comique Psycho

    Cosmic Psychos. Down On The Farm. Mr. Spaceman 1985

    Cosmic Psychos. Cosmic Psychos. Mr. Spaceman 1987

    Cosmic Psychos. Go The Hack. Survival 1989

    Cosmic Psychos. Slave To The Crave. Rattlesnake Records 1990

    Cosmic Psychos. Blokes You Can Trust. Amphetamine Records 1991

    Cosmic Psychos. Palomino Pizza. City Slang 1993

    Cosmic Psychos. Self Totalled. Amphetamine Reptile Records 1995

    Cosmic Psychos. Oh What A Lovely Pie. Shagpile 1997

    Cosmic Psychos. Dung Australia. Timberyard Records 2007

    Cosmic Psychos. Glorius Barsteds. Missing Link 2011

    Cosmic Psychos. Hooray Fuck - Live At The Tote. Cobra Snake Necktie Records 2011

    Cosmic Psychos. Cum The Raw Prawn. Desperate Records 2015

    Cosmic Psychos. Loudmouth Soup. Go The Hack Records 2018

     

    Inside the goldmine

    - De l’Adorabilité des choses

     

    Oui, ça devait être ça, Porte d’Aubervilliers ou de la Chapelle. C’est là qu’elle tapinait. Elle arrivait vers 1 h du matin. Elle annonçait le tarif, ok, et elle montait à bord. Tiens tu vas par là, c’est tranquille. Elle avait deux dents cassées, devant. C’est la première chose qu’il remarqua. Elle devait avoir tout au plus trente/trente-cinq ans. Cheveux longs, châtain clair, un peu ronde. Mais diable, comme elle suçait bien. Elle y mettait tout le tact dont peut rêver un homme. On pouvait même en déduire qu’elle devait aimer ça. Très rare dans ce circuit où la pipe se fait généralement sans âme ni état d’âme. La pute est contente, elle a ramassé son billet, le mec s’est vidé les couilles, il peut rentrer dormir chez lui. Il fut tellement ravi qu’il y retourna la nuit suivante. Personne. Elle devait être victime de son savoir-faire, ça paraissait évident. Alors il remonta les Maréchaux vers le Nord et fit demi-tour une demi-heure plus tard. Elle était là. Ils nouèrent cette nuit-là une espèce de relation. Il revint la retrouver quasiment chaque nuit pendant quatre mois, le plus souvent dans l’hôtel où elle vivait, vers la Porte d’Auber. Ils dépêchaient longtemps une vague besogne, puis quittaient l’hôtel pour aller vers la rue Myrha. Elle devait se ravitailler car elle tournait au crack, bien sûr. Ils allaient ensuite dans un mini-market ouvert toute la nuit acheter un doseur de Ricard et filaient aussi sec dans un hôtel de Stalingrad procéder au rituel. Elle partageait tout, sa vie, son crack, son corps et l’extrême misère de sa condition. «T’es adorable, mon cœur», disait-elle, avec un léger accent. Il repartait au lever du soleil pour aller bosser, fier d’avoir goûté aux saveurs du trash suprême, ce qu’il appelait l’Adorabilité des choses. Alors que l’énergie bouillonnait en lui et livrait un combat sans merci à la fatigue, il allait retrouver sa bagnole, s’émerveillant à chaque pas de l’immense saleté des rues, le long du métro aérien. Valsait en lui l’Adorabilité des choses. Jusqu’au vertige.

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    Elle aurait pu dire d’Adorable qu’ils étaient adorables. Le premier album de ce groupe anglais date de 1995 et s’appelle Against Perfection. Le chanteur s’appelle Piotr Fijalkowski, il est polonais.

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    Dès «Favourite Fallen Idol», he makes it. C’est violent, side by side, il dégringole dans les vapes du génie vocal, ah les Psychedelic Furs devraient prendre des notes. Piotr tombe, aw aw. C’est un fantastique artiste. Avec «A To Fade In», il fracasse tout, il transforme la Brit Pop en apocalypse now, il multiplie les douches froides d’exception. Le génie est dans la course comme il est dans la cause. Ce Polak à moitié viking ravage les côtes de «Homeboy», aw comme il chante bien, you’re so beautiful. Il faut voir l’«Homeboy» éclore en bouquets d’artifice. Comme ce Piotr est un singer exceptionnel, tous les cuts prennent de sacrées tournures, les montées flambent, ils jouent à deux guitares. Nouvelle splendeur catatonique avec «Cut # 2». Piotr a autant de power que Lou Reed ou Peter Perrett, mais avec un truc en plus, un truc en plume, un truc à lui, une couleur de timbre qui rend sa présence immanente. Ces adorables Brit-popsters lèvent des vagues dans leur pop et Piotr met un point d’honneur à exploser chaque fin de cut. Ils font aussi du wall of sound («Crash Sight») et bouclent cet infernal bouclard avec «Breathless», une chanson d’amour chargée d’un désespoir de main tendue, Piotr chante au tranchant d’effarence, il crée les conditions du fall out, sa voix porte au loin, il touche les cordes raides, il atteint les ports, il touche tellement au but qu’on voit le but. C’est l’une des voix de notre époque. Ce mec a la Melancholia de Dürer gravée dans sa cuirasse. I love you !

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    Leur deuxième et hélas ultime album d’Adorable s’appelle Fake. Il vaut peut-être mieux commencer par écouter «Road Movie» que Piotr plie en quatre avec un fatalisme typiquement polonais, puis il s’exprime au grand jour et à pleine poitrine, alors tout bascule dans l’ampleur shakespearienne de la tempête. L’autre point fort de Fake est le «Feed Me» d’ouverture de bal, un Feed Me éclairé aux accords malovelants et ça donne une pop teigneuse et belle, brune et sensuelle - She falls ever so/ Ever so soft/ So soft - et ça éclate au Sénégal avec la copine de cheval. Avec Piotr, la messe est dite en permanence. Messieurs les Furs, rangez vos fears, personne ne peut égaler le Polak au petit jeu du power surge atmosphérique. Il monte vite au vent de la vague. Il est magnifique et tellement désintéressé. Une présence qui n’en finit plus d’être présente, c’est la force de cet adorable Polak. Mais Fake est nettement moins dense que son prédécesseur. Les submarines ne sont pas aussi glorieux que ceux de Captain Sensible. Il semble même que ce géant se noie dans un son à la mode. Avec «Lettergo», Adorable sonne comme une fiotte éplorée sans port d’attache. Fake se tire une balle dans le pied. Mais la basse fuzz vole au secours de «Kangaroo Court» et le radeau de la méduse reprend sa course, avec un Polak en figure de proue. Les pronostics les donnaient perdants et voilà que le radeau file à présent vingt nœuds. Il file droit sur l’horizon que scrute Piotr alors qu’un matelot affamé commence à lui dévorer un mollet. «Go Easy On Her» s’ouvre sur des arpèges magiques, une véritable invitation à l’Adorabilité des choses, mais ça peine un peu à jouir, même si Piotr bande ses muscles pour tenter de hisser ce boulet jusqu’au sommet.

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    Quelques années plus tard, le Polak monte Polak à Brighton avec son frangin Krzys et trois autres petits mecs du coin. Ils enregistrent deux album. Le premier s’appelle Swansongs et vaut le déplacement, sacrément le déplacement. Piotr ne traîne pas au coin du bois mais au coin du son, il est tout de suite présent. Mille fois plus présent que ne le sera jamais Nick Cave. Eh oui, c’est malheureux à dire, mais c’est la réalité. Piotr impose une ambiance, comme savent le faire Owen McCarty et Mark Lanegan. Pour lancer «Tracer», il ouvre la bras, venez mes amis, je chante pour vous. Il est très bon, peut-être même trop bon. Trop d’intégrité ? Il est aussi juste et profond que Mark Lanegan. Pas de demi-mesure, il chante à l’absolu du chant, il brûle en profondeur et quand les guitares arrivent, il fait monter la sauce, il racle son chant aux parois de l’abandon. Il enchaîne avec un autre cut faramineux, «Nobody’s Cowboy Song», amené au merveilleux hook de guitar slinging. Il entre dedans comme dans du beurre, c’est un spécialiste, un fabuleux groover, il sait de quoi il parle, c’est ouvert sur le ciel, complètement ouvert, my friend, I’ll stay alive my friend, avec de faux échos de «You Can’t Always Get What You Want», juste de faux échos, I’ll stay alive, c’est stupéfiant, et niaqué aux guitares. Très beaux restes d’Adorable. D’autres morceaux rappellent aussi Adorable, comme ce «Storm Coming» amené à la marée montante absolutiste, aw storm coming, comme son nom l’indique. Avec une voix pareille, Piotr Fijalkowski devrait être aussi célèbre que Bowie. Le fait qu’il soit resté à l’écart est incompréhensible. Encore de l’Adorabilité des choses avec «Impossible», ils rejouent la même carte, celle du Big Atmospherix adorable, un mix unique en Angleterre. C’est le romantisme byronien du XXe siècle, une pure merveille d’extension du domaine de la turlutte. Il va ensuite chercher la petite bête dans «Love In Reverse» avec une gonzesse nommée Ruth Calder. Elle est pas mal. Tous ces exercices ne sont pas simples, il faut savoir s’y prêter pour un rendu. Piotr va ensuite fracasser son «Shipwrecked» sur les récifs, il adore ça, c’est le vieux fonds de commerce Adorable, le cut perdu dans la nuit des temps immémoriaux. Ce mec sait ce qu’il fait, on le comprend bien, soft et léger, avec l’underground des trottoirs jonchés d’immondices à fleur de peau.

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    Le deuxième album de Polak sort deux ans plus tard et s’appelle Rubbernecking. Même chose qu’avec l’album précédent, on est tout simplement heureux de le croiser. Piotr Fijalkowski ne veut pas qu’on le réveille dans «Don’t Wake Me». C’est assez clair. Drug song ? Va-t-en savoir ! Et boom, voilà «Love Lies», il prend le taureau des Lies par les cornes, suivi par des guitares. Il redevient le temps d’un cut l’un des plus puissants seigneurs d’Angleterre. Power absolu ! Il descend sur la pop comme un aigle, ou mieux encore, comme un vampire, on le voit littéralement descendre dans le son. Terrifiante prestation ! On reste dans le génie polish avec «Joyrider» qu’il attaque au ras des pâquerettes pour l’émulser dans une abondance d’excellence, alors ça monte, comme au temps béni d’Adorable. Les cuts sont très physiques, ces montées et ces descentes ne sont pas monnaie courante, dans le monde rock. Les groupes on tendance à rester linéaires. Piotr Fijalkowski adore les reliefs. Il les génère. Il est par exemple bien plus climatix que Liam Gallag qui est pourtant un grand chanteur. Piotr fabrique de la clameur. Il est tellement à l’aise qu’il donne l’impression de se balader dans le son. Il chante son «Dumbstruck» au hanté demented, il relance avec une majesté sidérante, you’re my obsession, il éclate sa sortie comme une noix, toujours juste et puissant à la fois. Avec «Something Wrong», il rentre dans le lard du son, comme Peter Perrett, Piotr est un vieux renard, il colle au big heavy groove de something wrong. Il tourne tout, absolument tout, à son avantage. Il termine cet album somptueux avec un «Come Down» d’une rare proximité. Il s’y américanise un peu, à la Fred Neil, et quand il laisse tomber son come down, on pousse un oh d’admiration, car c’est extrêmement beau. Alors il fait entrer du son, mais du très gros son, avec un drive de basse énorme et ça submerge tout, le drive démolit tout, glou glou, on disparaît avec la cité d’Atlantide. Heavy as hell !

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    Et puis voilà, les années passent. Piotr Fijalkowski sombre dans l’oubli, alors il décide de simplifier son nom en Pete Fij et de s’acoquiner avec Terry Bickers, l’ex-House Of Love, pour enregistrer deux albums. Le premier paraît en 2014 et s’appelle Broken Heart Surgery. Bien sûr, ils n’ont pas de label. Cette fois, Piotr n’a plus que sa voix. Les compos ne sont pas vraiment au rendez-vous. Il va se lover au creux du giron en attendant que vienne l’inspiration. Mais cette garce se refuse à lui. On le voit chercher sa voie dans «Sound Of Love». Même s’il chante à la Piotr du pauvre, ça reste nettement supérieur à la moyenne. Mais pas de feu dans la plaine, pas de bombes sur la cathédrale. On sauvera «Breaking Up» pour son côté insidieux, bien orienté, bien rocky, I got run over, il sait doser sa rockitude, il attend patiemment que ça se réveille, le breaking up est bien claqué au riff, avec des coups d’harp en fin de parcours. Mais bon, les autres cuts restent au sol. Ce n’est pas l’album du siècle, on est bien d’accord.

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    Pete Fij et Terry Bickers enregistrent un deuxième album en 2017, We Are Millionaires. Ça reste du hot Fij avec le big guitar sound de Terry Bickers, une présence indéfectible, un son très anglais, on the verge of the edge, violonné à outrance («Love’s Going To Get You»), comme suspendu dans l’espace, ce mec pose sa voix et c’est tout de suite captivant («Waking Up»), il faut le voir swinguer son groove de deepy deep, il travaille sa magie vocale au crossroad puzzle («Marie Celeste»), bien vu, Pete le Polak, il tape bien sa rengaine - I don’t know much about you honey/ But I know you’re driving me mad - Toujours la même histoire. Et puis voilà le miracle tant espéré : le morceau titre, hanteur comme seul Pete Fij peut hanter, il nous enveloppe dans sa chaleur mélodique, il faut voir l’éclat du tombé de ton - If that melancholy that we share was common currency/ Then we’d be millionaires - Toxique au plus haut point, l’une des plus belles chansons qu’il soit donné d’entendre en langue anglaise. Rien que pour cet all the currency, on se damnerait pour l’éternité.

    Signé : Cazengler, Adorat d’égout

    Adorable. Against Perfection. Creation Records 1993

    Adorable. Fake. Creation Records 1994

    Polak. Swansongs. One Little Indian 2000

    Polak. Rubbernecking. One Little Indian 2002

    Pete Fij/ Terry Bickers. Broken Heart Surgery. Not On Label 2014

    Pete Fij/ Terry Bickers. We Are Millionaires. Broadcast Recordings 2017

    *

    J'avais vu l'annonce de l'édition américaine, pas de sitôt que l'on verra une telle monstruosité en France m'étais-je dit. Il faut savoir reconnaître ses torts. Le voici sur mon bureau. Un paquebot, un porte-avions, le genre de pavé monstrueux qui encombre les bibliothèques et embarrasse les heureux possesseurs. Apparemment le souhait de la famille... Quarante-cinq euros, je sais bien que la poésie n'a pas de prix, bonjour l'opération marketing ! Il est vrai que le livre propose un grand nombre d'inédits, surtout en France. De nombreuses pages blanches ou noires aussi. Beaucoup de blanc aussi autour des textes composés en petits caractère. Z'ont dû mal comprendre la boutade de Mallarmé comme quoi les blancs sur lesquels s'inscrivait le poème étaient plus importants que le texte... Z'auraient aussi pu réfléchir sur le désir de Morrison de publier An American Night sous forme d'une plaquette destinée à s'immiscer dans la poche arrière d'un jean... Cessons nos jérémiades, il est d'autres questions plus importantes...

    ANTHOLOGIE

    JIM MORRISON

    POEMES, CARNETS, RETRANSCRIPTIONS, PAROLES

    ( Massot / 2021 )

    Que les Doors aient été dans les années soixante un des groupes de rock les plus importants des Etats-Unis, que leur chanteur possédât une voix et une indéniable présence sur scène, le monde entier nous l'accordera. Affaire classée. Mais en plus d'être un chanteur exceptionnel Jim Morrison s'est voulu poëte. Sur ce point les avis divergent. Sûr que ses lyrics étaient de loin supérieurs à la plupart des autres groupes, de là à lui décerner le titre de poëte, ne serait-ce pas trop ? Il est étrange de constater qu'à une époque où la gloire du poëte n'est plus ce qu'elle a été durant les siècles précédents, l'on dénie à Morrison, le droit de revendiquer ce titre bien galvaudé. C'est qu'inconsciemment s'opère dans les esprits, une scandaleuse équivalence entre grand chanteur de rock et grand poëte. Apparemment c'est beaucoup trop, quasiment antidémocratique, qu'un seul et même individu ait été ainsi favorisé des Dieux. Reste à lire les textes.

    Un temps d'adaptation est nécessaire. Surtout pour les textes connus depuis de si nombreuses années. La nouvelle traduction de Carole Delporte, nous déporte un peu hors de nos habitudes. Mais l'on s'y fait. Avoir à sa disposition plusieurs translations de textes dont on baragouine la langue, malheureusement les subtilités nous échappent, ne saurait être un handicap. J'ai passé la soirée à lire in-extenso de la première à la dernière ligne ces 586 pages. Voici venu le temps de donner mes impressions.

    Première surprise, la masse d'inédits nous obligent à reconnaître que le Morrison Rocker, ne correspond pas tout à fait à l'écrivain. L'ensemble des écrits gomme l'aspect mythologique des lyrics du chanteur. Moins de lézards, moins de serpents. Moins d'implications personnelles dans les personnages des poèmes. Dans une interview Morrison récuse le sérieux d'un texte comme La Célébration. Il parle d'ironie. Nous croyons que le jeune homme, et davantage encore l'adulte, qu'il est en train de devenir mûri par les expériences accumulées en peu d'années, s'écarte d'une vision trop adolescente, inhérent à son statut de rebelle absolu.

    Cette vision mythologique correspond aussi à celle d'un élève doué qui s'est forgé une culture livresque. De même beaucoup de ses premiers textes sont une réflexion sur le cinéma. Bizarrement l'ancien étudiant en art cinématographique à l'Université de Los Angeles ne parle ni de film, ni de technique. Le cinéma l'intéresse en tant que regard et vision. Pas celle du spectateur qui regarde des films. Du cinéma il passe d'ailleurs à un moyen de communication, spécifiquement américain, de diffusion des images : la télévision. Morrison évite la tarte à la crème de la critique de la médiocrité des émissions de télé. Ne s'intéresse pas davantage aux attitudes des téléspectateurs scotchés devant l'écran. Le problème n'est pas de regarder la télé pour la simple et bonne raison que c'est la télé qui vous regarde. Evitons les fausses interprétations. Morrison ne se lance pas dans une diatribe contre Big Brother. Il ne développe en rien la critique politique de l'éducation manipulatoire et de la surveillance des masses anonymes par un pouvoir oppressif.

    Inutile de vous précipiter dans votre salle de bain pour retoucher votre coiffure, la télé ne vous regarde pas. Elle regarde autre chose. La réalité. Si cela vous paraît incongru, vous allez avoir du mal à comprendre la démarche poétique de Morrison. C'est que bientôt il ne parle plus de télévision. Il n'a pas éteint l'appareil. Il a pris sa place. Ou plutôt sa poésie se chargera de cette occupation. Elle enregistre le réel qui se présente à elle.

    Une constance dans la poésie de Morrison, tantôt il évoque la chaleur, tantôt le froid. C'est qu'il ne jette pas un regard désabusé, neutre et glacé sur le spectacle du monde. De même, malgré un tel parti-pris sa poésie n'est ni réaliste, ni matérialiste. Elle ne dénombre pas le réel, elle ne revendique aucune vision philosophique du monde. Elle n'est pas non plus une poésie à hauteur d'homme. Très peu peuplée. De temps en temps un tueur solitaire – pas vraiment un bienfaiteur de l'humanité - et des filles ( beaucoup ) désirantes et désirables. Deux adjectifs que l'on remplacera par le mot sexe. La poésie de Morrison est animale. Il nous rappelle que nous sommes une espèce animale, ni pire ni meilleure que les serpents et les chiens... Nous sommes dans le regard que la poésie pose sur nous. Rien de plus. Rien de moins.

    Pourtant ce n'est pas une poésie impersonnelle. Loin de là. Il est indéniable que les poèmes portent en eux l'empreinte morrisonienne. Reconnaissable à première lecture. De quoi parle-t-elle au juste. De rien. Elle évoque non pas tout mais une certaine totalité. Celle de l'Amérique. Il l'annonce clairement dans les titres, An American Prayer, American Night Journal. L'Amérique de son temps, mais pas ''son'' Amérique. Aucun jugement moral ou de préférence affective. L'époque le voulait, certains poèmes évoquent le Vietnam, pas de condamnation de la violence, juste la violence. Morrison n'est pas Joan Baez. Il ne défend pas une cause, si juste serait-elle, il n'envoie aucun message, il montre.

    L'Amérique qu'il nous montre, ou plutôt l'Amérique qui nous regarde, est monstrueuse. Pas parce qu'elle est l'Amérique, parce qu'elle ressemble à nos pulsions humaines. En quoi le désir d'un assassin, un désir de mort, serait-il plus condamnable qu'un désir de vie – Morrison emploie rarement le mot amour – tous deux sont des désirs. Point à la ligne. Serait-il né en France je crains que la réalité française ne lui soit point apparue moins noire que la nuit américaine... Cette poésie sans illusion mais aussi sans mépris sur les hommes et les femmes touche à l'universel.

    L'on connaît le destin de Morrison. La plupart de ses écrits sont restés confinés dans des carnets. Cette Anthologie nous dévoile leur aspect extérieur, certainement moins anecdotiques des photographies présentent quelques poèmes traduits dans le volume. L'accès au texte original est un plus, mais nous emmène à quelques commentaires. Les poèmes de Morrison sont écrits en vers libres, disposés en strophes qui peuvent atteindre jusqu'à une quarantaine de vers. Le plus souvent beaucoup moins. Morrison prenait des notes. Des notes poétiques serait-on tenté de dire. Il n'a pas eu le temps de trier, d'arranger et de mettre en forme. La famille, quelques amis, et l'éditeur se sont chargés de cette tâche. Il est un point qui arrache la vue. La grosse écriture de Jim occupe l'ensemble de la surface d'une page. Quand on compare aux transcriptions typographiques de cette édition, il nous vient à l'idée qu'une dimension s'est perdue. L'on ne se gênera pas pour nous faire remarquer que les recueils édités de son vivant par Morrison se sont contentés d'une présentation à peu près similaire. Certainement. Je pense toutefois que dégagé de son métier de chanteur Morrison aurait apporté un plus grand soin à la mise en page de ses livres. L'œil lit, mais il voit aussi.

    Nous sommes de ceux qui pensons que Morrison n'est pas un poétereau de treizième zone, sans doute convient-il de le comparer à ses aînés. Dans les années soixante-dix, à l'écoute et à la traduction des lyrics des disques des Doors, je l'avais intuitivement rapproché de Shelley. Qui a le tort, si j'ose dire, d'être anglais. Je fais l'impasse sur la Beat Generation, il me semble que Morrison vient culturellement d'ailleurs, ceci serait à débattre. Réfléchissant ce matin à ma lecture de la veille, un nom s'est imposé dans ma réflexion, je n'y pensais pas, l'est venu je ne sais comment à mon esprit. Difficile d'établir une relation entre deux individus, deux biographies, et deux conditions d'écriture si dissemblables. Je pense à la recluse, à Emily Dickinson, qui n'est pour ainsi dire jamais sortie de sa maison, mais une même façon d'appréhender la totalité du réel au travers de leurs courts poèmes.

    Damie Chad.

    P. S. : Les paroles des textes des chansons ne sont pas traduites. Le manque d'un minimum d'apparat critique se fait sentir.

     

     

    GREY AURA

    ( Onism Productions / Mai 2021 )

    Comment, fût-il néerlandais, et se nommant Aura Grise - peut-être la traduction Âme grise serait-elle plus juste et plus respectueuse de l'idée véhiculée par une telle nomenclature – un groupe peut-il affubler la pochette de son deuxième album d'un tel tintamarre de couleurs ! C'est une longue histoire. Zwart Vierkant est le titre de ce deuxième opus, nous n'évoquerons point dans cette chronique leur premier disque que nous réservons pour une prochaine livraison.

    Le mystère sera en partie résolu lorsque nous aurons révélé que le titre de l'album raconte l'histoire d'un peintre nommé Zwart Vierkant. Si vous ne connaissez pas le néerlandais sa proximité avec la langue allemande vous incitera à rapprocher Zwart de Schwarz, le simple fait qu'un peintre arbore le drapeau noir d'un tel prénom symbolique s'éclairera si vous soumettez son patronyme au premier transcripteur venu, vous apprendrez que Vierkant signifie Carré.

    Le Carré Noir est le tableau le plus célèbre de Casimir Malevitch ( 1879 – 1935 ). Il ne voulait pas dire que la peinture était parvenue au bout de son cheminement, qu'il était désormais impossible pour un peintre conscient des limites de son art de peindre comme ses prédécesseurs. Au contraire, il escomptait marquer un nouveau début, la peinture devant se contenter de formes géométriques simples et de couleurs primaires, du blanc et du noir. Ce parti-pris pour empêcher que le peintre et le spectateur ne soient point distraits par un sujet choisi. Devant une scène de chasse, les chiens, les chevaux, les cavaliers, le renard, l'herbe, les arbres monopolisent et dispersent votre attention, vous oubliez que ce qu'il faut voir c'est la peinture et non le sujet de sa représentation...

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    Cet art nouveau, au début du vingtième siècle, Malevitch l'appela le suprématisme. Le suprématisme irrigue encore la production d'artistes modernes. Un tour sur l'instagram de Sarija Marusic, elle est l'auteur de la pochette, s'impose. Photographe, elle agrémente ses photos de couleurs violentes qui vous arrachent les yeux. Les personnes mises en scène, souvent en des poses peu communes, en sont d'autant plus visibles, qu'elles ne sont plus que des éléments du tableau au même titre que les couleurs, ce traitement de réduction graphique inaccoutumé les font davantage ressortir. La couve de l'album en est un parfait exemple. Après l'écoute du disque nous reviendrons sur la signification à donner à cette image, ce qui est une hérésie, puisque selon les canons du suprématisme, elle ne devrait signifier que le fait d'être une image.

    TJEBBE BROEK : guitar, percussion, bruitage, synthesizer, Spanish guitar / RUBEN WIJLJACKER : vocals, lyrics, guitar, percussion, foley, synthesizer, mixing / BAS VAN DER PERK : drums, percussion / SYLWIN CORNIELJE : bass

    GLEEN COENEN & INEKE NOORDHUIZEN : voice acting / ALBERTO PEREZ JURADO : trombone, trompette / HAENEL ENGEL : castagnettes / JOOST VERVOORT : vocal sur dernier titre.

    Nous avons opté pour la traduction des titres néerlandais. Ils peuvent ainsi aider à une appropriation de l'œuvre. Qui n'est pas facile. Elle est inspirée par un roman de Ruben Wijlacker qui l'a lui-même adapté à la différence près que son écriture a fait partie du processus de création de l'album. Le disque ne raconte pas à proprement dire le parcours de Zwart Vierkant fasciné au début de ce siècle par le suprématisme russe et les travaux tant pratiques que théoriques de Kandisky père de l'art abstrait. Chaque morceau est état un d'âme du peintre lors de son voyage initiatique en Europe. Peint de l'intérieur. Peu de détails explicites, l'ensemble est à interpréter, à écouter, à méditer, texte et musique, comme si vous découvriez à chaque fois le nouveau tableau d'une exposition que vous seriez en train de visiter.

    Mais ce n'est pas tout. Le groupe a travaillé pendant plus de six ans pour la production de l'œuvre. Il s'agit d'un projet ambitieux. Qui serait à mettre en relation avec Le Chef d'œuvre absolu d' Honoré de Balzac. L'histoire de Frenhofer qui finira par brûler toute son œuvre après avoir achevé son chef -d'œuvre. Cette histoire de destruction est au centre de la création de Zwart Vierkant. S'il arrive à réaliser un tableau totalement abstrait la réalité concrète du monde s'auto-détruira. Mallarmé a caressé de telles rêveries, la création du Livre exprimant totalement le Monde, induirait la disparition du Monde désormais inutile. Le lecteur retrouvera ici une application du principe de réversibilité que nous avons exposé dans notre chronique de Moonchild d'Aleister Crowley ( voir livraison 537 ). Grey Aura se revendique explicitement du modernisme, du décadentisme et de notre littérature fin de siècle. Ils se considèrent comme un groupe de Black Metal, qui leur semble le vecteur musical le mieux approprié pour s'aventurer dans toutes les hybridations intellectuelles et artistiques les plus novatrices. Ces sentes obscures sont en effet les plus créatrices.

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    Maria Ségovie : deux roulements fuyants de tambours, indice d'une tambourinade épileptique, signe d'un léger décrochage avec la réalité, comme une photo que vous tenez dans la main et dont l'image glisserait légèrement en dehors du cadre, vocal crépusculaire qui très vite confine à la folie, musique violente, comme ces couchers d'herbes hautes sous le vent de violons que l'on rencontre dans les symphonies, mais ici électriques, la voix légèrement dédoublée, maintenant précipitée, Zwart Viertkand, notre carré noir ne tourne pas rond, la peinture se confond avec la réalité, ce portrait de vierge est-ce un tableau véritable aperçu dans un musée ou une hallucination colportée sur les murs de la réalité, le sang de la vierge doit-il couler, meurtre nuptial ou phantasmatique, ambiance lourde et angoissée. Plongée au cœur du drame. Une guitare espagnole balaie les remugles de ses pensées. Volutes de fumée, bouteille : reprise de batterie que l'on pourrait imaginer pour accompagner la scène d'un film de la charge de Ney sur les batteries anglaises de Waterloo, hurlements de folie, pas douce du tout, des guitares comme un incendie de tourbières rases qui fument, douceur maintenant, l'artiste se calme, l'alcool, la drogue peut-être, ou l'abattement devant la tâche inaccomplie, la toile qui n'aboutit pas  se voile et devient voile sur la mer déchaînée de l'anabase de la folie. La traînée de mauve du désastre : la tragédie ne tarde pas à envahir son esprit, il crie, il s'exalte, il tient le bon bout du pinceau et de la folle du logis, il pense galoper vers la victoire, mais cette trainée mauve sur le tableau devient la preuve de son échec, il se mure dans la tour d'ivoire de son incapacité, la batterie s'écroule, les guitares se sont muées en vol de corbeaux au-dessus de champs de blé de Van Gogh à l'horizon, des chœurs transgéniques le transportent dans son rêve, la chair et le sang, toute femme n'est qu'une figure de la mort qui s'avance sur la mer, portée par des ailes de séraphins. El Greco en Tolède : nous ne sommes pas sortis de l'auberge de la folie, Zwart Vierkant crie comme un reître, il est dans le musée entouré des toiles del Greco, il rugit, il comprend, il accède aux arcanes finales de l'Art, son âme tinte comme une cloche fêlée, une fissure par laquelle s'engouffre la folie de la chair et du sang criminel, signe que le Monde sera enfin brisé, Elle est là, tous deux vont jouer les scènes torrides de la femme et le pantin de Pierre Louÿs, il cède à la sirène maléfique, c'est ainsi qu'il vivra sa saison en enfer, c'est ainsi qu'il recevra l'illumination créatrice. Et destructrice. Chant nuptial, le fiancé se dirige vers l'autel, un couteau, un pinceau, ou un pénis à la main. Paris est un portail : grandiloquence battériale, ahanements, Paris capitale des arts, chacune de ses nuits repeuplait les morts des batailles de Napoléon, chants d'ivrogne et de triomphe, rupture cette guitare qui swingue, une étymologie du mot jazz ne nous dit-elle pas que dans une langue africaine ce mot signifie l'acte sexuel, longs plaidoyers guitariques, est-ce ici que la perpétuation du geste signifie la maîtrise de l'œuvre et du monde. Paris est-elle la cité de la puissance ou de l'illusion. L'entrée du dédale dans lequel on se perdra. La séduction indescriptible de la vertu s'efface : roulements de tambours pour la charge de l'infanterie, vociférations, les réveils du petit matin, instants pathétiques, n'aurait-on libéré le kaos uniquement en soi, le monde extérieur ressemble-t-il à un corps froid sur lequel on n'a plus aucune prise, se moque-t-il de nous, marche-t-on vers le désastre de l'échec. Grandeur et décadence de l'empire que l'on a sur soi-même et sur les choses. Serait-on une fiole de folie brisée sur les rochers de la réalité. A moins que la fissure ne se fendille devant nous. Bouche d'ombre gracieuse : reprise effrénée mais que l'on pourrait aussi interpréter comme une pastorale ironique, la fissure correspondrait-elle au sexe de la femme, une voix mélodramatique pour signifier que toute gorge d'orgie est aussi une entrée des Enfers, la violence se fait douce, lit-on un poème ou un avertissement, interrompu par le cri de celui qui tombe, une diction tel un souffle sur une bouche et les cris d'exaspération de celui qui s'aperçoit que nul frémissement ne répond à sa frénésie, guitares à fond, bouleversements, entassements, la taupe qui progresse dans son terrier rejette la terre dans le monde extérieur, soulèvement de haines, extirpation de colères, elle n'était rien qu'une incarnation idéelle, la mer du monde se retire. Que reste-t-il ? Où sommes-nous? Quelle place pour l'artiste ?

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    La batterie tempétueuse cascade et écume sur les récifs du récit déchiré. Dans un quatuor elle tiendrait le rôle du premier violon accroché à la barre du naufrage. Les cordes en bruit de fond, le souffle des vents multiples baignés d'embruns qui vous précipitent du bord de la falaise dans le maelström sonore, la voix agitée en tous diapasons à la manière des haillons d'une voile qui claquent désespérément au vent.

    Un deuxième opus est en préparation. Nous attendons cette suite destructrice avec impatience. Une œuvre de longue patience. Certains kr'tntreaders s'étonneront des couleurs si pimpantes de la couverture si flashy pour un disque si sombre. C'est oublier que la violence est partout, qu'elle est intimement mêlée à la vie, un peu à l'image de ses gros rocheux laineux du paysage d'aspect si pelucheux, si inoffensifs qu'ils ont l'apparence confortable de ces poufs dans lesquels on s'assoit en toute voluptueuse quiétude, qui vous absorbent à tout jamais pour vous couper de l'attrait de toute action, un peu à la manière de l'étreinte de ces amants cannibales entremêlés qui s'entredévorent dont il ne reste quelques membres épars.

    Damie Chad.

     

    *

    Serait-ce un hasard ? Le monde serait-il plus petit qu'on ne le croit. Hier soir je me livrais à une autre de mes passions coupables, pas le rock 'n'roll donc, mais la poésie du dix-neuvième siècle, réécoutant sur You Tube une conférence de Quentin Meillassoux sur Le coup de dés de Mallarmé. Par acquis de conscience, la vidéo terminée, je m'autorise un petit net-surfin sur les livres de Quentin Meillassoux édités. A force de chercher l'on trouve. Tiens, Quentin Meillassoux est censé avoir écrit des notes de pochettes sur un CD de Florian Hecker. Nous voici à l'endroit précis où les Athéniens s'atteignirent. Je connais Stéphan Eicher mais pas Florian Hecker. Je tape le nom heckerien sur mon clavier et apparaissent une kyrielle d'occurrences, l'a apparemment enregistré davantage de disques que vous n'avez perdu de dents de lait, et plonk mon œil de rocker exercé repère deux références de sites connus, les deux mamelles nourricières indispensables à la survie du rocker en détresse, Bandcamp et Discogs. Je cours sur le premier, une dizaine de pochettes, mais les notes n'indiquent aucune mention de Quentin Meillassoux. Déçu mais pas vaincu. Je me précipite sur Discogs, notre gazier a au moins enregistré une vingtaine de disques et Cds notamment celui qui m'intéresse, Speculative Solutions. Et là je tique, y a un truc qui tilte dans ma tête, la maison de disques, Edition Mego.

    Ne mégotons pas sur les rouages du cerveau, mais oui, je vérifie, c'est là qu'ont été édités Luciferis et aussi Nona, decima et morta de Golem Mécaniques, chroniqués la semaine dernière dans notre livraison 538. Nous voici presque en terre connue.

    SPECULATIVE SOLUTION

    FLORIAN HECKER

    ( Editions Mego / Urbasonic / 2011 )

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    I : Le livret :

    L'objet se présente sous forme d'un coffret ne contenant qu'un seul CD et d'un livret de cent soixante pages présentant trois textes, version en français, version en anglais, de Robin Mackay, d'Elie Ayache, de Quentin Meillassoux. Trois textes qui demandent attention et qui risquent de surprendre le kr'tntreader habitué à des réflexions sur tout autre genre de sujet, comme par exemple le rock 'n' roll. Nos trois auteurs sont des philosophes. Leurs œuvres, selon des déploiements très particuliers, recoupent un thème commun : celui de l'influence du hasard sur l'ordre et le désordre des choses.

    Ainsi dans Ceci est ceci Robin Mackay étudie le rapport existant entre l'Histoire et les Idées, comment la pensée humaine, soumis à sa logique rationnelle, se modifie-t-elle devant les accidents de l'Histoire. Il n'existerait donc pas de pensée pure, entendons purement humaine, puisque pour répondre à la logique des évènements contingents la pensée doit afin de les penser se résoudre à opérer des modifications de ses propres schèmes de production logique. Au mieux la pensée humaine ne peut que louvoyer entre les propositions extérieures du hasard.

    Dans Le Futur réel Elie Ayache nous rappelle que nous ne pouvons prévoir ou imaginer le futur qu'à partir de nos connaissances actuelles. Qui elles-mêmes ne sont pas fiables. Bref nous ne pouvons définir au mieux que des possibilités improbables du futur. Notre pensée de tout événement ( qu'il soit du passé, du présent, ou du futur ) se présente sous la forme d'une chaîne déductive probabiliste. Pour faire simple, nous ne maîtrisons pas grand-chose du monde, car notre seul et insuffisant organe de sa préemption, autrement dit la pensée, n'est sûre de rien.

    Métaphysiques et fiction des modes hors-science de Quentin Meillassoux est une méditation à partir de La boule de billard nouvelle d'Isaac Asimov. Il s'agit pour lui de démontrer qu'il existe deux types de livres de Science-fiction, ceux qui extrapolent à partir des données scientifiques de leur temps ( exemple tout bête, le Nautilius de Jules Verne paru en 1869 s'inspire des différentes expérimentations sous-marinières depuis l'Antiquité et la guerre de Sécession qui finit en 1865 ). Mais il existe des auteurs qui s'affranchissent de toute l'armature scientifique de leur époque pour créer des univers qui échappent à toutes les lois scientifiques, notamment de celles qui régissent nos compréhensions du temps et de l'espace ( voir Ravages de Barjavel roman dans lequel les pôles de l'électricité s'inversent ). Que veut dire Meillassoux, que si l'arrivée des choses s'inscrit dans l'ordre du possible, il est possible qu'il en survienne dans le désordre de l'impossible.

    Le coffret est agrémenté de cinq petites boules de métal, vous pouvez les considérer comme le jeu des perles de verres de Hermann Hesse, le jeu de dés de Stéphane Mallarmé, les atomes épicuriens qui n'attendent que votre intervention clinaménique pour former ( ou déformer ) un monde.

    II : Le disque :

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    Peut-être avant de vous précipiter ( à pas lents ) sur les deux seules vidéos relatives aux quatre pistes du CD visibles sur You tube, serait-il bon que vous fassiez l'effort d'imaginer la musique qui pourrait correspondre aux textes si hâtivement résumés du livret. Si par exemple vous êtes fan de Heavy Metal ou des opéras de Wagner vous serait-il nécessaire d'effectuer une réduction de l'amplification sonore de vos souhaits...

    Speculative Solution 1 : l'audition est impossible. Profitons de ce répit pour spéculer sur les titres identiques des trois premiers morceaux. Spéculation indique que cette musique est une espèce d'œuvre in progress, en le sens qu'elle n'est qu'une hypothèse, qu'une probabilité de ce qui pourrait être. Pas du tout une outake préférée ou écartée, une proposition. Les chiffres qui suivent sous-entendent non pas la précarité d'une telle proposition mais le fait que l'on est face à une problématique complexe qui nécessite plusieurs essais. Mais au fait sur quoi, de quoi, spécule-t-on, du déploiement d'une musique qui réduirait les interventions du hasard à presque rien, peut-être à zéro, mais ce serait-là atteindre à l'absolu. Speculative Solution 2 : deuxième spéculation, avec en plus cette interrogation : le CD nous en propose deux, sont-ce les mêmes ou deux versions différentes, You Tube ne nous en propose qu'une seule sans plus de spécification, Hecker veut-il insister sur le retour du même, une manière de nier le hasard ou de l'affirmer car même si c'est le même qui revient l'auditeur l'entendra-t-il de la même manière, en dehors de tout affect ( contentement, ennui, impatience... ), le seul fait de l'écouter deux fois de suite, n'induira-t-il pas une manière différente d'appréhender et d'analyser le morceau, ne serait-ce pas un tour du musicien pour que le hasard différentiel révélé dans l'audition ne soit que le fait de l'auditeur, ce qui permettrait au compositeur de se prévaloir de la fierté d'avoir éjecté le hasard de son œuvre. Pauvres auditeurs désormais porteurs de la patate chaude et hasardeuse. Speculative Solution 2 : je vous conseille d'écouter la vidéo sans regarder les images superfétatoires qui l'agrémentent. Prises de nuit, depuis la vitre d'un wagon d'un train en mouvement, elles n'apportent rien, elles donnent surtout l'impression qu'on les a mises là pour meubler l'écoute et tempérer la déceptions des spectateurs. C'est sûr que l'on n'en prend pas plein les oreilles. Un petit bruit. Pas grand-chose, un clapotis, comme quelqu'un qui mâcherait son chewing gum à vos côtés, un rythme sempiternel – cela dure moins de trois minutes – une espèce de chuintement aléatoire vers la fin, c'est tout. Minimalisme sonore. Serait-ce une stratégie pour éliminer au maximum les incidences de toute surprise extérieure. Il est certain que vous avez moins de chance de ne pas subir le désagrément de vous faire écraser en traversant une autoroute en restant assis dans votre fauteuil. Esthétiquement je vous accorde que ce n'est pas très esthétique. Mais la beauté qui vous assaille provient évidemment des contingences extérieures. Octave Chronics : pour ceux qui ont difficilement supporte la solution 2, la direction vous avertit que celle-ci dure dix-neuf minutes et dégage toute sa responsabilité. Ça ressemble à quoi ? Un petit bruit électronique, un peu comme si vous choisissiez les deux touches du piano les plus aigües et que vous vous obstiniez à y appuyer dessus, l'une après l'autre, sans arrêt. Certes il y a des coupures, de très très légères brisures, mais ça reprend, un tout petit peu différemment, au bout de cinq minutes cela devient presque imperceptible mais ça repart style klaxon de voiture que vous entendez depuis le trente-deuxième étage, ensuite cela vous prend de faux airs de ritournelles, ça ressemble à un gamin qui vous tire la langue, l'on dirait que sur le clavier électronique le musicos est fatigué, appuie en deux temps mais trois mouvements, celui du milieu étant le plus silencieux, un bruit de gamelle en matière plastique que le chien racle deux fois sur le linoleum, et plouf, de minuscules gouttes d'eau qui tombent de partout, l'on dirait qu'elles se prennent pour Jean-Sébastien Bach, toccata en mineur pour fugue dans l'inaudible cristallin, précipitation extrême, mine de rien, il s'en passe des choses dans ce morceau, la musique se précipite-t-elle pour empêcher toute intrusion extérieure dans son champ d'émission fréquenciel, un peu comme quand vous bourrez votre théière de billets de 500 euros pour interdire à la moindre goutte d'eau d'y pénétrer, l'on peut parler de frénésie extrême, vous attendez que ça casse et ça passe un octave au-dessous en plus grave ce qui ne l'empêche pas de reprendre sa fuite vagabonde de truite de Schubert, l'on monte, l'on monte, l'on se dit que plus dure sera la chute, l'on aimerait savoir comment cette affaire se terminera, n'y aurait-il pas un certain désordre dans toutes ses notes qui se marchent sur la queue, ce n'est qu'une apparence, toutefois ça tangue un peu et l'on monte encore et le tout s'arrête sur deux coups étouffés et une espèce de souffle en expiration. Cette fois, c'est la stratégie inversée de la précédente, le morceau n'est pas refermé comme un œuf dans lequel il est impossible d'entrer, toutes les subtiles variations qui éclosent tour à tour n'ont d'autres but que de monopoliser votre attention. Les portes sont ouvertes en grand, le hasard et le destin du monde peuvent venir le squatter, vous ne les apercevez pas, tellement vous songez à suivre cette musique et son trottinement menu de souris, vous n'entendez guère, plus rien n'existe autour de vous, l'univers chaotique a disparu, tout est réduit à sa plus simple expression, cette musique que vous ne quittez pas de vos deux oreilles et de tout votre corps. N'y a pas plus de hasard que de lézard dans l'horloge du temps aboli. Ce n'est rien, mais un rien qui se fait entendre.

    Livret et CD sont indissociables. Ici la musique a repris son bien aux mots. Hecker apporte ses solutions. Dans la 2, veut-il nous signifier que les mots de la philosophie produisent un bruit de fond pas très profond dans l'univers. Dans ses chroniques d'octave s'amuse-t-il a rajouter des notes et encore des notes pour singer ces diarrhées de mots qui coulent sans fin des porte-plumes philosophiques...

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    Episode 16

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    LE PLAN ALPHA' ( 1 )

    Je ne vous cache pas qu'après les déductions du Chef nous restâmes un long moment abasourdis. Même les queues de Molossa et de Molossito adoptèrent la forme d'un point d'interrogation. Les esprits battaient la campagne, chacun essayait de mettre de l'ordre dans ses pensées. Le Chef en profita pour allumer un Coronado. Il soupira devant nos mines atterrées et reprit parole :

    _ La balle est dans notre camp. Il est indéniable que Neil cherchait non pas à nous contacter, mais à nous prévenir, de quoi nous ne savons pas, c'est à nous de le trouver. Auriez-vous une idée ?

    Seul le silence lui répondit. Nous regardions le bout de nos pieds, espérant que le Chef ne s'adresserait pas nommément à l'un de nous, mais non, un sourire effleura ses livres :

    _ Vous n'êtes vraiment pas très malins, s'il a cherché à nous avertir, c'est que lui-même ( le Chef aspira une longue bouffée de son Coronado, qu'il exhala très vite, formant une traînée odorante aussi longue que ces chemtrails que relâchent les Boeings dans le ciel azuréen ) n'avait pas pu entrer en contact avec une autre personne et qu'il pensait qu'en tant que Services Secrets du Rock 'n' Roll nous étions ceux qu'ils jugeaient le plus à même d'accomplir cette tâche délicate !

    _ Vous sous-entendez hasarda timidement Noémie qu'il voulait que nous le présentions au président par interim de l'Elysée !

    _ Surtout pas lui ! Sans quoi l'Intelligence Service aurait prévenu les plus hautes autorités de sa présence sur le territoire national. C'est parce qu'il opérait en secret qu'ayant été repéré il a été abattu par la police...

    _ Mais alors qui, moi peut-être ! les dernières paroles du Chef avaient manifestement perturbé Noémie, pourquoi pas Molossito après tout tant qu'on y est!

    _ Enfin une parole sensée, Noémie je vous félicite, votre intelligence progresse depuis que vous êtes entrée au SSR, vous brûlez ! Vous pouvez remercier Molossito !

    _ Ouah ! Ouah !

    Molossa jeta un coup d'œil admiratif sur son fils adoptif, leurs queues maintenant se dressaient toute droites en points d'exclamation. Je commençais à entrevoir l'aléatoire vérité.

    _ Chef personnellement j'opterais plutôt sur Rouky, toutefois je pense qu'il s'agit de...

    Les deux chiens grognèrent sourdement.

    - Agent Chad, ces deux bêtes sont trop intelligentes pour manifester leur mécontentement sans motif, allez voir ce qu'il se passe ! Sans bruit et discrètement.

    AU DEHORS

    Le jardin était vide. Je m'y attendais. Je collais l'oreille contre la porte d'accès. Aucun bruit. Je l'entrouvris et me glissai dans l'obscur couloir jusqu'à la grille. Personne. Il ne me restait plus qu'à parcourir le corridor jusqu'à la porte extérieure. Ce que je fis à grandes enjambées silencieuses. Ne me restait plus qu'à sortir dans la rue. Quitte ou double. Ce fut deux fois double. Du bruit dans l'escalier de l'immeuble. L'on parlait à mi-voix, je me retournais un couple s'avançait vers moi. Des illégitimes qui sortaient d'un rendez-vous d'amour. J'attendis qu'il se rapprochât. Ils s'embrassaient, j'ouvris la porte :

    _Je vous en prie Monsieur-Dame !

    _ Oh merci, c'est gentil ! Ce qui serait parfait c'est que si par hasard le mari de Madame nous attendait pas très loin, vous jouiez le rôle d'un ami qui leur a offert un verre chez lui !

    _ Je n'y manquerais pas !

    Je les accompagnais jusqu'au bout de la rue, aucun conjoint jaloux ne les attendait... Quelques minutes plus tard je revenais par le trottoir opposé, tête baissée, téléphone au bout de l'oreille, réglée sur la fréquence de la police. Je passais devant la camionnette d'entreprise, que j'avais repérée, pas d'erreur c'était un sous-marin de la police :

    _ Allo Turquoise 1, ici Turquoise 2, le gigolo qui accompagnait le couple de tout-à-l'heure revient vers la maison de passe... non il n'est pas accompagné, avec sa gueule d'obsédé sexuel, ce doit être un adepte de triolisme, une bonne âme qui propose ses services aux couples en mal d'exotisme... non il s'éloigne, je me demande comment il touche pour sa prestation, plus que ce que je gagne dans un mois, je devrais songer à me recycler...

    Pas question de rentrer à l'abri. Une idée commençait à trotter dans ma tête bien faite et bien pleine comme les aimait Rabelais. Je m'installai dans un bar, commandai une bouteille de bourbon et attendis la suite des évènements.

    LE PLAN ALPHA' ( 2 )

    Ne croyez que pendant ce temps les autre étaient restés sans rien faire. Le Chef avait repris et terminé ma phrase que le grognement des cabotos avait interrompue si abruptement :

    _ Oui, le Chef tapota son Coronado pour précipiter la chute de la cendre, la personne que Neil Young cherchait à contacter, ce n'était pas l'un de nous, c'était :

    Il s'arrêta pour parfaire le suspense

    _ Vous l'avez deviné... Charlie Watts !

    Il y eut un grand chahut, ce n'était pas possible, Charlie venait assister à ses concerts sous la Tour Eiffel, il ne lui avait pas même adressé la parole...

    _ Complètement invraisemblable, totalement illogique, je vous l'accorde, mais qui d'autre aurions-nous pu contacter dans cette histoire, avez-vous quelqu'un d'autre à proposer ? Je suis prêt à examiner toutes les propositions...

    Il n'y en eut pas...

    _ Ne perdons pas davantage de temps. Je sens qu'il nous faut renforcer le plan Alpha, désormais nous entamons le plan Alpha qui devient Alpha' prime. Ecoutez voici les nouvelles modalités d'action...

    Instinctivement les têtes se rapprochèrent. Hélas le Chef parla si bas que je ne peux rapporter que les derniers mots qui furent prononcés : vous avez trente minutes pour vous préparer, Action !

    COULEUR TURQUOISE

    _ Allo Turquoise 1, ici Turquoise 2, c'est urgent, vous nous avez parlé d'une maison de passe discrète, mais c'est le boxon total dans ce foutu bordel !

    _ Allo Turquoise 2, ici Turquoise 1 : vous avez besoin de renforts immédiats ?

    _ Ah, non surtout pas, ça crie, ça hurle, ça chante, ça fait du bruit, toutes les fenêtres sont allumées, un potin de tous les diables dans les escaliers !

    _ Allo Turquoise 2, ici Turquoise 1, que l'un de vous descende discrètement de la camionnette et aille voir de quoi il s'agit au juste !

    _ Pas la peine, ils sortent, holà c'est la carnaval de Rio, y en a qui sont à moitié à poil et d'autres déguisés en n'importe quoi, sont au moins une soixantaine, ils chantent, ils dansent, ils crient, ils rient, ils tapent sur des casseroles, pour des rendez-vous discrets ils sont loin du compte ! En plus doit y avoir des zoophiles dans ce binz, y'a au moins quatre ou cinq chiens qui aboient comme des sauvages. Maintenant ils remontent la rue tous en groupe.

      • Allo Turquoise 2, ici Turquoise 1, suivez-les, roulez derrière eux, ne les quittez pas des yeux !

      • Allo Turquoise 1, ici Turquoise 2, ils se sont tous engouffrés dans une bouche de métro, le temps de descendre du véhicule, ils se sont engouffrés dans une rame qui a démarré sous nos yeux.

      • Arrêtez tout et rentrez au bercail, inutile de perdre notre temps, c'était une opération de nettoyage, ils ont eu le temps d'enlever ce que nous cherchions.

    RETOUR A L'ABRI

    Ils m'avaient rejoint au café. Nous repartîmes à l'abri. Le Chef nous ouvrit la porte. Il souriait. Nous avons ce que nous voulons, la situation s'éclaircit !

    A suivre...

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 495 : KR'TNT ! 495: PHIL SPECTOR / RON WOOD / SHELLEY - CROWLEY / SOUL TIME / TONY MARLOW / STEPPENWOLF / ROCKAMBOLESQUES XVIII

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    phil spector,ron wood,shelley-crowley,soul time,tony marlow,steppenwolf,rockambolesques 18

    LIVRAISON 495

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    28 / 01 / 2021

     

    PHIL SPECTOR / RON WOOD

    SHELLEY-CROWLEY / SOUL TIME

    TONY MARLOW / STEPPENWOLF

    ROCKAMBOLESQUES XVIII

     

    Spectorculaire - Part One

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    En guise d’adieu à Phil Spector qui vient de casser sa vieille pipe en bois, nous sortons du formol ce vieux conte égyptien. Il fut d’abord conçu en hiéroglyphes, mais vu que les lecteurs de KRTNT ne sont pas tous férus d’égyptologie, il nous a semblé plus prudent de le traduire en langue française. Puis nous nous pencherons sur l’abondante littérature spectorienne dans un Part Two et un Part Three viendra flatter l’œuvre, car c’est bien d’une œuvre dont il s’agir.

    Pharaon fait son entrée dans le temple du son. Les talons de ses Chelsea boots claquent sur le marbre du sol. Haut comme trois pommes et maigre comme un clou, il porte une tiare en or, un pagne fraîchement repassé et des grosses lunettes noires. De longues rouflaquettes encadrent son visage. Sur la tiare en or est épinglé un badge «Back to Mono».

    Le temple s’ouvre sur la vallée des morts. Au fond de la vallée sont rassemblés quelques milliers de musiciens issus de toutes les peuplades de l’empire. Ils attendent en silence, telle est la consigne. De part et d’autre de la vallée, des milliers d’esclaves motivés par le fouet élèvent un mur gigantesque. Ils font rouler des moellons de plusieurs tonnes sur de gros rondins de cèdre lubrifiés. Le mur doit s’élever jusqu’au ciel, car telle est la volonté de Pharaon.

    Il fait construire le wall of sound.

    Pharaon se prépare à entrer dans l’histoire. Il lance un défi aux dieux dont il se dit l’égal. Plutôt que de conquérir le monde pour montrer sa puissance, Pharaon préfère écrire des chansons. Quand les dieux entendront «River Deep Mountain High», ils frémiront.

    Pharaon vient d’écrire «River Deep Mountain High» avec Jeff Barry et Ellie Greenwich. Extraordinairement cultivés, Jeff et Ellie sont ses scribes les plus précieux.

    Pharaon contemple longuement la vallée. Il éprouve de grandes difficultés à dominer son impatience. Il sait qu’il tient un tube éternel. Ses narines palpitent. Sous le pagne, il sent son membre divin se dresser lentement. Il fait signe aux prêtres du temple du son. Il veut entendre les oracles. Les prêtres éventrent les bestiaux prévus à cet effet et accourent les mains pleines d’abats sanguinolents. Ils se bousculent pour offrir à Pharaon l’exclusivité des oracles.

    — Les conditions sont réunies, Pharaon ! Il ne pleuvra pas aujourd’hui !

    Agacé, Pharaon envoie un terrible coup de sa crosse en or sur le crâne du prêtre-météo qui s’agenouille, abasourdi de terreur.

    — Mais il ne pleut jamais dans la région, sombre crétin ! Qu’on le jette aux crocodiles sacrés !

    — Noooon pitié Pharaon ! Nooon !

    Les Turkmènes de la garde rapprochée emmènent le prêtre qui se débat. Pharaon commence toujours par caler ses orchestrations. Lorsqu’elles sont irréprochables, il demande à des interprètes soigneusement sélectionnés de venir s’y fondre. Pharaon vit dans l’obsession de l’osmose : le jour et la nuit, la folie et le génie, les cuivres et les cordes, le ciel et la mer, le chant et l’instrumentation, il mêle les extrêmes en permanence.

    Il se tourne vers l’horizon et lève les bras au ciel. Un immense murmure s’élève de la vallée. Les musiciens s’affairent. Ils vont bientôt devoir jouer selon les règles strictes édictées par Pharaon. Les partitions sont gravées dans des tablettes d’argile. Des milliers de scribes ont travaillé jour et nuit. Les musiciens n’ont que quelques minutes pour s’accorder sous le soleil de plomb. Quand Pharaon donnera le signal, ils devront être prêts à jouer. Pharaon donne ses dernières instructions :

    — Bassistes crétois, vous façonnerez l’épine dorsale d’une grosse bassline et vous fendrez le silence comme la proue d’un navire de guerre ! Quant à vous, guitaristes ibères, je vous demande de jouer le rythme basique ! Ne jouez rien d’autre, pas de flamenco,avez-vous bien compris ?

    Une immense clameur monte de la vallée :

    — Yeahhhhhh Pharaon !

    Puis il s’adresse aux huit mille pianistes :

    — Je vous demande de jouer les octaves de la main droite ! J’exige de vous l’emphase dramaturgique !

    — Got iiiiiiit, Pharaon !

    Pharaon passe sa main dans le dos et ramène le flingue qu’il garde toujours serré sous la ceinture. Il tire un coup en l’air. C’est le signal. Les basses crétoises roulent comme le tonnerre, agrémentées de tampanis congolais. L’immense orchestre joue une petite introduction en escalier. Pharaon lève les bras.

    Silence.

    Puis l’orchestre reprend, des vagues assourdissantes s’en vont se briser contre les murailles et se réverbèrent dans un chaos d’écho d’une profondeur incommensurable. Des nappes de piano s’envolent comme des nuées de sauterelles et s’en vont percuter les roulements des tambours que battent avec pesanteur des milliers de berbères. Pharaon fait jouer l’orchestre des jours durant. Il n’est jamais satisfait.

    Et puis un jour, son visage se détend. Les lèvres tremblantes, il murmure :

    — Oui, c’est ça ! C’est ça !

    La qualité de l’écho atteint la perfection. Pharaon lève les bras au ciel. Les musiciens arrêtent de jouer, mais les deux murailles géantes renvoient encore de l’écho pendant de longues minutes. Jusqu’à ce que le silence s’installe.

    L’orchestration est au point, le moment est venu de choisir un chanteur ou une chanteuse. Pharaon ordonne qu’on fasse venir les cages des candidats. Dix petites cages à roulettes sont installées en demi-cercle sur l’esplanade du temple. Pharaon les passe en revue. Dans la première s’agitent quatre sauvages à la peau blanche. Ils ont les cheveux longs et sales. Ils portent des blousons de cuir et des jeans déchirés.

    Pharaon s’adresse au plus grand :

    — Ton nom !

    — Joey Ramone !

    — Chante-moi quelque chose !

    Joey bombe le torse et chante «Baby I Love You» des Ronettes. Pharaon est agréablement surpris.

    — Hum... Tu as une bonne voix, mais tes amis ne me plaisent pas du tout... Ils ont l’air tellement stupides !

    Celui qui reste allongé dans la paille lance d’une voix rageuse :

    — Je m’appelle Dee Dee et je t’encule, Pharaon tête de con !

    Et Dee Dee crache au sol, juste entre les deux pieds de Pharaon. Silence de mort.

    Pharaon sort son flingue, tire une balle dans le ciel et hurle :

    — Aux crocodiles !

    Dans la deuxième cage se trouve un autre sauvage à la peau blanche. Il porte une barbe et les cheveux longs.

    — Ton nom ?

    — George Harrison !

    — Tu m’as l’air bien mystique... Chante !

    Le pauvre George n’est pas en très bonne santé. Il ravale sa salive et chante «My Sweet Lord».

    — Aux crocodiles !

    Pharaon passe à la cage suivante. Un autre sauvage à la peau blanche et une chinoise sont allongés nus dans la paille.

    — Ton nom !

    — John Lennon et elle, c’est Yoko !

    Pharaon admire les formes un peu lourdes de la chinoise :

    — Vous n’êtes pas là pour forniquer mais pour chanter. Alors chantez !

    John Lennon se lève et entonne «Instant Karma». Yoko joue du tambourin en faisant un sourire qui ressemble à une grimace. Pharaon ne les envoie pas aux crocodiles. Il ne veut pas que ses crocodiles sacrés attrapent une indigestion.

    Dans la cage suivante se trouve encore un blanc.

    — Ton nom ?

    — Dion DiMucci !

    Pharaon ne lui demande même pas de chanter. Trop romantique. «River Deep Mountain High» a besoin de chair fraîche. Pharaon passe en revue cinq autres cages où sont enfermés les Crystals, les Righteous Brothers, Darlene Love, Leonard Cohen, Bobb B Soxx.

    Il se plante devant la dernière cage. Une esclave nubienne plonge son regard de feu dans celui de Pharaon. Elle porte une tunique déchirée qui ne cache pas grand chose de son anatomie pulpeuse. Ses cuisses ressemblent à des colonnes d’albâtre.

    — Ton nom, horrible femelle lascive !

    — Tina, Pharaon, pour te servir...

    Et elle fait glisser la pointe de sa langue sur le pourtour de sa bouche entrouverte. Près d’elle se tient un grand Nubien d’apparence teigneuse.

    — Ton nom !

    — Ike Turner ! Je suis le mari !

    — Faites-la sortir de la cage ! Pas lui ! Qu’il y reste et emmenez-le avec les autres ! Qu’ils disparaissent tous de ma vue ! Mon génie ne les a même pas aveuglés ! Ah les chiens galeux ! Que les descendants de ces immondes barbares soient maudits jusqu’à la septième génération !

    Tina est enchaînée. En marchant, elle râle comme une panthère. Pharaon la présente à l’immense orchestre installé jusqu’au fond de la vallée.

    — Musiciens ! Voici Tina ! Elle portera ma chanson aux nues !

    Un grondement d’acclamations roule dans la vallée. On installe un pupitre devant Tina. Les paroles de la chanson sont gravées sur une tablette d’argile. Pharaon lève les bras au ciel. Le silence se rétablit. Il tire un coup de feu en l’air. L’orchestre joue la petite intro en escalier. Break. Silence. Reprise. Tina ouvre une bouche grande comme un four :

    — Quand j’étais une petite fille, j’avais une poupée de chiffon, la seule poupée que j’aie jamais eue... Maintenant je t’aime comme j’aimais cette poupée de chiffon... Mais maintenant mon amour a grandi !

    Tina chante comme une nymphomane. Elle roule les paroles entre ses muqueuses. Elle est poignante et magnifique. Le son qui monte de la vallée l’enveloppe. Des langues d’écho lèchent la peau luisante de ses cuisses. Les musiciens des premiers rangs voient son sexe béant palpiter.

    Alors Pharaon donne un violent coup de crosse sur le sol et le son explose. L’immense orchestre de la vallée bâtit des montagnes imaginaires, des ponts de cristal suspendus, des murailles de verre, des cavernes enchantées, des falaises de marbre, des gouffres abyssaux et des cascades de son s’écoulent dans des précipices wagnériens, des fumées blanches montent dans l’air saturé d’écho, une féérie grandiose éclate dans le tournoiement des masses d’air. Les tambours et les percussions se fondent dans les basses qui se fondent dans les guitares qui se fondent dans les pianos qui se fondent dans les violons soudanais qui se fondent dans les voix. En transcendant le principe même de l’osmose cosmique, Pharaon crée une fantastique pulsation qui remplit tout l’univers perceptible. Et au sommet de cette pulsation s’empale l’esclave Tina. Chaque molécule de son corps se dissout dans le souffle magique que renvoient les deux murailles géantes.

    Pharaon lève les bras au ciel. L’orchestre s’arrête brusquement. Quel choc ! Un silence vibrant d’écho s’installe. Les dieux ne pardonneront jamais à Pharaon de les avoir ainsi nargués. «River Deep Mountain High» n’aura pas le succès escompté. Profondément vexé, Pharaon fera construire une pyramide avec les moellons de son mur du son et s’y retirera pour l’éternité.

    Signé : Cazengler, Spectordu

    Phil Spector. Disparu le 16 janvier 2021

     

    Knock on Wood

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    Dommage. Vraiment dommage. La petite autobio de Ronnie Wood aurait pu valoir son pesant de rigolade, car Woody a une réputation de joyeux drille. Manque de pot, il tombe avec Ronnie dans le piège que la célébrité tend à tous les parvenus : le pauvre Woody se complaît dans l’étalage de people, c’est même par moments assez abject. N’allons pas salir le blog de Damie Chad en citant les noms de ces horribles célébrités que Woody se targue de fréquenter. Pour une fois qu’on a un blog bien propre, n’allons pas tout gâcher avec du m’as-tu-vu à la mormoille. C’est d’autant plus dommage qu’au départ, Woody ne fréquentait que des gens bien : Jeff Beck, Ronnie Lane & the Faces, et puis fatalement Keef. Manque de discernement ? Allez savoir... Besoin de reconnaissance, sûrement. Dans les dernières pages, il se livre à un délire d’auto-satisfaction. Comment ? En jonglant avec ses multiples talents. On le savait guitariste, peintre (my art), et le voilà qui se projette dans un avenir de romancier, de scénariste et de cinéaste. Il explose de vantardise comme la crapaud de La Fontaine. Cette fin d’autobio est encore pire que celle de Cash qui lui se vantait d’avoir les maladies les plus rares du monde, après s’être vanté d’avoir les gens les plus célèbres du monde comme amis. On entre avec ces recueils de mémoires dans des sphères qui nous dépassent et qui sont celles de l’ultra-célébrité. Elles ne font malheureusement pas rêver. On leur laisse leur pauvre ultra-célébrité, leur train de vie et tout le maudit saint-frusquin qui va avec. Nous ne voyons pas l’aristocratie de la même manière. Syd Barrett, oui, Ron Wood, non. Mais Keef oui. Justement, le gros intérêt du Wood book, c’est Keef, car forcément, Woody le fréquente assidûment. Un jour en 1965, Jag appelle Woody pour lui demander s’il veut bien venir jouer de la guitare en session. Jag produit le duo Rod Stewart/PP Arnold qui enregistre «Come Home Baby» et c’est là, à l’Olympic studio, in Barnes, que Woody voit Keef pour la première fois. Puis Woody achète un maison luxueuse, the Wick, à Richmond, et Keef vient habiter dans le cottage attenant où avait vécu quelques temps Ronnie Lane. Comme Woody a installé un studio à la cave du Wick, Keef et lui passent leur temps à jouer, et pouf, il nous ressort l’histoire de l’ancient art of waving qui, nous rappelle Mike Edison dans son Charlie book, existait du temps de Brian Jones. Woody revient sur cette interaction entre les deux guitaristes qui caractérisait le son des early Stones. Il explique aussi une autre particularité de la Stonesy : «Depuis le début, les Stones ont toujours eu un style particulier. Keef joue un accord, Charlie suit et Bill est légèrement derrière Charlie. Et Brian Jones se situait quelque part au milieu.» Woody raconte aussi que la fréquentation de Keef n’est pas de tout repos. C’est même parfois assez violent. Keef sortait parfois son Bowie knife et posait la lame sur la gorge de Woody en lui disant qu’il allait le tuer. Alors Woody raconte que pour sauver sa peau, il fixait Keef dans le blanc des yeux (a stareout). Il ajoute que l’incident se produisait environ deux fois par an, à la grande époque de la coke. Une autre fois, Keef entra dans la piaule de Woody en brandissant Derringer, alors Woody sortit son Magnum 44 - That was the last time Keith ever drew his gun on me, until the next time - Ah les drogues ! Pour ça, ils sont les champions du monde. Keef déclara un jour qu’il n’avait jamais eu de problème avec les drogues, seulement avec les flics. Et Woody ajoute que si Keef est encore en vie, il doit ça au top quality junk, et jamais il n’a dérogé à ce principe : pas question de prendre n’importe quoi. Woody poursuit en rappelant que Keef a la constitution d’un ox et qu’il a eu beaucoup de chance, notamment d’être tombé sur des juges compréhensifs. Il a en outre toujours veillé à donner aux médias ce qu’ils attendaient. Woody rappelle aussi que Keef est un bourreau de travail. Il cite l’anecdote de l’enregistrement d’Emotional Rescue à Paris : tout le monde est crevé, mais Keef veut continuer à travailler, alors tout le monde doit continuer à travailler. Keef : «Nobody sleeps while I’m awake !». L’épisode le plus rigolo du Keef chapter est celui des retrouvailles avec son père Bert à Redlands. Keef fait venir son père qu’il n’a jamais revu depuis l’enfance et demande à Woody d’aller l’accueillir à sa descente de voiture. C’est la première fois que Woody voit Keef dans cet état de nervosité. La bagnole arrive dans le jardin et Woody va accueillir Bert. Bert est un vieil homme qui fume la pipe et qui a les jambes arquées. Woody lui donne son bras. Ils approchent tous les deux de la maison et soudain Keef apparaît à la fenêtre et lance à Woody : «Tu ne savais pas que j’étais le fils de Popeye ?». L’autre truc qui fait bien marrer Woody, c’est l’histoire des Glimmer twins qui remonte à l’époque où Jag et Keef voyageaient incognito sur un paquebot. Ils intriguaient une vieille qui finit par les coincer sur le pont : «Who are you ? Just give us a glimmer !». Le glimmer vient de là et Keef ajoute : «Mick est ma femme, que ça me plaise ou non. Impossible pour nous de divorcer.» Par contre, l’épisode des décorations royales (équivalent britannique de la légion d’honneur) impressionne Woody : «Quand Mick a obtenu la sienne, Keith aurait dû en obtenir une aussi. Mais si Buckingham Palace avait offert un knighthood à Keith, ça aurait dû être autre chose. Ils savaient qu’il n’accepterait jamais. Ce genre de chose ne signifie rien pour lui. Il me disait : ‘Qu’on m’appelle Sir Keith n’est pas un hommage assez important à mes yeux. Fuck knighthood, give me a peerage.» Vers la fin du book, Woody nous emmène dans les loges des Stones. Chacun la sienne. Keef s’installe devant son miroir. Personne ne lui coupe les cheveux, il prend des ciseaux et le fait lui-même, il taille dans la masse. C’est Keef - Keith only ever wears Keith-clothes - Pas d’habilleuse ni de coiffeuse.

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    Avec Keef, l’autre personnage central de l’autobio c’est bien sûr la dope. Woody explique qu’il passe beaucoup de temps dans la bathroom - a very long journey through freebase, coke, heroin, booze and more freebase - Il évoque aussi le fameux pharmaticals - There was a pill in those days called Destubol, moitié turquoise et moitié orange, and it was half-upper and half-downer. Freddie Sessler en avait à Paris et c’était la meilleure came qu’il ait jamais eue. Ça n’existe plus - C’est Bobby Keys qui fait découvrir la freebase à Woody en 1979, à Mandeville Canyon, en banlieue de Los Angeles - Bobby arriva un soir, tout excité : ‘Hey mec, j’ai découvert ce truc, it’s called freebase. It saves your nose. Tu n’as plus besoin de te servir de ton nez. Ça se fume.’ J’ai démarré avec lui et ça a duré cinq ans. Tu sépares la base de la coke en la faisant cuire dans du soda et tu fumes ça dans une pipe - Même histoire que celle de David Crosby, lui aussi passé à la freebase. D’ailleurs Woody le taille un peu - David Crosby ne savait pas utiliser les drogues correctement. Il mélangeait la coke et l’héro. Je l’ai vu faire ça un soir dans la cuisine d’Alan Pariser et en quelques secondes, il est tombé par terre. J’ai cru qu’il était mort au moins cinq fois dans la nuit. Mais il revenait toujours à lui - Donc Woody et Bobby passent leur vie dans la salle de bains. Ils y restent des journées entières, à freebaser - Keef m’a dit qu’une fois, il est entré dans la salle de bains pendant qu’on freebasait. Il a fait caca et on a rien remarqué - L’un des voisins de Woody à Mandeville Canyon est Sly Stone. Quand Sly entend dire que Woody a une pipe, alors il se pointe chez lui, accompagné de 15 personnes en file indienne derrière lui. Hop, direction la salle de bain, toujours en file indienne, pour tirer une taffe chacun son tour. Puis ils repartent en file indienne. Ce qui est fort dans les histoires de dope que nous raconte Woody, c’est qu’elles sont toutes drôles. Il dit aussi que la toute première taffe est paradisiaque et qu’après, on cherche à retrouver cette sensation, mais c’est impossible - You’re always chasing that first time. It’s a mad drug - Mais l’avantage dit-il c’est qu’elle n’est pas addictive. Tout cela se mélange avec les crises de Keef - We were on tour in the States in the early 1980s, for example, when Keef decided he was going to kill me - Keef ne veut pas entendre parler de freebase : «Nobody does freebase, it’s a waste of time !». Bien évidemment, Woody et Bobby se ruinent à freebaser pendant des jours entiers dans la bathroom. Bobby finit même par mettre son sax au clou. Woody : «On a vécu 5 ans à L.A., alors faites le calcul et vous verrez le blé que j’ai craqué en dope.» Il rend aussi hommage à Freddie Sessler, le dealer officiel des Stones : «Je parle d’un homme qui se pointait avec des bouteilles de lait remplies de high quality Mallencrodt and Merck. He was a sex-fuelled, vodka-charger, coke mountain.» L’autre grand fournisseur des Stones est le fameux Dr Steve, un neurologiste qui fait des ordonnances et qui s’approvisionne directement dans les labos, fournissant à ses clients les meilleures cames, d’où la longévité de Keef. Contrairement à Keef, Woody dit qu’il don’t do needles, il fume l’héro. Ce sont les fameuses DCs, c’est-à-dire dirty cigarettes. Woody parle de tout ça très simplement. La dope faisait partie du rock’n’roll circus des Stones, alors il en parle à sa façon.

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    Autant la fin de l’autobio indispose, autant son début enchante. Car Woody raconte son enfance - Mes frères et moi sommes les premiers dans la famille à être nés sur la terre ferme. Ma mère et mon père sont nés sur des péniches in the Paddington Basin, West London. Ils sont tous les deux des mariniers (water gyspies), comme l’étaient mes grand-parents et leurs parents avant eux - Pas mal, non ? On se croirait dans L’Atalante, avec Michel Simon. Woody brosse de son père un portrait haut en couleurs : il avait tout le temps des weird mates à la maison, «certains étaient mariniers, d’autres des repris de justice, mais tous étaient musiciens, tous étaient bourrés and all of them were fucking nuts.» La famille Wood vivait at Number 8 Whitethorn, pas loin d’Heathrow, a rocking house où tout le monde jouait d’un instrument. Le type qui s’est installé dans cette baraque après le départ de la famille Wood raconte qu’il a découvert 1700 bouteilles de Guiness enterrées dans le jardin. Petit Woody avait beaucoup d’humour. Ses grands frères collectionnaient les œufs d’oiseaux et Woody qui avait trois ans s’amusait à les écraser à coups de marteau. Alors Art et Ted se plaignaient à leur mère : «Ce petit merdeux a écrasé tous nos œufs. Pourquoi l’as-tu acheté ?». Woody raconte aussi que son père se fit un jour couper une patte. Deux jours après l’amputation, il se lève, oubliant qu’il a une patte en moins et se casse la gueule. Il tombe sur le lit du voisin, se retrouve nez à nez avec lui et balance du tac au tac : «Ah bah voilà, comment qu’on va l’appeler notre bébé ?». Humour anglais. Ravageur. Woody aime bien rappeler aussi qu’à une époque il avait un perroquet nommé Sadie. Chaque visiteur était accueilli par une formule de bienvenue, Fuck off, fuck off, ce qui ne manquait pas de faire marrer notre woodpecker.

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    C’est Art qui va se lancer le premier dans le music biz avec les Artwoods. Woody voit son grand frère tomber dingue de Fats Domino et déclarer qu’il veut chanter comme lui. Puis Woody décide à son tour de monter un groupe : «Je n’ai pas eu besoin d’aller chercher loin. Kim Gardner vivait au coin de la rue, Tony Munroe à l’autre bout de la rue et Ali McKenzie dans le quartier voisin. J’ai décidé d’appeler le groupe the Thunderbirds, d’après ‘Jaguar & The Thunderbirds’ de Chuck Berry.» Comme il existe déjà des Thunderbirds (ceux de Chris Farlowe), ils deviennent les Birds et Leo de Klerk devient leur manager. Ils se retrouvent en plein boom du British Beat et tournent sans arrêt. De Klerk les paye 5 livres par concert. Ils réussiront à obtenir une augmentation : 30 livres par concert, mais divisées en 5, et bien sûr, tous les frais à leur charge : nourriture, essence et vêtements. Woody ajoute que ça leur coûtait de l’argent de jouer dans le groupe. Comme la plupart des groupes à l’époque, les Birds se font plumer : «Les Birds ont rapporté énormément de blé à Leo. Grâce à ce blé, il a pu se marier et investir dans une chaîne de magasins d’épicerie.»

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    Ce qui est bien avec les Birds, c’est qu’on a tout de suite du son. Il suffit d’écouter The Collector’s Guide To Rare British Birds pour en avoir le cœur net. Et bien net. Ils font du early British Beat explosion et leur «You’re On My Mind» est excellent. Le singer des Birds s’appelle Ali McKenzie et bien sûr Kim Gardner is on bass. C’est notre Woody national qui passe le solo punk. Si on cherche l’archétype de l’absolute garage punk anglais, il est là et s’appelle «You Don’t Love Me». Pur jus de délinquance juvénile. Ils sont encore plus punkish que les Downliners ou les Pretties, comme si c’était possible ! Outch ! Downhome punk underground, baby. S’ensuit un «Leaving Home» encore plus heavy. Ali est un sérieux client. Si on aime le primitive London garage, c’est les Birds. «No Good Without You» va plus sur la pop, et Ali sonne comme un géant en devenir. Woody repasse l’un de ces solos magiques dont il va se faire une spécialité. Encore une tentative de putsch avec «How Can It Be», cut très pop, très ambitieux, avec des attaques de heavy gimmicking. Incroyable énergie ! Les guitares cassent la baraque. Tout vient des riffs. Woody is on fire. Leur hommage à Bo vaut tout l’or du monde. «You Don’t Love Me» est encore plus fort que le Roquefort. Ils se prennent pour les Who avec «Run Run Run», et toujours cette énergie, rien de plus beau que ce Run Run Run à l’aube des temps bénis. Leur «Good Times» donnera la Poupée Qui Fait Non en français, d’ailleurs on en trouve la version française un peu plus loin sur cette compile.

    C’est l’époque où Woody rencontre Rod The Mod - Un jour en 1965, je traînais à l’Intrepid Fox, un pub sur Wardour Street quand je vis entrer un mec portant une grande veste à carreaux de Coco the Clown et des cheveux en épis sur le sommet du crâne, comme les miens. Il avait aussi un œil au beurre noir. Il s’est approché de moi et m’a dit : ‘Hello, face, comment ça va ? - Rod conduisait une Spitfire à l’époque, mais dès qu’il eut un peu de blé, il s’offrit une Marcos. Jusqu’au moment où «Maggie May» lui permit de se payer une Lamborghini. Ses centres d’intérêt après le foot, nous dit Woody étaient donc les voitures de sport et les femmes, «mais pas nécessairement dans cet ordre».

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    L’autre amateur de fast cars, c’est Jeff Beck - Do you fancy getting a band together ? - Et hop, c’est parti ! Jeff Beck conduit une Corvette Stingray. Vroom !

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    Pendant quelques mois, Woody partage un appart à Londres avec Jimi Hendrix, à Holland Park. On est en 1966. «En fait, c’est la maison de PP Arnold. Elle louait le sous-sol à Jimi et le rez-de-chaussée à bibi. Elle habitait à l’étage in the big flat.» Et là Woody nous fait un prodigieux portrait de Jimi : «Il adorait vivre à Londres. Il adorait aussi son chapeau qu’il ne quittait jamais. Il était défoncé en permanence, beaucoup plus que je ne l’étais. J’avalais un quaalude de temps en temps, mais Jimi n’arrêtait jamais.» Un jour Jimi lui offre deux albums : James Brown Live At The Apollo 1962 et BB King Live At The Regal. Woody avoue que ces deux albums lui ont changé la vie. Au sens où ils l’ont poussé à améliorer sa façon de jouer. «Mais ce ne sont pas les seuls cadeaux qu’il m’ait fait. Un jour il est arrivé avec un basset nommé Loopy. Quand il était en voyage, il me confiait Loopy, puis il a fini par me le donner. Je trouvais ça pretty cool, seulement le problème c’est que Loopy chiait partout dans l’appart. Pat Arnold ne trouvait pas ça cool du tout et donc elle nous a virés Loopy et moi.» Woody adorait passer du temps avec Jimi - J’adorais ses spliffs et ses Quaaludes. Il avait cinq ans de plus que moi, il avait 27 ans quand il est mort, mais il semblait beaucoup plus vieux - Woody se souvient aussi d’avoir rencontré Brian Jones une seule fois à l’Olympic, in Barnes. «Glyn Jones et Nicky Hopkins nous présentèrent, je dis Hi et il murmura quelque chose d’indistinct. Il était dans un autre monde et l’affichait clairement.» Woody ajoute que la dernière chanson sur laquelle il joua fut «Honk Tonk Woman», en mars 1969, «mais Mick et Keith avaient déjà décidé de le remplacer.»

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    En 1968, Woody joue de la basse dans le Jeff Beck Group. Mickie Most produit leur premier album, Truth. On peut bien l’avouer : on est tous tombés de notre chaise à l’époque en entendant ça, surtout le «Shape Of Things» d’ouverture de bal d’A. Le Jeff Beck Group avec Rod The Mod au chant est certainement l’un des meilleurs groupes qui ait jamais existé en Angleterre, et par la modernité de leur attaque, ils ont servi de modèle à Led Zep qui ne parvint jamais à les égaler. Il faut voir Rod the Mod chanter à la revoyure, Beck entrer dans le lard du son au tiguili vénéneux et Woody rôder dans le son comme un maraudeur. L’autre coup de génie est la reprise d’«I Ain’t Superstitious» qui ferme le bal de la B. Beck y invente l’impromptu interventionniste. Il surgit là où personne ne l’attend. Et puis on voit avec «Blues De Luxe» que ce groupe était le British blues band idéal : en matière de blues électrique, tout est monté au sommet de l’art, le chant, la guitare, l’intensité du bassmatic, il faut voir Woody aller chercher des figures de style au bas de son manche. Beck y passe l’un des solos les plus impatients de son temps et Rod se couronne roi du blues en rigolant. Led Zep va d’ailleurs repomper la fin du cut, avec le chant en écho d’une note. Woody se montre encore sacrément musical dans «Let Me Love You». Il joue en solo derrière Beck et multiplie les descentes de gamme, croisant et recroisant celles de Beck. Rod the Mod fait des prodiges avec «Morning Dew» et «Ol Man River» qui sont des morceaux de chanteur et le groupe redéfinit le heavy blues avec «You Shook Me». Joli coup de Beck. Ils rééditent l’exploit avec «Rock My Plimsoul», listen ! Rock me all nite long. Rod ne s’embarrasse pas de scrupules et Woody se balade dans les gammes de blues comme s’il était chez lui. Alors oui, wow !

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    L’année suivante paraît l’encore plus spectaculaire Beck Ola. Oh les fous ! Les deux reprises d’Elvis vont en traumatiser plus d’un, à commencer par «All Shook Up», avec Nicky Hopkins dans le mix, c’est tendu à l’extrême, ils pétrissent un brouet infâme à base de maraudes de Beck et de rumble de Woody. Il est certain que les pirouettes de Beck sont depuis restées inégalées. Face à cette modernité de ton, Led Zep ne faisait pas le poids. Jeff démolit «Jailhouse Rock» d’entrée de jeu à coups de Beck et Rod shakes it hard. Quelle fabuleuse équipe ! Beck fait même la sirène avant d’envoyer un killer solo nous flasher le bulbe. L’autre coup de génie de l’album, c’est bien sûr le fameux «Spanish Boots» - Aw my boots are/ So/ Long - l’un des sommets du rock anglais. Il faut entendre Woody cavaler en contrechamp derrière Beck qui dégringole son killer solo flash. Woody le bombarde littéralement de triplettes de Belleville, alors pour Rod, forcément, c’est du gâteau. On a même un solo de basse demented are go a gogo. La B est hélas un peu faible. C’est là qu’on trouve «Plynth», monté sur l’un des plus beaux riffs de l’histoire du rock, un riff sec et net, mais gras double dans l’esprit. Tony Newman bat ça à la cymbale. Quand on est ado et qu’on tombe là-dessus, on est marqué à vie.

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    Le Jeff Beck Group va faire cinq american tours, mais cette histoire finit par tourner en eau de boudin - Chaque tournée devenait encore plus pénible. J’avais le sentiment qu’on ne pouvait plus travailler avec Jeff - Woody voulait aussi échapper aux griffes de Peter Grant qui manageait le Jeff Beck Group, et quand Ronnie Lane lui propose de venir jammer un soir, Woody saute sur l’occasion. Ils montent les Faces avec les naufragés des Small Faces. D’ailleurs la formation des Faces est un épisode assez cocasse : échaudés par le lâchage de Steve Marriott, Plonk Lane, Mac et Kenney Jones ne sont pas très chauds pour intégrer ce Rod The Mod que leur propose Woody, et de son côté Rod the Mod, échaudé par le comportement de Jeff Beck, n’est pas très chaud pour se remettre en ménage avec un groupe de losers. Mais bon, the deal is done. Woody est assez content de l’opération : «Rod a donné aux Faces une dynamique que nous n’avions pas avec le Jeff Beck Group et que les autres n’avaient pas non plus avec les Small Faces. Mais ce qui était le plus important, c’est qu’on s’amusait beaucoup. It was fun.» Il y a eu nous dit Woody onze tournées américaines des Faces.

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    Leur premier album qui s’appelle The First Step paraît en 1970 sous deux pochettes : Faces et Small Faces. Le groupe va s’organiser autour de deux pôles : Woody/Rod d’un côté et Ronnie Lane de l’autre. Et comme on va pouvoir le constater à l’écoute des albums suivants, c’est Ronnie Lane qui amène les hits, alors que Rod The Mod met les siens de côté pour ses albums solo. Ce premier album est un peu faiblard. Woody et Rod sauvent les meubles avec «Around The Plynth». Woody fait son barouf à coups de bottleneck, et avec le raw de Rod par dessus, ça donne un énorme classique hérissé d’épis. Comme le montre «Stone», Ronnie Lane est déjà très country honk à l’époque. Il est d’une classe écœurante, les autres devaient bien le sentir. Il résume avec «Stone» tout le folk anglais. Le mix Woody/Rod qu’on entend dans «Shake Shudder Shiver» est le mix anglais idéal. On dira la même chose de «Wicked Messenger» joué à l’épaisseur anglaise, et derrière, Ronnie Lane plombe bien le son. C’est aussi lui qui embarque «Looking Out The Window» au bassmatic. Vas-y mon gars ! Mac est derrière avec son shuffle d’orgue Hammond. Cet instro sauve les meubles. Et l’album se termine avec «Three Button Hand Me Down», un boogie facy lancé par la basse de Ronnie Lane. Il règne sans partage sur le son des Faces. Avec Three Buttons, ils font une espèce de resucée de Something Wonderful au big boogie boogah. Dommage que tout l’album ne soit pas de ce niveau. C’est un bonheur que d’entendre Plonk jouer de la basse.

    Au moment où Woody intègre les Faces, les Stones cherchent un guitariste. Un soir Jag téléphone au local de répète et c’est Plonk Lane qui décroche. Jag lui demande si Woody voudrait bien jouer avec les Stones et Plonk lui répond que Woody est bien content avec les Faces thank you very much.

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    Malgré sa pochette ratée, Long Player est l’un des bons albums de 1971, ne serait-ce que par la présence de «Bad ‘N’ Ruin», un groove emmené par l’un des meilleurs chanteurs d’Angleterre, un Rod The Mod au sommet de sa crête, early in the morning. Il chante au meilleur raw de tous les temps, au thing between my legs, Rod The Raw chante au raw de Rod, il fait le show, nobody won’t recognize me now. Rod chante ensuite un cut de Plonk, «Tell Everyone» et dans «Sweet Lady Mary», Woody joue tout ce qu’il peut en contrefort. Mais on dresse l’oreille quand arrive un cut de Plonk comme «Richmond», d’autant qu’il le chante et qu’il le joue au bottleneck. Pure genius. Rod rend un bel hommage à McCartney avec «Baby I’m Amazed» et les Faces décident d’allumer la gueule de leur B avec l’énorme «Had Me A Real Good Time». Quelle rasade de Rod et quel son ! Les Faces sont à leur sommet. Rod is on fire dans la longue version live d’«I Feel So Good», et derrière lui les Faces développent du raw, c’est incroyable de raw, le raw bouffe l’écran, ils sont dans leur délire, alors laissons-les tranquilles.

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    Paru la même année, A Nod’s As Good As A Wink To A Blind Horse pourrait bien être le grand album des Faces. Pour deux raisons signées Ronnie Lane : «You’re So Rude» et «Debris». Il chante Rude à la ferveur de sa fermeté, bien droit devant. Il hisse le rock anglais au sommet de l’art de la matière, le chant taille sa route et Woody se met au service de. Oh you’re so rude ! «Debris» ouvre la bal de la B. C’est là que le génie mélodique de Ronnie Lane devient solide comme le rocher de Gibraltar. On ne se lasse pas de l’entendre chanter sa mélancolie. Admirable promeneur des deux rives du rock anglais ! Son «Last Orders Please» illumine encore l’album et fait certainement de l’ombre à Rod. Sinon, l’album regorge de merveilles du type «Miss Judy’s Farm» : Woody ajoute son raw sur celui de Rod. Voilà encore du rock anglais parfait. Woody explose aussi «Stay With Me» au raw du riff. Raw du riff + raw de Rod, ça donne le melting pot des mighty Faces. Que de son aussi sur «Memphis» ! Le raw des Faces redore le blason du Mississippi Sound. Tiens encore un shoot de raw Woody/Rod avec «Too Bad». Il semble qu’avec tout ce raw, les Faces menaçaient la suprématie des Stones.

    Les Faces s’amusent tellement et font tellement les cons dans les motels américains qu’ils finissent par être interdits dans certains d’entre eux, par exemple dans les Holiday Inn. Alors ils réservent au nom de Fleetwood Mac ou de Grateful Dead.

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    La pochette d’Ooh La La intriguait tout le monde en 1973. D’autant que les yeux d’Arsène Lupin bougeaient, dans la vitrine du disquaire. Questionné sur le phénomène, le disquaire affichait une mine sceptique. T’es sûr ? Ben oui, je les ai vus bouger. La pochette n’est pas la seule à intriguer. Le nombre de coups de génie figurant sur l’album n’est pas banal. Tiens, par exemple ce «Glad And Sorry» signé Plonk Lane. Il ramène sa marchandise au moment où Rod The Mod a démarré sa carrière solo. Plonk remet les pendules à l’heure avec un jeu de basse demented, il joue la mélodie au doigté suprême, can you show me a dream - la mélodie éclot dans la lumière d’un jour d’été et Woody vient le saluer avec un cornaqué de Strato. Plonk chante, alors welcome in paradise. C’est Woody qui chante le morceau titre de fin de B. Pas facile pour lui de prendre le micro dans un groupe comprenant déjà deux fabuleux chanteurs, but he does it right. C’est avec «Silicone Grown» qu’on retrouve le raw des Faces, le raw Rod/Woody. Rien de plus British que ce son. Rod chante à la pointe de sa délinquance et Woody coule l’acier du riff, tout est solide et agressif, comme au temps du Jeff Beck Group. Plonk chante «Flags & Banners», alors bien sûr on crie de nouveau au loup. Il rentre dans le lard des Faces et des nappes d’orgue, c’est stupéfiant. Puis Rod revient au boogie avec «My Fault». C’est lui le boss, il ravage les contrées, rien ne résiste à Rod The Mod. Pur power ! Big hard boogie ! Et l’A se termine en apocalypse avec les sirènes de «Borstal Boys», Woody claque ses riffs et Rod blaste son Borstal, ils font l’histoire du rock anglais, comme les Stones, les Beatles, les Who et tous les autres avant eux, les claqués de beignet de Woody dégoulinent de superberie.

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    On trouve deux très belles covers sur l’album live des Faces, Live Coast To Coast. Ouverture And Beginners paru en 1973 avec de beaux avions sur la pochette : «Angel» et «Jealous Guy». L’Angel est un cut peu connu de Jimi Hendrix qui ne tient que par le chant. Rod le magnifie. Et le «Jealous Guy» qu’il tape en fin de B vaut lui aussi le détour. Pure merveille. Le groupe est à son apogée, il frise la perfection mélodique, the voice + the song + the band, toutes les conditions de l’universalisme sont réunies. Et bien réunies. On note aussi que Ronnie Lane n’est plus dans le groupe, mais que de son dans «It’s All Over Now». Rod is on the run, avec une belle musicalité héritée des Small Faces et que caractérisent les pianotis de Mac et le drumming parfait de Kenney. Rod ultra chante «Too Bad/Every Picture Tells A Story». Il pousse son bouchon comme nobody et sur la belle version de «Stay With Me», Woody fait des miracles avec un son limpide et fouillé à la fois. Comme le montre «I’d Rather Go Blind», c’est sur les balladifs que Rod s’illustre le mieux, avec ses vieux accents à la Sam Cooke. Et puis après avoir joué sa dentelle de blues, Woody revient au heavy riffing pour «Borstal Boy/Amazing Grace». Ces mecs sont bien les rois du boogie d’Angleterre. Ils savent développer une bonne mesure.

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    Et puis un jour, en arrivant à Detroit, Plonk Lane voit écrit en gros sur une affiche : «Rod Stewart & The Faces.» Il giffle le manager Gaff et peu de temps après quitte le groupe, après avoir tenté un «It’s Rod or me», annonçant que de toute façon, Rod allait lâcher le groupe, ce qui ne manqua pas de se produire. Woody n’est pas très clair non plus, car à cette époque il commençait à jouer avec les Stones, et Rod avait prédit aux autres que Woody allait les lâcher. C’est même assez compliqué à une époque car Woody fait une tournée américaine avec les Stones ET une tournée américaine avec les Faces. Ça se termine par un show désastreux à l’Anaheim Stadium, en Californie et chacun part de son côté : «Je sais que Rod m’en voulait d’être allé jouer avec les Stones, mais de son côté il faisait aussi ce qu’il voulait. Il envisageait une carrière solo et tout ce que j’avais à faire de mon côté était de suivre mon destin.»

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    Mais pour entrer dans les Stones après le départ de Mick Taylor, Woody doit passer une audition à Munich. Il se retrouve en compétition avec Marriott, Beck, Clapton, Wayne Perkins et Harvey Mandel. Woody : «Steve Marriott aurait pu faire un excellent Rolling Stone, mais il n’était pas un virtuose à la guitare. Il grattait ses accords, mais il avait besoin d’un lead and rhythm guitar player. Jeff Beck était un grand guitariste, mais c’est lui décidait avec qui il travaillait. Clapton m’a dit à Munich : ‘Je suis bien meilleur guitariste que toi.’ Et je lui ai répondu : ‘Oui, mais il ne faut pas seulement jouer avec les Stones, il faut aussi vivre avec eux. Et tu n’en es pas capable.’ Ce qui est vrai. Il n’aurait jamais survécu dans les Stones.» Quand Keef lui annonce qu’il est choisi pour remplacer Mick Taylor, Woody lui répond qu’il le savait. Alors Keef lui demande de tenir sa langue, ça ne doit pas être officialisé. Pas de problème. «Mon père ne m’a plus jamais appelé Ronnie. Il m’appelait Ronnie Wood of the Rolling Stones.»

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    Après la fin des Faces, Woody attaque sa carrière solo. Un premier album paraît en 1974, le drôlement titré I’ve Got My Own Album To Do. Excellent album car Woody sait s’entourer : Willie Weeks, Andy Newmark, Mac et Keef l’accompagnent et ça monte au cerveau dès «I Can Feel The Fire». Quelle science du son ! Woody et Keef duettent au somment de la vague, c’est d’un niveau inégalable, Woody exubère et Mac keyboarde comme au temps béni des Small Faces. C’est du rock anglais de rêve éveillé. Tout le monde joue énormément dans cette joyeuse pétaudière. Ils jouent tous à gogo, Willie Weeks multiplie les rushy-rushas et Andy Newmark joue un beat aussi idéal qu’un gendre idéal. L’autre coup de génie de l’album se trouve au bout de la B : «Crotch Music», un instro emmené au bassmatic par Willie Weeks et swingué par Andy Newmark, avec en botte fatale le twin guitar attack de Keef & Woody. Stupéfiant ! Encore une bonne pioche en bout d’A avec «Am I Groovin You», un heavy boogie keefy, du pur rampant avec un son à fleur de peau. Keef fait de la Stonesy avec «Shirley». On y retrouve les plus belles guitares d’Angleterre et «Sure The One You Need» frôle le Chucky Chukah. Oh comme Keef chante bien ! Il est beaucoup plus à son aise avec Woody qu’avec les Stones.

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    Pour son deuxième album solo, l’excellent Now Look, Woody s’entoure encore de gens triés sur le volet : Keef, Willie Weeks et Bobby Womack. Dans son autobio, Woody consacre de très belles pages au petit Bobby. Il rappelle que la famille Womack était énorme, Bobby avait une quinzaine de frères et de sœurs. «Tous avaient des noms bizarres, l’un de ses frères s’appelait West et un autre East. Un autre frère s’appelait Friendly.» Woody rappelle aussi que Bobby s’est marié avec la veuve se Sam Cooke et son frère Cecil a épousé la fille de Sam, Linda. Linda et Cecil allaient d’ailleurs former Womack & Womack. Woody poursuit : «J’ai rencontré Bobby à Detroit en 1975 lors d’une tournée des Faces. David Ruffin des Temptations et lui étaient venus sur scène chanter «Losing You» et «I Wish It Would Rain» avec nous. Quand j’ai demandé un coup de main à Bobby pour mon deuxième album solo, il est venu et quand il m’a demandé un coup de main pour son Resurrection, j’y suis allé, accompagné de Rod, Keith et Stevie Wonder.» C’est Bobby qui swingue le hit de l’album, «If You Don’t Want My Love». Belle tranche de Soul fumante. On le sait, Bobby crée de la magie. On entend aussi Willie Weeks dans «I Got Lost When I Found You». Ça sonne et c’est tout le côté sympathique de Woody. Il fait une pop de Soul foisonnante, à son image. Bobby chante cette pièce charmante de rock de Soul qu’est «I Can Say She’s Alright», avec Keef in tow. En B, il propose une version très Stonesy d’«I Can’t Stand The Rain» et montre qu’il n’a pas besoin des Rolling Stones pour faire de bons albums. C’est en tous les cas ce que prouve «Carribean Boogie». Il propose un son à part, très personnel. Il poursuit son petit bonhomme de chemin avec le morceau titre et termine avec «I Got A feeling», un cut de Soul à la Womack, accompagné des Womack sisters et de Willie Weeks on bass.

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    En 1979, Woody retrouve son vieux pote Plonk pour l’enregistrement d’une BO, Mahoney’s Last Stand. Évidemment, c’est Plonk qui rafle la mise avec «Just For A Moment». On sent sa patte dès les premières mesures. Il chante au doux du chant. Woody doit éprouver une grande fierté à accompagner son pote Plonk au dobro. C’est une extraordinaire palanquée de feeling, le feeling le plus doux d’Angleterre avec celui de John Lennon. Ah quelle belle mésaventure et quelle qualité de la limpidité ! Tous les copains sont venus jouer sur la BO : Bobby Keys et Jim Price, Mac et même Pete Townshend. Woody et Plonk s’amusent bien. Ils grattent leurs grattes en bons potos roses. Ils font un superbe numéro de chant à deux sur «Chicken Wired». Cet cut de country honk est très bon esprit, un régal pour les fans de Plonk. En B, Woody pique sa crise de blues avec «Mona The Blues». Il ne faut pas lui en promettre. Ils repiquent une crise de heavy blues du Sommerset avec «Rooster Funeral», en souvenir d’un vieux coq.

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    Gimme Some Neck paraît en 1979 sous une pochette très dessinée. Si on ne savait pas que Woody dessinait, on l’apprend. Bon, l’album n’est pas très spectaculaire. Woody fait de la Stonesy, ce qui semble logique puisqu’à cette époque, il fait partie des Stones. Il ne faut donc pas attendre de cet album plus que ce qu’on y trouve. Avec «Buried Alive», Woody fait beaucoup de battage avec sa Strato. Son «Come To Realise» sort tout droit d’Exile. Woody ne s’embarrasse pas avec les détails. Il sonne exactement comme le Keef d’Exile. Puis il retourne faire un tour du côté des Faces pour ficeler sa Stonesy avec «In Pekshun». C’est le son du rock anglais tel que défini par les gentry kings du borough of Chelsea. Il attaque sa B avec une reprise du «Seven Days» de Bob Dylan. On croit entendre Dylan chanter, c’est dire si Woddy est balèze. Puis il taille une Stonesy sur mesure pour «We All Get Old». On pourrait d’ailleurs très bien lui reprocher de ne pas vouloir réinventer la poudre. Il termine avec un «Don’t Worry» bien charpenté et relativement nerveux. Nous n’en attendions pas moins de lui. Et ses dessins requièrent un minimum d’attention. Woody adore croquer des scènes de la vie quotidienne. Et croquer des nus.

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    Il grimpe sur un chameau pour la pochette de 1234 et balance au dos un bel autoportrait. Bobby Womack et Clydie King font partie de l’aventure «Fountain Of Love», ce qui nous donne un joli shoot de Soul. Woody pique sa petite crise de Stonesy avec «Wind Howlin’ Through». On croirait entendre Keef : même façon de chanter à la petite persiflette.

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    Woody fait aussi du Chuck à la main lourde avec «Outlaws». Il est parfaitement à l’aise, comme d’ailleurs dans tous les autres genres. Nicky Hopkins l’accompagne eu piano et Mac à l’orgue. Quelle belle équipe ! En B, Charlie Watts vient faire des miracles sur «She Never Told Me». Véritable leçon de maintien. Le cut dure longtemps et c’est excellent, à tous les points de vue. Voilà encore un album qui vaut largement le détour.

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    Woody s’acoquine avec Bernard Fowler pour enregistrer Slide On This en 1992. La plupart des cuts ne sortent pas de l’ordinaire. Il faut attendre «Josephine» pour renouer avec le frisson. Sa Josephine est bien remontée du cul, elle chevauche un joli beat prévalent. Woody fait un peu de Stonesy avec «Must Be Love», et même une belle Stonesy bien heavy, qu’il chante au nez pincé, à la Dylan. Il reste très dylanesque avec «Show Me», avec un petit côté Cours Plus Vite Charlie, mais ça n’a bien sûr aucun intérêt. Il reste dans Dylan avec «Always Wanted More». C’est incroyable comme le vieux Woody chante comme le vieux Dylan. Mais de cut en cut, Woody s’enlise. Il devrait écouter les Black Crowes. Le problème de Woody est le problème des gens qui s’endorment sur leurs lauriers. Signalons au passage qu’il aurait pu au moins nous épargner le dernier cut, «Breathe On Me». Ah ces Rolling Stones qui se croient tout permis !

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    On ne comprend pas bien la pochette de Not For Beginners. Woody chez les Huns ? Sûrement l’une de ses toiles. Enfin bref, c’est sûrement indiqué quelque pat dans wikipedia. Bon, nous ne sommes pas là pour parler de wikipedia mais de «Rock N’Roll Star». Woody pulse son Rock N’Roll Star est c’est excellent. On note la qualité du big heavy sound. La clameur impressionne. Il duette ensuite avec Kelly Jones dans «Wadd’Ya Think», puis on le voit voler au secours de sa fille dans «This Little Heart». Woody sort le gros business. Il revient à son cher vieux «Leaving Here». Belle version, il n’a rien perdu de son swagger. Des vieux amis viennent jouer sur «R.U. Behaving Yourself» : Mac, Andy Newmark et Willie Weeks. C’est du vieux guitaring à la Woody. Il faut cependant l’écouter attentivement, car il sait toujours éveiller l’intérêt. C’est pour ça que Keef l’apprécie. Voilà un «Red Hard Rocker» bien secoué de la bonbonnière et chanté en sous-main. Puis il s’en va réveiller les vieux démons avec «Heart Soul & Body». Excellent car claqué à la volée et gavé de son comme une oie. Et voilà la surprise du chef : «King Of Kings» avec Bob Dylan à la guitare. Bon, pas d’affolement, c’est très cousu, Bob gratte son truc, c’est un gentil mec, il adore Woody, comme tout le monde.

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    Album étonnant que cet I Feel Like Playing paru en 2010 et orné d’une toile abstraite de Woody. Ça démarre en trombe avec le très dylanesque «Why You Wanna Go And Do A Thing Like That For». Woody le chante à la voix d’outre-tombe, épaulé par des nappes d’orgue Hammond. Ce mec a toujours été marrant et intéressant, c’est très facile de l’approcher. Il joue pour nous. Il est là tout près, dans une sorte de proximité de ton et de son, comme peu savent le faire. Woody a compris ça : la proximité. Rien de plus enviable. À force de véracité, il sonne presque comme le vieux Dylan. Il nous plonge dans le dedicated, c’est un coup de maître. Woody n’a jamais rien fait par hasard. Il tente le tout pour le tout avec «Lucky Man». C’est assez bon, il faut bien le reconnaître. Big heavy sound. Il parvient à créer un petit événement hors Stonesy, et nous fait le cadeau d’un final fantastique. Pour «Thing About You», il a rassemblé un backing band des enfers : Bobby Womack et Blondie Chaplin. C’est d’autant plus énorme que Billy Gibbons gratte les poux du riff. Bonne pioche, Woody ! Nouvelle merveille avec «Catch You». Par contre il ramène Slash dans «Spoonful» et ça gâche tout. Quelle horreur ! En plus la version est nulle car jouée à la basse funk par le Red Hot Chilli Peppermint. Ça change tout quand Bobby Womack vient jouer dans «I Don’t Think So», She said/ She said, avec Mac on keys. Big Woody ! Il n’est de bonne compagnie qui ne cuite, comme dirait Mr. G. Waddy Watchel entre aussi dans la danse. On retrouve la même équipe dans «100%». Woody veille bien au grain, il prend 5 minutes pour déclarer sa flamme, I’ll be around you 100% at a time. Woody chante «Tell Me Something» aux accents tellement chaleureux que ça devient fabuleux. Big album en vérité.

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    Le dernier album en date de Woody est un hommage à Chucky Chuckah, Mad Lad. A Live Tribute To Chuck Berry. Malheureusement, c’est une catastrophe. Il faut faire gaffe quand on tape dans Chuck, il ne faut pas faire n’importe quoi. Imelda May vient duetter avec Woody sur «Wee Wee Hours» est c’est assez putassier. Pas sûr que Chuck eut apprécié, car elle chante avec une sorte de glaire dans la voix. Ça bascule assez vite dans l’horreur. À partir de là, l’album est grillé. Ces abrutis font n’importe quoi avec «Almost Grown». Comment Woody ose-t-il vouloir commercialiser les vieux hits de Chuck ? Son «Back In The USA» est indigne et insupportable. Tout ce qui suit est ignoble de singerie. Woody réussit même l’exploit de flinguer the record machine dans «Little Queenie». Ses reprises sonnent comme des descentes d’organes. La May revient massacrer «Rock’n’Roll Music». Si l’inquisition existait encore aujourd’hui, elle utiliserait cet album pour torturer les hérétiques. Comme il fait un peu de promo dans l’interview qu’il accorde à Danny Eccleston dans Mojo, il en profite pour glisser une vanne ou deux. Il raconte par exemple qu’un jour, il est en studio avec Chuck et il place un lick de guitare. Chuck lui dit : «Où t’as trouvé ça ?», et Woody lui répond : «From you». Même plan avec Steve Cropper, Woody lui joue un vieux truc que Cropper trouve balèze, «d’où ça sort ?», et Woody répond comme à Chuck : «It’s one of yours». Woody dit aussi qu’il envisage une trilogie de tributes, avec à la suite de Chucky Chuckah Bo Diddley et Jimmy Reed. Ou peut-être Big Bill Broonzy. En espérant qu’il ne leur fera pas subir le même sort qu’au pauvre Chucky Chuckah.

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    L’un des épisodes dont Woody est le plus fier est celui des Barbarians, une sorte de super-groupe monté avec Keef et les plus grosses pointures de l’époque. Comme il existait déjà un groupe qui s’appelait les Barbarians, Woody dut modifier le nom à deux reprises, ce qui a donné The New Barbarians, puis The First Barbarians. Ils ne voulaient pas enregistrer d’album, seulement jouer pour le plaisir de jouer. Heureusement, on trouve des traces de tout ça dans le commerce. En 2006 est sorti un live des New Barbarians, Live In Maryland. Buried Alive. Autour de Woody & Keef jouaient Mac, Zigaboo Modeliste, le beurre-man des Meters, Mac et Bobby Keys. Il réussit aussi à embaucher Stanley Clarke, the best jazz bass player qui, me dit-il plus tard «se mit à jouer de la basse après m’avoir entendu jouer dans le Jeff Beck Group». Là Woody a raison de se vanter, car ses drives de basse dans les deux albums du Jeff Beck Group sont exceptionnels. Et sans avoir d’album à promouvoir, ils remplissent le Madison Square Garden et quinze autres grandes salles en tournée. Buried Alive est un double album live assez fantastique qui démarre sur un «Sweet Litlle Rock’n’Roller» claqué aux accords de non-retour. Ah comme ces mecs adorent Chucky Chuckah ! Cette cover est une vraie preuve d’amour. T’auras jamais ça ailleurs, Keef & Woody dans le feu de l’action. Ils barbotent comme des canards sur la grand mare des canards, c’est leur privilège, il n’y a qu’eux qui puissent se permettre un tel privilège, et Keef vient chanter un couplet. Ils amènent ensuite le morceau titre au big beat des enfers, oh yeah, c’est claqué dans la meilleure tradition. Keef chante et gratte du power d’accords inconnus, un power de sommet d’Olympe, ils vont loin, au-delà de toute imagination, Keef joue en double retourné acrobatique, il claque sa voix dans un micro. Ils sont écœurants, ces Barbarians, et on ne parle même pas de la section rythmique et du shoot de sax que Bobby ramène à la fin. On voit ensuite un phénomène paranormal se produire sous nos yeux : les cuts bougent tout seuls. Avec Stanley Clarke on bass et Zigaboo on drums, le paranormal est normal. On espère encore des miracles et en voilà un qui s’appelle «Infekshun». C’est Woody qui prend le lead, il n’a pas l’aura de Keef mais Keef le laisse faire. Comme à Kilburn, Keef prend «Sure The One You Need» au chant et rallume le brasier de la vieille Stonesy. Il a fallu attendre six cuts pour que ça explose pour de vrai. Keef is the real deal, on ne se lassera jamais de le répéter. C’est bombardé de son et du coup les cuts de Woody comme «Lost And Lonely» font pâle figure. C’est lui qui conclut le disk 1 avec «Breathe On Me». Bon, Woody est un mec rigolo mais un peu m’as-tu vu, une sorte de rabouin devenu riche et qui se paye les services des Zigaboo et de Stanley Clarke. Keef attaque le disk 2 avec «Let’s Go Steady». Il y fait son vieux white nigger de mauvaise pioche, il chante vraiment comme un con. Il enchaîne avec «Apartment N°9», un autre balladif, honey à la ramasse, il chante presque faux. Les Barbarians tapent aussi dans les gros classiques avec un «Honky Tonk Woman» claqué à l’accord fatal. Un seul accord et la messe est dite. Zigaboo fait son Charlie. C’est très spécial, Woody essaye de faire son Jag mais il a tout faux. Il faut s’appeler Jag pour chanter ça. Puis il fait du guttural sur «Worried Life Blues» et se vautre. Tous ses surdoués surjouent énormément, comme le montre encore «I Can Feel The Fire», ils chargent la barque de la mule qui n’en peut plus. Dommage que Woody se mette tellement en avant. On est surtout là pour Keef et Zigaboo. Woody n’a plus de voix quand il attaque la petite pop de «Come To Realize». Mais derrière lui, ça joue à la patate chaude, avec un Bobby Keys qui arrose tout au sax. Il y a comme une puissance compositale, un truc porté par l’accumulation des légendes, ce «Come To Realize» est un passage obligé. S’il fallait rapatrier ce disk, ce serait essentiellement pour «Come To Realize» qui synthétise tout le bien qu’il faut penser des Barbarians. Stanley Clarke vole le show dans «Am I Grooving You». Woody présente ensuite Mister Keith Richards, here, ahhh et paf, Keef claque le bouquet de «Before They Make Me Run», c’est lui le boss, il récupère toute la fournaise de Stanley Clarke et Zigaboo, alors on imagine le travail, il semble prendre le pied de sa vie. Et tout ça se termine avec «Jumping Jack Flash», mais le riff est trop acide, c’est mal chanté, atroce et confus. Massacre à la tronçonneuse. Ne laissez jamais Woody approcher de Jack Flash.

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    L’année suivante est sorti un autre live, celui de The First Barbarians, Live From Kilburn. Woody & Keef s’étaient offert une nouvelle section rythmique : Willie Weeks et Andy Newmark. Le gros avantage de ce live c’est qu’il existe en DVD et là on se régale. On voit Woody la rock star arriver sur scène avec des plumes sur les épaules, comme Eno sur la pochette du premier Roxy. Il porte aussi un gros pantalon blanc et attaque un heavy groove que l’immense Willie Weeks anime au bassmatic de funk. Woody rock super star ! Am I grooving you ? Yessss et Keef monte au micro pour faire les chœurs. Mais il n’est pas très à l’aise pour danser le funk. Ah ces blancs qui veulent danser comme des noirs, c’est toujours le même problème ! Woody et Keef chantent «Cancel Everything» à deux voix. Mais la super star, en fait, c’est Keef, il ne faut pas se tromper d’adresse. Si on veut voir du beau Keef, c’est le moment ou jamais. Il a encore ses dents pourries et sa coiffure d’épis. Rod The Mod vient chanter «If You Gotta Make A Fool Of Somebody» les mains dans les poches de son gros pantalon blanc. Keef fait le sideman. Puis ça redevient les Faces avec «Take A Look At The Guy», bien propulsé par cette section rythmique de rêve. Quel power ! Quand Rod s’en va, Woody et Keef font pas mal de funk de haute voltige, et on entend au passage les accords magiques d’«I’m A Monkey». Mais le moment déterminant est bien celui où Keef prend le chant avec «Sure The One You Need». Pur rock’n’roll drive. Keef forever. Ils finissent avec deux autres merveilles, l’instro «Crotch Music» amené par un fiff de basse atonal de Willie Weeks (un instro sorti tout droit du premier album solo de Woody, I’ve Got My Own Album To Do) suivi de l’excellent «I Can Feel The Fire», sorti lui aussi du même album. Voilà ce qu’on appelle un passage obligé pour tout fan de Keef et des Faces.

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    Dans son autobio, Woody salue deux personnages importants, Margo et Bo. Margo ? Oui, Margo Lewis qui jouait de l’orgue dans Goldie & The Gingerbreads, the first all-girl American rock band : «Il y avait plein de girl groups, comme Diana Ross & the Supremes, Martha & The Vandellas, les Ronettes, mais les Gingerbreads étaient autre chose : c’était quatre blanches qui sonnaient comme des noires, et qui non seulement chantaient, mais jouaient leur propre musique.» C’est Margo qui organise la tournée de Woody et Bo. «Voilà comment c’était organisé : Bo démarrait le set avec 4 ou 5 cuts, avec son groupe dirigé par sa bassiste, Debby Hastings et le guitariste surnommé ‘The Prince of Darkness’, puis c’était mon tour avec quelques cuts, accompagné par Debby et le groupe, et Bo revenait et on faisait quelques cuts ensemble.» Et c’est là qu’ils enregistrent Live At The Ritz - He’s the man and in his uniquely Bo Diddley way, he does whatever he wants to do and doesn’t give a shit about nothing else. La différence entre Bo et moi, c’est que je me considère comme un guitariste consciencieux, alors que Bo veut juste enfourcher son cheval et cavaler, et il se fout de savoir s’il y a une selle ou pas.

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    C’est pour ça qu’il faut écouter ce Live At The Ritz, car Bo se tape tout le bal d’A et ce vieux King of the road attaque avec l’emblème des emblèmes, «Road Runner». Porte ouverte à tous les écarts. Il enchaîne avec «I’m A Man». Tout l’art de Bo est là, dans le heavy riffing. Ce qui frappe dans les vieux hits de Bo, c’est leur incroyable modernité de style. On note qu’Eddie Kendricks et David Ruffin sont dans les backing vocals. Avec «Crackin’ Up», Bo fait son petit coup d’exotica de calypso, you’re crackin’ up yeah yeah et il termine son bal d’A avec «Hey Bo Diddley». C’est Bo qui mène le bal, avec tout le power du Chicagogo. Et ce petit renard de Woody ramène sa fraise en B avec un choix de cuts en forme de panorama : il revisite toute son histoire en commençant par sa période Jeff Beck Group : «Plynth/Water Down The Drain». Il se prend pour Jeff Beck et attaque au bottleneck, mais c’est une erreur et ça devient un exercice de style un peu m’as-tu-vu qui n’a rien à voir avec la flamboyance des coups de Beck. Et dans l’histoire, on perd complètement le Bo. Woody ramène là-dedans du Amazing Grace et ça fout tout par terre. Puis avec «Oh La La», il se prend pour Rod The Mod. C’est n'importe quoi. Woody devient le crapaud de La Fontaine qui veut grossir comme un bœuf. Puis il fait bien évidemment son Keef avec «They Don’t Make Outlaws Like They Used To». Il ne rate aucune occasion de montrer ses petits biscotos. On se doute bien qu’après Keef, il va vouloir faire son Jag, alors voilà «Honky Tonk Woman». Enfin bref, on préfère entendre Bo qui d’ailleurs revient boucler avec «Money To Ronnie». Bo reprend les choses du heavy blues en main.

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    Avec cet album live, Woody rend ainsi le plus somptueux des hommages à l’un des grands héros de la légende du rock : «La guitare qui le rendit célèbre était faite à la main, rectangulaire et incroyablement lourde, heavy as hell, car remplie d’électronique. Dedans il y avait un vibratone et un filtre, ainsi que tous les trucs qui normalement se trouvent dans les pédales d’effets. Il a des cordes incassables et tendues très haut au-dessus du manche. Il joue en open tuning. Pas facile de jouer sur cet engin, croyez-moi.» Et ça continue : «Il trimbalait ce monstre rectangulaire d’un bout à l’autre de la scène. Il installait aussi lui-même ses amplis sur scène, alors il n’est pas surprenant qu’il se soit pété le dos.» Pour Woody, Bo est the absolute master of rhythm guitar, il joue comme une locomotive. «Un journaliste de San Francisco déclara un jour que Bo sonnait comme le diable déplaçant ses meubles.»

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    Et les Stones dans tout ça ? Mis à part Keef, le Rolling Stone qui l’impressionne le plus c’est bien sûr Charlie. Un Charlie qui dessine lui aussi en tournée, parce qu’il s’ennuie. «Il déteste partir en tournée. Il déteste se trouver éloigné de chez lui. Dans son esprit chaque tournée est la dernière, mais il adore jouer de la batterie et vous ne pouvez pas jouer de la batterie dans un groupe si vous restez chez vous.» Woody voit aussi comment se comporte Charlie dans les conférences de presse : «Il reste là, les bras croisés et ne dit rien. Si quelqu’un lui pose une question, il répond qu’il ne sait pas. Pourquoi ? Parce qu’il n’a pas envie de parler. Il préfère laisser les autres répondre à sa place. C’est un homme merveilleux, un pur excentrique britannique.» Et il repart sur le vieux duo de choc : «Charlie et Bill étaient inséparables. Charlie dit que ça lui manque d’entendre Bill dire ‘Cor, I fancy a cuppa tea’ entre deux prises ou, sur scène : ‘Nice pair of tits over there’.»

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    Woody rappelle aussi que Dirty Work fut l’album des Stones le plus difficile, car Keith & Jag ne s’adressaient plus la parole. Bon on revient sur les albums des Stones prochainement, par l’entremise non pas de la tante Artémise, mais par celle de Mike Edison et de Charlie Watts.

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    Oh mais ce n’est pas fini. Woody a rendez-vous avec Mojo pour l’interview, alors le voilà qui se pointe dans une suite du Landmark Hotel de Londres tout de noir vêtu avec a black barnet with a life of its own, c’est-à-dire une grosse coiffure noire qui bouge toute seule. Danny Eccleston le traite de clown prince of rock’n’roll, de true keeper of the flame, de human cartoon et de Face-turned-indispensable Stone qui est miraculeusement soigné à la fois d’un cancer du poumon et d’un emphysème, ce qui ne s’était encore jamais vu. Eccleston ajoute que c’est the lost stroke of good furtune in a long line of similar, son meilleur coup de chance fut d’être déclaré membre officiel des Stones en 1976, the apoptheosis of Wood the jammy jammer. Woody ajoute : «Somebody up there likes me.»

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    C’est aussi ce qu’il déclare dans le film de Mike Figgis qui vient de sortir, non pas dans les salles comme on disait avant, mais sur le site d’Arte. Le doc s’appelle justement Somebody Up There Likes Me. Figgis a du métier, puisqu’il a participé à la série The Blues de Martin Scorsese avec Red White And Blues. Il passe donc en revue la carrière de Woody, et on se régale de vieux plans des Birds, du Jeff Beck Group et des Barbarians. Keef témoigne, Jag aussi, enfin bref, c’est l’illustration visuelle de l’autobio. Avec ses joues creusées de profonds sillons et son regard de rescapé, Woody évoque la dope et sa chance de pendu, il s’étend longuement sur la fin des addictions et se dit sauvé par une opération miraculeuse. Mais le côté m’as-tu-vu remonte vite à la surface, lorsqu’on voit par exemple le peintre à l’œuvre dans son atelier, en train de croquer une ballerine qui n’est même pas à poil. Il peindrait Bambi dans les bois, ça serait la même chose. Il ne peut pas non plus s’empêcher de faire parler Imelda May qui n’a rien d’intéressant à dire, et on échappe de peu à Bono et à Slash, ouf ! Puis vers la fin, voilà qu’apparaît sa femme qui pourrait être sa fille, un vrai canon, et bien sûr Figgis filme les deux jumeaux, encore tout petits sur les genoux de leur père Superman. À un moment, il faut arrêter les conneries de l’éternelle jeunesse : Woody a 74 balais et il n’a pas l’élégance d’un vampire. Mais au fond, c’est peut-être ce besoin désespéré d’incarner son personnage jusqu’au bout qui le rend tellement sympathique.

    Signé : Cazengler, Ronnigaud

    Birds. The Collector’s Guide To Rare British Birds. Deram 1999

    Jeff Beck Group. Truth. Columbia 1968

    Jeff Beck Group. Beck Ola. Columbia 1969

    Faces. The First Step. Warner Bros. Records 1970

    Faces. Long Player. Warner Bros. Records 1971

    Faces. A Nod’s As Good As A Wink To A Blind Horse. Warner Bros. Records 1971

    Faces. Ooh La La. Warner Bros. Records 1973

    Faces. Live Coast To Coast. Ouverture And Beginners. Warner Bros. Records 1973

    The New Barbarians. Live In Maryland. Buried Alive. Wooden Records 2006

    The First Barbarians. Live From Kilburn. Wooden Records 2007

    Ron Wood. I’ve Got My Own Album To Do. Warner Bros. Records 1974

    Ron Wood. Now Look. Warner Bros. Records 1975

    Ron Wood & Ronnie Lane. Mahoney’s Last Stand. Atlantic 1979

    Ron Wood. Gimme Some Neck. CBS 1979

    Ron Wood. 1234. Columbia 1981

    Ronnie Wood & Bo Diddley. Live At The Ritz. Victor 1988

    Ron Wood. Slide On This. Continuum 1992

    Ron Wood. Not For Beginners. SPV 2001

    Ron Wood. I Feel Like Playing. Eagle 2010

    Ron Wood. Mad Lad. A Live Tribute To Chuck Berry. BMG 2019

    Rolling Stones. Black And Blue. Atlantic 1976

    Rolling Stones. Some Girls. Atlantic 1978

    Rolling Stones. Emotional Rescue. Atlantic 1980

    Rolling Stones. Tattoo You. Atlantic 1982

    Rolling Stones. Undercover. Atlantic 1983

    Rolling Stones. Dirty Work. Columbia 1986

    Rolling Stones. Steel Wheels. Columbia 1989

    Rolling Stones. Voodoo Lounge. Virgin 1994

    Rolling Stones. Stripped. Virgin 1995

    Rolling Stones. Bridges To Babylon. Virgin 1997

    Rolling Stones. A Bigger Bang. Virgin 2005

    Rolling Stones. Blue & Lonesome. Polydor 2016

    Ron Wood. Ronnie. Macmillan 2007

    Danny Eccleston. Born Lucky. Mojo # 315 - February 2020

    Mike Figgis. Somebody Up There Likes Me. 2019

    PERCY BYSSHE SHELLEY

    ALEISTER CROWLEY

    Traduction de

    PHILIPPE PISSIER

     

    Pas la première fois que les noms de Percy Bysshe Shelley et d'Aleister Crowley apparaissent dans Kr'tnt ! Dans notre livraison 478 du 01 / 10 / 2020, nous signalions la parution de l'adaptation musicale de Prometheus Unbound – drame de Shelley – par Stupör Mentis, pour rafraîchir les mémoires défaillantes un petit addenda sera consacré à deux nouveaux morceaux de cette version magistrale dévoilés sur Bandcamp à la fin de cette chronique.

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    En attendant penchons-nous sur ce texte de Crowley qui ne dépasse pas les cinq pages. Shelley et Crowley appartiennent tous deux à la légende noire du rock'n'roll. Certains penseront qu'ils y sont entrés par la petite porte, mais les amateurs de blues savent qu'il faut se méfier des backdoormen. Le nom de Crowley est inscrit dans la saga de Led Zeppelin, Jimmy Page féru d'ésotérisme acheta le manoir du Mage... Certains prétendent qu'à partir de cet acte notarié l'éblouissante carrière du Dirigeable battit de l'aile jusqu'à l'écrasement final... Quant à Shelley, c'est un extrait d'un de ses poèmes Adonaïs dédié à John Keats récemment disparu, que, durant le mémorable concert d'Hyde Park, lut Mick Jagger – le chanteur des Stones, vous savez ce groupe qui enregistra Sympathy for the Devil – en l'honneur de Brian Jones, décédé après avoir été débarqué des Rolling...

    Ce qui tombe bien puisque Crowley débute son texte par une longue comparaison entre Keats et Shelley. Cela ne saurait nous étonner, Crowley en sa jeunesse écrivit nombre de recueils de poèmes, or Keats et Shelley sont tous deux les soleils les plus noirs de la poésie romantique anglaise. Que Keats quant à l'extraordinaire et splendide fluidité de ses vers ait été meilleur poëte que Shelley, Crowley veut bien l'entendre. Encore importe-t-il de savoir discerner la différence entre l'acte et le geste. L'acte du poëte peut être assimilé à son œuvre, le geste est d'une nature plus impalpable. L'œuvre se résout aux textes, le geste est cette volonté qui préside à la mise en œuvre de l'œuvre. C'est pareil pour le rock, il y a ceux qui maîtrisent la technique et ceux qui possèdent la hargne. Hargne et Geste ne sont guère mesurables, ce sont des impalpables, Aristote emploierait le mot de dynamis.

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    Ces quelques pages ne sont guère faciles à lire, Aleister Crowley – rappelons qu'il était anglais - est mort en 1947, beaucoup de noms qu'il cite appartiennent à des anglo-saxons qui vécurent dans la première moitié du vingtième siècle ( le texte a dû être rédigé selon nous circa 1922 pour le centenaire de la mort du poëte ) et pour certains leur renommée a malheureusement au cours de ces dernières décennies énormément pâli... Que cela ne nous empêche pas d'avancer.

    La pensée de Crowley est un peu comme les deux serpents du caducée, l'un qui monte et l'autre qui descend. Poésie et Science seraient leur nom. Keats les appelle Beauté et Vérité. Si Beauté = Vérité et si Vérité = Beauté, il est impossible que le mouvement s'éternise, selon Crowley chez Keats la beauté se perd dans sa propre contemplation. Par esprit de contradiction nous remarquerons que si la vérité est belle elle ne peut être vraie, or une vérité qui n'est pas vraie...

    Selon l'avis de Crowley, il n'en n'est pas de même pour Shelley, son œuvre ne reste pas prisonnière de son propre reflet. Elle n'est pas le cygne mallarméen pris dans les glaces de son miroir, la poésie de Shelley est le reflet du monde, n'entendez pas celui-ci par l'extériorité de son apparence, ses forêts, ses rochers, ses rivières... non il est nécessaire de considérer le monde davantage en son êtralité, le reflet du monde ainsi entrevu est ce que Platon nommait l'âme du monde, le fait que le monde en tant qu'être soit conscient de sa propre forme. De sa propre idée pour reprendre une terminologie plus proche de l'étymologie. Cette âme du monde est donc mouvement. Ce que Shelley nommera enthousiasme lorsqu'elle se manifeste chez l'homme, lorsque le poëte prend conscience d'elle.

    Shelley aurait donc été capable de saisir en son esprit cette palpitation respiratoire, cette vibration fondamentale du monde, l'Aum originel des hindoux, ces deux forces antagonistes qui ainsi que l'explique Empédocle tour à tour se rapprochent ( Eros ) et s'éloignent ( Ares ), Nietzsche nomme celle-ci Agon, et pour reprendre les catégories de l'auteur de La naissance de la tragédie, Keats serait apollinien et Shelley dionysiaque.

    L'on serait tenté de dire que Crowley n'apporte rien de bien neuf, que son analyse n'innove en rien par rapport aux anciens grecs, ce serait là une vision à très courte vue aussi ridicule qu'un problème de chronologie littéraire ou philosophique de moindre importance. Là n'est pas la question. Nous la formulerons tout autrement : pourquoi Aleister Crowley prend-il en quelque sorte position en faveur de Shelley et non pour Keats.

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    Les esprits primesautiers répondront parce que sa sensibilité s'accordait davantage avec celle de Shelley qu'avec celle de Keats. Simple tautologie. Description phénoménale doxique empreinte de basse subjectivité individuelle. Crowley, se place sur un tout autre plan : celui de la Science. Ne nous laissons pas intimider dans le texte par les gros mots de Russell et d'Einstein. La notion de science dont il est question ici est d'obédience philosophique, il s'agit de cette revendication chez les anciens grecs – on la retrouve chez Hegel – de fonder un savoir sur ce que nous appellerions une certaine objectivité et que les grecs nommaient vérité – ce concept a été très abîmé par la religiosité chrétienne – il correspond à ce que l'on pourrait cerner par l'expression adéquation de la pensée avec le déploiement du monde. Keats nous décrit le monde en tant que beauté. Vision contemplative qui n'a nul besoin d'action. Incidemment, le paganisme de Keats relève davantage de Plotin que de Platon.

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    Or l'action a été le mot d'ordre de Shelley, le révolté, l'athée, le révolutionnaire. Rien de plus dissemblable que Shelley l'hyper-actif et Keats le souffreteux, le malade, l'agonisant... La vie de Crowley est beaucoup plus proche de celle de Shelley que de Keats, les deux hommes procédaient d'un même tempérament volontariste, mais cela n'explique en rien la revendication shelleyenne de Crowley. Cette dernière est primordiale pour Crowley, le monde contemplatif de Keats exclut l'action et le mouvement, or si le mouvement est exclu de la suprême réalisation de la conscience de l'être, Crowley le magicien n'a plus aucune utilité, pire son action magique se révèle totalement inopérante car paralysée par l'absence de toute efficience mouvementale. Le magicien qui ne peut se servir d'aucune force émanant du monde est réduit au chômage, coincé dans la bulle d'immobilité parfaite de la sphère parménidienne.

    L'enthousiasme dynamique de Shelley est nécessaire à Crowley pour asseoir l'emprise de sa magie rouge sur le monde. Sans mouvement, manipulation ou mise en action de forces, tout Rituel est inopérant. Remarquons que tout à la fin de son texte Crowley remplace le concept d'Âme du monde par celui de Verbe ( d'obédience bien trop chrétienne pour nous ). L'assimilation de Shelley au Verbe du Serpent Ailé ( qu'à son époque l'on nommait Satan ) ressemble à ces apothéoses païennes qui à leur mort transformaient les Héros et les Empereurs en Dieux... De même ce dernier paragraphe donne à la Poésie préséance sur la Science.

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    ( Le lecteur peut se reporter à la lecture des poésies d'Oscar Vladislas de Lubicz Milosz, exact contemporain d'Aleister Crowley quant au rapport Poésie / Science. ). Il ne nous reste plus qu'à remercier Philippe Pissier pour sa traduction et son infatigable et semenciel labeur à faire connaître au public français la geste de la Grande Bête.

    Damie Chad.

    ADDENDA

    PROMETHEUS UNBOUND

    STUPÖR MENTIS

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    Le Prometheus Unbound est une des œuvres non pas les plus difficiles mais les plus mystérieuses de Shelley. Tout comme le Caïn de Lord Byron, elle se présente sous la forme de d'une pièce de théâtre destinée à ne pas être jouée. Ce ne sont pas les difficultés techniques des mises en scène qui ont motivé ces deux prescriptions chez nos deux poëtes, sans doute sentaient-ils qu'il n'existait pas un public assez réceptif pour accueillir leurs drames métaphysiques. Pensons à Victor Hugo qui ne termina jamais La fin de Satan... Le meurtre d'Abel est un geste de révolte et de vengeance contre Dieu qui a crée la mort pour punir les êtres humains de la désobéissance du premier couple, s'il est un héros qui donne sens à l'absurdité de la vie, c'est bien le Caïn de Byron. Caïn joue à jeu égal avec Dieu, certes lui et l'espèce humaine sont condamnés à mort mais en assassinant son frère il prive Dieu de l'amour qu'Abel lui portait, tout comme Dieu a privé l'Homme de son amour en lui offrant la mort... La notion chrétienne d'amour en prend un sacré coup... Contrairement à Caïn, Prométhée ne se contente pas d'un match nul, Dieu est battu, il perd la partie. L'Homme peut enfin naître. Exposée si rapidement, la pièce peut ressembler à une tartinade philohumaniste. Mais Shelley situe ces personnages mythologiques dans la réalité historique de l'échec de la Révolution Française qu'il faudra surmonter par une action révolutionnaire encore plus efficace... Shelley forge le concept de métaphysique révolutionnaire. Karl Marx admirait Shelley, mais il s'est prudemment cantonné à un révolutionarisme matérialiste... En conséquence pour plusieurs générations la compréhension du texte de Shelley en a été obscurci et commence tout juste à se défaire des voiles condamnatifs qui l'ont relégué dans l'ombre.

    Stüpor Mentis ne donne aucune interprétation ( au sens philosophique de ce terme ) du Prométhée délivré, se sont contentés – ce qui est déjà extraordinaire - de présenter des extraits du texte sous forme d'un oratorio à un public qui en grande partie ne l'aurait jamais approché autrement.

    Spirit of keen joy : troisième morceau ( voir in Kr'tnt 478 nos recension de Monarch of Gods, I ask the earth ) : montée de sanglots musicale, la voix de la terre parle comme d'en dessous, elle effleure le souvenir des jours heureux, la voix prend de l'ampleur comme la sève se propulse au printemps aux sommet de l'arbre, toutefois la musique reste oppressante, souffle une bourrasque d'hiver vocale, Zeus a pris le pouvoir, le monde est flamme et catastrophe, le plein-chant vacille en ces horreurs qui ne peuvent être dites mais qui ne sauraient être tues, un trésor dispersé brille et palpite tel l'aile blessée d'un oiseau à la surface de la terre, celle de la naissance prophétique de Prométhée qui hante les souffrances mémorielles de tout être vivant. Peace in the grave : huitième morceau ( voir in Kr'tnt 478 notre recension de The Curse - N° 5 . Les lecteurs qui seraient gênés par cet effeuillage du dévoilement, sont appelés à méditer sur Les disciples à Saïs de Novalis ). La voix d'Erszebeth s'élève telle une plainte dans la nuit, Prométhée en appelle à la mort, les puissances dissolutrices du néant le séduisent, l'orchestration se fait plus forte, la voix est devenue consolation, une bougie dont la flamme vacille, prédominances d'orgue funèbre, jamais si près de la défaite, qui s'instille dans l'âme de Prométhée comme la nielle ronge l'épi de blé pour anéantir l'espoir d'une renaissance. De profundis... ( A suivre... ).

    Damie Chad.

    *

    SOUL TIME

    Livraison 487 : Soul Time / Livraison 488 : Soul Time / Livraison 489 : Soul Time / 490, 491, 492, 493, 494 : pas un sou de Soul Time. 495 : le retour, et pas qu'un peu, deux titres cette fois, vous pouvez en prendre tout votre soûl, pour le premier nous aurions pu le chroniquer en 494, mais le temps nous a manqué, donc cette fois l'horloge sera à l'heure, de la Soul Time !

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    RIGHT TRACK

    BILLY BUTLER

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    Rien à dire ils bossent. Aucun mérite, ils sont dix, nous avec le Cat on n'est que deux, sachez apprécier la différence, mais les groupes de soul qui turbinent par ces temps covidiques, il faut les soultenir. Faut pas qu'ils se sentent seuls dans la soute à Soul. Donc leur quatrième reprise : Right Track de Billy Butler. Se débrouillent toujours chez Soul Time pour mettre leur pas sur les bonnes pistes. Allez faire un tour sur You Tube pour écouter la version originale de Butler. Vous ne perdrez pas votre temps, deux minutes trente secondes et même moins, lorsque vous aurez terminé vous aurez l'impression de n'avoir plus rien à connaître du monde, les gars qui ont enregistré cette monstruosité ( producteurs, musiciens, choristes, Billy ) ils ont dû être piqués par la mouche tsé-tsé du bonheur, quand ils se sont réveillés, se sont aperçus qu'ils avaient pondu un drôle d'œuf, un peu comme l'histoire que raconte Borges dans une nouvelle, celle du gars qui a réussi à tracer un aleph, et comme les alephs sont des nombres qui contiennent davantage d'objets que ne peut en offrir l'univers, si vous arrivez à en visualiser un, vous voyez l'intégralité de l'histoire de l'univers depuis son commencement jusqu'à sa fin... comment de la musique de danse, je crache mon mépris, je fiente dessus, j'écoute par acquis d'inconscience, et c'est parfait, j'ai beau chercher je n'arrive pas à trouver un défaut, le Butler il devait connaître l'âme humaine, à la seconde juste avant celle où vous allez vous ennuyer, il vous propose autre chose, il change la donne, vous ouvre une autre porte et au bout de la septième, lorsque vous vous retrouvez dehors, vous êtes en pleine plénitude zénithale, jamais personne ne pourra vous apportez mieux en ce cul de basse-fosse parfois appelé planète Terre.

    RIGHT TRACK

    SOUL TIME

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    C'est OK, ils ne feront pas mieux que l'équipe d'OKeh, attention chez OKeh il y a du beau monde qui a enregistré, Louis Armstrong, Mamie Smith, Ida Cox, Larry Williams, Little Richard, Screamin Jay Hawkins, Link Wray, Esquerita pour ne citer que quelques noms qui résonnent dans le cœur des rockers, la firme existe depuis plus d'un siècle, spécialisée dans le jazz et les races series, alors les Soul Time ils ne font pas les malins se collent au morceau et vous le reproduisent à la perfection se permettent même une petite effronterie, rajoutent dix secondes à la fin, genre on en a sous la semelle et avec nous les danseurs ont leur pochette surprise. Des gamineries, des broutilles, de l'esbroufe à peu de frais, on peut le comprendre comme cela. Mais si cela n'est rien, c'est que d'abord ils ont osé une suprême insolence. Z'ont sorti l'arme de dissuasion terrible, oui Billy tu chantes comme un dieu, mais nous on a une déesse. Ecoute-la un peu depuis l'autre monde, elle est jeune, elle est mignonne, elle est jolie, elle est belle, mais cela toutes les filles parviennent à le faire, non ce n'est pas ça, dès qu'elle ouvre la bouche c'est une rivière de diamant qui resplendit, ça brille comme de l'or, d'ailleurs elle s'appelle Lucie. Un peu de basse, un broutonnement de batterie et tout de suite elle prend les choses en main, ou plutôt en voix, vous avez la fanfare à vents qui scande le bouillon kub, savent rester discrets et présents en même temps, la suivent à la trace et lui déroulent le tapis rouge, mais elle ne daigne y poser le pied, elle le survole, et quand elle se tait vous ressentez un vide, une absence cruelle, et le pire c'est que vous préférez cette souffrance écarlate, ce manque absolu, ce trou béant dans votre âme, à ce sentiment de plénitude procuré par Billy.

    SOUL TIME / SOUL TIME

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    Enfin ! Quand début novembre je suis allé faire un tour sur le FB de Soul Time, z'avaient mis en épigraphe une citation de Shirley Ellis, et comme Charly Ellis a crée Soul Time j'en avais déduit que Soul Time qui se présentait comme un groupe de reprises de Northern Soul, allait comme impérieux premier devoir de mémoire reprendre Soul Time de Shirley Ellis. Nous ont fait attendre plus de deux mois.

    La carrière de Shirley Ellis ne s'étend guère sur nombre d'années, entre 1963 et 1967, elle se retire en 1968, et disparaît en 2005. Elle débuta avec les Metronomes ce qui lui permit de rencontrer son mari et de s'essayer ( et de réussir ) à la composition. Elle a participé à l'écriture des nombreux hits qui la rendirent célèbre.

    Son interprétation me semble procéder de ce que je nommerai de ce vocable mien : freeme, formé du mot anglais free et du vocable français frime. Frime parce que Shirley joue à la Diva, vous écoutez trois secondes et vous entendez je pourrais faire mieux si je le voulais, mais pour vous c'est déjà trop, une facilité évidente, vous scotche les danseurs sur le dansefloor pour le restant de leur existence, s'amuse, se sent libre et souveraine, je sais je fais un caprice, mais vous adorez.

    Ont-ils senti le danger, toujours est-il que l'orchestre donne l'impression de faire bloc derrière la chanteuse et ( je suppose ) Carla évite de jouer à la donneuse de leçon, c'est que dans le Soul Time original vous avez la professeur Ellis qui montre l'exemple mais après vous avez l'impression que ce sont les élèves les plus douées, qui répètent en chœur les mouvements pour que le vulgus pecum puisse les assimiler, cela fait sûrement partie du jeu de la Reine Shirley, mais chez nos français ( peuple révolutionnaire ) l'on n'ose pas traiter le peuple avec ce dédain aristocratique, la version de nos Soul Time qui est des plus fidèles nous donne une sensation d'humanité que l'american entertainment exile un peu trop au loin.

    Se débrouillent bien chez Soul Time, se font les dents sur des chamallows de granit, une fois qu'ils auront enregistré sept autres covers du même high fidelity acabit pour compléter une cire de 30 centimètres, ils sera temps qu'ils passent à la création d'originaux. Z'ont la carrure pour prendre tous les risques.

    Damie Chad.

    *

    Ce monde est peuplé d'injustices. Non je ne parle pas des gens qui meurent dans la rue, ni des guerres qui dépeuplent le monde des civils aux quatre coins du monde, comparé aux tourments que j'ai endurés entre 1989 et le début de 2001, ceci n'est rien. Figurez-vous que depuis quarante ans, il y avait un trou dans ma collection de disques. Une faille énorme, un scandale d'état, pas d'exemplaire de Tony Marlow poussant la goualante swing ! C'est un peu de ma faute, j'aurais dû prendre une classe de maternelle en otage, ou enclencher le bouton d'une bombe atomique, n'importe quoi, mais je n'ai rien fait. Que voulez-vous, comme tout un chacun je suis un être peuplé d'inconséquences, de toutes les manières j'ai enfin pu m'en procurer un.

    Tiens un lecteur qui ne comprend pas en direct :

    • Allo Damie, tu parles du même Tony Marlow duquel la semaine dernière tu chroniquais son Purple Haze - je n'avais même pas écouté la moitié des titres que ma femme téléphonait à son avocat pour cruauté mentale et tapage rock'n'roll, depuis qu'elle est partie ça va beaucoup mieux entre nous deux – moi qui croyais que depuis les Rockin' Rebels, Marlow n'avait toujours joué que du rock'n'roll.

    • Tout faux cher ami ! Comme tous les rockers Tony Marlow est un esprit curieux et ouvert, s'est renseigné sur ce qui existait en musique avant le rock, tu sais comment sont les cats, quand il n'y mettent pas la patte, ils y plongent dedans jusqu'au menton, et ron et ron da-dou-ronron, l'a monté un groupe Tony Marlow et les privés, se sont bien amusés, difficile de trouver les disques originaux, mais là j'ai dégotté un truc dans la même veine, Marlow avec presque un grand orchestre, et ça flonflone, tu peux me croire, attention c'est du live !

    • Oh, Damie avec toi et le Cat Zengler l'on apprend chaque semaine des tas de choses !

    • Merci du compliment, dear friend, mais pour rester dans une perspective historiale du rock'n'roll français, tu écoutera aussi Big Band d'Eddy Mitchell enregistré en 1995 au Casino de Paris et tu te pencheras  sur le parcours de Victor Leeds, trop ignoré de nos jours !

     

    FLAGRANT DELIT AU SLOW CLUB

    TONY MARLOW

    ( Jazztrade-SL-CD- 7036 / 1989 )

     

    Tony Marlow : vocal / Jean-Marc Tomy : guitare, arrangement / Sylvain d'Almeida : basse / Charlie Malnuit : batterie / Bernard Auger : saxophone ténor / Philippe Slominski : trompette / Jean-Louis Damant : trombone.

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    Caldonia : bonne fanfare au pas de course en entrée, dommage que Tony n'ait pas choisi les paroles désopilantes du grand Schmoll – un des plus belles réussites du père Moine – excellent morceau pour débuter un set, le mieux c'est d'attendre les trois vents qui soufflent en tempête force 10, on se demande comment ils font pour ne pas s'emmêler les lignes, c'est qu'ils ont intérêt à assurer, jute avant la section rythmique vous a débarqué un imbroglio de première catégorie, et là-dessus le Tony se met à japper comme si la chienne de la voisine était en chaleur, à moins que ce ne soit sa chatte. Frénésie : une intro ordonnée, pas un col de trompette ne dépasse, elles attendent leur tour, Tony en dragueur sûr de lui, l'emballe rapide et puis ce sont les autres qui s'emballent, le morceau est assez long pour que chacun puisse se livrer à son exhibition la plus perverse. Buona sera : on n'est pas sorti de l'affaire, le bateau tango et va couler, le Tony fait le gigolo pour grosses dondons, mon dieu jusques à quand vais-je supporter cette infamie, trente secondes, parce que Tony il envoie valser la mémère aux quatre diables et sans préavis il se déchaîne, et derrière l'orchestre le suit dans sa crise de folie. On ne les a pas enfermés, mais ce dut être juste. Pourtant le Tony on aurait dû, ne voila-t-il pas qu'emporté par son délire il hurle ''rock'n'roll'' en plein tutti swing, se rattrape au dernier moment avec sa politesse de crooner rital qui en fait trop. Mademoiselle voulez-vous ? : soyons sérieux, les retraitées de quatre-vingt ans c'est sûrement bien mais enfin vaut mieux papillonner les demoiselles, une leçon de drague pour les timides, Tony vous a la tchatche, suffit de l'imiter, bon quand la zamzelle saute la barrière, l'orchestre frétille de joie. Is you is or is you ain't my baby : là c'est très beau, cette trompette qui aboie sur le velours de Tony, du Louis Jordan comme l'on n'en fait plus, en prime vous avez de ces nappées de cuivres et de ces halètements à la Satchmo, et le Slominsky il skie sur sa trompette et sur le final il est éblouissant. Route 66 : chic un classique du rock, révisez vos leçons, un succès de Nat King Cole que tout le monde a reproduit, même les rockers, ne le reprennent pas carrément rock, mais rondement roll, Tony caracole dessus – prononce misery comme Presley - les cuivres ne jazzifient point, ils le rhtythm-and-bluesent à brouter la pelouse. Belle version. Ain't nobody here but us, chickens : revenons dans l'orthodoxie du swing avec Alexis Kramer et son épouse qui écrivirent pour Jimmy Dorsey et Harry Belafonte, beau spécimen pour visualiser le vocal swing, comme un funambule sur le fil instrumental et en même temps une espèce de Monsieur Loyal pour laisser la place aux numéros des musiciens, tour à tour dans le halo du projecteur et dans l'ombre noire de la clinquance orchestrale, faut savoir ne pas se faire oublier, et avoir le dernier mot, ici cocorico. Tentation sous les tropiques : rien que le titre vous êtes sous les cocotiers englobés dans le rythme des moiteurs latines, une ambiance brésilienne et le Tony nous fait son numéro de gandin rock, très belles intonations à la Dick Rivers, à l'aise partout le Marlou, la batterie a beau faire du bruit, le Tony en complet blanc, pas celui qui danse le mieux, mais celui que les filles remarquent, car il a la classe. Baby want you want me to do / Please don't leave me : sous-marin rock ( Jimmy Reed et Fats Domino ) mais bien camouflé, ça swingue dur, mais le Tony ne peut pas se retenir de se la jouer à la Genre Vincent encourageant Cliff Gallup à montrer comment il se sert de sa guitare, bref si vous êtes un mordu du swing vous criez à la contrefaçon mais si vous êtres rock vous décrypterez tous les signes secrets du vocabulaire rock. Cliché nocturne : un peu de tristesse nostalgique s'il vous plaît en intro car très vite sur ce rythme qui en fait des tonnes ( les Stray Cats s'en souviendront ) une histoire de mauvais garçons, un jeune qui se prend pour un dur neuf et qui n'est qu'un œuf mollet. Pour les danseurs c'est parfait vous pouvez vous frotter sur votre cavalière transformée en motte de beurre fondue, à volonté. Reet petite and gone : après l'intermède sixty, une rythmique jazz s'impose, les gars s'y collent, font même chauffer la colle bellement, le Tony l'essaie de suivre, mais non, l'on sent bien que c'est un amateur de rock qui chante – ça tombe bien, c'est ce que l'on préfère – en tout cas pas un chanteur de jazz n'arrivera à décoller les syllabes avec une telle désinvolture. La vie est une question d'attitude. De phrasé. Hello baby, mademoiselle : un petit peu d'histoire, le jazz emmené par les GI's à Paris... l'on pense à Claude Luter et à tout ce que l'on n'a pas connu, les caves de St Germain, Tony imite l'accent français à la perfection. Don't let the sun catch you cry'in : l'on s'attendait à un feu d'artifice pour le dernier morceau, on aura un slow pour se quitter, dans la pure tradition sixty même que sur la partie parlée Tony imite Presley, derrière l'orchestre larmoie à souhait. On se quitte, mais on y reviendra.

    Inutile de vous suicider si vous n'avez pas le disque, soyez stoïque, une petite indication pour les affamés et les impatients : Frénésie, Mademoiselle voulez-vous ? , Cliché Nocturne, et Hello Baby Mademoiselle sont sur L'Anthologie 1978 – 2018, 40 ans de Rock 'n'Roll. Vous pouvez commander sur Tony Marlow Big Cartel.

     

    FOR LADIES ONLY

    STEPPENWOLF

    ( Novembre 1971 )

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    La pochette sous forme de lettrine moyenâgeuse parsemée de petites fleurs n'est pas la meilleure de Steppenwolf. Pour attirer l'œil il est indéniable qu'elle vous scotche la rétine, je ne voudrais pas critiquer Tom Gundelfinger mais pour un disque de hard-rock j'attends mieux. N'accablez pas ce pauvre guy, l'est comme ces cowboys dans les westerns qui possèdent un holster à droite de leur ceinturon et un autre à gauche, dans les moments cruciaux vous ne savez jamais s'il va dégainer à dextre ou à sénestre. Avec un nom aussi carabiné il faut se méfier de ce gus au doigt sur la gâchette, pas le gars à tirer son coup pour rien. Ouvrez la pochette, quel est donc ce cri d'horreur que pousse le chœur outragé de nos hypocrites ( et baudelairiennes ) lectrices, désolé demoiselles, cet engin phalloïde à roulettes sur le bord du trottoir, vous l'avez reconnu, un sexe d'homme turgescent pointé tel une ogive nucléaire vers votre délicate pudeur. A croire que vous n'auriez jamais vu le loup ( des steppes ).

    Rassurez-vous ce n'est ni grivois, ni paillard, même pas érotique. C'est féministe et politique. Un concept album, d'après une idée de Jerry Edmonton. Un truc pour la défense et l'illustration des dames. Pas celles du temps jadis, celles de leur époque. Les mauvais esprits insinueront que le Loup cède à la montée en puissance de la femelle petite-bourgeoise de l'american way of life qui se désole du si peu de cas que l'autre moitié du monde éprouve pour ses valeurs clitoridiennes. Quant à nous, nous nous contenterons de nous étonner du fait que jusqu'à maintenant aucune pétition n'ait réclamé l'interdiction de cette pochette outrageante.

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    John Kay : vocal, guitar / Kent Henry : lead guitar / Georges Biondo : vocal, bass / Goldy McJohn : organ, piano / Jerry Edmonton : drums

    For ladies only : doux arpèges de guitares tendus comme un bouquet de fleurs, attention le titre manifeste de l'album, dure neuf minutes, l'orgue prédomine vite ( souvenir marial ? ) ensuite le morceau bien appuyé se déroule dans le pur style Steppenwolf réglé comme sur du papier à musique. Pour les paroles rien de bien novateur, reprochent aux hommes de maltraiter psychiquement les femmes, sur le pont la musique devient plus forte pour souligner l'importance du message, et puis un peu de tendresse bordel dans ce monde de machos, ce n'est plus une gerbe que l'on offre mais une brassée monumentale, le temps de moissonner un champ de tulipes multicolores – les rockers s'ennuient un peu parce que ça dure un max, vous avez le piano de Goldy qui se prend pour Bartok, et quand vous croyez que c'est fini il rajoute une flopée de notes à ne plus savoir où les mettre et le band lui emboîte le pas, parfois les trajets en train deviennent un peu longs, lorsque j'ai acheté ce disque je n'ai dû écouter qu'une seule fois cette piste because je ne me souvenais plus de ce passage où le Loup se prend pour le London Symphony Orchestra. Sur la fin ils redeviennent le Loup mais auriez-vous la patience d'attendre si longtemps. I'm asking : entrée mélodramatique, serait-ce un remake de la Tosca, non très vite ils comprennent qu'ils doivent rattraper l'audimat, alors le Kay fonce dans le vocal et derrière ils mordent à mort, un petit coup de grandiloquence mais Goldy se la joue virtuoso-desperado du piano et l'on est parti pour un bon ramonage. Du grand Loup. Schackles and chains : l'alcool n'a jamais fait bon ménage, mais le Loup vous essore la serpillère à la perfection, en tout cas Kent Henry, là où passe sa guitare l'herbe ne repousse pas, mais attention faut bien se comporter avec les filles, c'est sur les ponts que décidément ils ne savent pas quoi inventer pour attirer leur attention, le Goldy il ose le saut à l'élastique, ce qui est sûr c'est que vous ne traînerez pas ce morceau comme un boulet. Plutôt comme un canon. A votre santé. Tenderness : écrit par Mars Bonfire, peut-être pour se faire pardonner Born to be wild, une ballade, Kay prend la voix de Bruce Springsteen ( chronologiquement étrange ) et c'est parti pour les remords, le piano de Goldy pleure derrière lui de toutes ses larmes, pour un peu vous en chialerez aussi, le coup du countryman qui regrette les erreurs de son passé. Bien fait, mais un peu tendre.

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    The night time's for you : on retourne la galette et l'on retombe sur la plume de Bonfire, le titre fait un peu peur, mais Kay ne roucoule pas, le désir le brûle et le feu se communique au morceau, durant les moments nocturnes où il n'est plus besoin de parler Harry vous pousse sa guitare jusque dans les trompes de Fallope, je ne sais pas ce que Goldy fait à son orgue mais il en tire de drôles de couinements. Jaded strumpet : une fille qui a laissé un souvenir impérissable, une intro jazzy mais à la suite ils la ( l'intro pas Jaded ) malmènent sans ménagement, vous avez l'orgue qui s'égosille comme si vous étiez un poisson vivant et que l'on vous écaillait sur le bord de l'évier, vous sentez votre souffrance, et nous notre joie car c'est diablement jouissif d'être maltraité par un Loup en colère. J'ai oublié de préciser la Jadet elle vous mène les hommes à la baguette et ils aiment ça. Sparkle eyes : le Loup il a l'art de vous dynamiter le country ( qui a dit que le hard provenait du blues ? ) et en plus au milieu du morceau vous traversez un pont bizarre avec des arches de toutes les formes pour atterrir dans le pays de la grande nostalgie, n'ayez crainte ça pétarade de tous les côtés et vous en redemandez, alors ils vous en resservent une bonne portion. Black pit : un instrumental pour descendre au fond de l'abîme, l'on ne touchera pas le bout du trou ( allo, doctor Freud ) mais il y a des passages aussi intéressant que Voyage au centre de la terre. Le Loup ne sait pas quoi faire pour vous étonner. Ride with me : une chevauchée macho de Bonfire, suffit de se laisser porter, vous avez l'orchestre qui fuse et qui vire sur l'aile, chante en chœur quand la guitare en flamme vous fait un piquet rase-motte d'hirondelle, le Kay nous fait le coup d'amour toujours, amour d'un jour. In hopes of a garden : retour au jardin de l'éden, un ange passe aux ailes brisées, ce n'est pas aussi beau que l'on l'espérait, mais l'on fait avec ce que l'on a, l'endroit n'est pas mal pour une courte ballade.

    Pas si mal que cela. Le Loup a essayé d'enrichir sa palette musicale – étonnant sur le titre éponyme – l'on pourrait sous-titrer l'album, comment le hard devint prog. Il est parfois difficile de quitter sa steppe natale. Lorsque de loin, chez mon fournisseur toulousain j'ai vu qu'il y avait un 33 que je ne connaissais pas dans le casier Steppenwolf, wouh ! ai-je pensé, un nouveau disque tout juste après quatre mois ! Quand je me suis approché j'ai appris que non, c'était la fin... une espèce de Rest in peace, un best of, par contre une des meilleures couves de Tom Gundelfinger ( je sais, j'ai des goût bizarres et je ne me soigne pas ).

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    This the end de l'Histoire du Loup. Ne pleurez pas, il renaquit de ses cendres pas très longtemps après, mais c'est une autre histoire, peut-être vous la raconterais-je une autre fois. Voilà, c'était For Fans Only.

    Damie Chad.

     

    XVIII

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

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    Il y eut une discussion animée qui dura toute la nuit pour savoir duquel des quatre dangers qui menaçaient le SSR il fallait s'occuper en priorité. Au matin les avis étaient encore partagés, d'un commun accord nous décidâmes de reporter la décision après un petit déjeuner roboratif. Nous étions en train de trempotter nos tartines de confiture dans notre café au lait lorsqu'un flash d'information de la radio annonça la mise en confinement du pays.

    Le Chef poussa un rugissement, bouscula d'un geste ample bols et beurrier qu'il envoya valser sur le plancher – Molossa et Molossito se chargèrent aussitôt de nettoyer cette manne tombée du ciel, un nettoyage tellement parfait que par la suite les filles n'eurent même pas besoin d'essuyer la vaisselle – nous, nous n'avions d'yeux que pour Dieu le Chef qui étalait une carte sur la toile cirée :

      • Nous allons frapper un grand coup, tel Hannibal marchant sur Rome avec ses éléphants, déclara le Chef d'une voix emphatique

      • Mais nous n'avons pas d'éléphants ! le coupa vivement Charline

      • Non, nous avons mieux puisque nous possédons Molossa et Molossito - qui illico tous deux très fiers entamèrent une marche pachydermique autour de la table – et ce sont eux qui enfonceront les défenses avancées de l'ennemi

      • Mais si les ennemis ont des défenses c'est qu'ils ont aussi des éléphants s'écria Charlotte

    Vince prit la parole. Apparemment il s'y connaissait un tout petit peu plus en éléphants et en Hannibal que nos nouvelles recrues féminines. Il fronça les sourcils :

      • Attention, Hannibal a emmené ses grosses bestioles mais elles ont été inopérantes sur le champ de bataille, je m'oppose à ce que Molossa et Molossito soient sacrifiés en vain !

      • Vince tu as totalement raison, je ne suis pas Hannibal, d'abord celui-ci ne fumait pas de Coronado, ensuite l'agent Chad et nos deux jeunes filles seront dès la fin de cette réunion chargés de leur entraînement !

      • Voilà qui est rassurant opina Vince, mais l'exemple d'Hannibal me semble mal venu puisqu'il n'a pas réussi, son entreprise fut un échec !

      • La raison de la défaite d'Hannibal sera le fer de lance de notre victoire, ce général borgne qui n'y voyait que d'un œil, et qui je le rappelle ne fumait pas de Coronado, a commis une terrible erreur, au moment propice il a hésité devant l'énormité de la tâche, il a refusé de prendre Rome, le cœur décisionnel du pouvoir romain, nous SSR ne commettrons pas cette impardonnable et grossière erreur, nous SSR, nous porterons sans faillir notre attaque éclair - plus tard les historiens en qualifieront l'audace de suicidaire – précisément là, et il pointa son Coronado incandescent sur un endroit très précis de la carte.

      • Vertigineusement fou, pratiquement irréaliste, et totalement infaisable, j'en suis ! déclara Vince, j'ai voué ma vie à la défense du rock'n'roll, et tiens à passer au stade supérieur : l'attaque rock'n'roll !

      • Merci Vince, je savais que tu ne nous abandonnerais pas, nous passons immédiatement aux préparatifs, Vince tu t'occuperas de la 2 Chevaux, les filles et l'agent Chad de Molossa et de Molossito, quant à moi je me réserve le plus difficile, le maniement du Coronado, auprès duquel l'ikebana des Japonais se révèle d'une technicité rudimentaire et d'une subtilité de grosse brute hémiplégique. Exécution immédiate. Dans trois jours tout doit être prêt.

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    L'on se faisait un monde de l'entraînement de Molossa et Molossito, ce fut une partie de plaisir pour les canidés. Nous avions réquisitionné l'escarpolette de la balançoires que Vince avait installé pour ses petits-enfants, les deux chiens adoraient s'asseoir côte à côte sur la planchette, puis par un jeu de poulies et de cordes nous les hissions jusqu'au sommet  de l'arbre le plus haut du jardin, un magnifique cèdre du Liban qui culminait à plus de quarante mètres puis nous les descendions à des vitesses variables en imprimant de fortes oscillations, Molissito essayait d'attraper la queue de Molossa qui indifférente au tangage et au roulis prenait la pose d'un sage stoïcien ayant depuis longtemps dépassé l'ataraxie.

    Dans les heures qui suivirent l'ensemble de la maison se transforma en fourmilière, Vince et le Chef s'affairèrent autour de la deutcholle qu'ils remisèrent au garage, nous ne savions pas à quelle transformation ils se livraient mais de temps en temps la tête du Chef surgissait de l'entrebâillement du portail et hurlait :

      • Agent Chad, une clef de 12 immédiatement !

    Avec les deux filles nous courions de tous les côtés, Vince avait entreposé dans l'entresol de la bâtisse les réserves de son magasin de brocante '' C'est simple avait-il expliqué, vous trouverez là-dedans tout ce dont vous avez besoin avec en plus tout ce qui ne sert à rien. '' C'était vrai, mais il fallait farfouiller un max... Nous n'arrêtions pas, lorsque les filles découvrirent une centaine de rouleaux de papier crépon une dispute homérique éclata entre elles sur le choix de la couleur nécessaire à la confection de certains ustensiles utiles à la fabrication de leurs costumes spéciaux que le Chef leur avait demandé de confectionner...

    Entre douze et seize heures le Chef exigeait un silence absolu, il s'asseyait sur une chaise en plein soleil et tirait de longues bouffées de quelques Coronado, je remarquai que montre en main, il prenait dans le même temps des notes sur un carnet qu'il surchargeait de calculs frénétiques.

    Le troisième jour, à seize heures pile, Vince, la mine soucieuse, vint le trouver après nous avoir fait signe de nous ( chiens compris ) rapprocher :

      • Je pensais qu'après avoir branché notre compresseur à effet rétro-actif nous aurions résolu le problème, mais il n'en est rien, à moins que l'un de nous ait subitement une idée de génie, la mission s'avèrera impossible.

      • Vince, dès qu'un problème se pose, disons-nous qu'un peu de logique le résoudra, énonça sentencieusement le Chef. Prenons en exemple le cas qui vous préoccupe. Vous avez besoin d'une idée de génie pour le résoudre. Donc il nous faut un génie, or nous en avons justement un, pourquoi l'Agent Chad aurait-il intitulé ses mémoires Mémoires d'un GSH, ce qui signifie Génie Supérieur de l'Humantié s'il n'était pas un génie. Agent Chad, discutez un peu avec Vince, à 16 heures trente précises vous me rapportez l'idée de génie.

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    A 16 heures 30 très précises je me dirigeais en compagnie de Vince tout souriant devant le Chef :

      • Agent Chad, je ne doute pas de vous, aussi vous demanderais-je la permission d'allumer un Coronado avant que vous ne nous fournissiez l'idée géniale nécessaire à la réussite de notre entreprise.

      • Hélas Chef, je n'ai pas l'idée géniale à vous exposer...

    Les yeux des filles s'humidifièrent

      • Oh ! Damie nous qui voulions tant participer à cette aventure extraordinaire !

      • Non Chef, je n'ai pas l'idée géniale, mais j'ai la solution !

      • Excellent, agent Chad, c'est le minimum que j'attendais de vous ! Votre esprit a donc trouvé...

      • Oui Chef, l'idée géniale de téléphoner au Cat Zengler pour lui demander de me fournir la solution, tel un trait de la foudre de Zeus a surgi dans mon cerveau einsténien. Mon idée était la bonne, le Cat a non seulement trouvé la solution, mais il m'a envoyé le fichier adéquat que Vince a recopié via le net sur le CD que voici, il n'y aura plus qu'à glisser dans un lecteur pour la rendre opératoire.

      • Parfait, il est seize heure trente six minutes, je vous donne quartier libre, pensez que nous avons toutes les chances de périr, regroupement à 10 heures trente devant le garage, départ à onze heures tapantes.

    ( A suivre... )